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FROM THE Glinr OF
ARCHIBALD CARY COOLIDGE
(ClaBB af lE&j)
PROFESSOR OF HISTORY
FOR BOOKS ON FRENCH HISTORY
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.'O 19 i1
LISTE GÉNÉRALE
«es
Membres composant la Société Académifne de Brest. ^^^
BUREAU.
Président — 'M. LEVOT (P.), Conservateur de la Bibliothèque du
Port de Brest , Correspondant du Ministère de Tlnstruction
publique pour les Travaux historiques.
Vice-Présideiits, — 'M. SAUVÏON, licencié ès-Sciences , Proviseur
au Lycée Impérial de Brest. — 'M. VERRIER, Ingénieur des
Ponts-et-Chaussëes.
Secrétaires. — M. RIOU- KERHALET (J.-J.-A.), Ingénieur des
Ponts-et-Chaussées. — 'M. REYNALD (H.), Docteur es- Lettres,
Agrégé, Élève de TÉcole Norinale et de l'École d'Athènel^ ,
Professeur de Rhétorique au Lycée' Impérial.
■ Bibliothécaire 'Archiviste. — 'M. FLEURY (Ed.), Pharmacien de
FÉcole de Paris, Bibliothécaire-Archiviste de la Ville. ^
'" Trésorier.— *M. BERDELO, ancien Chu'urgien-Major de la Marine,
\ Conservateur de la Bibliothèque de THôpital de la Marine.
■ i
'"'■.■i^ - O) ^^•^ noms den Membres fondateurs sont précédi^ d'un astérisque.
— I[ —
MEMBRES RÉSIDANTS.
MM. 'AIGUESPARSES, Maître Répétiteur au Lycée Impérial.
*ALLAIN , Docteur-Médecin , à Lambézellec.
'ALLANIC, Agrégé, Professeur de Logique au Lycée Im-
périal.
*ANNER, Adjoint-Maire, Imprimeur.
•AiNTOINE (L.-C), Sous-Ingénieur des Constructions Navales.
'AUDIBERT, Professeur d'Hydrographie.
•BABILLÉ, Architecte.
*BELLAMY, Notaire, Conseiller municipal.
'BERDELO , ancien Chirurgien -Major de la Marine, Conser-
vateur de la Bibliothèque de THôpital de la Marine.
*BERNIER, ancien Chirurgien de la Marine.
BILLARD. Avocat.
*BIZET, Maire , Conseiller Gén^rîtl. .
'BLÉAS î. Inspecteur des Écolçs primaires.
*BLUTEL , premier Commis de la Direction des Douanes.
*BOELLE (A.-J.), Ingénieur des Constructions Navales.
^ 'BÔ'ÎTARD (E.)^ Professeur de Sciences à l'École Navale.
•CARADEC , Peintre.
'CARADEC (Louis), Docteur-Médecin.
•CAR(:îAÔADEC (DE), Ingénieur des Ponts-et-Chaussées.
•CHABAL , Père , Pasteur protestant.
•CHABAL, Fils, Clerc de Notaire,
'CLÉREC, Aîné, Avocat, Juge suppléant, Conseiller municipal.
•CONSEIL, Député au Corps Législatif, Conseiller municipal,
Conseiller général.
•CONSTANTIN, Pharmacien.
*CROUAN , Pharmacien, Correspondant du Ministère de Tlns-
truction pour les Travaux scientifiques.
DANGUILLECOURT, D.-M,, Chirurgien-M^jor de la Marine.
— UI —
MM. "DAUVIiN (Ad.), D. -M., ancien Chirurgien-Major de laMaffnfc
•DELAPORTE (L.), Avocat.
'DELAVAUD (C.-E.), Pharmacien-Professeur de la Blarine.
•DENIS -LAGÀRDE, Inspecteur de la Marine,
'DE ROBERT, Ingénieur des Constructions Navales.
•DUBOIS (Ed.), Professeur de Sciences à l'École Navale.
•DUSEÏGNEUR, Homme de Lettres.
•DU TEMPLE (J.-L.-R.), Lieutenant de vaisseau.
'DUVAL (Min.), D.-M., Premier Chirurgien en Chef de la
Marine.
DUVAL , Agent de Change.
"EYMIN , Commissaire de la Marine.
"FERRÉ , Directeur de la Caisse Commerciale.
'FLEURY (Ed.), Pharmacien derÉcplede Paris, BibliQlhécaire-
Archiviste de la Ville.
'FLOCH, Pharmacien.
"GARNAULT (E.), Professeur de Sciences à l'École Navale.
GERFAUX, Pharmacien.
•GESTIN (ÏL-H.), D.-M., Chirurgien-Major de la Marine.
GESTIN , Écrivain du Commissariat de la Marine.
"GOLIAS (J.-H.-J.), Chirurgien-Principal de la Marine.
•GOUZIEN, ancien Chef d'Institution.
*GUÈDE, Sous-Ingénieur des Constructions Navales.
•GUICHON DE GRANDPONT, Commissaire Général de la
Marine.
•HENRY, Ingénieur des Ponts-et-Chaussées. >
•HOUITTE, Pharmacien.
•HUET, Négociant.
•JARDIN, Sous-Commissaire de la Marine.
JOSSET, Commis de l'Administration des Douanes.
JOUVEAU-DUBREUIL, Négociant, Conseiller d' Arrondisse
ment , Membre de la Chambre de Commerce.
— IV —
MM. ^KERNÉIS (E.), Professeur de Mathématiques.
LAFAYE , Écrivain de l'Inspection de la Marine.
•LAIR (F.), Pharmacien.
•LE CHEVALIER , Agrégé des Sciences , Professeur de
Physique au Lycée Impérial.
"LECLERT, (E.-A.), Sous-Ingénieur des Constructions Navales.
•LEFÈVRE, D.-M., Directeur du Service de Santé de la Marine.
•LEFOURNIER Aîné , Imprimeur.
LE GUILLOU DE PÉNANROS, Juge-suppléant au Tribunal Civil
LEMONNIER (Ed.). ancien Notaire.
•LEPETIT, Commis chez le Payeur du Finistère.
'LE PONTOIS , Aîné , Directeur du Comptoir du Finistère.
'LESCOP (E.), Greffier des Tribunaux Maritimes.
•LE TESSIER DE LAUNAY. Ingénieur Civil.
*LEVOT (P.), Conservateur de la Bibliothèque du Port ,
Correspondant du Ministère de l'Instruction publique pour
les Travaux historiques.
•LIMON y Juge d'instruction au Tribunal Civil.
'MARC , Licencié ès-Lettres , Censeur au Lycée ImpériaL
•MAURIÉS , Sous-Bibliothécaire de la Ville.
•3IER, Architecte.
•MEUNIER -JOANNET, Professeur de Sciences à FÉcoIe
Navale.
•MILIN , Écrivain de Comptabilité.
'MICHEL (0.), Négociant.
•MICHEL (E.), Négociant
'MIRIEL, D.-M., Directeur du Service Sanitaire,
•MONTJARET DE KERJÉGU , Négociant , Membre de la
Chambre de Commerce.
•MOREAU (Louis), Homme de Lettres.
•NOUET, Sous-Ingénieur des Constructions Navales.
•OLLIVIER , Capitaine de frégate.
— V -
MM. TENQUKK , Docleur-Médeciii.
•PESCHART D'AMBLV, Sous-fiig(5nieur des Consiruclions
- Navales.
*PESR01\ , Président de la Chambre de Commerce, Vice-
Consul de S. Al. B.
*P1D0UX, Jiige de Paîx, Membre du Conseil d'Arrondissement.
•PILVEN , ancien Garde-Principal du Génie.
'PITTY, Banquier.
•PODEVIN , Pharmacien.
•REYNALD (H.), Docleur ès-Letlres , Agrégé, Professeur de
Rhétorique au Lycée Impérial , Élève de l'École Normale
et de TÉcole d'Athènes.
'RIOU-KERHALET (J.-J.-A.), Ingénieurdes Ponls-et-Chaussées.
'ROCHARD (J.-E.), D.-M., second Chirurgien en Chef de la
Marine.
'ROQUEPLANE, ancien Négociant.
'ROSSEL , Sous-Agent Comptable.
•SARDOU, Propriétaire.
•SASIAS , (P.-P.), Professeur de Sciences à TÉcole Navale.
*SAUV10N, Licencié ès-Sciences, Proviseur au Lycée Impérial.
•SCHIAVETTI. BELLIENI , Opticien.
•SOUMAIN (E.), Sous-Préfet de l'Arrondissement de Brest.
THIBAULT, Notaire.
•THIVEAUX , Professeur de tenue de Livres.
TOUBOULIC , Ingénieur Mécanicien.
'VAUCEL , Docteur-Médecin , à Coat-ar-Guéven,
•VERRIER, Ingénieur des Ponts-et -Chaussées.
•VINCENT (Aristide), Architecte.
•VOISIN , Pocteur-Médecin.
•WAILLE , Rédacteur en Chef de VOcéan.
•ZÉDÉ , Sous-Ingénieur des Constructions Navales.
'^MJ.l^T- 1-
S(Wi
A < ^.
- X —
livres^ manuscrits et autres objets lui appartenant , seront remis
à la Bibliothèque publique de ki Ville, et en deviendront la pro^
priété^*à moins qu'une «ouvelle Société, constituée dans le cours
des trois années suivantes , ne soit considérée par M. le Maire
comme apte, en raison de son but, à être mise en possession
de ces divers objets.
Art. 15. — Toute proposition de modification au présent
Règlement devra être faile par écrit et signée de cinq Membres
au moins. Elle sera renvoyée à une commission chargée de
faire dans la séance annuelle un rapport sur les diverses pro-
positions de cette nature qui auront été faites dans Tannée.
Elles seront ensuite discutées dans une séance spéciale , et ne
pourront être adoptées que si elles réunissent les suffrages de
la majorité absolue des Membres résidants, et dans le cas où
cette majorité ne pourrait être obtenue , celle des deux tiers
des Membres présents.
Brest, le 25 Mai 1858.
Suivent les signatures des Membres fondateurs.
Nous , Préfet du Finistère, Chevalier de la Légiond*Honneur,
Vu le présent Règlement de la Société Académique de Brest ;
Vu la liste des Membres fondateurs de ladite Société et la liste
des Membres du Bureau ;
Vu l'avis favorable de M. le Sous-Préfet de Brest , en date du
-12 Juin 1858 ;
Vu l'autorisation de M. le Minisire de rinlérieur, en date du
-19 Juin ^858 ;
Vu l'article 291 du Code pénal et le décret du 23 Mars 1852 ;
AVONS ARRÊTÉ ET ARRÊTONS :
Article l®*". — La Société Académique de Brest est autorisé^.
— XI -
Art. 2» — Les Statuts de ladite Société sont ceux à la suite
desquels est inscrit le présent arrêté- ; nul diangement ne pourra
y être fait sans être soumis à Tapprobation de Tautorité supé«
ricure.
Art. 3. — Toute eipédition de ces Statuts devra être revêtue
de la copie du présent arrêté.
Art. 4. — M. le Sous -Préfet de Brest demeure chargé de
l'exécution du présent arrêté.
En Préfecture, à Quimper, le 22 Juin 1858.
LfiPréfht dû Finistère 9
Signé : Ch« Riciard.
STATUTS
ARTICLE l«f. — Une Société est établie à Brest, sous le nom
de Société Académique de Brest , dans le but de s'occuper de
travaux scientifiques , littéraires , artistiques et historiques , de
ceux surtout qui concernent la viire de Brest et le département
du Finistère.
Toute discussion religieuse on politique est interdite.
— XH —
Art. 2. -f- L» Société de compose de Membres résidants,
correspondants et hoï^oraires* Les Membres résidants sont ceux
qui habitent Brest ou dans Tarrondiâsement. Les Membres cor-
respondants sont ceux dont le domicile est situé hors de l'arron-
dissement. Le3 honoraires sont ceui: à qui la Société juge con
venable de conférer ce titre.
,Le B0cteur de l'Académie et Fltispecteur départemental sont,
de droit, Membres de la Société.
Art. 3. — La Société est administrée par un Bureau composé
d'un Président , de deux Vice*Présidents , deux Secrétaires , un
Archiviste-Bibliothécaire et un Trésorier. Ils sont élus annuelle-
ment , au scrutin secret et à la majorité absolue des suffrages.
Le Buri^u fixe Tordre du jour de toutes les séances.
Art. 4, — Le Bureau est chargé : -1° de prendre et d'exécuter
les mesures propres à assurer la conservation des objets appar-
tenant à la Société ; 2° d'autoriser les dépenses du Trésorier,
de recevoir et d'arrêter ses comptes ; 3» de déterminer, après
avoir pris l'avis d'une commission nommée par lui , ceux des
travaux de la Société qui seront publiés; de passer à cet effet
les traités voulus avec les Imprimeurs et Libraires, et de délé-
guer un de ses Membres pour surveiller les impressions.
Art. 5. — Nul n'est admis dans la Société que sur la pré-
sentation de deux Membres , préalablement communiquée au
Bureau , et portée à Tordre du jour de la séance suivante. Tout
candidat, pour être élu, devra réunir les suffrages des deux tiers
des Membres présents.
AnT. 6. — La Société a une séance mensuelle dontle j^»r,
le liea et Theure seront déterminés ultérieurement. Elle y reçoit
les communications qui lui sont transipises, la» dons qui Ii^i
sont faits, discute les propoi^tious qui lui sont, soumises,, et
entend la lectuie, soit des mémoires présentés par ses Membres j
soit des rappprta auxquels ili^ donnent lieu.
Les conmusBions d^examen sont Mmmées par le Bureau.
Art. 7. — H peut y avoir, chaque année, une séance publi*
que dont la Société fixe le jour, le lieu et Theure. Après que
Tun des Secrétaires a présenté le résumé des travaux de l'année,
Il y est donné lecture , en tout ou en partie » et de l'agrément
des auteurs, de ceux de ces travatm dont le Bureau aura ju^
la communication opportune.
Art. 8. — La Société , sur le rapport du Bureau , détermine
par un arrêté spécial, le mode de publication de ses travaux.
Elle a le droit de publier , avec le consentement des auteurs ,
ceux qu'elle a sanctionnés de son approbation.
L'Inspecteur déparlemental de l'Académie fait partie, de droit,
du comité de publication.
Art. 9. — En cas de dissolution de la Société , ou d'inter-
ruption de ses travaux pendant deux années consécutives , les
livres, manuscrits et autres objets lui appartenant sei'ont réunis
à la Bibliothèque publique de la Ville , et en deviendront la
propriété, à moins qu'une nouvelle Société, constituée dans le
cours des trois années suivantes , ne soit considérée par M. le
Maire comme apte, en raison de son but , à être mise en pos*
session de ces divers objets.
Brest , le 25 Mai 1858.
Suivent les signatures des Membres fondateurs.
Le Ministre Secrétaire d'Etat au département de Tlnstruction
publique et des ('.ultes ,
Vu la demande formée par la Société Académique de Brest ;
Vu les Statuts et le Règlement de ladite Société ;
~ XIV —
Vu l'avis (le M. le Préfet du Finistère et celui de M. le
Recteur de rAcadémie de Rennes ;
Arrête :
La Société Académique de Brest est autorisée. Les Statuts en^
sont approuvés, selon la teneur de la copie jointe au présent
arrêté. Aucune modification n'y pourra être introduite qu'avec
Tagrément du Ministre de rinstrucîion publique et des Cultes^.
Fait à Paris, le 20 Janvier 4859.
Signé : Roullaîcd.
Poar ampUstlon :
Le Directeur du Personnel et du Secrétariat généraly
Signé : RouLLANp.
Poar copie eonrorme:
Le Sous^Préfet de Drest,
Signé : E; Soumaiis*.
Pour copie eonrorme :
/-e Préfet du Finistère ,
Signé : Cii. Richard.
PROCÈS -VERBAUX
des
SÉANCES DE LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE*
MARDI, |er JUIN 1858.
La Société constitue son Bureau de la manière suivante :
Président. — M. LEVOT.
Vice-Présidents. — MM. SAUVJON et VERRIER.
Secrétaires. — MM. RIOU- KERHALET et REYNALD.
Bibliothécaire- Archiviste, — M. FLEURY.
Trésorier. — M. BERDELO.
LUNDI, 28 JUIN.
Présidence de M. Levot.
^Lecture el adoption du procès-verbaL
M. le Président donne communication d'une lettre de M. le Préfet
du Finistère qui approuve les Statuts de la Société.
Hommages faits à la Société au nom de :
MM. Anner el Du Chatellier : Brest sous la Terreur, par M.
Du Chatellier.
M. Guéraud, Imprimeur à Nantes ; Grammaire anglaise de
M. Lalôy.
M. Levot : Essais de Biographie maritime.
MM. Crouan : Travaux d'Histoire naturelle.
M. Thibault : Voyage dans fOyapock.
- XVI —
Sont nommés Membres correspondants : MM. DE MONTÏFAULT,
LEMEN, BIZEOL, de Haia , €UÉRÀUOî dé ffeptes, LIAIS ,
Astronome , JOUAN , LEJOLY, SAULNIER.
Lecture des travaux :
Notice de M. GarnauU sur des notices scientifiques tirées du
I^aïUkai Magazine et du MecanieKs Magazine.
Pièce de vers de M. Aiguesparses , intitulée : Rêverie.
Rapport de M. Riou-Keriialet sur un mémoire de M. Pilven ,
ancien Garde du Génie , relatif à l'emploi des miroirs para-
boliques et sphériques combinés.
Intraduclion à une Histoire 4^ lEtygiène^ par M. Dauvin.
Analyse des premiers travaux de la Revue germanique , par
M. Reynald. .
Mémoire sur l'organisation de galères au dix-septième siècle ,
par M. Dot tin.
Communication de deux pièces de vers en breton sur la lour
d'Azénor et sur l'incendie de la tour de la cathédrale de Quimper,
présentées par M. Milin.
LUNDI , 26 i»U1LL£T.
Présidence de M. Levot.
Lecture et adoption du procès-veAal.
Homm^^e fait à la Société : Nouvelles conversations en breton et
en français, par MM. Troude et Milin.
Admission de M. LEGUÏLLOU - PÉNANROS comme Membre
résidant.
Sont nommés Membres correspondaats : MM. LAUGIER, Membre
de rinstitul, LE JEAN, PRUGNAUD, DE CHATEACNEUF.
— XVII ~
Lecture des travaux :
Rapport de M. Jardin sur plusieurs mémoires offerts à la So-
ciété par MM. Crouan, Frères.
Notice sur l'abbé de Choisy^ par M. Reyuald.
Mémoire de M. Jouan sur les Baleines.
Pièce de vers sur la Bretagne (première partie), par M. Mauriès.
Fragments d'une Notice sur Vabbaye de LandévenneCy par M.
Levot.
LUNDI, 30 AOUT.
Présidence de M. Levot.
Lecture et adoption du procès-verbal.
Hommages faits à la Société :
Par M, Jouan : Archipel des Marquises.
Par M. Chauvin : La culture de la mer appliquée aux baies du
littoral de la France.
Par M. Levot : Notice sur Ijindévennec.
Par M. Guichon de Grandpont , diverses brochures intitulées :
Gloriœ Navales , — Essai sur la susceptibilité du caractère ,
considérée comme un obstacle au bonheur ^ — Èpitre à M. Pon-
sard sur sa comédie l'Honneur et l'Argent , — Notions été-
mentaires sur le Droit administratif , — Dictée sommaire sur
la Jmtice maritime, -^ Notions élémentaires sur des matières
de Droit public et de Droit administratifs — Notice sur les
jetons de la Marine et des Galères, — Première note sur la pêche
de la morue , — Germani Brixiï Herveus , sive Chordigera
flagrans , — Histoire merveilleuse des amours d!une pipe et
<Vun compas, par G. d'Henppag.— iSea//cé publique annuelle de la
Société des Sciences y Arts et Lettres du département du Var
(2d« année. — -1857), — Le meilleur Conseiller du Peuple.
— xvni —
Admission , comme Membres résidants , de MM. LEMONNIER^
THIBAULT, JOSSET, TOUBOULIC , JOUVEAU-DUBREUfL
et DUVAL.
Admission, comme Membres correspondants, de MM. DUVAL
père et fils, et DU CHATELLIER.
Lecture des travaux :
Nouveau fragment de l'ouvrage sur VHygiène en Bretagne^ de
M. Dauvin.
Fragments de Souvenirs d'un Voyage en'Océanie , par M. Jardin.
Notice sur le canon indieu dont les trois tronçons ornent la porte
de la direction d'artillerie de la Marine au Port de Brest , par
M. Fleury.
Première partie d'un travail sur le peintre Charlet, par M. Levot.
LUNDI, 25 OCTOBRE.
Présidence de M. Levot.
Lecture et adoption du procès -verbal.
Hommages faits à la Société :
Cours d Astronomie , par M. Dubois.
Poème sur le rétablissement de la statue du roi Grallon^ par
M. Duseigneur.
Baronie du Pont-VAbbé^ par M. Du Chatellier.
Jeanne dArCy poème épique, par M. Duval, père.
Mémoire sur les buanderies , par M. Verrier.
Admission , comme Membres résidants , de MM. GODEFROY et
GERFAUX ; et comme Membre correspondant, de M. LOUDUN,
Sous-Bibliotbécaire à la Bibliothèque de TArsenal , à Pans*
— XIX —
M. Gourbebaisse, Sous-Ingénieur des constructions navales , Mem-
bre résidant, appelé à continuer ses services au port de
Cherbourg, demande à passer dans la classe des correspon-
dants. Cette demande est accueillie à Tunanimité par la Société,
qui décide , à cette occasion , que tout Membre résidant qui
quittera Brest ou Tarrondissement , deviendra , de droit ,
Membre correspondant , sur sa demande.
M. le Président donne lecture de deux lettres , Tune de M. le
Sous-Préfet de Farrondissement , l'autre de M. le Maire de
Brest, annonçant que S. Exe. M. le Ministre de l'Instruction
publique et des Cultes est disposé à patroner la Société,
à la condition que ses Statuts » dans ce qu'ils ont de fonda-
mental, lui seront soumis , et que MM. le Recteur de l'Acadé-
mie de Rennes et l'Inspecteur de l'Académie , à Quimper,
feront de droit partie de la Société , et ce dernier, du Comité
de publication.
La Société, sur la proposition du Bureau, accepte avec gratitude
le patronage de M. le Ministre, et charge le Bureau de soumettre
les Statuts à sou approbation.
M. le Président donne ensuite communication d'une circulaire
de M. le Ministre de l'Instruction publique et des Cultes , en
date du 26 août i 858 , par laquelle il fait appel au zèle des
Sociétés savantes et des Membres correspondants du Comité des
travaux historiques et des Sociétés savantes^ pour qu'avec leur
concours collectif et isolé il puisse être fhit un Dictionnaire
géographique de la France, dont il trace le plan, et qui, dans
sa pensée, deviendrait un monument d'érudition nationale
dont la France entière serait fondée à s'enorgueillir , et que les
savants consulteraient aussi utilement que le Glossaire de
Ducange et VArt de vérifier les dates.
— XX -
Lecture des travaux :
Résumé des rencontres des flottes anglaises et françaises, de
■1740 à -1815, par M. Dauvin.
Pièce de vers sur la Bretagne (première et deuxième parties),
par M. Mauriès.
Attaque de Caviar et par les Anglais en -1594 , et fortifications
de Brest , par M. Levot.
Une bonne action du grand Corneille , et TAne et le Moulin ,
pièces de vers , par M, Clérec.
LUNDI, 29 NOVEMBRE.
Présidence de M, Saumon.
Lecture et adoption du procès-verbaL
Lecture des travaux :
Discussion sur les fortifications de Brest, entre Mal. Dau^
vin , Levot et Pilven.
Note sur des recherches faites à Sainte ' Anne , et ayant pour
objet la découverte d'une forêt sous -marineyii^r M. Delavaud.
La Mort de Pétrarque, pièce devers, par M. Aigues-Sparses.
Observations de M. Reynald sur le caractère de ce poète.
LUNDI , 27 DÉCEMBRE.
Présidence de M. Levot.
Lecture et adoption du procès-verbal.
Lecture des travaux :
Mémoire sur les origines bretonnes et H ancienne géographie du
Finistère , par M. Duseigneur.
- XXI —
Première partie d'une Notice historique sur la formation de la
Bibliothèque de Brest, par M. Fleury.
IJ archipel Hawaïen , par M. Jouan.
Mémoire de M. Mauriès sur Pétrarque , ses amours avec Laure
et le mérite de sa poésie.
Réponse de M. Reynald.
LUNDI, 31 JANVIER |859.
Présidence de il. Levât.
Lecture et adoption du procès-verbal.
M. Touboulic fait hommage à la Société d'un Tableau statistique
du département du Finistère.
Admission, comme Membres résidants, de MM. GESTIN et DAN-
GUILLECOURT.
Lecture des travaux :
IS^otice sur la Bibliothèque de la ville de Brest, par M. Fleury
(deuxième partie).
Pièce de vers sur Sébastopol, par M. Duseigneur.
Biographie de Jonathan Swift (première partie), par M. Rejuald.
Descente des Anglais à Camaret , par M. Levot.
LUNDI, 28 FÉVRIER.
Présidence de M. Levot.
Lecture et adoption du procès-verbal.
Nomination d'une Commission de Statistique (^).
(1) Cette Commission se compose de MM. Limon, Pilven , Sardon ,
Duseigneur et Penquer, auxquels ont été adjoints successivement MM.
Garnault, Sasias, Delavaud, Miiin , Gouzien et Michel.
- XXII -
Commuuicalion d'un arrêté de M. le Ministre de Tlnslruction
publique du 20 Janvier -1859, qui accorde son patronage à la
Société. Conformément au vœu de M. le Ministre, la Société
déclare que M. le Recteur de l'Académie de Rennes fait de
droit partie de la Société, et que M. Flnspecteur d'Académie,
résidant à Quimper, fait partie , au môme titre , du Comité de
publication.
Lecture des travaux :
Pièce de vers de M. Aiguës- Sparses, sur PlougasteL
Analyse critique du livre de M. Micbelel : V Amour ^ par M. Chabal.
Mémoire sur Vair atmosphérique , par M. Caradec.
Fragments d'une Biographie de Swift, par M. Reynald.
Notice, par M. Fleury, sur la découverte, à Becouvrance, d'une
plaque en plomb portant les armes du comte d^Estrées , et
rappelant la date de la fondation de l'hôpital bâti à Recou-
vrance en i 696.
LUNDI, 26 Mars.
Présidence de M. Levot.
Lecture et adoption du procès-verbal.
M. Chassaniol , second Médecin en chef de la Marine , Membre
résidant , qui va continuer ses services au Sénégal , passe ,
sur sa demande , dans la classe des correspondants , confor-
mément à la décision de la Société du 28 octobre -1859.
Admission , comme Membre correspondant , de M. CUZENT,
Pharmacien de la Marine.
Nomination d'une commission chargée de déterminer les matières
qui composeront le premier cahier du Bulletin dont la Société
arrête la publication. Elle se compose de MM. Allain, Crouan,
Duseigneur, Chabal et Bellamy.
M. le Président fait connaître les mesures prises par M. le Ministre
de rinslruction publique et des Cultes pour relier entre elles
les différentes Sociétés des départements, au moyen de la Revue
des Sociétés savantes des départements^ publié sous les auspi-
ces de Son Exe. Il analyse ensuite le dernier cahier de cette
Revue^ et fait ressortir la large part que la Bretagne a prise ,
depuis deux ans , au mouvement historique , littéraire et scien-
tifique du pays.
Hommages faits à la Société :
Notice sur les végétais de Taiti (imprimée à Taïti), par M. Ouzent.
La Croisade au dix^neuvième siècle ». par M. Rousseau , offert
par M. Du Temple.
Cours de navigation pratique , par M Boitard.
Lecture des travaux :
Mémoire sur le Capital et le Traraily par M. Du Temple.
Mémoire de M. Cuzent sur Tatti , les produits de cette île et
les avantages que pourraient en retirer le commerce et [a
marine.
Mémoire de M, Mauriès sur l* Influence des Livres,
LUNDI, 25 AVRIL.
Présidence de M. Levot.
Lecture et adoption du procès-verbal.
Hommages faits à la Société :
Mémoire sur les Baleines et les Cachalots , par M. Jouan.
Bulletin de la Société d'Agriculture , par M. Duseigneur.
Premiers essais (poésie), par M. Gestin , ^ vol. petit in-S».
Le Véloposte , brochure , par M. Touboulic.
— XXIV —
MM. LÂFAYE et MICHEL (0.), sont admis comme Membres rési-
dants.
M. le Président , à Toccasion du dernier numéro de la Revue
des Sociétés savantes des départements, contenant le spécimen
d'un Répertoire archéologique de la France projeté par M. le
Ministre de Tlnstruclion publique sur un plan analogue à celui
du Dictionnaire géographique, invite les Membres de la Société
à concourir à ces travaux.
Lecture des travaux :
Note sur les iles^fihinchas et le guano , par M Jouan.
La Marine française et le Port de Brest sous Richelieu et
Mazarin , fragment historique , par M. Levot.
LUNDI , 30 MAI.
Présidence de M. Levot.
Lecture et adoption du procès-verbal.
Hommages faits à la Société :
Rapport sur Vincinération du warech , par M. Duseigneur.
Les deux Propriétaires (poésie), par Auguste Galimard.
Rapports faits à la Société d'encouragement pour ^industrie
nationale et à la chambre de commerce de Lyon , sur la créa--
tion d'un Musée d'art et d'industrie dans cette ville , par la
Société d'encouragement.
M. le Président donne lecture d'une lettre de M. le Ministre de
rinstruction publique , demandant le concours de toutes les
Sociétés savantes , pour l'exécution d'un travail archéologique
sur la France , travail analogue à celui qui a pour titre :
Dictionnaire géographique de la France.
- XXY —
Lecture des travaux :
M. Du Temple lit , sous le titre de : Mémoire légué par un
habitant de la planète de Vénus , un travail sur la nature
de Dieu , son essence , ses attributs et l'avenir que réserve
aux hommes riramortaKté de Fàme.
M. Fleury donne lecture d'une Notice historique sur Céglise
des Carmes. Il retrace toutes les vidssitudes de cette église,
enlevée, puis rendue au culte, érigée enfin en paroisse;
M. le Président lit une pièce de vers intitulée : Vision , par
M. Duval , fils y membre correspondant à Quimper.
LUNDI, 27 JUIN IZW.
Présidence de M. Levât.
Lecture et adoption du procès-verbal de la séance précédente.
Nomination d'une commission chargée d'examiner la proposition
faite par le Bureau de réviser l'article 4 des Statuts et S du
Règlement. (MM. Glérec, aine, Du Temple, Chabal, fils.)
Dépouillement du scrutin pour l'élection du Bureau.
Sont élus à la majorité des suffrages :
Président : M. LEVOT.
Vice-Présidents : MM. SAUVION et VERRIER.
Secrétaires: MM. RIOU - KERHALET et REYNALD,
Bibliothécaire- Archiviste : M. FLEURY.
Trésorier : M. BERDELO.
LUNDI, 25 JUILLET.
Présidence de M. Levot.
Lecture et adoption du procès-verbaU
- XXVI —
M. Du Temple , rapporteur de la commission nommée dans la
précédente séance , conclut à remplacer Tarticle 4 des Statuts
et 8 du Règlement par le suivant qui , après discussion , est
adopté par la Société :
« Article. — Le Bureau est chargé : -I* de prendre et d'exécuter
les mesures propres à assurer la conservation des objets
appartenant à la Société ; 2* d'autoriser les dépenses du
Trésorier, de recevoir et d'arrêter ses comptes; Z* de déter-
miner, concurremment avec une commission de sept membres
nommée par la Société , ceux des travaux qui seront publiés.
Le Bureau passera seul, à cet effet, les traités voulus avec les
imprimeurs et libraires , fixera le nombre de feuilles de
chaque livraison ou volume du recueil, et déléguera un de
ses Membres pour en surveiller l'impression. »
Cette modification sera soumise à l'approbation de S. Exe.
M. le Ministre de l'Instruction publique et des cultes , ainsi
qu*à celle de M. le Préfet du Finistère.
Lecture des travaux :
Compte-rendu des travaux de la Société Académique pendant
l'année ^858H859, par M. Beynald, l'un des Secrétaires.
Souvenirs , poésie par M. 0. de Lafaye.
Sur la demande de M. Dauvin, la Société décide qu^une seconde
lecture du compte - rendu par M. Beynald , sera donnée dans
une séance qui sera publique et qui reste provisoirement fixée
au dernier lundi d'octobre.
LUNDI , 26 SEPTEMBRE.
Présidence de M. Levât.
Lecture et adoption du procès-verbal.
Hommages faits à la Société :
Par M. Duseigneur : Les Ducs Bretons (poème)*
~ XXVII —
Par M. Loudun, membre correspondant : 4® De t influence des
idées anglaises et germaniques en France ; 2<> Le Salon de
•1855; 3<> Ettide sur les œuvres de Napoléon III,
Par M. Levol : Deux notices biographiques , Tune sur le mitre-
amiral de Kerguelen , Tautre sur Véron de Forbonnais et sa
famille.
M. le Président annonce la prochaine distribution du premier
cahier du Bulletin de la Société Académique, dont l'impression
est terminée, et demande ensuite, au nom du Bureau, que
l'époque de la séance publique annoncée pour le mois d*octobre,
reste indéterminée jusqu'à ce que le Bureau [fossa connaître
qu'il est en mesure d'y faire face.
Cette proposition est mise aux voix et adoptée.
L'élection des Membres formant le comité de publication est
renvoyée à la séance suivante.
Lecture des travaux:
Magenta, poésie de M. Mauriès , lue par' M. Glérec,
Moyen d'éviter les collisions en mer^ note de M. Aristide Vincent,
lue par M. Verrier.
La maison de r Espion, à Lanninon, près de Recouvrance ,
par M. Levot.
4.UNDI, 31 OCTOBRE.
Présidence de M. Levol.
Lecture et adoption du procès- verbal.
Ouverture du scrutin : -l*» pour l'élection d'un Secrétaire en
remplacement de M. Beynald , appelé à Limoges ; 2° pour
l'élection de sept membres du comité de publication.
- XXVIH —
M. le Président donne connaissance à la Société du rapport pré-
^ sente par le comité des Sociétés savantes de France sur le
Dictionnaire géographique et le Dictionnaire archéologique^
dont M. le lliiînistre de Tlnstruction publique engage les
Sociétés des départements à s'occuper.
M. le Président annonce la prochaine réunion de la commission
de statistique; sur sa demande, M. Pidoux est admis à en
faire partie.
Lecture de travaux :
Notices historiques et biographiques sur les capitaines du châ-
teau de Brest pendant le moyen âge et toute la domination
anglaise,^ par M. Fleury.
Dépouillement du scrutin. Sont élus :
Secrétaire, M. CHABAL, fils.
Membres du comité de publication : MM. BELLAMY, ALLANIC,
DUSEïGNEUR, GOUZIEN, DENIS - UGARDE , CLÉREC el
PENQUER.
LUNDI, 28 NOVEMBRE.
Présidence de M. Saumon y vice-président»
Lecture et adoption du procès verbal.
Lecture d'une lettre de S. Exe. M. le Ministre de l'Instruction
publique , accusant réception des deux exemplaires du premier
Bulletin de la Société, et lui adressant les premiers spécimens
du Dictionnaire historique.
Lecture de lettres de M. le Maire de Brest, de M. le Recteur
de l'Académie de Rennes, de M. le Préfet du Finistère remer-
ciant de renvoi du Bulletin.
— -XXIX —
M. le Président de la Société Académique des Côtes-du-Nord
accepte la proposition d*un échange de. Bulletin entre les deux
Sociétés.
M. le Président fait connaître les autres Académies auxquelles le
Bulletin a été adressé.
Admission, comme Membres correspondants, de MM. RICHARD,
Préfet du Finistère, REYNALD, DELAVAUD.
Lecture des travaux :
Mathurin le Barde aveugle, traduction d'une poésie en bas*
breton, jointe au texte original, par M. Milin.
Dans le doute y abstiens -toi , cbarade proverbe en vers, par
M. 0. de Lafaye.
Notice historique sur Alexandre Gordon ^ dit V Espion, par
M. Levot.
LUNDI, 26 DÉCEMBRE.
Présidence de M. Levot.
Lecture et adoption du procès- verbal.
Hommage fait à la Société :
Annales de la Société Académique de Nantes et de la Loire"
Inférieure.
Lecture d'une lettre de M^^ FEvêque de Quimper et Léon , qui
remercie de renvoi du Bulletin, et regrette de ne pouvoir offrir
à la Société un concours aussi actif et aussi dévoué qu'il le
souhaiterait.
Admission, comme Membre résidant» de M. HÊTET, pharmacien
professeur de la Marine.
Lecture des travaux :
Etude sur la Ligue m Bfetagne^ par M. Duseigneur.
Traduction littérale en vers des deux psaumes de David : In
exitu Israël.,, et Cœli enarrant,,. par M. (ïlérec, aîné.
— XXX —
LUNDI, 30 JANVIER 1860.
Présidence de M. LevoL
Lecture et adoption da procès-verbal.
Hommages faits à la Société :
Mémoires de la Société Archéologique de Touraine.
Mémoires de la Société Impériale cT Emulation d'Abbeville.
Admission , comme Membres correspondants , de MM. CARIOU,
officier de santé, à Guîpavas, et DÉ COURCY, archéologue,
a Saint-Pôl-de-Léon.
Lecture des travaux :
Extrait (Tune Notice de M. Cariou sur la commum de KersainU
Plabennec , lu par M. Fleury.
Note sur une monnaie romaine trouvée près de Lanntlis , par
M. Denis-Lagarde.
Notice sur Alexandre Gordon^ dit t Espion (suite), par M. Levot.
LUNDI, 27 FÉVRIER.
Présidence de M. Levot.
Lecture et adoption du procès-verbal.
Hommages faits à la Société :
Le Brigand de la Carnouaille , roman historique, par M, Louis
Moreau.
Mémoires de la Société de Caen.
Note sur les îles basses et les rétifs du grand Océan ^ Note
sttr les poissons de mer, obsetrés à Cherbourg, en -1858 et
^859, par M. Jouan.
— XXXI -
Lecture ; 4^ d'une lettre de M. Cariou, où il remercie la Société
de ravoir admis au nombre de ses correspondants , et lui
promet son concours ; 2^ d'une lettre de M. le Maire de
Brest qui, informé par le Bureau de la découverte d'une
pierre tumulaire remontant à une haute antiquité , adhère
à la demande qu'il lui a faite de créer un Musée archéologique
et artistique, auquel sera provisoirement afiècté le vestibule
de la Bibliothèque communale.
M. Fleury donne la description de celte pierre tumulaire dont
M. Yignioboul a fait don à la Société, et conclut à ce qu'une
commission soit nommée pour en déchiffrer et interpréter Tins-
cription. La Société charge le Bureau de former cette commis-
sion et de transmettre à M. Yignioboul ses vifs remerciements.
Lecture des travaux : * * ,
Compte -rendu des ouvragées littéraires offerts à la Société
Académique de Brest ^ depuis sa fondation {V juin -1858)
jtisqu'au V* janvier 4860 , par M. P. Çhabal.
Le Chemin de la Croix , poésie , par M. Guichon de Grand»
pont , lue par M. Du Temple.
LUNDI, 26 MARS.
Présidence de M. Levot.
liCcture et adoption du procès-verbal.
Hommages faits à la Société :
Bulletin de la Société Archéologique du Morbihan.
Catalogue des Monuments historiques du Morbihan.
M. le Président apprend à la Société que M. Rouilly vient de lui
faire don d'un débris de statue présumé représenter la tête
de la duchesse Anne.
— xxxu —
La Société vole des remerciements à M. Rouilly.
M. le Président annonce la publication prochaine d'une nouvelle
livraison du Bulletin de la Soùiélé Académique,
Lecture des travaux :
V aumône d'une Reine et Terre et Ciel, par M. Aigues-Sparses ;
Le fou et ses médecins , par M. Clérec , poésies lues par
M. Levot.
Notice sur C église de Noire-Dame-du-Rûn , en Guipavas , par
M. Caripu, lue par M. Fleury.
La Sorcière , La Villa , poésies par M. de Lafaye.
Notice sur Alexandre Gordon dit P Espion (suite), par M, Levot.
LUNDI , 30 AVRIL.
Présidence de M. Levot.
Lecture et adoption du procès-verbal.
Hommages faits à la Société :
•|o Bulletin de la Société des Sciences^ Belles-Lettres et Arts
du département du Var.
2° Annales de la Société Académique de Nantes.
3« Poèmes d^Ossian, par Macpherson ; l'Equilibre financier^
brochure de M. E. de Girardin, donnés par M. Pitty, aîné.
Lecture des travaux ;
-1^ Note sur l* Eclipse du U juillet ^860, par M. Dubois.
2» L'Espion (suite et fin), par M. Levot.
$
-xxxiii— • - "v
LUNDI. 4 JUIN 1660.
Présidence de SI. Levêt.
Lecture et adoption du procès verbal.
Hommageà faits à la Société :
Annuaire de Vlnstitui des Provinces (1866).,
Bulletin de la Société Archéologique du Morbihan (1858).
Frécis analytique des Travaux de f Académie impériale des
Sciences, Belles-Lettres et Arts de Rouen (4858-59).
La politique de la Paix.
Lecture des travaux :
Étude critique sur la Légende des Siècles , de Victor Hugo ,
par M. Duseîgneur.
Rapport sur une pierre tombale de Landévennec^ par M. Clérec.
LUNDI, 2^5 JUIN.
Présidence de M. Levot.
Lecture et adoption du procès-verbaL *
Hommage fait à la Société :
Cours de Machines à vapeur fait à Brest aux mécaniciens de la
Marine , par M. Du Temple.
Proposition de M. Ânner de mettre chaque année une question au
concours, et de décerner une médaille à Fauteur du meilleur
ouvrage sur la question proposée. Renvoi au Bureau.
Exposition de la situation financière de la Société, par M. Berdelo,
trésorier.
' — XXXIV —
Admission , en qualité de Membres résidants , de MM. UZEL,
B^IIRDÀIS, DU SEIN et CERF, et en qualité de Membre
correspondant, de M. LE CHANTEUR DE PONTAUMONT.
Élection des Membres du Bureau :
Président : M. LEVOT.
Vice-Présidents: MM. SAUVION et VERRIER.
. ^ Secrétaires^ MM. DIJJBOIS et CHABAL.
Bibliothécaire' Archiviste : ,M. FLEURY.
Trésorier : M. BERDELO.
? LUNDI , 30 JUILLET.
Présidence de M. Levot.
Lecture et adoption du procès verbal.
Hommage fait à la Société :
OTaïti^ par M. Cuzent.
Lecture des travaux :
Rapport de M. Hétet sur Touvrage de M. Cuzent.
Hevue scientifique du mois , par M. Dubois.
Étude critique sur la Légende des Siècles (suite et fin), par
M. Duseîgneur.
Admission de M. PERRIER , Consul de S. M. Britannique , en
qualité de Membre résidant.
lIjMDI , 3 SEPTEMBRE.
Présidence de M. Levot.,
Lecture et adoption du procès- verbal.
4
•
-- XXXV —
Hommages faits à la Société :
Traiié pratique de la résistance des matériaux , par K Jules
Boùrdais.
Médication par le raisin , du docteur Hersio , de Mz.
Poésies , par M. Jacques Pernaud. * * "
Dons au Musée archéologique :
Sceau de Saint-Gouesnou , par M. Dubois, élève du collège
de Quiraper. . ^ *
Plaque en plomb , trouvée à Thôpitai 4e Recouvraqce , repré-
sentant les armes du maréchal d'EstréeS) oi^rte par M. Corrc. ^
Lecture des travaux : . ,
Observations astronomiques pendant l' Éclipse du AS juillet/
par M. Dubois.
M. Clérec lit un travail présenté par M. Lescour, de Morlaîx,
sur la Chapelle du Folgoet de Landévenncc. M. Clérec réfute
ensuite les opinions de M. Lescour.
Admission , en qualité de Membres résidants , de MM. HÉLIÊS
et RICHAUI).
LUNDI , 24 SEPTEMBRE.
Présidence de M. Levot. ^
Lecture et adoption du procès-verbal.
Hommages faits à la Société : ^
Bulletin de la Société d'Agriculture de Brest (4859). »
Recueil des Actes de la Commission des Arts et Monuments de la
Charente-Inférieure. ,
Travaux de la Société d'Agriculture , mÊles* Lettres , Sciences
et Arts de Rochefort.
Bulletin de lœ Société Archéologique du Morbihan HS^9).
notice sur quelques espèces d'algues marines de la rade de
Brest ^ par MM. Crouan, frères.
— XXXYI —
Don au tfusée archéologique :
Un Cachet avec une inscription anglaise^ offert par M. Dubois,
élève du collège de Quimper.
Lecture des travaux : #f -.
Note sur son Traité de la résistance des matériaux, par M. Jules
liourdais.
Réponse de M. Levot à la réfutation de M. Clérec , lue dans la
dernière séance , et à une Notice siur Notre-Dame du Fplgoët ,
par MM. de Courcy.
Récit d'une excursion dans les environs de Brest, par M. Fleury.
admission, comme Membres résidants , de MM. PRINCEAU ,
REMQUET, DONEAUD et BOUYER.
LUNDI, 29 OCTOBRE.
Présidence de Jtf. levot.
Lecture et adoption du procès-verbal.
Lecture des travaux :
* lîevue scientifique du mois de septembre , par M. Dubois.
Poésies ^.maritimes , par M. Bouyer.
• Excursion dans les environs de Brest (suite et fin), par M. Fleury.
Adnmsion, comme Membre correspondant, de M. LESCOUR.
LUNDI, 26 NOVEMBRE.
Présidence de M. Levot.
Lecture et adoption du procès-verbal.
Communication verbale de M. Du Temple sur le Carburateur
Lrfebvre.
— XXXVII —
Hommages faits à la Société :
Recueil des publications de la Société hàvraise (4859).
Notice géographique sur le département du Finistère , par
M. Duscigneur.
Ouvrages donnés par M. Guéraud :
-fo Volume de poésies, intitulé : Flux et Reflux^ par M. le
comte de Saint-Jean ; ^
2° La petite géographie de la Loire-Inférieure ; v ^
3* Notice sur l'abbé Gaignardj extraite des Annales de la
Société Académique de Nantes (4860) ;
6^ Une brochure intitulée : Le capitaine Renaud et VAustria ;
5» Catalogue du Musée de Nantes et Bulletin de la Société
Archéologique de Nantes et de la Loire - Inférieure (1859
et 4860).
Lecture des travaux :
Le Terrorisme en Bretagne ; par M. Clérec , aîné.
A propos de ce travail , M. le Président fait connattre à la Société
que M. Le Guillou-Pénanros a remis au Bureau un ouvrage sur
le même sujet, et que lecture en sera faite à la prochaine séance.
Fin de la réponse de M. Levot à MM. Clérec et de Coudii^
-♦»•«
PRIX
A DÉCERNER EN 1863.
La Société Académique a décidé qu'une médaille d'or de
300 francs, ou sa valeur, serait décernée en 1863 à l'auleur du
meilleur travail ayant pour obj^t :
Le Finistère au point de vue slalisliquej historique^ géogra-
phique, archéologique^ industriel^ commercial y etc.^ etc.
Les concurrents auroni.la facilité A^ traiter une ou plusieurs
parties de la question , à leur choix. La Société , sur le rapport
de la commission d'ex«imen qui sera nommée à cet effet , adju-
gera le prix à celui des mémoires qui lui semblera mériter la
préférence, quel que soit le sujet traité. Des mentions honorables
pourront aussi être accordées.
Les mémoires présentés devront réunir les conditions suivantes :
•|o Être écrits en français ;
2o Être parvenus francs de port au secrétariat de la Society
(Bibliothèque communale de la ville) avant le \^^ janvier 4863,
terme de rigueur ;
-^ XXXIX —
30 Ils ne devront ni ôtrç signés de leurs auteurs," ni être
accompagnés d'aucune indication qui puisse les faire connaître.
Ils porteront seulement one épigraphe qui sera répétée Sur un
billet cacheté , annexé au mémoire auquel elle se rapportera ;
ce billet contiendra en outre le nom , l'adresse de Tauteuf, et
la déclaration que son mémoire est inédit, qu'il n*a jamais
concouru et n'a été communiqué à aucune Société Académique.
Les billets cachetés ne seront ouverts que dans le cas où les
pièces auxquelles ils seraient joints auraient obtenu, soit la
médaille , soit une mention honorable*
Ne pourront concourir les travaux publiés antérieurement au
•l«f avril ^861.
Sont admis à concourir, les étrangers et les régnicoles, même
ceux de ces derniers qui appartiendraient à la Société à titre
de membres résidants ou correspondants.
PRÉFACE
La (fréadôB^hioé Société Académique Ji Brest n'est pas un
fait nouveau. Celte Vnie possédait au 18^ siècle une Académie
de Alarine qui s^est honorée par de nombreux et sérieux tra-
vaux. Telle était la considération justement accordée 2i celle
savante Compagnie que ses Membres avaient obtenu de TAca-
démie des Sciences les privilèges de Membres correspondabts.
C'était Ta sans douté une tradition bonne Tx continuer, et nn
héritage qu'il fallait ne pas laisser périr faute d'héritiers. Le
patriotisme local n'y était pas seul intéressé ; le mouvement
im))riri)é aux études historiques, et la place de plus en plus
importante a^e TArchéologie se feit de nos jour^ dans ta '
science , commandaient cette tentative. Si notre siècle doit
\k rbistoirë ses plifs boatix titres littérarrcs, on ne peut con-
tester que dans cette science même, il ne se soit accompli
depuis quelques années une importante révolution. Il y a
quarante ans, une école hardie et impatiente d'appliquer an
présent les leçons du passé, étudiait de préférence les grands
faits de l'humanité , et essayait de les grouper dans des systè*
mes ingénieux et élevés. Mais ihoîns curieuse peut-êlre des faits
eux-mêmes que des conclusions qu'elle voulait en tirer, elle
-_ 2
j^'altachait surtout b la philosophie de l'histoire. En ce moment
il semble que le goât des idées générales diminue. Ces grands
systèmes ont élé un peu abandonnés , et soit que ces théories
aient été compromises par les évènemens , soit qu'elles aient
paru souvent reposer sur Jcles^bases. peu solides, Tétude ^es
détails a succédé li celle des systèmes. La France est aujour-
d'hui couverte, nous dirons presque envahie par de patients et
intrépides investigateurs qui remuent les archives , soulèvent
les pierres , inspectent le sol , interrogent les ruines et recueil-
lent avec un pieux empressement tous les souvenirs que le
tempsvD'a ^as *eiap^r^ iç|fa(;ç3i. .PartoiU,^
sav^qf(Bs.,9ui , ,,chaçgéesi,4e feclfçr^ef. ^s jti;îMli^ly)nsi^./fjC^
res^uspiiept J'hisU}i^e -dp çh^qu^^.^^^
D'aufrçs , Sociétés, s^iay).osçpj^j .uiiej,jçi3s/j^ajj^4?
vouant, [Jps,^j^rUculjèrejpsiep^,^
culUyjÇjQ^.,a,^cc^no%ipoi(j^ d^ s^ccè3-,,J^o^çs,.a.Yaiw»f 4fP«4f A?
mêi[na^ei\c))ijfj3geyçnl^^ .au; rfléipejajppi^i - q;ie,./fes ii^oQajliôasi,,
s'oqcupj|{)J^^de ^Ir^y^iix, .|ï)5lqrjifl^^ >^l ^^héçitegiqq^.j^Aos^,,
1^. ,js- ^jnj^rç^jde ,i;i;nfiruçlioa .pî^jique,, flan^i;^}?^, spIJiiîUjti^.,
pour,t9jf|l.çç^ ^ui ,cç;n}i;j|)ae ^.déyç^pjgr, i;eAseD(ij)l§j,(lu mounn
vemej5^^ite%ç^ugj^ ,les j^-l^l rç|evçeS;^^ r^pèçc,^^, d^J^^Sn
^^^hj fci; %vaieûl^^é^,j^a|^Bée3 ,.4usq^^^^ fltf^(r:.par :,»PP-
arrêlp ^H^?^ féyrjer^.)l.^;^i^:,il e<i,t.adjqiaf J^,|l'ancieB|.,i:o»f*W/
des j^pmt^^jpi^torjgue^ uqe fjeftipn^^^aai.fl(jujr jnjss^ ^r,,
ci^le, dg d(|p)[}er aij^ijétjidçs ^^çieptiflq4es^^|jri?,.le§ (^parteiiïfiQ|£i
unç îj^puIs)oii ^iléjaire eJt^ratîoi>ii^|le ,,, analogie Ji. cell^ qjûi
s'e«çeçç^t, déjà sur \^$ iriavsiux.pliilqlogiqïjiiq? ^.^^hîstoriqi^es e<
archjéolo^iqu^s.
Les éludes Jocalçs ne sciaient pa^ s9{)s;a/ili/^,{iQém;^i si ell^^tr
restaient isoIéçsK^ m^ais la bienvçiI1a[i)cc vjigil^Qfp (|^ S|^&|f^ ^
— 3 -
'Pftisirtfaîdh piîWiqtfé'feàrMt^'atoiiië 'une bicft* "plus* 'grande
Mphriùïée fkv'titjfMim Sû^^ SÎkiitis iaimes,
qni'ifeWè'enirè' elles tëulfe fék S<*ftt?téi^plafHèii sur leh pttnis
lès plus^loîgnëa? de la Prtmce, et léè' ratthctfcî; cbthifle'îi on
Vifentrëîcbtfamnè, au^ «femrfiJ'^dw'lï^âti^^ )it'de$
»o<?/«S iwrWi/w;' ftésoHfeaîi" Ife^faî» tt(î(iVéailx*^a«JiHs S la
«Senèe seront àmsfiK*, la 'piiblfeîl#*qin"lerfr 'maitquair ïcur
sefra'èflerlë,' Vés feflbrti' IsbIftV'cotemef* léS' tiliMÏWlio'niMgMlec-
fiTe*, aè*r(Kkl'«flg6 ël' éntfdbrâgéîir* W ceîiitrâlisàU^ 'ki la
décentralisation marcheront parallèlement et se rcndrotff de
mulnels services.
Brest ne devait pas rester étranger h un mouvement qui
intéresse tous les esprits animés de quelque zèle pour Tétude
et pour rhonneur de leur pays. Cette ville qui , destinée k
grandir encore , est déjà le Port le plus considérable de la
France sur TOcéan, possède dans la Marine et dans les corps
savants qui s'y rattachent, tous les éléments d'une Société
capable de sérieux travaux. Elle compte en outre, comme
toutes les grandes villes, en dehors du corps enseignant, un
certain nombre d'hommes qui aimeni TéUide ^ la cultivent
pour elle-même, et ont saisi avec empressement cette occa-
^on de mettre en commun leurs connaissances et de les
développer. L'entreprise a réussi ; la Société n'existe que
depuis quelques mois, et les travaux qu'elle a déjà produits
suffiraient pour justifier son existence.
Le recueil que nous publions aujourd'hui est destiné à
donner une idée de ces études. Les procès-verbaux mention-
nent tous les mémoires lus en séance publique et les hom-
mages offerts à la Société. On y verra que les Lettres ,
l'Histoire , l'Archéologie^ les Sciences , ont été cultivées avec
^ 4 -
uDe égale ardeur. Les quelques travaux qu'il nous a été
permis de publier eu, çptjier repiçpduisent celle diversiié. Ceci
à ce tiue que nous les avous^ qboisis. Biep^ôt ils seront suivU
par d'autres qui se trouverout dans les mêmes coudiiioos.
Seulement , nous nous attacherons a faire la part de plus en
plus large aux études qui concerneront plus ^cialemeot ia
Bretagne et le Finistère. Il y a I2i uoe mine féconde en
recherches intéressantes, et c'est surtout ^ encourager de
semblables efforts que doit s'attacher la Société Académique
de Brest.
LA MARINE FRANÇAISE
BT
LE PORT DE BREST
sous
RICHELIEU ET HAZAHIN
A Richelieu était réaervée la gloire de réaliser bk pen&ée qui
avait tant préoccupé Henri IV pendant les deiipièriçs.unnéeç de
sa vie. Le souvenir des hupiiJiation^ ^ue ce. Pr^e a\(iit été réduit
à dévorer nç le portait pas seul à., créer une Marine qui. en prér
vînt le retour. Il avait de soa c6lé , apprécié les gfaves ioeonvé-
nients résultant de l'absence, d'une force maritiine.pern^eQte et
hiérarchiquement or^nisée* Au commencement de ^625, le succès
momentané de Spuhise contre Vile de Ré et le Blavet l'avait
obUgé a envoyer en toute h&te M* de laForest en Hollande,
pour y acheter six navires et en fréter six autres. Le besoin était
si urgent que l'envoyé était porteur d'une lettre de change de
trois cent mille écus, qu'il devait payer immédiatement.
— 6 -
Le Hoi, craignant que M. de la Forest ne réussit pas^
fut dans une grande anxiété jusqu'à ce qu'il eût appris qu'au,
lieu de Ali vendis ^u louer douze vafeséaux^ lès RonandààM
eu pueraient vingt et lui rendaient sa lettre de change. En
4627, rile de Ré étant serrée de près par les Anglais , Riche-
lieu , pour la secourir , n'eut d'autre ressource que de faiw
eberclier à Rayonne seize pinasses dont l'armement et l'appro-
visionnement l'obligèrent à un emprunt garanti sur ses propres
meubles. Peii s'cil felliit que eé secours li'^nvèt *pfe *• temps
pour ravitailler la place, qui alors serait tombée au pouvonr
des Anglais.
L'absence de vaisseaux avait pour principale cause Torganfeation
informe du simulacre de Marine que possédait alors la France,
divisée en trois ^ atidrsulés : telles de filtétagne', ^e Guyenne et
de Provence , indépendantes et rivales les unes des autres. Les
titulaires de ces offices ne s'en servaient que peur tenir en échec
l'autorité royale et lui faire acheter leur concours , leur inac-
tion même. Le grand Ministre qui devait extirper les derniers
fronçons de la féodalité sur terre , n'aurait pas été conséquent
s'il avait laissé subsister ces grands vasseaux de la mer dont la
puissance edft été ùti**obéftacîé"â Id réalisation de ses projets.' De-
eiè côté dori'è", îl 'y éfvùit 'àii^ôi % c'eritraliser te pouvbir dans les
Mains de celui qtfiiewZ était capable , par sd conàuîté incompa-
table \ de talïntf le$' ténù et dé téduirè U mer à une b'ofiace
peffétuell&. (Cotlect.' de' Saint-Germain^ n<<^46.) Cest ce que
firent les 'lettres ptitétites du îhdi^d'oétôbi'é '4626, par lesquelles
Louis XlB,*apré« avoir ibôlt les kniiMùtéà existantes, ou acheté
la démission d)e ceurt qiil éd étaient pôùn^us, conféra à son
Hitatetre le titre d!é 'Ottoâ-MaUi'c et SûVintendadt de la Marine
et de la Na\%atîon ^ titre qui lui attribuait une autorité absolue
sur tout ce 'quieenacernaît la Marine, ou plutôt lui donnait le
droit d*en créer tine. Ce premier pas fiait , Rich^elieu convoifiua
— 7 —
immé4iatenient. J|ç^ potabjes, et dans leur b^g^^^u % idécembee.
^026 ,^ le GArde-des^eajifx |ianiUac leur.içxpçM^ a4i89l:v|e3 vuea.
du CardioaMllD|6tre : ^^
« Vous ayez à ti;availler sur. l'établis^ment ^\i commise,
comme au plus propre moyen, d'enrichir 1|Ç, p.eup)0,et dç réparer
él'honneur de la France.
» Cest chose digae dç compassion oi^ d mdig.Q^tiQn .fie voir , la
léthargie «n laquelle nous avons, vécu ^depuis plusieurj^ années,
^» Nosyoisias nous assujéfissept à^topte^, jes ri|;ueur8 de l^r^i
lôix ; ils ^donnent le prix à nos denrées et nous,, obligent, de
prendre les leurs à tellq condition qu'il, leur plaît, ^JLes pirales
et les Turcs el autres déguisés en Turcs, viennent ravager nos
eétes, enlever les sujets au Roi captifs en Barbarie, perdant
leur liberté, leur fortune, et la plupart leur foi , par les tour-
ments et les miàères^ qu'ils souffrent parmi les infldèles : ils vous
ôtent la pèche des morues aux Terres-Neuves , et par l'aide de
plusieurs de v^s voisins, .on a déjli retran^étle beaucoup la
poche aux harengs ; jon vous a été celle des baleines au Spfls*
b«iigue.y. et peu. à peu ee qui j'este à la France se perdra , si
nouademearons davantage en cet endormissement ; en quoi nous
sonunea d'autant |>lus blâmables que nous avons dans- le royaume
toutes les commodités nécessaires pour nous nendre forts ' sur
la mer..; jusque-là même q«e.nous en fournissons à jh>s voisins
el avons encore, par les dispo^tibns de la nature, des avantages
tds<que.]^us^ pouvons assujettir tous nos vœsins et les faire
dépendre de jao^iis..:
• Npus avons les grands bois et Ip fer pour, la construdion
des vaisseaux ; les toiles et . les cbanyres pour [es voiles et cor-,
dages,r|(^ont nous.fi^uriaissons toutes les provinces Moisinjos. Nous
4ivo^,tQais les fournissements pour, les .)>iscuit8 , le vin, le
cidr^^^^a })i^rve^^]es ^atçlo^s ^t les mariniej^ en abond^ineet
qui, pour n'être îjpas.i epiploy^,. par nou9„ vont servie . .nos i
— 8 -
voisins. Nous avons les meilleurs ports déTKurope, et ce qui
est grandement remarquable, nous tenons la clef de toutes les
navigations de TEst à TOuest , et du Sud au Nord.
• Je ne parle pas de là conjonction de la Saône et Seine,
qui se peut faire facilement, qui ôte à TEspagne toutes les
commodités du commerce , facilitant le chemin du Levant pour
la Frahce, et ôtant la sujétion de passer le détroit de Gibraltar,
de sorte que toutes les commodités du Levant et de la Mer
Méditerranée seroient plutôt et plus facilement à l'extrémité de
la France qu'à l'entrée de FËspagne , et rendrions la France le
dépôt commun de tout le commerce de la terre.
» Je n'y veux pasj ajouter Ja .CQipmuuicAtipïi 4e Saône et Loire,
quoique facile , pour ne fonder de discours sur des desseins
de longue exécution'; mais je parlei:£(i seuleùiei^t des choses qui
sont de la situation naturelle de ce royaume- . ;
• L'Espagne ne peut trafiquer en Italie ni en quelque endroit
de la mer Méditerranée ^ ni Tltalie et les autres lieux en Espagne,
qu'ils ne passent à la vue et sous la couleu?vrine-des feles des
Prçiven^, etpourtraflquer de$côles d'Afrique, en Flaadre,^ en Ho*^
lande , .e^ une partie d'Angleterre , en Ecosse . en Dànemare,
aux villes anséatiq^es et aulresendrottcts du Septent^^ion, ou de ces
lieux en Espagne fj.auir^s endroiots du Sud, il fao^ que les
vai^caux passent le ras SaiiH^Mlthé^,- à la miséricorde de nos
canons y et par la Manche, de laquelle il ne tient qu'à dous
que nous ne nous rendions maîtres avec peu de difficulté.
1 Toutes ces considérations que M; te Cardmdl de' Richelieu a
rejM'esentées au Roi- entre les grands , honorables et généreux
conseils qû'îk'kii doniïe ^î ont fait résoudre Sa Majesté de mettre
à bon escient la main au commerce , et lie perdre les occa-
sions d'agrandir son Etat d'honneur et de puissance, dont il vous
fera^ représenter les articles sur lesquels H attend vos advis. »
— 9 —
Cette (mrtie de la harangue de Marillac n'était que la fidèle
expression du sentiment public , exposé dans un écrit anonyme
qui venait d'être publié sous le titre de : Àdvis à rassemblée de
MM. les notables sur l'ouverture des Etats, (Paris, 4626, in-8«.)
Après avoir exprimé le vœu que le commerce maritime fût favo-
risé par rabaissement des droits sur les marchandises importées
en France, Fauteur s'exprimait ainsi : • Messieurs , prenez occa-
sion sur ce sujet de représenter au Roi qu'il est obligé , pour
h grandeur et réputation de son Etat, de rétablir le commerce.
 cela il y a deux choses à faire : premièrement , à purger cette
vermine d*offlcier$ qui volent tout le monde ; ils ont été créés
pour la sûreté du commerce » et néanmoins ils ne servent véri-^
tablement qu'à piller nos marchands et à décrier nos ports.
Deux commissaires envoyés sur les lieux avec pouvoir de faire
et parfaire le procès à ces gens-là suffiroient pour y remédier.
En outre, il faut instituer un ordre général pour la navigation.
N'est-ce pas une honte qu'en SOO lieues de côtes , il ne se
trouve pas vingt vaisseaux françois ? Et néanmoins , s'il vous
platt d'y mettre la main , nous serons en peu de temps mattres
de la mer, et ferons la loi à ces insulaires qui usurpent ce titre.
Nous avons sans comparaison plus de havres qu'eux , plus de
bols qu'eux et meilleur pour bÀlir des navires ; plus de matelots ,
puisqu'ils ne se savent en leurs voyages que de nos Biscayens,
de nos Bretons ou Nonnands. Les toiles, les cordes, les cidres,
Itô vins , les chairs salées , les équipages nécessaires se pren-
nent sur nos terres.
» Il ne reste plus que de donner la forme à ce dessein, la ma-
.tière n'ei^ que trop ample. En void un projet ; servez-vous en
si vous n'en trouvez point de meilleur : il ne m'importe pas ,
pourvu que la chose se fasse et que le public y profite. Que le
Roi par Edît ordonne. qu'en chacune ville capitale de ses pro-
tiaeeS) les^marchindSr feront une compagnie pouir la na\igation
I
- 10 -
sur le modèle d'Amsterdam, et équiperont certain nombre de
vaisseaux dans les ports les plus proches et les plus commodes ;
et pour les inciter davantage, qu'on leur accorde de grands
privilèges, comme entre autres qu*on rabatte le dixième des
impositions aux navires François qui entreront et sortiront sans
fraude de nos ports , et qu'il soit défendu à peine de corps et
de biens, à nos mariniers, d'aller servir les étrangers. En peu
de temps, vous ferez une flotte innomhrsdûe et couvrirez la
mer de voiles , et vous employerez quantité de jeune noblesse
qui demeure inutile et qui s'abâtardit. »
Quel était l'auteur de ces fières et nobles paroles ? Était-ce
Richelieu lui-même, ^u les avail-il seulement inspirées? L'une
ou l'autre de ces suppositions n'a rien que de très naturel, quand
on compare VAdvis au Mémoire touchant la Marine, qu'il adressa
le ^a Novembre -1626 au Garde-des-Sccaux Marillac , mémoire
destiné à servir de canevas au discours que ce dernier devait
prononcer le 2 Décembre suivant devant les notables. Dans
VAdvis ci dans le Mémoire, mômes pensées, même style. Sous
l'impression de la nouvelle que les Anglais venaient de capturer
sur nos côtes des vaisseaux marchands normands dont la car-
gaison valait un million , Richelieu avait écrit à Marillac : c Ça
esté jusqu'à présent une grande honte que le Roy^ qui est l'aisné
de tous les roys chrétiens ayt esté en ce qui est de la puissance
de la mer, inférieur aux moindres princes de la chrestienté. Sa
Majesté voyant le mal qui en arrivoit à son royaume et à ses
sujets s'est résolue d'y mettre ordre en se rendant aussy puissante
en mer comme elle Test en terre^ » Et pour mettre les faits en
harmonie avec les paroles, il annonçait la résolution où était le
Roi dé consacrer chaque année une somme de -1,500,000 livies
à l'armement et à l'entretien ^e 30 vaisseaux de guerfCi
Marillac , dans sa harangue , n'avait pas reproduit toute la
vigueur et de YAdvi$> et du pr<^t de discfturg. Auôsi Rich^Ueu
- H —
craignit-il un moment de ne pas obtenir des notables tout ce
qu*il désirait. Son appréhension était mal fondée. Le désir d'avoir
enfin une Marine à tout prix , était aussi ardent qu'unanime en
France. Quoi qu'il en soit, l'exposé qu'il fit lui-même de ses
plans et le mouvement qu'il se donna comme il nous l'apprend
dans ses mémoires (Livre XYIII, p. 256-262), ne furent pas
sans influence sur l'assemblée , qui consigna dans ses cahiers
le vœu suivant : « L'assemblée remercie Sa Majesté de l'inten-
tion où elle est de vouloir rendre à ce royaume les trésors de
la mer que la nature lui a si libéralement offerts, et la supplie
de continuer une entreprise si importante par rétablissement
d'une flotte de 45 vaisseaux de guerre, d'y destiner un fonds
annuel de 4 ,200,000 livres , d'entretenir un nombre de galères
suffisant ; qu'il ne soit fait aucun divertissement sur ce fonds ,
étant assez notaBle que le moindre retardement peut détruire
en un moment ce que l'on auroit établi avec beaucoup de temps,
de peines et de dépenses , etc. »
L'idée de créer au plus tôt une Marine dominait tellement
tous les esprits, que l'évéque de Chartres accompagna des paroles
suivantes la remise qu'une députation de l'assemblée alla faire
entre les mains du Roi des cahiers contenant ses vœux et ses
doléances : « On ne peut pas, sans la mer, ni profiter de la paix,
ni soutenir la guerre. (Février -1627.)
Il y avait urgence d'agir. Elle était telle que Richelieu avait
commencé ses préparatifs avant la séparation des notables, avant
môme leur réunion. Par des lettres du ^««' et du 6 décembre
^ 626 ,- adressées au Havre à Isaac de Razilli, premier capitaine
de la Marine du Ponant , il lui avait annoncé l'envoi immédiat
d'une somme de -12,000 livres et l'expédition prochaine de celle
de 6,000 livres , pour qu'il les employât l'une et l'autre à la
construction de 42 vaisseaux -, et après avoir ajouté qu'il envoyait
M. de Beaulieu en Bretagne pour qu'il fît travailler de son côté
- 42 —
aux voiles et aux cordages dont les vaisseaux auraient besoin ,
il exprimait ie désir que le capitaine Claude de Razilli, aussit(H
que les constructions du Havre seraient terminées , revint à Paris ,
« parce que , disait-il , j'ay toujours besoing d'avoir auprès de
moy quelqu*un qui m'instruise aux choses de la mer. •
Et quels précepteurs se donnait ce grand Ministre ? Disons un
mot des principaux d'entre eux^ pour nous faire une idée du
tact qu'il mettait dans le choix de? hommes appelés à réaliser
et à féconder ses desseins.
Gaude de Razilli, capitaine de vaisseau en 4626, ensuite
Vice -^ Amiral, et son frère Isaae , plus tard Chef d'escadre et
lieutenant pour le Roi en la Nouvelle France, étaient des hommes
rompus au métier. de la mer. Richelieu les consultait sur tout
ce qu'il entreprenait , et ils ne lui épargnaient pas leurs avis ,
ainsi qu'on peut le voir dans un mémoire manuscrit qu'fsaac
lui adressait le 26 Novembre -1626, mémoire fort curieux • rédigé,
disait son auteur, selon la pratique que j'ay acquise dans le3
cinq parties du monde, •
Beaulieu (Augustin) né à Rouen en 4589 , mort à Toulon en
4637» commanda à vingt-trois ans un vaisseau dans l'expédition
de Briqueviile à la côte d'Afrique. En 4616, il s'attacha à la cora*
pagnie des Indes qui venait de se former, concourut à diverses
expéditions qu'elle entreprit , et participa plus tard au siège de
la Rochelle ainsi qu'à la prise des Iles Sainte - Marguerite. Ce
n'était pas seulement un officier brave ; il était un constructeur
expérimenté, ei possédait , pour le temps , de grandes connais*
sances nautiques attestées par la Relation de ses voyages dans
les Indes j insérée en 4664 dans le recueil de Thévenot, et dont
l'abbé Prévost a donné un ample extrait, p. 347-342, du tome
IX de son Histoire générale des Voyages.
Manty (Théodore de), l'un des plus grajods hommes de mer
que la Provence ait produits à la fin du XVI* siècle et au eom*
- là -
mencement da XVII^ avait mérité par le courage et l'habileté
quil avait déployés en maintes circonstances, d'être fait, eu I620|
Vice-Amiral du Levant. Ses services au siège de la Rochellei
ainsi que dans les missions dont le chargea Richelieu , confir*
mèrent la justice de cette haute distinction.
Philippe Lonviltiers de Potncy, que nous retrouverons en -1035,
commandant la Marine à Brest, était né en 4581 d'une famille
du comté de Ponthieu. Entré dans Tordre de Malte en ^603, il
y fut pourvu de trois coiumanderies , prix de ses services sur
les galères de Tordre. Depuis ^612, il était Chef d'escadre et
Commandant des vaisseaux du Roi en Bretagne. Richelieu le
nomma , eu 4^38 , Lieutenant-Cénéral aux lies d'Amérique. De
nouvelles provisions qui lui furent expédiées en 1651, lui con«
férèrent les fonctions de Gouveroeur Général de toutes les lies
de TAmérkfue , terres et confins en dépendant. Sa famille se
fixa aux colonies, où sa petite nièce Rose Claire I>esvergers de
Sanois de Maupertuy épousa M. Joseph Gaspard Tascber de la
Pagerle , de qui elle eut TImpératrice Joséphine.
Le commandeur Desgouttes ne déparait pas cette pléiade. C'était
un ancien général des galères de Tordre de Malte , qui s'était
distingué et devait encore se distinguer dans plusieurs occasions ;
son mérite et ses qualités lui avaieal coucilié la confiance absolue
et môme Taffedkm du Cardinal , qui , dans ses toomens de
Jovialité , 1 appelait le Père de la mer.
Yoiià les lu)mfiies sur lesquels s'appuyait Richelieu. Ne soyons
donc pas siurpris qu'avec de tels auxiliaires son génie ait produit
de. si grandes choses. 11 subordonnait leurs missions à la dlver*
site de leurs aptitudes. Celle de Beaulieu ne s'appKquait pas à une
simple confection de gréànecA. Il était chargé de surveiller,
conjointement avec Manty et Poincy, la construction de 30
vaisseaux qui devaient être faits dans les ports de Bretagne ,
en bois du pays. Resté seul ses deux coopérateurs étant allés
- 14 -
prendre le commandement des vaisseaux rassemblés au Blavet,
Beaulieu recevait lettres sur lettres du Cardinal , qui redoublait
d'activité et de prévoyance , tant il redoutait Tissue de la lutte
maritime qui allait s'engager avec l'Angleterre. « Je tiendray la
main, lui écrivait-il le 5 mars -1627, à ce que l'argent ne vous
manque pas. » 11 lui en fournit suffisamment , en effet , pour
qu'il pût construire un certain nombre de navires dont dix (l'un
d'eux , du port de -1 ,200 tonneaux , coûta 40,000 livres), se
trouvaient à Couëron, La Rocbe-Bernard , Auray et Concarneau,
lorsque M. Leroux d'Infreville fit, en -1630 , son inspection des
côtes de TOcéan. Toutefois, comme les dilapidations continuaient,
malgré les représentations des notables , et qu'elles empêchaient
la juste impatience du Cardinal d'être satisfaite , il adressa au
Roi, le -15 août -1627, un 'mémoire où il lui exposa que , si
l'on ne procédait autrement qu'on ne l'avait fait jusques-là , on
n'aurait pas de vaisseaux en -1628, tandis qu'on en pouvait avoir
dès le mois de juin. Ses plaintes, formulées sans ménagement,
se terminaient par son refus de s'occuper des armemens , afin
d'être déchargé du blâme qu'il aurait encouru en li»s entreprenant
sans avoir les moyens de lés terminer.
Plus d'une fois dans sa longue carrière ministérielle , le Car-
dinal , on le sait , fit de la menace de se démettre du pouvoir
un moyen de le fortifier. Ici son refus de concours avait une
cause légitime. Les circonstances étaient graves. Deux mois à
peine s'étaient écoulés depuis la séparation des notables, que
le Roi d'Angleterre , entraîné par Buckinghàm , avait rompu la
paix. Après avoir préalablement saisi les biens des négociants
français établis en Angleterre , où ils se livraient au commerce
sous la foi des traités , il interdit toute relation commerciale
entre les deux pays (28 août -1627). Louis X!II riposta (8 mai)
par une semblable interdiction , et le duc de Luxembourg mit
embargo sur les navires anglais qui se trouvaient dans nos ports.-
— 13 —
Charles h' permit alors à tous ses sujets de courir sus aux vais-
seaux français. Ceux que Richelieu put fréter en toute h&te
furent employés à attaquer tout à la fols et Buckingham et la
RocheUe , qu*il était venu défendre. Nos c6tes se trouvaient de
nouveau à la merci des Anglais , qui les ravagèrent. H n'y eut
qu'un cri dans le royaume ; on publia nombre d'écrits sur la
nécessité et Turgenee d'une Marine. Besoin n'était de stimuler
Richelieu ^, mais réduit aux expédients et vivant, à bien dire, au
jour le jour, il ne put poursuivre l'accomplissement de ses pro-
jets avec continuilé et ensemble qu'après la paciflcalion consom-
mée par le traité signé avec l'Angleterre le 4 mai -1629.
Trois mois aqparavant, il avait donné une preuve palpable de
la fixité de sa pensée. Cette preuve , c'est le Code Michau ,
résumé des vœux formulés par les États -Généraux de ^644 et
les Assanblées des notables de ^6^7 et 4626. Les articles 430
et 43^ de ce code formaient, sous le titre : Amirauté ^ Marine^
Droit maritime ^ ce que nous appellerons la Charte de la Marine
française. Le Roi s'y engageait à toujours tenir à la mer cinquante
vaisseaux de 4 k 500 tonneaux , armés en guerre , indépendam-
méat des navires d'un moindre tonnage , qui seraient employés
à la garde des ports ou à l'escorte des convois. Sur chacun d*eux,
serait embarqué un commis ou écrivain qui, à toutes les attri-
butions des officiers d'administration actuels , joignait la charge
de tenir note , jour par jour, de la marche du vaisseau et de
ses découvertes. Des pilotes hydrographes , payés par le Roi ,
furent institués avec mission de faire , dans tous les ports , des
cours gratuits. Il fut en outre prescrit aux principales villes de
commerce d'en avoir. Des avantages considérables furent accor-
dés à ceux qui suivraient les cours du canonnage , ainsi qu'aux
charpentiers, calfats, marins, pêcheurs , etc., et il fut enjdnt
à ceux qui avaient déserté le service de la France d'y rentrer
danaaix mois «i plus tard, sous peine de la vie s'ils étaient
- 16 —
repris. Iles états du personnel et du matériel seraient dressés au
mois de décembre de chaque année. Les marchandises françai-
ses , le sel excepté , ne pouvaient être exportées que par des
navires français. Le droit de bris et naufrage était supprimé. La
connaissance de toutes les causes concernant le navigage ei « de
tout ce qui peut advenir en la mer et grèves d'icelle » était
retirée aux gouverneurs et aux seigneurs des lieux , pour ne
relever que du Surintendant de la navigation et des tribuna»x
maritimes. Les gentil hommes pouvaient, sans déroger, se livrer
au commerce maritime , et même , dans bien des cas , les pri-
vilèges de noblesse étaient accordés aux armateurs et négociants.
Tous les pilotes , au retour des voyages de longs- cours, étaient
tenus d'envoyer au Surintendant de la navigation copie de leur
journal , avec Tobservation des variations de Taiguilte, des fonds
et sondages , l'indication des terres découvertes , etc Enfin, une
visite générale des ports était prescrite par rarlicle 4ÔÔ du fode
Michau. Elle avait pour but de constater Tétat , la profondeur
et le degré de sûreté des divers ports de France.
Vingt jours après la signature de la paix , Richelieu , dégagé
de toute entrave intérieure et extérieure , ordorma cette visile ,
et voulant avoir Cétat au vrai des éléments de la puissance
navale» militaire et commerciale de la France, il chargea (25
mai -1629) M. Leroux d'inf reville , qu'il venait de nommer Corn*
missaire Général de la Marine, à -1,200 livres àe gages par an,
1 de se transporter en tous les ports . havres , rades et côtes
de lobéîssance de Sa Majesté en la mer Océane et es - rivières
esquelles abordent les vaisseaux. » L'inspection de M. d'Infreville
embrassait tout ce qui concernait la Marine. Il -devait se faire
rendre compte de toutes les receltes et dépenses effectuées ,
redierdier quels droits étaient perçus sur. tes navires entn^
dans les ports ou en sortant; constater le ûombre ainsi que
râlait des vaisseaux et magasins apptirtenani; au Koi ; est MH
— 17 —
des inventaires exacts ; déterminer quels étaient les vaisseaux
inutiles ; le tout comme le portait le préambule de sa commis*^
sion , afin d'établir dans les ports un si bon ordre que le Roi
eût toujours un nombre suffisant de vaisseaux prêts à mettre en
mer pour tenir ses côtes en sûreté et avoir raison de ceux qui
yottdraient les attaquer.
Le rapport que M. d'fnfreville dressa de sa mission, à laquelle
il consacra buit mois , constate qu'à Brest , le Gouverneur du
ch&teau faisait visiter les vaisseaux marchands , et prélevait pour
la visite de chacun d'eux , un droit de 'dix sous , dont la per-
ception servait de prétexte à d'autres abus, ce qui n'empêcha pas
de le maintenir, de Taugmenter même plus tard, puisque la dépêche
du 25 septembre ^693, qui en confirma la possession à M. de Cam-
pagnotles, Major de la ville et du château, nous apprend qu'il était
alors de -15 sous. Dans le port, se trouvaient un hue et deux bar-
ques prises par Turchot sur les Anglais, « depuis la paix, » dit le
rapport Les vaisseaux appartenant au Roi étaient le Saint-Louis^
comnHindé par le sieur de Rhodes ; le Corail , par le sieur
d'Âipentigny ; le Cygne , par le £ieur de Cangé ; la Fortune ,
par le sieur d'Anglure; \ Europe^ par le sieur de Rouvray ; le
lÀon^'Or^ par le sieur Rigault, et le Saint-Michel^ coulé à fond ;
plus un philibot et une pataehe.
Le nombre des matelots pouvant servir sur ces vaisseaux n'était
pas indiqué ; mms il devait être peu considérable, puisque depuis
l'Ile de Batz , RoscolT et M orlaix , on n'en comptait que cinq
cents et trente ou quarante charpentiers.
M. d'Infreville nous fait ensuite connaître les principaux résul-
tats de son inspection , en ce qui concernait les magasins et les
approvisionnements.
« J'ai visité à Brest, dit-il, un ancien magasin situé sur le bord du
canal de la rivière, à présent ruiné, ne. restant que les quatre mu-
railles, bûti du Roi François !««•, lieu fort commode pour la Marine.
3
- 18 -
De Brest j'ai été à Ch&teaulm ; passant la baie audit Brest, et
montant dans la rivière audit lieu, j'ai visité la fonderie de
canons du sieur de Villeneuve , et ayant pris au sieur de Quer-
verho » lieutenant du sieur commandeur de Rhodes , trois cents
livres de poudre , ai fait épreuve de 24 pièces de canon de fer
de 6, 8 et ^0 livres de balles, et desdites 24 pièces y en a crevé
cinq, dont j*ai dressé procès-verbal. J'ai enjoinct audit entrepre-
neur de parachever sa fourniture et lui ay -donné trois mille
livres. »
Pour que la pensée de Richelieu reçût son développement cens*
plQt, il fallait que l'état du Château fût mis en harmonie avec
celui du port , et que conséquemment il fût asfsuré du dévoue*
ment sans réserve de celui qui aurait la haute main aur les
travaux de défense de la ville. Le Gomremeur de Brest était
alors Gui de Rieux , fila de Sourdéac , auquel il avait suecédé
en 4628. M. Henri Martin dit bien, il est vrai {Histoire de
France^ t. 42 , p. 344, V^ édit.) qu'après le supplice de Chalais
(4S août 4626), Richelieu, mettant son tricMûaphe à profit, démaur
tela Ancenis , Lamballe , ainsi que d'autres placesl s^partenant au
duc de Vendôme , et qu'il racheta au marquis de Sourdéac le
gouvernement de Brest, qui fut confié à un soldat de fortune.
Nous eussions désiré que M. Henri Martin eût fait connaître
le nom de ce soldat de fortune. Pour nous qui, malgré nos
recherches persistantes , n'avons pu le trouver nulle part , nous
croyons , â'iq)rès les divers documents quMl nous a ^é donné
de consulter, que Gui de Bjèux avait eu la survivance du goii-
vemement de son père, et qu'il Fexerça ,, sinon de fait, du
moins tHulairement jusqu'à la fin de 4630. Les enftms de Sour-
déac étaient restés attachés à la veuve de Henri IV qui les com-
blait de ses faveurs. Gui était son premier Écuyer, et René, son
frère cadet, Évoque de Sa}nt-Pol de Léon, était Conseiller d'État
^ Grand-Midtre de- l'oratoire de la Reine-Mère, Gui ne dut donc
— 19 -
être privé de sen gouvernement qu'^rès la Journée des Dupe» à
laquelle û avait pris part (\\ novembre ^630). Incarcéré ak)r«,
mais bienti^ relàdié, il accompagna Mane de Médicis dank sa
fuite à Bruxelles et fûX déclaré criminel de lèse*majeslé , par
arrêts des H et 20 novembre -lOSK Richelieu n'avait pas attoulu
jusques-là pour le remplacer par quelqu'un en qui il fût assuré
d'avoir un instrument docile et fidèle de ses volontés. Dès le mois
de Janvier 4634, il avait nommé Gouverneur de Brest son cousin
Charles de Cambout , marquis de Coislin , qui répondit à sa
eonfiance en IbrtiflanI la place, notamment en construisant, pour
compléter l'ouvrage que Yauban nommait grande tenailte^ et que
M. de Fréminville appelle bonnet de prêtre^ la portion des travaux
extérieurs située entre la porte d'avancée du ch&teau et la machine
i m&ter , portion à l'angle saillant de laquelle se voient encore
trois pierres martelées en 41%\y dont l'one portait les armes des
du Cambout. Cette portion n'existe pas en effet sur le plan de
Tassin , publié en Â%Z\\.V[ï!m levé nécessairement avant l'entrée
en fonctions de Du Cambout^
L'inspection de M. d'InfreviBe porta immédiatement ses fruits.
Le 29 mars 4634, Louis XÎII organisa la Marine du Ponani par
on règlement qui ordonna de réunir tous les vaisseaux pli» par*
ticulièrement affectés à la navigation de la Manche et de l'Océan,
dans les ports de Brouage , Brest et Le H&vre , dans chacun
desquels il y aurait un €bef d'escadre , un Commissaire Général
et un Caf>itaine de Port. Une notice historique sur Brest , publiée
par M. Billiard^ ancien Préfet du Finistère {Histoire des Villes
de France y X. 1«», p. 453-491) nous apprend qu'à cette époque,
André Céberet , premier Intendant , aurait fait bâtir un magasin
général et dix magasins particuliers ou hangards , que l'entre-
preneuc Jean Le Chaussée se serait chargé de construire pour
te somme de 40,000^ livres. Un autre document nous permet
d'apprécier et la situation du port de Brest à cette époque et la
— 20 —
nature des travaux que Ton y exécuta aussitôt après l'adoption
des mesures d'organisation dont nous venons de parier. C'est
celui que M. Ë. Sue a publié dans le t. 3 de la Correspondance
éPEscoubleau de Sourdis^ archevêque de Bordeaux et commun--
dont (des forces navales de France sous Richelieu ; il a pour
titre: Éêals statistiques de la Marine de France depuis -1634 ;tis-
qu'en 4639. Nous y voyons qu'en -1635 il y avait dans le port
de Brest 49 vaisseaux : YAmiraly le Vice- Amiral^ le Saint-Louis ,
de Saint-Malo, le Saint -Michel^ Y Europe ^ ]Si Fortune , \e Cygne^
la Sainte-Geneviève, les Trois- Rois j le Coq, le Lion -d^ Or, la
Perle y le Corail, la Licorne, V Hermine, la Sainte- Marie, le
Saint-Charles, la Fleur-de-Lys et la Madeleine. Dans te cours de
la même année , ou un peu auparavant , M. de Poincy avait
fait établir sur le terrain de Keravel , une corderie (^) qui fut
agrandie et complétée en 1667 et 4668 par M. de Seuil, et il
avait fait construire dans la crique de Troulan, du côté de Brest,,
une forge et un magasin servant tout à la fois de tonnellerie et
de dépôt des futailles, puis une autre forge dans la crique de
Pontaniou. En même temps , on faisait des achats considérables
de matières de toute espèce , telles que fers , bois , chanvres ^
etc. Mais comme les magasins du Roi ne pouvaient les contenir
toutes , il fallait suppléer à leur insulfisance , en louant sur le
quai de Brest une maison et un cellier, au prix de 4^6 livres,
et sur celui de Recouvrance , deux celliers et une maison pour
4S3 livres. Quatre Commissaires étaient chargés de l'administra*
(i) Dans l'acte de vente du 7 avril 1G36, rapporté par les notaires
Roussel et Deshayes, on lit que M. Guillaume Mesnoallet, sieur de
Keranlan, béritier bénéliciaire du sieur de Keravel, vend au sieur Phi-
lippe de Lonvilliers Poincy, chef d'escadre, etc., le lieu noble de Keravel
et dépendances , situé près la ville de Bresl , où est à-présent bastie la
corderie et cstuve du Roy pour la nécessité de, ses vaisseaux. Le prix
d'acquisition fui de 1,200 livres que paya Eslienne Le Roy, commis du
Trésorier Général de la Marine, sur celle de 4,151 livres tournois» qu'il
a voit de bon entre ses mains , du proficl fait sur les victuailles des équi-
pages desdils vaisseaux, en Tannée dernière 1635. m
— 2i -
tion du port , coiyGinlement avec un Garde • Magasin Général ,
dont le titre pompeux contrastait avec la modicité de son traite-
ment. Trois maîtres charpentiers , Laurent Hubac y que nous
retrouverons investi de la confiance de Mazarin et de Colbert ;
Charles Monnîer, auteur du beau vaisseau la Couronne , et le
hollandais Clas-Yerussen, un maître cordier et un maître voilier,
également Hollandais, formaient avec un maître des équipages,
le personnel directement chargé de la construction des vaisseaux,
de leur armement et de l'instruction des matelots. Un fait achève
de démontrer combien avait été rapide le développement du port
de Brest depuis Tinspection de M. d'Infreville. Ce port qui ,
avant -1630 , ne recevait que le tiers ou même le quart de ce qui
était alloué à ceux de Brouage et du Havre , alors les premiers
ports de construction, en était venu, dès ^635, à recevoir
annuellement trois et quatre fois plus que chacun d'eux. C*est
ce qui explique comment il put , Tannée suivante , fournir à
l'armée navale , sous le nom d*escadre de Bretagne , un contin-
gent de seize vaisseaux ou frégates, montés par 45 ofiiciers,
371 officiers mariniers , 2670 matelots, et portant 374 canons ,
indépendamment de trois vaisseaux qui restèrent au port , le
Vice-Amiral, de 700 tonneaux, le Saint-Louis^ de 500, et un
navire neuf.
Ces résultats étaient la conséquence de la sollicitude de Riche-
lieu pour Brest , sollicitude attestée à chaque pa^e de sa corres-
pondance avec d'Escoubleau de Sourdis, où il l'appelle son Brest ;
où il ordonne (octobre 4638) de construire six frégates l'année
suivante ; où il prescrit à l'Archevêque de Bordeaux d'y conduire
les gr^ds vaisseaux après le désarmement de la flotte ; où il
annonce (29 août 1639) qu'il va envoyer le sieur Petit pour
« expressément faire mettre le port en tel état que la chambre
• soit sûre , et que le fermant avec de bonnes chaînes , les
» ennemis n'y puissent faire mal , ni par effort , ni par feu ; »
— 22 —
où enfin (5 octobre ^689) il renouvelle la recommandation de
construire des frégates qui pourraient servir utilement dans la
Manche « et qui se feroient mieux en Bretagne qu'en tout autre-
» lieu de la France, à cause que les bois et les ouvriers y sont
» meilleurs. » Nous ne savons ce qu'était le sieur Petit , ni s'û
vint à Brest. En tout cas , il ne semble pas qu'il ait dirigé
l'opération mentionnée dans la lettre du 29 août , car une autre
lettre, écrite par Duquesne le 23 novembre -167^, nous apprend
qu'en ^639 il avait lui-même fermé le port au moyen d'une
chaîne 5 celle peut - être que le Cardinal de Sburdis , sous les
ordres duquel il avait servi comme capitaine de vaisseau , le
•19 août de la même année, à l'attaque de Laredo , avait rap-
portée de ce port de Biscaye , et que Richelieu avait prescrit ,
le 4 octobre suivant, d'employer à Brest. Soit que cette chaîne iût
un moyen insuffisant de clôture, soit tout autre motif, Duquesne,
qui se retrouvait Commandant de la Marine à Brest en -1672, la
remplaça par un radeau et une chaîne forgée exprès , et s'atta-
chant du côté de Brest à un organeau scellé à un rocher qui
était à découvert en -1677 {Mémoire de M. de Sainte-Colombe)^
et sur lequel fut établi plus tard le parc à boulets , compris en
-1855 dans les excavations qu'a nécessitées la création du parc
à charbons , sous le château.
La mort ne permit pas à Richelieu de compléter son œuvre,
et son successeur, entravé par les misérables intrigues de la
Fronde , ainsi que par les guerres avec l'Autriche et l'Espagne,
la poursuivit si mollerhent qu'il semble s'être borné à faire cons-
truire à Brest les quatre vaisseaux suivants , exécutés sur les
plans de Laurent Hubac, maistre de la charpenterie du Koy:
le Dragon , de cinquième rang , 50O tonneaux et 32 canons ,
commencé et fliii en -1649 ; le César ^ de premier rang, 800
tonneaux et 48 canons, commencé en -1646 , fini en ^650 ; le
Mazarin , de quatrième rang, 750 tonneaux et 42 canons , coni-
- 23 —
mencé en ^6i6, fiai en -1647; V Hercule ^ de qualrième rang,
700 tonneaux, 58 canons, commencé en -1655, fini en -1660.
Du reste , pour se faire une idée de la léthargie dans laquelle
était retombée le port de Brest , il suffit de recourir aux états
de dépenses conservés aux archives du ministère de la Marine.
À Brest, en 4646, on consomma pour travaux et achats de
matières la somme de 51,774 livres 45 sols 3 deniers, et en
4647, celle de 57,464 livres 4 sol 4 denier. Ce fut bien pis de
4655 à 4 65S, puisque pendant ces quatre années, on ne dépensa
que la somme de 66,340 livres qui dut vraisemblablement être
absorbée par la seule construction du vaisseau V Hercule , alors
-en chantiffl^
Ne soyons donc pas surpris que , quand Colbert commença à
s'occuper, en 4664 , de Tadministration de la Marine, la flotte
que Richelieu avait élevée à 56 vaisseaux , ne fût plus que de
30 bâtimens de guerre , dont 3 vaisseaux de premier rang de 60
à 70 canons , 8 de second rang , 7 de troisième , 4 flûtes et
8 brûlots. Les réglemens de ce grand Ministre étaient tellement
tombés en désuétude, que les États de Bretagne ne voulaient
pas reconnaître l'autorité du duc de Vendôme, surintendant de
la navigation, et qu'un arrêt du Conseil (4658) avait dû déclarer
fourbans les capitaines qui prétendaient ne pas dépendre de ce
Surintendant auquel ce même arrêt rendit la libre disposition de
la grange de Brest et de ses magasins. Enfin , un Écrivain et
un Capitaine de Port constituaient , à Tavènement de Colbert ,
tout le personnel admanistralif.
P. LEVOT.
LA MORT DE PÉTRARQUE
La Mort de Pétrarque.
U 13 juillet 1S71I • Pétrarque fut trouvé
mort dans sa bibliothèque, la tête peuché«
sur un livre ouvert.
iBiograpà, Univ.)
h
Kn viOagé d^Ârqiià , ^i regarde Padoue ,
Non loin des bois chéris du Cygne de Mantoue,
On entendait frémir des sons mélodieux»
C'était un beau vieillard , h la voix mate et fière,
Qui chantait , Fœtl brîllaut d'une étrange lumière , .
Comme s'il avait pris son regard dans les cieux.
I! chantait, Immobile^ ainsi que dans un rêve.
A peine on eût pu voir spD sein qui se soulève :
On aurait dit kr nmrbre anin^ié de Memnon.
n semUait conton^ler d'invi$ibles mirages,
Mais ses regards fixaient un livre dont le« pages-
Ne disaient qu'un seul nom»
— 28
IL
« — 0 lyre, un dernier chant aux souvenirs fidèles T —
M Avec lous leurs parfums , que les nuits étaient belles ,
» Vallon de- mon pays ,. coUioe d'Arezzo !
» Doux écho , redis-tu , dans ta langue sonore,
» Les hymnes qu'essayait ma voix tremblante encore
» Auprès de Rienzo î
» Moi , je t^aime toujours , vallon de mon enfance*.
» Pourtant , pauvre exilé , pour le pays de France ,.
» n me fallut quitter les champs de mes aïeux :
» Des Alpes je franchis les murailles géantes ,
» Croyant trouver plus loin des cités plus brillantes^
» Et des [ours plus joyeux,.
» Oh r la France d'abord eut ffour moi trop dé charm£s E
» J'y puisai le nectar qui nous cache des larmes-,
» J'y cueillis k vingt ans la couronne de fleurs,
» Qui parfume le front de ses senteurs divines,
» Et se change plus tard en couronne d'épines.
^M D'où jaillissent les pleurs.
» C'était le Lundi saint : de là fête chrétienne
»» La foule murmurait l'harmonieuse antienne ,
» Vers Dieu montait Tazur des encens les plus doirX;.
» L'orgue an fond de la nef jetaft sa longue plainte,
» Lorsque , jeune étranger, dans la pieuse enceinte
» Je priai* k genouxr
- 29 -
» i'élais là , proslerné sur le parvis sonore ,
>» Quand soudain j'aperçus aux rayons de l'aurore
k Teinls d*or el de sapbir au tamis des vitniux ,
M Une femme au front pur que je pris pour un ange ,
» Tant son regard jetait une lueur étrange
» Sous les sombres arceaux.
» Et depuis ce saint jour j*ai gardé dans mon âme ,
» Comme Âlcide k son corps Taffreux tissu de flamme ,
» Un divin souvenir, un rêve dévorant ;
» Mais TOUS savez , mon Dieu , que ce feu solitaire
» A pu brûler sans crime au sein du sanctuaire
» El dans mon cœur souffrant.
» Je Tai purifié par l'ardente prière ,
» J'ai courbé bien souTcnt mon front dans la poussière,
» Et j'ai cm prononcer l'irrévocable adieu.
» Comme Âbélard mourant , c'est vous seul que j'implore,
» Comme lui, malgré moi , je vous priai pour Laure...
» Vous le savez, mon Dieu 1
» Loin des lieux qu'elle aimait , aux cîmes des Cévennes,
» Aux fêtes de Lutèce , orageuses et vaines ,
» Voyageur sans désirs , j'ai demandé l'oubli ;
» J'ai couru du palais où le marbre rayonne
n A rbumble toit des champs dont le chaume frissonne
» Dans l'ombre enseveli.
» De vallons eu râlions promenant mon délire ,
» Faisant pleurer mon cœur dans les sons de ma lyre ,
» J'allai des bords du Rhin aux rives de l'Adour :
» Toulouse eut un écho pour ma voix gémissante ,
M Et mon luth résonna dans la lice naissante
» Ouverte au troubadour*
30
» Mais un seul num vibrait dans mon àme attendrie ;
» Je voulais célébrer la gloire et la patrie ,
» Et la note manquait à mou lutb impuissant :
u Au bord du nid désert , quand pleure Philomèie,
» Et qu'aux soupirs du vent son doux soupir se mêle ^
» Sa voix n'a qu'un accent.
» Enfin un val béni , solitude profonde
» Où venaient expirer tous les vains bruits du monde ^
» Offrit un oasis au pèlerin lassé ,
)> Et je crus , 6 Seigneur, ma douleur endormie,
» Et qu'en face de vous mon àme rafifermie
I) Oubltrait le passé.
» Mais des arbres courbés sur le bord des cascades ,
» Les flexibles rameaux me semblaient les arcadiBs
M Du temple où je la vis pour la première fois y
» Et les flots bondissants qui blanchissent la Sorgues
» Redisaient Thymne saint que les plaintives orgues^
x> Munnuraieut autrefois.
» Le monde enfin connut et mes chants et ma muse^
» La gloire vint un jour m'arracber k Vaucluse
M Et m'offrir le laurier qu'on ne cueillit jamais :
» Proscrit , je vis pour moi s'ouvrir les murs do Rome
» Et je ceignis mon front du rameau que l'on nomme
» Du doux nom que j'aimais.
x Oh ! ce fut une ivresse immense et solennelle !
» On eût dit que César, dims la ville ét^nelle,
» Ramenait triomphant» ded rois chargés dé fers ;
» Rome avait retrouvé son antique auréole,
» Et , si long-temps muet , Téoho du Capilok
» Répondait k mes vers.
- 31 -
» Et la foule acclamai l la marche triomphale,
» Et je passais , vêtu de la pourpre royale ,
» Sur un chemin paré de femmes et de fleurs ;
» El foutes les beautés de ma noble patrie
» Applaudissaient mon nom ; mais nulle main chérie
» Ne Tint sécher mes pleurs.
» Et Fon cria loi%-temps, comme pour un monarque :
« Poète , sois heureux I — Vive à jamais Pétrarque ! »
» L'écho redit ces mots... Je doutai dans mon cœur^
» Etj'ôlai de mon front cette couronne altière,
» Puis je la déposai sur Faulel de Saint-Pierre ,
» Comme offrande au Seigneur.
» Car TOUS seul , 6 mon Dieu , de votre chaste flamme
» Vous aTcz rafraîchi les ardeurs de mon âme ,
» Blèlant au souffle impur d'iuTisibles parfums.
» Et maintenant encor que le vieillard chancelle,
» Vous lui rendez , avec la divine étincelle ,
» Tous ses bonheurs défunts.
» Maintenant que J*ai vu comme un éclair qui passe,
» Amour, gloire , plaisirs , beauté , jeunesse et grâce ,
» S'éteindre et disparaître au déclin de mes jours ;
» Maintenant que la Mort , qui peut-^tre m'appelle ,
» A flétri de sa main les traits chéris de celle
» Que je pleure toujours ;
» Maintenant , 6 Seigneur, qu'à mon front qui se penche
» A^ous n'avez plus laissé que la couronne blanche
» Des cheveux échaq[^és an souffle des hivers,
» Vous rendez , ô Dieu bon, que la gloire environne,
» Mou front plus rayonnant sous cette humble couronne
» Que sous les rameaux verts.
— 32 -
« Quand l'iiomme esl suspendu sur les bords de la tombe,
» L'espérance affermit notre àme qui succombe....
M — Mais je sens dans mon s^n comme un frisson courir...
» Serait-ce enfin. Seigneur, mon heure solennelle ?
» Mon ange bien-aimé, viens suspendre k Ion aile
» Celui qui va mourir !... »
m.
Ainsi le beau vieillard accompagnait sa lyre ,
Et sur le livre ouvert son œil cherchait k lire,
Comme pour y trouver un mot mystérieux ,
Quand soudain , k travers les vapeurs de la nue ,
Retentit une voix qui lui sembla connue ,
Quoiqu'elle vînt des cieux.
IV.
» Je viens , disait la voix , vers celui qui m'appelle.
» Dans les bras de la mort lu m'es resté fidèle ,
» Et mon nom t'inspira sur les bords du tomber.
» Poète , sois béni I Que ton cœur se résigne :
»^ Le dernier de les chants, comme celui du cygne ,
» Est aussi le plus beau,
» Moi , je n'ai point voulu que ta voix solitaire
» S'éleigntt sans écho dans les bruits de la terre,
» Et qu'en ton sein glacé le doute restât seul.
» Tu vois, du haut du Ciel pour toi je suis venue :
» Laisse ton âme en paix me suivre dans la nue ,
» Et ton corps au linceul !
- 33 —
» Oh ! meurs en souriant , iôomtne àu sein cfune féie !
»> Tu peux mourir ainsi , loi , mon noble poète ,
» Lyre au suave accord , yase rempli d'encens.
» Pour loi , point de chevet , de laimpe sépulcrale ,
» De longs sanglots, d'a(Meux interrompant le ràle..«
V Rien que mes doux accents !
M Poète , sois béni I Ta lyre noble et fière ,
» D'un profane désir a fait une prière,
» Ne demandant qu'au Ciel un bonheur combattu :
» Sois béni ! car loi seul k Thomme as fait connaître
» Que l'amour, ce poison dont Tâme se pénètre ,
» Peut être une vertu.
» Un seul amour eut place en ton âme pieuse.
» Dans ce monde où si tôt , sur la bouche oublieuse ,
» Un nouveau nom succède au nom le plus aimé ,
» Tu n!as formé qu'un vœu , qu'un désir, qu'une plainte ^
» Qui , vers Dieu , s'exhalait comme de l'urne sainte
« Un nuage embaumé.
•
« Tu fis briller les noms de Pétrarque et de Lanre
j> Gomme un astre inconnu que Dieu ferait éclore,
M Ou que la main d*un ange aurait pu rallumer.
» Rien n'en pourra ternir la magique auréole ;
* C'est un phare éternel dont le flambeau console
» Ceux qui savent aimer.
j> Maintenant , sous la main de la Mort empressée ,
» Tu peux , tu peux fermer ta paupière lassée :
» Le Seigneur va poser le laurier immortel
» Sur ton front que déjà la pâleur environne.
^' C'est le même laurier, c'est la même couronne.
» Offerte à son auleîl
— 34 —
» Abandonne en chantant- le vallon où l'on pleure !
» Viens revivre au foyer de la sainte demeure
» Où Ton s'aime toujours sans regrets , sans adieu ;
M Viens réchaufiTer ton ^œur aux immortelles flammes,
» Dans Tocéan d'amour, viens confondre nos âmes
» Au ^indu même-Diea4 »
V.
Alors on eût en vain écoulé la voix tendre :
Sur celte terre où nul ne.pouvait..plus l'entendre^
On dirait que le chant a cessé de frémir,
Biais lui , collant sa lèvre k la page de flamme^
Comme si dans un rêve il exhalait son âme.,
Pâle y semblait dormir*
AIGUËS -SPARSES.
IMOTI
FORÊT SOUS-MARINE
dans
L'ANSE DE SAINTE -ANNE.
Forêt soBs-mriM dans Tanse de Suate-Ane.
Oa a trouvé en un grand nombre de points sur le globe des
forêts enfouies dans le sol à une profondeur plus ou moins grande.
Composées d'espèees semblables à celles existant aujourd'hui, elles
appartiennent par conséquent à la période géologique actuelle ;
quelquefois même leur antiquité , quoique reculée , ne remonte
pas au-delà des temps historiques de la contrée où elles existent.
Ces forêts, souvent recouvertes d'une couche épaisse de tourbe»
sont situéed dans l'intérieur des terres ou sur le bord de la mer,
dans laquelle elles s'avancent parfois jusqu'à une distance con*
sidérable* K les premières , qui font partie des tourbières pro-
prement dites ; montrent dans plusieurs cas qu'il y a eu aifois-
sement du sol primitif sur lequel elles croissaient, ce phénomène
- 38 —
est plus évident pour les forêts , sous - marines , qui de plus^
rappellent une conflguratlon des côtes différente de celle que
nous connaissons de nos jours.
Quelques forêts sous-marines ont été signalées en Bretagne, et
en particulier dans le Finistère. En I8H, M. de la Fruglaye
découvrit sous le sable de la plage de Morlaix, enlevé à la suite
d'une violente tempête , des troncs d'arbres entrelacés , reposant
sur une ancienne prairie ; après quelques jours , le tout était
recouvert d'une nouvelle couche de sable. M. de Fourcy men-
tionne , dans le texte de la carte géologique du Finistère ,
de semblables forêts sur les grèves au nord de Lesneven »
un fragment d'arbre de ces forêts , recueilli sur' la grève de
Rodeven , près Plouescat , a été déposé dans la collection géolo-
gique de notre musée. Il y a quelques mois , j'ai trouvé sur la.
plage de l'anse Sainte-Anne, dans le Goulet, des troncs d'arbres
couchés^ et légèrement enterrés dans le sable. M. Morio, pharma-
cien de la Marine , avec qui j'allai , peu de temps après, récolter
quelques échantillons de ces bois , eut l'occasion , depuis , d'en
observer de pareils sur la grève de Porshal. D'après cela, il n'est
pas douteux que des recherches dirigées dans ce sens ne fassent
découvrir plusieurs autres forêts sous-marines sur les côtes du
Finistère, principalement dans les baies à plages basses et sablon-
neuses. Il y a même lieu de s'étonner que dans un pays par-
couru par les géologues, et dont les côtes ont été étudiées par les
hydrographes , toutes les forêts sous-marines ne soient pas déjà
signalées depuis long-temps. Bien plus , ce sont des monuments
qui n'intéressent pas seulement le géologue , mais qui , en raison
de leur date relativement récente , rentrent presque dans le
domaine de l'Archéologie.
L'anse de Sainte-Anne, que l'on rencontre à l'entrée du Goulet,
après la pointe du Pprtzic , est bornée du côté opposé par une
autre pointe qui la sépare d'un fort en ruines. Ces deux promon-
- 39 -
4ôires forment des falaises élevées , protégées contre l'action des
"vagues par les roches situées à leur pied et que la mer use len-
tement. Ce sont des roches d'une grande dureté, figurées sur la
carte géologique de M. de Fourcy comme schiste talqueux modi-
fié, mais en tout cas bien rapprochées du gneiss. Les dimensions
de l*a}ise Sainte -Anne sont environ d'un demi-Mlomètre entre
les deux pointes , ainsi qu'en profondeur dans l'intérieur des terres :
elle forme presque un demi-cercle à l'embouchure d'une vallée en
partie marécageuse. La grève est en pente assez douce et cou-
verte d'un sable blanc et fin ; plusieurs sources la parcourent et
viennent se jeter à la mer.
C'est sur cette grève que l'on voit disséminés presqu'à fleur
de terre des troncs d'arbres, dont quelques-uns sont réduils, par
la pourriture humide, à l'état d'un terreau noirâtre semblable à
de l'argile et se coupant comme celle-ci au couteau. Toutefois
on les trouve principalement rassemblés vers le milieu de la
grève , où il3 forment une bande parcourue par une des sources
mentionnées plus haut , et qui sans doute n'a fait que les mettre
à nu dans cet endroit. On voit cette bande se continuer dans la
mer, à l'époque des plus basses marées. Jusqu'où des sondages
pourraient-ils la suivre , c'est ce qu'il serait intéressant de savoir.
On peut déjà reconnaître facilement , sans qu*il soit nécessaire
de fouiller le ^ol , parmi les débris incomplètement altérés , les
espèces d'arbres auxquelles ils appartiennent. Le chêne a pris
seulement une couleur noirâtre en conservant sa dureté ; le
boukau se fait remarquer par son écorce blanche et brillante ,
et semble déposé là depuis un petit nombre d'années ; le tissu
ligneux de couleur rouge d'une autre espèce doit la faire attri-
buer à Vifj d'après M. de la Fruglaye. Des noisetiers , des saules,
des aunes doivent s'y trouver aussi, mais ils sont plus difficilement
reconnaîssables. Tous ces arbres ont été signalés dans les tour-
bières et dans les forêts sous-marînes de France et d'Angleterre ;
~ 40 —
il faut y ajouter des ^apins pour certaines d'entre elles. Le frêne ,
l'orme sont cités encore , mais plus rarement : leur conservation
paraît plus difficile ; on peut remarquer aussi qu'il n'est pas fak
mention du hêtre dans les nombreuses descriptions que donnent
les auteurs des diverses tourbières. Comme cet arbre est très
répandu en Bretagne , il y a un certain intérêt à le rechercher
dans ces dépôts anciens, et à s'assurer au moins s'il y est repré-
senté par ses fruits ou faines.
Dans les fouilles encore incomplètes que j'ai fait pratiquer sur
la grève de Sainte-Anne, je n'ai pu ajouter jusqu'à présent qu'ua
petit nombre de faits aux précédents. J'ai fait enlever, autour
d'un des débris visibles à la surface (et qui pourrait bien être un
noisetier) le sable qui le recouvrait en partie ; il était couché à une
profondeur de 30 centimètres seulement sur un sol de couleur
noire, dans lequel il plongeait ses racines. Ce terrain noirâitre, d'une
épaisseur de 2 décimètres environ, reposait lui-même sur une couche
d'argile grise dont il faudra reconnaître la profondeur. On doit
considérer la terre noire comme le sol primitif de la forêt , ou
comme le terreau végétal que ses débris ont formé. Des rameaux
entrelacés, des branches comprimées, des racines, s'y rencontrent
en abondance. Je n'y ai pas encore trouvé de feuilles, ni d'insec'
tes et de coquilles, que M. de la Fruglaye a reconnus dans le sol
végétal de la forêt sous - marine de Morlaix , et je ne puis que
soupçonner certaines tiges herbacées de provenir de joncs et de
fougères. Mais j'ai été assez heureux pour y trouver plusieurs
noisetteSy signalées dans un grand nombre d'autres localités, leur
amande avait disparu ou s'était racornie.
On voit que si ces recherches sont suffisantes quant au fait
principal de l'existence d'une forêt sous-marine à Sainte -Anne,
l'herborisation dans ces bois antiques est loin d'être complète.
Je compte profiter pour cela des grandes marées aux prochains
beaux jours. Ajoutons que quelques coups de bêche donnés au
— 41 ~
hasard sur la grève, m'ont fait découvrir immédiatement un
débris d'arbre enterré dans le sable* 0)
Mais ce qu'il est surtout important d'étudier, c'est la disposi-
tion des lieux et la comparaison des diverses localités analogues.
Les forêts sous-marines sont en effet une preuve manifeste dps
changements que subissent les côtes dans leur configuration , et
de celui des. niveaux relatifs de la terre et de la mer. Si celle-ci
empiète alors, ce n'est pas parce que la masse des eaux augmente,
comme on l'avait admis autrefois , de mémo aussi que le^ eaux ne
diminuent pas là où la mer se retire. L'élément mobile conserve
son éternel niveau, la terre ferme seule éprouve des oscillations.
On sait qu'en Suède ^ ^ie se soulève lentement dans une certaine
étendue, tandis que près de là, sur les côtes ée Scanie, elle
subit un mouvement inverse de dépression* Ces dépressions ont
été reconnues sur des étendues considérables de côtes en plusieurs
eontrées , et la Bretagne paraît être de ce nombre. Partout , sur
ces côtes déchiquetées, la mer envahit sans cesse le littoral ; des
traditions assez récentes semblent confirmer ce fait, et il n'est
pas nécessaire pour cela de remonter au ^ siècle, et de recourir
à l'histoire peut-être véritable de la ville d'Is , engloutie dans la
baie de Douarnenez. Si des catastrophes de ce genre n'ont laissé
souvent dans plusieurs pays que de fabuleux souvenirs, si elles
ont pu môme passer inaperçues , comment à plus forte raison
n'en serait-H pas ainsi pour les phénomènes lents et graduels ?
(1) Etant retourné cette année ^le 5 juin 1859) h Sainte-Anne, avec
une partie des Élèves en médecine de l'École, la grève s'est offerte à nous
enlièrement couverte de sable ; mais des fouilles peu profondes nous ont
procuré, partout où nous les avons pratiquées, des restes organi-
ques tels que ceux déjà trouvés , notamment une assez grande quantité
de noiseUes. De plus , nous avons recueilli des échantillons assez bien
caraclérisés de jonc , de feuilles de monocotylédones cl de chêne, ainsi que
de noisetier^ de graines de légumineuses, etc. Il faut citer principalement
des débris d'insectes (élytres , corselets, pattes), qui d'aboid d'un beau
violet métallique, sont devenus ternes et noirâtres.
— 42 -
On conçoit donc tout l'intérêt qu'il y a à rechercher dans le
passé rétat des lieux actuels , et en particulier des contrées du
littoral, et combien cette étude rétrospective peut ymiv en aide
à celle que nous pouvons faire aujourd'hui , pour nous dévoiler
la cause des dépressions du soL Par là nous pourrions savoir si
ces causes sont locales, telles que Tusure graduelle d'une <îein-
ture de roches qui n'a pas plus arrêté les eaux envahissantes ,
ou Faction lente des sources qui ont miné le terrain ; ou bien,
s'il faut s'en rapporter à des phénomènes plus généraux , des
mouvements souterrains comparables aux tremblemens de terre.
Je ne me hasarderai donc pas à risquer une hypothèse pour
expliquer l'affaisseme^ de la grève de Sainte-Anne. Les cartes
les plus anciennes que j'ai pu consulter ne remontent pas à deux
siècles , l'anse existait à peu près telle qu'elle est aujourd huî.
D'un autre côté, il se peut que les eaux qui s'écoulent de la vallée
à l'embouchure de laquelle elle est située , aient miné le terrain
qui servait de support à l'ancienne forêt. Pour asseoir avec quel-
que probabilité une hypothèse â cet égard , si nous n'avons
l'histoire et la tradition, au moins la comparaison avec des loca-
lités analogues nous est-elle nécessaire.
Brest, le 29 Novembre 1858.
C. DELAVAUD.
SËBASTOPOL
ODE.
Calsœ ^raviore casu deciduni iurra.
Horace.
L
Voyez ces bataillons 4 deux chefs sonl h, leur tète :
Raglan.^,.. et Saiût-Arnaud que nul danger n'arrête I
Par la haine animés, vont-ils, comme autrefois
Les guerriers du Pénée et d'Ârgos et d'Aliiène ,
Aveugles instruments de la fureur des rois ,
Disputer k TAsie une nouTelle Hélène î
Ou tels que ces soldais , fameux par leurs revers ,
Esclaves abrutis d'un despote en démence ,
Yont-ils , près d'Abydos , construire un pont immense ',
Et châtier les flots en leur jetant des fers?....
- 46 —
Non l un noble but les anime I
Ils vont, dans un élan sublime,
Combattre pour les opprimés I
Tels que les Grecs h Salamine ,
Gonune les Francs en Palestine ,
Le feu divin les illumine ,
Par Dieu lui-même ils sont armés.
Dieu leur a dit : « Sainte milice I
» Allez défendre la Justice ,
» Le Droit , la Raison , TÉquité !
V Enfants de France et ^'Angleterre!
2> Sauvez les peuples de la terre ,
» Armez vos bras du cimeterre,
» Pour protéger THumanité !
» Races trop long-temps ennemies l
» Que vos phalanges réunies
» Marchent sous le même drapeau t
» A rOrient, qui vous appelle,
» Apportez une foi nouvelle ;
» Ramenez , d'une main ûdèle ,
» Les arts à leur ancien berceau ! »
IL
L'aalocratet dirait , Tgeil fixé sur la carte :
« La France ne peut rien , veuve de Bonaparte.
» Ses fils sont divisés ; son npuveau souverain
>» Sent déjà vaciller le sceptre dans sa main.
» La superbe Albion , cb^ue jour, elle-même ,
» Voit s'obscurcit Véclat de sa grandeur suprême.
» L!heure est enfin venue où l'aveugle Destin
» Va livrer h mes coups l'empire Byzantin !.... »
- 47 —
Et soudain , à sa voix , une nombreuse armée
Du Danube envahit la province alarmée ;
Aux murs de Bucharest , séjour des hospodars ,
A Galatz , à Jassi , brillent ses étendards.
Sinope et les vaisseaux, que sa flotte incendie ,
Attestent sur les mers sa puissance agrandie !
Stamboul va périr !.... Mais de Dundas , d'Hamelin ,
Les rapides vaisseaux pénètrent dans TEuxin ;
Us sillonnent les flots du lac où la Russie
Fondait le piédestal de sa suprématie ;
Déjà de la Crimée ils atteignent le sol t.... —
Fils des vainqueurs d'Eylau I voilà Sébastopol !....
Voilà Sébastopol ! énorme forteresse
Qui , pendant soixante ans , avait grandi sans cesse ;
Dédale de remparts et Babel de soldats,
Où le pied, aux afi'ùts, se heurte à chaque pas,
Et qui , livrant aux flots ses larges flancs de pierre ,
Dans ses bassins profonds garde une flotte entière.
Dans ce vaste arsenal le czar forge en secret
Les chaînes qu'il destine aux fils de Mahomet.
Que de sang va couler aux bords de la Tauride ,
Pendant les trop longs jours de ce siège homicide !
Arnaud déjà n'est plus ! Arnaud, que ranima
L'espoir de triompher dans les champs de l'Aima ,
Voit ses vœux exaucés, et meurt couvert de gloire,
Comme Épamînondas au sein de la victoire !
Canroberl lui succède I Aux pieds de ces remparts
Où MentschikolT vaincu cacha ses étendards ,
Devant Sébastopol la lutte alors commence ,
Lutte acharnée , horrible et sans fin I..,. Siège immense
Et sans trêve , où le fer ne se repose pas ,
Qui , chaque jour, au moins, dévore c«nl soldats ;
— 48 — -
Gigantesque épopée , unique dans l'histoire ,
Que la Postérité refusera de croire !..,.
Là se sont entassés, sur un étroit terrain ,
Les sublimes acteurs d'un drame surhumain !
Là s'est renouvelé , sous les murs d'une place,
Ce qu'ont fait de plus grand le génie et Vaudace
Des soldats du Thabor et d'Héliopolis ,
Des vainqueurs de Wagram , d'Iéna , d'Austerlitz l
Les fils ont éprouvé les doule^irs , les misères ,
Tous les fléaux unis qui décimaient leur$ pères ,
Aux déserts de Lybie , aux plaines de Wilna ,
Et sur les bords glacés de la Bérézina I
Us ont vu tour à tour s'abattre sur leurs têtes,
Du noir Septentrion les neigeuses tempêtes ,
Et les typhons du Sud , météores brûlants
Qui du Gange apportaient la peste dans leurs flancs l
Trois fois les assiégés sortent de leurs murailles....
Us sont vaincus trois fois dans trois grandes batailles ;
Et de Balaclava, d'Inkermann, de Traktir,
Aux boi;ds les plus lointains les noms vont retentir 1
Français , Sardes , Anglais 1 quel esprit vous anime ?
Quel espoir soutient donc votre ardeur magnanime ,
Dans ces jours de combats , pendant ces longues nuits ,
Qui, loin du sol natal, engendrent tant d'ennuis?
C'est l'esprit çlu Seigneur ; c'est la noble espérance
De porter la lumière où régnait l'ignorance ;
De sauver de l'abîme un empire expirant ,
El d'arrêter Tessor d'un nouveau conquérant
Qui, des bords où jadis brillait Théodosie, (1)
Menaçait à la fois l'Occident et l'Asie!....
Vos vœux seront comblés, et ces lointains climats
Consenreront long- temps, la trace de vos pas l —
(!) Tliéudoslc, auJourtl*hui Gafla, (<ar le Bosphore ciminérieiOi ât>>t une ville uèf
riche cl 1res commerçante.
~ 49 ~
III.
Notre attente, soldats , n'a pas été trompée !
Le Monde apprend encor ce que peut votre épée !
Votre sang généreux ne s*esl point refroidi 1
Vous vous êtes montrés , — dignes fils de tels pères ! —
Ce que furent toujours , pendant leurs grandes guerres ,
Les vainqueurs de Lodi !
Vous avez relevé le drapeau de la France ,
Et des peuples vaincus ranimé l'espérance !
Tombée à Waterloo , Taigle a repris son vol ,
Etonnée en voyant , sous son aile guerrière ,
Les enfants d'Albion déployer leur bannière ,
Devant Sébastopol !
Sébastopol !... Ce mol , buriné par Thisloire,
Aux siècles h venir apprendra votre gloire !
Ilidira vos travaux , vos noms et vos bauts faits !
Mais là doit s'arrèler votre ardeur martiale ;
C'est rétape assignée à l'aigle impériale ,
Car l'Empire.... est la paix !
L'Empire , c'est la Paixl la main, qui civilise,
A mis sur vos drapeaux cette belle devise !
Français I ne jetez plus des regards de courroux
Sur ce peuple vaincu , votre ennemi naguère ,
Sur ces guerriers du Nord , dignes dans cette guerre
De lutter contre vous !
7
— 50 —
Vous avez accompli votre mission sainte I
Les Nations enfin peuvent marcher sans crainte
Dans les champs du Progrès , où se pressent leurs pas.
La France et l'Angleterre , actives sentinelles ,
Ont reçu le mandat de veiller auprès d'elles,
Et n'y failliront pas !
0 pays de Sion ! Terre long-temps flétrie
Pur le sombre. islamisme et par l'idolâtrie ,
Tu verras dans ton sein fleurir encor la Foi I
Cité de Constantin î la divine lumière
Peut, recouvrant un jour sa pureté première
Se rallumer en toi I
Pour l'Afrique et l'Asie enfin le jour se lève !
Après plus de mille ans , après l'œuvre du glaive ,
Le Progrès, h son tour, dans l'arène descend ,
Pour détruire l'erreur, combattre l'ignorance ,
Et ramener les arls sur le sol que la France
Arrosa de son sang.
Déjk la Grèce est libre, €t la cité féconde
Qui, pendant si long- temps, fut le flambeau ^u monde,
Peut devenir encor digne de son grand nom ;
Athènes peut revoir, comme au temps d'Aristide ,
La Sagesse arborer son étendard splendide
Sur le vieux Parthénon 1
Le pavillon français protège le Bosphore.
Les temples du vrai Dieu , que l'Occident ador<5 ,
Par les enfants d'Allah ne sont plus insultés ;
Et dans les champs soumis au sultan de Dyzance ,
D'industrieux colons d'Angleterre et de France
Bâtiront des cités, (i)
(1) L^initiaiive de ce projet , qui a reça un commenceracnt d*ex«îcution , appartient
au gouvernement turc.
— ol —
Théâtre glorieux des eipioits de aos pères ,
L'Ëgyple émaDcipée attend des jours prospères.
Les Pharaons surpris sortent de leur tombeau ,
Pour contempler, du haut des grandes pyramides ,
Ces rails qui , chaque jour, sur les déserts arides .
Etendent leur réseau ;
Et pour voir s*enlr*ouvrir cette artère féconde ,
Cette route promise au commerce du monde ,
Cet isltmie qui s'élève entre deux vastes mers ,
Terre inculte et déserte où dort une eau fétide; (1)
El que , d'un bras puissant , Lesseps , nouvel Alcide ,
Livre h leurs flots amers I... (2)
Béeemlrc 1858.
DUSEIGNEUB.
(1) L'eau des lacs amers situés vers le centre de Tisthme de Suez.
(2) Il existe un singulier rapprochement, une frappante analogie môme, entre la fable
et la vérité, entre le percement projeté de l'isthme de Sues et rorigine attribuée par
la Mythologie au détroit de Gibraltar. On sait qn*flercule sépara les deux montagnes
Calpé et Abyla, et fit ainsi communiquer l'Océan avec la -Méditerranée , par an détroit
qui a porté anciennement son nom. Croyant que c'était là le bout du monde, il y éleva
deux colonnes qu'on appela depuis les colonnes d*Hercule, et sur lesquelles on suppose
qu'était gravée rinscripUon : Non tUtrà, L'ouverture, à travers l'isthme de Saex,
d'un canal de grande navigation destiné è réunir la Méditerranée k la mer Bouge
et è l'Océan indien , est un véritable travail herculéen , d'une importance plus grande
pour le commerce et les rapports Internationaux que lo détroit de Gibraltar. M. de
Lesseps est l'Hercule moderne auquel est réservé la gloire de mettre è exécution cette
gigantesque entreprise , qu'une postérité éloignée traitera peut-être aussi de fabuleuse •
en supposant que quelque révolution du globe vienne effacer les souvenirs de la civili-
sation actuelle, et faire disparaître les traces des uavaux exécutés par la main de
l'bomme dans le percement du canal de Jonction. L'espace qui s^are les deux mers
est de 12 kilomètres environ. Cest une plaine sablonneuse , nue et rase , où il n'y a
pas un arbre, pas un brin de verdure. Les navires ne peuvent s'approcher de la côte
à cause des sables mouvants. Les eaux ibrment, au milieu et aux extrémités de l'isthme»
des lacs et des marais dont les exhalaisons empoisonnent l'air. {Note de l'auteur,)
SIR LE LIVRE
de
iL^iimcDiriB
M. MICHELET.
SUR LE LIVRE
de
L'AMOUR
De M. MICHELET.
M. Michelet vient de teater une troisième excursion dans le
domaine de la Nature. Après X Insecte , après ^Oiseau , il nous
donne V Amour ^ livre étrange , s*il en fut I L'intérêt du sujet ,
la magie du style , le nom de Tauteur, lui ont fait un succès tel
qu*en un mois deux éditions ont été épuisées.
M. Michelet, si ce titre n'eût pas été profané déjà, aurait
volontiers intitulé son titre : L'Art d^ aimer (d'aimer jusqu'au
bout); et en effet, sauf la restriction qu'il y met, aucun n'aurait
mieux convenu , car c'est un poème ; il y a là plus de poésie
que dans Ovide ou Gentil - Bernard ; l'auteur l'a écrit avec son
âme ; faut - il s'étonner qu'il soit lu avec avidité ? Malheureuse-
*ment, aux yeux de M. Michelet, charmer n'est rien, il aspire à
convaincre ; il a la manie de l'enseignement, il veut à tout prix
enseigner quelque chose à quelqu'un , et il a pris à tâche de
nous enseigner l'Amour. Ce qu'il veut, c'est nous convertir à sa
— 56 -
foi , car toutes les subtilités qu'il formule , et qui pour nous
sont comme. des bulles gonflées d'air dont la vue se délecte,
sont pour lui articles de foi qu'il faudrait graver dans le marbre,
Si , chemm faisant, il nous captive et nous enchante, c'est malgré
lui ; il serait tenté de nous en demander pardon , et malheur à
qui irait lui porter, en manière de réponse , cette conclusion que
tout lecteur tirera de son livre : Quelle splendeur de style et
quelle pauvreté de logique I
Le sujet a des côtés scabreux » mais Tauteur les aborde fran-
chement, en tout bien tout honneur ; s'il tourne souvent les diffi-
cultés ^ il n'en évite sciemment aucune; sa langue est pleine de
ressources, et il excelle à faire de la casuistique sans en avoir l'air.
M. Michelet n'a pas voulu faire un roman, et peut-être a4-ii
eu tort ; souvent ce qui serait vrai pour un homme, une femme,
ne Test plus dès que vous l'attribuez à Thomme , à la femme
mômes ; ce qui, dans un roman, serait trait de caractère, devient
contre sens , si vous le généralisez. M. Michelet n'a pas le goût
et ne se croit pas le génie du roman : qu'il écrive donc un
traité sur l'amour , rien de mieux , mais alors le couple qu'il
met en scène devra ôtre un type—, et c'est à peine une réalité.
Etait-il possible d'ailleurs de créer un type semblable ? Autant de
tempéraments, de caractères, autant de modifications de l'amour.
Par conséquent , il fallait écrire un roman avec des caractères ,
ou composer un manuel avec des classifications. Nous allons
voir ce qu'il en aura coûté à l'auteur pour n'avoir fait ni l'un
ni l'autre.
M. Michelet se demande d'abord si sa publication est oppo^
tune. — Oui , car autour de nous tout avance et se développe,
une seule chose diminue , c'est l'âme ; l'idée faiblit , la race
môme s'étiole et décroît. Comment refaire cette société qui se
décompose , comment retremper ces caractères qui mollissent ?
- 57 ~
Où est le sajut, le remède ? — Dans l'amçur, dans la vie mono-
gamique ; cette vie est celle de tous les animaux supérieurs qui
ne là Lrisent qu'à cause. des exigences de la faim ; c'est aussi la
seule qui ^eonvi^nme à Thomme , car l'amour n'est point un
état transitoire, une crise; dire qu'il n*e8t qu'une crise, c'est
le méconnaître , autant vaudrait définir la Loire une inondation.
L'amour, le seul qui soit digne de ce nom , est une succession
de sentiments et de ^passions souvent fort divers , naissant de
toutes les combinais<ms qui peuvent résulter de la variété d'aspects
chez la femme et de la mobilité de l'imagination chez l'homme.
D'après l'auteur, la femme jusqu'ici a été mal comprise ; le
moyen-âge la déclarait impure; son idéal, c'était la vie menas*
tique, le célibat ; mais les récentes découvertes de la physiologie
ont changé l'aspect des choses : la source même de la vie ne
saurait être impure ; la femme donc doit remonter au rang qui
lui convient , et par une réaction innocente , l'auteur la place
môme un peu plus h^ut et sur un piédestal.
De plus, — et c'est ici que Fauteur, sans aucun embarras,
nous initie à cette révélation qui doit changer la face du monde et
qu'il rapporte , comme une perle, de ses fouilles dans les ouvrages
de clinique et les atlas d'anatomie , — la femme est un être
essentiellement souffrant ; la nature la tient sous sa main; conune
un oiseau captif qui se sent des ailes , elte essaie incessamment
de prendre l'essor ; alors le lien se tend et se fait cruellement
sentir ; sa vie se consume dans cçs alternatives ; toutefois, cette
dépendance n'a rien d'humiliapt, cette souffrance est sacrée.
L'esprit systématique de l'auteur s'est tellement exagéré cette
sujétion , cette misère de la femme , qu'il a fait du malaise son
état normal ; les i^omens de relâche et de trêve , il les a res-
serrés dans un espace imperceptible , ceux de douleur ont tout
envahi. De cette donuée bizarre , il a tiré cette double consé-
quence dont la suite de l'ouvrage est le développement': d'abord
8
- S8 -
que la femme doit être traitée avec des ménagemens excessifs ;
puérils ; secondement , que l'initiative étant un attribut de la
force , la femme , cet être maladif que vous savez , est au plus
haut degré passible et malléable , et que le mari , s'il veut s'en
donner la peine , pourra la transformer, la façonner à son gré,
et réaliser Tunité qui est le but de Funiou.^ Cette idée , dans un
chapitre intitulé : Création de V objet aimé , est exposée avec tine
naïveté , un optiniisme réjouissants. La capacité du maître , la
docilité de l'élève, ne font pas l'objet d'un doute ; ^ le mari ne
réussit pas , c'est sa faute , il «'y sera mal pris. La théorie se
résume dans cet axiome textuel: «Toute folie de la femme €St
une sottise de l'homme.... » 11 me semble que c'est abonder par
trop dans le sens de Molière , et exagérer la responsabilité de
Georges Dandin.
De soi-même et par instinct, la femme ïie demande qtf à obéir, à
complaire, à abdiquer toute volonté, à s'interdire toute résis-
tance. S'il en est d'acariâtres , c'est la faute de quelques amies
obligeantes qui leur enseignent à guerroyer, lesquelles amies en
ont sans doute d'autres dont elles reçoivent le môme service, et
ainsi de suite à l'infini. Au demeurant, la femme nous est-elle
supérieure ou inférieure ? Nous serions bien exigeants , si nous
ne nous contentions pas de la réponse de l'auteur : 11 en est
d'elles comme du Ciel par rapport à la terre ; il est dessus , il est
dessous.
Supérieure ou inférieure (peu importe), elle est essentiellement
différente : elle a une façon particulière de marcher, de manger,
de respirer ; elle a un langage à part ; ce langage , c'est le sou-
pir, le souffle passionné ; elle n'a qu'à y recourir, sa voix s'entre-
coupe, son sein ondule et nous voilà persuadés. Ce langage
souverain nous est interdit à nous autres hommes, et jamais,
dans un moment de muette émotion , nous n'avons été capables
de rien persuader à personne ; il faut passer condamnation , et
vous sentez quel abhne une telle dissemblance creuse tout de:
suite entre les deux moitiés du genre humain.
La femme est Télément de fixité ; tout changement est contre
elle : quelle déchéance en effet du premier attachement à un*
second, du second à un troisième I... au dixième, la femme
n'existera plus. Le mariage n'est donc pas chose légère , car la.
femme se donnant tout entière , ne peut se donner qu'une fois,
«t pour accepter celle qui s'offre sans commettre une profana-
lion, il faut en être digne. — Mais comment serais-je digne'
d'elle ? Qui suis-je pour créer une femme ? dira le jeune homme ^
déjà entamé par la vie , fatigué , blasé peut-être. Ai-je assez de
force , de lumière , ai-je seulement gardé le sens d'aimer ? —
Mais l'auteur a une bonne parole pour lui, parole généreuse et.
vraie : « Non , ne te méprise pas, ne te défle point de toi ; ce
vain passé qui te poursuit, tout cela n'était pas l'amour : tu
n'en es pas même à le deviner. Ce sens dort , mais il existe ,
c'est la réserve de Dieu. »>
Après la création de la.fenmie viennent l'initiation et la com-
munion. L'initiation sera beaucoup moins laborieuse dans la
solitude qu'au sein de la société. Choisissez à la campagne une
maison petite et proprette , deux étages , trois pièces à chacun,
avec un grand verger, un petit jardin et des eaux jaillissantes.
La sollicitude de l'auteur s'étend jusqu'aux moindres détails ; il
donne ses conseils pour le jour de la n6ce , il règle les prépa-
ratifs du matin , les précautions du soir et jusqu'au déjeûner da
kndemain. Pour vous faire bien venir de la jeune maltresse de
maison , donnez-lui de grands placards, de profonds tiroirs, des
resserres], des sièges de toute hauteur. Pas de poêles , des
cheminéesj ; étendez partout des tapis doublés , triplés do
moelleuses doublures. Pas de domestiques, tout au plus une
bonne fille de campagne à qui Madame apprendra à lire. Pas
de femme de chambre , ce serait une puissance avec laquelle il
- 60 —
faudrait compter ; au besoin , le mari en servira : « Pour celui
qui aime , les réalités de nature ne font nul tort à l'idéal. •
La femme a rintellîgence très vive , très souple, et pourtant
souvent elle profite peu ; on peut , on doit renseigner, mstis il
faut le faire à propos ; une erreur d'un jour serait chose grave ;
il faut consulter le calendrier et le baromètre. Voilà l'auteur
retombé dans son idée fixe : si vous choisissez un moment pro-
pice , vous serez étonné de vos succès ; â pareil jour, de lunaison
en lunaison , te germe intellectuel que vous avez jeté dans èou
esprit sera de nouveau repris, travaillé, développé. Si quelque
chose peut encourager dans celte tâche difficile d'instruire la
femme , c'est à coup sûr cette promesse diartoanto qui nous
est faite en son nom : « Elle t'attribuera tout ce qu*a fait l'esprit
des temps ; elle t'aknera pour Linné et le mystère des fleurs ;
elle t'aimera pour les diamants du Ciel que vit le premier
Galilée. »
Entrons maintenant dans une phase nouvelle de la vie de la
femme ; elle va devenir, elle devient mère. Ses premières lan-
gueurs, ses souffrances suprêmes, sa résignation, les terreurs
du mari , la rivalité qui s'établit entre îé père et l'enfant , dès
le premier tressaillement de ce dernier, et se prolonge à son
profit jusqu'après l'allaitement , et plus tard la tristesse de la
mère sevrée de son fils qu'on envoie aux écoles , souffrant de
l'y savoir malheureux , souffrant plus encore de l'y voir consolé ;
tout cela est peint de main de ttiBUife , avec la chateur d'une
&me à qui rien de ce qui fait battre le cœur humain n'est
indifférent.
Mais durant celte période de maternité , qu'est il arrivé ? Héîas f
runion s'est peut-^tre un peu relâchée ; tandis que le berceau
réclamait hi mère , le monde a repris l'homme et lui a soufflé
des idées d'ambition. Par la spédalilé et le métier, il est devenu
plus fort, mais il a perdu en éclat, en élévation ; 11 est devenu
- 6i -
moins harmonique. La femme, de son côté, est arrivée à Tapogée de
la \ie,de la sanlé. C'est rheure critique ; tes pièges, les intrigues, les
demi'Vidences^ et à leur défaut la seule nature réussissent parfois
à la troubler, à Tentrainer. Mais ne vous h&tez jamais de la juger :
Oh ! n'insultez jamais une femme qui tombe !
Savez- vous combien de degrés il y a entre la faiblesse et la
perversité? Savez vous combien d'éléments sont nécessaires pour
coEfôiituer un consentement valide et imputable ? Les tribunaux,
lorsqu'ils ont à juger une femme , devraient ils seulement hasar-
der une opinion avant de s'être adjoint un jury médical , qui
étudierait les circonstances accessoires et ferait ainsi la pa^t de
ht vôloBté et celle de la fatalité ?
il faut si peu de chose pour faire tomber une femme ! et en
effet les exemples cités par M. Midielet sont très concluants ; il
nous avertit du reste , 4ans sa préfabe et dans ses notes , qu'il
dispose d'une foule de docuàicns , qu'il a reçu mmbre de
confidences et qu'il n'avance rien dont il n'ait la fyreove en
réserve. Voici un trait de fragilité qu'il livre à nos méditations :
Vous revenez d'un long voyage ; dans nne heure , vous serez
à la ville y dans deux heures chez vous ; on vous attend , avec
la table dressée auprès d'un bon feu , avec un vin généreux
tiré du cellier tout exprès pour vous ; mais un incident survient...
votre passeport n'était pas en règle ; bref , vous êtes retenu à
la ville et vous d^chez un ami complaisant pour annoncer que
vous ne pourrez être rendu que le lendemain. En le voyant
arriver seul et sans vous, elle est saisie, elle pâlit; maïs il la
J^ssure, explique les choses, provoque une réac^lofi qui va presque
jusqu'à la gaîté ; on l'invite à s'asseoir : le vfn est tiré , on le
boit.,,. Le lendemain, vous la trouvez en larmes , on déseôpoir
obstiné la précit)ite à vos pieds ; elle ne dit rien , mais voos
devins tout Oh 1 alors, pitié pour elle ; voils êtes tort, soyek
— 62 —
boa ; reconnaissez ici Tœuvre aveugle de la fatalité ; surtout dc
la rudoyez pas , quand même elle vous supplierait de la rouer
de coups, ou bien et si elle y tient absolument, ne lui accordez
qu'une correction légère qui lui rende un peu de paix , en lui
laissant croire que c'est une expiation.
Souvent la faute aura pour principe Tafifection même qu'elle
a pour vous : vous avez un neveu que vous chérissez , elle ne
pourra prendre sur elle de le haïr ; vous avez un commis , un
secrétaire qui prend vos intérêts à cœur, qui a votre confiance
et votre amitié ; il se peut que votre préféré devienne le sien ;
mais vous ne vous y tromperez pas : en lui c'est encore vous
qu'elle voit , vous qu'elle aime.
Si la femme est facile à entraîner, elle est encore plus facile
peut-être à préserver; si elle est tentée, qu'elle descende au
jardin, qu'elle interroge une fleur ; la nature est tout innocence,
qu'elle écoute les voix de la nature , qu'elle prenne une rose
pour directeur. Le plus souvent un rien détruirait ce faible
naissant qui tout-à-rheure envahira l'âme entière ; il suffirait de
changer d'air, de recourir au moindre expédient. Exemple : Vous
vous apercevez que votre femme , fille du Nord , habituée aux
caractères lents , aux allures calmes des hommes de ces régions .
commence à distinguer dans son entourage un jeune méridional
fraîchement débarqué de Marseille ou de Carpentras ; la vivacité
de son humeur, sa faconde étourdissante la séduisent et la frap-
pent ; aussitôt , prétextez une affaire et emmenezla dans la patrie
môme de ce rival que vous allez ruiner du coup en le montrant
semblable à mille autres, c'est-à-dire vulgaire. Si, au contraire,
ce rival était un insulaire rose et blond, vous n'avez qu'à changer
de direction , passez le détroit , courez à Londres.
Un danger d'un autre genre menace la femme : un temps
vient où sa santé chancelle, son énergie vitale faiblit, la maladie
la frappe ; mais là n'est point sa plus grande appréhension ;
— 63 -
elle tremble de devenir pour son mari un objet de dégoût..*.
Qu'il la console alors , la relève , la guérisse lui seul , qu'il soit
son prêtre et son médecin. A la convalescence succède une vague
tristesse ; elle sent bien qu'elle a faibli , tandis que lui il est
encore fort et actif , c'est-à-dire jeune. Mais cet élat , qui est
la seconde jeunesse de la femme, n'est pas non plus sans charme.
(Y a-t-il pour l'optimisme quelque chose qui soit absolument sans
charme?) Ces aspirations de l'automne se prolongent jusqu'à la
vieillesse , ou plutôt la maturité , car il n'y a désormais plus
de vieille femme : M. Michelet se flatte de l'avoir supprimée.
Le regard de la femme prend avec Tàge une vivacité , une
expression surprenantes ; mille choses gracieuses dont la jeunesse
était incapable lui deviennent possibles ; elle peut inspirer encore
de vifs sentiments, et vraiment il n'y a aucun motif pour qu'elle
ne soit pas immortelle : s'il n'y a pas décadence, pourquoi donc
la mort ? M. Michelet en donne une raison à laquelle personne
ne s'attend : le but de l'union , c'est l'unité ; mais l'unité est-
elle réalisable ici-bas? Non, car l'esprit humain s'exerce sur
deux classes de connaissances bien distinctes : les sciences de
la Justice, les sciences de la Vie ; les premières sont le domaine
presque exclusif de l'homme , la femme excelle dans les secon-
des ; cette divergence ne fait que grandir à mesure que la vie
avance : l'homme incline de plus en plus vers la justice , la
femme vers la grâce ; la vie est donc uu obstacle à l'unité , et
il faut évidemment que la mort , intervenant , permette à ces
deux âmes jusqu'ici parallèles, de se rencontrer et de se fondre ;
et voilà pourquoi,... nous sommes tous mortels.
Lequel mourra le premier ? Ce sera l'homme , si vous le voulez
bien : à l'homme de mourir, à la femme de pleurer ; elle res-
tera comme une àme attardée, s'occupera de garder la mémoire
du mort, de lui conquérir de nouveaux amis ; après quoi elle
mourra; le semblable ira rejoindre son semblable !...
— C4 —
Quand on essaie , comoie nous venons de le faire, d'analyser
ce livre singulier, on trouve un tel mélange dldées vraies et
d'idées bizarres , que Tesprit, dérouté , se demande : tout cela
est-il sérieux ? Rien de plus sérieux , certes , que le point de
vue où se place l'auteur, rien de plus grave que le ton de
Fouvrage ; l'esprit dans lequel il est conçu est excellent : • Jeuue
bonune , lis bien ceci tout seul et non avec cet étourdi de
camarade que je vois derrière toi, qui lit par dessus ton^aule;
si tu lis seul , tu liras bien, et la sainteté de la nature te tou-
chera. » Mais , d'autre part , combien de théories naïves , de
paradoxes chatoyants I Combien de puérilités , charmantes si
vous en riez , très impatientantes si vous voulez les discuter. Il
serait mal , sans doute , d'abuser de la parodie , mais peut-on
se résoudre à les réfuter gravement? Non , en dépit des préten-
tions de l'auteur, on hésite à endosser la lourde armure de la
logique ; il y a dans celte mêlée trop d'adversaires fantastiques,
trop de moulins-à-vent. Toutefois , certaines erreurs , certaines
contradictioiis soni trop flagrantes ou trop graves, pour n'ôlre
pas relevées.
Pour M. Ukhelet , et cette remarque est tout à l'honneur de
son c^açtère, l'humanité ne se compose pas seulement de cette
infime minorité qu'on nonrnie la cl^^se aisée, les riches ; il a,
dit-il, étudié la femme dOins toutes les conditions , et il écrit,
non pour quelques privilégiés, mais pour tous ceux qui vivent
libre? , au-dessus du besoin , au dessus de la pauvreté ; mais
il oublie bien vite cette. excellente résolution : tournez le feuillet,
il n'a plus devant les yeux que la femme oisive et sédentaire
à qui ne manque aucune des aises de la vie. Il est vr^i que si
la femme nç fait rien, le mari travaille pQur deux. Mais alors
ce masi qui ne rentre que le soir, accablé de fatigue, avide de
repos, où prendra tnil le temps d'.ense^ner quand il a à peine
celui d'apprendre ? et s'il le trouve , exjgerez-vous qu'il engage,
•-- 6o —
près du foyer, des entretiens qui ne feront aucune trêve aux
travaux dont il est excédé ? Nous ne sommes pas tous histo-
riens ou poètes ; les sciences positives ont pris dans notre société
une place immense , envahissante. Quel attrait , quelle utilité
auront-elles pour la femme?... Restons plutôt dans" l'ornière et
contentons - nous de lire en famille le Magasin pittoresque ou
XOncle Tom.
Mais cette action incessante de l'homme sur la femme , telle
que vous la comprenez , n'est pas moins puérile qu'impratica-
ble. Jamais , depuis qu'on a hrûlé les Cartes du Tendre , on
n'avait fait une si large part aux Petits - Soins. Mais la virilité,
la dignité de l'homme ne trouvent point leur compte dans ces
prévenances calculées et raffinées qui sont comme une combi-
naison d'infiniment petits. Votre idéal c'est un ménage de deux
femmes ; mais la femme et l'homme ne gagneront rien à se
ressembler ; la similitude n'est pas l'accord , l'identité n'est pas
l'unité.
Pourquoi aussi n'avoir pas réfléchi que toutes vos recettes ,
vos panacées , eussent - elles quelque vertu par elles - mômes ,
deviennent inutiles dès que vous les publiez , dès que vous les
ébruitez? Les femmes seront les premières à dévorer ce livre
qui les met en cause et dont (pour le dire en passant), elles
vous sauront peu de gré , en dépit du bien que vous dites
d'elles ; essayez maintenant de proposer à la moins avisée , à la
plus oublieuse , un voyage en Italie ou une excursion en Angle-
terre.
Pourquoi surtout avoir éclairé un coin de la nature humaine dont
l'ombre est le charme et le privilège ? Je sais tout ce qu'on peut
objecter : rien de ce qui relève de la Nature ne doit rester étranger
à l'homme , tout ce qui est du domaine de l'une est de la com-
pétence de l'autre ; si la nudité a quelque chose de dangereux ,
c'est à notre honte ,' car ce n'est point elle-même qui est mau-
9
-- 66 -
vaise , mais la pensée qui l'interprète et les pinceaux les plus
chastes ne sont pas ceux précisément qui s*en montrent le plus
avares. — Je sais cela ; mais autre chose est de peindre la Nature,
immobile dans sa beauté, ou active dans ses fonctions. La Science
a son langage et la Poésie a le sien; l'une tient un scalpel,
l'autre une palette , et tout échange entr elles est funeste. Cela
admis , je suis prêt à reconnaître qu'il était impossible d*écarter
le voile d'une main plus chaste ; on ne pouvait pa3 mieux réussir ;
mais il valait mieux ne pas entreprendre.
Pourquoi enfin vouloir dépouiller la vieillesse de son air austère
et risquer ainsi de rendre ridicule ce qui était vénérable ? Ne
la troublez pas dans le port tranquille d*où elle regarde, désin-
téressée, la mêlée dçs passions, et n'essayez pas de l'y ramener ;
elle y ferait triste figure, et elle perdrait un peu de notre confiance
et beaucoup de notre respect. De grâce, laissez-nous la bonne
opinion que nous avons de nos grand'mères !
J'ai à faire à M, Michelet un reproche plus grave encore : deux
choses sont absentes de son livre , l'idée du Devoir et la pensée
de la Mort II y est beaucoup parlé de Dieu , quelquefois de la
conscience , mais cela ne m'abuse pas ; la notion du devoir chez
la femme n'y est pas môme supposée. Une telle lacune vaut la
peine qu'on la signale, surtout dans un livre écrit par un penseur
si justement célèbre et honoré, dans un livre qu'il croit lui-même
éminemment moral. Aussi, quelle peine ne se donne-t-il pas
pour la combler, cette lacune ; mais c'est comme un abîme où
tout ce qu'il jette s'engloutit et disparaît. S'il avait voulu faire
une place , petite ou grande , à cette loi du devoir qui , Dieu
merci, est toujours acceptée par le bon sens, si elle est parfois niée
par le gé,nie , comme son œuvre eût été simplifiée I C'est dans le
cœur même, oui dans le cœur malade, qu'il aurait trouvé le frein et
le remède ; il fallait seulement cultiver, développer ce sens intime ;
I9. lutte peut-être n'eût pas été évitée, mais la victoire était assuréCi.
- 07 —
On a reproché à l'auteur d'Emile de s'être ingénié beaucoup
pour faire arriver comme fortuitement , aux yeux de l'élève , les
exemples qui devaient servir de thème aux leçons du maître ;
mais (outre qu'Emile n'était pas destiné à lire le livre qui donne
la clef de toutes ces rubriques), combien M. Mîchelet prend plus
de peine encore pour faire réagir le dehors sur le dedans , pour
préparer left évènemens , pour disposer les milieux ! il attend
tout de Textérieur, parce qu'il n'a pas su se ménager un auxi-
liaire dans la place assiégée ; il a pour toutes ressources une
rose qui servira de directeur, un voyage en Angleterre, en Italie,
au Japon , qui servira de diversion. Que dire d'un homme qui,
sur le point de s'embarquer, redoutant les périls de la traversée,
essaierait d'enchaîner les vents au lieu de se munir d'un bon
pilote ?
Quant à la pensée de la mort , elle n'apparaît qu'au dernier
chapitre , et l'auteur est mal à l'aise avec elle , il est contraint,
gêné ; ce qu'il en dit est vague et bref ; évidemment elle dérange
ses plans. Que serait-ce si , moins tardive , elle était survenue
avant ce terme extrême où on nous la laisse entrevoir, parce
qu'il n'est plus possible de la cacher? Gomment l'auraient - ils
reçue et supportée , ces jeunes époux occupés à arranger leut
vie pour la terre , à se dresser un lit de roses , comme s'ils y
devaient dormir indéflniment ? Voilà pourtant ce qu'il fallait
prévoir , vous qui êtes l'homme des précautions ; vous en prenez
contre tout, excepté contre la mort. Est-ce un oubli? ou plutôt
cette illusion qui vous montre dans les brouillards de l'avenir une
ère de justice et de paix, où, comme vous dites, le ciel sera sur la
terre ; vous fait-elle aussi espérer que la mort, cette suprême inflr-'
mité, ira comme les autres en s'évanouissant peu à peu, et qu'il
est superflu de prendre contre elle des dispositions provisoires ?
Vous me dites que le, semblable rejoint sou semblable ; que
l'unité se réalise par delè la mort. Cela ne me suffit pas ; ce
— 68 — •
qui m'importe , t'est de savoir dans quelles conditions je renaî-
trai ; cette unité enfin obtenue aura-t-elle détruit , englouti ma
personnalité ? S'il en est ainsi, est-ce la peine que je \ive et que
je m'intéresse à moi-même,
ïl est surprenant que le sentiment religieux qui, dans la vie
de la femme, occupe tant de place, n'ait pas obtenu de M. Michelet
même une mention honorable, car si Dieu se trouve sans cesse
au bout de sa plume , c'est un mot qui signifie tout ce qu'on
veut... Je me trompe, l'auteur parle une fois, une seule, des
questions religieuses ; c'est pour régler l'heure et le lieu où il con-
vient de les traiter. Je ne vous dirai pas le lieu, mais pour l'heure,
c'est une des premières de la nuit, ou le matin , au petit jour.
J'ai formulé mes griefs. Il me resterait à faire ressortir, par
des exemples , la véhémence ou la grâce d'un style vraiment
incomparable, lumineux et concis, sans trahir jamais le moindre
effort ; la finesse des aperçus, souvent étranges, jamais vulgaires ;
cet art de rendre pour ainsi dire palpables des nuances d'idées ;
cette verve qui entraine , cet éclat qui éblouit, donnant à peine
le temps de faire des réserves, toutes ces qualités brillantes qui
font de M. Michelet, non pas un grand apôtre, mais un vrai
poète.
Veut-il flétrir ce qu'il appelle éloquemment la polygamie de
l'Occident : « C'est un amour de chenille qui traîne de rose
en rose , gâtant le bord de la feuille , sans atteindre le
calice. » Veut-il peindre la fidélité naturelle à la femme : « Elle
aime très également, d'un cours continu et que rien n'arrête,
comme coule la rivière ou le fleuve , comme une belle source
solitaire de la Forêt-Noire , à qui , passant par là , je m'avisai
de demander de quel nom elle s'appelait , elle dit : Je m'appelle
Toujours. » Quelle délicatesse dans cette remarque à propos de
fa jeune femme qui va devenir mère : « Elle rêve toujours un
enfant surnaturel , et c'est ce qui dotie l'enfant ; c'est ce qui
— 69 —
nous fait ce que nous sommes , et quiconque est fort sur la
terre , c'est que sa mère Ta conçu dans le ciel. •
Mais à quoi bon citer, puisque le livre est dans les mains
de tout le monde , puisque tout le monde Ta lu ou le lira ?
ràime mieux chercher, en finissant, à me rendre compte de
son origine. A quelle disposition d*esprit , à quelles influences
faut-il le rapporter et Tattribuer ? M. Michelet , ainsi qu'on Ta
très bien remarqué , a eu le sort de tous les gens du monde
qui se mettent à lire des ouvrages de médecine. Il ne s*est pas
cru pourtant , comme il arrive d'ordinaire , atteint lui-même de
toutes les infirmités qu'il voyait décrites , mais il en attribue
une bonne partie à la femme. Pour bien voir les choses, il ne
faut pas les regarder de trop près, ni les fixer trop long-temps ;
M. Michelet a été dupe et victime d'une illusion d'optique.
A cette explication très fondée , j'en ajouterais volontiers une
autre : M. Michelet est dans un âge où l'on commence, surtout
quand le cœur est resté jeune et l'imagination ardente, à vivre
de souvenirs, parce que le présent est terne et que l'avenir ne
promet rien. Aussi s'est-il complu à reconstruire, à notre usage
et au sien, le roman de l'amour conjugal , à prendre en idée la
place du jeune époux, et à revivre avec lui, l'une après l'autre,
toutes les années de la jeunesse ; les détails nous ont paru minu-
tieux , frivoles; ils servaient à l'illusion de l'auteur; à mesure
qu'il les multipliait , tout autour de lui se dessinait plus nette-
ment , et lui-même abandonnant peu à peu son vieux cabinet de
travail , venait habiter la jolie maison à deux étages , avec un
grand verger, un petit jardin et des eaux jaillissantes. Ce livre
de l'Amour n'est-il pas aussi un rêve rétrospectif?
Paul ClIABAL.
RAPPORT
SDB LC8
Travanî de la Société Académique de Brest.
{1858 — 1889)
Messieurs ,
Aux termes da Règlement , uii de vos Secrétaires doit Ion?
les ans vous présenter un rapport sur Tensemble des travaux de
la Société Académique. C'est cette obligation, que je viens rem-
plir aujourd'hui.
Ce devoir m'a été doux , Messieurs , car le tableau que j'ai
à mettre sous vos yeux ne manque pas d'un certain éclat. Les
études provoquées par votre Société , dans la première année
de son existence , au milieu des incertitudes inséparables de
toute création , sont une réponse suffisante aux médisances tou-
jours faciles d'esprits un peu trop sévères pour autrui et un peu
— 71 —
trop indulgents pour eux - mêmes. Votre entreprise a réussi ,
Messieurs, et si votre Société ne s'est ,pas encore signalée
par quelqu'une de ces importantes productions qui demandent
aux corps les mieux constitués un travail continu de plusieurs
aimées, vous avez vécu, vous avez préparé des matériaux, enfin
par vos lectures , vous n'êtes restés étrangers à aucune partie
de la littérature et de la science.
, Le premier, le plus impérieux besoin de Tesprit-humain, c'est
d'échapper de temps en temps aux misères et aux bassesses de
cette vie , en se réfugiant dans nn monde meilleur, dans une
atmosphère plus sereine et plus pure. La poésie répond à ce
désir éternel de l'idéal qui tourmente par instants môme les Âmes
les plus vulgaires. Si les vers nous clfârment et nous transportent,
ce n'est pas seulement parce que la pensée , pressée à la mesure
étroite de la poésie, jaillit plus énergique et plus éclatante ; la
langue du poète est une langue ailée qui permet à l'âme de
s'envoler jusqu'à ces sphères célestes dont Pythagore entendait le
mouvement harmonieux. Dans tous nos sentiments, dans nos
douleurs comme dans nos joies , il y a un élément surnaturel
et divin qui échappe à la langue de la prose et que la poésie
seule peut exprimei^. La poésie est donc l'ornement nécessaire de
toutes les Sociétés littéraires. Elle ne vous a pas manqué. L'aspect
grave et mélancolique de la Bretagne , les souvenirs historique»
de cette vieille province, où les druides ont fait couler le sang
tunfâin , et qui a gardé jusqu'à nos jours ses légendes et se»
ruines , ce tableau toujours intéressant , souvent majestueux ^
nous a été retracé par M. Mauriès. M. Duseigneur nous a dit
la chute de Sébastopol et les merveilles de la paix couronnant
une victoire dont l'éclat est aujourd'hui rajeuni par de nouveaux
triomphes. M. Clérec a préféré raconter en quelques vers deux
de ces anecdotes où se retrouve la gaîté de la basoche , de tout
temps chère aux amis de l'esprit gaulois', et M. Aigues-Sparses ,.
~ 72 -
dans ses Rêveries , ses Souvenirs de Plougastel et la Mort ie
Pétrarque^ a montré la puissance de rimagination poétique , lés
joies réservées aux poètes et les récompenses que le ciel leur
garde , que la terre ne leur refuse pas toujours.
Ce n*est pas s'éloigner beaucoup de la poésie que s'occuper
de métaphysique. Platon est presque le rival d'Homère quand,
dans le Phédon , il compare Tàme à deux coursiers fougueux ,
dont l'un essaie de gravir la sphère céleste, tandis que le second
animé de passions moins pures , se précipite sans cesse vers
les régions inférieures; Aristote nous retrace le plus magnifique
des spectacles quand , dans la métaphysique , il nous montre
l'univers sans cesse attiré par un attrait invincible vers le ciel
immobile, moteur unique vers lequel tout gravite, et aussi où
Dieu repose dans sa lumière manifeste et son éclatante majesté.
Depuis cette époque , l'homme s'est toujours demandé à quoi
servent les étoiles suspendues à la voûte céleste ; tous ces astres
doivent- ils poursuivre éternellement une route inutile , ont-ils la
même destinée que le globe sur lequel nous vivons , et possè-
dent-ils des habitants ? questions souvent agitées et que quelques
esprits plus audacieux ont cru pouvoir résoudre. C'est dans la
bouche de l'habitant d'une de ces planètes que M. Du Temple
a placé un discours sur Dieu, ses attributs, ses perfections , ses
devoirs envers l'homme et la sagesse de son infinie Providence.
Un penseur profond a prétendu que l'humanité était destinée
à passer par trois phases ou évolutions successives : l'état théolo*
gique , l'état métaphysique , l'état scientifique. Ces divisions cor-
respondent à des études essentiellement différentes , et qui sans
doute vivront long-temps ensemble sans qu'aucune exile ses riva^
les, car elles répondent à des préoccupations également légitimes.
Cependant, les sciences qui ont plus spécialement pour objet les
destinées de l'homme en tant que membre d'une société humaine,
comme pro<Jucteur et consommateur, font tous les jours de nou-
— 73 —
veaui progrès , et Téconomie poHUque « née d'hier à peine , a
déjli pHs une place que nul ne lui conteste depuis que des
révolutions ont témoigné de son utilité et de sa grandeur. De'
toutes les questions soulevéea par cette science, il n'en est pas
de plus (Uffîcjle que celle de ralliance du capital et du travail
M. Du Tqmple a donc abordé un problème difficile en traitant
cette question, et peut- être en signalant le rftie que joue
entre ces deux forces celle de TintelUgence trop souvent négligée,
a t4l indiqué un moyen de résoudre le problème.
La critique UttérairQ a aussi produit quelques travaux. L'influence
des livres sur le monde a été étudiée par M. Hauriès. Cette
influence est prolongée et puissante, puisque le monde est mené
par les idées ; mais il ne faut pas oublier que la force gouverne
aussi le oionde, que le hasard a sa part dans les plus grands événe-
ments, et que si Alexandre portait toujours avec lui un Homère,
si la réfonne et la Révolution sont sorties d'un mouvement litté-
raire , ni Romulus , ni Gengiskan , ni Tamerlan ne savaient lire,
enfln que le fer et le feu servent les mauvaises causes avec autant
d'ardeur que les bonnes. Les amours de Laure et de Pétrarque,
la fidélité de ee poète italien pour la femme qui est l'objet per-
pétuel de ses vers , et dont il a chanté la mort après avoir
chanté la vie ont été contestées devant vous et soutenues avec
ardeur par* M. Mauriès, qui a porté dans ses entretiens la viva-
cité d'un disciple cond)attant pour un maître dàétu
Une notice sur l'abbé €boisy vous a révélé un côté curieux
des mœurs du ^7^ siècle. Cet abbé toujours vêtu en feomie,
aimé et recherché dans une société d'élite , n'annonee^t-il pas
déjà la vie facile du -IS^ siècle avec Iqi liberté de ses moeurs
çt son élégant scepticisme? ,r
H. Chabai , dans une éXsià» sur YAnuwfT^ a ^ifichdet , vous
a signalé une autre tendance. C'est celle qui, dans notre siècle,
permet par la plus étrange confusion de trani^rt^ l'idéal où
40
' ^ 74 -
il ne saurait toujours avoir sa place, et de compromettre la morale
en la mêlant trop souvent aux caprices de la passion ou de la
fantaisie. La médecine jetée de vive force dans Tamour, la pitié
énervante mise à )a place des austères devoirs qu'impose le
mariage , tel est le secret de la faiblesse d'un livre ou Tauteur
n'a pu cependant ne pas mettre son amour du beau , sa sym-
pathie pour les faibles et des pensées souvent profondes, revêtues
des charmes d'un langage incomparable.
L'Histoire proprement dite, avec les sciences qui s'y rattachent,
l'Archéologie , la Géographie , devaient occuper plus long-temps
votre attention. Une étude de M. Dottin sur les galères au M^
siècle vous a rappelé comment Oolbert et les Intendants orga-
nisaient la chioufme pour les besoins de la Mariné. Les origines
de la Bretagne , les noms des populations primitives du Finistère
ont été sérieusement étudiées par M. Duseigneur. M. Levot
vous a détaillé l'histoire de la fondation du port de Brest sous
Richelieu ; vous avez vu comment ce puissant établissement était
presque ruiné, quand Colbert lui rendit k vie et le mouvement.
Le récit de l'attaque de Camaret par les Anglais, et des efforts
que fit alors Vauban pour défendre les côtes et le port de Brest,
vous a amenés à étudier attentivement une question agitée dans
un long et sérieux débat entre MM. Dauvin , Levot et Pilven ,
sur l'origine des fortifications de Brest, la part prise aux travaux
par les ingénieurs Féry et Sainte-Colombe , les murs élevés par
eux, ceux que Vauban a dû commencer lui-même ou qu'il n'a
eu qu'à compléter. Vous ne vous êtes pas prononcés dans lé
débat , vous n'aviez pas à lé 'faire. Une étude approfondie peut
seule mettre fin à de pareilles discussions. Pour une Société
Académique , c'en est assez que de l'avoir provoquée. Enfin,
M. Dauvin nous à retracé un rapide résumé des rencontres qui
avaient eu lieu au 48« siècle entre les flottes anglaises et fran*
çaises. C'était encore faire l'histoire de Brest,
- 75-^
L* Archéologie a eu un fidèle interprèle dans M. Fleury. Le
canon indien, dont les tronçons ornent la porte de la Direction'
d'Artillerie de Marine , la plaque en plomb trouvée à Recou-
vrance , portant les armes du comte d'Estrées , et rappelant la
fondation de Thôpital de Recouvrance , Téglise des Carmes ,
la Bibliothèque de la ville, ont été le sujet de mémoires que
vous n'aveE pas oubliés. L'abbaye de Landévennec et la légende
du Folgoet ont été aussi , de la part de M. Levot, l'objet d'une
notice depuis livrée à l'impression.
La Géographie et l'Histoire naturelle ont aussi occupé votre
assemblée. Aux rapports de M. Jardin sur les travaux de
MM. Crouan , travaux déjà approuvés par l'Institut et qui
n'ont pas besoin de nos éloges , sont venus s'ajouter d'intéres-
sants mémoires de M. Jouan , lieutenant de vaisseau , sur lu
pèche de la baleine, les Iles de l'archipel Hawaïen, les îles Chin-
chas et la formation du guano ; M. Cuzent vous a aussi adressé
une notice remplie de faits précieux sur Taïti , les productions
de cette île, les avantages qu'on en a déjà retirés et ceux qu'on
pourrait en tirer encore pour le commerce et pour la marine.
Enfin, M. Delavaud vous a lu une note curieuse sur les anciennes
forêts sous-marines qui couvraient les côtes de Bretagne et phas
spécialement sur celle dont il a cru retrouver les traces dans
la baie de Sainte-Anne.
Deux fragments d'un ouvrage sur l'hygiène en Bretagne, une
note de M. Caradec sur les conditions de l'air atmosphérique ,
voilà la part de la médecine. Les sciences pures elles-mêmes
n'ont pas été tout-à fait négligées. Les notes de M. Riou-Kerhalet
sur un mémoire de M. Pilven concernant l'emploi des miroirs
paraboliques et sphériques combinés , les extraits qu'a faits
M. Garnault, du MecanicKs Magazine et du T^autical Magazine^
ont reçu de vous un accueil qui doit encourager à suivre ces
exemples.
- 76 -
Cette revue rapide de vos travaux ne peut en signaler que le
notiibre plutôt que rimporlance ; vos souvenirs suppléeront à ce
qu'elle a de trop bref, et vous reconnaîtrez sans peine que tous
les travaux dont les titres seuls vous sont rappelés aujourd'hui
représentent de sérieuses et nombreuses études.
Tels sont, Messieurs^ les résultats déjà évidents de votre Société.
Il en est d'autres qui se manifesteront plus tard ; vous vous êtes
réunis, vous avez mis en commun et vos connaîssanccâ et ce
besoin de s'instruire qui est le signe des âmes élevées ; vous
avez vu se rapprocher de vous des Membres correspondants dont
quelques-uns portent un nom déjà consacré par la science. Enfin,
vous avez , si j'ose le dire, créé un nouveau centre intellectuel ;
c'est là, Messieurs , un glorieux résultat, et vous avez le droit
de vous en montrer fiers.
Vous ne pouvez mieux faire , d'ailleurs , pour vous associer
au mouvement général qui éclate en France aujourd'hui ; par-
tout des Sociétés savantes s'organisent : partout des hommfô
dévoués à la science marchent à la conquêts du passé pour préparer
l'avenir. C'est là un spectacle toujours magnifique, mais qui em-
prunte aux circonstances une nouvelle grandeur. Il est des heures
solennelles où la parole semble n'appartenir qu'aux événements.
Tantôt c'est une nation qui , détachée de son passé , incertaine
de son avenir, semble se chercher elle-même, et s'agite dans de
fécondes mais douloureuses révolutions. Tantôt ce sont les luttes
de l'industrie et les fureurs de la spéculation qui semblent emporter
un peuple tout entier. Souvent enfin , la voix du canon couvre
toutes les autres, et l'on n'entend plus que le bruit des armes.
Cependant il reste toujours des hommes dévoués à l'étude , qui
poursuivent en silence les travaux d'une vie consacrée aux lettres
et aux sciences. Ils savent qu'en définitive c'est par là que
vivent les nations. L'histoire sait à peine le nom de celles qui ont
été les plus puissantes, quand la gloirç littéraire leur a manqué,
— 77 ~
et une ville de quelques milliers d*âmes , Athènes et Florence ,
tient plus de place dans les annales de Thumanilé que Ninive et
Babylone, un moment maîtresses de F Asie. Les lettres honorent
et protègent les natioqs. U y a trente ans , c'est le souvenir de
Démosthène et de Platon qui a donné Findépendance à la Grèce
moderne. Hier encore, si l'Europe émue suivait d'un regard atten-
dri nos armées triomphantes à Magenta et à Solferino , n'est-ce
pas que , défenseurs de la plus sainte des causes , les dignes
descendants des vainqueurs d'Austerlitz et de Marengo allaient
délivrer un pays illustré par de grands génies , n'est - ce pas
parce que l'Italie est la patrie du Dante , de Pétrarque et de
Michel-Ange. C'est surtout aux Français qu'il appartient de pro-
clamer cette grande et noble vérité. Seuls , de tous les peuples
du monde , nous avons déjà quatre siècles de gloire littéraire ,
et celle terre privilégiée qui a déjà produit tant de grands écri-
vains depuis Rabelais et Montaigne jusqu'à Lamartine et Victor
Hugo , ne parait pas près de s'épuiser. Travaillons donc , Mes-
sieurs , dans la mesure de nos forces , à conserver et agrandir
le dépôt de lumières qui nous a été confié. C'est là une œuvre
dans laquelle nul n'a le droit de se reconnaître incapable et
inutile ! Tous les efiTorts méritent une égale estime , et nul ne
demeure sans récompense. Avec de la persévérance , la Société
Académique de Brest aura sa part dans^t^^ utiles et sérieux
résultats qu'obtiennent de tous côtés les Sociétés savantes.
H. REYNALD.
-^<-.
Ail sein de la forêt où Tarbre séculaire
Cache dans ses rameaux un ravissant mystère ,
C*est un grand jour de fêle au bord du nid charmant ,
Frêle et timide encore , un jeune oisean s'apprête ,
Pour la première fois , k faire la conquête
De l'air, son élément.
Avant de se laisser guider par le Zéphyre ,
11 jette un œil craintif sur son nouvel empire.
Séduit par l'inconnu , redoutant le danger,
11 contient les premiers battements de son aile ,
Puis il se lance au sein du gouffre qui l'appelle,
Qui l'appelle à plonger.
- 79 -
Abrilez-le , rameaux I Sois lui douce , 6 Nature !
Maintenant, il est roi des airs, de la verdure.
Et Faquilon docile au jeune audacieux
Le porte comme un trait bien loin de sa feuillée ,
Bien loin du bois obscur, bien loin de la vallée ,
Jusqu'au plus haut des cieux.
Chêne antique , où du ciel il louchait k la terre.
Frais berceau suspendu par Tamour d*une mère ,
Palais aérien oii reposait son nid ,
Du haut de son domaine , il vous voit et s'élance
Dans les champs de Tazur, dans le voyage immense
A travers Tinfini !
Oh ! Finfini des airs, TOcéan sans rivage ,
La coupe inépuisable au céleste breuvage ,
D*où s'épanchent toujours le désir et Tespoir,
C'est du chétif oiseau la volupté profonde !
C'est là son lot , son but , son destin dans le monde ;
Tout embrasser, tout voir !
A rOxient blanchi , lorsque l'aube est éclose ,
Jl voit verdir la feuille , il voit s'ouvrir la rose ,
Il voit le fruit mûrir et germer le sillon.
Dans la coupe d'argent de la fleur arrosée
Par les pleurs de la nuit, il puise la rosée
Avec le papillon.
11 se pose au sommet des sombres pyramides.
n effleure en passant , de ses ailes humides ,
La blanche cataracte et le gouffre écumant ;
Puis il va comparer quelle onde est la plus pure ,
De la mer qui mugit , du ruisseau qui murmure -
Ou du beau lac dormant.
- 80 —
11 visite îe bois peuplé de calme et d*ombre ,
La ville , autre forêt aux murmures sans nombre ,
Et la verte savane et les brûlants déserts.
Sur le mât du vaisseau parfois il se délasse ,
Quand du mouvant sillage il aperçoit la trace
Au sein des vastes mers.
Puis il reprend son vol , il m<»nte , il monte encore ,
Il dépasse Téclair! — Dans les feux de l'aurore
Il se plonge en chantant aux torrents du soleil.
Dans un essor «ans borne il trouve la jeunesse ,
El la force , et la vie et rélemelle ivresse
Dans un rayon vermeil !
Au-dessous de ses pieds l'invisible alouette
Voit fuir le beau nuage et sans cesse répète
Jusqu'au plus haut des airs son hosannah joyeux.
— Ici-bas, l'homme esclave en sa prison de fange
Entend le chailt divin , et se dit : « C'est un ange
» Qui chante dans les cieux ! »
II.
— Oui« l'oiseau dans les cieux, et Thomme sur la terre
Et quand l'oiseau poursuit ai chanson solitaire ,
Nous continuons, nous, notre destin puéril,
Nos sarcasmes impurs, nos tristes utopies.
Nos émeutes, nos pleurs, nos blasphéoies ispics ,
Fruits amers de l'exil... .
~ 81 —
Mais un jour cependant, tout meurtri de ses chaînes,
1/homme, pour oublier les tortures humaines,
Jeta ce cri plaintif: « Oh! si j'étais oiseau!... m
€e doux rêve sécha les larmes maternelles :
Quand son enfant n*est (^s, la femme voit des ailes
A l'ange du berceau.
Quand la Grèce enchantée^ où le marbre palpite.
Où le rêve est partout , pour Tàme sans limite »
Veut trouver k son tour un symbole caché ,
Elle donne aussitôt h Tidéal lui-même
Invisible et divin, un ravissant emblème :
Des ailes à Psyché i
Des ailes î... N'est-ce pas sur ces rapides flammes,
Sur des ailes d'azur, que s'envolent nos âmes ,
Quand soudain nous nageons sur un trait du soleil ,
Qu'à nos regards de feu l'infini se révèle ,
Et que l'immensité devant nous ét^icelle
Dans la nuit du sommeiil
Ohl voir rouler sous soi les sphères transparentes.
Et parler et sourire aux planètes brûlantes ,
Quel rêve !... — et quel réel aura de tels attraits ?=.. •—
Amis , ne troublez point ma vision chérie...
Oh I ne m'éveillez pas î Laissez-moi , je vous prie :
Ne m'éveillez jamais !
Mais quoi ! voici le jour : le soleil de la terre
Vient frapper mes regards d'une froide lumière ;
La cloche me rappelle au labeur suspendu.
Je retourne k la vie , k l'exil , k la tombe...
De mon ciel flamboyant , hélas ! je roule et tombe :
Mes ailes ont fondu !
il
— 82 —
Esl-ee une Tîsionî... N'était-ce qu'un mensonge?
Lequel est le réel? £i leqilel e6t le songe ?...
Ravissement des nuits, doux mirages du ciel,
Si vous éliez pourtant 1 Si Thomme, un jour, sans voiles,
Boit ë'élancer vers Dieu d'étoiles en étoiles
Dans un ?el éternel !
— ^ Non, ce ri*est point un rêve ! — Ici-bas quelque chose
Nous dit que noire vie au tombeau n*est paâ cloâé ;
ûu'ici l'homme est esclave, et Ik-haut qu'il est roi.
A travers nos brouillards , quelle étrange lumière î
Tout s'éclaire k me& yeux... Ô terre, ô sombre tefre,
L'affreux rêve , c'est loi I
flippoLTTE AIGUËS -SPARSES.
Une Monnaie de FEmperenr Gratien.
Poids 4ér 50,
li appartient t(UK Memlires de3 Sociétés djB provifioe , et spécia-*
lement à ceux qui s'oQcupent 4'^tu(l69 numisinatiques, ie reoueilljif
et de qotcr avec soin les découvertes de monnaies qui peuvent
se faire aux environs des lieux qu'ils habitent;
Cest à ce Utre que je deinande la permission 4e communiquer
à la Société une monnaie 4*pr de T empereur Gratien , trouvée
près jde l-annilis , daps le cour^pt de celle apn^e , eq extrayant
de la tourbe dans \xn marais situé entre ce bourg et celui de
Plouvien.
Cette pièce est dans un état de parfaite conservation , bien
qu'elle porte une légère trace du coup de pelle qui .Fa rendue
'
— 84 -
à la lumière : c'est le solidus ou sol d'or qui eut cours dans
tout Tempire, à partir du règne de Constantin, et qui se main-
tint , sans variation de poids ou de forme , jusqu'à la chute
de Tempire d'Occident. — Celui-ci présente au droit reffigie
de l'empereur, la tête ceinte du diadème, avec la légende :
DN. GRATIANVS P.F. IMP. ( Dominus noster Gratianus pins
félix imperator) ; — au revers , deux personnages assis sur le
même siège soutiennent entre leurs mains un globe, symbole de
l'empire du monde ; au - dessus d'eux parait une figure de la
victoire aux ailes étendues : ce type est accompagné de la
légende : VICTOR -lA AVGG. (Victoria augustorum). On peut
y voir une allusion à la victoire remportée par Gratlen sur la
tribu germanique des Alemani , dans une localité voisine de la
ville actuelle de Colmar , victoire éclatante où l'armée romaine ,
secondée par les guerriers de Mellobaude, roi des Francs, infligea
aux Barbares une sanglante défaite. On lit à l'exergue les cinq
lettres TR OB T : les deux premières sont les initiales de
Treveris , Trêves , lieu où la monnaie a été frappée ; cette ville
était, on le sait, l'une des principales cités de la Gaule au temps
de la domination romaine ; de même qu'Arles et que Lyon ,
elle possédait un atelier monétaire qui a dû être très actif, car
les produits en sont abondants dans la plupart des dépôts de
monnaies romaines. Les lettres OB qui suivent sont deux notes
numérales grecques qui ont la valeur du nombre 72 : elles avaient
pour but d'indiquer que Fon taillait 72 pièces de même poids et
de même valeur dans une livre d*or. Cette explication , long-
temps douteuse, est admise aujourd'hui par la plupart des numis-
matistes ; elle est confirmée, d'ailleurs, par une loi qui fait partie
du Code Théodosien et par une ordonnance rendue en 367, sous
le règne de Valentinien I^r. Enfin, la lettre T doit être considérée,
suivant l'opinion de M. le marquis de Lagoy, qui , en pareille
matière fait autorité, comme l'indication de la troisième officine
~ 85 -
monélaire ( iertia officina ) de la ville de Trêves : il est cerlain^
en effet , que dans chaque ville importante où l'on battait mon-*
naie , il y avait à la même époque plusieurs ateliers dont les
émissions étaient distinguées , suivant le cas , par les initiales
des mots prima, seounda, tertia, quarta ( officina ) , quelquefois
môme , mais rarement , par ces mots écrits en toutes lettres.
Des deux personnages assis au revers, Tun esl Tempereur à
Fefflgie duquel la pièce a été frappée ; l'autre , de plus petite
taille , est son jeune frère , Yalentinien II , qu'il avait associé
à l'empire avec le titre d'Auguste , à l'âge de quatre ans , et
auquel il avait donné en partage l'Italie , l'IUyrie et l'Afrique.
Nous pensons que la monnaie que nous avons sous les yeux
a dû , en raison du type qu'elle présente au revers, être frappée
avant l'époque où - Gratien , cédant aux suggestions de saint
Ambroise crut devoir ordonner à Rome la démolition de l'autel
de la Victoire : évidemment, il n'aurait pu sans une sorte d'incon-
séquence , après une attaque aussi directe contre Tancien culte ,
conserver sur ses monnaies une représentation qui eût tendu à
le remettre eu honneur aux yeux de ses sujets et à perpétuer
ainsi des préjugés qu'il devait condamner comme chrétien.
Gratien régna sur l'Occident depuis Tan 375 jusqu'en 383 ,
époque où il périt à Lyon sous les coups de ses soldats révoltés.
Quoique né à Sirmium, en Panonnie, il fut, on peut le dire, un
empereur à peu près exclusivement Gaulois. Il avait été l'élève du
poète Bordelais Ausone, et ce fut dans la ville d'Amiens que son
père l'associa à l'empire : il fit sa résidence habituelle de la Gaule
où il contribua par ses institutions à développer le goût et la
culture des lettres et il en défendit avec persévérance les fron-
tières assaillies sur le Rhin par les invasions des barbares. Enfin,
son règne est marqué par l'un des événements les plus considéra-
bles pour l'histoire du pays que nous habitons. C'est , en effet ,
dans l'année 383 que Maxime, soulevant dans la Grande - Bretagne
— sc-
ies légions romaines qu'il commandait, envahit avec elles les côtes
de l'Ârmorique ; il amenait à sa suite de nombreux auxiliaires
Bretons sous la conduite d'un chef du nom de Conan. Nous
n'avons pas à rechercher ici si ces auxiliaires n'avaient pas été
précédés déjà par de nombreuses émigrations venues de la Bre-
tagne insulaire ; toujours est-il que laissés à la garde du payu
conquis, ils ne tardèrent pas à s'y soustraire à la puissance romaioe,
«t c'est à partir de cette époque , c'est-à-dire à partir des pre-
mières années du cinquième siècle, que la Bretagne commence
à prendre place dans l'histoire comme Etat indépendant,
J-ai cru pouvoir rappeler ces fait3 gommalroment , parce qu'ils
donnent un intérêt particulier à cette monnaie , qu'après bientôt
quinze siècles nous retrouvo^ dans le sol de notre dép^rtoinent,
telle que l'y apportèrent les partisans de Maxime ou que l'y
ont laissée les soldats de Gratlen , (ayant l'invasion,
DENIS -LAGARDE.
Brest, Décembre 1859.
->•<-
LA MAISON DE L'ESPION
A hàMmofi
PRÈS DE REGOUYRANGE.
Par suite d^uûe erreur généraleme&t accréditée à Brest, la
petite maison située sur la côte» à un quart de lieue de Recou<
vrance, et couuue sods le nom de maison de t Espion , tirerait
ce nom de ce qu'elle aurait été occupée par un officier écossais,
nommé Alexandre Gordon , décapité à Brest, comme espion , le
2i novembre -1769. Gette dénomination lui est venue en réalité
de ce qu'en -1707 elle était habitée par un marchand chamoiseur
ou corroyeur, qui en avait fait un poste d'observation des mouve-
ments de la rade et du port, mouvements dont il donnait connais-
sance à des Français que Tédit de Nantes avait contraints de
s'expatrier. Pour s'en convaincre, il suffit de recourir à la procé-
- 88 -
dure instruite contre ce marchand et son complice, procédure
qui existe au greffe des tribunaux maritimes da port de Brest,
et dont nous présentons ici Fanalyse.
M. Du Guay, Intendant de la Marine à Dunkerque , ayant
intercepté , dans les premiers jours de mars -1707, une lettre
datée de Landerneau, le 2- du même mois, et l'ayant trouvée
suspecte, renvoya à M. de Pontchartrain, ministre de la Marine,
lequel la transmit, le ^6, à M. Robert, intendant à Brest, en
le priant de rechercher si le signataire, François Lafontaine,
ne serait pas un espion résidant , soit à Landerneau , soit à
Brest , et dans Tun ou l'autre cas , de le faire écrouer au châ-
teau de cette dernière ville.
Six jours après , M. Vergier, commissaire ordonnateur de la
Marine à Dunkerque , fit , à 6 heures du matin , en compagnie
de M. Duchesne , aide-major de la ville , du sieur Potier, prévôt
de la Marine, de cinq archers et de six grenadiers du régiment
Royal , une descente dans une maison située sur la place aux
volailles. Il y trouva un nommé Marquis , qui était couché avec
sa femme , et qu'il fît immédiatement conduire à la citadelle ,
après avoir saisi tous ses papiers et les avoir réunis dans douze
liasses dont une renfermait 21 pièces en parchemin.
Extrait de sa prison, Marquis fut interrogé pendant trois
journées consécutives (22, 23 et 24 mars) par M. Du Guay,
qui le fit conduire à son hôtel, où une indisposition le retenait
alité.
Le premier jour, après avoir déclaré qu'il se nommait Louis
Marquis , qu'il était âgé d'environ cinquante ans , et qu'il était
né à Aubonne, canton de Vaud (Suisse ) , le prisonnier raconta
sa vie de la manière suivante. Sorti de son pays depuis plus
de trente ans, il avait d'abord servi comme soldat dans le régi-
ment suisse de Salis , où il avait obtenu , après la prise de
Cambrai, un congé resté dans ses papiers de famille à Aubonne.
— 89 --
Les dix années suivantes , il les avait passées chez hii , vivant
du revenu d'une portion de maison , et partageant la table de
sa mère et de son frère. S'étant rengagé , d'après les conseils
de ce frère, il avait servi dans un autre régiment suisse, comme
Tattestait un congé trouvé dans ses papiers. Venu ensuite à Dun-
kerque , il s'était décidé à s'y établir et à y exercer, de 4695
à -1706, le métier de peintre pour lequel plusieurs personnes lui
avalent reconnu des dispositions. Obligé d*y renoncer, par suite
de raffaiblissement de sa vue, il avait, pendant l'année précé-
dente, tenu une auberge, qu*il avait également abandonnée. Quatre
ans aprè$ son arrivée à Dunkerque , il s'y était marié à une veuve
dont il n'avait point eu d'enfants.
Les dernières réponses de Marquis ne satisfirent que médio-
crement M. Du Guay, qui le pressa de questions sur ses moyens
d'existence. Après avoir d'abord prétendu qu'il recevait parfois
de l'argent, soit d'un de ses frères, soit d'un de ses fermiers,
il ne put ni préciser le nom de ce fermier, ni indiquer le prix
de son fermage. Il n'avait jamais, dit -il, pris souci de oes
détails , pas plus que des noms de ceux qui lui faisaient des
remises de fonds. Une contradiction qui lui échappa mit sur la
voie de l'origine de ces remises, il convint qu'elles lui étaient
expédiées par un sieur Goddon .Gram , banquier à Genève, lequel
les adressait à M. Caillaud, (\) de Rotterdam, après quoi ce
dernier les transmettait à un f^ère ou à un ami qu'avait à Rotter-
dam un sieur Butler, marchand de Dunkerque, lequel en tenait
compte à Marquis. Interpellé de déclarer s'il avait entretenu
quelque correspondance avec Caillaud, il répondit qu'il lui avait
écrit dans des moments de gêne pour en obtenir des secours.
(i)OQze ans auparavant, un mémoire du lieutenant de police de la
Reynie , transmis k M. Desclouzeaux , intendant de la Alarme à Brest,
signalait déjà ce Caillaud comme soudoyant des espions dans celle ville.
(Lettre de M, Desclouzeaux du 4 juin 1696.)
42
- 90 —
Cette réponse amena naturellement de nouvelles questions et»
après maintes tergiversations» Marquis finit par avouer que
l'argent qu'il avait reçu depuis trois ans lui avait exclusivement
été envoyé par M. Gaillaiid, calviniste , réfugié à Rotterdam,
où il exerçait la profession de banquier, et où lui Marquis avait
fait sa connaissance. Voici à quelle occasion. L'année môme où fut
signée la paix de Riswick, Marquis serait allé dans cette ville sur ua
smack chargé de trois tonn^ de harengs-saurs lui appartenant. Sur
rindication d'une femme qui faisait la traversée avec lui » il se
serait mis en rapport avec Caillaud , qui lui aurait procuré le
placement de ses harengs , et auquel il en aurait donné trois
cents à titre de commission. Sur sa déclaration de n'avoir plus
revu cette femme et de ne pouvoir faire connaître son nom , il
lui fut objecté que ce prétendu voyage et le commerce de harengs
étaient difficiles à concilier avec sa précédente afi&rmation de
n'être jamais sorti de Dunkerque depuis dix ans , et d'y avoir
cônstatnment exercé , soit la profession de peintre , soit celle
d'aubergiste. Il tetita bien d'éluder la difficulté de sa position en
disant que ces deux circonstances étaient sorties de sa mémoire 1
mais il se trouva fort embarrassé, lorsque M. Du Guay lui fit
observer qu'il y avait peu d'apparence que Caillaud, parce qu'il
avait reçu tm cadeau de harengs , qui n'était d'ailleurs que le
prix d'un service rendu, se fût cru obligé de le reconnaître
ensuite par l'envoi d'une somme de «00 livres en trois ansv Ces
600 livres , avoua alors Marquis , était la récompense des bons
offices qu'il rendait depuis le commencement de la guerre à Cail-
laud , en recevant de lui des lettres qu'il faisait tenir à droite
et à gauche , et en lui transmettant celles qui , portant pour
suscription le nom de Louis Chapiot, étaient expédiées de divers
endroits à Caillaud. Croyant atténuer les conséquences de cet
aveu , il essaya de le restreindre à l'envoi de quatre lettres,
reçues de Caillaud, sous double enveloppe, à la destination d'un
— 91 —
nommé Jouslain, marchand chamoiseur à Brest. Une récompense
de 600 livres pour recevoir et réexpédier une lettre par an sem-
blant toujours à M. Du Guay hors de proportion avec le service
rendu , Marquis, sur sdn interpellation > convint que , depuis le
commencement de la guerre , il avait bien reçu chaque mois
deux lettres du nommé Louis Ghqtiot , de Rotterdam. Aussitôt
on lui représenta une enveloppe qu'il reconnut être de récriture
de Jouslain , lequel , dans la seule lettre qu'il en avait reçue
personnellement , l'avait prévenu que toutes celles qui seraient
expédiées de Brest seraient à destination de Caillaud; Marquis
avoua ensuite aivoir reçu de ce dernier, en divers paiements ,
une somme de 900 livres. Son interrogatoire se termina par
l'interpellation de déclarer s'il ne connaissait pas à Landemeau
on à Brest un nommé François Lafontaine. Sa réponse fut
négative.
Interrogé de nouveau dans raprès*miâi du même jour, il
reconnut avoir reçu dOQ livres de Caillaud par un int«*médiaire
autre que celui de Butler ; que Gailland s'était engagé à lui
payer annuellemeùt une somme de 600 livres ; et prétextant une
mémoire défectueuse , il avoua avoir reçu indépendamment des
sommes dé^ dédaréeâ , d'abord cdle de 300 livres par l'entre-
mise d'un marchand hollandais, dompé Pitre Vanstabel» ensuite
celle de 200 livres d'un mardiand anglais , nommé Hereford ;
établi à Dunkerque. Enfin , recueillant ses souvenirs, il croyait
se rappeler que Butler lui avait compté , noQ pas 600 livres ,
mais bien 900.
Le lendemaih , 23 , llnlerrogatoiré de Marquis continua et
amena de nouyeiles révélations. Le congé du 44 juin 4696 lui
avait été délivré devant Nieuport, au camp où se trouvait alors-
le général Fagel, àla condition qu'il irait exécuter la convention
par lui conclue, trois mois aiq)aravant, dans un cabaret de Bruges,
avec un individu qui s'était donné pour un sieur Morin, associé
— 92 -
de Caillaud, mais qui, en réalité, n'était autre que Daniel Vloffier^
marchand horloger à Genève. D'après cette convention sous*
ente en présence de M. Morlot , son capitaine , Marquis s'était
obligé à se rendre à Dunkerque pour observer les mouvements
de ce port et en rendre compte à CalUaud , de qui il recevrait
des ordres ultérieurs. Â l'expiration des trois mois, son capitaine
lui remit son congé. En passant par Bruges, Marquis s'aboucha
une seconde fois avec Yiollîer, qui lui réitéra la promesse d'une
pension annuelle de 200 écus et lui donna trois louis d'or avec
l'adresse de Gaillaud. De son côté, il renouvela l'engagement
de rendre compte à ce dernier, deux fois par mois, de tout ce
qui se passerait à Dunkerque. Ayant, à la faveur de son congé,
franchi les avant-postes français , il pénétra dans Dunkerque en
se mêlant à la foule attirée dans cette ville par la kermesse qui
s'y célébrait le jour de la Saint-Jean, et fut réduit, faute de lit dispo-
nible dans aucune- auberge, à coucher sur le plancher d'un cabaret
de la basse ville. Ayant rencontré quelques soldats du régiment
suisse de Courten , il entra en relations avec l'un d'eux , Joseph
Charnier, savoyard et peintre de profession. Ce Chsffnier, alors
employé à peindre les casernes de la ville , lui donna du * travail,
le nourrit et le logea pendant trois mois , puis , au bout de
ce temps, ayant été congédié lui-même, il ouvrit avec Marquis
une boutique de peintre. C'est alors seulement que celui d com-
mença l'exécution de son engagement envers Gaillaud, auquel
il n'aurait toutefois rendu compte que des entrées ou sorties de
navires, aiosi que du nombre des bâtiments en chantiers. Pen-
dant les trois années qu'il avait été l'associé de Charnier, il
avait, afin de détourner les soupçons, fait partie de la compagnie
de la Vala. M. Du Guay lui ayant demandé si ce n'était pas
dans ce but qu'il s'était fait catholique, il répondit qu'ayant formé
le projet de se convertir bien avant son arrivée à Dunkerque,
il avait été aifermi dans cette résolution par de bonnes lectures ,
-. 93 -
par les sermons qu'il avait entendus et par la fréquentation du
servîee divin.
On marchait à grands pas vers rentière découverte de la
vérité. Le dernier interrogatoire de Marquis dissipa tous les doutes.
La représentation d'un carnet qu'il reconnut lui appartenir et
contenir la mention de ses recettes , l'amena à convenir que ,
du 9 septembre n02 au V juin 4703, il avait reçu de Rotter-
dam six lettres: destinées pour Brest.
Sur ravis qui fut immédiatement expédié dans ce pori du
résultat de ces interrogatoires , une descente fut opérée le 30
mars , à dix heures du matin , par M. de Gaumont , prévôt de
la Marine, et trois archers, dans une petite maison sur le bord
de la mer^ à un quart de lieu de Recouvrance , c'est-à-dire à
Laninon. Deux individus, Jouslaia et sa femme, Perrine Blan-
chard , étaient assis près du feu , lorsqu'on les saisit. Le mari
fut immédiatement écroué au Château , et la femme à Pontaniou.
Ce Jduslain, âgé de 67 ans, était né à Niort, en Poitou ;
il exerçait la profession de chamoiseur et avait abjuré depuis
•1682 la religion protestante à laquelle il semble néanmoins qu'il
était resté intérieurement fidèle. Il était établi à Brest depuis dix
ans. Parmi les papiers trouvés chez lui au moment de son arres-
tation, il y avait deux lettres qu'il venait d'écrire le jour même ;
elles étaient datées de Quimper- Corentîn, le 30 mars 4707, signées
François Lafontaine , et renfermées dans une enveloppe portant
le nom de Marquis. Il se reconnut l'auteur de l'une et de l'autre.
La première était destinée à Chapiot , c'est-à-dire à Caillaud ,
et la seconde à Daniel Viollîer , marchand orlogeur à Genève ,
parti depuis huit ans de Brest , où il avait exercé la même
profession. Le premier jour, toutes les réponses de Jouslain
furent évasives. Le lendemain, il fut plus explicite. Il con-
vint que, depuis sept ans, il donnait régulièrement connais*
sance à Chapiot et à YioUier, dfes armements qui se faisaient à
— 94 ~
Brest, et que pour sa correspondance il se servait' d'une eau
d'alun dont il tenait la recette de ce dernier, qui lui faisait
des envois de fonds au moyen de lettres de change fournies
sur des marchands db Brest par les sieurs Vasse et Boissauvé,
marchands , rue Saint-Denis , à Paris. Deux lettres saisies à la
poste le ^7 avril et le 8 mai confirmèrent l'exactitude de cetle
partie des aveux de Jouslain. La première, datée de Paris le f3
avril > et écrite par un sieur Verchère , contenait une lettre de
change tirée par M. Vasse, marchand bonnetier, sur M. Raby,
marchand à Brest ; elle était payable à l'ordre de Jouslain et
causée valeur reçue de ViolUer. La seconde, de -100 livres,
tirée par M*' Vasse , était renfermée dans une lettre signée
Louis Bordes.
Les autres réponses de Jouslain n'apprirent rien d'essentiel, si
ce n'est que Viollier lui faisait une pension annuelle de 400 livres.
Sur les autres points, il se renferma dans une dénégation com-
plète. Toutefois, il se montra très abattu et très inquiet, ce qui
détermina à différer son troisième interrogatoire, dans la crainte
qu'en augmentant son désespoir on n'échouât dans la découverte
de ce qui restait à apprendre. Décrétés de prise de corps, le 27
avril , Jouslain et sa femme furent de nouveau interrogés. Le
mari , très affligé et très repentant , confessa ses intelligences
avec Viollier et avec Chapiot , par l'intermédiaire de Marquis.
Quant à Perrine Blanchard , on n'en put rien obtenir qui char-
geât ou elle-même ou son mari.
Bien que des réponses de Jouslain et de cdles de sa femme,
pas plus que des dépositions des témoins entendus, il n'eût jailli
aucun indice contre Philippe Jouslain, issu d'un premier mariage
de l'accusé, il n'en fut pas moins arrêté et décrété d'accusation >
mais ses réponses fermes et nettes, no purent fournir matièïreà
inculper soit lui , soit son père.
- 9S -
La procédure était dirigée à Brest par H. Robert , intendant
de la Marine , cpmmis à cet effet par un arrêt du conseil du
^0 avril n07. Mais le Ministre voulait que Marquis fut jugé et
exécuté à Dunkerque. M. Robert et ses assesseurs, les Juges
royaux de Brest et de Recouvrance , représentèrent que la dis-
jonction de la cause serait insolite , aussi bien que Teiécution
hors du lieu de la condamnation. Le Ministre se rendit à ces
raisons et fit transférer Mafquis à Brest , où , à son arrivée ,
il fut incarcéré au Gb&teau. Une nouvelle procédure , conunune
à tous les accusés eut lieu, et après les récolements et con-
frontations d*usage, elle se termina, le 25 mai, par la condam-
nation à mort de Marquis et de Jouslain qui, avant d'être pendus ,
durent subir la question ordinaire et extraordinaire, et faire
amende honorable , la tête et les pieds nus , en chemise , une
torche à la main , avec deux écriteaux portant les mots traiirc
et espion , Tun sur la poitrine , Tautre sur le dos , devant la
porte principale de Téglise Saint-Louis. Il fut sursis au jugement
de la femme et du fils d<3. Jon^ain jusqu'à ce que ce dernier
eût subi la question que Ton comptait bien devoir procurer des
charges contre ses co-accusés.
Après que les.deux condamnés eurent entendu, dans la sacristie
de la chapelle de Pontaniou, la lectuire de leur sentence, deux des
juges , assistés du greQer, procédèrent de nouveau à leur inter*
rogatoire et exigèrent d'eux le serment d^^ dire la vérité. L'un
et l'autre déclarèrent n'avoir rien à ajouter à leurs aveux. Ils
furent alors successivement déshabillés et placés par le question-
naire sur un siège auquel ils furent liés par les bras et par les
jambes , puis sommés itérativement de dire la vérité. Cette som-
mation fut renouvelée avant chacune des six applications du feu
qu'ils eurent à souffrir. L'i douleur leur arracha des cris , mais
elle ne put amener à obtenir de nouveaux aveux de Marquis.
Entre la cinquième et la sixième application , il répéta que ,
^ 96 -«
quelques tourments qu'on lui fit endurer, sa conscience ne lui
permettait pas de dire autre chose que la vérité, et qu'il n'avait rien
' à ajouter aux réponses consignées dans ses divers interrogatoi-
res. Après une dernière application -du feu, il fut détaché et
remis sur la sellette , puis après qu'on lai eut encore fait prêter
le serment de dire la vérité, et qu'on lui eût relu ses réponses
précédentes, on le somma de nommer ses complices. Il protesta
qu'il n'en avait pas d'autres que ceux déjà désignés, et qu'à
moins de substituer le mensonge à la vérité , ce dont il n'avait
^ garde dans la situation où il était, il ne pouvait rien changer
à ses réponses , toutes fidèles et exactes.
Jouslain, déjà très abattu avant la question, dit tout ce que
l'on voulut. 11 confessa non-seulement qu'il avait eu des. intelli-
gences avec Marquis , Chapiot et Viollier, mais encore que sa
femme en avait eu connaissance. En conséquence, Perrine Blan-
chard fut immédiatement condamnée au bannissement et à
l'amende honorable. Quant à Jouslain fils, comme aucune charge
ne pesait sur lui, il fut acquitté , mais l'entrée des ports et
arsenaux du Roi lui fut interdite.
On avait commencé , à onze heures du matin , le 25 mai ,
Tapplication de la question ; à six heures du soir, les trois
condamnés, remis entre les mains de l'exécuteur du présldial de
Quimper, qu'on avait fait venir exprès , furent conduits devant
la porte principale de l'église , et de là sur la place du Vieux
Marché , c'est-à-dire sur le terrain occupé aujourd'hui en partie
par la rue de l'Eglise et la rue Frézier« Jouslain et Marquis y
furent pendus.
Comme les registres de sépultures de Brest ne font aucune
mention de leur inhumation, il est naturel de penser que leurs
cadavres furent traités ainsi que l'avait été , onze ans aupara-
vant , celui d'un autre espion. Voici ce qui avait eu lieu à cette
époque.
— 97 —
Informé par le Ministre de la Marine que des espions s'étaient
introduits ou devaient s'introduire à Brest , M. l'intendant
Desclouzeaux lui fit savoir le 23 avril -1696 que , grâce à la
vigilance de M. de îa Carrière, contrôleur de la poste aux lettres ,
il avait découvert un individu qui lui paraissait suspect. Cet
individu , nommé Le Grand , était depuis un an à Brest , où
on le voyait toujours bien vêtu et faisant de la dépense. Employé
Vannée précédente dans l'administration des vivres de la guerre,
il se donnait pour un protégé du maréchal de Villeroy, et à la
faveur de cette prétendue protection , il se faufilait parmi les
officiers et les bourgeois dont il recueillait les conversa-
tiens. Sa longue inaction avait déterminé M. Desclouzeaui
à s'entendre avec M. de la Carrière , lequel avait retenu les
lettres que Le Grand portait lut-môme à la* poste. Ces lettres ,
écrites par Le Grand, mais signées de noms différents, moti-
vèrent son arrestation , qui eut lieu le 22 avril. L'Intendant
l'ayant fait écrire devant lui, fut frappé des rapports qu'il y avait
entre son écriture et celle des lettres saisies. Interrogé le 27
avril par M. Desclouzeaux, et pressé de questions sur ses rap-
ports présumés avec un nommé Pouliou , marchand de sel ,
que l'Intendant avait connu et Soubise , lorsque , 20 ans aupa-
ravant ,-il y faisait construire des vaisseaux , Le Grand déclara
que le Pouliou dont lui parlait M. Desclouzeaux était le père
de celui qu'il connaissait , et que le fils prenait dans sa corres-
pondance le nom de Latouche. L'un et l'autre étaient protestants.
Le Grand , se voyant découvert , demanda grâce , et M. Des-
clouzeaux lui promit qu'il obtiendrait son pardon à la condition
qu'il révélerait tout le complot auquel il était mêlé. Il s'y engagea
et donna des détails écrits que l'Intendant transmit au Ministre
avec l'offre du prisonnier d'aller dans les pays étrangers , où ,
par le moyen des fausses confidences qu'il ferait à Pouliou , il
se procurerait des renseignements utiles au service du Roi. Aux
13
~ 98 --
déclarations écrites de Le Grand fat jointe une lettre que Pou-
liou lui avait envoyée à destination d'une demoiselle- de Kerlebeq
qui semblait impliquée dans cette affaire » ainsi qu'une religieuse
Cordelière de Quimper et plusieurs autres femmes dont il avait
/fait connaître les noms. Quant aux moyens d'eiistence de Le
Grand , son interrogatoire les fit connaître. Il venait de recevoir
tout récemment à Landerneau une somme de 600 livres , for-
mant le premier quartier de la pension que lui faisait Pouliou.
£n remettant Le Grand à Al. de Campagnolles , major da
Château, M. Desclouzeaux avait recommandé de le bien surveil-
ler pour qu'il ne se procurât aucun moyen de suicide, mais de
le traiter convenablement sous le rapport de la nourriture et da
coucber. Le 29 avril, il interrogea^ de nouveau le prisonnier
qui, sur son invitalion , écrivit à M. Kerlabien, procureur i
Quimper, pour que celui-ci lui transmît les lettres qu'il recevrait
à son adresse. Un exprès dépéché à Quimper en revint avec la
promesse que les lettres attendues de Paris seraient réexpédiées
à Brest dès quelles seraient arrivées.
Lorsque M, Desclouzeaux avait quitté Le Grand, ce dernier lui
avait promis de bien réfléchir à tout ce qu'il devrait faire
pour tromper les ennemis et ceux qui l'employaient. L'Inten-
dant , d'après leur convention , devait le faire venir, le 30, dans
son cabinet, où ils auraient concerté leurs mesures, lorsqu'à
la grande surprise de M. Desclouzeaux , le Major du Château
vint , à cinq heures du matin , lui annoncer que Le Grand ,
bien que gardé par deux sentinelles, s'était jeté par une fenêtre
de la chambre qu'il occupait au premier étage dans l'une des
casernes. M. Ollivier, médecin de la Marine, que l'Intendant mena
avec lui au Château , fit sur-le-champ tuer et écorcher des mou-
tons dont la peau servit à envelopper Le Grand et à ranimer ses
forces épuisées. Questionné sur les motifs qui l'avaient porté à
attenter à ses jours , et interpellé à plusieurs reprises de dire
— 99 —
ce qu'il avait à ajouter à ses précédentes déclarations, il répondit
que Tiqppréhension de Tignominie l'avait seule déterminé et qu'il
n'avait rien à ajouter à ses aveux antérieurs. Ce ne fut qu'à grand
peine qu'on put le fairç consentir à prendre un peu de vin.
Comme on craignait qu'H n'essayât encore de se suicider et que
d'ailleurs son état , rendu compromettant par sa cbute , était
encore aggravé par le commencement de castration qull avait
pratiqué sur lui-même avant de se jeter, un chirurgien fut laissé
près de lui tant pour le surveiller que pour le soigner. Le i
mai, ce malheureux dont l'état semblait alors annoncer qu'il
n'aurait pas succombé , pria M. Desclouzeaux de venir le voir.
Il demanda pardon de ce qu'il avait fait , et sur l'assurance
qui lui fut donnée qu'il serait écrit en sa faveur, il parut dis-
posé à se rendre auprès du Ministre pour lui renouveler ses
révélations et se mettre à sa disposition. Néanmoins , le lende-
main , sa situation empira, et le 7 mai, à trois heures du matin,
il expira. En rendant compte de cet événement au Ministre ,
l'Intendant lui dit qu'en attendant ses ordres , il avait ordonné
qu'on salât le corps du prisonnier^ et qu'on le mit dans un coffre.
Plus de cent trente ans devaient s'écouler avant que le procédé
Cannai fût appliqué. Mais quand même il l'eût été en 4696, on lui eût
probablement préféré le mode de conservation qui fut employé à
l'égard du cadavre de Le Grand, mode un peu primitif peutètre,
mais qu'on eût trouvé suffisant pour un e^ion considéré comme
s'étant mis en dehors de toutes les lois civiles et humaines.
En agissant ainsi qu'il l'avait fait , M. Desclouzeaux avait été
déterminé par cette considération que si Le Grand n'existait plus,
raclion de la justice pouvait bien n'être pas éteinte à son égard,
puisque suivant les usages du temps, on instrumentait parfois con-
tre les cadavres des accusés, ce qui semblait d'autant plus naturel
en celte ch'constainee que Pouliou venait d'être arrêté et avait
avoué ses intelligences avec Le Grand. M. Desclouzeaux ne s'était
— 100 —
pas trompé dans ses conjectures. Le Ministre qui, dès le 9 niaîy
avait adressé un mémoire dont se serait servi le Sénéchal de
Bi»est pour interroger Le Grand, prescrivit , quand il connut sa
mort, de faire le procès à son cadavre, et expédia' un arrêt da
conseil commettant tes Juges de Brest pour prononcer en der-
nier ressort. Le Sénéchal étant absent, son Lieutenant te suppléa,
et le mardi , 2 juin i696 , jour de marché , le cadavre de Le
Grand fut traîné sur la claie , après quoi il fut pendu par les
pieds , puis jeté à la voierie.
Sur Vargent qui avait été trouvé chez le supplicié , il restait ,
après le prélèvement des frais de la procédure une somme de
410 livres -13 sols , que M. Desclouzeaux voulait faire partager
entra M. de la Carrière, le prévôt et les archers de la Marine ;
mais le Ministre fit la sourde oreille aux demandes réitérées de
l'Intendant, et force fut à ce dernier de verser cette somme
à la caisse du domaine.
Quoi qu'il en soit, M. de la Carrière revint à la charge, ets&
prévalant en -1704 de ses services de -1696 et de ses efforts sub-
séquents pour découvrir de nouveaux espions, il obtint, au mois
de juin -1704, une gratification de -1,500 livres.
Neuf mois s'étaient passés depuis l'exécution de la sentence
prononcée contre le cadavre de Le Grand , lorsqu'une lettre
anonyme adressée à un religieux^ de Brest qui la transmit à M. de
Pontchartrain prétendit que cette exécution n'était qu'imaginaire,
et qu'un autre individu avait été substitué à Le Grand. Cette
lettre , dont l'original conservé aux archives du port de Brest r
ne porte ni date ni suscription , est ainsi conçue :
« Mon Révérend père.
Un espion pris à Brest a passé pour s'estre jette par les
fenestres et avoir esté traisné sur la claye. Cela est faux. Il est
vivant. Je le scay sûrement. On a jette à la place un malade
- 101 —
moribond ou on s'en est servy après qu'il se fut jette. Je ne
signe point , parce que je ne puis prouver ce que je scay, et
je crois faire assés d'advertir. C'est Tadvis que donne un zélé ,
serviteur du Roy, et le vostre ,
Mon Révérend père. »
Communiquée par le Ministre à H. Desclouzeaux , cette lettre
donna lieu, le -1^ mars 4697, à la réponse vivante de cet
Intendant :
• Sy Ton pouvoit scavoir qui a donné Tadvis au Roy que le
nommé Le Grand n'est point mort, Ton pourroit juger pourquoi
il avoit donné un advis sy contraire à la vérité. L'on juge que
l'escriture du billet que Monseigneur m'a fait l'honneur de m'en-
voyer est escrite de la main gauche. Je le supplie très humblement
d'assurer Sa Majesté que ce Le Grand est bien mort ; qu'il s'est
jette par la fenestre d'une des chambres du Chasteau , du pre-
mier estage ; que je l'ay fait mettre dans des peaux de moutons
que j'avois fait escorcher tous en vie , croyant que cela le
pourroit sauver, estant tout meurtry et fracassé. Le lendemain,
je fus llnterroger de nouveau dans le Chasteau , et lui ayant
représenté qu'il estoit un malheureux de s'estre voulu deffaire et
de s'estre précipité , il ne me répondit autre chose sinon que
c'estoit rignominie qui l'y avoit obligé. S'il y avoit la moindre
apparence de vérité au contenu du petit billet, il faudroit nous
faire faire à tous nostre procès, à moy premièrement, au Com-
mandant du Chasteau , au Major , au médecin , au chirurgien ,
à un confesseur et au prévost. Tous les gens de la ville sont
témoins qu'il a esté traisné sur la claye , ensuite pendu. M. de
Châteaurenault , auquel j'en viens de parler, a vu faire cette
exécution. Il le connaissait pour l'avoir vu servir M. le marquis
de la Porte. // fut ensuite jette, à la vayrie , où les chiens le
tnangèrent, t
~ 102 -
Ces faits se passaient et se racontaient ainsi , eomme dioses
des plus nàturdles , à la veille du dix-huitième siècle , et dans
un pays chrétien qui se disait civilisé !
Terminons par quelques détails sommaires sur les suites de la
sentence prononcée contre Marquis , Jouslain et sa femme.
Cinq jours après , il fut procédé à la vente des meubles et des
marchandises de Jouslain contre qui la confiscation avait élé
prononcée. Elle produisit une somme totale de 649 livres 9 sols
9 deniers, dans laquelle entrait celle de 300 livres pour trois
mille peaux tant de mouton que de chèvre , apprêtées ou non ,
qui furent adjugées avec quelques outils servant à les mettre en
état , au sieur Camarec, libraire.
Il s'écoula plus de treize ans avant que la sentence de bannis-
sement de Perrine Blanchard reçut son exécution. Enfermée dans
la maison des filles repenties ou Refuge royal, à Ponlaniou, elle
y resta jusqu'au -Il septembre -1720 , époque où, d'après un
ordre du Régent du 25 mars -1 7-1 8 , et les prescriptions de M.
l'intendant Robert du -10 septembre -1720, elle fut embarquée sor
le vaisseau le Triomphant, commandé par M. Carrion, qui dut
la déposer à Cadix.
P. LEVOT.
-ï»»«^
rr
Hatfllin ar barz dall.
Paotred, plac'bed iaouank , c'houi lamme <> IridaU ,
Pa glevac'h , ûre Gerne, Matulin^ ar ban <iall,
0 trei, gant he vombard , toniou ww abte
Lakat fin? er wazied , digeri jabadao ,
Ouelit y n'her c*hlevot mui t Emir he ¥ez ieo eo nûko;
Maro eo MalulîB , dialan boc'h eostik»
He ene zo nijet da yro ann telennou ,
' Bro ar barzed zo bel skillruz ho c'halounou ;
E kaloun ar barz koz *vel euun ograou gane ,
Hag hen oc'h ehaoa, eTiied a ziskane.
Evid-omp-ni , Breiziz, bon diskan, zo daelou :
Koueza ra ar gwez braz , seac'b out-ho aun dcliou.
E komik ar vered, kousket enn da c'hourvez ,
Selaou e-kreîz ann noz , a-zindan da vean-bez ,
Selaou hag e klevi ayel Breiz o Youdal,
0 kana hirvouduz toniou ar paour keaz dall.
Mar tihunez neuze , barz , n'as pe ket anken ,
Rak ma klemm ann avel , ouela a ra ann den.
- 104 —
nano To aclmnood gaod da ttoiz kaloiuek,
Endra fezo e Breiz ebad ha BrezoondL ;
Kana rai da donioa kerdiga meur a dden ,
EtcI ecli euz kleTel Brizaik, ban Ueo melen,
Brizeuk , ar gwir Breizad , zo e penn he ero
0 c'bortoz , eur bloaz zo , skeud eur wezen zéro.
Nalulin I da vombard ne yczo hep perc'heo :
Da derri nerz ar boan a zo ena ho c'herc*hen ,
E Breiz, ar re zalc'h mad baniel ar c'bisiou koz,
Âzalek goulou-deiz betek ar pardaez-noz,
A gano gwersiou kaer savet war da doniou,
Da zeisiou ho eured , e-kreiz ho fardôniou.
Ar re-ze, pa vint koz, â-benn banter-kant Tloaz,
Epad ann nosvesiou , goumzo ac'hanoud c*hoaz :
Azezet'lal ana tan, Iro-war-dro d'ann oaled,
Lirinl d'ho bugale : « Ni bon euz her gwelet ,
» Klevet bon euz ann dall a le enu eur gana ,
M Da c'hounid he damm boed ; dre a-bont , dre ama.
Mar teufez neuze c*hoaz e-kreïz ann abaden,
*Vel n'euz pell , Malulin , Kerneviz a vanden
A vodfe enn dro d'id, evel eunn hed-gwenan
En dro d'eur bodik glaz , pa zoner d'ezho splann.
Ne dal her lavarel : maro oud da viken,
lia du vombard a dav, mantret enn da gicben.
G. MILIN.
ilaihnrin le barde aveugle.
{TfûduUioH UU4rêU de h fkèa préeédtmU.)
Jeunes fiHes et garçons, votis qui tous épanouissiez k ]« danse, quand
TOUS enlendiezy en Gomouaille , Malburin , le barde aTeugle, tirer de son
tiaulbols des chants qui faisaient toujours tressaillir d'aise , des sons
qui donnaient le branle , pleurez , tous ne Tentendrez plus ! Il gît Ik
sans mouTement , dans sa tombe froide ; Mathurin est mort , TOtre
rossignol est sans Toix.
Son âme s*est euTolée au séjour de l'harmonie, séjour des bardes
aux cœurs Tibrants. Du cœur de Mathurin aussi sortaient comme des
sons d*orgae , et sitôt qu'il cessait , les oiseaux reprenaient son chant,
i^ur nous aujourd'hui , nos refrains sont des larmes. Les grands arbres
tombent dépouillés de leur feuillage.
Au coin du cimetière, étendu, endormi dans ton linceul, écoute
parfois au milieu de la nuit, écoute et tu entendras le Tent de Bretagne
mugir et chanter en gémiss<ant les airs du pauTre aTeugle. Barde,
si lu te réTeilles alors', sois sans èhagria , car si le Tent se plaint,
l'homme pleure , hélas I
U
^ 106 —
Tes compatriotes , hommes de cœur, garderont le souvenir de Ion
nom. Tant qu'il y aura des Bretons et des danses en Bretagne, les
airs résonneront sur plus d'une harpe. Ainsi , tu as entendu celle de
Brizeux , le barde aux cheveux blonds ; Brizeux , ce vrai Breton ,
couché au bout de son sillon , ^attendant , dejpuis an an , Fombre du
chêne aimé.
Ton hautbois, Mathurin, ne restera pas ^ans maître. Pour calmer
lès maux qui les assiègent , les Bretons qui tiennent ferme la bannière
antique, au milieu de leurs fêtes et aux beaux jours de leur mariage,
entonneront sur tes airs des chants harmonieux , depuis l'aurore jusque
bien avant dans la nuit.
Dans cinquante ans , ces Bretons , vieux à leur tour, parleront encore
de toi dans leurs veillées. Assis en cercle autour du foyer, ils diront
.^ leurs enfants ; « Nous avons, vu, nous avons entendu Taveugle qui
allait gagner sa vie , en sonnant ses chants (^a et là. »
Si alors, comme naguères, tu paraissais au milieu d'une danse,
fe Kernevod's viendraient l'environner en foule, semblables k un essaim
qu'un son clair fait grouper autour d'une branche verte. Il ne sert pas
de le dire : Tu es mort pour toujours , et , à tes côtés , ton hautbois
repose silencieux et" stupéfait.
G. MiLrN.
-^.c^
I M l'Ui DE ■
18 JUILLET 1860
Le 48 juillet 4860, la Lune, dans eon mouveinent de iraûdla-
tioQ autour de nous , passera entre la Terre et le Soleil , et,
pendant quelques instants cachera , en totalité ou en partie ,
Tastre radieux à plusieurs portions de notre globe ; il y aura ce
que Ton appelle Ëdiq^se de Soleil»
D'après le Saros ou période C haldéerme mdiqaani que tous
les 48 ans et 44 jours environ , les éclipses de mtoe genre doi-
vent se reproduire, FécUpse prochaine est celle qui correspond
à l'éclipsé du 8 juillet -l8/i2. Celte dernière n'a pu être observée
en Europe qu'entre 5 et 7 heures du matin ; celle de juillet pro-
chain a l'avantage de pouvoir être observée entre 4 heure et 4
heures de Faprès-midi daus les lieux où elle a le plus d'impor-
— 108 —
fance. De plus, Tédipse du ^8 juillet offrira un spcclacïe qui
ne se reproduira que dans bien des siècles , comme le dit
M. Faye , puisqu'au moment de Tobscurilé totale on apercevra
non loin dû Soleil éclipsé, Vénus ^ Mercure, Jupiter et StUume,
Vénus se trouvant en dessous du Soleil , à une petite distance ,
Jupiter, Mercure et Sati^rne étant à lEst, ces déni dernières
assez voisines Tune de Fautre et éloignées du Soleil d'une dis-
tance d'environ 30«.
Parmi les lieux privilégiés qui verront le phénomène dans toute
sa splendeur, c'est-à-dire ceux pour lesquels l'astre éclatant sera
éclipsé totalement pendant plus de trois minutes , FEspagne^ et
FÂlgérie offrent , sous le rapport du climat et de la pureté du
ciel, toutes les circonstances favorables pour que Fobservation
sérieuse du phénomène permette d'éclaircir certaines parties
obscures de la science sur la constitution physique du Solei.
Nous pouvons donc espérer qu'à la suite de ces observations,
on trouvera une explication plausible de \ auréole et des aigrettes
lumirmtses qui entourent la Lune pendant Féclîpse totale , ainsi
que des protubérances rosacées, si tant est qu'elles doivent encore,
cette fois , se faire voir.
Nous ne doutons pas que d'habiles photographes se transpor-
tant à Saint 'Vincent ^ Vittoria ou Valence^ en Espagne, oa
même à Alger, ne parviennent, au moyen de lunettes à grands
objectifs et à longs foyers , à saisir dans de grandes dimensions
l'image photographique de la couronne lumineuse , car bien que
l'obscurité qui succédera à un jour éclatant soit relativement
assez forte, Fauréole brillante aura certainement assez d'intensité
pour impressionner la plaque. En faisant donc une série d'épreu-
ves prises à nn petit intervalle, on pourra étudier, sur les
images obtenues , tous les phénomènes relatifs à la forme des
aigrettes , de la couronne et des protubérances. Ces images, en
complétant les observations directes faites par les astronomes,
- 109 —
permettront d'obtenir des données exactes sur les dimensions de
eette fameuse auréole lumineuse , et de savoir enfin si elle est
concentrique à la Lune ou concentrique au Soleil. Les progrès
accomplis depuis quelques années dans la photographie , vont ,
nous n'en doutons pas , être dans cette occasion d'un secours
immense à la science. Nous savions que d'après les plans de
M. Faye, et sous la direction de ce savant astronome , toutes
les dispositions devaient être prises pour assurer aux observa*
tions de bons résultats. La revue scientifique te Cosmos nous a
appris hier, que M. Faye, qui était chargé de diriger la com-
mission scientifique envoyée par la France en Espagne, pour
observer Téclipse totale, venait de donner sa démission, par suite
du concours indispensable que lui refusait , en cette occasion ,
l'observatoire impérial de Paris. La direction de la commission
a été confiée à M. Leverrier. Que ce soit l'un ou l'autre de ces
dpux savants , on a raison de ne rien négliger pour assurer
l'observation complète du phénomène astronomique dont nous
nous occupons ; car, dans le dix - neuvième siècle , il n'yaura
plus que cinq éclipses de Soleil totales, dont trois seulement,
celle de ^861, celle de 4870 et celle de -1900, pourront s'obser-
ver dans des circonstances et dans des lieux favorables.
Disons, en passant, que la France, l'Algérie exceptée, ne verra
pas d'éclipsé totale de Soleil dans la, fin de ce siècle.
En dehors de l'étude de la constitution physique du Soleil et
delà magnificence du phénomène en lui-même, l'éclipsé prochaine
offre aux astronomes un intérêt plus spécial , en ce qu'elle va
peut-être résoudre un problême qui intéresse tous ceux qui
s'occupent d'astronomie. Nous voulons parler de cette planète
observée l'année dernière comme un point noir sur le disque
solaire, par M. Lescarbault , médecin d'Orgères. Cette planète ,
désignée déjà sous le nom de Vulcain , et dont l'existence est
contestée par M. Liais, astronome français résidant actuellement
^ liO —
au Brésil , tf a pu eacore être retrouvée malgré les recherches
de plusieurs astronomes placés dans les conditions les plus favo*
râbles, .
Espérons que sur une épreuve photographique prise & Tinstanl
de récJipse totale, on apercevra auprès de Vénus ou Jupiter,
ou à droite du Soleil, un cinquième petit point brillant qui,
si ce n'est pas une des étoiles de la belle constellation des
Gémeaux, devra certainement être considéré comme étant Vol-
cain.
Peut-être même apercevra-t-on plusieurs points brillants de ce
genre qui , en indiquant une zone de petites planètes intra-
Wercurielles j viendront confirmer la théorie de M. Leverrier,
théorie iusérée dans les Comptes ^ rendus de r Académie des
Sciences du 42 septembre 4859, et qui a été dévoilée au savant
Directeur de TObservatoire impérial par le mdiuvem^t du Périhélfe
de Mercure, dont ses calculs lui ont révélé l'existenee.
Ainsi , à moins que la nouvelle planète ne st>it juste en con^
jonction supérieure au moment de l'écUpse , tout porte à croire
que prochainement nous serons fixés sur son compte.
Brest , hélas , qui en raison de sa magnifique position mari*
time , est si mal situé relativement aux observations astrono-
miques ; Brest qui , sauf quelques rares beaux jours , n'aperçoit
le bleu du ciel et le Soleil qu'au travers de lourds nuages gris,
que diasse un vent humide et persistant , ne se trouve pas
dans la zone de Téclipse totale. La boiïne ville s'en console,
probablement , car pour ses habitants , les éclipses de 3oleil
(non par la Lune , il est vrai), ne sont pas choses rares.
Toutefois, si la Saint-Médard ne nous est pas funeste jusqu'au
quarantième jour, et si le -18 juillet prochain le Soleil veut bien
se montrer à nous pendant "quelques heures de Tq^rès-midi,
nous pourrons avoir notre petite part du phénomène astrotfo*
raique. D'après mes calculs, on verra à Brest, vers -!*> -lô"»,
- lii —
le Soleil s'échancrer vers FOuest en un point situé vers ^OO®
de Textrémilé supérieure de son diamètre vertical ; Téchan-
crure augmentera progressivement , et vers 2*» 32™ , il ne restera •
plus du Soleil qu'un croissant délié , indiqué sur le dessin
que je joins à cette note. Le croissant solaire augmentera
ensuite , Téchancrure diminuant du côté de TEst, et enfin , vers
3^ 39™ , le Soleil reparaîtra radieux et sous la forme d'un disque
circulaire, à moins que quelque nuage importun ne vienne ejicore
nous le cacher.
Au moment de la plds grande phase , la lumière solaire ne
sera- que la 22« partie de ce qu'elle était au commencement de
réclipre, et même un peu moins, s'il est vrai, comme le pensaient
Bouguer et Laplace , et comme les expériences photographiques
de MM. Fizeau et Foucault pourraient le faire croire, que le Soleil
est moins lumineux dans les endroits de son disque éloignés du
centre. Toutefois , l'affaiblissement de la lumière ne scra^ pas
très sensible pour nous, et nous n'avons aucun espoir d'aperce-
voir Vénus ou Jupiter j et encore moins Yulcain.
Brest, 28 Avril 1860.
Ed. DUBOIS.
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En interpolant dans le tableau n9 4, /\^\ on trouve que
distance apparente des centres des deux astres sera égale à
somme des deux demi - diamètres à 4*> 48™ 27* , la lune éla
dans rOuest du soleil, et à 3"» 39"* lO* ,' la Lune étant da|
TEst.
En cherchant à quel moment la distance ^' sera minimui|
on trouve que la plus grande phase aura lieu à 2^ 34™ 5(|
Au moment de cette plus grande phase, la distance /^* se/
de 2' 9" ; les 0,95 du diamètre du Soleil seront éclipsés ; il t
restera donc de visible que la ^/22' partie environ du disql
solaire.
Au moyen des formules données dans Fastronomîe pratiq
de Francœur, on trouve que la première impression du disq
lunaire aura lieu à l'Occident à environ 400<> de Textrém
supérieure du diamètre vertical du Soleil.
Brest , 28 Avril 1860.
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celui dont le centre est S, l'autre la position de la Lune au
blanc indique ce qui restera de visible du Soleil,
à rinstant du dernier contact c*
ie la Lune; les flèches marquent le sens du mouvement.
Litho^. ïtfpo. Rotjtr. Brest.
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Le FoD et ses NédeciDS
ANECDOTE DE 4851
Deux médecins dont je cache les noms,
Dans une ville, aux environs de Mens,
Dernièrement conduisaient ud malade,
Dont la raison faisait mainte incartade.
Tous trois ensemble à Tliôpital des fous
Vinrent frapper. — Ah ! Messieurs , c'est donc vous ,
Leur dit de suite , avec un doux sourire ,
Le directeur des hommes en délire I
Je vous salue , entrez dans ce parloir ,
Où nous allons un momei^t nous asseoir. —
Lors k chacun il présente une chaise ,
Et Ton se met à converser à Taise
Sur le beau temps , sur les actes nouveaux
Du ministère , ou sur les grands travaux
1-"
- H8 -
Du Président de notre République ;
Littérature , liisloire , politique ,
Tout se traita dans Taimable entretien ,
Mais prudemment chacun se garda bien
De dire un mot de l'objet du voyage ,
Devant celui qu'on venait mettre en cage.
L*un deux surtout parlait avec chaleur,
Il était vif, tranchant, même railleur,
Et par le geste animant son langage ,
Il déclamait , criait , faisait tapage.
Le directeur , l'observant , l'écoutant ,
Croit voir en lui l'insensé qu'il attend ,
Le prend à part , dans son bureau Ten traîne ,
Et l'apostrophe ainsi sans plus de gêne :
Bfon cher ami , vous souffrez du cerveau ,
Consolez-vous , un régime nouveau ,
Grâce à nos soins , aidés par la nature ,
Vous guérira bientôt , je vous l'assure. —
Comment , dit l'autre , en poussant des éclats ,
Vous plaisantez , Monsieur , je ne suis pas
Un insensé , votre erreur est profonde ;
Sachez donc mieux connaître votre monde. —
— Ah ! Yoilk bien les fous , dit le docteur.
L'accès commence , et gare h la fureur. —
— En vérité la méprise est trop forte ,
Fit l'étranger , en saisissant la porte ,
Puis il ajoute , en élevant le ton :
Monsieur , c'est vous qui perdez la raison.
Mais le docteur a fermé la serrure ;
L'autre aussitôt s'emporte , écume , jure ,
Frappe du pied , et démolit soudain
Tous les objets qui tombent sous sa main.
A ce fracas , les garçons qu'on appelle
Accourent tous , garrottent le rebelle ,
— 119 —
Et ce pauvre homme est , sans plus de façon ,
Jelé de force au fond d*un cabanon.
Le directeur rejoint sa compagnie :
Le fou , dit-il , est en pleine furie ,
Je liions là baul de le mettre en lieu sûr;
11 était temps , son bras était si dur
Qu*il a brisé , dans sa rage inhumaine ,
Chaises, flambeaux, pendule, porcelaine
— Qu'ai-je entendu ? s'écrie avec stupeur,
A ce récit, le second visiteur.
Ah ! vous avez fait une belle affaire !
Mais ce fou-là, monsieur, c'est mon confrère,
Homme de sens, d'esprit et de raison;
Hàlezrvous donc de rouvrir sa prison !...
Muet , confus , le directeur s'élance
Vers la cabane où sa lourde imprudence
A renfermé le pauvre médecin.....
11 est trop tard.... hélas ! et c'est en vain
Qu'on a coupé la corde qui le he ,
Du malheureux intense est la folie ;
11 déraisonne , il déraisonnera ,
£t rinsensé jamais ne guérira.
Par contre-coup , frappé de l'aventure ,
Le vrai malade a changé de nature,
11 a repris son calme , son bon sens ,
11 est guéri ! Bizarre contre-sens
Qui vient d'un fou rétablir la cerveHc ,
L'illuminer , alors qu'il détruit celle
Du médecin dont l'esprit et le cœur
W'ont pu survivre à cet affreux malheur!
CLÉREC, Aine.
ÉTUDE
HISTORIQUE ET CRITIQUE
L4 LIGUE m BRETAGNE
Plus OD étudie les documents relatifs à Thistoire de la Ligue
eu Bretagne , plus on s'aperçoit que les écrivains français et
bretons, en général, n*ont pas apprécié à leur juste valeur le
caractère, les qualités et les actes du Duc de Mcrcœur» Les uns
ont prétendu qu'il était un homme faible et sans génie , se lais-
sant mener par l'orgueil de sa femme. M. Jules Janin dît que
« s'il ]}'avait pas le courage et le droit de Charles de Blois, il en
avait l'obstination (^}, et que c'est l'ambition de cet homme médiocre
(i) La Bretagne , par Jules Janin , page 462.
— 121 —
et frivole qu'il faut accuser de ces luttes cruelles autant qu'inu-
tiles qui ensanglantèrent la Bretagne pendant le -Ift* siècle ; t
M. Emile Souvestre, (4) i qu'il fut un ambitieux secondaire et
sans portée , une espèce de doublure des Guise ; t M. Pitre
Chevalier, « qu'on faisait peu de cas de son caractère, parce
que Henri III lui envoya , pour le gagner, Jusqu'aux pierreries
de sa royale sœur ; t et il ajoute « qu'il eût peut-être brillé
comme savant plus que comme politique et comme guerrier, t (2)
M. L. Grégoire , professeur d'histoire au Lycée de Nantes , et
auteur d'une récente Histoire de la Ligue eti Bretagne^ soutient
• qu'il fut avant tout un ambitieux opiniûtre et faible, catholique
sans noblesse^ subordonnant la défense de la religion à Tintérôt
de sa grandeur personnelle ; patriote breton sans conviction, qui
ne fit que du malet qui tomba sans gloire, t (3) Mercœur , dit
ailleurs M. L. Grégoire ne fut jamais un héros ; jamais il ne
s'éleva à la hauteur des circonstances 'i il lui manquait la force
de caractère et l'énergie des convictions. Ce fut un politique
ambitieux, d'un esprit indécis et circonspect , craignant toujours
de se hasarder, débutant par Fiogratitude et terminant sa carrière
par le mensonge et la faiblesse (4). Enfin , M. Lejean , membre
correspondant de cette Académie (5), qui est presque constam-
ment (et le plus souvent avec raison), d'une opinion contraire
à celle de la plupart des historiens de notre province , fait
chorus avec eux,, dans cette circonstance, en qualifiant Mcrcœur de
pûle et de froid prétendant, qui joue au Jean de Montfort (6).
(i) Les derniers Bretons, t. IIÏ, page 380.
(2) La Bretagne moderne , page 596.
(3) Préface.
(4) Histoire de la Ligue en Bretagne , chap. T*, page M.
(5) Auleut d'un excellent ouvrage intitulé la Bretagne , son Histoire et
ses Historiens,
(6) Jean de Montfort n'était, selon moi, que l'instrument de l'Angleterre
dans la grande guerre civile de la succession.
16
— 122 -
Le chef de la Ligue en Brelagae n'était sans doute pas, comme
l'appelle emphatiquement son plus fervent panégyriste, un César
à cheval et un Alexandre à pied , et s'il eut quelque ressem*
blance avec ces deux grands hommes, ce fut principalement sous
le rapport de l'ambition. Il était ambitieux, d'accord ; mais l'am-
bition n'est- elle pas ordinairement la passion des grandes intel-
ligences et des esprits supérieurs, plutôt que celle des âmes
faibles , secondaires , médiocres et sans «portée ? Celte ambition
causa bien des maux à la Bretagne , j'en conviens ; mais peut-on
adriiettre que cette province, si profondément catholique, aurait
pu échapper à l'incendie allumé sur toute la surface du royaume
par les dissidences religieuses, et peut- on supposer qu'elle
n'aurait pas trouvé un autre chef que le Duc de Mercœur, qui
se serait mis à la tête du mouvement? Je ne le crois pas , et
cette hypothèse çie semble tout-à-fait inadmis^ble.
Il y a donc lieu de s'étonner que des écrivains sérieux aient
pu parler si légèrement de cet illustre capitaine, et dénaturer
si inconsidérément la vérité historique. S'ils s'étaient donné la
peine de lire attentivement les lettres que le Duc écrivait au
cardinal Albert et à Carpentier, l'agent du roi d'Espagne, je crois
qu'ils auraient été plus justes et plus respectueux envers sa
mémoire. L'une de ces lettres, interceptées par DuplesSis-Mornay,
gouverneur de Saumur, contient ce remarquable passage : « Les
» députés du Roi me sollicitent vivement de faire une longue
» Irève ; mais je ne l'accorderai que jusqu'à la fin de juillet ,
» parce que , suivant les nouvelles que j'ai reçues d'Espagne ,
9 on doit m'envoyer, vers ce temps-là, une armée en Bretagne,
» tandis que le cardinal d'Autriche entrera en France de son
» côté ; j'espère alors faire quelque chose digne de moi. Si
t depuis la prise d'Amiens j'avais eu des troupes et de l'argent,
» je me serais facilement emparé de plusieurs places , non-seu-
» lement en Bretagne, mais encore en France. Si l'on veut me
- 123 -
9 croire et profiter de Toccasion, le Roi aura bientôt des attires
- » dont il ne pourra se démêler ; il ne mérite d'ailleurs que trop
» bien d'être réduit à cette extrémité , puisqu'il est l'ennemi de
» tous les catholiques. Je viens d'informer le roi d'Espagne de
t la situation présente des affaires, et lui dire que pourvu qu'on
» n'exige rien de moi qui soit contre mon honneur, je ferai des
» choses étonnantes. Mais il faut pour cela qu'on me fournisse
» des troupes et de l'argent, et qu*on m'envoie de Flandres des
• poudres et quelques canons. J'aurais souhaité pouvoir aller
» passer quelques mois auprès du cardinal Albert pour le per-
> suader de mon attachement , et concerter avec lui les
p moyens de faire à la France tout le mal possible ; mais ce
> voyage étant impossible , il faut qu'à l'expiration de la trêve ,
t chacun de nous entre de son côté dans le royaume. Nous
» pourrons faire notre jonction auprès de Paris ou de Rouen ,.
» où nous sommes attendus avec impatience , etc. t
Une lettre du prieur de la Trinité , adressée à Carpentier,
développait plus clairement encore les projets du Duc de Mer-
coeur. Le prieur disait que le Duc était vivement sollicité de
prolonger la trêve , et qu'il craignait qu'il ne fût contraint de
l'accepter, n'ayant reçu ni argent d'Espagne , ni munitions de
Flandre , sans lesquels cependant , à son grand regret , il ne
pouvait continuer la guerre. 11 était également fait mention ^
dans cette lettre , d'un projet pour s'emparer du château de
Saint-Germain en-Laye , où le Roi se rendait souvent , et pour
se rendre maître de la personne de ce prince.
J'en appelle au bon sens et à l'impartialité du lecteur, l'homme
qui écrivait les lignes que nous venons de reproduire , et qui
concevait d'aussi grands desseins , des entreprises si hardies ,
qu!il eût sans aucun doute mis ou tenté de mettre à exécution,
si , comme il le dit dans ses lettres , il avait eu de l'argent ,
des soldats et des munitions , cet homme pouvait-il être d'un
esprit médiocre et indécis (1) ; un homme faible, inhabile, frivole,
d*un courage inférieur à celui de Charles de Blois, et se laissant
dominer par l'orgueil de sa femme.
« Le peuple, dit encore M. Jules Janin, • ce triste historien
t au style pailleté et déclamatoire, 9 (2) le peuple ne croyait ni
» au courage, ni aux droits de. Mercœur ; aussi , en quelques
» heures , et quand le maréchal Guy Lcmeur de Brequigny ,
» une pique à la main, parcourut les rues de Nanles, en criant:
» Vive le Roi I les troupes de Mercœur furent chassées de la
» ville sans autre forme de procès. » Puis , dix lignes plus
bas, il ajoute : « Cependant Mercœur restait maître de la Bre-
tagne. Le Roi de France n'avait plus guère en son obéissance
que les villes de Rennes , Brest , Vitré , Chateaubriand , Mont-
fort , Josselin , Ploërmel , Malestroit, Quimper et Guérande. Le
duc de Mercœur s'en va même au-devant du comte de Boissons,
le nouveau gouverneur de la Bretagne , et presquB aux portes
de Rennes le fait prisonnier. (3) . . . . M. de Mercœur, tout
inhabile quTil était^ pouvait en finir avec l'armée royale, etc. t [k]
Explique qui pourra cette étrange contradiction , c'est-à-dire
comment un homme qui n'avait ni habileté , ni courage , ni
droits , ait pu se rendre maître de la Bretagne, lutter si long-
temps et si glorieusement contre les forces combinées des monar-
chies de France et d'Angleterre , paralyser les menées usurpa-
trices du roi d'Espagne, son perfide aUié, et enfin, rester le
dernier des chefs de la Ligue à mettre bas les armes.
Les droits du Duc de Mercœur , quoi qu'en ait dit M. Jules
Janin , étaient tout aussi bien fondés que ceux des deux compé-
(1) Comment se décider à rexécution d'une entreprise de ce genre,
quand on manque d'argent , de soldats et de munitions ?
(â) M. Lejean le. qualifie ainsi dans son ouvrage intitulé : la Bretagne,
son Histoire et ies Historiens , page 158.
(3) La Bretagne, par Jules Janin.
(4) La Bretagne , page 472.
- î2o -
lîleurs qui se disputèrent le duché breton au 1&« siècle, et môme
aussi légitimes que ceux du roi de Navarre à la couronne de
France , puisque , suivant le droit public de tous les peuples
européens au -IG* siècle, un prince hérétique devait être, ipso
facto, exclu de la succession au trône (1).
Il avait épousé Marie de Luxembourg, héritière des prétentions
de la maison de Bloisà la souveraineté de la Éretagne, prétentions
auxquelles les descendants des comtes de Blois et de Penthièvre
n'avaient jamais renoncé ou qu'ils n'avaient cessé de mettre en avant,
depuis plus de deux siècles , toutes les fois que l'occasion leur
avait paru favorable. On objectera sans doute que la Bretagne
avait été réunie à la France en 4532, par François le*", roi de
France ; mais les prétentions de la duchesse étaient justifiées par
cet acte même, dont la dernière clause était ainsi conçue : car
ainsi nous platt être fait , sauf en autres choses notre droit ,
l'aiitrui en toutes.
François I*"", en effet, ne pouvait disposer du droit' de sa
femme, puisque le duché ne revenait à ses enfants que de l'^^^oc
de Madame Claude , son épouse , et fille d'Anne do Bretagne ,
morte sans enfants mâles. Le traité conclu à Trente, en 4504 ,
portait que Claude hériterait du duché de Bretagne « de l'estoc
de sa mère , » comme on disait alors.
Son énergie, son intelligence supérieure, autorisent à faire douter
qu'il se^soit laissé dominer par l'orgueil de cette belle princesse.
(1) De Courson, page 306, tome IL Henri IV avail été excommunié par
le pape Sixle V, en 1585. Le Pape , dans sa bulle , le déclarait privé à
jamais, lui et toute la maison de Condé, de tous leurs domaines et fiefs, et
incapable surtout de succéder k la couronne. Il alla m^me jusqu'à l'appe-
ler génération bâtarde et détestable de la maison de Jhurbon, Henri IV,
pour répondre à ceUe grave offense , fit afficher dans Rome, à la porte
du Vatican, que Sixle-Quint, soi-disant pape, en avait menti , et que
c'était luL-méme qui était hérétique.
Lequel avail raison, on plutôtlequel avail tort ? L'issue du conflit semble
avoir donné raison au Roi.
- 120 —
Peut-être céda-t-il quelquefois à ses conseils (4), en partageant
ses vues ambitieuses ; mais, à coup sûr, il ne fut pas un aveugle
instrument des volontés despotiques de son épouse , comme
Charles de Blois le fut de la sienne. Ce reproche pourrait être
adressé avec plus de raison , selon nous , au rivab de Mercœur,
à ce maréchal d'Aumont qui se lit tuer devant Comper pour les
beaux yeux de la jeune comtesse de Laval , dont , malgré son
grand âge , il était éperdûment amoureux. Au reste , les vieux
chroniqueurs et les historiens français (2) qui se sont occupés
de notre histoire ont, depuis le temps de Charlemagne,
rétrange manie d'affubler les femmes de la robe virile. Ernold-
le-Noir, moine frank, contemporain de Louis -le -Débonnaire, se
plait à raconter, dans sa poétique histoire des exploits du César
germanique , comment Tastucieuse épouse du roi Morvan s*y
prenait pour séduire et dominer son royal époux. Les Français
n*ont qu'une Jeanne, la pucelle d'Orléans, tandis ^ue les Bretons
en possèdent trois : Jeanne de Clisson, Jeanne de Blois et Jeanne
de Montfort, qu'on nous représente toujours comme des héroïnes,
de véritables amazones, auprès desquelles leurs époux faisaient,
à ce qu'il paraît , une assez triste jQgure.
L'auteur de la nouvelle Histoire de la Ligue en Bretagne y
M. Grégoire, dit encore que a Mercœur était d'un esprit lent et
» irrésolu ; craignant toujours de se hasarder , il n'avait ni
» l'audace, ni l'énergie capables de le faire triompher. Aussi, il
t ne fonda rien, il ne tenta rien de grand, et sa conduite irré-
t çolue , son opiniâtreté , contribua pour beaucoup à désorga-
» niser le parti de la Ligue en Bretagne (3). 11 aurait fallu un
(i) n avait rhabilude de la consulter pour toutes les affaires impor-
tantes.
(2) Ce sont principalement les Mémoires royalistes contemporains qui
ne cessent de répéter que le faible Mercœur est entièrement conduit par
sa femme, la belle et allière duchesse, (q , page i2 )
(3) Page 268.
- 127 —
• chef capable , par. son énergie et son intelligence , do les
• contenir et de les diriger, » dit le savant professeur d'histoire,
en parlant de ta noblesse bretonne ; i ils ne le trouvèrent pas
» dans Mercœur ; ils combattirent au hasard, sans but déter-
• miné, firent leur soumission en ne consultant que leurs
» intérêts , sans attendre les ordres ou Texemple de celui qui
• n'avait pu les conduire, t (I)
Le Duc de Mercœur n*éiait naturellement ni lent, ni irrésolu ;
mais dans les circonstances difliciles où il se trouvait placé , il
devait agir avec beaucoup de circonspection, et ne rien donner
au hasard ; car, devant lui, il avait à combattre Tarmée d'un
prince victorieux (Henri IV), soutenu par les Anglais, et derrière
lui les projets ambitieux de son perfide allié, Philippe II, qui
convoitait la Bretagne pour atteindre plus sûrement l'Angleterre.
A VintA'ieur, il redoutait la trahison de ces mômes gentilshom-
mes qui, tout en servant sous sa bannière, n'attendaient qu'une
occasion pour se vendre au Roi de France le plus cher possi-
ble, car ils ne voyaient dans la guerre qu'un moyen de s'enri-
chir. « Voilà le zèle qu*ils avaient à la religion catholique ! t
s'écrie Montmartin! Plus tard, en effet, tous ces chefs se sou-
mirent au Béarnais, « moyennant finance » : La Perrière se vendit
20,000 écus ; le capitaine Montigny et les frères d'Aradon, ces
fiers et fervents catholiques, 64,000 écus ; LaFontenelle lui-même
reçut de magnifiques récompenses, etc. Certes, en présence de
pareilles difficultés, et avec des officiers d'une telle fidélité , le
Duc ne pouvait guère fonder quelque chose de durable ni de
grand. Mais n'est-ce donc rien que d'avoir résisté seul aux
ennemis du dehors, c'est-à-dire aux forces réunies de la France
et de l'Angleterre , et à ceux dii dedans, c'^st-à dire aux géné-
raux de Philippe 11 et aux capitaines ambitieux et pillards qui
(i) Page 277.
— 128 —
traitaient secrètement de leur soumission avec Henri IV ; aux
paysans , las de la guerre ; aux bourgeois , qui voulaient se
gouverner eux-mêmes ; aux membres du clergé breton enfln ,
naguère son plus puissant soutien , et qui commençaient à
l'abandonner, les uns par un sentiment chrétien très honorable
pour eux ; les autres , parce que le Duc se voyait dans la
nécessité d'établir sur leur temporel des taxes qu'ils ne pouvaient
ou ne voulaient plus payer, et môme de les assujétir, sous les
peines les plus rigoureuses, au service militaire (-1); ajoutez à
cela qu'il était dépourvu d'artillerie , de munitions et surtout
d'argent, ce nerf de la guerre, sans lequel , fût-on un. Alexandre,
un César ou un Napoléon , la chute devient inévitable.
M. L. Grégoire reproche encore au chef de la Ligue bretonne
sa faiblerse et sa duplicité dans les négociations (2). « Sa politique,
dit-il , n'était qu'une politique de temporisation , » et quelques
lignes plus bas, il la justifie lui même en disant : « L'un des
» motifs qui engageaient Mercœur à ne pas se prononcer, c'est
» qu'il espérait bientôt voir toute la France dans le trouble et
» l'anarchie , comme à l'époque de la mort de Henri IH. Les
» succès des Espagnols , Tépuisemenl du roi de France , lui
» faisaient croire que le démembrement du royaume était pro-
» chain. Ne pourrait-il pas alors , en sachant bien ménager ses
» intérêts, profiter de ces malheurs et garder la Bretagne, tandis
» que le roi d'Espagne s'emparerait de plusieurs autres provin-
t ces, ou bien , Henri pouvait mourir ; les fatigues de la guerre,
» les hasards des combats , le poignard toujours menaçant des
» assassins pouvait l'enlever aujourd'hui ou demain ? alors, plus
» de chef , plus de roi , plus d'unité I rien ne saurait empêcher
» le démembrement ? et qui mieux que lui serait à même d'en
» tirer parti » Voilà ce que M. Grégoire qualifie de faiblesse. N'est-
(i) Particulièrement à la garde des portes.
(2} Page 328.
— 129 ^
ce pas au contraire de Thabileté politique, et dans celte situation
précaire du royaume de France , Mercœur n'avait -il pas raison
de temporiser, de ne pas s'engager trop avant, et de ne pas se
compromettre par trop de précipitation. L'auteur de ï Abrégé de
l'Mistoîre de Breta^ie qui précède la nouvelle édition du dic-
tionnaire d'Ogée, dit que Philippe II, prétendant comme Emmanuel
de Lorraine à la souveraineté de la Bretagne, ne lui envoyait se«
troupes que pour Taider à tenir en échec Henri IV, le plus
dangereux des concurrents , et faciliter ainsi à l'Espagne les
moyens de -s'emparer plus tard de cette province. Mais le Duc
ne s'en inquiétait guère, comprenant que s'il venait à bout de
vaincre les royalistes , ce qu'il espérait , les Espagnols ne lui
feraient pas long temps obstacle. En efTet, l'esprit de nationalité
se fut tourné contre ces nouveaux alliés , bien plus facilement
qu'il ne s'était déclaré hostile au Roi de France. Changer de suze-
rain n'était pas ce que voulaient les partisans sincères de Mer-
cœur. Il leur fallait conquérir un véritable Due de Brelague.
Il reste à savoir si ce petit Prince Breton aurait pu résister
long temps à la marche envahissante de l'unité française , sans
l'appui de ses alHés. Croit- on , par exemple, que le Piémont
et l'esprit de nationalité italienne , tels qu'ils sont constitués
aujourd'hui , opposeraient une longue résistance aux envahisse-
ments de l'Autriche, s'ils n'étaient soutenus par un puissant
allié , l'Empereur des Français ?
• Heupeusement pour la cause royale , ajoute l'auteur précité,
» c'est-à-dire pour l'unité française, des étrangers odieux jetèrent
» leur épée dans la balance qui déjà penchait du côté de Mer-
» cœur. La politique espagnole , en voulant tour-à-tour aider à
» la révolte et l'abandonner à ses propres forces, créa en outre
t un système de bascule qui sauva le pays. Aucun parti ne
» triompha , et celui du Roi ne pouvait manquer de gagaer à
> cette temporisation, t
— 430 -
T^otons, en passant, que les Anglais, qui servaient le Roi de
France , ne combaltaient que pour empêcher les Espagnols de
triompher des Français ; car ceux-ci se seraient tournés ensuite
contre la puissance britannique qu'ils menaçaient depuis long*
temps. Tel est le secret de ces diverses alliances et de ces
interventions.. C*est ce qui ressort clairement d'une lettre du
phevalier Roger Williams à la reine Elisabeth (4), où Ton remarque
passage suivant : « Si les Espagnols sont maîtres des ports- de
» mer, il vaudrait mieux pour nous qu'ils eussent cinq autres
» provinces que d'avoir la Rretagne ; car tous les meilleurs
t ports de mer sont dans celte province. » — « J*aimcnûs
» mieux qu'on eût laissé Paris et Rouen sans les recouvrer,
» que de perdre la Rretagne, » écrivait de ^on côté Rurghley à
l'ambassadeur d'Angleterre.
Quant à la bravoure personnelle du Duc de Mercosur, il fau-
drait être tout-à-fait aveuglé* par l'esprit de parti ou d'une
insigne mairvaise foi pour' la mettre en doute. Il suffit de se
rappeler la proposition qu'il flt aux Espagnols lorsqu'il vint au
secours de Morlaix, assiégé par le maréchal d'Aumont. Après
avoir exposé son plan de bataille, il s'était écrié : a Je combat-
• trai à pied, une pique à la main, à la tète de trois cents
« gentilshommes. Nous donnerons tête baissée dans le centre de
» l'armée ennemie, et vous, messieurs , ajouta- t-il en s'adressant
> aux officiers espagnols, vous n'aurez qu'à nous suivre I » (2)
Non ! le Duc de Mercœur n'était ni wi ambitieux .sans portée,
comme on Ta prétendu, ni un pâle et froid prétendant. 11 n'était
ni faible^ ni indécis. C'est tout le contraire qu'on aurait dû
dire. 11 voulait rétablir à son profit la principauté bretonne, et
il marchait à son but avec une audace , une habileté et une
persévérance qa'on ne rencontre pas chez les hommes d'un
(1) Voir Rymer, tome YII, page 47.
• (2j Dom Taillandier.
- 131 -
esprit médiocre. Il ne Jouait pas au Monlfort. Il prenait son rôle
au sérieux , et s'il jouait quelques uns , c'était assurément ceux
qui mettaient obstacle à ses projets dynastiques*
J'en trouve une nouvelle preuve dans l'épisode suivant : c Vingt-
I cinq députés Malouins s'étaient rendus à Dlnan pour demander
• au Duc la sanction de leur conduite passée et l'approbation
» du régime démocratique qu'ils avaient institué dans leur ville»
I et dont les statuts lui avaient été soumis à Pontorson. Mer*
» cœur, qui n'avait plus besoin de les flatter, ni de les craindre,
» leur répondit que ce programme détestable consacrait un prin-
r cipe opposé à la constitution du royaume , et tendait à les
» affranchir de toute autorité étrangère ; qu'il ne laisserait jamais
» debout une pareille forme gouvernementale, née de Tambition
» et de l'avarice d'une douzaine de factieux , que Içs habitants
» avaient eu le malheur de suivre ; qu'il les invitait , eux ,
» députés, hommes honorables, à ramener dans le sentier du.
» devoir une population égarée, f^
• Je craindrais y dit-il en finissant, si je me rendais à vos
» vœux , que le» rois sortissent de leurs tombeaux pour me
> reprocher d^ avoir laissé se former à ma barbe , au sein dune
t monarchie^ une institution populaire^ une République \ 9 (i)
Les députés Malouins remercièrent le Duc de l'intérêt qu'il
daignait porter à leur cité , ajoutant : t qu'ils sentaient que le
» gouvernement d'un seul était préférable à celui de la multitude,
» et que les Malouins s'en accomoderaient fort , si la mémoire
» encore^ récente des vexations du comte de Fontaine, leur gou-
» vemeur, ne leur faisait craindre de retomber dans les mêmes
I inconvénients ; que leur intention n'avait jamais été de se
> soustraire à l'obéissance qu'ils devaient aux Rois, ni de s'ériger
i en République , mais de songer à leur conservation , et de
(l) Manuscrit de La Landelle» page 91. (Ribliothèque de Saint-Brieuc.}
— 132 —
» prendre des mesures contre la tyrannie des gouverneurs qui,
» dans ces temps de licence , se croyaient tout permis ; que ,
» du reste, ils promettaient de rentrer dans Tobéissance des Rois,
» lorsqu'il plairait à Dieu d'en donner un à la France, qui fût
» chrétien et catiioliquc. » (^)
A ces paroles, toute la violence du prétendant éclata : « Vous
» me parlez de Rois, s'écria- 1 il, en tiraqt. soa épée.;^^ vei4x
» que vous sachiez qu^iU ne tn'wit jamais fciÂt la loi, et quand
». ils me la voudraient faire , fai de meilleures villes que la
» vôtre pour les en empêcher. » Qne dpit^on conclure de ces
deux réponses contradictoires^ et qu'ea toute autre circonstance
où il ne se serait point agi de politique (2), personne n'hésite-
rait à qualifier d'insigne mauvaise foi, que conclure ^ si ce n*est
qu'Emmanuel de Lorraine n'avait d'autre hut que celui de recons-
tituer à son profil l'ancienne principauté bretonnci quoiqu'il n'ait
jamais publiquement avoué celte prétention.
Voilà l'homme qu'on a représenté comme un sujet de risée
pour les courtisans du roi de France (3). Henri IV apprécia d'une
toute autre manière que les historiographes de cour l'importance
politique et les qualités guerrières du vainqueur de Craon. Ne
pouvant le réduire à coups de canon , comme l'avait voulu son
premier ministre , il se décida à acheter sa soumission. Elle lui
coûta assez cher: 6,295.350 livres (4), d'après les mémoires mômes
de Sully. Dans le traité signé le 20 mars ^598, la rébellion de
Mercœur fut excusée , parce qu il fut considéré comme n'ayant
(i) Dom Taillandier, 2* vol., page 395.
(2) Il est bien entendu que je ne parle ici que de la politique en usage
au i6« siècle.
{d)K,.,. , Notice des artistes et écrivains Bretons. Esl-cc à Taide de
pareils faits qu'on a cherché à démontrer Tindécision de caractère du Duc
de Mercœur! Quant à moi , j'y irpuve la preuve opposée , c'est-à-dire
celle de sa résolution ferme et bien arrêtée de devenir prince souverain
de la Bretagne.
(4) Somme énorme en ce temps -là
— 133 —
pris les armes que dans Tinlérét de la religion catholique. Le
Roi se déclara content de lui , le reconnut pour son loyal
sujet, lui rendit tous ses biens et honneurs, excepté le gouver-
nement de Bretagne, oubliant et abolissant le passé, rétablissant
tous ses partisans dans leurs charges , moyennant serment de
fidélité» maintenant les privilèges de la ville do Nantes, etc. Mer-
cceur tomba ! mais il tomba en souverain. Henri IV dut s'estimer
heureux de cette soumission , malgré les sacrifices qu'elle lui
imposa , car il n'avait plus d'argcjnt pour payer ses troupes.
« Je n'ai pas trouvé un escu pour y satisfaire, écrivait-il à son
• compère le connestable de France. Gela m'a fait prendre party
» pour lui , craignant son obstination , quand il descouvriroit
• mes. incommoditez , et scauroit mes forces demeurées inutiles
» et languir par faulte émargent. • (1)
Que faut-il penser, après un tel aveu, de la sincérité et de
l'expérience de ses courtisans qui lui conseillaient de traiter avec
le Duc à 'coups de canon. Dans cette circonstance , le. Roi fut
plus sage que le sage Sully, qui avait dit qu'il fallait marcher
droit sur Nantes, et n'écouter aucune proposition qu'après s'en
être emparé* Meilleur juge des difficultés de la situation, qui
était encore très tendue, comme on dirait aujourd'hui, il témoigna
en ces termes son mécontentement à son ministre : « En telles
» aiTaires , je ne communique mon opinion à personne , et à
i moi seul appartient en mon royaulme d'accorder, traiter, faire
i guerre ou paix , ainsi qu'il me plaira. Ce a esté une grande
i témérité aux officiers de ma dicte chambre (la chambre des
• comptes) de penser diminuer un iota de ce que j'ay accordé ;
i nulle compagnie de mon royaulme n'a été si présomptueuse,
i Aussi ne les fais je pas juges ni arbitres de telles choses. »
(i) Nous avons vu ailleurs que le Duc de Mercœur manquait aussi
de Taisent que TEspagne lui avait promis, et qu'elle ne lui en envoya
point. C'est donc la que^ion d'argent qui, dans ceUe circonstance, décida
de la paix.
. — 134 —
M. L. Grégoire- me parait donc bien éloigné de la vérité, et
il ne fait pas preuve d'imparlialité quand il dit que le Duc de
Mercœur- « n'avait fait que du mal, et qu'il tomba sans gloire
pour lui-même et sans profit pour la cause qu'il n* avait pas su
défendre. »
Il n'avait pas su défendre sa cause, dites -vous? tous ses
actes, les lettres que nous avons mentiannées au commencement
de cette étude , enfin les articles même du traité de paix sont
là pour attester, au contraire , qu'il la défendit , non-seuiemeot
avec opiniâtreté , — puisqu'il fut le dernier des chefs de la
Sainte^Union à remettre Tépée dans le fourreau, — mais encore
avec énergie, prudence et persévérance, ces trois qualités pra-
tiques qui sont le gage du succès , lorsque, le succès n'est pas
impossible.
C'est encore M. Grégoire qui va nous en fournir lui-même la
preuve : a Deux points, dit-il, furent abordés dans les conférences
» qui eurent lieu au sujet de la paix : ^^ les députés de Mer-
» cœur demandent qu'il n'y ait en France, au moins en Breta-
» gne, qu'une seule religion : on leur répond qu'une province ne
» peut faire la loi au royaume ; le Roi, d'ailleurs, veut que les
» calvinistes jouissent des avantages de l'édit de 1577. La Rago-
» lière (procureur général des Etats de Mercosur) soutient que les
» édits n'ont aucune force dans la province, si les Etats ne les ont
» pas acceptés: l'édit de 1577 était donc nul pour la Bretagne;
» 2^ Les dépulés du Roi demandent à leur tour que le Duc fasse
• sortir les Espagnols de la province ; ils s'engagent à éloigner
» les Anglais et les Suisses, qui défendent la cause royale. Leur
» but évident était de gêner et de déconsidérer Mercœur, car il
• n'avait pas assez d'autorité pour renvoyer ses alliés , ils res-
• taiçnt malgré lui ; aussi déclarait-il qu'il ne pouvait accepter
» cette condition , avant que la religion ne fut assurée par un
• traité. Mauvaise défaite , dont personne n'était dupe , même
— 135 —
» dans son parti! t Celte réflexion ne me semble pas très logi-
que. Les députés du Roi font des propositions qu'ils savent
d'avance- ne pouvoir être acceptées par le Duc de Mercœur ; ils
les font dans Tintenlion de le gêner et de le déconsidérer, ce qui
est peu loyal de la part des négociateurs royaux , et vous qua-
lifiez de mauvaise défaite le refus de Mercœur. Non I je le ré-
pète, ce n'est pas logique , et ce n'est pas donner une preuve
de cette impartialité qui doit toujours servir de guide à un
historien I
M. Grégoire continue (voyez page 331) : « Comme récrivait
• Duplessis au Roi , les députés (ceux de Henri IV) ont eu ce
» but , en cette conférence , de faire voir aux peuples que Sa
» Majesté voulait la paix (en proposant des conditions inaccepta*
» bles)^ et de laisser le blasme des longueurs à ceux de la Ligue...
• Ils ont d'ailleurs bien l'opinion que M»'' de Mercœur voudroit
1 venir à une paix , mais si avantageuse , qu'elle lui affermisse
i sa condition. >
Mercœur en acceptant ces conférences, ajoute M. Grégoire, et
en faisant ces propositions, voulait que l'on crût à son désinté-
ressement , à son désir sincère de défendre la cause catholique ;
il savait que ses propositions ne pouvaient pas être acceptées
par Henri IV ; il voulait s'en faire honneur auprès des catholi-
ques , et les rallier plus courageux et plus dévoués que jamais
sous son étendard. « Mercœur veut avoir cette gloire parmi tous
i les chefs de la Ligue , d'avoir fait et obtenu une loi particu-
• lière pour ceux qui l'ont suivi, afin d'attirer à soi la protection
• de la religion de tous les côtés du royaume, t (De Thou, —
livre 7.)
Et voilà ce que M. Grégoire appelle ne pas savoir défendre
s^ cause. Mais il me semble, au contraire, que c'est la défendre
avec beaucoup d'habileté et à armes égales , c'est-à-dire que la
franchise n'existait d'aucun côté ^ que la môme politique astu-
— 136 —
cieuâe animait les deux partis , et qu'ils n'avaient aucun désir
, sincère de la paix , puisqu'ils se fôlsaîent réciproquement des
propositions qu ils savaient inacceptables et môme impossibles.
L'humeur belliqueuse , l'esprit entreprenant d'Eaunanuel de
Lorraine, ne pouvaient rester long temps dans Tinaclion. Après
le mariage de sa ûlle unique avec le Duc de Vendôme , fils
naturel de Henri IV, ii partit pour la Hongrie où il servit d'abord
en qualité de volontaire. Il prit ensuite le commandement en chef
de l'armée que lui avait offert l'Empereur Rodolphe , menacé
par les Turcs. Avec 4,500 hommes seulement, le Duc de
Mercœur n'hésita pas à attaquer Ibrahim, et l'obligea à accepter
la bataille : après avoir épuisé ses vivres et ses munitions , il
opéra sa retraite en présence de 60,000 Turcs , qui ne purent
l'arrêter ni l'enfamer ('!). Il reprit bientôt après Albe-Royale, et
battit l'armée ennemie qui marchait au secours de cette place.
Epuisé de fatigues , il revenait en France pour prendre un peu
de repos, lorsqu'il fut atteint d'une fièvre maligne dont il
mourut à Nuremberg, le 49 février 1602, à l'iLge de 44 ans.
Ses restes furent transportés en Lorraine , où on lui fit des
obsèques magnifiques. Son oraison funèbre fut prononcée à
,Notre-Dame de Paris par saint François de Sales (2). Pour
défendre le Duc contre les attaques dont il a été l'objet de la
part d'un grand nombre d'écrivains , M. de Courson cite
un passage de cette oraison dans laquelle le saint Prélat dit
qu'Enmianuel de Lorraine «ne touchait la terre que des pieds;
», comme la perle se conserve pure et nette au fond de la mer,
9 ne sortant jamais de sa coquille que pour recevoir sa nou^
» riture de la rosée du cieL . c'était la douceur et la patience
• môme , un des remparts de la chrétienté, un des protecteurs
(1) Des connaisseurs ont comparé cette retraite à celle'des 10,000 Grecs
commandés par Xénopbon.
(2) Voir YHistoire des peuples Bretons , tome II.
- 137 —
» de la Foi, le guidon du Cruclflx, etc. • Tel fut Mercœur, ajoute
M. de Courson, mais M. de Voltaire , dans sa Henriade , poème
très monarchique, dit-on, n'a point donné au guidon du crucifix
les louanges que lui prodigua saint François de Sales ; de là la
sévérité des historiographes de cour envers Emmanuel de Lor-
raine. Le Béarnais se montra beaucoup plus généreux : il fit
célébrer à Paris et à Nantes un magnifique service pour le repos
de l'âme du chef des ligueurs Bretons , race dont il savait , lui
politique , respecter les croyances inébranlables et le dévouement
antique. Je suis bien éloigné de partager les idées de M. de Cour-
son (i) sur Fesprit de la Ligue en Bretagne et sur le rôle que
le Duc de Mercœur a joué dans ce terrible drame ; cependant
je pense, comme lui, que ce n'est pas la Henriade qu'on doit
consulter pour bien connaître le véritable caractère des chefs de
la Sainte -Union.
Mais, d'un autre côté , je crois aussi qu'il faut se tenir en
garde contre les louanges emphatiques de l'illustre évêque de
Genève. Ce n'est pas sur le bord d'une tombe encore ouverte
qu'on écrit l'hisloire, et qu'on juge froidement et avec impartia-
lité les actions d'un grand homme. D'ailleurs , le père , Taïeul
et le bisaïeul de François de Sales avaient été pages d'honneur
dans la maison des Martigues (2), et peut-être cédat-il à un
sentiment de gratitude qu'on ne saurait bl&mer, il est vrai, mais
qui atténue l'autorité de son éloquente parole. Ainsi , par
exemple , si vous cherchez dans la vie de Mercœur quelque
preuve de sa douceur et de sa patience, pour vous assurer que
saint François de Sales a parlé sans hyperbole, en le comparant
à • une perle qui se conserve pure et nette au fond de la mer,
ne sortant jamais de sa coquille que pour recevoir sa nourri •
(d) Ni celles de M. de Kerdrel , qui ont été publiées dans sa Revue de
Bretagne et Vendée, et que j^examinerai dans une autre étude.
(2) M"* de Merwur était fille de Sébastien de Luxembourg, vicomte de
Martigues.
18
- 138 -^
turc de^ la rosée du ciel, » n'ouvrez pas le tome Ht de r Histoire
généalogique de la maison royale de France^ par le père AnselmCy
car vous y liriez une anecdote curieuse et peu connue (O» qui
ne justifie ni les éloges prodigués par l'évoque de Genève à la
patience et la douceur du chef de la Ligue en Bretagne , ni les
appréciations des écrivains que j'essaie de réfuter relativement
à ce qu'ils ont dit de sa faiblesse de caractère , de son indéci-
sion , de sa circonspection , etc.
. « Quelque temps avant son départ pour la Hongrie , Favocat
» général Servin , dans une cause qui se plaidait entre le Duc
» et la dame de Riberac , lui avait refusé le titre de Prince ,
» malgré les réclamations de M«e de Mercœur, présente à
ït l'audience. Le lendemain, le Duc alla trouver Tavocat-général
» et Tapostropha ainsi : vous avez osé dire que je n*étois point
» recognu pour Prince ; vous avez menti ; vous êtes unmarauU\
» je vous tuerois ; et mettant la main sur la garde de son
» épée, il répéta : je vous tuerois j je vous couperoi le coL
» M. de Servin lui faisant des remontrances , il répliqua qu'il
» avoit menti de ce qu'il avoit dit ^ et lui couper oit le col,
» et si l'un des siens ne l'eût retenu , il est vraisemblable que
» l'événement de cette piteuse tragédie eût été funeste et déplo-
» rable. Sortant de la salle, il ajouta ces mots : Puisque je ne
» rai point tué , je lui donnerois cmit coups d'étrivières ! • Le
i Roi , à qui l'on porta plainte de cette scène scandaleuse ,
I eut le tort ou la faiblesse de blâmer le Parlement, et défendit
» de poursuivre. •
Si l'auteur des Notices des écrivains et des artistes de la Bre*
tagne avait connu cette anecdote , il est probable qu'il n'aurait
pas dit, d'après je ne sais quelque pamphlétaire henriquartiste^
en parlant du Duc de Mercœur « son air humble et déconcerté,
Içs révérences qu'il faisait aux moindres valets, et un accident
[i) Citée par M. Grégoire.
— 139 —
ridicule (crepittis), qui lui arriva en s'inclinanl devant le Prince,
lorsqu'après son accommodement (avec le Roi) il voulut le saluer,
le rendirent la risée de toute la Cour , d'autant plus qu'on se
rappelait qu'aux Etats de la Ligue il s'était mis sur les rangs pour
être élu Roi. t {\)
L'époux d'une Penlhièvre, le beau-frère de Henri III , faire des
révérences à des gens en livrée ! un Prince de l'orgueilleuse
maison de Lorraine , le vainqueur de Craon , devenir la risée
des courtisans de Henri de Navarre ! Avancer sérieusement de
tels faits, n'est-ce pas choquer le bon sens et la vraisemblance ;
n'est-ce pas méconnaître complètement les mœurs et l'esprit du
^6« siècle, n'eslrce pas enfin s'exposer soi-même au malin sourire
de ses lecteurs ?
Si le caractère et la conduite politique du chef de la Ligue
en Bretagne rencontrèrent beaucoup de détracteurs , il n'en fut
pas de même de ses qualités intellectuelles , de ses mœurs et de
ses habitudes privées. Tous les historiens ont ratifié les éloges que
Pierre Biré, avocat au siège présidial de Nantes et qui eut l'hon-
neur de vivre avec lui dans une sorte d'intimité, a faits de sa sim-
plicité, de son érudition, de son aptitude à parler très purement
l'italien, l'espagnol, l'allemand, le latin et l'anglais ; de sa géné-
rosité , de son amour pour les arts et les sciences , et surtout
pour la poésie. Ronsard était son poète de prédilection , Gui-
chardin son historien , Sénèque son philosophe , Plutarquc son
politique , Clavius son mathématicien favori. Sa bibliothèque
contenait environ ^ 8,000 volumes, provenant, dit on, en grande
partie de la bibliothèque de Pierre Le Gallo , vendue par adju-
dication à Jean Cousin de la Roche , receveur des finances , sa
créature et son mandataire dans cette acquisition , à laquelle le
(1) K.... page â82. Sa réception li Angers fut magnifique et digne de
deux illustres capilaines comme Henri IV et le Duc de Mercœur.
— 140 —
Duc attachait un grand prix (4). L'équitation et le maniement des
armés lui étaient familiers dès sa jeunesse.
Poète lui-même, il fut Fauteur dç sonnets, d'odes , de stances
daiis le genre épique. Lorsque ses affaires le lui permettaient,
il conviait à sa table des savants, des artistes, et après le repas,
il dendandait les opinions de chacun d'eux sur un sujet qu'il
avait proposé lui-même ; après les avoir résumées , il prenait la
parole à son tour, et les périodes de ses discours , dit un de
ses biographes (de Pire), contenaient autant de sentences et de
résolutions. Sa générosité, comme je viens de le dire, était fort
grande; il dépensa plus de 4,000 écus pour faire représenter,
deux nuits de suite, dans la grande salle du château de Nantes,
une pastorale ingénieuse. Fumée , son bibliothécaire et Tun de
ses historiens, rapporte avoir entendu son trésorier affirmer qu-il
payait annuellement , par les ordres du Duc , plus de 50,000
écus aux réfugiés Nantais. Ce dernier trait , si Ton se rappelle
sa pénurie d'argent , est , selon moi , le plus bel éloge qu'on
puisse faire du désintéressement (bien rare à celte époque) de
ce courageux et dernier défenseur de l'indépendance bretonne ! (2)
Je ne terminerai pas cette étude 'sans payer à l'œuvre de
M. Grégoire mon humble tribut de sympathie. C'est un livre
dont la lecture est à la fois instructive et intéressante. On y
trouve de curieux détails sur les véritables motifs , peu connus
et trop négligés jusqu'ici par les historiens , qui déterminèrent
le gouvernement anglais à s'immiscer dans les affaires de Breta-
gne. Mais je le répète , l'auteur de la nouvelle Histoire de la
(i\ Archives de Nantes,
(2)- Comparez cette cour poétique et honnête du Duc de Mercœurà
celle de Henri 111, où régnaient les vices les plus honteux, les plus abomi-
nables débauches, et jugez après cela si le Duc n'avait pas quelque
raison de vouloir soustraire la Bretagne au joug démoral iôaleur dju dernier
des Valois.
Yie de Mercœur, page 259.
^ 141 —
Ligue en Bretagne a jugé le chef de cette Ligue trop sévèrement,
et à un point de vue beaucoup trop français ; il l'a apprécié
plutôt avec la rancune d*un henriquartiste ^ s'il m*est permis
d'employer cette expression , qu'avec rimpartlallté , le sang-froid
et la gravité d'un historien. Il n'a tenu aucun compte des inex-
tricable difficultés de la position dans laquelle le Duc de Mer-
cœur se trouvait engagé , et qdi paralysaient incessamment ses
moyens d'action. M. Grégoire a poussé son antipathie pour
le chef de la Ligue au point de lui reprocher f d'avoir
débuté par l'ingratitude et terminé sa carrière par le mensonge
et la faiblesse. » Je crois avoir réussi à démontrer, en m'ap-
payant sur la meilleure autorité» c'est-à-dire celle des faits, que
la prétendue faiblesse du Duc n'était que de l'habileté et de la
prudence , et que » d'ailleurs , il ne pouvait rien tenter de
décisif, puisqu'il manquait d'argent et de munitions. Henri IV,
de son côté , s'en trouvait dépourvu. Quand deux partis se
trouvent dans une telle situation , ils sont bien obligés d'en venir
à un accommodement. Quant au reproche d'ingratitude, M. Gré-
goire oublie de dire envers qui -le Prince Lorrain s'en rendit
coupable. Etait-ce par hasard envers Catherine de Médicis et
les exécrables promoteurs de la Saint-Barthélémy, ou envers ce
faible et perfide Henri lU » qui le nomma , il est vrai , au gou*
veroement de la Bretagne , mais qui le délia lui-môme du ser*
ment de fidélité, en faisant assassiner les Guises, parents du Duc,
et membres comme lui de la Maison de Lorraine.
Pour ce qui concerne le mensonge et le manque de foi du Duc
deMercœur, est-ce bien là un grief sérieux? est-ce que le men-
songe , la perfidie » les faux serments , l'astuce , la trahison ,
n'étaient pas à l'ordre du jour pendant toute cette calamiteuse épo-
que. Je ne dis plus rien de sa prétendue soumission aux volontés de
sa femme. C'est une plaisanterie inventée par les folliculaires de
l'époque pour le ridiculiser, s'il y avait toutefois, quelque ridicule
— 142 --
à céder aui conseils, et à subir Tascendant d'une princesse qui
était d'une beauté remarquable et d'une intelligence supérieure.
On a fait un crime à Emmanuel de Lorraine d'avoir subor^
donné la défense de la religion à l'intérêt de sa grandeur per-
sonnelle {\), et un mérite au Béarnais d'avoir dit et prouvé que
Paris valait bien une messe (2), On applaudit l'un parce qui'
a réussi ; on si£Qe l'autre parce qu'il est tombé. Voilà bien la
justice des partis : toujours le vœ victis !
Sauf cet examen insuffisant des faits qui concernent spéciale-
ment le Duc de Mercœur , et quelques inexactitudes , qu'une
critique rigoureuse serait fondée à lui reprocher, telles par exemple
que son appréciation très contestable sur le rôle qu'il attribue
aux paysans , la nouvelle Histoire de la Ligue en Bretagne ,
de M. L. Grégoire, histoire qui lui a servi de thèse pour le
doctorat, est une œuvre considérable à pllis d'un titre. Elle
ouvre la carrière à la discussion et à la critique sur l'une des
époques les plus importantes et les moins connues de nos anna-
les ; sur un sujet, enfin, que la plupart de nos écrivains n'abordent
qu'avec beaucoup de circonspection , de répugnance môme , à
cause de la part active que les doctrines religieuses ont prise à
l'accomplissement des événements politiques et militaires dont
notre province a été le théâtre, pendant la dernière moitié du
46« siècle.
DUSEIGNEUR.
-^•<-
{\) L. Grégoire , Histoire de la Ligue, page
(2) Ce mot tant prôné n*étail selon moi qu'une ironie sceptique fort
déplacée dans la bouche d'un roi nouvellement converti à la foi i^tholique.
Le Chemin royal de la Sainte-Croix
( Imitation de /. C. — Liv. If, chap. 42. )
Celle parole semble dure ;
La chair se révolte et murmure ,
Rien qu'à l'entendre prononcer :
« A vous même il faut renoncer ,
» Porter votre croix sur la terre,
» Suivre Jésus jusqu'au calvaire ,
» Sans vous plaindre et sans vous lasser. »
Mais il sera plus dur encore
D'entendre cette voix sonore
Tomber sur les hommes charnels :
« Maudits , c'est le jour de vengeance ;
» Relirez- vous de ma présence ;
» Allez dans les feux éternels I »
— lu —
Celui gui maintenant ééoule
Celle parole de la Croix ,
Et qui suit humblement sa route',
Ne craindra point une autre voix.
Quand sonnera Theure suprême ,
L'instant où le Verbe Eternel
Pour nous juger viendra hii-méme ,
. Où sa croix luira dans le ciel ;
Alors , ceux qui Tauront suivie
Comme exemple durant leur vie ,
Les crucifiés en esprit ,
Confiants au Souverain Maître ,
Heureux de le voir apparaître ,
S'approcheront de Jésus-Christ.
Pourquoi donc craignez-vous de suivre une bannière
Qui vous offre un trône pour but î
La Croix ouvre le Ciel ; la Croix est le salut,
L'arbre de vie et de lupaière.
La Croix contre les ennemis
Est un impénétrable asile ;
Elle est une source fertile
En douceurs, eu biens infinis.
La force de Tâme en dérive ,
Et la vertu devient plus vive
En un cœur près d'elle abrité j
De l'esprit la pure allégresse
Devant la Croix s'unit sans cesse
Au comble de la sainteté.
Point de salut pour vous , point de ferm« espérance
De l'éternité sans la Croix.
Prenez , portez la vôtre avec persévérance ;
Suivez du Divin Maître et l'exemple et la voix.
- 145 -
Chargé du bois de son supplice ,
Jésus a marché devant tous ;
Par son généreux sacriOcé
Un Dieu s*est immolé pour nous.
Si voire désir l'accompagne ,
Si vers la terrible montagne
Avec lui vous allez mourir ,
Aux douleurs succède la gloire ;
Vous aurez part à sa victoire
Pendant Tétemel avenir.
Tout consiste à porter sa croix avec courage ,
A souffrir sans murmure un misérable sort ,
A nous sacrifier pour rendre témoignage
De notre foi jusqu'à la mort.
ta Croix mène au triomphe , à la béatitude ,
A la paix , à la quiétude ;
C'est le phare éclatant du porl.
Allez où vous voudrez ^ cherchez en votre doute
Un but plus élevé , quelque meilleure route ;
Vous n'en saunez trouver de plus sûr que la Croix.
Supposez votre sort réglé selon vos vues ;
Encore souffrirez^vous parfois
Des tourmens, des peines ardues.
Ou de force ou de gré , la Croix ; toujours la Croix !
Tantôt douleurs du corps , tantôt peines de Tàme ,
Délaissement de Dieu , persécution , blâme ,
Luttes avec soi-même , efforts sans résultat ,
Trouble irrémédiable et désolant état ,
Jusqu'au jour où , prenant en pitié nos- misères ,
Le Ciel abrégera ces épreuves amëres-
C'est de lui , c'est de Dieu que vient l'affliction ,
L'ordre de tout souffrir sans consolation ,
Afin que , plus soumis , et plus humble et plus digne ,
Vous marchiez sans détours au but qu'il vous assigne.
1»
— 146 —
Des souffrances du Christ nul cœur n'est bien louché
Que si par le malheur il en est rapproché.
Voilà pourquoi la Croix , pour vous toujours dressée ,
Vous attend , vous poursuit, vainement repoussée.
Que vous sert de la fuir ? Elle suit tous vos pas ;
Elle s'attache à vous , ne le sentez-vous pas î
Regardez en vous-même , au dehors : le supplice
Impose k tous les rangs tourment et sacrifice.
Patience ici-bas pour mériter' la paix ,
La couronne du Ciel et sa gloire k jamais !
Oui , si c'est de bon cœur que le chrétien la porte ,
La Croix le portera , fidèle et sûre escorte ,
Au terme désiré de ses rudes travaux
Qui ne font que changer en ce séjour de ihaux.
S'il la porte k regret , le fardeau qu'il s'impose
L'accable ; et par instans en vain il se repose j
Il lui faut jusqu'au bout en soutenir le poids ,
Ou risquer , s'il la quitte , une plus lourde croix.
Voyez , voyez Jésus : quelle heure de sa vie
Aux humaines douleurs ne fut pas asservie ?
« 11 fallait , nous dit-il , que le Christ succombât
» Avant de triompher au terme du combat.
M II fallait qu'il subit l'épreuve expiatoire
» Avant de s'élever k l'immortelle gloire î » ^
— Comment -donc voulez-vous suivre un autre chemin
Que la Croix où souffrit le Modèle divin ?
L'existence du Christ ne fut qu'un long martyre ;
Et vous vous adonnez k ce qui vous attire
Vers une courte joie , un passager bonheur ,
Vous égarez votre âme en quelque espoir trompeur !
— Ul —
Malgré ces \ains désirs , celle folle espérance ,
Vous reucoutrez partout la peine et la souffrance ;
Et vous TOUS abusez en cherchant ici-bas
D'autres réalités que des croix sur vos pas.
11 peut même arriver que plus une âme est belle ,
Plus elle est en progrès vers la vie éternelle ,
Plus l'Esprit du Seigneur Téclaire dans ses choix ,'
Plus aussi de sa chaîne elle sent tout le poids ;
Car son amour pour toi , Vérité Souveraine ,
Accroît de son exil Tintolérable peine.
Cependant , cet homme affligé
Et tourmenté de tant de sortes
Par des réflexions plus fortes
Se trouve parfois soulagé.
Car il sait combien il profite ,
Même en dehors de tout mérite ,
En se résignant de bon cœur.
Il attend avec confiance
De la divine Providence
Le don réconciliateur.
Plus son corps souffre et s*humilie ,
Plus son esprit se fortifie
Si la grâce prend le dessus.
Il chérit môme sa torture ;
Car toute peine qu'il endure
Le rend plus conforme k Jésus.
C'est de Jésus aussi que lui vient celle grâce :
11 puise en son amour ce désir efficace
De vaincre la chair par l'esprit ,
De supporter , d'aimer , de souhaiter la peine ,
De sourire aux douleurs de la nature humaine ,
De s'immoler pour tous , à Texemple du Christ.
— 148 -
Non , ce n'est point reflet de la force mortelle
Que de tels sentiments s'élèvent dans un cœur.
Dieu seul donne à Fesprit cette grande ferveur
Qui le rend triomphant de notre chair rebelle ,
Jusqu'à lui faire aimer l'objet de son horreur.
Porter , aimer la Croix , endurer l'injustice ,
Châtier , asservir son corps , fuir les honneurs
Et les prospérités du monde et leur délice ,
Se mépriser , s'ofirir en constant sacrifice
Aux dédains , aux revers , aux dangers , aux malheurs ;
Oh I c'est un redoutable et pénible exercice ,
Pour toute force humaine un sujet de frayeurs.
Mais le pouvoir d'en haut, dès que Tâme s'y fie ,
Lui soumet et le monde , et la chair et la vie.
Ne craignez plus Satan , dès qu'armé de la foi ,
Vous portez de Jésus l'invincible bannière ,
Le signe de la Croix éclatant de lumière ;
Qui jette à tout l'Enfer un douloureux eff'roi.
En disciple fervent, en serviteur fidèle ,
Au maître obéissez , suivez votre modèle ;
Il mourut sur la Croix par charité pour vous ;
Ne vous plaignez donc pas de supplices trop doux.
A souflrir mille ennuis formez votre courage ;
Mille incommodités seront votre partage ;
Elles naîtront partout et courront sur vos pas ;
Vous-vous cachez en vain ; vous ne les fuirez pas.
Ainsi le veut la loi de la nature :
Pouf triompher des peines, des mallieurs ,
Il faut d'abord que l'homme les endure.
La PATIBNCR EST l'ESPOIR DES DOULEURS.
— 149 —
D'un cœur joyeuç buvez donc le calice ,
Si TOUS Youlez être ami de Jésus ;
Avec amour partagez son supplice ,
Pour prendre part aus gloires des élus.
Laissez k Dieu la grâce consolante ,
Pour qu'il eu use ainsi qu'il lui plaira ;
Et recevez pour faveur excellente
L'adversité , quand elle vous viendra.
Car la souffrance , et sa longue morsure ,
Est une épreuve , un rude et droit chemin
Vers les douceurs de la gloire future ,
Un petit mal pour une grande tin.
Quand vous aurez , malgré vos chaînes,
Réalisé tant de progrès ,
Qu'exempt de plainte et de regrets ,
Vous trouviez du charme à vos peines ;
9 Quand , pour Tamour de Jésus-Christ ,
Vous goûterez , d'un sage esprit ,
La souffrance , en biens si féconde ;
Alors , estimez-vous heureux ;
Ne poursuivez plus de vos vœux
D'autre Paradis en ce monde.
Mais tant que vos sens révoltés
Se laissent aller au murmure ,
Tant que les maux de la nature
Par vos efforls'spnt évités,
L'effroi de votre cœur redouble ;
Un plus amer et profond trouble
Egare vos pas emportés.
-- 150 —
L*étal où vous devez vous mettre
Est de souffrir et de mourir ;
Alors, vous pourrez vous promettre
Secours et paix dans l'avenir.
Quand vous auriez, comme FApôlre ,
Eté ravi d'un Ciel k Tautre ,
Vous resteriez sujet aui pleurs ;
Dieu voulut lui faire connaître
Combien , pour le nom de son mailre,
Il devait souffrir de douleurs.
Oui , prenez part k son supplice ,
Si vous voulez aimer Jésus ,
Vous attacher k son service
Par les efforts qui lui sont dûs.
Plût au Ciel que vous fussiez digne
De porter quelque plaie insigne
En rhonnéur du Maître Divin !
Pour vous quelle oeuvre méritoire î
Quelle joie aux Saints dans leur gloire ! «
Quel exemple pour le prochain !
Chacun recommande et professe
I^ patience dans les maux ;
Mais quels sont ceux dont la sagesse
Va jusqu'à chérir leurs fardeaux ?
Oh I trêve k nos paroles vaines t
De bon coeur endurons nos peines
En pensant au Dieu mort pour nous.
Tant d'autres souffrent pour le monde
Plus d'une torture inféconde ,
Et savent sourire à ses coups !
— im -
Dites-vous bien que voire vie
Doit être une heureuse agonie
Qui vous enlève k ce bas lieu.
Pins un homme sent en lui-même
Que la mort est son bien suprême,
Plus il commence k vivre eu Dieu.
Nul des choses du Ciel n'aura rintelligencc
S'il n'est prêt k souffrir avec un doux esprit.
S'il cherche k mieux passer que dans la pénitence
Un temps qui le prépare au Royaume du Christ.
Si vous pouviez choisir dans le trésor céleste ,
Il faudrait préférer aux consolations
La Croix où le Sauveur en vous se manifeste ,
Les épreuves des saints et leurs afflictions.
Pour grandir en vertus avec quelque mérite,
Comptez peu sur la joie et les dons de l'esprit ;
C'est dans l'adversité que le sage profite ,
Et devient, k la fin, digne de Jésus-Christ.
S'il était un moyen meilleur et plus utile
Pour le salut que de souffrir ,
Jésus nous eût donné cet exemple facile ,
Et le Ciel k sa voix serait prompt a s'ouvrir.
Mais k porter la Croix sans cesse il nous exhorte ;
Aux disciples, au peuple il parle delà sorte :
ff Si quelqu'un, mes amis , veut venir après moi,
» Que pénétré d'une foi vive ,
» n renonce aussitôt k soi ;
» Qu'il prenne sa croix et me suive I »
— 132 —
Toul bien examiné, concluez doDc ainsi :
G'esl par l'affliction que vous aurez merci ;
Par de§ tourments nombreux, une longue disgrâce,
Qu'au Royaume céleste enûn vous prendrez place.
A. GUICHON DE GRANDPONT.
-^••s-
NOTICE HISTORIQUE
LE COIIVENT ET L'ECLISE DES C4RIES
£2^£I^£^^'0?
L
Dès le êommencemeDt du XVI' siècle , on voyait dans le fau-
bourg de la ville de Brest, une petite église dédiée à Saint-Yves^
L'Hospice ou Hôtel-Dieu , dont elle dépendait , était aussi placé
sous l'invocation de ce saint Breton.
La rue où s'élevait cette église portait le nom de rue Saint-
Yves , qu'elle a toujours conservé ; elle le devait sans nul doute
à réglise et à l'hospice qui s*y trouvaient (-l).
(i) Cette rue était aussi quelquefois désignée sous le nom de rue du
Château , avant le percement de la rue qui porte actuellement ce nom.
Pendant la Révolutioù , lorsque les noms de toutes les rues de la ville
furent changés , on lui donna le nom de rue de la Liberté , qu'elle porta
tort peu de temps.
20
— loi —
Le faubourg de Brest ou du Ch&teau , qui devint plus tard
la ville, ne se composait alors que des rues des Sept -Saints,
de la rue Saint-Yves et de celle de Charronnière , ou de la
Cbarronnière , qui prenait dans le bout, passant devant l'église
de Saint-Yves, le nom de rue da Four (1).
L'église du Château, dont la fondation remontait au Xï*
siècle , était encore , à cette époque , la paroisse de la ville pro-
prement dite , qui se trouvait enfermée dans Tenceinte des murs
du Château. En dehors de ces murailles , dans le faubourg, on
voyait aussi Féglise des Sept- Saints, qui n'était qu'un prieuré
relevant de l'abbaye Saint- Mathieu.
A quelle époque l'église et l'hospice de Saint-Yves avaient-ils
été construits?... On ne pourrait le dire d'une manière positive ;
mais il est fort probable qu'ils furent élevés dès que quelques
maisons se trouvèrent agglomérées en dehors du Château : c'est-
à-dire vers la fin du XIV* siècle ou le commencement du XV«,
dans les dernières années du règne du duc Jean IV ou dans
les premières années de celui de Jean V. Alors la Bretagne
commença à jouir d'un peu de tranquillité , et les populations
purent sortir des enceintes fortifiées, pour former des villes, qui
restèrent encore pourtant sous la protection des forteresses.
n.
L'hospice et l'église de Saint-Yves existaient donc depuis plus
de deux siècles, lorsque, en ^650, des religieux de Tordre des
Carmes déchaussés sollidlèrent l'autorisation de venir à Brest
établir un couvent de leur ordre.
Le faubourg avait alors bien changé. L'église des Sept-Saints
avait été érigée en paroisse ; le faubourg avait été élevé au titre
(1; En raison d'un four public qui se trouvait dans cette partie de la rue.
(le ville ; un maire était élu par les habitants, auxquels Henri IV
avait accordé, en 1593^, le droit de bourgeoisie ; enfin, Richelieu,
voulant donner une mariue à la France, avait choisi Brest pour
en faire le premier port militaire du pays. Les travaux étaient
commencés depuis ^631 ; la population s'était aussi accrue en
proportion de l'importance que la ville avait priseJ
Le chapitre de l'évéché de Saint-Pol de-Léon et les babitants
de Brest hésitèrent d'abord à accorder aux Carmes l'autorisation
qu'ils demandaient ; mais le gouverneur du Châieau et de la
Ville, M. de Castelneau, ayant manifesté le désir de voir s'établir
à Brest un couvent de cet ordre , les diflicultés se trouvèrent
bientôt levées. Le gouverneur n'avait été que l'interprète des.
volontés du Roi.
III.
Le -17 août 1651 , les anciens maires , les gentilshommes et
les nobles bourgeois de la ville s'assemblèrent, conformément
au désir exprimé par le gouverneur, et autorisèrent les Carmes
à fonder un couvent à Brest. Le maire était alors M. G. Le
Bescon, On leur donna, pour former leur étabUssement , l'église
et l'hôpital de Saint-Yves, avec tous leurs droits, dépendances
et appartenances. A celte concession on mit pourtant quelques
réserves , entr'autres : que la compagnie du Rosaire , établie
dans l'église, pourrait continuer à s'y rassembler, et qu'elle
recueillerait des aumônes, comme elle avait coutume de le faire,
ou qu'elle se retirerait, à sa volonté. Les Pères Carmes devaient
aussi respecter les prééminences , tombes et bancs qui se trou-
Talent dans l'église, et s'obligeaient à inhumer dans son enceinte,
aux conditions précédemment existantes , les personnes dont les
ancêtres y avaient leur sépulture. Il leur était permis d'inhumer
dans l'église les habitants qui le désireraient , en s'accordant
- 156 -
avec eux, comme ils le faisaient dans leurs autres maisons ; mats
quant à la sépulture des pauvres, elle était obligatoire t si tant
» est, dit le traité, que ceux à qui il appartient par leur charge
» de les inhumer, voulussent les refuser et les priver de ladite
» sépulture , sous prétexte de la seule pauvreté. 0
Ces conditions furent acceptées parles RR. PP. Jérôme de Saint-
Jacques et Hyacinthe de TAssomption , religieux des Carmes
déchaussés, commissaires du R. P. Ange, provincial de Tordre.
t/acte fut passé au Château, en présence de M. de Courtois ,
lieutenant de Roî, qui le signa en Tabsence du gouverneur (^).
L'année suivante quelques habitants ayant réclamé contre Fauto-
rîsatîon donnée aux Carmes , prétendant qu'on ne leur avait pas
laissé toute la liberté requise en pareille circonstance, les maire ,
bourgeois et habitants se réunirent de nouveau, le V mai -1652,
pour délibérer sur cette affaire ; on approuva la donation faite
en -1 651 ; mais les Carmes furent obligés de s'engager, en outre,
à faire bâtir une chambre proche le couvent , pour servir d'hôpital
aux pauvres et nécessiteux de la ville. Le -12 décembre de cette
même année, ils prirent possession de J'église et de Thospice,
révoque de Léon, Henry Marie de Laval de Bois -Dauphin, ayant
donné son approbation le -19 novembre précédent. Ce furent trois
Carmes irlandais , chassés de leur pays par Cromwell , qui fon-
dèrent te couvent, dit Tabbé Tresvaux.
Cette maison religieuse est la première qui se soit établie à
Brest.
En -1654 , des lettres patentes du Roi Louis XIV leur furent
délivrées, légalisant la fondation d'un couvent de cet ordre dans
la ville. Elles furent ratifiées au ParFement de Bretagne , le 21
juillet 4659, et de nouveau le 31 juillet -1688.
(1) Jacques de Caslelneau Mauvissière , qui fut gouverneur de Brest
dei648ài65a.
— 157 —
IV.
La chambre qui devait senir d'hôpital , n*étant point encore bâtie,
en 1655, ces religieux offrirent en échange, pour la création du
nouvel hospice , deux petites maisons s'entrejoignant couvertes en
ardoises avec cour et jardin , situées au haut bout oriental de
la rue Neuve. -Ces deux propriétés venaient de leur être données
par honorable femme, Marie Pochard, veuve de François Jacolot ,
moyennant une rente de 24 livres pendant sa vie et de messes
à perpétuité après son décès. D'après ces propositions , le maire,
écuyer Michel de Roupiquet, sieur du Pin , qui avait pour éche-
vios MM. David de Lalande et Gaspar Dagar, t fit par les hérauts
» de ville avertir les bourgeois et habitants de se trouver, le
» second jour de novembre , à l'issue des vêpres , en l'Eglise
» des Sept-Saints , au son de la cloche qui se fera entendre. »
Messire Charles Colas , seigneur de Cintré , était alors lieute-
nant de Roi de la Ville et du Château de Brest, où il comman-
dait en l'absence de M. de Castelneau , toujours gouverneur.
Le 2 novembre ^^l55, conformément à la convocation du
maire, les bourgeois et habitants de la ville se réunirent dans
l'église des Septs-Saints après vêpres,, t La réunion se compo-
» sait de la plus grande et la plus saine partie des habitants. »
Ce jour, après la lecture des propositions faites par les Carmes,
qui avaient alors pour prieur le P. Louis de Saint -Joseph, et
pour procureur le P. Clément de Saint-Georges, on nomma quel-
ques membres de l'assemblée pour aller visiter les maisons , et
comme il se faisait tard , on leva la séance. Le lendemain , 3
novembre , dès neuf heures du matin , on se réunissait chez le
maire (il n'y avait point alors d'Hôtel-de-Ville), et sur le rapport
des délégués, on acceptait à l'unanimité le soffres des PP. Carmes.
Kn outre de ces deux maisons ils donnèrent encore « une somme
— 158 --
de 75 livres en espèces de louis d'argent. » Ainsi, ils devinrent
propriétaires de Téglise et de Thôpilal de Saint-Yves ; mais ils ne
restèrent pas moins dans l'obligation d'observer les autres condi-
tions stipulées dans les premieri actes, laissant à l'hôpital nou-
veau, pour la subsistance des pauvres, toutes les rentes données
et cédées à cet établissement (4).
Néanmoins, en 1676, les commandeurs de Saint-Lazare et du
Mont-Carmel les assignèrent pour les faire se désister et départir
des biens appartenant à l'hospice de Saint- Yves de Brest, m
en dépendant. Les RR. PP. les renvoyèrent devant les maire
et échevîns , qu'ils assignèrent de leur côté.
Y.
En ^686, les Carmes, que l'on Irouve toujours empressés de
se rendre utiles aux habitants, demandèrent l'autorisation d'établir
à leurs frais et sans de nouvelles quêtes , un hôpital à Recou-
vrance , « sachant , disaient-ils dans leur requête , l'obligalioii
» qu'ils avaient de rendre service à toute la ville , en recon-
» naissance des bontés qu'on avait pour eux, et ne pouvant,
» vu les difficultés de passer l'eau la nuit , le passage étant
» fermé , porter secours aux habitants de Recouvrance. » La
communauté de la ville accorda le -18 septembre, avec empresse-
ment , l'autorisation demandée. La requête avait été présentée
(t) Les àmx maisons données çn 4655, qui étaient situées au haut de
la rue Neuve , vis-à-vis la plate-forme , vulgarisée le boulevart, furent
vendues la somme de 36 livres de cens et rente par chacun an , h perpé-
tuité, le 3 mars 1671, k un nommé Louis Landrin, maître chapelier. Elles
n'étaient plus alors que de vieilles masures. Ce Landrin n'exécutant pas
les coudilions du contrat , en 1673 , on Tévinça et on revendit ces mai-
sons à un bourgeois de Brest, qui en offrit 33 livres aussi de cens et
rente » par chacun an et à perpétuité , dont 2/3 pour la fabrique des
Sepl-Saintset,1/3 pour Thospice.
— 159 -^
par les RR. PP. Casimir de Saint - Hilarion, prieur : Similien de
Saint • Joseph, Théodore de Saint -André et Justinien de Sainte-
Marie , procureur.
En 4691 , ils sollicitèrent aussi du Roi la décharge du droit
de 8 livres, qui se prélevait sur chaque tonneau de vin entrant
en ville , pour celui qui se consommait dans leur couvent. La
communauté de la ville donna son approbation à cette demande ;
mais le syndic de la .commune ayant « remontré » que de-
puis que ces religieux étaient établis à Brest, ils n*aYaient
donné aucune connaissance ni communication des tUres, en vertu
desquels Ils avaient fondé un couvent, sommation leur fut faite
de fournir des copies garanties des titres qu'ils possédaient ,
pour les déposer dans les archives de la ville.
L'année suivante, -1692, n'ayant probablement point obtem-
péré à l'injonction de la commune , le 34 mars , ils furent
assignés , cette fois , par huissier, pour communiquer par
originaux, au syndic de la ville, les actes, titres, etc., de
leur établissement dans Brest et des fonds et édifices qu'ils
avaient acquis depuis les quarante ans derniers. Ils com-
muniquèrent très probablement les originaux au syndic , mais
des copies ne furent point remises alors ; car celles qui existent
aux archives , et dont nous avons extrait ce qui précède , ne
portent que la date du 25 août 4 695.
VI.
L'église de Saint-Yves ou des Carmes étant fort ancienne, près,
qu'en ruines, et se trouvant d'ailleurs trop petite pour contenir tous
les fidèles qui la fréquentaient, ainsi que la communauté qui était
fort nombreuse, fut rebâtie en 4748, sur les dessins de M. Robe-
lin , directeur des fortifications de Bretagne. A la môme époque.
— 160 -"
une partie du couvent , celle qui fait face à la rue Charronnière,
fut aussi réédifiéc.
Expilly dit, dans son Dictionnaire de Géog^raphie ^ article
Brest , que cette église n'était pas grande , mais fort propre el
bien éclairée. C'est du reste celle qui existe encore. Le cloître
était petit très et peu élégant. Sur une banquette en maçonnerie
s'élevaient des portiques en charpente, supportant la toiture ; au
milieu se trouvait un parterre ; dans un des angles existait
un puits, qui fut abandonné en -1777 , les Carmes ayant obtenu
de la ville un filet d'eau suffisant pour les besoins de leur éta-
blissement.
Le couvent possédait une bibliothèque assez riche, dont
malheureusement il ne reste que quelques volumes à la bibliothè-
que de la ville.
VII.
Les Carmes furent toujours fort aimés dans Brest , et ils
méritaient de l'être , par le zèle qu'ils déployaient sans discon-
tinuer pour se rendre utiles à toutes les classes de la popu-
lation. Dans ces temps de foi et de pratique religieuse , où les
Jours de grandes fêtes plus de douze mille communiants se
présentaient à la sainte table , l'église paroissiale de Saint-Louis
ne pouvait suffire , et le clergé, trop peu nombreux, se trouvait
dans l'impossibilité de répondre à toutes les exigences de son
service ; ces religieux les suppléaient alors avec un zèle , une
complaisance qui les faisaient aimer et estimer de tous les habi-
tants, auxquels ils étaient entièrement dévoués. Quelques corpo-
rations d'ouvriers de la ville tenaient leurs séances dans la grande
salle du couvent ; la communauté de la ville elle-même se réunis-,
sait quelquefois dans leur réfectoire, avant qu'on eût acheté,
en n57, l'hôtel de M. Chapizeau, pour en faire un Hôtel-
— 161 —
de-Ville. Lors do l'épouvantable épidémie apportée à Brest par
Tescadre de M. fiu Bois de Lamotte, en 4757, épidémie qui
décima une grande partie de la population, l'EglifiC des Carmes
fut mise à h di3posiiidn de la Yiile pour en faire un hèpital ;
aussi he sera t-on point surpris, quand noua dirons que des
donations importantes leur étaient souvent faites par les diverses
classes des habitants (4).
Au moment où la Révolution éclata , ces Pères étaient fort
riches. Leur établissement occupait alors presque tout Ttlot
compris entre les rues Saint-Yves, Charronnière, des Sept-Sainls
et de Traverse : sur la rue Saint^Yves, les maisons d'habitation,
qui se voient encore, appartenaient au couvent et étaient louées
à des partieuiîers ; sur ia rue Charrennièro, une partie des mai-
sons d'habitation dépendaient aussi de la communauté ; mais celles
qui se trouvaient dans les rues des Sept-Saints et de Traverse
étaient des propriétés particulièrp,s. I/emplacement où s'élève
maintenant la Halle, était un superbe jardin à terrasses, avec un
puits au milieu,
La superficie occupée par tout cet établissement était de 2,454
toises carrées.
(!) Nous ne citerons qu'une de ces donations, c'est celle que leur fit
par testament M. Hector Daudigné, ctievalier de Grand fontaine, capitaine
des vaisseaux du Roi, décédé à Brest eu 1096. Elle consistait en une
renie de 200 livres sur l'HOtel-de-Ville de Paris. Elle était faite à la con-
dition que )1. Dandigné serait inhumé dans la chapelle de Notre-Dame ,
dans régUsé des Carmes ; que deux graod'messes seraient chantées à
son intention , à perpétuité , chaque année , Tune la veille de l'Assomp-
tion de la Vierge, et Vautre la veille de la Conception.
Ces deux jours , les religieux, prêtres du couvent, devaient dire toutes
leurs messes pour k repos de Fâme de M. Dandign6, « sous peine, auxdits
religieux présents et k venir, »> s'ils manquaient de dire les messes et
services à perpétuité, d'en répondre sur leurs consciences et de perdre la
part des 200 livres qui leur revenait et qui serait alors donnée à llloâpice.
Les Carmes acceptèrent ce legs , en présence de M. Desnos , chef
d'e&e»dre, ^xécutewr l^p^enlaire de M» Dandigné.
21
— i62 —
En outre de ce vaste enclos, ces religieux possédaient aussi,
sur la route de Brest à Guipatas , une fort belle maison de
campagne appelée le Mont-Carmel , qui existe encore.
Toutes ces propriétés , le couvent , Téglise , les maisons de
ville, le jardin et la maison de 'campagne, furent évaluées,
•en ^790 ^ par une commission dont faisait partie M. Trouille,
ingénieur de la marine, à un capital de 420,^66 livres -16 sols,
ei en revenu , au denier 22, à 5,462 livres 2 sols 6 deniers.
VIII.
Liste des Prieurs da Couvent des Carmes.
^652. — Lors de la prise de possession, le -12^ décembre -1652,
de l'église et de rhospice de Saint-Yves , ce furent ,
comme nous l'avons dit d'après Vabbé Tresvaux, trois
Carmes irlandais qui dirigèrent la communauté.
^655. — Les PP. Louis de Saint- Joseph, prieur.
Clément de Saint Georges, procureur.
1 66Î (mars;. — Les PP. Marcel de Sainte-Geneviève, prieur.
Jacques de Saint-François, sous-prieur.
Joachim de Sainte-Marie, procureur.
^664 (octobre). — Les PP. Chérubin de Sainte-Marie , prieur.
^679, -^ Les PP. Bonaventure de Sainte-Thérèse, prieur.
Salomon de Saint-Nicolas, sous prieur.
Victor de Saint-Vincent, procureur.
- 163 -
4679 (octobre). — Les PP. Marion de Sainte-Apollinaire, prieur.
Hoch de Saint Hyacinthe, sous prieur.
Jean de la Croix , procureur.
4683. — I-.es PP. Salomon de Saint-Nicolas, prieur.
Timothée de la Nativité, sous-prieur.
Jacques de SaintFrançois, procureur.
4685. — Les PP. Salomon de Saint-Nicolas, prieur»
Timothée de la Nativité, sous-prieur.
Jacques de Saint François, procureur.
4686. — Les PP. Casimir de Saint Hilarîon, prieur.
Justinien^le Sainte-Marie, procureur.
469L — Les PP. Tbéodose de Saînt-Ambroise, prieur.
4695. — Les PP. Casimir de Saînt-Hilarion, prieur.
Mélaine de Saint-Hilarion , procureur.
4696. ^ Les PP. Casimir de Saint-Hilarion, prieur.
Hyacinthe de TAssomption, sousprieuf
Yves de Saint-Samson, procureur.
4785. --r Les PP. F, Elisée de Saint-Paul, prieur.
4790. — Les PP. Elisée de Saint Paul, prieur. (<>
Florent de Saint-Julien.
Cyprien de Saint-François.
(i) Le P. Elisée de.SainlrP^ul était proviucial de l'ortlre.
ICi
IX.
A la Révolution , comme tous les autres établissements reli-
gieux , le couvent des Carmes fut conÛôqué au profit de
la nation ; son église fut ' fermée et les Pères dispersés. Un
seul, le sieur Ménourt, religieux Grand'Carme (I), déclara adhérer
entièrement à la constitution civile du clergé. Nous savons aussi
que le frère Florentin éniigra en Espagne, où il mourut probable-
ment vers -1807. Ce frère mérite une mention toute particulière:
c est à lui que Von doit les belles orgues de Téglise Saint-
Louis. Elles coûtèrent à la fabrique 80,000 livres en argent ,
plus une renie de 250 livres qui fut constituée au profit de ce
Carme. En 4804, il réclama à la fabrique de Saint-Louis sa rente,
qui ne Lui avait point été payée depuis 479^ ; il était encore en
Espagne. On s'empressa de lui faire passer les arrérages de la
rente, qu'on continua de lui solder jusqu'en 1807, époque
préèlimée de sa mort.
X.
Les Carmes , avons - nous déjà dit , étaient fort aimés et
estimés à Brest. Nous en trouvons de nouveau la preuve dans
un rapport présenté, au mois d'octobre 4790,. au conseil général
de la commune, par une commission chargée de répondre à des
questions adressées à ce conseil par le district , sur la néces-
sité de conserver ou de supprimer les établissements religieux
de la ville :
(1) Eo 1790, cette maison qui était destinée pour 24 religieux, dont 12
Carmes déchaux ou déchaussés, et 12 Grand'Carmes, ne contenait plus
que 12 religieux : 10 RR. PP. et 2.frères coûvers.
— 103 —
» Jl n'est pas on habitant , dit ce rapport , qui ne doive être
• et qui ne soit effectivement pénétré de la plus, vive recon^
• naissance pour les services importants qàe cette communauté
• n'a cessé de rendre , la nuit et le Jour, depuis son établis*
• sèment dans cette ville , et , sous cet aspect , la commission
» mirait désiré de trouver des moyens efficaces pour la conser-
» ver; mais forcée de céder à un motif d'4Jtilité pins grand
» encore Xcelui de \enir au secours des pauvres trop resserrés
• dans le iocal qu'ils occupent) » elle a cru , mais avec le plus
• vif regret, que la suppression de cette communauté était indis-
» pensable. »
Les principales raisons que faisait valoir la commission étaient :
la nécessité d'agrandir l'hôpital et de substituer à des salles
malsaines, dans lesquelles on était obligé d'entasser les malades
et les enfants, de nouveaux établissements plus spaoieux et
mieux aàrés , dont la pnaimité rendait la réunion très facile ,
et aussi de supprimer l'hôpital de Recouvrance, qui tombait en
ruiifês , ce qui épargnait les dépenses éqormes d'une reconstruc-
tion et diminuait considérablement les frais d'administration (^).
XI.
Malgré les bonnes dispositions des habitants à leur égard ,
l'année suivante, ^791, le conseil général se trouva dans l'obli-
gation de réclamer' de FAssemblée nationale le renvoi immédiat
des Carmes. Dans sa requête, après avoir rappelé les motifs sur
lesquels la commission avait, en 4790 , appuyé son opinion , il
(4) L'hôpital que Ton Vôiilait suppritner à Reconvrance n'était point
celui créé par les Carmes en 1686 , mais un autre élevé, pour remplacer
celui-là, sur un terrain situé en face de l'église SaintrSauveur , doKiué en
1692 par M. et M^ Le Gac de TArmorique, et dont le comte d'Eslrée»
avait posé la première pierre le 30 mai 1696.
^ 166 —
ajoDtait encore : « Nous avons remarqué dans le temps que les
» Pères Carmes étaient d'une grande utilité à Brest, parle zèle
i> avec lequel ils se sont toujours portés à administrer les secoars
» spirituels dans une ville qui n'a, pour le côté de Brest, qu'une
» seule paroisse pour contenir tous les habilans (a). Nous nous
» sommes plu à leur rendre à cet égard la justice qui leur était
» due , et à manifester le regret d'être forcés par des considé-
» rations impérieuses à prononcer leur renvoi ; mais les temps
» sont bien changés 11! Les principes connus à ces religieux,
» opposés à la constitution civile du clergé, font de leur maison
» un asile où se rassemblent les prêtres réfractaires , dont les
» manœuvres, qui ne tendent qu'à alarmer les consciences des
» âmes faibles et des femmes, ëi à les éloigner de leurs pasteurs
» constitutionnels et de leur paroissCi ont d^à produit des scènes
9 scandaleuses.
» Il n'est pas nécessaire d'entrer dans d'autres détails pour
» prouver qu'il vaut mieux prévenir les désordres que d'atten-
» dreque déplus grands délits soient commis, pour les punir....
» etc.-. etc....
» On le voit donc que dans une ville aussi intéressante, où
» le terrain est précieux à ménager, ce serait un très grand
» abus de conserver les Carmes , quand môme on pourrait les
» considérer comme isolés et ne vivant que pour eux mômes ;
» mais que cet abus devient inûniment dangereux , du moment
» que leur présence, par la considération ancienne dont ils jouis-
» saient , ne peut que troubler l'ordre public dans ce qui con-
» cerne le service du culte. »
Nous avons copié presqu'en entier cette requête à l'Assemblée
nationale, parce qu'elle fait connaître non-seulement les motifs
(a) « Celle ^considération , est-il dit dans une note ajoutée^à la requête.,
ferait désirer que Ton fît de Téglisc des Carmes une succursale de k
paroisse. »
-* 167 —
pour lesquels les Carmes ont été renvoyés de Brest ; qu'elle peint
le regret qu'on avait d'être obligé de ne point les conserver
après les services qu'ils avaient rendus à la ville, et l'estime qu'on
avait pour eux ; mais encore la nécessité où, en raison de leur
révolte contre les lois de l'Etat , ils mirent la municipalité, par
mesure d'ordre et de sûreté publique, de réclamer leur expul-
sion immédiate, expulsion devenue d'autant plus nécessaire que
l'andenne considération dont ils jouissaient était plus grande.
Cette adresse, dans laquelle on trouve le désir exprimé de voir
i'église des Carmes devenir une succursale de l'église parois*
siale de Saint-Louis, fut votée par le conseil dans la séance du
8 mai -1791. On arrêta qu'une copie en serait envoyée à Tévêque
constitutionnel Expilly, à Quimper, et une autre au département.
Le couvent fut fermé immédiatement.
XII.
Le vœu émis, en -1790 , par le conseil général de la commune,
de faire un hôpital du couvent , ne fut point mis à exécution.
D'abord, il servit de prison : soixante et onze prêtres non assermen-
tés ayant été envoyés à Brest , par arrêté du département, du 21
avril -179^ , qui leur donnait la ville pour prison, ils furent, par me-
sure de prudence et de sûreté , enfermés au couvent des Carmes ,
sur l'ordre de la municipalité et du district. Ils n'y restèrent que
quelques mois ; la loi d'amnistie du ^ 4 septembre de la même
année les fit mettre en liberté. Un membre du département , le
citoyen Veller, fui chargé de leur notifier l'acte d'amnistie. Le 27
septembre , accompagné des citoyens Brichet et Berthomme, offi-
ciers municipaux, il se rendit au couvent ; les détenus , réunis au
sou de la cloche, se rendirent à l'église où , du haut de la chaire,
Veller leur donna connaissance de l'arrêté du département qui ,
— 168 —
tout en leur rendant leur liberté , ne leur permettait pas , par
mesure d'ordre , de rentrer dans leurs anciennes paroisses.
Un vicaire de Saint* Lonis remercia les commissaires au nom de
ses collègues. Le lendemain , tous ces prôtrea j rendus à la liberté,
quittèrent le couvent des Carmes.
A peine s'étaient-ils retirés , qu'on transforma le couvent en
caserne pour loger les défenseurs de la patrie ; depuis il D*a pas
changé de destination. Les premiers soldats qui vinrent l'habiter,
furent les volontaires nationaux , appelés pour former le pre-
mier bataillon des gardes nationaux volontaires , qui devait être
organisée Brest. Le -10 octobre de cette année , ils arrivèrent en
foule ; la population les reçut avec enthousiasme ; .un grand nom-
bre furent logés chez les habitants , qui les réclamaient pour les
fêter dans leurs familles ; on caserna les autres dans le couvent
des Carmes.
Le bataillon de Brest et les deux autres que deva^nt fournir
le département du Finistère , étant organisés vers la fin de Tannée
-1791 , ils quittèrent la ville dans les premiers jours de janvier
4792.
XIII.
Dès cette année , 4792 , les églises de Brest étant insufiisantes
pour la population , on demanda Tautorisation de rouvrir celle des
Carmes^ Ce ne fut pourtant que le 2 février 4793 , que 'sur le
rapport du procureur de la commune \ le conseil décida cette
réouverture , qui ne devait pas être de longue durée. îl en donna
avis au district , en lui faisant connaître que la municipalité se
chargeait , « par inventaire , des ornements, des vases sacrés et
autres objets nécessaires pour la déserte de TEglise. »
Bientôt on la ferma de nouveau et ce fut alors pour long-tempS'
D'abord, en l'an 11(4798), le garde magasin des subsistances de
- 169 -
)a guerre la demanda pour y mettre ses approvisionnements. La
municipalité refusa : t parce que la chapelle en question étant
• nécessaire pour les assemblées des sections , il n*était pas en son
• pouvoir de la consacrer à un autre usage, i
C'était à cette époque qu'on plaçait sur les églises de Saint*
Louis et de Saint-Sauveur des enseignes portant les mots : Temple
delà Raison.
En Tan III, Jes plus mauvais jours de la Révolution étant passés,
et la loi du ^^ prairial (30 juin ^95) ayant autorisé tous les cultes*
le district prit, le 9 thermidor (27 juillet), un arrêté par lequel il
mettait à la disposition de la municipalité , pour les exercices
religieux, l'église des ci-devant Carmes. Cet arrêté avait été
provoqué par une pétition des habitants , renvoyée au district par
le conseil général de la commune, avec un avis favorable. Dans cette
pétition les habitants demandaient « un lieu, à titre de location ,
« ou autrement une église, pour l'exercice du culte. » La munici**
palité répondit au district, le ^^ thermidor (29 juillet) : « qu'elle
» n'avait d'autre but que de déférer à ses arrêtés ; mais qu'elle
» était instruite que ladite église ne pouvait être évacuée , attendu
» les objets qu'elle contenait et les besoins du service. »
L'arrêté du district ne put donc être mis à exécution.
En Tan IV (1795), l'église fut livrée à la guerre pour exercer
les troupes pendant la mauvaise saison , particulièrement les
sapeurs qui ne pouvaient travailler aux fortifications pendant
l'hiver. C'était au mois de frimaire (novembre) que celte remise
avait lieu ; en nivôse (janvier -1796) , on y emmagasinait des effets
militaires ; en ventôse (février) , un arrêté de l'administration
départementale la mettait tout à-fait à la disposition de la guerre ,
et le 8 germinal (28 mars) , un procès-verbal constatant l'état de
la chapelle et de ses dépendances, désormais destinées à servir de
magasins, était dressé en présence d'un agent de l'autorité civile et
22
— no-
ua commissaire des guerres; la chapelle, la sacristie, ledoitre
étaient dans un état de délabrement complet.
XIV,
* Cette môme année^ des propositions furent faites par des parti-
culiers pour acheter le couvent. La municipalité s'opposa à la
"•vente ; les raisons qu'elle fit valoir furent : l'importance , pour la
guerre , de conserver la partie occupée comme magasin , o par les
» comestibles destinés aux défenseurs de la patrie ; » l'impossi-
bilité de trouver un lieu plus convenable que le couvent pour le
logement des troupes et la nécessité, peut être prochaine, d'en faire
un hôpital pour remplacer celui de Recouvrance, qui venait d'être
évacué pour cause de vétusté ; « il serait , disait-elle, de la muni-
» flcence nationale d'y attacher (à l'hospice de Brest) la maison
a des ci-devant Carmes, qui n'en est séparée que par la rue. »
Cette caserne était en effet indispensable aux nombreuses troupes
qui venaient à Brest. En l'an IX , on y logea l'armée des Antilles,
de TeXpédilion du général Le Clerc.
XV-
A cette époque , l'église qui, depuis l'an IV, servait toujours de
magasin, fut un moment rendue au culte ; on la mit à la disposi-
tion de l'armée espagnole , commandée par le général Gravina ,
pour y célébrer le service divin. Quelques prêtres réfractaires
furent autorisés à y officier ; mais bientôt elle fut fermée de nou-
veau par ordre du préfet, quoique le maire eût demandé que cette
église, qui pouvait contenir mille personnes, fût laissée à la v^lle
pour l'exercice du culte , après le départ de l'armée espagnole.
- 171 -
En Tan XI (4803), le génie militaire, qui en avait depuis p1u>
sieurs années la jouissance , la revendiqua comme sa propriété ;
la municipalité réclama contre cette prétention, et prit aussitôt un
arrêté dans lequel se trouve le considérant suivant :
« Considérant que l'église des Carmes, par la circonscription
» prochaine des paroisses, devient nécessaire pour y établir une>
» succursale , puisque la ville de Brest, par son étendue et sa
» grande population , exigera qu'il en soit érigé une , et que *
• cette Eglise, par sa position et son éloignement de la métro- '
1 pôle, est la seule église qui convient à cet objet.... etc....
» Signé : Le maircj TounoT. »
Ainsi, déjà en l'an XI (1803), on songeait à faire de l'Eglisd-
des Carmes une succursale ou seconde paroisse.
C'est à cette époque qu'elle fut remise au clergé de Saint-»
Louis.
Au mois de thermidor de Tan XII (juin 4 80 A) les conseils
municipaux ayant été convoqués pour donner leur avis sur les
circonscriptions des succursales , le conseil de Brest répondit de
nouveau :
Qu'une église était insuSisante du côté de Brest, vu la grande
population et l'état de la paroisse , et que celle des Carmes
remplissait sous tous les rapports , les conditions pour une
succursale, en lui affectant un arrondissement de territoire. En
conséquence, il suppliait le préfet de solliciter du gouvernement
la réalisation de ce vœu des habitants et de la municipalité.
Malgré cette pressante demande , ce vœu ne fut point sanc-
tionné, et plus d'un demi-siècle devait s'écouler avant que le
gouvernement accordât la création d*une nouvelle paroisse dans
l'église des Carmes.
— 172 —
XVI.
Celte église n'est point ancienne ; elle ne date » comme nous
Tavons dit, que de ^748, et n'offre rien de remarquable dans
son architecture.
D'après M. de Fréminville , on devrait y voir une pierre
tombale qui recouvrait rentrée du caveau de la famille Lars
de Poulrinou, qui a donné à la Ville un de ses maires les plus
capables : Jacques Lars, sieur de Poulrinou, décédé en 4753,
qui fut maire de Brest de 4694 à 4718. Cest lui qui fit, en
4709, construire au bas de la Grand'Rue, TEscalier-Neuf, comme
le constate une plaque de Kersanton incrustée dans le mur
donnant, sur cette me.
Quant à la pierre tombale , elle a été enlevée sans doute ,
car on ne la trouve plus.
Une seule chose mérite une mention toute particulière dans
cette église : c*est un petit monument placé jadis au-dessus de
la porte d'entrée, maintenant descendu dans un des bas-c6tés,
dans la travée à droite en entrant. Ce monument , beaucoup
plus ancien que TEglise actuelle (il date du XVl* siècle) et qui
provient, sans aucun doute, de Tantique chapelle de Saint-Yves,
démolie en 4748, est une petite statue en pierre de Kersanton,
représentant un saint assis dans un fiiuteuil. Il est vêtu d'une
large robe à capuchon et grandes manches , serrée à la taille ;
sur ses genoux se voit une bourse, dont il tient en mains les co^
dons. La tôte est coiffée d'un bonnet de docteur ; malheureu-
sement cette tète est moderne. La statue ayant été décapitée ,
probablement à la Uévolution, il y a quelques années un sculp-
teur du pays en a refait une en tuffeau, à peu près sans doute,
car il ne reste aucune tradition sur cette statue.
- 173 —
Sur les côtés du fauteuil se voient des écussons armoriés ^
portant un croissant surmonté d'une molette à six branches, lut
statue et le fouteuil sont supportés sur un cube en Kersanton,
Ao-dessous est une espèce de cul*de:lampe sculpté couvert
d'ornements, sur le devant duquel, dans un cartouche, est
gravée en creux Tinscription suivante :
P : QVILBIGNON
MIL:V?XXXI1II
FIST: FAIRE: LIMAGE.
P: Quilbignon
mil cinq-cent trent&quatre
fi$t faire l'image.
XVII.
Cette statue représente très probablement Saint- Yves, dont P.
de Quilbignon avait fait faire l'image, pour la placer dans Féglise
de rhospice dédiée à ce saint.
La bourse , dont il tient en main les cordons , signe de sa
charité et des aumônes qu'il distribuait aux pauvres , ne semble
laisser aucun doute à ce sujet. 11 ne faut point s'occuper de
la tête qui , comme nous l'avons dit, est moderne ; le bonnet
de docteur dont elle est coififée ne prouve donc absolument rien.
Les armoiries sculptées sur les c^tés du fauteuil appartiennent,
nous le pensons , à la famille des Quilbignon. Du reste, à
qui pourrait-on les attribuer, si ce n'est à celui qui fist faire
Vimage ?
— 174 —
Les Quilbignoa étaient du pays , ils babitaieut la paroisse
de Saint-Pierre-QuilblgQon et celle de Plouzané. Ils descendaient
d'une ancienne famille bretonne , dont plusieurs membres sont
mentionnés dans les preuves de V Histoire de Bretagne^ de Doa
Horice. Il n*est donc point étonnant qu'ils eussent de la dé-
votion pour TEglise de Saint-Yves, et qu'ils lui eussent fait don
de cette statue. Il aurait été fort curieux de savoir à quelle
occasion ?
D'après le Nobiliaire de Bretagne , de M. de Courcy, la fa-
mille de Quilbîgnon existait en ^ A27 ; elle eut encore des re-
présentants à la montre de ^5El ;^ malheureusement cet ouvrage
ne donne point les armoiries de cette maison.
Ce petit monument qui , la tête exceptée , est resté dans un
état parfait de conservation, est dû à un artiste qui ne man-
quait point de talent. On a le regret de ne trouver son nom
sur aucune des faces de la pierre.
Si nous nous, sommes un peu étendu sur ce sujet, c'est
que cette statue *n*a jamais éJé décrite et que nous pensions
qu'elle méritait de l'être , comme un des plus anciens monu-
ments qui existent à Brest M. de Fréminville en a parlé , il
est vrai , dans ses Antiquités du Finistère , mais il n'avait pu
sans doute la bien examiner , car il dit qu'elle représente la
Vierge tenant TEnfant Jésus sur ses genoux. L'inscription qu'il
donne est aussi fautive ; quant à l'opinion qu'il émet, qu'elle
provient de l'église de Notrç-Dame de Recouvrance , nous la
croyons erronée.
XVIII.
En résumé , nous pensons que cette statue ^ représente Saint-
Yves , qu'elle provient de Tancienne église de l'hospice , dédiée
à ce saint ; que c'est P. Quilbîgnon , l'un des descendants de
eette ancienne famille de notre pays, probablement même celui
qui figurait à la montre de 1534, qui l'avait fait faire par un
artiste dont malheureusement le nom ne nous est point par-
venu. Nous amputerons que les armoiries des Quilbignon , que
Ton ne connaissait point encore , il est probable , puisque le
savant M. de Courcy ne Içs a pas données dans son Nobiliaire ^
pourraient être, regardées , d'après les armes gravées sur les
côtés du fauteuil, comme portant un croissant , surmonté d'une
molette. Les émaux ou couleurs restent toujours un mystère ,
l'artiste ne les ayant point indiqués sur la pierre.
XIX.
L'église des Carmes , dont nous venons de donner l'histo-
rique , a été enfin , par décret impérial du 3^ décembre 4856,
érigée en succursale de l'église paroissiale de Saint-Louis ; une
circonscription de territoire lui a été affectée ; les lettres de
TEvôque de Quimper et Léon , M»' Sergent , en date du 42
janvier 4857, Font élevée ensuite au litre de seconde paroisse
de Brest , sous les noms et invocations de la Bienheureuse
Vierge Marie des Carmes.
L'inauguration a eu lieu le 25 janvier de la même année.
Le conseil municipal a volé , dans sa séance du 4 février sui-
vant , une somme de 40,000 francs pour son installation ; sa
population s'élève à peu près à 40,000 âmes.
Celte paroisse comprend l'ancienne ville tout entière et le Châ-
teau ; elle se trouve presque circonscrite dans les murailles qui
existaient en 4670. Elle est renfermée dans une ligne qui, par-
tant de la porte du port , montant TEscalier-Neuf , suivant la
rue des Malchaussés, longeant toute la rue Traverse, franchis-
sant la cour de la caserne des Douanes, coupant le Cours-Dajot
- 176 —
à angle droit , ainsi que Porsireia , finit à la mer. Tout le
c6té' droit de cette ligne, jusqu'à la Penfeld , fait partie de la
paroisse de Notre-Dame des Carmes.
XX.
Le vœu si souvent émis par les habitants de faire une pa-
roisse de cette église , présenté d'abord en n92 , ensuite for-
mulé par la municipalité en Tan XI (4803) et adressé par elle
en Tan XII (1804) , au gouvernement , est donc enfin réalisé
après plus d'un demi-siècle.
E. FLEURY,
Bihliothécaire*ArclUviste de la Yille.
->•<-
SOUVENIRS
O mou vieux Cours-d'Ajol , que de fois , à miouit ,
A l'heure où tout sommeille, où s*éleint chaque bruit;
Quand la ramé légère ou la quille tranchante
D'un canot attardé qui regagne le port
Fait jaillir dans les airs , en pluie étincelante ,
Les gouttelettes d'eau sous son rapide effort ;
Quand, du bord des vaisseaux, la cloche en piquant Theure,
Vient un instant troubler ce silence profond ;
Quand le frémissement de la vague qui pleure,
À la voix du marin, comme un écho répond ;
Quand un pâle rayon échappé d'un nuage
Change ta rade , ô Brest , eu un immense écrin ,
Où perles , diamants , i^omme un brillant mirage ,
Passent pour reparaître et disparaître enfin ;
Que de fois , en suivant , seul , tes sombres allées ,
Mes yeux ont vu passer, souvenir enchanteur l
Les brillantes erreurs à jamais envolées
De ces jours tout empreints de joie et de bonheur !.,..
23
— 178 —
le roc souviens alors qu'enfant , dans la savane ,
Sous les regards brûlanls de notre ardent soleil ,
Je goûtais h longs traits le plaisir, celte manne
Que Dieu donne aux enfants au moment du réveil.
Je riais I Je courais I J'étais heureux ! Ma joie
Eclatait sur mon front et brillait dans mes yeux !
— Et puis , quand venait l'heure oii le soleil se noie
Dans l'horizon lointain qu'il dore de ses feux,
Regagnant la maison, sous la vaste varangue
Qu'embaumaient l'acacia , le lys ou les jasmins ,
Les pâles endormis , l'ananas ou la mangue,
Je retrouvais ma mère , et mes petites mains
Se joignaient sur son cou : puis , après ces caresses
Que je chérissais tant , après mille baisers ,
De ses souples cheveux, en défaisant les tresses,
Je lui disais tout bas mes désirs , mes pensers.
Ensemble nous causions : k ma jeune ignorance
Elle apprenait comment bien par délh. les mers
Se trouve un beau pays qu'on appelle la France !
Elle disait comment , durant les longs hivers ,
D'un manteau blanc et pur, Dieu couvre cette terre ;
Et que l'eau ne court plus , que le feuillage est mort ;
Que tandis que le pauvre expire de misère,
Le riche abrité, lui, de tons les coups du sort.
Va de fêle en plaisir et de plaisir en fête ;
Dépeignant le printemps , elle disait comment
Il succède aux frimas. — En l'écoutant , ma tête
Tombait sur son épaule. Elle , alors doucement
Me portait à ma couche , et bientôt un doux somme
Donnait à mon esprit des songes bien heureux.
Je me voyais grandi , je me voyais jeune homme!
— 179 —
Ainsi passait ma vie , et bientôt tous mes yœvm
Furent de voir la France à mes désirs promise.
Nos mornes me semblaient moins beaux que ses coteaux,
La savane était triste , et souvent quaud la brise
En passant sur ma tê(e allait raser ks flots ,
J'aurais voulu la suivre en sa course lointaine.
Je voulais voyager. Oui , je voulais partir !
L'Océan m'appelait et son humide baleine ,
En efOeurant mon front, me faisait tressaillir!
Je partis! je connus la France,
Ce cher pays tant souhaité ;
J« vis la riante Provence ,
De la nature enfant gâté.
Je vis le doux ciel de Marseille ,
Son port toujours en mouvement.
Puis je vis la Ville merveille ,
Paris et son enivrement.
Mais enfin , je te vis , ô Bretagne chérie ,
Ma seconde , ma vraie , oui , ma seule pallie !
J'aimai tes champs si verts et tes ajoncs dorés ,
Et ta blanche aubépine et Todeur de tes prés -,
J'aimai tes noirs rochers et tes arides plages ,
Tes tortueux sentiers , tes âpres paysages ,
Tes manoirs féodaux , tes huttes, tes abris ,
Tes men-hirs, tes dolmens, séculaires débris.
J*aimai ta lande grise et tes pieux calvaires
Où tes vierges , le soir, s'en vont avec leurs mères
Prier pour les absents , les pauvres matelots
Exposés aux périls, à la merci des flots.
J'aimaLtes hauts clochers , leurs tlôches élégantes , _
Tes montagnes , tes bois , tes pentes fatigantes !
J'aimai de tes galets les rauques bruissements
Qui nous semblent le choc d'anliques ossements»
— 180 — .
Tes grottes , frais abris , par les siècles minées
Pour servir de palais aux Korigans, aux Fées ^
Ces déchirants sanglots qui, pendant fouragan ,
Paraissent s'exhaler du sein de FOcéan ;
Le cri des goélands que nous cache la brmne ;
Ces larges gouttes, dmices larmes d'écume
Doat la mer vient parfois mouiller nos tristes fronts.
Semblant vouloir souffrir parce que nous souffrons.
Oh I j'aimai tout cela , Breta^e « et ma tendresse
Fut pour toi désormais , antique druidesse
Qui portes k ton front, comme un bandeau d'argent ,
Les vagues en rumeurs de ton vaste Océan :
Toi dont les bracelets sont autant de rivières.
Les bijoux, des rescifs, le voile, des brouillards ;
Pays des Farfadets , des sombres Lavandières
Dont m'ont parlé tout bas tes crédules vieillards.
Je te donnai mon cœur et tu me devins chère,
0 toi qui pour moi fus une seconde mère !
Et maintenant , vieux Brest , que devenu ton fils ,
Parmi tes fiers enfants j^ai choisi mes amis. ,
Je t'aime , — et désormais ma plus ardente envie
Est de toujours avoir chez toi drjoit de cité ;
— Vivant , de partager de tes enfants la vie.
— Mort, d'avoir un tombeau par tes vents fouetté.
Juin 1858,
Olivier DE LAFATE,
OUVRAGES LITTÉRAIRES
OFFERTS PAR LEURS AUTEURS
A LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE DE BREST,
Depois sa fondaiion jasqa'aa l"" Janvier 1860.
La Société Académique qui compte, surtout parmi ses membres
correspondants , quelques auteurs féconds et obligeants , pos-
sède, grâce à eux, une petite bibliothèque qui s'accroît de jour
en jour. Il est temps de faire connaissance avec ces ouvrages
adoptifequi forment après tout le ^ plus clair de notre avoir, et
npus allons les passer sommairement en revue ; il s'agit , en
effet, d'une simple revue plutôt que d'une critique approfondie :
déduction faite de l'élément historique et scientifique , ainsi que
des mémoires offerts par d'autres Sociétés , il m'est resté entre
— 182 —
les mains une quinzaine de volumes , grands ou petits , qui
relèvent de la littérature. Je les ai lus presque intégralement ,
mais je n'en puis donner une longue analyse , et je me bornerai
le pluâ souvent à quelques indications. J'espère, Messieurs, que
le peu que j'en dirai vous donnera l'envie d'en savoir davantage,
et. que vous voudrez lire vous-mêmes ces ouvrages , dont tous
les volumes sont maintenant coupés et dont les sujets vont
vous être connus.
Bien que j'eusse préféré une allure plus Ubre, je tâcherai de
rester fidèle au rôle passif qui m'est imposé. Les convenances
m'interdisant la critique , l'éloge dans ces conditions serait sans
valeur, et je m'abstiendrai, autant que possible , de l'une et de
l'autre. Je prie Messieurs les auteurs de ne pas m'en vouloir ,
*et je ferai valoir comme compensation que si , simple rappor-
teur, je parviens à intéresser, tout l'honneur leur en reviendra,
car je n'y serai pour rien. Au reste, s'il m'arrive par hasard
de laisser paraître mon sentiment plus que je ne voudrais ,
j'accepte d'avance la responsabilité , toute personnelle , de ces
appréciations.
On entend dire tous les jours que la poésie se meurt, que
la poésie est morte ; il n'en est rien ; le culte des muses est
devenu plus discret peut-être , mais il n'est pas délaissé. H est
vrai que la hiérarchie n'est plus comme autrefois au grand com-
plet ; les grands-prêtres manquent , mais les lévites abondent ,
et si les premières places sont vacantes, les rangs inférieurs sont
^i encore vivement disputés. Aujourdhui , comme hier , les jeunes
• bacheliers rêvent la gloire et chantent l'amour, et font leur
!f entrée dans le monde sous les auspices d'un premier volume de
S poésies. Souvent rien ne suit cet essai ; souvent aussi la voca-
I tion persiste , tantôt occupant la vie entière , tantôt souffrant
r partage avec des fonctions qui sembleraient devoir l'exclure.
À
— 183 -
Voici d'abord un exemple de longévité et môme d'hérédité
poétiques ; nous le devons à MM. Duval , père et fils, de Bcllc-
Ile-en-Mer (Morbihan). M. Duval , père, a composé sur Jeanne-
d*Arc une œuvre à laquelle il hésite à donner un nom , mais
qui est bel et bien un poème épique en règle : ce poème est
en effet divisé en douze chants , chaque chant est précédé d'un
argument ou sommaire ; il est écrit en vers alexandrins et roule
fur des événements mémorables où interviennent les puissances
célestes. Naturellement Satan prend parti pour les Anglais.
€ Cependant , lisons-nous dans la préface , ce n'est pas par
» intérêt pour ce peuple, alors catholique. Mais c'est qu'étrangers
• et conquérants , ils vinrent porter chez nous le trouble et le
» désordre, qui servent toujours les projets de l'esprit du mal. •
Personne ne s'attend à me voir faire l'analyse d*un poème épique ;
j'y renvoie les lecteurs et je me borne à emprunter quelques
citations à la préface : l'auteur est resté étranger à toutes dis-
cussions entre classiques et romantiques ; il a cherché le beau
là où il a cru le voir; il n'est pas de ceux qui croient et
disent que notre siècle n'aime plus la poésie : que de nobles
pensées lui soient offertes, soit en prose, soit en vers, il les sent
vivement et les recherche ; le genre épique semble aujourd'hui
discrédité ; mais la mode est changeante, qui sait s'il n'est pas
près de revivre? L'auteur nous annonce, en outre, qu'il est sur
le point de publier des Réflexions morales et littéraires sur le
Théâtre , avec quelques œuvres dramatiques de sa composition,
et que son fils aine a le projet de faire paraître aussi quelques*
unes de ses poésies, la plupart sur la Bretagne. Quant au poème
qu'il nous livre dès-à-présent , œuvre de longue haleine , et
qui ne contient pas moins de treize mille et quelques vers ,
l'auteur, peu -exigeant, désire seulement que le lecteur se montre
pour son héroïne plus clément que ne le furent les Anglais ,
qui la brûlèrent ; et pour finir par où j'aurais dû commencer,
~ 184 -
en voici la dédicace : A la mère de mes enfants , ma dovce
Marie ; à la Bretagne , ma patrie !
M. Duval nous a adressé aussi son Ode sur le rétablissement
de la statue du roi Grallon.
M. Duseigneur, qui a également traité ce sujet, nous a offert,
; * en outre, deux volumes de ses œuvres , dont Tun contient un
poème intitulé : Les Ducs Bretons , et un autre poème , beau-
coup moins étendu , sur la guerre de Grimée.
Le poème sur les ducs Bretons a quatorze chants ; c'est un
poème historique. L'auteur, étranger à tout intérêt de parti, ne
s* est proposé d'autre but que de dire la vérité , en s'eflbrçant
de se conformer, sans toutefois se flatter d'y avoir réussi, à
ce sage précepte d'un graud poète : La seule politique , dans
un poème, doit être de faire de bons vers. Il espère qu'inspiré
par le désir de consacrer quelques chants à h mémoire de la
Bretagne , ce recueil historique sera accueilli avec indulgence ,
eu égard d'ailleurs à la rapidité avec laquelle il a été composé :
il contient plus de 5,000 vers, et quatorze mois seulement y ont
été consacrés. En ^855, l'auteur eût d'abord l'idée de traiter,
en vue du Congrès Breton, la question, inscrite au programme,
de l'émigration des insulaires Bretons dans l'Armorique. Le
rapporteur ayant cité avec éloge ce travail , qui forme le chant
premier du poème actuel , M. Duseigneur en élargit le cadre
- primitif, et célébrant de nouveaux épisodes de rJbistoire de Bre-
tagne, il y ajouta treize autres chants.
Rester fidèle à la vérité historique semble avoir été sa préoccupa-
tion dominante. S'il rencontre une légende accréditée, il la rapporte,
mais en la donnant pour ce qu'elle vaut et en exhortant le lecteur
I à la défiance. Voici par exemple comment, après le récit soffl-
I maire, mais authentique des premières émigrations, l'auteur intro-
1 duit la légende de Conan Mériadck :
i
— 185 —
Tel est en résumé par Tlirstoire écJairci ,
Le fait incoDleslé ; la fable la rpici :
Il peint ensuite en quelques traits ce roi d'Armorique , espèce
de Charlemagne Breton
Qui commande , dit-on , cent vingt mille soldais ..
Concède des terrains à ses compagnons d*armes
Et fait à tout propos des discours pleins de charmes.
Dans le pagus de Brest , sa terre fayorile ,
Il bâtit un castel et , monarque émérite ,
Après quinze ou vingt ai\s du règne le plus beau ,
n mourut à Saint- Pol où Ton voit son tombeau.
Mais tout cela est fort douteux ,
et rbistoire romaine
Ke dit pas un seul mot du héros écossais
Un Breton , un auteur estimable , Gildas ,
Presque contemporain du fait , n'en parle pas ;
Aurait-il ignoré ce grand fait historique ?
Ce h*est pas probable ;
d*uu roitelet d*Ecosse
Nos chroniqueurs ont fait un héros , un colosôe.
Et p^ur conclure :
L'histoire n'admet pas un fait que rien ne prouve ;
Or, du fait, nulle part la preuve ne se trouve.
Ce n'est qu'à titre d'exception, et par égard sans doute pour
leur caractère sacré , que M. Duseigneur, n'ayant pas d'ailleurs,
comme dans le chant premier, à débattre ici une question con-
troversée , a rapporté dans leur intégrité légendaire les exploits
des Sept Saints de Bretagne.
21
— 186 -
Saint Corentin , par exemple , pêche un petit poisson dans
une fontaine , et TofFrant au roi Grallon ,
Sire , dil-il , donnez Tordre qu*on le prépare.
Le roi sourit et son maître d'hôtel se moque, mais enfin Tordre
est donné , Tordre est exécuté.
El bientôt, par la grâce, ô merveille accomplie l '
].a chair de ce fretin croit et se multiplie >
Et chacun tellement en fut rassasié
Qu'il en resta , dit-on , encore la moitié.
Saint Pol commande à la mer de reculer et la mer recule ;
Un horrible dragon
Répandait la terreur au pa)-s de Léon ;
il promet de le réduire et marche à sa rencontre ;
Du peuple rassemblé quelle fut la surprise
En voyfint , k la voix de Tapôtre Breton ,
Le serpent devenir aussi doux qu'un mouton I
L'auteur fscoiate ensuite les invasions franques , la résistance
de TArmorique aux lieutenants de Charlemagne, résistance san-
glante, mais vaincue ;
L*Empereur toulelois , déçu dans son orgueil ,
A son char triomphant n'attacha qu'un cercueil ;
puis Tindépendance reconquise par Nominoë, les invasions nor-
mandes , la domination des Plantagenets, et enfin la guerre de
succession, qui est, d'après Tauteur, la partie capitale et la
plus dramatique du poème.
- 187 —
Le tumulte des batailles, le choc des armures , Te^ prouesses
guerrières, toutes choses dont M. Duseigoeur ne s'effraye pas,
tiennent une grande place dans ses récRs comme dans l'époque
qui en fait le sujet. Dans son poème sur la guerre de Crimée,
elles régnent sans partage ; les canons* grondent , les obusiefs^
tonnent :
La guerre a déployé sa magnifique horreur
De la place soudain cinq cents^ pièces répondenl ;
Une grêle de fer sort de leurs flancs d'airain ;
Boulets , bombes , obus labourent le terrain ,
Bondissent sur le roc , ou dans les airs éclatent.
Sous leurs -coups redoublés lès murailles s*aballent ,
Les canons démontés penchent sur leurs affûts....
Les tonnerres humains tout-à-^oup se sunt tus.
Mais dans Sébastopol Forage recomm^ce ,
Plus terrible , plus loog !...»«.
Mais enfin la brèche est ouverte, MaFakoff pris , les Russes
refoulés , et le succès rime toujours avec le nom Français.
L'auteur évoque en terminant le fantôme des soldats de^
VEmpire , ^ui lut obéissent et sortent de leurs tombeaux
Avec leurs poitrines blessées
Couvertes de poudreux lambeaux :
De vos demeures ténébreuses
Accourez , ombres valeureuses
Des guerriers morts k Marengo !
Un chef au front pensif et sombre
Conduit ces bataillons sans nombre
Qui suivaient ses pas triomphants ;
Ils viennent sur ce sol qui Iremblev
Hs viennent célébrer ensemble
Lliéroïsrae de leurs enfants.
-m -
Le deuxième volume est un recueil d'Odes historiques que
M. Duseigneur , ccf^ant aux sollicîtalions de quelques amis , et
encouragé par Fopinion de quelques hommes éclairés , a publiées
en -IS48, Il a,toujoure essayé, dans ces odes^ de faire prévaloir
ce principe î que la poésie n'est pas dans la forme des idées,
mais dans les idées elles-mêmes. Si de nos jours , la voix des
poètes est moins écoutée j n'est - ce pas parce qu'ils se sont
détournés du vrai bat de la poésie, celui d'ôtre utile à Thuma-
nilé? Des rêveries mystiques, de fades strophes sur les vierges
du vallon , sur les grèves désertes et sur les mines des vieux
châteaux, tel est le sujet de leurs interminables rapsodies.
J'avoue que ces déclarations m'avaient un peu alarmé. En
effet , l'utilité ne me semble pas devoir être le but suprême
de la poésie ; les idées utiles , c'est-à-dire pratiques, sont même
rarement poétiques-; les idées neuves et qui n'ont jamais servi
sont très rares, surtout en poésie, et le. génie lui-môme se
borne le plus souvent à rajeunir en les marquant de son em-
preinte , des idées qui circulent dans le monde depuis bien
}ong-temps ; et q^ant aux sentin^ents , qui sont lûen ^ussi sans
doute an des éléments de la poésie , leur domaine est encore
plus limité , plus exploré , et ce ji'est qu'à la longue qu'ils
changent de caractère ou plutôt d'accent ; néanmoins , toutes
les fois que ïa^poésie les exprime avec sincérité et éloquence ,
nous sommes tout oreilles et nous y prenons plaisir comme à
CCS vieux airs plaintifs qu'on ne se lasse jamais d'entendre. Je
me demandais comment la poésie pourrait faire aujourd'hui pour
renoncer aux prétextes habituels de ses rêveries , les vallons ,
les grèves désertes, les ruines ; comment en un mot elle pour-
rait se passer de la nature et des souvenirs. Pour me rassurer
pleinement, il m'a suffi de parcourir les divers titres des Odes
historiques : Le Poète, Méditations , Adieu à l'Armorique,
Souvenir^ Croyance et Doute ^ de V Avenir des Chemins de fer.
— 180 —
à M"^ Ravhelj la Fêle des âmes y etc.... En les lisant, je me
suis aperçu que j'élais en pays de connaissance. Ainsi M. Dusei-
gneur ne se fait' pas de la mission du poète sur la terre une
moindre idée que M. Victor Hugo lui-môme : Le poète
est empereur ; sa couronne
Est faile des lauriers qu'il sème aulour de lui.
Il est plus qu'empereur , sur la terre il est Dieu !
Lamartine ne professe pas plus de prédilection pour les nuits
étoilécs, pour les flots murmurants :
ùh ! que j'aime la nuit quand brillent les étoiles
. Quand un pâle croissant à rOnent se lève ,
Quand le flot jette seul aux échos de la grève
Ua son triste et confus.
.L'âme alors s'abaudonne aux douces rêveries ,
Aux molles voluptés d'un amour à venir... .
Il semble qu'à cette heure où tout dort , tout s'oublie ,
Loin du bruit des cités , sous ces astres rêveurs ,
La voix des nuits murmure k votre âme assoupie
Des chants consolateurs.
Dans l* Adieu à VArmorique , l'auteur
prêt à quitter sa Bretagne chérie ,
3on ciel gris , ses vallons , sa molle rêverie ,
salue tristement le pays natal plein de souvenirs,
Les grèves , murs d'airains , les mers, bruyapts abtrpes ;
il n'oublie même pas Tabbaye croulante de Saint-Mathieu
Ni le grand château fort , poétique ruine ,
Bàli comme un nid d'aigle au bord de la colline.
— 190 —
C'est un sentiment plus tendre encore qui a inspiré l'élégie
intitulée Souvenir :
Même dans mon sommeil , ton image chérie
Se môle en souriant k chaque rêverie.
Dans mes nuits de douleur, — car ma vie est bien sombre,
Ton doux regard luit comme une étoile dans Tombre y
Comme un rayon doré dans un ciel nébuleux.
Ainsi se trouvent heureusement démenties les craintes que la
préface nous avait fait concevoir ; Fauteur, comme ses devan-
ciers, chante les beautés de la nature et même celles de la
création ; il s'abandonne parfois à de mélancoliques rêveries , il
aime les grèves désertes et il sait comprendre les ruines. Mais je
me hâte de le reconnaître, sa lyre possède aussi &es cordes
d'airain qui rendent sous ses doigts de mâles accords. J'en
trouverais de nombreux exemples dans l'ode sur la Révolution
de^S30, dans l'ode à V arbre de Liberté^ dans celle qui a
pour titre le doigt de Dieu, où la monarchie de Juillet est
représentée
adaptant des moteurs rétrogrades
Au wagon du progrès qui ne recule pas.
Mais ces odes datent des jours orageux de -1818; l'une entre
autres est adressée au citoyen L., façon de parler que l'usage
n'a pas maintenue , et elles ont peut - être un caractère trop
politique , bien que cette politique-là soit de l'histoire'ancienne,
ce qui , pour le dire en passant , justifie aujourd'hui le titre
d'historiques qu'elles reçurent il y a dix ans. Je puis toutefois
indiquer, au moins à titre de rêveries, ce que l'auteur entrevoit
dans l* Avenir des Chemins de fer :
On verra , réunis sous les mêmes bannières ,
Oubliant leur passé , grandir les peuples frères
A Tombre du génie et de la liberté.
_ 191 —
Ainsi s^accompliront, lentement amenées ,
Sans trouble et sans combats , les hautes destinées
D'un monde tout entier soumis aux mômes lois.
Je puis aussi signaler, dans la Fête des Ames , quelques strophes
prophétiques commençaat par celle-ci :
Invincible , mais toujours juste ,
N'écoutant que l'appel auguste
Du droit et de Thumanité ,
C'est aux nations alarmées
Sous un joug barbare opprimées
Que la France avec ses armées
Saura rendre la liberté.
Et alors , s*autorisant sans doute d'un exemple que Musset lui-
même nous a donné , l'auteur, comme si rien de glorieux ne
devait s'accomplir sans qu'ils y fussent associés, réitère son
évocation favorite aux soldats de l'Empire qui, toujours dociles,
sortent de leurs tombeaux,
Avec leurs poitrines blessées
Couvertes de poudreux lambeaux :
De vos demeures ténébreuses
Accourez , ombres valeureuses
Des guerriers morts k Marengo.
Un chef au front pensif et sombre
Conduit ces bataillons sans nombre
Qui suivaient ses pas triomphants.
Enfin, dans les notes relatives à Tode sur les Pyramides^ je trouve
une lettre adressée à Fauteur par M. de Persigny, alors détenu po-
litique. M. de Persigny avait écrit un mémoire très remarqué, oi)
~ 192 —
il présentait de nouvelles hypothèses sur la destination de ces
mystérieux monuments. Dans sa lettre , très flatteuse pour M.
Duseigneur, notre futur ambassadeur le félicite du noble senti-
ment qui lui inspire pour un infortuné des éloges sans doute
excessifs et se défend avec une modestie spirituelle de voir son
nom figurer à côté de celui des Colomb et des Calilée, et d'êire
si aisément comparé à Thésée sortant du labyrinthe ou à Alexan-
dre tranchant le nœud gordien.
Après les poèmes, après les odes, voici des élégies ; elles sont
de M, Gestin et portent ce titre : Premiers essais. Le titre est
modeste , et il n*y a point de préface. Çn tète seulement figure
rinitiale d'un nom qui rappelle à Tauteur un premier amour, dont
le souvenir, mêlé de regrets, était encore très vif en i 857, Il est
difficile de parler de ces choses là sans les profaner un peu ,
mais Tauteur ne saurait s'en plaindre : qaand les secrets du
cœur ont été livrés à Timpression, il est bien tard pour essayer
de les reprendre.
Dans ce recueil règne une inspiration facile, abondante, dont
les sentiments naturels au jeune âge font tous les frais. Ce n*est
pas M. Gestin qui ferait peu de cas des grèves solitaires , des
ruines couvertes de lierre, et encore moins des vierges du vallon.
11 n'a d'autre ambition que de fixer des souvenirs joyeux ou
tristes dans des stances harmonieuses qu'il se plaît à relire :
Que dites-vous pourtant, pauvres vers ? peu de choses I
Vous parlez du printemps , de la brise et des roses
Des fieurs et du soleil ;
Vous chantez bien plus mal ce qu'ont chanté tant d'autres ;
Mais de tous les enfants ne sont-ce pas les noires
Que nous aimons le mieux ?
— 193 —
9
Ce n'est pas cependant qu'il n'ait jamais rêvé la gloire ; ce
iierait sans exemple :
Je yeux que ton doux nom soit grand» plus grand encore
Que celui de Délie et que celui de Laure
Je rêvais Béatrlx et je rêvais le Danle.
Mais ce n'est là qu'un vœu passager, et il n'ignore pas d'ailleurs
que la Renommée est femme, c'est-à-dire capricieuse, et que le
meilleur moyen d'attirer ses regards c'est de ne rien faire à
son intention. Au reste , si les noms de Laure et de Béatrix
sont immortels» cela tient à la fidélité de leurs amants non moins
qu'à leur génie. Mais le génie et la constance sont de nos jours
plus rares que jamais. Il est vrai qu'un premier amour ne laisse
pas d'ordinaire des traces si durables : ce qui enivre l'adoles-
eent c'est ce sentiment même qui a encore tout le charme de
l'inconnu; la femme qui l'inspire, ou plutôt qui en est le pré-
texte n'a que la seconde place dans ses pensées. Plus tard, au
contraire , le cœur ne se livre qu'à bon escient ; moins
pressé de se pourvoir , il est plus libre dans son choix
et par suite moins excusable , s'ii devient infidèle. Cepen-
dant notre jeune poète me permettra de le mettre en garde
contre ses tendances éciecliques : je n'en veux pour preuve que
la variété d'initiales et l'uniformité de dates qui régnent dans ces
élégies; les dates ne diffèrent entr' elles que par le mois où le
jour, ce qui fait de 4857 une année sans doute exceptionnelle.
k défaut de cet indice , il est question ici de cheveux noirs ,
là de tresses blondes et autres attributs non moins divers.
Cette fière jeune fille, objet dun amour qui n'osa môme pas
se révéler, a dû soupirer, j'imagine, en trouvant ce doux repro-
che dans le recueil qui lui est dédié :
Tu ne m'as pas compris. Depuis i*ai bien souffert ;
J'ai vu mon espérance avec ses beaux mensonges •
S'envoler loin de moi , laissant mon cœur désert.
25
Mais n'a-t-elle pas regretté ce bon mouvement en lisant , quel-
ques pages plus loin ces vers hardis^ qui témoignent de progrès
rapides ?
Il ne sera pas dit que j'aurai sur ta joue
Posé mes lèvres un moment ,
Qu'à tes longs cheveux noirs où la brise se joue
J'aurai ( souvenir trop charmant )
Entremêlé les miens en pressant ta main blanche,
Sans qu'une strophe éclose au cœur
Ne soit venue ici fleurir , pMe pervenche ,
Qui me rappellera cet éclair de bonheur !
Âura-t-elle songé sans dépit qu'il s'agissait encore d'un autre
nom dans cette strophe ?
Curieuse I tu veux connaître
Ce que j'écrivais à l'instant
Sur le tronc blanchi du vieux hêtre.
Je n'ose pas , ma belle enfant,
Rejeter ton vœu téméraire
Et dire non :
Ce que je gravais solitaire.
C'était ton nom.
Ses regrets ont dû s'adoucir en arrivant à une lettre dont l'adresse
n'a sans doute rien de commun avec ce qui précède et dont
voici le début :
Tu sais que vendredi j'attendais une lettre
De toi* -^ De grand malin aussi vins-je me mettre
A l'affût du facteur.
Quoi qu'il en soit , elle aura volontiers pardonné en reconnais-
sant qu'aucune autre n'a su comme elle inspirer le jeune poète,
— i95 -
et que sans atteindre au rang de Laure ou de Béatrh , il est
encore assez beau d'être la sœur cadette d'Elvire.
Les derniers vers que j*ai cités , bien qu'ils figurent dans une
pièce où rémotion est parfois sincère, appartiennent à un genre
mis en honneur par les Contes d'Espagne et â^ Italie^ mais dont
il n'est pas facile de faire usage. L'esprit seul peut faire par-
donner la désinvolture de la pensée et de la forme , et cette
libre allure exige une grâce dont tous les talents ne sont pas
capables, sans être forcés. Je comprends à la rigueur qu'on se '
fasse un jeu, par exemple, de soutenir une conversation rimée ,
et que, par gageure, on essaye de faire autre chose que de la
prose en disant : Nicole , apportez-moi mes pantoufles; mais
la poésie n'y est pour rien , et ces récréations ne méritent pas
l'immortalité.
Voici des vers écrits au lit :
Donc je suis dans moli lit ; j*ai les pieds chauds ; je fume ,
Et dans très peu de temps je pourrai m'endormir
Tout calculé , je crois qu'à raison je préfère
Le plancher . où la vache et d'autres animaux
Paissent en liberté — plus ou moins. — L'onde amère
A ses désagréments. Des légions de maux
Y viennent vous vexer. — Au baûc de Terre-Neuve
Surtout. — <iael banc , grand Dieu ! lorsqu'arri?e l'hiver l
Si vous ne m'en croyez , allez-y : c'est ouvert
A tout le monde.
Ces vers sont à coup sûr très faciles , et ils le sont de parti
pris, car M. Gestin sait se donner quand il veut le mérite de la
difficulté vaincue , témoin ces strophes écrites dans le rhythme
de Sarah la Baigneuse :
Voyez comme la tarlane -
Se pavane
En fendant le flot vermeil.
— 19e —
1 Oir dirait là Jeuae fiHe^
Qui frétille .,
Vh beau dimanche au soleils ^i^:
Des mers c'est la demoiselle ,
Verte et frêle, .-^J.:.'--
Au corsage gracieux ,
Qui folâtre dans l'espace
Et qui passe
Comme un doux rêve k nos yeux,
. Voici pourtant que je préfère t
Vois donc TOcéan se marbrer d'écume l
Ne dirais-tu pas , à travers là brume ,
Un drap mortuaire aux larmes d'argent f
Les phares Ik-bas , au sein des ténèbres ,
Brillent comme foot les lampes funèbres
Qui jettent aux morts leur% reflets changeante.
Et pour clore les citations t
Si quelqu'un hous eût dit que ces rêves si chers
Eclos sous les étoiles ,
S'en iraient comme au loin disparaissent des voiles
Dans l'horizon des mers;
Que notre cœur, rempli d'enivrantes pensées,
Se serait trouvé vide , et que dans l'avenir
Il ne nous resterait qu'un pâle souvenir
De nos félicités^ passées ^
Mensonge , eussions^nolis dit !...
Sî M. Gestin me reproche d^avoir, dans ce rapide examciïf
hasardé quelques jugements et môme quelques conseils à son
adresse, je n'alléguerai pour excuse que ma sympathie pour soiï
jeune talent et le plaisir que m'ont donné quelques-uns de ses vtrÉ*
— 197 —
Je ne dirai qu'un mot d'une espèce de salire dialoguée qui
porte pour titre : Les deux Propriétaires , et pour nom d'au-
tour Auguste Galimard. L'auteur voudrait voir la concorde
rétablie entre propriétaires et locataires ; il fait appel au patrio-
tisme des uns et des autres , et s*adressant plus directement aux
locataires, il tâche de leur prouver que leurs ennemis naturels
ne sont pas si terribles qu'on le dit ^ et il les invite à écouter
une conversation entre deux propriétaires causant d'affaires
pendant trois-quarts d'heure c sans pour cela cesser de se con*
duire en chrétiens. On remarquera même^ ajoute-t-il, avec quelle
charmante naïveté nos personnages s'écartent de la question. »
En effet , nos deux propriétaires se rencontrent au Musée du
Louvre ; ce sont deux frères , mais deux frères utérins : l'alné
a pour père un meunier, et n'est lui-môme qu'un simple vigne-
ron, taudis que le cadet descend d'ancêtres illustres ,
Dont plus d'une licorne orna le fier cimier,
ce qui ne l'empêche pas d'être avocat, et môme d'en abuser. Ce
propriétaire-avocat a conçu un projet merveilleux , mais il n'est
pas facile de le lui arracher ; il aime mieux causer de choses
et d'autres , de Duguesclin et de Mac-Adam , de Sparlacus et
de Bradamante. Quant à son frère , le vigneron , son rôle est
bien simple; il répète avec quelques variantes : mais revenons
à nos moutons. A la fin le fameux projet s'exhale dans un
couplet :
Unissons-nous propriétaires ,
Augmentons nos locataires ,
Augmentons , augmentons
Le loyer des maisons.
U-dessus , le vigneron plus clément , fait appel aux senti-
ments de l'avocat , lequel fait amende honorable et se déclare
satisfait d'avoir parlé pendant trois-quarls d'heure pour ne rien
- 198 —
dire. Je souhaite que tous les lecteurs soient aussi patients
que le vigneron, et tous les propriétaires aussi accommodants
que l'avocat ; mais je doute que Tauteui' ait réussi à réconci-
lier ces derniers avec les locataires , qui certainement aimeront
encore mieux subir leurs exigences que Iwirs conversations. Ceci
soit dit sans rien conclure contre le talent de M. Auguste Gali-
mard , lequel est sans doute un homme d'esprit , qui a voulu
jouer un tour au public.
Avec M. Guîcbonde Grandpont, nous revenons à la poésie héroï-
que ; ses Gloriœ Navales sont des odes historiques, sans contredit,
et de plus des odes latines : Gloriœ Navales, odœ , cum pra-
fatione', notis, isographiâ et qiAorumdam numismatum descrip-
Uone , Auetore A. Guiishon de Grandpont , divionemi. Bien
que le latin de Fauteur soit à la portée de tout le monde , je
suis heureux de trouver en tête du recueil une préface écrite
en français , et je m'y arrête , afin de ne pas glisser trop
légèrement sur un ouvrage qui accuse autant d'opiniâtreté que
de défdntéressement dans le culte 4e l'art.
En publiant ces Odes , qu'il veut bien appeler a détranges
loisirs , i M. Guichon de Grandpont i se flatte de concoorir
à la popularité de la Marine en France, i sans se dissioialer
qu'une telle prétention « doit sembler à beaucoup de gens le
» plus étrange des paradoxes. G'est toutefois dans cet espoir
» qu'ont été faites de loin en loin^.. les odes réunies dans ce petit
livre. » Seul encore au milieu de la lice qu'il vient d'ouvrir,
il y appelle des émules et entrevoit le jour où les chants latins
à l'honneur de nos gloires navales formeront comme un con-
cert : • Quand tout aspirant de la marine, tout officier de l'un
• des corps de l'armée navale pourra lire dans la langue de
n ses études , dans la langue d'Horace , dans la langue univer-
» selle dû christianisme, l'éloge de ses illustres modèles , je
- i9fï -
» m'honorerai toujours de ces faiWcs préludes > par lesquels il
» m'est doux d'élever aujourd'hui la première voix. »
Au reste , Fauteur obéit à la vocation : « enclin des Ten-
1 fance à jouer avec les formes gracieuses de la pensée , »
( Quiquid tentabam dicere versus erat )
il • s*est délassé par cette composition des travaux administra-
is tifs auxquels il s'est voué depuis vingt-six ans ; et il ne s'est
» jamais permis ce délassement aux heures du service »
La poésie, en effet , exige le recueillemept , et puis le Gradus
ad Parnasstim n'est pas un livre portatif, • L'activité et l'utilité
1 modestes de sa vie officielle sont , Dieu merci I assez connues
B pour qu'il puisse avouer le culte des Muses , sonvent et non
B sans raison compromettant pour ses adeptes. » Et comme
si ce passe-temps , très permis, pouvait lui laisser encore quel-
ques scrupules , il accutille cette idée , que • la patience étant
1 une des vertus les plus essentielles , les plus nécessaires ,
» surtout à un administrateur de la Marine , i il en aura
donné i après tout, un exemple qui ne peut que tourner^
« à l'avantage du service. »
« Rassuré par ma conscience sur l'appréciation qui sera
» faite de mes intentions patriotiques je suis loin de l'être
» également sur le succès. Reconnaissant toute la hardiesse
» de ma tentative, je pressens que j'ai dû laisser échapper des
i fautes, des négligences.... Me voilà donc pieds et poings liés....
> devant les maltreâ, les disciples, les juges de l'art, de lapro-
> sodie et de la grammaire , pauvre oublieux depuis trente
» ans de leurs préceptes et de leurs rigueurs. Peut-être bientôt
» leur dirai -je avec Ovide :
» Parce pater , nunquam versiOcator ero ]
- 200 —
• Mais en ce jour il me faut atteodre de pied ferme les fou-
» dres encourues par ma présomptueuse entreprise. Les héros
i que je célèbre me désavoueraient , si je ne soutenais jas-
» qu'au bout la témérité que je leur ai empruntée.
» N'espérant pas désarmer la critique, je vais loyalement au
» devant de ses coups , en rappelant ici les modèles que je
» me suis proposés et les règles de versification que j'ai dû
» suivre. »
Vient ensuite le tableau des divers mètres employés par
l'auteur , chose indispensable pour la plupart des lecteurs à
qui leurs souvenirs de rhétorique ne suffiraient pas pour se
reoonnaitre dans cette prosodie assez compliquée; occupés de
bien d'autres affaires, sinon plus graves, au moins plus actuelles,
ils ont depuis long-temps perdu de vue FArchiloquien et l'As-
clépiade , et de toutes ces vieilles connaissances rhexamètre
seul leur est resté familier ; encore est ce beaucoup dire. L'idée
dC' ce tableau est donc heureuse : il rendra plus attrayante la
lecture des Gioriœ Navales en permettant d'apprécier tout le
mérite de la difficulté vaincue ; et le facile contrôle dont il
pourrait armer une critique vétilleuse tournera lui-môme à la
gloire de l'auteur, si, comme j'en. ai l'assurance , son exacti-
tude est trouvée irréprochable.
Après ce tableau, vient l'indication détaillée du rythme adopté
pour chacune des vingt-huit pièces du recueil , avec la mention
des exemples qu'on en trouve dans Horace , ou bien l'aveu
d'une innovation que Fauteur se pardonne avec peine , ce qui
témoigne d'une discipline littéraire devenue bien rare de nos
jours.
Entr'autres écueils du sujet , il a fallu latiniser les noms sou-
vent rebelles de nos marins célèbres ; M. de Grandpont s'en
est savaihment tiré ; et si dans le litre des Gioriœ Natales nous
l'avons vu reculer devant le sien , c'est assurément par mo-
- 201 —
destie plutôt que par embarras ; au reste , il a fait le moins
possible violence aux noms propres et s'est borné , quand il
l'a pu , à en changer la terminaison : ainsi , pour Colbert ,
Tourville , Cassard qui deviennent sans effort des grands hom-
mes en us ; ailleurs il a eu recours à d'ingénieux équivalents ,
Bubulus pour Bouvet , Clavigier pour Chevillard , Rufus pour
Leroux , Thovarsulus pour Dupetit-Thouars. Mais comment tirer
parti de Desherbiers de l'Etanduëre ? Voilà un nom difficile à
placer convenablement. L'hexamètre serait à peine assez long
pour le contenir , et , si Horace exigeait l'emploi de Tadonique
ou même du phrérécratien , il eût fallu se résoudre à le leur
partager. Et cependant Desherbiers de TEtanduère est une ^e
nos gloires navales ; il eût été mal de le rejeter à cause de son
Bom : M. de Grandpont en a fait Standvariès , ne pouvant
transiger à moins.
L'ode qu'il lui consacre commence ainsi :
Ehen ! Ehen I pudenter , Gallia , GalUa ,
Labuotur annL
en mémoire de celle d'Horace dont le rhythme est pareil :
£hen I Ehen ! fugaces , Posthume , Posthume ,
Labuulur anni.
M. Guichon de Grandpont ne cultive pas seulement les Muses
latines ; il nous a fait part d'une épttre en alexandrins fran-
çais qu'il adressa, à M. Ponsard sur sa pièce L'Honneur et
r Argent , et qui débute par ce vers :
Monsieur, je vous aimais pour avoir fait Lucrèce.
La comédie en question ne lui a pas laissé la môme impression :
Triste je le di,
Devant ce grand succès je reste abasourdi.
â6
- 202 -
El pourtant ,
Si le sujet u*é8t pas neuf , il est rirhe ;
C'est un sol plantureux auquel en toute année
Par d'abondants fumiers la force est redonnée;
mais
Le tissu de ce drame est faible et mal ourdi ;
Georges est trop simple , pas assez inventif ; il n'y avait au-
cune nécessité de le placer
Entre l'honneur d'un bord et de Taulre l'argent.
n devait simplement payer les trois-quarts de se& dettes , obte-
nir un sursis pour le reste , et se refaire une petite fortune.
Quant à Laure elle trahit en se jouant , elle manque de coBiur :
Je ne vous dirai pas que c'est peu naturel ,
Mais les infirmités d'un caractère tel
Sont, Monsieur, du ressort du physiologiste
Les produire au théâtre est une pauvreté ,
Et , puisqu'en votre plan c'était nécessité ,
Convenez qu'il n'est pas sans médiocrité.
A ce compte point de comédie , et par suite point d'épltre.
Il y avait pourtant une pièce à faire sur le même sujet :
Donc, pour corroborer mon discours arrogant
Et par honnêteté je relève le gant.
Un père meurt, laissant après lui dans ce monde
Une veuve et deux fils.
Je ne puis entrer dans les détails de ce nouveau plan; je
dirai seulement que l'un de ces jeunes gens entrait dans le
corps des officiers , l'autre dans l'administration de la Marine ,
et que l'auteur se serait proposé de les peindre
Bien comiques tous deux.
- \
y'
< r
_ 203 -
Sans quitter M. Cuichon de Grandpont , nous pouvons passer
de la poésie à la prose , en prenant pour transition son Essai
sur la susceptibilité du caractère , considéré comme un obstacle
au bonheur. Cet opuscule contient , outre quelques exemples
ou figurent des personnages qui s'appellent Polydore , Damis ,
comme dans les moralistes classiques, des réflexions - morales
résultat d*observatiojQS personnelles et une définition que je lui
emprunte : • La susceptibilité est celte disposition de Tftme,
ft qui porte à concevoir comme une chose certaine et fâcheuse,
» la supposition gratuite ou exagérée de la mauvaise intention
» d'une personne dans les relations qu'on peut avoir avec elle. »
A qui faut -il attribuer l'ouvrage publié en -1849 « sans nom
d'auteur, sous ce titre : Le meilleur Conseiller du Peuple^ petit
livre de vie des familles , contenant tous les secrets eu bonheur
individuel pour soi et les autres; répertoire de préceptes et
d'exemples tirés de l* Ecriture Sainte et des plus saines pen^
sées des hommes \ — C'est une compilation de textes empruntés
aux auteurs sacrés et aux auteurs profanes. Le sujet de ce livre
est, comme on voit, très sérieux, et il est de tous les temps. La
préface au contraire est toute de circonstance ; l'auteur y prend
à partie les apôtres de tendances nouvelles qui éveillaient alors
plus vivement qu'aujourd'hui la haine des uns et les sympathies
des autres ; elle se termine par un couplet qui peut se chanter
sur Tair du Bon roi Dagobert et qui est une paraphrase du
passage le plus populaire et le plus risqué de cette chanson.
Celte préface est signée de simples initiales qui sont celles de
M. Cuichon de Grandpont ; est-elle de lui ? Je laisse décider la
question par ceux qui ont l'honneur de le connaître , et je les
renvoie à la dédicace > où ils trouveront les prénoms des sept
enfants que Dieu a donnés à l'auteur.
Voici un autre ouvrage conçu dans le même esprit et doni
h frontispice porte également une croix pour symbole. Le sujet
— 204 -
qui y est traité ^'écarte doublement de notre programme , et je ■
n'en donnerai que le titre , qui heureusement n'est pas rooln^
explicite que le précédent : Croisade au XIX^ siècle^ appel à la
piété catholique , à Veffet de reconstituer la science sociale sur
une base chrétienne^ suivi de l'exposition critique des doctrines
phalanstériennes y par Louis Rousseau.
Je passe également sous silence VHistoire merveilleuse des
amours â^une pipe et d'un compas ; elle n'a d'ailleurs que quatre
pages ; * c'est une fantaisie qui défle l'analyse, mais qui s'est ven*
due au bénéfice d'une famille pauvre ;
• Et j'arrive à M, Eugène Loudun ; nous lui devons deux volu-
mes et une brochure qui sont : Un essai sur les OEuvres de
Napoléon III ^ étranger à nos éludes ; Le Salon de ^855, question
peu actuelle , et un écrit sur l'influence des idées anglaises et
germaniques en F ronce ^ qui a eu pour parrain le Pays ^journal
de V Empire. Cet écrit se compose d'une introduction , d'un pre-
mier chapitre consacré aux Anglais, d'un second aux Allemands,
d'un troisième aux Français et' d'une conclusion.
On lit dans l'introduction : « Les hommes peuvent se diviser
en trois catégories : les rêveurs, les esprits positifs et les esprits
pratiques. L'Angleterre est la patrie de l'esprit positif, l'Allemagne
est la patrie de l'iniaginatiou, la France est la patrie du sens prati-
que. » Cette distinction entre l'esprit positif et le sens pratique ne
vous semble-t-ellepas unpeuarbKraire ? Etre doué du sens pratique
c'est apparemment passer volontiers de la théorie abstraite à l'appli-
cation utile, ce qui n'est pas incompatible avec les tendances d'un
esprit positif. Mais passons, la chose s'éclaircira sans doute.
L'auteur cite ensuite une vingtaine de noms qui résument en
définitive nos illustrations politiques , oratoires , littéraires des
dix dernières années , et le quart à peine lui semble doué du
sens pratique , c'est-à-dire du caractère français. Victor Hugo
est un Anglais , Jules Favre est un Anglais , Balzac aussi, saifô
compter Louis-Philippe ; Lamartine est un Allemand, ainsi que
M. Arnaud (de TAriège) ;* MM. de Falloux , Thiers el Berryer
sont de vrais Français. A la bonuQ heure ; mais il faut avoir
bien de l'esprit pour trouver cela et même pour le comprendre.
Le vulgaire est habitué à considérer la vocation comme une
conséquence des aptitudes plutôt que comme une nécessité de
terroir, et il trouve l'imagination de M, de Lamartine aussi fran»
çaise qne le sens pratique de M. de Falloux. Supposons d'ailleurs
que l'auteur choisisse quelques hommes éminents d'Angle-
terre et d'Allemagne, et les soumette à une classification sem*
blable, il faudra, pour qu'au bout de l'opération la balance soit
exacte , qu'il trouve en Angleterre autant de Français qu'il a
trouvé d'Anglais en France ; de même pour l'Allemagne ; et
alors que deviennent les distinctions de peuple el de race? Ou
bien il en sera réduit au petit nombre de Français que possède
la France, et alors plutôt que de s'appliquer le vers de Cor-
neille ,
Rome n'est plus dans Rome, elle est toute où je suis ,
il aimera mieux reconnaître qu'il s'était fait un idéal d priori ^
qu'il Fa appelé l'esprit français , et qu'il l'a pris pour règle el
mesure dans la distribution très inégale de ses sympathies envers
ses. contemporains.
Il est difficile à deux peuples rivaux de porter l'un sur l'autre
des jugements équitables. Cependant Finstinct critique qui pré-
vaut aujourd'hui dans notre littérature a opéré une heureuse
réaction contre cette vieille frivolité française , toujours prête à
rire de ce qu'elle ne comprenait pas ; et je ne serais pas em-
barrassé pour citer des travaux récents où d'éminents penseurs
ont rendu une justice tardive mais éclatante à de^ institutions ,
à des mœurs qui diffèrent des nôtres , mais qui ne sont , pas
sans grandeur. Est-ce à dire qu'il ne soit plus permis de trou-
— âoo -
ver l'Allemand rêveur el l'Anglais égoïste? Non assurément;
ces reproches n*ont^ d'ailleurs rien de bien grave : ainsi le
patriotisme est toujours égoïste ; il Test à Londres comme il
le fut à Rome ; et quant à Torgueil il touche de près à la fierté,
qui est une vertu. Mais M. Eugène Loudun ne s'en lient pas
là, et j'avoue que je ne m'attendais pas à voir Tesprit ^wsitlf
aussi maltraité par le sens pratique. Voici quelques-uns de ses
griefs : les Anglais sont d'incurables trafiquants, leur Parlement
n'est pas un forum , c'est une Bourse ; ils ont un tel respect
pour le droit individuel qu'ils laissent brûler une ville plutôt que
d'isoler l'incendie en démolissant une maison, malgré le proprié-
taire ; ils ont les dents plus avancées que nous et mangent
plus de viandes qu'aucun autre peuple ; ils recrutent leur aris-
tocratie dans la bourgeoisie ; ils observent le dimanche par pur
égoïsme. Leur philosophie-, c'est le sensualisme , témoin Locke
qui produisit Condillac, autre Anglais fourvoyé parmi nous ;
encore est-ce trop dire , le matérialisme est une affirmation, or,
ces esprits positifs ne veulent rien affirmer : de là l'éclectisme,
qui est l'indigence de la pensée demandant l'aumône à toutes
les portes. Leur littérature est vouée au réalisme et dépourvue
d'imagmalion. Dans ce système, des auteurs comme Shakespeare,
Milton, Walter Scot, sans parler de la mélancolique pléïade des La-
kistes, ne sont-ils pas quelque peu embarrassants ? Ce n'est qu'une
apparence : la mélancolie vient précisément du manque d'ima-
gination. Walter Scot est Anglais quand il peint des caractères,
mais quand il dessine la figure fine et nuageuse d'une blonde
miss , quand l'émotion du récit le gagne , Walter Scot est
Français ; Shakespeare est Anglais dans Macbeth , maïs Fran-
çais dans Roméo, Quant à Milton , il est bien plus le poète de
la terre et de l'enfer que le poète du ciel ; et comme on peut
assurément en dire autant du Dante, M. Eugène Loudun ne
refusera pas de nous le céder , et nous en ferons un Anglais ,
51 toutefois Florence y consent.
- 207 —
Uesprit positif dénature chez nos voisins jusqu'aux sentiments
intimes , Tarailié , Tamour maternel. Ainsi « une mère écrivant
à son fils éloigné d'elle de cinq cents lieues , ne lui parle pas
de sa conduite , de ses devoirs , de niaiseries , de sentiment ;
elle lui développe Tari d'utiliser les relations les plus inutiles
en apparence, de ne se faire que des amitiés solides, de se lier
publiquement avec une femme du monde pour se ménager
rentrée des meilleures maisons. »
Les Allemands sont plus ménagés ; l'auteur ne leur reproche
guère que d'aimer trop Xldéal et d'être trop enclins h disserter
sans coaclare. Le panthéisme domine dans leur philosophie,
et la fantaisie dans leur littérature. Ces jugements n'ont rien
d'acerbe ou de téméraire , et le sens pratique se montre assez
tolérant pour l'idéologie.
Quant au Français, cela va sans dire, il a toutes les quali-
tés ; cependant « sa qualité mère est le bon sens, nom commun
du génie , tel que KJopstock entendait le génie, un composé de
trois quarts de raison et d'un quart d'imagination. » Si Klops-
tock a dit cela y c'est un Français ; ,prenons-le en échange de
Fénélon, dont l'esprit est trop inventif pour nous appartenir.
La littérature française a peu créé ; Labruyère , Racine imitent
les Grecs, Corneille et Molière les Latins et les Espagnols. Nous
avons le génie de l'observation, nous n'avons pas celui de l'inven-
tion. A la bonne heure ! peut-être môme* avons-nous le génie
de l'éclectisme ; mais pourquoi nous faire un mérite de ce qu'on
signale chez nos voisins comme une lacune , et à quel titre
Sbake^eare est-il Anglais quand il observe , Français quand il
imagine ?
Tel est le système de l'auteur, ou plutôt le prisme à travers
lequel il regarde le monde et qui lui suflSt pour tout expliquer :
histoire, philosophie, mœurs, religion; il jette ses reflets sur
le passé commç sur l'avenir ; il lui fait déclarer française VAssem-
- 208 -
''blée Constituante^ et allemande la Convention, qui cependant n'a
donné que trop de preuves de sens pratique ; il lui montre
dans un avenir prochain , frappée d'une chute rapide , abjecte
et sombrant tout-à-coup , fatalement , ignoblement , cette nation
à qui il reconnaissait quelques pages plus haut le talent de
conjurer les secousses imminentes en faisant des concessions
opportunes.
Mais il serait injuste de chercher dans cet écrit des opinions
réfléchies ; j'aime mieux y voir Texercice d'une verve brillante,
et si l'auteur veut bien né pas trop prétendre au sens prati-
que, je suis prêt à lui reconnaître une riche imagination alle-
mande*
Reste enfin un dernier volume ; c'est le récit de divers
voyages faits dans l'intérieur de TOyapock, par M. Thébault de
la Monderie. Ce n'est pas précisément une œuvre littéraire;
mais comme ceux qui pourraient en parler avec connaissance
de cause sont, paralt-il , très rares, je m'en suis chargé, quoi-
que je connaisse l'Oyapock mMns que personne. -
D*après un auteur anglais lui-môme, que M« Eugène Loudun
cite dans ses notes, le journal de voyage d'un Anglais contient :
^o le jour du mois où il se met en route; 2» le nom des
villes où il a couché ; 3* l'enseigne des hôtels où il a diné ,
avec un mémoranduriî quand il y a bu de bon vin ; 4' le jour
où il est rentré dans ses foyers. M. Thébault de la Monderie,
quoique Français , est de cette famille de voyageurs ; il est
éminemment doué du sens pratique et môme de l'esprit positif;
le but de son voyage suffirait à le prouver : il traverse les
forêts vierges , il remonte les cataractes , à la recherche de la
salsepareille, qu'il a le bonheur de découvrir. 11 note avec une
naïve exactitude les moindres détails de son voyage : « Nous
partîmes de chez M"' Popineau , le ^«?' octobre, à six heures
du malin Le il novembre au soir, nous étions de retour
chez M^ Popineau. » Le rédt n'eu est pas pour cela moins
instructif, mais les péripéties y sont rares ; cependant il y avait
matière à d'émouvants tableaux ; Tauteur a mieux aimé se tenir
en deçà de la vérité que de donner prise au moindre soupçon
d'exagération : pac une nuit magnifique , au milieu d'une soli-
tude troublée seulement par le hurlement du tigre , nos voya-
geurs s'étendent sur un rocher où , dit Fauteur, « nous nous
endormimes en méditant sur rinstabilité des choses de ce monde. •
Cétait le cas où Jamais. Le surlendemain , ils tuent une cou -
Icuvre qui a vingt-cinq pieds de longueur. « Sur ces entrefaites,
un de nos chasseur arriva tout haletant nous dire qu'il avait
aperçu un homme des bois ; nous ne le crûmes point. • Nous
ne le crûmes point , qu'elle parole dans la bouche d'un voyageur I
Le ^7, ils arrivent chez les Indiens Oyampis , lesquels sont en
guerre a\^c les Grandes*Oreilles et les Méritions ; ces peuplades
ont une f^çon particulière de se déclarer la guerre ou la paix :
ils plantent une flèche dans un sentier , la pointe en haut ou
^ bas, suivant leurs intentions. Ils ont aussi pour habitude de
ne porter aucune espèce. de costume , et ils ne font aucun cas
des paliîatifs que leur propose M. ThébauU de la Monderie ;
obstination regrettable, mai» naturelle, lis ont un usage plus
étrange encore et de beaucoup : c'est, en abordant un étranger,
de lui frotter le front avec un morceau de coton ; ils trouvent
cela tout simple et seraient sans doute bien surpris si l'étranger
répondait à leurs prévenances en leur tirant son chapeau : t Mon
compagnon faisait des difficultés pour se prêter à cet usage, mais
à ma prière, il consentit à subir ce frottement. » A cette céré-
monie succéda Tinvitation de prendre part à leurs danses ;
l'auteur, qui avait déjà décliné des offres plus embarrassantes ,
ilont je ne parlerai pas , ne put s'en dispenser. Il poussa môme
la condescendance jusqu'à se conformer à l'uniforme de rigueur,
27
- 210 —
ne réservant qu'une simple bande de toile, sur quoi "il fut
inexorable. « Quand je fus ainsi tatoué et enduit de la tête aui
pieds de rocou et deginipa, j apparus dans la danse, accolé au
capitaine , qui me prit pour sa danseuse, o Cette apparition fut
suivie d'un redoublement de gaîté et d'un galop effréné. M. Thé-
bault de la Monderîe dansa ainsi pendant deux heures ; après
quoi , se disant malade , il alla se coucher. « Vain espoir de
repos I ils revinrent me chercher et je fus forcé de retourner
danser avec eux. » Enfin , sur les quatre heures, il obtient la
permission de se retirer, et il se dirige vers une fontaine , où
il essaye , mais en vain , de se débarbouiller.
Les incidents de ce premier voyage se reproduisent dans les
suivants , qui sont aussi narrés jourpar jour. L'auteur découvre,
outre la salsepareille, le copahu, le gayac et la vanille. Sa der-
nière excursion date de -1843; il en revient malade et dégoûté
de cette vie d'aventures. Il s'arrête à Cayenne , où le souvenir
de tant d'épisodes plaisants ou terribles Tobsède comme un cau-
chemar, puis il repart pour la France , où il a depuis recouvré
la santé et publié son journal. Voici ce qu'en pense M. Guéraud,
qui en est Téditeur : a M. Thébault de la Monderîe n'est pas
un littérateur, mais c'est un voyageur que son jugement , sa
bonne foi, sa simplicité et sa modestie placent bien au-dessus
de ceux qui ajoutent à leurs récits mille détails de leur inven-
tion , dans le seul but de briller et d'éblouir. 0 Eloge mérité ,
et qui n'est pas sans prix ; car ils sont rares les récits de
voyages dont on peut dire que le lecteur y trouvera moins de
plaisir que de profit
Paul CIIABAL.
L'4RGHif El unim
EN 1855
CONSTITUTION PHYSIQUE. — PRODUCTIONS. — POPULATION;.
Lorsque Cook reconnut les fles Sandwich , en 1778 , il leur
imposa ce nom en l'honneur du premier lord de l'Amirauté.
Aujourd'hui , on commence à leur en donner, sur les caries ,
un autre qui leur convient à plus juste titre , celui d'îles Hami,
tiré du nom de la plus grande de Tarchipel. Il est certain cepen-
dant qu'autrefois elle seule y avait droit, et qu'aucune appella-
tion générale n'était donnée au groupe entier par les habitants des
dififérentes îles qui étaient toujours en guerre entre elles jusqu'au
moment où un chef entreprenant) Kamehameha, les réunit toutes
^ous sa domination.
— 212 -
il est certain aussi que Cook n'éfail pas le premier naviga-
teur qui y aborda. L'amiral Anson trouva à bord du galion de
Manille une vieille carte espagnole où était marqué un groupe
d'îles appelées la Mesa, los Majos^ la Desgraciada^ situées à la
même latitude que les Sandwich , mais beaucoup plus à Test.
Celte différence , à cette époque , n*a rien d'étonnant f et peut-
être était- elle marquée à dessein sur la carte. La po"ttique
ombrageuse des Espagnols pouvait les porter à laisser ignorer
au monde la connaissance, ou au moins la vraie position d'un
archipel qui aurait pu servir de refuge à des flibustiers, ce qui
eût été une grande gêne pour le commerce du Mexique et des
Philippines. Cook trouva deux morceaux de fer entre les mains
des naturels , quand il aborda à Kauai , et la tradition rappor-
tait que les habitants avaient vu, il y avait bien long temps, des
navires qu'ils avaient pris pour des îles flottantes 0), passer
devant leurs rivages. En un mot, toutes les histoires racontées
par les naturels, dépouillées du merveilleux qui ne pouvait
manquer d'y être mêlé, prouvent que de ^530 à ^630, Tarchipel
a été visité plusieurs fois , et que des étrangers y ont vécu et
y sont morts; mais il n'en est pas moins vrai -que c'est à Cook
et à ses successeurs qu'on doit les premières notions précises
sur ces îles.
Leur position centrale par rapport à la Californie , la Chine
et le Japon, et la facilité des communications avec les archipels
les plus considérables de la Mer du Sud, leur donnent une grande
importance dans la partie septentrionale de l'Océan Pacifique,
Une nation maritime, qui en serait maltresse, pouri'ait, en cas
de guerre , en faire un centre d'opérations qui rendrait très
diflicile le commerce de ses ennemis , et assurerait à ses croi-
seurs un refuge dont la défense serait rendue plus facile par
(i) D'où le nom de Moku , ilc , appliqué aux navires»
— 213 —
une multitude d'obstacles naturels. Ces considérations ne devaient
point échapper aux intéressés ; aussi a-t-on vu tour-à-tour TAngle-
terre, la Russie et les Etats-Unis vouloir, plus ou moins ouver-
tement, s'emparer de ce groupe; mais comme la prise de
possession par Tune des parties ne pouvait avoir lieu sans
exciter les réclamations des autres , on a pris un terme moyen
qui permet à ces îles de garder la neutralité , et elles ont
été déclarées former un état indépendant sous la garantie de
rAnglèterre, de la Russie, des Etats-Unis et de la France.
Cependant les citoyens entreprenants de TUnion ne semblent
pas avoir abandonné la partie, et Ton a vu tout dernièrement,
pendant que les autres signataires du traité étaient engagés dans
la guerre , les Américains sur le point , non de prendre , mais
de se faire céder par les habitants ce pays qui leur appartient
de fait. Ce sont des Américains qui occupent presque tous les
hauts emplois du gouvrernement ; les principales maisons de
commerce sont à eux ; Finfluence de leurs missionnaires est
très considérable , et deux fois par an , 3 ou 400 baleiniers
sortis des ports de TAmérique viennent s'y ravitailler. Mais ,
je n'ai à m'occuper ni de la politique , ni du gouvernement
constitutionnel qu'on a imposé aux Kanaks, pas plus que des
querelles qui divisent les sectes religieuses qui s'occupent de
leur cfonversîon. Je veux seulement donner une idée de la
nature et des productions de ces îles et des hommes qui les
habitent, population intéressante qui semble , comme toutes ses
congénères du Grand Océan , subir dans toute sa rigueur la loi
cruelle et inexplicable qui fait disparaître les races primitives
devant la civilisation. L'histoire des îles, depuis leur découverte
jusqu'au temps présent , a été traitée avec tous les développe-
ments possibles par les missionnaires méthodistes : MM. Bingham,
Cheever, Stewart, eXc. De tous ces livres, celui de M. J. Jarves
m'a paru le plus complet et le plus impartial.
- ^11 -^
I.
L'archipel Hawaïen est situé entre les parallèles de ^ 8*» 50' et
22o 20* de latitude Nord, et les méridiens de ^57<> ^3' et H2^%^'
de longitude occidentale de Paris II embrasse une étendue d'envi-
ron 6,^00 milles carrés (-1), où Tlle principale, Hawai , compte
pour les deux tiers. Le tableau suivant fait voir la grandeur des
différentes lies.
Longueur. Largeur. Surface.
Hawaï 88 milles. 73 milles. 6,000 milles carrés.
Maui /»8 — 30 — 620 —
Kahoolawe 4^ — 8 — 60 —
Lanai ^7 — 9 — ^00 —
Molokai 40 — 7 — ^90 -^
Oahu 46 — 25 — 530 —
Kauai 22 — . 24 — 500 —
Niihau 20 — 7 — 90 —
Il faut joindre à celte énuméralion les Ilots déserts de Molo-
kini , Lehua et Kaula , et l'île Bird (Ile aux Oiseaux , Motu-
lUanu), qui, bien qu'éloignée de quarante lieues de Tarchipel,
fait néanmoins partie du même système.
Les noms précédents sont écrits selon l'orthographe adoptée
par les missionnaires qui ont fixé la langue des indigènes. Us
diffèrent singulièrement de ceux qu'on lit dans les relations de
voyages et sur des cartes assez modernes , telles que celle de
l'hydrographie française , publiée en -1847. La première faute
en est due au capitaine Coôk, qui dans son ignorance du dia-
lecte polynésien, a souvent pris pour des mots simples des mots
(!) J. Jarres^ History of the Hawaian ov^ Sandwich. Islands, 1843.
— 215 —
composés y de véritables phrases. Llnsulaire auquel on deman-
dait par signes : Quelle est cette terre ? répondait : c'est Niibau,
O-Niihavj c'est Tahiti, O-Tahili, etc , etc. De plus , Cook appli-
quait aux mots polynésiens l'orthographe anglaise , la plus rebelle
de toutes : les traducteurs de ses relations ont popularisé les
noms qu'il avait imposés, noms qui ont été adoptés par ses con-
tinuateurs, Anglais ou Américains, et c'est ainsi que .figurent sur
les cartes : Owkyhee^ Mowee^ Woaho^ Oneehow, Atooiy etc.; ces
noms , avec la prononciation anglaise , rappellent encore assez
bien les sons de la langue indigène, mais prononcés autrement
ils n'ont aucun rapport avec ceux-ci. (0
L'origine volcanique de Tarchipel est écrite partout dans sa
constitution , et on voit en activité , sur Hawai , le plus grand
volcan connu; Le soulèvement qiji a fait surgir ces lies est
sans doute contemporain de celui qui a donné naissance aux
Marquises, aux lies de la Société et aux cratères autour desquels
les polypiers ont construit l'Archipel Dangereux. Comme dans
ces îles il a eu une direction à peu près N.O. et S.-E , et à
développé sa plus grande énergie vers cette extrémité. Les
Sandwich sont très hautes, par rapport à leur grandeur, et en
général d'autant plus que les îles sont plus au S.-Ë., et leur
côté oriental est ordinairement plus haut et plus escarpé que
l'autre. Le terrain tourmenté indique que de violentes convul-
sions ont suivi leur émersion , et que ces cataclysmes ont dû
se prolonger beaucoup plus long-temps que dans les archipels
cités plus haut. On y voit des vallées , de vastes plateaux qu'on
(\) Quelquefois, dans les noms des localités et des individus , on
trouve de$l pour des r, dés t pour des k, etc., mais ces changements
sont communs dans les dialectes de la Polynésie. Nous avons adopté ici
l'orlhographe dont se servent les Hawaïens et qu'on leur enseigne dans
les écoles. Uu se prononce ou ; on fait sentir toutes les voyelles : il n'y a
)>as de diphtongues ; seulement ai et oi , k la fin des mots , ^e pronon-
cent en ouvrant grandement la boiiche : aie , oie.
^ 216 —
pcui appeler des plaines , coupées quelquefois par de profonds
ravios dont les flancs forment des murailles à pic , des préci-
pices nommés palis par les indigènes ; des montagnes c6niqueâ
dont les sommets aplatis ont servi autrefois de bouches à de
puissants, volcans. Généralement , le terrain est plat au bord de
la mer et bordé de récifs madréporiques qui ne s*écartent pas
très loin. La grande hauteur des montagnes arrête les nuages,
qui se condensent sur leurs flancs, de sorte que du côté du
vent , il pleut fréquemment sur les hauteurs , ce qui y entretient
une belle végétation , tandis que le côté !tous le verd souffre de
la sécheresse , pendant une partie de l'année. Au-dessous de la
région des nuages, des laves vomies par les éruptions les moins
anciennes couvrent de vastes espaces, qu'elles rendent pour
ainsi dire impraticables. Le terrain plat , voisin d^s rivages , est
oi;dinairement composé de cendres et de matière volcanique que
le vent soulève en tourbillons de poussière et emporte à de
grandes distances au large. Quelquefois aussi , dans le voisinage
immédiat de la mer, le sol est composé assez profondément de
blocs madréporiques stratifiés , comme on peut le remarquer à
Oahu, dans la plaine de Waikiki. La présence de ces produits
coralins coïncide avec la remarque qu'on a faite d'une élévalion
continue des côtes , de laquelle il sera parlé plus tard.
Les vallées recevant les parties les plus friaWes des monta-
gnes qu'entraînent les pluies j et qui se mêlent avec les- détritus
des plantes , sont très riches et très productives , mds il y en
a peu d'une grande étendue. Le sol, par le fait de sa eoraposl-
tion , requiert des irrigations continuelles pour produire ; les
indigènes les entendent fort bien, ,ct savent bien mettre à profit
les plus minces filets d'eau. On ne doit pas s'attendre à trouver
de grands cours d'eau sur des îles aussi petites ; cependant ,
quelques-uns formés par la réunion des cascades qui tombent des
sommets les plus élevés, sont, en proportion, assez considérables.
— 217 —
Le trait le plus saillant de cet archipel, c'est le grand nombre
de volcans éteints, de toute forme et de tout ûge, qui couron-
nent le sommet des montagnes et s'avancent dans la mer,
comme des promontoires. Quelques-uns semblent tout prêts à
vomir du feu , tandis que les autres perdent peu à peu leur
aspect menaçant Leurs sommets s'arrondissent , et d'année en
année , une végétation abondante couvre leurs flancs devenus
moins rugueux et remplit leurs cratères de ses débris.
Un des cratères les plus remarquables » le Mauna-Haleakala,
sur l'île Maui , élevé de 3,344 mètres au-dessus de la mer,
est éteint depuis long-temps ; aucune tradition n'a conservé le
souvenir de l'époque où il jetait des flammes. Hawaï a le
monopole des volcans en activité ; il y en a trois aujourd'hui:
te Kilauea , le Mauna-Huararai, et le P^una-Hohoa. Le premier,
le plus grand volcan qu'on connaisse, situé dans la partie S.O.
de l'île , à quinze ou vingt milles de la mer, diffère des vol-
cans ordinaires , en ce qu'au lieu d'un cône plus ou moins
tronqué et terminé par un cjratère , il présente une immense
dépression au milieu des terrains situés à la base du Mauna-
Roa , la deuxième montagne de l'île , élevée de 4,036 mètres.
On n'y arrive point en gravissant un cône , mais au contraire
en descendant le long de deux grandes terrasses. Il est pro-
bable que cette disposition est la suite de grands effondrements,
car les flancs de ces terrasses portent des marques qui indi-
quent que la lave montait autrefois jusqu'aux bords. Le bassin
a sept ou huit milles de tour, sur une profondeur de 400
mètres , et est occupé par une soixantaine de cratères, les uns
éteints , les autres en activité.
Du côté de l'Ouest, le Mauna-Huararai, élevé de 2,381 mètres,
jette aussi des flammes. Il y a environ cinquante ans qu'il
vomit une immense coulée de lave qui se répandit dans la
direction de l'Ouest , s'avança dans la mer jusqu'à trois milles,
28
— 218 -
et en se refroidissant forma la pointe septentrionale de la baie
de Kairoua.
L'aspect du volcan de Pauna-Hohoa, situé dans la partie
méridionale de Tîle , semble annoncer la jeunesse plutôt que la
décrépitude. Il est possible que ce soit un déversoir souterrain
du Kilauea. Ce dernier semble ne pas avoir dit son dernier
mot. À la fin de 4855, et dans les premiers mois de 4856, il
a fait éruption avec une force terrible. Des torrents de lave
portaient la dévastation de tous côtés, et on s'attendit pendant
long-temps à voir la petite ville de Hilo engloutie.
On éprouve fréquemment des tremblements de terre à Hawai,
mais leurs effets ne soQt pas ordinairement désastreux. £n
novembre 4838, on ressentit de 40 à 50 secousses dans un in-
tervalle de huit jours , et on en compta douze dans la même
nuit. Les plus fortes ont eu lieu en mars et avril 4841. On
ressent aussi des chocs dans les autres îles , surtout à Haui ,
mais ils sont beaucoup moins forts.
Le règne minéral ne présente guères que des laves aux diffé-
rents états , depuis les plus solides jusqu'aux plus légères.
Dans quelques-unes des îles , on trouve des couches, d'un cal-
caire compact {lime stone)^ qui fournit d'excellents matériaux pour
les constructions, et .dont la présence, à une hauteur considé-
rable au-dessus de la mer, a donné naissance à diverses hypo-
thèses. On n'a découvert aucun métal dans l'archipel , à moins
qu'on ne compte quelques oxydes de fer qui se trouvent en
petite quantité dans les scories volcaniques. Quelques-unes des
lies ont des marais salants qui fournissent du sel dont les in-
digènes savaient faire usage avant l'arrivée des Européens, pour
conserver le poisson et la viande. Le dépôt le plus remarquable
est le lac salé alia paakai , dans Ttle Oahu , à quelques milles
dans rOuest de la ville de Houolulu. Il occupe le fond d'un
cratère de forme ovale, élevé peut-être -de deux mètres au-
— 219 —
dessus de la mer', de laquelle il est éloigné ù-peu-près d'uir
mille. A certaines époques , il se couvre de sel «n très grande
quantité , tandis qu'il y en a très peu dans d'autres , alors que
les pluies sont abondantes. On a cru long- temps que c'était du
sel gemme , mais il est plutôt à supposer qu'il est formé par
évaporalion, si on considère que la profondeur du lac est ordi-
nairement à peine de cinquante centimètres , excepté au milieu
où il y a un trou ayant environ dix ou onze mètres de tour
et où la profondeur est considérable. Les habitants disent que
le lac communique par ce trou avec la mer. On a remarqué
que son niveau ressent légèrement l'influence des marées , qui
sont du reste très- faibles, au plus d'un mètre et demi.
Des effets étranges de raz de marée ont été observés à plu-
sieurs reprises en -1819, -1837 et ^8^i, Le premier de ces phé-
nomènes n'ayant causé aucun accident sérieux passa pour ainsi
dire inaperçu. Dans la soirée du 7 novembre 1837, sans que le
baromètre ni le thermomètre indiquassent aucun changement
dans l'atmosphère , on s'aperçut à Honolulu , que la mer se
relirait avec une rapidité extrême, ce qui fit craindre aux résidants
étrangers qu'elle ne revînt avec la même vitesse et n'engloutit
la ville dont les rues sont presque au niveau de l'eau du
port. Les naturels n'y virent qu'une source de plaisir et l'occa-
sion d'une récolte abondante des poissons qui se débattaient
sur les récifs entièrement à sec. La mer avait baissé de 2", 40,
mais au l)out de vingt minutes , elle atteignit le niveau des
plus hautes marées pour baisser ensuite de 4^,80 : à son
retour , elle monta un peu plus que la première fois , et re-
tomba de ^*p,90. Cela continua ainsi , l'amplitude de l'oscilla-
tion diminuant graduellement, pendant la nuit, jusqu'au len-
demain soir. La baisse k plus rapide avait été observée de 30
centimètres en 30 secondes.
/
- 220 -
te phénomène fut accompagné d'effets plus désastreux à Hawài
et à Maui, principalement à Test et au nord. A Hilo , dans la
première de ces îles, vers six heures du soir, la mer se retira
avec une vitesse de cinq milles à l'heure , laissant à sec
une partie du port. La population , augmentée d'un grand nom-
bre de gens qu'une fête religieuse avait amenés à Hilo , s'était
portée en masse au rivage pour jouir d'un spectacle si étrange ^
quand une immense vague, dépassant -de six mètres la hauteur
ordinaire des grandes marées, se précipita sur la côte avec une
vitesse de sept ou huit milles à l'heure , renversant tout sur
son passage , hommes, animaux et maisons. Aucune secousse
de tremblement de terre ne coïncida avec celte invasion de la
mer, mais pendant la nnit précédente , le volcan de Kilanea
avait jeté plus de flammes que de coutume.
Au mois de mai 1841, le môme phénomène se reproduisit,
mais sur une moindre échelle. A Honolulu , l'eau se retira
assez rapidement, laissant à sec les récifs et une partie du port.
Cela se produisit deux fois dans un espace de quarante minutes,
après quoi les choses revinrent à leur état normal. La mer avait
baissé d'un rtiètre environ. Juste au même moment, on observa
à Lahaina (île Maui), à 100 milles de distance, que le niveau
de la mer s'abaissait et remontait de plusieurs pieds , à des
intervalles de quatre minutes , et que les lames venaient se
briser avec fracas sur les récifs. Il paraît qu'à la même époque
on observa un phénomène semblable sur les côtes du Kamstchatka.
La nature n*a pas prodigué les ports à Farchipet Hawaïen. Il
n'y a que celui de Honolulu , dans lîle Oahu , qui mérite à
vrai dire ce nom, et encore n'est-il accessible qu'eaux bâtiments
qui ne calent que cinq mètres. Les récifs de corail , qui bor-
dent les îles en certains endroit», ne s'écartent pas assez au
large pour laisser des mouillages entre eux et la terre, comme
ceux des îles de la Société. Il n'y a que I^ petits caboteur»
-. 221 —
qui puissent franchir, les coupures des récifs et s'abriter derrière
ceux-ci. La baie de Hilo, au nord de Hawai, est un bon mouil-
lage pour des navires de toute grandeur, mais le débarquement
y est difficile à cause du ressac , et on peut y être bloqué
très long-temps par le vent de nord qui n'est pas rare. Hors
de ces deux places , Hilo et Honolulu , on mouille en pleine
côte , mais le vent dominant de Test-sud-est à Test-nord-est ,
et le beau temps, garantissent aux navigateurs une sécurité par-
faite pendant neuf ou dix mois de Tannée. ,
On avait cru pendant quelque temps que les récifs madrépa-
riques croissaient régulièrement; ainsi, de ^794 à ^8^0, on
avait remarqué une différence de plus d'un mètre dans ceux
qui fornïient le port de Honolulu. Des ^observations faites
avec soin depuis lors , ont fait constater que celte différence
était due à une élévation continue de la côte , qui aurait lieu ,
dit-on, rapidement. Les bancs laissent une plus grande partie
de leur surface à découvert , d'année en année , et dans quel-
ques endroits , la mer s'est écartée de plus d'un mètre de la
limite où les pirogues accostaient il n'y a pas long temps. Les pluies
et les crues des ruisseaux entraînent une notable quantité de
vase et de matières solides qui se déposent entre la terre et le
récif , et finiront par combler le port si l'on n'y prend garde.
On n'a pas sondé , que je sacbe , à certaine distance des
côtes, dans les canaux qui séparent les îles. H est probable que
les fonds doivent y être irréguliers, si l'on juge par ce qui a lieu
daus le voisinage de la terre. Peut-être est ce à cela qu'il faut
attribuer Tirrégularité des courants remarqués par le capitaine
King (troisième voyage de Cook). L'hydrographie de l'archipel
HaTvaien , bien qu'il soit fréquenté par un grand nombre de
navires, laisse beaucoup à désirer, et ce n'est pas sans éton-
nement qu'on voit encore une île , Motu-Papapa (ilc Plateh
marquée douteuse sur les cartes récentes , à 20 lieues de Niihau I
222 -
II.
Quand on arrive des archipels plus favorisés de rhémisphère
Sud , on est. frappé de Taspect d'aridité que présentent les Sand.
wich avec leurs montagnes bouleversées qui ressemblent à d*im-
me(ises tas de cendres, où les laves font de grandes taches noires.
Il n'y a que là où les scories se sont décomposées à force de
temps , que le sol a pu se prêter h la culture , et encore avec
beaucoup de travail. Les côtes du vent, arrosées par des pluies
fréquentes , font cependant exception, ainsi que la zone des mon-
tagnes qui est enveloppée de nuages. La végétation des tropiques
s'y étale dans toute sa splendeur, quand l'altitude ne cause pas
un abaissement de température nuisible. C'est là que se trou-
vent de grandes fougères , dont les racines servent au besoin
de nourriture ; plusieurs espèces de :pandanus , Valeturites tri-
loba j le casuarina equisetifoUa, le kalophyllum inophyllum , le
piper niethysticum, appelé awa, dont l'usage était général, comme
dans toute l'Océanie, le sandal ^ excessivement rare aujourd'hui,
et qui a été autrefois , pour ces îles , un article de commerce
très important. Sur les bords de la mer, le sol se . prèle plus
aux pâturages qu'aux autres exploitations agricoles ; cependant,
on y trouve à-peu-près tous les végétaux des différents archi"
pels du Pacifique , le cocotier , plusieurs espèces de bananiers,
le mûrier à papier, ï hibiscus tiliaceus , le gardénia maveolens,
le riccin , plusieurs espèces de mimeuses et d'acacias ; mais
tous ces végétaux y sont comme étiolés et rabougris. Valeur
rîtes trilùba n'est qu'un arbuste dans la vallée de Honolulu ;
les arbres -à-pain sont très rares et tout petits , excepté dans
quelques localités favorisées. Les cocotiers ont un aspect misé-
rable. Nous avons remarqué en grande quantité, sur les terrains
maigres qui bordent la mer, une plante de la taille ordinaire
de nos chardons , armée de piquants , avec des feuilles glau-
— 223 —
ques, et portant une belle fleur qui approche de celle du pavot blanc
Une espèce de jonc qui sert aux indigènes à couvrir et à revêtir
extérieurement leurs cases, habite tous les lieux bas et humides.
À l'arrivée des Européens , les naturels cuUivaient avec ha*
bileté le kalo (taro^ à Tahiti, arum esculentum^ L.), qui forma-
ta base de leur nourriture ; il faut près d'une année pour qu*il>
vienne à maturité. Les belles feuilles d'un vert tendre de cette
plante contribuent singulièrement à Fornement de la campagne,
mais malheur à l'imprudent qui s'aventure sans guide dans les
marais où on le cultive I Cette plante demande une humidité
constante ; aussi les moindres filets d eau sont-ils soigneusement
aménagés et conduits aux petits carrés de terre battue à
l'avance pour la rendre imperméable, où se fait la plantation. La
racine se mange à Tétat de bouillie appelée poi ; frite , elle
remplace presque la pomme do terre. Les Kanaks joignaient aa
Kalo plusieurs espèces de citrouilles , la patate douce, le fruit
à pain, l'igname , l'arrow-root, la canne à sucre , les fraises et
les framboises » mais plusieurs de ces végétaux sont rares, et
tous à l'exception de la canne à sucre, manquent de saveur. Les
Européens ont introduit successivement un grand nombre de plan-
tes et presque tous les légumes de nos jardins, dont les indigènes
ne font aucun cas, mais qu'on vend aux nombreux navires qui
abordent aux lies. Les melons de diverses sortes et les pastè*-
ques ont réussi parfaitement ; les chirimoyas du Pérou , leai
vignes^ les pêchers et les figuiers donnent des produits passa-
bles, mais il n'en est pas de mémo des ananas, des goyaviers,
des orangers et des citronniers. Sur les hauteurs de Maui, on
obtient d'excellentes pommes de terre j et on y fait par an
deux récoltes de froment de première qualité , dont les farines
commencent à être exportées dans les autres archipels du Pa-
cifique. Depuis quelque temps , on fabrique avec les noix de
V /lleurites'triloba (nomindig. Kukfii ; Ama, aux Marquises et à
- 224 -
Tahiti ), une huile siccative qui comptera bientôt parmi les
produits commerciaux de Tarchipel. Les indigotiers , qu'on
rencontre à Télat de broussailles en beaucoup d'endroits , ne
paraissent pas avoir réussi. Il est probable qu'on ferait venir
avec succès le colon , le café , le mûrier , le tabac , le cacao,
etc., etc., mais je ne crois pas qu'on ait essayé- ces cultures,
excepté les deux premières , il y à peu de temps. Les rats, très
nombreux, sont un grand obstacle à la culture des cannes à sucre.
Les plantes marines sont peu nombreuges , et leurs espèces
peu variées. Du reste , toute la végétation , comme celle des
autres groupes Polynésiens , offre plus d'éclat que de variété.
Cependant le nombre des espèces doit être plus grand que dans
la plupart de ces derniers , à cause de la' position des Saod-
wich à la limite dç la zone tropicale , ce qui rend le climat
plus tempéré. Leur grande élévation , à cette latitude, permet
aussi à beaucoup de végétaux de se développer aux différents
étages , ce qui ne peut avoir lieu , à hauteur égale , dans les
îles voisines de l'équateur. L'étude de la flore havaienne laisse
encore un vaste champ ouvert : les bords de la mer ont été
à peu près seuls explorés , et il doit y avoir encore beaucoup
à récolter sur les hauteurs et les grands plateaux de 1 intérieur
de Havai. L'(3xpédition du capitaine Wilkes {U. S* Exploring
Expédition] a jeté déjà quelque jour sur la question, et un de
nos compatriotes , savant naturaliste, M. Réray, a exploré tout
récemment Tiritérieur de cette île ; mais le résultat de ses re-
cherches n'a pas encore été , que je sache , /mis sous les yeux
du public.
IIL
Les seuls mammifères terrestres que les Européens trouvèrent
aux îles Sandwich étaient le cochon , le chien et le rat. Les
cochons, au dire de Cook, étaient plus grands et meilleurs que
- 223 -
ceux des archipels du Sud ; ils ont alors biea dégéoéré depuis.
liCs ëbiens, fort nombreux» étaient de la môme espèce que ceux
de Tahiti ; aujourd'hui le croisement avec ceux qu'on a impor-
tés ne permet pas de reconnaître à quelle variété ils appartenaient.
Ou les élevait pour s'en nourrir et faire des sacriûces dans les-
quels on les immolait par centaines. A l'espèce indigène de rats,
qui était petite , se sont joints ceux qui se sont- échappés des
navires en relâche dans les Iles»
Les canaux qui séparent celles - ci sont fréquentés par des
marsouins. Autrefois on y rencontrait des cachalots qui ont dis-
paru aujourd'hui devant les baleiniers. Les chevaux, introduits
au comniencement du siècle, se sont prodigieusement multipliés ;
de petite taille , la tête grosse , ils ne sont pas élégants , mais
ils rachètent ces défauts par leur vivacité. Les indigènes de toutes
les classes, les femmes surtout , ont une passion frénétique pour
l'équitation. Les bœufs sont en grand nombre, les moutons sont
moins répandus. Beaucoup de chèvres vivent à Fétat sauvage ,
principalement à Maui ; on trouve aussi, dans les endroits écartés ,
des lapins qui se sont enfuis des habitations.
Les premiers explorateur? mentionnent un assez grand nombre
d'oiseaux : il est probable que les rats les auront détruits, comme
cela a eu lieu dans les archipels du Sud ; car c'est à peine si,
dans les terrains bas du bord de la mer, on trouve quelques
petits passereaux aux couleurs ternes. Les bois des hautes
régions sont plus habitas et abritent plusieurs espèces de necta-
fins , dont les plumes brillantes entraient dans la confection des
manteaux précieux des chefs. Il faut y joindre une petite chouette
très commune. Sur les rivages, on voit quelques rares courlieux,
une espèce de bécasse , des pluviers , des canards et des oies
sauvages , la mouette commune et tous les oiseaux marins des
tropiques , frégates , fous , noddis , paille-en-queuc , etc , etc.
Les étrangers ^nt introduit nos oies et nos canards et de petite
2^
- 226-
dindons gris qui sont devenus, pour ces îles, un article impor-
tant d'exportation. Les Européens trouvèrent des poules à leur
arrivée , et on en rencontre encore beaucoup à Tétat sauvage.
Les seuls reptiles terrestres sont un petit lézard brun et un
scinque : on pêche des tortues franches, mais elles ne sont pas
très communes,
*• Le poisson entre pour beaucoup dans la nourriture des habi-
tants qui établissent des pêcheries et des viviers, partout où la
conformation du rivage le permet. Les principales espèces sont
la bonite , Talbicore , le poisson-volant , lé requin , Tanguille et
le mulet , qui est de qualité supérieure.
Les Kanaks mangent beaucoup de Tespèce de poulpe appelée
poulpe hawaien. On péchait autrefois une assez grande quantité
d'huîtres perlières , mais les perles avaient peu de prix. Nos
recherches ne nous ont montré qu'un petit nombi'e de coquilles,
la plupart appartenant au genre volute.
Les insectes , lors de la découverte , étaient rares et en nom-
bre limité , mais presque tous ont des propriétés nuisibles. 11 y
a peu de papillons, mais cependant assez pour que leurs chenilles
causent de grands dégâts , auxquels il faut joindre ceux qu'oc-
casionne une espèce de puceron. Les Kanaks accusent les
navigateurs de leur avoir apporté les moustiques, les puces , les
punaises, les cancrelas , les scorpions et les cent -pieds qui
: foisonnent dans le voisinage des ports fréquentés.
IV.
Ce qui précède fait voir que Jes productions de l'archipel
hawaïen sont les mêmes , à peu de chose près, que celles des
groupes de l'hémisphère sud ; la différence qu'on remarque pjulôt
dans la quantité que dans l'espèce , est due à la plus grande
distance de l'équateur qui modifie le climat.
— 227 —
Celui-ci est très égal et très palabre, t^s grandes brises des venrts
alises lerapèrent la chaleur des rayons trop verticaux du soleil
pendant la saison où ils seraient le plus à craindre. Quand on
pénètre dans Tintérieur des îles , à mesure qu'on s'élève , la
température change peu à peu , de sorte , qu'on passe par tous
les degrés qu'on désire. Les hautes montagnes sont , pendant
la plus grande partie de l'année, couvertes de neige, qui méma.
ne fond jamais sur les sommets les plus élevés. Les hauteurs
de Maui sont exposées à de fréquentes tempêtes de neige et de
grêle : ces phénomènes sont inconnus à Oahu ; mais à Kauai,
à une élévation de ^,230 mètres, ils se produisent soi^vent : à
cet endroit , la température est toujours basse ; il faut se vêtir
chaudement et faire du feu même en juillet.
La température moyenne à Waimea, dans l'intérieur de Hawai,
à ^,200 mètres au-dessus de la mer, est à peu près 47®,5. Le
point le plus bas qu'on y ait observé est 9°. Le séjour de ce
plateau est recommandé aux personnes énervées par une trop
longue station au bord de la mer où la chaleur est beaucoup
plus forte. Il est vrai qu'il pleut très souvent à Waimea, mais
le sol poreux est si sec qu'il absorbe promptement l'eau qui
tombe ^ que toute trace d'humidité a vite disparu. La salubrité
du climat est telle que beaucoup d'individus maladifs et languis-
sants dans nos climats vivent dans cet archipel sans presque
s'apercevoir de leurs maux. Il est bien enteudu que je parle de
ceux qui suivent un régime convenable et ne s'adonnent pas à'
l'intempérance, vice extrêmement répandu dans une certaine partie
de la population étrangère.
La plus haute température observée à Tombre , à Honolulu,
dans une période de douze ans, est de 32«, la plus basse de ^2«.
Les tableaux suivants empruntés à l'ouvrage de Jarves sont
le résultat de deux années d'observations, du ^^^ janvier Wt
au 1er janvier 1839, faites par M. T. Ch. ftyde Rook.
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- 230 -
On voit par ces tableaux quelle est la prédomineace des vents
alises et le petit nombre de jours où le temps a été incertain.
Bien entendu que dans un pays si accidenté , il y a des
localités où il pleut davantage. Pendant neuf mois que Falisé
du N.-E. se fait sentir, la brise est quelquefois très fraîche,
presque un coup de vent ; mais cet air si pur ranime les
habitants pendant les mois les plus chauds , en même temps
qu'il les délivre des exhalaisons dangereuses. Oahu et Kauai
sont celles des îles qui y sont le plus exposées. La partie de
dessous le vent de Maui est soumise aux alternatives régulières
des brises de terre H du large. A Hawai, la hauteur des mon-
tagnes s'oppose au passage du vent de nord-est qu'elles réfléchis-
sent , de sorte qu'il prend pendant le jour tous les caractères
de la brise du large, et est remplacé la nuit par la brise de
terre. Quand le vent trouve sur son passage un défilé , une
coupure dans la montagne , il s'y engouffre , parfois avec une
force telle qu'on est exposé à être renversé.
Les vents de sud et d'ouest interrompent la régularité de
l'alise pendant Thiver, et causent de grandes perturbations.
Ils amènent des calmes de longue durée ou des tempêtes qui
forcent à. appareiller les navires mouillés sur la rade /oraîne de
Waikiki. Le vent du sud est ordinairement accompagné de grande
pluie ou chargé d'une vapeur salée qui se dépose comme une
gelée blanche sur les végétaux voisins du rivage. Quand cas
vents régnent pendant quelques jours , les maux de tête , les
douleurs rhumatismales font irruption sur les habitants : la res-
piration est oppressée par un air lourd et embrasé dans les
moments de calme. A Honolulu , l'inconvénient de ces vents
est encore plus vivement senti qu'ailleurs , parce qu'il passe sur
des lagunes dont les effluves sont désagréables et pernicieuses.
Mais pendant les quelques jours que le vent alise suit son
cours régulier dans l'intervalle de ces perturbations atmosphé-
- 231 —
riques, le temps est beaucoup plus beau que pendant le reste
de l'année. Il n'y a pas un nuage au ciel ; la pureté de Tair,
quand il fait clair de lune, frappe le spectateur le plus indiffèrent.
Les orages sont rares et peu violents : on n'a pas observé
d'ouragan, c'est-à-dire de coups de vent giratoires.
J'ai parlé longuement des eff'ets extraordinaires de marée ,
des phénomènes volcaniques, tremblement de terre, etc., etc. Le
25 septembre ^825 , on a observé , à Honolulu, une pluie de
pierres météoriques , dont quelques-unes pesaient de 5 à ^ 0
kilogrammes. En tombant, elles s'enfonçaient profondément dans
le corail. Leur couleur était un noir grisâtre avec une cassure
un peu jaune.
Vers 4803 , une épidémie, probablement une sorte de typhus,
désola toutes les îles de la Polynésie. Aux Sandwich, on a gardé
le souvenir de ce fléau qui causa une mortalité si grande ,
disent les indigènes , que les vivants ne suffisaieni plus pour
enterrer les morts. En 4846 et 4853, l'archipel fut de nouveau
ravagé par la petite vérole , mais il faut espérer que l'emploi
du vaccin , qui commence à se répandre , arrêtera les progrès
du mal. La dernière de ces années, on ressentit aussi une sorte
de fièvre bilieuse, présentant à la première vue les symptômes
effrayants de la fièvre jaune, mais dont la période aiguë cédait
promptement aux vomitifs et aux saignées énergiques ; néan-
moins, la convalescence durait quelquefois plusieurs mois. Celte
grippe parut presque en môme temps en Californie , aux Sand-
wich , aux îles de la Société et aux Marquises , et depuis elle
revient périodiquement aux mêmes époques , dans les mêmes
endroits. Dans les premiers temps, elle n'a été funeste qu'aux
Indiens qui négligent les {>\us simples lois d'hygiène , et ne
connaissent d'autre remède à la fièvre, que d'aller se plonger dans
- 232 —
Teau la plus froide qu'ils puissent trouver. Cependant, on dirait
qu« (Tannée en année , elle semble présenter plus de gravité.
Ainsi la deuxième année, nous avons vu chez les blancs, malgré
le traitement indiqué plus haut et des soins entendus, des acci-
dents typhoïques bien caractérisés, et plus tard quelques-uns sont
morts qui n'avaient commis aucune imprudence. Je ne saurais
dire s'il y a eu beaucoup de victimes dans la population indigène
des Sandwich. C'est assez probable , à juger par ce qui s'est
passé à Tahiti et aux Marquises. Il parait qu'on y connaissait
cette espèce de grippe (Infiuenza des médecins anglais et amé-
ricains) , mais jusqu'alors elle ne s'était montrée que comme
une affection très légère ^
La gale et d'autres maladies cutanées sont assez communes,
surtout loin des principaux centres de population , là où le
peuple est resté dans sa saleté primitive et mange beaucoup de
poisson mal salé» Les maladies syphilitiques ont diminué d'in-
tensité , excepté dans les ports de mer où la fréquentation d'uo
grand nombre de matelots les entretient. Il y a bien peu d'in-
digènes qui n'en portent les traces.
Malgré les maladies que je viens d'énumérer et auxquelles il
faut joindre quelques cas observés d'esquinancie et de croup,
le pays est fort sain et surtout favorable aux enfants. Oii peut
sortir par les plus fortes chaleurs , sans craindre les inso-
lations, et rester des heures entières dans l'eau , bravant les
fièvres, ce qu'on ne peut faire impunément dans la plopart des
contrées de la zone lorride. Il est bien évident que ceci s'ap-
plique aux personnes qui ne font pas de grands écarts de régime,
et non aux matelots ivres-morts dont les rues de Honolulu sont
quelquefois jonchées, ni aux Indiens^ mal logés dans une cabane
do paille ouverte à tous les vents , au milieu des effluves des
champs de tara , mal vêtus , mal nourris , et livrés encore aux
artifices de leurs sorciers.
— 233 —
VI.
Les naturels appartiennent au rameau de l'espèce mongole
qui a peuplé la Polynésie. A leur arrivée dans les lies, les Euro-
péens furent frappés de la différence entre les chefs et les hommes
de la classe inférieure. Les premiers étaient tous de grande
taille, et très obèses une fois arrivés à un certain âge ; les vieilles
femmes étaient véritablement monstrueuses. Les seconds ne dépas-
saient pas la taille des Européens , et leur constitution semblait
plutôt délicate que robuste. C'était cependant bien la même race.
Ce contraste qui, à la première vue, aurait pu en faire douter,
était dû à la différence dans la manière de vivre des grands et
des gens du peuple. Ceux-ci étaient soumis à des corvées con-
tinuelles constituant un véritable servage, tandis que les autres
ne faisaient rien. Aujourd'hui , il n'y a plus autant de dispa-
rate, mais on voit encore des individus des hautes classes qui
passeraient pour des géants. Quoique habitant plus loin de
l'équateur que les Nukuhiviens et les tahitiens , ils ont le teint
plus foncé et sont moins beaux surtout que les premiers ; leurs
traits dénoncent davantage leur origine asiatique. Je les crois
aussi moins intelligents. Les femmes sont généralement de grande
taille ; elles ont les traits un peu plus délicats que les hommes,
mais les deux sexes &e ressemblent plus dans ces îles que pres-
que partout ailleurs. En somme , l'impression qu*on éprouve
en les voyant ne leur est pas favorable , surtout quand on a
passé par Tahiti, où la population est si rieuse. Les Hawaïens,
quelque bons et affables qu'ils soient au fond, ne sont pas avenants.
Cook, et principalement Vancouver, dont l'affection pour eux
rend , dans ce cas , le témoignage impartial , se plaignent de
leur froideur et de leur tacilurnité. Nous avons remarqué que
celte réserve n'a fait qu'augmenter avec les prédications des
rigides apôtres qui ont entrepris leur conversion ; de pîus , la
30
- 234 —
pelilc vérole a eu une funeste influence sur l'aspect général da
peuple : 11 y a peu d'individus des deux sexes qui n'en portent
pas les marques.
Les mœurs étaient aux Sandwich les mômes que dans toutas
les îles de la Mer du sud, et quoi qu'on en ait dit, elles n'ont
guèrcs changé ; seulement aujourd'hui on se cache pour ce qui,
jadis, n'exigeait aucun mystère ; la vraie différence, c'est que,
des lois restrictives s'opposant à la débauche , celle-ci est tarifée
plus haut. L'anthropophagie existait aui refois; mais déjà, du
temps de Cook, cette horrible coutume avait à-peu-près disparu.
L'usage (Je VAwa ou Kaoa (Piper fâethysticum) , dont on fait
une boisson stupéfiante en délayant dans de l'eau la racine mâ-
chée, était général. On l'a remplacé pair les liqueurs fortes ;
mais comme les droits énormes qui les frappent à l'entrée ne
les mettent pas à la portée de toutes les bourses , oû s'enivre
avec de l'eau de Cologne ou d'autres essences où il entre de
l'alcooL
Cook ) ou plutôt son continuateur, le capitaine King, estimait
la population de l'archipel entier à 400,000 âmes. Ce nombre est
évidemment exagéré. Le spectacle si nouveau des navires atti-
rait une foule de peuple partout où ils se rendaient , et souvent
les mêmes personnes parurent a diverses reprises devant les
Anglais qui n'y prirent pas garde. Des voyageurs venus depuis
ont cru que le chiffre donné par Cook pouvait être réellement
celui des habitants à l'époque où il les visita : leur opinion
est fondée sur le grand nombre d'enclos autrefois cultivés,. de
débris d'habitation, etc., etc., qu'on rencontre; mais c'est une
coutume générale chez les insulaires dû grand Océan de quitter
leurs demeures et leurs champs , sous une foule de prétextes
religieux pour s'établir dans un autre endroit.
- 23o ^
Le lableau suivant montre le mouvement de la population
pendant une période de O annfes (4).
1823. 1832. 1836.
Hawai. . • .
83,000
45,792
39,364
Maui
20,000
35,062
24,199
Lanaî. . • .
2,500
1,600
l,iOO
Molokai. .
3,500
6,000
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Kahoolawe
50
80
80.
Oahu. . . .
20,00&
29,755
27,809
Kauai. * • •
40,000
10,977
8,934
Nuhau. ..
1.000
1,047
993
142,050 130,3i3 108,579
On voit que la population augmente dans certaines localités
aux dépens des autres , et que le résultat final' est une grande
diminution. En 1846 , la petite vérole enleva , dit-on , 10,000
personnes , et la mortalité fut peut-être encore plus grande en
1853. Je crois qu'en adoptant 75,000 pour le nombre des ha-
bitants , on serait près de la vérité.
Je ne puis mieux faire pour expliquer les causes de cette
dépopulalion, que de citer le livre de M. Jàrves, d'autant plus
que ce qu'il dit, pour les îles Hawai, peut s'appliquer, avec pres-
que autant de justesse , à toutes les îles du grand Océan:
€ Quel que fut, dit il , le chiffre de la population , il était au
temps de Cook, beaucoup plus fort qu'à présent, et il a rapi-
dement diminue depuis. Le nombre des habitants n'a sans doute
jamais été aussi grand que celui que les îles auraient pu nourrir
(1) Les cliiffres de ce lableau ne soûl qu'approximatifs. Il est bien
diàicile , même aujourd'hui , de fiiire un recensement véridique
dans un pays où chacun ne voit dans celle opération, que le but
d'augmenter le nombre 4es contribuables k taxer ^
^ 236 ^
avec les ressources de la civilisation. Autrefois» avant leur con-
version au christianisme, quoiqd'ils fussent divisés en un grand
nombre de tribus hostiles , Timperfeclion de leurs armes ren-
dait leur guerre peu meurtrière. Grâce à rhospilalité sans bornes
que les chefs exerçaient par orgueil de caste , et dont Fhabi •
tude avait gagné aussi les basses classes, les opprimés trouvaient
partout le vivre et le couvert. Le serviteur mécontent de son
maître s'enfuyait chez un autre , où il était le bienvenu. Les
taxes imposées par les chefs étaient lourdes, le travail exigé
par eux considérable, mais il tournait au profît de tous. Chaque
individu était intéressé au bien-être du chef qui le nourrissait,
de là des habitudes patriarchales et un attachement mêlé de
respect et de crainte pour les hautes classes , que renforçait
encore l'habitude du pouvoir sans contr61e qu'on ne leur avait
jamais contesté. Les Européens parurent : le désir de posséder
les richesses qu'ils apportaient développa chez les chefs des idées
de rapacité jusqu'alors inconnues. Pour arriver au but, qu'impor-
taient les moyens t La passion du gain étouffa . chez les classes
supérieures les quelques sentiments humains qu'elles pouvaient
avoir. On sait ce qui en résulta. Tout le pays ^fut mis en ré-
quisition forcée. Hommes , femmes et enfants furent imposés
au-delà de leur pouvoir. Il fallait du bois de Sandal à tout
prix, et pour en procurer aii chef , les pauvres Indiens esca-
ladèrent des montagnes réputées inaccessibles, et apportèrent au
rivage de lourds fardeaux sur leurs épaules saignantes. L'aban-
don de l'agriculture amena la famine et les maladies qui firent
périr une grande quantité de peuple. Les premiers effets du
christianisme ajoutèrent aux maux de ces pauvres gens. Le tra-
vail forcé était depuis si long-temps de mode , que les chefs
n'avaient pas 1 idée qu'on pût s'en passer. Sans tenir compte
des préceptes de leur foi nouvelle , ils augmentèrent les travaux
dii peuple de ia construction des églises et des écoles. Cet
-- 237 -
affreux système d*âbus dura jusqu'en 4838 , époque où it finit
par disparaître, gr&ce aux missionnaires et aux principaux rési-
dents étrangers. La servitude de la glèbe n'existe plus aujour-
d'hui aux lies Hawai. Les guerres de Kamekameha h^ firent
aussi périr beaucoup de monde. •
— « Avant Cook, les maladies étaient peu nombreuses et sim-
pies. Leur gravité augmenta , tandis qu'on manquait des con-
naissances et des remèdes nécessaires pour en arrêter le progrès.
La terminaison presque toujours fatale des affections mor-
bides développa chez les individus un profond sentiment
d'abandon d'eux- menées. Les sauvages tiennent naturellement
peu à la vie. On en voit beaucoup qui, atteints d'une maladie
souvent insignifiante au début , meurent faute d énergie pour
vivre. Sourds à toute espèce d'encouragement , insoucieux de
l'existence , f7^ se laissent mourir comme des animaux. Les
liqueurs spiritueuses et la débauche sont considérées ordinaire-
ment comme les causes principales de dépopulation ; mais on
a exagéré leurs effets. Les coutumes des habitants sont meil-
leures qu'avant la découverte de ces lies , alors que l'ivresse
produite par le Kava ^ la promiscuité la plus révoltante et
J'inccsle étaient à Tordre du jour. Les maladies causées par la
débauche ont envahi toute la race et semblent l'avoir frappée
de stérilité. Avant Cook , elles étaient inconnues. Evidemment
elles sont une cause puissante de ruine , mais elle ne provo-
quent pas autant la destruction de la population qu'elles n'em-
pêchent son accroissement. La fécondité des jeunes gens est très
faible par comparaison aux autres pays. Il y a aussi plus de
décès et moins dé naissances en proportion, »
— «Un autre point sur lequel on a passé trop légèrement, c'est
l'adoption des vêtements étrangers. Autrefois l'habillement était
simple -^^ mais bientôt désireux d'imiter les blancs, on jeta les
vieux costumes de côté pour les remplacer imparfaitement par
- 23$ -
les produits étrangers qu'on pouvait obtenir. La fortune des
chefs leur permettait de s'habiller au complet, convenablement,
mais il n'en était pas de môme du pauvre qui, suivant sa
richesse du moment , se contentait des guenilles abandonnées
par le matelot de la mer polaire , ou se drapait dans les plus
fines soieries de la Chine. Le môme individu portait pendant
des semaines un vêlement trop chaud pour le climat , puis
ensuite restait pendant un temps aussi long dans un état de
nudité presque complète. Avec le beau temps , le brillant
soleil, venait Tenvie d'étaler les vêtements les plus luxueux.
Une averse menaçait elle de tomber, les élégantes , plutôt que
de gâter leurs nouvelles toilettes, exposaient leurs corps nus à
Forage. Toutes les fois qu'il y a quelque travail à faire, c'est
la même chose. La saison où des vêtements sont de mise pour
conserver au corps une température uniforme était justement celle
où l'on n'en portait pas, tandis qu'on s'en couvrait alors qu'on
eût pu s'en passer. Les constitutions déjà affaiblies par les causes
énoncées plus haut, ne pouvaient pas supporter un pareil trai*
tement. Les fièvres et les refroidissements devinrent de plus
en plus graves et amenèrent plus souvent des résultats funestes
que la moindre prudence eût écartés. »
— « Les coutumes des indigènes étaient par elles-mêmes sus-
ceptibles de développer des maladies. Il y en avait plusieurs,
telles que les philantropes peuvent demander comment il se
fait que la dépopulation n'ait pas été plus rapide. On n'a parlé
que de celles qui ont agi depuis la venue des blancs. Les
guerres ont pris un caractère plus meurtrier jusqu'au moment
où la conquête de tout l'archipel a été accomplie. Les travaux
imposés aux vaincus n'ont pas été moindres, loin de là. Puis
parurent des maladies auxquelles on n'opposait aucun ifemède.
Le rum vint s'ajouter à toutes ces causes de destruction, aug-
mentées aussi par la négligence des plus simples règles d'hygiène.
— 239 —
Il ne faut pas oublier que toutes ces influences n*ont fait que
s'ajouter à celles qui existaient dans les lies avant leur décou-
verte, lesquelles suflisaient déjà pour empêcher l'accroissement
de lu population. »
Au premier aspect , il semble que la civilisation est mortelle
pour les peuples primitifs qui viennent en contact avec elle.
M. Jarves prétend , qu'en se plaçant à un point de vue plus
élevé , on doit arriver à la conclusion contraire :
— « Si, dit-il, la civilisation détruit, elle crée également, et
en même temps que le mal règne sans contrôle , il se forme
des tendance^ en sens opposé et plus puissantes, qui finissent
par le maîtriser. Le mouvement de dépopulation a été, autant
qu'on a pu s'en assurer, plus rapide sous les règnes de Kame-
hameha l^^ et de Liho-Liho ^ son successeur, qu'aujourd'hui (4).
À mesure que la civilisation a gagné du terrain, la mortalité a
diminué relativement. Le despotisme sans frein des chefs est tombé
de lui-môme. On a promulgué des lois favorables à l'accroissement
de la population : ainsi, les familles où il y a trois enfants sont
exemptées de tous les impôts. Celles qui eti ont davantage reçoi-
vent des concessions de terrain et d'autres encouragements. »
M. Jarves fait ensuite un tableau séduisant du nouvel esprit
qui semble animer le peuple, de sa régularité à fréquenter les
écoles et les lieux consacrés au culte , et de sa tendance à
riûdustrie. La dégradation physique et morale , selon lui , dis-
paraîtrait rapidement. Malheureusement ce tableau est bien em-
belli : on n'a , pour en être convaincu , qu'à passer le soir
devant le théâtre de Honolulu, quand il y a représentation. Pour
ma part , j'en suis très peiné. J'aimerais mieux mille fois que
tout ce que dit l'auteur cité fût rigoureusement vrai , persuadé
que ce serait au bénéfice de celte race polynésienne qui a gagné
toutes mes sympathies depuis que j'ai vécu avec elle.
(1) Jarves écrivait en 1843, avant l'invasion de la fièvre bilieuse et de
Ia petite vérole qui ont fait beaucoup de victimes.
— âW —
Vil.
Quelques remarques sur chacune deâ.4les en particulier com-
plèleront ces notions générales sur l'archipel.
L'ile la plus grande , Hawai {Oivhyhee de la carte française),
située au sud-est, est de forme à-peu-près triangulaire q| a environ
240 milles de tour. Quoique ses montagnes soient très élevées ,
leurs pentes, qui commencent à partir du rivage, sont douces,
et sauf quelques exceptions , ne présentent pas à un haut degré
les anfractuosîtés qui caractérisent les pays de formation vol-
canique. Le point culminant est le Mauna-Kea, haut de 4,-150
mètres (i), situé vers le milieu du côté qui regarde le nord- est.
11 se distingue par trois pics qu'on peut voir de 40 lieues. Le
MaunaRoa ^ au sud, s'élève à 4.036 mètrçs , et le Mauna^
Buararaî , à l'ouest^ à 2,381 mètres. Entre les trois monts,
s'étend un plateau très élevé, inculte et désert, privé d'eau ,
où l'on est exposé à mourir de faim et de soif. Le sommet
de la première de ces montagnes est toujours couvert de neige,
et il y en a sur toutes les autres pendant la plus grande partie
de l'année. Le MaufiaRoa (montagne longue), dont le 'grand axe
nord-est et sud-ouest est parallèle au rivage, paraît de la mer cotahie
un plateau, ce qui répond hien au nom de la Mesa {la Table)
de la vieille carie espagnole. Le volcan de Kilanea tient une
grande place dans les légendes de l'archipel. On lit une des*
cription détaillée des phénomènes qu'il présente, dans le rédl
du capitaine Wilkes, qui, en 48î2, a visité l'intérieur de Hawai,
au prix de grandes fatigues : il faut dire que l'époque de
l'année , en décembre et en janvier , n'était pas des plus favo-
rable pour une excursion pareille.
(i) Carte française des îles Hawai, publiée par le Dépôt de la Marine .
1847.
— 2*1 —
La populatioa mUgène est peut «^ être aujotrrd'hQi de 29,00#
hahîtaûts » xfA vivent prèâ du bofd de la mer. Au temps de
Cook , rite était divisée en six graads districts : KohcUa au
nord ; Bamakua et Hiio au n&rd^esl ; Ptma mx sud-est ; Rau
au sud I «l JToiui à l'ouest
Le district de Kohala est bordé de moraes d*un aspect logn-
breJ La côte de Hamakua préseate une suKe de fataises escarpées,
fautes de 20^ mètres et tapissées de verdure , d'oà se précipb
tei^ une foule de cascades qui tombent dJwectemeût à la Bien
Le côté ^jda i«)iK de î'îte est akKmditmment pourvu d*eau. Le
canton de Hilo possède la baie de Wad-Âkeai ^oe les marios
coonaissent sous le nom de Byron's Bay^ du nom du capitaine
Byron , qui y moittlla le premier avec la frégate la Blonde ^ ca
^25. Wai-Âkea^ ou plutôt Hito^, esf u& des points les phis
favorisés de Tarcbipel , les plus fertiles et les plus riîches en pro-
ductions végétales , et en même temps un des plus pittorear-
que&
L& dlslriet de Puna d*est, & vrai dire» qu'un diarap délaves.
Quant à celui de Kau, il esl ifiq[)OSsiUe d'imaginer rien de phis
âpre et de plus affifeut ;. il parait cependant qu'il est très
peiiplé.
La partie oecMeiïtale , occupée par le district de«^9i£a y est
beaucoup moins favorisée que d'autres sou$ le rapport de la
^oie. C'esi de ^ cèté que se trouve la baie de Seiakeaàua ,
où péiil le c£q[MaiQe G^k y mauvaise rade , qui n> plus
gnères été Iréque&tée , quaod od eut tmmé im boa port à
Oahu. .
Hotit ilhî»ee de la carte françaiseX située à peu près à %
nflles dafiS le nord*ei^ de liafwaj ^ celle île a une forme irrégu-
tièie. Ua isthme bas Ift divise en det» parties. Celle du sud-est
est montueuse et volcanique. Le cratère éteint du Mauna hale-a-
àak {Mmtaa du Soleil} alleiûit là bsfuleur de 3^3^44 mètires. Tous
3i
- 242 —
les Toyageurs s'accordent pour vanter la richesse de la partie du
nord • ouest. C'est vers le milieu du côté méridional de cette
presqu'île que se trouve Lahaina^ la deuxième ville de l'archipel,
et qui se partage avec Honolulu les navires en relâche. On y
mouille en pleine côte, exposé à la houle j mais le temps y est
presque toujours beau et l'aiguade commode. (I)
Kaoolawe (Tahoorowa Aq la carte) est une petite île basse et
stérile , couverte de broussailles, à quelques milles dans le sud
de Maui. Elle est habitée seulement par quelques familles. Entre
elle et cette dernière se trouve le petit Ilot Molohini^ élevé de
5 ou 6 mètres au-dessus de la mer.
Molokai est à 5 ou 6 milles au nord-ouest de Maui. Elle a
près de 44 lieues' de long, mais elle est excessivement étroite,
composée presque en entier de montagnes élevées qui ne lais-
sent entre elle et la mer qu'une petite bande de terrain culli-
vable,
Lanai {Ranai de la carte) au sud de Molokai , est beaucoup
plus basse que celle - ci : elle est accidentée et stérile , privée
qu'elle est de sources et de torrents.
Maui et Ranai ont leurs axes dirigés sud- est et nord-ouest;
Molokai a le sien est et ouest.
A 23 milles dans Touest -nord -ouest de Molokai se trouve
Oàhu (Wahoo de la carte) la plus fertile, la plus riche, la plus
jolie et aujourd'hui la plus importante des îles Sandwich. Longue
de 46 milles, large de 25 , elle est traversée du sud -est au
nord-ouest par une chaîne de montagnes qui s'arrête du côté
jdè l'ouest , à la plaine d*Ewa. Oahu doit son importance a son
'excellent port situé dans la partie sud et formé par une coupure
creusée dans le récif par les eaux d'une petite rivière qui tra-
verse la fertile vallée de Nuuanu. C'est à l'ouvert de cette \'allée
(i) Lahaina n'est pas marquée sur la carte française de 1847.
— 243 —
qu*est nonolulUj ville de ^ 0,000 âmes, qui présente toutes Icsr
ressources des pays civilisés. Honolûlu veut dire baie calme, et
jamais nom ne fut mieux mérité. Les navires s*y amarrent, sans
rien craindre , aux récifs qui forment des quais naturels. Il est
fâcheux que l'entrée du canal qui conduit au port ne puisse
admettre que des navires ne tirant pas plus de cinq mètres
d*eau. Les grands bâtiments mouillent en pleine côte sur la rade
de Waikiki , mauvais ancrage sur des fonds de corail irrégu-
liers, très dangereux avec les Aents de la partie du sud , et où
Ton est 9 de tout temps , tourmenté par la houle , ou une brise
très fraîche qui apporte , toute la poussière de la plaine de
WaikikL C'est ainsi qu'on nomme le terrain poudreux et aride
qui s'étend entre HonoIulu , les montagnes et la pointe du
Diamant , vaste cratère éteint qui est le point le plus saillant
de la côte. Les épitliètes louangeuses que donnent les résidents
et la presse de Oahu à un bouquet de cocotiers rachitiques qu'on
voit de ce côté , ne sont pas faits pour inspirer une haute idée
de la végétation du pays. La vallée de Nuuanu présente de
nombreux champs de Kalo et des pâturages fertilisés par des
averses qui souvent n'arrivent pas jusqu'à Hojiolulq ; il n'y a
pas d'arbres , à l'exception de quelques- aleurites-iriloba rabou-
gris. Une belle route, remontant cette vallée , conduit ^ t>ar une
pente trèâ douce , à une coupure de la montagne, dans laquelle
le vent s'engouffre toujours avec une grande violence : de l'autre
côté , c'est un précipice à pic , le Pâli , célèbre dans les faste?
de l'île (1). Un chemin en zig-zag , taillé dans le roc , sert à
descendre dans la plaine. On a de Pâli une vue à vol d'oiseau
de la partie nord de Oahu , où l'œil se repose sur de beltesr**
pelouses, des champs cultivés que traversent de larges chemins.
(1) Lors de la conquête de Oahu par Kamehameha I" , 600 guerriers
du parti vaiacu , acculés au Pâli , aimèrent mieux se précipiter du haut
de la montagne que de mettre bas les armes.
— 2*1 -
La pfaine de Waikiki s*étend presque tout entière sur un Banc
de eakairc madréporîque dont j*ai parlé aHleurs : j'ai décrit
aussi le lae salé , AHa-'Pa'ahûd.
Katiai {Aiooi de \di, carte française) à 22 lieues dans Touest-
nord- ouest de Oahu , est une île ronde , élevée de 4 ,200 mètres
fnvîron, dont ious les voyageurs vantenf Taspeçl charmast. La
population , indigènes et étrangers , se livre prindpaElenient à
l'agriculture. Ffens les montagnes , à une grande hauteur, on
trouve des coquilles , des sables madréporiques et des calcaires»
Les parties élevées sont couvertes de bois propres à la cons-
truction. Le mouillage ordinaire est dans le sud ouest, à Walmea,
rade foraine , mais poiirtanl assez sto*e ; on y trouve de Teau
excellente. Il y a aussi, au nord-ouest, une petite baic^ Hanaletlt^
où quelques navires ont trouvé des rafralcKssenïents en abon-
dance.
La population de Niî'hau ( OneeJioow de la carte ) s'occupe
également d'agriculture. Cette île est basse rdativemenl à sa
voisine , dont elle est séparée par un canal large de 15 à
20 milles. La culture d'une belle espèce d'igname est particu-
lière à ces deux Ues, I
I s.
L'îlot de Lehua ( Onehoua de la carte) à un mille (fans le
nord-ouest de Niibau, élevé de 330 mètres environ^ est couvert
de broussailles qui servent d'abrî à une nombi'euse c^ooie de
lapinji ; il y a une source d'eau excellente,
Kaula , dans le sud-ouest de Niihau , est un rocber couvée
d'oiseaux de mer.
L'île Bird {Meiu manu ^ île aux e4$emx), à 40 lieues <IaQS
le nord-^buest de Kauai, n'est pareillement qu'un roc polé^ don*
le nom indique le trait caractéristique, et -qui est rarement visité.
Il parait qu'anciennement les naturels allaient jusque là , avec
leurs pirogues, pour prendre d^s oiseaux.
— 24S-
vni.
Os p^i voir, par cette esquisse de b .constitution physique
de i'areypel Hawaïen , qu^il n'a ps& été traité par la nature
aussi libéralement que quelques-uns des groupes de TbémispMre
austral. Elle lui a refusé des ports , car il n*y en a qu'un à
vrai dke , et encore utilisable seulement sous certaines condi«
tious. Aucune plante Indispensable à la vie n'y croit spontané-
ment : il faut que Thommé achète le soutien de son existence
par un travail continuel , comme dans nos climats , tandis que
l'indigène de Tahiti on des Marquises n'^ guère qu'à étendre le
bras pour trouver sa nourriture sur les arbres. Il faut recon-
naître que ce défaut de spontanéité , en forçant les naturels au
, travail , était chez eux la cause d'un état social plus avancé ,
qui les rendit plus apte -à la civilisation. Le climat, moins éner-
vant, n'éloignait pas la population du travail autant que dans
les autres^ groupes. Un homme non - seulement extraordinaire
pour un sauvage , mais qui partout eût passé pour un individu
remarquable , se trouva là comme par un fait exprès pour
diriger le mouvement civilisateur, quand les Européens parurent.
Après cela , en y regardant bien, peut on dire que ce besoin de
civilisation qui s'était emparé du chef et de ceux de ses sujets
qui comprenaient la portée de ses vues, et que son indomptable
énergie avait imposé aux autres, ait tourné à l'avantage de ce.
petit peuple ? Le royaume hawaïen , dont quatre grandes puis-
sauces maritimes ont reconnu et établi l'existence indépendante,
appartient il aujourd'hui aux Kanaks ou à leurs professeurs en
civilisation ? Combien de temps encore les Hawaïens ont-ils à vivre
de la vie de nation qu'on leur a faite ? Et même , laissant de cùté
les tentatives d'envahissement brutal auxquelles nous avons assisté,
nest-il pas à craindre, quand on voit le décroissement rapide
-. 246 -
de la population , que dans un temps bien court , il n*en soît
d'eux comme de ces races avec lesquelles nos pères fraternisaient
au Canada, sur les bords des grands lacs de T Amérique, et
dont les noms ont non-seulement disparu des cartes, mais encore
sont ignorés de ceux qui vivent aujourd'hui sur le territoire
qu'elles occupaient !
n. JOUAN.
->M<-
REVUE ASTRONOMIQUE
U plaièlc Vileaii.
Qui ae se rappelle rétonnement et Taclmiratioii que produisit
en48&6, non 'Seulement dans le monde scientifique, mais même
dans le monde entier, l'annonce de la découverte de la planète
Neptune ; de cet astre dont Faction perturbatrice altérait la route
que la science assignait à Uranus ; de cet astre perdu au milieu
des étoiles qui peuplent la voûte céleste , et dont M. Leverrier
venait , par la seule puissance de ses calculs , non seulement de
révéler Texistence, mais encore d'assigner la position dans le
ciel étoile , la distance et la grandeur.
Cetle action d'éclat scientifique ,. comme l'appelle M. Louis
Figuier, ce travail analytique sans précédent , qui porlatsi haut,
et lavec raison , le nom du savant analyste , de l'infatigable cal-
culateur, vient d'avoir en ^860 presque sa seconde partie.
L'illustre^ Diredeur de rObservatoire Impérial , q/ài a e&trepris
de refarre en entier et sur de nouvelles bases la méeaiHque' céleste
de Laplace , a déterminé, en complétant la théorie de Mercure,
des variations particulières dans un des éléments elliptiques de
cette planète considérée, jusqu'à présent^ comme la plus voisine
du Soleil.
Pour mieux faire comprendre en quoi consistent ces variations,
je croîs utile de. rappeler, en quelques mots, ce que l'on nomme
éléments elliptiques d'une planète ; d'autant plus que , dans cette
revue , j'aurai plusieurs fois l'occasion de me. servir de certaines
expressions qui , sans cela , pourraient ne pas être comprises. Je
demande au lecteur initié aux termes astronomiques de vouloir
bien me passer cette petite, leçon d'astronomie populaire.
Toul le monde sait que les planètes,f en y comprenant la Terre,
décrivent autour du Soleil des courbes à très peu près ellipti-
ques , dont le centre de l'astre ' radieux occupe à peu de chose
près un des foyers. ,
Toutes ces ellipses sont différentes de forme , différentes de
grandeur et différemment situées tons l'espace.
C'est au pla» de Torbîte décrite par le ceiafre de la TVirre ,
fitost qwB' l'on mmrnifî ÉelfpHque , qu-e Fott^rapperfe' la position
des autres orbite.
W est évident que cette posîiioft est déterminée pa^ deufx quair-
tités:
•f o^ Par Kanfgfe que le plan de- Forbite de la pfanète ftH «w
FÉcfiiEKfique , angle que l'on nomme inciiHaism ;
2» Par la érection , dtos le plan de Torbite terrestre , de h
ligne d'intersection des plans des deux eïr^t)ses.
Cette Hgne prend le nom de iigne des nœuds , et sa direetioti
est donnée par Tatigle qu'elle fait avec la ligne des^'équitioxes ,
an^c qui prend le nom de longitude du nœud.
Dans son mouvement autour du Soleil, toute planète traverse
dmix fuis le plan de notre orbite. Quand ces deui moments
arriteût^ on dit que la planète est à ses nœuds. Celui qui répond
au passage de Tastre de Thémisphère Sud dan» rhéiiiisphère « ^^
Nord s'appelle nomd ascendant ; l'autre , nœud dêsééndùnt. C'est
la longitude du nœud ascendant qui détermine habituellement là
direction de la ligne des nœuds.
Ainsi, la positiott- ta plan de l'orbite d'une i^nète est fixée
àmsTe^aCé au moyen d^Vinâlinàism$^ei de la longituée du nœt^^
Une ellipse peut être plus ou mo^Ds aplatie ; elle eit très
alléi^gée, si son grand axé est très grand par rapport à sdn
petit axe; elle devient jiu contraire un cercle ^ quand son grand
sae est égal à son petit axe.
Dans une ellipse, fl existe deux points réndârquables nommés
foyers et situés sur le grand axe, à égale distanèe dû milieu de
ce grand aie. La distance d^un foyer i l'une des ei^trémités du
petit axe est juste égale à la, moitié du grand axe.
On comprend alors' q de plus le petif axe d'uhe ellipse 6Jt
petit par rapport au grand axe , e'est-à-dire plus l'ellipse a ube
forme aplatie, plu& les foyéhs<>nt^ éloignés du centre de la
cOQibe. Dans lè cercle , an contraire, les deux foyers se coûfoà-
dent avec son centre.
La forme de Torblte d'une planète, autrement dit la fbriiàe de
l'ellipse qu'elfe décrit est déterminée par le rapport qui existe
eatre la distantce d^un des foyers au centre de l'ellipBe et la
grandeur du demi-grand axe: ce rapport s'appelle excentricité.
Dans les ellipses planétaires , l'excentricité est généralement
foible, e>.st-à^<Ure que la foriÉie de Ieur3 orbites ^s'écarte peu de
la forme circulaire.
32
- 250 r-
La forme d'une orbite elliptique est doncconnue parson excentricité.
Puisque le Soleil occupe un des foyers de Fellipse que décrit
une planète , il y a une extrémité du grand axe qui est plus
voisine,du Soleil que Vautre.
Cette extrémité se nomme périhélie ; sa distance au Soleil se
nomme la distance périhélie ; c'est la plus courte des distances
des points de la courbe au foyer considéré. Ainsi, quand on dit
qu'une planète est à son périhélie , cela veut dire qu'elle est. à
sa plus grande proximité du Soleil. L'autre extrémité du grand
axe se nomme ' aphélie* •
La position de l'ellipse d'une planète dans le plan de son
orbite est déterminée- par l'angle que fait- le grand axe de cette
ellipse avec la ligne des nœuds.
Cet angle , combiné avec la longitude du nœud ascendant. ,
donne ce que Ton appelle la longitude du périhélie.
La grandeur de la courbe est obtenue, au moyen de la gran-
deur de son demi-grand axe, c'est-à-dire par la distance moyenne
de la planète aiï SoleiU
Par suite, les quantités qui servent à faire connaître la position,
la forme et la grandeur d'une orbite planétaire , quantités que Ton
désigne sous le nom d*Éléments elliptiques , sont :
V L'inclinaison , ( quantités qui fixent la position
2» La longitude du nœud^ \ du plan de l'orbite ;
8« Lbl longitude du Périhélie, qui indique la directicm de Tel-
lipse dans son. plan ;
40 V excentricité. '. exprimant là forme de rdlipse;
5<> La distance moyenne* . • . exprimant la ^ndeur.
Pour que le mouvement de la planète sur cette courl>e soit
complètement déterminé , il faut en outre que l'on connaisse
deux nouvelles quantités :
60 Le Temps que la planète met à décrire son orbite, quantité
que Ton nomme temps de révolution;
— 2ol —
7« Et enfin , la position dé la planète dans son orbite à un
moment indiqué « moment que Ton nomme époque.
S'il n'y avait dans l'espace que le Soleil et une planète, cette
planète décrirait rigoureusement une ellipse dont le centre de
gravité du Soleil et de l'astre solitaire occuperait ViXa des foyers :
les éléments elliptiques de la planète seraient invariables.
Mais les actions attractives réciproques de toutes les planètes
^tre elles font que» non-seulement les ellipses planétaires ne
sont pas rigoureusement parcourues, mais que ces ellipses sont
constamment variables de position , de forme et de grandeur.
t Toutefois , Laplacè a démontré que la forme et la grandeur ne
varient qu'entre des limites tj!^s restreintes ; que l'inclinaison aussi
ne fait qu'osciller entre deux limites rapprocbées,^ mais fue lea
longitudes du nœud et du périhélie prennent des valeurs do
plus en phis différentes ; ainsi , en môme temps que le plan
de l'orbite tourne en conservant à peu près la même inclinaison i^-:-
sur l'Écliptique, l'ellipse «e déplace dans son plan , et par suite ^^^
k périhélie a un mouvement constant dans ta voûte céleste
Je reviens maintenant au travail de M. Leverrier.
D'après Delambre , le mouvement, séculaire du périhélie de
Mercure est de 64 3", 56, c'est-à-dire que dans un siècle la lon-
gitude du, périhélie de Mercure* augmente de 643",56.
Or, en refaisant la théorie des mouvements de Mercure, et en
déterminant par le calcul les instants auxquels, d'après cette théorie,
Mercure passant entre le Soleil et nous , devait nous paraître
en contact intérieur avec le disque de l'astre éclatant, M. Leverrier
trouva que vingt-et une observations de ces contacts ne se trou-
vaient pas en accord avec les instants déterminés par le calcul.
Il fallait donc supposer, ou bien que les astronomes qui avaient
observé les contacts avaient fait des erreurs de plusieurs minutes
de temps, et allant même en augmentant d*une époque à l'autre,
ou que la théorie de Mercure se trouvait en défaut.
' Xa première de ces deux hypothèses étaU inadmissible, puisque
ces observations ont été faites par les I^alande , les Casçini , les
Bouguer, etc.
La théorie de Mercure seule devait donc être en défaut.
* Or, M. Leverrier eut le rare bonheur (les hommes de génie
ont toujours de ces bonheurs -li) de remarquer que si au lieu
de prendre le mouvement séculaire du périhélie de 6I43",56 ,
on le prenait dé 68r',56, c*est*à;dire que ^i on l'augmentait
de 38 secondes, toutes les observation^ des^ contacts s'accordaient
avec le calcul à moins d'une seconde i et même, pour la plupart
^ d'entre elles , à moins d'une demi seconde près.
11 était dès*lors évident que le mquvemënt séculaire dq périhéHe
de Mercure devait être augmenté de 38 secondes ; restait main-
tenant à déterminer la cause de cette augmentation.
Deux hypothèses se trouvaient en présence :
Lès masses des planètes perturbatrices, et entre autres de Vénus,
la plus voisine de Mercure, étaient-elles exactes ? ne devait- on pas
la changer? Ceci ne pouvait être admis, puisqu'il eût fallu l'aug-
menter d'un dixième, et qu'alors cette nouvelle masse de Vénus
i n'eût plus rendu compte des perturbations périodiques que cette
planète fait éprouver à la Ter^e tant dans son mouvement autour
du Soleil qi|e relativement à la position de son axe de rotation.
N'existetil pas entré Mercure et'l^ Soleil une série de petites
planètes semblables à celles situées entre Mars et Jupiter, et
dont les actions attractives s*ajoutant les unes aux autreS| peu*
vent produire cette augmentation dans le mouvement du périhélie
de ^lercure ? à la condition , toutefois , que ces petits astres
décrivent des orbites à peu près circulaires, peu inclinées sur le
plan de Toiiiite de Mercure , et qu'ils soient à peu près distri-
bués sur toutes les parties de l'anneau qu'ils forment autour du
Soleil.
C'est à cette seconde hypothèse que M. Leverrier s'arrêta.
Eq communiquant le résultat de son travail a l'Académie d^
Sciences, dans une lettre adressée à M. Paye et insérée dans les
comptes-rendus àa M septembre 4859, le savant Directeur de .
rCH)servatoire disait en terminant : f Puissent 4uel()ues uns de ces
• corps être assez notaires pour être aperçus lors de leur pas^'
i sage devant le disque du Soleil !I... §
A roccasion de cette lettre, M. Paye présenta à FÀcadémie des
Sciences quelques remarques, et il conseilla d'observer le Soleil
et ses environs d'après un plan méthodiquement conçu.
n signala l'Éclipsé de Soleil du 4 S juillet ^S60 comme pouvant
peut-être servir à trouver les aétres pertuii)ateurs , et il indiqua '
même la manière de procéder dans cette i:echerche à l'instant
de l'obscurité totale. Enfin, il rappela la proposition de sir John
Herschel de choisir plusieurs observatoires convenablement répartis
sur le globe , et dans lesquels on s'attacherait à photographier
le Soleil plusieurs foia par jour, à l'aide d'un grand iastrument
disposé suivant les indications que lui-môme , M. Paye , avait
fournies à l'époque, de l'Eclipsé de Soleil du 45 mars 4858.
Gomme on le voit , la question ne se présentait pas de la
même manière qu'en ;i846. M. Leverrier ne pouvait pas dire , *
comme il le fit pour Neptune: Il existe une planète qui troubla
Mercure ; cet astre a telle grosseur, telle position , et se trouve
à telle distance du Soleil ; car' en; ne supposant que l'action d'un
seul astre troublant , les calculs de M. Leverrier assignaient à cet
astre une masse égale à celle de Mercure ; or, un astre de celte
importar^ce n'eût certes pas manqué d'être aperçu depuis que
l'on explore le Soleil d'une manière si persistante, il ne pouvait
donc y avoir qu'une série de petits astéroïdes , d'un nombre com-
plètement indéterminé et par conséquent dont l'analyse la plus
transcendante ne pouvait assigner la position*
Voilà où en était le problème, lorsque le '2 janvier 4860,
M. Leverrier viat annoncer à l'Académie des Sciences que M. Les-
"— 254 —
carbault , piédecia d'Orgères , venait de découvrir une des pla-
nètes intrà-mercurielles !I
' Cette découverte était de beaucoup antérieure à la lettre de
'M. Leverrier à M. i«'aye; elle datait du 25 mars -1859. M. Les-
carbault venait de la faire connaître au Directeur de TObserva-
toire dans une lettre datée du 22 décembre -4859. Dans cette
lettre , le médecin-astronome d'Grgèrès disait à M. Leverrier que
l'espoir de revoir le petit astre l'avait seul fait attendre jusqu'à
ce moment pour en donner connaissance.
Voici comment , d'après Tablé Moi^o , M, Lescarbault lui-
môme a raconté sa découverte à M. Leverrier, qui s'était rendu
à Orgèrtô pour s'assurer que les ftroyens d'observation du doc-
teur Lescarbault étaient suffisants pour donner de la créance à
sa découverte :
- 0 Le 26 niars dernier, vers quatre beurcs , fidèle à ma cons-
» tante habitude et l'œil à l'oculaire de ma lunette , j'observais
» le disque du Soleil, lorsque tout -à -coup j'aperçus à une
» petite distance du bord un point noir^ parfaitement tranché
» dans sa forme , parfaitement défini dans sa rondeur , animé
» d'un mouvement propre très sensible ; il s'avançait visible*
» ment et s'éloignait de plus eu plus du bord. Malheureusement
» un client survint , je descendis de l'Observatoire au rez-de-
» chaussée, j'étais sur le gril ; je^ répondis néanmoins de mon
» mieux à ce que l'on me demandait , et je remontai aussitôt
» que je fus libre. Le point rond continuait sa route , je lai
» vu atteindre enfin le bord opposé , et s'éloigner après s'être
» projeté environ une heure et demie sur le disque du Soleil. •
M. Lescarbault expliqua ensuite à M. Leverrier comment il
avait déterminé les instants du premier et du dernier contact ,
au moyen d'une simple montre à minutes et d'une boule d'ivoire
suspendue à un fil pour servir de pendule battant la seconde.
Il lui fit voir sa lunette ayant un objectif de Gauche de 10
^ 2S5 —
centimètres de diamètre. Il lui indiqua que pour mesurer Tincli-
naison de la corde du disque solaire parcouru par la planète,^
roculaire de sa lunette porte « un fil vertical dans sa position
» ordinaire, et auquel il peut faire prendre toutes les inclinai-
t sons voulues en même temps qu'avec un rapporteur en carton
» il mesure approximativen;ient l'angle qu'il a parcouru , t et
comment un simple fil & plomb placé en avant de l'oculaire lui
sert avec le premier fil vertical à mesurer la grandeur de la
corde.
Il lui montra la- pe\it9 lunette méridienne qui Ibisertà régler
sa vieille montre à minutes, et lui raconta les essais infruc-
tueux qu'il avait faits, pour déduire de ses observs^tions la distance
de l'autre au Soleil, s'étanl égaré dans des voies qu'il parcourait Jff
pour la première fois.
A la demande du savant Directeur de l'Observatoire de lui
montrer le registre de ses observations , M.. Lescarbault lui fit
voir un petit carré de papier taché de graisse et de laudanum ,
dit l'abbé Moigno ^ et remplissant les fonctions de signet à la
connaissance des temps* Sur ce petit morceau de papier étaient
écrits les temps d'observations des deux contacts ; enfin, il lui
présenta une planche rabotéé^sur laquelle il avait fait à la craie
ses essais mathématiques sur la détermination de la distance de
la planète au Soleil.
Quand on compare les moyens d'observation du docteur Les-
carbault à ceux des astronomes répandus sur le globe ; quand
on pense qu'il existe cinquante - neuf Observatoires publics
répartis sur la surface de la terre , sans compter les qua-
torze Observatoires privés que possèdent l'Angleterre et l'Alle-
magne; quand on songe aux instruments si parfaits, aux hommes
si exercés qui se trouvent dans ces établissements scientifiques,
on se demande comment il a pu se faire que jamfiis cette petite
planète , aperçue par le médecin d'Orgères , ne se soit montrée
^ 266 —
dans les lunettes officielles , et ron est presque (enté de doutert
, non pas de la bonne foi du docteur Lescarbault, mais dé la sûreté
de sa vi^ioA.
Cependant ces moyens grossiers d*obser^'alion, tes rédactions
incomplètes et primitives ont satisfait l'illustre savant qui dirige
l'Observatoire de Paris ; la découverte a été officiellemeut prô-
\^ • w clamée , M. Jl^eècàrbault en a été récompensé , la planète a été
'^t*''*^ 'Vaptîsée du nom de Vulcain: nous n'avons donc qu'à nous
incliner.
En soamettéftlt au calcul lés temps d'entrée et de sortie du
point noir sur le disque solaire, donnée paf M. Lescarbault^
IT. Leverrier a trouvé que la planète eût mis h^ 26® 48*, à
f)arcourir le disque entier du Soleil. Eji supposant l'orbite cir-
culaire, le demi-grand axe serait de 0^427, le demi grand axe
dé l'orbite terrestre étant pris pour unité,' autrentient dit la planète
Vulcain n'est distante du Soleil que de 30 rayons de l'astre radieux ;
aussi ne doit-elle jamais s'éloigner du Soleil à une distance de plus
de 8 degrés. Le temps de révolution de l'astre serait de -1^1 ,7,
tnvîron 6 jours de moins que le temps de révolution du Soleil,
ce quî est légèremenlt en opposition avec l'bypothèse admise sur
la formation de notre système planétaire.
L'inclinaison de l'orbite serait de -lâMO', et enfin la longi-
tude du nœud de 42° 59'.
• En considérant les masses comme proportionnelles- aux volumes,
M. Leverrier trouvé que la planète Vulcain a une masse égale
au ^|47* de celle de Mercure. Cette masse est beaucoup trop
petite pour produire l'augmentation de 38 secondes dans le mou-
vement du péribélie de Mercure ; aussi M. Leverrier conclut &
l'existence d'autres planètes de ce genre. D'après les mêmes
hypothèses, il faudrait au moins huit planètes comme celle de
M. Lescarbault, poiiir produire la perturbation que nons avons
indiquée.
*. 257 -^''
L^annonce de la découverte Lescarbaolt au monde savant pro^
doîsit une grande sensation. Le roédecio d'Orgères fdk Telnet
de cerlaînes ovations, et une souscriptioa ouverte par if Pressa
scientifique se forma pour lui oÎMp un banquet, qu'il crut devoir
refuser. Plusieurs savants rappelèrent les observations inciennea
de disques noirs passant sur le Soleil , et entre autres^ M. Wolfif^
de Zurich, adressa à M. Laugîer une liste drcssd» en i859/'**
contenant vingt observations de ce genre enregistrées depuis
\1^\. Parmi ces 20 observations, trois ont paru suflisamment pré*'
cises à M. Radau , professeur agrégé de i'UniveréiW' de Kœnigs-
berg, pour que, les considérant c6mme des passages de Vulcaii^,
il ait cherché à en conclure les pérîodea^ de. retour 4e cette pla*^
ûète. Les trois observations doût nous venons de parler sont celles
dé Dangos, le -18 janvier noS ; de Fritseh, le 10 octobre 4801 , et
de Stark, le 9 octobre 4810. La période de retour déterminée
par M. Radau serait de une année Julienne, plus 9 Jours, ou plus
4 jours, ou plus 8 jours, ou enfin plus -13 jours. D'après cette
période , on eût dû revoir Vulcain *, soit le 29» mars A 860 , soit
le 2, le 4 ou le T avril;- ce qiîi n'a malheureusement p^ cu^
lieu. *' A
Mais , dira-t-oû , puisque la planète Vuhjain, d'après l'opinion
de plusieurs savants, a déjà été observée, M. Lescarbault n'a donc
rien découvert ; il a donc tout simplement observé un passage
d'un astre connu sur le disque solaire ?
A cela je répondrai que M. Lescaîtault paraît être le premier^
ainsi que je crois l'avoir déjà dit , à avoir noté ^une manière
précise^ à r aidé d'wte montre réglée, YïneXdJii ies d^ux contacts ;
voilà le mérite de son observation et voilà ce que ses prédéces-
seurs n'ont pas fait.
Une objection assez sérieuse, que Ton pent faire aux dififérentesr
observations que nous venons de signaler, en y comprenant celle du
médecin d'Orgères , c'est que, ainsi que je lai dit plus hauf, pas un
33
— 258 —
des nombreux astronomes sérieux qui explorent les régions solaires
dans les Observatoires officiels du globe n'a fait de semblables obser-
Tations. Depuis Galilée pourtant, ou plutôt depuis Jean FabriciuS)
les nombreuses taches solaire» Qui parsèment la surface solaire
ont été le sujet d'exc^mens minutieux ; un grand nombre de
résultats sur cette question ont été publiés , et, à ce sujet, je
crois devoir citer M. Henri Schwabe^ astronome à TObservatoire
de Dessau^ en Prusse, qui,' depuis ^ 826 jusqu'à ce jour, a presque
constamment , jour par jour^ obseryé le disque solaire.
De ^826 à -1851, c'est-à-dire pendant une durée de 26 ans,
IM. Schwabe a enregistré 6959 jours d'observations à l'aide des-
quelles il a constaté 4264 groupes ^e taches sur la surface du
Soleil. Il faut convenir que l'astronome allemand n'a pas été heu-
reux de ne pas voir passer, dans cette longue suite d'observations,
une seule des nombreuses planètes intrà-mercurielies qui, d'après
l'hypothèse de M. Leverrier, doivent graviter entre Mercure et le
Soleil. ....:.",.
On doit néanmoins faire remarquer que i^s passages des planètes
inférieures entre le Soleil et nous étant très rares , et la durée d'un
passage étant assez courte , il peut très biçn se faire que l'une et
l'autre de ces petites planète» aient échappé aux observations des
astronomes de profession.
La période des passages de Vénus sur le Soleil est , d'après
Delambre , d'environ 8 ans, ou ^24 ans plus ou moins 8 ans,
c'est-à-dire de 8 ans, de -443 ans ou de -129 ans.
Ainsi, il n'y a pas eu de passage de Vénus depuis -1769, il
n*y en aura qu'en 4 874 , puis après en 4 882 , et ensuite il n'y
en aura plus qu'en l'an 2004.
Pour Mercure, les périodes qui ramènent ses passages surle disque
solaire sont de 3, de 6, de 7, de -10, de 43, de 46 ou de 263 ans.
Il n'y a pas eu de passage de Mercure depuis 4848, il yen
aura un le 4 2 novembre 4864, puis ensuite en 4868 ; après cela,
- 259 -
il n'y aura plus que quatre passages de cette planète dans le
•I9' siècle.
Pour Vulcain et les aulrei planètes intràmercurielles , si elles
existent , les périodei doivcîht Ôtre plus courtes ; toutefois , oa
comprend qu'elles doiveïit être rares et pourquoi ce^ passages
peuvent échapper.
Mais ne peut - on dodo pas apercevoir. Tun de ces petits
astres en dehprs du disque' solaire , comme on aperçoit Mer-
cure ? Il est probable 'que fion» car Tobservation de cette
dernière planète est *môme difficile dans nos climats , parce
que ^ ou elle so trouve 'ploûgée dans les flots de la lumière
solaire , ou elle' est ènveléppéc par les vapeurs i,e Thorizon.
Ainsi Arago cité- la remarque chagrine de Copernic , disant :
« Descendrai-je donc dans la tombe avant d'avoir jamais décou«
vert la planète! » Hâtons-nous cependant de dire que le chanoine
de Thorn n'avait ^pas été heureux relativement à cet astre, car on
peut apercevoir Mercure à l'œil nu^ lorsque cette planète se trouve
-à une certaine distanoe de ' l'asti» radieux et que l'horizon est
suffisamment dégagé.
Néanmoins, les petites planètes* telles que Vulcain étant beau-
coup plus petites que Mercure et me s'éé^rtant jamais beaucoup
du Soleil, on conçoit que, malgré le vif éclat qu'elles doivent
posséder, elles n'aient jamais encore pu ôtre observées en dehors
de l'astre éclatant.
Aussi , depuis la publication des observations de M. Lescar-
bault, malgré les recherches laborieuses de plusieurs astronomes,
malgré les explorations minutieuses des environs du Soleil fai-
tes dans les plus beaux climats , soit au moment de son lever,
soit au moment de son coucher, rien n'a encore été aperçu.
L'Eclipsé de Soleil du -18 juillet n'a môme- donné aucun résultat ,
bien que plusieurs calculateurs aient essayé d'annoncer la position
probable^ de Vulcain au moment de l'obscurité totale. Cepen-
4tïïl , I'4sdH>n<Hne qui, poutra annoDcer une observation sérieuse
et positive de l'une des petitqs planètes en retirera certaîiïemenV
beâocoiip de gloire , car la tsonqiléte des espaices intrà-mercuriels
sera réellement accomplie, tt là îbéorie de M. Levcrrier sera
^nfimiéc^
Toute découverte a ses critiques ! Parmi c&ax qui ont nié
robservation de Vulcaîn , le .plus arderit est M, Liais , astro-
nome français qui , sous le beau ciel du Brésil , esplore daâis
tous les sens les espaces célestes , et en particulier le disque
briÛant du Soleil des tropiques,
Dans une lettre adressée à la revue scienliBqiie le Cosmos,
M. Liais essaie ûq prouver que, pendiûit la période même pendant
laqiiellè M. Lescarbairlt pi^étend avoir. vu.Vulcain, il observait
à fento*Domingo de Rio Janeiro , et avec toutes les précautions
req^i^es, i^ disque du Soldl, iaot daiis ses régions équatoriateï
que dans ses régions polaires ; qu'il cherchait si les petits points
noirs nommés Lucul^s , et dont est ^rsemée la sur^use solaire,
^ ne prédominaient .pas . quelque j^f, ef qu'un point noir d'un
périmètre circulaire bien arrêté et situé vers les pôles du Solal
ne lui eût certes pas échapgé^ - •. .
M. Liais prétend que robservationposiUyçdeM. Lescarbaadtpeut
être un efïet de vision provenant ijbe U Ijimètteou même d*un phé*
nofflène météorologique ; il essaie de prouver que M. LescaffeauH»
avec ses moyens d'observation n'a pas pu voir un péTisiètre cir-
culaire bien arrêté ; il assure , en outre , qu'on p^ expliquer
le mouvement du périhélie de Mercure par dos erreurs de une
à deux secondes dans les mesures de l'obliquité de l'Écliptiqoe,
erreurs introduites surtout par l'incertitude des réfractions. H
termine enfin sa lettre de la manière suivante :
« Quant à la vérification des assertions du docteur Lesctr-
» bault par M. Leverrier, je ne veux pas porter de jugement
» sur ce point. Il ne suffit pas qu'un observateur ait vu passer
» un point noir sur le disque solaire pour <^ conclure Totistenee
» d'une planète. Y eût-il raôme la plus complète bonne foi 4e ^
» Tobservateur en question, il p^rrait y avoir illusion. Enfin ^^
9 la cbose ne devait être préseitée fue sous toute- réserve > et il
9 ne fallait pas conclure avant que des diverses parties de j* univers
» tous les documents fussent arrivés*
» La vivacité de mes expressions,, que vous paraissez me repro-
» cher, ne vient que de mon indignation et de la certitude^ ou
» je suis de la non-existence de l'astre. » ^ ,
Je termine ici ce qui est relatif à la planète Yulcain , et sans
en avoir voulu faire .le procès , j'ai pensé qu'il pourrait êtr^ de
quelque intérêt pour te lecteur de lui retracer l'histoire de cette
découverte , de son accj)rd avec les travaux du savant Directeur
de l'Observatoire Impérial, .travaux dont nous ne sommes pas en
droit de contester l'exactitude, mais aussi de relater et de mettre
en évidence les faits qui pourraient peut-être faire croire à une
illusion du médecin d'Orgèrçs,
Les loflveiles Planètes télescapiqHes.
Soixante ans se sont écoulés depuis que .Piazzi , dans soa
observatoire de Palerrae inaugurait le ^9« siècle, par la décou^
verte du premier fragment de l'écorce solide de la grosse pUmète
qui circulait très probablement , à l'origine de§ mondes , autour
du Soleil, entre Mars et Jupiter.
•*- 262 -
. Celte inauguration brillante qui, en portant à sept le nombre
ées planètes- alors conntili , semblait promettre à notre siècle
•ne augmentation de riebesses astronomiques , a été , en effet ,
«n présage beureux , ear, 4 l'heure qu'il est , le nombre des petits
astres qui décrivent leur orbite «ntre Mars et Jupiter, et qui ne
pouvant être aperçus sans liinelte sont, pour cette raison, nom-
més Ulescopiqties , vient d'attehidre le chiffre énorme de 62 !l!
Deux planètes de plus qiie d'années écoulées depuis l'appari-
tion de Cérès, le 4" janvier -180^ , dans la lunette de Tastro-
nome napolitain l * *
L'année -1860 s'est enrichie de cinq de ces petites planètes.
La 58« a été découverte à Bîtk , à -H heures du soir , le
24 mars , par M. Luther, directeur de l'observatoire de ce lieu.
La petite planète a l'apparence d'une étoile* de onzième gran-
deur ; elle se trouvait, au moment où l'astronome allemand l'a
aperçue, dans la constellation- de la Vierge. Ce petit astre a
reçu le nom de Concordia ! Ce nom donné à une planète
découverte au moment où une- tempête scientifique grondait à
l'Académie des Sciences a-t-il pour but de rappeler aux savants,
dont le monde admiré les travaux astronomiques, que les débats
académiques qui prennent un caractère ti*op personnel jettent sur
la science une défaveur injuste! *
Les découvertes des quatre autres petites planètes de -1860
se sont faites dans des conditions a^sez remarquables ; ainsi,
c'est à deux ou trois jours d'intervalle, le 9, le ^2 , le 44 et
le 46 septembre que MM. Goldschmidt, Chacornac , Fergusson,
Forster et Lesser , ont découvert, le premier la 6I«, le se-
cond la 59«, le troisième la 60**, et enfin les deux derniers la
62», en les classant, suivant l'habitude , d'après Tordre de leurs
publications. Jamais encore , à si peu d'intervalle , on n'avait
signalé une si grande quantité de découvertes astronomiques.
La première, obsen'éc aussi à Bilk par M. Lulher, le 22 sep-
tembre , a reçu de cet astronomf Je nom de Danaé y sur riavi-
tatioQ de M. Goldschmîdt à rastr^noip^ allemand de lui choisi!
un nom. Cette planète a Tapparence d'uas étoile de onzièn^i
grandeur ; elle se trouvait , au moment da la découvert ^ dant
la constellation du Verseau , ^ par suite en opposition. Soa
mouvement apparent sur les étoiles était , rétrograde ; toutefois,
ce mouvement rétrograde allait çn se ralentissant. Cette planèt#
est la 13® de ce genre découverte par M. Goldscbmidt qui, peintre
d'histoire distingué le jour, deviçnt aatronom^ célèbre la nuit
Le mouvement géocentriquc de cet astre lui fait maintenant décrire
une courjbe apparente circumpolaire.
La planète de M, ÇJiaçornaç , sixième trouvée par cet astro-
nome, a Tappàrence d'imç étoile de neuvième grandeur. Elle
se trouvait, quaqd elle a éléjiperçue, dans la constellation de la
Baleine ; elle n'a jas epqore.reçu de qpm.
Titania est celui de la planète, découverte par M. Fergusson ;
c'est la plus rapprochée du Soleil de ccflles aperçues cette année ; sa
distance est comprise eçitre celle d'Harmonia et celle deMelporaène.
C'est en voulant observer la planète de M. Chacornac que
MM. Forster et Lesser ont apçrçu une étoile de môme grandeur, si
près du lieu qu'ils avaient estimé- d',avance, qu'ils ont cru que c'était
la planète qu'ils cherchaient, et qu'ils ont même adressé leurs obser^
vations aux AstronomUche ndchrichten. Us ont suivi son mouvement
dans la voûte céleste, mais la discordance entre leurs observations et
celles 4e Greenwich , Bilk et Vienne leur a fait reconnaître qu'ils
venaient de découvrir une 62* planète, qui se trouvait, au moment
de leurs observations, excessivement rapprochée de la planète
Chacornac. Cette proximité n'était toutefois qu'une apparence, car
d'après les éléments elliptiques des deux planètes , l'intervalle
minimum cony)ris entre les deux orbites est un pea inférieur à l'in-
tervalle minimum compris entre les orbites de Mars .et de la Terre.
La planète de MM. Forster et Lesser a reçu ]fi ,wm d'Erato.
-1-264 —
Va!* cprameat ^ réparlisscnt, par année, les découvertes des
62 pla^oètds téteseopiquas :
On en a trouvé une en 4804, une en 4^2, une en 4S04 ,
«ne gfi 4807; ces qilatre pkkoà|es se nomment Cérès, Paltas ,
\5csla et Xunom - »
De 4807 à 4845 , c'est-à-dire pendant une période de 38 ans,
malgré les recherches dt {dusieurs observateurs et entre autres
de^Delambre, qui passa deux ané à réviser toutes les ascensions
droite» des étoiles connues, en répétant Fobservation de chaque
étoile plusieurs jonrs de suite, Tàstronômie n'a pas ou à eore-
gistrer de nouvelles découverlei^ Cest seulement le 8 déeeml^re
4845 que M. Hencke trouva la.planiete Astr^e, premier terme
d'une série qui pafaît devoir se continuer long -temps. Trois
nouvelles planètes furent en efiet trouvées en 4847, une en 484S,
une en 4849, trois en ^850, deux' en '4854 , huit en iS52 ,
quatre en 4853 , six en 4854 , quatre en 4855, cinq en 4S56 ,
neuf en 4857, cinq en 4858, uhe en 485B » et enfin cinq ea
4860. r/est , comme on le voit , Tatonée 4857 qui est Fannée la
plus riche en découvertes; de "ee genre*
Il ne me semble pas sans intér^* de remarquer comment ces
découvertes se sont aussi 'réparties dans les différents mois de
llannée. On en a trouvé troi&* en, janvier, deux en février, sept
ça mars , neuf tp air «A, six en ,mai, une en juin , quatre en
juMlet^; trois en ^oût,. quinse en septembre, six en octobre, quatre en
novembre, deux en décembre. Ainsi, c'esC aux environ des éqai<<
noxes, en avril et en septembre, que les découvertes ont été
le plus nombreuses. Il est probable que cela tient à ce que
les nuits ont , h cette époque , une durée assez, longœ pour
permettre des observations suivies dans la soirée ; et ensuite ,
q^'en raison du printemps qui vient de commôncer pu de Tété gui
touche à. peine à sa fin , le temps est meilleur généralenient
qu'en hiver, et partant , le ciel plus dégagé.
Ëû présence des découvertes successives qui vienhenl tttioit
lieu , et surtout de cette planète troméô par MM. Foreter et
Lesser auprès de celle de, M. Cbaconiac, sans qu« «elul-ci Fait
apen^ue, M. Leverrier émet roginm que tes fragments de la
planète brisée qui circulent entre Mers et Jupiter, subissant l'effet
de leur attraction mutuelle, .tiennent à un moment donné à 8«
rejoindre , et la réunion de plufiieuif 'fragments formant uno
ma.sse plus considérable^ pei:mGt d'apercevoir un astre qui» divisé
quelques instants avant en parties plys petites ^ ne pouvait pas.
être aperçu. . ' . ,
Je ne crois pas devoir omettre que si notre année a enrichi
la zone planétaire compriç^ «entre Mars et Jupiter de cinq nou-
velles planètes, il e^ est: une découverte en 1856 , par l'infati-
gable M. Goldschmidt, que l'on .ne retrouve pas : c'est Ta petite
planète baphné. .M. Aîry a Jsîgnalé sa disparition au monde
savant , et je ne doute [pas qu'à l'heure qu'il est toutes les
lunettes astronomiques nc.soiQilt à la recherche de la fugitive ;
aussi, pourquoi Ta-t-on nommée Daphné ?.... On peut, à ce
sujet 9 faire remarquer que, biea ^ué' les éléments elliptiques de
cette planète soient donnés daps YArmtMire du Bureau des Lon»
§Uuds$ y ces éléments ne doivent pa^ être considérés comme très
exacts; car Arago, dans son A$tf0nomie populaire^ tome IV,
page -IT2, ne les donne pas » pa^co 4«o , Jusqu'à présent,
dit-il (en 4857), ils n'ont pas encore été "calculés avec toute
l'exactitude désirable , à cause de la difficulté des observations.
11 est alors probable que la route assignée à la planète Daphné
par V Annuaire du Bureau des Longitudes n'est pas celle qu'elle
a suivie , et que les astronomes ayant mis trop d'intervalle dans
l'observation de cette planète ont perdu^sa trace : c'est une
nouvelle conquête à faire. Seulement, puisque les éléments ellip-
tiques publiés ne sont pas exacts, il est probable' que si on
retrouve Daphné , ce sera d'abord en là prenant pour une
r ^^ —
autre ) et l'on ne pourra $*assurer de son identité qu'ea calcu-
lant si les nouveaux éléments assignent à la planète la même
position que celle où elle a été aperçue par M. Goldschmidt, le
22 m^i ^856.
LES, COMÈTES.
Quatre comètes nouvelles ont été aperçues en ^96ù fia première
a été découverte le 26 février, au Brésil, par M. Liais, direot^r de
l-Observ$ttoire astronomique et bydrogriapfaique de Pernambuec.
C'est en faisant une rovne du ciel aiisU^al que rastronome fmin^o*
brésilien a aperçu pï>ès de l'étoile /u de la Dorade une nébulosité
qu'il ne tarda pas , au; bout d'une beujre. d'observation , à recon-
naître pour une com^tCi . .. ?•
Mais ce qu'il y. a déplus remarquable, c'^t que c^te comète
était doublç , c'est-à-dire qq'au moment de sa découverte elle
était TTonnée de deux petites qébulo$ités très voisines :. l'une plus
grande, avec un point plq» :brillant, jgIôos riatérie^r ; l'autre
beaucoup plus petite et^ entièremmt nébuleuse. L'inclinaison de
Torbite de cette comètes est très grande , puisqu'elle est, d'i^Mis
M. Pape , de 79o 22'j6, €et àtetre n'était; viable qu'avec des
lunettes d'au moinç trois poucead'.ouveilttre ; aussi la pleine Lune
ayant eu lieu peu de temps après s^ découverte, il n'a pu
être suivi dans son mouvement , par M. Liais , que p^^dtnt
quelques jours* Sa position daiis rbémisphère 8ud a ea oulrs
empêcbé les iu»troqomes européens de pouvoir l'obsenrer, sm
édat d^à si faible ayant diminué^ lorsque dans. son mouvement
rapide il s'est rapproché du plan d4 l'É^wUeun
La seconde confiète observée est celle de M. Rumker, astre*
nôme de rOi;)6ervatoire d$ Hai»(bouifg. Elle a été découverte le
M avril; son' édat était très faîMe, aussi n'a-t*elle été aperçue
.- 367 r-
que par quelques astronomes/ Elle â'estpetrat>prochée du Soleil
et a disparu sans cauéer def sensation; L'inelioaîsjfm dé ^sen orbite
est de 48« 43'.
La eomète de /t^'/i. — Les vigfies astronomiques n'avaient pas
signalé Tappatition de la comète , apéi^çue en Italie le 18 juin,
que M. le baron de AlàrgueFit^ chef d*escadron au camp de
Cliûlons^ a découverte la premier ^ en France, en examinant
la voûte étoilée pdur se dédommager du triste aspect de la
terre par la vue des magnificences du cielx, ainsi qu'il le
dit dans une lettre àVabbë Môigno , lettre dans laquelle , avec
beaucoup de réserve et de modestie, il lui annonce sa découverte.
Pour excuser rôbservatolcc Impérial de n'avoir pas devancé ,
en cette occasion, une personne étrangère aux véritables obser-
vations astronomiques ^ M. Leverdi^ prétend que la comète dont
nous nous occupons a pu , à la faveur des mauvais temps ,
s'approcher sans être recoamse jusqu'au moment où elle a pria
un éclat considérable. - . '
Disons tout simplement atsanà vouloir faire le moindre jrepfoche
aux astronomes européens, qu'oh né vélUait pas, ou pour me
servir d'une expression maritime , qu'il n'y avait pas d'homme
en vigie. Bien des gens'q«é les oom^fes effraient pourront croire
que celle-ci , qui , d'après M. L6verrî«r, s'eôt avancée vers nous
sournoisement, avait dé mauva^seJ^ intentions , car à peine at-eile
été reco6nue officiellement qu'elle a disparu, laissant tout décon-
certés ceux qui s'attendaient à une seconde édition de la belle
comète Donali, ou qui espéraient voir cette fameuse comète de
Charles-Quint, que Ton attend depuis douze ans et qui n'arrive pas.
Peut-être n'est-il pas inutile de dire quelques mots de cette
comète de -1556, désignée sous le nom de comète ,dfi Charles-
Quint , afin de faire comprendre pourquoi on la désigne ainsi, et
pourquoi, depuis quelques années, on semble en attendre le retour.
C'est vers la fln de février •! 556 que l'on aperçut cette comète,
égalant en grandeur la moitié de la Lune , selon les uns ^
et dont le noyau, de couleur rougeâtre, avait autant d'éclat que
Jupiter, suivant les autres. Sa chevelure était assez courte , et
dans sa queue , longue d'environ quatre degrés , et dirigée à
l'opposé du Soleil , on apercevait un mouvement semblable à
celui de la flamme d'un incendie. Elle resta visible depuis la
fin de février jusqu'au ^4 avril, et dans sa route apparente sur
la voûte célestç, sembla décrire à peu près un grand cercle pas-
sant par le onzième degré de la constellation de la Balance et le
onzième degré de la constellation dû Bélier.
Les éléments de Forblte de cette comète furent calculés par
Halley d'après les observations de Raul Fabrice, médecin et mathé-
maticien de Vienne. Pingre les a calculés aussi et a trouvé;
Longitude du nœud ascendant :'47^^ 42' ;
Longitude du périhélie : 278*» 50' ; .
Inclinaison de l'orbite : 32° 6* 30";
Distance périhélie : 0,4639, (en rayon 4e Torbite terrestre);
Passage au périhélie, le 24 avril, à âO*» 13*» , T. M. de Paris ;
, Sens du mouvement t direct. .
En comparant ces élément^ à d'autres antérieurement obtcouS)
moyen qui peut faire î-econn^tre si une comète est périodique ,
Pingre s'aperçut que ces éléments ressemblaient beaucoup à ceux
de la célèbre comète de -1261, dont tous les historiens de l'époque
font mention, et qui resta visible pendant les mois de juillet,
août et septembre ei une partie d'octobre ; voici , en effet , les
éléments de -cette dernière comète :
Longitude du nœud : 478*» 45' ;
Longitude du périhélie: 275<» 45' ;
Inclinaison de l'orbite : 30« ;
Distance périhélie: 0,4408;
Passage au périhélie, le il juillet, à 6»» 40»>, T. M. de Paris;
Sens du mouvement : cùrec^
-r 269 r-
Je né doute pai^ , dit Pingré , dans sa Cométographie , qii'if
ne faille mettre la comète de 1550 au nombre de celles dont on
^connaît la révolution périodique ; que cette révolution est d'en-
viron 292 ans, intervalle de temps écoulé entre 4264 et ^556,
et par conséquent qu'on peut attendre son retour vers 4848.
Voilà pourquoi, depuis 42 ans, on attend la" comète de 4556.
Cette comète effraya tellement Gharles-Quint , rapportent plu-
sieurs historiens, que cet empereur, persuadé que sa mort était
prochaine , s'écria :
His ergo indiciis me mea fata vacant ;
que le savant Pingré traduit ainsi c
Bans* ce signe éclatant, je lis ma lin prochaine;
et le vainqueur de François ï^*", sous l'influence de cette terreur
panique , céda la '.couronne impériale à son frère Ferdinand ,
achevant ainsi l'abdicatlbn de .tous «es souverains pouvoirs pour
se retirer dans le * monastère de Saii^t • Just, attendre loin des
agitations politiques la fin de ses royales misères. Voilà l'ori-
gine du nom de comète de Gharles-Quint donné à la comète
de 4556.
J'ajouterai maintenant que de 4500, année de la naissance
de ce prince , à 4558 , année de sa mort , il se montra en
Europe 4 5 comètes visibles à l'œil nu , et que parmi ces comè-
tes on peut citer : celle de 4500, comète douée d'un très
grand éclal , et qui , d'après M. de Humboldt , est la comète
de mauvais augure à laquelle fut attribuée la tempête qui
causa la mort du célèbre navigateur portugais Bartholomé
Diaz ; celle de. 4 54 6, regardée comme ayant. annoncé la mort
de Ferdinand le Catholique , mort qui plaça la couronne
d'Espagne sur la tête de don Carlos; celle ^ epûn , de 4558,
^ m —
qui, d'abord peu brillante, augmenta d'éclat h mesure que la
maladie du moine é» Saint Just s'aggravait , et qui di^arut à
l'heure de la mort de cçlte' onjbre de Charles-Quiat. L'une ou
l'autre des comètes que ^é*viens de citer pourrait aussi prendre
le nom de comète de Charles-Quint.
En appliquant' la méthode 'd'OlbeVs aux trois observations de
déclinaison et d'ascension droite obtenues à l'Observatoire fmpé-
rial les 22, 23 et 27 juin , j'ai trï^uvé pour les éléments para-
boliques de la comète de juin -186^0:
Inclinaison du plan de l'orbite sur l'Écliptique : 79*21' 41" ;
Longitude du nœud ascendant : 84« ^0^ 24" ;
Longitude du périhélie : -I62<» f4'.25" ; '
Distance périhélie : 0,29715 (rayon moyen de l'orbite terrestre) ;
Passage au périhélie : le 16 juin, à ^0»» 0™ 54^ , T. M. de Paris ;
. Le sens du mouvement est direct
Ces éléments sont presqu'identiques à ceux publiés par M. Yvon-
Villarceau. J
On voit qu'ils sont tout différents de ceux de la comète dite
de Charles - Quint , et , par conséquent , qu'il nous faut encore
attendre.
Par des calculs très simples, on trouve que la comète de juin,
venant des' régions éloignées de l'espace , a traversé le plan de
rÉciiptique pour passer de Fhémisphère Sud dans Thémisphère
Nord , c'est-à-dire a passé à son nœud ascendant le 3 joÎQ , à
A^ 47». Ellffa ensuite traversé de nouveau le plan de l'Éclip-
tique pour passer de l'hémisphère Nord dans 1 hémisphère Sud ,
c'est-à-dire a passé à son nœud descendant le -H juillet, à 4* 2f"
T. M. de Paris. A cet instant , sa distance au Soleil était de
28,562,200 lieues et sa dislance^à la Terre de 23,203,17» lieues;
elle était donc, à ce moment , plus près de nous que du Soleil
d'environ 3^359,022 lieues.
— 2Î1 -^
La comète a passé phis près de la ptonète Vénus çue da Soleil,
car au moment de' son passage "k son ncBud descendant , elle
n'était éloignée de cette plaàète ^ue de •(0,0(H)>0Od lieues , tandis
que sa distance au Soleil n'a jamais été inférieure à 44^^S0,OO0
Vîmes, Yénus a donc pu produire , sur la marche die cet astre ,
d!assez ibrtes perturbations, et si Ton pouvait l'apercevoir actuel-
lement, trois observations ne donneraient sans doute pas les
mêmes éléments paraboliques qtie ceux trouvés par M. Yvon
Yîllarcead,
Quelques personnes ont pensé que la tïomète de juin 4860
pourrait bien être la même que celle qui s'est montrée en sep-
tembre l$Q\.j et dont les éléments ont été calculés par Burc-
khard ; mettons , en efifet , en regard les éléments de césj^eux
astres :
- ,. , Lengitade ^ Longitude Distance Sentda
iDciinaitM. ^nœai^ di périhélie. péribélk. noaveiMil.
;i\deseptem.l301. 80- eo** 0' 0" ISOrO'OO" 0,330 direct.
çS|dejuin 1860. . 79«2r 64" 10' 21" 162M4'25'' 0,29715 direct.
Sauf la longitude du nœud et celte du périhélie, ces éléments,
comme on le voit, s'accordent assez ^ bien; du reste, depuis
4504, les perturbations planétaires ont pu déterminer un mou-
vement dans le plan de l'orbite et un mouvement de l'axe de
la parabole, qui se traduisent par un changement dans les lon-
gitudes du nœud et du périhélie. En admettant que ces deux
comètes n'en forment qu'une, on ne peut assigner 559 ans pour
dorée de la révolution de l'astre autour du Soleil, car, pendant '
cet intervalle , si la période est plus courte , la comète a pu
pendant quelques, j ours , et lors de son passage au périhélie,
être en position d'ôtre vue de la Terre , sans cependant , par
dés causes atmosphériques particulières ou ^ autres , avoir été
aperçue.
1
M. Liais qui » au Brésil , a non-seulement observé la comète
Marguerit , mais en a aussi calculé les éléments paraboUgues ^
éléments qui s'accordent avec ceux que ^*ai cités , a trouvé que
les observations faites dans le mois de juillet sont mieux repré-
sentées par une ellipse que par une parabole. Il a calculé cette
orbite elliptique , et il en a adressé les éléments aux Astrono-
miche Nachrichten. D'après cet astronome , la durée de révolu-
tion de cet astre serait de ^0^ ans, et la distance à laquelle
la comète s'éloignerait du Soleil serait de 2^•^ fois environ le
rayon de Torbite terrestre , ou en lieues , d'à peu près huit
milliards de lieues de quatre kilomètres. Je ferai remarquer que
cette distance effroyable n'est encore rien en comparaison de
celle à laquelle se trouve éloignée du Soleil l'étoile et du Cen-
taure , étoile la plus voisine de nous ; cette distance, dont l'esprit
peut à peine se rendre compte , est de huit millions six cent
trois mille deux cent millions de lieues , ou en chiffres :
8603200000000 lieues.
ï^our terminer ce qui est relatif à la comète de juin, je dirai
que son éclat a été peu sensible , que sa queue , qui n'avait
que quelques degrés, était bien encore, ainsi qu'on l'observe
généralement, à l'opposé du Soleil. La grande inclinaison du plan
de l'orbite a fait que lorsqu'on a pu l'apercevoir nettement , la
queue était dirigée vers les régions Nord de l'espace. Les études
que l'on a pu faire sur le noyau et la queue de cette comète
ne peuvent donc pas être complètes , car cet astre n'est pas
resté visible , pour l'hémisphère Nord, plus de 20 à 22 jours ,
parce que quand il s'est rapproché de nous , son grand éloi-
gnement du Soleil a considérablement diminué l'intensité de sa
lumière.
Le Père Secchi, en observant la comète avec le grand équa-
torial de l'Observatoire de Madrid, a remarqué qu'une nébulosité
.-,273—.
if es grande entonr^t lé noyau de Tastre, et 'se repliant en arrière,
allait former la queue , qui se divisait en deux branches, laissant
entre elles un espace absolument noir*
Pendant le temps de sa visibilité , dit le savant Directeur
de rObservatoire du Collège Romain, l'astre a considérable «
ment changé de forme , tellement, que le 8 juillet la comète
était réduite à une nébulosité irrégùlière dont le noyau occupait
une position très excentrique; cette nébulosité s'est arrondie
sQccesSfvement , et le noyau , dont Téélat avait augmenté , en
occupait à peu près le centre le -H juillet.
La dernière comète de ^ 860 est celle découverte à Marseille
le 2S octobre par M. Tempel ; ses éléments n'ont pas encore
été publiés. Du reste, comme la première et la seconde de celte
année , elle a passé à son périhélie sans causer le moindre
éoKM. Ce n'est pas encore celle de Charles-Quint.
LES ÉCLIPSES.
L'année qui vient de s'écouler a vu quatre . éclipses : deux
éclipses de Soleil et deux éclipses de Lune.
Je crois inutile de rappeler que lès éclipses de Lune ont lieu
lorsque la Lune étant pleine, la Terre s'interpose entre cet astre
et le Soleil ; la Lune se trouvant par suite plus ou moins entrée
dans le cône d'ombre que la Terre forme derrière elle , n'est
plus éclairée par le Soleil ; et que les éclipses de Soleil ont lieu
lorsque, à la nouvelle Lune, ce dernier astre s'interposant entre
le Soleil et nous , cache en tout ou en partie l'astre radieux
aux habitants de notre globe.
Biea que les éclipses de Lune soient loin d'offrir le môme intérêt
que celles de Soleil, celle du 7 février -1860 a cependant donné de»
35
— 274 —
résultats d'un iniétèi tout portioulier m point de vm photographia
qtie. À l'ahle d'une énorme lunette d'aborâ, d'une seconde de 0»,2S
d'ouverture*" et d'un appareil photographique à objectif Btéimlia-
tiqne de l)S centiiÉètres d'ouverture, M« Porro, i habile cons-
tructair de ces faistruments , aidé du docteur ^aslaldi , pbolo*
graphe^amaleur, a ^ibiemi , à Paris , des images très nettes de
la Lune pendant la durée de l'à^pse. Les trois iastnuneiils ont
^îlefilié <^hacun des images très intenses dans un temps de pose
qui a varié de ^ à 8 secondes^ an commencement de l'éciiMBe, et ée
4 à 6 secondes vers le tnèment du maximum du phéinomène. i)e ré*
miftat peut avoir xme importance astronomique asses grande, :aa
point de vme de la détermination des loi^Uides, par les éisianoes de
la Lune aux Étoiles. Sur une plaque contenant en effet la Lune
et les Étoiles, il serait possible, ainsi que le dit te savant abbé
Moigno, auquel j'emprunte ces résultats , d'obtenir les distances
de la Lune aux Étoiles d'une manière plus exacte qu'on ne les
obtient avec les instruments habituels d'observation.
M. Moigno fait aussi connaître que , sur une image obtenue
dans les essais de la soirée précédente, par les mêmes procédés,
on distingue , avec une simple loupe , la Lune , Jupiter et l'un
de ses satellites.
La seconde éclipse de Lune de ^860 , celle du <«r ^oût , n*a
pas été aperçue en Europe.
Des deux éclipses de Soleil, la première, invisible en Europe ,
a été annulaire. Le milieu de Téclipse centrale a eu lieu pour un
point peu éloigné du pôle austral ; ainsi, il n'y a que les habitants
aquatiqnes de ces régions glacées qui ont pu être impressionnés
par la magnificence d*un phénomène bien rare , car^ depuis
i'an 44 avant notre ère jusqu'à -1847, Arago ne compte que
onze éclipses annulaires ayant une date certaine;
Celle du 9 octobre 4817 a été visible à Paris.
^ 275 ~
L'^lipad totale de Soleil du 4a juillet 48$0 est nm de3 plu^
remarquables qui se soient observées ûoa^seulemeot à cause dç
Fhèure favorable à laquelle , dans les plus beaux climats du
inonde , le phénomène s*est développé dans toute sa magniQ<-
cençe , maïs encore par le concours de savants et d'astro-
nomes qui, en cette occasion , se sont rendus soit en Espa-
gne , soit en Algérie , pour obtenir, sur les protubérances roses
et sur Tauréole lumineuse qui entourent la Lune au moment de
l'obscurité totale» des résultats certains. Ces résultats provoquent
cependant des opinions si différentes, que l'on ne sait encore si
les savants vont enfin en déduire des notions plus exactes sur la
constitution physique du Soleil.
Dans le rapport que MM. Leverrier et Léon Fouéattft , de
l'expédition française, ont adressé à S. Exe. le Ministre de
l'Instruction publique, on lit que le mauvais temps qui, pendant si
long-temps , a désolé la France , s'est même fait sentir en Espagne
les jours qui ont précédé TécMpse, tellement, qne MM. Lever-
rîer et Léon Foucault ont été obligés de quitter Tudéla le jouï^
même de Téclipse , et d'aller à la rencontre dû beau temps ;
qu'ils ont enfin trouvé sur un petit plateau, au Sud du cime-
tière de Tarrazona, ville de FAragon, distante de Sarragosse de 2*
lieues, et située à 6 lieues de Tudéla. C'est sur ce plateau, devenu
célèbre par le séjour de quelques heures qu'y a fait le savi^nt
IMrecteur de la commission scientifique de France, que MM. Le*
verrier eX Foucault ont pu faire des observations sérieuses sur
les protubérances roses.
A peine l'obscurité totale a-t*elle eu réellemeni lieu que M. Le*
verrier a aperçu , un peu à droite du point zénithal du Soleil ,
tSi^é par la Lune, un nuage d'un beau rose , mêlé de nuances
violettes , et dont la transparence semblait rehausser jusqu'au
bîaac l'éclat de quelques-unes de ses» parties. Ce, nuage, eotiè»
rement séparé du bord de la Lune et à une distance d'environ
l.;276 —
45**, avait une épaîsseuf k peu près égale à cet Intervalle ,
c'est-à dire était environ trois fofs plus gros que la Terre , et
avait par conséquent 9,000 lieues d'épaisseur, sur une longueur
à peu près double.
Un peu au-dessous et à droite de ce gros nuage rose , on
apercevait deux nuages superposés l'un à l'autre , offrant de
très grandes inégalités d'intensilé ' dans leur lumière.
A gauche du Soleil, à 30' au-dessous du diamètre horizontal,
on voyait deux pics élevés et contigus , d'une teinte rose et vio-
lette comme le gros nuage, dans leur partie supérieure , et
presque blancs dans leur partie inférieure.
Un peu plus haut se trouvait un troisième pic en forme de
dent , séparé des deux premiers , mais ayant une couleur et
une forme parfaitement semblables et a'en différant que par des
dimensions plus considérables.
Tout le disque lunaire était enveloppé par la couronne oa
liuréote lumineuse dont la lumière apparaissait parfaitement blan«
che et brillant d'un vif éclat.
M. Leverrier dirigea sa lunette vers les deux astres , viagt
secondes avant la réapparition du Soleil , et en observant la partie
à droite du disque lunaire qu'il avait trouvée parfaitement blanche
pendant l'obscurité, totale , ir aperçut que le bord Ouest lunaire
était tinté par un léger filet d'une épaisseur inappréciable et d'an
rouge pourpre ; puis , à mesure que le temps s*écoiilait, ce filet
grandissait peu à peu et finit par former autour du disque noir
de la Lune , sur une étendue de 30® environ , une bordure
rouge d'un contour irrégulier à la partie supérieure. En même
temps , dit le savant Directeur de TObservatoire Impérial , « l'éclat
» de la portion Ouest de la couronne lumineuse s*exaltait avec une
» telle rapidité , que je fus dans le doute si je ne revoyais la
» lumière du Soleil. »
— 277 —
M. Léon Foucault , le sa\;ant physiote» ^ qui , comme on le
sait , a trouvé une nouvelle preuve de la rotation de la Terre,
était chargé de la partie pbotogra[^ique. Il a obtenu sur trois
plaques , . et par suite de déplacements involontaires imprimés
au châssis de l'appareil , six images du phénomène au moment
de l'obscurité totale. Trois de ces images ont dû se former en
un quart de seconde de temps , la quatrième en -10 secondes»
la cinquième en 30 secondes, et jenQn la sixième en 60 secon-
des. Dans toutes ces épreuves , Tauréole lumineuse est plus ou
moins accusée ; mais dans l'épreuve obtenue en 60 secondes ,
elle s'étend sensiblement à' une distance égale à trois fois le
rayon du disque central , et elle ofTre dans son intensité des
variations positives et négatives qui figurent les rayons d'une*
gloire ; l'un d'eux , mieux acciisé que les autres , se prolonge
sur toutes les épreuves au-delà du reste de l'auréole, et semble
én^ner du point occupé par les irrégularités, exagérées du reste
sur les images, des siouosîtés du contour lunaire.
, Vers la fin de son rapport , M. Leverrier ajoute : « MM. Vil-
» larceau et Chacornac ont observé avec beaucoup de soin le
» mouvement d'une protubérance située au Nord ; le déplace-
» ment constaté est précisément égal à celui que Von peut calculer
» en supposant que la protubérance appartienne au Soleil..,,,
» Ainsi , d'une part , l'observation d'une de ces protubérances ,
» parfaitement isolée du disque du Soleil et de la Lune, en a
» nettement établi le caractère ; de l'autre , l'apparition d'une
» bande rougeâtre à l'Ouest , au moment ^e Cémersion , et le
» déplacement d'une seconde protubérance déterminée par MM.Vil-
» larceau et Chacornac , prouvent que ces appendices appartiens
0 nent au SoieiL Nous donnerons donc désormais le nom de
» nuages solaires aux appendices roses qui deviennent visibles
» quand la lumière du Soleil est suffisamment éteintOé »
M. Leverricr trouvant trop corolle la coûstitutioa physique
dd Soleil , telle que les astronomes Font supposée Josqu^à pré*
seut , et à laquelle toutefois il faudrait ajouter une eiiveio{^
formée de Fensemble des nuages roses dont la réalité est main-
tenant constatée par l'observation ; M. Leverrier, dis-je, pense que
le Soleil est simplement un corps lumineux y en raison de sa haute
température, et recouvert par une couche continue de la matière
rose dont ,on connaît aujourd'hui l'exîsiencè. L'astre ainsi formé
d'un corps ceùtral, liquide ou solide , recouvert d'une atmosphère,
rentre dans la loi coriimunede la constitution des corps célestes.
S. Xeverrier semble néanmoins douter si l'auréole lumineuse
appartient ail Soleil ou à la Lune, ou si ce n'eSt pas le résultat
d'un phénomène de diffraction de la lumière. Du moment où
îi est constaté que des nuages immenses flottent à une certaine
distance du Solçil , il me semble prouvé que ces miages ne
peuvent être en suspension que dans une atmosphère qui doit
être immense, en raison dç l'étendue et de fépaisseur des nuages ,
et de la distance à laquèlTe il^ se trouvent de la photosphère.
Du reste, cette opinion est complètement confirmée par les obser-
vations de M. Prazmowski^, astronome à l'Observatoire Impérial
de Varsovie , observations qui ont eu pour but de rechercher
l'état de polarisation de la lumière de la couronne et des protu-
bérances. Voici , en effet , les conclusions de ce savant astro-
nome : « La polarisation de la couronne prouve que cette lumière
» émane du Soleil et qu'elle a été réfléchie ; une polarisation
» vive,^très prononcib, prouve en même temps que les particules
» gazeuses , sur lé^uelles se fait la réflexion , ùous envoient de
. » la lumière réfléchie à peu près sOus l'angle maximum de pola-
» risatioû. Pour les gaz, cet angle est de 45^ ; or, pour réfléchir
B de la lumière sous cet angle , la molétjule gazeuse doit se
» trouver à proximité du Soleil. Une atmosplière solaire semble
» seule pouvoir remplir ces conditions. »
M. Petk , directeur de VObservatoir e de Toulouse , a trouvé
âO^^d lieues d*é^i$6eur et 800eb lieues*^ de longueur à ces
noa^ Sottauts ^aus la vaste atmosphère du Soleil , à laquelle
il atlribue enviroa 500000 lieues de hauteur.
Toutes mes observations , dit le P. Seochî dans une lettre à
Tabbé Moigno , à Toceaslon de TécUpse totale observiie par lui
au Desierto de las Palmas ^ en Espagne, m'ont convaincu que
les protubérances font partie du Soleil , et qu'il est ahsurde de
soutenir le tentraïre..... Il m!e paraU aussi prouvé que Panneau
brillant appartient au Soleil.
Celte opinion est aussi partagée par Don Aquîlar, directeur
de rObservatoire de Madrid , qui a obtenu avec le père Secchî
des images photographiques de Téclipse sur lesquelles les protu-
bérances sont neltemeût fixées:'
Les opinions que nous venons de faire eonnaitro ne sont pas
toutefois générales , et une note insérée par M. Faye dans les
compte - rendus de T Académie des Sciences du 43 août, nous
apprend que M. Von-Feilitzsch, astronome, qui observait Féclipse
à Castellon de la Plana, déclare que, malgré le nombre de taches
et de facules qui existaient au moment de Téclipse, aucune d'elles
De répondait aux protubérances , tandis que les monts lunaires
qui existaient en deux endroits, près du mince croissant de lumière,
vers Tinstant du premier contact extérieur, lui ont paru répondre
à une protubérance et à la chaîne de collines rougeâtres qui la
suivaient à l'EgU M. Von-Feilitzsch en c(^clut que Téflipse de
-1860 a fourni des preuves décisives en faveur de Topinion qiii
attribue la couronne et les nuages lumineux a de simples appa-
rences pptiquesjetuon à des parties intégrantes du Soleil et de
son atmosphère* Cet astronome croU cette opiuion confirmée
par le manque d'accord entre les protubérances observées par
lui et celles observées à Miranda et à Valence.
~ 280 —
' Malgré l'opiùion de M. Von-Feîlitzsch , je crois que FécUpse
du 48 Juillet iS6d vient de jeter un grand jour sur la consti*
.tutioQ physique du Soleil, qui, primitivement, n'était qu'à l'état
de conjecture. Il me semble donc que , dès-à-présent , l'on peut
admettre que le Soleil est une masse liquide ou solide , incan-
descente, enveloppée de nuages roses qui iloUent dans l'immense
atmosphère entourant l'astre radieux.
Je ferai alors remarquer qu'il doit, dans celle hypothèse,
se produire à la surface du Soleil comme un bouillonnement
accusé, du'reste, par les taches solaires et par les protub^
rances observées par tous les astronomes qui ont observé l'éclîpse
totale du -18 juillet.
Cela explique pourquoi il se passe sur la surface solaire
des changements d'une rapidité qui a étonné Scheiner, Galilée,
Derham , Francis WoHaai^pn, Williani Herschel et plusieurs autres
astronomes , et Ton ^oiiiprend comment les observations des
protubérances , quoique faites à des intervalles peu différents
en réalité , puisque les astronomes que nous avons cités se
trouvaient à Tarrazonna , Tudéla , Brivescia , etc., villes peu
distantes entré ^ïles', ne sont nullement d'accord.
Ainsi , M. Leverrier n'a pas vu celte belle protubérance ,
observée à Brivescia par M. Lespiault , protubérance cylindri-
que évasée par le haut , d'un rouge transparent tirant sur le
carmîn, et qui se trouvait à quelques degrés à l'Orient du
point zénithal du Soleil. Toutefois, il est bon de le noter,
MM. Leverrier et Lei^ult sont d'accord sur une protubérance
située à TEst du '^^ue et au - dessous du diamètre horizontal
d'environ iO à 20 degrés.
Ni l'un ni l'autre des astronomes que nous venons de nommer
ne parle des deux pics ayant une base de ^8« et s'étendant
iin peu à droite du point zénithal du Soleil , ni de la proémi-
nence crochue, phénomènes observés par M. Bianchi, à Vittoria,
- 28i -
surje jDîoaticiule (Je Sainle-LuoJe, jep cwipagnlfi ^ )H¥* Mffedjer,
jd'Arrest, Gol^sdvnMJ^f «te. ••
Ainsi, tout prouve .^ue ces fr^ivtxSr^s^tif^ ^ que ^eç s^lUes^
,qui se produiseAt sur la surface 4m Sofeil, cb|wg?^t cQqstam-
meut i c'est . ce ijui fait ^ MM. Parpart ^ jyfwfcer^ fi ^'iQ]^sefr ^
yatoire de Storlus ^ di^e\at tpus deu^ avoir m ^spi^r vu pfc
pei^pefldiculaireweftt au rfyon du disçue liîwce , Mesifit m ^^''
plomb ^u-dessus d^ })ord de la Lqi^e^ ,et qie içéit^ fy^parJjtM#
n'a ducé que deu^ m trQJis ^secojides ; ç'cai ,çq <}i^ la^t 9)1^
M. Charles Packe , oJwçrvant l'éclipsé au soiauMit dsji ;ltottc?yo ,
près Tarragona , a, vu , pev ajp^rès la dispacitiop du Sok^'; 4ep
protuli^rajQces rouges j^Uiir des bord^ du Soleji 4'^IMP^ B^im^^
irréguUèEe.et^i^ la forme de peUleç pyraroides de fciq. -Epûp, <5^
explique pourquoi le Père Seccbi ditt 'Oi;! parlant des 4eux ,pag^-
gues protubér^ces qu'il a aperçues up peu aM-deçsu§ du Jie^ de
disparitUm diu Soleil, ^ue la jpremière était copîque fivçc un^ .p^^nte
légèrement effilée et courbée^ coqa{ûe on peint d'bdjbHu^ç le3
flammes, et q^e l'on avir^iit dit qu'ey3 s'agitait ] c'estprobfd>l^aM|ç^t
la proémineqjçe x^roçhue observée jpair M. Biaacbi.
Les résultats ^ue je ^ieos de citer, Jb(ienL;<p^ ^^n^açi^ lieu h
.dçs opinions différentes , viemieot , il me semble , doinper flm
de poids à l?i célèbre hypothèse de. JUtplçw^ Siur l'^rjgine ^ jçi(Hrje
système solaire , hypothèse co^n^e sous le i;içpi, Âe Çq^spogopie
de Laplaçe^
i'iUustre auteur de la méc^niiçue céleste s^jyijpçs^ que le
JSqleil, Mercure, Vénus, la Terre, U^ , etc., ^Ça 1W^
les planètes, ne Dormaient à l'origiae qu)|» seule .et ûp^m^e^se
Nébuleuse ou vapeur, 4e fprme à peu près >phéfiqM,e, ay^t «oa
centre au point où se trouve fuvtuellemeqtle ee^ptrç^u.Sole^^ .Qt
^'éjteiwJant bien au-delà de l'orbite de Nqptu^^. Ceirjte nébi^^use
obéissai[it .^ux ilqis de la ;grayit^tion devait se mouvoir ^^s les
espaces célestes en raison des attractions développées par 4,W»li;es
3(J
. ^ 282 ^
nébuleuses dont rîrpmensitô est peuplée , ainsi qiie les observa-
tions de Simon Marius, Huyghens , Hallay, La Caille, Messier
ei surtout William Herschel l'ont démontré.
Notre nébuleuse en mouvement dans l'espace devait comme
le boulet qui sort de la pièce, et d'après des causes analogues,
avoir un mouvement de rotation autour d'une ligne passant par
son centre. Un refroidissement progressif a déterminé une con-
densation de matières de la Nébuleuse de plus en plus grandes,
qut se sont réunies à son centre et ont formé un noyau.
La continuation du refroidissement, qui doit encore avoir lieu de
nos jours, a déterminé, vers le centre du noyau , la chute des
matières condensées qui, en raison de cette chute, prenaient,
autour de l'axe de la nébuleuse , un mouvement de rotation
T^lus rapide que le reste de la masse.
Le noyan, en tounmjft-^alors plus vite que le reste de la
nébuleuse, a dû accé|Si^1é mouvement de celle-ci en raison
des frottements de ses (fiverses parties ; par conséquent , le refroi-
dissement continuant, la Nébuleuse a dû acquérir un mouve-
ment de rotation trop considérable pour que ses parties extrêmes,
obéissant à la force centrifuge , • ne se séparassent pas de
la masse entière de la nébuleuse. 11 a dû, àun moment, se former
un anneau nébuleui qui s'est détaché du corps principal, tout en
continuant, à tourner dans son plan et autour de son centre,
avec la vitesse qu'il possédait au moment où il s'est détacbé.
Le refroidissement successif, en continuant à augmenter, par
la condensation , la masse du noyau et à accélérer le mouve-
ment de rotation de la nébuleuse , a produit successivement des
anneaux concentriques qui se sont détachés les uns après les
autres et qui plus tard ont donné naissance aux planètes.
La nébuleuse s'estenfin réduite à une masse centrale qui est celle
du Soleil avec son immense atmosphère , dévoilée le -18 juillet
dernier.
— 283 -f
. La masse centrale, ou notre Solqflj produit de toute la conden:
sation , s'est trouvée à une température tellement élevée qu'elle
est encore aujourd'hui comme une masse incandescente de laquelle
js'échappept des torrents d'électricité et dont ou vient définitivement
de découvrir les bouillonnements dans les protubérances rosacées^
Les anneaux détachés de la nébuleuse ne présentoiQUt ^sans
doute pas, comme Vanneau de Saturne^ une régularité parfaite
dans tout leur contour.. La matière de. chacun d'eux obéissaotà
l'attraction développée par diacune de leurs molécules / a dû «
en rompant la forme annulaire , déterminer une concentratioa
partielle qui, sous une forme qui a dû devenir peu à peusphé-
rique, a continué à se mouvoir autour du noyau devenu iacant-
descent et radieux. . .
Ainsi , à ce moment la grande nébuleuse primitive était trans-
formée en un noyau central «phérîqi^^ncandescent , ayant un
mouvement de rotation autour d'un di3m|(re, et à une série de
petites nébuleuses partielles tournant, toutes autour du noyau
central , dans le même sens et à peu près dans le plan de son
Equateur. Mais dans cette condensation ou concentration des
anneaux en une masse sphérique les molécules les plus éloignées
du Soleil s'en sont rapprochées par le fait , et les molécules
les plus voisines s'en sont éloignées ; les premières ayant une
vitesse plus grande que les dernières, il. a dû en résulter, dans
chaque nébuleuse partielle , un mouvement de^ rotation s^k elle-
même^ autour de son centre, dana le même sens que son mou-
vement de translation autour du noyau -^niral.
Le refroidissement et le mouvement dô^ rotation 4e chaque
nébuleuse partielle ont déterminé, dans celle-ci, un effet tout sem-
blable à celui qui s'est produit dans la grande nébuleuse ; c'est-
à-dire qu'il s'est formé un noyau central incandescent qui est
Torigine d'une planète et de petites nébuleuses circulant autour
de lui , nébuleuses qui ont donné naissance aux satellites.
, * Aîttet.^rf'aprèé^ Wifypotfrëse de Làirlâcé , toùteis les plâriètes et
léui^ sëteKîtés , à^anli àîvéc le SùlfeB utiè origîùef côimcriiAie, (ihoii
dit, û^ti^ iiiorûetii ctoflhé , être J dans m étaft ftiôàndésceïrf éJt.
éiéêi^t^ àtralogaet. à celui dans leqtreï èè frbnte actuellemeirt
teS6leiï.
C-ést^ù rijàfé ce qhi.ésté'ôiifitoépà* fe fôrtfïé e!Hpsdïdale de
c^cjéie planêter^tes excepter ùôtre gbbçf ; fmr lés fésîdus de' Vé«é-
tâuîi âÉftédifuTîèM ft^oùvé^ eit foailîànt le sol et qm in^ikani e^
la tetré^li fiiôtesédé uiïe^ élfâl^tfr pfi!» é^anfdë quef ceHé ^u'cMc pô^*
sèdé aujô^rd'hiâ,^ el érifitf par IjEt cHâleur imWïeriS'e qttî existe
eïïieOre' dans Tiâtérîétfp de là lefre et doiit les? source^ Iheï'mâlé»
et la Wvè defs to^léaCtfs iio(i§ Qùtiûeàt iiti spé<^meff.
La Lune , sur laquelle on ne voit aucune îtàéé -d'âCtÈfôs*
jMrë , §vtf îâ^Hé \é chaleur soMre ne palr'aît prodiùirè afûëtrae
éVtfpc^Mîern , à donc dtf aù^,, à Foi'îgîtie deai tertipé , êlrê ane
nA/àssë jncâijde^e^te^ côjÉÉf^ <^té'lë Téri'e, «oMifl^ éât èâ<:ldte
lé Sdléil. Léà iiiasses W pi as .|)fètité§ ée réfraîdîéstfÉrt le plfas
vite , il és^ ràtiofi^l de penser qcm. lés sàfèllîtés sôiit dans lin
état de i^èffôldii^tnëÉrt pliis àvàiiéé ((tte les planètes^ de mêflie
<ïue Géllëè-ci Êkyôt dans vtù étài pltis àvaticé que le SdlëîL
Ge refroidissement doi^lt éontîiiaér indéfiniment, quelqdèf lente
(jue soit S8Î mtft'che ? La 'ferré doit - elle un jour passer par
rétàt de pétHûcfàiion sôué le^iiel U iuâë^ ëàthrû^ m frëld àqde-
létie, semble ciî notfs nionttÉàiît tôtJjoiïrs kï tnême faèè, tidus
ùke : vbM (sùttittie ^ous deviendrez ?;;,. Le Soleîf, ènôû, petdrtt-
t il cet éclat radieux qile nous avèns pu si pén âdmîfèp cette atifiée?
C'eèt ce que toute la èciëncé d'ifcW)aâ né peut afflrtÉier, èi tdnt
est qu*èlle puîséé même , à la suite de èe& coiiquôfes j dire :
cela doit êlrei
Je né lerihifterâi jpàs celte reVtié de Téclipôè du 48 juîHct 4860
sàijs diro; quel(i(àes mots des trévadit de la ConïÉllissioà ^cicËitifiqùe
envoyée èri Algérie par TÊéelé Polytechnique.
— 285 — ■ . ■ ^
Si cette commission , composée de MM. Laussédat , de Salicîs,
MàfnidiekÉr Boui* et Girafrd , tous apïyartèEfafwt à VÉcole Poly-
iciehnique , n'a pn obtenii^, çnr ■ rairréoîe lumineuse et mtv les
ppotûbérancës roses, de Véritables résultats , la précision «r^e
laquelle lescoi&tacts ont été ôfbservés a du moins étâWi nettement*
m frfft, savoir : que le diamètre apparéHl*de la Lune calculé d après
les tables de Hansen doit être dîmîHué. ' • * t
Ces tables assignaient en cÉfcl^ pour durée de l'ofescurité totale,
à Katna, Mea où s'éteit établie la (Commission, 3« ^-1* , taM»que
cette durée n*a été que de 2« §8», 6.' . , - .
D'après leis courf)es tberimométnqocfs construites par M. le capî*«
taioe Mannhéim , pendant les 16, -IT, -»» et 49 juillet, lerefroi-'
dissemënt dû à Téclipse a été de- 4 0<** M. Laussédat assure que,
pendant Fabscurité totale , un calme' complet a succédé à la brise
qui a soufflé avant et après réclipsegfÉj
Le point lumineux vu sur le disque lunaire pa^r ramrral UUoa en
n78, et par M. Valz en .4842, a été aperçu à Batna par deux
membres de la commission observant Téclipse avec des lunettes
d'une construction différente.
Enfin, les phénomènes qui se passent habituellement, pendant la
durée d'une éclipse totale, sur les plântes,'les animaux et les hom-
mes, ont été observés. Ainsi, le rapport de la commission constate
qu'un marabout qui avait prédit que Téclipse totale attendue
n'aurait pas lieu a été chassé à coups de pierre ; que les femmes
de Batna ont poussé de grands cris lorsque le Soleil a reparu , et
enfin , que l'on a vu les datura§j les volubilis , les pavots et les
belles-^ de -nuit fermés pendant que le Soleil était éclatant, se
rouvrir à demi pendant l'obscurité totale*
Je dois aussi mentionner, ainsi que je l'ai -dit en parlant
de là |>lanète Vulcain , que cet astre n'a malheureusement pas
été aperçtj. M. Paye regrette vivement qu'on n'ait point cher-
ché cette planète pendant Téclipàe , puisque , dît -il , lorsque
~ 286 —
le Soleil n'était caché qu'au 7/8, M. Von - Feilitzsch voyait,
déjà à rœil nu une étoife au zénith. Pour ma part, je ne
crois pas que M. Von-Feilitzscb ait pu apercevoir une étoile au
iénith , quand il restait encore ^/8 du Soleil , dont WoUaston
a évalué l'intensilé de la lumière, d'après des expériences sérieuses,
à 200000 millions de fols llntensité de la lumière de Sinus, étoile
la plus brillante du ciel. Du reste , pendant l'éclipsé totale du H
^ juillet, des astronomes avaient mission spéciale de rechercher la pla-
nète Vulcain, recherches qui n'ont pas élé plus heureuses que celles
faites en mars et avril dernier en Europe et dans les Observa-
toires anglais de Victoria» de Madras' et de Sydney ; soit que l'éclat
de la couronné lumineuse ait empêché de la voir, soit qu'elle fût,
au moment de l'obscurité totale, juste derrière le Soleil ; soit
enfin que M. Lescarbault ait été victime d'une de ces illusions
pour lesquelles on peut seulement dire :
it seule:
'arPhun
Errafe^humanum esk
Occultations. — Pour terminer. ce qui est relatif aux éclipses,
je crois devoir mentionner qu'une occultation de Vénus , c'est-
à-dire un passage de la Lune entre Vénus et nous a été observé
à Washington le 24 avril ^860 ; le mois suivant, c'est-à-dire le
24 mai 4860, c'est une occultation de Jupiter qui a été obsen'ée à
Saint-Fernando.
TACHES NOMBREUSES
OBSERVÉES SUR LE DISQUE SOLAIRE.
La basse température observée en Europe presque générale-
ment , pendant tout le printemps, et les temps si affreux qui,
cette* année , ont bouleversé lés côtes de la Manche , ont - ils
— 287 ^
, Quelques relations avec les taches nombreuses que l'on a observées
sur le disque solaire, et qui jamais, d'a^s M. Chacornac, n*avaiedt
encore été vues en aussi grand nombre ? Ces taches extraordinaires
sont, d'après les hypothèses généralement admises par toqs l^s as-
tronomes avant l'éclipsé du 48 juillet^ produites par des ouvertures
qui se forment à la fois, dans la photosphère ou première enve-
loppe lumineuse et gazeuse de l'astre radieux et dans Tatmosphère,
seconde enveloppe formée de nuages opaques et réfléchissants ^
ouvertures qui laissent aperccivoir le noyau obscur de l'astre radieux.
Les taches observées en 1860 «'étendaient sujr deux zones parai*
lèles à l'Equateur solaire et renfermant 40 à 42 groupes contCi-
nant 60 taches environnées chacune d'une seule pénombre.
Quelques-unes de ces taches étaient formées de deux ou trois
autres enveloppées d'une môme pénombre.
D'après M. Chacornac un groupejde tachei s'étendant le 26
juin, sur une longueur d'environ le H^ du rayon solaire, c'est-à*
dire sur une longueur égale à 22 fois le rayon de la Terre ,
occupait trois jours après une étendue de 26 fois environ le
rayon terrestre , c'est-à-dire avait augmenté en trois jours de
6,400 lieues. On peut donc s'imaginer à quels bouleversements
les enveloppes du Soleil sont sujettes.
Le révérend Père Secchi qui, à l'exemple de M. Schwabe, astro-
nome prussien , observe beaucoup le disque solaire , sans avoir
jamais eu l'heureuse chance d'y voir se projeter la moindre petite
planète iûtrà-mercurielle, prétend que les taches solaires produisent
un refroidissement sur la surface du Soleil, et rend ainsi conlpte
de l'observation faite par M. Gautier de Genève , que la tempé-
rature moyenne, à Paris, des années où l'on a observé beaucoup
de taches est plus basse que celle des années où l'on en a
observé un petit nombre. Cela s'accorderait assez avec la tem-
pérature inaccoutumée que nous avons éprouvée en mai et juin.
Toutefois , les résultats de M. Gautier, obtenus pour Parî9 , ne
- 288 «
koht pas iQS m^mes et m^ quelquefois jtojut ço^ûtror^ à iceuit
obteow§;'pour d*,^,uii:es . pays.
D'après les obseryations recîièiùfes p$r M. Ra^Mî ^ur l'invilatian
d' Arago, ôbservatioos qui consistent à cojwpar er le prix moyea -de
l'hectolitre de froqa^at (pri3L qui résulte de l'abOindaiMîe du grain
.ou iodirectemeiU de Ja,îeiftp#atu.re 4? rilaao^pbère) au nondiare
de Jtt^i^^e taches observées dans raaoée^ ou trouve que de
1826 a 1851, (es groupe^ d'auuées où les tâches oui été ptos
nombreuses, le pain a été plus q^r, U^ f^mpérufure moymxus uèié
^lus faible et il est tombé plus 4e pluie. Les deux dernières r^emar-
ques' se ' sont déjà réalisées pour A 860. iNous avons tout He^i de
croire que les taches signalées par JVL Cbacoruac ne iusliûeï)ont |ia3
.complètement la loi indiquée (avec réserve loMtefois) par l'illustre
Arago, et que , ainsi que l'aspect magnifique des récoltes de -186^
nous a donné ie droit de le supposer, rabondajDçe des céréales cet
Jiiver viendra f^re exceptifira cette règle, si tant q^ qu'elle e^te.
Des observations fafflf.su^ là* périodicité du mçtximugi deB
.taches solaires*, ont fait soupçonner à MJtf. Wolf et Carringt(i»
que ce phénomène est. souteis à l'influence 4es planètes.
Si les taches sont dues à de violents courants électi^iques qui
sillonnent la surface du Soleil , dans le .sens de son Equateur,
n'est-il pas en effet possible que la Terre et les planètes agissant
sur l'astre radieux comme de véritables aimants , vienjieBt modi-
fier dajQs un sens ou dans l'autre l'intensité de ces ç6iji;apts, ^et par
suite l'aspect des taches solaires.
La position des planèt.es dans l'espace doit alors avoir diB l'Âû-
fluence sur 1q .nombre ^ taches et sur leur grandeur.
M. Henshall en cherchant la loi de périodicité des taches, croit
avoir trouvé que la période du maximum est de \ \ ans \ dixiènae
et sa produit sur l'influence des conjonctions simultanées de
Mercure, Vénus et Jupiter, c'est-à-dire de leur position en regard
^^d'unç même face du Soleil II a dressé , à ce i^et , le petit
~ 289 — ;,
tableau suivant, qui montre la concordance approchée des années
relatives à ces conjonctions et ao^ina^imum de taches :
Années des eonJoocUons simultanées
de Mercqre, Vénus et Jupiur : '
Années des taches
Biaxima s
4845, 9
4846
4826, 9
.1.4B28
1838,»
!•*' '4837 ^;
4849,4
4848 ■-'
4860 , 2
4860
4874 , 2
4874 ?
w^m-
Ce serait donc vers -1 874 que devrait ^ d'après" ce tableau ,
se reproduire le prochain niaximum.
AFFAIBUSSEMENT DE LÀ LUMIÈRE ISOLAIBE
M. Liais a signalé un phénomène météorologique assez extraordi*
naire apparu au Brésil. C'est un afiïûbllssement de la lumière solaire
survenu le 1 1 avril dernier^sans nuage apparent et tel que Ton voyait
Vénus en plein jour. H est probable que cet affaiblissement n'était
pas dû à la partie de notre atmosphère enveloppant le. Brésil ,
car la lumière de Vénus eût dû aussi, à ce moment être affaiblie.
Un nombre considérable de taches solaires est - il apparu subi-
tement ? c'est ce que n'indique ni ne présume la note très courte
et sans détail de laquelle nous extrayons cette observation de
de M. Liais. Faisons toutefois remar|ier que, le^^ avriH860,
Vénus était à peu près en digression orientale, c'est-à-dire éloi-
gnée du Soleil d'environ 44®, et par conséquent dans des con-
ditions très bonnes pour pouvoir être aperçue en plein jour
dans une atmosphère comme celle de Rio de Janeiro , bien
que sa distance à la terre fut très grande à cette époque, ^t
-^ .290 -
OBSERVATIONS DE 9 ÉTOILES DOUBLES
PAR M. STRUVE.
M. Struve , Tinfetigable observateur des étoiles multiples , a
adressé à l'Académie Impériale de Saint-Pétersbourg ses obser-
vations discutées sur 9 étoiles doubles nouvelles.
Grâce au secours des puissants télescopes modernes, on aperçoit
une énorme quantité d'étoiles qui , paraissant simples avec des
lunettes d'un faible grossissement, se décomposent en deux,
trois, quatre et même plus d'étoiles ou éléments ayant un mou-
vement de circulation les unes autour des autres. En -1 858 , M.
Struve avait déjà catalogué 3,057 étoiles doubles. Ces astres mul-
tiples sont-ils des systèmes semblabl(is à notre système solaire ,
c'est-à-dire apercevons nous de grosses, planètes de ces mondes
si éloignés de nous , circulant autour de leur centre radieux ,
ou bien sont ce des Soleils qui tournent autour de leur centre
de gravité commun , en obéissant aux lois générales de la gra-
vitation , ainsi que l'observation et le calcul l'ont démontré ?
C'est ce que la science n'a pas encore complètement décidé.
Toutefois , cette dernière hypothèse semble la plus rationnelle ,
car ces astres si éloignés ne peuvent guère être aperçus qu'à la
condition de nous envoyer de la lumière directe et non de la
lumière réfléchie.
Le mouvement de rotation de certaines de ces étoiles doubles
ou multiples autour d'un point de leur système est excessivement
rapide, car pour la 553^ du catalogue d'Argelander» par exemple,
BI. Struve a observé que le mouvement relatif de la petite
composante autour de la grande pouvait être d'environ deux
ou trois ans. Toutefois , il est à remarquer que leur distance
apparente n'est pas très grande , qu'elle a même été nulle en
7 *
- 291 —
^859^. Je crois aassi qu'il ue faut pas s'exagérer la rapidité de
ces mouvements, car pour l'étoile double a du Ceutaure, dont
la lumière met 3 ans 6 dixièmes à nous venir, la durée de
la révolution relative des deux composantes est de 78 ans ; mais
d'après la distance angulaire maximum -l2",^ qui les sépare, il est
focile de calculer que leur distance maximum e&t -égale à i 3 rayons
4 dixièmes de notre orbite, c'est-à-dire que la petite étoile nftet 78 ans
environ pour décrire une ellipse dont le demi-grand axe est 43,4
rayons de l'orbite terrestre. Or, Saturne ne met que 29 ans 4
dixièmes environ à décrire une ellipse , moins excentrique il est
vrai, mais dont le rayon cst,9,S. Pour que la vitesse de la petitg
étoile de a du Centaure fut à peu près la même que celle de
Saturne , il faudrait que la révolution, au lieu d'être de 78 ans>
ne fût que de 49 ans environ.
Pour expliquer ce phéncftnêne , qui semble incontestable , de
Soleils circulant autour d'autres Soleils, il sufQt de rappeler que,
d'après l'hypothèse de Laplace sur l'origine de notre système
solaire , hypothèse que j'ai rappelée plus haut , la Terre et les
planètes ont dû , à un âge excessivement éloigné , être dans \xn
état incandescent et électrique , c'est-à-dire lumineuses et radieu-
ses comme l'est encore aujourd'hui le Soleil. A cette époque ^
notre système, vu des régions éloignées de l'espace , devait faire
l'effet d'une étoile multiple dont les éléments circulaient autour <
de l'étoile principale.
Ces étoiles doubles ou multiples sont donc très probablement
(les Soleils en mouvement autour de leur centre de gravité, lesquels
Soleils devant, par ordre de grandeur, et par suite du refroi-
dissement, passer à l'état de planètes, en suivant les phases paE^
lesquelles notre globe a passé.
Ainsi , l'espace infini parsemé de groupes d'étoiles , groupes-
que la science désigne sous le nom de nébuleuses , contient
- 292 —
nan-seuTement des systèmes stellaires , mais aussi des systèmes
solaires qui nous semblent en voie de formation , c'est-à-dire
moins avancés que le nôtre,
A Toccasion de formation de Soleils , Je crois devoir citer la
nouvelle étoile de 6® à 7« grandeur, observée cette année par
M. Anwers dans une nébuleuse du Scorpion. Est-ce une nou-
velle élQile ten^oraîre de notre système stellaire, ou bien est-ce
on éclatant Soleil que la condensation vient de faire apparaître
dans cette nébuleuse? Dans cette hypothèse, combien de milliards
de siècles s'est il écoulé depuis la formation de ce centre radieux
qui ne nous apparaît qu'aujourd'hui I....
LES NOUVELLES ÉTOILES PERIODIQUES.
Quellfis sont donc les causes qui produisent les phénomènes
astronomiques connus sous le nom d'Étoiles changeantes ou pério-
diques î
M. Heis, à Munster, a communiqué des observations des étoiles
variables Algol, Mira et xdu Cigne. La revue scientifique le Cosmos
contient aussi, dans un de ses numéros, les résultats des obser-
vations de M. Winneck, relatives à la détermination de la durée
de périodiciié des étoiles variables nouvellement découvertes.
Parmi ces nouvelles étoiles changeantes , nous citerons S du
Taureau , dont les prochains maxima d'intensité auront lieu le
27 février -1861, le 11 mars ^862, le 22 mars -1863, le 2
avril -1 86 î ; qui disparaîtra ensuite pendant plusieurs années ,
pour ne. ftvCTiir à son maximum d'éclat qu'en ^878 }
- 293 —
V des Gémeaux , qui passe de la 42» à la 9< grandeur en 14
jours;
T du Cancer, étoile exlraordinaireuïent rouge , qui passe Ich-
temeat d'abord et rapidement ensuite de la lJ«à la 9« gran-
deur ; •
T du Lion , qui , d'après M. Chacornac . met 320 jours à
passer de la 9« à la 44« grandeur, et même qui disparaît tout-
à-fait d'après M. Winneck.
Pourquoi ces changements d'éclat , pourquoi ces périodes ,
pourquoi ces immenses phares à éclipses semés , par le grand
ouvrier, sur la route des cieux !!I
Plusieurs explications ont été données des étoiles changeantes ,
dont Omicron , de la Baleine , a été la première considérée
comme périodique par le hollandais Jean Phocylides Hol-
warda.
Bouillaud a supposé que les étoiles périodiques sont des astres
qui ne sont pas lumineux dans toute l'étendue de leur surface,
€t qui étant doués d'un mouvement de rotation, présentent suc-
cessivement à la Terre les parties obscures et les parties lumi-
neuses.
D'autres astronomes veulent que ce soit l'interposition de quel-
que corps opaque entre l'astre et nous qui détermine ces éclipses
successives. Maupertuisa supposé que ces étoiles variables devaient
avoir la forme d'une meule très aplatie, et que ces astres en pré-
sentant successivement à la Terre la tranche ou la large surface ,
déterminaient ces changements d'éclat. On ne comprend pas
d'après quelle loi l'astre pourrait tourner autour d'un axe situé
dans le plan de son Equateur.
Enfln , Arago , d'après les observations de M. Hind , émet
l'opinion que les variations des étoiles périodiques sont peut-être
dues à, l'interposition entre l'étoile et nous de grands nuages
- 29i -
cosmiques circulant autour de Fasfre comme les planètes de noire
système circulent autour de notre Soleil; ces grands nuage»
cosmiques seraient alors des planètes en voie de formation. Les
étoiles variables ne seraient - eljes pas plutôt des Soleils plus
avancés que le nôtre dans la voie du refroîdfôsement, et qui,
comme la mèche de la lampe qui s'éteint « jettent les éclats
sinistres qui annoncent leur fin prochaine?....
EDH09ID DUBOIS.
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PROCÈS
D'ALEXANDRE GORDON
ESPION ANGLAIS
DÉCAPITÉ A BREST EN 1769.
La paix de -1763, qui avait tant affaibli la puissance maritime
et coloniale de la France , n'avait, pas satisfait TAngleterre. Le
moindre effort tenté par le ministère Choiseul pour réparer les
maux de la guerre de Sept ans devenait , pour le gouvernement
anglais , un sujet d* envie. Nous empôoher à tout prix , et par
lous les moyens , quels qu'ils fussent, de nous relever de notre
déchéance momentanée , telle élait sa préoccupation constante.
Nos ports, celui de Brest surtout, étaient Tobjel d*uû espionnage
incessant. Maintes fois déjà , Ton s'était abstenu de sévir contre
des émissaires dont les projets , les actes môme , démontraient
les plus coupables intentions, et toujours on s'était contenté du
désaveu des ministres anglais. Prenant cette mansuétude pour de
-_ ■296 —
la faibtesse ou de l'impuissance , ils ne tenaient aucun compte
de l'indulgence des ministres de Louis XV. Un exemple devenait
donc nécessaire si , au mépris de la paix et de la foi jurée , le
cabinet de Saint-James :cQntinuait ses manœuvres déloyales. C'est
ce qui eut lieu en -1769. Le gouvernement français nwt alors un
terme à sa générosité méconnue ou dédaignée, en sévissant con-
tre un agent de lord Harcourt .^ . ambassadeur d'Angleterre à
Paris. Cet agent , dont la jeunesse et les qualités personnelles
éveillèrent des sympatbîes qui durent céder à la raison d'État,
était un jeune officier de 21 ans ; nommé Alexandre Gordon de
Wardhouse. '
On a bien souvent , nous le savons , contesté , nié même sa
culpabilité. Il aurait, a-t-on dit et répété, été sacrifié au ressen-
timent de M. l'intendant de Clugny (4), soit parce qu'il lui aurait
enlevé une maîtresse , soit parce qu'il aurait , avec plus ou
moins de succès , fait la cour à la femme de ce haut fonction-
naire , comme si , pendant les vingt-sept jours que Gordon passa
à Brest, il lui eût été possible de mener à bonne fin une intrigue
de cette nature , qu'auraient d'ailleurs fait avorter ses- relations
publiques avec des femmes d'un autre ordre !
Autre variante. M* G. ViHeneuve ( Itinéraire descriptif du dépar-
tement du Finistère, p, 122), représente Gordon conraie sacrifié,
(1) Jean-É tienne Bernard de Clugny, chevalier, baron de Nuis, cott-
seiller du Roi en ses conseils, maître des requêtes ordinaire de son hôlel,
conseiller honoraire au Parlement d» Bourgogne, intendant de justice,
police et finances de la marine en Bretagne et des armées navales , suc-
céda k Turgol, comme contrôleur général des finances, au mois de mai
d776. Pendant sa courte administration , calquée sur celle de l'abbé
Terray, il ne respecta qu'une seule des mesures de son prédécesseur,
rétablissement d'une eaîsse d'escompte. En revanche, il attacha son nom
à une création fort opposée à tous les principes qui avaient dominé sous
le ministère précédent, la fusion , sous le titre de Loterie de France , de
plusieurs loteries qui avaient été instilnêes ou qu'on tolérait sous prétexte
de bienfaisances Son insuftîsance était devenue si notoire que , moins de
six mois après son entrée en fonctions , on s'occupait de lui choisir un
successeur, lorsqu'il mourut à Versailles le 18 octobre 1736.
— a97 —
st>us le \ain prétexte d'un espionnage ridicule .et inutiJI^ » à 4lne
intrigue de cour conduite par la concubine royale de Vépoque*
On ne s'aitendalt guère
A voir la Du Barry paraître en.cçUe affaire.
Écoutez une dernière version^ qui n'est du reste que Je corn*
gîément des précédentes. On. vous dira que des juges com-
plaisants , gagnés à prix d^argent , . ou séduits par Tappât de
récompenses honorifiques, se fireat les odieux instruments d'une
vengeance privée. Ces bruits ^e. ruelle, ces accusations de simonia
judiciaire tombent, nous le verrons, devant l'irrécusable évidence
des faits, confirmés, s'il était besoin , par !es aveux explicites
€t réitérés de Cordon. Rien en effet , dans la procédure , ne
révèle» même indirectement, le moindre indice d'animosité contre
cet accusé qui, comme il le constata lui-même au moment
supr^e , fut , pendant sa captivité , l'objet de tous les soins ,
cle toutes les, attentions compatibles avec sa situation*
Quoi qu'il en soit ^ ses juges sont frappés de réprobation^ et
le moins épargné est M. de Glugny. A cela, rien de surprenant»
Il fut tout à la fois provocateur et juge , et de plus» il reçut
le salaire de sa sentence* En voilàr certes p]us qn'il ne faut. Oui»
peut-être aux yeux de ceux qui ' apjprécient les faits $«ns teniir
compte des institutions et des mœurs administratives ou judiciaires
de l'époque où ils se soat accomplisl Aujourd'hui » sans doute ,
on ne comprendrait pas que eelui«qui a tendu le piège pro* '
nonçât sur le s(^ de celui qu'il y a fait tomber ; on ne com«
prendrait pas davantage qu'une récompense pécuniaire fût solU^
citée par un magistrat qui la repousserait avec indignation , si
eUe lui était offerte. Mais, en -1709, c'était tout l'opposé. La
même personne cumulait souvent des attributions administratives
et judiciaires , et nul ne trouvait surprenant quô les: juges ou
les commissaires reçussent des gratifications.
38
. Que donc la^ commisération entoure un jeune imprudent,
qu'aurait facilement pu et diOi. sauver celur qui le précipita daos
Fabîme ; que la peine qu'il subit soit trouvée hors de proportion
avec sa faute ; qu'on regrette que M. de Clugny n'ait obéi qu'à
la froide raison et n'ait pas partagé les sentiments de M. de
Roquefeuil , nous le concédons sans hésiter. Mais que la pitié
puisse, au détriment des ji^ges , "transformer en innocent un
coupable iivéré , c'est ce ^Oe ^Ol n'admettra , nous en sommes
convaincu, quand nou^ aufons écarté le voile qui, jusqu'à ce
jour, a enveloppé cette .ténébreuse affaire.
Issu d'une des meilleures familles d'Ecosse, alliée aux premiè-
res maisons d'Angleterre ,' Gordon . était • encore en bas - âge ,
lorsqu'il perdit son père, qui ne laissa qu'une fortune médiocre.
Quand il eut terminé ses études, sa mère, mislress Smith, lui obtint
un brevet d'enseigne dans le 49« régiment d'infanterie. Devenu
promptemeiit lieutenant , et se trouvant en garnison à Cork , en
Irlande , il fut compromis , ainsi que plusieurs autres ofiBders ,
dans une rixe avec des . artisans , rixe où un boucher fut tué
à coups d'épée. Le retentissement qu'eut cette affaire l'obligea
à s'expatrier et à s'embarquer furtivement sur un bâtiment
march^^nd irlandais qui aborda à la Rochelle , au mois de sep-
tembre 4V67. Il avait perdu son emploi, mais ses parents ne
l'avaient pas abandonné. Ils l'avaieùt même tout particulièrement
recommandé à M. Lutter, riche négociant anglais, établi à Saint-
Martin de Ré, qui l'accueillit cordialement et lui donna l'hospi-
talité lorsqu'il passa de la Rochelle dans cette île. Pendant neuf
mois il séjourna tantôt dans ces deux localités , tantôt à Roche-
fort , et partout il se fit remarquer par une cionduîte qui
n'éveilla aucun soupçon , fréquentant la bonne compagnie, celle
surtout de M. le bailli d'Aulan , qui l'invita souvent à dîner.
Toutefois , dans l'intervalle , il fit à Nantes un voyage qui
coïncida à peu près avec celui qu'un autre anglais, M. Saxton,
- 2^ -
fit à Vannes, où il fut arrêté. Gordon poussa ensuite ju6^*à
Ancenis, Celte excursion terminée, -r- on n*en sut jamais le
vrai motif , '— il revint à l'île de Ré, qu'il quitta définitivement,
au mois de novembre -176^, pour se rendï*^ à Paris. A son
passage à Poitiers , il y fit la rencohtfe ' d*iln jeune ' homme de
21 ans, nommé Jean-Antoine Dlirand, né à Douelle, en Ouercy,
où son père exerçait la profnssioa '.de* chirurgien. Lui-même
venait d*étre reçu docteur par la Faculté de Montpellier qui ,
en lui délivrant son diplôme ,raVâ!t piipposé aux -autres étu-
diants comme un modèle -de^ sagesse et de talent. Il allait à
Paris avec Tespoir de trouver à s'y crmployer comme précepteur
par Tentremise de Tua de ses oncles, supérieur des lazaristes.
A leur arrivée à Paria , les deux jeunes gens se séparèrent
pour aller loger, Gardon dans Un hôtel garni , Durand dans une
pension bourgeoise ; mais la liaison qu'ils avaient ébauchée en
roule les conduisit à se revoir souvent.
Gordon ne tarda pas à obtenu' d'être reçu par lord Harcourl,
à qui il se préseota muni de lettres de recommandation qu'il
s'était fait expédier d'Ecosse. L'ambassadeur l'accueillit avec
bonté , l'admit plusieurs fois à sa table , lui ' fit des offres de
services, et lui promit de s'interposer pour que son < affaire
d'Irlande s'arrangeât et qu'il pût rentrer au service.
Au bout de trois ou quatre mois de §^our à Paris, Gordon,
à qui l'argent commençait à manquer , se décida à se retirer
à Saint-Germain pour y attendre le résultat des démarches de
lord Harcourt qui avait approuvé son éloignement momentané
de Paris. Mais , à quelques jours de là , il fut mandé par le
premier secrétaire de l'ambassade britannique , et à son entrée
dans le cabinet de lord Harcourt , il le trouva feuilletant un
atlas hydrographique. Apres quelques mots de conversation, ce
dernier lui proposa d'aller visiter les ports de Prancé*. notam-
ment celui de Brest , afin de s'y procurer defe détails exacts et
— 300 —
circonstanciés sur le nombre des vaisseaux , leur état , rftnpor-
tance des approvisionnements et l'effectif des marins et ouvriers
employés au service dé la marine.
Aux prises avec le besoin et séduit par Tappât des récom-
penses qui liiï étaient promises pour prix des immenses services
qu'il rendrait à son pays. , Oordon accepta ; mais le défaut
d'argent , objecta-t-il , rémp^chait de remplir sa mîssîoii. Cette
difficulté fut bientôt levée. Lord Harcourt lui procura une lettre
de crédit de 4,800 livres sur M. Panchaud, banquier à Paris,
qui lui fournit les fonds nécessaires à son voyage , et lui
ouvrit en outre un crédit de 800 livres sterling sur divers négo-
cîatrts des villes marilimes de Normandie et de Bretagne. Pos-
sesseur de ces moyens d'action , Gordon proposa à Durand de
l'accompagner. « Je vous défraierai, lui dit -il, de toutes vos
dépenses de route et de séjour » Celte oiïte ayant été acceptée,
les deux ami.s partirent, à la fin de mars -1769, avec un nommé
Vincent , âgé de 22 ans , natif d'Anvers , et perruquier de pro-
fession, que Gordon avait pris à son service pendant son séjour
à La Rochelle.
Les quelques jours que les deux amis passèrent à Rouen ,
leur première station , ils les employèrent à se renseigner sur
les diverses branches de commerce de cette ville. De Rouen, il»
se rendirent au Ravre. On y armait la frégate' la Blanche , des-
tinée pour les colonies. Ce fut une bonne fortune pour Gordon.
Ses manières distinguées lui facilitèrent les moyens de se mettre en
rapport avec quelques jeunes officiers et gardes de la marine qui
devaient s'embarquer sur cette frégate , et qui ne firent aucune
difficulté de lui donner, pour leurs camarades de Brest, des lettres
d'introduction dont il comptait bien user pour obtenir des ren-
seignements utiles au succès de sa mission. Il se lia en outre ,
au Havre , avec un interprète anglais , nomnïé Carmlchaêl , de
qui , après son départ, il reçut des mémoires sur le comiBcrc«
- 301 —
et la marine de ce port , mérAoires qui donnèrent lieu ; plus
tard , à l'arrestation de celui qui les avait envoj^és.
Gordon et son complice gagnèrent ensuite Caen ; là ils se
séparèrent, et Durand se rendit à. Brest pour préparer les voies.
Il y vint à deux reprises.. Descendu la: première fois, le ^3
avril au soir, à Thôlel da.Grand-Tûrc, tenu par la femme Cariou,
il donna pour prétexte de son yoyage le désir de voir l'Hôpital
de la marine , de s'assurer de la manière dont le service s'y
faisait, et d'y remplacer M. Savary. Mîfis, dans la matinée du
lendemain , il quitta la'viUe en- toute hâte , et sans avoir eu de
communication avec personne , aÛn d'aller à la recherche de
sept ou huit louis qu'il disait avoir perdus à Saint -Thégonec ,
ce qui semblait le contrarier fort. Revenu presque immédiate*
ment , il alla loger, cette fois , à l'hôtel du Grand - Monarque ,
tenu par la femme Herber , et repartit , au bout de cinq à six
jours , pour Saint - Malo , où Gordon le rejoignit. Munis d'un
laissez passer de M. Scott, lieutenant de roi dans cette ville , ils
visitèrent pendant près de quinze jours , non • seulement Saint-
Malo , mais le fort de la Conchée , Saint-Servan, Cancale , Saint-
Cast, etc., prenant, sur tout ce qu'ils trouvaient digne de remarque,
des notes qu'ils mettaient en ordre à leur rentrée à l'auberge ,
et qui , développées généralement par Durand, étaient ensuite
déposées dans une des malles de Gordon, que ce dernier, en se
séparant de nouveau de son ami , le chargea de remettre à
Nantes, chez M. Parck, négociant, sur lequel il avait une lettre
de crédit. Durand , toujours défrayé par Gordon, gagna Nantes,
où leur rendez-vous était assigné pour la fin de mai ou les
premiers jouî^s de juin , et Gordon se dirigea sur Brest. A son
entrée dans la ville, il recommanda à son postillon , qui voulait
le faire descendre à la première auberge, de le conduire sur la
place Médisance , chez le sieur François-Benjamin Bordier, hor-
loger, à qui Durand avait retenu pour lui deux chambres au
prix de 30 livres par mois.
A peine descendu de voiture, Gordon se mit en rapport avec
les jeunes officiers et les gardes pour lesquels il avait emporté
du Havre des lettres de recommandation. Elles étaient si flat-
teuses que tous le comblèrent de prévenances. Dans l'après-midi,
Tun d'eux , M. Doyennard , alla chez M. de Kersauson de
Goasmelquin , garde comme lui , et le pria de raccompagner
chez Gordon , auquel il allait- rendre sa visite. Il était quatre
heures de l'après-midi. Ils le; trouvèrent en veste, écrivant ou
faisant de la musique.. Aprèsi^ S'être habillé , il pria les deux
visiteurs de le présenter à' MM.Més Commandants. M. de Ker-
sauson le conduisit immédiatement chez M. d'Argens, gouver-
neur de la ville et du château , et de Jà chez M. de Rosily,
commandant de la marine ; par intérim , en Tabsence de M. le
comte de Roquefeuil. Ils se promenèrent ensuite sur le Champ-
de Bataille, puis allèrent au café, où ils restèrent jusqu'à Theure
du spectacle (4), à l'issue duquel ils se rendirent à l'auberge
de la dame Férée , où Gordon avait invité MM. de Kersauson
et Doyennard à souper. Mais comme Gordon n'avait pas recom-
mandé de repas , il n'y avait rien de prêt pour lui et ses deux
convives. Alors plusieurs des camarades de M. de Kersauson ,
qui mangeaient à la même auberge , firent proposer à Gordon
(i) Dans une lettre j datée du 4 mai 1769, Gordon rend compte en ces
termes de remploi de sa soirée :
« Je fus au café qui a été bâti par Sa Majestt^, Elle {sic) consiste en deux
beaux appartemens , un au rez-de-chaussée et Taulre au premier, destiné
pour jouer aux cartes. J*y vis au moins 50 officiers U jouer, plusieurs des-
quels s*y ruinent, ce qu'on devrait deffendre.
De là à la comédie , qui est sans exception une des plus belles de
France et ressemble beaucoup k la maison de Topera , au marché à foin
à Londres. Il y a deux grandes fautes dans ses proportions. Les lojressonl
trop hautes.. Le théâtre , qui est d'une largeur immense , n*est point dis-
tribué pour donner ce point de vue qui fait voir distinctement les acteurs.
L'amphilKéàlre n'est pas à 50 pieds du théâtre, et Ton y perd la moitié. »
- 303 -r^
de partager leur souper^ ce qu'il accepta aiiisi que ses deux
compagnons. De ce moment s'établirent des relations intimes entre
tous les convives, qui , pendant le séjour de Gordon, lui firent
des visites et le traitèrent à Tenvi les uns des autres.
Dans la matinée du lendemain , M. de Kèrsauson conduisit
Gordon chez les Commandants de terre et de mer et chez les
diverses autorités. Ils laissèrent leurs cartes chez M. de Rosily
qui , comme la veille , n'était pas à son hôtel. De là , ils allè-
rent chez M. de Clugny^ qu'ils - ne trouvèrent pas davantage ;
Gordon s'inscrivit chez le suisse^.. Entrés ensuite dans le port
par la grille de l'Intendance , . ils passèrent devant les magasins
du port, visitèrent une des salles du bagne, déposèrent leurs
cartes chez M. Dîgot, directeur des fortifications, et revinrent
dîner à la pension de M. de Kersauson,
La visite que Gordon . avait faite au port était loin de lui
suffire. Aussi demanda-t-il à M. de Rosily la permission de le
voir plus en détail. Elle lui fut refusée. Sur ces eùtrefaites arriva
M. de Roquefeuil. Gordon renouvela sa demande, que lui accorda
cet officier général, en ne lui délivrant néanmoins de permis que
pour un jour de fête, et en le faisant de plus accompagner par
M. de Ribiers , enseigne de vaisseau. M. de Roquefeuil n'avait
pas cru devoir faire davantage , quoique Gordon lui eût remis,
ou peut-être parce qu'il lui avait remis la lettre suivante de lord
Harcourt.
Milord Harcourt à M. le comte de Roquefeuil,
A Ph^lel d^ Grimbcrgaen, le 14 cle may 1769.
Monsieur,
Si M. Gordon de Wardhouse, lieutenant au 49* régiment
d'infanterie , m'eût , avant son départ pour les provinces, com-
muniqué son dessein de passer à Brest, j'aurois sans difficulté
trouvé des recommandations pour luy procurer l'honneur d'être
— 304 —
connu de vous ,. précaution très nécessaire aux étrangers qui
vont visiter des places (Je; guerre. Mais comme il ne s*est pas
muni des lettres nécessaires, et qu'il n'a pas même pris la pré-
caution d'avoir un passeport., vous m'excuserez si je prens la
lib0é de luy en envoyer i)ia sous votre couvert, pour qu'il puisse
s'en servir pour le reste de son voyage dans les provinces. Je
dois partir bientôt pour T Angleterre pour y passer deux ou trois
mois. Si j'y puis vous être utile à quelque chose, vous me
ferez grand plaisir. Monsieur, de me mettre dans le cas de vous
marquer toute ma reconnaissance de la peine quQ je vous donné.
J'ai l'honneur d'être avec la plus grande considération et estime,
votre très humble et très obéissant serviteur,
HARCOURT.
En même temps qu'il déduisit au Ministre les raisons qui
Tavaient déterminé à ne permettre à Cordon de voir dans le port
que ce qu'il aurait pu en voir de la ville même, M. de Roque-
feuil répondit en ces termes à lord Harcourt :
Monsieur,
Je viens de recevoir la lettre que Votre Excellence m'a liait
l'honneur de m'écrire en recommandation de M. Gordon de
Wardhouse , et je viens de luy remettre le passeport que Je
reçois pour luy en même temps. La recommandation de Votre
Excellence suffit certainement pour que je fasse à M. Gordon
toutes les honnestelé {sic} qui peuvent deppendre de moy, mais
pour satisfaire entièrement sa curiosité à Tégard du port, j'aurois
désiré que Votre Excellence en eût dit un mot à M. le duc de
Praslin, ministre de la marine , qui m'auroit accordé à moi'-méme
toute liberté là -dessus. Je ne scay si M, Gordon séjournera
assez pour que j'obtienne réponse de M. le duc de Praslin à
— 30S —
son sujet ; mais , en attendant , je luy accorderay icy et dans
la \ille toutes les facilités et liberté qui sont en mon pouvoir,
charmé d'avoir cette occasion de montrer à Votre Excellence , etc.
Dans le régiment de Béarn , alors en garnison à Brest , sa
trouvait un soldat nommé François Dauvaîs , qu'çn laissait vendre^
des cartes ou tableaux indiquant, tant bien que mal, le nombre et
la force des vaisseaux des diverses puissances maritimes de TEurope,
L'hiver précédent, il en avait vendu à' plusieurs officiers. Ayant
appris que Gordon payait largement, et qu'il pourrai bien lui
acheter des exemplaires de ces caries , il alla lui en proposer.
Gordon saisit avec empressement celte proposition, et acheta tout
ce qui lai fut présenté. Ensuite il questionna le soldat sur la
manière dont il s'était procuré ces cartes , sur les liaisons qu'il
avait dans le port t et sur les renseignements qu'il pourrait lui
faire obtenir. Dauvals, voyant à qui il avait affaire, se fit valoir.
Il assura qu'en 4767, comme secrétaire de M. de la Rozîère , il
avait aidé cet officier général à lever les plans des côtes ainsi
que des batteries, et qu'A devait encore être employé prochai-
nement à de semblables travaux. Il termina en promettant à
Gordon de lui fournir tou3 les documents qu'il pourrait désirer.
€e dernier lui donna alors ses instructions, et peu de jours
après y Dauvais lui remit trois mémoires ou états concernant les
ateliers du port , le nombre des ouvriers répartis dans chacun
d'eux , leurs salaires , les magasins , les approvisionnements.
Pour prix de cette remise , il reçut douze louis d'or ^ dont il
donna quittance (29 mai -1769).
C'était quelque chose sans doute que de posséder ces rensei-
gnements , mais Gordon ne voulait pas s'en tenir là. Il voulait
que chaque mois Dauvais lui en fournit de semblables. Il était
si généreux que le soldat n'avait rien à lui refuser I Aussi celui*
ci ne fit il aucune difficulté de souscrire l'engagement autographe
3i
■y- •»••_ 306 —
qui Fui étaît demandé et en échange duquel Gordon s'obligea ,
,^ non sçulement à M procurer tous les moyens pécuniaires de
le remplir, maSs encàrô à (iji faire obtenir son congé absolu.
Dauvais qui n'aurait pas été fâché , si c'eût été possible , de
(Jouliler son re\'ena inespéré;, laissa entrevoir \q besoin qu'il
'aurait d'un auxiliaire ayûnt un pied dans les bureaux du port.
.,JLe consentement de tfôrdtin loi aurait suffi; il aurait, à \m
«seul fait d'une façon telle quelle la besogne de deux , et doublé
* ainsi son salaire. ' .-- .
Gordon ne l'entendait pa* ainsi. Quelque léger qu'il fût , îl
n'était pas sans reconnaître que ces renseignements devaient être
puisés à des sources pltt$ sûros , et que pour être assoré de la
complète exactitude des documents qui lui seraient l*\Té3 , S
fallait qu'il les tînt d'un autre que Dauvais ; mais ce n'était pas
45hose fhcile , parce qu'il y avait là danger d'être découvert.
Toutefois, il crut avoir trouvé le moyen d'y parvenir par l'inter-
médiaire d'un nommé Roger Omnès , maître d'écriture , avec
lequel il 'se trouvait en rapport. Voici à quelle occasion. Dans
une de ses visites à M. de Kersauson , ayant remarqué sur la
table de ce garde un cahier manuscrit contenant les instructions
d'un lieutenant en pied embarqué , il avait demandé à Rempor-
ter pour le lirei M. de Kersauson avait refusé en alléguant le
peu d'importance de ce document. « Je l'emporte, avait répliqué
Gordon en riant. » Son interlocuteur qui regardait cette instruc-
tion comme absolument sans valeur pour l'officier écossais',
n'avait pas insisté et l'avait laissé 'faire. Gordon s'était aussitôt
mis en quête d'un copiste qui j>ût la transcrire , et sur rinâi«>
cation de la femme d'un serrurier nommé Alexandre, il avait
(-18 mai) fait venir Omnès, à qui il avait donné des travaux
qui l'occupèrent dix jours , dans l'intervalle desquels il alla
à plusieurs reprises prendre les copies fUites et en remettre de
nouvelles. Le 29, il envoya de nouveau chordief Omnès, causa
_ 30Î --*• <<
amicalement avec lui et arriva peu à.pen i lui faire (les ques-
tions sur sa situation domestique. Les r^onses â*Omiiès pïu*urent
toudier Gordon, qui lui dit alors que s'ij voulah hif rendre U0^
éervioe qui exigeait le secret, il hii assurewit no sorthonnôtei
Conune celui auquel il s'adressait protestait de soft désir de
mériter son estime, Gordon ajouta qVil s'agissait de lui procurer .^
UB pian de Brest et des renseignemeot5^urtout eo qui pouvait con*
eerner le port ainsi que les côjtes de Bretagne. Quoique troublô.,
par cette propoâilion étrange et înattendue , Omoès , comme i«
eo convint plus tard, ne \ïïr rejeta pas. Il parut môme Taocepteri ,
et peut-être Veût-il fait si, en sortant de chez Gordon, il o'avail
raconté son entrevue à Julien Lemonnier, exempt de la prévôté
de la. marine, qu'il connaissait ilej^uis longrten^. Après avoir
réf^hi un instant , Lemoimier corfôeiila à son confident de ne
pas rompre en visière à Gordon, mais de ne hasarder ni paroles
ni écrits qui pussent le compromettre personnellement. « Conti*
nuez à le voir, ajouta-t il, et moi, de mon côté, je rendrai compte
à M. rintendant de la marine des propositions qui vous ontp^été
ou qui vous seront faites. • C'est ce qui eut lieu de part et
d'autre. Omnès retourna dans la soirée chez Gordon , qui lui
promit 40 livres par mois pour prix de «es services, et lui offrît
de signer un engagement réciproque. Omnès fil d'abord quelques
diCQcullés ; mais^ sur l'assurance que lui avait déjà donnée Lomon-
nier que M. de Clugny était au courant.de tout, et qu'il pouvait
marcher en toute sécurité , il feignit de se laisser gagner par les
huit louis qui lui furent glissés dans la main , et souscrivit le
traité dpmandé^ Gordon fit ensuite observer qu'il serait essentiel
de mettre dans leurs intérêts le premier commis de M. Flnten- ^
dant. « C'est difficile , répondit Omnès ; j'essaierai pobrtant et
ferai de mon mieux. » il retourna immédiatement chez Lemon-
nîer qui, de son côté, alla faire connaître à M. de Clugny l'état*
des choses. L'Intendant prescrivit alors à LemonnicT de s'affubler,
-^ 308 -
du fftre de son premier commis, et il fui intimé à Omnès d'atter
donner à Gordon Fassuranec que M. de la Ville -Deffaut (c'était
le nom que devait prendre Texcmpt) était gagné e1 viendrait le
trouver le lendemain, 30 mai, a huit heures du soir, chez lui
Omnès , qui donna sur le champ avis de l'adhésion de Gordon
à Lemonnier. Ce dernier alla incontinent faire son rapport à
M. de Clugny. Extrayons de celui qull rédigea plus tard sur
Tensemble de sa mission, le récit, de ce qui $e passa dans la
soirée du 30 mai. Malgré certaines exagérations de détails, natu-
relles chez un liorame intéressé à exalter ses SCTvices , qui furent
d'ailleurs réels, ce document mérite une entière conflance, puis-
qu'il est la reproduction fidèle , dans ce qu'elles ont d'essentiel,
des dépositions de Lemonnier et d' Omnès, dépositions que Gordon
reconnut exactes, sauf ce qui concernait l'immixtion, dans cette
affaire , de lord Harcourt , que l'infortuné et généreux jeune
homme voulait sauvegarder.
« Rendu chez M. le comte de Roquefeuîl , qui donnoit ce
jour-là à dîner au sieur Gordon , je demandai M. de Clugny,
dit Lemonnier. Un valet 4e chambre l'avertît , et nous fûmes
dans un endroit séparé ou j'expliquai ce que dessus. M. de Clugny
m'ordonna de veiller à cette affaire, et que j'eusse à ne point perdre
de vue ledit sieur Gordon, ou de mettre quelqu'un à ma main pour
veiller sur ses démarches , dans le peu d'intervalle où j'aurois été
obligé de le quitter pour faire mes rapports. Je promis à M. de Clugny
que je veillerois seul sur la conduite dudit sieur Gordon , et que je
m'absenterois le moins que je pourrois de luy. Pour y parvenir, je
me travestis en bourgeois, ayant mis une- mouche sur l'œil gauche,
et sous le nom de La Ville - Deffaut , premier secrétaire de
M. de Clugny, je me rendis chez M. de Gordon. Après les com-
pliments ordinaires , il me demanda mon âge et ce que j'avoîs
fait pendant ma jeunesse. Je lui répondis que j'avois servi le
- 309 -
Roy dans le régiment de Marbeuf-dragoos ^ mais que commet le
régiment avoit été supprimé, j'aToîa subi le môme sort qu^ tous
les officiers ; qu'ensuite , pour vivre honorableAient , je m'élois
adonné aux bureaux. M. de Gordon me dit : <i Vous parottrez peut-
être surpris de ce que je vous fais toutes ces questions , mais
c*est que je crains que vous ne soyez un homme à la main de
M. de Clugny et des Généraux , que vous ne soyez venu ici
à dessin de me tromper, d'arracher mon secret et de me déclarer ^
ensuite. » Je donnai au sieur Gordon des assurances du con-
traire , et je lui fis croire h un mécontentement de ma patrie,
et que la réforme que je venois d'essuyer me metloit bien mal
à mon aise. Il me répliqua : « Eh ! bled, monsieur, vous m'avez
Tâir d'un galant homme. Si vous voulez me servir d'espion dans ce •
pays, en me donnant connaissance de toute la coste de Bretagne
depuis Saint-Malo jusqu'à Lorlent, et les endroits favorables à faire
descente, je vous assure une fortune pour vous et pour les vôtres. »
Je lui fis connaître toute la délicatesse d'un pareil procédé ;
que sa position était bien différente de la mieime ; qu*il cher*
chait à servir sa patrie et qu'il m'engageait à trahir la mienne.
Il me regarda d'un air de pitié, en me disant qu'il ne falloit pas
avoir l'âme si délicate, et que quand la fortune nous favorisoit,
il falloit en profiter. Je lui donnai toute assurance et lui dis
que j'allois réfléchir aux propositions qu'il me faisoit. Je deman-
dai à M, de Gordon quatre à cinq heures de réflexions , que
j'employai à rendre compte à mes généraux de ce qui se passoit
entre ce monsieur et moy. Le temps expiré , je revins joindre
M. de Gordon , et je l'assurai que j'étois déterminé à faire tout
ce qu'il voudroit^ Ledit sieur Gordon voyaùt ma résolution à
faire tout ce qu'il exigeoit de moy, me marqua un contentement
inexprimable en me serrant la main et me disant : « Mon cher
de La Ville , je vous ai dit que quand on nous adressoit la
fortune , il fallait la recevoir. » Il m'ouvrit alors, son âme, en
-^ 31Ô -
îne dUant que si ses projets réussissoieilt , il eût été élevé aa
suprême degré eu Angl^erre par le service qu'il se proposoit de
rendre à sa patrie. Or, voici \t& .deœandes qu'il me fit ; seavoir
combien nous avions de boi^ de construetioa dans notre porl^
ou ledit bois éloit placé ;. combien de m&lures ; combien de vais*
seaux , de gréements ; combien il y avoit de viv^reg dans dos
magasins; combien d'ouvriers dans le i^rt , et comblai (k
troupes ef&ctives du déparlement et au?^ enviroois.^ à combien
j'estimois la quantité de sold^"» gardes eoste&r attendu que les
Anglais y selon lui » les craigrw)i^t A>etimo<iip , et qiïe c'est ei»
SQi-4isant qui leur avoient fait perdre beauc^A^ de monde et
manquer leur coup à Saînt-Cùst.. :
Comme au rapport du sieur G^ràoïi , V intention de la cour
britannique étoit de venir à une nouvelle tentative et de foire
une descente à Brest , le(iit sieur Ci€frdon m'a assuré qu'os for-
moit actuellement en Angleterre te. projet ée détruire ce port,
de le combler, de brûler les bâtiments et les magasins. Il me
disoit encore que moyennant mon secours , il viendroU à bout
d'en faciliter Tcxécution, pourvu que je fusse régulier à lui readre
compte des différents mouvements qui se passeroient icy. Je
l'assurai dans sa croyance et frémis à sa proposition. Je ne scay
comment [} ne s'aperçut pas que je changeai de couleur. Je fus
obligé de porter la main droite au front en m'agit^ii dans tous
les sensy pour qu*il ne s'aperçoivent {sic} pas de mon trouble.
Étant strr de sa capture , je laissai à ses Mées unfe entière
liberté. Je quittai M. de Gordon sur les dix heures et demie ou
onze heures du soir avec promesse de nous rejoindre le lende-
main , au coup de neuf heures du soir.
Je fus derechef rendre compte à nos Généraux de ce qui s'étoit
passé entre M. de Gordon et moy, et M. l'Iatendant m'ordwtf»
de consentir à tout ce qu'il exigeroit de moy pour le confondre
dans ses projets. Voici le résultat du 30- may. »
-- 5)1 -^
Le rapport que Lemonnler élàii venu faire à Bf* de Clugny
pendant que ce dernier et Gordon dînaient chez M. de Uoque-
iéuiX , des&illa les yeux à cet officier général. Jusque-îà^ trompé
par les apparences , il n'avait vu dans le jeune Anglais qu*ua
écervelé, uniquement occupé de ses plaisirs ; et, bien que M. de
Clugny lui eût dit ne pas partager sa confiance , qu'il lui eût
même déclaré qull faisait activement surveiller Gordon , il se
refusait à voir un conspirateur sérieux. dans celuî qu*oo reocoa-
troit dans tous les bals, dans toutes les soirées et qui passoit
le reste du temps dans les cafés ou avec des femmes de mœurs
plus que suspectes. Aussi, tout ep rèconnais^ot que les mauvai-
ses intentions de Gordon étaient évidentes, inclinaît-H à ce qu'oa
le laissât s'éloigner, par les motifs déduits dans la lettre suivante^
qu'il écrivit , le lendemain matin , au Ministre de la marine :
« Monseigneur,
J'ai eu l'honneur de vous parler d'un M. Gordon , offlder
aillais, au sujet duquel je vous ay envoyé une lettre de mylord
flarcourt. Sur les connaissances que^je viens d'avoir de la con-
duite dudit^M. Gordon, je me trouve assez perplexe sur celle
que j'ay à tenir. Nous voyons manifestement, M. de Clugny et moy,
que cet officier anglais est un homme malintentionnée qui n'est
icy que pour se négocier quelque espîonage. M. de Clugny vous
marquera la certitude que nous en avons , et se trouve d avis
en conséquence que je fasse arrêter ledit sieur Gordon avant
son départ d'icy qui doit être demain ou après-demain. J'avoue,
Monseigneur, que ce n'est pas mon sentiment jusqu'icy, puisque
cef officier ne se doute de rien et que nous sommes instruits ,
car il n'a pu prendre icy d'autres connaissances que celles que
tout étranger peut avoir sans peîne , dès que la vilte ne luy est
pas interdite , et il y en a toujours icy dans la ville et même
dans le port par la voye des bâtiments de commerce. Je ne vois
— 312 —
donc pas le bénéfice d'arrêter le sieur Gordon. Comme il ne se
méfie de rien , comme il va d^icy à Lorient , et de là retourne
encore à Rochefort et à Tile de Ré, rien ne périclite à cet égànL
Si voua jugez à propos de le faire arrêter et ses papiers qui ne
peuvent être en apparence que des informations générales,
et aussy généralement connues , j'ay trouvé qu'en temps de
paix , il ne se trouvoit pas la matière d'une procédure contre
luy et que vous aimeriez mieux tirer party de la connoissance
que nous avons de sa manœuvre pour luy faire donner en
Angleterre tels avis ou tel compte que vous jugeriez convenir
aux affaires du Roy.^Ce contrespionage peut avoir quelquefois de
très bons effets ; et enfin , Monseigneur, si je me trompois sur
vos intentions , je regarde que vous conserverez toujours les
mêmes moyens et les mêmes témoignage3 que nous avons en
ce moment, et dont M. de Clugny vous rend compte, ce qui
me retient d'un sentiment différent de lui à cet égard.
Ce M. Gordon est un jeune homme de vingt-deux ans à ce
qu'il paroît , ayant de l'esprit et de l'éducation , mais qui m'a
paru bien jeune et peu expérimenté pour ce métier-là. Je luy
ai fait honnêteté , et il dinoit encore hier chez moy, sans que
j'eusse connoissance de sa conduite, dont je ne luy auroîs cepen-
dant rien témoigné scavoir. Je luy donnerai une reconnaissance
de sagesse et n'avoir occasionné aucune plainte icy pour l'entre-
tenir dans l'ignorance de ce que pous scavons. Comme il a été
dans le port à Rochefort , j'ay permis, sur la lettre de l'ambas-
sadeur, qu'il y allât avec M de Ribiers , enseigne de vaisseau ,
sachant très bien l'anglais, et auquel je fis la leçon de le mener
seulement vers les calles de construction^ sans descendre à terre
en aucun atellier ni magasin, en sorte qu*il n'a vu du port que
ce qu*on en voit de la ville , sinon qu'il a passé plus près de^
vaisseaux et qu'il en aura vu un bel et bien entretenu.
•- 313 —
J'ay rhonneur de vous envoyer une lettre cy-Jointc que je
reçois précisément aujourd'huy de milord Harcourt » et qui me
venant à propos de rien , prouve assés (quelque adroite qu'elle
soit dans la tournure), qu'il y est pour quelque choses ou que
M. Gordon l'intéresse dans sa conduite icy. Je ne scay pas ,
Monseigneur, si notre Cour se trouve en quelque meffience
actuelle des intentions de celle d'Angleterre, et sur tout cela, je
prend seulement le parly de vous informer, sans agir de mon
chef icy. Si sous demain ou après-demain, départ de H. Gordon,
il se trouvoit quelques choses à sa conduite qui me fit penser
différemment , je suivrois Tavis de H. de Clugny, et vous en
rendrions compte après - demain 11 se dit neveu du duc de
Gordon. »
La lettre de lord Harcourt, dont il est parlé dans celle qui
précède , était ainsi conçue :
« Monsieur,
J'ay reçu l'honneur de votre lettre, et je suis bien reconnais-
sant de toutes vos honnêtetés. Si j'avois trouvé M. Praslin chez
luy, je luy aurois demandé la permission nécessaire pour voir
le port. Mais je ne lui écrirai pas pour lui épargner Ja peine
d'une réponce. Si M. de Gordon étoit officier de marine, je me
serois plus empressé à satisfaire sa curiosité. Mais, au bout du
compte , je ne sais pas s'il serait bien honneste de ma part de
demander une pareille proposition , puisqu'il arrive quelquefois
que Ton fasse grande difficulté à montrer nos ports aux étran-
gers. Voilà , Monsieur , ma délicatesse ; elle vous est due de
toutes façons pour les procédés dont vous êtes usé à l'égard
de moy et de Mons. Gordon, à qui vous aurès la bonté de faire
mes compliments, et de me croire avec le plus profond res-
pect , etc. f
40
• , / * — 314 -
" * . • ' •%
, Bans la sairée-iju 3(i njai , bous Tavo^is vu, Gordon, Lemcm-
nier et Onmès 6'éJaient donné un rendez -vous pour le lencfe-
main soir chez te (Jejrnîer, à qui Gordon avait remis 56 livres
pour payer le souper, qui s'y ferait. 11 eut lieu efifixlivement.
Le repas Iprminé , remise fut faite par ie faux de La Ville de
,toas les docttroents que , 4a veille , il s'était engage à fournir.
Mais là ne 'se terna, paa ce qui se passa dans celte soirée.
Laissons encore rLjBnionnier nous en raconter les divers incidents,
un peu amplifîéë^ vraisoniblkblement sur certains points t
• Quand j'eus replis à M. de* Gordon, dit-il, les mémoires
qu'il éxigeoit jde, moy, sa joyc et son transport lui 'firent me
promettre 2,400 livres de rente annuelle pour mon entretien
dans celte ville. Pour sûreté de ladite somme , il me contracta
un acte payable de trois mois en trois mois par lettre de change
tirée sur Benchot, banquier à Paris. Comme M. de Gordon devoil
partir le_2 juin, il fut décidé que le lendemain, ^^ juin i
nous recouperions encore ensemble, attendu que M. de Gordon
devoit m'apporter un alphabet duquel nous nous serions servi
pour nous écrire réciproquement, et dont le caractère ne seroit
visible qu'à nous deux , en me disant : a Mon cher Monsieur
de La. Ville, les 2,400 livres que je vous garantis ne sont qu'une
bagatelle, et je vous assure de plus une gratification de 24,Odd
livres de la part de* notre ambassadeur. Quand je wus àis
214,000 livres , attendez-vous à quelque chose de mieux , soit
de «a part, soitnde la mienne. » — « Enfin, il se fait laerd,
continua IJ. de Gordon ; engageons-nous par actes et écrits » ^
qui furent faits ei» présence d'Omnès , et il lai en fut con-
tracté un particulier de la somme de 480 livres par an. —
t Mon cher Omnës , ajouta M. de Gordon, je ne puis vous
payer aussi cher que l'ami de I^ Ville , attendu que vous ne
"m'êtes, pas aussi utile que luy ; mais comme je connois votre
- 315 -^ .
indigence , vous serez content, Vbns , mbnsîeur de La Ville ,
c'est à vous à me faite un acte ffengagemenl (pie je vais vous
dicter, et tequel éloit à peu près conçu 'en fces termes : t Je,
soussigné , promets ei m'engage à rendre compte à M. Gordon
de ^ Wardhouse de tous les mouvements quelconques qui se
passeront dans te port cft sur la coste, concernant le service du
Koy, et -de Tinslruire pareillement de toutes les affaires qui par-
viendront à ma connoissance pourTeiécutiôii du. projet dudit
sieur Gordon. > Il m'obligea ds signer'cet acte , que Je signai
sous le nom de La. Ville DefiEaut,' commis dès J)ureaux. M. de
- Gordon se saisit promptement des actes que nous lui avions
contractés Tun et l'autre , comptant que ses \>rojets**toîeût 'déjà
accomplis. li me fit promettre de tâcher d*o)>teifir une permis-
sion de M. de Clugny ' pour partir trois ou quatre jours après
luy et prendre les derniers arrangements avec son ambassadeur,
et recevoir la somme proposée de 24,000 livres , et que luy
alloît repasser en Angleterre communiquer à la Gour Brilanuique
les arrangements qu'il avoil pris dans sa tournée , en conséquencse
des ordres dont il éloit chargé d'engager des gens dans ses intérêts
à force d'argent , et qu'il étoit sûr de son entreprise , étant
sûr de moy et de mon intelligence ; que même il donneroît sa
tôle pour caution qu'il réussiroit d^^ns la destruction du port do
Brest , dont il évaluoit la perte à deux cent millions. M. de
Gordon m'a assuré qu'il viendroit lui-méffl£ à la tête de 35 à
Û0,000 hommes pour combler et brûler ce qu'il projetoit. Ce
méchant homme n'avoit pas bien examiné ma figure , car il -eût
dû s'apercevoir que je n'étois pas un homn^e à' vendre mon
honneur à ce prix et encore moins le bien dfe ma paitrie. Après
le coup fait, il me promit nue place dé cîJi)îtaine en Angleterre,
si toutefois je he me plaisois pas en France. Il éUiit une beure
après minuit. Nous nous quittâmes en noiis promettant foi et
ûdélité , intérieurement de servir nos patries l'un et Taiître. Ce
— 316 —
méchant , conspirant contre les Intérêts de mon Roy, ne devoH
pas^ s'attendre que j'eusse gardé un secret si odieux. Je m'aper-
çois aujourd'hui que les sentiments et Tamour de sa patrie n'ont
pas autant d'accès que la naissance. Omnès se chargea' de recon-
duire le sieur Gordon chez luy , et moy je fus chez M. de
Clugny lui porter les actes contractés entre nous , où je fis
rencontre de M. le vicomte de Choiseul , qui eut la bonté de
m*introduire lui-même dans la chambre de M. de Clugny, à qui
je remis ces actes, lui rendant - compte de tout ce qui s*étoitdit
et fait. M. le vFcomté de Choiseul fut flatté do la façon dont
j'avois travaillé , et me promit beaucoup en me disant qu'il en
eût écrit à M. le duc de Choiseul et à W le duc de Praslîn.
Il me fut ordonné par M. de Clugny d'aller chez M. le Général
lui rendre compte du traitement que je venoîs de faire et qu'il
alloit lui porter par écrit ce que je venois de lui dire wrbat-
Icment. r (1)
lemonnier se rendit donc immédiatement chez M. de Roque-
feuil. H n'y avait plus à hésiter. A l'arrivée de M. de Clugny,
qui survint peu après, il fut prescrit à l'exempt d'aller porter à
(1) Omacs, dans ses dépositions, confirma les dires de Lemoniiier. Il
attesta que, dans Tentrevue du 30 mai, Gordon avait témoigné à l'exempt
la crainte qu'il ne fût un pompeur d'étrangers (termes d'argot , vraisem-
Wemenl inconnus h Toflicier écossais). Lemonnier l'aurait rassuré en lui
disant que depuis trois semaines qu'il élait à Brest, il avait connaissance
de toutes les parties de filles dont il avait été, des billards où il allait
jouer, et que si lui , Omnès , avait été , comoïc il semblait le croire , un
homme k la main'de M. de Clugny eldes généraux , il n'eût pas manoué
de le questionner. Omnès ajouta que, dans la soirée du 31 mai , Gordon
Î>romit la remise d'un alphabet de correspondance et d'une encre invisi-
)lc pour tout autre que pour eux trois. Les lettres écrites, k Brest, par^
Omnès seul, auraient été adressées k Paris , sous triple enveloppe , conte-'
nant chacune une suscriplion spéciale, que Gordon aurait indiquée lors
d'un nouveau souper. Il n'aurait lui-même correspondu qu'avec Omnès ,
qui aurait communiqué k Lemonnier ses lettres non signées. L'exempt
ayant demandé k Gordon s'il était autorisé dans ses démarches, l'ofUcier
écossais lui aurait répondu n'agir qu'en vertu des ordres de son ambassa-
deur,, qui lui avait recommandé de gagner k prix d'argent le plus de-
monde possible,el de s'informer bien cxactem$nt de tout ce qui se passerait
- 3Î7 -
M. d'Orléans, sous aide-major, Tordre de prendre au quartier 15
grenadiers du régiment de Béam. En môme lefnps, il fut enjoint
ù Lcmonnier de quitter son déguisement et de se mettre , en
uniforme, à la tète de ses gens pour accompagner le détache-
ment de M. d'Orléans. Tous se transportèrent , à deux heures
du matin, chez Gordon, qui fut trpuvé profondément endormi
et couché tout habillé. M. de Clugny arriva presque immédiate-
ment avec le Contrôleur de la marine et le greffiier de la
prévôté. Gordon fut de suite dessaisi des papiers cachés sur lui
de la façon qu'avait indiquée Lemonnier. Se tournant alors vers
l'exempt , M. de Clugny lui dit î t Vous avez fait une belle
découverte ; nous avons trouvé la ceinture. » Il était trois
heures. M. de Clugny commença sur le champ l'inventaire
des papiers qui se prolongea jusqu'à dix heures du matin.
Les pièces les plus importantes étaient les cartes et tableaux
vendus par Dauvais ; l'instruction prêtée par M. de Kersauson-;
des pièces écrites par Gordon et contenant des remarques sur la
marine., le commerce, 1^ situation de Brest, le nombre de
vaisseaux qu'on venait d'envoyer à Saint-Domingue, l'effectif des
dans le port de Brest pou? lui en rendre compte ; que personnellement ,
et quoi qu'il pût arriver, il ne redoulait rien. Dans la conversation qui eut
lieu pendant le souper^ Gordon aurait dit que M. de Glugny lui avait lui-
même montré le port un dimanche, dans son canoU « F , aurail-il
ajouté, ce n'était pas ce que je cherchais, je voulais voir le port un jour
ouvrable et les ouvriers au travail ; je Tavais obtenu du Ministre , par le
canal de mon ambassadeur. Avant celte demande , j'avais déjà vu le port
plusieurs fois, et si je la faisais à M. de Clugny, c'était par pure politesse.»
D'après Oranès. la Main-d'Orge, sa voisine, qui allait souvent chez lui,
ne devait pas ignorer ses relations avec Gordon et avec Lemonnier, de
qui elle était également connue, et qui Tavail menacée de la faire sévère-
ment punir par II. de Clugny , si elle révélait son déguisement, ce qu'il
ue pensait pas qu'elle eût fait. Il avait terminé en disant que Gordon avait
déclaré que, faute à lui de payer à Lemonnier les mille louis promis ,
l'ambassadeur les verserait lui-même et au-dtlU à l'exempt , lors de son
arrivée à Paris.
Lorsqu'il fut confronté avec Lemonnier et Omnès , Gordon ne contesta,
de leurs dépositions que les parties incriminant l'ambassadeur d'Angle-
terre et le projet d'incendier le port de Brest.
\
— 318 —
troupes embarquées et un journal de ce qu'avait fait Gordon
depuis son arrivée à bf^st ; des minutes de lettres , toutes de
sa main , et dont la plus: intéressante était celle par laquelle H
rendait au secrétaire de Tambassade briiannique un compte
détaillé de U situation du port , compte - accompagné de ses
observations et faisant connaître qu'il avait promis à Lemonnier et
a Omnès, ainsi qu'àDauvais, les diverses sommes dont il a déjà été
parié; les traîléa ,%de lâ main de Gordon , conclus avec ces trois
personnages et les quittancés à l'appui. Ces dernières pièces étaient
renfermées dans deux petits sacs de toile tfès fine que Gordon
avait fait faire par Viticent^ de manière à pouvoir les passer
autour dé ses reins. Les autres papiers étaient la lettre de crédit
de 800 livres sterling sur M. Paùchaud, un passe-port de Tambas*
fiadcur d'Angleterre, une lettre insignifianto de Durand, datée
de Rennes , et enfin une lettre qu'une fille , nommée la Main-
d'Orge , avait écrite le 30 mai à Gordon , lettre où elle lui
donnait un rendez-vous , lui promettant en termes ambigus des
éclaircissements , et lui proposant de lui faire faire la connais-
smcc du secrétaire d*un ministre. Cetti3 fille était en relations
.avec Gordon, qiûi*avait vue, d'abord chez Omnès, ensuite dans
son propre logement, d'où il congédiait son domestique lorsqu'elle
y venait. Que s'était-il passé entre eux dans ces diverses rencon-
tres ? Était-elle- môlée au complot ou n'avait-elle avec Gordon que
des rai^ortsd'unc autre nature? C'est ce que rinstruclion ne par-
A'int pas à préciser. En attendant , comme sa lettre semblait accuser
des liaisons suspectes et môme criminelles, elle fut immédiate-
ment arrêtée , et plus tard décrétée de prise de corps. (!)
La convention souscrite par Dauvais ne permettant aucun doute
sur se», jnaavaises intentions, ordre fut aussi donné de le mettre
<l)i?inslriicliQn,en ce qui coBcerne la'Main-d'Orge, est si vague, qu*on
se prend à croire qu'elle aurait été arrêK^e et détenue uniquement pour
délourner d'elle le soupçon d'avoir Iralii les confidences que Gordon se
serait laibsi' aller a lui l'aire.
- 319 —
6n prison, ce qui ne put avoir liea sur lô champ. Ayant eu
vent , dès île matin , de ce qui s'était paçsf dans la nuit , îl
venait de s'évader du quartier quand oii s*y' présenta pour le
saisir. Aussitôt on ferma les portes de la ville , on battit la
générale et Ton doubla les sentinelles sur les iremparls. I^s
recherches actives des officiers de Béarn ayant amené à penser
qu'il s'était réfugié dans l'enceinte du couvent des Capucins ,
M. de Roquefeuil expédia au P. (îardien un ordre d'y laÉsser
pénétrer, et vers le soir, Dauvais fui! trouvé dans le jardin ,
blotti dans une espèce de carrière, derrière des brousfeîlles. De
là il fut «onduit à Pontaniou , où depuis ter matiu se trouvait
le domestique Vincent. -
Quant à Gordon, ce n'était pas à Ponlanîou, mais au €liâtcau
qu'il avait été écroué après la clôture de l'inventaire de ses
papiers. M. de Roquefeuil , en le remettant à M. le chevalier
D'Argens, lui avait recommandé de renfermer le prisonnier dans
une chambre haute avec une sentinelle à sa porte ; de lui per-
mettre de se promener sans qu'il pCrt toutefois sortir de la place
du château, çt à la condition qu'il serait toujours gardé'à vue
par deux soldats. Il serait servi de chez ua» traiteur dans s^
cbambre, et Vincent serait remplacé par-un ou deuxj domesti-
ques. En rfi mot, M. de Roquefeuil Voulait que {jusqu'à Ja
réception des ordres du Ministre , le prisonnier fût traité ^avec
tous les égards que pouvait permettre sa situation. En faisant
conduire Gordon au Château plutôt qu'à Pontaniou, il avait eu
pour but de le constituer en ôimple état de dépôt , et il y avait
été déterariné par cette considération que la Cour, en raison de la
qualité du prévenu et de la nature de l'afTaire, aurait bien pu attribuer
la procédure et le jugement à un tribunal d'un ordrej «îpérieur.
L'Intendant tivait le droit , en vertu de .ses fonctions , d'informer
provisoirement et d'interroger au château , comme les juges civMs.
Cette raison avait déterminé M. de Roquefeuil à agir comme
" 3â0 -
on la vu. S'il avait trouvé quelque inconvénient à procéder
ainsi, il eût tout d'abord envoyé Gordon à Pontaniou, ainsi que
cela s'était pratiqué , à sa connaissance , pour trois espions ,
qui avaient été pendus en vertu de sentences prononcées par
rintendant de la marine et ses assesseurs. Il s'était donc con-
formé à l'usage suivi jusqu'alors, et non-seulement M. D'Argens, -
à sa prière, s'était chargé d'informer M. le duc de Duras, gou-
verneur de la province de Bretagne, de la détention de Gordon
au château, mais lui-même vivait écrit dans ce but à M. le duc de
Choiseul. Malgré toutes ces précautions, mécontent de n'avoir pas
reçu d'avis direct de M. de Roquefeuil, M. de Durcis s'en plaignit.
Peu de jours après (12 juin) furent expédiés l'arrêt du conseil el les
lettres - patentes qui commirent M. de CFugny pour instruire et
juger, conjointement avec le nombre de juges voulu par les
ordonnances , le procès de Gordon et de ses complices. Ainsi ,
par une monstrueuse violation des notions d'équité les plus élé-
mentaires, violation trop fréquente à cette époque en matière
de procédure criminelle , celui-là qui avait tendu à l'accusé le
piège dans lequel il était tombé , celui-là devenait son juge I
Mais revenons à^cet accusé lui-même. A peine au château,
il songea aux dangers qui menaçaient son ancien compagnon
de voyage, et profitant de la demi-liberté que lui laissait M. de
Roquefeuil , il obtint d'un: soldat de Béarn, nommé Bruno,
préposé à sa garde » qu'il remettrait à la poste un paquet adressé
à M. Parck, et contenant l'ordre donné à ce dernier de payer
sur les 800 livres sterling dont Gordon était crédité chez lui ,
la somme de 500 livres qu'il aurait due , disait-il , à Durand.
Sous le même pli se trouvait une lettre de change de 500 livres,
payable à vingt jours de date par Panchaud , plus une lettre
à l'adresse de Durand , à qui M. Parck était prié d'escompter
, cette lettre de change. Gordon y donnait avis à son ami de son
arrestation .et de la saisie de ses papiers.
- 321 —
M. (le Roquefeuil avait laissé ignorer au prisonnier les moUfi»
da sa détention. Il lui avait même fait dire qu*il ne les connais*
sait pas , et qu*il avait seulement obéi à des ordres de la Cour,
à qui. peut'rétre il s* était rendu suspect par ses démarches avant
son arrivée à Brest. Ce jeune homme , qui avait été son hôte,
lui inspirait toujours un certain intérêt, qu'il ne dissimulait pas ;
mais il ne se laissait pas aveuglei' par ce sentiment au point
de uégliger les intérêts qu'il avait mission de surveiller. Aussi,
tout en inclinant pour qu'on usât d'indulgedce envers l'imprudent
émissaire de lord Harcourt , voulait-il que le port , insuQisam-
menl gardé , fût prémuni contre les conséquences d'une attaqu
des Anglais. « 1^ lecture des papiers de M. de Gordon, écrivait-il,
dès le 2 juin ^869 , à M. le duc de Praslin, semble donc mainte-
nant faire notre seule instruction sur son compte , et il parait
entièrement reconnaître la justice de sa détention. Comme il a
été fort long-temps à Rocheforl et à La Rochelle , j'ai écrit à
M. de l'Éguille pour que si quelqu'un avec qui ledit M. de Cordon
auroit été en fréquentation avoit quelque chose de suspect d'ail-
leurs , il pût s'en assurer avant que le bruit se répande de
ce qui vient de lui arriver. Je ne doute pas» qu'il ne soit assuré
de quelque correspondance dans les lieux où il a é:é avant de
les quitter. Au surplus, ce jeune homme n'a pas une prudence
qui réponde à la hardiesse de son esprit, car il s'est enlièfc-
ment livré à ce Monier, qui a fort bien rempli son rOle , et
ce M. Gordon lui a dit : t Dès îe moment que vous n'avez
point de fortune , qu'importe qui vous la fasse L El il n-est rien
que nous ne fassions pour obtenir le moyen de sous emparer
de Brest, et c'est parla que nous voulons, commencer. Notre,
objet unique est de combler le port et de brûler les vaisseaux,
et il n'est point de fortune que vous ne puissiez demander et
avoir pour nous bien servir là - dessus. » Cecy, Monseigneur,
justiflc assez ce que j'ay mandé ci-devant à M. le duc de Choiseul
41
— 322 —
et les inquiétudes dont j'ay eu rbonneur de tous pari^ ateâ
qu'à luy. Machiavel s peosé que tout moyen étoit bon qoaod
il s'agisfioit d'une fin décisive ; et rÂngleterre a quelquefois
emprunté sa politique d'Italie : nous avons mérae vu qa'dle
n'attendoit pas les ruptures pour conunencer les hostilités , et
personne n'ignore rimt)ortance de Brest. Les Anglois la sentent
et s'en occupent, et personne ne connolt mieux que vous rinlérêt
immense que te Roy s'y trouve avoir. Cependant, au dire de tous
les connoissours , la place ne vaut pas un bon retrandiement »
et nous n'y avons en ce moment^ pour toute sûreté^ que quatre
bataillons. Trouvés bon que cecy ine soit une occasion de vous
reparler de notre situation pour vous en entretenir de nouveau
avec M. le duc de Cboiseul ; je ne luy parle donc sur tout cela
que de la détention de &I. de Gordon ^u château de Brest. •
Les scnlimenls que révèle celle lettre se retrouvent dans ceHe
que M. do Roqucfeuil écrivit ou Ministre de la marine , trois
Jours oprès, le lendemain d*une conversation qu'il avait eue avec
le prisonnier :
« Monseigneur, y disait-il , j'^y d'abord vu tout en blanc sur
le compte de M. de Gordon qui ne me paraissoit ny de tour-
nure ny de prudence à être choisy pour des manœuvres. Quand
Je me suis déterminé à le faire arrester, j'ay ensuite vu tout
on noir, et j'ay pensé sur sa conduite que les Anglois médi-
tant la guerre , Tavoient chargé, sur des prétextes de voyages,
de tâcher de ftirmer des correspondances et des espionnages sur
nos côtes et dans nos ports. C*est à peu près ainsy que j'ay
eu l'honneur de vous en écrire dans ma précédente lettre. Mais
je crois que j'en avais mieux jugé d*abord. Mon dit sieur de
Gordon a demandé en gr&ce de pouvoir me parler, et j'y suis
allé hyer, pensant qu'il pouvoit avoir quelque chose à me dire.
Mais ce n*a été que pour me mander de faire passer une lettre
- 323 —
à son ai]ûd)a5sadeur et pour m'cngager à vous écrire en sa faveur,
en me disant que , de sa vie , en venant en France (où il étoit
pour une affaire qui Fobligeoit de s'absenter d'Angleterre pour
un twaps) que de sa vlè , dis-je , il n'avoit songé à apprendre
de nouvelles ; qu'on peut aisément sçavoir la conduite qu'il ^a
tenue à Rocàefort, La Rochelle et Tlle de Rhé, ainsi que Paris
et Caen , d'où il vient ; qu'il n'a jamais eu commission ni
intention de se mêler d'^aifaires ni d'instructioas à sa cour ;
mais c'est icy à la vérité qu'un soldat de Béarn (qui vendoit de
mauvais plans de Brest, et que nous lenoils en prison) lui avoit
proposé un plan et des instructions s'il en vouloit ; qu'il avoitr
donné là-dedans et cru que c'étoit un moyen qui se présentoit
d'obtenir son avancement, n'ignorant pas que Brest foisoit l'objet
d'attention de toute sa nation ; qu'il avoit écrit à son ambassa-
desur ; qu'il s'înstruisoit beaucoup en ce port et pourroit lui en
parier savamment, et en lui demandant une lettre de recom-
mandation ; que le soldat luy avoit fait faire connoissance avec
un maître d'école nommé Omnès , et celui-c^ avec un commis ;
qu'il voit bien que l'un et l'autre de ces derniers n'ont voulu
que luy tendre un piège par la manière dont ils l'ont séduit
luy^môme à leur donner sa confiance (ce dernier article est un
peu vray à notre connoissance) ; qu'enfin il n'a su ce qu'il avoit
fait de son jugement, éblouy par fidée:de se faire valoir. Voilà
Monseigneur ^ le précis de ce qu'il m'a dit: , et qjie le trouve
lieu de -croire vray en eflbt : -1® par le petit cercle de ses papiers
dont aucun n'a pu être soustrait ; 2<> par le peu de fond qu'il
a en lettre de crédit ou en argent ; 3» par son âge , que je luy
ay demandé , et qu'il m'a avoué n être que de vingt ans et
demi, comme on le peut juger; et enfin, par la tournure de
son caractère assé ouvert et assé étourdy. Quoiqu'il ne m'aye pas
paru inquiet pour sa teste , il a fondu en larmes et en confu-
sion quand je lui ai fait des reproches sur les honnestctés qu'il
— 321 —
a reçu icy et la bassesse de ses sentiments envers nous. Je luy
ay ajouté que Fy un oCQcier delà marine du Roy recçvoît des
honnéstetés dans un port d'Angleterre, et qu'il y eût médite de
la méchanceté et de la séduction en pleine paix , loing qu'il en
fût récompensé, nous ne le soufTririons pas dans le corp. 11 m'a
paru d'une telle sensibilité à ce que je luy a dil surtout à c«t
égard , que je crois être certain , Monseigneur, que ce n'est en
efifet qu'un élourdy qui s'est éblouy à l'idée de son avancement
par la circonstance qui s'offroit.
. C'est toujours le rapport nouveau que je puis vous faire à ce
sujet que j'ay cru plus sérieux. Suivant ma lettre du précédent
courtier, vous trouvères cependant bien matière à faire valoir
la libération de M. Cordon à l'ambassadeur d'Angleterre, car sur
les preuves que nous avons eu contre eux, il y a bien de quoy
asseoir une procédure très criminelle , et au fond je pense que
celte aventure sera toujours fort utile icy. Ainsi j'espère, Mon-
seigneur , que vous approuverés notre conduite dans a'ttc
affaire dont vous êtes actuellement nanty par M. de Clugny,
qui vous en a adi'essé les papiers....
Nous avons su par M. Gordon qu'il avoit déjà traversé le
port avaat que je fusse arrivé icy, conduit par un garde de la
marine nommé Bf. de Quersauson , que j'ay fait mestre en
prison. On avoit écrit à ce giarde marine une lettre de recom-
mandation pour le M. Cordon , en sorte que ce fut luy qui le
mena chez M. de Rosily et à l'Intendance, puis voulant aller de
ce dernier. eudroit chez M. Dajo , ils traversèrent ,' pour abréger,
de la grille de l'Intendance à celle du Bagne, sans entrer aux
magasins devant lesquels il faut passer ; il n'y avait donc pas
trop grand mal, mais c'étoit toujours une étourderie de ce garde
de la marine qui n'y fit pas aUention, et j'ay môme cru devoir
le punir pour l'exemple aux autres ; il sera môme peut - être
bon, Monseigneur, que vous me mandio? quelque chose à ce
-325-
snjet , et que tout officier ou garJe de la mariue qui mcneroît
aucun étranger dans le port sans permission , soient punis très
sévèrement. » •
Gordon qui, h la réception de Tarrôt du conseil études lettres-
patentes du 42 juin, avait été transféré à Ponlaniou , ne crai-
gnait pas , on vient de le voir, pour sa vie. Il pensait que par
rintervention de lord Harcourt , tout s'arrangerait au mieux.
Aussi s'était-il attaché, dans sa conversation avec M. de Roque-
feull , à ne rien dire qui pût le représenter comme un agent
de cet ambassadeur. En retour, il s'attendait à ce que ce der-
nier l'entourerait de toute sa sollicitude, il s'abusait étrange-
ment. Lord Harcourt n'hésita pas à le désavouer, et pour mieux
masquer sa propre immixtion au complot , il demanda que
Gordon fût livré à la justice et puni suivant toute la rigueur
des lois. Le découragement s'empara alors du prisonnier, et il
s'augmenta à la nouvelle de l'arrestation de Durand. Ce dernier,
en apprenant les évènemens de la nuit du V juin, avait quitté
l'hôtel Saint - Julien , où il était logé à Nantes , et où , depuis
trois jours, il attendait Gordon. Après avoir remis chez M. Parck
la malle convenue j il avait fait disparaître des deux autres ce
qu'elles renfermaient de plus compromettant , et il s'était tenu
caché jusqu'au moment où , ne se croyant en butte à^ aucune
recherche , il était allé les déposer aux messageries.- Il ne dut
pas tarder à s'éloigner lui-môme , car le 2î juin commencèrent
à Nantes , dans les faubourgs et les maisons religieuses de cette
ville , des perquisitions prescrites contre lui par l'ordre du Roî,
du 46 juin. Elles furent dirigées sans succès par M. Siriez de
Bergues , lieutenant de la maréchaussée de Nantes, accompagné
de quatre de ses cavaliers et de quatre hommes de confiance ,
avec lesquels il fit ensuite une battue non moins infructueuse
à Paîmbeuf, ii Guérande et à Clisson. La maréchaussée de Bor-
— 326 —
deaux ne fut pas plus heureuse ; ses recherches n'amenèrent aucun
résultat. L'information qui se poursuivait à Saint -Malo en môme
temps qu*à Brest avait motivé ces perquisitions et avait plus
particulièrement déterminé celles de Nantes , Durand , avait-elle
appris , étant chargé d*y remettre à M. Parck. une des malles
de Gordon. M. Parck était en Angleterre lorsque sommatioa
lui fut faite de remettre cette malle. M. Lenssens, son corn;
mis , ayant répondu d'une façon évasive , fut décrété de prise
de corps et arrêté te 6 juillet ^ ainsi qu'un Irlandais nommé
White. A leur arrivée à Brest, lor ^3 juillet, ils furent conduits
dans une chambre du bagne, mais ils obtinrent leur liberté sous
caution, le premier au bout de -18 jours, le second après 40
jours de détention. La remise fuite par Lensscns de la lettre
de Gordon îv M. Parck , de celle qu'elle renfermait à Tadresse
de Durand et de la lettre de change de 500 livres sur Panchçiud,
le fit seulement renvoyer en état d'ajournement personnel, mois
elle détermina le décret de prise de corps lancé contre Bruno ,
qui fut mis en prison. Quant au sieur White, il fut, peu de jours
après, renvoyé hors de cause. Le 40 septembre, l'interprète
€armichaêl qui , depuis un mois, était à Pontaniou , fut^ aussi
admis au bénéQce de la liberté sous caution (10 septembre.)
Dans l'intervalle , les recherches activement continuées contre
Durand avaient amené sa capture par la maréchaussée de Maren-
nes. Saisi à Royan, chez son oncle, dans la nuit du 49 juillet,
il avait été trouvé nanti des deux malles renfermant beaucoup
de cartes géographiques et quelques autres objets sans impor-
tance. Conduit , le lendemain , dans la prison de Saintes , il en
fut extrait le -1 5 août et dirigé sur Brest , sous l'escorte d'un
brigadier et d'un sous-brigadier de la maréchaussée* La fatigue
de la route , qu'il commença à cheval , l'obligea à louée une
voiture le 22 août ; son état s'étant aggravé , il lui fallut rester
ù Montauban du 25 au 28. La fatigue n'était pas du reste la
- 327 -
seule cause du mauvais état de sa santé. Plus il approchait du
terme de son voyage, plus il était agité. Dans les premiers
jours, il avait été a&sez calme ; mais son inquiétude n'avait pas
tardé à se révéler à ^es deux conducteurs par des questions
imprudentes qui , à elles seules , auraient suffi pour mettre sur
la voie de sa connivence avec Gordon. A son arrivée à Brest,
le -!« septembre -1769 , il fut immédiatement écroué. dans une
chambre du Bagne. Lorsqu*il apprit sa captivité , Gordon com-
mença à douter de ;son propre sort.
Un personnage mystérieux avait précédé Durand à Brest Ce
personnage , intrigant du plus bas-étage , avait imaginé un roman
assez habilement , mais surtout fort effrontément tissu, à l'aide
duquel il voulait se faire une position persomielle au prix de la
tête de Gordon, qui lui était totalement inconnu. Ayant eu con-
naissance des perquisitions que M. de l'Eguiile , à' la prière de
M. de Roquefeuil , faisait faire à Rochefort et à La Rochelle ,
il s*était dit instruit de la conduite tenue par Gordon et deux
ingénieurs anglais dans ces deux villes et sur les côtes voisines.
Ses]^indiscrétions calculées avaient conduit M. le duc de Choi-
seul à le faire arrêter à La Rochelle et à prescrire , le 3 juillet,
de le transférer à Brest pour qu'il y fût confronté avec Gurdon.
Remis à un brigadier et à deux cavaliers de la marécbctussée ,
cet individu arriva le dimanche , 16 juillet -1769, à huit heures
du matin , par le bateau de Lanveoc , et fut inlmédiatement
conduit à Pontaniou.
Voici la fable audacieuse que ce misérable débita tant à Roche-
fort qu'à Brest, en élaguant bien entendu certains détails que
nous restituons au moyen des pièces du procès :
Il se nommait Charles Stuart et était âgé de 27 ans. Son
père était le prince Charles-Edouard , et il était né du mariage
secret de ce prince avec une dame dont il ignorait le nom, np
l'ayant jamais vue ni connue , mais qu'il savait appartenir à la
— 328 -
maison d*Alhol. A peine ûgé d'un an, à la mort de sa mère,
il fut envoyé en friande, chez sir Richard Collins, gentilhomme
de la ville de Traies, comté de Kerry, province de Munsler,
qui réleva sous le nom de son propre fils, mort très peu de
temps après. Il fit une partie de ses études au collège de Dublin,
et les termina à l'université d'Oxford. Lorsqu'il en sortit, à Tàge
de -1 4 ans , sir Richard , après lui avoir révélé qu*il n'était
point son père , lui dit qu'il continuerait comme par le passé
à lui en tenir lieu. « Un jour, ajouta4-il, je vous ferai connaître
qui vous ;êtes. » En naôme temps, il lui montra une cassette
d'argent massif, aux armes des Stuarts, cassette qui aurait con-
tenu le secret de sa naissance, t Vous ne devez pas, poursuivit
sir Richard , vous en tenir à l'étude des humanités et de la
philosophie jâl faut désormais vous appliquera celle du gouver-
nement et des constitutions du royaume. » À quelque temps de
là, le prétendu Stuart, poussé par la curiosité , aurait enfoncé
le bureau où la cassette était renfermée, en aurait brisé la ser-
rure et pris connaissance des papiers contenant la preuve de
sa naissance. Il se rendit ensuite à Londres , y étudia les lois
pendant sept ou huit mois, et venant alors à songer qu'il devait
à son origine de prendre] le parti des armes , il s'adressa à
M. Lancelot Sands , qui obtint, vers -1736, de le faire embar-
quer comme midshipmàn sur le vaisseau de 6i le Yorck , qui
fit, sur les côtes d'Irlande et aux Dunes, une croisière à la
suite de laquelle il fut embarqué sur le vaisseau de 74 le Beyort,
faisant partie de l'escadre qui fut envoyée, en -1758, sous les
ordres de l'amiral Boscawen contre Louisbourg. Voulant parti-
ciper à l'attaque de cette ville , il demanda à l'amiral à servir
comme volontaire et à ses frais dans rinfanlerie. Cetle^permis
sion lui ayant été accordée, il concourut à la prise de la ville,
et fut ensuite placé sous les ordres du colonel Hall, détaché avec
cinq régiments au secours d'Abercombrie, qui venait d'être battu
— 329 — ',-
à Ticondéraga. En n59 , il se trouva , sous le général Wolf , à
la prise de Québec où, comme lieutenant, il commanda, attendu
la maladie de M. Roogers , son capitaine , une compagnie de
chasseurs. Il passa Thiver à Québec , et se trouva , le 28 avril
•1760, au combat que M. Murray livra à M. de Levîs. Lamôme
année , faisant toujours partie du corps d'armée de M. Hurray,
il contribua à la prise de Mont-Real , où ce corps d'armée fut^
rejoint par celui de M. Hamehers. Reconnu alors ^ aux traits de
son visage , pour un Stuart , il reçut de beaucoup d'officiers
et de soldats maintes protestations de dévouement , accompa-
gnées de FoiTre de le suivre pq^rtout.où il voudrait, ofiTre qu'il
aurait acceptée en passant sous les drapeaux, français, s'il n'avait
craint de sacrifier inutilement ceux qui , de leur plein . gré > se
dévouaient généreusement à lui. En ^761 , il s'embarqua à la
Nouvelle-Yorck , sur un transport commandé par lord Rollo ,
et se trouva à la prise de la Dominique. Ayant plus tard obtenu
une compagnie dans les volontaires du Conecticut, il participa,
en -1762, à la prise de la Havane. Au commencement de l'année
4763, ayant, avant la signature de la paix, été envoyé parle
général Kepel pour reconnaître les différentes garnisons de File
San-Yago de Cuba qui ne s'étaient pas rendues, il feignit, chemin
faisant, de se prendre de querelle avec un major anglais, afin de
pouvoir, à la faveur de ce stratagème, . pénétrer sans èlre sus-
pecté dans les différentes parties de l'Ile. Ce moyen ne lui réussît
pas. Parvenu à la Trinité , il fut dénoncé , par des déserteurs
anglais au gouverneur de Tlle , qui le retint prisonnier pendant
près de deux mois et l'expédia ensuite à Cadix, où il recouvra
la liberté trois mois après son arrivée. Depuis cette époque
jusqu'en <767, il voyagera en Irlande, en Ecosse, en Angleterre,
en Portugal , dans lé but d'accroître le nombre des partisans de
sa maison, et il y avait si bien réussi qu'au moment de sa trans*
laliona Brest, au mois de juillet -176^, 80,000^ hommes auraient
41
• >. 330 —
été prêts à se lever «'il avait pu leur fournir des armes et des
munitions , et que pendant qu'on l'interrogeait à Brest, dix-sept
personnes étalent chargées du soin de ses intérêts dans les
Trois-Royaumes. « Trois d'entre elles , ajoutait-il , sont parties
de La Rochelle depuis que j'y ai été arrêté , et j'attends inces-
saramerit de leurs nouvelles. »
En -1767, notre aventurier demanda un emploi, —c'est tou-
jours lui qui parle , — à lord Shelburne , ministre d'État au
département du Sud , dont il avait été le condisciple à Dublin*
Ce ministre lui répondit qu'il pouvait se rendre utile à son
pays en allant lever des plans des ports, côtes et places fortes
dt Fraùce* Il Ini fit entendre que ce serait le moyen le plus
prompt cl le plus assuré d'obtenir de Tavancement. Dans le cas
où il accepterait «ette mission , on lui ferait connaître des per-
sonnes qui en avaient déjà de semblables, afin qu'il pût corres-
pondre avec elles , et un crédit illimité lui serait ouvert. 11
accepta, quoiqu'il répugnât à sa délicatesse de nuire à la France
à qui sa famille avait tant d'obligations ! Malgré ce scrupule , il
écrivit de Porto à lord Shelburne de lui faire connaître ceui
avec lesquels il pourrait se mettre en rapport. Quant aux frais
de sa mission , il les ferait lui-même et ne demanderait d'argent
que quand il ne pourrait faire autrement. En réponse à cette
lettre, lord Shelburne lui annonça que l'exécution de son entre-
prise était ajournée du" mois de janvier -1768., époque où il
serait rejomt à Tuy, -en Galice, par le capitaine Weig, du corps
des ingénieurs au département de Gibraltar. Collins crut devoir
devancer Weig à Tuy, mais l'y ayant vainement attendu pendant
quelque temps, il se mit à sa recherche , parcourut sans succès
plusieurs villes d'Espagne et finit par le trouver à la Corogne. Là,
Weig lui rendit compte de ses opérations , et dans une confé-
rence qu'ils eurent dans une auberge tenue à • l'entrée du port
par une française nommée M"»» Dauphine , il lui montra les
— 331 --; ^ .
plans qu*il avait levés de différentes villo» d'Espagne. Coîlins
était quelque peu tapageur, il parait , cajc une querelte qu'il eut
alors avec don Juan Piniero, capîlaîne d'une compagnie du régi-
ment de Tolède, détermina son arrestation ; peut-être aussi ses
allures suspectes motivèrent- elles celte mesure. Du reste , quel
qu'en eût été le vrai motif, elle' donna l'éveil àWeîg, qui se
rendit en poste à Bayonne , d'où il écrivit plusieurs lettres à
Collins pendant les six mois qu'il passa dans les prisons de la
Corogne. Dans la dernière, îe capitaine annonçait au détenu
qu'il allait rentrer en Espagne pour continuer les travaux d'exj)lo-
ration que la mésaventure de Collins l'avait forcé d'interrompre.
Mais €ollins , devenu libre , avait hâte de quitter uoe .terre «
peu hospitalière , et à sa sortie de prison il s'embarqua pour
Nantes , où il arriva dana le courant du moi» de- juillet -1768.
Après y avoir fait un assez court séjour, il se Tendit à La
Rochelle , et aussitôt , conformément aux indications de Weig ,
îl alla chercher Gordon à son logement sur la place d'armes. Ne
l'ayant pas trouvé , et ayant appris qu'il s'était absenté en vue
de procurer la liberté à un Anglais nommé Hamilton (le même
probablement que celui qui avaK voyagé sous le nom de Saxton),
qui venait d'être arrêté en Bretagne, Collins s'adressa à M. Clerck,
oificier de marine de la même nation , également logé sur la
place d'armes, et qui était employé aux 'mômes opérations. Il ne
le rechercha toutefois qu'à titre de compatriote, et sur l'exposé
qu'il lui fit de sa détresse , il en obtint un louis d*or, avec la
promesse d'en recevoir davantage quand Clerck lui-même aurait
reçu de l'argent. Collins songeait alors à se rendre à Paris , '
afin de se faire connaître aux ministres ; mais il ^tait à bout
de ressources et d'autant plus dans Timpossibilité cle voyager,
que ses débauches l'avaient mis dans l'état le plus déplorable.
Ce fut alors qu'il demanda à M. de Noë, colonel du régiment
de Koyal- Comtois, à prendre du service dans ce régiment. M. de^
~ 332 —
Noê, jugeant à sa miûe ti à ses allures que c'était un aventa-
rier, n'en voulut pas , et force lui fut alors de se laisser raccoler
par un sergent de la légion de Saint - Domingue > qui Fenrôla
sous le nom de Collins Bellamaur. Il continua sa vie crapu-
leuse, et servit si maJ que, sans respect pour Téchine de Vhéritier
des Sluarts , on était presque quotidiennement obKgê de lai
administrer des coups de nerf de bœuf, suivant l'usage pratiqué
dans lé corps. Ce traitement ne pouvait qu'aggraver sa situation.
Elle devînt telle qu'il lui fallut entrer à riiôpilal de Saint-Martin
de rile de Ré , où il resta six mois ; Gordon était alors à
La Rochelle , chez M. Lutters. Collins , qui lui avait écrit
avant . son entrée à l'hôpital , y reçut une lettre où rofiBcîer
écossais le félicitait de s'être enrôlé dans la légion de Saint-
Domingue , parce que , une fois dans cette colonie, il pourrait
être d'autant plus utile à son pays que l'établissement récent
des milices et d'impôts onéreux y avait suscité des ferments de
révolte ; et que , d'un autre côté , la légion n'étant guère com-
posée que de mauvais sujets et de déserteurs que l'on expatriait
de force , il lui serait facile de se mettre à leur tête et de
leur faire prendre parti pour l'Angleterre, qui lui fournirait en
hommes , munitions et argent , tous les. secours dont il aurait
besoin. Gordon lui reprochait ensuite de ne s'être pas découvert
à M. Clerck , chargé d'une mission analogue à la leur , et il
l'engageait à faire tous ses efforts pour être compris dans le
premier détachement qui serait envoyé à Saint-Domingue ; puis
il insistait pour qu'avant de s'embarquer il lui fit passer un plan
et un mémoire descriptif des ouvrages intérieurs de la citadelle
de Ré , dont il lui serait facile de prendre connaissance. Si
Gordon venait à s'absenter, Collins pouvait s'adresser en toute
confiance à M. Clerck, autorisé à décacheter ses lettres. Collins,
pendant son séjour à l'Ile de Ré , en reçut plusieurs de Weig, qui
lui fit en outre remettre en différentes fois, par son domestique,
- 333 —
déguisé en malelot, jusqu'à quarante louis d*Qr. Des avis réitérés
de Weig et de Gordon lui firent aussi oonnaUre ' qu'ils avaient
gagné plusieurs personnes dans les . différents ports de France,
et que sous peu on mettrait le feu aux magasins et aux vais*
seaux de Brest, Toulon, Rochefort, le Port-Louis et Sainl-Malo.
Gordon, d'après une de ses lettres , s'était spécialement chargé
d'incendier le port de Rochefort, et il se flattait de réussir. Toute
la correspondance se faisait sur du papier découpé de telle sorte
que le sens d'une lettre ne pouvait être compris à moins d'avoir
la clef du mécanisme convenu. Maintes fois, Collins avait voulu
faire des révélations au bailli d'Âulan , et il avait môme fait
part de son intention à un religieux de la Charité nommé Bruno,
à qui il s'était fait connaître, et qui l'avait dissuadé parce qu'if
attribuait son langage au délire causé par la maladie. Pendant
son séjour à l'hôpital, il avait vu Gordon à plusieurs reprises
sans toutefois lui avoir jamais parlé. Le jour do la Saint-Louis,
plus particulièrement, jl l'avait aperçu à une fenêtre d'une maison
de la place d'armes , en compagnie de M. le bailli d'Aulan. '
Collins sortit enûn de l'hôpital,, mais dans un tel état, qu'il
lui était impossible de faire aucun service , et que sur le rapport
qui lui fut adressé , le Ministre de la marine proponça son
congédiement absolu. Il se rendit alors à La Rochelle , et à
peine arrivé, il écrivit à M. d'Aviiard , major* de la place,
qu'il avait à faire des révélations importantes pour la sûreté de
l'État. Admis, le lendemain, devant M. de Narbonne, lieutenant
de roi, il lui débita son thème, et pour garantie de sa véra-
cité , il offrit sa personne. Il fut pris au mot , et constitué pri-
sonnier, comme un accusé , ce qui l'indigna tellement que, dans
sa colère, il déchira les lettres qu'il avait reçues des diverses person-
nes chargées de la môme mission que Gordon, voire même celle
qu'un inconnu lui avait fait passer par la fenêtre de sa prison ,
et par laquelle un sieur Hamilton, résidant au Port-au-Prince,
— 334 -
lui donnait avis qu*il fomentait la rébellion à Saint - Domimgae.
Pendant sa détention, il reçut en outre une lettre de Weîg qui
le conjurait de tenir bon , et lui disait avoir une trop bonne
ojHniou de son esprit et de ses talents pour ne pas douter qu'il
aurait la prudence de ne conserver sur lui aucun papier com-
promettant. « S*il devient nécessaire de vous délivrer de vive
force , ajoutait Weig, cela se fera sans tarder, et quoique votre
détention ne vous permette pas de contribuer de votre personne
au succès de Tentreprise , vous n'en participerez pas moins ,
comme vos associés^ à la gloire et aux bénéflces qui en résul-
teront, i Cette lettre , nécessairement imaginaire comme les
autres , Collins en avait fait tenir une copie à M. de rÉguille,
par M. de Sévîgny, officier de marine, et il l'avait accompagnée
du signalement de Weig et d'un autre ingénieur anglais, nommé
Makellan, pour qu'on pût les arrêter. M. de TÊguille lui avait
fait témoigner sa reconnaissance par un autre officier de marine
dont il ne savait pas le nom, mais qui lui avait dit qu'on croyait
sa déclaration vraie parce que , peu de jours auparavant , oa
avait vu à Rochefort M. Weîg qui avait môme demandé une
permission de voir le port, permission qu'on lui avait refusée
en lui disant qu'il serai arrêté s'il s'y présentait. Collins ajou-
tait en termJnanf qu'à la vérité les Gordon d'Ecosse étaient alliés
à la maison d'Ecosse , mais qu'il ignorait si le Gordon détenu
à Brest appartenait à celte famille ; qu'au surplus , quand bien
môme il en serait ainsi, il n'en serait pas moins obligé, en raison
du serment qu'il avait prêté , de dire la vérité ; qu'il l'avait
dite et la dirait toujours , étant constant que quand il y a du
mauvais sang dans un corps , il faut le tirer. Puis , comme il
pressentait que le fait de son enrôlement dans la légion de
Saint-Domingue pourrait inspirer des doutes qui lui seraient
défavorables à plus d'un titre , il crut devoir prévenir toute
objection sur ce point en disant qu'il avait cru signer un enga-
— 335 -r^
gement de volontaire , mais qu'on l'avaiV abusé en lui faisant
signer celui de soldat qu'il n'avait pas eu. la précaution de lire;
Enfin , son mobile , — il fallait bien qu'il s'en donnât un pour
colorer ses démarches, — «son mobile ^vail été sa reconnaissance
pour la France ^ qui s'était toujours montrée si dévouée à sa
famille. »
Le Prévôt-Général de la maréchaussée de La Rochelle avait
recueilli de la bouche de Collins cette fable non moins singu-
lière qu'odieuse. N'étant appuyée d'aucun indice de preuve, elle
n'inspirait pas la plus légère ^nfianoe à M. de Narbonne qui ,
toutefois , ne crut pas pouvoir se dispenser de la transmettre à
M. de Choiseul, lequel de spn côté, bien qu'il n'y ajoutât pas
la plus légère créance , expédia l'ordre d'envoyer Collins à
Brest pour qu'à tout événement il y fût confronté avec Gordon.
^ C'est .ce qui eut lieu. Mis en présence du principal accusé ,
Collins eut l'incroyable audace de répéter ^es déclarations anlé-
Tieures. Gordon protesta énergiquement^t répondit non-seulement
31'avoir jamais vu son dénonciateur, mais même n'avoir jamais
eu avec lui le moindre rapport direct ni indirect. Le misérable
Collins n'était pas^ homme à être déconcerté par une dénégation
si formelle , si précise , et ce qu'on se refuserait à croire si
un document authentique ne le constatait, c'est que la confron-
tation eut lieu au moment où , presque mourant à l'hôpital des
suites de ses débauches , il venait de se confesser I^ '^ ,
Quoique Gordon sût bien n'avoir rien à redouter des décla-
rations de Collins, il ne s'abusait pourtant pas j^ur sa situation.
Depuis l'arrivée de Durand, il était tombé dans un état d'affais-
sement qu'il attribuait à son long séjour dans la prison de
Pontaniou , mais qui pouvait Êien être produit aussi par la
perspective d'une condamnation. Néanmoins, comme son intérêt
lui commandait de ne pas sembler en admettre lui - môme la
possibilité , il affectait peut-être plus de sécurité qu'il ij'en avait
— 336 —
réellement dans les deux lettres suivantes qu'il écrivit , la pre-
mière, le 22 octobre' -1769 , à son oncle sir Charles Gordon,
chez l'ambassadeur de Naples à Londres; la seconde, le 30 du
môme mois , à sir Pierre Gordon , avocat et écuyer à Aberdeen.
Lettre à sir Charles Gordon.
Moû cher oncle ,
Je ne puis m' empêcher de me livrer au plus vif chagrin ,
lorsque je réfléchis sur la grande peine que ma situation a
causée à tous mes amis, et que j'aurois pu prévenir en quelque
façon , si je leur avois communiqué ces circonstances plus tôt
Croyant avoir ma liberté avant que la nouvelle de ma détention
leur soit parvenue, c'est ce qui me ra fait difFérer, n'imaginant
pas que j'eusse été arraché de ma sécurité par des accusations
d'une nature la plus offensante , crime dont il n'y a que le
scélérat le plus désespéré qui en puisse être capable. Le séjour
que j'ai fait ou peut-être d'avoir visité quelques-uns des principaux
ports de mer de ce royaume m'a rendu suspect. Les démarches
que j'ai imprudemratent faites ici pour conquérir une parfaite
connoissance de la force maritime de ce pays a paru suffire
pour autoriser mon emprisonnement. Peut-être les accusations
du soi-disant Stuart étaient déjà fournies, car de tous ceux qu'il
a aeeusés ^ Je suis le seul qui étoit en France , ou qui y avoit
été six mois avant ; quelques-uns d'eux n'étaient pas même en
? Europe.
La longueur de la procédure a été occasionnée par la néces-
sité de faire venir lès preuves de différents endroits de la France
et de plusieurs autres royaumes. Elles sont enfin terminées et
envoyées en. Cour pour Texamen du Ministre. '
M. Gordon Whitely a agi en toutes les occasions comme mon
propre père , et mon affection pour lui n'est pas moindre que
~ 337 —
celle que le meilleur des pères a le droit d'attendre d*un flls recon-
noissant et pénétré des sentiments de sa bonté intarissable»
Cela me fait un grand plaisir d'apprendre que le duc de Gordon
a bien voulu s'intéresser en ma faveur. Comme rien ne pouvoit
augmenter mon attachement à Son Altesse et à sa famille «
ainsi sa bonté en cette occasion m'a seulement imposé des obli-
gations personnelles, et confirme tout le monde dans l'opinion
qu'il avait déjà de ses vertus. Milord Harcourt, pour compléter
sa bonté , m'a écrit une lettre satisfaisante. Hélas I il y a peu
de gentilshommes de son espèce. Oui, cette générosité extrême
mérite toute ma reconnoissance ; si vous voyez l'un ou l'autre
de ces Messieurs , dites - leur combien Je suis très charmé de
n'avoir pas su la maladie de mon frère. Comme l'incertitude de
sa maladie (surtout à 3on âge) m'eût fait autant de peine que
la nouvelle de sa guérison me fttit plaisir.^ Je supplie que ses
amis l'empêchent d'entreprendre aucun voyage avant le départ
des Hottes au printemps , comme il- est très incertain si il me
sera possible de le voir sur cette année , ce qui me donne
beaucoup d'inquiétude. C'est maintenant le temps qu'il devrait
emporter avec lui quelque pacotille considérable. On ne doit pas
faire un cinquième voyage aux Indes simplement pour apprendre
la pratique de la navigation. La théorie est à quoi il devroit
s'appliquer polir quelque temps. Nos Messieurs qui naviguent font
généralement trop peu d'attention à cette grande tscience qui
seule dislingue l'officier du matelot. Je prie ses parents d'y fôire
attention. Qu'il n'épargne rien pour se perfectionner, je vousr
afsure que je me chargerai de la dépense avec plaisir, s'il
profite, comme son esprit avec un peu d'aiJplicatîon me le fait
espérer.
Vous ne me dites pas un mot de ma mère ; je n'ai pas
appris comment elle a supporté cet accident. Je me flatte que la
présence de ma mère (sic) aura distrait son imagination de dessus
42
— 338 —
ma longue détention, que j*espère cstre Lienl6l à sa fin. Comme
certainement les Ministres acquiesceront aux sollicitations de mes
protecteurs , et qu'ils regarderont mon imprudence suffisamment
punie par les cinq mois de prison que j'ai subi. La peine que
je vois prendre à mes amis ajoute beaucoup à ma douleur ; il
n'y a que la meilleure des constitutions qui auroit pu résister
aux troubles et vexations que j'ai souffert depuis six mois. C'est
à l'attention humaine que M. de Clugny, Intendant ici , a eu pour
moi que je dois ma santé et que mon courage ne se trouve
pas totalement abattu. Les nouvelles du pays me seroient très
agréables. Exhortez mes amis à continuer leurs sollicitations.
Ils peuvent compter sur ma très sincère reconnoissance. Écrivei-
moi bientôt. Adieu. Croyez-moi jamais avec un grand respect et
estime,
A. GORDQS,
Lettre à sir Pierre Gordon.
Mon cher Monsieur,
ï'ay reçu la lettre de M. Innés et incluse celle de change de
M. Brebnes sur Paris pour 2^ Si livres ^ 6 sols 4 deniers ; et comme
il n'y a pas la moindre, apparence que je reste assez long-temps ici
pour recevoir une autre remise, je vous prie de m'envoyer un
ordre pour toucher pareille somme chez le banquier sur lequel
ladite Içttrë de change ' est tirée. Écrivez - lui pour qu'il me la
fasse tenir* * ,
. le vous ai domié.dB trop justes raisons de vous plaindre de
mon silence. J(» suis à blâmer, je l'avoue, mais faites -moi la
justice de croira que je suis également incapable de vous regar-
der autrement que comme mon ami le plus sincère et ne sçau-
rois jamais oublier votre grande attention à mes affaires. Ma
détention m'a jeté dans un tel abattement d'esprit que je devenois
— 339 r-
insensible à ma situation , à tel point que^ j'ai passé des jours
entiers sans autre signe d'existence que- celui ordinaire à. uû
enfant nouveau-né. Cest à cette léthargie que j'impute mon
silence ; la nécessité de produire des preuves de mon innocence
m*a tiré de temps en temps de mon assoupissement ; ma dou-
leur alors ne me permit pas d'écrire seulement les lettres abso-
lument nécessaires. Aussi je paroissois alternativement menacé-
d'imbécillité et de frénésie ; mais grâce à la pomposilion natu-
relle de mes organes qui ont heureusement résisté aux différentes
secousses d'une prompte et extrême extension provenant d'ua
degré extrême de relaxation , l'équilibre détruit alors en quelque
façon commence à reprendre son pouvoir naturel , à proportion
que le temps de ma liberté approche , lequel cependant n'étant
pas entièrement établi présente les objets peu stables et dans. un
mouvement continuel, et dans une si grancjé distance flue leur
perception devient impossible. Ma dernièce situation me paroît
comme les objets dans une caméra obscura, quelquefois eflroya-
ble et d'autres indifférente en proportion qu'ils sont éloignés ou
rapprochés de leur juste foyer, et comme ce point de vue est
indéterminé , il restera de même aussi longtemps que l'équilibre
restera imparfait. Ainsi , je ne sçaurois définir les justes idéei
de ce que je sentis alors. - * • -
^ Vous serez extrêmement surpris de sçavoir que le malh^eux
qui m'a accusé si faussement se dit être le fils naturel du prince
Charles Edouard , mais d'un mariage secret. Ses raisotia^ dit-il,
pour découvrir le complot , étoient sa reçonn^issanfee pour .Je
gouvernement françois pour la protection que te Roi a accordée
à cette famille. Il a eu l'insolence d'écrire aii cérdinald'Yorck ,
pour qu'il soit reconnu pour tel. Je ne sçaurois* m'einpôcher de
remarquer que c'est le second imposteur do ce nom qui a taché
de n^ donner la mort, si vous vous rappelez que ce| Stuart,
qui étoit à Edimbourg il y a deux ans , a bien pensé me passer
— 340 --
son épée au travers du corps [chez Paton , lorsqu'il attaqua
M. Turner.
Recevez ma sincère feconooissancc pour avoir accepté la pro-
curation. Je Tai envoyée d'ici le 30 septembre. Je vous prie de
passer ou d'écrire à ma mère que j'attends ma liberté à tous
moments. Faites mes compliments à M. Innés, à M«>« Gordon
4' Avachies et à mes parents dans Aberdeen , et vous prie de
me croire , etc.
A. ÇORDOIV.
Gordon qui ne se sa\Tiit pas abandonné de lord Harcourt ,
fondait tout son espoir s\\r l'efficacité de l'intervention de cet
ambassadeur, appuyée des démarches de ses autres protecteurs.
Il ne dut plus se faire illusion lorsque M. de Choiseul , à qui
M. de Clugny avait rendu compte de l'état de la procédure,
répondit, le -10 novembre -1769 : « S. M. m'a ordonné de vous
mander que son intention est de donner un libre cours à la
justice et de vous laisser procéder au jugement définitif, lequel
sera exécuté contre tous les condamnés sans exception et saos
différer. S. M. a pensé que le cas éloit trop grave et les suites
de trop de conséquence pour qu'il pût être accordé des lettres
de grâce qui convieroient à de nouvelles entreprises du ràême
genre. Elle a jugé qu'il étoit nécessaire de faire un exemple , et
que , malgré ' sa répugnance à donner des ordres rigoureux ,
c'étoit ici le cas de préférer la justice à la clémence. Ainsi,
la conclusion de<5ette affaire demeure entièrement remise à voire
ministère de juge. »
Ge ministère commença à s'exercer le 23 novembre. Ce jour-
là et le lendemain , Gordon comparut seul à l'audiioire de la
sénéchaussée royale de Brest , devant M. de Clugny, qui avait
pour assesseurs MM. Alexis Labbé de Lézingant, conseiller
du Roi, sénéchal et premier magistrat civil et criminel au siège
- 341 —
royal de Brest; Claude Piriou, conseiller dn Roi, bailli au môme
siège ; Jacques-Mathieu Carquet , conseiller du Roi, lieulenant au
même siège ; François Bergevin, conseiller du Roi et son procureur
audit siège ; Alain Martret , sieur de Préville , avocat au Parle-
ment et bailli de la juridiction du Chàtel , et Jean Lespaignol,
avocat au Parlement.
Les charges qui pesaient sur Taccusé étaient si accablantes,
elles auraient tellement été corroborées , s'il en eût été besoin ,
par ses aveux , que l'issue du procès était certaine. Aussi, dans
la matinée du lendemain (vendredi, '24 novembre), M. de Clugny
crut-il pouvoir écrire au Ministre : « Monseigneur, nous sommes
actuellement assemblés pour procéder au jugement tie M. Gor-
don. Depuis samedi, nous avons travaillé matin et soir à la
Visitation du procès, et ce matin le sort de ce principal accusé
sera décidé. Il y a apparence» qu'il sera condamné tout ffunc
voix à la mort. En ce cas, suivant vos ordres , il sera exécuté
ce soir. Il restera ensuite à prononcer sur le sort des autres
complices. Cette affaire terminée , Monseigneur, je vous prie de
me permettre d'aller vous faire ma cour à Paris. »
A deux heures de là, les prévisions de M. de Clugny se véri-
fiaient. Après un dernier interrogatoire , Gordon, qui hb semble
avoir été assisté d'aucun avocat, se relira, laissant à ses juges
pour toute défense une supplique entièrement écrite de sa main
et contenant la confirmation de ses aveux précédents. Des copies
altérées de cette supplique circulèrent dans le temps ; celle que
nous donnons ici est fidèlement reproduite d'après l'original :
« Monsieur et Messieurs , vous êtes père. — Vous êtes tous
pères , heureux voar enfants. Vous leur êtes conservé. Lo mien ,
père de treize enfants , nous fut enlevé en son (rente - sixième
année , et lorsque je n'avois que douze ans. Quelle perte pour
moy ! Ma mère me reste encore. Veuve à trente-deux ans, elle
^ 342 —
se retira dans une maison de campagne, déterminée à passer
le feste de ses jours h élever ses cinque filles. — Le soin de
réducalion de nous autres fut confié à nos plus proches parents.
— Ma faute , si vous le voulez , mon crime , n'est point l'effet
d'un tempérament vitieux, suite souvent d'une éducation négli-
gée, mais d'un malheur qui m'avoit obligé de venir en France.
Milord Harcourt connoissant ma famille promit à ma sollici-
tation de me replacer dans mon ancien régiment. Il se prévalut
de cette conjoncture et me proposa ce fatal voyage.
Mon peu d^expérience me laissa séduire , ma recohnoissance
tne le fit entrepreneuse/
Figurez, en Milord tiarcdurt l'homme de soixante ans , décoré
^de toutes les beautés de la vieillesse. En lui je voyais l'homrae
de naissance^ le Ueutenant-général de nos armées, l'ambassadeur
en Fraiice et mon protecteur. — Que de prévoyance ne m'auroitil
fallu pour apercevoir la chaîne de malheurs qui devoit s'en
suivre , et sous quelles couleurs ne me présentoit-:l pas sa pro*
positron» Il me .fut impossible d'éviter le piège.
• ifi n*ai , hélas! que peu à espérer du côté des lois. —
Elle ne regarde que des faits. — J'ai tout en vous , vu que
l'État ne peut souffrir nul inconvénient de ce que j'ai fait ; de
plus, je déclare n'avoir jamais eu intention d'établir des liaisons
ici.. C'est le cruel hasard qui me le fit trouver.
Mitiguez donc, s'il se peut, la sévérité des lois. Permettez,
Messieurs , que je- vous rappelle encore une fois que j'ai une
mère ; permetteî;/que je vous recommandé l'honneur d'une famille
nombreuse. Elle csf noble. Mais s'il le faut, — ne me fait point
souffrir de: l'ignominie. — Laissez - moi agir en liberté , et je
saurois éviter le ridicule. -— Enfin , pour dernière grâce , que
je meurs en mon écharpe militaire, et qu'on le fait tenir ensuite
.à mon frère Charles. »
- 343 -r
Quelque touchante que fût cette invocation à rindulgence, les
juges, esclaves de la loi, firent taire leur compassion pour l'accusé,
et par la sentence suivante ,. rendue au iiom de M. de Clugny
seul, ils le condamnèrent unanimement à avoir la tète tranchée :
« Nous , Jean-Élienne Bernard de Clugny, etc, par jugement
souverain, avons déclaré et déclarons ledit Alexandre Gordon de
WardhoUse , dûment atteint et convaincu d'avoir, par des pra-
tiques ei manœuvres illicites contraires au bien de l'État , tenté
de corrompre et d'avoir corrompu , en effet , la ^délité des
sujets du Roi en les engageant p^r écrit et à prix d'argent, de
lui fournir tous mémoires et ren^ignements tant sur le nomBre
et la force des vaisseaux du Rok.eD ce.fjort, le nombre des
ouvriers qui y travaillent , les diverses espèces- d'approvisionné-*
ments et munitions qui peuvent .jr être rassemblé^, lés mouve-
ments et armements qui s'y feroient et la destination des vais-
seaux qui en sortiroient , que sur les ports , anses , ou bayes
ou pointes qui peuvent se trouver le long des côtes de Breta-
gne , de Saint-Malo à Brest, et spécialement de lui marquer les
endroits de la côte voisine de Brest les plus propres à y faire
des descentes avec sûreté , comme aussi d'entretenir correspond
dance avec lui sur tous ces objets après son départ , sous des
adresses supposées ;
Pour réparation de tout quoi et autres cas résultants du pro- '
ces , avons condamné et condamnons ledit Alexandre Gordon
de Wardhouse à avoir la tête tranchée par l'exécuteur de la
haute justice (^) sur un échafaud qui sera, poilr,cfet <fifet , dressé
en la vieille place du Marché de cette ville ; (2) -
». -b , • ■
(1) Il y en avait trois : Joseph et Pierre Ganié, exécuteurs des arrêts
dd Parlement, à Rennes. Ils vinrent et retournèrent en post^.vIls reçurent
456 livres pour leurs frais de route et de séjour. Ils eurent pour aide le
forçat Joseph Màget qui, lui , reçut 69 livres i5 sols.
(2) En face du marché couvert actuel, sur l'emplacement occupé par *
le Poids public et une partie, soit des maisons faisant face à ce marché ,
soit de celles qui sont situées en arrière du Poids,
— 344 —
* Déclarons , eu outre , tous et chacuns de ses biens situés en
pays de confiscation acquis et confisqués au profit du Roy, et en
cent livres d'amende , aussi au profit du Roy , en cas que la
confiscation n*ait lieu envers Sa Majesté ;
Ordonnons que le présent jugement sera imprimé et alïiché(^)
partout où besoin sera , et qu'il sera sursis au jugement des
autres accusés jusqu'à l'exécution du présent jugement. »
Rentré dans sa prison , Gordon ne tarda pas à y entendre
la lecture de sa sentence. Tout espoir étant irrévocablement perdu,
il se prépara à mourir. A sa prière, M. de Clugny se transporta
près de lui, vers trois heures de l'après-midi, et en présence
du P. Gardien des Capucins , de Denis , coiffeur de Gordon ,
depuis qu'il était détenu , de Condé, son domestique , du geôlier
et de M. Guillemard , écrivain de la marine , l'Intendant écrivit
lui-môme les dispositions testamentaires du condamné , disposi-
tions qui , malgré la confiscation prononcée par le jugement ,
furent exécutées plus tard , sauf celle qui concernait le soldat
Bruno , et celle qui s'appliquait à l'envoi de ses habits et de
son linge à M. Pierre Gordon, ces objets, suivant M. de Clugny,
ne valant pas les frais de transport.
Par cet acte , il exprima le vœu qu'on envoyât à son frère
Charles une montre en or qu'il avait laissée à Paris entre les
mains d'un M. Smith , peintre , une paire de pistolets , un
couteau de ^chasse , une épée et des éperons qui étaient dans
sa chambre chez M. Bordier ; que l'on fit parvenir son linge et
ses effets à M. Pierre Gordon (2) ; que sa chaise do poste fût
(1) Le jugement ne fut ni imprimé ni affiché, M. de Clugny ayant pensé
que l'accomplissement de ces deux formalités prolongerait rémolion que
la condamnation de Gordon produisit k Brest.
(2j La garde-robe de Gordon était celle d'un gentleman. Lorsqu'elle fut
vendue , une personne notable de la ville se rendit ajudicataire, au prix
de 100 livres, d'un habit de drap couleur lilas, galonné et doublé de salia
cramoisi , avec la culotte et la veste aussi en satin. La même personne
acheta pour 54 livres ses pistolets d'arçon. Son épée, k poignée d'argent,
fut vendue, avec le ceinturon , 72 livres 15 sols k une revendeuse.
-- â43 —
donnée a. M. Guillcmard , auquel M. Smith enverrait f on portrait
en miniature , qu'il conserverait , à la condition d'en faire faife
une copie pour M«« Gordon , sa mère ; enfin , que le produit
delà lettre de change de 2421 livres 46 sols 4 deniers que .
M. Siviniant (I) avait entre les mains fût réparti de la manière
suivante : 4200 h'vres à M. Kell, son tailleur à Paris ; 300 livres
de gratification à son ancien domestique Vincent; 444 livres de
gages et 300 livres de gratification à Gondé , qui Tavait servi
pendant sa détention; 120 livres de gages et de gratification
au perruquier Denis , qui l'avait accommodé pendant le même<
temps ; 450 livres au geôlier et à sa femme ; 36 livres pour
prix d'une croix d'or qui serait donnée à une bonne vieille
femme , âgée de 76 ans , nommée Marie - Françoise Creuzel ,
belle-mère de M. Toullec, laquelle le voyant passer peu de jours
avant son arrestation , près la porte d'entrée du parc des
vivres, du côté de la balioric royale, s'était écriée: « Ah I
le bel homme I si j'étais jeune , je voudrais qu'il fût mon
mari! • 5î livres et 40 volumes ou brochures (V Esprit des lois
de la Tactique^ le Siècle de Louis XI F, les Rêveries du Maréchal
de Saxe ^ etc.) qu'il avait à Pontaniou, au P. Gardien des
Capucins , qui devait l'accompagner au supplice ; le restant au
soldat Bruno.
(1) Indépendamment de celte somme, Gordon possédait celle de 180
Ji?res formant le reliquat des 384 livres dont il avait été dessaisi au moment
de son arrestation. Jointes h celle de 1052 livres 14 sols, produit de la
vente de ses effets , elles n'auraient pu couvrir qu*aue très minime partie
des frais de toute espèce qu'avait entraînés la procédure, lin premier lieu
se plaçaient les dépenses de nourriture des divers accusés pendant leur
détention à Pontaniou et au Bague. Elles s'étaient élevées : pour Gordon, k
1018 livres 6 sols 5 deniers; pour Durand, à 344 livres; pour Carmichaël,
k iSO livres 16. sols 8 deniers ; pour While , à 53 livres; pour Collins , à
773 livres 15 sols 6 deniers (le vin , Teau-de-vie et le tabac y entraient
pour une bonne part); pour Lenssens , a 72 livres; pour Condé , à 156
livres , et pour la Main-d*Orge , îi 108 livres.
Quant aux frais judiciaires proprement dits , ils s'élevèrent à un
chiffre énorme qui prouve qu'en 1769 la procédure criminelle n'était rien
4i
— 346 — '
La dictée de ses dispositions terminée , Gordon se coupa une
mèche de cheveux et la renferma dans une enveloppe cachetée à
Tadresse de sa mère , à qui il pria Tlntendant de la faire
parvenir, en même temps quMl enverrait son écharpe à son frère
Charles.
L'intervalle qui s'était écoulé entre la lecture de sa sentence
et l'arrivée de M. de Clugny, Gordon Tavait employé à écrire
quatre lettres à ses parents. Quand Flntendant se fut retiré , il
écrivit à son frère Charles la lettre suivante :
a C'est avant mon dernier moment , cher Charles , que je
' prends la plume pour te faire part de mon sort. Je suis con-
damné à perdre la tête sur un échafaud entre quatre et cinq
heures, ce 29 novembre après-midi. Ma seule consolation en ce
moment terrible est de n'être pas coupable des crimes que l'on
m'a imputés, et d'avoir arraché des larmes de mes juges mêmes.
Depuis l'existence des lois , jamais arrêt aussi cruel n'a été
prononcé contre qui que ce soit. En effet, si j'avois été coupa-
ble des crimes dont un Anglois , nommé Stuart , m'a accusé , à
quel supplice les juges m'eussent-ils donc condamné? Je suis le
plus infortuné de tous les hommes. Les deux personnages que
j'avois cru mes amis m'ont trompé; ils m'ont toujours flatté de
pouvoir obtenir ma grâce ; ils m'ont empêché d'intéresser en ma
moins quègratuiie. Ceux que nous appelons aujourd'hui officiers de police
judiciaire, et qui nfi reçoivent aucun salaire pour les actes inhérents a leur
ministère , tels que les agents de la maréchaussée qui firent les perquisi-
tions à Nantes , Bordeaux , La Rochelle , Saintes, Saint-Malo, etc.; les
juges eux-mêmes qt^ reçurent chacun 300 livres d'épices; tous ceux
enfin qui , k un litte quelconque , participèrent à la poursuite et à l'ins-
truclion de celle affaire, furent largement récompensés, voire même ceux
qui furent employés comme simples copistes de pièces , et auxquels 500
livres furent comptées à ce titre. Si Ton joint à ces diverses dépenses la
nourriture des accusés et les largesses que M. de Clugny obtint , comme
nous le verrons , pour lui et ses principau^ç auxiliaires, on trouve que le
total général des irais occasionnés par cette affaire dut s'élever à plus de
32,000 livres.
-347 —
faveur la noblesse d*Angleterre , d'Ecosse et d'Irlande. -'J'ai été
condamné, non pour avoir eu le projet d'incendier tous les
ports de France , parce que mes juges n'ont pu prouver un si
horrible crime, mais pour avoir pris des mesures avec deux>
hommes apostés ici pour me séduire, pour avoir plusieurs détailsr
de ce port, lorsque je serois en Angleterre. Le moment fatal
approche , cher frère ; j'entends dans Tescalier les gardes qui
viennent me chercher. Je te demande en grâce , cher Charles,
de consoler ma tendre mère : il m'est impossible de iBnir ma
lettre pour elle. Mes pleurs effacent chaque mot que je trace.
Embrasse tous mes parents et dis-leur que je meurs innocent. ^
Remercie mon oncle , Pierre Gordon, pour tous les soins qu'il
a pris. J'ai heureusement obtenu d'être exécuté avec toutes les.
marques militaires. M. de Clugny , mon juge , m'a promis de
t'envoyer mon écharpe ; elle te sera envoyée teinte de mon sang:
innocent. Quel motif, cher' frère , pour t' exciter à une juste
vengeancp. Je laisse la pluitie pour aller à l'échafatid. 0 mes
adorables et tendres sœurs 1 Je ne vous verrai donc jamais, je.
ne vous verrai plus I.... Cet arrêt est mille fois plus terrible que
la mort. Adieu , cher frère , mon frère , mon ami , dans une,
demi-heure je ne serai plus. »
Il était quatre heures. Le moment du supplice était arrivé;
La malheureuse victime de lord Harcourt y marcha vêtue de
noir et coiffée de brun. Remis, à la porte de l'arsenal , à un
. détachement de la garnison, Gordon monta la Grand'Rue d'un pas
ferme et la tête haute , mais sans affectatlofi ^ saluant tout le
monde, principalement les dames qu'il voyait en ^rand nombre
aux fenêtres , et causant avec le P. Gardien des Capucins qui
avait , mais en vain , essayé d'obtenir qu'il abjurât la religion
protestante. Il n'était pas garotté, et n'avait que fo'n écharpe qui
lui passait sous les bras, Parvenu sur la place du Vieux -Marché,
— 318 -
i)\i 45^\j!ômmes des troupes de la garnison et do la marine
•étaient sous les armes, il regarda Téchafaud sans qu'aucune
émotion se décelât en lui. Il s'entretint avec le plus grand calme,
^pendant un quart d'heure environ , avec M. Siviniant , grefiSer
' 4e la prévôté , et pendant la lecture de sa sentence , qu'il entendit
la tête couverte et un genou posé sur une pierre qu'il avait plus
particulièrement remarquée , toujours impassible , il se montra
très attentif à rénumération des griefs articulés contre lui. Cette
lecture terminée , il se releva et dit: ^11 n'y a donc point de
grâce , il faut prendre son parti. Mon Dieu ! donne-moi la force
de soutenir le môme courage jusqu'à la fin. » Il marcha ensuite
rapidement vers Téchafaud et le, gravit avec la plus grande légè-
reté. Parvenu sur la plate -forftie, il salua les assistants à trois
reprises , avec une noblesse exempte de recherche , et se borna
à dire : 4 Voyez, Messieurs, mourir un homme à vingt-un ans I •
Il se dépouilla de son écharpe , de son habit , qu'il ploya , prit
un mouchoir dans lequel il rdmena ses cheveux , reprit son
écharpe qu'il replaça comme s'il eût été de service , rabattit le
col de sa chemise , demanda si elle était bien , mît un genou
en terre, embrassa le poteau , et dit à l'exécuteur, en regardant
le couteau (t) qui devait lui porter le coup mortel : • Ne me
manque pas ! » Une minute après il avait cessé d'exister.
Dans une lettre que M. de Roquefeuil écrivit au Ministre, le
27 novembre, il s'exprima ainsi au sujet des derniers nïoments
(1) Cette funèbre relique se conserve encore k la Direction d'Artillerie
du port de Brest. C'est un large couteau renfermé dans une gatne en
cuir, et fabriqué pour la circonstance. Il est droit, et sa lame, en acier, est
large d'environ 0^,07 sur toute sa longueur, qui^st de 0'',75. L'épaisseur,
au dos, est de 0^,006 et va eu diminuant vers la pointe, qui est de forme
ogivale. Le manche, en corne, n'a que 0*^,18 de longueur et ne peut-être
manœuvré que par une seule main. Le poids total de Farme est de i k,500.
Il semble difficile que ce couteau , en raison de sa forme et de son
poids , puisse trancher la tête d*un homme d'un seul coup.
- 349 —
de Gordon : • Il mourut avec la fermeté la plus noble efia plus '
héroïque au rapport de tous ceux qui assistèrent à cette to^- *
lion. La conduite, d'ailleurs, douce et honneste qu'il avoit tenue
tout le temps de sa prison, a contribué à toucher le public iey,*.\
sur son malheureux sort. — M. de Clugny vous aura , Monsei-
gneur, rendu compte de la déclaration qu'il a fait avant sa mort,
où il paroît que son ambassadeur en France Fa poussé à sa
perte. On pense en effet ici que la forme a été contre lui plus
terrible que le fond , vu son inexpérience et sa jeunesse. Mais
il pouvoit être aussy temps que quelque exemple pût intimider
les étrangers qui s'instruiroient trop curieusement icy. •
Le môme jour, 27 novembre , M. de Clugny, de son côté ,
rendit compte en ces termes , au Ministre , des événements qui
s'étaient accomplis trois jours auparavant : s^
i Monseigneur, j'ai l'honneur de vous adresser Texpédilion du
jugement rendu le 2% de ce mois contre le sieur Gordon , en
conséquence duquel il a été exécuté le môme jour entre quatre
et cinq heures du soir. Il a soutenu la mort avec une fermeté
et un courage dignes d'une meilleure cause. En montant sur
l'échafaud , il déclara au greffier qu'il ne voulait rien changer
à ses réponses sur ses interrogatoires, et le chargea de mefaire
des coimpliments et des remerciements des attentions qu'on avoit
eu pour lui pendant sa prison. Tout le monde a été touché
de son sort. Les juges, en le condamnant, n'ont pu «'empôchef
de verser des larmes , quoi que bien persuadés qu'il inéritoit la
peine qu'il a subi. »
Le langage tenu par MM. de Roquefeuil et de Clugny était la
fidèle expression du sentiment public , consigné dans les deux
— 350 —
quatrrflns suivants, qui parurent immédiatement, et dont le second
fut Sttribué à M. Coquelfti :
D'un séducteur adroit, victime infortunée ,
Gordon, sur Téchafaud, nous fit verser des pleurs.
Son courage honora sa triste destinée ;
11 finit en héros sa vie et ses malheurs.
Un perfide vieillard séduisit ma jeunesse ;
Un sage magistrat confondit mes projets ;
Une mort héroïque expia ma faiblesse ;
Un peuple généreux me donna des regrets.
Le 25 novembre , il fut procédé au jugement de Dauvais et
de Durand.
Le môme jour Dauvais subît sa peine. Sa sentence portait
que , condamné à faire amende honorable devant la prmcipale
porte de J'église Saint-Louis, il y serait conduit ,tête nue et en
chemise, la cord« au cou, une tprche du poids de deux livres
à la main , avec deux écriteaux , Fun sur la poitrine , Tautrc
sur le dos , portant ces mots : Traître au Roy et à VÊtcâ \
qu'y étant à genoux il déclarerait s*en repentir et en demander
pardon à Dieu, au Roy et à Justice ; que ce fait, il serait con-
duit par l'exécuteur à la place du Vieux-Marché de cette ville
pour y être pendu et étranglé jusqu'à ce que mort s'ensuivît,
à une potence dressée à cet effet ; que deux heures après son
corps serait transféré hors de la ville de Brest, sur le grand
chemin , pouf y être attaché à un poteau.
A regard de ï)urand, M. de Clugny, par sa lettre au Ministre
du 27 novembre ^769, nous apprend que les six juges qui
avaient opiné avant lui avaient été d'avis de le condamner éga-
lement à la potence. « J'avoue, Monseigneur, ajoutait-il, que
quoiqu'cnticrement convaincu comme. homme qu'il a participé à
- 331 —
toas les projets cdinmels du sieur GordoB^ je n*ai pas trouvé
assez de preuves en qualité de juge pour lui faire perdrO la
vie. Les autres juges sont revenus à mon avis , et, l'on s'est
borné à ordonner contre cet accusé un plus ample informé indé-
lini , «t que cependant il garderoit prison l'espace d*un an. •
L'année se passa et aucune information nouvelle n'eut lieu.
Quoi qu'il en soil, Durand ne fut pas élargi. Pensant que Tavène-
ment de M. de Boynes au ministère de la marine pourrait être
une circonstance favorable au prisonnier, M. de Cambres, prieur
de Royan 'et oncle de Durand , s'empressa , dès l'entrée en
fonctions du nouveau Ministre, de lui adresser une lettre où
se trouvent les passages suivants : -
« J'ai servi de père à ce jeune homme en partageant, pour
son éducation , une partie du revenu que ma place me procure.
Les progrès qu'il a faits en tout, la bonne conduite qu'il a tenue
et l'estime qu'il avait méritée de ses maîtres m'avoient engagé
à me priver du nécessaire , pour lui procurer les moyens de
«'avancer dans la profession de médecin. Une aventure malheu-
reuse et dans laquelle tout autre gagné comme lui par une pers-
pective fâcheuse n'annonçant rien que de décent et de permis se
^croit prêté , un événement aussi inopiné que malheureux , en
me l'enlevant , jeta sa famille et la patrie d'où il est dans la
douleur et la consternation.
La Faculté de Montpellier qui , le jour de sa réception, Favoît
proposé à it)us ses étudiants comme un modèU d'application et
de sagesse, se hâta, au premier bruit de son désastre, d'adresser
à Msr le duc de Praslin le.s témoignages les plus authentiques d^
fies mœurs , de ses talents et [de sa capacité. Il n'y avoit pas
à présumer que ne sortant que de dessus les bancs, il eût perdu
- 3Û2 —
de vue des devoirs aussi essentiels, el devînt aussitôt coupable
au premier chef..,. C'est un malheureux, non un coupable....
Son jugement portoit un plus ample infarmc pendant un an
de détention. Le temps est expiré , et six mois se sont écoulés
au-delà du terme prescrit. Rien n'a paru à sa charge et tout disoil
à ses parents qu'il alloit leur être rendu. M. de Clugny, son juge,
m'a ffiit.rtïOinneur de m'écrire très souvent. Il a toujours sou-
tenu mes espérances , et ce n*est , dit - il , qu'aux changements
arrivés dans le ministère que je dois attribuer le délai de son
élargissement.
Nous réclamons tous un chef de famille, un parent que son amé-
nité, que sa sagesse nous ont toujours fait chérir avec tendresse.
Si mes infirmités , si ma place me le permettoient , j'irois me
jeter à vos pieds et vous demander avec humilité un enfant dont
je me rends moi-môme caution.... J'espère que votre avènement
an ministère sera marqué par cet acte de bienfaisance qui le fera
bénir. »
La réponse h ces supplications fut une décision du Conseil
portant que « comme il paroissoit de la prudence de ne pas
laisser rentrer dans la société un sujet qui n*a pas craint de se
livrer à un étranger, au préjudice des intérêts du Roî et de
FÉtat, et qui pourroit. en recouvrant la liberté, porter chez nos
voisins, les connaissonces locales qu'il a pu acquérir, il étoil
convenable qu'il fût détenu dans une maison de force jusqu'à ce
qu'il eût plu au Roi d'en ordonner autrement. •
M. tïeBoynes ayant consulté M. de Sartine , lieutenant-général
de police, sur le choix de la maison, ce dernier lui répondit, le
29 mai 4771 :
« Pour entrer dans les vues d'économie que vous m'annonces,
je ne vois pas de maison plus convenable que celle de la Charité,
. ~ 3o3 —
de Poûlorson , où le nommé Durand seroit reçu au moyen de
500 livres de pension et de 100 livres pour son entretien , ou
celle de Bicêtre moyennant 300 livres pour tout.
Au surpins , si vous vous déterminés pour les deux endroits
que j'ai Tbonneur de vous proposer , le transfèrement du con-
damné ne sera pas fort coûteux en le faisant conduire par la
maréchaussée. Je ne dois pas vous laisser ignorer qw la cherté
des vivres a fait augmenter les pensions dans toutes les maisons
de force, et que je n'en connois point à un prix plus modique. »
Transmise à M. de Cambres ^ et par lui au supérieur des Cor-
delièrs du couvent de la Garde, près de Clermont, en Beauvoisis ,
cette lettre amena un arrangement par suite duquel Durand fut
transféré dans ce couvent, où il arriva le 20 juin 1771, sous
rescortq du sieur Prévost, capitaine des chaînes, à qui la famille
dut payer, pour cette translation, la somme de -1461 livres,
calculée , disait Prévost , conformément à ce qui lui était alloué
par M. le duc de la Vrillière, lorsqu'il le chargeait de l'exécu-
tion de pareils ordres, ce qui étoit fréquent. En remettant Durand
entre les mains du P. Gardien , Prévost régla avec lui le prix
de la pension du détenu, qui fut fixée à 400 livres , plus 400
livres d'entretien, le tout payable de six mois en six mois sur
la quittance de ce religieux. Durand se rendit bientôt utile aux
populations voisines du couvent , commiî^ on en peut juger par
la lettre suivante, que le P. Bré , Gardien, écrivit au Ministre
dès le 28 septembre 4774 : « J'ai permis que le sieur Durand ,
médecin , qui est ici par vos^ ordres , fût consulté par 4)lusieufrs
malades indigents; le zèle avec lequel il s'y est porté et les
succès presque inattendus qu'il a eus sous mes yeux , le rendent
si utile dans les maisons que tous les jours des pauvres ont
recours à moi afin d'obtenir les secours charitables de ce pen-
sionnaire pour des malades hors d'État d'être transportés; Il s'y
45
~ 3S4 —
'refuseroit dès qu'il faudroil outrepasser les bornes de la plus
exacte régularité, et je ne vaux moi-môme Vy engager à le faire
• qu'avec vos bonnes grâces.
,. Si vous ne le désapprouvés pas , Monseigneur, je permettrai
au sieur Durand de sortir avec un religieux pour secourir ces
malbeureux. Je dois des éloges à la conduite qu'il tient ici , et
je ne crains pas de répondre de celle qu'il tiendra , ainsi que
* de -sa personne. Le bien, Thumanité me fait oser vous demander
cette grâce. »
Nous ignorons s'il fut fait droit à cette demande, mais ce que
nous savons, c'est que le Ministre , cédant, après 18 mois de
séjour de Durand au couvent de la Gardé , aux sollicitations
pressantes et réitérées de M"« de Fitz- James, princesse de Chi-
may, consentit à ce que , pour alléger la situation du pension-
naire, ei le rapprocher de sa famille, il fût transféré au couvent
-des Cordeliers de Cahôrs, où il fut déposé le 6 mai -1773. Dix-
huit mois .plus tard (24 décembre -1774), Mm« la princesse de
Chimay, secondée par l'évêque ^'Agen , renouvela ses instances.
L'un et l'autre sollicitèrent la révocation -des ordres qui, depuis
cinq ans , privaient Durand de sa liberté. Le Ministre demanda
à Brest une copie de la partie de la procédure le concernant,
et en même temps il consulta M. de Clugny. Quelle fut l'issue
définitive de toutes ces démarches?' Rien ne nous Ta fait con-
naître ; mais nous aimons à penser qu'elle dut être favorable à
Durand.
Le 28 novembre 4769, il avait été statué sur le sort des autres
:accusés. Ils étaient au nombre de six : Pierre Bruno, soldat au
régiment de Béarn ; Gabrielle-Jeanne-Louise Main-d'Orge de Levie;
Jacques Carmichaëi , interprète de la langue anglaise au Havre ;
Adrien Vincent , ancien domestique de Gordon ; Jean Lenssens,
commis de M. Parck , et François Bonifeau , cordonnier, celui ,
— 3oS -
croyons-nous , dont la femme ^vait mis Gordon en rapport avec-
Omnès, Pierre Bruno fut seul condamné à 5 livrés d'amende envers
le Roi , avec injonction d'être plus circonspect à Tavenir, sous
peine de punition corporelle. Les cinq autres furent acquittésk-
et mis en liberté.
Restait le prétendu Stuart. Comme il était ténK)in et non accusé,
il n'y avait pas à le juger, à moins qu'on ne Teût fait en raison
de son faux témoignage. On pensa qu'il n'en valait pas la peine,.
et comme sa déposition, dont il n'avait été tenu aucun compte,,
avait ajouté à la répulsion et au mépris qu'il inspirait auparavant,
il fut retenu à Pontaniou. Mais, ^u mois de janvier ^770, M. le
duc de Choiseul ayant ordonné sa translation à Bicétre, M. Mar-^
chais, en l'absence de M. de Clugny, fit connaître qu'une rechute,
occasionnée par l'état de sa santé , le privait de l'usage de la
jambe droite , et que le seul moyen de le faire parvenir à sa
destination , c'était de le mettre (ce qui eut lieu) dans le panier
du carrosse de Brest à Paris, que l'on ferait accompagner, do
brigade en brigade, par un cavalier dé la maréchaussée. Lorsque
ce misérable arriva à Bicôtre , le 23 mars ^770 , M. Le Breton,
charçé de l'écrouer, reconnut en lui un individu qu'il avait arrêté,
deux ans auparavant , dans un bal de Saint-Cloud, où une rixe
avait eu lieu entre des Anglais et des mousquetaires. Il s'était ,
en celte circonstance y représenté comme gravement offensé , en
sa qualité de parent du Prétendant. Vérification faite , il fut
reconnu pour le fils d'un bas - officier, né à Menden , et il fut
constaté que l'héritier des Stuarts avait couru toute l'Europe et
avait joué divers rôles , mais avant tout , bien entendu , celui
d'escroc.
Les coupables punis, il y avait, selon l'usage du temps , à
récompenser ceux dont le concours avait amené leur châtiment.
L'exempt Lemonnier qui , dans le rapport dont nous avons
reproduit des extraits, avait rejeté toute rémunération pécuniaire et
- 356 -
déclaré préférer des marques distinclives de son Roi, avait pourtant
reçu une grqtiQcalion de ^000 livres. Cela ne lui suffisait pas.
Oubliant que certains services ne peuvent et ne doivent se payer
qu'en argent, il tenait pardessus tout à une position qui fût
tout à la fois honoHQque et lucrative , et son ambition n'allait
à rien moins qu'à devenir officier. « Il avait apporté en naissant,
disait-il, l'amour de servir son Roi et sa patrie ; aussi espérait-il
que le meilleur des Rois voudrait bien l'adopter pour un de ses
meilleurs sujets en lui octroyant la survivance de la prévôté de
la marine à Brest, et en lui donnant des marques de bonté qui
éterniseraient dans son cœur son nom et ses bienfaits. § Ces
nobles sentiments ne rencontrèrent qu'ingratitude ! Lemonnier
resta simple exempt, et c'est en cette qualité que nous le retrou-
vons accompagnant et déposant, le 2 juin 1775, M. de Kcrguelen
au château de Saumur. Quatorze ans plus tard , il eut , il est
vrai, une fiche de consolation. Appelé , comme député de la
prévôté de la marine , à faire partie des cent membres qui se
constituèrent , le 21 juillet -1789, en conseil général de la com-
mune j il exerça sa part de l'autorité souveraine que s'attribua
cette assemblée. Nous ignorons quel était alors son grade mili-
taire. Tout ce que nous savons, c'est que, le !«' novembre suivant,
il fut félicité , par le conseil général , de la prudence , de la
fermeté et du courage dont il avait fait preuve comme comman-
dant de la brigade de la prévôté de la marine , lorsque 2,000
hommes de troupes furent dirigés , le 20 octobre , de Brest sur
Lannion, afin d'appuyer par la force , s'il en était besoin ^ la
libre exportation des grains achetés , les jours précédents , par
les commissaires que le conseil général avait chargés d'approvi-
sionner le port de Brest.
Omnès toucha 800 livres. Sans son ivrognerie, il eût été placé
comme écrivain dans le port.
^ 357 —
Quand des personnages d'un ordre si infime étaient si large*
ment récompensés , M. de Clugny et ses auxiliaires , plus élevés
dans la hiérarchie, devaient, de toute nécessité, Télre encore bien
davantage. Aussi le furent-ils. Laissons ce dernier déduire les
mérites de chacun ; s'il plaida pour les autres , il ne s'oublia
pas lui-môme, La lettre suivante, qu'il adressa au Ministre le
•I" décembre -1769, témoigne assez que, chez lui, le zèle s'alliait
à une cupidité qu'aujourd'hui on trouverait , à bon droit , aussi
sordide qu'anormale :
(I Monseigneur, le travail extraordinaire qu'a occasionné le
procès du sieur Gordon et de ses complices , l'éclat que cette
affaire a fait dans le royaume et même dans toute l'Europe,
l'activité et l'intelligence avec lesquels la procédure a été suivie,
méritent quelques marques de satisfaction de votre part aux
principaux officiers qui y ont été employés.
M. Bergevin , procureur du Roi de la sénéchaussée royale , a
été chargé de l'instruction de la procédure depuis le moment
où j'ai cessé de la faire. Il y a employé 96 vacations , et vous
n'aurez pas de peine à le croire, Monseigneur, à la vue de l'extrait
de la procédure que je vous ai adressé, et qui peut vous faire
juger de son imniensité. Il est d'usage de payer chaque vacation
à raison de 12 livres. Ainsi, cela feroit pour cet objet seul une
somme de If 52 livres ; mais, indépendamment de cette instruc-
tion , M. Bergevin a encore été chargé du rapport du procès. Il a
été obligé de se livrer à un travail de cabinet pénible , et qui lui a
imposé plus de trois semaines pour rassembler les détails des faits
et de la procédure et réunir les charges qui en résultent. Enûn,
il y a eu le rapport, la visite du procès et le jugement qui ont duré
douze séances. Je ne parle pas de toutes les allées et venues
auxquelles M. Bergevin a été obligé pendant tout le temps de
l'instruction , soit pour venir conférer avec moi , soit pour se
— 3d8 -
transporter dans les prisons et au bagne , où les prisonniers
étaient dispersés, etc. Ce que je puis vous assurer, Monseigneur,
c'est que, depuis six mois, tout son temps a été presque absorbé
par cette affaire. Biras' celte circpnstance, j'ose donc vous deman-
der pour lui une gratification de 5000 livres , et je crois qu'elle
ne peut pas être moins forte. D'ailleurs , il faut des choses qui
encouragent en pareilles circonstances , et je ne puis vous faire
trop d'éloges de la manière dont M. Bofgèviû: s'est acquitté en
tous points de cette opération. '
Le sieur Siviniant , greffier, et le S* Saint-Haauen , procureur
dû Roi (4), méritent aussi d'avoir part à vos bienfaits. Tout leur
temps a été employé depuis six mois à cette affaire. Il revient
au sieur Siviniant 900 livres environ pour ses vacations, et ua
peu moins au Procureur du Roi. J*ai l'honneur de vous proposer
de leur accorder à chacun 4200 livres de gratification.
A l'égard des autres juges , ils seront payés i l'ordinaire.
Il me reste. Monseigneur, à vous parler de ce qui me regarde.
Sans ma vigilance , le sieur Gordon se seroit échappé de Brest
et auroit peut-être tiré un parti dangereux pour TÉtat des cor-
respondances qu'il avoit établies ici avec le soldat de Béarn, qui
n'ont été découvertes que par les papiers saisis chez lui. Il me
paroît donc , sans y mettre de l'amour -propre , que j'ai rendu
un service essentiel au Roi et à l'État.
C'est à vous , Monseigneur, de l'apprécier, et je m'en remets
à votre justice. J'ai eu , en outre , un travail extraordinaire par
l'instruction de la procédure que j'ai suivie moi-même jusqu'à
la fin de juin. Je serai toujours satisfait de ce que vous voudrez
(1 ) Il était Procureur du Roi de la Prévôté , et prenait , dans la procé-
dure , la qualification de Procureur du Roi et de la commission. Il faisait
les réquisitions , et M. Bergcvin , Tinstruction proprement dite.
— 339 --
iien ordonner, à mon égard. Mais je vous supplie de vouloir
bien me faire connaître promptement vos intentions , afin de ne
pas laisser languir ceux que j*ai flattés de vos grâces.
Je suis avec respect , etc. »
Le ^Ministre remit à statuer sur ces demandes jusqu'à l'arrivée
à Versailles de M. de Clugny, qui partit de Brest le 22 décembre
1769. Une fois sur les lieux , Tlntendant parla tant et si bien
pour ses co-intéressés et pour lui-même que le Ministre accorda
4000 livres à M. Bergevin , -1200 livres à M. Siviniant , pareille
somme à M. Le Coat SaintHaouen, et celle de -12000 livres à
l'auteur de ces diverses demandes.
Le nom de Gordon était prédestiné à être une cause de souci
pour le gouvernement français. Sept ans à peine s'étaient écoulés
depuis le supplice de Tofficier écossais , lorsque surgit un autre
espion qui portait son nom ou avait jugé à propos de le pren-
dre. Ses projets furent révélés à M. le comte dq Vergennes, Ministre
des affaires étrangères, par le marquis de Blosset , dans une lettre
datée de Lisbonne le 28 octobre ^776. Elle est ainsi conçue .
« Il se trouve ici, Monsieur, un espion du gouvernement portu-
gais qui s*est d'abord donné pour un officier de la marine françoise
et se dit à présent parent de M. le Che^de Saint-Priest. Cet homme,
d'environ 50 ans, petit de taille, un peu gros, boiteux et portant
le nom de Gordon, se propose de s'embarquer dans quinze jours
pour Marseille sur le vaisseau le Saint-François-de-Sales, capitaine
Adrien Sénécah II va, suivant les apparences, exercer son honnête
métier chez nous, et ensuite en Espagne, d'où il revenoit lorsqu'il a
débarqué à Lisbonne , il y a plus de deux mois. Je ne l'ai pas vu,
car vous croyez bien qu'il ne s'est pes présenté chez moi ; mais on
dit qu'il parle presque toutes les langues de l'Europe. Si on peut
l'arrêter et saisir ses malles, on connoitra sans doute l'objet de sa
commission. »
— 360 -
M. de Sartlne , à qui M* de Vergennes renvoya celte lettre ,
expédia à MM. de Glandeves et de Saint-Aignan les ordres néces-
saires pour que le nouvel espion fût arrêté à Marseille , s'il y
débarquait ; mais il ne semble pas qu'ils aient eu occasion de
remplir leur mission, où 's'ils le firtat, elle ne leur fournît pas
matière à un déploiement de zèle égal à celui de M. de Clugny.
P. LEVOT.
Denis La^arie deî.
i.iîK fioifcr, Brest
E J'Ieury, Iith
PIERRE T Q MEALE
provenant, de l'ancienne Abtaye de
LANDEVENNEC iF^iintère'
RAPPORT
<-T
SCB U *^
Vietre tomliale de liandévennee.
Messieurs ,
Vous avez nommé une commission pour étudier la pierre
tumulaire dont M. Yignioboul a fait hommage à la Société Aca-
démique de Brest , comme curiosité archéologique , et cette
commission m'a fait l'honneur de me jdésigner pour son rap-
porteur, quoiqu'elle eût pu trouver dans son sein un interprète
plus compétent et plus habile parmi les honorables membres
qui se sont sérieusement occupée avant moi de l'étude de cette ,
pierre , çt dont les recherches et le travail ont jeté sur la ques-
tion à résoudre tout le jour qui a pu servir à l'éclairer. Cette
question , Messieurs , était , il faut le dire d'abord , délicate et
46
- 362 - ^
ardue ; aussi, nous ne nous flattons pas de l*avoir décidée d'une
manière certaine et absolue; nous ne vous apporterons donc
que des probabilités, des vraisemblances. Dans Tétat où la pierre
nous a été soumise, vous jugerez vous-mêmes qu'il eût été témé"
raire de notre part d'en agir autrement.
Tout ce qui lient à nos antiquités bretonnes et à notre archéo-
logie locale éveille nos sympathies les plus vives , et tout ce qui
respire un sentiment religieux ranime, exalte et transporte au
fond de nos âmes cette foi native qui est le caractère propre
de la pieuse Armorique , et sous l'inspiration de laquelle tant
d'églises élégantes , de clochers aériens et de monuments typi-
ques ont été élevés, comme par miracle, jusque dans les moin-
dres bourgs de la Basse-Bretagne, Notre Société , jeune encore ,
aime à trouver dans la contemplation de ces œuvres , dans le
culte de ces gothiques souvenirs , l'aliment le plus fécond de
ses travaux , et déjà plusieurs de ses Membres , à Texemple de
son infatigable Président , qui a largement tracé la voie , ont
apporté à la Compagnie, soit en prose, soit en vers, le tribut de
leurs sérieuses élaborations. Ainsi , nous pouvons le dire avec
un légitime orgueil : nous avons des éléments de vie , parce
que nous sommes pénétrés de la nécessité de produire des tra-
vaux pour parvenir au but que nous nous sommes proposé en
nous réunissant.
Mais honneur d'abord , Messieurs , à ceux qui nous viennent
en aide 1 Honneur à M. le Maire de Brest, dont les sympathies,
depuis la formation de notre Société , ne nous ont jamais fait
défaut , et qui a bien voulu mettre à notre disposition le vesti-
bule de la Bibliothèque, , pour y placer tous les objets d'anti-
quité que nous pourrions recueillir I Honneur à M. le Préfet da
Département et à Mb' l'Évoque de Quimpcr, dont les sentiments
pour nous ont été exprimés dans les lettres les plus affectueuses
et les plus encourageantes! Honneur à tous les autres Chefs
— 363 —
d'administration qui partagent pour nous cette bienveillanee si
flatteuse ! Mais^ honneur aussi, dans lu circonstance qui m'appeltc^
à vous faire ce rappwt , à M. Vignioboul qui s'est prêté , ave«* ^
tant de grâce, à nous faire le don de la pierre, objet de Texaraen ,*
attentif auquel nous nous sommes tous livrés, à diverses repri* ' ^
ses , pour remplir la mission que vous nous aviez confiée t ^
La découverte db cette pierre est due, vous le savez, à notre
estimable collègue, M. Duseigneur, l'un de nos Membres les pluss^
actifs et de nos travailleurs les plus zélés, qui, ayant entendu dire *
par un ancien propriétaire de Landévennec qu'il devatt exister à ♦
Brest, dans une des cours d'une maison située près du Quartier
de la Marine , une pierre tombale provenant de cette célèbre
abbaye , en parla à notre honorable Président et à M. Fleury,
bibliothécaire- archiviste de la Société. A la ^mftnde et sur les
indications de M. Duseigneur, ces deux Messieurs l'accompagnè-
rent chez M. Vignioboul , qui leur montra , au bas de la porte
d'entrée de sa maison, une grande dalle dont une partie servait
de seuil. Ifs découvrirent aussitôt sur cette pierre , un person-
nage dont la tête paraissait raîtrée , tenant une crosse en main
et vêtu d'habits pontificaux. Autour se voyait une légende en
caractères du XÎlie siècle , le tout gravé en treux , sans aucun
relief.
M. Fleury ne tarda pas à faire un travail sur celte précieuse
découverte qui devint , le jour même , un des premiers orne-
ments de notre musée archéologique. Mais il le produisit avec
une grande modestie , en émettant le vœu qu une commission
fût ponimée pour rechercher à quel personnage pouvait appar-
tenir la pierre dont il s'agit.
M. Mauriès a aussi fait un' travail analogue qui , depuis que
nous l'avons adjoint à notre commission pour éclairer nos
recherches, a été modifié à la suite de diverses explications^
~ 364 -
Ces études spontanées de IfM. Fleary et Mauriès ont rendu
plus facile le travail de votre commission , qui vient , par mon
organe , vous en faire connaître le. résultat
Je vous ferai remarquer d'abord, Messieurs, que la pierre
tumulaire soumise à nos Investigations est mutilée par le haut et
par le bas , parce qu'eDe a été coupée aux deux exti*éniifés ,
pour servir à l'usage auquel on l'avait appropriée. Triste destinée
des choses d'ici-bas I La violation des tombes est un des crimes
les plus odieux des révolutions. Landévennec , cette sainte et
antique abbaye, était devenue propriété nationale. Ses ruines ne
devaient pas être respectées. Les pierres de son temple furent
vendues comme matériaux à des entrepreneurs de Brest, qui les
employèrent à divers travaux de construction , et c'est ainsi que
celle qui nous occupe fut transformée en seuil de porte en
n92 ou M93.
La mutilation de cette pierre empêche de voir la légende tout
entière, et aucune date ne s'y trouve. Nous avons pourtant indi-
qué plus haut le XI11« siècle comme> l'époque à laquelle elle doit
se rapporter.
La commission , Messieurs , s'est rangée à cet égard à l'opi-
nion de M. Flcury, qui s'est fondé sur celle de M. de Cau-
mont , dans son cours d'archéologie , pour établir que ce n'est
qu'à la fin du douzième siècle qu'on commença à orner les
tombes de leffigie du défunt. On ne les sculptait pas en relief,
on se bornait à graver en creux sur la pierre , comme il a été
pratiqué dans celle qui a fixé notre attention, r
Dés exemples existent, dans notre département, de ces pierres
gravées en creux. Ainsi, nous dit encore M. Fleury, la tombe
du sire de Kermavan , dans l'église de Lochrist , près Plouescat,
que j'ai visitée moi-môme, offre ce caractère et porte la date
de ^213. M. de Caumont signale .encore la forme des mitres
et des crosses comme un indice certain de l'âge des istatues.
/
-. 365 —
Les mitres furent d'abord très basses , n'ayant pas plus de 3 à
U pouces de hauteur^ et elles continuèrent à être peu élevées
jusqu'à la fin du XIII« siècle. Or, la mître qui couvre la tête du*
personnage de notre pierre (si toutefois c'en est une, car elle
parait être plutôt un simple ornement), présente à peine cette. ^ ^
hauteur, et ne saurait être rapportée au XIV« siècle , où les
mitres avaient 7 à 8 pouces.
Une dernière preuve de la date se tire de la forme des carac-
tères de la légende. En effet, M. de GaumOnt nous donne un foc
simîle d'une inscription du XI(I« siècle , en caractères absolu-
ment semblables à ceux employés dans la légende de notre
pierre.
Donc , il parait sufiQsammcnt démontré que la date que nous
avons assignée à cette pierre est la véritable.
Maintenant, à quel personnage se rapporte-t-elle ? Là est tout
le nœud de la difDculté.
V Abécédaire de M. de Caumont vient encore à notre secours
pour nous aider à déchiffrer ce qui reste de la légende.
Nous avons dit que la pierre était coupée par les deux bouts,
et Ton doit supposer naturellement que la légende en occupait
tout le tour, en commençant par le haut. Cette pierre n'a effec-
tivement aujourd'hui qu'un mètre 65 centimètres de long , et ,
conmie le fait observer judicieusement M. Mauriès, dans les notes
qu'il nous a soumises, c'était à peine de quoi couvrir un cada-
vre , et les moinçs d'une riche abbaye n'auraient pas mesuré
d'une main si parcimonieuse la pierre tumulaire de leurs abbés.
Quoi qu'il en soit, voici ce que nous avons cru lire dans l'état
actuel de celte pierre , sur ses bandes latérales :
Du c6té droit : Leonia : dictus : Porcus : guondam : abb
Du côté gauche : uemoc : cujus : anima : resquiescat : in : pace.
— 366 -
Les caractères de celte légende sont identiquement semblables
à ceux de Finscription donnée par M. de Caumont à la page
512 de son Abécédaire ou Rudiment d* archéologie {Architecture
religieuse), . , *
M, Fleury avait d'abord pensé qu'il fallait commencer à Ere
' rinscription de la pierre par la gauche , et que le mot ennoc
ou Guennoc pouvait être le nom du personnage , mais il a de
suite abandonné celte interprétation qu'il présentait d'ailleurs
sous la forme d'un très grand doute.
Il croyait lire aussi: dictus doctus^ et tous les membres de
votre commission semblaient disposés à accueillir ce sentiment,
tandis que M. Mauriès croyait voir dans ces mots : dignus
domnus ou dominus^ et ayant trouvé, dans le Catalogue historié
que des évoques et abbés de Bretagne, de D. Morice, que Jean de
Léon , abbé de Landévennec , occupait le siège abbatial de ce
monastère au mois de Juin -1293, il ne balança pas à l'indiquer
comme celui auquel appartenait la pierre tombale.
Nous ne pûmes admettre le dignvs domnus de M. Mauriès.
Nous abandonnâmes aussi le dictus doctus de M. Fleury et nous
nous crûmes fondés à lire en dernier lieu : dictus Porcus.
Nous avons trouvé , en effet , par les soins de M. Le Men ,
archiviste du département, à Quimper, que dans le cartulaire de
Landévennec figure un abbé du nom de Johannes dictus Pof-cus
(Jean, dit le Porc), et en relisant le mot que nous avions cru
d'abord être doctus ^ nous avons, à l'aide de V Abécédaire de
M. de Caumont , trouvé toutes les lettres qui peuvent former
le mot Porcus , et nous nous sommes arrêtés unanimement à ce
nom du cartulaire dont l'autorité nous a paru décisive. Nous avons
ensuite admis que le Johanries de Leonia qui pouvait nous écarter
de cette interprétation toute rationnelle, pouvait bien aussi être
le môme personnage que le Johannes dictus Porcus dont nous
-. 367 --
trouvons le nom dans les listes des ibbés de Landévennec,
données par D. Morice et par M. de Frémînville.
Le mot Porcus après dictus est le nom propre latinisé de celui
qui a dû être indiqué au haut de la pierre dans la partie enle^
\ée , et il a paru à votre commission, que puisqu'il avait existé
un abbé de ce nom appelé Jean, le monument qui nous occupe
pouvait , avec une certaine probabilité, se rapporter à lui, quand
bien même il serait autre que le Joannes de Leonia ^ qui n'est
admis ni dans le cïirtulaire , ni dans D. Noël Mars , l'historio-
graphe de l'abbaye.
Ainsi la légende, en y suppléant ce qui manque, pourrait être
complétée et expliquée comme suit :
Hic \ Jacet : Johannes : de : Leonîa : dictus : Perçus : qumdam :
<ibbas : hujus : monaslerii : de : Landguennoc : eu jus : anima :
regUiescat : in : pace : amen.
Nous avons pensé que les deux jambages qui se trouvent
devant vie mot ennoc , au bas de la bande latérale gauche de la
pierre, pouvaient être un u ou un v, et que ce mot devait être
les deux dernières syllabes de Landguennoc ou Landevennoc ,
parce que , comme le dit M. Levot, dans sa Notice sur Lan-
dévennec ^ ce nom est écrit tour- à tour. dans l'ancien cartulaire
de l'abbaye Lantewennec , Lantewenoç et Lantguennoc , dans la
charte de Louis le Débonnaire. Du reste, comme la chose la
plus certaine pour nous, c'est que la pierre provient de Lan-
dévennec, il nous a semblé qu'il ne pouvait à cet égard y avoir
aucun doute, et que c'est bien Lantguennoc ou Lanievennoc qui
a dû être inscrit en cet endroit.
Tous les autres caractères de la légende ne présentent aucune
ambiguilé , et comn|e elle devait faire le tour de la pierre ,
-^ 368 —
nous avons pensé que la partie enlevée de la bande latérale
gauche devait contenir le mot amen ou la date.
Nous répétons que cette épitapbe ainsi rétablie est donnée
par nous, sous toutes réserves et comme une simple probabilité
dont nous ne pouvons garantir le fondement. Pour étayer notre
opinion , nous avons celte d'un bomme qui se recommande à
la Société par ses connaissances paléograpbîques , de celui qui
nous a f£ttt connaître le cartulaire dont il a le dépôt , de
H. Le Mcn , enfin , qui a fourni à notre Président tous les
renseignements en son pouvoir, et qui a ainsi résumé son sen-
timent sur cette pierre :
« il y a bien une difficulté au sujet du de Leoniay parce qu'on
lit dans D. Noël Mars : « Johannes II Porcus , aliàs de Parco
in Roslohensi pago (Rosnoen où est le château du Parc) curavit
ut Guillelmus de Redonis martyrologium à 1293 describeret. » (I)
Mais ceJLte difficulté est peu de cbose , si Ton réfléchit que D.
Noël Mars n*admet parmi les abbés aucun Johannes de Leonia,
d'accord en cela avec le cartulaire, et que le bon Père, choqué
du nom de Porcus^ a cherché à le traduire en un autre plus
propre et plus en rapport avec la dignité abbatiale. Quant à moi,
je puis vous garantir Texactitude du Porcus dans le cartulaire où
ce mot n*est suivi d'aucun aliàs. Je crois donc que cet abbé est
celui qui a le plus de droits à fixer votre choix. »
La commission dont je suis Torgane adopte entièrement, Mes-
sieurs, l'avis de M. Le Men. Elle pense aussi que la difficulté
suscitée par D. Noël Mars ne saurait détruire l'autorité du car-
tulaire , qui est la seule pièce authentique consen'ée et qui doit
être considérée comme la charte de l'abbaye. Le nécrologe sur
lequel s'appuie D. Morice n'existe nulle part, et D. Noël Mars
(1) Traduction: Jean II, nommé Le Porc, autrement Du Parc, en
Roslohen , a fait dresser le martyrologe, à partir de 1293, par Guillaume
de Hennés.
— 369 —
lui-même n'en fait aucune mention. Bien plus, il le récuse,
en ne comprenant pas Jean de J^on au Mombre des abbés de
Landévennec. Mais sur quoi se fonde-t-il pour changer le nom
de Jean le Porc^ Johannes dictus Porcus ? C'est qu'évidemment,
il a pris le mot Porcus pour une qualification mal sonnante , et
la rejetant comme irrévérentieuse, il lui substitue arbitrairement
son aliàs de Parco , qui dénature le nom si clairement donné
au cartulaire dictus Porcus (appelé Le Porc), et comme ce mot
de Parc est le nom d'un château en la paroisse de Rosnoen »
aujourd'huir la propriété et la résidence de MM. de Pompery, il
se trouve entraîné, par voie de conséquence, à faire naître Jean
Le Porc en Cornouaille, et non plus dès-lors au pays de Léon.
Une pareille explication jetée à la légère et sous l'empire d'une
impression personnelle , est impuissante à renverser un fait
historique. Or, l'existence de Jean Le Porc , comme abbé de
Landévennec, est désormais historiquement établie. 11 n'y a
jamais eu qu'un abbé de ce nom , et quand la tombe le porte
comme il est écrit au cartulaire , dictus Porcus , il faut croire
que la tombe ne ment pas , en indiquant sa patrie , et que c'est
D. Noël Mars seul qui se trompe dans son explication , en
cédant à un mouvement de susceptibilité honorable.
Voilà , Messieurs , le résultat de notre examen , qui a été
sérieux et approfondi. Nous avions un problème archéologique
à résoudre , et nous l'avons étudié de bonne foi , pour répon-
dre à la confiance dont vous nous avez honoré. Cette pierre ,
au lieu d'être pour nous une pierre d'achoppement, est devenue
à nos yeux comme la base heureuse sur laquelle nous espérons
fonder l'avenir du Musée de notre Société, laquelle n'a besoin,
nous le répétons , que de travailler pour vivre. Redoublons
donc , Messieurs , de courage et de zèle. La carrière est large
devant nous , les éléments ne nous manqueront pas, si la bonne
volonté nous guide.
47
^"^^
•- 370 —
. Il esrunNçilf'^ùe ?otre <x)mmis6ioQ me charge de formuler
pour -ellev en finissant ce rapport, c'est qu'à Pexemple de
FhoDorable M- Vlgiiîoboul , qui mérite toute notre gratîtode , le
propriétaire des «f^ioes de cette vieille abbaye qui doit renfer-
mer encore tant d'objets précieux enfouis sous la terre , nous
permette d*y pratiquer des fouilles dans i'intérôt de la. science
archéologique, et que Tadministration nous vienne en aide pour
nous en faciliter les moyens. Le noble caractère de M. Bavay et
le culte qu'il professe lui-même pour les vieux souvenirs histo<
rîques de notre Bretagne, nous sont de sûrs garants de ses sym-
pathies et de sa bienveillance. Espérons donc » Messieurs , que
la pierre qui est sortie des décombres de ce célèbre monastère,
fondé par saint Gwennoié, ne sera pas le dernier monument qui
viendrap enrichir notre Musée, et que, pour encourager nos eSbrls
dans la poursuite de l'œuvre que nous avons entreprise, M. le
Préfet du Finistère, dont la sollicitude égale l'affection pour nous,
se fera un bonheur de nous rendre le Conseil général favorable,
s'il y a nécessité d'une allodiition de fonds pour couvrir nos
dépenses.
firest , le I Juin 1860.
CLÉREC, AÎNÉ,
Rapporteur.
*■*; .^*yy .<
In Voyage de long-ÉiPS/'^
e/^ OnOTV ty^7?l(/ Cy y âûeeUencml e/e ^ar^eaa.
Ceci , c'est de l'histoire et non pas de la fable.
Ami, prêtez l'oreille au récit véritable
De tous les incidents dont s'émailla le cours
D'une longue odyssée où quatre-vingt-cinq jours.
Promenant sur les flots sa marche vagabonde ,
Notre frégate , enfin , retrouva l'ancien monde.
Ou partait , saluant d'un sourire dernier,
Ce fleuve que SoXh (2) découvrit le premier,
Et qui , serpent immense aux écailles jaunies,
Se glisse sombre au sein d'une mer de prairies;
Vaste plaine où , vrai roi de celte immensité ,
Le coursier noble et fier bondit en liberté \
Où des grands bœuf§ cornus les cohortes sauvages
Vont des vertes pampas paître les pâturages.
Parfois , comme un grand mât , isolé , laissant voir
Au sommet de son tronc comme un panache noir,
(I) Ceci n'a la prétention d'être ni un po^mef ni une œnvre littéraire quelconque. Après
une longue station dans le Rio de la Plata, la ConstUuiion fait route pour France. Contrariée
par les vents, ce n'est qu*au bout de 85 jours de mer qu'elle relâche à Cadix; 20 jours après,
elle est à Toulon. J'ai voulu décrire les incidents de ce long voyage à travers lOoéaD. J'ai
mis en vers ït Journal du bord,
^ (2) Juan Solis , pilote major, découvrit le Rio de la Plata en i5o8.
— 372 —
Au dos courbé d'un mont, un Ombu (1) solitaire
Présente au voyageur un phare tutélaire ,
Et borne milliaire en la plaine sans fin,
Jalonne la distance et marque le chemin.
Le rivage désert, baigné par le fiot jaune.
Déroulait tristement sa ligne monotone,
La terre' se noyait k Thorizon brumeux,
Et vers ce cher pays, objet de tous nos vœux.
On courait en songeant à l'énorme distance
Qu'il fallait embraquer pour arriver en France.
Partir un vendredi porte toujours malheur.
Et dès le premier jour j'eus du noir dans le cœun
Ami , que voulez-vous ? Fils d'un pays sauvage ,
Mille rêves menteurs ont bercé mon jeune âge ;
Je crois aux revenants , aux esprits , aux démons
Qui de nos vieux manoirs fréquentent les donjons -,
A rheure où les fadets courent sur les bruyères,
Mon oreille perçoit le chaut des lavandières.
Treize à table , le sel versé , le vendredi ,
De sinistres pensers me laissent étourdi.
De ces vains préjugés, obéissant esclave.
Je crois qu'impunément nul mortel ne les brave.
Et que dans tout projet frivole ou sérieux ,
11 faut, pour réussir, mettre pour soi les dieux.
Aussi dès le début notre bonheur s'arrête ;
Un contraire destin pèse sur notre tête ;
Un affreux vent de Nord qui varia, je crois.
Depuis le N.-N.-E. jusqu'au N. 1|4 N.-O. (2)
D'un vendredi fatal subissant l'influence.
Depuis dix jours entiers souffle avec persistance.
Et depuis le départ, la Constitution,
Ajoutant et dérive et variation ,
(0 OtnbUf arbre de l'Amérique du Sud qui croit isolément
(3) Pronoacer nord quart norrois.
~ 373 ^
Sur la carte du monde, hélas ï noiis a fait suivre
Un zigzag prolongé , la marche . d'un homme ivre.
L'ennui nous suit , hélas ! depuis notre départ*
Le temps passe à peu près lorsque ^e siris dé quart.
Les yeux k Thorizon , je regarde , jîobserve
La pluie ou bien le vent que le ciel me réserve;
Je cherche dans le grain qui monte dans les airs
Ce qu'il peut me. jeter de tempête et d'éclairs.
Je vois les flocons blancs que fait jaillir la proue ,
Les caprices du flot qui sur nos flancs se joue ;
Mais de mon piédestal , quand je suis descendu ,
Pour occuper Tesprit quand il n'est plus tendu ,
Pour bannir de mon front cet ennui qui l'obsède ,
A ce poison moral , où trouver un remède ?
Sauvé , sauvé , mon Dieu ! Si j'écrivais aussi :
D'autres ont fait des vers sur cela , sur ceci ;
Sachons si le parfum que rend l'algue marine
Met en fuite le Dieu vers la, sainte colUue ,
Ou si, quittant pour moi les bords de l'Hélicon,
Il se plaira parmi les cordes, le goudron.
Soyez donc indulgent si quelquefois ma plume.
Battant des mots h froid sur la divine enclume ,
Sans le feu qu'Apollon réserve à ses élus ,
A forgé sottement quelques vers mal venus.
Heureux si , couronné d'un succès éphémère ,
Ce produit incomplet dont Tennui fut le père,
Reçu de mes amis avec quelque faveur,
Récompense au-delà les désirs de l'auteur.
Tout passe avec le temps , tout change , tout s'eflace j
Après le vent de Nord , le ciel nous fît la grâce
De quelques jours heureux où bonnettes au vent,
Un charmant Pampero^ nous poussa de l'avant.
/^ 374 —
• f
Maïs cela dura peu*; ce bonheur de passage
Fut le calme trompeur précurseur de Torage ;^
Orient ; Occident , Midi , Septentrion ,
D'un rideau de vapeurs effacent Thorizon.
Ouvrez l'histoire sainte à Tarticle Déluge ,
El de notre déboire, ami, je vous fais juge.
Pendant six jours entiers, du matin jusqu'au soit
Et du soir au matin , un immense arrosoir.
Sans daigner seulenàent nous accorder d'entr'actes ,
Épuisa, sur nos fronts de vastes cataractes.
Quand pendant lo^l un quart , sans trêve , sans repos„
Les fontaines du ciel vous pleuvent sur le dos ,
Lorsque le nez au vent , les yeux à la voilure ,
On reçoit des torrents à travers la figure ,
Que l'on voudrait alors , près du foyer assis ,
Des hardis voyageurs écouter les récits;
 la douce clarté de la flamme bleuâtre,
Lutiner les tisons qui pétillent dans Tâtre ,
Et bien loin de la mer et loin de ses hasards,
Cultiver en repos et la muse et les arts.
Plus heureux, mille fois, quand il était dans Fârche^
Notre père Noë , vénéré patriarche ,
Sous un toit protecteur abritant ses enfants ,
Pouvait braver en paix et la pluie et ks vents.
Personne au gouvernail , personne à la manœuvre ,
Et de l'art d'autrefois cet immortel chef-<l'œuvre ,
Sans' boussole , sans guide , au hasard , et laissant
Le flot briser sur lui son effort impuissant ,
S'en vint , épave immense échappée au naufrage,
Sur le mont Ararat verser son équipage ,
Et des sabords béants de l'énorme vaisseau
Des animaux créés s'échappa le troupeau.
Comme là , nous avons pour charmer le voyage ,
Perchés sur des bâtons , enfermés dans leur cage ,
- 375 .— .
Ce qu'en oiseaux criards peut donner i^Urtiguay :-
Les genres perroquet , perruche , papegay.
Ont leurs représentants dans la ménagerie ^
Et du matin au soir braillent^ tous à Tenvie.
Qu'un rayon de soleil > montant du sein des eau^r , ^
Du navire endormi blanchisse les panneaux »
Comme le rossignol sous la branche feuillue»
Du jour, à son lever, fête la bienvenue ,
Chantant à qui mieux mieux , perruches et perrots
Du navire aussitôt foàt vibrer les échos.
Heureusement , la mort exauçant ma prière ,
Frappant sur les chanteurs dé sa' faux meurtrière ,
J'eus le plaisir de voir Jeter au sein des flots
Quelques corps emplumés de ces trouble-repos.
On eût dit que les dieux , contents du sacrifice
Daignaient nous contempler d'un regard plus propice ;
Perçant l'obscurité , le soleil radieux ,
Astre resplendissant , vint briller dans les cleux ;
tJne voûte d'azur s'étendit sur nos tôles ,
La frégate parut sous ses habits de fêles
Et sur des cartaiiusfl) avec art assemblés,
^ous pûmes mettre au sec tous les efiets mouillés. (2)
Pendant les premiers Jours , au début du voyage ,
On voyait se mirer dans l'argent du sillage
Quelques oiseaux de mer au vol capricieux :
Le rapide goéland y l'alcyon gracieux ,
Le damier, dont le nom désigne la parure ,
Et l'énorme albatros à l'immense envergure.
(1) Cartahus, peu"te cordé destin<îe à tiisscr des menus cibjets.
(2) Livre des Sitjnatue^ art. 885.
~ 376 -
Colibri de la mer, fantaslique alcyon ,
Moi j^aime toD plumage et jusques à ton nom,
Oiseau mystérieux , tes amours , ta naissance
Ainsi que ton sommeil ont lassé la science.
Aux algues de la mer empruntant leurs rameaux ,
Fais-tu flotter ton nid sur Técume des eaux ?
Où vas-tu quand tout dort, quand la nuit sur les ondes
Étend son noir manteau de ténèbres profondes ?
Dans le creux d'une vague , abrité mollement ,
Sommeilles-tu tranquille en ce berceau mouvant?
On dit que tu parais, triste enfant des tempêtes.
Quand Forage suspend sou drapeau sur nos têtes ,
Et que nobr messager venu du sombre bord.
Tu semblés présager le naufrage et la mort.
Alors , on est allé pour changer ton baptême ,
Te chercher un surnom jusque dans l'enfer même.
Laisse parler les sols ; esprit , oiseau , démon.
De notre isolement fidèle compagnon ,
Méprise ces clameurs : dans le siècle où nous sommes,
La calomnie atteint les oiseaux et les hommes.
Moi , je t'ai vu souvent quand le ciel est d'azur.
Quand la brise est légère et l'horizon bien pur.
Quand la mer, cette rude et farouche maltresse.
Se fait miel et douceur, tout sucre, tout caresse ,
Et déguisant sa griffe et toute à ses amours.
Comme un tigre dompté, fait patte de velours.
Tous ces amis ont fui. On cherche en retendue
Quelque nouvel objet pour reposer la vue.
Parfois on voit paraître à Thorizon lointain
Un navire inconnu, compagnon du chemin.
Quel est-il ? Où va-t-il ? On exploite à son aise.
En son immensité, le champ de l'hypothèse-;
— 377-
Le voyage est si long qu'un futile incident^
Que le moindre épisode est uq éyinemént.
Sans voir le pavillon , aux détails de mâture , .
Aux formes de la coque , au galbe , à la tournure ,
A ravance on connaît quelle est sa nation ,
Si c^est un des enfants de la vieille Albion , ^
De Gènes la superbe ou du Norl- Amérique ,
De Brème ou de Hambourg, la ville anséatique.
Je crois qu'on trouverait peut-être en travaillant.
L'âge du capitaine et puis le chargement.
Fort en bois, élancé, d'une mâle encolure,
Se cambrant fièrement sur sa noble ceinture ,
Le navire de guerre aux champs de l'Océan ,
Avec ses airs vainqueurs, paraît un capitan.
À dix milles au moins el sans qu'on vous le nomme ,
Vous le reconnaîtrez, il sent son gentilhomme.
Le hardi négrier a-t-il quelque rapport
Avec ces lourds bateaux sortis des mers du Nord ,
Par semaines comptant leurs étemels voyages
Et sur qui la Hollande exporte ses fromages.
Pardonnez-moi , mon cher, cette digression ,
Et reprenons le fil de ma narration*
Constamment poursuivis par un malheur insigne ,
Après quarante jours nous sommes sous la Ligne.
Nous arrivons enfin dans ce vaste entonnoir
Que.les navigateurs appellent pot-au^noir.
Là, des calmes encor, ]a frégate, immobile.
Se mire tristement dans une onde tranquille.
On dirait qu'alentour les habitants des mers
Ont pris leur rendez-vous de mille endroits divers.
Le spectacle est pompeux, vrai Dieu , la scène est belle.
Et l'on peut faire un cours d'histoire naturelle.
48
- 378 —
t^euUétr» que conduits par le dieu des amours ,
Sous la zone torride et dans ces brûlants jours ,
Dans leurs joyeux ébats sur le sein d'Ampbilrite ,
Ils tant sacrifier ^ Vénus aphrodite.
Gigantekqqes souffleurs , immenses cétacés
Rangent autour de nous' leurs escadrons pressés.
Un énorme espadon se trompant dans sa haine
Vient se ruer sur nous en cherchant la baleine.
Les dorades , les thons , les dauphins fabuleux ,
Tracent des sillons d^r à travers les flots bleus ;
Tout ce que TOcéan recèle en ses entrailles
Montre ses ailerons , fait brilla ses écailles.
Malheur au maladroit , malheur à riraprudenl ,
Car le requin le guette et le requin Tattend.
On dit qu'arnaé parfois d'une occulte p\iissance ,
Il semble , des devins , posséder la science ;
Il sait, lorsque là mort plane sur le vaisseau ,
Lonsque la fièvre jaune ou quelque autre fléau
Au sein d'un équipage assouvit sa colère.
Comme Thyène immonde il vit du cimetière.
Une implacable haine, étrange vendetta ,
Du matelot à lui de tout temps exista.
Sitôt qu'on voit paraître au loin Thorcible bête,-
On jure son trépas, et le combat s'apprête.
Sous un appât trompeur, Vémerillon (1) caché
Se présente bientôt au requin alléché ,
Et le fer acéré dans sa mâchoire avide ,
Fixe profondément une pointe perfide.
De ses muscles puissants, détendant le ressort^
En vain , il se débat dans un suprême effort ;
Vous le voyez alors dans sa lente agonie ,
Broyer le bras fragile offert k sa furie,
Jusqu'à ce qu'arrêtant ses formidables bonds,
La hache et le couteau séparent ces tronçons.
(I) Émcrillon , gros liamecon teiminé par une chaîne et qui sert à pêcher le reqnio»
— 379 —
J'ai souvent réfléchi sur la vie anormale
De ce petit poisson^ ce pilote du squale. , ^ ^ .
Trouve-t-il sa pâture aux bribes du îeslin ?^
Est-il le commensal , l'invité du requin f
Pour quelle habileté, quel genre de' mérite^
Le monstre souffre- t-il ce petit parasita t * , ^
Il semble appartenir à cea infortunés /
A vivre sans amis , en naissant condamnés.
Peut-être que doué de plus substils organes,
Le pilote perçant les ondes diaphanes ,
Aux ordres du chasseur, tel qu'un bon levrier,^
Au profit de son maîlrç éventé le gibier.
Quel que soit le motif de ce commerce étrange ,
D'excellents procédés , mystérieux échange ,
Longtemps fidèle encore au lien qui les unit ;
Que ce soit amitié, que ce soit appétit.
Ce Pylade nouveau privé de son Oreste ,
Triste et découragé dans le sillage reste ,
Jusqu'à ce que dûment convaincu de sa mort,
A quelqu'autre patron il va joindre son sort.
Laissant Ik cette zone où la brise, avec peine,
Daigne irriser les flots de sa mourante haleine ,
Sous les vents alises, amures à tribord ,
La frégate joyeuse avançait vers le Nord,
Et dans un avenir qu'abrège l'espérance.
Là-bas à l'horizon nous devinons la France,
Vers laquelle attirés par un aimant subtil.
Semble nous entraîner un invisible fil.
Il est un archipel de noirs rochers aceores
Que les navigateurs appellent les Açores,
Rude création , volcanique terrain ,
Que lança dans les airs quelque jet sous-marin.
/ — 380 ~
Le rivage j, toujours battu par la tempête ,.
Voit le fl?t écumeux dresser sa blanr.he erôte .
Arène mugissante où siffle Taquilon
Et le S.-O. brumeux en son noir tourbillon.
Toujours dp yendredi l'influence funeste î
De la i4)alè coupe il faut vider le reste.
Le S.-O,, le N.-O. ne se rencontrent pas :
Quelque céleste édit les raya du compas ,
Et pour nous TE.-S.-E., d'une faç(m tenace,
De ce Yenl désiré semble avoir pris la place.
En vain 11. se déguise , implacable ennemi ,
A sa proie acharné, toujours, c^est toujours lui.
Barricade jetée au chemin de VEurope,
Il nous fait répéter Foeuvre de Pénélope.
De la Teinè dllhaqùe imitant le détour,
Nous défaisons la nuit oe qu*on a fait le jour^
Et sur ce canevas où se trace la route ,
Notre marche en avant paraît une déroute.
11 faut avoir vécu trois mois sans avoir vu
Autre chose que Teau , le ciel , Thorizon nu ,
Pour comprendre vraiment le plaisir que procure
Un mot , an simple mot tombant de la mâture :
Terre ! On jette à ce mot au fleuve de Toubli ,
Mécomptes et douleurs dont le èoeur est rempli :
Gomme un arbre où circule une nouvelle sève.
Notre esprit abattu s'anime et se relève.
On se reporte alors en un lointain espoir
Vers ceux qu'on a quittés et qu'on pense revoir.
Que de projets conçus , de châteaux en Espagne î
La folle du logis bat vite la campagne ;
Peutrèlre plus d'un plan à l'avance arrêté
Va mourir en sa fleur comme un fruit avorté.
Qu'importe , là pensée , en ses essors rapides.
Aux champs de l'inconnu, chevauche à grandes guides j
- 381 — -. .
Des débris du passé bâtit son avenir, _
Et règle le présent d'après le souvenir ;* >
Et ce char emporté qu'un atome retivelse
Semble braver les coups de la fortune adverse.
Jeunesse , doux trésor, amour, brillant espoir, .
Promesses du matin que méconnaît le sd|r,' *
Livre dont la folie a signé la préface , /
Festin où le plaisir s'assied k chaque place ,
Lorsque d'un doigt glacé , le temps , triste vieillard ,
€e convive oublié qui réclame sa part ,
Sinistre compagnon de toute chose hufitainr.
Renverse avant la fin la coupe demi-pleine.
Ce fut quatre-vingts jours après notre départ ,
Avant le branle-bas , pencla.nl te premier quart,
Vingt degrés environ, hauteur du tfeefmomèlre,
Sept cent cinquante-trois celle du baromètre ,
Que doré par les feux d'un beau soleil levant, , *
Apparut devant nous le cap de Saint-Vincent.
Chacun appliquant Toeil au champ de la. lunette
^ En put examiner la vague silhouette.
Espérons qu'à la fin le ciel en son courroux
Se sera fatigué de s'abattre sur nous.
On cherche à l'horizon ces colonnes d'Alcide,
Où de canons de fer, allière pyramide ,
Gibraltar fait flotter du haut de son donjon ,
Le yack au léopard de la vieille Albion ,
Monstre aux bouches d'airain qui, debout sur la rive,
Semble un geôlier géant gardant une captive.
Dès que de celte mer on aperçoit le seuil ,
On peut porter au loin les yeux avec orgueil ;
Du Maroc k Tunis le drapeau tricolore , »
Sur le croissant vaincu flotte aux remparts du Maure ;
L'infatigable pas des soldats conquérants,
Des routes du désert foule les longs rubans.
Et la jeune victoire abrite sous son aile ,
Sur la rive africaine, une France nouvelle.
— 382 —
Cependant, étageant les gradins de ses monts ,
La terre se dessine au sein des horizons ,
£t sous les bruns coteaux qui bordent les rivages
On voit jaunir au loin Vor sablonneux des plages.
Voici le cap Spartel. En ces rochers noircis.
Autrefois s'abritait un peuple de bandits ;
Lk, le forban veillait comme un vautour qui plane
Et lançait sur les flots sa rapide tarta!he.
Wu8 dangei]^ux ponr nous , TE.-S.-E. éternel
S'était jéfu^é dessous le cap Spartel.
Depuis , nous entassons pour compléter la fête ,
Pelion sur Ossà , coup de vent sur tempête ;
Déjà nous voyons poindre, avec son œil hagard ,
La famine amaigrie au teint pâle et blafard ;
Déjà le noir scorbut attaque la gencive :
le crois qu^il en est temps , il faut que Ton arrive ;
Qui sait à quel étrange et monstrueux festin
Peut nous porter un jour l'inexorable faim.
Et puisque les autans, sourds à notre prière
Semblent , du lac français, défendre la barrière.
Il faut chercher un port dont Vabri bienfaisant
Offre un séjour tranquille au pauvre bâtiment ,
Et qui , rendant enfin Tabondance à nos tables ,
Les vivres les plus frais et des vins délectables ,
Béni par le soleil , épanche le trésor
De ses fruits parfumés et ses oranges d'or.
F. BOUYER,
LieuleoaatdeTaiiKaa.
-'>««4-
<h
ÉTUDE CRITIQUiS
SUR
LA LÉGENDE DES SIÈCLES.
La forte et simple critique se prend
dans le cœur plus que dans Tesprit.
Elle se prend dans la loyauté, dans la
sympathie impartiale que nous devons
à nos frères du présent et du passé.
. J. mcHELET. {La Femme.)
Pour comprendre et apprécier un grand poète comme Le Dante,
Shakespeare ou Victor Hugo , il faut non - seulement posséder
le sens poétique , mais encore être initié au système qu'il
emploie dans ses compositions. Si l'on ne réunit ces deux qualités,
dont Tune est un don naturel, et Faulre le fruit d'une longue et
opiniâtre étude, Tesprit se trouble, le jugement s'égare, Tintelli-
gence se couvre d'un nuage , et l'on ressemble à ce maître d'école
4ont parle Quintilien, et qui s'étant avisé d'enseigner l'obscurité
à ses élèves, s'écriait, quand il était content d'eux : fantà melior^
ne ego quidem iniellcxi! c'est excellent, je n'y comprends rien
— 384 -
moi-même; avec cette différence toutefob que, à Tinverse du
pédagogue latin , on trouve médiocre , mauvais , absurde ,
détestable même , ce que Ton ne peut parvenir à s'expliquer.
Le système de composition du chef de l'école, désignée naguè-
re sous le nom d'école romantique, se trouve exposé dans
les nombreuses préfaces de ses œuvres lyriques et dramatiques.
Cette méthode (c'est un fait qui n'a pas été assez remarqué)
a pour base les deux préceptes dassiques suivants , dont l'un
esTd'Âristote, et Tautre de Boileau : c Si le poète étaUit des
choses Impossibles, selon les règles de l'art, il commet une
faute sans contredit ; mais elles cessent d'être une faute , lorsque
par ce moyen il arrive à la fin qu'il s'est proposée, car il a
trouvé ce qu'il cherchait » — • Ils prennent pour galimatias tout
ce que la faiblesse de leurs lumières ne leur permet pas de
comprendre. Ils traitent surtout de ridicules ces endroits mer-
veilleux où le poète, aûn de mieux entrer dans la raison,
sort, s'il faut parler ainsi, de la raison même. Ce précepte,
effectivement , qui donne pour règle de ne point garder quelque^
fois de règles , est un mystère de Fart qu'il n'est pas aisé de
faire entendre à des hommes sans aucun goût.... et qu*une
espèce de bizarrerie rend insensibles à ce qui frappe ordi-
nairement les hommes. »
Quelquefois , dans sa course, un esprit vigoureux »
Trop resserré par l'art , sort des règles prescrites ,
Et de Tari même apprend k franchir les limites.
B01LB40.
Tel est donc le point de départ du système de Victor Hugo,
système qui consiste principalement à^ placer le laid à c6té du
beau, le grotesque, le trivial même, à côté du sublime, l'errear
à côté de la venté , le vice et le crime à côté de l'innocence
<et de la vertu , en deux mots le mal à côté du bien, l'ombre à
£Ôté de la lumière , afln de réaliser l'harmonie des contrastes.
— 385 -
Eo s^efibrçant de dépouiller la poésie de ces faux oroemeDls
qui la surchargent sans l'embellir ; an se servant de beaucoup
d'expressions que la pruderie d'un goût dédaigneux et timoré
avait rejetées comme trop roturières ; en employant souvent le
mot propre au lieu de recourir à k périphrase ; en faisant bon
marché enfin des anciennes règles , pour jeter les bases d'une
nouvelle littérature qui ne ressemble ni à celle de Racine, ni à
celle de Shakespeare , une littérature qui devienne la véritable ex-
pression de nos nouvelles mœurs, (et en prenant pour levier' l^»4le^x
préceptes que je viens de citer), le chef de l'école romanîi:iue a
essayé , comme on le voit , de renverser la règle au moyen de
rex«eption. L'avenir fera connaître jusqu'à quel point il aura réussi.
£n attendant le jugement plus impartial de la postérité, voici
la première partie d'un poème colossal dont, en remontant le
fieuve des Àg^s, on aurait beaucoup de peine k rencontrer l'égal
en étendue 9 même dans l'Inde antique, en y comprenant h
Bamayana et le Bayavad-Gita.
Autant qu'on, en peut juger par les premières gerbes de cette
prodigieuse moisson, ou pour me servir de la comparaison du
poète lui-même , s'il est permis d'apprécier les proportions de ce
vaste édifice poétique par celles du pérystile , le nouveau poè-
me de Victor Hugo sera une espèce d'encyclopédie qui renfer-
mera dans son vaste sein l'histoire , la science , la poésie tout
entière des diverses générations qui composent la grande
famille humaine , lesquelles apparaîtront aux yeux du lecteur
surpris dans une sorte de miroir sombre et clair qui reflétera ,
comme le dit l'auteur, « cette grande figure une et multiple,
» lugubre et rayonnante , fatale et sacrée , l'homme ; empreintes
» successives du profil humain , de date en date , depuis Eve ,
» mère des hommes, jusqu'à la Révolution, mère des peuples;
» empreintes prises , tantôt sur la barbarie y tantôt sur la
» civilisation , presque toujours sur le vif de l'histoire. »
49
- 386 -
.Quoique la légende des Siècles ne soil qu'un prélude, un
fragment , un prologue , la première partie d*un grand tout ,
c'est cependant im poème achevé, une œuvre complète. Les
deux autres membres de cette grande trilogie^ qui ont pour
titres la fin de Satan et Dieu , peuvent s'en détacher , sans
en altérer le sens et «ans en tu^rêter la péripétie. Mais pouvait-il
en être autrement d'une œuvre conçue sur une aussi grande
échelle, et dont la fin, comme l'auteur a la sage précaution
de l'annoncer dans sa préfiace, dépend de la volonté de Dieu,
qui est le « maître des existences humaines. •
Si nous vivions dans une société moins tourmentée par
Famour des intéi^ts matériels , et à une époque où la poésie
n'aurait pas perdu le- haut rang qu'elle occupait dans les préoc-
cupations des hommes, il est hors de doute que l'apparîtion de
la Légende des siècles eût • produit une immense sensation.
Quelques comptes- rendus aussi vite publiés dans les principaux
organes de la presse parisienne , qu'oublias par la foule indif-
férente de leurs nombreux lecteurs , n'auraient pas seuls signalé
« l'épanouissement de cette œuvre cyclique. » Toutes les acadé-
mies s'en seraient occupées: les commentateurs se seraient misa
riœtivre, des chaires môme eussent été créées pour l'expliquer
d'une manière suivie, pour la détailler chant par chant, scène par
scène, situation par situation, comme on le fît jadis pour le
chef-d'œuvre du moyen -âge, pour la IHvine Comédie. Je
dis qu'on aurait fo,ndé des chaire pour l'expliquer , parce
qu'à mon point de vue , et je m'étonne que cette idée n'ait
pas été émise dans les diverses appréciations qu'on a lattes
jusqu'à ce jour de la Légende des Siècles^ parce qu'à mon
point de vue, il y a une certaine analogie entre l'œuvre
du poète français et celle du rapsode florentin. Je dis plus :
c'çj^t que , si Ton voulait absolument comparer le grand poè-
me français à quelqtfautre production littéraire, soit de Fanti-
~ 387 -
quilé, soit du moydij-âge, c'est assurément ]a Dh^ine Comédie
qui offiîralt le plus graod noml^re de poiats dt comparai-
son ; la seule même , devrais je dire , qui puisse s6us certains
rapports lui être comparée. Eo effet, qu'est-ce que la Divim
Comédie du Dante? C'est une pfôce en trois grands actes i
Y Enfer, le Pwgaûoire et le Paradis^ qui représente à te fojs
le type éclalaut d'un cycle social et de la destinée humain^^ et
prophétise en même temps les conquêtes do Favenir» C'est un
vaste et curieux monument de mœqrs et d'histoire , qui a p<Hir
base la rel^ion ^ qui échappe à toutes les classifications et no
se rapproche ni de l'Iliade , ni de TEnéide ; on y trouve réunies
toute la foi , toute la science , toutes les aspirations du
moyen-âge, ainsi que la peinture des vices et des crimes du
temps où vivait Dante Alighieri.
Qu'est-ce que l'œuvre de Yiel^r Huga? c'est également un
drame en trois parties , intitulées la Légende des Siècles , la
Fin de Saicm (ou le Purgatoire), et Dieu (ou le Paradis),
qui , d'après la définition de l'àutéur lui - môme , exprimera
aussi l'humanité dans une espèce de revue cyclique \^ c'est la
transfiguration paradisiaque de Tenfer terrestre , et l'éclosion
lente et suprême de la liberté dans l'avenir. Le caractère
historique et l'idée religieuse y dominent pareillement. La foi, la
science , les tendances de notre époque y sont également évo-
quées par la puissante imagination du poète; les vices et le3
iîrimes y sont impitoyablement flétris. Les allégories abondent
dans les deux poèmes. Dans la Divine Comédie^ elles sont parfois
assez faciles à saisir. Ainsi , que , dans une fiction éblouissante,
le poète décrive un char ailé traîné par un griffon merveil-
leux , précédé de vingt-quatre vieillards , de candélabres d'or ;
que ce char s'arrête , au milieu du cantique des anges , à l'ap-
parition de Béatrix ; qu'un aigle se précipite sur le char , et y
laisse une partie de ses plumes ; qu'un renard s'y glisse , qu'un
— 388 —
dfBgoif s'y attadie, qu'une prostituée s'y vieaoe asseoir, qu'tio
géaot la saisisse, et que le char entratné disparaisse avec elle
dans la forêt, tandis que Béatrix demeure au pîed de l'iuiire de
la seîeoee, on comprend facilement aujourd'hui ces allégories.
Ce char était l'Eglise ; ce grifiC^n , J.-C et sa double nature ; ce
renard, l'hérésie trompeuse; cette prostituée , les mauvais papes;
ce géant, Philîppe-le^Bel.
Dans la Légende des Siècles^ le voile de l'allégorie est beaucoup
moins transparent ; il faut que les regards s'y ûxeiA plus long-
temps pour distinguer l'objet qui s'y cache. Cest ici qu'il devient
surtout nécessaire de posséder la clé du système de l'auteur,
de bien connaître les particularités de sa vie publique et privée ,
ainsi que les événements et les principaux .personnages politiques
de l'époque où il a vécu.
Remarquons en passant qu'il en fut de même du Paradis
perdUj de Milton : le docteur Tomkyns chargé de le censurer
n'aperçut pas ou craignit de signaler les allégories et les allu-
sions aux mœurs de la dynastie restaurée.
Bante a décrit, dans un rhythme harmonieux, les lois de la
gravitation, celles des sphères, les phénomènes de la végétation,
tout un système astral , d'après l'astronome Ceccp d'Astrolie.
Dans la pièce intitulée Plein Ciel, Victor Hugo , tout en faisant
bon marché des lois de la gravitation et de l'attraction, prophétise
la prochaine invention d'un aérostat colossal qui transportera
l'homme dans les régions de l'infini :
Et peut-être voici qu'enOn la traversée
Df&ayanle d'un astre à l'autre est commencée.
L'archéologie même a trouvé une place dans le poème fran-
çais , et la lecture de la pièce intitulée Ratbert ou C Italie au
moyen -âge démontre encore une fois qu'aucun sujet n'est
inabordable à la poésie , et que toute espèce de culture peut
- 389 -
réussir daas ses vastes domaines^, lorsqu*e!Ié est dirige p^
une main intellîgeote.
Quelques citations me semblent nécessaires pour faire mieux
ressortir l'analogie qui existe entHe les deux poèmes. Commen-
çons par Le Dante : j6 choisis celte riante fiction où le poète
sort de l'Enfer pour entrer dans le second royaume , c'est-à dire
lé* Purgatoire. • La douce couleur du saphir oriental briité à
rhorizon, la belle planète qui encourage à aimer fait rire tout
rOrient. » Il se tourne h droite et voit quatre étoiles qui né
furent jamais vues que de la race première. Bientôt il aperçoit
près de lui un vieillard seul. Ce vieillard , c'est Caton , Thom-
me le plus vertueux du paganisme , et que le poète suppose
être préposé à la garde de ce lieu d'épuration et d'épreuve.
Mais cette image sévère est tout-àcoup adoucie par la plus
gracieuse apparition : c Un air doux et toujours égal me frappait
» au front, pas plus fort que le zépbir ; les feuilles tremblantes et
» inclinées se ployaient toutes vers le côté où la sainte montagne
» projette son ombre. Elles n'étaient pas tellement agitées que ,
» sur les cimes , les oiseaux eussent cessé leurs concerts ; mais
» dans une joie vive ils accueillaient les premières heures
» du jour, en chantant sous le feuillage dont le frémissement
» répondait à leurs voix. Déjà je m'étais avancé dans l'anti-
» que forêt, si loin que je ne pouvais reconnaître par où
» j'étais entré. Voilà qu'un ruisseau m'arrête, coulant à gauche
» et courbant de ses flots légers l'herbe qui croissait sur ses
» rives. Toutes les eaux , môme les plus pures , paraîtraient
» altérées par quelque mélange, auprès de celle-ci, qui ne cache
» rien, bien qu'elle s'écoule sous une ombre perpétuelle qui
» n'y laisse tomber jamais les rayons du soleil ou de la lune.
» Je retins mes pas , et de mes yeux je franchis au-delà du
» ruisseau, pour contempler la verdure fleurissante. Et là,
•• comme il apparaît parfois subitement une chose dont la mer-
- 390 —
• veille éloigne Tceprit de toute autre pensée , il m'apparui une
» femme seule, qui s'en allait chantant et cueillant les fleurs
» dont toute sa route était parsemée. Ab! belle femme qui
» t'animes aux rayons de l'amour céleste , si je veux croire les
» traits qui sont le témoignage du cœur» je souhaite, lui dis-je,
» que tu viennes plus avant vers ce ruisseau , assez pour que
t je puisse entendre ce que tu chantes. Tu me fais souvenir
» quelle était Proserpioe , dans le temps où sa mère la perdit,
9 et où elle perdit le printetnps.
i €omme dans le bal , une jeune fille s'avance et rœserre
» ses pas près de la terre, et met h peine un pied devant
» l'autre, elle marche vers moi sur les fleurs vermeilles et
» azurées, semblable à la Vierge qui baisse des yeux pleins
j» de pudeur , et elle rendit mes vœux satisfaits en s'approchant ,
» au point que le doux son de ses paroles venait à moi. Aussitôt
t qu'elle^ fut sur le bord où Therbe est baignée par les ondes
• du ruisseau , elle me fit le don de lever ses yettx sur moi.
» Je ne crois pas que tant de lumière brilla sous les cils de
» Vénus , blessée par son fils. Elle souriait de la rive droitei
» du ruisseau, debout, cueillant de ses mains les fleurs que,
» sans culture , la terre jette de son sein. »
Quel suave tableau! quel angélique douceur de sentiment!
quelle richesse d'harmonie I quel inimitable génie d'expression !
cette poésie exhale un parfum d'innocence et d'amour dont il est
impossible de ne pas subir le charme mystérieux. S'il est vrai
que la poésie soit le langage des Dieux , c'est sans doute ainsi
qu'ils doivent s'exprimer ; encore faut-il remarquer que ce n'est
ici qu'une traduction dépourvue de Tharmoaiedu rhythme et de
cette langue italienne, ravissante interprète des pensées poétiques.
Cette belle femme qui s'animait aux rayons de l'amour, et à
laquelle le poète s'adresse , c'était la comtesse Mathilde , Thé-
roîquc amie de Grégoire VU , et l'on se surprend à regretter
- 391 —
que les commentateurs aient cru reconnaître, dans cette femme
angélique , l'image allégorique de la nive affection pour TÉglise
chrétienne.
On s'est étonné que ni Voltaire, ni Boileau, ni leur pubKc,
n'aient pu comprendre une telle œuvre. Il n'y a rien là, ce me
semble, qui doive surprendre. Alhalie^ cette œuvre également
prodigieuse et de nature divine , eut le même sort : elle fut
incomprise par le siècle du grand roi !
Comparons à ce brillant début ^es chants du Purgatoire , la
pièce non moins gracieuse et splendide , intitulée le Sacre de
la Femme j et qui se trouve aussi à l'entrée du poème de
Victor Hugo :
Or, ce jour-lk , c'était le plus beau qu'eût encore
Versé sur l'univers la radieuse aurore ;
Le même séraphique et saint frémissement
Unissait l'algue k Tonde et l'être k Télément ;
L'élber plus pur luisait dans les deux plus sublimes ;
Les souffles abondaient plus profonds sur les cimes ;
I^s feuillages avaient de plus doux mouvemeols ,
Et les rayons tombaient caressants et charmants
Sur un frais vallon vert, où , débordant d*extase,
Adorant ce grand ciel que la lumière embrase,
Heureux d'être , joyeux d'aimer, ivre de voir.
Dans l'ombre , au bord d'un lac , vertigineux miroir,
Était assis , les pieds effleurés par la lame ,
Le premier homme auprès de la première femme. {\ )
L'époux priait , ayant l'épouse à son côlé.
Chair de la femme I argile idéale , ô merveille !
Dans le limon que l'Être ineffable pétrit !
(i) VÈi)e de Victor Hugo ressemble trop k celle de Hilton. Cest de la
Bible en vers, et non du drame humain.
-. 392 -
'^ Mftlière^où Tàme brille k travers son suaire !
^ Boue.oùron voit les doigls du divin slaluaire !
Fange auguste appelant le baiser et le cœur,
Si sainte , qu'on ne sait, tant Tamour est vainqueur.
Tant Tàme est vers ce lit mystérieux poussée ,
Si cette volupté n'est pas une pensée,
£t qu'on ne peut , k l'heure où les sens sont en feu,
Ëtreindre la beauté , sans croire embrasser Dieu !
Eve laissait errer ses yeux sur la nature ,
El sous les verts palmiers k la haute stature ,
Autour d'Eve, au-dessus de sa tète , r<eillet
Semblait songer, le bleu lotus se recueillait.
Le frais myosotis se souvenait , les roses
Cherchaient ses pieds avec leurs lèvres demi-closes ;
Un souffle fraternel sortait dulis vermeil ; —
Comme si ce doux être eût été leur pareil,
Comme si de ces fleurs, ayant toutes uue àme,
La plus belle s*était épanouie en femme 1... (i)
Il y a beaucoup de ressemblance entre les deux tableaux que
je viens de citer. Dans Tun comme dans Taulre , la femme s'y
trouve pour ainsi dire divinisée. Victor Hugo a intitulé le sien
le Sacre de la Femme , titre bien justifié par Téclalante des-
cription de celte beauté à la fois humaine et divine. Cesl
l'original dans toute sa force , dans toute sa pureté. Celui
du Dante n'est ici qu'une copie , une traduction en prose.
Eh! bien, malgré ce désavantage, s'il m'était permis de choisir
entre ces deux grands maîtres, je donnerais la préférence au poète
(1) Dans Milton , Eve dit aux fleurs: « C'est moi qui vous ai donné des
noms. » Le Tasse, moins naturel, dit d'une bergère occupée k se parer
de fleurs: « Elle souriait, et son sourire semblait dire aux fleurs :i'u
l'avantage sur vous , el ce n'est pas pour ma parure , c'est pour wtrt
honte gue je vous porte» »
- 393 —
ilorenlîn. Haihilde est plus gracieuse, plus pure, plus i)ud{^ue,
plus virginale, plus vraie et plus naturelle. « EHe chante en êtieit-
lant les fleurs dont toute sa route est parsemée. • L'Eve ddVfftor
Hugo est silencieuse, elle laisse errer ses regards sur la nature, et
les fleurs semblent songer, se recueillent, se souviennent et cher-
chent ses pieds avec leurs lèvres amoureuses ; on dirait que le
poète s*est plu à faire passer Fâme de sa femme idéale dans le
corps des plantes , afln de les spirîtualiser :
♦r
Eve offrait au ciel bleu la sainte nudité.
Chair de la femme, argile idéale , 6 merveille.
Et qu'on ne peut , k Vheure où les sens sont en feu
Tant rame est vers ce lit mystérieux poussée ,
Élreindre la beauté , sans croire embrasser Dieu 1
Il y a beaucoup de hardiesse el de chaleur dans ces expres-
sions ; un peu trop peut-être ; des oreilles chastes pourraient,
avec raison , s'effaroucher de cette" espèce de sensualisme spiri-
rîtudllste ; aussi , je suis convaincu que la plupart des lecteurs
donneront encore la préférence à ce délicieux passage du poème
italien déjà cité :
« Ah I belle femme , qui t'animes aux rayons de Tamour
céleste , si je veux croire les traits qui sont le témoignage du
cœur , je souhaite que tu viennes plus avant vers ce ruisseau ,
assez pour que je puisse entendre ce que lu chantes Sem-
blable à la Vierge , qui baisse des yeux pleins de pudeur, elle
rendît mes vœux satisfaits en s'approchi^nt au point que le
doux son de ses paroles venait à moi! Aussitôt qu'elle fut sur
le bord où Therbe est baignée par les ondes du ruisseau, eHe
«0
_394 —
me fif'te'âôri de lever ses yeux sur moi. Je ne crois pas que
^V'de lumière briffa sous les cils de Vénus, blessée par so'à
fils' iJle^ouriatt de la rive droite du ruisseau, debout, cueillant
de ses inains les fleurs que , sans culture , la teire jette de
S9n sein. » (i)
Quelle vérité dans la pensée ! quel naturel dans réxpressîon !
* « Elle me fit le don de lever ses yeux sur moi ! » Je crois qull
est impossible de rien imaginer de plus gracieux , ni de plus
-éloquent. Après Homère et Virgile, le Dante est selon mol
le plus grand poète t.... il est sans mat pour le génie de
Texpression!....
Ainsi donc , plus on continue Tétude comparative des deux
poèmes, plus on est frappé de leur identité souà le rapport
du plan et de Tensemble , de la variété des connaissances
qu'ils renferment , et même d'un assez grand nombre de dé-
tails. Ce qui constitue finalement leur différence , c'est la cause
efficiente de la ti*ansfiguration paradisiaque , ou ascension vers
la lumière , c'est-à-dire vers la paix et le bonheur. Dans la
Divine Comédie^ cet agent , c'est un aigle immense, mystérieux
symbole de l'Empire ; c'est un Empereur puissant qui rendra
. à l'ïlalie l'unité qu'elle a perdue depuis si long-temps , et qui
soumettra à un seul pouvoir ces villes républicaines affaiblies et
déchirées par l'anarchie. Dante voulait en même temps un Pape
vertueux, pour maintenir la pureté dans les mœurs , mais ne
possédant aucune autorité temporelle ef ne pouvant ni couronner,
ni dépouiller l'Empereur, mais seulement lui donner des aver-
iissements. Je souligne le mot à dessein. Dante désirait cet arran-
gement de pouvoirs, parce qu'il soutenait que l'autorité impériale
(1) Dans le Paradis oerdu , Milton représente aussi Eve cueillant des
fleiirs , seule dans un Dosquet , image poétique de l'innocence et de la
Irtoqmllité.
ne provenait pas de raulorité de rÉglîse(^). Qui eût.dit; alora
que Favenir lui donnerait raison un jour, a( qw einq ciè(;)e» :6l
demi plus tard, Taigle impériale de France planerait sor W^Mf^ie
de Virgile I et lui rendrait l'unité et rindépendan£è dont «èfle était
déshéritée depuis si long-temps. ' '
Dans la Légende des Siècles^ au lieu de raigte, symbole de
TEmpire, cest la LibQrté^ provenant de la révolution, mère des^
peuples (2), qui , dans un gigantesque navire aérien , emportera
Vhumanîté, de Tenfer terrestre vers tes régions étoilées d'un nduv^^
£den, c'est-à-dire : •
Au juste, au grand, au bon, au beau.... Vous voyez bien
Q^en effet il monte aux étoiles I....
L'aéroscapbe voit, comme en face de lui ,
LU-haut, Aldébaran par Céphée éblpui ,
Persée , escarboucle des cimes , ,
Le chariot polaire aux flamboyants essieux ,
Et plus loin, la lueur lactée, 6 sombres cieux ,
La fourmilière des abime^ !
Il porte rhomme k l'homme et Tesprit k Tesprit.
Il civilise , 6 gloire ! il ruine , il flétrit
Tout rnffreux passé qui s'efiàrc*
Il abolit la loi de fer, la loi de sang ,
Les glaives , les carcans , Tesdavage , en posant
Dans les cieux , comme une fanfare.
Il ramène au vrai ceux que le faux repoussa ;
11 fait briUer la foi dans l'oBil de Spinosa
Ht rçspdir sur le froot de Hobbe !..,;
(1) Voir son livre de Monarchia^ od il ledémpntre, en prose, par A plus
B, argumentation assez singulière pour un tel poète. Entrq autres argu-
mei^ls pn rçma,rque celui-ci : « Si l'Église avait la vertu d*àiitortser FEm-
pereur de Roipc , elle Is^ tiendrait ou de Dieu , ou d'èlle-înéme, ou de
quelque Empereur, ou du suffrage de tous les mortels, o^du suffrage des
p(u$ puissants parmi eux. U n'est pas une autre voie d'où cette vertu puisse,
lui venir. Elle ne Ta reçue d'aucun de ces côtés j donc elle ne Ta pas. »
(2) Voir la préface. ' .
— 396
'V- ■v ,. .
IL
Ce n*est pas une saiae critique que celle qui fait ressortir les
défauts d'un t)uvrage, et qui en dissimule à dessein les qualités,
et viee versa. Dans ^n poème comme la Légende des Siècles ,
par exemple , où , suivant la méthode habituelle de composiOon
de l'auteur, le grotesque se rencontre souvent à c6té du sublima
où Vulcain coudoie pour ainsi dire Jupiter» faire connaître l'un
sans l'autre, ou les metti*e en évidence séparément, c'est donner
une très fausse idée de l'œuvre, c'œt détruire entièrement l'har-
monie des contrastes , sans laquelle il n'existe pas de véritable
poésie ; et voilà pourtant ce que n'ont pas manqué de faire les
écrivains qui ont rendu compte de la Légende des Siècles dans
les journaux, et dans les revues littéraires. Ils ont fait les extrails,
cité les fragments , noté les passages, les plus propres à étayer
leurs diverses appréciations,. Ils ont tronqué et défiguré tout le
poème' pour l'ajuster à leur étroite critique ! Qu'en est-il résulté!
C'est que la pensée réelle du livre et son enseignement histori-
que et philosophique sont demeurés incompris par la plupart
des lecteurs, qui l'ont lu comme on lit un mauvais roman-
feuilleton, une fois à peine, très superficiellement, et puis l'ont
dédaigneusement mis de côté comme l'une de ces productions de
la littérature malsaine , mises à l'index par M. le Ministre de
l'intérieur dans sa circulaire du -1" juilict -iseo.
Non! ce n'est pas de cette manière, selon moi, qu'on doit
rendre compte de l'œuvre d'un grand poète. Ut musica^ poesis!
La poésie est comme la musique. Une tragédie de Corneille, de
Racine ou de Sakespeare : un poème du Dante, de Victor Hugo
ou de Milton ressemblent à la partition d'un ^rand maestro, lis
demandent à être lus , à être écoutés plusieurs fois pour être
compris 4 il faut les étudier et le's commenter pour en découvrir
- 397 — :. .. .
les beaulés secrètes, comme on Ta fait pour la Divine Càmédh.
)g sais vbien qu'il est impossible de procéder ainsi dani Ua feuiU* '
lelon de journal ou dans un bulletin littéraire, et de* rendre
campte d'un long poème scène par scène, situation par situaiion,
chant par chant, d'une manière suivie et détaillée ; d'eu mettre
sous les yeux du lecteur toutes les beautés et toutes les imper**-
fections , dans l'ordre où elles se succèdent. Mais , de, grâce ,
ne sabrez pas à tort et à travers, sans choix, sans distinction,
une œuvre où tout se lie, tout s'enchaine, et tout s'harmonise.
Que' diriez-vous d'un instrumentiste qui aurait la prétention de
faire connaître une grande composition musicale telle, par exem-
ple , qu'un chef-d'œuvre de Meyerbeer ou de Rossini , en ne
jouant que quelques phrases sans suite , quelques solos incom-
plets et sans accompagnement , détachés de la partie écrite pour
son instrument? Comment donc faudrait-il procéder dans le cas
dont il s'agit? Je crois qu'on devrait choisir une pièce, un chant,
un épisode ou une scène renfermant un abrégé des principaux
ressorts qui entrent dans le système de l'auteur, s'y fixer» l'étu-
dier, le commenter, l'analyser enfin de manière à en offrir aux
yeux du lecteur toutes les faces, tous les détails , tous les aspects, •
tous les moyens d'action et de mécanisme. Cette étude partielle,
mais consciencieuse et approfondie , donnerait plus de fruits ^
ferait mieux connaître les qualités et les défauts de l'œuvre que
ces appréciations générales, que ces critiques superficielles et
décousues qui s'éparpillent au hasard sur tous les points , qui
effleurent tout, sans s'arrêter nulle part, en un mot qui ^'étreignent
rien en voulant trop embrasser.
Essayons , sur l'une des pièces qui composent la Légende
des Siècles , le mode ni' appréciation que je viens d'indiquer.
Je le ferai le plus brièvement possible. La pièce que je
choisis est intitulée le Parricide. Le sujet est tiré de l'histoire
du Danemark ; il est sombre comme la plupart de ceux qu'on
— 398 -
,m .-
emprunte à Thlstoire (I). La scène se passe en OanepKui.
Le vieux roi Swéno est en démence. Son fils Kanut (Knud),
impatient de lui succéder, lève sur ce vieillard une main parri-
cide , et monté sur le trône sans laisser aucune trace de soo
crin^e mystérieux. Le poète fait , en six vers , te récit de ce
lâche attentat :
Un jour, Kaout, à llieure où rassoupissement
Ferme partout les yeux sous l'obscur firmament ^
Ayant pour seul témoin, la nuit , Taveugle immense^
Vil son père Swéno , vieillard presque en démence ,
Qui donnait , sans un garde k ses pieds , sans un chien ;
11 le tua , disant : « Lui-même n'en sait rien. » (2)
Puis il fut un grand roi.
, Is poète continue , Tliistoire à la main , la biographie de ce
prince célèbre, restaurateur des lois saxonnes, qui publia un Code
militaire (Legts eastrenses), fut reconnu roi d'Angleterre, acheva
la conquête de la Norwége , comprûna les nobles par des lar-
gesses ou des punitions sévères , vengea ses prédécesseurs, et
mourut} las de succès, rassasié de grandeurs, en emportant au
^ton^au le titre de grand et Taffection de tous ses sujets.
Toujours vainqueur, sa vie.
Par la prospérité fidèle fut suivie ;
n fut plus triomphant que la gerbe des blés.
Quand il passait devant les vieillards assemblés ,
Sa présence éclairait ces sévères visages !
Par la chaîne des mœurs pures et des lois sages ,
(i) Les tableaux riants sont rares dans ce livre , dit l'auteur. Cela lient
h ce qu'ils ne sont pas fréquents dans Thisloire. (Préface de la Légende
des Siècles.)
(2) Les vieilles légendes danoises disent que Swéno mourut poignardé
par une main invisible , ce qui justifie jusqu'à, un certain pomt la ver-
sion du poète.
_ 399 —
A son cher Danemark natal il enchaîna • .
Vingt îles , Fionie , Arnhout , Folster, Mona.
Il bàlit un grand trône en pierres féodales ;
Il vainquit les Saxons , les Pietés, les Vandales ,
Le Celte , et le Borusse, et le Slave aux ahoisV
Et les peuples hagards qui hurlent dans les bois ;
Il abolit rhorreur idolâtre , et la rune ,
Et le menhir féroce où le soir, et la brune , (i)
Le chat sauvage vient frotter son dos hideux.
Il disait en parlant du grand César : « Nous deux. »
Une lueur sortait de son cimier polaire j
Les monstres expiraient partout sous sa cdlère ;
Il fut, pendant vingt ans qu*on Tentendit marcher,
Le cavalier superbe et le puissant archer ;
L'hydre morte , il mettait le pied sur la portée.
Sa vie , en mémo temps bénie et redoutée , >:«
Dans la bouche du Peuple , était un fier récit.
Rien que dans un hiver, ce chasseur détruisit
Trois dragons en Ecosse et deux rois en Scanie.
Il fut héros ; il fut géant; il fut génie;
Le sort de tout un monde au sien semblait' lié.
Quant à son parricide , il l'avait oublié. *
11 mourut On le mit dans un cercueil de pierre , * •
Et l'évêque d'Aarhus vint dire une prière,
Et chanter sur sa tombe un hymne, déclarant
Que Kanut était saint , que Ranut était grand ; ' ' ■
Qu'un céleste parfum sortait de sa mémoire ^
Et qu'ils le voyaient , eux , les prêtres , dans la gloire
Assis , comme un prophète , k la droite de Dieu.
On cite avec raison, comoie un modèle d'hypotypose, cette scène
ûiAthalie où Josabei raconte au grand-prêtre comment elle avait
arraché Joas tout sanglant des mains de ses meurtriers. Malgré
(4) Le menhir n'a rien de féroce. C'était une pierre d'avertissement.
Dolmen serait pr^rable, car c'était Tautel de pierre où les Druides immo^
laient des victimes humaines.
— 400 —
Fa^sîmplicilé et sa concision, le récit du meurtre de Swèno
n'est pas moins dramatique. L'image de ce vieux monarque ,
presque en démence , qui n'a pas même un chien à ses pieds
pour le garder > et qui meurt froidement assassiné par son
propre fils , sans autre témoin que l'aveugle nuit ; les paroles
ironiques, cruelles et pleines de scepticisme , que prononce le
meurtrier en frappant sa victime endormie , produisent un double
sentiment de terreur et de pilié , qui est la qualité essentielle de
toute scène tragique. L'hémistiche qui termine le récit : Puis^
il fut un grand roi I forme une admirable antithèse ,. figure
dont aucun poète ne sut mieux combiner l'emploi que Victor
Hugo. Les vers qui suivent, et qui sont fidèlement historiques,
développent l'antithèse , > en opposant la peinture d'un grand
règne à celles d'un gran^Jl attentat; le portrait d'un prince,
qui fut le père de ses sujets , à celui d'un scélérat qui fut
l'assassin de son père.
Les historiens rapportent qu'un jour Kanut, dans un moment
de colère ou d'ivresse , ayant tué un de ses gardes , fit assem-
bler ses capitaines et se présenta devant eux dans la posture
d'uQ criminel , en leur disant de le juger selon la nouvelle
loi qui venait d'être promulguée, et qui défendait de se faire
justice soi-même. Les officiers se retirèrent à l'écart pour déli'
bérer; ils revinrent bientôt, prirent le roi par la main, et le
• remirent sur son trône , sans vouloir rien décider. Alors Kanut
prenant la parole , dit à haute voix : « Puisqu'on ne veut pas
porter la sentence contre moi, je vais la prononcer moi-même.
J'ai contrevenu aux lois de mon pays en tuant un de mes
gardes ; mon crime est plus grand que ne serait celui d'un de
jnes sujets , parce qu'au lieu de maintenir les lois , comme
c'était mon devoir , je les ai violées moi-même. Pour réparation,
je me condamne donc à payer 360 marcs d'argent pour le
meurtre que j'ai commis. » La loi n'en exigeait que 40 pour un
~ 401 ^
pareil crime, suivant Te^rit de rancienne jurisprudence de tous les
peuples du nord ; mais Kanut pensa avec raison , dans cette
circonstance! que la sévérité de la peine devait croître en raison
du rang et de la fortune du coupable. « G*est ainsi , ajoute un.
de ses historiens^ que la férocité des mœurs de ce siècle s'alliait
dans la personne de ce prince à ce que la sagesse a de plus ^
ferme et de plus élevé. »
Cèst, en eCfet, une sages?e et une grandeur d'âme peu com-
munes, que celles d'un monarque donnant à ses sujets un si
magnifique exemple de respect aux lois et à la justice, et si ,
tirant parti de ce beau fait historique , l'auteur de la Légende
des Siècles en avait adapté le dénouement au morceau de
poésie épique que je viens de citer, c'est-à-dire s'il avait
supposé que Kanut , la conscience bourrelée de remords , avait
expié son crime à la fin de son règne , en abdiquant et en se
condamnant lui môme à quelque peipe terrible et proportionnée
à l'énormité de son attentat, la morale eût été satisfaite et cette
péripétie imprévue aurait produit un eifet très dramatique. Mais
l'illustre poète avait un autre but: il voulait démontrer cette
vérité morale et religieuse, à savoir « que le coupable' qui échappe
aux remords de sa conscience et à la justice des hommes , ne
peut jamais se soustraire à la vengeance de Dieu. » Pour
développer. cette grande pensée, si nécessaire au bonheur de la
famille et de la société , il a eu recours à une fiction dont je
ne crois pas exagérer les beautés de premier ordre y en les
comparant à celles des poèmes sacrés composés par Moïse,
Isaîe et les autres prophètes.
Vous allez en juger vous - mêmes , si vous voulez bien
me prêter encore quelques moments d'attention et me per-
mettre de vous la réciter. Je vous prie de remarquer auparavant
que , pour bien faire resserfir toute la sublimité de eette sombre
prosopopée, il faudrait qu'elle eût pour interprète quelque
51
~ 402 ^
artiste d'un talent égal à celui de Bocage ou de Cobert, et
habitué comme eux à la versification de rauteur , car je le
répète , il en est de la belle poésie conmie de la belle musique.
On a presque autant de peine à se faire une juste idée du
loérite d'une pièce de poésie de nôtre grand poète, mal lue,
que d'un chant de Weber ou de Mozart, mal exécuté. Je
réclame donc votre indulgence, et je demande pardon à l'auteur
d'oser lire à haute voix tes beaux vers qui suivent:
Lesoir viiitj l'orgue en deuil se tut dans le saint lieu-.
Et les prêtres, quittant la haute cathédrale ,
Laissèrent le roi mort dans la paix sépulcrale.
Alors il se leva, rouvrit ses yeux" obscurs ,
Prit son glaive et sortit de la tombe ; les murs
Et les portes étaient brumes pour les fantômes ;
U traversa la mer qui reflète les dômes
Et les tours d'Altona , d'Aarhus et d'Elseneur.
L'ombre écoutait les pas de ce sombre seigneur ; .
Mais il marchait sans bruit , étant lui-même un songe :
U alla droit au mont Savo , que le teiiqi» ronge ,
Et Kauut s'approcha de ce farouclie aient ,
Et lui dit : « Laisse*moi , pour m'en faire un linceul^
0 montagne Savo ! que la tourmente assiège.
Me couper un morceau de ton manteau de Aeige t »
Le mont le reconnut , et n'osa refuser.
Kanut prit son épée , impossible k briser.
Et sur le mont, tremblant devant ce belluaire ,
.Il coupa de la neige et s'en fil un suaire ;
Puis il cria : « Vieux mont, la mort éclaire peu l
De quel côté faut-il aller pour trouver Dieu ? »
Le mont ^u flanc difibrme , aux gorges obstruées ,
Noir, triste dans le vol étemel des nuées ,
Lui dit : « Je ne sais pas , spectre , je »im ici. »
^ 403 ~
Vous n*igaorez pas qu'on appelait Virgile lé Platonicien*^
parce qu'il expliqua en beaux vers les idées de Platon, et
qu'il^ puisa le fond du sixième livre de V Enéide (la descente
d'Enée aux j^n/èrs), dans une fable allégorique qui se trouve à
la fin de la République du philosophe grec 11 est évident poulr^
inoi que Victor Hugo a puisé à la même source. Quelques
lignes exlrakes jJ<5 cette fable vont nous en fournir la preuve :
« Un guerrier arménien, nommé Her, ressuscite douze jours
4» après sa mort, et raconte ce qu'il a vu pendant cet intervalle;
• Aussitôt, dit-il, que mon Âme eut abandonné mon corps, elle
» s'avança , dans la compagnie de plusieurs .autres , vers un
» séjour merveilleux, où nous vîmes dans la terre deux ouver-
» tures voisines et deux autres au ciel qui répondaient à celles-cîl
» Des juges étaient assis entre ces ouvertures mystérieuses,
• et dès qu'ils avaient prononcé leur sentence, Hs ordonnaient
» aux justes do prendre la route à droite , et aux méchants
• de prendre la route à gauche. Je vis bientôt sortir pac la
1» seconde ouverture de la terre , des âmes couvertes de fange
» et de poussière , et par la seconde ouverture du ciel descendre
» des âmes pures et sans tache. Elles paraissaient toutes venir .
9 d'un long voyage; elles se retrouvaient après une séparation^
» de mille ans.
» Celles qui avaient passé ce long temps de leur voyage sous
9 la terre versaient des larmes aux souvenirs des maux soufiCerts;
» mais celles qui descendaient du ciel racontaient des merveilles
» inouïes , et montraient une joie ineffable dont nous n'avo^s
» pas l'image ici-bas. En un mot , chaque peine et chaque
» récompense , dans ces deux mondes divers , étaient dix foii
» plus grandes que le crime puni ou que la vertu récompensée*
» A la tête des justes sont les hommes qui ont honoré les Dieux,
» et leurs pères comme les Dieux. Des supplices extraordinaires
» attendent les impies et les parricides ; les grands criminels ,
— 404 —
» mpme oprès mille ans , n'olit point achevé ïeuiP expiation,
i L'une de ces âmes (c'était celle du tyran de Pamphylie) aitendaît
• 3a délivrance, au bout de ce long terme de dotdeurs ; noais
i au moment où elle $e préparait à sortir , l'ouverture en se
« refermant lui refusa le passage avec un mugissement hordble. >
Vous le voyez, le roi Kanut ressuscite comme le guerrier
arméhien , et se dirige v^rs un séjour merveilleux ; son ûme,
apfès avoir erré long - temps comme celle du tyran de Pam-
phylte, attendra vainement sa délivrance, et ne pourra franchir
la fatale ouverture dont la porte reste fermée ^ et le pnve
éternellement de la présence de Dieu.
Je n'ai pas besoin de vous faire remarquer la sombre et
lugubre harmwiie des vers qui pagneat la marche lente cl
funèbre du spoctre-roi.
L'ombre écoulait les pas de ce soad)re Seigneur.
Milton, a dît en décrivant une nuit dans Ëden : « Le rossignol ,
répétait ses plaintes amoureuses , et le silence était ravi î »
tiette jjierèohm'fication de l'ombre qui écoute et du silence qui
est ravi, est aussi ingénieuse que poétique. Le Dante et Victor
îlugo ont usé largement de ce privilège de tout personnifier ,
qui appartient essentiellement à la poésie : aussi , est-ce à tort,
selon moi , que certains critiques (1 ) ont qualifié de conceptions
"bizarres , vicieuses et du plus mauvais $oût, les figures sui-
vantes : (dans la î>ivine Comédie), ks astres exprimaient leur
joie en •dansant ; (dans la Légende des Siècles) le tonnerre
éclata^ pojJT manifester le môme sentiment ; ils ont oublié que
"c'est nnc imitation , ou tout au plus, dirai -je, mais uni-
quement ponr contenter quelques censeurs trop méliculeui,
'. (i)VdiTle dictionnaire de Biùjfftaphie et d'Uisloiref de Dezobry cl
BaicbekL , la Hevue briimni^^ etc.
— 405 — .
ane imitation hyperbolique du style des pseaumoa. et des pro^ . -
phéties, où tout prend une âme et un langage^ comme par
exemple les colHnes qui se revêtent <t allégresse ^ les vallùns jgijui
chantent des louanges; le ^eilj la lune, la terre ^ les^^n^s^
ies animaux, etc., invi^s par David et les trois enfants de Babg-
lone à bénir le Seigneur. Virgile ne prôte*t-il pa^ un §eqliipenl
de crainte au Tibre dans ce vers de X Enéide :
Dissuîtant ripas , re/tuit que exterritus amnis.
Delille dit aussi :
Les Phoques , désertant ces gouffres infectas ,
Dans les fleuves surpris courent épouvantés.
Racine personnifie ée même la mer dans ce vers bien connu îO
Le flot qui l'apporta recule épouvanté.
Je pourrais citer à Tinfini des figures qui prêtent. (Ip. senti-^
mentaux choses inanimées, et que personne ne s'est avisé de ;
critiquer , car ce sont des beautés et non des défauts. - /
Mais poursuivons. Bientôt Tombre de Kanut arrive-aunriont
Savo , le frappe avec son épée, et lui parte comme le •
Seigneur voulait que Moïse parlât au rocher, après l'avoir frappé
avec sa baguette ; il lui demande un linceul de neige, c*est^«
dire un vêtement blanc et sans tache, emblème d'innocenea •
et de pureté, pour paraître devant son juge suprême^ j)uis.|
il s'écrie : ♦ *^ :
Vieux mont I la nuit éclaire peu ! , 'p>^l ; •
De quel cêté faut-il aller pour trouver Dieu ! : \
Je ne sais si je me trompe ^ mais je trouve cette brusque
apostrophe véritablement sublime. Le royal fantôme s'adresse j
au mont Savo pour lui demander où est Dieu. Pourquoi \
- 406 —
s*a<iress6 : t • il plutôt à lui qu'à la mer , aux fleuves ou mx
dômes des temples d'Altona, d'Aarhus et d'Ësletieur qu'il yleat
de traverser? C*est qu'il se souvient que les montagnes seules
peuvent savoir où est Dieu, car c'est toujours sur leurs cimes
mystérieuses qu'il vient méditer , communiquer avec ses pro-
phètes et révéler parfois 9a présence aui hommes.
Cest encore ici, il faut bien le reconnaître, FEsprit-Saint
qui a inspiré notre grand poète. Le psalmiste aussi interroge la
nature quand il s*écrie : Mer, pourquoi as -tu fui? Jourdain,
pourquoi as tu reculé vers ta source? Montagnes, pourvoi
avez-voiis bondi comme le bélier ? et vous , collines , comme
Tagneau? Et la mer, les montagnes, lé fleuve, les collioes,
ainsi interpellés , répondent au poète sacré : c Eh I ne voyez-
vous pas que la terre s'est émue devant la face du Seigneur!
Et comment ne se serait-elle pas émue à l'aspect de celui qui
change la pierre en fontaine et la roche en source d'eau vive? t
Le* mont Savo répond aussi au roi ressuscité qui vient de
rîntcrroger, et sa réponse , qui est d'une sublimité digne de
l'Écriture , appartient tout entière à Victor Hugo , excepté ce
vers qui la précède :
Noir, triste , dans le vol étemel des nuées ,
qui est une paraphrase métaphorique tirée d'un tableau pro*
phélique de David: iLes nuées amoncelées formaient autour de
lui un pavillon de ténèbres.» Sauf l'emprunt de cette image,
dis-jc , la conception originale et sublime qui termine le passage
précité, appartient sans partage à l'auteur de la Légende des
Siècles :
Je ne sais pas, spectre, je suis ici !...«
, Celte réponse admirable renferme un sens si profond et eo
même temps si élevé , qu'elle demande plutôt le silence et la
méditation de Tespjit que des çxplicalipus.
—407 -* '
Je conUdue la lecture des vers qui suivent aans en omettre
un seul : - '
Kanut quitta le mont par les glaces saisi ; . .
El le front haut ^ tout blanc dans son linceul de neige ,
Il entra par delà l'Islande et la Norw^e ,
Seul dans le grand silence et dans la grande nuit ;
Derrière lui le monde obscur s'évanouit.
Il se trouva , lui , spectre , âme , roi sans royaume ,
Nu^ face à face avec l'immensité fantdme;
D vit Finfini , porche horrible et reculant
Où t'éclair, quand il entre , expire triste et lent ;
L'ombre , hydre dont les nuits sont les pâles vertèbres ,
'L'informe se mouvant dans le noir ; les ténèbres ;
Là y pas d'astre , et pourtant on ne sait quel regard . ^
Tombe de ce chaos immobile et hagard ;
Pour tout bruit y le frisson lugubre que fait Tonde
. De l'obscurité , sourde , eflarée et profonde. * v
n avança disant : « C'est la tombe ; au-delà ' » •
C'est Dieu ! » Quand il eut fait trois pas , il appela;
Mais la nuit est muette ainsi que l'ossuaire ,
Et rien ne répondit. Sous son blême suaire
. Kanut continua d'avancer; Ta blancheur
. Du linceul rassurait le sépulcral marcheur.
Ce qu'on admire le plus dans la ballade si connue , qui
commença la célébrité de Burger , c'est la course rapide et
fantastique du cavalier-fontôme qui, à lap&Ie clarté de la lune,-
franchit, sans s'arrêter, les plaines , les fleuves et les montagnes ,
en s'écriant : « Hurrah ! les morts vont vite ! » La marche lente et
lugubre du spectre de Kanut me sembla plus admirable encore,
non*seulement comme peinture, mais parce qu'elle a un sens
parabolique qui n'existe pas dans la pièce allemande. Le prince
Danois interroge la montagne Savo , c'est-à-dire l'Esprit- Saint'
~ 408 --
qui, du sommet des monts , faisait jadis entendre aux barbares
du Nord la Parole de Dieu, et la montagne lui répond comme
le premier fils d'Adam : « Je ne sais pas ! » Kanut quitte le
mont et s'avance, confiant dans la blancheur de son vêtement :
Seul dans le grand silence et dans la grande nuit.
Les syllabes longues et pesantes de ce vers produisent un effet
rhythmique qui peint bien la profondeur du silence et l'épais-
seur des ténèbres qui enveloppent les pas du spectre, et l'immen-
sité de la solitude dans laquelle il se trouve pour ainsi dire
perdu. Elles ont une harmonie imitative comme celle de ce vers
de Virgile, dans la descente d'Ènée aux Enfers I Les sons pei-
gnent les objets. Les nombres imitent la chose.
Jhant obscuri soîa sub nocte per umbram.
Les vers qui suivent expriment avec une sombre énergie toute
rhorreur de cette nuit funèbre. La comparaison de Xin^ni à un
p(yrche horrible îdîi mieux ressortir, par contraste (1), Timmensilé
des espaces sans fin. CellQ de \ ombre à un hydre dont les nuils
sont les pâles vertèbres ^ quoique moins intelligible, de prime-
abord, "n'est pas moins juste que neuve. L'ombre, en effet,
coupée alternativement par la lumière , renaît sans cesse, comme
les têtes de Thydre qu'on a £d)attues, et tes miitis, en se succé-
dant , s'enchaînant et s'emboitant comme les vertèbres , consii-
tuent indéfiniment l'ombre éternelle {%). Li, pas d'astres l Mais
(1) Le propre du contraste est , comme on sait , de Jaira ressortir les
objets , en leur donnant plus d'éclat , en plaçant par exemple le nain à
c6té du ^éanl , te chêne h côté da roseau , le beau à côté du laid ; e^est,
comme je Tai dit plus haut ) Tun des moyens qui forment la base du
système de composition de notre illustre poète.
(â) De même que les vertèbres , en s'emboitant^ forment la colonne
vertébrale.
— 409 — :
rœil de Dieu est toujours ouvert sur les mondes. Kanut appelle ;
mais rien oe lui répond. C*est la tombe , dit-il , au-delà , c'est
Dieu I et il continue d'avancer , rassuré par la blancheur du
linceul, sous lequel il espère toujours dérober la souillure de
son âme I
Il allait; tout-à-coup sur son livide voile
Il vil poindre et grandir comme une noire étoile.
L'éloiic s'élargit lentement, et Kanut ,
La làtant de sa main de spectre , reconnut
Qu'une goutte de sang était sur lui tombée.
Sa tête , que la peur n'avait jamais courbée ,
Se redressa ; terrible, il regarda la nuit
Et ne vil rien. L'espace était noir ; pas un bruit :
' « En avant I « dil Kanut levant sa tête fière.
Une seconde tache auprès de la première
Tomba, puis s'élargit ; ^l le chef cambrien , c
Regarda Tombre épaisse et vague , et ne vit rien.
Gomme un limier à suivre une piste s'attache , •
Morne , il reprit sa route ; une troisième tache ,
Tomba sur le linceul!..,. Il n'avait jamais fui.
Kanut pourtant cessa de marcher devant lui, ^
Et tourna du côté du bras qui tient le glaive.
Une goutte de sang , comme à travers un rêve ,
Tomba sur le suaire et lui rougit la' main.
Pour la seconde fois il changea de chemin ,
Gomme en lisant on tourne un feuillet d'un registre,
Et se mit à marcher vers la gauche sinistre.
Une goutte de sang tomba sur le linceul
El Kanut recula , frémissant d'être seul.
Et voulut regagner sa couche mortuaire.
Une goutte de sang tomba sur le suaire !
Alors il s'arrêta livide , et ce guerrier.
Blême , baissa la têtç et tâcha de prier.
52
- 410 ^
Une goutte de' sang tomba sur lui I Farouche ,
La prière effrayée expirant dans sa bouche ,
U se remit en marche , et, lugubre , hésitant ,
Hideux , ce spectre blanc passait ; et par instant
Une goutte de sang se détachait de Tombre,
Implacable , et tombait sur celte blancheur sombre.
' Il voyait , plus tremblant qu'au vent le peuplier.
Ces taches s'élargir et se multiplier ;
^ Une autre, une autre, une autre, une autre, 6 cieux funèbres I
Leur passage rayait vaguement les ténèbres.
Ces gouttes , dans les plis du linceul , finissant
Par se mêler, faisaient des nuages de sang.
Il marchait ; il marchait ; de l'insondable voûte
Le sang continuait à pleuvoir goutte à goutte ,
Toujours sans fin , sans bruit , et comme s'il tombait
De ces pieds noirs qu'on voit la nuit pendre au gibet.
Hélas ! qui donc pleurait ces larmes formidables ?
L'infini ! ^
Les beautés de ce récit sont trop frappantes pour qu'il soit
nécessaire de les expliquer longuement , et je plaindrais sincè-
rement les hommes assez mal organisés pour ne pas les com«
prendre; on pourrait dire d'eux avec Cicéron : Quas aures
habeani^ aut quid in his homini simile sit, nescio. Je cherche
dans YEnfer de Virgile , dans celui du Dante , dans celui de
Milton, dans Schiller (4), un genre de supplice pareil au tour-
ment de ce roi parricidç. Il m'est impossible de rien trouver
qui puisse lui .être comparé. Je cherche dans les cris de déses*
poir, dans les gémissements , dans les imprécations des âmes
maudites ou damnées ; je choisis dans les plaintes déchirantes
(i) Voir la scène de sa tragédie intitulée Guillaume TeU, où il peint les
souffrances et les remords d'Hedwige , qui devint aussi parricide par
ambition.
- 411 —
de Job, dans les lamentations de Jérémie, et je ne tronve rien
de comparable au silence farouche , ail désespoir taciturne , à
la torture muette de cette âme errante dans les ténèbres sans
Un, qui cherche Dieu sans le rencontrer, et qui sent tout-à-coup
une goutte de sang tomber sur son linceul et lui rougir la main*
Il tourne du c6té de la main qui tient le glaive (à droite), puis
îl marche vers la gauche sinistre, et une goutte de rang tombe
encore sur son vêtement de neige. ÎI recule en frémissant d'être
seul et veut regagner sa couche mortuaire ; mais une goutte de
sang tombe sur son suaire. Il veut prier, et la prière effrayée
expire sur ses lèvres glacées , et toujours l'implacable tache de
sang retombe sur lui.
La prière effrayée expirant dans sa bouche.
La prière effrayée est une expression de .génie , comme le
silence ravi de Milton , comme le David éteint dans ce beau
vers d'Athalie:
Et de David éteint rallumé le flambeau î ^. .
I-a répétition contenue dans ce seul vers :
Une autre, une autre, une autre, une autre, ô cieux ifunébres !
ainsi que Texclamation qui le termine, produisent Un grand effet.
La beauté de la figure consiste dans la répétition non interrompue
de ces deux mots : une autre , qui peint exactement \x chiïte
incessante et multipliée des gouttes de sang : ^ ".'.i ;
Hélas ! qui doue pleurait ces larmes formidal)les'?
L'infini !
Ne pensez -vous pas comme moi, que le dernier trait de
celte magnifique peinture , que le suprême accord de cette
harpe biblique, que ce majestueux point d'argm d'un can-
— 412 —
tique sacré justifie ce mot profond de Longîn : t Le sublime
est, pour ainsi dire, le son que rend une grande âme. t Images,
sentiments , figures , inspiration , énergie et pureté de style ,
harmonie du vers , richesse de la rime , tout ce qui constitue ,
enfin, Tessence de la helle poésie, se trouve réuni dans le
fragment que je viens de vous lire. « Chaque mot , comme
Texigeait Zenon, porte le caractère de la chose que le poète veut
exprimer. 0 Mais ce qu'il y a surtout de remarquable dans cette
pièce, c'est un incomparable talent de description. Comme poète
descriptif, Victor Hugo . est sans rival. Il est même au-dessus de
Lamartine dans ce genre presque inconnu jusqu'à lui dans la
poésie française.
J'arrive au dénouement de cet épisode dramatique.
Vers les deux , pour le juste abordables ,
Daus l*océan de nuits sans flux et sans reflux ,
Kanut s'avançait pâle et ne regardant plus ;
Enfin, marchant toujours comme en une fumée ,
Il arriva- devant une porte fermée ,
Souï laquelle passait un jour mystérieux.
%. Alors , sur son linceul, il abaissa les yeux ;
C'était Tendroil sacré , c'était Tendroit terrible :
On ne sait quel rayon de Dieu semble visible.
De derrière la porte on entend THosanna :
Le linceul était rouge et Kanut frissonna.
f ■
Et c'est pourquoi Kanut, fuyant devant Taurore
Et reculant, n'a pas osé paraître encore
Devant le juge au front duquel le soleil luit ;
C'est pourquoi ce roi sombre est resté ^dans la nuit ,
El, sans pouvoir rentrer dans sa blancheur première ,
Sentant k chaque pas qu'il fait vers la lumière ,
Une goutte de sang sur sa tète pleuvoir.
Rôde éternellcmeflt sous l'énorme ciel noir I
~ 413 ~
Cette péripétie imprévue est aussi neuve que dramatique. Dans
la fable païenne que j'ai citée, Tâme du tyran de PamphyKe
attend aussi sa délivrance après une longue période. de do.uleurs ;
mais au moment où elle se présente devant TQuverture, celle-ci,
en se refermant, lui refuse le passage avec un mugissement hor-
rible. A ce bruit, qui fait trembler toutes les ombres, accourent
les ministres de la mort, des spectres infernaux qui ressaisis-*
sent cette ûme deux fois condamnée, et l'entraînent dans f'abîme.
A cette fantasmagorie un peu surannée, Tauteur de la Légende '
des Siècles a substitué une fiction beaucoup plus poétique , et
cependant non moins terrible que la reproduction platonicienne.
Kanut, pâle et tremblant, arrive devant l'ouverture ; mais la porte
est fermée , et sous cette porte glissent à peine quelques rayons
mystérieux , semblables à un regard de Dieu. Tout-à-coup k3
sons harmonieux de THosanna se font entendre , et Kanut fris- '
sonne , en regardant son linceul teint de sang , sa robe d'inno-
cence dont la blancheur native est entièrement souillée. A chaque
pas qu'il essaie de faire vers le trône lumineux où siège le sou-
verain des rois , il sent tomber une goutte de sang sûr sa tête,
et ce roi parricide est condamné à errer éterneUement dans de»
ténèbres sans fin.
m.
Si je m'arrêtais ici, on ne manquerait pas de m'appliquer
avec raison ce que j'ai blâmé au commencement de cet arti-
cle , c'est-à-dire de ne photographier que les aspects les plus
favorables à mon point de vue. Je crois donc , dans l'intérêt
môme de la critique défensive que j'ai esquissée, et pour donner
une preuve d'impartialité , qu'il est nécessaire de mentionner, le
plus brièvement possible , quelques - uns des défauts les plus
saillants qu'on a reproehés à notre grand poète et à son œuvre*
~ 414 —
Nous verrons jusqu'à quel point ils seront mérités* Un des prin-
cipaux organes de la presse littéraire, la Revue Britannique^
a dit| dans sa livraison du mois d'octobre -1859 : « Le style
i surtout de la Légende des Siècles nous a paru déplorable. Des
i comparaisons incroyables, des rimes étranges font TefTet d'une
i ouverture de Rossini ou de Meyerbeer , exécutée à grand
» ordiestre avec des instruments de charivari , » et l'auteur de
l'article cite pour exemple les deux vers suivants de la pièce
intitulée le Jour des Rois :
Pendant que les vivants se traînent sur leurs ventres ,
Toiy les poux dans les trous , toi, les rois dans les antres. (1}
et les dix autres qui se trouvent dans la pièce intitulée le
* Satyre*
Alors on se pâma , Mars embrassa Minerve \
Mercure prit la taille à Bellone avec verve j
La meute de Diane aboya sur l'GEta :
Le tonnerre n'y put tenir, il éclata.
Le&«inlmortcls, pencbés, parlaient aux immortelles.
Vulcain dansait ; Plutou disait des choses telles
Que Momus en était presque déconcerté. .
Pour que la reine pût se tordre en liberté,
Ilébé cachait Junon derrière son épaule ,
Et rhiver se tenait les côtes sur le pôle.
" Je n'examinerai point ce qu'il peut y avoir d'insolite dans ces
jmssages incriminés. Je ferai seulement remarquer qu'il s'agit ici
d'une orgie païenne, d'une bacchanale des anciens Dieux de
(i) Cette pièce est une peinture aussi énergique que vraie des cruautés
commises au moyen-âge par les hauts barons de l'Espagne. La itetntf
britannique n'en cite que les deux derniers vers ; avec cette méthode de
critique , il serait facile de démolir n'importe quel chef-d'œuvre ancien
ou moderne , et de le perdre dans l'opinion de ceux qui ne le conna!-
Iraient pas.
— 415 —
rOlyrape , que le poète , sans doute, a voulu ridiculiser ; orgie
ou bacchauale qui me semble assez pittoresquement représentée
par l'àpreté , la discordance , la rudesse et le choc bruyant des
mots et des rimes.
' On trouve dans les poètes classiques anciens et modernes , et
surtout dans Virgile qui excellait dans ce genre" de tableaux ,
de fréquents exemples de cette harmonie imilative qui consiste,
comme on sait , à régler le choix des sons imitatifs sur la nature
des objets qu'on veut représenter. Exemple :
Baucidulum quiddam baïbà de nare locutus, (Perse.)
Ergà œgré terram rastris rimantur (Yirjfle.)
Agricola incurvo terram molitus aratro.
Sa gorge de vapeurs s'enfle comme un ballon ,
Fait un vacarme de démon ,
Siffle , souffle, tempête etc., etc. (LafontaÎDe.J
Lu lime mort Tacier, et Foreille en frépiit. (Ricîne.)
Je crois qu'en pareille circonstance les grands musiciens comme
Rossini ou Meyerbeer ne procèdent pas autrement, et qu'ils. ne
modulent pas un chant d'orgie de la même manière qu'une
romance amoureuse. On pourrait citer dix chœurs de démons
accompagnés à grand orchestre par nos instruments en cuivre^
qui , dans ce cas , ressemblent en quelque sorte et doivent res-
sembler à des instruments de charivari , afin d'imiter les bruits
étranges , les sons cacophoniques, pour ainsi dire, d'une satur-
nale de démons. Il est à propos de remarquer encqre qu^ la
Revue britannique n'a extrait, à peu près, des deux forts volu-
mes de la Légende des Siècles, et comme spécimen de la facture
de l'auteur, que les dix ou douze vers que je viens de citer.
Est-ce là ce qu'on peut appeler de la critique impartiale, et
— 416 —
croit -on qu*il soit possible, en ne voyant que de pareils échaa-
tillons, d'apprécier convenablement les qualités du travail?
On. a crié au néologisme^ au solécisme, au barbarisme même,
à cause des mots nouveaux , des locutions inconnues ou inuM-
téea qu'on rencontre assez fréquemment dans la Légende des
Siècles et dans les Contemplations. Rien ne me semble moins mérité
que ces reproches. L'auteur de ces deux derniers ouvrages a
pris soin lui -môme d'y répondre d'avance dans l'une de ses
préfaces , où il dit que le néologisme n'est qu'une triste res-
source pour l'impuissance, que les fautes dje langue ne rendront
amais une pensée , et que t le style est comme le cristal, sa
purelé fait son éclat. » Rajeunir quelques tournures usées, renou-
veler quelques vieilles expressions, essayer d'embellir notre versi-
fication par la plénitude du mètre et la richesse de la rime, délivrer
notre langue du pédantisme de convention , créer de nouveaux
canaux pour ainsi dire, et adopter pour les vers des formes qui,
n'allant pas jusqu'à la licence , expriment le sentiment intérieur
de son affranchissement et de sa prise de possession d'une exis-
tence régénérée et retrempée , ce n'est pas du néologisme ,
autrement l'on serait en droit d'accuser aussi Bossuet de ce vice,
parce que « il a créé une langue aussi nouvelle que ses idées ,
» el que son éloquence s'est élevée au-dessus des règles et des
» modèles , en portant l'art à toute la hauteur de son propre
» génie, t (\)
Parmi les comparaisons que la Revue britannique appelle
incroyables, il s'en trouve, je l'avoue, quelques-unes qui sem-
blent justifier cette épithète ; mais en les relisant avec attention,
on ne larde pas à se convaincre qu'il serait plus équitable de
les qualifier seulement de bizarres (2), car il existe presque tou-
(i) Discours sur Véloqumce de la Chaire, par le cardinal Maury*
(2) Au figuré, c'est-à-dire hors de l'ordre commun.
— 417 —
jours un rapport de convenance entre Tobjet principal et l'objet
étranger, et que, par conséquent, elles sont généralement justes.
Si parfois elles manquent de noblesse, du moins n'ontelles pas
le défaut d'être empruntées, usées ou rebattues. D'ailleurs, les
plus grands maîtres de Tart ont aussi quelquefois sacrifié la
iM)blesse à Texactitude. Homère , dans Vlliade^ compare Ajax,
combattant avec obstination , à un âne que les coups des villa-
geois ne peuvent arracher d'un champ de chardon. Virgile assi-
mile les agitations de la reine Amate, tourmentée par Àlecton,
au mouvement d'un sabot sous le fouet des enfants, et la fureur
de Turnus à une chaudière bouillante. Le Dante compare les
ûmes glorieuses du Paradis qui se pressent vers lui, à la foule
des poissons que l'on voit dans un vivier clair et tranquille ,
s'élancer vers les miettes de pain qu'on leur jette. Dans Vineûcitii^
le poète sacré coapare Jes secousses des montagnes et des col*
lines ébranlées par un violent tremblement de terre aux bondis-
sements des béliers et des agneaux. Toutes ces comparaisons, si
elles ne sont pas très nobles, sont au moins très exactes. On a
(brt , par conséquent , d'appeler incroyables les comparaison*
suivantes qui se trouvent dans la Légende des Siècles. Le poète
décrit le combat de Roland contre les infants d'Espagne :
L^épëe éclatante , fidèle (DwindhaL)
Bonne des coups d'estoc qui semblent des coups d'aile.
Il pdnt un incendie : ■ .
Les flammèches au vent semblent d*affreux moustiques.
Un mendiant vieux et idiot est sur le pont de Crassus, et le
poète dit en parlant de lui :
P^ché sur le tombeau , plein de Tombfe mo)*telte,
Il est comme un cheval attendant qu'on dételle.
S3
~4!8 —
AAleors > il m^ àom la boache àa riofoot Paeheco le Hardi
les paroles suivantes :
Le soleil et le vent « ces farouches tanneurs,
M*ont fait le cuir robuste et ferme, messeigueurs !
Le géant Kostabât se précipite sur le preux Roland >
Avec le bruil d'un mur énorme qui s'écroule.
Dans une description , il dit en pariant des nuages cbassés
par un vent violent:
Vers le Nord , le troupeau des nuages qui passe ,
Poursuivis par le vent , chien hurlant de Tespacc ,
S^enfliit , k tous les pics laissant de sa toîs(XB.
Toutes ces comparaisons sont aussi justes et, je le répète, pas
plus incroyables que celles d'Homère, de Virgile et de TÉcriture,
que je viens de citer (I). Mais certains critiques (2) n'y regar-
dent pas de si près. Hs vous disent d'un ton magistral : C'est
absurde , c'est incroyable , c'est la décréfpitude du génie , sans
daigner vous apprendre en quoi consiste la décrépitude, l'absurde,
l'incroyable. Parlerai-je ici de cette tourbe d'envieux, de méchants,
de calonmiateurs , qui sont les ennemis naturels de toutes les
gloires , de celles des grands poètes surtout, et qu'on pourrait
appeler les scolytes destructeurs de l'arbre de la science. Ce
(1} M. Villemain dit en parlant des comparaisons d!Homère et de Dante
Sue je viens de citer ; « H n'est rien dans la nature qui ne puisse fournir
es tableaux et des couleurs.. «. Ces expressions qu'on app^eraii bassen
dans une littérature artificielle, ont le mérite d'être nécessaires, etc., etc. »
{%) DénigreuiSr dfivrais4& diie^ car ils. ne Boràtile&i eertalnement pas le
nom de critiques.
~ 4!9 —
sont euK qui an^eutèrent les Mœnades contre famant d'ÏIory-
dlce I la ' lie féminine des villes guelfes contre le Dante ; qui
ourdirent la trame de calamités et d'humiliatfons dont fut enve-
loppée la vie entière du chantre de la Jérumlem; déiitx^ée ; qui
préparèrent le misérable lit d'kôpiial où le C^oens mourut
pauvre et' abandonné I Ce sont eux encore m leurs attttés . fui^
poursuivirent Miliûû dans les rues de Londre3 en 4'a«cablant
d'oulrages , en l'appelant parricide de son roi , et eu lui appli-
quant ce vers de Yitigile :
Monsirum horrendum informe ingens cui lumen ^dmptum !
lis appelèrent Racine un suppôt de Lucifer^ pour le punir
d'avoir fait Alkalie , et enfin ils répandirent tant de calonmies
sur lord Byron, qu'il ne pouvait plus paraître sur les promenades
publiques, à Drury-Lane, sans être accueilli par des huées;
que les dames le montraient au doigt , que les enfants pour*
suivaient sa voiture quand il se rendait à la chambre des pairs,
et que sa femme, enfin, voulut le faire entrer à Bedlaml
Il est inutile, ce me semble, de relever Tépilhéte de déplO"
rable appliquée au style de la Légende des Siècles. Je'me borne
ici à rappeler que des raisonneurs ont traité Homère d'écrivain
pitoyable. Ainsi donc , vous le voyez , Victor Hugo n'a point
échappé à la destinée commune aux grands poètes ,' et princl-'
paiement à ceux qui , comme lui , comme Milton et le Dante,
ont eu le malheur de prendre part aux affaires politiques de
leur pays. Quoique inspirée par un ardent élan de charité ,
quoique bâtie sur un admirable fonds de bonté et de philantropie,
sa dernière œuvre n'a pu résister à l'attaque combinée de l'envie,
de la méchanceté et de la calomnie , aiguillonnées par le plus
inique et le plus perfide de tous les conseillers , par lé plus
dangereux de tous les esprits, réspril de parti. On a confondu
— 420 -
le poète et Thomme politique {\); on les a enveloppés dans la
môme proscription. Suivant l'usage des vieux critiques, on a
beaucoup parié des défauts de Fœuvre , et Ton s'est presque tû
sur ses mérites ; plus que jamais, enûn, on a négligé de sui-
vre, dans cette occasion , ce sage conseil de Chateaubriand :
« H conviendrait peut- être d'abandonner la petite et facile cri-
» tique des défauts pour la grande et diCBcile critique des beautés. •
Quaat aux écrivains qui , faisant métier de dénigrer toutes les
productions du grand poète , ne cessent de lui reprocher des
figures bizarres et exagérées , telles par exemple que celle -
ci, que 'j'ai citée plus haut: Le tonnerre n'y put tenir^ il
(1) On l'a appelé renégat, tef-giversateur, apostat, adorateur du soleil
levant, ex - poète vendéen, ex-poèle montagnard, et autres quai ifîcalioDS
à Tusage de Tesprit de parti. Mais un critique étranger, dont je ne me
rappelle pas le nom, Ta bien défendu contre ces attaques, inspirées
par des intérêts de secte et de coterie. Voici à peu près le résumé de
cette critique défensive : « On ne peut limiter ni rétrécir sordidement la
» sphère dans laquelle les sympathies d*un poète ont le droit de s'exercer.
y> On ne doit point recourir aux sentiments qu'il a professés jadis , pour
» en extraire de quoi l'écraser sous des palinodies. Dans un certain sens,
» un poète ne devrait pas avoir d'opinions , et nous ne craignons pas de
» le dire, ni d'affronter le sourire railleur que peut faire naître l'ambi-
» gui té de celte phrase : Victor Hugo est le poète de tous les partis. Oui ,
j» le poète de tous les partis, et que ce soit dit à sa gloire, jamais il ne
>» souffre que ses opinions politiques ni ses préférences étouffent ou amor-
» lissent ses sympathies charitables, toujours en quête du grand, du beau,
» du passionné. Il a également célébré l'héroïsme de la Vendée, les triom-
» phcs de l'Empire, les victimes de juillet et la tombe étrangère, les
» exilés de Gorilz, l'impérial fils du grand homme, etc. Il décrit les
» splendeurs et les taches de ce siècle , les motifs qu'il a d'être fier, et
M ceux qu'il a d'être humble , ses perfections , ses défauts , ce qu'il a
» gagné et ce qui lui manque encore. Le même au(eur vous offrira cette
» diversité de sentiments , ces sensations dans leurs différentes phases ;
» et cependant , à moins que vous ne soyez imbus des préventions de
» l'esprit de parti et enchaînés au joug de fer de la servitude politique
» (auquel cas nous n'avons aucune prière à vous adresser), nous vous
» adjurons de réfléchir avant d'accuser le poète de versatilité , banale et
» facile imputation, dont ne s'arme que trop souvent le frivole vulgaire. »
Il me semble qu'on doit attacher un grand prix à ce jugement, qui ne
peut être suspect de partialité , puisque Tauteur n'étant pas français,
on ne peut , par conséquent, l'accuser d'avoir cédé aux influences de
parti et d'école.
t
— 42i —
€claia{\),ei que la Revue contemporaitie ne (rau\e comparable qu'au
fameux couteau qui,s*étant souillé du sang de son mailrc, en rougis-
sait le traître \ qui ne peuvent lui pardonner des etpressions origi-
nales telles que cette fréquente accolade de deux substantifs :
la nymphe ivresse , rimmensité fantôme , la bomhô^ tombeau ^ la
fosse silence^ la biche illusion^ l'arbre éternité^ le fossoyeur oubh\
etc., des habitudes excentriques, enfin, qui leur semblent incoia- -
patibles avec les procédés ordinaires de la raison, je me per-
mettrai de demander à ces rigides censeurs s'ils ont le droit de
de se montrer plijs sèvres qu*Horace lui-même qui a dit :
9i^Verum ubi plurà nîtent in carminé^ non ego paucis offertdar
maculis , » ou moins indulgents que Quintilien , qui trouve à
louer jusque dans les écrivains qu'il condamne ; enfin, s'ils ont
oublié ce que disait naguère un éminent professeur de littéra-
ture française (2) en parlant des œuvres des grands poètes :
« Si vous y trouvez quelque chose de bien extraordinaire , de
» bien étrange, pensez que ce n'est pas avec un sens calme et
» rassis que l'on ose ces créations sublimes ; qu'une imagination
» puîssalnte , une sensibilité vive , ces deux âmes de la grande
» poésie , ne peuvent être portées à l'excès , sans toucher quel-
» quefois au délire. » (3)
DUSEIGNEUR.
(1) 11 est h propos de "faire rcrnarquer que Tauteur du compte-rendu de
la Légende des Siècles , publié dans la Revue contemporairie , dit que le
tonnerre éclata de rire, tandis qne dans le passage cité, on lit seulemenl :
Le tonnerre n*y put tenir, il éclata-, ce qui n'est pas ioul-à-fait la même
chose. Le tonnerre éclatant de rire est une métaptiore outrée, burlesque
même ; le tonnerre éclata est une calâchrcse par extension , qui n'a rien
de choquant.
(2j Villemain. ,
(3) Sénèque Ta dit bien des siècles avant M. Yillemam : Nullum est
magnum ingenimn sine mixturd^ démentis.
EXCURSION
L'ARRONDISSëHëNT de BREST
iW
EflYiroos d« Saint -Beuna et de Floadaké^eaiL
Une des excursions les plus intéressantes que Ton puisse
entreprendre dans nos environs , sous le double rapport pitto-
resque et archéologique, c*est sans contredit celle de Brest au
château de Trémasan. Elle permet, en outre du but principal,
de voir 'et d'étudier plusieurs points fort «urieux de notre
arrondissement , comme antiquités et souvenirs historiques d'un
autre âge. Un simple itinéraire , avec quelques notes historiques,
légendaires et archéologiques sur les localités à parcourir, ne sera
(i) Les lieux décrits dajDs celle excursion, nous lear.avotis explorés tous
avec soin el dessinés pour la plupart.
— 423 —
peut^tre pas sans iatérèi paur iioa iourisies Brestais ei pour les
éU^Dgers qui Vienoent visiter notre pays-
Nous allons essayer de donner Sabord un aperçu succinct
de Kaspect du î)àys que nous devons explorer, pays qui a
souvent été visité , il est vrai, mais qui mérite encore de Tôire ;
car ceux qui en ont parlé se sont attachés presque exclusivement
aux principaux monuments qu'il renferme, laissant de côté un
grand nombre de choses curieuses ; aussi trouverons-nous encore
à glaner après eux.
Cette région, principalement celle qui avoîsîne lès bords de
la mer , entre Brelès , L'Aber-fldut , Porspoder , Argenton ,
Porsal, Ploudalmézeau et Plourin , a un aspect particulier qui
ne se retrouve généralement pas dans nos autres campagnes.
En la parcourant, il semble que Ton ait rétrogradé de plusieurs
siècles; tout y respire l'antiquité, le sauvage, nous dirions
presque Ife dru?disme. C'est du moins Timpression qu'elle nous a
toujours produite et qu'elle nous fait éprouver encore , toutes
les fois que nous la visitons. On y trouve aussi, de nombreux
souvenirs des premiers temps du christianisme.
Dès menliir, en grand nombre,, généralement peu élevés, se
voient dans les^ champs , au milieu des blés ou des genêts ,
presque toujours par groupes de trois, quelquefois de deux,
jamais ou rarement seuls , différant en cela des grands menhir,
qui sont isolés ordinairement à de grandes distances, les uns
des autres. C'est dans les lieux les plus rapprochés de la mer
que ces petits menhir se rencontrent en plus grand, -nombre ,
disséminés ça et là, sans ordre, sans but, il semblerait, mais
qu'en sait- on ?.... Les dolmen sont beaucoup plus rares, on
n'en compte que quelques-uns.
Dans l'intérieur des terres, Isa manoirs féodaux, les petits
châteaux ou maisons fortifiées ^ sont répandus en grande
— 424 —
quantité à des distances peu éloignées les uns des autres (4).
Quelques-uns sont maintenant en ruines presque complètes , de
minimes parties sont habitées par les fermiers ; d'autres au
contraire , à peu près intacts , du moins à Textérieur , servent
aussi d'habitations. Nous en décrirons plusieurs au fur et à
meayre qu'ils se rencontreront sur notre route. Les enceintes
des vastes jardins , les chapelles de ces demeures, jadis seigneu-
riales .^ ne présentent plus , pour la plupart , que de vieux pans
de murs délabrés , couverts de lierre.
Pour donner une idée du nombre de châteaux et manoirs
qui se trouvaient autrefois dans celte partie de notre arron-
dissement , nous rrépèterons ce que nous racontait un homme
ôgé de Brelcs : anciennement , nous disait-il, chaque dimancbe
venaient au bourg , pour la grand'raesse , sept carrosses con-
duisant les habitants des châteaux environnant Brelès, à une
petite distance. Bien entendu qu'on ne commençait jamais la
messe avant leur arrivée. C'étaient les seigneurs de Kergroadès,
de Kermeur-Bras , (2) peu éloigné de Kergroadès ; de Pradic-
Meur-, près la croix de la Loire; Du Manoir delà Franchise,
près Pontrun, sur la rivière de L*Aber ; de Belair ; de Keroulas (3)
et de Kerlean (4). Toutes ces habitations, dont plusieurs ne
sont "plus que de simples fermes , se trouvaient dans un rayon
de quatre à cinq kilomètres au plus de Brelès.
(1) M. de Fréminville dit (Antiquités du Finistère, t. i, p. 2Sd) : « La
paroisse de Plourin , d'ailleurs assez étendue, était celle de tout le bas
Léon qui fournissait le plus.de gentilshommes pour le service militaire. »
Ceux qui companirentà la montre de 1503, dont il donne la liste, étaient
au nombre de 44. On y retrouve tous les noms des manoirs et châteaux
que nous aurons occasion de visiter.
(2) Les armoiries des Rermeur étaient : fascê de gueules et d*or de
six pièces.
(3) Celles de Keroulas étaient : fascé de six pièces d*argent et d'aisur.
(4) Celles de Kerlean étaient : fa^cé mdé de six pièces d'or et d'azux.
— 423 —
Ce rapide aperçu suffira , il nous semble , pour faire coiiit
prendre combien le pays que nous allons parcourir est curieux
à visiter et à étudier.
Maintenant, mettons-nous en roule
En partant de Brest, nous suivons tout d'abord le chemin,
de Lambézellec ; arrivés au pelit bourg de Kerinou , appelé
jadis Kerennou et Kervenou , nous tournons à gauche pour
prendre la grande route de Saint - Renan. Disons en passant
que les anciens seigneurs de Kerinou portjsient : d'azur à la
fasce endetUée d* argent (sceau de 4372) et qifils possédafent,
d'après Guy Le Borgne : « des droits et des privilèges / hors le
vulgaire dans la ville de Brest , par concession des ducs, t
C^tte seigneurie passa plus tard dans la famille de Cornouaille.
Peu après avoir quitté Kerinou , nous traycrfians la rivière
delaPenfeld, presqu'à sa source, aux confins de notre puissant
et magnifique port militaire, sur le pont qui vient d'ôlre construit
dernièrement au village môme de Peofeld. Avant d'arriver à
Guilers se voient, sur la gauche de la route neuve', la belle
propriété de Gastelmen, où des briques romaines ont été trouvées
il y a quelques années , et le château de Kerouazl, près duquel
existent deux sources d'eau minérale ferrugineuse, qui pourrait^
parfaitement être employée en médecine.
Anciennement le château de Kerouazl appartenait aux seigneurs
de Penancoët, S^^ dudit lieu, près Saint-Renan, comtes de Kerouazl,
etc., dont les armoiries étaient :
Fascé de six pièces d* argent et d*azur\ aliàs : d la bordure
chargée dé six annelets en orle (sceau de 4306); leur devise
était en breton : A bep pen , lèaldet — (loyauté partout) ; et
aussi : En diavez — (à découvert).
. Une des branches de cette famille, celle des seigneurs de
Kerouazl , s'éteignit en 4734 , dans la personne de ce{te> belle
LouiseRenée de Penancoct, dame <le Kerouazl, dame du palais
54
— 426 —
de la ïeinc d'Angleterre, duchesse de Porlsmoulh el d'Aubîgny,
ite., qui fut la maîtresse de Charles II, roi d'Angleterre. A la
mort de ce roi, ^683, la duchesse de Portsmoulh quitta
l'Angleterre «t se retira en Basse-Bretagne, où elle avait de
grands biens. Elle y habitait tantôt son château de Kerouazl ,
tantôt la ville de Brest, où elle possédait un hôtel, rue des
Sept-Saints , en face de Téglise. C'est vers cette époque qu'elle
fit faire de grands travaux d'embellissement dans son château. H
existe encore queîques-unçs des peintures mythologiques qu'elle y
fit exécuter^ ehtFautres, un plafond où elle est représentée, dît-
on, en Andromède , entièrement nue et enchaînée sur un rocher.
î^ Aux alentours du château sont de magnifiques allées ombragées
par de grands et vieux arbres ; à l'extrémité de l'une d'elles se
présente un des beaux points de vue du pays : sur le premier
plan est une- rîchie campagne , plus loin se déploie la vue
entière de notre puissant port de guerre , et à l'horizon la
ville de *%rest se dessine en amphithéâtre sur la rade et les
«ôtes qui l'environnent.
Dans lés champs de cette propriété on a aussi recueilli^ il y a une
Vingtaine d'années, plusieurs monnaies romaines ; l'une d'elles, en
or, représente : au droit l^cflîgie de Néron , entourée de la légende :
NERO. CjESAR. a VG. IMPER. ; sur le revers est unecouronne,au
milieu de 'laquelle on lit : EX. S. C, avec la légende, PONTIF.
MAX. TR. P.V. PP. Comme on le sait, Néron naquit l'an 37
de J.-C, il devint empereur Tan 54, à l'âge de -17 ans et
mourut l'aù 68. Cette médaille est probablement des premiers
temps de son règne , car la tête est celle d'un tout jeune liomme.
Ces monnaies de Néron ne sont du reste "point rares. Les autres
médailles appartenaient, m'a-t-on dit, au règne d'Antonin le
Pieux. En creusant tout dernièrement encore dans cette pro-
priété, pour la construction d'une pièce d'eau, on a de nouveau
trouvé des débris de poteries romaines.
— 427 —
. Que conclure de ces trouvailles ?•,...
. Jadis une voie romaine ne passait-elle point dans ces propriétés
de Castelmen et de Kerouazl , et près de là n'existait-il pas un
établissement romain ? . „ *.
Ces suppositions , qui pourront tout d*abord paraître fort
hasardées, ofifrent pourtant une certaine probabilité (I). ^ujour*
d'hui il est bien constaté qu'une des voies romaini» qui partaient
de Carhaix (Vorgium), se rendait à Landerneau, dont T-orlgine
-romaine a été reconnue il y a peu d'années. De cette dernière
ville j une route , qui n*a encore été étudiée q^e jusque dans
la commune de Lambézellec , se dirigeait sans nul doute vers la;
côte ; car , si te bout déjà reconnu est prolongé en ligne droite ,V
direction que suivaient toujours les voies rçmaînes^ il açrlve
entre Saint-Mathieu et le Conquet, dans Tanse de Porsliocan, loù
l'on place généralement le Portus Staliocanirs, d« Ptolémée ,
port célèbre de Taûtiquité , détruit en 87» par les. Normands,,
Or cette ligne qui, partant de Landerneau arrivait ^Portui
Staliocanus , port dont Timportancc était assez grande pour,
qu'une voie spéciale lui fût consacrée , passait près de Lambé-
zellec ; de Caslelmen ; de Kerouazl et dans les environs dd
Plouzané. Quant à l'établissement romain qui se trouvait peut-ôtro
en cet çndroit , nous aurons à dire , qu'en outre des tuiles
romaines , des débris de poterie et des médailles de Néron et
d'Antonin, on a aussi recueilli dans celte localité deux petites
et grossières meules de moulin ; l'une d'elles était enfouie à
une grande profondeur/ sous les racines d'un énorme chêne
séculaire. Le nom de Castelmen {château de pierres) que porte
Tune de ces propriétés, ne peut-il aussi être invoqué comme
un indice de Texistcnce d'un établissement quelconque dans ce
(IJ Des]murailles romaines du château de Brest, par M. Bizeul (de Blain]»
fievue des provinces de V Ouest, 5« année, p, 142.) ' * •
— 428 —
lieu, existence dont la t/adilioû a gardé le souvenir et Fa consacré,
tdè môme qu'on Ta fait dans plusieurs localités de notre pays,
par le nom celtique ou breton qu'on lui a donné. .
Si les meules do moulin et le nom de la propriété offrent
une présomption très grande pour faire croire à un établisse-
ment dans cette localité , certes , les tuiles romaines , ainsi
que les médailles et les débris de poterie qu'on y a trouvés ,
peuvehl faire supposer qu'il était romain.
. Mais passons
* Après avoir traversé ces propriétés et le bourg de Guilers ,
.jetons un coup-d'ceii sur les vastes marais de Bodonnou, dans
iesquels il lie faUl , dit on, s'engager qu'avec beaucoup de pru-
dence, *Avant d'entrer à Saint-Renan , quittons la grande rente
J)Ouf visiter la fameuse grille du diable , au manoir du Curru ,
ancienne vicomte , appelé aussi château de Pharamus et môme
du roi Pharamus. A une des fenêtres du rez-de-chaussée se
trouve cette grille, dont les enchevêtrements ont semblé si
âifficiles à comprendre, qu'on y a vu un travail diabolique, et
que la tradition Ta attribué à Satan. Dans une nuit, dit la
légende , cette grille se trouva mise en place. Le diable y laissa
l'empreinte de sa main , que l'on y voyait encore naguère ,
et dont les doigts se dessinaient dans la nuit en gerbes de
feu. Un long souterrain reliait jadis, affirme-ton , ce manoir
à la ville de Saint-Renan. A la vicomte du Curru (-1) était attachée,
dès le XiV« siècle, une prévôté ducale féodée , dont la juridiction
s^étendait sur les paroisses de Ploeavas (Guipavas), Lambezeleuc
(Lambézellec ) , Botgars (Bohars), et Tresnuez (probablement
Trenevez). Pour exercer les droits inhérents à celte charge ,
les seigneurs du Curru devaient payer « au receveur du domaine
ducal de Brest, la somme de six vingts livres et trois sols par
(i) Mélanges d'hhloire et ^(vrthéohgU bretonnes, p. 87, l. 2.-rl" partie.
— 420 —
cbacun an. » Antérieurement à ^360, il existait encore des vicomtes
du Curru , portant ce nom. Vers cette époque, Théritière de
cette seigneurie épousa Geslin de KerniBzne , fils juveigneur
d*Ollivier, seigneur de Kernezne en Quilbignon. Elle lui porta
en dot là vicomlé du Curru avec tous ses droits. En elle
s'éteignit probablement cette famille , car on ne trouve plus
çé nom dans aucune réformation ; mais comme dans ^le
pays ce manoir est aussi désigné , et Ta toujours été ,
sous le nom de château de Pharamus ou du roi Pbaramus
{Kastel Pharamus on Kastel ar rom Pharamus) , on suppose,
que le vrai nom de cette famille était Pharamus. Ces sei«»
gneurs portaient : chargent au lion de sable, lampassé et/
couronné â*or. D'après M. de Courcy, qui écrit Farîftnu^, le'^'j
manoir du Curru appartenait , aa XIV' siècle , à celte famillç , ♦
qui se fondit dans celle de Kernezne. Quoiqu'il en soit, il est
positif qu'en ^484 , la vicomte du Curru était possédée en entier
par Gestin de Kernezne, qui la tenait de son mariage avec
Marie du Curru, seule héritière des seigneurs* de ce nom. Il
la transmit à ses descendants , qui en étaient encore possesseurs
à la fin du XV« siècle. En 4486, elle appartenait à Jehan II .
de Kerûezne, qui ayant embrassé le parti de la France contre
le duc de Bretagne , François II , fut dépouillé de tous ses
biens. Dès que Charles VIII , par son mariage avec la du-
chesse Anne, eut réuni la Bretagne à la France, il s'eîn-
pressa , par lettres patentes , de le faire rentrer dans .tous ses
droits.
Avant de quitter ce manoir, n'oublions point d'étudier cette
belle pierre sculptée, couverte d'armoiries, qui se voit dans la
cour. Elle porte un écnsson carré, entouré du cordon de Saint-
Michel , soutenu par deux lions couronnés et surmonté d'une
couronné de marquis. Au-dessus s'élève un casque ou heaume
de face à la visière baissée, orné aussi d'une couronne de marquis.
— 430 —
Cet écnsson est écarlelé et porte sur le tout un autre écussoû
plus petit, divisé en deux parties.
Sur. le grand écusson on voit , il nous semble :
Au l^f, les armes de La Roche-Laz : Uazur au dextrochère , gaïUé
d'argent mouvant du flanc se-
nestre et supportant un épervitr
de même , longé et grillé d'or.
Au 4« , celles de Keruzas. ... : De gueules à cinq fleurs de
lys d^argent.
Au 2« , celles de Kergoët. ... : D'azur au léopard d'or (qui
est le Faou), chargé sur Vépauk
d'un croissant de gueules (com-
me marque de juveignerie).
Au 3« , celles de Jouhan. . . . : De gueules, au lion d'or y armé
et lampassé d argent ^ accom-
pagné de trois annelets de
même.
Sur le pelit écusson :
Celles de Kernezne • . : D'or à trois coquilles de sable.
et celles de Coëtarmoal : D'azur à deux épées dargent
garnies d'or^ posées en sautoir.
ou celle de Coëtanezre. : De gueules à trois épées Sar-
gent garnies d'or^ les poifdes
en bas y rangées en bandes. (I)
(ij M. de Courcy, Dictionnaire hérnîditjue de Bretagne.
— 431 —
Ces armes étaient celles que portait, sur son pennon, Chartes
.de Kcrnezne , qui figurait, en -1595, comme simple sallade dans
la compagnie de René de Rieux de Sourdéac , gouverneur.de
Brest (f). Il était chevalier de Tordre du Roi, vicomte du Curru,
marquis de La Rôche-Laz, etc.... En ^606, il épousa Anne de
Coëtanezre , dernière héritière des seigneurs de ce nom , qui lui
apporta en mariage cette seigneurie avec tous ses droits. (2)
Remontons maintenant vers la grande route de Ploudalmézeau,
laissante notre gauche la petite ville de Saint-Renan,, dont la ville
de Brest, heureuse rivale, a enlevé les importantes prérogatives^
En /I68I, des lettres patentes de Louis XIV transportèrent h
Brest le siège de la justice Toyale, qui était alors à Saint Renan.
Ce ne fut , il est probable, qu'une restitution , car Brest possédait
en ^593, un siège royal. La ville de Saint* Renan ne mérite guère
que nous nous y arrêtions long temps ; ses quelques maisons en
bois et sa vieille halle , n'offrent rien de bien curieux, ^as plus
que son église paroissiale. On voit pourtant dans le bas de la
ville le portail assez bien conservé d'une ancienne église du
XIIP siècle , qui s'élevait jadis dans cet endroit ; c'est tout
ce qui en reste (3). A côté, posé sur le sol de la rue, est
aussi un retable d'autel, fort bien sculpté, qui mériterait, nous
le croyons , les honneurs d'une place dans notre Musée archéolo-
gique. Nous la lui souhaitons.
(1) Celle compagnie de sallades, composée de SO hommes , tenait gar-
nison au château de Brest. Cette troupe lirait son nom de la coinure
qu'elle portait : uncasque léger appelé salade. C'était une espèce de milice ,
nommée par le Koi pour défendre le pays, dans laquelle entraient tous
les gentilshommes de la contrée. , *
(2) En 1760 , la seigneurie du Curru était possédée par dame^Marie-
Claude-Jacquelle du Chastel, veuve de messire Hugues-Humbert Huchel,
Tîhevalier, seigneur comte de Labédoyère. Celte dame demeurait à cette
époque dans son château de Trévarez, paroisse de Laz, en Cornouaille.
En 1774, elle appartenait à messire Charles- Jules du Bot, chevalier,
seigneur de Grégo , paroisse de Sursus.
C3) C'était un prieuré dépendant de Tabbaye Saint-Mathieu.
— 432 —
Le clocher pointa , élancé et découpé de l'église de Lanrîvoaré
ou Laflriouaré se dessine déj.\ à Thorizon. C'est là que reposent,
dans un cimetière réservé , 7777 saints/ d'après M. de Fré-
minvillc. M, deCourcy dit, dans son curieux itinéraire de Saint-
Pol à Brest, 7847, d'après la tradition bretonne : sets mil sdz
cant sets ngnent ha seiz , — sept mil sept cents sept vingis
et sept. ^ Cette grande agglomération de saints dans un méoie
lieu s'expliquerait par l'extermination d'une peuplade entière,
convertie au christianisme, tombée sous les coups d'une autre
peuplade voisine, encore païenne. De ces nouveaux convertis
i^n aurait fait dos saints. Du reste , d'après la tradition , un
combat aurait eu lieu* non loin de cette église, et un grand
nombre de coins en fonte auraient été trouvés dans un marais
peu éloigné, qui assèche tous les étés. (1)
Dans ce cimetière des saints , placé près de l'église cl fermé
par un mur peu élevé , vous ne pourrez entrer que les pieds
nus ; mais si vous désirez , par dévotion , en faire le tour , ou
encore avoir un morceau de la vieille souche qui se voit au
pie(J de la croix , près de sept pierres ayant la forme de
pain&^, payez un de ces mendiants bretons qui se trouvent
toujours dans les lieux consacrés. Moyennant quelques sous il
fera pour vous, en priant, le tour de ce cimetière , sur les dalles
qui en forment l enceinte , et vous rapportera un morceau de
la. souche que l'on entaille depuis des siècles , sans que jamais
elle diminue. Conservez religieusement ce bois sacré , il vaut
mieux, que n'importe quelle police d'assurances contre l'incendie;
car celle-ci ne peut que vous faire indemniser avec parcimonie des
perles qu'un sinistre vous aura causées , tandis que cette pré-
cieuse relique vous préservera à toujours d'incendie, si vous la
conservez dans votre habitation.
(1) Dictionnaire historique et géographique Se la province de Bretagne,
par Ogée. -*- Nouvelle édition. — Notes de rarlicle Laarivoaré, p, 4S6,
- 433 -
L'église de Lanrivoaré n'a rien de remarquable et n'est poîni
ancienne. Elle porte les millésimes de 1583 et de 4727; m.aîs
sur les pierres tombales qui en forment le aol , on Voit de
grossières sculptures représentant des haches , des piques , des
pioches , etc. Ces pierres tombales proviennent sans doute de
l'ancienne église sur l'emplacement de laquelle /élève celle qui
existe maintenant. Que veulent dire ces emblèmes ? Nous n'essaie-
rons aucune conjecture à ce sujet , nous bornant à les signaler
à l'attention des archéologues. Quittons celte église ^ui doit son
nom à saint Rivoaré, apôtre des premiers temps du christia-
nisme , après avoir rappelé que les sept piei'res sont autant de
pains, dit la tradition, que Saint-Hervé, neveu de Saint-Rivoaré,
pétrifia pour punir un boulanger de l'endroit qui lui avait refusé
l'aumône avec dureté.
Gagnons maintenant le grand et gros bourg, nous allions
presque dire la ville de Ploudalmézeau ou Guitalpiézeaa , , dont
la population, jointe à celle de la commune, s'élève à trois
mille âmes environ. Son élégante église et son joli clocher
ne datent que du Xyill* siècle (1775 environ). Pourtant une
inscription en lettres gothiques , qui se voit sur un des coat.4*efert
de ral)side, à l'extérieur, pourrait faire supposer que le chœur
était plus ancien ; peut-être aussi cette inscription provient- elle
de l'ancien teinple sur lequel a été construite l'église actuelle.
Cette inscription porte : , ,
Lan mil cinq cent et quatre ,
A la fin d'avril sans rien rabattre,
Fut au pignon de cette église
La première pierre assise^
Depuis peu d'années, le chœur de l'église a été refait, et pour
en conserver la mémoire , on a gravé sur le contrefort opposé
«5 «
— 434 —
au précédent , les quatre yers suivants , qui ne sont qu'un
pastiche des premiers. Les voici :
En Van mil huit cent cinquante-sept,
A ta mi-mars , tout compte net ^
M'^essire Arzel , lors recteur,
. En fit reconstruire le choeur.
Dans un des murs du cimetière , examinons aussi une croit
de pierre , ornée d'une sculpture en relief représentant le cruci-
fiement de Notre. Seigneur. Ce petit monument a tous les caractères
d'une grande antiquité. Quelques vieilles malsons du bourg, assez
curieuses, méritent un moment d'attention. Constatons, en passant,
un usage singulier. Entrez dans l'église, et vous verrez la nef
remplie de petits bancs de bois attachés au sol par des chaînes
dq fer scellées' dans les dalles. Coutume bizarre,, car certes ce
n'est point la valeur de ces bancs qui peut ainsi les faire préserver
des tentatives des voleurs , assez rares , du reste , dans ce pays.
Mais continuons , le temps nous manquerait pour notre excursion,
si nous m laissions de côté quelques autres curiosités archéolo-
giques, que nou^ visiterons une autre fois , et qui se trouvent
& une distance asse2 éloignée de Pioudalmézeau , en dehors de
notre itinéraire, tels que tumulus, menhir, dolmen, cromlech,
briques romaines. Ne quittons cependant pas ces lieux sans avoir
vu les poteaux de justice qui se trouvent dans un champ nommé
Parc a justissou , et qui étaient jadis les fourches patibulaires
de la seigneurie.
Presque en Sortant de PloudaUnézeau l'aspect de la campagne
change entièrement ; bientôt vous avez devant vous une vaste
plaine qui s'étend au loin vers la mer; les arbres ont disparu;
un sol aride et argileux ne vous présente qu'une vue triste
«i désolée ; des menhir ont remplacé les arbres et se montrent
j^a et là dans les champs. C'est au milieu de ces champs,
— 435 —
i^parés par de petits murs en pierres sèches , qu'est tracée It
route que vous devez suivre, encore toute défoncée, en plusieur3
endroits , par les pluies qui en ont fait pendant fhiver de»
espèces de fondrières. Combien on est du reste dédommagé de
cette aridité , qui vous entoure , par la vue de la mer se per*
dant dans un horizon lointain, et suMoût',*' lorsqu'arrivé au
bourg de Kersaint-Tremazan , vous vous diriez vers Tansc de
Porsal, et qu'à un des détours de la route, se présente toutà-
coup à vos yeux l'imposante tour de l'antique château de
Tremazan.
Ce magnifique château féodal, berceau de la famille Du Chaste!,-
si célèbre dans nos annales bretonnes et françaises , est un monu-
ment du X1H« siècle. Ce fut Bernard Du Chaslel qui , à son
retour de la croisade de -1258, le fit édifier dans le fond de
Fanse de Porsal , sur le sol môme que la tner vient baigner.
Son doBjon , immense tour carrée , dominait jadis toute la
contrée, malgré les hautes terres qui l'envîropnent. Les ruines si
imposantes de cette demeure féodale , élev^ ^sur l'emplacement
d'un château plus ancien que la tradition et Ji^ leggfides font
remonter aux premiers temps du christianisipe, .et dans lequel
étaient nés saint Tanguy, fondateur, au Vl' siècle, de l'abbaye
Saint-Mathieu et Sainte Haude, sa sœur, ont été décrites par tous
les archéologues qui ont visité les antiquités de notre arrondis-
sement.
« Château fameux , dit M. de Kerdanet , dont on admire encore
« le magnique donjon, près de Porsal, dans la commune de
« Làndunvez. Ce donjon forme un carré parfait de 428 pieds
» de circonférence ; il est assis sur une butte artificielle d'où
« il s'élève à la hauteur de 90 pieds; il en avait A 00 lorsque
» ses longues cheminées existaient. Il ne présente aujourd'hui
« qu'une vaste ruine , mai^ une ruine des plus curieuses ,
— 436 —
» rappelant dignement la puissance , la majesté de ses anciens
1^ maîtres, les seigneurs Du Chastel. » (4)
M. de Frérainville en a donné une longue description ; M. de
Courey les a décrites aussi et étudiées sous le rapport archéolo-
gique plus particulièrement, dans son Itinéraire de SainUPol à
Brest. Dans le Voyage de Cambry , édition de Brest , ^ S36 j
on en voit un dessin ; mais c'est surtout dans le Voyage
pittoresque et romantique dans l'ancienne France^ de M. le baron
Taylor, que Ton trouve de belles lilhographies représentant ces
imposantes ruines , lithographies dues aux crayons de M. Ciceri
et de notre ami et compatriote A. Mayer.
Albert Le Grand vous racontera aussi Thisloire de saint Tanguy
qui, trompé par les faux rapports de sa belle-mère , décapita sa
sœur, sainte Haude. Tanguy et Haude étaient les enfants de
Florence , fille d'Honorius , prince de Brest , et de Galonus,
seigneur de Tremazaa. La tradition vous dira encore la raison
pour laquelle les œillets, que Ton voyait jadis en sî grand
nombre sur les sommets et dans les anfractuosités de ces
murs ', étaient rouges couleur de sang , et pourquoi ils fleuris-
saient dans- toutes les saisons , même pendant les hivers les
plus rigoureux , sous la glace et sous la neige. Le jour où
saint Tanguy trancha , dans un accès de fureur , la tête de
sa sœur, les œillets blancs qui couvraient les murs du château
devinrent subitement rouges ; le sang de sainte Haude les avai'
teints à tout jamais. Les paysans d'alentour ne connaissaient
ces fleurs que sous le nom de Ckinofl sftntez Eodes (œillets de
sainte Haude). Depuis quelques années ils ont entièrement dispara.
Mais s'ils ont disparu, le nom de Tremazan n'est-il pas toujours
là pour garder le souvenir de ce meurtre? (2)
(i ) Albert Le Grand, Vies des Saints de Bretagne. — Éd. de Brest. Anner
(1836). — Notes de la vie de saint Tanguy, p. 7G3.
(2) Tremazan ne viendrait -il pas de Tremezvan, qui veut dire trépas,
meurtre , et le nom de Kastel Tremazan ne pourrai l-il se traduire par :
Château du meurtre, du trépas.
— 437 —
Faisons le tour de cette vaste et antique ruine ; admirons
d*abord, des hauteurs qui l'environnent, son imposant et formi-
dable aspect ; puis parcourons les douves profondes qui Tentou-
rent et que la mer envahit dans les grandes marées. Pour y
arriver, descendons, en quittant la ferme, par une pente assei
raide. Ces douves, toujours couvertes d'une herbe verdoyante
et dont les côtés si élevés , opposés au château , Boiït formés
par lés rochers naturels qui soutiennent les terres , nous condui-
ront au portail , à la porte principale , jadis munie d'un pont-levis
et défendue par deux fortes tours rondes , dont il ne reste plus
que quelques débris; suivons ensuite, toujours extérieurement,
la muraille du château , dont la forme est carrée , pour arriver
au pied du donjon. Cette immense tour, construite sur une
butte factice dont la solide maçonnerie se voit encore, semble
s'élever de là à une hauteur prodigieuse. Continuons et entrons
par le portait dans la cour intérieure ; là nous en constaterons
à peu près l'ancienne forme carrée, les murs intérieurs à
droite et à gauche, gisant sur la terre et ne laissant apercevoir
que quelques vestiges de vastes cheminées,, ef les traces de
puissants escaliers en pierres ; enfin, gravissons jusqu'au donjon,
placé en face du portail, et passons , en nous baissant , sous
la porte en lancette , dont les débris ont obstrué l'entrée. A
l'intérieur comme à l'extérieur, l'aspect de cette tour est gran-
diose et saisissant. Un escalier, pratiqué dans l'épaisseur du
mur, et dont il existe encore une partie, indique par où jadis
on montait aux quatre étages du donjon d'où l'on gagnait le
faite couvert d'une toiture élevée , dominée par de longues et
étroites cheminées , qui surmontaient encore naguère les mu-
railles du donjon. Constatons aussi avec M. de Courcy,
dont la science archéologique est si bien connue , qu'il est
probable que le sommet de cette tour , en raison de la
disposition des murailles , n'a jamais été munie de machi*
— 438 -^
eoulis , fl mais bien de ces hourdes , ouvrages en charpente
j» qui abritaient les assiégés derrière des parapets de bois
» percés d'archères, par lesquelles ils faisaient pleuvoir sur
i Tennemi des projectiles de toute nature , pour Tempêcher de
» battre les murs de la place. » (^)
Les mâchicoulis ayant remplacé ' les hourdes à partir du
X1I« siècle , nous trouvons dans ce fait une preuve de plu* de
l'ancienneté du château de Tremazan.
Il nous reste encore à visiter l'ouvrage avancé qui protège
la porte d'entrée. Sa construction est moins ancienne. C'est aussi
une grande enceinte carrée . flanquée de tours rondes aux quatre
angles, et dont les larges remparts , défendus par un. parapet à
mâchicoulis, ont 3 mètres 25 centimètres d'épaisseur.
Mai§ arrachons-nous de ces lieux que Ton ne peut quitter
sans regrets , où l'on semble vivre dans un ^utre âge , où tout
est grandiose et imposant , l'édifice bâti par la main de Thomme,
ainsi que la nature qui l'environne. Pourtant avant de les quitter,
redisons que la noble famille Du Chastel, qui comptait plusieurs
grtinds personnages , a fourni à Brest deux capitaines : Tuu
en -1341, Tanguy, III« du nom , auquel le comte de Montfort
confia la garde de ce château aussitôt qu'il s'en fut rendu
maître, et qui lui resta aussi fidèle que Clisson l'avait été à
Charles de Blois. Ce capitaine, sollicité de livrer Brest aux
ennemis de Montfort, répondit au roi de France : « Je n'ai
» jamais eu le dessein de porter les armes contre vous ; il est
» vrai que je me suis mis en défense contre Charles^ de Blois
» et Hervé, de Léon , qui voulaient me ruiner , parc^ que je
» soutiens le parti de celui qui est mon seigneur lige et du
» vrai sang de Bretagne. » Ce fut , à lui que la comtesse de
Montforl , aussitôt après que son époux eut été fait prisonnier
(i) Itinéraire de Saint-Poï à Brest , p. 50.
— 439 —
par les Français, confia la garde du trésor ducal , qu'elle avait
fait transporler à Brest 11 était lieutenant général des armées
de Monlfort en Bretagne. Cest aussi à lui que Charles de Blois,
couvert de blessures, rendit son épée à la bataille de La Roche-
Derrien, Tanguy le fit conduire au château de Brest en attendant
qu'on renvoyât en Angleterre. L'autre capitaine de Brest , appar-
tenant à cette feimille , était Ollivier du Chastel , qui commandait
cette forteresse en -1412. 11 était frère de Tanguy Du Chastel, dont
la fidélité à Charles VII , roi de France , est historique. Nous
rappellerons aussi que Kersimon , qui sauva Brest en i 558 , en
repoussant les Anglais qui avaient déjà saccagé le Conquet,
était de la même famille*
Disons pourtant enfin adieu à ces belles ruines , et gravissons
le rocher le Guihguy , qui domine l'anse de Porsal. De là
on voit la pleine mer qui, eu se retirant çwi loin,- laisse à
découvert à chaque fnarée , une longue vplagé sablonneuse.
Exanninons en détail le beau dolmen qui s'y trouve, et dont les
pierres sont en partie renversées ; puis regardons au-dessous
de nous, dans Tanse môme, nous y- verrons une ancienne
chapelle , tout en ruines , dédiée jadis à saint Uffen ou Usven ,
dont la mer vient battre les fondations , et, en labourant le sol,
met souvent à découvert les ossements des générations passées
inhumées par couches superposées dans le petit cimetière qui
fentoure. On y voit aussi une jolie croix élancée en Kersanlon.
Jadis , dit-on dans le pays , se trouvaient sur le rocher le
Guiliguy , deux pierres grossièrement sculptées , sur lesquelles
étaient gravées des caractères presque illisibles. On les appelait
les pierres des deux amans. Il se rattachait à ces tombes une
louchante légende que les anciens de Porsal redisaient naguère ;
mais hélas ! tout a disparu , tout a été oublié : les pierres ont
été employées pour une bâtisse de l'endroit , et maintenant per-
sonne ne se souvient de la légende.
— 440 —
Rcmonlons à Kersaiot , où l'on voit Fanclenne église du châteaa
de Tremasan , édifice du XV' siècle , fondée et rentée par les
anciens seigneurs Du Chastel. Jadis cette église était une riche
collégiale desservie par des chanoines chapelains. Aujoord'hui »
surtout à l'intérieur, el!e est dans un état de délabrement
presque complet. Gagnons ensuite , sans nous y arrêter , Lan-
duQvez , autrefois Landumez , où existait anciennement le
tombeau de siiinte Haude , et dont le patron est saint GonveL
Dans la petite chapelle du cimetière se voit un tableau repré-
sentant la décollation de cette sainte.
Arrivé au grand bourg de Plourin, arrêtons - nous. Une
découverte qu'on y a faite, il y a peu d'années, réclame
notre attention. Ge sont deux tombes en Kersanton , dont Tune
porte la date de -13^5, et l'autre celle de 4400. Avant de les
décrire , visitons d'abord l'église qui est d'une grande antiquité ,
le bas de la nef surtout, dont les arcades à plein ciatre,
peuvent remonter au Xl|c siècle. Sur les chapiteaux des colonnes
on aperçoit avec peine, malgré le badigeon qui les recouvre, des
naimaux de diverses espèces, des tôles sculptées, etc Les
chapelles latérales et le chœur sont moins anciens. Sur la chaire
à prêcher, en bois de chêne, est grossièrement sculptée la
vie de saint Budoc , patron de la paroisse et fondateur, au
Vie siècle, de l'église de Plourin. On y voit le château de Br^l»
le tonneau dans lequel fut enfermée la mère de saint Budoc,
la belle Azénor, flottant au gré des vagues, etc., etc.
Saint Budoc — Budoc , Duzoc , Beseuc , Beuseuc et Buzeue
veut dire en breton , comme Moïse en égyptien , ' sauvé des
eaux, dit M. de Kerdanet (^j. Ge nom viendrait, d'après lui, du
verbe breton beuzi , qui signifie -noyer , submerger. — Saint
(1 ) Vies des Saints de BrMagne , d'Albert LeGrand, notes des pages 739
et 750. — Vie de saint Budoc.
— 441 —
Budoc , dirons-nous , d'après Albert Le Grand , était fils de la
belle et malheureuse Azénor , fille du prince de Léon , roi de
Brest en 537, et du comte de Guelô et Tréguier. Azénor ayant
été faussement accusée d'adultère par la seconde emme de son
père, fut, en attendant son jugement, enfermée dans une des
tours du château de Brest , qui porte encore son nom. Plus
tard , condamnée sur de faux témoignages , elle fut placée
dans un tonneau de bois fermé de toutes parts , a et jetée en
pleine mer à la mercy des vents , des ondes et des écueils. »
Elle était alors enceinte de saint Budoc , qu'elle mit au monde
cinq mois après, au milieu de l'Océan. Aussitôt après la naissance
de ce fils, auquel Dieu avait accordé la parole au sortir du
seiq de sa mère , son tonneau vint attérir miraculeusement sur
les cotes d'Irlande, Dans sa reconnaissance, elle destina son
fils au service de Dieu. Plusieurs années après , Budoc, étant
devenu abbé , résolut , par inspiration divine , de passer en
Bretagne Armorique. N'ayant point de navire à sa disposition ,
il s'embarqua dans une auge de pierre qui lui servait ordinaire-
ment de lit, et vint aborder heureusement sur la côte, à
Porgpoder. Là il bàlit d'abord une église et un hermitage ;
mais, un an après, fatigué par le bruit incessant de la mer,
dont les flots venaient se briser avec violence aux écueils sur
lesquels était bâti son hermitage , il se décida à quitter ces
lieux. Il plaça son lit de pierre sur une charrette attelée de deux
bœufs , résolu à aller où il plairait à Dieu de le conduire.
Rendue à une lieue de Porspoder, en Plourin, sa charrette se
brisa et soq lit tomba sur la terre ; reconnaissant dans cet
événement la volonté de Dieu, il s'arrêta, et, sur l'empla-
cement où son ht était tombé, il bâtit une église et un hermitage,
puis se mit en devoir de catéchiser les habitants, dont le plus
grand nombre n'était pas encore converti. Cela se passait en
585. Quelques années après, il fut encore obligé de quitter
Plourin ; il se rendit à Dol , dont il devint archevêque.
S6
_ 442 —
En 608 , se sentant près de sa fin , il ordonna à un de ses
aumôniers, nommé Hydultu^, de lui couper, après sa mori
bien entendu , le bras droit et de le porter à Plourin. Ses
volontés furent ponctuellement exécutées ; mais un soir, HyduUus,
pendant son voyage , s'étant arrêté dans une auberge , à Briech ,
dans le diocèse de Vannes , et un miracle s'y étant opéré par
Tintercession de la relique , le curé de Tendroit s'en empara,
et malgré ses prières et ses supplications ne vouhil point ht
lui rendre. Désolé de sa mésaventure^ Hydutus demanda au
moins la faveur de la baiser avant son départ ; on y consentit.
H s'approcha donc avec recueillement de l'autel , fît dévotement
sa prière , et le bras de saint Budoc lui étant présenté , • il
» prit si bien son temps et ses mesures qu'il attrapa entre
» ses dents le pouce , le second et le troisième doigts de la
» main et les mordit si serrés , qu'il les coupa et les emporta
» à Plourin , où ces saintes reliques furent enchâssées et
» conservées avec soin. » Précieuses reliques, du reste, qui
jadis, lorsqu'on faisait un faux serment , en jurant par elles ,
ne laissaient point s'écouler une année sans punir et châlier
rigoureusement le parjure. Renfermées dans un bras d'argent,
elles existent encore à Plourin et sont toujours Tobjet de la
vénération des fidèles.
Toute cette histoire du saint patron de l'église de Plourin
^st sculptée sur la chaire à prêcher, ouvrage assez grossier et
peu ancien.
De cette église ou paroisse dépendaient autrefois le château
d« Tremasan et celui de Kergroadez. Aussi voit-on , dans le
cimetière, comme nous l'avons dit, deux tombes en Kersanton,
dont Tune appartenait à la famille Du Ghastel , et l'autre à la
famille de Kergroadez.
Vers la fin de l'année ^854 , ces deux tombes furent trouvées
dans l'église de Plourin. Depuis long-temps déjà, une grande
t .
i'.FIcvry,JJeietJ.nh
1 -Tombe au de RoL
X-Morceau de ce Toti
3_ Tombeau d'une De
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— 443 —
dalle en pierre de Kersanlon , placée devant Tautel de lésus ,
dans la chapelle de ce jiom , avait attiré l'attention , 6n raisoii
de sa longueur et de sa largeur ; on profita de la présence
d'ouvriers qui travaillaient dans Téglise, pour la faire dégager et
retourner. On mit au jour le dessus d'un tombeau de 2?/l5 de
longueur sur 0n>,80 de largeur, sur lequel étaient sculptées, en
relief , deux statues , Tune d'hotome , l'autre de femme. L'homme
représente un chevalier couvert de son armure ,' ayant linci
longue épée à sa gauche et un poignard à sa droite ; la tête ,
qui est mutilée ainsi que les mains , était découverte. La femme
a aussi la tète et les mains martelées. Tout le reste est intact.
On lit sur un des côtés de la pierre :
Cy git Robert de Kgroezes (i) et Benone sa copaingne.
Lequel Robert trépassa le jour de S<. Le.... (ici It pierre est brisée).
Ce saint était probablement saint Lenard ou Lenord , patron
tf une paraisse voisine appelée f-^aret.
Sur un morceau de pierre , se rapportant fort bien au côîri
brisé, on lit : M. CGC : XV* Priés Dieu pour
Cette date est sans nul doute celle de la mort de Robert de*
Kergroàdez. L'inscription est écrite en belles lettres gothiques
parfaitement bien gravées en creux. Ce tonibeau, dont les figures
et tes ornements sont très-bien exécutés, était jadis placé dans
0» enfeu , probablement dans la chapelle de Jésus où il a été
trouvé , car l'inscription n'occupe qu'un des côtés de la pierre.
Cette importante découverte ayant engagé à examiner toutes
les autres pierres de Kersanton qui existaient dans l'église , on
trouva dans la nef, sous les bancs, une autre dalle semblable,
ayant 2 mètres 5 centknètres de longueur sur 70 centimètres de
(1) Kergroadea.
— 444 —
largeur. On la lit retourner , et une nouvelle tombe , presque
tout-^à-fait intacte , se présenta. Celle-ci porte , au milieu de la
pierre , un heaume où casque couronné , soutenu par un
lion ; en dessous est un écusson couché. On lit autour de la
pierre :
Jehanna du Chastel, fîUe henés mog' Guiii* sire du Cbaslel,
Laquelle U-épassa le XX* jour de may, Tan MGCCC. Priés Dies piir m iise.
Cette inscription est, comme la précédente, écrite en lettres
gothiques et gravée en creux sur les deux côtés de la pierre ,
ornée de sculptures en relief. La tombe de la dame Du Chastel
était , dit-on , placée , avant la révolution , devant le maître-
autel, dans la nef.
Près de ces deux tombes gisent aussi , sur la terre du cime-
tière, une quinzaine de pierres sculptées d'une bien moindre
dimension. Elles en formaient probablement jadis les soubasse-
ments. Les armoiries gravées sur ces pierres sont celles , ou
des Du Chastel, qui portaient :' fascé d'or et de gueules de six
pièces , ou celles des Kergroadqz , dont l'écusson était : fascé
de six pièces d'argent et de sable. Les émaux ou couleurs
n'étant point indiqués sur les pierres, il est difficile d'assigner à
laquelle des deux familles elles pouvaient appartenir.
Ces deux belles pierres tombales, qu'il eût fallu, dans l'intérêt
de leur conservation, laisser là où on les avait trouvées, ou
au moins placer dans un coin de l'église, sont jetées mainte-
nant avec d'autres débris contre le mur du cimetière, et exposées
aux intempéries des saisons ainsi qu'aux dégradations des enfants
du bourg. C'est du reste ce que l'on voit partout malheureusement
dans nos campagnes. Cénéralement des débris -de calvaires, de
tombes, de saints , etc., sont relégués dans les encoignures
extérieures des églises , enfouis sous l'herbe des cimetières. Que
— Uo -
de choses précieuses , que d'objets d'art se perdent ainsi ! On
pourrait se demander souvent s'il ne vaudrait pas mieux laisser
tous ces monuments ou débris do monuments , là où la révo-
lution les avait cachés , en attendant des temps plusj favorables^.
Une missian"" importante que notre Société devra revendiquer
un jour , est celle d'appeler l'attention de Tautorité sur cette
question de conservation de nos monuments existant encore , et
des débris de ceux qui malheureusement n'existent déjà plus.* (I)
Mais revenons à notre sujet.
Sous réglise de Plourin se trouvent des caveaux qui ont été
ouverts lorsque l'on a mis au jour les deux pierres tombales,
nous at-on dit. On n'a point osé y descendre. Des cercueils en
bois , en partie détruits , y ont été aperçus, mais les ouvertures
furent promptement refermées ; peut-être est-il fâcheux qu'on
ne les ait point explorés.
Quittons Plourin , où nous avons fait une longue station ,
et allons maintenant visiter la pierre levée de Kergadiou.
Ce beau menhir, qui prend place immédiatement après celui
de Plouarzel , le plus grand de tout le département , s'élève
dans une lande près l'ancien manoir de Kergadiou. Il a dix
mètres au - moins de hauteur et six mètres de circonférence.
Il présente trois faces , grossièrement taillées ; à une certaine
hauteur il est un peu renflé , et vers le bas il est arrondi. Près
de lui est une autre pierre, qui mérite une étude toute parti-
culière. N'allez pas croire que c'est un menhir tombé, comme
on l'a dit ; elle a toujours été dans ja position où vous la voyez
aujourd'hui. Il est facile de s'en convaincre*^ par un examen
attentif.
(1) Depuis que ces lignes ont été écrites , la Société Académique a émis
le vœu , favorablement accueilli par M. le Préfet du Finistère , de la
création d'une commission archéologique permanente , chargée de veiller
a la conservation. des monuments anciens de notre déparlement»
•?%
— 446 —
Inclinée sous un angle de 25 à 30 degrés , cette pierre , qui
est profondément enfoncée dans le sol à sa base , présente
une plale-formc taillée de main d'homme, ayant huit à -dix
mètres de longueur sur deux mètres de largeur. A la partie
supérieure, le dessous, qui est brut, est dégagé du sol et
élevé de trois mètres environ- Quelle était la destination de
ce monument ? Était-ce un dolmen d'une forme particulière , ou
^ encore un de ces demi - dolmen que Ton trouve quelquefois
dans nos contrées, mais qui sont généralement loin d'avoir la
même importance, et dont l'extrémité est soutenue par une
pierre placée verticalement dans le sol? Nous n'oserions
émettre une opinion à cet égard. Il n'existe pas du reste,
croyons-nous, une seule pierre semblable à celle de Kergadiou,
dans tout le département. Nous ne connaissons que celle donnée
par M. Alexandre de Laborde , dans ses Monuments de la
Frcm.ce , sous le nom de pierre levée de Tirlemont , qui lui
soit absolument identique.
Voici les réflexions dont il accompagne le dessin qu'il en
donne.
« La vue d'une pierre levée, dit-il, nous fît soupçonner un
» nouveau genre de supplice ; nous nous représentâmes du haut
. » de cette pierre un malheureux, méprisable tout-à-l'heure, mais
» digne de pitié , maintenant que la justice allait le frapper.
» Debout sur ce roc élevé , il semblait recueillir en vain toutes
0 ses forces , pour affronter la mort avec courage ; la vue des
» piques et des épées plantées en terre par la poignée et dont
» la pointe aiguë, allait percer sa poitrine et déchirer son corps,
» le glaçait d'épouvante.
» Défiguré par la pâleur et immobile, il paraissait mort
» avant d'être tué. Un semnothée monta derrière lui, et, par
» un léger effort , le précipita comme un fardeau sur les pointes
— 447 ~
» acérées. Ces exécutions affreuses ont été souvent renouvelées-
» du resie dans des temps plus rapprochés. » {^) *; |t ,.
Quelle valeur devons-nous accorder à Topinion émise par * * 'V 4
M. de Laborde sur ces monuments, opinion que nous n'avons ' '^
trouvée dans aucun autre auteur? 1|* ''
Quoi qu'il en soit, la pierre de Kergadiou, élevée sur un point ^ \^
culminant y près d'un des plus beaux menhir du département ,
est certes digne d'attirer Tattention. I>u sommet de sa plate- ^
foroie, un horizon immense se déploie devant vous : la mer d'un
c6lé y uae grande étendjae de pays de l'autre , où vous pouvez ^
compter de nombreux clochers , et enfin au loin , en regardant
vers le sud, le menhir de Plouarzel ou de Kerjoaz, qui se
détache sur le cieL Ne semblerait-il pas que ces menhir corres-
pondaient jadis entre eux , comme aujourd'hui nos phares,
et . télégraphes le long, de nos côtes , et que s'ils étaient des
monuments commémoralifs de grands faits historiques , ou des
obélisques élevés sur les restes de chefs illustres , ils devaient
aussi servir » par leur position sur des points culminants , de
moyens de correspondance dans les moments nécessaires.
Ne quittons point ces lieux sans nous arrêter un instant
SUIT le nom qu'ils portent : Kergadiou,.,. Ker veut dire : lieu ,
village.... Kad, au pluriel Kadiou, en composition gad-gadiou,
vieux mot breton qu'on ne trouve plus guère que dans les
noms propres d'hommes et de lieux , veut dire : bataille ,
combat. E^gqéiou ou mieux -Ker Kadiou y ne voudrait-il pas
- dire : lieu des batailles ou de la bataille ? et le menhir et la
pierre inclinée qui se trouvent dans cet endroit , ne seraient-ils
point : le menhir, la pierre élevée sur les restes du chef , ou
encore un obélisque érigé en l'honneur d'une victoire signalée >^-*^^
remportée sur ce plateau ; cl la pierre inclinée la tombe des
{\)Les Monuments de la France classés chronologiquement^ etc. y par
le comte Alexandre de Laborde. —Paris. Didot (ISiC), t. 1, p. 60.
— 448 —
combatlanls tués dans la bataille? (2) Au reste, tous les
noms des lieui sur lesquels s'élèvent ces pierres ont des signi-
fications qui les rattachent à des idées de batailles ou de
"deuil ; ainsi le champ dans lequel on voit le beau menhir de
Plouarzel se nomme Kerloaz , lieu de deuil , de douleur. Un
autre menhir , plus petit que ceux de Kerloaz et de Kergadiou,
dont nous parlerons plus loin , s*élève encore dans un lieu
, appelé Kereneur. Ce nom de Kereneur, qui peut se traduire par
lieu du prince, du fort, du courageux, du vaillant, en le faisant
dériver de Ker annner, ou môme plus directement de Ker ener,
n'indiquerait-il pas aussi qu'un prince , qu'un chef a été inhumé
dans ces lieux et peut-être môme qu'il s'y est livré un combat.
La position de ces menhir sur des plateaux élevés et d'une
grande étendue peut faire admettre très bien que ces lieux
ont tous été le théâtre de combats ou de batailles mémo-
rables.
Remarquons aussi que presque tous les grands menhir de
notre pays ont trois faces ou côtés , dont les arêtes sont , il
est vrai, abattues maintenant en partie , ce qui pourtant
n'empêche point d'y retrouver la forme primitive d'un prisme
terminé en pointe à son sommet. Tels sont les menhir de
Plouarzel , de Kergadiou , de Kereneur , etc.
Descendons maintenant au joli manoir de Kergadiou , qui
s'élève comme dans un nid- de verdure, au milieu de délicieuses
prairies toutes couvertes d'une puissante végétation. Deux tours
percées de meurtrières défendaient jadis l'entrée de la porte
principale, près de laquelle se trouve une pierre armoriée,
portant : Fascé , onde de six pièces d* argent et d^azur , au franc
canton d*hermines (sceau de -1415), armes des Kergadiou, qui
^ (2) On a fait, il y a quelques années, des fouilles au pied du menhir.
Elles oiit été 'sans aucun résultat. Il est vrai que , dans la crainte de le
jeter bas, elles n'ont point été poussées î* une grande profondeur.
— 449 —
lïvaleiit pour devise : De bien en mieux. Un des membres de
«ette famille fut, en 4478, secrétaire de François II, due (îe
Bretagne. Dans le manoir, il existe une chambre que Ton
n'xjuvre Jamais, et dans laepielie personne ne peut plus pénétrer ;
les esprits des anciens seigneurs Fliabitent seuls maintenant,
dit-oa , et chaque soir on les entend chanter , sur tous les
ions , une chanson qui a pour refrain : Rergadiou , Kergadiou^
les esprits sont avec nom l Près dju manoir sont les restes d'une
petite chapelle, dont les fenêtres à ogives découpées existaient
encore il y a peu d'années. C'était la chapelle de cette maison.
Non loin de là se trouve un menhir, d'une hauteur
«aoindre «que celui de Kergadiou , mais pàrfiaitemejit conservé ,
et placé dans une délicieuse situation, d'où Ton voit la mer
et l'île Ouessant , qui du reste est visible de toute cette partie
4u littoral. Ce menhir s'élève près d'un charmant petit manoir
lorliâé j anquel il a donné son nom : Kereneur, Aujourd'hui
cette habitation est occupée par des paysans , qui en sont
propriétaires.
Rendons-nous maintenant au manoir du Cosquer , ou plutôt
Eozker (vieille maison), habité actuellement par le propriétaire,
Tidie cultivateur ; ce n'est plus qu'une simple ferme. Un événement,
qui a laissé des souvenirs dans le pays, et qui aujourd'hui est
presque pass4à l'état de légende, y est arrivé pendant la révo-
latiŒi. Un de ces prêtres non asserAientés , ^ui étaient si
îvénérés dans nos campagnes bretonnes, et que l'on cachait avec
tant de soin , voulant célébrer le service divin , choisit un jour
le Gosquer, et y donna rendez-vous à totfs les fidèles d^alentour ;
mais les gendarmes de PJoudalmézeau ou de Saint^Renan avaient
4té prévenus.Ces soldats, dans leur zèle et leur empressemôntà rem-
plir leur devoir, étant partie au milieu de la nuit, afin d'arriver
avant ie jour , s'engagèrent dans les marais et fondrières du
pa^s , où leurs chevaux s'enfoncèrent tellement qu'om ne put
57
— iso-
les relirer ; force fat môme , dit-on , de les abandonner. Les
campagnards virent dans cet événement la main de Dieu qui
était venue s'appesantir sur les impies.
Pendant ce temps « une scène d'un autre genre se passait au
Cosquer. La foule , qui était accourue à la voix du prêtre pour
entendre la messe , étant trop entassée dans une des chambres
du vieux manoir, fit céder sous son poids les anciennes poutres.
Tout le monde, excepté le prêtre qui était à Fautel, tomba
pêle-mêle dans une grange où se trouvaient des vaches et des
chevaux. Non -seulement personne ne fut blessé, mais même
les animaux , surpris par cette avalanche humaine , ne bougè-
rent point et ne causèrent aucun accident. Aussi crià-t-on au
mîr-acle, et a-t-on gardé religieusement le souvenir de ce fait,
considéré comme orne preuve de la protection divine. Une
complainte en langue bretonne fut aussitôt composée sur cet
événement ; les anciens se là rappellent encore, malheureusement
nous n'avons pu nous la procurer.
N'oublions pas , en passant , d'aller visiter le manoir de
Kermenou et sa fontaine. Du manoir il ne reste maintenant
que quelques pans de mur et un long bâtiment élevé d'un
étage, où logent les fermiers ; mais dans la cour se voit
une enceinte carrée assez grande , dont le mur d'entourage
n'est élevé que d'un mètre au plus. Près de ce mur est un fort
morceau de bois , planté en terre et suppoi^nt par son milieu
une longue perche , grosse en bas , mince à son extrémité , de
laquelle pend nne corde attachée à un seau ; c'est là la fontaiae.
Pour y arriver, descendons un escalier en pierres à deux
volées; nous y trouverons deux bassins carrés en belles pierres
4e taille ; Feau y est toujours fraîche et limpide. Dans l'escalier,
entre les fissures des pierres a poussé un magnifique hortensia,
qnï , par ses proportions énormes, est devenu nne vraie curiosité*
Ce n'est plus cet arbrisseau que nous voyons dans nos jardins,
— 451 —
c'est un arbre à tige ligneuse, couvert d*immeQse.s boules
l>1eues , remplissant presque tout Tescaller , et sous lequel on
passe sans se baisser pour descendre à la fontaine.
Les armoiries des Kermenou , dont la famille était d'ancienne
extraction et comptait, en 4669, neuf générations, étaient:
Fascé onde d'or et d*azur de six pièces. Leur manoir avait jadis
une assez grande importance , si Ton en juge par les murailles
encore existantes et Fétendue de la cour. Une grange en appentis,
attenant à la maison, a sa toiture en chaume soutenue par
trois colonnes rondes , fort basses , provenant probablement de
quelque partie de l'ancienne habitation.
Redisons ici seulement tes nom de quelques autres manoirs
et châteaux quî ne sont plus maintenant que dès fermes habitée»
par des cultivateurs : Kerbresol ou Kerbresely Kerjar (L) où
Ton voyait encore, il y a peu d'années, dans une des chambres
du premier étage, un riche ameublement, lit, tenture en soie
rouge et bleue , etc , remontant à Louis XIII environ , ameuble-
ment que le propriétaire actuel a fait enlever ; Laret, avec sa
petite chapelle si basse et si lourde, et d'autres encore qu'il serait
trop long d'énumérer ici.
Après avoir visité toutes ces anciennes habitations quî datent
généralement des XV« et XV[« siècles, dirigeons-nous vers Samt-
Ourzal , petite chapelle très-basse , construite assez près de la
mer , sur un plateau rocheux et aride. Tout près de Téglise ,
dans l'enceinte môme du cimetière , est une fontaine consacrée
jadis sans doute au culte druidique. De là on ne voit que la
mer et ses écueils : pas un arbre , pas une maison ne s'élève
aux environs ; pas un être vivant ; une herbe rare et chétive
sur le sol , quelques maigres chardons grisâtres , épars de loin
en loin , des rochers à fleur de terre donnent à ces lieux un
(i) Armoiries : d'or à rarbrt de simple, Devise : Red eo mervel (il faut
mourir).
— 482 —
aspect de tristesse et de désolation' qui vous impressionne
malgré vous. Pourtant un jour, mais un seul jour de Fan-
née , tout s'anime autour de la petite chapelle ; la foule
s'y presse. Le saint a aussi sa fête patronale , son pardon.
Ce jour, les jeunes gens des deux sexes du pays accourent
pour le prier, car saint Ourzal marie toujours dans rannée
les jeunes filles et les jeunes garçons qui lui adressent du fond
du eœur la prière suivante :
,, Aoutrou sant Ourzal , ni ho ped :
Boit deomp-ni ped a greg.
Aoutrou sant Ourzal eur veach c'oJuiz
Roit deomp-ni peb a goaz.
Monsieur saint Ourzal , nous tous en prions ,
A cBacWn de nous donnez une femme.
Monsieur saint Ourzal , nous vous en prions aussi
A i^hacune de nous donnez un lïtari.
Dans leur impatience de savoir si leurs prières ont été bien
accueillies par le Saint , ils se rendent ensuite à la fontaine
pour consulter l'oracle. Là ils posent des épingles sur la surface
de l'eau, épingles qui ont été dérobées généralement au corsage
des jeunes filles ; si elles surnagent , leurs vœux seront accom-
plis, ils se marieront dans l'année; si au contraire, elles cou-
lent au fond de la fontaine^ toute espérance est perdue. Il
faudra Tannée suivante revenir adresser à saint Ourzal des prières
plus ferventes.
Quelques revendeuses de mauvais fruits , étalant leur mé-
chante marchandise sur. le sol du cimetière, fournissent seules
tous les plaisirs de ce misérable pardon.
Non loin de celte chapelle, dans un champ cultivé, est un fort
joli petit dolmen composé de quatre pierres de môme dimension.
— 4d3 -^
dont deux forment les côtés, une le* fond et la quatrième le
dessus. Ce dolmett, parfaitement conservé , a 4 ",80 de hauteur
environ ; un homme peut entrer facilemont dessous.
Gagnons maintenant la mer et rendons-nous à Tîle druidique
de Melon.. Nous y trouverons un beau menhir , un dolmen et
de nombreuses pierres qui semblent se rattacher à une enceinte
consacrée. Essayons de passer à pied sec ; si la mer est
ïasse, nous le pourrons facilement. Le menhir a de 4 à 5
mètres d'élévation et O-jSO de circonférence. Les nombreux
trous que l'on voit sur une de ses faces n'ont rien de curieux»
Ils ont été faits par des ouvriers qui voulaient l'abattre , mais
défense a été donnée par l'autorité de le jeter bas. C'eût été tout
simplement un affreux acte de vandalisme. Tout près de lui
est une autre pierre qui a ^•»,60 de hauteur environ, et tout-
à-fait l'aspect d'un petit menhir. Le dolmen , qui se compose
de plusieurs pierres, forme une assez grande enceinte recou-
verte , ne seï'vant plus maintenant qu'à abriter dans les mauvais
temps, les moutons qui viennent sur l'île brouter une herbe
rare et chétive.
Cette îlCi qui n'a que 300 mètres de longueur sur 200 de
largeur à peu près , et qui se relie à la terre ferme par d'im-
menses blocs de granit , sur lesquels on passe à mer basse ,
semble avoir été jadis un Meu consacré au culte druidique.
Le grand nombre de pierres réunies sur un espace si peu
étendu, pierres auxquelles on peut trouver, sans y mettre trop
de bonne volonté , des dispositions à former des allées et des
enceintes , permet certes de le supposer. Du reste, comme dans
presque tous les lieux qui paraissent avoir été anciennement
consacrés au culte des druides, l'aspect de cette petite île est
triste et sauvage , surtout lorsqu'à mer haute , elle est entourée
d'eau de tous côtés. On n'y voit pas une maison, pas môme
une cabane: les monuments druidiques se dessinent ^euls sur
— 454 —
le ciel. En ce moment on y exploite une carrière, qa^on vieirt
d'ouvrir tout dernièrement, pour en retirer de belles pierres de
granit qui doivent servir à la construction des bassins du
Salou au port de Brest, ou plutôt on entame File sur un de ses
flancs , car cette île n'est tout entière qu'un bloc de beau
granit.
Sur toute la côte , de Melon à L'iVber , admirons ces belles
plages de sable si fin , si doré par les rayons du soleil , qui,
lorsqu'on en enlève une poignée , laisse un trou que l'eau qui ,
sourd de dessous , vient remplir aussitôt ; admirons encore
ces beaux rochers formés de blocs superposés , le Cléguer^
VEnezvran ( île aux Corbeaux ) , dont la pierre supérieure est
mise en mouvement par les grands vents , et tous ces récifs ,
ces écueils si travaillés par les flots dans les temps d'orage ,
si rongés par les vagues qui viennent les battre depuis tant de
siècles.
Mais retournons sur nos pas , quittons ces grands aspects de
la nature pour une nature plus douce , plus gracieuse , moins
imposante , moins grandiose , il est vrai. Traversons d'abord le .
village de Kerdrevor (lieu près de la mer), dépendant du joli
petit port de L'Aber-lldut , appelé jadis Pwtz an Groufnit ^
puis ensuite Laaildut et le triste bourg de Brélès, et bientôt les
cheminées élevées de Kergroadez nous apparaîtront , se décou-
pant en silhouette sur le ciel.
Nous ne dirons rien de ces belles carrières que l'on exploite
dans tout L'Aber et d'où l'on a retiré ce superbe granit rose
qui forme le soubassement de F obélisque de Luxor ; elles ont
été décrites bien souvent , et pour se faire une juste idée des
immenses blocs que l'on peut en extraire , il faut aller les
visiter.
Si nous osions nous jeter dans quelques études sur les mœurs
et les coutumes des habitants des environs de L'Aber et de
- 455 —
Brélès , avant de quitter ce pays , nous dirions : si jamais vous
le parcourez à l'époque de la récolle , examinez la manière
dont on y bal le blé , si différente de celle des environs de
Brest et de Guipavas. Sur les gerbes étendues en rond autour
de Taire, dans une grande épaisseur , on fait d'abord piétiner
tous les chevaux de la ferme , conduits par les enfants et les
femmes , tantôt au pas , tantôt au trot , durant un temps assez
long ; puis ensuite on les soumet au battage , comme on le
fait dans nos environs » mais en se ser\'ant de fléaux ronds,
dontentez-vous de regarder tout cela de l'extérieur, n'entrez
que rarement 4ans les habitations , car là au moins autant
que partout ailleurs , le manque de propreté proverbial dont
généralement on accuse nos campagnards bretons est peut-être
prédominant. Mais disons tout de suite , par système de com-
pensation , que nulle part le paysan n'est plus poli : hommes \
femmes, enfants , vieillards vous saluent toujours lorsque vous
les rencontrez , habitude assez rare 4ans nos environs de Brest.
Ne pourrait-on attribuer cette politesse héréditaire chez les pay-
sans de cette contrée , à ce que jadis ce pays était couvert de
petits châteaux , de manoirs féodaux , dont les paysans d'alen-
4Qur étaient les vassaux , et à ce qu'ils ont traditionnellement
conservé leurs anciennes habitudes, et qu'ils saluent maintenant
4ous les gens qui ont le costume des habitants des villes ,
comme ils saluaient jadis leurs seigneurs. Les femmes sont-
elles jolies ou laides dans cette région ? Les jours ordinaires,
il serait assez difficile de le savoir, car presque toutes sont
coiffées d'un bonnet de couleur, bleu généralement, qui leur donne
un aspect peu agréable et peu gracieux. Le dimanche , comme
partout , elles se font belles ; y gagnent-elles grand'chose , c'est
douteux. Les chevaux et autres animaux de fermes sont géné-
ralement assez beaux. On y élève des moulons en grande
quantité , ainsi que des porcs , que l'on rencontre jsurtout
-- 436 —
^^ en grand nombre se promenant librement dans les rues de
Tout ce que nous venons de dire ne peut s'appliquer aux
petits bourgs du littoral , dont les bommes sont presque tous
marins , et dont les habitations élégamment badigeonnées et
^jf . couvertes en ardoises, encadrées chacune dans un filet de chaux
très- blanche, se détachent si piltoresquement sur le ciel géné-
ralement grisâtre de notre pays.
Ne soyez point surpris si , en passant à L'Aber-Ildut , vous
voyez toutes les fermes garnies de nombreuses et larges plaquas
noirâtres , ainsi que les petits murs en pierres sèches qui forment
les séparations des champs ou parcelles de terre. Ces plaques
ne sont autre chose que de la bouse de vache , ramassée, avec
$ grand soin et mise à sécher au soleil pour servir de combus-
tible en hiver, le bois étant extrêmement rare dans le pays-
Celte coutume existe du reste sur presque tout le Mltoral.
Lanildut (territoire d'lldui),'que nous trouvons aussitôt après
avoir passé la jetée qui relie le port de L'Aber à cette parois-
se , est placé sous le patronage de saint Ildnt ou Hydultus ,
cet intrépide exécuteur testamentaire des volontés de saint
Budoc. C'est lui qui, pour sauver une partie des reliques de
son évéque , eut , comme nous Tavons dit , le pieux courage ,
dans sa sainte ferveur , de couper avec ses dents les trois doigts
du bras déjà momifié sans doute, qu'on lui présentait à baiser.
Avant de monter à Brélès, quittons la grande route, au moulin
, de Belair, et descendons au manoir de ce nom, qui appartenait
avant la révolution à la famille de Clairarabault , dont un
des membres , Charles • Alexis de Claîrambault , né en 1704,
fut commissaire de la marine au port de Brest. Les armoiries
de cette famille étaient : d'argent à un chêne nrriiché de
Sinople. Antérieurement Belair avait appartenu aux seigneurs
de Kerengarz, dont les annes se retrouvent, avec d'autres, ^or
E.Fleuryd»! etl-tK.
LitK. Ro6er.Br«$t.
CHEMINEE
de la grande Salle du Manoir
de Bf:LAIR,près ÊRÈlÈS IFinistèreJ
•v-S
y
— 457 —
une pierre arnioriée, placée dans le pignon du mooîfiL El^
4BSl écartelée au -1** et 4 d\asur au croissant d'argent^ armes des ■' f ^|S)r
Keruflgani ; au 2 on voit une tête de cheval , et au S , trois ^^
fnerlettes. Au bas on lit le miilé8ime de ^637. L.a devise ^de
cette maison était : Toui en croissant. Ce manoir des Belair,
bâti dans le^ fond de la rivière de L'Aber, date du XVI* siècle.
Uae inscription, placée au dessus de la porte d*enlrée d'un des
bâtiments donnant sur la cour intérieure ^ nous apprend quMl
fut construit en ^599.
Il est assez bien conservé extérieurement; très près se voit
un de ces immenses colombiers seigneuriaux qui ressemblent
à une grosse tour recouverte d'un escalier? Entrons dans la
cour principale, assez vaste, et montons au premier étage,
par rescalier en pierres , pour gagner la grande salle du manoir;
Là nous trouverons un objet présentant un certain intérêt
artistique : c'est une vaste cheminée sculptée, sur le manteau do
laquelle on voit, dans des encadrements ornés, quatre têtes en
demi-relief, représentant Henri III et sa mère, croyons-nous,
et deux autres personnages , une jeune femme et un homme.
Au-dessus dé ces sculptures est une large corniche, au-dessous
ge dessinent une bande d'arabesques , plus bas une rangée
de longues fleurs de lys et pfin, au bord du manteau , une
bordure de losanges. Le tout est supporté sur deux pilastres à-
canelures fort élégants , formant les deux côtés de la cheminée.
La peinture, dont tous ces ornements étaient recouverts,, a
résisté au temps , et cette belle cheminée nous . est parvenue
presque telle qu'elle existait à l'époque où ses riches propriétaires,
habitaient leur manoir. Cett^ vaste habitation a été transforioéa ,
pendant quelques années en uq^ usine oh Ton fabriquait de
l'iode et ses composés; depuis elle a, été atendonnée et n'est
plus occupée que par les fermiers.
5S
~ 438 -
GravîiHM le chemin qui mène à Brélës , dont Téglise vient
d'être agrandie. On a aussi refait la grande fenêtre du chœur;
de riches vitraux coloriés y ont été placés. C'est peut-être une
lourde charge pour une commune aussi pauvre, mais doit on
y regarder, quand c'est la maison de Dieu qu'il s'agit d'orner
et ^'embellir, et disons-le, Tancienne maîtresse vitre était
indigne de la plus petite chapelle. Passons et arrivons au château
de Kergroadès ; nous nous y arrêterons pour visiter en détail ce
beau et vieux monument maintenant tout en ruines.
Ce château , connu plus généralement dans le pays sous le
nom de château de Roquelaure , parce que , par alliance , il
est passé , vers nST , dans cette famille , est une des belles
et imposantes ruines do notre arrondissement. Placé dans une
position moins saisissante que le château de Tremazaa, nioins
grandiose que cette antique habitation, il s'élève dans un pays
plus pittoresque, couvert de grands et beaux arbres. De nom-
breuses et magnifiques allées y aboutissent, mais aux alentours
point de grande vue , point de ces grandes échappées qui
viennent lout-à-coup se présenter devant vous. Ici tout est
calme, tout est tranquille. Combien dans ce beau château,
alors que les seigneurs dé Kergroadez étaient riches et puissants,
la vie devait être douce et facile. C'était du, reste, dit la tradi*
tîon , une des plus splendides habitations du pays. Les pro-
priétaires en étaient fiers à ce . qu'il parait. On raconte qu'un
marquis de Kergroadez , qui vivait en 1652 , ayant trouvé ,
au Conquet , Michel Le Nobletz , malade et logé dans une
pfetite maisonnette fort incommode , le pria instamment de se
laiéser transporter dans son château. Le saint homme refusa,
n naais ir l'avertit qu'il ne garderait pas long-temps ce riche
palais dans lequel il hiôttaît' toute sa complaisance. 9 La mort
du marquis, qui arriva ' peu après , fut regardée comme l'ac»
complîssement de la prophétie du saint
— 4S9 —
: Le château de Kergroadei fut coaslruit, dit on , de J802 h
4 61 3 par Fraï^çois de Kergroadez, sous le règne de Louis XIII,
très - certainement sur l'emplacement d'un autre beaucoup plus
ancien , car cette famille était d'ancienne extraction. Elle comptait
en 1670 , onze générations ; ses armoiries étaient , comme
nous Tavons déjà dit: fa^cé de six pièces d'argent et de sable^
et sa devise était : En bon espoir. Cette maison qui se fondit,
en -1 732 , dans celle de Kerouarlz , était une des plus impor-
tantes de la paroisse de Plourin. Nous avons déjà raconté que
le tombeau d'un des seigneurs de cette famille avait été trouvé
dans cette église. On voit aussi , dans ce bourg , un hôpital
pour les pauvres , fondé par le dernier- représentant de cette
grande maison, haut et puissant seigneur, messire Robert de-
Kergroadez. , capitaine de cavalerie dans le régiment de M. le
comte de Toulouse , mort mestre de camp de cavalerie. L'acte de
donation est du 12 mars 4704 ; il existe encore, nous l'avons vu.
Cet hôpital fut créé pour les pauvres et malades de la paroisse
de Plourin, et s'il y avait de la place, pour ceux de Lanrivoaré ,
Lanildut et Laret , de préférence à tous autres. Pour celte
création , messire Robert , qui habitait alors son château ,
donna à la paroisse une . maison dans le bourg , avec toutes
ses dépendances. L'hôpital subsiste toujours , mais il est fort
pauvre. '
On raconte aussi que, dans le XVII® siècle, un des seigneurs
de Kergroadez ayant fait d'immenses dettes , qu'il n'aurait pu
payer aans vendre la plus grande partie de ses biens, fut secouru
par §es vassaux. Ils se cotisèrent entr'eux, et réunirent la somme
énorme , pour celte époque surtout, de trois cent mille livres,
qu'ils lui remirent. Un acte, qui existait encore en 1788, fut
passé par -devant le tabellion dei.la paroisse , par lequel ils
laissaient à leur seigneur la jouissance de la moitié de son
revenu^ et gardaient l'autre moitié pour se soldier de leurs avau'*
— 460 —
ces* Dalis quarante années , ils devaient être entièrcnnent rem-
boursés de leur capital. Non contents d'avoir agi avec tant de
libéralité envers leur seigneur, ils le prièrent encore de vouloir
^en accepter en présent huit magnifiques chevaux de carrosse,
afin que Madame pût se rendre à la paroisse d'une manière con-
venable. Un tel acte , il nous semble , honore autant celui qui
le reçoit, que ceux qui le font. Cette histoire a, dit-on, fourni à
Monvel le sujet d'un oi>éra jadis assez goûté du public, intitulé :
Les trois fermiers.
Celte belle habitation , qui était encore occupée à la Révolu-
tion, fut alors transformée en hôpital pour les troupes du
camp de Saint- Renan, qui en était peu éloigné. Depuis cette
époque elle a été abandonnée , on a enlevé les toitures, coupé
les immenses poutres de chêne sculpté qui soutenaient les
planchera des divers étages , et , en quelques années , on a fort
de ce riche chût eau, une vaste raine. C'est un grand édifice
carré , flanqué de tours aux quatre angles. Celles de la façade,
réunies par une longue terrasse à parapet élevé , muni de mâ-
chicoulis, qui défend rentrée principale , sont de forme carrée ;
les deux autres sont rondes. L'une d'elles est surmontée d'une
coupole en pierres de taille, Tautrô est couronnée par une
plate-forme revêtue d'un parapet à mâchicoulis. Dans le mur
qui les relie se trouvait jadis une porte à pont-levis: on en
voit encore les traces. Tout cet -appareil guerrier tfavaît plus
grande raison d'être à l'époque de la construcllon de ce châ-
teau; c'était une réminiscence des demeares féodales. Mainte-
nant les longues chemraées délabrées , le clocher de la cha-
pelle , surmontent seuls le Mte de cea murailles sans toi-
tures.
Après en avoir fait Icl tour extérieurement , avant d^entrer ,
essayons de déchiffrer Tinscriptioû qui est placée au*defôus de
la porte, principafe.
^ m ~
M. de Keï'danet y a là :
5* non in timoré domini tenueris te instanler^
Cito subvertentur domus (use. (1; ' ^
M. ClérfiC y lit :
Si non in timoré âomni (domini) tenueris te instanter
Ciio subvertetwr domus tua ante faoiem domni,
qu'il tradaU aiasi en vers:
Si du Dieu touUpuissant la ne crains ia justice,
Ta maison tout-à-eoup bientôt disparaUrti^
Et pour la renverser, l'œil de Dieu sufïira.
Quant à nous, nous pensons que cette inscription ne peut
être que ce verset du livre de l'Ecclésiastique : (2)
Si non in timoredomini tenueris fe instanter,
Cita sitbvertetur domus tua^
que Le Maislre de Sacy traduit par :
Si vous ne vous tenez fortement a
Du Seigneur, votre maison sera bientôt renversée. (3)
Si vous ne vous tenez fortement attaché k la crainte
($) Le.chàtead de Kergroadez , par M- de Kerdauel. Lycée armoricain,
1. 1, et notes des Vies des Saints, par Albert Le Grand, p. 514.
i% Verset 4, chapitre XXVII du livre de la Bible, intitulé : Ecclésiastique
de Jésus, /ils de Sirach,
(3) L'abbé Manel {Histoire de h petite Bretagne) dit qu*on Usait au-dessus
de la porte de Kergroadez le verset de l'Écriture que nous avons cité. —
T. II, p. 131.
- 462 —
Les difTérences qui existent entre la leçon de M. de Kerdanet^
celle de M. Clérec et le verset de TÉcriture, s'expliquent paria
grande difficulté de déchiffrer les inscriptions murales , déjà
anciennes, surtout lorsqu'elles sont, comme celle ci, placées à
une grande hauteur.
Nous avouons n'avoir jamais remarqué cette inscription,
quoique nous ayons bien souvent parcouru le château de
Kcrgroadez; du reste elle a aussi échappé au plus grand
nombre de ses visiteurs. Sans M. Clérec , qui a eu Tobligeance
de nous la signaler, nous en ignorerions encore l'existence f
aussi nous le prions de vouloir bien agréer ici nos remercîmens.
Il serait à désirer que cette inscription pût être relevée avec
soin, afin qu'on fût bien assuré de sa rédaction et de sa forme,
et cela , sans trop tarder , avant que la vétusté des pierres et
les lichens qui les couvrent ne permettent plus de la déchiffrer.
Kntrons maintenant dans la grande cour d'honneur, en passant
sous la petite porte , la grande, ne s'ouvrant plus depuis long-
temps. En face de vous se présente , avec son élégant péristyle,
le bâtiment principal , percé de nombreuses , larges' et hautes
fenêtres à croix de pierres, et surmonté de croisées de mansar**
des richement sculptées ; à gauche , se trouvent les belles écu-
ries voûtées du château sur lesquelles est construit un édificô
à deux étages et mansardes ; à droite sont les dépendances, et
enfin , formant le quatrième côté , la belle terrasse qui s'élève
au-dessus de la porte d'entrée principale , et qui est supportée
sur de hautes arcades formant galeries à l'intérieur. Pour visiter
les restes de la chapelle, encombrée de plantes et même d'arbres
qui poussent dans les fentes des pierres ,' montons sur la ter-
rasse à l'une des extrémités de laquelle elle, se trouve ; puis
redescendons au milieu des ronces et des orties, dans la
cour d'honneur , jonchée de débris enfouis dans de hautes
herbes. . '
_ 463 -
Quand nous aurons gravi au sommet dé ces ruines, dans le
bâtiment principal, par le magnifique escalier en pierres qui
existe encore; quand. nous aurons examiné les chambres, les
vastes salles avec leurs énormes cheminées , et le point de
vue qui s'étend au loin de celte partie élevée du château ,
rendons - nous , le Barzas - Breiz de M. de La Villemarqué à
la main, vers cette belle fontaine qui coule à peu de dislance
du château. C'est là que la belle Azénor-la-pâle , fille d*un
seigneur de Kergroadez, était assise un jour de l'année 1400,*
faisant, avec les fleurs de genêt qu'elle venait de cueillir, un
bouquet pour son doux clerc de Mesléan , lorsqu'un riche sei-
gneur , un puissant chevalier , messire Iwen de K^rmorvan ,
passa tout-à-coup au grand galop de son cheval blanc , la re-
garda du côîa de Voeil et s'écria : « Colle ci sera ma femme,
ou certes je n'en aurai point. »
C'est une triste histoire que celle d'Azénor-la-pâle. Un barde
breton en a conservé le souvenir dans une touchante ballade
qui se trouve dans le recueil de M. de La Villemarqué. Assis
au bord de cette délicieuse fontaine , à l'ombrage des grands
et beaux arbres qui l'entourent, Jhellsons les vers du poète
J)reton {^) :
(Ici Keriid.) •*
* Zénorik-gîaz zo dimézet,
Hogm pas d*hé vuian-Karet ;
'Zénorik-aflaz zo dimézet ,
Hogen pas d*hé dausik Kloarek.
h
^Zênorik oa talarfeunten,
Ha gant'hi heur brou::^ séi p^élmi
<i) M. de la Villemarqué (Barzas-Breiz), 1. 1 , p. 215.
— 464 —
Ar kz or fmnUn, hi mnen,
O pakad éao bUun halan^
Da ober eur boukédik koant ;
Eur houket dar c'hloaTeck MezJéan-
Ûud é oa hi tal ar feunten ,
Pa dréménaz *nn otrou hem.
*Nn otrou iwen , ar ké îMxrc'h gU» ,
Aêrkent , mn eur rédaden braz ;
Kerkent , enn eur rédaden bras
Hag out'hi a-dreuz a zellaz.
«— Hounnan a vézo va fried
Pé n'em bo, 'vit gtcir^ groeg é-hed! -^
(Dialecte de CornoaaîUe,)
La petite Azénor4a-pà]e est fiaiicée.
Mais non pas à son bien -aimé;
. ^ La petite Àsénor-lt^^e est Gancée,
^ Mais non pas k son doux clerc,
L
La petite Âzénor était assise auprès de la fontaine,
Vêtue d'une robe de soie jaune ;
Au bord dé la fontaine , toute seule ,
Assemblant des fleurs de genôt ,
tour faire un bouquet,
Un joli petit bouquet au clerc de Meziéan. (i)
(1) Le cbàleau de* Meriéan appartenait aiix Rlvôalen de Meziéan, dont
les armoiries étaient : d*argent au chevron de gueules, accompagné de
trois quinte feuilks d0 rriéme. , CeiiQ îmâïUy ^*e^ , ioBdne dans, celle de
Penmarc*h.
— 465 —
Elle éUil assise près de la iontaine,
Lorsque passa messLre Iwen , f
Messire Iwen sur son cheval blanc ,
Tout-à-conp , au grand galop ;
Toul-k-coup, au grand galop ,
Qui la regarda du coin de rœil.
— Celle-ci sera ma femmfi ,
Ou , certes , je n'en aurai point!... —
Nous ne transcrirons point la ballade tout entière, elle est
un peu longue; nous dirons seulement que le sire de Kermor^an
mit ses projets à exécution , qu'Azénor fut obligée de Tépouser.
Il était riche et puissant, le clerc de Mezléan était pauvre;
non-seulement le château de son père , dont on voit les ruines
près de Goueznou n'était ni aussi grand, ni aussi fort que ceux
de Kermorvan et de Kergroadez ; mais lui même n'était qu'un
pauvre cadet de famille qu'on destinait à l'état ecclésiastique.
Azénor eut beau prier et pleurer , tout fut inutile. Il ne lui
restait plus qu'à mourir. Peu de temps après son mariage^ les
cloches sonnèrent à Féglise de la paroisse , ce n'était pas d#
leurs joyeuses volées qu'elles frappaient Tair ; c'était un glas
triste et lugubre qu'elles faisaient entendre : Azénor avait cessé
de souffrir.
Descendons au vaste étang du château (I) couvert aujourd'hui
presque entièrement par des nénuphars ou nymphéas , aux larges
|1) Depuis que celte excursion a été écrile et lue à la Société, de nom-
breux documents sur Kergroadez ont été mis à notre disposition,
par un des nouveaux propriétaires de ce château, M. Le J***. Qu'il
nous soit permis de lui en exprimer ici publiquement notre vive recon-
naissance.
Lorsque nous aurons exploré et étudié avec soin tous ces précieux
documents , nous nous proposons d'écrire une notice spéciale sur le châ-
teau et la seigneurie de ICergroadez. Nous aurons, croyons -nous, des
choses nouvelles et curieuses à raconter sur celte belle ruine.
— 466 —
feuilles; dont les belles et grandes fleurs d'un blanc si pur
avaient dans Tanliquilé et le moyen-âge une si grande renommée
antiaphrddisiaque , et passons , pour reprendre la grande route ,
sur la chaussée de l'antique moulin seigneurial de Kergroadcz.
Bientôt nous aurons regagné Saint Renan, et nous n'aurons
plus qu'à rejoindre Brest.
E. FLEURY,
Biblioïkëcaire d« U YUIe.
■^♦•fr
TABLE ALPHABETIQUE
(divisée par CAim»is)
DES NOMS DES UEUX OITtS DANS CETTE EXCURSION ,
on
ËKii d'an DietioniiK Âretéologîqae et Éijmologiqne
des L«calités parcoonies.^
arrondisse;ment de brest.
CANTON DE BREST.
Castelmen. — Kastel - ifEpr. —
Chàleali de pierres : de Kastel, châ-
teau, et de mean , mein , pierre. —
Cammune du Guilers, sur un des
«ifOuents de la PenfeM , k gauebe
de la toute iteuve de Saint-Renan.
— Grande minoterie.
Ép. romaine: —Tuiles romaines ;
Construction en maçonnerie, enfouie
à une grande profondeur et recoû-
v^0te d'une »eule pierre ;
Meules de moulin: — Bout, peti-
tes et grosstèrea , trouvées so«s lés
racines très^^ profondes d'un chêne
séculaire.
RfiRiNOo, anciennement Rëren*
NOe. — Reb-en-nou. — Yillagc en
penfc , situé dans un bas- fond : de
Ker, lieu, viHage, et de en naou (1),
en composilioft en riou , en pente ,•
placé dans un bas-fond. Ea effet, 1& *
village de Kerinou , appartenant k
1& comiDone de Lambézellee , à un
kilomètre de Brest ; est situé dans
un bas-fond entre deux collines.
Moyen-âge: —Ancienne sèigAeu-
rie, fondue plus tard d^ns la fa^mille
de Cornouaille, jouissant de grandes
prérogatives dan^ la ville de Brest.
(4) Biillet , DktiùnnûWe de là Connue '
cêllique.
(*) Les élymologies quo nous donnons dans cette table ne sont prâsentc^es que sOUf
eue Corme dubilatîre et comoie de simples essais.
— 468 ~
Kerouazl. — Ker-ocazl. — Vil-
lage du for, où l'on trouve du fer :
de A'er, lieu, et de houarny fer^ pro-
noncé, par corruplion probablement,
houazl Dans celle propriété, il existe
deux sources d'eau minérale Herru"
gineuse.
Ancien cbàieau, sttuô dans la
commune de Guilers , près Caslel-
men.
£p, romaine : — Médaille, en or
de Néron ; médailles d'Antoiiîn ;
débris de poteries, . .
CANTON DE SAINT-RENAN.
BODONNOC OU BOTDONNOU. — BOD-
ossou. — Buisson de fr^neg : de
Bod ^ buisson, touffe, et deoun»,
omnennou , frêne. — Vastes ma-
rais qui* entourent Saint 7 Renan,
et dans lesquels il.est dangereux de
s'engager, dit-on, à cause djesfon*;
drières qui s'y trouvent.
Cbapellede Notre-Dame du Bodon-
nou, construite sur remplacement
d'une autre très ancienne.
CuRRU. — Manoir près de Saint-
Renan. — Manoir du tonnerre, peut-
être où est tombé le tonïierre : de
JTwrtm, loiinerre. Ou bien encore,
village du Xeu,enle faisant, dériver
de Ker-rUy par corruption Kurru *
de Ker, lieu , village , et 4e ruz ,
rouge, couleur de feu.
Ces deux étymologies pourraient
s'expliquer par la légende qui ra-
conte que: )a main du diable resta
empreinte en rayons de feu, sur une
grille qu'il avait placée , dans une
nuit, à Tune des fenêtres du ma-
noir. On peut très-bien aussi inter-
préter rempreinte de la main du
diable, par un coup de tonnerre qui
aurait frappé celte maison.
. Moî^ ^âge; — Le Curru était
une ancienne vicomte, avec prévôté
féodale ; il est connu, dans le pays,
sous le nom de château du roi
Pbaramus. — Kastel ar roue Pha-
rawus;
Grille du diable, ouvrage curieux
par son travail ;
Belle et grande pierre armoriée.
LASïJRIVOABfi pu tANBlonARÉ.
Lan-Rivoâké« — Territoire de Ri-
voaré: de Lami, terre, territoire, et
de Rivoaré, ch^ Breton auquel ap-
partenait ce pays au VI* siècle, dit
M. de Fréminville. D'après M. de
Courcy, Rivoaré était un des apô-
tres des premiers temps du chris-
tianisnie dans l'Armorique.
Mo^ien-âge: — Cimetière des
Saints, enceinte $aoréeoù reposent
7777 saints;
, : Pains changés en piérides ;
Souche de bois que l'on coupe
depuis des siècles, sans qu'elle di-
minue , et dont les morceaux pré-
servent d^ rincendie j .
— 469 —
Pierres tombales de féglise, sur
lesquelles sont grossièrement sculp-
tées des bâches, des marteaux, des
pioches, etc.
Saint-Renan (chef-lieu de cao-
ton). — En breton, LooRonan-ar-
fane, la cellule de saint Renan du
Marais : de Loc pu tok^ cellule ,
ermitage, et de ar-rfanc, du marais.
En effet, la ville de Saiut-Renan
est située sur une hauteur, entourée
d'un marais.
Moyens âge : — Ancienne ville ,
jadis siège d'une juridiction royale.
Vieilles maisoi^s en bois et en pier-
res ; halle en bois; portique d'une
ancienne égHse de la ville , prieuïé
du XIH* siècle, dépendant de Saint-
Mathieu ; retable d'autel gisant dans
la rue^ près du portique. ,
CANTON DE PLOUDALMÉZEAU.
Belair. — Manoir du XYI«siècle,
près Brélez, sur la rivière de L'Aber.
Renaissance : — Inscription sur
une des portes intérieures, donnant
la date do la construction, 1599 ;
Belle cheminée sculptée et peinte,
dans la grande salie.
Brelez. — Bre-Lez.— Montagne
de la rivière, près de la rivière : de
Bre, raonlagoe,et de Lez [\ ), rivière,
eau. Brelez est placé au somme
de la montagne au pied de laquelle
coule la rivière de L'Aber.
Bourg sans importance aujour-
d'hui , jadis siège de la juridiction
de haute, moyenne et basse justice,
de la seigneurie de Kergroadez et
du Gouerbihan.
Gleguer. — Beau rocher de la
côte de L'Aber. Cleguerjm Klegner
veut dire : rocher.
Cosqder. — Koz-Ker. — Vieux
château , vieille maison : de Koz,
vieux, et de Ker, iieu, maison.
Ancien manoir , qui n'est plus
maintenant qu'une simple ferme.
GoiLiGOY. — Montagne ou rocher
formant un des cotes de l'anse de
Porsal.
Ep. celtique : — Dolm&n, Dolmen,
table de pierre : de taol, table, et de ,
mean, wetn, pierre.
Kerbresol. — Ker-bresol. —
Lieu de la guerre : de Ker, heu, et
de Brezol pour Brezel, guerre.
Ancien manoir.
Kerdrevor. — Ker-dre-vor. —
Village près de la mer: de A'er, lieu,
village, etc. , de Hre, près, et de mor,
en composition vor, la mer. Kerdre-
vor est près de la mer ^, il dépend
de L'Aber.
- 470 -
du prince, du fort, du ?ailianl: de
Ker, lieu , et de un ner ou même
erterii), prince, forl, èlc.
Ep. celtique : ^Menhir, menhir^
pierre lougiie : de men, pierre, elde
hir, long.
Petit manoir fortifié.
Kergadiou. — Ker - gadioo. —
Ueu de$ batailles : de JTer, lieu, et
de kadion , en construction godiou,
pluiiel de A:ai(2), bataille, combat.
Kadiou n'est plus guère employé
(^iie dans, les noms d'homo^es et de
lieux«
Ep. celticme : — Menbirde 10* de
hauleuf environ, et de 0" de cir-
conlérence ; pierre inclioée : ^ de
longueur, 2* de largeur, inclinai-
son 25 à 30» .
Près de ces pierres , charmant
petit manoir fortifié. — Pierre ar-
moriée portant les armes des Ker-
gadiou.
Rergroadez, anciennement Ker-
groezez (sur une tombe du XIV*
siècle). — Ker-groezez. — Lieu
très ch4ud : de Ker, lieu, et de
groez, groezenow groazuz^ chaleur.
Enefiet, Kergroadez, Vun des
plus beaux châteaux de l'arrondis-
sement, est situé dans une position
délicieuse , entouré de grands ar-
bres qui le mettent h l'abri de tous
les vents, dans ce pa^s si découvert.
(2) Rullet, Dicl. ecUique.
Château du 1?II« siècle, bâti sur
Templacentent d'un autre beaucoup
plus ancien. Ancienne juridictioa
seigneuriale. — Inscription btline
au-dessus de la porte d'entrée.
Kbkjam. ^ Keb - JAR Tills^
de la poBle : de ^er,Tillage , et de
tar, poule.
Ancien manoir.
Kermenod. — Ker-menoo. —
Village des pierres : de ATct-, village,
et de tnean, menou, pierre.
Manoir du XVP siècle ;
Fontaine souterraine.
Kersaint, en breton ïtER-zEiiT.—
Viltage des saints: de Ker, village,
et de sant, sent, en composition
zent, saint.
Église du Xy siècle , ancienne
collégiale dirigée par des chanoines
chapelains*
L'Aber-îldut. — Havre d'IIdul :
de Aber, havre, et de Mut, s:iint
Breton du \T siècle.
Joli petit port qui ne peut rece-
voir que des caboteurs. Jadis appelé
Porz an Grouinît (sur de vieux ac-
tes), port de sable ou sablonneux :
de Porz, port, et de grouinit pour
groanic, sablonneux, probablemeat.
LANiLDqi. — Lan-Ildut. — Ter-
ritoire d'IMut : de Lan, territoire,
eidelldut. ,
— 471
L'Emezvran. — Ejîee-vhan. ^— île
aux corbeaux : de Enei, tle, et de
bran , en composilion vran , cor*
beau.
Beau rocher de la côte de L'Aber,
dont la pierre sup^ieure est mise
en.mouvein^t parles grands vents.
Melon. — Ile Melon, île de pier-
res, de roc : de melon (1), pierre,
roc.
Cette île est en effet un beau bloc
de granit de 300" environ de lon-
gueur sur 200" de largeur.
Ep. eeltiqne : — Grand menhir
de 5" de hauteur k peu près et de
D%^0 de circonférence ;
Autre menhir de 4»,60 de hau-
teur environ ;
Grand dolmen, en partie renversé;
Vestiges d'allées et d'enceintes
druidiques.
Ploudalhézeau (chef-lieu de can*
lon)# — PLtMj-DAL-HÉzEAu. ^ Ter-
ritoire devant les plaines : de Plou,
Plouef PloCf terre, territoire , cam-
pagne , etc., de ta{, en composition
dal , devant , et de meaz » pluriel
mezou ou meziou , campagne ,
plaine.
On dit aussi Guitalmezeau. —
Gui-TAL-HEZEAO : de Gui y pour
GwiCy bourg, village ; le reste com-
me précédemment.
Ploudalmézeau est situé eu avant
d'une plaine qui s'étend jusqu'à la
mer.
(i) Bullet, Dict, cetliqne.
àfayen^âge : —Croix en pierre,
fort ancienne^dans un des murs dd
cimetière , sur laquelle est sculptée
le crucifiement de N* S. Jésus-»
Christ ;
Fourches patibulaires, près du
bourg (vestiges) ;
Anciennes maisons ;
Jolie église du XVÏÏI* siècle ;,
inscription en lettres gothiques sur
l'un des contreforts de l'abside de
cette église, portant la date del504,
pLouRiN. — Plou-rin. — Terri-
toire de la colline, ou sur la coUiue :
de Plou , Ploue , Ploe , terre , terri-
toire, et de run , reun ou rin (1),
colline.
Moyen-âge : — Belle église, dont
une partie du Xlî* siècle; chaire à
prêcher en bois , sur laquelle est
sculptée grossièrement la vie de
saint Budoc, patron de cette église ;
Deux lombes en Kersanton, Tune
de 4318, l'autre de 4400;
4 S pierres sculptées, armoriées >
provenant de ces tombeaux ;
Cuves romanes , anciens fonds
baptismaux, sans doute.
PORSAL. — POR - SAL. — Port du '
manoir : de Porz, port, et de sal(2),
manoir, maison noble à la campa-
gne.
C'est da^s l'anse de Porsal que
s'élève le fam^x château de Tre-
mazau.
(i)Bul]ot, Dict. eelUiiue.
{ZyBuWetf Dict, celtique.
'— 47a
Moyen-âge : -« Chapelle en rui-
nes de Saint-Uflen ou Usren. Dans
le cimetière de celte église, les inhu-
mations ont été faites , jadis , par
couclies superposées. Il ne sert plud
depuis long- temps; tnais la mer,
qni entre dans l'anse k chaque ma-
rée , met souvent des ossements k
découvert.
Saint-Ourzal. — Petite chapelle
fort basse , assez près de Ja^mer,
dans un endroit aride.
Ep. celtique : -— Fontaine près
rÉglise ;
Dolmen parfaitement conservé ,
dans un champ , k peu de dislance
de Téglise.
Ti^Mii^ïAN. — Château de Jrema-
zan pourrait peut-être se traduire
par château du trépas, du meurtre,
en faisant venir Tremazan : de Tre-
menvan, Tremezvan ou 'Tremevan,
agonie, meurtre, trépas.
C'est dans ce château , d*après la
légende d^AIbert LeGrand, que saint
Tanguy décapita sa sœur Haude, et
que sa belle-mère expira, au milieu
d'épouvantables souffrances, en pu-
nition de ses fausses acousations
contre Haude. Ces deux éyène-
roents étaient assez frappants pour
qu'on donnât le nom de cbàteau du
meurtre k rhabitation dans laquelle
ils s'étaieot passés.
Moyen àg^i : — Belles ruines d'un
château du XIII* siècle ;
Donjon carré élevé sur une butte
ou molle artificielle , ayant 42" de
circonférence et 30^ de hauteur ;
Ouvrage avancé, grande enceinte
carrée k parapets et mâchicoulis ,
défendant un rempart de 3*,25 de
largeur.
Le château de Tremazan est la
plus belle et la plus imposante ruine
de Tarrondissement. 11 est situé dans
le fond de Tanse de Porsal et dé-
pend de la paroisse de Plonrin.
E. FLEURY.
FIN.
TABLE DES MATIÈRES.
PagM.
Liste générale des membres de la Société. ••...••.«..••..•.,. I
Règlement .....•,.. VU
Statuts XT
Arrêté de S. Exe. le Minisire de rinstruclion publique et des Cultes
autorisant la Société, et en approuvant les Statuts. •..•«.•... ^ \lU
Procès-verbaux dçs séances XY
Prix à décerner, en 4863 , par la Société XXXVIII
Préface 1
La Marine française et le Port de Brest sous Richelieu et Mazarin,
par M» P. Levot ••««•.*••««••...•... 5
La Mort de Pétrarque, poésie, par M. Âigues-Sparses • • 27
Note sur une forêt sous -marine dans Tanse de Sainte -Anne,
parM. C. Delavaud..., 36
Sébastopol , ode ; par M. Duseigneur • . 44
Sur le livre de Y Amour de M. Michelet , par M. Paul Chabal. 54
Rapport sur les Travaux de la Société (1858-1859), par M. Reynald. 70
— 474 —
Pages.
Terre et Ciel , poésie , par M. Aigues-Sparses. 78
Une Monnaie de l'Empereur Giatien , par il. Denis-Lagarde. . . 83
La Maison de TEspion à Lanninon , près de Recouvrance ,
par M. P. Levol. .*é 87
Matulin ar barz dall , poésie, par M. ^Miliu. 403
Note sur l'ÉcIipse de Soleil du 18 juillet 1860, par M. Ed. Dubois. 107
Le Fou et ses Médecins, anecdote en vers, par M. Clérec 117
Étude historique et critique sur la Ligue en Bretagne, par
M. Duseigneur. .c......... 120
Le Chemin royal de là Sainte-Croix, traduction en vers de
V Imitation , par M. Guichon de Grandpont , 143
Notice liislorique sur le Couvent et l'Église des Carmes de Brest,
par M. Fleury » 153
Souvenirs , poésie , par M. Olivier de Lafaye 177
Revue des ouvrages littéraires , offerts par leurs auteurs a la
Société Académique de Brest, depuis sa fondation jusqu'au
1" janvier 1800, par M. Paul Chabal 181
L'archipel havaïen en 18S5 , par M. H. Jouan. ... ; 211
Revue astronomique de 1860 , par M. Ed. Dubois 2^47
Procès d'Alexandre Gordon, espion anglais , par M. P. Uevot. . . . 295
Rapport sur la pierre tombale de Landévennec , par M. Cîérec. . 361
Un voyage de long-cours , poésie, par M. F. Bouyer 371
Étude critique sur la L^^ende des Siècles, par M. Duseigneur. . 383
Excursion dans l'arrondissement de Brest (environs de St-Renaa
et de Ploudaluiézeau), par M.* E. Fleury '...•.. 422
-'^^'^^ .:
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3 2044 100 905 777
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