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Full text of "Bulletin de la Société Académique de Brest"

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FROM   THE   Glinr  OF 

ARCHIBALD  CARY  COOLIDGE 

(ClaBB  af  lE&j) 

PROFESSOR   OF   HISTORY 

FOR   BOOKS  ON    FRENCH    HISTORY 


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LISTE  GÉNÉRALE 


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Membres  composant  la  Société  Académifne  de  Brest.  ^^^ 


BUREAU. 


Président  —  'M.  LEVOT  (P.),  Conservateur  de  la  Bibliothèque  du 
Port  de  Brest ,  Correspondant  du  Ministère  de  Tlnstruction 
publique  pour  les  Travaux  historiques. 

Vice-Présideiits,  —  'M.  SAUVÏON,  licencié  ès-Sciences ,  Proviseur 
au  Lycée  Impérial  de  Brest.  —  'M.  VERRIER,  Ingénieur  des 
Ponts-et-Chaussëes. 

Secrétaires.  —  M.  RIOU- KERHALET  (J.-J.-A.),  Ingénieur  des 
Ponts-et-Chaussées.  —  'M.  REYNALD  (H.),  Docteur  es- Lettres, 
Agrégé,  Élève  de  TÉcole  Norinale  et  de  l'École  d'Athènel^ , 
Professeur  de  Rhétorique  au  Lycée'  Impérial. 

■  Bibliothécaire 'Archiviste.  —  'M.  FLEURY  (Ed.),  Pharmacien  de 
FÉcole  de  Paris,  Bibliothécaire-Archiviste  de  la  Ville.  ^ 

'"        Trésorier.—  *M.  BERDELO,  ancien  Chu'urgien-Major  de  la  Marine, 

\  Conservateur  de  la  Bibliothèque  de  THôpital  de  la  Marine. 

■    i 

'"'■.■i^     -  O)  ^^•^  noms  den  Membres  fondateurs  sont  précédi^  d'un  astérisque. 


—  I[  — 

MEMBRES  RÉSIDANTS. 

MM. 'AIGUESPARSES,  Maître  Répétiteur  au  Lycée  Impérial. 

*ALLAIN ,  Docteur-Médecin ,  à  Lambézellec. 

'ALLANIC,  Agrégé,  Professeur  de  Logique  au  Lycée  Im- 
périal. 

*ANNER,  Adjoint-Maire,  Imprimeur. 

•AiNTOINE  (L.-C),  Sous-Ingénieur  des  Constructions  Navales. 

'AUDIBERT,  Professeur  d'Hydrographie. 

•BABILLÉ,  Architecte. 

*BELLAMY,  Notaire,  Conseiller  municipal. 

'BERDELO ,  ancien  Chirurgien -Major  de  la  Marine,  Conser- 
vateur de  la  Bibliothèque  de  THôpital  de  la  Marine. 

*BERNIER,  ancien  Chirurgien  de  la  Marine. 

BILLARD.  Avocat. 

*BIZET,  Maire ,  Conseiller  Gén^rîtl.    . 

'BLÉAS  î.  Inspecteur  des  Écolçs  primaires. 

*BLUTEL ,  premier  Commis  de  la  Direction  des  Douanes. 

*BOELLE  (A.-J.),  Ingénieur  des  Constructions  Navales. 
^  'BÔ'ÎTARD  (E.)^  Professeur  de  Sciences  à  l'École  Navale. 

•CARADEC ,  Peintre. 

'CARADEC  (Louis),  Docteur-Médecin. 

•CAR(:îAÔADEC  (DE),  Ingénieur  des  Ponts-et-Chaussées. 

•CHABAL ,  Père  ,  Pasteur  protestant. 

•CHABAL,  Fils,  Clerc  de  Notaire, 

'CLÉREC,  Aîné,  Avocat,  Juge  suppléant,  Conseiller  municipal. 

•CONSEIL,  Député  au  Corps  Législatif,  Conseiller  municipal, 
Conseiller  général. 

•CONSTANTIN,  Pharmacien. 

*CROUAN ,  Pharmacien,  Correspondant  du  Ministère  de  Tlns- 

truction  pour  les  Travaux  scientifiques. 
DANGUILLECOURT,  D.-M,,  Chirurgien-M^jor  de  la  Marine. 


—  UI  — 

MM.  "DAUVIiN  (Ad.),  D. -M.,  ancien  Chirurgien-Major  de  laMaffnfc 
•DELAPORTE  (L.),  Avocat. 

'DELAVAUD  (C.-E.),  Pharmacien-Professeur  de  la  Blarine. 
•DENIS -LAGÀRDE,  Inspecteur  de  la  Marine, 
'DE  ROBERT,  Ingénieur  des  Constructions  Navales. 
•DUBOIS  (Ed.),  Professeur  de  Sciences  à  l'École  Navale. 
•DUSEÏGNEUR,  Homme  de  Lettres. 
•DU  TEMPLE  (J.-L.-R.),  Lieutenant  de  vaisseau. 
'DUVAL  (Min.),  D.-M.,  Premier  Chirurgien  en  Chef  de  la 
Marine. 

DUVAL ,  Agent  de  Change. 
"EYMIN  ,  Commissaire  de  la  Marine. 
"FERRÉ ,  Directeur  de  la  Caisse  Commerciale. 
'FLEURY  (Ed.),  Pharmacien  derÉcplede  Paris, BibliQlhécaire- 

Archiviste  de  la  Ville. 
'FLOCH,  Pharmacien. 
"GARNAULT  (E.),  Professeur  de  Sciences  à  l'École  Navale. 

GERFAUX,  Pharmacien. 
•GESTIN  (ÏL-H.),  D.-M.,  Chirurgien-Major  de  la  Marine. 

GESTIN ,  Écrivain  du  Commissariat  de  la  Marine. 
"GOLIAS  (J.-H.-J.),  Chirurgien-Principal  de  la  Marine. 
•GOUZIEN,  ancien  Chef  d'Institution. 
*GUÈDE,  Sous-Ingénieur  des  Constructions  Navales. 
•GUICHON   DE  GRANDPONT,   Commissaire  Général  de  la 

Marine. 
•HENRY,  Ingénieur  des  Ponts-et-Chaussées.     > 
•HOUITTE,  Pharmacien. 
•HUET,  Négociant. 
•JARDIN,  Sous-Commissaire  de  la  Marine. 

JOSSET,  Commis  de  l'Administration  des  Douanes. 

JOUVEAU-DUBREUIL,  Négociant,  Conseiller  d' Arrondisse 
ment ,  Membre  de  la  Chambre  de  Commerce. 


—  IV  — 

MM.  ^KERNÉIS  (E.),  Professeur  de  Mathématiques. 
LAFAYE ,  Écrivain  de  l'Inspection  de  la  Marine. 
•LAIR  (F.),  Pharmacien. 

•LE  CHEVALIER  ,    Agrégé   des    Sciences  ,   Professeur   de 
Physique  au  Lycée  Impérial. 

"LECLERT,  (E.-A.),  Sous-Ingénieur  des  Constructions  Navales. 
•LEFÈVRE,  D.-M.,  Directeur  du  Service  de  Santé  de  la  Marine. 
•LEFOURNIER  Aîné ,  Imprimeur. 

LE  GUILLOU  DE  PÉNANROS,  Juge-suppléant  au  Tribunal  Civil 
LEMONNIER  (Ed.).  ancien  Notaire. 
•LEPETIT,  Commis  chez  le  Payeur  du  Finistère. 
'LE  PONTOIS ,  Aîné  ,  Directeur  du  Comptoir  du  Finistère. 
'LESCOP  (E.),  Greffier  des  Tribunaux  Maritimes. 
•LE  TESSIER  DE  LAUNAY.  Ingénieur  Civil. 
*LEVOT  (P.),  Conservateur   de  la    Bibliothèque    du   Port , 

Correspondant  du  Ministère  de  l'Instruction  publique  pour 

les  Travaux  historiques. 
•LIMON  y  Juge  d'instruction  au  Tribunal  Civil. 
'MARC ,  Licencié  ès-Lettres ,  Censeur  au  Lycée  ImpériaL 
•MAURIÉS ,  Sous-Bibliothécaire  de  la  Ville. 
•3IER,  Architecte. 
•MEUNIER -JOANNET,    Professeur   de   Sciences  à    FÉcoIe 

Navale. 
•MILIN ,  Écrivain  de  Comptabilité. 
'MICHEL  (0.),  Négociant. 
•MICHEL  (E.),  Négociant 
'MIRIEL,  D.-M.,  Directeur  du  Service  Sanitaire, 
•MONTJARET  DE   KERJÉGU ,  Négociant  ,   Membre    de   la 

Chambre  de  Commerce. 
•MOREAU  (Louis),  Homme  de  Lettres. 
•NOUET,  Sous-Ingénieur  des  Constructions  Navales. 
•OLLIVIER ,  Capitaine  de  frégate. 


—  V  - 

MM.  TENQUKK  ,  Docleur-Médeciii. 

•PESCHART   D'AMBLV,   Sous-fiig(5nieur  des  Consiruclions 
-  Navales. 

*PESR01\ ,  Président  de   la  Chambre  de   Commerce,  Vice- 
Consul  de  S.  Al.  B. 

*P1D0UX,  Jiige  de  Paîx,  Membre  du  Conseil  d'Arrondissement. 

•PILVEN ,  ancien  Garde-Principal  du  Génie. 

'PITTY,  Banquier. 

•PODEVIN ,  Pharmacien. 

•REYNALD  (H.),  Docleur ès-Letlres ,  Agrégé,  Professeur  de 

Rhétorique  au  Lycée  Impérial ,  Élève  de  l'École  Normale 

et  de  TÉcole  d'Athènes. 

'RIOU-KERHALET  (J.-J.-A.),  Ingénieurdes  Ponls-et-Chaussées. 
'ROCHARD  (J.-E.),  D.-M.,  second  Chirurgien  en  Chef  de  la 
Marine. 

'ROQUEPLANE,  ancien  Négociant. 

'ROSSEL ,  Sous-Agent  Comptable. 

•SARDOU,  Propriétaire. 

•SASIAS ,  (P.-P.),  Professeur  de  Sciences  à  TÉcole  Navale. 

*SAUV10N,  Licencié  ès-Sciences,  Proviseur  au  Lycée  Impérial. 

•SCHIAVETTI. BELLIENI ,  Opticien. 

•SOUMAIN  (E.),  Sous-Préfet  de  l'Arrondissement  de  Brest. 

THIBAULT,  Notaire. 
•THIVEAUX ,  Professeur  de  tenue  de  Livres. 

TOUBOULIC ,  Ingénieur  Mécanicien. 
'VAUCEL  ,  Docteur-Médecin  ,  à  Coat-ar-Guéven, 
•VERRIER,  Ingénieur  des  Ponts-et -Chaussées. 
•VINCENT  (Aristide),  Architecte. 
•VOISIN ,  Pocteur-Médecin. 
•WAILLE ,  Rédacteur  en  Chef  de  VOcéan. 
•ZÉDÉ ,  Sous-Ingénieur  des  Constructions  Navales. 


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-  X  — 

livres^  manuscrits  et  autres  objets  lui  appartenant ,  seront  remis 
à  la  Bibliothèque  publique  de  ki  Ville,  et  en  deviendront  la  pro^ 
priété^*à  moins  qu'une  «ouvelle  Société,  constituée  dans  le  cours 
des  trois  années  suivantes ,  ne  soit  considérée  par  M.  le  Maire 
comme  apte,  en  raison  de  son  but,  à  être  mise  en  possession 
de  ces  divers  objets. 

Art.  15.  —  Toute  proposition  de  modification  au  présent 
Règlement  devra  être  faile  par  écrit  et  signée  de  cinq  Membres 
au  moins.  Elle  sera  renvoyée  à  une  commission  chargée  de 
faire  dans  la  séance  annuelle  un  rapport  sur  les  diverses  pro- 
positions de  cette  nature  qui  auront  été  faites  dans  Tannée. 
Elles  seront  ensuite  discutées  dans  une  séance  spéciale ,  et  ne 
pourront  être  adoptées  que  si  elles  réunissent  les  suffrages  de 
la  majorité  absolue  des  Membres  résidants,  et  dans  le  cas  où 
cette  majorité  ne  pourrait  être  obtenue ,  celle  des  deux  tiers 
des  Membres  présents. 

Brest,  le  25  Mai  1858. 

Suivent  les  signatures  des  Membres  fondateurs. 


Nous ,  Préfet  du  Finistère,  Chevalier  de   la  Légiond*Honneur, 

Vu  le  présent  Règlement  de  la  Société  Académique  de  Brest  ; 

Vu  la  liste  des  Membres  fondateurs  de  ladite  Société  et  la  liste 
des  Membres  du  Bureau  ; 

Vu  l'avis  favorable  de  M.  le  Sous-Préfet  de  Brest ,  en  date  du 
-12  Juin  1858  ; 

Vu  l'autorisation  de  M.  le  Minisire  de  rinlérieur,  en  date  du 
-19  Juin  ^858  ; 

Vu  l'article  291  du  Code  pénal  et  le  décret  du  23  Mars  1852  ; 

AVONS  ARRÊTÉ  ET  ARRÊTONS  : 

Article  l®*".  —  La  Société  Académique  de  Brest  est  autorisé^. 


—  XI  - 

Art.  2»  —  Les  Statuts  de  ladite  Société  sont  ceux  à  la  suite 
desquels  est  inscrit  le  présent  arrêté-  ;  nul  diangement  ne  pourra 
y  être  fait  sans  être  soumis  à  Tapprobation  de  Tautorité  supé« 
ricure. 

Art.  3.  —  Toute  eipédition  de  ces  Statuts  devra  être  revêtue 
de  la  copie  du  présent  arrêté. 

Art.  4.  —  M.  le  Sous -Préfet  de  Brest  demeure  chargé  de 
l'exécution  du  présent  arrêté. 

En  Préfecture,  à  Quimper,  le  22  Juin  1858. 

LfiPréfht  dû  Finistère  9 

Signé  :  Ch«  Riciard. 


STATUTS 


ARTICLE  l«f.  —  Une  Société  est  établie  à  Brest,  sous  le  nom 
de  Société  Académique  de  Brest ,  dans  le  but  de  s'occuper  de 
travaux  scientifiques ,  littéraires  ,  artistiques  et  historiques ,  de 
ceux  surtout  qui  concernent  la  viire  de  Brest  et  le  département 
du  Finistère. 

Toute  discussion  religieuse  on  politique  est  interdite. 


—  XH  — 

Art.  2.  -f-  L»  Société  de  compose  de  Membres  résidants, 
correspondants  et  hoï^oraires*  Les  Membres  résidants  sont  ceux 
qui  habitent  Brest  ou  dans  Tarrondiâsement.  Les  Membres  cor- 
respondants sont  ceux  dont  le  domicile  est  situé  hors  de  l'arron- 
dissement.  Le3  honoraires  sont  ceui:  à  qui  la  Société  juge  con 
venable  de  conférer  ce  titre. 

,Le  B0cteur  de  l'Académie  et  Fltispecteur  départemental  sont, 
de  droit,  Membres  de  la  Société. 

Art.  3.  —  La  Société  est  administrée  par  un  Bureau  composé 
d'un  Président ,  de  deux  Vice*Présidents  ,  deux  Secrétaires ,  un 
Archiviste-Bibliothécaire  et  un  Trésorier.  Ils  sont  élus  annuelle- 
ment ,  au  scrutin  secret  et  à  la  majorité  absolue  des  suffrages. 
Le  Buri^u  fixe  Tordre  du  jour  de  toutes  les  séances. 

Art.  4,  —  Le  Bureau  est  chargé  :  -1°  de  prendre  et  d'exécuter 
les  mesures  propres  à  assurer  la  conservation  des  objets  appar- 
tenant à  la  Société  ;  2°  d'autoriser  les  dépenses  du  Trésorier, 
de  recevoir  et  d'arrêter  ses  comptes  ;  3»  de  déterminer,  après 
avoir  pris  l'avis  d'une  commission  nommée  par  lui ,  ceux  des 
travaux  de  la  Société  qui  seront  publiés;  de  passer  à  cet  effet 
les  traités  voulus  avec  les  Imprimeurs  et  Libraires,  et  de  délé- 
guer un  de  ses  Membres  pour  surveiller  les  impressions. 

Art.  5.  —  Nul  n'est  admis  dans  la  Société  que  sur  la  pré- 
sentation de  deux  Membres ,  préalablement  communiquée  au 
Bureau ,  et  portée  à  Tordre  du  jour  de  la  séance  suivante.  Tout 
candidat,  pour  être  élu,  devra  réunir  les  suffrages  des  deux  tiers 
des  Membres  présents. 

AnT.  6.  —  La  Société  a  une  séance  mensuelle  dontle  j^»r, 
le  liea  et  Theure  seront  déterminés  ultérieurement.  Elle  y  reçoit 
les  communications  qui  lui  sont  transipises,  la»  dons  qui  Ii^i 
sont  faits,  discute  les  propoi^tious  qui  lui  sont,  soumises,,  et 
entend  la  lectuie,  soit  des  mémoires  présentés  par  ses  Membres j 
soit  des  rappprta  auxquels  ili^  donnent  lieu. 


Les  conmusBions  d^examen  sont  Mmmées  par  le  Bureau. 

Art.  7.  —  H  peut  y  avoir,  chaque  année,  une  séance  publi* 
que  dont  la  Société  fixe  le  jour,  le  lieu  et  Theure.  Après  que 
Tun  des  Secrétaires  a  présenté  le  résumé  des  travaux  de  l'année, 
Il  y  est  donné  lecture  ,  en  tout  ou  en  partie  »  et  de  l'agrément 
des  auteurs,  de  ceux  de  ces  travatm  dont  le  Bureau  aura  ju^ 
la  communication  opportune. 

Art.  8.  —  La  Société ,  sur  le  rapport  du  Bureau ,  détermine 
par  un  arrêté  spécial,  le  mode  de  publication  de  ses  travaux. 
Elle  a  le  droit  de  publier ,  avec  le  consentement  des  auteurs  , 
ceux  qu'elle  a  sanctionnés  de  son  approbation. 

L'Inspecteur  déparlemental  de  l'Académie  fait  partie,  de  droit, 
du  comité  de  publication. 

Art.  9.  —  En  cas  de  dissolution  de  la  Société  ,  ou  d'inter- 
ruption de  ses  travaux  pendant  deux  années  consécutives ,  les 
livres,  manuscrits  et  autres  objets  lui  appartenant  sei'ont  réunis 
à  la  Bibliothèque  publique  de  la  Ville  ,  et  en  deviendront  la 
propriété,  à  moins  qu'une  nouvelle  Société,  constituée  dans  le 
cours  des  trois  années  suivantes ,  ne  soit  considérée  par  M.  le 
Maire  comme  apte,  en  raison  de  son  but ,  à  être  mise  en  pos* 
session  de  ces  divers  objets. 

Brest ,  le  25  Mai  1858. 

Suivent  les  signatures  des  Membres  fondateurs. 


Le  Ministre  Secrétaire  d'Etat  au  département  de  Tlnstruction 
publique  et  des  ('.ultes , 

Vu  la  demande  formée  par  la  Société  Académique  de  Brest  ; 
Vu  les  Statuts  et  le  Règlement  de  ladite  Société  ; 


~  XIV  — 

Vu  l'avis  (le  M.  le  Préfet  du  Finistère  et  celui  de  M.  le 
Recteur  de  rAcadémie  de  Rennes  ; 

Arrête  : 

La  Société  Académique  de  Brest  est  autorisée.  Les  Statuts  en^ 
sont  approuvés,  selon  la  teneur  de  la  copie  jointe  au  présent 
arrêté.  Aucune  modification  n'y  pourra  être  introduite  qu'avec 
Tagrément  du  Ministre  de  rinstrucîion  publique  et  des  Cultes^. 

Fait  à  Paris,  le  20  Janvier  4859. 

Signé  :  Roullaîcd. 
Poar  ampUstlon  : 

Le  Directeur  du  Personnel  et  du  Secrétariat  généraly 
Signé  :  RouLLANp. 


Poar  copie  eonrorme: 

Le  Sous^Préfet  de  Drest, 
Signé  :  E;  Soumaiis*. 


Pour  copie  eonrorme  : 

/-e  Préfet  du  Finistère , 
Signé  :  Cii.  Richard. 


PROCÈS -VERBAUX 


des 


SÉANCES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ACADÉMIQUE* 


MARDI,    |er  JUIN  1858. 

La  Société  constitue  son  Bureau  de  la  manière  suivante  : 
Président.  —  M.  LEVOT. 
Vice-Présidents.  —  MM.  SAUVJON  et  VERRIER. 
Secrétaires.  —  MM.  RIOU-  KERHALET  et  REYNALD. 
Bibliothécaire- Archiviste,  —  M.  FLEURY. 
Trésorier.  —  M.  BERDELO. 

LUNDI,  28  JUIN. 
Présidence  de  M.  Levot. 
^Lecture  el  adoption  du  procès-verbaL 

M.  le  Président  donne  communication  d'une  lettre  de  M.  le  Préfet 
du  Finistère  qui  approuve  les  Statuts  de  la  Société. 

Hommages  faits  à  la  Société  au  nom  de  : 

MM.  Anner  el  Du  Chatellier  :  Brest  sous  la   Terreur,  par  M. 

Du  Chatellier. 
M.   Guéraud,  Imprimeur  à  Nantes  ;  Grammaire  anglaise  de 

M.  Lalôy. 
M.  Levot  :  Essais  de  Biographie  maritime. 
MM.  Crouan  :  Travaux  d'Histoire  naturelle. 
M.  Thibault  :  Voyage  dans  fOyapock. 


-  XVI  — 

Sont  nommés  Membres  correspondants  :  MM.  DE  MONTÏFAULT, 
LEMEN,  BIZEOL,  de  Haia  ,  €UÉRÀUOî  dé  ffeptes,  LIAIS  , 
Astronome ,  JOUAN  ,  LEJOLY,  SAULNIER. 

Lecture  des  travaux  : 

Notice  de  M.  GarnauU  sur  des  notices  scientifiques  tirées  du 
I^aïUkai  Magazine  et  du  MecanieKs  Magazine. 

Pièce  de  vers  de  M.  Aiguesparses ,  intitulée  :  Rêverie. 

Rapport  de  M.  Riou-Keriialet  sur  un  mémoire  de  M.  Pilven  , 
ancien  Garde  du  Génie ,  relatif  à  l'emploi  des  miroirs  para- 
boliques et  sphériques  combinés. 

Intraduclion  à  une  Histoire  4^  lEtygiène^  par  M.  Dauvin. 

Analyse  des  premiers  travaux  de  la  Revue  germanique ,  par 
M.  Reynald.    . 

Mémoire  sur  l'organisation  de  galères  au  dix-septième  siècle , 
par  M.  Dot  tin. 

Communication  de  deux  pièces  de  vers  en  breton  sur  la  lour 
d'Azénor  et  sur  l'incendie  de  la  tour  de  la  cathédrale  de  Quimper, 
présentées  par  M.  Milin. 

LUNDI  ,  26  i»U1LL£T. 

Présidence  de  M.  Levot. 

Lecture  et  adoption  du  procès-veAal. 

Homm^^e  fait  à  la  Société  :  Nouvelles  conversations  en  breton  et 
en  français,  par  MM.  Troude  et  Milin. 

Admission  de  M.  LEGUÏLLOU  -  PÉNANROS  comme  Membre 
résidant. 

Sont  nommés  Membres  correspondaats  :  MM.  LAUGIER,  Membre 
de  rinstitul,  LE  JEAN,  PRUGNAUD,  DE  CHATEACNEUF. 


—  XVII  ~ 

Lecture  des  travaux  : 
Rapport  de  M.  Jardin  sur  plusieurs  mémoires  offerts  à  la  So- 
ciété par  MM.  Crouan,  Frères. 
Notice  sur  l'abbé  de  Choisy^  par  M.  Reyuald. 
Mémoire  de  M.  Jouan  sur  les  Baleines. 
Pièce  de  vers  sur  la  Bretagne  (première  partie),  par  M.  Mauriès. 
Fragments  d'une  Notice  sur  Vabbaye  de  LandévenneCy  par  M. 
Levot. 

LUNDI,  30  AOUT. 
Présidence  de  M.  Levot. 

Lecture  et  adoption  du  procès-verbal. 

Hommages  faits  à  la  Société  : 

Par  M,  Jouan  :  Archipel  des  Marquises. 

Par  M.  Chauvin  :  La  culture  de  la  mer  appliquée  aux  baies  du 
littoral  de  la  France. 

Par  M.  Levot  :  Notice  sur  Ijindévennec. 

Par  M.  Guichon  de  Grandpont ,  diverses  brochures  intitulées  : 
Gloriœ  Navales ,  —  Essai  sur  la  susceptibilité  du  caractère , 
considérée  comme  un  obstacle  au  bonheur ^  —  Èpitre  à  M.  Pon- 
sard  sur  sa  comédie  l'Honneur  et  l'Argent ,  —  Notions  été- 
mentaires  sur  le  Droit  administratif ,  —  Dictée  sommaire  sur 
la  Jmtice  maritime,  -^  Notions  élémentaires  sur  des  matières 
de  Droit  public  et  de  Droit  administratifs  —  Notice  sur  les 
jetons  de  la  Marine  et  des  Galères,  —  Première  note  sur  la  pêche 
de  la  morue ,  —  Germani  Brixiï  Herveus ,  sive  Chordigera 
flagrans ,  —  Histoire  merveilleuse  des  amours  d!une  pipe  et 
<Vun  compas,  par  G.  d'Henppag.— iSea//cé  publique  annuelle  de  la 
Société  des  Sciences  y  Arts  et  Lettres  du  département  du  Var 
(2d«  année.  —  -1857),  —  Le  meilleur  Conseiller  du  Peuple. 


—  xvni  — 

Admission  ,  comme  Membres  résidants  ,  de  MM.  LEMONNIER^ 
THIBAULT,  JOSSET,  TOUBOULIC ,  JOUVEAU-DUBREUfL 
et  DUVAL. 

Admission,  comme  Membres  correspondants,  de  MM.  DUVAL 
père  et  fils,  et  DU  CHATELLIER. 

Lecture  des  travaux  : 
Nouveau  fragment  de  l'ouvrage  sur  VHygiène  en  Bretagne^  de 

M.  Dauvin. 
Fragments  de  Souvenirs  d'un  Voyage  en'Océanie ,  par  M.  Jardin. 
Notice  sur  le  canon  indieu  dont  les  trois  tronçons  ornent  la  porte 
de  la  direction  d'artillerie  de  la  Marine  au  Port  de  Brest ,  par 

M.  Fleury. 
Première  partie  d'un  travail  sur  le  peintre  Charlet,  par  M.  Levot. 


LUNDI,  25  OCTOBRE. 
Présidence  de  M.  Levot. 

Lecture  et  adoption  du  procès -verbal. 

Hommages  faits  à  la  Société  : 
Cours  d Astronomie ,  par  M.  Dubois. 
Poème  sur  le  rétablissement  de  la  statue  du  roi  Grallon^  par 

M.  Duseigneur. 
Baronie  du  Pont-VAbbé^  par  M.  Du  Chatellier. 
Jeanne  dArCy  poème  épique,  par  M.  Duval,  père. 
Mémoire  sur  les  buanderies  ,  par  M.  Verrier. 

Admission ,  comme  Membres  résidants ,  de  MM.  GODEFROY  et 
GERFAUX  ;  et  comme  Membre  correspondant,  de  M.  LOUDUN, 
Sous-Bibliotbécaire  à  la  Bibliothèque  de  TArsenal ,  à  Pans* 


—  XIX  — 

M.  Gourbebaisse,  Sous-Ingénieur  des  constructions  navales ,  Mem- 
bre résidant,  appelé  à  continuer  ses  services  au  port  de 
Cherbourg,  demande  à  passer  dans  la  classe  des  correspon- 
dants. Cette  demande  est  accueillie  à  Tunanimité  par  la  Société, 
qui  décide ,  à  cette  occasion ,  que  tout  Membre  résidant  qui 
quittera  Brest  ou  Tarrondissement  ,  deviendra ,  de  droit , 
Membre  correspondant ,  sur  sa  demande. 

M.  le  Président  donne  lecture  de  deux  lettres ,  Tune  de  M.  le 
Sous-Préfet  de  Farrondissement ,  l'autre  de  M.  le  Maire  de 
Brest,  annonçant  que  S.  Exe.  M.  le  Ministre  de  l'Instruction 
publique  et  des  Cultes  est  disposé  à  patroner  la  Société, 
à  la  condition  que  ses  Statuts  »  dans  ce  qu'ils  ont  de  fonda- 
mental, lui  seront  soumis ,  et  que  MM.  le  Recteur  de  l'Acadé- 
mie de  Rennes  et  l'Inspecteur  de  l'Académie ,  à  Quimper, 
feront  de  droit  partie  de  la  Société ,  et  ce  dernier,  du  Comité 
de  publication. 

La  Société,  sur  la  proposition  du  Bureau,  accepte  avec  gratitude 
le  patronage  de  M.  le  Ministre,  et  charge  le  Bureau  de  soumettre 
les  Statuts  à  sou  approbation. 

M.  le  Président  donne  ensuite  communication  d'une  circulaire 
de  M.  le  Ministre  de  l'Instruction  publique  et  des  Cultes ,  en 
date  du  26  août  i  858 ,  par  laquelle  il  fait  appel  au  zèle  des 
Sociétés  savantes  et  des  Membres  correspondants  du  Comité  des 
travaux  historiques  et  des  Sociétés  savantes^  pour  qu'avec  leur 
concours  collectif  et  isolé  il  puisse  être  fhit  un  Dictionnaire 
géographique  de  la  France,  dont  il  trace  le  plan,  et  qui,  dans 
sa  pensée,  deviendrait  un  monument  d'érudition  nationale 
dont  la  France  entière  serait  fondée  à  s'enorgueillir ,  et  que  les 
savants  consulteraient  aussi  utilement  que  le  Glossaire  de 
Ducange  et  VArt  de  vérifier  les  dates. 


—  XX  - 

Lecture  des  travaux  : 
Résumé  des  rencontres  des  flottes  anglaises  et  françaises,  de 

■1740  à  -1815,   par  M.   Dauvin. 
Pièce  de  vers  sur  la  Bretagne  (première  et  deuxième  parties), 

par  M.  Mauriès. 
Attaque  de  Caviar  et  par  les  Anglais  en  -1594  ,  et  fortifications 

de  Brest ,  par  M.  Levot. 
Une  bonne  action  du  grand  Corneille ,  et  TAne  et  le  Moulin , 

pièces  de  vers ,  par  M,  Clérec. 


LUNDI,  29  NOVEMBRE. 
Présidence  de  M,  Saumon. 

Lecture  et  adoption  du  procès-verbaL 
Lecture  des  travaux  : 
Discussion   sur  les  fortifications  de  Brest,  entre  Mal.  Dau^ 

vin ,  Levot  et  Pilven. 
Note  sur  des  recherches  faites  à  Sainte  '  Anne ,  et  ayant  pour 
objet  la  découverte  d'une  forêt  sous -marineyii^r  M.  Delavaud. 
La  Mort  de  Pétrarque,  pièce  devers,  par  M.  Aigues-Sparses. 
Observations  de  M.  Reynald  sur  le  caractère  de  ce  poète. 

LUNDI ,  27  DÉCEMBRE. 
Présidence  de  M.  Levot. 

Lecture  et  adoption  du  procès-verbal. 
Lecture  des  travaux  : 

Mémoire  sur  les  origines  bretonnes  et  H ancienne  géographie  du 
Finistère ,  par  M.  Duseigneur. 


-  XXI  — 

Première  partie  d'une  Notice  historique  sur  la  formation  de  la 

Bibliothèque  de  Brest,  par  M.  Fleury. 
IJ archipel  Hawaïen ,  par  M.  Jouan. 
Mémoire  de  M.  Mauriès  sur  Pétrarque ,  ses  amours  avec  Laure 

et  le  mérite  de  sa  poésie. 
Réponse  de  M.  Reynald. 

LUNDI,  31    JANVIER    |859. 

Présidence  de  il.  Levât. 

Lecture  et  adoption  du  procès-verbal. 

M.  Touboulic  fait  hommage  à  la  Société  d'un  Tableau  statistique 
du  département  du  Finistère. 

Admission,  comme  Membres  résidants,  de  MM.  GESTIN  et  DAN- 
GUILLECOURT. 

Lecture  des  travaux  : 
IS^otice  sur  la  Bibliothèque  de  la  ville  de  Brest,  par  M.  Fleury 

(deuxième  partie). 
Pièce  de  vers  sur  Sébastopol,  par  M.  Duseigneur. 
Biographie  de  Jonathan  Swift  (première  partie),  par  M.  Rejuald. 
Descente  des  Anglais  à  Camaret ,  par  M.  Levot. 

LUNDI,  28  FÉVRIER. 
Présidence  de  M.  Levot. 

Lecture  et  adoption  du  procès-verbal. 
Nomination  d'une  Commission  de  Statistique  (^). 

(1)  Cette  Commission  se  compose  de  MM.  Limon,  Pilven ,  Sardon , 
Duseigneur  et  Penquer,  auxquels  ont  été  adjoints  successivement  MM. 
Garnault,  Sasias,  Delavaud,  Miiin ,  Gouzien  et  Michel. 


-  XXII  - 

Commuuicalion  d'un  arrêté  de  M.  le  Ministre  de  Tlnslruction 
publique  du  20  Janvier  -1859,  qui  accorde  son  patronage  à  la 
Société.  Conformément  au  vœu  de  M.  le  Ministre,  la  Société 
déclare  que  M.  le  Recteur  de  l'Académie  de  Rennes  fait  de 
droit  partie  de  la  Société,  et  que  M.  Flnspecteur  d'Académie, 
résidant  à  Quimper,  fait  partie  ,  au  môme  titre ,  du  Comité  de 
publication. 

Lecture  des  travaux  : 

Pièce  de  vers  de  M.  Aiguës- Sparses,  sur  PlougasteL 

Analyse  critique  du  livre  de  M.  Micbelel  :  V  Amour ^  par  M.  Chabal. 

Mémoire  sur  Vair  atmosphérique ,  par  M.  Caradec. 

Fragments  d'une  Biographie  de  Swift,  par  M.  Reynald. 

Notice,  par  M.  Fleury,  sur  la  découverte,  à  Becouvrance,  d'une 
plaque  en  plomb  portant  les  armes  du  comte  d^Estrées ,  et 
rappelant  la  date  de  la  fondation  de  l'hôpital  bâti  à  Recou- 
vrance  en  i  696. 

LUNDI,  26  Mars. 
Présidence  de  M.  Levot. 

Lecture  et  adoption  du  procès-verbal. 

M.  Chassaniol ,  second  Médecin  en  chef  de  la  Marine ,  Membre 
résidant ,  qui  va  continuer  ses  services  au  Sénégal ,  passe  , 
sur  sa  demande ,  dans  la  classe  des  correspondants ,  confor- 
mément à  la  décision  de  la  Société  du  28  octobre  -1859. 

Admission  ,  comme  Membre  correspondant ,  de  M.  CUZENT, 
Pharmacien  de  la  Marine. 

Nomination  d'une  commission  chargée  de  déterminer  les  matières 
qui  composeront  le  premier  cahier  du  Bulletin  dont  la  Société 
arrête  la  publication.  Elle  se  compose  de  MM.  Allain,  Crouan, 
Duseigneur,  Chabal  et  Bellamy. 


M.  le  Président  fait  connaître  les  mesures  prises  par  M.  le  Ministre 
de  rinslruction  publique  et  des  Cultes  pour  relier  entre  elles 
les  différentes  Sociétés  des  départements,  au  moyen  de  la  Revue 
des  Sociétés  savantes  des  départements^  publié  sous  les  auspi- 
ces de  Son  Exe.  Il  analyse  ensuite  le  dernier  cahier  de  cette 
Revue^  et  fait  ressortir  la  large  part  que  la  Bretagne  a  prise , 
depuis  deux  ans  ,  au  mouvement  historique ,  littéraire  et  scien- 
tifique du  pays. 

Hommages  faits  à  la  Société  : 

Notice  sur  les  végétais  de  Taiti  (imprimée  à  Taïti),  par  M.  Ouzent. 
La  Croisade  au  dix^neuvième  siècle  ».  par  M.  Rousseau ,  offert 

par  M.  Du  Temple. 
Cours  de  navigation  pratique  ,  par  M    Boitard. 

Lecture  des  travaux  : 

Mémoire  sur  le  Capital  et  le  Traraily  par  M.  Du  Temple. 
Mémoire  de  M.  Cuzent  sur  Tatti ,  les  produits  de  cette  île  et 

les  avantages  que  pourraient  en  retirer  le  commerce  et  [a 

marine. 
Mémoire  de  M,  Mauriès  sur  l* Influence  des  Livres, 

LUNDI,  25  AVRIL. 
Présidence  de  M.  Levot. 

Lecture  et  adoption  du  procès-verbal. 

Hommages  faits  à  la  Société  : 

Mémoire  sur  les  Baleines  et  les  Cachalots ,  par  M.  Jouan. 
Bulletin  de  la  Société  d'Agriculture ,  par  M.  Duseigneur. 
Premiers  essais  (poésie),  par  M.  Gestin ,  ^  vol.  petit  in-S». 
Le  Véloposte ,  brochure ,  par  M.  Touboulic. 


—  XXIV  — 

MM.  LÂFAYE  et  MICHEL  (0.),  sont  admis  comme  Membres  rési- 
dants. 

M.  le  Président ,  à  Toccasion  du  dernier  numéro  de  la  Revue 
des  Sociétés  savantes  des  départements,  contenant  le  spécimen 
d'un  Répertoire  archéologique  de  la  France  projeté  par  M.  le 
Ministre  de  Tlnstruclion  publique  sur  un  plan  analogue  à  celui 
du  Dictionnaire  géographique,  invite  les  Membres  de  la  Société 
à  concourir  à  ces  travaux. 

Lecture  des  travaux  : 
Note  sur  les  iles^fihinchas  et  le  guano ,  par  M    Jouan. 
La  Marine  française  et    le   Port  de  Brest  sous  Richelieu  et 
Mazarin ,  fragment  historique ,  par  M.  Levot. 

LUNDI  ,  30  MAI. 

Présidence  de  M.  Levot. 

Lecture  et  adoption  du  procès-verbal. 

Hommages  faits  à  la  Société  : 
Rapport  sur  Vincinération  du  warech ,  par  M.  Duseigneur. 

Les  deux  Propriétaires  (poésie),  par  Auguste  Galimard. 

Rapports  faits  à  la  Société  d'encouragement  pour  ^industrie 
nationale  et  à  la  chambre  de  commerce  de  Lyon  ,  sur  la  créa-- 
tion  d'un  Musée  d'art  et  d'industrie  dans  cette  ville ,  par  la 
Société  d'encouragement. 

M.  le  Président  donne  lecture  d'une  lettre  de  M.  le  Ministre  de 
rinstruction  publique ,  demandant  le  concours  de  toutes  les 
Sociétés  savantes ,  pour  l'exécution  d'un  travail  archéologique 
sur  la  France ,  travail  analogue  à  celui  qui  a  pour  titre  : 
Dictionnaire  géographique  de  la  France. 


-  XXY  — 

Lecture  des  travaux  : 

M.  Du  Temple  lit ,  sous  le  titre  de  :  Mémoire  légué  par  un 
habitant  de  la  planète  de  Vénus ,  un  travail  sur  la  nature 
de  Dieu ,  son  essence ,  ses  attributs  et  l'avenir  que  réserve 
aux  hommes  riramortaKté  de  Fàme. 

M.  Fleury  donne  lecture  d'une  Notice  historique  sur  Céglise 
des  Carmes.  Il  retrace  toutes  les  vidssitudes  de  cette  église, 
enlevée,  puis  rendue  au  culte,  érigée  enfin  en  paroisse; 

M.  le  Président  lit  une  pièce  de  vers  intitulée  :  Vision  ,  par 
M.  Duval ,  fils  y  membre  correspondant  à  Quimper. 

LUNDI,  27  JUIN   IZW. 
Présidence  de  M.  Levât. 

Lecture  et  adoption  du  procès-verbal  de  la  séance  précédente. 

Nomination  d'une  commission  chargée  d'examiner  la  proposition 
faite  par  le  Bureau  de  réviser  l'article  4  des  Statuts  et  S  du 
Règlement.  (MM.  Glérec,  aine,  Du  Temple,  Chabal,  fils.) 

Dépouillement  du  scrutin  pour  l'élection  du  Bureau. 
Sont  élus  à  la  majorité  des  suffrages  : 

Président  :  M.  LEVOT. 
Vice-Présidents  :  MM.  SAUVION  et  VERRIER. 
Secrétaires:  MM.  RIOU - KERHALET  et  REYNALD, 
Bibliothécaire-  Archiviste  :  M.  FLEURY. 
Trésorier  :  M.  BERDELO. 

LUNDI,  25  JUILLET. 
Présidence  de  M.  Levot. 

Lecture  et  adoption  du  procès-verbaU 


-  XXVI  — 

M.  Du  Temple ,  rapporteur  de  la  commission  nommée  dans  la 
précédente  séance ,  conclut  à  remplacer  Tarticle  4  des  Statuts 
et  8  du  Règlement  par  le  suivant  qui ,  après  discussion  ,  est 
adopté  par  la  Société  : 

«  Article.  —  Le  Bureau  est  chargé  :  -I*  de  prendre  et  d'exécuter 
les  mesures  propres  à  assurer  la  conservation  des  objets 
appartenant  à  la  Société  ;  2*  d'autoriser  les  dépenses  du 
Trésorier,  de  recevoir  et  d'arrêter  ses  comptes;  Z*  de  déter- 
miner, concurremment  avec  une  commission  de  sept  membres 
nommée  par  la  Société ,  ceux  des  travaux  qui  seront  publiés. 
Le  Bureau  passera  seul,  à  cet  effet,  les  traités  voulus  avec  les 
imprimeurs  et  libraires ,  fixera  le  nombre  de  feuilles  de 
chaque  livraison  ou  volume  du  recueil,  et  déléguera  un  de 
ses  Membres  pour  en  surveiller  l'impression.  » 
Cette  modification  sera  soumise  à  l'approbation  de  S.  Exe. 
M.  le  Ministre  de  l'Instruction  publique  et  des  cultes  ,  ainsi 
qu*à  celle  de  M.  le  Préfet  du  Finistère. 

Lecture  des  travaux  : 

Compte-rendu  des  travaux  de  la  Société  Académique  pendant 

l'année  ^858H859,  par  M.  Beynald,  l'un  des  Secrétaires. 
Souvenirs ,  poésie  par  M.  0.  de  Lafaye. 

Sur  la  demande  de  M.  Dauvin,  la  Société  décide  qu^une  seconde 
lecture  du  compte  -  rendu  par  M.  Beynald  ,  sera  donnée  dans 
une  séance  qui  sera  publique  et  qui  reste  provisoirement  fixée 
au  dernier  lundi  d'octobre. 

LUNDI ,  26  SEPTEMBRE. 

Présidence  de  M.  Levât. 

Lecture  et  adoption  du  procès-verbal. 
Hommages  faits  à  la  Société  : 
Par  M.  Duseigneur  :  Les  Ducs  Bretons  (poème)* 


~  XXVII  — 

Par  M.  Loudun,  membre  correspondant  :  4®  De  t influence  des 
idées  anglaises  et  germaniques  en  France  ;  2<>  Le  Salon  de 
•1855;  3<>  Ettide  sur  les  œuvres  de  Napoléon  III, 

Par  M.  Levol  :  Deux  notices  biographiques ,  Tune  sur  le  mitre- 
amiral  de  Kerguelen ,  Tautre  sur  Véron  de  Forbonnais  et  sa 
famille. 

M.  le  Président  annonce  la  prochaine  distribution  du  premier 
cahier  du  Bulletin  de  la  Société  Académique,  dont  l'impression 
est  terminée,  et  demande  ensuite,  au  nom  du  Bureau,  que 
l'époque  de  la  séance  publique  annoncée  pour  le  mois  d*octobre, 
reste  indéterminée  jusqu'à  ce  que  le  Bureau  [fossa  connaître 
qu'il  est  en  mesure  d'y  faire  face. 

Cette  proposition  est  mise  aux  voix  et  adoptée. 

L'élection  des  Membres  formant  le  comité  de  publication  est 
renvoyée  à  la  séance  suivante. 

Lecture  des  travaux: 

Magenta,  poésie  de  M.  Mauriès ,  lue  par'  M.  Glérec, 
Moyen  d'éviter  les  collisions  en  mer^  note  de  M.  Aristide  Vincent, 

lue  par  M.  Verrier. 
La  maison  de  r Espion,  à  Lanninon,  près  de  Recouvrance  , 
par  M.  Levot. 

4.UNDI,  31  OCTOBRE. 
Présidence  de  M.  Levol. 

Lecture  et  adoption  du  procès- verbal. 

Ouverture  du  scrutin  :  -l*»  pour  l'élection  d'un  Secrétaire  en 
remplacement  de  M.  Beynald ,  appelé  à  Limoges  ;  2°  pour 
l'élection  de  sept  membres  du  comité  de  publication. 


-  XXVIH  — 

M.  le  Président  donne  connaissance  à  la  Société  du  rapport  pré- 

^   sente  par  le  comité   des  Sociétés  savantes  de  France  sur  le 

Dictionnaire  géographique   et  le    Dictionnaire  archéologique^ 

dont   M.    le   lliiînistre    de   Tlnstruction   publique  engage   les 

Sociétés  des  départements  à  s'occuper. 

M.  le  Président  annonce  la  prochaine  réunion  de  la  commission 
de  statistique;  sur  sa  demande,  M.  Pidoux  est  admis  à  en 
faire  partie. 

Lecture  de  travaux  : 

Notices  historiques  et  biographiques  sur  les  capitaines  du  châ- 
teau de  Brest  pendant  le  moyen  âge  et  toute  la  domination 
anglaise,^  par  M.  Fleury. 

Dépouillement  du  scrutin.  Sont  élus  : 

Secrétaire,  M.  CHABAL,  fils. 

Membres  du  comité  de  publication  :  MM.  BELLAMY,  ALLANIC, 

DUSEïGNEUR,  GOUZIEN,   DENIS  -  UGARDE ,  CLÉREC  el 

PENQUER. 

LUNDI,  28  NOVEMBRE. 
Présidence  de  M.  Saumon  y  vice-président» 

Lecture  et  adoption  du  procès  verbal. 

Lecture  d'une  lettre  de  S.  Exe.  M.  le  Ministre  de  l'Instruction 
publique ,  accusant  réception  des  deux  exemplaires  du  premier 
Bulletin  de  la  Société,  et  lui  adressant  les  premiers  spécimens 
du  Dictionnaire  historique. 

Lecture  de  lettres  de  M.  le  Maire  de  Brest,  de  M.  le  Recteur 
de  l'Académie  de  Rennes,  de  M.  le  Préfet  du  Finistère  remer- 
ciant de  renvoi  du  Bulletin. 


— -XXIX  — 

M.  le  Président  de  la  Société  Académique  des  Côtes-du-Nord 
accepte  la  proposition  d*un  échange  de.  Bulletin  entre  les  deux 
Sociétés. 

M.  le  Président  fait  connaître  les  autres  Académies  auxquelles  le 
Bulletin  a  été  adressé. 

Admission,  comme  Membres  correspondants,  de  MM.  RICHARD, 
Préfet  du  Finistère,  REYNALD,  DELAVAUD. 

Lecture  des  travaux  : 
Mathurin  le  Barde  aveugle,  traduction  d'une  poésie  en  bas* 

breton,  jointe  au  texte  original,  par  M.  Milin. 
Dans  le  doute  y  abstiens -toi ,  cbarade  proverbe  en  vers,  par 

M.  0.  de  Lafaye. 
Notice  historique  sur  Alexandre  Gordon  ^   dit   V Espion,  par 
M.  Levot. 

LUNDI,  26  DÉCEMBRE. 

Présidence  de  M.  Levot. 

Lecture  et  adoption  du  procès- verbal. 

Hommage  fait  à  la  Société  : 
Annales  de  la  Société  Académique  de  Nantes  et  de  la  Loire" 
Inférieure. 

Lecture  d'une  lettre  de  M^^  FEvêque  de  Quimper  et  Léon ,  qui 
remercie  de  renvoi  du  Bulletin,  et  regrette  de  ne  pouvoir  offrir 
à  la  Société  un  concours  aussi  actif  et  aussi  dévoué  qu'il  le 
souhaiterait. 

Admission,  comme  Membre  résidant»  de  M.  HÊTET,  pharmacien 
professeur  de  la  Marine. 

Lecture  des  travaux  : 
Etude  sur  la  Ligue  m  Bfetagne^  par  M.  Duseigneur. 
Traduction  littérale  en  vers  des  deux  psaumes  de  David  :  In 
exitu  Israël.,,  et  Cœli  enarrant,,.  par  M.  (ïlérec,  aîné. 


—  XXX  — 

LUNDI,  30  JANVIER   1860. 
Présidence  de  M.  LevoL 

Lecture  et  adoption  da  procès-verbal. 

Hommages  faits  à  la  Société  : 
Mémoires  de  la  Société  Archéologique  de  Touraine. 
Mémoires  de  la  Société  Impériale  cT Emulation  d'Abbeville. 

Admission ,  comme  Membres  correspondants ,  de  MM.  CARIOU, 
officier  de  santé,  à  Guîpavas,  et  DÉ  COURCY,  archéologue, 
a  Saint-Pôl-de-Léon. 

Lecture  des  travaux  : 
Extrait  (Tune  Notice  de  M.  Cariou  sur  la  commum  de  KersainU 

Plabennec ,  lu  par  M.  Fleury. 
Note  sur  une  monnaie  romaine  trouvée  près  de  Lanntlis ,  par 

M.  Denis-Lagarde. 
Notice  sur  Alexandre  Gordon^  dit  t Espion  (suite),  par  M.  Levot. 

LUNDI,   27  FÉVRIER. 
Présidence  de  M.  Levot. 

Lecture  et  adoption  du  procès-verbal. 
Hommages  faits  à  la  Société  : 

Le  Brigand  de  la  Carnouaille ,  roman  historique,  par  M,  Louis 

Moreau. 
Mémoires  de  la  Société  de  Caen. 
Note  sur  les  îles  basses  et  les  rétifs  du  grand  Océan  ^  Note 

sttr  les  poissons  de  mer,  obsetrés  à  Cherbourg,  en  -1858   et 

^859,  par  M.  Jouan. 


—  XXXI  - 

Lecture  ;  4^  d'une  lettre  de  M.  Cariou,  où  il  remercie  la  Société 
de  ravoir  admis  au  nombre  de  ses  correspondants ,  et  lui 
promet  son  concours  ;  2^  d'une  lettre  de  M.  le  Maire  de 
Brest  qui,  informé  par  le  Bureau  de  la  découverte  d'une 
pierre  tumulaire  remontant  à  une  haute  antiquité  ,  adhère 
à  la  demande  qu'il  lui  a  faite  de  créer  un  Musée  archéologique 
et  artistique,  auquel  sera  provisoirement  afiècté  le  vestibule 
de  la  Bibliothèque  communale. 

M.  Fleury  donne  la  description  de  celte  pierre  tumulaire  dont 
M.  Yignioboul  a  fait  don  à  la  Société,  et  conclut  à  ce  qu'une 
commission  soit  nommée  pour  en  déchiffrer  et  interpréter  Tins- 
cription.  La  Société  charge  le  Bureau  de  former  cette  commis- 
sion et  de  transmettre  à  M.  Yignioboul  ses  vifs  remerciements. 

Lecture  des  travaux  :  *  *  , 

Compte -rendu  des  ouvragées   littéraires  offerts   à  la  Société 

Académique  de  Brest  ^  depuis  sa  fondation  {V  juin  -1858) 
jtisqu'au  V*  janvier  4860  ,  par  M.  P.  Çhabal. 

Le  Chemin  de  la  Croix ,  poésie ,  par  M.  Guichon  de  Grand» 
pont ,  lue  par  M.  Du  Temple. 

LUNDI,  26  MARS. 
Présidence  de  M.   Levot. 

liCcture  et  adoption  du  procès-verbal. 

Hommages  faits  à  la  Société  : 
Bulletin  de  la  Société  Archéologique  du  Morbihan. 
Catalogue  des  Monuments  historiques  du  Morbihan. 

M.  le  Président  apprend  à  la  Société  que  M.  Rouilly  vient  de  lui 
faire  don  d'un  débris  de  statue  présumé  représenter  la  tête 
de  la  duchesse  Anne. 


—  xxxu  — 

La  Société  vole  des  remerciements  à  M.  Rouilly. 

M.  le  Président  annonce  la  publication  prochaine  d'une  nouvelle 
livraison  du  Bulletin  de  la  Soùiélé  Académique, 

Lecture  des  travaux  : 

V aumône  d'une  Reine  et  Terre  et  Ciel,  par  M.  Aigues-Sparses  ; 

Le  fou  et  ses  médecins  ,   par  M.  Clérec ,  poésies   lues  par 

M.  Levot. 
Notice  sur  C église  de  Noire-Dame-du-Rûn ,  en  Guipavas  ,  par 

M.  Caripu,  lue  par  M.  Fleury. 
La  Sorcière ,  La  Villa ,  poésies  par  M.  de  Lafaye. 
Notice  sur  Alexandre  Gordon  dit  P Espion  (suite),  par  M,  Levot. 


LUNDI ,   30  AVRIL. 
Présidence  de  M.  Levot. 

Lecture  et  adoption  du  procès-verbal. 
Hommages  faits  à  la  Société  : 

•|o  Bulletin  de  la  Société  des  Sciences^  Belles-Lettres  et  Arts 

du  département  du  Var. 
2°  Annales  de  la  Société  Académique  de  Nantes. 
3«  Poèmes   d^Ossian,  par  Macpherson  ;  l'Equilibre  financier^ 

brochure  de  M.  E.  de  Girardin,  donnés  par  M.  Pitty,  aîné. 

Lecture  des  travaux  ; 

-1^  Note  sur  l* Eclipse  du  U  juillet  ^860,  par  M.  Dubois. 
2»  L'Espion  (suite  et  fin),  par  M.  Levot. 


$ 


-xxxiii—    •       -  "v 


LUNDI.  4  JUIN   1660. 
Présidence  de  SI.  Levêt. 

Lecture  et  adoption  du  procès  verbal. 
Hommageà  faits  à  la  Société  : 

Annuaire  de  Vlnstitui  des  Provinces  (1866)., 

Bulletin  de  la  Société  Archéologique  du  Morbihan  (1858). 

Frécis  analytique  des  Travaux  de  f  Académie  impériale  des 
Sciences,  Belles-Lettres  et  Arts  de  Rouen  (4858-59). 

La  politique  de  la  Paix. 
Lecture  des  travaux  : 

Étude  critique  sur  la  Légende  des  Siècles ,  de  Victor  Hugo , 
par  M.  Duseîgneur. 

Rapport  sur  une  pierre  tombale  de  Landévennec^  par  M.  Clérec. 

LUNDI,  2^5  JUIN. 
Présidence  de  M.  Levot. 

Lecture  et  adoption  du  procès-verbaL  * 

Hommage  fait  à  la  Société  : 

Cours  de  Machines  à  vapeur  fait  à  Brest  aux  mécaniciens  de  la 
Marine ,  par  M.  Du  Temple. 

Proposition  de  M.  Ânner  de  mettre  chaque  année  une  question  au 
concours,  et  de  décerner  une  médaille  à  Fauteur  du  meilleur 
ouvrage  sur  la  question  proposée.  Renvoi  au  Bureau. 

Exposition  de  la  situation  financière  de  la  Société,  par  M.  Berdelo, 
trésorier. 


'     —  XXXIV  — 

Admission ,  en  qualité  de  Membres  résidants ,  de  MM.  UZEL, 
B^IIRDÀIS,  DU  SEIN  et  CERF,  et  en  qualité  de  Membre 
correspondant,  de  M.  LE  CHANTEUR  DE  PONTAUMONT. 

Élection  des  Membres  du  Bureau  : 

Président  :  M.  LEVOT. 
Vice-Présidents:  MM.  SAUVION  et  VERRIER. 
.    ^  Secrétaires^  MM.  DIJJBOIS  et  CHABAL. 

Bibliothécaire' Archiviste  :  ,M.  FLEURY. 
Trésorier  :  M.  BERDELO. 

?  LUNDI ,  30  JUILLET. 

Présidence  de  M.  Levot. 

Lecture  et  adoption  du  procès  verbal. 
Hommage  fait  à  la  Société  : 
OTaïti^  par  M.  Cuzent. 
Lecture  des  travaux  : 

Rapport  de  M.  Hétet  sur  Touvrage  de  M.  Cuzent. 
Hevue  scientifique  du  mois ,  par  M.  Dubois. 
Étude  critique  sur  la  Légende  des  Siècles  (suite  et  fin),  par 
M.  Duseîgneur. 

Admission  de  M.  PERRIER ,  Consul  de  S.  M.  Britannique  ,  en 
qualité  de  Membre  résidant. 

lIjMDI  ,  3  SEPTEMBRE. 
Présidence  de  M.  Levot., 
Lecture  et  adoption  du  procès- verbal. 


4 

• 


--  XXXV  — 


Hommages  faits  à  la  Société  : 

Traiié  pratique  de  la  résistance  des  matériaux ,  par  K  Jules 

Boùrdais. 
Médication  par  le  raisin ,  du  docteur  Hersio  ,  de  Mz. 
Poésies ,  par  M.  Jacques  Pernaud.  *  *  " 

Dons  au  Musée  archéologique  : 
Sceau  de  Saint-Gouesnou ,  par  M.  Dubois,  élève   du  collège 
de  Quiraper.  .  ^  * 

Plaque  en  plomb ,  trouvée  à  Thôpitai  4e  Recouvraqce  ,  repré- 
sentant les  armes  du  maréchal  d'EstréeS)  oi^rte  par  M.  Corrc.  ^ 

Lecture  des  travaux  :  . , 

Observations  astronomiques  pendant  l' Éclipse  du  AS  juillet/ 

par  M.  Dubois. 
M.  Clérec  lit  un  travail  présenté  par  M.  Lescour,  de  Morlaîx, 
sur  la  Chapelle  du  Folgoet  de  Landévenncc.  M.  Clérec  réfute 
ensuite  les  opinions  de  M.  Lescour. 
Admission ,  en  qualité  de  Membres  résidants ,  de  MM.  HÉLIÊS 
et  RICHAUI). 

LUNDI ,   24  SEPTEMBRE. 

Présidence  de  M.  Levot.  ^ 

Lecture  et  adoption  du  procès-verbal. 

Hommages  faits  à  la  Société  :  ^ 
Bulletin  de  la  Société  d'Agriculture  de  Brest  (4859).  » 

Recueil  des  Actes  de  la  Commission  des  Arts  et  Monuments  de  la 

Charente-Inférieure.  , 

Travaux  de  la  Société  d'Agriculture ,  mÊles* Lettres ,  Sciences 

et  Arts  de  Rochefort. 
Bulletin  de  lœ  Société  Archéologique  du  Morbihan  HS^9). 
notice  sur  quelques   espèces  d'algues  marines  de  la  rade  de 

Brest  ^  par  MM.  Crouan,  frères. 


—  XXXYI  — 

Don  au  tfusée  archéologique  : 

Un  Cachet  avec  une  inscription  anglaise^  offert  par  M.  Dubois, 
élève  du  collège  de  Quimper. 

Lecture  des  travaux  :  #f         -. 

Note  sur  son  Traité  de  la  résistance  des  matériaux,  par  M.  Jules 

liourdais. 
Réponse  de  M.  Levot  à  la  réfutation  de  M.  Clérec ,  lue  dans  la 

dernière  séance ,  et  à  une  Notice  siur  Notre-Dame  du  Fplgoët , 

par  MM.  de  Courcy. 
Récit  d'une  excursion  dans  les  environs  de  Brest,  par  M.  Fleury. 

admission,  comme  Membres   résidants ,  de    MM.  PRINCEAU  , 
REMQUET,  DONEAUD  et  BOUYER. 

LUNDI,  29  OCTOBRE. 
Présidence  de  Jtf.  levot. 

Lecture  et  adoption  du  procès-verbal. 
Lecture  des  travaux  : 

*  lîevue  scientifique  du  mois  de  septembre ,  par  M.  Dubois. 
Poésies  ^.maritimes ,  par  M.  Bouyer. 

•  Excursion  dans  les  environs  de  Brest  (suite  et  fin),  par  M.  Fleury. 

Adnmsion,  comme  Membre  correspondant,  de  M.  LESCOUR. 

LUNDI,  26  NOVEMBRE. 
Présidence  de  M.  Levot. 

Lecture  et  adoption  du  procès-verbal. 

Communication  verbale  de  M.  Du  Temple  sur  le  Carburateur 
Lrfebvre. 


—  XXXVII  — 

Hommages  faits  à  la  Société  : 

Recueil  des  publications  de  la  Société  hàvraise  (4859). 
Notice  géographique   sur  le   département    du    Finistère ,    par 
M.  Duscigneur. 

Ouvrages  donnés  par  M.  Guéraud  : 

-fo  Volume  de  poésies,  intitulé  :  Flux  et  Reflux^  par  M.  le 

comte  de  Saint-Jean  ;  ^ 

2°  La  petite  géographie  de  la  Loire-Inférieure  ;    v  ^ 

3*  Notice  sur  l'abbé  Gaignardj    extraite  des   Annales  de  la 

Société  Académique  de  Nantes  (4860)  ; 
6^  Une  brochure  intitulée  :  Le  capitaine  Renaud  et  VAustria  ; 
5»  Catalogue  du  Musée  de  Nantes  et  Bulletin  de  la  Société 

Archéologique  de  Nantes  et  de  la  Loire  -  Inférieure  (1859 

et  4860). 

Lecture  des  travaux  : 
Le  Terrorisme  en  Bretagne  ;  par  M.  Clérec ,  aîné. 

A  propos  de  ce  travail ,  M.  le  Président  fait  connattre  à  la  Société 
que  M.  Le  Guillou-Pénanros  a  remis  au  Bureau  un  ouvrage  sur 
le  même  sujet,  et  que  lecture  en  sera  faite  à  la  prochaine  séance. 

Fin  de  la  réponse  de  M.  Levot  à  MM.  Clérec  et  de  Coudii^ 


-♦»•« 


PRIX 

A  DÉCERNER  EN  1863. 


La  Société  Académique  a  décidé  qu'une  médaille  d'or  de 
300  francs,  ou  sa  valeur,  serait  décernée  en  1863  à  l'auleur  du 
meilleur  travail  ayant  pour  obj^t  : 

Le  Finistère  au  point  de  vue  slalisliquej  historique^  géogra- 
phique,  archéologique^  industriel^  commercial  y  etc.^  etc. 

Les  concurrents  auroni.la  facilité  A^  traiter  une  ou  plusieurs 
parties  de  la  question ,  à  leur  choix.  La  Société  ,  sur  le  rapport 
de  la  commission  d'ex«imen  qui  sera  nommée  à  cet  effet ,  adju- 
gera le  prix  à  celui  des  mémoires  qui  lui  semblera  mériter  la 
préférence,  quel  que  soit  le  sujet  traité.  Des  mentions  honorables 
pourront  aussi  être  accordées. 

Les  mémoires  présentés  devront  réunir  les  conditions  suivantes  : 

•|o  Être  écrits  en  français  ; 

2o  Être  parvenus  francs  de  port  au  secrétariat  de  la  Society 
(Bibliothèque  communale  de  la  ville)  avant  le  \^^  janvier  4863, 
terme  de  rigueur  ; 


-^  XXXIX  — 

30  Ils  ne  devront  ni  ôtrç  signés  de  leurs  auteurs,"  ni  être 
accompagnés  d'aucune  indication  qui  puisse  les  faire  connaître. 
Ils  porteront  seulement  one  épigraphe  qui  sera  répétée  Sur  un 
billet  cacheté  ,  annexé  au  mémoire  auquel  elle  se  rapportera  ; 
ce  billet  contiendra  en  outre  le  nom  ,  l'adresse  de  Tauteuf,  et 
la  déclaration  que  son  mémoire  est  inédit,  qu'il  n*a  jamais 
concouru  et  n'a  été  communiqué  à  aucune  Société  Académique. 

Les  billets  cachetés  ne  seront  ouverts  que  dans  le  cas  où  les 
pièces  auxquelles  ils  seraient  joints  auraient  obtenu,  soit  la 
médaille ,  soit  une  mention  honorable* 

Ne  pourront  concourir  les  travaux  publiés  antérieurement  au 
•l«f  avril  ^861. 

Sont  admis  à  concourir,  les  étrangers  et  les  régnicoles,  même 
ceux  de  ces  derniers  qui  appartiendraient  à  la  Société  à  titre 
de  membres  résidants  ou  correspondants. 


PRÉFACE 


La  (fréadôB^hioé  Société  Académique  Ji  Brest  n'est  pas  un 
fait  nouveau.  Celte  Vnie  possédait  au  18^  siècle  une  Académie 
de  Alarine  qui  s^est  honorée  par  de  nombreux  et  sérieux  tra- 
vaux. Telle  était  la  considération  justement  accordée  2i  celle 
savante  Compagnie  que  ses  Membres  avaient  obtenu  de  TAca- 
démie  des  Sciences  les  privilèges  de  Membres  correspondabts. 
C'était  Ta  sans  douté  une  tradition  bonne  Tx  continuer,  et  nn 
héritage  qu'il  fallait  ne  pas  laisser  périr  faute  d'héritiers.  Le 
patriotisme  local  n'y  était  pas  seul  intéressé  ;  le  mouvement 
im))riri)é  aux  études  historiques,  et  la  place  de  plus  en  plus 
importante  a^e  TArchéologie  se  feit  de  nos  jour^  dans  ta  ' 
science  ,  commandaient  cette  tentative.  Si  notre  siècle  doit 
\k  rbistoirë  ses  plifs  boatix  titres  littérarrcs,  on  ne  peut  con- 
tester que  dans  cette  science  même,  il  ne  se  soit  accompli 
depuis  quelques  années  une  importante  révolution.  Il  y  a 
quarante  ans,  une  école  hardie  et  impatiente  d'appliquer  an 
présent  les  leçons  du  passé,  étudiait  de  préférence  les  grands 
faits  de  l'humanité  ,  et  essayait  de  les  grouper  dans  des  systè* 
mes  ingénieux  et  élevés.  Mais  ihoîns  curieuse  peut-êlre  des  faits 
eux-mêmes  que  des  conclusions  qu'elle  voulait  en  tirer,  elle 


-_  2  

j^'altachait  surtout  b  la  philosophie  de  l'histoire.  En  ce  moment 
il  semble  que  le  goât  des  idées  générales  diminue.  Ces  grands 
systèmes  ont  élé  un  peu  abandonnés  ,  et  soit  que  ces  théories 
aient  été  compromises  par  les  évènemens ,  soit  qu'elles  aient 
paru  souvent  reposer  sur Jcles^bases.  peu  solides,  Tétude  ^es 
détails  a  succédé  li  celle  des  systèmes.  La  France  est  aujour- 
d'hui  couverte,  nous  dirons  presque  envahie  par  de  patients  et 
intrépides  investigateurs  qui  remuent  les  archives ,  soulèvent 
les  pierres ,  inspectent  le  sol ,  interrogent  les  ruines  et  recueil- 
lent avec  un  pieux  empressement  tous  les  souvenirs  que  le 
tempsvD'a ^as *eiap^r^  iç|fa(;ç3i. .PartoiU,^ 
sav^qf(Bs.,9ui ,  ,,chaçgéesi,4e  feclfçr^ef.  ^s  jti;îMli^ly)nsi^./fjC^ 
res^uspiiept  J'hisU}i^e -dp  çh^qu^^.^^^ 

D'aufrçs ,  Sociétés,  s^iay).osçpj^j  .uiiej,jçi3s/j^ajj^4? 
vouant,  [Jps,^j^rUculjèrejpsiep^,^ 

culUyjÇjQ^.,a,^cc^no%ipoi(j^  d^  s^ccè3-,,J^o^çs,.a.Yaiw»f  4fP«4f  A? 
mêi[na^ei\c))ijfj3geyçnl^^  .au;  rfléipejajppi^i  -  q;ie,./fes  ii^oQajliôasi,, 
s'oqcupj|{)J^^de  ^Ir^y^iix,  .|ï)5lqrjifl^^  >^l  ^^héçitegiqq^.j^Aos^,, 
1^.  ,js-  ^jnj^rç^jde  ,i;i;nfiruçlioa  .pî^jique,,  flan^i;^}?^,  spIJiiîUjti^., 
pour,t9jf|l.çç^  ^ui  ,cç;n}i;j|)ae  ^.déyç^pjgr,  i;eAseD(ij)l§j,(lu  mounn 
vemej5^^ite%ç^ugj^  ,les  j^-l^l  rç|evçeS;^^  r^pèçc,^^,  d^J^^Sn 
^^^hj  fci;  %vaieûl^^é^,j^a|^Bée3  ,.4usq^^^^        fltf^(r:.par  :,»PP- 
arrêlp  ^H^?^  féyrjer^.)l.^;^i^:,il  e<i,t.adjqiaf  J^,|l'ancieB|.,i:o»f*W/ 
des  j^pmt^^jpi^torjgue^  uqe  fjeftipn^^^aai.fl(jujr  jnjss^  ^r,, 
ci^le,  dg  d(|p)[}er  aij^ijétjidçs  ^^çieptiflq4es^^|jri?,.le§  (^parteiiïfiQ|£i 
unç  îj^puIs)oii  ^iléjaire  eJt^ratîoi>ii^|le  ,,,  analogie  Ji.  cell^  qjûi 
s'e«çeçç^t,  déjà  sur  \^$  iriavsiux.pliilqlogiqïjiiq?  ^.^^hîstoriqi^es  e< 
archjéolo^iqu^s. 

Les  éludes  Jocalçs  ne  sciaient  pa^  s9{)s;a/ili/^,{iQém;^i  si  ell^^tr 
restaient  isoIéçsK^  m^ais  la  bienvçiI1a[i)cc  vjigil^Qfp  (|^  S|^&|f^  ^ 


—  3    - 

'Pftisirtfaîdh  piîWiqtfé'feàrMt^'atoiiië  'une  bicft* "plus* 'grande 
Mphriùïée  fkv'titjfMim  Sû^^  SÎkiitis  iaimes, 

qni'ifeWè'enirè' elles  tëulfe  fék  S<*ftt?téi^plafHèii  sur  leh  pttnis 
lès  plus^loîgnëa?  de  la  Prtmce,  et  léè' ratthctfcî;  cbthifle'îi  on 
Vifentrëîcbtfamnè,  au^  «femrfiJ'^dw'lï^âti^^  )it'de$ 

»o<?/«S  iwrWi/w;' ftésoHfeaîi"  Ife^faî»  tt(î(iVéailx*^a«JiHs  S  la 
«Senèe  seront  àmsfiK*,  la  'piiblfeîl#*qin"lerfr  'maitquair  ïcur 
sefra'èflerlë,'  Vés  feflbrti' IsbIftV'cotemef*  léS' tiliMÏWlio'niMgMlec- 
fiTe*,  aè*r(Kkl'«flg6  ël'  éntfdbrâgéîir*  W  ceîiitrâlisàU^  'ki  la 
décentralisation  marcheront  parallèlement  et  se  rcndrotff  de 
mulnels  services. 

Brest  ne  devait  pas  rester  étranger  h  un  mouvement  qui 
intéresse  tous  les  esprits  animés  de  quelque  zèle  pour  Tétude 
et  pour  rhonneur  de  leur  pays.  Cette  ville  qui ,  destinée  k 
grandir  encore ,  est  déjà  le  Port  le  plus  considérable  de  la 
France  sur  TOcéan,  possède  dans  la  Marine  et  dans  les  corps 
savants  qui  s'y  rattachent,  tous  les  éléments  d'une  Société 
capable  de  sérieux  travaux.  Elle  compte  en  outre,  comme 
toutes  les  grandes  villes,  en  dehors  du  corps  enseignant,  un 
certain  nombre  d'hommes  qui  aimeni  TéUide  ^  la  cultivent 
pour  elle-même,  et  ont  saisi  avec  empressement  cette  occa- 
^on  de  mettre  en  commun  leurs  connaissances  et  de  les 
développer.  L'entreprise  a  réussi  ;  la  Société  n'existe  que 
depuis  quelques  mois,  et  les  travaux  qu'elle  a  déjà  produits 
suffiraient  pour  justifier  son  existence. 

Le  recueil  que  nous  publions  aujourd'hui  est  destiné  à 
donner  une  idée  de  ces  études.  Les  procès-verbaux  mention- 
nent tous  les  mémoires  lus  en  séance  publique  et  les  hom- 
mages offerts  à  la  Société.  On  y  verra  que  les  Lettres  , 
l'Histoire ,  l'Archéologie^  les  Sciences ,  ont  été  cultivées  avec 


^  4  - 

uDe  égale  ardeur.  Les  quelques  travaux  qu'il  nous  a  été 
permis  de  publier  eu,  çptjier  repiçpduisent  celle  diversiié.  Ceci 
à  ce  tiue  que  nous  les  avous^  qboisis.  Biep^ôt  ils  seront  suivU 
par  d'autres  qui  se  trouverout  dans  les  mêmes  coudiiioos. 
Seulement ,  nous  nous  attacherons  a  faire  la  part  de  plus  en 
plus  large  aux  études  qui  concerneront  plus  ^cialemeot  ia 
Bretagne  et  le  Finistère.  Il  y  a  I2i  uoe  mine  féconde  en 
recherches  intéressantes,  et  c'est  surtout  ^  encourager  de 
semblables  efforts  que  doit  s'attacher  la  Société  Académique 
de  Brest. 


LA  MARINE  FRANÇAISE 


BT 


LE  PORT  DE  BREST 


sous 


RICHELIEU  ET  HAZAHIN 


A  Richelieu  était  réaervée  la  gloire  de  réaliser  bk  pen&ée  qui 
avait  tant  préoccupé  Henri  IV  pendant  les  deiipièriçs.unnéeç  de 
sa  vie.  Le  souvenir  des  hupiiJiation^  ^ue  ce.  Pr^e  a\(iit  été  réduit 
à  dévorer  nç  le  portait  pas  seul  à., créer  une  Marine  qui. en  prér 
vînt  le  retour.  Il  avait  de  soa  c6lé  , apprécié  les  gfaves  ioeonvé- 
nients  résultant  de  l'absence,  d'une  force  maritiine.pern^eQte  et 
hiérarchiquement  or^nisée*  Au  commencement  de  ^625,  le  succès 
momentané  de  Spuhise  contre  Vile  de  Ré  et  le  Blavet  l'avait 
obUgé  a  envoyer  en  toute  h&te  M*  de  laForest  en  Hollande, 
pour  y  acheter  six  navires  et  en  fréter  six  autres.  Le  besoin  était 
si  urgent  que  l'envoyé  était  porteur  d'une  lettre  de  change  de 
trois  cent  mille  écus,  qu'il  devait  payer  immédiatement. 


—  6  - 

Le  Hoi,  craignant  que  M.  de  la  Forest  ne  réussit  pas^ 
fut  dans  une  grande  anxiété  jusqu'à  ce  qu'il  eût  appris  qu'au, 
lieu  de  Ali  vendis  ^u  louer  douze  vafeséaux^  lès  RonandààM 
eu  pueraient  vingt  et  lui  rendaient  sa  lettre  de  change.  En 
4627,  rile  de  Ré  étant  serrée  de  près  par  les  Anglais  ,  Riche- 
lieu ,  pour  la  secourir ,  n'eut  d'autre  ressource  que  de  faiw 
eberclier  à  Rayonne  seize  pinasses  dont  l'armement  et  l'appro- 
visionnement l'obligèrent  à  un  emprunt  garanti  sur  ses  propres 
meubles.  Peii  s'cil  felliit  que  eé  secours  li'^nvèt  *pfe  *•  temps 
pour  ravitailler  la  place,  qui  alors  serait  tombée  au  pouvonr 
des  Anglais. 

L'absence  de  vaisseaux  avait  pour  principale  cause  Torganfeation 
informe  du  simulacre  de  Marine  que  possédait  alors  la  France, 
divisée  en  trois  ^  atidrsulés  :  telles  de  filtétagne',  ^e  Guyenne  et 
de  Provence ,  indépendantes  et  rivales  les  unes  des  autres.  Les 
titulaires  de  ces  offices  ne  s'en  servaient  que  peur  tenir  en  échec 
l'autorité  royale  et  lui  faire  acheter  leur  concours  ,  leur  inac- 
tion même.  Le  grand  Ministre  qui  devait  extirper  les  derniers 
fronçons  de  la  féodalité  sur  terre ,  n'aurait  pas  été  conséquent 
s'il  avait  laissé  subsister  ces  grands  vasseaux  de  la  mer  dont  la 
puissance  edft  été  ùti**obéftacîé"â  Id  réalisation  de  ses  projets.' De- 
eiè  côté  dori'è",  îl  'y  éfvùit 'àii^ôi  %  c'eritraliser  te  pouvbir  dans  les 
Mains  de  celui  qtfiiewZ  était  capable ,  par  sd  conàuîté  incompa- 
table  \  de  talïntf  le$' ténù  et  dé  téduirè  U  mer  à  une  b'ofiace 
peffétuell&.  (Cotlect.'  de' Saint-Germain^  n<<^46.)  Cest  ce  que 
firent  les  'lettres  ptitétites  du  îhdi^d'oétôbi'é '4626,  par  lesquelles 
Louis  XlB,*apré«  avoir  ibôlt  les  kniiMùtéà  existantes,  ou  acheté 
la  démission   d)e  ceurt  qiil  éd  étaient  pôùn^us,  conféra  à  son 
Hitatetre  le  titre  d!é  'Ottoâ-MaUi'c  et  SûVintendadt  de  la  Marine 
et  de  la  Na\%atîon  ^  titre  qui  lui  attribuait  une  autorité  absolue 
sur  tout  ce 'quieenacernaît  la  Marine,  ou  plutôt  lui  donnait  le 
droit  d*en  créer  tine.  Ce  premier  pas  fiait ,  Rich^elieu  convoifiua 


—  7  — 

immé4iatenient.  J|ç^  potabjes,  et  dans  leur  b^g^^^u  %  idécembee. 
^026  ,^  le  GArde-des^eajifx  |ianiUac  leur.içxpçM^  a4i89l:v|e3  vuea. 
du  CardioaMllD|6tre  :  ^^ 

«  Vous  ayez  à  ti;availler  sur.  l'établis^ment  ^\i  commise, 
comme  au  plus  propre  moyen,  d'enrichir  1|Ç,  p.eup)0,et  dç  réparer 
él'honneur  de  la  France. 

»  Cest  chose  digae  dç  compassion  oi^  d  mdig.Q^tiQn  .fie  voir  ,  la 
léthargie  «n  laquelle  nous  avons,  vécu  ^depuis  plusieurj^  années, 

^»  Nosyoisias  nous  assujéfissept  à^topte^,  jes  ri|;ueur8  de  l^r^i 
lôix  ;  ils  ^donnent  le  prix  à  nos  denrées  et  nous,, obligent,  de 
prendre  les  leurs  à  tellq  condition  qu'il, leur  plaît, ^JLes  pirales 
et  les  Turcs  el  autres  déguisés  en  Turcs,  viennent  ravager  nos 
eétes,  enlever  les  sujets  au  Roi  captifs  en  Barbarie,  perdant 
leur  liberté,  leur  fortune,  et  la  plupart  leur  foi ,  par  les  tour- 
ments et  les  miàères^  qu'ils  souffrent  parmi  les  infldèles  :  ils  vous 
ôtent  la  pèche  des  morues  aux  Terres-Neuves ,  et  par  l'aide  de 
plusieurs  de  v^s  voisins,  .on  a  déjli  retran^étle  beaucoup  la 
poche  aux  harengs  ;  jon  vous  a  été  celle  des  baleines  au  Spfls* 
b«iigue.y.  et  peu.  à  peu  ee  qui  j'este  à  la  France  se  perdra  ,  si 
nouademearons  davantage  en  cet  endormissement  ;  en  quoi  nous 
sonunea  d'autant  |>lus  blâmables  que  nous  avons  dans-  le  royaume 
toutes  les  commodités  nécessaires  pour  nous  nendre  forts  '  sur 
la  mer..;  jusque-là  même  q«e.nous  en  fournissons  à jh>s  voisins 
el  avons  encore,  par  les  dispo^tibns  de  la  nature,  des  avantages 
tds<que.]^us^  pouvons  assujettir  tous  nos  vœsins  et  les  faire 
dépendre  de  jao^iis..: 

•  Npus  avons  les  grands  bois  et  Ip  fer  pour,  la  construdion 
des  vaisseaux  ;  les  toiles  et .  les  cbanyres  pour  [es  voiles  et  cor-, 
dages,r|(^ont  nous.fi^uriaissons  toutes  les  provinces  Moisinjos.  Nous 
4ivo^,tQais  les  fournissements  pour,  les  .)>iscuit8 ,  le  vin,  le 
cidr^^^^a  })i^rve^^]es  ^atçlo^s  ^t  les  mariniej^  en  abond^ineet 
qui,  pour  n'être  îjpas.i  epiploy^,.  par  nou9„  vont    servie  .  .nos  i 


—  8  - 

voisins.  Nous  avons  les  meilleurs  ports  déTKurope,  et  ce  qui 
est  grandement  remarquable,  nous  tenons  la  clef  de  toutes  les 
navigations  de  TEst  à  TOuest ,  et  du  Sud  au  Nord. 

•  Je  ne  parle  pas  de  là  conjonction  de  la  Saône  et  Seine, 
qui  se  peut  faire  facilement,  qui  ôte  à  TEspagne  toutes  les 
commodités  du  commerce ,  facilitant  le  chemin  du  Levant  pour 
la  Frahce,  et  ôtant  la  sujétion  de  passer  le  détroit  de  Gibraltar, 
de  sorte  que  toutes  les  commodités  du  Levant  et  de  la  Mer 
Méditerranée  seroient  plutôt  et  plus  facilement  à  l'extrémité  de 
la  France  qu'à  l'entrée  de  FËspagne ,  et  rendrions  la  France  le 
dépôt  commun  de  tout  le  commerce  de  la  terre. 

»  Je  n'y  veux pasj  ajouter  Ja .CQipmuuicAtipïi  4e  Saône  et  Loire, 
quoique  facile  ,  pour  ne  fonder  de  discours  sur  des  desseins 
de  longue  exécution';  mais  je  parlei:£(i  seuleùiei^t  des  choses  qui 
sont  de  la  situation  naturelle  de  ce  royaume-  .  ; 

•  L'Espagne  ne  peut  trafiquer  en  Italie  ni  en  quelque  endroit 
de  la  mer  Méditerranée  ^  ni  Tltalie  et  les  autres  lieux  en  Espagne, 
qu'ils  ne  passent  à  la  vue  et  sous  la  couleu?vrine-des  feles  des 
Prçiven^,  etpourtraflquer  de$côles  d'Afrique,  en  Flaadre,^  en  Ho*^ 
lande ,  .e^  une  partie  d'Angleterre  ,  en  Ecosse .  en  Dànemare, 
aux  villes  anséatiq^es  et  aulresendrottcts  du  Septent^^ion,  ou  de  ces 
lieux  en  Espagne  fj.auir^s  endroiots  du  Sud,  il  fao^  que  les 
vai^caux  passent  le  ras  SaiiH^Mlthé^,-  à  la  miséricorde  de  nos 
canons  y  et  par  la  Manche,  de  laquelle  il  ne  tient  qu'à  dous 
que  nous  ne  nous  rendions  maîtres  avec  peu  de  difficulté. 

1  Toutes  ces  considérations  que  M;  te  Cardmdl  de'  Richelieu  a 
rejM'esentées  au  Roi-  entre  les  grands  ,  honorables  et  généreux 
conseils  qû'îk'kii  doniïe  ^î  ont  fait  résoudre  Sa  Majesté  de  mettre 
à  bon  escient  la  main  au  commerce ,  et  lie  perdre  les  occa- 
sions d'agrandir  son  Etat  d'honneur  et  de  puissance,  dont  il  vous 
fera^  représenter  les  articles  sur  lesquels  H  attend  vos  advis.  » 


—  9  — 

Cette  (mrtie  de  la  harangue  de  Marillac  n'était  que  la  fidèle 
expression  du  sentiment  public ,  exposé  dans  un  écrit  anonyme 
qui  venait  d'être  publié  sous  le  titre  de  :  Àdvis  à  rassemblée  de 
MM.  les  notables  sur  l'ouverture  des  Etats,  (Paris,  4626,  in-8«.) 
Après  avoir  exprimé  le  vœu  que  le  commerce  maritime  fût  favo- 
risé par  rabaissement  des  droits  sur  les  marchandises  importées 
en  France,  Fauteur  s'exprimait  ainsi  :  •  Messieurs ,  prenez  occa- 
sion sur  ce  sujet  de  représenter  au  Roi  qu'il  est  obligé ,  pour 
h  grandeur  et  réputation  de  son  Etat,  de  rétablir  le  commerce. 
  cela  il  y  a  deux  choses  à  faire  :  premièrement ,  à  purger  cette 
vermine  d*offlcier$  qui  volent  tout  le  monde  ;  ils  ont  été  créés 
pour  la  sûreté  du  commerce  »  et  néanmoins  ils  ne  servent  véri-^ 
tablement  qu'à  piller  nos  marchands  et  à  décrier  nos  ports. 
Deux  commissaires  envoyés  sur  les  lieux  avec  pouvoir  de  faire 
et  parfaire  le  procès  à  ces  gens-là  suffiroient  pour  y  remédier. 
En  outre,  il  faut  instituer  un  ordre  général  pour  la  navigation. 
N'est-ce  pas  une  honte  qu'en  SOO  lieues  de  côtes  ,  il  ne  se 
trouve  pas  vingt  vaisseaux  françois  ?  Et  néanmoins ,  s'il  vous 
platt  d'y  mettre  la  main ,  nous  serons  en  peu  de  temps  mattres 
de  la  mer,  et  ferons  la  loi  à  ces  insulaires  qui  usurpent  ce  titre. 
Nous  avons  sans  comparaison  plus  de  havres  qu'eux ,  plus  de 
bols  qu'eux  et  meilleur  pour  bÀlir  des  navires  ;  plus  de  matelots , 
puisqu'ils  ne  se  savent  en  leurs  voyages  que  de  nos  Biscayens, 
de  nos  Bretons  ou  Nonnands.  Les  toiles,  les  cordes,  les  cidres, 
Itô  vins ,  les  chairs  salées ,  les  équipages  nécessaires  se  pren- 
nent sur  nos  terres. 

»  Il  ne  reste  plus  que  de  donner  la  forme  à  ce  dessein,  la  ma- 
.tière  n'ei^  que  trop  ample.  En  void  un  projet  ;  servez-vous  en 
si  vous  n'en  trouvez  point  de  meilleur  :  il  ne  m'importe  pas , 
pourvu  que  la  chose  se  fasse  et  que  le  public  y  profite.  Que  le 
Roi  par  Edît  ordonne. qu'en  chacune  ville  capitale  de  ses  pro- 
tiaeeS)  les^marchindSr  feront  une  compagnie  pouir  la  na\igation 

I 


-  10  - 

sur  le  modèle  d'Amsterdam,  et  équiperont  certain  nombre  de 
vaisseaux  dans  les  ports  les  plus  proches  et  les  plus  commodes  ; 
et  pour  les  inciter  davantage,  qu'on  leur  accorde  de  grands 
privilèges,  comme  entre  autres  qu*on  rabatte  le  dixième  des 
impositions  aux  navires  François  qui  entreront  et  sortiront  sans 
fraude  de  nos  ports ,  et  qu'il  soit  défendu  à  peine  de  corps  et 
de  biens,  à  nos  mariniers,  d'aller  servir  les  étrangers.  En  peu 
de  temps,  vous  ferez  une  flotte  innomhrsdûe  et  couvrirez  la 
mer  de  voiles ,  et  vous  employerez  quantité  de  jeune  noblesse 
qui  demeure  inutile  et  qui  s'abâtardit.  » 

Quel  était  l'auteur  de  ces  fières  et  nobles  paroles  ?  Était-ce 
Richelieu  lui-même,  ^u  les  avail-il  seulement  inspirées?  L'une 
ou  l'autre  de  ces  suppositions  n'a  rien  que  de  très  naturel,  quand 
on  compare  VAdvis  au  Mémoire  touchant  la  Marine,  qu'il  adressa 
le  ^a  Novembre  -1626  au  Garde-des-Sccaux  Marillac ,  mémoire 
destiné  à  servir  de  canevas  au  discours  que  ce  dernier  devait 
prononcer  le  2  Décembre  suivant  devant  les  notables.  Dans 
VAdvis  ci  dans  le  Mémoire,  mômes  pensées,  même  style.  Sous 
l'impression  de  la  nouvelle  que  les  Anglais  venaient  de  capturer 
sur  nos  côtes  des  vaisseaux  marchands  normands  dont  la  car- 
gaison  valait  un  million ,  Richelieu  avait  écrit  à  Marillac  :  c  Ça 
esté  jusqu'à  présent  une  grande  honte  que  le  Roy^  qui  est  l'aisné 
de  tous  les  roys  chrétiens  ayt  esté  en  ce  qui  est  de  la  puissance 
de  la  mer,  inférieur  aux  moindres  princes  de  la  chrestienté.  Sa 
Majesté  voyant  le  mal  qui  en  arrivoit  à  son  royaume  et  à  ses 
sujets  s'est  résolue  d'y  mettre  ordre  en  se  rendant  aussy  puissante 
en  mer  comme  elle  Test  en  terre^  »  Et  pour  mettre  les  faits  en 
harmonie  avec  les  paroles,  il  annonçait  la  résolution  où  était  le 
Roi  dé  consacrer  chaque  année  une  somme  de  -1,500,000  livies 
à  l'armement  et  à  l'entretien  ^e  30  vaisseaux  de  guerfCi 

Marillac ,  dans  sa  harangue ,  n'avait  pas  reproduit  toute  la 
vigueur  et  de  YAdvi$>  et  du  pr<^t  de  discfturg.  Auôsi  Rich^Ueu 


-  H  — 

craignit-il  un  moment  de  ne  pas  obtenir  des  notables  tout  ce 
qu*il  désirait.  Son  appréhension  était  mal  fondée.  Le  désir  d'avoir 
enfin  une  Marine  à  tout  prix ,  était  aussi  ardent  qu'unanime  en 
France.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'exposé  qu'il  fit  lui-même  de  ses 
plans  et  le  mouvement  qu'il  se  donna  comme  il  nous  l'apprend 
dans  ses  mémoires  (Livre  XYIII,  p.  256-262),  ne  furent  pas 
sans  influence  sur  l'assemblée  ,  qui  consigna  dans  ses  cahiers 
le  vœu  suivant  :  «  L'assemblée  remercie  Sa  Majesté  de  l'inten- 
tion où  elle  est  de  vouloir  rendre  à  ce  royaume  les  trésors  de 
la  mer  que  la  nature  lui  a  si  libéralement  offerts,  et  la  supplie 
de  continuer  une  entreprise  si  importante  par  rétablissement 
d'une  flotte  de  45  vaisseaux  de  guerre,  d'y  destiner  un  fonds 
annuel  de  4 ,200,000  livres ,  d'entretenir  un  nombre  de  galères 
suffisant  ;  qu'il  ne  soit  fait  aucun  divertissement  sur  ce  fonds , 
étant  assez  notaBle  que  le  moindre  retardement  peut  détruire 
en  un  moment  ce  que  l'on  auroit  établi  avec  beaucoup  de  temps, 
de  peines  et  de  dépenses ,  etc.  » 

L'idée  de  créer  au  plus  tôt  une  Marine  dominait  tellement 
tous  les  esprits,  que  l'évéque  de  Chartres  accompagna  des  paroles 
suivantes  la  remise  qu'une  députation  de  l'assemblée  alla  faire 
entre  les  mains  du  Roi  des  cahiers  contenant  ses  vœux  et  ses 
doléances  :  «  On  ne  peut  pas,  sans  la  mer,  ni  profiter  de  la  paix, 
ni  soutenir  la  guerre.  (Février  -1627.) 

Il  y  avait  urgence  d'agir.  Elle  était  telle  que  Richelieu  avait 
commencé  ses  préparatifs  avant  la  séparation  des  notables,  avant 
môme  leur  réunion.  Par  des  lettres  du  ^««'  et  du  6  décembre 
^  626 ,- adressées  au  Havre  à  Isaac  de  Razilli,  premier  capitaine 
de  la  Marine  du  Ponant ,  il  lui  avait  annoncé  l'envoi  immédiat 
d'une  somme  de  -12,000  livres  et  l'expédition  prochaine  de  celle 
de  6,000  livres ,  pour  qu'il  les  employât  l'une  et  l'autre  à  la 
construction  de  42  vaisseaux  -,  et  après  avoir  ajouté  qu'il  envoyait 
M.  de  Beaulieu  en  Bretagne  pour  qu'il  fît  travailler  de  son  côté 


-  42  — 

aux  voiles  et  aux  cordages  dont  les  vaisseaux  auraient  besoin , 
il  exprimait  ie  désir  que  le  capitaine  Claude  de  Razilli,  aussit(H 
que  les  constructions  du  Havre  seraient  terminées  ,  revint  à  Paris , 
«  parce  que ,  disait-il ,  j'ay  toujours  besoing  d'avoir  auprès  de 
moy  quelqu*un  qui  m'instruise  aux  choses  de  la  mer.  • 

Et  quels  précepteurs  se  donnait  ce  grand  Ministre  ?  Disons  un 
mot  des  principaux  d'entre  eux^  pour  nous  faire  une  idée  du 
tact  qu'il  mettait  dans  le  choix  de?  hommes  appelés  à  réaliser 
et  à  féconder  ses  desseins. 

Gaude  de  Razilli,  capitaine  de  vaisseau  en  4626,  ensuite 
Vice -^ Amiral,  et  son  frère  Isaae  ,  plus  tard  Chef  d'escadre  et 
lieutenant  pour  le  Roi  en  la  Nouvelle  France,  étaient  des  hommes 
rompus  au  métier. de  la  mer.  Richelieu  les  consultait  sur  tout 
ce  qu'il  entreprenait ,  et  ils  ne  lui  épargnaient  pas  leurs  avis , 
ainsi  qu'on  peut  le  voir  dans  un  mémoire  manuscrit  qu'fsaac 
lui  adressait  le  26  Novembre  -1626,  mémoire  fort  curieux  •  rédigé, 
disait  son  auteur,  selon  la  pratique  que  j'ay  acquise  dans  le3 
cinq  parties  du  monde,  • 

Beaulieu  (Augustin)  né  à  Rouen  en  4589 ,  mort  à  Toulon  en 
4637»  commanda  à  vingt-trois  ans  un  vaisseau  dans  l'expédition 
de  Briqueviile  à  la  côte  d'Afrique.  En  4616,  il  s'attacha  à  la  cora* 
pagnie  des  Indes  qui  venait  de  se  former,  concourut  à  diverses 
expéditions  qu'elle  entreprit ,  et  participa  plus  tard  au  siège  de 
la  Rochelle  ainsi  qu'à  la  prise  des  Iles  Sainte  -  Marguerite.  Ce 
n'était  pas  seulement  un  officier  brave  ;  il  était  un  constructeur 
expérimenté,  ei  possédait ,  pour  le  temps ,  de  grandes  connais* 
sances  nautiques  attestées  par  la  Relation  de  ses  voyages  dans 
les  Indes j  insérée  en  4664  dans  le  recueil  de  Thévenot,  et  dont 
l'abbé  Prévost  a  donné  un  ample  extrait,  p.  347-342,  du  tome 
IX  de  son  Histoire  générale  des  Voyages. 

Manty  (Théodore  de),  l'un  des  plus  grajods  hommes  de  mer 
que  la  Provence  ait  produits  à  la  fin  du  XVI*  siècle  et  au  eom* 


-  là  - 

mencement  da  XVII^  avait  mérité  par  le  courage  et  l'habileté 
quil  avait  déployés  en  maintes  circonstances,  d'être  fait,  eu  I620| 
Vice-Amiral  du  Levant.  Ses  services  au  siège  de  la  Rochellei 
ainsi  que  dans  les  missions  dont  le  chargea  Richelieu ,  confir* 
mèrent  la  justice  de  cette  haute  distinction. 

Philippe  Lonviltiers  de  Potncy,  que  nous  retrouverons  en  -1035, 
commandant  la  Marine  à  Brest,  était  né  en  4581  d'une  famille 
du  comté  de  Ponthieu.  Entré  dans  Tordre  de  Malte  en  ^603,  il 
y  fut  pourvu  de  trois  coiumanderies  ,  prix  de  ses  services  sur 
les  galères  de  Tordre.  Depuis  ^612,  il  était  Chef  d'escadre  et 
Commandant  des  vaisseaux  du  Roi  en  Bretagne.  Richelieu  le 
nomma ,  eu  4^38 ,  Lieutenant-Cénéral  aux  lies  d'Amérique.  De 
nouvelles  provisions  qui  lui  furent  expédiées  en  1651,  lui  con« 
férèrent  les  fonctions  de  Gouveroeur  Général  de  toutes  les  lies 
de  TAmérkfue ,  terres  et  confins  en  dépendant.  Sa  famille  se 
fixa  aux  colonies,  où  sa  petite  nièce  Rose  Claire  I>esvergers  de 
Sanois  de  Maupertuy  épousa  M.  Joseph  Gaspard  Tascber  de  la 
Pagerle ,  de  qui  elle  eut  TImpératrice  Joséphine. 

Le  commandeur  Desgouttes  ne  déparait  pas  cette  pléiade.  C'était 
un  ancien  général  des  galères  de  Tordre  de  Malte ,  qui  s'était 
distingué  et  devait  encore  se  distinguer  dans  plusieurs  occasions  ; 
son  mérite  et  ses  qualités  lui  avaieal  coucilié  la  confiance  absolue 
et  môme  Taffedkm  du  Cardinal ,  qui ,  dans  ses  toomens  de 
Jovialité ,  1  appelait  le  Père  de  la  mer. 

Yoiià  les  lu)mfiies  sur  lesquels  s'appuyait  Richelieu.  Ne  soyons 
donc  pas  siurpris  qu'avec  de  tels  auxiliaires  son  génie  ait  produit 
de.  si  grandes  choses.  11  subordonnait  leurs  missions  à  la  dlver* 
site  de  leurs  aptitudes.  Celle  de  Beaulieu  ne  s'appKquait  pas  à  une 
simple  confection  de  gréànecA.  Il  était  chargé  de  surveiller, 
conjointement  avec  Manty  et  Poincy,  la  construction  de  30 
vaisseaux  qui  devaient  être  faits  dans  les  ports  de  Bretagne , 
en  bois  du  pays.  Resté  seul    ses  deux  coopérateurs  étant  allés 


-  14  - 

prendre  le  commandement  des  vaisseaux  rassemblés  au  Blavet, 
Beaulieu  recevait  lettres  sur  lettres  du  Cardinal ,  qui  redoublait 
d'activité  et  de  prévoyance ,  tant  il  redoutait  Tissue  de  la  lutte 
maritime  qui  allait  s'engager  avec  l'Angleterre.  «  Je  tiendray  la 
main,  lui  écrivait-il  le  5  mars -1627,  à  ce  que  l'argent  ne  vous 
manque  pas.  »  11  lui  en  fournit  suffisamment ,  en  effet ,  pour 
qu'il  pût  construire  un  certain  nombre  de  navires  dont  dix  (l'un 
d'eux ,  du  port  de  -1 ,200  tonneaux ,  coûta  40,000  livres),  se 
trouvaient  à  Couëron,  La  Rocbe-Bernard ,  Auray  et  Concarneau, 
lorsque  M.  Leroux  d'Infreville  fit,  en  -1630  ,  son  inspection  des 
côtes  de  TOcéan.  Toutefois,  comme  les  dilapidations  continuaient, 
malgré  les  représentations  des  notables ,  et  qu'elles  empêchaient 
la  juste  impatience  du  Cardinal  d'être  satisfaite ,  il  adressa  au 
Roi,  le  -15  août  -1627,  un  'mémoire  où  il  lui  exposa  que  ,  si 
l'on  ne  procédait  autrement  qu'on  ne  l'avait  fait  jusques-là ,  on 
n'aurait  pas  de  vaisseaux  en  -1628,  tandis  qu'on  en  pouvait  avoir 
dès  le  mois  de  juin.  Ses  plaintes,  formulées  sans  ménagement, 
se  terminaient  par  son  refus  de  s'occuper  des  armemens ,  afin 
d'être  déchargé  du  blâme  qu'il  aurait  encouru  en  li»s  entreprenant 
sans  avoir  les  moyens  de  lés  terminer. 

Plus  d'une  fois  dans  sa  longue  carrière  ministérielle ,  le  Car- 
dinal ,  on  le  sait ,  fit  de  la  menace  de  se  démettre  du  pouvoir 
un  moyen  de  le  fortifier.  Ici  son  refus  de  concours  avait  une 
cause  légitime.  Les  circonstances  étaient  graves.  Deux  mois  à 
peine  s'étaient  écoulés  depuis  la  séparation  des  notables,  que 
le  Roi  d'Angleterre ,  entraîné  par  Buckinghàm ,  avait  rompu  la 
paix.  Après  avoir  préalablement  saisi  les  biens  des  négociants 
français  établis  en  Angleterre ,  où  ils  se  livraient  au  commerce 
sous  la  foi  des  traités  ,  il  interdit  toute  relation  commerciale 
entre  les  deux  pays  (28  août  -1627).  Louis  X!II  riposta  (8  mai) 
par  une  semblable  interdiction ,  et  le  duc  de  Luxembourg  mit 
embargo  sur  les  navires  anglais  qui  se  trouvaient  dans  nos  ports.- 


—  13  — 

Charles  h'  permit  alors  à  tous  ses  sujets  de  courir  sus  aux  vais- 
seaux français.  Ceux  que  Richelieu  put  fréter  en  toute  h&te 
furent  employés  à  attaquer  tout  à  la  fols  et  Buckingham  et  la 
RocheUe ,  qu*il  était  venu  défendre.  Nos  c6tes  se  trouvaient  de 
nouveau  à  la  merci  des  Anglais ,  qui  les  ravagèrent.  H  n'y  eut 
qu'un  cri  dans  le  royaume  ;  on  publia  nombre  d'écrits  sur  la 
nécessité  et  Turgenee  d'une  Marine.  Besoin  n'était  de  stimuler 
Richelieu  ^,  mais  réduit  aux  expédients  et  vivant,  à  bien  dire,  au 
jour  le  jour,  il  ne  put  poursuivre  l'accomplissement  de  ses  pro- 
jets avec  continuilé  et  ensemble  qu'après  la  paciflcalion  consom- 
mée par  le  traité  signé  avec  l'Angleterre  le  4  mai  -1629. 

Trois  mois  aqparavant,  il  avait  donné  une  preuve  palpable  de 
la  fixité  de  sa  pensée.  Cette  preuve ,  c'est  le  Code  Michau  , 
résumé  des  vœux  formulés  par  les  États -Généraux  de  ^644  et 
les  Assanblées  des  notables  de  ^6^7  et  4626.  Les  articles  430 
et  43^  de  ce  code  formaient,  sous  le  titre  :  Amirauté ^  Marine^ 
Droit  maritime  ^  ce  que  nous  appellerons  la  Charte  de  la  Marine 
française.  Le  Roi  s'y  engageait  à  toujours  tenir  à  la  mer  cinquante 
vaisseaux  de  4  k  500  tonneaux ,  armés  en  guerre ,  indépendam- 
méat  des  navires  d'un  moindre  tonnage ,  qui  seraient  employés 
à  la  garde  des  ports  ou  à  l'escorte  des  convois.  Sur  chacun  d*eux, 
serait  embarqué  un  commis  ou  écrivain  qui,  à  toutes  les  attri- 
butions des  officiers  d'administration  actuels ,  joignait  la  charge 
de  tenir  note ,  jour  par  jour,  de  la  marche  du  vaisseau  et  de 
ses  découvertes.  Des  pilotes  hydrographes  ,  payés  par  le  Roi , 
furent  institués  avec  mission  de  faire ,  dans  tous  les  ports ,  des 
cours  gratuits.  Il  fut  en  outre  prescrit  aux  principales  villes  de 
commerce  d'en  avoir.  Des  avantages  considérables  furent  accor- 
dés à  ceux  qui  suivraient  les  cours  du  canonnage ,  ainsi  qu'aux 
charpentiers,  calfats,  marins,  pêcheurs ,  etc.,  et  il  fut  enjdnt 
à  ceux  qui  avaient  déserté  le  service  de  la  France  d'y  rentrer 
danaaix  mois  «i  plus  tard,  sous  peine  de  la  vie  s'ils  étaient 


-  16  — 

repris.  Iles  états  du  personnel  et  du  matériel  seraient  dressés  au 
mois  de  décembre  de  chaque  année.  Les  marchandises  françai- 
ses ,  le  sel  excepté ,  ne  pouvaient  être  exportées  que  par  des 
navires  français.  Le  droit  de  bris  et  naufrage  était  supprimé.  La 
connaissance  de  toutes  les  causes  concernant  le  navigage  ei  «  de 
tout  ce  qui  peut  advenir  en  la  mer  et  grèves  d'icelle  »  était 
retirée  aux  gouverneurs  et  aux  seigneurs  des  lieux ,  pour  ne 
relever  que  du  Surintendant  de  la  navigation  et  des  tribuna»x 
maritimes.  Les  gentil  hommes  pouvaient,  sans  déroger,  se  livrer 
au  commerce  maritime  ,  et  même ,  dans  bien  des  cas ,  les  pri- 
vilèges de  noblesse  étaient  accordés  aux  armateurs  et  négociants. 
Tous  les  pilotes ,  au  retour  des  voyages  de  longs- cours,  étaient 
tenus  d'envoyer  au  Surintendant  de  la  navigation  copie  de  leur 
journal ,  avec  Tobservation  des  variations  de  Taiguilte,  des  fonds 
et  sondages ,  l'indication  des  terres  découvertes ,  etc  Enfin,  une 
visite  générale  des  ports  était  prescrite  par  rarlicle  4ÔÔ  du  fode 
Michau.  Elle  avait  pour  but  de  constater  Tétat ,  la  profondeur 
et  le  degré  de  sûreté  des  divers  ports  de  France. 

Vingt  jours  après  la  signature  de  la  paix  ,  Richelieu ,  dégagé 
de  toute  entrave  intérieure  et  extérieure ,  ordorma  cette  visile , 
et  voulant  avoir  Cétat  au  vrai  des  éléments  de  la  puissance 
navale»  militaire  et  commerciale  de  la  France,  il  chargea  (25 
mai  -1629)  M.  Leroux  d'inf reville ,  qu'il  venait  de  nommer  Corn* 
missaire  Général  de  la  Marine,  à  -1,200  livres  àe  gages  par  an, 
1  de  se  transporter  en  tous  les  ports .  havres ,  rades  et  côtes 
de  lobéîssance  de  Sa  Majesté  en  la  mer  Océane  et  es  -  rivières 
esquelles  abordent  les  vaisseaux.  »  L'inspection  de  M.  d'Infreville 
embrassait  tout  ce  qui  concernait  la  Marine.  Il  -devait  se  faire 
rendre  compte  de  toutes  les  receltes  et  dépenses  effectuées , 
redierdier  quels  droits  étaient  perçus  sur.  tes  navires  entn^ 
dans  les  ports  ou  en  sortant;  constater  le  ûombre  ainsi  que 
râlait  des  vaisseaux  et  magasins  apptirtenani;  au  Koi  ;  est  MH 


—   17  — 

des  inventaires  exacts  ;  déterminer  quels  étaient  les  vaisseaux 
inutiles  ;  le  tout  comme  le  portait  le  préambule  de  sa  commis*^ 
sion ,  afin  d'établir  dans  les  ports  un  si  bon  ordre  que  le  Roi 
eût  toujours  un  nombre  suffisant  de  vaisseaux  prêts  à  mettre  en 
mer  pour  tenir  ses  côtes  en  sûreté  et  avoir  raison  de  ceux  qui 
yottdraient  les  attaquer. 

Le  rapport  que  M.  d'fnfreville  dressa  de  sa  mission,  à  laquelle 
il  consacra  buit  mois  ,  constate  qu'à  Brest ,  le  Gouverneur  du 
ch&teau  faisait  visiter  les  vaisseaux  marchands ,  et  prélevait  pour 
la  visite  de  chacun  d'eux ,  un  droit  de  'dix  sous ,  dont  la  per- 
ception servait  de  prétexte  à  d'autres  abus,  ce  qui  n'empêcha  pas 
de  le  maintenir,  de  Taugmenter  même  plus  tard,  puisque  la  dépêche 
du  25  septembre  ^693,  qui  en  confirma  la  possession  à  M.  de  Cam- 
pagnotles,  Major  de  la  ville  et  du  château,  nous  apprend  qu'il  était 
alors  de  -15  sous.  Dans  le  port,  se  trouvaient  un  hue  et  deux  bar- 
ques prises  par  Turchot  sur  les  Anglais,  «  depuis  la  paix,  »  dit  le 
rapport  Les  vaisseaux  appartenant  au  Roi  étaient  le  Saint-Louis^ 
comnHindé  par  le  sieur  de  Rhodes  ;  le  Corail ,  par  le  sieur 
d'Âipentigny  ;  le  Cygne ,  par  le  £ieur  de  Cangé  ;  la  Fortune , 
par  le  sieur  d'Anglure;  \ Europe^  par  le  sieur  de  Rouvray  ;  le 
lÀon^'Or^  par  le  sieur  Rigault,  et  le  Saint-Michel^  coulé  à  fond  ; 
plus  un  philibot  et  une  pataehe. 

Le  nombre  des  matelots  pouvant  servir  sur  ces  vaisseaux  n'était 
pas  indiqué  ;  mms  il  devait  être  peu  considérable,  puisque  depuis 
l'Ile  de  Batz ,  RoscolT  et  M orlaix ,  on  n'en  comptait  que  cinq 
cents  et  trente  ou  quarante  charpentiers. 

M.  d'Infreville  nous  fait  ensuite  connaître  les  principaux  résul- 
tats de  son  inspection ,  en  ce  qui  concernait  les  magasins  et  les 
approvisionnements. 

«  J'ai  visité  à  Brest,  dit-il,  un  ancien  magasin  situé  sur  le  bord  du 
canal  de  la  rivière,  à  présent  ruiné,  ne.  restant  que  les  quatre  mu- 
railles, bûti  du  Roi  François  !««•,  lieu  fort  commode  pour  la  Marine. 

3 


-  18  - 

De  Brest  j'ai  été  à  Ch&teaulm  ;  passant  la  baie  audit  Brest,  et 
montant  dans  la  rivière  audit  lieu,  j'ai  visité  la  fonderie  de 
canons  du  sieur  de  Villeneuve ,  et  ayant  pris  au  sieur  de  Quer- 
verho  »  lieutenant  du  sieur  commandeur  de  Rhodes  ,  trois  cents 
livres  de  poudre ,  ai  fait  épreuve  de  24  pièces  de  canon  de  fer 
de  6,  8  et  ^0  livres  de  balles,  et  desdites  24  pièces  y  en  a  crevé 
cinq,  dont  j*ai  dressé  procès-verbal.  J'ai  enjoinct  audit  entrepre- 
neur de  parachever  sa  fourniture  et  lui  ay  -donné  trois  mille 
livres.  » 

Pour  que  la  pensée  de  Richelieu  reçût  son  développement  cens* 
plQt,  il  fallait  que  l'état  du  Château  fût  mis  en  harmonie  avec 
celui  du  port ,  et  que  conséquemment  il  fût  asfsuré  du  dévoue* 
ment  sans  réserve  de  celui  qui  aurait  la  haute  main  aur  les 
travaux  de  défense  de  la  ville.  Le  Gomremeur  de  Brest  était 
alors  Gui  de  Rieux ,  fila  de  Sourdéac ,  auquel  il  avait  suecédé 
en  4628.  M.  Henri  Martin  dit  bien,  il  est  vrai  {Histoire  de 
France^  t.  42 ,  p.  344,  V^  édit.)  qu'après  le  supplice  de  Chalais 
(4S  août  4626),  Richelieu,  mettant  son  tricMûaphe  à  profit,  démaur 
tela  Ancenis ,  Lamballe ,  ainsi  que  d'autres  placesl  s^partenant  au 
duc  de  Vendôme ,  et  qu'il  racheta  au  marquis  de  Sourdéac  le 
gouvernement  de  Brest,  qui  fut  confié  à  un  soldat  de  fortune. 

Nous  eussions  désiré  que  M.  Henri  Martin  eût  fait  connaître 
le  nom  de  ce  soldat  de  fortune.  Pour  nous  qui,  malgré  nos 
recherches  persistantes ,  n'avons  pu  le  trouver  nulle  part ,  nous 
croyons ,  â'iq)rès  les  divers  documents  quMl  nous  a  ^é  donné 
de  consulter,  que  Gui  de  Bjèux  avait  eu  la  survivance  du  goii- 
vemement  de  son  père,  et  qu'il  Fexerça ,,  sinon  de  fait,  du 
moins  tHulairement  jusqu'à  la  fin  de  4630.  Les  enftms  de  Sour- 
déac étaient  restés  attachés  à  la  veuve  de  Henri  IV  qui  les  com- 
blait de  ses  faveurs.  Gui  était  son  premier  Écuyer,  et  René,  son 
frère  cadet,  Évoque  de  Sa}nt-Pol  de  Léon,  était  Conseiller  d'État 
^  Grand-Midtre  de-  l'oratoire  de  la  Reine-Mère,  Gui  ne  dut  donc 


—  19  - 

être  privé  de  sen  gouvernement  qu'^rès  la  Journée  des  Dupe»  à 
laquelle  û  avait  pris  part  (\\  novembre  ^630).  Incarcéré  ak)r«, 
mais  bienti^  relàdié,  il  accompagna  Mane  de  Médicis  dank  sa 
fuite  à  Bruxelles  et  fûX  déclaré  criminel  de  lèse*majeslé ,  par 
arrêts  des  H  et  20  novembre  -lOSK  Richelieu  n'avait  pas  attoulu 
jusques-là  pour  le  remplacer  par  quelqu'un  en  qui  il  fût  assuré 
d'avoir  un  instrument  docile  et  fidèle  de  ses  volontés.  Dès  le  mois 
de  Janvier  4634,  il  avait  nommé  Gouverneur  de  Brest  son  cousin 
Charles  de  Cambout ,  marquis  de  Coislin ,  qui  répondit  à  sa 
eonfiance  en  IbrtiflanI  la  place,  notamment  en  construisant,  pour 
compléter  l'ouvrage  que  Yauban  nommait  grande  tenailte^  et  que 
M.  de  Fréminville  appelle  bonnet  de  prêtre^  la  portion  des  travaux 
extérieurs  située  entre  la  porte  d'avancée  du  ch&teau  et  la  machine 
i  m&ter ,  portion  à  l'angle  saillant  de  laquelle  se  voient  encore 
trois  pierres  martelées  en  41%\y  dont  l'one  portait  les  armes  des 
du  Cambout.  Cette  portion  n'existe  pas  en  effet  sur  le  plan  de 
Tassin ,  publié  en  Â%Z\\.V[ï!m  levé  nécessairement  avant  l'entrée 
en  fonctions  de  Du  Cambout^ 

L'inspection  de  M.  d'InfreviBe  porta  immédiatement  ses  fruits. 
Le  29  mars  4634,  Louis  XÎII  organisa  la  Marine  du  Ponani  par 
on  règlement  qui  ordonna  de  réunir  tous  les  vaisseaux  pli»  par* 
ticulièrement  affectés  à  la  navigation  de  la  Manche  et  de  l'Océan, 
dans  les  ports  de  Brouage ,  Brest  et  Le  H&vre ,  dans  chacun 
desquels  il  y  aurait  un  €bef  d'escadre ,  un  Commissaire  Général 
et  un  Caf>itaine  de  Port.  Une  notice  historique  sur  Brest ,  publiée 
par  M.  Billiard^  ancien  Préfet  du  Finistère  {Histoire  des  Villes 
de  France  y  X.  1«»,  p.  453-491)  nous  apprend  qu'à  cette  époque, 
André  Céberet ,  premier  Intendant ,  aurait  fait  bâtir  un  magasin 
général  et  dix  magasins  particuliers  ou  hangards ,  que  l'entre- 
preneuc  Jean  Le  Chaussée  se  serait  chargé  de  construire  pour 
te  somme  de  40,000^  livres.  Un  autre  document  nous  permet 
d'apprécier  et  la  situation  du  port  de  Brest  à  cette  époque  et  la 


—  20  — 

nature  des  travaux  que  Ton  y  exécuta  aussitôt  après  l'adoption 
des  mesures  d'organisation  dont  nous  venons  de  parier.  C'est 
celui  que  M.  Ë.  Sue  a  publié  dans  le  t.  3  de  la  Correspondance 
éPEscoubleau  de  Sourdis^  archevêque  de  Bordeaux  et  commun-- 
dont  (des  forces  navales  de  France  sous  Richelieu  ;  il  a  pour 
titre:  Éêals  statistiques  de  la  Marine  de  France  depuis  -1634  ;tis- 
qu'en  4639.  Nous  y  voyons  qu'en  -1635  il  y  avait  dans  le  port 
de  Brest  49  vaisseaux  :  YAmiraly  le  Vice- Amiral^  le  Saint-Louis , 
de  Saint-Malo,  le  Saint -Michel^  Y  Europe  ^  ]Si  Fortune ,  \e  Cygne^ 
la  Sainte-Geneviève,  les  Trois- Rois j  le  Coq,  le  Lion -d^ Or,  la 
Perle  y  le  Corail,  la  Licorne,  V  Hermine,  la  Sainte- Marie,  le 
Saint-Charles,  la  Fleur-de-Lys  et  la  Madeleine.  Dans  te  cours  de 
la  même  année ,  ou  un  peu  auparavant ,  M.  de  Poincy  avait 
fait  établir  sur  le  terrain  de  Keravel ,  une  corderie  (^)  qui  fut 
agrandie  et  complétée  en  1667  et  4668  par  M.  de  Seuil,  et  il 
avait  fait  construire  dans  la  crique  de  Troulan,  du  côté  de  Brest,, 
une  forge  et  un  magasin  servant  tout  à  la  fois  de  tonnellerie  et 
de  dépôt  des  futailles,  puis  une  autre  forge  dans  la  crique  de 
Pontaniou.  En  même  temps ,  on  faisait  des  achats  considérables 
de  matières  de  toute  espèce ,  telles  que  fers ,  bois  ,  chanvres  ^ 
etc.  Mais  comme  les  magasins  du  Roi  ne  pouvaient  les  contenir 
toutes ,  il  fallait  suppléer  à  leur  insulfisance ,  en  louant  sur  le 
quai  de  Brest  une  maison  et  un  cellier,  au  prix  de  4^6  livres, 
et  sur  celui  de  Recouvrance ,  deux  celliers  et  une  maison  pour 
4S3  livres.  Quatre  Commissaires  étaient  chargés  de  l'administra* 

(i)  Dans  l'acte  de  vente  du  7  avril  1G36,  rapporté  par  les  notaires 
Roussel  et  Deshayes,  on  lit  que  M.  Guillaume  Mesnoallet,  sieur  de 
Keranlan,  béritier  bénéliciaire  du  sieur  de  Keravel,  vend  au  sieur  Phi- 
lippe de  Lonvilliers  Poincy,  chef  d'escadre,  etc.,  le  lieu  noble  de  Keravel 
et  dépendances  ,  situé  près  la  ville  de  Bresl ,  où  est  à-présent  bastie  la 
corderie  et  cstuve  du  Roy  pour  la  nécessité  de,  ses  vaisseaux.  Le  prix 
d'acquisition  fui  de  1,200  livres  que  paya  Eslienne  Le  Roy,  commis  du 
Trésorier  Général  de  la  Marine,  sur  celle  de  4,151  livres  tournois»  qu'il 
a  voit  de  bon  entre  ses  mains  ,  du  proficl  fait  sur  les  victuailles  des  équi- 
pages desdils  vaisseaux,  en  Tannée  dernière  1635.  m 


—  2i  - 

tion  du  port ,  coiyGinlement  avec  un  Garde  •  Magasin  Général , 
dont  le  titre  pompeux  contrastait  avec  la  modicité  de  son  traite- 
ment. Trois  maîtres  charpentiers ,  Laurent  Hubac  y  que  nous 
retrouverons  investi  de  la  confiance  de  Mazarin  et  de  Colbert  ; 
Charles  Monnîer,  auteur  du  beau  vaisseau  la  Couronne ,  et  le 
hollandais  Clas-Yerussen,  un  maître  cordier  et  un  maître  voilier, 
également  Hollandais,  formaient  avec  un  maître  des  équipages, 
le  personnel  directement  chargé  de  la  construction  des  vaisseaux, 
de  leur  armement  et  de  l'instruction  des  matelots.  Un  fait  achève 
de  démontrer  combien  avait  été  rapide  le  développement  du  port 
de  Brest  depuis  Tinspection  de  M.  d'Infreville.  Ce  port  qui , 
avant  -1630 ,  ne  recevait  que  le  tiers  ou  même  le  quart  de  ce  qui 
était  alloué  à  ceux  de  Brouage  et  du  Havre ,  alors  les  premiers 
ports  de  construction,  en  était  venu,  dès  ^635,  à  recevoir 
annuellement  trois  et  quatre  fois  plus  que  chacun  d'eux.  C*est 
ce  qui  explique  comment  il  put ,  Tannée  suivante ,  fournir  à 
l'armée  navale ,  sous  le  nom  d*escadre  de  Bretagne ,  un  contin- 
gent de  seize  vaisseaux  ou  frégates,  montés  par  45  ofiiciers, 
371  officiers  mariniers ,  2670  matelots,  et  portant  374  canons  , 
indépendamment  de  trois  vaisseaux  qui  restèrent  au  port ,  le 
Vice-Amiral,  de  700  tonneaux,  le  Saint-Louis^  de  500,  et  un 
navire  neuf. 

Ces  résultats  étaient  la  conséquence  de  la  sollicitude  de  Riche- 
lieu pour  Brest ,  sollicitude  attestée  à  chaque  pa^e  de  sa  corres- 
pondance avec  d'Escoubleau  de  Sourdis,  où  il  l'appelle  son  Brest  ; 
où  il  ordonne  (octobre  4638)  de  construire  six  frégates  l'année 
suivante  ;  où  il  prescrit  à  l'Archevêque  de  Bordeaux  d'y  conduire 
les  gr^ds  vaisseaux  après  le  désarmement  de  la  flotte  ;  où  il 
annonce  (29  août  1639)  qu'il  va  envoyer  le  sieur  Petit  pour 
«  expressément  faire  mettre  le  port  en  tel  état  que  la  chambre 
•  soit  sûre  ,  et  que  le  fermant  avec  de  bonnes  chaînes ,  les 
»  ennemis  n'y  puissent  faire  mal ,  ni  par  effort ,  ni  par  feu  ;   » 


—  22  — 

où  enfin  (5  octobre  ^689)  il  renouvelle  la  recommandation  de 
construire  des  frégates  qui  pourraient  servir  utilement  dans  la 
Manche  «  et  qui  se  feroient  mieux  en  Bretagne  qu'en  tout  autre- 
»  lieu  de  la  France,  à  cause  que  les  bois  et  les  ouvriers  y  sont 
»  meilleurs.  »  Nous  ne  savons  ce  qu'était  le  sieur  Petit ,  ni  s'û 
vint  à  Brest.  En  tout  cas ,  il  ne  semble  pas  qu'il  ait  dirigé 
l'opération  mentionnée  dans  la  lettre  du  29  août ,  car  une  autre 
lettre,  écrite  par  Duquesne  le  23  novembre -167^,  nous  apprend 
qu'en  ^639  il  avait  lui-même  fermé  le  port  au  moyen  d'une 
chaîne  5  celle  peut  -  être  que  le  Cardinal  de  Sburdis  ,  sous  les 
ordres  duquel  il  avait  servi  comme  capitaine  de  vaisseau ,  le 
•19  août  de  la  même  année,  à  l'attaque  de  Laredo ,  avait  rap- 
portée de  ce  port  de  Biscaye ,  et  que  Richelieu  avait  prescrit , 
le  4  octobre  suivant,  d'employer  à  Brest.  Soit  que  cette  chaîne iût 
un  moyen  insuffisant  de  clôture,  soit  tout  autre  motif,  Duquesne, 
qui  se  retrouvait  Commandant  de  la  Marine  à  Brest  en  -1672,  la 
remplaça  par  un  radeau  et  une  chaîne  forgée  exprès  ,  et  s'atta- 
chant  du  côté  de  Brest  à  un  organeau  scellé  à  un  rocher  qui 
était  à  découvert  en  -1677  {Mémoire  de  M.  de  Sainte-Colombe)^ 
et  sur  lequel  fut  établi  plus  tard  le  parc  à  boulets  ,  compris  en 
-1855  dans  les  excavations  qu'a  nécessitées  la  création  du  parc 
à  charbons ,  sous  le  château. 

La  mort  ne  permit  pas  à  Richelieu  de  compléter  son  œuvre, 
et  son  successeur,  entravé  par  les  misérables  intrigues  de  la 
Fronde ,  ainsi  que  par  les  guerres  avec  l'Autriche  et  l'Espagne, 
la  poursuivit  si  mollerhent  qu'il  semble  s'être  borné  à  faire  cons- 
truire à  Brest  les  quatre  vaisseaux  suivants  ,  exécutés  sur  les 
plans  de  Laurent  Hubac,  maistre  de  la  charpenterie  du  Koy: 
le  Dragon ,  de  cinquième  rang ,  50O  tonneaux  et  32  canons , 
commencé  et  fliii  en  -1649  ;  le  César ^  de  premier  rang,  800 
tonneaux  et  48  canons,  commencé  en  -1646  ,  fini  en  ^650  ;  le 
Mazarin ,  de  quatrième  rang,  750  tonneaux  et  42  canons ,  coni- 


-  23  — 

mencé  en  ^6i6,  fiai  en  -1647;  V Hercule  ^  de  qualrième  rang, 
700  tonneaux,  58  canons,  commencé  en  -1655,  fini  en  -1660. 
Du  reste ,  pour  se  faire  une  idée  de  la  léthargie  dans  laquelle 
était  retombée  le  port  de  Brest ,  il  suffit  de  recourir  aux  états 
de  dépenses  conservés  aux  archives  du  ministère  de  la  Marine. 
À  Brest,  en  4646,  on  consomma  pour  travaux  et  achats  de 
matières  la  somme  de  51,774  livres  45  sols  3  deniers,  et  en 
4647,  celle  de  57,464  livres  4  sol  4  denier.  Ce  fut  bien  pis  de 
4655  à  4 65S,  puisque  pendant  ces  quatre  années,  on  ne  dépensa 
que  la  somme  de  66,340  livres  qui  dut  vraisemblablement  être 
absorbée  par  la  seule  construction  du  vaisseau  V Hercule ,  alors 
-en  chantiffl^ 

Ne  soyons  donc  pas  surpris  que ,  quand  Colbert  commença  à 
s'occuper,  en  4664 ,  de  Tadministration  de  la  Marine,  la  flotte 
que  Richelieu  avait  élevée  à  56  vaisseaux ,  ne  fût  plus  que  de 
30  bâtimens  de  guerre ,  dont  3  vaisseaux  de  premier  rang  de  60 
à  70  canons ,  8  de  second  rang ,  7  de  troisième ,  4  flûtes  et 
8  brûlots.  Les  réglemens  de  ce  grand  Ministre  étaient  tellement 
tombés  en  désuétude,  que  les  États  de  Bretagne  ne  voulaient 
pas  reconnaître  l'autorité  du  duc  de  Vendôme,  surintendant  de 
la  navigation,  et  qu'un  arrêt  du  Conseil  (4658)  avait  dû  déclarer 
fourbans  les  capitaines  qui  prétendaient  ne  pas  dépendre  de  ce 
Surintendant  auquel  ce  même  arrêt  rendit  la  libre  disposition  de 
la  grange  de  Brest  et  de  ses  magasins.  Enfin ,  un  Écrivain  et 
un  Capitaine  de  Port  constituaient ,  à  Tavènement  de  Colbert , 
tout  le  personnel  admanistralif. 

P.  LEVOT. 


LA  MORT  DE  PÉTRARQUE 


La  Mort  de  Pétrarque. 


U  13  juillet  1S71I  •  Pétrarque  fut  trouvé 
mort  dans  sa  bibliothèque,  la  tête  peuché« 
sur  un  livre  ouvert. 

iBiograpà,  Univ.) 


h 


Kn  viOagé  d^Ârqiià ,  ^i  regarde  Padoue , 
Non  loin  des  bois  chéris  du  Cygne  de  Mantoue, 
On  entendait  frémir  des  sons  mélodieux» 
C'était  un  beau  vieillard  ,  h  la  voix  mate  et  fière, 
Qui  chantait ,  Fœtl  brîllaut  d'une  étrange  lumière  , . 
Comme  s'il  avait  pris  son  regard  dans  les  cieux. 

I!  chantait,  Immobile^  ainsi  que  dans  un  rêve. 
A  peine  on  eût  pu  voir  spD  sein  qui  se  soulève  : 
On  aurait  dit  kr  nmrbre  anin^ié  de  Memnon. 
n  semUait  conton^ler  d'invi$ibles  mirages, 
Mais  ses  regards  fixaient  un  livre  dont  le«  pages- 
Ne  disaient  qu'un  seul  nom» 


—  28 


IL 


« —  0  lyre,  un  dernier  chant  aux  souvenirs  fidèles  T — 
M  Avec  lous  leurs  parfums ,  que  les  nuits  étaient  belles , 
»  Vallon  de-  mon  pays ,.  coUioe  d'Arezzo  ! 
»  Doux  écho ,  redis-tu ,  dans  ta  langue  sonore, 
»  Les  hymnes  qu'essayait  ma  voix  tremblante  encore 
»  Auprès  de  Rienzo  î 


»  Moi ,  je  t^aime  toujours ,  vallon  de  mon  enfance*. 
»  Pourtant ,  pauvre  exilé ,  pour  le  pays  de  France ,. 
»  n  me  fallut  quitter  les  champs  de  mes  aïeux  : 
»  Des  Alpes  je  franchis  les  murailles  géantes , 
»  Croyant  trouver  plus  loin  des  cités  plus  brillantes^ 
»  Et  des  [ours  plus  joyeux,. 


»  Oh  r  la  France  d'abord  eut  ffour  moi  trop  dé  charm£s  E 
»  J'y  puisai  le  nectar  qui  nous  cache  des  larmes-, 
»  J'y  cueillis  k  vingt  ans  la  couronne  de  fleurs, 
»  Qui  parfume  le  front  de  ses  senteurs  divines, 
»  Et  se  change  plus  tard  en  couronne  d'épines. 
^M  D'où  jaillissent  les  pleurs. 


»  C'était  le  Lundi  saint  :  de  là  fête  chrétienne 
»»  La  foule  murmurait  l'harmonieuse  antienne , 
»  Vers  Dieu  montait  Tazur  des  encens  les  plus  doirX;. 
»  L'orgue  an  fond  de  la  nef  jetaft  sa  longue  plainte, 
»  Lorsque ,  jeune  étranger,  dans  la  pieuse  enceinte 
»  Je  priai*  k  genouxr 


-  29  - 

»  i'élais  là ,  proslerné  sur  le  parvis  sonore , 
>»  Quand  soudain  j'aperçus  aux  rayons  de  l'aurore 
k  Teinls  d*or  el  de  sapbir  au  tamis  des  vitniux  , 
M  Une  femme  au  front  pur  que  je  pris  pour  un  ange  , 
»  Tant  son  regard  jetait  une  lueur  étrange 
»  Sous  les  sombres  arceaux. 

»  Et  depuis  ce  saint  jour  j*ai  gardé  dans  mon  âme , 
»  Comme  Âlcide  k  son  corps  Taffreux  tissu  de  flamme  , 
»  Un  divin  souvenir,  un  rêve  dévorant  ; 
»  Mais  TOUS  savez ,  mon  Dieu  ,  que  ce  feu  solitaire 
»  A  pu  brûler  sans  crime  au  sein  du  sanctuaire 
»  El  dans  mon  cœur  souffrant. 

»  Je  Tai  purifié  par  l'ardente  prière  , 
»  J'ai  courbé  bien  souTcnt  mon  front  dans  la  poussière, 
»  Et  j'ai  cm  prononcer  l'irrévocable  adieu. 
»  Comme  Âbélard  mourant ,  c'est  vous  seul  que  j'implore, 
»  Comme  lui,  malgré  moi ,  je  vous  priai  pour  Laure... 
»  Vous  le  savez,  mon  Dieu  1 

»  Loin  des  lieux  qu'elle  aimait ,  aux  cîmes  des  Cévennes, 
»  Aux  fêtes  de  Lutèce ,  orageuses  et  vaines  , 
»  Voyageur  sans  désirs ,  j'ai  demandé  l'oubli  ; 
»  J'ai  couru  du  palais  où  le  marbre  rayonne 
n  A  rbumble  toit  des  champs  dont  le  chaume  frissonne 
»  Dans  l'ombre  enseveli. 

»  De  vallons  eu  râlions  promenant  mon  délire  , 
»  Faisant  pleurer  mon  cœur  dans  les  sons  de  ma  lyre , 
»  J'allai  des  bords  du  Rhin  aux  rives  de  l'Adour  : 
»  Toulouse  eut  un  écho  pour  ma  voix  gémissante  , 
M  Et  mon  luth  résonna  dans  la  lice  naissante 
»  Ouverte  au  troubadour* 


30 


»  Mais  un  seul  num  vibrait  dans  mon  àme  attendrie  ; 
»  Je  voulais  célébrer  la  gloire  et  la  patrie , 
»  Et  la  note  manquait  à  mou  lutb  impuissant  : 
u  Au  bord  du  nid  désert ,  quand  pleure  Philomèie, 
»  Et  qu'aux  soupirs  du  vent  son  doux  soupir  se  mêle  ^ 
»  Sa  voix  n'a  qu'un  accent. 

»  Enfin  un  val  béni ,  solitude  profonde 
»  Où  venaient  expirer  tous  les  vains  bruits  du  monde  ^ 
»  Offrit  un  oasis  au  pèlerin  lassé  , 
)>  Et  je  crus ,  6  Seigneur,  ma  douleur  endormie, 
»  Et  qu'en  face  de  vous  mon  àme  rafifermie 
I)  Oubltrait  le  passé. 

»  Mais  des  arbres  courbés  sur  le  bord  des  cascades , 
»  Les  flexibles  rameaux  me  semblaient  les  arcadiBs 
M  Du  temple  où  je  la  vis  pour  la  première  fois  y 
»  Et  les  flots  bondissants  qui  blanchissent  la  Sorgues 
»  Redisaient  Thymne  saint  que  les  plaintives  orgues^ 
x>  Munnuraieut  autrefois. 

»  Le  monde  enfin  connut  et  mes  chants  et  ma  muse^ 
»  La  gloire  vint  un  jour  m'arracber  k  Vaucluse 
M  Et  m'offrir  le  laurier  qu'on  ne  cueillit  jamais  : 
»  Proscrit ,  je  vis  pour  moi  s'ouvrir  les  murs  do  Rome 
»  Et  je  ceignis  mon  front  du  rameau  que  l'on  nomme 
»  Du  doux  nom  que  j'aimais. 

x  Oh  !  ce  fut  une  ivresse  immense  et  solennelle  ! 
»  On  eût  dit  que  César,  dims  la  ville  ét^nelle, 
»  Ramenait  triomphant»  ded  rois  chargés  dé  fers  ; 
»  Rome  avait  retrouvé  son  antique  auréole, 
»  Et ,  si  long-temps  muet ,  Téoho  du  Capilok 
»  Répondait  k  mes  vers. 


-  31  - 

»  Et  la  foule  acclamai  l  la  marche  triomphale, 
»  Et  je  passais ,  vêtu  de  la  pourpre  royale , 
»  Sur  un  chemin  paré  de  femmes  et  de  fleurs  ; 
»  El  foutes  les  beautés  de  ma  noble  patrie 
»  Applaudissaient  mon  nom  ;  mais  nulle  main  chérie 
»  Ne  Tint  sécher  mes  pleurs. 

»  Et  Fon  cria  loi%-temps,  comme  pour  un  monarque  : 
«  Poète ,  sois  heureux  I  —  Vive  à  jamais  Pétrarque  !  » 
»  L'écho  redit  ces  mots...  Je  doutai  dans  mon  cœur^ 
»  Etj'ôlai  de  mon  front  cette  couronne  altière, 
»  Puis  je  la  déposai  sur  Faulel  de  Saint-Pierre  , 
»  Comme  offrande  au  Seigneur. 

»  Car  TOUS  seul ,  6  mon  Dieu ,  de  votre  chaste  flamme 
»  Vous  aTcz  rafraîchi  les  ardeurs  de  mon  âme  , 
»  Blèlant  au  souffle  impur  d'iuTisibles  parfums. 
»  Et  maintenant  encor  que  le  vieillard  chancelle, 
»  Vous  lui  rendez ,  avec  la  divine  étincelle , 
»  Tous  ses  bonheurs  défunts. 

»  Maintenant  que  J*ai  vu  comme  un  éclair  qui  passe, 
»  Amour,  gloire ,  plaisirs ,  beauté  ,  jeunesse  et  grâce , 
»  S'éteindre  et  disparaître  au  déclin  de  mes  jours  ; 
»  Maintenant  que  la  Mort ,  qui  peut-^tre  m'appelle , 
»  A  flétri  de  sa  main  les  traits  chéris  de  celle 
»  Que  je  pleure  toujours  ; 

»  Maintenant ,  6  Seigneur,  qu'à  mon  front  qui  se  penche 
»  A^ous  n'avez  plus  laissé  que  la  couronne  blanche 
»  Des  cheveux  échaq[^és  an  souffle  des  hivers, 
»  Vous  rendez ,  ô  Dieu  bon,  que  la  gloire  environne, 
»  Mou  front  plus  rayonnant  sous  cette  humble  couronne 
»  Que  sous  les  rameaux  verts. 


—  32  - 

«  Quand  l'iiomme  esl  suspendu  sur  les  bords  de  la  tombe, 
»  L'espérance  affermit  notre  àme  qui  succombe.... 
M  —  Mais  je  sens  dans  mon  s^n  comme  un  frisson  courir... 
»  Serait-ce  enfin.  Seigneur,  mon  heure  solennelle  ? 
»  Mon  ange  bien-aimé,  viens  suspendre  k  Ion  aile 
»  Celui  qui  va  mourir  !...  » 


m. 

Ainsi  le  beau  vieillard  accompagnait  sa  lyre  , 
Et  sur  le  livre  ouvert  son  œil  cherchait  k  lire, 
Comme  pour  y  trouver  un  mot  mystérieux , 
Quand  soudain  ,  k  travers  les  vapeurs  de  la  nue , 
Retentit  une  voix  qui  lui  sembla  connue  , 
Quoiqu'elle  vînt  des  cieux. 


IV. 


»  Je  viens ,  disait  la  voix  ,  vers  celui  qui  m'appelle. 
»  Dans  les  bras  de  la  mort  lu  m'es  resté  fidèle , 
»  Et  mon  nom  t'inspira  sur  les  bords  du  tomber. 
»  Poète ,  sois  béni  I  Que  ton  cœur  se  résigne  : 
»^  Le  dernier  de  les  chants,  comme  celui  du  cygne  , 
»  Est  aussi  le  plus  beau, 

»  Moi ,  je  n'ai  point  voulu  que  ta  voix  solitaire 
»  S'éleigntt  sans  écho  dans  les  bruits  de  la  terre, 
»  Et  qu'en  ton  sein  glacé  le  doute  restât  seul. 
»  Tu  vois,  du  haut  du  Ciel  pour  toi  je  suis  venue  : 
»  Laisse  ton  âme  en  paix  me  suivre  dans  la  nue , 
»  Et  ton  corps  au  linceul  ! 


-  33  — 

»  Oh  !  meurs  en  souriant ,  iôomtne  àu  sein  cfune  féie  ! 
»>  Tu  peux  mourir  ainsi ,  loi ,  mon  noble  poète , 
»  Lyre  au  suave  accord ,  yase  rempli  d'encens. 
»  Pour  loi ,  point  de  chevet ,  de  laimpe  sépulcrale , 
»  De  longs  sanglots,  d'a(Meux  interrompant  le  ràle..« 
V  Rien  que  mes  doux  accents  ! 

M  Poète ,  sois  béni  I  Ta  lyre  noble  et  fière , 
»  D'un  profane  désir  a  fait  une  prière, 
»  Ne  demandant  qu'au  Ciel  un  bonheur  combattu  : 
»  Sois  béni  !  car  loi  seul  k  Thomme  as  fait  connaître 
»  Que  l'amour,  ce  poison  dont  Tâme  se  pénètre , 
»  Peut  être  une  vertu. 

»  Un  seul  amour  eut  place  en  ton  âme  pieuse. 

»  Dans  ce  monde  où  si  tôt ,  sur  la  bouche  oublieuse , 

»  Un  nouveau  nom  succède  au  nom  le  plus  aimé , 

»  Tu  n!as  formé  qu'un  vœu ,  qu'un  désir,  qu'une  plainte  ^ 

»  Qui ,  vers  Dieu ,  s'exhalait  comme  de  l'urne  sainte 

«  Un  nuage  embaumé. 
• 
«  Tu  fis  briller  les  noms  de  Pétrarque  et  de  Lanre 
j>  Gomme  un  astre  inconnu  que  Dieu  ferait  éclore, 
M  Ou  que  la  main  d*un  ange  aurait  pu  rallumer. 
»  Rien  n'en  pourra  ternir  la  magique  auréole  ; 
*  C'est  un  phare  éternel  dont  le  flambeau  console 

»  Ceux  qui  savent  aimer. 

j>  Maintenant ,  sous  la  main  de  la  Mort  empressée , 
»  Tu  peux  ,  tu  peux  fermer  ta  paupière  lassée  : 
»  Le  Seigneur  va  poser  le  laurier  immortel 
»  Sur  ton  front  que  déjà  la  pâleur  environne. 
^'  C'est  le  même  laurier,  c'est  la  même  couronne. 
»  Offerte  à  son  auleîl 


—  34  — 

»  Abandonne  en  chantant- le  vallon  où  l'on  pleure  ! 
»  Viens  revivre  au  foyer  de  la  sainte  demeure 
»  Où  Ton  s'aime  toujours  sans  regrets ,  sans  adieu  ; 
M  Viens  réchaufiTer  ton  ^œur  aux  immortelles  flammes, 
»  Dans  Tocéan  d'amour,  viens  confondre  nos  âmes 
»  Au  ^indu  même-Diea4  » 


V. 


Alors  on  eût  en  vain  écoulé  la  voix  tendre  : 
Sur  celte  terre  où  nul  ne.pouvait..plus  l'entendre^ 
On  dirait  que  le  chant  a  cessé  de  frémir, 
Biais  lui ,  collant  sa  lèvre  k  la  page  de  flamme^ 
Comme  si  dans  un  rêve  il  exhalait  son  âme., 
Pâle  y  semblait  dormir* 


AIGUËS -SPARSES. 


IMOTI 


FORÊT  SOUS-MARINE 


dans 


L'ANSE  DE  SAINTE -ANNE. 


Forêt  soBs-mriM  dans  Tanse  de  Suate-Ane. 


Oa  a  trouvé  en  un  grand  nombre  de  points  sur  le  globe  des 
forêts  enfouies  dans  le  sol  à  une  profondeur  plus  ou  moins  grande. 
Composées  d'espèees  semblables  à  celles  existant  aujourd'hui,  elles 
appartiennent  par  conséquent  à  la  période  géologique  actuelle  ; 
quelquefois  même  leur  antiquité ,  quoique  reculée ,  ne  remonte 
pas  au-delà  des  temps  historiques  de  la  contrée  où  elles  existent. 
Ces  forêts,  souvent  recouvertes  d'une  couche  épaisse  de  tourbe» 
sont  situéed  dans  l'intérieur  des  terres  ou  sur  le  bord  de  la  mer, 
dans  laquelle  elles  s'avancent  parfois  jusqu'à  une  distance  con* 
sidérable*  K  les  premières ,  qui  font  partie  des  tourbières  pro- 
prement dites  ;  montrent  dans  plusieurs  cas  qu'il  y  a  eu  aifois- 
sement  du  sol  primitif  sur  lequel  elles  croissaient,  ce  phénomène 


-  38  — 

est  plus  évident  pour  les  forêts ,  sous  -  marines  ,  qui  de  plus^ 
rappellent  une  conflguratlon  des  côtes  différente  de  celle  que 
nous  connaissons  de  nos  jours. 

Quelques  forêts  sous-marines  ont  été  signalées  en  Bretagne,  et 
en  particulier  dans  le  Finistère.  En  I8H,  M.  de  la  Fruglaye 
découvrit  sous  le  sable  de  la  plage  de  Morlaix,  enlevé  à  la  suite 
d'une  violente  tempête ,  des  troncs  d'arbres  entrelacés ,  reposant 
sur  une  ancienne  prairie  ;  après  quelques  jours ,  le  tout  était 
recouvert  d'une  nouvelle  couche  de  sable.  M.  de  Fourcy  men- 
tionne ,  dans  le  texte  de  la  carte  géologique  du  Finistère , 
de  semblables  forêts  sur  les  grèves  au  nord  de  Lesneven  » 
un  fragment  d'arbre  de  ces  forêts  ,  recueilli  sur'  la  grève  de 
Rodeven ,  près  Plouescat ,  a  été  déposé  dans  la  collection  géolo- 
gique de  notre  musée.  Il  y  a  quelques  mois ,  j'ai  trouvé  sur  la. 
plage  de  l'anse  Sainte-Anne,  dans  le  Goulet,  des  troncs  d'arbres 
couchés^  et  légèrement  enterrés  dans  le  sable.  M.  Morio,  pharma- 
cien de  la  Marine ,  avec  qui  j'allai ,  peu  de  temps  après,  récolter 
quelques  échantillons  de  ces  bois ,  eut  l'occasion ,  depuis ,  d'en 
observer  de  pareils  sur  la  grève  de  Porshal.  D'après  cela,  il  n'est 
pas  douteux  que  des  recherches  dirigées  dans  ce  sens  ne  fassent 
découvrir  plusieurs  autres  forêts  sous-marines  sur  les  côtes  du 
Finistère,  principalement  dans  les  baies  à  plages  basses  et  sablon- 
neuses. Il  y  a  même  lieu  de  s'étonner  que  dans  un  pays  par- 
couru par  les  géologues,  et  dont  les  côtes  ont  été  étudiées  par  les 
hydrographes ,  toutes  les  forêts  sous-marines  ne  soient  pas  déjà 
signalées  depuis  long-temps.  Bien  plus ,  ce  sont  des  monuments 
qui  n'intéressent  pas  seulement  le  géologue ,  mais  qui ,  en  raison 
de  leur  date  relativement  récente  ,  rentrent  presque  dans  le 
domaine  de  l'Archéologie. 

L'anse  de  Sainte-Anne,  que  l'on  rencontre  à  l'entrée  du  Goulet, 
après  la  pointe  du  Pprtzic ,  est  bornée  du  côté  opposé  par  une 
autre  pointe  qui  la  sépare  d'un  fort  en  ruines.  Ces  deux  promon- 


-  39  - 

4ôires  forment  des  falaises  élevées ,  protégées  contre  l'action  des 
"vagues  par  les  roches  situées  à  leur  pied  et  que  la  mer  use  len- 
tement. Ce  sont  des  roches  d'une  grande  dureté,  figurées  sur  la 
carte  géologique  de  M.  de  Fourcy  comme  schiste  talqueux  modi- 
fié, mais  en  tout  cas  bien  rapprochées  du  gneiss.  Les  dimensions 
de  l*a}ise  Sainte -Anne  sont  environ  d'un  demi-Mlomètre  entre 
les  deux  pointes ,  ainsi  qu'en  profondeur  dans  l'intérieur  des  terres  : 
elle  forme  presque  un  demi-cercle  à  l'embouchure  d'une  vallée  en 
partie  marécageuse.  La  grève  est  en  pente  assez  douce  et  cou- 
verte d'un  sable  blanc  et  fin  ;  plusieurs  sources  la  parcourent  et 
viennent  se  jeter  à  la  mer. 

C'est  sur  cette  grève  que  l'on  voit  disséminés  presqu'à  fleur 
de  terre  des  troncs  d'arbres,  dont  quelques-uns  sont  réduils,  par 
la  pourriture  humide,  à  l'état  d'un  terreau  noirâtre  semblable  à 
de  l'argile  et  se  coupant  comme  celle-ci  au  couteau.  Toutefois 
on  les  trouve  principalement  rassemblés  vers  le  milieu  de  la 
grève ,  où  il3  forment  une  bande  parcourue  par  une  des  sources 
mentionnées  plus  haut ,  et  qui  sans  doute  n'a  fait  que  les  mettre 
à  nu  dans  cet  endroit.  On  voit  cette  bande  se  continuer  dans  la 
mer,  à  l'époque  des  plus  basses  marées.  Jusqu'où  des  sondages 
pourraient-ils  la  suivre  ,  c'est  ce  qu'il  serait  intéressant  de  savoir. 

On  peut  déjà  reconnaître  facilement ,  sans  qu*il  soit  nécessaire 
de  fouiller  le  ^ol ,  parmi  les  débris  incomplètement  altérés ,  les 
espèces  d'arbres  auxquelles  ils  appartiennent.  Le  chêne  a  pris 
seulement  une  couleur  noirâtre  en  conservant  sa  dureté  ;  le 
boukau  se  fait  remarquer  par  son  écorce  blanche  et  brillante , 
et  semble  déposé  là  depuis  un  petit  nombre  d'années  ;  le  tissu 
ligneux  de  couleur  rouge  d'une  autre  espèce  doit  la  faire  attri- 
buer à  Vifj  d'après  M.  de  la  Fruglaye.  Des  noisetiers ,  des  saules, 
des  aunes  doivent  s'y  trouver  aussi,  mais  ils  sont  plus  difficilement 
reconnaîssables.  Tous  ces  arbres  ont  été  signalés  dans  les  tour- 
bières et  dans  les  forêts  sous-marînes  de  France  et  d'Angleterre  ; 


~  40  — 

il  faut  y  ajouter  des  ^apins  pour  certaines  d'entre  elles.  Le  frêne , 
l'orme  sont  cités  encore ,  mais  plus  rarement  :  leur  conservation 
paraît  plus  difficile  ;  on  peut  remarquer  aussi  qu'il  n'est  pas  fak 
mention  du  hêtre  dans  les  nombreuses  descriptions  que  donnent 
les  auteurs  des  diverses  tourbières.  Comme  cet  arbre  est  très 
répandu  en  Bretagne ,  il  y  a  un  certain  intérêt  à  le  rechercher 
dans  ces  dépôts  anciens,  et  à  s'assurer  au  moins  s'il  y  est  repré- 
senté par  ses  fruits  ou  faines. 

Dans  les  fouilles  encore  incomplètes  que  j'ai  fait  pratiquer  sur 
la  grève  de  Sainte-Anne,  je  n'ai  pu  ajouter  jusqu'à  présent  qu'ua 
petit  nombre  de  faits  aux  précédents.  J'ai  fait  enlever,  autour 
d'un  des  débris  visibles  à  la  surface  (et  qui  pourrait  bien  être  un 
noisetier)  le  sable  qui  le  recouvrait  en  partie  ;  il  était  couché  à  une 
profondeur  de  30  centimètres  seulement  sur  un  sol  de  couleur 
noire,  dans  lequel  il  plongeait  ses  racines.  Ce  terrain  noirâitre,  d'une 
épaisseur  de  2  décimètres  environ,  reposait  lui-même  sur  une  couche 
d'argile  grise  dont  il  faudra  reconnaître  la  profondeur.  On  doit 
considérer  la  terre  noire  comme  le  sol  primitif  de  la  forêt ,  ou 
comme  le  terreau  végétal  que  ses  débris  ont  formé.  Des  rameaux 
entrelacés,  des  branches  comprimées,  des  racines,  s'y  rencontrent 
en  abondance.  Je  n'y  ai  pas  encore  trouvé  de  feuilles,  ni  d'insec' 
tes  et  de  coquilles,  que  M.  de  la  Fruglaye  a  reconnus  dans  le  sol 
végétal  de  la  forêt  sous  -  marine  de  Morlaix  ,  et  je  ne  puis  que 
soupçonner  certaines  tiges  herbacées  de  provenir  de  joncs  et  de 
fougères.  Mais  j'ai  été  assez  heureux  pour  y  trouver  plusieurs 
noisetteSy  signalées  dans  un  grand  nombre  d'autres  localités,  leur 
amande  avait  disparu  ou  s'était  racornie. 

On  voit  que  si  ces  recherches  sont  suffisantes  quant  au  fait 
principal  de  l'existence  d'une  forêt  sous-marine  à  Sainte -Anne, 
l'herborisation  dans  ces  bois  antiques  est  loin  d'être  complète. 
Je  compte  profiter  pour  cela  des  grandes  marées  aux  prochains 
beaux  jours.  Ajoutons  que  quelques  coups  de  bêche  donnés  au 


—  41  ~ 

hasard  sur  la  grève,   m'ont  fait  découvrir  immédiatement  un 
débris  d'arbre  enterré  dans  le  sable*  0) 

Mais  ce  qu'il  est  surtout  important  d'étudier,  c'est  la  disposi- 
tion des  lieux  et  la  comparaison  des  diverses  localités  analogues. 
Les  forêts  sous-marines  sont  en  effet  une  preuve  manifeste  dps 
changements  que  subissent  les  côtes  dans  leur  configuration ,  et 
de  celui  des.  niveaux  relatifs  de  la  terre  et  de  la  mer.  Si  celle-ci 
empiète  alors,  ce  n'est  pas  parce  que  la  masse  des  eaux  augmente, 
comme  on  l'avait  admis  autrefois ,  de  mémo  aussi  que  le^  eaux  ne 
diminuent  pas  là  où  la  mer  se  retire.  L'élément  mobile  conserve 
son  éternel  niveau,  la  terre  ferme  seule  éprouve  des  oscillations. 
On  sait  qu'en  Suède  ^  ^ie  se  soulève  lentement  dans  une  certaine 
étendue,  tandis  que  près  de  là,  sur  les  côtes  ée  Scanie,  elle 
subit  un  mouvement  inverse  de  dépression*  Ces  dépressions  ont 
été  reconnues  sur  des  étendues  considérables  de  côtes  en  plusieurs 
eontrées ,  et  la  Bretagne  paraît  être  de  ce  nombre.  Partout ,  sur 
ces  côtes  déchiquetées,  la  mer  envahit  sans  cesse  le  littoral  ;  des 
traditions  assez  récentes  semblent  confirmer  ce  fait,  et  il  n'est 
pas  nécessaire  pour  cela  de  remonter  au  ^  siècle,  et  de  recourir 
à  l'histoire  peut-être  véritable  de  la  ville  d'Is ,  engloutie  dans  la 
baie  de  Douarnenez.  Si  des  catastrophes  de  ce  genre  n'ont  laissé 
souvent  dans  plusieurs  pays  que  de  fabuleux  souvenirs,  si  elles 
ont  pu  môme  passer  inaperçues ,  comment  à  plus  forte  raison 
n'en  serait-H  pas  ainsi  pour  les  phénomènes  lents  et  graduels  ? 


(1)  Etant  retourné  cette  année  ^le  5  juin  1859)  h  Sainte-Anne,  avec 
une  partie  des  Élèves  en  médecine  de  l'École,  la  grève  s'est  offerte  à  nous 
enlièrement  couverte  de  sable  ;  mais  des  fouilles  peu  profondes  nous  ont 
procuré,  partout  où  nous  les  avons  pratiquées,  des  restes  organi- 
ques tels  que  ceux  déjà  trouvés ,  notamment  une  assez  grande  quantité 
de  noiseUes.  De  plus ,  nous  avons  recueilli  des  échantillons  assez  bien 
caraclérisés  de  jonc ,  de  feuilles  de  monocotylédones  cl  de  chêne,  ainsi  que 
de  noisetier^  de  graines  de  légumineuses,  etc.  Il  faut  citer  principalement 
des  débris  d'insectes  (élytres ,  corselets,  pattes),  qui  d'aboid  d'un  beau 
violet  métallique,  sont  devenus  ternes  et  noirâtres. 


—  42  - 

On  conçoit  donc  tout  l'intérêt  qu'il  y  a  à  rechercher  dans  le 
passé  rétat  des  lieux  actuels ,  et  en  particulier  des  contrées  du 
littoral,  et  combien  cette  étude  rétrospective  peut  ymiv  en  aide 
à  celle  que  nous  pouvons  faire  aujourd'hui ,  pour  nous  dévoiler 
la  cause  des  dépressions  du  soL  Par  là  nous  pourrions  savoir  si 
ces  causes  sont  locales,  telles  que  Tusure  graduelle  d'une <îein- 
ture  de  roches  qui  n'a  pas  plus  arrêté  les  eaux  envahissantes , 
ou  Faction  lente  des  sources  qui  ont  miné  le  terrain  ;  ou  bien, 
s'il  faut  s'en  rapporter  à  des  phénomènes  plus  généraux ,  des 
mouvements  souterrains  comparables  aux  tremblemens  de  terre. 

Je  ne  me  hasarderai  donc  pas  à  risquer  une  hypothèse  pour 
expliquer  l'affaisseme^  de  la  grève  de  Sainte-Anne.  Les  cartes 
les  plus  anciennes  que  j'ai  pu  consulter  ne  remontent  pas  à  deux 
siècles ,  l'anse  existait  à  peu  près  telle  qu'elle  est  aujourd  huî. 
D'un  autre  côté,  il  se  peut  que  les  eaux  qui  s'écoulent  de  la  vallée 
à  l'embouchure  de  laquelle  elle  est  située ,  aient  miné  le  terrain 
qui  servait  de  support  à  l'ancienne  forêt.  Pour  asseoir  avec  quel- 
que probabilité  une  hypothèse  â  cet  égard  ,  si  nous  n'avons 
l'histoire  et  la  tradition,  au  moins  la  comparaison  avec  des  loca- 
lités analogues  nous  est-elle  nécessaire. 


Brest,  le  29  Novembre  1858. 


C.  DELAVAUD. 


SËBASTOPOL 


ODE. 


Calsœ  ^raviore  casu  deciduni  iurra. 
Horace. 


L 


Voyez  ces  bataillons  4  deux  chefs  sonl  h,  leur  tète  : 
Raglan.^,..  et  Saiût-Arnaud  que  nul  danger  n'arrête  I 
Par  la  haine  animés,  vont-ils,  comme  autrefois 
Les  guerriers  du  Pénée  et  d'Ârgos  et  d'Aliiène , 
Aveugles  instruments  de  la  fureur  des  rois , 
Disputer  k  TAsie  une  nouTelle  Hélène  î 
Ou  tels  que  ces  soldais ,  fameux  par  leurs  revers , 
Esclaves  abrutis  d'un  despote  en  démence , 
Yont-ils ,  près  d'Abydos ,  construire  un  pont  immense  ', 
Et  châtier  les  flots  en  leur  jetant  des  fers?.... 


-  46  — 

Non  l  un  noble  but  les  anime  I 
Ils  vont,  dans  un  élan  sublime, 
Combattre  pour  les  opprimés  I 
Tels  que  les  Grecs  h  Salamine  , 
Gonune  les  Francs  en  Palestine , 
Le  feu  divin  les  illumine , 
Par  Dieu  lui-même  ils  sont  armés. 

Dieu  leur  a  dit  :  «  Sainte  milice  I 
»  Allez  défendre  la  Justice , 
»  Le  Droit ,  la  Raison  ,  TÉquité  ! 
V  Enfants  de  France  et  ^'Angleterre! 
2>  Sauvez  les  peuples  de  la  terre , 
»  Armez  vos  bras  du  cimeterre, 
»  Pour  protéger  THumanité  ! 

»  Races  trop  long-temps  ennemies  l 
»  Que  vos  phalanges  réunies 
»  Marchent  sous  le  même  drapeau  t 
»  A  rOrient,  qui  vous  appelle, 
»  Apportez  une  foi  nouvelle  ; 
»  Ramenez ,  d'une  main  ûdèle , 
»  Les  arts  à  leur  ancien  berceau  !  » 

IL 

L'aalocratet  dirait ,  Tgeil  fixé  sur  la  carte  : 
«  La  France  ne  peut  rien  ,  veuve  de  Bonaparte. 
»  Ses  fils  sont  divisés  ;  son  npuveau  souverain 
>»  Sent  déjà  vaciller  le  sceptre  dans  sa  main. 
»  La  superbe  Albion ,  cb^ue  jour,  elle-même , 
»  Voit  s'obscurcit  Véclat  de  sa  grandeur  suprême. 
»  L!heure  est  enfin  venue  où  l'aveugle  Destin 
»  Va  livrer  h  mes  coups  l'empire  Byzantin  !....  » 


-  47  — 

Et  soudain ,  à  sa  voix  ,  une  nombreuse  armée 

Du  Danube  envahit  la  province  alarmée  ; 

Aux  murs  de  Bucharest ,  séjour  des  hospodars  , 

A  Galatz ,  à  Jassi ,  brillent  ses  étendards. 

Sinope  et  les  vaisseaux,  que  sa  flotte  incendie , 

Attestent  sur  les  mers  sa  puissance  agrandie  ! 

Stamboul  va  périr  !....  Mais  de  Dundas ,  d'Hamelin  , 

Les  rapides  vaisseaux  pénètrent  dans  TEuxin  ; 

Us  sillonnent  les  flots  du  lac  où  la  Russie 

Fondait  le  piédestal  de  sa  suprématie  ; 

Déjà  de  la  Crimée  ils  atteignent  le  sol  t....  — 

Fils  des  vainqueurs  d'Eylau  I  voilà  Sébastopol  !.... 

Voilà  Sébastopol  !  énorme  forteresse 

Qui ,  pendant  soixante  ans ,  avait  grandi  sans  cesse  ; 

Dédale  de  remparts  et  Babel  de  soldats, 

Où  le  pied,  aux  afi'ùts,  se  heurte  à  chaque  pas, 

Et  qui ,  livrant  aux  flots  ses  larges  flancs  de  pierre  , 

Dans  ses  bassins  profonds  garde  une  flotte  entière. 

Dans  ce  vaste  arsenal  le  czar  forge  en  secret 

Les  chaînes  qu'il  destine  aux  fils  de  Mahomet. 


Que  de  sang  va  couler  aux  bords  de  la  Tauride , 
Pendant  les  trop  longs  jours  de  ce  siège  homicide  ! 
Arnaud  déjà  n'est  plus  !  Arnaud,  que  ranima 
L'espoir  de  triompher  dans  les  champs  de  l'Aima , 
Voit  ses  vœux  exaucés,  et  meurt  couvert  de  gloire, 
Comme  Épamînondas  au  sein  de  la  victoire  ! 
Canroberl  lui  succède  I  Aux  pieds  de  ces  remparts 
Où  MentschikolT  vaincu  cacha  ses  étendards , 
Devant  Sébastopol  la  lutte  alors  commence , 
Lutte  acharnée ,  horrible  et  sans  fin  I..,.  Siège  immense 
Et  sans  trêve ,  où  le  fer  ne  se  repose  pas , 
Qui ,  chaque  jour,  au  moins,  dévore  c«nl  soldats  ; 


—  48  —  - 

Gigantesque  épopée ,  unique  dans  l'histoire , 

Que  la  Postérité  refusera  de  croire  !..,. 

Là  se  sont  entassés,  sur  un  étroit  terrain  , 

Les  sublimes  acteurs  d'un  drame  surhumain  ! 

Là  s'est  renouvelé ,  sous  les  murs  d'une  place, 

Ce  qu'ont  fait  de  plus  grand  le  génie  et  Vaudace 

Des  soldats  du  Thabor  et  d'Héliopolis , 

Des  vainqueurs  de  Wagram ,  d'Iéna ,  d'Austerlitz  l 

Les  fils  ont  éprouvé  les  doule^irs ,  les  misères , 

Tous  les  fléaux  unis  qui  décimaient  leur$  pères , 

Aux  déserts  de  Lybie ,  aux  plaines  de  Wilna  , 

Et  sur  les  bords  glacés  de  la  Bérézina  I 

Us  ont  vu  tour  à  tour  s'abattre  sur  leurs  têtes, 

Du  noir  Septentrion  les  neigeuses  tempêtes , 

Et  les  typhons  du  Sud ,  météores  brûlants 

Qui  du  Gange  apportaient  la  peste  dans  leurs  flancs  l 

Trois  fois  les  assiégés  sortent  de  leurs  murailles.... 

Us  sont  vaincus  trois  fois  dans  trois  grandes  batailles  ; 

Et  de  Balaclava,  d'Inkermann,  de  Traktir, 

Aux  boi;ds  les  plus  lointains  les  noms  vont  retentir  1 

Français ,  Sardes ,  Anglais  1  quel  esprit  vous  anime  ? 

Quel  espoir  soutient  donc  votre  ardeur  magnanime , 

Dans  ces  jours  de  combats  ,  pendant  ces  longues  nuits  , 

Qui,  loin  du  sol  natal,  engendrent  tant  d'ennuis? 

C'est  l'esprit  çlu  Seigneur  ;  c'est  la  noble  espérance 

De  porter  la  lumière  où  régnait  l'ignorance  ; 

De  sauver  de  l'abîme  un  empire  expirant , 

El  d'arrêter  Tessor  d'un  nouveau  conquérant 

Qui,  des  bords  où  jadis  brillait  Théodosie,  (1) 

Menaçait  à  la  fois  l'Occident  et  l'Asie!.... 

Vos  vœux  seront  comblés,  et  ces  lointains  climats 

Consenreront  long- temps,  la  trace  de  vos  pas  l  — 

(!)  Tliéudoslc,  auJourtl*hui  Gafla,  (<ar  le   Bosphore  ciminérieiOi  ât>>t  une  ville  uèf 
riche  cl  1res  commerçante. 


~  49  ~ 


III. 


Notre  attente,  soldats ,  n'a  pas  été  trompée  ! 
Le  Monde  apprend  encor  ce  que  peut  votre  épée  ! 
Votre  sang  généreux  ne  s*esl  point  refroidi  1 
Vous  vous  êtes  montrés ,  —  dignes  fils  de  tels  pères  !  — 
Ce  que  furent  toujours ,  pendant  leurs  grandes  guerres , 
Les  vainqueurs  de  Lodi  ! 


Vous  avez  relevé  le  drapeau  de  la  France , 
Et  des  peuples  vaincus  ranimé  l'espérance  ! 
Tombée  à  Waterloo  ,  Taigle  a  repris  son  vol , 
Etonnée  en  voyant ,  sous  son  aile  guerrière , 
Les  enfants  d'Albion  déployer  leur  bannière , 
Devant  Sébastopol  ! 

Sébastopol  !...  Ce  mol ,  buriné  par  Thisloire, 
Aux  siècles  h  venir  apprendra  votre  gloire  ! 
Ilidira  vos  travaux  ,  vos  noms  et  vos  bauts  faits  ! 
Mais  là  doit  s'arrèler  votre  ardeur  martiale  ; 
C'est  rétape  assignée  à  l'aigle  impériale , 
Car  l'Empire....  est  la  paix  ! 

L'Empire ,  c'est  la  Paixl  la  main,  qui  civilise, 
A  mis  sur  vos  drapeaux  cette  belle  devise  ! 
Français  I  ne  jetez  plus  des  regards  de  courroux 
Sur  ce  peuple  vaincu ,  votre  ennemi  naguère , 
Sur  ces  guerriers  du  Nord ,  dignes  dans  cette  guerre 
De  lutter  contre  vous  ! 

7 


—  50  — 

Vous  avez  accompli  votre  mission  sainte  I 
Les  Nations  enfin  peuvent  marcher  sans  crainte 
Dans  les  champs  du  Progrès ,  où  se  pressent  leurs  pas. 
La  France  et  l'Angleterre ,  actives  sentinelles , 
Ont  reçu  le  mandat  de  veiller  auprès  d'elles, 
Et  n'y  failliront  pas  ! 

0  pays  de  Sion  !  Terre  long-temps  flétrie 
Pur  le  sombre. islamisme  et  par  l'idolâtrie  , 
Tu  verras  dans  ton  sein  fleurir  encor  la  Foi  I 
Cité  de  Constantin  î  la  divine  lumière 
Peut,  recouvrant  un  jour  sa  pureté  première 
Se  rallumer  en  toi  I 

Pour  l'Afrique  et  l'Asie  enfin  le  jour  se  lève  ! 
Après  plus  de  mille  ans ,  après  l'œuvre  du  glaive  , 
Le  Progrès,  h  son  tour,  dans  l'arène  descend , 
Pour  détruire  l'erreur,  combattre  l'ignorance , 
Et  ramener  les  arls  sur  le  sol  que  la  France 
Arrosa  de  son  sang. 

Déjk  la  Grèce  est  libre,  €t  la  cité  féconde 
Qui,  pendant  si  long- temps,  fut  le  flambeau  ^u  monde, 
Peut  devenir  encor  digne  de  son  grand  nom  ; 
Athènes  peut  revoir,  comme  au  temps  d'Aristide , 
La  Sagesse  arborer  son  étendard  splendide 
Sur  le  vieux  Parthénon  1 

Le  pavillon  français  protège  le  Bosphore. 
Les  temples  du  vrai  Dieu ,  que  l'Occident  ador<5 , 
Par  les  enfants  d'Allah  ne  sont  plus  insultés  ; 
Et  dans  les  champs  soumis  au  sultan  de  Dyzance , 
D'industrieux  colons  d'Angleterre  et  de  France 
Bâtiront  des  cités,  (i) 

(1)  L^initiaiive  de  ce  projet ,  qui  a  reça  un  commenceracnt  d*ex«îcution ,  appartient 
au  gouvernement  turc. 


—  ol   — 

Théâtre  glorieux  des  eipioits  de  aos  pères , 
L'Ëgyple  émaDcipée  attend  des  jours  prospères. 
Les  Pharaons  surpris  sortent  de  leur  tombeau  , 
Pour  contempler,  du  haut  des  grandes  pyramides , 
Ces  rails  qui ,  chaque  jour,  sur  les  déserts  arides . 
Etendent  leur  réseau  ; 

Et  pour  voir  s*enlr*ouvrir  cette  artère  féconde , 
Cette  route  promise  au  commerce  du  monde , 
Cet  isltmie  qui  s'élève  entre  deux  vastes  mers , 
Terre  inculte  et  déserte  où  dort  une  eau  fétide;  (1) 
El  que ,  d'un  bras  puissant ,  Lesseps ,  nouvel  Alcide , 
Livre  h  leurs  flots  amers  I...  (2) 


Béeemlrc  1858. 

DUSEIGNEUB. 


(1)  L'eau  des  lacs  amers  situés  vers  le  centre  de  Tisthme  de  Suez. 

(2)  Il  existe  un  singulier  rapprochement,  une  frappante  analogie  môme,  entre  la  fable 
et  la  vérité,  entre  le  percement  projeté  de  l'isthme  de  Sues  et  rorigine  attribuée  par 
la  Mythologie  au  détroit  de  Gibraltar.  On  sait  qn*flercule  sépara  les  deux  montagnes 
Calpé  et  Abyla,  et  fit  ainsi  communiquer  l'Océan  avec  la  -Méditerranée ,  par  an  détroit 
qui  a  porté  anciennement  son  nom.  Croyant  que  c'était  là  le  bout  du  monde,  il  y  éleva 
deux  colonnes  qu'on  appela  depuis  les  colonnes  d*Hercule,  et  sur  lesquelles  on  suppose 
qu'était  gravée  rinscripUon  :  Non  tUtrà,  L'ouverture,  à  travers  l'isthme  de  Saex, 
d'un  canal  de  grande  navigation  destiné  è  réunir  la  Méditerranée  k  la  mer  Bouge 
et  è  l'Océan  indien ,  est  un  véritable  travail  herculéen ,  d'une  importance  plus  grande 
pour  le  commerce  et  les  rapports  Internationaux  que  lo  détroit  de  Gibraltar.  M.  de 
Lesseps  est  l'Hercule  moderne  auquel  est  réservé  la  gloire  de  mettre  è  exécution  cette 
gigantesque  entreprise ,  qu'une  postérité  éloignée  traitera  peut-être  aussi  de  fabuleuse  • 
en  supposant  que  quelque  révolution  du  globe  vienne  effacer  les  souvenirs  de  la  civili- 
sation actuelle,  et  faire  disparaître  les  traces  des  uavaux  exécutés  par  la  main  de 
l'bomme  dans  le  percement  du  canal  de  Jonction.  L'espace  qui  s^are  les  deux  mers 
est  de  12  kilomètres  environ.  Cest  une  plaine  sablonneuse ,  nue  et  rase ,  où  il  n'y  a 
pas  un  arbre,  pas  un  brin  de  verdure.  Les  navires  ne  peuvent  s'approcher  de  la  côte 
à  cause  des  sables  mouvants.  Les  eaux  ibrment,  au  milieu  et  aux  extrémités  de  l'isthme» 
des  lacs  et  des  marais  dont  les  exhalaisons  empoisonnent  l'air.  {Note  de  l'auteur,) 


SIR  LE  LIVRE 


de 


iL^iimcDiriB 


M.  MICHELET. 


SUR  LE  LIVRE 


de 


L'AMOUR 


De  M.  MICHELET. 


M.  Michelet  vient  de  teater  une  troisième  excursion  dans  le 
domaine  de  la  Nature.  Après  X Insecte ,  après  ^Oiseau  ,  il  nous 
donne  V Amour ^  livre  étrange  ,  s*il  en  fut  I  L'intérêt  du  sujet , 
la  magie  du  style ,  le  nom  de  Tauteur,  lui  ont  fait  un  succès  tel 
qu*en  un  mois  deux  éditions  ont  été  épuisées. 

M.  Michelet,  si  ce  titre  n'eût  pas  été  profané  déjà,  aurait 
volontiers  intitulé  son  titre  :  L'Art  d^ aimer  (d'aimer  jusqu'au 
bout);  et  en  effet,  sauf  la  restriction  qu'il  y  met,  aucun  n'aurait 
mieux  convenu ,  car  c'est  un  poème  ;  il  y  a  là  plus  de  poésie 
que  dans  Ovide  ou  Gentil  -  Bernard  ;  l'auteur  l'a  écrit  avec  son 
âme  ;  faut  -  il  s'étonner  qu'il  soit  lu  avec  avidité  ?  Malheureuse- 
*ment,  aux  yeux  de  M.  Michelet,  charmer  n'est  rien,  il  aspire  à 
convaincre  ;  il  a  la  manie  de  l'enseignement,  il  veut  à  tout  prix 
enseigner  quelque  chose  à  quelqu'un  ,  et  il  a  pris  à  tâche  de 
nous  enseigner  l'Amour.  Ce  qu'il  veut,  c'est  nous  convertir  à  sa 


—  56  - 

foi ,  car  toutes  les  subtilités  qu'il  formule  ,  et  qui  pour  nous 
sont  comme. des  bulles  gonflées  d'air  dont  la  vue  se  délecte, 
sont  pour  lui  articles  de  foi  qu'il  faudrait  graver  dans  le  marbre, 
Si ,  chemm  faisant,  il  nous  captive  et  nous  enchante,  c'est  malgré 
lui  ;  il  serait  tenté  de  nous  en  demander  pardon  ,  et  malheur  à 
qui  irait  lui  porter,  en  manière  de  réponse ,  cette  conclusion  que 
tout  lecteur  tirera  de  son  livre  :  Quelle  splendeur  de  style  et 
quelle  pauvreté  de  logique  I 

Le  sujet  a  des  côtés  scabreux  »  mais  Tauteur  les  aborde  fran- 
chement, en  tout  bien  tout  honneur  ;  s'il  tourne  souvent  les  diffi- 
cultés ^  il  n'en  évite  sciemment  aucune;  sa  langue  est  pleine  de 
ressources,  et  il  excelle  à  faire  de  la  casuistique  sans  en  avoir  l'air. 

M.  Michelet  n'a  pas  voulu  faire  un  roman,  et  peut-être  a4-ii 
eu  tort  ;  souvent  ce  qui  serait  vrai  pour  un  homme,  une  femme, 
ne  Test  plus  dès  que  vous  l'attribuez  à  Thomme ,  à  la  femme 
mômes  ;  ce  qui,  dans  un  roman,  serait  trait  de  caractère,  devient 
contre  sens  ,  si  vous  le  généralisez.  M.  Michelet  n'a  pas  le  goût 
et  ne  se  croit  pas  le  génie  du  roman  :  qu'il  écrive  donc  un 
traité  sur  l'amour ,  rien  de  mieux ,  mais  alors  le  couple  qu'il 
met  en  scène  devra  ôtre  un  type—,  et  c'est  à  peine  une  réalité. 
Etait-il  possible  d'ailleurs  de  créer  un  type  semblable  ?  Autant  de 
tempéraments,  de  caractères,  autant  de  modifications  de  l'amour. 
Par  conséquent ,  il  fallait  écrire  un  roman  avec  des  caractères , 
ou  composer  un  manuel  avec  des  classifications.  Nous  allons 
voir  ce  qu'il  en  aura  coûté  à  l'auteur  pour  n'avoir  fait  ni  l'un 
ni  l'autre. 

M.  Michelet  se  demande  d'abord  si  sa  publication  est  oppo^ 
tune.  —  Oui ,  car  autour  de  nous  tout  avance  et  se  développe, 
une  seule  chose  diminue ,  c'est  l'âme  ;  l'idée  faiblit ,  la  race 
môme  s'étiole  et  décroît.  Comment  refaire  cette  société  qui  se 
décompose ,  comment  retremper  ces  caractères  qui  mollissent  ? 


-  57  ~ 

Où  est  le  sajut,  le  remède  ?  —  Dans  l'amçur,  dans  la  vie  mono- 
gamique ;  cette  vie  est  celle  de  tous  les  animaux  supérieurs  qui 
ne  là  Lrisent  qu'à  cause. des  exigences  de  la  faim  ;  c'est  aussi  la 
seule  qui  ^eonvi^nme  à  Thomme ,  car  l'amour  n'est  point  un 
état  transitoire,  une  crise;  dire  qu'il  n*e8t  qu'une  crise,  c'est 
le  méconnaître  ,  autant  vaudrait  définir  la  Loire  une  inondation. 
L'amour,  le  seul  qui  soit  digne  de  ce  nom ,  est  une  succession 
de  sentiments  et  de  ^passions  souvent  fort  divers ,  naissant  de 
toutes  les  combinais<ms  qui  peuvent  résulter  de  la  variété  d'aspects 
chez  la  femme  et  de  la  mobilité  de  l'imagination  chez  l'homme. 

D'après  l'auteur,  la  femme  jusqu'ici  a  été  mal  comprise  ;  le 
moyen-âge  la  déclarait  impure;  son  idéal,  c'était  la  vie  menas* 
tique,  le  célibat  ;  mais  les  récentes  découvertes  de  la  physiologie 
ont  changé  l'aspect  des  choses  :  la  source  même  de  la  vie  ne 
saurait  être  impure  ;  la  femme  donc  doit  remonter  au  rang  qui 
lui  convient ,  et  par  une  réaction  innocente ,  l'auteur  la  place 
môme  un  peu  plus  h^ut  et  sur  un  piédestal. 

De  plus,  —  et  c'est  ici  que  Fauteur,  sans  aucun  embarras, 
nous  initie  à  cette  révélation  qui  doit  changer  la  face  du  monde  et 
qu'il  rapporte ,  comme  une  perle,  de  ses  fouilles  dans  les  ouvrages 
de  clinique  et  les  atlas  d'anatomie ,  —  la  femme  est  un  être 
essentiellement  souffrant  ;  la  nature  la  tient  sous  sa  main;  conune 
un  oiseau  captif  qui  se  sent  des  ailes ,  elte  essaie  incessamment 
de  prendre  l'essor  ;  alors  le  lien  se  tend  et  se  fait  cruellement 
sentir  ;  sa  vie  se  consume  dans  cçs  alternatives  ;  toutefois,  cette 
dépendance  n'a  rien  d'humiliapt,  cette  souffrance  est  sacrée. 
L'esprit  systématique  de  l'auteur  s'est  tellement  exagéré  cette 
sujétion ,  cette  misère  de  la  femme ,  qu'il  a  fait  du  malaise  son 
état  normal  ;  les  i^omens  de  relâche  et  de  trêve ,  il  les  a  res- 
serrés dans  un  espace  imperceptible ,  ceux  de  douleur  ont  tout 
envahi.  De  cette  donuée  bizarre  ,  il  a  tiré  cette  double  consé- 
quence dont  la  suite  de  l'ouvrage  est  le  développement':  d'abord 

8 


-  S8  - 

que  la  femme  doit  être  traitée  avec  des  ménagemens  excessifs  ; 
puérils  ;  secondement ,  que  l'initiative  étant  un  attribut  de  la 
force ,  la  femme ,  cet  être  maladif  que  vous  savez ,  est  au  plus 
haut  degré  passible  et  malléable ,  et  que  le  mari ,  s'il  veut  s'en 
donner  la  peine ,  pourra  la  transformer,  la  façonner  à  son  gré, 
et  réaliser  Tunité  qui  est  le  but  de  Funiou.^  Cette  idée ,  dans  un 
chapitre  intitulé  :  Création  de  V objet  aimé ,  est  exposée  avec  tine 
naïveté ,  un  optiniisme  réjouissants.  La  capacité  du  maître  ,  la 
docilité  de  l'élève,  ne  font  pas  l'objet  d'un  doute  ;  ^  le  mari  ne 
réussit  pas ,  c'est  sa  faute ,  il  «'y  sera  mal  pris.  La  théorie  se 
résume  dans  cet  axiome  textuel:  «Toute  folie  de  la  femme  €St 
une  sottise  de  l'homme....  »  11  me  semble  que  c'est  abonder  par 
trop  dans  le  sens  de  Molière ,  et  exagérer  la  responsabilité  de 
Georges  Dandin. 

De  soi-même  et  par  instinct,  la  femme  ïie  demande  qtf  à  obéir,  à 
complaire,  à  abdiquer  toute  volonté,  à  s'interdire  toute  résis- 
tance. S'il  en  est  d'acariâtres ,  c'est  la  faute  de  quelques  amies 
obligeantes  qui  leur  enseignent  à  guerroyer,  lesquelles  amies  en 
ont  sans  doute  d'autres  dont  elles  reçoivent  le  môme  service,  et 
ainsi  de  suite  à  l'infini.  Au  demeurant,  la  femme  nous  est-elle 
supérieure  ou  inférieure  ?  Nous  serions  bien  exigeants ,  si  nous 
ne  nous  contentions  pas  de  la  réponse  de  l'auteur  :  11  en  est 
d'elles  comme  du  Ciel  par  rapport  à  la  terre  ;  il  est  dessus ,  il  est 
dessous. 

Supérieure  ou  inférieure  (peu  importe),  elle  est  essentiellement 
différente  :  elle  a  une  façon  particulière  de  marcher,  de  manger, 
de  respirer  ;  elle  a  un  langage  à  part  ;  ce  langage ,  c'est  le  sou- 
pir, le  souffle  passionné  ;  elle  n'a  qu'à  y  recourir,  sa  voix  s'entre- 
coupe, son  sein  ondule  et  nous  voilà  persuadés.  Ce  langage 
souverain  nous  est  interdit  à  nous  autres  hommes,  et  jamais, 
dans  un  moment  de  muette  émotion ,  nous  n'avons  été  capables 
de  rien  persuader  à  personne  ;  il  faut  passer  condamnation ,  et 


vous  sentez  quel  abhne  une  telle  dissemblance  creuse  tout  de: 
suite  entre  les  deux  moitiés  du  genre  humain. 

La  femme  est  Télément  de  fixité  ;  tout  changement  est  contre 
elle  :  quelle   déchéance  en  effet  du  premier  attachement  à  un* 
second,  du  second  à  un  troisième  I...  au  dixième,  la  femme 
n'existera  plus.  Le  mariage  n'est  donc  pas  chose  légère ,  car  la. 
femme  se  donnant  tout  entière ,  ne  peut  se  donner  qu'une  fois, 
«t  pour  accepter  celle  qui  s'offre  sans  commettre  une  profana- 
lion,  il  faut  en  être  digne.   —  Mais  comment  serais-je  digne' 
d'elle  ?  Qui  suis-je  pour  créer  une  femme  ?  dira  le  jeune  homme  ^ 
déjà  entamé  par  la  vie  ,  fatigué ,  blasé  peut-être.  Ai-je  assez  de 
force ,  de  lumière ,  ai-je  seulement  gardé   le  sens  d'aimer  ?  — 
Mais  l'auteur  a  une  bonne  parole  pour  lui,  parole  généreuse  et. 
vraie  :  «  Non ,  ne  te  méprise  pas,  ne  te  défle  point  de  toi  ;  ce 
vain  passé  qui  te  poursuit,  tout  cela   n'était  pas  l'amour  :  tu 
n'en  es  pas  même  à  le  deviner.  Ce  sens  dort ,  mais  il  existe , 
c'est  la  réserve  de  Dieu.  »> 

Après  la  création  de  la.fenmie  viennent  l'initiation  et  la  com- 
munion.  L'initiation   sera   beaucoup  moins  laborieuse  dans  la 
solitude  qu'au  sein  de  la  société.  Choisissez  à  la  campagne  une 
maison  petite  et  proprette ,  deux  étages ,  trois  pièces  à  chacun, 
avec  un  grand  verger,  un  petit  jardin  et  des  eaux  jaillissantes. 
La  sollicitude  de  l'auteur  s'étend  jusqu'aux  moindres  détails  ;  il 
donne  ses  conseils  pour  le  jour  de  la  n6ce ,  il  règle  les  prépa- 
ratifs du  matin  ,  les  précautions  du  soir  et  jusqu'au  déjeûner  da 
kndemain.  Pour  vous  faire  bien  venir  de  la  jeune  maltresse  de 
maison ,  donnez-lui  de  grands  placards,  de  profonds  tiroirs,  des 
resserres],  des  sièges   de   toute   hauteur.    Pas  de  poêles ,  des 
cheminéesj  ;    étendez   partout   des    tapis   doublés ,  triplés    do 
moelleuses   doublures.    Pas  de  domestiques,  tout  au  plus  une 
bonne  fille  de  campagne  à  qui  Madame  apprendra  à  lire.  Pas 
de  femme  de  chambre ,  ce  serait  une  puissance  avec  laquelle  il 


-  60  — 

faudrait  compter  ;  au  besoin ,  le  mari  en  servira  :  «  Pour  celui 
qui  aime ,  les  réalités  de  nature  ne  font  nul  tort  à  l'idéal.  • 

La  femme  a  rintellîgence  très  vive ,  très  souple,  et  pourtant 
souvent  elle  profite  peu  ;  on  peut ,  on  doit  renseigner,  mstis  il 
faut  le  faire  à  propos  ;  une  erreur  d'un  jour  serait  chose  grave  ; 
il  faut  consulter  le  calendrier  et  le  baromètre.  Voilà  l'auteur 
retombé  dans  son  idée  fixe  :  si  vous  choisissez  un  moment  pro- 
pice ,  vous  serez  étonné  de  vos  succès  ;  â  pareil  jour,  de  lunaison 
en  lunaison ,  te  germe  intellectuel  que  vous  avez  jeté  dans  èou 
esprit  sera  de  nouveau  repris,  travaillé,  développé.  Si  quelque 
chose  peut  encourager  dans  celte  tâche  difficile  d'instruire  la 
femme ,  c'est  à  coup  sûr  cette  promesse  diartoanto  qui  nous 
est  faite  en  son  nom  :  «  Elle  t'attribuera  tout  ce  qu*a  fait  l'esprit 
des  temps  ;  elle  t'aknera  pour  Linné  et  le  mystère  des  fleurs  ; 
elle  t'aimera  pour  les  diamants  du  Ciel  que  vit  le  premier 
Galilée.  » 

Entrons  maintenant  dans  une  phase  nouvelle  de  la  vie  de  la 
femme  ;  elle  va  devenir,  elle  devient  mère.  Ses  premières  lan- 
gueurs, ses  souffrances  suprêmes,  sa  résignation,  les  terreurs 
du  mari ,  la  rivalité  qui  s'établit  entre  îé  père  et  l'enfant ,  dès 
le  premier  tressaillement  de  ce  dernier,  et  se  prolonge  à  son 
profit  jusqu'après  l'allaitement ,  et  plus  tard  la  tristesse  de  la 
mère  sevrée  de  son  fils  qu'on  envoie  aux  écoles ,  souffrant  de 
l'y  savoir  malheureux ,  souffrant  plus  encore  de  l'y  voir  consolé  ; 
tout  cela  est  peint  de  main  de  ttiBUife ,  avec  la  chateur  d'une 
&me  à  qui  rien  de  ce  qui  fait  battre  le  cœur  humain  n'est 
indifférent. 

Mais  durant  celte  période  de  maternité ,  qu'est  il  arrivé  ?  Héîas  f 
runion  s'est  peut-^tre  un  peu  relâchée  ;  tandis  que  le  berceau 
réclamait  hi  mère ,  le  monde  a  repris  l'homme  et  lui  a  soufflé 
des  idées  d'ambition.  Par  la  spédalilé  et  le  métier,  il  est  devenu 
plus  fort,  mais  il  a  perdu  en  éclat,  en  élévation  ;  11  est  devenu 


-  6i   - 

moins  harmonique.  La  femme,  de  son  côté,  est  arrivée  à  Tapogée  de 
la  \ie,de  la  sanlé.  C'est  rheure  critique  ;  tes  pièges,  les  intrigues,  les 
demi'Vidences^  et  à  leur  défaut  la  seule  nature  réussissent  parfois 
à  la  troubler,  à  Tentrainer.  Mais  ne  vous  h&tez  jamais  de  la  juger  : 

Oh  !  n'insultez  jamais  une  femme  qui  tombe  ! 

Savez- vous  combien  de  degrés  il  y  a  entre  la  faiblesse  et  la 
perversité?  Savez  vous  combien  d'éléments  sont  nécessaires  pour 
coEfôiituer  un  consentement  valide  et  imputable  ?  Les  tribunaux, 
lorsqu'ils  ont  à  juger  une  femme ,  devraient  ils  seulement  hasar- 
der une  opinion  avant  de  s'être  adjoint  un  jury  médical ,  qui 
étudierait  les  circonstances  accessoires  et  ferait  ainsi  la  pa^t  de 
ht  vôloBté  et  celle  de  la  fatalité  ? 

il  faut  si  peu  de  chose  pour  faire  tomber  une  femme  !  et  en 
effet  les  exemples  cités  par  M.  Midielet  sont  très  concluants  ;  il 
nous  avertit  du  reste  ,  4ans  sa  préfabe  et  dans  ses  notes  ,  qu'il 
dispose  d'une  foule  de  docuàicns ,  qu'il  a  reçu  mmbre  de 
confidences  et  qu'il  n'avance  rien  dont  il  n'ait  la  fyreove  en 
réserve.  Voici  un  trait  de  fragilité  qu'il  livre  à  nos  méditations  : 

Vous  revenez  d'un  long  voyage  ;  dans  nne  heure ,  vous  serez 
à  la  ville  y  dans  deux  heures  chez  vous  ;  on  vous  attend  ,  avec 
la  table  dressée  auprès  d'un  bon  feu ,  avec  un  vin  généreux 
tiré  du  cellier  tout  exprès  pour  vous  ;  mais  un  incident  survient... 
votre  passeport  n'était  pas  en  règle  ;  bref ,  vous  êtes  retenu  à 
la  ville  et  vous  d^chez  un  ami  complaisant  pour  annoncer  que 
vous  ne  pourrez  être  rendu  que  le  lendemain.  En  le  voyant 
arriver  seul  et  sans  vous,  elle  est  saisie,  elle  pâlit;  maïs  il  la 
J^ssure,  explique  les  choses,  provoque  une  réac^lofi  qui  va  presque 
jusqu'à  la  gaîté  ;  on  l'invite  à  s'asseoir  :  le  vfn  est  tiré ,  on  le 
boit.,,.  Le  lendemain,  vous  la  trouvez  en  larmes ,  on  déseôpoir 
obstiné  la  précit)ite  à  vos  pieds  ;  elle  ne  dit  rien ,  mais  voos 
devins  tout  Oh  1  alors,  pitié  pour  elle  ;  voils  êtes  tort,  soyek 


—  62  — 

boa  ;  reconnaissez  ici  Tœuvre  aveugle  de  la  fatalité  ;  surtout  dc 
la  rudoyez  pas ,  quand  même  elle  vous  supplierait  de  la  rouer 
de  coups,  ou  bien  et  si  elle  y  tient  absolument,  ne  lui  accordez 
qu'une  correction  légère  qui  lui  rende  un  peu  de  paix ,  en  lui 
laissant  croire  que  c'est  une  expiation. 

Souvent  la  faute  aura  pour  principe  Tafifection  même  qu'elle 
a  pour  vous  :  vous  avez  un  neveu  que  vous  chérissez ,  elle  ne 
pourra  prendre  sur  elle  de  le  haïr  ;  vous  avez  un  commis ,  un 
secrétaire  qui  prend  vos  intérêts  à  cœur,  qui  a  votre  confiance 
et  votre  amitié  ;  il  se  peut  que  votre  préféré  devienne  le  sien  ; 
mais  vous  ne  vous  y  tromperez  pas  :  en  lui  c'est  encore  vous 
qu'elle  voit ,  vous  qu'elle  aime. 

Si  la  femme  est  facile  à  entraîner,  elle  est  encore  plus  facile 
peut-être  à  préserver;  si  elle  est  tentée,  qu'elle  descende  au 
jardin,  qu'elle  interroge  une  fleur  ;  la  nature  est  tout  innocence, 
qu'elle  écoute  les  voix  de  la  nature ,  qu'elle  prenne  une  rose 
pour  directeur.  Le  plus  souvent  un  rien  détruirait  ce  faible 
naissant  qui  tout-à-rheure  envahira  l'âme  entière  ;  il  suffirait  de 
changer  d'air,  de  recourir  au  moindre  expédient.  Exemple  :  Vous 
vous  apercevez  que  votre  femme ,  fille  du  Nord ,  habituée  aux 
caractères  lents ,  aux  allures  calmes  des  hommes  de  ces  régions . 
commence  à  distinguer  dans  son  entourage  un  jeune  méridional 
fraîchement  débarqué  de  Marseille  ou  de  Carpentras  ;  la  vivacité 
de  son  humeur,  sa  faconde  étourdissante  la  séduisent  et  la  frap- 
pent ;  aussitôt ,  prétextez  une  affaire  et  emmenezla  dans  la  patrie 
môme  de  ce  rival  que  vous  allez  ruiner  du  coup  en  le  montrant 
semblable  à  mille  autres,  c'est-à-dire  vulgaire.  Si,  au  contraire, 
ce  rival  était  un  insulaire  rose  et  blond,  vous  n'avez  qu'à  changer 
de  direction ,  passez  le  détroit ,  courez  à  Londres. 

Un  danger  d'un  autre  genre  menace  la  femme  :  un  temps 
vient  où  sa  santé  chancelle,  son  énergie  vitale  faiblit,  la  maladie 
la  frappe  ;  mais  là   n'est  point  sa  plus  grande  appréhension  ; 


—  63  - 

elle  tremble  de  devenir  pour  son  mari  un  objet  de  dégoût..*. 
Qu'il  la  console  alors ,  la  relève ,  la  guérisse  lui  seul ,  qu'il  soit 
son  prêtre  et  son  médecin.  A  la  convalescence  succède  une  vague 
tristesse  ;  elle  sent  bien  qu'elle  a  faibli ,   tandis  que  lui   il  est 
encore  fort  et  actif ,  c'est-à-dire  jeune.  Mais  cet  élat ,  qui  est 
la  seconde  jeunesse  de  la  femme,  n'est  pas  non  plus  sans  charme. 
(Y  a-t-il  pour  l'optimisme  quelque  chose  qui  soit  absolument  sans 
charme?)  Ces  aspirations  de  l'automne  se  prolongent  jusqu'à  la 
vieillesse ,  ou   plutôt  la  maturité ,  car  il  n'y  a  désormais  plus 
de  vieille  femme  :  M.  Michelet  se  flatte  de  l'avoir  supprimée. 
Le  regard  de  la  femme  prend  avec  Tàge    une  vivacité  ,  une 
expression  surprenantes  ;  mille  choses  gracieuses  dont  la  jeunesse 
était  incapable  lui  deviennent  possibles  ;  elle  peut  inspirer  encore 
de  vifs  sentiments,  et  vraiment  il  n'y  a  aucun  motif  pour  qu'elle 
ne  soit  pas  immortelle  :  s'il  n'y  a  pas  décadence,  pourquoi  donc 
la  mort  ?  M.  Michelet  en  donne  une  raison  à  laquelle  personne 
ne  s'attend  :  le   but  de  l'union ,  c'est  l'unité  ;  mais  l'unité  est- 
elle  réalisable   ici-bas?  Non,  car  l'esprit  humain  s'exerce  sur 
deux  classes  de  connaissances  bien  distinctes  :  les  sciences  de 
la  Justice,  les  sciences  de  la  Vie  ;  les  premières  sont  le  domaine 
presque  exclusif  de  l'homme ,  la  femme  excelle  dans  les  secon- 
des ;  cette  divergence  ne  fait  que  grandir  à  mesure  que  la  vie 
avance  :   l'homme  incline  de  plus   en  plus  vers  la  justice ,  la 
femme  vers  la  grâce  ;  la  vie  est  donc  uu  obstacle  à  l'unité ,  et 
il  faut  évidemment  que   la  mort ,  intervenant ,  permette  à  ces 
deux  âmes  jusqu'ici  parallèles,  de  se  rencontrer  et  de  se  fondre  ; 
et  voilà  pourquoi,...  nous  sommes  tous  mortels. 

Lequel  mourra  le  premier  ?  Ce  sera  l'homme ,  si  vous  le  voulez 
bien  :  à  l'homme  de  mourir,  à  la  femme  de  pleurer  ;  elle  res- 
tera comme  une  àme  attardée,  s'occupera  de  garder  la  mémoire 
du  mort,  de  lui  conquérir  de  nouveaux  amis  ;  après  quoi  elle 
mourra;  le  semblable  ira  rejoindre  son  semblable  !... 


—  C4  — 

Quand  on  essaie  ,  comoie  nous  venons  de  le  faire,  d'analyser 
ce  livre  singulier,  on  trouve  un  tel  mélange  dldées  vraies  et 
d'idées  bizarres ,  que  Tesprit,  dérouté  ,  se  demande  :  tout  cela 
est-il  sérieux  ?  Rien  de  plus  sérieux ,  certes ,  que  le  point  de 
vue  où  se  place  l'auteur,  rien  de  plus  grave  que  le  ton  de 
Fouvrage  ;  l'esprit  dans  lequel  il  est  conçu  est  excellent  :  •  Jeuue 
bonune ,  lis  bien  ceci  tout  seul  et  non  avec  cet  étourdi  de 
camarade  que  je  vois  derrière  toi,  qui  lit  par  dessus  ton^aule; 
si  tu  lis  seul ,  tu  liras  bien,  et  la  sainteté  de  la  nature  te  tou- 
chera. »  Mais ,  d'autre  part ,  combien  de  théories  naïves ,  de 
paradoxes  chatoyants  I  Combien  de  puérilités ,  charmantes  si 
vous  en  riez ,  très  impatientantes  si  vous  voulez  les  discuter.  Il 
serait  mal ,  sans  doute ,  d'abuser  de  la  parodie ,  mais  peut-on 
se  résoudre  à  les  réfuter  gravement?  Non ,  en  dépit  des  préten- 
tions de  l'auteur,  on  hésite  à  endosser  la  lourde  armure  de  la 
logique  ;  il  y  a  dans  celte  mêlée  trop  d'adversaires  fantastiques, 
trop  de  moulins-à-vent.  Toutefois ,  certaines  erreurs ,  certaines 
contradictioiis  soni  trop  flagrantes  ou  trop  graves,  pour  n'ôlre 
pas  relevées. 

Pour  M.  Ukhelet ,  et  cette  remarque  est  tout  à  l'honneur  de 
son  c^açtère,  l'humanité  ne  se  compose  pas  seulement  de  cette 
infime  minorité  qu'on  nonrnie  la  cl^^se  aisée,  les  riches  ;  il  a, 
dit-il,  étudié  la  femme  dOins  toutes  les  conditions  ,  et  il  écrit, 
non  pour  quelques  privilégiés,  mais  pour  tous  ceux  qui  vivent 
libre? ,  au-dessus  du  besoin ,  au  dessus  de  la  pauvreté  ;  mais 
il  oublie  bien  vite  cette. excellente  résolution  :  tournez  le  feuillet, 
il  n'a  plus  devant  les  yeux  que  la  femme  oisive  et  sédentaire 
à  qui  ne  manque  aucune  des  aises  de  la  vie.  Il  est  vr^i  que  si 
la  femme  nç  fait  rien,  le  mari  travaille  pQur  deux.  Mais  alors 
ce  masi  qui  ne  rentre  que  le  soir,  accablé  de  fatigue,  avide  de 
repos,  où  prendra  tnil  le  temps  d'.ense^ner  quand  il  a  à  peine 
celui  d'apprendre  ?  et  s'il  le  trouve ,  exjgerez-vous  qu'il  engage, 


•--  6o  — 

près  du  foyer,  des  entretiens  qui  ne  feront  aucune  trêve  aux 
travaux  dont  il  est  excédé  ?  Nous  ne  sommes  pas  tous  histo- 
riens ou  poètes  ;  les  sciences  positives  ont  pris  dans  notre  société 
une  place  immense ,  envahissante.  Quel  attrait ,  quelle  utilité 
auront-elles  pour  la  femme?...  Restons  plutôt  dans" l'ornière  et 
contentons  -  nous  de  lire  en  famille  le  Magasin  pittoresque  ou 
XOncle  Tom. 

Mais  cette  action  incessante  de  l'homme  sur  la  femme  ,  telle 
que  vous  la  comprenez  ,  n'est  pas  moins  puérile  qu'impratica- 
ble. Jamais ,  depuis  qu'on  a  hrûlé  les  Cartes  du  Tendre ,  on 
n'avait  fait  une  si  large  part  aux  Petits  -  Soins.  Mais  la  virilité, 
la  dignité  de  l'homme  ne  trouvent  point  leur  compte  dans  ces 
prévenances  calculées  et  raffinées  qui  sont  comme  une  combi- 
naison d'infiniment  petits.  Votre  idéal  c'est  un  ménage  de  deux 
femmes  ;  mais  la  femme  et  l'homme  ne  gagneront  rien  à  se 
ressembler  ;  la  similitude  n'est  pas  l'accord ,  l'identité  n'est  pas 
l'unité. 

Pourquoi  aussi  n'avoir  pas  réfléchi  que  toutes  vos  recettes , 
vos  panacées  ,  eussent  -  elles  quelque  vertu  par  elles  -  mômes  , 
deviennent  inutiles  dès  que  vous  les  publiez ,  dès  que  vous  les 
ébruitez?  Les  femmes  seront  les  premières  à  dévorer  ce  livre 
qui  les  met  en  cause  et  dont  (pour  le  dire  en  passant),  elles 
vous  sauront  peu  de  gré ,  en  dépit  du  bien  que  vous  dites 
d'elles  ;  essayez  maintenant  de  proposer  à  la  moins  avisée  ,  à  la 
plus  oublieuse ,  un  voyage  en  Italie  ou  une  excursion  en  Angle- 
terre. 

Pourquoi  surtout  avoir  éclairé  un  coin  de  la  nature  humaine  dont 
l'ombre  est  le  charme  et  le  privilège  ?  Je  sais  tout  ce  qu'on  peut 
objecter  :  rien  de  ce  qui  relève  de  la  Nature  ne  doit  rester  étranger 
à  l'homme  ,  tout  ce  qui  est  du  domaine  de  l'une  est  de  la  com- 
pétence de  l'autre  ;  si  la  nudité  a  quelque  chose  de  dangereux , 
c'est  à  notre  honte ,'  car  ce  n'est  point  elle-même  qui  est  mau- 

9 


--  66  - 

vaise ,  mais  la  pensée  qui  l'interprète  et  les  pinceaux  les  plus 
chastes  ne  sont  pas  ceux  précisément  qui  s*en  montrent  le  plus 
avares.  —  Je  sais  cela  ;  mais  autre  chose  est  de  peindre  la  Nature, 
immobile  dans  sa  beauté,  ou  active  dans  ses  fonctions.  La  Science 
a  son  langage  et  la  Poésie  a  le  sien;  l'une  tient  un  scalpel, 
l'autre  une  palette ,  et  tout  échange  entr  elles  est  funeste.  Cela 
admis  ,  je  suis  prêt  à  reconnaître  qu'il  était  impossible  d*écarter 
le  voile  d'une  main  plus  chaste  ;  on  ne  pouvait  pa3  mieux  réussir  ; 
mais  il  valait  mieux  ne  pas  entreprendre. 

Pourquoi  enfin  vouloir  dépouiller  la  vieillesse  de  son  air  austère 
et  risquer  ainsi  de  rendre  ridicule  ce  qui  était  vénérable  ?  Ne 
la  troublez  pas  dans  le  port  tranquille  d*où  elle  regarde,  désin- 
téressée, la  mêlée  dçs  passions,  et  n'essayez  pas  de  l'y  ramener  ; 
elle  y  ferait  triste  figure,  et  elle  perdrait  un  peu  de  notre  confiance 
et  beaucoup  de  notre  respect.  De  grâce,  laissez-nous  la  bonne 
opinion  que  nous  avons  de  nos  grand'mères  ! 

J'ai  à  faire  à  M,  Michelet  un  reproche  plus  grave  encore  :  deux 
choses  sont  absentes  de  son  livre ,  l'idée  du  Devoir  et  la  pensée 
de  la  Mort  II  y  est  beaucoup  parlé  de  Dieu ,  quelquefois  de  la 
conscience  ,  mais  cela  ne  m'abuse  pas  ;  la  notion  du  devoir  chez 
la  femme  n'y  est  pas  môme  supposée.  Une  telle  lacune  vaut  la 
peine  qu'on  la  signale,  surtout  dans  un  livre  écrit  par  un  penseur 
si  justement  célèbre  et  honoré,  dans  un  livre  qu'il  croit  lui-même 
éminemment  moral.  Aussi,  quelle  peine  ne  se  donne-t-il  pas 
pour  la  combler,  cette  lacune  ;  mais  c'est  comme  un  abîme  où 
tout  ce  qu'il  jette  s'engloutit  et  disparaît.  S'il  avait  voulu  faire 
une  place ,  petite  ou  grande ,  à  cette  loi  du  devoir  qui ,  Dieu 
merci,  est  toujours  acceptée  par  le  bon  sens,  si  elle  est  parfois  niée 
par  le  gé,nie  ,  comme  son  œuvre  eût  été  simplifiée  I  C'est  dans  le 
cœur  même,  oui  dans  le  cœur  malade,  qu'il  aurait  trouvé  le  frein  et 
le  remède  ;  il  fallait  seulement  cultiver,  développer  ce  sens  intime  ; 
I9.  lutte  peut-être  n'eût  pas  été  évitée,  mais  la  victoire  était  assuréCi. 


-  07  — 

On  a  reproché  à  l'auteur  d'Emile  de  s'être  ingénié  beaucoup 
pour  faire  arriver  comme  fortuitement ,  aux  yeux  de  l'élève  ,  les 
exemples  qui  devaient  servir  de  thème  aux  leçons  du  maître  ; 
mais  (outre  qu'Emile  n'était  pas  destiné  à  lire  le  livre  qui  donne 
la  clef  de  toutes  ces  rubriques),  combien  M.  Mîchelet  prend  plus 
de  peine  encore  pour  faire  réagir  le  dehors  sur  le  dedans ,  pour 
préparer  left  évènemens  ,  pour  disposer  les  milieux  !  il  attend 
tout  de  Textérieur,  parce  qu'il  n'a  pas  su  se  ménager  un  auxi- 
liaire dans  la  place  assiégée  ;  il  a  pour  toutes  ressources  une 
rose  qui  servira  de  directeur,  un  voyage  en  Angleterre,  en  Italie, 
au  Japon ,  qui  servira  de  diversion.  Que  dire  d'un  homme  qui, 
sur  le  point  de  s'embarquer,  redoutant  les  périls  de  la  traversée, 
essaierait  d'enchaîner  les  vents  au  lieu  de  se  munir  d'un  bon 
pilote  ? 

Quant  à  la  pensée  de  la  mort ,  elle  n'apparaît  qu'au  dernier 
chapitre ,  et  l'auteur  est  mal  à  l'aise  avec  elle ,  il  est  contraint, 
gêné  ;  ce  qu'il  en  dit  est  vague  et  bref  ;  évidemment  elle  dérange 
ses  plans.  Que  serait-ce  si ,  moins  tardive ,  elle  était  survenue 
avant  ce  terme  extrême  où  on  nous  la  laisse  entrevoir,  parce 
qu'il  n'est  plus  possible  de  la  cacher?  Gomment  l'auraient  -  ils 
reçue  et  supportée ,  ces  jeunes  époux  occupés  à  arranger  leut 
vie  pour  la  terre ,  à  se  dresser  un  lit  de  roses ,  comme  s'ils  y 
devaient  dormir  indéflniment  ?  Voilà  pourtant  ce  qu'il  fallait 
prévoir ,  vous  qui  êtes  l'homme  des  précautions  ;  vous  en  prenez 
contre  tout,  excepté  contre  la  mort.  Est-ce  un  oubli?  ou  plutôt 
cette  illusion  qui  vous  montre  dans  les  brouillards  de  l'avenir  une 
ère  de  justice  et  de  paix,  où,  comme  vous  dites,  le  ciel  sera  sur  la 
terre  ;  vous  fait-elle  aussi  espérer  que  la  mort,  cette  suprême  inflr-' 
mité,  ira  comme  les  autres  en  s'évanouissant  peu  à  peu,  et  qu'il 
est  superflu  de  prendre  contre  elle  des  dispositions  provisoires  ? 
Vous  me  dites  que  le,  semblable  rejoint  sou  semblable  ;  que 
l'unité  se  réalise  par  delè  la  mort.   Cela  ne  me  suffit  pas  ;    ce 


—  68  —      • 

qui  m'importe ,  t'est  de  savoir  dans  quelles  conditions  je  renaî- 
trai  ;  cette  unité  enfin  obtenue  aura-t-elle  détruit ,  englouti  ma 
personnalité  ?  S'il  en  est  ainsi,  est-ce  la  peine  que  je  \ive  et  que 
je  m'intéresse  à  moi-même, 

ïl  est  surprenant  que  le  sentiment  religieux  qui,  dans  la  vie 
de  la  femme,  occupe  tant  de  place,  n'ait  pas  obtenu  de  M.  Michelet 
même  une  mention  honorable,  car  si  Dieu  se  trouve  sans  cesse 
au  bout  de  sa  plume ,  c'est  un  mot  qui  signifie  tout  ce  qu'on 
veut...  Je  me  trompe,  l'auteur  parle  une  fois,  une  seule,  des 
questions  religieuses  ;  c'est  pour  régler  l'heure  et  le  lieu  où  il  con- 
vient de  les  traiter.  Je  ne  vous  dirai  pas  le  lieu,  mais  pour  l'heure, 
c'est  une  des  premières  de  la  nuit,  ou  le  matin ,  au  petit  jour. 

J'ai  formulé  mes  griefs.  Il  me  resterait  à  faire  ressortir,  par 
des  exemples  ,  la  véhémence  ou  la  grâce  d'un  style  vraiment 
incomparable,  lumineux  et  concis,  sans  trahir  jamais  le  moindre 
effort  ;  la  finesse  des  aperçus,  souvent  étranges,  jamais  vulgaires  ; 
cet  art  de  rendre  pour  ainsi  dire  palpables  des  nuances  d'idées  ; 
cette  verve  qui  entraine ,  cet  éclat  qui  éblouit,  donnant  à  peine 
le  temps  de  faire  des  réserves,  toutes  ces  qualités  brillantes  qui 
font  de  M.  Michelet,  non  pas  un  grand  apôtre,  mais  un  vrai 
poète. 

Veut-il  flétrir  ce  qu'il  appelle  éloquemment  la  polygamie  de 
l'Occident  :  «  C'est  un  amour  de  chenille  qui  traîne  de  rose 
en  rose  ,  gâtant  le  bord  de  la  feuille ,  sans  atteindre  le 
calice.  »  Veut-il  peindre  la  fidélité  naturelle  à  la  femme  :  «  Elle 
aime  très  également,  d'un  cours  continu  et  que  rien  n'arrête, 
comme  coule  la  rivière  ou  le  fleuve ,  comme  une  belle  source 
solitaire  de  la  Forêt-Noire ,  à  qui ,  passant  par  là ,  je  m'avisai 
de  demander  de  quel  nom  elle  s'appelait ,  elle  dit  :  Je  m'appelle 
Toujours.  »  Quelle  délicatesse  dans  cette  remarque  à  propos  de 
fa  jeune  femme  qui  va  devenir  mère  :  «  Elle  rêve  toujours  un 
enfant  surnaturel ,  et  c'est  ce  qui  dotie  l'enfant  ;   c'est  ce  qui 


—  69  — 

nous  fait  ce  que  nous  sommes ,  et  quiconque  est  fort  sur  la 
terre  ,  c'est  que  sa  mère  Ta  conçu  dans  le  ciel.  • 

Mais  à  quoi  bon  citer,  puisque  le  livre  est  dans  les  mains 
de  tout  le  monde ,  puisque  tout  le  monde  Ta  lu  ou  le  lira  ? 

ràime  mieux  chercher,  en  finissant,  à  me  rendre  compte  de 
son  origine.  A  quelle  disposition  d*esprit ,  à  quelles  influences 
faut-il  le  rapporter  et  Tattribuer  ?  M.  Michelet ,  ainsi  qu'on  Ta 
très  bien  remarqué ,  a  eu  le  sort  de  tous  les  gens  du  monde 
qui  se  mettent  à  lire  des  ouvrages  de  médecine.  Il  ne  s*est  pas 
cru  pourtant ,  comme  il  arrive  d'ordinaire ,  atteint  lui-même  de 
toutes  les  infirmités  qu'il  voyait  décrites ,  mais  il  en  attribue 
une  bonne  partie  à  la  femme.  Pour  bien  voir  les  choses,  il  ne 
faut  pas  les  regarder  de  trop  près,  ni  les  fixer  trop  long-temps  ; 
M.  Michelet  a  été  dupe  et  victime  d'une  illusion  d'optique. 

A  cette  explication  très  fondée ,  j'en  ajouterais  volontiers  une 
autre  :  M.  Michelet  est  dans  un  âge  où  l'on  commence,  surtout 
quand  le  cœur  est  resté  jeune  et  l'imagination  ardente,  à  vivre 
de  souvenirs,  parce  que  le  présent  est  terne  et  que  l'avenir  ne 
promet  rien.  Aussi  s'est-il  complu  à  reconstruire,  à  notre  usage 
et  au  sien,  le  roman  de  l'amour  conjugal ,  à  prendre  en  idée  la 
place  du  jeune  époux,  et  à  revivre  avec  lui,  l'une  après  l'autre, 
toutes  les  années  de  la  jeunesse  ;  les  détails  nous  ont  paru  minu- 
tieux ,  frivoles;  ils  servaient  à  l'illusion  de  l'auteur;  à  mesure 
qu'il  les  multipliait ,  tout  autour  de  lui  se  dessinait  plus  nette- 
ment ,  et  lui-même  abandonnant  peu  à  peu  son  vieux  cabinet  de 
travail ,  venait  habiter  la  jolie  maison  à  deux  étages ,  avec  un 
grand  verger,  un  petit  jardin  et  des  eaux  jaillissantes.  Ce  livre 
de  l'Amour  n'est-il  pas  aussi  un  rêve  rétrospectif? 

Paul  ClIABAL. 


RAPPORT 


SDB  LC8 


Travanî  de  la  Société  Académique  de  Brest. 

{1858  —  1889) 


Messieurs  , 

Aux  termes  da  Règlement ,  uii  de  vos  Secrétaires  doit  Ion? 
les  ans  vous  présenter  un  rapport  sur  Tensemble  des  travaux  de 
la  Société  Académique.  C'est  cette  obligation,  que  je  viens  rem- 
plir aujourd'hui. 

Ce  devoir  m'a  été  doux ,  Messieurs ,  car  le  tableau  que  j'ai 
à  mettre  sous  vos  yeux  ne  manque  pas  d'un  certain  éclat.  Les 
études  provoquées  par  votre  Société ,  dans  la  première  année 
de  son  existence  ,  au  milieu  des  incertitudes  inséparables  de 
toute  création ,  sont  une  réponse  suffisante  aux  médisances  tou- 
jours faciles  d'esprits  un  peu  trop  sévères  pour  autrui  et  un  peu 


—  71  — 

trop  indulgents  pour  eux  -  mêmes.  Votre  entreprise  a  réussi , 
Messieurs,  et  si  votre  Société  ne  s'est  ,pas  encore  signalée 
par  quelqu'une  de  ces  importantes  productions  qui  demandent 
aux  corps  les  mieux  constitués  un  travail  continu  de  plusieurs 
aimées,  vous  avez  vécu,  vous  avez  préparé  des  matériaux,  enfin 
par  vos  lectures ,  vous  n'êtes  restés  étrangers  à  aucune  partie 
de  la  littérature  et  de  la  science. 

,  Le  premier,  le  plus  impérieux  besoin  de  Tesprit-humain,  c'est 
d'échapper  de  temps  en  temps  aux  misères  et  aux  bassesses  de 
cette  vie ,  en  se  réfugiant  dans  nn  monde  meilleur,  dans  une 
atmosphère  plus  sereine  et  plus  pure.  La  poésie  répond  à  ce 
désir  éternel  de  l'idéal  qui  tourmente  par  instants  môme  les  Âmes 
les  plus  vulgaires.  Si  les  vers  nous  clfârment  et  nous  transportent, 
ce  n'est  pas  seulement  parce  que  la  pensée ,  pressée  à  la  mesure 
étroite  de  la  poésie,  jaillit  plus  énergique  et  plus  éclatante  ;  la 
langue  du  poète  est  une  langue  ailée  qui  permet  à  l'âme  de 
s'envoler  jusqu'à  ces  sphères  célestes  dont  Pythagore  entendait  le 
mouvement  harmonieux.  Dans  tous  nos  sentiments,  dans  nos 
douleurs  comme  dans  nos  joies ,  il  y  a  un  élément  surnaturel 
et  divin  qui  échappe  à  la  langue  de  la  prose  et  que  la  poésie 
seule  peut  exprimei^.  La  poésie  est  donc  l'ornement  nécessaire  de 
toutes  les  Sociétés  littéraires.  Elle  ne  vous  a  pas  manqué.  L'aspect 
grave  et  mélancolique  de  la  Bretagne ,  les  souvenirs  historique» 
de  cette  vieille  province,  où  les  druides  ont  fait  couler  le  sang 
tunfâin ,  et  qui  a  gardé  jusqu'à  nos  jours  ses  légendes  et  se» 
ruines ,  ce  tableau  toujours  intéressant ,  souvent  majestueux  ^ 
nous  a  été  retracé  par  M.  Mauriès.  M.  Duseigneur  nous  a  dit 
la  chute  de  Sébastopol  et  les  merveilles  de  la  paix  couronnant 
une  victoire  dont  l'éclat  est  aujourd'hui  rajeuni  par  de  nouveaux 
triomphes.  M.  Clérec  a  préféré  raconter  en  quelques  vers  deux 
de  ces  anecdotes  où  se  retrouve  la  gaîté  de  la  basoche ,  de  tout 
temps  chère  aux  amis  de  l'esprit  gaulois',  et  M.  Aigues-Sparses  ,. 


~  72  - 

dans  ses  Rêveries  ,  ses  Souvenirs  de  Plougastel  et  la  Mort  ie 
Pétrarque^  a  montré  la  puissance  de  rimagination  poétique ,  lés 
joies  réservées  aux  poètes  et  les  récompenses  que  le  ciel  leur 
garde  ,  que  la  terre  ne  leur  refuse  pas  toujours. 

Ce  n*est  pas  s'éloigner  beaucoup  de  la  poésie  que  s'occuper 
de  métaphysique.  Platon  est  presque  le  rival  d'Homère  quand, 
dans  le  Phédon ,  il  compare  Tàme  à  deux  coursiers  fougueux , 
dont  l'un  essaie  de  gravir  la  sphère  céleste,  tandis  que  le  second 
animé  de  passions  moins  pures ,  se  précipite  sans  cesse  vers 
les  régions  inférieures;  Aristote  nous  retrace  le  plus  magnifique 
des  spectacles  quand  ,  dans  la  métaphysique  ,  il  nous  montre 
l'univers  sans  cesse  attiré  par  un  attrait  invincible  vers  le  ciel 
immobile,  moteur  unique  vers  lequel  tout  gravite,  et  aussi  où 
Dieu  repose  dans  sa  lumière  manifeste  et  son  éclatante  majesté. 
Depuis  cette  époque ,  l'homme  s'est  toujours  demandé  à  quoi 
servent  les  étoiles  suspendues  à  la  voûte  céleste  ;  tous  ces  astres 
doivent- ils  poursuivre  éternellement  une  route  inutile  ,  ont-ils  la 
même  destinée  que  le  globe  sur  lequel  nous  vivons  ,  et  possè- 
dent-ils des  habitants  ?  questions  souvent  agitées  et  que  quelques 
esprits  plus  audacieux  ont  cru  pouvoir  résoudre.  C'est  dans  la 
bouche  de  l'habitant  d'une  de  ces  planètes  que  M.  Du  Temple 
a  placé  un  discours  sur  Dieu,  ses  attributs,  ses  perfections ,  ses 
devoirs  envers  l'homme  et  la  sagesse  de  son  infinie  Providence. 

Un  penseur  profond  a  prétendu  que  l'humanité  était  destinée 
à  passer  par  trois  phases  ou  évolutions  successives  :  l'état  théolo* 
gique ,  l'état  métaphysique ,  l'état  scientifique.  Ces  divisions  cor- 
respondent  à  des  études  essentiellement  différentes ,  et  qui  sans 
doute  vivront  long-temps  ensemble  sans  qu'aucune  exile  ses  riva^ 
les,  car  elles  répondent  à  des  préoccupations  également  légitimes. 
Cependant,  les  sciences  qui  ont  plus  spécialement  pour  objet  les 
destinées  de  l'homme  en  tant  que  membre  d'une  société  humaine, 
comme  pro<Jucteur  et  consommateur,  font  tous  les  jours  de  nou- 


—  73  — 

veaui  progrès ,  et  Téconomie  poHUque  «  née  d'hier  à  peine ,  a 
déjli  pHs  une  place  que  nul  ne  lui  conteste  depuis  que  des 
révolutions  ont  témoigné  de  son  utilité  et  de  sa  grandeur.  De' 
toutes  les  questions  soulevéea  par  cette  science,  il  n'en  est  pas 
de  plus  (Uffîcjle  que  celle  de  ralliance  du  capital  et  du  travail 
M.  Du  Tqmple  a  donc  abordé  un  problème  difficile  en  traitant 
cette  question,  et  peut- être  en  signalant  le  rftie  que  joue 
entre  ces  deux  forces  celle  de  TintelUgence  trop  souvent  négligée, 
a  t4l  indiqué  un  moyen  de  résoudre  le  problème. 

La  critique  UttérairQ  a  aussi  produit  quelques  travaux.  L'influence 
des  livres  sur  le  monde  a  été  étudiée  par  M.  Hauriès.  Cette 
influence  est  prolongée  et  puissante,  puisque  le  monde  est  mené 
par  les  idées  ;  mais  il  ne  faut  pas  oublier  que  la  force  gouverne 
aussi  le  oionde,  que  le  hasard  a  sa  part  dans  les  plus  grands  événe- 
ments, et  que  si  Alexandre  portait  toujours  avec  lui  un  Homère, 
si  la  réfonne  et  la  Révolution  sont  sorties  d'un  mouvement  litté- 
raire ,  ni  Romulus ,  ni  Gengiskan ,  ni  Tamerlan  ne  savaient  lire, 
enfln  que  le  fer  et  le  feu  servent  les  mauvaises  causes  avec  autant 
d'ardeur  que  les  bonnes.  Les  amours  de  Laure  et  de  Pétrarque, 
la  fidélité  de  ee  poète  italien  pour  la  femme  qui  est  l'objet  per- 
pétuel de  ses  vers ,  et  dont  il  a  chanté  la  mort  après  avoir 
chanté  la  vie  ont  été  contestées  devant  vous  et  soutenues  avec 
ardeur  par*  M.  Mauriès,  qui  a  porté  dans  ses  entretiens  la  viva- 
cité d'un  disciple  cond)attant  pour  un  maître  dàétu 

Une  notice  sur  l'abbé  €boisy  vous  a  révélé  un  côté  curieux 
des  mœurs  du  ^7^  siècle.  Cet  abbé  toujours  vêtu  en  feomie, 
aimé  et  recherché  dans  une  société  d'élite  ,  n'annonee^t-il  pas 
déjà  la  vie  facile  du  -IS^  siècle  avec  Iqi  liberté  de  ses  moeurs 
çt  son  élégant  scepticisme?  ,r 

H.  Chabai ,  dans  une  éXsià»  sur  YAnuwfT^  a  ^ifichdet ,  vous 
a  signalé  une  autre  tendance.  C'est  celle  qui,  dans  notre  siècle, 
permet  par  la  plus  étrange  confusion  de  trani^rt^  l'idéal  où 

40 


'         ^  74  - 

il  ne  saurait  toujours  avoir  sa  place,  et  de  compromettre  la  morale 
en  la  mêlant  trop  souvent  aux  caprices  de  la  passion  ou  de  la 
fantaisie.  La  médecine  jetée  de  vive  force  dans  Tamour,  la  pitié 
énervante  mise  à  )a  place  des  austères  devoirs  qu'impose  le 
mariage ,  tel  est  le  secret  de  la  faiblesse  d'un  livre  ou  Tauteur 
n'a  pu  cependant  ne  pas  mettre  son  amour  du  beau ,  sa  sym- 
pathie pour  les  faibles  et  des  pensées  souvent  profondes,  revêtues 
des  charmes  d'un  langage  incomparable. 

L'Histoire  proprement  dite,  avec  les  sciences  qui  s'y  rattachent, 
l'Archéologie ,  la  Géographie ,  devaient  occuper  plus  long-temps 
votre  attention.  Une  étude  de  M.  Dottin  sur  les  galères  au  M^ 
siècle  vous  a  rappelé  comment  Oolbert  et  les  Intendants  orga- 
nisaient la  chioufme  pour  les  besoins  de  la  Mariné.  Les  origines 
de  la  Bretagne  ,  les  noms  des  populations  primitives  du  Finistère 
ont  été  sérieusement  étudiées  par  M.  Duseigneur.  M.  Levot 
vous  a  détaillé  l'histoire  de  la  fondation  du  port  de  Brest  sous 
Richelieu  ;  vous  avez  vu  comment  ce  puissant  établissement  était 
presque  ruiné,  quand  Colbert  lui  rendit  k  vie  et  le  mouvement. 
Le  récit  de  l'attaque  de  Camaret  par  les  Anglais,  et  des  efforts 
que  fit  alors  Vauban  pour  défendre  les  côtes  et  le  port  de  Brest, 
vous  a  amenés  à  étudier  attentivement  une  question  agitée  dans 
un  long  et  sérieux  débat  entre  MM.  Dauvin ,  Levot  et  Pilven  , 
sur  l'origine  des  fortifications  de  Brest,  la  part  prise  aux  travaux 
par  les  ingénieurs  Féry  et  Sainte-Colombe ,  les  murs  élevés  par 
eux,  ceux  que  Vauban  a  dû  commencer  lui-même  ou  qu'il  n'a 
eu  qu'à  compléter.  Vous  ne  vous  êtes  pas  prononcés  dans  lé 
débat ,  vous  n'aviez  pas  à  lé  'faire.  Une  étude  approfondie  peut 
seule  mettre  fin  à  de  pareilles  discussions.  Pour  une  Société 
Académique  ,  c'en  est  assez  que  de  l'avoir  provoquée.  Enfin, 
M.  Dauvin  nous  à  retracé  un  rapide  résumé  des  rencontres  qui 
avaient  eu  lieu  au  48«  siècle  entre  les  flottes  anglaises  et  fran* 
çaises.  C'était  encore  faire  l'histoire  de  Brest, 


-  75-^ 

L* Archéologie  a  eu  un  fidèle  interprèle  dans  M.  Fleury.  Le 
canon  indien,  dont  les  tronçons  ornent  la  porte  de  la  Direction' 
d'Artillerie  de  Marine ,  la  plaque  en  plomb  trouvée  à  Recou- 
vrance ,  portant  les  armes  du  comte  d'Estrées ,  et  rappelant  la 
fondation  de  Thôpital  de  Recouvrance  ,  Téglise  des  Carmes , 
la  Bibliothèque  de  la  ville,  ont  été  le  sujet  de  mémoires  que 
vous  n'aveE  pas  oubliés.  L'abbaye  de  Landévennec  et  la  légende 
du  Folgoet  ont  été  aussi ,  de  la  part  de  M.  Levot,  l'objet  d'une 
notice  depuis  livrée  à  l'impression. 

La  Géographie  et  l'Histoire  naturelle  ont  aussi  occupé  votre 
assemblée.  Aux  rapports  de  M.  Jardin  sur  les  travaux  de 
MM.  Crouan ,  travaux  déjà  approuvés  par  l'Institut  et  qui 
n'ont  pas  besoin  de  nos  éloges ,  sont  venus  s'ajouter  d'intéres- 
sants mémoires  de  M.  Jouan  ,  lieutenant  de  vaisseau ,  sur  lu 
pèche  de  la  baleine,  les  Iles  de  l'archipel  Hawaïen,  les  îles  Chin- 
chas  et  la  formation  du  guano  ;  M.  Cuzent  vous  a  aussi  adressé 
une  notice  remplie  de  faits  précieux  sur  Taïti ,  les  productions 
de  cette  île,  les  avantages  qu'on  en  a  déjà  retirés  et  ceux  qu'on 
pourrait  en  tirer  encore  pour  le  commerce  et  pour  la  marine. 
Enfin,  M.  Delavaud  vous  a  lu  une  note  curieuse  sur  les  anciennes 
forêts  sous-marines  qui  couvraient  les  côtes  de  Bretagne  et  phas 
spécialement  sur  celle  dont  il  a  cru  retrouver  les  traces  dans 
la  baie  de  Sainte-Anne. 

Deux  fragments  d'un  ouvrage  sur  l'hygiène  en  Bretagne,  une 
note  de  M.  Caradec  sur  les  conditions  de  l'air  atmosphérique  , 
voilà  la  part  de  la  médecine.  Les  sciences  pures  elles-mêmes 
n'ont  pas  été  tout-à  fait  négligées.  Les  notes  de  M.  Riou-Kerhalet 
sur  un  mémoire  de  M.  Pilven  concernant  l'emploi  des  miroirs 
paraboliques  et  sphériques  combinés ,  les  extraits  qu'a  faits 
M.  Garnault,  du  MecanicKs  Magazine  et  du  T^autical  Magazine^ 
ont  reçu  de  vous  un  accueil  qui  doit  encourager  à  suivre  ces 
exemples. 


-  76  - 

Cette  revue  rapide  de  vos  travaux  ne  peut  en  signaler  que  le 
notiibre  plutôt  que  rimporlance  ;  vos  souvenirs  suppléeront  à  ce 
qu'elle  a  de  trop  bref,  et  vous  reconnaîtrez  sans  peine  que  tous 
les  travaux  dont  les  titres  seuls  vous  sont  rappelés  aujourd'hui 
représentent  de  sérieuses  et  nombreuses  études. 

Tels  sont,  Messieurs^  les  résultats  déjà  évidents  de  votre  Société. 
Il  en  est  d'autres  qui  se  manifesteront  plus  tard  ;  vous  vous  êtes 
réunis,  vous  avez  mis  en  commun  et  vos  connaîssanccâ  et  ce 
besoin  de  s'instruire  qui  est  le  signe  des  âmes  élevées  ;  vous 
avez  vu  se  rapprocher  de  vous  des  Membres  correspondants  dont 
quelques-uns  portent  un  nom  déjà  consacré  par  la  science.  Enfin, 
vous  avez ,  si  j'ose  le  dire,  créé  un  nouveau  centre  intellectuel  ; 
c'est  là,  Messieurs ,  un  glorieux  résultat,  et  vous  avez  le  droit 
de  vous  en  montrer  fiers. 

Vous  ne  pouvez  mieux  faire  ,  d'ailleurs ,  pour  vous  associer 
au  mouvement  général  qui  éclate  en  France  aujourd'hui  ;  par- 
tout des  Sociétés  savantes  s'organisent  :  partout  des  hommfô 
dévoués  à  la  science  marchent  à  la  conquêts  du  passé  pour  préparer 
l'avenir.  C'est  là  un  spectacle  toujours  magnifique,  mais  qui  em- 
prunte aux  circonstances  une  nouvelle  grandeur.  Il  est  des  heures 
solennelles  où  la  parole  semble  n'appartenir  qu'aux  événements. 
Tantôt  c'est  une  nation  qui ,  détachée  de  son  passé ,  incertaine 
de  son  avenir,  semble  se  chercher  elle-même,  et  s'agite  dans  de 
fécondes  mais  douloureuses  révolutions.  Tantôt  ce  sont  les  luttes 
de  l'industrie  et  les  fureurs  de  la  spéculation  qui  semblent  emporter 
un  peuple  tout  entier.  Souvent  enfin ,  la  voix  du  canon  couvre 
toutes  les  autres,  et  l'on  n'entend  plus  que  le  bruit  des  armes. 
Cependant  il  reste  toujours  des  hommes  dévoués  à  l'étude ,  qui 
poursuivent  en  silence  les  travaux  d'une  vie  consacrée  aux  lettres 
et  aux  sciences.  Ils  savent  qu'en  définitive  c'est  par  là  que 
vivent  les  nations.  L'histoire  sait  à  peine  le  nom  de  celles  qui  ont 
été  les  plus  puissantes,  quand  la  gloirç  littéraire  leur  a  manqué, 


—  77  ~ 

et  une  ville  de  quelques  milliers  d*âmes  ,  Athènes  et  Florence , 
tient  plus  de  place  dans  les  annales  de  Thumanilé  que  Ninive  et 
Babylone,  un  moment  maîtresses  de  F  Asie.  Les  lettres  honorent 
et  protègent  les  natioqs.  U  y  a  trente  ans ,  c'est  le  souvenir  de 
Démosthène  et  de  Platon  qui  a  donné  Findépendance  à  la  Grèce 
moderne.  Hier  encore,  si  l'Europe  émue  suivait  d'un  regard  atten- 
dri nos  armées  triomphantes  à  Magenta  et  à  Solferino ,  n'est-ce 
pas  que ,  défenseurs  de  la  plus  sainte  des  causes ,  les  dignes 
descendants  des  vainqueurs  d'Austerlitz  et  de  Marengo  allaient 
délivrer  un  pays  illustré  par  de  grands  génies ,  n'est  -  ce  pas 
parce  que  l'Italie  est  la  patrie  du  Dante ,  de  Pétrarque  et  de 
Michel-Ange.  C'est  surtout  aux  Français  qu'il  appartient  de  pro- 
clamer cette  grande  et  noble  vérité.  Seuls ,  de  tous  les  peuples 
du  monde ,  nous  avons  déjà  quatre  siècles  de  gloire  littéraire , 
et  celle  terre  privilégiée  qui  a  déjà  produit  tant  de  grands  écri- 
vains depuis  Rabelais  et  Montaigne  jusqu'à  Lamartine  et  Victor 
Hugo ,  ne  parait  pas  près  de  s'épuiser.  Travaillons  donc  ,  Mes- 
sieurs ,  dans  la  mesure  de  nos  forces ,  à  conserver  et  agrandir 
le  dépôt  de  lumières  qui  nous  a  été  confié.  C'est  là  une  œuvre 
dans  laquelle  nul  n'a  le  droit  de  se  reconnaître  incapable  et 
inutile  !  Tous  les  efiTorts  méritent  une  égale  estime ,  et  nul  ne 
demeure  sans  récompense.  Avec  de  la  persévérance  ,  la  Société 
Académique  de  Brest  aura  sa  part  dans^t^^  utiles  et  sérieux 
résultats  qu'obtiennent  de  tous  côtés  les  Sociétés  savantes. 

H.  REYNALD. 


-^<-. 


Ail  sein  de  la  forêt  où  Tarbre  séculaire 
Cache  dans  ses  rameaux  un  ravissant  mystère , 
C*est  un  grand  jour  de  fêle  au  bord  du  nid  charmant , 
Frêle  et  timide  encore ,  un  jeune  oisean  s'apprête  , 
Pour  la  première  fois  ,  k  faire  la  conquête 
De  l'air,  son  élément. 


Avant  de  se  laisser  guider  par  le  Zéphyre , 
11  jette  un  œil  craintif  sur  son  nouvel  empire. 
Séduit  par  l'inconnu ,  redoutant  le  danger, 
11  contient  les  premiers  battements  de  son  aile  , 
Puis  il  se  lance  au  sein  du  gouffre  qui  l'appelle, 
Qui  l'appelle  à  plonger. 


-  79  - 

Abrilez-le ,  rameaux  I  Sois  lui  douce ,  6  Nature  ! 
Maintenant,  il  est  roi  des  airs,  de  la  verdure. 
Et  Faquilon  docile  au  jeune  audacieux 
Le  porte  comme  un  trait  bien  loin  de  sa  feuillée , 
Bien  loin  du  bois  obscur,  bien  loin  de  la  vallée  , 
Jusqu'au  plus  haut  des  cieux. 

Chêne  antique ,  où  du  ciel  il  louchait  k  la  terre. 
Frais  berceau  suspendu  par  Tamour  d*une  mère  , 
Palais  aérien  oii  reposait  son  nid , 
Du  haut  de  son  domaine ,  il  vous  voit  et  s'élance 
Dans  les  champs  de  Tazur,  dans  le  voyage  immense 
A  travers  Tinfini  ! 

Oh  !  Finfini  des  airs,  TOcéan  sans  rivage , 
La  coupe  inépuisable  au  céleste  breuvage , 
D*où  s'épanchent  toujours  le  désir  et  Tespoir, 
C'est  du  chétif  oiseau  la  volupté  profonde  ! 
C'est  là  son  lot ,  son  but ,  son  destin  dans  le  monde  ; 
Tout  embrasser,  tout  voir  ! 

A  rOxient  blanchi ,  lorsque  l'aube  est  éclose , 
Jl  voit  verdir  la  feuille ,  il  voit  s'ouvrir  la  rose , 
Il  voit  le  fruit  mûrir  et  germer  le  sillon. 
Dans  la  coupe  d'argent  de  la  fleur  arrosée 
Par  les  pleurs  de  la  nuit,  il  puise  la  rosée 
Avec  le  papillon. 

11  se  pose  au  sommet  des  sombres  pyramides. 
n  effleure  en  passant ,  de  ses  ailes  humides , 
La  blanche  cataracte  et  le  gouffre  écumant  ; 
Puis  il  va  comparer  quelle  onde  est  la  plus  pure , 
De  la  mer  qui  mugit ,  du  ruisseau  qui  murmure  - 
Ou  du  beau  lac  dormant. 


-  80  — 

11  visite  îe  bois  peuplé  de  calme  et  d*ombre , 
La  ville ,  autre  forêt  aux  murmures  sans  nombre  , 
Et  la  verte  savane  et  les  brûlants  déserts. 
Sur  le  mât  du  vaisseau  parfois  il  se  délasse , 
Quand  du  mouvant  sillage  il  aperçoit  la  trace 
Au  sein  des  vastes  mers. 


Puis  il  reprend  son  vol ,  il  m<»nte ,  il  monte  encore , 
Il  dépasse  Téclair!  —  Dans  les  feux  de  l'aurore 
Il  se  plonge  en  chantant  aux  torrents  du  soleil. 
Dans  un  essor  «ans  borne  il  trouve  la  jeunesse , 
El  la  force ,  et  la  vie  et  rélemelle  ivresse 
Dans  un  rayon  vermeil  ! 


Au-dessous  de  ses  pieds  l'invisible  alouette 
Voit  fuir  le  beau  nuage  et  sans  cesse  répète 
Jusqu'au  plus  haut  des  airs  son  hosannah  joyeux. 
—  Ici-bas,  l'homme  esclave  en  sa  prison  de  fange 
Entend  le  chailt  divin ,  et  se  dit  :  «  C'est  un  ange 
»  Qui  chante  dans  les  cieux  !  » 


II. 


—  Oui«  l'oiseau  dans  les  cieux,  et  Thomme  sur  la  terre 
Et  quand  l'oiseau  poursuit  ai  chanson  solitaire , 
Nous  continuons,  nous,  notre  destin  puéril, 
Nos  sarcasmes  impurs,  nos  tristes  utopies. 
Nos  émeutes,  nos  pleurs,  nos  blasphéoies  ispics , 
Fruits  amers  de  l'exil... . 


~  81  — 

Mais  un  jour  cependant,  tout  meurtri  de  ses  chaînes, 
1/homme,  pour  oublier  les  tortures  humaines, 
Jeta  ce  cri  plaintif:  «  Oh!  si  j'étais  oiseau!...  m 
€e  doux  rêve  sécha  les  larmes  maternelles  : 
Quand  son  enfant  n*est  (^s,  la  femme  voit  des  ailes 
A  l'ange  du  berceau. 

Quand  la  Grèce  enchantée^  où  le  marbre  palpite. 
Où  le  rêve  est  partout ,  pour  Tàme  sans  limite  » 
Veut  trouver  k  son  tour  un  symbole  caché , 
Elle  donne  aussitôt  h  Tidéal  lui-même 
Invisible  et  divin,  un  ravissant  emblème  : 
Des  ailes  à  Psyché  i 

Des  ailes î...  N'est-ce  pas  sur  ces  rapides  flammes, 
Sur  des  ailes  d'azur,  que  s'envolent  nos  âmes , 
Quand  soudain  nous  nageons  sur  un  trait  du  soleil , 
Qu'à  nos  regards  de  feu  l'infini  se  révèle , 
Et  que  l'immensité  devant  nous  ét^icelle 
Dans  la  nuit  du  sommeiil 

Ohl  voir  rouler  sous  soi  les  sphères  transparentes. 
Et  parler  et  sourire  aux  planètes  brûlantes , 
Quel  rêve  !...  —  et  quel  réel  aura  de  tels  attraits ?=..  •— 
Amis ,  ne  troublez  point  ma  vision  chérie... 
Oh  I  ne  m'éveillez  pas  î  Laissez-moi ,  je  vous  prie  : 
Ne  m'éveillez  jamais  ! 

Mais  quoi  !  voici  le  jour  :  le  soleil  de  la  terre 
Vient  frapper  mes  regards  d'une  froide  lumière  ; 
La  cloche  me  rappelle  au  labeur  suspendu. 
Je  retourne  k  la  vie ,  k  l'exil ,  k  la  tombe... 
De  mon  ciel  flamboyant ,  hélas  !  je  roule  et  tombe  : 
Mes  ailes  ont  fondu  ! 

il 


—  82  — 

Esl-ee  une  Tîsionî...  N'était-ce  qu'un  mensonge? 
Lequel  est  le  réel?  £i  leqilel  e6t  le  songe  ?... 
Ravissement  des  nuits,  doux  mirages  du  ciel, 
Si  vous  éliez  pourtant  1  Si  Thomme,  un  jour,  sans  voiles, 
Boit  ë'élancer  vers  Dieu  d'étoiles  en  étoiles 
Dans  un  ?el  éternel  ! 

— ^  Non,  ce  ri*est  point  un  rêve  !  —  Ici-bas  quelque  chose 
Nous  dit  que  noire  vie  au  tombeau  n*est  paâ  cloâé  ; 
ûu'ici  l'homme  est  esclave,  et  Ik-haut  qu'il  est  roi. 
A  travers  nos  brouillards ,  quelle  étrange  lumière  î 
Tout  s'éclaire  k  me&  yeux...  Ô  terre,  ô  sombre  tefre, 
L'affreux  rêve ,  c'est  loi  I 


flippoLTTE  AIGUËS -SPARSES. 


Une  Monnaie  de  FEmperenr  Gratien. 


Poids  4ér  50, 

li  appartient  t(UK  Memlires  de3  Sociétés  djB  provifioe ,  et  spécia-* 
lement  à  ceux  qui  s'oQcupent  4'^tu(l69  numisinatiques,  ie  reoueilljif 
et  de  qotcr  avec  soin  les  découvertes  de  monnaies  qui  peuvent 
se  faire  aux  environs  des  lieux  qu'ils  habitent; 

Cest  à  ce  Utre  que  je  deinande  la  permission  4e  communiquer 
à  la  Société  une  monnaie  4*pr  de  T  empereur  Gratien ,  trouvée 
près  jde  l-annilis ,  daps  le  cour^pt  de  celle  apn^e ,  eq  extrayant 
de  la  tourbe  dans  \xn  marais  situé  entre  ce  bourg  et  celui  de 
Plouvien. 

Cette  pièce  est  dans  un  état  de  parfaite  conservation ,  bien 
qu'elle  porte  une  légère  trace  du  coup  de  pelle  qui  .Fa  rendue 


' 


—  84  - 

à  la  lumière  :  c'est  le  solidus  ou  sol  d'or  qui   eut  cours  dans 
tout  Tempire,  à  partir  du  règne  de  Constantin,  et  qui  se  main- 
tint ,  sans  variation  de  poids  ou  de  forme  ,  jusqu'à    la    chute 
de  Tempire  d'Occident.  —  Celui-ci  présente  au  droit   reffigie 
de  l'empereur,    la  tête  ceinte  du  diadème,   avec  la  légende  : 
DN.  GRATIANVS  P.F.   IMP.  (  Dominus   noster   Gratianus  pins 
félix  imperator)  ;  —  au  revers  ,  deux  personnages  assis  sur  le 
même  siège  soutiennent  entre  leurs  mains  un  globe,  symbole  de 
l'empire  du  monde  ;  au  -  dessus  d'eux  parait  une   figure  de  la 
victoire   aux   ailes   étendues  :   ce  type  est   accompagné  de  la 
légende  :  VICTOR -lA  AVGG.  (Victoria  augustorum).  On  peut 
y  voir  une  allusion  à  la  victoire  remportée  par  Gratlen  sur  la 
tribu  germanique  des  Alemani ,  dans   une  localité  voisine  de  la 
ville  actuelle  de  Colmar ,  victoire  éclatante  où  l'armée  romaine , 
secondée  par  les  guerriers  de  Mellobaude,  roi  des  Francs,  infligea 
aux  Barbares  une  sanglante  défaite.   On  lit  à  l'exergue  les  cinq 
lettres   TR  OB  T  :  les   deux   premières   sont    les   initiales  de 
Treveris ,  Trêves ,  lieu  où  la  monnaie  a  été  frappée  ;  cette  ville 
était,  on  le  sait,  l'une  des  principales  cités  de  la  Gaule  au  temps 
de   la  domination  romaine  ;  de  même   qu'Arles  et  que  Lyon , 
elle  possédait  un  atelier  monétaire  qui  a  dû  être  très  actif,  car 
les  produits  en  sont  abondants   dans  la  plupart  des  dépôts  de 
monnaies  romaines.   Les  lettres  OB  qui  suivent  sont  deux  notes 
numérales  grecques  qui  ont  la  valeur  du  nombre  72  :  elles  avaient 
pour  but  d'indiquer  que  Fon  taillait  72  pièces  de  même  poids  et 
de  même  valeur  dans   une  livre  d*or.  Cette  explication ,  long- 
temps douteuse,  est  admise  aujourd'hui  par  la  plupart  des  numis- 
matistes  ;  elle  est  confirmée,  d'ailleurs,  par  une  loi  qui  fait  partie 
du  Code  Théodosien  et  par  une  ordonnance  rendue  en  367,  sous 
le  règne  de  Valentinien  I^r.  Enfin,  la  lettre  T  doit  être  considérée, 
suivant  l'opinion  de  M.  le   marquis  de   Lagoy,  qui ,  en  pareille 
matière  fait  autorité,  comme  l'indication  de  la  troisième  officine 


~  85  - 

monélaire  (  iertia  officina  )  de  la  ville  de  Trêves  :  il  est  cerlain^ 
en  effet ,  que  dans  chaque  ville  importante  où  l'on  battait  mon-* 
naie ,  il  y  avait  à  la  même  époque  plusieurs  ateliers  dont  les 
émissions  étaient  distinguées  ,  suivant  le  cas ,  par  les  initiales 
des  mots  prima,  seounda,  tertia,  quarta  (  officina  ) ,  quelquefois 
môme ,  mais  rarement ,  par  ces  mots  écrits  en  toutes  lettres. 

Des  deux  personnages  assis  au  revers,  Tun  esl  Tempereur  à 
Fefflgie  duquel  la  pièce  a  été  frappée  ;  l'autre ,  de  plus  petite 
taille  ,  est  son  jeune  frère ,  Yalentinien  II ,  qu'il  avait  associé 
à  l'empire  avec  le  titre  d'Auguste ,  à  l'âge  de  quatre  ans  ,  et 
auquel  il  avait  donné  en  partage  l'Italie ,  l'IUyrie  et  l'Afrique. 

Nous  pensons  que  la  monnaie  que  nous  avons  sous  les  yeux 
a  dû ,  en  raison  du  type  qu'elle  présente  au  revers,  être  frappée 
avant  l'époque  où  -  Gratien  ,  cédant  aux  suggestions  de  saint 
Ambroise  crut  devoir  ordonner  à  Rome  la  démolition  de  l'autel 
de  la  Victoire  :  évidemment,  il  n'aurait  pu  sans  une  sorte  d'incon- 
séquence ,  après  une  attaque  aussi  directe  contre  Tancien  culte , 
conserver  sur  ses  monnaies  une  représentation  qui  eût  tendu  à 
le  remettre  eu  honneur  aux  yeux  de  ses  sujets  et  à  perpétuer 
ainsi  des  préjugés  qu'il  devait  condamner  comme  chrétien. 

Gratien  régna  sur  l'Occident  depuis  Tan  375  jusqu'en  383  , 
époque  où  il  périt  à  Lyon  sous  les  coups  de  ses  soldats  révoltés. 
Quoique  né  à  Sirmium,  en  Panonnie,  il  fut,  on  peut  le  dire,  un 
empereur  à  peu  près  exclusivement  Gaulois.  Il  avait  été  l'élève  du 
poète  Bordelais  Ausone,  et  ce  fut  dans  la  ville  d'Amiens  que  son 
père  l'associa  à  l'empire  :  il  fit  sa  résidence  habituelle  de  la  Gaule 
où  il  contribua  par  ses  institutions  à  développer  le  goût  et  la 
culture  des  lettres  et  il  en  défendit  avec  persévérance  les  fron- 
tières assaillies  sur  le  Rhin  par  les  invasions  des  barbares.  Enfin, 
son  règne  est  marqué  par  l'un  des  événements  les  plus  considéra- 
bles pour  l'histoire  du  pays  que  nous  habitons.  C'est ,  en  effet , 
dans  l'année  383  que  Maxime,  soulevant  dans  la  Grande  -  Bretagne 


—  sc- 
ies légions  romaines  qu'il  commandait,  envahit  avec  elles  les  côtes 
de  l'Ârmorique  ;  il  amenait  à  sa  suite  de  nombreux  auxiliaires 
Bretons  sous  la  conduite  d'un  chef  du  nom  de  Conan.  Nous 
n'avons  pas  à  rechercher  ici  si  ces  auxiliaires  n'avaient  pas  été 
précédés  déjà  par  de  nombreuses  émigrations  venues  de  la  Bre- 
tagne insulaire  ;  toujours  est-il  que  laissés  à  la  garde  du  payu 
conquis,  ils  ne  tardèrent  pas  à  s'y  soustraire  à  la  puissance  romaioe, 
«t  c'est  à  partir  de  cette  époque ,  c'est-à-dire  à  partir  des  pre- 
mières années  du  cinquième  siècle,  que  la  Bretagne  commence 
à  prendre  place  dans  l'histoire  comme  Etat  indépendant, 

J-ai  cru  pouvoir  rappeler  ces  fait3  gommalroment ,  parce  qu'ils 
donnent  un  intérêt  particulier  à  cette  monnaie ,  qu'après  bientôt 
quinze  siècles  nous  retrouvo^  dans  le  sol  de  notre  dép^rtoinent, 
telle  que  l'y  apportèrent  les  partisans  de  Maxime  ou  que  l'y 
ont  laissée  les  soldats  de  Gratlen ,  (ayant  l'invasion, 

DENIS -LAGARDE. 


Brest,  Décembre  1859. 


->•<- 


LA  MAISON  DE  L'ESPION 


A  hàMmofi 


PRÈS  DE  REGOUYRANGE. 


Par  suite  d^uûe  erreur  généraleme&t  accréditée  à  Brest,  la 
petite  maison  située  sur  la  côte»  à  un  quart  de  lieue  de  Recou< 
vrance,  et  couuue  sods  le  nom  de  maison  de  t Espion ,  tirerait 
ce  nom  de  ce  qu'elle  aurait  été  occupée  par  un  officier  écossais, 
nommé  Alexandre  Gordon ,  décapité  à  Brest,  comme  espion ,  le 
2i  novembre  -1769.  Gette  dénomination  lui  est  venue  en  réalité 
de  ce  qu'en  -1707  elle  était  habitée  par  un  marchand  chamoiseur 
ou  corroyeur,  qui  en  avait  fait  un  poste  d'observation  des  mouve- 
ments de  la  rade  et  du  port,  mouvements  dont  il  donnait  connais- 
sance à  des  Français  que  Tédit  de  Nantes  avait  contraints  de 
s'expatrier.  Pour  s'en  convaincre,  il  suffit  de  recourir  à  la  procé- 


-  88  - 

dure  instruite  contre  ce  marchand  et  son  complice,  procédure 
qui  existe  au  greffe  des  tribunaux  maritimes  da  port  de  Brest, 
et  dont  nous  présentons  ici  Fanalyse. 

M.  Du  Guay,  Intendant  de  la  Marine  à  Dunkerque  ,  ayant 
intercepté  ,  dans  les  premiers  jours  de  mars  -1707,  une  lettre 
datée  de  Landerneau,  le  2-  du  même  mois,  et  l'ayant  trouvée 
suspecte,  renvoya  à  M.  de  Pontchartrain,  ministre  de  la  Marine, 
lequel  la  transmit,  le  ^6,  à  M.  Robert,  intendant  à  Brest,  en 
le  priant  de  rechercher  si  le  signataire,  François  Lafontaine, 
ne  serait  pas  un  espion  résidant ,  soit  à  Landerneau ,  soit  à 
Brest ,  et  dans  Tun  ou  l'autre  cas ,  de  le  faire  écrouer  au  châ- 
teau de  cette  dernière  ville. 

Six  jours  après ,  M.  Vergier,  commissaire  ordonnateur  de  la 
Marine  à  Dunkerque ,  fit ,  à  6  heures  du  matin ,  en  compagnie 
de  M.  Duchesne ,  aide-major  de  la  ville ,  du  sieur  Potier,  prévôt 
de  la  Marine,  de  cinq  archers  et  de  six  grenadiers  du  régiment 
Royal ,  une  descente  dans  une  maison  située  sur  la  place  aux 
volailles.  Il  y  trouva  un  nommé  Marquis ,  qui  était  couché  avec 
sa  femme ,  et  qu'il  fît  immédiatement  conduire  à  la  citadelle , 
après  avoir  saisi  tous  ses  papiers  et  les  avoir  réunis  dans  douze 
liasses  dont  une  renfermait  21   pièces  en  parchemin. 

Extrait  de  sa  prison,  Marquis  fut  interrogé  pendant  trois 
journées  consécutives  (22,  23  et  24  mars)  par  M.  Du  Guay, 
qui  le  fit  conduire  à  son  hôtel,  où  une  indisposition  le  retenait 
alité. 

Le  premier  jour,  après  avoir  déclaré  qu'il  se  nommait  Louis 
Marquis ,  qu'il  était  âgé  d'environ  cinquante  ans  ,  et  qu'il  était 
né  à  Aubonne,  canton  de  Vaud  (Suisse  ) ,  le  prisonnier  raconta 
sa  vie  de  la  manière  suivante.  Sorti  de  son  pays  depuis  plus 
de  trente  ans,  il  avait  d'abord  servi  comme  soldat  dans  le  régi- 
ment suisse  de  Salis ,  où  il  avait  obtenu ,  après  la  prise  de 
Cambrai,  un  congé  resté  dans  ses  papiers  de  famille  à  Aubonne. 


—  89  -- 

Les  dix  années  suivantes ,  il  les  avait  passées  chez  hii ,  vivant 
du  revenu  d'une  portion  de  maison ,  et  partageant  la  table  de 
sa  mère  et  de  son  frère.  S'étant  rengagé ,  d'après  les  conseils 
de  ce  frère,  il  avait  servi  dans  un  autre  régiment  suisse,  comme 
Tattestait  un  congé  trouvé  dans  ses  papiers.  Venu  ensuite  à  Dun- 
kerque ,  il  s'était  décidé  à  s'y  établir  et  à  y  exercer,  de  4695 
à  -1706,  le  métier  de  peintre  pour  lequel  plusieurs  personnes  lui 
avalent  reconnu  des  dispositions.  Obligé  d*y  renoncer,  par  suite 
de  raffaiblissement  de  sa  vue,  il  avait,  pendant  l'année  précé- 
dente, tenu  une  auberge,  qu*il  avait  également  abandonnée.  Quatre 
ans  aprè$  son  arrivée  à  Dunkerque ,  il  s'y  était  marié  à  une  veuve 
dont  il  n'avait  point  eu  d'enfants. 

Les  dernières  réponses  de  Marquis  ne  satisfirent  que  médio- 
crement M.  Du  Guay,  qui  le  pressa  de  questions  sur  ses  moyens 
d'existence.  Après  avoir  d'abord  prétendu  qu'il  recevait  parfois 
de  l'argent,  soit  d'un  de  ses  frères,  soit  d'un  de  ses  fermiers, 
il  ne  put  ni  préciser  le  nom  de  ce  fermier,  ni  indiquer  le  prix 
de  son  fermage.  Il  n'avait  jamais,  dit -il,  pris  souci  de  oes 
détails ,  pas  plus  que  des  noms  de  ceux  qui  lui  faisaient  des 
remises  de  fonds.  Une  contradiction  qui  lui  échappa  mit  sur  la 
voie  de  l'origine  de  ces  remises,  il  convint  qu'elles  lui  étaient 
expédiées  par  un  sieur  Goddon  .Gram  ,  banquier  à  Genève,  lequel 
les  adressait  à  M.  Caillaud,  (\)  de  Rotterdam,  après  quoi  ce 
dernier  les  transmettait  à  un  f^ère  ou  à  un  ami  qu'avait  à  Rotter- 
dam un  sieur  Butler,  marchand  de  Dunkerque,  lequel  en  tenait 
compte  à  Marquis.  Interpellé  de  déclarer  s'il  avait  entretenu 
quelque  correspondance  avec  Caillaud,  il  répondit  qu'il  lui  avait 
écrit  dans  des  moments  de  gêne  pour  en  obtenir  des  secours. 


(i)OQze  ans  auparavant,  un  mémoire  du  lieutenant  de  police  de  la 
Reynie ,  transmis  k  M.  Desclouzeaux ,  intendant  de  la  Alarme  à  Brest, 
signalait  déjà  ce  Caillaud  comme  soudoyant  des  espions  dans  celle  ville. 
(Lettre  de  M,  Desclouzeaux  du  4  juin  1696.) 

42 


-  90  — 

Cette  réponse  amena  naturellement  de  nouvelles  questions  et» 
après  maintes  tergiversations»  Marquis  finit  par  avouer  que 
l'argent  qu'il  avait  reçu  depuis  trois  ans  lui  avait  exclusivement 
été  envoyé  par  M.  Gaillaiid,  calviniste ,  réfugié  à  Rotterdam, 
où  il  exerçait  la  profession  de  banquier,  et  où  lui  Marquis  avait 
fait  sa  connaissance.  Voici  à  quelle  occasion.  L'année  môme  où  fut 
signée  la  paix  de  Riswick,  Marquis  serait  allé  dans  cette  ville  sur  ua 
smack  chargé  de  trois  tonn^  de  harengs-saurs  lui  appartenant.  Sur 
rindication  d'une  femme  qui  faisait  la  traversée  avec  lui  »  il  se 
serait  mis  en  rapport  avec  Caillaud ,  qui  lui  aurait  procuré  le 
placement  de  ses  harengs ,  et  auquel  il  en  aurait  donné  trois 
cents  à  titre  de  commission.  Sur  sa  déclaration  de  n'avoir  plus 
revu  cette  femme  et  de  ne  pouvoir  faire  connaître  son  nom ,  il 
lui  fut  objecté  que  ce  prétendu  voyage  et  le  commerce  de  harengs 
étaient  difficiles  à  concilier  avec  sa  précédente  afi&rmation  de 
n'être  jamais  sorti  de  Dunkerque  depuis  dix  ans ,  et  d'y  avoir 
cônstatnment  exercé ,  soit  la  profession  de  peintre ,  soit  celle 
d'aubergiste.  Il  tetita  bien  d'éluder  la  difficulté  de  sa  position  en 
disant  que  ces  deux  circonstances  étaient  sorties  de  sa  mémoire  1 
mais  il  se  trouva  fort  embarrassé,  lorsque  M.  Du  Guay  lui  fit 
observer  qu'il  y  avait  peu  d'apparence  que  Caillaud,  parce  qu'il 
avait  reçu  tm  cadeau  de  harengs  ,  qui  n'était  d'ailleurs  que  le 
prix  d'un  service  rendu,  se  fût  cru  obligé  de  le  reconnaître 
ensuite  par  l'envoi  d'une  somme  de  «00  livres  en  trois  ansv  Ces 
600  livres  ,  avoua  alors  Marquis ,  était  la  récompense  des  bons 
offices  qu'il  rendait  depuis  le  commencement  de  la  guerre  à  Cail- 
laud ,  en  recevant  de  lui  des  lettres  qu'il  faisait  tenir  à  droite 
et  à  gauche  ,  et  en  lui  transmettant  celles  qui ,  portant  pour 
suscription  le  nom  de  Louis  Chapiot,  étaient  expédiées  de  divers 
endroits  à  Caillaud.  Croyant  atténuer  les  conséquences  de  cet 
aveu  ,  il  essaya  de  le  restreindre  à  l'envoi  de  quatre  lettres, 
reçues  de  Caillaud,  sous  double  enveloppe,  à  la  destination  d'un 


—  91  — 

nommé  Jouslain,  marchand  chamoiseur  à  Brest.  Une  récompense 
de  600  livres  pour  recevoir  et  réexpédier  une  lettre  par  an  sem- 
blant toujours  à  M.  Du  Guay  hors  de  proportion  avec  le  service 
rendu ,  Marquis,  sur  sdn  interpellation >  convint  que  ,  depuis  le 
commencement  de  la  guerre ,  il  avait  bien  reçu  chaque  mois 
deux  lettres  du  nommé  Louis  Ghqtiot ,  de  Rotterdam.  Aussitôt 
on  lui  représenta  une  enveloppe  qu'il  reconnut  être  de  récriture 
de  Jouslain ,  lequel ,  dans  la  seule  lettre  qu'il  en  avait  reçue 
personnellement ,  l'avait  prévenu  que  toutes  celles  qui  seraient 
expédiées  de  Brest  seraient  à  destination  de  Caillaud;  Marquis 
avoua  ensuite  aivoir  reçu  de  ce  dernier,  en  divers  paiements  , 
une  somme  de  900  livres.  Son  interrogatoire  se  termina  par 
l'interpellation  de  déclarer  s'il  ne  connaissait  pas  à  Landemeau 
on  à  Brest  un  nommé  François  Lafontaine.  Sa  réponse  fut 
négative. 

Interrogé  de  nouveau  dans  raprès*miâi  du  même  jour,  il 
reconnut  avoir  reçu  dOQ  livres  de  Caillaud  par  un  int«*médiaire 
autre  que  celui  de  Butler  ;  que  Gailland  s'était  engagé  à  lui 
payer  annuellemeùt  une  somme  de  600  livres  ;  et  prétextant  une 
mémoire  défectueuse ,  il  avoua  avoir  reçu  indépendamment  des 
sommes  dé^  dédaréeâ ,  d'abord  cdle  de  300  livres  par  l'entre- 
mise d'un  marchand  hollandais,  dompé  Pitre  Vanstabel»  ensuite 
celle  de  200  livres  d'un  mardiand  anglais ,  nommé  Hereford  ; 
établi  à  Dunkerque.  Enfin  ,  recueillant  ses  souvenirs,  il  croyait 
se  rappeler  que  Butler  lui  avait  compté ,  noQ  pas  600  livres , 
mais  bien  900. 

Le  lendemaih ,  23 ,  llnlerrogatoiré  de  Marquis  continua  et 
amena  de  nouyeiles  révélations.  Le  congé  du  44  juin  4696  lui 
avait  été  délivré  devant  Nieuport,  au  camp  où  se  trouvait  alors- 
le  général  Fagel,  àla  condition  qu'il  irait  exécuter  la  convention 
par  lui  conclue,  trois  mois  aiq)aravant,  dans  un  cabaret  de  Bruges, 
avec  un  individu  qui  s'était  donné  pour  un  sieur  Morin,  associé 


—  92  - 

de  Caillaud,  mais  qui,  en  réalité,  n'était  autre  que  Daniel  Vloffier^ 
marchand  horloger  à  Genève.  D'après  cette  convention  sous* 
ente  en  présence  de  M.  Morlot ,  son  capitaine  ,  Marquis  s'était 
obligé  à  se  rendre  à  Dunkerque  pour  observer  les  mouvements 
de  ce  port  et  en  rendre  compte  à  CalUaud ,  de  qui  il  recevrait 
des  ordres  ultérieurs.  Â  l'expiration  des  trois  mois,  son  capitaine 
lui  remit  son  congé.  En  passant  par  Bruges,  Marquis  s'aboucha 
une  seconde  fois  avec  Yiollîer,  qui  lui  réitéra  la  promesse  d'une 
pension  annuelle  de  200  écus  et  lui  donna  trois  louis  d'or  avec 
l'adresse  de  Gaillaud.  De  son  côté,  il  renouvela  l'engagement 
de  rendre  compte  à  ce  dernier,  deux  fois  par  mois,  de  tout  ce 
qui  se  passerait  à  Dunkerque.  Ayant,  à  la  faveur  de  son  congé, 
franchi  les  avant-postes  français ,  il  pénétra  dans  Dunkerque  en 
se  mêlant  à  la  foule  attirée  dans  cette  ville  par  la  kermesse  qui 
s'y  célébrait  le  jour  de  la  Saint-Jean,  et  fut  réduit,  faute  de  lit  dispo- 
nible dans  aucune- auberge,  à  coucher  sur  le  plancher  d'un  cabaret 
de  la  basse  ville.  Ayant  rencontré  quelques  soldats  du  régiment 
suisse  de  Courten ,  il  entra  en  relations  avec  l'un  d'eux ,  Joseph 
Charnier,  savoyard  et  peintre  de  profession.  Ce  Chsffnier,  alors 
employé  à  peindre  les  casernes  de  la  ville ,  lui  donna  du  *  travail, 
le  nourrit  et  le  logea  pendant  trois  mois ,  puis ,  au  bout  de 
ce  temps,  ayant  été  congédié  lui-même,  il  ouvrit  avec  Marquis 
une  boutique  de  peintre.  C'est  alors  seulement  que  celui  d  com- 
mença l'exécution  de  son  engagement  envers  Gaillaud,  auquel 
il  n'aurait  toutefois  rendu  compte  que  des  entrées  ou  sorties  de 
navires,  aiosi  que  du  nombre  des  bâtiments  en  chantiers.  Pen- 
dant les  trois  années  qu'il  avait  été  l'associé  de  Charnier,  il 
avait,  afin  de  détourner  les  soupçons,  fait  partie  de  la  compagnie 
de  la  Vala.  M.  Du  Guay  lui  ayant  demandé  si  ce  n'était  pas 
dans  ce  but  qu'il  s'était  fait  catholique,  il  répondit  qu'ayant  formé 
le  projet  de  se  convertir  bien  avant  son  arrivée  à  Dunkerque, 
il  avait  été  aifermi  dans  cette  résolution  par  de  bonnes  lectures , 


-.  93  - 

par  les  sermons  qu'il  avait  entendus  et  par  la  fréquentation  du 
servîee  divin. 

On  marchait  à  grands  pas  vers  rentière  découverte  de  la 
vérité.  Le  dernier  interrogatoire  de  Marquis  dissipa  tous  les  doutes. 
La  représentation  d'un  carnet  qu'il  reconnut  lui  appartenir  et 
contenir  la  mention  de  ses  recettes ,  l'amena  à  convenir  que  , 
du  9  septembre  n02  au  V  juin  4703,  il  avait  reçu  de  Rotter- 
dam six  lettres: destinées  pour  Brest. 

Sur  ravis  qui  fut  immédiatement  expédié  dans  ce  pori  du 
résultat  de  ces  interrogatoires ,  une  descente  fut  opérée  le  30 
mars ,  à  dix  heures  du  matin  ,  par  M.  de  Gaumont ,  prévôt  de 
la  Marine,  et  trois  archers,  dans  une  petite  maison  sur  le  bord 
de  la  mer^  à  un  quart  de  lieu  de  Recouvrance  ,  c'est-à-dire  à 
Laninon.  Deux  individus,  Jouslaia  et  sa  femme,  Perrine  Blan- 
chard ,  étaient  assis  près  du  feu ,  lorsqu'on  les  saisit.  Le  mari 
fut  immédiatement  écroué  au  Château ,  et  la  femme  à  Pontaniou. 

Ce  Jduslain,  âgé  de  67  ans,  était  né  à  Niort,  en  Poitou  ; 
il  exerçait  la  profession  de  chamoiseur  et  avait  abjuré  depuis 
•1682  la  religion  protestante  à  laquelle  il  semble  néanmoins  qu'il 
était  resté  intérieurement  fidèle.  Il  était  établi  à  Brest  depuis  dix 
ans.  Parmi  les  papiers  trouvés  chez  lui  au  moment  de  son  arres- 
tation, il  y  avait  deux  lettres  qu'il  venait  d'écrire  le  jour  même  ; 
elles  étaient  datées  de  Quimper-  Corentîn,  le  30  mars  4707,  signées 
François  Lafontaine ,  et  renfermées  dans  une  enveloppe  portant 
le  nom  de  Marquis.  Il  se  reconnut  l'auteur  de  l'une  et  de  l'autre. 
La  première  était  destinée  à  Chapiot ,  c'est-à-dire  à  Caillaud  , 
et  la  seconde  à  Daniel  Viollîer ,  marchand  orlogeur  à  Genève , 
parti  depuis  huit  ans  de  Brest ,  où  il  avait  exercé  la  même 
profession.  Le  premier  jour,  toutes  les  réponses  de  Jouslain 
furent  évasives.  Le  lendemain,  il  fut  plus  explicite.  Il  con- 
vint que,  depuis  sept  ans,  il  donnait  régulièrement  connais* 
sance  à  Chapiot  et  à  YioUier,  dfes  armements  qui  se  faisaient  à 


—  94  ~ 

Brest,  et  que  pour  sa  correspondance  il  se  servait' d'une  eau 
d'alun  dont  il  tenait  la  recette  de  ce  dernier,  qui  lui  faisait 
des  envois  de  fonds  au  moyen  de  lettres  de  change  fournies 
sur  des  marchands  db  Brest  par  les  sieurs  Vasse  et  Boissauvé, 
marchands ,  rue  Saint-Denis ,  à  Paris.  Deux  lettres  saisies  à  la 
poste  le  ^7  avril  et  le  8  mai  confirmèrent  l'exactitude  de  cetle 
partie  des  aveux  de  Jouslain.  La  première,  datée  de  Paris  le  f3 
avril  >  et  écrite  par  un  sieur  Verchère  ,  contenait  une  lettre  de 
change  tirée  par  M.  Vasse,  marchand  bonnetier,  sur  M.  Raby, 
marchand  à  Brest  ;  elle  était  payable  à  l'ordre  de  Jouslain  et 
causée  valeur  reçue  de  ViolUer.  La  seconde,  de  -100  livres, 
tirée  par  M*'  Vasse ,  était  renfermée  dans  une  lettre  signée 
Louis  Bordes. 

Les  autres  réponses  de  Jouslain  n'apprirent  rien  d'essentiel,  si 
ce  n'est  que  Viollier  lui  faisait  une  pension  annuelle  de  400  livres. 
Sur  les  autres  points,  il  se  renferma  dans  une  dénégation  com- 
plète. Toutefois,  il  se  montra  très  abattu  et  très  inquiet,  ce  qui 
détermina  à  différer  son  troisième  interrogatoire,  dans  la  crainte 
qu'en  augmentant  son  désespoir  on  n'échouât  dans  la  découverte 
de  ce  qui  restait  à  apprendre.  Décrétés  de  prise  de  corps,  le  27 
avril ,  Jouslain  et  sa  femme  furent  de  nouveau  interrogés.  Le 
mari ,  très  affligé  et  très  repentant ,  confessa  ses  intelligences 
avec  Viollier  et  avec  Chapiot ,  par  l'intermédiaire  de  Marquis. 
Quant  à  Perrine  Blanchard ,  on  n'en  put  rien  obtenir  qui  char- 
geât ou  elle-même  ou  son  mari. 

Bien  que  des  réponses  de  Jouslain  et  de  cdles  de  sa  femme, 
pas  plus  que  des  dépositions  des  témoins  entendus,  il  n'eût  jailli 
aucun  indice  contre  Philippe  Jouslain,  issu  d'un  premier  mariage 
de  l'accusé,  il  n'en  fut  pas  moins  arrêté  et  décrété  d'accusation  > 
mais  ses  réponses  fermes  et  nettes,  no  purent  fournir  matièïreà 
inculper  soit  lui ,  soit  son  père. 


-  9S  - 

La  procédure  était  dirigée  à  Brest  par  H.  Robert ,  intendant 
de  la  Marine  ,  cpmmis  à  cet  effet  par  un  arrêt  du  conseil  du 
^0  avril  n07.  Mais  le  Ministre  voulait  que  Marquis  fut  jugé  et 
exécuté  à  Dunkerque.  M.  Robert  et  ses  assesseurs,  les  Juges 
royaux  de  Brest  et  de  Recouvrance ,  représentèrent  que  la  dis- 
jonction de  la  cause  serait  insolite  ,  aussi  bien  que  Teiécution 
hors  du  lieu  de  la  condamnation.  Le  Ministre  se  rendit  à  ces 
raisons  et  fit  transférer  Mafquis  à  Brest ,  où  ,  à  son  arrivée  , 
il  fut  incarcéré  au  Gb&teau.  Une  nouvelle  procédure ,  conunune 
à  tous  les  accusés  eut  lieu,  et  après  les  récolements  et  con- 
frontations d*usage,  elle  se  termina,  le  25  mai,  par  la  condam- 
nation à  mort  de  Marquis  et  de  Jouslain  qui,  avant  d'être  pendus , 
durent  subir  la  question  ordinaire  et  extraordinaire,  et  faire 
amende  honorable ,  la  tête  et  les  pieds  nus ,  en  chemise ,  une 
torche  à  la  main ,  avec  deux  écriteaux  portant  les  mots  traiirc 
et  espion ,  Tun  sur  la  poitrine ,  Tautre  sur  le  dos ,  devant  la 
porte  principale  de  Téglise  Saint-Louis.  Il  fut  sursis  au  jugement 
de  la  femme  et  du  fils  d<3.  Jon^ain  jusqu'à  ce  que  ce  dernier 
eût  subi  la  question  que  Ton  comptait  bien  devoir  procurer  des 
charges  contre  ses  co-accusés. 

Après  que  les.deux  condamnés  eurent  entendu,  dans  la  sacristie 
de  la  chapelle  de  Pontaniou,  la  lectuire  de  leur  sentence,  deux  des 
juges ,  assistés  du  greQer,  procédèrent  de  nouveau  à  leur  inter* 
rogatoire  et  exigèrent  d'eux  le  serment  d^^  dire  la  vérité.  L'un 
et  l'autre  déclarèrent  n'avoir  rien  à  ajouter  à  leurs  aveux.  Ils 
furent  alors  successivement  déshabillés  et  placés  par  le  question- 
naire sur  un  siège  auquel  ils  furent  liés  par  les  bras  et  par  les 
jambes ,  puis  sommés  itérativement  de  dire  la  vérité.  Cette  som- 
mation fut  renouvelée  avant  chacune  des  six  applications  du  feu 
qu'ils  eurent  à  souffrir.  L'i  douleur  leur  arracha  des  cris ,  mais 
elle  ne  put  amener  à  obtenir  de  nouveaux  aveux  de  Marquis. 
Entre  la  cinquième  et  la  sixième  application ,  il  répéta  que  , 


^  96  -« 

quelques  tourments  qu'on  lui  fit  endurer,  sa  conscience  ne  lui 
permettait  pas  de  dire  autre  chose  que  la  vérité,  et  qu'il  n'avait  rien 
'  à  ajouter  aux  réponses  consignées  dans  ses  divers  interrogatoi- 
res. Après  une  dernière  application -du  feu,  il  fut  détaché  et 
remis  sur  la  sellette ,  puis  après  qu'on  lai  eut  encore  fait  prêter 
le  serment  de  dire  la  vérité,  et  qu'on  lui  eût  relu  ses  réponses 
précédentes,  on  le  somma  de  nommer  ses  complices.  Il  protesta 
qu'il  n'en  avait  pas  d'autres  que  ceux  déjà  désignés,  et  qu'à 
moins  de  substituer  le  mensonge  à  la  vérité ,  ce  dont  il  n'avait 
^  garde  dans  la  situation  où  il  était,  il  ne  pouvait  rien  changer 
à  ses  réponses ,  toutes  fidèles  et  exactes. 

Jouslain,  déjà  très  abattu  avant  la  question,  dit  tout  ce  que 
l'on  voulut.  11  confessa  non-seulement  qu'il  avait  eu  des.  intelli- 
gences avec  Marquis ,  Chapiot  et  Viollier,  mais  encore  que  sa 
femme  en  avait  eu  connaissance.  En  conséquence,  Perrine  Blan- 
chard fut  immédiatement  condamnée  au  bannissement  et  à 
l'amende  honorable.  Quant  à  Jouslain  fils,  comme  aucune  charge 
ne  pesait  sur  lui,  il  fut  acquitté  ,  mais  l'entrée  des  ports  et 
arsenaux  du  Roi  lui  fut  interdite. 

On  avait  commencé  ,  à  onze  heures  du  matin  ,  le  25  mai , 
Tapplication  de  la  question  ;  à  six  heures  du  soir,  les  trois 
condamnés,  remis  entre  les  mains  de  l'exécuteur  du  présldial  de 
Quimper,  qu'on  avait  fait  venir  exprès ,  furent  conduits  devant 
la  porte  principale  de  l'église ,  et  de  là  sur  la  place  du  Vieux 
Marché ,  c'est-à-dire  sur  le  terrain  occupé  aujourd'hui  en  partie 
par  la  rue  de  l'Eglise  et  la  rue  Frézier«  Jouslain  et  Marquis  y 
furent  pendus. 

Comme  les  registres  de  sépultures  de  Brest  ne  font  aucune 
mention  de  leur  inhumation,  il  est  naturel  de  penser  que  leurs 
cadavres  furent  traités  ainsi  que  l'avait  été ,  onze  ans  aupara- 
vant ,  celui  d'un  autre  espion.  Voici  ce  qui  avait  eu  lieu  à  cette 
époque. 


—  97  — 

Informé  par  le  Ministre  de  la  Marine  que  des  espions  s'étaient 
introduits    ou   devaient    s'introduire    à    Brest ,   M.    l'intendant 
Desclouzeaux  lui   fit  savoir  le  23   avril  -1696  que  ,  grâce  à  la 
vigilance  de  M.  de  îa  Carrière,  contrôleur  de  la  poste  aux  lettres  , 
il  avait  découvert  un    individu  qui    lui  paraissait   suspect.  Cet 
individu ,  nommé  Le  Grand ,  était  depuis  un  an  à  Brest ,  où 
on  le  voyait  toujours  bien  vêtu  et  faisant  de  la  dépense.  Employé 
Vannée  précédente  dans  l'administration  des  vivres  de  la  guerre, 
il  se  donnait  pour  un  protégé  du  maréchal  de  Villeroy,  et  à  la 
faveur  de  cette  prétendue    protection ,  il   se  faufilait  parmi  les 
officiers  et   les    bourgeois    dont   il    recueillait    les     conversa- 
tiens.    Sa   longue    inaction    avait    déterminé   M.    Desclouzeaui 
à  s'entendre  avec  M.    de  la   Carrière ,  lequel  avait    retenu  les 
lettres  que    Le   Grand  portait  lut-môme  à  la*  poste.  Ces  lettres  , 
écrites  par  Le  Grand,  mais  signées  de  noms  différents,   moti- 
vèrent son  arrestation ,  qui  eut   lieu   le    22   avril.  L'Intendant 
l'ayant  fait  écrire  devant  lui,  fut  frappé  des  rapports  qu'il  y  avait 
entre  son  écriture  et  celle  des  lettres  saisies.    Interrogé  le  27 
avril  par  M.  Desclouzeaux,  et  pressé  de  questions  sur  ses  rap- 
ports présumés  avec   un  nommé  Pouliou ,  marchand   de  sel , 
que  l'Intendant  avait  connu  et  Soubise ,  lorsque ,  20  ans  aupa- 
ravant ,-il  y  faisait  construire  des  vaisseaux  ,  Le  Grand  déclara 
que  le  Pouliou  dont  lui  parlait  M.  Desclouzeaux  était  le  père 
de  celui  qu'il  connaissait ,  et  que  le  fils  prenait  dans  sa  corres- 
pondance le  nom  de  Latouche.  L'un  et  l'autre  étaient  protestants. 
Le  Grand ,  se  voyant  découvert ,  demanda  grâce  ,  et  M.  Des- 
clouzeaux lui  promit  qu'il  obtiendrait  son  pardon  à  la  condition 
qu'il  révélerait  tout  le  complot  auquel  il  était  mêlé.  Il  s'y  engagea 
et  donna  des  détails  écrits  que  l'Intendant  transmit  au  Ministre 
avec  l'offre  du  prisonnier  d'aller  dans  les  pays  étrangers ,  où , 
par  le  moyen  des  fausses  confidences  qu'il  ferait  à  Pouliou  ,  il 
se  procurerait  des  renseignements  utiles  au  service  du  Roi.  Aux 

13 


~  98  -- 

déclarations  écrites  de  Le  Grand  fat  jointe  une  lettre  que  Pou- 
liou  lui  avait  envoyée  à  destination  d'une  demoiselle- de  Kerlebeq 
qui  semblait  impliquée  dans  cette  affaire  »  ainsi  qu'une  religieuse 
Cordelière  de  Quimper  et  plusieurs  autres  femmes  dont  il  avait 
/fait  connaître  les  noms.  Quant  aux  moyens  d'eiistence  de  Le 
Grand ,  son  interrogatoire  les  fit  connaître.  Il  venait  de  recevoir 
tout  récemment  à  Landerneau  une  somme  de  600  livres ,  for- 
mant le  premier  quartier  de  la  pension  que  lui  faisait  Pouliou. 

£n  remettant  Le  Grand  à  Al.  de  Campagnolles ,  major  da 
Château,  M.  Desclouzeaux  avait  recommandé  de  le  bien  surveil- 
ler pour  qu'il  ne  se  procurât  aucun  moyen  de  suicide,  mais  de 
le  traiter  convenablement  sous  le  rapport  de  la  nourriture  et  da 
coucber.  Le  29  avril,  il  interrogea^ de  nouveau  le  prisonnier 
qui,  sur  son  invitalion ,  écrivit  à  M.  Kerlabien,  procureur  i 
Quimper,  pour  que  celui-ci  lui  transmît  les  lettres  qu'il  recevrait 
à  son  adresse.  Un  exprès  dépéché  à  Quimper  en  revint  avec  la 
promesse  que  les  lettres  attendues  de  Paris  seraient  réexpédiées 
à  Brest  dès  quelles  seraient  arrivées. 

Lorsque  M,  Desclouzeaux  avait  quitté  Le  Grand,  ce  dernier  lui 
avait  promis  de  bien  réfléchir  à  tout  ce  qu'il  devrait  faire 
pour  tromper  les  ennemis  et  ceux  qui  l'employaient.  L'Inten- 
dant ,  d'après  leur  convention ,  devait  le  faire  venir,  le  30,  dans 
son  cabinet,  où  ils  auraient  concerté  leurs  mesures,  lorsqu'à 
la  grande  surprise  de  M.  Desclouzeaux ,  le  Major  du  Château 
vint ,  à  cinq  heures  du  matin ,  lui  annoncer  que  Le  Grand , 
bien  que  gardé  par  deux  sentinelles,  s'était  jeté  par  une  fenêtre 
de  la  chambre  qu'il  occupait  au  premier  étage  dans  l'une  des 
casernes.  M.  Ollivier,  médecin  de  la  Marine,  que  l'Intendant  mena 
avec  lui  au  Château ,  fit  sur-le-champ  tuer  et  écorcher  des  mou- 
tons dont  la  peau  servit  à  envelopper  Le  Grand  et  à  ranimer  ses 
forces  épuisées.  Questionné  sur  les  motifs  qui  l'avaient  porté  à 
attenter  à  ses  jours  ,  et  interpellé  à  plusieurs  reprises  de  dire 


—  99  — 

ce  qu'il  avait  à  ajouter  à  ses  précédentes  déclarations,  il  répondit 
que  Tiqppréhension  de  Tignominie  l'avait  seule  déterminé  et  qu'il 
n'avait  rien  à  ajouter  à  ses  aveux  antérieurs.  Ce  ne  fut  qu'à  grand 
peine  qu'on  put  le  fairç  consentir  à  prendre  un  peu  de  vin. 
Comme  on  craignait  qu'H  n'essayât  encore  de  se  suicider  et  que 
d'ailleurs  son  état ,  rendu  compromettant  par  sa  cbute ,  était 
encore  aggravé  par  le  commencement  de  castration  qull  avait 
pratiqué  sur  lui-même  avant  de  se  jeter,  un  chirurgien  fut  laissé 
près  de  lui  tant  pour  le  surveiller  que  pour  le  soigner.  Le  i 
mai,  ce  malheureux  dont  l'état  semblait  alors  annoncer  qu'il 
n'aurait  pas  succombé ,  pria  M.  Desclouzeaux  de  venir  le  voir. 
Il  demanda  pardon  de  ce  qu'il  avait  fait ,  et  sur  l'assurance 
qui  lui  fut  donnée  qu'il  serait  écrit  en  sa  faveur,  il  parut  dis- 
posé à  se  rendre  auprès  du  Ministre  pour  lui  renouveler  ses 
révélations  et  se  mettre  à  sa  disposition.  Néanmoins ,  le  lende- 
main ,  sa  situation  empira,  et  le  7  mai,  à  trois  heures  du  matin, 
il  expira.  En  rendant  compte  de  cet  événement  au  Ministre , 
l'Intendant  lui  dit  qu'en  attendant  ses  ordres  ,  il  avait  ordonné 
qu'on  salât  le  corps  du  prisonnier^  et  qu'on  le  mit  dans  un  coffre. 
Plus  de  cent  trente  ans  devaient  s'écouler  avant  que  le  procédé 
Cannai  fût  appliqué.  Mais  quand  même  il  l'eût  été  en  4696,  on  lui  eût 
probablement  préféré  le  mode  de  conservation  qui  fut  employé  à 
l'égard  du  cadavre  de  Le  Grand,  mode  un  peu  primitif  peutètre, 
mais  qu'on  eût  trouvé  suffisant  pour  un  e^ion  considéré  comme 
s'étant  mis  en  dehors  de  toutes  les  lois  civiles  et  humaines. 
En  agissant  ainsi  qu'il  l'avait  fait ,  M.  Desclouzeaux  avait  été 
déterminé  par  cette  considération  que  si  Le  Grand  n'existait  plus, 
raclion  de  la  justice  pouvait  bien  n'être  pas  éteinte  à  son  égard, 
puisque  suivant  les  usages  du  temps,  on  instrumentait  parfois  con- 
tre les  cadavres  des  accusés,  ce  qui  semblait  d'autant  plus  naturel 
en  celte  ch'constainee  que  Pouliou  venait  d'être  arrêté  et  avait 
avoué  ses  intelligences  avec  Le  Grand.  M.  Desclouzeaux  ne  s'était 


—  100  — 

pas  trompé  dans  ses  conjectures.  Le  Ministre  qui,  dès  le  9  niaîy 
avait  adressé  un  mémoire  dont  se  serait  servi  le  Sénéchal  de 
Bi»est  pour  interroger  Le  Grand,  prescrivit ,  quand  il  connut  sa 
mort,  de  faire  le  procès  à  son  cadavre,  et  expédia'  un  arrêt  da 
conseil  commettant  tes  Juges  de  Brest  pour  prononcer  en  der- 
nier ressort.  Le  Sénéchal  étant  absent,  son  Lieutenant  te  suppléa, 
et  le  mardi ,  2  juin  i696  ,  jour  de  marché ,  le  cadavre  de  Le 
Grand  fut  traîné  sur  la  claie ,  après  quoi  il  fut  pendu  par  les 
pieds ,  puis  jeté  à  la  voierie. 

Sur  Vargent  qui  avait  été  trouvé  chez  le  supplicié  ,  il  restait , 
après  le  prélèvement  des  frais  de  la  procédure  une  somme  de 
410  livres  -13  sols  ,  que  M.  Desclouzeaux  voulait  faire  partager 
entra  M.  de  la  Carrière,  le  prévôt  et  les  archers  de  la  Marine  ; 
mais  le  Ministre  fit  la  sourde  oreille  aux  demandes  réitérées  de 
l'Intendant,  et  force  fut  à  ce  dernier  de  verser  cette  somme 
à  la  caisse  du  domaine. 

Quoi  qu'il  en  soit,  M.  de  la  Carrière  revint  à  la  charge,  ets& 
prévalant  en  -1704  de  ses  services  de  -1696  et  de  ses  efforts  sub- 
séquents pour  découvrir  de  nouveaux  espions,  il  obtint,  au  mois 
de  juin  -1704,  une  gratification  de  -1,500  livres. 

Neuf  mois  s'étaient  passés  depuis  l'exécution  de  la  sentence 
prononcée  contre  le  cadavre  de  Le  Grand ,  lorsqu'une  lettre 
anonyme  adressée  à  un  religieux^  de  Brest  qui  la  transmit  à  M.  de 
Pontchartrain  prétendit  que  cette  exécution  n'était  qu'imaginaire, 
et  qu'un  autre  individu  avait  été  substitué  à  Le  Grand.  Cette 
lettre ,  dont  l'original  conservé  aux  archives  du  port  de  Brest  r 
ne  porte  ni  date  ni  suscription  ,  est  ainsi  conçue  : 

«  Mon  Révérend  père. 

Un  espion  pris  à  Brest  a  passé  pour  s'estre  jette  par  les 
fenestres  et  avoir  esté  traisné  sur  la  claye.  Cela  est  faux.  Il  est 
vivant.  Je  le  scay  sûrement.   On  a  jette  à  la  place  un   malade 


-   101  — 

moribond  ou  on  s'en  est  servy  après  qu'il  se  fut  jette.  Je  ne 
signe  point ,  parce  que  je  ne  puis  prouver  ce  que  je  scay,  et 
je  crois  faire  assés  d'advertir.  C'est  Tadvis  que  donne  un  zélé  , 
serviteur  du  Roy,  et  le  vostre , 

Mon  Révérend  père.  » 

Communiquée  par  le  Ministre  à  H.  Desclouzeaux ,  cette  lettre 
donna  lieu,  le  -1^  mars  4697,  à  la  réponse  vivante  de  cet 
Intendant  : 

•  Sy  Ton  pouvoit  scavoir  qui  a  donné  Tadvis  au  Roy  que  le 
nommé  Le  Grand  n'est  point  mort,  Ton  pourroit  juger  pourquoi 
il  avoit  donné  un  advis  sy  contraire  à  la  vérité.  L'on  juge  que 
l'escriture  du  billet  que  Monseigneur  m'a  fait  l'honneur  de  m'en- 
voyer  est  escrite  de  la  main  gauche.  Je  le  supplie  très  humblement 
d'assurer  Sa  Majesté  que  ce  Le  Grand  est  bien  mort  ;  qu'il  s'est 
jette  par  la  fenestre  d'une  des  chambres  du  Chasteau ,  du  pre- 
mier estage  ;  que  je  l'ay  fait  mettre  dans  des  peaux  de  moutons 
que  j'avois  fait  escorcher  tous  en  vie ,  croyant  que  cela  le 
pourroit  sauver,  estant  tout  meurtry  et  fracassé.  Le  lendemain, 
je  fus  llnterroger  de  nouveau  dans  le  Chasteau  ,  et  lui  ayant 
représenté  qu'il  estoit  un  malheureux  de  s'estre  voulu  deffaire  et 
de  s'estre  précipité ,  il  ne  me  répondit  autre  chose  sinon  que 
c'estoit  rignominie  qui  l'y  avoit  obligé.  S'il  y  avoit  la  moindre 
apparence  de  vérité  au  contenu  du  petit  billet,  il  faudroit  nous 
faire  faire  à  tous  nostre  procès,  à  moy  premièrement,  au  Com- 
mandant du  Chasteau ,  au  Major ,  au  médecin ,  au  chirurgien  , 
à  un  confesseur  et  au  prévost.  Tous  les  gens  de  la  ville  sont 
témoins  qu'il  a  esté  traisné  sur  la  claye ,  ensuite  pendu.  M.  de 
Châteaurenault ,  auquel  j'en  viens  de  parler,  a  vu  faire  cette 
exécution.  Il  le  connaissait  pour  l'avoir  vu  servir  M.  le  marquis 
de  la  Porte.  //  fut  ensuite  jette,  à  la  vayrie ,  où  les  chiens  le 
tnangèrent,  t 


~  102  - 

Ces  faits  se  passaient  et  se  racontaient  ainsi ,  eomme  dioses 
des  plus  nàturdles ,  à  la  veille  du  dix-huitième  siècle  ,  et  dans 
un  pays  chrétien  qui  se  disait  civilisé  ! 

Terminons  par  quelques  détails  sommaires  sur  les  suites  de  la 
sentence  prononcée  contre  Marquis ,  Jouslain  et  sa  femme. 

Cinq  jours  après ,  il  fut  procédé  à  la  vente  des  meubles  et  des 
marchandises  de  Jouslain  contre  qui  la  confiscation  avait  élé 
prononcée.  Elle  produisit  une  somme  totale  de  649  livres  9  sols 
9  deniers,  dans  laquelle  entrait  celle  de  300  livres  pour  trois 
mille  peaux  tant  de  mouton  que  de  chèvre ,  apprêtées  ou  non , 
qui  furent  adjugées  avec  quelques  outils  servant  à  les  mettre  en 
état ,  au  sieur  Camarec,  libraire. 

Il  s'écoula  plus  de  treize  ans  avant  que  la  sentence  de  bannis- 
sement de  Perrine  Blanchard  reçut  son  exécution.  Enfermée  dans 
la  maison  des  filles  repenties  ou  Refuge  royal,  à  Ponlaniou,  elle 
y  resta  jusqu'au  -Il  septembre  -1720  ,  époque  où,  d'après  un 
ordre  du  Régent  du  25  mars  -1 7-1 8  ,  et  les  prescriptions  de  M. 
l'intendant  Robert  du  -10  septembre  -1720,  elle  fut  embarquée  sor 
le  vaisseau  le  Triomphant,  commandé  par  M.  Carrion,  qui  dut 
la  déposer  à  Cadix. 

P.  LEVOT. 


-ï»»«^ 


rr 


Hatfllin  ar  barz  dall. 


Paotred,  plac'bed  iaouank  ,  c'houi  lamme  <>  IridaU , 

Pa  glevac'h ,  ûre  Gerne,  Matulin^  ar  ban  <iall, 

0  trei,  gant  he  vombard ,  toniou  ww  abte 

Lakat  fin?  er  wazied ,  digeri  jabadao , 

Ouelit  y  n'her  c*hlevot  mui  t  Emir  he  ¥ez  ieo  eo  nûko; 

Maro  eo  MalulîB ,  dialan  boc'h  eostik» 

He  ene  zo  nijet  da  yro  ann  telennou , 
'  Bro  ar  barzed  zo  bel  skillruz  ho  c'halounou  ; 
E  kaloun  ar  barz  koz  *vel  euun  ograou  gane , 
Hag  hen  oc'h  ehaoa,  eTiied  a  ziskane. 
Evid-omp-ni ,  Breiziz,  bon  diskan,  zo  daelou  : 
Koueza  ra  ar  gwez  braz ,  seac'b  out-ho  aun  dcliou. 

E  komik  ar  vered,  kousket  enn  da  c'hourvez , 
Selaou  e-kreîz  ann  noz ,  a-zindan  da  vean-bez , 
Selaou  hag  e  klevi  ayel  Breiz  o  Youdal, 
0  kana  hirvouduz  toniou  ar  paour  keaz  dall. 
Mar  tihunez  neuze ,  barz ,  n'as  pe  ket  anken  , 
Rak  ma  klemm  ann  avel ,  ouela  a  ra  ann  den. 


-  104  — 

nano  To  aclmnood  gaod  da  ttoiz  kaloiuek, 
Endra  fezo  e  Breiz  ebad  ha  BrezoondL  ; 
Kana  rai  da  donioa  kerdiga  meur  a  dden , 
EtcI  ecli  euz  kleTel  Brizaik,  ban  Ueo  melen, 
Brizeuk ,  ar  gwir  Breizad ,  zo  e  penn  he  ero 
0  c'bortoz ,  eur  bloaz  zo ,  skeud  eur  wezen  zéro. 

Nalulin  I  da  vombard  ne  yczo  hep  perc'heo  : 
Da  derri  nerz  ar  boan  a  zo  ena  ho  c'herc*hen , 
E  Breiz,  ar  re  zalc'h  mad  baniel  ar  c'bisiou  koz, 
Âzalek  goulou-deiz  betek  ar  pardaez-noz, 
A  gano  gwersiou  kaer  savet  war  da  doniou, 
Da  zeisiou  ho  eured ,  e-kreiz  ho  fardôniou. 

Ar  re-ze,  pa  vint  koz,  â-benn  banter-kant  Tloaz, 
Epad  ann  nosvesiou ,  goumzo  ac'hanoud  c*hoaz  : 
Azezet'lal  ana  tan,  Iro-war-dro  d'ann  oaled, 
Lirinl  d'ho  bugale  :  «  Ni  bon  euz  her  gwelet , 
»  Klevet  bon  euz  ann  dall  a  le  enu  eur  gana , 
M  Da  c'hounid  he  damm  boed  ;  dre  a-bont ,  dre  ama. 

Mar  teufez  neuze  c*hoaz  e-kreïz  ann  abaden, 
*Vel  n'euz  pell ,  Malulin ,  Kerneviz  a  vanden 
A  vodfe  enn  dro  d'id,  evel  eunn  hed-gwenan 
En  dro  d'eur  bodik  glaz ,  pa  zoner  d'ezho  splann. 
Ne  dal  her  lavarel  :  maro  oud  da  viken, 
lia  du  vombard  a  dav,  mantret  enn  da  gicben. 

G.  MILIN. 


ilaihnrin  le  barde  aveugle. 


{TfûduUioH  UU4rêU  de  h  fkèa  préeédtmU.) 


Jeunes  fiHes  et  garçons,  votis  qui  tous  épanouissiez  k  ]«  danse,  quand 
TOUS  enlendiezy  en  Gomouaille ,  Malburin ,  le  barde  aTeugle,  tirer  de  son 
tiaulbols  des  chants  qui  faisaient  toujours  tressaillir  d'aise ,  des  sons 
qui  donnaient  le  branle ,  pleurez ,  tous  ne  Tentendrez  plus  !  Il  gît  Ik 
sans  mouTement ,  dans  sa  tombe  froide  ;  Mathurin  est  mort ,  TOtre 
rossignol  est  sans  Toix. 

Son  âme  s*est  euTolée  au  séjour  de  l'harmonie,  séjour  des  bardes 
aux  cœurs  Tibrants.  Du  cœur  de  Mathurin  aussi  sortaient  comme  des 
sons  d*orgae ,  et  sitôt  qu'il  cessait ,  les  oiseaux  reprenaient  son  chant, 
i^ur  nous  aujourd'hui ,  nos  refrains  sont  des  larmes.  Les  grands  arbres 
tombent  dépouillés  de  leur  feuillage. 

Au  coin  du  cimetière,  étendu,  endormi  dans  ton  linceul,  écoute 
parfois  au  milieu  de  la  nuit,  écoute  et  tu  entendras  le  Tent  de  Bretagne 
mugir  et  chanter  en  gémiss<ant  les  airs  du  pauTre  aTeugle.  Barde, 
si  lu  te  réTeilles  alors',  sois  sans  èhagria ,  car  si  le  Tent  se  plaint, 
l'homme  pleure ,  hélas  I 

U 


^  106  — 

Tes  compatriotes ,  hommes  de  cœur,  garderont  le  souvenir  de  Ion 
nom.  Tant  qu'il  y  aura  des  Bretons  et  des  danses  en  Bretagne,  les 
airs  résonneront  sur  plus  d'une  harpe.  Ainsi ,  tu  as  entendu  celle  de 
Brizeux ,  le  barde  aux  cheveux  blonds  ;  Brizeux ,  ce  vrai  Breton , 
couché  au  bout  de  son  sillon ,  ^attendant ,  dejpuis  an  an ,  Fombre  du 
chêne  aimé. 

Ton  hautbois,  Mathurin,  ne  restera  pas  ^ans  maître.  Pour  calmer 
lès  maux  qui  les  assiègent ,  les  Bretons  qui  tiennent  ferme  la  bannière 
antique,  au  milieu  de  leurs  fêtes  et  aux  beaux  jours  de  leur  mariage, 
entonneront  sur  tes  airs  des  chants  harmonieux ,  depuis  l'aurore  jusque 
bien  avant  dans  la  nuit. 

Dans  cinquante  ans ,  ces  Bretons ,  vieux  à  leur  tour,  parleront  encore 
de  toi  dans  leurs  veillées.  Assis  en  cercle  autour  du  foyer,  ils  diront 
.^  leurs  enfants  ;  «  Nous  avons,  vu,  nous  avons  entendu  Taveugle  qui 
allait  gagner  sa  vie ,  en  sonnant  ses  chants  (^a  et  là.  » 

Si  alors,  comme  naguères,  tu  paraissais  au  milieu  d'une  danse, 
fe  Kernevod's  viendraient  l'environner  en  foule,  semblables  k  un  essaim 
qu'un  son  clair  fait  grouper  autour  d'une  branche  verte.  Il  ne  sert  pas 
de  le  dire  :  Tu  es  mort  pour  toujours ,  et ,  à  tes  côtés ,  ton  hautbois 
repose  silencieux  et"  stupéfait. 

G.  MiLrN. 


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18  JUILLET   1860 


Le  48  juillet  4860,  la  Lune,  dans  eon  mouveinent  de  iraûdla- 
tioQ  autour  de  nous ,  passera  entre  la  Terre  et  le  Soleil ,  et, 
pendant  quelques  instants  cachera ,  en  totalité  ou  en  partie , 
Tastre  radieux  à  plusieurs  portions  de  notre  globe  ;  il  y  aura  ce 
que  Ton  appelle  Ëdiq^se  de  Soleil» 

D'après  le  Saros  ou  période  C haldéerme  mdiqaani  que  tous 
les  48  ans  et  44  jours  environ ,  les  éclipses  de  mtoe  genre  doi- 
vent se  reproduire,  FécUpse  prochaine  est  celle  qui  correspond 
à  l'éclipsé  du  8  juillet  -l8/i2.  Celte  dernière  n'a  pu  être  observée 
en  Europe  qu'entre  5  et  7  heures  du  matin  ;  celle  de  juillet  pro- 
chain a  l'avantage  de  pouvoir  être  observée  entre  4  heure  et  4 
heures  de  Faprès-midi  daus  les  lieux  où  elle  a  le  plus  d'impor- 


—  108  — 

fance.  De  plus,  Tédipse  du  ^8  juillet  offrira  un  spcclacïe  qui 
ne  se  reproduira  que  dans  bien  des  siècles  ,  comme  le  dit 
M.  Faye ,  puisqu'au  moment  de  Tobscurilé  totale  on  apercevra 
non  loin  dû  Soleil  éclipsé,  Vénus ^  Mercure,  Jupiter  et  StUume, 
Vénus  se  trouvant  en  dessous  du  Soleil ,  à  une  petite  distance , 
Jupiter,  Mercure  et  Sati^rne  étant  à  lEst,  ces  déni  dernières 
assez  voisines  Tune  de  Fautre  et  éloignées  du  Soleil  d'une  dis- 
tance d'environ  30«. 

Parmi  les  lieux  privilégiés  qui  verront  le  phénomène  dans  toute 
sa  splendeur,  c'est-à-dire  ceux  pour  lesquels  l'astre  éclatant  sera 
éclipsé  totalement  pendant  plus  de  trois  minutes ,  FEspagne^  et 
FÂlgérie  offrent ,  sous  le  rapport  du  climat  et  de  la  pureté  du 
ciel,  toutes  les  circonstances  favorables  pour  que  Fobservation 
sérieuse  du  phénomène  permette  d'éclaircir  certaines  parties 
obscures  de  la  science  sur  la  constitution  physique  du  Solei. 
Nous  pouvons  donc  espérer  qu'à  la  suite  de  ces  observations, 
on  trouvera  une  explication  plausible  de  \ auréole  et  des  aigrettes 
lumirmtses  qui  entourent  la  Lune  pendant  Féclîpse  totale  ,  ainsi 
que  des  protubérances  rosacées,  si  tant  est  qu'elles  doivent  encore, 
cette  fois ,  se  faire  voir. 

Nous  ne  doutons  pas  que  d'habiles  photographes  se  transpor- 
tant à  Saint 'Vincent  ^  Vittoria  ou  Valence^  en  Espagne,  oa 
même  à  Alger,  ne  parviennent,  au  moyen  de  lunettes  à  grands 
objectifs  et  à  longs  foyers ,  à  saisir  dans  de  grandes  dimensions 
l'image  photographique  de  la  couronne  lumineuse ,  car  bien  que 
l'obscurité  qui  succédera  à  un  jour  éclatant  soit  relativement 
assez  forte,  Fauréole  brillante  aura  certainement  assez  d'intensité 
pour  impressionner  la  plaque.  En  faisant  donc  une  série  d'épreu- 
ves prises  à  nn  petit  intervalle,  on  pourra  étudier,  sur  les 
images  obtenues ,  tous  les  phénomènes  relatifs  à  la  forme  des 
aigrettes ,  de  la  couronne  et  des  protubérances.  Ces  images,  en 
complétant  les  observations  directes  faites  par  les  astronomes, 


-  109  — 

permettront  d'obtenir  des  données  exactes  sur  les  dimensions  de 
eette  fameuse  auréole  lumineuse  ,  et  de  savoir  enfin  si  elle  est 
concentrique  à  la  Lune  ou  concentrique  au  Soleil.  Les  progrès 
accomplis  depuis  quelques  années  dans  la  photographie ,  vont , 
nous  n'en  doutons  pas  ,  être  dans  cette  occasion  d'un  secours 
immense  à  la  science.  Nous  savions  que  d'après  les  plans  de 
M.  Faye,  et  sous  la  direction  de  ce  savant  astronome ,  toutes 
les  dispositions  devaient  être  prises  pour  assurer  aux  observa* 
tions  de  bons  résultats.  La  revue  scientifique  te  Cosmos  nous  a 
appris  hier,  que  M.  Faye,  qui  était  chargé  de  diriger  la  com- 
mission scientifique  envoyée  par  la  France  en  Espagne,  pour 
observer  Téclipse  totale,  venait  de  donner  sa  démission,  par  suite 
du  concours  indispensable  que  lui  refusait ,  en  cette  occasion , 
l'observatoire  impérial  de  Paris.  La  direction  de  la  commission 
a  été  confiée  à  M.  Leverrier.  Que  ce  soit  l'un  ou  l'autre  de  ces 
dpux  savants ,  on  a  raison  de  ne  rien  négliger  pour  assurer 
l'observation  complète  du  phénomène  astronomique  dont  nous 
nous  occupons  ;  car,  dans  le  dix  -  neuvième  siècle ,  il  n'yaura 
plus  que  cinq  éclipses  de  Soleil  totales,  dont  trois  seulement, 
celle  de  ^861,  celle  de  4870  et  celle  de  -1900,  pourront  s'obser- 
ver dans  des  circonstances  et  dans  des  lieux  favorables. 

Disons,  en  passant,  que  la  France,  l'Algérie  exceptée,  ne  verra 
pas  d'éclipsé  totale  de  Soleil  dans  la, fin  de  ce  siècle. 

En  dehors  de  l'étude  de  la  constitution  physique  du  Soleil  et 
delà  magnificence  du  phénomène  en  lui-même,  l'éclipsé  prochaine 
offre  aux  astronomes  un  intérêt  plus  spécial ,  en  ce  qu'elle  va 
peut-être  résoudre  un  problême  qui  intéresse  tous  ceux  qui 
s'occupent  d'astronomie.  Nous  voulons  parler  de  cette  planète 
observée  l'année  dernière  comme  un  point  noir  sur  le  disque 
solaire,  par  M.  Lescarbault ,  médecin  d'Orgères.  Cette  planète , 
désignée  déjà  sous  le  nom  de  Vulcain  ,  et  dont  l'existence  est 
contestée  par  M.  Liais,  astronome  français  résidant  actuellement 


^  liO  — 

au  Brésil ,  tf a  pu  eacore  être  retrouvée  malgré  les  recherches 
de  plusieurs  astronomes  placés  dans  les  conditions  les  plus  favo* 
râbles,  . 

Espérons  que  sur  une  épreuve  photographique  prise  &  Tinstanl 
de  récJipse  totale,  on  apercevra  auprès  de  Vénus  ou  Jupiter, 
ou  à  droite  du  Soleil,  un  cinquième  petit  point  brillant  qui, 
si  ce  n'est  pas  une  des  étoiles  de  la  belle  constellation  des 
Gémeaux,  devra  certainement  être  considéré  comme  étant  Vol- 
cain. 

Peut-être  même  apercevra-t-on  plusieurs  points  brillants  de  ce 
genre  qui ,  en  indiquant  une  zone  de  petites  planètes  intra- 
Wercurielles  j  viendront  confirmer  la  théorie  de  M.  Leverrier, 
théorie  iusérée  dans  les  Comptes  ^  rendus  de  r Académie  des 
Sciences  du  42  septembre  4859,  et  qui  a  été  dévoilée  au  savant 
Directeur  de  TObservatoire  impérial  par  le  mdiuvem^t  du  Périhélfe 
de  Mercure,  dont  ses  calculs  lui  ont  révélé  l'existenee. 

Ainsi ,  à  moins  que  la  nouvelle  planète  ne  st>it  juste  en  con^ 
jonction  supérieure  au  moment  de  l'écUpse ,  tout  porte  à  croire 
que  prochainement  nous  serons  fixés  sur  son  compte. 

Brest ,  hélas ,  qui  en  raison  de  sa  magnifique  position  mari* 
time ,  est  si  mal  situé  relativement  aux  observations  astrono- 
miques ;  Brest  qui ,  sauf  quelques  rares  beaux  jours  ,  n'aperçoit 
le  bleu  du  ciel  et  le  Soleil  qu'au  travers  de  lourds  nuages  gris, 
que  diasse  un  vent  humide  et  persistant ,  ne  se  trouve  pas 
dans  la  zone  de  Téclipse  totale.  La  boiïne  ville  s'en  console, 
probablement ,  car  pour  ses  habitants ,  les  éclipses  de  3oleil 
(non  par  la  Lune ,  il  est  vrai),  ne  sont  pas  choses  rares. 

Toutefois,  si  la  Saint-Médard  ne  nous  est  pas  funeste  jusqu'au 
quarantième  jour,  et  si  le  -18  juillet  prochain  le  Soleil  veut  bien 
se  montrer  à  nous  pendant  "quelques  heures  de  Tq^rès-midi, 
nous  pourrons  avoir  notre  petite  part  du  phénomène  astrotfo* 
raique.  D'après  mes  calculs,  on  verra  à  Brest,  vers  -!*>  -lô"», 


-  lii  — 

le  Soleil  s'échancrer  vers  FOuest  en  un  point  situé  vers  ^OO® 
de  Textrémilé  supérieure  de  son  diamètre  vertical  ;  Téchan- 
crure  augmentera  progressivement ,  et  vers  2*»  32™ ,  il  ne  restera  • 
plus  du  Soleil  qu'un  croissant  délié  ,  indiqué  sur  le  dessin 
que  je  joins  à  cette  note.  Le  croissant  solaire  augmentera 
ensuite ,  Téchancrure  diminuant  du  côté  de  TEst,  et  enfin  ,  vers 
3^  39™ ,  le  Soleil  reparaîtra  radieux  et  sous  la  forme  d'un  disque 
circulaire,  à  moins  que  quelque  nuage  importun  ne  vienne  ejicore 
nous  le  cacher. 

Au  moment  de  la  plds  grande  phase  ,  la  lumière  solaire  ne 
sera-  que  la  22«  partie  de  ce  qu'elle  était  au  commencement  de 
réclipre,  et  même  un  peu  moins,  s'il  est  vrai,  comme  le  pensaient 
Bouguer  et  Laplace ,  et  comme  les  expériences  photographiques 
de  MM.  Fizeau  et  Foucault  pourraient  le  faire  croire,  que  le  Soleil 
est  moins  lumineux  dans  les  endroits  de  son  disque  éloignés  du 
centre.  Toutefois  ,  l'affaiblissement  de  la  lumière  ne  scra^  pas 
très  sensible  pour  nous,  et  nous  n'avons  aucun  espoir  d'aperce- 
voir Vénus  ou  Jupiter j  et  encore  moins  Yulcain. 

Brest,  28  Avril  1860. 

Ed.  DUBOIS. 


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—  116  — 

En  interpolant  dans  le  tableau  n9  4,  /\^\  on  trouve  que 
distance  apparente  des  centres  des  deux  astres  sera  égale  à 
somme  des  deux  demi  -  diamètres  à  4*>  48™  27* ,  la  lune  éla 
dans  rOuest  du  soleil,  et  à  3"»  39"*  lO* ,'  la  Lune  étant  da| 
TEst. 

En  cherchant  à  quel  moment  la  distance  ^'  sera  minimui| 
on  trouve  que  la  plus  grande  phase  aura  lieu  à  2^  34™  5(| 
Au  moment  de  cette  plus  grande  phase,  la  distance  /^*  se/ 
de  2'  9"  ;  les  0,95  du  diamètre  du  Soleil  seront  éclipsés  ;  il  t 
restera  donc  de  visible  que  la  ^/22'  partie  environ  du  disql 
solaire. 

Au  moyen  des  formules  données  dans  Fastronomîe  pratiq 
de  Francœur,  on  trouve  que  la  première  impression  du  disq 
lunaire  aura  lieu  à  l'Occident  à  environ  400<>  de  Textrém 
supérieure  du  diamètre  vertical  du  Soleil. 

Brest ,  28  Avril  1860. 

Ed.  DUBOIS, 


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Ediplique  apparente. 


LÉGENDE. 

3rcle  de  droite  représente  la  position  de  la  Lune  à  Finstant 
lier  contact  c. 

celui  dont  le  centre  est  S,  l'autre  la  position  de  la  Lune  au 
blanc  indique  ce  qui  restera  de  visible  du  Soleil, 
à  rinstant  du  dernier  contact  c* 
ie  la  Lune;  les  flèches  marquent  le  sens  du  mouvement. 


Litho^.  ïtfpo.  Rotjtr.  Brest. 


:-4 


Le  FoD  et  ses  NédeciDS 


ANECDOTE  DE  4851 


Deux  médecins  dont  je  cache  les  noms, 

Dans  une  ville,  aux  environs  de  Mens, 

Dernièrement  conduisaient  ud  malade, 

Dont  la  raison  faisait  mainte  incartade. 

Tous  trois  ensemble  à  Tliôpital  des  fous 

Vinrent  frapper.  —  Ah  !  Messieurs ,    c'est  donc  vous , 

Leur  dit  de  suite  ,   avec  un  doux  sourire  , 

Le  directeur  des  hommes  en  délire  I 

Je  vous  salue  ,  entrez  dans   ce  parloir , 

Où  nous  allons  un  momei^t  nous  asseoir.  — 

Lors  k  chacun  il  présente  une  chaise , 

Et  Ton  se  met  à  converser  à  Taise 

Sur  le  beau  temps ,  sur  les  actes  nouveaux 

Du  ministère  ,  ou  sur  les  grands  travaux 


1-" 


-  H8  - 

Du  Président  de  notre  République  ; 
Littérature  ,  liisloire  ,  politique  , 
Tout  se  traita  dans  Taimable  entretien  , 
Mais  prudemment  chacun  se  garda  bien 
De  dire  un  mot  de  l'objet  du   voyage  , 
Devant  celui  qu'on  venait  mettre  en  cage. 
L*un  deux  surtout  parlait  avec  chaleur, 
Il  était  vif,   tranchant,  même  railleur, 
Et  par  le  geste  animant  son  langage  , 
Il  déclamait ,   criait ,  faisait  tapage. 
Le  directeur  ,  l'observant ,  l'écoutant , 
Croit  voir  en  lui  l'insensé   qu'il   attend  , 
Le  prend  à  part ,  dans  son  bureau  Ten traîne  , 
Et  l'apostrophe  ainsi  sans  plus  de  gêne  : 
Bfon  cher  ami ,  vous  souffrez  du  cerveau , 
Consolez-vous  ,  un  régime  nouveau , 
Grâce  à  nos  soins  ,   aidés  par  la  nature , 
Vous  guérira  bientôt ,  je  vous  l'assure.  — 
Comment ,  dit  l'autre ,  en  poussant  des  éclats , 
Vous  plaisantez ,  Monsieur ,  je  ne  suis  pas 
Un  insensé  ,   votre  erreur  est  profonde  ; 
Sachez  donc  mieux  connaître  votre  monde.  — 

—  Ah  !  Yoilk  bien  les  fous  ,  dit  le  docteur. 
L'accès  commence ,   et  gare  h  la  fureur.  — 

—  En  vérité  la  méprise  est  trop  forte , 
Fit  l'étranger ,  en  saisissant  la  porte  , 
Puis  il  ajoute ,  en  élevant  le  ton  : 
Monsieur  ,  c'est  vous  qui  perdez  la  raison. 
Mais  le  docteur  a  fermé  la  serrure  ; 
L'autre  aussitôt  s'emporte ,    écume  ,  jure , 
Frappe  du   pied  ,  et  démolit  soudain 
Tous  les  objets  qui   tombent  sous  sa  main. 
A  ce  fracas ,  les   garçons  qu'on  appelle 
Accourent  tous  ,  garrottent  le  rebelle  , 


—  119  — 

Et  ce  pauvre  homme  est ,  sans  plus   de  façon  , 

Jelé  de  force  au  fond  d*un  cabanon. 

Le  directeur  rejoint  sa  compagnie  : 

Le  fou ,  dit-il ,  est  en  pleine  furie  , 

Je  liions  là  baul  de  le  mettre   en  lieu  sûr; 

11  était  temps  ,  son  bras  était  si   dur 

Qu*il   a  brisé  ,  dans  sa  rage  inhumaine , 

Chaises,   flambeaux,  pendule,   porcelaine 

—  Qu'ai-je  entendu  ?  s'écrie  avec  stupeur, 

A  ce  récit,  le  second   visiteur. 

Ah  !  vous  avez  fait  une  belle  affaire  ! 

Mais  ce  fou-là,  monsieur,  c'est  mon   confrère, 

Homme  de  sens,  d'esprit  et  de  raison; 

Hàlezrvous  donc  de  rouvrir  sa  prison  !... 

Muet ,  confus ,  le  directeur  s'élance 

Vers  la  cabane  où  sa  lourde  imprudence 

A  renfermé  le  pauvre  médecin..... 

11  est  trop  tard....  hélas  !  et   c'est  en  vain 

Qu'on  a  coupé  la  corde  qui  le  he  , 

Du  malheureux  intense  est  la  folie  ; 

11  déraisonne  ,   il  déraisonnera  , 

£t  rinsensé  jamais  ne  guérira. 

Par  contre-coup  ,  frappé  de  l'aventure  , 

Le  vrai  malade  a  changé  de   nature, 

11  a  repris  son  calme  ,   son  bon  sens  , 

11  est  guéri  ! Bizarre   contre-sens 

Qui  vient  d'un  fou  rétablir  la  cerveHc  , 
L'illuminer  ,   alors  qu'il    détruit  celle 
Du  médecin  dont  l'esprit  et  le   cœur 
W'ont  pu  survivre  à  cet  affreux  malheur! 

CLÉREC,  Aine. 


ÉTUDE 


HISTORIQUE   ET    CRITIQUE 


L4  LIGUE  m  BRETAGNE 


Plus  OD  étudie  les  documents  relatifs  à  Thistoire  de  la  Ligue 
eu  Bretagne  ,  plus  on  s'aperçoit  que  les  écrivains  français  et 
bretons,  en  général,  n*ont  pas  apprécié  à  leur  juste  valeur  le 
caractère,  les  qualités  et  les  actes  du  Duc  de  Mcrcœur»  Les  uns 
ont  prétendu  qu'il  était  un  homme  faible  et  sans  génie ,  se  lais- 
sant mener  par  l'orgueil  de  sa  femme.  M.  Jules  Janin  dît  que 
«  s'il  ]}'avait  pas  le  courage  et  le  droit  de  Charles  de  Blois,  il  en 
avait  l'obstination  (^},  et  que  c'est  l'ambition  de  cet  homme  médiocre 

(i)  La  Bretagne ,  par  Jules  Janin ,  page  462. 


—  121  — 

et  frivole  qu'il  faut  accuser  de  ces  luttes  cruelles  autant  qu'inu- 
tiles qui  ensanglantèrent  la  Bretagne  pendant  le  -Ift*  siècle  ;  t 
M.  Emile  Souvestre,  (4)  i  qu'il  fut  un  ambitieux  secondaire  et 
sans  portée ,  une  espèce  de  doublure  des  Guise  ;  t  M.  Pitre 
Chevalier,  «  qu'on  faisait  peu  de  cas  de  son  caractère,  parce 
que  Henri  III  lui  envoya ,  pour  le  gagner,  Jusqu'aux  pierreries 
de  sa  royale  sœur  ;  t  et  il  ajoute  «  qu'il  eût  peut-être  brillé 
comme  savant  plus  que  comme  politique  et  comme  guerrier,  t  (2) 
M.  L.  Grégoire ,  professeur  d'histoire  au  Lycée  de  Nantes ,  et 
auteur  d'une  récente  Histoire  de  la  Ligue  eti  Bretagne^  soutient 
•  qu'il  fut  avant  tout  un  ambitieux  opiniûtre  et  faible,  catholique 
sans  noblesse^  subordonnant  la  défense  de  la  religion  à  Tintérôt 
de  sa  grandeur  personnelle  ;  patriote  breton  sans  conviction,  qui 
ne  fit  que  du  malet  qui  tomba  sans  gloire,  t  (3)  Mercœur ,  dit 
ailleurs  M.  L.  Grégoire  ne  fut  jamais  un  héros  ;  jamais  il  ne 
s'éleva  à  la  hauteur  des  circonstances  'i  il  lui  manquait  la  force 
de  caractère  et  l'énergie  des  convictions.  Ce  fut  un  politique 
ambitieux,  d'un  esprit  indécis  et  circonspect ,  craignant  toujours 
de  se  hasarder,  débutant  par  Fiogratitude  et  terminant  sa  carrière 
par  le  mensonge  et  la  faiblesse  (4).  Enfin ,  M.  Lejean ,  membre 
correspondant  de  cette  Académie  (5),  qui  est  presque  constam- 
ment (et  le  plus  souvent  avec  raison), d'une  opinion  contraire 
à  celle  de  la  plupart  des  historiens  de  notre  province  ,  fait 
chorus  avec  eux,,  dans  cette  circonstance,  en  qualifiant  Mcrcœur  de 
pûle  et  de  froid  prétendant,  qui  joue  au  Jean  de  Montfort  (6). 


(i)  Les  derniers  Bretons,  t.  IIÏ,  page  380. 

(2)  La  Bretagne  moderne ,  page  596. 

(3)  Préface. 

(4)  Histoire  de  la  Ligue  en  Bretagne ,  chap.  T*,  page  M. 

(5)  Auleut  d'un  excellent  ouvrage  intitulé  la  Bretagne ,  son  Histoire  et 
ses  Historiens, 

(6)  Jean  de  Montfort  n'était,  selon  moi,  que  l'instrument  de  l'Angleterre 
dans  la  grande  guerre  civile  de  la  succession. 

16 


—  122  - 

Le  chef  de  la  Ligue  en  Brelagae  n'était  sans  doute  pas,  comme 
l'appelle  emphatiquement  son  plus  fervent  panégyriste,  un  César 
à  cheval  et  un  Alexandre  à  pied ,  et  s'il  eut  quelque  ressem* 
blance  avec  ces  deux  grands  hommes,  ce  fut  principalement  sous 
le  rapport  de  l'ambition.  Il  était  ambitieux,  d'accord  ;  mais  l'am- 
bition n'est-  elle  pas  ordinairement  la  passion  des  grandes  intel- 
ligences et  des  esprits  supérieurs,  plutôt  que  celle  des  âmes 
faibles  ,  secondaires ,  médiocres  et  sans  «portée  ?  Celte  ambition 
causa  bien  des  maux  à  la  Bretagne ,  j'en  conviens  ;  mais  peut-on 
adriiettre  que  cette  province,  si  profondément  catholique,  aurait 
pu  échapper  à  l'incendie  allumé  sur  toute  la  surface  du  royaume 
par  les  dissidences  religieuses,  et  peut- on  supposer  qu'elle 
n'aurait  pas  trouvé  un  autre  chef  que  le  Duc  de  Mercœur,  qui 
se  serait  mis  à  la  tête  du  mouvement?  Je  ne  le  crois  pas  ,  et 
cette  hypothèse  çie  semble  tout-à-fait  inadmis^ble. 

Il  y  a  donc  lieu  de  s'étonner  que  des  écrivains  sérieux  aient 
pu  parler  si  légèrement  de  cet  illustre  capitaine,  et  dénaturer 
si  inconsidérément  la  vérité  historique.  S'ils  s'étaient  donné  la 
peine  de  lire  attentivement  les  lettres  que  le  Duc  écrivait  au 
cardinal  Albert  et  à  Carpentier,  l'agent  du  roi  d'Espagne,  je  crois 
qu'ils  auraient  été  plus  justes  et  plus  respectueux  envers  sa 
mémoire.  L'une  de  ces  lettres,  interceptées  par  DuplesSis-Mornay, 
gouverneur  de  Saumur,  contient  ce  remarquable  passage  :  «  Les 
»  députés  du  Roi  me  sollicitent  vivement  de  faire  une  longue 
»  Irève  ;  mais  je  ne  l'accorderai  que  jusqu'à  la  fin  de  juillet , 
»  parce  que ,  suivant  les  nouvelles  que  j'ai  reçues  d'Espagne  , 
9  on  doit  m'envoyer,  vers  ce  temps-là,  une  armée  en  Bretagne, 
»  tandis  que  le  cardinal  d'Autriche  entrera  en  France  de  son 
»  côté  ;  j'espère  alors  faire  quelque  chose  digne  de  moi.  Si 
t  depuis  la  prise  d'Amiens  j'avais  eu  des  troupes  et  de  l'argent, 
»  je  me  serais  facilement  emparé  de  plusieurs  places ,  non-seu- 
»  lement  en  Bretagne,  mais  encore  en  France.  Si  l'on  veut  me 


-  123  - 

9  croire  et  profiter  de  Toccasion,  le  Roi  aura  bientôt  des  attires 

-  »  dont  il  ne  pourra  se  démêler  ;  il  ne  mérite  d'ailleurs  que  trop 

»  bien  d'être  réduit  à  cette  extrémité ,  puisqu'il  est  l'ennemi  de 

»  tous  les  catholiques.  Je  viens  d'informer  le  roi  d'Espagne  de 

t  la  situation  présente  des  affaires,  et  lui  dire  que  pourvu  qu'on 

»  n'exige  rien  de  moi  qui  soit  contre  mon  honneur,  je  ferai  des 

»  choses  étonnantes.  Mais  il  faut  pour  cela  qu'on  me  fournisse 

»  des  troupes  et  de  l'argent,  et  qu*on  m'envoie  de  Flandres  des 

•  poudres   et  quelques  canons.   J'aurais  souhaité  pouvoir  aller 

»  passer  quelques  mois  auprès  du  cardinal  Albert  pour  le  per- 

>  suader  de  mon  attachement  ,  et  concerter  avec  lui  les 
p  moyens  de  faire  à  la  France  tout   le  mal  possible  ;  mais  ce 

>  voyage  étant  impossible ,  il  faut  qu'à  l'expiration  de  la  trêve , 
t  chacun  de  nous  entre  de  son  côté  dans  le  royaume.  Nous 
»  pourrons  faire  notre  jonction  auprès  de  Paris  ou  de  Rouen ,. 
»  où  nous  sommes  attendus  avec  impatience ,  etc.  t 

Une  lettre  du  prieur  de  la  Trinité ,  adressée  à  Carpentier, 
développait  plus  clairement  encore  les  projets  du  Duc  de  Mer- 
coeur.  Le  prieur  disait  que  le  Duc  était  vivement  sollicité  de 
prolonger  la  trêve ,  et  qu'il  craignait  qu'il  ne  fût  contraint  de 
l'accepter,  n'ayant  reçu  ni  argent  d'Espagne  ,  ni  munitions  de 
Flandre ,  sans  lesquels  cependant ,  à  son  grand  regret ,  il  ne 
pouvait  continuer  la  guerre.  11  était  également  fait  mention  ^ 
dans  cette  lettre ,  d'un  projet  pour  s'emparer  du  château  de 
Saint-Germain  en-Laye ,  où  le  Roi  se  rendait  souvent ,  et  pour 
se  rendre  maître  de  la  personne  de  ce  prince. 

J'en  appelle  au  bon  sens  et  à  l'impartialité  du  lecteur,  l'homme 
qui  écrivait  les  lignes  que  nous  venons  de  reproduire  ,  et  qui 
concevait  d'aussi  grands  desseins  ,  des  entreprises  si  hardies  , 
qu!il  eût  sans  aucun  doute  mis  ou  tenté  de  mettre  à  exécution, 
si ,  comme  il  le  dit  dans  ses  lettres  ,  il  avait  eu  de  l'argent , 
des  soldats  et  des  munitions ,  cet  homme  pouvait-il  être  d'un 


esprit  médiocre  et  indécis  (1)  ;  un  homme  faible,  inhabile,  frivole, 
d*un  courage  inférieur  à  celui  de  Charles  de  Blois,  et  se  laissant 
dominer  par  l'orgueil  de  sa  femme. 

«  Le  peuple,  dit  encore  M.  Jules  Janin,  •  ce  triste  historien 
t  au  style  pailleté  et  déclamatoire,  9  (2)  le  peuple  ne  croyait  ni 
»  au  courage,  ni  aux  droits  de.  Mercœur  ;  aussi  ,  en  quelques 
»  heures ,  et  quand  le  maréchal  Guy  Lcmeur  de  Brequigny , 
»  une  pique  à  la  main,  parcourut  les  rues  de  Nanles,  en  criant: 
»  Vive  le  Roi  I  les  troupes  de  Mercœur  furent  chassées  de  la 
»  ville  sans  autre  forme  de  procès.  »  Puis  ,  dix  lignes  plus 
bas,  il  ajoute  :  «  Cependant  Mercœur  restait  maître  de  la  Bre- 
tagne. Le  Roi  de  France  n'avait  plus  guère  en  son  obéissance 
que  les  villes  de  Rennes  ,  Brest ,  Vitré ,  Chateaubriand  ,  Mont- 
fort  ,  Josselin ,  Ploërmel ,  Malestroit,  Quimper  et  Guérande.  Le 
duc  de  Mercœur  s'en  va  même  au-devant  du  comte  de  Boissons, 
le  nouveau  gouverneur  de  la  Bretagne  ,  et  presquB  aux  portes 
de  Rennes  le  fait  prisonnier.  (3)  .  .  .  .  M.  de  Mercœur,  tout 
inhabile  quTil  était^  pouvait  en  finir  avec  l'armée  royale,  etc.  t  [k] 

Explique  qui  pourra  cette  étrange  contradiction  ,  c'est-à-dire 
comment  un  homme  qui  n'avait  ni  habileté ,  ni  courage ,  ni 
droits ,  ait  pu  se  rendre  maître  de  la  Bretagne,  lutter  si  long- 
temps et  si  glorieusement  contre  les  forces  combinées  des  monar- 
chies de  France  et  d'Angleterre  ,  paralyser  les  menées  usurpa- 
trices du  roi  d'Espagne,  son  perfide  aUié,  et  enfin,  rester  le 
dernier  des  chefs  de  la  Ligue  à  mettre  bas  les  armes. 

Les  droits  du  Duc  de  Mercœur ,  quoi  qu'en  ait  dit  M.  Jules 
Janin ,  étaient  tout  aussi  bien  fondés  que  ceux  des  deux  compé- 

(1)  Comment  se  décider  à  rexécution  d'une  entreprise  de  ce  genre, 
quand  on  manque  d'argent ,  de  soldats  et  de  munitions  ? 

(â)  M.  Lejean  le.  qualifie  ainsi  dans  son  ouvrage  intitulé  :  la  Bretagne, 
son  Histoire  et  ies  Historiens ,  page  158. 

(3)  La  Bretagne,  par  Jules  Janin. 

(4)  La  Bretagne ,  page  472. 


-  î2o  - 

lîleurs  qui  se  disputèrent  le  duché  breton  au  1&«  siècle,  et  môme 
aussi  légitimes  que  ceux  du  roi  de  Navarre  à  la  couronne  de 
France ,  puisque ,  suivant  le  droit  public  de  tous  les  peuples 
européens  au  -IG*  siècle,  un  prince  hérétique  devait  être,  ipso 
facto,  exclu  de  la  succession  au  trône  (1). 

Il  avait  épousé  Marie  de  Luxembourg,  héritière  des  prétentions 
de  la  maison  de  Bloisà  la  souveraineté  de  la  Éretagne,  prétentions 
auxquelles  les  descendants  des  comtes  de  Blois  et  de  Penthièvre 
n'avaient  jamais  renoncé  ou  qu'ils  n'avaient  cessé  de  mettre  en  avant, 
depuis  plus  de  deux  siècles ,  toutes  les  fois  que  l'occasion  leur 
avait  paru  favorable.  On  objectera  sans  doute  que  la  Bretagne 
avait  été  réunie  à  la  France  en  4532,  par  François  le*",  roi  de 
France  ;  mais  les  prétentions  de  la  duchesse  étaient  justifiées  par 
cet  acte  même,  dont  la  dernière  clause  était  ainsi  conçue  :  car 
ainsi  nous  platt  être  fait ,  sauf  en  autres  choses  notre  droit , 
l'aiitrui  en  toutes. 

François  I*"",  en  effet,  ne  pouvait  disposer  du  droit'  de  sa 
femme,  puisque  le  duché  ne  revenait  à  ses  enfants  que  de  l'^^^oc 
de  Madame  Claude ,  son  épouse  ,  et  fille  d'Anne  do  Bretagne  , 
morte  sans  enfants  mâles.  Le  traité  conclu  à  Trente,  en  4504  , 
portait  que  Claude  hériterait  du  duché  de  Bretagne  «  de  l'estoc 
de  sa  mère ,  »  comme  on  disait  alors. 

Son  énergie,  son  intelligence  supérieure,  autorisent  à  faire  douter 
qu'il  se^soit  laissé  dominer  par  l'orgueil  de  cette  belle  princesse. 


(1)  De  Courson,  page  306,  tome  IL  Henri  IV  avail  été  excommunié  par 
le  pape  Sixle  V,  en  1585.  Le  Pape  ,  dans  sa  bulle  ,  le  déclarait  privé  à 
jamais,  lui  et  toute  la  maison  de  Condé,  de  tous  leurs  domaines  et  fiefs,  et 
incapable  surtout  de  succéder  k  la  couronne.  Il  alla  m^me  jusqu'à  l'appe- 
ler génération  bâtarde  et  détestable  de  la  maison  de  Jhurbon,  Henri  IV, 
pour  répondre  à  ceUe  grave  offense  ,  fit  afficher  dans  Rome,  à  la  porte 
du  Vatican,  que  Sixle-Quint,  soi-disant  pape,  en  avait  menti ,  et  que 
c'était  luL-méme  qui  était  hérétique. 

Lequel  avail  raison, on  plutôtlequel  avail  tort  ?  L'issue  du  conflit  semble 
avoir  donné  raison  au  Roi. 


-  120  — 

Peut-être  céda-t-il  quelquefois  à  ses  conseils  (4),  en  partageant 
ses  vues  ambitieuses  ;  mais,  à  coup  sûr,  il  ne  fut  pas  un  aveugle 
instrument  des  volontés  despotiques  de  son  épouse ,  comme 
Charles  de  Blois  le  fut  de  la  sienne.  Ce  reproche  pourrait  être 
adressé  avec  plus  de  raison ,  selon  nous ,  au  rivab  de  Mercœur, 
à  ce  maréchal  d'Aumont  qui  se  lit  tuer  devant  Comper  pour  les 
beaux  yeux  de  la  jeune  comtesse  de  Laval ,  dont ,  malgré  son 
grand  âge ,  il  était  éperdûment  amoureux.  Au  reste ,  les  vieux 
chroniqueurs  et  les  historiens  français  (2)  qui  se  sont  occupés 
de  notre  histoire  ont,  depuis  le  temps  de  Charlemagne, 
rétrange  manie  d'affubler  les  femmes  de  la  robe  virile.  Ernold- 
le-Noir,  moine  frank,  contemporain  de  Louis -le -Débonnaire,  se 
plait  à  raconter,  dans  sa  poétique  histoire  des  exploits  du  César 
germanique  ,  comment  Tastucieuse  épouse  du  roi  Morvan  s*y 
prenait  pour  séduire  et  dominer  son  royal  époux.  Les  Français 
n*ont  qu'une  Jeanne,  la  pucelle  d'Orléans,  tandis  ^ue  les  Bretons 
en  possèdent  trois  :  Jeanne  de  Clisson,  Jeanne  de  Blois  et  Jeanne 
de  Montfort,  qu'on  nous  représente  toujours  comme  des  héroïnes, 
de  véritables  amazones,  auprès  desquelles  leurs  époux  faisaient, 
à  ce  qu'il  paraît ,  une  assez  triste  jQgure. 

L'auteur  de  la  nouvelle  Histoire  de  la  Ligue  en  Bretagne  y 
M.  Grégoire,  dit  encore  que  a  Mercœur  était  d'un  esprit  lent  et 
»  irrésolu  ;  craignant  toujours  de  se  hasarder ,  il  n'avait  ni 
»  l'audace,  ni  l'énergie  capables  de  le  faire  triompher.  Aussi,  il 
t  ne  fonda  rien,  il  ne  tenta  rien  de  grand,  et  sa  conduite  irré- 
t  çolue ,  son  opiniâtreté ,  contribua  pour  beaucoup  à  désorga- 
»  niser  le  parti  de  la  Ligue  en  Bretagne  (3).  11  aurait  fallu  un 

(i)  n  avait  rhabilude  de  la  consulter  pour  toutes  les  affaires  impor- 
tantes. 

(2)  Ce  sont  principalement  les  Mémoires  royalistes  contemporains  qui 
ne  cessent  de  répéter  que  le  faible  Mercœur  est  entièrement  conduit  par 
sa  femme,  la  belle  et  allière  duchesse,  (q ,  page  i2  ) 

(3)  Page  268. 


-  127  — 

•  chef  capable ,  par.  son   énergie  et   son   intelligence ,   do  les 

•  contenir  et  de  les  diriger,  »  dit  le  savant  professeur  d'histoire, 
en  parlant  de  ta  noblesse  bretonne  ;  i  ils  ne  le  trouvèrent  pas 
»  dans  Mercœur  ;  ils  combattirent  au   hasard,  sans  but  déter- 

•  miné,  firent  leur  soumission  en  ne  consultant  que  leurs 
»  intérêts ,  sans  attendre  les  ordres  ou  Texemple   de  celui  qui 

•  n'avait  pu  les  conduire,  t  (I) 

Le  Duc  de  Mercœur  n*éiait  naturellement  ni  lent,  ni  irrésolu  ; 
mais  dans  les  circonstances  difliciles  où  il  se  trouvait  placé  ,  il 
devait  agir  avec  beaucoup  de  circonspection,  et  ne  rien  donner 
au  hasard  ;  car,  devant  lui,  il  avait  à  combattre  Tarmée  d'un 
prince  victorieux  (Henri  IV),  soutenu  par  les  Anglais,  et  derrière 
lui  les  projets  ambitieux  de  son  perfide  allié,  Philippe  II,  qui 
convoitait  la  Bretagne  pour  atteindre  plus  sûrement  l'Angleterre. 
A  VintA'ieur,  il  redoutait  la  trahison  de  ces  mômes  gentilshom- 
mes qui,  tout  en  servant  sous  sa  bannière,  n'attendaient  qu'une 
occasion  pour  se  vendre  au  Roi  de  France  le  plus  cher  possi- 
ble, car  ils  ne  voyaient  dans  la  guerre  qu'un  moyen  de  s'enri- 
chir. «  Voilà  le  zèle  qu*ils  avaient  à  la  religion  catholique  !  t 
s'écrie  Montmartin!  Plus  tard,  en  effet,  tous  ces  chefs  se  sou- 
mirent au  Béarnais,  «  moyennant  finance  »  :  La  Perrière  se  vendit 
20,000  écus  ;  le  capitaine  Montigny  et  les  frères  d'Aradon,  ces 
fiers  et  fervents  catholiques,  64,000  écus  ;  LaFontenelle  lui-même 
reçut  de  magnifiques  récompenses,  etc.  Certes,  en  présence  de 
pareilles  difficultés,  et  avec  des  officiers  d'une  telle  fidélité  ,  le 
Duc  ne  pouvait  guère  fonder  quelque  chose  de  durable  ni  de 
grand.  Mais  n'est-ce  donc  rien  que  d'avoir  résisté  seul  aux 
ennemis  du  dehors,  c'est-à-dire  aux  forces  réunies  de  la  France 
et  de  l'Angleterre  ,  et  à  ceux  dii  dedans,  c'^st-à  dire  aux  géné- 
raux de  Philippe  11  et  aux  capitaines  ambitieux  et  pillards  qui 

(i)  Page  277. 


—  128  — 

traitaient  secrètement  de  leur  soumission  avec  Henri  IV  ;  aux 
paysans ,  las  de  la  guerre  ;  aux  bourgeois ,  qui  voulaient  se 
gouverner  eux-mêmes  ;  aux  membres  du  clergé  breton  enfln , 
naguère  son  plus  puissant  soutien ,  et  qui  commençaient  à 
l'abandonner,  les  uns  par  un  sentiment  chrétien  très  honorable 
pour  eux  ;  les  autres ,  parce  que  le  Duc  se  voyait  dans  la 
nécessité  d'établir  sur  leur  temporel  des  taxes  qu'ils  ne  pouvaient 
ou  ne  voulaient  plus  payer,  et  môme  de  les  assujétir,  sous  les 
peines  les  plus  rigoureuses,  au  service  militaire  (-1);  ajoutez  à 
cela  qu'il  était  dépourvu  d'artillerie ,  de  munitions  et  surtout 
d'argent,  ce  nerf  de  la  guerre,  sans  lequel ,  fût-on  un.  Alexandre, 
un  César  ou  un  Napoléon ,  la  chute  devient  inévitable. 

M.  L.  Grégoire  reproche  encore  au  chef  de  la  Ligue  bretonne 
sa  faiblerse  et  sa  duplicité  dans  les  négociations  (2).  «  Sa  politique, 
dit-il ,  n'était  qu'une  politique  de  temporisation  ,  »  et  quelques 
lignes  plus  bas,  il  la  justifie  lui  même  en  disant  :  «  L'un  des 
»  motifs  qui  engageaient  Mercœur  à  ne  pas  se  prononcer,  c'est 
»  qu'il  espérait  bientôt  voir  toute  la  France  dans  le  trouble  et 
»  l'anarchie ,  comme  à  l'époque  de  la  mort  de  Henri  IH.  Les 
»  succès  des  Espagnols ,  Tépuisemenl  du  roi  de  France ,  lui 
»  faisaient  croire  que  le  démembrement  du  royaume  était  pro- 
»  chain.  Ne  pourrait-il  pas  alors ,  en  sachant  bien  ménager  ses 
»  intérêts,  profiter  de  ces  malheurs  et  garder  la  Bretagne,  tandis 
»  que  le  roi  d'Espagne  s'emparerait  de  plusieurs  autres  provin- 
t  ces,  ou  bien ,  Henri  pouvait  mourir  ;  les  fatigues  de  la  guerre, 
»  les  hasards  des  combats ,  le  poignard  toujours  menaçant  des 
»  assassins  pouvait  l'enlever  aujourd'hui  ou  demain  ?  alors,  plus 
»  de  chef ,  plus  de  roi ,  plus  d'unité  I  rien  ne  saurait  empêcher 
»  le  démembrement  ?  et  qui  mieux  que  lui  serait  à  même  d'en 
»  tirer  parti  »  Voilà  ce  que  M.  Grégoire  qualifie  de  faiblesse.  N'est- 

(i)  Particulièrement  à  la  garde  des  portes. 
(2}  Page  328. 


—  129  ^ 

ce  pas  au  contraire  de  Thabileté  politique,  et  dans  celte  situation 
précaire  du  royaume  de  France ,  Mercœur  n'avait -il  pas  raison 
de  temporiser,  de  ne  pas  s'engager  trop  avant,  et  de  ne  pas  se 
compromettre  par  trop  de  précipitation.  L'auteur  de  ï Abrégé  de 
l'Mistoîre  de  Breta^ie  qui  précède  la  nouvelle  édition  du  dic- 
tionnaire d'Ogée,  dit  que  Philippe  II,  prétendant  comme  Emmanuel 
de  Lorraine  à  la  souveraineté  de  la  Bretagne,  ne  lui  envoyait  se« 
troupes  que  pour  Taider  à  tenir  en   échec   Henri  IV,  le  plus 
dangereux  des    concurrents ,  et  faciliter  ainsi  à  l'Espagne  les 
moyens  de  -s'emparer  plus  tard  de  cette  province.   Mais  le  Duc 
ne  s'en  inquiétait  guère,  comprenant  que  s'il  venait  à  bout  de 
vaincre  les  royalistes ,  ce  qu'il  espérait ,  les  Espagnols  ne  lui 
feraient  pas  long  temps  obstacle.  En  efTet,  l'esprit  de  nationalité 
se  fut  tourné  contre  ces  nouveaux   alliés  ,  bien  plus  facilement 
qu'il  ne  s'était  déclaré  hostile  au  Roi  de  France.  Changer  de  suze- 
rain n'était  pas  ce  que  voulaient  les   partisans  sincères  de  Mer- 
cœur.   Il  leur  fallait  conquérir  un  véritable  Due    de  Brelague. 
Il  reste  à   savoir  si  ce  petit  Prince   Breton   aurait  pu  résister 
long  temps  à  la  marche  envahissante  de  l'unité  française ,  sans 
l'appui  de  ses  alHés.  Croit- on ,  par  exemple,  que   le  Piémont 
et  l'esprit  de  nationalité   italienne ,  tels  qu'ils  sont   constitués 
aujourd'hui ,  opposeraient  une  longue  résistance  aux  envahisse- 
ments de  l'Autriche,  s'ils  n'étaient  soutenus   par    un   puissant 
allié  ,  l'Empereur  des  Français  ? 

•  Heupeusement  pour  la  cause  royale  ,  ajoute  l'auteur  précité, 
»  c'est-à-dire  pour  l'unité  française,  des  étrangers  odieux  jetèrent 
»  leur  épée  dans  la  balance  qui  déjà  penchait  du  côté  de  Mer- 
»  cœur.  La  politique  espagnole  ,  en  voulant  tour-à-tour  aider  à 
»  la  révolte  et  l'abandonner  à  ses  propres  forces,  créa  en  outre 
t  un  système  de  bascule  qui  sauva  le  pays.  Aucun  parti  ne 
»  triompha ,  et  celui  du  Roi  ne  pouvait  manquer  de  gagaer  à 
>  cette  temporisation,  t 


—  430  - 

T^otons,  en  passant,  que  les  Anglais,  qui  servaient  le  Roi  de 
France ,  ne  combaltaient  que  pour  empêcher  les  Espagnols  de 
triompher  des  Français  ;  car  ceux-ci  se  seraient  tournés  ensuite 
contre  la  puissance  britannique  qu'ils  menaçaient  depuis  long* 
temps.  Tel  est  le  secret  de  ces  diverses  alliances  et  de  ces 
interventions..  C*est  ce  qui  ressort  clairement  d'une  lettre  du 
phevalier  Roger  Williams  à  la  reine  Elisabeth  (4),  où  Ton  remarque 
passage  suivant  :  «  Si  les  Espagnols  sont  maîtres  des  ports- de 
»  mer,  il  vaudrait  mieux  pour  nous  qu'ils  eussent  cinq  autres 
»  provinces  que  d'avoir  la  Rretagne  ;  car  tous  les  meilleurs 
t  ports  de  mer  sont  dans  celte  province.  »  —  «  J*aimcnûs 
»  mieux  qu'on  eût  laissé  Paris  et  Rouen  sans  les  recouvrer, 
»  que  de  perdre  la  Rretagne,  »  écrivait  de  ^on  côté  Rurghley  à 
l'ambassadeur  d'Angleterre. 

Quant  à  la  bravoure  personnelle  du  Duc  de  Mercosur,  il  fau- 
drait être  tout-à-fait  aveuglé*  par  l'esprit  de  parti  ou  d'une 
insigne  mairvaise  foi  pour'  la  mettre  en  doute.  Il  suffit  de  se 
rappeler  la  proposition  qu'il  flt  aux  Espagnols  lorsqu'il  vint  au 
secours  de  Morlaix,  assiégé  par  le  maréchal  d'Aumont.  Après 
avoir  exposé  son  plan  de  bataille,  il  s'était  écrié  :  a  Je  combat- 
•  trai  à  pied,  une  pique  à  la  main,  à  la  tète  de  trois  cents 
«  gentilshommes.  Nous  donnerons  tête  baissée  dans  le  centre  de 
»  l'armée  ennemie,  et  vous,  messieurs ,  ajouta- t-il  en  s'adressant 
>  aux  officiers  espagnols,  vous  n'aurez  qu'à  nous  suivre  I  »  (2) 

Non  !  le  Duc  de  Mercœur  n'était  ni  wi  ambitieux  .sans  portée, 
comme  on  Ta  prétendu,  ni  un  pâle  et  froid  prétendant.  11  n'était 
ni  faible^  ni  indécis.  C'est  tout  le  contraire  qu'on  aurait  dû 
dire.  11  voulait  rétablir  à  son  profit  la  principauté  bretonne,  et 
il  marchait  à  son  but  avec  une  audace ,  une  habileté  et  une 
persévérance   qa'on    ne    rencontre  pas  chez  les  hommes  d'un 

(1)  Voir  Rymer,  tome  YII,  page  47. 
•  (2j  Dom  Taillandier. 


-  131  - 

esprit  médiocre.  Il  ne  Jouait  pas  au  Monlfort.  Il  prenait  son  rôle 
au  sérieux ,  et  s'il  jouait  quelques  uns ,  c'était  assurément  ceux 
qui  mettaient  obstacle  à  ses  projets  dynastiques* 

J'en  trouve  une  nouvelle  preuve  dans  l'épisode  suivant  :  c  Vingt- 
I  cinq  députés  Malouins  s'étaient  rendus  à  Dlnan  pour  demander 
•  au  Duc  la  sanction  de  leur  conduite  passée  et  l'approbation 
»  du  régime  démocratique  qu'ils  avaient  institué  dans  leur  ville» 
I  et  dont  les  statuts  lui  avaient  été  soumis  à  Pontorson.  Mer* 
»  cœur,  qui  n'avait  plus  besoin  de  les  flatter,  ni  de  les  craindre, 
»  leur  répondit  que  ce  programme  détestable  consacrait  un  prin- 
r  cipe  opposé  à  la  constitution  du  royaume ,  et  tendait  à  les 
»  affranchir  de  toute  autorité  étrangère  ;  qu'il  ne  laisserait  jamais 
»  debout  une  pareille  forme  gouvernementale,  née  de  Tambition 
»  et  de  l'avarice  d'une  douzaine  de  factieux ,  que  Içs  habitants 
»  avaient  eu  le  malheur  de  suivre  ;  qu'il  les  invitait ,  eux , 
»  députés,  hommes  honorables,  à  ramener  dans  le  sentier  du. 
»  devoir  une  population  égarée,  f^ 

•  Je  craindrais  y  dit-il  en  finissant,  si  je  me  rendais  à  vos 
»  vœux ,  que  le»  rois  sortissent  de    leurs   tombeaux  pour  me 

>  reprocher  d^ avoir  laissé  se  former  à  ma  barbe ,  au  sein  dune 
t  monarchie^  une  institution  populaire^  une  République  \  9  (i) 

Les  députés  Malouins  remercièrent  le  Duc  de  l'intérêt  qu'il 
daignait  porter  à  leur  cité ,  ajoutant  :  t  qu'ils  sentaient  que  le 
»  gouvernement  d'un  seul  était  préférable  à  celui  de  la  multitude, 
»  et  que  les  Malouins  s'en  accomoderaient  fort ,  si  la  mémoire 
»  encore^  récente  des  vexations  du  comte  de  Fontaine,  leur  gou- 
»  vemeur,  ne  leur  faisait  craindre  de  retomber  dans  les  mêmes 
I  inconvénients  ;  que  leur  intention   n'avait  jamais   été   de  se 

>  soustraire  à  l'obéissance  qu'ils  devaient  aux  Rois,  ni  de  s'ériger 
i  en  République  ,  mais  de  songer  à  leur  conservation ,  et  de 

(l)  Manuscrit  de  La  Landelle»  page  91.  (Ribliothèque  de  Saint-Brieuc.} 


—  132  — 

»  prendre  des  mesures  contre  la  tyrannie  des  gouverneurs  qui, 
»  dans  ces  temps  de  licence ,  se  croyaient  tout  permis  ;  que , 
»  du  reste,  ils  promettaient  de  rentrer  dans  Tobéissance  des  Rois, 
»  lorsqu'il  plairait  à  Dieu  d'en  donner  un  à  la  France,  qui  fût 
»  chrétien  et  catiioliquc.  »  (^) 

A  ces  paroles,  toute  la  violence  du  prétendant  éclata  :  «  Vous 
»  me  parlez  de  Rois,  s'écria- 1  il,  en  tiraqt.  soa  épée.;^^  vei4x 
»  que  vous  sachiez  qu^iU  ne  tn'wit  jamais  fciÂt  la  loi,  et  quand 
».  ils  me  la  voudraient  faire ,  fai  de  meilleures  villes  que  la 
»  vôtre  pour  les  en  empêcher.  »  Qne  dpit^on  conclure  de  ces 
deux  réponses  contradictoires^  et  qu'ea  toute  autre  circonstance 
où  il  ne  se  serait  point  agi  de  politique  (2),  personne  n'hésite- 
rait à  qualifier  d'insigne  mauvaise  foi,  que  conclure ^  si  ce  n*est 
qu'Emmanuel  de  Lorraine  n'avait  d'autre  hut  que  celui  de  recons- 
tituer à  son  profil  l'ancienne  principauté  bretonnci  quoiqu'il  n'ait 
jamais  publiquement  avoué  celte  prétention. 

Voilà  l'homme  qu'on  a  représenté  comme  un  sujet  de  risée 
pour  les  courtisans  du  roi  de  France  (3).  Henri  IV  apprécia  d'une 
toute  autre  manière  que  les  historiographes  de  cour  l'importance 
politique  et  les  qualités  guerrières  du  vainqueur  de  Craon.  Ne 
pouvant  le  réduire  à  coups  de  canon ,  comme  l'avait  voulu  son 
premier  ministre ,  il  se  décida  à  acheter  sa  soumission.  Elle  lui 
coûta  assez  cher:  6,295.350  livres  (4),  d'après  les  mémoires  mômes 
de  Sully.  Dans  le  traité  signé  le  20  mars  ^598,  la  rébellion  de 
Mercœur  fut  excusée ,  parce  qu  il  fut  considéré  comme  n'ayant 

(i)  Dom  Taillandier,  2*  vol.,  page  395. 

(2)  Il  est  bien  entendu  que  je  ne  parle  ici  que  de  la  politique  en  usage 
au  i6«  siècle. 

{d)K,.,. , Notice  des  artistes  et  écrivains  Bretons.  Esl-cc  à  Taide  de 
pareils  faits  qu'on  a  cherché  à  démontrer  Tindécision  de  caractère  du  Duc 
de  Mercœur!  Quant  à  moi ,  j'y  irpuve  la  preuve  opposée  ,  c'est-à-dire 
celle  de  sa  résolution  ferme  et  bien  arrêtée  de  devenir  prince  souverain 
de  la  Bretagne. 

(4)  Somme  énorme  en  ce  temps -là 


—  133  — 

pris  les  armes  que  dans  Tinlérét  de  la  religion  catholique.  Le 
Roi  se  déclara  content  de  lui ,  le  reconnut  pour  son  loyal 
sujet,  lui  rendit  tous  ses  biens  et  honneurs,  excepté  le  gouver- 
nement de  Bretagne,  oubliant  et  abolissant  le  passé,  rétablissant 
tous  ses  partisans  dans  leurs  charges ,  moyennant  serment  de 
fidélité»  maintenant  les  privilèges  de  la  ville  do  Nantes,  etc.  Mer- 
cceur  tomba  !  mais  il  tomba  en  souverain.  Henri  IV  dut  s'estimer 
heureux  de  cette  soumission  ,  malgré  les  sacrifices  qu'elle  lui 
imposa  ,  car  il  n'avait  plus  d'argcjnt  pour  payer  ses  troupes. 
«  Je  n'ai  pas  trouvé  un  escu   pour  y  satisfaire,  écrivait-il  à  son 

•  compère  le  connestable  de  France.  Gela  m'a  fait  prendre  party 
»  pour  lui ,  craignant  son  obstination ,    quand  il  descouvriroit 

•  mes.  incommoditez ,  et  scauroit  mes  forces  demeurées  inutiles 
»  et  languir  par  faulte  émargent.  •   (1) 

Que  faut-il  penser,  après  un  tel  aveu,  de  la  sincérité  et  de 
l'expérience  de  ses  courtisans  qui  lui  conseillaient  de  traiter  avec 
le  Duc  à  'coups  de  canon.  Dans  cette  circonstance ,  le.  Roi  fut 
plus  sage  que  le  sage  Sully,  qui  avait  dit  qu'il  fallait  marcher 
droit  sur  Nantes,  et  n'écouter  aucune  proposition  qu'après  s'en 
être  emparé*  Meilleur  juge  des  difficultés  de  la  situation,  qui 
était  encore  très  tendue,  comme  on  dirait  aujourd'hui,  il  témoigna 
en  ces  termes  son  mécontentement  à  son  ministre  :  «  En  telles 
»  aiTaires ,  je  ne  communique  mon  opinion  à  personne  ,  et  à 
i  moi  seul  appartient  en  mon  royaulme  d'accorder,  traiter,  faire 
i  guerre  ou  paix ,  ainsi  qu'il  me  plaira.  Ce  a  esté  une  grande 
i  témérité  aux  officiers  de  ma  dicte   chambre  (la  chambre  des 

•  comptes)  de  penser  diminuer  un  iota  de  ce  que  j'ay  accordé  ; 
i  nulle  compagnie  de  mon  royaulme  n'a  été  si  présomptueuse, 
i  Aussi  ne  les  fais  je  pas  juges  ni  arbitres  de  telles  choses.  » 

(i)  Nous  avons  vu  ailleurs  que  le  Duc  de  Mercœur  manquait  aussi 
de  Taisent  que  TEspagne  lui  avait  promis,  et  qu'elle  ne  lui  en  envoya 
point.  C'est  donc  la  que^ion  d'argent  qui,  dans  ceUe  circonstance,  décida 
de  la  paix. 


.       —  134  — 

M.  L.  Grégoire- me  parait  donc  bien  éloigné  de  la  vérité,  et 
il  ne  fait  pas  preuve  d'imparlialité  quand  il  dit  que  le  Duc  de 
Mercœur-  «  n'avait  fait  que  du  mal,  et  qu'il  tomba  sans  gloire 
pour  lui-même  et  sans  profit  pour  la  cause  qu'il  n* avait  pas  su 
défendre.  » 

Il  n'avait  pas  su  défendre  sa  cause,  dites -vous?  tous  ses 
actes,  les  lettres  que  nous  avons  mentiannées  au  commencement 
de  cette  étude  ,  enfin  les  articles  même  du  traité  de  paix  sont 
là  pour  attester,  au  contraire ,  qu'il  la  défendit ,  non-seuiemeot 
avec  opiniâtreté  ,  —  puisqu'il  fut  le  dernier  des  chefs  de  la 
Sainte^Union  à  remettre  Tépée  dans  le  fourreau,  —  mais  encore 
avec  énergie,  prudence  et  persévérance,  ces  trois  qualités  pra- 
tiques qui  sont  le  gage  du  succès ,  lorsque,  le  succès  n'est  pas 
impossible. 

C'est  encore  M.  Grégoire  qui  va  nous  en  fournir  lui-même  la 
preuve  :  a  Deux  points,  dit-il,  furent  abordés  dans  les  conférences 
»  qui  eurent  lieu  au  sujet  de  la  paix  :  ^^  les  députés  de  Mer- 
»  cœur  demandent  qu'il  n'y  ait  en  France,  au  moins  en  Breta- 
»  gne,  qu'une  seule  religion  :  on  leur  répond  qu'une  province  ne 
»  peut  faire  la  loi  au  royaume  ;  le  Roi,  d'ailleurs,  veut  que  les 
»  calvinistes  jouissent  des  avantages  de  l'édit  de  1577.  La  Rago- 
»  lière  (procureur  général  des  Etats  de  Mercosur)  soutient  que  les 
»  édits  n'ont  aucune  force  dans  la  province,  si  les  Etats  ne  les  ont 
»  pas  acceptés:  l'édit  de  1577  était  donc  nul  pour  la  Bretagne; 
»  2^  Les  dépulés  du  Roi  demandent  à  leur  tour  que  le  Duc  fasse 

•  sortir  les  Espagnols  de  la  province  ;  ils  s'engagent  à  éloigner 
»  les  Anglais  et  les  Suisses,  qui  défendent  la  cause  royale.  Leur 
»  but  évident  était  de  gêner  et  de  déconsidérer  Mercœur,  car  il 

•  n'avait  pas  assez  d'autorité  pour  renvoyer  ses  alliés ,  ils  res- 

•  taiçnt  malgré  lui  ;  aussi  déclarait-il  qu'il  ne  pouvait  accepter 
»  cette  condition ,  avant  que  la   religion  ne  fut  assurée  par  un 

•  traité.  Mauvaise   défaite ,  dont  personne   n'était  dupe ,  même 


—  135  — 

»  dans  son  parti!  t  Celte  réflexion  ne  me  semble  pas  très  logi- 
que. Les  députés  du  Roi  font  des  propositions  qu'ils  savent 
d'avance-  ne  pouvoir  être  acceptées  par  le  Duc  de  Mercœur  ;  ils 
les  font  dans  Tintenlion  de  le  gêner  et  de  le  déconsidérer,  ce  qui 
est  peu  loyal  de  la  part  des  négociateurs  royaux ,  et  vous  qua- 
lifiez de  mauvaise  défaite  le  refus  de  Mercœur.  Non  I  je  le  ré- 
pète, ce  n'est  pas  logique ,  et  ce  n'est  pas  donner  une  preuve 
de  cette  impartialité  qui  doit  toujours  servir  de  guide  à  un 
historien  I 
M.  Grégoire  continue  (voyez  page  331)  :  «  Comme   récrivait 

•  Duplessis  au  Roi ,  les  députés  (ceux  de  Henri  IV)  ont  eu  ce 
»  but ,  en  cette  conférence ,  de  faire  voir  aux  peuples  que  Sa 
»  Majesté  voulait  la  paix  (en  proposant  des  conditions  inaccepta* 
»  bles)^  et  de  laisser  le  blasme  des  longueurs  à  ceux  de  la  Ligue... 

•  Ils  ont  d'ailleurs  bien  l'opinion  que  M»''  de  Mercœur  voudroit 
1  venir  à  une  paix ,  mais  si  avantageuse ,  qu'elle  lui  affermisse 
i  sa  condition.  > 

Mercœur  en  acceptant  ces  conférences,  ajoute  M.  Grégoire,  et 
en  faisant  ces  propositions,  voulait  que  l'on  crût  à  son  désinté- 
ressement ,  à  son  désir  sincère  de  défendre  la  cause  catholique  ; 
il  savait  que  ses  propositions  ne  pouvaient  pas  être  acceptées 
par  Henri  IV  ;  il  voulait  s'en  faire  honneur  auprès  des  catholi- 
ques ,  et  les  rallier  plus  courageux  et  plus  dévoués  que  jamais 
sous  son  étendard.  «  Mercœur  veut  avoir  cette  gloire  parmi  tous 
i  les  chefs  de  la  Ligue ,  d'avoir  fait  et  obtenu  une  loi  particu- 

•  lière  pour  ceux  qui  l'ont  suivi,  afin  d'attirer  à  soi  la  protection 

•  de  la  religion  de  tous  les  côtés  du  royaume,  t  (De  Thou,  — 
livre  7.) 

Et  voilà  ce  que  M.  Grégoire  appelle  ne  pas  savoir  défendre 
s^  cause.  Mais  il  me  semble,  au  contraire,  que  c'est  la  défendre 
avec  beaucoup  d'habileté  et  à  armes  égales  ,  c'est-à-dire  que  la 
franchise  n'existait  d'aucun  côté  ^  que  la  môme  politique  astu- 


—  136  — 

cieuâe  animait  les  deux  partis  ,  et  qu'ils  n'avaient  aucun  désir 
,  sincère  de  la  paix ,  puisqu'ils  se  fôlsaîent  réciproquement  des 
propositions  qu  ils  savaient  inacceptables  et  môme  impossibles. 

L'humeur  belliqueuse  ,  l'esprit  entreprenant  d'Eaunanuel  de 
Lorraine,  ne  pouvaient  rester  long  temps  dans  Tinaclion.  Après 
le  mariage  de  sa  ûlle  unique  avec  le  Duc  de  Vendôme ,  fils 
naturel  de  Henri  IV,  ii  partit  pour  la  Hongrie  où  il  servit  d'abord 
en  qualité  de  volontaire.  Il  prit  ensuite  le  commandement  en  chef 
de  l'armée  que  lui  avait  offert  l'Empereur  Rodolphe ,  menacé 
par  les  Turcs.  Avec  4,500  hommes  seulement,  le  Duc  de 
Mercœur  n'hésita  pas  à  attaquer  Ibrahim,  et  l'obligea  à  accepter 
la  bataille  :  après  avoir  épuisé  ses  vivres  et  ses  munitions ,  il 
opéra  sa  retraite  en  présence  de  60,000  Turcs  ,  qui  ne  purent 
l'arrêter  ni  l'enfamer  ('!).  Il  reprit  bientôt  après  Albe-Royale,  et 
battit  l'armée  ennemie  qui  marchait  au  secours  de  cette  place. 
Epuisé  de  fatigues ,  il  revenait  en  France  pour  prendre  un  peu 
de  repos,  lorsqu'il  fut  atteint  d'une  fièvre  maligne  dont  il 
mourut  à  Nuremberg,  le  49  février  1602,  à  l'iLge  de  44  ans. 
Ses  restes  furent  transportés  en  Lorraine ,  où  on  lui  fit  des 
obsèques  magnifiques.  Son  oraison  funèbre  fut  prononcée  à 
,Notre-Dame  de  Paris  par  saint  François  de  Sales  (2).  Pour 
défendre  le  Duc  contre  les  attaques  dont  il  a  été  l'objet  de  la 
part  d'un  grand  nombre  d'écrivains  ,  M.  de  Courson  cite 
un  passage  de  cette  oraison  dans  laquelle  le  saint  Prélat  dit 
qu'Enmianuel  de  Lorraine  «ne  touchait  la  terre  que  des  pieds; 
»,  comme  la  perle  se  conserve  pure  et  nette  au  fond  de  la  mer, 
9  ne  sortant  jamais  de  sa  coquille  que  pour  recevoir  sa  nou^ 
»  riture  de  la  rosée  du  cieL  .  c'était  la  douceur  et  la  patience 
•  môme ,  un  des  remparts  de  la  chrétienté,  un  des  protecteurs 

(1)  Des  connaisseurs  ont  comparé  cette  retraite  à  celle'des  10,000  Grecs 
commandés  par  Xénopbon. 

(2)  Voir  YHistoire  des  peuples  Bretons ,  tome  II. 


-  137  — 

»  de  la  Foi,  le  guidon  du  Cruclflx,  etc.  •  Tel  fut  Mercœur,  ajoute 
M.  de  Courson,  mais  M.  de  Voltaire ,  dans  sa  Henriade ,  poème 
très  monarchique,  dit-on,  n'a  point  donné  au  guidon  du  crucifix 
les  louanges  que  lui  prodigua  saint  François  de  Sales  ;  de  là  la 
sévérité  des  historiographes  de  cour  envers  Emmanuel  de  Lor- 
raine. Le  Béarnais  se  montra  beaucoup  plus  généreux  :  il  fit 
célébrer  à  Paris  et  à  Nantes  un  magnifique  service  pour  le  repos 
de  l'âme  du  chef  des  ligueurs  Bretons ,  race  dont  il  savait ,  lui 
politique ,  respecter  les  croyances  inébranlables  et  le  dévouement 
antique.  Je  suis  bien  éloigné  de  partager  les  idées  de  M.  de  Cour- 
son  (i)  sur  Fesprit  de  la  Ligue  en  Bretagne  et  sur  le  rôle  que 
le  Duc  de  Mercœur  a  joué  dans  ce  terrible  drame  ;  cependant 
je  pense,  comme  lui,  que  ce  n'est  pas  la  Henriade  qu'on  doit 
consulter  pour  bien  connaître  le  véritable  caractère  des  chefs  de 
la  Sainte -Union. 

Mais,  d'un  autre  côté  ,  je  crois  aussi  qu'il  faut  se  tenir  en 
garde  contre  les  louanges  emphatiques  de  l'illustre  évêque  de 
Genève.  Ce  n'est  pas  sur  le  bord  d'une  tombe  encore  ouverte 
qu'on  écrit  l'hisloire,  et  qu'on  juge  froidement  et  avec  impartia- 
lité les  actions  d'un  grand  homme.  D'ailleurs ,  le  père ,  Taïeul 
et  le  bisaïeul  de  François  de  Sales  avaient  été  pages  d'honneur 
dans  la  maison  des  Martigues  (2),  et  peut-être  cédat-il  à  un 
sentiment  de  gratitude  qu'on  ne  saurait  bl&mer,  il  est  vrai,  mais 
qui  atténue  l'autorité  de  son  éloquente  parole.  Ainsi ,  par 
exemple  ,  si  vous  cherchez  dans  la  vie  de  Mercœur  quelque 
preuve  de  sa  douceur  et  de  sa  patience,  pour  vous  assurer  que 
saint  François  de  Sales  a  parlé  sans  hyperbole,  en  le  comparant 
à  •  une  perle  qui  se  conserve  pure  et  nette  au  fond  de  la  mer, 
ne  sortant  jamais  de  sa  coquille  que  pour  recevoir  sa  nourri  • 

(d)  Ni  celles  de  M.  de  Kerdrel ,  qui  ont  été  publiées  dans  sa  Revue  de 
Bretagne  et  Vendée,  et  que  j^examinerai  dans  une  autre  étude. 

(2)  M"*  de  Merwur  était  fille  de  Sébastien  de  Luxembourg,  vicomte  de 
Martigues. 

18 


-  138  -^ 

turc  de^  la  rosée  du  ciel,  »  n'ouvrez  pas  le  tome  Ht  de  r Histoire 
généalogique  de  la  maison  royale  de  France^  par  le  père  AnselmCy 
car  vous  y  liriez  une  anecdote  curieuse  et  peu  connue  (O»  qui 
ne  justifie  ni  les  éloges  prodigués  par  l'évoque  de  Genève  à  la 
patience  et  la  douceur  du  chef  de  la  Ligue  en  Bretagne  ,  ni  les 
appréciations  des  écrivains  que  j'essaie  de  réfuter  relativement 
à  ce  qu'ils  ont  dit  de  sa  faiblesse  de  caractère ,  de  son  indéci- 
sion ,  de  sa  circonspection ,  etc. 

.  «  Quelque  temps  avant  son  départ  pour  la  Hongrie  ,  Favocat 
»  général  Servin ,  dans  une  cause  qui  se  plaidait  entre  le  Duc 
»  et  la  dame  de  Riberac ,  lui  avait  refusé  le  titre  de  Prince , 
»  malgré  les  réclamations  de  M«e  de  Mercœur,  présente  à 
ït  l'audience.  Le  lendemain,  le  Duc  alla  trouver  Tavocat-général 
»  et  Tapostropha  ainsi  :  vous  avez  osé  dire  que  je  n*étois  point 
»  recognu  pour  Prince  ;  vous  avez  menti  ;  vous  êtes  unmarauU\ 
»  je  vous  tuerois  ;  et  mettant  la  main  sur  la  garde  de  son 
»  épée,  il  répéta  :  je  vous  tuerois  j  je  vous  couperoi  le  coL 
»  M.  de  Servin  lui  faisant  des  remontrances ,  il  répliqua  qu'il 
»  avoit  menti  de  ce  qu'il  avoit  dit  ^  et  lui  couper  oit  le  col, 
»  et  si  l'un  des  siens  ne  l'eût  retenu  ,  il  est  vraisemblable  que 
»  l'événement  de  cette  piteuse  tragédie  eût  été  funeste  et  déplo- 
»  rable.  Sortant  de  la  salle,  il  ajouta  ces  mots  :  Puisque  je  ne 
»  rai  point  tué ,  je  lui  donnerois  cmit  coups  d'étrivières  !  •  Le 
i  Roi ,  à  qui  l'on  porta  plainte  de  cette  scène  scandaleuse , 
I  eut  le  tort  ou  la  faiblesse  de  blâmer  le  Parlement,  et  défendit 
»  de  poursuivre.  • 

Si  l'auteur  des  Notices  des  écrivains  et  des  artistes  de  la  Bre* 
tagne  avait  connu  cette  anecdote ,  il  est  probable  qu'il  n'aurait 
pas  dit,  d'après  je  ne  sais  quelque  pamphlétaire  henriquartiste^ 
en  parlant  du  Duc  de  Mercœur  «  son  air  humble  et  déconcerté, 
Içs  révérences  qu'il  faisait  aux  moindres  valets,  et  un  accident 

[i)  Citée  par  M.  Grégoire. 


—  139  — 

ridicule  (crepittis),  qui  lui  arriva  en  s'inclinanl  devant  le  Prince, 
lorsqu'après  son  accommodement  (avec  le  Roi)  il  voulut  le  saluer, 
le  rendirent  la  risée  de  toute  la  Cour ,  d'autant  plus  qu'on  se 
rappelait  qu'aux  Etats  de  la  Ligue  il  s'était  mis  sur  les  rangs  pour 
être  élu  Roi.  t  {\) 

L'époux  d'une  Penlhièvre,  le  beau-frère  de  Henri  III ,  faire  des 
révérences  à  des  gens  en  livrée  !  un  Prince  de  l'orgueilleuse 
maison  de  Lorraine  ,  le  vainqueur  de  Craon ,  devenir  la  risée 
des  courtisans  de  Henri  de  Navarre  !  Avancer  sérieusement  de 
tels  faits,  n'est-ce  pas  choquer  le  bon  sens  et  la  vraisemblance  ; 
n'est-ce  pas  méconnaître  complètement  les  mœurs  et  l'esprit  du 
^6«  siècle,  n'eslrce  pas  enfin  s'exposer  soi-même  au  malin  sourire 
de  ses  lecteurs  ? 

Si  le  caractère  et  la  conduite  politique  du  chef  de  la  Ligue 
en  Bretagne  rencontrèrent  beaucoup  de  détracteurs ,  il  n'en  fut 
pas  de  même  de  ses  qualités  intellectuelles  ,  de  ses  mœurs  et  de 
ses  habitudes  privées.  Tous  les  historiens  ont  ratifié  les  éloges  que 
Pierre  Biré,  avocat  au  siège  présidial  de  Nantes  et  qui  eut  l'hon- 
neur de  vivre  avec  lui  dans  une  sorte  d'intimité,  a  faits  de  sa  sim- 
plicité, de  son  érudition,  de  son  aptitude  à  parler  très  purement 
l'italien,  l'espagnol,  l'allemand,  le  latin  et  l'anglais  ;  de  sa  géné- 
rosité ,  de  son  amour  pour  les  arts  et  les  sciences  ,  et  surtout 
pour  la  poésie.  Ronsard  était  son  poète  de  prédilection  ,  Gui- 
chardin  son  historien  ,  Sénèque  son  philosophe  ,  Plutarquc  son 
politique  ,  Clavius  son  mathématicien  favori.  Sa  bibliothèque 
contenait  environ  ^  8,000  volumes,  provenant,  dit  on,  en  grande 
partie  de  la  bibliothèque  de  Pierre  Le  Gallo ,  vendue  par  adju- 
dication à  Jean  Cousin  de  la  Roche  ,  receveur  des  finances ,  sa 
créature  et  son  mandataire  dans  cette  acquisition  ,  à  laquelle  le 

(1)  K....  page  â82.  Sa  réception  li  Angers  fut  magnifique  et  digne  de 
deux  illustres  capilaines  comme  Henri  IV  et  le  Duc  de  Mercœur. 


—  140  — 

Duc  attachait  un  grand  prix  (4).  L'équitation  et  le  maniement  des 
armés  lui  étaient  familiers  dès  sa  jeunesse. 

Poète  lui-même,  il  fut  Fauteur  dç  sonnets,  d'odes ,  de  stances 
daiis  le  genre  épique.  Lorsque  ses  affaires  le  lui  permettaient, 
il  conviait  à  sa  table  des  savants,  des  artistes,  et  après  le  repas, 
il  dendandait  les  opinions  de  chacun  d'eux  sur  un  sujet  qu'il 
avait  proposé  lui-même  ;  après  les  avoir  résumées ,  il  prenait  la 
parole  à  son  tour,  et  les  périodes  de  ses  discours ,  dit  un  de 
ses  biographes  (de  Pire),  contenaient  autant  de  sentences  et  de 
résolutions.  Sa  générosité,  comme  je  viens  de  le  dire,  était  fort 
grande;  il  dépensa  plus  de  4,000  écus  pour  faire  représenter, 
deux  nuits  de  suite,  dans  la  grande  salle  du  château  de  Nantes, 
une  pastorale  ingénieuse.  Fumée  ,  son  bibliothécaire  et  Tun  de 
ses  historiens,  rapporte  avoir  entendu  son  trésorier  affirmer  qu-il 
payait  annuellement ,  par  les  ordres  du  Duc  ,  plus  de  50,000 
écus  aux  réfugiés  Nantais.  Ce  dernier  trait ,  si  Ton  se  rappelle 
sa  pénurie  d'argent ,  est ,  selon  moi ,  le  plus  bel  éloge  qu'on 
puisse  faire  du  désintéressement  (bien  rare  à  celte  époque)  de 
ce  courageux  et  dernier  défenseur  de  l'indépendance  bretonne  !  (2) 

Je  ne  terminerai  pas  cette  étude  'sans  payer  à  l'œuvre  de 
M.  Grégoire  mon  humble  tribut  de  sympathie.  C'est  un  livre 
dont  la  lecture  est  à  la  fois  instructive  et  intéressante.  On  y 
trouve  de  curieux  détails  sur  les  véritables  motifs ,  peu  connus 
et  trop  négligés  jusqu'ici  par  les  historiens ,  qui  déterminèrent 
le  gouvernement  anglais  à  s'immiscer  dans  les  affaires  de  Breta- 
gne. Mais  je  le  répète ,  l'auteur  de    la  nouvelle    Histoire  de  la 

(i\  Archives  de  Nantes, 

(2)- Comparez  cette  cour  poétique  et  honnête  du  Duc  de  Mercœurà 
celle  de  Henri  111,  où  régnaient  les  vices  les  plus  honteux,  les  plus  abomi- 
nables  débauches,  et  jugez  après  cela  si  le  Duc  n'avait  pas  quelque 
raison  de  vouloir  soustraire  la  Bretagne  au  joug  démoral iôaleur  dju  dernier 
des  Valois. 

Yie  de  Mercœur,  page  259. 


^  141  — 

Ligue  en  Bretagne  a  jugé  le  chef  de  cette  Ligue  trop  sévèrement, 
et  à  un  point  de  vue  beaucoup  trop  français  ;  il  l'a  apprécié 
plutôt  avec  la  rancune  d*un  henriquartiste  ^  s'il  m*est  permis 
d'employer  cette  expression  ,  qu'avec  rimpartlallté  ,  le  sang-froid 
et  la  gravité  d'un  historien.  Il  n'a  tenu  aucun  compte  des  inex- 
tricable  difficultés  de  la  position  dans  laquelle  le  Duc  de  Mer- 
cœur  se  trouvait  engagé ,  et  qdi  paralysaient  incessamment  ses 
moyens  d'action.  M.  Grégoire  a  poussé  son  antipathie  pour 
le  chef  de  la  Ligue  au  point  de  lui  reprocher  f  d'avoir 
débuté  par  l'ingratitude  et  terminé  sa  carrière  par  le  mensonge 
et  la  faiblesse.  »  Je  crois  avoir  réussi  à  démontrer,  en  m'ap- 
payant  sur  la  meilleure  autorité»  c'est-à-dire  celle  des  faits,  que 
la  prétendue  faiblesse  du  Duc  n'était  que  de  l'habileté  et  de  la 
prudence ,  et  que  »  d'ailleurs ,  il  ne  pouvait  rien  tenter  de 
décisif,  puisqu'il  manquait  d'argent  et  de  munitions.  Henri  IV, 
de  son  côté ,  s'en  trouvait  dépourvu.  Quand  deux  partis  se 
trouvent  dans  une  telle  situation ,  ils  sont  bien  obligés  d'en  venir 
à  un  accommodement.  Quant  au  reproche  d'ingratitude,  M.  Gré- 
goire oublie  de  dire  envers  qui -le  Prince  Lorrain  s'en  rendit 
coupable.  Etait-ce  par  hasard  envers  Catherine  de  Médicis  et 
les  exécrables  promoteurs  de  la  Saint-Barthélémy,  ou  envers  ce 
faible  et  perfide  Henri  lU  »  qui  le  nomma ,  il  est  vrai ,  au  gou* 
veroement  de  la  Bretagne ,  mais  qui  le  délia  lui-môme  du  ser* 
ment  de  fidélité,  en  faisant  assassiner  les  Guises,  parents  du  Duc, 
et  membres  comme  lui  de  la  Maison  de  Lorraine. 

Pour  ce  qui  concerne  le  mensonge  et  le  manque  de  foi  du  Duc 
deMercœur,  est-ce  bien  là  un  grief  sérieux?  est-ce  que  le  men- 
songe ,  la  perfidie  »  les  faux  serments ,  l'astuce  ,  la  trahison , 
n'étaient  pas  à  l'ordre  du  jour  pendant  toute  cette  calamiteuse  épo- 
que. Je  ne  dis  plus  rien  de  sa  prétendue  soumission  aux  volontés  de 
sa  femme.  C'est  une  plaisanterie  inventée  par  les  folliculaires  de 
l'époque  pour  le  ridiculiser,  s'il  y  avait  toutefois, quelque  ridicule 


—  142  -- 

à  céder  aui  conseils,  et  à  subir  Tascendant  d'une  princesse  qui 
était  d'une  beauté  remarquable  et  d'une  intelligence  supérieure. 

On  a  fait  un  crime  à  Emmanuel  de  Lorraine  d'avoir  subor^ 
donné  la  défense  de  la  religion  à  l'intérêt  de  sa  grandeur  per- 
sonnelle {\),  et  un  mérite  au  Béarnais  d'avoir  dit  et  prouvé  que 
Paris  valait  bien  une  messe  (2),  On  applaudit  l'un  parce  qui' 
a  réussi  ;  on  si£Qe  l'autre  parce  qu'il  est  tombé.  Voilà  bien  la 
justice  des  partis  :  toujours  le  vœ  victis  ! 

Sauf  cet  examen  insuffisant  des  faits  qui  concernent  spéciale- 
ment le  Duc  de  Mercœur ,  et  quelques  inexactitudes  ,  qu'une 
critique  rigoureuse  serait  fondée  à  lui  reprocher,  telles  par  exemple 
que  son  appréciation  très  contestable  sur  le  rôle  qu'il  attribue 
aux  paysans ,  la  nouvelle  Histoire  de  la  Ligue  en  Bretagne , 
de  M.  L.  Grégoire,  histoire  qui  lui  a  servi  de  thèse  pour  le 
doctorat,  est  une  œuvre  considérable  à  pllis  d'un  titre.  Elle 
ouvre  la  carrière  à  la  discussion  et  à  la  critique  sur  l'une  des 
époques  les  plus  importantes  et  les  moins  connues  de  nos  anna- 
les ;  sur  un  sujet,  enfin,  que  la  plupart  de  nos  écrivains  n'abordent 
qu'avec  beaucoup  de  circonspection ,  de  répugnance  môme ,  à 
cause  de  la  part  active  que  les  doctrines  religieuses  ont  prise  à 
l'accomplissement  des  événements  politiques  et  militaires  dont 
notre  province  a  été  le  théâtre,  pendant  la  dernière  moitié  du 
46«  siècle. 

DUSEIGNEUR. 


-^•<- 


{\)  L.  Grégoire ,  Histoire  de  la  Ligue,  page 

(2)  Ce  mot  tant  prôné  n*étail  selon  moi  qu'une  ironie  sceptique  fort 
déplacée  dans  la  bouche  d'un  roi  nouvellement  converti  à  la  foi  i^tholique. 


Le  Chemin  royal  de  la  Sainte-Croix 


(  Imitation  de  /.  C.  —  Liv.  If,  chap.  42.  ) 


Celle   parole  semble  dure  ; 
La  chair  se  révolte  et  murmure  , 
Rien  qu'à  l'entendre  prononcer  : 
«  A  vous  même  il  faut  renoncer  , 
»  Porter  votre  croix    sur  la  terre, 
»  Suivre  Jésus  jusqu'au  calvaire , 
»  Sans  vous  plaindre  et  sans  vous  lasser.  » 

Mais  il  sera  plus  dur  encore 
D'entendre  cette  voix  sonore 
Tomber  sur  les  hommes  charnels  : 
«  Maudits ,  c'est  le  jour  de  vengeance  ; 
»  Relirez- vous  de  ma  présence  ; 
»  Allez  dans  les  feux  éternels  I  » 


—  lu  — 

Celui  gui  maintenant  ééoule 
Celle  parole  de  la  Croix  , 
Et  qui  suit  humblement  sa  route', 
Ne  craindra  point  une  autre  voix. 
Quand  sonnera  Theure  suprême  , 
L'instant  où  le  Verbe  Eternel 
Pour  nous  juger  viendra  hii-méme  , 
.  Où  sa  croix  luira  dans  le  ciel  ; 
Alors ,  ceux  qui  Tauront  suivie 
Comme  exemple  durant  leur  vie  , 
Les  crucifiés  en  esprit , 
Confiants  au  Souverain  Maître  , 
Heureux  de  le  voir  apparaître , 
S'approcheront  de  Jésus-Christ. 

Pourquoi  donc  craignez-vous  de  suivre  une  bannière 
Qui  vous  offre  un  trône  pour  but  î 
La  Croix  ouvre  le  Ciel  ;  la  Croix  est  le  salut, 
L'arbre  de  vie  et  de  lupaière. 

La  Croix  contre  les  ennemis 
Est  un  impénétrable  asile  ; 
Elle  est  une  source  fertile 
En  douceurs,  eu  biens  infinis. 
La  force  de  Tâme  en  dérive  , 
Et  la  vertu  devient  plus  vive 
En  un  cœur  près  d'elle  abrité  j 
De  l'esprit  la  pure  allégresse 
Devant  la  Croix  s'unit  sans  cesse 
Au  comble  de  la  sainteté. 

Point  de  salut  pour  vous ,  point  de  ferm«  espérance 
De  l'éternité  sans  la  Croix. 
Prenez ,  portez  la  vôtre  avec  persévérance  ; 
Suivez  du  Divin  Maître  et  l'exemple  et  la  voix. 


-  145  - 

Chargé  du  bois  de  son  supplice  , 
Jésus  a  marché  devant  tous  ; 
Par  son  généreux  sacriOcé 
Un  Dieu  s*est  immolé  pour  nous. 
Si  voire  désir  l'accompagne , 
Si  vers  la  terrible  montagne 
Avec  lui  vous  allez  mourir  , 
Aux  douleurs  succède  la  gloire  ; 
Vous  aurez  part  à  sa  victoire 
Pendant  Tétemel  avenir. 

Tout  consiste  à  porter  sa  croix  avec  courage , 
A  souffrir  sans  murmure  un  misérable  sort , 
A  nous  sacrifier  pour  rendre  témoignage 

De  notre  foi  jusqu'à  la  mort. 
ta  Croix  mène  au  triomphe  ,  à  la  béatitude  , 

A  la  paix  ,  à  la  quiétude  ; 

C'est  le  phare  éclatant  du  porl. 

Allez  où  vous  voudrez  ^  cherchez  en  votre  doute 
Un  but  plus  élevé ,  quelque  meilleure  route  ; 
Vous  n'en  saunez  trouver  de  plus  sûr  que  la  Croix. 
Supposez  votre  sort  réglé  selon  vos  vues  ; 
Encore  souffrirez^vous  parfois 
Des  tourmens,  des  peines  ardues. 
Ou  de  force  ou  de  gré ,  la  Croix  ;  toujours  la  Croix  ! 
Tantôt  douleurs  du  corps ,  tantôt  peines  de  Tàme  , 
Délaissement  de  Dieu  ,  persécution ,  blâme  , 
Luttes  avec  soi-même  ,  efforts  sans  résultat , 
Trouble  irrémédiable  et  désolant  état , 
Jusqu'au  jour  où ,  prenant  en  pitié  nos-  misères  , 
Le  Ciel  abrégera  ces  épreuves  amëres- 
C'est  de  lui ,  c'est  de  Dieu  que  vient  l'affliction  , 
L'ordre  de  tout  souffrir  sans  consolation , 
Afin  que ,  plus  soumis  ,  et  plus  humble  et  plus  digne , 
Vous  marchiez  sans  détours  au  but  qu'il  vous  assigne. 


1» 


—  146  — 

Des  souffrances  du  Christ  nul  cœur  n'est  bien  louché 
Que  si  par  le  malheur  il  en  est  rapproché. 
Voilà  pourquoi  la  Croix ,  pour  vous  toujours  dressée  , 
Vous  attend  ,  vous  poursuit,  vainement  repoussée. 
Que  vous  sert  de  la  fuir  ?  Elle  suit  tous  vos  pas  ; 
Elle  s'attache  à  vous  ,   ne  le  sentez-vous  pas  î 
Regardez  en  vous-même ,  au  dehors  :  le  supplice 
Impose  k  tous  les  rangs  tourment  et  sacrifice. 
Patience  ici-bas  pour  mériter' la  paix  , 
La  couronne  du  Ciel  et  sa  gloire  k  jamais  ! 

Oui ,  si  c'est  de  bon  cœur  que  le  chrétien  la  porte  , 
La  Croix  le  portera  ,  fidèle  et  sûre  escorte  , 
Au  terme  désiré  de  ses  rudes  travaux 
Qui  ne  font  que  changer  en  ce  séjour  de  ihaux. 
S'il  la  porte  k  regret ,  le  fardeau  qu'il  s'impose 
L'accable  ;  et  par  instans  en  vain  il  se  repose  j 
Il  lui  faut  jusqu'au  bout  en  soutenir  le  poids  , 
Ou  risquer ,  s'il  la  quitte  ,  une  plus  lourde  croix. 

Voyez ,  voyez  Jésus  :  quelle  heure  de  sa  vie 
Aux  humaines  douleurs  ne  fut  pas  asservie  ? 
«  11  fallait ,  nous  dit-il ,  que  le  Christ  succombât 
»  Avant  de  triompher  au  terme  du  combat. 
M  II  fallait  qu'il  subit  l'épreuve  expiatoire 
»  Avant  de  s'élever  k  l'immortelle  gloire  î  »       ^ 
—  Comment  -donc  voulez-vous  suivre  un  autre  chemin 
Que  la  Croix  où  souffrit  le  Modèle  divin  ? 

L'existence  du  Christ  ne  fut  qu'un  long  martyre  ; 
Et  vous  vous  adonnez  k  ce  qui  vous  attire 
Vers  une  courte  joie ,  un  passager  bonheur  , 
Vous  égarez  votre  âme  en  quelque  espoir  trompeur  ! 


—  Ul  — 

Malgré  ces  \ains  désirs ,  celle  folle  espérance , 
Vous  reucoutrez  partout  la  peine  et  la  souffrance  ; 
Et  vous  TOUS  abusez  en  cherchant  ici-bas 
D'autres  réalités  que  des  croix  sur  vos  pas. 

11  peut  même  arriver  que  plus  une  âme  est  belle  , 
Plus  elle  est  en  progrès  vers  la  vie  éternelle , 
Plus  l'Esprit  du  Seigneur  Téclaire  dans  ses  choix  ,' 
Plus  aussi  de  sa  chaîne  elle  sent  tout  le  poids  ; 
Car  son  amour  pour  toi ,  Vérité  Souveraine  , 
Accroît  de  son  exil  Tintolérable  peine. 

Cependant ,  cet  homme  affligé 
Et  tourmenté  de  tant  de  sortes 
Par  des  réflexions  plus  fortes 
Se  trouve  parfois  soulagé. 
Car  il  sait  combien  il  profite  , 
Même  en  dehors  de  tout  mérite  , 
En  se  résignant  de  bon  cœur. 
Il  attend  avec  confiance 
De  la  divine  Providence 
Le  don  réconciliateur. 

Plus  son  corps  souffre  et  s*humilie  , 
Plus  son  esprit  se  fortifie 
Si  la  grâce  prend  le  dessus. 
Il  chérit  môme  sa  torture  ; 
Car  toute  peine  qu'il  endure 
Le  rend  plus  conforme  k  Jésus. 

C'est  de  Jésus  aussi  que  lui  vient  celle  grâce  : 
11  puise  en  son  amour  ce  désir  efficace 

De  vaincre  la  chair  par  l'esprit , 
De  supporter ,  d'aimer ,  de  souhaiter  la  peine , 
De  sourire  aux  douleurs  de  la  nature  humaine  , 
De  s'immoler  pour  tous ,  à  Texemple  du  Christ. 


—  148  - 

Non ,  ce  n'est  point  reflet  de  la  force  mortelle 
Que  de  tels  sentiments  s'élèvent  dans  un  cœur. 
Dieu  seul  donne  à  Fesprit  cette  grande  ferveur 
Qui  le  rend  triomphant  de  notre  chair  rebelle  , 
Jusqu'à  lui  faire  aimer  l'objet  de  son  horreur. 

Porter ,  aimer  la  Croix ,  endurer  l'injustice  , 
Châtier ,  asservir  son  corps ,  fuir  les  honneurs 
Et  les  prospérités  du  monde  et  leur  délice  , 
Se  mépriser ,  s'ofirir  en  constant  sacrifice 
Aux  dédains ,  aux  revers ,  aux  dangers ,  aux  malheurs  ; 
Oh  I  c'est  un  redoutable  et  pénible  exercice , 
Pour  toute  force  humaine  un  sujet  de  frayeurs. 

Mais  le  pouvoir  d'en  haut,  dès  que  Tâme  s'y  fie  , 
Lui  soumet  et  le  monde ,  et  la  chair  et  la  vie. 
Ne  craignez  plus  Satan ,  dès  qu'armé  de  la  foi , 
Vous  portez  de  Jésus  l'invincible  bannière  , 
Le  signe  de  la  Croix  éclatant  de  lumière  ; 
Qui  jette  à  tout  l'Enfer  un  douloureux  eff'roi. 

En  disciple  fervent,  en  serviteur  fidèle , 
Au  maître  obéissez  ,  suivez  votre  modèle  ; 
Il  mourut  sur  la  Croix  par  charité  pour  vous  ; 
Ne  vous  plaignez  donc  pas  de  supplices  trop  doux. 

A  souflrir  mille  ennuis  formez  votre  courage  ; 
Mille  incommodités  seront  votre  partage  ; 
Elles  naîtront  partout  et  courront  sur  vos  pas  ; 
Vous-vous  cachez  en  vain  ;  vous  ne  les  fuirez  pas. 

Ainsi  le  veut  la  loi  de  la  nature  : 
Pouf  triompher  des  peines,  des  mallieurs , 
Il  faut  d'abord  que  l'homme  les  endure. 

La  PATIBNCR  EST  l'ESPOIR   DES  DOULEURS. 


—  149  — 

D'un  cœur  joyeuç  buvez  donc  le  calice  , 
Si  TOUS  Youlez  être  ami  de  Jésus  ; 
Avec  amour  partagez  son  supplice , 
Pour  prendre  part  aus  gloires  des  élus. 

Laissez  k  Dieu  la  grâce  consolante  , 
Pour  qu'il  eu  use  ainsi  qu'il  lui  plaira  ; 
Et  recevez  pour  faveur  excellente 
L'adversité ,  quand  elle  vous  viendra. 

Car  la  souffrance ,  et  sa  longue  morsure  , 
Est  une  épreuve  ,  un  rude  et  droit  chemin 
Vers  les  douceurs  de  la  gloire  future  , 
Un  petit  mal  pour  une  grande  tin. 

Quand  vous  aurez ,  malgré  vos  chaînes, 
Réalisé  tant  de  progrès , 
Qu'exempt  de  plainte  et  de  regrets  , 
Vous  trouviez  du  charme  à  vos  peines  ; 
9      Quand  ,  pour  Tamour  de  Jésus-Christ , 
Vous  goûterez  ,  d'un  sage  esprit , 
La  souffrance ,  en  biens  si  féconde  ; 
Alors ,  estimez-vous  heureux  ; 
Ne  poursuivez  plus  de  vos  vœux 
D'autre  Paradis  en  ce  monde. 


Mais  tant  que  vos  sens  révoltés 
Se  laissent  aller  au  murmure  , 
Tant  que  les  maux  de  la  nature 
Par  vos  efforls'spnt  évités, 
L'effroi  de  votre  cœur  redouble  ; 
Un  plus  amer  et  profond  trouble 
Egare  vos  pas  emportés. 


--  150  — 

L*étal  où  vous  devez  vous  mettre 
Est  de  souffrir  et  de  mourir  ; 
Alors,  vous  pourrez  vous  promettre 
Secours  et  paix  dans  l'avenir. 
Quand  vous  auriez,  comme  FApôlre , 
Eté  ravi  d'un  Ciel  k  Tautre  , 
Vous  resteriez  sujet  aui  pleurs  ; 
Dieu  voulut  lui  faire  connaître 
Combien  ,  pour  le  nom  de  son  mailre, 
Il  devait  souffrir  de  douleurs. 


Oui ,  prenez  part  k  son  supplice  , 
Si  vous  voulez  aimer  Jésus  , 
Vous  attacher  k  son  service 
Par  les  efforts  qui  lui  sont  dûs. 
Plût  au  Ciel  que  vous  fussiez  digne 
De  porter  quelque  plaie  insigne 
En  rhonnéur  du  Maître  Divin  ! 
Pour  vous  quelle  oeuvre  méritoire  î 
Quelle  joie  aux  Saints  dans  leur  gloire  !  « 
Quel  exemple  pour  le  prochain  ! 


Chacun  recommande  et  professe 
I^  patience  dans  les  maux  ; 
Mais  quels  sont  ceux  dont  la  sagesse 
Va  jusqu'à  chérir  leurs  fardeaux  ? 
Oh  I  trêve  k  nos  paroles  vaines  t 
De  bon  coeur  endurons  nos  peines 
En  pensant  au  Dieu  mort  pour  nous. 
Tant  d'autres  souffrent  pour  le  monde 
Plus  d'une  torture  inféconde , 
Et  savent  sourire  à  ses  coups  ! 


—  im  - 

Dites-vous  bien  que  voire  vie 
Doit  être  une  heureuse  agonie 
Qui  vous  enlève  k  ce  bas  lieu. 
Pins  un  homme  sent  en  lui-même 
Que  la  mort  est  son  bien  suprême, 
Plus  il  commence  k  vivre  eu  Dieu. 

Nul  des  choses  du  Ciel  n'aura  rintelligencc 
S'il  n'est  prêt  k  souffrir  avec  un  doux  esprit. 
S'il  cherche  k  mieux  passer  que  dans  la  pénitence 
Un  temps  qui  le  prépare  au  Royaume  du  Christ. 

Si  vous  pouviez  choisir  dans  le  trésor  céleste  , 
Il  faudrait  préférer  aux  consolations 
La  Croix  où  le  Sauveur  en  vous  se  manifeste  , 
Les  épreuves  des  saints  et  leurs  afflictions. 

Pour  grandir  en  vertus  avec  quelque  mérite, 
Comptez  peu  sur  la  joie  et  les  dons  de  l'esprit  ; 
C'est  dans  l'adversité  que  le  sage  profite , 
Et  devient,  k  la  fin,  digne  de  Jésus-Christ. 

S'il  était  un  moyen  meilleur  et  plus  utile 
Pour  le  salut  que  de  souffrir  , 
Jésus  nous  eût  donné  cet  exemple  facile , 
Et  le  Ciel  k  sa  voix  serait  prompt  a  s'ouvrir. 

Mais  k  porter  la  Croix  sans  cesse  il  nous  exhorte  ; 
Aux  disciples,  au  peuple  il  parle  delà  sorte  : 
ff  Si  quelqu'un,  mes  amis ,  veut  venir  après  moi, 

»  Que  pénétré  d'une  foi  vive , 

»  n  renonce  aussitôt  k  soi  ; 

»  Qu'il  prenne  sa  croix  et  me  suive  I  » 


—  132  — 

Toul  bien  examiné,  concluez  doDc  ainsi  : 
G'esl  par  l'affliction  que  vous  aurez  merci  ; 
Par  de§  tourments  nombreux,  une  longue  disgrâce, 
Qu'au  Royaume  céleste  enûn  vous  prendrez  place. 


A.  GUICHON  DE  GRANDPONT. 


-^••s- 


NOTICE  HISTORIQUE 


LE  COIIVENT  ET  L'ECLISE  DES  C4RIES 


£2^£I^£^^'0? 


L 


Dès  le  êommencemeDt  du  XVI'  siècle ,  on  voyait  dans  le  fau- 
bourg de  la  ville  de  Brest,  une  petite  église  dédiée  à  Saint-Yves^ 
L'Hospice  ou  Hôtel-Dieu  ,  dont  elle  dépendait ,  était  aussi  placé 
sous  l'invocation  de  ce  saint  Breton. 

La  rue  où  s'élevait  cette  église  portait  le  nom  de  rue  Saint- 
Yves  ,  qu'elle  a  toujours  conservé  ;  elle  le  devait  sans  nul  doute 
à  réglise  et  à  l'hospice  qui  s*y  trouvaient  (-l). 

(i)  Cette  rue  était  aussi  quelquefois  désignée  sous  le  nom  de  rue  du 
Château ,  avant  le  percement  de  la  rue  qui  porte  actuellement  ce  nom. 
Pendant  la  Révolutioù ,  lorsque  les  noms  de  toutes  les  rues  de  la  ville 
furent  changés ,  on  lui  donna  le  nom  de  rue  de  la  Liberté ,  qu'elle  porta 
tort  peu  de  temps. 

20 


—  loi  — 

Le  faubourg  de  Brest  ou  du  Ch&teau  ,  qui  devint  plus  tard 
la  ville,  ne  se  composait  alors  que  des  rues  des  Sept -Saints, 
de  la  rue  Saint-Yves  et  de  celle  de  Charronnière ,  ou  de  la 
Cbarronnière ,  qui  prenait  dans  le  bout,  passant  devant  l'église 
de  Saint-Yves,  le  nom  de  rue  da  Four  (1). 

L'église  du  Château,  dont  la  fondation  remontait  au  Xï* 
siècle ,  était  encore ,  à  cette  époque ,  la  paroisse  de  la  ville  pro- 
prement dite ,  qui  se  trouvait  enfermée  dans  Tenceinte  des  murs 
du  Château.  En  dehors  de  ces  murailles  ,  dans  le  faubourg,  on 
voyait  aussi  Féglise  des  Sept- Saints,  qui  n'était  qu'un  prieuré 
relevant  de  l'abbaye  Saint- Mathieu. 

A  quelle  époque  l'église  et  l'hospice  de  Saint-Yves  avaient-ils 
été  construits?...  On  ne  pourrait  le  dire  d'une  manière  positive  ; 
mais  il  est  fort  probable  qu'ils  furent  élevés  dès  que  quelques 
maisons  se  trouvèrent  agglomérées  en  dehors  du  Château  :  c'est- 
à-dire  vers  la  fin  du  XIV*  siècle  ou  le  commencement  du  XV«, 
dans  les  dernières  années  du  règne  du  duc  Jean  IV  ou  dans 
les  premières  années  de  celui  de  Jean  V.  Alors  la  Bretagne 
commença  à  jouir  d'un  peu  de  tranquillité  ,  et  les  populations 
purent  sortir  des  enceintes  fortifiées,  pour  former  des  villes,  qui 
restèrent  encore  pourtant  sous  la  protection  des  forteresses. 

n. 

L'hospice  et  l'église  de  Saint-Yves  existaient  donc  depuis  plus 
de  deux  siècles,  lorsque,  en  ^650,  des  religieux  de  Tordre  des 
Carmes  déchaussés  sollidlèrent  l'autorisation  de  venir  à  Brest 
établir  un  couvent  de  leur  ordre. 

Le  faubourg  avait  alors  bien  changé.  L'église  des  Sept-Saints 
avait  été  érigée  en  paroisse  ;  le  faubourg  avait  été  élevé  au  titre 

(1;  En  raison  d'un  four  public  qui  se  trouvait  dans  cette  partie  de  la  rue. 


(le  ville  ;  un  maire  était  élu  par  les  habitants,  auxquels  Henri  IV 
avait  accordé,  en  1593^,  le  droit  de  bourgeoisie  ;  enfin,  Richelieu, 
voulant  donner  une  mariue  à  la  France,  avait  choisi  Brest  pour 
en  faire  le  premier  port  militaire  du  pays.  Les  travaux  étaient 
commencés  depuis  ^631  ;  la  population  s'était  aussi  accrue  en 
proportion  de  l'importance  que  la  ville  avait  priseJ 

Le  chapitre  de  l'évéché  de  Saint-Pol  de-Léon  et  les  babitants 
de  Brest  hésitèrent  d'abord  à  accorder  aux  Carmes  l'autorisation 
qu'ils  demandaient  ;  mais  le  gouverneur  du  Châieau  et  de  la 
Ville,  M.  de  Castelneau,  ayant  manifesté  le  désir  de  voir  s'établir 
à  Brest  un  couvent  de  cet  ordre  ,  les  diflicultés  se  trouvèrent 
bientôt  levées.  Le  gouverneur  n'avait  été  que  l'interprète  des. 
volontés  du  Roi. 


III. 


Le  -17  août  1651  ,  les  anciens  maires  ,  les  gentilshommes  et 
les  nobles  bourgeois  de  la  ville  s'assemblèrent,  conformément 
au  désir  exprimé  par  le  gouverneur,  et  autorisèrent  les  Carmes 
à  fonder  un  couvent  à  Brest.  Le  maire  était  alors  M.  G.  Le 
Bescon,  On  leur  donna,  pour  former  leur  étabUssement ,  l'église 
et  l'hôpital  de  Saint-Yves,  avec  tous  leurs  droits,  dépendances 
et  appartenances.  A  celte  concession  on  mit  pourtant  quelques 
réserves  ,  entr'autres  :  que  la  compagnie  du  Rosaire  ,  établie 
dans  l'église,  pourrait  continuer  à  s'y  rassembler,  et  qu'elle 
recueillerait  des  aumônes,  comme  elle  avait  coutume  de  le  faire, 
ou  qu'elle  se  retirerait,  à  sa  volonté.  Les  Pères  Carmes  devaient 
aussi  respecter  les  prééminences ,  tombes  et  bancs  qui  se  trou- 
Talent  dans  l'église,  et  s'obligeaient  à  inhumer  dans  son  enceinte, 
aux  conditions  précédemment  existantes  ,  les  personnes  dont  les 
ancêtres  y  avaient  leur  sépulture.  Il  leur  était  permis  d'inhumer 
dans   l'église  les   habitants  qui   le  désireraient ,   en  s'accordant 


-  156  - 

avec  eux,  comme  ils  le  faisaient  dans  leurs  autres  maisons  ;  mats 
quant  à  la  sépulture  des  pauvres,  elle  était  obligatoire  t  si  tant 
»  est,  dit  le  traité,  que  ceux  à  qui  il  appartient  par  leur  charge 
»  de  les  inhumer,  voulussent  les  refuser  et  les  priver  de  ladite 
»  sépulture  ,  sous  prétexte  de  la  seule  pauvreté.  0 

Ces  conditions  furent  acceptées  parles  RR.  PP.  Jérôme  de  Saint- 
Jacques  et  Hyacinthe  de  TAssomption ,  religieux  des  Carmes 
déchaussés,  commissaires  du  R.  P.  Ange,  provincial  de  Tordre. 

t/acte  fut  passé  au  Château,  en  présence  de  M.  de  Courtois , 
lieutenant  de  Roî,  qui  le  signa  en  Tabsence  du  gouverneur  (^). 
L'année  suivante  quelques  habitants  ayant  réclamé  contre  Fauto- 
rîsatîon  donnée  aux  Carmes  ,  prétendant  qu'on  ne  leur  avait  pas 
laissé  toute  la  liberté  requise  en  pareille  circonstance,  les  maire  , 
bourgeois  et  habitants  se  réunirent  de  nouveau,  le  V  mai  -1652, 
pour  délibérer  sur  cette  affaire  ;  on  approuva  la  donation  faite 
en  -1 651  ;  mais  les  Carmes  furent  obligés  de  s'engager,  en  outre, 
à  faire  bâtir  une  chambre  proche  le  couvent ,  pour  servir  d'hôpital 
aux  pauvres  et  nécessiteux  de  la  ville.  Le  -12  décembre  de  cette 
même  année,  ils  prirent  possession  de  J'église  et  de  Thospice, 
révoque  de  Léon,  Henry  Marie  de  Laval  de  Bois -Dauphin,  ayant 
donné  son  approbation  le  -19  novembre  précédent.  Ce  furent  trois 
Carmes  irlandais ,  chassés  de  leur  pays  par  Cromwell ,  qui  fon- 
dèrent te  couvent,  dit  Tabbé  Tresvaux. 

Cette  maison  religieuse  est  la  première  qui  se  soit  établie  à 
Brest. 

En  -1654  ,  des  lettres  patentes  du  Roi  Louis  XIV  leur  furent 
délivrées,  légalisant  la  fondation  d'un  couvent  de  cet  ordre  dans 
la  ville.  Elles  furent  ratifiées  au  ParFement  de  Bretagne ,  le  21 
juillet  4659,  et  de  nouveau  le  31  juillet  -1688. 

(1)  Jacques  de  Caslelneau  Mauvissière ,  qui  fut  gouverneur  de  Brest 
dei648ài65a. 


—  157  — 


IV. 


La  chambre  qui  devait  senir  d'hôpital , n*étant  point  encore  bâtie, 
en  1655,  ces  religieux  offrirent  en  échange,  pour  la  création  du 
nouvel  hospice ,  deux  petites  maisons  s'entrejoignant  couvertes  en 
ardoises  avec  cour  et  jardin  ,  situées  au  haut  bout  oriental  de 
la  rue  Neuve. -Ces  deux  propriétés  venaient  de  leur  être  données 
par  honorable  femme,  Marie  Pochard,  veuve  de  François  Jacolot , 
moyennant  une  rente  de  24  livres  pendant  sa  vie  et  de  messes 
à  perpétuité  après  son  décès.  D'après  ces  propositions ,  le  maire, 
écuyer  Michel  de  Roupiquet,  sieur  du  Pin  ,  qui  avait  pour  éche- 
vios  MM.  David  de  Lalande  et  Gaspar  Dagar,  t  fit  par  les  hérauts 
»  de  ville  avertir  les  bourgeois  et  habitants  de  se  trouver,  le 
»  second  jour  de  novembre ,  à  l'issue  des  vêpres  ,  en  l'Eglise 
»  des  Sept-Saints ,  au  son  de  la  cloche  qui  se  fera  entendre.  » 

Messire  Charles  Colas ,  seigneur  de  Cintré  ,  était  alors  lieute- 
nant de  Roi  de  la  Ville  et  du  Château  de  Brest,  où  il  comman- 
dait en  l'absence   de  M.  de  Castelneau  ,  toujours  gouverneur. 

Le  2  novembre  ^^l55,  conformément  à  la  convocation  du 
maire,  les  bourgeois  et  habitants  de  la  ville  se  réunirent  dans 
l'église  des  Septs-Saints  après  vêpres,,  t  La  réunion  se  compo- 
»  sait  de  la  plus  grande  et  la  plus  saine  partie  des  habitants.  » 
Ce  jour,  après  la  lecture  des  propositions  faites  par  les  Carmes, 
qui  avaient  alors  pour  prieur  le  P.  Louis  de  Saint -Joseph,  et 
pour  procureur  le  P.  Clément  de  Saint-Georges,  on  nomma  quel- 
ques membres  de  l'assemblée  pour  aller  visiter  les  maisons ,  et 
comme  il  se  faisait  tard ,  on  leva  la  séance.  Le  lendemain  ,  3 
novembre ,  dès  neuf  heures  du  matin ,  on  se  réunissait  chez  le 
maire  (il  n'y  avait  point  alors  d'Hôtel-de-Ville),  et  sur  le  rapport 
des  délégués,  on  acceptait  à  l'unanimité  le  soffres  des  PP.  Carmes. 
Kn  outre  de  ces  deux  maisons  ils  donnèrent  encore  «  une  somme 


—  158  -- 

de  75  livres  en  espèces  de  louis  d'argent.  »  Ainsi,  ils  devinrent 
propriétaires  de  Téglise  et  de  Thôpilal  de  Saint-Yves  ;  mais  ils  ne 
restèrent  pas  moins  dans  l'obligation  d'observer  les  autres  condi- 
tions stipulées  dans  les  premieri  actes,  laissant  à  l'hôpital  nou- 
veau, pour  la  subsistance  des  pauvres,  toutes  les  rentes  données 
et  cédées  à  cet  établissement  (4). 

Néanmoins,  en  1676,  les  commandeurs  de  Saint-Lazare  et  du 
Mont-Carmel  les  assignèrent  pour  les  faire  se  désister  et  départir 
des  biens  appartenant  à  l'hospice  de  Saint- Yves  de  Brest,  m 
en  dépendant.  Les  RR.  PP.  les  renvoyèrent  devant  les  maire 
et  échevîns ,  qu'ils  assignèrent  de  leur  côté. 


Y. 


En  ^686,  les  Carmes,  que  l'on  Irouve  toujours  empressés  de 
se  rendre  utiles  aux  habitants,  demandèrent  l'autorisation  d'établir 
à  leurs  frais  et  sans  de  nouvelles  quêtes ,  un  hôpital  à  Recou- 
vrance ,  «  sachant ,  disaient-ils  dans  leur  requête  ,  l'obligalioii 
»  qu'ils  avaient  de  rendre  service  à  toute  la  ville  ,  en  recon- 
»  naissance  des  bontés  qu'on  avait  pour  eux,  et  ne  pouvant, 
»  vu  les  difficultés  de  passer  l'eau  la  nuit ,  le  passage  étant 
»  fermé ,  porter  secours  aux  habitants  de  Recouvrance.  »  La 
communauté  de  la  ville  accorda  le  -18  septembre,  avec  empresse- 
ment ,  l'autorisation  demandée.    La  requête  avait  été  présentée 


(t)  Les  àmx  maisons  données  çn  4655,  qui  étaient  situées  au  haut  de 
la  rue  Neuve  ,  vis-à-vis  la  plate-forme ,  vulgarisée  le  boulevart,  furent 
vendues  la  somme  de  36  livres  de  cens  et  rente  par  chacun  an ,  h  perpé- 
tuité, le  3  mars  1671,  k  un  nommé  Louis  Landrin,  maître  chapelier.  Elles 
n'étaient  plus  alors  que  de  vieilles  masures.  Ce  Landrin  n'exécutant  pas 
les  coudilions  du  contrat ,  en  1673  ,  on  Tévinça  et  on  revendit  ces  mai- 
sons à  un  bourgeois  de  Brest,  qui  en  offrit  33  livres  aussi  de  cens  et 
rente  »  par  chacun  an  et  à  perpétuité ,  dont  2/3  pour  la  fabrique  des 
Sepl-Saintset,1/3  pour  Thospice. 


—  159  -^ 

par  les  RR.  PP.  Casimir  de  Saint  -  Hilarion,  prieur  :  Similien  de 
Saint •  Joseph,  Théodore  de  Saint -André  et  Justinien  de  Sainte- 
Marie  ,  procureur. 

En  4691  ,  ils  sollicitèrent  aussi  du  Roi  la  décharge  du  droit 
de  8  livres,  qui  se  prélevait  sur  chaque  tonneau  de  vin  entrant 
en  ville ,  pour  celui  qui  se  consommait  dans  leur  couvent.  La 
communauté  de  la  ville  donna  son  approbation  à  cette  demande  ; 
mais  le  syndic  de  la  .commune  ayant  «  remontré  »  que  de- 
puis que  ces  religieux  étaient  établis  à  Brest,  ils  n*aYaient 
donné  aucune  connaissance  ni  communication  des  tUres,  en  vertu 
desquels  Ils  avaient  fondé  un  couvent,  sommation  leur  fut  faite 
de  fournir  des  copies  garanties  des  titres  qu'ils  possédaient , 
pour  les  déposer  dans  les  archives  de  la  ville. 

L'année  suivante,  -1692,  n'ayant  probablement  point  obtem- 
péré à  l'injonction  de  la  commune ,  le  34  mars ,  ils  furent 
assignés  ,  cette  fois  ,  par  huissier,  pour  communiquer  par 
originaux,  au  syndic  de  la  ville,  les  actes,  titres,  etc.,  de 
leur  établissement  dans  Brest  et  des  fonds  et  édifices  qu'ils 
avaient  acquis  depuis  les  quarante  ans  derniers.  Ils  com- 
muniquèrent très  probablement  les  originaux  au  syndic  ,  mais 
des  copies  ne  furent  point  remises  alors  ;  car  celles  qui  existent 
aux  archives ,  et  dont  nous  avons  extrait  ce  qui  précède  ,  ne 
portent  que  la  date  du  25  août  4  695. 


VI. 


L'église  de  Saint-Yves  ou  des  Carmes  étant  fort  ancienne,  près, 
qu'en  ruines,  et  se  trouvant  d'ailleurs  trop  petite  pour  contenir  tous 
les  fidèles  qui  la  fréquentaient,  ainsi  que  la  communauté  qui  était 
fort  nombreuse,  fut  rebâtie  en  4748,  sur  les  dessins  de  M.  Robe- 
lin  ,  directeur  des  fortifications  de  Bretagne.  A  la  môme  époque. 


—  160  -" 

une  partie  du  couvent ,  celle  qui  fait  face  à  la  rue  Charronnière, 
fut  aussi  réédifiéc. 

Expilly  dit,  dans  son  Dictionnaire  de  Géog^raphie  ^  article 
Brest ,  que  cette  église  n'était  pas  grande ,  mais  fort  propre  el 
bien  éclairée.  C'est  du  reste  celle  qui  existe  encore.  Le  cloître 
était  petit  très  et  peu  élégant.  Sur  une  banquette  en  maçonnerie 
s'élevaient  des  portiques  en  charpente,  supportant  la  toiture  ;  au 
milieu  se  trouvait  un  parterre  ;  dans  un  des  angles  existait 
un  puits,  qui  fut  abandonné  en  -1777  ,  les  Carmes  ayant  obtenu 
de  la  ville  un  filet  d'eau  suffisant  pour  les  besoins  de  leur  éta- 
blissement. 

Le  couvent  possédait  une  bibliothèque  assez  riche,  dont 
malheureusement  il  ne  reste  que  quelques  volumes  à  la  bibliothè- 
que de  la  ville. 

VII. 

Les  Carmes  furent  toujours  fort  aimés  dans  Brest ,  et  ils 
méritaient  de  l'être ,  par  le  zèle  qu'ils  déployaient  sans  discon- 
tinuer pour  se  rendre  utiles  à  toutes  les  classes  de  la  popu- 
lation. Dans  ces  temps  de  foi  et  de  pratique  religieuse ,  où  les 
Jours  de  grandes  fêtes  plus  de  douze  mille  communiants  se 
présentaient  à  la  sainte  table ,  l'église  paroissiale  de  Saint-Louis 
ne  pouvait  suffire ,  et  le  clergé,  trop  peu  nombreux,  se  trouvait 
dans  l'impossibilité  de  répondre  à  toutes  les  exigences  de  son 
service  ;  ces  religieux  les  suppléaient  alors  avec  un  zèle ,  une 
complaisance  qui  les  faisaient  aimer  et  estimer  de  tous  les  habi- 
tants, auxquels  ils  étaient  entièrement  dévoués.  Quelques  corpo- 
rations d'ouvriers  de  la  ville  tenaient  leurs  séances  dans  la  grande 
salle  du  couvent  ;  la  communauté  de  la  ville  elle-même  se  réunis-, 
sait  quelquefois  dans  leur  réfectoire,  avant  qu'on  eût  acheté, 
en  n57,   l'hôtel  de  M.  Chapizeau,  pour  en  faire   un  Hôtel- 


—  161  — 

de-Ville.  Lors  do  l'épouvantable  épidémie  apportée  à  Brest  par 
Tescadre  de  M.  fiu  Bois  de  Lamotte,  en  4757,  épidémie  qui 
décima  une  grande  partie  de  la  population,  l'EglifiC  des  Carmes 
fut  mise  à  h  di3posiiidn  de  la  Yiile  pour  en  faire  un  hèpital  ; 
aussi  he  sera  t-on  point  surpris,  quand  noua  dirons  que  des 
donations  importantes  leur  étaient  souvent  faites  par  les  diverses 
classes  des  habitants  (4). 

Au  moment  où  la  Révolution  éclata ,  ces  Pères  étaient  fort 
riches.  Leur  établissement  occupait  alors  presque  tout  Ttlot 
compris  entre  les  rues  Saint-Yves,  Charronnière,  des  Sept-Sainls 
et  de  Traverse  :  sur  la  rue  Saint^Yves,  les  maisons  d'habitation, 
qui  se  voient  encore,  appartenaient  au  couvent  et  étaient  louées 
à  des  partieuiîers  ;  sur  ia  rue  Charrennièro,  une  partie  des  mai- 
sons d'habitation  dépendaient  aussi  de  la  communauté  ;  mais  celles 
qui  se  trouvaient  dans  les  rues  des  Sept-Saints  et  de  Traverse 
étaient  des  propriétés  particulièrp,s.  I/emplacement  où  s'élève 
maintenant  la  Halle,  était  un  superbe  jardin  à  terrasses,  avec  un 
puits  au  milieu, 

La  superficie  occupée  par  tout  cet  établissement  était  de  2,454 
toises  carrées. 


(!)  Nous  ne  citerons  qu'une  de  ces  donations,  c'est  celle  que  leur  fit 
par  testament  M.  Hector  Daudigné,  ctievalier  de  Grand  fontaine,  capitaine 
des  vaisseaux  du  Roi,  décédé  à  Brest  eu  1096.  Elle  consistait  en  une 
renie  de  200  livres  sur  l'HOtel-de-Ville  de  Paris.  Elle  était  faite  à  la  con- 
dition que  )1.  Dandigné  serait  inhumé  dans  la  chapelle  de  Notre-Dame , 
dans  régUsé  des  Carmes  ;  que  deux  graod'messes  seraient  chantées  à 
son  intention  ,  à  perpétuité ,  chaque  année ,  Tune  la  veille  de  l'Assomp- 
tion de  la  Vierge,  et  Vautre  la  veille  de  la  Conception. 

Ces  deux  jours ,  les  religieux,  prêtres  du  couvent,  devaient  dire  toutes 
leurs  messes  pour  k  repos  de  Fâme  de  M.  Dandign6,  «  sous  peine,  auxdits 
religieux  présents  et  k  venir,  »>  s'ils  manquaient  de  dire  les  messes  et 
services  à  perpétuité,  d'en  répondre  sur  leurs  consciences  et  de  perdre  la 
part  des  200  livres  qui  leur  revenait  et  qui  serait  alors  donnée  à  llloâpice. 

Les  Carmes  acceptèrent  ce  legs ,  en  présence  de  M.  Desnos ,  chef 
d'e&e»dre,  ^xécutewr  l^p^enlaire  de  M»  Dandigné. 

21 


—  i62  — 

En  outre  de  ce  vaste  enclos,  ces  religieux  possédaient  aussi, 
sur  la  route  de  Brest  à  Guipatas ,  une  fort  belle  maison  de 
campagne  appelée  le  Mont-Carmel ,  qui  existe  encore. 

Toutes  ces  propriétés ,  le  couvent ,  Téglise ,  les  maisons  de 
ville,  le  jardin  et  la  maison  de 'campagne,  furent  évaluées, 
•en  ^790  ^  par  une  commission  dont  faisait  partie  M.  Trouille, 
ingénieur  de  la  marine,  à  un  capital  de  420,^66  livres  -16  sols, 
ei  en  revenu  ,  au  denier  22,  à  5,462  livres  2  sols  6  deniers. 


VIII. 
Liste  des   Prieurs  da  Couvent  des  Carmes. 


^652.  —  Lors  de  la  prise  de  possession,  le  -12^ décembre  -1652, 
de  l'église  et  de  rhospice  de  Saint-Yves  ,  ce  furent , 
comme  nous  l'avons  dit  d'après  Vabbé  Tresvaux,  trois 
Carmes  irlandais  qui  dirigèrent  la  communauté. 

^655.  —  Les  PP.  Louis  de  Saint- Joseph,  prieur. 

Clément  de  Saint  Georges,  procureur. 

1 66Î    (mars;.    —  Les  PP.  Marcel  de  Sainte-Geneviève,  prieur. 

Jacques  de  Saint-François,  sous-prieur. 
Joachim  de  Sainte-Marie,  procureur. 

^664  (octobre).  —  Les  PP.  Chérubin  de  Sainte-Marie ,  prieur. 

^679,  -^  Les  PP.  Bonaventure  de  Sainte-Thérèse,  prieur. 

Salomon  de  Saint-Nicolas,  sous  prieur. 
Victor  de  Saint-Vincent,  procureur. 


-  163  - 

4679  (octobre).  —  Les  PP.  Marion  de  Sainte-Apollinaire,  prieur. 

Hoch  de  Saint  Hyacinthe,  sous  prieur. 
Jean  de  la  Croix ,  procureur. 

4683.  —  I-.es  PP.  Salomon  de  Saint-Nicolas,  prieur. 

Timothée  de  la  Nativité,  sous-prieur. 
Jacques  de  SaintFrançois,  procureur. 

4685.  —  Les  PP.  Salomon  de  Saint-Nicolas,  prieur» 

Timothée  de  la  Nativité,  sous-prieur. 
Jacques  de  Saint  François,  procureur. 

4686.  —  Les  PP.  Casimir  de  Saint  Hilarîon,  prieur. 

Justinien^le  Sainte-Marie,  procureur. 

469L  —  Les  PP.  Tbéodose  de  Saînt-Ambroise,  prieur. 

4695.  —  Les  PP.  Casimir  de  Saînt-Hilarion,  prieur. 

Mélaine  de  Saint-Hilarion ,  procureur. 

4696.  ^  Les  PP.  Casimir  de  Saint-Hilarion,  prieur. 

Hyacinthe  de  TAssomption,  sousprieuf 
Yves  de  Saint-Samson,  procureur. 

4785.  --r  Les  PP.  F,  Elisée  de  Saint-Paul,  prieur. 

4790.  —  Les  PP.  Elisée  de  Saint  Paul,  prieur.  (<> 

Florent  de  Saint-Julien. 
Cyprien  de  Saint-François. 


(i)  Le  P.  Elisée  de.SainlrP^ul  était  proviucial  de  l'ortlre. 


ICi 


IX. 


A  la  Révolution ,  comme  tous  les  autres  établissements  reli- 
gieux ,  le  couvent  des  Carmes  fut  conÛôqué  au  profit  de 
la  nation  ;  son  église  fut  '  fermée  et  les  Pères  dispersés.  Un 
seul,  le  sieur  Ménourt,  religieux  Grand'Carme  (I),  déclara  adhérer 
entièrement  à  la  constitution  civile  du  clergé.  Nous  savons  aussi 
que  le  frère  Florentin  éniigra  en  Espagne,  où  il  mourut  probable- 
ment vers  -1807.  Ce  frère  mérite  une  mention  toute  particulière: 
c  est  à  lui  que  Von  doit  les  belles  orgues  de  Téglise  Saint- 
Louis.  Elles  coûtèrent  à  la  fabrique  80,000  livres  en  argent , 
plus  une  renie  de  250  livres  qui  fut  constituée  au  profit  de  ce 
Carme.  En  4804,  il  réclama  à  la  fabrique  de  Saint-Louis  sa  rente, 
qui  ne  Lui  avait  point  été  payée  depuis  479^  ;  il  était  encore  en 
Espagne.  On  s'empressa  de  lui  faire  passer  les  arrérages  de  la 
rente,  qu'on  continua  de  lui  solder  jusqu'en  1807,  époque 
préèlimée  de  sa  mort. 


X. 


Les  Carmes ,  avons  -  nous  déjà  dit  ,  étaient  fort  aimés  et 
estimés  à  Brest.  Nous  en  trouvons  de  nouveau  la  preuve  dans 
un  rapport  présenté,  au  mois  d'octobre  4790,.  au  conseil  général 
de  la  commune,  par  une  commission  chargée  de  répondre  à  des 
questions  adressées  à  ce  conseil  par  le  district ,  sur  la  néces- 
sité de  conserver  ou  de  supprimer  les  établissements  religieux 
de  la  ville  : 


(1)  Eo  1790,  cette  maison  qui  était  destinée  pour  24  religieux,  dont  12 
Carmes  déchaux  ou  déchaussés,  et  12  Grand'Carmes,  ne  contenait  plus 
que  12  religieux  :  10  RR.  PP.  et  2.frères  coûvers. 


—  103  — 

»  Jl  n'est  pas  on  habitant ,  dit  ce  rapport ,  qui  ne  doive  être 

•  et  qui  ne  soit  effectivement  pénétré  de  la  plus,  vive  recon^ 

•  naissance  pour  les  services  importants  qàe  cette  communauté 

•  n'a  cessé  de  rendre  ,  la  nuit  et  le  Jour,   depuis  son  établis* 

•  sèment  dans  cette  ville ,  et ,  sous  cet  aspect ,  la  commission 
»  mirait  désiré  de  trouver  des  moyens  efficaces  pour  la  conser- 
»  ver;  mais  forcée  de  céder  à  un  motif  d'4Jtilité  pins  grand 
»  encore  Xcelui  de  \enir  au  secours  des  pauvres  trop  resserrés 

•  dans  le  iocal  qu'ils  occupent) »  elle  a  cru ,  mais  avec  le  plus 

•  vif  regret,  que  la  suppression  de  cette  communauté  était  indis- 
»  pensable.  » 

Les  principales  raisons  que  faisait  valoir  la  commission  étaient  : 
la  nécessité  d'agrandir  l'hôpital  et  de  substituer  à  des  salles 
malsaines,  dans  lesquelles  on  était  obligé  d'entasser  les  malades 
et  les  enfants,  de  nouveaux  établissements  plus  spaoieux  et 
mieux  aàrés ,  dont  la  pnaimité  rendait  la  réunion  très  facile  , 
et  aussi  de  supprimer  l'hôpital  de  Recouvrance,  qui  tombait  en 
ruiifês ,  ce  qui  épargnait  les  dépenses  éqormes  d'une  reconstruc- 
tion et  diminuait  considérablement  les  frais  d'administration  (^). 


XI. 

Malgré  les  bonnes  dispositions  des  habitants  à  leur  égard , 
l'année  suivante,  ^791,  le  conseil  général  se  trouva  dans  l'obli- 
gation de  réclamer' de  FAssemblée  nationale  le  renvoi  immédiat 
des  Carmes.  Dans  sa  requête,  après  avoir  rappelé  les  motifs  sur 
lesquels  la  commission  avait,  en  4790 ,  appuyé  son  opinion  ,  il 

(4)  L'hôpital  que  Ton  Vôiilait  suppritner  à  Reconvrance  n'était  point 
celui  créé  par  les  Carmes  en  1686 ,  mais  un  autre  élevé,  pour  remplacer 
celui-là,  sur  un  terrain  situé  en  face  de  l'église  SaintrSauveur ,  doKiué  en 
1692  par  M.  et  M^  Le  Gac  de  TArmorique,  et  dont  le  comte  d'Eslrée» 
avait  posé  la  première  pierre  le  30  mai  1696. 


^  166  — 

ajoDtait  encore  :  «  Nous  avons  remarqué  dans  le  temps  que  les 
»  Pères  Carmes  étaient  d'une  grande  utilité  à  Brest,  parle  zèle 
i>  avec  lequel  ils  se  sont  toujours  portés  à  administrer  les  secoars 
»  spirituels  dans  une  ville  qui  n'a,  pour  le  côté  de  Brest,  qu'une 
»  seule  paroisse  pour  contenir  tous  les  habilans  (a).  Nous  nous 
»  sommes  plu  à  leur  rendre  à  cet  égard  la  justice  qui  leur  était 
»  due ,  et  à  manifester  le  regret  d'être  forcés  par  des  considé- 
»  rations  impérieuses  à  prononcer  leur  renvoi  ;  mais  les  temps 
»  sont  bien  changés  11!  Les  principes  connus  à  ces  religieux, 
»  opposés  à  la  constitution  civile  du  clergé,  font  de  leur  maison 
»  un  asile  où  se  rassemblent  les  prêtres  réfractaires ,  dont  les 
»  manœuvres,  qui  ne  tendent  qu'à  alarmer  les  consciences  des 
»  âmes  faibles  et  des  femmes,  ëi  à  les  éloigner  de  leurs  pasteurs 
»  constitutionnels  et  de  leur  paroissCi  ont  d^à  produit  des  scènes 
9  scandaleuses. 

»  Il  n'est  pas  nécessaire  d'entrer  dans  d'autres  détails  pour 
»  prouver  qu'il  vaut  mieux  prévenir  les  désordres  que  d'atten- 
»  dreque  déplus  grands  délits  soient  commis,  pour  les  punir.... 
»  etc.-.  etc.... 

»  On  le  voit  donc  que  dans  une  ville  aussi  intéressante,  où 
»  le  terrain  est  précieux  à  ménager,  ce  serait  un  très  grand 
»  abus  de  conserver  les  Carmes ,  quand  môme  on  pourrait  les 
»  considérer  comme  isolés  et  ne  vivant  que  pour  eux  mômes  ; 
»  mais  que  cet  abus  devient  inûniment  dangereux ,  du  moment 
»  que  leur  présence,  par  la  considération  ancienne  dont  ils  jouis- 
»  saient ,  ne  peut  que  troubler  l'ordre  public  dans  ce  qui  con- 
»  cerne  le  service  du  culte.  » 

Nous  avons  copié  presqu'en  entier  cette  requête  à  l'Assemblée 
nationale,  parce  qu'elle  fait  connaître  non-seulement  les  motifs 

(a)  «  Celle  ^considération  ,  est-il  dit  dans  une  note  ajoutée^à  la  requête., 
ferait  désirer  que  Ton  fît  de  Téglisc  des  Carmes  une  succursale  de  k 
paroisse.  » 


-*  167  — 

pour  lesquels  les  Carmes  ont  été  renvoyés  de  Brest  ;  qu'elle  peint 
le  regret  qu'on  avait  d'être  obligé  de  ne  point  les  conserver 
après  les  services  qu'ils  avaient  rendus  à  la  ville,  et  l'estime  qu'on 
avait  pour  eux  ;  mais  encore  la  nécessité  où,  en  raison  de  leur 
révolte  contre  les  lois  de  l'Etat ,  ils  mirent  la  municipalité,  par 
mesure  d'ordre  et  de  sûreté  publique,  de  réclamer  leur  expul- 
sion immédiate,  expulsion  devenue  d'autant  plus  nécessaire  que 
l'andenne  considération  dont  ils  jouissaient  était  plus  grande. 
Cette  adresse,  dans  laquelle  on  trouve  le  désir  exprimé  de  voir 
i'église  des  Carmes  devenir  une  succursale  de  l'église  parois* 
siale  de  Saint-Louis,  fut  votée  par  le  conseil  dans  la  séance  du 
8  mai  -1791.  On  arrêta  qu'une  copie  en  serait  envoyée  à  Tévêque 
constitutionnel  Expilly,  à  Quimper,  et  une  autre  au  département. 
Le  couvent  fut  fermé  immédiatement. 


XII. 


Le  vœu  émis,  en  -1790  ,  par  le  conseil  général  de  la  commune, 
de  faire  un  hôpital  du  couvent ,  ne  fut  point  mis  à  exécution. 
D'abord,  il  servit  de  prison  :  soixante  et  onze  prêtres  non  assermen- 
tés ayant  été  envoyés  à  Brest ,  par  arrêté  du  département,  du  21 
avril  -179^ ,  qui  leur  donnait  la  ville  pour  prison,  ils  furent,  par  me- 
sure de  prudence  et  de  sûreté  ,  enfermés  au  couvent  des  Carmes  , 
sur  l'ordre  de  la  municipalité  et  du  district.  Ils  n'y  restèrent  que 
quelques  mois  ;  la  loi  d'amnistie  du  ^  4  septembre  de  la  même 
année  les  fit  mettre  en  liberté.  Un  membre  du  département ,  le 
citoyen  Veller,  fui  chargé  de  leur  notifier  l'acte  d'amnistie.  Le  27 
septembre ,  accompagné  des  citoyens  Brichet  et  Berthomme,  offi- 
ciers municipaux,  il  se  rendit  au  couvent  ;  les  détenus  ,  réunis  au 
sou  de  la  cloche,  se  rendirent  à  l'église  où ,  du  haut  de  la  chaire, 
Veller  leur  donna  connaissance  de  l'arrêté  du  département  qui , 


—  168  — 

tout  en  leur  rendant  leur  liberté ,  ne  leur  permettait  pas ,  par 
mesure  d'ordre  ,  de  rentrer  dans  leurs  anciennes  paroisses. 

Un  vicaire  de  Saint*  Lonis  remercia  les  commissaires  au  nom  de 
ses  collègues.  Le  lendemain  ,  tous  ces  prôtrea  j  rendus  à  la  liberté, 
quittèrent  le  couvent  des  Carmes. 

A  peine  s'étaient-ils  retirés ,  qu'on  transforma  le  couvent  en 
caserne  pour  loger  les  défenseurs  de  la  patrie  ;  depuis  il  D*a  pas 
changé  de  destination.  Les  premiers  soldats  qui  vinrent  l'habiter, 
furent  les  volontaires  nationaux ,  appelés  pour  former  le  pre- 
mier bataillon  des  gardes  nationaux  volontaires  ,  qui  devait  être 
organisée  Brest.  Le  -10  octobre  de  cette  année  ,  ils  arrivèrent  en 
foule  ;  la  population  les  reçut  avec  enthousiasme  ;  .un  grand  nom- 
bre  furent  logés  chez  les  habitants  ,  qui  les  réclamaient  pour  les 
fêter  dans  leurs  familles  ;  on  caserna  les  autres  dans  le  couvent 
des  Carmes. 

Le  bataillon  de  Brest  et  les  deux  autres  que  deva^nt  fournir 
le  département  du  Finistère ,  étant  organisés  vers  la  fin  de  Tannée 
-1791  ,  ils  quittèrent  la  ville  dans  les  premiers  jours  de  janvier 
4792. 

XIII. 

Dès  cette  année  ,  4792  ,  les  églises  de  Brest  étant  insufiisantes 
pour  la  population  ,  on  demanda  Tautorisation  de  rouvrir  celle  des 
Carmes^  Ce  ne  fut  pourtant  que  le  2  février  4793  ,  que 'sur  le 
rapport  du  procureur  de  la  commune  \  le  conseil  décida  cette 
réouverture  ,  qui  ne  devait  pas  être  de  longue  durée.  îl  en  donna 
avis  au  district ,  en  lui  faisant  connaître  que  la  municipalité  se 
chargeait ,  «  par  inventaire ,  des  ornements,  des  vases  sacrés  et 
autres  objets  nécessaires  pour  la  déserte  de  TEglise.  » 

Bientôt  on  la  ferma  de  nouveau  et  ce  fut  alors  pour  long-tempS' 
D'abord,  en  l'an  11(4798),  le  garde  magasin  des  subsistances  de 


-  169  - 

)a  guerre  la  demanda  pour  y  mettre  ses  approvisionnements.  La 
municipalité  refusa  :  t  parce  que  la  chapelle  en  question  étant 

•  nécessaire  pour  les  assemblées  des  sections ,  il  n*était  pas  en  son 

•  pouvoir  de  la  consacrer  à  un  autre  usage,  i 

C'était  à  cette  époque  qu'on  plaçait  sur  les  églises  de  Saint* 
Louis  et  de  Saint-Sauveur  des  enseignes  portant  les  mots  :  Temple 
delà  Raison. 

En  Tan  III,  Jes  plus  mauvais  jours  de  la  Révolution  étant  passés, 
et  la  loi  du  ^^  prairial  (30  juin  ^95)  ayant  autorisé  tous  les  cultes* 
le  district  prit,  le  9  thermidor  (27  juillet),  un  arrêté  par  lequel  il 
mettait  à  la  disposition  de  la  municipalité ,  pour  les  exercices 
religieux,  l'église  des  ci-devant  Carmes.  Cet  arrêté  avait  été 
provoqué  par  une  pétition  des  habitants ,  renvoyée  au  district  par 
le  conseil  général  de  la  commune,  avec  un  avis  favorable.  Dans  cette 
pétition  les  habitants  demandaient  «  un  lieu,  à  titre  de  location  , 
«  ou  autrement  une  église,  pour  l'exercice  du  culte.  »  La  munici** 
palité  répondit  au  district,  le  ^^  thermidor  (29  juillet)  :  «  qu'elle 
»  n'avait  d'autre  but  que  de  déférer  à  ses  arrêtés  ;  mais  qu'elle 
»  était  instruite  que  ladite  église  ne  pouvait  être  évacuée  ,  attendu 
»  les  objets  qu'elle  contenait  et  les  besoins  du  service.  » 

L'arrêté  du  district  ne  put  donc  être  mis  à  exécution. 

En  Tan  IV  (1795),  l'église  fut  livrée  à  la  guerre  pour  exercer 
les  troupes  pendant  la  mauvaise  saison  ,  particulièrement  les 
sapeurs  qui  ne  pouvaient  travailler  aux  fortifications  pendant 
l'hiver.  C'était  au  mois  de  frimaire  (novembre)  que  celte  remise 
avait  lieu  ;  en  nivôse  (janvier  -1796) ,  on  y  emmagasinait  des  effets 
militaires  ;  en  ventôse  (février) ,  un  arrêté  de  l'administration 
départementale  la  mettait  tout  à-fait  à  la  disposition  de  la  guerre  , 
et  le  8  germinal  (28  mars)  ,  un  procès-verbal  constatant  l'état  de 
la  chapelle  et  de  ses  dépendances,  désormais  destinées  à  servir  de 
magasins,  était  dressé  en  présence  d'un  agent  de  l'autorité  civile  et 

22 


—  no- 
ua commissaire  des  guerres;  la  chapelle,  la  sacristie,  ledoitre 
étaient  dans  un  état  de  délabrement  complet. 


XIV, 

*  Cette  môme  année^  des  propositions  furent  faites  par  des  parti- 
culiers pour  acheter  le  couvent.  La  municipalité  s'opposa  à  la 
"•vente  ;  les  raisons  qu'elle  fit  valoir  furent  :  l'importance ,  pour  la 
guerre ,  de  conserver  la  partie  occupée  comme  magasin  ,  o  par  les 
»  comestibles  destinés  aux  défenseurs  de  la  patrie  ;  »  l'impossi- 
bilité de  trouver  un  lieu  plus  convenable  que  le  couvent  pour  le 
logement  des  troupes  et  la  nécessité,  peut  être  prochaine,  d'en  faire 
un  hôpital  pour  remplacer  celui  de  Recouvrance,  qui  venait  d'être 
évacué  pour  cause  de  vétusté  ;  «  il  serait ,  disait-elle,  de  la  muni- 
»  flcence  nationale  d'y  attacher  (à  l'hospice  de  Brest)  la  maison 
a  des  ci-devant  Carmes,  qui  n'en  est  séparée  que  par  la  rue.  » 

Cette  caserne  était  en  effet  indispensable  aux  nombreuses  troupes 
qui  venaient  à  Brest.  En  l'an  IX  ,  on  y  logea  l'armée  des  Antilles, 
de  TeXpédilion  du  général  Le  Clerc. 


XV- 


A  cette  époque ,  l'église  qui,  depuis  l'an  IV,  servait  toujours  de 
magasin,  fut  un  moment  rendue  au  culte  ;  on  la  mit  à  la  disposi- 
tion de  l'armée  espagnole  ,  commandée  par  le  général  Gravina , 
pour  y  célébrer  le  service  divin.  Quelques  prêtres  réfractaires 
furent  autorisés  à  y  officier  ;  mais  bientôt  elle  fut  fermée  de  nou- 
veau par  ordre  du  préfet,  quoique  le  maire  eût  demandé  que  cette 
église,  qui  pouvait  contenir  mille  personnes,  fût  laissée  à  la  v^lle 
pour  l'exercice  du  culte  ,  après  le  départ  de  l'armée  espagnole. 


-  171   - 

En  Tan  XI  (4803),  le  génie  militaire,  qui  en  avait  depuis  p1u> 
sieurs  années  la  jouissance  ,  la  revendiqua  comme  sa  propriété  ; 
la  municipalité  réclama  contre  cette  prétention,  et  prit  aussitôt  un 
arrêté  dans  lequel  se  trouve  le  considérant  suivant  : 

«  Considérant  que  l'église  des  Carmes,  par  la  circonscription 
»  prochaine  des  paroisses,  devient  nécessaire  pour  y  établir  une> 
»   succursale  ,  puisque  la  ville  de  Brest,  par  son  étendue  et  sa 
»  grande  population  ,  exigera  qu'il   en    soit  érigé    une ,  et  que  * 
•   cette  Eglise,  par  sa  position  et  son  éloignement  de   la  métro-  ' 
1  pôle,  est  la  seule  église  qui  convient  à  cet  objet....  etc.... 

»  Signé  :  Le  maircj  TounoT.  » 

Ainsi,  déjà  en  l'an  XI  (1803),  on  songeait  à  faire  de  l'Eglisd- 
des  Carmes  une  succursale  ou  seconde  paroisse. 

C'est  à  cette  époque  qu'elle  fut  remise  au  clergé  de  Saint-» 
Louis. 

Au  mois  de  thermidor  de  Tan  XII  (juin  4  80 A)  les  conseils 
municipaux  ayant  été  convoqués  pour  donner  leur  avis  sur  les 
circonscriptions  des  succursales ,  le  conseil  de  Brest  répondit  de 
nouveau  : 

Qu'une  église  était  insuSisante  du  côté  de  Brest,  vu  la  grande 
population  et  l'état  de  la  paroisse ,  et  que  celle  des  Carmes 
remplissait  sous  tous  les  rapports ,  les  conditions  pour  une 
succursale,  en  lui  affectant  un  arrondissement  de  territoire.  En 
conséquence,  il  suppliait  le  préfet  de  solliciter  du  gouvernement 
la  réalisation  de  ce  vœu  des  habitants  et  de  la  municipalité. 

Malgré  cette  pressante  demande ,  ce  vœu  ne  fut  point  sanc- 
tionné, et  plus  d'un  demi-siècle  devait  s'écouler  avant  que  le 
gouvernement  accordât  la  création  d*une  nouvelle  paroisse  dans 
l'église  des  Carmes. 


—  172  — 


XVI. 


Celte  église  n'est  point  ancienne  ;  elle  ne  date  »  comme  nous 
Tavons  dit,  que  de  ^748,  et  n'offre  rien  de  remarquable  dans 
son  architecture. 

D'après  M.  de  Fréminville ,  on  devrait  y  voir  une  pierre 
tombale  qui  recouvrait  rentrée  du  caveau  de  la  famille  Lars 
de  Poulrinou,  qui  a  donné  à  la  Ville  un  de  ses  maires  les  plus 
capables  :  Jacques  Lars,  sieur  de  Poulrinou,  décédé  en  4753, 
qui  fut  maire  de  Brest  de  4694  à  4718.  Cest  lui  qui  fit,  en 
4709,  construire  au  bas  de  la  Grand'Rue,  TEscalier-Neuf,  comme 
le  constate  une  plaque  de  Kersanton  incrustée  dans  le  mur 
donnant,  sur  cette  me. 

Quant  à  la  pierre  tombale ,  elle  a  été  enlevée  sans  doute , 
car  on  ne  la  trouve  plus. 

Une  seule  chose  mérite  une  mention  toute  particulière  dans 
cette  église  :  c*est  un  petit  monument  placé  jadis  au-dessus  de 
la  porte  d'entrée,  maintenant  descendu  dans  un  des  bas-c6tés, 
dans  la  travée  à  droite  en  entrant.  Ce  monument ,  beaucoup 
plus  ancien  que  TEglise  actuelle  (il  date  du  XVl*  siècle)  et  qui 
provient,  sans  aucun  doute,  de  Tantique  chapelle  de  Saint-Yves, 
démolie  en  4748,  est  une  petite  statue  en  pierre  de  Kersanton, 
représentant  un  saint  assis  dans  un  fiiuteuil.  Il  est  vêtu  d'une 
large  robe  à  capuchon  et  grandes  manches ,  serrée  à  la  taille  ; 
sur  ses  genoux  se  voit  une  bourse,  dont  il  tient  en  mains  les  co^ 
dons.  La  tôte  est  coiffée  d'un  bonnet  de  docteur  ;  malheureu- 
sement cette  tète  est  moderne.  La  statue  ayant  été  décapitée , 
probablement  à  la  Uévolution,  il  y  a  quelques  années  un  sculp- 
teur du  pays  en  a  refait  une  en  tuffeau,  à  peu  près  sans  doute, 
car  il  ne  reste  aucune  tradition  sur  cette  statue. 


-  173  — 

Sur  les  côtés  du  fauteuil  se  voient  des  écussons  armoriés  ^ 
portant  un  croissant  surmonté  d'une  molette  à  six  branches,  lut 
statue  et  le  fouteuil  sont  supportés  sur  un  cube  en  Kersanton, 
Ao-dessous  est  une  espèce  de  cul*de:lampe  sculpté  couvert 
d'ornements,  sur  le  devant  duquel,  dans  un  cartouche,  est 
gravée  en  creux  Tinscription  suivante  : 

P  :  QVILBIGNON 

MIL:V?XXXI1II 

FIST:  FAIRE:  LIMAGE. 

P:  Quilbignon 
mil  cinq-cent  trent&quatre 
fi$t  faire  l'image. 


XVII. 

Cette  statue  représente  très  probablement  Saint- Yves,  dont  P. 
de  Quilbignon  avait  fait  faire  l'image,  pour  la  placer  dans  Féglise 
de  rhospice  dédiée  à  ce  saint. 

La  bourse  ,  dont  il  tient  en  main  les  cordons ,  signe  de  sa 
charité  et  des  aumônes  qu'il  distribuait  aux  pauvres ,  ne  semble 
laisser  aucun  doute  à  ce  sujet.  11  ne  faut  point  s'occuper  de 
la  tête  qui ,  comme  nous  l'avons  dit,  est  moderne  ;  le  bonnet 
de  docteur  dont  elle  est  coififée  ne  prouve  donc  absolument  rien. 

Les  armoiries  sculptées  sur  les  c^tés  du  fauteuil  appartiennent, 
nous  le  pensons  ,  à  la  famille  des  Quilbignon.  Du  reste,  à 
qui  pourrait-on  les  attribuer,  si  ce  n'est  à  celui  qui  fist  faire 
Vimage  ? 


—  174  — 

Les  Quilbignoa  étaient  du  pays ,  ils  babitaieut  la  paroisse 
de  Saint-Pierre-QuilblgQon  et  celle  de  Plouzané.  Ils  descendaient 
d'une  ancienne  famille  bretonne ,  dont  plusieurs  membres  sont 
mentionnés  dans  les  preuves  de  V  Histoire  de  Bretagne^  de  Doa 
Horice.  Il  n*est  donc  point  étonnant  qu'ils  eussent  de  la  dé- 
votion pour  TEglise  de  Saint-Yves,  et  qu'ils  lui  eussent  fait  don 
de  cette  statue.  Il  aurait  été  fort  curieux  de  savoir  à  quelle 
occasion  ? 

D'après  le  Nobiliaire  de  Bretagne ,  de  M.  de  Courcy,  la  fa- 
mille de  Quilbîgnon  existait  en  ^  A27  ;  elle  eut  encore  des  re- 
présentants à  la  montre  de  ^5El  ;^  malheureusement  cet  ouvrage 
ne  donne  point  les  armoiries  de  cette  maison. 

Ce  petit  monument  qui ,  la  tête  exceptée  ,  est  resté  dans  un 
état  parfait  de  conservation,  est  dû  à  un  artiste  qui  ne  man- 
quait point  de  talent.  On  a  le  regret  de  ne  trouver  son  nom 
sur  aucune  des   faces  de  la  pierre. 

Si  nous  nous,  sommes  un  peu  étendu  sur  ce  sujet,  c'est 
que  cette  statue  *n*a  jamais  éJé  décrite  et  que  nous  pensions 
qu'elle  méritait  de  l'être  ,  comme  un  des  plus  anciens  monu- 
ments qui  existent  à  Brest  M.  de  Fréminville  en  a  parlé ,  il 
est  vrai ,  dans  ses  Antiquités  du  Finistère ,  mais  il  n'avait  pu 
sans  doute  la  bien  examiner ,  car  il  dit  qu'elle  représente  la 
Vierge  tenant  TEnfant  Jésus  sur  ses  genoux.  L'inscription  qu'il 
donne  est  aussi  fautive  ;  quant  à  l'opinion  qu'il  émet,  qu'elle 
provient  de  l'église  de  Notrç-Dame  de  Recouvrance  ,  nous  la 
croyons  erronée. 

XVIII. 

En  résumé ,  nous  pensons  que  cette  statue  ^  représente  Saint- 
Yves  ,  qu'elle  provient  de  Tancienne  église  de  l'hospice  ,  dédiée 
à  ce  saint  ;  que  c'est  P.  Quilbîgnon  ,   l'un  des  descendants  de 


eette  ancienne  famille  de  notre  pays,  probablement  même  celui 
qui  figurait  à  la  montre  de  1534,  qui  l'avait  fait  faire  par  un 
artiste  dont  malheureusement  le  nom  ne  nous  est  point  par- 
venu. Nous  amputerons  que  les  armoiries  des  Quilbignon ,  que 
Ton  ne  connaissait  point  encore ,  il  est  probable  ,  puisque  le 
savant  M.  de  Courcy  ne  Içs  a  pas  données  dans  son  Nobiliaire ^ 
pourraient  être, regardées  ,  d'après  les  armes  gravées  sur  les 
côtés  du  fauteuil,  comme  portant  un  croissant ,  surmonté  d'une 
molette.  Les  émaux  ou  couleurs  restent  toujours  un  mystère  , 
l'artiste  ne  les  ayant  point  indiqués  sur  la  pierre. 

XIX. 

L'église  des  Carmes  ,  dont  nous  venons  de  donner  l'histo- 
rique ,  a  été  enfin ,  par  décret  impérial  du  3^  décembre  4856, 
érigée  en  succursale  de  l'église  paroissiale  de  Saint-Louis  ;  une 
circonscription  de  territoire  lui  a  été  affectée  ;  les  lettres  de 
TEvôque  de  Quimper  et  Léon  ,  M»'  Sergent ,  en  date  du  42 
janvier  4857,  Font  élevée  ensuite  au  litre  de  seconde  paroisse 
de  Brest  ,  sous  les  noms  et  invocations  de  la  Bienheureuse 
Vierge  Marie   des  Carmes. 

L'inauguration  a  eu  lieu  le  25  janvier  de  la  même  année. 
Le  conseil  municipal  a  volé ,  dans  sa  séance  du  4  février  sui- 
vant ,  une  somme  de  40,000  francs  pour  son  installation  ;  sa 
population   s'élève  à  peu  près  à  40,000  âmes. 

Celte  paroisse  comprend  l'ancienne  ville  tout  entière  et  le  Châ- 
teau ;  elle  se  trouve  presque  circonscrite  dans  les  murailles  qui 
existaient  en  4670.  Elle  est  renfermée  dans  une  ligne  qui,  par- 
tant  de  la  porte  du  port ,  montant  TEscalier-Neuf ,  suivant  la 
rue  des  Malchaussés,  longeant  toute  la  rue  Traverse,  franchis- 
sant la  cour  de  la  caserne  des  Douanes,  coupant  le  Cours-Dajot 


-  176  — 

à  angle  droit ,  ainsi  que  Porsireia  ,  finit  à  la  mer.  Tout  le 
c6té' droit  de  cette  ligne,  jusqu'à  la  Penfeld  ,  fait  partie  de  la 
paroisse  de  Notre-Dame  des   Carmes. 


XX. 


Le  vœu  si  souvent  émis  par  les  habitants  de  faire  une  pa- 
roisse de  cette  église  ,  présenté  d'abord  en  n92 ,  ensuite  for- 
mulé par  la  municipalité  en  Tan  XI  (4803)  et  adressé  par  elle 
en  Tan  XII  (1804) ,  au  gouvernement ,  est  donc  enfin  réalisé 
après  plus  d'un  demi-siècle. 

E.  FLEURY, 

Bihliothécaire*ArclUviste  de  la  Yille. 


->•<- 


SOUVENIRS 


O  mou  vieux  Cours-d'Ajol ,  que  de  fois ,  à  miouit , 
A  l'heure  où  tout  sommeille,  où  s*éleint chaque  bruit; 
Quand  la  ramé  légère  ou  la  quille  tranchante 
D'un  canot  attardé  qui  regagne  le  port 
Fait  jaillir  dans  les  airs ,  en  pluie  étincelante , 
Les  gouttelettes  d'eau  sous  son  rapide  effort  ; 
Quand,  du  bord  des  vaisseaux,  la  cloche  en  piquant  Theure, 
Vient  un  instant  troubler  ce  silence  profond  ; 
Quand  le  frémissement  de  la  vague  qui  pleure, 
À  la  voix  du  marin,  comme  un  écho  répond  ; 
Quand  un  pâle  rayon  échappé  d'un  nuage 
Change  ta  rade ,  ô  Brest ,  eu  un  immense  écrin , 
Où  perles ,  diamants ,  i^omme  un  brillant  mirage , 
Passent  pour  reparaître  et  disparaître  enfin  ; 
Que  de  fois ,  en  suivant ,  seul ,  tes  sombres  allées , 
Mes  yeux  ont  vu  passer,  souvenir  enchanteur  l 
Les  brillantes  erreurs  à  jamais  envolées 
De  ces  jours  tout  empreints  de  joie  et  de  bonheur  !.,.. 

23 


—  178  — 

le  roc  souviens  alors  qu'enfant ,  dans  la  savane , 
Sous  les  regards  brûlanls  de  notre  ardent  soleil , 
Je  goûtais  h  longs  traits  le  plaisir,  celte  manne 
Que  Dieu  donne  aux  enfants  au  moment  du  réveil. 
Je  riais  I  Je  courais  I  J'étais  heureux  !  Ma  joie 
Eclatait  sur  mon  front  et  brillait  dans  mes  yeux  ! 
—  Et  puis ,  quand  venait  l'heure  oii  le  soleil  se  noie 
Dans  l'horizon  lointain  qu'il  dore  de  ses  feux, 
Regagnant  la  maison,  sous  la  vaste  varangue 
Qu'embaumaient  l'acacia ,  le  lys  ou  les  jasmins , 
Les  pâles  endormis ,  l'ananas  ou  la  mangue, 
Je  retrouvais  ma  mère ,  et  mes  petites  mains 
Se  joignaient  sur  son  cou  :  puis ,  après  ces  caresses 
Que  je  chérissais  tant ,  après  mille  baisers , 
De  ses  souples  cheveux,  en  défaisant  les  tresses, 
Je  lui  disais  tout  bas  mes  désirs ,  mes  pensers. 
Ensemble  nous  causions  :  k  ma  jeune  ignorance 
Elle  apprenait  comment  bien  par  délh.  les  mers 
Se  trouve  un  beau  pays  qu'on  appelle  la  France  ! 
Elle  disait  comment ,  durant  les  longs  hivers , 
D'un  manteau  blanc  et  pur,  Dieu  couvre  cette  terre  ; 
Et  que  l'eau  ne  court  plus ,  que  le  feuillage  est  mort  ; 
Que  tandis  que  le  pauvre  expire  de  misère, 
Le  riche  abrité,  lui,  de  tons  les  coups  du  sort. 
Va  de  fêle  en  plaisir  et  de  plaisir  en  fête  ; 
Dépeignant  le  printemps  ,  elle  disait  comment 
Il  succède  aux  frimas.  —  En  l'écoutant ,  ma  tête 
Tombait  sur  son  épaule.  Elle ,  alors  doucement 
Me  portait  à  ma  couche ,  et  bientôt  un  doux  somme 
Donnait  à  mon  esprit  des  songes  bien  heureux. 
Je  me  voyais  grandi ,  je  me  voyais  jeune  homme! 


—  179  — 

Ainsi  passait  ma  vie ,  et  bientôt  tous  mes  yœvm 

Furent  de  voir  la  France  à  mes  désirs  promise. 

Nos  mornes  me  semblaient  moins  beaux  que  ses  coteaux, 

La  savane  était  triste  ,  et  souvent  quaud  la  brise 

En  passant  sur  ma  tê(e  allait  raser  ks  flots , 

J'aurais  voulu  la  suivre  en  sa  course  lointaine. 

Je  voulais  voyager.  Oui ,  je  voulais  partir  ! 

L'Océan  m'appelait  et  son  humide  baleine  , 

En  efOeurant  mon  front,  me  faisait  tressaillir! 

Je  partis!  je  connus  la  France, 
Ce  cher  pays  tant  souhaité  ; 
J«  vis  la  riante  Provence , 
De  la  nature  enfant  gâté. 
Je  vis  le  doux  ciel  de  Marseille , 
Son  port  toujours  en  mouvement. 
Puis  je  vis  la  Ville  merveille , 
Paris  et  son  enivrement. 

Mais  enfin ,  je  te  vis ,  ô  Bretagne  chérie , 
Ma  seconde ,  ma  vraie ,  oui ,  ma  seule  pallie  ! 
J'aimai  tes  champs  si  verts  et  tes  ajoncs  dorés , 
Et  ta  blanche  aubépine  et  Todeur  de  tes  prés  -, 
J'aimai  tes  noirs  rochers  et  tes  arides  plages , 
Tes  tortueux  sentiers ,  tes  âpres  paysages , 
Tes  manoirs  féodaux ,  tes  huttes,  tes  abris , 
Tes  men-hirs,  tes  dolmens,  séculaires  débris. 

J*aimai  ta  lande  grise  et  tes  pieux  calvaires 
Où  tes  vierges ,  le  soir,  s'en  vont  avec  leurs  mères 
Prier  pour  les  absents ,  les  pauvres  matelots 
Exposés  aux  périls,  à  la  merci  des  flots. 
J'aimaLtes  hauts  clochers ,  leurs  tlôches  élégantes  ,  _ 
Tes  montagnes ,  tes  bois ,  tes  pentes  fatigantes  ! 
J'aimai  de  tes  galets  les  rauques  bruissements 
Qui  nous  semblent  le  choc  d'anliques  ossements» 


—  180  —  . 

Tes  grottes ,  frais  abris ,  par  les  siècles  minées 

Pour  servir  de  palais  aux  Korigans,  aux  Fées  ^ 

Ces  déchirants  sanglots  qui,  pendant  fouragan , 

Paraissent  s'exhaler  du  sein  de  FOcéan  ; 

Le  cri  des  goélands  que  nous  cache  la  brmne  ; 

Ces  larges  gouttes,  dmices  larmes  d'écume 

Doat  la  mer  vient  parfois  mouiller  nos  tristes  fronts. 

Semblant  vouloir  souffrir  parce  que  nous  souffrons. 

Oh  I  j'aimai  tout  cela ,  Breta^e  «  et  ma  tendresse 
Fut  pour  toi  désormais ,  antique  druidesse 
Qui  portes  k  ton  front,  comme  un  bandeau  d'argent , 
Les  vagues  en  rumeurs  de  ton  vaste  Océan  : 
Toi  dont  les  bracelets  sont  autant  de  rivières. 
Les  bijoux,  des  rescifs,  le  voile,  des  brouillards  ; 
Pays  des  Farfadets ,  des  sombres  Lavandières 
Dont  m'ont  parlé  tout  bas  tes  crédules  vieillards. 

Je  te  donnai  mon  cœur  et  tu  me  devins  chère, 
0  toi  qui  pour  moi  fus  une  seconde  mère  ! 
Et  maintenant ,  vieux  Brest ,  que  devenu  ton  fils , 
Parmi  tes  fiers  enfants  j^ai  choisi  mes  amis. , 
Je  t'aime ,  —  et  désormais  ma  plus  ardente  envie 
Est  de  toujours  avoir  chez  toi  drjoit  de  cité  ; 

—  Vivant ,  de  partager  de  tes  enfants  la  vie. 

—  Mort,  d'avoir  un  tombeau  par  tes  vents  fouetté. 

Juin  1858, 

Olivier  DE  LAFATE, 


OUVRAGES  LITTÉRAIRES 

OFFERTS  PAR  LEURS  AUTEURS 
A  LA  SOCIÉTÉ  ACADÉMIQUE  DE  BREST, 

Depois  sa  fondaiion  jasqa'aa  l""  Janvier  1860. 


La  Société  Académique  qui  compte,  surtout  parmi  ses  membres 
correspondants ,  quelques  auteurs  féconds  et  obligeants ,  pos- 
sède, grâce  à  eux,  une  petite  bibliothèque  qui  s'accroît  de  jour 
en  jour.  Il  est  temps  de  faire  connaissance  avec  ces  ouvrages 
adoptifequi  forment  après  tout  le ^ plus  clair  de  notre  avoir,  et 
npus  allons  les  passer  sommairement  en  revue  ;  il  s'agit ,  en 
effet,  d'une  simple  revue  plutôt  que  d'une  critique  approfondie  : 
déduction  faite  de  l'élément  historique  et  scientifique ,  ainsi  que 
des  mémoires  offerts  par  d'autres  Sociétés ,  il  m'est  resté  entre 


—  182  — 

les  mains  une  quinzaine  de  volumes ,  grands  ou  petits ,  qui 
relèvent  de  la  littérature.  Je  les  ai  lus  presque  intégralement , 
mais  je  n'en  puis  donner  une  longue  analyse ,  et  je  me  bornerai 
le  pluâ  souvent  à  quelques  indications.  J'espère,  Messieurs,  que 
le  peu  que  j'en  dirai  vous  donnera  l'envie  d'en  savoir  davantage, 
et.  que  vous  voudrez  lire  vous-mêmes  ces  ouvrages  ,  dont  tous 
les  volumes  sont  maintenant  coupés  et  dont  les  sujets  vont 
vous  être  connus. 

Bien  que  j'eusse  préféré  une  allure  plus  Ubre,  je  tâcherai  de 
rester  fidèle  au  rôle  passif  qui  m'est  imposé.  Les  convenances 
m'interdisant  la  critique  ,  l'éloge  dans  ces  conditions  serait  sans 
valeur,  et  je  m'abstiendrai,  autant  que  possible ,  de  l'une  et  de 
l'autre.  Je  prie  Messieurs  les  auteurs  de  ne  pas  m'en  vouloir , 
*et  je  ferai  valoir  comme  compensation  que  si ,  simple  rappor- 
teur,  je  parviens  à  intéresser,  tout  l'honneur  leur  en  reviendra, 
car  je  n'y  serai  pour  rien.  Au  reste,  s'il  m'arrive  par  hasard 
de  laisser  paraître  mon  sentiment  plus  que  je  ne  voudrais  , 
j'accepte  d'avance  la  responsabilité  ,  toute  personnelle ,  de  ces 
appréciations. 

On  entend  dire  tous  les  jours  que  la  poésie  se  meurt,  que 
la  poésie  est  morte  ;  il  n'en  est  rien  ;  le  culte  des  muses  est 
devenu  plus  discret  peut-être ,  mais  il  n'est  pas  délaissé.  H  est 
vrai  que  la  hiérarchie  n'est  plus  comme  autrefois  au  grand  com- 
plet ;  les  grands-prêtres  manquent ,  mais  les  lévites  abondent , 
et  si  les  premières  places  sont  vacantes,  les  rangs  inférieurs  sont 
^i  encore  vivement  disputés.  Aujourdhui ,  comme  hier  ,  les  jeunes 

•  bacheliers  rêvent  la    gloire  et  chantent  l'amour,   et  font  leur 

!f  entrée  dans  le  monde  sous  les  auspices  d'un  premier  volume  de 

S  poésies.  Souvent  rien  ne  suit  cet  essai  ;  souvent  aussi  la  voca- 

I  tion  persiste  ,  tantôt  occupant  la  vie  entière ,    tantôt  souffrant 

r  partage  avec  des  fonctions  qui  sembleraient  devoir  l'exclure. 


À 


—  183  - 

Voici  d'abord  un  exemple  de  longévité  et  môme  d'hérédité 
poétiques  ;  nous  le  devons  à  MM.  Duval ,  père  et  fils,  de  Bcllc- 
Ile-en-Mer  (Morbihan).  M.  Duval ,  père,  a  composé  sur  Jeanne- 
d*Arc  une  œuvre  à  laquelle  il  hésite  à  donner  un  nom  ,  mais 
qui  est  bel  et  bien  un  poème  épique  en  règle  :  ce  poème  est 
en  effet  divisé  en  douze  chants  ,  chaque  chant  est  précédé  d'un 
argument  ou  sommaire  ;  il  est  écrit  en  vers  alexandrins  et  roule 
fur  des  événements  mémorables  où  interviennent  les  puissances 
célestes.  Naturellement  Satan  prend  parti  pour  les  Anglais. 

€  Cependant ,  lisons-nous  dans  la  préface ,  ce  n'est  pas  par 
»  intérêt  pour  ce  peuple,  alors  catholique.  Mais  c'est  qu'étrangers 
•  et  conquérants  ,  ils  vinrent  porter  chez  nous  le  trouble  et  le 
»  désordre,  qui  servent  toujours  les  projets  de  l'esprit  du  mal.  • 
Personne  ne  s'attend  à  me  voir  faire  l'analyse  d*un  poème  épique  ; 
j'y  renvoie  les  lecteurs  et  je  me  borne  à  emprunter  quelques 
citations  à  la  préface  :  l'auteur  est  resté  étranger  à  toutes  dis- 
cussions entre  classiques  et  romantiques  ;  il  a  cherché  le  beau 
là  où  il  a  cru  le  voir;  il  n'est  pas  de  ceux  qui  croient  et 
disent  que  notre  siècle  n'aime  plus  la  poésie  :  que  de  nobles 
pensées  lui  soient  offertes,  soit  en  prose,  soit  en  vers,  il  les  sent 
vivement  et  les  recherche  ;  le  genre  épique  semble  aujourd'hui 
discrédité  ;  mais  la  mode  est  changeante,  qui  sait  s'il  n'est  pas 
près  de  revivre?  L'auteur  nous  annonce,  en  outre,  qu'il  est  sur 
le  point  de  publier  des  Réflexions  morales  et  littéraires  sur  le 
Théâtre ,  avec  quelques  œuvres  dramatiques  de  sa  composition, 
et  que  son  fils  aine  a  le  projet  de  faire  paraître  aussi  quelques* 
unes  de  ses  poésies,  la  plupart  sur  la  Bretagne.  Quant  au  poème 
qu'il  nous  livre  dès-à-présent ,  œuvre  de  longue  haleine  ,  et 
qui  ne  contient  pas  moins  de  treize  mille  et  quelques  vers  , 
l'auteur,  peu  -exigeant,  désire  seulement  que  le  lecteur  se  montre 
pour  son  héroïne  plus  clément  que  ne  le  furent  les  Anglais  , 
qui  la  brûlèrent  ;  et  pour  finir  par  où  j'aurais  dû  commencer, 


~  184  - 

en  voici  la  dédicace  :  A  la  mère  de  mes  enfants  ,  ma  dovce 
Marie  ;  à  la  Bretagne  ,   ma  patrie  ! 

M.  Duval  nous  a  adressé  aussi  son  Ode  sur  le  rétablissement 
de  la  statue  du  roi  Grallon. 

M.  Duseigneur,  qui  a  également  traité  ce  sujet,  nous  a  offert, 
;  *  en  outre,  deux  volumes  de  ses   œuvres  ,  dont  Tun  contient  un 

poème  intitulé  :  Les  Ducs  Bretons  ,  et  un  autre  poème  ,  beau- 
coup moins  étendu ,  sur  la  guerre  de  Grimée. 

Le  poème  sur  les  ducs  Bretons  a  quatorze  chants  ;  c'est  un 
poème  historique.  L'auteur,  étranger  à  tout  intérêt  de  parti,  ne 
s* est  proposé  d'autre  but  que  de  dire  la  vérité ,  en  s'eflbrçant 
de  se  conformer,  sans  toutefois  se  flatter  d'y  avoir  réussi,  à 
ce  sage  précepte  d'un  graud  poète  :  La  seule  politique ,  dans 
un  poème,  doit  être  de  faire  de  bons  vers.  Il  espère  qu'inspiré 
par  le  désir  de  consacrer  quelques  chants  à  h  mémoire  de  la 
Bretagne ,  ce  recueil  historique  sera  accueilli  avec  indulgence , 
eu  égard  d'ailleurs  à  la  rapidité  avec  laquelle  il  a  été  composé  : 
il  contient  plus  de  5,000  vers,  et  quatorze  mois  seulement  y  ont 
été  consacrés.  En  ^855,  l'auteur  eût  d'abord  l'idée  de  traiter, 
en  vue  du  Congrès  Breton,  la  question,  inscrite  au  programme, 
de  l'émigration  des  insulaires  Bretons  dans  l'Armorique.  Le 
rapporteur  ayant  cité  avec  éloge  ce  travail ,  qui  forme  le  chant 
premier  du  poème  actuel ,  M.  Duseigneur  en  élargit  le  cadre 
-  primitif,  et  célébrant  de  nouveaux  épisodes  de  rJbistoire  de  Bre- 
tagne, il  y  ajouta  treize  autres  chants. 

Rester  fidèle  à  la  vérité  historique  semble  avoir  été  sa  préoccupa- 
tion dominante.  S'il  rencontre  une  légende  accréditée,  il  la  rapporte, 
mais  en  la  donnant  pour  ce  qu'elle  vaut  et  en  exhortant  le  lecteur 
I  à  la  défiance.  Voici  par  exemple  comment,  après  le  récit  soffl- 

I  maire,  mais  authentique  des  premières  émigrations,  l'auteur  intro- 

1  duit  la  légende  de  Conan  Mériadck  : 

i 


—  185  — 

Tel   est  en  résumé  par  Tlirstoire  écJairci , 
Le  fait  incoDleslé  ;  la  fable  la  rpici  : 

Il  peint  ensuite  en  quelques   traits  ce   roi  d'Armorique ,  espèce 
de  Charlemagne  Breton 

Qui  commande ,   dit-on  ,   cent  vingt  mille  soldais  .. 

Concède  des  terrains  à  ses  compagnons  d*armes 

Et  fait  à  tout  propos  des  discours  pleins  de  charmes. 

Dans  le  pagus  de  Brest ,  sa  terre  fayorile  , 

Il  bâtit  un  castel  et ,  monarque  émérite  , 

Après  quinze  ou  vingt  ai\s  du  règne  le  plus  beau  , 

n  mourut  à  Saint- Pol  où  Ton  voit  son   tombeau. 

Mais  tout  cela  est  fort  douteux , 

et  rbistoire  romaine 

Ke  dit  pas  un  seul  mot  du  héros  écossais 

Un  Breton  ,  un  auteur  estimable  ,  Gildas  , 
Presque  contemporain   du  fait  ,  n'en  parle  pas  ; 
Aurait-il   ignoré  ce  grand  fait  historique  ? 

Ce  h*est  pas  probable  ; 

d*uu  roitelet  d*Ecosse 
Nos  chroniqueurs  ont  fait  un   héros  ,   un  colosôe. 

Et  p^ur  conclure  : 

L'histoire  n'admet  pas  un  fait  que  rien  ne  prouve  ; 
Or,  du  fait,  nulle  part  la  preuve  ne  se  trouve. 

Ce  n'est  qu'à  titre  d'exception,  et  par  égard  sans  doute  pour 
leur  caractère  sacré ,  que  M.  Duseigneur,  n'ayant  pas  d'ailleurs, 
comme  dans  le  chant  premier,  à  débattre  ici  une  question  con- 
troversée ,  a  rapporté  dans  leur  intégrité  légendaire  les  exploits 
des  Sept  Saints  de  Bretagne. 

21 


—  186  - 

Saint  Corentin ,  par  exemple ,  pêche  un  petit  poisson  dans 
une  fontaine ,  et  TofFrant  au  roi  Grallon , 

Sire ,  dil-il ,   donnez  Tordre  qu*on  le  prépare. 

Le  roi  sourit  et  son  maître  d'hôtel  se  moque,  mais  enfin  Tordre 
est  donné ,  Tordre  est  exécuté. 

El  bientôt,  par  la  grâce,  ô  merveille  accomplie  l  ' 
].a  chair  de  ce  fretin  croit  et  se  multiplie  > 
Et  chacun   tellement  en  fut  rassasié 
Qu'il  en  resta  ,  dit-on  ,  encore  la  moitié. 

Saint  Pol  commande  à  la  mer  de  reculer  et  la  mer  recule  ; 

Un  horrible  dragon 
Répandait  la  terreur   au  pa)-s  de  Léon  ; 

il  promet  de  le  réduire  et  marche  à  sa  rencontre  ; 

Du  peuple  rassemblé  quelle  fut  la  surprise 

En  voyfint ,  k  la  voix  de  Tapôtre  Breton  , 

Le  serpent  devenir  aussi  doux  qu'un  mouton  I 

L'auteur  fscoiate  ensuite  les  invasions  franques  ,  la  résistance 
de  TArmorique  aux  lieutenants  de  Charlemagne,  résistance  san- 
glante, mais  vaincue  ; 

L*Empereur  toulelois  ,   déçu  dans  son  orgueil , 
A  son  char  triomphant  n'attacha  qu'un  cercueil  ; 

puis  Tindépendance  reconquise  par  Nominoë,  les  invasions  nor- 
mandes ,  la  domination  des  Plantagenets,  et  enfin  la  guerre  de 
succession,  qui  est,  d'après  Tauteur,  la  partie  capitale  et  la 
plus  dramatique  du  poème. 


-  187  — 

Le  tumulte  des  batailles,  le  choc  des  armures ,  Te^  prouesses 
guerrières,  toutes  choses  dont  M.  Duseigoeur  ne  s'effraye  pas, 
tiennent  une  grande  place  dans  ses  récRs  comme  dans  l'époque 
qui  en  fait  le  sujet.  Dans  son  poème  sur  la  guerre  de  Crimée, 
elles  régnent  sans  partage  ;  les  canons*  grondent ,  les  obusiefs^ 
tonnent  : 

La  guerre  a  déployé  sa  magnifique  horreur 

De  la  place  soudain  cinq   cents^  pièces  répondenl  ; 
Une  grêle  de  fer  sort  de  leurs  flancs  d'airain  ; 
Boulets  ,  bombes ,  obus  labourent  le  terrain , 
Bondissent  sur  le  roc  ,  ou  dans  les  airs  éclatent. 
Sous  leurs  -coups  redoublés  lès  murailles  s*aballent , 
Les  canons  démontés  penchent  sur  leurs  affûts.... 
Les  tonnerres  humains  tout-à-^oup  se  sunt  tus. 
Mais  dans  Sébastopol  Forage  recomm^ce  , 
Plus  terrible  ,   plus  loog  !...»«. 

Mais  enfin  la  brèche  est  ouverte,  MaFakoff  pris  ,  les  Russes 
refoulés ,  et  le  succès  rime  toujours  avec  le  nom  Français. 

L'auteur  évoque  en  terminant  le  fantôme  des  soldats  de^ 
VEmpire ,  ^ui  lut  obéissent  et  sortent  de  leurs  tombeaux 

Avec  leurs  poitrines  blessées 
Couvertes  de  poudreux  lambeaux  : 
De  vos  demeures  ténébreuses 
Accourez ,  ombres  valeureuses 
Des  guerriers  morts  k  Marengo  ! 
Un  chef  au  front  pensif  et  sombre 
Conduit  ces  bataillons  sans  nombre 
Qui  suivaient  ses   pas  triomphants  ; 
Ils  viennent  sur  ce  sol  qui  Iremblev 
Hs  viennent  célébrer  ensemble 
Lliéroïsrae  de  leurs  enfants. 


-m  - 

Le  deuxième  volume  est  un  recueil  d'Odes  historiques  que 
M.  Duseigneur ,  ccf^ant  aux  sollicîtalions  de  quelques  amis ,  et 
encouragé  par  Fopinion  de  quelques  hommes  éclairés ,  a  publiées 
en  -IS48,  Il  a,toujoure  essayé,  dans  ces  odes^  de  faire  prévaloir 
ce  principe  î  que  la  poésie  n'est  pas  dans  la  forme  des  idées, 
mais  dans  les  idées  elles-mêmes.  Si  de  nos  jours ,  la  voix  des 
poètes  est  moins  écoutée  j  n'est  -  ce  pas  parce  qu'ils  se  sont 
détournés  du  vrai  bat  de  la  poésie,  celui  d'ôtre  utile  à  Thuma- 
nilé?  Des  rêveries  mystiques,  de  fades  strophes  sur  les  vierges 
du  vallon ,  sur  les  grèves  désertes  et  sur  les  mines  des  vieux 
châteaux,  tel  est  le  sujet  de  leurs  interminables  rapsodies. 

J'avoue  que  ces  déclarations  m'avaient  un  peu  alarmé.  En 
effet ,  l'utilité  ne  me  semble  pas  devoir  être  le  but  suprême 
de  la  poésie  ;  les  idées  utiles ,  c'est-à-dire  pratiques,  sont  même 
rarement  poétiques-;  les  idées  neuves  et  qui  n'ont  jamais  servi 
sont  très  rares,  surtout  en  poésie,  et  le.  génie  lui-môme  se 
borne  le  plus  souvent  à  rajeunir  en  les  marquant  de  son  em- 
preinte ,  des  idées  qui  circulent  dans  le  monde  depuis  bien 
}ong-temps  ;  et  q^ant  aux  sentin^ents  ,  qui  sont  lûen  ^ussi  sans 
doute  an  des  éléments  de  la  poésie ,  leur  domaine  est  encore 
plus  limité ,  plus  exploré ,  et  ce  ji'est  qu'à  la  longue  qu'ils 
changent  de  caractère  ou  plutôt  d'accent  ;  néanmoins ,  toutes 
les  fois  que  ïa^poésie  les  exprime  avec  sincérité  et  éloquence , 
nous  sommes  tout  oreilles  et  nous  y  prenons  plaisir  comme  à 
CCS  vieux  airs  plaintifs  qu'on  ne  se  lasse  jamais  d'entendre.  Je 
me  demandais  comment  la  poésie  pourrait  faire  aujourd'hui  pour 
renoncer  aux  prétextes  habituels  de  ses  rêveries ,  les  vallons , 
les  grèves  désertes,  les  ruines  ;  comment  en  un  mot  elle  pour- 
rait se  passer  de  la  nature  et  des  souvenirs.  Pour  me  rassurer 
pleinement,  il  m'a  suffi  de  parcourir  les  divers  titres  des  Odes 
historiques  :  Le  Poète,  Méditations ,  Adieu  à  l'Armorique, 
Souvenir^  Croyance  et  Doute  ^  de  V Avenir  des  Chemins  de  fer. 


—  180  — 

à  M"^  Ravhelj  la  Fêle  des  âmes  y  etc....  En  les  lisant,  je  me 
suis  aperçu  que  j'élais  en  pays  de  connaissance.  Ainsi  M.  Dusei- 
gneur  ne  se  fait'  pas  de  la  mission  du  poète  sur  la  terre  une 
moindre  idée  que  M.  Victor  Hugo  lui-môme  :  Le  poète 

est  empereur  ;   sa  couronne 
Est  faile  des   lauriers  qu'il  sème  aulour  de  lui. 
Il  est  plus  qu'empereur  ,  sur  la  terre  il  est  Dieu  ! 

Lamartine  ne  professe  pas  plus  de  prédilection  pour  les  nuits 
étoilécs,  pour  les  flots  murmurants  : 


ùh  !   que  j'aime  la  nuit  quand  brillent  les  étoiles 

.  Quand  un  pâle  croissant  à  rOnent  se  lève , 
Quand  le  flot  jette  seul  aux  échos  de  la  grève 
Ua   son  triste  et  confus. 

.L'âme  alors  s'abaudonne  aux  douces  rêveries  , 
Aux  molles  voluptés  d'un  amour  à  venir...  . 

Il  semble  qu'à  cette  heure  où  tout  dort  ,  tout  s'oublie  , 
Loin   du  bruit  des  cités  ,   sous  ces  astres  rêveurs  , 
La  voix  des  nuits  murmure  k  votre   âme  assoupie 
Des  chants  consolateurs. 

Dans  l* Adieu  à  VArmorique ,  l'auteur 

prêt  à  quitter  sa  Bretagne  chérie , 
3on   ciel  gris ,  ses  vallons  ,  sa  molle  rêverie  , 

salue  tristement  le  pays  natal  plein  de  souvenirs, 

Les  grèves  ,  murs  d'airains  ,  les  mers,  bruyapts  abtrpes  ; 

il  n'oublie  même  pas  Tabbaye  croulante  de  Saint-Mathieu 

Ni   le  grand  château  fort ,  poétique  ruine , 

Bàli  comme  un  nid  d'aigle  au  bord  de  la  colline. 


—  190  — 

C'est  un  sentiment  plus  tendre  encore  qui  a  inspiré  l'élégie 
intitulée  Souvenir  : 

Même  dans  mon  sommeil ,  ton  image  chérie 

Se  môle  en  souriant  k  chaque  rêverie. 

Dans  mes  nuits  de  douleur,  —  car  ma  vie  est  bien  sombre, 

Ton  doux  regard  luit  comme  une  étoile  dans  Tombre  y 

Comme  un  rayon  doré  dans  un  ciel  nébuleux. 

Ainsi  se  trouvent  heureusement  démenties  les  craintes  que  la 
préface  nous  avait  fait  concevoir  ;  Fauteur,  comme  ses  devan- 
ciers, chante  les  beautés  de  la  nature  et  même  celles  de  la 
création  ;  il  s'abandonne  parfois  à  de  mélancoliques  rêveries ,  il 
aime  les  grèves  désertes  et  il  sait  comprendre  les  ruines.  Mais  je 
me  hâte  de  le  reconnaître,  sa  lyre  possède  aussi  &es  cordes 
d'airain  qui  rendent  sous  ses  doigts  de  mâles  accords.  J'en 
trouverais  de  nombreux  exemples  dans  l'ode  sur  la  Révolution 
de^S30,  dans  l'ode  à  V arbre  de  Liberté^  dans  celle  qui  a 
pour  titre  le  doigt  de  Dieu,  où  la  monarchie  de  Juillet  est 
représentée 

adaptant  des  moteurs  rétrogrades 
Au  wagon  du  progrès  qui  ne  recule  pas. 

Mais  ces  odes  datent  des  jours  orageux  de  -1818;  l'une  entre 
autres  est  adressée  au  citoyen  L.,  façon  de  parler  que  l'usage 
n'a  pas  maintenue ,  et  elles  ont  peut  -  être  un  caractère  trop 
politique ,  bien  que  cette  politique-là  soit  de  l'histoire'ancienne, 
ce  qui ,  pour  le  dire  en  passant ,  justifie  aujourd'hui  le  titre 
d'historiques  qu'elles  reçurent  il  y  a  dix  ans.  Je  puis  toutefois 
indiquer,  au  moins  à  titre  de  rêveries,  ce  que  l'auteur  entrevoit 
dans  l* Avenir  des  Chemins  de  fer  : 

On  verra ,   réunis  sous  les  mêmes  bannières  , 
Oubliant  leur  passé  ,   grandir  les  peuples  frères 
A  Tombre  du  génie  et  de  la  liberté. 


_  191  — 

Ainsi  s^accompliront,  lentement  amenées  , 

Sans  trouble  et  sans  combats ,  les  hautes  destinées 

D'un  monde  tout  entier  soumis  aux  mômes  lois. 

Je  puis  aussi  signaler,  dans  la  Fête  des  Ames ,  quelques  strophes 
prophétiques  commençaat  par  celle-ci  : 

Invincible  ,  mais  toujours  juste  , 
N'écoutant  que  l'appel  auguste 
Du  droit  et  de  Thumanité  , 
C'est  aux  nations  alarmées 
Sous  un  joug  barbare  opprimées 
Que  la  France  avec  ses  armées 
Saura  rendre  la  liberté. 

Et  alors  ,  s*autorisant  sans  doute  d'un  exemple  que  Musset  lui- 
même  nous  a  donné ,  l'auteur,  comme  si  rien  de  glorieux  ne 
devait  s'accomplir  sans  qu'ils  y  fussent  associés,  réitère  son 
évocation  favorite  aux  soldats  de  l'Empire  qui,  toujours  dociles, 
sortent  de  leurs  tombeaux, 

Avec  leurs  poitrines  blessées 
Couvertes  de  poudreux  lambeaux  : 

De  vos  demeures  ténébreuses 
Accourez ,   ombres  valeureuses 
Des  guerriers  morts  k  Marengo. 

Un  chef  au  front  pensif  et  sombre 
Conduit  ces  bataillons  sans  nombre 
Qui  suivaient  ses  pas   triomphants. 

Enfin,  dans  les  notes  relatives  à  Tode  sur  les  Pyramides^  je  trouve 
une  lettre  adressée  à  Fauteur  par  M.  de  Persigny,  alors  détenu  po- 
litique. M.  de  Persigny  avait  écrit  un  mémoire  très  remarqué,  oi) 


~  192  — 

il  présentait  de  nouvelles  hypothèses  sur  la  destination  de  ces 
mystérieux  monuments.  Dans  sa  lettre ,  très  flatteuse  pour  M. 
Duseigneur,  notre  futur  ambassadeur  le  félicite  du  noble  senti- 
ment qui  lui  inspire  pour  un  infortuné  des  éloges  sans  doute 
excessifs  et  se  défend  avec  une  modestie  spirituelle  de  voir  son 
nom  figurer  à  côté  de  celui  des  Colomb  et  des  Calilée,  et  d'êire 
si  aisément  comparé  à  Thésée  sortant  du  labyrinthe  ou  à  Alexan- 
dre tranchant  le  nœud  gordien. 

Après  les  poèmes,  après  les  odes,  voici  des  élégies  ;  elles  sont 
de  M,  Gestin  et  portent  ce  titre  :  Premiers  essais.  Le  titre  est 
modeste ,  et  il  n*y  a  point  de  préface.  Çn  tète  seulement  figure 
rinitiale  d'un  nom  qui  rappelle  à  Tauteur  un  premier  amour,  dont 
le  souvenir,  mêlé  de  regrets,  était  encore  très  vif  en  i  857,  Il  est 
difficile  de  parler  de  ces  choses  là  sans  les  profaner  un  peu , 
mais  Tauteur  ne  saurait  s'en  plaindre  :  qaand  les  secrets  du 
cœur  ont  été  livrés  à  Timpression,  il  est  bien  tard  pour  essayer 
de  les  reprendre. 

Dans  ce  recueil  règne  une  inspiration  facile,  abondante,  dont 
les  sentiments  naturels  au  jeune  âge  font  tous  les  frais.  Ce  n*est 
pas  M.  Gestin  qui  ferait  peu  de  cas  des  grèves  solitaires ,  des 
ruines  couvertes  de  lierre,  et  encore  moins  des  vierges  du  vallon. 
11  n'a  d'autre  ambition  que  de  fixer  des  souvenirs  joyeux  ou 
tristes  dans  des  stances  harmonieuses  qu'il  se  plaît  à  relire  : 

Que  dites-vous  pourtant,  pauvres  vers  ?  peu  de  choses  I 
Vous  parlez  du  printemps  ,  de  la  brise  et  des  roses 

Des  fieurs  et  du  soleil  ; 
Vous  chantez  bien  plus  mal  ce  qu'ont  chanté  tant  d'autres  ; 
Mais  de  tous  les  enfants  ne  sont-ce  pas  les  noires 

Que  nous  aimons  le  mieux  ? 


—  193  — 

9 

Ce  n'est  pas  cependant  qu'il  n'ait  jamais  rêvé  la  gloire  ;  ce 
iierait  sans  exemple  : 

Je  yeux  que  ton  doux  nom  soit  grand»  plus  grand  encore 
Que   celui  de  Délie  et  que  celui  de  Laure 

Je  rêvais  Béatrlx  et  je  rêvais  le  Danle. 
Mais  ce  n'est  là  qu'un  vœu  passager,  et  il  n'ignore  pas  d'ailleurs 
que  la  Renommée  est  femme,  c'est-à-dire  capricieuse,  et  que  le 
meilleur  moyen  d'attirer  ses  regards  c'est  de  ne  rien  faire  à 
son  intention.  Au  reste ,  si  les  noms  de  Laure  et  de  Béatrix 
sont  immortels»  cela  tient  à  la  fidélité  de  leurs  amants  non  moins 
qu'à  leur  génie.  Mais  le  génie  et  la  constance  sont  de  nos  jours 
plus  rares  que  jamais.  Il  est  vrai  qu'un  premier  amour  ne  laisse 
pas  d'ordinaire  des  traces  si  durables  :  ce  qui  enivre  l'adoles- 
eent  c'est  ce  sentiment  même  qui  a  encore  tout  le  charme  de 
l'inconnu;  la  femme  qui  l'inspire,  ou  plutôt  qui  en  est  le  pré- 
texte  n'a  que  la  seconde  place  dans  ses  pensées.  Plus  tard,  au 
contraire ,  le  cœur  ne  se  livre  qu'à  bon  escient  ;  moins 
pressé  de  se  pourvoir ,  il  est  plus  libre  dans  son  choix 
et  par  suite  moins  excusable ,  s'ii  devient  infidèle.  Cepen- 
dant notre  jeune  poète  me  permettra  de  le  mettre  en  garde 
contre  ses  tendances  éciecliques  :  je  n'en  veux  pour  preuve  que 
la  variété  d'initiales  et  l'uniformité  de  dates  qui  régnent  dans  ces 
élégies;  les  dates  ne  diffèrent  entr' elles  que  par  le  mois  où  le 
jour,  ce  qui  fait  de  4857  une  année  sans  doute  exceptionnelle. 
k  défaut  de  cet  indice ,  il  est  question  ici  de  cheveux  noirs  , 
là  de  tresses  blondes  et  autres  attributs  non  moins  divers. 

Cette  fière  jeune  fille,  objet  dun  amour  qui  n'osa  môme  pas 
se  révéler,  a  dû  soupirer,  j'imagine,  en  trouvant  ce  doux  repro- 
che dans  le  recueil  qui  lui  est  dédié  : 

Tu  ne  m'as  pas  compris.  Depuis  i*ai  bien  souffert  ; 

J'ai  vu  mon  espérance  avec  ses  beaux  mensonges     • 

S'envoler  loin  de  moi ,  laissant  mon  cœur  désert. 

25 


Mais  n'a-t-elle  pas  regretté  ce  bon  mouvement  en  lisant ,  quel- 
ques pages  plus  loin  ces  vers  hardis^  qui  témoignent  de  progrès 
rapides  ? 

Il  ne  sera  pas  dit  que  j'aurai  sur  ta  joue 

Posé  mes  lèvres  un  moment , 
Qu'à  tes  longs  cheveux  noirs  où  la  brise  se  joue 

J'aurai  (  souvenir  trop  charmant  ) 
Entremêlé  les  miens  en  pressant  ta  main  blanche, 

Sans  qu'une  strophe  éclose  au  cœur 
Ne  soit  venue  ici  fleurir  ,  pMe  pervenche , 
Qui  me  rappellera  cet  éclair  de  bonheur  ! 

Âura-t-elle  songé  sans  dépit  qu'il  s'agissait  encore  d'un  autre 
nom  dans  cette  strophe  ? 

Curieuse  I  tu  veux  connaître 

Ce  que  j'écrivais  à  l'instant 

Sur  le  tronc  blanchi  du  vieux  hêtre. 

Je  n'ose  pas ,  ma  belle  enfant, 

Rejeter  ton  vœu  téméraire 

Et  dire  non  : 
Ce  que  je  gravais  solitaire. 

C'était  ton  nom. 

Ses  regrets  ont  dû  s'adoucir  en  arrivant  à  une  lettre  dont  l'adresse 
n'a  sans  doute  rien  de  commun  avec  ce  qui  précède  et  dont 
voici  le  début  : 

Tu  sais  que  vendredi  j'attendais  une  lettre 

De  toi*  -^  De  grand  malin  aussi  vins-je  me  mettre 

A  l'affût  du  facteur. 

Quoi  qu'il  en  soit ,  elle  aura  volontiers  pardonné  en  reconnais- 
sant qu'aucune  autre  n'a  su  comme  elle  inspirer  le  jeune  poète, 


—  i95  - 

et  que  sans  atteindre  au  rang  de  Laure  ou  de  Béatrh  ,  il  est 
encore  assez  beau  d'être  la  sœur  cadette  d'Elvire. 

Les  derniers  vers  que  j*ai  cités ,  bien  qu'ils  figurent  dans  une 
pièce  où  rémotion  est  parfois  sincère,  appartiennent  à  un  genre 
mis  en  honneur  par  les  Contes  d'Espagne  et  â^ Italie^  mais  dont 
il  n'est  pas  facile  de  faire  usage.  L'esprit  seul  peut  faire  par- 
donner la  désinvolture  de  la  pensée  et  de  la  forme  ,  et  cette 
libre  allure  exige  une  grâce  dont  tous  les  talents  ne  sont  pas 
capables,  sans  être  forcés.  Je  comprends  à  la  rigueur  qu'on  se  ' 
fasse  un  jeu,  par  exemple,  de  soutenir  une  conversation  rimée , 
et  que,  par  gageure,  on  essaye  de  faire  autre  chose  que  de  la 
prose  en  disant  :  Nicole ,  apportez-moi  mes  pantoufles;  mais 
la  poésie  n'y  est  pour  rien  ,  et  ces  récréations  ne  méritent  pas 
l'immortalité. 

Voici  des  vers  écrits  au  lit  : 

Donc  je  suis  dans  moli  lit  ;  j*ai  les  pieds  chauds  ;  je  fume  , 

Et  dans  très  peu  de  temps  je  pourrai  m'endormir 

Tout  calculé ,  je  crois  qu'à  raison  je  préfère 
Le  plancher .  où  la  vache  et  d'autres  animaux 
Paissent  en  liberté  —  plus  ou  moins.  —  L'onde  amère 
A  ses  désagréments.  Des  légions  de  maux 
Y  viennent  vous  vexer.  —  Au  baûc  de  Terre-Neuve 
Surtout.  —  <iael  banc ,  grand  Dieu  !  lorsqu'arri?e  l'hiver  l 
Si  vous  ne  m'en  croyez ,  allez-y  :  c'est  ouvert 
A  tout  le  monde. 

Ces  vers  sont  à  coup  sûr  très  faciles ,  et  ils  le  sont  de  parti 
pris,  car  M.  Gestin  sait  se  donner  quand  il  veut  le  mérite  de  la 
difficulté  vaincue  ,  témoin  ces  strophes  écrites  dans  le  rhythme 
de  Sarah  la  Baigneuse  : 

Voyez  comme  la  tarlane  - 

Se  pavane 
En  fendant  le  flot  vermeil. 


—  19e  — 

1         Oir  dirait  là  Jeuae  fiHe^ 

Qui   frétille  ., 

Vh  beau  dimanche  au  soleils  ^i^: 

Des  mers  c'est  la  demoiselle  , 

Verte  et  frêle,  .-^J.:.'-- 

Au  corsage  gracieux  , 
Qui  folâtre  dans  l'espace 

Et  qui  passe 
Comme  un  doux  rêve  k  nos  yeux, 

.  Voici  pourtant  que  je  préfère  t 

Vois  donc  TOcéan  se  marbrer  d'écume  l 
Ne  dirais-tu  pas  ,  à  travers  là  brume  , 
Un  drap  mortuaire  aux  larmes  d'argent  f 
Les  phares  Ik-bas ,   au  sein  des  ténèbres  , 
Brillent  comme  foot  les  lampes  funèbres 
Qui  jettent  aux  morts  leur%  reflets  changeante. 

Et  pour  clore  les  citations  t 

Si  quelqu'un  hous  eût  dit  que  ces  rêves  si  chers 

Eclos  sous  les  étoiles , 
S'en  iraient  comme  au  loin  disparaissent  des  voiles 

Dans  l'horizon  des  mers; 

Que  notre  cœur,  rempli  d'enivrantes  pensées, 
Se  serait  trouvé  vide  ,   et  que  dans  l'avenir 
Il  ne  nous  resterait  qu'un  pâle  souvenir 
De  nos  félicités^  passées  ^ 

Mensonge ,  eussions^nolis  dit  !... 

Sî  M.  Gestin  me  reproche  d^avoir,  dans  ce  rapide  examciïf 
hasardé  quelques  jugements  et  môme  quelques  conseils  à  son 
adresse,  je  n'alléguerai  pour  excuse  que  ma  sympathie  pour  soiï 
jeune  talent  et  le  plaisir  que  m'ont  donné  quelques-uns  de  ses  vtrÉ* 


—  197  — 

Je  ne  dirai  qu'un  mot  d'une  espèce  de  salire  dialoguée  qui 
porte  pour  titre  :  Les  deux  Propriétaires  ,  et  pour  nom  d'au- 
tour Auguste  Galimard.  L'auteur  voudrait  voir  la  concorde 
rétablie  entre  propriétaires  et  locataires  ;  il  fait  appel  au  patrio- 
tisme des  uns  et  des  autres ,  et  s*adressant  plus  directement  aux 
locataires,  il  tâche  de  leur  prouver  que  leurs  ennemis  naturels 
ne  sont  pas  si  terribles  qu'on  le  dit  ^  et  il  les  invite  à  écouter 
une  conversation  entre  deux  propriétaires  causant  d'affaires 
pendant  trois-quarts  d'heure  c  sans  pour  cela  cesser  de  se  con* 
duire  en  chrétiens.  On  remarquera  même^  ajoute-t-il,  avec  quelle 
charmante  naïveté  nos  personnages  s'écartent  de  la  question.  » 

En  effet ,  nos  deux  propriétaires  se  rencontrent  au  Musée  du 
Louvre  ;  ce  sont  deux  frères ,  mais  deux  frères  utérins  :  l'alné 
a  pour  père  un  meunier,  et  n'est  lui-môme  qu'un  simple  vigne- 
ron, taudis  que  le  cadet  descend  d'ancêtres  illustres  , 

Dont  plus  d'une  licorne  orna  le  fier  cimier, 

ce  qui  ne  l'empêche  pas  d'être  avocat,  et  môme  d'en  abuser.  Ce 
propriétaire-avocat  a  conçu  un  projet  merveilleux ,  mais  il  n'est 
pas  facile  de  le  lui  arracher  ;  il  aime  mieux  causer  de  choses 
et  d'autres  ,  de  Duguesclin  et  de  Mac-Adam  ,  de  Sparlacus  et 
de  Bradamante.  Quant  à  son  frère ,  le  vigneron  ,  son  rôle  est 
bien  simple;  il  répète  avec  quelques  variantes  :  mais  revenons 
à  nos  moutons.  A  la  fin  le  fameux  projet  s'exhale  dans  un 
couplet  : 

Unissons-nous  propriétaires , 

Augmentons  nos  locataires  , 

Augmentons ,   augmentons 

Le  loyer  des  maisons. 

U-dessus  ,  le  vigneron  plus  clément  ,  fait  appel  aux  senti- 
ments de  l'avocat ,  lequel  fait  amende  honorable  et  se  déclare 
satisfait  d'avoir  parlé  pendant  trois-quarls  d'heure  pour  ne  rien 


-  198  — 

dire.  Je  souhaite  que  tous  les  lecteurs  soient  aussi  patients 
que  le  vigneron,  et  tous  les  propriétaires  aussi  accommodants 
que  l'avocat  ;  mais  je  doute  que  Tauteui'  ait  réussi  à  réconci- 
lier ces  derniers  avec  les  locataires ,  qui  certainement  aimeront 
encore  mieux  subir  leurs  exigences  que  Iwirs  conversations.  Ceci 
soit  dit  sans  rien  conclure  contre  le  talent  de  M.  Auguste  Gali- 
mard ,  lequel  est  sans  doute  un  homme  d'esprit ,  qui  a  voulu 
jouer  un  tour  au  public. 

Avec  M.  Guîcbonde  Grandpont,  nous  revenons  à  la  poésie  héroï- 
que ;  ses  Gloriœ  Navales  sont  des  odes  historiques,  sans  contredit, 
et  de  plus  des  odes  latines  :  Gloriœ  Navales,  odœ ,  cum  pra- 
fatione',  notis,  isographiâ  et  qiAorumdam  numismatum  descrip- 
Uone ,  Auetore  A.  Guiishon  de  Grandpont ,  divionemi.  Bien 
que  le  latin  de  Fauteur  soit  à  la  portée  de  tout  le  monde ,  je 
suis  heureux  de  trouver  en  tête  du  recueil  une  préface  écrite 
en  français  ,  et  je  m'y  arrête ,  afin  de  ne  pas  glisser  trop 
légèrement  sur  un  ouvrage  qui  accuse  autant  d'opiniâtreté  que 
de  défdntéressement  dans  le  culte  4e  l'art. 

En  publiant  ces  Odes ,  qu'il  veut  bien  appeler  a  détranges 
loisirs ,  i  M.  Guichon  de  Grandpont  i  se  flatte  de  concoorir 
à  la  popularité  de  la  Marine  en  France,  i  sans  se  dissioialer 
qu'une  telle  prétention  «  doit  sembler  à  beaucoup  de  gens  le 
»  plus  étrange  des  paradoxes.  G'est  toutefois  dans  cet  espoir 
»  qu'ont  été  faites  de  loin  en  loin^..  les  odes  réunies  dans  ce  petit 
livre.  »  Seul  encore  au  milieu  de  la  lice  qu'il  vient  d'ouvrir, 
il  y  appelle  des  émules  et  entrevoit  le  jour  où  les  chants  latins 
à  l'honneur  de  nos  gloires  navales  formeront  comme  un  con- 
cert :  •  Quand  tout  aspirant  de  la  marine,  tout  officier  de  l'un 
•  des  corps  de  l'armée  navale  pourra  lire  dans  la  langue  de 
n  ses  études ,  dans  la  langue  d'Horace  ,  dans  la  langue  univer- 
»  selle  dû  christianisme,  l'éloge  de  ses   illustres   modèles ,  je 


-  i9fï  - 

»  m'honorerai  toujours  de  ces  faiWcs  préludes  >  par  lesquels  il 
»  m'est  doux  d'élever  aujourd'hui  la  première  voix.   » 

Au    reste  ,  Fauteur  obéit  à  la  vocation  :  «  enclin  des  Ten- 
1  fance  à  jouer  avec  les  formes  gracieuses  de  la  pensée  ,  » 

(  Quiquid  tentabam  dicere  versus  erat  ) 

il  •  s*est  délassé  par  cette  composition  des  travaux  administra- 
is tifs  auxquels  il  s'est  voué  depuis  vingt-six  ans  ;  et  il  ne  s'est 

»  jamais  permis  ce  délassement  aux  heures  du  service » 

La  poésie,  en  effet ,  exige  le  recueillemept ,  et  puis  le  Gradus 
ad  Parnasstim  n'est  pas  un  livre  portatif,  •  L'activité  et  l'utilité 
1  modestes  de  sa  vie  officielle  sont ,  Dieu  merci  I  assez  connues 
B  pour  qu'il  puisse  avouer  le  culte  des  Muses ,  sonvent  et  non 
B  sans  raison  compromettant  pour  ses  adeptes.  »  Et  comme 
si  ce  passe-temps  ,  très  permis,  pouvait  lui  laisser  encore  quel- 
ques scrupules ,  il  accutille  cette  idée ,  que  •  la  patience  étant 
1  une  des  vertus  les  plus  essentielles  ,  les  plus  nécessaires , 
»  surtout  à  un  administrateur  de  la  Marine  ,  i  il  en  aura 
donné  i  après  tout,  un  exemple  qui  ne  peut  que  tourner^ 
«  à  l'avantage  du  service.   » 

«   Rassuré    par  ma  conscience    sur   l'appréciation   qui  sera 

»  faite  de  mes  intentions  patriotiques je  suis  loin  de  l'être 

»  également  sur  le  succès.   Reconnaissant    toute    la    hardiesse 

»  de  ma  tentative,  je  pressens  que  j'ai  dû  laisser  échapper  des 

i  fautes,  des  négligences....  Me  voilà  donc  pieds  et  poings  liés.... 

>  devant  les  maltreâ,  les  disciples,  les  juges  de  l'art,  de  lapro- 

>  sodie  et  de  la  grammaire  ,  pauvre  oublieux  depuis  trente 
»  ans  de  leurs  préceptes  et  de  leurs  rigueurs.  Peut-être  bientôt 
»  leur  dirai -je  avec  Ovide  : 

»  Parce  pater  ,  nunquam  versiOcator  ero  ] 


-  200  — 

•  Mais  en  ce  jour  il  me  faut  atteodre  de  pied  ferme  les  fou- 
»  dres  encourues  par  ma  présomptueuse  entreprise.  Les  héros 
i  que  je  célèbre  me  désavoueraient ,  si  je  ne  soutenais  jas- 
»  qu'au  bout  la  témérité  que  je  leur  ai  empruntée. 

»  N'espérant  pas  désarmer  la  critique,  je  vais  loyalement  au 
»  devant  de  ses  coups ,  en  rappelant  ici  les  modèles  que  je 
»  me  suis  proposés  et  les  règles  de  versification  que  j'ai  dû 
»  suivre.   » 

Vient  ensuite  le  tableau  des  divers  mètres  employés  par 
l'auteur ,  chose  indispensable  pour  la  plupart  des  lecteurs  à 
qui  leurs  souvenirs  de  rhétorique  ne  suffiraient  pas  pour  se 
reoonnaitre  dans  cette  prosodie  assez  compliquée;  occupés  de 
bien  d'autres  affaires,  sinon  plus  graves,  au  moins  plus  actuelles, 
ils  ont  depuis  long-temps  perdu  de  vue  FArchiloquien  et  l'As- 
clépiade  ,  et  de  toutes  ces  vieilles  connaissances  rhexamètre 
seul  leur  est  resté  familier  ;  encore  est  ce  beaucoup  dire.  L'idée 
dC'  ce  tableau  est  donc  heureuse  :  il  rendra  plus  attrayante  la 
lecture  des  Gioriœ  Navales  en  permettant  d'apprécier  tout  le 
mérite  de  la  difficulté  vaincue  ;  et  le  facile  contrôle  dont  il 
pourrait  armer  une  critique  vétilleuse  tournera  lui-môme  à  la 
gloire  de  l'auteur,  si,  comme  j'en. ai  l'assurance  ,  son  exacti- 
tude est  trouvée  irréprochable. 

Après  ce  tableau,  vient  l'indication  détaillée  du  rythme  adopté 
pour  chacune  des  vingt-huit  pièces  du  recueil ,  avec  la  mention 
des  exemples  qu'on  en  trouve  dans  Horace ,  ou  bien  l'aveu 
d'une  innovation  que  Fauteur  se  pardonne  avec  peine ,  ce  qui 
témoigne  d'une  discipline  littéraire  devenue  bien  rare  de  nos 
jours. 

Entr'autres  écueils  du  sujet ,  il  a  fallu  latiniser  les  noms  sou- 
vent rebelles  de  nos  marins  célèbres  ;  M.  de  Grandpont  s'en 
est  savaihment  tiré  ;  et  si  dans  le  litre  des  Gioriœ  Natales  nous 
l'avons  vu  reculer  devant  le  sien ,   c'est    assurément  par  mo- 


-  201  — 

destie  plutôt  que  par  embarras  ;  au  reste  ,  il  a  fait  le  moins 
possible  violence  aux  noms  propres  et  s'est  borné ,  quand  il 
l'a  pu ,  à  en  changer  la  terminaison  :  ainsi ,  pour  Colbert  , 
Tourville ,  Cassard  qui  deviennent  sans  effort  des  grands  hom- 
mes en  us  ;  ailleurs  il  a  eu  recours  à  d'ingénieux  équivalents  , 
Bubulus  pour  Bouvet ,  Clavigier  pour  Chevillard  ,  Rufus  pour 
Leroux ,  Thovarsulus  pour  Dupetit-Thouars.  Mais  comment  tirer 
parti  de  Desherbiers  de  l'Etanduëre  ?  Voilà  un  nom  difficile  à 
placer  convenablement.  L'hexamètre  serait  à  peine  assez  long 
pour  le  contenir ,  et ,  si  Horace  exigeait  l'emploi  de  Tadonique 
ou  même  du  phrérécratien  ,  il  eût  fallu  se  résoudre  à  le  leur 
partager.  Et  cependant  Desherbiers  de  TEtanduère  est  une  ^e 
nos  gloires  navales  ;  il  eût  été  mal  de  le  rejeter  à  cause  de  son 
Bom  :  M.  de  Grandpont  en  a  fait  Standvariès  ,  ne  pouvant 
transiger  à  moins. 
L'ode  qu'il  lui  consacre  commence  ainsi   : 

Ehen  !  Ehen  I  pudenter ,  Gallia  ,  GalUa , 
Labuotur  annL 

en  mémoire  de  celle  d'Horace  dont  le  rhythme  est  pareil  : 

£hen  I  Ehen  !  fugaces  ,  Posthume  ,  Posthume  , 
Labuulur  anni. 

M.  Guichon  de  Grandpont  ne  cultive  pas  seulement  les  Muses 
latines  ;  il  nous  a  fait  part  d'une  épttre  en  alexandrins  fran- 
çais qu'il  adressa,  à  M.  Ponsard  sur  sa  pièce  L'Honneur  et 
r Argent ,  et  qui  débute  par  ce  vers  : 

Monsieur,  je  vous  aimais  pour  avoir  fait  Lucrèce. 
La  comédie  en  question  ne  lui  a  pas  laissé  la  môme  impression  : 

Triste  je  le  di, 
Devant  ce  grand  succès  je  reste  abasourdi. 

â6 


-  202  - 

El  pourtant  , 

Si  le  sujet  u*é8t  pas  neuf ,  il  est  rirhe  ; 
C'est  un  sol  plantureux  auquel  en   toute  année 
Par  d'abondants  fumiers  la  force  est  redonnée; 

mais 

Le  tissu  de  ce  drame  est  faible  et  mal  ourdi  ; 

Georges  est  trop  simple ,  pas  assez  inventif  ;  il  n'y  avait  au- 
cune nécessité  de  le  placer 

Entre  l'honneur  d'un  bord  et  de  Taulre  l'argent. 

n  devait  simplement  payer  les  trois-quarts  de  se&  dettes ,  obte- 
nir  un  sursis  pour  le  reste ,  et  se  refaire  une  petite  fortune. 
Quant  à  Laure  elle  trahit  en  se  jouant ,  elle  manque  de  coBiur  : 

Je  ne  vous  dirai  pas  que  c'est  peu  naturel  , 
Mais  les  infirmités  d'un  caractère  tel 

Sont,  Monsieur,  du  ressort  du  physiologiste 

Les  produire  au  théâtre  est  une  pauvreté , 
Et ,  puisqu'en  votre  plan  c'était  nécessité  , 
Convenez  qu'il  n'est  pas  sans  médiocrité. 

A  ce  compte  point  de  comédie ,  et  par  suite  point  d'épltre. 
Il  y  avait  pourtant  une  pièce  à  faire  sur  le  même  sujet  : 

Donc,   pour  corroborer  mon  discours  arrogant 
Et  par  honnêteté  je  relève  le  gant. 
Un  père  meurt,  laissant  après  lui  dans  ce  monde 
Une  veuve  et  deux  fils. 

Je  ne  puis  entrer  dans  les  détails  de  ce  nouveau  plan;  je 
dirai  seulement  que  l'un  de  ces  jeunes  gens  entrait  dans  le 
corps  des  officiers  ,  l'autre  dans  l'administration  de  la  Marine , 
et  que  l'auteur  se  serait  proposé  de  les  peindre 

Bien   comiques  tous  deux. 


-     \ 

y' 

<    r 


_  203  - 

Sans  quitter  M.  Cuichon  de  Grandpont ,  nous  pouvons  passer 
de  la  poésie  à  la  prose  ,  en  prenant  pour  transition  son  Essai 
sur  la  susceptibilité  du  caractère ,  considéré  comme  un  obstacle 
au  bonheur.  Cet  opuscule  contient ,  outre  quelques  exemples 
ou  figurent  des  personnages  qui  s'appellent  Polydore ,  Damis  , 
comme  dans  les  moralistes  classiques,  des  réflexions  -  morales 
résultat  d*observatiojQS  personnelles  et  une  définition  que  je  lui 
emprunte  :  •  La  susceptibilité  est  celte  disposition  de  Tftme, 
ft  qui  porte  à  concevoir  comme  une  chose  certaine  et  fâcheuse, 
»  la  supposition  gratuite  ou  exagérée  de  la  mauvaise  intention 
»  d'une  personne  dans  les  relations  qu'on  peut  avoir  avec  elle.  » 

A  qui  faut -il  attribuer  l'ouvrage  publié  en  -1849  «  sans  nom 
d'auteur,  sous  ce  titre  :  Le  meilleur  Conseiller  du  Peuple^  petit 
livre  de  vie  des  familles  ,  contenant  tous  les  secrets  eu  bonheur 
individuel  pour  soi  et  les  autres;  répertoire  de  préceptes  et 
d'exemples  tirés  de  l* Ecriture  Sainte  et  des  plus  saines  pen^ 
sées  des  hommes  \  —  C'est  une  compilation  de  textes  empruntés 
aux  auteurs  sacrés  et  aux  auteurs  profanes.  Le  sujet  de  ce  livre 
est,  comme  on  voit,  très  sérieux,  et  il  est  de  tous  les  temps.  La 
préface  au  contraire  est  toute  de  circonstance  ;  l'auteur  y  prend 
à  partie  les  apôtres  de  tendances  nouvelles  qui  éveillaient  alors 
plus  vivement  qu'aujourd'hui  la  haine  des  uns  et  les  sympathies 
des  autres  ;  elle  se  termine  par  un  couplet  qui  peut  se  chanter 
sur  Tair  du  Bon  roi  Dagobert  et  qui  est  une  paraphrase  du 
passage  le  plus  populaire  et  le  plus  risqué  de  cette  chanson. 
Celte  préface  est  signée  de  simples  initiales  qui  sont  celles  de 
M.  Cuichon  de  Grandpont  ;  est-elle  de  lui  ?  Je  laisse  décider  la 
question  par  ceux  qui  ont  l'honneur  de  le  connaître ,  et  je  les 
renvoie  à  la  dédicace  >  où  ils  trouveront  les  prénoms  des  sept 
enfants  que  Dieu  a  donnés  à  l'auteur. 

Voici  un  autre  ouvrage  conçu  dans  le  même  esprit  et  doni 
h  frontispice  porte  également  une  croix  pour  symbole.  Le  sujet 


—  204  - 

qui  y  est  traité  ^'écarte  doublement  de  notre  programme  ,  et  je  ■ 
n'en  donnerai  que  le  titre ,  qui  heureusement  n'est  pas  rooln^ 
explicite  que  le  précédent  :  Croisade  au  XIX^  siècle^  appel  à  la 
piété  catholique ,  à  Veffet  de  reconstituer  la  science  sociale  sur 
une  base  chrétienne^  suivi  de  l'exposition  critique  des  doctrines 
phalanstériennes  y  par  Louis  Rousseau. 

Je  passe  également  sous  silence  VHistoire  merveilleuse  des 
amours  â^une  pipe  et  d'un  compas  ;  elle  n'a  d'ailleurs  que  quatre 
pages  ;  *  c'est  une  fantaisie  qui  défle  l'analyse,  mais  qui  s'est  ven* 
due  au  bénéfice  d'une  famille  pauvre  ; 

•  Et  j'arrive  à  M,  Eugène  Loudun  ;  nous  lui  devons  deux  volu- 
mes et  une  brochure  qui  sont  :  Un  essai  sur  les  OEuvres  de 
Napoléon  III ^  étranger  à  nos  éludes  ;  Le  Salon  de  ^855,  question 
peu  actuelle ,  et  un  écrit  sur  l'influence  des  idées  anglaises  et 
germaniques  en  F  ronce  ^  qui  a  eu  pour  parrain  le  Pays  ^journal 
de  V Empire.  Cet  écrit  se  compose  d'une  introduction ,  d'un  pre- 
mier chapitre  consacré  aux  Anglais,  d'un  second  aux  Allemands, 
d'un  troisième  aux  Français  et' d'une  conclusion. 

On  lit  dans  l'introduction  :  «  Les  hommes  peuvent  se  diviser 
en  trois  catégories  :  les  rêveurs,  les  esprits  positifs  et  les  esprits 
pratiques.  L'Angleterre  est  la  patrie  de  l'esprit  positif,  l'Allemagne 
est  la  patrie  de  l'iniaginatiou,  la  France  est  la  patrie  du  sens  prati- 
que. »  Cette  distinction  entre  l'esprit  positif  et  le  sens  pratique  ne 
vous  semble-t-ellepas  unpeuarbKraire  ?  Etre  doué  du  sens  pratique 
c'est  apparemment  passer  volontiers  de  la  théorie  abstraite  à  l'appli- 
cation utile,  ce  qui  n'est  pas  incompatible  avec  les  tendances  d'un 
esprit  positif.  Mais  passons,  la  chose  s'éclaircira  sans  doute. 
L'auteur  cite  ensuite  une  vingtaine  de  noms  qui  résument  en 
définitive  nos  illustrations  politiques ,  oratoires  ,  littéraires  des 
dix  dernières  années ,  et  le  quart  à  peine  lui  semble  doué  du 
sens  pratique ,  c'est-à-dire  du  caractère  français.  Victor  Hugo 
est  un  Anglais ,  Jules  Favre  est  un  Anglais ,  Balzac  aussi,  saifô 


compter  Louis-Philippe  ;  Lamartine  est  un  Allemand,  ainsi  que 
M.  Arnaud  (de  TAriège)  ;*  MM.  de  Falloux  ,  Thiers  el  Berryer 
sont  de  vrais  Français.  A  la  bonuQ  heure  ;  mais  il  faut  avoir 
bien  de  l'esprit  pour  trouver  cela  et  même  pour  le  comprendre. 
Le  vulgaire  est  habitué  à  considérer  la  vocation  comme  une 
conséquence  des  aptitudes  plutôt  que  comme  une  nécessité  de 
terroir,  et  il  trouve  l'imagination  de  M,  de  Lamartine  aussi  fran» 
çaise  qne  le  sens  pratique  de  M.  de  Falloux.  Supposons  d'ailleurs 
que  l'auteur  choisisse  quelques  hommes  éminents  d'Angle- 
terre et  d'Allemagne,  et  les  soumette  à  une  classification  sem* 
blable,  il  faudra,  pour  qu'au  bout  de  l'opération  la  balance  soit 
exacte ,  qu'il  trouve  en  Angleterre  autant  de  Français  qu'il  a 
trouvé  d'Anglais  en  France  ;  de  même  pour  l'Allemagne  ;  et 
alors  que  deviennent  les  distinctions  de  peuple  el  de  race?  Ou 
bien  il  en  sera  réduit  au  petit  nombre  de  Français  que  possède 
la  France,  et  alors  plutôt  que  de  s'appliquer  le  vers  de  Cor- 
neille , 

Rome  n'est  plus  dans  Rome,  elle  est  toute  où  je  suis , 

il  aimera  mieux  reconnaître  qu'il  s'était  fait  un  idéal  d  priori  ^ 
qu'il  Fa  appelé  l'esprit  français ,  et  qu'il  l'a  pris  pour  règle  el 
mesure  dans  la  distribution  très  inégale  de  ses  sympathies  envers 
ses.  contemporains. 

Il  est  difficile  à  deux  peuples  rivaux  de  porter  l'un  sur  l'autre 
des  jugements  équitables.  Cependant  Finstinct  critique  qui  pré- 
vaut aujourd'hui  dans  notre  littérature  a  opéré  une  heureuse 
réaction  contre  cette  vieille  frivolité  française  ,  toujours  prête  à 
rire  de  ce  qu'elle  ne  comprenait  pas  ;  et  je  ne  serais  pas  em- 
barrassé pour  citer  des  travaux  récents  où  d'éminents  penseurs 
ont  rendu  une  justice  tardive  mais  éclatante  à  de^  institutions , 
à  des  mœurs  qui  diffèrent  des  nôtres ,  mais  qui  ne  sont  ,  pas 
sans  grandeur.  Est-ce  à  dire  qu'il  ne  soit  plus  permis  de  trou- 


—  âoo  - 

ver  l'Allemand  rêveur  el  l'Anglais  égoïste?  Non  assurément; 
ces  reproches  n*ont^  d'ailleurs  rien  de  bien  grave  :  ainsi  le 
patriotisme  est  toujours  égoïste  ;  il  Test  à  Londres  comme  il 
le  fut  à  Rome  ;  et  quant  à  Torgueil  il  touche  de  près  à  la  fierté, 
qui  est  une  vertu.  Mais  M.  Eugène  Loudun  ne  s'en  lient  pas 
là,  et  j'avoue  que  je  ne  m'attendais  pas  à  voir  Tesprit  ^wsitlf 
aussi  maltraité  par  le  sens  pratique.  Voici  quelques-uns  de  ses 
griefs  :  les  Anglais  sont  d'incurables  trafiquants,  leur  Parlement 
n'est  pas  un  forum ,  c'est  une  Bourse  ;  ils  ont  un  tel  respect 
pour  le  droit  individuel  qu'ils  laissent  brûler  une  ville  plutôt  que 
d'isoler  l'incendie  en  démolissant  une  maison,  malgré  le  proprié- 
taire ;  ils  ont  les  dents  plus  avancées  que  nous  et  mangent 
plus  de  viandes  qu'aucun  autre  peuple  ;  ils  recrutent  leur  aris- 
tocratie dans  la  bourgeoisie  ;  ils  observent  le  dimanche  par  pur 
égoïsme.  Leur  philosophie-,  c'est  le  sensualisme ,  témoin  Locke 
qui  produisit  Condillac,  autre  Anglais  fourvoyé  parmi  nous  ; 
encore  est-ce  trop  dire ,  le  matérialisme  est  une  affirmation,  or, 
ces  esprits  positifs  ne  veulent  rien  affirmer  :  de  là  l'éclectisme, 
qui  est  l'indigence  de  la  pensée  demandant  l'aumône  à  toutes 
les  portes.  Leur  littérature  est  vouée  au  réalisme  et  dépourvue 
d'imagmalion.  Dans  ce  système,  des  auteurs  comme  Shakespeare, 
Milton,  Walter  Scot,  sans  parler  de  la  mélancolique  pléïade  des  La- 
kistes,  ne  sont-ils  pas  quelque  peu  embarrassants  ?  Ce  n'est  qu'une 
apparence  :  la  mélancolie  vient  précisément  du  manque  d'ima- 
gination. Walter  Scot  est  Anglais  quand  il  peint  des  caractères, 
mais  quand  il  dessine  la  figure  fine  et  nuageuse  d'une  blonde 
miss ,  quand  l'émotion  du  récit  le  gagne ,  Walter  Scot  est 
Français  ;  Shakespeare  est  Anglais  dans  Macbeth ,  maïs  Fran- 
çais dans  Roméo,  Quant  à  Milton ,  il  est  bien  plus  le  poète  de 
la  terre  et  de  l'enfer  que  le  poète  du  ciel  ;  et  comme  on  peut 
assurément  en  dire  autant  du  Dante,  M.  Eugène  Loudun  ne 
refusera  pas  de  nous  le  céder ,  et  nous  en  ferons  un  Anglais , 
51  toutefois  Florence  y  consent. 


-  207  — 

Uesprit  positif  dénature  chez  nos  voisins  jusqu'aux  sentiments 
intimes ,  Tarailié ,  Tamour  maternel.  Ainsi  «  une  mère  écrivant 
à  son  fils  éloigné  d'elle  de  cinq  cents  lieues ,  ne  lui  parle  pas 
de  sa  conduite ,  de  ses  devoirs ,  de  niaiseries ,  de  sentiment  ; 
elle  lui  développe  Tari  d'utiliser  les  relations  les  plus  inutiles 
en  apparence,  de  ne  se  faire  que  des  amitiés  solides,  de  se  lier 
publiquement  avec  une  femme  du  monde  pour  se  ménager 
rentrée  des  meilleures  maisons.   » 

Les  Allemands  sont  plus  ménagés  ;  l'auteur  ne  leur  reproche 
guère  que  d'aimer  trop  Xldéal  et  d'être  trop  enclins  h  disserter 
sans  coaclare.  Le  panthéisme  domine  dans  leur  philosophie, 
et  la  fantaisie  dans  leur  littérature.  Ces  jugements  n'ont  rien 
d'acerbe  ou  de  téméraire ,  et  le  sens  pratique  se  montre  assez 
tolérant  pour  l'idéologie. 

Quant  au  Français,  cela  va  sans  dire,  il  a  toutes  les  quali- 
tés ;  cependant  «  sa  qualité  mère  est  le  bon  sens,  nom  commun 
du  génie ,  tel  que  KJopstock  entendait  le  génie,  un  composé  de 
trois  quarts  de  raison  et  d'un  quart  d'imagination.  »  Si  Klops- 
tock  a  dit  cela  y  c'est  un  Français  ;  ,prenons-le  en  échange  de 
Fénélon,  dont  l'esprit  est  trop  inventif  pour  nous  appartenir. 
La  littérature  française  a  peu  créé  ;  Labruyère ,  Racine  imitent 
les  Grecs,  Corneille  et  Molière  les  Latins  et  les  Espagnols.  Nous 
avons  le  génie  de  l'observation,  nous  n'avons  pas  celui  de  l'inven- 
tion. A  la  bonne  heure  !  peut-être  môme*  avons-nous  le  génie 
de  l'éclectisme  ;  mais  pourquoi  nous  faire  un  mérite  de  ce  qu'on 
signale  chez  nos  voisins  comme  une  lacune ,  et  à  quel  titre 
Sbake^eare  est-il  Anglais  quand  il  observe ,  Français  quand  il 
imagine  ? 

Tel  est  le  système  de  l'auteur,  ou  plutôt  le  prisme  à  travers 
lequel  il  regarde  le  monde  et  qui  lui  suflSt  pour  tout  expliquer  : 
histoire,  philosophie,  mœurs,  religion;  il  jette  ses  reflets  sur 
le  passé  commç  sur  l'avenir  ;  il  lui  fait  déclarer  française  VAssem- 


-  208  - 

''blée  Constituante^  et  allemande  la  Convention,  qui  cependant  n'a 
donné  que  trop  de  preuves  de  sens  pratique  ;  il  lui  montre 
dans  un  avenir  prochain ,  frappée  d'une  chute  rapide ,  abjecte 
et  sombrant  tout-à-coup ,  fatalement ,  ignoblement ,  cette  nation 
à  qui  il  reconnaissait  quelques  pages  plus  haut  le  talent  de 
conjurer  les  secousses  imminentes  en  faisant  des  concessions 
opportunes. 

Mais  il  serait  injuste  de  chercher  dans  cet  écrit  des  opinions 
réfléchies  ;  j'aime  mieux  y  voir  Texercice  d'une  verve  brillante, 
et  si  l'auteur  veut  bien  né  pas  trop  prétendre  au  sens  prati- 
que, je  suis  prêt  à  lui  reconnaître  une  riche  imagination  alle- 
mande* 

Reste  enfin  un  dernier  volume  ;  c'est  le  récit  de  divers 
voyages  faits  dans  l'intérieur  de  TOyapock,  par  M.  Thébault  de 
la  Monderie.  Ce  n'est  pas  précisément  une  œuvre  littéraire; 
mais  comme  ceux  qui  pourraient  en  parler  avec  connaissance 
de  cause  sont,  paralt-il ,  très  rares,  je  m'en  suis  chargé,  quoi- 
que je  connaisse  l'Oyapock  mMns  que  personne.  - 

D*après  un  auteur  anglais  lui-môme,  que  M«  Eugène  Loudun 
cite  dans  ses  notes,  le  journal  de  voyage  d'un  Anglais  contient  : 
^o  le  jour  du  mois  où  il  se  met  en  route;  2»  le  nom  des 
villes  où  il  a  couché  ;  3*  l'enseigne  des  hôtels  où  il  a  diné , 
avec  un  mémoranduriî  quand  il  y  a  bu  de  bon  vin  ;  4'  le  jour 
où  il  est  rentré  dans  ses  foyers.  M.  Thébault  de  la  Monderie, 
quoique  Français  ,  est  de  cette  famille  de  voyageurs  ;  il  est 
éminemment  doué  du  sens  pratique  et  môme  de  l'esprit  positif; 
le  but  de  son  voyage  suffirait  à  le  prouver  :  il  traverse  les 
forêts  vierges ,  il  remonte  les  cataractes ,  à  la  recherche  de  la 
salsepareille,  qu'il  a  le  bonheur  de  découvrir.  11  note  avec  une 
naïve  exactitude  les  moindres  détails  de  son  voyage  :  «  Nous 
partîmes  de  chez  M"'  Popineau ,  le  ^«?'  octobre,  à  six  heures 


du  malin Le  il  novembre  au  soir,  nous  étions  de  retour 

chez  M^  Popineau.  »  Le  rédt  n'eu  est  pas  pour  cela  moins 
instructif,  mais  les  péripéties  y  sont  rares  ;  cependant  il  y  avait 
matière  à  d'émouvants  tableaux  ;  Tauteur  a  mieux  aimé  se  tenir 
en  deçà  de  la  vérité  que  de  donner  prise  au  moindre  soupçon 
d'exagération  :  pac  une  nuit  magnifique ,  au  milieu  d'une  soli- 
tude troublée  seulement  par  le  hurlement  du  tigre ,  nos  voya- 
geurs s'étendent  sur  un  rocher  où ,  dit  Fauteur,  «  nous  nous 
endormimes  en  méditant  sur  rinstabilité  des  choses  de  ce  monde.  • 
Cétait  le  cas  où  Jamais.  Le  surlendemain ,  ils  tuent  une  cou  - 
Icuvre  qui  a  vingt-cinq  pieds  de  longueur.  «  Sur  ces  entrefaites, 
un  de  nos  chasseur  arriva  tout  haletant  nous  dire  qu'il  avait 
aperçu  un  homme  des  bois  ;  nous  ne  le  crûmes  point.  •  Nous 
ne  le  crûmes  point ,  qu'elle  parole  dans  la  bouche  d'un  voyageur  I 
Le  ^7,  ils  arrivent  chez  les  Indiens  Oyampis ,  lesquels  sont  en 
guerre  a\^c  les  Grandes*Oreilles  et  les  Méritions  ;  ces  peuplades 
ont  une  f^çon  particulière  de  se  déclarer  la  guerre  ou  la  paix  : 
ils  plantent  une  flèche  dans  un  sentier ,  la  pointe  en  haut  ou 
^  bas,  suivant  leurs  intentions.  Ils  ont  aussi  pour  habitude  de 
ne  porter  aucune  espèce. de  costume  ,  et  ils  ne  font  aucun  cas 
des  paliîatifs  que  leur  propose  M.  ThébauU  de  la  Monderie  ; 
obstination  regrettable,  mai»  naturelle,  lis  ont  un  usage  plus 
étrange  encore  et  de  beaucoup  :  c'est,  en  abordant  un  étranger, 
de  lui  frotter  le  front  avec  un  morceau  de  coton  ;  ils  trouvent 
cela  tout  simple  et  seraient  sans  doute  bien  surpris  si  l'étranger 
répondait  à  leurs  prévenances  en  leur  tirant  son  chapeau  :  t  Mon 
compagnon  faisait  des  difficultés  pour  se  prêter  à  cet  usage,  mais 
à  ma  prière,  il  consentit  à  subir  ce  frottement.  »  A  cette  céré- 
monie succéda  Tinvitation  de  prendre  part  à  leurs  danses  ; 
l'auteur,  qui  avait  déjà  décliné  des  offres  plus  embarrassantes , 
ilont  je  ne  parlerai  pas  ,  ne  put  s'en  dispenser.  Il  poussa  môme 
la  condescendance  jusqu'à  se  conformer  à  l'uniforme  de  rigueur, 

27 


-  210  — 

ne  réservant  qu'une  simple  bande  de  toile,  sur  quoi  "il  fut 
inexorable.  «  Quand  je  fus  ainsi  tatoué  et  enduit  de  la  tête  aui 
pieds  de  rocou  et  deginipa,  j  apparus  dans  la  danse,  accolé  au 
capitaine ,  qui  me  prit  pour  sa  danseuse,  o  Cette  apparition  fut 
suivie  d'un  redoublement  de  gaîté  et  d'un  galop  effréné.  M.  Thé- 
bault  de  la  Monderîe  dansa  ainsi  pendant  deux  heures  ;  après 
quoi ,  se  disant  malade ,  il  alla  se  coucher.  «  Vain  espoir  de 
repos  I  ils  revinrent  me  chercher  et  je  fus  forcé  de  retourner 
danser  avec  eux.  »  Enfin ,  sur  les  quatre  heures,  il  obtient  la 
permission  de  se  retirer,  et  il  se  dirige  vers  une  fontaine  ,  où 
il  essaye ,  mais  en  vain ,  de  se  débarbouiller. 

Les  incidents  de  ce  premier  voyage  se  reproduisent  dans  les 
suivants ,  qui  sont  aussi  narrés  jourpar  jour.  L'auteur  découvre, 
outre  la  salsepareille,  le  copahu,  le  gayac  et  la  vanille.  Sa  der- 
nière excursion  date  de  -1843;  il  en  revient  malade  et  dégoûté 
de  cette  vie  d'aventures.  Il  s'arrête  à  Cayenne  ,  où  le  souvenir 
de  tant  d'épisodes  plaisants  ou  terribles  Tobsède  comme  un  cau- 
chemar, puis  il  repart  pour  la  France  ,  où  il  a  depuis  recouvré 
la  santé  et  publié  son  journal.  Voici  ce  qu'en  pense  M.  Guéraud, 
qui  en  est  Téditeur  :  a  M.  Thébault  de  la  Monderîe  n'est  pas 
un  littérateur,  mais  c'est  un  voyageur  que  son  jugement ,  sa 
bonne  foi,  sa  simplicité  et  sa  modestie  placent  bien  au-dessus 
de  ceux  qui  ajoutent  à  leurs  récits  mille  détails  de  leur  inven- 
tion ,  dans  le  seul  but  de  briller  et  d'éblouir.  0  Eloge  mérité , 
et  qui  n'est  pas  sans  prix  ;  car  ils  sont  rares  les  récits  de 
voyages  dont  on  peut  dire  que  le  lecteur  y  trouvera  moins  de 
plaisir  que  de  profit 

Paul  CIIABAL. 


L'4RGHif  El  unim 


EN  1855 


CONSTITUTION  PHYSIQUE.  —  PRODUCTIONS.  —  POPULATION;. 


Lorsque  Cook  reconnut  les  fles  Sandwich ,  en  1778 ,  il  leur 
imposa  ce  nom  en  l'honneur  du  premier  lord  de  l'Amirauté. 
Aujourd'hui ,  on  commence  à  leur  en  donner,  sur  les  caries , 
un  autre  qui  leur  convient  à  plus  juste  titre ,  celui  d'îles  Hami, 
tiré  du  nom  de  la  plus  grande  de  Tarchipel.  Il  est  certain  cepen- 
dant qu'autrefois  elle  seule  y  avait  droit,  et  qu'aucune  appella- 
tion générale  n'était  donnée  au  groupe  entier  par  les  habitants  des 
dififérentes  îles  qui  étaient  toujours  en  guerre  entre  elles  jusqu'au 
moment  où  un  chef  entreprenant)  Kamehameha,  les  réunit  toutes 
^ous  sa  domination. 


—  212  - 

il  est  certain  aussi  que  Cook  n'éfail  pas  le  premier  naviga- 
teur qui  y  aborda.  L'amiral  Anson  trouva  à  bord  du  galion  de 
Manille  une  vieille  carte  espagnole  où  était  marqué  un  groupe 
d'îles  appelées  la  Mesa,  los  Majos^  la  Desgraciada^  situées  à  la 
même  latitude  que  les  Sandwich ,  mais  beaucoup  plus  à  Test. 
Celte  différence  ,  à  cette  époque  ,  n*a  rien  d'étonnant  f  et  peut- 
être  était- elle  marquée  à  dessein  sur  la  carte.  La  po"ttique 
ombrageuse  des  Espagnols  pouvait  les  porter  à  laisser  ignorer 
au  monde  la  connaissance,  ou  au  moins  la  vraie  position  d'un 
archipel  qui  aurait  pu  servir  de  refuge  à  des  flibustiers,  ce  qui 
eût  été  une  grande  gêne  pour  le  commerce  du  Mexique  et  des 
Philippines.  Cook  trouva  deux  morceaux  de  fer  entre  les  mains 
des  naturels ,  quand  il  aborda  à  Kauai ,  et  la  tradition  rappor- 
tait que  les  habitants  avaient  vu,  il  y  avait  bien  long  temps,  des 
navires  qu'ils  avaient  pris  pour  des  îles  flottantes  0),  passer 
devant  leurs  rivages.  En  un  mot,  toutes  les  histoires  racontées 
par  les  naturels,  dépouillées  du  merveilleux  qui  ne  pouvait 
manquer  d'y  être  mêlé,  prouvent  que  de  ^530  à  ^630,  Tarchipel 
a  été  visité  plusieurs  fois  ,  et  que  des  étrangers  y  ont  vécu  et 
y  sont  morts;  mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai -que  c'est  à  Cook 
et  à  ses  successeurs  qu'on  doit  les  premières  notions  précises 
sur  ces  îles. 

Leur  position  centrale  par  rapport  à  la  Californie  ,  la  Chine 
et  le  Japon,  et  la  facilité  des  communications  avec  les  archipels 
les  plus  considérables  de  la  Mer  du  Sud,  leur  donnent  une  grande 
importance  dans  la  partie  septentrionale  de  l'Océan  Pacifique, 
Une  nation  maritime,  qui  en  serait  maltresse,  pouri'ait,  en  cas 
de  guerre ,  en  faire  un  centre  d'opérations  qui  rendrait  très 
diflicile  le  commerce  de  ses  ennemis  ,  et  assurerait  à  ses  croi- 
seurs un  refuge  dont  la  défense  serait  rendue  plus  facile  par 

(i)  D'où  le  nom  de  Moku ,  ilc ,  appliqué  aux  navires» 


—  213  — 

une  multitude  d'obstacles  naturels.  Ces  considérations  ne  devaient 
point  échapper  aux  intéressés  ;  aussi  a-t-on  vu  tour-à-tour  TAngle- 
terre,  la  Russie  et  les  Etats-Unis  vouloir,  plus  ou  moins  ouver- 
tement, s'emparer  de  ce  groupe;  mais  comme  la  prise  de 
possession  par  Tune  des  parties  ne  pouvait  avoir  lieu  sans 
exciter  les  réclamations  des  autres ,  on  a  pris  un  terme  moyen 
qui  permet  à  ces  îles  de  garder  la  neutralité  ,  et  elles  ont 
été  déclarées  former  un  état  indépendant  sous  la  garantie  de 
rAnglèterre,  de  la  Russie,  des  Etats-Unis  et  de  la  France. 
Cependant  les  citoyens  entreprenants  de  TUnion  ne  semblent 
pas  avoir  abandonné  la  partie,  et  Ton  a  vu  tout  dernièrement, 
pendant  que  les  autres  signataires  du  traité  étaient  engagés  dans 
la  guerre ,  les  Américains  sur  le  point ,  non  de  prendre  ,  mais 
de  se  faire  céder  par  les  habitants  ce  pays  qui  leur  appartient 
de  fait.  Ce  sont  des  Américains  qui  occupent  presque  tous  les 
hauts  emplois  du  gouvrernement  ;  les  principales  maisons  de 
commerce  sont  à  eux  ;  Finfluence  de  leurs  missionnaires  est 
très  considérable ,  et  deux  fois  par  an  ,  3  ou  400  baleiniers 
sortis  des  ports  de  TAmérique  viennent  s'y  ravitailler.  Mais  , 
je  n'ai  à  m'occuper  ni  de  la  politique  ,  ni  du  gouvernement 
constitutionnel  qu'on  a  imposé  aux  Kanaks,  pas  plus  que  des 
querelles  qui  divisent  les  sectes  religieuses  qui  s'occupent  de 
leur  cfonversîon.  Je  veux  seulement  donner  une  idée  de  la 
nature  et  des  productions  de  ces  îles  et  des  hommes  qui  les 
habitent,  population  intéressante  qui  semble ,  comme  toutes  ses 
congénères  du  Grand  Océan ,  subir  dans  toute  sa  rigueur  la  loi 
cruelle  et  inexplicable  qui  fait  disparaître  les  races  primitives 
devant  la  civilisation.  L'histoire  des  îles,  depuis  leur  découverte 
jusqu'au  temps  présent ,  a  été  traitée  avec  tous  les  développe- 
ments possibles  par  les  missionnaires  méthodistes  :  MM.  Bingham, 
Cheever,  Stewart,  eXc.  De  tous  ces  livres,  celui  de  M.  J.  Jarves 
m'a  paru  le  plus  complet  et  le  plus  impartial. 


-  ^11 -^ 


I. 


L'archipel  Hawaïen  est  situé  entre  les  parallèles  de  ^  8*»  50'  et 
22o  20*  de  latitude  Nord,  et  les  méridiens  de  ^57<>  ^3'  et  H2^%^' 
de  longitude  occidentale  de  Paris  II  embrasse  une  étendue  d'envi- 
ron 6,^00  milles  carrés  (-1),  où  Tlle  principale,  Hawai ,  compte 
pour  les  deux  tiers.  Le  tableau  suivant  fait  voir  la  grandeur  des 
différentes  lies. 

Longueur.  Largeur.  Surface. 

Hawaï 88  milles.  73  milles.  6,000  milles  carrés. 

Maui /»8  —  30  —  620  — 

Kahoolawe 4^  —  8  —  60  — 

Lanai ^7  —  9  —  ^00  — 

Molokai 40  —  7  —  ^90  -^ 

Oahu 46  —  25  —  530  — 

Kauai 22  — .  24  —  500  — 

Niihau 20  —  7  —  90  — 

Il  faut  joindre  à  celte  énuméralion  les  Ilots  déserts  de  Molo- 
kini ,  Lehua  et  Kaula ,  et  l'île  Bird  (Ile  aux  Oiseaux ,  Motu- 
lUanu),  qui,  bien  qu'éloignée  de  quarante  lieues  de  Tarchipel, 
fait  néanmoins  partie  du  même  système. 

Les  noms  précédents  sont  écrits  selon  l'orthographe  adoptée 
par  les  missionnaires  qui  ont  fixé  la  langue  des  indigènes.  Us 
diffèrent  singulièrement  de  ceux  qu'on  lit  dans  les  relations  de 
voyages  et  sur  des  cartes  assez  modernes ,  telles  que  celle  de 
l'hydrographie  française ,  publiée  en  -1847.  La  première  faute 
en  est  due  au  capitaine  Coôk,  qui  dans  son  ignorance  du  dia- 
lecte  polynésien,  a  souvent  pris  pour  des  mots  simples  des  mots 

(!)  J.  Jarres^  History  of  the  Hawaian  ov^  Sandwich.  Islands,  1843. 


—  215  — 

composés  y  de  véritables  phrases.  Llnsulaire  auquel  on  deman- 
dait par  signes  :  Quelle  est  cette  terre  ?  répondait  :  c'est  Niibau, 
O-Niihavj  c'est  Tahiti,  O-Tahili,  etc ,  etc.  De  plus ,  Cook  appli- 
quait aux  mots  polynésiens  l'orthographe  anglaise ,  la  plus  rebelle 
de  toutes  :  les  traducteurs  de  ses  relations  ont  popularisé  les 
noms  qu'il  avait  imposés,  noms  qui  ont  été  adoptés  par  ses  con- 
tinuateurs, Anglais  ou  Américains,  et  c'est  ainsi  que  .figurent  sur 
les  cartes  :  Owkyhee^  Mowee^  Woaho^  Oneehow,  Atooiy  etc.;  ces 
noms ,  avec  la  prononciation  anglaise ,  rappellent  encore  assez 
bien  les  sons  de  la  langue  indigène,  mais  prononcés  autrement 
ils  n'ont  aucun  rapport  avec  ceux-ci.  (0 

L'origine  volcanique  de  Tarchipel  est  écrite  partout  dans  sa 
constitution  ,  et  on  voit  en  activité ,  sur  Hawai ,  le  plus  grand 
volcan  connu;  Le  soulèvement  qiji  a  fait  surgir  ces  lies  est 
sans  doute  contemporain  de  celui  qui  a  donné  naissance  aux 
Marquises,  aux  lies  de  la  Société  et  aux  cratères  autour  desquels 
les  polypiers  ont  construit  l'Archipel  Dangereux.  Comme  dans 
ces  îles  il  a  eu  une  direction  à  peu  près  N.O.  et  S.-E  ,  et  à 
développé  sa  plus  grande  énergie  vers  cette  extrémité.  Les 
Sandwich  sont  très  hautes,  par  rapport  à  leur  grandeur,  et  en 
général  d'autant  plus  que  les  îles  sont  plus  au  S.-Ë.,  et  leur 
côté  oriental  est  ordinairement  plus  haut  et  plus  escarpé  que 
l'autre.  Le  terrain  tourmenté  indique  que  de  violentes  convul- 
sions ont  suivi  leur  émersion ,  et  que  ces  cataclysmes  ont  dû 
se  prolonger  beaucoup  plus  long-temps  que  dans  les  archipels 
cités  plus  haut.  On  y  voit  des  vallées ,  de  vastes  plateaux  qu'on 

(\)  Quelquefois,  dans  les  noms  des  localités  et  des  individus  ,  on 
trouve  de$l  pour  des  r,  dés  t  pour  des  k,  etc.,  mais  ces  changements 
sont  communs  dans  les  dialectes  de  la  Polynésie.  Nous  avons  adopté  ici 
l'orlhographe  dont  se  servent  les  Hawaïens  et  qu'on  leur  enseigne  dans 
les  écoles.  Uu  se  prononce  ou  ;  on  fait  sentir  toutes  les  voyelles  :  il  n'y  a 
)>as  de  diphtongues  ;  seulement  ai  et  oi ,  k  la  fin  des  mots ,  ^e  pronon- 
cent en  ouvrant  grandement  la  boiiche  :  aie ,  oie. 


^  216  — 

pcui  appeler  des  plaines ,  coupées  quelquefois  par  de  profonds 
ravios  dont  les  flancs  forment  des  murailles  à  pic ,  des  préci- 
pices nommés  palis  par  les  indigènes  ;  des  montagnes  c6niqueâ 
dont  les  sommets  aplatis  ont  servi  autrefois  de  bouches  à  de 
puissants,  volcans.  Généralement ,  le  terrain  est  plat  au  bord  de 
la  mer  et  bordé  de  récifs  madréporiques  qui  ne  s*écartent  pas 
très  loin.  La  grande  hauteur  des  montagnes  arrête  les  nuages, 
qui  se  condensent  sur  leurs  flancs,  de  sorte  que  du  côté  du 
vent ,  il  pleut  fréquemment  sur  les  hauteurs  ,  ce  qui  y  entretient 
une  belle  végétation ,  tandis  que  le  côté  !tous  le  verd  souffre  de 
la  sécheresse ,  pendant  une  partie  de  l'année.  Au-dessous  de  la 
région  des  nuages,  des  laves  vomies  par  les  éruptions  les  moins 
anciennes  couvrent  de  vastes  espaces,  qu'elles  rendent  pour 
ainsi  dire  impraticables.  Le  terrain  plat ,  voisin  d^s  rivages ,  est 
oi;dinairement  composé  de  cendres  et  de  matière  volcanique  que 
le  vent  soulève  en  tourbillons  de  poussière  et  emporte  à  de 
grandes  distances  au  large.  Quelquefois  aussi ,  dans  le  voisinage 
immédiat  de  la  mer,  le  sol  est  composé  assez  profondément  de 
blocs  madréporiques  stratifiés  ,  comme  on  peut  le  remarquer  à 
Oahu,  dans  la  plaine  de  Waikiki.  La  présence  de  ces  produits 
coralins  coïncide  avec  la  remarque  qu'on  a  faite  d'une  élévalion 
continue  des  côtes ,  de  laquelle  il  sera  parlé  plus  tard. 

Les  vallées  recevant  les  parties  les  plus  friaWes  des  monta- 
gnes qu'entraînent  les  pluies  j  et  qui  se  mêlent  avec  les- détritus 
des  plantes ,  sont  très  riches  et  très  productives ,  mds  il  y  en 
a  peu  d'une  grande  étendue.  Le  sol,  par  le  fait  de  sa  eoraposl- 
tion  ,  requiert  des  irrigations  continuelles  pour  produire  ;  les 
indigènes  les  entendent  fort  bien,  ,ct  savent  bien  mettre  à  profit 
les  plus  minces  filets  d'eau.  On  ne  doit  pas  s'attendre  à  trouver 
de  grands  cours  d'eau  sur  des  îles  aussi  petites  ;  cependant , 
quelques-uns  formés  par  la  réunion  des  cascades  qui  tombent  des 
sommets  les  plus  élevés,  sont,  en  proportion,  assez  considérables. 


—  217  — 

Le  trait  le  plus  saillant  de  cet  archipel,  c'est  le  grand  nombre 
de  volcans  éteints,  de  toute  forme  et  de  tout  ûge,  qui  couron- 
nent le  sommet  des  montagnes  et  s'avancent  dans  la  mer, 
comme  des  promontoires.  Quelques-uns  semblent  tout  prêts  à 
vomir  du  feu ,  tandis  que  les  autres  perdent  peu  à  peu  leur 
aspect  menaçant  Leurs  sommets  s'arrondissent ,  et  d'année  en 
année  ,  une  végétation  abondante  couvre  leurs  flancs  devenus 
moins  rugueux  et  remplit  leurs  cratères  de  ses  débris. 

Un  des  cratères  les  plus  remarquables  »  le  Mauna-Haleakala, 
sur  l'île  Maui ,  élevé  de  3,344  mètres  au-dessus  de  la  mer, 
est  éteint  depuis  long-temps  ;  aucune  tradition  n'a  conservé  le 
souvenir  de  l'époque  où  il  jetait  des  flammes.  Hawaï  a  le 
monopole  des  volcans  en  activité  ;  il  y  en  a  trois  aujourd'hui: 
te  Kilauea  ,  le  Mauna-Huararai,  et  le  P^una-Hohoa.  Le  premier, 
le  plus  grand  volcan  qu'on  connaisse,  situé  dans  la  partie  S.O. 
de  l'île  ,  à  quinze  ou  vingt  milles  de  la  mer,  diffère  des  vol- 
cans ordinaires ,  en  ce  qu'au  lieu  d'un  cône  plus  ou  moins 
tronqué  et  terminé  par  un  cjratère  ,  il  présente  une  immense 
dépression  au  milieu  des  terrains  situés  à  la  base  du  Mauna- 
Roa ,  la  deuxième  montagne  de  l'île ,  élevée  de  4,036  mètres. 
On  n'y  arrive  point  en  gravissant  un  cône ,  mais  au  contraire 
en  descendant  le  long  de  deux  grandes  terrasses.  Il  est  pro- 
bable que  cette  disposition  est  la  suite  de  grands  effondrements, 
car  les  flancs  de  ces  terrasses  portent  des  marques  qui  indi- 
quent que  la  lave  montait  autrefois  jusqu'aux  bords.  Le  bassin 
a  sept  ou  huit  milles  de  tour,  sur  une  profondeur  de  400 
mètres ,  et  est  occupé  par  une  soixantaine  de  cratères,  les  uns 
éteints  ,  les  autres  en  activité. 

Du  côté  de  l'Ouest,  le  Mauna-Huararai,  élevé  de  2,381  mètres, 
jette  aussi  des  flammes.  Il  y  a  environ  cinquante  ans  qu'il 
vomit  une  immense  coulée  de  lave  qui  se  répandit  dans  la 
direction  de  l'Ouest  ,  s'avança  dans  la  mer  jusqu'à  trois  milles, 

28 


—  218  - 

et  en  se  refroidissant  forma  la  pointe  septentrionale  de  la  baie 
de  Kairoua. 

L'aspect  du  volcan  de  Pauna-Hohoa,  situé  dans  la  partie 
méridionale  de  Tîle ,  semble  annoncer  la  jeunesse  plutôt  que  la 
décrépitude.  Il  est  possible  que  ce  soit  un  déversoir  souterrain 
du  Kilauea.  Ce  dernier  semble  ne  pas  avoir  dit  son  dernier 
mot.  À  la  fin  de  4855,  et  dans  les  premiers  mois  de  4856,  il 
a  fait  éruption  avec  une  force  terrible.  Des  torrents  de  lave 
portaient  la  dévastation  de  tous  côtés,  et  on  s'attendit  pendant 
long-temps  à  voir  la  petite  ville  de  Hilo  engloutie. 

On  éprouve  fréquemment  des  tremblements  de  terre  à  Hawai, 
mais  leurs  effets  ne  soQt  pas  ordinairement  désastreux.  £n 
novembre  4838,  on  ressentit  de  40  à  50  secousses  dans  un  in- 
tervalle de  huit  jours ,  et  on  en  compta  douze  dans  la  même 
nuit.  Les  plus  fortes  ont  eu  lieu  en  mars  et  avril  4841.  On 
ressent  aussi  des  chocs  dans  les  autres  îles  ,  surtout  à  Haui , 
mais  ils  sont  beaucoup  moins  forts. 

Le  règne  minéral  ne  présente  guères  que  des  laves  aux  diffé- 
rents états  ,  depuis  les  plus  solides  jusqu'aux  plus  légères. 
Dans  quelques-unes  des  îles  ,  on  trouve  des  couches,  d'un  cal- 
caire compact  {lime  stone)^  qui  fournit  d'excellents  matériaux  pour 
les  constructions,  et  .dont  la  présence,  à  une  hauteur  considé- 
rable au-dessus  de  la  mer,  a  donné  naissance  à  diverses  hypo- 
thèses. On  n'a  découvert  aucun  métal  dans  l'archipel ,  à  moins 
qu'on  ne  compte  quelques  oxydes  de  fer  qui  se  trouvent  en 
petite  quantité  dans  les  scories  volcaniques.  Quelques-unes  des 
lies  ont  des  marais  salants  qui  fournissent  du  sel  dont  les  in- 
digènes savaient  faire  usage  avant  l'arrivée  des  Européens,  pour 
conserver  le  poisson  et  la  viande.  Le  dépôt  le  plus  remarquable 
est  le  lac  salé  alia  paakai ,  dans  Ttle  Oahu ,  à  quelques  milles 
dans  rOuest  de  la  ville  de  Houolulu.  Il  occupe  le  fond  d'un 
cratère  de    forme  ovale,   élevé   peut-être -de    deux  mètres  au- 


—  219  — 

dessus  de  la  mer',  de  laquelle  il  est  éloigné  ù-peu-près  d'uir 
mille.  A  certaines  époques ,  il  se  couvre  de  sel  «n  très  grande 
quantité ,  tandis  qu'il  y  en  a  très  peu  dans  d'autres  ,  alors  que 
les  pluies  sont  abondantes.  On  a  cru  long- temps  que  c'était  du 
sel  gemme ,  mais  il  est  plutôt  à  supposer  qu'il  est  formé  par 
évaporalion,  si  on  considère  que  la  profondeur  du  lac  est  ordi- 
nairement à  peine  de  cinquante  centimètres  ,  excepté  au  milieu 
où  il  y  a  un  trou  ayant  environ  dix  ou  onze  mètres  de  tour 
et  où  la  profondeur  est  considérable.  Les  habitants  disent  que 
le  lac  communique  par  ce  trou  avec  la  mer.  On  a  remarqué 
que  son  niveau  ressent  légèrement  l'influence  des  marées  ,  qui 
sont  du  reste  très- faibles,  au  plus  d'un  mètre  et  demi. 

Des  effets  étranges  de  raz  de  marée  ont  été  observés  à  plu- 
sieurs reprises  en  -1819,  -1837  et  ^8^i,  Le  premier  de  ces  phé- 
nomènes n'ayant  causé  aucun  accident  sérieux  passa  pour  ainsi 
dire  inaperçu.  Dans  la  soirée  du  7  novembre  1837,  sans  que  le 
baromètre  ni  le  thermomètre  indiquassent  aucun  changement 
dans  l'atmosphère  ,  on  s'aperçut  à  Honolulu  ,  que  la  mer  se 
relirait  avec  une  rapidité  extrême,  ce  qui  fit  craindre  aux  résidants 
étrangers  qu'elle  ne  revînt  avec  la  même  vitesse  et  n'engloutit 
la  ville  dont  les  rues  sont  presque  au  niveau  de  l'eau  du 
port.  Les  naturels  n'y  virent  qu'une  source  de  plaisir  et  l'occa- 
sion d'une  récolte  abondante  des  poissons  qui  se  débattaient 
sur  les  récifs  entièrement  à  sec.  La  mer  avait  baissé  de  2", 40, 
mais  au  l)out  de  vingt  minutes ,  elle  atteignit  le  niveau  des 
plus  hautes  marées  pour  baisser  ensuite  de  4^,80  :  à  son 
retour  ,  elle  monta  un  peu  plus  que  la  première  fois ,  et  re- 
tomba de  ^*p,90.  Cela  continua  ainsi ,  l'amplitude  de  l'oscilla- 
tion diminuant  graduellement,  pendant  la  nuit,  jusqu'au  len- 
demain soir.  La  baisse  k  plus  rapide  avait  été  observée  de  30 
centimètres  en  30  secondes. 


/ 


-  220  - 

te  phénomène  fut  accompagné  d'effets  plus  désastreux  à  Hawài 
et  à  Maui,  principalement  à  Test  et  au  nord.  A  Hilo ,  dans  la 
première  de  ces  îles,  vers  six  heures  du  soir,  la  mer  se  retira 
avec  une  vitesse  de  cinq  milles  à  l'heure ,  laissant  à  sec 
une  partie  du  port.  La  population  ,  augmentée  d'un  grand  nom- 
bre de  gens  qu'une  fête  religieuse  avait  amenés  à  Hilo ,  s'était 
portée  en  masse  au  rivage  pour  jouir  d'un  spectacle  si  étrange  ^ 
quand  une  immense  vague,  dépassant  -de  six  mètres  la  hauteur 
ordinaire  des  grandes  marées,  se  précipita  sur  la  côte  avec  une 
vitesse  de  sept  ou  huit  milles  à  l'heure  ,  renversant  tout  sur 
son  passage  ,  hommes,  animaux  et  maisons.  Aucune  secousse 
de  tremblement  de  terre  ne  coïncida  avec  celte  invasion  de  la 
mer,  mais  pendant  la  nnit  précédente ,  le  volcan  de  Kilanea 
avait  jeté  plus  de  flammes  que  de  coutume. 

Au  mois  de  mai  1841,  le  môme  phénomène  se  reproduisit, 
mais  sur  une  moindre  échelle.  A  Honolulu  ,  l'eau  se  retira 
assez  rapidement,  laissant  à  sec  les  récifs  et  une  partie  du  port. 
Cela  se  produisit  deux  fois  dans  un  espace  de  quarante  minutes, 
après  quoi  les  choses  revinrent  à  leur  état  normal.  La  mer  avait 
baissé  d'un  rtiètre  environ.  Juste  au  même  moment,  on  observa 
à  Lahaina  (île  Maui),  à  100  milles  de  distance,  que  le  niveau 
de  la  mer  s'abaissait  et  remontait  de  plusieurs  pieds  ,  à  des 
intervalles  de  quatre  minutes  ,  et  que  les  lames  venaient  se 
briser  avec  fracas  sur  les  récifs.  Il  paraît  qu'à  la  même  époque 
on  observa  un  phénomène  semblable  sur  les  côtes  du  Kamstchatka. 

La  nature  n*a  pas  prodigué  les  ports  à  Farchipet  Hawaïen.  Il 
n'y  a  que  celui  de  Honolulu  ,  dans  lîle  Oahu  ,  qui  mérite  à 
vrai  dire  ce  nom,  et  encore  n'est-il  accessible  qu'eaux  bâtiments 
qui  ne  calent  que  cinq  mètres.  Les  récifs  de  corail ,  qui  bor- 
dent les  îles  en  certains  endroit»,  ne  s'écartent  pas  assez  au 
large  pour  laisser  des  mouillages  entre  eux  et  la  terre,  comme 
ceux  des  îles  de  la  Société.   Il  n'y  a  que   I^  petits  caboteur» 


-.  221  — 

qui  puissent  franchir, les  coupures  des  récifs  et  s'abriter  derrière 
ceux-ci.  La  baie  de  Hilo,  au  nord  de  Hawai,  est  un  bon  mouil- 
lage pour  des  navires  de  toute  grandeur,  mais  le  débarquement 
y  est  difficile  à  cause  du  ressac  ,  et  on  peut  y  être  bloqué 
très  long-temps  par  le  vent  de  nord  qui  n'est  pas  rare.  Hors 
de  ces  deux  places  ,  Hilo  et  Honolulu ,  on  mouille  en  pleine 
côte ,  mais  le  vent  dominant  de  Test-sud-est  à  Test-nord-est , 
et  le  beau  temps,  garantissent  aux  navigateurs  une  sécurité  par- 
faite pendant  neuf  ou  dix  mois  de  Tannée.  , 

On  avait  cru  pendant  quelque  temps  que  les  récifs  madrépa- 
riques  croissaient  régulièrement;  ainsi,  de  ^794  à  ^8^0,  on 
avait  remarqué  une  différence  de  plus  d'un  mètre  dans  ceux 
qui  fornïient  le  port  de  Honolulu.  Des  ^observations  faites 
avec  soin  depuis  lors ,  ont  fait  constater  que  celte  différence 
était  due  à  une  élévation  continue  de  la  côte  ,  qui  aurait  lieu , 
dit-on,  rapidement.  Les  bancs  laissent  une  plus  grande  partie 
de  leur  surface  à  découvert ,  d'année  en  année ,  et  dans  quel- 
ques endroits ,  la  mer  s'est  écartée  de  plus  d'un  mètre  de  la 
limite  où  les  pirogues  accostaient  il  n'y  a  pas  long  temps.  Les  pluies 
et  les  crues  des  ruisseaux  entraînent  une  notable  quantité  de 
vase  et  de  matières  solides  qui  se  déposent  entre  la  terre  et  le 
récif ,  et  finiront  par   combler  le  port  si  l'on  n'y  prend  garde. 

On  n'a  pas  sondé ,  que  je  sacbe ,  à  certaine  distance  des 
côtes,  dans  les  canaux  qui  séparent  les  îles.  H  est  probable  que 
les  fonds  doivent  y  être  irréguliers,  si  l'on  juge  par  ce  qui  a  lieu 
daus  le  voisinage  de  la  terre.  Peut-être  est  ce  à  cela  qu'il  faut 
attribuer  Tirrégularité  des  courants  remarqués  par  le  capitaine 
King  (troisième  voyage  de  Cook).  L'hydrographie  de  l'archipel 
HaTvaien  ,  bien  qu'il  soit  fréquenté  par  un  grand  nombre  de 
navires,  laisse  beaucoup  à  désirer,  et  ce  n'est  pas  sans  éton- 
nement  qu'on  voit  encore  une  île ,  Motu-Papapa  (ilc  Plateh 
marquée  douteuse  sur  les  cartes  récentes ,  à  20  lieues  de  Niihau  I 


222  - 


II. 


Quand  on  arrive  des  archipels  plus  favorisés  de  rhémisphère 
Sud  ,  on  est. frappé  de  Taspect  d'aridité  que  présentent  les  Sand. 
wich  avec  leurs  montagnes  bouleversées  qui  ressemblent  à  d*im- 
me(ises  tas  de  cendres,  où  les  laves  font  de  grandes  taches  noires. 
Il  n'y  a  que  là  où  les  scories  se  sont  décomposées  à  force  de 
temps ,  que  le  sol  a  pu  se  prêter  h  la  culture ,  et  encore  avec 
beaucoup  de  travail.  Les  côtes  du  vent,  arrosées  par  des  pluies 
fréquentes  ,  font  cependant  exception,  ainsi  que  la  zone  des  mon- 
tagnes qui  est  enveloppée  de  nuages.  La  végétation  des  tropiques 
s'y  étale  dans  toute  sa  splendeur,  quand  l'altitude  ne  cause  pas 
un  abaissement  de  température  nuisible.  C'est  là  que  se  trou- 
vent de  grandes  fougères  ,  dont  les  racines  servent  au  besoin 
de  nourriture  ;  plusieurs  espèces  de  :pandanus  ,  Valeturites  tri- 
loba  j  le  casuarina  equisetifoUa,  le  kalophyllum  inophyllum ,  le 
piper  niethysticum,  appelé  awa,  dont  l'usage  était  général,  comme 
dans  toute  l'Océanie,  le  sandal  ^  excessivement  rare  aujourd'hui, 
et  qui  a  été  autrefois  ,  pour  ces  îles ,  un  article  de  commerce 
très  important.  Sur  les  bords  de  la  mer,  le  sol  se .  prèle  plus 
aux  pâturages  qu'aux  autres  exploitations  agricoles  ;  cependant, 
on  y  trouve  à-peu-près  tous  les  végétaux  des  différents  archi" 
pels  du  Pacifique  ,  le  cocotier ,  plusieurs  espèces  de  bananiers, 
le  mûrier  à  papier,  ï hibiscus  tiliaceus  ,  le  gardénia  maveolens, 
le  riccin ,  plusieurs  espèces  de  mimeuses  et  d'acacias  ;  mais 
tous  ces  végétaux  y  sont  comme  étiolés  et  rabougris.  Valeur 
rîtes  trilùba  n'est  qu'un  arbuste  dans  la  vallée  de  Honolulu  ; 
les  arbres -à-pain  sont  très  rares  et  tout  petits ,  excepté  dans 
quelques  localités  favorisées.  Les  cocotiers  ont  un  aspect  misé- 
rable. Nous  avons  remarqué  en  grande  quantité,  sur  les  terrains 
maigres  qui  bordent  la  mer,  une  plante  de  la  taille  ordinaire 
de  nos  chardons ,  armée  de  piquants ,   avec   des    feuilles  glau- 


—  223  — 

ques,  et  portant  une  belle  fleur  qui  approche  de  celle  du  pavot  blanc 
Une  espèce  de  jonc  qui  sert  aux  indigènes  à  couvrir  et  à  revêtir 
extérieurement  leurs  cases,  habite  tous  les  lieux  bas  et  humides. 
À  l'arrivée  des  Européens ,  les  naturels  cuUivaient  avec  ha* 
bileté  le   kalo  (taro^  à  Tahiti,   arum  esculentum^  L.),  qui  forma- 
ta base  de  leur  nourriture  ;  il  faut  près  d'une  année  pour  qu*il> 
vienne  à  maturité.  Les  belles  feuilles  d'un  vert  tendre  de  cette 
plante  contribuent  singulièrement  à  Fornement  de  la  campagne, 
mais  malheur  à  l'imprudent  qui  s'aventure  sans  guide  dans  les 
marais  où  on  le  cultive  I    Cette   plante  demande   une  humidité 
constante  ;  aussi  les  moindres  filets  d  eau  sont-ils  soigneusement 
aménagés    et    conduits   aux    petits   carrés    de  terre    battue  à 
l'avance  pour  la  rendre  imperméable,  où  se  fait  la  plantation.  La 
racine  se   mange  à    Tétat  de  bouillie  appelée  poi  ;   frite ,  elle 
remplace  presque  la  pomme  do  terre.  Les  Kanaks  joignaient  aa 
Kalo  plusieurs  espèces  de  citrouilles  ,    la  patate  douce,    le  fruit 
à  pain,   l'igname ,  l'arrow-root,  la  canne  à  sucre  ,  les  fraises  et 
les  framboises  »  mais  plusieurs  de  ces   végétaux  sont  rares,  et 
tous  à  l'exception  de  la  canne  à  sucre,  manquent  de  saveur.  Les 
Européens  ont  introduit  successivement  un  grand  nombre  de  plan- 
tes et  presque  tous  les  légumes  de  nos  jardins,  dont  les  indigènes 
ne  font  aucun  cas,  mais  qu'on  vend  aux  nombreux  navires  qui 
abordent  aux  lies.  Les  melons  de    diverses    sortes  et  les  pastè*- 
ques  ont   réussi  parfaitement  ;   les    chirimoyas  du  Pérou  ,    leai 
vignes^  les  pêchers  et  les  figuiers  donnent  des  produits  passa- 
bles, mais  il  n'en  est  pas  de  mémo  des  ananas,  des  goyaviers, 
des  orangers  et  des  citronniers.  Sur  les  hauteurs  de  Maui,  on 
obtient  d'excellentes   pommes  de    terre  j  et  on  y  fait  par   an 
deux  récoltes  de  froment  de  première  qualité  ,  dont  les  farines 
commencent  à  être  exportées  dans  les  autres  archipels  du  Pa- 
cifique.  Depuis  quelque    temps ,  on  fabrique  avec  les  noix  de 
V /lleurites'triloba  (nomindig.  Kukfii  ;  Ama,  aux  Marquises  et  à 


-  224  - 

Tahiti  ),  une  huile  siccative  qui  comptera  bientôt  parmi  les 
produits  commerciaux  de  Tarchipel.  Les  indigotiers ,  qu'on 
rencontre  à  Télat  de  broussailles  en  beaucoup  d'endroits ,  ne 
paraissent  pas  avoir  réussi.  Il  est  probable  qu'on  ferait  venir 
avec  succès  le  colon ,  le  café ,  le  mûrier ,  le  tabac ,  le  cacao, 
etc.,  etc.,  mais  je  ne  crois  pas  qu'on  ait  essayé- ces  cultures, 
excepté  les  deux  premières ,  il  y  à  peu  de  temps.  Les  rats,  très 
nombreux,  sont  un  grand  obstacle  à  la  culture  des  cannes  à  sucre. 
Les  plantes  marines  sont  peu  nombreuges ,  et  leurs  espèces 
peu  variées.  Du  reste ,  toute  la  végétation  ,  comme  celle  des 
autres  groupes  Polynésiens ,  offre  plus  d'éclat  que  de  variété. 
Cependant  le  nombre  des  espèces  doit  être  plus  grand  que  dans 
la  plupart  de  ces  derniers  ,  à  cause  de  la'  position  des  Saod- 
wich  à  la  limite  dç  la  zone  tropicale  ,  ce  qui  rend  le  climat 
plus  tempéré.  Leur  grande  élévation  ,  à  cette  latitude,  permet 
aussi  à  beaucoup  de  végétaux  de  se  développer  aux  différents 
étages  ,  ce  qui  ne  peut  avoir  lieu ,  à  hauteur  égale  ,  dans  les 
îles  voisines  de  l'équateur.  L'étude  de  la  flore  havaienne  laisse 
encore  un  vaste  champ  ouvert  :  les  bords  de  la  mer  ont  été 
à  peu  près  seuls  explorés  ,  et  il  doit  y  avoir  encore  beaucoup 
à  récolter  sur  les  hauteurs  et  les  grands  plateaux  de  1  intérieur 
de  Havai.  L'(3xpédition  du  capitaine  Wilkes  {U.  S*  Exploring 
Expédition]  a  jeté  déjà  quelque  jour  sur  la  question,  et  un  de 
nos  compatriotes  ,  savant  naturaliste,  M.  Réray,  a  exploré  tout 
récemment  Tiritérieur  de  cette  île  ;  mais  le  résultat  de  ses  re- 
cherches n'a  pas  encore  été  ,  que  je  sache ,  /mis  sous  les  yeux 
du  public. 

IIL 

Les  seuls  mammifères  terrestres  que  les  Européens  trouvèrent 
aux  îles  Sandwich  étaient  le  cochon  ,  le  chien  et  le  rat.  Les 
cochons,  au  dire  de  Cook,  étaient  plus  grands  et  meilleurs  que 


-  223  - 

ceux  des  archipels  du  Sud  ;  ils  ont  alors  biea  dégéoéré  depuis. 
liCs  ëbiens,  fort  nombreux»  étaient  de  la  môme  espèce  que  ceux 
de  Tahiti  ;  aujourd'hui  le  croisement  avec  ceux  qu'on  a  impor- 
tés ne  permet  pas  de  reconnaître  à  quelle  variété  ils  appartenaient. 
Ou  les  élevait  pour  s'en  nourrir  et  faire  des  sacriûces  dans  les- 
quels on  les  immolait  par  centaines.  A  l'espèce  indigène  de  rats, 
qui  était  petite  ,  se  sont  joints  ceux  qui  se  sont- échappés  des 
navires  en  relâche  dans  les  Iles» 

Les  canaux  qui  séparent  celles  -  ci  sont  fréquentés  par  des 
marsouins.  Autrefois  on  y  rencontrait  des  cachalots  qui  ont  dis- 
paru aujourd'hui  devant  les  baleiniers.  Les  chevaux,  introduits 
au  comniencement  du  siècle,  se  sont  prodigieusement  multipliés  ; 
de  petite  taille ,  la  tête  grosse ,  ils  ne  sont  pas  élégants ,  mais 
ils  rachètent  ces  défauts  par  leur  vivacité.  Les  indigènes  de  toutes 
les  classes,  les  femmes  surtout ,  ont  une  passion  frénétique  pour 
l'équitation.  Les  bœufs  sont  en  grand  nombre,  les  moutons  sont 
moins  répandus.  Beaucoup  de  chèvres  vivent  à  Fétat  sauvage , 
principalement  à  Maui  ;  on  trouve  aussi,  dans  les  endroits  écartés  , 
des  lapins  qui  se  sont  enfuis  des  habitations. 

Les  premiers  explorateur?  mentionnent  un  assez  grand  nombre 
d'oiseaux  :  il  est  probable  que  les  rats  les  auront  détruits,  comme 
cela  a  eu  lieu  dans  les  archipels  du  Sud  ;  car  c'est  à  peine  si, 
dans  les  terrains  bas  du  bord  de  la  mer,  on  trouve  quelques 
petits  passereaux  aux  couleurs  ternes.  Les  bois  des  hautes 
régions  sont  plus  habitas  et  abritent  plusieurs  espèces  de  necta- 
fins ,  dont  les  plumes  brillantes  entraient  dans  la  confection  des 
manteaux  précieux  des  chefs.  Il  faut  y  joindre  une  petite  chouette 
très  commune.  Sur  les  rivages,  on  voit  quelques  rares  courlieux, 
une  espèce  de  bécasse ,  des  pluviers  ,  des  canards  et  des  oies 
sauvages ,  la  mouette  commune  et  tous  les  oiseaux  marins  des 
tropiques  ,  frégates  ,  fous ,  noddis  ,  paille-en-queuc ,  etc  ,  etc. 
Les  étrangers  ^nt  introduit  nos  oies  et  nos  canards  et  de  petite 

2^ 


-  226- 

dindons  gris  qui  sont  devenus,  pour  ces  îles,  un  article  impor- 
tant d'exportation.  Les  Européens  trouvèrent  des  poules  à  leur 
arrivée ,  et  on  en  rencontre  encore  beaucoup   à  Tétat  sauvage. 

Les  seuls  reptiles  terrestres  sont  un  petit  lézard  brun  et  un 
scinque  :  on  pêche  des  tortues  franches,  mais  elles  ne  sont  pas 
très  communes, 

*•  Le  poisson  entre  pour  beaucoup  dans  la  nourriture  des  habi- 
tants qui  établissent  des  pêcheries  et  des  viviers,  partout  où  la 
conformation  du  rivage  le  permet.  Les  principales  espèces  sont 
la  bonite  ,  Talbicore  ,  le  poisson-volant ,  lé  requin  ,  Tanguille  et 
le  mulet ,   qui  est  de  qualité  supérieure. 

Les  Kanaks  mangent  beaucoup  de  Tespèce  de  poulpe  appelée 
poulpe  hawaien.  On  péchait  autrefois  une  assez  grande  quantité 
d'huîtres  perlières ,  mais  les  perles  avaient  peu  de  prix.  Nos 
recherches  ne  nous  ont  montré  qu'un  petit  nombi'e  de  coquilles, 
la  plupart  appartenant  au  genre  volute. 

Les  insectes ,  lors  de  la  découverte ,  étaient  rares  et  en  nom- 
bre limité  ,  mais  presque  tous  ont  des  propriétés  nuisibles.  11  y 
a  peu  de  papillons,  mais  cependant  assez  pour  que  leurs  chenilles 
causent  de  grands  dégâts ,  auxquels  il  faut  joindre  ceux  qu'oc- 
casionne une  espèce  de  puceron.  Les  Kanaks  accusent  les 
navigateurs  de  leur  avoir  apporté  les  moustiques,  les  puces ,  les 
punaises,  les  cancrelas ,  les  scorpions  et  les  cent -pieds  qui 
:  foisonnent  dans  le  voisinage  des  ports  fréquentés. 

IV. 

Ce  qui  précède  fait  voir  que  Jes  productions  de  l'archipel 
hawaïen  sont  les  mêmes ,  à  peu  de  chose  près,  que  celles  des 
groupes  de  l'hémisphère  sud  ;  la  différence  qu'on  remarque  pjulôt 
dans  la  quantité  que  dans  l'espèce ,  est  due  à  la  plus  grande 
distance  de  l'équateur  qui  modifie  le  climat. 


—  227  — 

Celui-ci  est  très  égal  et  très  palabre,  t^s  grandes  brises  des  venrts 
alises  lerapèrent  la  chaleur  des  rayons  trop  verticaux  du  soleil 
pendant  la  saison  où  ils  seraient  le  plus  à  craindre.  Quand  on 
pénètre  dans  Tintérieur  des  îles ,  à  mesure  qu'on  s'élève  ,  la 
température  change  peu  à  peu  ,  de  sorte ,  qu'on  passe  par  tous 
les  degrés  qu'on  désire.  Les  hautes  montagnes  sont ,  pendant 
la  plus  grande  partie  de  l'année,  couvertes  de  neige,  qui  méma. 
ne  fond  jamais  sur  les  sommets  les  plus  élevés.  Les  hauteurs 
de  Maui  sont  exposées  à  de  fréquentes  tempêtes  de  neige  et  de 
grêle  :  ces  phénomènes  sont  inconnus  à  Oahu  ;  mais  à  Kauai, 
à  une  élévation  de  ^,230  mètres,  ils  se  produisent  soi^vent  :  à 
cet  endroit ,  la  température  est  toujours  basse  ;  il  faut  se  vêtir 
chaudement  et  faire  du  feu  même  en  juillet. 

La  température  moyenne  à  Waimea,  dans  l'intérieur  de  Hawai, 
à  ^,200  mètres  au-dessus  de  la  mer,  est  à  peu  près  47®,5.  Le 
point  le  plus  bas  qu'on  y  ait  observé  est  9°.  Le  séjour  de  ce 
plateau  est  recommandé  aux  personnes  énervées  par  une  trop 
longue  station  au  bord  de  la  mer  où  la  chaleur  est  beaucoup 
plus  forte.  Il  est  vrai  qu'il  pleut  très  souvent  à  Waimea,  mais 
le  sol  poreux  est  si  sec  qu'il  absorbe  promptement  l'eau  qui 
tombe  ^  que  toute  trace  d'humidité  a  vite  disparu.  La  salubrité 
du  climat  est  telle  que  beaucoup  d'individus  maladifs  et  languis- 
sants dans  nos  climats  vivent  dans  cet  archipel  sans  presque 
s'apercevoir  de  leurs  maux.  Il  est  bien  enteudu  que  je  parle  de 
ceux  qui  suivent  un  régime  convenable  et  ne  s'adonnent  pas  à' 
l'intempérance,  vice  extrêmement  répandu  dans  une  certaine  partie 
de  la  population  étrangère. 

La  plus  haute  température  observée  à  Tombre  ,  à  Honolulu, 
dans  une  période  de  douze  ans,  est  de  32«,  la  plus  basse  de  ^2«. 

Les  tableaux  suivants  empruntés  à  l'ouvrage  de  Jarves  sont 
le  résultat  de  deux  années  d'observations,  du  ^^^  janvier  Wt 
au  1er  janvier  1839,  faites  par  M.  T.  Ch.  ftyde  Rook. 


-  228  — 


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-  230  - 

On  voit  par  ces  tableaux  quelle  est  la  prédomineace  des  vents 
alises  et  le  petit  nombre  de  jours  où  le  temps  a  été  incertain. 
Bien  entendu  que  dans  un  pays  si  accidenté ,  il  y  a  des 
localités  où  il  pleut  davantage.  Pendant  neuf  mois  que  Falisé 
du  N.-E.  se  fait  sentir,  la  brise  est  quelquefois  très  fraîche, 
presque  un  coup  de  vent  ;  mais  cet  air  si  pur  ranime  les 
habitants  pendant  les  mois  les  plus  chauds ,  en  même  temps 
qu'il  les  délivre  des  exhalaisons  dangereuses.  Oahu  et  Kauai 
sont  celles  des  îles  qui  y  sont  le  plus  exposées.  La  partie  de 
dessous  le  vent  de  Maui  est  soumise  aux  alternatives  régulières 
des  brises  de  terre  H  du  large.  A  Hawai,  la  hauteur  des  mon- 
tagnes s'oppose  au  passage  du  vent  de  nord-est  qu'elles  réfléchis- 
sent ,  de  sorte  qu'il  prend  pendant  le  jour  tous  les  caractères 
de  la  brise  du  large,  et  est  remplacé  la  nuit  par  la  brise  de 
terre.  Quand  le  vent  trouve  sur  son  passage  un  défilé  ,  une 
coupure  dans  la  montagne  ,  il  s'y  engouffre  ,  parfois  avec  une 
force  telle  qu'on  est  exposé  à  être  renversé. 

Les  vents  de  sud  et  d'ouest  interrompent  la  régularité  de 
l'alise  pendant  Thiver,  et  causent  de  grandes  perturbations. 
Ils  amènent  des  calmes  de  longue  durée  ou  des  tempêtes  qui 
forcent  à.  appareiller  les  navires  mouillés  sur  la  rade  /oraîne  de 
Waikiki.  Le  vent  du  sud  est  ordinairement  accompagné  de  grande 
pluie  ou  chargé  d'une  vapeur  salée  qui  se  dépose  comme  une 
gelée  blanche  sur  les  végétaux  voisins  du  rivage.  Quand  cas 
vents  régnent  pendant  quelques  jours  ,  les  maux  de  tête  ,  les 
douleurs  rhumatismales  font  irruption  sur  les  habitants  :  la  res- 
piration est  oppressée  par  un  air  lourd  et  embrasé  dans  les 
moments  de  calme.  A  Honolulu  ,  l'inconvénient  de  ces  vents 
est  encore  plus  vivement  senti  qu'ailleurs  ,  parce  qu'il  passe  sur 
des  lagunes  dont  les  effluves  sont  désagréables  et  pernicieuses. 
Mais  pendant  les  quelques  jours  que  le  vent  alise  suit  son 
cours  régulier  dans  l'intervalle  de  ces  perturbations  atmosphé- 


-  231  — 

riques,  le  temps  est  beaucoup  plus  beau  que  pendant  le  reste 
de  l'année.  Il  n'y  a  pas  un  nuage  au  ciel  ;  la  pureté  de  Tair, 
quand  il  fait  clair  de  lune,  frappe  le  spectateur  le  plus  indiffèrent. 

Les  orages  sont  rares  et  peu  violents  :  on  n'a  pas  observé 
d'ouragan,  c'est-à-dire  de  coups  de  vent  giratoires. 

J'ai  parlé  longuement  des  eff'ets  extraordinaires  de  marée , 
des  phénomènes  volcaniques,  tremblement  de  terre,  etc.,  etc.  Le 
25  septembre  ^825  ,  on  a  observé  ,  à  Honolulu,  une  pluie  de 
pierres  météoriques ,  dont  quelques-unes  pesaient  de  5  à  ^  0 
kilogrammes.  En  tombant,  elles  s'enfonçaient  profondément  dans 
le  corail.  Leur  couleur  était  un  noir  grisâtre  avec  une  cassure 
un  peu  jaune. 


Vers  4803  ,  une  épidémie,  probablement  une  sorte  de  typhus, 
désola  toutes  les  îles  de  la  Polynésie.  Aux  Sandwich,  on  a  gardé 
le  souvenir  de  ce  fléau  qui  causa  une  mortalité  si  grande  , 
disent  les  indigènes  ,  que  les  vivants  ne  suffisaieni  plus  pour 
enterrer  les  morts.  En  4846  et  4853,  l'archipel  fut  de  nouveau 
ravagé  par  la  petite  vérole ,  mais  il  faut  espérer  que  l'emploi 
du  vaccin  ,  qui  commence  à  se  répandre  ,  arrêtera  les  progrès 
du  mal.  La  dernière  de  ces  années,  on  ressentit  aussi  une  sorte 
de  fièvre  bilieuse,  présentant  à  la  première  vue  les  symptômes 
effrayants  de  la  fièvre  jaune,  mais  dont  la  période  aiguë  cédait 
promptement  aux  vomitifs  et  aux  saignées  énergiques  ;  néan- 
moins, la  convalescence  durait  quelquefois  plusieurs  mois.  Celte 
grippe  parut  presque  en  môme  temps  en  Californie  ,  aux  Sand- 
wich ,  aux  îles  de  la  Société  et  aux  Marquises  ,  et  depuis  elle 
revient  périodiquement  aux  mêmes  époques ,  dans  les  mêmes 
endroits.  Dans  les  premiers  temps,  elle  n'a  été  funeste  qu'aux 
Indiens  qui  négligent  les  {>\us  simples  lois  d'hygiène  ,  et  ne 
connaissent  d'autre  remède  à  la  fièvre,  que  d'aller  se  plonger  dans 


-  232  — 

Teau  la  plus  froide  qu'ils  puissent  trouver.  Cependant,  on  dirait 
qu«  (Tannée  en  année  ,  elle  semble  présenter  plus  de  gravité. 
Ainsi  la  deuxième  année,  nous  avons  vu  chez  les  blancs,  malgré 
le  traitement  indiqué  plus  haut  et  des  soins  entendus,  des  acci- 
dents typhoïques  bien  caractérisés,  et  plus  tard  quelques-uns  sont 
morts  qui  n'avaient  commis  aucune  imprudence.  Je  ne  saurais 
dire  s'il  y  a  eu  beaucoup  de  victimes  dans  la  population  indigène 
des  Sandwich.  C'est  assez  probable  ,  à  juger  par  ce  qui  s'est 
passé  à  Tahiti  et  aux  Marquises.  Il  parait  qu'on  y  connaissait 
cette  espèce  de  grippe  (Infiuenza  des  médecins  anglais  et  amé- 
ricains) ,  mais  jusqu'alors  elle  ne  s'était  montrée  que  comme 
une  affection  très  légère ^ 

La  gale  et  d'autres  maladies  cutanées  sont  assez  communes, 
surtout  loin  des  principaux  centres  de  population ,  là  où  le 
peuple  est  resté  dans  sa  saleté  primitive  et  mange  beaucoup  de 
poisson  mal  salé»  Les  maladies  syphilitiques  ont  diminué  d'in- 
tensité ,  excepté  dans  les  ports  de  mer  où  la  fréquentation  d'uo 
grand  nombre  de  matelots  les  entretient.  Il  y  a  bien  peu  d'in- 
digènes qui  n'en  portent  les  traces. 

Malgré  les  maladies  que  je  viens  d'énumérer  et  auxquelles  il 
faut  joindre  quelques  cas  observés  d'esquinancie  et  de  croup, 
le  pays  est  fort  sain  et  surtout  favorable  aux  enfants.  Oii  peut 
sortir  par  les  plus  fortes  chaleurs  ,  sans  craindre  les  inso- 
lations, et  rester  des  heures  entières  dans  l'eau ,  bravant  les 
fièvres,  ce  qu'on  ne  peut  faire  impunément  dans  la  plopart  des 
contrées  de  la  zone  lorride.  Il  est  bien  évident  que  ceci  s'ap- 
plique aux  personnes  qui  ne  font  pas  de  grands  écarts  de  régime, 
et  non  aux  matelots  ivres-morts  dont  les  rues  de  Honolulu  sont 
quelquefois  jonchées,  ni  aux  Indiens^  mal  logés  dans  une  cabane 
do  paille  ouverte  à  tous  les  vents  ,  au  milieu  des  effluves  des 
champs  de  tara  ,  mal  vêtus ,  mal  nourris  ,  et  livrés  encore  aux 
artifices  de  leurs  sorciers. 


—  233  — 


VI. 


Les  naturels  appartiennent  au  rameau  de  l'espèce  mongole 
qui  a  peuplé  la  Polynésie.  A  leur  arrivée  dans  les  lies,  les  Euro- 
péens furent  frappés  de  la  différence  entre  les  chefs  et  les  hommes 
de  la  classe  inférieure.  Les  premiers  étaient  tous  de  grande 
taille,  et  très  obèses  une  fois  arrivés  à  un  certain  âge  ;  les  vieilles 
femmes  étaient  véritablement  monstrueuses.  Les  seconds  ne  dépas- 
saient pas  la  taille  des  Européens ,  et  leur  constitution  semblait 
plutôt  délicate  que  robuste.  C'était  cependant  bien  la  même  race. 
Ce  contraste  qui,  à  la  première  vue,  aurait  pu  en  faire  douter, 
était  dû  à  la  différence  dans  la  manière  de  vivre  des  grands  et 
des  gens  du  peuple.  Ceux-ci  étaient  soumis  à  des  corvées  con- 
tinuelles constituant  un  véritable  servage,  tandis  que  les  autres 
ne  faisaient  rien.  Aujourd'hui ,  il  n'y  a  plus  autant  de  dispa- 
rate, mais  on  voit  encore  des  individus  des  hautes  classes  qui 
passeraient  pour  des  géants.  Quoique  habitant  plus  loin  de 
l'équateur  que  les  Nukuhiviens  et  les  tahitiens ,  ils  ont  le  teint 
plus  foncé  et  sont  moins  beaux  surtout  que  les  premiers  ;  leurs 
traits  dénoncent  davantage  leur  origine  asiatique.  Je  les  crois 
aussi  moins  intelligents.  Les  femmes  sont  généralement  de  grande 
taille  ;  elles  ont  les  traits  un  peu  plus  délicats  que  les  hommes, 
mais  les  deux  sexes  &e  ressemblent  plus  dans  ces  îles  que  pres- 
que partout  ailleurs.  En  somme  ,  l'impression  qu*on  éprouve 
en  les  voyant  ne  leur  est  pas  favorable ,  surtout  quand  on  a 
passé  par  Tahiti,  où  la  population  est  si  rieuse.  Les  Hawaïens, 
quelque  bons  et  affables  qu'ils  soient  au  fond,  ne  sont  pas  avenants. 
Cook,  et  principalement  Vancouver,  dont  l'affection  pour  eux 
rend ,  dans  ce  cas ,  le  témoignage  impartial ,  se  plaignent  de 
leur  froideur  et  de  leur  tacilurnité.  Nous  avons  remarqué  que 
celte  réserve  n'a  fait  qu'augmenter  avec  les  prédications  des 
rigides  apôtres  qui  ont  entrepris  leur  conversion  ;   de  pîus ,  la 

30 


-  234  — 

pelilc  vérole  a  eu  une  funeste  influence  sur  l'aspect  général  da 
peuple  :  11  y  a  peu  d'individus  des  deux  sexes  qui  n'en  portent 
pas  les  marques. 

Les  mœurs  étaient  aux  Sandwich  les  mômes  que  dans  toutas 
les  îles  de  la  Mer  du  sud,  et  quoi  qu'on  en  ait  dit,  elles  n'ont 
guèrcs  changé  ;  seulement  aujourd'hui  on  se  cache  pour  ce  qui, 
jadis,  n'exigeait  aucun  mystère  ;  la  vraie  différence,  c'est  que, 
des  lois  restrictives  s'opposant  à  la  débauche ,  celle-ci  est  tarifée 
plus  haut.  L'anthropophagie  existait  aui refois;  mais  déjà,  du 
temps  de  Cook,  cette  horrible  coutume  avait  à-peu-près  disparu. 
L'usage  (Je  VAwa  ou  Kaoa  (Piper  fâethysticum) ,  dont  on  fait 
une  boisson  stupéfiante  en  délayant  dans  de  l'eau  la  racine  mâ- 
chée, était  général.  On  l'a  remplacé  pair  les  liqueurs  fortes  ; 
mais  comme  les  droits  énormes  qui  les  frappent  à  l'entrée  ne 
les  mettent  pas  à  la  portée  de  toutes  les  bourses  ,  oû  s'enivre 
avec  de  l'eau  de  Cologne  ou  d'autres  essences  où  il  entre  de 
l'alcooL 

Cook  )  ou  plutôt  son  continuateur,  le  capitaine  King,  estimait 
la  population  de  l'archipel  entier  à  400,000  âmes.  Ce  nombre  est 
évidemment  exagéré.  Le  spectacle  si  nouveau  des  navires  atti- 
rait une  foule  de  peuple  partout  où  ils  se  rendaient ,  et  souvent 
les  mêmes  personnes  parurent  a  diverses  reprises  devant  les 
Anglais  qui  n'y  prirent  pas  garde.  Des  voyageurs  venus  depuis 
ont  cru  que  le  chiffre  donné  par  Cook  pouvait  être  réellement 
celui  des  habitants  à  l'époque  où  il  les  visita  :  leur  opinion 
est  fondée  sur  le  grand  nombre  d'enclos  autrefois  cultivés,. de 
débris  d'habitation,  etc.,  etc.,  qu'on  rencontre;  mais  c'est  une 
coutume  générale  chez  les  insulaires  dû  grand  Océan  de  quitter 
leurs  demeures  et  leurs  champs  ,  sous  une  foule  de  prétextes 
religieux  pour  s'établir  dans  un  autre  endroit. 


-  23o  ^ 

Le  lableau  suivant    montre  le  mouvement  de  la   population 
pendant  une  période  de  O  annfes  (4). 

1823.  1832.  1836. 


Hawai. .  • . 

83,000 

45,792 

39,364 

Maui 

20,000 

35,062 

24,199 

Lanaî.  .  • . 

2,500 

1,600 

l,iOO 

Molokai.  . 

3,500 

6,000 

6,ooa 

Kahoolawe 

50 

80 

80. 

Oahu.  . . . 

20,00& 

29,755 

27,809 

Kauai.  *  •  • 

40,000 

10,977 

8,934 

Nuhau.  .. 

1.000 

1,047 

993 

142,050         130,3i3         108,579 

On  voit  que  la  population  augmente  dans  certaines  localités 
aux  dépens  des  autres ,  et  que  le  résultat  final'  est  une  grande 
diminution.  En  1846  ,  la  petite  vérole  enleva  ,  dit-on  ,  10,000 
personnes  ,  et  la  mortalité  fut  peut-être  encore  plus  grande  en 
1853.  Je  crois  qu'en  adoptant  75,000  pour  le  nombre  des  ha- 
bitants ,  on  serait  près   de  la  vérité. 

Je  ne  puis  mieux  faire  pour  expliquer  les  causes  de  cette 
dépopulalion,  que  de  citer  le  livre  de  M.  Jàrves,  d'autant  plus 
que  ce  qu'il  dit,  pour  les  îles  Hawai,  peut  s'appliquer,  avec  pres- 
que autant  de  justesse  ,  à  toutes  les  îles  du  grand  Océan: 

€  Quel  que  fut,  dit  il ,  le  chiffre  de  la  population  ,  il  était  au 
temps  de  Cook,  beaucoup  plus  fort  qu'à  présent,  et  il  a  rapi- 
dement diminue  depuis.  Le  nombre  des  habitants  n'a  sans  doute 
jamais  été  aussi  grand  que  celui  que  les  îles  auraient  pu  nourrir 

(1)  Les  cliiffres  de  ce  lableau  ne  soûl  qu'approximatifs.  Il  est  bien 
diàicile ,  même  aujourd'hui  ,  de  fiiire  un  recensement  véridique 
dans  un  pays  où  chacun  ne  voit  dans  celle  opération,  que  le  but 
d'augmenter  le  nombre  4es  contribuables  k  taxer ^ 


^  236  ^ 

avec  les  ressources  de  la  civilisation.  Autrefois»  avant  leur  con- 
version au  christianisme,  quoiqd'ils  fussent  divisés  en  un  grand 
nombre  de  tribus  hostiles  ,  Timperfeclion  de  leurs  armes  ren- 
dait leur  guerre  peu  meurtrière.  Grâce  à  rhospilalité  sans  bornes 
que  les  chefs  exerçaient  par  orgueil  de  caste  ,  et  dont  Fhabi  • 
tude  avait  gagné  aussi  les  basses  classes,  les  opprimés  trouvaient 
partout  le  vivre  et  le  couvert.  Le  serviteur  mécontent  de  son 
maître  s'enfuyait  chez  un  autre  ,  où  il  était  le  bienvenu.  Les 
taxes  imposées  par  les  chefs  étaient  lourdes,  le  travail  exigé 
par  eux  considérable,  mais  il  tournait  au  profît  de  tous.  Chaque 
individu  était  intéressé  au  bien-être  du  chef  qui  le  nourrissait, 
de  là  des  habitudes  patriarchales  et  un  attachement  mêlé  de 
respect  et  de  crainte  pour  les  hautes  classes ,  que  renforçait 
encore  l'habitude  du  pouvoir  sans  contr61e  qu'on  ne  leur  avait 
jamais  contesté.  Les  Européens  parurent  :  le  désir  de  posséder 
les  richesses  qu'ils  apportaient  développa  chez  les  chefs  des  idées 
de  rapacité  jusqu'alors  inconnues.  Pour  arriver  au  but,  qu'impor- 
taient les  moyens  t  La  passion  du  gain  étouffa .  chez  les  classes 
supérieures  les  quelques  sentiments  humains  qu'elles  pouvaient 
avoir.  On  sait  ce  qui  en  résulta.  Tout  le  pays  ^fut  mis  en  ré- 
quisition forcée.  Hommes ,  femmes  et  enfants  furent  imposés 
au-delà  de  leur  pouvoir.  Il  fallait  du  bois  de  Sandal  à  tout 
prix,  et  pour  en  procurer  aii  chef ,  les  pauvres  Indiens  esca- 
ladèrent des  montagnes  réputées  inaccessibles,  et  apportèrent  au 
rivage  de  lourds  fardeaux  sur  leurs  épaules  saignantes.  L'aban- 
don de  l'agriculture  amena  la  famine  et  les  maladies  qui  firent 
périr  une  grande  quantité  de  peuple.  Les  premiers  effets  du 
christianisme  ajoutèrent  aux  maux  de  ces  pauvres  gens.  Le  tra- 
vail forcé  était  depuis  si  long-temps  de  mode  ,  que  les  chefs 
n'avaient  pas  1  idée  qu'on  pût  s'en  passer.  Sans  tenir  compte 
des  préceptes  de  leur  foi  nouvelle ,  ils  augmentèrent  les  travaux 
dii  peuple    de  ia   construction   des    églises  et  des  écoles.  Cet 


--  237  - 

affreux  système  d*âbus  dura  jusqu'en  4838  ,  époque  où  it  finit 
par  disparaître,  gr&ce  aux  missionnaires  et  aux  principaux  rési- 
dents étrangers.  La  servitude  de  la  glèbe  n'existe  plus  aujour- 
d'hui  aux  lies  Hawai.  Les  guerres  de  Kamekameha  h^  firent 
aussi  périr  beaucoup  de  monde.  • 

—  «  Avant  Cook,  les  maladies  étaient  peu  nombreuses  et  sim- 
pies.  Leur  gravité  augmenta  ,  tandis  qu'on  manquait  des  con- 
naissances et  des  remèdes  nécessaires  pour  en  arrêter  le  progrès. 
La  terminaison  presque  toujours  fatale  des  affections  mor- 
bides développa  chez  les  individus  un  profond  sentiment 
d'abandon  d'eux- menées.  Les  sauvages  tiennent  naturellement 
peu  à  la  vie.  On  en  voit  beaucoup  qui,  atteints  d'une  maladie 
souvent  insignifiante  au  début ,  meurent  faute  d énergie  pour 
vivre.  Sourds  à  toute  espèce  d'encouragement ,  insoucieux  de 
l'existence ,  f7^  se  laissent  mourir  comme  des  animaux.  Les 
liqueurs  spiritueuses  et  la  débauche  sont  considérées  ordinaire- 
ment comme  les  causes  principales  de  dépopulation  ;  mais  on 
a  exagéré  leurs  effets.  Les  coutumes  des  habitants  sont  meil- 
leures qu'avant  la  découverte  de  ces  lies  ,  alors  que  l'ivresse 
produite  par  le  Kava  ^  la  promiscuité  la  plus  révoltante  et 
J'inccsle  étaient  à  Tordre  du  jour.  Les  maladies  causées  par  la 
débauche  ont  envahi  toute  la  race  et  semblent  l'avoir  frappée 
de  stérilité.  Avant  Cook ,  elles  étaient  inconnues.  Evidemment 
elles  sont  une  cause  puissante  de  ruine  ,  mais  elle  ne  provo- 
quent pas  autant  la  destruction  de  la  population  qu'elles  n'em- 
pêchent son  accroissement.  La  fécondité  des  jeunes  gens  est  très 
faible  par  comparaison  aux  autres  pays.  Il  y  a  aussi  plus  de 
décès  et  moins  dé  naissances  en  proportion,  » 

—  «Un  autre  point  sur  lequel  on  a  passé  trop  légèrement,  c'est 
l'adoption  des  vêtements  étrangers.  Autrefois  l'habillement  était 
simple -^^  mais  bientôt  désireux  d'imiter  les  blancs,  on  jeta  les 
vieux  costumes  de  côté  pour  les  remplacer  imparfaitement  par 


-  23$  - 

les  produits  étrangers  qu'on  pouvait  obtenir.  La  fortune  des 
chefs  leur  permettait  de  s'habiller  au  complet,  convenablement, 
mais  il  n'en  était  pas  de  môme  du  pauvre  qui,  suivant  sa 
richesse  du  moment ,  se  contentait  des  guenilles  abandonnées 
par  le  matelot  de  la  mer  polaire  ,  ou  se  drapait  dans  les  plus 
fines  soieries  de  la  Chine.  Le  môme  individu  portait  pendant 
des  semaines  un  vêlement  trop  chaud  pour  le  climat ,  puis 
ensuite  restait  pendant  un  temps  aussi  long  dans  un  état  de 
nudité  presque  complète.  Avec  le  beau  temps  ,  le  brillant 
soleil,  venait  Tenvie  d'étaler  les  vêtements  les  plus  luxueux. 
Une  averse  menaçait  elle  de  tomber,  les  élégantes ,  plutôt  que 
de  gâter  leurs  nouvelles  toilettes,  exposaient  leurs  corps  nus  à 
Forage.  Toutes  les  fois  qu'il  y  a  quelque  travail  à  faire,  c'est 
la  même  chose.  La  saison  où  des  vêtements  sont  de  mise  pour 
conserver  au  corps  une  température  uniforme  était  justement  celle 
où  l'on  n'en  portait  pas,  tandis  qu'on  s'en  couvrait  alors  qu'on 
eût  pu  s'en  passer.  Les  constitutions  déjà  affaiblies  par  les  causes 
énoncées  plus  haut,  ne  pouvaient  pas  supporter  un  pareil  trai* 
tement.  Les  fièvres  et  les  refroidissements  devinrent  de  plus 
en  plus  graves  et  amenèrent  plus  souvent  des  résultats  funestes 
que  la  moindre  prudence  eût  écartés.  » 

—  «  Les  coutumes  des  indigènes  étaient  par  elles-mêmes  sus- 
ceptibles de  développer  des  maladies.  Il  y  en  avait  plusieurs, 
telles  que  les  philantropes  peuvent  demander  comment  il  se 
fait  que  la  dépopulation  n'ait  pas  été  plus  rapide.  On  n'a  parlé 
que  de  celles  qui  ont  agi  depuis  la  venue  des  blancs.  Les 
guerres  ont  pris  un  caractère  plus  meurtrier  jusqu'au  moment 
où  la  conquête  de  tout  l'archipel  a  été  accomplie.  Les  travaux 
imposés  aux  vaincus  n'ont  pas  été  moindres,  loin  de  là.  Puis 
parurent  des  maladies  auxquelles  on  n'opposait  aucun  ifemède. 
Le  rum  vint  s'ajouter  à  toutes  ces  causes  de  destruction,  aug- 
mentées aussi  par  la  négligence  des  plus  simples  règles  d'hygiène. 


—  239  — 

Il  ne  faut  pas  oublier  que  toutes  ces  influences  n*ont  fait  que 
s'ajouter  à  celles  qui  existaient  dans  les  lies  avant  leur  décou- 
verte, lesquelles  suflisaient  déjà  pour  empêcher  l'accroissement 
de  lu  population.  » 

Au  premier  aspect  ,  il  semble  que  la  civilisation  est  mortelle 
pour  les  peuples  primitifs  qui  viennent  en  contact  avec  elle. 
M.  Jarves  prétend  ,  qu'en  se  plaçant  à  un  point  de  vue  plus 
élevé  ,  on  doit   arriver  à  la  conclusion  contraire  : 

—  «  Si,  dit-il,  la  civilisation  détruit,  elle  crée  également,  et 
en  même  temps  que  le  mal  règne  sans  contrôle ,  il  se  forme 
des  tendance^  en  sens  opposé  et  plus  puissantes,  qui  finissent 
par  le  maîtriser.  Le  mouvement  de  dépopulation  a  été,  autant 
qu'on  a  pu  s'en  assurer,  plus  rapide  sous  les  règnes  de  Kame- 
hameha  l^^  et  de  Liho-Liho  ^  son  successeur,  qu'aujourd'hui  (4). 
À  mesure  que  la  civilisation  a  gagné  du  terrain,  la  mortalité  a 
diminué  relativement.  Le  despotisme  sans  frein  des  chefs  est  tombé 
de  lui-môme.  On  a  promulgué  des  lois  favorables  à  l'accroissement 
de  la  population  :  ainsi,  les  familles  où  il  y  a  trois  enfants  sont 
exemptées  de  tous  les  impôts.  Celles  qui  eti  ont  davantage  reçoi- 
vent des  concessions  de    terrain   et  d'autres  encouragements.  » 

M.  Jarves  fait  ensuite  un  tableau  séduisant  du  nouvel  esprit 
qui  semble  animer  le  peuple,  de  sa  régularité  à  fréquenter  les 
écoles  et  les  lieux  consacrés  au  culte ,  et  de  sa  tendance  à 
riûdustrie.  La  dégradation  physique  et  morale  ,  selon  lui ,  dis- 
paraîtrait rapidement.  Malheureusement  ce  tableau  est  bien  em- 
belli :  on  n'a ,  pour  en  être  convaincu  ,  qu'à  passer  le  soir 
devant  le  théâtre  de  Honolulu,  quand  il  y  a  représentation.  Pour 
ma  part ,  j'en  suis  très  peiné.  J'aimerais  mieux  mille  fois  que 
tout  ce  que  dit  l'auteur  cité  fût  rigoureusement  vrai ,  persuadé 
que  ce  serait  au  bénéfice  de  celte  race  polynésienne  qui  a  gagné 
toutes  mes  sympathies  depuis  que  j'ai  vécu  avec  elle. 

(1)  Jarves  écrivait  en  1843,  avant  l'invasion  de  la  fièvre  bilieuse  et  de 
Ia  petite  vérole  qui  ont  fait  beaucoup  de  victimes. 


—  âW  — 


Vil. 


Quelques  remarques  sur  chacune  deâ.4les  en  particulier  com- 
plèleront  ces  notions  générales  sur  l'archipel. 

L'ile  la  plus  grande  ,  Hawai  {Oivhyhee  de  la  carte  française), 
située  au  sud-est,  est  de  forme  à-peu-près  triangulaire  q|  a  environ 
240  milles  de  tour.  Quoique  ses  montagnes  soient  très  élevées , 
leurs  pentes,  qui  commencent  à  partir  du  rivage,  sont  douces, 
et  sauf  quelques  exceptions  ,  ne  présentent  pas  à  un  haut  degré 
les  anfractuosîtés  qui  caractérisent  les  pays  de  formation  vol- 
canique. Le  point  culminant  est  le  Mauna-Kea,  haut  de  4,-150 
mètres  (i),  situé  vers  le  milieu  du  côté  qui  regarde  le  nord- est. 
11  se  distingue  par  trois  pics  qu'on  peut  voir  de  40  lieues.  Le 
MaunaRoa  ^  au  sud,  s'élève  à  4.036  mètrçs  ,  et  le  Mauna^ 
Buararaî ,  à  l'ouest^  à  2,381  mètres.  Entre  les  trois  monts, 
s'étend  un  plateau  très  élevé,  inculte  et  désert,  privé  d'eau  , 
où  l'on  est  exposé  à  mourir  de  faim  et  de  soif.  Le  sommet 
de  la  première  de  ces  montagnes  est  toujours  couvert  de  neige, 
et  il  y  en  a  sur  toutes  les  autres  pendant  la  plus  grande  partie 
de  l'année.  Le  MaufiaRoa  (montagne  longue),  dont  le 'grand  axe 
nord-est  et  sud-ouest  est  parallèle  au  rivage,  paraît  de  la  mer  cotahie 
un  plateau,  ce  qui  répond  hien  au  nom  de  la  Mesa  {la  Table) 
de  la  vieille  carie  espagnole.  Le  volcan  de  Kilanea  tient  une 
grande  place  dans  les  légendes  de  l'archipel.  On  lit  une  des* 
cription  détaillée  des  phénomènes  qu'il  présente,  dans  le  rédl 
du  capitaine  Wilkes,  qui,  en  48î2,  a  visité  l'intérieur  de  Hawai, 
au  prix  de  grandes  fatigues  :  il  faut  dire  que  l'époque  de 
l'année ,  en  décembre  et  en  janvier  ,  n'était  pas  des  plus  favo- 
rable pour  une  excursion  pareille. 

(i)  Carte  française  des  îles  Hawai,  publiée  par  le  Dépôt  de  la  Marine  . 
1847. 


—  2*1  — 

La  populatioa  mUgène  est  peut  «^  être  aujotrrd'hQi  de  29,00# 
hahîtaûts  »  xfA  vivent  prèâ  du  bofd  de  la  mer.  Au  temps  de 
Cook ,  rite  était  divisée  en  six  graads  districts  :  KohcUa  au 
nord  ;  Bamakua  et  Hiio  au  n&rd^esl  ;  Ptma  mx  sud-est  ;  Rau 
au  sud  I  «l  JToiui  à  l'ouest 

Le  district  de  Kohala  est  bordé  de  moraes  d*un  aspect  logn- 
breJ  La  côte  de  Hamakua  préseate  une  suKe  de  fataises  escarpées, 
fautes  de  20^  mètres  et  tapissées  de  verdure ,  d'oà  se  précipb 
tei^  une  foule  de  cascades  qui  tombent  dJwectemeût  à  la  Bien 
Le  côté  ^jda  i«)iK  de  î'îte  est  akKmditmment  pourvu  d*eau.  Le 
canton  de  Hilo  possède  la  baie  de  Wad-Âkeai  ^oe  les  marios 
coonaissent  sous  le  nom  de  Byron's  Bay^  du  nom  du  capitaine 
Byron ,  qui  y  moittlla  le  premier  avec  la  frégate  la  Blonde  ^  ca 
^25.  Wai-Âkea^  ou  plutôt  Hito^,  esf  u&  des  points  les  phis 
favorisés  de  Tarcbipel ,  les  plus  fertiles  et  les  plus  riîches  en  pro- 
ductions végétales  ,  et  en  même  temps  un  des  plus  pittorear- 
que& 

L&  dlslriet  de  Puna  d*est,  &  vrai  dire»  qu'un  diarap  délaves. 
Quant  à  celui  de  Kau,  il  esl  ifiq[)OSsiUe  d'imaginer  rien  de  phis 
âpre  et  de  plus  affifeut  ;.  il  parait  cependant  qu'il  est  très 
peiiplé. 

La  partie  oecMeiïtale  ,  occupée  par  le  district  de«^9i£a  y  est 
beaucoup  moins  favorisée  que  d'autres  sou$  le  rapport  de  la 
^oie.  C'esi  de  ^  cèté  que  se  trouve  la  baie  de  Seiakeaàua  , 
où  péiil  le  c£q[MaiQe  G^k  y  mauvaise  rade  ,  qui  n>  plus 
gnères  été  Iréque&tée  ,  quaod  od  eut  tmmé  im  boa  port  à 
Oahu.  . 

Hotit  ilhî»ee  de  la  carte  françaiseX  située  à  peu  près  à  % 
nflles  dafiS  le  nord*ei^  de  liafwaj  ^  celle  île  a  une  forme  irrégu- 
tièie.  Ua  isthme  bas  Ift  divise  en  det»  parties.  Celle  du  sud-est 
est  montueuse  et  volcanique.  Le  cratère  éteint  du  Mauna  hale-a- 
àak  {Mmtaa  du  Soleil}  alleiûit  là  bsfuleur  de  3^3^44  mètires.  Tous 

3i 


-  242  — 

les  Toyageurs  s'accordent  pour  vanter  la  richesse  de  la  partie  du 
nord  •  ouest.  C'est  vers  le  milieu  du  côté  méridional  de  cette 
presqu'île  que  se  trouve  Lahaina^  la  deuxième  ville  de  l'archipel, 
et  qui  se  partage  avec  Honolulu  les  navires  en  relâche.  On  y 
mouille  en  pleine  côte,  exposé  à  la  houle  j  mais  le  temps  y  est 
presque  toujours  beau  et  l'aiguade  commode.  (I) 

Kaoolawe  (Tahoorowa  Aq  la  carte)  est  une  petite  île  basse  et 
stérile ,  couverte  de  broussailles,  à  quelques  milles  dans  le  sud 
de  Maui.  Elle  est  habitée  seulement  par  quelques  familles.  Entre 
elle  et  cette  dernière  se  trouve  le  petit  Ilot  Molohini^  élevé  de 
5  ou  6  mètres  au-dessus  de  la  mer. 

Molokai  est  à  5  ou  6  milles  au  nord-ouest  de  Maui.  Elle  a 
près  de  44  lieues' de  long,  mais  elle  est  excessivement  étroite, 
composée  presque  en  entier  de  montagnes  élevées  qui  ne  lais- 
sent entre  elle  et  la  mer  qu'une  petite  bande  de  terrain  culli- 
vable, 

Lanai  {Ranai  de  la  carte)  au  sud  de  Molokai ,  est  beaucoup 
plus  basse  que  celle  -  ci  :  elle  est  accidentée  et  stérile ,  privée 
qu'elle  est  de  sources  et  de  torrents. 

Maui  et  Ranai  ont  leurs  axes  dirigés  sud- est  et  nord-ouest; 
Molokai  a  le  sien  est  et  ouest. 

A  23  milles  dans  Touest -nord -ouest  de  Molokai  se  trouve 
Oàhu  (Wahoo  de  la  carte)  la  plus  fertile,  la  plus  riche,  la  plus 
jolie  et  aujourd'hui  la  plus  importante  des  îles  Sandwich.  Longue 
de  46  milles,  large  de  25  ,  elle  est  traversée  du  sud -est  au 
nord-ouest  par  une  chaîne  de  montagnes  qui  s'arrête  du  côté 
jdè  l'ouest ,  à  la  plaine  d*Ewa.  Oahu  doit  son  importance  a  son 
'excellent  port  situé  dans  la  partie  sud  et  formé  par  une  coupure 
creusée  dans  le  récif  par  les  eaux  d'une  petite  rivière  qui  tra- 
verse la  fertile  vallée  de  Nuuanu.  C'est  à  l'ouvert  de  cette  \'allée 

(i)  Lahaina  n'est  pas  marquée  sur  la  carte  française  de  1847. 


—  243  — 

qu*est  nonolulUj  ville  de  ^ 0,000  âmes,  qui  présente  toutes  Icsr 
ressources  des  pays  civilisés.  Honolûlu  veut  dire  baie  calme,  et 
jamais  nom  ne  fut  mieux  mérité.  Les  navires  s*y  amarrent,  sans 
rien  craindre  ,  aux  récifs  qui  forment  des  quais  naturels.  Il  est 
fâcheux  que  l'entrée  du  canal  qui  conduit  au  port  ne  puisse 
admettre  que  des  navires  ne  tirant  pas  plus  de  cinq  mètres 
d*eau.  Les  grands  bâtiments  mouillent  en  pleine  côte  sur  la  rade 
de  Waikiki ,  mauvais  ancrage  sur  des  fonds  de  corail  irrégu- 
liers, très  dangereux  avec  les  Aents  de  la  partie  du  sud ,  et  où 
Ton  est  9  de  tout  temps  ,  tourmenté  par  la  houle  ,  ou  une  brise 
très  fraîche  qui  apporte ,  toute  la  poussière  de  la  plaine  de 
WaikikL  C'est  ainsi  qu'on  nomme  le  terrain  poudreux  et  aride 
qui  s'étend  entre  HonoIulu ,  les  montagnes  et  la  pointe  du 
Diamant ,  vaste  cratère  éteint  qui  est  le  point  le  plus  saillant 
de  la  côte.  Les  épitliètes  louangeuses  que  donnent  les  résidents 
et  la  presse  de  Oahu  à  un  bouquet  de  cocotiers  rachitiques  qu'on 
voit  de  ce  côté ,  ne  sont  pas  faits  pour  inspirer  une  haute  idée 
de  la  végétation  du  pays.  La  vallée  de  Nuuanu  présente  de 
nombreux  champs  de  Kalo  et  des  pâturages  fertilisés  par  des 
averses  qui  souvent  n'arrivent  pas  jusqu'à  Hojiolulq  ;  il  n'y  a 
pas  d'arbres  ,  à  l'exception  de  quelques-  aleurites-iriloba  rabou- 
gris. Une  belle  route,  remontant  cette  vallée ,  conduit  ^  t>ar  une 
pente  trèâ  douce ,  à  une  coupure  de  la  montagne,  dans  laquelle 
le  vent  s'engouffre  toujours  avec  une  grande  violence  :  de  l'autre 
côté ,  c'est  un  précipice  à  pic ,  le  Pâli ,  célèbre  dans  les  faste? 
de  l'île  (1).  Un  chemin  en  zig-zag  ,  taillé  dans  le  roc  ,  sert  à 
descendre  dans  la  plaine.  On  a  de  Pâli  une  vue  à  vol  d'oiseau 
de  la  partie  nord  de  Oahu ,  où  l'œil  se  repose  sur  de  beltesr** 
pelouses,  des  champs  cultivés  que  traversent  de  larges  chemins. 

(1)  Lors  de  la  conquête  de  Oahu  par  Kamehameha  I"  ,  600  guerriers 
du  parti  vaiacu ,  acculés  au  Pâli ,  aimèrent  mieux  se  précipiter  du  haut 
de  la  montagne  que  de  mettre  bas  les  armes. 


—  2*1  - 

La  pfaine  de  Waikiki  s*étend  presque  tout  entière  sur  un  Banc 
de  eakairc  madréporîque  dont  j*ai  parlé  aHleurs  :  j'ai  décrit 
aussi  le  lae  salé ,  AHa-'Pa'ahûd. 

Katiai  {Aiooi  de  \di,  carte  française)  à  22  lieues  dans  Touest- 
nord-  ouest  de  Oahu  ,  est  une  île  ronde  ,  élevée  de  4 ,200  mètres 
fnvîron,  dont  ious  les  voyageurs  vantenf  Taspeçl  charmast.  La 
population ,  indigènes  et  étrangers ,  se  livre  prindpaElenient  à 
l'agriculture.  Ffens  les  montagnes  ,  à  une  grande  hauteur,  on 
trouve  des  coquilles ,  des  sables  madréporiques  et  des  calcaires» 
Les  parties  élevées  sont  couvertes  de  bois  propres  à  la  cons- 
truction. Le  mouillage  ordinaire  est  dans  le  sud  ouest,  à  Walmea, 
rade  foraine  ,  mais  poiirtanl  assez  sto*e  ;  on  y  trouve  de  Teau 
excellente.  Il  y  a  aussi,  au  nord-ouest,  une  petite  baic^  Hanaletlt^ 
où  quelques  navires  ont  trouvé  des  rafralcKssenïents  en  abon- 
dance. 

La  population  de  Niî'hau  (  OneeJioow  de  la  carte  )  s'occupe 
également  d'agriculture.  Cette  île  est  basse  rdativemenl  à  sa 
voisine  ,  dont  elle  est  séparée  par  un  canal  large  de  15  à 
20  milles.  La  culture  d'une  belle  espèce  d'igname  est  particu- 
lière à  ces  deux  Ues,  I 

I  s. 

L'îlot  de  Lehua  (  Onehoua  de  la  carte)  à  un  mille  (fans  le 
nord-ouest  de  Niibau,  élevé  de  330  mètres  environ^  est  couvert 
de  broussailles  qui  servent  d'abrî  à  une  nombi'euse  c^ooie  de 
lapinji  ;  il  y  a  une  source  d'eau  excellente, 

Kaula ,  dans  le  sud-ouest  de  Niihau ,  est  un  rocber  couvée 
d'oiseaux  de  mer. 

L'île  Bird  {Meiu  manu  ^  île  aux  e4$emx),  à  40  lieues  <IaQS 
le  nord-^buest  de  Kauai,  n'est  pareillement  qu'un  roc  polé^  don* 
le  nom  indique  le  trait  caractéristique,  et -qui  est  rarement  visité. 
Il  parait  qu'anciennement  les  naturels  allaient  jusque  là ,  avec 
leurs  pirogues,  pour  prendre  d^s  oiseaux. 


—  24S- 


vni. 


Os  p^i  voir,  par  cette  esquisse  de  b  .constitution  physique 
de  i'areypel  Hawaïen ,  qu^il  n'a  ps&  été  traité  par  la  nature 
aussi  libéralement  que  quelques-uns  des  groupes  de  TbémispMre 
austral.  Elle  lui  a  refusé  des  ports ,  car  il  n*y  en  a  qu'un  à 
vrai  dke ,  et  encore  utilisable  seulement  sous  certaines  condi« 
tious.  Aucune  plante  Indispensable  à  la  vie  n'y  croit  spontané- 
ment :  il  faut  que  Thommé  achète  le  soutien  de  son  existence 
par  un  travail  continuel ,  comme  dans  nos  climats ,  tandis  que 
l'indigène  de  Tahiti  on  des  Marquises  n'^  guère  qu'à  étendre  le 
bras  pour  trouver  sa  nourriture  sur  les  arbres.  Il  faut  recon- 
naître que  ce  défaut  de  spontanéité ,  en  forçant  les  naturels  au 
,  travail ,  était  chez  eux  la  cause  d'un  état  social  plus  avancé  , 
qui  les  rendit  plus  apte -à  la  civilisation.  Le  climat,  moins  éner- 
vant, n'éloignait  pas  la  population  du  travail  autant  que  dans 
les  autres^  groupes.  Un  homme  non  -  seulement  extraordinaire 
pour  un  sauvage  ,  mais  qui  partout  eût  passé  pour  un  individu 
remarquable ,  se  trouva  là  comme  par  un  fait  exprès  pour 
diriger  le  mouvement  civilisateur,  quand  les  Européens  parurent. 
Après  cela  ,  en  y  regardant  bien,  peut  on  dire  que  ce  besoin  de 
civilisation  qui  s'était  emparé  du  chef  et  de  ceux  de  ses  sujets 
qui  comprenaient  la  portée  de  ses  vues,  et  que  son  indomptable 
énergie  avait  imposé  aux  autres,  ait  tourné  à  l'avantage  de  ce. 
petit  peuple  ?  Le  royaume  hawaïen  ,  dont  quatre  grandes  puis- 
sauces  maritimes  ont  reconnu  et  établi  l'existence  indépendante, 
appartient  il  aujourd'hui  aux  Kanaks  ou  à  leurs  professeurs  en 
civilisation  ?  Combien  de  temps  encore  les  Hawaïens  ont-ils  à  vivre 
de  la  vie  de  nation  qu'on  leur  a  faite  ?  Et  même  ,  laissant  de  cùté 
les  tentatives  d'envahissement  brutal  auxquelles  nous  avons  assisté, 
nest-il  pas  à  craindre,  quand  on  voit  le  décroissement  rapide 


-.  246  - 

de  la  population  ,  que  dans  un  temps  bien  court ,  il  n*en  soît 
d'eux  comme  de  ces  races  avec  lesquelles  nos  pères  fraternisaient 
au  Canada,  sur  les  bords  des  grands  lacs  de  T Amérique,  et 
dont  les  noms  ont  non-seulement  disparu  des  cartes,  mais  encore 
sont  ignorés  de  ceux  qui  vivent  aujourd'hui  sur  le  territoire 
qu'elles  occupaient  ! 

n.  JOUAN. 


->M<- 


REVUE  ASTRONOMIQUE 


U  plaièlc  Vileaii. 


Qui  ae  se  rappelle  rétonnement  et  Taclmiratioii  que  produisit 
en48&6,  non 'Seulement  dans  le  monde  scientifique,  mais  même 
dans  le  monde  entier,  l'annonce  de  la  découverte  de  la  planète 
Neptune  ;  de  cet  astre  dont  Faction  perturbatrice  altérait  la  route 
que  la  science  assignait  à  Uranus  ;  de  cet  astre  perdu  au  milieu 
des  étoiles  qui  peuplent  la  voûte  céleste  ,  et  dont  M.  Leverrier 
venait ,  par  la  seule  puissance  de  ses  calculs ,  non  seulement  de 
révéler  Texistence,  mais  encore  d'assigner  la  position  dans  le 
ciel  étoile ,  la  distance  et  la  grandeur. 


Cetle  action  d'éclat  scientifique  ,.  comme  l'appelle  M.  Louis 
Figuier,  ce  travail  analytique  sans  précédent ,  qui  porlatsi  haut, 
et  lavec  raison  ,  le  nom  du  savant  analyste ,  de  l'infatigable  cal- 
culateur, vient  d'avoir  en  ^860  presque  sa  seconde  partie. 

L'illustre^  Diredeur  de  rObservatoire  Impérial ,  q/ài  a  e&trepris 
de  refarre  en  entier  et  sur  de  nouvelles  bases  la  méeaiHque'  céleste 
de  Laplace  ,  a  déterminé,  en  complétant  la  théorie  de  Mercure, 
des  variations  particulières  dans  un  des  éléments  elliptiques  de 
cette  planète  considérée,  jusqu'à  présent^  comme  la  plus  voisine 
du  Soleil. 

Pour  mieux  faire  comprendre  en  quoi  consistent  ces  variations, 
je  croîs  utile  de. rappeler,  en  quelques  mots,  ce  que  l'on  nomme 
éléments  elliptiques  d'une  planète  ;  d'autant  plus  que  ,  dans  cette 
revue  ,  j'aurai  plusieurs  fois  l'occasion  de  me.  servir  de  certaines 
expressions  qui ,  sans  cela  ,  pourraient  ne  pas  être  comprises.  Je 
demande  au  lecteur  initié  aux  termes  astronomiques  de  vouloir 
bien  me  passer  cette  petite,  leçon  d'astronomie  populaire. 

Toul  le  monde  sait  que  les  planètes,f  en  y  comprenant  la  Terre, 
décrivent  autour  du  Soleil  des  courbes  à  très  peu  près  ellipti- 
ques ,  dont  le  centre  de  l'astre  '  radieux  occupe  à  peu  de  chose 
près  un  des  foyers.    , 

Toutes  ces  ellipses  sont  différentes  de  forme  ,  différentes  de 
grandeur  et  différemment  situées  tons  l'espace. 

C'est  au  pla»  de  Torbîte  décrite  par  le  ceiafre  de  la  TVirre , 
fitost  qwB'  l'on  mmrnifî  ÉelfpHque ,  qu-e  Fott^rapperfe'  la  position 
des  autres  orbite. 

W  est  évident  que  cette  posîiioft  est  déterminée  pa^  deufx  quair- 
tités: 

•f o^  Par  Kanfgfe  que  le  plan  de-  Forbite  de  la  pfanète  ftH  «w 
FÉcfiiEKfique ,  angle  que  l'on  nomme  inciiHaism  ; 

2»  Par  la  érection ,  dtos  le  plan  de  Torbite  terrestre ,  de  h 
ligne  d'intersection  des  plans  des  deux  eïr^t)ses. 


Cette  Hgne  prend  le  nom  de  iigne  des  nœuds ,  et  sa  direetioti 
est  donnée  par  Tatigle  qu'elle  fait  avec  la  ligne  des^'équitioxes , 
an^c  qui  prend  le  nom  de  longitude  du  nœud. 

Dans  son  mouvement  autour  du  Soleil,  toute  planète  traverse 
dmix  fuis  le  plan  de  notre  orbite.  Quand  ces  deui  moments 
arriteût^  on  dit  que  la  planète  est  à  ses  nœuds.  Celui  qui  répond 
au  passage  de  Tastre  de  Thémisphère  Sud  dan»  rhéiiiisphère  «  ^^ 
Nord  s'appelle  nomd  ascendant  ;  l'autre ,  nœud  dêsééndùnt.  C'est 
la  longitude  du  nœud  ascendant  qui  détermine  habituellement  là 
direction  de  la  ligne  des  nœuds. 

Ainsi,  la  positiott-  ta  plan  de  l'orbite  d'une  i^nète  est  fixée 
àmsTe^aCé  au  moyen  d^Vinâlinàism$^ei  de  la  longituée  du  nœt^^ 

Une  ellipse  peut  être  plus  ou  mo^Ds  aplatie  ;  elle  eit  très 
alléi^gée,  si  son  grand  axé  est  très  grand  par  rapport  à  sdn 
petit  axe;  elle  devient  jiu  contraire  un  cercle  ^  quand  son  grand 
sae  est  égal  à  son  petit  axe. 

Dans  une  ellipse,  fl  existe  deux  points  réndârquables  nommés 
foyers  et  situés  sur  le  grand  axe,  à  égale  distanèe  dû  milieu  de 
ce  grand  aie.  La  distance  d^un  foyer  i  l'une  des  ei^trémités  du 
petit  axe  est  juste  égale  à  la,  moitié  du  grand  axe. 

On  comprend  alors' q de  plus  le  petif  axe  d'uhe  ellipse  6Jt 
petit  par  rapport  au  grand  axe ,  e'est-à-dire  plus  l'ellipse  a  ube 
forme  aplatie,  plu&  les  foyéhs<>nt^  éloignés  du  centre  de  la 
cOQibe.  Dans  lè  cercle ,  an  contraire,  les  deux  foyers  se  coûfoà- 
dent  avec  son  centre. 

La  forme  de  Torblte  d'une  planète,  autrement  dit  la  fbriiàe  de 
l'ellipse  qu'elfe  décrit  est  déterminée  par  le  rapport  qui  existe 
eatre  la  distantce  d^un  des  foyers  au  centre  de  l'ellipBe  et  la 
grandeur  du  demi-grand  axe:  ce  rapport  s'appelle  excentricité. 

Dans  les  ellipses  planétaires ,  l'excentricité  est  généralement 
foible,  e>.st-à^<Ure  que  la  foriÉie  de  Ieur3  orbites  ^s'écarte  peu  de 
la  forme  circulaire. 

32 


-  250  r- 

La  forme  d'une  orbite  elliptique  est  doncconnue  parson  excentricité. 

Puisque  le  Soleil  occupe  un  des  foyers  de  Fellipse  que  décrit 
une  planète ,  il  y  a  une  extrémité  du  grand  axe  qui  est  plus 
voisine,du  Soleil  que  Vautre. 

Cette  extrémité  se  nomme  périhélie  ;  sa  distance  au  Soleil  se 
nomme  la  distance  périhélie  ;  c'est  la  plus  courte  des  distances 
des  points  de  la  courbe  au  foyer  considéré.  Ainsi,  quand  on  dit 
qu'une  planète  est  à  son  périhélie ,  cela  veut  dire  qu'elle  est. à 
sa  plus  grande  proximité  du  Soleil.  L'autre  extrémité  du  grand 
axe  se  nomme  '  aphélie*  • 

La  position  de  l'ellipse  d'une  planète  dans  le  plan  de  son 
orbite  est  déterminée- par  l'angle  que  fait- le  grand  axe  de  cette 
ellipse  avec  la  ligne  des  nœuds. 

Cet  angle ,  combiné  avec  la  longitude  du  nœud  ascendant. , 
donne  ce  que  Ton  appelle  la  longitude  du  périhélie. 

La  grandeur  de  la  courbe  est  obtenue,  au  moyen  de  la  gran- 
deur de  son  demi-grand  axe,  c'est-à-dire  par  la  distance  moyenne 
de  la  planète  aiï  SoleiU 

Par  suite,  les  quantités  qui  servent  à  faire  connaître  la  position, 
la  forme  et  la  grandeur  d'une  orbite  planétaire ,  quantités  que  Ton 
désigne  sous  le  nom  d*Éléments  elliptiques  ,  sont  : 

V  L'inclinaison ,  (  quantités  qui  fixent  la  position 

2»  La  longitude  du  nœud^  \      du  plan  de  l'orbite  ; 

8«  Lbl  longitude  du  Périhélie,  qui  indique  la  directicm  de  Tel- 

lipse  dans  son.  plan  ; 

40  V excentricité. '.  exprimant  là  forme  de  rdlipse; 

5<>  La  distance  moyenne*  .  •  .  exprimant  la  ^ndeur. 

Pour  que  le  mouvement  de  la  planète  sur  cette  courl>e  soit 
complètement  déterminé ,  il  faut  en  outre  que  l'on  connaisse 
deux  nouvelles  quantités  : 

60  Le  Temps  que  la  planète  met  à  décrire  son  orbite,  quantité 
que  Ton  nomme  temps  de  révolution; 


—  2ol  — 

7«  Et  enfin ,  la  position  dé  la  planète  dans  son  orbite  à  un 
moment  indiqué  «  moment  que  Ton  nomme  époque. 

S'il  n'y  avait  dans  l'espace  que  le  Soleil  et  une  planète,  cette 
planète  décrirait  rigoureusement  une  ellipse  dont  le  centre  de 
gravité  du  Soleil  et  de  l'astre  solitaire  occuperait  ViXa  des  foyers  : 
les  éléments  elliptiques  de  la  planète  seraient  invariables. 
Mais  les  actions  attractives  réciproques  de  toutes  les  planètes 
^tre  elles  font  que»  non-seulement  les  ellipses  planétaires  ne 
sont  pas  rigoureusement  parcourues,  mais  que  ces  ellipses  sont 
constamment  variables  de  position ,  de  forme  et  de  grandeur. 
t  Toutefois ,  Laplacè  a  démontré  que  la  forme  et  la  grandeur  ne 
varient  qu'entre  des  limites  tj!^s  restreintes  ;  que  l'inclinaison  aussi 
ne  fait  qu'osciller  entre  deux  limites  rapprocbées,^  mais  fue  lea 
longitudes  du  nœud  et  du  périhélie  prennent  des  valeurs  do 
plus  en  phis  différentes  ;  ainsi ,  en  môme  temps  que  le  plan 
de  l'orbite  tourne  en  conservant  à  peu  près  la  même  inclinaison  i^-:- 

sur  l'Écliptique,  l'ellipse  «e  déplace  dans  son  plan ,  et  par  suite  ^^^ 

k  périhélie  a  un  mouvement  constant  dans  ta  voûte  céleste 

Je  reviens  maintenant  au  travail  de  M.  Leverrier. 

D'après  Delambre  ,  le  mouvement, séculaire  du  périhélie  de 
Mercure  est  de  64  3",  56,  c'est-à-dire  que  dans  un  siècle  la  lon- 
gitude du,  périhélie  de  Mercure*  augmente  de  643",56. 

Or,  en  refaisant  la  théorie  des  mouvements  de  Mercure,  et  en 
déterminant  par  le  calcul  les  instants  auxquels,  d'après  cette  théorie, 
Mercure  passant  entre  le  Soleil  et  nous  ,  devait  nous  paraître 
en  contact  intérieur  avec  le  disque  de  l'astre  éclatant,  M.  Leverrier 
trouva  que  vingt-et  une  observations  de  ces  contacts  ne  se  trou- 
vaient pas  en  accord  avec  les  instants  déterminés  par  le  calcul. 

Il  fallait  donc  supposer,  ou  bien  que  les  astronomes  qui  avaient 
observé  les  contacts  avaient  fait  des  erreurs  de  plusieurs  minutes 
de  temps,  et  allant  même  en  augmentant  d*une  époque  à  l'autre, 
ou  que  la  théorie  de  Mercure  se  trouvait  en  défaut. 


'  Xa  première  de  ces  deux  hypothèses  étaU  inadmissible,  puisque 
ces  observations  ont  été  faites  par  les  I^alande ,  les  Casçini ,  les 
Bouguer,  etc. 

La  théorie  de  Mercure  seule  devait  donc  être  en  défaut. 
*  Or,  M.  Leverrier  eut  le  rare  bonheur  (les  hommes  de  génie 
ont  toujours  de  ces  bonheurs -li)  de  remarquer  que  si  au  lieu 
de  prendre  le  mouvement  séculaire  du  périhélie  de  6I43",56  , 
on  le  prenait  dé  68r',56,  c*est*à;dire  que  ^i  on  l'augmentait 
de  38  secondes,  toutes  les  observation^  des^  contacts  s'accordaient 
avec  le  calcul  à  moins  d'une  seconde  i  et  même,  pour  la  plupart 
^  d'entre  elles ,  à  moins  d'une  demi  seconde  près. 

11  était  dès*lors  évident  que  le  mquvemënt  séculaire  dq  périhéHe 
de  Mercure  devait  être  augmenté  de  38  secondes  ;  restait  main- 
tenant à  déterminer  la  cause  de  cette  augmentation. 

Deux  hypothèses  se  trouvaient  en  présence  : 

Lès  masses  des  planètes  perturbatrices,  et  entre  autres  de  Vénus, 
la  plus  voisine  de  Mercure,  étaient-elles  exactes  ?  ne  devait- on  pas 
la  changer?  Ceci  ne  pouvait  être  admis,  puisqu'il  eût  fallu  l'aug- 
menter d'un  dixième,  et  qu'alors  cette  nouvelle  masse  de  Vénus 
i  n'eût  plus  rendu  compte  des  perturbations  périodiques  que  cette 
planète  fait  éprouver  à  la  Ter^e  tant  dans  son  mouvement  autour 
du  Soleil  qi|e  relativement  à  la  position  de  son  axe  de  rotation. 

N'existetil  pas  entré  Mercure  et'l^  Soleil  une  série  de  petites 
planètes  semblables  à  celles  situées  entre  Mars  et  Jupiter,  et 
dont  les  actions  attractives  s*ajoutant  les  unes  aux  autreS|  peu* 
vent  produire  cette  augmentation  dans  le  mouvement  du  périhélie 
de  ^lercure  ?  à  la  condition ,  toutefois  ,  que  ces  petits  astres 
décrivent  des  orbites  à  peu  près  circulaires,  peu  inclinées  sur  le 
plan  de  Toiiiite  de  Mercure ,  et  qu'ils  soient  à  peu  près  distri- 
bués sur  toutes  les  parties  de  l'anneau  qu'ils  forment  autour  du 
Soleil. 

C'est  à  cette  seconde  hypothèse  que  M.  Leverrier  s'arrêta. 


Eq  communiquant  le  résultat  de  son  travail  a  l'Académie  d^ 
Sciences,  dans  une  lettre  adressée  à  M.  Paye  et  insérée  dans  les 
comptes-rendus  àa  M  septembre  4859,  le  savant  Directeur  de   . 
rCH)servatoire  disait  en  terminant  :  f  Puissent  4uel()ues  uns  de  ces 
•  corps  être  assez  notaires  pour  être  aperçus  lors  de  leur  pas^' 
i  sage  devant  le  disque  du  Soleil  !I...  § 

A  roccasion  de  cette  lettre,  M.  Paye  présenta  à  FÀcadémie  des 
Sciences  quelques  remarques,  et  il  conseilla  d'observer  le  Soleil 
et  ses  environs  d'après  un  plan  méthodiquement  conçu. 

n  signala  l'Éclipsé  de  Soleil  du  4  S  juillet  ^S60  comme  pouvant 
peut-être  servir  à  trouver  les  aétres  pertuii)ateurs ,  et  il  indiqua  ' 
même  la  manière  de  procéder  dans  cette  i:echerche  à  l'instant 
de  l'obscurité  totale.  Enfin,  il  rappela  la  proposition  de  sir  John 
Herschel  de  choisir  plusieurs  observatoires  convenablement  répartis 
sur  le  globe ,  et  dans  lesquels  on  s'attacherait  à  photographier 
le  Soleil  plusieurs  foia  par  jour,  à  l'aide  d'un  grand  iastrument 
disposé  suivant  les  indications  que  lui-môme  ,  M.  Paye ,  avait 
fournies  à  l'époque,  de  l'Eclipsé  de  Soleil  du  45  mars  4858. 

Gomme  on  le  voit ,  la  question  ne  se  présentait  pas  de  la 
même  manière  qu'en  ;i846.  M.  Leverrier  ne  pouvait  pas  dire ,  * 
comme  il  le  fit  pour  Neptune:  Il  existe  une  planète  qui  troubla 
Mercure  ;  cet  astre  a  telle  grosseur,  telle  position ,  et  se  trouve 
à  telle  distance  du  Soleil  ;  car'  en;  ne  supposant  que  l'action  d'un 
seul  astre  troublant ,  les  calculs  de  M.  Leverrier  assignaient  à  cet 
astre  une  masse  égale  à  celle  de  Mercure  ;  or,  un  astre  de  celte 
importar^ce  n'eût  certes  pas  manqué  d'être  aperçu  depuis  que 
l'on  explore  le  Soleil  d'une  manière  si  persistante,  il  ne  pouvait 
donc  y  avoir  qu'une  série  de  petits  astéroïdes ,  d'un  nombre  com- 
plètement indéterminé  et  par  conséquent  dont  l'analyse  la  plus 
transcendante  ne  pouvait  assigner  la  position* 

Voilà  où  en  était  le  problème,  lorsque  le  '2  janvier  4860, 
M.  Leverrier  viat  annoncer  à  l'Académie  des  Sciences  que  M.  Les- 


"—  254  — 

carbault ,  piédecia  d'Orgères ,  venait  de  découvrir  une  des  pla- 
nètes intrà-mercurielles  !I 

'  Cette  découverte  était  de  beaucoup  antérieure  à  la  lettre  de 
'M.  Leverrier  à  M.  i«'aye;  elle  datait  du  25  mars  -1859.  M.  Les- 
carbault  venait  de  la  faire  connaître  au  Directeur  de  TObserva- 
toire  dans  une  lettre  datée  du  22  décembre  -4859.  Dans  cette 
lettre  ,  le  médecin-astronome  d'Grgèrès  disait  à  M.  Leverrier  que 
l'espoir  de  revoir  le  petit  astre  l'avait  seul  fait  attendre  jusqu'à 
ce  moment  pour  en  donner  connaissance. 

Voici  comment ,  d'après  Tablé  Moi^o ,  M,  Lescarbault  lui- 
môme  a  raconté  sa  découverte  à  M.  Leverrier,  qui  s'était  rendu 
à  Orgèrtô  pour  s'assurer  que  les  ftroyens  d'observation  du  doc- 
teur Lescarbault  étaient  suffisants  pour  donner  de  la  créance  à 
sa  découverte  : 

-  0  Le  26  niars  dernier,  vers  quatre  beurcs ,  fidèle  à  ma  cons- 
»  tante  habitude  et  l'œil  à  l'oculaire  de  ma  lunette ,  j'observais 
»  le  disque  du  Soleil,  lorsque  tout -à -coup  j'aperçus  à  une 
»  petite  distance  du  bord  un  point  noir^  parfaitement  tranché 
»  dans  sa  forme  ,  parfaitement  défini  dans  sa  rondeur ,  animé 
»  d'un  mouvement  propre  très  sensible  ;  il  s'avançait  visible* 
»  ment  et  s'éloignait  de  plus  eu  plus  du  bord.  Malheureusement 
»  un  client  survint ,  je  descendis  de  l'Observatoire  au  rez-de- 
»  chaussée,  j'étais  sur  le  gril  ;  je^  répondis  néanmoins  de  mon 
»  mieux  à  ce  que  l'on  me  demandait ,  et  je  remontai  aussitôt 
»  que  je  fus  libre.  Le  point  rond  continuait  sa  route ,  je  lai 
»  vu  atteindre  enfin  le  bord  opposé ,  et  s'éloigner  après  s'être 
»  projeté  environ  une  heure  et  demie  sur  le  disque  du  Soleil.  • 

M.  Lescarbault  expliqua  ensuite  à  M.  Leverrier  comment  il 
avait  déterminé  les  instants  du  premier  et  du  dernier  contact , 
au  moyen  d'une  simple  montre  à  minutes  et  d'une  boule  d'ivoire 
suspendue  à  un  fil  pour  servir  de  pendule  battant  la  seconde. 

Il  lui  fit  voir  sa  lunette  ayant  un  objectif  de  Gauche  de  10 


^  2S5  — 

centimètres  de  diamètre.  Il  lui  indiqua  que  pour  mesurer  Tincli- 
naison  de  la  corde  du  disque  solaire  parcouru  par  la  planète,^ 
roculaire  de  sa  lunette  porte  «  un  fil  vertical  dans  sa  position 
»  ordinaire,  et  auquel  il  peut  faire  prendre  toutes  les  inclinai- 
t  sons  voulues  en  même  temps  qu'avec  un  rapporteur  en  carton 
»  il  mesure  approximativen;ient  l'angle  qu'il  a  parcouru  ,  t  et 
comment  un  simple  fil  &  plomb  placé  en  avant  de  l'oculaire  lui 
sert  avec  le  premier  fil  vertical  à  mesurer  la  grandeur  de  la 
corde. 

Il  lui  montra  la- pe\it9  lunette  méridienne  qui  Ibisertà  régler 
sa  vieille  montre  à  minutes,  et  lui   raconta  les   essais  infruc- 
tueux qu'il  avait  faits,  pour  déduire  de  ses  observs^tions  la  distance 
de  l'autre  au  Soleil,  s'étanl  égaré  dans  des  voies  qu'il  parcourait      Jff 
pour  la  première  fois. 

A  la  demande  du  savant  Directeur  de  l'Observatoire  de  lui 
montrer  le  registre  de  ses  observations  ,  M..  Lescarbault  lui  fit 
voir  un  petit  carré  de  papier  taché  de  graisse  et  de  laudanum , 
dit  l'abbé  Moigno  ^  et  remplissant  les  fonctions  de  signet  à  la 
connaissance  des  temps*  Sur  ce  petit  morceau  de  papier  étaient 
écrits  les  temps  d'observations  des  deux  contacts  ;  enfin,  il  lui 
présenta  une  planche  rabotéé^sur  laquelle  il  avait  fait  à  la  craie 
ses  essais  mathématiques  sur  la  détermination  de  la  distance  de 
la  planète  au  Soleil. 

Quand  on  compare  les  moyens  d'observation  du  docteur  Les- 
carbault à  ceux  des  astronomes  répandus  sur  le  globe  ;  quand 
on  pense  qu'il  existe  cinquante  -  neuf  Observatoires  publics 
répartis  sur  la  surface  de  la  terre  ,  sans  compter  les  qua- 
torze Observatoires  privés  que  possèdent  l'Angleterre  et  l'Alle- 
magne; quand  on  songe  aux  instruments  si  parfaits,  aux  hommes 
si  exercés  qui  se  trouvent  dans  ces  établissements  scientifiques, 
on  se  demande  comment  il  a  pu  se  faire  que  jamfiis  cette  petite 
planète ,  aperçue  par  le  médecin  d'Orgères ,  ne  se  soit  montrée 


^  266  — 

dans  les  lunettes  officielles ,  et  ron  est  presque  (enté  de  doutert 
,      non  pas  de  la  bonne  foi  du  docteur  Lescarbault,  mais  dé  la  sûreté 
de  sa  vi^ioA. 

Cependant  ces  moyens  grossiers  d*obser^'alion,  tes  rédactions 

incomplètes  et  primitives  ont  satisfait  l'illustre  savant  qui  dirige 

l'Observatoire  de  Paris  ;  la  découverte  a  été  officiellemeut  prô- 

\^  •  w  clamée ,  M.  Jl^eècàrbault  en  a  été  récompensé  ,  la  planète  a  été 

'^t*''*^ 'Vaptîsée  du    nom  de   Vulcain:  nous  n'avons   donc  qu'à  nous 

incliner. 

En  soamettéftlt  au  calcul  lés  temps  d'entrée  et  de  sortie  du 
point  noir  sur  le  disque  solaire,  donnée  paf  M.  Lescarbault^ 
IT.  Leverrier  a  trouvé  que  la  planète  eût  mis  h^  26®  48*,  à 
f)arcourir  le  disque  entier  du  Soleil.  Eji  supposant  l'orbite  cir- 
culaire, le  demi-grand  axe  serait  de  0^427,  le  demi  grand  axe 
dé  l'orbite  terrestre  étant  pris  pour  unité,' autrentient  dit  la  planète 
Vulcain  n'est  distante  du  Soleil  que  de  30  rayons  de  l'astre  radieux  ; 
aussi  ne  doit-elle  jamais  s'éloigner  du  Soleil  à  une  distance  de  plus 
de  8  degrés.  Le  temps  de  révolution  de  l'astre  serait  de  -1^1 ,7, 
tnvîron  6  jours  de  moins  que  le  temps  de  révolution  du  Soleil, 
ce  quî  est  légèremenlt  en  opposition  avec  l'bypothèse  admise  sur 
la  formation  de  notre  système  planétaire. 

L'inclinaison  de  l'orbite  serait  de  -lâMO',  et  enfin  la  longi- 
tude du  nœud  de  42°  59'. 

•  En  considérant  les  masses  comme  proportionnelles- aux  volumes, 
M.  Leverrier  trouvé  que  la  planète  Vulcain  a  une  masse  égale 
au  ^|47*  de  celle  de  Mercure.  Cette  masse  est  beaucoup  trop 
petite  pour  produire  l'augmentation  de  38  secondes  dans  le  mou- 
vement  du  péribélie  de  Mercure  ;  aussi  M.  Leverrier  conclut  & 
l'existence  d'autres  planètes  de  ce  genre.  D'après  les  mêmes 
hypothèses,  il  faudrait  au  moins  huit  planètes  comme  celle  de 
M.  Lescarbault,  poiiir  produire  la  perturbation  que  nons  avons 
indiquée. 


*.  257  -^'' 

L^annonce  de  la  découverte  Lescarbaolt  au  monde  savant  pro^ 
doîsit  une  grande  sensation.  Le  roédecio  d'Orgères  fdk  Telnet 
de  cerlaînes  ovations,  et  une  souscriptioa  ouverte  par  if  Pressa 
scientifique  se  forma  pour  lui  oÎMp  un  banquet,  qu'il  crut  devoir 
refuser.  Plusieurs  savants  rappelèrent  les  observations  inciennea 
de  disques  noirs  passant  sur  le  Soleil ,  et  entre  autres^  M.  Wolfif^ 
de  Zurich,  adressa  à  M.  Laugîer  une  liste  drcssd»  en  i859/'** 
contenant  vingt  observations  de  ce  genre  enregistrées  depuis 
\1^\.  Parmi  ces  20  observations,  trois  ont  paru  suflisamment  pré*' 
cises  à  M.  Radau ,  professeur  agrégé  de  i'UniveréiW'  de  Kœnigs- 
berg,  pour  que,  les  considérant  c6mme  des  passages  de  Vulcaii^, 
il  ait  cherché  à  en  conclure  les  pérîodea^ de. retour  4e  cette  pla*^ 
ûète.  Les  trois  observations  doût  nous  venons  de  parler  sont  celles 
dé  Dangos,  le  -18  janvier  noS  ;  de  Fritseh,  le  10  octobre  4801 ,  et 
de  Stark,  le  9  octobre  4810.  La  période  de  retour  déterminée 
par  M.  Radau  serait  de  une  année  Julienne,  plus  9  Jours,  ou  plus 
4  jours,  ou  plus  8  jours,  ou  enfin  plus  -13  jours.  D'après  cette 
période ,  on  eût  dû  revoir  Vulcain  *,  soit  le  29»  mars  A  860 ,  soit 
le  2,  le  4  ou  le  T  avril;- ce  qiîi  n'a  malheureusement  p^  cu^ 
lieu.  *'  A 

Mais ,  dira-t-oû ,  puisque  la  planète  Vuhjain,  d'après  l'opinion 
de  plusieurs  savants,  a  déjà  été  observée,  M.  Lescarbault  n'a  donc 
rien  découvert  ;  il  a  donc  tout  simplement  observé  un  passage 
d'un  astre  connu  sur  le  disque  solaire  ? 

A  cela  je  répondrai  que  M.  Lescaîtault  paraît  être  le  premier^ 
ainsi  que  je  crois  l'avoir  déjà  dit ,  à  avoir  noté  ^une  manière 
précise^  à  r aidé  d'wte  montre  réglée,  YïneXdJii  ies  d^ux  contacts  ; 
voilà  le  mérite  de  son  observation  et  voilà  ce  que  ses  prédéces- 
seurs n'ont  pas  fait. 

Une  objection  assez  sérieuse,  que  Ton  pent  faire  aux  dififérentesr 
observations  que  nous  venons  de  signaler,  en  y  comprenant  celle  du 
médecin  d'Orgères  ,  c'est  que,  ainsi  que  je  lai  dit  plus  hauf,  pas  un 

33 


—  258  — 

des  nombreux  astronomes  sérieux  qui  explorent  les  régions  solaires 
dans  les  Observatoires  officiels  du  globe  n'a  fait  de  semblables  obser- 
Tations.  Depuis  Galilée  pourtant,  ou  plutôt  depuis  Jean  FabriciuS) 
les  nombreuses  taches  solaire»  Qui  parsèment  la  surface  solaire 
ont  été  le  sujet  d'exc^mens  minutieux  ;  un  grand  nombre  de 
résultats  sur  cette  question  ont  été  publiés  ,  et,  à  ce  sujet,  je 
crois  devoir  citer  M.  Henri  Schwabe^  astronome  à  TObservatoire 
de  Dessau^  en  Prusse,  qui,'  depuis  ^  826  jusqu'à  ce  jour,  a  presque 
constamment ,  jour  par  jour^  obseryé  le  disque  solaire. 

De  ^826  à  -1851,  c'est-à-dire  pendant  une  durée  de  26  ans, 
IM.  Schwabe  a  enregistré  6959  jours  d'observations  à  l'aide  des- 
quelles il  a  constaté  4264  groupes  ^e  taches  sur  la  surface  du 
Soleil.  Il  faut  convenir  que  l'astronome  allemand  n'a  pas  été  heu- 
reux de  ne  pas  voir  passer,  dans  cette  longue  suite  d'observations, 
une  seule  des  nombreuses  planètes  intrà-mercurielies  qui,  d'après 
l'hypothèse  de  M.  Leverrier,  doivent  graviter  entre  Mercure  et  le 
Soleil.  ....:.",. 

On  doit  néanmoins  faire  remarquer  que  i^s  passages  des  planètes 
inférieures  entre  le  Soleil  et  nous  étant  très  rares ,  et  la  durée  d'un 
passage  étant  assez  courte  ,  il  peut  très  biçn  se  faire  que  l'une  et 
l'autre  de  ces  petites  planète»  aient  échappé  aux  observations  des 
astronomes  de  profession. 

La  période  des  passages  de  Vénus  sur  le  Soleil  est ,  d'après 
Delambre ,  d'environ  8  ans,  ou  ^24  ans  plus  ou  moins  8  ans, 
c'est-à-dire  de  8  ans,   de  -443  ans  ou  de  -129  ans. 

Ainsi,  il  n'y  a  pas  eu  de  passage  de  Vénus  depuis  -1769,  il 
n*y  en  aura  qu'en  4  874 ,  puis  après  en  4  882 ,  et  ensuite  il  n'y 
en  aura  plus  qu'en  l'an  2004. 

Pour  Mercure,  les  périodes  qui  ramènent  ses  passages  surle  disque 
solaire  sont  de  3,  de  6,  de  7,  de  -10,  de  43,  de  46   ou  de  263  ans. 

Il  n'y  a  pas  eu  de  passage  de  Mercure  depuis  4848,  il  yen 
aura  un  le  4 2  novembre  4864,  puis  ensuite  en  4868  ;  après  cela, 


-  259  - 

il  n'y  aura  plus  que  quatre  passages  de  cette  planète  dans  le 
•I9'  siècle. 

Pour  Vulcain  et  les  aulrei  planètes  intràmercurielles ,  si  elles 
existent ,  les  périodei  doivcîht  Ôtre  plus  courtes  ;  toutefois ,  oa 
comprend  qu'elles  doiveïit  être  rares  et  pourquoi  ce^  passages 
peuvent  échapper. 

Mais  ne  peut  -  on  dodo  pas  apercevoir.  Tun  de  ces  petits 
astres  en  dehprs  du  disque'  solaire ,  comme  on  aperçoit  Mer- 
cure ?  Il  est  probable  'que  fion»  car  Tobservation  de  cette 
dernière  planète  est  *môme  difficile  dans  nos  climats ,  parce 
que  ^  ou  elle  so  trouve  'ploûgée  dans  les  flots  de  la  lumière 
solaire ,  ou  elle'  est  ènveléppéc  par  les  vapeurs  i,e  Thorizon. 
Ainsi  Arago  cité-  la  remarque  chagrine  de  Copernic ,  disant  : 
«  Descendrai-je  donc  dans  la  tombe  avant  d'avoir  jamais  décou« 
vert  la  planète!  »  Hâtons-nous  cependant  de  dire  que  le  chanoine 
de  Thorn  n'avait  ^pas  été  heureux  relativement  à  cet  astre,  car  on 
peut  apercevoir  Mercure  à  l'œil  nu^  lorsque  cette  planète  se  trouve 
-à  une  certaine  distanoe  de  '  l'asti»  radieux  et  que  l'horizon  est 
suffisamment  dégagé. 

Néanmoins,  les  petites  planètes*  telles  que  Vulcain  étant  beau- 
coup plus  petites  que  Mercure  et  me  s'éé^rtant  jamais  beaucoup 
du  Soleil,  on  conçoit  que,  malgré  le  vif  éclat  qu'elles  doivent 
posséder,  elles  n'aient  jamais  encore  pu  ôtre  observées  en  dehors 
de  l'astre  éclatant. 

Aussi ,  depuis  la  publication  des  observations  de  M.  Lescar- 
bault,  malgré  les  recherches  laborieuses  de  plusieurs  astronomes, 
malgré  les  explorations  minutieuses  des  environs  du  Soleil  fai- 
tes dans  les  plus  beaux  climats ,  soit  au  moment  de  son  lever, 
soit  au  moment  de  son  coucher,  rien  n'a  encore  été  aperçu. 
L'Eclipsé  de  Soleil  du  -18  juillet  n'a  môme-  donné  aucun  résultat , 
bien  que  plusieurs  calculateurs  aient  essayé  d'annoncer  la  position 
probable^  de  Vulcain  au  moment  de  l'obscurité  totale.   Cepen- 


4tïïl ,  I'4sdH>n<Hne  qui,  poutra  annoDcer  une  observation  sérieuse 
et  positive  de  l'une  des  petitqs  planètes  en  retirera  certaîiïemenV 
beâocoiip  de  gloire ,  car  la  tsonqiléte  des  espaices  intrà-mercuriels 
sera  réellement  accomplie,  tt  là  îbéorie  de  M.  Levcrrier  sera 
^nfimiéc^ 

Toute  découverte  a  ses  critiques  !  Parmi  c&ax  qui  ont  nié 
robservation  de  Vulcaîn ,  le  .plus  arderit  est  M,  Liais ,  astro- 
nome français  qui ,  sous  le  beau  ciel  du  Brésil ,  esplore  daâis 
tous  les  sens  les  espaces  célestes ,  et  en  particulier  le  disque 
briÛant  du  Soleil  des  tropiques, 

Dans  une  lettre  adressée  à  la  revue  scienliBqiie  le  Cosmos, 
M.  Liais  essaie  ûq  prouver  que,  pendiûit  la  période  même  pendant 
laqiiellè  M.  Lescarbairlt  pi^étend  avoir.  vu.Vulcain,  il  observait 
à  fento*Domingo  de  Rio  Janeiro ,  et  avec  toutes  les  précautions 
req^i^es,  i^  disque  du  Soldl,  iaot  daiis  ses  régions  équatoriateï 
que  dans  ses  régions  polaires  ;  qu'il  cherchait  si  les  petits  points 
noirs  nommés  Lucul^s  ,  et  dont  est  ^rsemée  la  sur^use  solaire, 
^  ne  prédominaient  .pas .  quelque  j^f,  ef  qu'un  point  noir  d'un 
périmètre  circulaire  bien  arrêté  et  situé  vers  les  pôles  du  Solal 
ne  lui  eût  certes  pas  échapgé^      -    •.        . 

M.  Liais  prétend  que  robservationposiUyçdeM.  Lescarbaadtpeut 
être  un  efïet  de  vision  provenant  ijbe  U  Ijimètteou  même  d*un  phé* 
nofflène  météorologique  ;  il  essaie  de  prouver  que  M.  LescaffeauH» 
avec  ses  moyens  d'observation  n'a  pas  pu  voir  un  péTisiètre  cir- 
culaire bien  arrêté  ;  il  assure ,  en  outre ,  qu'on  p^  expliquer 
le  mouvement  du  périhélie  de  Mercure  par  dos  erreurs  de  une 
à  deux  secondes  dans  les  mesures  de  l'obliquité  de  l'Écliptiqoe, 
erreurs  introduites  surtout  par  l'incertitude  des  réfractions.  H 
termine  enfin  sa  lettre  de  la  manière  suivante  : 

«  Quant  à  la  vérification  des  assertions  du  docteur  Lesctr- 
»  bault  par  M.  Leverrier,  je  ne  veux  pas  porter  de  jugement 
»  sur  ce  point.  Il  ne  suffit  pas  qu'un  observateur  ait  vu  passer 


»  un  point  noir  sur  le  disque  solaire  pour  <^  conclure  Totistenee 
»  d'une  planète.  Y  eût-il  raôme  la  plus  complète  bonne  foi  4e  ^ 
»  Tobservateur  en  question,  il  p^rrait  y  avoir  illusion.   Enfin ^^ 
9  la  cbose  ne  devait  être  préseitée  fue  sous  toute-  réserve  >  et  il 
9  ne  fallait  pas  conclure  avant  que  des  diverses  parties  de  j*  univers 
»  tous  les  documents  fussent  arrivés* 

»  La  vivacité  de  mes  expressions,,  que  vous  paraissez  me  repro- 
»  cher,  ne  vient  que  de  mon  indignation  et  de  la  certitude^  ou 
»  je  suis  de  la  non-existence  de  l'astre.  »  ^  , 

Je  termine  ici  ce  qui  est  relatif  à  la  planète  Yulcain ,  et  sans 
en  avoir  voulu  faire  .le  procès  ,  j'ai  pensé  qu'il  pourrait  êtr^  de 
quelque  intérêt  pour  te  lecteur  de  lui  retracer  l'histoire  de  cette 
découverte ,  de  son  accj)rd  avec  les  travaux  du  savant  Directeur 
de  l'Observatoire  Impérial,  .travaux  dont  nous  ne  sommes  pas  en 
droit  de  contester  l'exactitude,  mais  aussi  de  relater  et  de  mettre 
en  évidence  les  faits  qui  pourraient  peut-être  faire  croire  à  une 
illusion  du  médecin  d'Orgèrçs, 


Les  loflveiles  Planètes  télescapiqHes. 


Soixante  ans  se  sont  écoulés  depuis  que  .Piazzi ,  dans  soa 
observatoire  de  Palerrae  inaugurait  le  ^9«  siècle,  par  la  décou^ 
verte  du  premier  fragment  de  l'écorce  solide  de  la  grosse  pUmète 
qui  circulait  très  probablement ,  à  l'origine  de§  mondes  ,  autour 
du  Soleil,  entre  Mars  et  Jupiter. 


•*-  262  - 

.  Celte  inauguration  brillante  qui,  en  portant  à  sept  le  nombre 
ées  planètes-  alors  conntili ,  semblait  promettre  à  notre  siècle 
•ne  augmentation  de  riebesses  astronomiques ,  a  été ,  en  effet , 
«n  présage  beureux ,  ear,  4  l'heure  qu'il  est ,  le  nombre  des  petits 
astres  qui  décrivent  leur  orbite  «ntre  Mars  et  Jupiter,  et  qui  ne 
pouvant  être  aperçus  sans  liinelte  sont,  pour  cette  raison,  nom- 
més  Ulescopiqties  ,  vient  d'attehidre  le  chiffre  énorme  de  62  !l! 

Deux  planètes  de  plus  qiie  d'années  écoulées  depuis  l'appari- 
tion de  Cérès,  le  4"  janvier  -180^  ,  dans  la  lunette  de  Tastro- 
nome  napolitain  l  *  * 

L'année  -1860  s'est  enrichie  de  cinq  de  ces  petites  planètes. 

La  58«  a  été  découverte  à  Bîtk ,  à  -H  heures  du  soir  ,  le 
24  mars ,  par  M.  Luther,  directeur  de  l'observatoire  de  ce  lieu. 
La  petite  planète  a  l'apparence  d'une  étoile*  de  onzième  gran- 
deur ;  elle  se  trouvait,  au  moment  où  l'astronome  allemand  l'a 
aperçue,  dans  la  constellation-  de  la  Vierge.  Ce  petit  astre  a 
reçu  le  nom  de  Concordia  !  Ce  nom  donné  à  une  planète 
découverte  au  moment  où  une-  tempête  scientifique  grondait  à 
l'Académie  des  Sciences  a-t-il  pour  but  de  rappeler  aux  savants, 
dont  le  monde  admiré  les  travaux  astronomiques,  que  les  débats 
académiques  qui  prennent  un  caractère  ti*op  personnel  jettent  sur 
la  science  une  défaveur  injuste!     * 

Les  découvertes  des  quatre  autres  petites  planètes  de  -1860 
se  sont  faites  dans  des  conditions  a^sez  remarquables  ;  ainsi, 
c'est  à  deux  ou  trois  jours  d'intervalle,  le  9,  le  ^2 ,  le  44  et 
le  46  septembre  que  MM.  Goldschmidt,  Chacornac  ,  Fergusson, 
Forster  et  Lesser ,  ont  découvert,  le  premier  la  6I«,  le  se- 
cond la  59«,  le  troisième  la  60**,  et  enfin  les  deux  derniers  la 
62»,  en  les  classant,  suivant  l'habitude ,  d'après  Tordre  de  leurs 
publications.  Jamais  encore ,  à  si  peu  d'intervalle ,  on  n'avait 
signalé  une  si  grande  quantité  de  découvertes  astronomiques. 
La  première,  obsen'éc  aussi  à  Bilk  par  M.  Lulher,  le  22  sep- 


tembre ,  a  reçu  de  cet  astronomf  Je  nom  de  Danaé  y  sur  riavi- 
tatioQ  de  M.  Goldschmîdt  à  rastr^noip^  allemand  de  lui  choisi! 
un  nom.  Cette  planète  a  Tapparence  d'uas  étoile  de  onzièn^i 
grandeur  ;  elle  se  trouvait ,  au  moment  da  la  découvert  ^  dant 
la  constellation  du  Verseau ,  ^  par  suite  en  opposition.  Soa 
mouvement  apparent  sur  les  étoiles  était , rétrograde  ;  toutefois, 
ce  mouvement  rétrograde  allait  çn  se  ralentissant.  Cette  planèt# 
est  la  13®  de  ce  genre  découverte  par  M.  Goldscbmidt  qui,  peintre 
d'histoire  distingué  le  jour,  deviçnt  aatronom^  célèbre  la  nuit 
Le  mouvement  géocentriquc  de  cet  astre  lui  fait  maintenant  décrire 
une  courjbe  apparente  circumpolaire. 

La  planète  de  M,  ÇJiaçornaç ,  sixième  trouvée  par  cet  astro- 
nome, a  Tappàrence  d'imç  étoile  de  neuvième  grandeur.  Elle 
se  trouvait,  quaqd  elle  a  éléjiperçue,  dans  la  constellation  de  la 
Baleine  ;  elle  n'a  jas  epqore.reçu  de  qpm. 

Titania  est  celui  de  la  planète,  découverte  par  M.  Fergusson  ; 
c'est  la  plus  rapprochée  du  Soleil  de  ccflles  aperçues  cette  année  ;  sa 
distance  est  comprise  eçitre  celle  d'Harmonia  et  celle  deMelporaène. 
C'est  en  voulant  observer  la  planète  de  M.  Chacornac  que 
MM.  Forster  et  Lesser  ont  apçrçu  une  étoile  de  môme  grandeur,  si 
près  du  lieu  qu'ils  avaient  estimé- d',avance,  qu'ils  ont  cru  que  c'était 
la  planète  qu'ils  cherchaient,  et  qu'ils  ont  même  adressé  leurs  obser^ 
vations  aux  AstronomUche  ndchrichten.  Us  ont  suivi  son  mouvement 
dans  la  voûte  céleste,  mais  la  discordance  entre  leurs  observations  et 
celles  4e  Greenwich ,  Bilk  et  Vienne  leur  a  fait  reconnaître  qu'ils 
venaient  de  découvrir  une  62*  planète,  qui  se  trouvait,  au  moment 
de  leurs  observations,  excessivement  rapprochée  de  la  planète 
Chacornac.  Cette  proximité  n'était  toutefois  qu'une  apparence,  car 
d'après  les  éléments  elliptiques  des  deux  planètes ,  l'intervalle 
minimum  cony)ris  entre  les  deux  orbites  est  un  pea  inférieur  à  l'in- 
tervalle minimum  compris  entre  les  orbites  de  Mars  .et  de  la  Terre. 
La  planète    de   MM.  Forster  et  Lesser  a  reçu  ]fi  ,wm  d'Erato. 


-1-264  — 

Va!*  cprameat  ^  réparlisscnt,  par  année,  les  découvertes  des 
62  pla^oètds  téteseopiquas  : 

On  en  a  trouvé  une  en  4804,  une  en  4^2,  une  en  4S04  , 
«ne  gfi  4807;  ces  qilatre  pkkoà|es  se  nomment  Cérès,  Paltas  , 
\5csla  et  Xunom  -  » 

De  4807  à  4845  ,  c'est-à-dire  pendant  une  période  de  38  ans, 
malgré  les  recherches  dt  {dusieurs  observateurs  et  entre  autres 
de^Delambre,  qui  passa  deux  ané  à  réviser  toutes  les  ascensions 
droite»  des  étoiles  connues,  en  répétant  Fobservation  de  chaque 
étoile  plusieurs  jonrs  de  suite,  Tàstronômie  n'a  pas  ou  à  eore- 
gistrer  de  nouvelles  découverlei^  Cest  seulement  le  8  déeeml^re 
4845  que  M.  Hencke  trouva  la.planiete  Astr^e,  premier  terme 
d'une  série  qui  pafaît  devoir  se  continuer  long -temps.  Trois 
nouvelles  planètes  furent  en  efiet  trouvées  en  4847,  une  en  484S, 
une  en  4849,  trois  en  ^850,  deux' en '4854  ,  huit  en  iS52  , 
quatre  en  4853 ,  six  en  4854 ,  quatre  en  4855,  cinq  en  4S56  , 
neuf  en  4857,  cinq  en  4858,  uhe  en  485B  »  et  enfin  cinq  ea 
4860.  r/est ,  comme  on  le  voit ,  Tatonée  4857  qui  est  Fannée  la 
plus  riche  en  découvertes;  de  "ee  genre* 

Il  ne  me  semble  pas  sans  intér^*  de  remarquer  comment  ces 
découvertes  se  sont  aussi  'réparties  dans  les  différents  mois  de 
llannée.  On  en  a  trouvé  troi&*  en, janvier,  deux  en  février,  sept 
ça  mars  ,  neuf  tp  air  «A,  six  en  ,mai,  une  en  juin  ,  quatre  en 
juMlet^;  trois  en  ^oût,.  quinse  en  septembre,  six  en  octobre,  quatre  en 
novembre,  deux  en  décembre.  Ainsi,  c'esC  aux  environ  des  éqai<< 
noxes,  en  avril  et  en  septembre,  que  les  découvertes  ont  été 
le  plus  nombreuses.  Il  est  probable  que  cela  tient  à  ce  que 
les  nuits  ont ,  h  cette  époque  ,  une  durée  assez,  longœ  pour 
permettre  des  observations  suivies  dans  la  soirée  ;  et  ensuite , 
q^'en  raison  du  printemps  qui  vient  de  commôncer  pu  de  Tété  gui 
touche  à.  peine  à  sa  fin ,  le  temps  est  meilleur  généralenient 
qu'en  hiver,  et  partant ,  le  ciel  plus  dégagé. 


Ëû  présence  des  découvertes  successives  qui  vienhenl  tttioit 
lieu ,  et  surtout  de  cette  planète  troméô  par  MM.  Foreter  et 
Lesser  auprès  de  celle  de, M.  Cbaconiac,  sans  qu«  «elul-ci  Fait 
apen^ue,  M.  Leverrier  émet  roginm  que  tes  fragments  de  la 
planète  brisée  qui  circulent  entre  Mers  et  Jupiter,  subissant  l'effet 
de  leur  attraction  mutuelle, .tiennent  à  un  moment  donné  à  8« 
rejoindre ,  et  la  réunion  de  plufiieuif  'fragments  formant  uno 
ma.sse  plus  considérable^  pei:mGt  d'apercevoir  un  astre  qui»  divisé 
quelques  instants  avant  en  parties  plys  petites ^  ne  pouvait  pas. 
être  aperçu.  .       '     .     , 

Je  ne  crois  pas  devoir  omettre  que  si  notre  année  a  enrichi 
la  zone  planétaire  compriç^  «entre  Mars  et  Jupiter  de  cinq  nou- 
velles planètes,  il  e^  est:  une  découverte  en  1856 ,  par  l'infati- 
gable M.  Goldschmidt,  que  l'on  .ne  retrouve  pas  :  c'est  Ta  petite 
planète  baphné.  .M.  Aîry  a  Jsîgnalé  sa  disparition  au  monde 
savant ,  et  je  ne  doute  [pas  qu'à  l'heure  qu'il  est  toutes  les 
lunettes  astronomiques  nc.soiQilt  à  la  recherche  de  la  fugitive  ; 
aussi,  pourquoi  Ta-t-on  nommée  Daphné  ?....  On  peut,  à  ce 
sujet  9  faire  remarquer  que,  biea  ^ué'  les  éléments  elliptiques  de 
cette  planète  soient  donnés  daps  YArmtMire  du  Bureau  des  Lon» 
§Uuds$  y  ces  éléments  ne  doivent  pa^  être  considérés  comme  très 
exacts;  car  Arago,  dans  son  A$tf0nomie  populaire^  tome  IV, 
page  -IT2,  ne  les  donne  pas  »  pa^co  4«o ,  Jusqu'à  présent, 
dit-il  (en  4857),  ils  n'ont  pas  encore  été  "calculés  avec  toute 
l'exactitude  désirable ,  à  cause  de  la  difficulté  des  observations. 
11  est  alors  probable  que  la  route  assignée  à  la  planète  Daphné 
par  V  Annuaire  du  Bureau  des  Longitudes  n'est  pas  celle  qu'elle 
a  suivie ,  et  que  les  astronomes  ayant  mis  trop  d'intervalle  dans 
l'observation  de  cette  planète  ont  perdu^sa  trace  :  c'est  une 
nouvelle  conquête  à  faire.  Seulement,  puisque  les  éléments  ellip- 
tiques publiés  ne  sont  pas  exacts,  il  est  probable' que  si  on 
retrouve   Daphné ,  ce  sera  d'abord  en    là  prenant   pour  une 


r  ^^  — 

autre  )  et  l'on  ne  pourra  $*assurer  de  son  identité  qu'ea  calcu- 
lant si  les  nouveaux  éléments  assignent  à  la  planète  la  même 
position  que  celle  où  elle  a  été  aperçue  par  M.  Goldschmidt,  le 
22  m^i  ^856. 


LES,  COMÈTES. 

Quatre  comètes  nouvelles  ont  été  aperçues  en  ^96ù  fia  première 
a  été  découverte  le  26  février,  au  Brésil,  par  M.  Liais,  direot^r  de 
l-Observ$ttoire  astronomique  et  bydrogriapfaique  de  Pernambuec. 
C'est  en  faisant  une  rovne  du  ciel  aiisU^al  que  rastronome  fmin^o* 
brésilien  a  aperçu  pï>ès  de  l'étoile  /u  de  la  Dorade  une  nébulosité 
qu'il  ne  tarda  pas ,  au;  bout  d'une  beujre.  d'observation ,  à  recon- 
naître pour  une  com^tCi  .  ..      ?• 

Mais  ce  qu'il  y.  a  déplus  remarquable,  c'^t  que c^te  comète 
était  doublç ,  c'est-à-dire  qq'au  moment  de  sa  découverte  elle 
était  TTonnée  de  deux  petites  qébulo$ités  très  voisines  :.  l'une  plus 
grande,  avec  un  point  plq»  :brillant,  jgIôos  riatérie^r  ;  l'autre 
beaucoup  plus  petite  et^  entièremmt  nébuleuse.  L'inclinaison  de 
Torbite  de  cette  comètes  est  très  grande ,  puisqu'elle  est,  d'i^Mis 
M.  Pape ,  de  79o  22'j6,  €et  àtetre  n'était;  viable  qu'avec  des 
lunettes  d'au  moinç  trois  poucead'.ouveilttre  ;  aussi  la  pleine  Lune 
ayant  eu  lieu  peu  de  temps  après  s^  découverte,  il  n'a  pu 
être  suivi  dans  son  mouvement ,  par  M.  Liais ,  que  p^^dtnt 
quelques  jours*  Sa  position  daiis  rbémisphère  8ud  a  ea  oulrs 
empêcbé  les  iu»troqomes  européens  de  pouvoir  l'obsenrer,  sm 
édat  d^à  si  faible  ayant  diminué^  lorsque  dans. son  mouvement 
rapide  il  s'est  rapproché  du  plan  d4  l'É^wUeun 

La  seconde  confiète  observée  est  celle  de  M.  Rumker,  astre* 
nôme  de  rOi;)6ervatoire  d$  Hai»(bouifg.  Elle  a  été  découverte  le 
M  avril;  son' édat  était  très  faîMe,  aussi  n'a-t*elle  été  aperçue 


.-  367  r- 

que  par  quelques  astronomes/ Elle  â'estpetrat>prochée  du  Soleil 
et  a  disparu  sans  cauéer  def  sensation;  L'inelioaîsjfm  dé  ^sen  orbite 
est  de  48«  43'. 

La  eomète  de  /t^'/i.  —  Les  vigfies  astronomiques  n'avaient  pas 
signalé  Tappatition  de  la  comète ,  apéi^çue  en  Italie  le  18  juin, 
que  M.  le  baron  de  AlàrgueFit^  chef  d*escadron  au  camp  de 
Cliûlons^  a  découverte  la  premier  ^  en  France,  en  examinant 
la  voûte  étoilée  pdur  se  dédommager  du  triste  aspect  de  la 
terre  par  la  vue  des  magnificences  du  cielx,  ainsi  qu'il  le 
dit  dans  une  lettre  àVabbë  Môigno  ,  lettre  dans  laquelle  ,  avec 
beaucoup  de  réserve  et  de  modestie,  il  lui  annonce  sa  découverte. 

Pour  excuser  rôbservatolcc  Impérial  de  n'avoir  pas  devancé , 
en  cette  occasion,  une  personne  étrangère  aux  véritables  obser- 
vations astronomiques  ^  M.  Leverdi^  prétend  que  la  comète  dont 
nous  nous  occupons  a  pu  ,  à  la  faveur  des  mauvais  temps , 
s'approcher  sans  être  recoamse  jusqu'au  moment  où  elle  a  pria 
un  éclat  considérable.       -  .     ' 

Disons  tout  simplement  atsanà  vouloir  faire  le  moindre  jrepfoche 
aux  astronomes  européens,  qu'oh  né  vélUait  pas,  ou  pour  me 
servir  d'une  expression  maritime  ,  qu'il  n'y  avait  pas  d'homme 
en  vigie.  Bien  des  gens'q«é  les  oom^fes  effraient  pourront  croire 
que  celle-ci ,  qui ,  d'après  M.  L6verrî«r,  s'eôt  avancée  vers  nous 
sournoisement,  avait  dé  mauva^seJ^  intentions ,  car  à  peine  at-eile 
été  reco6nue  officiellement  qu'elle  a  disparu,  laissant  tout  décon- 
certés ceux  qui  s'attendaient  à  une  seconde  édition  de  la  belle 
comète  Donali,  ou  qui  espéraient  voir  cette  fameuse  comète  de 
Charles-Quint,  que  Ton  attend  depuis  douze  ans  et  qui  n'arrive  pas. 

Peut-être  n'est-il  pas  inutile  de  dire  quelques  mots  de  cette 
comète  de  -1556,  désignée  sous  le  nom  de  comète  ,dfi  Charles- 
Quint  ,  afin  de  faire  comprendre  pourquoi  on  la  désigne  ainsi,  et 
pourquoi,  depuis  quelques  années,  on  semble  en  attendre  le  retour. 

C'est  vers  la  fln  de  février  •!  556  que  l'on  aperçut  cette  comète, 


égalant  en  grandeur  la  moitié  de  la  Lune ,  selon  les  uns  ^ 
et  dont  le  noyau,  de  couleur  rougeâtre,  avait  autant  d'éclat  que 
Jupiter,  suivant  les  autres.  Sa  chevelure  était  assez  courte ,  et 
dans  sa  queue ,  longue  d'environ  quatre  degrés  ,  et  dirigée  à 
l'opposé  du  Soleil ,  on  apercevait  un  mouvement  semblable  à 
celui  de  la  flamme  d'un  incendie.  Elle  resta  visible  depuis  la 
fin  de  février  jusqu'au ^4  avril,  et  dans  sa  route  apparente  sur 
la  voûte  célestç,  sembla  décrire  à  peu  près  un  grand  cercle  pas- 
sant par  le  onzième  degré  de  la  constellation  de  la  Balance  et  le 
onzième  degré  de  la  constellation  dû  Bélier. 

Les  éléments  de  Forblte  de  cette  comète  furent  calculés  par 
Halley  d'après  les  observations  de  Raul  Fabrice,  médecin  et  mathé- 
maticien de  Vienne.  Pingre  les  a  calculés  aussi  et  a  trouvé; 

Longitude  du  nœud  ascendant  :'47^^  42'  ; 

Longitude  du  périhélie  :  278*»  50'  ;     . 

Inclinaison  de  l'orbite  :  32°  6*  30"; 

Distance  périhélie  :  0,4639,  (en  rayon  4e  Torbite  terrestre); 

Passage  au  périhélie,  le  24  avril,  à  âO*»  13*» ,  T.  M.  de  Paris  ; 
,    Sens  du  mouvement  t  direct.  . 

En  comparant  ces  élément^  à  d'autres  antérieurement  obtcouS) 
moyen  qui  peut  faire  î-econn^tre  si  une  comète  est  périodique , 
Pingre  s'aperçut  que  ces  éléments  ressemblaient  beaucoup  à  ceux 
de  la  célèbre  comète  de  -1261,  dont  tous  les  historiens  de  l'époque 
font  mention,  et  qui  resta  visible  pendant  les  mois  de  juillet, 
août  et  septembre  ei  une  partie  d'octobre  ;  voici ,  en  effet ,  les 
éléments  de -cette  dernière  comète  : 

Longitude  du  nœud  :  478*»  45'  ; 

Longitude  du  périhélie:   275<»  45'  ; 

Inclinaison  de  l'orbite  :  30«  ; 

Distance  périhélie:  0,4408; 

Passage  au  périhélie,  le  il  juillet,  à  6»»  40»>,  T.  M.  de  Paris; 

Sens  du  mouvement  :  cùrec^ 


-r  269  r- 

Je  né  doute  pai^ ,  dit  Pingré  ,  dans  sa  Cométographie  ,  qii'if 
ne  faille  mettre  la  comète  de  1550  au  nombre  de  celles  dont  on 
^connaît  la  révolution  périodique  ;  que  cette  révolution  est  d'en- 
viron 292  ans,  intervalle  de  temps  écoulé  entre  4264  et  ^556, 
et  par  conséquent  qu'on  peut  attendre  son  retour  vers  4848. 

Voilà  pourquoi,  depuis  42  ans,  on  attend  la" comète  de  4556. 

Cette  comète  effraya  tellement  Gharles-Quint ,  rapportent  plu- 
sieurs historiens,  que  cet  empereur,  persuadé  que  sa  mort  était 
prochaine ,  s'écria  : 

His  ergo  indiciis  me  mea  fata  vacant  ; 

que  le  savant  Pingré  traduit  ainsi  c 

Bans*  ce  signe  éclatant,  je  lis  ma  lin  prochaine; 

et  le  vainqueur  de  François  ï^*",  sous  l'influence  de  cette  terreur 
panique ,  céda  la '.couronne  impériale  à  son  frère  Ferdinand  , 
achevant  ainsi  l'abdicatlbn  de  .tous  «es  souverains  pouvoirs  pour 
se  retirer  dans  le  *  monastère  de  Saii^t  •  Just,  attendre  loin  des 
agitations  politiques  la  fin  de  ses  royales  misères.  Voilà  l'ori- 
gine du  nom  de  comète  de  Gharles-Quint  donné  à  la  comète 
de  4556. 

J'ajouterai  maintenant  que  de  4500,  année  de  la  naissance 
de  ce  prince  ,  à  4558  ,  année  de  sa  mort ,  il  se  montra  en 
Europe  4  5  comètes  visibles  à  l'œil  nu  ,  et  que  parmi  ces  comè- 
tes on  peut  citer  :  celle  de  4500,  comète  douée  d'un  très 
grand  éclal ,  et  qui ,  d'après  M.  de  Humboldt ,  est  la  comète 
de  mauvais  augure  à  laquelle  fut  attribuée  la  tempête  qui 
causa  la  mort  du  célèbre  navigateur  portugais  Bartholomé 
Diaz  ;  celle  de. 4 54 6,  regardée  comme  ayant. annoncé  la  mort 
de  Ferdinand  le  Catholique  ,  mort  qui  plaça  la  couronne 
d'Espagne  sur  la  tête  de  don  Carlos;  celle ^  epûn  ,  de  4558, 


^  m  — 

qui,  d'abord  peu  brillante,  augmenta  d'éclat  h  mesure  que  la 
maladie  du  moine  é»  Saint Just  s'aggravait ,  et  qui  di^arut  à 
l'heure  de  la  mort  de  cçlte'  onjbre  de  Charles-Quiat.  L'une  ou 
l'autre  des  comètes  que  ^é*viens  de  citer  pourrait  aussi  prendre 
le  nom  de  comète  de  Charles-Quint. 

En  appliquant'  la  méthode 'd'OlbeVs  aux  trois  observations  de 
déclinaison  et  d'ascension  droite  obtenues  à  l'Observatoire  fmpé- 
rial  les  22,  23  et  27  juin  ,  j'ai  trï^uvé  pour  les  éléments  para- 
boliques de  la  comète  de  juin  -186^0: 

Inclinaison  du  plan  de  l'orbite  sur  l'Écliptique  :  79*21'  41"  ; 
Longitude  du  nœud  ascendant  :  84«  ^0^  24"  ; 
Longitude  du  périhélie  :  -I62<»  f4'.25"  ;      ' 
Distance  périhélie  :  0,29715  (rayon  moyen  de  l'orbite  terrestre)  ; 
Passage  au  périhélie  :  le  16  juin,  à  ^0»»  0™  54^  ,  T.  M.  de  Paris  ; 
.  Le  sens  du  mouvement  est  direct 

Ces  éléments  sont  presqu'identiques  à  ceux  publiés  par  M.  Yvon- 
Villarceau.  J 

On  voit  qu'ils  sont  tout  différents  de  ceux  de  la  comète  dite 
de  Charles  -  Quint ,  et ,  par  conséquent ,  qu'il  nous  faut  encore 
attendre. 

Par  des  calculs  très  simples,  on  trouve  que  la  comète  de  juin, 
venant  des'  régions  éloignées  de  l'espace  ,  a  traversé  le  plan  de 
rÉciiptique  pour  passer  de  Fhémisphère  Sud  dans  Thémisphère 
Nord ,  c'est-à-dire  a  passé  à  son  nœud  ascendant  le  3  joÎQ ,  à 
A^  47».  Ellffa  ensuite  traversé  de  nouveau  le  plan  de  l'Éclip- 
tique pour  passer  de  l'hémisphère  Nord  dans  1  hémisphère  Sud , 
c'est-à-dire  a  passé  à  son  nœud  descendant  le  -H  juillet,  à  4*  2f" 
T.  M.  de  Paris.  A  cet  instant ,  sa  distance  au  Soleil  était  de 
28,562,200  lieues  et  sa  dislance^à  la  Terre  de  23,203,17»  lieues; 
elle  était  donc,  à  ce  moment ,  plus  près  de  nous  que  du  Soleil 
d'environ  3^359,022  lieues. 


—  2Î1  -^ 

La  comète  a  passé  phis  près  de  la  ptonète  Vénus  çue  da  Soleil, 
car  au  moment  de'  son  passage  "k  son  ncBud  descendant ,  elle 
n'était  éloignée  de  cette  plaàète  ^ue  de  •(0,0(H)>0Od  lieues  ,  tandis 
que  sa  distance  au  Soleil  n'a  jamais  été  inférieure  à  44^^S0,OO0 
Vîmes,  Yénus  a  donc  pu  produire ,  sur  la  marche  die  cet  astre  , 
d!assez  ibrtes  perturbations,  et  si  Ton  pouvait  l'apercevoir  actuel- 
lement, trois  observations  ne  donneraient  sans  doute  pas  les 
mêmes  éléments  paraboliques  qtie  ceux  trouvés  par  M.  Yvon 
Yîllarcead, 

Quelques  personnes  ont  pensé  que  la  tïomète  de  juin  4860 
pourrait  bien  être  la  même  que  celle  qui  s'est  montrée  en  sep- 
tembre l$Q\.j  et  dont  les  éléments  ont  été  calculés  par  Burc- 
khard  ;  mettons ,  en  efifet ,  en  regard  les  éléments  de  césj^eux 
astres  : 

-  ,.   ,  Lengitade     ^       Longitude  Distance       Sentda 

iDciinaitM.     ^nœai^  di  périhélie.  péribélk.    noaveiMil. 

;i\deseptem.l301.  80-  eo**  0'  0"     ISOrO'OO"    0,330       direct. 

çS|dejuin  1860.  .  79«2r    64"  10' 21"    162M4'25''    0,29715    direct. 

Sauf  la  longitude  du  nœud  et  celte  du  périhélie,  ces  éléments, 
comme  on  le  voit,  s'accordent  assez ^ bien;  du  reste,  depuis 
4504,  les  perturbations  planétaires  ont  pu  déterminer  un  mou- 
vement dans  le  plan  de  l'orbite  et  un  mouvement  de  l'axe  de 
la  parabole,  qui  se  traduisent  par  un  changement  dans  les  lon- 
gitudes du  nœud  et  du  périhélie.  En  admettant  que  ces  deux 
comètes  n'en  forment  qu'une,  on  ne  peut  assigner  559  ans  pour 
dorée  de  la  révolution  de  l'astre  autour  du  Soleil,  car,  pendant  ' 
cet  intervalle  ,  si  la  période  est  plus  courte  ,  la  comète  a  pu 
pendant  quelques,  j  ours ,  et  lors  de  son  passage  au  périhélie, 
être  en  position  d'ôtre  vue  de  la  Terre  ,  sans  cependant ,  par 
dés  causes  atmosphériques  particulières  ou  ^  autres ,  avoir  été 
aperçue. 


1 


M.  Liais  qui  »  au  Brésil ,  a  non-seulement  observé  la  comète 
Marguerit ,  mais  en  a  aussi  calculé  les  éléments  paraboUgues  ^ 
éléments  qui  s'accordent  avec  ceux  que  ^*ai  cités ,  a  trouvé  que 
les  observations  faites  dans  le  mois  de  juillet  sont  mieux  repré- 
sentées par  une  ellipse  que  par  une  parabole.  Il  a  calculé  cette 
orbite  elliptique ,  et  il  en  a  adressé  les  éléments  aux  Astrono- 
miche  Nachrichten.  D'après  cet  astronome ,  la  durée  de  révolu- 
tion de  cet  astre  serait  de  ^0^  ans,  et  la  distance  à  laquelle 
la  comète  s'éloignerait  du  Soleil  serait  de  2^•^  fois  environ  le 
rayon  de  Torbite  terrestre ,  ou  en  lieues ,  d'à  peu  près  huit 
milliards  de  lieues  de  quatre  kilomètres.  Je  ferai  remarquer  que 
cette  distance  effroyable  n'est  encore  rien  en  comparaison  de 
celle  à  laquelle  se  trouve  éloignée  du  Soleil  l'étoile  et  du  Cen- 
taure ,  étoile  la  plus  voisine  de  nous  ;  cette  distance,  dont  l'esprit 
peut  à  peine  se  rendre  compte ,  est  de  huit  millions  six  cent 
trois  mille  deux  cent  millions  de  lieues  ,  ou  en  chiffres  : 

8603200000000  lieues. 

ï^our  terminer  ce  qui  est  relatif  à  la  comète  de  juin,  je  dirai 
que  son  éclat  a  été  peu  sensible ,  que  sa  queue  ,  qui  n'avait 
que  quelques  degrés,  était  bien  encore,  ainsi  qu'on  l'observe 
généralement,  à  l'opposé  du  Soleil.  La  grande  inclinaison  du  plan 
de  l'orbite  a  fait  que  lorsqu'on  a  pu  l'apercevoir  nettement ,  la 
queue  était  dirigée  vers  les  régions  Nord  de  l'espace.  Les  études 
que  l'on  a  pu  faire  sur  le  noyau  et  la  queue  de  cette  comète 
ne  peuvent  donc  pas  être  complètes ,  car  cet  astre  n'est  pas 
resté  visible ,  pour  l'hémisphère  Nord,  plus  de  20  à  22  jours , 
parce  que  quand  il  s'est  rapproché  de  nous  ,  son  grand  éloi- 
gnement  du  Soleil  a  considérablement  diminué  l'intensité  de  sa 
lumière. 

Le  Père  Secchi,  en  observant  la  comète  avec  le  grand  équa- 
torial  de  l'Observatoire  de  Madrid,  a  remarqué  qu'une  nébulosité 


.-,273—. 

if  es  grande  entonr^t  lé  noyau  de  Tastre,  et  'se  repliant  en  arrière, 
allait  former  la  queue  ,  qui  se  divisait  en  deux  branches,  laissant 
entre  elles  un  espace  absolument  noir* 

Pendant  le  temps  de  sa  visibilité  ,  dit  le  savant  Directeur 
de  rObservatoire  du  Collège  Romain,  l'astre  a  considérable  « 
ment  changé  de  forme ,  tellement,  que  le  8  juillet  la  comète 
était  réduite  à  une  nébulosité  irrégùlière  dont  le  noyau  occupait 
une  position  très  excentrique;  cette  nébulosité  s'est  arrondie 
sQccesSfvement ,  et  le  noyau ,  dont  Téélat  avait  augmenté  ,  en 
occupait  à  peu  près  le  centre  le  -H  juillet. 

La  dernière  comète  de  ^  860  est  celle  découverte  à  Marseille 
le  2S  octobre  par  M.  Tempel  ;  ses  éléments  n'ont  pas  encore 
été  publiés.  Du  reste,  comme  la  première  et  la  seconde  de  celte 
année ,  elle  a  passé  à  son  périhélie  sans  causer  le  moindre 
éoKM.  Ce  n'est  pas  encore  celle  de  Charles-Quint. 


LES  ÉCLIPSES. 

L'année  qui  vient  de  s'écouler  a  vu  quatre .  éclipses  :  deux 
éclipses  de  Soleil  et  deux  éclipses  de  Lune. 

Je  crois  inutile  de  rappeler  que  lès  éclipses  de  Lune  ont  lieu 
lorsque  la  Lune  étant  pleine,  la  Terre  s'interpose  entre  cet  astre 
et  le  Soleil  ;  la  Lune  se  trouvant  par  suite  plus  ou  moins  entrée 
dans  le  cône  d'ombre  que  la  Terre  forme  derrière  elle ,  n'est 
plus  éclairée  par  le  Soleil  ;  et  que  les  éclipses  de  Soleil  ont  lieu 
lorsque,  à  la  nouvelle  Lune,  ce  dernier  astre  s'interposant  entre 
le  Soleil  et  nous  ,  cache  en  tout  ou  en  partie  l'astre  radieux 
aux  habitants  de  notre  globe. 

Biea  que  les  éclipses  de  Lune  soient  loin  d'offrir  le  môme  intérêt 
que  celles  de  Soleil,  celle  du  7  février  -1860  a  cependant  donné  de» 

35 


—  274  — 

résultats  d'un  iniétèi  tout  portioulier  m  point  de  vm  photographia 
qtie.  À  l'ahle  d'une  énorme  lunette  d'aborâ,  d'une  seconde  de  0»,2S 
d'ouverture*" et  d'un  appareil  photographique  à  objectif  Btéimlia- 
tiqne  de  l)S  centiiÉètres  d'ouverture,  M«  Porro,  i habile  cons- 
tructair  de  ces  faistruments ,  aidé  du  docteur  ^aslaldi ,  pbolo* 
graphe^amaleur,  a  ^ibiemi ,  à  Paris ,  des  images  très  nettes  de 
la  Lune  pendant  la  durée  de  l'à^pse.  Les  trois  iastnuneiils  ont 
^îlefilié  <^hacun  des  images  très  intenses  dans  un  temps  de  pose 
qui  a  varié  de  ^  à  8  secondes^  an  commencement  de  l'éciiMBe,  et  ée 
4  à  6  secondes  vers  le  tnèment  du  maximum  du  phéinomène.  i)e  ré* 
miftat  peut  avoir  xme  importance  astronomique asses grande, :aa 
point  de  vme  de  la  détermination  des  loi^Uides,  par  les  éisianoes  de 
la  Lune  aux  Étoiles.  Sur  une  plaque  contenant  en  effet  la  Lune 
et  les  Étoiles,  il  serait  possible,  ainsi  que  le  dit  te  savant  abbé 
Moigno,  auquel  j'emprunte  ces  résultats  ,  d'obtenir  les  distances 
de  la  Lune  aux  Étoiles  d'une  manière  plus  exacte  qu'on  ne  les 
obtient  avec  les  instruments  habituels  d'observation. 

M.  Moigno  fait  aussi  connaître  que ,  sur  une  image  obtenue 
dans  les  essais  de  la  soirée  précédente,  par  les  mêmes  procédés, 
on  distingue ,  avec  une  simple  loupe ,  la  Lune ,  Jupiter  et  l'un 
de  ses  satellites. 

La  seconde  éclipse  de  Lune  de  ^860  ,  celle  du  <«r  ^oût ,  n*a 
pas  été  aperçue  en  Europe. 

Des  deux  éclipses  de  Soleil,  la  première,  invisible  en  Europe , 
a  été  annulaire.  Le  milieu  de  Téclipse  centrale  a  eu  lieu  pour  un 
point  peu  éloigné  du  pôle  austral  ;  ainsi,  il  n'y  a  que  les  habitants 
aquatiqnes  de  ces  régions  glacées  qui  ont  pu  être  impressionnés 
par  la  magnificence  d*un  phénomène  bien  rare ,  car^  depuis 
i'an  44  avant  notre  ère  jusqu'à  -1847,  Arago  ne  compte  que 
onze  éclipses  annulaires  ayant  une  date  certaine; 

Celle  du  9  octobre  4817  a  été  visible  à  Paris. 


^  275  ~ 

L'^lipad  totale  de  Soleil  du  4a  juillet  48$0  est  nm  de3  plu^ 
remarquables  qui  se  soient  observées  ûoa^seulemeot  à  cause  dç 
Fhèure  favorable  à  laquelle ,  dans  les  plus  beaux  climats  du 
inonde ,  le  phénomène  s*est  développé  dans  toute  sa  magniQ<- 
cençe ,  maïs  encore  par  le  concours  de  savants  et  d'astro- 
nomes qui,  en  cette  occasion ,  se  sont  rendus  soit  en  Espa- 
gne ,  soit  en  Algérie ,  pour  obtenir,  sur  les  protubérances  roses 
et  sur  Tauréole  lumineuse  qui  entourent  la  Lune  au  moment  de 
l'obscurité  totale»  des  résultats  certains.  Ces  résultats  provoquent 
cependant  des  opinions  si  différentes,  que  l'on  ne  sait  encore  si 
les  savants  vont  enfin  en  déduire  des  notions  plus  exactes  sur  la 
constitution  physique  du  Soleil. 

Dans  le  rapport  que  MM.  Leverrier  et  Léon  Fouéattft ,  de 
l'expédition  française,  ont  adressé  à  S.  Exe.  le  Ministre  de 
l'Instruction  publique,  on  lit  que  le  mauvais  temps  qui,  pendant  si 
long-temps ,  a  désolé  la  France  ,  s'est  même  fait  sentir  en  Espagne 
les  jours  qui  ont  précédé  TécMpse,  tellement,  qne  MM.  Lever- 
rîer  et  Léon  Foucault  ont  été  obligés  de  quitter  Tudéla  le  jouï^ 
même  de  Téclipse  ,  et  d'aller  à  la  rencontre  dû  beau  temps  ; 
qu'ils  ont  enfin  trouvé  sur  un  petit  plateau,  au  Sud  du  cime- 
tière de  Tarrazona,  ville  de  FAragon,  distante  de  Sarragosse  de  2* 
lieues,  et  située  à  6  lieues  de  Tudéla.  C'est  sur  ce  plateau,  devenu 
célèbre  par  le  séjour  de  quelques  heures  qu'y  a  fait  le  savi^nt 
IMrecteur  de  la  commission  scientifique  de  France,  que  MM.  Le* 
verrier  eX  Foucault  ont  pu  faire  des  observations  sérieuses  sur 
les  protubérances  roses. 

A  peine  l'obscurité  totale  a-t*elle  eu  réellemeni  lieu  que  M.  Le* 
verrier  a  aperçu ,  un  peu  à  droite  du  point  zénithal  du  Soleil , 
tSi^é  par  la  Lune,  un  nuage  d'un  beau  rose  ,  mêlé  de  nuances 
violettes ,  et  dont  la  transparence  semblait  rehausser  jusqu'au 
bîaac  l'éclat  de  quelques-unes  de  ses»  parties.  Ce,  nuage,  eotiè» 
rement  séparé  du  bord  de  la  Lune  et  à  une  distance  d'environ 


l.;276  — 

45**,  avait  une  épaîsseuf  k  peu  près  égale  à  cet  Intervalle , 
c'est-à  dire  était  environ  trois  fofs  plus  gros  que  la  Terre  ,  et 
avait  par  conséquent  9,000  lieues  d'épaisseur,  sur  une  longueur 
à  peu  près  double. 

Un  peu  au-dessous  et  à  droite  de  ce  gros  nuage  rose  ,  on 
apercevait  deux  nuages  superposés  l'un  à  l'autre ,  offrant  de 
très  grandes  inégalités  d'intensilé  '  dans  leur  lumière. 

A  gauche  du  Soleil,  à  30'  au-dessous  du  diamètre  horizontal, 
on  voyait  deux  pics  élevés  et  contigus  ,  d'une  teinte  rose  et  vio- 
lette comme  le  gros  nuage,  dans  leur  partie  supérieure  ,  et 
presque  blancs  dans  leur  partie  inférieure. 

Un  peu  plus  haut  se  trouvait  un  troisième  pic  en  forme  de 
dent ,  séparé  des  deux  premiers ,  mais  ayant  une  couleur  et 
une  forme  parfaitement  semblables  et  a'en  différant  que  par  des 
dimensions  plus  considérables. 

Tout  le  disque  lunaire  était  enveloppé  par  la  couronne  oa 
liuréote  lumineuse  dont  la  lumière  apparaissait  parfaitement  blan« 
che  et  brillant  d'un  vif  éclat. 

M.  Leverrier  dirigea  sa  lunette  vers  les  deux  astres ,  viagt 
secondes  avant  la  réapparition  du  Soleil ,  et  en  observant  la  partie 
à  droite  du  disque  lunaire  qu'il  avait  trouvée  parfaitement  blanche 
pendant  l'obscurité,  totale ,  ir  aperçut  que  le  bord  Ouest  lunaire 
était  tinté  par  un  léger  filet  d'une  épaisseur  inappréciable  et  d'an 
rouge  pourpre  ;  puis ,  à  mesure  que  le  temps  s*écoiilait,  ce  filet 
grandissait  peu  à  peu  et  finit  par  former  autour  du  disque  noir 
de  la  Lune ,  sur  une  étendue  de  30®  environ  ,  une  bordure 
rouge  d'un  contour  irrégulier  à  la  partie  supérieure.  En  même 
temps ,  dit  le  savant  Directeur  de  TObservatoire  Impérial ,  «  l'éclat 
»  de  la  portion  Ouest  de  la  couronne  lumineuse  s*exaltait  avec  une 
»  telle  rapidité ,  que  je  fus  dans  le  doute  si  je  ne  revoyais  la 
»  lumière  du  Soleil.  » 


—  277  — 

M.  Léon  Foucault ,  le  sa\;ant  physiote»  ^  qui ,  comme  on  le 
sait ,  a  trouvé  une  nouvelle  preuve  de  la  rotation  de  la  Terre, 
était  chargé  de  la  partie  pbotogra[^ique.  Il  a  obtenu  sur  trois 
plaques , .  et  par  suite  de  déplacements  involontaires  imprimés 
au  châssis  de  l'appareil ,  six  images  du  phénomène  au  moment 
de  l'obscurité  totale.  Trois  de  ces  images  ont  dû  se  former  en 
un  quart  de  seconde  de  temps  ,  la  quatrième  en  -10  secondes» 
la  cinquième  en  30  secondes,  et  jenQn  la  sixième  en  60  secon- 
des. Dans  toutes  ces  épreuves  ,  Tauréole  lumineuse  est  plus  ou 
moins  accusée  ;  mais  dans  l'épreuve  obtenue  en  60  secondes  , 
elle  s'étend  sensiblement  à'  une  distance  égale  à  trois  fois  le 
rayon  du  disque  central ,  et  elle  ofTre  dans  son  intensité  des 
variations  positives  et  négatives  qui  figurent  les  rayons  d'une* 
gloire  ;  l'un  d'eux ,  mieux  acciisé  que  les  autres  ,  se  prolonge 
sur  toutes  les  épreuves  au-delà  du  reste  de  l'auréole,  et  semble 
én^ner  du  point  occupé  par  les  irrégularités,  exagérées  du  reste 
sur  les  images,  des  siouosîtés  du  contour  lunaire. 

,  Vers  la  fin  de  son  rapport ,  M.  Leverrier  ajoute  :  «  MM.  Vil- 
»  larceau  et  Chacornac  ont  observé  avec  beaucoup  de  soin  le 
»  mouvement  d'une  protubérance  située  au  Nord  ;  le  déplace- 
»  ment  constaté  est  précisément  égal  à  celui  que  Von  peut  calculer 
»  en  supposant  que  la  protubérance  appartienne  au  Soleil..,,, 
»  Ainsi ,  d'une  part ,  l'observation  d'une  de  ces  protubérances , 
»  parfaitement  isolée  du  disque  du  Soleil  et  de  la  Lune,  en  a 
»  nettement  établi  le  caractère  ;  de  l'autre  ,  l'apparition  d'une 
»  bande  rougeâtre  à  l'Ouest ,  au  moment  ^e  Cémersion  ,  et  le 
»  déplacement  d'une  seconde  protubérance  déterminée  par  MM.Vil- 
»  larceau  et  Chacornac  ,  prouvent  que  ces  appendices  appartiens 
0  nent  au  SoieiL  Nous  donnerons  donc  désormais  le  nom  de 
»  nuages  solaires  aux  appendices  roses  qui  deviennent  visibles 
»  quand  la  lumière  du  Soleil  est  suffisamment  éteintOé  » 


M.  Leverricr  trouvant  trop  corolle  la  coûstitutioa  physique 
dd  Soleil ,  telle  que  les  astronomes  Font  supposée  Josqu^à  pré* 
seut ,  et  à  laquelle  toutefois  il  faudrait  ajouter  une  eiiveio{^ 
formée  de  Fensemble  des  nuages  roses  dont  la  réalité  est  main- 
tenant constatée  par  l'observation  ;  M.  Leverrier,  dis-je,  pense  que 
le  Soleil  est  simplement  un  corps  lumineux  y  en  raison  de  sa  haute 
température,  et  recouvert  par  une  couche  continue  de  la  matière 
rose  dont  ,on  connaît  aujourd'hui  l'exîsiencè.  L'astre  ainsi  formé 
d'un  corps  ceùtral,  liquide  ou  solide ,  recouvert  d'une  atmosphère, 
rentre  dans  la  loi  coriimunede  la  constitution  des  corps  célestes. 
S.  Xeverrier  semble  néanmoins  douter  si  l'auréole  lumineuse 
appartient  ail  Soleil  ou  à  la  Lune,  ou  si  ce  n'eSt  pas  le  résultat 
d'un  phénomène  de  diffraction  de  la  lumière.  Du  moment  où 
îi  est  constaté  que  des  nuages  immenses  flottent  à  une  certaine 
distance  du  Solçil ,  il  me  semble  prouvé  que  ces  miages  ne 
peuvent  être  en  suspension  que  dans  une  atmosphère  qui  doit 
être  immense,  en  raison  dç  l'étendue  et  de  fépaisseur  des  nuages , 
et  de  la  distance  à  laquèlTe  il^  se  trouvent  de  la  photosphère. 
Du  reste,  cette  opinion  est  complètement  confirmée  par  les  obser- 
vations de  M.  Prazmowski^,  astronome  à  l'Observatoire  Impérial 
de  Varsovie ,  observations  qui  ont  eu  pour  but  de  rechercher 
l'état  de  polarisation  de  la  lumière  de  la  couronne  et  des  protu- 
bérances. Voici ,  en  effet ,  les  conclusions  de  ce  savant  astro- 
nome :  «  La  polarisation  de  la  couronne  prouve  que  cette  lumière 
»  émane  du  Soleil  et  qu'elle  a  été  réfléchie  ;  une  polarisation 
»  vive,^très  prononcib,  prouve  en  même  temps  que  les  particules 
»  gazeuses ,  sur  lé^uelles  se  fait  la  réflexion ,  ùous  envoient  de 
.  »  la  lumière  réfléchie  à  peu  près  sOus  l'angle  maximum  de  pola- 
»  risatioû.  Pour  les  gaz,  cet  angle  est  de  45^  ;  or,  pour  réfléchir 
B  de  la  lumière  sous  cet  angle  ,  la  molétjule  gazeuse  doit  se 
»  trouver  à  proximité  du  Soleil.  Une  atmosplière  solaire  semble 
»  seule  pouvoir  remplir  ces  conditions.  » 


M.  Petk ,  directeur  de  VObservatoir e  de  Toulouse ,  a  trouvé 
âO^^d  lieues  d*é^i$6eur  et  800eb  lieues*^  de  longueur  à  ces 
noa^  Sottauts  ^aus  la  vaste  atmosphère  du  Soleil ,  à  laquelle 
il  atlribue  enviroa  500000  lieues  de  hauteur. 

Toutes  mes  observations ,  dit  le  P.  Seochî  dans  une  lettre  à 
Tabbé  Moigno ,  à  Toceaslon  de  TécUpse  totale  observiie  par  lui 
au  Desierto  de  las  Palmas ^  en  Espagne,  m'ont  convaincu  que 
les  protubérances  font  partie  du  Soleil ,  et  qu'il  est  ahsurde  de 
soutenir  le  tentraïre.....  Il  m!e  paraU  aussi  prouvé  que  Panneau 
brillant  appartient  au  Soleil. 

Celte  opinion  est  aussi  partagée  par  Don  Aquîlar,  directeur 
de  rObservatoire  de  Madrid ,  qui  a  obtenu  avec  le  père  Secchî 
des  images  photographiques  de  Téclipse  sur  lesquelles  les  protu- 
bérances sont  neltemeût  fixées:' 

Les  opinions  que  nous  venons  de  faire  eonnaitro  ne  sont  pas 
toutefois  générales ,  et  une  note  insérée  par  M.  Faye  dans  les 
compte  -  rendus  de  T  Académie  des  Sciences  du  43  août,  nous 
apprend  que  M.  Von-Feilitzsch,  astronome,  qui  observait  Féclipse 
à  Castellon  de  la  Plana,  déclare  que,  malgré  le  nombre  de  taches 
et  de  facules  qui  existaient  au  moment  de  Téclipse,  aucune  d'elles 
De  répondait  aux  protubérances  ,  tandis  que  les  monts  lunaires 
qui  existaient  en  deux  endroits,  près  du  mince  croissant  de  lumière, 
vers  Tinstant  du  premier  contact  extérieur,  lui  ont  paru  répondre 
à  une  protubérance  et  à  la  chaîne  de  collines  rougeâtres  qui  la 
suivaient  à  l'EgU  M.  Von-Feilitzsch  en  c(^clut  que  Téflipse  de 
-1860  a  fourni  des  preuves  décisives  en  faveur  de  Topinion  qiii 
attribue  la  couronne  et  les  nuages  lumineux  a  de  simples  appa- 
rences pptiquesjetuon  à  des  parties  intégrantes  du  Soleil  et  de 
son  atmosphère*  Cet  astronome  croU  cette  opiuion  confirmée 
par  le  manque  d'accord  entre  les  protubérances  observées  par 
lui  et  celles   observées  à  Miranda  et  à  Valence. 


~  280  — 

'  Malgré  l'opiùion  de  M.  Von-Feîlitzsch ,  je  crois  que  FécUpse 
du  48  Juillet  iS6d  vient  de  jeter  un  grand  jour  sur  la  consti* 
.tutioQ  physique  du  Soleil,  qui,  primitivement,  n'était  qu'à  l'état 
de  conjecture.  Il  me  semble  donc  que ,  dès-à-présent ,  l'on  peut 
admettre  que  le  Soleil  est  une  masse  liquide  ou  solide ,  incan- 
descente, enveloppée  de  nuages  roses  qui  iloUent  dans  l'immense 
atmosphère  entourant  l'astre  radieux. 

Je  ferai  alors  remarquer  qu'il  doit,  dans  celle  hypothèse, 
se  produire  à  la  surface  du  Soleil  comme  un  bouillonnement 
accusé,  du'reste,  par  les  taches  solaires  et  par  les  protub^ 
rances  observées  par  tous  les  astronomes  qui  ont  observé  l'éclîpse 
totale  du  -18  juillet. 

Cela  explique  pourquoi  il  se  passe  sur  la  surface  solaire 
des  changements  d'une  rapidité  qui  a  étonné  Scheiner,  Galilée, 
Derham ,  Francis  WoHaai^pn,  Williani  Herschel  et  plusieurs  autres 
astronomes ,  et  Ton  ^oiiiprend  comment  les  observations  des 
protubérances  ,  quoique  faites  à  des  intervalles  peu  différents 
en  réalité ,  puisque  les  astronomes  que  nous  avons  cités  se 
trouvaient  à  Tarrazonna ,  Tudéla ,  Brivescia ,  etc.,  villes  peu 
distantes  entré  ^ïles',  ne  sont  nullement  d'accord. 

Ainsi ,  M.  Leverrier  n'a  pas  vu  celte  belle  protubérance , 
observée  à  Brivescia  par  M.  Lespiault ,  protubérance  cylindri- 
que évasée  par  le  haut ,  d'un  rouge  transparent  tirant  sur  le 
carmîn,  et  qui  se  trouvait  à  quelques  degrés  à  l'Orient  du 
point  zénithal  du  Soleil.  Toutefois,  il  est  bon  de  le  noter, 
MM.  Leverrier  et  Lei^ult  sont  d'accord  sur  une  protubérance 
située  à  TEst  du  '^^ue  et  au  -  dessous  du  diamètre  horizontal 
d'environ  iO  à  20  degrés. 

Ni  l'un  ni  l'autre  des  astronomes  que  nous  venons  de  nommer 
ne  parle  des  deux  pics  ayant  une  base  de  ^8«  et  s'étendant 
iin  peu  à  droite  du  point  zénithal  du  Soleil ,  ni  de  la  proémi- 
nence crochue,  phénomènes  observés  par  M.  Bianchi,  à  Vittoria, 


-  28i  - 

surje  jDîoaticiule  (Je  Sainle-LuoJe,  jep  cwipagnlfi  ^  )H¥*  Mffedjer, 
jd'Arrest,  Gol^sdvnMJ^f  «te.  •• 

Ainsi,  tout  prouve  .^ue  ces  fr^ivtxSr^s^tif^  ^  que  ^eç  s^lUes^ 
,qui  se  produiseAt  sur  la  surface  4m  Sofeil,  cb|wg?^t  cQqstam- 
meut  i  c'est .  ce  ijui  fait  ^  MM.  Parpart  ^  jyfwfcer^  fi  ^'iQ]^sefr  ^ 
yatoire  de  Storlus  ^  di^e\at  tpus  deu^  avoir  m  ^spi^r  vu  pfc 
pei^pefldiculaireweftt  au  rfyon  du  disçue  liîwce ,  Mesifit  m  ^^'' 
plomb  ^u-dessus  d^  })ord  de  la  Lqi^e^  ,et  qie  içéit^  fy^parJjtM# 
n'a  ducé  que  deu^  m  trQJis  ^secojides  ;  ç'cai  ,çq  <}i^  la^t  9)1^ 
M.  Charles  Packe ,  oJwçrvant  l'éclipsé  au  soiauMit  dsji  ;ltottc?yo  , 
près  Tarragona ,  a,  vu  ,  pev  ajp^rès  la  dispacitiop  du  Sok^';  4ep 
protuli^rajQces  rouges  j^Uiir  des  bord^  du  Soleji  4'^IMP^  B^im^^ 
irréguUèEe.et^i^  la  forme  de  peUleç  pyraroides  de  fciq.  -Epûp,  <5^ 
explique  pourquoi  le  Père  Seccbi  ditt  'Oi;!  parlant  des  4eux  ,pag^- 
gues  protubér^ces  qu'il  a  aperçues  up  peu  aM-deçsu§  du  Jie^  de 
disparitUm  diu  Soleil,  ^ue  la  jpremière  était  copîque  fivçc  un^  .p^^nte 
légèrement  effilée  et  courbée^  coqa{ûe  on  peint  d'bdjbHu^ç  le3 
flammes,  et  q^e  l'on  avir^iit  dit  qu'ey3  s'agitait  ]  c'estprobfd>l^aM|ç^t 
la  proémineqjçe  x^roçhue  observée  jpair  M.  Biaacbi. 

Les  résultats  ^ue  je  ^ieos  de  citer,  Jb(ienL;<p^  ^^n^açi^  lieu  h 
.dçs  opinions  différentes ,  viemieot ,  il  me  semble ,  doinper  flm 
de  poids  à  l?i  célèbre  hypothèse  de.  JUtplçw^  Siur  l'^rjgine  ^  jçi(Hrje 
système  solaire ,  hypothèse  co^n^e  sous  le  i;içpi,  Âe  Çq^spogopie 
de  Laplaçe^ 

i'iUustre  auteur  de  la  méc^niiçue  céleste  s^jyijpçs^  que  le 
JSqleil,  Mercure,  Vénus,  la  Terre,  U^ ,  etc.,  ^Ça  1W^ 
les  planètes,  ne  Dormaient  à  l'origiae  qu)|»  seule  .et  ûp^m^e^se 
Nébuleuse  ou  vapeur,  4e  fprme  à  peu  près  >phéfiqM,e,  ay^t  «oa 
centre  au  point  où  se  trouve  fuvtuellemeqtle  ee^ptrç^u.Sole^^  .Qt 
^'éjteiwJant  bien  au-delà  de  l'orbite  de  Nqptu^^.  Ceirjte  nébi^^use 
obéissai[it  .^ux  ilqis  de  la  ;grayit^tion  devait  se  mouvoir  ^^s  les 
espaces  célestes  en  raison  des  attractions  développées  par  4,W»li;es 

3(J 


.      ^  282  ^ 

nébuleuses  dont  rîrpmensitô  est  peuplée ,  ainsi  qiie  les  observa- 
tions de  Simon  Marius,  Huyghens  ,  Hallay,  La  Caille,  Messier 
ei  surtout  William  Herschel  l'ont  démontré. 

Notre  nébuleuse  en  mouvement  dans  l'espace  devait  comme 
le  boulet  qui  sort  de  la  pièce,  et  d'après  des  causes  analogues, 
avoir  un  mouvement  de  rotation  autour  d'une  ligne  passant  par 
son  centre.  Un  refroidissement  progressif  a  déterminé  une  con- 
densation de  matières  de  la  Nébuleuse  de  plus  en  plus  grandes, 
qut  se  sont  réunies  à  son  centre  et  ont  formé  un  noyau. 

La  continuation  du  refroidissement,  qui  doit  encore  avoir  lieu  de 
nos  jours,  a  déterminé,  vers  le  centre  du  noyau  ,  la  chute  des 
matières  condensées  qui,  en  raison  de  cette  chute,  prenaient, 
autour  de  l'axe  de  la  nébuleuse ,  un  mouvement  de  rotation 
T^lus  rapide  que  le  reste  de  la  masse. 

Le  noyan,  en  tounmjft-^alors  plus  vite  que  le  reste  de  la 
nébuleuse,  a  dû  accé|Si^1é  mouvement  de  celle-ci  en  raison 
des  frottements  de  ses  (fiverses  parties  ;  par  conséquent ,  le  refroi- 
dissement continuant,  la  Nébuleuse  a  dû  acquérir  un  mouve- 
ment de  rotation  trop  considérable  pour  que  ses  parties  extrêmes, 
obéissant  à  la  force  centrifuge  ,  •  ne  se  séparassent  pas  de 
la  masse  entière  de  la  nébuleuse.  11  a  dû,  àun  moment,  se  former 
un  anneau  nébuleui  qui  s'est  détaché  du  corps  principal,  tout  en 
continuant,  à  tourner  dans  son  plan  et  autour  de  son  centre, 
avec  la  vitesse  qu'il  possédait  au  moment  où  il  s'est  détacbé. 

Le  refroidissement  successif,  en  continuant  à  augmenter,  par 
la  condensation ,  la  masse  du  noyau  et  à  accélérer  le  mouve- 
ment de  rotation  de  la  nébuleuse  ,  a  produit  successivement  des 
anneaux  concentriques  qui  se  sont  détachés  les  uns  après  les 
autres  et  qui  plus  tard  ont  donné  naissance  aux  planètes. 

La  nébuleuse  s'estenfin  réduite  à  une  masse  centrale  qui  est  celle 
du  Soleil  avec  son  immense  atmosphère  ,  dévoilée  le  -18  juillet 
dernier. 


— 283  -f 

.  La  masse  centrale,  ou  notre  Solqflj  produit  de  toute  la  conden: 
sation ,  s'est  trouvée  à  une  température  tellement  élevée  qu'elle 
est  encore  aujourd'hui  comme  une  masse  incandescente  de  laquelle 
js'échappept  des  torrents  d'électricité  et  dont  ou  vient  définitivement 
de  découvrir  les  bouillonnements  dans  les  protubérances  rosacées^ 
Les  anneaux  détachés  de  la  nébuleuse  ne  présentoiQUt  ^sans 
doute  pas,  comme  Vanneau  de  Saturne^  une  régularité  parfaite 
dans  tout  leur  contour..  La  matière  de.  chacun  d'eux  obéissaotà 
l'attraction  développée  par  diacune  de  leurs  molécules  /  a  dû  « 
en  rompant  la  forme  annulaire  ,  déterminer  une  concentratioa 
partielle  qui,  sous  une  forme  qui  a  dû  devenir  peu  à  peusphé- 
rique,  a  continué  à  se  mouvoir  autour  du  noyau  devenu  iacant- 
descent  et  radieux.  .      . 

Ainsi ,  à  ce  moment  la  grande  nébuleuse  primitive  était  trans- 
formée en  un  noyau  central  «phérîqi^^ncandescent ,  ayant  un 
mouvement  de  rotation  autour  d'un  di3m|(re,  et  à  une  série  de 
petites  nébuleuses  partielles  tournant,  toutes  autour  du  noyau 
central ,  dans  le  même  sens  et  à  peu  près  dans  le  plan  de  son 
Equateur.  Mais  dans  cette  condensation  ou  concentration  des 
anneaux  en  une  masse  sphérique  les  molécules  les  plus  éloignées 
du  Soleil  s'en  sont  rapprochées  par  le  fait ,  et  les  molécules 
les  plus  voisines  s'en  sont  éloignées  ;  les  premières  ayant  une 
vitesse  plus  grande  que  les  dernières,  il.  a  dû  en  résulter,  dans 
chaque  nébuleuse  partielle ,  un  mouvement  de^  rotation  s^k  elle- 
même^  autour  de  son  centre,  dana  le  même  sens  que  son  mou- 
vement de  translation  autour  du  noyau  -^niral. 

Le  refroidissement  et  le  mouvement  dô^  rotation  4e  chaque 
nébuleuse  partielle  ont  déterminé,  dans  celle-ci,  un  effet  tout  sem- 
blable à  celui  qui  s'est  produit  dans  la  grande  nébuleuse  ;  c'est- 
à-dire  qu'il  s'est  formé  un  noyau  central  incandescent  qui  est 
Torigine  d'une  planète  et  de  petites  nébuleuses  circulant  autour 
de  lui ,  nébuleuses  qui  ont  donné  naissance  aux  satellites. 


,  *  Aîttet.^rf'aprèé^  Wifypotfrëse  de  Làirlâcé  ,  toùteis  les  plâriètes  et 
léui^  sëteKîtés ,  à^anli  àîvéc  le  SùlfeB  utiè  origîùef  côimcriiAie,  (ihoii 
dit,  û^ti^  iiiorûetii  ctoflhé  ,  être J dans  m  étaft   ftiôàndésceïrf  éJt. 
éiéêi^t^  àtralogaet.  à  celui  dans  leqtreï  èè  frbnte   actuellemeirt 
teS6leiï. 

C-ést^ù  rijàfé  ce  qhi.ésté'ôiifitoépà*  fe  fôrtfïé  e!Hpsdïdale  de 
c^cjéie  planêter^tes  excepter  ùôtre  gbbçf  ;  fmr  lés  fésîdus  de'  Vé«é- 
tâuîi  âÉftédifuTîèM  ft^oùvé^  eit  foailîànt  le  sol  et  qm  in^ikani  e^ 
la  tetré^li  fiiôtesédé  uiïe^  élfâl^tfr  pfi!»  é^anfdë  quef  ceHé  ^u'cMc  pô^* 
sèdé  aujô^rd'hiâ,^  el  érifitf  par  IjEt  cHâleur  imWïeriS'e  qttî  existe 
eïïieOre'  dans  Tiâtérîétfp  de  là  lefre  et  doiit  les?  source^  Iheï'mâlé» 
et  la  Wvè  defs  to^léaCtfs  iio(i§  Qùtiûeàt  iiti  spé<^meff. 

La  Lune ,  sur  laquelle  on  ne  voit  aucune  îtàéé  -d'âCtÈfôs* 
jMrë ,  §vtf  îâ^Hé  \é  chaleur  soMre  ne  palr'aît  prodiùirè  afûëtrae 
éVtfpc^Mîern ,  à  donc  dtf  aù^,,  à  Foi'îgîtie  deai  tertipé  ,  êlrê  ane 
nA/àssë  jncâijde^e^te^  côjÉÉf^  <^té'lë  Téri'e,  «oMifl^  éât  èâ<:ldte 
lé  Sdléil.  Léà  iiiasses  W  pi  as  .|)fètité§  ée  réfraîdîéstfÉrt  le  plfas 
vite  ,  il  és^  ràtiofi^l  de  penser  qcm.  lés  sàfèllîtés  sôiit  dans  lin 
état  de  i^èffôldii^tnëÉrt  pliis  àvàiiéé  ((tte  les  planètes^  de  mêflie 
<ïue  Géllëè-ci  Êkyôt  dans  vtù  étài  pltis  àvaticé  que  le  SdlëîL 

Ge  refroidissement  doi^lt  éontîiiaér  indéfiniment,  quelqdèf  lente 
(jue  soit  S8Î  mtft'che  ?  La  'ferré  doit  -  elle  un  jour  passer  par 
rétàt  de  pétHûcfàiion  sôué  le^iiel  U  iuâë^  ëàthrû^  m  frëld  àqde- 
létie,  semble  ciî  notfs  nionttÉàiît  tôtJjoiïrs  kï  tnême  faèè,  tidus 
ùke  :  vbM  (sùttittie  ^ous  deviendrez  ?;;,.  Le  Soleîf,  ènôû,  petdrtt- 
t  il  cet  éclat  radieux  qile  nous  avèns  pu  si  pén  âdmîfèp  cette  atifiée? 
C'eèt  ce  que  toute  la  èciëncé  d'ifcW)aâ  né  peut  afflrtÉier,  èi  tdnt 
est  qu*èlle  puîséé  même  ,  à  la  suite  de  èe&  coiiquôfes  j  dire  : 
cela  doit  êlrei 

Je  né  lerihifterâi  jpàs  celte  reVtié  de  Téclipôè  du  48  juîHct  4860 
sàijs  diro;  quel(i(àes  mots  des  trévadit  de  la  ConïÉllissioà  ^cicËitifiqùe 
envoyée  èri  Algérie  par  TÊéelé  Polytechnique. 


—  285  —  ■    .  ■  ^ 

Si  cette  commission  ,  composée  de  MM.  Laussédat ,  de  Salicîs, 
MàfnidiekÉr  Boui*  et  Girafrd ,  tous  apïyartèEfafwt  à  VÉcole  Poly- 
iciehnique ,  n'a  pn  obtenii^,  çnr  ■  rairréoîe  lumineuse  et  mtv  les 
ppotûbérancës  roses,  de  Véritables  résultats  ,  la  précision  «r^e 
laquelle  lescoi&tacts  ont  été  ôfbservés  a  du  moins  étâWi  nettement* 
m  frfft,  savoir  :  que  le  diamètre  apparéHl*de  la  Lune  calculé  d  après 
les  tables  de  Hansen  doit  être  dîmîHué.  '   •  *        t 

Ces  tables  assignaient  en  cÉfcl^  pour  durée  de  l'ofescurité  totale, 
à  Katna,  Mea  où  s'éteit  établie  la  (Commission,  3«  ^-1* ,  taM»que 
cette  durée  n*a  été  que  de  2«  §8», 6.'  .   ,        -      . 

D'après  leis  courf)es  tberimométnqocfs  construites  par  M.  le  capî*« 
taioe  Mannhéim ,  pendant  les  16,  -IT,  -»»  et  49  juillet,  lerefroi-' 
dissemënt  dû  à  Téclipse  a  été  de- 4 0<**  M.  Laussédat  assure  que, 
pendant  Fabscurité  totale  ,  un  calme'  complet  a  succédé  à  la  brise 
qui  a  soufflé  avant  et  après  réclipsegfÉj 

Le  point  lumineux  vu  sur  le  disque  lunaire  pa^r  ramrral  UUoa  en 
n78,  et  par  M.  Valz  en  .4842,  a  été  aperçu  à  Batna  par  deux 
membres  de  la  commission  observant  Téclipse  avec  des  lunettes 
d'une  construction  différente. 

Enfin,  les  phénomènes  qui  se  passent  habituellement,  pendant  la 
durée  d'une  éclipse  totale,  sur  les  plântes,'les  animaux  et  les  hom- 
mes, ont  été  observés.  Ainsi,  le  rapport  de  la  commission  constate 
qu'un  marabout  qui  avait  prédit  que  Téclipse  totale  attendue 
n'aurait  pas  lieu  a  été  chassé  à  coups  de  pierre  ;  que  les  femmes 
de  Batna  ont  poussé  de  grands  cris  lorsque  le  Soleil  a  reparu  ,  et 
enfin ,  que  l'on  a  vu  les  datura§j  les  volubilis ,  les  pavots  et  les 
belles-^  de -nuit  fermés  pendant  que  le  Soleil  était  éclatant,  se 
rouvrir  à  demi  pendant  l'obscurité  totale* 

Je  dois  aussi  mentionner,  ainsi  que  je  l'ai -dit  en  parlant 
de  là  |>lanète  Vulcain  ,  que  cet  astre  n'a  malheureusement  pas 
été  aperçtj.  M.  Paye  regrette  vivement  qu'on  n'ait  point  cher- 
ché cette  planète  pendant  Téclipàe  ,  puisque  ,  dît  -il ,  lorsque 


~  286  — 

le  Soleil  n'était  caché  qu'au  7/8,  M.  Von  -  Feilitzsch  voyait, 
déjà  à  rœil  nu  une  étoife  au  zénith.  Pour  ma  part,  je  ne 
crois  pas  que  M.  Von-Feilitzscb  ait  pu  apercevoir  une  étoile  au 
iénith  ,  quand  il  restait  encore  ^/8  du  Soleil  ,  dont  WoUaston 
a  évalué  l'intensilé  de  la  lumière,  d'après  des  expériences  sérieuses, 
à  200000  millions  de  fols  llntensité  de  la  lumière  de  Sinus,  étoile 
la  plus  brillante  du  ciel.  Du  reste  ,  pendant  l'éclipsé  totale  du  H 
^  juillet,  des  astronomes  avaient  mission  spéciale  de  rechercher  la  pla- 
nète Vulcain,  recherches  qui  n'ont  pas  élé  plus  heureuses  que  celles 
faites  en  mars  et  avril  dernier  en  Europe  et  dans  les  Observa- 
toires anglais  de  Victoria»  de  Madras'  et  de  Sydney  ;  soit  que  l'éclat 
de  la  couronné  lumineuse  ait  empêché  de  la  voir,  soit  qu'elle  fût, 
au  moment  de  l'obscurité  totale,  juste  derrière  le  Soleil  ;  soit 
enfin  que  M.  Lescarbault  ait  été  victime  d'une  de  ces  illusions 
pour  lesquelles  on  peut  seulement  dire  : 


it  seule: 
'arPhun 


Errafe^humanum  esk 

Occultations.  —  Pour  terminer. ce  qui  est  relatif  aux  éclipses, 
je  crois  devoir  mentionner  qu'une  occultation  de  Vénus  ,  c'est- 
à-dire  un  passage  de  la  Lune  entre  Vénus  et  nous  a  été  observé 
à  Washington  le  24  avril  ^860  ;  le  mois  suivant,  c'est-à-dire  le 
24  mai  4860,  c'est  une  occultation  de  Jupiter  qui  a  été  obsen'ée  à 
Saint-Fernando. 


TACHES  NOMBREUSES 

OBSERVÉES  SUR  LE  DISQUE  SOLAIRE. 

La  basse  température  observée  en  Europe  presque  générale- 
ment ,  pendant  tout  le  printemps,  et  les  temps  si  affreux  qui, 
cette*  année ,  ont  bouleversé  lés  côtes  de  la  Manche ,  ont  -  ils 


—  287  ^ 

,  Quelques  relations  avec  les  taches  nombreuses  que  l'on  a  observées 
sur  le  disque  solaire,  et  qui  jamais,  d'a^s  M.  Chacornac,  n*avaiedt 
encore  été  vues  en  aussi  grand  nombre  ?  Ces  taches  extraordinaires 
sont, d'après  les  hypothèses  généralement  admises  par  toqs  l^s  as- 
tronomes avant  l'éclipsé  du  48  juillet^  produites  par  des  ouvertures 
qui  se  forment  à  la  fois,  dans  la  photosphère  ou  première  enve- 
loppe lumineuse  et  gazeuse  de  l'astre  radieux  et  dans  Tatmosphère, 
seconde  enveloppe  formée  de  nuages  opaques  et  réfléchissants  ^ 
ouvertures  qui  laissent  aperccivoir  le  noyau  obscur  de  l'astre  radieux. 
Les  taches  observées  en  1860  «'étendaient  sujr  deux  zones  parai* 
lèles  à  l'Equateur  solaire  et  renfermant  40  à  42  groupes  contCi- 
nant  60  taches  environnées  chacune  d'une  seule  pénombre. 
Quelques-unes  de  ces  taches  étaient  formées  de  deux  ou  trois 
autres  enveloppées  d'une  môme  pénombre. 

D'après  M.  Chacornac  un  groupejde  tachei  s'étendant  le  26 
juin,  sur  une  longueur  d'environ  le  H^  du  rayon  solaire,  c'est-à* 
dire  sur  une  longueur  égale  à  22  fois  le  rayon  de  la  Terre  , 
occupait  trois  jours  après  une  étendue  de  26  fois  environ  le 
rayon  terrestre  ,  c'est-à-dire  avait  augmenté  en  trois  jours  de 
6,400  lieues.  On  peut  donc  s'imaginer  à  quels  bouleversements 
les  enveloppes  du  Soleil  sont  sujettes. 

Le  révérend  Père  Secchi  qui,  à  l'exemple  de  M.  Schwabe,  astro- 
nome prussien ,  observe  beaucoup  le  disque  solaire  ,  sans  avoir 
jamais  eu  l'heureuse  chance  d'y  voir  se  projeter  la  moindre  petite 
planète  iûtrà-mercurielle,  prétend  que  les  taches  solaires  produisent 
un  refroidissement  sur  la  surface  du  Soleil,  et  rend  ainsi  conlpte 
de  l'observation  faite  par  M.  Gautier  de  Genève  ,  que  la  tempé- 
rature moyenne,  à  Paris,  des  années  où  l'on  a  observé  beaucoup 
de  taches  est  plus  basse  que  celle  des  années  où  l'on  en  a 
observé  un  petit  nombre.  Cela  s'accorderait  assez  avec  la  tem- 
pérature inaccoutumée  que  nous  avons  éprouvée  en  mai  et  juin. 
Toutefois  ,  les  résultats  de  M.  Gautier,  obtenus  pour  Parî9  ,  ne 


-  288  « 

koht  pas  iQS  m^mes  et  m^  quelquefois  jtojut  ço^ûtror^  à  iceuit 
obteow§;'pour  d*,^,uii:es .  pays. 

D'après  les  obseryations  recîièiùfes  p$r  M.  Ra^Mî  ^ur  l'invilatian 
d' Arago,  ôbservatioos  qui  consistent  à  cojwpar er  le  prix  moyea  -de 
l'hectolitre  de  froqa^at  (pri3L  qui  résulte  de  l'abOindaiMîe  du  grain 
.ou  iodirectemeiU  de  Ja,îeiftp#atu.re  4?  rilaao^pbère)  au  nondiare 
de  Jtt^i^^e  taches  observées  dans  raaoée^  ou  trouve  que  de 
1826  a  1851,  (es  groupe^  d'auuées  où  les  tâches  oui  été  ptos 
nombreuses,  le  pain  a  été  plus  q^r,  U^  f^mpérufure  moymxus  uèié 
^lus  faible  et  il  est  tombé  plus  4e  pluie.  Les  deux  dernières  r^emar- 
ques'  se  '  sont  déjà  réalisées  pour  A  860.  iNous  avons  tout  He^i  de 
croire  que  les  taches  signalées  par  JVL  Cbacoruac  ne  iusliûeï)ont  |ia3 
.complètement  la  loi  indiquée  (avec  réserve  loMtefois)  par  l'illustre 
Arago,  et  que  ,  ainsi  que  l'aspect  magnifique  des  récoltes  de  -186^ 
nous  a  donné  ie  droit  de  le  supposer,  rabondajDçe  des  céréales  cet 
Jiiver  viendra  f^re  exceptifira  cette  règle,  si  tant  q^  qu'elle  e^te. 

Des  observations  fafflf.su^  là* périodicité  du  mçtximugi  deB 
.taches  solaires*,  ont  fait  soupçonner  à  MJtf.  Wolf  et  Carringt(i» 
que  ce  phénomène  est.  souteis  à  l'influence  4es  planètes. 

Si  les  taches  sont  dues  à  de  violents  courants  électi^iques  qui 
sillonnent  la  surface  du  Soleil ,  dans  le  .sens  de  son  Equateur, 
n'est-il  pas  en  effet  possible  que  la  Terre  et  les  planètes  agissant 
sur  l'astre  radieux  comme  de  véritables  aimants ,  vienjieBt  modi- 
fier dajQs  un  sens  ou  dans  l'autre  l'intensité  de  ces  ç6iji;apts,  ^et  par 
suite  l'aspect  des  taches  solaires. 

La  position  des  planèt.es  dans  l'espace  doit  alors  avoir  diB  l'Âû- 
fluence  sur  1q  .nombre  ^  taches  et  sur  leur  grandeur. 

M.  Henshall  en  cherchant  la  loi  de  périodicité  des  taches,  croit 

avoir  trouvé  que  la  période  du  maximum  est  de  \  \  ans  \  dixiènae 

et  sa  produit   sur  l'influence  des    conjonctions  simultanées  de 

Mercure,  Vénus  et  Jupiter,  c'est-à-dire  de  leur  position  en  regard 

^^d'unç  même  face  du  Soleil  II  a  dressé  ,  à  ce  i^et ,  le  petit 


~  289   —  ;, 

tableau  suivant,  qui  montre  la  concordance  approchée  des  années 
relatives  à  ces  conjonctions  et  ao^ina^imum  de  taches  : 


Années  des  eonJoocUons  simultanées 
de  Mercqre,  Vénus  et  Jupiur  :  ' 

Années  des  taches 
Biaxima  s 

4845,  9 

4846 

4826,  9 

.1.4B28 

1838,» 

!•*'  '4837  ^; 

4849,4 

4848  ■-' 

4860  ,  2 

4860 

4874  ,  2 

4874  ? 

w^m- 


Ce  serait  donc  vers  -1 874  que   devrait  ^  d'après"  ce   tableau , 
se  reproduire  le  prochain  niaximum. 


AFFAIBUSSEMENT  DE  LÀ  LUMIÈRE  ISOLAIBE 

M.  Liais  a  signalé  un  phénomène  météorologique  assez  extraordi* 
naire  apparu  au  Brésil.  C'est  un  afiïûbllssement  de  la  lumière  solaire 
survenu  le  1 1  avril  dernier^sans  nuage  apparent  et  tel  que  Ton  voyait 
Vénus  en  plein  jour.  H  est  probable  que  cet  affaiblissement  n'était 
pas  dû  à  la  partie  de  notre  atmosphère  enveloppant  le.  Brésil , 
car  la  lumière  de  Vénus  eût  dû  aussi,  à  ce  moment  être  affaiblie. 
Un  nombre  considérable  de  taches  solaires  est  -  il  apparu  subi- 
tement ?  c'est  ce  que  n'indique  ni  ne  présume  la  note  très  courte 
et  sans  détail  de  laquelle  nous  extrayons  cette  observation  de 
de  M.  Liais.  Faisons  toutefois  remar|ier  que,  le^^  avriH860, 
Vénus  était  à  peu  près  en  digression  orientale,  c'est-à-dire  éloi- 
gnée du  Soleil  d'environ  44®,  et  par  conséquent  dans  des  con- 
ditions très  bonnes  pour  pouvoir  être  aperçue  en  plein  jour 
dans  une  atmosphère  comme  celle  de  Rio  de  Janeiro  ,  bien 
que  sa  distance  à  la  terre  fut  très  grande  à  cette  époque,    ^t 


-^  .290  - 
OBSERVATIONS  DE  9  ÉTOILES  DOUBLES 

PAR    M.   STRUVE. 

M.  Struve ,  Tinfetigable  observateur  des  étoiles  multiples  ,  a 
adressé  à  l'Académie  Impériale  de  Saint-Pétersbourg  ses  obser- 
vations discutées  sur  9  étoiles  doubles  nouvelles. 

Grâce  au  secours  des  puissants  télescopes  modernes,  on  aperçoit 
une  énorme  quantité  d'étoiles  qui ,  paraissant  simples  avec  des 
lunettes  d'un  faible  grossissement,  se  décomposent  en  deux, 
trois,  quatre  et  même  plus  d'étoiles  ou  éléments  ayant  un  mou- 
vement de  circulation  les  unes  autour  des  autres.  En  -1 858 ,  M. 
Struve  avait  déjà  catalogué  3,057  étoiles  doubles.  Ces  astres  mul- 
tiples sont-ils  des  systèmes  semblabl(is  à  notre  système  solaire  , 
c'est-à-dire  apercevons  nous  de  grosses,  planètes  de  ces  mondes 
si  éloignés  de  nous ,  circulant  autour  de  leur  centre  radieux  , 
ou  bien  sont  ce  des  Soleils  qui  tournent  autour  de  leur  centre 
de  gravité  commun  ,  en  obéissant  aux  lois  générales  de  la  gra- 
vitation ,  ainsi  que  l'observation  et  le  calcul  l'ont  démontré  ? 
C'est  ce  que  la  science  n'a  pas  encore  complètement  décidé. 
Toutefois  ,  cette  dernière  hypothèse  semble  la  plus  rationnelle , 
car  ces  astres  si  éloignés  ne  peuvent  guère  être  aperçus  qu'à  la 
condition  de  nous  envoyer  de  la  lumière  directe  et  non  de  la 
lumière  réfléchie. 

Le  mouvement  de  rotation  de  certaines  de  ces  étoiles  doubles 
ou  multiples  autour  d'un  point  de  leur  système  est  excessivement 
rapide,  car  pour  la  553^  du  catalogue  d'Argelander»  par  exemple, 
BI.  Struve  a  observé  que  le  mouvement  relatif  de  la  petite 
composante  autour  de  la  grande  pouvait  être  d'environ  deux 
ou  trois  ans.  Toutefois ,  il  est  à  remarquer  que  leur  distance 
apparente  n'est  pas  très  grande  ,  qu'elle  a  même  été  nulle  en 


7   * 


-  291  — 

^859^.  Je  crois  aassi  qu'il  ue  faut  pas  s'exagérer  la  rapidité  de 
ces  mouvements,  car  pour  l'étoile  double  a  du  Ceutaure,  dont 
la  lumière  met  3  ans  6  dixièmes  à  nous  venir,  la  durée  de 
la  révolution  relative  des  deux  composantes  est  de  78  ans  ;  mais 
d'après  la  distance  angulaire  maximum -l2",^  qui  les  sépare,  il  est 
focile  de  calculer  que  leur  distance  maximum  e&t -égale  à  i  3  rayons 
4  dixièmes  de  notre  orbite,  c'est-à-dire  que  la  petite  étoile  nftet  78  ans 
environ  pour  décrire  une  ellipse  dont  le  demi-grand  axe  est  43,4 
rayons  de  l'orbite  terrestre.  Or,  Saturne  ne  met  que  29  ans  4 
dixièmes  environ  à  décrire  une  ellipse ,  moins  excentrique  il  est 
vrai,  mais  dont  le  rayon  cst,9,S.  Pour  que  la  vitesse  de  la  petitg 
étoile  de  a  du  Centaure  fut  à  peu  près  la  même  que  celle  de 
Saturne  ,  il  faudrait  que  la  révolution,  au  lieu  d'être  de  78  ans> 
ne  fût  que  de  49  ans  environ. 

Pour  expliquer  ce  phéncftnêne  ,  qui  semble  incontestable  ,  de 
Soleils  circulant  autour  d'autres  Soleils,  il  sufQt  de  rappeler  que, 
d'après  l'hypothèse  de  Laplace  sur  l'origine  de  notre  système 
solaire ,  hypothèse  que  j'ai  rappelée  plus  haut ,  la  Terre  et  les 
planètes  ont  dû ,  à  un  âge  excessivement  éloigné  ,  être  dans  \xn 
état  incandescent  et  électrique ,  c'est-à-dire  lumineuses  et  radieu- 
ses comme  l'est  encore  aujourd'hui  le  Soleil.  A  cette  époque  ^ 
notre  système,  vu  des  régions  éloignées  de  l'espace ,  devait  faire 
l'effet  d'une  étoile  multiple  dont  les  éléments  circulaient  autour  < 
de  l'étoile  principale. 

Ces  étoiles  doubles  ou  multiples  sont  donc  très  probablement 
(les  Soleils  en  mouvement  autour  de  leur  centre  de  gravité,  lesquels 
Soleils  devant,  par  ordre  de  grandeur,  et  par  suite  du  refroi- 
dissement, passer  à  l'état  de  planètes,  en  suivant  les  phases  paE^ 
lesquelles  notre  globe  a  passé. 

Ainsi ,  l'espace  infini  parsemé  de  groupes  d'étoiles ,  groupes- 
que  la  science   désigne  sous   le   nom  de  nébuleuses  ,   contient 


-  292  — 

nan-seuTement  des  systèmes  stellaires ,  mais  aussi  des  systèmes 
solaires  qui  nous  semblent  en  voie  de  formation ,  c'est-à-dire 
moins  avancés  que  le  nôtre, 

A  Toccasion  de  formation  de  Soleils  ,  Je  crois  devoir  citer  la 
nouvelle  étoile  de  6®  à  7«  grandeur,  observée  cette  année  par 
M.  Anwers  dans  une  nébuleuse  du  Scorpion.  Est-ce  une  nou- 
velle élQile  ten^oraîre  de  notre  système  stellaire,  ou  bien  est-ce 
on  éclatant  Soleil  que  la  condensation  vient  de  faire  apparaître 
dans  cette  nébuleuse?  Dans  cette  hypothèse,  combien  de  milliards 
de  siècles  s'est  il  écoulé  depuis  la  formation  de  ce  centre  radieux 
qui  ne  nous  apparaît  qu'aujourd'hui  I.... 


LES  NOUVELLES  ÉTOILES  PERIODIQUES. 

Quellfis  sont  donc  les  causes  qui  produisent  les  phénomènes 
astronomiques  connus  sous  le  nom  d'Étoiles  changeantes  ou  pério- 
diques î 

M.  Heis,  à  Munster,  a  communiqué  des  observations  des  étoiles 
variables  Algol,  Mira  et  xdu  Cigne.  La  revue  scientifique  le  Cosmos 
contient  aussi,  dans  un  de  ses  numéros,  les  résultats  des  obser- 
vations de  M.  Winneck,  relatives  à  la  détermination  de  la  durée 
de  périodiciié  des  étoiles  variables  nouvellement  découvertes. 

Parmi  ces  nouvelles  étoiles  changeantes ,  nous  citerons  S  du 
Taureau ,  dont  les  prochains  maxima  d'intensité  auront  lieu  le 
27  février  -1861,  le  11  mars  ^862,  le  22  mars  -1863,  le  2 
avril  -1 86  î  ;  qui  disparaîtra  ensuite  pendant  plusieurs  années  , 
pour  ne.  ftvCTiir  à  son  maximum  d'éclat  qu'en  ^878  } 


-  293  — 

V  des  Gémeaux ,  qui  passe  de  la  42»  à  la  9<  grandeur  en  14 
jours; 

T  du  Cancer,  étoile  exlraordinaireuïent  rouge ,  qui  passe  Ich- 
temeat  d'abord  et  rapidement  ensuite  de  la  lJ«à  la  9«  gran- 
deur ;  • 

T  du  Lion ,  qui ,  d'après  M.  Chacornac .  met  320  jours  à 
passer  de  la  9«  à  la  44«  grandeur,  et  même  qui  disparaît  tout- 
à-fait  d'après  M.  Winneck. 

Pourquoi  ces  changements  d'éclat ,  pourquoi  ces  périodes  , 
pourquoi  ces  immenses  phares  à  éclipses  semés  ,  par  le  grand 
ouvrier,  sur  la  route  des  cieux  !!I 

Plusieurs  explications  ont  été  données  des  étoiles  changeantes  , 
dont  Omicron  ,  de  la  Baleine ,  a  été  la  première  considérée 
comme  périodique  par  le  hollandais  Jean  Phocylides  Hol- 
warda. 

Bouillaud  a  supposé  que  les  étoiles  périodiques  sont  des  astres 
qui  ne  sont  pas  lumineux  dans  toute  l'étendue  de  leur  surface, 
€t  qui  étant  doués  d'un  mouvement  de  rotation,  présentent  suc- 
cessivement à  la  Terre  les  parties  obscures  et  les  parties  lumi- 
neuses. 

D'autres  astronomes  veulent  que  ce  soit  l'interposition  de  quel- 
que corps  opaque  entre  l'astre  et  nous  qui  détermine  ces  éclipses 
successives.  Maupertuisa  supposé  que  ces  étoiles  variables  devaient 
avoir  la  forme  d'une  meule  très  aplatie,  et  que  ces  astres  en  pré- 
sentant successivement  à  la  Terre  la  tranche  ou  la  large  surface  , 
déterminaient  ces  changements  d'éclat.  On  ne  comprend  pas 
d'après  quelle  loi  l'astre  pourrait  tourner  autour  d'un  axe  situé 
dans  le  plan  de  son  Equateur. 

Enfln ,  Arago  ,  d'après  les  observations  de  M.  Hind  ,  émet 
l'opinion  que  les  variations  des  étoiles  périodiques  sont  peut-être 
dues  à,  l'interposition  entre  l'étoile  et   nous  de  grands  nuages 


-  29i  - 

cosmiques  circulant  autour  de  Fasfre  comme  les  planètes  de  noire 
système  circulent  autour  de  notre  Soleil;  ces  grands  nuage» 
cosmiques  seraient  alors  des  planètes  en  voie  de  formation.  Les 
étoiles  variables  ne  seraient  -  eljes  pas  plutôt  des  Soleils  plus 
avancés  que  le  nôtre  dans  la  voie  du  refroîdfôsement,  et  qui, 
comme  la  mèche  de  la  lampe  qui  s'éteint  «  jettent  les  éclats 
sinistres  qui  annoncent  leur  fin  prochaine?.... 


EDH09ID  DUBOIS. 


.3?% 


PROCÈS 

D'ALEXANDRE  GORDON 

ESPION  ANGLAIS 
DÉCAPITÉ  A  BREST  EN  1769. 


La  paix  de  -1763,  qui  avait  tant  affaibli  la  puissance  maritime 
et  coloniale  de  la  France ,  n'avait,  pas  satisfait  TAngleterre.  Le 
moindre  effort  tenté  par  le  ministère  Choiseul  pour  réparer  les 
maux  de  la  guerre  de  Sept  ans  devenait ,  pour  le  gouvernement 
anglais  ,  un  sujet  d* envie.  Nous  empôoher  à  tout  prix ,  et  par 
lous  les  moyens ,  quels  qu'ils  fussent,  de  nous  relever  de  notre 
déchéance  momentanée  ,  telle  élait  sa  préoccupation  constante. 
Nos  ports,  celui  de  Brest  surtout,  étaient  Tobjel  d*uû  espionnage 
incessant.  Maintes  fois  déjà ,  Ton  s'était  abstenu  de  sévir  contre 
des  émissaires  dont  les  projets  ,  les  actes  môme ,  démontraient 
les  plus  coupables  intentions,  et  toujours  on  s'était  contenté  du 
désaveu  des  ministres  anglais.  Prenant  cette  mansuétude  pour  de 


-_  ■296  — 

la  faibtesse  ou  de  l'impuissance ,  ils  ne  tenaient  aucun  compte 
de  l'indulgence  des  ministres  de  Louis  XV.  Un  exemple  devenait 
donc  nécessaire  si ,  au  mépris  de  la  paix  et  de  la  foi  jurée  ,  le 
cabinet  de  Saint-James  :cQntinuait  ses  manœuvres  déloyales.  C'est 
ce  qui  eut  lieu  en  -1769.  Le  gouvernement  français  nwt  alors  un 
terme  à  sa  générosité  méconnue  ou  dédaignée,  en  sévissant  con- 
tre un  agent  de  lord  Harcourt  .^ .  ambassadeur  d'Angleterre  à 
Paris.  Cet  agent ,  dont  la  jeunesse  et  les  qualités  personnelles 
éveillèrent  des  sympatbîes  qui  durent  céder  à  la  raison  d'État, 
était  un  jeune  officier  de  21  ans  ;  nommé  Alexandre  Gordon  de 
Wardhouse.  ' 

On  a  bien  souvent ,  nous  le  savons ,  contesté  ,  nié  même  sa 
culpabilité.  Il  aurait,  a-t-on  dit  et  répété,  été  sacrifié  au  ressen- 
timent de  M.  l'intendant  de  Clugny  (4),  soit  parce  qu'il  lui  aurait 
enlevé  une  maîtresse ,  soit  parce  qu'il  aurait ,  avec  plus  ou 
moins  de  succès  ,  fait  la  cour  à  la  femme  de  ce  haut  fonction- 
naire ,  comme  si ,  pendant  les  vingt-sept  jours  que  Gordon  passa 
à  Brest,  il  lui  eût  été  possible  de  mener  à  bonne  fin  une  intrigue 
de  cette  nature ,  qu'auraient  d'ailleurs  fait  avorter  ses-  relations 
publiques  avec  des  femmes  d'un  autre  ordre  ! 

Autre  variante.  M*  G.  ViHeneuve  (  Itinéraire  descriptif  du  dépar- 
tement du  Finistère,  p,  122),  représente  Gordon  conraie  sacrifié, 

(1)  Jean-É tienne  Bernard  de  Clugny,  chevalier,  baron  de  Nuis,  cott- 
seiller  du  Roi  en  ses  conseils,  maître  des  requêtes  ordinaire  de  son  hôlel, 
conseiller  honoraire  au  Parlement  d»  Bourgogne,  intendant  de  justice, 
police  et  finances  de  la  marine  en  Bretagne  et  des  armées  navales ,  suc- 
céda k  Turgol,  comme  contrôleur  général  des  finances,  au  mois  de  mai 
d776.  Pendant  sa  courte  administration ,  calquée  sur  celle  de  l'abbé 
Terray,  il  ne  respecta  qu'une  seule  des  mesures  de  son  prédécesseur, 
rétablissement  d'une  eaîsse  d'escompte.  En  revanche,  il  attacha  son  nom 
à  une  création  fort  opposée  à  tous  les  principes  qui  avaient  dominé  sous 
le  ministère  précédent,  la  fusion ,  sous  le  titre  de  Loterie  de  France ,  de 
plusieurs  loteries  qui  avaient  été  instilnêes  ou  qu'on  tolérait  sous  prétexte 
de  bienfaisances  Son  insuftîsance  était  devenue  si  notoire  que ,  moins  de 
six  mois  après  son  entrée  en  fonctions ,  on  s'occupait  de  lui  choisir  un 
successeur,  lorsqu'il  mourut  à  Versailles  le  18  octobre  1736. 


—  a97  — 

st>us  le  \ain  prétexte  d'un  espionnage  ridicule  .et  inutiJI^  »  à  4lne 
intrigue  de  cour  conduite  par  la  concubine  royale  de  Vépoque* 

On  ne  s'aitendalt  guère 

A  voir  la  Du  Barry  paraître  en.cçUe  affaire. 

Écoutez  une  dernière  version^  qui  n'est  du  reste  que  Je  corn* 
gîément  des  précédentes.  On. vous  dira  que  des  juges  com- 
plaisants ,  gagnés  à  prix  d^argent , .  ou  séduits  par  Tappât  de 
récompenses  honorifiques,  se  fireat  les  odieux  instruments  d'une 
vengeance  privée.  Ces  bruits  ^e.  ruelle,  ces  accusations  de  simonia 
judiciaire  tombent,  nous  le  verrons,  devant  l'irrécusable  évidence 
des  faits,  confirmés,  s'il  était  besoin ,  par  !es  aveux  explicites 
€t  réitérés  de  Cordon.  Rien  en  effet ,  dans  la  procédure  ,  ne 
révèle»  même  indirectement,  le  moindre  indice  d'animosité  contre 
cet  accusé  qui,  comme  il  le  constata  lui-même  au  moment 
supr^e  ,  fut ,  pendant  sa  captivité ,  l'objet  de  tous  les  soins  , 
cle  toutes  les,  attentions  compatibles  avec  sa  situation* 

Quoi  qu'il  en  soit  ^  ses  juges  sont  frappés  de  réprobation^  et 
le  moins  épargné  est  M.  de  Glugny.  A  cela,  rien  de  surprenant» 
Il  fut  tout  à  la  fois  provocateur  et  juge  ,  et  de  plus»  il  reçut 
le  salaire  de  sa  sentence*  En  voilàr  certes  p]us  qn'il  ne  faut.  Oui» 
peut-être  aux  yeux  de  ceux  qui  '  apjprécient  les  faits  $«ns  teniir 
compte  des  institutions  et  des  mœurs  administratives  ou  judiciaires 
de  l'époque  où  ils  se  soat  accomplisl  Aujourd'hui  »  sans  doute , 
on  ne  comprendrait  pas  que  eelui«qui  a  tendu  le  piège  pro*  ' 
nonçât  sur  le  s(^  de  celui  qu'il  y  a  fait  tomber  ;  on  ne  com« 
prendrait  pas  davantage  qu'une  récompense  pécuniaire  fût  solU^ 
citée  par  un  magistrat  qui  la  repousserait  avec  indignation ,  si 
eUe  lui  était  offerte.  Mais,  en  -1709,  c'était  tout  l'opposé.  La 
même  personne  cumulait  souvent  des  attributions  administratives 
et  judiciaires ,  et  nul  ne  trouvait  surprenant  quô  les:  juges  ou 
les  commissaires  reçussent  des  gratifications. 

38 


.  Que  donc  la^  commisération  entoure  un  jeune  imprudent, 
qu'aurait  facilement  pu  et  diOi. sauver  celur  qui  le  précipita  daos 
Fabîme  ;  que  la  peine  qu'il  subit  soit  trouvée  hors  de  proportion 
avec  sa  faute  ;  qu'on  regrette  que  M.  de  Clugny  n'ait  obéi  qu'à 
la  froide  raison  et  n'ait  pas  partagé  les  sentiments  de  M.  de 
Roquefeuil ,  nous  le  concédons  sans  hésiter.  Mais  que  la  pitié 
puisse,  au  détriment  des  ji^ges ,  "transformer  en  innocent  un 
coupable  iivéré ,  c'est  ce  ^Oe  ^Ol  n'admettra  ,  nous  en  sommes 
convaincu,  quand  nou^  aufons  écarté  le  voile  qui,  jusqu'à  ce 
jour,  a  enveloppé  cette  .ténébreuse  affaire. 

Issu  d'une  des  meilleures  familles  d'Ecosse,  alliée  aux  premiè- 
res maisons  d'Angleterre  ,'  Gordon .  était  •  encore  en   bas  -  âge , 
lorsqu'il  perdit  son  père,  qui  ne  laissa  qu'une  fortune  médiocre. 
Quand  il  eut  terminé  ses  études,  sa  mère,  mislress  Smith,  lui  obtint 
un  brevet  d'enseigne  dans  le  49«  régiment  d'infanterie.  Devenu 
promptemeiit  lieutenant ,  et  se  trouvant  en  garnison  à  Cork ,  en 
Irlande ,  il  fut  compromis ,  ainsi  que  plusieurs  autres  ofiBders , 
dans  une  rixe  avec  des .  artisans ,  rixe  où  un  boucher  fut  tué 
à  coups  d'épée.    Le  retentissement  qu'eut  cette  affaire  l'obligea 
à  s'expatrier    et  à    s'embarquer    furtivement   sur   un  bâtiment 
march^^nd  irlandais  qui  aborda  à  la  Rochelle  ,  au  mois  de  sep- 
tembre  4V67.  Il  avait  perdu   son  emploi,  mais  ses  parents  ne 
l'avaient  pas  abandonné.  Ils  l'avaieùt  même  tout  particulièrement 
recommandé  à  M.  Lutter,  riche  négociant  anglais,  établi  à  Saint- 
Martin  de  Ré,  qui  l'accueillit  cordialement  et  lui  donna  l'hospi- 
talité lorsqu'il  passa  de  la  Rochelle  dans  cette  île.  Pendant  neuf 
mois  il  séjourna  tantôt  dans  ces  deux  localités  ,  tantôt  à  Roche- 
fort ,   et   partout   il   se   fit    remarquer   par   une  cionduîte  qui 
n'éveilla  aucun  soupçon ,  fréquentant  la  bonne  compagnie,  celle 
surtout  de  M.  le  bailli  d'Aulan  ,  qui  l'invita  souvent  à  dîner. 

Toutefois  ,  dans  l'intervalle ,  il  fit  à  Nantes  un  voyage  qui 
coïncida  à  peu  près  avec  celui  qu'un  autre  anglais,  M.  Saxton, 


-  2^  - 

fit  à  Vannes,  où  il  fut  arrêté.  Gordon  poussa  ensuite  ju6^*à 
Ancenis,  Celte  excursion  terminée,  -r-  on  n*en  sut  jamais  le 
vrai  motif ,  '—  il  revint  à  l'île  de  Ré,  qu'il  quitta  définitivement, 
au  mois  de  novembre  -176^,  pour  se  rendï*^  à  Paris.  A  son 
passage  à  Poitiers  ,  il  y  fit  la  rencohtfe  '  d*iln  jeune  '  homme  de 
21  ans,  nommé  Jean-Antoine  Dlirand,  né  à  Douelle,  en  Ouercy, 
où  son  père  exerçait  la  profnssioa '.de*  chirurgien.  Lui-même 
venait  d*étre  reçu  docteur  par  la  Faculté  de  Montpellier  qui , 
en  lui  délivrant  son  diplôme  ,raVâ!t  piipposé  aux -autres  étu- 
diants comme  un  modèle -de^  sagesse  et  de  talent.  Il  allait  à 
Paris  avec  Tespoir  de  trouver  à  s'y  crmployer  comme  précepteur 
par  Tentremise  de  Tua  de  ses  oncles,  supérieur  des  lazaristes. 

A  leur  arrivée  à  Paria  ,  les  deux  jeunes  gens  se  séparèrent 
pour  aller  loger,  Gardon  dans  Un  hôtel  garni ,  Durand  dans  une 
pension  bourgeoise  ;  mais  la  liaison  qu'ils  avaient  ébauchée  en 
roule  les  conduisit  à  se  revoir  souvent. 

Gordon  ne  tarda  pas  à  obtenu'  d'être  reçu  par  lord  Harcourl, 
à  qui  il  se  préseota  muni  de  lettres  de  recommandation  qu'il 
s'était  fait  expédier  d'Ecosse.  L'ambassadeur  l'accueillit  avec 
bonté ,  l'admit  plusieurs  fois  à  sa  table  ,  lui  '  fit  des  offres  de 
services,  et  lui  promit  de  s'interposer  pour  que  son < affaire 
d'Irlande  s'arrangeât  et  qu'il  pût  rentrer  au  service. 

Au  bout  de  trois  ou  quatre  mois  de  §^our  à  Paris,  Gordon, 
à  qui  l'argent  commençait  à  manquer ,  se  décida  à  se  retirer 
à  Saint-Germain  pour  y  attendre  le  résultat  des  démarches  de 
lord  Harcourt  qui  avait  approuvé  son  éloignement  momentané 
de  Paris.  Mais ,  à  quelques  jours  de  là ,  il  fut  mandé  par  le 
premier  secrétaire  de  l'ambassade  britannique ,  et  à  son  entrée 
dans  le  cabinet  de  lord  Harcourt ,  il  le  trouva  feuilletant  un 
atlas  hydrographique.  Apres  quelques  mots  de  conversation,  ce 
dernier  lui  proposa  d'aller  visiter  les  ports  de  Prancé*.  notam- 
ment celui  de  Brest ,  afin  de  s'y  procurer  defe  détails  exacts  et 


—  300  — 

circonstanciés  sur  le  nombre  des  vaisseaux ,  leur  état ,  rftnpor- 
tance  des  approvisionnements  et  l'effectif  des  marins  et  ouvriers 
employés  au  service  dé  la  marine. 

Aux  prises  avec  le  besoin  et  séduit  par  Tappât  des  récom- 
penses qui  liiï  étaient  promises  pour  prix  des  immenses  services 
qu'il  rendrait  à  son  pays. ,  Oordon  accepta  ;  mais  le  défaut 
d'argent ,  objecta-t-il ,  rémp^chait  de  remplir  sa  mîssîoii.  Cette 
difficulté  fut  bientôt  levée.  Lord  Harcourt  lui  procura  une  lettre 
de  crédit  de  4,800  livres  sur  M.  Panchaud,  banquier  à  Paris, 
qui  lui  fournit  les  fonds  nécessaires  à  son  voyage ,  et  lui 
ouvrit  en  outre  un  crédit  de  800  livres  sterling  sur  divers  négo- 
cîatrts  des  villes  marilimes  de  Normandie  et  de  Bretagne.  Pos- 
sesseur de  ces  moyens  d'action  ,  Gordon  proposa  à  Durand  de 
l'accompagner.  «  Je  vous  défraierai,  lui  dit -il,  de  toutes  vos 
dépenses  de  route  et  de  séjour  »  Celte  oiïte  ayant  été  acceptée, 
les  deux  ami.s  partirent,  à  la  fin  de  mars  -1769,  avec  un  nommé 
Vincent ,  âgé  de  22  ans ,  natif  d'Anvers ,  et  perruquier  de  pro- 
fession, que  Gordon  avait  pris  à  son  service  pendant  son  séjour 
à  La  Rochelle. 

Les  quelques  jours  que  les  deux  amis  passèrent  à  Rouen , 
leur  première  station ,  ils  les  employèrent  à  se  renseigner  sur 
les  diverses  branches  de  commerce  de  cette  ville.  De  Rouen,  il» 
se  rendirent  au  Ravre.  On  y  armait  la  frégate' la  Blanche ,  des- 
tinée pour  les  colonies.  Ce  fut  une  bonne  fortune  pour  Gordon. 
Ses  manières  distinguées  lui  facilitèrent  les  moyens  de  se  mettre  en 
rapport  avec  quelques  jeunes  officiers  et  gardes  de  la  marine  qui 
devaient  s'embarquer  sur  cette  frégate ,  et  qui  ne  firent  aucune 
difficulté  de  lui  donner,  pour  leurs  camarades  de  Brest,  des  lettres 
d'introduction  dont  il  comptait  bien  user  pour  obtenir  des  ren- 
seignements utiles  au  succès  de  sa  mission.  Il  se  lia  en  outre , 
au  Havre ,  avec  un  interprète  anglais ,  nomnïé  Carmlchaêl ,  de 
qui ,  après  son  départ,  il  reçut  des  mémoires  sur  le  comiBcrc« 


-  301  — 

et  la  marine  de   ce  port ,  mérAoires  qui  donnèrent  lieu  ;  plus 
tard ,  à  l'arrestation  de  celui  qui  les  avait  envoj^és. 

Gordon  et  son  complice  gagnèrent  ensuite  Caen  ;  là  ils  se 
séparèrent,  et  Durand  se  rendit  à. Brest  pour  préparer  les  voies. 
Il  y  vint  à  deux  reprises..  Descendu  la: première  fois,  le  ^3 
avril  au  soir,  à  Thôlel  da.Grand-Tûrc,  tenu  par  la  femme  Cariou, 
il  donna  pour  prétexte  de  son  yoyage  le  désir  de  voir  l'Hôpital 
de  la  marine ,  de  s'assurer  de  la  manière  dont  le  service  s'y 
faisait,  et  d'y  remplacer  M.  Savary.  Mîfis,  dans  la  matinée  du 
lendemain ,  il  quitta  la'viUe  en- toute  hâte  ,  et  sans  avoir  eu  de 
communication  avec  personne ,  aÛn  d'aller  à  la  recherche  de 
sept  ou  huit  louis  qu'il  disait  avoir  perdus  à  Saint -Thégonec , 
ce  qui  semblait  le  contrarier  fort.  Revenu  presque  immédiate* 
ment ,  il  alla  loger,  cette  fois ,  à  l'hôtel  du  Grand  -  Monarque , 
tenu  par  la  femme  Herber ,  et  repartit ,  au  bout  de  cinq  à  six 
jours ,  pour  Saint  -  Malo  ,  où  Gordon  le  rejoignit.  Munis  d'un 
laissez  passer  de  M.  Scott,  lieutenant  de  roi  dans  cette  ville ,  ils 
visitèrent  pendant  près  de  quinze  jours  ,  non  •  seulement  Saint- 
Malo  ,  mais  le  fort  de  la  Conchée ,  Saint-Servan,  Cancale ,  Saint- 
Cast,  etc.,  prenant,  sur  tout  ce  qu'ils  trouvaient  digne  de  remarque, 
des  notes  qu'ils  mettaient  en  ordre  à  leur  rentrée  à  l'auberge , 
et  qui ,  développées  généralement  par  Durand,  étaient  ensuite 
déposées  dans  une  des  malles  de  Gordon,  que  ce  dernier,  en  se 
séparant  de  nouveau  de  son  ami ,  le  chargea  de  remettre  à 
Nantes,  chez  M.  Parck,  négociant,  sur  lequel  il  avait  une  lettre 
de  crédit.  Durand ,  toujours  défrayé  par  Gordon,  gagna  Nantes, 
où  leur  rendez-vous  était  assigné  pour  la  fin  de  mai  ou  les 
premiers  jouî^s  de  juin  ,  et  Gordon  se  dirigea  sur  Brest.  A  son 
entrée  dans  la  ville,  il  recommanda  à  son  postillon ,  qui  voulait 
le  faire  descendre  à  la  première  auberge,  de  le  conduire  sur  la 
place  Médisance ,  chez  le  sieur  François-Benjamin  Bordier,  hor- 


loger,  à  qui  Durand  avait  retenu  pour  lui  deux  chambres  au 
prix  de  30  livres  par  mois. 

A  peine  descendu  de  voiture,  Gordon  se  mit  en  rapport  avec 
les  jeunes  officiers  et  les  gardes  pour  lesquels  il  avait  emporté 
du  Havre  des  lettres  de  recommandation.  Elles  étaient  si  flat- 
teuses que  tous  le  comblèrent  de  prévenances.  Dans  l'après-midi, 
Tun  d'eux ,  M.  Doyennard  ,  alla  chez  M.  de  Kersauson  de 
Goasmelquin  ,  garde  comme  lui ,  et  le  pria  de  raccompagner 
chez  Gordon  ,  auquel  il  allait-  rendre  sa  visite.  Il  était  quatre 
heures  de  l'après-midi.  Ils  le;  trouvèrent  en  veste,  écrivant  ou 
faisant  de  la  musique..  Aprèsi^  S'être  habillé  ,  il  pria  les  deux 
visiteurs  de  le  présenter  à'  MM.Més  Commandants.  M.  de  Ker- 
sauson le  conduisit  immédiatement  chez  M.  d'Argens,  gouver- 
neur de  la  ville  et  du  château  ,  et  de  Jà  chez  M.  de  Rosily, 
commandant  de  la  marine  ;  par  intérim ,  en  Tabsence  de  M.  le 
comte  de  Roquefeuil.  Ils  se  promenèrent  ensuite  sur  le  Champ- 
de  Bataille,  puis  allèrent  au  café,  où  ils  restèrent  jusqu'à  Theure 
du  spectacle  (4),  à  l'issue  duquel  ils  se  rendirent  à  l'auberge 
de  la  dame  Férée ,  où  Gordon  avait  invité  MM.  de  Kersauson 
et  Doyennard  à  souper.  Mais  comme  Gordon  n'avait  pas  recom- 
mandé de  repas ,  il  n'y  avait  rien  de  prêt  pour  lui  et  ses  deux 
convives.  Alors  plusieurs  des  camarades  de  M.  de  Kersauson , 
qui  mangeaient  à  la  même  auberge  ,  firent  proposer  à  Gordon 


(i)  Dans  une  lettre  j  datée  du  4  mai  1769,  Gordon  rend  compte  en  ces 
termes  de  remploi  de  sa  soirée  : 

«  Je  fus  au  café  qui  a  été  bâti  par  Sa  Majestt^,  Elle  {sic)  consiste  en  deux 
beaux  appartemens  ,  un  au  rez-de-chaussée  et  Taulre  au  premier,  destiné 
pour  jouer  aux  cartes.  J*y  vis  au  moins  50  officiers  U  jouer,  plusieurs  des- 
quels  s*y  ruinent,  ce  qu'on  devrait  deffendre. 

De  là  à  la  comédie ,  qui  est  sans  exception  une  des  plus  belles  de 
France  et  ressemble  beaucoup  k  la  maison  de  Topera  ,  au  marché  à  foin 
à  Londres.  Il  y  a  deux  grandes  fautes  dans  ses  proportions.  Les  lojressonl 
trop  hautes.. Le  théâtre  ,  qui  est  d'une  largeur  immense  ,  n*est  point  dis- 
tribué pour  donner  ce  point  de  vue  qui  fait  voir  distinctement  les  acteurs. 
L'amphilKéàlre  n'est  pas  à  50  pieds  du  théâtre,  et  Ton  y  perd  la  moitié.  » 


-   303  -r^ 

de  partager  leur  souper^  ce  qu'il  accepta  aiiisi  que  ses  deux 
compagnons.  De  ce  moment  s'établirent  des  relations  intimes  entre 
tous  les  convives,  qui ,  pendant  le  séjour  de  Gordon,  lui  firent 
des  visites  et  le  traitèrent  à  Tenvi  les  uns  des  autres. 

Dans  la  matinée  du  lendemain ,  M.  de  Kèrsauson  conduisit 
Gordon  chez  les  Commandants  de  terre  et  de  mer  et  chez  les 
diverses  autorités.  Ils  laissèrent  leurs  cartes  chez  M.  de  Rosily 
qui ,  comme  la  veille ,  n'était  pas  à  son  hôtel.  De  là ,  ils  allè- 
rent chez  M.  de  Clugny^  qu'ils  -  ne  trouvèrent  pas  davantage  ; 
Gordon  s'inscrivit  chez  le  suisse^..  Entrés  ensuite  dans  le  port 
par  la  grille  de  l'Intendance , .  ils  passèrent  devant  les  magasins 
du  port,  visitèrent  une  des  salles  du  bagne,  déposèrent  leurs 
cartes  chez  M.  Dîgot,  directeur  des  fortifications,  et  revinrent 
dîner  à  la  pension  de  M.  de  Kersauson, 

La  visite  que  Gordon  .  avait  faite  au  port  était  loin  de  lui 
suffire.  Aussi  demanda-t-il  à  M.  de  Rosily  la  permission  de  le 
voir  plus  en  détail.  Elle  lui  fut  refusée.  Sur  ces  eùtrefaites  arriva 
M.  de  Roquefeuil.  Gordon  renouvela  sa  demande,  que  lui  accorda 
cet  officier  général,  en  ne  lui  délivrant  néanmoins  de  permis  que 
pour  un  jour  de  fête,  et  en  le  faisant  de  plus  accompagner  par 
M.  de  Ribiers  ,  enseigne  de  vaisseau.  M.  de  Roquefeuil  n'avait 
pas  cru  devoir  faire  davantage ,  quoique  Gordon  lui  eût  remis, 
ou  peut-être  parce  qu'il  lui  avait  remis  la  lettre  suivante  de  lord 
Harcourt. 

Milord  Harcourt  à  M.  le  comte  de  Roquefeuil, 

A  Ph^lel  d^  Grimbcrgaen,  le  14  cle  may  1769. 

Monsieur, 
Si  M.  Gordon  de  Wardhouse,    lieutenant   au    49*  régiment 
d'infanterie ,  m'eût ,  avant  son  départ  pour  les  provinces,  com- 
muniqué son  dessein  de  passer  à  Brest,  j'aurois  sans  difficulté 
trouvé  des  recommandations  pour  luy  procurer  l'honneur  d'être 


—  304  — 

connu  de  vous ,.  précaution  très  nécessaire  aux  étrangers  qui 
vont  visiter  des  places  (Je; guerre.  Mais  comme  il  ne  s*est  pas 
muni  des  lettres  nécessaires,  et  qu'il  n'a  pas  même  pris  la  pré- 
caution d'avoir  un  passeport.,  vous  m'excuserez  si  je  prens  la 
lib0é  de  luy  en  envoyer  i)ia  sous  votre  couvert,  pour  qu'il  puisse 
s'en  servir  pour  le  reste  de  son  voyage  dans  les  provinces.  Je 
dois  partir  bientôt  pour  T Angleterre  pour  y  passer  deux  ou  trois 
mois.  Si  j'y  puis  vous  être  utile  à  quelque  chose,  vous  me 
ferez  grand  plaisir.  Monsieur,  de  me  mettre  dans  le  cas  de  vous 
marquer  toute  ma  reconnaissance  de  la  peine  quQ  je  vous  donné. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  la  plus  grande  considération  et  estime, 
votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur, 

HARCOURT. 

En  même  temps  qu'il  déduisit  au  Ministre  les  raisons  qui 
Tavaient  déterminé  à  ne  permettre  à  Cordon  de  voir  dans  le  port 
que  ce  qu'il  aurait  pu  en  voir  de  la  ville  même,  M.  de  Roque- 
feuil  répondit  en  ces  termes  à  lord  Harcourt  : 

Monsieur, 

Je  viens  de  recevoir  la  lettre  que  Votre  Excellence  m'a  liait 
l'honneur  de  m'écrire  en  recommandation  de  M.  Gordon  de 
Wardhouse  ,  et  je  viens  de  luy  remettre  le  passeport  que  Je 
reçois  pour  luy  en  même  temps.  La  recommandation  de  Votre 
Excellence  suffit  certainement  pour  que  je  fasse  à  M.  Gordon 
toutes  les  honnestelé  {sic}  qui  peuvent  deppendre  de  moy,  mais 
pour  satisfaire  entièrement  sa  curiosité  à  Tégard  du  port,  j'aurois 
désiré  que  Votre  Excellence  en  eût  dit  un  mot  à  M.  le  duc  de 
Praslin,  ministre  de  la  marine ,  qui  m'auroit  accordé  à  moi'-méme 
toute  liberté  là -dessus.  Je  ne  scay  si  M,  Gordon  séjournera 
assez  pour  que  j'obtienne  réponse  de  M.  le  duc  de  Praslin  à 


—  30S  — 

son  sujet  ;  mais ,  en  attendant ,  je  luy  accorderay  icy  et  dans 
la  \ille  toutes  les  facilités  et  liberté  qui  sont  en  mon  pouvoir, 
charmé  d'avoir  cette  occasion  de  montrer  à  Votre  Excellence ,  etc. 

Dans  le  régiment  de  Béarn ,  alors  en  garnison  à  Brest ,  sa 
trouvait  un  soldat  nommé  François  Dauvaîs  ,  qu'çn  laissait  vendre^ 
des  cartes  ou  tableaux  indiquant,  tant  bien  que  mal,  le  nombre  et 
la  force  des  vaisseaux  des  diverses  puissances  maritimes  de  TEurope, 
L'hiver  précédent,  il  en  avait  vendu  à' plusieurs  officiers.  Ayant 
appris  que  Gordon  payait  largement,  et  qu'il  pourrai  bien  lui 
acheter  des  exemplaires  de  ces  caries ,  il  alla  lui  en  proposer. 
Gordon  saisit  avec  empressement  celte  proposition,  et  acheta  tout 
ce  qui  lai  fut  présenté.  Ensuite  il  questionna  le  soldat  sur  la 
manière  dont  il  s'était  procuré  ces  cartes ,  sur  les  liaisons  qu'il 
avait  dans  le  port  t  et  sur  les  renseignements  qu'il  pourrait  lui 
faire  obtenir.  Dauvals,  voyant  à  qui  il  avait  affaire,  se  fit  valoir. 
Il  assura  qu'en  4767,  comme  secrétaire  de  M.  de  la  Rozîère  ,  il 
avait  aidé  cet  officier  général  à  lever  les  plans  des  côtes  ainsi 
que  des  batteries,  et  qu'A  devait  encore  être  employé  prochai- 
nement à  de  semblables  travaux.  Il  termina  en  promettant  à 
Gordon  de  lui  fournir  tou3  les  documents  qu'il  pourrait  désirer. 
€e  dernier  lui  donna  alors  ses  instructions,  et  peu  de  jours 
après  y  Dauvais  lui  remit  trois  mémoires  ou  états  concernant  les 
ateliers  du  port ,  le  nombre  des  ouvriers  répartis  dans  chacun 
d'eux ,  leurs  salaires ,  les  magasins ,  les  approvisionnements. 
Pour  prix  de  cette  remise  ,  il  reçut  douze  louis  d'or  ^  dont  il 
donna  quittance  (29  mai  -1769). 

C'était  quelque  chose  sans  doute  que  de  posséder  ces  rensei- 
gnements ,  mais  Gordon  ne  voulait  pas  s'en  tenir  là.  Il  voulait 
que  chaque  mois  Dauvais  lui  en  fournit  de  semblables.  Il  était 
si  généreux  que  le  soldat  n'avait  rien  à  lui  refuser  I  Aussi  celui* 
ci  ne  fit  il  aucune  difficulté  de  souscrire  l'engagement  autographe 

3i 


■y-  •»••_  306  — 

qui  Fui  étaît  demandé  et  en  échange  duquel  Gordon  s'obligea  , 

,^  non  sçulement  à  M  procurer  tous   les  moyens  pécuniaires  de 

le  remplir,  maSs  encàrô  à  (iji  faire  obtenir  son  congé  absolu. 

Dauvais  qui    n'aurait  pas  été   fâché  ,  si  c'eût  été  possible ,   de 

(Jouliler  son  re\'ena  inespéré;,  laissa  entrevoir   \q   besoin  qu'il 

'aurait  d'un  auxiliaire  ayûnt  un  pied  dans  les  bureaux  du  port. 

.,JLe  consentement  de  tfôrdtin  loi  aurait   suffi;   il  aurait,  à  \m 

«seul  fait  d'une  façon  telle  quelle  la  besogne  de  deux  ,  et  doublé 

*  ainsi  son  salaire.  '  .--  . 

Gordon  ne  l'entendait  pa*  ainsi.  Quelque  léger  qu'il  fût ,  îl 
n'était  pas  sans  reconnaître  que  ces  renseignements  devaient  être 
puisés  à  des  sources  pltt$  sûros  ,  et  que  pour  être  assoré  de  la 
complète  exactitude  des  documents  qui  lui  seraient  l*\Té3 ,  S 
fallait  qu'il  les  tînt  d'un  autre  que  Dauvais  ;  mais  ce  n'était  pas 
45hose  fhcile  ,  parce  qu'il  y  avait  là  danger  d'être  découvert. 
Toutefois,  il  crut  avoir  trouvé  le  moyen  d'y  parvenir  par  l'inter- 
médiaire d'un  nommé  Roger  Omnès ,  maître  d'écriture ,  avec 
lequel  il  'se  trouvait  en  rapport.  Voici  à  quelle  occasion.  Dans 
une  de  ses  visites  à  M.  de  Kersauson ,  ayant  remarqué  sur  la 
table  de  ce  garde  un  cahier  manuscrit  contenant  les  instructions 
d'un  lieutenant  en  pied  embarqué ,  il  avait  demandé  à  Rempor- 
ter pour  le  lirei  M.  de  Kersauson  avait  refusé  en  alléguant  le 
peu  d'importance  de  ce  document.  «  Je  l'emporte,  avait  répliqué 
Gordon  en  riant.  »  Son  interlocuteur  qui  regardait  cette  instruc- 
tion comme  absolument  sans  valeur  pour  l'officier  écossais', 
n'avait  pas  insisté  et  l'avait  laissé  'faire.  Gordon  s'était  aussitôt 
mis  en  quête  d'un  copiste  qui  j>ût  la  transcrire ,  et  sur  rinâi«> 
cation  de  la  femme  d'un  serrurier  nommé  Alexandre,  il  avait 
(-18  mai)  fait  venir  Omnès,  à  qui  il  avait  donné  des  travaux 
qui  l'occupèrent  dix  jours ,  dans  l'intervalle  desquels  il  alla 
à  plusieurs  reprises  prendre  les  copies  fUites  et  en  remettre  de 
nouvelles.  Le  29,  il  envoya  de  nouveau  chordief  Omnès,  causa 


_  30Î  --*•   << 

amicalement  avec  lui  et  arriva  peu  à.pen  i  lui  faire  (les  ques- 
tions sur  sa  situation  domestique.  Les  r^onses  â*Omiiès  pïu*urent 
toudier  Gordon,  qui  lui  dit  alors  que  s'ij  voulah  hif  rendre  U0^ 
éervioe  qui  exigeait  le  secret,  il  hii  assurewit  no  sorthonnôtei 
Conune  celui  auquel  il   s'adressait  protestait  de   soft  désir  de 
mériter  son  estime,  Gordon  ajouta  qVil  s'agissait  de  lui  procurer  .^ 
UB  pian  de  Brest  et  des  renseignemeot5^urtout  eo  qui  pouvait  con* 
eerner  le  port  ainsi  que  les  côjtes  de  Bretagne.  Quoique  troublô., 
par  cette  propoâilion  étrange  et  înattendue ,  Omoès ,  comme  i« 
eo  convint  plus  tard,  ne  \ïïr  rejeta  pas.  Il  parut  môme  Taocepteri , 
et  peut-être  Veût-il  fait  si,  en  sortant  de  chez  Gordon,  il  o'avail 
raconté  son  entrevue  à  Julien  Lemonnier,  exempt  de  la  prévôté 
de  la. marine,  qu'il  connaissait  ilej^uis  longrten^.  Après  avoir 
réf^hi  un  instant ,  Lemoimier  corfôeiila  à  son  confident  de  ne 
pas  rompre  en  visière  à  Gordon,  mais  de  ne  hasarder  ni  paroles 
ni  écrits  qui  pussent  le  compromettre  personnellement.  «  Conti* 
nuez  à  le  voir,  ajouta-t  il,  et  moi,  de  mon  côté,  je  rendrai  compte 
à  M.  rintendant  de  la  marine  des  propositions  qui  vous  ontp^été 
ou  qui  vous  seront  faites.  •    C'est  ce  qui  eut   lieu  de  part  et 
d'autre.   Omnès  retourna  dans  la  soirée  chez  Gordon ,  qui  lui 
promit  40  livres  par  mois  pour  prix  de  «es  services,  et  lui  offrît 
de  signer  un  engagement  réciproque.  Omnès  fil  d'abord  quelques 
diCQcullés  ;  mais^  sur  l'assurance  que  lui  avait  déjà  donnée  Lomon- 
nier  que  M.  de  Clugny  était  au  courant.de  tout,  et  qu'il  pouvait 
marcher  en  toute  sécurité ,  il  feignit  de  se  laisser  gagner  par  les 
huit  louis  qui  lui  furent  glissés  dans  la  main  ,  et  souscrivit  le 
traité  dpmandé^  Gordon  fit  ensuite  observer  qu'il  serait  essentiel 
de  mettre  dans  leurs  intérêts  le  premier  commis  de  M.  Flnten-  ^ 
dant.  «  C'est  difficile ,  répondit  Omnès  ;  j'essaierai   pobrtant  et 
ferai  de  mon  mieux.  »  il  retourna  immédiatement  chez  Lemon- 
nîer  qui,  de  son  côté,  alla  faire  connaître  à  M.  de  Clugny  l'état* 
des  choses.  L'Intendant  prescrivit  alors  à  LemonnicT  de  s'affubler, 


-^  308  - 

du  fftre  de  son  premier  commis,  et  il  fui  intimé  à  Omnès  d'atter 
donner  à  Gordon  Fassuranec  que  M.  de  la  Ville -Deffaut  (c'était 
le  nom  que  devait  prendre  Texcmpt)  était  gagné  e1  viendrait  le 
trouver  le  lendemain,  30  mai,  a  huit  heures  du  soir,  chez  lui 
Omnès ,  qui  donna  sur  le  champ  avis  de  l'adhésion  de  Gordon 
à  Lemonnier.  Ce  dernier  alla  incontinent  faire  son  rapport  à 
M.  de  Clugny.  Extrayons  de  celui  qull  rédigea  plus  tard  sur 
Tensemble  de  sa  mission,  le  récit, de  ce  qui  $e  passa  dans  la 
soirée  du  30  mai.  Malgré  certaines  exagérations  de  détails,  natu- 
relles chez  un  liorame  intéressé  à  exalter  ses  SCTvices  ,  qui  furent 
d'ailleurs  réels,  ce  document  mérite  une  entière  conflance,  puis- 
qu'il est  la  reproduction  fidèle  ,  dans  ce  qu'elles  ont  d'essentiel, 
des  dépositions  de  Lemonnier  et  d' Omnès,  dépositions  que  Gordon 
reconnut  exactes,  sauf  ce  qui  concernait  l'immixtion,  dans  cette 
affaire  ,  de  lord  Harcourt ,  que  l'infortuné  et  généreux  jeune 
homme  voulait  sauvegarder. 

«  Rendu  chez  M.  le  comte  de  Roquefeuîl ,  qui  donnoit  ce 
jour-là  à  dîner  au  sieur  Gordon ,  je  demandai  M.  de  Clugny, 
dit  Lemonnier.  Un  valet  4e  chambre  l'avertît ,  et  nous  fûmes 
dans  un  endroit  séparé  ou  j'expliquai  ce  que  dessus.  M.  de  Clugny 
m'ordonna  de  veiller  à  cette  affaire,  et  que  j'eusse  à  ne  point  perdre 
de  vue  ledit  sieur  Gordon,  ou  de  mettre  quelqu'un  à  ma  main  pour 
veiller  sur  ses  démarches  ,  dans  le  peu  d'intervalle  où  j'aurois  été 
obligé  de  le  quitter  pour  faire  mes  rapports.  Je  promis  à  M.  de  Clugny 
que  je  veillerois  seul  sur  la  conduite  dudit  sieur  Gordon  ,  et  que  je 
m'absenterois  le  moins  que  je  pourrois  de  luy.  Pour  y  parvenir,  je 
me  travestis  en  bourgeois,  ayant  mis  une- mouche  sur  l'œil  gauche, 
et  sous  le  nom  de  La  Ville  -  Deffaut ,  premier  secrétaire  de 
M.  de  Clugny,  je  me  rendis  chez  M.  de  Gordon.  Après  les  com- 
pliments ordinaires ,  il  me  demanda  mon  âge  et  ce  que  j'avoîs 
fait  pendant  ma  jeunesse.   Je  lui  répondis   que  j'avois  servi  le 


-  309  - 

Roy  dans  le  régiment  de  Marbeuf-dragoos  ^  mais  que  commet  le 
régiment  avoit  été  supprimé,  j'aToîa  subi  le  môme  sort  qu^  tous 
les  officiers  ;  qu'ensuite  ,  pour  vivre  honorableAient ,  je  m'élois 
adonné  aux  bureaux.  M.  de  Gordon  me  dit  :  <i  Vous  parottrez  peut- 
être  surpris  de  ce  que  je  vous  fais  toutes  ces  questions ,  mais 
c*est  que  je  crains  que  vous  ne  soyez  un  homme  à  la  main  de 
M.  de  Clugny  et   des  Généraux ,  que   vous   ne  soyez  venu  ici 
à  dessin  de  me  tromper,  d'arracher  mon  secret  et  de  me  déclarer  ^ 
ensuite.  »  Je  donnai  au  sieur  Gordon  des   assurances  du  con- 
traire ,  et  je  lui  fis  croire  h  un  mécontentement  de  ma  patrie, 
et  que  la  réforme  que  je  venois  d'essuyer  me  metloit  bien  mal 
à  mon  aise.  Il  me  répliqua  :  «  Eh  !  bled,  monsieur,  vous  m'avez 
Tâir  d'un  galant  homme.  Si  vous  voulez  me  servir  d'espion  dans  ce  • 
pays,  en  me  donnant  connaissance  de  toute  la  coste  de  Bretagne 
depuis  Saint-Malo  jusqu'à  Lorlent,  et  les  endroits  favorables  à  faire 
descente,  je  vous  assure  une  fortune  pour  vous  et  pour  les  vôtres.  » 
Je  lui  fis  connaître  toute  la  délicatesse   d'un  pareil  procédé  ; 
que  sa  position  était  bien  différente  de  la  mieime  ;  qu*il  cher* 
chait  à  servir  sa  patrie  et  qu'il  m'engageait  à  trahir  la  mienne. 
Il  me  regarda  d'un  air  de  pitié,  en  me  disant  qu'il  ne  falloit  pas 
avoir  l'âme  si  délicate,  et  que  quand  la  fortune  nous  favorisoit, 
il  falloit  en  profiter.   Je  lui  donnai  toute   assurance  et  lui  dis 
que  j'allois  réfléchir  aux  propositions  qu'il  me  faisoit.  Je  deman- 
dai à  M,  de  Gordon  quatre  à  cinq  heures  de  réflexions ,  que 
j'employai  à  rendre  compte  à  mes  généraux  de  ce  qui  se  passoit 
entre  ce  monsieur  et  moy.    Le  temps  expiré  ,  je  revins  joindre 
M.  de  Gordon ,  et  je  l'assurai  que  j'étois  déterminé  à  faire  tout 
ce  qu'il  voudroit^  Ledit    sieur  Gordon  voyaùt  ma   résolution  à 
faire  tout  ce  qu'il  exigeoit  de  moy,  me  marqua  un  contentement 
inexprimable  en  me  serrant  la  main  et  me  disant  :  «  Mon  cher 
de  La  Ville ,  je  vous  ai  dit  que   quand  on   nous   adressoit  la 
fortune  ,  il  fallait  la  recevoir.  »  Il  m'ouvrit  alors, son  âme,  en 


-^  31Ô  - 

îne  dUant  que  si  ses  projets  réussissoieilt ,  il  eût  été  élevé  aa 
suprême  degré  eu  Angl^erre  par  le  service  qu'il  se  proposoit  de 
rendre  à  sa  patrie.  Or,  voici  \t&  .deœandes  qu'il  me  fit  ;  seavoir 
combien  nous  avions  de  boi^  de  construetioa  dans  notre  porl^ 
ou  ledit  bois  éloit  placé  ;.  combien  de  m&lures  ;  combien  de  vais* 
seaux ,  de  gréements  ;  combien  il  y  avoit  de  viv^reg  dans  dos 
magasins;  combien  d'ouvriers  dans  le  i^rt ,  et  comblai  (k 
troupes  ef&ctives  du  déparlement  et  au?^  enviroois.^  à  combien 
j'estimois  la  quantité  de  sold^"»  gardes  eoste&r  attendu  que  les 
Anglais  y  selon  lui  »  les  craigrw)i^t  A>etimo<iip ,  et  qiïe  c'est  ei» 
SQi-4isant  qui  leur  avoient  fait  perdre  beauc^A^  de  monde  et 
manquer  leur  coup  à  Saînt-Cùst..     : 

Comme  au  rapport  du  sieur  G^ràoïi ,  V intention  de  la  cour 
britannique  étoit  de  venir  à  une  nouvelle  tentative  et  de  foire 
une  descente  à  Brest ,  le(iit  sieur  Ci€frdon  m'a  assuré  qu'os  for- 
moit  actuellement  en  Angleterre  te. projet  ée  détruire  ce  port, 
de  le  combler,  de  brûler  les  bâtiments  et  les  magasins.  Il  me 
disoit  encore  que  moyennant  mon  secours ,  il  viendroU  à  bout 
d'en  faciliter  Tcxécution,  pourvu  que  je  fusse  régulier  à  lui  readre 
compte  des  différents  mouvements  qui  se  passeroient  icy.  Je 
l'assurai  dans  sa  croyance  et  frémis  à  sa  proposition.  Je  ne  scay 
comment  [}  ne  s'aperçut  pas  que  je  changeai  de  couleur.  Je  fus 
obligé  de  porter  la  main  droite  au  front  en  m'agit^ii  dans  tous 
les  sensy  pour  qu*il  ne  s'aperçoivent  {sic}  pas  de  mon  trouble. 
Étant  strr  de  sa  capture  ,  je  laissai  à  ses  Mées  unfe  entière 
liberté.  Je  quittai  M.  de  Gordon  sur  les  dix  heures  et  demie  ou 
onze  heures  du  soir  avec  promesse  de  nous  rejoindre  le  lende- 
main ,  au  coup  de  neuf  heures  du  soir. 

Je  fus  derechef  rendre  compte  à  nos  Généraux  de  ce  qui  s'étoit 
passé  entre  M.  de  Gordon  et  moy,  et  M.  l'Iatendant  m'ordwtf» 
de  consentir  à  tout  ce  qu'il  exigeroit  de  moy  pour  le  confondre 
dans  ses  projets.  Voici  le  résultat  du  30-  may.  » 


--  5)1  -^ 

Le  rapport  que  Lemonnler  élàii  venu  faire  à  Bf*  de  Clugny 
pendant  que  ce  dernier  et  Gordon  dînaient  chez  M.  de  Uoque- 
iéuiX ,  des&illa  les  yeux  à  cet  officier  général.  Jusque-îà^  trompé 
par  les  apparences  ,  il  n'avait  vu  dans  le  jeune  Anglais  qu*ua 
écervelé,  uniquement  occupé  de  ses  plaisirs  ;  et,  bien  que  M.  de 
Clugny  lui  eût  dit  ne  pas  partager  sa  confiance ,  qu'il  lui  eût 
même  déclaré  qull  faisait  activement  surveiller  Gordon ,  il  se 
refusait  à  voir  un  conspirateur  sérieux. dans  celuî  qu*oo  reocoa- 
troit  dans  tous  les  bals,  dans  toutes  les  soirées  et  qui  passoit 
le  reste  du  temps  dans  les  cafés  ou  avec  des  femmes  de  mœurs 
plus  que  suspectes.  Aussi,  tout  ep  rèconnais^ot  que  les  mauvai- 
ses intentions  de  Gordon  étaient  évidentes,  inclinaît-H  à  ce  qu'oa 
le  laissât  s'éloigner,  par  les  motifs  déduits  dans  la  lettre  suivante^ 
qu'il  écrivit ,  le  lendemain  matin  ,  au  Ministre  de  la  marine  : 

«  Monseigneur, 

J'ai  eu  l'honneur  de  vous  parler  d'un  M.  Gordon ,  offlder 
aillais,  au  sujet  duquel  je  vous  ay  envoyé  une  lettre  de  mylord 
flarcourt.  Sur  les  connaissances  que^je  viens  d'avoir  de  la  con- 
duite dudit^M.  Gordon,  je  me  trouve  assez  perplexe  sur  celle 
que  j'ay  à  tenir.  Nous  voyons  manifestement,  M.  de  Clugny  et  moy, 
que  cet  officier  anglais  est  un  homme  malintentionnée  qui  n'est 
icy  que  pour  se  négocier  quelque  espîonage.  M.  de  Clugny  vous 
marquera  la  certitude  que  nous  en  avons ,  et  se  trouve  d  avis 
en  conséquence  que  je  fasse  arrêter  ledit  sieur  Gordon  avant 
son  départ  d'icy  qui  doit  être  demain  ou  après-demain.  J'avoue, 
Monseigneur,  que  ce  n'est  pas  mon  sentiment  jusqu'icy,  puisque 
cef  officier  ne  se  doute  de  rien  et  que  nous  sommes  instruits , 
car  il  n'a  pu  prendre  icy  d'autres  connaissances  que  celles  que 
tout  étranger  peut  avoir  sans  peîne ,  dès  que  la  vilte  ne  luy  est 
pas  interdite ,  et  il  y  en  a  toujours  icy  dans  la  ville  et  même 
dans  le  port  par  la  voye  des  bâtiments  de  commerce.  Je  ne  vois 


—  312  — 

donc  pas  le  bénéfice  d'arrêter  le  sieur  Gordon.  Comme  il  ne  se 
méfie  de  rien ,  comme  il  va  d^icy  à  Lorient ,  et  de  là  retourne 
encore  à  Rochefort  et  à  Tile  de  Ré,  rien  ne  périclite  à  cet  égànL 
Si  voua  jugez  à  propos  de  le  faire  arrêter  et  ses  papiers  qui  ne 
peuvent  être  en  apparence  que  des  informations  générales, 
et  aussy  généralement  connues  ,  j'ay  trouvé  qu'en  temps  de 
paix ,  il  ne  se  trouvoit  pas  la  matière  d'une  procédure  contre 
luy  et  que  vous  aimeriez  mieux  tirer  party  de  la  connoissance 
que  nous  avons  de  sa  manœuvre  pour  luy  faire  donner  en 
Angleterre  tels  avis  ou  tel  compte  que  vous  jugeriez  convenir 
aux  affaires  du  Roy.^Ce  contrespionage  peut  avoir  quelquefois  de 
très  bons  effets  ;  et  enfin ,  Monseigneur,  si  je  me  trompois  sur 
vos  intentions ,  je  regarde  que  vous  conserverez  toujours  les 
mêmes  moyens  et  les  mêmes  témoignage3  que  nous  avons  en 
ce  moment,  et  dont  M.  de  Clugny  vous  rend  compte,  ce  qui 
me  retient  d'un  sentiment  différent  de  lui  à  cet  égard. 

Ce  M.  Gordon  est  un  jeune  homme  de  vingt-deux  ans  à  ce 
qu'il  paroît ,  ayant  de  l'esprit  et  de  l'éducation  ,  mais  qui  m'a 
paru  bien  jeune  et  peu  expérimenté  pour  ce  métier-là.  Je  luy 
ai  fait  honnêteté  ,  et  il  dinoit  encore  hier  chez  moy,  sans  que 
j'eusse  connoissance  de  sa  conduite,  dont  je  ne  luy  auroîs  cepen- 
dant rien  témoigné  scavoir.  Je  luy  donnerai  une  reconnaissance 
de  sagesse  et  n'avoir  occasionné  aucune  plainte  icy  pour  l'entre- 
tenir dans  l'ignorance  de  ce  que  pous  scavons.  Comme  il  a  été 
dans  le  port  à  Rochefort ,  j'ay  permis,  sur  la  lettre  de  l'ambas- 
sadeur, qu'il  y  allât  avec  M  de  Ribiers ,  enseigne  de  vaisseau , 
sachant  très  bien  l'anglais,  et  auquel  je  fis  la  leçon  de  le  mener 
seulement  vers  les  calles  de  construction^  sans  descendre  à  terre 
en  aucun  atellier  ni  magasin,  en  sorte  qu*il  n'a  vu  du  port  que 
ce  qu*on  en  voit  de  la  ville ,  sinon  qu'il  a  passé  plus  près  de^ 
vaisseaux  et  qu'il  en  aura  vu  un  bel  et  bien  entretenu. 


•-  313  — 

J'ay  rhonneur  de  vous  envoyer  une  lettre  cy-Jointc  que  je 
reçois  précisément  aujourd'huy  de  milord  Harcourt  »  et  qui  me 
venant  à  propos  de  rien ,  prouve  assés  (quelque  adroite  qu'elle 
soit  dans  la  tournure),  qu'il  y  est  pour  quelque  choses  ou  que 
M.  Gordon  l'intéresse  dans  sa  conduite  icy.  Je  ne  scay  pas  , 
Monseigneur,  si  notre  Cour  se  trouve  en  quelque  meffience 
actuelle  des  intentions  de  celle  d'Angleterre,  et  sur  tout  cela,  je 
prend  seulement  le  parly  de  vous  informer,  sans  agir  de  mon 
chef  icy.  Si  sous  demain  ou  après-demain,  départ  de  H.  Gordon, 
il  se  trouvoit  quelques  choses  à  sa  conduite  qui  me  fit  penser 
différemment ,  je  suivrois  Tavis  de  H.  de  Clugny,  et  vous  en 
rendrions  compte  après  -  demain  11  se  dit  neveu  du  duc  de 
Gordon.  » 

La  lettre  de  lord  Harcourt,  dont  il  est  parlé  dans  celle  qui 
précède  ,  était  ainsi  conçue  : 

«  Monsieur, 

J'ay  reçu  l'honneur  de  votre  lettre,  et  je  suis  bien  reconnais- 
sant de  toutes  vos  honnêtetés.  Si  j'avois  trouvé  M.  Praslin  chez 
luy,  je  luy  aurois  demandé  la  permission  nécessaire  pour  voir 
le  port.  Mais  je  ne  lui  écrirai  pas  pour  lui  épargner  Ja  peine 
d'une  réponce.  Si  M.  de  Gordon  étoit  officier  de  marine,  je  me 
serois  plus  empressé  à  satisfaire  sa  curiosité.  Mais,  au  bout  du 
compte ,  je  ne  sais  pas  s'il  serait  bien  honneste  de  ma  part  de 
demander  une  pareille  proposition  ,  puisqu'il  arrive  quelquefois 
que  Ton  fasse  grande  difficulté  à  montrer  nos  ports  aux  étran- 
gers. Voilà ,  Monsieur ,  ma  délicatesse  ;  elle  vous  est  due  de 
toutes  façons  pour  les  procédés  dont  vous  êtes  usé  à  l'égard 
de  moy  et  de  Mons.  Gordon,  à  qui  vous  aurès  la  bonté  de  faire 
mes  compliments,  et  de  me  croire  avec  le  plus  profond  res- 
pect ,  etc.  f 

40 


•        ,  /  *  —  314  - 

"  *  .  •  '  •% 
,  Bans  la  sairée-iju  3(i  njai ,  bous  Tavo^is  vu,  Gordon,  Lemcm- 
nier  et  Onmès  6'éJaient  donné  un  rendez -vous  pour  le  lencfe- 
main  soir  chez  te  (Jejrnîer,  à  qui  Gordon  avait  remis  56  livres 
pour  payer  le  souper,  qui  s'y  ferait.  11  eut  lieu  efifixlivement. 
Le  repas  Iprminé ,  remise  fut  faite  par  ie  faux  de  La  Ville  de 
,toas  les  docttroents  que  ,  4a  veille  ,  il  s'était  engage  à  fournir. 
Mais  là  ne  'se  terna,  paa  ce  qui  se  passa  dans  celte  soirée. 
Laissons  encore  rLjBnionnier  nous  en  raconter  les  divers  incidents, 
un  peu  amplifîéë^  vraisoniblkblement  sur  certains  points  t 

•  Quand  j'eus  replis  à  M.  de* Gordon,  dit-il,  les  mémoires 
qu'il  éxigeoit  jde,  moy,  sa  joyc  et  son  transport  lui 'firent  me 
promettre  2,400  livres  de  rente  annuelle  pour  mon  entretien 
dans  celte  ville.  Pour  sûreté  de  ladite  somme ,  il  me  contracta 
un  acte  payable  de  trois  mois  en  trois  mois  par  lettre  de  change 
tirée  sur  Benchot,  banquier  à  Paris.  Comme  M.  de  Gordon  devoil 
partir  le_2  juin,  il  fut  décidé  que  le  lendemain,  ^^  juin  i 
nous  recouperions  encore  ensemble,  attendu  que  M.  de  Gordon 
devoit  m'apporter  un  alphabet  duquel  nous  nous  serions  servi 
pour  nous  écrire  réciproquement,  et  dont  le  caractère  ne  seroit 
visible  qu'à  nous  deux ,  en  me  disant  :  a  Mon  cher  Monsieur 
de  La. Ville,  les  2,400  livres  que  je  vous  garantis  ne  sont  qu'une 
bagatelle,  et  je  vous  assure  de  plus  une  gratification  de  24,Odd 
livres  de  la  part  de*  notre  ambassadeur.  Quand  je  wus  àis 
214,000  livres  ,  attendez-vous  à  quelque  chose  de  mieux ,  soit 
de  «a  part,  soitnde  la  mienne.  »  —  «  Enfin,  il  se  fait  laerd, 
continua  IJ.  de  Gordon  ;  engageons-nous  par  actes  et  écrits  »  ^ 
qui  furent  faits  ei»  présence  d'Omnès  ,  et  il  lai  en  fut  con- 
tracté un  particulier  de  la  somme  de  480  livres  par  an.  — 
t  Mon  cher  Omnës  ,  ajouta  M.  de  Gordon,  je  ne  puis  vous 
payer  aussi  cher  que  l'ami  de  I^  Ville ,  attendu  que  vous  ne 
"m'êtes,  pas  aussi  utile  que  luy  ;  mais  comme  je  connois  votre 


-  315  -^  . 

indigence ,  vous  serez  content,  Vbns  ,  mbnsîeur  de  La  Ville , 
c'est  à  vous  à  me  faite  un  acte  ffengagemenl  (pie  je  vais  vous 
dicter,  et  tequel  éloit  à  peu  près  conçu 'en  fces  termes  :  t  Je, 
soussigné ,  promets  ei  m'engage  à  rendre  compte  à  M.  Gordon 
de  ^  Wardhouse  de  tous  les  mouvements  quelconques  qui  se 
passeront  dans  te  port  cft  sur  la  coste,  concernant  le  service  du 
Koy,  et -de  Tinslruire  pareillement  de  toutes  les  affaires  qui  par- 
viendront à  ma  connoissance  pourTeiécutiôii  du.  projet  dudit 
sieur  Gordon.  >  Il  m'obligea  ds  signer'cet  acte ,  que  Je  signai 
sous  le  nom  de  La.  Ville  DefiEaut,'  commis  dès  J)ureaux.  M.  de 
-  Gordon  se  saisit  promptement  des  actes  que  nous  lui  avions 
contractés  Tun  et  l'autre ,  comptant  que  ses  \>rojets**toîeût  'déjà 
accomplis.  li  me  fit  promettre  de  tâcher  d*o)>teifir  une  permis- 
sion de  M.  de  Clugny  '  pour  partir  trois  ou  quatre  jours  après 
luy  et  prendre  les  derniers  arrangements  avec  son  ambassadeur, 
et  recevoir  la  somme  proposée  de  24,000  livres ,  et  que  luy 
alloît  repasser  en  Angleterre  communiquer  à  la  Gour  Brilanuique 
les  arrangements  qu'il  avoil  pris  dans  sa  tournée ,  en  conséquencse 
des  ordres  dont  il  éloit  chargé  d'engager  des  gens  dans  ses  intérêts 
à  force  d'argent ,  et  qu'il  étoit  sûr  de  son  entreprise ,  étant 
sûr  de  moy  et  de  mon  intelligence  ;  que  même  il  donneroît  sa 
tôle  pour  caution  qu'il  réussiroit  d^^ns  la  destruction  du  port  do 
Brest ,  dont  il  évaluoit  la  perte  à  deux  cent  millions.  M.  de 
Gordon  m'a  assuré  qu'il  viendroit  lui-méffl£  à  la  tête  de  35  à 
Û0,000  hommes  pour  combler  et  brûler  ce  qu'il  projetoit.  Ce 
méchant  homme  n'avoit  pas  bien  examiné  ma  figure  ,  car  il -eût 
dû  s'apercevoir  que  je  n'étois  pas  un  homn^e  à'  vendre  mon 
honneur  à  ce  prix  et  encore  moins  le  bien  dfe  ma  paitrie.  Après 
le  coup  fait,  il  me  promit  nue  place  dé  cîJi)îtaine  en  Angleterre, 
si  toutefois  je  he  me  plaisois  pas  en  France.  Il  éUiit  une  beure 
après  minuit.  Nous  nous  quittâmes  en  noiis  promettant  foi  et 
ûdélité ,  intérieurement  de  servir  nos  patries  l'un  et  Taiître.  Ce 


—  316  — 

méchant ,  conspirant  contre  les  Intérêts  de  mon  Roy,  ne  devoH 
pas^  s'attendre  que  j'eusse  gardé  un  secret  si  odieux.  Je  m'aper- 
çois aujourd'hui  que  les  sentiments  et  Tamour  de  sa  patrie  n'ont 
pas  autant  d'accès  que  la  naissance.  Omnès  se  chargea'  de  recon- 
duire le  sieur  Gordon  chez  luy ,  et  moy  je  fus  chez  M.  de 
Clugny  lui  porter  les  actes  contractés  entre  nous  ,  où  je  fis 
rencontre  de  M.  le  vicomte  de  Choiseul ,  qui  eut  la  bonté  de 
m*introduire  lui-même  dans  la  chambre  de  M.  de  Clugny,  à  qui 
je  remis  ces  actes,  lui  rendant  -  compte  de  tout  ce  qui  s*étoitdit 
et  fait.  M.  le  vFcomté  de  Choiseul  fut  flatté  do  la  façon  dont 
j'avois  travaillé  ,  et  me  promit  beaucoup  en  me  disant  qu'il  en 
eût  écrit  à  M.  le  duc  de  Choiseul  et  à  W  le  duc  de  Praslîn. 
Il  me  fut  ordonné  par  M.  de  Clugny  d'aller  chez  M.  le  Général 
lui  rendre  compte  du  traitement  que  je  venoîs  de  faire  et  qu'il 
alloit  lui  porter  par  écrit  ce  que  je  venois  de  lui  dire  wrbat- 
Icment.  r   (1) 

lemonnier  se  rendit  donc  immédiatement  chez  M.  de  Roque- 
feuil.  H  n'y  avait  plus  à  hésiter.  A  l'arrivée  de  M.  de  Clugny, 
qui  survint  peu  après,  il  fut  prescrit  à  l'exempt  d'aller  porter  à 

(1)  Omacs,  dans  ses  dépositions,  confirma  les  dires  de  Lemoniiier.  Il 
attesta  que,  dans  Tentrevue  du  30  mai,  Gordon  avait  témoigné  à  l'exempt 
la  crainte  qu'il  ne  fût  un  pompeur  d'étrangers  (termes  d'argot ,  vraisem- 
Wemenl  inconnus  h  Toflicier  écossais).  Lemonnier  l'aurait  rassuré  en  lui 
disant  que  depuis  trois  semaines  qu'il  élait  à  Brest,  il  avait  connaissance 
de  toutes  les  parties  de  filles  dont  il  avait  été,  des  billards  où  il  allait 
jouer,  et  que  si  lui ,  Omnès ,  avait  été ,  comoïc  il  semblait  le  croire  ,  un 
homme  k  la  main'de  M.  de  Clugny  eldes  généraux  ,  il  n'eût  pas  manoué 
de  le  questionner.  Omnès  ajouta  que,  dans  la  soirée  du  31  mai ,  Gordon 

Î>romit  la  remise  d'un  alphabet  de  correspondance  et  d'une  encre  invisi- 
)lc  pour  tout  autre  que  pour  eux  trois.  Les  lettres  écrites,  k  Brest,  par^ 
Omnès  seul,  auraient  été  adressées  k  Paris ,  sous  triple  enveloppe ,  conte-' 
nant  chacune  une  suscriplion  spéciale,  que  Gordon  aurait  indiquée  lors 
d'un  nouveau  souper.  Il  n'aurait  lui-même  correspondu  qu'avec  Omnès  , 
qui  aurait  communiqué  k  Lemonnier  ses  lettres  non  signées.  L'exempt 
ayant  demandé  k  Gordon  s'il  était  autorisé  dans  ses  démarches,  l'ofUcier 
écossais  lui  aurait  répondu  n'agir  qu'en  vertu  des  ordres  de  son  ambassa- 
deur,, qui  lui  avait  recommandé  de  gagner  k  prix  d'argent  le  plus  de- 
monde  possible,el  de  s'informer  bien  cxactem$nt  de  tout  ce  qui  se  passerait 


-  3Î7  - 

M.  d'Orléans,  sous  aide-major,  Tordre  de  prendre  au  quartier  15 
grenadiers  du  régiment  de  Béam.  En  môme  lefnps,  il  fut  enjoint 
ù  Lcmonnier  de  quitter  son  déguisement  et  de  se  mettre  ,  en 
uniforme,  à  la  tète  de  ses  gens  pour  accompagner  le  détache- 
ment de  M.  d'Orléans.  Tous  se  transportèrent ,  à  deux  heures 
du  matin,  chez  Gordon,  qui  fut  trpuvé  profondément  endormi 
et  couché  tout  habillé.  M.  de  Clugny  arriva  presque  immédiate- 
ment avec  le  Contrôleur  de  la  marine  et  le  greffiier  de  la 
prévôté.  Gordon  fut  de  suite  dessaisi  des  papiers  cachés  sur  lui 
de  la  façon  qu'avait  indiquée  Lemonnier.  Se  tournant  alors  vers 
l'exempt ,  M.  de  Clugny  lui  dit  î  t  Vous  avez  fait  une  belle 
découverte  ;  nous  avons  trouvé  la  ceinture.  »  Il  était  trois 
heures.  M.  de  Clugny  commença  sur  le  champ  l'inventaire 
des  papiers  qui  se  prolongea  jusqu'à  dix  heures  du  matin. 
Les  pièces  les  plus  importantes  étaient  les  cartes  et  tableaux 
vendus  par  Dauvais  ;  l'instruction  prêtée  par  M.  de  Kersauson-; 
des  pièces  écrites  par  Gordon  et  contenant  des  remarques  sur  la 
marine.,  le  commerce,  1^  situation  de  Brest,  le  nombre  de 
vaisseaux  qu'on  venait  d'envoyer  à  Saint-Domingue,  l'effectif  des 


dans  le  port  de  Brest  pou?  lui  en  rendre  compte  ;  que  personnellement , 
et  quoi  qu'il  pût  arriver,  il  ne  redoulait  rien.  Dans  la  conversation  qui  eut 
lieu  pendant  le  souper^  Gordon  aurait  dit  que  M.  de  Glugny  lui  avait  lui- 
même  montré  le  port  un  dimanche,  dans  son  canoU  «  F ,  aurail-il 

ajouté,  ce  n'était  pas  ce  que  je  cherchais,  je  voulais  voir  le  port  un  jour 
ouvrable  et  les  ouvriers  au  travail  ;  je  Tavais  obtenu  du  Ministre ,  par  le 
canal  de  mon  ambassadeur.  Avant  celte  demande  ,  j'avais  déjà  vu  le  port 
plusieurs  fois,  et  si  je  la  faisais  à  M.  de  Clugny,  c'était  par  pure  politesse.» 
D'après  Oranès.  la  Main-d'Orge,  sa  voisine,  qui  allait  souvent  chez  lui, 
ne  devait  pas  ignorer  ses  relations  avec  Gordon  et  avec  Lemonnier,  de 
qui  elle  était  également  connue,  et  qui  Tavail  menacée  de  la  faire  sévère- 
ment punir  par  II.  de  Clugny ,  si  elle  révélait  son  déguisement,  ce  qu'il 
ue  pensait  pas  qu'elle  eût  fait.  Il  avait  terminé  en  disant  que  Gordon  avait 
déclaré  que,  faute  à  lui  de  payer  à  Lemonnier  les  mille  louis  promis  , 
l'ambassadeur  les  verserait  lui-même  et  au-dtlU  à  l'exempt ,  lors  de  son 
arrivée  à  Paris. 

Lorsqu'il  fut  confronté  avec  Lemonnier  et  Omnès ,  Gordon  ne  contesta, 
de  leurs  dépositions  que  les  parties  incriminant  l'ambassadeur  d'Angle- 
terre et  le  projet  d'incendier  le  port  de  Brest. 


\ 


—  318  — 

troupes  embarquées  et  un  journal  de  ce  qu'avait  fait  Gordon 
depuis  son  arrivée  à  bf^st  ;  des  minutes  de  lettres ,  toutes  de 
sa  main  ,  et  dont  la  plus:  intéressante  était  celle  par  laquelle  H 
rendait  au  secrétaire  de  Tambassade  briiannique  un  compte 
détaillé  de  U  situation  du  port ,  compte  -  accompagné  de  ses 
observations  et  faisant  connaître  qu'il  avait  promis  à  Lemonnier  et 
a  Omnès,  ainsi  qu'àDauvais,  les  diverses  sommes  dont  il  a  déjà  été 
parié;  les  traîléa  ,%de  lâ  main  de  Gordon  ,  conclus  avec  ces  trois 
personnages  et  les  quittancés  à  l'appui.  Ces  dernières  pièces  étaient 
renfermées  dans  deux  petits  sacs  de  toile  tfès  fine  que  Gordon 
avait  fait  faire  par  Viticent^  de  manière  à  pouvoir  les  passer 
autour  dé  ses  reins.  Les  autres  papiers  étaient  la  lettre  de  crédit 
de  800  livres  sterling  sur  M.  Paùchaud,  un  passe-port  de  Tambas* 
fiadcur  d'Angleterre,  une  lettre  insignifianto  de  Durand,  datée 
de  Rennes ,  et  enfin  une  lettre  qu'une  fille ,  nommée  la  Main- 
d'Orge ,  avait  écrite  le  30  mai  à  Gordon ,  lettre  où  elle  lui 
donnait  un  rendez-vous ,  lui  promettant  en  termes  ambigus  des 
éclaircissements  ,  et  lui  proposant  de  lui  faire  faire  la  connais- 
smcc  du  secrétaire  d*un  ministre.  Cetti3  fille  était  en  relations 
.avec  Gordon,  qiûi*avait  vue,  d'abord  chez  Omnès,  ensuite  dans 
son  propre  logement,  d'où  il  congédiait  son  domestique  lorsqu'elle 
y  venait.  Que  s'était-il  passé  entre  eux  dans  ces  diverses  rencon- 
tres ?  Était-elle-  môlée  au  complot  ou  n'avait-elle  avec  Gordon  que 
des  rai^ortsd'unc  autre  nature?  C'est  ce  que  rinstruclion  ne  par- 
A'int  pas  à  préciser.  En  attendant ,  comme  sa  lettre  semblait  accuser 
des  liaisons  suspectes  et  môme  criminelles,  elle  fut  immédiate- 
ment arrêtée  ,  et  plus  tard  décrétée  de  prise  de  corps.  (!) 

La  convention  souscrite  par  Dauvais  ne  permettant  aucun  doute 
sur  se»,  jnaavaises  intentions,  ordre  fut  aussi  donné  de  le  mettre 

<l)i?inslriicliQn,en  ce  qui  coBcerne  la'Main-d'Orge,  est  si  vague,  qu*on 
se  prend  à  croire  qu'elle  aurait  été  arrêK^e  et  détenue  uniquement  pour 
délourner  d'elle  le  soupçon  d'avoir  Iralii  les  confidences  que  Gordon  se 
serait  laibsi'  aller  a  lui  l'aire. 


-  319  — 

6n  prison,  ce  qui  ne  put  avoir  liea  sur  lô  champ.  Ayant  eu 
vent ,  dès  île  matin  ,  de  ce  qui  s'était  paçsf  dans  la  nuit ,  îl 
venait  de  s'évader  du  quartier  quand  oii  s*y' présenta  pour  le 
saisir.  Aussitôt  on  ferma  les  portes  de  la  ville ,  on  battit  la 
générale  et  Ton  doubla  les  sentinelles  sur  les  iremparls.  I^s 
recherches  actives  des  officiers  de  Béarn  ayant  amené  à  penser 
qu'il  s'était  réfugié  dans  l'enceinte  du  couvent  des  Capucins  , 
M.  de  Roquefeuil  expédia  au  P.  (îardien  un  ordre  d'y  laÉsser 
pénétrer,  et  vers  le  soir,  Dauvais  fui!  trouvé  dans  le  jardin  , 
blotti  dans  une  espèce  de  carrière,  derrière  des  brousfeîlles.  De 
là  il  fut  «onduit  à  Pontaniou  ,  où  depuis  ter  matiu  se  trouvait 
le  domestique  Vincent.  - 

Quant  à  Gordon,  ce  n'était  pas  à  Ponlanîou,  mais  au  €liâtcau 
qu'il  avait  été  écroué  après  la  clôture  de  l'inventaire  de  ses 
papiers.  M.  de  Roquefeuil ,  en  le  remettant  à  M.  le  chevalier 
D'Argens,  lui  avait  recommandé  de  renfermer  le  prisonnier  dans 
une  chambre  haute  avec  une  sentinelle  à  sa  porte  ;  de  lui  per- 
mettre de  se  promener  sans  qu'il  pCrt  toutefois  sortir  de  la  place 
du  château,  çt  à  la  condition  qu'il  serait  toujours  gardé'à  vue 
par  deux  soldats.  Il  serait  servi  de  chez  ua»  traiteur  dans  s^ 
cbambre,  et  Vincent  serait  remplacé  par-un  ou  deuxj domesti- 
ques. En  rfi  mot,  M.  de  Roquefeuil  Voulait  que  {jusqu'à  Ja 
réception  des  ordres  du  Ministre  ,  le  prisonnier  fût  traité  ^avec 
tous  les  égards  que  pouvait  permettre  sa  situation.  En  faisant 
conduire  Gordon  au  Château  plutôt  qu'à  Pontaniou,  il  avait  eu 
pour  but  de  le  constituer  en  ôimple  état  de  dépôt ,  et  il  y  avait 
été  déterariné  par  cette  considération  que  la  Cour,  en  raison  de  la 
qualité  du  prévenu  et  de  la  nature  de  l'afTaire,  aurait  bien  pu  attribuer 
la  procédure  et  le  jugement  à  un  tribunal  d'un  ordrej  «îpérieur. 
L'Intendant  tivait  le  droit ,  en  vertu  de  .ses  fonctions  ,  d'informer 
provisoirement  et  d'interroger  au  château ,  comme  les  juges  civMs. 
Cette   raison  avait  déterminé   M.  de  Roquefeuil  à  agir  comme 


"  3â0  - 

on  la  vu.  S'il  avait  trouvé  quelque  inconvénient  à  procéder 
ainsi,  il  eût  tout  d'abord  envoyé  Gordon  à  Pontaniou,  ainsi  que 
cela  s'était  pratiqué  ,  à  sa  connaissance ,  pour  trois  espions  , 
qui  avaient  été  pendus  en  vertu  de  sentences  prononcées  par 
rintendant  de  la  marine  et  ses  assesseurs.  Il  s'était  donc  con- 
formé à  l'usage  suivi  jusqu'alors,  et  non-seulement  M.  D'Argens,  - 
à  sa  prière,  s'était  chargé  d'informer  M.  le  duc  de  Duras,  gou- 
verneur de  la  province  de  Bretagne,  de  la  détention  de  Gordon 
au  château,  mais  lui-même  vivait  écrit  dans  ce  but  à  M.  le  duc  de 
Choiseul.  Malgré  toutes  ces  précautions,  mécontent  de  n'avoir  pas 
reçu  d'avis  direct  de  M.  de  Roquefeuil,  M.  de  Durcis  s'en  plaignit. 
Peu  de  jours  après  (12  juin)  furent  expédiés  l'arrêt  du  conseil  el  les 
lettres  -  patentes  qui  commirent  M.  de  CFugny  pour  instruire  et 
juger,  conjointement  avec  le  nombre  de  juges  voulu  par  les 
ordonnances ,  le  procès  de  Gordon  et  de  ses  complices.  Ainsi , 
par  une  monstrueuse  violation  des  notions  d'équité  les  plus  élé- 
mentaires, violation  trop  fréquente  à  cette  époque  en  matière 
de  procédure  criminelle ,  celui-là  qui  avait  tendu  à  l'accusé  le 
piège  dans  lequel  il  était  tombé  ,  celui-là  devenait  son  juge  I 

Mais  revenons  à^cet  accusé  lui-même.  A  peine  au  château, 
il  songea  aux  dangers  qui  menaçaient  son  ancien  compagnon 
de  voyage,  et  profitant  de  la  demi-liberté  que  lui  laissait  M.  de 
Roquefeuil  ,  il  obtint  d'un:  soldat  de  Béarn,  nommé  Bruno, 
préposé  à  sa  garde  »  qu'il  remettrait  à  la  poste  un  paquet  adressé 
à  M.  Parck,  et  contenant  l'ordre  donné  à  ce  dernier  de  payer 
sur  les  800  livres  sterling  dont  Gordon  était  crédité  chez  lui , 
la  somme  de  500  livres  qu'il  aurait  due ,  disait-il ,  à  Durand. 
Sous  le  même  pli  se  trouvait  une  lettre  de  change  de  500  livres, 
payable  à  vingt  jours  de  date  par  Panchaud ,  plus  une  lettre 
à  l'adresse  de  Durand ,  à  qui  M.  Parck  était  prié  d'escompter 
,  cette  lettre  de  change.  Gordon  y  donnait  avis  à  son  ami  de  son 
arrestation  .et  de  la  saisie  de   ses  papiers. 


-  321  — 

M.  (le  Roquefeuil  avait  laissé  ignorer  au  prisonnier  les  moUfi» 
da  sa  détention.  Il  lui  avait  même  fait  dire  qu*il  ne  les  connais* 
sait  pas ,  et  qu*il  avait  seulement  obéi  à  des  ordres  de  la  Cour, 
à  qui.  peut'rétre  il  s* était  rendu  suspect  par  ses  démarches  avant 
son  arrivée  à  Brest.  Ce  jeune  homme ,  qui  avait  été  son  hôte, 
lui  inspirait  toujours  un  certain  intérêt,  qu'il  ne  dissimulait  pas  ; 
mais  il  ne  se  laissait  pas  aveuglei'  par  ce  sentiment  au  point 
de  uégliger  les  intérêts  qu'il  avait  mission  de  surveiller.  Aussi, 
tout  en  inclinant  pour  qu'on  usât  d'indulgedce  envers  l'imprudent 
émissaire  de  lord  Harcourt ,  voulait-il  que  le  port ,  insuQisam- 
menl  gardé ,  fût  prémuni  contre  les  conséquences  d'une  attaqu 
des  Anglais.  «  1^  lecture  des  papiers  de  M.  de  Gordon,  écrivait-il, 
dès  le  2  juin  ^869  ,  à  M.  le  duc  de  Praslin,  semble  donc  mainte- 
nant faire  notre  seule  instruction  sur  son  compte ,  et  il  parait 
entièrement  reconnaître  la  justice  de  sa  détention.  Comme  il  a 
été  fort  long-temps  à  Rocheforl  et  à  La  Rochelle  ,  j'ai  écrit  à 
M.  de  l'Éguille  pour  que  si  quelqu'un  avec  qui  ledit  M.  de  Cordon 
auroit  été  en  fréquentation  avoit  quelque  chose  de  suspect  d'ail- 
leurs ,  il  pût  s'en  assurer  avant  que  le  bruit  se  répande  de 
ce  qui  vient  de  lui  arriver.  Je  ne  doute  pas»  qu'il  ne  soit  assuré 
de  quelque  correspondance  dans  les  lieux  où  il  a  é:é  avant  de 
les  quitter.  Au  surplus,  ce  jeune  homme  n'a  pas  une  prudence 
qui  réponde  à  la  hardiesse  de  son  esprit,  car  il  s'est  enlièfc- 
ment  livré  à  ce  Monier,  qui  a  fort  bien  rempli  son  rOle ,  et 
ce  M.  Gordon  lui  a  dit  :  t  Dès  îe  moment  que  vous  n'avez 
point  de  fortune  ,  qu'importe  qui  vous  la  fasse  L  El  il  n-est  rien 
que  nous  ne  fassions  pour  obtenir  le  moyen  de  sous  emparer 
de  Brest,  et  c'est  parla  que  nous  voulons,  commencer.  Notre, 
objet  unique  est  de  combler  le  port  et  de  brûler  les  vaisseaux, 
et  il  n'est  point  de  fortune  que  vous  ne  puissiez  demander  et 
avoir  pour  nous  bien  servir  là  -  dessus.  »    Cecy,  Monseigneur, 

justiflc  assez  ce  que  j'ay  mandé  ci-devant  à  M.  le  duc  de  Choiseul 

41 


—  322  — 

et  les  inquiétudes  dont  j'ay  eu  rbonneur  de  tous  pari^  ateâ 
qu'à  luy.  Machiavel  s  peosé  que  tout  moyen  étoit  bon  qoaod 
il  s'agisfioit  d'une  fin  décisive  ;  et  rÂngleterre  a  quelquefois 
emprunté  sa  politique  d'Italie  :  nous  avons  mérae  vu  qa'dle 
n'attendoit  pas  les  ruptures  pour  conunencer  les  hostilités ,  et 
personne  n'ignore  rimt)ortance  de  Brest.  Les  Anglois  la  sentent 
et  s'en  occupent,  et  personne  ne  connolt  mieux  que  vous  rinlérêt 
immense  que  te  Roy  s'y  trouve  avoir.  Cependant,  au  dire  de  tous 
les  connoissours ,  la  place  ne  vaut  pas  un  bon  retrandiement  » 
et  nous  n'y  avons  en  ce  moment^  pour  toute  sûreté^  que  quatre 
bataillons.  Trouvés  bon  que  cecy  ine  soit  une  occasion  de  vous 
reparler  de  notre  situation  pour  vous  en  entretenir  de  nouveau 
avec  M.  le  duc  de  Cboiseul  ;  je  ne  luy  parle  donc  sur  tout  cela 
que  de  la  détention  de  &I.  de  Gordon  ^u  château  de  Brest.  • 

Les  scnlimenls  que  révèle  celle  lettre  se  retrouvent  dans  ceHe 
que  M.  do  Roqucfeuil  écrivit  ou  Ministre  de  la  marine  ,  trois 
Jours  oprès,  le  lendemain  d*une  conversation  qu'il  avait  eue  avec 
le  prisonnier  : 

«  Monseigneur,  y  disait-il ,  j'^y  d'abord  vu  tout  en  blanc  sur 
le  compte  de  M.  de  Gordon  qui  ne  me  paraissoit  ny  de  tour- 
nure ny  de  prudence  à  être  choisy  pour  des  manœuvres.  Quand 
Je  me  suis  déterminé  à  le  faire  arrester,  j'ay  ensuite  vu  tout 
on  noir,  et  j'ay  pensé  sur  sa  conduite  que  les  Anglois  médi- 
tant la  guerre ,  Tavoient  chargé,  sur  des  prétextes  de  voyages, 
de  tâcher  de  ftirmer  des  correspondances  et  des  espionnages  sur 
nos  côtes  et  dans  nos  ports.  C*est  à  peu  près  ainsy  que  j'ay 
eu  l'honneur  de  vous  en  écrire  dans  ma  précédente  lettre.  Mais 
je  crois  que  j'en  avais  mieux  jugé  d*abord.  Mon  dit  sieur  de 
Gordon  a  demandé  en  gr&ce  de  pouvoir  me  parler,  et  j'y  suis 
allé  hyer,  pensant  qu'il  pouvoit  avoir  quelque  chose  à  me  dire. 
Mais  ce  n*a  été  que  pour  me  mander  de  faire  passer  une  lettre 


-  323  — 

à  son  ai]ûd)a5sadeur  et  pour  m'cngager  à  vous  écrire  en  sa  faveur, 
en  me  disant  que ,  de  sa  vie ,  en  venant  en  France  (où  il  étoit 
pour  une  affaire  qui  Fobligeoit  de  s'absenter  d'Angleterre  pour 
un  twaps)  que  de  sa  vlè ,  dis-je  ,  il  n'avoit  songé  à  apprendre 
de  nouvelles  ;  qu'on  peut  aisément  sçavoir  la  conduite  qu'il  ^a 
tenue  à  Rocàefort,  La  Rochelle  et  Tlle  de  Rhé,  ainsi  que  Paris 
et  Caen ,  d'où  il  vient  ;  qu'il  n'a  jamais  eu  commission  ni 
intention  de  se  mêler  d'^aifaires  ni  d'instructioas  à  sa  cour  ; 
mais  c'est  icy  à  la  vérité  qu'un  soldat  de  Béarn  (qui  vendoit  de 
mauvais  plans  de  Brest,  et  que  nous  lenoils  en  prison)  lui  avoit 
proposé  un  plan  et  des  instructions  s'il  en  vouloit  ;  qu'il  avoitr 
donné  là-dedans  et  cru  que  c'étoit  un  moyen  qui  se  présentoit 
d'obtenir  son  avancement,  n'ignorant  pas  que  Brest  foisoit  l'objet 
d'attention  de  toute  sa  nation  ;  qu'il  avoit  écrit  à  son  ambassa- 
desur  ;  qu'il  s'înstruisoit  beaucoup  en  ce  port  et  pourroit  lui  en 
parier  savamment,  et  en  lui  demandant  une  lettre  de  recom- 
mandation ;  que  le  soldat  luy  avoit  fait  faire  connoissance  avec 
un  maître  d'école  nommé  Omnès  ,  et  celui-c^  avec  un  commis  ; 
qu'il  voit  bien  que  l'un  et  l'autre  de  ces  derniers  n'ont  voulu 
que  luy  tendre  un  piège  par  la  manière  dont  ils  l'ont  séduit 
luy^môme  à  leur  donner  sa  confiance  (ce  dernier  article  est  un 
peu  vray  à  notre  connoissance)  ;  qu'enfin  il  n'a  su  ce  qu'il  avoit 
fait  de  son  jugement,  éblouy  par  fidée:de  se  faire  valoir.  Voilà 
Monseigneur  ^  le  précis  de  ce  qu'il  m'a  dit: ,  et  qjie  le  trouve 
lieu  de  -croire  vray  en  eflbt  :  -1®  par  le  petit  cercle  de  ses  papiers 
dont  aucun  n'a  pu  être  soustrait  ;  2<>  par  le  peu  de  fond  qu'il 
a  en  lettre  de  crédit  ou  en  argent  ;  3»  par  son  âge  ,  que  je  luy 
ay  demandé ,  et  qu'il  m'a  avoué  n  être  que  de  vingt  ans  et 
demi,  comme  on  le  peut  juger;  et  enfin,  par  la  tournure  de 
son  caractère  assé  ouvert  et  assé  étourdy.  Quoiqu'il  ne  m'aye  pas 
paru  inquiet  pour  sa  teste ,  il  a  fondu  en  larmes  et  en  confu- 
sion quand  je  lui  ai  fait  des  reproches  sur  les  honnestctés  qu'il 


—  321  — 

a  reçu  icy  et  la  bassesse  de  ses  sentiments  envers  nous.  Je  luy 
ay  ajouté  que  Fy  un  oCQcier  delà  marine  du  Roy  recçvoît  des 
honnéstetés  dans  un  port  d'Angleterre,  et  qu'il  y  eût  médite  de 
la  méchanceté  et  de  la  séduction  en  pleine  paix  ,  loing  qu'il  en 
fût  récompensé,  nous  ne  le  soufTririons  pas  dans  le  corp.  11  m'a 
paru  d'une  telle  sensibilité  à  ce  que  je  luy  a  dil  surtout  à  c«t 
égard ,  que  je  crois  être  certain  ,  Monseigneur,  que  ce  n'est  en 
efifet  qu'un  élourdy  qui  s'est  éblouy  à  l'idée  de  son  avancement 
par  la  circonstance  qui  s'offroit. 

.  C'est  toujours  le  rapport  nouveau  que  je  puis  vous  faire  à  ce 
sujet  que  j'ay  cru  plus  sérieux.  Suivant  ma  lettre  du  précédent 
courtier,  vous  trouvères  cependant  bien  matière  à  faire  valoir 
la  libération  de  M.  Cordon  à  l'ambassadeur  d'Angleterre,  car  sur 
les  preuves  que  nous  avons  eu  contre  eux,  il  y  a  bien  de  quoy 
asseoir  une  procédure  très  criminelle ,  et  au  fond  je  pense  que 
celte  aventure  sera  toujours  fort  utile  icy.  Ainsi  j'espère,  Mon- 
seigneur ,  que  vous  approuverés  notre  conduite  dans  a'ttc 
affaire  dont  vous  êtes  actuellement  nanty  par  M.  de  Clugny, 
qui  vous  en  a  adi'essé  les  papiers.... 

Nous  avons  su  par  M.  Gordon  qu'il  avoit  déjà  traversé  le 
port  avaat  que  je  fusse  arrivé  icy,  conduit  par  un  garde  de  la 
marine  nommé  Bf.  de  Quersauson ,  que  j'ay  fait  mestre  en 
prison.  On  avoit  écrit  à  ce  giarde  marine  une  lettre  de  recom- 
mandation pour  le  M.  Cordon ,  en  sorte  que  ce  fut  luy  qui  le 
mena  chez  M.  de  Rosily  et  à  l'Intendance,  puis  voulant  aller  de 
ce  dernier. eudroit  chez  M.  Dajo ,  ils  traversèrent ,'  pour  abréger, 
de  la  grille  de  l'Intendance  à  celle  du  Bagne,  sans  entrer  aux 
magasins  devant  lesquels  il  faut  passer  ;  il  n'y  avait  donc  pas 
trop  grand  mal,  mais  c'étoit  toujours  une  étourderie  de  ce  garde 
de  la  marine  qui  n'y  fit  pas  aUention,  et  j'ay  môme  cru  devoir 
le  punir  pour  l'exemple  aux  autres  ;  il  sera  môme  peut  -  être 
bon,  Monseigneur,  que  vous  me  mandio?  quelque  chose  à  ce 


-325- 

snjet ,  et  que  tout  officier  ou  garJe  de  la  mariue  qui  mcneroît 
aucun  étranger  dans  le  port  sans  permission ,  soient  punis  très 
sévèrement.  »    • 

Gordon  qui,  h  la  réception  de  Tarrôt  du  conseil  études  lettres- 
patentes  du  42  juin,  avait  été  transféré  à  Ponlaniou ,  ne  crai- 
gnait pas ,  on  vient  de  le  voir,  pour  sa  vie.  Il  pensait  que  par 
rintervention  de  lord  Harcourt ,  tout  s'arrangerait  au  mieux. 
Aussi  s'était-il  attaché,  dans  sa  conversation  avec  M.  de  Roque- 
feull ,  à  ne  rien  dire  qui  pût  le  représenter  comme  un  agent 
de  cet  ambassadeur.  En  retour,  il  s'attendait  à  ce  que  ce  der- 
nier l'entourerait  de  toute  sa  sollicitude,  il  s'abusait  étrange- 
ment. Lord  Harcourt  n'hésita  pas  à  le  désavouer,  et  pour  mieux 
masquer  sa  propre  immixtion  au  complot ,  il  demanda  que 
Gordon  fût  livré  à  la  justice  et  puni  suivant  toute  la  rigueur 
des  lois.  Le  découragement  s'empara  alors  du  prisonnier,  et  il 
s'augmenta  à  la  nouvelle  de  l'arrestation  de  Durand.  Ce  dernier, 
en  apprenant  les  évènemens  de  la  nuit  du  V  juin,  avait  quitté 
l'hôtel  Saint  -  Julien ,  où  il  était  logé  à  Nantes ,  et  où  ,  depuis 
trois  jours,  il  attendait  Gordon.  Après  avoir  remis  chez  M.  Parck 
la  malle  convenue  j  il  avait  fait  disparaître  des  deux  autres  ce 
qu'elles  renfermaient  de  plus  compromettant ,  et  il  s'était  tenu 
caché  jusqu'au  moment  où ,  ne  se  croyant  en  butte  à^  aucune 
recherche ,  il  était  allé  les  déposer  aux  messageries.-  Il  ne  dut 
pas  tarder  à  s'éloigner  lui-môme  ,  car  le  2î  juin  commencèrent 
à  Nantes ,  dans  les  faubourgs  et  les  maisons  religieuses  de  cette 
ville ,  des  perquisitions  prescrites  contre  lui  par  l'ordre  du  Roî, 
du  46  juin.  Elles  furent  dirigées  sans  succès  par  M.  Siriez  de 
Bergues ,  lieutenant  de  la  maréchaussée  de  Nantes,  accompagné 
de  quatre  de  ses  cavaliers  et  de  quatre  hommes  de  confiance , 
avec  lesquels  il  fit  ensuite  une  battue  non  moins  infructueuse 
à  Paîmbeuf,  ii  Guérande  et  à  Clisson.  La  maréchaussée  de  Bor- 


—  326  — 

deaux  ne  fut  pas  plus  heureuse  ;  ses  recherches  n'amenèrent  aucun 
résultat.  L'information  qui  se  poursuivait  à  Saint -Malo  en  môme 
temps  qu*à  Brest  avait  motivé  ces  perquisitions  et  avait  plus 
particulièrement  déterminé  celles  de  Nantes ,  Durand ,  avait-elle 
appris ,  étant  chargé  d*y  remettre  à  M.  Parck.  une  des  malles 
de  Gordon.  M.  Parck  était  en  Angleterre  lorsque  sommatioa 
lui  fut  faite  de  remettre  cette  malle.  M.  Lenssens,  son  corn; 
mis  ,  ayant  répondu  d'une  façon  évasive  ,  fut  décrété  de  prise 
de  corps  et  arrêté  te  6  juillet  ^  ainsi  qu'un  Irlandais  nommé 
White.  A  leur  arrivée  à  Brest,  lor  ^3  juillet,  ils  furent  conduits 
dans  une  chambre  du  bagne,  mais  ils  obtinrent  leur  liberté  sous 
caution,  le  premier  au  bout  de  -18  jours,  le  second  après  40 
jours  de  détention.  La  remise  fuite  par  Lensscns  de  la  lettre 
de  Gordon  îv  M.  Parck  ,  de  celle  qu'elle  renfermait  à  Tadresse 
de  Durand  et  de  la  lettre  de  change  de  500  livres  sur  Panchçiud, 
le  fit  seulement  renvoyer  en  état  d'ajournement  personnel,  mois 
elle  détermina  le  décret  de  prise  de  corps  lancé  contre  Bruno , 
qui  fut  mis  en  prison.  Quant  au  sieur  White,  il  fut,  peu  de  jours 
après,  renvoyé  hors  de  cause.  Le  40  septembre,  l'interprète 
€armichaêl  qui ,  depuis  un  mois,  était  à  Pontaniou  ,  fut^  aussi 
admis  au  bénéQce  de  la  liberté  sous  caution  (10  septembre.) 

Dans  l'intervalle  ,  les  recherches  activement  continuées  contre 
Durand  avaient  amené  sa  capture  par  la  maréchaussée  de  Maren- 
nes.  Saisi  à  Royan,  chez  son  oncle,  dans  la  nuit  du  49  juillet, 
il  avait  été  trouvé  nanti  des  deux  malles  renfermant  beaucoup 
de  cartes  géographiques  et  quelques  autres  objets  sans  impor- 
tance.  Conduit ,  le  lendemain ,  dans  la  prison  de  Saintes  ,  il  en 
fut  extrait  le  -1 5  août  et  dirigé  sur  Brest ,  sous  l'escorte  d'un 
brigadier  et  d'un  sous-brigadier  de  la  maréchaussée*  La  fatigue 
de  la  route  ,  qu'il  commença  à  cheval ,  l'obligea  à  louée  une 
voiture  le  22  août  ;  son  état  s'étant  aggravé ,  il  lui  fallut  rester 
ù  Montauban  du  25  au  28.  La  fatigue  n'était  pas  du  reste  la 


-  327  - 

seule  cause  du  mauvais  état  de  sa  santé.  Plus  il  approchait  du 
terme  de  son  voyage,  plus  il  était  agité.  Dans  les  premiers 
jours,  il  avait  été  a&sez  calme  ;  mais  son  inquiétude  n'avait  pas 
tardé  à  se  révéler  à  ^es  deux  conducteurs  par  des  questions 
imprudentes  qui ,  à  elles  seules  ,  auraient  suffi  pour  mettre  sur 
la  voie  de  sa  connivence  avec  Gordon.  A  son  arrivée  à  Brest, 
le  -!«  septembre  -1769  ,  il  fut  immédiatement  écroué.  dans  une 
chambre  du  Bagne.  Lorsqu*il  apprit  sa  captivité  ,  Gordon  com- 
mença à  douter  de  ;son  propre  sort. 

Un  personnage  mystérieux  avait  précédé  Durand  à  Brest  Ce 
personnage ,  intrigant  du  plus  bas-étage  ,  avait  imaginé  un  roman 
assez  habilement ,  mais  surtout  fort  effrontément  tissu,  à  l'aide 
duquel  il  voulait  se  faire  une  position  persomielle  au  prix  de  la 
tête  de  Gordon,  qui  lui  était  totalement  inconnu.  Ayant  eu  con- 
naissance des  perquisitions  que  M.  de  l'Eguiile ,  à'  la  prière  de 
M.  de  Roquefeuil ,  faisait  faire  à  Rochefort  et  à  La  Rochelle , 
il  s*était  dit  instruit  de  la  conduite  tenue  par  Gordon  et  deux 
ingénieurs  anglais  dans  ces  deux  villes  et  sur  les  côtes  voisines. 
Ses]^indiscrétions  calculées  avaient  conduit  M.  le  duc  de  Choi- 
seul  à  le  faire  arrêter  à  La  Rochelle  et  à  prescrire ,  le  3  juillet, 
de  le  transférer  à  Brest  pour  qu'il  y  fût  confronté  avec  Gurdon. 
Remis  à  un  brigadier  et  à  deux  cavaliers  de  la  marécbctussée , 
cet  individu  arriva  le  dimanche  ,  16  juillet  -1769,  à  huit  heures 
du  matin  ,  par  le  bateau  de  Lanveoc ,  et  fut  inlmédiatement 
conduit  à  Pontaniou. 

Voici  la  fable  audacieuse  que  ce  misérable  débita  tant  à  Roche- 
fort  qu'à  Brest,  en  élaguant  bien  entendu  certains  détails  que 
nous  restituons  au  moyen  des  pièces  du  procès  : 

Il  se  nommait  Charles  Stuart  et  était  âgé  de  27  ans.  Son 
père  était  le  prince  Charles-Edouard  ,  et  il  était  né  du  mariage 
secret  de  ce  prince  avec  une  dame  dont  il  ignorait  le  nom,  np 
l'ayant  jamais  vue  ni  connue ,  mais  qu'il  savait  appartenir  à  la 


—  328  - 

maison  d*Alhol.  A  peine  ûgé  d'un  an,  à  la  mort  de  sa  mère, 
il  fut  envoyé  en  friande,  chez  sir  Richard  Collins,  gentilhomme 
de  la  ville  de  Traies,  comté  de  Kerry,  province  de  Munsler, 
qui  réleva  sous  le  nom  de  son  propre  fils,  mort  très  peu  de 
temps  après.  Il  fit  une  partie  de  ses  études  au  collège  de  Dublin, 
et  les  termina  à  l'université  d'Oxford.  Lorsqu'il  en  sortit,  à  Tàge 
de  -1 4  ans  ,  sir  Richard ,  après  lui  avoir  révélé  qu*il  n'était 
point  son  père ,  lui  dit  qu'il  continuerait  comme  par  le  passé 
à  lui  en  tenir  lieu.  «  Un  jour,  ajouta4-il,  je  vous  ferai  connaître 
qui  vous  ;êtes.  »  En  naôme  temps,  il  lui  montra  une  cassette 
d'argent  massif,  aux  armes  des  Stuarts,  cassette  qui  aurait  con- 
tenu le  secret  de  sa  naissance,  t  Vous  ne  devez  pas,  poursuivit 
sir  Richard ,  vous  en  tenir  à  l'étude  des  humanités  et  de  la 
philosophie  jâl  faut  désormais  vous  appliquera  celle  du  gouver- 
nement et  des  constitutions  du  royaume.  »  À  quelque  temps  de 
là,  le  prétendu  Stuart,  poussé  par  la  curiosité  ,  aurait  enfoncé 
le  bureau  où  la  cassette  était  renfermée,  en  aurait  brisé  la  ser- 
rure et  pris  connaissance  des  papiers  contenant  la  preuve  de 
sa  naissance.  Il  se  rendit  ensuite  à  Londres ,  y  étudia  les  lois 
pendant  sept  ou  huit  mois,  et  venant  alors  à  songer  qu'il  devait 
à  son  origine  de  prendre]  le  parti  des  armes ,  il  s'adressa  à 
M.  Lancelot  Sands ,  qui  obtint,  vers  -1736,  de  le  faire  embar- 
quer comme  midshipmàn  sur  le  vaisseau  de  6i  le  Yorck ,  qui 
fit,  sur  les  côtes  d'Irlande  et  aux  Dunes,  une  croisière  à  la 
suite  de  laquelle  il  fut  embarqué  sur  le  vaisseau  de  74  le  Beyort, 
faisant  partie  de  l'escadre  qui  fut  envoyée,  en  -1758,  sous  les 
ordres  de  l'amiral  Boscawen  contre  Louisbourg.  Voulant  parti- 
ciper à  l'attaque  de  cette  ville ,  il  demanda  à  l'amiral  à  servir 
comme  volontaire  et  à  ses  frais  dans  rinfanlerie.  Cetle^permis 
sion  lui  ayant  été  accordée,  il  concourut  à  la  prise  de  la  ville, 
et  fut  ensuite  placé  sous  les  ordres  du  colonel  Hall,  détaché  avec 
cinq  régiments  au  secours  d'Abercombrie,  qui  venait  d'être  battu 


—  329  —       ',- 

à  Ticondéraga.  En  n59  ,  il  se  trouva  ,  sous  le  général  Wolf ,  à 
la  prise  de  Québec  où,  comme  lieutenant,  il  commanda,  attendu 
la  maladie  de  M.  Roogers  ,  son  capitaine ,  une   compagnie  de 
chasseurs.  Il  passa  Thiver  à  Québec ,  et  se  trouva ,  le  28  avril 
•1760,  au  combat  que  M.  Murray  livra  à  M.  de  Levîs.  Lamôme 
année ,  faisant  toujours  partie  du  corps  d'armée  de  M.  Hurray, 
il  contribua  à  la  prise  de  Mont-Real ,  où  ce  corps  d'armée  fut^ 
rejoint  par  celui  de  M.  Hamehers.  Reconnu  alors  ^  aux  traits  de 
son  visage ,  pour  un  Stuart ,  il  reçut  de  beaucoup  d'officiers 
et  de  soldats  maintes  protestations  de  dévouement ,  accompa- 
gnées de  FoiTre  de  le  suivre  pq^rtout.où  il  voudrait,  ofiTre  qu'il 
aurait  acceptée  en  passant  sous  les  drapeaux,  français,  s'il  n'avait 
craint  de  sacrifier  inutilement  ceux  qui ,  de  leur  plein .  gré  >  se 
dévouaient  généreusement  à  lui.  En  ^761  ,  il  s'embarqua  à  la 
Nouvelle-Yorck ,  sur  un  transport  commandé  par  lord   Rollo , 
et  se  trouva  à  la  prise  de  la  Dominique.  Ayant  plus  tard  obtenu 
une  compagnie  dans  les  volontaires  du  Conecticut,  il  participa, 
en  -1762,  à  la  prise  de  la  Havane.  Au  commencement  de  l'année 
4763,  ayant,  avant  la  signature  de  la  paix,  été  envoyé  parle 
général  Kepel  pour  reconnaître  les  différentes  garnisons  de  File 
San-Yago  de  Cuba  qui  ne  s'étaient  pas  rendues,  il  feignit,  chemin 
faisant,  de  se  prendre  de  querelle  avec  un  major  anglais,  afin  de 
pouvoir,  à  la  faveur  de  ce  stratagème, .  pénétrer  sans  èlre  sus- 
pecté dans  les  différentes  parties  de  l'Ile.  Ce  moyen  ne  lui  réussît 
pas.  Parvenu  à  la  Trinité ,  il  fut  dénoncé ,  par  des  déserteurs 
anglais  au  gouverneur  de  Tlle ,  qui  le  retint  prisonnier  pendant 
près  de  deux  mois  et  l'expédia  ensuite  à  Cadix,  où  il  recouvra 
la  liberté  trois    mois  après  son  arrivée.   Depuis   cette   époque 
jusqu'en  <767,  il  voyagera  en  Irlande,  en  Ecosse,  en  Angleterre, 
en  Portugal ,  dans  lé  but  d'accroître  le  nombre  des  partisans  de 
sa  maison,  et  il  y  avait  si  bien  réussi  qu'au  moment  de  sa  trans* 
laliona  Brest,  au  mois  de  juillet  -176^,  80,000^ hommes  auraient 

41 


•    >.  330  — 

été  prêts  à  se  lever  «'il  avait  pu  leur  fournir  des  armes  et  des 
munitions  ,  et  que  pendant  qu'on  l'interrogeait  à  Brest,  dix-sept 
personnes  étalent  chargées  du  soin  de  ses  intérêts  dans  les 
Trois-Royaumes.  «  Trois  d'entre  elles ,  ajoutait-il ,  sont  parties 
de  La  Rochelle  depuis  que  j'y  ai  été  arrêté  ,  et  j'attends  inces- 
saramerit  de  leurs  nouvelles.  » 

En  -1767,  notre  aventurier  demanda  un  emploi,  —c'est  tou- 
jours lui  qui  parle ,  —  à  lord  Shelburne ,  ministre  d'État  au 
département  du  Sud ,  dont  il  avait  été  le  condisciple  à  Dublin* 
Ce  ministre  lui  répondit  qu'il  pouvait  se  rendre  utile  à  son 
pays  en  allant  lever  des  plans  des  ports,  côtes  et  places  fortes 
dt  Fraùce*  Il  Ini  fit  entendre  que  ce  serait  le  moyen  le  plus 
prompt  cl  le  plus  assuré  d'obtenir  de  Tavancement.  Dans  le  cas 
où  il  accepterait  «ette  mission ,  on  lui  ferait  connaître  des  per- 
sonnes qui  en  avaient  déjà  de  semblables,  afin  qu'il  pût  corres- 
pondre avec  elles  ,  et  un  crédit  illimité  lui  serait  ouvert.  11 
accepta,  quoiqu'il  répugnât  à  sa  délicatesse  de  nuire  à  la  France 
à  qui  sa  famille  avait  tant  d'obligations  !  Malgré  ce  scrupule ,  il 
écrivit  de  Porto  à  lord  Shelburne  de  lui  faire  connaître  ceui 
avec  lesquels  il  pourrait  se  mettre  en  rapport.  Quant  aux  frais 
de  sa  mission ,  il  les  ferait  lui-même  et  ne  demanderait  d'argent 
que  quand  il  ne  pourrait  faire  autrement.  En  réponse  à  cette 
lettre,  lord  Shelburne  lui  annonça  que  l'exécution  de  son  entre- 
prise était  ajournée  du"  mois  de  janvier  -1768.,  époque  où  il 
serait  rejomt  à  Tuy,  -en  Galice,  par  le  capitaine  Weig,  du  corps 
des  ingénieurs  au  département  de  Gibraltar.  Collins  crut  devoir 
devancer  Weig  à  Tuy,  mais  l'y  ayant  vainement  attendu  pendant 
quelque  temps,  il  se  mit  à  sa  recherche  ,  parcourut  sans  succès 
plusieurs  villes  d'Espagne  et  finit  par  le  trouver  à  la  Corogne.  Là, 
Weig  lui  rendit  compte  de  ses  opérations  ,  et  dans  une  confé- 
rence qu'ils  eurent  dans  une  auberge  tenue  à  •  l'entrée  du  port 
par  une  française  nommée  M"»»  Dauphine ,  il  lui  montra  les 


—  331  --;  ^  . 

plans  qu*il  avait  levés  de  différentes  villo»  d'Espagne.  Coîlins 
était  quelque  peu  tapageur,  il  parait ,  cajc  une  querelte  qu'il  eut 
alors  avec  don  Juan  Piniero,  capîlaîne  d'une  compagnie  du  régi- 
ment de  Tolède,  détermina  son  arrestation  ;  peut-être  aussi  ses 
allures  suspectes  motivèrent- elles  celte  mesure.  Du  reste  ,  quel 
qu'en  eût  été  le  vrai  motif,  elle' donna  l'éveil  àWeîg,  qui  se 
rendit  en  poste  à  Bayonne ,  d'où  il  écrivit  plusieurs  lettres  à 
Collins  pendant  les  six  mois  qu'il  passa  dans  les  prisons  de  la 
Corogne.  Dans  la  dernière,  îe  capitaine  annonçait  au  détenu 
qu'il  allait  rentrer  en  Espagne  pour  continuer  les  travaux  d'exj)lo- 
ration  que  la  mésaventure  de  Collins  l'avait  forcé  d'interrompre. 
Mais  €ollins  ,  devenu  libre ,  avait  hâte  de  quitter  uoe  .terre  « 
peu  hospitalière ,  et  à  sa  sortie  de  prison  il  s'embarqua  pour 
Nantes  ,  où  il  arriva  dana  le  courant  du  moi»  de-  juillet  -1768. 
Après  y  avoir  fait  un  assez  court  séjour,  il  se  Tendit  à  La 
Rochelle ,  et  aussitôt ,  conformément  aux  indications  de  Weig , 
îl  alla  chercher  Gordon  à  son  logement  sur  la  place  d'armes.  Ne 
l'ayant  pas  trouvé ,  et  ayant  appris  qu'il  s'était  absenté  en  vue 
de  procurer  la  liberté  à  un  Anglais  nommé  Hamilton  (le  même 
probablement  que  celui  qui  avaK  voyagé  sous  le  nom  de  Saxton), 
qui  venait  d'être  arrêté  en  Bretagne,  Collins  s'adressa  à  M.  Clerck, 
oificier  de  marine  de  la  même  nation  ,  également  logé  sur  la 
place  d'armes,  et  qui  était  employé  aux 'mômes  opérations.  Il  ne 
le  rechercha  toutefois  qu'à  titre  de  compatriote,  et  sur  l'exposé 
qu'il  lui  fit  de  sa  détresse  ,  il  en  obtint  un  louis  d*or,  avec  la 
promesse  d'en  recevoir  davantage  quand  Clerck  lui-même  aurait 
reçu  de  l'argent.  Collins  songeait  alors  à  se  rendre  à  Paris  ,  ' 
afin  de  se  faire  connaître  aux  ministres  ;  mais  il  ^tait  à  bout 
de  ressources  et  d'autant  plus  dans  Timpossibilité  cle  voyager, 
que  ses  débauches  l'avaient  mis  dans  l'état  le  plus  déplorable. 
Ce  fut  alors  qu'il  demanda  à  M.  de  Noë,  colonel  du  régiment 
de  Koyal- Comtois,  à  prendre  du  service  dans  ce  régiment.  M.  de^ 


~  332  — 

Noê,  jugeant  à  sa  miûe  ti  à  ses  allures  que  c'était  un  aventa- 
rier,  n'en  voulut  pas ,  et  force  lui  fut  alors  de  se  laisser  raccoler 
par  un  sergent  de  la  légion  de  Saint  -  Domingue  >  qui  Fenrôla 
sous  le  nom  de  Collins  Bellamaur.  Il  continua  sa  vie  crapu- 
leuse, et  servit  si  maJ  que,  sans  respect  pour  Téchine  de  Vhéritier 
des  Sluarts ,  on  était  presque  quotidiennement  obKgê  de  lai 
administrer  des  coups  de  nerf  de  bœuf,  suivant  l'usage  pratiqué 
dans  lé  corps.  Ce  traitement  ne  pouvait  qu'aggraver  sa  situation. 
Elle  devînt  telle  qu'il  lui  fallut  entrer  à  riiôpilal  de  Saint-Martin 
de  rile  de  Ré  ,  où  il  resta  six  mois  ;  Gordon  était  alors  à 
La  Rochelle ,  chez  M.  Lutters.  Collins ,  qui  lui  avait  écrit 
avant .  son  entrée  à  l'hôpital ,  y  reçut  une  lettre  où  rofiBcîer 
écossais  le  félicitait  de  s'être  enrôlé  dans  la  légion  de  Saint- 
Domingue  ,  parce  que  ,  une  fois  dans  cette  colonie,  il  pourrait 
être  d'autant  plus  utile  à  son  pays  que  l'établissement  récent 
des  milices  et  d'impôts  onéreux  y  avait  suscité  des  ferments  de 
révolte  ;  et  que ,  d'un  autre  côté  ,  la  légion  n'étant  guère  com- 
posée que  de  mauvais  sujets  et  de  déserteurs  que  l'on  expatriait 
de  force ,  il  lui  serait  facile  de  se  mettre  à  leur  tête  et  de 
leur  faire  prendre  parti  pour  l'Angleterre,  qui  lui  fournirait  en 
hommes  ,  munitions  et  argent ,  tous  les.  secours  dont  il  aurait 
besoin.  Gordon  lui  reprochait  ensuite  de  ne  s'être  pas  découvert 
à  M.  Clerck ,  chargé  d'une  mission  analogue  à  la  leur ,  et  il 
l'engageait  à  faire  tous  ses  efforts  pour  être  compris  dans  le 
premier  détachement  qui  serait  envoyé  à  Saint-Domingue  ;  puis 
il  insistait  pour  qu'avant  de  s'embarquer  il  lui  fit  passer  un  plan 
et  un  mémoire  descriptif  des  ouvrages  intérieurs  de  la  citadelle 
de  Ré  ,  dont  il  lui  serait  facile  de  prendre  connaissance.  Si 
Gordon  venait  à  s'absenter,  Collins  pouvait  s'adresser  en  toute 
confiance  à  M.  Clerck,  autorisé  à  décacheter  ses  lettres.  Collins, 
pendant  son  séjour  à  l'Ile  de  Ré  ,  en  reçut  plusieurs  de  Weig,  qui 
lui  fit  en  outre  remettre  en  différentes  fois,  par  son  domestique, 


-  333  — 

déguisé  en  malelot,  jusqu'à  quarante  louis  d*Qr.  Des  avis  réitérés 
de  Weig  et  de  Gordon  lui  firent  aussi  oonnaUre  '  qu'ils  avaient 
gagné  plusieurs  personnes  dans  les . différents  ports  de  France, 
et  que  sous  peu  on  mettrait  le  feu  aux  magasins  et  aux  vais* 
seaux  de  Brest,  Toulon,  Rochefort,  le  Port-Louis  et  Sainl-Malo. 
Gordon,  d'après  une  de  ses  lettres ,  s'était  spécialement  chargé 
d'incendier  le  port  de  Rochefort,  et  il  se  flattait  de  réussir.  Toute 
la  correspondance  se  faisait  sur  du  papier  découpé  de  telle  sorte 
que  le  sens  d'une  lettre  ne  pouvait  être  compris  à  moins  d'avoir 
la  clef  du  mécanisme  convenu.  Maintes  fois,  Collins  avait  voulu 
faire  des  révélations   au   bailli  d'Âulan ,  et   il  avait  môme  fait 
part  de  son  intention  à  un  religieux  de  la  Charité  nommé  Bruno, 
à   qui  il  s'était  fait  connaître,  et  qui  l'avait  dissuadé  parce  qu'if 
attribuait  son  langage  au  délire  causé  par  la  maladie.  Pendant 
son  séjour  à  l'hôpital,  il  avait  vu  Gordon  à  plusieurs  reprises 
sans  toutefois  lui  avoir  jamais  parlé.  Le  jour  do  la  Saint-Louis, 
plus  particulièrement,  jl  l'avait  aperçu  à  une  fenêtre  d'une  maison 
de  la  place  d'armes ,  en  compagnie  de  M.  le  bailli  d'Aulan.    ' 
Collins  sortit  enûn  de  l'hôpital,,  mais  dans  un  tel  état,  qu'il 
lui  était  impossible  de  faire  aucun  service  ,  et  que  sur  le  rapport 
qui   lui   fut  adressé ,  le  Ministre  de  la  marine  proponça  son 
congédiement  absolu.    Il  se  rendit  alors  à  La  Rochelle  ,  et  à 
peine  arrivé,  il   écrivit  à  M.  d'Aviiard  ,  major*  de  la  place, 
qu'il  avait  à  faire  des  révélations  importantes  pour  la  sûreté  de 
l'État.  Admis,  le  lendemain,  devant  M.  de  Narbonne,  lieutenant 
de  roi,  il  lui  débita  son  thème,  et  pour   garantie  de  sa  véra- 
cité ,  il  offrit  sa  personne.  Il  fut  pris  au  mot ,  et  constitué  pri- 
sonnier, comme  un  accusé ,  ce  qui  l'indigna  tellement  que,  dans 
sa  colère,  il  déchira  les  lettres  qu'il  avait  reçues  des  diverses  person- 
nes chargées  de  la  môme  mission  que  Gordon,  voire  même  celle 
qu'un  inconnu  lui  avait  fait  passer  par  la  fenêtre  de  sa  prison , 
et  par  laquelle  un  sieur  Hamilton,  résidant  au  Port-au-Prince, 


—  334  - 

lui  donnait  avis  qu*il  fomentait  la  rébellion  à  Saint  -  Domimgae. 
Pendant  sa  détention,  il  reçut  en  outre  une  lettre  de  Weîg  qui 
le  conjurait  de  tenir  bon  ,  et  lui  disait  avoir  une  trop  bonne 
ojHniou  de  son  esprit  et  de  ses  talents  pour  ne  pas  douter  qu'il 
aurait  la  prudence  de  ne  conserver  sur  lui  aucun  papier  com- 
promettant. «  S*il  devient  nécessaire  de  vous  délivrer  de  vive 
force ,  ajoutait  Weig,  cela  se  fera  sans  tarder,  et  quoique  votre 
détention  ne  vous  permette  pas  de  contribuer  de  votre  personne 
au  succès  de  Tentreprise  ,  vous  n'en  participerez  pas  moins , 
comme  vos  associés^  à  la  gloire  et  aux  bénéflces  qui  en  résul- 
teront, i  Cette  lettre ,  nécessairement  imaginaire  comme  les 
autres  ,  Collins  en  avait  fait  tenir  une  copie  à  M.  de  rÉguille, 
par  M.  de  Sévîgny,  officier  de  marine,  et  il  l'avait  accompagnée 
du  signalement  de  Weig  et  d'un  autre  ingénieur  anglais,  nommé 
Makellan,  pour  qu'on  pût  les  arrêter.  M.  de  TÊguille  lui  avait 
fait  témoigner  sa  reconnaissance  par  un  autre  officier  de  marine 
dont  il  ne  savait  pas  le  nom,  mais  qui  lui  avait  dit  qu'on  croyait 
sa  déclaration  vraie  parce  que ,  peu  de  jours  auparavant ,  oa 
avait  vu  à  Rochefort  M.  Weîg  qui  avait  môme  demandé  une 
permission  de  voir  le  port,  permission  qu'on  lui  avait  refusée 
en  lui  disant  qu'il  serai  arrêté  s'il  s'y  présentait.  Collins  ajou- 
tait en  termJnanf  qu'à  la  vérité  les  Gordon  d'Ecosse  étaient  alliés 
à  la  maison  d'Ecosse  ,  mais  qu'il  ignorait  si  le  Gordon  détenu 
à  Brest  appartenait  à  celte  famille  ;  qu'au  surplus  ,  quand  bien 
môme  il  en  serait  ainsi,  il  n'en  serait  pas  moins  obligé,  en  raison 
du  serment  qu'il  avait  prêté ,  de  dire  la  vérité  ;  qu'il  l'avait 
dite  et  la  dirait  toujours  ,  étant  constant  que  quand  il  y  a  du 
mauvais  sang  dans  un  corps  ,  il  faut  le  tirer.  Puis  ,  comme  il 
pressentait  que  le  fait  de  son  enrôlement  dans  la  légion  de 
Saint-Domingue  pourrait  inspirer  des  doutes  qui  lui  seraient 
défavorables  à  plus  d'un  titre  ,  il  crut  devoir  prévenir  toute 
objection  sur  ce  point  en  disant  qu'il  avait  cru  signer  un  enga- 


—  335  -r^ 

gement  de  volontaire ,  mais  qu'on  l'avaiV  abusé  en  lui  faisant 
signer  celui  de  soldat  qu'il  n'avait  pas  eu.  la  précaution  de  lire; 
Enfin  ,  son  mobile ,  —  il  fallait  bien  qu'il  s'en  donnât  un  pour 
colorer  ses  démarches, —  «son  mobile  ^vail  été  sa  reconnaissance 
pour  la  France  ^  qui  s'était  toujours  montrée  si  dévouée  à  sa 
famille.  » 

Le  Prévôt-Général  de  la  maréchaussée  de  La  Rochelle  avait 
recueilli  de  la  bouche  de  Collins  cette  fable  non  moins  singu- 
lière qu'odieuse.  N'étant  appuyée  d'aucun  indice  de  preuve,  elle 
n'inspirait  pas  la  plus  légère  ^nfianoe  à  M.  de  Narbonne  qui , 
toutefois ,  ne  crut  pas  pouvoir  se  dispenser  de  la  transmettre  à 
M.  de  Choiseul,  lequel  de  spn  côté,  bien  qu'il  n'y  ajoutât  pas 
la  plus  légère  créance ,  expédia  l'ordre  d'envoyer  Collins  à 
Brest  pour  qu'à  tout  événement  il  y  fût  confronté  avec  Gordon. 
^  C'est  .ce  qui  eut  lieu.  Mis  en  présence  du  principal  accusé  , 
Collins  eut  l'incroyable  audace  de  répéter  ^es  déclarations  anlé- 
Tieures.  Gordon  protesta  énergiquement^t  répondit  non-seulement 
31'avoir  jamais  vu  son  dénonciateur,  mais  même  n'avoir  jamais 
eu  avec  lui  le  moindre  rapport  direct  ni  indirect.  Le  misérable 
Collins  n'était  pas^  homme  à  être  déconcerté  par  une  dénégation 
si  formelle  ,  si  précise  ,  et  ce  qu'on  se  refuserait  à  croire  si 
un  document  authentique  ne  le  constatait,  c'est  que  la  confron- 
tation eut  lieu  au  moment  où ,  presque  mourant  à  l'hôpital  des 
suites  de  ses  débauches ,  il  venait  de  se  confesser  I^  '^  , 

Quoique  Gordon  sût  bien  n'avoir  rien  à  redouter  des  décla- 
rations de  Collins,  il  ne  s'abusait  pourtant  pas  j^ur  sa  situation. 
Depuis  l'arrivée  de  Durand,  il  était  tombé  dans  un  état  d'affais- 
sement qu'il  attribuait  à  son  long  séjour  dans  la  prison  de 
Pontaniou  ,  mais  qui  pouvait  Êien  être  produit  aussi  par  la 
perspective  d'une  condamnation.  Néanmoins,  comme  son  intérêt 
lui  commandait  de  ne  pas  sembler  en  admettre  lui  -  môme  la 
possibilité  ,  il  affectait  peut-être  plus  de  sécurité  qu'il  ij'en  avait 


—  336  — 

réellement  dans  les  deux  lettres  suivantes  qu'il  écrivit ,  la  pre- 
mière, le  22  octobre' -1769 ,  à  son  oncle  sir  Charles  Gordon, 
chez  l'ambassadeur  de  Naples  à  Londres;  la  seconde,  le  30  du 
môme  mois ,  à  sir  Pierre  Gordon  ,  avocat  et  écuyer  à  Aberdeen. 

Lettre  à  sir  Charles  Gordon. 

Moû  cher  oncle , 

Je  ne  puis  m' empêcher  de  me  livrer  au  plus  vif  chagrin , 
lorsque  je  réfléchis  sur  la  grande  peine  que  ma  situation  a 
causée  à  tous  mes  amis,  et  que  j'aurois  pu  prévenir  en  quelque 
façon ,  si  je  leur  avois  communiqué  ces  circonstances  plus  tôt 
Croyant  avoir  ma  liberté  avant  que  la  nouvelle  de  ma  détention 
leur  soit  parvenue,  c'est  ce  qui  me  ra  fait  difFérer,  n'imaginant 
pas  que  j'eusse  été  arraché  de  ma  sécurité  par  des  accusations 
d'une  nature  la  plus  offensante ,  crime  dont  il  n'y  a  que  le 
scélérat  le  plus  désespéré  qui  en  puisse  être  capable.  Le  séjour 
que  j'ai  fait  ou  peut-être  d'avoir  visité  quelques-uns  des  principaux 
ports  de  mer  de  ce  royaume  m'a  rendu  suspect.  Les  démarches 
que  j'ai  imprudemratent  faites  ici  pour  conquérir  une  parfaite 
connoissance  de  la  force  maritime  de  ce  pays  a  paru  suffire 
pour  autoriser  mon  emprisonnement.  Peut-être  les  accusations 
du  soi-disant  Stuart  étaient  déjà  fournies,  car  de  tous  ceux  qu'il 
a  aeeusés  ^  Je  suis  le  seul  qui  étoit  en  France ,  ou  qui  y  avoit 
été  six  mois  avant  ;  quelques-uns  d'eux  n'étaient  pas  même  en 
?  Europe. 

La  longueur  de  la  procédure  a  été  occasionnée  par  la  néces- 
sité de  faire  venir  lès  preuves  de  différents  endroits  de  la  France 
et  de  plusieurs  autres  royaumes.  Elles  sont  enfin  terminées  et 
envoyées  en. Cour  pour  Texamen  du  Ministre.   ' 

M.  Gordon  Whitely  a  agi  en  toutes  les  occasions  comme  mon 
propre  père ,  et  mon  affection  pour  lui  n'est  pas  moindre  que 


~  337  — 

celle  que  le  meilleur  des  pères  a  le  droit  d'attendre  d*un  flls  recon- 
noissant  et  pénétré  des  sentiments  de  sa  bonté  intarissable» 
Cela  me  fait  un  grand  plaisir  d'apprendre  que  le  duc  de  Gordon 
a  bien  voulu  s'intéresser  en  ma  faveur.  Comme  rien  ne  pouvoit 
augmenter  mon  attachement  à  Son  Altesse  et  à  sa  famille  « 
ainsi  sa  bonté  en  cette  occasion  m'a  seulement  imposé  des  obli- 
gations personnelles,  et  confirme  tout  le  monde  dans  l'opinion 
qu'il  avait  déjà  de  ses  vertus.  Milord  Harcourt,  pour  compléter 
sa  bonté ,  m'a  écrit  une  lettre  satisfaisante.  Hélas  I  il  y  a  peu 
de  gentilshommes  de  son  espèce.  Oui,  cette  générosité  extrême 
mérite  toute  ma  reconnoissance  ;  si  vous  voyez  l'un  ou  l'autre 
de  ces  Messieurs ,  dites  -  leur  combien  Je  suis  très  charmé  de 
n'avoir  pas  su  la  maladie  de  mon  frère.  Comme  l'incertitude  de 
sa  maladie  (surtout  à  3on  âge)  m'eût  fait  autant  de  peine  que 
la  nouvelle  de  sa  guérison  me  fttit  plaisir.^  Je  supplie  que  ses 
amis  l'empêchent  d'entreprendre  aucun  voyage  avant  le  départ 
des  Hottes  au  printemps ,  comme  il-  est  très  incertain  si  il  me 
sera  possible  de  le  voir  sur  cette  année  ,  ce  qui  me  donne 
beaucoup  d'inquiétude.  C'est  maintenant  le  temps  qu'il  devrait 
emporter  avec  lui  quelque  pacotille  considérable.  On  ne  doit  pas 
faire  un  cinquième  voyage  aux  Indes  simplement  pour  apprendre 
la  pratique  de  la  navigation.  La  théorie  est  à  quoi  il  devroit 
s'appliquer  polir  quelque  temps.  Nos  Messieurs  qui  naviguent  font 
généralement  trop  peu  d'attention  à  cette  grande  tscience  qui 
seule  dislingue  l'officier  du  matelot.  Je  prie  ses  parents  d'y  fôire 
attention.  Qu'il  n'épargne  rien  pour  se  perfectionner,  je  vousr 
afsure  que  je  me  chargerai  de  la  dépense  avec  plaisir,  s'il 
profite,  comme  son  esprit  avec  un  peu  d'aiJplicatîon  me  le  fait 
espérer. 

Vous  ne  me  dites  pas  un  mot  de  ma  mère  ;  je  n'ai  pas 
appris  comment  elle  a  supporté  cet  accident.  Je  me  flatte  que  la 
présence  de  ma  mère  (sic)  aura  distrait  son  imagination  de  dessus 

42 


—  338  — 

ma  longue  détention,  que  j*espère  cstre  Lienl6l  à  sa  fin.  Comme 

certainement  les  Ministres  acquiesceront  aux  sollicitations  de  mes 

protecteurs ,  et  qu'ils  regarderont  mon  imprudence  suffisamment 

punie  par  les  cinq  mois  de  prison  que  j'ai  subi.  La  peine  que 

je  vois  prendre  à  mes  amis  ajoute  beaucoup  à  ma  douleur  ;  il 

n'y  a  que  la  meilleure  des  constitutions  qui  auroit  pu  résister 

aux  troubles  et  vexations  que  j'ai  souffert  depuis  six  mois.  C'est 

à  l'attention  humaine  que  M.  de  Clugny,  Intendant  ici ,  a  eu  pour 

moi  que  je  dois  ma  santé  et  que  mon  courage  ne  se  trouve 

pas  totalement  abattu.  Les  nouvelles  du  pays  me  seroient  très 

agréables.  Exhortez  mes  amis  à  continuer    leurs  sollicitations. 

Ils  peuvent  compter  sur  ma  très  sincère  reconnoissance.  Écrivei- 

moi  bientôt.  Adieu.  Croyez-moi  jamais  avec  un  grand  respect  et 

estime, 

A.  GORDQS, 

Lettre  à  sir  Pierre  Gordon. 

Mon  cher  Monsieur, 

ï'ay  reçu  la  lettre  de  M.  Innés  et  incluse  celle  de  change  de 
M.  Brebnes  sur  Paris  pour  2^  Si  livres  ^  6  sols  4  deniers  ;  et  comme 
il  n'y  a  pas  la  moindre,  apparence  que  je  reste  assez  long-temps  ici 
pour  recevoir  une  autre  remise,  je  vous  prie  de  m'envoyer  un 
ordre  pour  toucher  pareille  somme  chez  le  banquier  sur  lequel 
ladite  Içttrë  de  change  '  est  tirée.  Écrivez  -  lui  pour  qu'il  me  la 
fasse  tenir*        *  , 

.  le  vous  ai  domié.dB  trop  justes  raisons  de  vous  plaindre  de 
mon  silence.  J(»  suis  à  blâmer,  je  l'avoue,  mais  faites -moi  la 
justice  de  croira  que  je  suis  également  incapable  de  vous  regar- 
der autrement  que  comme  mon  ami  le  plus  sincère  et  ne  sçau- 
rois  jamais  oublier  votre  grande  attention  à  mes  affaires.  Ma 
détention  m'a  jeté  dans  un  tel  abattement  d'esprit  que  je  devenois 


—   339    r- 

insensible  à  ma  situation  ,  à  tel  point  que^  j'ai  passé  des  jours 
entiers  sans  autre  signe  d'existence  que-  celui  ordinaire  à. uû 
enfant  nouveau-né.  Cest  à  cette  léthargie  que  j'impute  mon 
silence  ;  la  nécessité  de  produire  des  preuves  de  mon  innocence 
m*a  tiré  de  temps  en  temps  de  mon  assoupissement  ;  ma  dou- 
leur alors  ne  me  permit  pas  d'écrire  seulement  les  lettres  abso- 
lument nécessaires.  Aussi  je  paroissois  alternativement  menacé- 
d'imbécillité  et  de  frénésie  ;  mais  grâce  à  la  pomposilion  natu- 
relle de  mes  organes  qui  ont  heureusement  résisté  aux  différentes 
secousses  d'une  prompte  et  extrême  extension  provenant  d'ua 
degré  extrême  de  relaxation ,  l'équilibre  détruit  alors  en  quelque 
façon  commence  à  reprendre  son  pouvoir  naturel ,  à  proportion 
que  le  temps  de  ma  liberté  approche ,  lequel  cependant  n'étant 
pas  entièrement  établi  présente  les  objets  peu  stables  et  dans. un 
mouvement  continuel,  et  dans  une  si  grancjé  distance  flue  leur 
perception  devient  impossible.  Ma  dernièce  situation  me  paroît 
comme  les  objets  dans  une  caméra  obscura,  quelquefois  eflroya- 
ble  et  d'autres  indifférente  en  proportion  qu'ils  sont  éloignés  ou 
rapprochés  de  leur  juste  foyer,  et  comme  ce  point  de  vue  est 
indéterminé  ,  il  restera  de  même  aussi  longtemps  que  l'équilibre 
restera  imparfait.  Ainsi ,  je  ne  sçaurois  définir  les  justes  idéei 
de  ce  que  je  sentis  alors.  -      *  •         - 

^  Vous  serez  extrêmement  surpris  de  sçavoir  que  le  malh^eux 
qui  m'a  accusé  si  faussement  se  dit  être  le  fils  naturel  du  prince 
Charles  Edouard ,  mais  d'un  mariage  secret.  Ses  raisotia^  dit-il, 
pour  découvrir  le  complot ,  étoient  sa  reçonn^issanfee  pour  .Je 
gouvernement  françois  pour  la  protection  que  te  Roi  a  accordée 
à  cette  famille.  Il  a  eu  l'insolence  d'écrire  aii  cérdinald'Yorck , 
pour  qu'il  soit  reconnu  pour  tel.  Je  ne  sçaurois*  m'einpôcher  de 
remarquer  que  c'est  le  second  imposteur  do  ce  nom  qui  a  taché 
de  n^  donner  la  mort,  si  vous  vous  rappelez  que  ce|  Stuart, 
qui  étoit  à  Edimbourg  il  y  a  deux  ans ,  a  bien  pensé  me  passer 


—  340  -- 

son   épée  au   travers  du  corps  [chez   Paton  ,    lorsqu'il  attaqua 
M.  Turner. 

Recevez  ma  sincère  feconooissancc  pour  avoir  accepté  la  pro- 
curation. Je  Tai  envoyée  d'ici  le  30  septembre.  Je  vous  prie  de 
passer  ou  d'écrire  à  ma  mère  que  j'attends  ma  liberté  à  tous 
moments.  Faites  mes  compliments  à  M.  Innés,  à  M«>«  Gordon 
4' Avachies  et  à  mes  parents  dans  Aberdeen ,  et  vous  prie  de 
me  croire ,  etc. 

A.  ÇORDOIV. 

Gordon  qui  ne  se  sa\Tiit  pas  abandonné  de  lord  Harcourt , 
fondait  tout  son  espoir  s\\r  l'efficacité  de  l'intervention  de  cet 
ambassadeur,  appuyée  des  démarches  de  ses  autres  protecteurs. 
Il  ne  dut  plus  se  faire  illusion  lorsque  M.  de  Choiseul ,  à  qui 
M.  de  Clugny  avait  rendu  compte  de  l'état  de  la  procédure, 
répondit,  le  -10  novembre  -1769  :  «  S.  M.  m'a  ordonné  de  vous 
mander  que  son  intention  est  de  donner  un  libre  cours  à  la 
justice  et  de  vous  laisser  procéder  au  jugement  définitif,  lequel 
sera  exécuté  contre  tous  les  condamnés  sans  exception  et  saos 
différer.  S.  M.  a  pensé  que  le  cas  éloit  trop  grave  et  les  suites 
de  trop  de  conséquence  pour  qu'il  pût  être  accordé  des  lettres 
de  grâce  qui  convieroient  à  de  nouvelles  entreprises  du  ràême 
genre.  Elle  a  jugé  qu'il  étoit  nécessaire  de  faire  un  exemple ,  et 
que  ,  malgré  '  sa  répugnance  à  donner  des  ordres  rigoureux , 
c'étoit  ici  le  cas  de  préférer  la  justice  à  la  clémence.  Ainsi, 
la  conclusion  de<5ette  affaire  demeure  entièrement  remise  à  voire 
ministère  de  juge.  » 

Ge  ministère  commença  à  s'exercer  le  23  novembre.  Ce  jour- 
là  et  le  lendemain ,  Gordon  comparut  seul  à  l'audiioire  de  la 
sénéchaussée  royale  de  Brest ,  devant  M.  de  Clugny,  qui  avait 
pour  assesseurs  MM.  Alexis  Labbé  de  Lézingant,  conseiller 
du  Roi,  sénéchal  et  premier  magistrat  civil  et  criminel  au  siège 


-  341  — 

royal  de  Brest;  Claude  Piriou,  conseiller  dn  Roi,  bailli  au  môme 
siège  ;  Jacques-Mathieu  Carquet ,  conseiller  du  Roi,  lieulenant  au 
même  siège  ;  François  Bergevin,  conseiller  du  Roi  et  son  procureur 
audit  siège  ;  Alain  Martret ,  sieur  de  Préville ,  avocat  au  Parle- 
ment et  bailli  de  la  juridiction  du  Chàtel ,  et  Jean  Lespaignol, 
avocat  au  Parlement. 

Les  charges  qui  pesaient  sur  Taccusé  étaient  si  accablantes, 
elles  auraient  tellement  été  corroborées ,  s'il  en  eût  été  besoin , 
par  ses  aveux ,  que  l'issue  du  procès  était  certaine.  Aussi,  dans 
la  matinée  du  lendemain  (vendredi, '24  novembre),  M.  de  Clugny 
crut-il  pouvoir  écrire  au  Ministre  :  «  Monseigneur,  nous  sommes 
actuellement  assemblés  pour  procéder  au  jugement  tie  M.  Gor- 
don. Depuis  samedi,  nous  avons  travaillé  matin  et  soir  à  la 
Visitation  du  procès,  et  ce  matin  le  sort  de  ce  principal  accusé 
sera  décidé.  Il  y  a  apparence»  qu'il  sera  condamné  tout  ffunc 
voix  à  la  mort.  En  ce  cas,  suivant  vos  ordres ,  il  sera  exécuté 
ce  soir.  Il  restera  ensuite  à  prononcer  sur  le  sort  des  autres 
complices.  Cette  affaire  terminée ,  Monseigneur,  je  vous  prie  de 
me  permettre  d'aller  vous  faire  ma  cour  à  Paris.  » 

A  deux  heures  de  là,  les  prévisions  de  M.  de  Clugny  se  véri- 
fiaient. Après  un  dernier  interrogatoire ,  Gordon,  qui  hb  semble 
avoir  été  assisté  d'aucun  avocat,  se  relira,  laissant  à  ses  juges 
pour  toute  défense  une  supplique  entièrement  écrite  de  sa  main 
et  contenant  la  confirmation  de  ses  aveux  précédents.  Des  copies 
altérées  de  cette  supplique  circulèrent  dans  le  temps  ;  celle  que 
nous  donnons  ici  est  fidèlement  reproduite  d'après  l'original  : 

«  Monsieur  et  Messieurs  ,  vous  êtes  père.  —  Vous  êtes  tous 
pères  ,  heureux  voar  enfants.  Vous  leur  êtes  conservé.  Lo  mien  , 
père  de  treize  enfants  ,  nous  fut  enlevé  en  son  (rente  -  sixième 
année ,  et  lorsque  je  n'avois  que  douze  ans.  Quelle  perte  pour 
moy  !  Ma  mère  me  reste  encore.  Veuve  à  trente-deux  ans,  elle 


^  342  — 

se  retira  dans  une  maison  de  campagne,  déterminée  à  passer 
le  feste  de  ses  jours  h  élever  ses  cinque  filles.  —  Le  soin  de 
réducalion  de  nous  autres  fut  confié  à  nos  plus  proches  parents. 
—  Ma  faute  ,  si  vous  le  voulez  ,  mon  crime ,  n'est  point  l'effet 
d'un  tempérament  vitieux,  suite  souvent  d'une  éducation  négli- 
gée, mais  d'un  malheur  qui  m'avoit  obligé  de  venir  en  France. 

Milord  Harcourt  connoissant  ma  famille  promit  à  ma  sollici- 
tation de  me  replacer  dans  mon  ancien  régiment.  Il  se  prévalut 
de  cette  conjoncture  et  me  proposa  ce  fatal  voyage. 

Mon  peu  d^expérience  me  laissa  séduire  ,  ma  recohnoissance 
tne  le  fit  entrepreneuse/ 

Figurez,  en  Milord  tiarcdurt  l'homme  de  soixante  ans  ,  décoré 
^de  toutes  les  beautés  de  la  vieillesse.  En  lui  je  voyais  l'homrae 
de  naissance^  le  Ueutenant-général  de  nos  armées,  l'ambassadeur 
en  Fraiice  et  mon  protecteur.  —  Que  de  prévoyance  ne  m'auroitil 
fallu  pour  apercevoir  la  chaîne  de  malheurs  qui  devoit  s'en 
suivre  ,  et  sous  quelles  couleurs  ne  me  présentoit-:l  pas  sa  pro* 
positron»  Il  me  .fut  impossible  d'éviter  le  piège. 

•  ifi  n*ai ,  hélas!  que  peu  à  espérer  du  côté  des  lois.  — 
Elle  ne  regarde  que  des  faits.  —  J'ai  tout  en  vous ,  vu  que 
l'État  ne  peut  souffrir  nul  inconvénient  de  ce  que  j'ai  fait  ;  de 
plus,  je  déclare  n'avoir  jamais  eu  intention  d'établir  des  liaisons 
ici..  C'est  le  cruel  hasard  qui  me  le  fit  trouver. 

Mitiguez  donc,  s'il  se  peut,  la  sévérité  des  lois.  Permettez, 
Messieurs  ,  que  je-  vous  rappelle  encore  une  fois  que  j'ai  une 
mère  ;  permetteî;/que  je  vous  recommandé  l'honneur  d'une  famille 
nombreuse.  Elle  csf  noble.  Mais  s'il  le  faut,  —  ne  me  fait  point 
souffrir  de: l'ignominie.  —  Laissez  -  moi  agir  en  liberté  ,  et  je 
saurois  éviter  le  ridicule.  -—  Enfin  ,  pour  dernière  grâce ,  que 
je  meurs  en  mon  écharpe  militaire,  et  qu'on  le  fait  tenir  ensuite 
.à  mon  frère  Charles.  » 


-  343  -r 

Quelque  touchante  que  fût  cette  invocation  à  rindulgence,  les 
juges,  esclaves  de  la  loi,  firent  taire  leur  compassion  pour  l'accusé, 
et  par  la  sentence  suivante  ,. rendue  au  iiom  de  M.  de  Clugny 
seul,   ils  le  condamnèrent  unanimement  à  avoir  la  tète  tranchée  : 

«  Nous ,  Jean-Élienne  Bernard  de  Clugny,  etc,  par  jugement 
souverain,  avons  déclaré  et  déclarons  ledit  Alexandre  Gordon  de 
WardhoUse ,  dûment  atteint  et  convaincu  d'avoir,  par  des  pra- 
tiques ei  manœuvres  illicites  contraires  au  bien  de  l'État ,  tenté 
de  corrompre  et  d'avoir  corrompu  ,  en  effet  ,  la  ^délité  des 
sujets  du  Roi  en  les  engageant  p^r  écrit  et  à  prix  d'argent,  de 
lui  fournir  tous  mémoires  et  ren^ignements  tant  sur  le  nomBre 
et  la  force  des  vaisseaux  du  Rok.eD  ce.fjort,  le  nombre  des 
ouvriers  qui  y  travaillent ,  les  diverses  espèces-  d'approvisionné-* 
ments  et  munitions  qui  peuvent  .jr  être  rassemblé^,  lés  mouve- 
ments et  armements  qui  s'y  feroient  et  la  destination  des  vais- 
seaux qui  en  sortiroient ,  que  sur  les  ports  ,  anses  ,  ou  bayes 
ou  pointes  qui  peuvent  se  trouver  le  long  des  côtes  de  Breta- 
gne ,  de  Saint-Malo  à  Brest,  et  spécialement  de  lui  marquer  les 
endroits  de  la  côte  voisine  de  Brest  les  plus  propres  à  y  faire 
des  descentes  avec  sûreté ,  comme  aussi  d'entretenir  correspond 
dance  avec  lui  sur  tous  ces  objets  après  son  départ ,  sous  des 
adresses  supposées  ; 

Pour  réparation   de  tout  quoi  et  autres  cas  résultants  du  pro-  ' 
ces  ,  avons  condamné  et  condamnons  ledit  Alexandre   Gordon 
de  Wardhouse  à  avoir  la   tête  tranchée   par  l'exécuteur  de  la 
haute  justice  (^)  sur  un  échafaud  qui  sera,  poilr,cfet  <fifet ,  dressé 

en  la  vieille  place  du  Marché  de  cette  ville  ;  (2)  - 

».  -b ,  •  ■ 

(1)  Il  y  en  avait  trois  :  Joseph  et  Pierre  Ganié,  exécuteurs  des  arrêts 
dd  Parlement,  à  Rennes.  Ils  vinrent  et  retournèrent  en  post^.vIls  reçurent 
456  livres  pour  leurs  frais  de  route  et  de  séjour.  Ils  eurent  pour  aide  le 
forçat  Joseph  Màget  qui,  lui ,  reçut  69  livres  i5  sols. 

(2)  En  face  du  marché  couvert  actuel,  sur  l'emplacement  occupé  par  * 
le  Poids  public  et  une  partie,  soit  des  maisons  faisant  face  à  ce  marché , 
soit  de  celles  qui  sont  situées  en  arrière  du  Poids, 


—  344  — 

*  Déclarons ,  eu  outre  ,  tous  et  chacuns  de  ses  biens  situés  en 
pays  de  confiscation  acquis  et  confisqués  au  profit  du  Roy,  et  en 
cent  livres  d'amende  ,  aussi  au  profit  du  Roy  ,  en  cas  que  la 
confiscation  n*ait  lieu  envers  Sa  Majesté  ; 

Ordonnons  que  le  présent  jugement  sera  imprimé  et  alïiché(^) 
partout  où  besoin  sera ,  et  qu'il  sera  sursis  au  jugement  des 
autres  accusés  jusqu'à  l'exécution  du  présent  jugement.  » 

Rentré  dans  sa  prison  ,  Gordon  ne  tarda  pas  à  y  entendre 
la  lecture  de  sa  sentence.  Tout  espoir  étant  irrévocablement  perdu, 
il  se  prépara  à  mourir.  A  sa  prière,  M.  de  Clugny  se  transporta 
près  de  lui,  vers  trois  heures  de  l'après-midi,  et  en  présence 
du  P.  Gardien  des  Capucins ,  de  Denis ,  coiffeur  de  Gordon , 
depuis  qu'il  était  détenu  ,  de  Condé,  son  domestique  ,  du  geôlier 
et  de  M.  Guillemard  ,  écrivain  de  la  marine ,  l'Intendant  écrivit 
lui-môme  les  dispositions  testamentaires  du  condamné  ,  disposi- 
tions qui ,  malgré  la  confiscation  prononcée  par  le  jugement , 
furent  exécutées  plus  tard ,  sauf  celle  qui  concernait  le  soldat 
Bruno  ,  et  celle  qui  s'appliquait  à  l'envoi  de  ses  habits  et  de 
son  linge  à  M.  Pierre  Gordon,  ces  objets,  suivant  M.  de  Clugny, 
ne  valant  pas  les  frais  de  transport. 

Par  cet  acte ,  il  exprima  le  vœu  qu'on  envoyât  à  son  frère 
Charles  une  montre  en  or  qu'il  avait  laissée  à  Paris  entre  les 
mains  d'un  M.  Smith ,  peintre  ,  une  paire  de  pistolets  ,  un 
couteau  de  ^chasse  ,  une  épée  et  des  éperons  qui  étaient  dans 
sa  chambre  chez  M.  Bordier  ;  que  l'on  fit  parvenir  son  linge  et 
ses  effets  à  M.  Pierre  Gordon  (2)  ;  que  sa  chaise  do  poste  fût 

(1)  Le  jugement  ne  fut  ni  imprimé  ni  affiché,  M.  de  Clugny  ayant  pensé 
que  l'accomplissement  de  ces  deux  formalités  prolongerait  rémolion  que 
la  condamnation  de  Gordon  produisit  k  Brest. 

(2j  La  garde-robe  de  Gordon  était  celle  d'un  gentleman.  Lorsqu'elle  fut 
vendue  ,  une  personne  notable  de  la  ville  se  rendit  ajudicataire,  au  prix 
de  100  livres,  d'un  habit  de  drap  couleur  lilas,  galonné  et  doublé  de  salia 
cramoisi ,  avec  la  culotte  et  la  veste  aussi  en  satin.  La  même  personne 
acheta  pour  54  livres  ses  pistolets  d'arçon.  Son  épée,  k  poignée  d'argent, 
fut  vendue,  avec  le  ceinturon ,  72  livres  15  sols  k  une  revendeuse. 


--  â43  — 

donnée  a.  M.  Guillcmard  ,  auquel  M.  Smith  enverrait  f  on  portrait 
en  miniature  ,  qu'il  conserverait ,  à  la  condition  d'en  faire  faife 
une  copie  pour  M««  Gordon ,  sa  mère  ;  enfin  ,  que  le  produit 
delà  lettre  de  change  de  2421  livres  46  sols  4  deniers  que  . 
M.  Siviniant  (I)  avait  entre  les  mains  fût  réparti  de  la  manière 
suivante  :  4200  h'vres  à  M.  Kell,  son  tailleur  à  Paris  ;  300  livres 
de  gratification  à  son  ancien  domestique  Vincent;  444  livres  de 
gages  et  300  livres  de  gratification  à  Gondé  ,  qui  Tavait  servi 
pendant  sa  détention;  120  livres  de  gages  et  de  gratification 
au  perruquier  Denis  ,  qui  l'avait  accommodé  pendant  le  même< 
temps  ;  450  livres  au  geôlier  et  à  sa  femme  ;  36  livres  pour 
prix  d'une  croix  d'or  qui  serait  donnée  à  une  bonne  vieille 
femme  ,  âgée  de  76  ans  ,  nommée  Marie  -  Françoise  Creuzel , 
belle-mère  de  M.  Toullec,  laquelle  le  voyant  passer  peu  de  jours 
avant  son  arrestation  ,  près  la  porte  d'entrée  du  parc  des 
vivres,  du  côté  de  la  balioric  royale,  s'était  écriée:  «  Ah  I 
le  bel  homme  I  si  j'étais  jeune  ,  je  voudrais  qu'il  fût  mon 
mari!  •  5î  livres  et  40  volumes  ou  brochures  (V Esprit  des  lois 
de  la  Tactique^  le  Siècle  de  Louis  XI  F,  les  Rêveries  du  Maréchal 
de  Saxe  ^  etc.)  qu'il  avait  à  Pontaniou,  au  P.  Gardien  des 
Capucins  ,  qui  devait  l'accompagner  au  supplice  ;  le  restant  au 
soldat  Bruno. 


(1)  Indépendamment  de  celte  somme,  Gordon  possédait  celle  de  180 
Ji?res  formant  le  reliquat  des  384  livres  dont  il  avait  été  dessaisi  au  moment 
de  son  arrestation.  Jointes  h  celle  de  1052  livres  14  sols,  produit  de  la 
vente  de  ses  effets ,  elles  n'auraient  pu  couvrir  qu*aue  très  minime  partie 
des  frais  de  toute  espèce  qu'avait  entraînés  la  procédure,  lin  premier  lieu 
se  plaçaient  les  dépenses  de  nourriture  des  divers  accusés  pendant  leur 
détention  à  Pontaniou  et  au  Bague.  Elles  s'étaient  élevées  :  pour  Gordon,  k 
1018  livres 6 sols  5  deniers;  pour  Durand,  à  344  livres;  pour  Carmichaël, 
k  iSO  livres  16. sols  8  deniers  ;  pour  While  ,  à  53  livres;  pour  Collins ,  à 
773  livres  15  sols  6  deniers  (le  vin  ,  Teau-de-vie  et  le  tabac  y  entraient 
pour  une  bonne  part);  pour  Lenssens ,  a  72  livres;  pour  Condé  ,  à  156 
livres ,  et  pour  la  Main-d*Orge  ,  îi  108  livres. 

Quant  aux  frais  judiciaires  proprement  dits ,  ils  s'élevèrent  à  un 
chiffre  énorme  qui  prouve  qu'en  1769  la  procédure  criminelle  n'était  rien 

4i 


—  346  — ' 

La  dictée  de  ses  dispositions  terminée  ,  Gordon  se  coupa  une 
mèche  de  cheveux  et  la  renferma  dans  une  enveloppe  cachetée  à 
Tadresse  de  sa  mère  ,  à  qui  il  pria  Tlntendant  de  la  faire 
parvenir,  en  même  temps  quMl  enverrait  son  écharpe  à  son  frère 
Charles. 

L'intervalle  qui  s'était  écoulé  entre  la  lecture  de  sa  sentence 
et  l'arrivée  de  M.  de  Clugny,  Gordon  Tavait  employé  à  écrire 
quatre  lettres  à  ses  parents.  Quand  Flntendant  se  fut  retiré ,  il 
écrivit  à  son  frère  Charles  la  lettre  suivante  : 

a  C'est  avant  mon  dernier  moment ,  cher  Charles  ,  que  je 
'  prends  la  plume  pour  te  faire  part  de  mon  sort.  Je  suis  con- 
damné à  perdre  la  tête  sur  un  échafaud  entre  quatre  et  cinq 
heures,  ce  29  novembre  après-midi.  Ma  seule  consolation  en  ce 
moment  terrible  est  de  n'être  pas  coupable  des  crimes  que  l'on 
m'a  imputés,  et  d'avoir  arraché  des  larmes  de  mes  juges  mêmes. 
Depuis  l'existence  des  lois  ,  jamais  arrêt  aussi  cruel  n'a  été 
prononcé  contre  qui  que  ce  soit.  En  effet,  si  j'avois  été  coupa- 
ble des  crimes  dont  un  Anglois ,  nommé  Stuart ,  m'a  accusé ,  à 
quel  supplice  les  juges  m'eussent-ils  donc  condamné?  Je  suis  le 
plus  infortuné  de  tous  les  hommes.  Les  deux  personnages  que 
j'avois  cru  mes  amis  m'ont  trompé;  ils  m'ont  toujours  flatté  de 
pouvoir  obtenir  ma  grâce  ;  ils  m'ont  empêché  d'intéresser  en  ma 

moins  quègratuiie.  Ceux  que  nous  appelons  aujourd'hui  officiers  de  police 
judiciaire, et  qui  nfi  reçoivent  aucun  salaire  pour  les  actes  inhérents  a  leur 
ministère ,  tels  que  les  agents  de  la  maréchaussée  qui  firent  les  perquisi- 
tions à  Nantes ,  Bordeaux  ,  La  Rochelle ,  Saintes,  Saint-Malo,  etc.;  les 
juges  eux-mêmes  qt^  reçurent  chacun  300  livres  d'épices;  tous  ceux 
enfin  qui ,  k  un  litte  quelconque ,  participèrent  à  la  poursuite  et  à  l'ins- 
truclion  de  celle  affaire,  furent  largement  récompensés,  voire  même  ceux 
qui  furent  employés  comme  simples  copistes  de  pièces ,  et  auxquels  500 
livres  furent  comptées  à  ce  titre.  Si  Ton  joint  à  ces  diverses  dépenses  la 
nourriture  des  accusés  et  les  largesses  que  M.  de  Clugny  obtint ,  comme 
nous  le  verrons ,  pour  lui  et  ses  principau^ç  auxiliaires,  on  trouve  que  le 
total  général  des  irais  occasionnés  par  cette  affaire  dut  s'élever  à  plus  de 
32,000  livres. 


-347  — 

faveur  la  noblesse  d*Angleterre ,  d'Ecosse  et  d'Irlande. -'J'ai  été 
condamné,  non  pour  avoir  eu  le  projet  d'incendier  tous  les 
ports  de  France ,  parce  que  mes  juges  n'ont  pu  prouver  un  si 
horrible  crime,  mais  pour  avoir  pris  des  mesures  avec  deux> 
hommes  apostés  ici  pour  me  séduire,  pour  avoir  plusieurs  détailsr 
de  ce  port,  lorsque  je  serois  en  Angleterre.  Le  moment  fatal 
approche ,  cher  frère  ;  j'entends  dans  Tescalier  les  gardes  qui 
viennent  me  chercher.  Je  te  demande  en  grâce  ,  cher  Charles, 
de  consoler  ma  tendre  mère  :  il  m'est  impossible  de  iBnir  ma 
lettre  pour  elle.  Mes  pleurs  effacent  chaque  mot  que  je  trace. 
Embrasse  tous  mes  parents  et  dis-leur  que  je  meurs  innocent.  ^ 
Remercie  mon  oncle  ,  Pierre  Gordon,  pour  tous  les  soins  qu'il 
a  pris.  J'ai  heureusement  obtenu  d'être  exécuté  avec  toutes  les. 
marques  militaires.  M.  de  Clugny ,  mon  juge ,  m'a  promis  de 
t'envoyer  mon  écharpe  ;  elle  te  sera  envoyée  teinte  de  mon  sang: 
innocent.  Quel  motif,  cher' frère  ,  pour  t' exciter  à  une  juste 
vengeancp.  Je  laisse  la  pluitie  pour  aller  à  l'échafatid.  0  mes 
adorables  et  tendres  sœurs  1  Je  ne  vous  verrai  donc  jamais,  je. 
ne  vous  verrai  plus  I....  Cet  arrêt  est  mille  fois  plus  terrible  que 
la  mort.  Adieu ,  cher  frère ,  mon  frère  ,  mon  ami ,  dans  une, 
demi-heure  je  ne  serai  plus.  » 

Il  était  quatre  heures.  Le  moment  du  supplice  était  arrivé; 
La  malheureuse  victime  de  lord  Harcourt  y  marcha  vêtue  de 
noir  et  coiffée  de  brun.  Remis,  à  la  porte  de  l'arsenal  ,  à  un 
.  détachement  de  la  garnison,  Gordon  monta  la  Grand'Rue  d'un  pas 
ferme  et  la  tête  haute  ,  mais  sans  affectatlofi  ^  saluant  tout  le 
monde,  principalement  les  dames  qu'il  voyait  en  ^rand  nombre 
aux  fenêtres ,  et  causant  avec  le  P.  Gardien  des  Capucins  qui 
avait ,  mais  en  vain  ,  essayé  d'obtenir  qu'il  abjurât  la  religion 
protestante.  Il  n'était  pas  garotté,  et  n'avait  que  fo'n  écharpe  qui 
lui  passait  sous  les  bras,  Parvenu  sur  la  place  du  Vieux -Marché, 


—  318  - 

i)\i  45^\j!ômmes  des  troupes  de  la  garnison  et  do  la  marine 
•étaient  sous  les  armes,  il  regarda  Téchafaud  sans  qu'aucune 
émotion  se  décelât  en  lui.  Il  s'entretint  avec  le  plus  grand  calme, 
^pendant  un  quart  d'heure  environ  ,  avec  M.  Siviniant ,  grefiSer 
'  4e  la  prévôté ,  et  pendant  la  lecture  de  sa  sentence  ,  qu'il  entendit 
la  tête  couverte  et  un  genou  posé  sur  une  pierre  qu'il  avait  plus 
particulièrement  remarquée ,  toujours  impassible  ,  il  se  montra 
très  attentif  à  rénumération  des  griefs  articulés  contre  lui.  Cette 
lecture  terminée  ,  il  se  releva  et  dit:  ^11  n'y  a  donc  point  de 
grâce  ,  il  faut  prendre  son  parti.  Mon  Dieu  !  donne-moi  la  force 
de  soutenir  le  môme  courage  jusqu'à  la  fin.  »  Il  marcha  ensuite 
rapidement  vers  Téchafaud  et  le,  gravit  avec  la  plus  grande  légè- 
reté. Parvenu  sur  la  plate -forftie,  il  salua  les  assistants  à  trois 
reprises ,  avec  une  noblesse  exempte  de  recherche ,  et  se  borna 
à  dire  :  4  Voyez,  Messieurs,  mourir  un  homme  à  vingt-un  ans  I  • 
Il  se  dépouilla  de  son  écharpe ,  de  son  habit ,  qu'il  ploya ,  prit 
un  mouchoir  dans  lequel  il  rdmena  ses  cheveux  ,  reprit  son 
écharpe  qu'il  replaça  comme  s'il  eût  été  de  service  ,  rabattit  le 
col  de  sa  chemise ,  demanda  si  elle  était  bien  ,  mît  un  genou 
en  terre,  embrassa  le  poteau ,  et  dit  à  l'exécuteur,  en  regardant 
le  couteau  (t)  qui  devait  lui  porter  le  coup  mortel  :  •  Ne  me 
manque  pas  !  »  Une  minute  après  il  avait  cessé  d'exister. 

Dans  une  lettre  que  M.  de  Roquefeuil  écrivit  au  Ministre,  le 
27  novembre,  il  s'exprima  ainsi  au  sujet  des  derniers  nïoments 

(1)  Cette  funèbre  relique  se  conserve  encore  k  la  Direction  d'Artillerie 
du  port  de  Brest.  C'est  un  large  couteau  renfermé  dans  une  gatne  en 
cuir,  et  fabriqué  pour  la  circonstance.  Il  est  droit,  et  sa  lame,  en  acier,  est 
large  d'environ  0^,07  sur  toute  sa  longueur,  qui^st  de  0'',75.  L'épaisseur, 
au  dos,  est  de  0^,006  et  va  eu  diminuant  vers  la  pointe,  qui  est  de  forme 
ogivale.  Le  manche,  en  corne,  n'a  que  0*^,18  de  longueur  et  ne  peut-être 
manœuvré  que  par  une  seule  main.  Le  poids  total  de  Farme  est  de  i  k,500. 
Il  semble  difficile  que  ce  couteau  ,  en  raison  de  sa  forme  et  de  son 
poids ,  puisse  trancher  la  tête  d*un  homme  d'un  seul  coup. 


-  349  — 

de  Gordon  :  •  Il  mourut  avec  la  fermeté  la  plus  noble  efia  plus     ' 
héroïque  au  rapport  de  tous  ceux  qui  assistèrent  à  cette  to^-      * 
lion.  La  conduite,  d'ailleurs,  douce  et  honneste  qu'il  avoit  tenue 
tout  le  temps  de  sa  prison,  a  contribué  à  toucher  le  public  iey,*.\ 
sur  son  malheureux  sort.  —  M.  de  Clugny  vous  aura ,  Monsei- 
gneur, rendu  compte  de  la  déclaration  qu'il  a  fait  avant  sa  mort, 
où  il  paroît  que  son   ambassadeur   en  France  Fa  poussé  à  sa 
perte.  On  pense  en  effet  ici  que  la  forme  a  été  contre  lui  plus 
terrible  que  le  fond  ,  vu  son  inexpérience  et  sa  jeunesse.  Mais 
il  pouvoit  être  aussy  temps  que  quelque  exemple  pût  intimider 
les  étrangers  qui  s'instruiroient  trop  curieusement  icy.  • 

Le  môme  jour,  27  novembre  ,  M.  de  Clugny,  de  son  côté  , 
rendit  compte  en  ces  termes ,  au  Ministre  ,  des  événements  qui 
s'étaient  accomplis  trois  jours  auparavant  :  s^ 

i  Monseigneur,  j'ai  l'honneur  de  vous  adresser  Texpédilion  du 
jugement  rendu  le  2%  de  ce  mois  contre  le  sieur  Gordon  ,  en 
conséquence  duquel  il  a  été  exécuté  le  môme  jour  entre  quatre 
et  cinq  heures  du  soir.  Il  a  soutenu  la  mort  avec  une  fermeté 
et  un  courage  dignes  d'une  meilleure  cause.  En  montant  sur 
l'échafaud  ,  il  déclara  au  greffier  qu'il  ne  voulait  rien  changer 
à  ses  réponses  sur  ses  interrogatoires,  et  le  chargea  de  mefaire 
des  coimpliments  et  des  remerciements  des  attentions  qu'on  avoit 
eu  pour  lui  pendant  sa  prison.  Tout  le  monde  a  été  touché 
de  son  sort.  Les  juges,  en  le  condamnant,  n'ont  pu  «'empôchef 
de  verser  des  larmes ,  quoi  que  bien  persuadés  qu'il  inéritoit  la 
peine  qu'il  a  subi.  » 

Le  langage  tenu  par  MM.  de  Roquefeuil  et  de  Clugny  était  la 
fidèle  expression  du  sentiment  public ,  consigné  dans  les  deux 


—  350  — 

quatrrflns  suivants,  qui  parurent  immédiatement,  et  dont  le  second 
fut  Sttribué  à  M.  Coquelfti  : 

D'un  séducteur  adroit,  victime  infortunée  , 
Gordon,  sur  Téchafaud,  nous  fit  verser  des  pleurs. 
Son  courage  honora  sa  triste  destinée  ; 
11  finit  en  héros  sa  vie  et  ses  malheurs. 


Un  perfide  vieillard  séduisit  ma  jeunesse  ; 
Un  sage  magistrat  confondit  mes  projets  ; 
Une  mort  héroïque  expia  ma  faiblesse  ; 
Un  peuple  généreux  me  donna  des  regrets. 

Le  25  novembre ,  il  fut  procédé  au  jugement  de  Dauvais  et 
de  Durand. 

Le  môme  jour  Dauvais  subît  sa  peine.  Sa  sentence  portait 
que  ,  condamné  à  faire  amende  honorable  devant  la  prmcipale 
porte  de  J'église  Saint-Louis,  il  y  serait  conduit  ,tête  nue  et  en 
chemise,  la  cord«  au  cou,  une  tprche  du  poids  de  deux  livres 
à  la  main ,  avec  deux  écriteaux ,  Fun  sur  la  poitrine ,  Tautrc 
sur  le  dos  ,  portant  ces  mots  :  Traître  au  Roy  et  à  VÊtcâ  \ 
qu'y  étant  à  genoux  il  déclarerait  s*en  repentir  et  en  demander 
pardon  à  Dieu,  au  Roy  et  à  Justice  ;  que  ce  fait,  il  serait  con- 
duit par  l'exécuteur  à  la  place  du  Vieux-Marché  de  cette  ville 
pour  y  être  pendu  et  étranglé  jusqu'à  ce  que  mort  s'ensuivît, 
à  une  potence  dressée  à  cet  effet  ;  que  deux  heures  après  son 
corps  serait  transféré  hors  de  la  ville  de  Brest,  sur  le  grand 
chemin ,  pouf  y  être  attaché  à  un  poteau. 

A  regard  de  ï)urand,  M.  de  Clugny,  par  sa  lettre  au  Ministre 
du  27  novembre  ^769,  nous  apprend  que  les  six  juges  qui 
avaient  opiné  avant  lui  avaient  été  d'avis  de  le  condamner  éga- 
lement à  la  potence.  «  J'avoue,  Monseigneur,  ajoutait-il,  que 
quoiqu'cnticrement  convaincu  comme. homme  qu'il  a  participé  à 


-  331  — 

toas  les  projets  cdinmels  du  sieur  GordoB^  je  n*ai  pas  trouvé 
assez  de  preuves  en  qualité  de  juge  pour  lui  faire  perdrO  la 
vie.  Les  autres  juges  sont  revenus  à  mon  avis ,  et,  l'on  s'est 
borné  à  ordonner  contre  cet  accusé  un  plus  ample  informé  indé- 
lini ,  «t  que  cependant  il  garderoit  prison  l'espace  d*un  an.  • 

L'année  se  passa  et  aucune  information  nouvelle  n'eut  lieu. 
Quoi  qu'il  en  soil,  Durand  ne  fut  pas  élargi.  Pensant  que  Tavène- 
ment  de  M.  de  Boynes  au  ministère  de  la  marine  pourrait  être 
une  circonstance  favorable  au  prisonnier,  M.  de  Cambres,  prieur 
de  Royan  'et  oncle  de  Durand  ,  s'empressa ,  dès  l'entrée  en 
fonctions  du  nouveau  Ministre,  de  lui  adresser  une  lettre  où 
se  trouvent  les  passages  suivants  :  - 

«  J'ai  servi  de  père  à  ce  jeune  homme  en  partageant,  pour 
son  éducation  ,  une  partie  du  revenu  que  ma  place  me  procure. 
Les  progrès  qu'il  a  faits  en  tout,  la  bonne  conduite  qu'il  a  tenue 
et  l'estime  qu'il  avait  méritée  de  ses  maîtres  m'avoient  engagé 
à  me  priver  du  nécessaire  ,  pour  lui  procurer  les  moyens  de 
«'avancer  dans  la  profession  de  médecin.  Une  aventure  malheu- 
reuse et  dans  laquelle  tout  autre  gagné  comme  lui  par  une  pers- 
pective fâcheuse  n'annonçant  rien  que  de  décent  et  de  permis  se 
^croit  prêté ,  un  événement  aussi  inopiné  que  malheureux ,  en 
me  l'enlevant ,  jeta  sa  famille  et  la  patrie  d'où  il  est  dans  la 
douleur  et  la  consternation. 

La  Faculté  de  Montpellier  qui ,  le  jour  de  sa  réception,  Favoît 
proposé  à  it)us  ses  étudiants  comme  un  modèU  d'application  et 
de  sagesse,  se  hâta,  au  premier  bruit  de  son  désastre,  d'adresser 
à  Msr  le  duc  de  Praslin  le.s  témoignages  les  plus  authentiques  d^ 
fies  mœurs ,  de  ses  talents  et  [de  sa  capacité.  Il  n'y  avoit  pas 
à  présumer  que  ne  sortant  que  de  dessus  les  bancs,  il  eût  perdu 


-  3Û2  — 

de  vue  des  devoirs  aussi  essentiels,  el  devînt  aussitôt  coupable 
au  premier  chef..,.  C'est  un  malheureux,  non  un  coupable.... 

Son  jugement  portoit  un  plus  ample  infarmc  pendant  un  an 
de  détention.  Le  temps  est  expiré ,  et  six  mois  se  sont  écoulés 
au-delà  du  terme  prescrit.  Rien  n'a  paru  à  sa  charge  et  tout  disoil 
à  ses  parents  qu'il  alloit  leur  être  rendu.  M.  de  Clugny,  son  juge, 
m'a  ffiit.rtïOinneur  de  m'écrire  très  souvent.  Il  a  toujours  sou- 
tenu mes  espérances ,  et  ce  n*est ,  dit  -  il ,  qu'aux  changements 
arrivés  dans  le  ministère  que  je  dois  attribuer  le  délai  de  son 
élargissement. 

Nous  réclamons  tous  un  chef  de  famille,  un  parent  que  son  amé- 
nité, que  sa  sagesse  nous  ont  toujours  fait  chérir  avec  tendresse. 

Si  mes  infirmités ,  si  ma  place  me  le  permettoient ,  j'irois  me 
jeter  à  vos  pieds  et  vous  demander  avec  humilité  un  enfant  dont 
je  me  rends  moi-môme  caution....  J'espère  que  votre  avènement 
an  ministère  sera  marqué  par  cet  acte  de  bienfaisance  qui  le  fera 
bénir.  » 

La  réponse  h  ces  supplications  fut  une  décision  du  Conseil 
portant  que  «  comme  il  paroissoit  de  la  prudence  de  ne  pas 
laisser  rentrer  dans  la  société  un  sujet  qui  n*a  pas  craint  de  se 
livrer  à  un  étranger,  au  préjudice  des  intérêts  du  Roî  et  de 
FÉtat,  et  qui  pourroit.  en  recouvrant  la  liberté,  porter  chez  nos 
voisins,  les  connaissonces  locales  qu'il  a  pu  acquérir,  il  étoil 
convenable  qu'il  fût  détenu  dans  une  maison  de  force  jusqu'à  ce 
qu'il  eût  plu  au  Roi  d'en  ordonner  autrement.  • 

M.  tïeBoynes  ayant  consulté  M.  de  Sartine  ,  lieutenant-général 
de  police,  sur  le  choix  de  la  maison,  ce  dernier  lui  répondit,  le 
29  mai  4771  : 

«  Pour  entrer  dans  les  vues  d'économie  que  vous  m'annonces, 
je  ne  vois  pas  de  maison  plus  convenable  que  celle  de  la  Charité, 


.    ~  3o3  — 

de  Poûlorson ,  où  le  nommé  Durand  seroit  reçu  au  moyen  de 
500  livres  de  pension  et  de  100  livres  pour  son  entretien ,  ou 
celle  de  Bicêtre  moyennant  300  livres  pour  tout. 

Au  surpins ,  si  vous  vous  déterminés  pour  les  deux  endroits 
que  j'ai  Tbonneur  de  vous  proposer ,  le  transfèrement  du  con- 
damné ne  sera  pas  fort  coûteux  en  le  faisant  conduire  par  la 
maréchaussée.  Je  ne  dois  pas  vous  laisser  ignorer  qw  la  cherté 
des  vivres  a  fait  augmenter  les  pensions  dans  toutes  les  maisons 
de  force,  et  que  je  n'en  connois  point  à  un  prix  plus  modique.  » 

Transmise  à  M.  de  Cambres  ^  et  par  lui  au  supérieur  des  Cor- 
delièrs  du  couvent  de  la  Garde,  près  de  Clermont,  en  Beauvoisis  , 
cette  lettre  amena  un  arrangement  par  suite  duquel  Durand  fut 
transféré  dans  ce  couvent,  où  il  arriva  le  20  juin  1771,  sous 
rescortq  du  sieur  Prévost,  capitaine  des  chaînes,  à  qui  la  famille 
dut  payer,  pour  cette  translation,  la  somme  de  -1461  livres, 
calculée ,  disait  Prévost ,  conformément  à  ce  qui  lui  était  alloué 
par  M.  le  duc  de  la  Vrillière,  lorsqu'il  le  chargeait  de  l'exécu- 
tion de  pareils  ordres,  ce  qui  étoit  fréquent.  En  remettant  Durand 
entre  les  mains  du  P.  Gardien ,  Prévost  régla  avec  lui  le  prix 
de  la  pension  du  détenu,  qui  fut  fixée  à  400  livres  ,  plus  400 
livres  d'entretien,  le  tout  payable  de  six  mois  en  six  mois  sur 
la  quittance  de  ce  religieux.  Durand  se  rendit  bientôt  utile  aux 
populations  voisines  du  couvent ,  commiî^  on  en  peut  juger  par 
la  lettre  suivante,  que  le  P.  Bré ,  Gardien,  écrivit  au  Ministre 
dès  le  28  septembre  4774  :  «  J'ai  permis  que  le  sieur  Durand  , 
médecin ,  qui  est  ici  par  vos^  ordres ,  fût  consulté  par  4)lusieufrs 
malades  indigents;  le  zèle  avec  lequel  il  s'y  est  porté  et  les 
succès  presque  inattendus  qu'il  a  eus  sous  mes  yeux ,  le  rendent 
si  utile  dans  les  maisons  que  tous  les  jours  des  pauvres  ont 
recours  à  moi  afin  d'obtenir  les  secours  charitables  de  ce  pen- 
sionnaire pour  des  malades  hors  d'État  d'être  transportés;  Il  s'y 

45 


~  3S4  — 

'refuseroit  dès  qu'il  faudroil  outrepasser  les  bornes  de  la  plus 
exacte  régularité,  et  je  ne  vaux  moi-môme  Vy  engager  à  le  faire 

•  qu'avec  vos  bonnes  grâces. 

,.  Si  vous  ne  le  désapprouvés  pas  ,  Monseigneur,  je  permettrai 
au  sieur  Durand  de  sortir  avec  un  religieux  pour  secourir  ces 
malbeureux.  Je  dois  des  éloges  à  la  conduite  qu'il  tient  ici ,  et 
je  ne  crains  pas  de  répondre  de  celle  qu'il  tiendra ,  ainsi  que 

*  de -sa  personne.  Le  bien,  Thumanité  me  fait  oser  vous  demander 
cette  grâce.  » 

Nous  ignorons  s'il  fut  fait  droit  à  cette  demande,  mais  ce  que 
nous  savons,  c'est  que  le  Ministre  ,  cédant,  après  18  mois  de 
séjour  de  Durand  au  couvent  de  la  Gardé ,  aux  sollicitations 
pressantes  et  réitérées  de  M"«  de  Fitz- James,  princesse  de  Chi- 
may,  consentit  à  ce  que ,  pour  alléger  la  situation  du  pension- 
naire, ei  le  rapprocher  de  sa  famille,  il  fût  transféré  au  couvent 
-des  Cordeliers  de  Cahôrs,  où  il  fut  déposé  le  6  mai  -1773.  Dix- 
huit  mois  .plus  tard  (24  décembre  -1774),  Mm«  la  princesse  de 
Chimay,  secondée  par  l'évêque  ^'Agen ,  renouvela  ses  instances. 
L'un  et  l'autre  sollicitèrent  la  révocation  -des  ordres  qui,  depuis 
cinq  ans ,  privaient  Durand  de  sa  liberté.  Le  Ministre  demanda 
à  Brest  une  copie  de  la  partie  de  la  procédure  le  concernant, 
et  en  même  temps  il  consulta  M.  de  Clugny.  Quelle  fut  l'issue 
définitive  de  toutes  ces  démarches?'  Rien  ne  nous  Ta  fait  con- 
naître ;  mais  nous  aimons  à  penser  qu'elle  dut  être  favorable  à 
Durand. 

Le  28  novembre  4769,  il  avait  été  statué  sur  le  sort  des  autres 
:accusés.  Ils  étaient  au  nombre  de  six  :  Pierre  Bruno,  soldat  au 
régiment  de  Béarn  ;  Gabrielle-Jeanne-Louise  Main-d'Orge  de  Levie; 
Jacques  Carmichaëi ,  interprète  de  la  langue  anglaise  au  Havre  ; 
Adrien  Vincent ,  ancien  domestique  de  Gordon  ;  Jean  Lenssens, 
commis  de  M.  Parck ,  et  François  Bonifeau ,  cordonnier,  celui , 


—  3oS  - 

croyons-nous ,  dont  la  femme  ^vait  mis  Gordon  en  rapport  avec- 
Omnès,  Pierre  Bruno  fut  seul  condamné  à  5  livrés  d'amende  envers 
le  Roi ,  avec  injonction  d'être  plus  circonspect  à  Tavenir,   sous 
peine  de  punition  corporelle.   Les  cinq  autres  furent  acquittésk- 
et  mis  en  liberté. 

Restait  le  prétendu  Stuart.  Comme  il  était  ténK)in  et  non  accusé, 
il  n'y  avait  pas  à  le  juger,  à  moins  qu'on  ne  Teût  fait  en  raison 
de  son  faux  témoignage.  On  pensa  qu'il  n'en  valait  pas  la  peine,. 
et  comme  sa  déposition,  dont  il  n'avait  été  tenu  aucun  compte,, 
avait  ajouté  à  la  répulsion  et  au  mépris  qu'il  inspirait  auparavant, 
il  fut  retenu  à  Pontaniou.  Mais,  ^u  mois  de  janvier  ^770,  M.  le 
duc  de  Choiseul  ayant  ordonné  sa  translation  à  Bicétre,  M.  Mar-^ 
chais,  en  l'absence  de  M.  de  Clugny,  fit  connaître  qu'une  rechute, 
occasionnée  par  l'état  de  sa  santé ,  le  privait  de  l'usage  de  la 
jambe  droite ,  et  que  le  seul  moyen  de  le  faire  parvenir  à  sa 
destination  ,  c'était  de  le  mettre  (ce  qui  eut  lieu)  dans  le  panier 
du  carrosse  de  Brest  à  Paris,  que  l'on  ferait  accompagner,  do 
brigade  en  brigade,  par  un  cavalier  dé  la  maréchaussée.  Lorsque 
ce  misérable  arriva  à  Bicôtre ,  le  23  mars  ^770 ,  M.  Le  Breton, 
charçé  de  l'écrouer,  reconnut  en  lui  un  individu  qu'il  avait  arrêté, 
deux  ans  auparavant ,  dans  un  bal  de  Saint-Cloud,  où  une  rixe 
avait  eu  lieu  entre  des  Anglais  et  des  mousquetaires.  Il  s'était , 
en  celte  circonstance  y  représenté  comme  gravement  offensé  ,  en 
sa  qualité  de  parent  du  Prétendant.  Vérification  faite  ,  il  fut 
reconnu  pour  le  fils  d'un  bas  -  officier,  né  à  Menden ,  et  il  fut 
constaté  que  l'héritier  des  Stuarts  avait  couru  toute  l'Europe  et 
avait  joué  divers  rôles ,  mais  avant  tout ,  bien  entendu  ,  celui 
d'escroc. 

Les  coupables  punis,  il  y  avait,   selon  l'usage  du  temps  ,  à 
récompenser  ceux  dont  le  concours  avait  amené  leur  châtiment. 

L'exempt  Lemonnier  qui ,  dans  le  rapport   dont  nous  avons 
reproduit  des  extraits,  avait  rejeté  toute  rémunération  pécuniaire  et 


-  356  - 

déclaré  préférer  des  marques  distinclives  de  son  Roi,  avait  pourtant 
reçu  une  grqtiQcalion  de  ^000  livres.  Cela  ne  lui  suffisait  pas. 
Oubliant  que  certains  services  ne  peuvent  et  ne  doivent  se  payer 
qu'en  argent,  il  tenait  pardessus  tout  à  une  position  qui  fût 
tout  à  la  fois  honoHQque  et  lucrative  ,  et  son  ambition  n'allait 
à  rien  moins  qu'à  devenir  officier.  «  Il  avait  apporté  en  naissant, 
disait-il,  l'amour  de  servir  son  Roi  et  sa  patrie  ;  aussi  espérait-il 
que  le  meilleur  des  Rois  voudrait  bien  l'adopter  pour  un  de  ses 
meilleurs  sujets  en  lui  octroyant  la  survivance  de  la  prévôté  de 
la  marine  à  Brest,  et  en  lui  donnant  des  marques  de  bonté  qui 
éterniseraient  dans  son  cœur  son  nom  et  ses  bienfaits.  §  Ces 
nobles  sentiments  ne  rencontrèrent  qu'ingratitude  !  Lemonnier 
resta  simple  exempt,  et  c'est  en  cette  qualité  que  nous  le  retrou- 
vons accompagnant  et  déposant,  le  2  juin  1775,  M.  de  Kcrguelen 
au  château  de  Saumur.  Quatorze  ans  plus  tard ,  il  eut ,  il  est 
vrai,  une  fiche  de  consolation.  Appelé  ,  comme  député  de  la 
prévôté  de  la  marine  ,  à  faire  partie  des  cent  membres  qui  se 
constituèrent ,  le  21  juillet  -1789,  en  conseil  général  de  la  com- 
mune j  il  exerça  sa  part  de  l'autorité  souveraine  que  s'attribua 
cette  assemblée.  Nous  ignorons  quel  était  alors  son  grade  mili- 
taire. Tout  ce  que  nous  savons,  c'est  que,  le  !«'  novembre  suivant, 
il  fut  félicité  ,  par  le  conseil  général ,  de  la  prudence ,  de  la 
fermeté  et  du  courage  dont  il  avait  fait  preuve  comme  comman- 
dant de  la  brigade  de  la  prévôté  de  la  marine  ,  lorsque  2,000 
hommes  de  troupes  furent  dirigés ,  le  20  octobre ,  de  Brest  sur 
Lannion,  afin  d'appuyer  par  la  force ,  s'il  en  était  besoin  ^  la 
libre  exportation  des  grains  achetés  ,  les  jours  précédents ,  par 
les  commissaires  que  le  conseil  général  avait  chargés  d'approvi- 
sionner le  port  de  Brest. 

Omnès  toucha  800  livres.  Sans  son  ivrognerie,  il  eût  été  placé 
comme  écrivain  dans  le  port. 


^  357  — 

Quand  des  personnages  d'un  ordre  si  infime  étaient  si  large* 
ment  récompensés ,  M.  de  Clugny  et  ses  auxiliaires  ,  plus  élevés 
dans  la  hiérarchie,  devaient,  de  toute  nécessité,  Télre  encore  bien 
davantage.  Aussi  le  furent-ils.  Laissons  ce  dernier  déduire  les 
mérites  de  chacun  ;  s'il  plaida  pour  les  autres ,  il  ne  s'oublia 
pas  lui-môme,  La  lettre  suivante,  qu'il  adressa  au  Ministre  le 
•I"  décembre  -1769,  témoigne  assez  que,  chez  lui,  le  zèle  s'alliait 
à  une  cupidité  qu'aujourd'hui  on  trouverait ,  à  bon  droit ,  aussi 
sordide  qu'anormale  : 

(I  Monseigneur,  le  travail  extraordinaire  qu'a  occasionné  le 
procès  du  sieur  Gordon  et  de  ses  complices ,  l'éclat  que  cette 
affaire  a  fait  dans  le  royaume  et  même  dans  toute  l'Europe, 
l'activité  et  l'intelligence  avec  lesquels  la  procédure  a  été  suivie, 
méritent  quelques  marques  de  satisfaction  de  votre  part  aux 
principaux  officiers  qui  y  ont  été  employés. 

M.  Bergevin ,  procureur  du  Roi  de  la  sénéchaussée  royale ,  a 
été  chargé  de  l'instruction  de  la  procédure  depuis  le  moment 
où  j'ai  cessé  de  la  faire.  Il  y  a  employé  96  vacations  ,  et  vous 
n'aurez  pas  de  peine  à  le  croire,  Monseigneur,  à  la  vue  de  l'extrait 
de  la  procédure  que  je  vous  ai  adressé,  et  qui  peut  vous  faire 
juger  de  son  imniensité.  Il  est  d'usage  de  payer  chaque  vacation 
à  raison  de  12  livres.  Ainsi,  cela  feroit  pour  cet  objet  seul  une 
somme  de  If 52  livres  ;  mais,  indépendamment  de  cette  instruc- 
tion ,  M.  Bergevin  a  encore  été  chargé  du  rapport  du  procès.  Il  a 
été  obligé  de  se  livrer  à  un  travail  de  cabinet  pénible  ,  et  qui  lui  a 
imposé  plus  de  trois  semaines  pour  rassembler  les  détails  des  faits 
et  de  la  procédure  et  réunir  les  charges  qui  en  résultent.  Enûn, 
il  y  a  eu  le  rapport,  la  visite  du  procès  et  le  jugement  qui  ont  duré 
douze  séances.  Je  ne  parle  pas  de  toutes  les  allées  et  venues 
auxquelles  M.  Bergevin  a  été  obligé  pendant  tout  le  temps  de 
l'instruction  ,  soit  pour  venir  conférer  avec  moi ,  soit  pour  se 


—  3d8  - 

transporter  dans  les  prisons  et  au  bagne  ,  où  les  prisonniers 
étaient  dispersés,  etc.  Ce  que  je  puis  vous  assurer,  Monseigneur, 
c'est  que,  depuis  six  mois,  tout  son  temps  a  été  presque  absorbé 
par  cette  affaire.  Biras'  celte  circpnstance,  j'ose  donc  vous  deman- 
der pour  lui  une  gratification  de  5000  livres ,  et  je  crois  qu'elle 
ne  peut  pas  être  moins  forte.  D'ailleurs ,  il  faut  des  choses  qui 
encouragent  en  pareilles  circonstances  ,  et  je  ne  puis  vous  faire 
trop  d'éloges  de  la  manière  dont  M.  Bofgèviû:  s'est  acquitté  en 
tous  points  de  cette  opération.  ' 

Le  sieur  Siviniant ,  greffier,  et  le  S*  Saint-Haauen ,  procureur 
dû  Roi  (4),  méritent  aussi  d'avoir  part  à  vos  bienfaits.  Tout  leur 
temps  a  été  employé  depuis  six  mois  à  cette  affaire.  Il  revient 
au  sieur  Siviniant  900  livres  environ  pour  ses  vacations,  et  ua 
peu  moins  au  Procureur  du  Roi.  J*ai  l'honneur  de  vous  proposer 
de  leur  accorder  à  chacun  4200  livres  de  gratification. 

A  l'égard  des  autres  juges ,   ils  seront  payés  i  l'ordinaire. 

Il  me  reste.  Monseigneur,  à  vous  parler  de  ce  qui  me  regarde. 
Sans  ma  vigilance  ,  le  sieur  Gordon  se  seroit  échappé  de  Brest 
et  auroit  peut-être  tiré  un  parti  dangereux  pour  TÉtat  des  cor- 
respondances qu'il  avoit  établies  ici  avec  le  soldat  de  Béarn,  qui 
n'ont  été  découvertes  que  par  les  papiers  saisis  chez  lui.  Il  me 
paroît  donc  ,  sans  y  mettre  de  l'amour -propre  ,  que  j'ai  rendu 
un  service  essentiel  au  Roi  et  à  l'État. 

C'est  à  vous  ,  Monseigneur,  de  l'apprécier,  et  je  m'en  remets 
à  votre  justice.  J'ai  eu  ,  en  outre ,  un  travail  extraordinaire  par 
l'instruction  de  la  procédure  que  j'ai  suivie  moi-même  jusqu'à 
la  fin  de  juin.  Je  serai  toujours  satisfait  de  ce  que  vous  voudrez 


(1  )  Il  était  Procureur  du  Roi  de  la  Prévôté ,  et  prenait ,  dans  la  procé- 
dure ,  la  qualification  de  Procureur  du  Roi  et  de  la  commission.  Il  faisait 
les  réquisitions ,  et  M.  Bergcvin ,  Tinstruction  proprement  dite. 


—  339  -- 

iien  ordonner,  à  mon  égard.    Mais  je  vous  supplie  de  vouloir 
bien  me  faire  connaître  promptement  vos  intentions ,  afin  de  ne 
pas  laisser  languir  ceux  que  j*ai  flattés  de  vos  grâces. 
Je  suis  avec  respect ,  etc.  » 

Le  ^Ministre  remit  à  statuer  sur  ces  demandes  jusqu'à  l'arrivée 
à  Versailles  de  M.  de  Clugny,  qui  partit  de  Brest  le  22  décembre 
1769.  Une  fois  sur  les  lieux ,  Tlntendant  parla  tant  et  si  bien 
pour  ses  co-intéressés  et  pour  lui-même  que  le  Ministre  accorda 
4000  livres  à  M.  Bergevin ,  -1200  livres  à  M.  Siviniant  ,  pareille 
somme  à  M.  Le  Coat  SaintHaouen,  et  celle  de  -12000  livres  à 
l'auteur  de  ces  diverses  demandes. 

Le  nom  de  Gordon  était  prédestiné  à  être  une  cause  de  souci 
pour  le  gouvernement  français.  Sept  ans  à  peine  s'étaient  écoulés 
depuis  le  supplice  de  Tofficier  écossais ,  lorsque  surgit  un  autre 
espion  qui  portait  son  nom  ou  avait  jugé  à  propos  de  le  pren- 
dre. Ses  projets  furent  révélés  à  M.  le  comte  dq  Vergennes,  Ministre 
des  affaires  étrangères,  par  le  marquis  de  Blosset ,  dans  une  lettre 
datée  de  Lisbonne  le  28  octobre  ^776.  Elle  est  ainsi  conçue  . 

«  Il  se  trouve  ici,  Monsieur,  un  espion  du  gouvernement  portu- 
gais qui  s*est  d'abord  donné  pour  un  officier  de  la  marine  françoise 
et  se  dit  à  présent  parent  de  M.  le  Che^de  Saint-Priest.  Cet  homme, 
d'environ  50  ans,  petit  de  taille,  un  peu  gros,  boiteux  et  portant 
le  nom  de  Gordon,  se  propose  de  s'embarquer  dans  quinze  jours 
pour  Marseille  sur  le  vaisseau  le  Saint-François-de-Sales,  capitaine 
Adrien  Sénécah  II  va,  suivant  les  apparences,  exercer  son  honnête 
métier  chez  nous,  et  ensuite  en  Espagne,  d'où  il  revenoit  lorsqu'il  a 
débarqué  à  Lisbonne ,  il  y  a  plus  de  deux  mois.  Je  ne  l'ai  pas  vu, 
car  vous  croyez  bien  qu'il  ne  s'est  pes  présenté  chez  moi  ;  mais  on 
dit  qu'il  parle  presque  toutes  les  langues  de  l'Europe.  Si  on  peut 
l'arrêter  et  saisir  ses  malles,  on  connoitra  sans  doute  l'objet  de  sa 
commission.  » 


—  360  - 

M.  de  Sartlne ,  à  qui  M*  de  Vergennes  renvoya  celte  lettre , 
expédia  à  MM.  de  Glandeves  et  de  Saint-Aignan  les  ordres  néces- 
saires  pour  que  le  nouvel  espion  fût  arrêté  à  Marseille ,  s'il  y 
débarquait  ;  mais  il  ne  semble  pas  qu'ils  aient  eu  occasion  de 
remplir  leur  mission,  où  's'ils  le  firtat,  elle  ne  leur  fournît  pas 
matière  à  un  déploiement  de  zèle  égal  à  celui  de  M.  de  Clugny. 


P.  LEVOT. 


Denis  La^arie  deî. 


i.iîK  fioifcr, Brest 


E  J'Ieury,  Iith 


PIERRE     T  Q  MEALE 
provenant,  de  l'ancienne  Abtaye  de 

LANDEVENNEC  iF^iintère' 


RAPPORT 


<-T 


SCB  U  *^ 


Vietre  tomliale  de  liandévennee. 


Messieurs  , 

Vous  avez  nommé  une  commission  pour  étudier  la  pierre 
tumulaire  dont  M.  Yignioboul  a  fait  hommage  à  la  Société  Aca- 
démique de  Brest  ,  comme  curiosité  archéologique ,  et  cette 
commission  m'a  fait  l'honneur  de  me  jdésigner  pour  son  rap- 
porteur, quoiqu'elle  eût  pu  trouver  dans  son  sein  un  interprète 
plus  compétent  et  plus  habile  parmi  les  honorables  membres 
qui  se  sont  sérieusement  occupée  avant  moi  de  l'étude  de  cette  , 
pierre ,  çt  dont  les  recherches  et  le  travail  ont  jeté  sur  la  ques- 
tion à  résoudre  tout  le  jour  qui  a  pu  servir  à  l'éclairer.  Cette 
question ,  Messieurs ,  était ,  il  faut  le  dire  d'abord  ,  délicate  et 

46 


-  362  -  ^ 

ardue  ;  aussi,  nous  ne  nous  flattons  pas  de  l*avoir  décidée  d'une 
manière  certaine  et  absolue;  nous  ne  vous  apporterons  donc 
que  des  probabilités,  des  vraisemblances.  Dans  Tétat  où  la  pierre 
nous  a  été  soumise,  vous  jugerez  vous-mêmes  qu'il  eût  été  témé" 
raire  de  notre  part  d'en  agir  autrement. 

Tout  ce  qui  lient  à  nos  antiquités  bretonnes  et  à  notre  archéo- 
logie locale  éveille  nos  sympathies  les  plus  vives ,  et  tout  ce  qui 
respire  un  sentiment  religieux  ranime,  exalte  et  transporte  au 
fond  de  nos  âmes  cette  foi  native  qui  est  le  caractère  propre 
de  la  pieuse  Armorique  ,  et  sous  l'inspiration  de  laquelle  tant 
d'églises  élégantes ,  de  clochers  aériens  et  de  monuments  typi- 
ques ont  été  élevés,  comme  par  miracle,  jusque  dans  les  moin- 
dres bourgs  de  la  Basse-Bretagne,  Notre  Société ,  jeune  encore , 
aime  à  trouver  dans  la  contemplation  de  ces  œuvres ,  dans  le 
culte  de  ces  gothiques  souvenirs  ,  l'aliment  le  plus  fécond  de 
ses  travaux  ,  et  déjà  plusieurs  de  ses  Membres ,  à  Texemple  de 
son  infatigable  Président  ,  qui  a  largement  tracé  la  voie ,  ont 
apporté  à  la  Compagnie,  soit  en  prose,  soit  en  vers,  le  tribut  de 
leurs  sérieuses  élaborations.  Ainsi ,  nous  pouvons  le  dire  avec 
un  légitime  orgueil  :  nous  avons  des  éléments  de  vie ,  parce 
que  nous  sommes  pénétrés  de  la  nécessité  de  produire  des  tra- 
vaux pour  parvenir  au  but  que  nous  nous  sommes  proposé  en 
nous  réunissant. 

Mais  honneur  d'abord ,  Messieurs ,  à  ceux  qui  nous  viennent 
en  aide  1  Honneur  à  M.  le  Maire  de  Brest,  dont  les  sympathies, 
depuis  la  formation  de  notre  Société ,  ne  nous  ont  jamais  fait 
défaut ,  et  qui  a  bien  voulu  mettre  à  notre  disposition  le  vesti- 
bule de  la  Bibliothèque, ,  pour  y  placer  tous  les  objets  d'anti- 
quité que  nous  pourrions  recueillir  I  Honneur  à  M.  le  Préfet  da 
Département  et  à  Mb'  l'Évoque  de  Quimpcr,  dont  les  sentiments 
pour  nous  ont  été  exprimés  dans  les  lettres  les  plus  affectueuses 
et  les  plus   encourageantes!  Honneur   à   tous  les  autres  Chefs 


—  363  — 

d'administration  qui  partagent  pour  nous  cette  bienveillanee  si 
flatteuse  !  Mais^  honneur  aussi,  dans  lu  circonstance  qui  m'appeltc^ 
à  vous  faire  ce  rappwt ,  à  M.  Vignioboul  qui  s'est  prêté  ,  ave«*    ^ 
tant  de  grâce,  à  nous  faire  le  don  de  la  pierre,  objet  de  Texaraen  ,* 
attentif  auquel  nous  nous  sommes  tous  livrés,  à  diverses  repri*  '  ^ 

ses ,  pour  remplir  la  mission  que  vous  nous  aviez  confiée  t  ^ 

La  découverte  db  cette  pierre  est  due,  vous  le  savez,  à  notre 
estimable  collègue,  M.  Duseigneur,  l'un  de  nos  Membres  les  pluss^ 
actifs  et  de  nos  travailleurs  les  plus  zélés,  qui,  ayant  entendu  dire  * 
par  un  ancien  propriétaire  de  Landévennec  qu'il  devatt  exister  à  ♦ 
Brest,  dans  une  des  cours  d'une  maison  située  près  du  Quartier 
de  la  Marine ,  une  pierre  tombale  provenant  de  cette  célèbre 
abbaye  ,  en  parla  à  notre  honorable  Président  et  à  M.  Fleury, 
bibliothécaire- archiviste  de  la  Société.  A  la  ^mftnde  et  sur  les 
indications  de  M.  Duseigneur,  ces  deux  Messieurs  l'accompagnè- 
rent chez  M.  Vignioboul ,  qui  leur  montra ,  au  bas  de  la  porte 
d'entrée  de  sa  maison,  une  grande  dalle  dont  une  partie  servait 
de  seuil.  Ifs  découvrirent  aussitôt  sur  cette  pierre ,  un  person- 
nage dont  la  tête  paraissait  raîtrée  ,  tenant  une  crosse  en  main 
et  vêtu  d'habits  pontificaux.  Autour  se  voyait  une  légende  en 
caractères  du  XÎlie  siècle ,  le  tout  gravé  en  treux  ,  sans  aucun 
relief. 

M.  Fleury  ne  tarda  pas  à  faire  un  travail  sur  celte  précieuse 
découverte  qui  devint ,  le  jour  même ,  un  des  premiers  orne- 
ments de  notre  musée  archéologique.  Mais  il  le  produisit  avec 
une  grande  modestie ,  en  émettant  le  vœu  qu  une  commission 
fût  ponimée  pour  rechercher  à  quel  personnage  pouvait  appar- 
tenir la  pierre  dont  il  s'agit. 

M.  Mauriès  a  aussi  fait  un' travail  analogue  qui ,  depuis  que 
nous  l'avons  adjoint  à  notre  commission  pour  éclairer  nos 
recherches,  a  été  modifié  à  la  suite  de  diverses  explications^ 


~  364  - 

Ces  études  spontanées  de  IfM.  Fleary  et  Mauriès  ont  rendu 
plus  facile  le  travail  de  votre  commission ,  qui  vient ,  par  mon 
organe ,  vous  en  faire  connaître  le.  résultat 

Je  vous  ferai  remarquer  d'abord,  Messieurs,  que  la  pierre 
tumulaire  soumise  à  nos  Investigations  est  mutilée  par  le  haut  et 
par  le  bas ,  parce  qu'eDe  a  été  coupée  aux  deux  exti*éniifés , 
pour  servir  à  l'usage  auquel  on  l'avait  appropriée.  Triste  destinée 
des  choses  d'ici-bas  I  La  violation  des  tombes  est  un  des  crimes 
les  plus  odieux  des  révolutions.  Landévennec ,  cette  sainte  et 
antique  abbaye,  était  devenue  propriété  nationale.  Ses  ruines  ne 
devaient  pas  être  respectées.  Les  pierres  de  son  temple  furent 
vendues  comme  matériaux  à  des  entrepreneurs  de  Brest,  qui  les 
employèrent  à  divers  travaux  de  construction ,  et  c'est  ainsi  que 
celle  qui  nous  occupe  fut  transformée  en  seuil  de  porte  en 
n92  ou  M93. 

La  mutilation  de  cette  pierre  empêche  de  voir  la  légende  tout 
entière,  et  aucune  date  ne  s'y  trouve.  Nous  avons  pourtant  indi- 
qué plus  haut  le  XI11«  siècle  comme>  l'époque  à  laquelle  elle  doit 
se  rapporter. 

La  commission ,  Messieurs ,  s'est  rangée  à  cet  égard  à  l'opi- 
nion de  M.  Flcury,  qui  s'est  fondé  sur  celle  de  M.  de  Cau- 
mont ,  dans  son  cours  d'archéologie  ,  pour  établir  que  ce  n'est 
qu'à  la  fin  du  douzième  siècle  qu'on  commença  à  orner  les 
tombes  de  leffigie  du  défunt.  On  ne  les  sculptait  pas  en  relief, 
on  se  bornait  à  graver  en  creux  sur  la  pierre ,  comme  il  a  été 
pratiqué  dans  celle  qui  a  fixé  notre  attention,   r 

Dés  exemples  existent,  dans  notre  département,  de  ces  pierres 
gravées  en  creux.  Ainsi,  nous  dit  encore  M.  Fleury,  la  tombe 
du  sire  de  Kermavan ,  dans  l'église  de  Lochrist ,  près  Plouescat, 
que  j'ai  visitée  moi-môme,  offre  ce  caractère  et  porte  la  date 
de  ^213.  M.  de  Caumont  signale  .encore  la  forme  des  mitres 
et  des  crosses  comme  un  indice  certain  de   l'âge  des  istatues. 


/ 


-.  365  — 

Les  mitres  furent  d'abord  très  basses ,  n'ayant  pas  plus  de  3  à 

U  pouces  de  hauteur^  et  elles  continuèrent  à  être  peu  élevées 

jusqu'à  la  fin  du  XIII«  siècle.  Or,  la  mître  qui  couvre  la  tête  du* 

personnage  de  notre  pierre  (si  toutefois  c'en  est  une,  car  elle 

parait  être  plutôt  un  simple  ornement),  présente  à  peine  cette.  ^  ^ 

hauteur,  et  ne  saurait  être   rapportée  au  XIV«  siècle ,  où  les 

mitres  avaient  7  à  8  pouces. 

Une  dernière  preuve  de  la  date  se  tire  de  la  forme  des  carac- 
tères de  la  légende.  En  effet,  M.  de  GaumOnt  nous  donne  un  foc 
simîle  d'une  inscription  du  XI(I«  siècle ,  en  caractères  absolu- 
ment semblables  à  ceux  employés  dans  la  légende  de  notre 
pierre. 

Donc ,  il  parait  sufiQsammcnt  démontré  que  la  date  que  nous 
avons  assignée  à  cette  pierre  est  la  véritable. 

Maintenant,  à  quel  personnage  se  rapporte-t-elle  ?  Là  est  tout 
le  nœud  de  la  difDculté. 

V Abécédaire  de  M.  de  Caumont  vient  encore  à  notre  secours 
pour  nous  aider  à  déchiffrer  ce  qui  reste  de  la  légende. 

Nous  avons  dit  que  la  pierre  était  coupée  par  les  deux  bouts, 
et  Ton  doit  supposer  naturellement  que  la  légende  en  occupait 
tout  le  tour,  en  commençant  par  le  haut.  Cette  pierre  n'a  effec- 
tivement aujourd'hui  qu'un  mètre  65  centimètres  de  long ,  et , 
conmie  le  fait  observer  judicieusement  M.  Mauriès,  dans  les  notes 
qu'il  nous  a  soumises,  c'était  à  peine  de  quoi  couvrir  un  cada- 
vre ,  et  les  moinçs  d'une  riche  abbaye  n'auraient  pas  mesuré 
d'une  main  si  parcimonieuse  la  pierre  tumulaire  de  leurs  abbés. 
Quoi  qu'il  en  soit,  voici  ce  que  nous  avons  cru  lire  dans  l'état 
actuel  de  celte  pierre ,  sur  ses  bandes  latérales  : 

Du  c6té  droit  :  Leonia  :  dictus  :  Porcus  :  guondam  :  abb 
Du  côté  gauche  :  uemoc  :  cujus  :  anima  :  resquiescat  :  in  :  pace. 


—  366  - 

Les  caractères  de  celte  légende  sont  identiquement  semblables 
à  ceux  de  Finscription  donnée  par  M.  de  Caumont  à  la  page 
512  de  son  Abécédaire  ou  Rudiment  d* archéologie  {Architecture 
religieuse),  .        ,  * 

M,  Fleury  avait  d'abord  pensé  qu'il  fallait  commencer  à  Ere 

'  rinscription  de  la  pierre  par  la  gauche  ,  et  que  le  mot  ennoc 

ou  Guennoc  pouvait  être  le  nom  du  personnage ,  mais  il  a  de 

suite   abandonné  celte  interprétation   qu'il   présentait   d'ailleurs 

sous  la  forme  d'un  très  grand  doute. 

Il  croyait  lire  aussi:  dictus  doctus^  et  tous  les  membres  de 
votre  commission  semblaient  disposés  à  accueillir  ce  sentiment, 
tandis  que  M.  Mauriès  croyait  voir  dans  ces  mots  :  dignus 
domnus  ou  dominus^  et  ayant  trouvé,  dans  le  Catalogue  historié 
que  des  évoques  et  abbés  de  Bretagne,  de  D.  Morice,  que  Jean  de 
Léon ,  abbé  de  Landévennec ,  occupait  le  siège  abbatial  de  ce 
monastère  au  mois  de  Juin  -1293,  il  ne  balança  pas  à  l'indiquer 
comme  celui  auquel  appartenait  la  pierre  tombale. 

Nous  ne  pûmes  admettre  le  dignvs  domnus  de  M.  Mauriès. 
Nous  abandonnâmes  aussi  le  dictus  doctus  de  M.  Fleury  et  nous 
nous  crûmes  fondés  à  lire  en  dernier  lieu  :  dictus  Porcus. 

Nous  avons  trouvé  ,  en  effet ,  par  les  soins  de  M.  Le  Men , 
archiviste  du  département,  à  Quimper,  que  dans  le  cartulaire  de 
Landévennec  figure  un  abbé  du  nom  de  Johannes  dictus  Pof-cus 
(Jean,  dit  le  Porc),  et  en  relisant  le  mot  que  nous  avions  cru 
d'abord  être  doctus ^  nous  avons,  à  l'aide  de  V Abécédaire  de 
M.  de  Caumont ,  trouvé  toutes  les  lettres  qui  peuvent  former 
le  mot  Porcus ,  et  nous  nous  sommes  arrêtés  unanimement  à  ce 
nom  du  cartulaire  dont  l'autorité  nous  a  paru  décisive.  Nous  avons 
ensuite  admis  que  le  Johanries  de  Leonia  qui  pouvait  nous  écarter 
de  cette  interprétation  toute  rationnelle,  pouvait  bien  aussi  être 
le  môme  personnage  que  le  Johannes  dictus  Porcus  dont  nous 


-.  367  -- 

trouvons  le  nom  dans  les  listes  des  ibbés  de  Landévennec, 
données  par  D.  Morice  et  par  M.  de  Frémînville. 

Le  mot  Porcus  après  dictus  est  le  nom  propre  latinisé  de  celui 
qui  a  dû  être  indiqué  au  haut  de  la  pierre  dans  la  partie  enle^ 
\ée  ,  et  il  a  paru  à  votre  commission,  que  puisqu'il  avait  existé 
un  abbé  de  ce  nom  appelé  Jean,  le  monument  qui  nous  occupe 
pouvait ,  avec  une  certaine  probabilité,  se  rapporter  à  lui,  quand 
bien  même  il  serait  autre  que  le  Joannes  de  Leonia  ^  qui  n'est 
admis  ni  dans  le  cïirtulaire  ,  ni  dans  D.  Noël  Mars ,  l'historio- 
graphe de  l'abbaye. 

Ainsi  la  légende,  en  y  suppléant  ce  qui  manque,  pourrait  être 
complétée  et  expliquée  comme  suit  : 

Hic  \  Jacet  :  Johannes  :  de  :  Leonîa  :  dictus  :  Perçus  :  qumdam  : 
<ibbas  :  hujus  :  monaslerii  :  de  :  Landguennoc  :  eu  jus  :  anima  : 
regUiescat  :  in  :  pace  :  amen. 

Nous  avons  pensé  que  les  deux  jambages  qui  se  trouvent 
devant  vie  mot  ennoc ,  au  bas  de  la  bande  latérale  gauche  de  la 
pierre,  pouvaient  être  un  u  ou  un  v,  et  que  ce  mot  devait  être 
les  deux  dernières  syllabes  de  Landguennoc  ou  Landevennoc , 
parce  que  ,  comme  le  dit  M.  Levot,  dans  sa  Notice  sur  Lan- 
dévennec  ^  ce  nom  est  écrit  tour- à  tour. dans  l'ancien  cartulaire 
de  l'abbaye  Lantewennec  ,  Lantewenoç  et  Lantguennoc  ,  dans  la 
charte  de  Louis  le  Débonnaire.  Du  reste,  comme  la  chose  la 
plus  certaine  pour  nous,  c'est  que  la  pierre  provient  de  Lan- 
dévennec,  il  nous  a  semblé  qu'il  ne  pouvait  à  cet  égard  y  avoir 
aucun  doute,  et  que  c'est  bien  Lantguennoc  ou  Lanievennoc  qui 
a  dû  être  inscrit  en  cet  endroit. 

Tous  les  autres  caractères  de  la  légende  ne  présentent  aucune 
ambiguilé ,   et  comn|e  elle  devait    faire  le  tour  de  la  pierre  , 


-^  368  — 

nous  avons  pensé  que  la  partie  enlevée  de  la  bande  latérale 
gauche  devait  contenir  le  mot  amen  ou  la  date. 

Nous  répétons  que  cette  épitapbe  ainsi  rétablie  est  donnée 
par  nous,  sous  toutes  réserves  et  comme  une  simple  probabilité 
dont  nous  ne  pouvons  garantir  le  fondement.  Pour  étayer  notre 
opinion ,  nous  avons  celte  d'un  bomme  qui  se  recommande  à 
la  Société  par  ses  connaissances  paléograpbîques ,  de  celui  qui 
nous  a  f£ttt  connaître  le  cartulaire  dont  il  a  le  dépôt  ,  de 
H.  Le  Mcn ,  enfin ,  qui  a  fourni  à  notre  Président  tous  les 
renseignements  en  son  pouvoir,  et  qui  a  ainsi  résumé  son  sen- 
timent sur  cette  pierre  : 

«  il  y  a  bien  une  difficulté  au  sujet  du  de  Leoniay  parce  qu'on 
lit  dans  D.  Noël  Mars  :  «  Johannes  II  Porcus ,  aliàs  de  Parco 
in  Roslohensi  pago  (Rosnoen  où  est  le  château  du  Parc)  curavit 
ut  Guillelmus  de  Redonis  martyrologium  à  1293  describeret.  »  (I) 
Mais  ceJLte  difficulté  est  peu  de  cbose ,  si  Ton  réfléchit  que  D. 
Noël  Mars  n*admet  parmi  les  abbés  aucun  Johannes  de  Leonia, 
d'accord  en  cela  avec  le  cartulaire,  et  que  le  bon  Père,  choqué 
du  nom  de  Porcus^  a  cherché  à  le  traduire  en  un  autre  plus 
propre  et  plus  en  rapport  avec  la  dignité  abbatiale.  Quant  à  moi, 
je  puis  vous  garantir  Texactitude  du  Porcus  dans  le  cartulaire  où 
ce  mot  n*est  suivi  d'aucun  aliàs.  Je  crois  donc  que  cet  abbé  est 
celui  qui  a  le  plus  de  droits  à  fixer  votre  choix.  » 

La  commission  dont  je  suis  Torgane  adopte  entièrement,  Mes- 
sieurs, l'avis  de  M.  Le  Men.  Elle  pense  aussi  que  la  difficulté 
suscitée  par  D.  Noël  Mars  ne  saurait  détruire  l'autorité  du  car- 
tulaire ,  qui  est  la  seule  pièce  authentique  consen'ée  et  qui  doit 
être  considérée  comme  la  charte  de  l'abbaye.  Le  nécrologe  sur 
lequel  s'appuie  D.   Morice  n'existe  nulle  part,  et  D.  Noël  Mars 

(1)  Traduction:  Jean  II,  nommé  Le  Porc,  autrement  Du  Parc,  en 
Roslohen ,  a  fait  dresser  le  martyrologe,  à  partir  de  1293,  par  Guillaume 
de  Hennés. 


—  369  — 

lui-même  n'en  fait  aucune  mention.  Bien  plus,  il  le  récuse, 
en  ne  comprenant  pas  Jean  de  J^on  au  Mombre  des  abbés  de 
Landévennec.  Mais  sur  quoi  se  fonde-t-il  pour  changer  le  nom 
de  Jean  le  Porc^  Johannes  dictus  Porcus  ?  C'est  qu'évidemment, 
il  a  pris  le  mot  Porcus  pour  une  qualification  mal  sonnante  ,  et 
la  rejetant  comme  irrévérentieuse,  il  lui  substitue  arbitrairement 
son  aliàs  de  Parco  ,  qui  dénature  le  nom  si  clairement  donné 
au  cartulaire  dictus  Porcus  (appelé  Le  Porc),  et  comme  ce  mot 
de  Parc  est  le  nom  d'un  château  en  la  paroisse  de  Rosnoen  » 
aujourd'huir  la  propriété  et  la  résidence  de  MM.  de  Pompery,  il 
se  trouve  entraîné,  par  voie  de  conséquence,  à  faire  naître  Jean 
Le  Porc  en  Cornouaille,  et  non  plus  dès-lors  au  pays  de  Léon. 
Une  pareille  explication  jetée  à  la  légère  et  sous  l'empire  d'une 
impression  personnelle  ,  est  impuissante  à  renverser  un  fait 
historique.  Or,  l'existence  de  Jean  Le  Porc  ,  comme  abbé  de 
Landévennec,  est  désormais  historiquement  établie.  11  n'y  a 
jamais  eu  qu'un  abbé  de  ce  nom  ,  et  quand  la  tombe  le  porte 
comme  il  est  écrit  au  cartulaire  ,  dictus  Porcus ,  il  faut  croire 
que  la  tombe  ne  ment  pas ,  en  indiquant  sa  patrie ,  et  que  c'est 
D.  Noël  Mars  seul  qui  se  trompe  dans  son  explication ,  en 
cédant  à  un  mouvement  de  susceptibilité  honorable. 

Voilà ,  Messieurs ,  le  résultat  de  notre  examen ,  qui  a  été 
sérieux  et  approfondi.  Nous  avions  un  problème  archéologique 
à  résoudre ,  et  nous  l'avons  étudié  de  bonne  foi ,  pour  répon- 
dre à  la  confiance  dont  vous  nous  avez  honoré.  Cette  pierre  , 
au  lieu  d'être  pour  nous  une  pierre  d'achoppement,  est  devenue 
à  nos  yeux  comme  la  base  heureuse  sur  laquelle  nous  espérons 
fonder  l'avenir  du  Musée  de  notre  Société,  laquelle  n'a  besoin, 
nous  le  répétons  ,  que  de  travailler  pour  vivre.  Redoublons 
donc  ,  Messieurs ,  de  courage  et  de  zèle.  La  carrière  est  large 
devant  nous  ,  les  éléments  ne  nous  manqueront  pas,  si  la  bonne 
volonté  nous  guide. 

47 


^"^^ 


•-  370  — 

.  Il  esrunNçilf'^ùe  ?otre  <x)mmis6ioQ  me  charge  de  formuler 
pour  -ellev  en  finissant  ce  rapport,    c'est  qu'à    Pexemple   de 
FhoDorable  M-  Vlgiiîoboul ,  qui  mérite  toute  notre  gratîtode ,  le 
propriétaire  des  «f^ioes  de  cette  vieille  abbaye  qui  doit  renfer- 
mer encore  tant  d'objets  précieux  enfouis  sous  la  terre ,  nous 
permette  d*y  pratiquer  des  fouilles  dans  i'intérôt  de  la.  science 
archéologique,  et  que  Tadministration  nous  vienne  en  aide  pour 
nous  en  faciliter  les  moyens.  Le  noble  caractère  de  M.  Bavay  et 
le  culte  qu'il  professe  lui-même  pour  les  vieux  souvenirs  histo< 
rîques  de  notre  Bretagne,  nous  sont  de  sûrs  garants  de  ses  sym- 
pathies et  de  sa  bienveillance.  Espérons  donc  »  Messieurs  ,  que 
la  pierre  qui  est  sortie  des  décombres  de  ce  célèbre  monastère, 
fondé  par  saint  Gwennoié,  ne  sera  pas  le  dernier  monument  qui 
viendrap  enrichir  notre  Musée,  et  que,  pour  encourager  nos  eSbrls 
dans  la  poursuite  de  l'œuvre  que  nous  avons  entreprise,  M.  le 
Préfet  du  Finistère,  dont  la  sollicitude  égale  l'affection  pour  nous, 
se  fera  un  bonheur  de  nous  rendre  le  Conseil  général  favorable, 
s'il  y  a  nécessité  d'une  allodiition  de  fonds  pour  couvrir  nos 
dépenses. 

firest ,  le  I  Juin  1860. 


CLÉREC,  AÎNÉ, 

Rapporteur. 


*■*;  .^*yy   .< 


In  Voyage  de  long-ÉiPS/'^ 


e/^  OnOTV  ty^7?l(/     Cy      y  âûeeUencml  e/e  ^ar^eaa. 


Ceci ,  c'est  de  l'histoire  et  non  pas  de  la  fable. 

Ami,  prêtez  l'oreille  au  récit  véritable 

De  tous  les  incidents  dont  s'émailla  le  cours 

D'une  longue  odyssée  où  quatre-vingt-cinq  jours. 

Promenant  sur  les  flots  sa  marche  vagabonde , 

Notre  frégate ,  enfin ,  retrouva  l'ancien  monde. 

Ou  partait ,  saluant  d'un  sourire  dernier, 

Ce  fleuve  que  SoXh  (2)  découvrit  le  premier, 

Et  qui ,  serpent  immense  aux  écailles  jaunies, 

Se  glisse  sombre  au  sein  d'une  mer  de  prairies; 

Vaste  plaine  où ,  vrai  roi  de  celte  immensité , 

Le  coursier  noble  et  fier  bondit  en  liberté  \ 

Où  des  grands  bœuf§  cornus  les  cohortes  sauvages 

Vont  des  vertes  pampas  paître  les  pâturages. 

Parfois ,  comme  un  grand  mât ,  isolé ,  laissant  voir 

Au  sommet  de  son  tronc  comme  un  panache  noir, 

(I)  Ceci  n'a  la  prétention  d'être  ni  un  po^mef  ni  une  œnvre  littéraire  quelconque.  Après 
une  longue  station  dans  le  Rio  de  la  Plata,  la  ConstUuiion  fait  route  pour  France.  Contrariée 
par  les  vents,  ce  n'est  qu*au  bout  de  85  jours  de  mer  qu'elle  relâche  à  Cadix;  20 jours  après, 
elle  est  à  Toulon.  J'ai  voulu  décrire  les  incidents  de  ce  long  voyage  à  travers  lOoéaD.  J'ai 
mis  en  vers  ït  Journal  du  bord, 

^     (2)  Juan  Solis ,  pilote  major,  découvrit  le  Rio  de  la  Plata  en  i5o8. 


—  372  — 

Au  dos  courbé  d'un  mont,  un  Ombu  (1)  solitaire 
Présente  au  voyageur  un  phare  tutélaire , 
Et  borne  milliaire  en  la  plaine  sans  fin, 
Jalonne  la  distance  et  marque  le  chemin. 
Le  rivage  désert,  baigné  par  le  fiot  jaune. 
Déroulait  tristement  sa  ligne  monotone, 
La  terre'  se  noyait  k  Thorizon  brumeux, 
Et  vers  ce  cher  pays,  objet  de  tous  nos  vœux. 
On  courait  en  songeant  à  l'énorme  distance 
Qu'il  fallait  embraquer  pour  arriver  en  France. 

Partir  un  vendredi  porte  toujours  malheur. 

Et  dès  le  premier  jour  j'eus  du  noir  dans  le  cœun 

Ami ,  que  voulez-vous  ?  Fils  d'un  pays  sauvage , 

Mille  rêves  menteurs  ont  bercé  mon  jeune  âge  ; 

Je  crois  aux  revenants ,  aux  esprits ,  aux  démons 

Qui  de  nos  vieux  manoirs  fréquentent  les  donjons  -, 

A  rheure  où  les  fadets  courent  sur  les  bruyères, 

Mon  oreille  perçoit  le  chaut  des  lavandières. 

Treize  à  table ,  le  sel  versé ,  le  vendredi , 

De  sinistres  pensers  me  laissent  étourdi. 

De  ces  vains  préjugés,  obéissant  esclave. 

Je  crois  qu'impunément  nul  mortel  ne  les  brave. 

Et  que  dans  tout  projet  frivole  ou  sérieux , 

11  faut,  pour  réussir,  mettre  pour  soi  les  dieux. 

Aussi  dès  le  début  notre  bonheur  s'arrête  ; 

Un  contraire  destin  pèse  sur  notre  tête  ; 

Un  affreux  vent  de  Nord  qui  varia,  je  crois. 

Depuis  le  N.-N.-E.  jusqu'au  N.  1|4  N.-O.  (2) 

D'un  vendredi  fatal  subissant  l'influence. 

Depuis  dix  jours  entiers  souffle  avec  persistance. 

Et  depuis  le  départ,  la  Constitution, 

Ajoutant  et  dérive  et  variation , 

(0  OtnbUf  arbre  de  l'Amérique  du  Sud  qui  croit  isolément 
(3)  Pronoacer  nord  quart  norrois. 


~  373  ^ 

Sur  la  carte  du  monde,  hélas ï  noiis  a  fait  suivre 
Un  zigzag  prolongé ,  la  marche .  d'un  homme  ivre. 
L'ennui  nous  suit ,  hélas  !  depuis  notre  départ* 
Le  temps  passe  à  peu  près  lorsque  ^e  siris  dé  quart. 
Les  yeux  k  Thorizon  ,  je  regarde  ,  jîobserve 
La  pluie  ou  bien  le  vent  que  le  ciel  me  réserve; 
Je  cherche  dans  le  grain  qui  monte  dans  les  airs 
Ce  qu'il  peut  me.  jeter  de  tempête  et  d'éclairs. 
Je  vois  les  flocons  blancs  que  fait  jaillir  la  proue , 
Les  caprices  du  flot  qui  sur  nos  flancs  se  joue  ; 
Mais  de  mon  piédestal ,  quand  je  suis  descendu , 
Pour  occuper  Tesprit  quand  il  n'est  plus  tendu , 
Pour  bannir  de  mon  front  cet  ennui  qui  l'obsède , 
A  ce  poison  moral ,  où  trouver  un  remède  ? 

Sauvé ,  sauvé ,  mon  Dieu  !  Si  j'écrivais  aussi  : 
D'autres  ont  fait  des  vers  sur  cela ,  sur  ceci  ; 
Sachons  si  le  parfum  que  rend  l'algue  marine 
Met  en  fuite  le  Dieu  vers  la, sainte  colUue  , 
Ou  si,  quittant  pour  moi  les  bords  de  l'Hélicon, 
Il  se  plaira  parmi  les  cordes,  le  goudron. 
Soyez  donc  indulgent  si  quelquefois  ma  plume. 
Battant  des  mots  h  froid  sur  la  divine  enclume , 
Sans  le  feu  qu'Apollon  réserve  à  ses  élus , 
A  forgé  sottement  quelques  vers  mal  venus. 
Heureux  si ,  couronné  d'un  succès  éphémère , 
Ce  produit  incomplet  dont  Tennui  fut  le  père, 
Reçu  de  mes  amis  avec  quelque  faveur, 
Récompense  au-delà  les  désirs  de  l'auteur. 

Tout  passe  avec  le  temps  ,  tout  change ,  tout  s'eflace  j 
Après  le  vent  de  Nord  ,  le  ciel  nous  fît  la  grâce 
De  quelques  jours  heureux  où  bonnettes  au  vent, 
Un  charmant  Pampero^  nous  poussa  de  l'avant. 


/^  374  — 

•     f 

Maïs  cela  dura  peu*;  ce  bonheur  de  passage 

Fut  le  calme  trompeur  précurseur  de  Torage  ;^ 

Orient  ;  Occident ,  Midi ,  Septentrion , 

D'un  rideau  de  vapeurs  effacent  Thorizon. 

Ouvrez  l'histoire  sainte  à  Tarticle  Déluge  , 

El  de  notre  déboire,  ami,  je  vous  fais  juge. 

Pendant  six  jours  entiers,  du  matin  jusqu'au  soit 

Et  du  soir  au  matin ,  un  immense  arrosoir. 

Sans  daigner  seulenàent  nous  accorder  d'entr'actes , 

Épuisa,  sur  nos  fronts  de  vastes  cataractes. 

Quand  pendant  lo^l  un  quart ,  sans  trêve  ,  sans  repos„ 

Les  fontaines  du  ciel  vous  pleuvent  sur  le  dos , 

Lorsque  le  nez  au  vent ,  les  yeux  à  la  voilure , 

On  reçoit  des  torrents  à  travers  la  figure , 

Que  l'on  voudrait  alors  ,  près  du  foyer  assis , 

Des  hardis  voyageurs  écouter  les  récits; 

  la  douce  clarté  de  la  flamme  bleuâtre, 

Lutiner  les  tisons  qui  pétillent  dans  Tâtre , 

Et  bien  loin  de  la  mer  et  loin  de  ses  hasards, 

Cultiver  en  repos  et  la  muse  et  les  arts. 

Plus  heureux,  mille  fois,  quand  il  était  dans  Fârche^ 

Notre  père  Noë  ,  vénéré  patriarche , 

Sous  un  toit  protecteur  abritant  ses  enfants , 

Pouvait  braver  en  paix  et  la  pluie  et  ks  vents. 

Personne  au  gouvernail ,  personne  à  la  manœuvre , 

Et  de  l'art  d'autrefois  cet  immortel  chef-<l'œuvre , 

Sans'  boussole  ,  sans  guide ,  au  hasard ,  et  laissant 

Le  flot  briser  sur  lui  son  effort  impuissant , 

S'en  vint ,  épave  immense  échappée  au  naufrage, 

Sur  le  mont  Ararat  verser  son  équipage , 

Et  des  sabords  béants  de  l'énorme  vaisseau 

Des  animaux  créés  s'échappa  le  troupeau. 

Comme  là ,  nous  avons  pour  charmer  le  voyage , 

Perchés  sur  des  bâtons ,  enfermés  dans  leur  cage , 


-  375  .—  . 

Ce  qu'en  oiseaux  criards  peut  donner  i^Urtiguay  :- 

Les  genres  perroquet ,  perruche  ,  papegay. 

Ont  leurs  représentants  dans  la  ménagerie  ^ 

Et  du  matin  au  soir  braillent^  tous  à  Tenvie. 

Qu'un  rayon  de  soleil  >  montant  du  sein  des  eau^r ,  ^ 

Du  navire  endormi  blanchisse  les  panneaux  » 

Comme  le  rossignol  sous  la  branche  feuillue» 

Du  jour,  à  son  lever,  fête  la  bienvenue , 

Chantant  à  qui  mieux  mieux  ,  perruches  et  perrots 

Du  navire  aussitôt  foàt  vibrer  les  échos. 

Heureusement ,  la  mort  exauçant  ma  prière , 

Frappant  sur  les  chanteurs  dé  sa'  faux  meurtrière , 

J'eus  le  plaisir  de  voir  Jeter  au  sein  des  flots 

Quelques  corps  emplumés  de  ces  trouble-repos. 

On  eût  dit  que  les  dieux ,  contents  du  sacrifice 

Daignaient  nous  contempler  d'un  regard  plus  propice  ; 

Perçant  l'obscurité ,  le  soleil  radieux , 

Astre  resplendissant ,  vint  briller  dans  les  cleux  ; 

tJne  voûte  d'azur  s'étendit  sur  nos  tôles , 

La  frégate  parut  sous  ses  habits  de  fêles 

Et  sur  des  cartaiiusfl)  avec  art  assemblés, 

^ous  pûmes  mettre  au  sec  tous  les  efiets  mouillés.  (2) 


Pendant  les  premiers  Jours ,  au  début  du  voyage , 
On  voyait  se  mirer  dans  l'argent  du  sillage 
Quelques  oiseaux  de  mer  au  vol  capricieux  : 
Le  rapide  goéland  y  l'alcyon  gracieux  , 
Le  damier,  dont  le  nom  désigne  la  parure , 
Et  l'énorme  albatros  à  l'immense  envergure. 


(1)  Cartahus,  peu"te  cordé  destin<îe  à  tiisscr  des  menus  cibjets. 

(2)  Livre  des  Sitjnatue^  art.  885. 


~  376  - 

Colibri  de  la  mer,  fantaslique  alcyon , 

Moi  j^aime  toD  plumage  et  jusques  à  ton  nom, 

Oiseau  mystérieux ,  tes  amours ,  ta  naissance 

Ainsi  que  ton  sommeil  ont  lassé  la  science. 

Aux  algues  de  la  mer  empruntant  leurs  rameaux , 

Fais-tu  flotter  ton  nid  sur  Técume  des  eaux  ? 

Où  vas-tu  quand  tout  dort,  quand  la  nuit  sur  les  ondes 

Étend  son  noir  manteau  de  ténèbres  profondes  ? 

Dans  le  creux  d'une  vague ,  abrité  mollement , 

Sommeilles-tu  tranquille  en  ce  berceau  mouvant? 

On  dit  que  tu  parais,  triste  enfant  des  tempêtes. 

Quand  Forage  suspend  sou  drapeau  sur  nos  têtes , 

Et  que  nobr  messager  venu  du  sombre  bord. 

Tu  semblés  présager  le  naufrage  et  la  mort. 

Alors ,  on  est  allé  pour  changer  ton  baptême , 

Te  chercher  un  surnom  jusque  dans  l'enfer  même. 

Laisse  parler  les  sols  ;  esprit ,  oiseau  ,  démon. 

De  notre  isolement  fidèle  compagnon , 

Méprise  ces  clameurs  :  dans  le  siècle  où  nous  sommes, 

La  calomnie  atteint  les  oiseaux  et  les  hommes. 

Moi ,  je  t'ai  vu  souvent  quand  le  ciel  est  d'azur. 

Quand  la  brise  est  légère  et  l'horizon  bien  pur. 

Quand  la  mer,  cette  rude  et  farouche  maltresse. 

Se  fait  miel  et  douceur,  tout  sucre,  tout  caresse , 

Et  déguisant  sa  griffe  et  toute  à  ses  amours. 

Comme  un  tigre  dompté,  fait  patte  de  velours. 


Tous  ces  amis  ont  fui.  On  cherche  en  retendue 
Quelque  nouvel  objet  pour  reposer  la  vue. 
Parfois  on  voit  paraître  à  Thorizon  lointain 
Un  navire  inconnu,  compagnon  du  chemin. 
Quel  est-il  ?  Où  va-t-il  ?  On  exploite  à  son  aise. 
En  son  immensité,  le  champ  de  l'hypothèse-; 


—  377- 

Le  voyage  est  si  long  qu'un  futile  incident^ 

Que  le  moindre  épisode  est  uq  éyinemént. 

Sans  voir  le  pavillon ,  aux  détails  de  mâture  , . 

Aux  formes  de  la  coque ,  au  galbe ,  à  la  tournure , 

A  ravance  on  connaît  quelle  est  sa  nation , 

Si  c^est  un  des  enfants  de  la  vieille  Albion ,    ^ 

De  Gènes  la  superbe  ou  du  Norl- Amérique , 

De  Brème  ou  de  Hambourg,  la  ville  anséatique. 

Je  crois  qu'on  trouverait  peut-être  en  travaillant. 

L'âge  du  capitaine  et  puis  le  chargement. 

Fort  en  bois,  élancé,  d'une  mâle  encolure, 

Se  cambrant  fièrement  sur  sa  noble  ceinture , 

Le  navire  de  guerre  aux  champs  de  l'Océan , 

Avec  ses  airs  vainqueurs,  paraît  un  capitan. 

À  dix  milles  au  moins  el  sans  qu'on  vous  le  nomme , 

Vous  le  reconnaîtrez,  il  sent  son  gentilhomme. 

Le  hardi  négrier  a-t-il  quelque  rapport 

Avec  ces  lourds  bateaux  sortis  des  mers  du  Nord , 

Par  semaines  comptant  leurs  étemels  voyages 

Et  sur  qui  la  Hollande  exporte  ses  fromages. 

Pardonnez-moi ,  mon  cher,  cette  digression , 

Et  reprenons  le  fil  de  ma  narration* 


Constamment  poursuivis  par  un  malheur  insigne , 
Après  quarante  jours  nous  sommes  sous  la  Ligne. 
Nous  arrivons  enfin  dans  ce  vaste  entonnoir 
Que.les  navigateurs  appellent  pot-au^noir. 
Là,  des  calmes  encor,  ]a frégate,  immobile. 
Se  mire  tristement  dans  une  onde  tranquille. 
On  dirait  qu'alentour  les  habitants  des  mers 
Ont  pris  leur  rendez-vous  de  mille  endroits  divers. 
Le  spectacle  est  pompeux,  vrai  Dieu ,  la  scène  est  belle. 
Et  l'on  peut  faire  un  cours  d'histoire  naturelle. 

48 


-  378  — 

t^euUétr»  que  conduits  par  le  dieu  des  amours , 
Sous  la  zone  torride  et  dans  ces  brûlants  jours , 
Dans  leurs  joyeux  ébats  sur  le  sein  d'Ampbilrite , 
Ils  tant  sacrifier  ^  Vénus  aphrodite. 
Gigantekqqes  souffleurs ,  immenses  cétacés 
Rangent  autour  de  nous'  leurs  escadrons  pressés. 
Un  énorme  espadon  se  trompant  dans  sa  haine 
Vient  se  ruer  sur  nous  en  cherchant  la  baleine. 
Les  dorades ,  les  thons ,  les  dauphins  fabuleux  , 
Tracent  des  sillons  d^r  à  travers  les  flots  bleus  ; 
Tout  ce  que  TOcéan  recèle  en  ses  entrailles 
Montre  ses  ailerons ,  fait  brilla  ses  écailles. 
Malheur  au  maladroit ,  malheur  à  riraprudenl , 
Car  le  requin  le  guette  et  le  requin  Tattend. 
On  dit  qu'arnaé  parfois  d'une  occulte  p\iissance , 
Il  semble ,  des  devins  ,  posséder  la  science  ; 
Il  sait,  lorsque  là  mort  plane  sur  le  vaisseau  , 
Lonsque  la  fièvre  jaune  ou  quelque  autre  fléau 
Au  sein  d'un  équipage  assouvit  sa  colère. 
Comme  Thyène  immonde  il  vit  du  cimetière. 
Une  implacable  haine,  étrange  vendetta , 
Du  matelot  à  lui  de  tout  temps  exista. 
Sitôt  qu'on  voit  paraître  au  loin  Thorcible  bête,- 
On  jure  son  trépas,  et  le  combat  s'apprête. 
Sous  un  appât  trompeur,  Vémerillon  (1)  caché 
Se  présente  bientôt  au  requin  alléché , 
Et  le  fer  acéré  dans  sa  mâchoire  avide , 
Fixe  profondément  une  pointe  perfide. 
De  ses  muscles  puissants,  détendant  le  ressort^ 
En  vain ,  il  se  débat  dans  un  suprême  effort  ; 
Vous  le  voyez  alors  dans  sa  lente  agonie , 
Broyer  le  bras  fragile  offert  k  sa  furie, 
Jusqu'à  ce  qu'arrêtant  ses  formidables  bonds, 
La  hache  et  le  couteau  séparent  ces  tronçons. 

(I)  Émcrillon ,  gros  liamecon  teiminé  par  une  chaîne  et  qui  sert  à  pêcher  le  reqnio» 


—  379  — 

J'ai  souvent  réfléchi  sur  la  vie  anormale 

De  ce  petit  poisson^  ce  pilote  du  squale. ,  ^  ^ . 

Trouve-t-il  sa  pâture  aux  bribes  du  îeslin  ?^ 

Est-il  le  commensal ,  l'invité  du  requin  f 

Pour  quelle  habileté,  quel  genre  de'  mérite^ 

Le  monstre  souffre- t-il  ce  petit  parasita  t  *  ,  ^ 

Il  semble  appartenir  à  cea  infortunés  / 

A  vivre  sans  amis  ,  en  naissant  condamnés. 

Peut-être  que  doué  de  plus  substils  organes, 

Le  pilote  perçant  les  ondes  diaphanes , 

Aux  ordres  du  chasseur,  tel  qu'un  bon  levrier,^ 

Au  profit  de  son  maîlrç  éventé  le  gibier. 

Quel  que  soit  le  motif  de  ce  commerce  étrange , 

D'excellents  procédés ,  mystérieux  échange , 

Longtemps  fidèle  encore  au  lien  qui  les  unit  ; 

Que  ce  soit  amitié,  que  ce  soit  appétit. 

Ce  Pylade  nouveau  privé  de  son  Oreste , 

Triste  et  découragé  dans  le  sillage  reste , 

Jusqu'à  ce  que  dûment  convaincu  de  sa  mort, 

A  quelqu'autre  patron  il  va  joindre  son  sort. 

Laissant  Ik  cette  zone  où  la  brise,  avec  peine, 
Daigne  irriser  les  flots  de  sa  mourante  haleine  , 
Sous  les  vents  alises,  amures  à  tribord , 
La  frégate  joyeuse  avançait  vers  le  Nord, 
Et  dans  un  avenir  qu'abrège  l'espérance. 
Là-bas  à  l'horizon  nous  devinons  la  France, 
Vers  laquelle  attirés  par  un  aimant  subtil. 
Semble  nous  entraîner  un  invisible  fil. 

Il  est  un  archipel  de  noirs  rochers  aceores 
Que  les  navigateurs  appellent  les  Açores, 
Rude  création ,  volcanique  terrain , 
Que  lança  dans  les  airs  quelque  jet  sous-marin. 


/    —  380  ~ 

Le  rivage  j,  toujours  battu  par  la  tempête ,. 

Voit  le  fl?t  écumeux  dresser  sa  blanr.he  erôte . 

Arène  mugissante   où  siffle  Taquilon 

Et  le  S.-O.  brumeux  en  son  noir  tourbillon. 

Toujours  dp  yendredi  l'influence  funeste  î 

De  la  i4)alè  coupe  il  faut  vider  le  reste. 

Le  S.-O,,  le  N.-O.  ne  se  rencontrent  pas  : 

Quelque  céleste  édit  les  raya  du  compas , 

Et  pour  nous  TE.-S.-E.,  d'une  faç(m  tenace, 

De  ce  Yenl  désiré  semble  avoir  pris  la  place. 

En  vain  11.  se  déguise ,  implacable  ennemi , 

A  sa  proie  acharné,  toujours,  c^est  toujours  lui. 

Barricade  jetée  au  chemin  de  VEurope, 

Il  nous  fait  répéter  Foeuvre  de  Pénélope. 

De  la  Teinè  dllhaqùe  imitant  le  détour, 

Nous  défaisons  la  nuit  oe  qu*on  a  fait  le  jour^ 

Et  sur  ce  canevas  où  se  trace  la  route , 

Notre  marche  en  avant  paraît  une  déroute. 

11  faut  avoir  vécu  trois  mois  sans  avoir  vu 
Autre  chose  que  Teau ,  le  ciel ,  Thorizon  nu , 
Pour  comprendre  vraiment  le  plaisir  que  procure 
Un  mot ,  an  simple  mot  tombant  de  la  mâture  : 
Terre  !  On  jette  à  ce  mot  au  fleuve  de  Toubli , 
Mécomptes  et  douleurs  dont  le  èoeur  est  rempli  : 
Gomme  un  arbre  où  circule  une  nouvelle  sève. 
Notre  esprit  abattu  s'anime  et  se  relève. 
On  se  reporte  alors  en  un  lointain  espoir 
Vers  ceux  qu'on  a  quittés  et  qu'on  pense  revoir. 
Que  de  projets  conçus ,  de  châteaux  en  Espagne  î 
La  folle  du  logis  bat  vite  la  campagne  ; 
Peutrèlre  plus  d'un  plan  à  l'avance  arrêté 
Va  mourir  en  sa  fleur  comme  un  fruit  avorté. 
Qu'importe  ,  là  pensée ,  en  ses  essors  rapides. 
Aux  champs  de  l'inconnu,  chevauche  à  grandes  guides  j 


-  381  —  -.    . 

Des  débris  du  passé  bâtit  son  avenir,  _ 
Et  règle  le  présent  d'après  le  souvenir  ;*  > 
Et  ce  char  emporté  qu'un  atome  retivelse 
Semble  braver  les  coups  de  la  fortune  adverse. 
Jeunesse ,  doux  trésor,  amour,  brillant  espoir,  . 
Promesses  du  matin  que  méconnaît  le  sd|r,'  * 
Livre  dont  la  folie  a  signé  la  préface ,  / 

Festin  où  le  plaisir  s'assied  k  chaque  place , 
Lorsque  d'un  doigt  glacé ,  le  temps ,  triste  vieillard , 
€e  convive  oublié  qui  réclame  sa  part , 
Sinistre  compagnon  de  toute  chose  hufitainr. 
Renverse  avant  la  fin  la  coupe  demi-pleine. 

Ce  fut  quatre-vingts  jours  après  notre  départ , 
Avant  le  branle-bas ,  pencla.nl  te  premier  quart, 
Vingt  degrés  environ,  hauteur  du  tfeefmomèlre, 
Sept  cent  cinquante-trois  celle  du  baromètre  , 
Que  doré  par  les  feux  d'un  beau  soleil  levant,     ,       * 
Apparut  devant  nous  le  cap  de  Saint-Vincent. 
Chacun  appliquant  Toeil  au  champ  de  la.  lunette 
^  En  put  examiner  la  vague  silhouette. 
Espérons  qu'à  la  fin  le  ciel  en  son  courroux 
Se  sera  fatigué  de  s'abattre  sur  nous. 
On  cherche  à  l'horizon  ces  colonnes  d'Alcide, 
Où  de  canons  de  fer,  allière  pyramide  , 
Gibraltar  fait  flotter  du  haut  de  son  donjon , 
Le  yack  au  léopard  de  la  vieille  Albion  , 
Monstre  aux  bouches  d'airain  qui,  debout  sur  la  rive, 
Semble  un  geôlier  géant  gardant  une  captive. 
Dès  que  de  celte  mer  on  aperçoit  le  seuil , 
On  peut  porter  au  loin  les  yeux  avec  orgueil  ; 
Du  Maroc  k  Tunis  le  drapeau  tricolore  ,  » 

Sur  le  croissant  vaincu  flotte  aux  remparts  du  Maure  ; 
L'infatigable  pas  des  soldats  conquérants, 
Des  routes  du  désert  foule  les  longs  rubans. 
Et  la  jeune  victoire  abrite  sous  son  aile , 
Sur  la  rive  africaine,  une  France  nouvelle. 


—  382  — 

Cependant,  étageant  les  gradins  de  ses  monts , 

La  terre  se  dessine  au  sein  des  horizons  , 

£t  sous  les  bruns  coteaux  qui  bordent  les  rivages 

On  voit  jaunir  au  loin  Vor  sablonneux  des  plages. 

Voici  le  cap  Spartel.  En  ces  rochers  noircis. 

Autrefois  s'abritait  un  peuple  de  bandits  ; 

Lk,  le  forban  veillait  comme  un  vautour  qui  plane 

Et  lançait  sur  les  flots  sa  rapide  tarta!he. 

Wu8  dangei]^ux  ponr  nous ,  TE.-S.-E.  éternel 

S'était  jéfu^é  dessous  le  cap  Spartel. 

Depuis ,  nous  entassons  pour  compléter  la  fête , 

Pelion  sur  Ossà ,  coup  de  vent  sur  tempête  ; 

Déjà  nous  voyons  poindre,  avec  son  œil  hagard , 

La  famine  amaigrie  au  teint  pâle  et  blafard  ; 

Déjà  le  noir  scorbut  attaque  la  gencive  : 

le  crois  qu^il  en  est  temps  ,  il  faut  que  Ton  arrive  ; 

Qui  sait  à  quel  étrange  et  monstrueux  festin 

Peut  nous  porter  un  jour  l'inexorable  faim. 

Et  puisque  les  autans,  sourds  à  notre  prière 

Semblent ,  du  lac  français,  défendre  la  barrière. 

Il  faut  chercher  un  port  dont  Vabri  bienfaisant 

Offre  un  séjour  tranquille  au  pauvre  bâtiment , 

Et  qui ,  rendant  enfin  Tabondance  à  nos  tables , 

Les  vivres  les  plus  frais  et  des  vins  délectables , 

Béni  par  le  soleil ,  épanche  le  trésor 

De  ses  fruits  parfumés  et  ses  oranges  d'or. 

F.  BOUYER, 

LieuleoaatdeTaiiKaa. 


-'>««4- 


<h 


ÉTUDE  CRITIQUiS 


SUR 


LA  LÉGENDE  DES  SIÈCLES. 


La  forte  et  simple  critique  se  prend 
dans  le  cœur  plus  que  dans  Tesprit. 
Elle  se  prend  dans  la  loyauté,  dans  la 
sympathie  impartiale  que  nous  devons 
à  nos  frères  du  présent  et  du  passé. 
.  J.  mcHELET.  {La  Femme.) 


Pour  comprendre  et  apprécier  un  grand  poète  comme  Le  Dante, 
Shakespeare  ou  Victor  Hugo ,  il  faut  non  -  seulement  posséder 
le  sens  poétique ,  mais  encore  être  initié  au  système  qu'il 
emploie  dans  ses  compositions.  Si  l'on  ne  réunit  ces  deux  qualités, 
dont  Tune  est  un  don  naturel,  et  Faulre  le  fruit  d'une  longue  et 
opiniâtre  étude,  Tesprit  se  trouble,  le  jugement  s'égare,  Tintelli- 
gence  se  couvre  d'un  nuage ,  et  l'on  ressemble  à  ce  maître  d'école 
4ont  parle  Quintilien,  et  qui  s'étant  avisé  d'enseigner  l'obscurité 
à  ses  élèves,  s'écriait,  quand  il  était  content  d'eux  :  fantà  melior^ 
ne  ego  quidem  iniellcxi!  c'est  excellent,  je  n'y  comprends  rien 


—  384  - 

moi-même;  avec  cette  différence  toutefob  que,  à  Tinverse  du 
pédagogue  latin  ,  on  trouve  médiocre  ,  mauvais ,  absurde , 
détestable  même ,  ce  que  Ton  ne  peut  parvenir  à  s'expliquer. 

Le  système  de  composition  du  chef  de  l'école,  désignée  naguè- 
re sous  le  nom  d'école  romantique,  se  trouve  exposé  dans 
les  nombreuses  préfaces  de  ses  œuvres  lyriques  et  dramatiques. 
Cette  méthode  (c'est  un  fait  qui  n'a  pas  été  assez  remarqué) 
a  pour  base  les  deux  préceptes  dassiques  suivants ,  dont  l'un 
esTd'Âristote,  et  Tautre  de  Boileau  :  c  Si  le  poète  étaUit  des 
choses  Impossibles,  selon  les  règles  de  l'art,  il  commet  une 
faute  sans  contredit  ;  mais  elles  cessent  d'être  une  faute ,  lorsque 
par  ce  moyen  il  arrive  à  la  fin  qu'il  s'est  proposée,  car  il  a 
trouvé  ce  qu'il  cherchait  »  —  •  Ils  prennent  pour  galimatias  tout 
ce  que  la  faiblesse  de  leurs  lumières  ne  leur  permet  pas  de 
comprendre.  Ils  traitent  surtout  de  ridicules  ces  endroits  mer- 
veilleux où  le  poète,  aûn  de  mieux  entrer  dans  la  raison, 
sort,  s'il  faut  parler  ainsi,  de  la  raison  même.  Ce  précepte, 
effectivement ,  qui  donne  pour  règle  de  ne  point  garder  quelque^ 
fois  de  règles ,  est  un  mystère  de  Fart  qu'il  n'est  pas  aisé  de 
faire  entendre  à  des  hommes  sans  aucun  goût....  et  qu*une 
espèce  de  bizarrerie  rend  insensibles  à  ce  qui  frappe  ordi- 
nairement les  hommes.  » 

Quelquefois ,  dans  sa  course,  un  esprit  vigoureux  » 
Trop  resserré  par  l'art ,  sort  des  règles  prescrites , 
Et  de  Tari  même  apprend  k  franchir  les  limites. 

B01LB40. 

Tel  est  donc  le  point  de  départ  du  système  de  Victor  Hugo, 
système  qui  consiste  principalement  à^  placer  le  laid  à  c6té  du 
beau,  le  grotesque,  le  trivial  même,  à  côté  du  sublime,  l'errear 
à  côté  de  la  venté ,  le  vice  et  le  crime  à  côté  de  l'innocence 
<et  de  la  vertu ,  en  deux  mots  le  mal  à  côté  du  bien,  l'ombre  à 
£Ôté  de  la  lumière ,  afln  de  réaliser  l'harmonie  des  contrastes. 


—  385  - 

Eo  s^efibrçant  de  dépouiller  la  poésie  de  ces  faux  oroemeDls 
qui  la  surchargent  sans  l'embellir  ;  an  se  servant  de  beaucoup 
d'expressions  que  la  pruderie  d'un  goût  dédaigneux  et  timoré 
avait  rejetées  comme  trop  roturières  ;  en  employant  souvent  le 
mot  propre  au  lieu  de  recourir  à  k  périphrase  ;  en  faisant  bon 
marché  enfin  des  anciennes  règles ,  pour  jeter  les  bases  d'une 
nouvelle  littérature  qui  ne  ressemble  ni  à  celle  de  Racine,  ni  à 
celle  de  Shakespeare ,  une  littérature  qui  devienne  la  véritable  ex- 
pression de  nos  nouvelles  mœurs,  (et  en  prenant  pour  levier'  l^»4le^x 
préceptes  que  je  viens  de  citer),  le  chef  de  l'école  romanîi:iue  a 
essayé ,  comme  on  le  voit ,  de  renverser  la  règle  au  moyen  de 
rex«eption.  L'avenir  fera  connaître  jusqu'à  quel  point  il  aura  réussi. 

£n  attendant  le  jugement  plus  impartial  de  la  postérité,  voici 
la  première  partie  d'un  poème  colossal  dont,  en  remontant  le 
fieuve  des  Àg^s,  on  aurait  beaucoup  de  peine  k  rencontrer  l'égal 
en  étendue  9  même  dans  l'Inde  antique,  en  y  comprenant  h 
Bamayana  et  le  Bayavad-Gita. 

Autant  qu'on,  en  peut  juger  par  les  premières  gerbes  de  cette 
prodigieuse  moisson,  ou  pour  me  servir  de  la  comparaison  du 
poète  lui-même ,  s'il  est  permis  d'apprécier  les  proportions  de  ce 
vaste  édifice  poétique  par  celles  du  pérystile ,  le  nouveau  poè- 
me de  Victor  Hugo  sera  une  espèce  d'encyclopédie  qui  renfer- 
mera dans  son  vaste  sein  l'histoire ,  la  science ,  la  poésie  tout 
entière  des  diverses  générations  qui  composent  la  grande 
famille  humaine ,  lesquelles  apparaîtront  aux  yeux  du  lecteur 
surpris  dans  une  sorte  de  miroir  sombre  et  clair  qui  reflétera  , 
comme  le  dit  l'auteur,  «  cette  grande  figure  une  et  multiple, 
»  lugubre  et  rayonnante  ,  fatale  et  sacrée ,  l'homme  ;  empreintes 
»  successives  du  profil  humain ,  de  date  en  date ,  depuis  Eve , 
»  mère  des  hommes,  jusqu'à  la  Révolution,  mère  des  peuples; 
»  empreintes  prises ,  tantôt  sur  la  barbarie  y  tantôt  sur  la 
»  civilisation ,   presque  toujours  sur  le  vif  de  l'histoire.  » 

49 


-  386  - 

.Quoique  la  légende  des  Siècles  ne  soil  qu'un  prélude,  un 
fragment ,  un  prologue ,  la  première  partie  d*un  grand  tout , 
c'est  cependant  im  poème  achevé,  une  œuvre  complète.  Les 
deux  autres  membres  de  cette  grande  trilogie^  qui  ont  pour 
titres  la  fin  de  Satan  et  Dieu ,  peuvent  s'en  détacher ,  sans 
en  altérer  le  sens  et  «ans  en  tu^rêter  la  péripétie.  Mais  pouvait-il 
en  être  autrement  d'une  œuvre  conçue  sur  une  aussi  grande 
échelle,  et  dont  la  fin,  comme  l'auteur  a  la  sage  précaution 
de  l'annoncer  dans  sa  préfiace,  dépend  de  la  volonté  de  Dieu, 
qui  est  le  «  maître  des  existences  humaines.  • 

Si  nous  vivions  dans  une  société  moins  tourmentée  par 
Famour  des  intéi^ts  matériels ,  et  à  une  époque  où  la  poésie 
n'aurait  pas  perdu  le- haut  rang  qu'elle  occupait  dans  les  préoc- 
cupations des  hommes,  il  est  hors  de  doute  que  l'apparîtion  de 
la  Légende  des  siècles  eût  •  produit  une  immense  sensation. 
Quelques  comptes- rendus  aussi  vite  publiés  dans  les  principaux 
organes  de  la  presse  parisienne ,  qu'oublias  par  la  foule  indif- 
férente de  leurs  nombreux  lecteurs ,  n'auraient  pas  seuls  signalé 
«  l'épanouissement  de  cette  œuvre  cyclique.  »  Toutes  les  acadé- 
mies s'en  seraient  occupées:  les  commentateurs  se  seraient  misa 
riœtivre,  des  chaires  môme  eussent  été  créées  pour  l'expliquer 
d'une  manière  suivie,  pour  la  détailler  chant  par  chant,  scène  par 
scène,  situation  par  situation,  comme  on  le  fît  jadis  pour  le 
chef-d'œuvre  du  moyen -âge,  pour  la  IHvine  Comédie.  Je 
dis  qu'on  aurait  fo,ndé  des  chaire  pour  l'expliquer ,  parce 
qu'à  mon  point  de  vue ,  et  je  m'étonne  que  cette  idée  n'ait 
pas  été  émise  dans  les  diverses  appréciations  qu'on  a  lattes 
jusqu'à  ce  jour  de  la  Légende  des  Siècles^  parce  qu'à  mon 
point  de  vue,  il  y  a  une  certaine  analogie  entre  l'œuvre 
du  poète  français  et  celle  du  rapsode  florentin.  Je  dis  plus  : 
c'çj^t  que  ,  si  Ton  voulait  absolument  comparer  le  grand  poè- 
me français  à  quelqtfautre  production  littéraire,  soit   de  Fanti- 


~  387  - 

quilé,  soit  du  moydij-âge,  c'est  assurément  ]a  Dh^ine  Comédie 
qui  offiîralt  le  plus  graod  noml^re  de  poiats  dt  comparai- 
son ;  la  seule  même ,  devrais  je  dire ,  qui  puisse  s6us  certains 
rapports  lui  être  comparée.  Eo  effet,  qu'est-ce  que  la  Divim 
Comédie  du  Dante?  C'est  une  pfôce  en  trois  grands  actes i 
Y  Enfer,  le  Pwgaûoire  et  le  Paradis^  qui  représente  à  te  fojs 
le  type  éclalaut  d'un  cycle  social  et  de  la  destinée  humain^^  et 
prophétise  en  même  temps  les  conquêtes  do  Favenir»  C'est  un 
vaste  et  curieux  monument  de  mœqrs  et  d'histoire ,  qui  a  p<Hir 
base  la  rel^ion  ^  qui  échappe  à  toutes  les  classifications  et  no 
se  rapproche  ni  de  l'Iliade ,  ni  de  TEnéide  ;  on  y  trouve  réunies 
toute  la  foi ,  toute  la  science ,  toutes  les  aspirations  du 
moyen-âge,  ainsi  que  la  peinture  des  vices  et  des  crimes  du 
temps  où  vivait  Dante  Alighieri. 

Qu'est-ce  que  l'œuvre  de  Yiel^r  Huga?  c'est  également  un 
drame  en  trois  parties ,  intitulées  la  Légende  des  Siècles ,  la 
Fin  de  Saicm  (ou  le  Purgatoire),  et  Dieu  (ou  le  Paradis), 
qui ,  d'après  la  définition  de  l'àutéur  lui  -  môme  ,  exprimera 
aussi  l'humanité  dans  une  espèce  de  revue  cyclique  \^  c'est  la 
transfiguration  paradisiaque  de  Tenfer  terrestre ,  et  l'éclosion 
lente  et  suprême  de  la  liberté  dans  l'avenir.  Le  caractère 
historique  et  l'idée  religieuse  y  dominent  pareillement.  La  foi,  la 
science ,  les  tendances  de  notre  époque  y  sont  également  évo- 
quées par  la  puissante  imagination  du  poète;  les  vices  et  le3 
iîrimes  y  sont  impitoyablement  flétris.  Les  allégories  abondent 
dans  les  deux  poèmes.  Dans  la  Divine  Comédie^  elles  sont  parfois 
assez  faciles  à  saisir.  Ainsi ,  que ,  dans  une  fiction  éblouissante, 
le  poète  décrive  un  char  ailé  traîné  par  un  griffon  merveil- 
leux ,  précédé  de  vingt-quatre  vieillards ,  de  candélabres  d'or  ; 
que  ce  char  s'arrête ,  au  milieu  du  cantique  des  anges ,  à  l'ap- 
parition de  Béatrix  ;  qu'un  aigle  se  précipite  sur  le  char ,  et  y 
laisse  une  partie  de  ses  plumes  ;  qu'un  renard  s'y  glisse ,  qu'un 


—  388  — 

dfBgoif  s'y  attadie,  qu'une  prostituée  s'y  vieaoe  asseoir,  qu'tio 
géaot  la  saisisse,  et  que  le  char  entratné  disparaisse  avec  elle 
dans  la  forêt,  tandis  que  Béatrix  demeure  au  pîed  de  l'iuiire  de 
la  seîeoee,  on  comprend  facilement  aujourd'hui  ces  allégories. 
Ce  char  était  l'Eglise  ;  ce  grifiC^n ,  J.-C  et  sa  double  nature  ;  ce 
renard,  l'hérésie  trompeuse;  cette  prostituée ,  les  mauvais  papes; 
ce  géant,  Philîppe-le^Bel. 

Dans  la  Légende  des  Siècles^  le  voile  de  l'allégorie  est  beaucoup 
moins  transparent  ;  il  faut  que  les  regards  s'y  ûxeiA  plus  long- 
temps pour  distinguer  l'objet  qui  s'y  cache.  Cest  ici  qu'il  devient 
surtout  nécessaire  de  posséder  la  clé  du  système  de  l'auteur, 
de  bien  connaître  les  particularités  de  sa  vie  publique  et  privée , 
ainsi  que  les  événements  et  les  principaux  .personnages  politiques 
de  l'époque  où  il  a  vécu. 

Remarquons  en  passant  qu'il  en  fut  de  même  du  Paradis 
perdUj  de  Milton  :  le  docteur  Tomkyns  chargé  de  le  censurer 
n'aperçut  pas  ou  craignit  de  signaler  les  allégories  et  les  allu- 
sions aux  mœurs  de  la  dynastie  restaurée. 

Bante  a  décrit,  dans  un  rhythme  harmonieux,  les  lois  de  la 
gravitation,  celles  des  sphères,  les  phénomènes  de  la  végétation, 
tout  un  système  astral ,  d'après  l'astronome  Ceccp  d'Astrolie. 
Dans  la  pièce  intitulée  Plein  Ciel,  Victor  Hugo ,  tout  en  faisant 
bon  marché  des  lois  de  la  gravitation  et  de  l'attraction,  prophétise 
la  prochaine  invention  d'un  aérostat  colossal  qui  transportera 
l'homme  dans  les  régions  de  l'infini  : 

Et  peut-être  voici  qu'enOn  la  traversée 
Df&ayanle  d'un  astre  à  l'autre  est  commencée. 

L'archéologie  même  a  trouvé  une  place  dans  le  poème  fran- 
çais ,  et  la  lecture  de  la  pièce  intitulée  Ratbert  ou  C Italie  au 
moyen -âge  démontre  encore  une  fois  qu'aucun  sujet  n'est 
inabordable  à  la  poésie ,  et  que  toute   espèce  de   culture  peut 


-  389  - 

réussir  daas  ses  vastes  domaines^,   lorsqu*e!Ié  est  dirige   p^ 
une  main  intellîgeote. 

Quelques  citations  me  semblent  nécessaires  pour  faire  mieux 
ressortir  l'analogie  qui  existe  entHe  les  deux  poèmes.  Commen- 
çons par  Le  Dante  :  j6  choisis  celte  riante  fiction  où  le  poète 
sort  de  l'Enfer  pour  entrer  dans  le  second  royaume ,  c'est-à  dire 
lé*  Purgatoire.  •  La  douce  couleur  du  saphir  oriental  briité  à 
rhorizon,  la  belle  planète  qui  encourage  à  aimer  fait  rire  tout 
rOrient.  »  Il  se  tourne  h  droite  et  voit  quatre  étoiles  qui  né 
furent  jamais  vues  que  de  la  race  première.  Bientôt  il  aperçoit 
près  de  lui  un  vieillard  seul.  Ce  vieillard ,  c'est  Caton ,  Thom- 
me  le  plus  vertueux  du  paganisme  ,  et  que  le  poète  suppose 
être  préposé  à  la  garde  de  ce  lieu  d'épuration  et  d'épreuve. 
Mais  cette  image  sévère  est  tout-àcoup  adoucie  par  la  plus 
gracieuse  apparition  :  c  Un  air  doux  et  toujours  égal  me  frappait 
»  au  front,  pas  plus  fort  que  le  zépbir  ;  les  feuilles  tremblantes  et 
»  inclinées  se  ployaient  toutes  vers  le  côté  où  la  sainte  montagne 
»  projette  son  ombre.  Elles  n'étaient  pas  tellement  agitées  que  , 
»  sur  les  cimes ,  les  oiseaux  eussent  cessé  leurs  concerts  ;  mais 
»  dans  une  joie  vive  ils  accueillaient  les  premières  heures 
»  du  jour,  en  chantant  sous  le  feuillage  dont  le  frémissement 
»  répondait  à  leurs  voix.  Déjà  je  m'étais  avancé  dans  l'anti- 
»  que  forêt,  si  loin  que  je  ne  pouvais  reconnaître  par  où 
»  j'étais  entré.  Voilà  qu'un  ruisseau  m'arrête,  coulant  à  gauche 
»  et  courbant  de  ses  flots  légers  l'herbe  qui  croissait  sur  ses 
»  rives.  Toutes  les  eaux ,  môme  les  plus  pures ,  paraîtraient 
»  altérées  par  quelque  mélange,  auprès  de  celle-ci,  qui  ne  cache 
»  rien,  bien  qu'elle  s'écoule  sous  une  ombre  perpétuelle  qui 
»  n'y  laisse  tomber  jamais  les  rayons  du  soleil  ou  de  la  lune. 
»  Je  retins  mes  pas ,  et  de  mes  yeux  je  franchis  au-delà  du 
»  ruisseau,  pour  contempler  la  verdure  fleurissante.  Et  là, 
••  comme  il  apparaît  parfois  subitement  une  chose  dont  la  mer- 


-  390  — 

•  veille  éloigne  Tceprit  de  toute  autre  pensée ,  il  m'apparui  une 
»  femme  seule,  qui  s'en  allait  chantant  et  cueillant  les  fleurs 
»  dont  toute  sa  route  était  parsemée.  Ab!  belle  femme  qui 
»  t'animes  aux  rayons  de  l'amour  céleste ,  si  je  veux  croire  les 
»  traits  qui  sont  le  témoignage  du  cœur»  je  souhaite,  lui  dis-je, 
»  que  tu  viennes  plus  avant  vers  ce  ruisseau  ,  assez  pour  que 
t  je  puisse  entendre  ce  que  tu  chantes.  Tu  me  fais  souvenir 
»  quelle  était  Proserpioe ,  dans  le  temps  où  sa  mère  la  perdit, 
9  et  où  elle  perdit  le  printetnps. 

i  €omme  dans  le  bal ,  une  jeune  fille  s'avance  et  rœserre 
»  ses  pas  près  de  la  terre,  et  met  h  peine  un  pied  devant 
»  l'autre,  elle  marche  vers  moi  sur  les  fleurs  vermeilles  et 
»  azurées,  semblable  à  la  Vierge  qui  baisse  des  yeux  pleins 
j»  de  pudeur ,  et  elle  rendit  mes  vœux  satisfaits  en  s'approchant , 
»  au  point  que  le  doux  son  de  ses  paroles  venait  à  moi.  Aussitôt 
t  qu'elle^  fut  sur  le  bord  où  Therbe  est  baignée  par  les  ondes 

•  du  ruisseau ,  elle  me  fit  le  don  de  lever  ses  yettx  sur  moi. 
»  Je  ne  crois  pas  que  tant  de  lumière  brilla  sous  les  cils  de 
»  Vénus ,  blessée  par  son  fils.  Elle  souriait  de  la  rive  droitei 
»  du  ruisseau,  debout,  cueillant  de  ses  mains  les  fleurs  que, 
»  sans  culture ,  la  terre  jette  de  son  sein.  » 

Quel  suave  tableau!  quel  angélique  douceur  de  sentiment! 
quelle  richesse  d'harmonie  I  quel  inimitable  génie  d'expression  ! 
cette  poésie  exhale  un  parfum  d'innocence  et  d'amour  dont  il  est 
impossible  de  ne  pas  subir  le  charme  mystérieux.  S'il  est  vrai 
que  la  poésie  soit  le  langage  des  Dieux ,  c'est  sans  doute  ainsi 
qu'ils  doivent  s'exprimer  ;  encore  faut-il  remarquer  que  ce  n'est 
ici  qu'une  traduction  dépourvue  de  Tharmoaiedu  rhythme  et  de 
cette  langue  italienne,  ravissante  interprète  des  pensées  poétiques. 

Cette  belle  femme  qui  s'animait  aux  rayons  de  l'amour,  et  à 
laquelle  le  poète  s'adresse ,  c'était  la  comtesse  Mathilde ,  Thé- 
roîquc  amie  de  Grégoire  VU ,    et  l'on  se  surprend  à   regretter 


-  391  — 

que  les  commentateurs  aient  cru  reconnaître,  dans  cette  femme 
angélique ,  l'image  allégorique  de  la  nive  affection  pour  TÉglise 
chrétienne. 

On  s'est  étonné  que  ni  Voltaire,  ni  Boileau,  ni  leur  pubKc, 
n'aient  pu  comprendre  une  telle  œuvre.  Il  n'y  a  rien  là,  ce  me 
semble,  qui  doive  surprendre.  Alhalie^  cette  œuvre  également 
prodigieuse  et  de  nature  divine ,  eut  le  même  sort  :  elle  fut 
incomprise  par  le  siècle  du  grand  roi  ! 

Comparons  à  ce  brillant  début  ^es  chants  du  Purgatoire ,  la 
pièce  non  moins  gracieuse  et  splendide ,  intitulée  le  Sacre  de 
la  Femme  j  et  qui  se  trouve  aussi  à  l'entrée  du  poème  de 
Victor  Hugo  : 

Or,  ce  jour-lk ,  c'était  le  plus  beau  qu'eût  encore 
Versé  sur  l'univers  la  radieuse  aurore  ; 
Le  même  séraphique  et  saint  frémissement 
Unissait  l'algue  k  Tonde  et  l'être  k  Télément  ; 
L'élber  plus  pur  luisait  dans  les  deux  plus  sublimes  ; 
Les  souffles  abondaient  plus  profonds  sur  les  cimes  ; 
I^s  feuillages  avaient  de  plus  doux  mouvemeols , 
Et  les  rayons  tombaient  caressants  et  charmants 
Sur  un  frais  vallon  vert,  où ,  débordant  d*extase, 
Adorant  ce  grand  ciel  que  la  lumière  embrase, 
Heureux  d'être ,  joyeux  d'aimer,  ivre  de  voir. 
Dans  l'ombre  ,  au  bord  d'un  lac ,  vertigineux  miroir, 
Était  assis ,  les  pieds  effleurés  par  la  lame , 
Le  premier  homme  auprès  de  la  première  femme.  {\  ) 

L'époux  priait ,  ayant  l'épouse  à  son  côlé. 
Chair  de  la  femme  I  argile  idéale ,  ô  merveille  ! 
Dans  le  limon  que  l'Être  ineffable  pétrit  ! 

(i)  VÈi)e  de  Victor  Hugo  ressemble  trop  k  celle  de  Hilton.  Cest  de  la 
Bible  en  vers,  et  non  du  drame  humain. 


-.  392  - 

'^  Mftlière^où  Tàme  brille  k  travers  son  suaire  ! 
^  Boue.oùron  voit  les  doigls  du  divin  slaluaire  ! 

Fange  auguste  appelant  le  baiser  et  le  cœur, 
Si  sainte  ,  qu'on  ne  sait,  tant  Tamour  est  vainqueur. 
Tant  Tàme  est  vers  ce  lit  mystérieux  poussée , 
Si  cette  volupté  n'est  pas  une  pensée, 
£t  qu'on  ne  peut ,  k  l'heure  où  les  sens  sont  en  feu, 
Ëtreindre  la  beauté ,  sans  croire  embrasser  Dieu  ! 

Eve  laissait  errer  ses  yeux  sur  la  nature , 
El  sous  les  verts  palmiers  k  la  haute  stature , 
Autour  d'Eve,  au-dessus  de  sa  tète  ,  r<eillet 
Semblait  songer,  le  bleu  lotus  se  recueillait. 
Le  frais  myosotis  se  souvenait ,  les  roses 
Cherchaient  ses  pieds  avec  leurs  lèvres  demi-closes  ; 
Un  souffle  fraternel  sortait  dulis  vermeil  ;  — 
Comme  si  ce  doux  être  eût  été  leur  pareil, 
Comme  si  de  ces  fleurs,  ayant  toutes  uue  àme, 
La  plus  belle  s*était  épanouie  en  femme  1...  (i) 

Il  y  a  beaucoup  de  ressemblance  entre  les  deux  tableaux  que 
je  viens  de  citer.  Dans  Tun  comme  dans  Taulre  ,  la  femme  s'y 
trouve  pour  ainsi  dire  divinisée.  Victor  Hugo  a  intitulé  le  sien 
le  Sacre  de  la  Femme  ,  titre  bien  justifié  par  Téclalante  des- 
cription de  celte  beauté  à  la  fois  humaine  et  divine.  Cesl 
l'original  dans  toute  sa  force ,  dans  toute  sa  pureté.  Celui 
du  Dante  n'est  ici  qu'une  copie ,  une  traduction  en  prose. 
Eh!  bien,  malgré  ce  désavantage,  s'il  m'était  permis  de  choisir 
entre  ces  deux  grands  maîtres,  je  donnerais  la  préférence  au  poète 

(1)  Dans  Milton ,  Eve  dit  aux  fleurs:  «  C'est  moi  qui  vous  ai  donné  des 
noms.  »  Le  Tasse,  moins  naturel,  dit  d'une  bergère  occupée  k  se  parer 
de  fleurs:  «  Elle  souriait,  et  son  sourire  semblait  dire  aux  fleurs  :i'u 
l'avantage  sur  vous ,  el  ce  n'est  pas  pour  ma  parure ,  c'est  pour  wtrt 
honte  gue  je  vous  porte»  » 


-  393  — 

ilorenlîn.  Haihilde  est  plus  gracieuse,  plus  pure,  plus  i)ud{^ue, 
plus  virginale,  plus  vraie  et  plus  naturelle.  «  EHe  chante  en  êtieit- 
lant  les  fleurs  dont  toute  sa  route  est  parsemée.  •  L'Eve  ddVfftor 
Hugo  est  silencieuse,  elle  laisse  errer  ses  regards  sur  la  nature,  et 
les  fleurs  semblent  songer,  se  recueillent,  se  souviennent  et  cher- 
chent ses  pieds  avec  leurs  lèvres  amoureuses  ;  on  dirait  que  le 
poète  s*est  plu  à  faire  passer  Fâme  de  sa  femme  idéale  dans  le 
corps  des  plantes ,  afln  de  les  spirîtualiser  : 


♦r 


Eve  offrait  au  ciel  bleu  la  sainte  nudité. 

Chair  de  la  femme,  argile  idéale ,  6  merveille. 

Et  qu'on  ne  peut ,  k  Vheure  où  les  sens  sont  en  feu 
Tant  rame  est  vers  ce  lit  mystérieux  poussée , 
Élreindre  la  beauté ,  sans  croire  embrasser  Dieu  1 


Il  y  a  beaucoup  de  hardiesse  el  de  chaleur  dans  ces  expres- 
sions ;  un  peu  trop  peut-être  ;  des  oreilles  chastes  pourraient, 
avec  raison ,  s'effaroucher  de  cette"  espèce  de  sensualisme  spiri- 
rîtudllste  ;  aussi ,  je  suis  convaincu  que  la  plupart  des  lecteurs 
donneront  encore  la  préférence  à  ce  délicieux  passage  du  poème 
italien  déjà  cité  : 

«  Ah  I  belle  femme ,  qui  t'animes  aux  rayons  de  Tamour 
céleste ,  si  je  veux  croire  les  traits  qui  sont  le  témoignage  du 
cœur ,  je  souhaite  que  tu  viennes  plus  avant  vers  ce  ruisseau , 
assez  pour  que  je  puisse  entendre  ce  que  lu  chantes Sem- 
blable à  la  Vierge ,  qui  baisse  des  yeux  pleins  de  pudeur,  elle 
rendît  mes  vœux  satisfaits  en  s'approchi^nt  au  point  que  le 
doux  son  de  ses  paroles  venait  à  moi!  Aussitôt  qu'elle  fut  sur 
le  bord  où  Therbe  est  baignée  par  les  ondes  du  ruisseau,  eHe 

«0 


_394  — 

me  fif'te'âôri  de  lever  ses  yeux  sur  moi.  Je  ne  crois  pas  que 
^V'de  lumière  briffa  sous  les  cils  de  Vénus,  blessée  par  so'à 
fils'  iJle^ouriatt  de  la  rive  droite  du  ruisseau,  debout,  cueillant 
de  ses  inains  les  fleurs  que ,  sans  culture ,  la  teire  jette  de 
S9n  sein.  »  (i) 

Quelle  vérité  dans  la  pensée  !  quel  naturel  dans  réxpressîon  ! 

*  «  Elle  me  fit  le  don  de  lever  ses  yeux  sur  moi  !  »  Je  crois  qull 

est  impossible  de  rien  imaginer  de  plus  gracieux ,  ni  de  plus 

-éloquent.    Après  Homère   et  Virgile,   le  Dante  est    selon  mol 

le  plus  grand  poète  t....  il    est  sans  mat  pour  le   génie  de 

Texpression!.... 

Ainsi  donc ,  plus  on  continue  Tétude  comparative  des  deux 
poèmes,  plus  on  est  frappé  de  leur  identité  souà  le  rapport 
du  plan  et  de  Tensemble ,  de  la  variété  des  connaissances 
qu'ils  renferment ,  et  même  d'un  assez  grand  nombre  de  dé- 
tails. Ce  qui  constitue  finalement  leur  différence ,  c'est  la  cause 
efficiente  de  la  ti*ansfiguration  paradisiaque ,  ou  ascension  vers 
la  lumière  ,  c'est-à-dire  vers  la  paix  et  le  bonheur.  Dans  la 
Divine  Comédie^  cet  agent ,  c'est  un  aigle  immense,  mystérieux 
symbole  de  l'Empire  ;  c'est  un  Empereur  puissant  qui  rendra 
.  à  l'ïlalie  l'unité  qu'elle  a  perdue  depuis  si  long-temps ,  et  qui 
soumettra  à  un  seul  pouvoir  ces  villes  républicaines  affaiblies  et 
déchirées  par  l'anarchie.  Dante  voulait  en  même  temps  un  Pape 
vertueux,  pour  maintenir  la  pureté  dans  les  mœurs  ,  mais  ne 
possédant  aucune  autorité  temporelle  ef  ne  pouvant  ni  couronner, 
ni  dépouiller  l'Empereur,  mais  seulement  lui  donner  des  aver- 
iissements.  Je  souligne  le  mot  à  dessein.  Dante  désirait  cet  arran- 
gement de  pouvoirs,  parce  qu'il  soutenait  que  l'autorité  impériale 

(1)  Dans  le  Paradis  oerdu ,  Milton  représente  aussi  Eve  cueillant  des 
fleiirs ,  seule  dans  un  Dosquet ,  image  poétique  de  l'innocence  et  de  la 
Irtoqmllité. 


ne  provenait  pas  de  raulorité  de  rÉglîse(^).  Qui  eût.dit;  alora 
que  Favenir  lui  donnerait  raison  un  jour,  a(  qw  einq  ciè(;)e»  :6l 
demi  plus  tard,  Taigle  impériale  de  France  planerait  sor  W^Mf^ie 
de  Virgile  I  et  lui  rendrait  l'unité  et  rindépendan£è  dont  «èfle  était 
déshéritée  depuis  si  long-temps.  '  ' 

Dans  la  Légende  des  Siècles^  au  lieu  de  raigte,  symbole  de 
TEmpire,  cest  la  LibQrté^ provenant  de  la  révolution,  mère  des^ 
peuples  (2),  qui ,  dans  un  gigantesque  navire  aérien ,  emportera 
Vhumanîté,  de  Tenfer  terrestre  vers  tes  régions  étoilées  d'un  nduv^^ 
£den,  c'est-à-dire  :  • 

Au  juste,  au  grand,  au  bon,  au  beau....  Vous  voyez  bien 
Q^en  effet  il  monte  aux  étoiles  I.... 
L'aéroscapbe  voit,  comme  en  face  de  lui , 
LU-haut,  Aldébaran  par  Céphée  éblpui , 

Persée ,  escarboucle  des  cimes ,  , 

Le  chariot  polaire  aux  flamboyants  essieux , 
Et  plus  loin,  la  lueur  lactée,  6  sombres  cieux  , 

La  fourmilière  des  abime^  ! 

Il  porte  rhomme  k  l'homme  et  Tesprit  k  Tesprit. 
Il  civilise ,  6  gloire  !  il  ruine  ,  il  flétrit 

Tout  rnffreux  passé  qui  s'efiàrc* 
Il  abolit  la  loi  de  fer,  la  loi  de  sang , 
Les  glaives ,  les  carcans ,  Tesdavage ,  en  posant 

Dans  les  cieux ,  comme  une  fanfare. 

Il  ramène  au  vrai  ceux  que  le  faux  repoussa  ; 
11  fait  briUer  la  foi  dans  l'oBil  de  Spinosa 
Ht  rçspdir  sur  le  froot  de  Hobbe  !..,; 

(1)  Voir  son  livre  de  Monarchia^  od  il  ledémpntre,  en  prose,  par  A  plus 
B,  argumentation  assez  singulière  pour  un  tel  poète.  Entrq  autres  argu- 
mei^ls  pn  rçma,rque  celui-ci  :  «  Si  l'Église  avait  la  vertu  d*àiitortser  FEm- 
pereur  de  Roipc ,  elle  Is^  tiendrait  ou  de  Dieu ,  ou  d'èlle-înéme,  ou  de 
quelque  Empereur,  ou  du  suffrage  de  tous  les  mortels,  o^du  suffrage  des 
p(u$  puissants  parmi  eux.  U  n'est  pas  une  autre  voie  d'où  cette  vertu  puisse, 
lui  venir.  Elle  ne  Ta  reçue  d'aucun  de  ces  côtés  j  donc  elle  ne  Ta  pas.  » 

(2)  Voir  la  préface.       '  . 


—  396 

'V-    ■v     ,.     . 

IL 


Ce  n*est  pas  une  saiae  critique  que  celle  qui  fait  ressortir  les 
défauts  d'un  t)uvrage,  et  qui  en  dissimule  à  dessein  les  qualités, 
et  viee  versa.  Dans  ^n  poème  comme  la  Légende  des  Siècles , 
par  exemple ,  où ,  suivant  la  méthode  habituelle  de  composiOon 
de  l'auteur,  le  grotesque  se  rencontre  souvent  à  c6té  du  sublima 
où  Vulcain  coudoie  pour  ainsi  dire  Jupiter»  faire  connaître  l'un 
sans  l'autre,  ou  les  metti*e  en  évidence  séparément,  c'est  donner 
une  très  fausse  idée  de  l'œuvre,  c'œt  détruire  entièrement  l'har- 
monie des  contrastes ,  sans  laquelle  il  n'existe  pas  de  véritable 
poésie  ;  et  voilà  pourtant  ce  que  n'ont  pas  manqué  de  faire  les 
écrivains  qui  ont  rendu  compte  de  la  Légende  des  Siècles  dans 
les  journaux,  et  dans  les  revues  littéraires.  Ils  ont  fait  les  extrails, 
cité  les  fragments ,  noté  les  passages,  les  plus  propres  à  étayer 
leurs  diverses  appréciations,.  Ils  ont  tronqué  et  défiguré  tout  le 
poème'  pour  l'ajuster  à  leur  étroite  critique  !  Qu'en  est-il  résulté! 
C'est  que  la  pensée  réelle  du  livre  et  son  enseignement  histori- 
que et  philosophique  sont  demeurés  incompris  par  la  plupart 
des  lecteurs,  qui  l'ont  lu  comme  on  lit  un  mauvais  roman- 
feuilleton,  une  fois  à  peine,  très  superficiellement,  et  puis  l'ont 
dédaigneusement  mis  de  côté  comme  l'une  de  ces  productions  de 
la  littérature  malsaine ,  mises  à  l'index  par  M.  le  Ministre  de 
l'intérieur  dans   sa  circulaire  du  -1"  juilict  -iseo. 

Non!  ce  n'est  pas  de  cette  manière,  selon  moi,  qu'on  doit 
rendre  compte  de  l'œuvre  d'un  grand  poète.  Ut  musica^  poesis! 
La  poésie  est  comme  la  musique.  Une  tragédie  de  Corneille,  de 
Racine  ou  de  Sakespeare  :  un  poème  du  Dante,  de  Victor  Hugo 
ou  de  Milton  ressemblent  à  la  partition  d'un  ^rand  maestro,  lis 
demandent  à  être  lus ,  à  être  écoutés  plusieurs  fois  pour  être 
compris  4  il  faut  les  étudier  et  le's  commenter  pour  en  découvrir 


-  397  —        :.  ..         . 

les  beaulés  secrètes,  comme  on  Ta  fait  pour  la  Divine  Càmédh. 
)g  sais  vbien  qu'il  est  impossible  de  procéder  ainsi  dani  Ua  feuiU*  ' 
lelon  de  journal  ou  dans  un  bulletin  littéraire,  et  de* rendre 
campte  d'un  long  poème  scène  par  scène,  situation  par  situaiion, 
chant  par  chant,  d'une  manière  suivie  et  détaillée  ;  d'eu  mettre 
sous  les  yeux  du  lecteur  toutes  les  beautés  et  toutes  les  imper**- 
fections  ,  dans  l'ordre  où  elles  se  succèdent.  Mais ,  de,  grâce , 
ne  sabrez  pas  à  tort  et  à  travers,  sans  choix,  sans  distinction, 
une  œuvre  où  tout  se  lie,  tout  s'enchaine,  et  tout  s'harmonise. 
Que' diriez-vous  d'un  instrumentiste  qui  aurait  la  prétention  de 
faire  connaître  une  grande  composition  musicale  telle,  par  exem- 
ple ,  qu'un  chef-d'œuvre  de  Meyerbeer  ou  de   Rossini ,  en  ne 
jouant  que  quelques  phrases  sans  suite ,  quelques  solos  incom- 
plets et  sans  accompagnement ,  détachés  de  la  partie  écrite  pour 
son  instrument?  Comment  donc  faudrait-il  procéder  dans  le  cas 
dont  il  s'agit?  Je  crois  qu'on  devrait  choisir  une  pièce,  un  chant, 
un  épisode  ou  une  scène  renfermant  un  abrégé    des  principaux 
ressorts  qui  entrent  dans  le  système  de  l'auteur,  s'y  fixer»  l'étu- 
dier, le  commenter,  l'analyser  enfin  de  manière  à  en  offrir  aux 
yeux  du  lecteur  toutes  les  faces,  tous  les  détails  ,  tous  les  aspects,  • 
tous  les  moyens  d'action  et  de  mécanisme.  Cette  étude  partielle, 
mais  consciencieuse    et   approfondie  ,  donnerait  plus  de  fruits  ^ 
ferait  mieux  connaître  les  qualités  et  les  défauts  de  l'œuvre  que 
ces  appréciations  générales,   que   ces   critiques  superficielles  et 
décousues   qui  s'éparpillent  au  hasard  sur  tous  les  points  ,  qui 
effleurent  tout,  sans  s'arrêter  nulle  part,  en  un  mot  qui  ^'étreignent 
rien  en  voulant  trop  embrasser. 

Essayons ,  sur  l'une  des  pièces  qui  composent  la  Légende 
des  Siècles ,  le  mode  ni' appréciation  que  je  viens  d'indiquer. 
Je  le  ferai  le  plus  brièvement  possible.  La  pièce  que  je 
choisis  est  intitulée  le  Parricide.  Le  sujet  est  tiré  de  l'histoire 
du  Danemark  ;  il  est  sombre  comme  la  plupart  de  ceux  qu'on 


—  398  - 

,m  .- 

emprunte  à  Thlstoire  (I).  La  scène  se  passe  en  OanepKui. 
Le  vieux  roi  Swéno  est  en  démence.  Son  fils  Kanut  (Knud), 
impatient  de  lui  succéder,  lève  sur  ce  vieillard  une  main  parri- 
cide ,  et  monté  sur  le  trône  sans  laisser  aucune  trace  de  soo 
crin^e  mystérieux.  Le  poète  fait ,  en  six  vers ,  te  récit  de  ce 
lâche  attentat  : 

Un  jour,  Kaout,  à  llieure  où  rassoupissement 
Ferme  partout  les  yeux  sous  l'obscur  firmament  ^ 
Ayant  pour  seul  témoin,  la  nuit ,  Taveugle  immense^ 
Vil  son  père  Swéno ,  vieillard  presque  en  démence  , 
Qui  donnait ,  sans  un  garde  k  ses  pieds ,  sans  un  chien  ; 
11  le  tua ,  disant  :  «  Lui-même  n'en  sait  rien.  »  (2) 
Puis  il  fut  un  grand  roi. 

,  Is  poète  continue  ,  Tliistoire  à  la  main ,  la  biographie  de  ce 
prince  célèbre,  restaurateur  des  lois  saxonnes,  qui  publia  un  Code 
militaire  (Legts  eastrenses),  fut  reconnu  roi  d'Angleterre,  acheva 
la  conquête  de  la  Norwége ,  comprûna  les  nobles  par  des  lar- 
gesses ou  des  punitions  sévères  ,  vengea  ses  prédécesseurs,  et 
mourut}  las  de  succès,  rassasié  de  grandeurs,  en  emportant  au 
^ton^au  le  titre  de  grand  et  Taffection  de  tous  ses  sujets. 

Toujours  vainqueur,  sa  vie. 
Par  la  prospérité  fidèle  fut  suivie  ; 
n  fut  plus  triomphant  que  la  gerbe  des  blés. 
Quand  il  passait  devant  les  vieillards  assemblés , 
Sa  présence  éclairait  ces  sévères  visages  ! 
Par  la  chaîne  des  mœurs  pures  et  des  lois  sages , 

(i)  Les  tableaux  riants  sont  rares  dans  ce  livre ,  dit  l'auteur.  Cela  lient 
h  ce  qu'ils  ne  sont  pas  fréquents  dans  Thisloire.  (Préface  de  la  Légende 
des  Siècles.) 

(2)  Les  vieilles  légendes  danoises  disent  que  Swéno  mourut  poignardé 
par  une  main  invisible ,  ce  qui  justifie  jusqu'à,  un  certain  pomt  la  ver- 
sion du  poète. 


_  399  — 

A  son  cher  Danemark  natal  il  enchaîna         •  . 

Vingt  îles ,  Fionie ,  Arnhout ,  Folster,  Mona. 

Il  bàlit  un  grand  trône  en  pierres  féodales  ; 

Il  vainquit  les  Saxons  ,  les  Pietés,  les  Vandales , 

Le  Celte  ,  et  le  Borusse,  et  le  Slave  aux  ahoisV 

Et  les  peuples  hagards  qui  hurlent  dans  les  bois  ; 

Il  abolit  rhorreur  idolâtre  ,  et  la  rune , 

Et  le  menhir  féroce  où  le  soir,  et  la  brune ,  (i) 

Le  chat  sauvage  vient  frotter  son  dos  hideux. 

Il  disait  en  parlant  du  grand  César  :  «  Nous  deux.  » 

Une  lueur  sortait  de  son  cimier  polaire  j 

Les  monstres  expiraient  partout  sous  sa  cdlère  ; 

Il  fut,  pendant  vingt  ans  qu*on  Tentendit  marcher, 

Le  cavalier  superbe  et  le  puissant  archer  ; 

L'hydre  morte  ,  il  mettait  le  pied  sur  la  portée. 

Sa  vie ,  en  mémo  temps  bénie  et  redoutée ,  >:« 

Dans  la  bouche  du  Peuple ,  était  un  fier  récit. 

Rien  que  dans  un  hiver,  ce  chasseur  détruisit 

Trois  dragons  en  Ecosse  et  deux  rois  en  Scanie. 

Il  fut  héros  ;  il  fut  géant;  il  fut  génie; 

Le  sort  de  tout  un  monde  au  sien  semblait'  lié. 

Quant  à  son  parricide ,  il  l'avait  oublié.  * 

11  mourut  On  le  mit  dans  un  cercueil  de  pierre ,  *      • 

Et  l'évêque  d'Aarhus  vint  dire  une  prière, 

Et  chanter  sur  sa  tombe  un  hymne,  déclarant 

Que  Kanut  était  saint ,  que  Ranut  était  grand  ;  '  '  ■ 

Qu'un  céleste  parfum  sortait  de  sa  mémoire  ^ 

Et  qu'ils  le  voyaient ,  eux ,  les  prêtres ,  dans  la  gloire 

Assis ,  comme  un  prophète ,  k  la  droite  de  Dieu. 

On  cite  avec  raison,  comoie  un  modèle  d'hypotypose,  cette  scène 
ûiAthalie  où  Josabei  raconte  au  grand-prêtre  comment  elle  avait 
arraché  Joas  tout  sanglant  des  mains  de  ses  meurtriers.  Malgré 

(4)  Le  menhir  n'a  rien  de  féroce.  C'était  une  pierre  d'avertissement. 
Dolmen  serait  pr^rable,  car  c'était  Tautel  de  pierre  où  les  Druides  immo^ 
laient  des  victimes  humaines. 


—  400  — 

Fa^sîmplicilé  et  sa  concision,  le  récit  du  meurtre  de  Swèno 
n'est  pas  moins  dramatique.  L'image  de  ce  vieux  monarque , 
presque  en  démence ,  qui  n'a  pas  même  un  chien  à  ses  pieds 
pour  le  garder  >  et  qui  meurt  froidement  assassiné  par  son 
propre  fils  ,  sans  autre  témoin  que  l'aveugle  nuit  ;  les  paroles 
ironiques,  cruelles  et  pleines  de  scepticisme ,  que  prononce  le 
meurtrier  en  frappant  sa  victime  endormie  ,  produisent  un  double 
sentiment  de  terreur  et  de  pilié ,  qui  est  la  qualité  essentielle  de 
toute  scène  tragique.  L'hémistiche  qui  termine  le  récit  :  Puis^ 
il  fut  un  grand  roi  I  forme  une  admirable  antithèse ,.  figure 
dont  aucun  poète  ne  sut  mieux  combiner  l'emploi  que  Victor 
Hugo.  Les  vers  qui  suivent,  et  qui  sont  fidèlement  historiques, 
développent  l'antithèse ,  >  en  opposant  la  peinture  d'un  grand 
règne  à  celles  d'un  gran^Jl  attentat;  le  portrait  d'un  prince, 
qui  fut  le  père  de  ses  sujets ,  à  celui  d'un  scélérat  qui  fut 
l'assassin  de  son  père. 

Les  historiens  rapportent  qu'un  jour  Kanut,  dans  un  moment 
de  colère  ou  d'ivresse ,  ayant  tué  un  de  ses  gardes  ,  fit  assem- 
bler ses  capitaines  et  se  présenta  devant  eux  dans  la  posture 
d'uQ  criminel ,  en  leur  disant  de  le  juger  selon  la  nouvelle 
loi  qui  venait  d'être  promulguée,  et  qui  défendait  de  se  faire 
justice  soi-même.  Les  officiers  se  retirèrent  à  l'écart  pour  déli' 
bérer;  ils  revinrent  bientôt,  prirent  le  roi  par  la  main,  et  le 
•  remirent  sur  son  trône ,  sans  vouloir  rien  décider.  Alors  Kanut 
prenant  la  parole ,  dit  à  haute  voix  :  «  Puisqu'on  ne  veut  pas 
porter  la  sentence  contre  moi,  je  vais  la  prononcer  moi-même. 
J'ai  contrevenu  aux  lois  de  mon  pays  en  tuant  un  de  mes 
gardes  ;  mon  crime  est  plus  grand  que  ne  serait  celui  d'un  de 
jnes  sujets ,  parce  qu'au  lieu  de  maintenir  les  lois ,  comme 
c'était  mon  devoir ,  je  les  ai  violées  moi-même.  Pour  réparation, 
je  me  condamne  donc  à  payer  360  marcs  d'argent  pour  le 
meurtre  que  j'ai  commis.  »  La  loi  n'en  exigeait  que  40  pour  un 


~  401  ^ 

pareil  crime,  suivant  Te^rit  de  rancienne  jurisprudence  de  tous  les 
peuples  du  nord  ;  mais  Kanut  pensa  avec  raison ,  dans  cette 
circonstance!  que  la  sévérité  de  la  peine  devait  croître  en  raison 
du  rang  et  de  la  fortune  du  coupable.  «  G*est  ainsi ,  ajoute  un. 
de  ses  historiens^  que  la  férocité  des  mœurs  de  ce  siècle  s'alliait 
dans  la  personne  de  ce  prince  à  ce  que  la  sagesse  a  de  plus  ^ 
ferme  et  de  plus  élevé.  » 

Cèst,  en  eCfet,  une  sages?e  et  une  grandeur  d'âme  peu  com- 
munes, que  celles  d'un  monarque  donnant  à  ses  sujets  un  si 
magnifique  exemple  de  respect  aux  lois  et  à  la  justice,  et  si , 
tirant  parti  de  ce  beau  fait  historique ,  l'auteur  de  la  Légende 
des  Siècles  en  avait  adapté  le  dénouement  au  morceau  de 
poésie  épique  que  je  viens  de  citer,  c'est-à-dire  s'il  avait 
supposé  que  Kanut ,  la  conscience  bourrelée  de  remords ,  avait 
expié  son  crime  à  la  fin  de  son  règne ,  en  abdiquant  et  en  se 
condamnant  lui  môme  à  quelque  peipe  terrible  et  proportionnée 
à  l'énormité  de  son  attentat,  la  morale  eût  été  satisfaite  et  cette 
péripétie  imprévue  aurait  produit  un  eifet  très  dramatique.  Mais 
l'illustre  poète  avait  un  autre  but:  il  voulait  démontrer  cette 
vérité  morale  et  religieuse,  à  savoir  «  que  le  coupable' qui  échappe 
aux  remords  de  sa  conscience  et  à  la  justice  des  hommes ,  ne 
peut  jamais  se  soustraire  à  la  vengeance  de  Dieu.  »  Pour 
développer. cette  grande  pensée,  si  nécessaire  au  bonheur  de  la 
famille  et  de  la  société ,  il  a  eu  recours  à  une  fiction  dont  je 
ne  crois  pas  exagérer  les  beautés  de  premier  ordre  y  en  les 
comparant  à  celles  des  poèmes  sacrés  composés  par  Moïse, 
Isaîe  et  les  autres  prophètes. 

Vous  allez  en  juger  vous  -  mêmes ,  si  vous  voulez  bien 
me  prêter  encore  quelques  moments  d'attention  et  me  per- 
mettre de  vous  la  réciter.  Je  vous  prie  de  remarquer  auparavant 
que  ,  pour  bien  faire  resserfir  toute  la  sublimité  de  eette  sombre 
prosopopée,   il  faudrait   qu'elle   eût   pour   interprète  quelque 

51 


~  402  ^ 

artiste  d'un  talent  égal  à  celui  de  Bocage  ou  de  Cobert,  et 
habitué  comme  eux  à  la  versification  de  rauteur ,  car  je  le 
répète ,  il  en  est  de  la  belle  poésie  conmie  de  la  belle  musique. 
On  a  presque  autant  de  peine  à  se  faire  une  juste  idée  du 
loérite  d'une  pièce  de  poésie  de  nôtre  grand  poète,  mal  lue, 
que  d'un  chant  de  Weber  ou  de  Mozart,  mal  exécuté.  Je 
réclame  donc  votre  indulgence,  et  je  demande  pardon  à  l'auteur 
d'oser  lire  à  haute  voix  tes  beaux  vers  qui  suivent: 


Lesoir  viiitj  l'orgue  en  deuil  se  tut  dans  le  saint  lieu-. 
Et  les  prêtres,  quittant  la  haute  cathédrale  , 
Laissèrent  le  roi  mort  dans  la  paix  sépulcrale. 
Alors  il  se  leva,  rouvrit  ses  yeux"  obscurs , 
Prit  son  glaive  et  sortit  de  la  tombe  ;  les  murs 
Et  les  portes  étaient  brumes  pour  les  fantômes  ; 
U  traversa  la  mer  qui  reflète  les  dômes 
Et  les  tours  d'Altona ,  d'Aarhus  et  d'Elseneur. 
L'ombre  écoutait  les  pas  de  ce  sombre  seigneur  ;   . 
Mais  il  marchait  sans  bruit ,  étant  lui-même  un  songe  : 
U  alla  droit  au  mont  Savo ,  que  le  teiiqi»  ronge , 
Et  Kauut  s'approcha  de  ce  farouclie  aient , 
Et  lui  dit  :  «  Laisse*moi ,  pour  m'en  faire  un  linceul^ 
0  montagne  Savo  !  que  la  tourmente  assiège. 
Me  couper  un  morceau  de  ton  manteau  de  Aeige  t  » 
Le  mont  le  reconnut ,  et  n'osa  refuser. 
Kanut  prit  son  épée ,  impossible  k  briser. 
Et  sur  le  mont,  tremblant  devant  ce  belluaire , 
.Il  coupa  de  la  neige  et  s'en  fil  un  suaire  ; 
Puis  il  cria  :  «  Vieux  mont,  la  mort  éclaire  peu  l 
De  quel  côté  faut-il  aller  pour  trouver  Dieu  ?  » 
Le  mont  ^u  flanc  difibrme ,  aux  gorges  obstruées , 
Noir,  triste  dans  le  vol  étemel  des  nuées , 
Lui  dit  :  «  Je  ne  sais  pas ,  spectre ,  je  »im  ici.  » 


^  403  ~ 

Vous  n*igaorez  pas  qu'on  appelait  Virgile  lé  Platonicien*^ 
parce  qu'il  expliqua  en  beaux  vers  les  idées  de  Platon,  et 
qu'il^  puisa  le  fond  du  sixième  livre  de  V Enéide  (la  descente 
d'Enée  aux  j^n/èrs),  dans  une  fable  allégorique  qui  se  trouve  à 
la  fin  de  la  République  du  philosophe  grec  11  est  évident  poulr^ 
inoi  que  Victor  Hugo  a  puisé  à  la  même  source.  Quelques 
lignes  exlrakes  jJ<5  cette  fable  vont  nous  en  fournir  la  preuve  : 

«  Un  guerrier  arménien,  nommé  Her,  ressuscite  douze  jours 
4»  après  sa  mort,  et  raconte  ce  qu'il  a  vu  pendant  cet  intervalle; 

•  Aussitôt,  dit-il,  que  mon  Âme  eut  abandonné  mon  corps,  elle 
»  s'avança ,  dans  la  compagnie  de  plusieurs  .autres ,  vers  un 
»  séjour  merveilleux,  où  nous  vîmes  dans  la  terre  deux  ouver- 
»  tures  voisines  et  deux  autres  au  ciel  qui  répondaient  à  celles-cîl 
»  Des  juges  étaient   assis    entre  ces  ouvertures   mystérieuses, 

•  et  dès  qu'ils  avaient  prononcé  leur  sentence,  Hs  ordonnaient 
»  aux  justes   do  prendre  la  route   à  droite  ,  et  aux  méchants 

•  de  prendre  la   route  à  gauche.    Je  vis  bientôt  sortir  pac  la 
1»  seconde  ouverture  de  la  terre ,  des  âmes  couvertes  de  fange 
»  et  de  poussière ,  et  par  la  seconde  ouverture  du  ciel  descendre 
»  des  âmes  pures  et  sans  tache.  Elles  paraissaient  toutes  venir . 
9  d'un  long  voyage;  elles  se  retrouvaient  après  une  séparation^ 
»  de  mille  ans. 

»  Celles  qui  avaient  passé  ce  long  temps  de  leur  voyage  sous 
9  la  terre  versaient  des  larmes  aux  souvenirs  des  maux  soufiCerts; 
»  mais  celles  qui  descendaient  du  ciel  racontaient  des  merveilles 
»  inouïes  ,  et  montraient  une  joie  ineffable  dont  nous  n'avo^s 
»  pas  l'image  ici-bas.  En  un  mot ,  chaque  peine  et  chaque 
»  récompense ,  dans  ces  deux  mondes  divers  ,  étaient  dix  foii 
»  plus  grandes  que  le  crime  puni  ou  que  la  vertu  récompensée* 
»  A  la  tête  des  justes  sont  les  hommes  qui  ont  honoré  les  Dieux, 
»  et  leurs  pères  comme  les  Dieux.  Des  supplices  extraordinaires 
»  attendent  les  impies  et  les  parricides  ;  les  grands  criminels , 


—  404  — 

»  mpme  oprès  mille  ans ,  n'olit  point  achevé  ïeuiP  expiation, 
i  L'une  de  ces  âmes  (c'était  celle  du  tyran  de  Pamphylie)  aitendaît 
•  3a  délivrance,  au  bout  de  ce  long  terme  de  dotdeurs  ;  noais 
i  au  moment  où  elle  $e  préparait  à  sortir ,  l'ouverture  en  se 
«  refermant  lui  refusa  le  passage  avec  un  mugissement  hordble.  > 

Vous  le  voyez,  le  roi  Kanut  ressuscite  comme  le  guerrier 
arméhien ,  et  se  dirige  v^rs  un  séjour  merveilleux  ;  son  ûme, 
apfès  avoir  erré  long  -  temps  comme  celle  du  tyran  de  Pam- 
phylte,  attendra  vainement  sa  délivrance,  et  ne  pourra  franchir 
la  fatale  ouverture  dont  la  porte  reste  fermée  ^  et  le  pnve 
éternellement  de  la  présence  de  Dieu. 

Je  n'ai  pas  besoin  de  vous  faire  remarquer  la  sombre  et 
lugubre  harmwiie  des  vers  qui  pagneat  la  marche  lente  cl 
funèbre  du  spoctre-roi. 

L'ombre  écoulait  les  pas  de  ce  soad)re  Seigneur. 

Milton,  a  dît  en  décrivant  une  nuit  dans  Ëden  :  «  Le  rossignol , 
répétait  ses  plaintes   amoureuses ,    et   le   silence   était  ravi  î  » 
tiette  jjierèohm'fication  de  l'ombre  qui  écoute  et  du   silence  qui 
est  ravi,  est  aussi  ingénieuse  que  poétique.  Le  Dante  et  Victor 
îlugo  ont  usé  largement  de  ce  privilège  de  tout  personnifier , 
qui  appartient  essentiellement  à  la  poésie  :  aussi ,  est-ce   à  tort, 
selon  moi ,   que  certains  critiques  (1  )  ont  qualifié  de  conceptions 
"bizarres  ,  vicieuses  et  du  plus   mauvais  $oût,  les  figures  sui- 
vantes :   (dans  la  î>ivine  Comédie),  ks  astres  exprimaient  leur 
joie  en  •dansant  ;    (dans   la   Légende  des  Siècles)   le  tonnerre 
éclata^  pojJT  manifester  le  môme  sentiment  ;  ils  ont  oublié  que 
"c'est  nnc  imitation ,  ou   tout   au    plus,    dirai -je,  mais  uni- 
quement ponr  contenter    quelques    censeurs   trop  méliculeui, 

'.    (i)VdiTle  dictionnaire  de  Biùjfftaphie  et  d'Uisloiref  de  Dezobry  cl 
BaicbekL ,  la  Hevue  briimni^^  etc. 


—  405  —       . 

ane  imitation  hyperbolique  du  style  des  pseaumoa.  et  des  pro^ .  - 
phéties,  où  tout  prend  une  âme  et  un  langage^  comme  par 
exemple  les  colHnes  qui  se  revêtent  <t allégresse  ^  les  vallùns  jgijui 
chantent  des  louanges;  le  ^eilj  la  lune,  la  terre ^  les^^n^s^ 
ies  animaux,  etc.,  invi^s  par  David  et  les  trois  enfants  de  Babg- 
lone  à  bénir  le  Seigneur.  Virgile  ne  prôte*t-il  pa^  un  §eqliipenl 
de  crainte  au  Tibre  dans  ce  vers  de  X Enéide  : 

Dissuîtant  ripas ,  re/tuit  que  exterritus  amnis. 

Delille  dit  aussi  : 

Les  Phoques ,  désertant  ces  gouffres  infectas  , 
Dans  les  fleuves  surpris  courent  épouvantés. 

Racine  personnifie  ée  même  la  mer  dans  ce  vers  bien  connu  îO 
Le  flot  qui  l'apporta  recule  épouvanté. 

Je  pourrais  citer  à  Tinfini  des  figures  qui  prêtent.  (Ip.  senti-^ 
mentaux  choses  inanimées,  et  que  personne  ne  s'est  avisé  de   ; 
critiquer ,  car  ce  sont  des  beautés  et  non  des  défauts.  -  / 

Mais  poursuivons.  Bientôt  Tombre  de  Kanut  arrive-aunriont 
Savo ,  le  frappe  avec  son  épée,  et  lui  parte  comme  le  • 
Seigneur  voulait  que  Moïse  parlât  au  rocher,  après  l'avoir  frappé 
avec  sa  baguette  ;  il  lui  demande  un  linceul  de  neige,  c*est^« 
dire  un  vêtement  blanc  et  sans  tache,  emblème  d'innocenea  • 
et  de  pureté,  pour  paraître  devant  son  juge  suprême^ j)uis.| 
il  s'écrie  :  ♦     *^    : 


Vieux  mont  I  la  nuit  éclaire  peu  !  ,   'p>^l  ;  • 

De  quel  cêté  faut-il  aller  pour  trouver  Dieu  !  :       \ 

Je  ne  sais  si  je  me  trompe  ^    mais  je  trouve  cette  brusque 
apostrophe   véritablement  sublime.  Le   royal  fantôme  s'adresse    j 
au   mont  Savo  pour    lui   demander    où   est  Dieu.    Pourquoi  \ 


-  406  — 

s*a<iress6  :  t  •  il  plutôt  à  lui  qu'à  la  mer ,  aux  fleuves  ou  mx 
dômes  des  temples  d'Altona,  d'Aarhus  et  d'Ësletieur  qu'il  yleat 
de  traverser?  C*est  qu'il  se  souvient  que  les  montagnes  seules 
peuvent  savoir  où  est  Dieu,  car  c'est  toujours  sur  leurs  cimes 
mystérieuses  qu'il  vient  méditer ,  communiquer  avec  ses  pro- 
phètes  et  révéler  parfois  9a  présence  aui  hommes. 

Cest  encore  ici,   il  faut  bien  le  reconnaître,  FEsprit-Saint 
qui  a  inspiré  notre  grand  poète.  Le  psalmiste  aussi  interroge  la 
nature  quand  il  s*écrie  :  Mer,  pourquoi  as -tu  fui?  Jourdain, 
pourquoi   as  tu    reculé   vers  ta  source?   Montagnes,   pourvoi 
avez-voiis  bondi  comme   le  bélier  ?  et  vous ,    collines ,  comme 
Tagneau?  Et  la  mer,  les  montagnes,   lé  fleuve,    les  collioes, 
ainsi  interpellés ,  répondent  au  poète  sacré  :  c  Eh  I   ne  voyez- 
vous  pas  que  la  terre  s'est  émue  devant  la  face  du  Seigneur! 
Et  comment  ne  se  serait-elle  pas  émue  à  l'aspect  de  celui  qui 
change  la  pierre  en  fontaine  et  la  roche  en  source  d'eau  vive?  t 
Le* mont  Savo  répond  aussi   au  roi   ressuscité   qui    vient  de 
rîntcrroger,  et  sa  réponse ,  qui  est   d'une   sublimité   digne  de 
l'Écriture ,    appartient   tout  entière  à  Victor  Hugo ,   excepté  ce 
vers  qui  la  précède  : 

Noir,  triste ,  dans  le  vol  étemel  des  nuées , 

qui  est  une  paraphrase  métaphorique  tirée  d'un  tableau  pro* 
phélique  de  David:  iLes  nuées  amoncelées  formaient  autour  de 
lui  un  pavillon  de  ténèbres.»  Sauf  l'emprunt  de  cette  image, 
dis-jc ,  la  conception  originale  et  sublime  qui  termine  le  passage 
précité,  appartient  sans  partage  à  l'auteur  de  la  Légende  des 
Siècles  : 

Je  ne  sais  pas,  spectre,  je  suis  ici  !...« 

,  Celte  réponse  admirable  renferme  un  sens  si  profond  et  eo 
même  temps  si  élevé ,  qu'elle  demande  plutôt  le  silence  et  la 
méditation  de  Tespjit  que  des  çxplicalipus. 


—407  -*  ' 

Je  conUdue  la  lecture  des  vers  qui  suivent  aans  en  omettre 
un  seul  :  -  ' 

Kanut  quitta  le  mont  par  les  glaces  saisi  ; .  . 

El  le  front  haut  ^  tout  blanc  dans  son  linceul  de  neige , 

Il  entra  par  delà  l'Islande  et  la  Norw^e , 

Seul  dans  le  grand  silence  et  dans  la  grande  nuit  ; 

Derrière  lui  le  monde  obscur  s'évanouit. 

Il  se  trouva ,  lui ,  spectre  ,  âme ,  roi  sans  royaume , 

Nu^  face  à  face  avec  l'immensité  fantdme; 

D  vit  Finfini ,  porche  horrible  et  reculant 

Où  t'éclair,  quand  il  entre ,  expire  triste  et  lent  ; 

L'ombre ,  hydre  dont  les  nuits  sont  les  pâles  vertèbres , 
'L'informe  se  mouvant  dans  le  noir  ;  les  ténèbres  ; 

Là  y  pas  d'astre  ,  et  pourtant  on  ne  sait  quel  regard  .  ^ 

Tombe  de  ce  chaos  immobile  et  hagard  ; 

Pour  tout  bruit  y  le  frisson  lugubre  que  fait  Tonde 
.  De  l'obscurité ,  sourde ,  eflarée  et  profonde.  *  v 

n  avança  disant  :  «  C'est  la  tombe  ;  au-delà  '      »  • 

C'est  Dieu  !  »  Quand  il  eut  fait  trois  pas ,  il  appela; 

Mais  la  nuit  est  muette  ainsi  que  l'ossuaire , 

Et  rien  ne  répondit.  Sous  son  blême  suaire 
.  Kanut  continua  d'avancer;  Ta  blancheur 
.  Du  linceul  rassurait  le  sépulcral  marcheur. 

Ce  qu'on  admire  le  plus  dans  la  ballade  si  connue ,  qui 
commença  la  célébrité  de  Burger ,  c'est  la  course  rapide  et 
fantastique  du  cavalier-fontôme  qui,  à  lap&Ie  clarté  de  la  lune,- 
franchit,  sans  s'arrêter,  les  plaines ,  les  fleuves  et  les  montagnes , 
en  s'écriant  :  «  Hurrah  !  les  morts  vont  vite  !  »  La  marche  lente  et 
lugubre  du  spectre  de  Kanut  me  sembla  plus  admirable  encore, 
non*seulement  comme  peinture,  mais  parce  qu'elle  a  un  sens 
parabolique  qui  n'existe  pas  dans  la  pièce  allemande.  Le  prince 
Danois  interroge  la  montagne  Savo ,  c'est-à-dire   l'Esprit- Saint' 


~  408  -- 

qui,  du  sommet  des  monts ,  faisait  jadis  entendre  aux  barbares 
du  Nord  la  Parole  de  Dieu,  et  la  montagne  lui  répond  comme 
le  premier  fils  d'Adam  :  «  Je  ne  sais  pas  !  »  Kanut  quitte  le 
mont  et  s'avance,  confiant  dans  la  blancheur  de  son  vêtement  : 

Seul  dans  le  grand  silence  et  dans  la  grande  nuit. 

Les  syllabes  longues  et  pesantes  de  ce  vers  produisent  un  effet 
rhythmique  qui  peint  bien  la  profondeur  du  silence  et  l'épais- 
seur des  ténèbres  qui  enveloppent  les  pas  du  spectre,  et  l'immen- 
sité de  la  solitude  dans  laquelle  il  se  trouve  pour  ainsi  dire 
perdu.  Elles  ont  une  harmonie  imitative  comme  celle  de  ce  vers 
de  Virgile,  dans  la  descente  d'Ènée  aux  Enfers  I  Les  sons  pei- 
gnent les  objets.  Les  nombres  imitent  la  chose. 

Jhant  obscuri  soîa  sub  nocte  per  umbram. 

Les  vers  qui  suivent  expriment  avec  une  sombre  énergie  toute 
rhorreur  de  cette  nuit  funèbre.  La  comparaison  de  Xin^ni  à  un 
p(yrche  horrible  îdîi  mieux  ressortir,  par  contraste  (1),  Timmensilé 
des  espaces  sans  fin.  CellQ  de  \ ombre  à  un  hydre  dont  les  nuils 
sont  les  pâles  vertèbres  ^  quoique  moins  intelligible,  de  prime- 
abord,  "n'est  pas  moins  juste  que  neuve.  L'ombre,  en  effet, 
coupée  alternativement  par  la  lumière ,  renaît  sans  cesse,  comme 
les  têtes  de  Thydre  qu'on  a  £d)attues,  et  tes  miitis,  en  se  succé- 
dant ,  s'enchaînant  et  s'emboitant  comme  les  vertèbres ,  consii- 
tuent  indéfiniment  l'ombre  éternelle  {%).  Li,  pas  d'astres  l  Mais 

(1)  Le  propre  du  contraste  est ,  comme  on  sait ,  de  Jaira  ressortir  les 
objets ,  en  leur  donnant  plus  d'éclat ,  en  plaçant  par  exemple  le  nain  à 
c6té  du  ^éanl ,  te  chêne  h  côté  da  roseau ,  le  beau  à  côté  du  laid  ;  e^est, 
comme  je  Tai  dit  plus  haut  )  Tun  des  moyens  qui  forment  la  base  du 
système  de  composition  de  notre  illustre  poète. 

(â)  De  même  que  les  vertèbres ,  en  s'emboitant^  forment  la  colonne 
vertébrale. 


—  409  — : 

rœil  de  Dieu  est  toujours  ouvert  sur  les  mondes.  Kanut  appelle  ; 
mais  rien  oe  lui  répond.  C*est  la  tombe ,  dit-il ,  au-delà  ,  c'est 
Dieu  I  et  il  continue  d'avancer ,  rassuré  par  la  blancheur  du 
linceul,  sous  lequel  il  espère  toujours  dérober  la  souillure  de 
son  âme  I 

Il  allait;  tout-à-coup sur  son  livide  voile 
Il  vil  poindre  et  grandir  comme  une  noire  étoile. 
L'éloiic  s'élargit  lentement,  et  Kanut , 
La  làtant  de  sa  main  de  spectre  ,  reconnut 
Qu'une  goutte  de  sang  était  sur  lui  tombée. 
Sa  tête  ,  que  la  peur  n'avait  jamais  courbée , 
Se  redressa  ;  terrible,  il  regarda  la  nuit 
Et  ne  vil  rien.  L'espace  était  noir  ;  pas  un  bruit  : 
'  «  En  avant  I  «  dil  Kanut  levant  sa  tête  fière. 
Une  seconde  tache  auprès  de  la  première 
Tomba,  puis  s'élargit  ;  ^l  le  chef  cambrien  ,     c 

Regarda  Tombre  épaisse  et  vague ,  et  ne  vit  rien. 
Gomme  un  limier  à  suivre  une  piste  s'attache ,  • 

Morne ,  il  reprit  sa  route  ;  une  troisième  tache  , 

Tomba  sur  le  linceul!..,.  Il  n'avait  jamais  fui. 
Kanut  pourtant  cessa  de  marcher  devant  lui,         ^ 
Et  tourna  du  côté  du  bras  qui  tient  le  glaive. 
Une  goutte  de  sang ,  comme  à  travers  un  rêve , 
Tomba  sur  le  suaire  et  lui  rougit  la'  main. 
Pour  la  seconde  fois  il  changea  de  chemin , 
Gomme  en  lisant  on  tourne  un  feuillet  d'un  registre, 
Et  se  mit  à  marcher  vers  la  gauche  sinistre. 
Une  goutte  de  sang  tomba  sur  le  linceul 
El  Kanut  recula ,  frémissant  d'être  seul. 
Et  voulut  regagner  sa  couche  mortuaire. 
Une  goutte  de  sang  tomba  sur  le  suaire  ! 
Alors  il  s'arrêta  livide ,  et  ce  guerrier. 
Blême ,  baissa  la  têtç  et  tâcha  de  prier. 

52 


-  410  ^ 

Une  goutte  de'  sang  tomba  sur  lui  I  Farouche , 
La  prière  effrayée  expirant  dans  sa  bouche , 
U  se  remit  en  marche ,  et,  lugubre ,  hésitant , 
Hideux ,  ce  spectre  blanc  passait  ;  et  par  instant 
Une  goutte  de  sang  se  détachait  de  Tombre, 
Implacable ,  et  tombait  sur  celte  blancheur  sombre. 

'  Il  voyait ,  plus  tremblant  qu'au  vent  le  peuplier. 
Ces  taches  s'élargir  et  se  multiplier  ; 

^  Une  autre,  une  autre,  une  autre,  une  autre,  6  cieux  funèbres  I 
Leur  passage  rayait  vaguement  les  ténèbres. 
Ces  gouttes ,  dans  les  plis  du  linceul ,  finissant 
Par  se  mêler,  faisaient  des  nuages  de  sang. 
Il  marchait  ;  il  marchait  ;  de  l'insondable  voûte 
Le  sang  continuait  à  pleuvoir  goutte  à  goutte  , 
Toujours  sans  fin ,  sans  bruit ,  et  comme  s'il  tombait 
De  ces  pieds  noirs  qu'on  voit  la  nuit  pendre  au  gibet. 
Hélas  !  qui  donc  pleurait  ces  larmes  formidables  ? 
L'infini  !  ^ 

Les  beautés  de  ce  récit  sont  trop  frappantes  pour  qu'il  soit 
nécessaire  de  les  expliquer  longuement ,  et  je  plaindrais  sincè- 
rement les  hommes  assez  mal  organisés  pour  ne  pas  les  com« 
prendre;  on  pourrait  dire  d'eux  avec  Cicéron  :  Quas  aures 
habeani^  aut  quid  in  his  homini  simile  sit,  nescio.  Je  cherche 
dans  YEnfer  de  Virgile ,  dans  celui  du  Dante ,  dans  celui  de 
Milton,  dans  Schiller  (4),  un  genre  de  supplice  pareil  au  tour- 
ment de  ce  roi  parricidç.  Il  m'est  impossible  de  rien  trouver 
qui  puisse  lui  .être  comparé.  Je  cherche  dans  les  cris  de  déses* 
poir,  dans  les  gémissements ,  dans  les  imprécations  des  âmes 
maudites  ou  damnées  ;  je  choisis  dans  les  plaintes  déchirantes 


(i)  Voir  la  scène  de  sa  tragédie  intitulée  Guillaume  TeU,  où  il  peint  les 
souffrances  et  les  remords  d'Hedwige  ,  qui  devint  aussi  parricide  par 
ambition. 


-  411  — 

de  Job,  dans  les  lamentations  de  Jérémie,  et  je  ne  tronve  rien 
de  comparable  au  silence  farouche ,  ail  désespoir  taciturne ,  à 
la  torture  muette  de  cette  âme  errante  dans  les  ténèbres  sans 
Un,  qui  cherche  Dieu  sans  le  rencontrer,  et  qui  sent  tout-à-coup 
une  goutte  de  sang  tomber  sur  son  linceul  et  lui  rougir  la  main* 
Il  tourne  du  c6té  de  la  main  qui  tient  le  glaive  (à  droite),  puis 
îl  marche  vers  la  gauche  sinistre,  et  une  goutte  de  rang  tombe 
encore  sur  son  vêtement  de  neige.  ÎI  recule  en  frémissant  d'être 
seul  et  veut  regagner  sa  couche  mortuaire  ;  mais  une  goutte  de 
sang  tombe  sur  son  suaire.  Il  veut  prier,  et  la  prière  effrayée 
expire  sur  ses  lèvres  glacées ,  et  toujours  l'implacable  tache  de 
sang  retombe  sur  lui. 

La  prière  effrayée  expirant  dans  sa  bouche. 

La  prière  effrayée  est  une  expression  de  .génie ,  comme  le 
silence  ravi  de  Milton ,  comme  le  David  éteint  dans  ce  beau 
vers  d'Athalie: 

Et  de  David  éteint  rallumé  le  flambeau  î  ^.       . 

I-a  répétition  contenue  dans  ce  seul  vers  : 

Une  autre,  une  autre,  une  autre,  une  autre,  ô  cieux  ifunébres  ! 

ainsi  que  Texclamation  qui  le  termine,  produisent  Un  grand  effet. 
La  beauté  de  la  figure  consiste  dans  la  répétition  non  interrompue 
de  ces  deux  mots  :  une  autre ,  qui  peint  exactement  \x  chiïte 
incessante  et  multipliée  des  gouttes  de  sang  :  ^  ".'.i  ; 

Hélas  !  qui  doue  pleurait  ces  larmes  formidal)les'? 
L'infini  ! 

Ne  pensez -vous  pas  comme  moi,  que  le  dernier  trait  de 
celte  magnifique  peinture ,  que  le  suprême  accord  de  cette 
harpe  biblique,  que    ce   majestueux  point  d'argm  d'un  can- 


—  412  — 

tique  sacré  justifie  ce  mot  profond  de  Longîn  :  t  Le  sublime 
est,  pour  ainsi  dire,  le  son  que  rend  une  grande  âme.  t  Images, 
sentiments ,  figures ,  inspiration ,  énergie  et  pureté  de  style , 
harmonie  du  vers ,  richesse  de  la  rime ,  tout  ce  qui  constitue , 
enfin,  Tessence  de  la  helle  poésie,  se  trouve  réuni  dans  le 
fragment  que  je  viens  de  vous  lire.  «  Chaque  mot ,  comme 
Texigeait  Zenon,  porte  le  caractère  de  la  chose  que  le  poète  veut 
exprimer.  0  Mais  ce  qu'il  y  a  surtout  de  remarquable  dans  cette 
pièce,  c'est  un  incomparable  talent  de  description.  Comme  poète 
descriptif,  Victor  Hugo .  est  sans  rival.  Il  est  même  au-dessus  de 
Lamartine  dans  ce  genre  presque  inconnu  jusqu'à  lui  dans  la 
poésie  française. 
J'arrive  au  dénouement  de  cet  épisode  dramatique. 

Vers  les  deux  ,  pour  le  juste  abordables , 
Daus  l*océan  de  nuits  sans  flux  et  sans  reflux , 
Kanut  s'avançait  pâle  et  ne  regardant  plus  ; 
Enfin,  marchant  toujours  comme  en  une  fumée , 
Il  arriva- devant  une  porte  fermée , 
Souï  laquelle  passait  un  jour  mystérieux. 
%.  Alors ,  sur  son  linceul,  il  abaissa  les  yeux  ; 

C'était  Tendroil  sacré ,  c'était  Tendroit  terrible  : 
On  ne  sait  quel  rayon  de  Dieu  semble  visible. 
De  derrière  la  porte  on  entend  THosanna  : 
Le  linceul  était  rouge  et  Kanut  frissonna. 
f  ■ 

Et  c'est  pourquoi  Kanut,  fuyant  devant  Taurore 
Et  reculant,  n'a  pas  osé  paraître  encore 
Devant  le  juge  au  front  duquel  le  soleil  luit  ; 
C'est  pourquoi  ce  roi  sombre  est  resté  ^dans  la  nuit , 
El,  sans  pouvoir  rentrer  dans  sa  blancheur  première , 
Sentant  k  chaque  pas  qu'il  fait  vers  la  lumière , 
Une  goutte  de  sang  sur  sa  tète  pleuvoir. 
Rôde  éternellcmeflt  sous  l'énorme  ciel  noir  I 


~  413  ~ 

Cette  péripétie  imprévue  est  aussi  neuve  que  dramatique.  Dans 
la  fable  païenne  que  j'ai  citée,  Tâme  du  tyran  de  PamphyKe 
attend  aussi  sa  délivrance  après  une  longue  période. de  do.uleurs  ; 
mais  au  moment  où  elle  se  présente  devant  TQuverture,  celle-ci, 
en  se  refermant,  lui  refuse  le  passage  avec  un  mugissement  hor- 
rible. A  ce  bruit,  qui  fait  trembler  toutes  les  ombres,  accourent 
les  ministres  de  la  mort,  des  spectres  infernaux  qui  ressaisis-* 
sent  cette  ûme  deux  fois  condamnée,  et  l'entraînent  dans  f'abîme. 
A  cette  fantasmagorie  un  peu  surannée,  Tauteur  de  la  Légende  ' 
des  Siècles  a  substitué  une  fiction  beaucoup  plus  poétique  ,  et 
cependant  non  moins  terrible  que  la  reproduction  platonicienne. 
Kanut,  pâle  et  tremblant,  arrive  devant  l'ouverture  ;  mais  la  porte 
est  fermée ,  et  sous  cette  porte  glissent  à  peine  quelques  rayons 
mystérieux ,  semblables  à  un  regard  de  Dieu.  Tout-à-coup  k3 
sons  harmonieux  de  THosanna  se  font  entendre ,  et  Kanut  fris-  ' 
sonne ,  en  regardant  son  linceul  teint  de  sang ,  sa  robe  d'inno- 
cence dont  la  blancheur  native  est  entièrement  souillée.  A  chaque 
pas  qu'il  essaie  de  faire  vers  le  trône  lumineux  où  siège  le  sou- 
verain des  rois ,  il  sent  tomber  une  goutte  de  sang  sûr  sa  tête, 
et  ce  roi  parricide  est  condamné  à  errer  éterneUement  dans  de» 
ténèbres  sans  fin. 

m. 

Si  je  m'arrêtais  ici,  on  ne  manquerait  pas  de  m'appliquer 
avec  raison  ce  que  j'ai  blâmé  au  commencement  de  cet  arti- 
cle ,  c'est-à-dire  de  ne  photographier  que  les  aspects  les  plus 
favorables  à  mon  point  de  vue.  Je  crois  donc ,  dans  l'intérêt 
môme  de  la  critique  défensive  que  j'ai  esquissée,  et  pour  donner 
une  preuve  d'impartialité ,  qu'il  est  nécessaire  de  mentionner,  le 
plus  brièvement  possible ,  quelques  -  uns  des  défauts  les  plus 
saillants  qu'on  a  reproehés  à  notre  grand  poète  et  à  son  œuvre* 


~  414  — 

Nous  verrons  jusqu'à  quel  point  ils  seront  mérités*  Un  des  prin- 
cipaux organes  de  la  presse  littéraire,  la  Revue  Britannique^ 
a  dit|  dans  sa  livraison  du  mois  d'octobre  -1859  :  «  Le  style 
i  surtout  de  la  Légende  des  Siècles  nous  a  paru  déplorable.  Des 
i  comparaisons  incroyables,  des  rimes  étranges  font  TefTet  d'une 
i  ouverture  de  Rossini  ou  de  Meyerbeer ,  exécutée  à  grand 
»  ordiestre  avec  des  instruments  de  charivari ,  »  et  l'auteur  de 
l'article  cite  pour  exemple  les  deux  vers  suivants  de  la  pièce 
intitulée  le  Jour  des  Rois  : 

Pendant  que  les  vivants  se  traînent  sur  leurs  ventres , 

Toiy  les  poux  dans  les  trous ,  toi,  les  rois  dans  les  antres.  (1} 

et  les  dix  autres  qui  se  trouvent   dans    la  pièce   intitulée  le 
*  Satyre* 

Alors  on  se  pâma ,  Mars  embrassa  Minerve  \ 
Mercure  prit  la  taille  à  Bellone  avec  verve  j 
La  meute  de  Diane  aboya  sur  l'GEta  : 
Le  tonnerre  n'y  put  tenir,  il  éclata. 
Le&«inlmortcls,  pencbés,  parlaient  aux  immortelles. 
Vulcain  dansait  ;  Plutou  disait  des  choses  telles 
Que  Momus  en  était  presque  déconcerté. . 
Pour  que  la  reine  pût  se  tordre  en  liberté, 
Ilébé  cachait  Junon  derrière  son  épaule , 
Et  rhiver  se  tenait  les  côtes  sur  le  pôle. 

"  Je  n'examinerai  point  ce  qu'il  peut  y  avoir  d'insolite  dans  ces 
jmssages  incriminés.  Je  ferai  seulement  remarquer  qu'il  s'agit  ici 
d'une  orgie  païenne,  d'une  bacchanale  des  anciens  Dieux  de 


(i)  Cette  pièce  est  une  peinture  aussi  énergique  que  vraie  des  cruautés 
commises  au  moyen-âge  par  les  hauts  barons  de  l'Espagne.  La  itetntf 
britannique  n'en  cite  que  les  deux  derniers  vers  ;  avec  cette  méthode  de 
critique  ,  il  serait  facile  de  démolir  n'importe  quel  chef-d'œuvre  ancien 
ou  moderne ,  et  de  le  perdre  dans  l'opinion  de  ceux  qui  ne  le  conna!- 
Iraient  pas. 


—  415  — 

rOlyrape ,  que  le  poète  ,  sans  doute,  a  voulu  ridiculiser  ;  orgie 
ou  bacchauale  qui  me  semble  assez  pittoresquement  représentée 
par  l'àpreté ,  la  discordance ,  la  rudesse  et  le  choc  bruyant  des 
mots  et  des  rimes. 

'  On  trouve  dans  les  poètes  classiques  anciens  et  modernes  ,  et 
surtout  dans  Virgile  qui  excellait  dans  ce  genre"  de  tableaux , 
de  fréquents  exemples  de  cette  harmonie  imilative  qui  consiste, 
comme  on  sait ,  à  régler  le  choix  des  sons  imitatifs  sur  la  nature 
des  objets  qu'on  veut  représenter.  Exemple  : 

Baucidulum  quiddam  baïbà  de  nare  locutus,  (Perse.) 

Ergà  œgré  terram  rastris  rimantur (Yirjfle.) 

Agricola  incurvo  terram  molitus  aratro. 

Sa  gorge  de  vapeurs  s'enfle  comme  un  ballon , 

Fait  un  vacarme  de  démon , 
Siffle ,  souffle,  tempête etc.,  etc.  (LafontaÎDe.J 

Lu  lime  mort  Tacier,  et  Foreille  en  frépiit.  (Ricîne.) 

Je  crois  qu'en  pareille  circonstance  les  grands  musiciens  comme 
Rossini  ou  Meyerbeer  ne  procèdent  pas  autrement,  et  qu'ils. ne 
modulent  pas  un  chant  d'orgie  de  la  même  manière  qu'une 
romance  amoureuse.  On  pourrait  citer  dix  chœurs  de  démons 
accompagnés  à  grand  orchestre  par  nos  instruments  en  cuivre^ 
qui ,  dans  ce  cas ,  ressemblent  en  quelque  sorte  et  doivent  res- 
sembler à  des  instruments  de  charivari ,  afin  d'imiter  les  bruits 
étranges ,  les  sons  cacophoniques,  pour  ainsi  dire,  d'une  satur- 
nale  de  démons.  Il  est  à  propos  de  remarquer  encqre  qu^  la 
Revue  britannique  n'a  extrait,  à  peu  près,  des  deux  forts  volu- 
mes de  la  Légende  des  Siècles,  et  comme  spécimen  de  la  facture 
de  l'auteur,  que  les  dix  ou  douze  vers  que  je  viens  de  citer. 
Est-ce  là  ce  qu'on  peut  appeler  de  la  critique  impartiale,  et 


—  416  — 

croit -on  qu*il  soit  possible,  en  ne  voyant  que  de  pareils  échaa- 
tillons,  d'apprécier  convenablement  les  qualités  du  travail? 

On.  a  crié  au  néologisme^  au  solécisme,  au  barbarisme  même, 
à  cause  des  mots  nouveaux ,  des  locutions  inconnues  ou  inuM- 
téea  qu'on  rencontre  assez  fréquemment  dans  la  Légende  des 
Siècles  et  dans  les  Contemplations.  Rien  ne  me  semble  moins  mérité 
que  ces  reproches.  L'auteur  de  ces  deux  derniers  ouvrages  a 
pris  soin  lui -môme  d'y  répondre  d'avance  dans  l'une  de  ses 
préfaces ,  où  il  dit  que  le  néologisme  n'est  qu'une  triste  res- 
source pour  l'impuissance,  que  les  fautes  dje  langue  ne  rendront 
amais  une  pensée ,  et  que  t  le  style  est  comme  le  cristal,  sa 
purelé  fait  son  éclat.  »  Rajeunir  quelques  tournures  usées,  renou- 
veler quelques  vieilles  expressions,  essayer  d'embellir  notre  versi- 
fication par  la  plénitude  du  mètre  et  la  richesse  de  la  rime,  délivrer 
notre  langue  du  pédantisme  de  convention  ,  créer  de  nouveaux 
canaux  pour  ainsi  dire,  et  adopter  pour  les  vers  des  formes  qui, 
n'allant  pas  jusqu'à  la  licence ,  expriment  le  sentiment  intérieur 
de  son  affranchissement  et  de  sa  prise  de  possession  d'une  exis- 
tence régénérée  et  retrempée ,  ce  n'est  pas  du  néologisme  , 
autrement  l'on  serait  en  droit  d'accuser  aussi  Bossuet  de  ce  vice, 
parce  que  «  il  a  créé  une  langue  aussi  nouvelle  que  ses  idées , 
»  el  que  son  éloquence  s'est  élevée  au-dessus  des  règles  et  des 
»  modèles ,  en  portant  l'art  à  toute  la  hauteur  de  son  propre 
»  génie,  t   (\) 

Parmi  les  comparaisons  que  la  Revue  britannique  appelle 
incroyables,  il  s'en  trouve,  je  l'avoue,  quelques-unes  qui  sem- 
blent justifier  cette  épithète  ;  mais  en  les  relisant  avec  attention, 
on  ne  larde  pas  à  se  convaincre  qu'il  serait  plus  équitable  de 
les  qualifier  seulement  de  bizarres  (2),  car  il  existe  presque  tou- 

(i)  Discours  sur  Véloqumce  de  la  Chaire,  par  le  cardinal  Maury* 
(2)  Au  figuré,  c'est-à-dire  hors  de  l'ordre  commun. 


—  417  — 

jours  un  rapport  de  convenance  entre  Tobjet  principal  et  l'objet 
étranger,  et  que,  par  conséquent,  elles  sont  généralement  justes. 
Si  parfois  elles  manquent  de  noblesse,  du  moins  n'ontelles  pas 
le  défaut  d'être  empruntées,  usées  ou  rebattues.  D'ailleurs,  les 
plus  grands  maîtres  de  Tart  ont  aussi  quelquefois  sacrifié  la 
iM)blesse  à  Texactitude.  Homère  ,  dans  Vlliade^  compare  Ajax, 
combattant  avec  obstination  ,  à  un  âne  que  les  coups  des  villa- 
geois ne  peuvent  arracher  d'un  champ  de  chardon.  Virgile  assi- 
mile les  agitations  de  la  reine  Amate,  tourmentée  par  Àlecton, 
au  mouvement  d'un  sabot  sous  le  fouet  des  enfants,  et  la  fureur 
de  Turnus  à  une  chaudière  bouillante.  Le  Dante  compare  les 
ûmes  glorieuses  du  Paradis  qui  se  pressent  vers  lui,  à  la  foule 
des  poissons  que  l'on  voit  dans  un  vivier  clair  et  tranquille , 
s'élancer  vers  les  miettes  de  pain  qu'on  leur  jette.  Dans  Vineûcitii^ 
le  poète  sacré  coapare  Jes  secousses  des  montagnes  et  des  col* 
lines  ébranlées  par  un  violent  tremblement  de  terre  aux  bondis- 
sements  des  béliers  et  des  agneaux.  Toutes  ces  comparaisons,  si 
elles  ne  sont  pas  très  nobles,  sont  au  moins  très  exactes.  On  a 
(brt ,  par  conséquent ,  d'appeler  incroyables  les  comparaison* 
suivantes  qui  se  trouvent  dans  la  Légende  des  Siècles.  Le  poète 
décrit  le  combat  de  Roland  contre  les  infants  d'Espagne  : 

L^épëe  éclatante  ,  fidèle  (DwindhaL) 
Bonne  des  coups  d'estoc  qui  semblent  des  coups  d'aile. 

Il  pdnt  un  incendie  :  ■  . 

Les  flammèches  au  vent  semblent  d*affreux  moustiques. 

Un  mendiant  vieux  et  idiot  est  sur  le  pont  de  Crassus,  et  le 
poète  dit  en  parlant  de  lui  : 

P^ché  sur  le  tombeau ,  plein  de  Tombfe  mo)*telte, 
Il  est  comme  un  cheval  attendant  qu'on  dételle. 

S3 


~4!8  — 

AAleors  >  il  m^  àom  la  boache  àa  riofoot  Paeheco  le  Hardi 
les  paroles  suivantes  : 

Le  soleil  et  le  vent  «  ces  farouches  tanneurs, 
M*ont  fait  le  cuir  robuste  et  ferme,  messeigueurs  ! 

Le  géant  Kostabât  se  précipite  sur  le  preux  Roland  > 

Avec  le  bruil  d'un  mur  énorme  qui  s'écroule. 

Dans  une  description  ,  il  dit  en  pariant  des  nuages  cbassés 
par  un  vent  violent: 

Vers  le  Nord ,  le  troupeau  des  nuages  qui  passe  , 
Poursuivis  par  le  vent ,  chien  hurlant  de  Tespacc , 
S^enfliit ,  k  tous  les  pics  laissant  de  sa  toîs(XB. 

Toutes  ces  comparaisons  sont  aussi  justes  et,  je  le  répète,  pas 
plus  incroyables  que  celles  d'Homère,  de  Virgile  et  de  TÉcriture, 
que  je  viens  de  citer  (I).  Mais  certains  critiques  (2)  n'y  regar- 
dent pas  de  si  près.  Hs  vous  disent  d'un  ton  magistral  :  C'est 
absurde  ,  c'est  incroyable ,  c'est  la  décréfpitude  du  génie ,  sans 
daigner  vous  apprendre  en  quoi  consiste  la  décrépitude,  l'absurde, 
l'incroyable.  Parlerai-je  ici  de  cette  tourbe  d'envieux,  de  méchants, 
de  calonmiateurs ,  qui  sont  les  ennemis  naturels  de  toutes  les 
gloires ,  de  celles  des  grands  poètes  surtout,  et  qu'on  pourrait 
appeler  les   scolytes   destructeurs  de  l'arbre  de  la  science.  Ce 

(1}  M.  Villemain  dit  en  parlant  des  comparaisons  d!Homère  et  de  Dante 

Sue  je  viens  de  citer  ;  «  H  n'est  rien  dans  la  nature  qui  ne  puisse  fournir 
es  tableaux  et  des  couleurs.. «.  Ces  expressions  qu'on  app^eraii  bassen 
dans  une  littérature  artificielle,  ont  le  mérite  d'être  nécessaires,  etc.,  etc.  » 

{%)  DénigreuiSr  dfivrais4&  diie^  car  ils.  ne  Boràtile&i  eertalnement  pas  le 
nom  de  critiques. 


~  4!9  — 

sont  euK  qui  an^eutèrent  les  Mœnades  contre  famant  d'ÏIory- 
dlce  I  la  '  lie  féminine  des  villes  guelfes  contre  le  Dante  ;  qui 
ourdirent  la  trame  de  calamités  et  d'humiliatfons  dont  fut  enve- 
loppée la  vie  entière  du  chantre  de  la  Jérumlem;  déiitx^ée  ;  qui 
préparèrent  le  misérable  lit  d'kôpiial  où  le  C^oens  mourut 
pauvre  et'  abandonné  I  Ce  sont  eux  encore  m  leurs  attttés .  fui^ 
poursuivirent  Miliûû  dans  les  rues  de  Londre3  en  4'a«cablant 
d'oulrages ,  en  l'appelant  parricide  de  son  roi ,  et  eu  lui  appli- 
quant ce  vers  de  Yitigile  : 

Monsirum  horrendum  informe  ingens  cui  lumen  ^dmptum  ! 

lis  appelèrent  Racine  un  suppôt  de  Lucifer^  pour  le  punir 
d'avoir  fait  Alkalie ,  et  enfin  ils  répandirent  tant  de  calonmies 
sur  lord  Byron,  qu'il  ne  pouvait  plus  paraître  sur  les  promenades 
publiques,  à  Drury-Lane,  sans  être  accueilli  par  des  huées; 
que  les  dames  le  montraient  au  doigt ,  que  les  enfants  pour* 
suivaient  sa  voiture  quand  il  se  rendait  à  la  chambre  des  pairs, 
et  que  sa  femme,  enfin,  voulut  le  faire  entrer  à  Bedlaml 

Il  est  inutile,  ce  me  semble,  de  relever  Tépilhéte  de  déplO" 
rable  appliquée  au  style  de  la  Légende  des  Siècles.  Je'me  borne 
ici  à  rappeler  que  des  raisonneurs  ont  traité  Homère  d'écrivain 
pitoyable.  Ainsi  donc ,  vous  le  voyez  ,  Victor  Hugo  n'a  point 
échappé  à  la  destinée  commune  aux  grands  poètes ,'  et  princl-' 
paiement  à  ceux  qui ,  comme  lui ,  comme  Milton  et  le  Dante, 
ont  eu  le  malheur  de  prendre  part  aux  affaires  politiques  de 
leur  pays.  Quoique  inspirée  par  un  ardent  élan  de  charité , 
quoique  bâtie  sur  un  admirable  fonds  de  bonté  et  de  philantropie, 
sa  dernière  œuvre  n'a  pu  résister  à  l'attaque  combinée  de  l'envie, 
de  la  méchanceté  et  de  la  calomnie ,  aiguillonnées  par  le  plus 
inique  et  le  plus  perfide  de  tous  les  conseillers ,  par  lé  plus 
dangereux  de  tous  les  esprits,  réspril  de  parti.  On  a  confondu 


—  420  - 

le  poète  et  Thomme  politique  {\);  on  les  a  enveloppés  dans  la 
môme  proscription.  Suivant  l'usage  des  vieux  critiques,  on  a 
beaucoup  parié  des  défauts  de  Fœuvre  ,  et  Ton  s'est  presque  tû 
sur  ses  mérites  ;  plus  que  jamais,  enûn,  on  a  négligé  de  sui- 
vre, dans  cette  occasion ,  ce  sage  conseil  de  Chateaubriand  : 
«  H  conviendrait  peut- être  d'abandonner  la  petite  et  facile  cri- 
»  tique  des  défauts  pour  la  grande  et  diCBcile  critique  des  beautés.  • 
Quaat  aux  écrivains  qui ,  faisant  métier  de  dénigrer  toutes  les 
productions  du  grand  poète  ,  ne  cessent  de  lui  reprocher  des 
figures  bizarres  et  exagérées  ,  telles  par  exemple  que  celle  - 
ci,    que 'j'ai  citée  plus    haut:   Le  tonnerre  n'y  put     tenir^  il 


(1)  On  l'a  appelé  renégat,  tef-giversateur,  apostat,  adorateur  du  soleil 
levant,  ex  -  poète  vendéen,  ex-poèle  montagnard,  et  autres  quai ifîcalioDS 
à  Tusage  de  Tesprit  de  parti.  Mais  un  critique  étranger,  dont  je  ne  me 
rappelle  pas  le  nom,  Ta  bien  défendu  contre  ces  attaques,  inspirées 
par  des  intérêts  de  secte  et  de  coterie.  Voici  à  peu  près  le  résumé  de 
cette  critique  défensive  :  «  On  ne  peut  limiter  ni  rétrécir  sordidement  la 
»  sphère  dans  laquelle  les  sympathies  d*un  poète  ont  le  droit  de  s'exercer. 
y>  On  ne  doit  point  recourir  aux  sentiments  qu'il  a  professés  jadis ,  pour 
»  en  extraire  de  quoi  l'écraser  sous  des  palinodies.  Dans  un  certain  sens, 
»  un  poète  ne  devrait  pas  avoir  d'opinions ,  et  nous  ne  craignons  pas  de 
»  le  dire,  ni  d'affronter  le  sourire  railleur  que  peut  faire  naître  l'ambi- 
»  gui  té  de  celte  phrase  :  Victor  Hugo  est  le  poète  de  tous  les  partis.  Oui , 
j»  le  poète  de  tous  les  partis,  et  que  ce  soit  dit  à  sa  gloire,  jamais  il  ne 
>»  souffre  que  ses  opinions  politiques  ni  ses  préférences  étouffent  ou  amor- 
»  lissent  ses  sympathies  charitables,  toujours  en  quête  du  grand,  du  beau, 
»  du  passionné.  Il  a  également  célébré  l'héroïsme  de  la  Vendée,  les  triom- 
»  phcs  de  l'Empire,  les  victimes  de  juillet  et  la  tombe  étrangère,  les 
»  exilés  de  Gorilz,  l'impérial  fils  du  grand  homme,  etc.  Il  décrit  les 
»  splendeurs  et  les  taches  de  ce  siècle ,  les  motifs  qu'il  a  d'être  fier,  et 
M  ceux  qu'il  a  d'être  humble ,  ses  perfections ,  ses  défauts  ,  ce  qu'il  a 
»  gagné  et  ce  qui  lui  manque  encore.  Le  même  au(eur  vous  offrira  cette 
»  diversité  de  sentiments ,  ces  sensations  dans  leurs  différentes  phases  ; 
»  et  cependant ,  à  moins  que  vous  ne  soyez  imbus  des  préventions  de 
»  l'esprit  de  parti  et  enchaînés  au  joug  de  fer  de  la  servitude  politique 
»  (auquel  cas  nous  n'avons  aucune  prière  à  vous  adresser),  nous  vous 
»  adjurons  de  réfléchir  avant  d'accuser  le  poète  de  versatilité ,  banale  et 
»  facile  imputation,  dont  ne  s'arme  que  trop  souvent  le  frivole  vulgaire.  » 
Il  me  semble  qu'on  doit  attacher  un  grand  prix  à  ce  jugement,  qui  ne 
peut  être  suspect  de  partialité ,  puisque  Tauteur  n'étant  pas  français, 
on  ne  peut ,  par  conséquent,  l'accuser  d'avoir  cédé  aux  influences  de 
parti  et  d'école. 


t 

—  42i  — 

€claia{\),ei  que  la  Revue  contemporaitie  ne  (rau\e comparable  qu'au 
fameux  couteau  qui,s*étant  souillé  du  sang  de  son  mailrc,  en  rougis- 
sait le  traître  \  qui  ne  peuvent  lui  pardonner  des  etpressions  origi- 
nales telles  que  cette  fréquente  accolade  de  deux  substantifs  : 
la  nymphe  ivresse ,  rimmensité  fantôme ,  la  bomhô^  tombeau  ^  la 
fosse  silence^  la  biche  illusion^  l'arbre  éternité^  le  fossoyeur  oubh\ 
etc.,  des  habitudes  excentriques,  enfin,  qui  leur  semblent  incoia-  - 
patibles  avec  les  procédés  ordinaires  de  la  raison,  je  me  per- 
mettrai de  demander  à  ces  rigides  censeurs  s'ils  ont  le  droit  de 
de  se  montrer  plijs  sèvres  qu*Horace  lui-même  qui  a  dit  : 
9i^Verum  ubi  plurà  nîtent  in  carminé^  non  ego  paucis  offertdar 
maculis  ,  »  ou  moins  indulgents  que  Quintilien ,  qui  trouve  à 
louer  jusque  dans  les  écrivains  qu'il  condamne  ;  enfin,  s'ils  ont 
oublié  ce  que  disait  naguère  un  éminent  professeur  de  littéra- 
ture française  (2)  en  parlant  des  œuvres  des  grands  poètes  : 
«  Si  vous  y  trouvez  quelque  chose  de  bien  extraordinaire  ,  de 
»  bien  étrange,  pensez  que  ce  n'est  pas  avec  un  sens  calme  et 
»  rassis  que  l'on  ose  ces  créations  sublimes  ;  qu'une  imagination 
»  puîssalnte ,  une  sensibilité  vive ,  ces  deux  âmes  de  la  grande 
»  poésie ,  ne  peuvent  être  portées  à  l'excès ,  sans  toucher  quel- 
»  quefois  au  délire.  »  (3) 

DUSEIGNEUR. 


(1)  11  est  h  propos  de  "faire  rcrnarquer  que  Tauteur  du  compte-rendu  de 
la  Légende  des  Siècles ,  publié  dans  la  Revue  contemporairie  ,  dit  que  le 
tonnerre  éclata  de  rire,  tandis  qne  dans  le  passage  cité,  on  lit  seulemenl  : 
Le  tonnerre  n*y  put  tenir,  il  éclata-,  ce  qui  n'est  pas  ioul-à-fait  la  même 
chose.  Le  tonnerre  éclatant  de  rire  est  une  métaptiore  outrée,  burlesque 
même  ;  le  tonnerre  éclata  est  une  calâchrcse  par  extension  ,  qui  n'a  rien 
de  choquant. 

(2j  Villemain.  , 

(3)  Sénèque  Ta  dit  bien  des  siècles  avant  M.  Yillemam  :  Nullum  est 
magnum  ingenimn  sine  mixturd^  démentis. 


EXCURSION 


L'ARRONDISSëHëNT  de  BREST 


iW 


EflYiroos  d«  Saint -Beuna  et  de  Floadaké^eaiL 


Une  des  excursions  les  plus  intéressantes  que  Ton  puisse 
entreprendre  dans  nos  environs ,  sous  le  double  rapport  pitto- 
resque et  archéologique,  c*est  sans  contredit  celle  de  Brest  au 
château  de  Trémasan.  Elle  permet,  en  outre  du  but  principal, 
de  voir  'et  d'étudier  plusieurs  points  fort  «urieux  de  notre 
arrondissement ,  comme  antiquités  et  souvenirs  historiques  d'un 
autre  âge.  Un  simple  itinéraire ,  avec  quelques  notes  historiques, 
légendaires  et  archéologiques  sur  les  localités  à  parcourir,  ne  sera 

(i)  Les  lieux  décrits  dajDs  celle  excursion,  nous  lear.avotis  explorés  tous 
avec  soin  el  dessinés  pour  la  plupart. 


—  423  — 

peut^tre  pas  sans  iatérèi  paur  iioa  iourisies  Brestais  ei  pour  les 
éU^Dgers  qui  Vienoent  visiter  notre  pays- 

Nous  allons  essayer  de  donner  Sabord  un  aperçu  succinct 
de  Kaspect  du  î)àys  que  nous  devons  explorer,  pays  qui  a 
souvent  été  visité ,  il  est  vrai,  mais  qui  mérite  encore  de  Tôire  ; 
car  ceux  qui  en  ont  parlé  se  sont  attachés  presque  exclusivement 
aux  principaux  monuments  qu'il  renferme,  laissant  de  côté  un 
grand  nombre  de  choses  curieuses  ;  aussi  trouverons-nous  encore 
à  glaner  après  eux. 

Cette  région,  principalement  celle  qui  avoîsîne  lès  bords  de 
la  mer ,  entre  Brelès ,  L'Aber-fldut ,  Porspoder ,  Argenton  , 
Porsal,  Ploudalmézeau  et  Plourin ,  a  un  aspect  particulier  qui 
ne  se  retrouve  généralement  pas  dans  nos  autres  campagnes. 
En  la  parcourant,  il  semble  que  Ton  ait  rétrogradé  de  plusieurs 
siècles;  tout  y  respire  l'antiquité,  le  sauvage,  nous  dirions 
presque  Ife  dru?disme.  C'est  du  moins  Timpression  qu'elle  nous  a 
toujours  produite  et  qu'elle  nous  fait  éprouver  encore ,  toutes 
les  fois  que  nous  la  visitons.  On  y  trouve  aussi,  de  nombreux 
souvenirs  des  premiers  temps  du  christianisme. 

Dès  menliir,  en  grand  nombre,,  généralement  peu  élevés,  se 
voient  dans  les^  champs ,  au  milieu  des  blés  ou  des  genêts , 
presque  toujours  par  groupes  de  trois,  quelquefois  de  deux, 
jamais  ou  rarement  seuls ,  différant  en  cela  des  grands  menhir, 
qui  sont  isolés  ordinairement  à  de  grandes  distances,  les  uns 
des  autres.  C'est  dans  les  lieux  les  plus  rapprochés  de  la  mer 
que  ces  petits  menhir  se  rencontrent  en  plus  grand, -nombre , 
disséminés  ça  et  là,  sans  ordre,  sans  but,  il  semblerait,  mais 
qu'en  sait- on  ?....  Les  dolmen  sont  beaucoup  plus  rares,  on 
n'en  compte  que  quelques-uns. 

Dans  l'intérieur  des  terres,  Isa  manoirs  féodaux,  les  petits 
châteaux  ou    maisons    fortifiées  ^  sont   répandus   en    grande 


—  424  — 

quantité  à  des  distances  peu  éloignées  les  uns  des  autres  (4). 
Quelques-uns  sont  maintenant  en  ruines  presque  complètes ,  de 
minimes  parties  sont  habitées  par  les  fermiers  ;  d'autres  au 
contraire ,  à  peu  près  intacts ,  du  moins  à  Textérieur ,  servent 
aussi  d'habitations.  Nous  en  décrirons  plusieurs  au  fur  et  à 
meayre  qu'ils  se  rencontreront  sur  notre  route.  Les  enceintes 
des  vastes  jardins ,  les  chapelles  de  ces  demeures,  jadis  seigneu- 
riales .^  ne  présentent  plus ,  pour  la  plupart ,  que  de  vieux  pans 
de  murs  délabrés ,  couverts  de   lierre. 

Pour  donner  une  idée  du  nombre  de  châteaux  et  manoirs 
qui  se  trouvaient  autrefois  dans  celte  partie  de  notre  arron- 
dissement ,  nous  rrépèterons  ce  que  nous  racontait  un  homme 
ôgé  de  Brelcs  :  anciennement ,  nous  disait-il,  chaque  dimancbe 
venaient  au  bourg ,  pour  la  grand'raesse ,  sept  carrosses  con- 
duisant les  habitants  des  châteaux  environnant  Brelès,  à  une 
petite  distance.  Bien  entendu  qu'on  ne  commençait  jamais  la 
messe  avant  leur  arrivée.  C'étaient  les  seigneurs  de  Kergroadès, 
de  Kermeur-Bras ,  (2)  peu  éloigné  de  Kergroadès  ;  de  Pradic- 
Meur-,  près  la  croix  de  la  Loire;  Du  Manoir  delà  Franchise, 
près  Pontrun,  sur  la  rivière  de  L*Aber  ;  de  Belair  ;  de  Keroulas  (3) 
et  de  Kerlean  (4).  Toutes  ces  habitations,  dont  plusieurs  ne 
sont  "plus  que  de  simples  fermes ,  se  trouvaient  dans  un  rayon 
de  quatre  à  cinq  kilomètres  au  plus  de  Brelès. 


(1)  M.  de  Fréminville  dit  (Antiquités  du  Finistère,  t.  i,  p.  2Sd)  :  «  La 
paroisse  de  Plourin ,  d'ailleurs  assez  étendue,  était  celle  de  tout  le  bas 
Léon  qui  fournissait  le  plus.de  gentilshommes  pour  le  service  militaire.  » 
Ceux  qui  companirentà  la  montre  de  1503,  dont  il  donne  la  liste,  étaient 
au  nombre  de  44.  On  y  retrouve  tous  les  noms  des  manoirs  et  châteaux 
que  nous  aurons  occasion  de  visiter. 

(2)  Les  armoiries  des  Rermeur  étaient  :  fascê  de  gueules  et  d*or  de 
six  pièces. 

(3)  Celles  de  Keroulas  étaient  :  fascé  de  six  pièces  d*argent  et  d'aisur. 

(4)  Celles  de  Kerlean  étaient  :  fa^cé  mdé  de  six  pièces  d'or  et  d'azux. 


—  423  — 

Ce  rapide  aperçu  suffira ,  il  nous  semble ,  pour  faire  coiiit 
prendre  combien  le  pays  que  nous  allons  parcourir  est  curieux 
à  visiter  et  à  étudier. 

Maintenant,  mettons-nous  en  roule 

En  partant  de  Brest,  nous  suivons  tout  d'abord  le  chemin, 
de  Lambézellec  ;  arrivés  au  pelit  bourg  de  Kerinou ,  appelé 
jadis  Kerennou  et  Kervenou ,  nous  tournons  à  gauche  pour 
prendre  la  grande  route  de  Saint  -  Renan.  Disons  en  passant 
que  les  anciens  seigneurs  de  Kerinou  portjsient  :  d'azur  à  la 
fasce  endetUée  d* argent  (sceau  de  4372)  et  qifils  possédafent, 
d'après  Guy  Le  Borgne  :  «  des  droits  et  des  privilèges  /  hors  le 
vulgaire  dans  la  ville  de  Brest ,  par  concession  des  ducs,  t 
C^tte  seigneurie  passa  plus  tard  dans  la  famille  de  Cornouaille. 

Peu  après  avoir  quitté  Kerinou ,  nous  traycrfians  la  rivière 
delaPenfeld,  presqu'à  sa  source,  aux  confins  de  notre  puissant 
et  magnifique  port  militaire,  sur  le  pont  qui  vient  d'ôlre  construit 
dernièrement  au  village  môme  de  Peofeld.  Avant  d'arriver  à 
Guilers  se  voient,  sur  la  gauche  de  la  route  neuve',  la  belle 
propriété  de  Gastelmen,  où  des  briques  romaines  ont  été  trouvées 
il  y  a  quelques  années ,  et  le  château  de  Kerouazl,  près  duquel 
existent  deux  sources  d'eau  minérale  ferrugineuse,  qui  pourrait^ 
parfaitement  être  employée  en  médecine. 

Anciennement  le  château  de  Kerouazl  appartenait  aux  seigneurs 
de  Penancoët,  S^^  dudit  lieu,  près  Saint-Renan,  comtes  de  Kerouazl, 
etc.,  dont  les  armoiries  étaient  : 

Fascé  de  six  pièces  d* argent  et  d*azur\  aliàs  :  d  la  bordure 
chargée  dé  six  annelets  en  orle  (sceau  de  4306);  leur  devise 
était  en  breton  :  A  bep  pen ,  lèaldet  —  (loyauté  partout)  ;  et 
aussi  :  En  diavez  —  (à  découvert). 

.  Une  des  branches  de  cette  famille,  celle  des  seigneurs  de 
Kerouazl ,  s'éteignit  en  4734 ,  dans  la  personne  de  ce{te>  belle 
LouiseRenée  de  Penancoct,  dame  <le  Kerouazl,  dame  du  palais 

54 


—  426  — 

de  la  ïeinc  d'Angleterre,  duchesse  de  Porlsmoulh  el  d'Aubîgny, 
ite.,  qui  fut  la  maîtresse  de  Charles  II,  roi  d'Angleterre.  A  la 
mort  de    ce   roi,  ^683,    la  duchesse    de   Portsmoulh    quitta 
l'Angleterre  «t  se  retira  en  Basse-Bretagne,    où  elle  avait   de 
grands  biens.  Elle  y  habitait  tantôt  son  château   de  Kerouazl , 
tantôt  la  ville  de  Brest,  où  elle  possédait  un  hôtel,    rue  des 
Sept-Saints ,  en  face  de  Téglise.  C'est  vers  cette  époque  qu'elle 
fit  faire  de  grands  travaux  d'embellissement  dans  son  château.  H 
existe  encore  queîques-unçs  des  peintures  mythologiques  qu'elle  y 
fit  exécuter^  ehtFautres,  un  plafond  où  elle  est  représentée,  dît- 
on,  en  Andromède ,  entièrement  nue  et  enchaînée  sur  un  rocher. 
î^  Aux  alentours  du  château  sont  de  magnifiques  allées  ombragées 
par  de  grands  et  vieux  arbres  ;  à  l'extrémité  de  l'une  d'elles  se 
présente  un  des  beaux  points  de  vue  du  pays  :  sur  le  premier 
plan   est   une-  rîchie  campagne ,  plus    loin  se  déploie   la  vue 
entière  de   notre  puissant  port  de    guerre ,  et    à   l'horizon  la 
ville  de  *%rest  se  dessine  en  amphithéâtre    sur  la  rade  et  les 
«ôtes  qui  l'environnent. 

Dans  lés  champs  de  cette  propriété  on  a  aussi  recueilli^  il  y  a  une 
Vingtaine  d'années,  plusieurs  monnaies  romaines  ;  l'une  d'elles,  en 
or,  représente  :  au  droit  l^cflîgie  de  Néron ,  entourée  de  la  légende  : 
NERO.  CjESAR.  a  VG.  IMPER.  ;  sur  le  revers  est  unecouronne,au 
milieu  de 'laquelle  on  lit  :  EX.  S.  C,  avec  la  légende,  PONTIF. 
MAX.  TR.  P.V.  PP.  Comme  on  le  sait,  Néron  naquit  l'an  37 
de  J.-C,  il  devint  empereur  Tan  54,  à  l'âge  de  -17  ans  et 
mourut  l'aù  68.  Cette  médaille  est  probablement  des  premiers 
temps  de  son  règne ,  car  la  tête  est  celle  d'un  tout  jeune  liomme. 
Ces  monnaies  de  Néron  ne  sont  du  reste  "point  rares.  Les  autres 
médailles  appartenaient,  m'a-t-on  dit,  au  règne  d'Antonin  le 
Pieux.  En  creusant  tout  dernièrement  encore  dans  cette  pro- 
priété, pour  la  construction  d'une  pièce  d'eau,  on  a  de  nouveau 
trouvé  des  débris  de  poteries  romaines. 


—  427  — 

.   Que  conclure  de  ces  trouvailles  ?•,... 

.  Jadis  une  voie  romaine  ne  passait-elle  point  dans  ces  propriétés 
de  Castelmen  et  de  Kerouazl ,  et  près  de  là  n'existait-il  pas  un 
établissement  romain  ?  .  „    *. 

Ces   suppositions ,    qui  pourront   tout  d*abord    paraître   fort 
hasardées,  ofifrent  pourtant  une  certaine  probabilité  (I).  ^ujour* 
d'hui  il  est  bien  constaté  qu'une  des  voies  romaini»  qui  partaient 
de  Carhaix  (Vorgium),  se  rendait  à  Landerneau,  dont  T-orlgine 
-romaine  a  été  reconnue  il  y  a  peu  d'années.  De  cette  dernière 
ville  j  une  route ,  qui  n*a  encore  été  étudiée  q^e  jusque  dans 
la  commune  de  Lambézellec ,  se  dirigeait  sans  nul  doute  vers  la; 
côte  ;  car ,  si  te  bout  déjà  reconnu  est  prolongé  en  ligne  droite  ,V 
direction  que  suivaient  toujours  les  voies   rçmaînes^  il  açrlve 
entre  Saint-Mathieu  et  le  Conquet,  dans  Tanse  de  Porsliocan,  loù 
l'on  place  généralement   le    Portus   Staliocanirs,  d«   Ptolémée , 
port  célèbre  de  Taûtiquité ,  détruit  en  87»  par  les.  Normands,, 
Or  cette  ligne  qui,   partant  de  Landerneau  arrivait  ^Portui 
Staliocanus ,  port    dont    Timportancc   était  assez  grande   pour, 
qu'une  voie  spéciale  lui  fût  consacrée ,  passait  près  de  Lambé- 
zellec ;    de    Caslelmen  ;  de    Kerouazl  et  dans  les  environs   dd 
Plouzané.  Quant  à  l'établissement  romain  qui  se  trouvait  peut-ôtro 
en   cet  çndroit ,  nous  aurons  à  dire ,  qu'en   outre   des  tuiles 
romaines ,   des  débris  de  poterie   et  des  médailles  de  Néron  et 
d'Antonin,   on  a  aussi  recueilli  dans  celte  localité  deux  petites 
et  grossières  meules  de  moulin  ;  l'une   d'elles  était  enfouie  à 
une  grande  profondeur/  sous  les  racines  d'un  énorme  chêne 
séculaire.  Le  nom  de  Castelmen  {château  de  pierres)  que  porte 
Tune  de  ces  propriétés,  ne  peut-il  aussi  être  invoqué  comme 
un  indice  de  Texistcnce  d'un  établissement  quelconque  dans  ce 


(IJ  Des]murailles  romaines  du  château  de  Brest,  par  M.  Bizeul  (de  Blain]» 
fievue  des  provinces  de  V Ouest,  5«  année,  p,  142.)  '  *   • 


—  428  — 

lieu,  existence  dont  la  t/adilioû  a  gardé  le  souvenir  et  Fa  consacré, 
tdè  môme  qu'on  Ta  fait  dans  plusieurs  localités  de  notre  pays, 
par  le  nom  celtique  ou  breton  qu'on  lui  a  donné.    . 

Si  les  meules  do  moulin  et  le  nom  de  la  propriété  offrent 
une  présomption  très  grande  pour  faire  croire  à  un  établisse- 
ment dans  cette  localité ,  certes ,  les  tuiles  romaines ,  ainsi 
que  les  médailles  et  les  débris  de  poterie  qu'on  y  a  trouvés , 
peuvehl  faire  supposer  qu'il  était  romain. 

.    Mais  passons 

*  Après  avoir  traversé  ces  propriétés   et  le  bourg  de  Guilers , 
.jetons  un  coup-d'ceii  sur  les  vastes  marais  de  Bodonnou,  dans 
iesquels  il  lie  faUl ,  dit  on,  s'engager  qu'avec  beaucoup  de  pru- 
dence, *Avant  d'entrer  à  Saint-Renan ,  quittons  la  grande  rente 
J)Ouf  visiter  la  fameuse  grille  du  diable ,  au  manoir  du  Curru  , 
ancienne  vicomte ,  appelé  aussi  château  de  Pharamus  et  môme 
du  roi   Pharamus.  A  une   des  fenêtres  du   rez-de-chaussée  se 
trouve  cette  grille,   dont   les   enchevêtrements    ont   semblé   si 
âifficiles  à  comprendre,   qu'on  y  a  vu  un  travail  diabolique,  et 
que  la   tradition   Ta  attribué  à  Satan.  Dans  une  nuit,  dit  la 
légende ,  cette  grille  se  trouva  mise  en  place.  Le  diable  y  laissa 
l'empreinte  de  sa  main ,  que    l'on   y  voyait  encore  naguère , 
et  dont  les   doigts  se  dessinaient   dans  la  nuit  en  gerbes  de 
feu.   Un  long  souterrain  reliait  jadis,  affirme-ton ,  ce  manoir 
à  la  ville  de  Saint-Renan.  A  la  vicomte  du  Curru  (-1)  était  attachée, 
dès  le  XiV«  siècle,  une  prévôté  ducale  féodée  ,  dont  la  juridiction 
s^étendait  sur  les  paroisses  de  Ploeavas  (Guipavas),  Lambezeleuc 
(Lambézellec ) ,    Botgars    (Bohars),  et  Tresnuez  (probablement 
Trenevez).  Pour  exercer    les  droits  inhérents  à    celte  charge , 
les  seigneurs  du  Curru  devaient  payer  «  au  receveur  du  domaine 
ducal  de  Brest,  la  somme  de  six  vingts  livres  et  trois  sols  par 

(i)  Mélanges  d'hhloire  et  ^(vrthéohgU  bretonnes,  p.  87,  l.  2.-rl"  partie. 


—  420  — 

cbacun  an.  »  Antérieurement  à  ^360,  il  existait  encore  des  vicomtes 
du   Curru  ,  portant  ce  nom.  Vers  cette  époque,  Théritière  de 
cette   seigneurie  épousa  Geslin    de    KerniBzne ,    fils   juveigneur 
d*Ollivier,   seigneur  de  Kernezne  en  Quilbignon.  Elle  lui  porta 
en    dot    là  vicomlé   du   Curru  avec   tous  ses  droits.    En    elle 
s'éteignit  probablement   cette  famille ,  car  on  ne    trouve  plus 
çé    nom    dans   aucune    réformation  ;    mais   comme    dans  ^le 
pays    ce    manoir    est    aussi    désigné  ,    et    Ta    toujours    été  , 
sous  le    nom  de   château  de  Pharamus   ou  du  roi    Pbaramus 
{Kastel   Pharamus  on  Kastel  ar  rom  Pharamus) ,  on  suppose, 
que   le  vrai    nom  de   cette   famille   était  Pharamus.    Ces   sei«» 
gneurs    portaient  :    chargent    au  lion   de    sable,    lampassé  et/ 
couronné  â*or.  D'après  M.  de  Courcy,  qui   écrit  Farîftnu^,    le'^'j 
manoir  du  Curru  appartenait ,  aa  XIV'  siècle ,  à  celte  famillç  ,  ♦ 
qui  se  fondit  dans  celle  de  Kernezne.  Quoiqu'il  en  soit,  il  est 
positif  qu'en  ^484  ,  la  vicomte  du  Curru  était  possédée  en  entier 
par   Gestin  de  Kernezne,   qui   la  tenait  de   son  mariage  avec 
Marie  du  Curru,   seule  héritière  des   seigneurs*  de  ce  nom.   Il 
la  transmit  à  ses  descendants  ,  qui  en  étaient  encore  possesseurs 
à  la  fin  du  XV«  siècle.  En  4486,   elle  appartenait  à  Jehan  II   . 
de  Kerûezne,  qui  ayant  embrassé  le  parti  de  la  France  contre 
le  duc  de    Bretagne ,   François  II ,    fut  dépouillé   de  tous   ses 
biens.  Dès  que   Charles   VIII ,   par   son  mariage   avec   la   du- 
chesse   Anne,  eut   réuni    la    Bretagne  à  la   France,  il   s'eîn- 
pressa ,  par  lettres  patentes ,  de  le  faire  rentrer  dans  .tous   ses 
droits. 

Avant  de  quitter  ce  manoir,  n'oublions  point  d'étudier  cette 
belle  pierre  sculptée,  couverte  d'armoiries,  qui  se  voit  dans  la 
cour.  Elle  porte  un  écnsson  carré,  entouré  du  cordon  de  Saint- 
Michel  ,  soutenu  par  deux  lions  couronnés  et  surmonté  d'une 
couronné  de  marquis.  Au-dessus  s'élève  un  casque  ou  heaume 
de  face  à  la  visière  baissée,  orné  aussi  d'une  couronne  de  marquis. 


—  430  — 

Cet  écnsson  est  écarlelé  et  porte  sur  le  tout  un  autre  écussoû 
plus  petit,  divisé  en  deux  parties. 

Sur.  le  grand  écusson  on  voit ,  il  nous  semble  : 

Au  l^f,  les  armes  de  La  Roche-Laz  :  Uazur  au  dextrochère  ,  gaïUé 

d'argent  mouvant  du  flanc  se- 
nestre  et  supportant  un  épervitr 
de  même ,  longé  et  grillé  d'or. 

Au  4«  ,  celles  de  Keruzas.  ...  :  De  gueules  à   cinq  fleurs  de 

lys  d^argent. 

Au  2« ,  celles  de  Kergoët.  ...  :  D'azur  au  léopard  d'or  (qui 

est  le  Faou),  chargé  sur  Vépauk 
d'un  croissant  de  gueules  (com- 
me marque  de  juveignerie). 

Au  3« ,  celles  de  Jouhan.  .  .  .  :  De  gueules,  au  lion  d'or  y  armé 

et  lampassé  d argent  ^  accom- 
pagné de  trois  annelets  de 
même. 

Sur  le  pelit  écusson  : 

Celles  de  Kernezne •  .  :  D'or  à  trois  coquilles  de  sable. 

et  celles  de  Coëtarmoal :  D'azur  à  deux  épées  dargent 

garnies  d'or^  posées  en  sautoir. 

ou  celle  de  Coëtanezre. :  De  gueules  à  trois  épées  Sar- 

gent  garnies  d'or^  les  poifdes 
en  bas  y  rangées  en  bandes.  (I) 

(ij  M.  de  Courcy,  Dictionnaire  hérnîditjue  de  Bretagne. 


—  431  — 

Ces  armes  étaient  celles  que  portait,  sur  son  pennon,  Chartes 
.de  Kcrnezne ,  qui  figurait,  en  -1595,  comme  simple  sallade  dans 
la  compagnie  de  René  de  Rieux  de  Sourdéac ,  gouverneur.de 
Brest  (f).  Il  était  chevalier  de  Tordre  du  Roi,  vicomte  du  Curru, 
marquis  de  La  Rôche-Laz,  etc....  En  ^606,  il  épousa  Anne  de 
Coëtanezre ,  dernière  héritière  des  seigneurs  de  ce  nom ,  qui  lui 
apporta  en  mariage  cette  seigneurie  avec  tous  ses  droits.  (2) 

Remontons  maintenant  vers  la  grande  route  de  Ploudalmézeau, 
laissante  notre  gauche  la  petite  ville  de  Saint-Renan,,  dont  la  ville 
de  Brest,  heureuse  rivale,  a  enlevé  les  importantes  prérogatives^ 
En  /I68I,  des  lettres  patentes  de  Louis  XIV  transportèrent  h 
Brest  le  siège  de  la  justice  Toyale,  qui  était  alors  à  Saint  Renan. 
Ce  ne  fut ,  il  est  probable,  qu'une  restitution ,  car  Brest  possédait 
en  ^593,  un  siège  royal.  La  ville  de  Saint* Renan  ne  mérite  guère 
que  nous  nous  y  arrêtions  long  temps  ;  ses  quelques  maisons  en 
bois  et  sa  vieille  halle ,  n'offrent  rien  de  bien  curieux,  ^as  plus 
que  son  église  paroissiale.  On  voit  pourtant  dans  le  bas  de  la 
ville  le  portail  assez  bien  conservé  d'une  ancienne  église  du 
XIIP  siècle ,  qui  s'élevait  jadis  dans  cet  endroit  ;  c'est  tout 
ce  qui  en  reste  (3).  A  côté,  posé  sur  le  sol  de  la  rue,  est 
aussi  un  retable  d'autel,  fort  bien  sculpté,  qui  mériterait,  nous 
le  croyons ,  les  honneurs  d'une  place  dans  notre  Musée  archéolo- 
gique. Nous  la  lui  souhaitons. 

(1)  Celle  compagnie  de  sallades,  composée  de  SO  hommes ,  tenait  gar- 
nison au  château  de  Brest.  Cette  troupe  lirait  son  nom  de  la  coinure 
qu'elle  portait  :  uncasque  léger  appelé  salade.  C'était  une  espèce  de  milice , 
nommée  par  le  Koi  pour  défendre  le  pays,  dans  laquelle  entraient  tous 
les  gentilshommes  de  la  contrée.  ,  * 

(2)  En  1760 ,  la  seigneurie  du  Curru  était  possédée  par  dame^Marie- 
Claude-Jacquelle  du  Chastel,  veuve  de  messire  Hugues-Humbert  Huchel, 
Tîhevalier,  seigneur  comte  de  Labédoyère.  Celte  dame  demeurait  à  cette 
époque  dans  son  château  de  Trévarez,  paroisse  de  Laz,  en  Cornouaille. 

En  1774,  elle  appartenait  à  messire  Charles- Jules  du  Bot,  chevalier, 
seigneur  de  Grégo ,  paroisse  de  Sursus. 

C3)  C'était  un  prieuré  dépendant  de  Tabbaye  Saint-Mathieu. 


—  432  — 

Le  clocher  pointa ,  élancé  et  découpé  de  l'église  de  Lanrîvoaré 
ou  Laflriouaré  se  dessine  déj.\  à  Thorizon.  C'est  là  que  reposent, 
dans  un  cimetière  réservé  ,  7777  saints/  d'après  M.  de  Fré- 
minvillc.  M,  deCourcy  dit,  dans  son  curieux  itinéraire  de  Saint- 
Pol  à  Brest,  7847,  d'après  la  tradition  bretonne  :  sets  mil  sdz 
cant  sets  ngnent  ha  seiz  ,  —  sept  mil  sept  cents  sept  vingis 
et  sept.  ^  Cette  grande  agglomération  de  saints  dans  un  méoie 
lieu  s'expliquerait  par  l'extermination  d'une  peuplade  entière, 
convertie  au  christianisme,  tombée  sous  les  coups  d'une  autre 
peuplade  voisine,  encore  païenne.  De  ces  nouveaux  convertis 
i^n  aurait  fait  dos  saints.  Du  reste ,  d'après  la  tradition  ,  un 
combat  aurait  eu  lieu*  non  loin  de  cette  église,  et  un  grand 
nombre  de  coins  en  fonte  auraient  été  trouvés  dans  un  marais 
peu  éloigné,  qui  assèche  tous  les  étés.  (1) 

Dans  ce  cimetière  des  saints ,  placé  près  de  l'église  cl  fermé 
par  un  mur  peu  élevé  ,  vous  ne  pourrez  entrer  que  les  pieds 
nus  ;  mais  si  vous  désirez ,  par  dévotion ,  en  faire  le  tour ,  ou 
encore  avoir  un  morceau  de  la  vieille  souche  qui  se  voit  au 
pie(J  de  la  croix ,  près  de  sept  pierres  ayant  la  forme  de 
pain&^,  payez  un  de  ces  mendiants  bretons  qui  se  trouvent 
toujours  dans  les  lieux  consacrés.  Moyennant  quelques  sous  il 
fera  pour  vous,  en  priant,  le  tour  de  ce  cimetière ,  sur  les  dalles 
qui  en  forment  l  enceinte ,  et  vous  rapportera  un  morceau  de 
la.  souche  que  l'on  entaille  depuis  des  siècles ,  sans  que  jamais 
elle  diminue.  Conservez  religieusement  ce  bois  sacré ,  il  vaut 
mieux, que  n'importe  quelle  police  d'assurances  contre  l'incendie; 
car  celle-ci  ne  peut  que  vous  faire  indemniser  avec  parcimonie  des 
perles  qu'un  sinistre  vous  aura  causées ,  tandis  que  cette  pré- 
cieuse relique  vous  préservera  à  toujours  d'incendie,  si  vous  la 
conservez  dans  votre  habitation. 

(1)  Dictionnaire  historique  et  géographique  Se  la  province  de  Bretagne, 
par  Ogée.  -*-  Nouvelle  édition.  —  Notes  de  rarlicle  Laarivoaré,  p,  4S6, 


-  433  - 

L'église  de  Lanrivoaré  n'a  rien  de  remarquable  et  n'est  poîni 
ancienne.  Elle  porte  les  millésimes  de  1583  et  de  4727;  m.aîs 
sur   les    pierres  tombales  qui  en  forment  le  aol ,  on   Voit  de 
grossières  sculptures  représentant  des  haches ,    des  piques ,  des 
pioches  ,   etc.  Ces  pierres   tombales  proviennent  sans  doute  de 
l'ancienne  église  sur  l'emplacement  de  laquelle  /élève  celle  qui 
existe  maintenant.  Que  veulent  dire  ces  emblèmes  ?  Nous  n'essaie- 
rons aucune  conjecture  à  ce  sujet ,  nous  bornant  à  les  signaler 
à  l'attention  des  archéologues.  Quittons  celte  église  ^ui  doit  son 
nom  à  saint  Rivoaré,   apôtre  des  premiers  temps  du  christia- 
nisme ,  après  avoir  rappelé  que  les  sept  piei'res  sont  autant  de 
pains,   dit  la  tradition,  que  Saint-Hervé,  neveu  de  Saint-Rivoaré, 
pétrifia  pour  punir  un  boulanger  de  l'endroit  qui  lui  avait  refusé 
l'aumône  avec  dureté. 

Gagnons  maintenant  le  grand  et  gros  bourg,  nous  allions 
presque  dire  la  ville  de  Ploudalmézeau  ou  Guitalpiézeaa ,  ,  dont 
la  population,  jointe  à  celle  de  la  commune,  s'élève  à  trois 
mille  âmes  environ.  Son  élégante  église  et  son  joli  clocher 
ne  datent  que  du  Xyill*  siècle  (1775  environ).  Pourtant  une 
inscription  en  lettres  gothiques ,  qui  se  voit  sur  un  des  coat.4*efert 
de  ral)side,  à  l'extérieur,  pourrait  faire  supposer  que  le  chœur 
était  plus  ancien  ;  peut-être  aussi  cette  inscription  provient- elle 
de  l'ancien  teinple  sur  lequel  a  été  construite  l'église  actuelle. 
Cette  inscription  porte  :  ,  , 

Lan  mil  cinq  cent  et  quatre , 
A  la  fin  d'avril  sans  rien  rabattre, 
Fut  au  pignon  de  cette  église 
La  première  pierre  assise^ 

Depuis  peu  d'années,  le  chœur  de  l'église  a  été  refait,  et  pour 
en  conserver  la  mémoire ,  on  a  gravé  sur  le  contrefort  opposé 

«5       « 


—  434  — 

au   précédent ,   les   quatre  yers  suivants ,   qui  ne  sont  qu'un 
pastiche  des  premiers.  Les  voici  : 

En  Van  mil  huit  cent  cinquante-sept, 
A  ta  mi-mars ,  tout  compte  net  ^ 
M'^essire  Arzel ,  lors  recteur, 
.      En  fit  reconstruire  le  choeur. 

Dans  un  des  murs  du  cimetière ,  examinons  aussi  une  croit 
de  pierre ,  ornée  d'une  sculpture  en  relief  représentant  le  cruci- 
fiement de  Notre.  Seigneur.  Ce  petit  monument  a  tous  les  caractères 
d'une  grande  antiquité.  Quelques  vieilles  malsons  du  bourg,  assez 
curieuses,  méritent  un  moment  d'attention.  Constatons,  en  passant, 
un  usage  singulier.  Entrez  dans  l'église,  et  vous  verrez  la  nef 
remplie  de  petits  bancs  de  bois  attachés  au  sol  par  des  chaînes 
dq  fer  scellées'  dans  les  dalles.  Coutume  bizarre,,  car  certes  ce 
n'est  point  la  valeur  de  ces  bancs  qui  peut  ainsi  les  faire  préserver 
des  tentatives  des  voleurs ,  assez  rares ,  du  reste ,  dans  ce  pays. 
Mais  continuons ,  le  temps  nous  manquerait  pour  notre  excursion, 
si  nous  m  laissions  de  côté  quelques  autres  curiosités  archéolo- 
giques, que  nou^  visiterons  une  autre  fois ,  et  qui  se  trouvent 
&  une  distance  asse2  éloignée  de  Pioudalmézeau  ,  en  dehors  de 
notre  itinéraire,  tels  que  tumulus,  menhir,  dolmen,  cromlech, 
briques  romaines.  Ne  quittons  cependant  pas  ces  lieux  sans  avoir 
vu  les  poteaux  de  justice  qui  se  trouvent  dans  un  champ  nommé 
Parc  a  justissou ,  et  qui  étaient  jadis  les  fourches  patibulaires 
de  la  seigneurie. 

Presque  en  Sortant  de  PloudaUnézeau  l'aspect  de  la  campagne 
change  entièrement  ;  bientôt  vous  avez  devant  vous  une  vaste 
plaine  qui  s'étend  au  loin  vers  la  mer;  les  arbres  ont  disparu; 
un  sol  aride  et  argileux  ne  vous  présente  qu'une  vue  triste 
«i  désolée  ;  des  menhir  ont  remplacé  les  arbres  et  se  montrent 
j^a  et  là  dans  les  champs.   C'est  au  milieu  de  ces  champs, 


—  435  — 

i^parés  par  de  petits  murs  en  pierres  sèches ,  qu'est  tracée  It 
route  que  vous  devez  suivre,  encore  toute  défoncée,  en  plusieur3 
endroits  ,  par  les  pluies  qui  en  ont  fait  pendant  fhiver  de» 
espèces  de  fondrières.  Combien  on  est  du  reste  dédommagé  de 
cette  aridité ,  qui  vous  entoure ,  par  la  vue  de  la  mer  se  per* 
dant  dans  un  horizon  lointain,  et  suMoût',*'  lorsqu'arrivé  au 
bourg  de  Kersaint-Tremazan ,  vous  vous  diriez  vers  Tansc  de 
Porsal,  et  qu'à  un  des  détours  de  la  route,  se  présente  toutà- 
coup  à  vos  yeux  l'imposante  tour  de  l'antique  château  de 
Tremazan. 

Ce  magnifique  château  féodal,  berceau  de  la  famille  Du  Chaste!,- 
si  célèbre  dans  nos  annales  bretonnes  et  françaises  ,  est  un  monu- 
ment du  X1H«  siècle.  Ce  fut   Bernard  Du  Chaslel  qui ,  à   son 
retour  de  la  croisade  de  -1258,   le  fit  édifier  dans  le  fond   de 
Fanse  de  Porsal ,  sur  le   sol  môme  que  la  tner  vient  baigner. 
Son    doBjon ,   immense   tour    carrée ,  dominait  jadis  toute    la 
contrée,  malgré  les  hautes  terres  qui  l'envîropnent.  Les  ruines  si 
imposantes  de  cette  demeure  féodale ,  élev^  ^sur  l'emplacement 
d'un  château  plus  ancien  que   la  tradition  et  Ji^  leggfides  font 
remonter  aux  premiers  temps  du  christianisipe,  .et  dans  lequel 
étaient  nés  saint  Tanguy,  fondateur,  au  Vl'  siècle,  de  l'abbaye 
Saint-Mathieu  et  Sainte  Haude,  sa  sœur,  ont  été  décrites  par  tous 
les  archéologues  qui  ont  visité  les  antiquités  de  notre  arrondis- 
sement. 

«  Château  fameux ,  dit  M.  de  Kerdanet ,  dont  on  admire  encore 
«  le  magnique  donjon,  près  de  Porsal,  dans  la  commune  de 
«  Làndunvez.  Ce  donjon  forme  un  carré  parfait  de  428  pieds 
»  de  circonférence  ;  il  est  assis  sur  une  butte  artificielle  d'où 
«  il  s'élève  à  la  hauteur  de  90  pieds;  il  en  avait  A 00  lorsque 
»  ses  longues  cheminées  existaient.  Il  ne  présente  aujourd'hui 
«  qu'une  vaste    ruine ,   mai^    une  ruine   des   plus   curieuses , 


—  436  — 

»  rappelant  dignement  la  puissance ,  la  majesté  de  ses  anciens 
1^  maîtres,  les  seigneurs  Du  Chastel.  »  (4) 

M.  de  Frérainville  en  a  donné  une  longue  description  ;  M.  de 
Courey  les  a  décrites  aussi  et  étudiées  sous  le  rapport  archéolo- 
gique plus  particulièrement,  dans  son  Itinéraire  de  SainUPol  à 
Brest.  Dans  le  Voyage  de  Cambry ,  édition  de  Brest ,  ^  S36  j 
on  en  voit  un  dessin  ;  mais  c'est  surtout  dans  le  Voyage 
pittoresque  et  romantique  dans  l'ancienne  France^  de  M.  le  baron 
Taylor,  que  Ton  trouve  de  belles  lilhographies  représentant  ces 
imposantes  ruines ,  lithographies  dues  aux  crayons  de  M.  Ciceri 
et  de  notre  ami  et  compatriote  A.  Mayer. 

Albert  Le  Grand  vous  racontera  aussi  Thisloire  de  saint  Tanguy 
qui,  trompé  par  les  faux  rapports  de  sa  belle-mère ,  décapita  sa 
sœur,  sainte  Haude.  Tanguy  et  Haude  étaient  les  enfants  de 
Florence ,  fille  d'Honorius ,  prince  de  Brest ,  et  de  Galonus, 
seigneur  de  Tremazaa.  La  tradition  vous  dira  encore  la  raison 
pour  laquelle  les  œillets,  que  Ton  voyait  jadis  en  sî  grand 
nombre  sur  les  sommets  et  dans  les  anfractuosités  de  ces 
murs  ',  étaient  rouges  couleur  de  sang ,  et  pourquoi  ils  fleuris- 
saient dans-  toutes  les  saisons ,  même  pendant  les  hivers  les 
plus  rigoureux ,  sous  la  glace  et  sous  la  neige.  Le  jour  où 
saint  Tanguy  trancha ,  dans  un  accès  de  fureur ,  la  tête  de 
sa  sœur,  les  œillets  blancs  qui  couvraient  les  murs  du  château 
devinrent  subitement  rouges  ;  le  sang  de  sainte  Haude  les  avai' 
teints  à  tout  jamais.  Les  paysans  d'alentour  ne  connaissaient 
ces  fleurs  que  sous  le  nom  de  Ckinofl  sftntez  Eodes  (œillets  de 
sainte  Haude).  Depuis  quelques  années  ils  ont  entièrement  dispara. 
Mais  s'ils  ont  disparu,  le  nom  de  Tremazan  n'est-il  pas  toujours 
là  pour  garder  le  souvenir  de  ce  meurtre?  (2) 

(i  )  Albert  Le  Grand,  Vies  des  Saints  de  Bretagne.  — Éd.  de  Brest.  Anner 
(1836).  —  Notes  de  la  vie  de  saint  Tanguy,  p.  7G3. 

(2)  Tremazan  ne  viendrait -il  pas  de  Tremezvan,  qui  veut  dire  trépas, 
meurtre ,  et  le  nom  de  Kastel  Tremazan  ne  pourrai l-il  se  traduire  par  : 
Château  du  meurtre,  du  trépas. 


—  437  — 

Faisons  le  tour  de  cette    vaste   et   antique   ruine  ;  admirons 
d*abord,  des  hauteurs  qui  l'environnent,  son  imposant  et  formi- 
dable aspect  ;  puis  parcourons  les  douves  profondes  qui  Tentou- 
rent  et  que  la  mer  envahit  dans  les  grandes  marées.    Pour   y 
arriver,  descendons,  en  quittant  la  ferme,  par  une  pente  assei 
raide.  Ces  douves,   toujours  couvertes  d'une  herbe  verdoyante 
et  dont  les  côtés  si   élevés ,  opposés  au  château ,  Boiït  formés 
par  lés  rochers  naturels  qui  soutiennent  les  terres ,  nous  condui- 
ront au  portail ,  à  la  porte  principale ,  jadis  munie  d'un  pont-levis 
et  défendue  par  deux  fortes  tours  rondes ,  dont  il  ne  reste  plus 
que  quelques  débris;  suivons  ensuite,   toujours  extérieurement, 
la  muraille  du  château ,  dont  la  forme  est  carrée ,  pour  arriver 
au   pied  du  donjon.  Cette  immense    tour,   construite  sur   une 
butte  factice  dont  la  solide  maçonnerie  se  voit  encore,  semble 
s'élever  de  là  à  une  hauteur  prodigieuse.  Continuons  et  entrons 
par    le   portait  dans  la  cour  intérieure  ;  là  nous  en  constaterons 
à  peu  près    l'ancienne  forme    carrée,    les    murs    intérieurs  à 
droite  et  à  gauche,  gisant  sur  la  terre  et  ne  laissant  apercevoir 
que   quelques  vestiges    de   vastes  cheminées,,  ef  les   traces   de 
puissants  escaliers  en  pierres  ;  enfin,  gravissons  jusqu'au  donjon, 
placé  en  face  du  portail,   et  passons  ,   en  nous  baissant ,  sous 
la  porte  en  lancette ,   dont  les  débris   ont  obstrué  l'entrée.    A 
l'intérieur  comme  à  l'extérieur,  l'aspect  de  cette  tour  est  gran- 
diose et    saisissant.   Un   escalier,   pratiqué  dans   l'épaisseur  du 
mur,  et  dont  il  existe  encore  une  partie,  indique  par  où  jadis 
on  montait  aux  quatre  étages  du   donjon    d'où  l'on  gagnait  le 
faite  couvert  d'une  toiture  élevée ,  dominée  par  de   longues  et 
étroites  cheminées ,  qui  surmontaient   encore  naguère   les  mu- 
railles   du    donjon.     Constatons    aussi    avec    M.   de    Courcy, 
dont  la   science  archéologique   est    si   bien   connue ,    qu'il  est 
probable   que  le   sommet    de    cette    tour  ,    en    raison   de    la 
disposition  des    murailles ,    n'a  jamais  été    munie  de   machi* 


—  438  -^ 

eoulis ,  fl  mais  bien  de  ces  hourdes ,  ouvrages  en  charpente 
j»  qui  abritaient  les  assiégés  derrière  des  parapets  de  bois 
»  percés  d'archères,  par  lesquelles  ils  faisaient  pleuvoir  sur 
i  Tennemi  des  projectiles  de  toute  nature ,  pour  Tempêcher  de 
»  battre  les  murs  de  la  place.  »   (^) 

Les  mâchicoulis  ayant  remplacé  '  les  hourdes  à  partir  du 
X1I«  siècle ,  nous  trouvons  dans  ce  fait  une  preuve  de  plu*  de 
l'ancienneté  du  château  de  Tremazan. 

Il  nous  reste  encore  à  visiter  l'ouvrage  avancé  qui  protège 
la  porte  d'entrée.  Sa  construction  est  moins  ancienne.  C'est  aussi 
une  grande  enceinte  carrée .  flanquée  de  tours  rondes  aux  quatre 
angles,  et  dont  les  larges  remparts ,  défendus  par  un. parapet  à 
mâchicoulis,  ont  3  mètres  25  centimètres  d'épaisseur. 

Mai§  arrachons-nous  de  ces  lieux  que  Ton  ne  peut  quitter 
sans  regrets ,  où  l'on  semble  vivre  dans  un  ^utre  âge ,  où  tout 
est  grandiose  et  imposant ,  l'édifice  bâti  par  la  main  de  Thomme, 
ainsi  que  la  nature  qui  l'environne.  Pourtant  avant  de  les  quitter, 
redisons  que  la  noble  famille  Du  Chastel,  qui  comptait  plusieurs 
grtinds  personnages  ,  a  fourni  à  Brest  deux  capitaines  :  Tuu 
en  -1341,  Tanguy,  III«  du  nom ,  auquel  le  comte  de  Montfort 
confia  la  garde  de  ce  château  aussitôt  qu'il  s'en  fut  rendu 
maître,  et  qui  lui  resta  aussi  fidèle  que  Clisson  l'avait  été  à 
Charles  de  Blois.  Ce  capitaine,  sollicité  de  livrer  Brest  aux 
ennemis  de  Montfort,  répondit  au  roi  de  France  :  «  Je  n'ai 
»  jamais  eu  le  dessein  de  porter  les  armes  contre  vous  ;  il  est 
»  vrai  que  je  me  suis  mis  en  défense  contre  Charles^  de  Blois 
»  et  Hervé,  de  Léon  ,  qui  voulaient  me  ruiner ,  parc^  que  je 
»  soutiens  le  parti  de  celui  qui  est  mon  seigneur  lige  et  du 
»  vrai  sang  de  Bretagne.  »  Ce  fut ,  à  lui  que  la  comtesse  de 
Montforl ,  aussitôt  après  que  son  époux  eut  été  fait  prisonnier 

(i)  Itinéraire  de  Saint-Poï  à  Brest ,  p.  50. 


—  439  — 

par  les  Français,  confia  la  garde  du  trésor  ducal ,  qu'elle  avait 
fait  transporler  à  Brest  11  était  lieutenant  général  des  armées 
de  Monlfort  en  Bretagne.  Cest  aussi  à  lui  que  Charles  de  Blois, 
couvert  de  blessures,  rendit  son  épée  à  la  bataille  de  La  Roche- 
Derrien,  Tanguy  le  fit  conduire  au  château  de  Brest  en  attendant 
qu'on  renvoyât  en  Angleterre.  L'autre  capitaine  de  Brest ,  appar- 
tenant à  cette  feimille ,  était  Ollivier  du  Chastel ,  qui  commandait 
cette  forteresse  en  -1412.  11  était  frère  de  Tanguy  Du  Chastel,  dont 
la  fidélité  à  Charles  VII ,  roi  de  France ,  est  historique.  Nous 
rappellerons  aussi  que  Kersimon ,  qui  sauva  Brest  en  i  558  ,  en 
repoussant  les  Anglais  qui  avaient  déjà  saccagé  le  Conquet, 
était  de   la  même  famille* 

Disons  pourtant  enfin  adieu  à  ces  belles  ruines  ,  et  gravissons 
le  rocher  le  Guihguy ,    qui   domine    l'anse   de  Porsal.  De   là 
on  voit  la  pleine   mer  qui,  eu  se  retirant  çwi  loin,- laisse  à 
découvert   à   chaque    fnarée ,    une   longue  vplagé   sablonneuse. 
Exanninons  en  détail  le  beau  dolmen  qui  s'y  trouve,  et  dont  les 
pierres  sont  en   partie  renversées  ;    puis  regardons  au-dessous 
de   nous,   dans  Tanse   môme,  nous  y- verrons  une   ancienne 
chapelle ,  tout  en  ruines ,  dédiée  jadis  à  saint  Uffen  ou  Usven , 
dont  la  mer  vient  battre  les  fondations ,  et,  en  labourant  le  sol, 
met  souvent  à  découvert  les  ossements   des  générations  passées 
inhumées   par  couches  superposées   dans  le  petit  cimetière  qui 
fentoure.  On  y  voit  aussi  une  jolie  croix  élancée  en  Kersanlon. 
Jadis ,   dit-on  dans  le  pays  ,   se   trouvaient  sur   le   rocher  le 
Guiliguy ,  deux  pierres  grossièrement  sculptées ,   sur  lesquelles 
étaient  gravées  des  caractères  presque  illisibles.  On  les  appelait 
les  pierres  des  deux  amans.  Il  se  rattachait  à  ces  tombes  une 
louchante  légende  que  les  anciens  de  Porsal  redisaient  naguère  ; 
mais  hélas  !  tout  a  disparu ,  tout  a  été  oublié  :  les  pierres  ont 
été  employées  pour  une  bâtisse  de  l'endroit ,  et  maintenant  per- 
sonne ne  se  souvient  de  la  légende. 


—  440  — 

Rcmonlons  à  Kersaiot ,  où  l'on  voit  Fanclenne  église  du  châteaa 
de  Tremasan ,  édifice  du  XV'  siècle ,  fondée  et  rentée  par  les 
anciens  seigneurs  Du  Chastel.  Jadis  cette  église  était  une  riche 
collégiale  desservie  par  des  chanoines  chapelains.  Aujoord'hui  » 
surtout  à  l'intérieur,  el!e  est  dans  un  état  de  délabrement 
presque  complet.  Gagnons  ensuite ,  sans  nous  y  arrêter ,  Lan- 
duQvez ,  autrefois  Landumez  ,  où  existait  anciennement  le 
tombeau  de  siiinte  Haude ,  et  dont  le  patron  est  saint  GonveL 
Dans  la  petite  chapelle  du  cimetière  se  voit  un  tableau  repré- 
sentant  la  décollation  de  cette  sainte. 

Arrivé  au  grand  bourg  de  Plourin,  arrêtons  -  nous.  Une 
découverte  qu'on  y  a  faite,  il  y  a  peu  d'années,  réclame 
notre  attention.  Ge  sont  deux  tombes  en  Kersanton  ,  dont  Tune 
porte  la  date  de  -13^5,  et  l'autre  celle  de  4400.  Avant  de  les 
décrire ,  visitons  d'abord  l'église  qui  est  d'une  grande  antiquité , 
le  bas  de  la  nef  surtout,  dont  les  arcades  à  plein  ciatre, 
peuvent  remonter  au  Xl|c  siècle.  Sur  les  chapiteaux  des  colonnes 
on  aperçoit  avec  peine,  malgré  le  badigeon  qui  les  recouvre,  des 

naimaux  de  diverses  espèces,  des  tôles  sculptées,  etc Les 

chapelles  latérales  et  le  chœur  sont  moins  anciens.  Sur  la  chaire 
à  prêcher,  en  bois  de  chêne,  est  grossièrement  sculptée  la 
vie  de  saint  Budoc ,  patron  de  la  paroisse  et  fondateur,  au 
Vie  siècle,  de  l'église  de  Plourin.  On  y  voit  le  château  de  Br^l» 
le  tonneau  dans  lequel  fut  enfermée  la  mère  de  saint  Budoc, 
la  belle  Azénor,  flottant  au  gré  des  vagues,    etc.,  etc. 

Saint  Budoc  —  Budoc ,  Duzoc ,  Beseuc ,  Beuseuc  et  Buzeue 
veut  dire  en  breton ,  comme  Moïse  en  égyptien ,  '  sauvé  des 
eaux,  dit  M.  de  Kerdanet  (^j.  Ge  nom  viendrait,  d'après  lui,  du 
verbe  breton    beuzi ,   qui  signifie  -noyer ,   submerger.  —  Saint 

(1  )  Vies  des  Saints  de  BrMagne ,  d'Albert  LeGrand,  notes  des  pages  739 
et  750.  —  Vie  de  saint  Budoc. 


—  441  — 

Budoc ,  dirons-nous ,   d'après  Albert  Le  Grand ,  était  fils  de  la 
belle  et  malheureuse  Azénor ,   fille  du  prince  de   Léon ,  roi   de 
Brest  en  537,  et  du  comte  de  Guelô  et  Tréguier.  Azénor  ayant 
été  faussement  accusée  d'adultère  par  la  seconde    emme  de  son 
père,  fut,  en  attendant  son  jugement,   enfermée  dans  une  des 
tours    du  château  de   Brest ,  qui   porte  encore  son  nom.  Plus 
tard ,    condamnée  sur  de  faux    témoignages ,    elle    fut   placée 
dans  un  tonneau  de  bois  fermé  de  toutes  parts ,  a  et  jetée  en 
pleine  mer  à  la  mercy  des  vents ,  des  ondes  et  des  écueils.  » 
Elle  était  alors  enceinte  de  saint  Budoc ,  qu'elle  mit  au  monde 
cinq  mois  après,  au  milieu  de  l'Océan.  Aussitôt  après  la  naissance 
de  ce  fils,    auquel  Dieu  avait  accordé  la  parole  au  sortir  du 
seiq  de  sa  mère ,  son  tonneau  vint  attérir  miraculeusement  sur 
les  cotes  d'Irlande,  Dans  sa   reconnaissance,   elle  destina   son 
fils   au  service  de  Dieu.   Plusieurs  années  après ,    Budoc,  étant 
devenu   abbé ,   résolut ,   par  inspiration   divine ,    de  passer    en 
Bretagne  Armorique.  N'ayant  point  de  navire  à  sa  disposition  , 
il  s'embarqua  dans  une  auge  de  pierre  qui  lui  servait  ordinaire- 
ment  de   lit,   et  vint   aborder  heureusement   sur  la   côte,    à 
Porgpoder.  Là  il   bàlit    d'abord    une  église    et  un   hermitage  ; 
mais,   un  an  après,  fatigué  par  le  bruit  incessant  de  la  mer, 
dont  les  flots  venaient  se  briser  avec  violence  aux  écueils  sur 
lesquels  était  bâti   son  hermitage ,   il   se  décida  à   quitter   ces 
lieux.  Il  plaça  son  lit  de  pierre  sur  une  charrette  attelée  de  deux 
bœufs ,   résolu  à  aller   où  il  plairait  à  Dieu   de    le   conduire. 
Rendue  à  une  lieue  de  Porspoder,  en  Plourin,  sa  charrette  se 
brisa   et  soq  lit  tomba  sur  la   terre  ;    reconnaissant  dans  cet 
événement  la  volonté   de  Dieu,  il  s'arrêta,   et,    sur  l'empla- 
cement où  son  ht  était  tombé,  il  bâtit  une  église  et  un  hermitage, 
puis  se  mit  en  devoir  de  catéchiser  les  habitants,  dont  le  plus 
grand  nombre  n'était  pas  encore  converti.   Cela  se   passait  en 
585.    Quelques  années  après,   il  fut  encore  obligé   de   quitter 

Plourin  ;  il  se  rendit  à  Dol ,   dont  il  devint  archevêque. 

S6 


_  442  — 

En  608 ,  se  sentant  près  de  sa  fin ,  il  ordonna  à  un  de  ses 
aumôniers,  nommé  Hydultu^,  de  lui  couper,  après  sa  mori 
bien  entendu ,  le  bras  droit  et  de  le  porter  à  Plourin.  Ses 
volontés  furent  ponctuellement  exécutées  ;  mais  un  soir,  HyduUus, 
pendant  son  voyage ,  s'étant  arrêté  dans  une  auberge ,  à  Briech , 
dans  le  diocèse  de  Vannes ,  et  un  miracle  s'y  étant  opéré  par 
Tintercession  de  la  relique ,  le  curé  de  Tendroit  s'en  empara, 
et  malgré  ses  prières  et  ses  supplications  ne  vouhil  point  ht 
lui  rendre.  Désolé  de  sa  mésaventure^  Hydutus  demanda  au 
moins  la  faveur  de  la  baiser  avant  son  départ  ;  on  y  consentit. 
H  s'approcha  donc  avec  recueillement  de  l'autel ,  fît  dévotement 
sa  prière ,  et  le  bras  de  saint  Budoc  lui  étant  présenté ,  •  il 
»  prit  si  bien  son  temps  et  ses  mesures  qu'il  attrapa  entre 
»  ses  dents  le  pouce ,  le  second  et  le  troisième  doigts  de  la 
»  main  et  les  mordit  si  serrés ,  qu'il  les  coupa  et  les  emporta 
»  à  Plourin ,  où  ces  saintes  reliques  furent  enchâssées  et 
»  conservées  avec  soin.  »  Précieuses  reliques,  du  reste,  qui 
jadis,  lorsqu'on  faisait  un  faux  serment ,  en  jurant  par  elles , 
ne  laissaient  point  s'écouler  une  année  sans  punir  et  châlier 
rigoureusement  le  parjure.  Renfermées  dans  un  bras  d'argent, 
elles  existent  encore  à  Plourin  et  sont  toujours  Tobjet  de  la 
vénération  des  fidèles. 

Toute  cette  histoire  du  saint  patron  de  l'église  de  Plourin 
^st  sculptée  sur  la  chaire  à  prêcher,  ouvrage  assez  grossier  et 
peu  ancien. 

De  cette  église  ou  paroisse  dépendaient  autrefois  le  château 
d«  Tremasan  et  celui  de  Kergroadez.  Aussi  voit-on ,  dans  le 
cimetière,  comme  nous  l'avons  dit,  deux  tombes  en  Kersanton, 
dont  Tune  appartenait  à  la  famille  Du  Ghastel ,  et  l'autre  à  la 
famille  de  Kergroadez. 

Vers  la  fin  de  l'année  ^854 ,  ces  deux  tombes  furent  trouvées 
dans  l'église  de  Plourin.  Depuis  long-temps  déjà,  une  grande 


t  . 


i'.FIcvry,JJeietJ.nh 


1 -Tombe au  de  RoL 
X-Morceau  de  ce  Toti 
3_ Tombeau  d'une  De 
ii_5_6  ct7    Pierres 


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—  443  — 

dalle  en  pierre  de  Kersanlon ,  placée  devant  Tautel  de  lésus , 

dans  la  chapelle  de  ce  jiom ,  avait  attiré  l'attention ,   6n  raisoii 

de    sa    longueur  et  de  sa  largeur  ;  on  profita  de  la  présence 

d'ouvriers  qui  travaillaient  dans  Téglise,  pour  la  faire  dégager  et 

retourner.  On  mit  au  jour  le  dessus  d'un  tombeau  de  2?/l5  de 

longueur  sur  0n>,80  de  largeur,  sur  lequel  étaient  sculptées,  en 

relief ,  deux  statues  ,  Tune  d'hotome ,  l'autre  de  femme.  L'homme 

représente  un  chevalier  couvert  de    son   armure ,'  ayant  linci 

longue  épée  à  sa  gauche  et  un  poignard  à  sa  droite  ;   la  tête , 

qui  est  mutilée  ainsi  que  les  mains ,  était  découverte.  La  femme 

a  aussi  la  tète  et  les  mains  martelées.  Tout  le  reste  est  intact. 

On  lit  sur  un  des  côtés  de  la  pierre  : 

Cy  git  Robert  de  Kgroezes  (i)  et  Benone  sa  copaingne. 
Lequel  Robert  trépassa  le  jour  de  S<.  Le....  (ici  It  pierre  est  brisée). 

Ce  saint  était  probablement  saint  Lenard  ou  Lenord ,  patron 
tf  une  paraisse  voisine  appelée  f-^aret. 

Sur  un  morceau  de  pierre ,  se  rapportant  fort  bien  au  côîri 
brisé,  on  lit  :  M.  CGC  :  XV*  Priés  Dieu  pour 

Cette  date  est  sans  nul  doute  celle  de  la  mort  de  Robert  de* 
Kergroàdez.  L'inscription  est  écrite  en  belles  lettres  gothiques 
parfaitement  bien  gravées  en  creux.  Ce  tonibeau,  dont  les  figures 
et  tes  ornements  sont  très-bien  exécutés,  était  jadis  placé  dans 
0»  enfeu ,  probablement  dans  la  chapelle  de  Jésus  où  il  a  été 
trouvé ,  car  l'inscription  n'occupe  qu'un  des  côtés  de  la  pierre. 

Cette  importante  découverte  ayant  engagé  à  examiner  toutes 
les  autres  pierres  de  Kersanton  qui  existaient  dans  l'église ,  on 
trouva  dans  la  nef,  sous  les  bancs,  une  autre  dalle  semblable, 
ayant  2  mètres  5  centknètres  de  longueur  sur  70  centimètres  de 

(1)  Kergroadea. 


—  444  — 

largeur.  On  la  lit  retourner ,  et  une  nouvelle  tombe ,  presque 
tout-^à-fait  intacte ,  se  présenta.  Celle-ci  porte ,  au  milieu  de  la 
pierre ,  un  heaume  où  casque  couronné ,  soutenu  par  un 
lion  ;  en  dessous  est  un  écusson  couché.  On  lit  autour  de  la 
pierre  : 

Jehanna  du  Chastel,  fîUe  henés  mog'  Guiii*  sire  du  Cbaslel, 
Laquelle  U-épassa  le  XX*  jour  de  may,  Tan  MGCCC.  Priés  Dies  piir  m  iise. 

Cette  inscription  est,  comme  la  précédente,  écrite  en  lettres 
gothiques  et  gravée  en  creux  sur  les  deux  côtés  de  la  pierre , 
ornée  de  sculptures  en  relief.  La  tombe  de  la  dame  Du  Chastel 
était ,  dit-on ,  placée ,  avant  la  révolution ,  devant  le  maître- 
autel,  dans  la  nef. 

Près  de  ces  deux  tombes  gisent  aussi ,  sur  la  terre  du  cime- 
tière, une  quinzaine  de  pierres  sculptées  d'une  bien  moindre 
dimension.  Elles  en  formaient  probablement  jadis  les  soubasse- 
ments. Les  armoiries  gravées  sur  ces  pierres  sont  celles ,  ou 
des  Du  Chastel,  qui  portaient  :'  fascé  d'or  et  de  gueules  de  six 
pièces ,  ou  celles  des  Kergroadqz ,  dont  l'écusson  était  :  fascé 
de  six  pièces  d'argent  et  de  sable.  Les  émaux  ou  couleurs 
n'étant  point  indiqués  sur  les  pierres,  il  est  difficile  d'assigner  à 
laquelle  des  deux  familles  elles  pouvaient  appartenir. 

Ces  deux  belles  pierres  tombales,  qu'il  eût  fallu,  dans  l'intérêt 
de  leur  conservation,  laisser  là  où  on  les  avait  trouvées,  ou 
au  moins  placer  dans  un  coin  de  l'église,  sont  jetées  mainte- 
nant avec  d'autres  débris  contre  le  mur  du  cimetière,  et  exposées 
aux  intempéries  des  saisons  ainsi  qu'aux  dégradations  des  enfants 
du  bourg.  C'est  du  reste  ce  que  l'on  voit  partout  malheureusement 
dans  nos  campagnes.  Cénéralement  des  débris -de  calvaires,  de 
tombes,  de  saints  ,  etc.,  sont  relégués  dans  les  encoignures 
extérieures  des  églises ,  enfouis  sous  l'herbe  des  cimetières.  Que 


—  Uo  - 

de  choses  précieuses ,  que  d'objets  d'art  se  perdent  ainsi  !  On 
pourrait  se  demander  souvent  s'il  ne  vaudrait  pas  mieux  laisser 
tous  ces  monuments  ou  débris  do  monuments ,  là  où  la  révo- 
lution les  avait  cachés ,  en  attendant  des  temps  plusj  favorables^. 
Une  missian""  importante  que  notre  Société  devra  revendiquer 
un  jour ,  est  celle  d'appeler  l'attention  de  Tautorité  sur  cette 
question  de  conservation  de  nos  monuments  existant  encore ,  et 
des  débris  de  ceux  qui  malheureusement  n'existent  déjà  plus.*  (I) 

Mais  revenons  à  notre  sujet. 

Sous  réglise  de  Plourin  se  trouvent  des  caveaux  qui  ont  été 
ouverts  lorsque  l'on  a  mis  au  jour  les  deux  pierres  tombales, 
nous  at-on  dit.  On  n'a  point  osé  y  descendre.  Des  cercueils  en 
bois ,  en  partie  détruits  ,  y  ont  été  aperçus,  mais  les  ouvertures 
furent  promptement  refermées  ;  peut-être  est-il  fâcheux  qu'on 
ne  les   ait  point  explorés. 

Quittons  Plourin ,  où  nous  avons  fait  une  longue  station , 
et  allons  maintenant  visiter  la  pierre  levée  de  Kergadiou. 
Ce  beau  menhir,  qui  prend  place  immédiatement  après  celui 
de  Plouarzel ,  le  plus  grand  de  tout  le  département ,  s'élève 
dans  une  lande  près  l'ancien  manoir  de  Kergadiou.  Il  a  dix 
mètres  au  -  moins  de  hauteur  et  six  mètres  de  circonférence. 
Il  présente  trois  faces ,  grossièrement  taillées  ;  à  une  certaine 
hauteur  il  est  un  peu  renflé ,  et  vers  le  bas  il  est  arrondi.  Près 
de  lui  est  une  autre  pierre,  qui  mérite  une  étude  toute  parti- 
culière. N'allez  pas  croire  que  c'est  un  menhir  tombé,  comme 
on  l'a  dit  ;  elle  a  toujours  été  dans  ja  position  où  vous  la  voyez 
aujourd'hui.  Il  est  facile  de  s'en  convaincre*^  par  un  examen 
attentif. 

(1)  Depuis  que  ces  lignes  ont  été  écrites ,  la  Société  Académique  a  émis 
le  vœu  ,  favorablement  accueilli  par  M.  le  Préfet  du  Finistère ,  de  la 
création  d'une  commission  archéologique  permanente ,  chargée  de  veiller 
a  la  conservation. des  monuments  anciens  de  notre  déparlement» 


•?% 


—  446  — 

Inclinée  sous  un  angle  de  25  à  30  degrés ,  cette  pierre ,  qui 
est  profondément  enfoncée  dans  le  sol  à  sa  base ,  présente 
une  plale-formc  taillée  de  main  d'homme,  ayant  huit  à -dix 
mètres  de  longueur  sur  deux  mètres  de  largeur.  A  la  partie 
supérieure,  le  dessous,  qui  est  brut,  est  dégagé  du  sol  et 
élevé  de  trois  mètres  environ-  Quelle  était  la  destination  de 
ce  monument  ?  Était-ce  un  dolmen  d'une  forme  particulière ,  ou 
^  encore  un  de  ces  demi  -  dolmen  que  Ton  trouve  quelquefois 
dans  nos  contrées,  mais  qui  sont  généralement  loin  d'avoir  la 
même   importance,  et  dont   l'extrémité  est   soutenue   par  une 

pierre  placée    verticalement    dans  le  sol? Nous  n'oserions 

émettre  une  opinion  à  cet  égard.  Il  n'existe  pas  du  reste, 
croyons-nous,  une  seule  pierre  semblable  à  celle  de  Kergadiou, 
dans  tout  le  département.  Nous  ne  connaissons  que  celle  donnée 
par  M.  Alexandre  de  Laborde ,  dans  ses  Monuments  de  la 
Frcm.ce ,  sous  le  nom  de  pierre  levée  de  Tirlemont ,  qui  lui 
soit  absolument  identique. 

Voici  les  réflexions  dont  il  accompagne  le  dessin  qu'il  en 
donne. 

«  La  vue  d'une  pierre  levée,  dit-il,  nous  fît  soupçonner  un 
»  nouveau  genre  de  supplice  ;  nous  nous  représentâmes  du  haut 
.  »  de  cette  pierre  un  malheureux,  méprisable  tout-à-l'heure,  mais 
»  digne  de  pitié ,  maintenant  que  la  justice  allait  le  frapper. 
»  Debout  sur  ce  roc  élevé ,  il  semblait  recueillir  en  vain  toutes 
0  ses  forces ,  pour  affronter  la  mort  avec  courage  ;  la  vue  des 
»  piques  et  des  épées  plantées  en  terre  par  la  poignée  et  dont 
»  la  pointe  aiguë,  allait  percer  sa  poitrine  et  déchirer  son  corps, 
»  le  glaçait  d'épouvante. 

»  Défiguré  par  la  pâleur  et  immobile,  il  paraissait  mort 
»  avant  d'être  tué.  Un  semnothée  monta  derrière  lui,  et,  par 
»  un  léger  effort ,  le  précipita  comme  un  fardeau  sur  les  pointes 


—  447  ~ 

»  acérées.  Ces  exécutions  affreuses  ont  été  souvent  renouvelées- 

»  du  resie  dans  des  temps  plus  rapprochés.  »  {^)  *;    |t    ,. 

Quelle    valeur  devons-nous  accorder   à  Topinion  émise   par     *       *  'V  4 
M.  de  Laborde  sur  ces  monuments,  opinion  que  nous  n'avons        '       '^ 
trouvée  dans  aucun  autre  auteur?  1|*   '' 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  pierre  de  Kergadiou,  élevée  sur  un  point  ^    \^ 

culminant  y  près  d'un  des  plus  beaux  menhir  du  département , 
est  certes   digne   d'attirer  Tattention.    I>u   sommet  de  sa  plate-  ^ 

foroie,  un  horizon  immense  se  déploie  devant  vous  :  la  mer  d'un 
c6lé  y  uae  grande  étendjae  de  pays  de  l'autre  ,    où  vous  pouvez  ^ 

compter  de  nombreux  clochers ,  et  enfin  au  loin ,  en  regardant 
vers  le  sud,  le  menhir  de  Plouarzel  ou  de  Kerjoaz,  qui  se 
détache  sur  le  cieL  Ne  semblerait-il  pas  que  ces  menhir  corres- 
pondaient jadis  entre  eux ,  comme  aujourd'hui  nos  phares, 
et  .  télégraphes  le  long,  de  nos  côtes ,  et  que  s'ils  étaient  des 
monuments  commémoralifs  de  grands  faits  historiques ,  ou  des 
obélisques  élevés  sur  les  restes  de  chefs  illustres ,  ils  devaient 
aussi  servir  »  par  leur  position  sur  des  points  culminants ,  de 
moyens  de  correspondance  dans  les  moments  nécessaires. 

Ne  quittons  point  ces  lieux  sans  nous  arrêter  un  instant 
SUIT  le  nom  qu'ils  portent  :  Kergadiou,.,.  Ker  veut  dire  :  lieu , 
village....  Kad,  au  pluriel  Kadiou,  en  composition  gad-gadiou, 
vieux  mot  breton  qu'on  ne  trouve  plus  guère  que  dans  les 
noms  propres  d'hommes  et  de  lieux ,  veut  dire  :  bataille , 
combat.  E^gqéiou  ou  mieux  -Ker  Kadiou  y  ne  voudrait-il  pas 
-  dire  :  lieu  des  batailles  ou  de  la  bataille  ?  et  le  menhir  et  la 
pierre  inclinée  qui  se  trouvent  dans  cet  endroit ,  ne  seraient-ils 
point  :  le  menhir,  la  pierre  élevée  sur  les  restes  du  chef ,  ou 
encore  un  obélisque  érigé  en  l'honneur  d'une  victoire  signalée  >^-*^^ 
remportée  sur  ce  plateau  ;   cl  la  pierre  inclinée  la  tombe  des 

{\)Les  Monuments  de  la  France  classés  chronologiquement^  etc. y  par 
le  comte  Alexandre  de  Laborde.  —Paris.  Didot  (ISiC),  t.  1,  p.  60. 


—  448  — 

combatlanls   tués  dans   la   bataille? (2)  Au    reste,  tous  les 

noms  des  lieui  sur  lesquels  s'élèvent  ces  pierres  ont  des  signi- 
fications qui  les  rattachent  à  des  idées  de  batailles  ou  de 
"deuil  ;  ainsi  le  champ  dans  lequel  on  voit  le  beau  menhir  de 
Plouarzel  se  nomme  Kerloaz ,  lieu  de  deuil ,  de  douleur.  Un 
autre  menhir ,  plus  petit  que  ceux  de  Kerloaz  et  de  Kergadiou, 
dont  nous  parlerons  plus  loin  ,  s*élève  encore  dans  un  lieu 
,  appelé  Kereneur.  Ce  nom  de  Kereneur,  qui  peut  se  traduire  par 
lieu  du  prince,  du  fort,  du  courageux,  du  vaillant,  en  le  faisant 
dériver  de  Ker  annner,  ou  môme  plus  directement  de  Ker  ener, 
n'indiquerait-il  pas  aussi  qu'un  prince ,  qu'un  chef  a  été  inhumé 
dans  ces  lieux  et  peut-être  môme  qu'il  s'y  est  livré  un  combat. 
La  position  de  ces  menhir  sur  des  plateaux  élevés  et  d'une 
grande  étendue  peut  faire  admettre  très  bien  que  ces  lieux 
ont  tous  été  le  théâtre  de  combats  ou  de  batailles  mémo- 
rables. 

Remarquons  aussi  que  presque  tous  les  grands  menhir  de 
notre  pays  ont  trois  faces  ou  côtés ,  dont  les  arêtes  sont ,  il 
est  vrai,  abattues  maintenant  en  partie  ,  ce  qui  pourtant 
n'empêche  point  d'y  retrouver  la  forme  primitive  d'un  prisme 
terminé  en  pointe  à  son  sommet.  Tels  sont  les  menhir  de 
Plouarzel ,  de  Kergadiou ,  de  Kereneur ,  etc. 

Descendons  maintenant  au  joli  manoir  de  Kergadiou ,  qui 
s'élève  comme  dans  un  nid- de  verdure,  au  milieu  de  délicieuses 
prairies  toutes  couvertes  d'une  puissante  végétation.  Deux  tours 
percées  de  meurtrières  défendaient  jadis  l'entrée  de  la  porte 
principale,  près  de  laquelle  se  trouve  une  pierre  armoriée, 
portant  :  Fascé ,  onde  de  six  pièces  d* argent  et  d^azur ,  au  franc 
canton  d*hermines  (sceau  de  -1415),  armes  des  Kergadiou,  qui 

^  (2)  On  a  fait,  il  y  a  quelques  années,  des  fouilles  au  pied  du  menhir. 
Elles  oiit  été  'sans  aucun  résultat.  Il  est  vrai  que  ,  dans  la  crainte  de  le 
jeter  bas,  elles  n'ont  point  été  poussées  î*  une  grande  profondeur. 


—  449  — 

lïvaleiit   pour  devise  :   De  bien  en  mieux.  Un  des  membres  de 

«ette  famille  fut,  en   4478,    secrétaire  de  François  II,  due  (îe 

Bretagne.    Dans   le  manoir,    il  existe  une   chambre  que   Ton 

n'xjuvre  Jamais,  et  dans  laepielie  personne  ne  peut  plus  pénétrer  ; 

les  esprits    des  anciens  seigneurs  Fliabitent  seuls   maintenant, 

dit-oa ,    et  chaque   soir   on  les  entend   chanter ,   sur  tous   les 

ions ,  une  chanson  qui  a  pour  refrain  :  Rergadiou ,  Kergadiou^ 

les  esprits  sont  avec  nom  l  Près  dju  manoir  sont  les  restes  d'une 

petite  chapelle,  dont  les  fenêtres  à  ogives  découpées  existaient 

encore  il  y  a  peu  d'années.  C'était  la  chapelle  de  cette  maison. 

Non    loin    de     là    se    trouve     un   menhir,    d'une   hauteur 

«aoindre  «que  celui  de  Kergadiou  ,    mais  pàrfiaitemejit  conservé , 

et   placé  dans  une  délicieuse  situation,  d'où  Ton  voit  la   mer 

et  l'île  Ouessant ,  qui  du  reste  est  visible  de  toute  cette  partie 

4u  littoral.  Ce  menhir  s'élève  près  d'un  charmant  petit  manoir 

lorliâé  j  anquel  il  a  donné  son   nom  :  Kereneur,   Aujourd'hui 

cette    habitation    est   occupée  par    des   paysans ,    qui  en  sont 

propriétaires. 

Rendons-nous  maintenant  au  manoir  du  Cosquer ,  ou  plutôt 
Eozker  (vieille  maison),  habité  actuellement  par  le  propriétaire, 
Tidie  cultivateur  ;  ce  n'est  plus  qu'une  simple  ferme.  Un  événement, 
qui  a  laissé  des  souvenirs  dans  le  pays,  et  qui  aujourd'hui  est 
presque  pass4à  l'état  de  légende,  y  est  arrivé  pendant  la  révo- 
latiŒi.  Un  de  ces  prêtres  non  asserAientés ,  ^ui  étaient  si 
îvénérés  dans  nos  campagnes  bretonnes,  et  que  l'on  cachait  avec 
tant  de  soin ,  voulant  célébrer  le  service  divin ,  choisit  un  jour 
le  Gosquer,  et  y  donna  rendez-vous  à  totfs  les  fidèles  d^alentour  ; 
mais  les  gendarmes  de  PJoudalmézeau  ou  de  Saint^Renan  avaient 
4té  prévenus.Ces  soldats,  dans  leur  zèle  et  leur  empressemôntà  rem- 
plir leur  devoir,  étant  partie  au  milieu  de  la  nuit,  afin  d'arriver 
avant  ie  jour ,  s'engagèrent  dans  les  marais  et  fondrières  du 
pa^s ,    où   leurs  chevaux  s'enfoncèrent  tellement  qu'om  ne  put 

57 


—  iso- 
les relirer  ;  force  fat  môme ,  dit-on ,  de  les  abandonner.  Les 
campagnards   virent  dans  cet  événement  la  main  de  Dieu  qui 
était  venue  s'appesantir  sur  les  impies. 

Pendant  ce  temps  «  une  scène  d'un  autre  genre  se  passait  au 
Cosquer.  La  foule  ,  qui  était  accourue  à  la  voix  du  prêtre  pour 
entendre  la  messe ,  étant  trop  entassée  dans  une  des  chambres 
du  vieux  manoir,  fit  céder  sous  son  poids  les  anciennes  poutres. 
Tout  le  monde,  excepté  le  prêtre  qui  était  à  Fautel,  tomba 
pêle-mêle  dans  une  grange  où  se  trouvaient  des  vaches  et  des 
chevaux.  Non -seulement  personne  ne  fut  blessé,  mais  même 
les  animaux ,  surpris  par  cette  avalanche  humaine ,  ne  bougè- 
rent point  et  ne  causèrent  aucun  accident.  Aussi  crià-t-on  au 
mîr-acle,  et  a-t-on  gardé  religieusement  le  souvenir  de  ce  fait, 
considéré  comme  orne  preuve  de  la  protection  divine.  Une 
complainte  en  langue  bretonne  fut  aussitôt  composée  sur  cet 
événement  ;  les  anciens  se  là  rappellent  encore,  malheureusement 
nous  n'avons  pu  nous  la  procurer. 

N'oublions  pas ,  en  passant ,  d'aller  visiter  le  manoir  de 
Kermenou  et  sa  fontaine.  Du  manoir  il  ne  reste  maintenant 
que  quelques  pans  de  mur  et  un  long  bâtiment  élevé  d'un 
étage,  où  logent  les  fermiers  ;  mais  dans  la  cour  se  voit 
une  enceinte  carrée  assez  grande ,  dont  le  mur  d'entourage 
n'est  élevé  que  d'un  mètre  au  plus.  Près  de  ce  mur  est  un  fort 
morceau  de  bois ,  planté  en  terre  et  suppoi^nt  par  son  milieu 
une  longue  perche ,  grosse  en  bas ,  mince  à  son  extrémité ,  de 
laquelle  pend  nne  corde  attachée  à  un  seau  ;  c'est  là  la  fontaiae. 
Pour  y  arriver,  descendons  un  escalier  en  pierres  à  deux 
volées;  nous  y  trouverons  deux  bassins  carrés  en  belles  pierres 
4e  taille  ;  Feau  y  est  toujours  fraîche  et  limpide.  Dans  l'escalier, 
entre  les  fissures  des  pierres  a  poussé  un  magnifique  hortensia, 
qnï ,  par  ses  proportions  énormes,  est  devenu  nne  vraie  curiosité* 
Ce  n'est  plus  cet  arbrisseau  que  nous  voyons  dans  nos  jardins, 


—  451  — 

c'est  un  arbre  à  tige  ligneuse,  couvert  d*immeQse.s  boules 
l>1eues ,  remplissant  presque  tout  Tescaller ,  et  sous  lequel  on 
passe  sans  se  baisser  pour  descendre  à  la  fontaine. 

Les  armoiries  des  Kermenou ,  dont  la  famille  était  d'ancienne 
extraction  et  comptait,  en  4669,  neuf  générations,  étaient: 
Fascé  onde  d'or  et  d*azur  de  six  pièces.  Leur  manoir  avait  jadis 
une  assez  grande  importance ,  si  Ton  en  juge  par  les  murailles 
encore  existantes  et  Fétendue  de  la  cour.  Une  grange  en  appentis, 
attenant  à  la  maison,  a  sa  toiture  en  chaume  soutenue  par 
trois  colonnes  rondes ,  fort  basses ,  provenant  probablement  de 
quelque  partie  de  l'ancienne  habitation. 

Redisons  ici  seulement  tes  nom  de  quelques  autres  manoirs 
et  châteaux  quî  ne  sont  plus  maintenant  que  dès  fermes  habitée» 
par  des  cultivateurs  :  Kerbresol  ou  Kerbresely  Kerjar  (L)  où 
Ton  voyait  encore,  il  y  a  peu  d'années,  dans  une  des  chambres 
du  premier  étage,  un  riche  ameublement,  lit,  tenture  en  soie 
rouge  et  bleue ,  etc  ,  remontant  à  Louis  XIII  environ ,  ameuble- 
ment que  le  propriétaire  actuel  a  fait  enlever  ;  Laret,  avec  sa 
petite  chapelle  si  basse  et  si  lourde,  et  d'autres  encore  qu'il  serait 
trop  long  d'énumérer  ici. 

Après  avoir  visité  toutes  ces  anciennes  habitations  quî  datent 
généralement  des  XV«  et  XV[«  siècles,  dirigeons-nous  vers  Samt- 
Ourzal ,  petite  chapelle  très-basse ,  construite  assez  près  de  la 
mer ,  sur  un  plateau  rocheux  et  aride.  Tout  près  de  Téglise , 
dans  l'enceinte  môme  du  cimetière ,  est  une  fontaine  consacrée 
jadis  sans  doute  au  culte  druidique.  De  là  on  ne  voit  que  la 
mer  et  ses  écueils  :  pas  un  arbre ,  pas  une  maison  ne  s'élève 
aux  environs  ;  pas  un  être  vivant  ;  une  herbe  rare  et  chétive 
sur  le  sol ,  quelques  maigres  chardons  grisâtres ,  épars  de  loin 
en  loin ,  des  rochers  à  fleur  de  terre  donnent  à  ces  lieux  un 

(i)  Armoiries  :  d'or  à  rarbrt  de  simple,  Devise  :  Red  eo  mervel  (il  faut 
mourir). 


—  482  — 

aspect  de  tristesse  et  de  désolation'  qui  vous  impressionne 
malgré  vous.  Pourtant  un  jour,  mais  un  seul  jour  de  Fan- 
née  ,  tout  s'anime  autour  de  la  petite  chapelle  ;  la  foule 
s'y  presse.  Le  saint  a  aussi  sa  fête  patronale  ,  son  pardon. 
Ce  jour,  les  jeunes  gens  des  deux  sexes  du  pays  accourent 
pour  le  prier,  car  saint  Ourzal  marie  toujours  dans  rannée 
les  jeunes  filles  et  les  jeunes  garçons  qui  lui  adressent  du  fond 
du  eœur  la  prière  suivante  : 

,,  Aoutrou  sant  Ourzal ,  ni  ho  ped  : 
Boit  deomp-ni  ped  a  greg. 
Aoutrou  sant  Ourzal  eur  veach  c'oJuiz 
Roit  deomp-ni  peb  a  goaz. 

Monsieur  saint  Ourzal ,  nous  tous  en  prions , 
A  cBacWn  de  nous  donnez  une  femme. 
Monsieur  saint  Ourzal ,  nous  vous  en  prions  aussi 
A  i^hacune  de  nous  donnez  un  lïtari. 

Dans  leur  impatience  de  savoir  si  leurs  prières  ont  été  bien 
accueillies  par  le  Saint ,  ils  se  rendent  ensuite  à  la  fontaine 
pour  consulter  l'oracle.  Là  ils  posent  des  épingles  sur  la  surface 
de  l'eau,  épingles  qui  ont  été  dérobées  généralement  au  corsage 
des  jeunes  filles  ;  si  elles  surnagent ,  leurs  vœux  seront  accom- 
plis, ils  se  marieront  dans  l'année;  si  au  contraire,  elles  cou- 
lent au  fond  de  la  fontaine^  toute  espérance  est  perdue.  Il 
faudra  Tannée  suivante  revenir  adresser  à  saint  Ourzal  des  prières 
plus  ferventes. 

Quelques  revendeuses  de  mauvais  fruits  ,  étalant  leur  mé- 
chante marchandise  sur.  le  sol  du  cimetière,  fournissent  seules 
tous  les  plaisirs  de  ce  misérable  pardon. 

Non  loin  de  celte  chapelle,  dans  un  champ  cultivé,  est  un  fort 
joli  petit  dolmen  composé  de  quatre  pierres  de  môme  dimension. 


—  4d3  -^ 

dont  deux  forment  les  côtés,  une  le*  fond  et  la  quatrième  le 
dessus.  Ce  dolmett,  parfaitement  conservé  ,  a  4  ",80  de  hauteur 
environ  ;  un  homme  peut  entrer  facilemont  dessous. 

Gagnons  maintenant  la  mer  et  rendons-nous  à  Tîle  druidique 
de  Melon..  Nous  y  trouverons  un  beau  menhir  ,  un  dolmen  et 
de  nombreuses  pierres  qui  semblent  se  rattacher  à  une  enceinte 
consacrée.  Essayons  de  passer  à  pied  sec  ;  si  la  mer  est 
ïasse,  nous  le  pourrons  facilement.  Le  menhir  a  de  4  à  5 
mètres  d'élévation  et  O-jSO  de  circonférence.  Les  nombreux 
trous  que  l'on  voit  sur  une  de  ses  faces  n'ont  rien  de  curieux» 
Ils  ont  été  faits  par  des  ouvriers  qui  voulaient  l'abattre ,  mais 
défense  a  été  donnée  par  l'autorité  de  le  jeter  bas.  C'eût  été  tout 
simplement  un  affreux  acte  de  vandalisme.  Tout  près  de  lui 
est  une  autre  pierre  qui  a  ^•»,60  de  hauteur  environ,  et  tout- 
à-fait  l'aspect  d'un  petit  menhir.  Le  dolmen ,  qui  se  compose 
de  plusieurs  pierres,  forme  une  assez  grande  enceinte  recou- 
verte ,  ne  seï'vant  plus  maintenant  qu'à  abriter  dans  les  mauvais 
temps,  les  moutons  qui  viennent  sur  l'île  brouter  une  herbe 
rare  et  chétive. 

Cette  îlCi  qui  n'a  que  300  mètres  de  longueur  sur  200  de 
largeur  à  peu  près ,  et  qui  se  relie  à  la  terre  ferme  par  d'im- 
menses blocs  de  granit ,  sur  lesquels  on  passe  à  mer  basse , 
semble  avoir  été  jadis  un  Meu  consacré  au  culte  druidique. 
Le  grand  nombre  de  pierres  réunies  sur  un  espace  si  peu 
étendu,  pierres  auxquelles  on  peut  trouver,  sans  y  mettre  trop 
de  bonne  volonté ,  des  dispositions  à  former  des  allées  et  des 
enceintes ,  permet  certes  de  le  supposer.  Du  reste,  comme  dans 
presque  tous  les  lieux  qui  paraissent  avoir  été  anciennement 
consacrés  au  culte  des  druides,  l'aspect  de  cette  petite  île  est 
triste  et  sauvage ,  surtout  lorsqu'à  mer  haute ,  elle  est  entourée 
d'eau  de  tous  côtés.  On  n'y  voit  pas  une  maison,  pas  môme 
une  cabane:  les  monuments  druidiques  se  dessinent  ^euls  sur 


—  454  — 

le  ciel.  En  ce  moment  on  y  exploite  une  carrière,  qa^on  vieirt 
d'ouvrir  tout  dernièrement,  pour  en  retirer  de  belles  pierres  de 
granit  qui  doivent  servir  à  la  construction  des  bassins  du 
Salou  au  port  de  Brest,  ou  plutôt  on  entame  File  sur  un  de  ses 
flancs ,  car  cette  île  n'est  tout  entière  qu'un  bloc  de  beau 
granit. 

Sur  toute  la  côte ,  de  Melon  à  L'iVber  ,  admirons  ces  belles 
plages  de  sable  si  fin ,  si  doré  par  les  rayons  du  soleil ,  qui, 
lorsqu'on  en  enlève  une  poignée ,  laisse  un  trou  que  l'eau  qui , 
sourd  de  dessous  ,  vient  remplir  aussitôt  ;  admirons  encore 
ces  beaux  rochers  formés  de  blocs  superposés ,  le  Cléguer^ 
VEnezvran  (  île  aux  Corbeaux  )  ,  dont  la  pierre  supérieure  est 
mise  en  mouvement  par  les  grands  vents ,  et  tous  ces  récifs , 
ces  écueils  si  travaillés  par  les  flots  dans  les  temps  d'orage  , 
si  rongés  par  les  vagues  qui  viennent  les  battre  depuis  tant  de 
siècles. 

Mais  retournons  sur  nos  pas ,  quittons  ces  grands  aspects  de 
la  nature  pour  une  nature  plus  douce  ,  plus  gracieuse  ,  moins 
imposante  ,  moins  grandiose ,  il  est  vrai.  Traversons  d'abord  le . 
village  de  Kerdrevor  (lieu  près  de  la  mer),  dépendant  du  joli 
petit  port  de  L'Aber-lldut  ,  appelé  jadis  Pwtz  an  Groufnit  ^ 
puis  ensuite  Laaildut  et  le  triste  bourg  de  Brélès,  et  bientôt  les 
cheminées  élevées  de  Kergroadez  nous  apparaîtront ,  se  décou- 
pant en  silhouette   sur   le  ciel. 

Nous  ne  dirons  rien  de  ces  belles  carrières  que  l'on  exploite 
dans  tout  L'Aber  et  d'où  l'on  a  retiré  ce  superbe  granit  rose 
qui  forme  le  soubassement  de  F  obélisque  de  Luxor  ;  elles  ont 
été  décrites  bien  souvent ,  et  pour  se  faire  une  juste  idée  des 
immenses  blocs  que  l'on  peut  en  extraire  ,  il  faut  aller  les 
visiter. 

Si  nous  osions  nous  jeter  dans  quelques  études  sur  les  mœurs 
et  les  coutumes  des  habitants  des  environs    de   L'Aber   et  de 


-  455  — 

Brélès  ,  avant  de  quitter  ce  pays ,  nous  dirions  :  si  jamais  vous 
le   parcourez  à  l'époque  de   la  récolle  ,  examinez  la  manière 
dont  on  y  bal  le  blé ,  si  différente  de   celle   des   environs  de 
Brest  et  de  Guipavas.  Sur  les  gerbes  étendues  en  rond  autour 
de  Taire,  dans  une  grande  épaisseur  ,   on  fait  d'abord  piétiner 
tous  les  chevaux  de  la  ferme  ,   conduits  par  les  enfants  et  les 
femmes  ,  tantôt  au  pas ,   tantôt  au  trot ,  durant  un  temps  assez 
long  ;  puis  ensuite  on  les   soumet  au  battage ,  comme  on  le 
fait  dans  nos  environs  »  mais  en  se    ser\'ant  de  fléaux  ronds, 
dontentez-vous   de  regarder  tout    cela  de  l'extérieur,   n'entrez 
que  rarement  4ans  les  habitations  ,    car   là  au    moins  autant 
que  partout  ailleurs ,   le  manque    de  propreté  proverbial  dont 
généralement  on  accuse  nos  campagnards  bretons  est  peut-être 
prédominant.  Mais  disons  tout  de  suite  ,  par  système  de  com- 
pensation ,  que  nulle  part  le  paysan  n'est  plus  poli  :  hommes  \ 
femmes,  enfants ,  vieillards  vous  saluent  toujours  lorsque  vous 
les  rencontrez ,  habitude  assez  rare  4ans  nos  environs  de  Brest. 
Ne  pourrait-on  attribuer  cette  politesse   héréditaire  chez  les  pay- 
sans de  cette  contrée  ,  à  ce  que  jadis  ce  pays  était  couvert  de 
petits  châteaux  ,  de  manoirs   féodaux  ,  dont  les  paysans  d'alen- 
4Qur  étaient  les  vassaux ,   et  à  ce  qu'ils  ont  traditionnellement 
conservé  leurs  anciennes  habitudes,  et  qu'ils  saluent  maintenant 
4ous   les  gens  qui   ont   le  costume   des  habitants  des  villes  , 
comme  ils   saluaient  jadis    leurs  seigneurs.   Les  femmes  sont- 
elles  jolies  ou  laides  dans  cette  région  ?  Les  jours  ordinaires, 
il   serait   assez   difficile  de  le  savoir,   car  presque  toutes   sont 
coiffées  d'un  bonnet  de  couleur,  bleu  généralement,  qui  leur  donne 
un  aspect  peu  agréable  et  peu   gracieux.  Le  dimanche ,  comme 
partout ,  elles  se  font  belles  ;  y  gagnent-elles  grand'chose ,  c'est 
douteux.  Les  chevaux  et  autres  animaux  de  fermes  sont  géné- 
ralement  assez  beaux.    On    y  élève   des   moulons  en  grande 
quantité  ,  ainsi  que    des   porcs ,  que    l'on    rencontre  jsurtout 


--  436  — 

^^  en   grand  nombre  se    promenant  librement  dans    les  rues  de 

Tout  ce  que  nous  venons  de  dire  ne  peut  s'appliquer  aux 
petits  bourgs  du  littoral ,  dont  les  bommes  sont  presque  tous 
marins ,  et  dont  les  habitations  élégamment  badigeonnées  et 
^jf  .  couvertes  en  ardoises,  encadrées  chacune  dans  un  filet  de  chaux 

très- blanche,  se  détachent  si  piltoresquement  sur  le  ciel  géné- 
ralement grisâtre  de  notre  pays. 

Ne  soyez  point  surpris  si ,  en  passant  à  L'Aber-Ildut ,  vous 
voyez  toutes  les  fermes  garnies  de  nombreuses  et  larges  plaquas 
noirâtres ,  ainsi  que  les  petits  murs  en  pierres  sèches  qui  forment 
les  séparations  des  champs  ou  parcelles  de  terre.  Ces  plaques 
ne  sont  autre  chose  que  de  la  bouse  de  vache ,  ramassée,  avec 
$  grand  soin  et  mise  à  sécher  au  soleil  pour  servir  de  combus- 

tible en  hiver,  le  bois  étant  extrêmement  rare  dans  le  pays- 
Celte  coutume  existe  du  reste  sur  presque  tout  le  Mltoral. 

Lanildut  (territoire  d'lldui),'que  nous  trouvons  aussitôt  après 
avoir  passé  la  jetée  qui  relie  le  port  de  L'Aber  à  cette  parois- 
se ,  est  placé  sous  le  patronage  de  saint  Ildnt  ou  Hydultus , 
cet  intrépide  exécuteur  testamentaire  des  volontés  de  saint 
Budoc.  C'est  lui  qui,  pour  sauver  une  partie  des  reliques  de 
son  évéque ,  eut ,  comme  nous  Tavons  dit ,  le  pieux  courage , 
dans  sa  sainte  ferveur  ,  de  couper  avec  ses  dents  les  trois  doigts 
du  bras  déjà  momifié  sans  doute,  qu'on  lui  présentait  à  baiser. 

Avant  de  monter  à  Brélès,  quittons  la  grande  route,  au  moulin 
,  de  Belair,  et  descendons  au  manoir  de  ce  nom,  qui  appartenait 
avant  la  révolution  à  la  famille  de  Clairarabault  ,  dont  un 
des  membres  ,  Charles  •  Alexis  de  Claîrambault ,  né  en  1704, 
fut  commissaire  de  la  marine  au  port  de  Brest.  Les  armoiries 
de  cette  famille  étaient  :  d'argent  à  un  chêne  nrriiché  de 
Sinople.  Antérieurement  Belair  avait  appartenu  aux  seigneurs 
de  Kerengarz,  dont  les  annes  se  retrouvent,  avec  d'autres,  ^or 


E.Fleuryd»!  etl-tK. 


LitK.  Ro6er.Br«$t. 


CHEMINEE 
de  la  grande  Salle  du  Manoir 

de  Bf:LAIR,près  ÊRÈlÈS    IFinistèreJ 


•v-S 


y 


—  457  — 

une  pierre  arnioriée,  placée  dans  le  pignon  du  mooîfiL   El^ 

4BSl  écartelée  au  -1**  et  4  d\asur  au  croissant  d'argent^  armes  des     ■' f  ^|S)r 

Keruflgani  ;  au   2  on   voit  une  tête  de  cheval ,  et  au  S  ,  trois  ^^ 

fnerlettes.  Au  bas  on  lit  le  miilé8ime  de  ^637.  L.a  devise  ^de 

cette  maison   était  :   Toui  en  croissant.  Ce   manoir  des  Belair, 

bâti  dans  le^  fond  de  la  rivière  de  L'Aber,  date  du  XVI*  siècle. 

Uae  inscription,  placée  au  dessus  de  la  porte  d*enlrée  d'un  des 

bâtiments  donnant  sur  la  cour  intérieure  ^  nous  apprend  quMl 

fut   construit  en  ^599. 

Il  est  assez  bien  conservé  extérieurement;  très  près  se  voit 
un  de   ces   immenses  colombiers  seigneuriaux  qui   ressemblent 
à   une  grosse    tour  recouverte  d'un   escalier?  Entrons   dans  la 
cour  principale,   assez  vaste,    et   montons  au  premier   étage, 
par  rescalier  en  pierres  ,  pour  gagner  la  grande  salle  du  manoir; 
Là    nous   trouverons    un   objet   présentant   un    certain   intérêt 
artistique  :  c'est  une  vaste  cheminée  sculptée,  sur  le  manteau  do 
laquelle  on  voit,  dans  des  encadrements  ornés,  quatre  têtes  en 
demi-relief,  représentant  Henri  III  et  sa  mère,  croyons-nous, 
et  deux  autres  personnages ,  une  jeune  femme  et  un  homme. 
Au-dessus  dé  ces  sculptures  est  une  large  corniche,  au-dessous 
ge   dessinent  une    bande  d'arabesques  ,    plus   bas  une  rangée 
de  longues  fleurs  de  lys  et  pfin,  au   bord   du  manteau ,  une 
bordure  de  losanges.   Le  tout  est  supporté  sur  deux  pilastres  à- 
canelures  fort  élégants ,  formant  les  deux  côtés  de  la  cheminée. 
La  peinture,    dont  tous  ces   ornements  étaient   recouverts,,  a 
résisté  au  temps ,  et  cette  belle  cheminée  nous .  est  parvenue 
presque  telle  qu'elle  existait  à  l'époque  où  ses  riches  propriétaires, 
habitaient  leur  manoir.  Cett^  vaste  habitation  a  été  transforioéa  , 

pendant  quelques  années  en  uq^  usine  oh  Ton  fabriquait  de 
l'iode  et  ses  composés;  depuis  elle  a, été  atendonnée  et  n'est 
plus  occupée  que  par  les  fermiers. 

5S 


~  438  - 

GravîiHM  le  chemin  qui  mène  à  Brélës ,  dont  Téglise  vient 
d'être  agrandie.  On  a  aussi  refait  la  grande  fenêtre  du  chœur; 
de  riches  vitraux  coloriés  y  ont  été  placés.  C'est  peut-être  une 
lourde  charge  pour  une  commune  aussi  pauvre,  mais  doit  on 
y  regarder,  quand  c'est  la  maison  de  Dieu  qu'il  s'agit  d'orner 
et  ^'embellir,  et  disons-le,  Tancienne  maîtresse  vitre  était 
indigne  de  la  plus  petite  chapelle.  Passons  et  arrivons  au  château 
de  Kergroadès  ;  nous  nous  y  arrêterons  pour  visiter  en  détail  ce 
beau  et  vieux  monument  maintenant  tout  en  ruines. 

Ce  château ,  connu  plus  généralement  dans  le  pays  sous  le 
nom  de  château  de  Roquelaure ,  parce  que  ,  par  alliance ,  il 
est  passé ,  vers  nST  ,  dans  cette  famille  ,  est  une  des  belles 
et  imposantes  ruines  do  notre  arrondissement.  Placé  dans  une 
position  moins  saisissante  que  le  château  de  Tremazaa,  nioins 
grandiose  que  cette  antique  habitation,  il  s'élève  dans  un  pays 
plus  pittoresque,  couvert  de  grands  et  beaux  arbres.  De  nom- 
breuses et  magnifiques  allées  y  aboutissent,  mais  aux  alentours 
point  de  grande  vue  ,  point  de  ces  grandes  échappées  qui 
viennent  lout-à-coup  se  présenter  devant  vous.  Ici  tout  est 
calme,  tout  est  tranquille.  Combien  dans  ce  beau  château, 
alors  que  les  seigneurs  dé  Kergroadez  étaient  riches  et  puissants, 
la  vie  devait  être  douce  et  facile.  C'était  du, reste,  dit  la  tradi* 
tîon ,  une  des  plus  splendides  habitations  du  pays.  Les  pro- 
priétaires en  étaient  fiers  à  ce .  qu'il  parait.  On  raconte  qu'un 
marquis  de  Kergroadez  ,  qui  vivait  en  1652  ,  ayant  trouvé  , 
au  Conquet ,  Michel  Le  Nobletz ,  malade  et  logé  dans  une 
pfetite  maisonnette  fort  incommode  ,  le  pria  instamment  de  se 
laiéser  transporter  dans  son  château.  Le  saint  homme  refusa, 
n  naais  ir l'avertit  qu'il  ne  garderait  pas  long-temps  ce  riche 
palais  dans  lequel  il  hiôttaît' toute  sa  complaisance.  9  La  mort 
du  marquis,  qui  arriva ' peu  après  ,  fut  regardée  comme  l'ac» 
complîssement  de  la  prophétie  du  saint 


—  4S9  — 

:  Le  château  de  Kergroadei  fut  coaslruit,  dit  on  ,  de  J802  h 
4  61 3  par  Fraï^çois  de  Kergroadez,  sous  le  règne  de  Louis  XIII, 
très  -  certainement  sur  l'emplacement  d'un  autre  beaucoup  plus 
ancien  ,  car  cette  famille  était  d'ancienne  extraction.  Elle  comptait 
en  1670 ,  onze  générations  ;  ses  armoiries  étaient ,  comme 
nous  Tavons  déjà  dit:  fa^cé  de  six  pièces  d'argent  et  de  sable^ 
et  sa  devise  était  :  En  bon  espoir.  Cette  maison  qui  se  fondit, 
en  -1 732 ,  dans  celle  de  Kerouarlz  ,  était  une  des  plus  impor- 
tantes de  la  paroisse  de  Plourin.  Nous  avons  déjà  raconté  que 
le  tombeau  d'un  des  seigneurs  de  cette  famille  avait  été  trouvé 
dans  cette  église.  On  voit  aussi ,  dans  ce  bourg ,  un  hôpital 
pour  les  pauvres  ,  fondé  par  le  dernier- représentant  de  cette 
grande  maison,  haut  et  puissant  seigneur,  messire  Robert  de- 
Kergroadez. ,  capitaine  de  cavalerie  dans  le  régiment  de  M.  le 
comte  de  Toulouse  ,  mort  mestre  de  camp  de  cavalerie.  L'acte  de 
donation  est  du  12  mars  4704  ;  il  existe  encore,  nous  l'avons  vu. 
Cet  hôpital  fut  créé  pour  les  pauvres  et  malades  de  la  paroisse 
de  Plourin,  et  s'il  y  avait  de  la  place,  pour  ceux  de  Lanrivoaré  , 
Lanildut  et  Laret ,  de  préférence  à  tous  autres.  Pour  celte 
création ,  messire  Robert ,  qui  habitait  alors  son  château , 
donna  à  la  paroisse  une  .  maison  dans  le  bourg  ,  avec  toutes 
ses  dépendances.  L'hôpital  subsiste  toujours  ,  mais  il  est  fort 
pauvre.  ' 

On  raconte  aussi  que,  dans  le  XVII®  siècle,  un  des  seigneurs 
de  Kergroadez  ayant  fait  d'immenses  dettes  ,  qu'il  n'aurait  pu 
payer  aans  vendre  la  plus  grande  partie  de  ses  biens,  fut  secouru 
par  §es  vassaux.  Ils  se  cotisèrent  entr'eux,  et  réunirent  la  somme 
énorme  ,  pour  celte  époque  surtout,  de  trois  cent  mille  livres, 
qu'ils  lui  remirent.  Un  acte,  qui  existait  encore  en  1788,  fut 
passé  par -devant  le  tabellion  dei.la  paroisse  ,  par  lequel  ils 
laissaient  à  leur  seigneur  la  jouissance  de  la  moitié  de  son 
revenu^  et  gardaient  l'autre  moitié  pour  se  soldier  de  leurs  avau'* 


—  460  — 

ces*  Dalis  quarante  années  ,  ils  devaient  être  entièrcnnent  rem- 
boursés de  leur  capital.  Non  contents  d'avoir  agi  avec  tant  de 
libéralité  envers  leur  seigneur,  ils  le  prièrent  encore  de  vouloir 
^en  accepter  en  présent  huit  magnifiques  chevaux  de  carrosse, 
afin  que  Madame  pût  se  rendre  à  la  paroisse  d'une  manière  con- 
venable. Un  tel  acte ,  il  nous  semble  ,  honore  autant  celui  qui 
le  reçoit,  que  ceux  qui  le  font.  Cette  histoire  a,  dit-on,  fourni  à 
Monvel  le  sujet  d'un  oi>éra  jadis  assez  goûté  du  public,  intitulé  : 
Les  trois  fermiers. 

Celte  belle  habitation ,  qui  était  encore  occupée  à  la  Révolu- 
tion, fut   alors   transformée   en  hôpital  pour   les   troupes    du 
camp  de  Saint- Renan,   qui  en  était  peu  éloigné.   Depuis  cette 
époque  elle  a  été  abandonnée ,  on  a  enlevé  les  toitures,  coupé 
les  immenses  poutres  de    chêne   sculpté  qui    soutenaient    les 
planchera  des  divers  étages ,  et ,  en  quelques  années ,  on  a  fort 
de  ce  riche  chût  eau,  une  vaste  raine.   C'est  un  grand  édifice 
carré ,  flanqué  de  tours  aux  quatre  angles.  Celles  de  la  façade, 
réunies  par   une  longue  terrasse  à  parapet  élevé ,  muni  de  mâ- 
chicoulis, qui  défend  rentrée  principale ,  sont  de  forme  carrée  ; 
les  deux  autres  sont  rondes.  L'une  d'elles  est  surmontée  d'une 
coupole  en  pierres   de  taille,    Tautrô  est   couronnée  par  une 
plate-forme  revêtue  d'un  parapet  à  mâchicoulis.   Dans  le  mur 
qui  les  relie   se  trouvait  jadis  une  porte  à  pont-levis:   on  en 
voit  encore  les  traces.  Tout  cet  -appareil  guerrier  tfavaît  plus 
grande  raison  d'être  à  l'époque  de  la  construcllon  de  ce  châ- 
teau; c'était  une  réminiscence  des  demeares  féodales.  Mainte- 
nant les    longues  chemraées  délabrées ,   le  clocher  de  la  cha- 
pelle ,  surmontent  seuls  le    Mte  de    cea    murailles    sans  toi- 
tures. 

Après  en  avoir  fait  Icl  tour  extérieurement ,  avant  d^entrer , 
essayons  de  déchiffrer  Tinscriptioû  qui  est  placée  au*defôus  de 
la  porte,  principafe. 


^  m  ~ 

M.  de  Keï'danet  y  a  là  : 

5*  non  in  timoré  domini  tenueris  te  instanler^ 
Cito  subvertentur  domus  (use.  (1;  '        ^ 

M.  ClérfiC  y  lit  : 

Si  non  in  timoré  âomni  (domini)  tenueris  te  instanter 
Ciio  subvertetwr  domus  tua  ante  faoiem  domni, 

qu'il  tradaU  aiasi  en  vers: 

Si  du  Dieu  touUpuissant  la  ne  crains  ia  justice, 
Ta  maison  tout-à-eoup  bientôt  disparaUrti^ 
Et  pour  la  renverser,  l'œil  de  Dieu  sufïira. 

Quant  à  nous,  nous  pensons  que  cette  inscription  ne  peut 
être  que  ce  verset  du  livre  de  l'Ecclésiastique  :  (2) 

Si  non  in  timoredomini  tenueris  fe  instanter, 
Cita  sitbvertetur  domus  tua^ 


que  Le  Maislre  de  Sacy  traduit  par  : 

Si  vous  ne  vous  tenez  fortement  a 

Du  Seigneur,  votre  maison  sera  bientôt  renversée.  (3) 


Si  vous  ne  vous  tenez  fortement  attaché  k  la  crainte 


($)  Le.chàtead  de  Kergroadez ,  par  M-  de  Kerdauel.  Lycée  armoricain, 
1. 1,  et  notes  des  Vies  des  Saints,  par  Albert  Le  Grand,  p.  514. 

i%  Verset  4,  chapitre  XXVII  du  livre  de  la  Bible,  intitulé  :  Ecclésiastique 
de  Jésus,  /ils  de  Sirach, 

(3)  L'abbé  Manel  {Histoire  de  h  petite  Bretagne)  dit  qu*on  Usait  au-dessus 
de  la  porte  de  Kergroadez  le  verset  de  l'Écriture  que  nous  avons  cité.  — 
T.  II,  p.  131. 


-  462  — 

Les  difTérences  qui  existent  entre  la  leçon  de  M.  de  Kerdanet^ 
celle  de  M.  Clérec  et  le  verset  de  TÉcriture,  s'expliquent  paria 
grande  difficulté  de  déchiffrer  les  inscriptions  murales ,  déjà 
anciennes,  surtout  lorsqu'elles  sont,  comme  celle  ci,  placées  à 
une  grande  hauteur. 

Nous  avouons  n'avoir  jamais  remarqué  cette  inscription, 
quoique  nous  ayons  bien  souvent  parcouru  le  château  de 
Kcrgroadez;  du  reste  elle  a  aussi  échappé  au  plus  grand 
nombre  de  ses  visiteurs.  Sans  M.  Clérec ,  qui  a  eu  Tobligeance 
de  nous  la  signaler,  nous  en  ignorerions  encore  l'existence f 
aussi  nous  le  prions  de  vouloir  bien  agréer  ici  nos  remercîmens. 

Il  serait  à  désirer  que  cette  inscription  pût  être  relevée  avec 
soin,  afin  qu'on  fût  bien  assuré  de  sa  rédaction  et  de  sa  forme, 
et  cela  ,  sans  trop  tarder ,  avant  que  la  vétusté  des  pierres  et 
les  lichens  qui  les  couvrent  ne  permettent  plus  de  la  déchiffrer. 

Kntrons  maintenant  dans  la  grande  cour  d'honneur,  en  passant 
sous  la  petite  porte ,  la  grande, ne  s'ouvrant  plus  depuis  long- 
temps. En  face  de  vous  se  présente ,  avec  son  élégant  péristyle, 
le  bâtiment  principal ,  percé  de  nombreuses  ,  larges'  et  hautes 
fenêtres  à  croix  de  pierres,  et  surmonté  de  croisées  de  mansar** 
des  richement  sculptées  ;  à  gauche  ,  se  trouvent  les  belles  écu- 
ries voûtées  du  château  sur  lesquelles  est  construit  un  édificô 
à  deux  étages  et  mansardes  ;  à  droite  sont  les  dépendances,  et 
enfin ,  formant  le  quatrième  côté  ,  la  belle  terrasse  qui  s'élève 
au-dessus  de  la  porte  d'entrée  principale ,  et  qui  est  supportée 
sur  de  hautes  arcades  formant  galeries  à  l'intérieur.  Pour  visiter 
les  restes  de  la  chapelle,  encombrée  de  plantes  et  même  d'arbres 
qui  poussent  dans  les  fentes  des  pierres ,' montons  sur  la  ter- 
rasse à  l'une  des  extrémités  de  laquelle  elle,  se  trouve  ;  puis 
redescendons  au  milieu  des  ronces  et  des  orties,  dans  la 
cour  d'honneur ,  jonchée  de  débris  enfouis  dans  de  hautes 
herbes.  .        ' 


_  463  - 

Quand  nous  aurons  gravi  au  sommet  dé  ces  ruines,  dans  le 
bâtiment  principal,  par  le  magnifique  escalier  en  pierres  qui 
existe  encore;  quand. nous  aurons  examiné  les  chambres,  les 
vastes  salles  avec  leurs  énormes  cheminées  ,  et  le  point  de 
vue  qui  s'étend  au  loin  de  celte  partie  élevée  du  château  , 
rendons  -  nous  ,  le  Barzas  -  Breiz  de  M.  de  La  Villemarqué  à 
la  main,  vers  cette  belle  fontaine  qui  coule  à  peu  de  dislance 
du  château.  C'est  là  que  la  belle  Azénor-la-pâle ,  fille  d*un 
seigneur  de  Kergroadez,  était  assise  un  jour  de  l'année  1400,* 
faisant,  avec  les  fleurs  de  genêt  qu'elle  venait  de  cueillir,  un 
bouquet  pour  son  doux  clerc  de  Mesléan ,  lorsqu'un  riche  sei- 
gneur ,  un  puissant  chevalier ,  messire  Iwen  de  K^rmorvan , 
passa  tout-à-coup  au  grand  galop  de  son  cheval  blanc ,  la  re- 
garda du  côîa  de  Voeil  et  s'écria  :  «  Colle  ci  sera  ma  femme, 
ou  certes  je  n'en  aurai  point.  » 

C'est  une  triste  histoire  que  celle  d'Azénor-la-pâle.  Un  barde 
breton  en  a  conservé  le  souvenir  dans  une  touchante  ballade 
qui  se  trouve  dans  le  recueil  de  M.  de  La  Villemarqué.  Assis 
au  bord  de  cette  délicieuse  fontaine ,  à  l'ombrage  des  grands 
et  beaux  arbres  qui  l'entourent,  Jhellsons  les  vers  du  poète 
J)reton  {^)  : 

(Ici  Keriid.)  •* 

* Zénorik-gîaz  zo  dimézet, 
Hogm  pas  d*hé  vuian-Karet  ; 

'Zénorik-aflaz  zo  dimézet , 
Hogen  pas  d*hé  dausik  Kloarek. 

h 

^Zênorik  oa  talarfeunten, 

Ha  gant'hi  heur  brou::^  séi  p^élmi 

<i)  M.  de  la  Villemarqué  (Barzas-Breiz),  1. 1 ,  p.  215. 


—  464  — 

Ar  kz  or  fmnUn,  hi  mnen, 
O  pakad  éao  bUun  halan^ 

Da  ober  eur  boukédik  koant  ; 
Eur  houket  dar  c'hloaTeck  MezJéan- 

Ûud  é  oa  hi  tal  ar  feunten , 
Pa  dréménaz  *nn  otrou  hem. 

*Nn  otrou  iwen ,  ar  ké  îMxrc'h  gU» , 
Aêrkent ,  mn  eur  rédaden  braz  ; 

Kerkent ,  enn  eur  rédaden  bras 
Hag  out'hi  a-dreuz  a  zellaz. 

«—  Hounnan  a  vézo  va  fried 

Pé  n'em  bo,  'vit  gtcir^  groeg  é-hed!  -^ 


(Dialecte  de  CornoaaîUe,) 

La  petite  Azénor4a-pà]e  est  fiaiicée. 
Mais  non  pas  à  son  bien -aimé; 

.  ^  La  petite  Àsénor-lt^^e  est  Gancée, 

^  Mais  non  pas  k  son  doux  clerc, 

L 

La  petite  Âzénor  était  assise  auprès  de  la  fontaine, 
Vêtue  d'une  robe  de  soie  jaune  ; 

Au  bord  dé  la  fontaine ,  toute  seule , 
Assemblant  des  fleurs  de  genôt , 

tour  faire  un  bouquet, 

Un  joli  petit  bouquet  au  clerc  de  Meziéan.  (i) 

(1)  Le  cbàleau  de* Meriéan  appartenait  aiix  Rlvôalen  de  Meziéan,  dont 
les  armoiries  étaient  :  d*argent  au  chevron  de  gueules,  accompagné  de 
trois  quinte feuilks  d0  rriéme. ,  CeiiQ  îmâïUy  ^*e^ ,  ioBdne  dans,  celle  de 
Penmarc*h. 


—  465  — 

Elle  éUil  assise  près  de  la  iontaine, 

Lorsque  passa  messLre  Iwen  ,  f 

Messire  Iwen  sur  son  cheval  blanc , 
Tout-à-conp ,  au  grand  galop  ; 

Toul-k-coup,  au  grand  galop , 
Qui  la  regarda  du  coin  de  rœil. 

—  Celle-ci  sera  ma  femmfi , 

Ou  ,  certes ,  je  n'en  aurai  point!...  — 

Nous  ne  transcrirons  point  la  ballade  tout  entière,  elle  est 
un  peu  longue;  nous  dirons  seulement  que  le  sire  de  Kermor^an 
mit  ses  projets  à  exécution ,  qu'Azénor  fut  obligée  de  Tépouser. 
Il  était  riche  et  puissant,  le  clerc  de  Mezléan  était  pauvre; 
non-seulement  le  château  de  son  père ,  dont  on  voit  les  ruines 
près  de  Goueznou  n'était  ni  aussi  grand,  ni  aussi  fort  que  ceux 
de  Kermorvan  et  de  Kergroadez  ;  mais  lui  même  n'était  qu'un 
pauvre  cadet  de  famille  qu'on  destinait  à  l'état  ecclésiastique. 
Azénor  eut  beau  prier  et  pleurer ,  tout  fut  inutile.  Il  ne  lui 
restait  plus  qu'à  mourir.  Peu  de  temps  après  son  mariage^  les 
cloches  sonnèrent  à  Féglise  de  la  paroisse ,  ce  n'était  pas  d# 
leurs  joyeuses  volées  qu'elles  frappaient  Tair  ;  c'était  un  glas 
triste  et  lugubre  qu'elles  faisaient  entendre  :  Azénor  avait  cessé 
de  souffrir. 

Descendons  au  vaste  étang  du  château  (I)  couvert  aujourd'hui 
presque  entièrement  par  des  nénuphars  ou  nymphéas ,  aux  larges 

|1)  Depuis  que  celte  excursion  a  été  écrile  et  lue  à  la  Société,  de  nom- 
breux documents  sur  Kergroadez  ont  été  mis  à  notre  disposition, 
par  un  des  nouveaux  propriétaires  de  ce  château,  M.  Le  J***.  Qu'il 
nous  soit  permis  de  lui  en  exprimer  ici  publiquement  notre  vive  recon- 
naissance. 

Lorsque  nous  aurons  exploré  et  étudié  avec  soin  tous  ces  précieux 
documents ,  nous  nous  proposons  d'écrire  une  notice  spéciale  sur  le  châ- 
teau et  la  seigneurie  de  ICergroadez.  Nous  aurons,  croyons -nous,  des 
choses  nouvelles  et  curieuses  à  raconter  sur  celte  belle  ruine. 


—  466  — 

feuilles;  dont  les  belles  et  grandes  fleurs  d'un  blanc  si  pur 
avaient  dans  Tanliquilé  et  le  moyen-âge  une  si  grande  renommée 
antiaphrddisiaque ,  et  passons ,  pour  reprendre  la  grande  route , 
sur  la  chaussée  de  l'antique  moulin  seigneurial  de  Kergroadcz. 
Bientôt  nous  aurons  regagné  Saint  Renan,  et  nous  n'aurons 
plus  qu'à  rejoindre  Brest. 


E.  FLEURY, 

Biblioïkëcaire  d«  U  YUIe. 


■^♦•fr 


TABLE    ALPHABETIQUE 

(divisée  par  CAim»is) 

DES  NOMS  DES  UEUX  OITtS  DANS  CETTE  EXCURSION , 

on 

ËKii  d'an  DietioniiK  Âretéologîqae  et  Éijmologiqne 
des  L«calités  parcoonies.^ 


arrondisse;ment  de  brest. 


CANTON  DE  BREST. 

Castelmen.  —  Kastel  -  ifEpr.  — 
Chàleali  de  pierres  :  de  Kastel,  châ- 
teau, et  de  mean ,  mein ,  pierre.  — 
Cammune  du  Guilers,  sur  un  des 
«ifOuents  de  la  PenfeM ,  k  gauebe 
de  la  toute  iteuve  de  Saint-Renan. 
—  Grande  minoterie. 

Ép.  romaine:  —Tuiles  romaines  ; 
Construction  en  maçonnerie,  enfouie 
à  une  grande  profondeur  et  recoû- 
v^0te  d'une  »eule  pierre  ; 

Meules  de  moulin:  —  Bout,  peti- 
tes et  grosstèrea ,  trouvées  so«s  lés 
racines  très^^  profondes  d'un  chêne 
séculaire. 


RfiRiNOo,  anciennement  Rëren* 
NOe.  —  Reb-en-nou.  —  Yillagc  en 
penfc ,  situé  dans  un  bas- fond  :  de 
Ker,  lieu,  viHage,  et  de  en  naou  (1), 
en  composilioft  en  riou ,  en  pente  ,• 
placé  dans  un  bas-fond.  Ea  effet,  1&  * 
village  de  Kerinou ,  appartenant  k 
1&  comiDone  de  Lambézellee ,  à  un 
kilomètre  de  Brest  ;  est  situé  dans 
un  bas-fond  entre  deux  collines. 

Moyen-âge:  —Ancienne  sèigAeu- 
rie,  fondue  plus  tard  d^ns  la  fa^mille 
de  Cornouaille,  jouissant  de  grandes 
prérogatives  dan^  la  ville  de  Brest. 

(4)  Biillet ,  DktiùnnûWe  de  là  Connue  ' 
cêllique. 


(*)  Les  élymologies  quo  nous  donnons  dans  cette  table  ne  sont  prâsentc^es  que  sOUf 
eue  Corme  dubilatîre  et  comoie  de  simples  essais. 


—  468  ~ 


Kerouazl.  —  Ker-ocazl.  —  Vil- 
lage du  for,  où  l'on  trouve  du  fer  : 
de  A'er,  lieu,  et  de  houarny  fer^  pro- 
noncé, par  corruplion  probablement, 
houazl  Dans  celle  propriété,  il  existe 
deux  sources  d'eau  minérale  Herru" 
gineuse. 

Ancien  cbàieau,  sttuô  dans  la 
commune  de  Guilers  ,  près  Caslel- 
men. 

£p,  romaine  :  —  Médaille,  en  or 
de  Néron  ;  médailles  d'Antoiiîn  ; 
débris  de  poteries,  .     . 


CANTON  DE  SAINT-RENAN. 


BODONNOC  OU  BOTDONNOU.  —  BOD- 

ossou.  —  Buisson  de  fr^neg  :  de 
Bod  ^  buisson,  touffe,  et  deoun», 
omnennou  ,  frêne.  —  Vastes  ma- 
rais qui*  entourent  Saint  7  Renan, 
et  dans  lesquels  il.est  dangereux  de 
s'engager,  dit-on,  à  cause  djesfon*; 
drières  qui  s'y  trouvent. 

Cbapellede Notre-Dame  du Bodon- 
nou,  construite  sur  remplacement 
d'une  autre  très  ancienne. 

CuRRU.  —  Manoir  près  de  Saint- 
Renan. — Manoir  du  tonnerre,  peut- 
être  où  est  tombé  le  tonïierre  :  de 
JTwrtm,  loiinerre.  Ou  bien  encore, 
village  du  Xeu,enle  faisant, dériver 
de  Ker-rUy  par  corruption  Kurru  * 
de  Ker,  lieu  ,  village ,  et  4e  ruz , 
rouge,  couleur  de  feu. 


Ces  deux  étymologies  pourraient 
s'expliquer  par  la  légende  qui  ra- 
conte que:  )a  main  du  diable  resta 
empreinte  en  rayons  de  feu,  sur  une 
grille  qu'il  avait  placée  ,  dans  une 
nuit,  à  Tune  des  fenêtres  du  ma- 
noir. On  peut  très-bien  aussi  inter- 
préter rempreinte  de  la  main  du 
diable,  par  un  coup  de  tonnerre  qui 
aurait  frappé  celte  maison. 

.  Moî^  ^âge;  —  Le  Curru  était 
une  ancienne  vicomte,  avec  prévôté 
féodale  ;  il  est  connu,  dans  le  pays, 
sous  le  nom  de  château  du  roi 
Pbaramus.  —  Kastel  ar  roue  Pha- 
rawus; 

Grille  du  diable,  ouvrage  curieux 
par  son  travail  ; 

Belle  et  grande  pierre  armoriée. 

LASïJRIVOABfi   pu    tANBlonARÉ. 

Lan-Rivoâké«  —  Territoire  de  Ri- 
voaré:  de  Lami,  terre,  territoire,  et 
de  Rivoaré,  ch^  Breton  auquel  ap- 
partenait ce  pays  au  VI*  siècle,  dit 
M.  de  Fréminville.  D'après  M.  de 
Courcy,  Rivoaré  était  un  des  apô- 
tres des  premiers  temps  du  chris- 
tianisnie  dans  l'Armorique. 

Mo^ien-âge:  —  Cimetière  des 
Saints,  enceinte  $aoréeoù  reposent 
7777  saints; 
,  :  Pains  changés  en  piérides  ; 

Souche  de  bois  que  l'on  coupe 
depuis  des  siècles,  sans  qu'elle  di- 
minue ,  et  dont  les  morceaux  pré- 
servent d^  rincendie  j   . 


—  469  — 


Pierres  tombales  de  féglise,  sur 
lesquelles  sont  grossièrement  sculp- 
tées des  bâches,  des  marteaux,  des 
pioches,  etc. 

Saint-Renan  (chef-lieu  de  cao- 
ton).  —  En  breton,  LooRonan-ar- 
fane,  la  cellule  de  saint  Renan  du 
Marais  :  de  Loc  pu  tok^  cellule  , 
ermitage,  et  de  ar-rfanc,  du  marais. 

En  effet,  la  ville  de  Saiut-Renan 
est  située  sur  une  hauteur,  entourée 
d'un  marais. 

Moyens  âge  :  —  Ancienne  ville , 
jadis  siège  d'une  juridiction  royale. 
Vieilles  maisoi^s  en  bois  et  en  pier- 
res ;  halle  en  bois;  portique  d'une 
ancienne  égHse  de  la  ville ,  prieuïé 
du  XIH*  siècle,  dépendant  de  Saint- 
Mathieu  ;  retable  d'autel  gisant  dans 
la  rue^  près  du  portique.   , 


CANTON  DE  PLOUDALMÉZEAU. 

Belair.  —  Manoir  du  XYI«siècle, 

près  Brélez,  sur  la  rivière  de  L'Aber. 

Renaissance  :  —  Inscription  sur 

une  des  portes  intérieures,  donnant 

la  date  do  la  construction,  1599  ; 

Belle  cheminée  sculptée  et  peinte, 
dans  la  grande  salie. 

Brelez.  —  Bre-Lez.—  Montagne 
de  la  rivière,  près  de  la  rivière  :  de 
Bre,  raonlagoe,et  de  Lez  [\  ),  rivière, 


eau.  Brelez  est  placé  au  somme 
de  la  montagne  au  pied  de  laquelle 
coule  la  rivière  de  L'Aber. 

Bourg  sans  importance  aujour- 
d'hui ,  jadis  siège  de  la  juridiction 
de  haute,  moyenne  et  basse  justice, 
de  la  seigneurie  de  Kergroadez  et 
du  Gouerbihan. 

Gleguer.  —  Beau  rocher  de  la 
côte  de  L'Aber.  Cleguerjm  Klegner 
veut  dire  :  rocher. 

Cosqder.  —  Koz-Ker.  —  Vieux 
château ,  vieille  maison  :  de  Koz, 
vieux,  et  de  Ker,  iieu,  maison. 

Ancien  manoir ,  qui  n'est  plus 
maintenant  qu'une  simple  ferme. 

GoiLiGOY.  —  Montagne  ou  rocher 
formant  un  des  cotes  de  l'anse  de 
Porsal. 

Ep.  celtique  :  —  Dolm&n,  Dolmen, 
table  de  pierre  :  de  taol,  table,  et  de  , 
mean,  wetn,  pierre. 

Kerbresol.  —  Ker-bresol.  — 
Lieu  de  la  guerre  :  de  Ker,  heu,  et 
de  Brezol  pour  Brezel,  guerre. 

Ancien  manoir. 

Kerdrevor.  —  Ker-dre-vor.  — 
Village  près  de  la  mer:  de  A'er,  lieu, 
village,  etc. ,  de  Hre,  près,  et  de  mor, 
en  composition  vor,  la  mer.  Kerdre- 
vor est  près  de  la  mer  ^,  il  dépend 
de  L'Aber. 


-  470  - 


du  prince,  du  fort,  du  ?ailianl:  de 
Ker,  lieu  ,  et  de  un  ner  ou  même 
erterii),  prince,  forl,  èlc. 

Ep.  celtique  :  ^Menhir,  menhir^ 
pierre  lougiie  :  de  men,  pierre,  elde 
hir,  long. 

Petit  manoir  fortifié. 

Kergadiou.  —  Ker  -  gadioo.  — 
Ueu  de$  batailles  :  de  JTer,  lieu,  et 
de  kadion ,  en  construction  godiou, 
pluiiel  de  A:ai(2),  bataille,  combat. 
Kadiou  n'est  plus  guère  employé 
(^iie  dans,  les  noms  d'homo^es  et  de 
lieux« 

Ep.  celticme  :  —  Menbirde  10*  de 
hauleuf  environ,  et  de  0"  de  cir- 
conlérence  ;  pierre  inclioée  :  ^  de 
longueur,  2*  de  largeur,  inclinai- 
son 25  à  30» . 

Près  de  ces  pierres  ,  charmant 
petit  manoir  fortifié.  —  Pierre  ar- 
moriée portant  les  armes  des  Ker- 
gadiou. 

Rergroadez,  anciennement  Ker- 
groezez  (sur  une  tombe  du  XIV* 
siècle). —  Ker-groezez.  —  Lieu 
très  ch4ud  :  de  Ker,  lieu,  et  de 
groez,  groezenow  groazuz^  chaleur. 

Enefiet,  Kergroadez,  Vun  des 
plus  beaux  châteaux  de  l'arrondis- 
sement, est  situé  dans  une  position 
délicieuse  ,  entouré  de  grands  ar- 
bres qui  le  mettent  h  l'abri  de  tous 
les  vents,  dans  ce  pa^s  si  découvert. 

(2)  Rullet,  Dicl.  ecUique. 


Château  du  1?II«  siècle,  bâti  sur 
Templacentent  d'un  autre  beaucoup 
plus  ancien.  Ancienne  juridictioa 
seigneuriale.  —  Inscription  btline 
au-dessus  de  la  porte  d'entrée. 

Kbkjam.  ^  Keb  -  JAR Tills^ 

de  la  poBle  :  de  ^er,Tillage  ,  et  de 
tar,  poule. 

Ancien  manoir. 

Kermenod.  —  Ker-menoo.  — 
Village  des  pierres  :  de  ATct-,  village, 
et  de  tnean,  menou,  pierre. 

Manoir  du  XVP  siècle  ; 

Fontaine  souterraine. 

Kersaint,  en  breton  ïtER-zEiiT.— 
Viltage  des  saints:  de  Ker,  village, 
et  de  sant,  sent,  en  composition 
zent,  saint. 

Église  du  Xy  siècle ,  ancienne 
collégiale  dirigée  par  des  chanoines 
chapelains* 

L'Aber-îldut.  —  Havre  d'IIdul  : 
de  Aber,  havre,  et  de  Mut,  s:iint 
Breton  du  \T  siècle. 

Joli  petit  port  qui  ne  peut  rece- 
voir que  des  caboteurs.  Jadis  appelé 
Porz  an  Grouinît  (sur  de  vieux  ac- 
tes), port  de  sable  ou  sablonneux  : 
de  Porz,  port,  et  de  grouinit  pour 
groanic,  sablonneux,  probablemeat. 

LANiLDqi.  —  Lan-Ildut.  —  Ter- 
ritoire d'IMut  :  de  Lan,  territoire, 
eidelldut.  , 


—  471 


L'Emezvran.  —  Ejîee-vhan.  ^— île 
aux  corbeaux  :  de  Enei,  tle,  et  de 
bran ,  en  composilion  vran ,  cor* 
beau. 

Beau  rocher  de  la  côte  de  L'Aber, 
dont  la  pierre  sup^ieure  est  mise 
en.mouvein^t  parles  grands  vents. 

Melon.  —  Ile  Melon,  île  de  pier- 
res, de  roc  :  de  melon  (1),  pierre, 
roc. 

Cette  île  est  en  effet  un  beau  bloc 
de  granit  de  300"  environ  de  lon- 
gueur sur  200"  de  largeur. 

Ep.  eeltiqne  :  —  Grand  menhir 
de  5"  de  hauteur  k  peu  près  et  de 
D%^0  de  circonférence  ; 

Autre  menhir  de  4»,60  de  hau- 
teur environ  ; 

Grand  dolmen,  en  partie  renversé; 

Vestiges  d'allées  et  d'enceintes 
druidiques. 

Ploudalhézeau  (chef-lieu  de  can* 
lon)#  —  PLtMj-DAL-HÉzEAu.  ^  Ter- 
ritoire devant  les  plaines  :  de  Plou, 
Plouef  PloCf  terre,  territoire ,  cam- 
pagne ,  etc.,  de  ta{,  en  composition 
dal ,  devant ,  et  de  meaz  »  pluriel 
mezou  ou  meziou  ,  campagne  , 
plaine. 

On  dit  aussi  Guitalmezeau.  — 
Gui-TAL-HEZEAO  :  de  Gui  y  pour 
GwiCy  bourg, village  ;  le  reste  com- 
me précédemment. 

Ploudalmézeau  est  situé  eu  avant 
d'une  plaine  qui  s'étend  jusqu'à  la 
mer. 

(i)  Bullet,  Dict,  cetliqne. 


àfayen^âge  :  —Croix  en  pierre, 
fort  ancienne^dans  un  des  murs  dd 
cimetière ,  sur  laquelle  est  sculptée 
le  crucifiement  de  N*  S.  Jésus-» 
Christ  ; 

Fourches  patibulaires,  près  du 
bourg  (vestiges)  ; 

Anciennes  maisons  ; 

Jolie    église  du   XVÏÏI*  siècle  ;, 
inscription  en  lettres  gothiques  sur 
l'un  des  contreforts  de  l'abside  de 
cette  église,  portant  la  date  del504, 

pLouRiN.  —  Plou-rin.  —  Terri- 
toire de  la  colline,  ou  sur  la  coUiue  : 
de  Plou ,  Ploue ,  Ploe ,  terre  ,  terri- 
toire, et  de  run  ,  reun  ou  rin  (1), 
colline. 

Moyen-âge  :  —  Belle  église,  dont 
une  partie  du  Xlî*  siècle;  chaire  à 
prêcher  en  bois ,  sur  laquelle  est 
sculptée  grossièrement  la  vie  de 
saint  Budoc,  patron  de  cette  église  ; 

Deux  lombes  en  Kersanton,  Tune 
de  4318,  l'autre  de  4400; 

4 S  pierres  sculptées,  armoriées > 
provenant  de  ces  tombeaux  ; 

Cuves  romanes  ,  anciens  fonds 
baptismaux,  sans  doute. 

PORSAL.  —  POR  -  SAL.  —  Port  du  ' 

manoir  :  de  Porz,  port,  et  de  sal(2), 
manoir,  maison  noble  à  la  campa- 
gne. 

C'est  da^s  l'anse  de  Porsal  que 
s'élève  le  fam^x  château  de  Tre- 
mazau. 

(i)Bul]ot,  Dict.  eelUiiue. 
{ZyBuWetf  Dict,  celtique. 


'—  47a 


Moyen-âge  :  -«  Chapelle  en  rui- 
nes de  Saint-Uflen  ou  Usren.  Dans 
le  cimetière  de  celte  église,  les  inhu- 
mations ont  été  faites ,  jadis ,  par 
couclies  superposées.  Il  ne  sert  plud 
depuis  long- temps;  tnais  la  mer, 
qni  entre  dans  l'anse  k  chaque  ma- 
rée ,  met  souvent  des  ossements  k 
découvert. 

Saint-Ourzal.  —  Petite  chapelle 
fort  basse ,  assez  près  de  Ja^mer, 
dans  un  endroit  aride. 

Ep.  celtique  :  -—  Fontaine  près 
rÉglise  ; 

Dolmen  parfaitement  conservé  , 
dans  un  champ ,  k  peu  de  dislance 
de  Téglise. 

Ti^Mii^ïAN.  —  Château  de  Jrema- 
zan  pourrait  peut-être  se  traduire 
par  château  du  trépas,  du  meurtre, 
en  faisant  venir  Tremazan  :  de  Tre- 
menvan,  Tremezvan  ou  'Tremevan, 
agonie,  meurtre,  trépas. 


C'est  dans  ce  château ,  d*après  la 
légende  d^AIbert  LeGrand,  que  saint 
Tanguy  décapita  sa  sœur  Haude,  et 
que  sa  belle-mère  expira,  au  milieu 
d'épouvantables  souffrances,  en  pu- 
nition de  ses  fausses  acousations 
contre  Haude.  Ces  deux  éyène- 
roents  étaient  assez  frappants  pour 
qu'on  donnât  le  nom  de  cbàteau  du 
meurtre  k  rhabitation  dans  laquelle 
ils  s'étaieot  passés. 

Moyen  àg^i  :  — Belles  ruines  d'un 
château  du  XIII*  siècle  ; 

Donjon  carré  élevé  sur  une  butte 
ou  molle  artificielle ,  ayant  42"  de 
circonférence  et  30^  de  hauteur  ; 

Ouvrage  avancé,  grande  enceinte 
carrée  k  parapets  et  mâchicoulis  , 
défendant  un  rempart  de  3*,25  de 
largeur. 

Le  château  de  Tremazan  est  la 
plus  belle  et  la  plus  imposante  ruine 
de  Tarrondissement.  11  est  situé  dans 
le  fond  de  Tanse  de  Porsal  et  dé- 
pend de  la  paroisse  de  Plonrin. 


E.  FLEURY. 


FIN. 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


PagM. 
Liste  générale  des  membres  de  la  Société.  ••...••.«..••..•.,.  I 

Règlement .....•,..  VU 

Statuts XT 

Arrêté  de  S.  Exe.  le  Minisire  de  rinstruclion  publique  et  des  Cultes 
autorisant  la  Société,  et  en  approuvant  les  Statuts.  •..•«.•...  ^    \lU 

Procès-verbaux  dçs  séances XY 

Prix  à  décerner,  en  4863 ,  par  la  Société XXXVIII 


Préface 1 

La  Marine  française  et  le  Port  de  Brest  sous  Richelieu  et  Mazarin, 

par  M»  P.  Levot ••««•.*••««••...•...  5 

La  Mort  de  Pétrarque,  poésie,  par  M.  Âigues-Sparses •  •  27 

Note  sur  une  forêt  sous -marine  dans  Tanse  de  Sainte -Anne, 

parM.  C.  Delavaud..., 36 

Sébastopol ,  ode  ;  par  M.  Duseigneur • .  44 

Sur  le  livre  de  Y  Amour  de  M.  Michelet ,  par  M.  Paul  Chabal.  54 

Rapport  sur  les  Travaux  de  la  Société  (1858-1859),  par  M.  Reynald.  70 


—  474  — 

Pages. 

Terre  et  Ciel ,  poésie ,  par  M.  Aigues-Sparses. 78 

Une  Monnaie  de  l'Empereur  Giatien  ,  par  il.  Denis-Lagarde. . .  83 

La  Maison  de  TEspion  à    Lanninon  ,  près  de  Recouvrance  , 

par  M.  P.  Levol. .*é 87 

Matulin  ar  barz  dall ,  poésie,  par  M.  ^Miliu. 403 

Note  sur  l'ÉcIipse  de  Soleil  du  18  juillet  1860,  par  M.  Ed.  Dubois.  107 

Le  Fou  et  ses  Médecins,  anecdote  en  vers,  par  M.  Clérec 117 

Étude  historique  et  critique  sur  la  Ligue   en   Bretagne,  par 

M.  Duseigneur. .c......... 120 

Le  Chemin  royal  de  là  Sainte-Croix,  traduction  en  vers  de 

V Imitation ,  par  M.  Guichon  de  Grandpont , 143 

Notice  liislorique  sur  le  Couvent  et  l'Église  des  Carmes  de  Brest, 

par  M.  Fleury » 153 

Souvenirs ,  poésie  ,  par  M.  Olivier  de  Lafaye 177 

Revue  des  ouvrages  littéraires  ,  offerts  par  leurs  auteurs  a  la 
Société  Académique  de  Brest,  depuis  sa  fondation  jusqu'au 

1"  janvier  1800,  par  M.  Paul  Chabal 181 

L'archipel  havaïen  en  18S5  ,  par  M.  H.  Jouan. ...  ; 211 

Revue  astronomique  de  1860 ,  par  M.  Ed.  Dubois 2^47 

Procès  d'Alexandre  Gordon,  espion  anglais ,  par  M.  P.  Uevot. . . .  295 

Rapport  sur  la  pierre  tombale  de  Landévennec  ,  par  M.  Cîérec. .  361 

Un  voyage  de  long-cours  ,  poésie,  par  M.  F.  Bouyer 371 

Étude  critique  sur  la  L^^ende  des  Siècles,  par  M.  Duseigneur. .  383 

Excursion  dans  l'arrondissement  de  Brest  (environs  de  St-Renaa 

et  de  Ploudaluiézeau),  par  M.*  E.  Fleury '...•.. 422 


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