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Années
1946 et 1947
BULLETIN
DE LA
Société historique
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Franco-Américaine
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BOSTON, MASSACHUSETTS
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LA SOCIETE HISTORIQUE FRANCO-AMERICAINE
présente son Bulletin pour les années 1946 et 1947. Ce Bulletin contient
des mémoires originaux et le compte rendu des séances tenues au cours
de 1946 et de 1947.
La Société historique franco-américaine est affiliée,
à titre de section, à
L'INSTITUT D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE
fondé par le chanoine Lionel Groulx
Elle tient deux réunions par année à Boston. Le montant de la coti-
sation est de $5.00.
Toute personne, homme ou femme, peut devenir membre de la société.
Ce Bulletin se vend $0.50. On peut se le procurer chez le trésorier, M.
le juge Arthur-L. Eno, 45, rue Merrimack, Lowell, Mass.
THE FRANCO-AMERICAN HISTORICAL SOCIETY
présents its Bulletin for 1946-1947. It contains historical articles and
the reports of the meetings held during 1946 and 1947.
The Franco-American Historical Society forms
a section of the
INSTITUT D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE
founded by Canon Lionel Groulx
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This Bulletin sells for $0.50, and can be obtained from the Treasurer,
Judge Arthur-L. Eno, 45 Merrimack St., Lowell, Mass.
MEMOIRES ORIGINAUX
UNE INCROYABLE ET VERIDIQUE HISTOIRE
L'AFFAIRE CAZEAU, 1776-1893
par Corinne Rocheleau Rouleau*
On est trop porté à considérer les études historiques en général
comme une série de catacombes où, d'étage en étage, on ne remue que
des cendres et des vieux os. Il me semble qu'on ferait mieux de con-
sidérer l'histoire des différents pays comme autant d'anciennes demeures
ancestrales où, dans un cadre plus ou moins bien conservé, on coudoie
encore aujourd'hui les descendants des anciens maîtres. L'histoire est
aussi un film inépuisable que l'on peut dérouler à volonté, mais qui
nous présente, selon que l'appareil projecteur est plus ou moins précis
et bien ajusté, une image très variable: tantôt un défilé de personnages
bien vivants dans un cadre vraisemblable, et tantôt une série de carica-
tures s'agitant sur un fond indécis.
L'historien intègre doit être, lorsqu'il le faut, de tous les temps et
de tous les pays; il doit tout examiner avec la même sincérité, peser tout
sur une seule et même balance dont les deux plateaux sont réservés, l'un
aux documents authentiques et l'autre aux faits probants. Si l'historien
y ajoute autre chose, il lui arrive alors de faire des histoires, ou de
l'histoire romancée, mais ce n'est plus de l'histoire tout court.
L'affaire que je vous présente est basée entièrement sur des docu-
ments officiels et des faits à l'appui, faits tirés de sources non moins
authentiques que les innombrables papiers timbrés que j'ai consultés.
* Mme Rouleau est bien connue des lecteurs de notre Bulletin, qui a déjà
publié d'intéressants articles de sa plume. Cette étude sur Cazeau est tirée de
documents entièrement inédits, que personne n'avait consultés avant elle. Sur
ce personnage, Mme Rouleau a aussi prononcé une conférence devant les membres
de la Société historique de Montréal, le 30 avril 1947.
BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Américaine de naissance mais d'ascendance française, je me suis sentie
attirée par les faits des Français sur notre continent nord-américain, où,
au temps des colonies, on vit surgir d'abord une Nouvelle-France im-
mense, une Nouvelle-Espagne moins grande et puis une Colonie Bri-
tannique qui les absorba, sauf le Mexique, pour se scinder finalement
en deux grands pays, les Etats-Unis et le Canada. Depuis ma jeunesse,
j'ai pris un extrême plaisir à regarder par les fenêtres de l'histoire, en
ouvrant quelques-unes moi-même afin de voir plus clairement ce que
nos ancêtres ont fait sur ce grand continent où, depuis quatre siècles,
nous marchons comme des rois.
Les annales canadiennes ne disent pas grand'chose de Cazeau. Celui
qui en parle le plus et le mieux est ce chercheur inlassable que fut
Benjamin Suite, et encore se trompe-t-il sur plusieurs points, comme se
trompa aussi Aegidius Fauteux. Les deux affirment que les Etats-Unis
se montrèrent indifférents et mesquins à l'égard de Cazeau. Or, il en
fut tout autrement.
Cazeau perdit toute sa fortune personnelle, qui avait été importante,
en voulant aider la cause américaine; par la suite, en réclamant ses
justes droits pendant plus de trente ans, il voulut toujours imposer ses
propres conditions aux Américains, parmi lesquels, jusqu'au bout, il
trouva de puissants amis, dont quatre furent présidents. Et le Congrès
américain, après avoir offert à Cazeau, en à-compte, plus de 2400 acres
de terre, qu'il refusa, le Congrès, dis-je, vota à ses héritiers, par deux
fois, des sommes d'argent considérables. Et si Cazeau lui-même n'en
profita guère, si ses héritiers n'en eurent à la fin que le quart, cela est
dû à un enchaînement de circonstances uniques dans les annales de
l'Amérique, et surtout à une affaire d'escroquerie de grande envergure
où les membres du Congrès américain furent effrontément trompés et
le Trésor des Etats-Unis fraudé de manière insigne.
Benjamin Suite et Aegidius Fauteux ont mentionné l'affaire Cazeau
de manière superficielle; ils n'y ont pas vu clair parce que presque tous
les documents qui se rattachent à cette cause sont encore à Washington.
Un jour, il y a une quinzaine d'années, cherchant autre chose à
l'Imprimerie Nationale de Washington où mon mari, feu Wilfrid Rou-
leau, avait été pendant de longues années Chef de traduction française
et espagnole, je tournais les pages d'un énorme catalogue où l'on avait
porté d'année en année les différentes publications du gouvernement:
livres, fascicules, mémoires, etc. Parmi les noms français, assez nom-
breux, y revenant une année après l'autre, celui de François Cazeau
y figurait avec persistance. Je demandai à M. Rouleau ce que cela
pouvait bien être. Il me procura plusieurs des imprimés en question et
c'en fut assez pour nous engager tous les deux dans l'affaire Cazeau.
Elle menaçait de nous conduire loin, mais M. Rouleau, né, lui aussi,
chercheur et grand amateur d'histoire, me guida dans mes recherches,
non seulement à l'Imprimerie Nationale, mais surtout à la Bibliothèque
du Congrès, division des manuscrits, puis à la Trésorerie et de là dans
diverses cours fédérales dont il connaissait les réserves en manuscrits.
Mais toujours il me manquait des pièces importantes et l'affaire Cazeau
UNE INCROYABLE ET VERIDIQUE HISTOIRE
dormait dans mes casiers. Quelques années se passèrent et le Gouverne-
ment américain ayant institué les Archives Nationales, un de mes
neveux, Charles Rocheleau, y entra comme assistant-archiviste, faisant
partie de l'équipe initiale qui classa les accumulations d'imprimés et de
manuscrits qu'on se mit à déverser de toutes parts dans l'imposante
bâtisse de marbre près du Capitole où se trouvent maintenant les Ar-
chives. Et par mon neveu je fis d'autres découvertes. Enfin, en ces
dernières années, un érudit, M. Jean-Jacques Lefebvre, secrétaire de la
Société Historique de Montréal, m'a fourni, lui aussi, quelques notes
importantes. Cela ne veut pas dire que j'ai, même aujourd'hui, le dos-
sier complet de mon "Affaire Cazeau". Cette Affaire dura plus de cent
ans. Elle occupa un bon nombre d'avocats. Computez la quantité de
paperasses que des hommes de loi peuvent entasser autour de n'importe
quelle cause dans l'espace d'un siècle. . . N'importe! S'il me reste encore
des lacunes à combler dans l'histoire de Cazeau et de sa famille, j'ai pu
reconstituer presque en entier la surprenante odyssée de Cazeau lui-
même. J'entre donc dans la matière de mon récit.
% % % % %
François Cazeau, fils de Léonard Cazeau et d'Anne Aupetit, était
originaire de la paroisse de Saint-Cibar, dans la ville d'Angoulème, en
France, où il naquit en 1734. Je ne sais rien sur sa première jeunesse,
ni sur sa famille, sauf que sa mère et quelques autres parents vivaient
encore en province lorsqu'il se rendit en France pour la deuxième fois
en 1787. Je ne pourrais pas non plus vous le décrire au physique.
Etait-il petit ou grand de taille? Maigre ou rondelet? Pâle ou haut en
couleurs? Blond ou brun ou roux? Avait-il le nez fait comme tout le
monde? Voilà des points sur lesquels les centaines de papiers qui le
nomment gardent un silence absolu. Mais son caractère s'y affirme
partout, du commencement à la fin. Très intelligent, hardi, entrepre-
nant, Cazeau était également doué de beaucoup d'indépendance et de
décision, d'un grand sens des affaires et d'une persévérance que rien
ne rebutait. Il semble avoir eu en même temps les défauts de ses qua-
lités, c'est-à-dire que son courage et son optimisme naturels le portèrent
à jouer gros jeu avec le destin, et que, au long des années les moins
heureuses de sa vie, sa ténacité se mua en une obstination qui le servit
plus ou moins bien. Il devait en plus posséder un fonds de distinction
et de charme personnel, ou avoir été doté de beaucoup de persuasion,
parce qu'il sut, partout et toujours, se trouver d'excellents amis, se
créer de bonnes relations, parmi les personnes les plus influentes qu'il
connut et auxquelles il inspirait une évidente estime.
Cazeau dut venir au Canada avec quelque régiment français, car on
affirme qu'il fit toute la campagne pour la défense du Canada. Sitôt
la guerre finie, en 1759, il épousa une canadienne, Marguerite Vallée,
qui devait lui donner six enfants. Aegidius Fauteux pense qu'il se maria
deux fois, mais tel n'est pas le cas: il n'eut qu'une seule épouse, qu'il
appelle dans ses lettres tantôt sa chère femme et tantôt sa chère Reine;
mais c'est toujours la même, Marguerite Vallée. Il convient de dire ici
que malgré la guerre et les autres vicissitudes qui tinrent les époux
séparés pendant une douzaine d'années, leur constance n'est pas mise
BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
en doute et pas une ligne dans les très nombreux papiers qui sont passés
sous mes yeux dans cette affaire ne jette une ombre sur la vie honnête
de François Cazeau.
Après la Conquête du Canada et son mariage, Cazeau s'établit à
Montréal. Il avait alors vingt-cinq ans et devait posséder quelque capi-
tal, car deux ans après il figure dans les permis de traite accordés à
Montréal, en 1761: c'est d'abord dans "l'engagement de J. B. Beaufils
et Antoine Lalanne dit Latreille au Sieur Cazeau (François) pour aller
au poste de Michelimakinac" et puis dans l'engagement de Joseph Poite-
vin et J. B. Séraphin pour se rendre au même poste et y faire pour le
compte de Cazeau la traite des fourrures.
En 1763 on enregistre le "bordereau" du Sieur Cazeau, négociant,
résidant à Montréal, bordereau no 2454, pour la somme de 19,777 livres.
Un "bordereau" était l'énoncé de quelque obligation française encore
détenue par un habitant du Canada après la Guerre de Sept Ans. En
vertu d'un arrangement entre les gouvernements anglais et français, ces
obligations, après l'enregistrement au Canada, étaient envoyées en Eu-
rope pour remboursement de la dette.
La même année 1763, peut-être pour activer le payement de cette
somme, Cazeau se rendit en France. On rapporte que durant ce séjour
en son pays natal, il fut reçu par le Ministre des Affaires étrangères, M.
de Choiseul, qui lui demanda de continuer à servir la France en Amé-
rique. Cela est possible et bien dans le caractère de Choiseul, mais ce
point n'est pas prouvé et je le donne sous toute réserve. Ce qui est
certain, c'est que Cazeau devint très prospère au Canada au cours des
quinze années qui suivirent. Il était associé à la maison John Reeves,
Berthelet et Reeves, de Montréal. Une de ses filles, plus tard, épousa
un Reeves. Il conduisait aussi diverses entreprises pour son propre
compte, en plus de la traite des fourrures, et possédait de belles pro-
priétés.
En 1770, Cazeau obtint droit de banalité sur deux lieues de la
seigneurie de La Salle; en 1774, il était receveur des rentes pour le
seigneur René Cartier, de la seigneurie de La Salle, à Saint-Philippe de
Laprairie. Et cette même année il achetait, du sieur Simonnet, un fief,
toujours dans cette même seigneurie de La Salle, ainsi qu'une terre sur
la petite Rivière Saint-Pierre; en 1777, il achetait du sieur Chauvin une
terre au ruisseau de la Saline. Et il avait une propriété à Lachine. On
fait très souvent mention de son moulin à farine à la rivière La Tortue,
où il possédait aussi une maison, une scierie et une tonnellerie. Enfin,
il était propriétaire d'une seigneurie à Lacolle et d'une résidence à Mont-
réal. Le nom de Cazeau apparaît plus d'une fois sur les listes des ci-
toyens les plus en vue de la région à cette époque: époque difficile et
inquiète, où le feu couvait encore sous la cendre. Une autre guerre
devait bientôt enflammer de nouveau tous les esprits.
Après une couple de siècles où deux races, deux langues et deux
religions s'étaient constamment affrontées en Amérique, l'Angleterre
pouvait enfin prétendre à la suprématie sur notre continent. Mais à
peine avait-elle établi une paix relative chez ses nouveaux sujets de sang
français, d'abord par la force des armes, puis par le présent en douceur
UNE INCROYABLE ET VERIDIQUE HISTOIRE
de l'"Acte de Québec", qu'elle vit ses propres fils des colonies anglaises
au sud du Canada, irrités par les extorsions et les injustices de Londres,
s'insurger en masse contre leur mère-patrie. Ce nouveau conflit, qui
influa si fortement sur le destin de l'Amérique, changea aussi complète-
ment la vie de la famille Cazeau.
Les treize colonies américaines venaient de s'ériger en république
et les mêmes parlementaires qui, une couple d'années plus tôt, avaient
commis l'insigne bêtise de désapprouver publiquement l'octroi de l'"Acte
de Québec," maintenant plus avertis ou plus conciliants, invitèrent les
Canadiens-français à se joindre à eux pour secouer définitivement le
joug de l'Angleterre. Mais se méfiant tantôt de leurs anciens ennemis,
les Anglais, tantôt de leurs nouveaux amis, les Américains, les Cana-
diens-français se partagèrent, non pas tant entre les deux camps qu en
deux factions distinctes: la première, sans collaborer beaucoup à la dé-
fense des positions anglaises, restait passive, ne demandant qu'à être
laissée tranquille; l'autre, espérant toujours que les Anglais seraient
boutés hors de l'Amérique, prenait partie pour la cause des "rebels amé-
ricains", comme on les appelait alors. Cazeau se rangea parmi ceux-ci,
bien que, dans une pareille aventure, il eût plus à perdre qu'à gagner.
Des milliers de Canadiens-français eurent le même courage ou ne
demandaient pas mieux que d'en faire autant. Voilà un fait qu'on ne
mentionne pas souvent; on préfère insister sur la loyauté des Canadiens-
français d'alors envers la Couronne britannique. C'est pourtant un fait
parfaitement établi par des documents officiels dans les archives du
Canada que cette loyauté était chose plus ou moins précaire. Ouvrez
par exemple le "Rapport de l'Archiviste de la Province de Québec pour
l'année 1927" et vous y trouverez consigné en entier le compte-rendu
d'une tournée faite dans le district de Québec sur ordre du gouverneur-
général Carleton en 1776. Les commissaires chargés de faire cette tour-
née d'inspection étaient trois citoyens d'excellente réputation, restés
fidèles au Roi d'Angleterre: Messieurs Baby, Taschereau et Williams, et
c'est dans le Journal tenu et signé par ces messieurs, nullement favora-
ble à la cause américaine, que sont consignés les faits suivants, avec bien
d'autres:
"La Pointe-Lévis" était généralement séditieuse, active en faveur des
"rebels"; à "Saint-François-du-Sud," la moitié des hommes assistaient
à l'assemblée de la Pointe-Lévis en faveur des Américains; tandis qu'à
"Beaumont, Saint-Michel, Cap-Saint-Ignace, Rivière-Ouelle, Château-
Richer, Bécancour, Gentilly," les habitants ont montré "beaucoup d'af-
fection pour les rebeîs et leur ont aidé volontiers." A la Pointe-aux-
Trembles, Batiscan, Grondines, au Cap-de-la-Madeleine, à Champlain,
Terrebonne, Berthier, "on travailla non seulement sans résistance, mais
avec affection pour les rebels." Il serait trop long de nommer tous les
villages où se fit cette enquête officielle et les nombreux officiers de
milice que Messieurs Baby, Taschereau et Williams, nantis de pouvoirs
par le gouverneur Carleton, durent démettre de leurs charges parce
que ces officiers persistaient à mener les idées et les miliciens tambours
battants pour la cause américaine.
Cela inquiéta assez les gouvernants anglais pour les porter à se
montrer plus conciliants envers leurs nouveaux sujets. A cet effet, on
BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
se garda bien de forcer les Canadiens-français à servir avec les troupes
anglaises contre les Américains, surtout lorsqu'on apprit que la France
se joindrait à la cause américaine. Londres jugea que le mieux à faire
était de laisser en paix les sujets de sang français, pourvu qu'ils se mon-
trassent suffisamment neutres. Je n'ai pas à vous faire ici le résumé de
la participation des Canadiens-français dans cette guerre, mais seulement
le rôle qu'y joua François Cazeau, lequel, resté très français de coeur
et de sympathies, et connaissant un peu la part que la France se pré-
parait à prendre dans ce conflit, se mit, comme il le pensait, au service
de la France en Amérique.
Aussi, lorsque le Congrès Continental, siégeant à Philadelphie en
1774, eut adressé sa fameuse "Lettre aux habitants de la Province de
Québec", traduite et imprimée en français par Fleury Mesplets, résidant
alors à Philadelphie, cette invite, comme nombre d'autres proclamations
destinées surtout aux Canadiens-français, fut envoyée à Cazeau, qui vit
à sa diffusion dans toute la région de Montréal, où elle fut distribuée
de porte en porte. Le général américain Schuyler, en charge des armées
du Nord, affirma plus tard sous serment qu'il avait envoyé ces imprimés
directement à François Cazeau à Montréal. Et le gouverneur Haldi-
mand, en ordonnant l'arrestation de Cazeau, dira à son tour avoir eu les
preuves des rapports de Cazeau avec Schuyler. Mais j'anticipe un peu.
Avant, pendant et après l'invasion du Canada par les troupes amé-
ricaines, Cazeau leur servit de fournisseur. Et lorsque les Américains
prirent Montréal, cependant que le général Montgomery occupait le
Château de Ramezay, son aide-de-camp, le lieutenant Van Renselaer,
ainsi que le major Gansvoort et le chirurgien McCrea furent reçus dans
la famille de Cazeau. L'année suivante, il en hébergea d'autres. Le
général Benedict Arnold invita alors Cazeau par lettre à aider le colonel
Biddle et son régiment américain en route pour Les Cèdres et Ticon-
deroga (Carillon), où il y avait parmi les troupes américaines un régi-
ment canadien-français commandé alors par le colonel Antil et plus tard
par Hazen. Cazeau leur envoya du drap, des vivres, des fournitures
qu'on lui paya $2400.00 en papier-monnaie continental, argent qui
n'avait cours que dans les Etats en rébellion, où il était déjà déprécié.
Homme d'affaires averti, Cazeau savait qu'il ne pourrait s'en servir de
longtemps; cependant il l'accepta, car j'ai déjà dit qu'il était moins et
plus qu'un simple profiteur de guerre: il visait surtout à la revanche
de la France et à l'indépendance de l'Amérique. Bibaud, dans son
"Histoire du Canada" dit que "Cazeau avait employé son immense for-
tune à servir les Américains, croyant en même temps servir la France,
son pays natal..." Poursuivant cette idée maîtresse, Cazeau donna
l'ordre à son commis en chef, Robert Keith, de vendre ses marchandises
aux Indiens et aux Canadiens-français à un prix de perte, afin de gagner
leur confiance et leur amitié pour lui-même et la cause américaine.
Bientôt, la situation au Canada changea. L'Angleterre se mit à y
expédier des renforts militaires très considérables, cependant que la
France tardait à envoyer ceux qu'elle avait promis aux Américains. Ces
derniers, cernés, décimés par la maladie, battus à Québec, se retirèrent
de Montréal et du Canada pour se replier autour du Lac Champlain.
UNE INCROYABLE ET VERIDIQUE HISTOIRE
Entretemps, Cazeau, qui avait plusieurs moulins à farine, avait
rempli ses greniers avec 12,000 minots de blé qu'il fit préparer pour
les troupes américaines. Puis en 1777 il acheta trois grands bateaux qu'il
fit charger de provisions et de fournitures — vêtements, farine, vin,
fromage, etc. — le tout destiné aux troupes continentales du fort de
Ticonderoga. Mais les Anglais surgirent en forces supérieures, assiégè-
rent et prirent Carillon, saccageant tout et coulant les bateaux de Cazeau
en route sur le lac. Ce fut pour lui le commencement de la débâcle.
Sans doute, la seule perte de ces bateaux et de leur riche cargaison
n'aurait pas ruiné le négociant montréalais, mais l'atmosphère était
chargé de menaces pour les amis des "rebels". Une fois les Américains
partis du Canada, en 1776, ceux qui les avaient reçus et aidés se trou-
vèrent en fort mauvaise posture vis-à-vis les Anglais, qui attendaient le
bon moment de sévir contre les chefs de ceux qu'ils appelaient tous des
traîtres.
Par la suite, plusieurs des plus respectables citoyens de Montréal,
appelés à rendre témoignage, affirmèrent qu'après le départ des Améri-
cains le Commissaire de la police de Montréal envoya bien des fois chez
Cazeau des officiers et soldats anglais pour s'y loger à l'aise et que ces
derniers ne se gênèrent pas pour faire toutes sortes de dégâts à la pro-
priété, au point que la santé de Madame Cazeau en fut sérieusement
atteinte. Enfin, après avoir fait subir bien des ennuis et des indignités
aux partisans des "rebels" américains, les Anglais mirent ces partisans
sous arrêt. Mais seulement en 1780. Le premier mandat d'arrestation
émis fut contre Cazeau: avril 1780:
"Instruction fut donnée de demander au shérif Grey de l'ar-
rêter et de s'emparer de ses papiers, mais qu'on ne devrait garder
que ceux ayant trait à la politique. Son Excellence (Lord Haldi-
man) désire que vous ayiez particulièrement soin d'agir avec mo-
dération afin de ne laisser aussi peu que possible prise à la cen-
sure" . . . Cazeau partit pour Québec avant la visite du shérif et on
ne trouva dans sa maison aucun documents sauf de vieux papiers
sans importance. Deux magistrats assistaient à la visite domiciliaire
et Madame Cazeau se déclara satisfaite de la manière dont on avait
fait les recherches."
Et le gouverneur Haldimand, écrivant à un ami à Londres, disait:
"Another gentleman of France put out of the way of mischief
for a time was François Cazeau, a man of means with many friends,
whose seizure was to be given at least the semblance of Legality."
Mais ce "gentleman of France" n'avait pas attendu qu'on vînt le
coffrer. Espérant probablement rendre les choses moins pénibles pour
sa femme et ses enfants, Cazeau devança l'exécution du mandat d'ar-
restation en partant pour Québec, où il se constitua prisonnier. Le
"Provost-Marshall" de Québec avait déjà reçu une communication impé-
rative du lieutenant-gouverneur Cramahé, écrivant au nom du gouver-
neur Haldimand ce qui suit:
10 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
"Vous êtes par la présente enjoint de recevoir et d'héberger,
sous bonne garde, François Cazeau de Montréal et Charles Hay
de Québec, accusés de "haute trahison". Défense de les laisser
communiquer entr'eux ou avec qui que ce soit en dehors de la
prison, et ceci en dépit de tout ordre contraire sauf un autre ordre
de ma part à cet effet. La présente est pour vous servir de mandat.
Fait et signé à Québec, ce 10 avril, 1780. Par ordre de Son Excel-
lence.
H. T. Cramahé."
Ils furent incarcérés au Couvent des Récollets, face au Château
Saint-Louis, où résidait le gouverneur Haldimand. François Cazeau y
fut par tous considéré comme un des principaux prisonniers d'Etat. Dix
jours après leur arrivée à Québec, peut-être pour imprimer à la chose un
plus grand "semblant de légalité", le nom de Cazeau, déjà emprisonné,
figure sur un ordre émis à Montréal (15 avril 1780) pour l'arrestation
de dix-huit montréalais. Noms d'individus plus ou moins reluisants,
comme Pierre Ducalvet, un homme qui ne manquait pas de talents, mais
hargneux, vindicatif, porté à exagérer toujours; Fleury Mesplets, buveur
et imprévoyant, qui était venu ouvrir une imprimerie à Montréal et
devait y fonder le premier journal; et Valentin Jotard et Pierre de Sales
Laterrière, qui aimaient un peu trop à faire la fête. Tous les quatre se
trouvaient aussi à la prison de Québec sous la garde du R.P. de Bèrrey.
Ducalvet, qui d'ordinaire trempait sa plume dans le fiel, a écrit beau-
coup de mal de la prison des Récollets et de son gardien-en-chef. Par
contre, Sir James-M. Lemoine affirmait devant la Société Royale du
Canada, en 1888, que le régime n'y fut pas trop sévère, chaque prison-
nier militaire y ayant sa chambre particulière et la permission de recevoir
parents et amis le jour comme le soir. Il est certain aussi que Cazeau
écrivait beaucoup de lettres. Voilà qui ne s'accorde guère avec l'injonc-
tion de Cramahé, mais peut-être cet ordre fut-il adouci par la suite.
Je ne sais pas si le fils aîné de Cazeau, également nommé François,
fut emprisonné à Québec en même temps que son père. Il y passa cer-
tainement quelque temps, tous les documents disant que le père et le
fils s'évadèrent ensemble. Cazeau y resta environ un an et demi, je
crois, c'est-à-dire depuis avril 1780, jusqu'à l'automne de l'année sui-
vante.
Durant ce temps il écrivait à sa femme, sa "chère Reine", lui disant
de marquer la réception de chaque lettre parce qu'il ne manquait pas
de lui écrire par chaque poste; il lui explique quelques affaires qu'il
a laissées en suspens, lui parle d'un procès qu'elle doit poursuivre, lui
donne maints conseils et cherche à lui inspirer confiance en l'avenir; et
puis il commente les nouvelles, ou plutôt les rumeurs alors courantes à
Québec, presque toutes sans fondements. Cela servait à l'occuper un
peu, car il ne semble pas avoir fréquenté Mesplets, Jotard et de Sales
Laterrière, qui étaient aussi, comme je l'ai dit, sous le toit de cette
prison et y menaient joyeuse vie. Par sa position et son caractère, Cazeau
leur était supérieur; par ses goûts et ses habitudes, il ne leur ressemblait
en rien. Quant au nom de Ducalvet, il n'apparaît que deux ou trois fois
dans les papiers si nombreux dont j'ai copie: la première fois, dans
UNE INCROYABLE ET VERIDIQUE HISTOIRE H
Brymner, qui cite une lettre d'un nommé Heurtebise Gagné, lequel,
écrivant de Montréal à Cazeau emprisonné à Québec, dit que Ducalvet,
inquiet et voulant changer de logis, en parla à Madame Cazeau qui lui
offrit une chambre chez elle et que Gagné l'avait vu dans la famille
Cazeau; une autre fois, bien des années plus tard, Cazeau, à Paris, dit
qu'il a aidé le fils de Ducalvet, ce dernier ayant péri en mer. Quant
aux autres conspirateurs arrêtés vers le même temps que Cazeau, leurs
noms n'apparaissent pas du tout dans ma collection, où pourtant tant
d'autres noms surgissent et reviennent.
Mais le simple fait d'avoir joué un rôle actif dans la grande cons-
piration pour se libérer de la chaîne anglaise, livrait Cazeau à la merci
des gouvernants et des ennemis personnels, envieux ou autres, que ses
longs succès pouvaient lui avoir créés. Quantité de gens furent ques-
tionnés. Un nommé Trudel, de Châteauguay et un Indien de Caughna-
waga déclarent que Cazeau leur avait envoyé un certain James Kenney,
qu'ils devaient guider de l'autre côté chez les Américains; puis d'autres
personnes viennent révéler les quantités de farine que les moulins de
Cazeau avaient envoyées aux troupes continentales. Et les procès de
Cazeau ne vont pas très bien, et Madame Cazeau ne s'entend pas trop
aux affaires. Enfin, à l'automne de 1780, les biens-fonds de Cazeau sont
vendus publiquement par le shérif. Ils sont adjugés à un nommé Bou-
thillier, Madame Cazeau et ses enfants étant immédiatement mis à la
porte. Comme ils n'avaient pas d'autre asile, Bouthillier, peut-être un
ami de la famille, pris de compassion, loua à ses frais une maison à
Lachine et y fit conduire la famille de Cazeau, laquelle fut dépossédée
non seulement de la maison qui l'abritait mais de presque tout ce qui la
faisait vivre largement, la plus grande partie des magasins, moulins et
terres de Cazeau se trouvant dans le district de Montréal. Comment
Madame Cazeau et ses enfants se tirèrent d'affaire dans les années qui
suivirent, je ne saurais dire. Ils avaient peut-être quelque argent en
réserve; il est certain qu'ils avaient d'excellentes relations. Les enfants
de Cazeau, par la suite, se montrèrent instruits et ils semblent s'être
"bien mariés", comme on dit.
Cazeau lui-même ne se décourage pas. Le coup est dur, mais il
espère se relever. Son fils et lui, dans leur prison, s'occupent à préparer
leur évasion. Fauteux affirme que Cazeau écrivit de la prison de Qué-
bec en 1782, et Suite dit qu'il fut relâché avec une douzaine d'autres
après que la paix fut faite. Ces deux annalistes doivent s'être trompés.
La paix ne fut faite qu'en 1783 et des documents officiels montrent que
la première pétition de Cazeau fut présentée au Congrès Continental,
à Philadelphie, aux premiers jours de janvier 1782, plus d'un an avant
la fin de la guerre, et le "Journal of the Continental Congress" en
accuse réception:
"The Committee of the Week Report,
That the Mémorial of Francis Cazeau, late of Montréal, re-
questing pay for supplies he furnished our Troops while in Canada,
and for the services done and losses sustained in conséquence of his
attachment to the interest of the United States, be referred to a
Spécial Committee."
12 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Il est apparent que Cazeau était à Philadelphie, où le Congrès sié-
geait alors, et avant de s'y rendre, il avait dû s'enfuir de prison et faire
son chemin à travers bois et champs jusqu'à Albany, ce qui est une
distance de quelques centaines de milles; puis d' Albany, se rendre par
étapes, en diligence, à New- York et enfin à Philadelphie. Des docu-
ments, tant canadiens qu'américains, disent que les deux Cazeau, père
et fils, s'évadèrent ensemble. Pour faire un pareil trajet, préparer sa
pétition et réussir à la présenter aux législateurs au commencement de
janvier 1782, il a dû s'enfuir de Québec avec son fils pas plus tard qu'à
l'automne de 1781.
Dans la mention de cette première pétition, on ne rapporte la de-
mande d'aucune somme spécifique, mais peu après, d'autres documents
indiquent que l'indemnité demandée fut d'environ $22,000.00. Le comité
spécial chargé de l'affaire met du temps à se prononcer; alors, Cazeau
obtient des plus hauts officiers qu'il a connus des dépositions assermen-
tées, toutes favorables à sa cause, entr'autres celles des colonels Gans-
voort, Antil et Biddle. Ce dernier était quartier-maître général des
armées américaines, bien en mesure par conséquent de connaître les
services que Cazeau avait pu rendre.
Enfin, le comité spécial du Congrès se prononça sur le mémoire de
Cazeau (6 février 1783). Parlant au nom de ses collègues du Comité,
Alexander Hamilton reconnaît que Cazeau a servi la cause de l'indépen-
dance américaine, sans pouvoir dire, toutefois, jusqu'où ont été les
services rendus et les pertes subies. On lui accorde sur-le-champ un à-
compte.
"It appears from respectable testimony that Mr. Cazeau, a
man of influence and property in Canada, has been ruined by his
attachment to the American cause. The Committee, however, are
of opinion that as it is impossible now to judge of the eventual
circumstances of Mr. Cazeau and of the précise extent of his services
and sacrifices, Congress ought not at présent to take up the gênerai
considération of his case, but that policy and justice require, as far
as the situation of public affairs will permit, some relief of his
distresses, they therefore advise that the Superintendent of Finance
be directed to advance him one thousand dollars on account." 1
Ce n'est pas ce qu'espérait Cazeau, mais c'est quelque chose, un
assez bon commencement. On a reconnu publiquement qu'il a servi la
cause américaine, on désire en savoir davantage et on lui offre un à-
compte de mille dollars, dont il a grand besoin. Il accepte cet à-compte.
Pendant que ceci se passe à Philadelphie, en ce mois de février
1783, à Londres, la paix étant alors décidée mais non encore ratifiée,
Lord Townshend, ignorant toujours l'évasion de Cazeau, écrit de Lon-
dres au gouverneur Haldimand, pour lui dire qu'on ferait bien de relâ-
cher Hay, Cazeau, Ducalvet et Pilion, afin "d'aider à rétablir la cordia-
lité entre les sujets anglais et la population des Etats-Unis." Les portes
des Récollets s'ouvrirent donc pour ce qui y restait de prisonniers politi-
1. Journal of the Continental Congres», 6 février 1783.
UNE INCROYABLE ET VERIDIQUE HISTOIRE 13
ques; quant à Cazeau, aux Etats-Unis depuis plus d'un an, il songeait
maintenant à rentrer au Canada, au moins provisoirement.
Il attendait l'arrêt définitif sur sa demande d'indemnité. Mais le
Congrès, accablé de réclamations de toutes sortes et averti que le Trésor
est presque à sec après des années de guerre, délibère longuement, avance
prudemment. Cazeau écrit alors au Président du Congrès, disant qu'il a
l'intention de se rendre avec son fils à la frontière canadienne pour y
rencontrer sa femme et ses autres enfants et aviser aux moyens à prendre
pour sauver quelques bribes de sa fortune engloutie. x En même temps,
espérant plus qu'une rencontre aux frontières, il demande au général
Schuyler, en charge de l'armée du nord, d'intercéder en sa faveur auprès
du gouverneur Haldimand. Schuyler écrit de Saratoga demandant au
gouverneur du Canada de permettre à Cazeau de retourner temporaire-
ment au Canada pour y revoir sa famille. Haldimand répond (le 30
juin 1783) à Schuyler, accordant la permission demandée.
Il est étrange que nul autre document, nulle lettre dans ma collec-
tion ne mentionne ce retour de Cazeau en son pays adoptif: ce fut la
dernière fois, apparemment, qu'il remit le pied au Canada. Cependant,
il dut certainement y aller, en ayant obtenu la permission. Et puis une
poignée de certificats exécutés au Canada durant les deux mois suivants,
dont plusieurs signés par d'anciens amis et employés, attestant les acti-
vités de Cazeau en faveur des Américains, semblent prouver que Cazeau
s'occupa lui-même à recueillir des témoignages qui le serviraient auprès
du Congrès. Enfin, après cette époque, il n'est plus question de son fils
aîné, le jeune François, alors âgé de 21 ans. Il dut rester définitivement
au Canada, parce que dans son contrat de mariage, neuf ans plus tard
(1792) avec Ellen Sanford, il est qualifié de marchand à Saint-Eustache.
Après quelques trois mois passés dans sa famille au Canada, Ca-
zeau, père, dut encore une fois s'arracher des bras de sa femme et de
ses enfants et, seul, reprendre la route de l'exil. A en juger par les
papiers que j'ai examinés, il ne devait plus jamais revoir sa femme, et
un seul de ses enfants, le deuxième, Charles-Louis, put le relancer dans
1. To His Excellency Boudinot
Président of the United States in Congress Assembled.
Sir:
Permit me rhe liberty of informing your Excellency that as the only hap-
piness I can at présent give to my family is by returning to their embrace, I am
determined to go near the frontiers of Canada and to advise Mrs. Cazeau of my
being there in order that she, and my son Charles (should he be at liberty) may
corne to me in the woods.where we shall confer on the means of our réunion and
endeavor to clean the remains of my scattered fortune at the same time relying
firmly on the justice ÔC liberality of your Excellency and the honorable United
States in Congress Assembled to reimburse the losses I hâve sustained in support
of the cause of American Liberty. I hâve the honor to be with the greatest respect,
Your Excellency's
Ver'y ob't and humble serv't
(signed) FRS. CAZEAU
Philadelphia, May 31st, 1783.
(Letter in the Manuscript Division of the Library of Congress at Washington.
In the Papers of the Continental Congress, No 78, VI, folio 183.)
14 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
les années qui suivirent. J'ai dit que François Cazeau père, dut passer
trois mois au Canada parce que, de juin à septembre, il se procura des
certificats de gens qui demeuraient dans les environs de Montréal ou
sur la route du retour à Philadelphie. Si Cazeau n'arrivait pas aux
Etats-Unis, cette fois, en fugitif, il n'y rentrait pas, non plus, en richard
ni en seigneur. Cependant, il avait dû sauver quelques débris de sa
grande fortune, et il avait intenté un procès à Montréal à René Cartier,
seigneur de La Salle, procès qui devait se terminer l'année suivante en
faveur de Cazeau, qui y gagna 13,000 chelins.
Et pendant que nous y sommes, parlons-en, de "la belle argent."
Dans l'affaire Cazeau, on en voit de toutes les sortes et de toutes les
valeurs. C'est d'abord 19,000 livres françaises, puis 1,000 livres cours
de la Province, puis 2,400 dollars en papier-monnaie continental, puis
1000 do'lars américains, puis 13,000 chelins, puis 5,000 dollars, puis
22,000 dollars, puis 200,000 piastres, puis 60,000 dollars, puis un million
de francs français, puis quelques livres anglaises, et enfin, après d'autres
fluctuations comme celles de la Bourse, on encaisse $42,000.00 sonnants,
et pour finir, 24,000 autres dollars. Et j'en passe. C'est pour dire que
les Américains d'aujourd'hui n'ont pas inventé ces combines: les finan-
ciers de tous les temps et de tous les pays s'y sont adonnés, même les
Français passés par Montréal.
Revenu aux Etats-Unis, Cazeau dut s'activer, car l'année suivante
un Comité du Congrès fait un rapport en tous points favorable à Cazeau,
recommandant le règlement de ses comptes et demandant à l'intendant
des Finances, Robert Morris, de lui faire immédiatement une avance de
$5,000.00 et de lui payer le reste en certificats du gouvernement. Ce
rapport fut rédigé et écrit par James Monroe, qui devait plus tard être
ambassadeur en France, puis président des Etats-Unis. Dans cette ré-
clamation en suspens, Cazeau demandait d'être remboursé pour des
fournitures, avances et pertes, de 1777 à 1780. Ses réclamations semblent
raisonnables et bien appuyées par les faits, comme par les attestations
assermentées d'un grand nombre de gens.
Cazeau réclame pour 8,000 minots de blé; pour trois bateaux et
leurs cargaisons de vins, liqueurs, thé, fromage et vêtements; pour la
so'de de Jean-Baptiste, Indien de Caughnawaga et d'un autre Indien
Onneiyout, envoyés comme "expresses" avec des informations au général
Schuyler, Indiens que Schuyler fit mener devant le Congrès; et puis
pour les dépenses de Kenney ainsi que de son guide Trudel, et pour
diverses autres dépenses et avances faites pour le compte de l'armée
américaine. Si le Congrès avait pu solder sur l'heure le compte de
Cazeau, ce dernier se serait probablement montré satisfait. Cela aurait
aussi sauvé beaucoup d'argent aux Américains et épargné énormément
de tracas aux messieurs du Congrès pendant quatre-vingts ans.
Malheureusement pour Cazeau, le Congrès siégeant alors à Balti-
more se voyait accablé de demandes d'indemnité et de remboursements
de toutes sortes, alors que la toute nouvelle république américaine, au
sortir de la guerre, se trouvait presque ruinée. A la Trésorerie, le Vé-
rificateur des comptes objecte que les réclamations de Cazeau ne sont
pas appuyées par des preuves positives. Le "Comptroller" abonde dans
le même sens et le Surintendant des Finances, Morris, se range de leur
UNE INCROYABLE ET VERIDIQUE HISTOIRE 15
côté. L'affaire s'arrête (avril 1784). En mai, le Congrès renvoie à plus
tard la cause de Cazeau. Et en juin, ce dernier, qui avait écrit à Morris
personnellement, le priant de consentir au règlement de son affaire,
reçoit du Surintendant des Finances la réponse suivante, aussi inflexible
que brève: "My duty to the United States prohibits my compliance with
your request." Morris devait se montrer insensible dans bien d'autres
occasions et pour bien d'autres gens. Il y était plus ou moins forcé,
comme il l'a dit, par son devoir envers les Etats-Unis, nation encore
toute nouvelle, très appauvrie par la guerre, plus riche en territoire
qu'en argent ou en autres ressources développées. Surtout: les Etats-
Unis, en ce temps-là, comptaient moins de cinq millions d'habitants. Et
les demandes de secours, d'indemnité, affluaient pour submerger les
ressources. 1
Afin de résoudre ce problème, au moins en partie, on nomma des
enquêteurs et des arbitres pour le règlement des disputes quant aux
fournitures de guerre. Un certain John D. Mercier fut chargé d'en-
quêter sur celles des Canadiens qui avaient agi comme fournisseurs des
armées américaines. Mercier était canadien lui-même. Dans quelque
rapport officiel, il se permet de critiquer les revendications de Cazeau,
et celui-ci répondit, dans une "Communication" adressée au président
du Congrès. La riposte est verte et me semble convainquante. J'ai lu
la pièce originale en manuscrit, écrite de la main de Cazeau. La voici
en partie:
"Quant à la singulière objection (faite par Mercier) de n'être
pas muni d'aucun ordre des généraux américains, ne pourrais-je
pas lui demander (à Mercier) s'il croit que le général Benedict
Arnold se fut engagé par devant notaire?
Le sieur Mercier veut insinuer que les dites cargaisons (des
bateaux) n'étaient pas destinées aux armées américaines. Pourrais-
je demander au sieur Mercier où est-ce qu'il croit qu'allaient ces
denrées, puisqu'elles avaient déjà dépassé tous les postes anglais
lorsque le major Brown s'en empara et les déclara de bonne prise?
Est-il possible qu'un homme de bonne foi puisse se persuader que
ces marchandises allassent ailleurs que chez les américains?
Mercier objecte qu'il me croit trop prudent pour avoir exposé
tant de bien de cette manière ... A combien d'autres hommes ne
pourrait-on pas faire cette objection, hommes illustres ou simples
particuliers... qui ont non seulement sacrifié leurs biens mais
même leurs vies pour le salut de l'Amérique.
L'honorable Congrès a passé deux Résolutions en ma faveur . . .
après 14 mois de réflexion; mon Mémoire et ses preuves ont sans
doute, pendant ce temps, été scrupuleusement examinés, elles ont
dû être assez convaincantes, puisqu'elles ont été admises ... Le
1. Je ne mentionnerai que les requêtes faites vers cette même époque par
les généraux de la Fayette, Clinton et Hazen en faveur des "Canadiens réfugiés";
par les Ursulines de Trois-Rivières et par des particuliers tels que le lieutenant
Jacques Jolibois, Jean Ménard dit Brindamour, et le major Laurent Olivier, qui
avait "femme et enfants emmenées avec lui du Canada."
16 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Congrès a pesé, dans sa Sagesse, la nature des circonstances, la
possibilité des preuves, mon caractère et mon existence au Canada.
Il a entendu les témoignages les plus respectables sur ces différents
points soumis à sa décision et m'a déféré le serment comme un
moyen de fortifier ces preuves . . . Quelles preuves, quelles affir-
mations contraires le sieur Mercier peut-il m'opposer?
Mr Morris m'objecte qu'il ne voit pas que j'ai donné aucune
preuve de zèle pour les Etats-Unis. Mr Morris n'est pas aussi
clairvoyant que les hommes responsables qui par leurs dépositions
assermentées ont déterminé le Congrès à admettre mes preuves et
mon serment, contre lesquels le sieur Mercier n'a pas seulement le
droit de s'élever.
C'est donc du tribunal auguste que votre Excellence préside . . .
que j'attends les moyens de pouvoir appeler ma femme et mes
enfants au milieu d'un peuple libre, pour lequel j'ai exposé ma
fortune et ma vie ..."
Cette lettre fut écrite en janvier 1785, à New-York, où le Congrès
américain allait se rassembler, car il n'y avait pas encore de ville établie
comme capitale permanente, la ville de Washington n'étant pas encore
construite. En 1785 Cazeau, devinant qu'il aurait beaucoup d'opposition
à vaincre, recueillit d'autres témoignages de personnes influentes et bien
renseignées sur la part qu'il avait prise dans le récent conflit. En mai,
un comité recommande qu'on soumette à nouvel examen le cas Cazeau;
en juin, ce comité fait son rapport; en août, le Congrès, sans se montrer
autrement défavorable à Cazeau, décide qu'on ne devrait pas régler son
cas particulier avant d'avoir adopté un plan général en ce qui regarde
les réclamations des autres Canadiens ayant servi la cause américaine.
On projette déjà de leur octroyer des terres à même le domaine public,
dans l'Etat de New- York, et on demande à Cazeau d'envoyer à William
Barber, commissaire des comptes de cet Etat, une lettre expliquant exac-
tement ce qu'il a fait pour aider la cause américaine. Cazeau s'exécute.
Il demeurait alors à Philadelphie, où s'étaient réfugiés un certain
nombre d'autres Canadiens, et en cette même année 1785, il envoya au
Congrès une pétition, non pas pour lui-même, mais en sa qualité d'exé-
cuteur testamentaire d'un ami décédé, le capitaine Augustin Florat de
Florimont. Il n'y a pas de place ici pour l'histoire de ce dernier, assez
intéressante. Je dirai seulement que le capitaine Florat de Florimond,
né en France, était dans le corps de génie d'un régiment à la Guadeloupe
en 1776. Obtenant de ses supérieurs la permission de servir la cause
américaine, il vint aux Etats-Unis, et présenta ses lettres de créance au
général Washington, qui l'envoya rejoindre le régiment de Hazen. Il
servit au maintien des fortifications de Ticonderoga (Carillon) sous
l'ingénieur-en-chef Pélissier. En 1781, se trouvant à Philadelphie et
gravement malade, il avait fait son testament, nommant François Cazeau
son exécuteur testamentaire. Les témoins avaient été un américain du
nom de J.-J. Lee, et deux prêtres français, Robert Molyneux et M.
Thévenet, sulpicien. Donc, quand le capitaine Florat mourut, quatre ans
plus tard, Cazeau demandait au Congrès ce qui restait dû de la solde
de cet officier, afin de régler les comptes du dit capitaine.
UNE INCROYABLE ET VERIDIQUE HISTOIRE 17
Ce qui n'empêche nullement Cazeau de batailler pour ses droits à
lui. L'année suivante, 1786, sa cause apparaît cinq fois différentes, d'une
manière ou d'une autre, dans les registres officiels, mais sans que cela
l'avance beaucoup. Le pays ne se relève que lentement de sa dépression
et les législateurs ont une multitude de choses à instaurer dans la nou-
velle république. Le Congrès a été en pérégrinations perpétuelles pen-
dant les dix premières années de son existence, s'assemblant à Phila-
delphie, Baltimore, Lancaster, York, Princeton, Annapolis et Trenton.
On ne pouvait pas trimballer partout et toujours les nombreux casiers
de fiches et de dossiers du gouvernement, sur lesquels il fallait monter
bonne garde; les membres du Congrès changeaient d'année en année
et les nouveaux ne connaissant pas l'affaire Cazeau, c'était à recom-
mencer chaque fois. Inlassablement, Cazeau recommençait; toujours il
trouvait des amis influents. Presque à chaque session il présentait un
mémoire. Il le fit donc maintenant à New-York, où les législateurs
devaient siéger quatre ans dans un nouvel Hôtel-de-ville construit d'après
les plans d'un ingénieur français, Pierre-Charles l'Enfant, le même qui,
bientôt, dresserait si largement et minutieusement les plans de la capi-
tale permanente, l'incomparablement belle ville de Washington.
Mais dans l'automne de cette même année 1786, Cazeau, fatigué
de voir sa cause traîner depuis quatre ans, quittait New- York pour aller
en France demander l'appui des pouvoirs de son pays d'origine. Un
enchaînement de circonstances imprévues devait l'y retenir quinze ans.
En France, Cazeau retrouve quelques membres de sa famille, en-
tr'autres sa vieille mère et un frère qui demeurent quelque part en
province, sur une propriété nommée "Bourbeaux." Deux neveux portant
le nom de Cazeau sont officiers aux Indes françaises.
François Cazeau a bien besoin d'argent. Il active un procès intenté
contre André-François Odelin, de la Rivière la Tortue, près de Montréal,
pour rentrer dans une créance de 9,000 livres signée dix ans auparavant.
Mais Odelin, désirant se tirer d'affaire à bon marché, voudrait bien
désavouer maintenant sa créance et sa signature. Le procès se complique
du fait que les papiers ont dû se promener de Montréal à Londres, puis
à Paris, où les choses vont mal dans les cours de justice comme à la Cour
de Versailles et partout ailleurs, car la Révolution française gronde. Je
ne sais pas comment finit ce procès-là.
Cazeau écrit de longues lettres à sa femme, sa chère "Reine", lui
décrit maints aspects de la France bouleversée, puis revient à ses affaires
personnelles. Il s'est fait des amis, entr'autres Carra, de la Bibliothèque
du Roy, qui l'aide à rédiger et faire imprimer des requêtes expliquant
les réclamations qu'il adresse au gouvernement américain et demandant
l'appui du gouvernement français dans son affaire. Carra écrit à Jeffer-
son, ministre américain à Paris et un autre futur président des Etats-
Unis, demandant une audience pour Cazeau et disant que le général
marquis de La Fayette a pris connaissance de la cause. On s ^entend
pour que l'affaire soit suspendue au moins temporairement, cependant
que Jefferson demande au Congrès de lui envoyer en France copie du
18 .BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
dossier Cazeau. Le Congrès se rend à la demande de Jerferson. Cazeau,
de son côté, engage à Paris comme son fondé de pouvoir J.-J. Brissot
de Warville, qui partait pour l'Amérique. Je n'ai rien trouvé au sujet
de ce que Brissot de Warville a pu faire pour Cazeau aux Etats-Unis.
Bien d'autres démarches durent l'occuper; ce futur membre de la Con-
vention devait mourir peu après sous le couteau de la guillotine.
En 1792, cependant, l'Assemblée Nationale de France prend le
temps de s'occuper de l'affaire de Cazeau et trouve qu'il est en droit
dans ses réclamations; le Comité Diplomatique du Commerce et de
l'Industrie va jusqu'à recommander qu'on accorde à Cazeau, qui a servi
la France, une indemnité de 125,000 livres et l'appui du gouvernement
français auprès du Congrès américain. L'Assemblée Nationale passe un
décret à cet effet le 8 septembre 1792. Cazeau va-t-il enfin gagner sa
cause, au moins en partie? Non, pas encore, pas plus en France qu'en
Amérique. On est à la veille de la Convention, prélude de la Révolution.
Quinze jours après ce beau décret de l'Assemblée Nationale en faveur
de Cazeau, la monarchie française tombe et tout le gouvernement avec
elle. La République surgit, avec tout un monde nouveau en France.
Comme les malheurs ne semblent jamais aller seuls, une autre
épreuve et plus intime atteint Cazeau: en cette année de 1792, Madame
Cazeau, sa "chère Reine", meurt au Canada.
Cazeau a près de soixante ans. Depuis dix ans il lutte contre la
mauvaise fortune et il sent le besoin de se faire aider. Il engage comme
son fondé de pouvoir aux Etats-Unis Clément Biddle, alors de passage
à Paris, qu'il a connu comme officier en Amérique. Biddle, réputé un
des meilleurs avocats américains, s'en retourne aux Etats-Unis, cepen-
dant que le règne de la Terreur commence en France. On guillotine
le plus grand et le plus généreux des amis des Etats-Unis, Louis XVI.
La reine Marie-Antoinette suivra bientôt, ainsi que l'amiral comte d'Es-
taing, qui avait commandé la plus puissante des escadres françaises
dans les eaux américaines durant la guerre de l'Indépendance. Tant
d'autres parmi ce qu'il y a de meilleur en France vont être sacrifiés . . .
Et pendant que le reste du monde regarde avec effroi ce qui se passe
là, les enfants de Cazeau, en Amérique, tremblent pour la sécurité de
leur père. Alors, pendant que tous ceux qui pouvaient quitter la France
se hâtaient de le faire, le deuxième fils de Cazeau, le docteur Charles-
Louis Cazeau, qui pratiqua la médecine à Varennes, traverse l'Atlantique
et va trouver son père au milieu de la tourmente. Mais Cazeau avait dû
se tenir coi, pendant quelque temps, ou trouver un refuge en province,
car après avoir vu son père le docteur revint seul au Canada.
La Terreur a des répercussions jusqu'en Amérique, où la Conven-
tion avait déjà froissé les esprits par bien des maladresses. Biddle,
n'ayant eu aucun succès dans la cause de Cazeau, remet à celui-ci les
pouvoirs qu'il en a reçus. Cazeau investit alors de ces pouvoirs James
Swan, marchand de Boston faisant des affaires considérables en France.
Quelque temps après être rentré en Amérique, Swan écrit à Cazeau qu'il
ferait bien d'attendre la réunion des hauts commissaires de France et
des Etats-Unis. Un peu plus tard, une pétition leur est présentée à
Paris; mais ces messieurs jugent bon de renvoyer le cas au Congrès amé-
ricain. L'affaire est finalement remise au Secrétaire d'Etat américain,
UNE INCROYABLE ET VERIDIQUE HISTOIRE 19
lequel la classe dans ses fiches, la situation entre les deux pays étant
de plus en plus mauvaise. Le Directoire se montre hostile aux Etats-
Unis et le ministre américain à Paris, Monroe, un futur président qui
avait encore intercédé pour Cazeau, est rappelé en Amérique par le
premier président, Washington.
Il est tout de même épatant, notre Cazeau, de poursuivre son affaire
par des temps pareils et de trouver des gens éminents pour la patronner.
C'est alors, par toute l'Europe, la période des grandes campagnes mili-
taires; le général Bonaparte commence à s'affirmer. On bataille de
tous les côtés, et en politique le Directoire fait charivari. Mais François
Cazeau ne se laisse pas arrêter pour si peu: il en a vu bien d'autres. Il
continue sa campagne à lui et se trouve d'autres amis. Le 1er Pluviôse,
An 4 de la République, Charles Delacroix, ministre des Relations inté-
rieure:; de la France, écrit au ministre français près les Etats-Unis, de
soutenir les réclamations de Cazeau; le 1er Floréal, An 4, lettre du même
au même, sur le même sujet, ainsi qu'une lettre adressée par Delacroix
à la République française pour l'inviter à intervenir en faveur de Cazeau.
Mais encore une fois et juste à ce moment, le gouvernement français
tombe. Le Directoire est aboli. Bonaparte devient Premier Consul et
arrange les choses pour le mieux avec les Etats-Unis. Cependant ce n'est
pas encore une ère de quiétude et de paix en Europe: loin de là!
Bonaparte s'y promène comme sur le pont d'un navire, commandant à
la mer et aux flots. A-t-on vraiment le temps, à pareille heure, de s'oc-
cuper de l'affaire d'un simple particulier, au sujet d'une guerre d'avant-
hier, quand des guerres nouvelles surgissent de tribord à bâbord?...
D'ailleurs, les gouvernants qui s'étaient intéressés à Cazeau ne sont plus
au pouvoir.
Au Canada, les enfants de Cazeau pensent qu'il est plus que temps
de relancer leur père, lequel se fait vieux et qu'aucun d'eux n'a revu
depuis huit ans. Ils veulent sans doute aussi, le mettre au courant d'un
bill nouvellement passé par le Congrès américain pour allouer des terres
à même le domaine public à certains réfugiés canadiens ayant servi les
Etats-Unis. La liste des premiers et principaux bénéficiaires a déjà été
rendue publique dans un Acte du Congrès, le 18 février 1801. Elle
comprend 46 noms. Le troisième est celui de François Cazeau. On lui
attribue 2240 acres de terre dans l'Etat de New-York. Parmi les autres
bénéficiaires, trois seulement ont droit à en recevoir autant que lui;
personne n'en peut recevoir davantage. Cet Acte n'a été promulgué
qu'après une longue et sérieuse enquête: il faut croire que ceux qui
furent finalement nommés ont bien mérité ce qui leur est alloué. Il est
aussi à noter que John D. Mercier, également nommé sur cette liste, le
même qui critiquait, quelques années auparavant, les revendications de
Cazeau, ne reçoit ici qu'environ un tiers autant que Cazeau... Mais
croyez-vous que notre Cazeau acceptera le domaine qu'on lui offre?
Attendons un peu.
Donc, le docteur Charles-Louis Cazeau, en cette année 1801, quitte
de nouveau le Canada, s'embarque à New-York sur un paquebot à
voiles et se rend encore une fois auprès de son père en France. Quelques
mois après, les deux reviennent en Amérique; le docteur Cazeau retourne
au Canada, et son père se rend à Washington, la ville fédérale à peine
20 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
ébauchée mais qui n'en est pas moins devenue depuis l'année précédente
la capitale permanente des Etats-Unis. Et là Cazeau recommence ses
pétitions au Congrès. Il n'a pas changé ses réclamations, sauf pour y
ajouter l'intérêt qui s'accumule, mais il ne démord en rien, veut être
payé en entier et en espèces sonnantes. On a dû certainement lui parler
des terres allouées, lui expliquer qu'il pourrait accepter ces terres en
à-compte: mais ce n'est pas 2240 acres de terre qu'il veut, même en à-
compte, c'est $22,671.70, avec l'intérêt à 6%. Et après avoir remué ciel
et terre sur deux continents pendant ces longues années, sa détermination
est coulée dans le bronze.
Le personnel du Congrès a grandement changé depuis neuf ans.
Et si les choses vont mieux en Amérique, ce n'est pas encore le golconde,
tant s'en faut, et le recensement qu'on vient de faire montre que la po-
pulation, se chiffrant à environ cinq millions d'âmes, compte là-dessus
huit cent mille esclaves, ce qui ne laisse guère plus de quatre millions
d'Américains pour finir de payer la guerre et développer la moitié du
continent. Mais les Etats-Unis, pauvres en argent, sont riches en terres;
on peut en offrir de bonnes; alors, avant de mettre le Trésor à sac, on
veut savoir si les bénéficiaires de ces terres les accepteront. Le Congrès
rejette donc la nouvelle pétition de Cazeau. Peu de temps après, les
terres allouées sont publiquement adjugées. Cazeau ne réclame pas la
sienne.
Après vingt ans de persévérantes démarches, François Cazeau n'avait
pas réussi dans ses revendications, souvent fortement appuyées mais que
les incessantes guerres, l'instabilité des gouvernements et autres événe-
ments fortuits avaient jusqu'ici fait échouer. N'aurait-il pas, alors, agi
plus sagement en acceptant ce domaine qui lui était offert tout près du
Canada? (Je crois que c'était dans la région du lac Champlain). D'au-
tres réfugiés acceptèrent des allocations semblables mais bien moins
considérables et, à la longue, s'en trouvèrent bien. Cazeau, en refusant,
s'attira l'hostilité des législateurs qu'il ne connaissait pas — le personnel
du Congrès s'étant presque renouvelé en entier durant son long séjour
en France — législateurs qui, de leur côté, ignoraient presque tout de
Cazeau et de sa cause. Il ajouta quand même sa nouvelle pétition à
toutes celles dont le Congrès était alors surchargé. Elle fut rejetée par
le Sénat comme par la Chambre.
A ses amis, Cazeau allégua subséquemment qu'il n'avait pas bien
compris que ces terres, qu'on lui allouait, pourraient être acceptées en
à-compte, lui permettant de revendiquer, plus tard, le reste de la dette
due. Voilà qui est difficile à croire. Versé dans les affaires comme il
l'était, et rendu à Washington avant la distribution de ces terres, Cazeau
devait être renseigné. Vieillissant, buté dans son idée, il restait, comme
il l'avait dit, d'ailleurs, "bien décidé à mourir avant que d'abandonner
une si juste cause." Encore une fois il perdait la partie telle qu'il vou-
lait absolument la jouer. Tout restait à recommencer.
Le plus étonnant, c'est qu'il recommence toujours. Il est presque
septuagénaire, il n'a plus guère de santé, il est seul, il est pauvre, mais
il lui reste encore l'énergie, le talent de se trouver des amis haut-placés
et de s'en servir. Cette fois, il va droit au président des Etats-Unis,
James Monroe, lequel, ainsi que nous l'avons déjà vu, avait de tout
UNE INCROYABLE ET VERIDIQUE HISTOIRE 21
temps été en faveur de sa cause. Le Président l'envoie à des sénateurs
de ses amis, (Davies, Giles, Smith, Randolph), qui se chargent de pré-
parer eux-mêmes et de présenter à leurs collègues du Congrès une nou-
velle pétition récapitulant clairement la cause. Quelques mois après,
c'est-à-dire en mars 1802, ces Messieurs présentent la motion en faveur
de Cazeau, l'appuyant avec zèle. Elle ne passe pas. Une autre pétition
est renvoyée à la session suivante, mais lorsqu'on la présente alors pour
être lue, il ne se trouve là personne intéressé à cette cause, car le pauvre
Cazeau, abattu, est retourné en France. Encore une fois, il avait manqué
de jouer un atout.
Pendant les trois années suivantes, on n'enregistre plus rien, que
je sache, dans cette affaire, chose assez extraordinaire, étant donné la
persistance de Cazeau. Mais la France et toute l'Europe, menées en
laisse par Napoléon Bonaparte, s'agite autour de lui. Cazeau attend une
heure plus favorable. Elle lui semble venir à Paris, le 12 Vendémiaire,
An 14, (octobre 1805), alors qu'il remet un nombre important de titres
et documents à Duplanty, de New-York, agent des frères Dupont de
Nemours. Duplanty signe un reçu où tous ces papiers sont dûment
désignés, énumérés; il s'engage à les remettre, à New- York, soit au
docteur Charles-Louis Cazeau, soit à Victor Dupont (qui avait été aide-
de-camp de Lafayette) au cas où ce dernier agirait comme fondé de
pouvoir de Cazeau.
Il faut croire que ces papiers sont recueillis par le fils de Cazeau,
car, l'année suivante, le docteur se rend à Washington et tente un nouvel
appel en faveur de son père. Il ne réussit pas et, réclamant ses papiers,
retourne au Canada.
A Paris, Cazeau, en dernier ressort, veut se faire appuyer encore
une fois par le gouvernement français. Mais on y a d'autres chats à
fouetter. On est maintenant en plein Empire et Napoléon Premier a
l'Europe presqu'entière à ses pieds; il est au plus fort de ses campagnes
et de ses victoires: du haut en bas de l'échelle gouvernementale on est
très affairé. L'on répète au pauvre Cazeau un vieux refrain: qu'il s'a-
dresse encore aux Etats-Unis et le Ministre de France à Washington
appuiera ses revendications.
Les différents personnages, tant américains que français, auxquels
Cazeau s'est confié depuis vingt-cinq ans qu'il poursuit sa cause se sont
montrés, à tout prendre, dignes de confiance. Il est vrai que Cazeau,
naturellement perspicace, avait su, jusqu'ici, les bien choisir. Mais par
une sorte de fatalité, voici que lorsqu'il rentre en France, vieillissant,
malade, à bout d'expédients comme de ressources, il se confie à la plus
vilaine engeance, un de ses propres compatriotes, homme rusé, sournois,
absolument dénué de principes qui, sans perdre de temps, trame une
fraude audacieuse autant qu'éhontée.
Cet homme s'appelle François Corbeaux, nom prédestiné. Il habite
Paris, se dit gentilhomme et affirme avoir des relations avec certains
fonctionnaires haut-placés, entr'autres celui qu'on nomme le premier-
président d'Herbelot. Comment se fait-il que Cazeau, d'ordinaire si
avisé, fasse si vite confiance à Corbeaux? Plus tard, trop tard, il s'in-
formera auprès dudit président d'Herbelot, lequel répondra qu'en effet
il connaît le Sieur Corbeaux, "mais sous de très mauvais rapports." En
22 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
attendant, Corbeaux s'insinue, s'impose, capte la confiance de celui qu'il
se propose de trahir et finit par se faire nommer le fondé de pouvoir de
Cazeau, qui lui cède plus d'autorité qu'il n'en avait jamais conféré aux
autres.
Corbeaux est plein d'astuce. Faisant d'abord croire à Cazeau que
ses réclamations sont trop modérées, il prend la facture si longtemps
officielle et s'empresse de la majorer, n'y allant pas de main morte.
Elle n'avait jamais dépassé une soixantaine de mille dollars, mais voici
qu'il la porte à $2,800,000.00, ou, en valeurs françaises, à quinze millions
de francs. Et à Cazeau, privé de ressources, Corbeaux promet une
avance immédiate de 1,200,000 francs. Cette audacieuse majoration de
la note éblouit le vieux Cazeau, qui consent à laisser Corbeaux rédiger
un contrat et une procuration qui seront par la suite comme des filets
pour retenir dans leurs liens Cazeau et ses héritiers.
Il y a quelques années, j'ai eu entre les mains les originaux de ces
instruments faits à Paris en 1807. Cazeau affirma que Corbeaux les
rédigea, les écrivit de sa main. Effectivement, ils sont du commence-
ment à la fin de la même écriture que la signature de Corbeaux: fine,
claire et parfaitement lisible. La procuration est très longue; le contrat
subsidiaire est plus court. Par ces instruments, les affaires et les papiers
de Cazeau passent entre les mains de Corbeaux, qui s'engage à pour-
suivre la liquidation des créances de Cazeau sur le gouvernement des
Etats-Unis, moyennant le prix de forfait d'un million deux-cent-mille
francs que Corbeaux est censé payer sur-le-champ à Cazeau. De son
côté, Cazeau cède à Corbeaux pour toujours, les trois-quarts de tous ses
intérêts dans les dites créances, ne se réservant que le quart de tout ce
qu'il revendique depuis vingt-cinq ans. Cependant, il a un geste de pru-
dence, un seul: dans cette assignation presque universelle, une clause
stipule que Cazeau rentrera dans tous ses droits et que Corbeaux perdra
tous ses privilèges si le dit Sieur Corbeaux n'a pas fait de démarches
sérieuses, n'a obtenu aucun résultat au cours des deux sessions executives
du Congrès des Etats-Unis, à partir de la première session qui s'ouvrira
après la date de la signature dudit contrat.
Les instruments fatidiques sont signés à Paris le 30 novembre 1807,
et le même jour, les deux signataires se présentent au Consulat américain
pour faire enregistrer la procuration faite en triple. Des trois originaux
de cette procuration, Cazeau en garde un, Corbeaux emporte la deuxième
et la troisième reste dans les archives du Consulat.
Les mois s'écoulent. A Paris, Corbeaux ne paye pas un seul franc
du million et plus qu'il a juré passer à Cazeau et il ne fait rien pour
activer sa cause cependant qu'à Washington le Congrès se rassemble et
se dissout. Alors Cazeau, aidé par un de ses fidèles amis — il en aura
d'excellents jusqu'à la fin — inquiet, désabusé encore une fois, vieux,
malade, mais prêt à lutter, comme il l'a déjà dit, "jusqu'à la mort",
Cazeau s'adresse aux tribunaux de Paris afin de rentrer dans les droits
UNE INCROYABLE ET VERIDIQUE HISTOIRE 23
et les documents dont il s'est imprudemment dépouillé. * Il a le désa-
grément supplémentaire de se faire dire par un homme de loi qu'il ne
doit pas s'étonner de la tournure que son affaire a prise, l'ayant confiée
1. Letter from Cazeau to Madame Reeves 8C his other children, 1808.
Madame Jean Reeves, marchand
Faubourg St Laurent
Montréal Canada —
par New York
Paris 30 octobre 1808
Jenai pas Reçu mes chers enfans devos nouvelles de puis trois ans. a quoi
penser vous votre devoir et vos intérêts exige de veiller plus Soigneusement à
mon existance. Je nai point encore fini mes afaire de puis 9 ans que jai revêtu
Charles de mes pouvoirs il na pas avancé de la moindre chose, je suis donc
obligé d'avoir recours aux étrangers pour les mettre à la tête de mes afaire
enconsequence jai prit le party de charger le général mason de George town de
suivre la liquidation de mes réclamations au Congres qui ne sont pas moins de
trois millions de dollard avec tous les intérêts. Pour parvenir plus tôt a une
prompte liquidation jai chargé également Mons'r Oerthling — rue de la Magde-
lene fxbourg honoré No 14 de la poursuite de mes af aires, il fera toutes les
avance nécessaires il a de grand moyen de fortune et d'autre que je ne puis dire
Jaurai desirez qui me fit une avance dargent je ne sçai si le fera avant
d'avoir reçu des nouvelles de mon fondé de pouvoirs. Jeme trouve dans ce mo-
ment dans un grand besoin a la sortie dune grande maladie qui ma duré près
de deux ans jai garde la fièvre intermétante la jaunisse lydropisie pendant 18 mois
devenu si faible quil me falais deux personne toujours autour de moi qui ne mon
jamais abandonné il na pas été de même des médecins deux on renonsé et le
troisième ma guéry. Je doit de grande recompense a celle qui mont servi et fait
les avance de tout ce que j'ai eu besoin.
Apresent jeme porte assez bien mais jai grand besoin de me ménager, jeme
propose daller le printemps prochain à la campagne pour changer d'air.
Il y a un an j'avais donné des pouvoirs a un Francis Cerbeau il les avaz écrit
Luimême de manière qui se seraz emparé des trois quart de ma fortune en me
faisant entendre ce qui nétait pas. Par sa manière d'agir, je le crois un des plus
faux et des plus dangereux quil y ait dans Paris. Je lai traduit devant le Tribunal
criminel. La faire nest pas encore jugé, je dois faire entendre mes témoins sitôt
quil en sera requis. Il fait paraître quil ma donné 1.200.000 francs et je nai pas
reçu un sou de Lui ce que je peut prouver au moyen de quoi le sous seing privé
sera annullé et lui condanné au galerre; je vous donnerez avis de ce qui en sera
Commen se porte tous mes chers petis enfans donné moi de leurs nouvelle
et des progrès qui font dans leur éducation et de ceux qui son dans le Commerce
je suis fâché de ne pas leur faire du Bien plustot; je ne sçai pas les nom de ceux
de Cazeau qui me sont egallement aussi chers. Ce serai un bonheur bien grand
pour moi si javaz le plaisir de les voir. Embrassé les tous pour moi.
Donné moi des nouvelles de tous nos parent et amis de la Rivière St Pierre
et de la (illisible) bien entendu de Montréal et du (illisible) Lami Colin et sa
femille.
Je vous souhaite tous de La Santé et la prospérité.
Je suis et serez toute ma vie votre Bon et tendre Père je vous en assure
(signé) Frs Cazeau
donnez moi de vos lettres
adresse
Rue de Verneuil No 21, fx bourg St Germain
à Paris.
24 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
à un individu d'aussi mauvaise réputation que Corbeaux. * Cependant
on fait les démarches nécessaires pour que cet oiseau de malheur rende
ce qu'il a pris par ruse.
Mais Corbeaux avait prévu de pareilles mesures. Dès le début il
avait dressé son plan d'opération. Longtemps avant d'être cité en cour
de justice et sommé de rendre les papiers de Cazeau, et pendant qu'il les
avait encore tous en sa possession, même le duplicata de la procuration
lui conférant des pouvoirs si étendus. Corbeaux était retourné seul au
Consulat américain où se trouvait, comme on sait, le triplicata dudit
instrument, et s'en était fait faire une copie assermentée, chose qu'on
pouvait avoir sur demande aussi longtemps qu'un document restait dans
les fiches du Consulat.
Or donc, lorsque le tribunal de Paris eut donné gain de cause à
Cazeau, ce dernier devient possesseur des trois instruments si impor-
tants: l'original de la procuration, qu'il a gardé, le duplicata qu'avait
Corbeaux, obligé de remettre tous les papiers de Cazeau, et le triplicata
qu'on avait déposé au Consulat. Mais Corbeaux, à l'insu de tous, pos-
sède encore la "copie assermentée" qu'il s'était fait faire longtemps
avant, copie ornée du sceau du consulat américain. Puis Corbeaux
quitte Paris et va se terrer quelque part, attendant la fin du vieux
Cazeau, qui, maintenant, le servira mieux mort que vivant.
Et notre Cazeau, que fera-t-il? Il ne mourra pas tout de suite. Il
luttera encore cinq ans. La mort seule le désarmera. Il aura un autre
fondé de pouvoir, le général Mason, avocat réputé de Washington, mais
qui a déjà trop d'affaires en main pour pousser activement celle de
Cazeau. Alors, à Paris, Oerthling, le fidèle ami du vieux Cazeau, inter-
vient encore. Il obtient que Joël Barlow, ministre plénipotentiaire des
Etats-Unis, sortant de charge, agisse comme agent de Cazeau. Homme
brillant et généreux, Barlow jouit de beaucoup d'influence à Washington
et il s'intéresse vivement et sans tarder à la cause de Cazeau; mais ce
1. Letter of Grandjean to Oerthling, 1809.
Monsieur le Président d'herbelot a assuré son neveu que le Sr Corbeau avait
quitté Paris. C'est un point important dont il faut s'assurer. Il parait qu'il le
connait beaucoup, mais sous de très mauvais rapports. Il est le beau-frère d'un
substitut du procureur impérial près des directeurs de jury et l'allié du magistrat
de sûreté auquel on s'était adressé.
Vous ne devez plus vous étonner de la tournure qu'a prise cette affaire, mais
je vais tâcher de reprendre cette affaire en sous-oeuvre, d'abord tacher si le Sr
Corbeau est encore à Paris.
Mr Lefael doit faire une nouvelle démarche auprès du premier Président,
nous verrons ce qui en résultera et si nous avons l'espoir de réussir je me mettrai
en oeuvre pour presser tout le monde.
Daigner agréer l'hommage des sentiments d'amitié
De votre dévoué serviteur
Grandjean
ce 17 août 1809
à Monsieur
Monsieur Oerthling
Propriétaire
rue de la Magdeleine
no 14 Faubourg St Honoré
UNE INCROYABLE ET VERIDIQUE HISTOIRE 25
dernier est poursuivi par la malchance: Barlow meurt peu de temps
après son retour aux Etats-Unis. Le général Mason reste en possession
des pouvoirs et des papiers. Et puis, aux lenteurs de Mason vient
maintenant s'ajouter une guerre nouvelle: celle de 1812 entre les Etats-
Unis et l'Angleterre. Les communications sont ralenties, parfois même
arrêtées sur mer et sur terre. Pendant trois ans encore l'affaire Cazeau
reste en suspens.
Cazeau est maintenant octogénaire. Les années, en passant, ne lui
ont apporté que guerres, déboires et maladies. Il fléchit, mais reste en
possession de toutes ses facultés mentales. Il écrit aux siens en Améri-
que et son écriture reste claire et lisible, quoique un peu tremblante;
ses lettres, son langage sont corrects et dignes et il ne se plaint pas trop,
quoiqu'il semble penser que son fils Charles aurait pu entreprendre
d'autres démarches en sa faveur. Pourtant, le docteur Cazeau, en des
années et des pays très agités, avait laissé son foyer et l'exercice de sa
profession pour traverser deux fois l'Atlantique et se rendre plusieurs
fois à Washington, alors que les communications étaient lentes et péni-
bles, qu'on voyageait par mer en voilier et par terre en diligence ou à
dos de cheval. Et aux dépenses amenées par tous ses déplacements pro-
longés, s'ajoutaient les honoraires perpétuels des avocats. Cela semble
prouver que les enfants de Cazeau au Canada firent tout ce qu'ils
purent pour leur père.
Les gestes ultimes inscrits dans les annales de François Cazeau sont
d'abord la procuration qu'il envoie, au commencement de l'année 1815,
à John Reeves, un de ses petits-fils au Canada, lequel devient son
huitième et dernier fondé de pouvoir; puis deux billets qu'il signe en
faveur des dames Cajou et Gontié, qui semblent avoir été deux excel-
lentes femmes de très modeste condition, lesquelles avaient pris soin de
lui pendant une douzaine d'années.
Puis, le 11 mai 1815, Cazeau meurt à Paris, à l'âge de 81 ans. Il
avait passé presque la moitié de sa vie en déraciné, allant et venant entre
l'Amérique et l'Europe; et quoiqu'il meurt en France, son pays natal,
il meurt presque seul, loin de ce qui lui reste de famille; ses enfants
n'apprennent son décès que plusieurs mois après.
François Cazeau avait eu six enfants: trois fils, François, Charles-
Louis et Pierre, et trois filles, Marguerite (Mme John-Jesse Reeves, Sr),
Elizabeth et Marie-Barbe. Trois au moins survivent à la mort de leur
père: Charles, Pierre et Elizabeth, ainsi que plusieurs petits-enfants.
L'affaire Cazeau continuera.
Entre temps John-Jesse Reeves, fils, investi des pouvoirs de son
grand'père, part pour le rejoindre à Paris. Il va premièrement à Wash-
ington et confère avec le général Mason, l'avocat de Cazeau, Mason et
Reeves ignorant tous deux que Cazeau est mort depuis déjà quelques
mois. Puis Reeves s'embarque pour la France, où il apprend que son
grand'père est décédé au mois de mai. Il y reste le temps d'arranger
comme il peut les affaires en France, recueille tous les documents et
autres papiers de son aïeul, puis revient en Amérique. Rentré au Canada
à l'automne, Reeves confère avec les autres héritiers. La famille n'est
pas riche et elle sait d'expérience ce que coûteront de nouveaux voyages,
de nouvelles revendications judiciaires. On décide d'attendre, pour
26 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
continuer, d'avoir les fonds nécessaires.
Pour Corbeaux, en France, c'est l'heure propice. Depuis six ans il
attendait, veillait, était renseigné. Il sait que Cazeau est mort, mais
prudemment, il reste coi jusqu'à ce que John Reeves ait quitté la France.
Alors il s'abouche avec un autre coquin du nom de James Grubb, em-
ployé au Consulat américain à Londres. Ils en viennent à une entente
et le printemps suivant, Corbeaux traverse la Manche, va relancer Grubb
à Londres, et les deux finissent de machiner leur complot. Corbeaux,
qui se dit l'agent de feu François Cazeau, lui passe de manière officielle
des pouvoirs qu'il n'a plus, ainsi que toutes les informations qu'il a, et
divers papiers, entr'autres la copie attestée de la procuration faite au
consulat américain de Paris, du contrat original entre Cazeau et Corbeau
huit ans auparavant: copie qui devient la cheville ouvrière de l'affaire
Cazeau, à partir de cette date, 6 mai 1816. Trois jours plus tard, Grubb
transmet à Josephus-B. Stewart ses nouveaux pouvoirs et tous les papiers
qui lui avaient été passés par Corbeaux. Grubb ne jouissait pas d'une
bonne réputation à Londres: de fait, il devait être congédié du Con-
sulat peu après, mais Stewart, également employé du consulat américain
à Londres, n'avait rien fait jusque-là pour se faire mésestimer; il
pouvait donc quitter Londres sans être soupçonné du personnel consu-
laire, quoiqu'on le sût presque toujours à court d'argent. Effectivement,
quelques semaines après, Stewart obtient un congé, quitte Londres pour
l'Amérique, et se rend tout droit à Washington.
Dans la Capitale américaine, en sa qualité d'employé du service
consulaire, Stewart est bien reçu, se présente à divers personnages in-
fluents et se fait passer pour l'agent et le fondé de pouvoir des héritiers
de feu François Cazeau, décédé quatorze ou quinze mois plus tôt. Il
a la liberté de fouiller les anciens dossiers de la cause Cazeau, et, ainsi
minutieusement documenté, il prépare une nouvelle pétition, écrit des
lettres remplies de faussetées mais qui ont l'air plausibles et prépare sa
monumentale tricherie avec grande adresse. L'enjeu est gros: s'il réussit,
il y gagnera une fortune; s'il perd il sera pris et goûtera de la prison.
Mais qui avertira les héritiers? On le croit leur agent, leur ami; le
Canada est loin, très loin; on met des jours et des jours à y arriver; il
n'y a encore ni télégraphie ni téléphone, ni chemin de fer; la poste est
lente et le général Mason, dernier avocat de Cazeau, est absent, malade
ou endormi. La bravade de Stewart a toutes les chances de réussir.
Alors, à la fin de janvier 1818, Stewart joue gros atout. Il présente
une pétition au Congrès, se dit le représentant de tous les héritiers de
feu François Cazeau; et la semaine suivante, plein de cran et d'assurance,
il est au Capitole et son Mémoire est un si savant mélange de vrai et
de faux que les membres du Congrès s'y laissent prendre. Stewart, sans
broncher, affirme que Corbeaux est l'oncle des héritiers et il ne se trouve
personne pour le contredire, tous les membres de la famille Cazeau
étant loin et dans une parfaite ignorance de ce qui se passe à Washing-
ton. Stewart laisse entendre que les deux consulats américains de Paris
et de Londres l'appuient et encore une fois il ne se trouve personne à
Washington pour le nier. Et puis il demande sans sourciller, "au nom
des héritiers de Cazeau" la somme de #42,737.93. Ce qui se trouve être
les trois-quarts des revendications que Cazeau ferait s'il était là: les
UNE INCROYABLE ET VERIDIQUE HISTOIRE 27
trois-quarts passés à Corbeaux, dont Stewart dit avoir acquis les droits.
Le Congrès ignore que ces droits de Corbeaux ont été depuis longtemps
révoqués. Comme Stewart affirme agir pour les héritiers, posant en
bienfaiteur de la famille Cazeau, les honorables membres du Congrès
sont bien aise de clore une affaire qui traîne depuis si longtemps, d'au-
tant plus qu'il y a maintenant un peu plus d'argent dans le Trésor des
Etats-Unis.
Le croirait-on? Stewart a gain de cause!
L'affaire se poursuivait depuis trente-cinq ans. Combien de fois
Cazeau lui-même, ou son fils, ou ses avocats, avaient-ils déjà plaidé
devant le Congrès, non pas toujours en vain, mais sans que, jamais,
toutes les circonstances leur eussent été favorables à la fois. Et voici
qu'un imposteur se présente devant l'auguste assemblée et par son
histoire savamment tissée de vérités et de mensonges, prédispose tous
les honorables membres de la Chambre et du Sénat à indemniser la
famille d'un bienfaiteur de la République!
On adjuge à Stewart, "pour les héritiers de Francis Cazeau" l'exac-
te somme qu'il a demandée: $42,737.93, somme dont la réelle valeur
était alors bien des fois ce qu'elle serait aujourd'hui.
Cependant, un accroc s'annonce. Lorsque Stewart se présente à la
Trésorerie des Etats-Unis pour recevoir le gros lot, le "Comptroller", le
juge Anderson, n'estime pas suffisants les papiers qu'on lui présente,
surtout vu l'absence de tous les héritiers. Devant la copie du mandat
de Cazeau à Corbeaux, copie passée à Grubb et ensuite à Stewart, An-
derson demande où sont les originaux des documents. Il hésite à payer
une telle somme sur des preuves aussi minces. Mais à la fin, devant le
bill et l'ordre du Congrès, le sang-froid de Stewart et son apparente vé-
ridicité, le "Comptroller" du Trésor s'exécute. L'escroc de grande en-
vergure reçoit, toujours "pour les héritiers de François Cazeau", les
$42,737.93 qu'on leur a votés. C'est en février 1817.
Stewart alors n'a rien de plus pressé que de quitter Washington.
Mais au lieu de se rendre au Canada, il s'embarque sur le premier voilier
en partance pour l'Europe, où tout en se réservant la part du lion, il
partage avec Grubb — déjà chassé du consulat de Londres pour incon-
cuite — le produit de leur escroquerie. Quant au troisième larron, Cor-
beaux, il ne reçoit absolument rien: voleur volé.
Quelque temps après le passage du bill en faveur des héritiers de
François Cazeau 3 la famille Cazeau apprend la grande fraude commise
à ses dépens. John-Jesse Reeves part en toute hâte pour Washington,
mais y arrive trop tard: le gros lot a déjà été payé à Stewart, qui a
déguerpi depuis assez longtemps. Reeves met alors la cause des héritiers
fraudés entre les mains d'un excellent avocat de Washington, le général
Walter Jones, et retourne au Canada conférer avec les autres héritiers.
Au printemps suivant, 1818, le docteur Charles-Louis Cazeau se
rend encore une fois dans la Capitale américaine. Il a tous les papiers
de son père et montre les pièces authentiques à divers membres du
Congrès et aux officiers de la Trésorerie. Il prouve que les pouvoirs de
Corbeaux avaient été révoqués, que Stewart a trompé le Congrès du
28 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
commencement à la fin. La fraude est reconnue, admise. Le juge
Anderson, de la Trésorerie, déclare au médecin que lui, Cazeau, peut
très bien, au nom des héritiers fraudés, intenter une nouvelle poursuite
au gouvernement américain. C'est ce qu'il fait. Il prépare une nouvelle
pétition, un nouveau "mémorial" demandant que réparation soit faite
aux héritiers lésés dans leurs droits. J'ai vu les originaux de ces docu-
ments, rédigés en excellent anglais, écrits d'une écriture belle et lisible:
celle du docteur Cazeau lui-même. Malheureusement, ces revendications
restent sans résultats. A un moment donné, lorsque Stewart se présenta,
les deux Chambres du Congrès s'étaient entendues sur l'affaire Cazeau;
on avait agi de bonne foi, payé sans tergiverser. Et voici que les hono-
rables membres apprennent qu'on leur a joué un vilain tour, le plus
monumental de la sorte dans toute leur histoire! Irrités, rendus mé-
fiants, ils ne sont pas d'humeur à reprendre l'affaire tout de suite. Le
docteur Cazeau confie alors la cause à un nouvel avocat, Mr Dawson,
et reprend le chemin du Canada. Dix-huit autres années s'écouleront
avant que les héritiers rentrent dans une partie de leurs droits.
Quant à Stewart, son nom revient encore, deux ans seulement après
son retentissant coup de théâtre. D'après William Smith, avocat et
petit-fils de François Cazeau, Stewart aurait écrit à la famille Cazeau,
demandant s'ils ne pourraient arriver à un "arrangement". Cette lettre
aurait été écrite en décembre 1819, de Jamesville, Comté d'Onondaga,
New-York. Je n'ai pas vu cette lettre. S'il est vrai que Stewart relança
la famille qu'il avait fraudée, il est étrange qu'on ne l'ait pas poursuivi.
Et en 1821, un certain Henry Myer, de New- York, se rend à Montréal
avec une procuration de Corbeaux, qui, de la France, aspire, lui aussi à
un accommodement avec les héritiers de Cazeau. Il est évident que ce
Myer ne connaît pas grand'chose de la cause et n'est que l'instrument de
Corbeaux, lequel veut se venger de Stewart, qui ne lui a pas donné un
"rouge liard" de la somme escamotée grâce à la fameuse copie que l'on
sait, la précieuse copie de Corbeaux. N'obtenant aucune concession de
la famille Cazeau, Myer se retire en proférant des menaces qu'il ne
peut exécuter.
Il serait fastidieux de recommencer à suivre tous les méandres de
la loi dans cette affaire à nulle autre pareille, une cause qui semble
avoir été faite tout exprès pour encourager ou décourager les avocats.
J'abrège donc autant que possible.
La cause reste en suspens pendant les sept années qui suivent l'es-
croquerie de Stewart. Et le docteur Charles Cazeau étant mort en 1823,
son neveu, William Smith, avocat de Saint-Eustache, reprend l'affaire
en 1825. Il n'eut pas de succès, mais fit une excellente chose en retenant
Jacob Bigelow, de Washington, qui devint l'avocat permanent de la
famille Cazeau. Pendant plus de trente ans, Bigelow s'occupera de cette
affaire, la fera marcher de différentes manières, recommencera au besoin
et sans se lasser. Et il finira par obtenir que les héritiers soient en partie
remboursés de leurs pertes. Et, par les efforts intelligents de Bigelow,
c'est encore tout une galerie de portraits d'hommes célèbres qu'on trouve
encadrés dans les annales de l'affaire Cazeau.
Prudent homme de loi, sagace, il désire parer à toute éventualité,
en s'assurant que les héritiers de Cazeau sont gens honorables, et qu'il
UNE INCROYABLE ET VERIDIQUE HISTOIRE 29
n'y a pas eu de compromis ni d'arrangement entre eux et Stewart ou
Corbeaux; que les membres de cette famille n'ont jamais été riches,
tout en ayant joui de l'estime de leurs contemporains les plus éminents.
J'ai donc trouvé parmi les documents du dossier Cazeau dans une des
cours de justice de Washington, des documents exécutés à cet effet au
Canada en 1833. Les héritiers de François Cazeau sont représentés par
sa fille: Elizabeth Cazeau,
ses petits-enfants:
Alexander-Amian Reeves,
Marguerite-Elizabeth-Victorine Reeves,
Henry-Benjamin Reeves,
Mary-Elizabeth Cazeau Routier,
Marguerite Cazeau Smith
et William Smith.
aussi Jean-Baptiste Routier, époux de Mary-Elizabeth
Cazeau Routier.
L'avocat William Smith n'y apparaît pas parce qu'il était mort
l'année précédente, victime de l'épidémie de typhus à Montréal. Et puis
viennent témoigner des amis de la famille:
Ensuite
Louis Papineau,
Gabriel Franchère,
Jacob de Witte, membre du Parlement Provincial du Bas-Canada,
Olivier Berthelet, également membre de ce parlement,
Joseph Quiblier, supérieur des Messieurs de Saint-Sulpice,
Horatio Gates, consul des Etats-Unis à Montréal,
Jacques Viger, maire de Montréal.
Ces certificats furent signés pardevant des notaires tels que Fran-
çois Coyteux, A E. Lefebvre de Bellefeuille et Austin Cuvillier, ce
dernier ayant été quelques années auparavant délégué par les Canadiens
auprès du Parlement Impérial à Londres. J'ai vu les originaux de ces
documents, avec leurs belles signatures. Elle ne fait pas trop mauvaise
figure, n'est-ce pas la famille Cazeau? Mais ce n'est pas encore tout.
Vers ce même temps, Bigelow s'adjoindra Francis-Scott Key. Ce
nom vous dit-il quelque chose? . . . Key n'est pas seulement un avocat
de première force, il est aussi l'auteur de l'hymne national des Etats-
Unis, "The Star-Spangled Banner," qu'il avait composé une vingtaine
d'années plus tôt.
La cause ne va pas vite, mais elle n'arrête pas. Les démarches,
petites et grandes, sont enregistrées au dossier. Et en 1836, par ordre
du Sénat des Etats-Unis, tout le dossier de cette cause, qui dure depuis
cinquante-huit ans, est entièrement revu par le "Sollicitor of the Treas-
ury" (l'avocat-conseil de la Trésorerie), Maxy, qui se prononce en fa-
veur des héritiers. Et puis l'affaire reprend le chemin de la Chambre,
du Sénat, tantôt passant ici, tantôt rejetée là, ou bien renvoyée à un
comité, une cour spéciale.
En 1838, Francis-Scott Key fait un excellent plaidoyer s'exprimant
dans un langage clair et châtié, et mettant cela sur papier avec une écri-
ture comme gravée au burin. Ce plaidoyer n'eut pas de résultat im-
médiat, mais Bigelow fera tout servir, à la fin. En 1844, il rouvre la
30 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
cause, rappelle tout ce qu'il y a de mieux. Il plaide. On écoute. On
délibère. Et enfin, pour la deuxième fois en plus de soixante ans, on
tombe d'accord.
Les membres du Congrès reconnaissent que Stewart a roulé leurs
devanciers au Congrès, tout comme il a fraudé les héritiers de Cazeau.
Cependant, ils ne se croient pas tenus de payer encore aujourd'hui ce
qui avait déjà été payé de bonne foi. Et puis, que faisait donc l'avocat
de la famille Cazeau pendant que l'ineffable Stewart jouait son acte
pendant plusieurs mois, en 1817, en plein Washington?. . . Stewart avait
escamoté les trois-quarts de la réclamation originale de Cazeau, les trois-
quarts assignés à Corbeaux et sur copie de l'assignation, réclamés par
Stewart au nom des héritiers. Restait le quatrième quart de ladite ré-
clamation originale faite par Cazeau et reconnue par le Congrès. Alors,
on finira l'affaire une fois pour toutes: on payera le quart de la dite
facture originale, avec l'intérêt depuis 1817. Ce qui revient encore à
$27,352.32. Bigelow présente les papiers requis, les vrais, à la Trésorerie,
qui verse cette somme à Bigelow pour les héritiers. Et cette fois les
héritiers de Cazeau verront la couleur de leur argent.
Puis les honorables Membres du Congrès de conclure avec fermeté:
"Resolved:
That no further allowance should be made by
Congress upon the claims of the représentatives of
Francis Cazeau, deceased."
On ne peut guère les blâmer de vouloir mettre le point final à
cette affaire: le Congrès des Etats-Unis en était saisi depuis soixante-
deux ans.
Mais les héritiers, eux, sont d'avis qu'ils ont droit à la totalité de la
somme réclamée en premier lieu par leur aïeul et détournée en majeure
partie par Stewart. Ils réclament donc encore plus de quarante-huit
mille dollars. Et pendant plus de trente autres années la cause Cazeau
revient devant le Congrès avec la régularité du calendrier. Elle enre-
gistre des hausses et des baisses et les documents s'entassent au dossier.
Le fidèle Jacob Bigelow meurt de vieillesse et est succédé par son fils
George Bigelow et un autre avocat. Ce n'est qu'en 1876 que l'affaire
Cazeau semble définitivement classée.
Mais dans la famille Cazeau, les générations aussi se sont succédées,
chacune ayant connaissance de l'histoire mouvementée de l'aïeul et de
ses réclamations. Sa cause les intrigue. Et puis, songez un peu à l'in-
térêt que rapporterait, après cent ans, une seule des sommes, n'importe
laquelle, mentionnée dans ce procès de famille!
En 1893, le penchant atavique de plaider se manifeste activement
chez les descendants de la quatrième ou cinquième génération. Imbus
de cette ambition, et animés du même goût très sûr dont leurs ancêtres
avaient fait preuve dans le choix de leurs avocats, les descendants de
François Cazeau, en 1893 choisissent comme leur aviseur légal maître
Honoré Mercier, premier du nom, et lui demandent de rouvrir la cause
Cazeau.
UNE INCROYABLE ET VERIDIQUE HISTOIRE 31
Devant ce qu'on lui en dit, et encore plus ce qu'il en ignore,
l'honorable M. Mercier se trouve bien embarrassé. En juin 1893, il
écrit à un ami de Washington, le Major Edmond Mallet — qui devint
plus tard un ami de mon mari — pour lui demander quelques éclaircis-
sements sur cette affaire. Maître Mercier dit qu'il représente tous les
héritiers de François Cazeau. Il écrit encore au Major Mallet en juillet.
Le 14 août, Mallet reçoit une troisième lettre de Mercier. Dans cette
missive, le dernier avocat des Cazeau ne semble guère avancé: il pense
"qu'il s'agit d'une succession probablement dans la lune." C'est le der-
nier document de ma collection.
Je ne saurais dire s'il poussa plus loin cette affaire. J'aurais aimé
connaître un peu plus la famille Cazeau d'autrefois et d'aujourd'hui. A
cette fin, je me suis adressée aux petits-fils de l'honorable M. Mercier,
avocats eux aussi. Mais on m'a répondu que les dossiers de leur grand'-
père avaient été en partie consumés dans une incendie et que c'était
chose aussi difficile que délicate que de faire des recherches dans ce
qui en restait.
L'Affaire Cazeau est-elle vraiment finie? Il faudrait être sibylle
pour se prononcer. . . Mais cette affaire fut certainement ce que les
avocats appellent "un bon procès." Une chose faite exprès pour impri-
mer un mouvement perpétuel. Il peut se ralentir, mais reste susceptible
de se remettre en branle. La preuve, c'est que deux siècles se sont passés
depuis que François Cazeau débarquait en Amérique, et voici que, grâce
à son procès, il vit encore!
Les copies de documents officiels, de lettres, notes et autres papiers
sur l'Affaire Cazeau que j'ai dans mes casiers se chiffrent à quelques
centaines. Indiquer l'exacte provenance de toutes mes informations sur
cette affaire aurait dépassé le cadre de cet article, déjà long. Je me
contenterai d'ajouter que je conserve soigneusement tous ces papiers,
en indiquant la provenance générale:
La Bibliothèque du Congrès de Washington, Division des Manuscrits.
(The Journals of the Continental Congress,)
(The Papers of the Continental Congress,)
Les Archives Nationales, Washington,
La Trésorerie, Washington,
Différentes Cours de Justice à Washington,
Les différents Rapports de l'Archiviste de la Prov. de Québec.
Les Rapports de Douglas Brymner sur les Archives Canadiennes.
The Haldimand Papers.
LES FRANCO-AMERICAINS
et le
"MELTING POT"
par le Dr Ulysse Forget*
(de Warren, Rhode Island)
"We Americans are the children of the crucible. The Crucible
does not do its work unless it turns out those cast into it in one national
mould; and that must be the mould established by Washington and his
fellows when they made us into a nation. We must be Americans; and
nothing else. Yet the events of the past three years bring us face to
face with the question whether in the présent century we are to continue
as a separate nation at ail or whether we are to become merely a huge
polyglot boarding-house and counting-house, in which dollar-hunters of
twenty différent nationalises scramble for gain, while each really pays
his soul-allegiance to some foreign power." ("New York Times", 10
septembre 1917.)
Cet extrait d'un discours de Théodore Roosevelt, président des
Etats-Unis de 1901 à 1909, peut être interprété de différentes manières.
Lui-même, qui a prêché toute sa vie le nationalisme à outrance, désirait
ardemment voir tous les immigrants passer par le creuset de l'améri-
canisme. Nous-mêmes, comme Français et catholiques, prétendons que
nous serons de bons et loyaux citoyens, en autant que nous resterons ce
que nous sommes: Français et catholiques. Cette prétention est bien
soutenue par ce qui s'est passé au Canada depuis la conquête. Si nos
ancêtres s'étaient laissés "britanniser" en 1760, de quelle manière leurs
descendants se seraient-ils conduits en 1775, en 1792, en 1812 et en 1837?
Quelle influence ce changement aurait-il eue sur la conduite et la
conscience de chacun? Que d'autres plus avisés que moi répondent à
ces questions.
Il y a quelque temps, feu M. Edouard-Zotique Massicotte, le distin-
gué archiviste et historien de Montréal, me demandait: "Aux Etats-Unis,
le français se perd-il plus vite dans les grandes villes que dans les petits
centres?" Comment répondre correctement à cette question? Les con-
ditions dans lesquelles vivent nos compatriotes, sont bien différentes
d'une ville à l'autre. On croirait qu'il est plus facile de s'éloigner du
français dans une petite ville, où le nombre restreint peut s'engloutir
plus vite dans la marée montante. Par contre, il semble que dans cer-
taines grandes villes, le "creuset" de l'américanisme va tout fondre.
Faisant de la généalogie en amateur, j'ai été surpris de voir le
nombre de mariages que les Franco-Américains contractent avec des
conjoints de nationalité étrangère. D'un autre côté, les mariages mixtes
et le divorce m'ont apparu comme une vraie menace. Un jour, bien au
hasard, je trouve dans la page des avis légaux du "Providence Journal"
du 12 novembre 1945, une liste d'applications pour divorce: sur dix-
sept demandes, six provenaient de Franco-Américains.
* Le Dr Ulysse Forget a déjà publié plusieurs travaux d'histoire. Il est
membre de la Société généalogique canadienne-française et conseiller de la Société
historique franco-américaine.
LES FRANCO-AMERICAINS ET LE "MELTING POT" 33
Sans prétendre régler la question, j'ai pensé qu'une enquête dans
quelques villes pourraient révéler des surprises. Pour cela, on doit tenir
compte tout particulièrement de la cellule nationale qui est la famille.
Si le père et la mère parlent français au foyer et sont catholiques, les
avantages que leurs enfants en retireront sont très grands. Si l'un des
conjoints est de nationalité étrangère, les enfants ne parleront qu'une
langue. Enfin, dans les mariages mixtes, surtout quand la mère est
protestante, c'en est fait et de la langue et de la religion.
Un facteur omis dans la classification des mariages, c'est l'âge des
conjoints. Il y a certainement un grand nombre de gens de toutes les
catégories, qui se sont mariés à un âge trop avancé pour avoir des en-
fants. Leur formation étant déjà faite, ces gens sont ce qu'ils seront plus
tard. Qu'ils soient mariés à une femme de nationalité étrangère ou non,
très souvent ils ont déjà laissé leur marque pour l'avancement des nôtres.
Souvent aussi ces mariages tardifs relèvent la moyenne des résultats en
faveur de notre élément.
Théodore Roosevelt ne voulait pas que le pays devînt une "polyglot
boarding house." La connaissance des langues est un précieux avoir
pour un peuple. On en a connu l'importance dans les deux grandes
guerres. Un nombre considérable de nos Franco-Américains servirent
d'interprètes sans aucun entraînement préalable, dès leur arrivée en
France, parce qu'ils connaissaient déjà la langue du pays. Au lendemain
de la victoire de Bretagne, un de mes amis fut placé comme téléphoniste
à Caen, et on le garda à ce poste jusqu'à la fin des hostilités. On peut
multiplier ces exemples à volonté. C'est donc dire que nos jeunes bilin-
gues ont rendu à l'armée des Etats-Unis des services considérables.
D'ailleurs, ne voit-on pas ici, au pays même, des familles riches avoir
des tuteurs privés pour enseigner le français à leurs enfants? C'est une
marque de culture supérieure. Un des exemples les plus frappants fut
le cas de Franklin-D. Roosevelt, président des Etats-Unis de 1932 à
1945. Pour lui, la connaissance du français fut une aide indispensable
dans sa longue carrière politique. Il pouvait ainsi s'entretenir directe-
ment avec les représentants des autres pays, parce que les diplomates
étrangers parlent presque tous le français. Comme il est facile pour
nous, non de conquérir une langue, mais de la garder jalousement comme
un héritage précieux pour la transmettre ensuite à nos enfants!
La grande auxiliaire du clergé pour la conservation de la langue
française aux Etats-Unis, fut sans contredit l'école paroissiale. Malheu-
reusement, par la force des circonstances, nos écoles franco-américaines
sont restées plus catholiques que françaises. Il faut d'abord se con-
former aux programmes de l'Etat, enseigner le français ensuite. Mais
voilà qu'une grande difficulté barre le chemin de la religieuse ensei-
gnante: un grand nombre d'enfants se présentent à l'école paroissiale,
ne possédant pas ou très peu de français. Il arrive donc que dans cer-
taines écoles, le catéchisme est enseigné en anglais. Dans d'autres, on
l'enseigne en français, mais les explications sont données en anglais.
Ailleurs, les classes sont divisées en deux: une partie des enfants ap-
prennent le catéchisme en anglais, les autres l'apprennent en français.
Nos petits Franco-Américains pensent en anglais. Avant même
d'aller à l'école, leurs compagnons de jeux sont souvent des petits anglo-
34 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
phones. Dès qu'ils sortent de la maison, ils n'entendent que de l'anglais.
Les histoires qu'on leur lit sont souvent écrites en anglais. Quand ils
sont assez grands pour regarder un journal, ne fût-ce que pour voir les
photographies ou les caricatures, c'est encore le journal anglais qui est
le plus facilement accessible. Nos enfants grandissent donc dans une
ambiance anglaise et ce n'est qu'à force de persévérance qu'ils appren-
dront à parler le français, pourvu que nous nous fassions un devoir de
le parler nous-mêmes, à la maison. Hélas! Qui d'entre nous peut jeter
la première pierre?
Les Canadiens-Français ont commencé à émigrer au Massachusetts
vers le milieu du siècle dernier. Francis Forget-Dépatis fait enregistrer
ia naissance d'un fils, à Spencer, le 9 octobre 1847. Mais ce n'est que
vers 1875 que les noms canadiens-français apparaissent nombreux dans
les registres.
Pour avoir une idée plus juste des familles étudiées, je les ai par-
tagées en quatre groupes: 1° des débuts à 1900. 2° de 1901 à 1920.
3° de 1920 à 1930. 4° de 1931 à 1943. Ces familles sont les suivantes:
Bessette, Brassard, Choquette, Deblois, Dépatis, Forget, Grégoire, Le-
tendre, Loiselle. Chacune nous donne une moyenne de 150 à 250 ma-
riages. Une autre centaine de mariages nous viennent des Bouvier, des
Massicotte et des Pontbriand. Ces gens sont originaires de toutes les
parties du Rhode Island et du Massachusetts, sans distinction d'endroit.
(Voir Tableau I).
D'autres familles ont été groupées sans distinction de nom, mais
dans des villes choisies arbitrairement et que voici. Trois petites villes:
Warren, R. L, Lincoln, R. L, West Warwick, R. I. Trois grandes villes:
Woonsocket, R. L, Fall River, Mass. et Lowell, Mass. Pour les villes,
j'ai pris une année qui pût correspondre avec chaque période déjà
mentionnée. 1° L'année 1900 pour la première période; 2° 1920 nous
conduit après la première guerre mondiale; 3° 1939 nous donne la fin
de la période de paix; 4° enfin 1943 nous place en pleine période de
guerre.
Dans la première période, il faut noter l'absence du divorce. Nos
compatriotes sentaient probablement le besoin de se serrer les coudes.
Il y eut bien quelques mariages mixtes, mais à cette époque les moyens
de communication étaient encore limités et l'Eglise s'est montrée tolé-
rante. Un grand nombre de ces mariages furent bénis dans la suite.
Ceci est prouvé en comparant la date de certains mariages dans les
registres civils avec celle des registres des paroisses. On trouve ainsi
des mariages bénis plusieurs années après les dates trouvées dans les
registres civils. Ce n'est qu'en 1908 que l'Eglise a légiféré sur le mariage
et s'est montrée plus sévère. D'ailleurs, nos prêtres travaillent encore
sans cesse à légitimer les mariages mixtes, surtout quand la mauvaise
foi et le divorce ne viennent pas les arrêter dans leurs efforts.
J'ai aussi trouvé des actes signés par des "Ministers of the Gospel",
où le ministre porte un nom français. Une enquête a révélé que les
conjoints venaient de paroisses où il y avait eu des troubles religieux.
Dans un cas particulier, les conjoints venaient de Marieville dans la
Province de Québec. Ces gens étaient donc perdus pour la cause de
l'Eglise avant même d'arriver au pays.
LES FRANCO-AMERICAINS ET LE "MELTING POT" 35
Dans les périodes qui suivent, bien que le pourcentage ne soit pas
le même pour chaque ville, il y a une tendance marquée vers l'améri-
canisation. Les mariages entre conjoints de nationalités différentes aug-
mentent. On connaît mieux l'adresse du ministre protestant et celle
du Juge de Paix. On a trouvé le chemin du tribunal de divorce. Enfin,
la "perle" de toutes ces recherches, c'est l'unique mariage par le rabbin.
Certains mariages sont de classification difficile. Dans ces cas j'ai
toujours donné le bénéfice du doute aux Franco-Américains. En voici
un exemple: West Springfield, Mass., le 27 mai 1925. Alexander-J.
Richardson, fils de William Richardson et de Rose Ethier, épouse
Georgianna Dépatis, fille de Louis Dépatis et d'Almira Rivard. Ce
mariage fut classifié parmi les Franco-Américains, parce que la mère
de l'époux est franco-américaine. Parmi les mariages contractés en pré-
sence du ministre protestant, les divorcés sont peu nombreux. C'est le
contraire pour les mariages contractés chez le Juge de Paix. L'un des
conjoints est souvent un divorcé, quand ils ne le sont pas tous les deux.
Dans les mariages contractés en dehors de l'Eglise, je n'ai pas fait de
distinction de nationalité, même quand les deux conjoints sont franco-
américains, ce qui arrive assez souvent.
La guerre a saboté un grand nombre de familles. Il ne faut pas en
être surpris, quand on songe que plus de quinze millions de nos jeunes
étaient sous les armes. Quinze autres millions de citoyens auraient aussi
été déplacés pour s'occuper de travaux essentiels à la guerre. En plus,
les femmes tenaient une place importante dans les usines de guerre.
Cette promiscuité des deux sexes n'était pas toujours de nature à ren-
forcir la morale. Cela explique le petit nombre de mariages en 1943,
et le plus grand nombre de mariages mixtes.
Il ne faut pas croire que les Franco-Américains tiennent le mono-
pole de cette situation. En lisant les registres, on voit que tous les
groupes catholiques souffrent du même mal. Voici ce qu'en disait
l'évêque de Providence: "Declaring that two-thirds of 800,000 returned
married servicemen will end up divorced, the Most Révérend Francis
P. Keough, Bishop of Providence, warned the graduâtes of St-Xavier's
Academy yesterday, not to marry any of the war's marital casualties.
Don't take damaged goods; if a man's been married before, let him go.
If you marry a divorced man you put yourself out of the Church, and
the chances are you'll take your children with you". ("Providence
Journal", 7 juin 1946.)
Voici maintenant un bref aperçu des villes étudiées.
Warren, Rhode Island
(Voir Tableau II)
Warren est une petite ville industrielle, essentiellement cosmopolite.
Elle est située sur les bords de la baie Narragansett, à 15 milles au
sud-est de Providence. La paroisse Saint-Jean-Baptiste compte plus de
600 familles franco-américaines. Il y a une belle école paroissiale cons-
truite en 1926. La fréquentation scolaire est de 250 enfants. Les Polo-
nais et les Italiens ont leur église respective. Les Irlandais et les Portugais
font partie de St-Mary. Les principales industries sont: le coton, le
rayon, la soie, les fermoirs éclairs, le caoutchouc (fils élastiques, tuiles
36 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
à plancher, supports pour les pieds, etc.), les mouchoirs, les rideaux,
la culture et le commerce des huîtres, etc. L'été, les plages environnantes
attirent un grand nombre de touristes. Il y a aussi plus d'une cinquan-
taine de fermiers qui s'occupent de la production du lait, des oeufs et
des légumes.
Lincoln, Rhode Island
(Voir Tableau III)
Lincoln est une municipalité située au sud de Woonsocket, bornée
à l'Est par la rivière Blackstone. Il s'y trouve deux centres franco-
américains: Albion et Manville. Les filatures de coton y forment l'in-
dustrie principale. On y a aussi exploité la pierre à chaux d'une façon
intermittente.
La paroisse d'Albion a son école paroissiale qui comptait 96 élèves
en 1943. Manville est plus considérable. Une année, il y avait jusqu'à
325 enfants à l'école paroissiale. Comparons le tableau des mariages
de Lincoln, R. I. avec les autres et nous conclurons sans difficulté que,
jusqu'ici, la population est demeurée essentiellement française. On rap-
porte même le cas d'un ancien curé de Manville qui conseillait aux
enfants de l'école paroissiale de parler anglais entre eux. Ailleurs, c'est
le contraire, il faut sans cesse leur répéter de parler français, s'ils ne
veulent pas l'oublier.
Il n'y a pas d'autre paroisse catholique dans Lincoln. Toutefois,
à l'Eglise de Manville, on dit une messe le dimanche, où l'on prêche en
anglais.
West Warwick, Rhode Island
(Voir Tableau IV)
La ville de West Warwick est située à 15 milles au sud de Provi-
dence, R. I. Elle apparaît pour la première fois dans le bottin de l'Etat,
en 1916. C'est une division de Warwick. Une énorme filature de coton
donne de l'ouvrage à la population ouvrière.
La paroisse Saint-Jean-Baptiste est la paroisse mère. En 1943, 555
enfants ont fréquenté l'école paroissiale. Les autres paroisses franco-
américaines sont: Notre -Dame- du - Bon - Conseil, Christ-Roi et Saint-
Joseph qui ont eu une fréquentation scolaire respective de 235, 191 et
84, en 1943. Il y a aussi deux paroisses irlandaises.
Pour l'avancement social des nôtres, le club "Frontenac" fut fondé
il y a quelques années.
Woonsocket, Rhode Island
(Voir Tableau V)
La ville de Woonsocket est située au nord de l'Etat du Rhode
Island et touche au Massachusetts. Elle est traversée par la rivière
Blackstone, dont les bords escarpés lui donnent l'aspect d'un immense
cirque. Ses grandes filatures de laine la rendent prospère. Il y a aussi
des filatures de coton et de soie. Ici comme ailleurs, la petite industrie
joue un rôle important dans la prospérité de la ville.
Voici les paroisses franco-américaines: Saint-Louis-de-Gonzague,
Sainte-Anne, Sainte-Famille, Saint-Joseph, Notre-Dame-des-Victoires,
LES FRANCO-AMERICAINS ET LE "MELTING POT" 37
Précieux-Sang. Elles sont toutes sous la direction du clergé séculier.
Chacune possède son école paroissiale. 2356 enfants ont fréquenté ces
écoles en 1943. De plus, 923 garçons et filles ont fréquenté les deux
écoles supérieures. Il y a aussi deux paroisses irlandaises, une italienne,
une polonaise et une syrienne.
Woonsocket est une ville française. Comparons sa population avec
celle de Lowell et de Fall River. Bien que sa population soit près du
tiers des autres, le nombre d'enfants qui fréquentent les écoles parois-
siales sont aussi nombreux. Comme Fall River, elle a six paroisses
franco-américaines.
Depuis 1936, grâce à la bienveillance de Son Excellence Mgr.
Francis-P. Keough, évêque de Providence, grâce aussi au dévouement
inlassable de M. l'abbé Etienne Grenier, curé de la paroisse Sainte-
Famille, les Pères Jésuites de Montréal viennent tous les étés prêcher des
retraites fermées. L'Association des Anciens Retraitants compte plus de
6,000 membres des deux sexes.
Le Club Marquette s'occupe aussi, depuis plus de dix ans de l'avan-
cement social des nôtres. Le Dr Armand Picard, dentiste, le Dr Auray
Fontaine, M. Lauré Lussier, Secrétaire général de la Société Jacques-
Cartier et quelques autres sont l'âme dirigeante de l'entreprise depuis
sa fondation. Une règle entre autres est strictement observée: "On ne
parle pas l'anglais dans les salles du club."
Lowell, Massachusetts
(Voir Tableau VI)
La ville de Lowell est située dans la vallée de la rivière Merrimac,
au nord-est de l'Etat du Massachusetts. La grande industrie de la ville
fut les filatures de coton. Depuis la grande crise de 1930, le travail du
coton a beaucoup baissé, mais, bien que la ville possède encore de
grandes filatures, différentes petites industries continuent de la rendre
prospère.
Les Oblats ont charge des quatre paroisses franco-américaines:
Saint-Jean-Baptiste, Notre-Dame-de-Lourdes, Saint-Louis et Sainte-Jean-
ne d'Arc. Chaque paroisse possède son école paroissiale. Il y avait une
fréquentation scolaire de 2818 en 1943. La paroisse Saint-Louis possède
aussi une école supérieure pour les filles. Soixante-quinze jeunes filles
y suivirent les cours en 1943. Autres écoles supérieures: l'Académie
Saint- Joseph qui comptait 104 garçons en 1943, et l'Académie du même
nom pour les filles, qui avait 170 élèves.
"L'Etoile" est le porte-parole des Franco-Américains de Lowell. Ce
journal fut fondé par le Cercle Canadien. Autrefois quotidien, il est
publié maintenant trois fois par semaine. Sa circulation est de 4,500.
Les catholiques des autres nationalités sont ainsi répartis dans sept
paroisses irlandaises, une portugaise, une polonaise et une lithuanienne.
Pour l'avancement social des Franco-Américains, il y a plusieurs
clubs dont voici les noms: Association Catholique (1,000 membres), le
club des Citoyens Américains (400 membres), le club Lafayette (300
38 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
membres), le club Social de Pawtucketville (450 membres), le club
Social de Centralville (500 membres), le cercle Saint-Louis (150 mem-
bres), le club Passe-Temps (400 membres), le club Coureur des Bois
(100 membres), et le club Chanteclerc (100 membres).
Fall River, Massachusetts
(Voir Tableau VII)
La ville de Fall River est située sur les bords de la baie Mount-
Hope, à l'embouchure de la rivière Taunton, au sud-est de l'Etat du
Massachusetts. Le coton fut l'industrie par excellence de la ville jusqu'à
la crise de 1930; mais il s'y trouve encore de grandes filatures. Diffé-
rentes petites industries sont venues combler le vide causé par la ferme-
ture de quelques usines. Bâtie sur une colline abrupte, la ville ressemble
à un immense amphithéâtre dont les rues formeraient les gradins.
Les Pères Dominicains ont charge de la paroisse Sainte-Anne. Les
autres paroisses franco-américaines sont: Saint-Sacrement, Saint-Roch,
Notre-Dame-de-Lourdes, Saint-Jean-Baptiste et Saint-Mathieu. Elles
sont sous la direction du clergé séculier. Chaque paroisse possède son
école paroissiale. La fréquentation scolaire était de 2924 en 1943. L'école
supérieure Prévost comptait 162 élèves, la même année. Les Soeurs
Jésus-Marie de Québec ont aussi la charge d'une école supérieure privée.
Les autres paroisses catholiques de la ville sont réparties comme suit:
9 paroisses irlandaises, 7 portugaises, 2 polonaises, une italienne et une
maronite.
Dans la paroisse Notre-Dame-de-Lourdes, les Soeurs Grises de
Québec ont la direction de l'orphelinat Saint-Joseph, qui loge plus de
400 enfants des deux sexes.
Un des rares quotidiens français du pays est publié à Fall River
et à New Bedford par M. Louis-P. Clapin, qui en est le propriétaire.
Ce porte-parole de nos compatriotes fut fondé il y a 62 ans. Il s'appelle
"L'Indépendant." "Au mois d'avril 1885, "Le Castor", sixième journal
de Fall River, passa aux mains de MM. Antoine Houde et Cie. Ils
changèrent le nom du journal, pour l'appeler "L'Indépendant". Le
premier numéro parut le 27 mars 1885. Le septième journal de Fall
River ne pouvait manquer d'envisager l'avenir avec calme et sans crainte,
car un SEPTIEME est généralement un privilégié de la fortune, s'il faut
en croire un axiome fort en vogue parmi nos populations." (M. Philippe-
A. Lajoie, rédacteur en chef, "L'Indépendant", 27 mars 1945, numéro
des Noces de diamant). Aujourd'hui, la circulation du journal dépasse
6,000 exemplaires.
Pour l'avancement social des Franco-Américains, il y a une société
de secours mutuels: L'Union Canadienne Saint- Jean-Baptiste de Bowen-
ville. Il y a aussi le club Calumet, qui compte plus de 500 membres,
l'Alliance Franco-Américaine, fondée il y a quelques années par le Dr
Benoit-W. Garneau. Avec son auxiliaire, cette société compte plus de
800 membres. Parmi les autres clubs les plus importants sont: le Club
des Patriotes.
LES FRANCO-AMERICAINS ET LE "MELTING POT" 39
TABLEAU I
Mariages des Bessette, Bouvier, Brassard, Choquette, Deblois, Dé-
patis, Forget, Grégoire, Letendre, Loiselle, Massicotte et Pontbriand.
Périodes De De De De
1875 1901 1921 1931
à à à à
1900 1920 1930 1943
Nombre de mariages 264 507 368 637
Mariages où les 2 conjoints sont
Franco-Américains: 210 393 258 336
Mariages où l'un des conjoints est
de nationalité étrangère:
Anglais américains
Anglais britanniques
Allemands
Belges
Irlandais
Italiens
Juifs
Polonais
Portugais
Suédois
Mariages en dehors de l'Eglise:
Aux différentes églises protes-
tantes 11 26 19 57
Idem: l'un des conjoints est di-
vorcé 1 4 12
Mariés par le Juge de Paix 4 8 22 58
Pourcentage de mariages entre 80% 77.52% 70.10% 52.74%
Franco- Américains
Pourcentage de mariages où l'un
des conjoints est de nationalité
étrangère 20% 22.48% 29.90% 47.26%
Pourcentage de mariages en dehors
de l'Eglise 5.60% 6.90% 12.23% 19.93%
14
14
10
1
22
2
6
1
6
1
1
22
55
37
101
7
16
1
1
4
26
1
3
1
1
1
40
BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
TABLEAU II
Mariages à Warren, R. I.
Année
1900
1920
1939
1943
Population
5.108
7.841
8.158
?
Nombre total de mariages
56
84
89
97
Mariages où les 2 conjoints sont
Franco- Américains
12
17
10
12
Mariages de Francos avec conjoint
de nationalité étrangère:
Anglais américains
Grec
Irlandais
Italiens
Polonais
Portugais
Anglais britanniques
Mariages en dehors de l'Eglise:
Aux différentes églises protes-
tantes
Idem: l'un des conjoints est di-
vorcé
Mariés par le Juge de Paix
16
2
1
4
5
2
2
Pourcentage de mariages où figu-
rent les Francos 23.21% 32.14% 37.08% 38.14%
Chez les Francos: pourcentage de
mariages entre eux 92.30% 62.96% 30.30% 32.43%
Pourcentage où l'un des conjoints
est de nationalité étrangère 7.70% 37.04% 69.70% 67.57%
Pourcentage de mariages en dehors
de l'Eglise 0% 22.22% 12.12% 24.32%
Nombre total de mariages intéres-
sant les Franco-Américains
14
30
33
53
LES FRANCO-AMERICAINS ET LE "MELTING POT"
41
TABLEAU III
Mariages à Lincoln, R. I.
Année
Population
Nombre de mariages
Mariages où les 2 conjoints sont
Franco- Américains
Mariages de Francos avec conjoints
de nationalité étrangère:
Anglais américains
Belges
Irlandais
Italiens
Mariages à l'église protestante
Aucun mariage de divorcé ou de-
vant le Juge de Paix
1900
1920
1939
1943
8.937
9.543
10.577
?
70
103
67
54
36
67
41
25
Pourcentage de mariages où figu-
rent les Franco-Américains 51.42% 70.87%. 65.67% 57.40%
Chez les Francos:
Pourcentage de mariages entre eux 100% 91.98% 93.18% 80.63%
Pourcentage de mariages où l'un
des conjoints est de nationalité
étrangère 0% o 8.02%. 6.82 % 19.37%;
Pourcentage de mariages en dehors
de l'Eglise 0% 2.72%, 0.% 6.38%o
Nombre total de mariages intéres-
sant les Franco-Américains 36
73
44
31
42
BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
TABLEAU IV
Mariages à West Warwick, R. I.
Année
1900
1920
1939
1943
Population
Nombre de mariages
Mariages où les 2 conjoints sont
Franco- Américains
Mariages de Francos avec conjoints
de nationalité étrangère:
Allemands
Anglais américains
Belges
Ecossais
Grecs
Irlandais
Italiens
Polonais
Portugais
Suédois
Mariages en dehors de l'Eglise:
Aux différentes églises protes-
tantes
Idem: l'un des conjoints est di-
vorcé
Aucun mariage par le Juge de Paix
Pourcentage de mariages où figu-
rent les Franco-Américains
21.316 15.461
210 242
64
91
4
1
1
12
2
18.188
177
58
?
169
37
1
1
6
8
1
1
8
14
11
5
4
3
4
11
24.28% 50.00% 50.38% 54.43%
Chez les Francos:
Pourcentage de mariages entre eux 88.88%
Pourcentage de mariages où l'un
des conjoints est de nationalité
étrangère 11.12%
Pourcentage de mariages en dehors
de l'Eglise 2.44%
74.60% 59.59% 40.21%
25.40% 40.41% 59.79%
8.19% 7.07% 9.75%
Nombre total de mariages intéres-
sant les Franco-Américains
72
123
99
90
LES FRANCO-AMERICAINS ET LE "MELTING POT"
43
TABLEAU V
Mariages à Woonsocket, R. I.
Année
Population
Nombre total de mariages
Mariages où les 2 conjoints sont
Franco- Américains
Mariages de Francos avec conjoints
de nationalité étrangère:
Autrichiens
Allemands
Anglais américains
Anglais britanniques
Belges
Danois
Ecossais
Français
Grecs
Juif
Italiens
Irlandais
Polonais
Portugais
Suédois
Suisse
Syriens
Mariages en dehors de l'Eglise:
Aux différentes églises protes-
tantes
Idem: un des conjoints est di-
vorcé
Mariés par le Juge de Paix
Pourcentage de mariages où figu-
rent les Francos
Chez les Francos
Pourcentage de mariages entre eux
Pourcentage de mariages où l'un
des conjoints est de nationalité
étrangère
Pourcentage de mariages en dehors
de l'Eglise
Nombre total de mariages intéres-
sant les Franco-Américains:
1900
28.204
269
163
1920
43.496
627
334
1939
49.303
462
241
14
13
6
1943
?
372
164
1
4
2
2
1
4
3
2
10
1
3
4
2
1
5
3
1
1
2
1
1
9
1
1
1
1
1
1
4
13
21
8
43
29
19
2
11
2
3
1
3
1
14
14
70.24% 67.14% 76.17% 73.65%
86.25% 79.36% 68.46% 59.85%,
13.75%, 20.64% 21.30% 24.81%
5.29% 3.08% 9.37% 13.50%
189
412
349
267
44
BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
TABLEAU VI
Mariages à Lowell, Mass.
Année
Population
Nombre de mariages
Mariages où les 2 conjoints sont
Franco- Américains
Mariages de Francos avec conjoints
de nationalité étrangère:
Anglais américains
Anglais britanniques
Allemands
Belge
Espagnol
Français
Grec
Irlandais
Italiens
Polonais
Portugais
Mariages en dehors de l'Eglise:
Aux différentes églises protes-
tantes
Idem: l'un des conjoints est di-
vorcé
Marié par un rabbin
Mariés par le Juge de Paix
Pourcentage de mariages où figu-
rent les Francos
1900 1920 1939
94.969 112.759 101.389
1.136 1.432 1.129
261
27
7
28.35%
296
37
14
215
31
9
1
39
1943
905
153
14
14
18
1
1
1
1
2
4
1
21
69
65
63
1
9
15
3
23
13
9
2
19
53
Chez les Francos
Pourcentage de mariages entre eux 81.05%
Pourcentage de mariages où l'un
des conjoints est de nationalité
étrangère 18.95%
Pourcentage de mariages en dehors
de l'Eglise 10.55%
30.94% 36.93% 38.00%
67.04% 51.56% 34.48%
32.06% 48.44% 65.52%
13.10% 18.94% 22.97%
Nombre total de mariages intéres-
sant les Franco-Américains
322
443
417
344
LES FRANCO-AMERICAINS ET LE "MELTING POT"
45
TABLEAU VII
Mariages à Fall River, Mass.
Année 1900 1920 1939 1943
Population
Nombre de mariages
Mariages où les 2 conjoints sont
Franco-Américains 320 347 230 166
104.863 120.485 115.428 ?
1139 1514 1454 1268
ariages de Francos
avec conjoints
de nationalité étrangère:
Anglais américains
4
22
15
32
Anglais britanniques
3
2
3
Allemands
1
Ecossais
1
Français
1
1
Irlandais
25
74
60
54
Italiens
3
1
14
11
Juifs
2
Polonais
1
4
25
8
Portugais
3
7
36
56
Suédois
1
Mariages en dehors de l'Eglise:
Aux différentes églises protes-
tantes 20 31 28 25
Idem: l'un des conjoints est di-
vorcé 1 7 18 19
Mariés par le Juge de Paix 10 14 29
Pourcentage de mariages où figu-
rent les Francos 33.45% 33.60% 30.54% 31.86%>
Chez les Francos
Pourcentage de mariages entre eux 84.20% 68.04% 51.80% 41.09%
Pourcentage de mariages où l'un
des conjoints est de nationalité
étrangère 17.80% 31.96%o 48.20% 58.91 %
Pourcentage de mariages en dehors
de l'Eglise 6.59% 9.41% 13.50% 18.07%
Nombre total de mariages intéres-
sant les Franco-Américains
381
506
444
404
6
8
6
3
2
1
6
46 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
TABLEAU VIII
Recherches au New-Hampshire
Avant
1900 1900-20 1920-39 1940-45
Mariages de Franco-Américains
entre eux 19 50 27
Mariages de Franco - Américains
avec catholiques de nationalité
étrangère
Mariages par le ministre protestant
Mariages devant le Juge de Paix
Pourcentage des mariages de Fran-
cos entre eux 70 % 84.8% 64.3%
Pourcentage de mariages Francos
avec catholiques de nationalité
étrangère 22.2%, 13.5% 14.3%
Mariages par le ministre protestant 7.1%
Pourcentage des mariages devant
le Juge de Paix 7.8'% 1.7% 14.3%
Franco-Américains divorcés 2 1
Cette étude comprend 128 mariages de Forget, Deblois et Gré-
goire au New Hampshire des débuts de l'immigration canadienne à 1940.
LES FRANCO-AMERICAINS ET LE "MELTING POT" 47
TABLEAU IX
Recherches dans l'Etat de New- York
Avant
1900 1900-20 1920-39 1939-46
Mariages de Franco-Américains
entre eux
61 37 35 15
27
39
15
19
22
16
10
15
4
Mariages de Franco - Américains
avec catholiques de nationalité
étrangère 1 1
Mariages par le ministre protestant 21
Mariages devant le Juge de Paix 2
Pourcentage des mariages de Fran-
cos entre eux 64.2% 39.8% 31.5% 30%
Pourcentage de mariages Francos
avec catholiques de nationalité
étrangère 10.5% 29% 35.1% 30%
Pourcentage de mariages par le mi-
nistre protestant 21.1% 20.4% 20%o 32%
Pourcentage des mariages devant
le Juge de Paix 3.2% 10.8% 13.5% 8%
Franco- Américains divorcés 2 10
Cette étude comprend 349 mariages de Deblois, Despatis, Forget
et Grégoire dans l'Etat de New- York, des débuts de l'immigration cana-
dienne à 1946. Les actes du New-Hampshire et de New- York ne sont
pas inclus dans le cadre général de cet article.
48 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Si nous faisons une revue des mariages étudiés, il y a 6,949 mariages
où figurent les Franco- Américains, dont voici le détail: 4,549 mariages
où les deux conjoints sont Franco-Américains, soit 65.45 yo; 1,582 ma-
riages où l'un des conjoints est de nationalité étrangère, soit 22.75%;
403 mariages contractés devant un ministre, soit 5.79%; 132 mariages
contractés devant un ministre: l'un des conjoints est divorcé, soit 1.89%;
283 mariages contractés devant un Juge de Paix. Souvent l'un des con-
joints est divorcé quand ils ne le sont pas tous les deux. Soit 4.12%.
La trop courte esquisse historique de chaque ville ne fait pas justice
aux Franco-Américains. Il faut être sur place, pour avoir une idée des
sacrifices énormes consentis par nos compatriotes dans l'édification de
ces monuments à l'Eglise d'abord et à la race ensuite. Quel sort l'avenir
nous réserve-t-il? Le présent travail ne nous donne qu'une bien faible
idée de la réalité. Ce serait une tâche de bénédictin que de vouloir
compléter ces recherches. Je présente mes trouvailles, faites en marge
de mes études généalogiques, sans tirer de conclusion. Ceci est du do-
maine des philosophes et des historiens; mais combien de temps faudra-
t-il encore pour que nos enfants soient engloutis dans le "melting pot"
de l'américanisme?
Théodore Roosevelt voyait clair, quand il disait dans un discours à
l'Exposition de Jamestown, le 26 avril 1907: "The newcomers are soon
absorbed into our eager national life, and are radically and profoundly
changed thereby, the rapidity of their assimilation being marvellous.
But each group of newcomers, as it adds its blood to the life, also
changes it somewhat, and this change and growth and development hâve
gone on steadily, génération by génération, throughout three centuries."
Je veux terminer par une note optimiste. "La célébration du
Soixantenaire d'un journal publié en langue française aux Etats-Unis
est une occasion opportune pour rappeler l'essence et l'évolution franco-
américaine, qui ressemble sous plus d'un aspect à ce que l'on a si bien
appelé "le Miracle du Québec."
"Fragment détaché d'un bloc ethnique qui, en butte à des puissants
éléments de destruction, sut réaliser le prodige non seulement de sur-
vivre, mais de grandir, les Franco-Américains n'ont survécu aux Etats-
Unis en tant que tels, que par leur loyauté à des principes dont le renie-
ment aurait été pour eux le germe de la dissolution."
"Il y aura bientôt un siècle que les nôtres, forcés de s'expatrier du
Canada pour des raisons d'ordre purement économiques, commencèrent
à passer aux Etats-Unis, la plupart avec l'arrière-pensée de retourner au
pays natal après avoir gagné quelque argent pour raffermir leur patri-
moine amoindri. Mais la Providence avait d'autres desseins. De ces
émigrants, contraints par la nécessité de se détacher de tout ce qui avait
tenu aux fibres les plus profondes de leur être, elle fit des pionniers:
les pionniers d'un mouvement qui devait répéter en pays américain le
miracle de la survivance catholique et française une première fois ac-
LES FRANCO-AMERICAINS ET LE "MELTING POT" 49
compli par nos anciens dans la Nouvelle-France devenue terre britanni-
que par le caprice de la politique et de la guerre."
"La Providence avait décidé que la semence privilégiée jetée par
Elle dans le sol du Nouveau-Monde, ne devait pas confiner sa fécondité
aux limites de la vieille province française. Et ses desseins, que l'on
a bien raison d'appeler insondables, ont eu leur réalisation. Le Semeur
avait déposé le froment dans une terre difficile, mais la moisson fut
néanmoins vigoureuse et abondante. Avec le passage des ans, une partie
de la semence renouvelée tomba sur le sol pierreux de l'assimilation
inintelligente, où elle se dessécha et se perdit."
"L'établissement permanent et distinct d'un groupe ethnique nou-
veau, dans un pays comme celui-ci au siècle dernier, dépendait de plu-
sieurs facteurs dont l'absence d'un seul pouvait amener la dissolution
du noyau humain et son effacement à plus ou moins brève échéance.
En ce qui concerne les Canadiens-Français venus s'établir en Nouvelle-
Angleterre, ces facteurs de cohésion furent — et resteront — la paroisse,
l'école, la société et le journal." (Philippe A. Lajoie, "Soixante années
de survivance", "L'Indépendant", 27 mars 1945, Numéro souvenir du
Soixantième anniversaire).
Je dois une dette de reconnaissance à l'honorable Frederick-W.
Cook, Secrétaire de l'Etat du Massachusetts, et au Dr. Edward-A. Mc-
Laughlin, directeur du Rhode Island Department of Health, pour la
liberté d'action qu'ils m'ont laissée lors de mes différentes visites aux
archives de leur Etat respectif. Je remercie également M. Louis-P.
Clapin, éditeur de "L'Indépendant" de Fall River, Mass., M. Philippe-A.
Lajoie, rédacteur en chef du même journal, et M. le juge Arthur-L. Eno
de Lowell, Mass., pour les renseignements gracieusement obtenus.
LES CANADIENS [FRANÇAIS] ET LA
REVOLUTION AMERICAINE
par Jean-Jacques Lefebvre *
Quand j'eus la témérité d'accepter de donner une étude au "Bulle-
tin de la Société historique franco-américaine", je songeai, à tout hasard,
à ce sujet, "les Canadiens [-Français] et la Révolution américaine".
C'était non seulement une imprudence, c'était également un aveu d'inat-
tention à la bibliographie du sujet, qui est assez vaste, en elle-même,
pour effrayer l'essayiste le plus persévérant 1 .
Nos hommes politiques d'aujourd'hui des deux côtés de la 45e
aiment à faire état de la parfaite entente politique et économique, qui
règne entre nos deux pays depuis au delà d'un siècle. Ce qui est, pour
le moins, un abus de figure de langage. Pour un Canadien, il serait peu
séant de faire voir à quel point le pays nordique n'est, aux points de
vue géographique, économique, politique et militaire, qu'une sorte de
suffixe, si l'on peut dire, à la puissante République dont la lourde épée
vient, une fois encore, de faire peser la balance du côté du droit et de
la liberté.
Si, d'un côté, il serait puéril et naïf de prétendre donner en exemple
au monde la parfaite harmonie politique et militaire qui existe entre le
colosse américain et ... la première des petites nations, par ailleurs,
pour cadrer avec les programmes d'enseignement de l'histoire universel-
lement préconisés de nos jours aux Nations-Unies, comme dans les
congrès internationaux, il n'est que juste d'autre part, de rechercher
plutôt à faire revivre les courants profonds qui, jadis, rapprochaient les
nations et les peuples, que divisaient, en apparence, les intérêts des
dynasties au pouvoir et les conflits de doctrines religieuses.
Trop souvent nos manuels d'histoire, sinon nos traités, ont monté
en épingle des escarmouches de frontière, des coups de mains de flibus-
tiers, des expéditions de partisans tolérées, au lieu de faire ressortir les
points de contacts créés par la vie économique, les périls communs d'un
continent inexploré, de la menace indienne.
En dépit de quelques explosions individuelles périodiques de mé-
contentement les uns des autres et qui sont comme le sel de la vie démo-
cratique, la parfaite sympathie, latente le plus souvent entre Américains
et Canadiens, date de loin et remonte bien haut comme le constatait l'un
des plus profonds observateurs qui aient étudié la civilisation du conti-
nent 2 . En peut-on avoir expression plus solennelle et plus éloquente
M. Jean-Jacques Lefebvre a publié un grand nombre de travaux histori-
ques. Il est, depuis plusieurs années, secrétaire de la Société historique de Montréal
et il a été conservateur de la Bibliothèque Saint-Sulpice. Il a quitté ce poste pour
succéder à M. E.-Z. Massicotte à la direction des Archives judiciaires de Montréal.
1 — Je donne en appendice une bibliographie préparée par Mlle Marguerite.
Mercier, de la Bibliothèque Saint-Sulpice de Montréal.
2 — André Siegfried, "Les Etats-Unis d'Amérique".
LES CANADIENS [FRANÇAIS] 51
que dans l'article 11 de la constitution 3 , qu'élaborait provisoirement en
1777 la Confédération continentale des Colonies-Unies, moins de deux
années après l'échec de leur invasion de la province du nord?
Les Américains tiennent à bon droit que la Révolution de 1774 est
l'un des plus grands faits de l'histoire du monde. Sans elle, celle de
1789, en Europe, en fut peut-être différée. Dans l'histoire de la civili-
sation occidentale, les dates d'une importance équivalente s'arrêtent à
1914, 1917, 1934, 1939, 1941 et 1945, avec la suprême victoire de l'homme
sur les éléments, par la dissociation de l'énergie nucléaire, mise d'abord
au service des armes victorieuses.
Pour le petit peuple de langue française de la vallée du Saint-Lau-
rent, 1774, 1775, 1776 furent en un sens, aussi, les années les plus im-
portantes de son histoire peut-être. Des essayistes 4 ont fait dater la
naissance de la nationalité canadienne-française de cette époque, des
professeurs d'Oxford 5 et d'universités américaines 6 en ont fait depuis
le sujet de thèses savantes. Des historiens canadiens, de langue fran-
çaise, pour la plupart, ont vu des décrets providentiels dans la tournure
que prirent alors les événements. D'autres, épousant les sentiments
royalistes de l'époque, se sont réjouis à n'en plus finir de la victoire des
puissances établies. Les plus récentes études sur le sujet ont quasi épuisé
la matière. Je réfère ici le lecteur, en particulier, à M. Gustave Lanctot,
éditeur principal de la publication "les Canadiens et leurs voisins du
sud", dans la série des "Relations du Canada avec les Etats-Unis", publi-
cation de la Carnegie Endowment for International Peace, dirigée par
M. Shotwell et à la thèse d'un jeune prêtre, "Québec et l'Eglise aux
Etats-Unis sous Mgr Briand et Mgr Plessis", le P. Laval Laurent, qui se
noya avant même d'avoir vu son ouvrage imprimé. Enfin, une publica-
tion à retenir et qui n'a pas eu toute la diffusion qu'elle aurait dû rece-
voir, est le "Journal de MM. Baby, Taschereau et Williams, 1776",
extrait de la collection Baby, autrefois en dépôt à la Bibliothèque Saint-
Sulpice, et aujourd'hui à l'Université de Montréal et que l'ancien biblio-
thécaire et président de la Société historique de Montréal, Aegidius
Fauteux, a publié dans le "Rapport de l'Archiviste de la province de
Québec pour l'année 1927-1928" 6a . Cette publication sera largement uti-
lisée dans le cadre restreint donné à la présente étude.
Les phases de l'invasion américaine du Canada en 1775 et son échec
final, la courte épopée des hardis coups de mains d'Ethan Allan, l'in-
croyable odyssée d'Arnold et de ses troupes le long de la Kennebec et
de la Chaudière, dans les savanes du Maine et de la Beauce, la mort
héroïque du brave Montgomery sous les murs de Québec dans la nuit
3 — Cité par Laval Laurent, "Québec et l'Eglise aux Etats-Unis sous Mgr
Briand et Mgr Plessis", Montréal, Librairie St-François, 1945, pp. 64-65. "Art.
11. Canada acceding to this confédération, and joining in the measures of the
United States, shall be admitted into and entitled to ail the advantages of this
union; "
4 — Wilfrid Bovey, "The French Canadians Today", Toronto, 1938.
5 — R. Coupland, "The Québec Act", Oxford Clarendon Press, 1925.
6 — Charles H. Metzger, "The Québec Act", N.Y., U.S. Catholic Historical
Society, 1936.
6a — Québec, L'Imprimeur du roi, 1928, pp. 431-499.
52 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
du 31 décembre 1775, l'épidémie de variole ravageant les troupes des
apôtres de la liberté, la fausse position et la détresse des Wooster, Sul-
livan et Thompson avec les débris des troupes d'Arnold et Montgomery,
l'échec de la mission du prince des diplomates américains du temps,
Benjamin Franklin, des congressistes Chase et Carroll, et de l'ancien
élève du séminaire de Québec et futur évêque de Baltimore, John
Carroll, sont choses trop familières pour l'étudiant de l'histoire du con-
tinent au 18e siècle pour y revenir ici.
De même, les perplexités, les incertitudes, les prouesses et les hési-
tations du gouverneur Carleton, cherchant à rallier à la cause de la
métropole ses compagnons d'armes d'hier et les "nouveaux sujets" du
roi, qu'une politique, vacillante jusque-là, n'avait pas peu contribué à
désaffecter de son nouveau souverain, sont des faits que la légende
autant que l'histoire ont rapportés. Mais il est un autre aspect de ces
événements que, jusqu'à aujourd'hui, on a trop mis sous le boisseau,
par un intérêt loyaliste posthume, qui cadre mal avec les intérêts de la
critique ou de la vérité historique.
Pour le Canadien de 1774-1775 — et par Canadien il faut toujours
entendre, ici, Canadien-Français — le problème qui s'est posé dans toute
son acuité fut presque le même que celui de tant de peuples d'Europe
depuis 1940, soit la fidélité à la constitution et l'ancien ordre établis,
ou la sympathie pour l'idéologie de l'occupant et de l'envahisseur.
Il est vrai que la plus grande faiblesse qu'eurent les pères de la
République fut de recourir au machiavélisme en adressant aux alliés
qu'ils sollicitaient chez les Canadiens une invite à entrer dans la bataille
du jour pour les libertés civiles et politiques, et de reprouver, dans
une autre adresse, la liberté religieuse que le gouvernement de Grande-
Bretagne venait d'octroyer à ses nouveaux sujets. Cependant, de nom-
breux esprits au Canada, dans le temps, travaillés par tout autre chose
qu'un intérêt matériel immédiat, donnèrent à plein dans l'idéologie poli-
tique de liberté, qui se faisait laborieusement jour à l'époque. Si, comme
l'ont établi nombre d'historiens canadiens, les classes supérieures, clergé,
noblesse et bourgeoisie, crurent devoir opter pour l'ordre établi, en y
engageant l'avenir de la nationalité, il reste visible que, dans le peuple,
le sentiment courant était, dans sa grande majorité, favorable aux in-
surgés.
L'évêque Briand, en particulier, le reconnaît implicitement maintes
et maintes fois dans les condamnations 7 qu'il fulmina à l'époque contre
les sympathisants des "rebelles". Afin de ne pas refaire pour la centième
fois ce récit, nous nous limiterons, surtout, ce jour, à l'aide de ce docu-
ment si révélateur mis à jour par Aegidius Fauteux, à rappeler le nom
des humbles qui, un peu partout dans la province, prirent fait et cause,
pour ce qui parut à nos aïeux le parti de la démocratie et de la liberté
politique.
Ces hommes risquèrent souvent leur honneur, leurs biens, leur li-
berté, bref payèrent de leur personne contre les pouvoirs établis, en
dépit de la loi martiale. Un Canadien-Français sur trois vit aujourd'hui
7 — "Inventaire de sa correspondance", R.A.P.Q., 1929-30, pp. 109-115.
LES CANADIENS [FRANÇAIS] 53
aux Etats-Unis et il se peut que les Franco-Américains reconnaissent des
leurs parmi eux. Il n'est que juste que leurs noms soient consignés dans
ce conservatoire des traditions françaises qu'est la "Revue historique
franco-américaine".
Thomas Walker à Montréal, James Livingston à Chambly, Moses
Hazen 8 , à Saint-Jean, Iberville aujourd'hui, Pierre Ayot, Clément
Gosselin, Germain Dionne, dans le bas du fleuve, furent les chefs de
file, les artisans de la collaboration active et militaire des Canadiens aux
campagnes des Yankees dans la province en 1776.
Pendant que nobles et bourgeois allaient à la défense du fort de
St-Jean [-sur-Richelieu] assiégé par Montgomery, le marchand James
Livingston, de Chambly, avait réussi à lever deux compagnies de Cana-
diens qu'il faisait commander par les capitaines Loiseau et Lieber et qui
portèrent secours à Montgomery, à Saint-Jean et à Québec. Le mar-
chand Thomas Walker de Montréal avec James Price, avaient-ils été
là les principaux prophètes des doctrines nouvelles? L'une des pre-
mières délégations à se présenter au général américain, qui venait de
recevoir les clés de la bonne ville de Montréal, en novembre 1775, fut
celle des trois faubourgs de la ville, qui vinrent offrir leur entière colla-
boration aux troupes d'invasion dans l'oeuvre de libération politique.
Les documents sont malheureusement beaucoup moins nombreux,
plus épars et imprécis en ce qui concerne le nombre et les noms des
collaborateurs des Yankees pour la région — le gouvernement, comme
l'on disait à l'époque — de Montréal, en cette période troublée 9 .
Des noms nous sont cependant parvenus, comme ceux de François
Cazeau, le marchand de Montréal et seigneur de Lacolle 10 , le huguenot
Pierre du Calvet, Augustin Loiseau, forgeron de la rivière de Chambly,
capitaine du bataillon de Livingston, Brindamour, Jacques Robichaud,
capitaines du même bataillon, les lieutenants Laurent Olivier, François
Monty, Pierre Boileau, Germain Dionne, l'enseigne Louis Gosselin,
Merlet, capitaine de la paroisse du Chicot (Ile-Dupas), Louis Doré n ,
capitaine de l'armée du continent, Antoine Paulin 12 , capitaine au Régi-
ment de Hazen, Larose, capitaine de milice de la Rivière-du-Loup-en-
Haut, (Louiseville) , Laframboise, capitaine de milice de Trois-Rivières,
Charles Lonval, lieutenant, Pierre Baby, enseigne, le capitaine Saint-
8 — V. Le juge Philippe Demers, "le Général Hazen, seigneur de Bleury-Sud",
Montréal, Beauchemin, 1927, 18 pp. Hazen avait épousé une Canadienne-Fran-
çaise, Charlotte Dagneau de la Saussaye.
9 — V. le major Edmond Mallet, "Bulletin des Recherches historiques",
octobre 1897, pp. 156-157.
T. Saint-Pierre, "B.R.H.", juillet 1900, p. 211.
Abbé [H. -A.] Verreau, "l'Invasion du Canada", Montréal, E. Senécal,
1873.
10 — V. Madame Corinne Rocheleau Rouleau, conférence à la Société histo-
rique de Montréal, 30 avril 1947. Voir plus haut.
1 1 — Témoin au contrat de mariage de Clément Gosselin et Charlotte Ouimet,
F. Racicot, 12 janvier 1787. A cet acte, Gosselin a la qualité de major et, détail
inédit, sauf erreur, chevalier de l'Ordre des Cincinnati.
12 — A. Peltier Reed, "Memoirs of Antoine Paulint", Los Angeles, 1940. Note
du Dr Gabriel Nadeau.
54 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Pierre, de la banlieue de Trois-Rivières, maintenus en leur fonction par
élection en l'hiver 1776, Lieber [probablement le sculpteur], capitaine
du bataillon de Livingston, Rainville, probablement de Laprairie, Charles
Brisset, de Chambly, Pélissier, le maître de forge de Trois-Rivières, La-
couture, courrier, Charland et Ménard, courriers, Lisotte, de Charles-
bourg et de Montréal, sont quelques noms qui ressortent des mémoires
annotés par l'abbé Verreau.
Mais il est beaucoup plus intéressant de noter que des paroisses
entières firent comme la grève sur le tas, ainsi que l'on dirait de nos
jours. A Terrebonne, alors que le seigneur Lacorne de Saint-Luc pro-
clamait l'ordre de mobilisation et parlait en maître, menaçant de faire
piller les habitants récalcitrants, il provoque un rassemblement des qua-
tre ou cinq paroisses autour pour attendre les troupes du roi, qui ne se
présentent pas. Varennes fait la sourde oreille. Saint-Philippe-de-La-
prairie arrête les fuyards du fort de Saint-Jean pour les Bostonnais.
Dans le clergé, le P. Floquet, le seul jésuite qui reste à Montréal,
reçoit le P. John Carroll, donne l'absolution à des Canadiens, partisans
du Congrès, et est interdit pour six mois. Le sulpicien Huet de la Vali-
nière, desservant de l'Assomption, où intrigue Thomas Walker, est
déplacé de sa cure. Carpentier, de Chambly, est blâmé de son Ordinaire
pour ses "étourderies". Enfin, le plus célèbre, l'abbé Pierre Gibaut, mis-
sionnaire de Michillimakinac et des postes du Mississipi, contribue par
ses équivoques à faire passer ces forts aux armées du, continent 12a .
Pour la région de Québec, nous avons heureusement ce mémoire
édité par Aegidius Fauteux en 1929, "le Journal de MM. Baby, Tasche-
reau et Williams de 1776". Analysons et résumons ce document vrai-
ment unique, "miroir où se reflète avec une netteté saisissante, comme
le qualifie Fauteux, l'état d'âme de la population du Bas-Canada en
1775".
Les trois officiers délégués par le gouverneur du temps avaient
pour mission d'aller punir, au lendemain du départ des Américains, les
anciens officiers de la colonie accusés de collaboration dans le district
de Québec. Le journal lui-même dit: "que cette mission est pour l'exa-
men des personnes qui ont assisté ou aidé les "rebelles . . ." Commencée
le 22 mai 1776, la tournée s'achève à la fin de juillet de la même année.
A la Vieille-Lorette, près Québec, les commissaires Baby, Tasche-
reau et Williams notent pour mauvais sujets les Plamondon, père et fils,
arpenteurs, le grand [sic] Pierre Drolet, qui a conseillé de ne pas ad-
mettre d'officier du gouvernement, le fermier Garneau, grand partisan
des "rebelles", et qui engagea ses confrères au pillage.
Quant aux miliciens de la paroisse voisine, la Jeune-Lorette, ils
sont seulement accusés d'avoir fourni du bois et des fascines aux "re-
belles".
A Charlesbourg, le boulanger du village, François Breton, est
accusé d'avoir assisté les "rebelles" par tous les moyens, d'avoir tenté
d'établir une compagnie de miliciens. Jacques Allard s'est fait commis-
sionné capitaine par les "rebelles" et a exécuté leurs ordres. Son gendre,
12a — Laval Laurent, "Québec" . . . op. cit., pp. 97-101.
LES CANADIENS [-FRANÇAIS] 55
François Falardeau porte plainte contre son curé aux "rebelles". De
même, le fils de Louis-Joseph Jobin a servi et pris les armes. Quatre
autres sont accusés de semblables délits. Au plus grand nombre on
reproche encore d'avoir fourni du bois de chauffage et des fascines.
A Beauport, le lieutenant de milice Jean Vallée et l'enseigne André
Marcoux voient leur commission révoquée "pour s'être soumis par crainte
aux ordres des "rebelles". Pierre Parent y est nommé capitaine [de
milice] par le Congrès. Giroux, Binet, Dupras, Galarneau, Maheux,
Marcoux, Vallée, Gauthier, L'Arche et Garneau sont également accusés
de collaboration à des titres divers. Ici apparaît pour la première fois
le nom de 1' "officier des rebelles" Reigné de Roussy, qui fait prêter
serment aux Canadiens et l'enquête conclut que le plus grand nombre
des habitants de la paroisse a assisté en différentes manières les "rebelles".
A l'Ange-Gardien, le lieutenant Louis Goulet et l'enseigne Charles
Cantin sont cassés de leur grade dans la milice "pour avoir servi les
"rebelles" avec affection". Nicolas Lecomte, capitaine [de milice] pour
les "rebelles" a agi avec dureté dans ses commandements pendant tout
l'hiver. Quand il comparait devant les commissaires de Carleton au
printemps de 1776, il admet avoir depuis brûlé sa commission.
Au Château-Richer, le capitaine Eustache Bacon voit sa commission
cassée pour avoir servi les "rebelles". De même, le sieur Zacharie Clou-
tier. Et aucun habitant de la paroisse n'est trouvé digne d'être revêtu
d'une commission du roi. Au Château-Richer encore, Pierre Gravel,
Charles Taillon et Jean Trépanier tiennent des discours séditieux. Toute
la paroisse monte la garde pour les "rebelles".
A Sainte-Anne [-de-Beaupré], cassation de Bonaventure Lessard
pour avoir commandé en sa qualité de capitaine pour les "rebelles",
"paraissant y avoir été forcé". Cassation de Jean Paré, nommé capitaine
l'automne précédent par Carleton et qui n'a jamais voulu accepter cette
commission.
A Saint- Féréol, les collaborateurs étaient: Augustin Lacroix, Chré-
tien Giguère, Augustin Simard. Caron du Plaquet Chevalier, le cantinier
du village, écrivait les réponses au Congrès pour le capitaine précité,
Bonaventure Lessard, et mettait en circulation des bruits fantastiques.
Déjà la propagande!
A Saint-Joachim, Lespérance est proclamé capitaine pour les "re-
belles", prêche la rébellion partout, fait traduire l'abbé Gravé et le curé
Corbin au camp des "rebelles". Pierre Allaire reçoit la qualité de major
et a le commandement des gardes et des transports. Ces collaborateurs
désarment leurs co-paroissiens, qui avaient le désir de se joindre aux
loyalistes. Les nommés Mercier et Gravel sont également accusés d'avoir
servi les "rebelles".
A Plle-d'Orléans, paroisse Ste-Famille, Basile Beauché-Morancy,
commissionné capitaine par les "rebelles", est obligé de livrer aux com-
missaires royaux sa commission, qu'on fait brûler publiquement, en
présence de toute l'assemblée. C'est par les intrigues de son gendre,
J.-B. Grandchamp-Cornellier, que Beauché-Morancy avait été nommé
56 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
capitaine. L'officier du Congrès, Reigné de Roussy 13 apparaît encore
comme le commandant, là, des "rebelles" qui trouvent des sympathies
chez Joseph Lereau [Lheureux], Prémont et Drouin-Lemaine, lequel
avait décliné une offre de commission de la part du gouvernement l'au-
tomne dernier.
A Saint-François-de-FIle-d'Orléans, Jean Plante, Joseph Belouin
et Jean Labbé voient leur commission, octroyée l'automne précédent,
cassée. Louis Pépin-Major est accusé d'avoir accepté une commission
des "rebelles" par crainte et faiblesse en lieu et place de Jean Asselin,
qui l'avait sollicitée et dont la paroisse ne voulut pas. Ce dernier, avec
Jean Marceau, Jean Labbé précité, Augustin Marceau, Michel Hémon
furent "les plus mauvais sujets de la paroisse" et s'opposèrent aux ordres
du gouvernement.
A Saint-Jean-de-1'Ile-d'Orléans, sont cassés de leur grade, le capi-
taine Joseph Blouin, Laurent Genest-Labarre, capitaine en second, le
lieutenant Laurent Thivierge, l'enseigne Guillaume Audy-Lapointe pour
avoir monté la garde pour les "rebelles". Le capitaine Jean Hémon et
le lieutenant Joseph Plante commissionnés par les "rebelles" sont décla-
rés indignes et incapables de jamais posséder aucune charge au service
du roi et il est enjoint aux habitants de la paroisse de ne jamais les
recevoir en aucune assemblée.
Etienne Dallaire, âgé de 68 ans, avait d'abord pris une commission
des "rebelles", mais s'en était démis en faveur de Jean Hémon, dont le
frère Louis [Hémon] a porté beaucoup de farine au camp des "rebelles".
Pierre Gagné, Jean-Marie Thivierge, Antoine Gobeil, . . . "les plus
mauvais sujets de la paroisse", à la tête d'un parti de vingt-cinq hommes,
se transportèrent au bout de l'Ile pour s'opposer aux ordres du gouver-
nement. Tout le monde de la paroisse, le plus grand nombre de bonne
volonté, ont monté la garde pour les "rebelles".
A Saint-Laurent-de-lTle-d'Orléans, le capitaine Marc Dufresne, le
lieutenant Guillaume Simard, l'enseigne Antoine Chabot sont révoqués,
le sieur Dufresne pour avoir crié à la porte de l'église que ceux qui
n'obéiraient pas aux ordres du Congrès seraient pillés. Joseph Fortier,
Laurent Audette-Lapointe, Louis Coulombe, Ignace Sivadier étaient des
principaux dans la rébellion.
A Saint-Pierre-de-1'Ile-d'Orléans, dont la paroisse était dirigée par
Mgr d'Esgly, le capitaine François Leclair et l'enseigne Michel Montigny
sont révoqués. Montigny est particulièrement inculpé d'avoir détourné
les habitants de suivre les conseils de soumission du curé, Mgr d'Esgly.
François Chabot, Pierre Chaurest, Joseph Langlois, Gabriel Langlais,
J.-B. Nolin s'opposèrent à l'installation des officiers nommés par le
gouvernement. Louis Ferland, Louis Duval, Charles Paulet, François
Montigny, Joseph Paradis, Chatigny, Beaulieu, Nolet, Louis Leclair,
13 — Probablement le lieutenant-colonel, plus tard, du 2e bataillon d'infan-
terie de N. Y.
V. T. Saint-Pierre, "les Canadiens et la guerre de l'Indépendance", B.R.H.,
Québec, juillet 1900, p. 212.
LES CANADIENS [-FRANÇAIS] 57
Jean Leclair, Louis Aubin, Isaac Goudreau sont notés pour s'être tou-
jours montrés partisans des "rebelles".
Les femmes entrent ici sous l'action. La femme d'Augustin
Chabot 14 , surnommée la reine de Hongrie, a perverti par ses discours,
en courant les maisons d'un bout à l'autre, presque tous les habitants.
Cette femme, qui a beaucoup de langue, a fait sensation dans leurs es-
prits. . .
En quittant l'Ile-d'Orléans, les commissaires se transportent à
Sainte-Foye. Là, ils cassent aux gages le capitaine François Traversy,
qui, commissionné par le gouverneur Murray, avait refusé une nouvelle
commission l'automne précédent. Kostka Hamel y est accusé d'avoir
invité les garçons de la paroisse de prendre les armes pour les "rebelles"
au lendemain de l'action du 31 décembre, (l'assaut de Québec où Mont-
gomery perdit la vie) . Le capitaine Guillaume Larose est cassé aux
gages pour avoir servi les "rebelles". Louis Routhier, A. Petitclerc et
Prisque Lapointe ont toujours parlé contre l'intérêt du roi.
A Saint-Augustin-de-Portneuf, le capitaine Augustin Gingras, aussi
commissionné par Murray, refuse de servir sous Carleton, mais s'exécute
pour les "rebelles", sans y engager les habitants. François Côté, reconnu
comme capitaine du village quoique sans commission, exécute les ordres
des "rebelles", "avec zèle et affection". Personne dans la paroisse n'a
pris les armes mais tous ont servi les "rebelles" sans opposition.
A la Pointe-aux-Trembles [de Québec], le capitaine pour les "re-
belles", Maurice Desdevens a fait piller les royalistes, en a fait empri-
sonner, et a excité les habitants à prendre les armes. Pignan fait saisir
pour 1800 francs de rhum appartenant au sieur de Tonnancour. Les
femmes de Joseph et de Jean Goulet sont allées de porte en porte noircir
ceux qui engageaient les jeunes gens à marcher pour le roi. Autres
"collaborateurs": Joseph Martin, Romain Dubuc, Augustin Vézina.
Aux Ecureuils, Pierre Langlois, nommé capitaine par les "rebelles"
menace de faire piller ceux qui ne veulent pas le reconnaître. Tous les
habitants de la paroisse exécutent des transports pour les "rebelles".
Au Cap-Santé, le capitaine Joseph-Etienne Page est révoqué pour
avoir servi les "rebelles" pendant tout l'hiver. François Germain a tenu
des conseils séditieux. Les habitants n'ont pas pris les armes mais ont
exécuté tous les ordres des "rebelles" sans opposition.
A Deschambault sont cassés aux gages le capitaine Nicolas Paquin,
le lieutenant Pierre-Joseph Arcand, l'enseigne Joseph Gauthier, pour
avoir servi les "rebelles".
Philippe Baronnet, qui servit, pour la paroisse, d'officier pour les
"rebelles" a déjà remis sa commission à un officier du roi. Les habitants
ont exécuté des transports pour des"rebelles", "le plus grand nombre
avec affection".
A Grondines, le capitaine Louis Trottier, commissionné par Murray
en mars 1764 et de nouveau par Carleton en juillet 1775, est révoqué.
14 — Etait-ce Marguerite Noël, mariée en 1764? V. Michel Forgues, "Généa-
logie des familles de l'Ile d'Orléans", Arch. du Can., Ottawa, 1906, p. 72.
V. plus loin, une autre "reine de Hongrie", la veuve Gaboury, de St-Valier.
58 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
La paroisse a fait, sans résistance, toutes les corvées commandées par les
"rebelles".
A Sainte- Anne [de-la-Pérade] , le capitaine Louis Gouin est admo-
nesté pour avoir servi, en sa qualité, pour les "rebelles". Il aurait été
cassé si l'automne auparavant il n'avait été pillé, désarmé et incendié à
plusieurs occasions et s'il n'était monté à Montréal à la tête d'une vingtai-
ne de jeunes gens pour aller contre les "rebelles".
Où l'on voit les cas de conscience qui devaient se poser à ces
pauvres gens, recevant tantôt des ordres du roi, tantôt des ordres des
troupes d'occupation. Joseph Lanouette, capitaine pour les "rebelles",
Pierre Baribeau, lieutenant pour les "rebelles", Pierre Pigué, Campagnat,
"qui a le plus contribué à corrompre la paroisse", Rampené, J.-B. Leduc
et Deveau sont les collaborateurs.
A Batiscan, Alexis Marchand, capitaine, Pierre Frigon, lieutenant,
Pierre Saint-Cyr, enseigne, Claude Carignan, lieutenant, servirent tous
les "rebelles". La paroisse a fait des transports pour les "rebelles" sans
résistance.
A Sainte-Geneviève-de-Batiscan, le capitaine Antoine Lacourcière,
le lieutenant J.-B. Chateauneuf, l'enseigne François Trudel, commission-
nés par Carleton, ont fait exécuter les ordres des ^rebelles", pendant
tout l'hiver, avec les mêmes menaces qui leur avaient été faites. Le
capitaine Lacourcière est inculpé particulièrement d'avoir rendu sa com-
mission au "prétendu" commandant des Trois-Rivières [Goforth 15 ],
puis d'avoir tenu chez lui une assemblée pour l'élection de nouveaux
officiers de milice, laquelle assemblée les a tous continués chacun dans
leur charge respective.
C'était déjà la démocratie en action, accordée par les Yankees aux
provinciaux de Québec et que Carleton avait déjà refusée aux montréa-
listes 16 .
A Champlain, le capitaine Chorel d'Orvillier, le lieutenant Jean
Grammont, qui avaient été commissionnés par Carleton l'automne pré-
cédent, sont révoqués, pour avoir servi, en leur qualité, pour les "re-
belles" "par crainte et faiblesse". Grosville Beaudouin est inculpé d'avoir
été nommé enseigne par élection de la paroisse et Jean Chartier, d'avoir
servi comme sergent pour les "rebelles". Le marchand Beaudouin a
tenu de mauvais conseils, refusé de reconnaître l'autorité de l'évêque
et de son vicaire général pour la reconstruction du presbytère. Toute
la paroisse a obéi aux ordres des "rebelles" sans opposition.
Au Cap-de-la-Madeleine, le capitaine J.-B. Lacroix, le lieutenant
Crevier Bellerive, l'enseigne Jacques Lacroix, bien que commissionnés
par Carleton, sont accusés d'avoir fait exécuter les ordres des "rebelles",
"sans opposition". De même, le sergent Joseph Vivier. Tous consenti-
rent à remettre leur commission et à se laisser réélire en leur charge
respective par la paroisse. Dorval père et le bailli Michel Dorval tien-
nent de mauvais discours contre le gouvernement et insinuent que
l'évêque de Québec et son grand-vicaire des Trois-Rivières sont payés
15 — Verreau, "Invasion . . ." op. cit., pp. 183, 200.
16 — Abbé Verreau, "Invasion . . ." op. cit., p. 37.
LES CANADIENS [-FRANÇAIS] 59
pour prêcher pour le roi. Joseph Bonnier y est aussi un partisan des
"rebelles".
A Bécancour, le capitaine Joseph Feuilleteau, le lieutenant Antoine
Désilets, l'enseigne François Tourigny, les sergents Charles Provencher
et Laurent Tourigny, le capitaine Pierre Cormier-Perot, le lieutenant
François Bourque, l'enseigne Michel Bergeron, Timothée Leprince, de
la compagnie des Acadiens, sont cassés et contraints de remettre la com-
mission qu'ils avaient acceptée des "rebelles". Le "prétendu" capitaine
Joseph Levasseur, élu par assemblée de paroisse, est un "mauvais sujet
qui remplit ses fonctions avec menaces, zèle et vigilance".
A Gentilly, la paroisse refusa de recevoir les officiers du gouverne-
ment à l'automne précédent. A l'hiver, elle élisait Charles Chandonnet,
capitaine, Louis Normandin, lieutenant, Joseph Courville, enseigne,
Joseph Tourigny et Joseph Giroire (Girouard) sergents. Les commis-
saires les déclarent indignes de jamais recevoir de charge du gouverne-
ment. Michel et Jean Laroche ont suivi les "rebelles" au camp de Qué-
bec, J.-B., fils de François Carignan a fait partie de la compagnie d'Ethan
Allen. Le capitaine des "rebelles" Charles Chandonnet décline une
commission du roi. Quatorze voitures de la paroisse ont porté des effets
devant Québec.
A Saint-Pierre-les-Becquets sont cassés le capitaine Pierre Viola, le
lieutenant Guillaume Bertrand, l'enseigne Antoine Trottier, qui avaient
été commissionnés par le roi l'automne précédent. Le capitaine Augustin
Brisson, le lieutenant Joseph Mailhot, l'enseigne Augustin Trottier, les
sergents J.-B. Lafond, Louis Grondin et J.-B. Tousignan, qui avaient été
élus par la paroisse sont déclarés indignes de ne jamais recevoir une
1 onction du gouvernement. Des habitants de cette paroisse déposèrent
contre leur curé, qui leur refusait les sacrements. Neuf autres, sous la
conduite du "soi-disant" capitaine Charles Brisset, de Chambly, se ren-
dirent piller le sieur Louis Gouin à Sainte- Anne [de-la-Pérade] . Les
commissaires donnent le nom de vingt-quatre insoumis 17 .
A Saint-Jean-Deschaillons, Nicolas Mailhot est cassé pour avoir
négligé de s'être fait reconnaître par la paroisse à la suite de la commis-
sion qu'il avait reçue l'été précédent du commissaire Lécuyer, de Qué-
bec. Valentin Mailhot et J.-B. Tousignan collaborent avec leurs voisins
des Becquets.
A Lotbinière, les baillis J.-B. Hamel et J.-B. Beaudet sont révoqués.
Ignace Lemay déclina une commission par le roi. La paroisse ne voulut
pas accepter d'officiers du gouvernement. Joseph et Michel Beaudet
portent des provisions au camp des "rebelles".
A Sainte-Croix [-de-Lotbinière] , le capitaine Joseph Duquet est
cassé pour avoir refusé de faire reconnaître sa commission du roi et
pour avoir servi les "rebelles" en faisant faire ses commandements par
son sergent, Louis Hamel, comme de raccommoder les chemins, fournir
des chevaux pour le transport de pièces de canons.
A Saint-Nicolas [de-Lévis] le capitaine Louis- Jacques Rousseau
accepta de Benedict Arnold une commission de capitaine et est déclaré
17 — "Journal de MM. Baby, Taschereau et Williams, 1776," p. 36.
60 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
par les commissaires indigne de ne jamais recevoir aucune charge du
gouvernement.
A la Pointe-Lévy 18 , le capitaine Lambert fait avertir le camp des
"rebelles" que deux royalistes sont parvenus à s'échapper et il s'en em-
pare. Denis Fréchet, au sortir d'un prône touchant l'obéissance envers
le Prince, dit hautement "que veut dire notre curé, de quoi se mêle-t-il,
ne lé voilà-t-il pas devenu anglais lui-même?"
A Saint-Henri [-de-Lévis], les baillis François Morin, Louis Bus-
sière et Louis Paradis sont cassés pour avoir fait exécuter les ordres des
"rebelles", et commander la fabrication d'échelles pour les faire porter
à la Pointe-Lévy [Lévis]. Ils y ont également fait transporter les ma-
driers du moulin du seigneur. Les commissaires énumèrent 19 huit habi-
tants de la paroisse qui combattirent à l'action chez le meunier Michel
Biais, de Saint-Pierre de la Rivière-du-Sud. La paroisse a confectionné
deux cents échelles pour la Pointe-Lévy [Lévis] et presque tous ont
assisté les "rebelles" avec beaucoup d'affection.
Dans la Beauce, par où étaient passées les troupes d'Arnold, à
Sainte-Marie, le capitaine Etienne Parent 20 , qui avait reçu sa commis-
sion l'année précédente par l'un des commissaires, M. Taschereau, est
cassé pour avoir prévenu trois espions des "rebelles" de se sauver alors
que son devoir était de les faire arrêter. Cet officier aurait été corrompu
par sa femme, qui a de tout temps semé la zizanie dans la paroisse, dit
mille impertinences des curés et des honnêtes gens et n'a cessé de tenir
des discours séditieux. Le fils du capitaine Parent, Jacques, avec son
beau-père, Louis Marcoux, s'entremirent auprès des Bostonnais pour leur
porter l'invitation des habitants de la Pointe-Lévy. Un sieur Dumergue,
"écrivain" (greffier) y fait également le jeu des Bostonnais. Le do-
maine et le moulin du seigneur Taschereau sont pillés et on fait une
vente publique de tous ses instruments aratoires. Le plus grand nombre
des habitants de la paroisse en profitent. Une vingtaine d'autres habi-
tants 21 sont signalés comme mauvais sujets.
A Saint-Joseph-de-Beauce, le capitaine François Lessard, le lieute-
nant François Lessard, fils, l'enseigne Louis Paré sont cassés aux gages.
L'enseigne Louis Paré a lu tous les manifestes envoyés par les "rebelles",
que les habitants ont subi avec affection en leur fournissant des canots.
François Nadeau, meunier de la paroisse, au service des de La Gorgen-
dière, grand amateur [sic] des "rebelles", leur donna tout le blé et
l'argent qu'il avait par procuration. Le capitaine François Lessard a tenu
la même conduite. Une douzaine d'autres habitants sont notés comme
mauvais sujets, dont Louis Paré, Prisque Cloutier, Prisque Doyon, Fran-
çois Nadeau, père, Joseph Champagne, Gervais Houle. L'esprit de la
paroisse a toujours incliné en faveur des "rebelles".
18 — V. J. -Edmond Roy, "Histoire de la seigneurie de Lauzon," Lévis, 1900,
t. III, chap. 4, 5 et 6, pp. 46-82.
19 — "Journal . . ." op. cit., p. 41.
20 — Il s'agit apparemment de l'arpenteur Etienne Parent, marié en 1730 à
Geneviève Lefebvre. V. Tanguay, "Dictionnaire généalogique" ... t. VI, p. 236.
21 — "Journal . . ." op. cit., p. 43.
LES CANADIENS [-FRANÇAIS] 61
A la Pointe-Lévy — Lévis aujourd'hui — le capitaine Joseph Lam-
bert est cassé pour avoir servi les "rebelles" en sa qualité, jusqu'à leur
déroute, avec tant de zèle et affection que ses coparoissiens même, "pres-
que tous mauvais sujets", le blâment hautement. Le capitaine Joseph
Samson a été fait commandant de la compagnie d'en bas, pour les "re-
belles" par l'élection de cette même compagnie et J.-B. Bégin, créé lieu-
tenant de Joseph Lambert, par la même autorité. Dans l'assemblée
tumultueuse qui se tint l'automne précédent à Lévis, les plus mutins et
les plus séditieux furent: Augustin Halle, père, F. Carrier, B. Lecours,
Charles Guay, Ambroise Lecours, Ignace Couture, J. Guay, fils.
Le capitaine Pierre Ayot y commanda une compagnie pendant six
semaines. Cette compagnie monta la garde et travailla à la batterie. Dix
jeunes gens de Pointe-Lévy en firent partie. Quatorze autres, se sont
trouvés à l'engagement de la Rivière-du-Sud chez le meunier Michel
Biais. Ignace Couture courut les campagnes pour procurer des vivres
aux "rebelles". Plusieurs habitants confectionnèrent 2000 fascines pour
leurs batteries. Presque tous montèrent la garde pour s'opposer aux
démarches de la garnison de Québec. La paroisse a été généralement
séditieuse et affectionnée au parti des "rebelles".
A Beaumont, le capitaine Joseph Couture-Bellerive est cassé, pour
avoir fait exécuter par ses sujets des corvées pour les "rebelles". Une
douzaine d'habitants exécutèrent des coups de mains pour s'emparer de
fuyards royalistes.
A Saint-Charles-de-Bellechasse, le capitaine Louis-Bernard Gonthier,
commissionné l'année précédente, est cassé pour avoir commandé les
habitants à monter la garde à Beaumont. François Leclair, Joseph
Gosselin, Jean Gosselin ont été le plus opposés au gouvernement. Fran-
çois Leclair lut à la porte de l'église la lettre du Congrès aux Canadiens.
Poliquin, Jolin, Lepage, Chatilly ont été au service des rebelles, presque
tous ont été à l'assemblée séditieuse de la Pointe-Lévy, monter la garde
à Beaumont et ont vendu leurs denrées aux "rebelles".
A Saint-Michel-de-Bellechasse, J.-B. Roy, premier bailli et com-
missionné capitaine en juin précédent, est révoqué pour avoir exécuté les
ordres des "rebelles", fait faire des feux en forme de signaux et les
avoir fait garder par des habitants en armes. Les habitants s'emparèrent
du presbytère et en firent leur corps de garde. Noël Racine, père, y est
noté comme l'un des plus "fameux rebelles" de la paroisse, laquelle a
été généralement opposée aux ordre du roi. Six habitants participèrent
à l'engagement de la Rivière-du-Sud.
A Saint- Vallier, le capitaine Pierre Bouchard, le lieutenant Jean
Vallier-Boutin, sont cassés, le premier pour avoir admis que sa maison
fut utilisée comme corps de garde et commandé trois feux pour servir
de signaux quand les vaisseaux du roi montaient. A l'instigation du
capitaine Clément Gosselin, la paroisse tint une élection où Louis Beau-
gis fut élu capitaine, Langevin, lieutenant et Julien Mercier, enseigne.
Une autre "reine de Hongrie", la veuve Gaboury, cette fois, présidait
chez elle à des assemblées pour tenter de soulever les esprits en faveur
des "rebelles". Pour mieux parvenir à son but, elle distribuait des spiri-
tueux. Louis Beaugis, Pierre Lepage, Julien Mercier, Joseph Corriveau,
François Richard et son fils ont été des plus opiniâtres contre le parti
62 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
du roi. Jean Bazin et Taillon se sont saisis du sieur Germain Blondeau
et l'ont conduit prisonnier chez le capitaine Louis Beaugis, de même
les sieurs Blondin et Chasson. Une douzaine d'habitants participent à
l'engagement chez Michel Biais à la Rivière du Sud contre les miliciens
du roi commandés par M. de Beaujeu. Une demi-douzaine d'autres
font des transports. Le plus grand nombre des habitants assistent à
l'assemblée séditieuse de la Pointe-Lévy, font des feux pour signaler
l'arrivée des vaisseaux du roi et les font garder par des sentinelles en
armes et portent des denrées au camp des "rebelles" de la Pointe-Lévy.
A Berthier [-en-bas], le premier bailli, Joseph Morency est noté
pour l'un des plus mauvais sujets. Il assiste à l'assemblée de la Pointe-
Lévy pour s'opposer au gouvernement, il commande une garde pour
s'opposer à un corps de royalistes qui se formait. Il ne permet pas au
chirurgien Duberger de finir le pansement qu'il est à faire à l'aumônier
des troupes du roi Bailly de Messein, blessé à l'affaire de la Rivière-du-
Sud, et qu'il traite "très audacieusement". Par ordre de Clément Gosse-
lin, la paroisse nomme pour capitaine François Chrétien, Joseph Mo-
rency, son lieutenant. Notés pour mauvais sujets: J.-B. Biais, Augustin
Biais, Griffard, Joseph Lacharité, etc.
A Saint-François-de-la-Rivière-du-Sud, le capitaine Pierre Morin est
cassé pour avoir fait afficher un ordre des "rebelles" à la porte de l'é-
glise, venant de Clément Gosselin et avoir commandé aux habitants,
sous peine d'être brûlés ou pillés, de marcher contre les détachements
du roi à Saint-Pierre 22 . Le lieutenant Joseph Gervais est également
cassé pour avoir refusé d'accepter sa commission du roi. Noël Laplan-
che, Moïse Morin, Pierre Buteau participèrent à l'assemblée présidée par
Clément Gosselin où furent nommés capitaine, Pierre Buteau, enseigne,
Joseph Dumas. Une demi-douzaine d'habitants arrêtent, les armes à la
main, des vivres destinés à Québec et les portent au camp des "rebelles".
Trois douzaines d'autres marchent contre le détachement du roi à
l'engagement de Saint-Pierre du Sud chez Michel Biais. La moitié de
la paroisse s'était rendue à l'assemblée séditieuse de la Pointe-Lévy,
monta la garde et se rendit vendre ses denrées aux "rebelles" jusqu'à
Sainte-Foye.
A Saint-Pierre-de-la-Rivière-du-Sud, le lieutenant Louis Fontaine a
été vu en armes le soir de l'action chez Michel Biais. Le capitaine Jean
Blanchet, le lieutenant Augustin Morin, l'enseigne Jean Desein Saint-
Pierre, nommés par élection de la paroisse dans une assemblée présidée
par Clément Gosselin, sont déclarés indignes d'être engagés désormais
par le gouvernement. Les commissaires dénombrent ceux qui ont été
le plus opposés au gouvernement, ceux qui ont fait saisir du blé pour
le porter aux "rebelles", ceux qui ont combattu la milice du roi et ceux
qui ont été à la solde des "rebelles". Michel Biais 23 , père, et Michel
Biais, fils, ont été pillés. Le capitaine [Pierre] Ayotte, des Côtes d'En
22 — V. récit de cette Affaire, J. -Edmond Roy, "Histoire ... de Lauzon", op.
cit., III, pp. 60-62.
23 — Azarie Couillard-Després, "Histoire des Seigneurs de la Rivière-du-Sud",
St-Hyacinthe, 1912, pp. 345-7.
LES CANADIENS [-FRANÇAIS] 63
Bas, pria le capitaine Michel Biais d'annoncer à la porte de l'église que
ceux qui voudraient s'engager pour le Congrès eussent à se présenter et
celui-ci s'exécuta d'un ton si ironique qu'il ne se présenta personne. Il
y eut seulement neuf familles de cette paroisse vraiment affidées au
gouvernement.
A Saint-Thomas [-de-Montmagny] , sont cassés le capitaine Joseph
Côté, qui avait été commissionné par le roi, Joseph Lemonde, "soi-
disant" colonel 24 , J.-B. Picard, Joseph Boulanger, Victor OUivier, of-
ficiers, Thomas Fournier, Antoine Lamarre, sous-officiers, le capitaine
Louis Thibault, établi à l'élection de la paroisse. Le capitaine Joseph
Côté a paru zélé à rendre service aux "rebelles". Les plus séditieux à
soulever les habitants, à commander la garde, à nuire à la milice du roi
et à assister les "rebelles" en leur pouvoir, sont les précités, le colonel
Lemonde et ses officiers et sous-officiers. Le notaire Lévesque [Nicolas-
Charles, 1772-1795] dénonce les effets qui se trouvent au presbytère du
curé, où les "rebelles" s'emparent de trois barriques de vin. Six habi-
tants ont été à la solde des "rebelles", douze étaient à l'engagement chez
Michel Biais et le plus grand nombre ont monté la garde, pour empê-
cher les provisions d'arriver à Québec.
Au Cap-St-Ignace, le capitaine Augustin Bernier est cassé pour ses
conseils séditieux, sa vigilance à exécuter, d'ordre des "rebelles", les
corvées, publications, assemblées chez lui. Il prêta un serment de fidélité
aux "rebelles" à la demande de Clément Gosselin. Lebrun [J.-B.] 25 ,
avocat, fit saisir le blé du seigneur Duchesnay, de Saint-Roch. Le fils
du capitaine Benony Bernier a commandé les "rebelles" par ordre de
son père. Les mauvais sujets sont, outre les Bernier, René Fortin, Fré-
geau, J.-B. Dion, Philippe Fortin et Denis Fortin.
A l'Islet, le capitaine François-Xavier Caron est cassé pour avoir
remis sa commission à Clément Gosselin, qui le fait reconnaître en cette
qualité dans une assemblée de paroisse. L'esprit de neutralité est celui
qui a le plus régné en cette paroisse. Une demi-douzaine d'habitants
s'engagent pour les rebelles.
A Saint-Jean-Port-Joli — la patrie des Aubert de Gaspé — le capi-
taine Guillaume Fournier, le lieutenant Louis Fournier, l'enseigne Fran-
çois Leclair sont cassés aux gages pour avoir fait exécuter les ordres des
"rebelles". A une assemblée tenue par ordre de Clément Gosselin, la
paroisse nomma le capitaine Julien Chouinard "fameux, zélé rebelle",
Joseph Desrosiers, Jean Legouis et Laurent Caron, sous-officiers.
A Saint-Roch [-des-Aulnais] , le capitaine François Pelletier, le
lieutenant Joseph Ouellet, l'enseigne Jacques Pelletier, les sergents Basile
Saint-Pierre et Pierre Dubé, commissionnés par le roi l'année précédente,
sont cassés aux gages, le capitaine Pelletier pour avoir optempéré aux
ordres de Clément Gosselin et Pierre Ayot. Il a fait commander cinq
voitures à la demande de Lebrun, avocat, pour faire transporter le blé
volé au moulin Duchesnay. Les deux Pelletier et un Richard se sont
24 — V. J. -Edmond Roy, "Histoire ... de Lauzon", op cit., p. 57.
25 — V. J. -Edmond Roy, "l'Ancien barreau du Canada", Montréal, Théoret,
1897, pp. 38-41, 73.
64
BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
engagés au camp des "rebelles". D'ordre de Clément Gosselin, la pa-
roisse a fait des feux pour servir de signaux. Louis Gauvin et Joseph
Ouellet sont les plus affectionnés au parti des "rebelles".
A Sainte-Anne [-de-la-Pocatière] , le capitaine Augustin Roy-Lau-
zier est réformé à cause de sa faiblesse pour les "rebelles". De même
sont déclarés indignes et incapables de posséder d'emploi sous le gou-
vernement, l'enseigne J.-B. Pelletier, Germain Dionne [le beau-père de
Clément Gosselin, capitaine pour les "rebelles"], le lieutenant Joseph
Soucy, l'enseigne Jean Saint-Jean, les sous-officiers, C. Lagacé, F. Chré-
tien, E. Boulay, P. Quimper.
"Germain Dionne, Clément Gosselin sont deux fameux rebels
qui ont aidé et assisté les ennemis du gouvernement de tout leur
pouvoir. Ils ont soulevé des esprits, engagé du monde pour le
service du congrès, baffoué et menacé les royalistes.
"Le dit sieur Clément Gosselin ne s'est pas contenté d'une telle
conduite seulement dans cette paroisse, il a parcouru toutes les
autres jusqu'à la Pointe Lévy, prêchant la rebelion partout, excitant
à piller le petit nombre des zélés serviteurs du Roy et à les faire
arrêter; lisant lui-même aux portes des églises et forçant quelque
fois les officiers du Roy à lire les ordres et proclamations des rebels.
"Il passait pour officier ambulant du congrès et en cette qualité
recrutait et établissait quelques fois des officiers.
"Ce fameux scélérat ainsi que Germain Dionne n'ont point
paru depuis la déroute des rebels 25a .
"Le nômé [sic] Joseph Dionne, notaire, a. commandé une as-
semblée pour inviter les gens de cette paroisse à s'engager pour le
congrès.
"Il a servi de greffier dans les interrogatoires faites par Ger-
main Dionne son neveu et Clément Gosselin, gendre de Germain
Dionne à l'occasion de l'évasion de Mrs Riverin Blondin et Ferré.
"Louis Gosselin
Langlois munier
Le bonhomme Pasquet
Chs. Lagacé
sont du nombre des plus séditieux
et des plus affidés aux rebels.
25a — V. sur Clément Gosselin, l'étude définitive de son descendant, Ernest
Monty, Le major Clément Gosselin", Mémoires, Société généalogique canadienne-
française, Montréal. 1948, III, 18-38.
LES CANADIENS [-FRANÇAIS] 65
"Voici les noms de ceux qui se sont engagés au service des
rebels sur le nombre desquels quelques-uns étaient à l'action passé
à St Pierre:
Les deux fils du bonhomme Pasquet Augustin Fournier
Les 3 fils de la veuve Pierre Deschaine Frans Ayot
Le fils de Germain Dionne Louis Langlois
Bazil Lagacé Louis Gosselin
Antoine Chrétien Louis Morau
Germain Duplessi fils Gervais
Le fils d'Augustin Dionne Le fils de Joseph Dionne
Gagné Le petit Jean Bohay 26
Le plus grand nombre des habitants de la paroisse [de la Pocatière]
ont été affectionnés pour les "rebelles".
A la Rivière-Ouelle, le capitaine François Gagnon, le lieutenant
Joseph Beaulieu, l'enseigne Nicolas Beaulieu, l'aide-major Pierre Bou-
cher sont révoqués. Le capitaine Gagnon, pour avoir exécuté tous les
ordres des "rebelles" et leur avoir écrit qu'il était lui et ses officiers
capables de servir, et ses subordonnés, pour avoir exécuté ses ordres.
Enumération de douze habitants de la paroisse qui ont été au service
des "rebelles". Basile Dubé, commissionné par les "rebelles", les a as-
sistés de tout son pouvoir, a soulevé les esprits, bafoué les royalistes,
pris l'inspection des feux servant de signaux jusqu'à Rimouski, engagé
quinze à vingt jeunes gens pour la navigation.
A Kamouraska 26a , le capitaine Alexandre Dionne, le lieutenant
Joseph Boucher, l'enseigne Nadeau, officiers de la 1ère compagnie
commissionnée par Carleton, le capitaine Benjamin Michaud, le lieute-
nant Michel Laîné, officiers de la 2ème compagnie, sont révoqués. Le
capitaine Alexandre Dionne, pour avoir eu la faiblesse d'exécuter les
ordres de Basile Dubé, de même que ses subalternes. Le capitaine Ben-
jamin Michaud pour avoir fait garder les feux de son district, fait
passer des lettres, de même que son lieutenant Laîné.
"Le capitaine [Pierre] Ayot commissionné 27 pour le service
du Congrès a été l'un des plus "fameux rebelles" de la province.
Il a aidé et assisté les ennemis du gouvernement de tout son pou-
voir. . ."
26 — "Journal de MM. Baby . . ." op. cit., pp. 68-69.
26a — Texte non publié par Fauteux, ajouté en manuscrit à l'exemplaire de
la Bibliothèque Saint-Sulpice.
Texte non publié de Fauteux. V. aussi
27 — J. -Edmond Roy, "Histoire ... de Lauzon", op. cit., III, pp. 58-59.
Un Pierre Ayotte, comme il signe, dit "Aillot", dans le corps de l'ace, domi-
cilié à Chambly, fils de Guillaume A. et de feu Marie Anne Levasseur, de
Kamouraska, épouse à Chambly, le 19 janvier 1779, Marie Monty, veuve de
Joseph Boileau. Peut-être, est-ce là notre personnage?
66 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Suit une énumération d'une vingtaine d'habitants qui se sont en-
gagés aux "rebelles".
Et le Journal de MM. Baby, Taschereau et Williams s'arrête à
l'inspection de St-Michel [-de-Bellechasse] , sans notes 28 .
Cette énumération a peut-être été longue. Elle a de l'intérêt à plus
d'un titre. Elle nous fait comme assister aux ordres contradictoires et
aux pressions que doivent subir tous ceux qui, en pays occupés, occupent
la moindre responsabilité, civile et militaire. La plupart de ces braves
gens, incités sans doute par une propagande fort active, prirent parti
pour ce qu'ils pouvaient croire une orientation nouvelle de leur vie
sociale — on ne parlait pas encore de politique dans la colonie des bords
du Saint-Laurent. Les événements leur donnèrent tort. Le châtiment fut
quelquefois terrible 29 . Mais en se résignant, forcément, à leur sort de
vaincus, ils transmirent à leurs descendants l'esprit de lutte et de reven-
dication, qui devait finir par amener au pays, quelque soixante-quinze
ans plus tard, (1848) le plein épanouissement des libertés constitution-
nelles, juridiques et parlementaires, sans quoi il n'est pas de démocratie
politique véritable.
28 — J. -Edmond Roy, "Histoire ... de Lauzon", op. cit., III, p. 65.
29 — J. -Edmond Roy, "Histoire ... de Lauzon", op. cit., III, pp. 67, 70-73,
Verreau, "Invasion du Canada, Journal de Sanguinet", op. cit., pp.
145-146, 155.
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Journal of Captain Simeon Thayer, describing the périls and suf-
ferings of the Army under Colonel Benedict Arnold in its march
through the wilderness to Québec, with notes and appendix. Provi-
dence, 1867.
STONE (W. L.). — The Campaign of Lieut. Gen. John Burgoyne, and
the expédition of Lieut. Col. Barry St. Léger. Albany, 1877. illus.
portr.
STONE (W. L.). — Memoir of the Centennial Célébration of Burgoyne's
Surrender, held at Schuylerville, N.Y. ... on the 17th of October,
1877. Albany, 1878. illus.
A Supplément to the state of the expédition from Canada, containing
General Burgoyne's orders, respecting the principal movements,
and opérations of the army to the raising of the Siège of Ticonde-
roga. London, 1780.
TOPHAM (Colonel J.).— The Expédition against Québec, 1775, Cap-
tain Topham's Journal. (In Second Record Book of the Society
of Sons of the Révolution in the State of Rhode Island. Newport,
1902.)
TURCOTTE (Louis-P.). — Invasion du Canada et Siège de Québec en
1775-76. Québec, 1876.
WASHINGTON (G.).— Officiai Letters to the Honorable American
Congress, written, during the War Between the United Colonies
and Great Britain. London, 1795. 2v.
VERREAU, H. -A. — Invasion du Canada, collection de Mémoires, Mont-
réal, Senécal, 1873.
INDEX DES NOMS DE PERSONNES *
ALLAIRE, le major Pierre, 55
ALLAN, Ethan, 51, 59
ALLARD, !e capitaine Jacques, 54
ALLE, Augustin, (le père), 61
ARCAND, !e lieutenant Pierre-Joseph,
57
ARNOLD, Benedict, 51, 52, 59, 60
ASSELIN, Jean, 56
AUBERT de GASPE, 63
AUBIN, Louis, 57
AUDETTE-LAPOINTE, Laurent, 56
AUDY-LAPOINTE, Guillaume, 56
AYOT, François, 65
AYOT, Guillaume, 65
AYOT, le capitaine Pierre, 53, 61, 62,
63, 65
BABY, 51, 54, 59, 65, 66
BABY, Pierre, 53
BACON, le capitaine Eustache, 55
BAILLY [de MESSEIN], Messire,- 62
BARIBEAU, Je lieutenant Pierre, 58
BARONNET, Ph., 57
BAZIN, Jean, 62
BEAUCHE-MORANCY, le capitaine
Basile, 55
BEAUDET, le bailli J.-B., 59
BEAUDET, Joseph, 59
BEAUDET, Michel, 59
BEAUDOIN, Grosville, 58
BEAUGIS, le capitaine Louis, 61, 62
BEAUJEU, M. de, 62
BEAULIEU, le lieutenant Joseph, 65
BEAULIEU, Nicolas, 65
BEGIN, le lieutenant J.-B., 61
BELOUIN, Joseph, 56
BELLERIVE, v. Crevier
BERGERON, Michel, 59
BERNIER, le capitaine Augustin, 63
BERNIER, Benony, 63
BERTRAND, le lieutenant Guillaume,
59
BINET, 55
BLAIS, Augustin, 62
BLAIS, J.-B., 62
BLAIS, Michel (le père), 60-63
BLAIS, Michel (le fils), 62
BLANCHET, le capitaine Jean, 62
BLONDEAU, Germain, 62
BLONDIN, 62
BLONDIN, Riverin, 64
BLOUIN, le capitaine Joseph, 56
BOHAY, Jean, 65
BOILEAU, Joseph, 65
BOILEAU, le lieutenant Pierre, 53
BQNNIER, Joseph, 59
BOUCHARD, le capitaine Pierre, 61
BOUCHER, le lieutenant Joseph, 65
BOUCHER, l'aide-major Pierre, 65
BOULANGER, Joseph, officier, 63
BOULAY, E., 64
BOURQUE, le lieutenant François, 59
BOVEY, Wilfrid, 51
BRETON, François, 54
BRIAND, Mgr, 51, 52
BRINDAMOUR, le capitaine, 53
BRISSET, le capitaine Charles, 54, 59
BRISSON, le capitaine Augustin, 59
BUSSIERE, le bailli Louis, 60
BUTEAU, le capitaine Pierre, 62
CALVET, Pierre du, 53
CAMPAGNAT, 58
CANTIN, Charles, 55
CARIGNAN, le lieutenant Claude, 58
CARIGNAN, François, 59
CARIGNAN, J.-B., 59
CARLETON, 52, 55, 57, 58, 65
CARON du PLAQUET CHEVALIER,
55
CARON, le capitaine François-Xavier,
63
CARON, Laurent, 63
CARPENTIER, le P., 54
CARRIERE, F., 61
CARROLL, [Charles], 52
CARROLL, John, 52, 54
CAZEAU, François (seigneur de La-
colle), 53
CHABOT, Antoine, 56
CHABOT, Augustin, 57
CHABOT, François, 56
CHAMPAGNE, Joseph, 60
1 — Compilation de Mlle Françoise Savard.
INDEX DES NOMS DE PERSONNES
73
CHANDONNET, le capitaine Charles,
59
CHARLAND, 54
CHARTIER, le lieutenant Jean, 58
CHASE, 52
CHASSON, 62
CHATEAUNEUF, le lieutenant J.-B.,
58
CHATIGNY, 56
CHATILLY, 61
CHAUREST, Pierre, 56
CHOREL D'ORVILLIER, le capitaine,
58
CHOUINARD, le capitaine Julien, 63
CHRETIEN, Antoine, 65
CHRETIEN, F. 64
CHRETIEN, le capitaine François, 62
CLOUTIER, Prisque, 60
CLOUTIER, ZACHARIE, 55
CORBIN, le curé, 55
CORMIER-PEROT, le capitaine Pierre,
59
CORRIVEAU, Joseph, 61
COTE, le capitaine François, 57
COTE, le capitaine Joseph, 63
COUILLARD-DESPRES, l'abbé, 62
COULOMBE, Louis, 56
COUPLAND, R., 51
COURVILLE, Joseph, 59
COUTURE, Ignace, 61
COUTURE-BELLERIVE, le capitaine
Joseph, 61
CREVIER,BELLERIVE, le lieutenant,
58
DAGNEAU de LA SAUSSAYE,
Charlotte, 53
DALLAIRE, Etienne, 56
DEMERS, le juge Philippe, 53
DESCHAINE, veuve Pierre, 65
DESDEVENS, le capitaine Maurice, 57
DESEIN-SAINT-PIERRE, Jean, 62
DESILETS, le lieutenant Antoine, 59
DESROSIERS, Joseph, 63
DE VEAU, 58
DION, J.-B., 63
DIONNE, Augustin, 65
DIONNE, le capitaine Alexandre, 65
DIONNE, le lieutenant Germain, 53,
64, 65
DIONNE, Joseph, notaire, 64, 65
DORE, le capitaine Louis, 53
DORVAL, le père, 58
DORVAL, le bailli Michel, 58
DOYON, Prisque, 60
DROLET, Pierre, 54
DROUIN-LEMAINE, 56
DUBE, Basile, 65
DUBE, Pierre, 63
DUBERGER, le chirurgien, 62
DUBUC, Romain, 7
DUCHESNAY, le seigneur, 63
DUFRESNE, le capitaine Marc, 56
DUMAS, Joseph, 62
DUMERGUE, le sieur, 60
DUPLESSIS, Germain (le fils), 65
DUPRAS, 55
DUQUET, le capitaine Joseph, 59
DUVAL, Louis, 56
ESGLY, Mgr d\ 56
FALARDEAU, François, 55
FAUTEUX, Aegidius, 51, 52, 54, 65
FERLAND, Louis, 56
FERRE, 64
FEUILLETEAU, le capitaine Joseph,
59
FLOQUET, le P., 54
FONTAINE, le lieutenant Louis, 62
FORGUES, Michel, 57
FORTIER, Joseph, 56
FORTIN, Denis, 63
FORTIN, Philippe, 63
FORTIN, René, 63
FOURNIER, Augustin, 65
FOURNIER, le capitaine Guillaume, 63
FOURNIER, le lieutenant Louis, 63
FOURNIER, Thomas, 63
FRANKLIN, Benjamin, 52
FRECHET, Denis, 60
FREGEAU, 63
FRIGON, le lieutenant Pierre, 58
GABOURY, la veuve, 57, 61
GAGNE, 65
GAGNE, Pierre, 56
GAGNON, le capitaine François, 65
GALARNEAU, 55
GARNEAU, 55
GARNEAU, le fermier, 54
GAUTHIER, 55
GAUTHIER, Joseph, 57
GAUVIN, Louis, 64
74
BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
GENEST-LABARRE, le capitaine Lau-
rent, 56
GERMAIN, François, 57
GERVAIS, 65
GERVAIS, le lieutenant Joseph, 62
GIBAUT, l'abbé Pierre, 54
GIGUERE, Chrétien, 55
GINGRAS, le capitaine Augustin, 57
GIROIRE (GIROUARD), Joseph, 59
GIROUX, 55
GOBEIL, Antoine, 56
GOFORTH, 58
GONTHIER, le capitaine Louis-Ber-
nard, 61
GOSSELIN, Clément, 53, 61-64
GOSSELIN, Jean, 61
GOSSELIN, Joseph, 61
GOSSELIN, Louis, 53, 64, 65
GOUDREAU, Isaac, 57
GOUIN, le capitaine Louis, 58, 59
GOULET, Jean, 57
GOULET, Joseph, 57
GOULET, le capitaine Louis, 55
GRAMMONT, le lieutenant Jean, 58
GRANDCHAMP-CORNEILLIER, J.-B.,
55
GRAVE, l'abbé, 55
GRAVEL, 55
GRAVEL, Pierre, 55
GRIFFARD, 62
GRONDIN, le sergent Louis, 59
GUAY, Charles, 61
GUAY, J. (le fils), 61
HALLE, v. ALLE
HAMEL, le bailli J.-B., 59
HAMEL, Kostka, 57
HAMEL, le sergent Louis, 59
HAZEN, le général Moses (seigneur
de Bleury-Sud), 53
HEMON, le capitaine Jean, 56
HEMON, Louis, 56
HEMON, Michel, 56
HOULE, Gervais, 60
HUET de LA VALINIERE, 54
JOBIN, Louis-Joseph, 55
JOLIN, 61
LABBE, Jean, 56
LACHARITE, Joseph, 62
LACORNE de SAINT-LUC, le
seigneur, 54
LACOURCIERE, le capitaine Antoine,
58
LACOUTURE, 54
LACROIX, Augustin, 55
LACROIX, le capitaine J.-B., 58
LACROIX, Jacques, 58
LAFOND, J.-B., 59
LAFRAMBOISE, le capitaine, 53
LAGACE, Bazil, 65
GAGACE, C, 64
GAGACE, Charles, 64
LA GORGENDIERE, les de, 60
LAINE, le lieutenant Michel, 65
LAMARRE, Antoine, 63
LAMBERT, le capitaine Joseph, 60, 61
LANCTOT, Gustave, 51
LANGEVIN, le lieutenant, 61
L ANGLAIS, Gabriel, 56
LANGLOIS, le meunier, 64
LANGLOIS, Joseph, 56
LANGLOIS, Louis 65
LANGLOIS, le capitaine Pierre, 57
LANOUETTE, le capitaine Joseph, 58
LAPLANCHE, Noël, 62
LAPOINTE, Prisque, 57
L'ARCHE, 55
LAROCHE, Jean, 59
LAROCHE, Michel, 59
LAROSE, le capitaine, 53
LAROSE, le capitaine Guillaume, 57
LAURENT, LAVAL, 51, 54
LA VALINIERE, v. HUET
LEBRUN, J.-B., (avocat), 63
LECLAIR, François, 61
LECLAIR, le capitaine François, 56
LECLAIR, François, 63
LECLAIR, Jean, 57
LECLAIR, Louis, 56
LECOMTE, le capitaine Nicolas, 55
LECOURS, Ambroise, 61
LECOURS, B., 61
LECUYER, le commissaire, 59
LEDUC, J.-B., 58
LEFEBVRE, Geneviève, 60
LEGOUIS, Jean, 63
LEMAY, Ignace, 59
LEMONDE, le colonel Joseph, 63
LEPAGE, 61
LEPAGE, Pierre, 61
LEPRINCE, Timothée, 59
INDEX DES NOMS DE PERSONNES
75
LEREAU (L'HEUREUX), Joseph, 56
LESPERANCE, le capitaine, 55
LESSARD, le capitaine Bonaventure,
55
LESSARD, le capitaine François, 60
LESSARD, le It François, 60
LEVASSEUR, M.-A., 65
LEVASSEUR, le capitaine Joseph, 59
LEVESQUE, Nicolas-Charles, 63
LIEBER, le capitaine, 53, 54
LISOTTE, 54
LIVINGSTON, James, 53, 54
LOISEAU, le capitaine Augustin, 53
LONVAL, le lieutenant Charles, 53
MAHEUX, 55
MAILHOT, le lieutenant Joseph, 59
MAILHOT, Nicolas, 59
MAILHOT, Valentin, 59
MALLET, le major Edmond, 53
MARCEAU, Augustin, 56
MARCEAU, Jean, 56
MARCHAND, le capitaine Alexis, 58
MARCOUX, André, 55
MARCOUX, Louis, 60
MARTIN, Joseph, 57
MASSICOTE, E.-Z., 50
MENARD, 54
MERCIER, 55
MERCIER, Julien, 61
MERCIER, Marguerite, 50
MERLET, le capitaine, 53
METZGER, Charles-H., 51
MICHAUD, le capitaine Benjamin, 65
MONTGOMERY, 51-53
MONTIGNY, François, 56
MONTIGNY, Michel, 56
MONTY, Ernest, 64
MONTY, le lieutenant François, 53
MONTY, Marie Boileau, 65
MOREAU, Louis, 65
MORENCY, le lieutenant Joseph, 62
MORIN, le lieutenant Augustin, 62
MORIN, le bailli Français, 60
MORIN, Moïse, 62
MORIN, le capitaine Pierre, 62
MURRAY, le gouverneur, 57
NADEAU, 65
NADEAU, François, 60
NADEAU, Dr Gabriel, 53
NOËL, Marguerite, 57
NOLET, 56
NOLIN, J.-B., 56
NORMANDIN, le lieutenant Louis, 59
OLIVIER, le lieutenant Laurent, 53
OLLIVIER, Victor, officier, 63
ORVILLIER d', v. CHOREL
OUELLET, le lieutenant Joseph, 63, 64
OUIMET, Charlotte, 53
PAGE, le capitaine Joseph-Etienne, 57
PAQUIN, le capitaine Nicolas, 51
PARADIS, Joseph, 56
PARADIS, le bailli Louis, 60
PARE, le capitaine Jean, 55
PARE, Louis, 60
PARENT, le capitaine Etienne, 60
PARENT, Jacques, 60
PARENT, le capitaine Pierre, 65
PASQUET, le bonhomme, 64, 65
PAULET, Charles, 56
PAULIN, le capitaine Antoine, 53
PELISSIER, 54
PELLETIER, le capitaine François, 63
PELLETIER, J.-B., 64
PELLETIER, Jacques, 63
PEPIN-MAJOR, Louis, 56
PETITCLERC, A., 57
PICARD, J.-B., officier, 63
PIGNAN, 57
PIGUE, Pierre, 58
PLAMONDON, les (père et fils), 54
PLANTE, Jean, 56
PLANTE, le lieutenant Joseph, 56
PLAQUET CHEVALIER, v. Caron
PLESSIS, Mgr, 51
POLIQUIN, 61
PREMONT, 56
PRICE, James, 53
PROVENCHER, Charles, 59
QUIMPER, P., 64
RACICOT, F., 53
RACINE, Noël (le père), 61
RAINVILLE, 54
RAMPENE, 58
REED, A. Peltier, 53
REIGNE DU ROUSSY, le lt-colonel,
55, 56
RICHARD, 63
RICHARD, François, 61
ROBICHAUD, le capitaine Jacques, 53
ROCHELEAU-ROULEAU, Corinne, 53
76
BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
ROUSSEAU, le capitaine Louis-
Jacques, 59
ROUTHIER, Louis, 57
ROY, le capitaine et premier bailli,
J.-B., 61
ROY, J. -Edmond, 60, 62, 63, 65, 66
ROY-LAUZIER, le capitaine Augustin,
64
SAINT-CYR, Pierre, 58
SAINT-JEAN, Jean, 64
SAINT-PIERRE, le capitaine, 53
SAINT-PIERRE, Basile, 63
SAINT-PIERRE, T., 56
SAMSON, le capitaine Joseph, 61
SHOTWELL, 51
SIEGFRIED, André, 50
SIMARD, Augustin, 55
SIMARD, le lieutenant Guillaume, 56
SIVADIER, Ignace, 56
SOUCY, le lieutenant Joseph, 64
SULLIVAN, 52
TAILLON, 62
TAILLON, Charles, 55
TANGUAY, 60
TASCHEREAU, 51, 54, 59, 60
THIBAULT, le capitaine Louis, 63
THIVIERGE, Jean-Marie, 56
THIVIERGE, le lieutenant Laurent, 56
THOMPSON, 52
TONNANCOUR, le sieur de, 57
TOURIGNY, François, 59
TOURIGNY, Joseph, 59
TOURIGNY, Laurent, 59
TOUSIGNAN, J.-B., 59
TOUSIGNAN, J.-B., 59
TRAVERSY, le capitaine François, 57
TREPANIER, Jean, 55
TROTTIER, Antoine, 59
TROTTIER, Augustin, 59
TROTTIER, Louis, 57
TRUDEL, François, 58
VALLEE, le lieutenant Jean, 55
VALLIER-BOUTIN, le lieutenant
Jean, 61
VERREAU, Iabbé H.-A., 54, 58, 66
VEZINA, Augustin, 57
VIOLA, le capitaine Pierre, 59
VIVIER, le sergent Joseph, 58
WALKER, Thomas, 53, 54
WILLIAMS, 51, 54, 59, 65, 66
WOOSTER, le général, 52
LA LITTERATURE FRANÇAISE DE NOUVELLE-ANGLETERRE
APPRECIATION
par Lienne Tétrault*
(de Putnam, Connecticut)
Soeur Marie-Carmel Therriault, S. M., docteur es lettres, faisait
paraître en 1946 un ouvrage qui avait pour titre: "La Littérature fran-
çaise de Nouvelle-Angleterre".** A la fin de la lecture de ce livre on
se demande si le sujet vaut bien tout le travail, les recherches et les
ennuis que comporte toute thèse et surtout celle-ci. Si seule la valeur
de nos écrivains était en jeu! Ce qu'il faut voir dans ce travail c'est le
désir intense de cueillir là où elles sont tombées les miettes qui nous ont
été laissées ou qui nous arrivent lentement maintenant. C'est une mani-
festation nouvelle de notre élément; c'est en quelque sorte un inventaire
de "notre succession" et qui mettrait en face l'avoir et la perte. Notre
fonds, notre stock, dans cette entreprise, est-il suffisant et le fait-on va-
loir convenablement? Devons-nous continuer les lignes établies ou fau-
drait-il ajouter quelque chose de nouveau. Quoi? L"éducation? Enfin
le travail de Soeur Marie-Carmel est arrivé à point.
Il est dit dans la préface que "le travail de Soeur Marie-Carmel se
îecommande par son excellence et son originalité" et qu'il "lui a coûté
de longues recherches et beaucoup de labeur". Parfaitement. Par ail-
leurs tous les candidats qui entreprennent d'écrire une thèse n'ont pas
toujours le fonds de connaissances qui leur permettent d'organiser leur
travail et aussi et surtout l'expression facile qui émane d'une langue
bien nourrie. Une étudiante doublée d'une religieuse s'attache au labeur
sans relâche et réussit à lui faire rendre son meilleur fruit; voilà Soeur
Marie-Carmel.
D'abord l'auteur a travaillé sous la direction d'un Français . . . mais
un Français qui connaît les Canadiens et les Franco-Américains. M.
Viatte habite Québec depuis plusieurs années et s'est intéressé à tout ce
qui nous concerne. Il est sympathique sans 'patronage'; mais il a su
exiger le meilleur de son élève. Ainsi assise il était tout indiqué que
l'oeuvre de Soeur Marie-Carmel serait un travail de perfection.
Quoique presque toutes les thèses ou articles écrits sur une phase
ou une autre du "sujet des sujets", les Franco-Américains, débutent par
un chapitre ou deux sur leurs "origines", la plupart parlent des Acadiens
et de leur apport très sommairement. Heureusement notre auteur tout
en recueillant ce qui a été dit souvent, mais moins bien, par les autres
faiseurs de thèses, s'étend longuement sur l'émigration acadienne; sur
la souffrance et le déportement inique de cette population qui n'avait
fait de mal à personne. Voilà bien un point d'originalité.
* Mlle Tétreault est docteur de l'Université de Paris. Elle a écrit un livre,
paru à Marseille en 1935, qui a pour titre: "Le Rôle de la presse dans l'évolution
du peuple franco-américain de la Nouvelle-Angleterre".
Un vol., 325 pages. Chez Fides, 25 est, rue Saint-Jacques, Montréal.
78 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
En parcourant l'ouvrage de Soeur Marie-Carmel on est souvent
arrêté par une idée ou un commentaire. Dans une thèse l'auteur n'est
pas appelé à commenter ou à dire sa pensée propre mais plutôt de rap-
porter ce qui a été écrit du sujet qu'il traite. Souvent les auteurs avaient
fait de la "petite histoire" en "prenant leur bien où ils le trouvaient sans
changer beaucoup au texte". Mais Soeur Marie-Carmel ne se contente
pas toujours de rapporter: elle y met du sien. Ici et là parmi ses com-
mentaires nous trouvons des points à relever, des questions à poser et à
discuter avec l'auteur. Par exemple à la page 41 elle dit: "Ils auraient
dû se garder dès leur arrivée de l'emploi de vocables anglais". Bien
sûr. Mais quoi! Ils étaient de pauvres terriens ne possédant qu'un voca-
bulaire français très limité. Et qu'avaient-ils à lire en français? Et
avait-on encouragé le peuple à lire au Québec? "A être quelque chose?"
Dans le pays nouveau qui pouvait les aider à trouver le mot convenable?
D'ailleurs, n'étant pas Anglo-Saxons, il était naturel d'apprendre ou
d'essayer d'apprendre une autre langue; de nouveaux mots . . . mais en
les francisant. Ce qui est peut-être mieux que ce que font nos cousins
Français.
Que devons-nous penser de ces écrivains français qui bourrent leurs
livres de mots anglais par pur plaisir, car eux ne manquent pas de con-
naissances et de vocabulaire, et à tel point qu'il faut connaître les deux
langues pour les comprendre. Marc Chadourne dans "La Clé perdue",
(page 36 de la "Revue de Paris" de janvier 1947), dans cinq lignes,
trouve moyen de se servir d'autant de mots anglais; cottages; bunga-
lows; keepsake (des bungalows genre keepsake, qu'est-ce que cela peut
bien vouloir dire?); beyond the track (sic) (qui n'est pas tout à fait ça
non plus); living-room; very asiatic; Christmas pageant; Christmas
Carrols (2 r) etc. et encore et encore. C'est une espèce de gageure où
l'auteur se plaît à faire passer ce qu'il sait de la langue américaine. Est-
ce à dire que Marc Chadourne ne sait pas le français? Il veut épater le
bourgeois tandis que nos gens, sachant peu ou pas du tout la langue
française et de "lettres n'ayant. . ." rien, parlent ainsi par nécessité. Une
amie française de Boston n'en faisait jamais d'autres; "Je joompe dans
un taxi et je dis au driver, "allons, vite. Let's go!" Vous pensez:
"driver" quand le mot chauffeur est de sa maison!
Les Franco-Américains sont peut-être plus tenaces que les Français
en ceci. On ira chercher un mot anglais et on lui donnera une petite
tournure française qui chatouille; j'ai ouatché; elle weavait; il l'avait
buttonholé etc. etc.
Mais que faire, on se demande? Voilà. Si un écrivain franco-
américain arrive difficilement à trouver le temps de se perfectionner,
comment plus difficile cela ne doit-il pas être pour le simple citoyen
qui sait à peine lire.
Et de cette tirade sur la langue nous passons tout naturellement à
"l'affaire" Alliance Française. A la page 73 l'auteur constate que "d'une
façon générale, il y a beaucoup plus d'Américains ou d'Anglo-Cana-
diens que de Franco-Américains ou Canadiens-Français parmi les mem-
bres." Bien sûr. D'abord l'Alliance, c'est la coqueluche des Américains;
cela les distingue, et de "façon générale" les membres se recrutent sur-
APPRECIATION 79
tout dans les familles riches et qui ont quelque loisir. Ils deviennent en
quelque sorte "patrons" de la culture et de tout ce que représente la
langue française. C'est tout comme se jeter corps et âme dans la pro-
tection des arts. On voit des millionnaires qui collectionnent des objets
d'art, peintures et autres. La langue et la littérature française remplacent
les peintures ou les bibelots; c'est un bon exemple à donner à sa ville.
Par ailleurs, c'était bien l'idée des Français de s'attacher autant de per-
sonnes de cette classe que possible car leur cause en profitait. Nous qui
comprenions déjà la langue, "qu'allions-nous faire dans cette galère"?
Et les Franco-Américains ne tiennent pas à devenir membres d'une or-
ganisation qui souvent s'abîme dans le snobisme. Longtemps avant l'Al-
liance, les Francos avaient leurs conférences et applaudissaient le con-
férencier chaleureusement. A Southbridge, lorsque le conférencier était
Français, il y avait toujours un ou deux Américains qui se faufilaient
dans la salle pour entendre du Parisian French. Ils étaient toujours
étonnés de voir que les Franco-Américains comprenaient au point de
rire au bon endroit.
La question se pose maintenant: sommes-nous rendus au point où
l'Alliance nous serait tout à fait utile? Dans certains endroits, ainsi que
le souligne Soeur Marie-Carmel, l'élément franco-américain a remplacé
ces familles à l'aise dont nous avons parlé plus haut; dans ces villes les
Franco-Américains dirigent l'Alliance. L'Alliance peut conserver ce qui
nous reste de notre héritage français. C'est dans un groupe comme celui-
là qu'il faudrait discuter la thèse de Soeur Marie-Carmel.
Nous avons trouvé tant de choses amusantes et différentes dans
cette thèse qu'il faudrait écrire trop longuement pour les passer toutes
en revue: tant de questions à poser aussi. Par exemple, on pourrait
demander pourquoi l'histoire de "Jack and the Beanstalk" viendrait des
pays de langue anglaise. Est-ce à dire que les pays de langue anglaise
ont produit des auteurs qui brodent ou fardent la vérité?
Tout doucement et avec le geste d'un grand seigneur l'auteur donne
l'accolade aux poètes franco-américains. Plus de M. Dantin, Dr. Roy
etc.; mais simplement Dantin, Girouard, Roy, Dion. Ainsi l'auteur
ouvre la porte à nos poètes et il n'en tient qu'à eux de pénétrer dans
cette demeure d'intellectuels, le Parnasse.
Soeur Marie-Carmel voit juste et a un goût excellent, il va sans
dire; mais ses notes prouvent non seulement ce bon goût mais aussi son
pouvoir d'organisation. Examinez ces notes: ce sont de petits bijoux
qui font ressortir comme une fleur la valeur de la page.
Les "anciens" se souviendront sans doute de l'incident suivant. Il y
avait un curieux de type du nom de Louis Bonin (nous n'avons pas
l'intention d'en faire un poète, croyez bien) qui passait de porte en
porte et offrait son oeuvre, un petit livret de 29 pages et qui portait
le titre de "Le Petit Livre de Trois Voyageurs". Il en était l'auteur. Prix
30 centimes. Willimantic, Conn. 1878. Cet homme était d'un sérieux!
Enfin il en avait disposé de 500 qu'il avait fait imprimer à ses dépens,
va sans dire. Soeur Marie-Carmel se plaint de ce que nous n'avons pas
d'auteurs ou peu qui aient écrit pour amuser et faire rire. Louis Bonin
80 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
n'est ni auteur ni comique; c'est-à-dire, il n'avait pas l'intention de faire
rire, mais nous ne pouvons faire autrement.
Donc on laissait Louis Bonin vivre dans son rêve; on lui payait 30
"centimes" pour lui faire plaisir. Cette oeuvre de Louis Bonin n'est pas
de la littérature et n'a pas sa place parmi les écrits de nos auteurs
franco-américains; mais cet épisode nous a fait changer d'opinion au
sujet du caractère franco-américain. Nous citions dans notre thèse "La
Justice" de Holyoke du 24 janvier 1935. Aujourd'hui il nous semble
que le Canadien aussi bien que le Franco-Américain est généreux et
charitable. . . autant que son voisin. Lorsqu'on voit quelqu'un dans la
détresse ou frappé de maladie, on accourt. Nos gens ne sont pas politi-
ciens; ils ne savent pas faire valoir leur travail et le monde souvent ne
sait pas ce qu'ils font pour le prochain ni ce qu'ils donnent. Assez sou-
vent la jalousie se trouve là où l'instruction bornée est venue gâter le
naturel. Et, en fin de compte, est-ce que la jalousie ne se trouve pas
surtout chez les gens de profession de toutes les nationalités? . . . Voyez
les médecins; les professeurs, etc.
Nous avons voulu parler du cas de Bonin parce qu'il nous semble
que c'est une marque que nous nous entr'aidons, quoiqu'en dise "La
Justice" ou Soeur Marie-Carmel à la page 125. N'était-il pas charitab'e
d'aider ce pauvre hère à continuer son rêve? Il y avait bien un peu de
malice, mais le sel est nécessaire à la vie.
Inutile de passer plus de temps sur ces différents points de dis-
cussion, car il faudrait en passer davantage à louer l'oeuvre de Soeur
Marie-Carmel. L'auteur soupèse le travail de chaque écrivain, cite les
commentaires et les critiques de tous ceux qui ont de l'autorité et termine
en donnant une appréciation juste de chaque auteur. Elle constate la
pauvreté de la littérature franco-américaine et aussi que nous n'avons
pas d'écrivains professionnels. Peut-être surgira-t-il maintenant de jeu-
nes écrivains qui nous donneront des ouvrages d'imagination, puisque
Hollywood a su reconnaître le roman d'une jeune Canadienne-Française.
Cette thèse est un livre auquel nous retournerons souvent, car elle
déborde de renseignements précieux. Mais en plus, ce qui n'est pas tou-
jours le cas, c'est une thèse qui se lit facilement et avec plaisir. Il fau-
drait que Soeur Marie-Carmel se remît à la tâche et nous donnât un
autre ouvrage. Celui-là sur un sujet de la petite histoire.
RAPPORTS DES REUNIONS
Réunion du Bureau, 31 mars 1946, au presbytère Sainte-Marie de
Marlboro. Présidence de Me Eugène-L. Jalbert, vice-président de la
Société.
Sont présents: MM. Eugène-L. Jalbert, vice-président; le juge Ar-
tbur-L. Eno, trésorier; Gabriel Nadeau, secrétaire; Wilfrid Beaulieu,
secrétaire adjoint; Wilfrid-R. Delaney, Antoine Dumouchel, Louis-P.
Clapin, Rodolphe Carrier, Joseph Lussier et Antoine Clément, con-
seillers.
La réunion générale est fixée au 22 mai et Mgr Georges Chevrot,
de Paris, prédicateur du carême à Notre-Dame de Montréal, sera le
conférencier. Les archives de la Société ont été jusqu'ici conservées dans
des cahiers, des boîtes et des cartons. Il est décidé d'en faire le classe-
ment et de les déposer dans un classeur de métal.
Réunion générale, 22 mai 1946, à l'hôtel Vendôme de Boston. Prési-
dence du Dr Ubalde Paquin, président de la Société.
Nombre des membres et des invités présents: 121. Invités d'hon-
neur: M. Albert Chambon, consul de France, Mme Chambon et M.
Louis-J.-A. Mercier.
Présentation du conférencier par Me Eugène-L. Jalbert.
Conférence de Mgr Georges Chevrot sur le "Renouveau catholique
en France". (Voir appendice I).
Remerciement du conférencier par l'abbé Adrien Verrette. (L'allo-
cution, de M. Verrette a paru dans la "Vie franco-américaine", 1946,
283-285).
M. l'abbé William-E. Drapeau, curé de Lynn, prononce l'éloge de
l'abbé Charles- A. Cordier, décédé en janvier 1946. M. Joseph Lussier
prononce celui du Dr Joseph-N. Roy de Webster, Mass., décédé le 17
mars 1946, et celui de l'avocat Télesphore Leboeuf, de Webster aussi,
décédé le 18 avril 1946. (Voir appendices II et III).
Mgr Chevrot et M. Albert Chambon sont élus membres honoraires
de la Société.
Sont élus membres titulaires:
M. J. -Edmond Boucher, 42, rue Sargent, Cambridge, Mass.
M. le Dr O.-E. Caron, 51, rue Zellwood, Nashua, N.-H.
M. l'abbé J.-H. Cormier, 10, rue Bridge, Rochester, N.-H.
M. Maxime Daigle, 235, rue River, Waltham, Mass.
M. l'abbé Arthur-J. Dufour, 378, rue Notre-Dame, Manchester, N.-H.
M. l'abbé Eugène Dumas, Ashland, New-Hampshire.
M. le Dr Maurice-H. Dumas, 22, rue Raymond, Nashua, N.-H.
M. le Dr Ulysse Forget, 600, rue Main, Warren, R.-I.
M. l'abbé Albert Gagnon, 76, rue Whitney, Nashua, N.-H.
M. Arthur- W. Héroux, 27, rue Ledge, Central Falls, R.-I.
M. Charles Lamontagne, 121, rue Lafayette, Salem, Mass.
M. le Dr Zenon Lavoie, 1061, rue Elm, Manchester, N.-H.
M. Louis-G. Leblanc, 67, rue Summit, Waltham, Mass.
Le R. P. Armand Morrissette, O.M.I., 725, rue Merrimack, Lowell.
M. Robert- J. Tousignant, rue Lakeview, Lowell, Mass.
M. l'abbé Antonio- J. Vigeant, 221, rue West Sixth, Lowell.
82 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Réunion du Bureau, automne 1946.
Il n'y a pas eu de réunion du Bureau.
Réunion générale, 27 novembre 1946, à l'hôtel Vendôme de Boston.
Présidence du Dr Ubalde Paquin, président de la Société.
Nombre des membres et des invités présents: 149. Invités d'hon-
neur: M. Henry- Wadsworth-Longfellow Dana, petit-fils du poète Long-
fellow, Mlle Cécile Saint-Jorre, de Montréal, petite-fille du poète Pam-
phile Lemay, M. Albert Chambon, consul de France, et Mme Chambon.
Conférence du Frère Antoine Bernard, C.S.V., sur "Longfellow
et son Evangéline, 1847-1947". (Cette conférence a paru dans "Vie
française", février 1947, 268-283).
Allocutions de M. Dana, de Mlle Cécile Saint-Jorre et du Dr
Georges Boucher, ancien vice-président de la Société. M. Boucher a
parlé du poète Lemay qu'il a bien connu. (Voir appendice IV).
Le Frère Bernard et M. Dana sont élus membres honoraires.
Sont élus membres titulaires:
M. William Arsenault, 16, rue Clay, Cambridge, Mass.
M. Camille Beaulieu, 19, rue Haskell, Cambridge, Mass.
Le R. P. Wilfrid Bouvier, S.J., Boston Collège, Chestnut Hill, Boston.
Le T.R.P. Raymond-M. Burgess, O.P., 818, rue Middle, Fall River, Mass.
M. l'abbé René Constant, Villa Augustina, Goffstown, N.-H.
M. Oscar-A. Côté, 39, rue Grand, Worcester, Mass.
Le T.R.P. Wilfrid Dufault, A.A., Collège de l'Assomption, Worcester.
Le Dr Frédéric-E. Dupré, 8, rue Germain, Worcester, Mass.
Me Laurie-A. Ebacher, 177, rue Elm, Amesbury, Mass.
M. Roland-N. Fontaine, 42, rue Larchmont, Dorchester, Mass.
M. Valmore-H. Forcier, C. P. 294, Danielson, Conn.
M. Paul-E. Fortin, 253, rue Central, Manchester, N.-H.
M. René-G. Fortin, 253, rue Central, Manchester, N.-H.
M. l'abbé Lionel-F. Goddu, Manchaug, Mass.
M. le Dr Sylvio-J. Hébert, 103, rue Aider, Waltham, Mass.
M. Gérard-L. Laroche, 12, avenue Notre-Dame, Cambridge, Mass.
M. Hervé- J. Lemieux, 87, rue Capitol, Pawtucket, R.-I.
M. René-J. Marcou, 930, rue Beacon, Newton Center, Mass.
M. Charles-A. McGee, 6, rue Kilby, Worcester, Mass.
M. Lorenzo de Nevers, 595, rue Social, Woonsocket, R.-I.
Le R. P. Eugène Noury, O.M.I., Hudson, New-Hampshire.
M. J. -Oscar Rocheleau, 246, rue May, Worcester, Mass.
M. l'abbé Léon Sauvageau, Leominster, Mass.
M. Jean-Nil Varin, 33, rue Orient, Worcester, Mass.
Avant les élections du Bureau le Dr Ubalde Paquin fait part à
l'assemblée dé sa décision d'abandonner la présidence de la Société.
(Voir appendice V). Après les élections le Bureau pour 1946-1947 se
trouve constitué ainsi:
Me Eugène-L. Jalbert, président
M. Joseph Lussier, vice-président
M. le juge Arthur-L. Eno, trésorier
RAPPORTS DES REUNIONS 83
Le Dr Gabriel Nadeau, secrétaire
M. Wilfrid Beaulieu, secrétaire adjoint
M. Wilfrid-J. Mathieu, conseiller pour trois ans
M. Hector Cormier, conseiller pour trois ans
M. Dolard Hamel, conseiller pour trois ans
Le Dr Wilfrid-R. Delaney, conseiller pour deux ans
M. Louis-P. Clapin, conseiller pour deux ans
M. l'abbé Adrien Verrette, conseiller pour deux ans
M. Rodolphe Carrier, conseiller pour un an
Le Dr Antoine Dumouchel, conseiller pour un an
Le Dr Arthur-J.-B. Falcon, conseiller pour un an
Réunion du Bureau, 30 mars 1947, à l'Association Canado-Américaine,
Manchester, New-Hampshire. Présidence de Me Eugène-L. Jalbert,
président de la Société.
Sont présents: MM. Eugène-L. Jalbert, président; le juge Arthur-L.
Eno, trésorier; Gabriel Nadeau, secrétaire; Wilfrid Beaulieu, secrétaire
adjoint; Adrien Verrette, Wilfrid-J. Mathieu, Antoine Dumouchel, con-
seillers. M. Adolphe Robert, président général de l'Association canado-
américaine, assiste à la réunion à titre d'hôte.
La réunion générale est fixée au 30 avril et le conférencier sera
Mgr Joseph Guérin, de Paris, prédicateur du carême à Notre-Dame de
Montréal.
En reconnaissance des longs services rendus à la Société par le
Dr Ubalde Paquin, ancien président, il est décidé de lui décerner la
Grande Médaille de la Société lors de la prochaine réunion.
Après la séance les membres sont les invités de M. Adolphe Robert
et de M. le juge Emile Lemelin à un souper au Manchester Country
Club.
Réunion générale, 30 avril 1947, à l'hôtel Somerset de Boston. Prési-
dence de Me Eugène-L. Jalbert, président de la Société.
Nombre des membres et des invités présents: 142. Invité d'hon-
neur: M. Albert Chambon, consul de France.
Présentation du conférencier par Me Eugène-L. Jalbert.
Conférence de Mgr Joseph Guérin sur un "Carême à Vienne en
1946". (Voir appendice VI).
Remerciement du conférencier par le P. Léon Loranger, O.M.I.
Présentation de la Grande Médaille de la Société au Dr Ubalde
Paquin par le président, Me Eugène-L. Jalbert, et d'une gerbe de roses
à Mme Paquin. (Voir appendice VII).
Eloge de l'abbé Philias-L. Jalbert, décédé le 24 novembre 1946,
par le T. R. P. Thomas-M. Landry, O.P., et celui de M. Antonio-N. Roy,
décédé en mars 1947, par le Dr Omer-E. Boivin. (Voir appendices
VIII et IX).
84 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Mgr Joseph Guérin est élu membre d'honneur de la Société.
Sont élus membres titulaires:
M. Edgar-J. Brouillet, 69, rue Echo, Brockton, Mass.
M. l'abbé Armand Dumont, 200, rue High, Somersworth, N.-H.
M. Ulric-J. Gauthier, 254, Providence Road, Farnumsville, Mass.
M. Edgar-A. Langlois, 1060, avenue Lansdale, Central Falls, R.-I.
M. le Dr Léonard-J. Leblanc, 382, Massasoit Road, Worcester, Mass.
M. le Dr Albert-L. Ménard, 81, rue Laurel, Leominster, Mass.
M. Richard Roy, 1140, avenue Lansdale, Central Fa'ls, R.-I.
M. le juge Elias-F. Shamon, 294, rue Washington, Boston, Mass.
Réunion du Bureau, 28 septembre 1947, chez M. l'abbé F.-X. Larivière,
à Marlboro. Présidence de Me Eugène-L. Jalbert.
Sont présents: MM. Eugène-L. Jalbert, président; Arthur-L. Eno,
trésorier; Gabriel Nadeau, secrétaire; Wilfrid-J. Mathieu, Dolard Ha-
mel, Hector Cormier, Wilfrid-R. Delaney, Louis-P. Clapin et Antoine
Dumouchel, conseillers.
M. Antoine Clément, ancien secrétaire de la Société, est autorisé à
faire paraître sous les auspices de la Société, un ouvrage qui aura pour
titre: "Vingt-cinq ans de journalisme ou Mon grand reportage pour la
petite histoire franco-américaine".
Le Bureau décide d'accorder à Mme Corinne Rocheleau Rouleau,
femme de lettres, la Grande Médaille de la Société pour l'ensemble de
ses travaux historiques et littéraires. Cette médaille lui sera présentée
à la prochaine réunion générale.
Il est décidé aussi que les femmes pourront désormais faire partie
de la Société à titre de membres titulaires. Enfin, que la cotisation, qui
reste à $5.00, ne donnera plus droit aux deux dîners annuels.
Réunion générale, 11 novembre 1947, à l'hôtel Statler de Boston. Pré-
sidence de Me Eugène-L. Jalbert.
Nombre des membres et des invités présents: 128. Invités d'hon-
neur: M. René Cérisoles, attaché, représentant le consul de France, Mme
Cérisoles, Mme Corinne Rocheleau Rouleau et M. William-N. Locke.
Présentation de la Grande Médaille à Mme Corinne Rocheleau Rou-
leau par le président. (Voir appendice X).
Eloge de M. Euclyde-C. Paquette, décédé en septembre 1947, par
M. Wilfrid-J. Mathieu, et celui de M. le juge Adonat-J. Demers, décédé
le 8 octobre 1947, par M. l'avocat Valmore-M. Carignan. (Voir ap-
pendices XI et XII).
Conférence de M. Luc Lacoursière, professeur de l'Université Laval,
sur "Le Folklore, patrimoine traditionnel". (Cette conférence paraîtra
dans la prochaine livraison du Bulletin).
Remerciement du conférencier par M. William-N. Locke, profes-
seur de langues romanes au Massachusetts Institute of Technology.
M. Lacoursière est élu membre honoraire de la Société.
RAPPORTS DES REUNIONS 85
Sont élus membres titulaires:
Le Frère Alexandre, F.I.C., 555, avenue Eastern, Fall River, Mass.
M. William-E. Aubuchon, 179, rue Clarendon, Fitchburg, Mass.
M. le Dr R.-J. Cournoyer, 40, rue Cherry, Spencer, Mass.
M. Joseph-L.-A. Genest, 15, avenue Beliingham, Everett, Mass.
Mme Joseph-L.-A. Genest, 15, avenue Beliingham, Everett, Mass.
M. Paul-A. Giroux, Briggs Road, Westport, Mass.
M. Louis-M. Janelle, Second National Bank Bldg., Nashua, N.-H.
M. René-Janson La Palme, 48, rue Fairfield, Brockton, Mass.
M. Jean-Baptiste Lemay, 110, rue Madison, Fitchburg, Mass.
M. le Dr Adrien-J. Lévesque, 14, rue Chester, Nashua, N.-H.
Mlle Elise Rocheleau, 483, avenue Park, Worcester, Mass.
M. Edmond-J. Tousignant, 117, rue Pine, Fitchburg, Mass.
Avant les élections M. Joseph Lussier fait part à l'assemblée de sa
décision de quitter la vice-présidence de la Société. Le Bureau pour
1947-1948 est constitué ainsi:
Me Eugène-L. Jalbert, président
Le Dr Antoine Dumouchel, vice-président
M. le juge Arthur-L. Eno, trésorier
Le Dr Gabriel Nadeau, secrétaire
M. Wilfrid Beaulieu, secrétaire adjoint
Le Dr Ulysse Forget, conseiller pour trois ans
Me Valmore-M. Carignan, conseiller pour trois ans
M. le juge Alfred-J. Chrétien, conseiller pour trois ans
M. Wilfrid-J. Mathieu, conseiller pour deux ans
M. Hector Cormier, conseiller pour deux ans
M. Dolard Hamel, conseiller pour deux ans
M. l'abbé Adrien Verrette, conseiller pour un an
M. Louis-P. Clapin, conseiller pour un an
Le Dr Wilfrid-R. Delaney, conseiller pour un an
APPENDICES
Le Renouveau catholique en France
(Réunion du 22 mai 1946. Compte rendu de la conférence de Mgr Georges
Chevrot par M. Antoine Clément. "L'Etoile", Lowell, 23 mai 1946).
Mgr Chevrot parla de l'état du catholicisme dans son cher pays
de France, qu'il ne prenait pas pour un pays déchristianisé à son départ
le 21 février dernier. Il cita Pie XII, qui dit que la France "était né-
cessaire au monde" et Pie XI, qui rappelait à un ambassadeur que les
manifestations religieuses de son pays ne valaient pas le catholicisme
éclairé d'un grand nombre de la France. Il raconta ensuite des faits
et des souvenirs, moins pessimistes que les inquiétudes que certains pour-
raient avoir, sur un renouveau certain de vie spirituelle et religieuse,
en témoin sincère et averti.
Après les débuts douloureux du siècle, les travaux des catholiques
ont continué sans découragement, et jamais en 40 ans a-t-on vu un re-
virement aussi rapide.
L'histoire nous a fait ce que nous sommes et nous n'y pouvons rien,
dit le conférencier. Il attribua la déchristianisation partielle de son pays
à quatre siècles de laïcisme avec propagande intellectuelle et antichré-
tienne. Ensuite le scandale du 19e siècle dans les pays industriels euro-
péens a été que l'on n'a pas suivi l'enseignement des encycliques ou-
vrières et que les réformes se sont laissées trop attendre. Et par suite de
l'alliance apparente des catholiques avec le capitalisme athée, l'Eglise
a partagé la haine contre l'état social. De là la douleur que tant d'en-
fants du peuple sont restés éloignés de l'Eglise. Aujourd'hui l'état social
est relevé, pas totalement cependant. Et les élections penchent du côté
de ceux qui promettent le plus de réformes.
Une 3e cause de déchristianisation, plus particulière à la France, ce
fut l'opposition entre catholiques et républicains. Il fallut que Léon
XIII ramenât le peuple au bon sens en lui disant que la République n'é-
tait pas anti-religieuse. Il montra que les lois scolaires de 1880 et les
lois religieuses de 1903 et 1905 ont été une riposte politique à une offre
de la situation républicaine. Il parla ensuite de la régression de la cause.
L'Eglise reprit son ascendant en 1914 après la suspension des lois
anti-religieuses au retour des Pères chassés pour défendre la patrie. Il
montra par les événements la place reprise par l'Eglise dans la nation
en mentionnant en particulier la construction des églises par le cardinal
Verdier et son manifeste en faveur de l'arbitrage sur les questions ou-
vrières.
Pour faire opposition au rationnalisme, il fit voir le rôle des catho-
liques en littérature et dans le monde scientifique.
Il fit rapport que des milliers travaillaient maintenant à leur per-
fectionnement chrétien et donna des exemples d'action catholique vi-
vante chez la jeunesse et toutes les classes de la Société. Il termina en
disant que l'humanité aspirait à son unité sur le plan religieux comme
APPENDICES 87
sur les autres. Jamais le christianisme n'a été plus répandu et c'est la
tâche de tous les chrétiens de travailler à étendre ce royaume de Dieu.
Et les humains jamais ne s'inclinent devant leurs frères que s'ils sont
témoins de leur charité.
II
Eloge de l'abbé Charles-A. Cordier par M. l'abbé William-E. Drapeau.
(Réunion du 22 mai 1946)
La Société Historique a perdu au mois de janvier dernier un de
ses membres distingués dans la personne de M. l'abbé Charles-A. Cordier.
A notre dernière réunion, c'est lui qui avait l'honneur de bénir notre
table; la Divine Providence par ce beau geste lui fournissait l'occasion
de faire ses adieux à la Société sans lui faire connaître sa mort prochaine.
Le Père Cordier était intéressé au travail de la Société depuis bon
nombre d'années; comme invité il avait assisté souvent aux réunions et,
en 1935, répondant aux instances d'un ami, il demanda son admission
comme membre de la Société. Après son admission son intérêt n'a fait
qu'augmenter, et il fut du nombre des bienfaiteurs qui ont rendu pos-
sible la publication de "Les Quarante Ans de la Société Historique."
Il naquit à Poët-Laval en France en l'an 1877. Après avoir complété
ses études classiques en France, il se rendit à Constantinople et ensuite
à Jérusalem pour étudier la philosophie et la théologie. Il fut ordonné
prêtre à Jérusalem le 1er mai 1904. Il était membre de la Congrégation
des Augustiniens de l'Assomption, et dès le mois d'octobre après son
ordination il devenait professeur au Collège de l'Assomption à Wor-
cester. Pendant quatre années il a travaillé là à la formation et à
l'enseignement des jeunes. Aussi, comme tous les autres Pères, il laissait
le Collège, les fins de semaine, pour aller prêter main-forte aux prêtres
de la Nouvelle-Angleterre. C'est ainsi qu'il apprit à connaître et à aimer
le ministère paroissial; ainsi, il acquit la conviction que son travail devait
être plutôt pour le soin des âmes que pour l'enseignement, et il fit alors
les démarches nécessaires pour passer au clergé séculier. Pendant 10 ans
il fut vicaire en la paroisse Saint- Jean-Baptiste de Lynn. En 1919 il
était nommé curé de la paroisse Saint-Antoine de Shirley. Son séjour à
Shirley devait durer jusqu'à 1931, lorsqu'il fut nommé curé de la pa-
roisse du Sacré-Coeur à Broclcton; enfin en 1940 il fut promu à la cure
de la paroisse Saint-Louis-de-France à Lowell.
Son séjour à Lowell ne devait durer que 5 ans, car le poids des
années était devenu plus lourd et avait ralenti ses pas; c'est pourquoi il
avait résolu de quitter sa cure au mois de janvier pour prendre un repos
bien mérité. Deux jours après avoir remis la charge de la paroisse à son
successeur, l'Ange de la Mort venait le frapper au volant de son auto.
Il rêvait depuis longtemps de retourner aussitôt que possible dans son
beau pays de Provence, mais Dieu a voulu plutôt l'appeler à Lui et lui
accorder le repos éternel.
88 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Le Père Cordier fut en tout temps un gentilhomme, doux et paisible,
portant toujours avec fierté la livrée du Christ. Il était littérateur plus
qu'orateur; il ne refusait pas d'adresser la parole, mais il a toujours
préféré confier ses pensées à la plume. Dans ses moments de loisir il
aimait à composer de fines poésies pour amuser et égayer, mais il n'a
jamais voulu devenir poète de métier, car il avait consacré tous ses ta-
lents à Dieu et il devait les employer pour Le servir. Il aimait à faire
des jeux de mots, et les accompagnait toujours de son rire sonore en se
frappant les mains, mais toujours il était charitable et ne disait rien pour
déplaire.
Le Père Cordier a vécu et travaillé ici pendant 42 ans. Certains
hommes viennent s'établir aux Etats-Unis, et leur grande ambition de
devenir citoyens leur fait oublier leur rôle dans la formation de la nation
américaine. Le Père Cordier a mieux compris son rôle; il n'était pas
venu parmi nous pour angliciser. Partout il a voulu être l'exemple et
répandre la belle culture française, la culture du temps où la France était
le centre de toute culture et était reconnue comme "la fille aînée de
l'Eglise." Le 17 avril dernier, Notre Saint Père le Pape Pie XII, adres-
sait la parole à un groupe de journalistes français réunis au Vatican, et
dans son discours il disait ceci: "Répandre sur le monde la vérité, la
justice, la bonté, l'amour dans la lumière, telle est la noble mission de
la vraie France." Ces paroles s'appliquent bien au Père Cordier, car
c'est ce qu'il a fait partout où il est passé. Pour tout ce qu'il a été et
pour tout ce qu'il a fait parmi nous, puisse le bon Dieu lui accorder la
récompense éternelle.
III
Eloges du Dr Joseph-N. Roy et de Pavocat
Télesphore Leboeuf par M. Joseph Lusster.
(Réunion du 22 mai 1946)
On me demande de faire l'apologie de deux membres de notre
Société qu'une mort cruelle a fait disparaître de nos rangs depuis notre
dernière réunion, le docteur Joseph-N. Roy et l'avocat Télesphore Le-
boeuf, de Webster, Mass. Les deux furent des amis de toute leur vie,
les deux furent mes amis de longue date, bien qu'à des degrés différents.
Il me faudra nécessairement faire deux chapitres de ma double tâche
mais je serai bref et irai au point, comme les deux confrères furent toute
leur vie des hommes d'action qui en firent les plus belles figures non
seulement dans leur ville, mais dans toute la Nouvelle-Angleterre.
Le docteur Roy, issu d'une famille à l'aise, est né à l'Isle-Verte,
Canada, le 18 juin 1872. Il fit ses études classiques au séminaire de
Rimouski et suivit les cours de médecine à l'université Laval de Québec,
obtenant son doctorat de cette institution en 1897. Le Dr Roy, comme
plusieurs professionnels du temps, vint plus tard aux Etats-Unis et com-
pléta ses études médicales à l'université de Baltimore, dont il recevait
son diplôme en 1902.
APPENDICES 89
Après une courte période passée à Harrisville, R. I., le Dr Roy allait
s'établir à Webster, Mass., où il devait exercer sa profession pendant
plus de quarante ans. Citoyen modèle et médecin dévoué, il jouissait
d'une grande popularité chez ses concitoyens, particulièrement au sein
de la population de langue française. Symbole du médecin de famille
d'autrefois, la vie du patient était la seule considération à laquelle il
dévouait sa science et son expérience médicales. Il s'intéressa à l'activité
sociale de sa ville et aux sociétés fraternelles. Un des fondateurs de la
Webster National Bank, il en fut le directeur au début et le président
pendant plus de dix ans. Membre de l'Association médicale des Etats-
Unis et de l'Association des médecins franco-américains du Rhode
Island, il faisait à sa mort partie du personnel médical de la Webster
District Hospital.
Epoux dévoué, père de famille consacré à ses devoirs, une mort
soudaine survenue le 17 mars 1946, laissa dans le deuil son épouse ma-
lade, deux filles et un fils.
* * * * *
Télesphore Leboeuf est né à Webster, Mass., le 18 août 1880. Ses
parents, Melchior et Noémi Leboeuf, arrivés aux Etats-Unis au temps
de l'immigration intense, venaient comme tant d'autres chercher ici une
vie meilleure et n'étaient pas fortunés. Regardant déjà loin dans l'ave-
nir, le jeune Leboeuf commença dès l'âge de quatorze ans à pourvoir à
son instruction. Après l'école, il travaillait comme commis dans les
magasins; plus tard, suivant les cours de droit à l'université de Boston,
il voyageait chaque jour et après l'arrivée du train, au lieu de souper,
il faisait les cours du soir pour préparer à la naturalisation les nouveaux
arrivés du Canada.
Il débuta seul dans la pratique de sa profession, dans laquelle il
acquit bientôt la confiance des gens qui ont foi au "self-made man". A
partir de ce moment jusqu'à sa mort, il fut l'esclave de sa profession
dont il gravit les échelons l'un après l'autre jusqu'au premier rang du
barreau de l'Etat. Possesseur absolu des secrets de la loi et de la juris-
prudence, ses plaidoiries sobres et éloquentes étaient écoutées devant
tous les tribunaux du Ccmmonwealth, depuis les cours inférieures jus-
qu'à la Cour Suprême. Financier avisé dont la scrupuleuse probité était
universellement connue, c'est lui que le gouvernement de Washington,
dont il ne partageait cependant pas la politique, choisit pour rétablir
l'ordre dans les banques de son district, lors des révolutions bancaires
décrétées par le New Deal. Généreux pour les siens et pour toutes les
bonnes causes, sa bourse et son coeur étaient ouverts à tous les besoins.
Télesphore Leboeuf n'était jamais indifférent aux intérêts de la
race; il fut chef suprême des Forestiers Franco- Américains; estimé de la
population, il était depuis quinze ans modérateur de sa municipalité et
président de la Croix-Rouge; en 1924 il fut membre du collège Electoral
du Massachusetts et, en 1917, il fut élu délégué à la Convention Consti-
tutionnelle. Il était très actif dans les cercles civiques et les sociétés
fraternelles de Webster; il était membre du Club Gagnon, de l'Union
St-Jean-Baptiste d'Amérique, de l'Association Canado-Américaine, du
Normandy Club, président du Webster War Mémorial Committee, et
90 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
membre de plusieurs autres comités civiques. Orateur disert et éloquent,
avec la même scrupuleuse perfection dans les deux langues, on l'invitait
de partout pour les célébrations nationales et autres occasions de quel-
que importance, au Canada comme aux Etats-Unis. Fils, époux et père
modèle, Télesphore Leboeuf laisse sa mère, âgée de 92 ans, objet de sa
filiale sollicitude, cinq enfants qui l'adoraient, un frère estimé et une
femme aimante dont le coeur ulcéré se cicatrisera difficilement.
Le Dr Roy est mort, âgé de 73 ans, le 17 mars 1946, alors qu'il était
président de la Webster National Bank; l'avocat Leboeuf est mort subi-
tement âgé de 65 ans, le 18 avril 1946, au cours d'une assemblée spé-
ciale convoquée pour l'élire président de la même institution comme
successeur de son ami le Dr Roy.
Ces deux décès tragiques sont une perte irréparable pour leur ville
et creusent un vide sensible dans les rangs de la Société Historique et de
l'élément franco-américain.
IV
Le Centenaire d'Evangéline
(Réunion du 27 novembre 1946)
Au cours de l'allocution qu'il prononça après la conférence du
Frère Antoine Bernard, M. Henry- Wadsworth-Longfellow Dana lut la
lettre suivante du poète Pamphile Lemay au poète Longfellow:
H. W. Longfellow, Esq.
Monsieur,
Permettez à un jeune poète de vous présenter, avec le volume qui
accompagne cette lettre, l'hommage qu'il doit à votre remarquable
talent.
J'ai lu avec un vif plaisir la plupart des heureuses inspirations de
Votre Muse, et j'ai senti vibrer dans mon âme une corde douce et
sensible comme celle de votre lyre. Le feu qui vous animait quand vous
avez écrit Evangeline a passé dans mon âme, et je me suis efforcé de
tracer les infortunes de cette mélancolique héroïne et de la faire connaî-
tre aux femmes de mon pays. Je ne me flatte point d'avoir égalé mon
modèle; ce n'était pas chose facile; mais je puis être resté au-dessous, et
encore avoir écrit un charmant livre.
J'ai bien aimé aussi la légende de l'"Orgueilleux Robert" — "l'heure
des Enfants", ce charmant et vrai tableau de famille et "la Lassitude",
cette plainte touchante de l'homme qui s'incline vers la tombe et qui a
bien le droit de donner un petit conseil aux frais bambins qui sortent à
peine du berceau. Je n'ai qu'un regret c'est de ne point connaître
l'homme qui a écrit de si belles choses . . .
J'espère, monsieur, que vous accueillerez avec bienveillance cet
hommage de
Votre Serviteur,
L. Pamphile Lemay
Ste. Emmélie de Lotbinière
9 Septembre 1865
APPENDICES 91
Mlle Cécile Saint-Jorre lut la réponse du poète Longfellow à son
grand-père Pamphile Lemay:
Cambridge, near Boston, Oct. 27, 1865.
Dear Sir,
Some time ago I had the honor of receiving your kindly letter, and
the beautiful volume of poems which accompanied it. I should hâve
written sooner to thank you, but hâve been prevented by an unusual
amount both of occupations and of interruptions.
Allow me to congratulate you on the appearance of your volume
and on the many felicities of thought and expression it contains, and
the unmistakable évidence it bears of poetic talent, and deep sympathy
with nature. More especially let me thank you for that portion of your
work which is devoted to "Evangeline". I feel under great obligations
to you for this mark of your regard; not only that you hâve chosen this
poem for translation, but that you hâve performed the always difficult
task with so much ability and success.
There is only one thing that I demure at, namely your making my
Evangeline die:
"Elle avait terminé sa malheureuse vie".
However, I shall not quarrel with you about that. My object is not
to criticize, but to thank you, and to tell you how much gratified I am
by the honor you hâve done me.
Hoping that the success of your book will more than meet your
warmest anticipations, I remain,
Dear Sir,
Your obt. ser't.
Henry W. Longfellow.
Les Adieux du Dr Ubalde Paquin
(Réunion du 27 novembre 1946)
Mesdames, Messieurs:
C'est pour moi, le chant du cygne. C'est la dernière fois que j'ai
l'honneur et le plaisir de présider les réunions de la Société Historique
franco-américaine. Je vais remettre sur des épaules plus jeunes et plus
habiles peut-être, la direction de notre Société.
La Société Historique est dans un bel état de santé tant pour son
prestige et ses finances que pour le nombre de ses membres.
Je remercie profondément tous les membres de l'aide qu'ils m'ont
donnée durant ma présidence et je remercie de même le bureau de
direction de l'appui qu'il m'a apporté et tout particulièrement M. le
Juge Eno et M. Antoine Clément.
Je souhaite à la Société Historique de continuer à marcher dans la
voie du progrès.
92 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
VI
Un Carême à Vienne en 1946
(Réunion du 30 avril 1947. Compte rendu de la conférence de Mgr Joseph
Guérin par M. Antoine Clément. "L'Etoile", Lowell, 1 mai 1947).
Mgr Guérin raconta ses impressions de son carême de Vienne en
1946. On ne parlait que de guerre alors et on^ui disait qu'il aurait la
chance d'être déporté en Sibérie. Seule la diplomatie pontificale savait
la vérité, car Mgr Ronco de la nonciature lui dit qu'il reviendrait.
Passant par la Suisse et le Tyrol, le prédicateur a semblé entrer dans
un monde nouveau en pénétrant en Autriche. Il fallait ses papiers en
règle où on descend du convoi. Il n'y a pas de temps pour les Russes
et l'examen aux frontières met toujours le convoi en retard régulier de
5 à 7 heures. Pour les Russes, qui débordent de leur zone et font enclave
jusqu'à 120 à 140 kilomètres à l'ouest de Vienne, le temps n'a pas de
valeur et la vie humaine pas plus.
A Vienne, il y a 3500 immeubles démolis, les débris sont dans les
rues. On ne se presse pas à les enlever. La cathédrale St-Etienne a été
fort touchée par les bombardements et l'Opéra est effondré. Le ravi-
taillement est effroyable. On a eu de la salade deux fois en 43 jours et
on s'aperçoit alors comme le manque de légumes est pénible. Les Vien-
nois avaient eu de la viande deux fois en sept mois. On se fie sur les
provisions des Alliés et on souffre atrocement de la faim comme dans
tous les pays d'Europe où l'on s'est battu, et la mortalité infantile est
rendue de 24 à 27 pour cent. Et ici le conférencier dit un merci pour la
générosité américaine pour ceux qui souffrent, pour vos petits-fils et vos
petites-filles de chez nous.
Sur 2,000,000 d'habitants, il en reste 1,400,000; des 222,000 Juifs
déportés, 12,000 sont revenus. Deux millions d'Autrichiens sur 7,000,000
sont morts. Les amputés et les aveugles dans les rues sont nombreux et
pénibles à voir. Et les Viennois sont élégants, ils chantent encore, telle-
ment ils aiment la musique. Ils accueillent avec respect le prêtre catho-
lique français. J'y ai fait 53 conférences en 37 jours. La France y est
tant aimée et on parle sa langue avec élégance, comme d'ailleurs en
Nouvelle-Angleterre où j'ai la joie de retrouver une France plus belle,
plus pure, et plus vivante que celle de chez nous. Jamais nous ne pour-
rons assez vous féliciter et vous remercier d'être restés vous-mêmes.
Ici le conférencier raconta la beauté de Vienne, l'élégance avec la-
quelle on portait nos toilettes de Paris, la splendeur de sa musique dans
les offices religieux de la Semaine Sainte, la libération de la capitale par
les Russes, la parade de l'anniversaire de la libération, le savoir russe à
l'armée qu'il constata qaund il voulut visiter la rive opposée du Danube,
l'insécurité de circuler en civil la nuit parce que les déserteurs de l'armée
russe se multipliaient après constatation que l'ouvrier viennois vivait
mieux que l'ouvrier russe.
Du communisme, il dit que c'est du champignon vénéneux qui a
poussé sur le fumier de l'égoïsme. Il est né des injustices du capitalisme.
APPENDICES 93
Il faut changer l'orientation de notre civilisation, qui ne doit être ni ca-
pitaliste matérialiste, ni communiste matérialiste athée.
C'est une erreur de tout baser sur le profit, car c'est la mise en va-
leur de l'homme qu'il faut rechercher. Il n'est pas question de surpro-
duction ici-bas et on ne doit pas détruire des stocks en un pays quel-
conque tandis que d'autres hommes ailleurs meurent de faim. Nous
sommes tous solidaires. Du même bateau à bord duquel nous voguons
tous, nul ne peut espérer se sauver seul à la nage en cas de naufrage.
L'incendie qui s'allume sur un point du globe gagne le monde tout entier.
Dans la formule à rechercher pour notre civilisation nouvelle, il
faut que dans les problèmes techniques, l'homme reste le maître de ses
inventions et le roi de la machine qui doit être pour lui un adoucisse-
ment de ses fatigues.
On doit ensuite rechercher une conciliation entre l'autorité indis-
pensable et la liberté. Par son sens inné de l'ordre et de la mesure, sa
passion de la liberté, conquise au prix de sacrifices inouïs, la France qui
? tant souffert peut trouver une solution à ce problème de conciliation.
En face de la guerre à tous les 20 ans, par son sens de l'ordre et de
l'universel, la France peut contribuer à empêcher ce renouvellement de
conflits. Par de sincères efforts, on cherche au moyen d'organismes
internationaux à rétablir l'ordre dans le monde. Chaque nation est
intéressée à la paix mondiale qui est un bien commun. La France, par
ses élites, ses découvreurs, peut trouver les solutions au mal de l'enfante-
ment de notre civilisation nouvelle.
Parlant du communisme qu'il a connu, le conférencier dit comment
les fusillés d'entre eux sont morts en chrétiens et en héros pour la patrie
pendant la guerre et dit que ceux de son pays sont moins marxistes qu'a-
vant guerre et qu'on a surtout voté communiste parce qu'on avait le
ventre creux.
Il raconta comment mourut un journaliste anticlérical, un lieutenant
de vaisseau très chrétien et un jeune routier d'Alsace partant à l'attaque,
et dit avec un ami de l'aumônerie allemande qu'un pays qui a de tels
héros et de tels saints que la France ne mourra jamais.
VII
La Grande Médaille de la Société au Dr Ubalde Paquin
(Réunion du 30 avril 1947)
Allocution du président, Me Eugène-L. Jalbert:
Mesdames, Messieurs:
Ma présence à cette table n'est pas, je crois, sans rappeler à votre
mémoire qu'à notre dernière réunion nous avions tous le vif regret d'en-
tendre le Docteur Paquin décliner l'honneur d'une réélection à la pré-
sidence, poste qu'il avait occupé durant quelque treize ou quatorze ans.
94 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Il y a laissé l'empreinte des qualités les plus hautes, tant de l'esprit que
du coeur. Sans vouloir méconnaître les mérites de ceux qui furent ses
collègues, je crois pouvoir affirmer que notre Société lui doit, pour une
large part, les progrès remarquables qu'elle a remportés au cours des
récentes années.
Aussi bien, vous m'en voudriez, j'en suis sûr, si je ne profitais de
cette première occasion qui m'est donnée pour lui exprimer, avec les
regrets que nous éprouvons de le voir descendre de la présidence, nos
voeux ardents pour que sa santé continue de s'améliorer et qu'elle lui
permette de jouir de nos réunions futures avec le même entrain et la
même gaieté des beaux jours d'autrefois.
Il convient aussi, je pense, de manifester d'autre façon les senti-
ments que je viens d'exprimer à notre ancien président. Notre Société a
établi, comme vous le savez, une forme visible et tangible qu'elle emploie,
aux heures solennelles, lorsqu'elle veut récompenser quelqu'un qui a
bien mérité d'elle. Je fais allusion à sa Médaille. Cette Grande Médaille
le docteur Paquin a eu lui-même le plaisir de la décerner à certains per-
sonnages que notre Société voulait honorer.
Cette Médaille nous désirons la lui offrir ce soir comme gage de
notre vive appréciation et de notre profonde gratitude pour les services
nombreux qu'il nous a rendus. Nous espérons qu'il ressentira à la
îecevoir une satisfaction au moins égale à celle que nous éprouvons tous
à la lui remettre.
*****
Réponse du Dr Ubalde Paquin:
Mesdames, Messieurs:
J'étais loin de penser, quand nous avons décidé de faire frapper nos
deux médailles, la grande et la petite, qu'un bon jour notre grande
médaille du mérite me serait offerte.
J'aime à vous le dire, cette grande médaille, vous me l'offrez par
surcroît.
Quand j'ai fait partie de la Société Historique pour la première
fois, il y a déjà quelque quarante ans, j'ai été vivement frappé par son
but, à savoir: faire ressortir l'apport de la France dans la civilisation
américaine, et j'ai suivi depuis, avec intérêt, la réalisation de ce but.
J'ai toujours assisté à nos réunions avec beaucoup de plaisir, parce
qu'elles m'ont fourni l'occasion de rencontrer des compatriotes venus de
tous les coins de la Nouvelle-Angleterre, pour pouvoir échanger avec eux
un sourire, une chaude poignée de mains ou une vive repartie.
J'ai certainement joui à présider nos agapes où, de la table d'hon-
neur, j'ai pu admirer l'élégance de nos convives et le charme et la grâce
de nos dames.
Le progrès de notre Société, je le dois d'abord à vous Mesdames et
Messieurs, pour votre zèle à recruter de nouveaux membres et pour votre
assiduité à assister à nos réunions, et je le dois aussi aux conseillers dont
vous m'avez entouré, tout spécialement à M. le Juge Eno et à mon bon
ami Antoine Clément.
APPENDICES 95
Le plaisir que j'ai ressenti comme président de la Société Histori-
que a rétribué au centuple mes efforts pour la faire progresser.
Comme vous voyez, cette grande médaille, vous me l'offrez par sur-
croît, et je vous en remercie profondement.
Je conserverai toujours de cette réunion un bien vif souvenir.
VIII
Eloge de l'abbé Philias-L. Jalbert par le T. R. P.
Thomas-M. Landry, O.P.
(Réunion du 30 avril 1947)
La Société Historique Franco-Américaine a perdu, à Fall-River,
Mass., en moins d'un an, deux de ses membres les plus distingués: M.
Antonio-N. Roy et M. l'abbé Philias-L. Jalbert, ptre, curé de la grande
paroisse Notre-Dame de Lourdes. Dans quelques minutes, M. le docteur
Omer-E. Boivin retracera la carrière rapide et mouvementée de ce grand
laïque catholique et franco-américain que fut M. Roy et que tous à
Fall-River appelaient familièrement de son prénom "Antonio". Per-
mettez-moi, pour l'instant, de rappeler à votre pieux souvenir, mais à
grands traits seulement, la figure originale et pittoresque de l'éminent
prêtre que fut parmi nous M. l'abbé Philias-L. Jalbert.
M. Jalbert est décédé subitement à Fall-River, en son presbytère, au
cours de la nuit 24-25 novembre 1946, à l'âge de 63 ans. Décès brusque
et prématuré, venu à la suite d'une crise cardiaque, hâté sans aucun
doute par au delà de trente ans d'excessif et incessant labeur. Après
coup, ceux qui l'ont vu à l'oeuvre, ne s'étonnent plus du caractère fou-
droyant de la mort qui a ravi M. Jalbert à leur estime, à leur respect
et à leur très vive affection. Ce pauvre M. Jalbert s'était tellement dé-
pensé, tellement multiplié, tellement donné a tout et à tous, qu'il n'est
plus surprenant que son coeur ait enfin subitement cédé.
Pour nous, Catholiques franco-américains du diocèse et de la ville
de Fall-River, cette disparition soudaine de M. l'abbé Jalbert, a vite
pris, selon le mot de M. Philippe-Armand Lajoie, "les proportions d'une
calamité". Il comptait, en effet, parmi les membres les plus influents
et les plus écoutés de notre clergé. Et cette influence auprès des nôtres,
et auprès de ceux qui ne sont pas des nôtres, M. Jalbert se l'était acquise
de façon indiscutable par au moins 38 bonnes années de continuels la-
beurs apostoliques et de gros ministère sacerdotal.
M. l'abbé Jalbert aurait pu faire sa vie au Canada, dans la Province
de Québec où il est né le 22 juin 1883 et où il a reçu toute sa première
formation. Mais, jeune encore, il entendit, comme beaucoup d'autres,
l'appel de ses compatriotes émigrés en foule — nous sommes en 1904 —
dans les centres industriels de la Nouvelle-Angleterre. Il vint donc parmi
nous, s'incardinant au diocèse de Fall-River que l'on était en train de
constituer. Quelques années de théologie à l'Université de Louvain, en
Belgique, et M. Jalbert est fait prêtre le 12 juillet 1908. De juillet 1908
96 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
à novembre 1923, cela veut dire pendant 15 ans, M. Jalbert exercera les
fonctions de vicaire à New-Bedford, Fall-River, Attleboro et North-
Attleboro, dans l'Etat du Mass. Au mois de novembre 1923, à l'âge de
40 ans, il devient curé de la paroisse St-Georges de Westport. Durant
les 24 dernières années de sa vie, de 1923 à 1947, M. Jalbert remplira
cet office du curé: successivement à St-Georges de Westport, St- Joseph
d'Attleboro, St-Jean-Baptiste et, depuis le mois d'avril 1945, Notre-
Dame-de-Lourdes de Fall-River.
Voilà les grandes étapes d'une belle et féconde carrière. Ce qu'il
faudrait ajouter, c'est que partout où il a passé, M. Jalbert s'est montré
le même: prêtre extrêmement religieux, entièrement voué aux intérêts
de l'Eglise et des âmes, adonné sans retour à l'administration des sacre-
ments et à la sainte prédication; homme parfaitement équilibré, doué
d'un jugement sûr, d'un caractère ferme, souple et droit, d'un coeur d'or
ainsi que d'une aptitude naturelle très marquée pour l'action, pour l'ac-
tion simple et vigoureuse, qui va toujours droit au but proposé. Ces ad-
mirables qualités d'esprit et de coeur, il les mit sans jamais compter au
service de toutes nos grandes causes. De celles-ci, il se fit le champion
sa vie durant, avec un entrain, une verve et une faconde même qui
pouvait aller des accents les plus relevés, les plus sublimes, jusqu'aux
images — s'il le croyait utile, bienfaisant ou nécessaire — jusqu'aux
images les plus drues et les plus fortes du terroir.
M. Jalbert fut non seulement un prêtre à tout jamais consacré aux
oeuvres de son ministère proprement sacerdotal; il fut en même temps,
et parce que prêtre, un apôtre passionné de notre survivance franco-
américaine. Rien de ce qui touche de près ou de loin au maintien et au
progrès de nos institutions et de notre peuple ne le laissait indifférent.
Il était du nombre de ceux auxquels il n'est pas nécessaire d'expliquer
nos raisons d'être et de demeurer franco-américains. D'emblée il avait
compris et d'emblée il agissait en conséquence. Nos paroisses, nos mai-
sons d'enseignements primaire et supérieur, nos sociétés nationales, notre
presse, tout, absolument tout bénéficiait chez nous de son appui et de
ses encouragements, sans parti-pris, sans étroitesse de vues, sans distinc-
tion démesurée, malgré les attaches très particulières qu'il avait et qu'il
conserva toujours à l'une de nos grandes mutuelles.
Cette liaison spéciale, que je viens de signaler, lui fournit même une
occasion et un moyen uniques de travailler au relèvement et à l'amélio-
ration du sort des nôtres. Directeur, pendant plus de 25 ans, de la
Caisse de l'Ecolier de l'Union St-Jean-Baptiste d'Amérique, il ne cessa,
sous cet égide, pour le bénéfice de cette Société et par son entremise, de
faire éclore et de suivre en leurs efflorescences progressives, une multi-
tude de vocations d'élite pour le clergé et pour les professions laïques,
et de contribuer par le fait même avec une suprême efficacité à la survie
méthodique, cohérente et raisonnée de notre cher peuple franco-améri-
cain. Avec la disparition de M. Jalbert, l'Union St-Jean-Baptiste d'Amé-
rique a perdu un très grand et très fidèle serviteur; mais notre jeunesse
3 perdu du même coup un maître-conseiller et un maître-éducateur, et
notre peuple, un chef religieux et patriote comme, hélas! il n'en a peut-
être pas eu beaucoup!
APPENDICES 97
Messieurs, je termine en vous priant de m'excuser si j'ai abusé de
votre bonté. Je ne puis vous laisser toutefois sans déposer une fois de
plus sur la tombe de M. l'abbé Philias-L. Jalbert, en votre nom comme
au mien, l'hommage ému de notre estime, de notre respect et de notre
affection sincères. Devant les membres de cette Société Historique
Franco-Américaine dont il fut longtemps le conseiller et plus d'une
fois le bienfaiteur, je formule le voeu qu'un jour l'un de vous se charge
d'écrire la biographie de ce prêtre éminent. Enfin, je reprends, à mon
propre compte cette fois, la belle prière faite pendant les obsèques du
regretté disparu en l'Eglise Notre-Dame de Fall-River par M. l'abbé
Adrien-E. Gauthier au cours de l'oraison funèbre qu'il prononçait devant
les restes inanimés du confrère et de l'ami de toujours: "Que le divin
Maître fasse sortir de nos familles demeurées chrétiennes d'autres
(Pères) Jalbert qui continueront dans l'Eglise l'oeuvre que les anciens,
qui s'en vont les uns après les autres, ont tant travaillé à maintenir et à
embellir pour la plus grande gloire de Dieu!"
Paix à la grande âme de M. Jalbert et que son souvenir vive long-
temps parmi nous!
IX
Eloge de M. Antonio-N. Roy par le Dr Omer-E. Boivin
(Réunion du 30 avril 1947)
Monsieur le président de La Société Historique Franco-Américaine
a bien voulu m'honorer, en me chargeant de l'éloge de l'un de nos
membres disparus. Je lui suis doublement reconnaissant, d'abord du
privilège qu'il m'accorde ainsi de faire revivre pendant quelques instants
devant vous la figure sympathique de M. Antonio Roy, et au surplus,
de l'occasion qui m'est offerte de rendre un hommage public à la mé-
moire d'un compatriote, auquel je fus uni durant de longues années
par les liens d'une sincère amitié.
Je voudrais trouver une pensée, une image qui ferait comprendre à
mes auditeurs l'immensité du vide créé par la disparition soudaine et
tragique d'un homme dont la vitalité débordante s'était prodiguée sur
tant de points, mais je n'arrive qu'à cette conclusion, qui a quelque chose
de consolant: Bien que l'ami Antonio Roy ait quitté nos rangs, où il
figura honorablement, il restera à jamais au milieu de nous par le culte
du souvenir.
Celui que je rappelle ce soir à votre pensée, nous a été enlevé
brusquement et de façon dramatique durant un accident de route. La
plupart d'entre vous connaissez les détails de cette tragédie. En revenant
de New-Bedford où il était allé dans l'intérêt de l'Union St-Jean-Baptiste
d'Amérique, sa voiture glissa sur le pavé glacé, frappa un poteau et fut
trouvé renversée. L'occupant avait été broyé sur son siège.
Né à Fall-River, le 31 juillet 1898, il fit ses études à l'école parois-
siale Notre-Dame de Lourdes et ensuite à l'école St-Antoine de New-
98 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Bedford. Pendant la première Guerre Mondiale, il fit vingt-trois mois
de service militaire dont sept furent passés outre-mer sur la ligne de
bataille. Le 1er juin 1920, il épousa Mlle Léontine Cloutier. Son ma-
riage fut béni de quatre enfants: une fille et trois fils.
Il dirigea pendant plusieurs années le commerce de la Compagnie
A. N. Roy Paper Supplies. Il fut Président de la Succursale No. 19 des
Artisans Canadiens-Français, membre de notre belle Société Historique
Franco- Américaine depuis octobre 1939, du conseil Laurier de L'Union
St-Jean-Baptiste d'Amérique, de la Ligue Civique, du club Calumet,
du club Canadien, des Elles et des Vétérans de Guerre Mondiale. On le
comptait au nombre du personnel organisateur de L'Union St-Jean-
Baptiste d'Amérique.
Doué de talents naturels pour l'organisation, Antonio Roy s'enrôla
dans plusieurs milieux mutualistes où il ne tarda pas à exercer son in-
fluence. Ses qualités, qu'il développait de jour en jour dans ces diffé-
rentes sphères sociales, furent vite reconnues.
En septembre 1938, il était promu au poste d'organisateur régulier
de la région sud-est du Massachusetts pour l'Union St-Jean-Baptiste
d'Amérique. Depuis, il s'est fait remarquer par son zèle et ses succès.
Par son excellent travail de recrutement, il s'assura la haute estime des
officiers généraux de cette société mutuelle.
C'était un Franco-Américain dans l'âme. Bon catholique, citoyen
intègre, époux modèle, père dévoué, patriote ardent, homme de devoir,
voilà, en quelques traits, le portrait moral de l'homme que fut Antonio
Roy.
Les membres des sociétés à l'avancement desquelles il a consacré sa
force et ses talents, ceux qui ont eu le privilège de le connaître person-
nellement, lui offrent par mon humble voix le tribut de leur pieux sou-
venir.
X
La Grande Médaille de la Société à Mme C. Rocheleau Rouleau
(Réunion du 11 novembre 1947)
Mme Corinne Rocheleau Rouleau est née à Worcester, Mass. Elle
fit ses études au Canada et aux Etats-Unis et découvrit de bonne heure
sa vocation pour les lettres. Ses premiers écrits virent le jour dans la
Revue canadienne: "Idylle abénaquise", "les Beautés de la statistique",
"Trois Bostonnais en Acadie". En 1915 elle publiait à Worcester "Fran-
çaises d'Amérique", série de tableaux mettant en scène les principales
héroïnes de la Nouvelle-France. Puis furent livrés au public: "Les
Lettres de Corinne" et un grand nombre d'articles de journaux. En
1927 "Hors de sa prison", biographie d'une jeune sourde-muette, aveugle
et infirme, lui valut des éloges de toutes parts. Plus tard, à Washington
où elle était attachée à l'un des grands services administratifs, elle publia,
en collaboration avec Rebecca Mack, "Those in the Dark Silence" et
"Normality for the Handicapped".
APPENDICES 99
Elle profita de son séjour dans la capitale américaine pour compul-
ser les archives se rapportant à l'expansion française aux Etats-Unis
et accumuler une vaste documentation sur ce sujet. Mêlant la littérature
à l'histoire, elle a fait paraître au cours des derniers vingt ans un nombre
considérable de travaux dans diverses revues du Canada et des Etats-
Unis. La bibliographie complète de ses écrits formerait un livre à elle
seule. Son dernier ouvrage, un roman intitulé "Laurentian Héritage",
paru à Toronto, va être bientôt traduit en français.
Mme Rouleau avait épousé M. Wilfrid Rouleau, qui fut l'ami intime
du major Edmond Mallet de Washington et sauva sa bibliothèque de la
dispersion. Grâce aux efforts de M. Rouleau, cette bibliothèque, acquise
par l'Union Saint-Jean-Baptiste et connue sous le nom de Bibliothèque
Mallet, repose à Woonsocket où elle est à la disposition des chercheurs.
Mme Corinne R. Rouleau est en quelque sorte la Willa Cather de
nos lettres et son oeuvre fait honneur aux Franco-Américains aussi bien
qu'aux Canadiens-Français. La Société historique franco-américaine lui
décerne sa Grande Médaille pour l'ensemble de ses travaux historiques
et littéraires.
La Grande Médaille de la Société, appelée aussi Médaille Grand
Prix, avait été décernée auparavant aux personnes suivantes:
Jean-Charlemagne Bracq
Mgr Camille Roy
S. E. le cardinal Rodrigue Villeneuve
M. Jean Garand, inventeur du fusil Garand
M. le Dr Ubalde Paquin.
XI
Eloge de M. Euclyde-C. Paquette par M. Wilfrid-J. Mathieu
(Réunion du 11 novembre 1947)
M. Euclyde-C. Paquette naquit le 28 juin 1894. Il fréquenta l'école
paroissiale Sainte-Anne de Marlboro, Mass. et le Collège Sainte-Croix
de Farnham, Québec, et fut diplômé du Marlboro Business Collège en
1909.
En juillet 1929, il acceptait à Boston, Mass. un emploi de la com-
pagnie de chemin de fer Boston & Maine où il était encore employé
lors de son décès.
Sa carrière fut surtout celle d'un mutualiste et date de 1930 alors
qu'il devint membre de la Cour 1817 du "Catholic Order of Foresters".
Dès ce moment, il se montra enthousiaste et très actif et comme
résultat le "Catholic Order of Foresters" le choisit comme son chef-
ranger pour l'état du Massachusetts et son représentant au New England
Fraternal Congress.
En 1943, il avait déjà déployé tant d'activités et fait preuve de tant
d'intérêt pour le New England Fraternal Congress qu'il en fut choisi
troisième Vice-Président. Deux ans plus tard, il devenait le premier
Vice-Président et au moment de sa mort, il était sur le point d'être élu
100 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
président. Pour avoir été à même d'apprécier le dévouement et l'intérêt
qu'il lui a manifestés, il n'est pas exagéré de dire que le New England
Fraternal Congress a perdu en lui un de ses plus puissants appuis.
Membre de la Société Historique depuis 1945, il assistait à presque
toutes ses réunions. Euclyde Paquette était le type du parfait gentil-
homme. Bon jaseur, toujours gai, il aimait les siens et par-dessus tout,
il était un excellent paroissien de Sainte-Marie de Marlboro, Mass.
Au nom de la Société Historique, je dépose sur sa tombe récemment
fermée, le tribut de nos regrets et l'hommage de notre pieux souvenir.
Que la terre lui soit légère!
XII
Eloge du juge Adonat-J. Demers par Me Valmore-M. Carignan
(Réunion du 11 novembre 1947)
Je suis heureux que l'on m'ait demandé de faire l'éloge du juge
Adonat-J. Demers, membre de cette Société. Cela me permettra de ren-
dre hommage à l'un de mes meilleurs amis de toujours. Je regrette
seulement d'être obligé de me limiter. La vie du juge Demers a été si
bien remplie, si active, que je ne pourrais rendre justice à sa mémoire
qu'en vous la détaillant. Mais, faute de temps, il ne m'est pas permis d'y
songer. Je vous tracerai donc le portrait de cet homme, mon ami, votre
ami, devenu un grand Franco-Américain, en m'arrêtant seulement aux
grandes étapes de sa vie.
Adonat-J. Demers naquit à Woonsocket le 7 octobre 1895. Il fré-
quenta les écoles paroissiales du Précieux-Sang de Woonsocket, d'abord
le Couvent Jésus-Marie, puis le petit Collège du Sacré-Coeur. Il fit son
cours secondaire à l'Académie La Salle, de Providence. Ensuite il étudia
la philosophie et les lettres sous des maîtres privés. Ses études classi-
ques terminées, il entre au Boston University Law School, d'où il sortit
diplômé en 1919 avec le degré de bachelier en droit.
Admis au barreau du Massachusetts, en juin 1919, il ouvrit un bu-
reau à Fitchburg, où plus tard il servit en qualité d'assistant-greffier de
la cour de district.
Il revint à Woonsocket, sa ville natale, en 1923 et s'associa alors
avec l'avocat Ovila Lambert. En 1927 il s'associa avec les avocats Eu-
gène-L. Jalbert, votre président et Valmore-M. Carignan, votre humble
serviteur. Cette association professionnelle dura jusqu'à sa mort, le
8 octobre 1947.
De 1929 à 1935 i\ fut greffier de la cour du 12e district du Rhode-
Island. En 1930 il fut candidat à la mairie de Woonsocket. En 1943 il
devint juge de la cour des Tutelles de Woonsocket, poste qu'il occupait
encore avec honneur lors de son décès.
Le juge Adonat-J. Demers était un patriote jusque dans la moelle
des os. Depuis 1921, à titre de conseiller-général, il servit l'Union Saint-
Jean-Baptiste d'Amérique avec un dévouement si désintéressé, qu'en 1927,
APPENDICES 101
étant président du Comité des fêtes de la dédicace des nouveaux quar-
tiers généraux de la société, il dut, à la suite de ce surcroît de travail,
se mettre au repos, repos qui dura pendant plus de neuf mois.
Le juge Demers était un homme d'un caractère gai, charitable et
dévoué, épousant toutes les nobles causes et toujours prêt à rendre ser-
vice au groupe franco-américain et aux oeuvres paroissiales. C'est pour
cela qu'on l'appelait à porter la parole dans la plupart des centres franco-
américains de la Nouvelle-Angleterre et jusqu'à New-York, Détroit,
Montréal. S'il s'agissait d'un banquet, d'une réception, d'une présenta-
tion de cadeau ou d'une organisation quelconque, on le trouvait presque
toujours à la tête du mouvement.
Le juge Demers dut ses succès à son propre travail. Il n'était pas
né dans l'opulence. Au cours de ses études, il dut travailler dans ses
moments libres pour apporter quelques sous à sa mère dans le besoin.
C'est ainsi qu'on le vit à cette époque au bureau de l'Union Saint-Jean-
Baptiste d'Amérique aider tantôt à l'expédition de la revue, tantôt au
service de la comptabilité ou d'autre département de la Société.
N'ayant pu, faute de ressources, fréquenter les grands collèges, il
s'appliqua à perfectionner lui-même son éducation. Il y réussit à tel
point que, depuis longtemps, le juge Demers parlait un anglais à faire
envie à un gradué d'Oxford et un français impeccable. Il tendait tou-
jours vers la perfection. Sur le banc, ses décisions sages et bien rédigées
étaient fort goûtées des avocats. Et plus d'un disait déjà: "Un jour on
le verra gravir plus haut les échelons de la magistrature!"
On peut dire du juge Demers qu'il a passé sa vie à rendre service
à ceux qui l'entouraient et à tout le groupe franco-américain. Il a tou-
jours eu à coeur l'intérêt de sa religion, de sa famille, de son pays, de
sa profession et de ses compatriotes. En effet, il était profondément re-
ligieux: il faisait partie de l'organisation des retraitants et communiait
fréquemment. Le dimanche précédant sa mort il avait encore pieuse-
ment reçu la Sainte Eucharistie.
Avec sa longue expérience des hommes et des choses, le juge
Demers était l'un des piliers des Franco-Américains du Rhode-Island et
même de toute la Nouvelle-Angleterre.
Mais, hélas! l'homme propose et Dieu dispose. Alors qu'il se diri-
geait vers l'aéroport de Hillsgrove, à la rencontre de l'un de ses fils
attendu de New-York, une ambulance, ô ironie des choses, surgit sou-
dain au carré de deux routes et frappe son automobile à la renverse.
On le relève mourant; son épouse, de même. Son fils Arthur, âgé de
douze ans, projeté sur le pavé est tué instantanément. On relève son
autre fils Paul, lui sans connaissance. Fort heureusement, ce dernier
n'est que légèrement blessé. Quelques heures après l'accident, madame
Demers rendait son âme à Dieu et trois heures plus tard, le juge Demers
allait lui-même retrouver au paradis celle qui avait été sa fidèle com-
pagne pendant vingt-six ans.
Les funérailles du juge Demers, de sa femme et de son fils furent
marquées au coin d'une sympathie rarement manifestée, même pour les
grands du jour. Le gouverneur John-O. Pastore de l'Etat du Rhode-
Island, le juge Albéric-A. Archambault de la cour supérieure du Rhode-
102 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Island, le juge Raoul Beaudreau, de la cour supérieure du Massachusetts,
le maire Ernest-E. Dupré de Woonsocket, et plusieurs autres sommités
de l'Etat, ainsi que des délégations de presque toutes les sociétés, y
assistaient. Le sanctuaire de l'église Ste-Famille pouvait à peine contenir
le grand nombre de prêtres venus de partout pour rendre un dernier
hommage au distingué disparu. C'était le plus bel hommage que l'on
pouvait rendre à la mémoire du juge Adonat-J. Demers.
Ce soir, nous pleurons un ami et un membre fidèle et dévoué de la
Société Historique Franco-Américaine. Dans cette pensée de regret, je
me plais en votre nom, à associer le souvenir ému de son épouse et de
son jeune fils, en priant le Très-Haut de se pencher sur ces trois âmes
chrétiennes avec bonté et miséricorde.
LE CINQUANTENAIRE DE LA SOCIETE
APPEL DU PRESIDENT
La Société historique franco-américaine a été fondée le 4 septembre
1899; elle aura donc 50 ans d'existence cet automne. Ce demi-siècle en
fait l'une des sociétés historiques les plus vieilles, non seulement du
Canada mais des Etats-Unis. Il convient de célébrer dignement cet an-
niversaire et de le marquer par des fêtes appropriées.
Les Franco-Américains touchent à un point critique de leur histoire.
Menacés de partout dans leurs traditions les plus chères, dans ce qui
les rattache le plus intimement à leur passé, ils ont besoin de ne pas
perdre confiance en eux-mêmes, de continuer à croire à leur culture.
Notre société n'a pas pour objet propre la Survivance; mais d'une ma-
nière détournée elle peut lui aider en tirant de notre patrimoine histo-
rique des leçons de fierté. Nos fondateurs se proposaient de mettre en
lumière la part exacte qui revient à la race française dans l'évolution et
la formation du continent américain. La société peut se flatter, je crois,
de n'avoir pas trahi leurs intentions et d'avoir toujours tendu vers ce
but si élevé.
Mais pour remplir son oeuvre la Société historique doit compter
sur le dévouement de ses membres. Ses cadres ne sont jamais remplis,
en ce sens qu'elle peut toujours recevoir de nouveaux membres dans son
sein. Et plus elle sera nombreuse, plus efficacement se fera sentir son
action. Je fais donc appel à tous pour qu'à l'occasion des fêtes de cet
automne l'actif de la société soit doublé, triplé même. Que chacun se
fasse un devoir de nous amener autant de nouveaux membres qu'il
pourra, et cela dès la réunion du printemps, en mai prochain. Ce sera
non seulement la meilleure manière de célébrer notre jubilé, mais la
meilleure aussi d'assurer l'existence de la société et la continuité de son
oeuvre.
Le Président,
Eugène-L. JALBERT
TABLE DES MATIERES
Mémoires originaux:
L'affaire Cazeau, 1776-1893 3
Les Franco-Américains et le "melting pot" 32
Les Canadiens [-Français] et la Révolution américaine 50
La Littérature française de Nouvelle-Angleterre 77
Rapports des réunions 81
Appendices:
I Conférence de Mgr Georges Chevrot 86
II Eloge de l'abbé Charles-A. Cordier 87
III Eloges du Dr J.-N. Roy et de Me T. Leboeuf 88
IV Centenaire d'Evangéline 90
V Adieux du Dr Ubalde Paquin 91
VI Conférence de Mgr Joseph Guérin 92
VII La Grande Médaille au Dr Ubalde Paquin 93
VIII Eloge de l'abbé Philias-L. Jalbert 95
IX Eloge de M. Antonio-N. Roy 97
X La Grande Médaille à Mme C. Rocheleau Rouleau .... 98
XI Eloge de M. Euclyde-C. Paquette 99
XII Eloge du juge Adonat-J. Demers 100
Le Cinquantenaire de la Société 103
LA SOCIETE HISTORIQUE FRANCO-AMERICAINE
offre en vente les ouvrages suivants, qu'on peut se procurer chez le
Trésorier, M. le juge Arthur-L. Eno, 45, rue Merrimack, Lowell, Mass.:
"Les Quarante Ans de la Société historique franco-américaine,
1899-1940", compilation des travaux de la Société depuis sa fondation,
par M. Antoine Clément, ancien secrétaire. $5.00 l'exemplaire.
"Le Catéchisme d'Histoire franco-américaine", par M. Josaphat
Benoit, maire de Manchester, New-Hampshire.
Troisième édition, $0.10 l'exemplaire.
Le présent Bulletin et celui de 1944-1945, à $0.50 l'exemplaire.
THE FRANCO-AMERICAN HISTORICAL SOCIETY
offers the following publications which can be obtained from the
Treasurer, Judge Arthur-L. Eno, 45 Merrimack St., Lowell, Mass.:
"Les Quarante Ans de la Société historique franco-américaine,
1899-1940", a compilation, made by Mr. Antoine Clément, former
Secretary of the Society. Price: $5.00 per copy.
"Le Catéchisme d'histoire franco-américaine", by Mr. Josaphat
Benoit, mayor of Manchester, N. H. Price: $0.10 per copy.
The Bulletins of the Society, for 1944-45, and for 1946-47. Price:
$0.50 per copy.
L'Imprimerie de L'INDEPENDANT, Fall-River, Mass.
Février 1949
Société Historique Franco-Américaine
Fondée le 4 septembre 1899
BUREAU
1948-1949
PRESIDENT D'HONNEUR
Gilbert Chinard — Professeur à l'Université de Princeton, N.-J.
VICE-PRESIDENTS D'HONNEUR
Pierre-Georges Roy — Archiviste et historien — Québec
L'abbé Adrien Verrette — Historien — Plymouth, N.-H.
PRESIDENT
Eugène-L. Jalbert — Conseiller juridique de l'Union Saint-Jean-Baptiste
d'Amérique — Woonsocket, R.-I.
VICE-PRESIDENT
Le Dr Antoine Dumouchel — Médecin-chirurgien — North-Adams, Mass.
TRESORIER
Arthur-L. Eno — Juge de la Cour de District de Lowell, 45, rue Merrimack,
Lowell, Mass.
SECRETAIRE
Le Dr Gabriel Nadeau — Sanatorium, Rutland, Mass.
SECRETAIRE ADJOINT
Le Dr Roland Cartier — Assistant surintendant du Sanatorium d'Etat de
North-Reading, Mass.
CONSEILLERS
—pour 3 ans —
L'abbé F.-X. Larivière — Marlboro, Mass.
Le Dr Benoit Garneau — Fall River, Mass.
William Arsenault — Cambridge, Mass.
— pour 2 ans —
Le Juge Alfred-J. Chrétien — Manchester, N.-H.
Valmore-M. Carignan — Avocat — Woonsocket, R.-I.
Le Dr Ulysse Forget — Warren, R.-I.
— pour 1 an —
Dolard Hamel — Worcester, Mass.
Hector-E. Cormier — Brockton, Mass.
Wilfrid-J. Mathieu — Manchester, N.-H.
Années
1948 et 1949
BULLETIN
DE LA
Société historique
Franco-Américaine
BOSTON, MASSACHUSETTS
LA SOCIETE HISTORIQUE FRANCO-AMERICAINE
présente son Bulletin pour les années 1948 et 1949. Ce Bulletin contient
le compte rendu des séances tenues au cours de 1948 et de 1949 et des
documents d'archives.
La Société historique franco-américaine est affiliée,
à titre de section, à
L'INSTITUT D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE
fondé par le chanoine Lionel Groulx
Elle tient deux réunions par année à Boston. Le montant de la coti-
sation est de 0.00.
Toute personne, homme ou femme, peut devenir membre de la société.
Ce Bulletin se vend $0.50. On peut se le procurer chez le trésorier, M.
Antoine Clément, 195 West Sixth, Lowell, Mass.
THE FRANCO-AMERICAN HISTORICAL SOCIETY
présents its Bulletin for 1948-1949. It contains historical articles and
the reports of the meetings held during 1948 and 1949.
The Franco-American Historical Society forms
a section of the
INSTITUT D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE
founded by Canon Lionel Groulx
The Society meets twice a year in Boston. Fées are $5.00.
This Bulletin sells for $0.50, and can be obtained from the Treasurer,
Mr. Antoine Clément, 195 West Sixth, Lowell, Mass.
BULLETIN
de la
Société historique
Franco-Américaine
pour les années 1948 et 1949
BOSTON
Massachusetts
1950
— :— Les Conférences de la Société
LE FOLKLORE, PATRIMOINE TRADITIONNEL^
Par LUC LACOURCIÈRE
(Professeur à l'Université Laval)
Permettez-moi d'abord de vous dire combien je suis sensible à l'in-
vitation que vous m'avez faite de vous parler de folklore. Plus qu'un
hommage personnel, j'y vois la très haute considération dans laquelle
votre Société historique, bientôt mi-séculaire, tient l'humble science du
peuple.
C'est avec empressement que j'ai saisi cette aimable occasion que
m'offrait votre Société. Elle me permet de vous parler du pays d'où
vous êtes issus, de ses gens qui furent et restent vos frères, de quelques-
unes de leurs traditions qui se sont épanouies avec mille grâces et va-
riantes, et que vous-mêmes avez à coeur de conserver ici. L'objet de
cette rapide pérégrination à laquelle je vous invite à travers le Canada
français, c'est donc la rencontre de son peuple divers, c'est l'examen
sommaire de ses innombrables coutumes et l'appréciation de leur valeur
culturelle.
Mais, qu'est-ce au juste que le folklore? C'est un mot jeune, mais
qui n'en désigne pas moins des réalités vieilles comme le monde, con-
temporaines des tout premiers chants humains. Etymologiquement, il
signifie: la science du peuple. Il définit, dans le domaine de l'anthro-
pologie, un point de vue très particulier. Tandis que l'ethnologie et
l'ethnographie ont pour objet l'histoire des races humaines, de leurs
origines et transformations, de leurs progrès matériel et social, le folk-
lore, comme science, a pour but précis: les traditions populaires.
Il désigne, en outre, ces traditions elles-mêmes, c'est-à-dire ce pa-
trimoine de croyances, de moeurs et d'usages que les générations se
* Conférence prononcée à Boston, devant la Société Historique Franco-Amé-
ricaine, le 1 1 novembre 1947.
BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
transmettent avec la vie, ce rituel qui ordonne toutes les manifestations
du génie d'un peuple, le cérémonial de ses travaux et de ses fêtes, le
style particulier de ses amours, de ses joies et de ses malheurs. Le
folklore est ce lien mystérieux entre les points extrêmes de la durée d'un
peuple. Dans la succession des individus, il est le continuel, le perma-
nent; il exprime, dans la diversité des oeuvres et des moeurs le caractère
spécifique ou encore la tonalité générale. Il est comparable, au fond
de chaque génération, à quelque démon socratique qui inspire, excite
et dirige. Son mystère est d'être anonyme. Il parle et chante, pleure
et danse, et par lui c'est la voix de l'âme collective qui s'exprime. Il
est le frère de la langue, comme elle, libre, spontané, un peu rustre, plein
de sel et de franchise, méprisé de bien des doctes et très naturellement
dédaigneux de toutes écoles et académies.
Le folklore français est riche comme la race elle-même et sédimen-
taire, je veux dire composé dans son fonds d'éléments celtes, nordiques
et méditerranéens; il s'est transformé de siècle en siècle avec le peuple
et les conditions de vie. Le climat, le sol, le caractère des provinces
ou des régions n'ont cessé de le modifier perpétuellement. Les vicissi-
tudes politiques et militaires, si elles n'ont pas toujours atteint les pro-
fondeurs de l'âme populaire, ont influé elles aussi sur son originalité.
Si bien qu'on pourrait dire, après Valéry, que les folklores, hélas! comme
les civilisations sont mortels. Il n'est pas un folkloriste de France ou
d'ailleurs qui n'ait déploré cette sorte de réduction à l'uniformité que les
inventions modernes ont fait subir aux coutumes et croyances. Ce n'est
pas que l'âme soit changée dans son fonds, mais elle est soumise depuis
au delà d'un siècle à d'implacables nouveautés. Les moeurs, les goûts
sont en constantes et rapides évolutions. Le peuple, autrefois très com-
partimenté, puisait en lui-même et dans son passé ses élixirs et l'aliment
de ses besoins poétiques. Il est maintenant devenu passif; et notre
monde actuel, un vaste et morne auditoire. Le cinéma, le journal et la
radio lui font trop souvent violence, lui imposent désormais leurs jeux
et leurs histrions. Où trouver, dans une occupation si despotique des
loisirs, la chance de chanter par soi-même, de s'exprimer soi-même? et
quelle crainte ne devons-nous pas éprouver, au milieu de tant de musique
et de paroles mécaniques, que le génie du peuple ne soit seul à demeurer
muet? Les folklores, autrefois si admirablement variés, si substantiels,
si savoureux et juteux, comme ces plats d'ancestrale bombance, ne sont
de plus en plus que des choses isolées, rares, lointaines, reléguées aux
confins de notre civilisation. Tant et si bien que ce qui faisait les délices
de nos pères dans l'Ordre de Bon Temps ne sera plus bientôt qu'objet
de musée et matière des anthropologues.
A étudier le folklore français, cependant, on demeure étonné de
tant de sève, de cette prodigalité de fleurs et de fruits de toute succu-
lence. Le génie de nos pères pousse sans contrainte. C'est la vigne folle,
exubérante; au moyen âge, elle envahit tout: chaumières et châteaux,
portiques et parvis des cathédrales. Elle verse à profusion "le gentil vin
pineau" qui donne à tous, écrivains, jongleurs, architectes, ouvriers et
paysans: chansons, belles images et joyeux dicts. Elle meut tout, autant
la langue, la pierre et les bras que les âmes.
LE FOLKLORE, PATRIMOINE TRADITIONNEL
Nous avons en Amérique une preuve de cette fécondité. Quelques
milliers de paysans venus de France transportent ici, pêle-mêle avec
leurs pioches, haches et charrues un répertoire tel que nous sommes loin
d'en connaître encore toute la richesse. Le folklore canadien a, comme
le peuple, sa généalogie très précise. Nous savons les dates et les lieux
de sa transplantation. Il émigré, avec nos pères, au XVIIe siècle, des
provinces françaises de l'ouest, les plus pittoresques et remuantes, celles
que nous pourrions appeler les provinces cathédrales.
Il n'entre pas dans mon propos de faire de l'ethnologie. Je déduis,
cependant, de ces colons capables de quitter l'ancien monde pour l'aven-
ture, qu'ils n'étaient pas les moins vivants, ni les moins hasardeux du
pays de France. Et même, je les soupçonne d'avoir eu dans le coeur et
le gosier de merveilleux toniques contre la mer, contre le temps, contre
pauvreté et misère de tout genre. Quoi qu'il en soit, à comparer au-
jourd'hui les nôtres avec les traditions et langue de la Normandie, de
l'Anjou, du Poitou et de la Saintonge, il est évident qu'elles ont entre
elles un étroit parentage.
Il serait difficile, dans l'état actuel de nos connaissances folklori-
ques, d'établir avec précision l'apport de chacune des provinces fran-
çaises. On peut dire cependant que la lignée est la même; et, pour re-
prendre une comparaison qui a eu quelque retentissement ces derniers
temps, la tige séparée du bel arbre français a, de ce côté-ci des mers,
sa vie autonome et bien typique. Le folklore, de sa nature, est chose
sensible et mouvante. Les airs, les textes et les gestes se peuvent ressem-
bler substantiellement, mais les rythmes qui les portent, mais les mesures,
les accents: autant de variantes que leur crée l'âme aux mille cours.
Notre folklore canadien demeure, dans sa substance, fidèle à ses
origines; mais aussi, tant de circonstances nouvelles en ce continent
nouveau, ne laissent pas de le modifier. Il s'adapte aux modes de vie
que lui font le pays, le travail, les obstacles, les saisons. Il subit la
fortune coloniale, s'agrémente et parfois se teinte. C'est le bien de tous,
affranchi des droits d'auteurs, et que chacun traite avec liberté. On ne
conçoit pas que tant de rossignolets, tant de princes, de pastoureaux et
de bergères conservent ici toutes les mêmes moeurs qu'au pays natal.
Il est indéniable, en outre, que tant de grâces nouvelles et d'inspirations
originales n'aient provoqué les nôtres à l'invention.
Folklore canadien: folklore français pieusement conservé tel quel
comme un bijou de famille, mais souvent aussi, transformé, augmenté
par notre peuple, héritage de notre vieille et chère France, de sa féoda-
lité, de sa paysannerie, de ses dames et jouvenceaux, mais rajeuni chez
nous par le grand souffle vierge du pays neuf et plein de berceaux, de
forêts et de rivières, d'angoisses et d'aventures. Il forme le fond de
notre littérature parlée. Il ne nous est pas apporté par le monde officiel
des gouverneurs, des fonctionnaires, des commerçants et des religieux.
Ces milieux-là regardent d'assez haut, comme il sied en France à tous
les privilégiés, ces moeurs et basses expressions de la roture. Le folklore
nous arrive à fond de cale, caché, comme en un baluchon, dans la langue
de nos colons et de nos marins.
BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Comment parler du folklore sans rendre d'abord hommage à cette
langue populaire des provinces de France au XVIIe siècle. Elle est riche,
verte, luxuriante, fidèle aux traditions: elle est la plus expressive et la
plus naturelle des langues françaises. Elle n'est pas celle des salons et
de la cour. Il a été décrété par Vaugelas, par Balzac, par tous les
puristes et précieuses qu'elle serait, comme le peuple, taillable, sans
merci. Et Dieu sait quelle maltôte on lui fait impitoyablement subir.
Certes, nous aurions mauvaise grâce de mésestimer les grands écrits
du XVIIe siècle. Ils sont nôtres, en grande partie du moins; ils parlent
la langue qu'entendait notre classe officielle et qu'enseignèrent nos pre-
mières écoles. Mais le bon peuple des colons dont nous sommes issus,
eût mieux compris Rabelais et Montaigne que tout écrivain du grand
siècle hormis les endroits où Molière et La Fontaine sont, par nostalgie
peut-être, non-conformistes et archaïsants. C'est un point qu'il ne faut
pas oublier, que j'estime capital dans l'histoire de nos traditions: la
grande purge du XVIIe siècle n'affecte pas la langue de nos paysans.
Elle continue, Dieu merci, d'abonder en formes populaires et dialectales
du Moyen Age et de la Renaissance. La preuve nous en est faite par le
Glossaire du Parler français au Canada, et par nombre d'études de
régionalisme linguistique.
Mais il y a de plus que le fonds traditionnel si charmant, si digne
de respect, d'étude et de piété filiale s'enrichit. Le climat, la faune, la
flore, mille besoins nouveaux de signifier, mille impressions nouvelles
venues de toutes parts, mille choses de natures très différentes par le
sens et l'utilité exigent qu'on leur donne un nom, réclament dans l'esprit
du peuple son image verbale. "Alors, écrit l'abbé Savard, dans l'air
vierge, la vieille langue se trouble. Il faut rebattre, ajuster, créer pour
des horizons changés des rythmes nouveaux, frapper des mots d'aven-
ture, de travail et de misère, improviser souvent en pleine scène, devant
l'audience des eaux, des forêts et des monts, trouver pour la figure de
ce monde nouveau, la pièce sonore, exacte, topique, de bon et juste aloi.
Nos pères nomenclateurs convertissent les mots à de nouveaux
usages; ils agrandissent la mesure verbale; ils tracent ces fins délinéa-
ments qui nous ravissent par la profondeur de la vision et la justesse
du dessin . . .
La ligne, le nombre, le rapport, les correspondances mystérieuses,
les calleuses expériences de la main et du pied, les perceptions de l'ouïe
et les trouvailles de l'oeil, l'émerveillement, la finesse et la bonté, voilà
ce qu'on trouve dans le langage de notre peuple." (L'Abatis, p. 184-
185).
Et je me permets d'ajouter: non dans son seul vocabulaire, mais
dans ses moeurs syntaxiques et dans toute sa littérature traditionnelle.
Puissent les philologues poursuivre en étendue comme en profondeur
cette exploration de notre langue. "Aucun pays, déclarait Ferdinand
Brunot en parlant du Canada, n'offrirait plus belle matière à des explo-
rations avec appareils d'enregistrement, et à la composition d'un atlas.
Les Canadiens voudront sans doute l'entreprendre" (Histoire de la
Langue française, VII, 1935, p. 1054). Que de découvertes les cher-
cheurs dévots et patients n'ont-ils pas déjà faites dans la recherche de
LE FOLKLORE, PATRIMOINE TRADITIONNEL
la langue et des textes authentiques de notre littérature orale? Et, ce
faisant, quel service ils rendent à la culture française et quelle justice ils
exercent contre les ignorants et les corrupteurs qui, à la journée longue,
pour des fins lucratives miment grossièrement la paysannerie. Car ce
n'est pas dans les intrigues de ses rentiers de village, ni dans ses épreuves
conjugales, ni dans ses excès politiques qu'il est beau de voir la civilisa-
tion paysanne et juste de la vouloir tout comprendre; mais dans ses
travaux et fêtes, labeurs et divertissements, et traditions de vie, mais dans
toutes ses moeurs apportées de là-bas, mais dans cette sorte de moisson
inattendue de l'âme née sur ce continent quant et le grain de la terre
elle-même.
Il faudrait évoquer les occupations et métiers d'autrefois, de nos
sédentaires et de nos aventuriers, coureurs de bois, trappeurs, canotiers,
la maison rurale de facture si simple et robuste, son toit en cloche et
ses grâces naïves dans l'ornement. A côté de l'architecture traditionnelle,
il faudrait étudier le mobilier. Le vêtement, les outils et ustensiles, le
four, le rouet, le ber composaient des articles de vie pénétrés de tradi-
tion, d'originalité personnelle, de souvenirs, d'âme en un mot. "Chaque
meuble, dit Wladimir Weidlé, chaque objet le plus ordinaire avait de
la valeur, non pas en raison de son prix sur le marché, non pas à cause
de son utilité nue, mais par suite des usages et des traditions familiales
qui s'y rattachaient et qui donnaient à chacune des pièces les plus hum-
bles du mobilier quelque chose de personnel et d'irremplaçable." (Les
Abeilles d'Aristée).
Dans une somme du folklore canadien, il faudrait décrire les fêtes
de l'année dans leurs expressions et rites typiques: le nouvel an, les rois,
le carnaval, le mardi gras, la mi-carême, la Saint-Jean, la Sainte-Cathe-
rine, Noël, et aussi les cérémonies saisonnières qui accompagnent et
couronnent les travaux: les corvées, le bi, la fête de la moisson, l'éplu-
chette, la fête à la tire, le foulage de la laine, le brayage du lin, etc. . .
A l'examen de ce folklore social, il faudrait joindre la description des
cérémonies qui vont du baptême à la mort, les noces, les divertissements
de la mariée et les enterrements de vie de garçon, et jusqu'aux charivaris
que l'on célébrait lorsque les gens du village avaient quelque raison de
désapprouver collectivement une union. On y lirait encore les recettes
et usages de tous les métiers, l'alchimie de notre ancienne cuisine, et de
la médecine domestique, les façons de nos artisans, potiers, menuisiers,
sculpteurs, constructeurs de navires. Ce serait voir les multiples formes
et adaptations de l'ingéniosité ancestrale avant l'envahissement des ma-
chines. Ce serait faire le bilan des yeux et des oreilles, et du coeur et
de l'esprit. Et le beau moyen que ce serait là pour l'intelligence de
l'histoire et les grandes ressources que nous y trouverions pour l'avenir.
Malheureusement un tel inventaire nous mènerait trop loin et je ne puis
qu'évoquer ici les noms et le souvenir de tous ces faits et gestes du
folklore matériel et social.
Pour l'instant, il me faut m'en tenir à la littérature orale. C'est la
partie la plus originale de notre folklore, du moins celle que nous
pouvons le mieux juger puisque un plus grand nombre d'études y furent
consacrées. Croyances, légendes, contes et chansons populaires émer-
BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
veillent ceux qui les étudient. On s'étonne que tout cela qui avait cours
sur les bords de la Seine et de la Loire dès le moyen âge, ait été si
longtemps et si fidèlement conservé dans la seule mémoire du peuple.
On confiait autrefois à cette précieuse faculté le soin de choses que nous
abandonnons aujourd'hui à l'écriture quand nous ne les laissons pas
tomber dans l'oubli tout simplement. Pour nous qui sommes habitués
à ne retenir que l'immédiat, les Druides, par exemple, avec leurs vingt
mille vers appris par coeur, les rhapsodes avec leurs chants homériques,
transmis de mémoire jusqu'au siècle de Périclès, sont des phénomènes
que nous voulons bien pardonner au temps des mythes. Et pourtant,
de nos contemporains ont encore su dicter à des chercheurs attentifs et
patients quelque cinq cents contes et dix mille chansons populaires
reçues non de l'écrit, mais par le canal de l'unique tradition.
Et telle est, je ne dirai pas le tout, mais une partie de notre littéra-
ture parlée, celle qu'on a jusqu'à date sauvée de l'oubli. Cinq cents
contes! qu'il ne faut pas confondre avec nos légendes. Celles-ci sont
légions. Elles naissent de l'étrange accouplement d'une réalité, d'un
fait souvent historique, avec l'imagination. Elles contentent un besoin
de superstitions; elles sortent de notre crédulité; elles évoquent démons,
loups-garous, sorciers, raniment les feux-follets, les apparitions. Sous des
aspects particuliers, elles sont de tous les temps et de tous les lieux. Elles
transforment en objets surnaturels ou extraordinaires de simples curiosi-
tés de la nature: une pierre de Gaspésie en Géant des Méchins, une
caverne en cabane des fées, un rapide de la Chaudière en un lieu où le
Bostonnais Arnold aurait perdu le trésor fabuleux de son armée. Et
que d'églises, le long du Saint-Laurent, ont été construites avec l'aide
d'un cheval fringuant, impétueux, qui n'était autre que le diable. A date,
on en connaît une dizaine au moins.
Ainsi le veut le peuple. Et cela est du folklore aussi, mais ces
légendes diffèrent du conte par l'origine et la forme. Les contes, en effet,
ont un caractère bien à eux. Ils débutent et se terminent par les for-
mules consacrées. Leurs épithètes, répétitions, clichés, leur font une
atmosphère, de même qu'ils aident la mémoire du conteur. Ils nous
sont venus du fond des âges, des temps immémoriaux. Mais, ils ont pris,
comme il sied, l'air du pays et vivent à la canadienne. Cendrillon,
vêtue chez Perrault de "méchants habits", porte chez nous "flanelle
d'habitant".
Il suffit de peu de chose aux contes pour transporter les hommes
au pays de l'enchantement. "Il était une fois . . ." ou, selon la formule
canadienne: "Il faut bien vous dire ... Il est bon de vous dire qu'il
était une fois . . ." Instantanément le silence se fait autour des paroles
magiques. Dans la grande salle ou le camp de chantier, les gens font
cercle, avec la même attention que des enfants autour d'une aïeule. Le
conteur peut suivre sur les visages l'effet de son récit. Il choisit dans
son sac à merveilles les passages les mieux ajustés aux circonstances; et
dès que le charme opère, il fait passer sous les yeux tout un monde
irréel et poétique, secrètes créatures, images prestigieuses, faites au fond
de l'être de réalisme parfois très minutieux et de fantaisie. Alors on
voit apparaître des princesses belles comme le jour, des princes char-
LE FOLKLORE, PATRIMOINE TRADITIONNEL 9
mants et des fées bonnes ou mauvaises. Il y a aussi des monstres, des
ogres, des géants, des sorciers, des magiciens, parfois le diable en
personne et des animaux qui d'adresse et d'intelligence en remontre-
raient aux hommes.
Tous ces êtres imaginaires et glorieux accomplissent de nature les
exploits les plus invraisemblables. Ils se métamorphosent comme on
change de vêtement; ils ont des charmes, des talismans, des philtres; ils
connaissent la fontaine de jouvence, l'eau "de rajeuni"; ils se livrent
des combats, ils aplanissent les montagnes, déchaînent les eaux de la
mer, s'envolent et disparaissent comme les oiseaux. Et la vertu, comme
il est juste, finit toujours par triompher. Matière vaste, on le voit, et
riche, malgré les apparences, de substance et d'histoire humaine. On
devine que la partie connue de ce répertoire est petite auprès de ce
que devait être le savoir des conteurs d'autrefois. Aujourd'hui il n'y a
plus guère que les gens âgés qui se rappellent les merveilleuses aven-
tures de Petit Jean. Pourtant, que de rapprochements révélateurs on
pourrait faire à l'étude des contes. N'avons-nous pas retrouvé sur les
lèvres d'un guide forestier un long récit qui contient les éléments de
trois tragédies de Shakespeare? Par le chemin féerique des contes, nous
pénétrons souvent jusqu'aux sources mêmes où les maîtres anciens ont
puisé les éléments de leurs chefs-d'oeuvre immortels.
On regrette qu'une étude d'ensemble de tous nos contes n'ait pas
encore été faite. Un classement provisoire n'en révèle pas moins chez
le peuple une tradition jusqu'ici vivace des thèmes d'imagination créa-
trice: fables d'animaux apparentées au roman de Renart, contes merveil-
leux de fées, contes de chevaliers à l'épée invincible, aux châteaux
remplis de mystères, et tels que les romans de chevalerie les ont repré-
sentés; contes chrétiens où apparaissent la Vierge, les saints, les âmes,
le diable tout comme dans les Mystères et la Légende Dorée; contes
à rire qui ont charrié jusqu'à nous l'esprit satirique et gaulois des
fabliaux. Bref, par le nombre, par la variété et par le sujet de nos
contes, on voit qu'ils se rattachent directement au folklore français et
par lui au folklore universel. Objet éminemment digne d'admiration
et d'étude! Il ouvre les régions mystérieuses où se réfugie l'âme du
peuple.
Mais, mieux que les contes qui ne sont d'aucun lieu ni d'aucun
temps, c'est la chanson qui traduit le génie français. C'est la plus riche,
vive et plaisante de nos traditions, celle "où s'élance le mieux, dit Henri
Pourrat, le génie celtique, l'esprit d'alouette." Elle a trouvé en elle-
même, dans ses origine et nature, la force de survivre à tant de siècles,
de vicissitudes et d'aventures. Ancienne comme le peuple dans le coeur
duquel elle a fait son nid, anonyme, tour à tour lyrique, tragique,
satirique, elle a volé d'un geste à l'autre des générations comme l'oiseau
des champs. Elle ne s'empêtre pas de discours. Directe, expressive,
réaliste ou enchantée, elle joue ce tour à la poésie savante de dire en
quelques vers la substance d'un long poème ou les soucis d'un long
amour. Plus que le conte, elle est demeurée fidèle à ses origines,
préservée qu'elle fut contre le temps par sa forme, sa mesure et ses
assonnances. Elle a conservé, dans son éternelle jeunesse, son air
10 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
moyenâgeux et sa gentille allure de poème plein de mystère et de sim-
plicité. On assure que de simples jongleurs de foire ont inventé l'an-
cienne chanson populaire traditionnelle. C'étaient de grands poètes
illettrés, c'est-à-dire qui ne savaient pas écrire comme les troubadours
et les trouvères leurs exquises inventions. Et qui ne voyaient pas le
besoin de les écrire, puisque, volant de bouche en bouche, elles par-
couraient en un rien de temps toutes les provinces de France. Cette
poésie, dont la composition remonte presque toujours au delà du XVIIe
siècle, n'a généralement pas attiré l'attention des littérateurs avant le
XIXe. C'est Gérard de Nerval qui, un des premiers, s'est penché avec
amour sur les ballades du Valois. Plus tard, à partir de 1852, la
curiosité étant en éveil partout en France, chaque province donnait une
copieuse moisson.
Nous sommes fiers que notre récolte canadienne ait été plus riche
que chacune de celles des provinces françaises. On a recueilli ici plus
de dix mille textes et variantes dont une centaine déjà en 1865. Dans
ce vaste répertoire, il y a des chansons pour toutes les circonstances de
la vie et pour tous les âges, de la naissance à la mort. Ce sont les
chants de l'enfance, chants de nourrice ou berceuses pour endormir et
que les petits répètent dès qu'ils savent articuler un son, c'est la Poulette
grise, par exemple. Puis, vient l'âge des rondes que fillettes et garçons
dansent et miment entre eux: Promenons-nous dans ce bois, tandis que
le loup n'y est pas ... La fillette a quinze ans; dans la chanson popu-
laire, c'est déjà l'heure où elle commence à soupirer: Mariez-moi, ma
petite maman, j'ai hâte d'entrer en ménage. Le garçon de son bord n'a
pas moins de souci. Les amoureux rusent quelquefois pour se rencontrer,
se dire leur secret, se jurer fidélité; ou bien ils soupirent, loin l'un de
l'autre, et confient des messages d'amour aux rossignolets. Le coeur
est parfois contrarié ou rusé. La fille préfère son gentil pastoureau aux
princes ou aux bourgeois de la ville. Elle leur joue même de mauvais
tours. Viennent ensuite les chants de ménage qui redisent, mais avec
ironie, les joies promises à la mariée; ils insistent malicieusement sur le
mauvais sort des pauvres femmes dont le mari est ivrogne et sur celui
des maris en proie à des mégères.
Puis, il y a les chants de métiers, de soldats, de marins, de moisson-
neurs, de fileuses, que les canotiers chantèrent souvent dans les chantiers
et sur les rivières où on les rythmait de l'aviron. Il y a des chansons
religieuses, des complaintes de mendiants, chansons de quête du temps
où les quêteux payaient leur gîte en monnaie de musique. Dans ce même
ordre, il y a aussi les noëls et cantiques populaires qui relatent des
miracles: Notre-Seigneur en pauvre, et l'admirable Passion de Jésus-
Christ.
A ce fonds traditionnel français, il faut ajouter la chanson à boire,
les chansons de joies et de mensonges, rengaines et randonnées et même
les chansons égrillardes. Tous ces répertoires ont tantôt une fidélité
archaïque; tantôt ils ont été l'objet d'adaptations, de transformations
et même de créations aussi étonnantes qu'inattendues. Un seul exemple
vous montrera l'inépuisable ressource du génie populaire. La chanson des
Trois beaux canards que tout le monde connaît avec le refrain "En
LE FOLKLORE, PATRIMOINE TRADITIONNEL H
roulant ma boule roulant" à elle seule se chante avec 92 refrains dif-
férents et sur une cinquantaine de mélodies. La plupart de ces refrains
et mélodies, nés au Canada, sont un témoignage des divers usages aux-
quels cette chanson a servi. Tellement qu'il ne serait pas exagéré de
dire que le continent américain, de la Baie d'Hudson à la Louisiane, du
Saint-Laurent aux Montagnes Rocheuses, a été découvert aux accents de
ses multiples refrains qui redisent, chacun à leur manière, l'histoire des
canotiers, des explorateurs, des engagés au service des compagnies de
fourrures, ou des anciens cageux et draveurs de l'industrie du bois.
Avec ces hommes, on aborde un autre groupe de chansons qui est le
répertoire spécifiquement canadien, né ici, car les Canadiens n'ont pas
apporté que des chansons toutes faites, ils ont aussi hérité du génie d'en
faire. Quelques-unes, comme les Raftmen ou la Plainte du Coureur de
bois ne manquent pas d'allant et de beauté dans leur rusticité, d'entrain
dans le départ, même de mélancolie dans la solitude des forêts. Cette
chanson populaire a ranimé bien des courages, relevé bien des énergies,
"On a eu de la misère, disait une jeune femme d'une paroisse de colo-
nisation, on a fait une chanson". Et la chanson s'est aussi mêlée de
politique dans la jeune France tout comme dans la vieille.
Tels sont, en partie, les principaux sujets et quelques-unes des
variétés de nos dix mille chansons connues, c'est-à-dire recueillies à
date et sauvées de l'oubli. Chiffre impressionnant, sans doute, mais
chiffre encore incomplet puisqu'il est bien des lieux du Canada ignorés
de nos enquêteurs. Cependant, devant l'étonnante quantité de ces do-
cuments folkloriques, le président de la Société de Folklore de France,
René Maunier, proclamait en 1935 que c'est au Canada qu'il faut aller
étudier la chanson des vieux terroirs français. Cette appréciation d'auto-
rité n'est pas, croyons-nous, attribuable à la seule chanson, mais d'une
manière générale à la littérature orale, y compris, en bien des cas,
la linguistique. C'est dire que les possibilités du folklore sont immenses
au Canada.
Recueillis avec méthode et piété, les documents folkloriques, même
les plus minimes, ne sont pas une simple compilation de faits particuliers,
mais la matière d'une véritable science de l'âme collective. Ils nous
renseignent avec exactitude sur les moeurs actuelles du peuple, sur les
transformations qu'elles ont subies dans le passé et sur celles qui sont
en cours. Ils apprennent l'importance et l'intérêt de tous les faits jus-
qu'aux plus humbles de la tradition populaire. Vulgarisés, ils remettent
en honneur la science du souvenir et le devoir de la fidélité.
"Le passé, dit Claudel, est une incantation de l'avenir." Des musi-
ciens de chez nous, des littérateurs, des hommes de science n'ont cessé
d'écouter pieusement cette incantation. Qu'il me suffise de rappeler
quelques noms de ceux qui furent particulièrement attentifs à la grande
voix de notre folklore. D'abord, celui d'Ernest Gagnon. "Il a, dit
l'historien Thomas Chapais, élevé un monument national qui a révélé
à la France plus que bien d'autres manifestations peut-être, le fait mer-
veilleux de la survivance française au Canada."
Les Chansons populaires du Canada furent applaudies, en 1865,
comme un objet si rare et si digne d'admiration qu'elles apparurent,
12 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
aux yeux de tous, comme la somme de notre répertoire. Mais les folklo-
ristes du vingtième siècle nous ont désillé les yeux. E.-Z. Massicotte,
dont on pleure la mort survenue ces jours-ci (samedi le 8 novembre),
et Marius Barbeau, avec quelques collaborateurs, ont non seulement
élargi notre connaissance du répertoire chanté; mais ils ont ouvert le
champ tout entier de nos traditions populaires. Barbeau surtout, par ses
enquêtes auprès du peuple, ses recherches de toute nature, ses publica-
tions, ses cours universitaires, est l'instigateur d'un véritable mouvement
scientifique de folklore. On peut mesurer l'ampleur et le prix de son
oeuvre par le second recueil des Archives de Folklore qui lui est con-
sacré. On y a fait le relevé de cinq cent soixante dix-huit titres de livres,
brochures ou articles sur l'anthropologie et le folklore, depuis 1911.
Quel chiffre! Et pourtant, Barbeau estime qu'il est fort loin de re-
présenter la somme.
Ici je m'en voudrais d'oublier la figure modeste et sympathique
d'un folkloriste qui vous est cher entre tous. Je salue la mémoire d'Adé-
lard Lambert. Bien que né dans la vieille Province, Lambert a passé
cinquante-sept ans de sa vie en Nouvelle-Angleterre. C'est dire qu'à
ce titre il appartient un peu plus aux Franco-Américains qu'aux Cana-
diens. Que de trésors il nous a sauvés de la ruine et de l'oubli! Quel
respect et quelle reconnaissance mérite cet homme du peuple, dépositaire
d'une riche tradition familiale et pieux rassembleur du patrimoine
collectif! Sans lui, nous connaîtrions peu de ces traditions apportées du
Canada en Nouvelle-Angleterre. Davantage par son geste que par son
écrit, il symbolise le gardien fidèle du pur patrimoine commun.
C'est au labeur de ces pionniers que nous devons la connaissance
de ce que la tradition nous a conservé de meilleur. Mais il est urgent
de continuer leur oeuvre; et de fixer au plus tôt ce qui demain sera
perdu sans retour. Le fossé entre ,les générations d'hier et celles d'au-
jourd'hui n'a jamais été aussi décisif ni profond. La jeunesse présente
est distraite du passé. La vie de famille où s'épanouissait la fleur de
ses plus chères traditions est menacée dans son sanctuaire lui-même.
Sollicitée par tant d'appels, venus de toutes parts, l'âme du peuple
s'éloigne de plus en plus de ce qui fut jadis sa force et sa beauté. Et
chaque jour quelqu'un de nos vieillards emporte avec lui une parcelle
de notre précieux patrimoine.
Par bonheur, l'Université a compris l'importance de la tradition
intégrale. Elle a vu que c'était un monument à la fois robuste et fragile
dont toutes les parties se tiennent à ce point, qu'on n'y peut séparer le
fondamental du simple accessoire. Elle n'entend plus qu'on néglige le
folklore. Elle veut tout le recueillir, le conserver, afin de maintenir sur
cette terre d'Amérique la civilisation de ses premiers découvreurs et
conquérants.
LE SENS NATIONAL*
Lorsque monsieur Gabriel Nadeau, votre secrétaire, m'invita à
prendre la parole devant les membres de la Société Historique Franco-
Américaine, j'ai éprouvé à la fois, un sentiment d'honneur et de fierté,
et la pensée de rencontrer l'élite intellectuelle de la Nouvelle-Angleterre
m'a causé une joie que je ne saurais vraiment pas vous exprimer; j'ai
surtout songé immédiatement au mérite immense que vous avez d'être
restés fidèles à vos origines raciales, à la langue et à la foi de vos an-
cêtres.
Unis dans l'intelligence par une culture commune, dans la vie par
une façon de voir qui nous est propre et dans le coeur par des attache-
ments dont nous seuls pouvons apprécier la valeur morale, nous travail-
lons tous au succès d'une mission sacrée dont nous savons la grandeur
et la répercussion pour ceux qui viendront après nous.
La province de Québec, par sa magnifique fidélité au passé, aux
traditions, aux croyances, est l'objet de l'admiration des étrangers intel-
ligents qui nous visitent et des canadiens anglais de bonne foi qui nous
regardent sans parti pris.
Evidemment, la province de Québec mérite l'admiration qu'elle
suscite autour d'elle, parce qu'elle a à son crédit tout un passé grandiose
et qui a coûté à ses enfants d'amers sacrifices. Ce passé, il a exigé aussi
une force de volonté peu commune pour résister aux assauts brutaux
qui, de toutes parts, menaçaient notre peuple, ou encore aux conseils
perfides qui tentaient hypocritement de vaincre notre ténacité.
Mais ce mérite est bien mince à côté du vôtre. Alors que nous du
Québec, avions à notre disposition le nombre et tout ce que cela signifie,
vous, Franco-Américains, avec des moyens de fortune, avec au coeur,
je le sais, l'impression pénible que vos frères de là-bas se désintéres-
saient parfois de vous, vous avez magnifiquement résisté à l'assimilation
qui aurait presque été excusable; vous vous êtes imposés par votre force
et aujourd'hui vous donnez l'exemple d'une minorité respectée qui pos-
sède ses associations distinctes.
A tous ceux qui vous regardent, vous donnez le spectacle de la
dignité et de la noblesse de citoyens qui ont décidé de vivre et d'affirmer
leurs droits à la face de l'univers. Vous donnez enfin l'exemple de ce
que peut faire l'union nationale, l'union sacrée de tous les coeurs, de
tous les esprits, de toutes les intelligences, pour le triomphe d'une cause
commune qui est la cause même de notre survie et qui, demain, sera la
cause de nos enfants.
Pour réussir pleinement dans cette mission que nous avons acceptée
et qui a pour fin non seulement la survie de la race française en Amé-
rique, mais aussi son essor et son épanouissement, nous devons posséder
d'abord, puis inculquer à nos jeunes le sens national, ce sens qui s'ex-
* Causerie prononcée par l'honorable Orner Côté, Secrétaire de la Province
de Québec, devant les membres de la Société Historique Franco-Américaine,
le mercredi, 3 novembre 1948.
14 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
prime dans l'individu d'abord, dans la société ensuite, et qui doit inspirer
aussi bien les actes personnels que les actes officiels: C'est dans ce sens
que je veux vous parler ce soir.
Dans la société, chaque citoyen a une certaine fonction à exercer.
Les enfants, ces hommes de demain, doivent être préparés afin de rem-
plir leur rôle le mieux possible. Aux éducateurs incombe donc le grand
devoir de fournir à la jeunesse tout ce qui lui est nécessaire dans la vie.
Il est vrai que les écoles réalisent assez bien ce desideratum dans les
premières années de l'existence. Mais après la scolarité, à cette heure
où comme un jeune coursier, l'oeil en feu, les naseaux fumants, dans
cet inconnu qui s'ouvre et l'appelle, il est prêt à bondir et à se précipiter,
allez-vous le laisser partir sans le calmer un peu, sans le guider, sans
l'écarter des précipices?
Voyez d'un peu plus près le grand nombre de devoirs importants
que le jeune homme aura à remplir. Vous parlerais-je de ses obliga-
tions envers sa famille, indiqués par les mots: époux, père, fils, frères
et soeurs; ses devoirs, plus nombreux, envers tous ses semblables qui ont
les mêmes facultés, la même destinée que lui; — enfin de tout ce qu'il
doit faire parce qu'il est citoyen d'un Etat?
Tout ceci ne serait rien s'il pouvait aller tout droit, toujours tout
droit; mais il doit naviguer en évitant des écueils, en contournant des
gouffres!
Que doit donc posséder le jeune homme qui fait son entrée dans
la vie pratique?
Tout d'abord, s'il n'est pas en santé, saura-t-il fonder une famille
bien constituée? Ses forces corporelles lui permettront-elles de se livrer
courageusement au travail pour procurer le pain à sa femme et à ses
descendants? D'un autre côté, l'homme qui souffre physiquement n'a
pas cette égalité d'humeur qui contribue au bien-être de ceux avec qui
il vit. Ne demandez pas non plus à pareil homme une grande applica-
tion à la besogne; partant n'attendez pas de lui un progrès quelconque
dans son métier. Enfin, sont-ce de semblables citoyens qui vont beau-
coup contribuer à la grandeur du pays?
Des hommes qui ne sont pas forts ne peuvent remplir leurs devoirs
envers la société, ils ne peuvent réaliser toutes les vertus du sens na-
tional.
Favorisez donc autant que possible le développement corporel des
jeunes gens. Tout d'abord donnez une saine nourriture à vos fils, sur-
tout au moment de la croissance. Veillez à ce que les règles de l'hygiène
soient mises en pratique avec une grande régularité. Engagez les jeunes
gens à se livrer, pendant leurs moments de loisir, à des exercices en plein
air; tâchez de leur faire aimer les sports; il en existe tant de nos jours:
la balle, le foot-ball, la natation, la course, etc., lancez-les dans diffé-
rentes associations qui ont trait à l'éducation physique. Il leur sera si
agréable de se délasser après leurs rudes journées de travail. Et, en
parlant de travail, il est du plus grand intérêt pour la formation cor-
porelle de ne jamais imposer une besogne qui surmène.
LE SENS NATIONAL 15
De plus, certains jeunes gens doivent être l'objet d'une surveillance
toute spéciale: ce sont ceux qui sont enclins à des habitudes préjudicia-
bles à leur santé. Prévenez le danger, agissez avec eux par persuasion
plutôt que par autorité. Raisonnez-les pour leur faire comprendre com-
bien sont destructeurs les excès, qui se rencontrent malheureusement
trop souvent chez la faible nature humaine. Amenez-les à s'affilier à
une société de tempérance. Ne craignez pas, enfin, de leur montrer le
monde tel qu'il est.
Doué d'une constitution robuste, le jeune homme ne réunit pas
encore les conditions requises pour tenir véritablement sa place dans la
nation. Il doit encore être instruit.
On pourrait écrire des pages et des pages à ce sujet. Il suffira que
j'énumère quelques-uns de ses avantages.
Tout d'abord il pourra mieux dominer sa famille, veiller plus
efficacement à la formation de ses enfants, et rendre son foyer beaucoup
plus agréable. Il trouvera dans la lecture et l'étude une satisfaction bien
supérieure aux autres divertissements et sera ainsi éloigné de tous les
dangers — cabaret et autres — provoqués par l'oisiveté. N'est-ce pas
d'ailleurs par l'étude que le jeune homme s'élèvera, que ses différentes
aspirations s'ennobliront? S'il est ouvrier, étant instruit, il pourra con-
naître à fond son métier, y apporter des modifications importantes,
contribuer de cette façon au développement des sciences, des arts, et
rendre de véritables services à la patrie. Que d'inventions sont dues à
des travailleurs intelligents!
L'homme doté d'une instruction plus ou moins grande, peut donc
contribuer au bonheur des siens et de toute la société. Comme on a
raison de dire que les hommes intelligents font la force et la richesse
d'une nation. N'est-ce pas encore par ses facultés supérieures que l'hom-
me pourra se rendre compte de ce qu'il vient faire dans la société? En
apportant du raisonnement dans tout, il comprendra la portée des lois
et trouvera naturel qu'on leur obéisse, contribuant par le fait même au
maintien de l'ordre et à la sécurité générale.
Puisque l'instruction est si utile à l'homme social, répandons-la
autant que nous le pouvons. Tâchons de faire acquérir à nos jeunes
gens le goût d'accroître leurs connaissances. Envoyons-les dans les écoles
industrielles ou professionnelles. Recommandons-leur l'étude des langues
étrangères; en s'assimilant les différentes façons de s'exprimer usitées
dans les pays qui nous environnent, ils comprendront mieux l'homme.
Fort et intelligent, un homme n'est encore rien, s'il n'est d'une
grande moralité.
En effet, sans cette dernière qualité, peut-on espérer la concorde
dans la famille? Quels exemples sont fournis aux enfants par un père
non vertueux? De quelle façon un chef désoeuvré compte-t-il maintenir
chez lui une bonne discipline? ... Et la société donc, que deviendrait-
elle? s'il n'y a pas de vertu, je veux dire: la justice, la bonté, le courage,
etc. De plus, l'homme moral veut le bien; il fera donc tout ce qu'il
pourra pour maîtriser ses passions. Il acquerra une volonté forte qui
lui permettra de repousser le mal chaque fois qu'il se présentera. Voilà
pourquoi je dis aux éducateurs: "Rassemblez donc toutes vos forces,
16 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
afin de faire de nos enfants des êtres moraux. Dans l'ordre physique
comme dans l'ordre intellectuel, vous ne pouviez pas beaucoup; la
nature et les circonstances faisant tout. Mais pour ce qui concerne la
moralité, on ne saurait trop vous recommander de continuer à appliquer
les principes qui vous ont servi de base dans la première éducation. Si
les enfants deviennent bons, vous pourrez vous en glorifier et, comme
l'artiste qui contemple un travail réussi, vous écrier: "C'est mon oeuvre!
— Associez-vous aux parents et, de commun accord, travaillez d'arrache-
pied".
Ce qu'il faut éviter par-dessus tout, c'est l'oisiveté, mère de tous
les vices. Combattez-la en donnant de l'occupation à vos fils. Distrayez-
les autant que possible, comme nous l'avons déjà montré, en parlant de
l'homme au point de vue physique et au point de vue intellectuel. Tâ-
chez de leur faire trouver chez eux un amusement inoffensif comme la
littérature, la musique, la peinture. Formez leur goût du beau; visitez
avec eux les musées et expositions. Ouvrez devant leurs yeux le grand
livre de la nature. Faites-leur aimer les voyages; montrez-leur comment
ils doivent s'y prendre pour retirer le plus grand profit possible des
merveilles qu'ils visiteront. Et surtout, évitez à vos jeunes gens une
éducation trop efféminée: n'oubliez pas que ce sont vos fils qui devien-
dront plus tard des chefs de famille, des citoyens. Suivez-les du regard,
mais faites comme si vous ne les observiez pas. Veillez à ce qu'ils
acquièrent des habitudes d'ordre, d'économie, de prévoyance. Laissez
vos fils agir par eux-mêmes. Qu'ils supportent les conséquences de leurs
actions, bien entendu pour autant que ces dernières ne leur soient pas
funestes. Engagez-les à prendre en main la direction des petites asso-
ciations, c'est ainsi qu'ils apprendront à se débrouiller et qu'ils auront
conscience de l'importance de la solidarité.
L'éducation des jeunes gens au point de vue national peut donc
se comprendre en deux sens différents: ou bien, il s'agit de faire acquérir
aux jeunes gens qui se préparent à devenir des hommes, le sens national,
c'est-à-dire la connaissance et le sentiment, à l'état habituel, des exigences
de la vie nationale, et des responsabilités spéciales que tout homme en-
court par suite des répercussions de ses actes personnels à travers toute
la collectivité; ou bien il s'agit d'initier les jeunes gens à la connaissance
et à la pratique des oeuvres nationales, ou, d'une manière plus large,
de toutes les organisations collectives qui ont pour but de provoquer,
par l'entente et l'action communes, un mieux-être intellectuel, moral,
économique.
Il est facile de voir que ce sont là deux aspects différents de la
formation nationale des jeunes gens. Mais il n'est pas moins facile de
se rendre compte que les deux s'appellent et se complètent réciproque-
ment. Et c'est pourquoi j'ai cru devoir tantôt séparer et tantôt joindre
ensemble ces deux points de vue dans les quelques considérations que
j'ai l'honneur de vous soumettre.
1. — Nécessité de l'éducation du sens national. L'homme ne vit pas
isolément. S'il a ses facultés, ses énergies, bien à lui, sa personne dis-
tincte de toutes les autres personnes et dont il a la conduite, il n'en est
pas moins inséré dans toute une série de sociétés ou d'organismes na-
LE SENS NATIONAL YJ
turels dont les principaux sont la famille, la profession, la nation, la
société religieuse. La vie d'un homme se constitue tout d'abord, évidem-
ment, par son activité individuelle; mais elle se poursuit, s'intègre et
s'achève par toutes ses relations sociales. La vie individuelle et la vie
nationale ne sont donc pas deux vies distinctes et séparables, mais la
même vie considérée sous deux développements différents. Et autant
il y a d'intérêt philosophique et juridique à distinguer ces deux aspects
d'une même réalité concrète, autant il serait faux et dangereux de les
dissocier, plus faux encore et plus funeste de les opposer l'un à l'autre.
Or, si la vie individuelle a ses exigences, ses lois, ses conditions:
hygiène, moralité, instruction, éducation, sacrifice, etc., la vie nationale
aussi a ses exigences naturelles de la famille, de l'organisation profes-
sionnelle, des sociétés religieuses et nationales. La soumission à celles-ci
est aussi nécessaire que l'obéissance à celles-là: elle est un devoir, au
même titre. Et si dès le jeune âge on apprend à l'enfant à considérer
comme sacrés pour la conscience les devoirs de la vie individuelle, il
faut que l'on fasse comprendre au jeune homme les impérieuses exigences
de la famille, de la profession, de la société religieuse, de la patrie.
Donc, une connaissance aussi précise, aussi objective, aussi concrète
que possible des conditions de toute vie nationale et de la valeur morale
de ces conditions: voilà, me semble-t-il, le point essentiel, la base de
toute existence d'homme.
Il faut, de plus, provoquer, chez l'individu un certain affinement
de la conscience, une sorte de prolongation de sa vue; en d'autres termes,
il faut lui donner le sens de ses responsabilités en face de la nation.
Il ne lui suffit pas de savoir qu'il doit, sous peine de ne plus agir en
homme raisonnable, en honnête homme, se plier, s'adapter aux exigen-
ces d'une vie collective qui enveloppe la sienne, pour la nourrir; il faut
de plus lui apprendre que tout acte individuel a nécessairement son
retentissement et son influence, bonne ou mauvaise, à travers toute la
collectivité dont il est membre. La brièveté de cet exposé ne me permet
pas de donner des exemples; mais ils abondent, surtout dans nos sociétés
modernes si compliquées, dont les éléments sont solidarisés les uns avec
les autres par des contacts si fréquents et si divers.
Il est facile de voir quel champ nouveau et illimité peut conférer
la compréhension du sens national; facile de voir aussi que d'introduire
dans la conscience et d'y affirmer le sens des responsabilités nationales,
même des plus éloignées, ce n'est pas autre chose que de travailler à en
faire une conscience pleinement, intégralement humaine, une conscience
qui puisse et qui veuille répondre de tous les actes qu'elle pose et de
toutes leurs conséquences.
2. — Nécessité de l'initiative à l'activité nationale
L'expression, activité nationale, éveille selon le langage courant,
l'idée d'action. Mais j'estime qu'il faut l'entendre ici dans un sens beau-
coup plus large, comprenant à la fois et ce qu'on appelle la vie publique,
et ce qu'on désigne plus spécialement sous le nom d'oeuvres et organisa-
tions nationales.
La vie publique c'est la collaboration qu'un bon citoyen doit ap-
porter au gouvernement et à l'administration de son pays, soit d'une
18 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
province, soit d'un état, soit de toute la nation. Dans la plupart des
états modernes c'est le pays qui se gouverne lui-même, ce sont tous les
citoyens qui remplissent collectivement la fonction administrative. Mais
c'est là une fonction extrêmement délicate et difficile. Les futurs citoyens
auraient besoin d'être formés à leur métier. Le sont-ils? Il est trop
évident que non. Les jeunes électeurs, en général, ne connaissent la
politique que par son côté extérieur; ils ne savent rien, ou à peu près
rien de la théorie et de la morale du gouvernement populaire ou démo-
cratique. C'est, dans leur éducation, une grave lacune dont les effets
se font sentir d'une manière si déplorable dans nos moeurs politiques
et administratives. Cette lacune, il est nécessaire de la combler.
L'activité nationale, outre la vie publique, comporte tout ce qu'il
y a d'action collective et d'organisation ayant un but moral, économique,
professionnel; ligues de toutes sortes, syndicats, coopératives, mutualités,
etc. Et s'il est nécessaire que les jeunes gens soient formés à la pratique
des devoirs de la vie publique, il n'importe pas moins qu'ils soient initiés
à la vie d'association. Jamais, peut-être, à aucune autre époque, on n'a
eu un sentiment plus vif ou plus exigeant de la dignité de chaque
personne et de sa valeur, mais jamais non plus, d'autre part, on n'a
ressenti un besoin plus réfléchi de l'association. Il faut faire comprendre
au jeune homme que les associations visant à la poursuite d'oeuvres
sociales et autres qui solliciteront son concours sont des efforts collectifs
tiès variés pour faire régner la prospérité morale et économique, pour
restreindre le plus possible la zone d'influence de la misère et du vice;
lui faire comprendre, par conséquent, que dès qu'il comptera comme
une unité distincte dans la nation, ce sera son devoir de faire sa part
de l'effort collectif. Et pour l'y engager, il sera évidemment nécessaire
de lui suggérer quelques principes de justice sociale; de lui montrer
l'écart trop considérable qu'il y a entre la société, les relations et les
conditions sociales telles qu'une raison saine et morale les conçoit; de
lui montrer enfin que c'est à la volonté de l'homme et à l'effort associé
qu'il appartient de réduire toujours de plus en plus cet écart entre la
réalité brutale et l'idéal national.
Au risque de me répéter, j'affirme qu'il est nécessaire que le jeune
homme soit formé au sens national, et initié à la pratique de la vie na-
tionale. Ayant à vivre en société il importe qu'il y vive le plus sainement,
le plus vigoureusement possible. Et peut-être n'a-t-on pas assez insisté,
jusqu'à présent, sur ce côté de la formation de l'honnête homme.
Cette éducation est aujourd'hui plus urgente, puisque, sans parler
d'autres raisons plus sérieuses, dans nos sociétés de plus en plus démo-
cratiques, le bien commun ou national est procuré par la masse, c'est-à-
dire par les individus. Si les individus manquent aujourd'hui à leur
devoir national, notre société en souffrira beaucoup plus que ne l'aurait
fait une société d'ancien régime.
L'éducation du sens national et l'initiation à la vie publique et
nationale doivent se faire, me semble-t-il, simultanément et par les
mêmes moyens. Quels peuvent être ces moyens?
Disons d'abord qu'il conviendrait de ne pas laisser aux oeuvres
post-scolaires le souci de commencer cette éducation: elle devrait déjà
LE SENS NATIONAL 19
être amorcée dès l'école primaire et c'est dans ce sens que depuis quatre
ans la Province de Québec oriente son programme d'études primaires.
On s'aperçoit aujourd'hui que pendant des années, le programme de
l'enseignement primaire a été conçu et rédigé un peu en marge de la
vie, qu'il contient trop de connaissances théoriques, abstraites et pas
assez de notions et exercices vraiment utiles. A notre avis ce programme
était trop individualiste, et nous avons cru bon d'y introduire quelques
vues très simples et très nettes sur la vie nationale, ses réalités et les
devoirs qu'elle impose.
Mais c'est évidemment après l'école primaire que doit se poursuivre
et se faire l'éducation nationale des jeunes gens.
Elle ne se fera pas à l'atelier, ni au bureau, pas même à la Faculté.
Elle ne se fera pas non plus seulement dans la famille. Restent donc les
associations et oeuvres de jeunes gens, reste la presse. Et pour utiliser
ces moyens, je crois qu'il faut compter surtout sur l'initiative individuelle,
mais qu'il faut pourtant demander à l'Etat un certain concours.
J'estime que c'est beaucoup dans les cercles de jeunes gens que
peut se faire l'éducation nationale. Ces cercles ne doivent pas être des
oeuvres de préservation seulement, mais aussi, et plus encore, des oeu-
vres de formation. Je suis persuadé d'ailleurs, que les jeunes gens
s'intéresseraient à des causeries bien conduites sur des sujets sérieux
tels que les conditions et les devoirs de la vie nationale. Pourquoi les
jeunes ouvriers et employés ne seraient-ils pas déjà affiliés à leur grou-
pement professionnel? Ils en connaîtraient ainsi la vie pratique et ce
serait le moyen de faire prendre un sens concret aux leçons, conférences
ou causeries qui pourraient leur être faites sur ce sujet. Les élections,
avec le bruit et les passions qu'elles provoquent, seraient une occasion
d'apprendre aux jeunes gens, non pas la politique de personnes et de
parti, mais ce que j'ai appelé la théorie et la morale de la politique et
du gouvernement populaires. Enfin, mille faits de la vie quotidienne
serviraient d'exemples pour éveiller et former le sens national.
Je viens de parler surtout des jeunes gens de la classe ouvrière. Les
jeunes gens plus instruits, et ceux qui se destinent à des carrières où
ils seront nécessairement des dirigeants, avec une responsabilité plus
grande: tous ceux-là doivent aussi avoir leurs cercles, leurs associations,
leurs cours, donnant une importance et une part convenables aux ques-
tions d'éducation nationale. Il n'est pas besoin, je pense, d'insister pour
faire comprendre combien de futurs avocats, médecins, législateurs, etc.,
ont intérêt à connaître le milieu sur lequel ils auront à exercer leur
influence. L'Université ne le leur fera pas connaître. Son enseignement
est nécessairement trop technique, ou professionnel. Il leur faut donc,
à côté des cours universitaires, des cercles et des cours d'éducation sociale
et nationale.
Ces oeuvres et ces cours post-scolaires, convient-il de les laisser au
soin de l'initiative individuelle? Il me semble que les municipalités au
moins devraient en encourager la création, les subventionner même.
Faut-il aller plus loin et établir un enseignement post-scolaire ou com-
plémentaire obligatoire? Non, car la liberté, éclairée, encouragée, sti-
mulée est beaucoup préférable.
20 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Ne manquons pas, d'autre part, d'utiliser la presse qui est aujour-
d'hui une puissance incomparable. Beaucoup de revues et périodiques
sont spécialement destinés aux jeunes gens. C'est encore là, évidem-
ment, une forme d'action à utiliser pour l'éducation nationale.
Le jour où tous comprendront que le premier devoir d'une éduca-
tion nationale doit être incontestablement de former des individus, puis-
que nous vivons à l'âge de l'émancipation individuelle, ce jour-là nous
aurons fait un pas en avant.
L'individu, c'est l'homme hors de tutelle. Au début de la vie, il
n'existe pas; toujours passif, il pense par la raison de ceux qui le diri-
gent, veut par la volonté de ses maîtres, se résout par leur commande-
ment, et va où ils le poussent comme un objet, une chose inerte. Mais
un moment vient où sa raison s'éveille et sa volonté s'affirme, où
l'activité rompt les lisières qui l'enveloppent pour le protéger. C'est alors
que l'éducateur, au lieu de s'effrayer et d'entraver cette éclosion divine,
doit entrer dans le mouvement de la nature, qui est l'impulsion de Dieu
même, et que, modifiant son action propre, il doit devenir le conseiller
de la raison, le soutien de la volonté et délier lui-même les bandelettes
de l'enfant grandi. Loin d'arrêter la raison dans ses premiers essais,
qu'il l'exerce et la fortifie; loin de comprimer la volonté, qu'il la pousse
à vouloir; loin de craindre l'exubérance de l'activité, qu'il en provoque
les élans, ne négligeant aucune raison de pratiquer dans l'intimité ou en
public ce rôle d'émancipateur et d'initiateur.
Qu'il se garde de trop comprimer et surtout de déprimer. La com-
pression produit des esclaves et des hypocrites, et plus elle est savam-
ment pratiquée, plus elle réussit dans cette misérable besogne. Elle
laisse l'empreinte — l'empreinte ineffaçable de la servitude.
La dépression n'aboutit qu'à l'hébétement et à la couardise. A force
de traiter son disciple à la dure, de lui persuader qu'il ne comprend
rien, qu'il n'est capable de rien, le disciple finit par le croire; et de deux
choses l'une: ou il accepte cette opinion inférieure de lui-même, et alors
c'est un rouage brisé qui ne sera bon à rien, ou il se frappe le front en
disant: "J'ai pourtant quelque chose là!" et il devient une force révoltée,
égarée, qui ne pardonnera pas à ses maîtres de l'avoir méconnue.
Pour faire éclore l'individualité, il faut aimer l'adolescent, deviner
ses énergies, l'encourager et le croire meilleur qu'il n'est.
Ce sentiment de haute bienveillance l'obligera à justifier ce que le
maître pense de lui; c'est le plus puissant tonique qu'on puisse servir
à cette nature en croissance.
Imitez la poule couvant ses poussins. Couvez cet enfant, chauffez-le.
Savez-vous comment on couve l'être humain? En l'aimant. Soyez bons;
dépassez même la réalité, en ayant de lui une opinion bienveillante,
surbienveillante.
L'individu éclos, il faut le former.
Il est nécessaire que l'éducateur, qui comprend son rôle au point
de vue national, inculque à celui qu'il élève cette idée que l'action et la
lutte sont nécessaires, et qu'il le soumette à un régime de lutte et d'exer-
cices constants, universels: constants, c'est-à-dire s'appliquant à tout.
LE SENS NATIONAL 21
Le devoir de l'éducateur qui comprend son époque est de soumettre
les enfants confiés à sa garde à un régime d'activité sans trêve: activité
physique, intellectuelle, morale, sociale. Il faut que toute cette jeunesse
agglomérée dans un milieu choisi joue avec entrain, s'exerce à tous les
sports qui exigent un déploiement de forces physiques et de volonté;
s'entraîne au labeur intellectuel, donnant une énergique impulsion à la
mémoire, à l'imagination, à l'attention, au jugement; se livre en secret
aux luttes de conscience qui mettent l'âme aux prises avec ses passions
et ses instincts; s'applique à régler elle-même, selon le conseil du maître,
ses rapports sociaux avec les supérieurs hiérarchiques et avec les égaux.
Cette activité disposera l'enfant à secouer sa torpeur et sa paresse,
à mettre en mouvement toutes ses facultés naissantes, à gagner les ba-
tailles de la vertu et à se tenir à son rang dans le milieu où il vit, respec-
tueux envers l'autorité, bon compagnon envers ses pairs.
Je ne veux pas de natures endormies dont les forces latentes ne
se développent pas, de natures lâches que la conscience ne gouverne point
et qui s'en vont mollement au gré des mille caprices qui les sollicitent,
de natures passives qui, un jour, ayant mécontenté un maître ou froissé
un camarade, font régler leur petite affaire par l'autorité, au lieu de la
régler elles-mêmes de leur propre initiative.
L'activité, l'activité toujours, et quand même: voilà le mot d'ordre
et le secret de développer la force d'agir, sans laquelle l'individu n'est
qu'un germe stérile.
Jouir pour jouir est indigne d'un homme; c'est dissiper, jeter en
pâture au plaisir dévorant les saintes réserves accumulées par le chef
de famille, c'est fomenter les haines sociales, recruter et ameuter l'armée
des anarchistes et des vengeurs de la loi du travail insolemment violée.
En même temps que nous développons l'activité de l'homme et son
initiative, notre devoir est de l'enhardir, de l'accoutumer à l'effort, de
l'endurcir à la lutte; car le milieu humain, aujourd'hui plus qu'autrefois,
est livré à toutes les luttes et à tous les conflits. Jamais la concurrence,
la loi du combat pour la vie, n'a été plus violente que dans notre monde
d'individus émancipés.
Ceux qui n'ont pas l'aptitude à la combativité, dont les mains et
les bras n'ont pas été façonnés pour la bataille, sont vaincus d'avance;
ils seront distancés, écartés, écrasés, rejetés dans la mêlée formidable, à
moins qu'ils ne trouvent quelque refuge pour leur faiblesse.
C'est le devoir d'une éducation vraiment nationale de dresser des
natures saines et militantes, qui sauront défendre le pays contre un
socialisme dissolvant et despotique, dont le règne serait l'anéantissement
de l'individu réglementé, asservi à un pouvoir tyrannique, omnipotent;
des natures courageuses et résolues qui, dans l'ordre politique, ne transi-
gent jamais sur les principes immuables de la justice et de la liberté
plus large; des natures robustes et croyantes qui, dans l'ordre religieux,
savent, en toute circonstance, défendre leur foi menacée et la propager
à force de persuasion, de vertu et d'énergie.
Et, afin que rien ne manque à ces militants futurs, l'éducation
nationale devra les convaincre de ce fait, de cette vérité pratique, savoir
qu'aujourd'hui, malgré la coalition des sectes, l'homme qui sait ce qu'il
22 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
veut, qui a pris la mesure exacte de ses forces internes, qui a été initié
à la science de se maîtriser lui-même, qui est résolu à la lutte, quelle
qu'elle soit, qui connaît le prix du temps et de la victorieuse endurance,
cet homme arrivera sûrement à ce qu'il veut.
Les chemins sont ouverts, mes amis; s'ils ne le sont pas, vous
pouvez, vous devez les frayer. Allez donc où la saine ambition vous
pousse, — j'appelle saine l'ambition proportionnelle à votre valeur, —
allez sans crainte, vous triompherez de tous les concurrents et de tous
les obstacles, à la seule condition qu'une telle foi vous anime et vous
transporte.
Les indolents, témoins de vos succès, diront, pour excuser leur
lâcheté, que vous êtes nés avec la chance. La chance, c'est l'intrépide,
l'infrangible, la victorieuse volonté appuyée sur la vérité et la justice.
Que cette chance soit votre inspiratrice si vous voulez être de vrais
modernes dans le milieu de nos luttes et des conflits.
J'ai nommé la justice: elle doit être la vertu maîtresse, cultivée,
développée, fortifiée dans l'éducation nationale; car elle est la vertu
nécessaire de toute société démocratique et des individualités en con-
currence, en lutte pour la vie.
La concurrence pour la vie entre les individualités affranchies et
libres n'est plus, sans la justice, qu'une mêlée sanglante, telle qu'elle
sévit dans la faune. C'est par la justice que l'homme s'élève au-dessus
de la bête et qu'il la domine.
Voilà pourquoi elle doit régner en souveraine dans les milieux
épurés et choisis où les jeunes générations se forment et grandissent.
Là, pas de privilèges, pas d'acception de personne; la libre, la fraternelle,
la belle égalité. Le mérite est la seule distinction légitime entre les rivaux;
les plus intelligents, les plus actifs, les plus vertueux, d'où qu'ils vien-
nent, voilà le seul titre qui vaille aux yeux des maîtres et aux yeux des
élèves eux-mêmes.
Et quand je parle de justice, comme règle divine de l'être libre,
je voudrais qu'elle fût non seulement une vertu virile, mais une passion
ardente, emportant sa vie tout entière et la contenant dans ses cadres
inflexibles. Encore serait-ce peu que de la pratiquer pour soi-même; il
faut la défendre contre les violents qui l'entravent, la propager dans
le milieu où l'on agit et l'imposer, au besoin par la force, à tous les
mauvais dont l'instinct pervers en menace le règne. Aucune vertu ne
répond mieux au génie de notre âme.
C'est le culte de la justice, qui finira par imposer dans notre milieu
social le règne de la liberté et la pratique de la tolérance entre nos con-
citoyens divisés de croyances, d'opinions et d'intérêts. La liberté n'est
que la justice rendue aux autres, et la tolérance, le respect des indivi-
dualités qui sentent, qui agissent autrement que nous.
Un jeune homme actif, formé à l'initiative, résolu à la lutte, con-
vaincu de l'efficacité d'un effort soutenu intelligent, enraciné dans la
justice et soumis à ses austères prescriptions, peut entrer dans la vie
publique sans peur, sans hésitation, assuré d'y accomplir sa tâche. Il
est réellement, dans notre milieu nouveau, l'ouvrier des sociétés futures.
LE SENS NATIONAL 23
Que sera-t-il? que fera-t-il? A lui de le dire, à lui de choisir, dans
la plénitude de sa liberté, entre les diverses carrières qui le sollicitent
et dans lesquelles il pourra le mieux déployer ses facultés et son énergie.
L'éducation nationale n'a pas à lui imposer le choix d'une vocation;
son rôle consiste à garder toujours présente à l'esprit du jeune homme
la grande, la sainte image de la patrie, à lui révéler son vrai, son pur
génie, à lui montrer ses besoins pressants et ses plaies vives, afin qu'en-
trant dans la carrière préférée, il emporte la conviction unique d'être
utile à son pays, d'en propager les hautes aspirations, de répondre à ses
besoins et de travailler à guérir ses blessures.
Quelle que soit votre vocation ultérieure, vous serez des serviteurs
de votre pays, à la seule condition de répondre aux devoirs profession-
nels.
Prêtres ou moines, missionnaires, apôtres ou soldats, explorateurs
ou colons, professeurs ou industriels, agronomes ou banquiers, ingé-
nieurs, médecins ou savants, juristes ou avocats, diplomates, sénateurs
ou ministres, ouvriers de la plume ou de la mine, la nation a besoin de
vous et de votre activité. Vos soucis seront les siens; votre gloire sera la
sienne; votre force, sa force; votre dévouement laborieux, le gage de
sa prospérité et de son grand avenir.
Les patriotes éprouvés, les citoyens ardents qui sentent vivre en
eux l'âme du pays ne se trompent pas sur les besoins dont elle est
tourmentée.
C'est cette âme que nous devons servir, avec tout notre zèle et de
tout notre pouvoir, en fécondant et en alimentant sa vie, sa vie morale
et religieuse, sa vie politique et civile, sa vie scientifique et littéraire,
sa vie économique et sociale.
Ce qui importe, c'est que tous nos catholiques s'unissent dans la
charité sincère du Christ et dans le respect mutuel de leurs droits. C'est
qu'ils se fassent des convictions profondes, et s'imposent à tous leurs
concitoyens par leur science des choses de Dieu, par leur probité privée
et leur honorabilité publique. "C'est qu'ils se persuadent qu'une nation
vaut moins par le nombre que par la croyance, et qu'une Belgique active,
géniale, d'une forte culture religieuse, l'emportera toujours, de beau-
coup, sur une Turquie stagnante, ignorante et fanatisée." Plus nos
efforts tendront à grandir l'idée divine et à bien pénétrer l'âme des
nôtres des pensées, des soucis et des ambitions qui rehaussent les peuples
devant Dieu et aux yeux de son Eglise, moins nos compatriotes sentiront
le besoin de rechercher d'autres gloires, et de sacrifier, pour les attein-
dre, le fait solide aux rêves grandioses.
L'autonomie, par cela même qu'elle relâche les liens de l'adminis-
tration centrale, s'adapte sans secousses aux besoins et aux tendances
particulières des sociétés. Il faut la perfectionner, non l'amoindrir. Il
faut tirer et dégager avec soin, des principes dont elle est formée, les
conséquences qui sont un progrès, et rejeter énergiquement celles qui
marquent l'oeuvre de l'éducation, et combattre et réprimer les usurpa-
tions qui menacent l'école, et les innovations qui ternissent le foyer. Il
24 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
faut assainir les moeurs politiques, et pousser vers les sphères du pou-
voir des hommes dignes de commander. A ce prix, et à ce prix seule-
ment, notre vie publique, relevée, épurée, et imprégnée d'un esprit
vraiment national, portera des fruits de salut.
La sève du présent s'élabore dans les racines profondes du passé.
Du passé fécondé par la sueur et le sang, montent les végétations vi-
goureuses. Du passé surgissent des leçons et des exemples, des expé-
riences et des lumières. Le passé est une école de respect, de fierté, de
constance, de magnanimité, de courage. Au souvenir de ceux qui nous
ont faits ce que nous sommes, au spectacle des travaux qui ont marqué
leur vie, et à la pensée des vertus qu'ils ont portées jusqu'à l'héroïsme
et sur lesquelles a été édifiée la patrie, nous aimons davantage ce sol
que nous foulons, et qui fut le théâtre, à la fois obscur et glorieux, de
tant de luttes, de tant de labeurs, et de tant de souffrances.
C'est parce que nous sommes fidèles à ce passé que nous sommes
attachés à notre pays. Vous ne serez pas plus de bons américains que
nous ne serons de bons canadiens si vous n'êtes d'abord d'excellents
Franco-Américains, et si nous ne sommes d'abord d'excellents Canadiens
Français.
Ceux qui tentent d'opposer la petite patrie à la grande patrie sont
de bien tristes sires et font une bien petite besogne. Comment voulez-
vous qu'il aime sa paroisse, sa ville ou son pays, celui qui n'éprouve
aucun attachement pour sa famille?
Les vertus de l'individu sont les vertus de l'homme public, et il
sera infidèle à ceux qu'il représente, celui qui est infidèle aux liens qui
l'unissent à une femme et à des enfants.
Ce que j'ai tenté de vous démontrer ce soir, c'est que le sens na-
tional est inséparable du sens de l'humanité et qu'il appartient aux
éducateurs et aux chefs de famille de le développer et de l'accroître
dans le domaine où ils rayonnent.
Les vertus dont j'ai proclamé la grandeur ne sont, après tout, que
les vertus de l'honnête homme, les vertus du chrétien. Il n'y a pas de
christianisme sans justice et sans charité; il n'y a pas de dévouement
social sans ces vertus; et l'expression "sens national" est une expression
vide si elle n'est pas imbue de ces deux grands principes de vie.
Mais ces principes, ils exigent, pour leur application, des efforts
et des sacrifices. Il faut bien l'avouer, notre génération n'a pas le culte
de l'effort et fuit le sacrifice. Il faut, par une prise de conscience qui
s'impose, regarder la réalité bien en face et accepter de mener le bon
combat.
Notre pays sera ce que nous le ferons. Nos enfants habiteront le
monde que nous leur aurons construit. Faites donc que ce monde soit
un peu à la taille de notre idéal, à la taille de nos rêves. Faites donc
que ce monde permette à nos enfants de s'épanouir librement et de pra-
tiquer les vertus des ancêtres dont, dans quelques générations, nous
serons nous-mêmes. Qu'ils puissent englober nos noms dans la lignée
des ancêtres qu'ils respecteront, qu'ils aimeront et dont ils s'inspireront.
Qu'ils puissent penser à nous avec affection comme à de bons
ouvriers qui se sont acquittés proprement de leur tâche, comme à de
LE SENS NATIONAL 25
bons artisans qui ont ajouté une pierre à l'édifice de la nation, et peut-
être aussi comme à de bons artistes qui ont joliment sculpté cette pierre.
Alors, lorsqu'on leur enseignera l'histoire du monde et qu'on essaiera
de leur inculquer le sens national, ils comprendront, par nos oeuvres,
ce qu'est ce sens national, et tout le respect, tout l'amour et tout le
dévouement dont il faut l'entourer.
NOTRE HERITAGE CULTUREL*
Par M. LE CHANOINE ARTHUR SIDELEAU
(Doyen de la Faculté des Lettres à l'Université de Montréal)
Vous ne serez pas surpris, si je viens vous entretenir d'un problème
qui me tient au coeur et qui m'a toujours préoccupé: notre éducation
nationale. Je dis "notre", parce que ce problème vous intéresse autant
que nous. Quoique nous vivions séparés par une ligne qui coupe arti-
ficiellement en deux ce continent nord-américain, les liens du sang qui
nous unissent les uns aux autres gardent toute leur puissance; les liens
de l'esprit, aussi, par lesquels nous communions au legs transmis par
les aïeux, à un même héritage culturel.
De cette persévérance dans votre loyauté et dans votre fidélité
envers notre héritage commun, je ne veux d'autres preuves que l'exis-
tence, chez vous, de tous ces organismes dont le but est de maintenir
bien vivantes nos magnifiques traditions. Parmi ces organismes, il con-
vient de placer à un très haut rang cette Société Historique franco-amé-
ricaine, qui célèbre cette année le cinquantième anniversaire de sa fon-
dation. Il ne m'appartient pas de vous faire l'éloge de cette Société.
Je me contente d'apporter au Président, à tous les officiers et à tous
les membres les félicitations et les voeux de vos frères de la vieille
province de Québec, de même que leur témoignage d'admiration et de
gratitude pour tout ce que vous avez accompli, durant ce demi siècle,
afin de faire briller d'un éclat toujours plus vif votre splendide idéal
de lumière et de vérité: lux et veritas!
Des raisons d'ordre général et humain, des motifs qui nous sont
plus particuliers nous invitent à nous arrêter, de temps à autre, sur le
long chemin de notre destinée, pour faire le point, pour nous demander
où nous en sommes et comment, par exemple, nous conservons et ex-
ploitons notre héritage culturel, tout en le perfectionnant et en le faisant
rayonner autour de nous.
Si les choses ne vont pas très bien dans un monde de plus en plus
désaxé, n'est-ce pas dû, en grande partie, au fait que les hommes ont
abandonné les fortes disciplines de l'esprit, génératrices de lumière,
d'ordre, de rectitude morale? La civilisation occidentale dont nous nous
réclamons n'accuse-t-elle pas un dangereux fléchissement? Nous passons
par une de ces époques où tout est remis en question, une époque de
désordre, de chaos et de crise. L'un des penseurs les plus clairvoyants
de notre temps, Paul Valéry, nous a bien montré que "nous autres,
civilisations, nous sommes mortelles . . . que toute la terre apparente
est faite de cendres . . . que l'abîme de l'Histoire est assez grand pour
tout le monde . . . qu'une civilisation a la même fragilité qu'une vie."
Pourtant, il me semble que la nôtre mérite bien d'être défendue et
maintenue. Par un long processus que je n'ai pas le temps d'analyser
Conférence prononcée à Boston, devant la Société Historique Franco-
Américaine, le 11 mai 1949.
NOTRE HERITAGE CULTUREL 27
par le menu ni de décrire, c'est elle, cette civilisation occidentale, qui
nous a faits ce que nous sommes; c'est elle qui nous a engagés dans
notre être historique, c'est-à-dire dans une voie dont nous ne pouvons
plus sortir, sans courir le risque de nous enliser dans des marécages
mortels. Nous la portons dans notre sang. Ce qu'il y a de tragique pour
nous, c'est qu'elle subit actuellement les rudes assauts des barbares mo-
dernes, convaincus, avec raison, qu'elle oppose à leur ambition de con-
quérir et d'asservir le monde le plus puissant des remparts.
On a souvent parlé de la mission de la race française en Amérique.
Pour ma part, je pense que cette mission n'est pas un mythe; mais je
pense, aussi, qu'il n'y a jamais eu, pour elle, plus qu'actuellement, d'ur-
gence à s'exercer; qu'elle ne peut le faire que par la mise en oeuvre de
ce dynamisme qui se trouve au fond de notre héritage culturel.
De quoi cet héritage est-il principalement fait? Il n'y a rien de
plus complexe que la civilisation d'un peuple. Elle se construit un peu
comme une pyramide. Chaque génération y apporte son bloc de pierre,
qui se superpose et sert de fondement à d'autres blocs semblables. C'est
ainsi que de multiples éléments, les uns venus du plus lointain passé,
les autres empruntés aux contingences du présent, se combinent et se
fondent ensemble pour constituer une civilisation. Mais tous ces dif-
férents apports n'ont pas la même valeur, ne jouent pas le même rôle.
Sous la surface des apparences, il faut savoir distinguer l'essentiel du
secondaire, le fondamental de l'accessoire. C'est ce que nous allons faire,
afin de circonscrire ce vaste sujet. Pour répondre à la question: de quoi
notre héritage culturel est-il fait? je dirai que son premier fondement,
c'est l'humanisme gréco-latin.
Une constatation que ne manquent jamais de noter ceux qui étudient
le fait français en Amérique, c'est que nos pères ont voulu fonder la
haute éducation sur les humanités gréco-latines ou classiques. Ils avaient
compris d'instinct qu'il fallait maintenir sur ce point essentiel la tradi-
tion de la mère-patrie. Et c'est ainsi qu'on a vu surgir, les uns après
les autres, les nombreux collèges classiques, où des prêtres dévoués ont
formé les générations d'élites dont le pays avait besoin pour s'humaniser.
Cette fidélité fut sans conteste l'un des principaux facteurs de notre
survivance. L'âme canadienne-française en a reçu ses traits originaux
et ineffaçables, qui se révèlent par le goût de la clarté, de l'ordre, de la
logique, de la mesure; qui se manifestent, aussi, par l'amour du beau,
de l'art, de l'idéal; par le respect des valeurs intellectuelles, morales,
sociales.
C'est à cette source que fut trempée notre âme et on peut se de-
mander ce qu'il fût advenu de l'esprit français dans ce nouveau monde
si, dès 1635, trois ans avant la fondation de votre Université Harvard,
les Jésuites n'avaient organisé le premier collège classique, "l'ancêtre",
si je puis dire, ou en tout cas, le modèle original des soixante-quinze
Institutions semblables qui constellent aujourd'hui la vieille province de
Québec. Que ce facteur culturel ait joué un très grand rôle dans la for-
mation et la survivance de notre nation, c'est ce qu'a bien vu un sociolo-
gue aussi averti que le R. Père Delos, qui nous cite précisément un
exemple dans son puissant ouvrage la Nation:
28 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Si l'on voulait, écrit-il, trouver un exemple du rôle
joué par les institutions culturelles dans la formation
d'une nation, on n'en trouverait sans doute pas de
plus frappant que celui du Canada français. Un grou-
pe colonial qui compte soixante mille âmes, à la fin
du XVIIIe siècle, se façonne un milieu et grandit en
nation, sous l'action de facteurs dont le plus décisif
est sans conteste la fidélité à sa culture. L'essor ori-
ginal de sa culture sera pour ce groupe ethnique la
garantie essentielle de sa durée et de son développe-
ment.
Ce n'est pas le temps de vous refaire la thèse pédagogique en fa-
veur du maintien chez nous de cette forme d'enseignement traditionnel.
Qu'il me suffise d'ajouter à ces arguments déjà connus, des raisons
actuelles, qui nous imposent l'obligation non seulement de la conserver,
mais de la fortifier et de lui faire rendre le maximum de résultat possible.
Je vous parlais, tout à l'heure, de notre civilisation occidentale, du
devoir que nous avons de la défendre contre les assauts des barbares.
Eh bien! je ne vous apprends rien, quand je vous dis que c'est la gloire
immortelle des Grecs anciens de l'avoir fondée, cette civilisation. C'est
à partir d'eux qu'elle existe. Ce sont eux qui en ont allumé le flambeau,
transmis de génération en génération jusqu'à nous, qui avons le devoir
de le passer à nos successeurs. Cette image classique est imparfaite. Il
s'agit ici d'une transmission de vie, pas simplement de lumière. C'est ce
qui faisait écrire au célèbre historien anglais Arnold Toynbee, dans son
ouvrage: A Study of History: "Our western society is related to the
hellenic society in a manner comparable with the relationship of a child
to its parents." Il s'agit donc d'une filiation spirituelle. En quoi con-
siste-t-elle?
Ce sont les Grecs, aussi bien ceux du temps de Périclès que du
temps de Démosthène, qui ont conçu le plus noble idéal politique et
établi les premiers gouvernements où la dignité de la personne humaine
ait été comprise et respectée. Le privilège des Grecs, c'est encore d'avoir
possédé, plus qu'aucune autre race, une intelligence limpide et péné-
trante, le sentiment du beau, le goût de la mesure. Ils ont créé la philo-
sophie, la science, les beaux-arts; pour exprimer une âme si richement
douée, ils se sont forgé la plus belle langue qu'aient parlée les lèvres
humaines. Quand le nom de Grec eut cessé, par les vicissitudes de
l'histoire, de désigner une race, il a continué de signifier une méthode
de penser; ce qui faisait dire à l'un d'eux, Isocrate: "On appelle Hel-
lènes ou Grecs plutôt ceux qui ont reçu notre culture que ceux qui ont
la même origine." Nous sommes les héritiers de cette méthode de penser
par le fait même de cette filiation spirituelle dont je parlais, il y a un
instant.
Vous voyez apparaître la conclusion que je voudrais tirer de cet
argument, en me plaçant toujours au point de vue de l'éducation. Com-
ment pourrait-on préparer intellectuellement une élite, c'est-à-dire une
génération d'hommes, destinés aux postes de commande, qui sauront le
NOTRE HERITAGE CULTUREL 29
mieux comprendre et défendre les intérêts les plus vitaux de notre race,
intérêts qui se confondent, ici, avec ceux de tous les peuples occidentaux,
si on tentait de le faire en dehors de cette tradition hellénique? Le
but premier de l'éducation doit être, il me semble, de préparer les jeunes
gens à mieux comprendre et à mieux s'assimiler la tradition intellectuelle
dans laquelle ont vécu leurs pères, ils vivent eux-mêmes et vivront leurs
descendants.
Sur ce point, je suis parfaitement d'accord avec les meilleurs éduca-
teurs de votre pays. Ils ont compris, sans toutefois posséder les mêmes
raisons que nous de le faire, qu'il n'y a pas de haute éducation possible
en dehors de cette tradition hellénique. L'ayant interrompue, ils s'ef-
forcent maintenant par tous les moyens de la renouer. Nous avons
toutes les raisons de les admirer dans leurs desseins, de les aider dans
leurs efforts et d'applaudir à leurs succès. Quant à moi, je souscris
entièrement à ces paroles de M. Hutchins, Président de l'Université de
Chicago:
"I do hold that tradition is important in éducation;
that the primary purpose of éducation, indeed, is to
help the student to understand the intellectual tradi-
tion in which he lives. I do not see how he can reach
this understanding, unless he understands the great
books of the western world, beginning with Homer
and coming down to our own day. If anybody can
suggest a better method of accomplishing this purpose,
I shall gladly embrace him and it."
On ne saurait mieux dire.
* * *
Le cas du latin est un peu différent. Les Latins n'ont rien créé, ou
peu de chose, mais ils ont été d'excellents intermédiaires. Cette civilisa-
tion hellénique dont je vous ai parlé, ils furent les premiers à l'accepter,
à la goûter et à se l'assimiler, pour la transmettre ensuite, après l'avoir
marquée de leur empreinte, aux peuples qu'ils avaient conquis et lati-
nisés. Nous sommes, dans cette Amérique du nord, les seuls représen-
tants de la latinité. Savons-nous bien apprécier ce que cela signifie?
quelles obligations de fidélité cela nous confère?
Mon ancien maître, Mgr Calvet, écrivait récemment dans la Croix
de Paris: "Les Latins sont partout les mêmes: assemblés autour du lac
méditerranéen ... ou transportés dans le nouveau monde, ils portent
avec eux leur vrai trésor. Ce trésor, Cicéron, dans son immortelle lettre
à Quintus, son frère, l'appelle humanitas, un mot immense qu'il faut
traduire à la fois par culture, par civilisation et par humanité."
Eh bien! ce trésor, je ne vois pas bien comment nous pourrons le
conserver, sinon par notre fidélité à l'âme de la latinité qui s'exprime
par la langue latine. De plus, c'est elle, la langue latine qui crée l'union
entre tous les peuples latins. On admettra qu'ils constituent une partie
très importante de la population du globe. C'est cette langue latine,
cette âme de la latinité, que l'éminent humaniste Pierre de Nolhac a
chantée dans son Testament d'un latin:
30 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Rome, tu ne meurs pas. Après dix neuf cents ans,
Nous n'avons pas cessé d'user de tes présents.
Tu donnes aux Latins leur grande âme commune.
Le jour où nous abandonnerions le latin, nous aurions perdu notre
âme et nous n'aurions plus qu'à flotter, comme des épaves, entre le bloc
anglo-saxon, le bloc slave et le bloc chinois. La raison, c'est que le
français, c'est du latin, du latin en marche, du latin évolué. Seul le
latin peut nous donner la pleine et parfaite intelligence de notre langue;
seul il peut nous la conserver dans son intégrité et sa pureté premières.
"Le latin," disait spirituellement Rémy de Gourmont, "c'est le chien de
garde du français." C'est donc par notre fidélité au latin que nous de-
meurerons des Latins, non peut-être par le sang qui coule dans nos
veines, parce qu'il n'y a rien de tel qu'une race latine, mais par la par-
ticipation aux trésors de la civilisation latine, qui est une réalité bien
vivante. C'est ainsi, comme l'écrit encore Mgr Calvet, que "les Cana-
diens, malgré la séparation et à travers toutes les tribulations de leur
histoire, sont restés des Français par leur fidélité à la langue de leurs
pères."
Agir ainsi, c'est pour nous rester fidèles à nous mêmes, à notre
vocation historique, et c'est là sans doute, notre premier devoir, mais
c'est, en même temps, servir les autres et l'humanité. C'est ici que le
mot "humanitas" prend tout son sens. Charles Maurras, qui, malgré ses
fautes et ses torts, est peut-être l'un des plus grands humanistes de ce
siècle, écrivait ces lignes qui résument admirablement ma pensée sur ce
point: "Je suis Romain, parce que si je ne l'étais pas, je n'aurais à
peu près plus rien de français. Je suis Romain dès que j'abonde en mon
^tre historique, intellectuel et moral. Je suis Romain dans la mesure où
je me sens homme. Par ce trésor dont elle a reçu d'Athènes et transmis
le dépôt, Rome signifie sans conteste la civilisation et l'humanité. Je suis
Romain, je suis humain, deux propositions identiques."
Les humanités gréco-latines garderont éternellement la vertu de
former "le citoyen du monde", selon le mot fameux de Socrate. En dé-
veloppant toutes les facultés intellectuelles dans une hiérarchie harmo-
nieuse, elles rendent leurs adeptes aptes à comprendre le monde, plus
spécialement notre monde occidental, aptes, aussi, à penser et agir selon
les traditions humaines les meilleures. A ce point de vue, aucune con-
naissance technique ne peut se comparer aux humanités. Mais cela ne
suffit pas à constituer un humanisme intégral. L'éducation a aussi pour
fonction essentielle de former le citoyen d'une patrie particulière. Mal-
heur à une éducation qui, par faute de plonger ses racines et de s'ali-
menter dans le sol national, contribuerait plutôt à déraciner, à déna-
tionaliser les cerveaux. C'est ce danger que Maurice Barrés, il y a une
vingtaine d'années, dans son roman les Déracinés, signalait aux jeunes
Français. La leçon vaut également pour nous. Et voici le second élé-
ment essentiel de notre humanisme.
NOTRE HERITAGE CULTUREL 31
La Providence nous a donné pour habitat le plus beau et le plus
riche pays du monde. Nos pères y ont ajouté le fruit de leurs durs la-
beurs. Ils y ont élaboré une histoire qui ne le cède en grandeur à nulle
autre. Cette terre, ils l'ont baignée de leurs sueurs et souvent réchauffée
de leur sang. Ils y ont créé des Institutions où la liberté et les droits
les plus sacrés de l'individu ont pu fleurir et s'épanouir magnifiquement.
Cette terre bénie a gardé sa jeunesse et elle est demeurée telle qu'elle
apparut aux premiers découvreurs, "cette part du monde toute nouvelle
et fraîche comme une étoile qui a surgi de la mer et des ténèbres," ainsi
que l'a écrit Paul Claudel.
Les sociologues nous enseignent que "ce qui fait une civilisation,
c'est la rencontre des possibilités de l'homme et de celles de la nature."
(Delos) Elle est le fruit de l'effort conjoint de la nature et de l'homme.
En d'autres termes et pour employer un exemple typique, le miel de
l'Hymette entre pour sa part dans la civilisation des Grecs; les eaux
de la Méditerranée dans celle des Romains; pourquoi ne pas dire le
sirop d'érable, le fleuve Saint-Laurent dans celle des Canadiens?
Vous voyez où je veux en venir. Nous ne resterons nous-mêmes,
nous ne persévérerons dans notre être historique, nous n'élaborerons
une civilisation qui soit authentiquement nôtre, que si nous commençons
par puiser chez nous, que nous habitions en Nouvelle-Angleterre ou
dans la province de Québec, les éléments essentiels dont doit se compo-
ser notre culture, notre humanisme. Ce sont nos traditions, notre his-
toire, notre incomparable nature que notre civilisation doit refléter, dont
elle doit se colorer, s'imprégner, se vivifier.
Prenons seulement un aspect de cette question: celui de l'art et de
la littérature. Nous avons mis bien du temps à comprendre qu'ils de-
vaient jaillir du frémissement des choses de chez nous, exprimer notre
âme à nous et s'accomplir sous le signe de notre esprit, de notre tem-
pérament, de notre génie à nous. Nous avons été lents à le comprendre,
mais je suis heureux de proclamer devant vous, ce soir, que depuis
quelques années, un progrès immense s'est accompli, au Canada français,
dans la bonne direction. Je crois qu'on peut affirmer que, dans le seul
domaine de la littérature, il y a maintenant telle chose qu'une critique
canadienne, qu'un roman canadien, qu'une poésie canadienne, qu'un
drame canadien. Et quand je dis "canadien", je veux dire: écrit par des
Canadiens et sur des sujets canadiens. Je veux dire, aussi, que dans
ces différents genres, nos oeuvres ont atteint une perfection, soit par la
vertu de la forme, soit par la valeur du contenu, qui les fasse entrer
dans le courant des grandes oeuvres humaines. Je ne mentionnerai pas
de noms, sauf un peut-être, je veux dire M. Gratien Gélinas, qui semble
bien avoir trouvé la formule ou, du moins, une des formules du théâtre
national. Dans une conférence qu'il a faite récemment à Montréal, s'ex-
pliquant sur sa conception d'un théâtre canadien, il disait: "C'est dans
le génie français que notre personnalité collective a puisé ses caractéris-
tiques les plus évidentes, mais on ne saurait nous taxer d'ingratitude, si
nous voulons maintenant vivre notre propre vie intellectuelle, selon nos
aptitudes et nos moyens à nous. Le fils devenu adulte a le droit et le
32 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
devoir de quitter les jupes de sa mère, fût-elle la plus belle, la plus
intelligente et la plus cultivée." Monsieur Gratien Gélinas exprimait
par ces paroles les aspirations de la plupart de nos écrivains. Il est sûr
que toute notre vie artistique s'oriente dans cette direction. C'est la
meilleure preuve, le meilleur signe de la vitalité de notre culture, qui
devient et doit devenir de plus en plus autonome et nationale. La
branche est devenue un arbre, selon la comparaison chère à M. Etienne
Gilson.
Ce besoin de tonifier dans notre vie intellectuelle et artistique le
sentiment national ne doit pas nous conduire à des réactions exagérées,
comme serait, par exemple, le mépris insolent et un peu enfantin à
l'égard de la littérature française. Nous estimons que cette littérature
est notre patrimoine à nous, autant que celui des Français de France.
De même, ce que nous produirons de meilleur ira s'incorporer, pour
l'enrichir, au patrimoine commun. L'histoire comparée des littératures
nous révèle que presque toutes les nations civilisées ont subi avec avan-
tage l'influence intellectuelle de la France. Pourquoi ne serait-ce sans
profit que pour nous? La communauté de sang, de tradition, de langue
nous invitent, au contraire, à collaborer, l'ère de la tutelle étant défini-
tivement close. Ce que je viens d'affirmer au sujet de la littérature est
pareillement vrai de l'art et de toutes les autres branches de nos activités
intellectuelles.
Voilà dans quel esprit doit s'opérer la nationalisation de notre
culture. Plus elle portera profondément imprimé le sceau de nos patries
respectives, plus aussi elle sera humaine et universelle.
Cette éducation classique et nationale dont je viens de vous parler,
doit nécessairement maintenir et fortifier ses liens avec la tradition chré-
tienne, si nous ne voulons pas voir se dissocier les éléments essentiels
dont se compose notre humanisme occidental.
Et, d'abord remarquez bien que, chez les Grecs et les Latins de
l'antiquité, ainsi que l'a démontré Fustel de Coulanges dans son grand
livre la Cité antique, c'est le principe religieux qu'on trouve à la base de
l'édifice familial et social. Tout convergeait vers la religion et vers le
culte des ancêtres pratiqués, à l'origine, au foyer domestique. Le même
principe a continué d'agir, quand les familles s'unirent pour former
des tribus, les tribus des cités, les cités des états.
Quelque chose d'un peu différent s'est produit pour notre civilisa-
tion occidentale. La religion n'a pas été seulement le support des insti-
tutions; elle en est devenue la substance même. Cette civilisation con-
siste, en effet, en une admirable synthèse d'éléments philosophiques et
esthétiques empruntés à l'antiquité et que le christianisme a filtrés et
incorporés à sa propre substance. Il a fallu de longs siècles pour que
cette synthèse s'opérât. A l'origine, les Pères de l'Eglise appuient sur la
sagesse antique tous leurs efforts pour prêcher la sagesse de l'Evangile;
plus tard, les grands scolastiques, saint Thomas d'Aquin à leur tête,
intègrent à la philosophie chrétienne l'essentiel du savoir antique; puis
NOTRE HERITAGE CULTUREL 33
Dante, le premier des modernes, comme on l'a qualifié, donne, dans son
oeuvre immortelle, à cet humanisme chrétien une éclatante et définitive
expression. Après lui, on peut dire que la synthèse est faite, et on ne
peut plus parler de civilisation, de culture occidentales, sans introduire
dans cette notion ou dans cette définition l'idée chrétienne, la morale
et le dogme chrétiens. En d'autres termes, on ne peut plus penser, agir,
comme si le Christ n'était pas venu. C'est dans la lumière du Christianis-
me que Dante, après avoir franchi les cercles de l'enfer et du purgatoire
et être parvenu au seuil de l'Empyrée, a contemplé cette merveilleuse
synthèse qu'il avait lui-même travaillé à construire. Il vit, reliés par
l'Amour, en un volume unique, tous les feuillets de la science épars dans
l'univers. C'est alors qu'il a jeté ce cri, le plus émouvant qu'il y ait dans
la Divine comédie, qui abonde, pourtant, en traits sublimes:
A cette profondeur, je vis incorporés,
Reliés par V Amour en un volume unique,
Tous les feuillets épars dans l'univers,
Les accidents, les substances, leurs modes,
Comme fondus ensemble, et de telle façon,
Que tout ce que j'en dis n'est que faible lueur.
Je vis de leur noeud la forme universelle,
L'on devient, devant cette lumière,
Tel qu'on ne saurait jamais se résigner,
Pour aucune autre vue, à se détourner d'elle.
Vous le voyez, il s'est produit ce phénomène, peut-être unique dans
l'histoire des civilisations, que la partie qui s'était appuyée sur les autres
pour naître et se développer a fini par les absorber toutes et par consti-
tuer, à elle seule, à peu près tout l'édifice, si bien qu'on peut affirmer,
en toute vérité, que notre civilisation occidentale sera chrétienne ou bien
elle ne sera pas du tout.
Au cours de l'histoire, des tentatives tantôt violentes, tantôt perni-
cieuses ont été faites pour dissocier les éléments dont se compose cette
synthèse. Les Encyclopédistes du 18e siècle, notamment, ont cru et
prêché que par la raison seule l'homme pouvait atteindre la vérité,
satisfaire toutes ses aspirations et guérir toutes ses souffrances. Vous
savez à quelles aberrations sanglantes ces théories ont abouti. Sur les
autels souillés et profanés du vrai Dieu, on adora une fille de rue, sou-
dainement promue déesse de la Raison, tandis qu'à côté, la guillotine
coupait les têtes raisonnables.
Au 19e siècle, l'hérésie change de nom et de sexe et la déesse de
la Raison doit céder sa place au dieu de la Science. Il n'y avait, alors,
de vérité que ce que l'on pouvait prouver scientifiquement. La Science,
avec une majuscule, n'était pas tout à fait encore le dieu du présent,
mais elle était sûrement en train de devenir, disait-on, le dieu de l'avenir.
Je pense à ce triste temps, pas si lointain et dont quelques débris traînent
encore dans des cerveaux démodés, où le dieu de la Science, comme
jadis le Minotaure, dévorait le tribut annuel des jeunes gens qui se
34 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
présentaient aux portes des lycées et des Universités de France. Brune-
tière, Huysmans, Rimbaud, Verlaine, Claudel, Alain-Fournier, Jacques
Rivière et beaucoup d'autres nous ont dit les désespoirs de cette époque,
que l'un d'eux a comparée à une saison en enfer.
Heureusement, toutes ces théories ont fait faillite, le bon sens
a repris ses droits. Naguère encore, les plus grands savants contempo-
rains, dans une enquête conduite par le journal parisien le Figaro, en
venait à la conclusion qu'entre la science et la religion, il n'y a pas de
conflit, la science ayant pour mission de répondre à la question comment?
et la religion, à la question pourquoi? Je mets en fait que le rôle de
l'éducation c'est, précisément, de fournir aux jeunes gens les moyens de
répondre aux deux questions à la fois.
Depuis, nous sommes entrés dans l'âge atomique et quelque chose
d'étrange se produit: la science tremble d'effroi devant ses propres dé-
couvertes. Elle ne peut plus demeurer isolée dans son orgueil et elle
cherche à s'appuyer sur quelque chose de plus grand qu'elle et qui est
la conscience humaine. La science s'accroche à la conscience pour lé-
gitimer ses applications. C'est là tout le sens du discours que Winston
Churchill prononçait ici même à Boston, le 31 mars dernier, sous les
auspices du Massachusetts Institute of Technology, et dont je détache
cette phrase significative: "The flame of Christian ethics is still our
highest guide. To guard and cherish it is our first interest, both spirit-
ually and materially." On ne saurait mieux dire, à condition de ne pas
confondre les intérêts de la civilisation occidentale avec ceux de l'Em-
pire britannique.
Placée dans cette perspective, la fonction éducatrice de l'Eglise ap-
paraît nettement aux esprits non imbus de préjugés vieillots. Sans doute,
son rôle primordial est d'ordre surnaturel, mais elle ne peut le séparer
de son rôle civilisateur. L'Eglise conduit les âmes à Dieu, mais en leur
faisant accomplir pleinement leur destinée humaine et terrestre. C'est
pourquoi elle n'a jamais cessé de promouvoir par tous les moyens les
arts, les sciences, les lettres. On peut même affirmer, sans conteste, que
c'est elle qui les a fondés. C'est elle, notamment, qui, dans le haut
moyen âge, a défendu contre les barbares les trésors culturels du monde
occidental et leur a ménagé dans son sein un refuge unique et sûr. C'est
elle qui a bâti, soutenu et dirigé les premières universités, ces officines
de la sapience, afin de conserver, accroître et perfectionner les conquêtes
civilisatrices de l'homme. Aujourd'hui encore, elle est aux avant-postes
pour défendre les trésors culturels de l'humanité, réalisant cette pro-
phétie qu'énonçait naguère le plus célèbre des humanistes américains,
Irving Babbitt: "Si certaines conditions, qui sont déjà partiellement ap-
parentes, se réalisent, il se peut que l'Eglise catholique reste la seule
institution dans l'occident sur laquelle on puisse compter pour défendre
la civilisation." Je ne saurais trouver une meilleure conclusion à tout ce
que j'ai voulu vous dire sur ce point. Voilà ce que j'entends par le
troisième et suprême élément qui entre dans la composition de notre
héritage culturel.
NOTRE HERITAGE CULTUREL 35
Bien, des signes nous avertissent que ces temps prévus par Babbitt
sont maintenant arrivés. J'ai le ferme espoir que cette puissante pyra-
mide que je vous ai décrite résistera aux formidables assauts qui se
préparent contre elle. Si les civilisations sont mortelles, comme le vou-
lait Paul Valéry, elles ne le sont que par la faiblesse, l'ingratitude et
l'imprévoyance des hommes qui en ont joui et profité. Je trouve trop
de virtualité et de dynamisme dans notre passé et dans notre présent
pour douter de l'avenir. C'est cette espérance que je vous laisse comme
le meilleur témoignage de l'affection, de la fierté et de la gratitude que
vos frères de la Province de Québec nourrissent à votre endroit.
LES FETES
du
CINQUANTENAIRE
Allocution de Me Eugène Jalbert
Président de la Société
M. le Premier Ministre
Msgr Maurault
Invités d'honneur
MM. les Membres du Clergé
Mesdames — Messieurs
Que ma première parole soit d'abord une parole de bienvenue et
de gratitude à l'adresse de notre hôte d'honneur et de son épouse pour
avoir si généreusement et si gracieusement accepté notre invitation de
venir donner, par leur présence, le brillant éclat que tous nous désirions
pour cette réunion. Cette bienvenue je l'adresse également à tous nos
autres invités, à tous les chefs de nos sociétés nationales, au nouveau
président du Comité Permanent de la survivance française en Amérique,
à tous nos membres et à tous les amis et admirateurs de notre Société
que je vois réunis à mes côtés et devant moi. Je vous sais profondément
gré à tous de votre présence.
Normalement, l'allocution de votre président est toujours très courte
et vous savez que sur ce point je n'ai jamais dérogé à la tradition établie.
Cependant l'occasion extraordinaire qui nous réunit me contraint d'élar-
gir quelque peu les cadres traditionnels de l'allocution présidentielle, au
risque de lui donner les proportions d'un discours.
Ce soir, nous fêtons les noces d'or de notre Société. Elle vient en
effet de compléter ses 50 ans. Dans l'existence d'un individu, 50 ans
c'est, vous l'admettrez, assez loin encore de la vieillesse.
50 ans, c'est je dirais l'âge de la pleine maturité. Mais pour une
société qui n'offre à ses membres aucuns bénéfices matériels et qui, au
milieu d'une population essentiellement anglaise de culture et de senti-
ment, s'applique à conserver intacts les traits et les caractéristiques de sa
personnalité française, 50 ans d'existence, c'est un événement qui mérite
d'être signalé. Aussi bien, avons-nous la naïve audace de penser que la
présence à cette fête du Très Honorable Premier Ministre du Canada
est un témoignage aux mérites de notre Société, si modestes qu'ils soient,
et à la mémoire de ses fondateurs.
Un cinquantenaire rappelle toujours des souvenirs. L'homme de
cinquante ans se sent porté à méditer sur ses ambitions et ses illusions
de jeunesse. Les époux cinquantenaires se plaisent à se revoir comme
prolongés dans leurs enfants et leurs petits-enfants, surtout dans leurs
traits et leurs qualités, quand souvent ce n'est qu'un jeu de mirage
provoqué par la magie du souvenir. Et l'on pourrait multiplier ainsi
les exemples.
De même en est-il d'une société. L'arrivée au cinquantenaire évoque
aussitôt tout un monde de souvenirs et tout particulièrement le souvenir
de ses fondateurs.
LES FETES DU CINQUANTENAIRE 37
Qui furent les fondateurs de notre Société? Que furent-ils? Etaient-
ils nombreux?
Il est difficile d'établir avec précision qui le premier conçut le
projet de fonder notre Société. Il est certain toutefois que celui qui
convoqua la réunion préliminaire, tenue au Parker House, à Boston
le 30 mai 1899, fut l'avocat J. Henri Guillet, de Lowell. Cette réunion
fut suivie d'une autre qui se tint au même endroit le 4 septembre de la
même année et à laquelle on adopta les statuts de la nouvelle société
et fit l'élection du premier bureau. L'avocat Guillet en fut le premier
président.
Combien, soit par leur présence, soit par leur adhésion donnée par
écrit et inscrite aux archives, combien participèrent à la fondation? Ils
étaient quarante-quatre (44).
Le premier bureau était ainsi constitué:
Président: Me J. -Henri Guillet (Lowell)
V. -président: M. Paul-A. Primeau (Cripple Creek, Col.)
Secrétaire: Me Alphonse Gaulin (Woonsocket)
Trésorier: Dr Orner Larue (Putnam)
Conseillers: Me Hugo- A. Dubuque (Fall River)
Me Emile- A. Tardivel (Manchester)
Dr Chas-J. Leclaire (Danielson)
et M. Auguste-H. Jean (Lowell).
Déjà, dans cette courte liste d'hommes qui ne sont plus, les hom-
mes de mon âge et les moins vieux qui connaissent l'histoire de nos
premiers efforts d'établissement, ont vite reconnu des chefs ardents et
vaillants d'autrefois. GUILLET, ancien zouave pontifical et le farouche
revendicateur des droits de notre langue chez les Forestiers! DUBU-
QUE, à l'esprit tenace et au verbe d'airain devant les assimilateurs, le
tribun parlementaire à l'assemblée législative du Massachusetts! LARUE
et LECLAIRE, dont la fidélité aux origines et l'ardeur infatigable dans
la lutte pour la conservation de notre patrimoine national ont laissé,
dans l'histoire des F. A. du Connecticut, comme des souvenirs de lé-
gende. Les noms de ces hommes claquent encore aujourd'hui comme
des étendards fouettés par le vent et battus par la mitraille.
Je cède à la tentation de vous citer quelques autres noms: Les
frères Bélisle, Félix, Alexandre, Eugène (Worcester) et Hector (Fall
River); le docteur Auguste-A. Brien (Manchester); Félix Gatineau
(Southbridge) ; Me Henri-T. Ledoux (Nashua); Charles Gauvin, Aram
Pothier et Adélard Archambault (Woonsocket) ; le Major Edmond
Mallet (Washington, D. C.) ; le curé F.-X. Chagnon (Champlain) ; Ed-
mond de Nevers (Paris); Me F.-X. Belleau (Lewiston) ; Godfroid de
Tonnancour (Fall River).
A quelques exceptions près, tous ces hommes furent les contempo-
rains de Ferdinand Gagnon et nombre d'entre eux furent ses compa-
gnons de lutte pendant quinze ans.
A l'époque de notre fondation, Gagnon était dans la tombe depuis
à peine treize ans. La grande émigration du Canada touchait à sa fin.
Ballottés pendant plus de 25 ans entre le désir de retourner au Canada
et la tentation de rester aux Etats-Unis, les Canadiens-français avaient
38 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
enfin secoué leur indécision et pris la détermination de plonger défini-
tivement leurs racines dans le sol de la patrie nouvelle. Ce fut le com-
mencement d'une campagne intense de naturalisation. Et dans la suite,
petit à petit, nos grandes institutions paroissiales sortirent de terre sous
la rosée du dévouement et du sacrifice, se multiplièrent et prirent la soli-
dité et la permanence de l'airain. Petit à petit aussi, le Canadien-français
se transforma. Et un jour vint où il crut devoir se donner une nouvelle
désignation et s'appeler "Franco-Américain". "Franco-Américain", c'est-
à-dire, un Américain, doublé en valeur par l'apport de la langue et de
la culture françaises. A ses yeux et dans son âme, cette désignation nou-
velle n'était pas une trahison ou encore une rupture avec le passé, mais
une adaptation à des conditions d'existence nouvelles.
De cette fournaise ardente où l'âme de nos devanciers trouva la
trempe des conquérants, sortirent deux grandes mutuelles: — l'Association
Canado-Américaine, fondée en 1896, et L'Union Saint Jean-Baptiste
d'Amérique, qui prépare des fêtes grandioses pour célébrer ses noces
d'or le 7 mai prochain. Notre société est, elle aussi, une manifestation
de cette volonté de survie que l'on trouve à la base de toutes les grandes
décisions prises par nos pères. Certes, la conservation de notre héritage
français par la mutualité s'imposait d'urgence. Mais pour accoter l'âme
de notre peuple il devenait urgent au même degré de fortifier l'esprit.
Et le moyen de ce faire c'est par l'histoire qui, à nos yeux, est le moyen
le plus simple et le plus efficace de motiver et de légitimer chez les
jeunes nos revendications ethniques, nationales ou culturelles.
Il convient donc qu'en ce grand jour nous rendions publiquement
un tribut d'hommage et de reconnaissance à nos fondateurs, et ce tribut
je le dépose pieusement aux pieds du Divin Fondateur à qui revient
toute humaine gratitude.
Trois des fondateurs ont survécu. L'un, Charles Gauvin, âgé de
près de 90 ans, et démissionnaire depuis des années, achève ses jours à
Montréal. Les deux autres seuls survivants sont restés fidèles à leur
première adhésion. Ils sont avec nous ce soir. Nous les avons placés à
la table d'honneur pour que vous puissiez les contempler à loisir. Ce
sont M. Hector-L. Bélisle, ancien surintendant des écoles publiques de
Fall River, et M. Henri-T. Ledoux, de Nashua, avocat, banquier, ancien
président général de L'Union Saint Jean-Baptiste d'Amérique, officier
de la Légion d'Honneur et Docteur d'honneur en droit de l'Université
Laval. J'invite ces jeunes d'il y a 50 ans à se lever pour recevoir les
applaudissements que vous voudrez bien ne pas ménager.
Vous serez peut-être intéressés de savoir qui furent les présidents
de notre Société. Me Guillet, je vous l'ai dit déjà, fut le premier. Lui
succédèrent dans l'ordre où je les nomme, Me Hugo-A. Dubuque,
Me Joseph Monette, le Dr Armand-J. Bédard, sous le règne duquel la
Société connût son âge d'or, Me Wilfrid-J. Lessard, le Dr Ubalde
Paquin ... et moi-même. Soit, au total, cinq avocats et deux médecins.
Mais ne vous laissez pas décevoir par cette disproportion des chif-
fres. Pris dans leur ensemble les cinq avocats ont occupé la présidence
pendant onze ans seulement, tandis que les deux médecins remplirent
ces fonctions pendant 39 ans, dont 26 ans au crédit du Dr Bédard.
LES FETES DU CINQUANTENAIRE 39
Trois autres officiers ont également bien mérité des membres. D'a-
bord, M. J. Arthur Favreau qui servit au secrétariat pendant 34 ans,
six ans dès les débuts comme adjoint et vingt-huit ans comme secrétaire.
Il mourut à son poste. Le deuxième, l'avocat GUILLET, occupa la
présidence pendant 3 ans et eut charge du trésor pendant 23, soit en
tout 26 ans de services.
Le troisième est le juge Eno, notre trésorier actuel. Il est en fonc-
tions depuis 18 ans. Le juge Eno est une belle âme. Depuis qu'il est
au poste de trésorier il a été le principal artisan des succès de nos
réunions. Comme il prend sa retraite à la clôture de cette réunion, je
crois à propos de vous demander de lui témoigner par vos applaudisse-
ments le bien que vous pensez de sa personne et la reconnaissance que
vous ressentez pour ses longs états de service.
Pour la durée des services qu'ils ont rendus, il appert donc que si
les médecins ont eu soin de la tête pendant 37 ans, les avocats ont eu
la surveillance des finances pendant 41 ans. Les deux professions ont
donc lieu de se louer, l'une d'avoir prévenu l'hémorrhagie au cerveau
de la Société et l'autre, l'hémorrhagie à sa caisse. Mais je crois vous
entendre vous écrier: "Trêve! Assez!" C'est bien, je m'arrête. Je
ferme notre vieux bouquin, ayant conscience tout de même d'avoir omis
de jolies et d'intéressantes choses. Si j'ai quelque peu piqué votre
curiosité, achetez le volume des "40 ans de la Société", lisez-le, et vous
connaîtrez au moins les quatre-cinquièmes de notre histoire.
Je veux terminer par une expression d'espoir en l'avenir. Notre
société est prospère. Notre caisse est florissante. Notre conseil d'ad-
ministration est très compétent et bien que nous prenions notre retraite,
monsieur le trésorier et moi, vous gardez au secrétariat un homme de
grande valeur, une compétence non seulement en médecine mais aussi
en histoire, et une âme extrêmement dévouée à notre Société. J'ai nom-
mé, pour ceux qui ne sont pas de la société, le docteur Gabriel Nadeau.
Avec l'aide du docteur Nadeau le nouveau président trouvera le fardeau
que je lui cède très léger à porter et la conduite de nos affaires d'entre-
prise douce et facile. A toutes fins utiles, c'est le voeu que je formule
et la grâce que je lui souhaite.
Présentation de M. St-Laurent
Depuis sa fondation, notre Société a reçu à ses réunions la visite
de nombreux et éminents conférenciers, tant laïques qu'ecclésiastiques,
qui nous vinrent de France, du Canada et de ce pays. Ce n'est pas, vous
en conviendrez, le moment de faire la revue, même abrégée, de ces
conférenciers et encore moins de leurs travaux. Tous étaient, à n'en pas
douter, des personnalités remarquables, soit dans le domaine des lettres
ou des sciences, soit dans le domaine de l'histoire. L'on n'a qu'à se
rappeler la conférence du très regretté Cardinal Villeneuve sur le "Fait
français en Amérique" pour se rendre compte de la valeur et de la
haute qualité des travaux qui furent présentés à nos assemblées.
Celui que nous recevons aujourd'hui ne se pique pas, je crois, d'être
un professeur ou un conférencier de métier. Et cependant j'ai la con-
40 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
viction que son nom et sa conférence ajouteront un anneau d'or à la
longue et brillante chaîne de conférenciers dont les noms ornent nos
archives avec tant d'éclat.
Monsieur St Laurent a été toute sa vie, du moins jusqu'à ces toutes
dernières années, essentiellement un avocat. Il connut très tôt les grands
succès qui le hissèrent au premier rang de sa profession.
La nature l'avait richement doué des dons du coeur et de l'esprit et
sa formation classique et universitaire le prédisposait et le destinait à
tenir un rôle éminent dans sa profession. D'autre part, ses attaches de
famille que les succès de l'étude professionnelle n'avaient en aucune
façon affaiblies se dressaient pour ainsi dire comme un mur contre
toute attraction étrangère.
C'est dire que rien dans la conception que l'on a ou que l'on se fait
de la politique ne pouvait l'attirer. Et cependant en 1941 lorsque la
mort vint ravir M. Lapointe, Ministre de la Justice, à l'affection des
siens et à l'admiration de ses compatriotes, monsieur St Laurent accepta
l'invitation du Premier Ministre d'alors, monsieur MacKenzie King,
d'entrer dans son cabinet et de prendre à sa charge la succession de
monsieur Lapointe. Et cependant encore lorsque monsieur King lui-
même prit sa retraite en 1948, monsieur St Laurent fit le second pas et
accepta de prendre dans ses propres mains la direction de son parti et
les rênes du gouvernement. Et aujourd'hui, quelques mois à peine après
avoir remporté le plus grand triomphe électoral dont fasse mention
l'histoire politique canadienne, monsieur St Laurent porte sur ses épaules
le lourd fardeau de l'administration des affaires de son pays.
Quels motifs pouvaient donc porter monsieur St Laurent à dire
presque un adieu aux joies indéfinissables de la vie de famille et à
sacrifier l'aisance matérielle que lui assurait sa profession pour se livrer
aux incertitudes, aux ingratitudes et aux travaux ardus et souvent tuants
de la politique? Les honneurs? Non, certes, car le vide que l'on y
trouve ne pouvait avoir d'attrait pour lui. La fortune? Encore moins,
car l'homme intègre n'entre point au service de son pays pour y chercher
fortune. N'eût-il qu'à se baisser pour la trouver toute prête à se donner,
qu'il la foulerait aux pieds pour cette raison, que donnait un jour le
grand Berryer, que justement il lui faudrait s'abaisser pour la cueillir.
Qu'est-ce alors?
Je crois, mesdames et messieurs, que le seul motif qui pousse M.
St Laurent à entrer dans la vie publique c'est qu'il y voyait une occasion
de servir son pays et qu'il croyait être de son devoir de répondre à
l'appel qui lui en était fait. Aussi bien, si à l'instar des évêques les
premiers ministres avaient des armoiries, sur celle du Premier Ministre
actuel du Canada j'inscrirais cette devise: "Servir par devoir".
Le Canada vit en ce moment des jours mémorables. L'avènement
de M. St Laurent au poste de Premier Ministre porte les signes d'un
grand événement historique. En effet, la première parole de M. St Lau-
rent devant la Chambre Parlementaire fut de proclamer que le Canada
était une nation majeure et donc indépendante. Et joignant le geste à
la parole, il faisait aussitôt décréter l'abolition des appels au Conseil
LES FETES DU CINQUANTENAIRE 41
Privé d'Angleterre ainsi que la rupture de tous liens constitutionnels avec
le Parlement Britannique.
Pour poser ce geste et prendre cette décision au Parlement il fallait
au Chef du gouvernement un courage extraordinaire, car l'esprit colonial
n'est pas complètement éteint au Canada. Monsieur St Laurent cepen-
dant eut ce courage. Et si la modalité de régler le problème constitu-
tionnel est une question très discutée, ses adversaires lui accordent très
volontiers leur respect et leur admiration pour son attitude énergique,
courageuse et sincère.
Homme de devoir, homme de courage, homme public intègre, tel
apparait M. Louis St Laurent, aux yeux des étrangers comme de ses
concitoyens du Canada.
Tout cela, Monsieur le Premier Ministre, pour vous dire que les
Franco-Américains, au nombre de plus d'un million de descendants
canadiens-français établis dans les six états de la Nouvelle Angleterre
et représentés à cette réunion par les hauts dignitaires de leurs sociétés
nationales, vous ont en très haute estime et qu'ils ressentent pour vous
une profonde admiration. Tout ceci pour vous dire encore que s'il vous
a plu, lors des fêtes de leur Centenaire à Worcester, de leur dire dans
votre télégramme que vous voyez en eux comme le symbole de l'amitié
qui existe entre le Canada et les Etats-Unis, eux en retour se plaisent
à voir en vous comme l'expression la plus heureuse et la plus vivante
de la bonne entente qui doit régner entre les deux grandes races de
votre pays s'il doit, comme nous le désirons tous avec vous, réaliser un
jour ses éternelles destinées.
Permettez maintenant, avant de vous céder la parole, que j'adresse
quelques mots à votre épouse.
Madame St Laurent, vous avez eu l'amabilité d'accompagner votre
mari et de prendre ce repas avec nous. C'est un très grand honneur
que vous nous faites, honneur auquel nous sommes très sensibles et
pour lequel nous vous sommes profondément reconnaissants. Il ajoute
à l'éclat qu'apporte à cette réunion de nos noces d'or la présence de
l'illustre homme d'Etat qui s'honore d'être votre époux. Gardez l'assu-
rance que votre propre présence à ce dîner de famille franco-américaine
laissera dans tous les coeurs un souvenir chaud comme le soleil du midi
et impérissable comme le plus précieux marbre d'Italie.
42
BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
M. Louis Saint-Laurent, Premier Ministre du Canada, et
Me Eugène Jalbert, Président de la Société. (Obligeance de
M. Lucien Sansouci, directeur du Phare) .
Discours de l'honorable M. Louis Saint-Laurent
Premier Ministre du Canada
Je voudrais, en tout premier lieu, adresser mes remerciements au
président et aux directeurs de la Société Historique Franco-Américaine.
J'apprécie à sa juste valeur l'honneur qui m'est fait; je sais que je
le dois au poste que j'occupe plutôt qu'à aucun mérite personnel.
C'est tout de même plutôt à titre personnel que je suis ici ce soir
puisque, contrairement au prophète, on n'est premier ministre que dans
son pays!
Quoi qu'il en soit, je veux exprimer ma profonde gratitude de nous
avoir donné l'occasion, à ma femme et à moi, de nous associer aux fêtes
du cinquantenaire de fondation de votre société.
Votre société est née au tournant du 20ième siècle.
Un demi-siècle dans la vie d'un individu, d'une société, voire d'une
nation, représente une étape importante et digne d'être soulignée.
Et la période 1900-1950 a été particulièrement chargée dans l'his-
toire de l'humanité.
Je laisserai à d'autres, plus qualifiés que moi, le soin de vous rap-
peler les pages glorieuses de votre société durant cette période; je ne
veux laisser à personne cependant le plaisir de vous transmettre les
hommages du Canada en cette occasion.
Je le fais d'autant plus volontiers que votre société, de par le but
qu'elle s'est donné et son rayonnement, a droit à l'admiration de tout
Canadien. S'il y a des degrés dans l'amitié que mon pays porte aux
Etats-Unis, ceux dont les ancêtres sont les mêmes que les nôtres sont
plus près de nous que tout autre groupement.
Ce sont donc les félicitations de vos frères et de vos amis du
Canada que je vous apporte ce soir.
Le demi-siècle qui se terminera dans quelques jours aura été l'une
des époques les plus bouleversées de l'histoire.
Des empires se sont écroulés comme des châteaux de cartes; des
continents ont été secoués jusqu'à leur tréfonds; des civilisations qui se
croyaient immortelles se sont mises à douter d'elles-mêmes; des décou-
vertes scientifiques ont bouleversé les données les plus élémentaires de
ce qu'on croyait être la relation traditionnelle de la matière.
Mais il n'en est pas moins vrai que le progrès de la science et la
facilité des moyens de communications ont donné au monde une unité
et une conscience de solidarité qu'il n'avait pas avant notre ère.
Bien que le continent nord-américain ait joui d'une plus grande
mesure de sécurité et de paix que les autres parties du monde, nous
n'avons pu être étrangers à la marche de tous ces événements.
Un autre facteur qui a intensifié une participation à la vie des
autres continents est l'influence grandissante de nos deux pays due en
grande partie à la croissance de nos populations et à la mise en valeur
de nos richesses naturelles.
Les Etats-Unis et le Canada ont plus que doublé leur population.
Le commerce du Canada, de 380 millions de dollars en 1900, se chiffre
maintenant à près de 5 milliards.
44 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Sur le plan international, en 1900, le Canada n'était qu'une colonie
de la Grande-Bretagne. Aujourd'hui, le Canada est une nation sou-
veraine jouant un rôle de premier plan, et son influence internationale
est toujours grandissante.
Ce qui différencie notre histoire de la vôtre, à cet égard, c'est
que notre passage de l'état d'une colonie à celui de pays souverain s'est
effectué par une évolution lente et progressive, alors que vous êtes de-
venus subitement pays souverain à la suite d'une révolution décisive.
Pour cette raison, il nous faut, à nous, marquer les différentes
étapes dans cette marche vers la souveraineté, et, on ne peut en suivre
l'évolution qu'en retraçant les événements décisifs qui nous y ont con-
duits.
Notre participation à la guerre de 1914 avait démontré notre capa-
cité de jouer un rôle comme nation sur le plan international et nous a
valu de participer aussi aux délibérations subséquentes pour l'établisse-
ment de la paix.
Nous sommes devenus membre de la Ligue des Nations et nous
avons établi et accru nos relations directes avec les autres pays.
Ces facteurs extérieurs ont contribué au développement constitu-
tionnel des pays britanniques et ont été cause de la déclaration, à la
Conférence Impériale de Londres, en 1926, que tous les Dominions
autonomes de ce qui avait été jusqu'alors un empire international étaient
en fait des égaux dans un Commonwealth des nations britanniques au-
tonomes. Le Canada avait joué un rôle de premier plan dans ces événe-
ments et à cette conférence.
Et depuis 1926, nous avons élaboré les conséquences constitution-
nelles de cette décision. En 1931 le Parlement britannique a adopté une
loi connue sous le nom de Statut de Westminster, pour concrétiser cette
décision de 1926 et en assurer l'application complète.
C'est en 1939, au début de la deuxième Grande Guerre, que nous
avons fourni la preuve la plus importante de cette autonomie nationale.
En 1914, le Canada était automatiquement entré en guerre, parce que
le Royaume-Uni était en guerre. En 1939, la décision de participer à la
guerre a été prise par les représentants du peuple canadien dans leur
propre Parlement. Ils l'ont fait parce qu'ils ont crû qu'il était dans
l'intérêt du Canada de prendre une telle décision. Ils avaient le droit
de décider le contraire s'ils avaient crû que l'isolationisme pouvait être
sage et pratique.
C'est aussi de sa propre décision que le Canada s'est associé à votre
pays dans une entente expresse de défense conjointe des deux nations.
Vous vous souvenez qu'à Kingston, en 1938, le président Roosevelt
annonça que les Etats-Unis s'opposeraient à toute tentative d'aucun autre
empire d'étendre sa domination sur le sol canadien. Deux jours plus
tard, monsieur Mackenzie King annonçait à son tour que le Canada
résisterait à toute puissance qui tenterait de se frayer un chemin à travers
le territoire canadien pour attaquer les Etats-Unis.
LES FETES DU CINQUANTENAIRE 45
Deux années après, en août 1940, aux jours les plus noirs de la
deuxième Grande Guerre, ce furent encore monsieur Roosevelt et mon-
sieur King qui signaient l'Accord d'Ogdensburg établissant en perma-
nence un Comité conjoint de défense du continent nord-américain.
L'évolution du Canada comme nation souveraine s'est manifestée
aussi par l'expansion grandissante de notre service diplomatique à partir
de 1927, date où le Canada établissait sa première légation à Washing-
ton. Notre pays compte maintenant plus de trente missions diplomati-
ques dans différentes parties du monde.
Cette année, nous avons ajouté à notre population un tiers de
million d'habitants et à notre pays une nouvelle province par l'union de
Terre-Neuve au Canada. Cette union, l'objet de pourparlers dès 1867,
au moment de la formation de la Confédération, et maintes fois depuis,
a été réalisée le premier avril dernier et complète maintenant les limites
naturelles et géographiques de notre pays.
Sur le plan de notre organisation intérieure nous en sommes aussi
à la dernière étape de notre évolution vers la souveraineté absolue. Nous
venons d'établir que les jugements de nos tribunaux canadiens ne seront
plus susceptibles d'appels au Conseil privé de Londres et nous cherchons
dans le moment à nous entendre sur des textes qui permettront de faire
au Canada et sous le contrôle d'autorités canadiennes seules, tous amen-
dements futurs à notre constitution tout en établissant des sauvegardes
précises et sûres des droits provinciaux, et de ceux des minorités.
Personne ne nous conteste nos droits à cet égard mais pour que
nous puissions les exercer nous-mêmes et chez-nous il faut que nous
nous entendions sur une procédure qui comporte les sauvegardes né-
cessaires.
Point n'est besoin d'insister devant un auditoire de Franco-Améri-
cains sur l'importance de ces sauvegardes.
Vous savez en effet qu'il y a des aspects de notre organisation
nationale qui la différencie de la vôtre. Je me permettrai d'en rappeler
quelques-uns.
Il y a d'abord le fait, qu'à la différence de ce qu'a réalisé le creuset
américain, le Canada reste une nation basée sur l'association, à titre
d'égaux, des descendants de deux grandes races; deux races longtemps
rivales et même ennemies, parlant des langues différentes, attachées à
des formes différentes de cultes chrétiens et de traditions ancestrales,
chacune soucieuse de maintenir et de développer son héritage culturel et
pourtant non moins soucieuse de participer, dans un effort commun, au
développement matériel d'un pays qui couvre la moitié d'un continent.
Nous voulons chez nous que ces doubles soucis marchent de pair.
Il y a aussi le fait que cette association qu'est la nôtre reste elle-
même associée librement à un groupe d'autres nations d'un common-
wealth répandu à travers le monde, mais encore centré sur la vieille
Europe.
L'association au Canada de deux races a donné aux Canadiens des
habitudes et des qualités qui leur permettent de comprendre et de tenir
compte du point de vue des autres et ainsi parfois de jouer sur le plan
46 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
international et aux Nations Unies un rôle de médiateur, et de faciliter
le trait d'union si nécessaire aux bonnes relations entre les peuples.
Notre association au Commonwealth et le fait que notre souverai-
neté nationale résulte d'une évolution graduelle plutôt que d'une révo-
lution font que les Canadiens ont conservé, du moins en apparence, des
relations plus étroites avec le monde européen que ne l'ont fait les Amé-
ricains. D'une certaine façon, nous avons pu servir de pont entre le
nouveau continent et le vieux monde — qu'on se souvienne de 1914
et de 1939.
Mais si nous avons ainsi conservé avec l'Europe des liens précieux,
nous ne sommes pas des Européens.
Ceux qui ont visité notre pays ont pu facilement s'en rendre compte.
Nous sommes pays d'Amérique et nation d'Amérique. Nous avons
les caractéristiques, les défauts peut-être mais des qualités aussi, la con-
fiance, la généreuse impétuosité, les aspirations du nouveau monde.
Tout comme les Etats-Unis nous voulons sincèrement la paix dans
le monde. Nous nous savons richement pourvus et nous n'avons aucun
dessein agressif. Nous voudrions nous employer à développer au maxi-
mum les ressources si abondantes dont notre territoire a été comblé et
nous croyons que c'est en agissant ainsi que nous pouvons le mieux aug-
menter le standard de vie de nos citoyens et fournir notre meilleure
contribution à l'avancement général de l'humanité.
On répète souvent que le Canada n'a pas eu à passer par une
révolution pour atteindre à l'indépendance, et c'est vrai. Mais il ne faut
jamais oublier que durant le demi siècle qui se terminera dans quelques
jours, le Canada aura participé à deux guerres mondiales et que c'est
sur les champs de bataille de l'Europe en combattant pour l'indépendance
des autres peuples que nous avons conquis la nôtre.
Les milliers de jeunes Canadiens qui reposent en terre d'Europe
sont les soldats de notre liberté autant que ceux des vôtres qui dorment
leur dernier sommeil dans le cimetière de Gettysburg.
Ces guerres ont fourni des pages glorieuses de votre histoire et de
la nôtre mais elles n'en ont pas moins été des fléaux pour l'humanité,
des fléaux et des calamités même pour les nations victorieuses.
Et c'est pourquoi le Canada a accepté avec tant d'empressement
l'invitation de votre gouvernement de participer à la conférence de San
Francisco et d'essayer encore une fois de créer un organisme qui évite-
rait ces fléaux et ces calamités aux générations futures.
C'est pourquoi nous avons fait des Nations Unies la pierre angulaire
de notre politique internationale.
Et c'est aussi pourquoi, lorsque les organes des Nations Unies se
sont avérés impuissants pour l'heure à nous donner ce sens confiant de
sécurité que votre peuple et le nôtre souhaitaient avec tant d'ardeur, nous
avons fourni une collaboration si empressée et si entière à la création
de cet autre grand instrument de paix, le pacte Nord-Atlantique.
Je suis sûr que vous espérez comme nous au Canada, que ce pacte
aura le double effet d'épargner la guerre aux nations qui en ont assumé
et en remplissent les obligations et de démontrer à tous que la coopéra-
tion internationale est féconde en la mesure où elle est sincère.
LES FETES DU CINQUANTENAIRE
47
L'honorable M. Louis Saint-Laurent prononçant son discours, et quelques-uns des
invités d'honneur. (Obligeance de M. Lucien Sansouci, directeur du Phare).
48 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Je vous ai dit tout à l'heure que nous souhaitons une ère de paix
pour, entre autres raisons, mettre en valeur pour l'avantage de tous, les
ressources naturelles de notre pays.
Nous avons, en effet, au Canada, à portée de la main, sur notre
propre territoire, des richesses que nous ne faisons que découvrir.
Du Labrador au Yulcon notre frontière utile s'est déplacée vers le
Nord. Notre pays est en train d'acquérir une nouvelle dimension.
Le "grand nord" comme nous l'appelons chez nous est un défi lan-
cé à chaque Canadien.
Il y a là une abondance de ressources naturelles qui enrichiront,
non seulement la nation, mais les individus qui s'y attaqueront.
Ceux-ci rejoindront d'ailleurs la tradition des défricheurs, des dé-
couvreurs qui ont fait du Canada la nation qu'elle est devenue.
L'appel du lointain n'est jamais resté sans réponse.
La frontière pour nous, sur ce continent nord-américain, n'a jamais
été un obstacle mais plutôt un défi.
Le fait canadien en Amérique projette donc son rayonnement dans
l'avenir.
Lorsque je m'arrête parfois à penser à cet avenir, c'est à la jeunesse,
à l'enfance que je pense.
Au cours de l'année qui se termine, j'ai dû faire de nombreux voya-
ges à travers mon pays.
J'en ai visité non seulement toutes les provinces, mais je me suis
arrêté dans des centaines de villages.
Et partout j'y ai vu une belle jeunesse, une jeunesse aux espérances
aussi illimitées que les espaces où elle vit.
C'est à cette jeunesse qu'il faut penser, car tout compte fait, c'est
la plus belle richesse de la nation. C'est pour elle que nous devons édi-
fier si nous ne voulons pas qu'elle soit déçue de l'héritage que nous lui
léguerons.
Nous voulons assurer l'avenir de nos enfants; nous prenons des
mesures pour les protéger des doctrines subversives qui pourraient leur
empoisonner l'esprit; nous voulons leur assurer les moyens de se déve-
lopper dans des écoles et des universités de leur élection selon leur
langue et leur croyance; nous voulons fouiller notre sol pour y découvrir
des richesses dont ils pourront bénéficier; en même temps que nous
voulons les protéger contre les attaques possibles du dehors.
Héritiers nous-mêmes de ce pays aux ressources illimitées, nous
devons ajouter à cet héritage. Car notre jeunesse doit rester fière de
son pays, fière de la place que le Canada détient dans le monde, fière
de ses traditions et de ses coutumes, fière de son histoire et de son
avenir, fière en somme de son patrimoine.
Avec les quatorze petits-enfants que la Providence m'a donnés, j'ai
un peu appris l'art d'être grand-père. C'est un art auquel je retourne
toujours avec joie lorsque les devoirs de mon poste me le permettent.
Et je rêve pour eux d'un monde meilleur que celui que nous, leurs
parents, avons connu. Je rêve d'un monde où ils pourraient s'épanouir,
se développer sans crainte des hommes ou de leurs machines. Un avion
pour eux devrait être porteur de joie et non de bombes; une découverte
LES FETES DU CINQUANTENAIRE 49
scientifique devrait être utilisée à leur profit et non pas à leur détriment;
une idée devrait être fructueuse et non pas productive de rancoeur.
Lorsque nos enfants vivront dans un tel univers, qui n'est pas du
tout chimérique si tous les hommes de bonne volonté voulaient se donner
la main, leur prière de chaque soir serait un hymne de remerciement au
Créateur, leur Maître, au Prince de la paix.
Nous savons cependant que pour qu'un tel monde puisse s'organiser,
nous devons compter sur la bonne volonté de tous.
Nous savons que celle des Etats-Unis nous est assurée.
Aujourd'hui, votre pays est devenu la plus grande puissance du
monde.
Le Canada est plus grand, en superficie, que les Etats-Unis mais
il n'a pas la dîme de votre population, et nos ressources exploitées sont
en proportion du seizième des vôtres. Nous sommes donc une nation
plutôt modeste vivant à l'ombre d'une grande puissance.
Il fut un temps où on croyait ferme que les Etats-Unis devraient
comprendre toutes les communautés de l'Amérique du Nord.
Je n'ai pas à vous rappeler certaines entreprises d'ordre historique
durant la guerre de l'Indépendance, visant à amener le Canada d'alors
et la Nouvelle-Ecosse à se joindre aux colonies qui luttaient pour leur
indépendance.
Encore en 1900 l'absorption du Canada était une question qui avait
gardé une certaine acuité.
C'est pourtant vers cette période que James Bryce écrivait ces lignes:
"Pour ce qui est de l'intérêt définitif des deux peuples le plus directe-
ment intéressés, on peut dire que, pour le moment, les Etats-Unis et le
Canada gagnent à se développer d'après des types différents de vie
politique et de progrès intellectuel. Chacun d'eux peut, en élaborant ses
propres institutions, avoir quelque chose à enseigner à l'autre. Déjà il
n'y a que trop peu de variété sur le continent américain".
Ce sage conseil de Bryce a été suivi et nos deux peuples ne s'en
sont que mieux portés.
Cette variété que réclamait Bryce existe heureusement sur ce con-
tinent aujourd'hui.
Le fait canadien en Amérique est solidement arc-bouté sur les rela-
tions tout à fait cordiales qui existent entre nos deux pays.
C'est un sujet qui vous est familier puisque vous le vivez. Il fait
partie de vos affinités raciales et électives. Vous êtes, tout compte fait,
l'illustration vivante de l'excellence de ces relations.
Et pourtant on comprend rarement ces rapports à l'étranger. D'au-
cuns croient que, parce que nous sommes les voisins d'un pays aussi
puissant que les Etats-Unis, l'indépendance doit nous être inconnue.
Nous ne serions que l'extension septentrionale des Etats-Unis au point
de vue géographique, qu'un terrain de jeu et de chasse pour les touristes,
qu'une annexe de Wall Street quant à notre économie et, tout compte
fait, qu'un Etat satellite.
Le Canada aurait eu une vie politique bien éphémère si cela était
vrai.
50 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Nous aurions mis plus d'un demi-siècle à affirmer notre indépen-
dance comme membre du Commonwealth britannique, pour ne devenir
que le satellite de Washington!
Cette confusion provient peut-être en partie de groupements tels
que le vôtre échelonnés tout le long de nos frontières: les Franco- Amé-
ricains au sud de la Province de Québec; les concentrations de popula-
tion canado-américaine dans des centres plus importants, comme à
Windsor et à Détroit, ou à Vancouver et Seattle, ou alors les groupe-
ments de néo-Canadiens et de néo-Américains dans les provinces de
l'ouest.
Notre frontière commune est en effet semée de traits d'union au
lieu d'être semée de forteresses. D'ailleurs pour notre bonne population,
il n'y a pas de frontière; il n'y a que ce qu'ils appellent communément
"les lignes".
La confusion vient également sans doute de ce que dans les deux
pays nous avons à peu près le même standard de vie, des méthodes de
travail et une façon de nous divertir qui se ressemblent.
Ce ne sont là d'ailleurs que des signes extérieurs d'un lien encore
plus puissant qui nous unit.
C'est que nous partageons le même idéal, idéal qui prend racine
dans la civilisation chrétienne et qui conditionne notre attitude devant
les problèmes quotidiens aussi bien que devant les tourmentes collectives
auxquels nos deux pays ont à faire face. Mais ils n'en restent pas moins
deux pays solidement respectueux de la souveraineté nationale de chacun.
Arrêtons-nous un moment pour comparer l'état de nos relations
avec ce qui se passe en ce moment en Europe orientale.
A la conférence de Yalta, la Russie a réclamé l'établissement de
"gouvernements amis" sur ses propres frontières.
Cela se passait, il y a moins de 5 ans.
Depuis, dans tous les pays limitrophes de la Russie Soviétique, en
Pologne, en Roumanie, en Bulgarie, en Tchécoslovaquie, des change-
ments de régime se sont produits.
D'abord, ces pays sont devenus des soi-disant démocraties popu-
laires; ensuite les partis non-communistes ont été abolis ou mis en servi-
tude; enfin les gouvernements sont passés à la dévotion de Moscou.
Ils n'ont de liberté individuelle ou collective que celle que veut
bien leur laisser la Russie.
Ils sont devenus les esclaves d'une idéologie qui ne leur appartient
même pas, qui ne correspond aucunement aux aspirations des popula-
tions de ces pays, et qui détruit comme un acide corrosif les grandes ri-
chesses de vie et de culture nationales.
Le grand pays dans lequel vous vivez, plus grand et plus puissant
même que la Russie soviétique, a lui aussi des "gouvernements amis"
sur ses frontières mais il obtient et conçoit autrement leur amitié.
Prenons l'exemple de l'immigration entre nos deux pays: chaque
année, depuis la fin de la guerre, entre 15,000 et 20,000 citoyens amé-
ricains sont venus s'installer au Canada à demeure, alors qu'un nombre
à peu près égal des nôtres partaient pour les Etats-Unis.
LES FETES DU CINQUANTENAIRE 51
Un autre exemple: vous savez comme il est facile pour vous de
venir nous voir au Canada: nous avons la même facilité pour entrer aux
Etats-Unis.
Il s'agit de prendre tout simplement sa voiture, un train ou l'avion
et de se diriger dans la direction qui nous intéresse.
Comme ni l'un ni l'autre de nos pays a quoi que ce soit à cacher,
nous pouvons nous promener librement sur nos territoires respectifs
sans aucune difficulté.
Ce sont ces concepts de la liberté individuelle, cette façon d'en
faire les applications pratiques qui expliquent comment dans nos pays
d'Amérique un groupement comme le vôtre peut se développer sans
entraves.
Vous continuez à parler le français aujourd'hui en terre américaine,
vous conservez les traditions et les croyances que vous avez apportées
avec vous, parce qu'on sait que cette langue, ces traditions, cette foi sont
des instruments de travail et de méditation plus appropriés à votre per-
sonnalité.
On se rend compte que votre vie sera plus pleine si vous conservez
cet héritage et si vous le faites fructifier; que vous y trouvez un profit
temporel et spirituel.
Comme dans l'Europe continentale, dans l'ordre historique améri-
cain, la langue française que nous parlons à de très vieux quartiers de
noblesse. Les rives du St-Laurent, de même que celles du Mississippi,
sont nées à la civilisation aux accents de la langue française.
Dans l'ordre culturel, nous nous abreuvons à une des sources les
plus vives et les plus fécondes de tous le temps. Par la langue française,
nous nous rattachons au grand courant non seulement des découvertes
du lôième siècle, mais nous poussons encore plus loin nos racines et
rejoignons les civilisations de Rome et d'Athènes, dont la langue fran-
çaise est devenue l'un des principaux dépositaires.
Dans l'ordre chrétien, nous sommes les héritiers du Moyen-Age,
des bâtisseurs de cathédrales, de la tourmente de Pascal, aussi bien que
des grands pèlerinages contemporains.
Ce sont des valeurs non seulement que nous voulons garder puis-
que nous en sommes les héritiers, mais que nous voulons également faire
fructifier.
Vous avez comme nous un rôle à remplir dans ce sens en terre
américaine.
Tout héritage, à moins qu'on ne veuille le voir disparaître doit être
mis en valeur.
Jusqu'à présent je dirai, en empruntant une expression du vocabu-
laire des économistes, que nous avons été plutôt des consommateurs de
culture française.
Cette consommation nous a permis à vous et à nous de survivre,
mais une culture qui se contente de consommer manque de vitalité; elle
peut devenir stagnante. Une culture qui produit, une culture qui rayon-
ne, par ailleurs, a dépassé le stage de la survivance. Elle convainc.
Et le respect dont on entoure une minorité est en rapport direct
avec la richesse qu'elle ajoute à la nation.
52 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Une minorité qui resterait en marge de la société où elle est établie
ne donne pas son plein rendement; mais une minorité qui ajoute son
propre génie, sa propre culture aux grands courants de la société dans,
laquelle elle vit enrichit d'autant le patrimoine commun.
Je vois d'ailleurs que c'est l'avis de votre société, puisque dans le
manifeste que vous avez publié, en 1949, on lit que vous "acceptez pleine-
ment les responsabilités et les devoirs de la citoyenneté américaine ainsi
que les avantages et les profits qui en découlent".
Ce patriotisme national joint au culte des traditions ancestrales nous
est facile en terre d'Amérique où nous avons tous le même idéal de
liberté humaine, le même respect de la personne humaine, où nos institu-
tions reposent sur ces concepts et où la force n'est pas une fin pour
l'état mais le moyen de servir la liberté de ses citoyens.
Pouvons-nous en trouver une preuve plus éloquente et plus con-
vaincante que le spectacle du premier ministre d'un pays qui, comme
moi, se rend dans un autre pays pour s'adresser à des citoyens de ce
pays, librement, sur leur invitation, sans avoir à consulter le gouverne-
ment de ce pays, sans aucune restriction ou difficulté.
Et ce qui est encore plus remarquable, c'est que je sois venu ici
pour m'adresser à une société d'Américains dans une langue qui n'est
pas celle de la majorité du peuple américain, une langue qui n'est même
pas celle de la majorité de la population de mon propre pays, mais dan c
une langue que nous sommes iibres de parler dans nos deux pays, parce
que nos deux pays respectent la liberté, parce que toutes deux compren-
nent que la nation qui permet le libre développement de la personnalité
humaine, le libre épanouissement de la culture, sera en définitive plus
civilisée et à la fois plus forte que ces nations où l'individu n'est qu'un
instrument de l'Etat.
Le but de ma causerie ce soir était avant tout de vous offrir les
félicitations de la partie de la population du Canada à laquelle les mem-
bres de la Société historique franco-américaine sont liés par leur origine,
mais je crois que je devrais vous féliciter encore plus pour le bonheur
que vous avez, et qui est aussi le nôtre, de vivre sur ce continent amé-
ricain où des groupes comme le vôtre peuvent en toute liberté grandir
et se développer.
Puisse-t-il toujours en être ainsi et puisse la Société historique fran-
co-américaine mériter et recevoir longtemps des félicitations et des voeux
de longue vie aussi sincères que ceux que je vous apporte ce soir.
LES FETES DU CINQUANTENAIRE
53
Une partie de l'auditoire au discours de M. Saint-Laurent.
(Obligeance de M. Lucien Sansouci, directeur du Phare).
Remerciements du Dr Ubalde Paquin
Ancien président de la Société
Monsieur St-Laurent:
Quand j'étais jeune homme, il y a déjà quelques années, j'aimais
beaucoup à entendre parler un beau canadien français d'alors, un hom-
me de belle prestance, un orateur à la langue d'argent, capable de parler
également bien les deux plus belles langues que puisse parler un homme,
la langue française et la langue anglaise.
La grande faucheuse le retira de l'arène politique et les canadiens
français du temps se demandaient si jamais ils auraient l'honneur d'avoir
un autre compatriote comme lui.
Et vous nous arrivez ce soir, pour passer quelques instants de votre
temps précieux parmi nous, précisément dans ce même hôtel Vendôme
où l'Honorable Wilfred Laurier, alors chef de l'opposition, était l'hôte
des franco-américains à un banquet mémorable, le 17 novembre 1891.
Nous en sommes heureux, nous vous en sommes reconnaissants et
nous vous en remercions profondément.
Les franco-américains mènent une vie française active dans la
Nouvelle Angleterre grâce à leurs nombreuses paroisses avec leurs écoles
bilingues, grâce aussi, à notre collège classique de Worcester, à nos
grandes sociétés de secours mutuel nationales et à nos journaux.
Autrefois, l'immigration canadienne française nous amenait de nom-
breux compatriotes qui se répandaient dans tous les centres où les franco-
américains vivent en grand nombre, pour attiser le feu sacré qui brûle
dans nos âmes.
Aujourd'hui, l'immigration canadienne française a pratiquement
cessée et nous devons compter sur nos propres forces pour maintenir
intact et vivace l'héritage ancestral.
Nous désirons souvent que le Canada Français, notamment la
Province de Québec, nous envoie plus souvent des hommes de votre
valeur pour vivifier nos efforts de conservation française.
Les saluts de nos frères canadiens français que vous nous apportez
ce soir, causent dans nos coeurs de douces émotions.
Le progrès du Canada dans tous les domaines, notamment dans sa
population, sa production et son commerce que vous nous faites con-
naître dans votre conférence, nous remplit d'un légitime orgueil. Nous
sommes heureux d'apprendre que les amitiés américaines et canadiennes
sont plus profondes que jamais, pour le plus grand bonheur de nos
deux pays.
La présence de Madame St-Laurent à ces agapes nous fait réaliser
que le premier ministre du Canada peut avoir sa femme comme un autre.
Nous souhaitons ardemment que les deux cultures canadienne et
américaine continuent de s'affirmer et grandir dans un voisinage de
paix et d'amitié.
LES FETES DU CINQUANTENAIRE 55
Je vous remercie chaleureusement, pour votre éloquent discours
dans lequel vous vous manifestez le beau canadien français, l'homme
de bel prestance et l'orateur à la langue d'argent capable de parler
également bien la langue française et la langue anglaise.
MADAME ST-LAURENT
Je vous prie de bien vouloir partager le tribut d'hommage que
nous offrons ce soir à votre mari. Le parfum qui se dégage de votre
vie est comme le parfum qui se dégage du bouquet que l'on vient de
vous présenter.
Allocution de M. l'Abbé Adrien Verrette
Président du Comité Permanent
de la
Survivance Française en Amérique
Hommage du Comité de la Survivance
à la Société historique franco-américaine
Au nombre des hommages adressés à la Société Historique Franco-
Américaine à l'occasion du cinquantenaire de sa fondation, celui du
Comité de la Survivance Française en Amérique veut être le plus em-
pressé et sûrement le plus fraternel, car il apporte les voeux et les
salutations de six millions de frères en Amérique.
Ce message d'amitié, vous comprenez combien l'un des vôtres est
heureux de vous le traduire au nom de cet important organisme inter-
national qui nous unit tous dans une si étroite communion de pensée
et d'action. Cette coïncidence singulière fait aussi ressortir la profonde
cordialité qui lie tous les coeurs français d'Amérique par dessus les
frontières politiques qui les peuvent séparer.
C'est donc de la vieille capitale française, Québec, avec son histori-
que sanctuaire de haut savoir, Laval, qui abrite le Comité de la Survi-
vance, que vous arrive cet hommage baigné et enveloppé de l'affection
de tous les tronçons de notre mystique culturelle. Oui, et c'est de Qué-
bec que jaillit aussi pour notre société jubilaire la plus sereine comme la
plus inchangeable des attestations de notre âme française. Ce gage
tombe dans nos coeurs comme un baume réconfortant dont seuls nous
pouvons goûter toute la délectable saveur.
La présence à cette table jubilaire du Très Honorable Premier
Ministre du Canada, l'un des nôtres par la Foi, la tradition et la langue
n'est-elle pas une autre éclatante preuve de la solidarité qui unit des êtres
à qui la Providence a confié le même idéal spirituel de vie pour rendre
service aux deux grandes patries qui se partagent notre continent. Rares
sont les organismes qui peuvent réclamer d'aussi éminents symboles de
secourables échanges dans la poursuite de leur haute mission culturelle.
Les cinquante années écoulées de la Société Historique Franco-
Américaine sont donc en définitive la proclamation éloquente de cette
préoccupation de nous fournir à nous-mêmes et à notre patrie américaine
les plus utiles accents de cette civilisation incomparable que nos pères
apportèrent du Québec et de la vieille France. Sur la liste des brillants
ambassadeurs de la pensée française qui se sont succédés à la tribune de
notre histoire, nous admirons une chaîne ininterrompue de féconds ef-
forts, venus de France et du Canada, pour fortifier notre indéfectible
souci de prolonger dans nos âmes cet inaliénable héritage des ancêtres.
Quel groupe au sein de nos merveilleuses patries peut se glorifier d'avoir
davantage contribué au rayonnement de ces valeurs spirituelles qui don-
nent la paix et l'idéal intellectuel aux hommes!
Dans son insondable sagesse, la Providence veille avec une tendresse
toute maternelle sur ceux qui s'emploient à d'aussi nobles et généreuses
LES FETES DU CINQUANTENAIRE 57
tâches. Nous pouvons croire avec reconnaissance que cette heure jubi-
laire que nous célébrons avec tant d'éclat est une forme de visible ré-
compense pour tous ceux qui croient fermement à la bienfaisante in-
fluence de notre présence historique en Amérique et qui ont à coeur d'en
perpétuer l'étincelant rayonnement de paix et d'humanisme chrétien.
Vos archives ont accumulé fidèlement les miettes vivantes de notre
histoire pour indiquer les sillons parcourus. Vous avez noté la direction
d'ensemble de nos oeuvres, enregistré les pulsations généreuses qui s'en
détachent et peut-être fourni à certains de nos espoirs la sève vivifiante
qui leur était nécessaire par votre enthousiasme et votre zèle autour du
patrimoine commun. Votre travail a été plus qu'un enregistrement. Il
a été souvent un véritable apostolat, un effort animateur tant il est vrai
que l'histoire, en racontant, peut devenir aussi une puissance d'action et
d'inspiration.
C'est tout ce magnifique et utile travail accompli depuis cinquante
ans que le Comité de la Survivance veut proclamer à sa juste valeur et
dans les fondateurs et dans les vaillants continuateurs de votre société
Pour traduire davantage sa joie et son admiration, il a voulu honorer
l'un de vos principaux artisans en lui décernant les insignes de son
Ordre de la Fidélité Française, une distinction qui s'harmonise si bien
avec votre dévouement à l'oeuvre précieuse de notre histoire.
Il y a douze ans, le docteur Ubalde Paquin, alors président de la
Société Historique remettait à Mgr Camille Roy, président du Congrès
de la Langue Française et par la suite président fondateur du Comité
de la Survivance, la grande plaque en or, la médaille de grand mérite
de la société, à l'occasion de la collation des doctorats d'honneur aux
principaux apôtres du congrès dans la salle des promotions de l'Uni-
versité Laval.
Aujourd'hui, c'est un autre président du Comité de la Survivance
qui annonce au docteur Paquin que la plus haute distinction française
accordée en Amérique lui a été décernée. C'est plus qu'un geste de
courtoisie mais bien un gage indiscutable de l'étroite collaboration qui
unit ces deux grands organismes consacrés à nos intérêts culturels les
plus chers. La remise solennelle de cette décoration si bien méritée se
déroulera à Laval lors de la prochaine cérémonie de promotion de
l'Ordre.
Enfin, longue vie et succès croissant à la Société Historique Franco-
Américaine. Félicitations empressées à tous ses membres et à tous ses
véritables ouvriers. C'est le voeu fraternel et bien sincère du Comité
de la Survivance Française en Amérique.
:— Documents et Pièces d'Archives
Documents Acadiens tirés des Archives
de l'Etat du Massachusetts
ARTHUR-L. ENO*
Première partie
No. 2
In the House of Représentatives November 6th 1755.
Ordered that Mr. Gridley, Mr. Hooper and Colonel Otis with such
as the Honorable Board shall join be a Committee to examine into the
State of the French on board the several transports now lying in the
Harbour of Boston ÔC to report what they think proper for this Court
to do thereon.
Sent up for Concurrence.
T. HUBBARD, Speaker.
In council November 5, 1755.
Read & Concurred & Joseph Pynchon & William Brattle, Esquire
are joined in the affair.
Copy examined J. WILLARD, Secy.
No. 49
A Son Excellence Le Gouvernour General de la province de Massa-
chusetts Bay de La Nouvell Engleterre et au honourable Gentilhomes
du Consseile.
Nous avons pris la liberté de vous présenté cette requeste comme
nous sommes en chagrin par raport a nos enfans. La perte que nous
avons souffris de nos habitations et amené icy, et nos séparations les
uns des autre nest rien a comparé a cell que nous trouvon a présent,
que de prendre nos enfans par force devant nos yeux. La nature mesme
ne peut souffrir cela. Si il estait en nostre pouvoire davoir nostre chois
* Ces pièces, extraites par M. le juge Arthur-L. Eno, proviennent du volume
XXIII (1755-1758), intitulé "French Neutrals", des Archives de la State House
de Boston, Massachusetts. Deux, les nos 2 et 49, ont été publiées dans le "Rapport
concernant les Archives Canadiennes pour l'année 1905" (Ottawa, 1909, vol. II,
Appendice E, pp. 138 et 146 de l'édition française). Les autres sont inédites.
A leur suite se trouve un index de tous les documents de ce volume XXIII,
compilé aussi par M. Eno.
DOCUMENTS ET PIECES D'ARCHIVES 59
nous choisirions plus tôt de rendre nos corps et nos âmes que destre
séparé deux. Cest pourquoy nous vous prions en grâce et a vos honours
que vous ayé la bonté dapaïser cette crueltez. Nous ne reffusons aucun-
nement de travailler pour lentretien de nos enfans, moyainent, que si
cestoit suffent pour nos familles. Vous priant en grâce que davoir la
bonté davoir égard a nostre requeste ainsy faisent vous obligeray vostre
très humble et très obéissent serviteurs.
at Chelmsford JEAN LENDREY
at Oxford CLAUDE BENNOIS
at Concord CLAUDE LE BLANC
CHARLE DAIGUE
PIER LE BLANC
at Worcester AUGUSTIN BLANC
at Andover JAQUE ESBERT
JOSEPH VINCENT
at Waltham ANTOINE EBERT
No. 100
In the House of Représentatives June 1, 1756.
Ordered That a Letter communicated By his Honor the Lieutenant
Governor to this House, from Mr. Hanfield to his Excellency Governor
Shirley Dated Annapojis Royal May 1756 be Committed to the Com-
mittee appointed to Examine ye Accounts of Charges offered to this
Court for supporting ye Inhabitants of Nova Scotia lately brought into
this Province &c, To Consider the same and report thereon.
Sent up for Concurrence.
T. HUBBARD, Speaker.
In Council June 1, 1756.
Read and Concurred.
THOS. CLARKE, Deputy Secry.
No. 100A
The Committee having atttended the within service report as their
opinion that the persons referred to in Mr. Hanfield letter to His
Excellency Governour Shirley be sent to the towns of Lynn ÔC Beverly.
Which is Humbly Submitted
SAMUEL WATTS
order
In Council June 9th 1756.
Read and accepted.
Sent down for Concurrence.
By order WM. PEPPERRELL.
In the House of Représentatives June 10, 1756.
Read and Concurred.
T. HUBBARD, Speaker.
Consented to
PHIPS.
60
BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
No. 106
Marblehead ss.
A List of Neutral French in this Town
This 20th day of August A. D. 1756.
1 Family Joseph Degan
Anna Degan
Mary Degan
Elizabeth Degan
Monich Degan
Peter Degan
Isadore Gardeu
his wife &:
child
Tôt. 9
2d Family Peter Lander
& his wife
Mary Lander
Martha Lander
Marcy Lander
Jane Lander
Elizabeth Lander
Sarah Lander
Peter, a boy
Tôt. 9
3 Family
James Dentremore
Margerit his wife
Joseph Dentremore
Margerit his Daughter
Paul Dentremore
Belony Dentremore
Anna Dentremore
Aben Dean
Joseph Masnel 9
4 Family
James Amero
Anna wife
James Amero Jr.
Mary, his wife
Tetose Amero
Isador Amero
Bassil Belovo
Eushel Amoro
10
Rec'd June 3d 1756
18 Recd June 5, 1756
19
Attest
NATHAN BOWEN Overseer.
No. 140
In Council May 31, 1756.
Ordered that Samuel Watts and William Brattle Esquires with
such as the honorable House shall join be a Committee to examine such
Accounts of Charges as hâve been or may be offered to this Court for
supporting any of the French Inhabitants that hâve been lately brought
from Nova Scotia into this Province and that the Committee project
some méthode for easing the Province of such a Charge for the future
and Report as soon as may be.
Sent down for Concurrence.
By order
WM. PEPPERRELL.
In the House of Représentatives May 31, 1756.
Read and Concurred, and Mr. Welles, Thomas Foster Esquire ÔC
Mr. Paine are joined in the affair.
T. HUBBARD, Speaker.
DOCUMENTS ET PIECES D'ARCHIVES 61
No. 140A
In the House of Représentatives June 8, 1756.
Voted that Col. Gerrish & Colonel Clap be of the Committee for
the purposes within mentioned in the Room of Thomas Foster, Esquire
and Mr. Paine who are absent.
Sent up for Concurrence.
T. HUBBARD, Speaker.
In Council June 8, 1756 Read and Concur'd.
THOMAS CLARKE, Dpty, Secry.
Consented to
PHIPS.
No. 142-143
The Committee appointed to examine such accounts of charges as
hâve been or may be offered to this Court for supporting the French
Inhabitants that hâve been brought into this Province from Nova Scotia
ÔCc having attended said service, report as their opinion that there are
accounts for the support of said Inhabitants from sundry towns in this
Province which are not brought in for payment, therefore that the con-
sidération of the whole be referred to the first Friday of the next
sitting of this Court, ÔC that such towns who hâve any demands upon
the Providence for the support or maintenance of said French In-
habitants, be directed to lodge their accounts by said time in the secre-
tarys office.
The Committee beg leave further to report, that in their opinion
spécial & effectuai provision is allready made by an act in addition to
an act making provision for the Inhabitants of Nova Scotia sent hither
from that Government for the support of said Inhabitants, and that if
the Justices of the Peace &: Overseers of the Poor would but conform
to said act & bind out to service or make provision for the support of
said Inhabitants in the same manner as by law they are authorized &
empowered to do when said Inhabitants, the Inhabitants of this Province,
it would greatly lessen the charge the Province other wise will bear ÔC
therefore that this Court give notice that they expect a strict observance
of the same.
Which is humbly submitted
Samuel Watts by order
In council June 9th 1756 Read and not accepted.
Sent down for Concurrence.
By order Wm. Pepperrell.
In the House of Représentatives June 9, 1756.
Read and nonconcurred; and ordered that the Report be accepted.
Sent up for Concurrence.
T. HUBBARD, Speaker.
62 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
No. 144
In the House of Représentatives June 9, 1756.
Ordered that the Committee appointed to consider the affair of
the French Neutrals so called be directed to sit forthwith ÔC report.
Sent up for Concurrence.
Attest HENRY GIBBS, Cler. Dom. Rep.
In Council June 9, 1756 Read ÔC concur'd.
FRA. FOXCROFT, By order.
No. 188
In the House of Représentatives August 24, 1756.
Ordered, That Mr. Lancaster be of the Committee on the affair
of the French Inhabitants lately sent hither from Nova Scotia in ye
room of Mr. Tasker who is absent — ÔC that the Committee be directed
to sit forthwith ÔC report as soon as may be.
Sent up for Concurrence.
T. HUBBARD, Speaker.
In Council August 24, 1756 Read and Concur'd.
THOS. CLARKE, Deputy Secry.
No. 198
In the House of Représentatives August 31, 1756.
Voted, That Colonel Haie, Colonel Otis ÔC Mr. Welles be a Com-
mittee to confer with a Committee of the Honorable Board, on the Bill
passed by the Honorable Board ÔC that passed by the House relating
to the French Inhabitants of Nova Scotia lately sent hither from that
Government — and report.
Sent up for Concurrence.
T. HUBBARD, Speaker.
In Council August 31, 1756 Read & Concur'd and Benjamin Lynde,
Thos. Hutchinson, ÔC Stephen Sewall, Esquires are joined in the affair.
THOS. CLARKE, Dpty. Secry.
No. 236-237
In the House of Représentatives October 13, 1756.
Voted that the late French Inhabitants of Nova Scotia, now in the
Towns of Charlestown and Marblehead being forty nine in ail, be
forthwith removed from thence to the hereafter mentioned Towns, in
the following proportion, viz. to Medway 6. to Bellingham 4. To Wal-
pole 4. to Sherburne 5. to Natick 6. to Southborough 3. to Dudley 6.
to Medfield 5. To Holjiston 4. to Dracut 4. to Dunstable 2. Voted
also that the Sheriffs of the Countys of Essex and Middlesex, be Di-
rected to cause the said French Persons to be conveyed to said towns
respectively, and in ail things concerning them, to govern themselves
by the Laws and orders of this Court, making provision for the in-
habitants of Nova Scotia sent hère from that Government, and that
DOCUMENTS ET PIECES D'ARCHIVES 63
said Laws and order, be sent to the several Towns, that they may be
duly executed especially Those Paragrafts relating to keeping the said
French Inhabitants in the several Towns.
Sent up for Concurrence.
THOS. HUBBARD, Speaker.
In Council October 13, 1756. Read and Concurred.
THOS. CLARKE, Dpty Secry.
Consented to PHIPS
Copy examined THOS. CLARKE, Deputy Secry.
October 19.
Ordered Jos. Badger, junior, Dep. Sher. to convey 4 to Dracut
& to Dunstable 6.
Oct. 19, 1756, wrote to Mr. Sheriff Foster to send his 12 to Natick
& Sherburne.
R. V.
No. 301
To his Excellenci Spencer Phips Lieutenant Governor
at Boston
No. 302
Marshfild le 5 dumois de janvier annoque Domini 1757.
A son Excellence Monseigneur le Lieutenant gouverneur de Baston;
et a tous les Messieurs du Conseille ÔCc . Cette très humble supplica-
tion est présenté par son très humble serviteur Charles Mius habitant
du Cap Sable et de toute sa famille.
Monseigneur.
Cest avec un très grand regret que je prends la liberté dimportuner
vostre Excellence, mais la nécessité ou je suis réduit pour le présent my
ayant obligé je vous supplie de m'excuser. Nous sommes moy et ma
famille pour le présent réduit a la dernière extrémité nayant reçue
presque aucun secour de la part des habitants de plimout depuis que j'y
demeure. L'on ne mat point non plus fourni de provision comme l'on
avoit fait a ceux qui etoient venue du port royal contre les ordres de
vostre excellence. Cest ce qui fait que nous nous addressons a vostre
Excellence et atous les messieurs du Conseille pour les supplier que l'on
nous accorde les mêmes faveurs que l'on at accordées aux habitants du
port royal; qui ont reçue des provisions et du bois pour l'espace de six
mois. Car pourmoy et monfils nous avons faits la pesche toutte cette été
que nous avons toutte dépensé a soutenir nos familles et touttes les
choses que nous avons dépensé nous ont été conté (ou coûté?) excepté
le docteur qui nous at fourni ses remèdes gratis. Pour le présent l'on
64 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
ne nous veut pas fournir ny de provisions ny de bois et nous sommes
presque tout nuds. L'on ne veut pas non plus nous fournire de travaille.
Que ferons nous dans cette circonstance faudrat-il que nous mourions
moy et ma famille.
No. 303
P. S. Nous ne pouvons avoire recours a dautres qu'aux Messieurs
du conseille et a vostre Excellence afin quon nous soulage comme des
pauvres des choses qui nous sont nécessaires.
J'avois apporté avec moy cette automne du Cap Sable un barill de
boeuf avec six boissaux de selle que Mr. Lamson nous at retenue pré-
tendant quil luy appartenais de droit. Cest ce qui fait que nous nous
addressons a vostre excellence pour quils nous soient rendue. Car pour
le présent nous navons ny bois ny vivre et Ion ne veut pas seulement
me permettre den aller chercher au bois sur mon épaule pour me chau-
fer. Je suis aussi réduit à la mandicite pour supporter (?) ma famille . . .
Que si c'est la bonne volonté denous accorder la grâce que nous
vous demandons de touts ces messieurs ce serat un surcroit dobligations
que nous leurs aurons qui nous obligerat de prier Dieu pour leur con-
servation et en attandant larrêt quil plairat à vostre escellence de pro-
noncer en nostre faveur, Moy et toute ma famille nous avons l'honneur
de nous dire de vostre excellence et de touts les Messieurs du conseille
Vos très humbles et
obéissants serviteurs
CHARLES MIUS et toutte sa famille.
No. 395
Province of the I To the Honourable his Majestys Council ÔC
Massachusetts Bay v Honourable House of Représentatives in
) General Court assembled April, 1757.
The Pétition of Amos Fuller Représentative for Needham Humbly
shows,
That there are now in the said Town twelve French Persons late
Inhabitants of Nova Scotia who are supported by the said Town; and
as the said Town is very small, they apprehend the said Number is
greatly beyond their Proportion with other Towns,
Wherefore your Petitioner in behalf of said Town humbly prays
your Honours would ea/c them of said Burden by ordering yt.
part of said number may be disposed of in some other of the Towns
in the province. And as in Duty Bound will Pray.
AMOS FULLER.
No. 396
In the House of Représentatives April 25, 1757.
Read and Ordered, That five of ye. French Inhabitants late of
Nova Scotia be removed from the Town of Needham to the Town of
DOCUMENTS ET PIECES D'ARCHIVES
65
Wrentham at the Charge of the Town of Needham, ÔC that the Select
Men of the Town of Wrentham receive the said French persons ÔC
govern themselves with regard to them according to Law.
Sent up for Concurrence.
T. HUBBARD, Speaker.
In Council April 25, 1757 Read and concurred.
A. OLIVER, Secretary.
Consented to
T. HUTCHINSON JOHN GREENLEAF J. OSBORNE
STEPHEN SE WALL J. CHANDLER
ISAAC ROYALL
JOHN ERVING
No. 456
EZEK. CHEEVER
JAMES MINOT
AND. OLIVER
JOS. PYNCHON
JOHN OTIS
JACOB WENDELL
BENJ. LYNDE
DAN (?)
In the House of Représentatives August 24, 1757.
Ordered, That the Committee appointed the 21 February last in
conséquence of the Report of the Committee of both Houses appointed
to wait on his Excellency Governor Lawrence ÔC confer with him on
the Charges this Province has been at in supporting the French In-
habitants sent hither by the Government of Nova Scotia be directed to
sit forthwith and prépare the Accounts therein referred to, and report
as soon as may be.
Sent up for Concurrence.
T. HUBBARD, Speaker.
In Council August 25, 1757.
Read and Concurred.
A. OLIVER, Secretary.
No. 457
The Committee appointed to wait upon his Excellency Governor
Lawrence to confer with him upon the charge of the French Neutrals
ÔCc having attended said service beg leave to report —
That it is the désire of Governor Lawrence that the Accounts of
the French Neutrals which came from the Southern Governments into
this Province be prepared and delivered to him, that he may lay the
same before his Majestys Council at Halifax for Payment. And further
that his Excellency Governor Lawrence is of opinion that upon applica-
tion made at home this Province will be reimbursed the necessary
charges that it hath been at for the support of the French Neutrals so
called, sent by the Government of Nova Scotia hère: and that he will
66 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
do everything in his Power to assist this Government in obtaining the
same.
By order of the Committee,
W. BRATTLE.
In Council February 21, 1757.
Read and Ordered that this Report be accepted and that the Com-
mittee who had the disposai of the said French Neutrals with the
Province Treasurer prépare the Accounts referred to accordingly.
Sent down for Concurrence.
THOS. CLARKE, Deputy Secretary.
In the House of Représentatives February 21, 1757.
Read ÔC Concurred.
T. HUBBARD, Speaker.
Consented to
PHIPS.
No. 528
Province of the \ To H's Excellency Thomas Pownall Esquire Captain
Massachusetts BayJ General ÔC Govenor in Cheife in and over this
Province The Hon. His majesty's Council ÔC
House of Représentatives in gênerai Court
assembled at Boston November 1757.
The mémorial of Duncan Campbell, Esquire of Oxford — Humbly
shows —
That last May sessions he proferred a Pétition to this Honble
Court praying that the sum of Seventeen Pound thirteen shillings ÔC
four pence might be allowed to him for his charges of transporting
from Cambridge to Oxford ÔC keeping seven French Neutrals which
were sent to Cambridge ÔC Five of them bound out to him by the Select-
men of Cambridge by Indenture — from whom he never hath yet rec'd
any profit or service they refusing to work. That upon said Pétition
this Honorable Court was pleased to allow him on his account no more
then the sum of forty two shillings ÔC three pence half penny. That
the Honorable Board hâve sent your Petitioners Servants to the Town
of Deedham and so he is deprived of any service from them until this
Time notwithstanding the great expense he was put to for maintaining
them since he took them from Cambridge — he therefore most humbly
prays he may be allowed the remainder of his account or that he may
hâve an order from this Honble Court to take those that were bound
to him from Deedham ÔC compell them to work ÔC as in Duty bound
shall pray.
DUNCAN CAMPBELL.
No. 529
In the House of Représentatives March 20th 1758.
Read and Resolved, That there be allowed and paid out of the
DOCUMENTS ET PIECES D'ARCHIVES
67
public Treasury to the Petitioner the sum of five pounds nine shillings
and. four pence, in addition to the former allowance made him, and in
full considération for his keeping the French People mentioned.
Sent up for Concurrence.
T. HUBBARD, Speaker.
In Council Read and Nonconcurred.
A. OLIVER, Secretary.
No. 531
Province of the "ï To His Excellency Thomas Pownall Esquire Capt.
Massachusetts Bay J General and Governor m and over His Majestys
Province of the Massachusets Bay in New England,
to the Honorable his Majesty's Council and House
of Représentatives in General Court assemble the
23rd day of November 1757.
The Mémorial of the Selectmen of Malden in the County of
Middlesex in said County
Humbly showeth
That your memorialists had by order of a Committee of this Court
Eleven of the French, lately Inhabitants of Nova Scotia sent to them
viz: being two families, one family, a widow with five young children
and a single woman, the other a man of ill helth sick the most of his
time with a wife and child also a single woman that is now sick and
hath been for some time — When they came to the Town of Malden
they were very poorly on it for clothing and household furniture and
we belive the most unable to help themselves as any family in the
Province. Your Memorialists further show that the Town of Malden
is so situated that the necesseries of Life viz. firewood house rent and
provisions are much dearer then in the Towns that are further in the
Country and for that reason the charge of supporting said French rises
to a greator sum for the Province to pay then need be if they were
removed to some Town where wood and provisions are plentious and
as there are many Towns in the province which hâve none.
Your Memorialists humbly pray that the whole or part of the said
French may be removed to some other town. And your memorialists
as in Duty Bound shall ever pray.
JOSEPH LYND
JOHN DEXTER
EBENER HARNDEN
EZRA GREEN
Selectmen
of Malden
68 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
No. 532
Province of the ) To His Excellency Thomas Pownal Esquire
Massachusetts Bay ss. J Captain General and Governour in Chief the
Honorable his Majesties Council and House of
Représentatives in General Court assembled this
23 day of November Anno Domini 1757.
We the subscribers selectmen of the Town of Milton in Behalf of
said Town. Humbly show
That the Town of Milton hâve for some time past had sixteen of
the Neutral French quartered on them which number hâve since in-
creased to eighteen that there is but three men in that number one of
which is in a weak and declineing state which number your Pétitions
humbly apprehend according to the number quartered on other Towns
greatly exceeds their proportion, the Town of Milton is but a small
Town and tho they would chearfully in this time of distress bear their
proportion to their utmost ability but more then that is grievous we
would therefore humbly move your Excellency and Honour to interpose
in behalf of Milton so far as to give them such relief in the premises
as according to your known wisdom and accustomed justice you shall
see meet and your Pétition as in duty bound sha'l ever pray etc. —
BENJAMIN FENNO ï
BENJAMIN WADSWORTH Selectmen
WILLIAM TUCKER
DAVID RAWSON
JEREMIAH TUCKER
of
Milton
No. 533
In the House of Représentatives June 15, 1758.
Read and Ordered, That the Select Men of the Town of Milton
be and they hereby are allowed at the charge of said Town to remove
five of the French People now there to the Town of Wrentham: and
the Select Men of the said Town of Wrentham are hereby directed to
receive the said French People and to provide for them as is directed
by the orders of this Court.
Sent up for Concurrence.
T. HUBBARD, Speaker.
June 15, 1758.
In Council Read and Concurred.
A. OLIVER, Secy.
Consented to
POWNALL.
DOCUMENTS ET PIECES D'ARCHIVES
69
No. 562
List of Nova Scotia French In Marblehead.
1 Family Joseph Degan
Anna Degan
Mary Degan
Elizabeth Degan
Monich Degan
Peter Degan
Isadore Gordo
his wife ÔC
child
Tôt. 9
2 Family Peter Landra
his wife
Mary Landra
Martha Landra
Mary Landra
Jane Landra
Elizabeth Landra
Sarah Landra
Peter, a boy
Tôt. 9
Rec'd June 3rd 1756
3 Family that came June 5, 1756
James Dentrimo
Margerit his wife
Joseph his son
Marg. his Daughter
Paul his son
Belony Dentrimo
Anna his Daughter
Aben Dean
Joseph Masenel
4 Family
James Amoro
Anna his wife
James Amoro Jr.
Mary, his wife
Tetosh Amoro
Isadore Amoro
Bassil Amoro
Natis Amoro
Basul Amoro
Eushel Amoro
10
37
Marblehead, January 23rd 1758 I hereby certifie that this is a true
list of the French People who continued in this Town, til removed by
order of Government.
Attested NATHAN BOWEN,
Overseer Poor.
No. 602
In the House of Représentatives January 11, 1758.
Ordered, That Capt. Williams be of the Committee on the Pétition
of John Labrador, and other Pétitions of the like import, in ye Room
of Colonel Choate who is excused from that service.
In Council January 11, 1758.
Read & Concur'd.
Sent up for Concurrence.
T. HUBBARD, Speaker.
THOS. CLARKE, Dpty. Secry.
No. 635
In the House of Représentatives October 12th 1756.
Voted that the late French Inhabitants of Nova Scotia, now in
70 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
the Towns of Charlestown and Marblehead being 49 in ail, be forthwith
removed from thence to the hereafter mentioned Towns, in the follow-
ing proportions, viz. to Medway 6 to Bellingham 4 to Walpole 4 to
Sherburn 5 to Natick 6 to Southboro 3 to Dudley 6 to Medfield 5 to
Holliston 4 to Dracut 4 To Dunstable 2. Voted also that the Sheriffs
of the Countys of Essex and Middlesex, be directed to cause the said
French Persons to be conveyed to said Towns respectively, and in ail
things concerning them, to govern Themselves by the Laws and Orders
of this Court, making provision for the inhabitants of Nova Scotia sent
hère by that Government, and yt said Laws and Orders be sent to the
several Towns, that they may be duly executed especially those Para-
graphs relating to keeping the said French Inhabitants in the Several
Towns.
Sent up for Concurrence.
T." HUBBARD, Speaker.
In Council October 13th, 1756. Read & Concur'd.
THOS. CLARKE Deputy Secy.
Consented to S. PHIPS.
Copy examined THOS. CLARKE, Deputy Secy.
Copy examined ROBERT HALE, Sheriff of the County of Essex.
A true copy
ISAAC SMITH, Dept. Sheriff.
DOCUMENTS ET PIECES D'ARCHIVES 71
Deuxième Partie
Index du Vol. XXIII (French Neutrals)
Pages Dates
1-6 Committee to examine French Neutrals in Boston 1755
harbour — with papers
7 Committee about their transportation
8-9 Gov. Lawrence to be addressed on this topic
10-14 Act as to Neutrals
15-18 Orders as to Neutrals 1756
19 Stoughton Account
20 Order — binding out Neutrals
21 Stoughton Account — Neutrals
22 Order — support of Neutrals
23 Commander to address the Gov.
24-27 Address to him
28-33 Act — Neutrals
34-39 Bills— Neutrals
40 Commander charges Neutrals (French Prisoners)
41 Marlborough Account
42 Wenham Account
43 Halifax Account
44-45 Andover Account
46 Waltham Account
47 Middleborough Account
48 Act as to Neutrals
49 Pétition of Neutrals
50 Committee on this
51-57 Pétition of J. Mitchel — binding out his sons
58-59 Order that no more land in Province
60-66 Pétitions of Neutrals
67 Advice of Council as to P. Ducee
68-69 Pétition of Neutrals
70 Advice of Council
71-72 Lancaster Account
73 Sandwich Account
74-76 Papers — Neutrals last imported
77-78 Wilmington Account
79 Salisbury Account
80 Stoneham Account
81-83 Kingston Account
84 Newton Account
85 Pembroke Account
86 Lincoln Account
87 Plympton Account
88 Oxford (3) Account
89-96 Ipswich Account
97-98 Sudbury Account
99 Hanover Account
72 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Pages Dates
100 Order 1756
101 Mendon Account
102 Reading Account
103 Amesbury Account
104-106 Marblehead Account ÔC list Neutrals quartered
107-108 Marshfield Account
109 Roxbury Account
110 Woburn Account
111-115 Scituate Account
116 Shrewsbury Account
117 Woburn Account
118 Lexington Account
119 Andover Account
120 Uxbridge Account
121 Hanover Account
122 Milton Account
123 Weymouth Account
124-128 Manchester Account
129-130 Watertown Account
131 Weston Account
132 York Account
133 Medfield Account
134 Wenham Account
135 Stoneham Account
136 Hingham Account
137 Medford Account
138 Newbury Account
139 Salem Account
140 Committee on Accounts
141 Abington Account
142-145 Committee — reports — order
146-147 Order as to binding out children
148 Committee to address the King
149 Worcester Account
150 Lynn Account
151-155 Haverhill Account
156-157 Rowley Account
158-159 Letter of Gov. Lawrence
160-161 Danvers Account
162 Letter to Gov. Lawrence
163-167 Sandwich Accounts
168-172 Plymough Accounts
173 Committee to report
174 Sherburne Account
175-176 Letter to Gov. Lawrence
177-180 Malden Account
181 Report of Committee
182-184 Orders — Neutra's from the South
DOCUMENTS ET PIECES D'ARCHIVES 73
Pages Dates
1756
185-187
Pétitions of Neutrals
188-191
Committee — Report
192
Freetown Account
193
Norton Account
194-195
Taunton Account
196-197
Act for Neutrals to carry passports
198-199
Committee — orders
200-202
Act
203-205
Boston Account
206-209
T. Hutchinson's pétition
210-211
Remonstrance
212
Charge
213
Charlestown Mémorial
214-215
Notes — Pétition — Notes
216-217
Order relative to François Leblanc and
Neutrals from Gloucester
French
218-220
Pétition
221-222
Orders
223
Stow — bill
224
Oxford Account
225
Sturbridge Account
226-227
Marblehead pétition
228
Pétition of A. Hébert
229
Andover Account
230-231
Notes as to Neutrals
232
Duxborough Account
233
Mendon Account
234
Pembroke Account
235-247
Charges for transporting Neutrals
248
Newton Account
249
Topsfield Account
250
Sudbury Account
251
Milton Account
252
Wrentham Account
253
Marlborough Account
254
Medfield Account
255
Needham Account
256
Lexington Account
257
Hingham Account
258-259
Scituate Account
260
Roxbury Account
261
Kingston Account
262
Stoneham Account
263
Weymouth Account
264-265
Boxford Account
266
Reading Account
267
Attleborough Account
268-269
Taunton Account
74
BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Pages
270 Rowley Account
271 Shrewsbury Account
272 Salisbury Account
273-274 Waltham Account
275 Walpole Account
276 Concord Account
277 Abington Account
278 Sandwich Account
279 Barnstable Account
280 Newbury Account
281-286 Haverhill Account
287 York Account
288 Acton Account
289 B. Beal's mémorial
290 Salem Account
291 Framingham Account
292 Boston Account
293 Bolton Account
294-296 Dartmouth Account
297-298 Medford Account
299-300 Newbury Account
301-305 Pétition of C. Mius (translated)
306 Groton Account
307-310 Pétition of Glude Benway
3 1 1 Worcester Account
312 Bradford Account
313-314 Salem Pétition
315 Grafton Account
316 Marshfield Account
317-321 Gloucester Account
322 324 Medford Account
325 Rehoboth Account
326-327 Leicester Account
328-329 Committee — Vote about Neutrals
330 Lancaster Account
331 Dedham Account
332-336 Boston Account
337 Ipswich Account
338 Braintree Account
339-345 Charlestown Account
346 Dorchester Account
347 Westford Account
348 Committee to consult with Gov. Lawrence
349 Stow Account
350-355 Sherburn Account
356-360 Report — Pétition of B. Melanson
361 Bedford Account
362 Wenham Account
Dates
1756
1757
DOCUMENTS ET PIECES D'ARCHIVES 75
Pages Dates
363 Danvers Account 1757
364-365 Newton Account
366-367 Medway Account
368 Worcester Account
369 Amesbury Account
370-371 Malden Account
372 Rowley Account
373-375 Pétition of Peter Boudreau
376-377 Natick Account
378 Marshiield Account
379 Charges for transportation
380 Grafton Account
381 Leicester Account
382-383 Pétition for Newton
384-385 Canoës of deserting Neutrals
386 Medford Account
387-380 2 Pétition of Waltham Selectmen
381 2 Note — Marshfield
382 2 -383 2 Pétition of Thos. Foster
384 2 -385 2 Payment of Towns
386 2 Boston Account
387 2 -388 2 Committee on charges
389 2 Order — Scituate — Dudley
390-391 Salem Accounts
392 Pétition for Malden
393 Note — Plymouth
394 Brookline Account
395-396 Pétition for Needham
397 Sutton Account
398-399 Pétition of M. Hibbert
400-401 Salem Account
402-403 Methuen Account
404 York Account
405 Wenham Account
406 Medfield Account
407 Committee about Neutrals
408 Bolton Account
409-414 Ipswich Account
415-416 Framingham Account
417 Boxford Account
418 Westborough Account
419 Littleton Account
420-421 Pétition of Basil Saimere
422 Taunton Account
423-424 Lincoln Account
425 Pétition of A. Hibbert
426 Weston Account
427-428 Kingston Account
76 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
„. Dates
Pages
1 757
429-430 Bradford Account x/ „-"
431 Tewksbury Account „
432-436 Watertown Account „
437-438 Concord Account „
439 Committee to prevent charges ?>
440-441 Newton Account „
442 Sutton Account
443.444 Pétition of P. Clément and C. Meuse n
445 Order — Prisoners „
446 Amesbury Account „
447 Plymouth Account „
448 Oxford Account „
449 Order — watch over Neutrals n
450-451 Committee — report „
452 Vote — impressment of Neutrals n
453-457 Committee — charges — report n
458-460 Oxford Account „
461 Groton Account „
462 Stow Account „
463 Pembroke Account „
464 Methuen Account „
465 466 Worcester Account „
467 Dorchester Account
468-469 Lincoln Account „
470-472 Waltham Account „
473 Plympton Account „
474 Dartmouth Account „
475 Rehoboth Account „
476 Milton Account „
477-478 Andover Account „
479-483 Sudbury Account „
484-485 Weymouth Account „
486-490 Chelmsford Account „
491 Lynn Account „
492 Dedham Account „
493-496 Scituate Account „
497 Wilmington Account „
498 Hingham Account „
499 Boston Account „
500 Wrentham Account „
501 Plimpton Account „
502-504 Shrewsbury Account „
505-506 Duxborough Account „
507-508 Sherburne Account „
509-511 Pétition of F. Mieuse „
512-521 Sherburne Account „
522 York Account „
523 Cambridge Account
DOCUMENTS ET PIECES D'ARCHIVES
77
Pages
524-525 Uxbridge Account
526-527 Boxford Account
528-530 Pétition of D. Campbell
531 Mémorial of Malden Selectmen
532-533 Mémorial of Milton Selectmen
534-542 Topsfield Account
543-544 Maldon Account
545-546 Committee on charges
547-548 Pétition of L. Mieuse
549 Boxford Account
550 Sturbridge Account
551-552 Framingham Account
553-554 Newton Account
555 Weston Account
556 Danvers Account
557 Middleborough Account
558 Westford Account
559 Reading Account
}60-566 Marblehead Account
567-572 Watertown Account
573-57^ Needham Account — Pétition
576 Pétition of J. Labardor
577 Leicester Account
578 Roxbury Account
579-580 Bradford Account
581-584 Pétition of J. L'Blanc
585 Committee — charges
586 Norton Account
587-591 Manchester Account
592-595 Medford Account
596 Medfield Account
597 Marshfield Account
598-599 Pétitions of Neutrals
600 Malden Account
601 N. Cheever's Account
602-603 Committee on Pétitions — Report
604-605 Pétition of J. Dugas
606 Attleborough Account
607-609 Braintree Account
610 Order — Charges to be laid before Gov. Lawrence
611-613 Bedford Account
614-620 Stoneham Account
621-623 Salisbury Account
624-625 Swansey Account
626 Walpole Account
627-628 Grafton Account
629 Walpole Account
630 Brookline Account
Dates
1757
1758
Jg BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Pages Dates
631 Malden Account 1758
632 Shrewsbury Account
633 Medway Account
634-635 Holliston Account
636 Oxford Account
637 Worcester Account
638 Amesbury Account
639 Dartmouth Account
640 Rehoboth Account
641-644 Natick Account
645-646 Vote for support of Neutrals
647 Committee — charges to be laid before Gov. Lawrence
648 Taunton Account
649 Norton Account
650 Committee to wait on Gov. Lawrence
651 Wenham Account
Mission diplomatique à Haïti
ELIE VEZINA*
LUNDI SOIR, 24 FEVRIER: — Grand dîner à 7:30 P.M. offert
par M. Kerney à l'hôtel "The Breakers". Toute la Commission est à
table. Riche salon particulier. Jolies fleurs sur la table. On discute
l'organisation de la Commission. L'ambassadeur Fletcher est un beau
type d'américain. Il comprend le français et le parle assez correctement
par phrases courtes qu'il semble avoir apprises durant sa carrière diplo-
matique. M. White est une belle intelligence — prime-sautier. Après le
dîner, qui se termine à 10.30, nous nous rendons à notre Pullman parti-
culier. On m'assigne la section 12. Il fait chaud et je ne me couche
qu'à minuit. Je dors mal, mais vers 3 heures A. M. je m'endors pour
me réveiller à 6 hres. Notre train traverse les Keys. Beau lever de soleil.
La construction de ce chemin de fer de Miami à Key West est une
hardiesse de génie civil. Nous arrivons à Key West à 7:30, mardi, le
25 février. Le Commandant Boyle nous reçoit avec un détachement de
marines. On tire 19 coups de canon en l'honneur des 5 ambassadeurs.
Puis, on se rend à l'habitation du Commandant où sa femme nous sert
le déjeuner. A 9 hrs, nous embarquons sur le Tug qui nous conduit
au Rochester à cinq milles au large. La mer écume bien un peu, mais
le balancement n'est pas trop prononcé. Enfin, nous embarquons sur le
Rochester où les marins sont alignés pour nous saluer avec leur capitaine
en tête. On m'assigne une jolie cabine avec chambre de toilette et bain,
— ■ 2 port-holes — bon lit — deux berceuses; je n'en avais pas besoin —
ça balançait assez. Sur le bateau, je reçois une lettre de M. Lepoutre,
de l'abbé Baisnée et une foule de clippings et journaux de Haïti. A la
porte de ma cabine, j'ai un orderly, et un Philippino qui voit à mes
besoins. On m'annonce le lunch à 1:20. Je crois qu'il vaut mieux ne
pas manger. Un lieutenant est attaché à ma cabine; je cause longuement
avec lui et il m'apporte clandestinement ce que je désire. Je me promène
sur le pont. Les marins font leur toilette ou dorment étendus sur le
pont à l'abri du soleil. Quelques-uns sont nus et se lavent consciencieu-
sement, d'autres font sécher leur linge qu'ils viennent de laver. Il y a
sur le navire une fanfare qui joue des airs populaires dans la matinée
et la soirée. Mon Philippino brosse mon linge, aide à m'habiller, cire
mes souliers et tient ma chambre propre. Ce soir, 25 février, grand
dîner à 7 hres P.M. offert par le capitaine à la Commission. Full course.
Assistaient 3 lieutenants, bien instruits et tout à fait charmants. Après
* Le 8 février 1930, le Président Hoover nommait une Commission d'enquête
à Haïti, composée de MM. Vézina, Kerney, White, Forbes et Fletcher. Elie
Vézina était muni des pouvoirs d'Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire.
La secrétaire de la Mission, en même temps que traductrice officielle et inter-
prète, était Mlle Germaine Tougas de Woonsocket. Ces notes, rédigées par Elie
Vézina à son retour, font partie des archives particulières de Me Eugène Jalbert,
ancien Président de la Société historique franco-américaine. Quelques corrections
de grammaire ont été faites au texte.
80 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
le dîner, le capitaine nous convie sur le pont, au cinéma. On montre
"Marianne"; Galbo tient le rôle dominant. Ail heures, je me couche
sur un bon lit; il fait frais et je dors jusqu'à 8 A. M. Après la toilette,
déjeuner avec la Commission et conférence. On me choisit pour dire
en français aux Haïtiens le petit discours préliminaire du président
Forbes. On approuve le texte d'un manifeste aux Haïtiens, à notre
service à Port-au-Prince. Je dois reviser la traduction française. Cinéma
tous les jours pour les marins et officiers. La mer est plus câline qu'hier
et nous filons à 12 noeuds à l'heure. La Commission est divisée sur le
texte de la proclamation — 3 contre 2 — je supporte le texte du pré-
sident Forbes. Après le dîner, à 7:30 P. M., nous montons sur le pont
pour assister aux "movies", "Eva and Topsy", parodie de "Uncle
Tom's Cabin". Ce n'est guère intéressant. Pendant une heure, j'admire
la voûte étoilée. Comme il y a de la poésie dans ces brillantes planètes
et ces millions d'étoiles. Ma pensée se reporte vers les miens — Je
vois ma femme près de son radio, grand'mère occupée à sa lecture,
Philippe à son pupitre d'études et Nini dormant paisiblement son rêve
d'enfant. Comme je me sens loin de ceux que j'aime! A 11 heures,
retour à ma cabine. Je déguste un verre de Scotch et je m'endors bercé
par le roulis du bateau.
JEUDI, 27 FEVRIER: — Réveil à 8 heures. Le tangage du bateau
est plus accentué. Nous longeons la côte de Cuba; nous sommes à I/o
mille de la côte. Partout, hautes montagnes escarpées. Déjeuner à 8:30.
Promenade sur le pont que les marins lavent. Le capitaine Gill me fait
monter dans la petite cabine du navigateur et il veut m'expliquer la
course du navire, les différents cours des masses d'eaux, les courants
contraires qu'il faut éviter. Je n'y comprends pas grand'chose. Etude
de documents secrets du "State Department". Plus j'avance, plus je
conçois la difficulté et le sérieux de ma mission. Nous débarquerons
demain après-midi. Aujourd'hui, à 1:30 P. M., lunch que nous offrons
aux journalistes qui accompagnent la délégation: Presse Associée, United
Press, Baltimore Sun. Ils parlent presque tous le français. Des ordres
particuliers reçus du Département d'Etat. Notre proclamation mise de
côté et remplacée par une autre que la Commission ne voit pas d'un
très bon oeil. Dîner et conférence. 8:30 movies — On deck. Temps
superbe. Le bateau se ba'ance un peu plus accentué. Nous sommes à
voguer dans le détroit qui sépare Cuba de Haïti. La vague est plus rude
et nous fait parfois trébucher. Après le cinéma, j'invite à ma chambre
le représentant du "Catholic Welfare Conférence" avec qui j'arrange
un programme de visites à l'archevêque, etc. A 1 1 heures, coucher et
repos parfait.
VENDREDI, 28 FEVRIER: — Lever à 7 heures. Après toilette,
je me rends sur le pont pour promenade et, à 8 heures, déjeuner. Je
me sens rajeuni de 10 ans. J'avais besoin de repos. C'est le cerveau
qui était fatigué. La température est bien plus chaude. Nous voguons
entre Haïti et l'Ile de Gonave. Chaque côté de nous, des montagnes
arides — pas d'arbres. Grand brouhaha sur le pont du vaisseau. Nous
jetons l'ancre à VI de mille du pont. Les marins nous font escorte
d'honneur; nous entrons dans le joli "Tug" du capitaine. Le canon
tonne les 19 coups réglementaires. Nous descendons au quai où nous
DOCUMENTS ET PIECES D'ARCHIVES 81
attendent les autorités municipales et des milliers de spectateurs qui
acclament. Une espèce de maire nous lit une adresse de bienvenue en
français. Première visite en auto du quai au consulat américain où nous
saluons le Haut-Plénipotentiaire, le général Russell. Deuxième visite
au Ministre noir des Affaires Etrangères. Troisième visite au Palais
du gouverneur Borno qui nous reçoit avec tout son Cabinet. On échange
les courtoisies ordinaires, et tout cela en habit lourd (morning coat) et
chapeau haut-de-forme, sous une température de 86°. On se rend à
l'hôtel (des invalides), — nous étions à peu près épuisés. Nous atten-
dons qu'on nous rende nos visites. Arrive d'abord le gros nègre, Minis-
tre des Affaires Etrangères, et ensuite, après son départ, un autre nègre,
le chef du Cabinet et le secrétaire du président Borno. Ouf!!! Nous
enlevons à la hâte nos habits de cérémonie et nous dînons sur le véranda
de notre hôtel. Le soir, nous faisons une promenade en auto dans les
principales rues commerciales de Port-au-Prince. Tout est paisible. Les
buvettes fonctionnent partout. Les hôtelliers allemands, français, haï-
tiens font bon commerce. Nous rentrons vers 1 1 heures P. M. La nuit
est fraîche. Notre hôtel est un grand bâtiment, avec spacieuses cham-
bres sans fenêtres. Un lit qu'on a eu soin d'entourer d'une moustiquaire
pour nous protéger contre les attaques des mouches et des moustiques.
Grand véranda où je cause jusqu'à près de 2 heures A. M. avec mon
collègue Kerney et le capitaine de la Garde (Marines). Je cherche en
vain le sommeil. Les étoiles sont si brillantes que les coqs les prennent
pour des soleils et font entendre des chants répétés joints aux aboiements
des chiens. C'est un vacarme. Que je regrette le chère solitude de mon
"home"! Après les réceptions officielles, nous recevons à l'hôtel une
délégation de journalistes. On m'assigne la "job" de les recevoir. Tout
le monde parle; on me pose toutes sortes de questions — j'évite de
répondre aux plus embarrassantes et, après avoir parlé plus de 30 mi-
nutes, je réussis à ne rien dire — et mes journalistes se retirent contents.
SAMEDI, 1er MARS: — Après déjeuner, je dicte quelques lettres
à Germaine, — puis la Commission reçoit les délégations qui viennent
exposer leurs plaintes. — M. Lespinasse qui se dit historien est assez in-
téressant. M. Dumont l'interprète. A 5 heures, il faut encore revêtir
l'habit de cérémonie pour répondre à l'invitation du Haut-Plénipoten-
tiaire Russell qui nous a conviés à une réception, à sa résidence. (J'ai
aussi rencontré M. Isabel, de New Bedford, et sa femme, une canadienne-
française. Il est professeur à l'école technique.) Là, j'ai rencontré tous
les personnages influents de la ville: Evêque, prêtres, journalistes, mem-
bres du Cabinet, officiers de l'armée d'occupation, avec leurs dames;
les nègres et les négresses se mêlent aux blancs et aux blondes, avec
autant de grâce, les uns que les autres. Le personnel de la délégation
est aussi présent. Germaine Tougas fait bonne figure et ne manque pas
d'admirateurs. Je cause longuement avec l'évêque Le Gouaze et le
Père Christ, recteur du Petit Séminaire. A 9 heures, je quitte le Palais
du Haut-Plénipotentiaire avec mon collègue, M. Kerney, et, tous deux,
nous gagnons le croiseur Rochester pour nous reposer une bonne nuit.
Le capitaine est absent et comme nous sommes amis avec les lieutenants,
le champagne coule. Couché à bonne heure, je me lève le matin bien
reposé.
82 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
DIMANCHE, 2 MARS: — Je quitte le navire et j'assiste à la
grand'messe à la Cathédrale où l'évêque me conduit. La première messe
se dit à quatre heures du matin dans toutes les églises. La grand'messe
est chantée à 8.30. Après la messe, ouverture des Quarante-Heures. Ce
sont les petites négresses et les petits nègres qui font le chant. Le curé
de la Cathédrale chante la messe, l'évêque est au trône. Il y a sermon
par un jeune vicaire. Après la messe, l'évêque me conduit au Petit
Séminaire où un artiste nous pose. Je fais un petit discours. J'ai ensuite
un long entretien avec l'évêque que nous quittons après avoir goûté à
son champagne. Quelques minutes avant mon départ, le Ministre des
Finances était venu nous joindre. Après le dîner, je visite l'école de
St-Louis de Gonzague, dirigée par les Frères de la Doctrine Chrétienne,
qui ont des écoles à St-Joseph de Biddeford et à Waterville, Me, — à
Fall River, "l'école Provost". Le Frère Hypolite est le directeur idéal;
maigre, maladif, il a une volonté de fer, un génie d'organisation qu'on
rencontre rarement. Il est très bien vu du gouvernement. Il me donne
de précieux renseignements sur l'organisation de l'éducation. Vers 6
heures du soir, la paroisse du Sacré-Coeur organise une procession dans
les rues de la ville. Bientôt, des milliers de spectateurs apparaissent pour
acclamer ces petites filles qui chantent continuellement "Sauvez notre
Haïti par notre Sacré-Coeur". Je me mêle à la foule et j'entre bientôt
en conversation avec des groupes qui me reconnaissent. — J'ai au moins
700 hommes et femmes qui m'entourent. Je parle à cette foule qui boit
mes paroles et m'acclament. Je dois me retirer prudemment pour ne
pas changer le caractère de la démonstration.
Historique de la Société
La Société Historique Franco-Américaine
Histoire de ses Cinquante Ans
ANTOINE CLEMENT*
La Société Historique Franco-Américaine, société littéraire et his-
torique par excellence chez les Franco-Américains de la Nouvelle-Angle-
terre, fut fondée il y a exactement cinquante ans. De fait, c'est à une
réunion tenue le 30 mai 1899, au Parker House, à Boston, que furent
jetées les bases de cette association. La réunion avait été convoquée par
Me J. -Henri Guillet, de Lowell, Massachusetts. Avaient répondu à son
appel: MM. Alphonse Gaulin, avocat de Woonsocket, R.-L; Orner La-
Rue, médecin de Putnam, Conn.; Auguste- A. -E. Brien, médecin de Man-
chester, N.-H.; Alfred Bonneau, journaliste de Biddeford, Maine; Noël-
E. Guillet, médecin de Manchester, N.-H.; Emile-H. Tardivel, avocat de
Manchester, N.-H.; Auguste-H. Jean, industriel de Lowell, Mass., et
J. -Arthur Favreau, journaliste de Worcester, Mass.
Après délibération, ces personnes signèrent le manifeste suivant:
"Les soussignés,
"Persuadés de l'importance qui s'attache aux choses françaises en
Amérique, dans le présent comme dans le passé;
"Regrettant qu'elles soient de plus en plus délaissées, et que des
documents précieux ayant trait à l'histoire de la race française aux Etats-
Unis tombent dans l'oubli et demeurent ignorés de ceux-là mêmes qui
auraient le plus grand intérêt à les connaître;
"Regrettant aussi que l'on semble devoir abandonner presque com-
plètement ce merveilleux champ d'investigations, et ce superbe chapitre
de l'histoire du Nouveau Monde, et croyant qu'il y a grandement lieu
de secouer cette indifférence des plus déplorables,
"Ont résolu:
"De s'unir, de se grouper, et de fonder une Société Historique
Franco-Américaine, dont le but sera l'étude approfondie de l'histoire
des Etats-Unis, et tout particulièrement la mise en lumière en dehors de
tout parti pris et de tout préjugé, de la part exacte qui revient à la race
française dans l'évolution et la formation du peuple américain;
"Et de faire par là une oeuvre de patriotisme, en faisant oeuvre de
vérité et de justice."
MM. J. -Henri Guillet et Alphonse Gaulin, furent respectivement
choisis comme président et secrétaire pro tempore de l'organisation et
furent désignés, avec MM. Orner LaRue et J. -Arthur Favreau, pour
rédiger un projet de statuts et règlements pour l'association nouvelle.
* Ancien secrétaire de la Société historique, compilateur de l'ouvrage "Les
Quarante Ans de la Société historique franco-américaine", trésorier de la Société
depuis 1949. Ce travail a d'abord paru dans "l'Etoile" de Lowell, les 2, 6, 8 et
9 septembre 1949.
84 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
La Fondation
Le 4 septembre suivant, toujours au Parker House, la Société His-
torique Franco-Américaine s'organisa formellement. Environ trente
membres fondateurs assistèrent à cette réunion et une vingtaine d'autres
envoyèrent leur adhésion par lettre. Après adoption des statuts et règle-
ments, on fit l'élection du premier bureau avec le résultat suivant: MM.
J. -Henri Guillet, président; Paul-A. Primeau, de Cripple Creek, Colo-
rado, vice-président; Alphonse Gaulin, secrétaire; J. -Arthur Favreau,
secrétaire adjoint; Dr Orner LaRue, trésorier; Me Hugo-A. Dubuque de
Fall-River, Me Emile H. Tardivel, Dr Charles-J. Leclaire de Danielson,
Conn., et M. Auguste-N. Jean de Lowel', conseillers. Le bureau fut
autorisé à faire constituer civilement la Société d'après les lois de l'Etat
du Massachusetts, ce qui fut fait le 6 mars 1900.
Assistèrent à la réunion, outre les directeurs susmentionnés, Charles-
E. Boivin de Fall-River, Mass., Léon Lapierre de Pawtucket, R.-L, Félix-
A. Bélisle de Worcester, Mass., Dr J.E.-A. Lanouette, Dr A. -A. Brien,
tous deux de Manchester, N.-H., Me Henri-T. Ledoux de Nashua, N.-H.,
J.-B.-D. Jacques, E.-H. Choquette, Clovis Bélanger et J.-L. Chalifoux
de Lowell, Mass., François-O. Asselin de Woonsocket, R.-L, Dr J.-F.
Mclntosh de North Grosvernordale, Conn., H.-L. Bélisle de Fall-River,
Mass., J.-A. Généreux et Félix Gatineau de Southbridge, Mass., et C.-C.
Gauvin de Woonsocket, R.-L
Le secrétaire fit lecture de lettres d'adhésion des personnes suivan-
tes: A.-J. Pothier et Adéiard Archambault de Woonsocket, R.-L, Dr
E.-C. Tremblay de Manchester, N.-H., Edmond Mallet de Washington,
D. C, M. l'abbé F.-X. Chagnon de Champlain, N.-Y., Elzéar Dubois et
Me J.-F. Jandron de Worcester, Mass., Dr L.-O. Morasse de Putnam,
Conn., Dr Arthur Baribeault de New-Haven, Conn., Arthur Smith de
Lowell, Mass., Alfred Bonneau de Biddeford, Maine, Alexandre Bélisle
et Eugène Bélisle de Worcester, Edmond de Nevers de Paris, France,
F.-X. Belleau de Lewiston, Maine, Dr Adéiard David de Waterbury,
Conn., Dr J.-C. Lavoie et G. de Tonnancour de Fall-River, Mass., et
Sylva Clapin, homme de lettres, Dr Joseph-H. Boucher et Dr Alfred
Poirier de Woonsocket, R.-L, Dr A.-W. Petit de Nashua, N.-H., Jean-
B.-E. Tartre de Saco, Maine, et F.-X. Tétreauit de Southbridge, Mass.
Statuts et Règlements
Les statuts et règlements adoptés à cette réunion spécifient que la
Société s'occupe de recueillir tous les documents et toutes les statistiques
ayant une valeur historique et se rapportant, soit à l'immigration fran
çaise aux Etats-Unis, soit à des événements ou des gens d'origine fran-
çaise qui ont joué un rôle important, et qu'elle s'applique à rechercher
les traces de l'influence française en Amérique sur la littérature et les
moeurs, et dans toutes les sphères de l'activité humaine; qu'elle publie
ses recherches historiques et distribue ses publications dans les biblio-
thèques publiques et partout où elles peuvent être utiles; qu'elle donne
son concours à des conférences ayant pour but de faire connaître l'his-
toire de la race française en Amérique; qu'elle correspond avec les
sociétés savantes, françaises et étrangères.
HISTORIQUE DE LA SOCIETE 85
La Société se compose de membres titulaires, de membres corres-
pondants et de membres honoraires. Tout membre titulaire habite né
cessairement les Etats-Unis. Le bureau de la Société se compose d'un
président, d'un vice-président, d'un secrétaire, d'un secrétaire adjoint,
d'un trésorier, et de quatre conseillers au début, de huit il y a une di
zaine d'années, et de neuf aujourd'hui. Ce bureau est élu pour un an
à la réunion générale annuelle d'automne, qui avait lieu autrefois, le
premier lundi de septembre et de nos jours en octobre ou novembre.
Il y a aussi une réunion semestrielle de la Société au printemps.
Pour être admis à faire partie de la Société, comme membre titulaire,
une demande d'admission doit être faite par écrit au président, appuyée
et signée par deux membres titulaires de la Société. Il faut réunir les
suffrages favorables des deux tiers des membres de la Société présents
au moment du vote. Peut être admise au titre de membre correspondant,
toute personne, auteur d'un travail personnel qui aura été élu et ap
prouvé par le bureau de la Société, ou encore toute personne qui, pré
sentée par deux membres titulaires, exprime par lettre le désir de s'in
téresser aux travaux de la Société. Les cotisations sont de cinq dollars
par année pour les membres titulaires et de trois dollars pour les mem-
bres correspondants. Les membres reçoivent gratuitement les publications
courantes de la Société. Le Bulletin est offert à toute personne intéressée
au prix de 50 sous l'exemplaire. Toute personne qui donne ou lègue
à la Société une somme d'au moins cent dollars est inscrite sur les rôles
comme membre donateur.
Membres du Bureau
Ont dirigé les activités de la Société, depuis sa fondation à nos
jours, les membres du bureau que voici:
Présidents
Me J. -Henri Guillet, Lowell, 1899-1902.
Me Hugo-A. Dubuque, Fall-River, 1902-1904.
Me Joseph Monette, Lawrence, 1904-1906.
Dr J.-Armand Bédard, Lynn, 1906-1932.
Me Wilfrid-J. Lessard, Manchester, 1932-1934.
Dr J.-Ubalde Paquin, New-Bedford 1934-1946.
Me Eugène-L. Jalbert, Woonsocket, 1946-1949.
Vice-Présidents
M. Paul-A. Primeau, Me Hugo-A. Dubuque, Me Joseph Monette,
Dr J.-Armand Bédard, Me Elphège Daignault, M. O. -Edmond Bélisle,
M. l'abbé Henri Beaudé, M. le prof. William Mauro, Me Wilfrid-J.
Lessard, Dr J.-Ubalde Paquin, M. Louis J. Jobin, Dr Georges-A. Bou-
cher, Me Eugène-L. Jalbert, M. Joseph Lussier et le Dr Antoine Du-
mouchel.
Secrétaires
Me Alphonse Gaulin, Woonsocket, 1899-1905.
M. J. -Arthur Favreau, Boston, 1905-1933.
Prof. William Bourgeois, Boston, 1934-1936.
86 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Prof. Alexandre Goulet, Boston, 1936-1937.
M. Antoine Clément, Lowell, 1937-1945.
Dr Gabriel Nadeau, Rutland, Mass., 1945-
Secrétaires adjoints
M. J.-Arthur Favreau, Worcester, 1899-1905.
M. Hector-L. Bélisle, Lawrence, 1905-1920.
M. Louis-J. Jobin, Boston, 1920-1934.
R. P. Léon Loranger, o.m.i., Natick, 1934-1936.
M. Antoine Clément, Lowell, 1936-1937.
M. Arthur Milot, Woonsocket, 1937-1941.
M. Wilfrid Beaulieu, Worcester, 1941-1948.
Dr Roland Cartier, North Reading, 1948-
Trésoriers
Dr Orner LaRue, Putnam, 1899-1906.
M. Louis-P. Turcotte, Lowell, 1906-1908.
Me J.-Henri Guillet, Lowell, 1908-1931.
L'hon. juge Arthur-L. Eno, Lowell, 1931-1949.
Conseillers
Me Hugo-A. Dubuque, Me Emile H. Tardivel, Dr Charles-J. Le-
claire, M. Auguste-H. Jean, Dr A. -Wilfrid Petit, M. Hector-L. Bélisle,
Dr A.-A.-E. Brien, Me Joseph Monette, Dr Joseph-H. Boucher, Dr
G.-Tancrède Lamarche, Me J.-Henri Guillet, Dr L.-P. de Grandpré, M.
L.-P. Turcotte, Dr J. -Armand Bédard, M. Félix-A. Bélisle, M. Francis
Hurtubis fils, M. Joseph Boucher, M. Alexandre Bélisle, M. Pierre
Bonvouloir, M. J.-O.-D. de Bondy, Dr Noël-E. Guillet, Dr Orner LaRue,
M. Alfred Bonneau, M. Louis-J. Jobin, M. Noé-L. Nadeau, Me Henri-T.
Ledoux, M. Louis-E. Cadieux, M. J.-E. Lachance, M. Clarence-F. Cor-
mier, Prof. William-B. Munro fils, Me Wilfrid-J. Lessard, Me Eugène-L.
Jalbert, M. Eugène Bélisle, Dr J.-Ubalde Paquin, Dr Léon Vallière, M.
Joseph Lussier, Me Albert-L. Bourgeois, Prof. Antonio Provost, M.
Rodolphe Carrier, M. Adolphe Robert, Dr Georges-A. Boucher, M. le
curé Philias Jalbert, Dr Omer-E. Boivin, M. le curé F.-X. Larivière, M.
Josaphat Benoit, M. Arthur-E. Moreau, M. Donat Corriveau, Dr Antoine
Dumouchel, Dr J.-B.-A. Falcon, Dr Albert Poirier, Dr Wilfrid-R.
Delaney, M. Louis-P. Clapin, M. l'abbé Adrien Verrette, M. Antoine
Clément, M. Wilfrid-J. Mathieu, M. Hector Cormier, M. Dolord Hamel,
Dr Ulysse Forget, Me Valmore-M. Carignan, l'hon. juge Alfred-J.
Chrétien, M. William Arsenault, Dr Benoit Garneau et M. le curé F.-X.
Larivière.
Membres Honoraires
Bien que ce soit l'une des fonctions du bureau d'élire les membres
honoraires à son gré, la Société a toujours eu pour coutume, dès ses
premières réunions, d'élire membres honoraires les conférenciers étran-
gers qui ont fait les frais des séances littéraires de ses réunions. Cette
liste est intéressante par les personnalités qui y figurent depuis 1900
et se lit comme suit:
HISTORIQUE DE LA SOCIETE 87
Présidents d'honneur
Le major Edmond Mallet, élu le 1er septembre 1902.
S. Exe. Jules-J. Jusserand, élu le 7 septembre 1903.
M. le prof. Gilbert Chinard, élu le 24 mars 1934.
Vice-Présidents d'honneur
M. Gaston Deschamps, élu le 9 mars 1901.
M. Honoré Beaugrand, élu ie 2 septembre 1901.
M. Hugues LeRoux, élu le 27 février 1902.
M. James Geddes fils, élu le 24 mars 1934.
M. Pierre-Georges Roy, élu le 24 mars 1934.
M. l'abbé Adrien Verrette, élu le 3 novembre 1948.
Les membres honoraires sont: S. Exe. Jules Cambon, MM. Ferdi-
nand Brunetière, René Doumic, Edouard Rod, Louis Fréchette, Louis
Herbette, Frédéric Coudert, Henri de Régnier, Edmond de Nevers,
Télesphore St-Pierre, James Geddes fils, René Millet, S. Exe. Curtis
Guild fils, le R. P. Louis Lalande, s.j., M. Henri Baulig, Dr N.-E.
Dionne, MM. James Phinney Baxter, Adjutor Rivard, William Bennett
Munro, Joseph-Edmond Roy, l'Abbé Henri Beaudé, M. Albert Bushnell
Hart, l'Abbé Camille Roy, MM. Alcée Fortier, Hector Garneau, Ben-
jamin Suite, Léon Dupriez, Maurice de Wulf, Ludovic Leblanc, Mgr
Léon-Adolphe Lenfant, M. Robert M. Johnson, l'Abbé Thellier de
Poncheville, le lt-col Paul Azan. M. Charles Cestre, le capitaine Amman,
le lt André Morize, M. François Veuillot, l'abbé Lionel Groulx, MM.
Ulric Barthe, Henri Guy, le chanoine Emile Chartier, MM. Aegidius
Fauteux, Régis Roy, Louis-J.-A. Mercier, le R. P. Paul de Mangeleere,
s.j., MM. Pierre-Georges Roy, Alfred Jeanroy, Louis-Philippe Geoffrion,
Etienne Gilson, Jean-Charlemagne Bracq, Raoul Blanchard, Gilbert Chi-
nard, Paul Hazard, le duc de Bauffremont, MM. Léon Vallas, Max
Vivier, le R. P. Engelbert, a. a., MM. Damase Potvin, Henri Bergeron,
Emile Vaillancourt, Emile Lauvrière, le R. P. Henri Lalande, s.j., M.
Jean-Etienne Maigret, Mgr L.-J.-A. Doucet, M. J.-B. LeBoutillier, Mgr
Olivier Maurault, p. s. s., S. E. le cardinal Rodrigue Villeneuve, o.m.i.,
S. Exe. le comte René Doynel de Saint-Quentin, MM. François Brière,
Félix Desrochers, R. P. J.-V. Ducattillon, o.p., Me André Lafargue, MM.
Jean Seznec, Gustave Lanctôt, Séraphin Marion, Arsène Croteau, R. P.
Pierre Goube, s.j., M. J. -Henri Frenière, !e Dr Robert Goffin, S. Exe.
Dantès Bellegarde, M. le prof. René de Messières, Me Roger Picard,
Mgr Georges Chevrot, M. Albert Chambon, le R. F. Antoine Bernard,
c.s.v., M. Henry Wadsworth Longfellow Dana, Mgr Joseph Guérin,
M. Luc Lacoursière, l'Abbé Albert Tessier, Thon. Orner Côté et le
chanoine Arthur Sideleau.
Membres correspondants
M. Gaston Deschamps, élu le 9 mars 1901.
M. William Frédéric Osborne, élu le 2 septembre 1901.
Environ mille membres ont donné leur adhésion à la Société au
cours de ses cinquante années d'existence. Plus de deux cents d'entrs
eux sont encore membres actifs, sans compter les membres honoraires
88 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
et les membres correspondants. Mentionnons, en particulier, ceux qui
ont été admis à la réunion du 15 mars 1900, car ils complètent la liste
des membres fondateurs de la Société: M. Paul- A. Primeau, membre à
vie; Dr J.-O. Guimond de Chicopee, Mass., Dr E.-C. Tremblay de Man-
chester, N.-H., M. Joseph Massé de Holyoke, Mass., MM. Charles-H.
Boisvert et Louis-P. Turcotte de Lowell, Mass., M. Félix-J. Charbonneau
de Worcester, Mass., Dr G. Lafontaine de Manchester, N.-H., MM.
Philippe Boucher, Alfred Tougas et Dr Joseph Ails de Woonsocket,
R.-L, M. Stanislas St-Onge de Arctic Centre, R.-L, Dr Augustin Guertin
de Nashua, N.-H., et M. James-H. Hyde de New- York. Il y eut ad-
mission de nouveaux membres à chacune des réunions semestrielles sub-
séquentes, parfois en nombre assez imposant. Les concours de recrute-
ment du 25e anniversaire et du 30e anniversaire donnèrent chacun plus
de 50 nouveaux membres.
Faits Saillants
M. Hamilton Murray, secrétaire général de l'American-Irish His-
torical Society, assista à la première réunion, le 30 mai 1899. Le 4 sep-
tembre suivant, M. Paul-A. Primeau versa $50 et devint le premier et
le seul membre à vie de la Société. Le 15 mars 1900, le bureau fut
"autorisé à acheter à sa discrétion des publications et livres ayant trait
à l'histoire franco-américaine." Le 27 février 1902, le bureau fut char-
gé d'étudier le projet d'une réunion à New-York, puis le 12 mars 1903,
la Société s'affilia à la Fédération de l'Alliance Française aux Etats-
Unis et au Canada. Le 7 septembre 1903, la Société reçut de S. Exe.
J.-J. Jusserand l'ouvrage intitulé "Les Combattants Français de la
Guerre Américaine 1778-1782" et nomma l'ambassadeur président d'hon-
neur. Le 24 mars 1904, plusieurs membres "insistent sur la publication
prochaine des travaux lus devant la Société."
Le 19 avril 1906, le premier bulletin de la Société, au nombre de
500 exemplaires, est distribué aux membres. Il y a conférence par S.
Exe. le gouverneur Curtis Guild fils du Massachusetts. Le Père Lalande
de Montréal demande à la Société de faire valoir en tant que possible
dans ses travaux historiques la part religieuse et intellectuelle que la race
française a eue au développement de l'Amérique. Le 18 avril 19^'
George Washington Fowle présente à la Société une gravure allégorique,
faite à Paris en 1826, représentant la traversée de La Fayette en Améri-
que. La Société vote $25 pour la Paul Révère Association et $25 pour
le monument Champlain de Champlain, N.-Y. A cette date, les effectifs
sont de 134 membres.
Le 2 septembre 1907, une commission est nommée pour étudier
l'offre de la bibliothèque du major Mallet et conseille plus tard de con-
fier cette bibliothèque à l'Union St-Jean-Baptiste d'Amérique. Le 6
octobre 1908, le président, M. le Dr Bédard, dit dans une allocution
vibrante toute l'amertume qu'il a ressentie en constatant que le comité
d'organisation des fêtes du troisième centenaire de Québec n'a pas jugé
à. propos d'inviter les Franco-Américains à s'y faire représenter d'une
façon officielle.
HISTORIQUE DE LA SOCIETE 89
Dixième Anniversaire
La Société célébra son dixième anniversaire à Bass Point, le 6 sep-
tembre 1909. M. Louis-O. Lafontaine, membre de la Commission du
troisième centenaire de la découverte du lac Champlain pour l'Etat de
New-York, présenta à la Société une peinture à l'huile de Samuel de
Champlain, et de son côté la Société appuya par une résolution les
démarches faites par M. Lafontaine pour que l'île la Motte "soit choisie
comme site du monument qui sera érigé par les Etats du New- York et
du Vermont en l'honneur de Champlain." M. le curé F.-X. Chagnon
de Champlain, N.-Y., présenta aussi à la Société un joli volume des
procès-verbaux des conventions nationales des Canadiens aux Etats-
Unis, de 1878 à 1889, volume qui fut plus tard confié à la Bibliothèque
Mallet. C'était la première fois que les dames assistaient à une réunion
de la Société et les drapeaux américains et fleurdelisés, qui recouvraient
la croix de Montcalm, lors de la belle fête du 5 juillet 1909, près de
l'ancien fort Carillon, et qui ont été présentés à la Société Historique
de Ticonderoga, ornaient la salle de réunion. La Société fait imprimer
5000 exemplaires de l'article "French Catholics in the United States",
préparé par J.-L.-K. Laflamme, David E. Lavigne et J.-A. Favreau pour
le "Catholic Encyclopedia." Le président et le secrétaire sont aussi
autorisés à obtenir un siège social Dour la Société.
Le 4 septembre 1911, la Société vota $25 pour le Premier Congrès
de la Langue française de Québec, puis le 27 mai 1912 elle vota d'offrir
un buste d'Alexandre Vattemare à la Bibliothèque Publique de Boston.
Le 3 mai 1916, c'est Mgr Lenfant, évêque de Digne, qui fait la confé-
rence et une quête rapporte $113 pour les orphelins français. Mgr J.-B.
Peterson, du séminaire St-Jean de Brighton, assiste à la réunion. La
Société vota de décerner une médaille "aux écrivains et autres personnes
qui se distinguent par leurs services à l'oeuvre que nous poursuivons,"
à sa réunion du 26 octobre 1916. On y fait aussi une quête de $41.10
pour l'American Fund for French Wounded. Le 25 avril 1917, la Société
fit don de $100 à l'Abbé Thellier de Poncheville, conférencier, pour la
"reconstruction des églises de France détruites par les barbares envahis-
seurs." Le 25 octobre 1917, la Société acheta pour $200 de bons du
deuxième Emprunt de la Liberté.
25e Anniversaire
Le 17 novembre 1920, le secrétaire demanda de reconnaître les tra-
vaux de Félix Gatineau, "Histoire des Franco-Américains de South-
bridge," de Mlle Bonnier, "Histoire des Franco-Américains de Woon-
socket;." et d'Alexandre Bélisle, "Livre d'Or des Franco-Américains de
Worcester." Le 10 février 1923, Alexandre Bélisle suggère une sous-
cription pour défrayer le coût des publications des travaux de la Société.
Le 13 octobre 1924, la Société célèbre son 25e anniversaire par une
fête de gala en l'hôtel Copley Plaza de Boston. C'est la deuxième fois
que les dames sont admises à une réunion de la Société. M. le Dr
J.-Ubalde Paquin présenta 52 nouveaux membres de New-Bedford à
cette fête. M. le professeur Louis J.-A. Mercier de Harvard y parla de
La Fayette. Le 22 septembre 1925, la Société se vit présenter un maillet
90 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
fait avec du bois provenant du Washington Elm sous lequel Washington
prit le commandement des troupes américaines, à Cambridge, il y a
150 ans. M. J.-A. Favreau fit la présentation.
Le 10 avril 1928, la Société contribue $25 à la souscription prélevée
dans le but d'ériger à Southbridge un monument à Félix Gatineau. Elle
autorise à la même réunion la publication d'un bulletin périodique, le
premier devant contenir la conférence du professeur Mercier de Harvard
sur "La Fayette" et la conférence du professeur Gilbert Chinard sur "la
correspondance de La Fayette avec Jefferson." Le 15 novembre 1928,
M. le juge Hugo-A. Dubuque, de la Cour suoérieure du Massachusetts,
deuxième président de la Société, décède à Fall-River à l'âge de 74 ans
après une carrière bien remplie pour le bien des nôtres.
Trentième Anniversaire
A la célébration du 30e anniversaire de la Société, le 17 novembre
1929, en la salle des fêtes de l'hôtel Statler de Boston, les invités d'hon-
neur étaient M. le sénateur Félix Hébert du Rhode-Island, MM. Henry
Guy, recteur de l'Université de Grenoble, Raoul Blanchard, Marcel Au-
bert, John J. Mahony, directeur des cours d'extension universitaire de
Harvard et de Boston University, et Roch Pinard, lauréat du récent
concours international d'éloquence à Washington, D. C. Il y eut aussi
une nombreuse classe de nouveaux membres admis dans les rangs de la
Société à cette réunion.
A la réunion du 22 mai 1930, le Dr Bédard exprima avec une
amertume un peu cinglante la pensée qui était à l'esprit de tous et que
partage de plus en plus l'opinion publique franco-américaine, à savoir
qu'il semble exister chez nos frères du Canada un état d'esprit regretta-
ble, un état d'esprit qui ne leur fait pas craindre de traiter un peu
cavalièrement les parents pauvres que sont les Franco-Américains, quand
ils ne les ignorent pas complètement. M. Louis Jobin annonça que la
date du 16 juillet avait été réservée au Symphony Hall pour la soirée
des Américains d'ascendance française aux fêtes du troisième centenaire
de la colonie de la baie du Massachusetts.
La Société a consacré sa réunion du 30 mars 1932 à honorer la
mémoire de son président défunt, le Dr J. -Armand Bédard de Lynn
comme président, camarade d'université, médecin, homme de lettres,
orateur et ami disparu. A la séance d'affaires, on organisa un concours
d'histoire pour les élèves du Collège l'Assomption de Worcester e
offrant au lauréat la médaille Guillet-Dubuque-Bédard qui perpétue le
souvenir des présidents de la Société. Le sujet du concours de 1932 fut
"Washington et la France."
Il y eut réorganisation de la Société, le 24 mars 1934, après une
année d'inactivité due à la mort du président, M. le Dr Bédard, et du
secrétaire J. -Arthur Favreau. M. le professeur James Geddes fils rendit
hommage à cette réunion à la mémoire du Dr Bédard et de M. Favreau,
secrétaire de la Société depuis 1905 après avoir été secrétaire adjoint
depuis la fondation. M. Joseph Lussier, éditeur-propriétaire de "La
Justice." de Holyoke, loua aussi l'oeuvre de Favreau pour les Franco-
Américains, et particulièrement la tâche qu'il a accomplie à la Société
HISTORIQUE DE LA SOCIETE 91
Historique. Cette réorganisation fut rendue possible grâce aux dé-
marches faites par le trésorier, M. le juge Arthur-L. Eno, auprès des
chefs de nos sociétés nationales, et en réponse à un appel lancé aux
membres, au nombre de plus d'une centaine encore, par le secrétaire
adjoint Louis J. Jobin.
35e Anniversaire
Le 20 novembre 1934, c'est la fête du 35e anniversaire de la Société
en l'hôtel Somerset de Boston. La Société y décerna pour la première
fois sa médaille Grand Prix, pièce de bronze à l'effigie de Marianne et
de Columbia coulée à gros prix avec le petit module pour la médaille
Gillet-Dubuque-Bédard, à Jean-Charlemagne Bracq de Keene, N.-H.,
pour son ouvrage intitulé "L'Evolution du Canada français." M. Ar-
mand Cyr, ancien élève du Collège l'Assomption, qui alors se trouvait
à Rome, fut proclamé vainqueur du concours d'histoire de la Société.
On remit une médaille Guillet-Dubuque-Bédard et un prix de $20 au
R. P. Engelbert, a. a., pour les faire parvenir au lauréat.
Le 19 novembre 1935, la Société reçut un don de $50 du Gouverne-
ment français par l'entremise de M. Elie Vézina, secrétaire général de
l'Union St-Jean-Baptiste d'Amérique, pour son oeuvre de mise en lu-
mière de l'histoire française aux Etats-Unis. Le 14 mai 1936, elle vota
de seconder le mouvement de l'érection d'une statue de Paul Révère,
à l'occasion des fêtes du deuxième centenaire de sa naissance. Elle décida
également de faire les démarches nécessaires auprès des autorités de
l'Etat pour que le parc forestier de Dracut, Lowell et Tyngsboro porte
le nom d'Ansart. M. le représentant Albert-L. Bourgeois est félicité
d'avoir obtenu du gouverneur que le 20 mai soit consacré à honorer la
mémoire de La Fayette.
Apothéose de la Presse et de la Langue
La réunion du 11 novembre 1936 fut consacrée à une apothéose de
la presse franco-américaine. La Société y décerna sa médaille Grand
Prix aux trois journaux cinquantenaires de la presse franco-américaine:
"Le Messager" de Lewiston, Maine, "L'Indépendant" de Fall-River et
"L'Etoile". La réunion du 7 avril 1937 fut l'apothéose franco-américaine
de la Langue française, la Société y recevant Mgr Camille Roy, président
du Deuxième congrès de la Langue française de Québec, à qui elle fit
remise pendant ce congrès de sa médaille Grand Prix en reconnaissance
du réveil à la vie française qu'il a opéré chez nous par sa tournée en
Nouvelle-Angleterre. M. le Dr J.-Ubalde Paquin, de New-Bedford, pré-
sident, Mgr L.-J.-A. Doucet de Nashua, N.-H., et M. J.-G. LeBoutillier
de Manchester, N.-H., reçurent les palmes académiques à cette réunion
des mains de M. Jean-Etienne Maigret, consul de France à Boston. MM.
Alfred Desautels et René Manès, élèves du Collège l'Assomption de
Worcester, sont les lauréats du concours de la Société sur le sujet:
"Pourquoi les Franco-Américains, jeunes et vieux, doivent aller au Con-
grès de Québec" pour la médaille du Congrès.
A la réunion du 1 1 novembre 1937, dédiée aux Franco-Américaines,
M. Adolphe Robert, président de l'Association Canado-Américaine, fait
92 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
don de $25 à la Société pour aider à la publication en tracts des travaux
présentés devant la Société. M. le consul François Brière y fit sa pre-
mière visite à la Société et Mme Malaterre-Sellier, déléguée à la Société
des Nations, pria les mères franco-américaines de laisser à leurs descen-
dants le flambeau de leur foi et de leur langue et de leurs traditions
françaises.
Réception à un Cardinal et à un Ambassadeur
La réunion du 4 mai 1938 fut un banquet-réception de plus de
500 convives en la salle des fêtes de l'hôtel Somerset, en l'honneur de
Son Eminence le cardinal Rodrigue Villeneuve, o.m.i., archevêque de
Québec, qui y fit sa retentissante conférence sur le "fait français en
Amérique: sa mesure, ses leçons." M. le Dr Georges- A. Boucher de
Brockton, vice-président, reçut les palmes académiques des mains de
M. le consul François Brière. Wilfrid Côté de Woonsocket, R.-L, reçut
une bourse de l'Union St-Jean-Baptiste d'Amérique, et Bernard Therrien
de North-Adams en obtint une de l'Association Canado-Américaine, pour
avoir été les lauréats du concours littéraire du centenaire de la presse
franco-américaine sous les auspices de l'Alliance des journaux franco-
américains de la Nouvelle-Angleterre.
Le 26 octobre 1938, la Société reçut Son Excellence le comte René
Doynel de Saint-Quentin, ambassadeur de la République française aux
Etats-Unis, à un dîner-réception d'environ 700 invités, dans la salle des
fêtes toute pavoisée de l'hôtel Statler de Boston. Son Excellence se vit
présenter les hommages des divers groupes représentés à la fête et il y
fit l'allocution de circonstance. Le lauréat du concours d'histoire franco-
américaine de 1938 de la Société fut M. Robert Lefebvre, j. o.m.i., du
juniorat Saint-Joseph de ColeBrook, N.-H., qui prit pour sujet: "Un
siècle en une heure" et remporta la médaille Guillet-Dubuque-Bédard.
Le 29 novembre 1938, M. le juge Arthur-L. Eno, trésorier de la
Société, fait officier d'Académie par le ministre de l'Education nationale
de France, reçoit les palmes académiques de M. le consul François Brière
à une réunion de l'Alliance française de Lowell à laquelle le consul con-
férencie sur "Louis XIV."
La Société consacre sa réunion du printemps de 1939 le 3 mai, en
l'hôtel Victoria de Boston, à ses fondateurs et à ses anciens. Des anciens
y évoquent le souvenir des débuts de la Société, de ses premiers mem-
bres et de ses anciens conférenciers en des travaux fort intéressants, tout
ceci en préparation du 40e anniversaire de la Société, le 4 septembre
1939, qui fut célébré à l'automne. Le surlendemain, le secrétaire de la
Société, Antoine Clément, fait à son tour officier d'Académie, reçoit les
palmes académiques de M. le consul François Brière à la réunion de
clôture de saison de l'Alliance française de Lowell, dont il est également
secrétaire.
Les fêtes de 1938 en l'honneur du cardinal Villeneuve et de l'am-
bassadeur de Saint-Quentin ont donné une nouvelle vogue a notre
Société Historique et ont conduit tout naturellement à la publication des
archives de la Société à l'occasion du quarantenaire de sa fondation en
HISTORIQUE DE LA SOCIETE 93
1939. Les membres désiraient depuis toujours la publication des con-
férences faites à leurs réunions. Et les résolutions à cet effet faites au
cours des ans sont restées le plus souvent lettres mortes. Cependant
en 1906, la Société trouva les moyens de publier un premier Bulletin
renfermant la conférence du major Edmond Mallet sur "Washington
et Coulon de Villiers". Mais ce n'est qu'après la réorganisation de 1934
que la publication des Bulletins fut reprise pour de bon. Ce ne fut
d'abord qu'un feuillet sur la célébration du 35e anniversaire tiré à part
du compte rendu de "L'ETOILE" à l'automne de 1934. Puis de véri-
tables Bulletins avec comptes rendus des réunions et textes des confé-
rences ou résumés de journaux furent publiés de 1935 à 1938. En 1939,
le secrétaire Antoine Clément fit une compilation des archives de la
Société et à la réunion du bureau du 10 septembre 1939 chez M. le curé
F.-X. Larivière à Marlboro, une commission de publication de ces ar-
chives était nommée. Cette commission était composée de M. le Dr J.-
Ubalde Paquin, président, de M. le juge Arthur-L. Eno, trésorier, M.
Antoine Clément, secrétaire, M. Josaphat Benoit, conseiller, et de M.
l'abbé Adrien Verrette. Le travail de publication prit une année au delà
et quand parut le volume de 878 pages des "Quarante Ans" dans les
premiers jours de 1941, il renfermait les Bulletins de 1939 et de 1940.
Pour faire suite au volume de ses archives, la Société a publié depuis
un Bulletin-revue annuel d'une centaine de pages renfermant des mé-
moires inédites sur la petite histoire franco-américaine en plus des
comptes rendus des réunions. Les deux derniers Bulletins ont été pour
les années 1944-1945 et 1946-1947. Le prochain pour 1948 et 1949 com-
portera le compte rendu des fêtes du cinquantenaire qui s'apprêtent pour
le 12 octobre.
La célébration du 40e anniversaire de la Société donna lieu à une
fête magnifique de plus de 300 convives dans la salle Georgian de l'hôtel
Statler de Boston. L'Octuor Franchère de Worcester et l'Ensemble
Albani de Manchester y firent le chant et la musique. L'honorable Félix
Desrochers, conservateur de la Bibliothèque du Parlement d'Ottawa, y
fit une conférence patriotique sur la "Fierté de nos origines". Après la
conférence, M. le Dr Paquin présenta la médaille Grand Prix de la
Société à S. E. le cardinal Villeneuve, archevêque de Québec, et à
"L'Avenir National", quotidien cinquantenaire du New Hampshire. Le
R. P. Léon Loranger, o.m.i., remercia la Société au nom de Son Emi-
nence, et M. Ernest Bournival, éditeur-propriétaire, fit de même pour
son journal. M. le Dr Paquin présenta ensuite la médaille Guillet-Du-
buque-Bédard comme prix d'histoire franco-américaine de 1939 à M.
Josaphat Benoit, chef de la rédaction de "L'Avenir National", pour son
"Catéchisme d'Histoire Franco-Américaine", dont une édition de 10,000
exemplaires pour nos maisons d'enseignement venait d'être autorisée
sous les auspices de la Société. Deux autres éditions d'autant d'exem-
plaires suivront sous les auspices de la Société. M. l'abbé Adrien Ver-
rette présenta un message de bons souhaits du Comité de la Survivance
française en Amérique, puis M. le Dr Georges-A. Boucher récita un
poème de sa composition à l'occasion du 40e anniversaire de la Société.
94 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Depuis le Quarantenaire
A la réunion du 30 avril 1940 au Vendôme de Boston, M. le Dr
Paquin, président, présenta les sympathies de la Société à M. le consul
François Brière dans le grand malheur actuel de la France et le consul
répondit aux voeux du président en évoquant le souvenir du grand
Français que fut S. E. le cardinal Verdier. Au nombre des nouveaux
membres, il y a M. François Sylvestre de Seattle, Wash., qui aimerait
publier un catéchisme augmenté d'histoire franco-américaine pour l'ouest.
M. le Dr Paquin invita les membres à souscrire généreusement au fonds
de publication des archives de la Société.
A la réunion du bureau du 29 septembre à Marlboro. M. le juge
Arthur-L. Eno et MM. Josaphat Benoit et Joseph Lussier furent nom-
més à la commission de publication de la 2ème édition du "Catéchisme
d'Histoire Franco-Américaine". Le trésorier, M. le juge Eno, fit rap-
port qu'il avait reçu $417 pour la publication du volume des archives
de la Société et le bureau lui confia la tâche de la distribution des vo-
lumes. M. le juge Eno et le secrétaire Antoine Clément furent inscrits
comme bienfaiteurs de la publication du volume des archives de la
Société pour leur travail comme membres de la commission de publica-
tion du volume. La Société s'engagea à distribuer 100 volumes par année
de la vie de Ferdinand Gagnon publiée par Mme Malvina Martineau.
Le bureau étudia aussi le sujet de nouvelles recrues dans le Connecticut
et le Maine. A la réunion du 9 octobre qui suivit, c'est Me Henri-T.
Ledoux qui fit la présentation du conférencier, Me André Lafargue de
la Nouvelle-Orléans. M. le consul Brière remercia les Franco-Américains
de leur sympathie.
Le 14 mai 1941, au University Club, le Dr Paquin recommanda for-
tement aux membres de placer sur les rayons de leur bibliothèque le
beau volume des "Quarante Ans" de la Société. Il offrit ensuite les
voeux de la Société au Dr Georges-A. Boucher de Brockton qui célé-
brait son 50e anniversaire de la pratique médicale au milieu des Franco-
Américains. Il présenta aussi la médaille d'honneur et de mérite de la
Société au secrétaire Antoine Clément pour avoir compilé le volume
des archives de la Société. M. le consul Brière, Mlle Marine Leland d?
Smith Collège et M. le professeur Edward B. Ham de Yale portèrent
la parole en plus du conférencier.
C'est à la réunion du 19 novembre 1941, dans la salle Georgian du
Statler, que le Dr Paquin présenta la médaille Guillet-Dubuque-Bédard
au Dr Georges-A. Boucher pour son volume de vers "Je Me Souviens"
e; à Rosaire Dion-Lévesque pour son volume "Les Oasis" et ses autres
oeuvres poétiques. L'écrivain Burton Ledoux de New-York était au
nombre des invités d'honneur à cette réunion. M. Wilfrid Beaulieu y
devint secrétaire adjoint.
Au printemps de 1943, le 26 mai, dans les salons B et C de la
mezzanine du Statler, M. le Dr Paquin disait aux membres qu'en dépit
des restrictions sur le transport la Société se maintiendra mieux en tenant
ses réunions régulièrement. M. le curé Aimé-P. Boire de St-Augustin
de Manchester était présent pour annoncer la campagne de ventes d'obli-
gations de guerre chez les Franco-Américains de la Nouvelle-Angleterre
en sa qualité de président et de coordonnateur de la campagne. L'hon.
HISTORIQUE DE LA SOCIETE 95
Adélard Godbout adressa un télégramme à la Société pour lui dire qu'il
ne pouvait être présent parce qu'il dut retourner au Canada immédiate-
ment après sa visite du dimanche précédent à Amherst. Le Dr Boucher
récita trois de ses huit nouveaux sonnets de guerre. Le président félicita
M. le juge Eno de Lowell, animateur de la Société, qui recevait un doc-
torat de l'Université de Montréal la semaine suivante, et annonça aux
membres qu'ils recevraient leur bulletin de 1942 en fin de semaine.
A la réunion du 10 novembre 1943, le Dr Paquin rappela que les
Franco-Américains avaient fait participer toutes les forces vives de leur
organisme social au Deuxième Congrès de la Langue française et à la
Campagne franco-américaine des Obligations de Guerre qui fut un grand
succès. M. Robert Frédette, de New- York, auteur d'un ouvrage sur les
Français d'Amérique, était un invité d'honneur à cette réunion.
Le 24 mai 1944, au University Club, M. le curé F.-X. Larivière eut
à faire l'éloge de cinq de nos membres défunts, soit le nombre le plus
considérable à une même réunion. La réunion annuelle du 21 novembre
1944 eut lieu dans la salle Georgian au Statler. M. Luc Grimard, histo-
rien et poète, de Harvard, et M. le Dr Charles Lecomte, interne au
Massachusetts General, tous deux Haïtiens, étaient au nombre des invités.
Le bureau de la Société s'est réuni le 15 avril 1945 dans une salle
de l'hôtel Statler et décida, par esprit patriotique, de se conformer à la
réglementation fédérale touchant les conventions et de supprimer la
réunion du printemps de la Société et d'avoir une réunion annuelle de
victoire à l'automne. Le bureau adressa des résolutions de condoléances
à la famille Roosevelt à l'occasion de la mort du grand président disparu:
Franklin Delano Roosevelt, des voeux de succès au nouveau président
de la nation: Harry S. Truman, et des félicitations à S. Exe. Emile Vail-
lancourt, membre honoraire de la Société, nommé ministre du Canada
à Cuba. Un don de $100 fut fait au fonds de construction du nouveau
Collège l'Assomption de Worcester. Le bureau vota de présenter une
vingtaine de volumes des "Quarante Ans" aux pensionnats franco-amé-
ricains de Nouvelle-Angleterre et au Concours français de Fall-River
pour la distribution des prix de 1945. La Société offrira aussi en vente
ses Bulletins annuels aux personnes intéressées à l'histoire et aux amis
des Franco-Américains à 50 sous l'exemplaire. Elle mit alors en vente
sa troisième édition du "Catéchisme d'Histoire Franco-Américaine" par
Josaphat Benoit. Pour intéresser davantage nos groupements franco-amé-
ricains aux études historiques, en faisant passer de nouvelles figures au
bureau de la Société Historique, il fut décidé que les conseillers ne
seraient plus éligibles à deux mandats consécutifs. Les membres prirent
le dîner ensemble avant l'ajournement.
La réunion de victoire se déroula le 28 novembre 1945 dans la Salle
Moderne du Statler. M. Albert Chambon, nouveau consul de France à
Boston, y fut présenté aux membres et se dit heureux d'être à Boston
et d'y compter déjà de bons amis. Le président présenta la médaille
Grand Prix à M. Jean Garand, de Springfield, pour sa contribution à la
victoire des E.-U., par son invention du fusil Garand et pour l'honneur
qu'il fait rejaillir sur tout l'élément franco-américain par son talent
d'inventeur. M. le Dr Boucher récita son poème sur "La mort" dédié à
96 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Roosevelt, puis M. Joseph Lussier lut son sonnet sur le "Barde de Brock-
ton". A l'élection, Me Eugène-L. Jalbert devint vice-président, M. le
Dr Gabriel Nadeau, secrétaire, et M. Antoine Clément, conseiller pour
un an. Les nouveaux conseillers sont le Dr Wilfrid-R. Delaney de
Cambridge, M. Louis-P. Clapin de Fall-River et M. le curé Adrien
Verrette de Plymouth, N.-H. M. le Dr Paquin demanda un vote de
remerciement au secrétaire sortant de charge et annonça la publication
de la Société.
A la réunion du bureau du 31 mars 1946, au presbytère Ste-Marie
de Marlboro, il est décidé de faire le classement des archives, conservées
jusqu'ici dans des cahiers, des boîtes et des cartons, et de les déposer
dans un classeur de métal. La réunion générale de la Société suivit le
22 mai à l'hôtel Vendôme de Boston. Me Eugène-L. Jalbert y présenta
le conférencier et M. l'abbé Adrien Verrette le remercia. Selon la cou-
tume, il y eut éloges des confrères défunts. M. et Mme Albert Chambon
et M. Louis- J.- A. Mercier étaient les invités d'honneur.
Il n'y eut pas de réunion du bureau à l'automne de 1946. La réu-
nion générale eut lieu le 27 novembre 1946 à l'hôtel Vendôme de Boston.
Les invités d'honneur furent M. Henry-Wadsworth-Longfellow Dana,
petit-fils du poète Longfellow, Mlle Cécile Saint-Jorre, de Montréal,
petite-fille du poète Pamphile Lemay, M. et Mme Albert Chambon. Al-
locutions de M. Dana et Mlle Saint-Jorre et du Dr Georges Boucher,
qui parla du poète Lemay qu'il a bien connu. M. le Dr Paquin aban-
donna la présidence de la Société et Me Jalbert lui succéda. M. Joseph
Lussier devint vice-président et MM. Wilfrid-J. Mathieu, Hector Cor-
mier et Dolord Hamel furent élus conseillers.
La séance du bureau du 30 mars 1947 eut lieu à l'Association
Canado-Américaine à Manchester, N.-H., et M. Adolphe Robert y fut
l'hôte du bureau. En reconnaissance des longs services rendus à la
Société par le Dr Ubalde Paquin, ancien président, il est décidé de lui
décerner la médaille Grand Prix de la Société à la prochaine réunion.
Après la séance les membres furent les invités de M. Robert et de M. le
juge Emile Lemelin à un souper au Manchester Country Club.
La réunion générale du 30 avril 1947 eut lieu à l'hôtel Somerset de
Boston. M. le consul Albert Chambon y fut invité d'honneur. Me Eu-
gène-L. Jalbert présenta le conférencier et le R. P. Léon Loranger, o.m.i.,
le remercia. Me Jalbert présenta la médaille Grand Prix de la Société
à M. le Dr Ubalde Paquin et une gerbe de roses à Mme Paquin. On
fit aussi l'éloge des défunts de la Société.
A la réunion du bureau du 28 septembre 1947, chez M. l'abbé F.-X.
Larivière à Marlboro, l'ancien secrétaire Antoine Clément est autorisé
à faire paraître sous les auspices de la Société un ouvrage qui aura pour
titre: "Vingt-cinq ans de journalisme ou Mon grand reportage pour la
petite histoire franco-américaine". Le bureau vota d'accorder la mé-
daille Grand Prix de la Société à Mme Corinne Rocheleau-Rouleau
pour l'ensemble de ses travaux historiques et littéraires. Il est décidé
aussi que les femmes pourront désormais faire partie de la Société à titre
de membres titulaires. Enfin, on décida que la cotisation, qui reste à
$5.00, ne donnera plus droit aux dîners annuels.
HISTORIQUE DE LA SOCIETE 97
La réunion générale du 11 novembre 1947 eut lieu à l'hôtel Statler
de Boston. M. René Cerisoles, chancelier du consulat de France, et Mme
Cerisoles, Mme Corinne Rocheleau-Rouleau et M. William-N. Locke
furent les invités d'honneur. Il y eut présentation de la médaille Grand
Prix à Mme Rouleau, éloges des membres défunts et remerciement du
conférencier par M. le professeur Locke de M.I.T. M. Joseph Lussier
quitta la vice-présidence et M. le Dr Antoine Dumouchel lui succéda. Le
Dr Ulysse Forget, Me Valmore-M. Carignan et M. le juge Alfred-J.
Chrétien furent élus conseillers.
Au printemps de 1948, la Société s'est réunie le 6 mai au University
Club. Les invités d'honneur y furent le baron Louis de Cabrol, vice-
consul de France à Boston, M. l'abbé Paul-Henri Carignan, assistant
inspecteur général des écoles ménagères du Québec; M. Gérard Mal-
chelosse, directeur de la Société Historique de Montréal, et M. Raymond
Douville, directeur du "Bien Public" des Trois-Rivières.
A la réunion du 3 novembre 1948, au University Club, l'éloge de
James Geddes fils, vice-président d'honneur de la Société, fut fait par
M. le professeur William-N. Locke de M.I.T. M. l'abbé Adrien Ver-
rette a succédé au professeur Geddes comme vice-président d'honneur.
Le Dr Roland Cartier de North Reading est devenu secrétaire adjoint.
M. William Arsenault de Cambridge, le Dr Benoit Garneau de Fall-
River et M. le curé F.-X. Larivière de Marlboro furent élus conseillers.
Le 11 mai 1949, il y eut réunion au University Club. Après les
éloges des défunts et la conférence, la Société autorisa son président,
Me Eugène-L. Jalbert, à aller présenter la médaille Guillet-Dubuque-
Bédard à Soeur Marie-Carmel à Bangor, Maine, pour son ouvrage "La
Littérature Française de Nouvelle-Angleterre". A la séance du bureau
du printemps, Me Jalbert nomma MM. Wilfrid-J. Mathieu, Antoine
Clément et le Dr Armand Picard au comité de nomination pour la réu-
nion du cinquantenaire fixée au 12 octobre 1949.
C'est au 12 octobre prochain, dans la salle des fêtes de l'hôtel Statler
de Boston, qu'a été fixée la date de la célébration du 50e anniversaire
de la Société Historique Franco-Américaine et nous pouvons confier aux
membres et aux amis que la haute personnalité du Canada que la Société
espère présenter en cette circonstance est le très honorable Louis St-
Laurent, premier ministre du Canada.
Les autres invités d'honneur seront le Président d'honneur de la
Société: M. Gilbert Chinard; le vice-président d'honneur: M. Pierre-
Georges Roy; les membres fondateurs de la Société encore vivants: MM.
Hector Bélisle et Henri-T. Ledoux; Mgr Olivier Maurault, président
de la Société Historique de Montréal, et M. le chanoine Lionel Groulx,
président de l'Institut d'histoire de l'Amérique française, ainsi que les
récipiendaires de la Grande Médaille de la Société: M. Jean Garand,
M. le Dr Ubalde Paquin et Mme Corinne Rocheleau-Rouleau. Il y aura
réception à 6h.l5, dîner à 7 heures avec musique sous la direction de
M. Gérald Robert de Manchester. C'est aux membres de retenir leurs
billets ces jours-ci pour cette fête.
On peut trouver dans le volume des "Quarante Ans" de la Société
à peu près tout ce qui a eu rapport à ses activités pendant ses quarante
98 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
premières années d'existence. Il y manque cependant la liste des mem-
bres pour cette période que l'on trouvera dans le numéro de L'Etoile de
Lowell du 2 septembre 1939. Une autre liste des membres est publiée
dans le Bulletin de 1943 de la Société. Des listes de nouveaux membres
sont publiées à la fin de chaque Bulletin annuel ou biennal de la Société.
On trouvera également dans le numéro de L'Etoile du 2 septembre
1939 une liste des dates de chacune des réunions de la Société avec le
nom des conférenciers et le sujet de leur conférence. Nous désirons
établir une liste semblable pour les dix dernières années d'existence de
la Société.
Le 12 octobre 1939, au Statler, Félix Desrochers, bibliothécaire à
Ottawa sur la "Fierté de nos origines".
Le 30 avril 1940, au Vendôme, le R. P. J.-V. Ducattillon, o.p., de
Paris, France, sur "La France d'aujourd'hui et de toujours".
Le 9 octobre 1940, au Vendôme, Me André Lafargue, président de
l'Athénée Louisianais de la Nouvelle-Orléans, sur "L'oeuvre des décou-
vreurs Français en Ancienne Louisiane et le résultat de cette oeuvre
dans la Louisiane Moderne".
Le 14 mai 1941, au University Club, M. le professeur Jean Seznec
de Harvard, sur les "Aspects contemporains de la littérature en France
et au Canada français".
Le 19 novembre 1941, au Statler, M. Gustave Lanctôt, archiviste du
Canada, sur "L'histoire de la Nouvelle-France en 60 minutes".
Le 20 mai 1942, au University Club, Jacques Ducharme, auteur de
"The Delusson Family" et de "Shadows of the Trees" sur le sujet "En
marge d'un livre", et Adolphe Robert sur "Henri d'Arles et ses oeuvres".
Le 8 novembre 1942, au University Club, Séraphin Marion, pro-
fesseur de littérature française à l'Université d'Ottawa, sur "Le sourire
dans la littérature canadienne-française du bon vieux temps".
Le 26 mai 1943, aux salons B et C de la mezzanine du Statler, M. le
professeur Arsène Croteau de l'université du Connecticut, sur "L'histoire
de l'enseignement du français aux Etats-Unis".
Le 10 novembre 1943, au University Club, le R. P. Pierre Goube,
s.j., aumônier militaire à l'école d'aviation de Tuscaloosa, sur "La vie
dans les camps de concentration allemands".
Le 24 mai 1944, au University Club, le Dr Robert Goffin, crimina-
liste belge, sur "La Belgique au carrefour des cultures et des guerres".
Le 21 novembre 1944, au Statler, S. Exe. Dantès Bellgarde, ministre
d'Haïti en mission spéciale au Canada, sur "Les problèmes d'après-
guerre: faut-il faire revivre la Société des Nations?", et M. le professeur
René de Messières de Wellesley Collège sur le sujet de "France For-
5?
ever .
Le 28 novembre 1945, au Statler, Me Roger Picard, de la Faculté
de Droit de Paris, sur le sujet "Pour en finir avec la menace allemande";
Saiil Colin, sur "Le rôle historique de la presse"; Edouard Fecteau, sur
"Louis Jolliet, le grand découvreur", et allocution du consul Albert
Chambon.
Le 22 mai 1946, au Vendôme, Mgr Georges Chevrot, prédicateur
de Notre-Dame de Montréal, sur le "Renouveau catholique en France".
HISTORIQUE DE LA SOCIETE 99
Le 27 novembre 1946, au Vendôme, le R. F. Antoine Bernard, c.s.v.,
de l'Université de Montréal, sur "Longfellow et son Evangéiine, 1847-
1947". Allocution de M. Dana, de Mlle Saint- Jorre et du Dr Boucher.
Le 30 avril 1947, au Somerset, Mgr Joseph Guérin, prédicateur de
Notre-Dame de Montréal, sur un "Carême à Vienne en 1946".
Le 11 novembre 1947, au Statler, M. Luc Lacoursière, professeur
de l'Université Laval, sur "Le Folklore, patrimoine traditionnel".
Le 6 mai 1948, au University Club, M. l'abbé Albert Tessier, profes-
seur au séminaire des Trois-Rivières, sur "La femme dans l'histoire du
Canada".
Le 3 novembre 1948, au University Club, Thon. Orner Côté, secré-
taire de la province de Québec, sur le "Sens national".
Le 11 mai 1949, au University Club, M. le chanoine Arthur Side-
leau, doyen de la Faculté des Lettres de l'Université de Montréal, sur
"Notre héritage culturel".
Délégués de la Société
Le 12 mars 1903, le secrétaire adjoint J.-A. Favreau est délégué
à la réunion annuelle de la Fédération de l'Alliance Française à New-
York. La Société apprend à sa réunion du 7 mars 1905 que son secré-
taire, M. Alphonse Gaulin, a été nommé consul américain au Havre en
France. En juillet 1909, M. le sec. J. -Arthur Favreau, Me Hugo-A.
Dubuque et M. le Dr Georges-A. Boucher représentèrent la Société
aux fêtes du troisième centenaire de la découverte du lac Champlain
et de Ticonderoga, N.-Y., en l'honneur du Marquis de Montcalm à l'oc-
casion du 151e anniversaire de sa victoire sur Abercromby à Carillon.
En octobre 1910, M. le Dr J.- Armand Bédard a été invité à la 12e
réunion annuelle de la New-York State Historical Association et y a lu
un travail sur "Les Français dans la vallée du lac Champlain". M. le
Dr Bédard et M. J. -Arthur Favreau, secrétaire, ont été délégués au
premier Congrès de la Langue française de Québec en juin 1912. MM.
Antonio Provost et Rodolphe Carrier représentèrent la Société à la
célébration du centenaire de la Société St-Jean-Baptiste de Montréal en
juin 1934. M. le Dr J.-Ubalde Paquin, président, M. le trésorier Arthur-
L. Eno, et le R. P. Léon Loranger, o.m.i., secrétaire adjoint, ont été élus
délégués au deuxième Congrès de la Langue française de Québec en
juin 1937. MM. Alexandre Goulet, secrétaire, et Louis Jobin, ancien
vice-président, représentèrent la Société au banquet du 50e anniversaire
de professorat de M. le professeur James Geddes fils, de l'Université
de Boston. M. le Dr Paquin a représenté la Société à la commission du
choix des noms des bateaux dans la campagne franco-américaine de
vente d'obligations de guerre du gouvernement en 1943. Il y eut aussi
à l'occasion des délégations du bureau de la Société aux funérailles des
membres défunts dans leur localité.
Au cours de ses cinquante années d'existence, la Société tint un
grand nombre de ses réunions au Boston City Club et au University
Club, sauf pour ses fêtes d'anniversaires et de gala qui eurent lieu dans
les principaux hôtels de Boston. Les réunions du bureau de la Société
ont lieu habituellement deux fois l'an et précèdent les assemblées des
100 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
membres. Plusieurs des réunions ont eu lieu au Boston City Club et à
l'hôtel Touraine, mais depuis la réorganisation de la Société en 1934,
le bureau siège deux fois l'an, à quelques exceptions près, sur l'invita-
tion de M. le curé F.-X. Larivière, au presbytère Ste-Marie de Marlboro,
Mass.
Au nombre des principaux membres du bureau, décédés depuis la
fondation de la Société, mentionnons M. le juge Hugo-A. Dubuque,
deuxième président de la Société, décédé à Fall-River, le 15 novembre
1928; Me J. -Henri Guillet, de Lowell, fondateur, premier président et
trésorier depuis 1908 jusqu'à sa mort en mai 1931; M. le Dr J. -Armand
Bédard, de Lynn, président pendant 26 ans, décédé le 26 janvier 1932;
M. J. -Arthur Favreau, secrétaire depuis 1905 jusqu'à sa mort le 8 dé-
cembre 1933, et Me Alphonse Gaulin, premier secrétaire, décédé en
mars 1937.
Conférences et Travaux
Depuis 1934, la Société publie des bulletins de ses réunions avec
textes ou résumés de ses conférences. Avant cela, elle n'en a publié
qu'un en 1906 à part ses statuts et règlements publiés en 1899. En ces
dernières années elle autorise la publication d'ouvrages sous son patro-
nage en plus de couronner certains travaux. C'est ce qu'elle fit pour la
publication de "La Croisade Franco-Américaine" en 1938 par les Co-
mités Régionaux des Etats-Unis et le Secrétariat adjoint. En 1939, elle
publia sous ses auspices le "Catéchisme d'Histoire Franco-Américaine"
par Josaphat Benoît au nombre de 10,000 exemplaires et en épuisa
l'édition en quelques mois. Deux autres éditions suivirent en quelques
années. Au printemps de 1939, elle autorisa la publication sous son pa-
tronage de "French Trails in the United States", conférence faite par
son trésorier, M. le juge Arthur-L. Eno, devant la Société Historique
de Lowell. En 1947, elle autorisa son ancien secrétaire Antoine Clément
à publier sous ses auspices son volume de "Vingt-cinq ans de journalisme
ou mon grand reportage pour la petite histoire franco-américaine".
Les travaux précieux, qui ont enrichi les archives de la Société
depuis 50 ans et que l'on pourra lire en grande partie dans les pages
du volume des "Quarante Ans" et des bulletins de la Société, révèlent
qu'on a fait oeuvre de patriotisme en faisant oeuvre de vérité et de
justice à la Société Historique Franco-Américaine. De fait, ces travaux
présentés deux fois l'an devant cette Société, tant par des membres que
par d'éminents historiens et conférenciers d'Europe comme d'Amérique,
ne sont qu'un tissu de pure histoire du "fait français en Amérique" en
même temps que des meilleurs arguments invoqués sur tous les tons et
dans tous les domaines en faveur du miracle de survivance franco-amé-
ricaine.
Ce travail d'étude de l'histoire française en Amérique, commencé
en 1899 par une cinquantaine des nôtres, se poursuit aujourd'hui grâce
à une adhésion de plus de 200 membres, et a conduit en deux généra-
tions à la publication d'ouvrages précieux qui révéleront que les réunions
semestrielles de la Société Historique Franco-Américaine ne se sont pas
HISTORIQUE DE LA SOCIETE 101
résumées à des fêtes sociales, mais ont été vraiment productrices d'his-
toire franco-américaine en une orientation constante vers le but des
fondateurs de faire ressortir le fait français dans l'étude de l'histoire des
Etats-Unis.
Afin de faire rayonner davantage son prestige et son travail, la
Société Historique Franco-Américaine est aujourd'hui affiliée à l'Institut
Français de Washington, et à titre de section à l'Institut d'Histoire de
l'Amérique Française, fondé par M. le chanoine Lionel Groulx.
Rapports des Réunions
Réunion du Bureau — 11 avril 1948.
Chez M. l'abbé F.-X. Larivière au presbytère Sainte-Marie de
Marlboro. Présidence de Me Eugène Jalbert, président de la Société.
Sont présents: MM. Antoine Dumouchel, vice-président; Arthur-L.
Eno, trésorier; Gabriel Nadeau, secrétaire; Valmore Carignan, Alfred-J.
Chrétien, Louis-P. Clapin, Ulysse Forget et Wilfrid-J. Mathieu, con-
seillers.
La réunion générale du printemps est fixée au 6 mai. L'abbé Albert
Tessier, du Séminaire des Trois-Rivières, sera le conférencier.
M. le président, M. le juge Eno et M. Clapin représenteront la
Société à New-Bedford, le 12 mai, au banquet offert en l'honneur du
Dr Ubalde Paquin, ancien président de la Société.
Réunion générale — 6 mai 1948.
A l'University Club de Boston. Nombre des membres et des invités
présents: 75. Invités à la table d'honneur: M. le baron de Cabrol, vice-
consul de France à Boston; M. l'abbé Paul-Henri Carignan, assistant
de M. Tessier aux Ecoles ménagères de la Province de Québec; M.
Raymond Douville, des Trois-Rivières, membre des Dix, et M. Gérard
Malchelosse, de Montréal et membre des Dix également.
Présentation du conférencier par Me Eugène Jalbert.
Conférence de M. l'abbé Albert Tessier, professeur au Séminaire
des Trois-Rivières, membre de la Société royale du Canada, membre
des Dix et Directeur de l'Enseignement ménager de la Province de
Québec. Sur "La Femme dans l'Histoire du Canada". (Voir Appen-
dice I). Le conférencier a montré 3 films en couleur.
Diplôme de membre d'honneur de la Société décerné à M. Tessier.
Sont élus membres titulaires:
Mlle Lienne Tétrault, Star Route, Putnam, Connecticut.
M. Théodore Caouette, 13, rue Summit, Biddeford, Maine.
M. Jean Paquin, 74, rue Mason, Biddeford, Maine.
Réunion du Bureau — automne 1948.
Il n'y eut pas de réunion du Bureau.
Réunion générale — 3 novembre 1948.
A l'University Club de Boston. Nombre des membres et des in-
vités présents: 95. Invité à la table d'honneur: M. Albert Chambon,
consul de France à Boston.
Allocution de bienvenue et présentation du conférencier par Me
Eugène Jalbert.
RAPPORTS DES REUNIONS 103
Conférence de l'honorable Orner Côté, Secrétaire de la Province
de Québec. Sur le "Sens National". (Voir 1ère partie du Bulletin).
M. William Locke prononce l'éloge de M. James Geddes, décédé
depuis la dernière réunion. M. Geddes était le vice-président d'honneur
de la Société. (Voir Appendice II).
M. Jean Picher, trésorier de l'Union Saint-Jean-Baptiste d'Améri-
que, prononce l'éloge de M. Albert Lamoureux. (Voir Appendice III).
L'honorable Orner Côté est élu membre d'honneur de la Société.
Sont élus membres titulaires:
Le Dr J.-A. Girouard, 280, rue Pleasant, Willimantic, Conn.
M. Gustave Lamarque, Louisquisset Pike, RFD/2, Woonsocket, R. I.
Mlle Annette Martineau, 341, rue Fourth, Fall River, Mass.
Mlle Marguerite Martineau, 341, rue Fourth, Fall River, Mass.
Le R. P. Henri Moquin, Supérieur du Collège de l'Assomption,
Worcester, Mass.
Le Dr Laval-U. Peloquin, 834, rue Stevens, Lowell, Mass.
M. Jean Picher, 22, rue Union, Winooski, Vermont.
Mlle Hélène Thivierge, 30a, rue May, Biddeford, Maine.
Après les élections le Bureau pour 1948-1949 se trouva constitué
des membres suivants:
Me Eugène Jalbert, président
Le Dr Antoine Dumouchel, vice-président
M. le juge Arthur-L. Eno, trésorier
Le Dr Gabriel Nadeau, secrétaire
Le Dr Roland Cartier, secrétaire adjoint
Conseillers pour trois ans:
L'abbé F.-X. Larivière, Marlboro, Mass.
Le Dr Benoit Garneau, Fall River, Mass.
M. William Arsenault, Cambridge, Mass.
Conseillers pour deux ans:
M. Valmore Carignan, Woonsocket, R. I.
Le juge Alfred-J. Chrétien, Manchester, N. H.
Le Dr Ulysse Forget, Warren, R. I.
Conseillers pour un an:
M. Dolord Hamel, Worcester, Mass.
M. Hector-E. Cormier, Brockton, Mass.
M. Wilfrid-J. Mathieu, Manchester, N. H.
M. l'abbé Adrien Verrette est élu vice-président d'honneur pour
remplacer feu M. James Geddes.
Le Comité de nomination se composait des Drs Arthur Falcon et
Henri Gauthier et de M. Antoine Clément.
Réunion du Bureau — 24 avril 1949.
Chez M. l'abbé F.-X. Larivière au presbytère Sainte-Marie de Marl-
boro. Présidence de Me Eugène Jalbert.
Sont présents: MM. Antoine Dumouchel, vice-président; le juge
Arthur-L. Eno, trésorier; le Dr Gabriel Nadeau, secrétaire; le Dr Roland
Cartier, secrétaire adjoint; l'abbé F.-X. Larivière, le Dr Ulysse Forget,
William Arsenault, Wilfrid Mathieu et Valmore Carignan, conseillers.
104 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
La réunion générale du printemps est fixée au 1 1 mai. Le confé-
rencier sera M. le chanoine Arthur Sideleau, doyen de la Faculté des
Lettres de l'Université de Montréal.
Le Bureau décide à l'unanimité d'accorder sa médaille "Guillet-
Dubuque-Bédard" à Soeur Marie-Carmel pour son ouvrage "La Litté-
rature française de Nouvelle-Angleterre". Cette médaille lui sera pré-
sentée plus tard.
A l'occasion des fêtes qui auront lieu le 26 juin à Manchester, New-
Hampshire, lors du dévoilement du monument Ferdinand Gagnon, le
Bureau nomme les délégués suivants pour représenter la Société: MM.
Eugène Jalbert, président, Arthur-L. Eno, Antoine Dumouchel, Valmore
Carignan et William Arsenault.
Le Comité de nomination, pour les élections de cet automne, est
constitué dès à présent. Il se compose de MM. Wilfrid Mathieu, Antoine
Clément et du Dr Armand Picard.
Le Bureau discute ensuite un projet soumis par le juge Arthur-L.
Eno pour la célébration du cinquantième anniversaire de la Société
automne. La date des fêtes est fixée provisoirement au 12 octobre.
Réunion générale — 11 mai 1949.
A l'University Club de Boston. Nombre des membres et des invités
présents: 77. Invités à la table d'honneur: M. le comte Max de Monta-
lembert, vice-consul de France à Boston, et M. Paul Beaulieu, consul
du Canada à Boston.
Présentation du conférencier par Me Eugène Jalbert.
Conférence de M. le chanoine Arthur Sideleau sur "Notre héritage
culturel". La conférence de M. Sideleau se trouve aux pages 26-35 de
ce bulletin.
Le président fait part à l'assemblée de la décision du Bureau d'ac-
corder à Soeur Marie-Carmel la médaille "Guillet-Dubuque-Bédard"
pour la thèse qu'elle a publiée sur la littérature franco-américaine et qui
lui a valu le doctorat es Lettres de l'Université Laval. Me Jalbert pro-
nonce l'éloge de Soeur Marie-Carmel. (Voir Appendice IV). Comme
Soeur Marie-Carmel a été empêchée d'assister à la réunion, le Président
charge le secrétaire de se rendre à Portland pour lui présenter la mé-
daille.
M. le chanoine Arthur Sideleau est élu membre d'honneur de la
Société.
M. l'abbé William-E. Drapeau prononce l'éloge de l'abbé Antonio-J.
Vigeant, décédé le 13 avril 1949. (Voir Appendice V).
Le Dr Wilfrid-R. Delaney prononce celui de M. Antoine-A. La-
bonté, décédé en octobre 1948. (Voir Appendice VI).
Me Jalbert fait connaître les membres du Comité de nomination
pour les élections de l'automne et annonce en même temps sa retraite
et celle du juge Eno.
Sont élus membres titulaires:
M. Pierre Belliveau, avocat, 84, rue State, Boston, Mass.
M. Vernon Fiola, 23, rue Moore, Woonsocket, R. I.
RAPPORTS DES REUNIONS 105
Réunion du Bureau — 10 juillet 1949.
Chez M. l'abbé Larivière au presbytère Sainte-Marie de Marlboro.
Présidence de Me Eugène Jalbert.
Sont présents: MM. Antoine Dumouchel, vice-président; le juge
Arthur-L. Eno, trésorier; le Dr Gabriel Nadeau, secrétaire; l'abbé F.-X.
Larivière, le Dr Benoit Garneau, William Arsenault, le Dr Ulysse Forget,
Hector Cormier et Wilfrid Mathieu, conseillers.
Sur proposition de Me Jalbert, secondée par M. le juge Eno, le
Bureau décide d'inviter l'honorable Monsieur Louis Saint-Laurent, Pre-
mier Ministre du Canada, aux fêtes qui marqueront le 50e anniversaire
de la Société. La date du banquet a été fixée au 12 octobre; mais elle
sera reculée, si besoin, pour accommoder le Premier Ministre.
Les invités spéciaux seront:
Les membres fondateurs encore vivants: MM. Hector Bélisle
et Henri Ledoux.
M. Gilbert Chinard, président d'honneur de la Société.
M. Pierre-Georges Roy, vice-président d'honneur.
Mgr Olivier Maurault, président de la Société historique de
Montréal.
Les récipiendaires de la Grande Médaille de la Société: MM.
le Dr Ubalde Paquin et Jean Garand et Mme Corinne
Rocheleau Rouleau.
Le programme musical sera confié à M. Gérald Robert, de Man-
chester. Les divers comités de vente des billets sont constitués. Le co-
mité d'organisation, composé de MM. Jalbert, Eno et Nadeau, se réu-
nira quelques semaines avant la date du banquet pour les arrangements
définitifs.
Réunion générale — Banquet du Cinquantenaire — 15 décembre 1949.
A l'hôtel Vendôme de Boston. Nombre des membres et des invités
présents: 400.
A la table d'honneur: Le Très Honorable Premier Ministre du
Canada et Madame Saint-Laurent; Me Eugène Jalbert, président, et
Mme Jalbert; Mgr Olivier Maurault, président de la Société historique
de Montréal; le Dr Ubalde Paquin, ancien président de la Société; MM.
Hector Bélisle et Henri Ledoux, membres fondateurs; M. le juge
Edouard Lampron, de la Cour Supérieure du New-Hampshire, et M. le
juge Raoul Beaudreau, de la Cour Supérieure du Massachusetts; M
Albert Chambon, consul de France à Boston; l'abbé Adrien Verrette,
président du Comité permanent de la Survivance française en Amérique,
M. l'abbé F.-X. Larivière et MM. Théodore Newton et Paul Beaulieu,
consuls du Canada à Boston.
A deux autres tables d'honneur on remarquait M. le professeur
Edward-B. Ham, de l'Université du Michigan; M. Jules Léger, secré-
taire du Premier Ministre; M. L.-F. Beaulieu, doyen de la Faculté de
droit à l'Université de Montréal; Mmes Corinne Rocheleau Rouleau,
Albert Chambon, Paul Beaulieu et Théodore Newton.
Allocution de Me Jalbert et souhaits de bienvenue au Premier
Ministre et à Madame Saint-Laurent. Me Jalbert donne lecture d'une
lettre de M. Pierre-Georges Roy, vice-président d'honneur de la Société.
106 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
(Voir Appendice VII). M. Chambon lit une lettre de M. Henri Bonnet,
ambassadeur de France à Washington, qui regrette d'être empêché
d'assister au banquet. (Appendice VIII).
Discours du Premier Ministre. Remerciements du Dr Ubalde Pa-
quin et discours de l'abbé Adrien Verrette. Les textes de ces discours
et allocutions forment la première partie de ce bulletin.
Diplôme de membre d'honneur de la Société décerné au Premier
Ministre, Monsieur Louis Saint-Laurent.
Avant de faire connaître le prochain Bureau, le président fait ses
adieux à la Société historique.
Sont élus membres titulaires:
Me Robert-H. Beaudreau, 186, rue Main, Marlboro, Mass.
Mme J.-A. Bonvouloir, 92, rue Clay, Central Falls, R. I.
M. Léopold Bonvouloir, 141, rue Illinois, Central Falls, R. I.
Mme Léopold Bonvouloir, 141, rue Illinois, Central Falls, R. I.
Le Dr Gérald Caron, State Sanatorium, North Reading, Mass.
Mlle Rhéa Caron, 52, rue Saucier, Fall River, Mass.
M. Sylva Choquette, 535, rue Pleasant, Pawtucket, R. I.
Mme Paul Courchesne, 82, rue Plantation, Worcester, Mass.
M. Paul Courchesne, 82, rue Plantation, Worcester, Mass.
Mme John-B. Danis, West Main St., Millbury, Mass.
M. John-B. Danis, West Main St., Millbury, Mass.
Me Alfred De Quoy, 54 Winnifred Road, Brockton, Mass.
M. l'abbé Georges Duplessis, Lowell, Mass.
Le P. Joseph-D. Gauthier, s.j., Boston Collège, Boston, Mass.
L2 Dr Armand Gélinas, 190, rue Milk, Fitchburg, Mass.
L'abbé Napoléon Gilbert, Manchester, New-Hampshire.
Mme Orner Grenon, 51, rue Mount Pleasant, New-Bedford.
Mass.
M. Orner Grenon, 51, rue Mount Pleasant, New-Bedford, Mass.
M. Albert Lamarre, 25, rue Capwell, Pawtucket, R. I.
Mlle Estelle Landry, 542, rue Fletcher, Lowel', Mass.
Mme Antonio Lemieux, 2287, rue Acushnet, New-Bedford.
Mass.
M. Antonio Lemieux, 2287, rue Acushnet, New-Bedford, Mass.
Mlle Ernestine Lemire, 20, rue Gates, Worcester, Mass.
Mme Albert Plante, 96, rue Rockland, Fall River, Mass.
M. Elie Poirier, 2179 Mass. Ave., Cambridge, Mass.
M. Stephen Richard, 53, rue Prince, Salem, Mass.
Mme Marcel Saint-Denis, 104 East Main, Fall River, Mass.
M. Marcel Saint-Denis, 104 East Main, Fa!' River, Mass.
Mme Willy Saint-Germain, 648 Cumberland Hill Road, Woon-
socket, R. I.
M. Willy Saint-Germain, 648 Cumberland Hill Road, Woon-
socket, R. I.
M. William Thériault, 192, rue Lafayette, Salem, Mass.
Mlle Jeannet e Vanasse, 144, rue Bennett, Woonsocket, R. I.
Le Bureau pour 1949-1950 est ainsi constitué:
M. l'abbé Adrien Verrette, président
Me Valmore Carignan, vice-président
RAPPORTS DES REUNIONS 107
M. Antoine Clément, trésorier
Le Dr Gabriel Nadeau, secrétaire
Le Dr Roland Cartier, secrétaire adjoint
Conseillers pour trois ans:
M. le juge Emile Lemelin, Manchester, N. H.
Le Dr Fernand Hémond, West Warwick, R. I.
M. Valmore Forcier, Goodyear, Conn.
Conseillers pour deux ans:
M. l'abbé F.-X. Larivière, Marlboro, Mass.
Le Dr Benoit Garneau, Fall River, Mass.
M. William Arsenault, Cambridge, Mass.
Conseillers pour un an:
M. le Dr Ulysse Forget, Warren, R. I.
Le juge Alfred-J. Chrétien, Manchester, N. H.
Le Dr Antoine Dumouchel, de North Adams, Mass., est élu vice-
président d'honneur de la Société.
APPENDICES
La Femme dans l'Histoire du Canada
(Réunion du 6 mai 1948. Compte rendu de la conférence de l'abbé Albert
Tessier par M. Antoine Clément. "L'Etoile", Lowell, 7 mai 1948).
Les hommes n'ont pas une vision très exacte du rôle ni de la valeur
de la femme. On le voit en histoire, en littérature, dans le droit crimi-
naliste. Les hommes croient avoir accompli toutes les oeuvres et ne
trouvent les femmes supérieures que si elles accomplissent une oeuvre
comme un homme.
Judith, Jeanne Hachette et Madeleine de Verchères sont des fem-
mes fortes de l'histoire qui nous portent à méditer sur ce fait que la
femme joue son grand rôle quand elle reste féminine, et ce dans la
religion, dans la famille et dans la société. Elle peut faire autant aussi
pour le bien que pour le mal. Quelques noms et quelques chiffres en
montreront la valeur dans notre histoire.
La femme est venue au Canada immédiatement au début de la
colonie sans attendre l'ouverture des voies, malgré les horreurs d'une
traversée de deux ou trois mois. Dès 1616, il n'y a qu'un noyau de 60
personnes à Québec, quand le premier ménage, Marguerite Vienne et
Michel Collin, arrive, mais il meurt au cours de l'été suivant.
La première famille est venue en 1617, celle de Marie Rollet et de
Louis Hébert et de leurs trois enfants, et la Compagnie de marchands
ne leur donne que cinq acres de terre, au lieu de 10. En dépit de ces
vexations, des droits lésés, sans aide et sans charrue, cette famille des
premiers colons reste au pays, grâce à la force d'âme et l'esprit de suite
et de décision de Marie Rollet. Elle est restée au Canada en 1632 au
nombre des 34 personnes demeurées sur le rocher. Veuve à 48 ans, elle
a le plus contribué à donner le ton au petit groupe de la colonie, qui
comptait encore 12 femmes, dont cinq jeunes filles. On y maintint le
droit de possession, de tradition.
La race est née en 1618 avec le premier mariage, celui de Anne
Hébert à Etienne Jonquet. Ce fut le premier Comité de la Survivance
française. Mais l'épouse mourait en 1619 en donnant naissance à son
enfant. Cependant du mariage de Guilmette Hébert à Guillaume Hébert
sont nés 10 enfants. Ils eurent 60 ans de ménage et comptèrent 250
descendants et 900 alliés.
En 1654 avec le retour de colons de France, il y a 300 personnes
au pays. Six ménages arrivent, dont Marie Renouard, épouse du Dr
Robert Giffard, qui donna naissance à Marie-Françoise Giffard, la pre
mière canadienne entrée chez les Hospitalières. Ce furent les deux pre-
mières souches de la race. Dans les descendants de Jean Guyon et de
Marie Robin, il y eut le cardinal Bégin, 17 archevêques et évêques, 400
prêtres et nombre de religieux et de religieuses.
La femme arriva à Trois-Rivières deux ans après la fondation de
la ville, mais à Montréal elle participa à la fondation, car sur les 60 per-
sonnes du personnel de Maisonneuve il y a 7 femmes et deux fillettes.
APPENDICES 109
La femme fut fidèle au Canada à son rôle de donner la vie. Pour
la période de 1605 à 1672, on enregistre 334 mariages, 1022 naissances,
un excédent de 590 sur les sépultures.
L'intendant Talon voit le besoin d'augmenter la population au
Canada, car il y a dix fois plus d'hommes que de femmes au pays à
ce moment-là. Il fit venir des filles bien choisies. En dix ans, il y eut
690 mariages et 2020 naissances. De 1608 à 1760, il y a 10,000 personnes
qui sont venues au Canada, dont 1200 à 1500 jeunes filles et il y eut
2000 mariages, ce qui a assuré la conservation française et notre sens
de vie dans notre mentalité, en donnant 138,251 vies, et ainsi les femmes
ont été les fondatrices de la race française chez nous. Les 3000 ménages
français venus au pays sous le régime français nous ont donné 25,464
foyers en 1760. La femme a été ainsi remarquable.
De 1760 à 1770, le taux de la natalité au Québec a été de 65 par
mille. Actuellement il est de 28. De 1760 à nos jours, les 65,000 sont
devenus 6,500,000, soit une augmentation de 100 pour cent. Dans
l'univers le taux de la natalité est de 3, en France plus de 3, en Espagne
et Angleterre 4. Cette natalité a été une contribution utile à la survi-
vance matérielle et morale de notre pays. Et tout cela est dû à l'esprit
de courage et d'entêtement de la femme chez nous, et à son esprit de
suite.
C'est de même pour la fondation de maisons religieuses. Les Ursu-
lines et les Hospitalières sont restées continuellement au pays. Il y eut
une interruption dans le service des Récollets et des Jésuites. Un institut
de frères a été fondé au pays et est disparu. Mère d'Youville fonda sa
congrégation en 1747 et aujourd'hui on compte 6500 Soeurs Grises. La
Fraternité Sacerdotale a été fondée par des hommes, mais les femmes
ont fondé 36 ou 37 congrégations chez nous et toutes se maintiennent.
Il fallut de l'héroïsme pour quitter la France et faire le voyage
périlleux en Amérique. Des Françaises l'ont fait et ont créé ensuite des
oeuvres admirables chez nous comme Marguerite Bourgeoys, Jeanne
Mance. Pour voir aux détails des choses même dans l'administration,
la femme excelle et chez nous elle en a donné maintes preuves depuis
les débuts de la colonie.
En raison du rôle de la femme, il faut lui donner une éducation
soignée et c'est ce que l'on fait avec succès dans nos écoles ménagères
afin de répondre aux besoins des temps présents.
La femme chez nous reste fidèle à son foyer et le divorce n'est pas
encouragé chez nous. Sur 117 divorces au Québec l'an dernier, il n'y
en avait pas un de Canadiens français, tandis qu'en Ontario il y eut
1940 divorces. En 1941, il y avait 20,290 familles comptant 10 enfants
et plus au Canada, et sur ce nombre 13,220 dans le Québec. Le confé-
rencier donne une analyse de 3600 familles, dont les enfants sont aux
écoles ménagères, et révéla que sur le nombre il y avait 1346 familles
comptant de 9 à 16 enfants. Dans le Québec, dit-il, il y a 600,000 fa-
milles qui ont 7 ou 8 enfants. De là l'importance de l'éducation de la
femme au foyer et à l'école, car plus elles auront de lumières, plus nous
serons éclairés et munis de sagesse.
110 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Le conférencier, qui insista aussi sur le fait que la femme avait
conservé l'instruction au cours des siècles au Canada, montra son propre
film de la vie paisible et industrieuse de la famille paysanne au Canada
et un film de l'enseignement donné dans les écoles ménagères.
II
Eloge de M. James Geddes par le professeur William-N. Locke,
du Massachusetts Institute of Technology
(Réunion du 3 novembre 1948)
C'est un triste moment que celui où je dois venir devant vous pour
faire l'éloge d'un homme que nous avons connu, respecté, aimé, et qui
n'est plus. Le professeur Geddes fut un de vos membres les plus an-
ciens, un professeur et un savant de réputation mondiale. Ce fut aussi
mon maître et mon ami.
Né en 1858 d'un père écossais et d'une mère française, pas très loin
de nous, à Boston, il fréquenta d'abord les écoles publiques de Brook-
line, et ensuite Harvard Collège, d'où il sortit diplômé en 1880. L'in-
térêt qu'il portait déjà aux langues vivantes se manifesta dans le choix
de sa première situation. Ayant appris par hasard qu'on demandait un
premier secrétaire de consulat à Trieste il se fit recommander par le
président Eliot et reçut le jour suivant sa nomination. Déjà il révélait
l'esprit d'analyse et la qualité d'action qui devaient illuminer toute sa vie.
Pendant ses heures de loisir à Trieste M. Geddes prit des leçons
d'italien et d'allemand pour perfectionner les connaissances déjà acqui-
ses à Harvard. Le printemps suivant un journaliste de passage l'engagea
comme traducteur et compagnon. Ils firent ensemble un grand tour de
l'Allemagne, passèrent par la Belgique, pour faire ensuite un séjour de
plusieurs mois à Paris. L'hiver suivant les deux hommes continuèrent
leur voyage jusqu'en Espagne. Là, après avoir visité les villes les plus
célèbres, les deux hommes se séparèrent, le journaliste rentrant aux
Etats-Unis et Geddes passant le reste de l'hiver à Seville.
De retour aux Etats-Unis le jeune homme fit la connaissance de
Théodore Lyman, Député au Congrès Fédéral. Celui-ci, impressionné
par l'esprit éveillé de Geddes, l'engagea comme secrétaire, et il l'emmena
passer deux années à Washington. Lyman, un Mugwump, n'ayant pas
été réélu, Geddes trouva une situation de professeur à la Groton School
où il fit la connaissance du célèbre pasteur, Phillips Brooks. Il était
maintenant dans la voie qu'il devait suivre; mais étant lui-même, comme
il le disait plus tard, sorti des écoles publiques, il préférait faire son
avenir ailleurs que dans une école privée, fût-ce une des meilleures.
Après un court séjour comme secrétaire dans le bureau de Charles
Francis Adams, président du Union-Pacific Railway, il accepta un poste
d'Instructeur en Langues Romaines à Boston University. Ce fut donc
en 1887 que commença sa longue carrière universitaire qui dura cin-
quante années, jusqu'à sa retraite en 1937. Travailleur infatigable, il
passait le jour à faire ses cours et une grande partie de la nuit à con-
tinuer ses propres études. En 1889 il reçut de Harvard le diplôme de
APPENDICES 111
Maître es Arts. L'année suivante il fut promu Assistant Professor et
en 1892 il reçut le titre de Professeur des Langues Romaines. Menant
de front son travail à l'université et ses études personnelles il consacra
ses étés à travailler une question fort peu traitée jusqu'alors mais qui le
passionnait: la prononciation du français-canadien et acadien. En 1894
l'Université Harvard le reçut Docteur, sa thèse étant "Study of an
Acadian-French Dialect."
Fort rare aujourd'hui le professeur compétant à enseigner quatre
langues étrangères. Le professeur Geddes parla et enseigna le français,
l'espagnol, l'italien, et le portuguais; non seulement cela, mais pendant
toutes les années de son professorat, il ne cessa de publier livres et
articles, ayant trait tant à la langue qu'à la littérature de ces divers pays.
Sans vouloir vous lasser par une énumération, il ne faudrait cepen-
dant pas passer sous silence sa célèbre Bibliographie du parler français
du Canada pour laquelle il collabora avec Adjutor Rivard, ni son
French Pronunciation, pendant très longtemps la meilleure exposition
de ce sujet difficile. La publication de sa thèse, avec les travaux du
professeur Sheldon de Harvard sur le français de Waterville, inaugurè-
rent une nouvelle méthode scientifique pour l'étude du français de
l'Amérique.
Lors de sa retraite le professeur Geddes avouait qu'il ne pouvait
plus compter les articles et comptes rendus de livres qu'il avait écrits.
Le chiffre se monte à près de 150. Dans la bibliothèque de Harvard
il y a de lui 8 livres et 46 articles. Pour cela ce ne fut aucunement un
rat de bibliothèque. Il était connu partout dans la région comme con-
férencier et il prenait une part active à la vie française, italienne et
universitaire.
Membre, et à partir de 1906, Président du Circolo Italiano di
Boston, il fut élu en 1905 Président de l'American Association of
Teachers of Italian. Il servit également comme Vice-Président de l'Al-
liance Française de Boston et il fut, comme vous le savez bien, Vice-
Président d'honneur de votre Association depuis 1934. A Boston Uni-
versity il fonda et devint président d'une succursale de l'American
Association of University Professors.
En 1909 le professeur Geddes reçut du Roi d'Italie le titre de
Chevalier, avec l'Ordre de la Couronne d'Italie. L'American Academy
of Arts and Sciences le nomma Associé. Il fut membre de nombreux
comités dont nous ne citerons que le Comité de Direction de l'Institut
Pédagogique International à Paris et le Comité exécutif de la Modem
Language Association of America.
Les honneurs que reçut le Professeur Geddes ne le changèrent pas.
Il resta jusqu'au bout l'homme jeune d'esprit, plein de modestie. Cruel-
lement frappé en 1936 par la mort de Madame Geddes, sa compagne
de plus de quarante années, il continua néanmoins ses études, recevant
chez lui anciens amis et jeunes étudiants. Nous garderons de lui le
souvenir d'un professeur qui éclaira pour deux générations les mystères
du passé, d'un chercheur qui fraya la voie d'une science nouvelle, mais
surtout d'un homme simple et bon, aimant tous ceux qui l'entouraient
et aimé de retour par nous tous.
112 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
III
Eloge de M. Albert Lamoureux par M. Jean Picher
(Réunion du 3 novembre 1948)
A la demande de Monsieur le président et comme conséquence de
l'amitié étroite qui m'unissait au défunt, j'ai ce soir le doux devoir de
mettre en relief cette noble figure que fut Albert-J. Lamoureux, de
Gardner, Mass., membre dévoué de votre Société et ancien trésorier
général de l'Union Saint-Jean-Baptiste d'Amérique.
Ravi trop tôt à l'affection de sa famille, comme à l'estime et à
l'admiration de tous ceux qui ont eu le privilège de le bien connaître,
Albert Lamoureux a passé parmi nous sans bruit, sans heurts, semant
la bonne parole, à droite et à gauche, sans jamais se lasser. D'une nature
richement douée, affable envers tout le monde, il savait faire bénéficier
tous ceux qui l'approchaient de son excellent caractère.
A peine adolescent, il devait apprendre par nécessité la lutte pénible
pour la vie matérielle. Orphelin à l'âge de 14 ans, l'aîné d'une famille
de sept enfants, il devenait tout naturellement le principal appui d'une
mère courageuse et le très jeune chef d'un foyer peu fortuné. Sans
jamais compter les heures il dut travailler ferme pour subvenir aux be-
soins les plus pressants, et ce n'est qu'en multipliant les sacrifices et les
veilles qu'il réussit à parfaire son instruction en fréquentant les écoles
du soir et en suivant des cours spéciaux. Une ténacité absolue, doublée
d'une volonté inébranlable, nées de cette formation rigoureuse première,
lui permirent de traverser cette période difficile avec succès. Plus tard,
lancé dans des entreprises commerciales, il ne tarda pas à leur faire
subir l'influence de ses connaissances, de son intégrité et de son élégante
courtoisie. Le progrès soutenu marqua tout le terme de ses activités
commerciales. Dans sa ville de Gardner, les oeuvres paroissiales, de
même que les activités civiques méritoires l'intéressèrent et reçurent son
appui, l'apport généreux de ses multiples talents.
Mais c'est à l'Union Saint-Jean-Baptiste d'Amérique que l'ami Al-
bert devait donner la pleine mesure de ses talents, de sa compétence en
matière financière, de son jugement pondéré et de son grand coeur.
C'est là que ses qualités transcendantes ont dominé. Durant sept années
sous son administration habile, l'actif de l'Union Saint-Jean-Baptiste
d'Amérique n'a fait que grandir. A son contact, tous les directeurs de
la Société ont connu la politesse exquise et la bienveillante bonté que
reflétaient ses moindres gestes et tous ressentaient l'incontestable loyauté
qui animait son coeur.
Cependant la compétence administrative, les connaissances finan-
cières et le succès qui logiquement en découle, étaient d'importance se-
condaire chez ce grand chrétien, chez ce catholique convaincu, chez ce
patriote à l'âme grande et droite. Les qualités morales primèrent tou-
jours celles de l'homme de la finance et du commerce. Les succès qu'il
remporta ne changèrent jamais sa nature. Jusqu'à la fin il demeura un
modèle de bonté, d'humilité et de générosité.
Albert Lamoureux n'est plus mais son souvenir vivra longtemps
chez ceux qui ont eu l'avantage de le connaître. L'oubli ne se fera jamais
APPENDICES 113
complètement sur son nom. Et pour nous qui avons été privilégiés de
le connaître dans l'intimité, nous avons la consolation de croire qu'il
jouit maintenant de la récompense promise au bon et fidèle serviteur.
IV
La Médaille "Guillet-Dubuque-Bédard"
décernée à Soeur Marie-Carmel
(Réunion du 11 mai 1949)
Allocution du président, Me Eugène Jalbert:
Mesdames, Messieurs:
Il y a deux ans paraissait un ouvrage dont le titre eut l'heur, tout
d'abord, de faire naître sur les lèvres du grand public un vague sourire
à la fois sceptique et moqueur. Il y avait de quoi, semblait-il, faire
douter du sérieux de l'auteur, une femme, car celle-ci avait trouvé moyen
d'écrire près de 300 pages sur La Littérature Française de Nouvelle-
Angleterre.
Jusqu'à l'apparition de cet ouvrage vous aviez eu, en effet, comme
moi-même du reste, des doutes très sérieux sur l'existence d'une litté-
rature française en Nouvelle-Angleterre.
Au tout début de la préface, écrite par le docteur Nadeau, notre
distingué secrétaire, celui-ci laisse pressentir que, avant d'avoir lu cet
ouvrage, il avait eu lui-même quelques doutes sur l'existence d'une lit-
térature française chez-nous.
En effet, il écrit:
"Y a-t-il une littérature française en Nouvelle-Angle-
terre? Si l'on entend par littérature l'expression artis-
tique de la pensée, il n'en faut pas chercher ici qui
soit digne de ce nom. Mais littérature veut dire aussi
l'ensemble des écrits qui rend compte du mouvement
des idées chez un peuple. A ce titre, les Franco-Amé-
ricains ont bien une littérature; ce livre le démontre
en la faisant connaître."
L'auteur du livre est Soeur Marie-Carmel Therriault, s. m., direc-
trice de l'Ecole Supérieure John Bapst de Bangor, Maine. Soeur Marie-
Carmel est la fille de Patrice Therriault, aujourd'hui décédé, mais en
son vivant l'une des plus belles personnalités acadiennes du Maine.
Soeur Marie-Carmel tient de son père un goût profond de l'histoire
française en Amérique et un culte tout particulier pour les faits et les
gestes de ses compatriotes en Nouvelle-Angleterre.
Elle consacre son ouvrage à faire connaître les gestes à la fois
modestes et héroïques des Franco-Américains depuis leur premier éta-
blissement jusqu'au Congrès de la Langue Française à Québec en 1937,
et à mettre surtout en lumière les humbles efforts de ses compatriotes
dans le domaine de la littérature.
"Le travail de Soeur Marie-Carmel" pour faire mienne la pensée
du docteur Nadeau que je cite encore, "se recommande par son excel-
lence et son originalité. Personne n'avait songé avant elle à écrire un
ouvrage d'ensemble sur notre littérature. Il lui en a coûté de longues
114 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
recherches et beaucoup de labeur. C'est pourquoi il lui a valu, de la
part de l'Université Laval, le titre de docteur ès-lettres avec très grande
distinction."
Pour tous ces motifs, votre Bureau décidait, à sa dernière réunion,
de décerner à Soeur Marie-Carmel sa Médaille Guillet-Dubuque-Bédard
comme ayant bien mérité de notre Société.
Eloge de l'abbé Antonio- J. Vigeant par M. l'abbé William-E. Drapeau
(Réunion du 11 mai 1949)
J'ai le bien doux devoir de rappeler à votre mémoire ce soir M.
l'abbé Antonio J. Vigeant, décédé le 12 avril dernier. En me deman-
dant de faire son éloge devant vous, on me faisait le grand honneur de
parler non seulement d'un confrère mais bien d'un ami d'enfance, et
d'une amitié qui s'est développée à mesure que nous suivions tous les
deux le même chemin qui devait nous conduire à l'autel. C'est pourquoi
je trouve bien doux ce devoir de vous parler de lui.
Le Père Vigeant naquit à Lowell le 1er janvier 1892: c'est la date
officielle qu'il donnait, parceque dans le doute qui existait il aurait pu
dire aussi bien le 31 décembre 1891. Mais il n'y a jamais eu de doute
dans l'héritage qu'il a reçu de parents profondément chrétiens et ardents
patriotes. De tous les membres de sa famille, lui plus que tout autre a
montré dans sa vie le grand intérêt du père dans tout ce qui concernait
le bien-être des franco-américains.
Tous les deux nous avons fait nos premières études au Collège St-
Joseph sous la direction des Frères Maristes; ensuite nous nous sommes
suivis au Séminaire St-Charles de Sherbrooke. Il n'y a eu que cette
petite différence dans notre route: après mes études classiques je me
suis dirigé vers le Grand Séminaire St. Jean de Brighton; cependant,
le Père Vigeant a voulu plutôt faire sa philosophie au Grand Séminair
de Montréal. Cette séparation ne dura pas car il venait me rejoindre à
Brighton pour y faire ses études théologiques. Il fut ordonné prêtre
le 22 mars, 1918, par Son Eminence le Cardinal O'Connell. Ensuite nous
avons pris chacun notre chemin, car l'obéissance devait nous conduire
en différentes paroisses, mais pas assez loin l'un de l'autre pour briser
la camaraderie qui existait depuis si longtemps.
Il fut vicaire en la paroisse St-Joseph de Salem pendant dix ans.
Ensuite il fut envoyé à la paroisse du Sacré-Coeur à Amesbury pour quel-
ques mois; de là il vint à St-Jean-Baptiste de Lynn où il exerça son
ministère pendant neuf ans. En 1937, il fut nommé curé de la paroisse
St-Stanislas d'Ipswich. Il y passa neuf années où il travailla pour main-
tenir une école paroissiale avec moins de cent familles. La disparition
d'une forte industrie locale lui fit perdre plusieurs familles qui devaient
aller trouver ailleurs le travail nécessaire. Même ceci ne le découragea
pas, et il réussit avec peine et misère à conserver son école. S'il n'avait
pas hérité la fermeté de son père, il aurait facilement trouvé tous les
arguments nécessaires pour l'abandonner. Au mois de janvier 1946, il
fut nommé pour remplacer le Père Charles Cordier à la cure de St-Louis
de France à Lowell.
APPENDICES 115
Son rêve était de bâtir l'église paroissiale, et il se mit à l'oeuvre
pour prélever les fonds nécessaires pour ce projet. Son talent financier
l'aida à amasser la jolie somme de $100,000.00 en trois ans. Il se rendait
bien compte cependant que son rêve ne se réaliserait pas; car la mort
de deux frères et une soeur en moins d'un an à la suite de crises cardia-
ques, et cela il y a à peine deux ans passés, devait lui servir d'avertisse-
ment que l'ange de la mort le frapperait de la même façon. Ceci ne
changeait sa routine habituelle en rien; aussi, l'après-midi du 12 avril,
il fit les courses ordinaires que demandait son ministère actif; il visita
des malades, récita le chapelet pour un paroissien défunt au salon funé-
raire où la dépouille mortelle reposait, s'arrêta pour parler à des enfants
en retournant au presbytère. Comme il restait encore quelques minutes
avant l'appel pour le souper, il prit son bréviaire pour prier, et c'est
à cet instant que l'ange de la mort vint le frapper. Il mourut ainsi avec
une prière sur les lèvres.
Le Père Vigeant fut élu membre de la Société Historique à la
séance du 22 mai, 1946, et je soupçonne qu'il doit y avoir eu pression
faite de la part de notre confrère de classe le juge Eno pour le faire
consentir à devenir membre. Ce genre de société n'avait pour lui aucune
attraction. Tout en lui marquait la simplicité, son caractère, son lan-
gage, ses habitudes, si bien que l'étranger le trouvait enfantin, parce-
qu'il ne le connaissait pas. Ses gestes étaient brusques, et il élevait la
voix pour bien accentuer sa parole, ce qui portait à croire qu'il était
toujours en colère; mais cet extérieur gênant renfermait un coeur bien
charitable. Aussi, son patriotisme et sa fidélité aux coutumes ancestrales
étaient admirables. Dès son enfance on l'entendait répliquer au Révé-
rend Frère qui nous faisait la classe: "Frère, je n'aime pas l'anglais".
Il a bien maîtrisé la langue anglaise, mais il a toujours mieux aimé à
parler français et à le faire parler par les autres partout où il était en
mesure de l'imposer. Il était du nombre de ceux qui font ce beau travail
de survivance française sans bruit et sans éclat, un travail fructueux
parce que c'est la prédication par l'exemple. Il était donc bien en accord
avec le but de notre société.
Chers amis, pour notre collègue, mon camarade, prêtre zélé et
ardent patriote, je sollicite une prière.
VI
Eloge de M. Antoine-A. Labonté par le Dr Wilfrid-R. Delaney
(Réunion du 11 mai 1949)
Depuis que je suis membre de la Société Historique Franco-Améri-
caine, j'ai toujours admiré cette belle coutume de prononcer un éloge
pour tous les membres disparus. A part la reconnaissance et le témoi-
gnage d'un pieux souvenir au défunt, le geste comporte encore la véné-
ration bien comprise du passé qui est en effet le gage d'un avenir glo-
rieux. Nous ne pouvons rien vis-à-vis la grande moissonneuse mais
nous pouvons, et nous devons, nous de la Société Historique Franco-
Américaine en particulier, nous inspirer de la vie des patriotes tombés,
afin que l'émulation de leurs vertus nous aiguillonne; et, par là nous
assure toujours un patrimoine de plus en plus riche pour la gloire de
116 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Dieu, la Patrie et la Race. C'est donc dans ces sentiments de recon-
naissance et de révérence que j'acceptai de tracer à gros traits et dans
le temps alloué la vie d'un membre bien loyal, et de longue date, Mon-
sieur Antoine Augustin Labonté, de Arlington, Massachusetts.
Fils d'Augustin Albert Labonté, né à Franklin, Vermont, et de
Marie Tétreault, née à Lawrence, Mass., Antoine Labonté naquit à
Nashua, N. H. le 21 mai 1901. Il n'avait pas encore atteint sa sixième
année lorsque la mort lui ravit son père. Cependant il parvint avec
l'aide et l'inspiration de sa mère, consacrée maintenant à son fils et ses
quatres filles, dont deux aujourd'hui religieuses, à faire le cours élé-
mentaire à l'école paroissiale dirigée par les Filles de la Charité du
Sacré-Coeur, de Newport, Vermont; puis son cours secondaire au
Lawrence High School pour enfin s'enrôler au Boston University Collège
of Business Administration.
Pendant plus de vingt ans il parcourut la Nouvelle-Angleterre et la
Province de Québec dans le commerce du bois de construction. Sa
jovialité, sa bonhomie, son intégrité et ses connaissances approfondies
du bois lui valurent légions d'amis, nombre de clients et un beau succès
commercial.
En dehors de son commerce, Antoine, célibataire, ne vivait que
pour sa mère et ses soeurs. Il se passionnait cependant à l'éloge des cana-
diens français et des franco-américains; et, s'il critiquait leurs faiblesses
ce n'était que pour faire ressortir leurs qualités tout de suite après. Le
fait français en Amérique fut pour lui, jusqu'à la fin, un sujet de con-
versation dont il ne se lassait jamais. Si beaucoup d'entre vous n'avez
pas mieux connu Antoine c'est qu'il ne fut pas bruyant dans les foules.
Par contre il cherchait sans cesse des occasions de tête-à-tête, de petites
réunions d'intimes afin de converser de son sujet favori. Alors, avec
toute la chaleur de son âme ardente et pétrie de patriotisme éclairé il
se faisait apôtre éloquent et vous clouait à la cause bon gré mal gré.
Je l'ai soupçonné bien souvent de ne se payer le luxe d'une visite profes-
sionnelle chez moi dont il n'avait pas besoin, que pour, délicatement, me
soustraire à mon travail et me parler d'un tel ou tel article, me raconter
tel ou tel fait, me demander une opinion sur telle ou telle situation, se
rapportant toujours au fond, à la question française en Amérique. Et
pourtant Antoine demeurait en Nouvelle-Angleterre depuis trois géné-
rations. Gloire à ses grands parents, à sa mère surtout qui l'avait si
bien façonné; mère qu'il adorait comme le font d'ailleurs tous ceux qui
la connaissent.
Il fut foudroyé par une attaque cardiaque au volant de son auto-
mobile à Somersworth, N. H., alors que, contre les conseils d'amis, il
revenait d'une course de cinq cents milles pour le grand bonheur d'être
chez lui ce soir-là, et avec ses deux soeurs, témoigner leur amour à
sa maman à l'occasion de son anniversaire de naissance.
Antoine Augustin Labonté n'est plus des nôtres; mais je suis cer-
tain qu'il nous attend Là-Haut en compagnie de tous les autres vérita-
bles patriotes franco-américains qui l'ont précédé; qu'il nous soutient
dans le droit chemin ici-bas, et nous prépare une place dans la demeure
Céleste qu'il habite.
APPENDICES 117
VII
Lettre de M. Pierre-Georges Roy, vice-président d'honneur
de la Société, au président, Me Eugène Jalbert
Lévis, 10 décembre 1949
Monsieur le président,
Vice-président d'honneur de votre belle société depuis plusieurs
années, mon devoir aurait été d'être avec vous le 15 courant. Mais
mon âge et mes infirmités me retiendront ici. Je serai toutefois avec
vous tous de coeur et d'âme.
Les Franco-Canadiens nous font honneur sur la terre américaine
et nous leur devons le témoignage de notre reconnaissance chaque fois
que nous en avons l'occasion.
Cartier disait à la reine Victoria, il y a presque un siècle, que les
Canadiens-français étaient des Anglais qui parlaient français. Des Fran-
co-Américains, nous pourrions dire qu'ils sont des Américains qui par-
lent l'anglais et le français, et qu'ils sont de fidèles serviteurs du drapeau
étoile, tout en restant attachés à leur langue et à leurs traditions.
Vous allez applaudir le Très Honorable M. Saint-Laurent le 15.
Je le connais de réputation depuis un demi-siècle et personnellement
depuis ses années d'université. C'est un grand Canadien, et je sais
d'avance qu'il vous félicitera d'être aux Etats-Unis les meilleurs ambas-
sadeurs du Canada-français.
Que votre Société continue longtemps encore à faire aimer no
traditions nationales aux Franco-Canadiens et à faire respecter notre
belle histoire par les Américains.
Croyez-moi, Monsieur le président, votre tout dévoué,
PIERRE-GEORGES ROY
VIII
Lettre de M. Henri Bonnet, ambassadeur de France à Washington,
à M. Albert Chambon, consul de France à Boston.
Ambassade de France
aux Etats-Unis
HB/SD Washington, le 10 décembre 1949
Mon cher ami,
La Société Historique Franco-Américaine m'avait invité à assister
à Boston, le 15 décembre prochain, à la célébration du cinquantenaire
de sa fondation. Ainsi que vous le savez déjà, j'ai eu le regret de ne
pouvoir accepter cette invitation, étant retenu par mes obligations à
Washington. Toutefois, j'aimerais que lors de cette réunion vous soyez
mon interprète auprès de cette association et que vous lui disiez de ma
part combien j'aurais été heureux de participer à cette manifestation.
118 6ULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
J'avais déjà eu l'occasion de dire à la Société Franco-Américaine,
l'été dernier, avec quel intérêt je suis ses travaux. Le soin qu'elle met
à maintenir vivants les souvenirs historiques qui unissent la France au
continent américain est non seulement précieux pour notre pays, il ap-
porte une contribution féconde à l'amitié entre les peuples américains
et français.
En donnant communication de la présente lettre à la Société Histo-
rique Franco-Américaine, je vous serais reconnaissant de bien vouloir
remercier à nouveau le Président et les membres de l'Association de
l'invitation qu'ils m'avaient adressée et saluer de ma part M. St-Laurent,
Premier Ministre du Canada. Sa présence souligne le prix que l'on
attache des deux côtés de l'Atlantique aux relations dont la Société
Historique Franco-Américaine s'emploie à maintenir la tradition.
Veuillez agréer, mon cher ami, l'expression de mes sentiments les
meilleurs et les plus cordiaux.
H. BONNET
Monsieur Albert Chambon,
Consul de France,
Boston, Mass.
TABLE DES MATIERES
Les Conférences de la Société:
Le Folklore, Patrimoine traditionnel 3
Le Sens national 13
Notre Héritage culturel 26
Les Fêtes du Cinquantenaire:
Allocution de Me Eugène Jalbert 36
Discours de l'hon. M. Louis Saint-Laurent 43
Remerciements du Dr Ubalde Paquin 54
Allocution de M. l'abbé Adrien Verrette 56
Documents et Pièces d'Archives:
Documents acadiens 58
Mission diplomatique à Haïti 79
Historique de la Société:
Histoire de ses cinquante ans 83
Rapports des Réunions 102
Appendices:
I La Femme dans l'Histoire du Canada 108
II Eloge de M. James Geddes 110
III Eloge de M. Albert Lamoureux 112
IV La Médaille "Guillet-Dubuque-Bédard" à Sr M-Carmel 113
V Eloge de l'abbé Antonio Vigeant 114
VI Eloge de M. Antoine Labonté 115
VII Lettre de M. Pierre-Georges Roy 117
VIII Lettre de M. Henri Bonnet 117
LA SOCIETE HISTORIQUE FRANCO-AMERICAINE
offre en vente les ouvrages suivants, qu'on peut se procurer chez le
Trésorier, M. Antoine Clément, 195 West Sixth, Lowell, Mass.
"Les Quarante Ans de la Société historique franco-américaine,
1899-1940", compilation des travaux de la Société depuis sa fondation,
par M. Antoine Clément, ancien secrétaire. $5.00 l'exemplaire.
Le présent Bulletin, celui de 1944-1945, et celui de 1946-1947, à
$0.50 l'exemplaire.
THE FRANCO-AMERICAN HISTORICAL SOCIETY
offers the following publications which can be obtained from the
Treasurer, Mr. Antoine Clément, 195 West Sixth, Lowell, Mass.
"Les Quarante Ans de la Société historique franco-américaine,
1899-1940", a compilation, made by Mr. Antoine Clément, former
Secretary of the Society. Price: $5.00 per copy.
The Bulletins of the Society, for 1944-45, and for 1946-47. Price:
$0.50 per copy.
L'Imprimerie de L'INDEPENDANT, Fall-River, Mass.
Octobre 1950
Société Historique Franco-Américaine
Fondée le U septembre 1899
BUREAU
1949-1950
PRESIDENT D'HONNEUR
Gilbert Chinard — Professeur à l'Université de Princeton, N.-J.
VICE-PRESIDENTS D'HONNEUR
Pierre-Georges Roy — Historien — Lévis, Québec
Le Dr Antoine Dumouchel — Médecin-chirurgien — North Adams, Mass.
PRESIDENT
L'Abbé Adrien Verrette — Président du Comité
Permanent de la Survivance Française en Amérique
VICE-PRESIDENT
Valmore Carignan — Avocat — Woonsocket, R.-I.
TRESORIER
Antoine Clément — Journaliste — 195 West Sixth, Lowell, Mass.
SECRETAIRE
Le Dr Gabriel Nadeau, Sanatorium d'Etat, Rutland, Mass.
SECRETAIRE ADJOINT
Le Dr Roland Cartier — Assistant Surintendant du
Sanatorium d'Etat de North Reading, Mass.
CONSEILLERS
—pour 3 ans—
Le juge Emile Lemelin, Manchester, N.-H.
Le Dr Fernand Hémond, West Warwick, R.-I.
M. Valmore Forcier, Goodyear, Conn.
— pour 2 ans—
L'abbé F.-X. Larivière, Marlboro, Mass.
Le Dr Benoit Garneau, Fall River, Mass.
M. William Arsenault, Cambridge, Mass.
— pour 1 an—
Le Dr Ulysse Forget, Warren, R.-I.
Le juge Alfred Chrétien, Manchester, N.-H.
1950
BULLETIN
de la
Société Historique
Franco-Américaine
MAR 27 1952
Boston, Massachusetts
Imprimerie Ballard Frères
Manchester, New-Hampshire
1951
1950
BULLETIN
de la
Société Historique
Franco-Américaine
Boston, Massachusetts
Imprimerie Ballard Frères
Manchester, New-Hampshire
1951
Présentation
Toujours un peu en retard, la Société Histo-
rique présente son bulletin pour l'année 1950. Il
continue la série de ses publications dont le but
est de conserver à l'histoire les principaux faits se
rattachant à l'influence franco-américaine au sein
de la patrie.
Les archives de la société augmentent sensi-
blement chaque année. La présente livraison sou-
ligne plusieurs événements qui méritent d'être con-
signés dans nos annales. Ainsi se conservent et se
perpétuent les gestes et les souvenirs de notre pré-
sence au sein de la nation.
La société remercie tous ceux qui se prêtent
à son travail et sollicite la collaboration des com-
patriotes qui peuvent ainsi enrichir l'écrin de notre
histoire.
Abbe Adrien Verrette
Président
Bulletin de
Jla Société Jintan^ue. fynxvdca- A mexicaine
Fondée le 4 septembre 1899
Administration Secrétaire: Gabriel Nadeau, M.D., Rutland, Mass.
Trésorier: Antoine Clément, 195 W. Sixth St., Lowell, Mass.
Boston, Massachusetts Année 1950
Conférence
Fidélité Française *
par Jean Bruchési
de la Société Royale du Canada
La Société Historique Franco-Américaine n'a eu jusqu'ici qu'à
se louer, j'en suis sûr, du choix de ses conférenciers. Je n'en ai pas
la liste, aussi bien fournie que brillante, mais il me semble qu'on y
relève, entre autres, et parmi les plus récents, le nom de Son Eminence
le cardinal Villeneuve et celui du Très Honorable Louis Saint-Laurent,
premier ministre du Canada. C'est assez dire l'estime dans laquelle
on tient cette vénérable Société, le prix qu'on attache à ses invitations
et la place qu'elle occupe dans la vie des Franco-Américains. C'est
assez dire aussi, puisque j'ai à mon tour l'honneur d'être reçu par
vous, combien je déplore que votre Société ne respecte pas mieux la
tradition et combien je suis mal à l'aise pour la féliciter sans réserve
d'offrir à peu près tous les ans à un "cousin" du vieux Québec l'occa-
sion de vous apporter l'hommage de son admiration et l'assurance de
son attachement.
Descendants de la France et fils du Canada,
Sur la plage étrangère où l'espoir vous guida
Quand du foyer natal le sort vous arrachait,
Vous avez fièrement de ce double cachet
Sans reproche et sans crainte
Gardé la double empreinte ! (2)
Ainsi s'exprimait Louis Fréchette, il y a plus de quarante ans.
Même si sa langue n'est pas très poétique, même si la forme du vers
date un peu ... ou beaucoup pour nos oreilles modernes où chantent
les rythmes d'un Péguy, d'un Claudel, d'un Patrice de La Tour du
Pin, c'est le coeur ici qui parle. Et c'est du même coeur que je vous
salue ce soir, sans m'excuser de le faire en prose, mais en regrettant
de n'avoir pas de titre pour donner plus de poids à mon témoignage.
Il est rare qu'un Américain et un Canadien se rencontrent, d'un
côté ou de l'autre de la frontière sans aborder la question des rapports
entre les deux pays, sans échanger des propos plus ou moins précis sur
* Prononcée le 29 novembre 1950, au University Club, à Boston, Mass.
( 1 ) Feuilles volantes, par Louis Fréchette.
6 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
l'avenir qui les attend, voire sans chercher pourquoi la politique les
sépare alors que l'économique commanderait une union totale à la-
quelle la géographie ne s'oppose pas, que la communauté de traditions,
de langage, de modes de vie, d'intérêts et d'idéal faciliterait on ne peut
mieux. "What is the use of a Canada politically separated from the
United States?" demandait il n'y a pas encore longtemps, un banquier
de New York à un journaliste de Montréal. Combien de fois, depuis
un siècle et davantage, l'annexion d'un pays à l'autre ou d'un pays par
l'autre, n'a-t-elle pas fait l'objet de longs débats ou entretenu un rêve
qui n'a jamais été tout à fait dissipé? Tout récemment encore, le
rédacteur financier du Wall Street Journal, M. George Shea, n'affir-
mait-il pas dans Look (6 juin 1950) que "la frontière entre le Canada
et les Etats-Unis devient une lourde corde qui risque d'étouffer le pro-
grès et la sécurité de nos deux patries"? De là à réclamer la suppression
des barrières économiques qui sont la conséquence de la frontière poli-
tique, il n'y a qu'un pas vite franchi, d'autant plus que les deux popula-
tions, paraît-il, se ressemblent entièrement. Pour l'auteur de cet arti-
cle, la présence de quatre millions de Canadiens français ne pose aucun
problème. Ce n'est pas, du reste, pour ménager 3 p.c. de la population
globale — celle des Etats-Unis et du Canada — qu'il faut persister à
maintenir inutilement 3,000 milles de chemins de fer, retarder l'exploi-
tation méthodique des richesses du Canada, compromettre le bien-être
des Etats-Unis, dont les ressources naturelles s'épuisent au contraire,
et la sécurité du continent américain. Encore convient-il de recon-
naître que l'auteur de l'article s'est peu après défendu d'avoir réclamé
autre chose que l'union économique, accusant même les éditeurs de
Look de lui avoir imposé ce titre à sensation: "Why the United States
and Canada should be one country."
N'empêche que, deux ou trois semaines après l'apparition de cet
article, un débat public se déroulait à New- York entre partisans et
adversaires de la thèse unioniste. Un jury américain donnait la palme
aux premiers, convaincus que Canadiens et Américains forment un seul
peuple, car ils parlent la même langue et aiment tous le baseball d'un
amour égal !
Sans attacher plus d'importance qu'elles n'en méritent à des
discussions ou à des opinions qui restent sur le plan spéculatif, il est
bon de ne pas fermer l'oreille à des propos et à des idées dont le retour
périodique n'est pas provoqué par la seule imagination de quelques
utopistes. Il importe de proclamer bien haut, après l'honorable M.
Pearson, ministre des Affaires Extérieures à Ottawa, que "le Canada
n'est pas sous la domination des Etats-Unis", comme certains semblent
le croire au-delà du rideau de fer, parfois même en deçà. Surtout est-il
bon de rappeler le plus souvent possible, dans l'intérêt de nos deux pays
et de la paix internationale, qu'il existe entre les deux des différences
marquées qui ne sont du reste pas un obstacle à la plus étroite et à la
plus utile des collaborations. Ces différences, point n'est besoin de
FIDELITE FRANÇAISE /
les chercher dans des domaines où la logique n'a rien à voir, comme,
par exemple, dans le fait qu'il y aurait, aux Etats-Unis, 100,000 nais-
sances illégitimes par année, 6,000,000 d'enfants appartenant à des
familles travaillant hors du foyer conjugal, 3,000,000 de familles logées
dans des taudis, 100,000 personnes admises par an dans des asiles d'alié-
nés. Ce sont là des problèmes de régie interne qui ne concernent pas
les Canadiens, problèmes qui préoccupent par ailleurs, les plus cons-
ciencieux citoyens de la grande République.
Rien ne nous empêche d'autre part de croire — même s'il y a des
Canadiens pour penser le contraire — que l'économique ne prime pas
tout et que, dans notre monde de plus en plus matérialiste, le spirituel
ne doit pas être mis au rang des vieilles lunes. Bien au contraire,
nous avons parfaitement le droit de redouter et de combattre la néfaste
influence que pourrait avoir sur notre civilisation occidentale — à
laquelle appartiennent les Etats-Unis comme le Canada — une con-
ception de la vie qui serait, nous dit-on, en train de dominer le peuple
américain. S'il faut en croire certains observateurs d'expérience, ce
peuple américain, que nous aimons, serait repris par "la mégalomanie
de la technique" (2). Et le résultat de cette attitude nous vaudrait
''une civilisation de plus en plus tournée vers les réalisations de type
collectif, dans laquelle l'individu agissant seul ne compte plus." Qu'y
a-t-il de fondé dans de telles affirmations? Le témoignage de plusieurs
Américains qui ne dissimulent pas leur propre inquiétude exige qu'on
ne les prenne pas à la légère. En tous cas, si elles étaient vraies, ce
serait bien dommage pour les Etats-Unis et bien dommage pour l'uni-
vers entier. Car, la preuve en est faite depuis longtemps, "dans l'ordre
du génie tout procède de l'individu". Comme vient au surplus de
le rappeler Georges Duhamel, "la technique n'est que la servante de
l'invention." Elle a sa place dans la vie des peuples. Il faudrait être
aveugle ou sot pour ne pas reconnaître les services qu'elle rend à l'hom-
me en lui facilitant, dans l'ordre matériel, l'accomplissement de ses
devoirs. Mais la technique n'est qu'un des éléments de la civilisation
dont la culture, au contraire, est le principe, est l'essence. Qui ne
verrait, par conséquent, le danger qu'il y a pour un peuple de "créer"
des machines à force de vouloir multiplier des experts, au lieu de cher-
cher simplement à former des hommes dans le sens complet du mot?
La perspective d'un tel danger, moins réel au Canada qu'aux
Etats-Unis, suffirait à marquer une première différence entre nos deux
pays, et il ne faudrait pas en pousser bien loin l'analyse pour saisir
nombre d'autres différences du même ordre. C'est pourquoi le journa-
liste canadien, dont j'ai parlé tout à l'heure, n'hésita pas à répondre au
financier new-yorkais: "It is by remaining a nation quite distinct from
the United States, that Canada is in a position to give the world some-
thing more than it could do, were it annexed to its neighbour." Ce
"something more" est peut-être, précisément, une philosophie de la vie
(2) Voir France-Illustration, mars 1950.
8 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
plus pure, plus humaine chez les Canadiens, en particulier chez les
Canadiens français, que chez leurs voisins du sud. Traduite dans les
faits, cette philosophie expliquerait pourquoi 99 p.c. des Canadiens
appartiennent à une confession religieuse contre 55 p.c. des citoyens
des Etats-Unis, pourquoi 69.6 p.c. des enfants canadiens sont inscrits
à l'école contre 58.4 p.c. des enfants américains, et pourquoi au dire
d'un industriel de ce pays la moyenne de l'intelligence du peuple cana-
dien serait plus élevée que celle du peuple américain. . .
Aussi bien n'y a-t-il avant tout, à l'origine du rêve caressé par
les partisans d'une union totale des deux pays, que des préoccupations
d'ordre matériel. Le principal, sinon l'unique argument qu'on invo-
que est économique. Pour répondre aux exigences croissantes d'un
vaste système de production, et en face du dépérissement progressif de
certaines de leurs ressources naturelles, les Etats-Unis dépendent déjà
dans une large mesure et dépendront de plus en plus de pays étrangers.
Et le premier de ces pays, qui est aussi le plus rapproché, est le Canada.
Mais ce n'est pas, encore une fois, la plus ou moins grande quantité
de minerai de fer, d'uranium ou d'amiante, d'un côté ou de l'autre de
la frontière, qui peut suffire à faire oublier ou à faire disparaître les
différences réelles entre nos deux pays, même si ces différences ne peu-
vent être appréciées en tonnes ou en dollars. Si la chose devait jamais
se produire, rien ne prouve, bien au contraire, que les Etats-Unis ne
finiraient pas par être les principaux perdants et que notre civilisation
occidentale y trouverait le moindre avantage.
On rapporte qu'un Français prétend avoir rencontré, au lende-
main de la libération de son pays, à quelques mois d'intervalle, trois
Américains de type différent. Le premier lui donna tout ce qu'il avait
dans ses bras chargés. Un peu plus tard, le deuxième lui vendit tout
ce qu'il avait sur lui. Un peu plus tard encore, le troisième s'empara
de tout ce que le Français avait dans les mains . . . Qui s'étonnera
que nos préférences aillent au premier, voire au deuxième de ces fils
de la libre Amérique, mais que le troisième nous inspire quelques crain-
tes? Le Canada est ce qu'il est, différent, sous maints aspects, des
Etats-Unis, et personne ne doit le regretter, à commencer par les Amé-
ricains eux-mêmes, pas plus que ceux-ci ne semblent déplorer qu'il y ait
une Angleterre différente, une France différente. S'il en était autre-
ment, jamais un des jeunes romanciers de ce pays, pour ne prendre
qu'un exemple entre cent, Norman Mailer, auteur d'un livre célèbre,
The Naked and the Dead, (3) ne pourrait écrire, au lendemain d'un
séjour de quelques mois à Paris: "C'est merveilleux! A Paris, vous
pouvez déposer votre fardeau et contempler le ciel gris. Ici, à New
York, l'homme est dans une arène romaine. Il tourne en rond comme
un rat, ou comme un personnage des cauchemars de Kafka." C'est
que, voyez-vous, il existe un petit nombre de valeurs morales ou spiri-
(3) Ce rappel ne constitue pas une recommandation en faveur du roman
qui ne saurait être mis dans toutes les mains.
FIDELITE FRANÇAISE b>
tuelles qui font seules la véritable civilisation et dont la possession assure
seule aux peuples qui les respectent le bonheur authentique en même
temps qu'elles font sa fortune réelle. Ces valeurs, vous les connaissez
et elles sont votre partage comme elles sont le nôtre. Quelques nations
en ont hérité autrefois et les ont enrichies plus que d'autres. Nous de-
vons être fiers de pouvoir nous en réclamer. Mais nous avons aussi
le devoir de ne négliger aucun effort, de ne reculer devant aucun sacri-
fice pour les conserver, car nous contribuerons ainsi à accroître le patri-
moine de la nation à laquelle nous appartenons respectivement et, du
coup, le patrimoine commun de l'humanité.
Point n'est besoin, devant un auditoire comme celui-ci, dans une
ville largement ouverte à la culture intellectuelle, qui s'honore d'avoir
vu naître Emerson, Poe et Parkman, de rappeler ce que le Monde, ce
que l'Amérique particulièrement doit à la France. Et quand nous
disons la France, nous ne voulons pas parler d'un groupement d'indi-
vidus plutôt que d'un autre, de tel ou tel régime politique, d'une époque
de préférence à une autre, mais d'une nation entière à toutes les épo-
ques de sa longue, tragique et glorieuse histoire. Ce que cette nation
a donné d'excellent, de bon, parfois de moins bon au monde dépasse à
ce point ce que les autres ont pu lui donner que la plus grande partie
de son propre patrimoine moral ou intellectuel représente aujourd'hui
l'élément le plus riche, le plus substantiel du patrimoine commun des
hommes civilisés. Mais il n'est pas plus facile d'analyser cet apport,
cette contribution, qu'il ne l'est de définir l'esprit français lui-même
qui en a été, qui continue d'en être l'instrument. "Qu'est-ce qu'un
Français?" demandait un orateur socialiste qui s'empressa de répondre
lui-même: "C'est un coq qui boit du vin. "Définition aussi incomplète
que celle du Canadien offerte récemment par un Anglophone: "A
Canadian is a man of white race, of protestant faith, of British origin,
of English language, of normal mental equilibrium."
C'est assez dire que l'esprit français, pas plus que l'esprit de toute
nation évoluée, ne se laisse pas saisir aisément. Il est fait de nuances
souvent à peine perceptibles. Il est souple, curieux, vif, mobile, sen-
sible, comme le Français lui-même, dont Jules César soulignait déjà
les traits immuables, au temps de la conquête des Gaules. Le définir,
c'est rappeler les principes, les motifs, les impulsions, les tendances
d'après lesquels un Français se dirige; c'est souligner que la nation
française est naturellement libre et gaie. — "Je ne fais rien sans gaieté",
affirmait Montaigne — ; c'est soutenir, avec André Siegfried, que la
France est une "nation de paysans, d'artisans et de bourgeois," qu'elle
a un goût prononcé pour la belle ouvrage, l'ouvrage bien faite. Définir
l'esprit français, c'est encore proclamer le caractère d'humanité qui s'y
attache et le christianisme qui le pénètre envers et contre tout; c'est
dire clarté, logique, ordre et mesure, grâce et goût, finesse et sociabilité.
Et cet esprit a pour le servir, pour s'exprimer, un admirable instrument
qui s'appelle la langue française.
10 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Or l'esprit français, qui fournit à la civilisation occidentale sa plus
riche substance, a été un jour transplanté en terre canadienne. Qu'il y
revête aujourd'hui tel ou tel caractère additionel sous l'influence du
climat, de la géographie et de l'histoire, personne ne le niera. Mais
l'essence est restée et doit rester la même. Ou bien, alors, il ne s'agit
plus d'esprit français, d'un véritable esprit français qui imprègne les
mœurs et les lois, qui marque la langue d'une empreinte indélébile, qui
se traduit jusque dans la manière de se vêtir, de se nourrir et de s'amu-
ser, qui ordonne les idées et les sentiments.
Cet esprit-là, les fondateurs de notre pays l'ont eu. Car ce n'est
pas seulement leur corps, mais leur âme aussi, avec ses qualités morales
et intellectuelles, avec ses faiblesses, qu'ils apportèrent de France sur les
rives du Saint-Laurent. Cet esprit-là, les quelques milliers de petites
gens, qui sont nos communs ancêtres, l'ont eu. Ils l'ont défendu avec
courage, dans l'espoir de le transmettre intégralement à ceux qui les
remplaceraient et à qui il incomberait de poursuivre la tâche jamais
achevée. Cet esprit-là s'est retrouvé dans l'action héroïque des mis-
sionnaires, et jusqu'au martyre! Il a animé les découvreurs partis à
la recherche des "mers douces" et des chemins qui devraient conduire
jusqu'en Chine, les explorateurs d'une vaste étendue du territoire amé-
ricain, les fondateurs d'un si grand nombre de villes américaines. Il a
inspiré les paysans tenaces, faiseurs d'enfants et de terres; il a marqué
les lois et la langue; il s'est accordé aux croyances et il a chanté par
toutes les voix qui reprenaient à côté d'un berceau, à la lisière d'un bois,
au fil de l'eau ou sur le sentier de la guerre, les refrains d'amour et de
bataille.
Comme il est à nous, il est autant à vous. Comme nous, vous
avez, Franco-Américains, le droit d'en être fiers et, comme nous, le
devoir de le conserver, de le défendre contre tous les assauts, contre
votre propre indifférence, contre l'incompréhension de ceux avec qui
vous vivez, contre vos faiblesses, et le devoir aussi de l'enrichir au profit
de la grande nation à laquelle vous appartenez, comme nous essayons
de faire dans l'intérêt de celle qui habite de l'autre côté de la frontière.
Et qu'on ne vienne pas dire, ainsi que le proclamait un peu trop
vite, aux pires heures de la deuxième Grande Guerre, le premier
ministre Smuts, d'Afrique du Sud, que la France a cessé d'être une
grande nation, surtout que la culture intellectuelle française n'a plus
aucun rôle à jouer au XXe siècle. Ceux-là mêmes qui reconnaissent la
gravité du moment que nous vivons, qui admettent l'état périlleux où
se trouve notre civilisation occidentale, ne cachent pas l'étonnement où
les plonge l'effort de redressement français. N'est-ce pas dans une
récente livraison de l'importante revue hebdomadaire U. S. News and
World Report, qu'on pouvait lire ce commentaire significatif: "French
ideas are over-shadowing and even crowding out American and British
ideas. Strange thing is that the French are asserting leadership among
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12 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
the Western Allies without having many of the things it takes to act
like a big power . . . Ideas, it may be, count more in Europe just now
than guns and dollars." Et pourquoi les idées, en Amérique aussi, ne
compteraient-elles pas plus que les canons et les dollars? Pourquoi
Franco-Américains, aux Etats-Unis, et nous, d'origine française, au
Canada, ne contribuerions-nous pas précisément à faire triompher les
meilleures de ces idées, puisque nous pouvons nous réclamer à la fois
d'une religion qui a fait ses preuves et d'une culture intellectuelle dont
le Pape Pie XII, hier encore, a rappelé "la puissante impulsion, les
vraies valeurs et les découvertes géniales . . . fournies au patrimoine
commun de l'Europe et de l'humanité?"
Il y a un an, de brillantes manifestations ont souligné le centenaire
de l'établissement en quelque sorte officiel des premiers Canadiens
français aux Etats-Unis. L'occasion était belle d'évoquer le souvenir
de ceux que l'impérieuse nécessité ou l'irrésistible attrait conduisit de ce
côté de la frontière, l'état vraiment misérable dans lequel un grand
nombre des vôtres ont trop longtemps vécu, les sacrifices qu'ils se sont
imposés pour rester eux-mêmes le plus possible, les obstacles de toute
sorte qu'ils ont rencontrés et qu'ils ont en partie renversés. On n'y a
pas manqué, et bien habile celui qui pourrait présenter aujourd'hui
le fidèle bilan des pertes et des gains. Chose certaine, quelle que puisse
être l'étendue de celles-là, les Franco-Américains ont démontré qu'ils
possèdent à un haut degré la force de durée. Et durer, a écrit Goethe,
"est le chef-d'oeuvre de l'homme." Mais la force de durée ne prend
vraiment tout son sens et n'a vraiment toute sa puissance créatrice que
si elle s'accompagne de la force de renouvellement. Il en va des
peuples comme des individus, surtout à un certain degré de développe-
ment intellectuel, à un certain stage de la vie : celui qui ne se renouvelle
pas, sur la même base où il a assis sa grandeur, est condamné à dis-
paraître.
Le temps est passé où les Canadiens, en partie responsables de ce
qui arrivait, pouvaient tout de même déplorer l'émigration des leurs
aux Etats-Unis. L'abondante saignée qui s'est produite appartient
désormais à l'histoire et l'histoire veut être interrogée pour les leçons
qui s'en dégagent: leçons de sagesse, de prudence, ou leçons d'espé-
rance. Elle nous enseigne, entre autres choses, que si les événements
ne se répètent pas exactement de la même manière, les mêmes causes,
toutefois, produisent les mêmes effets. D'où la valeur de cet ensei-
gnement auquel les hommes d'Etat ont tort de ne pas attacher l'im-
portance qu'il mérite. La politique internationale de ces dernières
années, notamment en ce qui a trait aux rapports des puissances occi-
dentales avec la Russie, nous fournit sur ce point une frappante illus-
tration. Dans un moins vaste champ, l'aventure parfois tragique,
mais plus encore réconfortante, des Franco-Américains, nous en offre
une autre. Et c'est pour ce motif qu'il n'est pas mauvais d'y revenir
FIDELITE FRANÇAISE 13
lorsque l'occasion s'en présente, ne serait-ce qu'en passant, afin d'y
trouver une force nouvelle à l'appui de principes, ou de règles, dont la
fuite du temps n'amoindrit pas la valeur.
En 1861, un jeune Parisien, qui fut pendant plus de quarante ans,
l'ami fidèle et dévoué de tous les Français d'Amérique, Rameau de
Saint-Père, visitait avec émotion les centres franco-américains des Etats-
Unis, de Boston à Détroit, de Chicago à Saint-Louis et à la Nouvelle-
Orléans. Dans des lettres qu'il échangea par la suite avec ses corres-
pondants d'outre-Atlantique, parmi lesquels on relève les noms de
l'abbé F.-X. Chagnon, curé de Champlain, (New-York), et de Ferdi-
nand Gagnon, dans son journal, dans ses articles et ses livres, Rameau
de Saint-Père ne cacha point l'admiration où le jetaient les efforts faits
par les Franco-Américains, comme par les Acadiens, pour rester catho-
liques et garder leur langue. Mais il ne dissimula pas non plus les
craintes qu'il éprouvait pour l'avenir de ces frères séparés, de ces "des-
cendants du plus pur sang français", objets du mépris des Yankees de
ce temps-là, victimes de l'attitude du clergé irlandais de l'époque, me-
nacés "par le flot américain qui monte sans cesse" autour d'eux.
Revenu aux Etats-Unis vingt-sept ans plus tard, Rameau de Saint-Père
fut émerveillé des transformations qui s'étaient produites. Sans doute
pouvait-il déplorer, avec son ami, le célèbre géographe Onésime Reclus,
l'émigration des Canadiens en Nouvelle-Angleterre, émigration, écri-
vait Reclus, "qui, loin d'étendre leur nationalité, la distend et l'épuisé."
Sans doute aussi, partageait-il le sentiment de son compatriote qui
aimait mieux voir dix "Canayens au nord, au très haut nord, que
cinquante à côté de l'Oncle Sam et de son vaste pays." Peut-être même
n'était-il pas loin de craindre, avec Charles Thibaut, que, dans les
grandes villes, la langue française finirait pas disparaître à la troisième
génération. Mais il disait toute sa confiance dans l'avenir des Franco-
Américains du Maine et des proches frontières, en dépit de l'attitude
toujours hostile du clergé irlandais d'alors qui se faisait l'apôtre, l'arti-
san de l'"américanisation par l'Eglise", comme on disait, en dépit de
l'opinion très répandue, même à Rome, que "la langue anglaise doit
finir par être la seule langue dans l'Amérique du Nord." (4).
Bien au contraire, s'inclinant devant le fait accompli. Rameau
de Saint-Père montait en épingle les paroles de Mgr de Goesbriand.
premier évêque de Burlington, pour qui les Franco-Américains étaient
"appelés par Dieu à coopérer à la conversion de l'Amérique comme
leurs ancêtres furent appelés à planter la foi sur les bords du Saint-
Laurent." Encore ces Franco-Américains devaient-ils pouvoir s'ap-
puyer sur des prêtres et des évêques de leur langue, actifs et zélés, se
grouper dans des paroisses bien à eux, multiplier et soutenir leurs pro-
(4) Ainsi pensait, entre autres, le cardinal Mazella, en 1890. Vingt ans
après, au Congrès Eucharistique de Montréal, Mgr Bourne. archevêque de West-
minster, ne tenait pas un autre langage.
14 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
près écoles, ne pas avoir peur ou honte de parler le français, posséder
des journaux, faire appel à leurs frères ou cousins du Canada, tout en
restant, cela va de soi, fidèles à leurs devoirs de citoyens des Etats-Unis.
En somme Rameau de Saint-Père tenait, en d'autres termes, le langage
tenu récemment par le Père Drouin, curé de Lewiston, qui a défini
les Franco-Américains un "peuple de langue française au sein d'une
nation qu'il révère, qu'il aime et dans laquelle il veut jouer un rôle
prépondérant pour mieux servir l'Etat." Il ne s'exprimait pas autre-
ment que Févêque du nouveau diocèse de Worcester, Mgr John J.
Wright, ne s'est exprimé il y a quelques mois à l'adresse de ses ouailles.
Langage du bon sens, qui est aussi celui de la justice et de la charité,
qui vaut non seulement pour le diocèse de Worcester, mais pour tous
les diocèses où l'on compte une minorité, voire une majorité catholique
de langue française.
* * *
Il n'est pas mauvais, je pense, de reprendre ici les paroles de Mgr
Wright, d'abord pour y faire écho, mais surtout parce qu'elles sont un
programme qui marque peut-être, espérons-le en tout cas, un tournant
dans l'histoire des Franco-Américains. "C'est la variété de ses élé-
ments qui a fait, qui continue de faire la force et la grandeur de notre
pays bien-aimé. Ses fondateurs n'ont pas voulu invoquer des "tradi-
tions officielles", ils n'ont pas voulu imposer une "langue officielle",
ils n'ont pas voulu contraindre ses habitants à adhérer à une "religion
officielle". Qu'on ne mette donc plus de l'avant cette idée du melting
pot américain, idée "détestable et même contraire à l'esprit" de la
Constitution des Etats-Unis. Et quel Franco-Américain ne se senti-
rait récompensé de tant de sacrifices et d'efforts, justifié d'avoir opposé
une résistance tenace à toutes les tentatives ouvertes ou dissimulées
d'assimilation, encouragé à poursuivre et à accroître sa fidélité fran-
çaise, lorsqu'il entend tomber, des lèvres de Févêque de Worcester, ces
paroles significatives: "Ceux-là font oeuvre vraiment américaine, qui
cultivent et veulent conserver leurs traditions dans leur pureté et leur
vigueur . . . faire usage des trésors culturels accumulés et hérités du
passé, pour préparer et bâtir l'avenir où nos enfants vivront"?
D'après un rapport déposé à Washington, en mai dernier, par un
comité spécial du Sénat qui avait pour tâche d'étudier le problème de
l'immigration, il y aurait présentement, aux Etats-Unis, moins d'un
million de Franco- Américains dont près de 275,000 nés au Canada
(1940). Nous finirons peut-être par avoir un jour le compte exact
de la population franco-américaine, compte difficile à établir pour
l'ensemble du territoire de la République, mais qu'on devrait pouvoir
dresser d'une manière assez précise dans les Etats de l'est. En atten-
dant, qu'il s'agisse d'un ou de deux millions — et ce dernier chiffre
est vraisemblablement plus près que l'autre de la vérité — la présence
des Franco-Américains est un facteur important qui intéresse nos deux
FIDELITE FRANÇAISE 15
pays à des titres divers. Par leur nombre sans doute, mais bien davan-
tage par tout ce qu'ils incarnent, ils sont loin d'être une quantité négli-
geable. Ce qu'ils ont accompli au cours du dernier siècle est à leur
honneur sans doute, mais également au profit de la grande nation à
laquelle ils sont fiers d'appartenir, de l'ensemble des traditions dont
eux et nous nous réclamons. Que les origines soient modestes aux
yeux des hommes, que les débuts, encore une fois, aient été pénibles:
ils n'ont pas à en rougir et personne n'a le droit de les leur jeter à la face
comme autant d'injures. Du reste, tous ceux qui ont récemment
entrepris de raconter telle ou telle phase de l'histoire des Franco-Amé-
ricains, au XIXe siècle — une Iris Saunders-Podea, un Mason VVade,
un John Brebner, voir un John Gunther — ne peuvent se retenir de
rendre hommage à leur merveilleuse endurance et à leur noblesse
d'âme. Ce n'est pas avec des statistiques qu'on fait de l'histoire, et
le moins qu'on puisse demander à ceux qui l'écrivent, c'est d'avoir le
plus de sympathie possible pour les hommes dont ils parlent; et il en
faut beaucoup pour comprendre. Le respect de la vérité, qui est la
première loi de l'histoire, n'exclut par l'amour.
Il ne fait pas de doute que les Franco- Américains occupent aujour-
d'hui des positions sensiblement plus solides, de certains points de vue
du moins, que ceux du siècle dernier. Qu'il y ait des pertes, de lourdes
pertes souvent, à enregistrer: il fallait s'y attendre. Qu'il n'y ait pas
lieu de se réjouir trop vite des succès remportés sur tel ou tel point
du front étendu de la résistance : c'est évident. Que la partie soit loin
d'être gagnée contre tous ceux dont la principale préoccupation semble
être d'américaniser plutôt que de christianiser les catholiques venus
d'autres pays, que la vigilance et l'effort doivent être maintenus au
même rythme, voire doublés et triplés: les plus avertis en conviennent.
Rien ne prouve, bien au contraire, que l'avenir se présente uniquement
rempli de belles promesses et de riantes perspectives. Ce même comité
du Sénat américain, auquel j'ai fait allusion tout à l'heure, ne craint
pas d'affirmer que les Canadiens français émigrés aux Etats-Unis
auront de plus en plus de mal à conserver leur unité culturelle. C'est
le contraire qui étonnerait. Pour ce motif, précisément, il importe que
les Franco-Américains prennent tous les moyens de rester eux-mêmes
dans le cadre politique où la Providence les a placés.
Une terrible menace pèse en ce moment sur le monde, et cette
menace, dirigée contre la civilisation occidentale, donc chrétienne, ne
vient pas seulement de l'extérieur, mais de l'intérieur. Ce n'est pas
seulement la menace d'un conflit meurtrier entre deux masses puissan-
tes qui nous inquiète tous avec raison, mais les conséquences d'un tel
conflit pour notre civilisation. Ce ne sont pas seulement les engins de
guerre, si perfectionnés soient-ils, qui préviendront cette menace, et
qui, si jamais elle éclate, permettront d'échapper à ses funestes
effets. La solution du problème et la promesse du salut sont dans
16 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
l'homme. On ne défend pas ce à quoi l'on ne croit pas; on ne
risque pas sa vie pour garder le superflu, l'accessoire. On défend son
corps, on défend son bien matériel, mais on défend aussi son âme
comme on défend les valeurs morales et intellectuelles qui ne sont pas
toute la civilisation, mais qui en forment l'élément essentiel comme
elles sont l'élément essentiel de la culture.
Que les Franco- Américains doivent conserver leur identité: nom-
breux dans leurs propres rangs et en dehors ceux qui en sont convain-
cus. Et cette conviction — il ne faut pas cesser de le redire — en
passant dans les actes, sert à la fois les intérêts de nos deux pays, intérêts
qui se confondent plus que jamais avec ceux de la civilisation occiden-
tale. Cela revient donc à proclamer que les Franco-Américains doi-
vent non seulement rester catholiques, mais vivre pour eux-mêmes et
pour les autres leur catholicisme dans tout ce qu'il signifie, un catho-
licisme qui ne soit pas agressif, même s'il est conquérant, un catholi-
cisme qui repose sur la charité et qui respecte la liberté parce qu'il
n'admet pas l'injustice. Cela revient aussi à reconnaître que les Fran-
co-Américains doivent, en les adaptant au milieu politique, économique
ou social dans lequel ils vivent, rester fidèles à leurs meilleures tradi-
tions, familiales ou autres, et qu'ils doivent par-dessus tout, maintenir
la langue française qui suppose elle-même un esprit français. Or une
langue se maintient sans doute lorsqu'elle est apprise sur les genoux
d'une mère et sur les bancs de l'école; mais cela ne suffit pas. Il faut
que la langue soit parlée partout et il faut qu'elle soit bien parlée.
Comme l'affirmait Mgr Wright, dans son discours de Worcester, "l'étu-
de du français ne doit pas aboutir qu'à savoir assez de français pour
demander des pommes de terre en français ou à s'exprimer en français
à l'usine." L'évêque a bien montré jusqu'où doit porter l'effort et c'est
tout un programme: "ouvrir l'esprit des petits Franco- Américains,
élargir leurs horizons, enflammer leur coeur en leur permettant d'ac-
céder, en les initiant au trésor immense, incomparable qu'est la civili-
sation française contemporaine . . . civilisation faite de sagesse, de
saine philosophie, d'oeuvres religieuses, et sociales, qu'anime un sens
inné d'équilibre et de justice."
En sera-t-il ainsi? Cela dépend de maints facteurs. Quelques-uns
vous échappent, en ce sens qu'ils sont conditionnés par le traitement
dont vous êtes l'objet, par la collaboration qui vous est fournie, par la
mesure de liberté qui vous est accordée. Mais vous tenez le plus grand
nombre dans vos propres mains, et si vous en avez la volonté reposant
sur une inébranlable conviction, vous sauverez du danger qui les guette
les valeurs intellectuelles dont la possession intégrale assurera votre sur-
vivance, le maintien de votre identité. A vous, par conséquent, à tous
ceux, entre autres, qui acceptent d'être des éducateurs, qui assument
le rôle de chefs ou de guides, dans les maisons d'enseignement comme
dans les paroisses et les sociétés, quelles qu'elles soient, qui vous grou-
FIDELITE FRANÇAISE 17
pent, de vous nourrir, de vous imprégner de la tradition culturelle fran-
çaise.
Cercles d'études, bibliothèques, revues, journaux, radio, cinéma:
tous ces moyens, perfectionnés par la science moderne, sont au service
des Franco-Américains comme ils le sont au nôtre, même s'il y a plus
d'obstacles à leur fréquent et bienfaisant usage de ce côté-ci que de
l'autre côté de la frontière. Sans doute, l'emploi de ces moyens peut
offrir des dangers. Il y a de mauvais livres, de mauvais journaux, de
mauvais programmes de radio et de mauvais films, pas seulement du
point de vue de la morale toutefois. Et comme je n'ai pas ici charge
d'âmes, par vocation, je n'ai aucun scrupule de m'attacher particulière-
ment à ce que livresjournaux, programmes de radio et films ont de
mauvais pour la formation des intelligences. Cela aussi mérite d'être
souligné si l'on veut que le français parlé aux Etats-Unis soit une langue
vivante et riche — ce qu'il doit être d'abord pour y survivre, pour y
durer. Et puis, il ne faut pas jouer avec le poison, il ne faut pas non
plus s'exposer à mourir de faim par crainte de s'empoisonner. La pru-
dence n'empêche pas le discernement. Aussi bien un grand malheur
frapperait les Franco-Américains le jour où, par exemple, la jeunesse
prendrait le goût de l'anglais, entre autres motifs, pour avoir été mise
en garde contre la littérature française contemporaine jugée en bloc
comme immorale. Et le malheur serait d'autant plus grand qu'une
semblable attitude n'empêcherait pas cette même jeunesse de se mettre
à lire ce qu'il y a de moins bon dans la littérature américaine. Que
les Franco-Américains se défendent contre la mauvaise littérature sous
toutes ses formes, et contre le mauvais cinéma : c'est leur devoir et c'est
leur droit. Mais s'il est vrai que la langue soit pour eux, dans une
certaine mesure, la gardienne de leur foi, qu'ils ne risquent pas de la
perdre par le refus de l'alimenter à la source d'où elle provient, car,
du même coup, ils compromettraient leur foi.
* * *
En guise de conclusion à la conférence qu'elle prononçait à Boston
même, au mois de décembre dernier, devant les membres de Y American
Catholic Historical Associatioîi et de V American Historical Association,
Mme Iris Saunders-Podea a exprimé un avis qui est tout à l'honneur
des Franco-Américains. Maintenant que la province de Québec est
devenue la plus industrialisée du Canada, ce sera peut-être la bonne
fortune et la responsabilité de ces Franco-Américains de guider leurs
cousins du nord dans la voie de la survivance catholique. Ce n'est pas
nous, vous le pensez bien. Mesdames, Messieurs, nous du Québec et de
tout le Canada français, qui refuserons le concours de votre expérience,
de vos conseils et de vos forces. De l'autre côté de la longue frontière
qui nous sépare, nous avons maintenu de notre mieux, vous le savez,
les croyances, les traditions et la langue dont est faite la plus riche part
de notre commun patrimoine. Et même s'il nous est arrivé de com-
18 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
mettre des erreurs, de connaître des défections, d'essuyer des défaites,
par notre faute parfois mais bien plus souvent par celle du fanatisme
ou de l'ignorance qui s'en prenaient à nos droits les plus chers, nous
avons cependant eu quelque mérite à repousser de terribles assauts.
Nous non plus n'avons pas à rougir de nos origines, de la foi que
nous avons quelque peu contribué à répandre sur ce continent, de la
langue que nous cherchons à parler le moins mal possible, des travaux
que nous poursuivons dans le domaine de l'instruction, dans ceux des
arts, des lettres et des sciences, pour assurer le maintien et le rayonne-
ment de la culture intellectuelle française, en ce qu'elle a de meilleur.
Ce n'est pas une autre France, qu'on se le dise bien, que nous avons
péniblement bâtie sur les rives du Saint-Laurent d'abord, mais aussi
partout où des hommes de notre sang, de notre croyance et de notre
langue se sont établis, dans ce vaste et rude Canada où nous avons la
prétention d'être chez nous, de l'Atlantique au Pacifique. C'est une
France autre qui s'est édifiée là-bas, façonnée par le temps et le labeur
de l'homme, qui a pris un visage différent sous l'influence du milieu,
des événements politiques ou sociaux, mais dont les traits les plus pro-
fonds trahissent toujours la lointaine origine. Il se peut que la nation
canadienne n'ait pas encore aux yeux du monde, tous les caractères
rêvés pour elle. Mais elle existe, elle n'est pas un mythe. Et ce qui
en fait l'originalité, ce qui en fera la force et la grandeur, c'est qu'elle
est, suivant le mot prononcé devant vous, il y a un an, par le premier
ministre du Canada, "une nation basée sur l'association des descendants
de deux grandes races".
Ceux qui ne sont pas aveuglés par les préjugés n'hésitent pas à
reconnaître la large contribution de l'élément français et catholique
à la prospérité, à la stabilité du Canada d'aujourd'hui, et ils savent ce
que représentera cette contribution dans le Canada de demain. Voilà
pourquoi, sans mépriser, bien au contraire, la richesse matérielle dont
son pays offre le plus brillant tableau, sans faire fi des techniques dont
notre siècle abonde, le Canadien français doit d'abord s'attacher aux
valeurs spirituelles qui lui donneront la culture véritable, qui lui vau-
dront de pouvoir contribuer réellement au maintien de la civilisation
occidentale. Ces valeurs, il lui faut les fortifier, les enrichir, les défen-
dre contre lui-même et contre les autres. Seul, il ne le peut pas. Il a
besoin lui aussi, comme vous, de s'alimenter à la source, même s'il doit
parfois prendre garde de ne pas accepter tout ce qui vient de la source.
A son tour, parce qu'il peut désormais, après tant d'années de luttes et
d'efforts, assurer le rayonnement de la culture dont il se réclame, le
Canada français, se présentera particulièrement sur cette terre d'Amé-
rique, comme une source où d'autres viendront puiser. Encore im-
porte-t-il de bien préciser que le Canada français ne se limite plus à
la seule province de Québec, même si cette dernière continue d'être le
principal foyer de la culture française hors de France. Un million de
FIDELITE FRANÇAISE 19
Canadiens français vivent en dehors de la province de Québec, au
Canada même. Ils ont les mêmes droits et les mêmes devoirs que ceux
des rives du Saint-Laurent. Rien n'empêche les Franco-Américains
de se tourner vers eux, comme vers nous, au besoin.
Sans doute, il est malheureusement arrivé que Canadiens français
et Franco-Américains ne se sont pas toujours bien compris. La chose
peut se produire de nouveau. Mais l'incompréhension est presque tou-
jours le fruit de l'ignorance et nous ne manquons pas de moyens, des
deux côtés de la frontière, pour empêcher l'ignorance de se répandre,
de se prolonger. Les causes de division ne font pas défaut entre les
deux groupements mais combien plus nombreuses encore les raisons
qu'ils ont de s'unir, de se rapprocher, de mettre certaines de leurs forces
en commun pour sauver, pour accroître ce qu'ils ont de plus cher!
Il est évident que la province de Québec, pour m'en tenir à elle,
exerce de plus en plus d'attrait sur les Canadiens de langue anglaise et
sur les citoyens des Etats-Unis. Que les uns et les autres y viennent
d'abord en touristes curieux; personne ne le conteste. Mais combien,
parmi ceux qui sont partis à la recherche d'un beau paysage, d'un cadre
pittoresque, voient leur intérêt s'étendre aux valeurs que les hommes
représentent! Et combien aussi demandent à cette province de Qué-
bec de leur réapprendre le vrai sens de la vie qu'ils ont perdu ! Pour-
quoi, lorsqu'il ne s'agit plus de retrouver, mais de maintenir ou d'ac-
croître les meilleurs éléments qui font la culture d'un peuple, les Fran-
co-Américains ne pourraient-ils pas compter sur la province de Québec,
sur le Canada français tout entier?
Le Canada est une terre privilégiée, et plus particulièrement peut-
être le Canada français dont, au lendemain de la béatification de Mar-
guerite Bourgeoys, le Pape Pie XII a dit "Non fecit taliter omni na-
tioni." Mais parce qu'il a beaucoup reçu, le Canada français doit
être prêt à donner beaucoup. Et s'il existe des êtres qui ont droit de
demander et de recevoir beaucoup de ce même Canada français, de
cette province de Québec d'où la plupart sont venus, ce sont les Franco-
Américains.
L'un des nôtres, pour qui notre entrée dans l'union américaine
ne faisait pas de doute, Edmond de Nevers, a un jour écrit que la
force des Canadiens des Etats-Unis — c'était il y a plus d'un demi-siècle
— résidait dans le patriotisme ardent, actif et pratique de son élite
intellectuelle, de sa classe dirigeante, prêtres et laïques. A vous de dire,
Mesdames, Messieurs, si le même témoignage pourrait être ou non
rendu aujourd'hui à votre élite, à toute votre élite. Quelle que soit
votre réponse, il est certain que vous ne pouvez pas seuls défendre et
accroître les valeurs spirituelles dont vous avez besoin, dont la nation
à laquelle vous appartenez a aussi besoin, dont notre monde chrétien
ne saurait se passer; pas plus que nous le pouvons seuls, de l'autre côté
20 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
de la frontière. Aussi bien, ne puis-je que vous encourager, en termi-
nant, à regarder de plus en plus vers nous pour prendre chez nous ce
que nous avons de meilleur à vous offrir. Et ce n'est pas en agissant
de la sorte que vous négligerez vos premiers devoirs de citoyens des
Etats-Unis. C'est au contraire en restant eux-mêmes, en ne refusant
aucun effort, aucune collaboration loyale, aucun sacrifice, pour con-
server leur individualité propre, que les Franco-Américains serviront le
mieux la cause de leur pays qui n'est pas loin d'être en ce moment, sous
certaines réserves mineures, la cause de la civilisation chrétienne. Et
c'est ainsi également qu'ils donneront un sens aux paroles prononcées
en janvier de cette année, devant le Congrès, par le président des
Etats-Unis: "We work for a better life for ail, so that ail men may
put to good use the great gifts with which they hâve been endowed by
their Creator. We seek to establish those material conditions of life in
which, without exception, men may live in dignity, perform useful
work, serve their communities, and worship God as they see fit."
Allocution du président
Présentation du conférencier
Au lendemain de ses brillantes fêtes cinquantenaires, la Société
Historique Franco-Américaine est heureuse de saluer ses invités et ses
membres en cette 51e réunion annuelle. Elle adresse à tous la plus
fraternelle bienvenue.
Nous voulons de suite féliciter chaleureusement M. le consul
général Albert Chambon, dont le poste vient d'être élevé à une haute
distinction, grâce à l'importance que M. Chambon a su donner au
consulat français, à Boston. Nous associons également à nos félicita-
tions, la personne de M. le Consul Paul-André Beaulieu, du Canada.
Ces deux grands amis ont toujours leur place réservée à notre table
de famille. Ils complètent avec nous cette merveilleuse trilogie, qui se
partage en terre américaine, le rayonnement français.
Et puisque nous sommes dans le domaine des hommages, la Société
veut ce soir honorer d'une façon toute particulière Mgr William Dra-
peau, P.D., curé de la paroisse St-Jean-Baptiste de Lynn, que les
autorités romaines viennent de revêtir des insignes de la prélature.
Mgr Drapeau est un fervent et un membre fidèle de la société. En
plusieurs circonstances, il a contribué à ses travaux. Nous aimons à
saluer en lui le pasteur franco-américain sincère et distingué, qui a
toujours montré un dévouement indéfectible à notre culture, un véri-
table apôtre de nos oeuvres. Félicitations, hommage et longue vie à
ce distingué compatriote-prélat.
La SHFA depuis sa fondation a su maintenir hautement à l'hon-
neur, une belle tradition, celle d'accueillir à sa tribune des ambassa-
FIDELITE FRANÇAISE 21
deurs remarquables de la pensée française. La puissance éducatrice de
l'histoire est une discipline qui ne peut pas échapper à l'esprit sérieux.
Pour nous, nous savons, comme on l'a écrit "que le rapport de la tradi-
tion, c'est la condition même de la vraie liberté d'esprit, du progrès
par conséquent". Aussi, sommes-nous toujours anxieux de nous plon-
ger dans le passé glorieux de nos pères, afin de fortifier nos convictions
de survie, en les illuminant de leur valeur civilisatrice. N'est-ce pas
cela l'histoire, qui nous transmet l'expérience héréditaire, que le présent
dispose et lègue aux générations à venir. C'est à ce contact humanisant
que nous pouvons fortifier nos notions en les adaptant aux exigences
de l'heure.
Ce soir il nous est donc particulièrement agréable de saluer la pré-
sence de l'une des plus brillantes figures du Canada français, M. le
Ministre Jean Bruchési, sous-secrétaire de la Province de Québec,
historien de marque, homme de plume, de large envergure et de pensée.
Depuis bientôt 25 ans, sa carrière dans les lettres a été une ascension
perpétuelle.
M. Bruchési nous en voudrait peut-être, de nous attarder trop
sur sa personne. Mais nous voulons, tout de même, souligner sa
réputation d'écrivain et d'historien. Déjà une dizaine de ses ouvrages
ont connu de véritables succès de librairie. Ses premiers "Coups,
d'Ailes", (1922) péchés de jeunesse en poésie, lui ont donné une envo-
lée fulgurante, qui le place au nombre des plus belles plumes de notre
génération. Mentionnons son "Histoire du Canada pour tous", en
deux tomes, deux fois couronnée par l'Académie française et qui se
devrait trouver dans tous nos foyers. Son "Epopée canadienne" d'un
ton plus léger mais non moins captivant.
Mais c'est surtout dans son récent ouvrage "Canada, réalités d'hier
et d'aujourd'hui" que M. Bruchési s'est révélé et fixé comme le véri-
table interprète de l'histoire de son pays. Cet ouvrage, fruit d'une
série de cours, donnés à la Sorbonne de Paris en 1948, ira loin pour
faire connaître sous son vrai jour le Canada, avec les problèmes com-
plexes de ses deux cultures. Il faut féliciter M. Bruchési d'avoir avec
courage souligné tous les aspects de l'éternel problème avec une objecti-
vité de grand historien. On nous apprend également, que M. Bruchési
assistera tout prochainement à Toronto au lancement de l'édition an-
glaise de son ouvrage. C'est, à la vérité, un hommage considérable
que lui adresse le public anglais.
Et s'il fallait encore résumer les nombreuses études sur l'histoire
politique, le droit international, l'histoire religieuse, l'éducation, c'est
toute une série des meilleurs revues sans oublier les Cahiers des Dix
qu'il faudrait consulter pour mesurer la vaste érudition de l'écrivain,
avec sa prose toujours limpide, serrée, parfois délicieusement imagée
et de la plus pure facture française.
Cette information considérable, c'est par un travail acharné qu'il
l'accumule depuis le professorat aux universités de Montréal et Laval,
22 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
sa collaboration à nombre d'oeuvres qu'il dirige ou qu'il appuie avec
un dynamisme remarquable. C'est ainsi que nous le retrouvons à la
présidence d'organismes culturels et scientifiques de la plus haute enver-
gure, la Société Royale du Canada, l'Association Canadienne-française
pour l'avancement des Sciences, la Société des Ecrivains Canadiens
Société Canadienne d'Enseignement post-scolaire, l'Institut Canadien
de Québec, etc. etc.
Et combien de voyages en Europe, alors que M. Bruchési reçoit
des citations et décorations, qui attestent la valeur de ses écrits et l'in-
fluence de ses enseignements. Depuis 1937, il est sous-secrétaire de la
province de Québec, poste véritablement stratégique, qui lui permet
encore d'exercer tous ses talents au profit de notre rayonnement fran-
çais partout au Canada et par delà les mers.
En voilà bien assez pour justifier éloquemment les doctorats et
titres honorifiques que porte M. Bruchési et qui sont autant de témoi-
gnages adressés à tous ses frères, en plus de faire briller dans sa véri-
table lumière française la belle réputation de notre illustre conférencier.
Je m'arrête, car c'est bien M. Bruchési que nous voulons entendre
ce soir. Il nous apporte certainement une étude qui va nous charmer,
et réchauffer nos coeurs "Fidélité Française" . En préfaçant son récent
ouvrage, M. l'académicien Etienne Gilson, notre commun ami, écrivait:
"l'auditoire parisien qui l'a si fidèlement suivi à la Sorbonne, n'oubliera
pas le maître canadien dont la parole ferme, élégante, toujours pleine
d'allant, d'humour, et parfois de poésie, l'a tenu sous le charme, au
printemps de 1948. Un Canadien parlait du Canada. Engagé tout
entier dans son sujet, animé d'un profond amour pour son pays, il avait
le coeur chaud et la tête lucide. Comment des Français ne l'eusent-ils
pas écouté .... '."
Voilà MM. ce frère aimé d'outre frontière que nous avons la
joie d'accueillir ce soir. M. Bruchési nous apporte son coeur bien fran-
çais. Il vient réconforter le nôtre. J'ai l'honneur de le confier à votre
admiration
* # *
Il est un autre privilège, réservé au président, c'est celui de remet-
tre, d'après une louable tradition, le diplôme de "Membre d'Honnevr"
de la société au conférencier invité.
Sans doute, Monsieur le Ministre, ce modeste parchemin ne de-
mande pas la première place au milieu des nombreuses distinctions qui
honorent votre personne! Il est cependant la preuve, que votre nom
est maintenant inscrit au livre d'or de la société, et il atteste, que votre
passage parmi nous vient forger un autre chaînon dans l'affection et
l'entr'aide qui doivent unir tous les coeurs français, de chaque côté
de la frontière. Désormais, vous êtes l'un des nôtres, par le coeur et
la pensée, et la Société Historique Franco-Américaine n'aura pas connu
de bienfaiteur plus ilustre!
II
Remise de la médaille "Grand Prix" *
(Séance du 31 mai)
Comme conséquence immédiate et résultat heureux de son jubilé,
la Société Historique Franco-Américaine a voulu déposer sa gratitude
sur quelques-uns de ses ouvriers les plus appréciés. Pour ce faire, elle
a retiré de ses armoires la cassette de ses grandes récompenses et en
cette circonstance elle se sent honorée de remettre sa "Médaille
Grand-Prix" aux lauréats suivants, ayant fait graver leur nom au
verso de cette médaille de bronze, oeuvre de notre regretté sculpteur
Lucien Gosselin, comme symbole de leur précieuse collaboration et de
leur mérite bien reconnu.
Abbé F. X. Larivière
Avec la modestie évangélique que nous lui connaissons, l'abbé
François-Xavier Larivière ne s'est jamais considéré comme écrivain et
encore moins historien. Cependant, depuis 38 ans au moins, s'il y a eu
un compatriote qui a enregistré dans son âme d'apôtre "de visu et au-
dit u" plus d'émotions et de souvenirs de vie franco-américaine que ne
le fit ce vénéré curé, il a certainement échappé à notre observation.
Il a simplement été de toutes nos fêtes et de toutes nos entreprises.
Nous le considérons un peu comme le "grand accotoir de nos oeuvres".
Jolliétain et Marievillois de formation, le vénéré curé de Sainte-
Marie de Marlboro fut professeur durant la première décade de sa vie.
Il le serait peut-être encore ou nous apparaîtrait comme un prélat dis-
tingué si le destin avait respecté son premier choix.
Prêtre zélé et véritablement bon pasteur, il s'occupera dès son arri-
vée parmi nous, en 1912, de nos gestes de vie franco-américaine. Il
voudra s'y mêler intimement avec tout son coeur et ses largesses.
Son extérieur paternel lui gagnera la confiance générale et sans
tapage il cumulera les aumôneries de nos grandes oeuvres, toujours
pour verser, sans réserve, à tous leurs ressortissants les fruits de sa vie de
prière et de prudence. On le dirait déjà un pontife fixé dans le bronze
avec le regard bienveillant toujours rivé sur le rayonnement de notre
vie française.
Il sera tour à tour aumônier de l'ancienne Fédération Catholique
Franco-Américaine, puis il deviendra chapelain diocésain pour Boston
de l'Union Saint Jean-Baptiste d'Amérique. En 1923 il est nommé
aumônier-fondateur du Cercle des Etudiants F.-A. à Boston. Depuis
cette date, il n'a pas cessé d'inviter sous son toit accueillant tous ces
jeunes privilégiés de la vie universitaire.
* Avant la remise, M. le président fit l'éloge de chaque récipiendaire.
24 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Mais son plus grand titre à notre affection, c'est qu'il s'est consti-
tué en quelque sorte l'aumônier historique de notre société sans mandat
réglementaire, mais déployant une hospitalité légendaire auprès des
officiers qui jouissent pendant de nombreuses années de son toit pour
leurs délibérations. Le presbytère Sainte-Marie de Marlboro est ainsi
devenu le chef-lieu du secrétariat de la société où nos historiens man-
gent bien.
L'abbé Larivière porte allègrement ses 73 ans. Originaire de
Saint-Jude, au Québec, où il naît le 30 janvier 1877, il est entré dans
la lignée de nos apôtres et la Société Historique s'honore véritablement
en lui décernant son Grand Prix comme gage de sa profonde admira-
tion et de son indéfectible attachement à la personne de ce prêtre
vénéré.
Au nom de la Société Historique Franco- Américaine, j'ai l'honneur
de vous présenter, Monsieur l'abbé François-Xavier Larivière, la
"Médaille Grand-Prix" en vous remerciant de l'accepter.
M. le juge Arthur Eno
Le barreau et la magistrature se partagent la carrière brillante du
juge Arthur-Louis Eno depuis 1914. Il ne quittera jamais Lowell qui
le vit naître en 1892 sauf durant les années de sa cléricature et de son
service militaire durant la première guerre mondiale.
Mais c'est l'amour de l'histoire qui développa chez notre futur
magistrat le sens du bibliophile. Au cours des ans, il entassera autour
de lui, dans son foyer, des centaines et des centaines d'imprimés et de
volumes rares. Il se fera même relieur pour ses fins propres et cela
non sans succès.
Ses activités seront multiples et variées. Membre et officier de
plusieurs associations du barreau, il occupera également des postes
civiques de confiance. Dans la franco-américanie, il prêtera son dé-
vouement à une foule de mouvements souvent pour les diriger ou leur
assurer la formule du succès. C'est ainsi que les Amicales, la Fédéra-
tion des Amicales des Maristes, la CMAC de Lowell, les grandes socié-
tés mutuelles, la Caisse Populaire Jeanne-d'Arc, l'Orphelinat F. -A.,
les Scouts, l'Institut Français de Washington et l'Alliance Française
de Lowell dont il sera le président fondateur et nombre d'autres asso-
ciations se disputeront le prestige de sa haute influence et de son inlas-
lable collaboration.
Le succès d'une carrière aussi bien remplie le portera tout natu-
rellement au banc du prétoire de la Cour du District Middlesex du
Massachusetts où il se dépense depuis.
Durant ses loisirs, le juge Eno n'a pas cessé d'approfondir son
érudition sur l'influence française au pays. Il voulut même recueillir
REMISE DE LA MEDAILLE "GRAND PRIX" 25
certains faits utiles à notre histoire. Lors du cinquantenaire du journal
de Lowell, "L'Etoile", il publiera "Les Avocats Franco-Américains de
Lowell" (1886-1936) et plus tard en 1940 "French Trails in the United
States" , un travail présenté devant la Société Historique de Lowell.
Me Eno est au nombre des grands amis de la société. Pendant
près de 20 ans il en fut le grand ''argentier" et l'on peut même affirmer
qu'il lui permit de vivre avec une caisse toujours assez bien garnie, ce
qui est assez rare pour un organisme de ce genre. Nous l'avons donc
admiré dans son travail soutenu, se dépensant sans relâche à des beso-
gnes de routine pour assurer le succès des réunions et le fonctionnement
même de la société. La Société lui doit donc plus qu'un hommage.
D'ailleurs la France et le Canada reconnurent un jour son mérite.
En 1938, il était nommé Officier d'Académie par le Gouvernement de
la République Française et à l'occasion du Troisième Centenaire de
Montréal, l'Université de Montréal le comptait au nombre des réci-
piendaires des doctorats honorifiques.
Le juge Eno a toujours honoré ses compatriotes partout. Père de
famille exemplaire et chrétien solide, il fait respecter en tout lieu notre
esprit français. C'est avec une satisfaction bien évidente que la So-
ciété Historique Franco-Américaine lui décerne l'insigne de sa Médaille
Grand-Prix. C'est avec joie M. le juge Eno que je vous la présente.
M. Adolphe Robert
Dans la personne de M. Adolphe Robert, de Manchester, nous
voulons surtout saluer le prince des lettres en franco-américanie. Joliet-
tain taillé en français jusqu'à la moelle, c'est du meilleur acier qu'est
trempée sa plume alerte et vivante. C'est parce qu'il honore haute-
ment notre littérature que la Société Historique veut s'honorer de son
prestige en inscrivant son nom sur la liste de ses lauréats.
Né dans le comté de Joliette en 1886, Adolphe Robert a conservé
un culte prononcé et vraiment touchant pour sa petite patrie, la terre
paternelle, où depuis 1818 un descendant de Pierre Robert tient feu
et foyer. Il y retourne volontiers et souvent pour y respirer le grand
air des ancêtres. Ce sera l'une de ses premières préoccupations, écrire
l'histoire de sa famille en 1919. Il remaniera définitivement cette
étude généalogique pour la publier en 1943, sous le titre de "Louis
Robert et Ses Descendants" .
En fils de terrien reconnaissant, il écrira de l'histoire de sa famille
qu'elle ne présente guère de coups d'éclat. "Tous n'ont qu'une devise,
ajoutera-t-il, servir". C'est bien celle que nous voulons inscrire au listel
de la carrière de notre distingué collègue "servir la grande cause de
notre vie catholique et française en Amérique."
C'est dans le journalisme qu'Adolphe Robert débutait en 1907
au sortir du collège. Journaliste dans l'âme, il le demeurera toute sa
26 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
vie et encore aujourd'hui lui faut-il à l'occasion sentir la sueur de l'huile
et du plomb, jouir du bruit des presses pour satisfaire sa ferveur de
jadis.
Affable, débonaire, doux et sensible aux fortes amitiés, partout
Adolphe Robert se fait des amis nombreux. C'est qu'on ne peut pas
s'imaginer derrière se regard bienveillant la moindre malice et
pourtant à son heure, il ne manque pas de vigueur ni de détermination.
Ses fonctions de journaliste tantôt à New-Bedford, à Fall-River,
à Woonsocket et à Manchester le mettent en relations intimes avec plu-
sieurs grands organismes franco-américains. Il développe vite un atta-
chement profond et sincère pour ces oeuvres au point de devenir le
secrétaire par excellence de plusieurs, soit de l'Association Catholique
de la Jeunesse Franco-Américaine, de la Fédération Catholique Franco-
Américaine et de l'Association Canado- Américaine en 1920 pour en
être le président actif depuis 1936.
Et durant ces dernières quarante années M. Robert a beaucoup
écrit et des choses délicieuses, des pages vraiment belles et de grande
tenue littéraire. Il lui faudra un jour comme il lui a été souvent sug-
géré faire le choix de ses meilleures pages pour en dresser un volume
imposant et certainement très précieux.
Son "Mémorial des Actes de l'Association Canado- Américaine"
publié en 1946 nous le révéla chroniqueur averti et très vivant. Ses
nombreuses conférences, discours et études critiques comme son "Henri
D'Arles" , ses "Ecrivains Jollietains", "La Survivance de l'Esprit fran-
çais aux Etats-Unis", "Ils ont agrandi la patrie", ses présentations, récits
de voyages, allocutions de fêtes, portraits et tableaux sont autant de
sujets où il exerça avec un brillant succès sa plume toujours sobre, ex-
quise et bien française.
Sur un plan plus vaste M. Robert sera encore auprès des universités
du pays le propagateur écouté de la vie française. Il sera l'un des prin-
cipaux artisans de la section française de la Modem Language Asso-
ciation.
En plus d'être un mutualiste fervent et éclairé ce qui l'inspirera
à fonder l'Union des Mutuelles-vie françaises en Amérique, secteur du
Conseil Supérieur de la Coopération, qui lui accordera "l'Ordre du
Mérite Coopératif', M. Robert est un des membres les plus écoutés du
Comité de la Survivance Française en Amérique. Il deviendra aussi
président fondateur de cet important organisme de coordination qu'est
le Comité d'Orientation Franco-Américaine. Il présidera les assises du
Centenaire de la Franco- Américanie en 1949.
Membre de plusieurs autres sociétés culturelles et intellectuelles
de chaque côté de la frontière, M. Robert veut toujours servir et il
sert généreusement les nobles causes qu'il épouse.
REMISE DE LA MEDAILLE "GRAND PRIX" 27
Une carrière aussi féconde et aussi entièrement consacrée au même
idéal de vie française ne pouvait pas passer inaperçue. En plus de la
haute estime et de la profonde affection que lui gardent ses nombreux
admirateurs, la France lui remettra la Croix de la Légion d'Honneur
et la République d'Haïtie son diplôme Honneur et Mérite de l'Ordre
National.
En 1937, l'Université Laval lui décernait un doctorat honorifique
"ès-lettres" et il y a à peine quelques jours l'Université de Montréal lui
présentait à son tour un doctorat honorifique d'université.
Il tardait donc à la Société Historique de compter M. Adolphe
Robert au nombre de ses lauréats distingués et c'est avec une satisfac-
tion toute particulière, qu'en cette circonstance, je lui remets la Médaille
Grand Prix avec les hommages bien mérités de ses confrères dans la
société dont il fut un conseiller et reste l'un des membres les plus dé-
voués.
Me Eugène-Louis Jalbert
Epris du souci de fonder un foyer où sa famille jouirait des com-
forts dont le destin l'avait privé auprès d'une mère admirable, restée
veuve avec des jeunes enfants, en s'acquittant admirablement de cette
tâche, Me Jalbert a cependant beaucoup donné de sa vie et de ses
talents pour honorer notre culture française aux Etats-Unis. Ses
compatriotes reconnaissent en lui un apôtre de la bonne entente qui
voudrait unir tous ses frères dans une même pensée d'action au service
de nos oeuvres.
Originaire du Rhode-Island où il naquit en 1885 à Artic Centre,
Me Jalbert reçoit les premières empreintes de sa formation dans les
collèges du Québec. En 1909, diplômé de la Boston University, il
s'installe à Woonsocket où il pratique le droit avec un succès croissant
depuis 40 ans.
Si nous exceptons les postes civiques et politiques qu'il remplira
et les présidences de la Fédération Catholique Franco-Américaine, du
Comité France-Amérique, du barreau de Woonsocket, c'est surtout au
sein de nos grandes sociétés de vie française qu'il se dépense encore
actuellement avec la même ferveur de ses jeunes ans.
Avocat-conseil de l'Union Saint Jean-Baptiste d'Amérique où il
exerce une influence considérable, membre fondateur du Comité de la
Survivance Française en Amérique, l'un des grands artisans du Cente-
naire Franco-Américain à Worcester, Me Jalbert est incontestablement
de la lignée de nos chefs attitrés. Il croit foncièrement à notre mission
culturelle sur ce continent et il a consacré son âme et sa haute et bril-
lante culture à son rayonnement.
28 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Pour récompenser tant de labeurs, la France en 1935, le créait
Chevalier de la Légion d'Honneur et en 1942 l'Université Laval lui
décernait un doctorat honorifique en droit.
On pourrait presque appeler sa carrière jusqu'ici "un quarantenaire
de vie franco-américaine". Sa profession d'avocat et une clientèle con-
sidérable ne l'empêcheront pas de mener de front entreprises textiles et
même campagnes politiques car notre collègue aime la lutte sur tous les
fronts. Il se prêtera encore presque sans réserve à toutes les demandes
comme orateur de circonstance très éloquent ou encore comme brillant
maître de cérémonie à quantité de grandes manifestations franco-amé-
ricaines. Il se crée une enviable prestige de légiste et d'orateur.
Une carrière aussi débordante, sans répit, n'accorda jamais à Me
Jalbert le temps et le loisir de mettre la dernière touche à ses écrits.
Il n'a jamais rien publié, mais s'il lui fallait retirer des revues, bulletins,
journaux et de ses cartons personnels la collection des allocutions et
discours qu'il a prononcés, nous parrions qu'il en formerait un intéres-
sant volume qui passerait fièrement à la postérité. Il nous doit peut-
être cet effort. Une vie aussi totalement enchâssée dans le cadre des
valeurs spirituelles inclinait tout naturellement Me Jalbert à se faire
le propagandiste des retraites fermées dans son pays. Ses collègues lui
sauront gré de cet apostolat.
En 1946, malgré ses nombreuses occupations, il accepte la prési-
dence de nôtres ociété. Il préside avec grande distinction les fêtes du
cinquantenaire.
La Société se devait d'honorer l'un de ses plus chers serviteurs.
Elle le fait avec empressement en lui décernant sa Médaille Grand
Prix. Pour des raisons valides, Me Jalbert reçoit "in absentia" cette
décoration.
(Séance du 29 novembre)
Me Henri Ledoux
Seul membre fondateur vivant
La SHFA veut accomplir, ce soir, un devoir bien agréable, celui
de remettre solennellement, à son unique membre fondateur vivant la
médaille de son "Grand Prix". C'est un peu avec une arrière-pensée que
les officiers ont voulu associer ce geste au lendemain du cinquantenaire,
afin de rattacher le passé aux espérances de l'avenir. Et quel plus beau
symbole de persévérance, les membres pouvaient-ils se proposer, en ce
faisant, qu'en honorant ainsi la personne distinguée de leur collègue
jubilaire, Me Henri Ledoux, de Nashua.
Il est vrai, que la carrière si remplie de Me Ledoux, ne lui a peut-
être pas permis de verser aux archives de la société des écrits trop
REMISE DE LA MEDAILLE "GRAND PRIX" 29
nombreux, mais les cinquante années, au moins, de son dévouement à
la survivance française aux Etats-Unis, sont en elles-mêmes un formi-
dable dossier que nous voulons évaluer à sa juste valeur.
Comme président de l'Union St- Jean-Baptiste d'Amérique, duran*
34 ans, Me Ledoux a été un infatigable missionnaire de la pensée fran-
çaise sur ce continent. Nous pouvons retracer son influence, dans à
peu près toutes les initiatives de la franco-américanie. Très tôt, dans
sa carrière d'avocat, il renonça peut-être à une très brillante situation,
afin de se consacrer uniquement à l'avancement des siens. C'est ainsi
qu'il acceptait, en 1911, la direction d'une mutuelle assez modeste pour
la quitter, en 1946, après l'avoir solidement fixée au rang de la plus
grande société franco-américaine au pays.
Et c'est encore, au sein de toutes les grandes entreprises de la race,
que nous le voyons dépenser ses talents d'orateur et d'organisateur, tou-
jours avec prudence et sincérité, pour le progrès des siens et cela dans
tous les domaines. Que d'oeuvres et d'organismes ont reçu son appui
et bénéficié de ses lumières! Il sera l'un des artisans les plus écoutés
des deux Congrès de la langue française, à Québec, la Fédération Ca-
tholique franco-américaine le comptera au nombre de ses présidents
dynamiques, la SHFA le verra également parmi ses membres et direc-
teurs, les plus fidèles et intéressés. C'est que toute la vie de Me
Ledoux fut enveloppée du souci indéfectible de faire rayonner l'héri-
tage français.
Enfin, nous retrouvons son nom partout dans nos avnales, toujours
à la tâche, versant sans réserve le fruit de sa longue et précieuse expé-
rience. Quelques-uns de ses amis, se sont même demandés, si, au cours
de ses agréables croisières sous tous les soleils de l'univers, il ne trouve-
rait pas le temps de rédiger quelques-uns de ses souvenirs pour les con-
fier à la postérité. Ce serait, sans doute un précieux service qu'il offri-
rait à ses compatriotes. Car, dans l'histoire, les voix éteintes sont
celles qui parlent toujours à la postérité.
En tous cas, la franco-américanie et plus particulièrement la SHFA
se plaisent à reconnaître en Me Ledoux, l'une des plus intéressantes et
des plus attachantes figures de notre siècle. Et c'est une merveilleuse
occasion pour nous tous de lui traduire notre admiration par ce geste
bien fraternel, pour les innombrables attentions qu'il a prodiguées à la
vie française sur le continent.
D'ailleurs, cet hommage de reconnaissance lui a déjà été signifié
bien des fois. En plus d'être Membre d'Honneur de la plus puissante
société qu'il a si loyalement servie, la France lui décernait jadis les
palmes d'Officier de l'Instruction Publique et plus tard, la Croix de
la Légion d'Honneur. Les universités Laval et de Montréal, à leur
tour, lui conféreront des doctorats honorifiques, et en octobre dernier,
le Comité de la Survivance française en Amérique l'inscrirera sur son
30 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
livre d'or, en le nommant Officier de l'Ordre de la Fidélité, le plus
grand honneur français conféré en Amérique. Vous pouvez compren-
dre, avec quelle fierté, votre humble président assistait à cette émou-
vante cérémonie qui se déroulait au grand salon de l'Université Laval.
C'est en cette circonstance que Me Ledoux, toujours, le fidèle défenseur
de la vie française aux Etats-Unis déclarait avec une vibrante sincérité:
"le succès, au cours d'un passé de plus de cent ans, dans des conditions,
aux premiers jours, les plus tristes, jours où les émigrés de la vieille
province étaient pauvres, sans organisations, sujets à l'effort puissant
d'assimilateurs en haut lieu, ce succès nous donne le droit d'espérer et
d'avoir confiance en l'avenir. S'il est vrai, ajoutait-il, que la langue
française disparaît en certains milieux, par l'indifférence des parents,
la majorité, oui, l'immense majorité des Franco- Américains croit encore
que la langue est la sauvegarde de la foi. Ils veulent qu'elle soit ensei-
gnée dans leurs écoles, ils veulent l'entendre, le dimanche dans leurs
églises. Forts d'avoir pu survivre aux jours de peine et de labeurs,
orgueilleux de leurs institutions d'aujourd'hui, ils avancent, comptant
sur votre précieux concours, le front haut, remplis de courage, vers des
jours plus fortunés, vers les destinées que la Divine Providence réserve
à ceux qui livrent le bon combat."
N'avons-nous pas là M. M. le langage d'un véritable chef, le testa-
ment spirituel d'un apôtre indéfectible qui invite la relève à de généreux
exploits! Voilà donc pourquoi, la SHFA, à la suite de tant d'organis-
mes distingués, est heureuse, ce soir, de remettre à ce vaillant ouvrier
de notre vie française, enchâssé dans cette médaille symbolique, l'hom-
mage de son admiration et de sa profonde affection.
J'ai donc l'honneur, M. M. en votre nom, de remettre à Me Henri
Ledoux, membre fondateur, la plaque de bronze du "Grand Prix" de
la Société Historique Franco-Américaine.
Réponse de Me Henri Ledoux
Je remercie le Bureau de la Société Historique de la Nouvelle-
Angleterre de m'avoir décerné la Médaille Grand Prix de la Société.
Dans sa lettre du 8 octobre, Monsieur le Secrétaire donnait deux rai-
sons justifiant la décision du Bureau. L'une était pour reconnaître
les services éminents que j'ai rendus aux Franco-Américains. Je ne sais
si l'adjectif éminent est bien justifié. J'ai tâché depuis le mois de
juin 1893, de faire quelque chose, à l'occasion, afin d'aider, contribuer
ma faible quote-part à la conservation ethnique de mes compatriotes.
C'est à peu près tout.
L'autre raison était que cette Médaille m'était décernée à titre
d'unique survivant parmi les fondateurs de la Société. J'admets que c'est
vrai; et en même temps c'est bien quelque chose que de pouvoir sur-
REMISE DE LA MEDAILLE "GRAND PRIX" 31
vivre, et cela au cours de nombreuses années. J'en remercie la Divine
Providence tous les jours.
Disparus, tous ces amis, ces sincères et zélés franco-américains,
qui, en 1899, se réunissaient pour jeter les bases d'une nouvelle asso-
ciation, bien différente des sociétés de secours mutuel et des clubs, déjà
nombreux en Nouvelle-Angleterre.
Le but de cette association était principalement de réunir un
certain nombre de franco-américains dispersés en Nouvelle-Angleterre
et qui avaient peu d'occasions de se rencontrer. Ils devaient au cours
d'agapes fraternelles et périodiques, entendre de la bouche de person-
nes autorisées, des conférences sur l'histoire franco-américaine et cana-
dienne-française et ainsi contribuer à tenir en éveil l'orgueil d'un passé
glorieux, trop souvent inconnu et maintenir dans leurs âmes le souvenir
de nos origines, des faits et gestes des ancêtres.
Une succession admirable d'administrateurs a su conserver aux
membres un intérêt constant et aujourd'hui à l'aurore de la cinquante-
deuxième année de son existence, la société historique resplendit de tout
l'éclat, de toute la vitalité de ses premières années. Elle compte bien,
j'en suis convaicu, continuer encore, au cours de longues années, ses
réunions intéressantes, instructives, ses joyeuses rencontres d'amis fran-
co-américains et contribuer pour longtemps sa quote-part à l'organisa-
tion franco-américaine, à la conservation chez nous, de la foi, de la
langue, de traditions ancestrales.
Ad Multos et Faustissimos Annos.
III
Etudes
(Séance du 31 mai)
Allocution du président
Encore sous le charme et l'éclat des brillantes fêtes cinquantenai-
res, nous inaugurons ce soir une nouvelle étape dans la vie de notre
société. Espérons qu'elle portera des fruits aussi précieux et abondants
que les gerbes déjà déposées dans nos archives.
Il est certainement dans l'ordre d'enregistrer en ce moment un
hommage de vive gratitude envers ceux qui ont préparé et exécuté si
magnifiquement les fêtes jubilaires de décembre dernier. En eux
également nous voulons saluer et remercier tous ceux qui ont permis
à la société de cheminer sa voie depuis la fondation.
Avec l'approbation unanime du bureau, la Société, comme il vous
l'a été signifié, songerait désormais à consacrer l'une des deux séances
de l'année plus spécifiquement à l'étude de notre histoire pour justifier
sa raison d'être.
A une récente réunion conjointe de la American Historical Asso-
ciation et de la American Catholic Historical Association, tenue ici à
Boston, une séance était entièrement consacrée à notre histoire, sans
doute comme conséquence de la publicité autour de notre centenaire,
l'an dernier, à Worcester. Même s'il faut enregistrer certaines réserves
sérieuses sur les jugements formulés en cette circonstance, il a été évident
pour plusieurs d'entre nous que notre histoire offrait des pages passion-
nantes même pour les étrangers. Nous ne devrions pas être les pre-
miers à la négliger.
D'ailleurs, il ne s'agit pas de vouloir éclipser nos devanciers. Nous
avons déjà dans nos archives et dans les pages de notre bulletin un riche
butin. Par une adaptation nouvelle et plus poussée la Société veut
donc reprendre ce travail en profondeur et faciliter davantage l'explo-
ration de nos archives, l'étude de nos gestes afin de fixer dans leur cadre
respectif les principaux événements qui ont tissé le récit de notre pré-
sence ici au pays.
Un jour, un maître, et espérons qu'il sera des nôtres, tracera cer-
tainement la synthèse de notre histoire pour la situer dans la grande
mozaïque du nouveau monde. Elle fournira des nuances et des ondu-
lations précieuses. Entre temps, il faut que des ouvriers recueillent
lentement et patiemment la matière pour en préparer les pierres. Sans
doute, ces efforts ne sont pas nécessairement d'une valeur définitive
mais ils indiquent à leur heure le filon que devront suivre les grands or-
donnateurs.
ETUDES 33
Une société historique n'est pas constituée uniquement d'historiens
ou de spécialistes en recherches ou en fouilles. Elle compte surtout
des amis de l'histoire et parfois des mécènes. Aussi en groupant toutes
ces sympathies, elle peut favoriser la préoccupation de conserver les
trésors communs en surveillant les dépôts d'archives, en les enrichissant
et en marquant du sceau officiel de son autorité les endroits témoins
des principaux faits de cette histoire. De ce zèle naîtront tout natu-
rellement les initiatives qui maintiendront notre société vivante et
agissante. Elles la rendront indispensable à notre rayonnement.
Les nombreux témoignages d'approbation qui ont déjà salué cette
réunion font espérer. Nous avons certainement des coopérateurs pleins
de compétence et de facilité. Il s'agit de les mettre à l'oeuvre sous
cette poussée irrésistible qui enflamme les disciples de la pensée fran-
çaise sur ce continent. Et ils sont nombreux.
Dans le choix des études qui peuvent intéresser nos esprits, la
variété est presque illimitée. Il suffirait de suivre le calendrier de nos
grands anniversaires pour suggérer nombre de sujets captivants.
Pour un premier essai, il nous a paru que certaines tranches de
notre histoire se prêtaient à notre exploration immédiate.
Le centenaire de la franco-américanie que nous avons célébré
avec tant d'éclat, en mai dernier, à Worcester, a provoqué toute une
ressaisie. Il convenait d'en recueillir certaines leçons pour nos archi-
ves. Le centenaire de la première société de bienfaisance, fondée à
New- York en 1850, rappelle la figure, trop peu connue, d'un grand
compatriote, Gabriel Francère, celui de la fondation de l'une de nos
premières paroisses. Saint-Joseph de Burlington au Vermont évoque
à son tour le souvenir de l'un des grands bienfaiteurs de notre vie
catholique et française aux Etats-Unis, Mgr Louis de Goesbriand.
Enfin le cinquantenaire récent de l'Union Saint Jean-Baptiste d'Amé-
rique mettait, sous les yeux de toute la franco-américanie, la valeur
authentique de la mutualité fédérée, comme un indiscutable et indis-
pensable facteur de notre survie.
Ces quatre sujets demanderaient, chacun, une étude approfondie
et d'assez longue haleine. Nous avons demandé à des collègues bien
dévoués et nous voulons les remercier bien sincèrement de nous en
résumer les grandes lignes seulement, quitte à consulter ces études dans
leur texte complet et leur présentation technique dans les pages du
bulletin.
Il restera ensuite la discussion libre sur ces quatre sujets pour satis-
faire la curiosité et l'information des membres et des intéressés. C'est
une forme de symposium qui devrait porter des fruits.
Sans autre présentation, j'inviterai tour à tour le T. R. P. Thomas-
Marie Landry, o.p., M. Adolphe Robert et M. Antoine Clément à nous
communiquer le fruit de leurs labeurs.
34 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Le Centenaire franco-américain de 1949
T. R. P. Thomas-Marie Landry o.p.
Le 1 1 avril dernier, notre président, M. l'abbé Verrette, me de-
mandait par téléphone si j'accepterais de présenter un travail à cette
réunion de la Société Historique Franco-Américaine sur le Centenaire
Franco- Américain de 1949. Travail de 20 minutes, travail d'ordre
purement technique, précisait-il.
J'acceptai spontanément, sans réfléchir que je suis peut-être
l'homme à la fois le mieux et le moins bien placé pour traiter d'un
sujet comme celui du Centenaire de 1949, ayant été mêlé aux événe-
ments d'assez près d'une part, pour savoir à peu près toute la vérité,
et engagé de si près d'autre part, que sur certains points il devienne très
difficile de garder le calme, la sérénité et l'objectivité que requiert
l'histoire.
J'acceptai tout de même et nous voici. Le 30 avril suivant,
notre secrétaire le docteur Gabriel Nadeau, me rassurait en écrivant
"qu'une communication de 15 minutes ou 20 ne peut guère comporter
plus qu'une revue générale des diverses manifestations qui ont eu lieu
à Worcester".
Une revue générale des fêtes du Centenaire de 1949, faite à vol
d'oiseau, portant sur les origines de la fête et sur la célébration elle-
même, voilà tout ce que vous pouvez espérer recevoir et encore, cet
exposé, forcément restreint, demeurera-t-il nécessairement incomplet.
D'ailleurs, M. l'abbé Verrette a déjà promis de faire paraître un
compte-rendu très élaboré des fêtes de ce Centenaire dans "La Vie
Franco-Américaine" de 1949. Je conseille fortement à tous ceux qui
voudraient se renseigner parfaitement à ce sujet de se procurer le
volume dès qu'il paraîtra.
I. Origine du Centenaire
A l'origine des fêtes du Centenaire Franco- Américain de 1949,
il y a M. Antoine Clément, le Comité d'Orientation Franco- Américaine,
la Fédération des Sociétés Franco-Américaines du Comté de Worcester
et le peuple franco-américain tout entier.
Saluons tout d'abord l'inspirateur de ce grand projet, M. Antoine
Clément, rédacteur-en-chef de l'Etoile de Lowell, Mass. Le 24 août
1949, M. Clément lançait l'idée de fêter "le Centenaire Franco-Améri-
cain avec son timbre commémoratif". Disons sans plus tarder que de
timbre américain commémoratif, il ne devait pas y en avoir, ni en 1949
ni en 1950. Mais consolons-nous: par contre, nous aurions deux cen-
tenaires, l'un en 1949 et l'autre en 1950! Revenons exclusivement au
premier. M. Clément soutenait que, parmi tous les centenaires actuel-
ETUDES 35
lement à la mode en terre américaine, "il en est un qui doit prendre sa
place avec éclat en raison de l'oeuvre mémorable accomplie par les
nôtres ici depuis un siècle, et celui-là c'est le Centenaire Franco-Améri-
cain". Ce Centenaire, selon lui, était celui du premier noyautage des
familles canadiennes-françaises émigrées en Nouvelle-Angleterre pour
en faire une paroisse, la première paroisse, "modèle de toutes les pa-
roisses franco-américaines qui ont vu le jour par la suite avec l' afflux
de populations canadiennes-françaises dans les villes devenues grands
centres franco-américains de la région". Ce fait historique s'est pro-
duit entre les années 1838-1850, avec fixation définitive en la fondation
de la paroisse S. Joseph de Burlington, Vermont, en 1850. Dans cet
article de l'Etoile, M. Clément nommait le Comité d'Orientation
Franco-Américaine de même que la Société Historique Franco-Améri-
caine et leur demandait de s'occuper d'organiser la fête. Dans un
liminaire subséquent, publié le 21 septembre 1948, M. Clément révélait
que l'Union S. Jean-Baptiste d'Amérique, par la voix de son Secrétaire-
général, lui avait appris qu'elle avait déjà décidé de s'occuper de l'af-
faire. M. Clément restait cependant fidèle à son premier choix et
nommait de nouveau la Société Historique Franco-Américaine.
D'autre part, le Comité d'Orientation Franco-Américaine, qui
travaillait depuis longtemps à la rédaction d'un Manifeste de Vie
Franco-Américaine, à promulguer éventuellement en quelque circons-
tance solennelle, était saisi à une assemblée de son Bureau, tenue le 15
septembre 1948, de la question suivante: "Faut-il donner suite à la
suggestion lancée par M. Antoine Clément, rédacteur-en-chef de l'E-
toile de Lowell, Mass., de célébrer le Centenaire Franco-Américain et
le Comité d'Orientation doit-il accepter en tout cela le rôle directeur
qu'on veut lui assigner? Le Bureau est d'avis que oui". Et le procès-
verbal de cette assemblée continue: "M. l'abbé Verrette déplore en pas-
sant le peu d'éclat, le peu d'envergure, qui caractérisent trop souvent
les manifestations de la vie de notre groupe. Il propose une grande
démonstration de vie française en 1949 à Worcester, Mass., en marge
de ce Centenaire. M. Lauré B. Lussier demande, appuyé par MM.
Eugène Jalbert et Antoine Dumouchel, que M. l'abbé Verrette soit
chargé de dresser les plans de cette fête et le Bureau ratifie cette propo-
sition." Le 10 novembre 1948, le Comité d'Orientation Franco-Améri-
caine, réuni pour la troisième fois en assemblée générale, décide "de
patronner l'organisation des Fêtes du Centenaire Franco-Américain
selon le projet élaboré par M. l'abbé Verrette. Le Comité se nomme
une Commission des Fêtes du Centenaire, qui se composera comme
suit: le R. P. Henri Moquin, président, MM. Jean-Charles Boucher.
J. Henri Goguen, Lauré B. Lussier, Wilfrid J. Mathieu, et M. l'abbé
J. -Oscar Normand. Cette Commission servira d'agence de liaison
entre le Comité d'Orientation et la Fédération des Sociétés Franco-
Américaines du Comté de Worcester, Mass., chargée de l'organisation
immédiate de ces fêtes." Au mois de mars 1949, le Comité d'Orienta-
36 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
tion assume la responsabilité d'organiser et de diriger le Congrès d'Etu-
des, qui doit inaugurer la célébration du Centenaire, et au mois d'avril
suivant, il accepte le projet et l'esquisse d'un bronze commémoratif à
incruster au portique de l'église Notre-Dame des Canadiens de Wor-
cester à l'occasion des Fêtes.
Entre temps naturellement, la Fédération des Sociétés Franco-
Américaines du Comté de Worcester avait été pressentie, en ses chefs,
par la Commission des Fêtes du Centenaire mentionnée plus haut, sur-
tout par le R. P. Moquin. Elle s'était montrée favorable au projet,
quoique légitimement effrayée de son envergure et des risques qu'il
pouvait comporter. Seule une assemblée générale de la Fédération
pourrait prendre la décision finale et la responsabilité de cette organi-
sation. Cette assemblée générale avait lieu le 5 décembre 1948, à
Worcester, dans les salles du Conseil Franchère de l'Union S. Jean-
Baptiste d'Amérique. M. Adolphe Robert, le président du Comité
d'Orientation Franco-Américaine, y expose le plan de la grande fête,
ses buts, les dates, le lieu; il enjoigne la Fédération au nom de tout le
groupe franco-américain de vouloir bien se charger effectivement d'or-
ganiser la fête elle-même. Désormeaux a bien noté l'effet de cette
supplique: "Pour dix secondes, écrit-il, le silence fut de plomb. Cela
s'explique: être choisis comme ça, entre cent autres associations sem-
blables, pour préparer les grands jours et servir d'hôtes à tout notre
élément national, n'est-ce pas à vous faire mourir d'aise? Le président
de l'assemblée, de sa voix blanche rompit le silence: Eh bien! dit-il.
vous acceptez, nous acceptons, n'est-ce pas? La décision était prise."
Et la Fédération se mit à l'oeuvre, prodigieusement. Mobilisation gé-
nérale de toutes ses forces, invasion complète de tout le comté de Wor-
cester, randonnées épuisantes à travers toute la Nouvelle-Angleterre,
rien n'est mis de côté qui puisse garantir le succès des grandes fêtes du
mois de mai 1949. Les comités se multiplient, les assemblées aussi, et
les préparatifs sont vraiment gigantesques. La Fédération se dépasse
et se surpasse: elle mérite ici l'hommage non équivoque de notre admi-
ration et de notre reconnaissance les plus sincères.
Lentement mais sûrement, le peuple franco-américain tout entier
s'éveille à la grande réalité, du Maine jusqu'au Connecticut. Les indi-
vidus, les familles, les sociétés, les paroisses sont en état d'alerte. Au
jour fixé, des milliers de Franco-Américains prennent le chemin de
Worcester. Plus de sept cents délégués, représentants attitrés de diffé-
rentes organisations franco-américaines, assistent au Congrès d'Etudes
du samedi, le 28 mai 1949: le Centenaire est enfin arrivé.
IL Les Fêtes du Centenaire.
Ces fêtes du Centenaire devaient comporter un Congrès d'Etudes,
un banquet, un bal, une cérémonie religieuse et enfin un Festival de
ETUDES 37
la Bonne Chanson française. Evoquons brièvement chacun de ces
événements.
Le Congrès d'Etudes. Le samedi après-midi, 28 mai 1949, dans
une des salles de l'Auditorium de Worcester. Après le mot de bien-
venue du représentant de la Fédération, après les déclarations officielles
du président du Comité d'Orientation, lecture est faite du Manifeste
"Notre Vie Franco-Américaine". A la fin, tout le monde applaudit
cet effort de pensée et de doctrine. Quelques remarques, quelques cri-
tiques, sur des points en somme secondaires. La discussion se prolon-
ge; à 6h. p. m., il faut lever la séance. Le travail n'est point terminé.
On continuera après le banquet.
Le banquet. Servi à la Salle Mechanics. Salle comble, même
débordante, au grand désappointement surtout des gens de Fall River!
Le repas est délicieux, la musique, un enchantement. Après le ban-
quet, M. Eugène Jalbert s'acquitte merveilleusement de sa fonction de
maître de cérémonies. Discours du R. P. Landry, de M. Albert Cham-
bon, consul de France, de M. Paul Beaulieu, consul du Canada à
Boston, et enfin, grand discours de l'V.onorable Henry Cabot Lodge,
Jr., Sénateur des Etats-Unis. Ce dernier s'exprime en un français
impeccable. Tonnerres d'applaudissements! Les jeunes se rendent
au bal tandis que le Congrès d'Etudes se remet à l'oeuvre, dans la même
salle redevenue paisible, sous la présidence de M. J. Henri Goguen.
Mais il se fait tard, il faut y aller rondement. Les discussions soule-
vées par le Manifeste ne sont pas reprises. Le Manifeste lui-même est
accepté, le Comité d'Orientation reconnu et une foule de projets et
résolutions adoptés.
Le bal. Le samedi soir au sous-sol de l'Auditorium. On me dit
qu'il fut des plus beaux et des mieux réussis: je n'y étais pas. Les
jeunesses franco-américaines, quelques autres aussi, s'y font valoir.
L'on danse et l'on danse! Il y a pluie de ballons à un moment et, à
un autre, une mère de famille y est proclamée Reine du Centenaire.
Les gens finissent par se retirer: c'est déjà dimanche!
Cérémonie religieuse. Elle se déroule en l'église Notre-Dame des
Canadiens à llh., le dimanche 29 mai. Grand'messe solennelle, chan-
tée par M. l'abbé Georges Trottier, ptre, curé. La musique exécutée
par le choeur de Notre-Dame sous la direction du célèbre docteur A. J.
Harpin. Le sermon de circonstance, prononcé par M. l'abbé J. H.
Boutin, curé de la Paroisse Ste-Cécile de Leominster, Mass., membre
du Comité d'Orientation et aumônier honoraire de la Fédération des
Sociétés Franco-Américaines du Comté de Worcester. A l'issue de la
messe, dévoilement du bronze commémoratif du Centenaire, avec dis-
cours approprié de M. l'abbé Verrette. Puis, déjeûner à l'hôtel Shera^
ton.
38 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Le Festival de la Bonne Chanson. A 2h., dimanche après-midi,
dans la salle principale de l'Auditorium. Près de 3000 personnes y sont
rendues. Elles y entendent des artistes renommés: le quatuor Notre-
Dame, Mme Eva Tancrell-Meunier, M. Lionel Péloquin, Mme J.
Oscar Rocheleau, M. C. Alexandre Péloquin, et surtout, surtout, une
dizaine de chorales d'enfants venues de différentes écoles paroissiales
du comté de Worcester. C'est le grand concours. Quel charme pour
l'oeil et pour l'oreille que ce gala de décors, de costumes, de mimes et
de chants! Et quelle féerie que la Bonne Chanson, bien préparée et
bien interprétée par les enfants de chez-nous! Entre temps, le T. R. P.
Elméric Dubois a lancé la grande Croisade de Prières "pour la con-
servation de nos institutions catholiques franco-américaines". Les
fêtes du Centenaire de 1949 ont pris fin. Chacun retourne chez soi,
fourbu, mais l'âme dilatée et le coeur rempli d'espoirs. Non, un peu-
ple qui, après cent ans de peines et de misères, peut ainsi manifester sa
vie profonde, ne veut pas et ne doit pas mourir!
Vivra-t-il en réalité? Ce Centenaire aura-t-il été pour nous l'aube
d'un jour encore plus glorieux? C'est, sans aucun doute, le secret de
la Divine Providence. Mais c'est également beaucoup le nôtre. Pour
la centième fois au moins, je répète que c'est à nous de le vouloir et
de le vouloir ensemble. Au lendemain de ces fêtes qui furent triom-
phales, nous savions qui nous sommes et combien nous sommes. Un
an après, il faut bien constater que nous n'avons pas encore appris l'art
suprême de travailler les uns avec les autres, dans un désintéressement
personnel total, au service de l'idéal collectif, pour notre groupe ethni-
que, d'une vie qui soit à la fois catholique, américaine et française.
Pour reprendre le mot d'Adolphe Robert: de là toute notre misère!
Avec la grâce de Dieu, nous en sortirons!
Gabriel Franchère (1786-1863)
Adolphe Robert
L'année 1950 ramène le centenaire de la fondation de la première
paroisse franco-américaine, celle de Saint-Joseph, à Burlington, Ver-
mont.
Mais il est un autre centenaire qui ne devrait pas passer inaperçu,
celui de la fondation de la Société Saint-] e an-Baptiste de Bienfaisance
de New York, dont Gabriel Franchère fut le premier président.
La Société Historique franco-américaine a eu l'heureuse idée
d'inscrire au programme de sa réunion du 31 mai, un travail sur Gabriel
Franchère.
Qui était-il? D'où venait-il? Qu'a-t-il laissé?
Si nous consultons le Dictionnaire général du Canada, par le
R. P. Le Jeune, o.m.i., nous y lisons: (p. 655, tome I)
ETUDES 39
"Gabriel naquit à Montréal le 3 novembre 1786. Au prin-
temps de 1810, il entre au service de la Compagnie du Pacifique,
formée par John Jacob Astor, de New York. Engagé pour une
période de cinq ans, il s'y embarquait en juillet sur le Tonkin.
commandé par le bourru Jonathan Thom. Ayant doublé le cap
Horn et longé la côte du Pacifique, le vaisseau aborde, le 11 avril
1811, au littoral méridional du fleuve Colombie, à environ quinze
milles de l'embouchure: l'on y érigea le poste Astoria, en l'honneur
du promoteur de l'expédition. La guerre de 1812 força la corpo-
ration américaine à se fusionner avec celle du Nord-Ouest pour
sauver ses effets commerciaux des pillages des frégates anglaises:
M. Franchère y accepta un service temporaire. Il déclina les
offres les plus avantageuses et reprit le chemin de Montréal, tra-
versant le continent jusqu'à Athabaska et descendant les cours
d'eaux jusqu'aux grands lacs: il y parut le 1er septembre 1814.
En 1820, il publia sa Relation d'un voyage à la côte du Nord-Ouest
de l'Amérique septentrionale (1810-1814), laquelle fut rédigée par
M. Bibaud. En 1863, J. V. Huntington en a donné la traduction
anglaise à New York. En 1815, M. Franchère épousa Sophie,
fille de Jean-Baptiste Routier et d'Henriette Regnault et, en 1834,
alla s'établir comme négociant en fourrures au Sault-Sainte-Marie.
Plus tard, il entra en société avec M. Pierre Choteau, de Saint-
Louis (Missouri), puis il se rendit à New York comme directeur
de la Compagnie Franchère. Il mourut le 12 avril 1863, chez
son gendre, maire de Saint-Paul, au Minnesota."
L'on remarquera que le P. Le Jeune ne fait pas mention du
rôle joué par Gabriel Franchère auprès de la Société Saint- Je an-Bap-
tiste de Bienfaisance de New York. Il faut donc s'en reporter pour
cela a un opuscule, "Hier et Aujourd'hui", publié, en 1925, par M.
Antonio Fitzpatrick.
Nous y voyons que le 21 mai 1850, les Canadiens français de
New York fondèrent la Société Saint- Je an-Baptiste de Bienfaisance,
avec, comme président, M. Gabriel Franchère. La première question
mise à l'étude par la société fut la célébration de la fête nationale des
Canadiens français, le 24 juin suivant. Les Canadiens de New York,
lisons-nous en tête de la constitution, vivement pénétrés des avantages
de l'association, et voulant rouvrir à leurs compatriotes loin du pays
de leur naissance une seconde patrie et une autre famille, ont fondé
une Société de Bienfaisance destinée à les réunir sous des lois frater-
nelles. Pendant treize ans, l'âme de la Société Saint- Je an-Baptiste
fut Gabriel Franchère. Voici le portrait qu'en trace l'auteur de "Hier
et Aujourd'hui" :
"Franchère prêche d'exemple. Il travaille double, sa vigi-
lance n'est jamais endormie. Son service l'appelle parfois en des
endroits éloignés, mais sa pensé ne quitte pas un moment ses ouail-
40 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
les. Il est à la fois un apôtre et un père. Du fond des forêts, il
leur adresse de longues lettres sur ses expéditions. Au retour, il
donne des conférences, raconte à la Société réunie en petit comité,
les impressions ressenties en cours de route. Les secrétaires-archi-
vistes inscrivent dans leurs procès-verbaux des séances écourtées,
expédiées en un rien de temps, dans la hâte d'entendre le président
faire une de ces causeries dont il a le secret. A peine l'assistance
a-t-elle le temps de s'asseoir que la séance est levée. Ils l'entourent
d'un respect filial. Une famille ne reçoit pas avec plus de joie une
bonne nouvelle de son chef absent que ces Canadiens une lettre
de leur président. Il faut voir avec quel empressement ils accueil-
lent ses missives. Aussitôt l'assemblée régulière ajournée, l'un des
membres présents donne lecture des dernières nouvelles reçues et
le reste de la soirée se passe à commenter les paroles de Franchère."
Durant l'administration de la société par Gabriel Franchère, celle-
ci forme un comité spécial dans le but de faire un relevé des noms de
tous les Canadiens français de New York et des environs, afin de se
mettre en contact avec eux et leur offrir son appui. L'enquête, disent
les procès-verbaux, se fait surtout parmi les nécessiteux, les sans-travail.
les malades, les nouveaux arrivés. A tous, la société tend une main
secourable et offre assistance dans la mesure de ses moyens. Elle fait
des collectes à leur intention et en remet le produit à l'abbé Lafond,
curé de l'église Saint-Vincent-de-Paul. En 1855, un délégué de la
Nouvelle-Orléans vient étudier sur place la constitution de la société
dans le but d'en fonder une semblable dans le sud. En 1861, un grand
bal donné par la société produit une autre abondante recette au profit
des nécessiteux. Mais la guerre de Sécession fait sentir ses ravages
jusque dans les rangs de la société. La tempête politique et sociale qui
plane sur notre pays d'adoption a ravagé aussi notre humble associa-
tion, révèlent les procès-verbaux. Elle a dispersé dans différentes
directions plusieurs de ses membres les plus actifs et un grand nombre
de nos compatriotes qui avaient promis de s'unir à nous. Il ne nous
reste plus à espérer qu'avec le retour du calme et de la paix, nos voeux
d'avenir prospère se réalisent. Pendant ce temps, Franchère se ressent
de plus en plus des faiblesses de l'âge. Malade, il n'assiste plus aux
séances. Il est quand même réélu président. Au mois d'août 1861.
il décline le poste. Enfin, à la séance du 15 avril 1863, l'assemblée
apprend sa mort et elle adresse à sa veuve la lettre de condoléance sui-
vante :
"Nous avons appris avec un profond chagrin le décès de M.
Gabriel Franchère, président de la Société Saint-Jean-Baptiste de
New York pendant treize ans consécutifs depuis le jour de sa fon-
dation et son premier président honoraire. La Société Saint-Jean-
Baptiste vient de perdre en lui un membre zélé et un administra-
teur modèle dont nous avons pu admirer de près les grandes qua-
ETUDES 41
lités du coeur et de l'esprit. Outre les vertus domestiques et socia-
les qui le caractérisaient, le regretté défunt s'était acquis des droits
à l'hommage de ses compatriotes des Etats-Unis et du Canada, à
l'estime de ses concitoyens américains et au respect du monde, par
ses voyages, par ses écrits, par ses causeries, par ses discours si
pleins de patriotisme, d'instructions et de recherches. La Société
participe en conséquence aux regrets si légitimes que sa mort ne
peut manquer d'exciter parmi les personnes qu'honorent l'intelli-
gence et le travail."
C'est donc la place ici de rappeler le mot de Hector Fabre :
''Honorons nos grands morts; nous n'en avons pas trop.
Cinquantenaire de l'Union
Saint Jean-Baptiste d'Amérique (1900-1950)
Antoine Clément
La grandeur appelle la grandeur, la puissance flatte la puissance
et la richesse, faite de l'épargne du pauvre pendant 50 ans, équivaut à
la richesse elle-même, où qu'elle soit et quoiqu'elle vaille. Ce sont là
les impressions dominantes qui peuvent nous rester des fêtes splendides
de la Franco- Américanie qui se sont déroulées à Boston du 7 au 10
mai dernier, à l'occasion du jubilé d'or de notre Société nationale:
l'Union St- Jean-Baptiste d'Amérique, et du centenaire paroissial fran-
co-américain : celui de St- Joseph de Burlington, au Vermont.
Trois mille des nôtres, réunis dans l'église mère de la Nouvelle-
Angleterre aux vastes proportions et joliment rafraîchie, ont été témoins
d'une messe inoubliable d'actions de grâces. Défilés de gardes, de
membres du Bureau général de l'Union avec invités, et du clergé métro-
politain et franco-américain, suivi des membres de l'épiscopat, tant de
la région que du Canada, ont attiré l'attention de tous sur la cérémonie
religieuse historique du jour. Le tout à la musique des orgues, au beau
chant grégorien, aux paroles de reconnaissance à la Trinité Sainte pour
tout le bien opéré dans nos familles, dans nos écoles et dans nos parois-
ses, à la bénédiction papale et aux paroles d'éloge de notre archevêque
pour le rôle providentiel des nôtres en Nouvelle-Angleterre en y éri-
geant trois cents belles paroisses fort bien organisées en un siècle. Plus
de majesté et plus de grandeur ne pouvaient se donner à nos deux
jubilés de 1950.
Vint ensuite le déjeuner du Bureau général aux membres de l'épis-
copat, aux officiants et aux invités et membres d'honneur dans la salle
Sheraton de l'hôtel Copley Plaza. On y fut surtout touché des allocu-
tions en français des évêques de Portland et de Springfield que l'on
pourra lire à satiété bientôt dans les prochains numéros de "L'Union".
Et pendant tout l'après-midi, les comités du XVIIe congrès de l'Union
furent en fonctions et le secrétariat temporaire de la Société resta acha-
landé.
42 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Le soir du 7 mai, anniversaire de la fondation de l'Union, une
manifestation franco-américaine magnifique rallia plus de deux mille
des nôtres dans le bel auditorium de l'hôtel Bradford. Le défilé d'hon-
neur garnit toute la scène de célébrités du Canada, de France et des
Etats-Unis. Le Dr Delaney présida avec sa bonhomie de toujours et
le président général Henri Goguen évoqua les succès de la Société et
demanda 150,000 membres pour le prochain jubilé. L'évêque de
Bathurst, Mgr LeBlanc, nous dit que le mal de l'assimilation venait
bien plus de notre propre indifférence que de l'étranger, tandis que
l'archevêque de Québec, Mgr Roy, fit l'éloge de notre survivance par
la foi et par la langue. L'Ensemble Symphonique Franco-Américain
fit la musique à l'entrée et à la sortie et pour le chant des hymnes na-
tionaux sous la direction de M. Robert. Mme Gingras de Lynn fut
la cantatrice du programme avec accompagnement au piano par son
époux. Les Gais Chanteurs de Pawtucket ravirent l'auditoire par
leurs chants français variés sous la direction de M. Lemieux. Et une
soirée franco-américaine magique passa à l'histoire.
L'ouverture du congrès du jubilé fut solennelle le lundi matin.
Nous en comprendrons toute l'importance quand nous lirons les textes
des allocutions dans "L'Union", étant donné notre absence des séances
du congrès même. Ceux qui nous ont remplacé pour la presse ont
apprécié surtout le credo franco-américain de Mgr Wright et les paroles
des consuls de France et du Canada, celui-ci insistant sur l'importance
du Manifeste franco-américain, de Mgr Vandry, de Mgr Maurault et
du Père Moquin sur son projet de cours français spéciaux pour étran-
gers. Les chefs politiques de Boston, les commissaires d'assurance, des
chefs de sociétés du Canada et S. E. Mgr McVinney furent aussi au
programme, et il y eut un communiqué de reconnaissance du Comité
Permanent de la Survivance Française en Amérique.
Et les séances du congrès se continuèrent pendant trois jours et
donnèrent lieu à d'intéressants rapports de la part des officiers généraux
sur l'administration des quatre dernières années et sur l'ensemble du
demi-siècle d'existence. Il n'y eut de commentaires sérieux que sur
le rapport du secrétaire général et que sur le manque de rapports du
maître des cérémonies. Le lundi soir, il y eut banquet de 500 con-
vives en l'honneur de 28 décorés de l'Ordre de mérite et d'honneur et
de quatre nouveaux membres d'honneur. M. Filteau fit la proclama-
tion de la promotion et MM. Goguen et Ledoux, ou même des délé-
gués, firent la présentation des décorations. Du chant agrémenta cette
veillée.
Mardi matin, à 9 heures, il y eut messe pour les défunts de la
Société à l'église Notre-Dame-des-Victoires, et après les séances de la
journée il y eut un banquet de 1200 convives pour terminer les fêtes
du jubilé. Un spectacle et un bal à la musique d'orchestre suivirent le
dîner. Le programme était plutôt du genre populaire et divertissant.
ETUDES 43
Excellent par certains numéros, il était de goût moindre en d'autres, et
la note internationale de l'art y prédomina. Mais la gaieté n'en fut pas
moins grande et se continua pendant toute la durée du bal.
C'est le mercredi que le jubilé se révéla vraiment d'or. De fait,
l'or y coule à flots pour les officiers généraux, pour le personnel des
employés, pour les délégués et oui, même, pour les percepteurs des con-
seils qui ont pu finalement toucher quelques rémunérations pour leur
excellent travail. Si la Société n'était pas si nombreuse, ce serait à
se demander s'il allait rester assez d'argent pour que les dividendes
soient toujours d'or. Et ce fut un jubilé d'or pour le secrétaire général,
M. Filteau, qui regagna son poste cinq à un.
La séance de clôture du congrès fut intéressante par le rapport de
l'élection, bruyante par la fatigue des délégués et captivante par le
rapport du comité des affaires diverses fait par M. l'abbé Desmarais qui
dit que l'Union était une société pour nous. Il fit une profession de
foi en la Société et ses principes. La Société songe à créer des bourses
pour permettre à nos prêtres d'étudier en Europe. Elle continuera son
aide au collège de l'Assomption, recommande les déjeuners-commu-
nions, cherchera à accentuer la vie franco-américaine en faisant la plus
grande diffusion possible du Manifeste franco-américain adopté à Wor-
cester, étudiera le projet d'un voyage à Rome à l'automne pour l'Année
Sainte. Comme monument du jubilé, elle se propose d'ériger une
bibliothèque au collège l'Assomption et de faire relier les rapports des
officiers généraux. Pour activer le recrutement, elle aura recours au
travail des membres et d'organisateurs sous la direction d'un organi-
sateur en chef. Le comité exprima le voeu que l'Union aille de l'avant
en répandant ses bienfaits jusqu'à son jubilé de diamant.
M. le curé Bérubé fit l'installation du nouveau Bureau général et
M. Marin fit prêter le serment d'office aux nouveaux officiers. Dans
les remarques dans l'intérêt de l'Union, on demanda à chaque socié-
taire un nouveau membre d'ici au prochain jubilé et il y eut discussion
de la question des équipes d'initiation et de leurs fêtes annuelles et
l'ajournement se fit à 5 heures.
Nous avons célébré notre centième année du commencement à la
fin, et si grandioses qu'aient été les fêtes, elles n'en furent pas moins
entachées du mal du siècle : l'assimilation, et empêchèrent notre triom-
phe d'être complet. De fait, le pasteur de St-Joseph de Burlington
manquait dans le sanctuaire à la messe et sur la scène à la manifesta-
tion franco-américaine et pour cause. Espérons que le président géné-
ral de l'Union pourra convertir cette paroisse aux fêtes de la St-Jean-
Baptiste à Burlington. Avec tout le prestige de nos fêtes nous devrions
maintenant pourchasser partout les assimilateurs au cri de Bourassa à
Notre-Dame: N'arrachez à personne, ô prêtres du Christ, ce qui est le
plus cher à l'homme après le Dieu qu'il adore.
44 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Et comme souvenirs tangibles de notre centenaire, nous devrions
presser le représentant Philbin de nous donner notre timbre commé-
moratif et l'Union St-Jean-Baptiste d'Amérique de nous livrer enfin
l'histoire impartiale et vraie des Franco-Américains de Nouvelle-Angle-
terre, avec ses pages sombres et glorieuses, par Robert Rumilly. Ces
deux gages de survie feront planer une belle aurore sur le siècle nou-
veau appelé à devenir le siècle de la Franco-Américanie en Nouvelle-
Angleterre.
Mgr Louis de Goesbriand (1816-1899)
Abbé Adrien Verrette
La date centenaire de l'une de nos premières chrétientés, organisée
au pays des Monts Verts, Saint-Joseph de Burlington, évoque à l'esprit
la figure vénérée de l'un des premiers bienveillants apôtres de notre
rayonnement catholique et français en Nouvelle-Angleterre, Mgr Louis
de Goesbriand, premier évêque de Burlington au Vermont. L'occa-
sion semble bien indiquée pour rendre hommage à ce bâtisseur de
diocèse dont le "Bishop DeGoesbriand Hospital", à Burlington, con-
serve le nom au regard de la postérité.
C'est tout un volume qu'il faudrait pour tracer la carrière et
l'influence de cet apôtre breton qui s'éteignait dans une modeste
chambrette d'orphelinat, à Burlington, le 3 novembre 1899, à l'âge
de 83 ans dont 59 de prêtrise et 46 d'épiscopat. La présente étude
veut simplement indiquer les sources et les grandes lignes de cette vie,
qui, à une heure assez inquiétante de l'immigration des Canadiens-
français en Nouvelle-Angleterre, apporta un soulagement sensible à
leur orientation catholique et française.
Il n'est pas facile de s'étendre sur les origines de l'illustre prélat.
Les documents sont assez rares. Mgr J. S. Michaud, son confident et
successeur était celui qui aurait pu nous livrer le plus d'information à
ce sujet, dans son histoire du diocèse de Burlington ( 1 ) , mais il se con-
tente de relater les travaux apostoliques de son prédécesseur. Il y a
bien le "journal" de Mgr de Goesbriand, conservé dans les archives du
diocèse, dans lequel il consigne sommairement ses courses mais sans
allusion à sa personne. Vers la fin de sa vie, Mgr résumera ses sou-
venirs dans une brochure (2) mais encore là il n'est pas question
de ses origines.
Le dictionnaire de l'abbé Allaire affirme cependant (3) que
Louis de Goesbriand naquit le 4 août 1816, à Saint-Urbain, diocèse
(1) Le Canado-Amérirain, février 1950
(1) History of The Catholic Church in the New England States: Vol 2,
"Diocèse of Burlington", pp468-469.
(2) Catholic Memories of Vermont and New Hampshire. Mgr Ls. De-
Goesbriand, Burlington, 1886.
(3) Dictionnaire Biographique du Clergé Canadien-français. (Abbé J. B. A.
Allaire, in-8. vol VI, p304, 1934.
ETUDES 45
de Quimper, en Bretagne, dans le Finistère. Il était le fils du marquis
Henri de Goesbriand, paire de France et de la comtesse Emilie Bergeau.
On l'entendit rarement faire allusion à son origine noble.
Les études terminées au séminaire St-Sulpice, à Paris, il est
ordonné le 13 juillet 1840 par Mgr Joseph Rosati, premier évêque de
St. Louis, au Missouri, de passage en France pour recruter des mis-
sionnaires (4). Plusieurs des premiers évêques américains, élèves de
St-Sulpice ne manquaient pas de formuler de pressants appels auprès
des séminaristes. Le jeune de Goesbriand est touché. Il quitte famille
et patrie et s'embarque pour l'Amérique où l'attend une longue vie de
labeurs.
Dès son arrivée, le jeune abbé se place sous la direction de Mgr
John Baptist Purcell, deuxième évêque de Cincinnati, diocèse, qui, à
cette date comprend tout l'état de l'Ohio. Il s'y dépensera en dépit
de mauvaises conditions, car la malaria y règne auprès des groupe-
ments dispersés. De concert avec ses compatriotes Rappe et Mache-
boeuf il visite régulièrement toute cette région qui constitue aujour-
d'hui les diocèses de Toledo et de Youngstown. (5)
L'Eglise cependant se développe rapidement dans l'Ohio (6) .
L'affluence des émigrés, la découverte et l'exploitation des mines mul-
tiplient les chrétientés. Le diocèse de Cleveland, créé en 1847, reçoit
son premier titulaire dans la personne de Mgr Amédée Rappe.
Pour inaugurer son nouvel apostolat, Mgr Rappe n'hésite pas à
inviter son ami près de lui, l'abbé de Goesbriand pour l'en faire son
secrétaire, son vicaire général et le supérieur fondateur de son modeste
séminaire diocésain, établi dans une ancienne étable, transformée pour
les besoins. Le travail est difficile dans cette région. Le choléra et
la fièvre déciment la population, mais le courage des missionnaires
triomphe et l'église grandit.
Ayant résigné son siège en 1870 avec une santé bien délabrée,
Mgr Rappe viendra terminer ses jours en 1877 auprès de son ami,
devenu premier évêque de Burlington. Il y dépensera au bénifice des
missions vermontaises les profits assez imposants de valeurs minières
qui lui avaient été confiées en 1872. (7)
Peu de détails nous ont été conservés de l'abbé de Goesbriand
durant son séjour dans l'Ohio. Sa réputation d'homme de bien devait
(4) L'auteur de l'article "Diocèse de Burlington" dans la Catholic Encyclo-
pedia, vol iii, p81, affirme que l'abbé de Goesbriand fut ordonné à
St. Louis, au Missouri, le 30 juillet 1840.
(5) Houck. "The Church in Northern Ohio, pp230-239.
(6) Shea. "A History of the Catholic Church, vol IV, pp 183- 186.
(7) Mgr Rappe construisit plusieurs chapelles dans le Vermont et se montra
très généreux envers les canadiens-français. Il se fit missionnaire malgré
son âge avancé. Il prêchait une retraite à Grand' Ile, lorsqu'il fut
terracé et décéda à St. Albans, chez l'abbé Zéphirin Druon, le 8 sep-
tembre 1877 (Cf. Hamon: "Les Canadiens-français de la Nouvelle-
Angleterre"), 1890, pp212-217.
46 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
être assez connue, car en 1852, à la réunion des évêques de la province
de New- York, lorsque la création du diocèse de Burlington fut pro-
posée, le nom de Mgr de Goesbriand est suggéré comme premier titu-
laire, par Mgr John Fitzpatrick, alors deuxième évêque de Boston,
son confrère au séminaire de Paris.
Préconisé évêque de Burlington par le pape Pie IX, le 29 juillet
1853, Mgr de Goesbriand reçoit la consécration épiscopale, dans la
cathédrale de New-York, le 30 octobre suivant des mains de Mgr
Cajetan Bedini, nonce apostolique au Brésil, en mission spéciale aux
Etats-Unis. Deux autres évêques fondateurs sont aussi consacrés en
cette circonstance, Mgr Loughlin de Brooklyn et Bailey de Newark.
Un troisième, Pévêque fondateur de Portland avait refusé sa nomina-
tion. Ce fut donc un grand jour pour l'église en Nouvelle-Angleterre
car deux nouveaux fleurons venaient s'ajouter à son développement
pour préparer la nouvelle province ecclésiastique de Boston, érigée en
1875.
Intronisé le 6 novembre suivant, dans sa modeste pro-cathédrale
Ste-Marie, par Mgr Fitzpatrick de Boston, le nouveau pontife compte
environ 20,000 diocésains qui fréquentent une dizaine d'églises, des-
servies par cinq prêtres. Le butin n'est pas considérable mais tous
les éléments sont là.
Malgré la proximité du Québec, le déversement canadien-français
se fit plus lentement dans le Vermont. On n'abandonnait pas des
fermes pour venir en exploiter de nouvelles dans un pays inconnu.
De plus il y aura l'attirance vers les centres industriels, plus au sud.
L'abbé Matignon de Boston aurait visité le Vermont en 1815 et à
Burlington il y rencontre une centaine de canadiens-français.
A partir de 1818, c'est le curé Mignault, de Chambly (Montréal)
qui dessert les petits groupements échelonnés le long du lac Champlain.
Il construira l'une des premières églises sur la frontière du New- York,
celle de Coopersville, en face de l'ancien fort Ste-Anne, abandonné
en 1660. Il exercera même l'office de vicaire général des évêques de
Boston, d'Albany et même de Burlington. Mgr de Goesbriand écrira
de lui "un nom que je ne prononce qu'avec respect et reconnaissance."
En 1827, Mgr Fenwick sera le premier évêque américain à visiter
le Vermont. Vers 1843, de modestes églises existent à Montpelier.
Vergennes, St-Alban, Swanton, Burlington et Fairfield et le nombre
des catholiques s'élève à 4940 sur une population de près de 300,000
pour le Vermont. Durant la décade suivante le nombre des catholi-
ques avait quadruplé. Déjà en 1850, les Canadiens-français possé-
daient leur paroisse St-Joseph. Elle avait été fondée par Messire
Joseph Quévillon. (Monseigneur de Goesbriand fait erreur quand
à la date, lorsqu'il écrit dans ses mémoires : "Ce fut le P. Mignault qui
procura à Burlington, en 1851, le Rév. Joseph Quévillon, que nous
ETUDES 47
pouvons considérer comme le premier prêtre Canadien résidant de la
Nouvelle-Angleterre .... Où est-ce simplement erreur typographique,
hélas, comme il s'en glisse tant dans les imprimés. D'ailleurs les docu-
ments paroissiaux établissent l'année 1850, comme celle de la venue
du curé fondateur, Messire Quévillon
Agé de 37 ans, le jeune évêque se lance dans son oeuvre. D'ail-
leurs il connaît déjà les privations et les difficultés inhérantes à son
apostolat. La richesse ne vient pas non plus combler les besoins. Les
catholiques de cette génération ne sont pas encore favorisés par la
fortune. Tout est accompli au prix de grands sacrifices. Mgr fondera
de nouvelles paroisses. Il invitera des communautés enseignantes. Au
début, il s'emploie surtout à recruter son clergé. Un an après son
arrivée, il compte deux prêtres seulement.
Saisi du besoin de collaborateurs de langue française, il gémit
même sur la condition de ces émigrés qui sont sans pasteurs. Il se
rend à Québec afin de plaider sur place. Il multipliera ses appels
dans le "Protecteur Canadien", journal dirigé par l'abbé Druon à
St. Alban. Il écrira et répétera souvent "Les canadiens-français ont
besoin de missionnaires de leur nationalité. Ils ont besoin d'églises
séparées".
Malgré ses instances, les recrues ne sont pas nombreuses. Dès 1855,
Mgr de Goesbriand fait un voyage dans sa patrie pour y faire un émou-
vant appel. Il revient avec des collaborateurs MM. Danielou, Picard,
Dugué, Cloarec, Clam, Clavier et Salin. Quelques-uns persévéreront,
les autres retourneront en France.
Les dirigeants du Québec commençaient déjà à déplorer triste-
ment cette saignée, causée par le vidage des campagnes vers la Nouvelle-
Angleterre. Les démarches de Mgr de Goesbriand pouvaient être mal
interprétées. Venait-il favoriser ou encourager indirectement l'immi-
gration. Loin de là. Il s'empressera d'écrire "je voudrais pouvoir
l'arrêter". Il en connait tous les méfaits.
Aussi, la persévérance de l'infatigable évêque finit par triompher.
"Sa parole émue, chaleureuse, exempte de toute exagération retentit
profondément dans tout le pays. L'on connut enfin, d'une manière
précise, la triste situation religieuse des émigrés Canadiens, et partout
des coeurs généreux s'offrent pour leur venir en aide." (8)
Nous sommes en 1870. La situation a beaucoup changé. Mgr
Bourget de Montréal a cédé quelques-uns de ses meilleurs prêtres.
Québec et les autres diocèses en feront autant. Dons, secours et géné-
rosités arrivent de la province mère qui n'abandonnera pas ses enfants.
Une meilleure entente existe. Il faut bien accepter le fait accompli
et s'occuper de ces milliers de foyers qui réclament tout naturellement
le bonheur de vivre chrétiennement dans un climat catholique et
français.
(8) Hamon. "Les Canadiens-français de la Nouvelle-Angleterre", pi 77.
48 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Mgr de Goesbriand, bien entendu, n'était pas seulement l'évcque
des Canadiens-français, mais en homme de Dieu, il voulait leur donner
justice. A ce moment, la nation américaine est en formation. Sur ses
rives des milliers et des milliers d'émigrés de partout viennent chercher
asile. Le problème des nationalités et des langues se présente tout
naturellement. Il suscitera bien des luttes et des querelles qui ne
seront hélas jamais définitivement fixées. En certains milieux, on
commence même à craindre "l'invasion pacifique du Québec". Le
"Commercial Advertiser" de New-York, en octobre 1890, écrira, "La
Nouvelle-Angleterre des aïeux (pilgrims) est en train de disparaître".
Le problème de l'établissement des Canadiens-français dépasse
donc les limites du diocèse de Burlington. Il enveloppe maintenant
toute la Nouvelle-Angleterre. Il ne recevra pas partout les mêmes
traitements. Mgr de Goesbriand est au fait de ces nombreuses situa-
tions. Pour lui, dans son diocèse, la paix règne car il ne veut pas
l'injustice et ne peut pas soupçonner qu'elle puisse être tolérée ailleurs.
Disons-le aussi à la décharge de ce véritable apôtre. Mgr de
Goesbriand était avant tout préoccupé du salut des âmes confiées à
sa charge. Il ne raisonnait certainement pas le "fait français" tel que
défini dans le manifeste de "La Vie Franco-Américaine" . Le problème
ne se posait pas encore de cette façon. Il affirmait cependant que la
Providence avait des vues inconnues dans ce phénomène d'émigra-
tion. (10)
Aussi nous pouvons faire nôtre ce jugement que prononçait en
1890, le P. Hamon: "c'est à Mgr de Goesbriand, que les Canadiens
du Vermont doivent d'avoir conservé leur foi, et de posséder aujour-
d'hui de belles et nombreuses paroisses. C'est à lui encore que les
autres Etats de l'Est où se trouvent maintenant les Canadiens par
centaines de mille, doivent en grande partie, l'avantage d'avoir eu
enfin des prêtres de leur pays pour les desservir." (11)
Comme il semble très évident, il n'est pas question alors du fait
français comme enrichissement ou comme patrimoine culturel que les
émigrés ont le droit ou le devoir de conserver. Il s'agit surtout de
procurer à des fidèles de langue française des prêtres qui parlent leur
langue. C'est certainement dans cet esprit que Mgr de Burlington se
fait l'interprète de ses confrères dans l'épiscopat pour demander aux
Sulpiciens de Montréal, le 28 septembre 1880, de "recevoir dans leur
grand séminaire les jeunes gens désirant se consacrer aux missions des
Canadiens aux Etats-Unis."
Vers 1880 l'émigration continuait toujours à gonfler les villes de
la Nouvelle-Angleterre. De nouvelles chrétientés se multipliaient pres-
(9) La Vie Franco- Américaine, manifeste doctrinal présenté par le Comité
d'Orientation Franco-Américain, au centenaire de Worcester, en mai
1949.
(10) Protecteur Canadien (St. Albans, Vermont, 13 mai 1869).
(11) Hamon. "Les Canadiens-français de la Nouvelle-Angleterre", pl66.
ETUDES 49
qu'à vue d'oeil. Pour leur part, les canadiens-français demandaient
des prêtres de leur langue. Le problème d'un clergé national pour eux
s'accentuera. Mgr de Goesbriand y sera mêlé par la force des choses.
Tout une polémique se déroulera.
A un congrès catholique, tenu à Baltimore, on a décidé que "les
sociétés nationales comme telles n'ont pas leur raison d'être dans
l'Eglise de ce pays." Au fond, c'était toute la question de la langue
qui était désavouée. Il existe pourtant 210 sociétés Saint Jean-Bap-
tiste alors et douze journaux de langue française.
La presse franco-américaine de l'époque s'emploie à faire des
représentations sérieuses et respectueuses, car en plusieurs endroits des
injustices désolent les coeurs. Dans une lettre adressée aux évêques
américains, en décembre 1888, au sujet de la condition faite à des
milliers de fidèles italiens, Léon XIII écrivait: "nous avons décidé
d'envoyer chez vous plusieurs prêtres italiens qui soient à même de
soulager leurs maux en parlant leur propre langue, etc." Cette décla-
ration semblait justifier l'attitude des canadiens français qui deman-
daient la même chose.
Toute une série de représentations parut alors dans la presse,
"Le Travailleur" de Worcester, "Le National" de Plattsburg, N. Y.,
"L'Avenir Canadien" de Manchester et "L'Indépendant" de Fall-
River, n'hésitèrent pas à résumer franchement les faits. Ces articles
parurent dans une brochure. (12)
Ce fut sans doute pour calmer les esprits que Mgr de Goesbriand,
à son tour, publiera en 1889 sa brochure intitulée: "Les Canadiens-
français des Etats-Unis — ■ Léon XIII aux Evêques d' Amérique relati-
vement aux immigrés italiens". Et puis, il se sent peut-être visé dans
la polémique qui se poursuit. Il est âgé, usé par ses labeurs. Il songe
à se retirer et demande un coadjuteur. Il déclare donc: "Si je me
décide à écrire, c'est que je vois venir le temps où je ne pourrai ni
écrire ni parler, et qu'il est, je crois, peu de personnes qui ont eu une
expérience aussi longue que moi-même dans ce qui regarde l'histoire
de Canadiens immigrés aux Etats-Unis. Je tâcherai d'oublier les insi-
nuations malveillantes dont Nous avons été l'objet pour écrire en faveur
de la vérité, et contribuer à la grande oeuvre de l'évangélisation de nos
Canadiens."
Le 8 mars 1889, L'Indépendant de Fall-River écrira: "nous
n'avons pas le moindre doute que le très vénérable évêque de Burling-
ton n'est pas visé lorsqu'il s'agit de se plaindre des nominations à la
desserte de nos paroisses." C'est bien le jugement qui reste. Il est
indéniable que Mgr de Goesbriand se fit à sa manière et suivant les
circonstances "le promoteur zélé et l'ami constant de la cause des
canadiens-français aux Etats-Unis."
(12) Le Clergé National: Articles et Extraits des Journaux Canadiens-français
des Etats-Unis, depuis novembre 1888 à mars 1889, in-8 56p. Imprimerie
du Travailleur, Worcester, Mass.. 1 889.
50 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Mais les années passent. On est en 1890, Mgr de Goesbriand
compte un demi siècle de prêtrise et 38 années d'épiscopat. Il a tra-
vaillé sans relâche. Son diocèse compte maintenant 46,000 fidèles,
76 églises et une cinquantaine de prêtres. Il a construit sa cathédrale
Immaculée-Conception, invité des communautés enseignantes et con-
fié son orphelinat St- Joseph aux soeurs de la Providence de Montréal.
Entouré de la vénération de son peuple, en juin 1892, il cède sa
houlette pastorale à son coadjuteur. Il se retire dans la prière et la
tranquilité, auprès des orphelins qu'il affectionne. Le 3 novembre
1899, tout juste à la fin du siècle, âgé de 83 ans, le doyen de l'épis-
copat américain décédait. Il fut inhumé dans la crypte de la cathé-
drale.
Mgr Louis de Goesbriand était le dernier évêque américain né
en France. Citoyen entier de sa patrie d'adoption, il était demeuré
cependant le véritable type du breton. De taille moyenne aux épaules
larges, sa figure pleine avec front dégagé et des yeux pleins de lumière
retenait une chevelure abondante qui retombait sur les tempes. Une
bouche aux lèvres contenues laissait percer une âme sensible et géné-
reuse.
Il avait essayé, non sans succès de concilier les éléments humains
qui se disputent souvent la conduite des affaires qui mènent à Dieu.
Il se peut qu'il n'ait jamais totalement saisi les remous de l'âme franco-
américaine. Chose certaine il aimait ses enfants venus du Québec.
Il les voulait heureux et paisibles. Sa contribution à leur bonheur
religieux fut considérable. Il fut donc l'instrument providentiel qui
favorisa l'établissement de la vie franco-américaine en Nouvelle-Angle-
f «rre. Pour ce service sauveur tous lui gardent une reconnaissance
entière.
IV
Centenaires
1850-1950
Un siècle d'apostolat
(Le Centenaire des religieux de l'Assomption)
R. P. Polyeucte Guissard a.a.
En la nuit de Noël 1845, le P. Emmanuel d'Alzon posait les pre-
miers fondements de la congrégation des Pères de l'Assomption. C'est
au collège de Nîmes dont il était depuis 3 ans le directeur, qu'il réunit
les 4 premiers compagnons qui deviendraient les pionniers de son
oeuvre.
Durant 5 ans interminables, la prudence trop timide de son évêque
lui interdit des engagements définitifs. C'est seulement à Noël 1850,
que les 5 novices furent autorisés à émettre des voeux annuels; ceux-ci
devinrent perpétuels à Noël 1851. C'est ce premier siècle d'histoire
que les Fils du P. d'Alzon répandus dans le monde entier viennent de
célébrer avec une fierté légitime.
Le fondateur se proposait un triple but: restaurer l'enseignement
chrétien à tous les degrés, sur les bases de S. Augustin et de S. Thomas.
Ramener à l'unité de l'Eglise, schismatiques, hérétiques et païens; lutter
contre les forces de la révolution laïque par les oeuvres sociales, libres
de toute affiliation politique et pénétrées d'esprit surnaturel. Com-
ment il a réalisé lui-même et par sa famille religieuse, cet idéal gran-
diose, c'est ce que nous voudrions démontrer brièvement.
I. L'enseignement chrétien
Sauf en terre de missions, les assomptionnistes se sont peu occupés
d'enseignement primaire. C'est surtout dans le domaine de l'ensei-
gnement secondaire et supérieur qu'ils ont exercé leur influence. Aux
alentours de 1845, l'enseignement en France était le monopole de l'Uni-
versité officielle, laïque et trop souvent athée. A cette époque com-
mença la lutte de l'Episcopat pour briser cette servitude. Le P. d'Alzon
fut à l' avant-garde. Il commença hardiment par prendre pour son
collège la liberté qu'il réclamait. D'autres suivirent son exemple et
comme toujours la victoire fut aux audacieux.
En 1850, la loi Falloux accordait enfin la liberté d'enseignement
aux collèges et institutions libres. Un nouveau pas devait être fait
pour aboutir à l'indépendance de l'enseignement supérieur. Le P.
d'Alzon avait commencé à Nîmes un embryon d'université. Si son
initiative ne dura point ce fut parce que le Midi alors était trop pauvre
52 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
en sujets pour lui fournir un nombre d'élèves suffisant. Au moins
c'était la préfiguration et l'amorce des divers Instituts Catholiques qui,
à partir de 1875, fournirent à l'Eglise de France une pléiade de savants
qui lui assurèrent un prestige égal à celui des maîtres sortis de l'ensei-
gnement d'état.
Le Fondateur, durant ses études ecclésiastiques avait été déçu
de la pauvreté des cours de séminaires. Il avait complété à Rome
une formation exceptionnelle pour l'époque et il voulut que ses reli-
gieux eussent comme lui une doctrine à la hauteur des exigences de
son temps. Aussi dans ses scolasticats, il prescrivit, même avant les
interventions lumineuses de Léon XIII, en 1879, une philosophie puisée
aux sources de St. Thomas. Il établit dès qu'il le put un cycle de trois
ans de philosophie et de 4 ans de théologie. C'est encore la norme de
toutes les maisons d'études de l'Assomption.
Dans la direction du collège de Nîmes, il se révéla un éducateur
de génie. Il avait compris que la formation est incomplète, si elle se
contente de développer l'intelligence, sans forger le caractère. Il vou-
lait faire avant tout des hommes et des chrétiens; aussi s'appliquait-il
à approfondir les convictions religieuses, à baser la conduite personnelle
sur l'initiative, la conscience, la franchise, le dévouement, l'enthousias-
me, l'idéal. Tous ceux qui sont passés par ses mains ont été marqués
d'un caractère indélibile et, malgré la vigueur de sa discipline, lui ont
voué une affection profonde et une admiration reconnaissante. Ses
fils dans les nombreux collèges qu'ils dirigent un peu partout, sont
restés fidèles à son esprit et on retrouve en chacun d'eux la même atmos-
phère de cordialité, d'entrain, d'ouverture qui leur donne un cachet
particulier. Tous les anciens en gardent un souvenir ému et y revien-
nent toujours avec un empressement fidèle.
Parmi les oeuvres d'éducation entreprises par le P. d'Alzon, il faut
faire une place de choix à l'oeuvre des vocations connue sous le nom
d ,ll Alumnats". Sachant que le Christ depuis toujours, a coutume de
choisir ses apôtres dans les familles nombreuses et modestes, il se pré-
occupa de fournir au plus grand nombre possible d'enfants pauvres,
riches seulement des qualités de l'esprit et du coeur, les moyens d'arri-
ver au sacerdoce. Depuis le 28 août 1871, l'oeuvre des alumnats a
fondé près de 120 maisons, à travers mille obstacles: dénument, man-
que de personnel, persécution, et guerres. Elle a donné environ 6000
prêtres à l'Eglise. A la différence des juvénats, qui recrutent des
vocations pour telle congrégation, les alumnistes restent libres, après la
rhétorique de poursuivre telle vocation qui leur plaît. Tous les sémi-
naires de France et de Belgique en ont bénéficié. Us ont fourni des
sujets à presque tous les ordres et congrégations, et quand même,
l'Assomption y a trouvé son recrutement providentiel. Oeuvre de
charité, de désintéressement absolu, de foi dans la divine Providence,
qui suffirait à elle seule à assurer la gloire du Père d'Alzon.
CENTENAIRES 53
II. Les oeuvres missionnaires
Durant toute sa vie le P. d'Alzon fut dévoré par la flamme de
l'apostolat. Au lendemain de son sacerdoce en 1834, il ajoute à sa
charge de vicaire général du diocèse de Nîmes un ministère multiforme
de prédicateur infatigable. Il évangelise les pauvres, les ouvriers, les
orphelins, les communautés religieuses, les paroisses du Midi. Il a dès
cette époque la hantise de la conversion des protestants, très nombreux
et actifs dans la région du Languedoc depuis les guerres de Religion.
En 1862, à la demande de l'Evêque de Brisbane, il n'hésite pas à
envoyer dans la lointaine Australie 3 religieux qui seront les premiers
missionnaires de l'Assomption. En 1863, Pie IX lui confie la tâche
formidable de ramener à l'unité les chrétientés d'Orient. Il n'a qu'une
poignée de sujets; qu'importe? Il envoie des âmes d'élite au coeur de
la Bulgarie qui semble assez proche alors d'une conversion collective.
Il y fonde des écoles, des alumnats, des paroisses et bientôt deux collèges
florissants à Varna et à Philippopoli. Un peu plus tard ses fils s'éta-
blissent à Kadi-Keui aux lieux mêmes où fut célébré le concile de Cal-
cédoine. Il pénètre au coeur de Stamboul et établit successivement
tout le long de la côte d'Asie Mineure et jusqu'à Ankara, des centres
vivants de vie chrétienne et catholique. En 1884, il construira à Jéru-
salem, Notre-Dame de France, à la fois hôtellerie pour les pèlerins de
Terre Sainte, et foyer d'études bibliques, où se formera toute une
pléiade de jeunes exégètes et archéologues avertis.
Dès l'aube du 20e siècle, ses fils ont pris en Russie, à Vilna, à Petro-
grade, à Odessa, des postes d'attente clandestins, destinés à préparer
la conquête de l'empire des Tsars, rêve grandiose du Fondateur, que
l'Assomption n'a pu encore abandonner. Ceux-ci devancèrent l'ini-
tiative du Pape XI, s'appliquant à fournir aux peuples du Proche
Orient, un clergé indigène et plusieurs religieux embrassent dans ce
but le rite gréco-slave. Après la première guerre mondiale, la congré-
gation essaime en Roumanie où elle connaît rapidement un succès
inattendu. Elle y aura presqu' aussitôt ses paroisses, ses alumnats, ses
collèges, son noviciat. On a depuis longtemps déjà pris position à
Athènes et l'Assomption compte dans ses rangs une belle phalange de
religieux grecs dont l'actuel archevêque de Corfou, Mgr Voutsinos.
La Yougoslavie s'ouvre à son tour et au coeur de Belgrade s'élève
la belle église autour de laquelle plusieurs vocations ont pris naissance
et sont arrivées à pleine maturité.
Et comment ne pas signaler l'oeuvre mondialement connue des
"Echos d'Orient" fondée par Mgr Louis Petit, dans la suite archevêque
d'Athènes, destinée à constituer une équipe de savants hellénistes, slavi-
sants, hébraïsants, capables de saisir et de discuter dans les revues les
plus célèbres les problèmes de l'Orient chrétien et de promouvoir de la
sorte un rapprochement des élites que suivrait docilement la foule. Sans
54 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
doute à la suite de la révolution Kémaliste, nos oeuvres de Turquie ont
été balayées. Il n'en reste que des vestiges. La seconde guerre, en
courbant la Roumanie, la Bulgarie et la Yougoslavie sous la domina-
tion communiste, a anéanti presque tous nos établissements en ces
malheureux pays. Quelques apôtres intrépides tiennent encore dans
les paroisses, dans la clandestine, dans les prisons, à Moscou ou dans
les camps de concentration de Sibérie. Aux regards humains, on
pourrait parler de faillite et de sacrifices stériles depuis 90 ans. Mais
si le grain ne meurt il demeure seul et ne porte aucun fruit. Il n'est
pas possible que tant de travaux, de zèle, de souffrance et de sang
versé aient été inutiles et à l'heure marquée par Dieu, nous attendons
avec confiance de voir lever du sol tourmenté des moissons inattendues.
Les missions en pays protestant ont débuté à Londres en 1901
dans une pauvreté absolue. Elles ont abouti à l'érection de paroisses
très florissantes dans la capitale anglaise dont deux beaux collèges de
Hitchin et de Nothingham avec noviciat et une maison de philosophie
et de théologie. Elles ont fait éclore assez de vocations pour former
une province anglaise qui vient de fournir à la hiérarchie catholique
un jeune évêque plein de promesses, Mgr Andrew Beck. évêque de
Brentwood, dans la banlieue londonienne.
En 1890, un groupe de religieux s'embarquait pour le Chili.
Depuis 60 ans, ils y accomplissent des merveilles. Ils ont planté leur
tente du nord au midi; ils ont passé la Cordillère et gagné l'Argentine
où leur diffusion est rapide. Ils sont au Brésil, en Colombie et demain
au Pérou. L'Amérique du Sud fournit à un rythme constant des
recrues indigènes. Le jour s'annonce proche où son noviciat, son
alumnat et ses maisons d'études philosophiques et théologiques lui
permettront de constituer à son tour une province autochtone.
En 1929, la province de Belgique s'est implantée au Congo.
Depuis 32 ans, sous l'impulsion de son premier évêque Mgr Henri
Pierard, la mission africaine a organisé son immense territoire de l'équa-
teur en chrétienté modèle qui rappelle les prodiges de l'église primitive
et les miracles de la première Pentecôte.
En 1934, l'Assomption envoyait ses missionnaires en Manchourie,
et bientôt ceux-ci se trouvèrent à même de diriger le séminaire inter-
provincial de Kirin. L'invasion de l'armée rouge les a obligés comme
tant d'autres à abandonner provisoirement un champ d'apostolat plein
de magnifiques espérances. Cependant 3 d'entre eux sont restés au
milieu de leurs fidèles. Au prix de sacrifices inouis, ils maintiennent
le contact et attendent l'expulsion, la prison ou le martyre. Là aussi
le bon grain jeté au sillon semble enseveli pour longtemps sous un hiver
glacial. Mais Dieu saura bien, quand l'heure sera venue, faire passer
le souffle de la vie. Partout les religieux demeurent fidèles à l'esprit
de leur père et reçoivent avec avidité ptt\ de toute région nouvelle
où n'a pas encore luit la lumière du <t. ">i
CENTENAIRES 55
III. Les oeuvres sociales
Le P. d'Alzon qui était né gentilhomme et qui possédait une des
plus belles fortunes du Midi, se pencha dès les premiers jours de son
ministère vers les humbles, les pauvres, les pécheurs. Déjà au château
paternel de Lavagnac, il aimait à se mêler aux nombreux domestiques
prenant part à toutes les réjouissances et leur enseignant le catéchisme.
Le jeune prêtre disait sa messe à 5 heures du matin pour accommoder
les petites gens pressées par les travaux du ménage. Il fonde deux
orphelinats, un pour les filles et un pour les garçons; il ouvre une
maison de refuge pour les filles-mères ou pour celles qu'il veut arracher
à leur triste métier. Il collabore à la fondation de l'oeuvre de St.
François de Sales, destinée à fournir, au moyen de colporteurs, la bonne
lecture au peuple de la campagne. Il est un des initiateurs de la société
de St. Vinvent de Paul dont il forme une conférence dans chaque
section de son collège. Bref aucune misère ne le trouve indifférent.
Ce qui explique que sa charité inépuisable l'accula toute sa vie à de
lourds embarras d'argent et qu'il mourut pauvre après avoir jeté au
sein de toutes les indigences le plus magnifique patrimoine.
Après la guerre de 1870, durant laquelle il avait mis deux de ses
meilleurs religieux au service des combattants, après surtout les hor-
reurs de la Commune de Paris, au lieu de se livrer à de vaines lamen-
tations sur les malheurs de la France vaincue, il se préoccupe de tra-
vailler efficacement à son relèvement social. En 1868, il demandait
à ses religieux de s'employer à réconcilier toutes les classes de
la société en infusant un nouvel esprit chrétien dans les moeurs et
les institutions. Il déclarait se mettre comme l'Eglise au-dessus de
toute forme de gouvernement et de toute obédience politique pour ne
chercher que le Royaume de Dieu. Il acceptait le présent, sans regrets
stériles du passé, sans espoir trop débordant dans l'avenir. Dans ce
discours, il avait déjà avec un véritable esprit prophétique élaboré la
formule et même employé le nom de l'action catholique.
C'est de cette consigne généreuse que sortirent en 1872, sous
l'impulsion surtout des PP. Picard et Vincent de Paul Bailly cet ensem-
ble d'institutions groupées sous le vocable de Notre-Dame du Salut.
Ses réalisations furent inombrables. Rappelons seulement les deux
plus connues, la Bonne Presse et les pèlerinages. La Bonne Presse qui
commença avec Le Pèlerin et dont l'organe principal devait être en
1883, La Croix quotidienne, était une entreprise formidable. Elle
débuta sans un sou, sans personnel, sans machine, sans local, et la foi
aidant, elle aboutit à cet arsenal unique de défense religieuse dont
l'influence est incalculable en France et dans le monde entier.
Les pèlerinages à La SaLette, à Rome, à Jérusalem et à tous les
grands sanctuaires ressusdi levant le 19e siècle incrédule et hostile
V s manifestations spiritu. . du Moyen Age. Aujourd'hui tout le
56 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
monde les imite et essaye de les accaparer. Alors c'était une inovation
d'une incroyable hardiesse et bien peu osaient leur prédire un succès
durable. Les enfants du P. d'Alzon sont restés dans sa lignée. Du
côté de leurs missions et de leurs oeuvres d'enseignement ils demeurent
à l'avant-garde de l'action populaire par les orphelinats, la presse, les
pèlerinages et surtout par le souci de ne pas y chercher les avantages
de propagande ou d'argent, mais uniquement la diffusion de la vérité
et la sanctification des âmes.
Nous avons indiqué les lignes de fait de l'apostolat de l'Assomp-
tion. Nous sommes loin d'avoir tout dit. En particulier il faudrait
mettre en relief, ce dévouement absolu à l'Eglise, capable quand il le
faut de sacrifices très méritoires; ce véritable culte pour le Souverain
Pontife, à qui le P. d'Alzon envoyait ses grands élèves pour défendre
ses états menacés par Garibaldi, pour qui il organisait après la chute
de Rome, des collectes généreuses et à qui en un mot il ne voulut jamais
rien refuser.
Malgré les persécutions, malgré l'exil, les spoliations, les guerres,
sa congrégation qui connut des débuts difficiles, a rayonné dans 26 pays
différents. Ses membres au nombre d'environ 2,000 se divisent en 7
provinces, Paris, Lyon, Bordeaux, la Belgique, la Hollande, l'Angleterre,
l'Amérique du Nord, sans compter les vicariats d'Orient, du Congo et
de l'Amérique du Sud.
Il faut ajouter à cette postérité les congrégations de religieuses
fondées par le P. d'Alzon ou ses successeurs: Dames de l'Assomption
en 1839, destinées à l'enseignement secondaire et supérieur des jeunes
filles; Oblates de l'Assomption en 1865, pour être les auxiliaires des
Pères dans toutes leurs oeuvres, spécialement dans les missions; Petites
Soeurs de l'Assomption, fondées par le P. Pernet en 1867, pour être
gardes-malades des pauvres à domicile; les Orantes de l'Assomption,
fondîes par le P. Picard en 1896; dans leur cloître, elles ont les bras
levés au Ciel pour féconder les travaux apostoliques de leurs Frères;
les Soeurs de Jeanne d'Arc, fondées à Worcester en 1917 par le P.
Marie Clément Staub, pour le service du sacerdoce; les Filles de la
Présentation de Marie, fondées au Congo en 1949 par Mgr Pierard,
congrégation indigène qui fournira à la mission des catéchistes, des
institutrices et des gardes-malades.
C'est donc toute une multitude de tout pays, de toute race, de
toute langue qui se réclame du P. d'Alzon, véritable patriarche dont la
famille spirituelle s'étend rapidement jusqu'aux confins de l'Univers.
Si nous n'avons rien dit expressément de l'Assomption américaine,
c'est que nos lecteurs la connaissent. Le premier assomptionniste qui
débarqua aux Etats-Unis était le P. Henri Brun, l'un des quatre pre-
miers fondateurs. Il arrivait à New-York en 1890 pour servir d'aumô-
nier aux Petites Soeurs de l'Assomption, très récemment arrivées dans
CENTENAIRES 57
la métropole. Il y mourut en 1895. Au début du siècle une mission
chez les noirs s'installait en Louisiane et dût malheureusement cesser
son apostolat principalement à cause des préjugés raciaux beaucoup
plus vifs alors qu'actuellement. En 1902, débutèrent les deux parois-
ses espagnoles de New- York à la 14e et à la 15e rue.
En 1904, le collège de Worcester prenait naissance dans une
humble maison de bois. Lorsque dans trois ans, il célébrera ses noces
d'or on sera saisi d'admiration devant le monument grandiose dû
principalement à l'appui et à la coopération généreuse de la population
franco-américaine. En refaire l'histoire aboutirait à des redites.
Qu'on se souvienne seulement qu'il a donné plus de 200 prêtres, tant
séculiers que religieux; que ses anciens élèves font honneur à toutes
les professions et que la plus grande partie de notre élite s'est formée
dans ses murs.
Erigée en province en 1947, l'Assomption américaine a son noviciat
florissant à Québec, un centre de pèlerinages au Sacré-Coeur à Beau-
voir, au diocèse de Sherbrooke; elle ouvre cette année un noviciat
de langue anglaise et espagnole à Washington; elle a pris pied à
Mexico où elle construit une église somptueuse à Notre-Dame de la
Guadeloupe. Elle cherche au-delà du continent des missions pour
répondre au zèle de ses jeunes recrues toujours plus abondantes.
Voilà rapidement esquissé, tout ce que l'Assomption vient de
célébrer au terme de son premier centenaire. Il était juste d'y associer
tous nos lecteurs et nos amis.
Institut des Soeurs de Sainte-Anne
Ce fut le 8 septembre 1850, en l'église de Vaudreuil, Québec, que
celle qui fut si gracieusement surnommée "la violette" du Canada diri-
geait ses premières compagnes pour recevoir de Mgr Ignace Bourget,
évêque de Montréal, la sanction officielle de son institut naissant.
Esther Blondin venait de fonder la famille religieuse des Soeurs de
Sainte-Anne. Comme fondatrice elle prendra le nom de Mère Marie-
Anne. Son oeuvre connaîtra les épreuves. Elle-même sera mise de
côté, mais son âme grandit dans l'adversité. Ame prédestinée au matin
du centenaire de son oeuvre, elle resplendit d'une nouvelle gloire que
ses filles s'empressent de sertir au nombre des plus beaux apostolats du
siècle dernier.
L'Institut des Soeurs de Sainte-Anne a comme but spécifique:
l'instruction et l'éducation chrétienne de la jeunesse; et, dans certains
cas, les oeuvres de charité : soin des pauvres et des malades, orphelinats,
hospices et hôpitaux. Réunies en cinq provinces dont une en Nouvelle-
Angleterre et des missions au Japon et en Haïti, l'institut compte sa
maison mère à Lachine depuis 1909. Au nombre de 3,0000 religieuses,
elles sont répandues dans 18 diocèses, dirigeant plus de 125 établisse-
58 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
ments, avec 30,000 élèves et 26,000 patients. Les oeuvres varient de-
puis le collège classique, l'enseignement supérieur et primaire, les écoles
normales ,menagères, de gardes-malades ,pensionnats, écoles urbaines
et paroissiales, écoles indiennes, jardins de l'enfance, hôpitaux, hospices
et dispensaires.
C'est depuis 1866, à Oswego, New- York, que les premières reli-
gieuses s'installèrent aux Etats-Unis. L'année suivante elles parais-
saient à l'école paroissiale St-Joseph de Cohoes dans le même état.
Elles comptent présentement une vingtaine de maisons dans les diocèses
de Boston, Providence, Springfield, Albany et Worcester, où plus de
400 religieuses sont affectées à l'enseignement primaire, supérieur et
collégial. Leur collège Anna-Maria, fondé à Marlborough en 1945
est maintenant fixé à Paxton, près de Worcester.
En plus de leur académie à Marlborough, l'institut dirige nombre
d'écoles paroissiales dans les centres suivants Sainte-Marie, (1887)
Marlboro, Saint Jean-Baptiste (1900) Lynn, Saint-Jean (1925) New-
ton, Notre-Dame du Sacré-Coeur (1892) et Saint-Mathieu (1908) de
Central Falls, Saint- Jacques (1908) Manville, Notre-Dame du Carmel
(1887) Ware, Précieux-Sang (1888), Holyoke, Notre-Dame (1890)
North Adams, Sainte-Anne (1896) T urne rs-F ails, Notre-Dame du
Bon Conseil (1908) Easthampton, Saint Jean-Baptiste (1925) Ludlow.
Notre-Dame du Sacré-Coeur (1927) North Adams, Notre-Dame
(1881), Saint-Nom de Jésus (1893), Saint- Joseph (1893) et Saint-
Antoine (1897) Wo rcester, Sacré-Coeur (1885) Webster, Saint- Joseph
(1882) et Mère de la Miséricorde (1912) de Cohoes, New-York.
Dans son hommage aux religieuses centenaires, M. Lussier disait
dans son allocution du banquet du 26 avril: "Un fait à remarquer
est que le centenaire de la fondation de la communauté des soeurs de
Sainte-Anne coïncide avec le centenaire de la Franco- Américanie . Il
y a là pour moi quelque chose de providentiel. La main de Dieu est
bien apparente dans cette immigration de nos pères vers ces côtes de
la Nouvelle-Angleterre comme elle l'est dans l'implantation dans le
même territoire des communautés canadiennes-françaises de religieuses
enseignantes. Quel beau rôle de survie catholique et française ces reli-
gieuses ont joué au sein de nos populations. C'est pour rendre hom-
au siège provincial de Marlboro. Ce geste de l'élément franco-améri-
cain vis-à-vis des Soeurs de Sainte-Anne en est un d'élémentaire grati-
tude. C'est, le geste reconnaissant d'âmes que ces religieuses ont tra-
vaillé à façonner et à orienter dans le chemin de Dieu, dans un patrio-
tisme intelligent et éclairé comme dans la conservation d'un héritage
national".
CENTENAIRES 59
Institut du Bon Pasteur
C'est dans l'intimité des douze maisons qui constituent leur pro-
vince franco-américaine que les Soeurs du Bon Pasteur (Servantes du
Coeur Immaculé de Marie) célébraient au cours de l'année le cente-
naire de leur institut.
"A la plus grande gloire de Dieu et au salut des âmes". Cette
devise devait contenir tout l'enthousiasme et le dévouement que Mme
Geneviève Roy déposait, le 11 janvier 1850, dans son modeste institut.
Après la mort de son digne époux elle venait de prendre résidence chez
les soeurs de la Charité de Québec, lorsque la Providence lui indiqua
la voie d'une nouvelle fondation.
Président de la Société St-Vinvent-de-Paul de Québec, Georges
Manly Muir constatait avec désolation le triste sort fait à un certain
nombre de filles et femmes abandonnées. Il rêvait pour elles un foyer
de réhabilitation. C'est de ce désir que naquit l'oeuvre du Bon Pasteur.
Modestement inauguré dans un local de la rue Richelieu, l'institut
cheminera sa voie pour se développer en une puissante congrégation
religieuse dont les labeurs se multiplient aujourd'hui de chaque côté
de la frontière dans des oeuvres magnifiques de chanté et d'éducation.
Canoniquement institué depuis le 16 août 1921, le Bon Pasteur
compte maintenant trois provinces avec missions au Basutoland. Il
poursuit toujours fidèlement son but "donner refuge aux filles repen-
tantes et travailler à l'éducation et à l'instruction des enfants". Plus
de 1,395 religieuses se dépensent dans 72 établissements prodiguant les
soins à plus de 5,294 hospitalisés et l'instruction à 19,026 élèves.
C'est en 1882 que les soeurs du Bon Pasteur inauguraient leur
apostolat chez les franco-américains. Elles s'établissaient à Biddeford,
dans l'état du Maine. Elles comptent maintenant une province avec
près de 300 religieuses qui se dévouent dans les maisons suivantes.
Dans le Maine, diocèse de Portland, à Biddeford même, maison provin-
ciale, externat Bon Pasteur, Ecole Saint-Joseph, Maison Saint-André,
maternité établie depuis 1937; Ecole du Sacré-Coeur (1891) et Ecole
Champlain (1919) à Van Buren; Ecoles Grand-Isle (1938), Old Town
( 1938) , Hamlin Plantation ( 1944) , Nbrth Caribou ( 1944) , et Pension-
nat Bay View et la Villa Muir à Saco depuis 1949.
Dans le Massachusetts, à Lawrence depuis 1891, les soeurs diri-
gent l'école paroissiale Sainte-Anne, l'école Mont-Carmel et l'orpheli-
nat Sainte- Anne depuis 1926.
Société Saint Jean-Baptiste de New-York
Il serait assez difficile de préciser exactement à quelle date les
premiers canadien-français s'établirent à New-York et dans quelle pro-
portion se fit cette émigration. Chose certaine, Gabriel Franchère, en
60 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
1810, affirme que la population de New- York est de 90,000 dont 10,000
de langue française. Comment avait-il obtenu ces chiffres? Sans doute
qu'il existait des registres et recensements. La provenance des effectifs
n'es pas établie. Il faudrait aussi admettre que des centaines de ces
parlants français devaient être des européens.
La société centenaire possède de précieuses archives qui permet-
tent de retracer assez fidèlement le filon de son histoire. Gabriel Fran-
chère fondait donc la Société Saint Jean-Baptiste de Bienfaisance de
New-York en 1850. Il était âgé de 64 ans. Né à Montréal, le 3 no-
vembre 1786, fils de Gabriel Franchère et de Félicité Marin, mariés
à Québec en 1779.
Il avait 24 ans lorsqu'il se rendit en canot à New- York avec quel-
ques compagnons pour se mettre au service de la jeune Compagnie de
Fourrures du Pacifique, fondée par John Jacob Astor. Il fera plusieurs
voyages sur le "Tonquin" pour les relater en 1820 dans un volume:
"Relation d'un voyage à la côte du nord-ouest de l'Amérique Septen-
trionale dans les années 1810-1814". Washington Irving s'inspirera de
cet ouvrage pour écrire son roman historique "Astoria" dans lequel il
ne se montra pas trop charitable à l'endroit des canadiens-français.
En 1834, Franchère s'établit au Sault Sainte-Marie toujours dans
le commerce des fourrures. Il se rendra ensuite à St. Louis, au Mis-
souri, comme associé de la maison P. Choteau, Fils & Cie. Enfin il
fonde son propre commerce à New- York, sous la raison sociale de
Gabriel Franchère & Cie.
Il habitait la métropole depuis plusieurs années, lorsque la pensée
lui vint de fonder une société qui réunirait ses compatriotes. Il était
naturellement familié avec l'existence de la Société Saint Jean-Baptiste
de Montréal, fondée par Ludger Duvernay en 1834. Il voyait que
ses compatriotes devaient faire face à des situations de chômage qui
rendaient leur existence difficile. Le formule d'une société de bien-
faisance viendrait suppléer % ces situations d'insécurité.
Le 10 avril 1850, Le Courrier des Etats-Unis, fondé en 1828, écri-
vait sous le titre de "Formation d'une société de Bienfaisance Cana-
dienne" :
"Nous apprenons qu'une réunion des Canadiens résidant à New-
York est convoquée pour ce soir, à l'hôtel de Paris, dans le but
de fonder une société de bienfaisance. Les institutions de ce genre
outre le bien qu'elles accomplissent, ont l'avantage de resserrer
les liens de la nationalité. Aussi nos sympathies leur sont-elles
acquises, mais plus que jamais dans le cas actuel, où il s'agit d'une
population française par le langage et les souvenirs. Nous for-
mons les voeux les plus sincères pour le succès des efforts de nos
confrères canadiens et la prospérité à leur entreprise."
Le Courrier avait été fondé par la famille Sampers et desservait
partout la colonie française de la métropole. Il est évident que les
CENTENAIRES 61
relations entre français et canadiens étaient très cordiales. Le Courrier
des Etats-Unis cessa sa publication après plus de cent ans d'existence.
La réunion initiale eut donc lieu, en ce 10 avril 1850, pour amor-
cer le projet. Le nombre des présences n'est pas indiqué. L'intérêt
était cependant très prononcé. Le lendemain, on nommait un comité
chargé de rédiger un plan de constitution, à savoir MM. I. O. Besse,
président, P. A. Guy, Cyrille Benoit, George Bachelor, L. B. Toutang,
J. Biais et Charles Cordelier. On avait également nommé un exécutif
provisoire: Pierre Larseneur, président, George Bachelor, secrétaire et
Joseph Robidoux, trésorier.
Le 21 mai suivant, le travail est avancé. Nouvelle réunion et le
comité des nominations présente le rapport suivant au président pro-
visoire :
"Votre comité a l'honneur de soumettre les noms des personnes
suivantes pour remplir les diverses fonctions de cette association:
Président Gabriel Franchère; vice- président, P. Larseneur; secré-
taire-archiviste, L. F. Glackmeyer ; secrétaire-correspondant, Geo.
Bachelor; trésorier, ]. Robidoux; directeurs, MM. Cyrille Benoit,
J. B. Ledoux, Jos. Laviolette, J. O. Besse et A. Guy; commissaire
ordonnateur, Ch. Cordelier; le tout humblement soumis. Signé:
G. Franchère, président du comité."
L'élection des officiers proposés donne naissance à la société. On
adopte la constitution en stipulant que "que toute personne dont le
nom n'est pas inscrit au pied de la constitution de cette société dès ce
soir, ne soit pas considérée comme membre fondateur de cette société."
L'oeuvre est née et de suite les membres songent à organiser leur pre-
mière fête de la Saint-Jean-Baptiste.
Dans le préambule de la constitution il est écrit:
"Les Canadiens de New-York, vivement pénétrés des avantages
de l'association, et voulant rouvrir à leurs compatriotes loin du
pays de leur naissance une seconde patrie et une autre famille, ont
fondé une Société, de Bienfaisance destinée à les réunir sous des
lois fraternelles".
Précisant le but de cette fondation. Antoine Fitzpatrick écrira en
1925 dans "Hier et Aujourd'hui":
"Ses directeurs songent à réunir une poignée de Canadiens dans
une même unité de pensée et d'action afin d'en faire une forme
de résistance contre l'envahisement toujours grandissant des théo-
ries nouvelles et pernicieuses, contre les déboires inhérents à l'exis-
tence en pays étranger et en même temps une force d'initiative
suffisante pour encourager l'effort individuel, ranimer le courage
chancelant des timides, des indécis, venir en aide aux indigents et,
de ce fait, contribuer au bien-être général de la communauté.
Leur ambition va plus loin. Ils entretiennent l'espoir de voir leur
62 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
association devenir en quelque sorte un chateau-fort toujours prêt
à prêter mainforte aux nouveaux venus et "à la masse considérable,
mais moins homogène des Canadiens répandus un peu partout
aux alentours. Aussi la société est-elle appelée à jouer un rôle
important auprès de la colonie canadienne de New-York. Plu-
sieurs de ses membres s'imposent déjà à l'attention de leurs com-
patriotes par leur esprit d'entreprise, leur patriotisme, leur activité.
Leurs noms devaient figurer plus tard parmi les plus marquants
de la colonie."
Gabriel Franchère qui avait été l'inspirateur de l'entreprise en
demeura l'âme jusqu'à sa mort, survenue le 13 avril 1863, chez son
gendre, John B. Prince, maire de Saint-Paul, Minnesota. Il avait 77
ans. Le major Mallet affirme qu'il avait 70. Est-ce erreur de typo-
graphie?
Franchère consacra son dévouement au développement de la
société. Il l'aimait comme un père. Conférencier très renseigné, il
inaugura pour ses co-sociétaires des "lectures" et souvent il intéressait
lui-même vivement les auditoires qui les fréquentaient. Peu de détails
nous sont connus sur sa fin. Il est tout naturel de conclure qu'il vivait
dans son âme un idéal chrétien très élevé. Comment concevoir qu'un
compatriote de cette époque n'était pas intimement associé des préoc-
cupations religieuses à une société de bienfaisance. D'ailleurs la foi
chez nos devanciers était de tout repos et toutes nos sociétés de bien-
faisance n'avaient pour devise que ces valeurs "Religion et Patrie."
Dans son ouvrage "Les Canadiens de l'Ouest", vol. 2e, p296
(1876), Joseph Tassé lui rend cet hommage:
"Dans tout le cours de sa vie, Franchère se fit remarquer par sa
ferveur religieuse, son urbanité et une stricte honnêteté. Il se plaisait
à venir en aide à ses nationaux ,et il leur a rendu des services signalés
sur la terre étrangère; aussi les Canadiens de New-York en particulier
le considéraient comme un protecteur. "Franchère avait eu plusieurs
enfants de son mariage, et il se trouvait à Saint-Paul, chez son beau-
fils, M. John S. Prince, maire de la capitale du Minnesota, lorsqu'une
maladie fatale l'enleva à l'affection de sa famille et de ses nombreux
amis, à l'âge avancé de soixante-dix-sept ans. C'était le dernier survi-
vant de la célèbre expédition d'Astoria qui s'éteignait doucement au
milieu des regrets et de l'estime de ses concitoyens."
Le premier événement consigné dans les archives est bien la célé-
bration de la fête patronale. Un communiqué en date du 4 juin 1850
annonça :
"Que pour se conformer à l'usage au Canada, il convient de
proclamer la fête de la Saint Jean-Baptiste, le 24 juin prochain; résolu:
qu'il est convenable d'inaugurer cette journée par la célébration d'une
messe à l'église française (l'église Saint-Vincent-de-Paul) , située rue
Canal . . ."
CENTENAIRES 63
La fête a lieu. Charles Cordelier en fait rapport avec grande
satisfaction. Soixante-deux personnes ont assisté au banquet. L'année
suivante, la fête se répète avec un plus grand succès. Des orateurs
distingués honorent la manifestation. La tradition est établie et se
maintiendra fidèlement chaque année, variant avec les circonstances.
L'émulation est semée. On fondera bientôt un Institut Cana-
dien de New York, à l'instar de celui de Québec, établi en 1848.
Georges Bachelor en devient le président. Les relations avec la Société
Saint Jean-Baptiste de Québec s'établiront cordiales et sympathiques.
Le docteur Martial Bardy et le maire de Québec, Hector Langevin,
ne ménagent pas leur encouragement.
Franchère entretient des relations suivies avec ses frères du Canada.
Il visite la Société Saint Jean-Baptiste de Montréal en 1853. On lui
fait une ovation. Il est acclamé comme un précurseur d'un grand
mouvement de solidarité française aux Etats-Unis. En 1861, une
délégation de New- York assiste aux grandes fêtes de la Saint Jean-
Baptiste à Montréal.
La société se développe. Son trésor est solide et la plus grande
confiance anime les membres. En 1859, Lincoln est élu à la prési-
dence. Des troubles politiques se dessinent à l'horizon. La guerre de
sécession s'en mêle et les officiers, le 18 mars 1862, témoignent de leur
inquiétude, car bon nombre de membres sont déplacés par les événe-
ments. Tout de même une soirée de gala, en février 1861, avait eu
un beau succès.
La mort du fondateur vient à son tour assombrir le progrès de la
société. Franchère sent le poids des années. Il a abandonné le com-
merce. Il comprend qu'il ne peut plus guider la société qu'il aime.
Il se laisse nommé président honoraire. Il quitte New- York pour
terminer ses jours à Saint-Paul, Minnesota, petite ville fondée par
Jean-Baptiste Faribault. Son gendre en est le premier magistrat.
La société apprend ce deuil avec douleur. Le président V. P.
Dillon adresse à l'épouse du fondateur l'hommage suivant, le 15 avril
1863:
"La société Saint Jean-Baptiste vient de perdre en lui un membre
zélé et un administrateur modèle dont nous avons pu admirer de près
toutes les grandes qualités de coeur et de l'esprit. Outre les vertus
domestiques et sociales qui le caractérisaient, le regretté défunt s'était
acquis des droits à l'hommage de ses compatriotes des Etats-Unis et
du Canada, à l'estime de ses concitoyens américains et au respect du
monde, par ses voyages ,par ses écrits par ses causeries, par ses discours
si pleins de patriotisme, d'instructions et de recherches. La Société
participe en conséquence aux regrets si légitimes que sa mort ne peut
manquer d'exciter parmi les personnes qu'honorent l'intelligence et le
travail. Nous désirons offrir à sa veuve, Mme G. Franchère, qui était
64 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
de moitié dans tous ses actes de bienveillance patriotique et de charité
chrétienne, ainsi qu'aux autres membres de sa famille, nos sincères
condoléances sur V irréparable perte que nous avons faite en commun."
Le 1er juin 1864, la société distribue son portrait de vieillard à
longue barbe blanche, le seul qui soit conservé du fondateur. En hom-
mage à sa mémoire, la Société Saint Jean-Baptiste de Springfield est
fondée. Qui sait, si un jour, un mémorial ne sera pas élevé sur les
restes de ce grand patriote qui attacha son nom à l'une de nos pre-
mières institutions de bienfaisance au pays. Les compatriotes de New-
York et de Saint Paul accompliraient ainsi un geste de fierté et de
reconnaissance.
Paroisse St- Joseph de Burlington, Vermont
Dans son ouvrage "Les Canadiens-Français de la N ouvelle-Angle-
paterre", le R. P. Edouard Hamon, s.j., a raconté les origines de cette
paroisse recueillies dans les registres. Ces notes sont à peu près les
seules qui existent au sujet de cette fondation. Tous les autres histori-
ques ne sont que des commentaires ou reproductions de ces pages qu'il
est utile de transcrire ici.
"St-Joseph de Burlington fut la première paroisse dis-
tincte que les Canadiens établirent dans les Etats de la Nou-
velle-Angleterre.
Jusqu'en 1837, Canadiens et Irlandais n'avaient eu
qu'une seule église dans la ville de Burlington. Les Know-
nothings l'ayant brûlée cette année, les Canadiens résolurent
alors de se séparer des Irlandais. Tout près de l'emplacement
de l'ancienne église, ils élevèrent une modeste chapelle, qui
fut successivement desservie par deux prêtres français, MM.
Petithomme et Ancé. Mais vers 1845, M. Ancé ayant quitté
Burlington, toute l'entreprise s'en alla en ruine. Le petite
chapelle vendue à un M. Baxter fut convertie en magasin et
les Canadiens se réunirent de nouveau aux Irlandais dans
l'église Ste-Marie.
"Pourtant cet essai infructueux ne les avait pas décou-
ragés. Aussi quand, en 1850, le Rév. Jos. Quévillon, le pre-
mier prêtre Canadien qui ait exercé le ministère d'une ma-
nière permanente aux Etats-Unis, vint leur offrir de les former
en paroisse, ils acceptèrent avec empressement, et tout de
suite l'on se mit à l'oeuvre.
Le 28 avril 1850, une assemblée de 300 Canadiens, pré-
sidée par M. Mignault, curé de Chambly et vicaire général
du diocèse de Boston, décida de demander à l'Evêque une
église séparée.
CENTENAIRES 65
Les considérants sur lesquels on appuya cette pétititon
furent :
1. Qu'il est expédient d'avoir un temple pour
y célébrer les offices divins pour le plus grand avan-
tage de la congrégation canadienne-française .
2. Qu'un bon nombre parmi eux, ignorant la
langue anglaise, se trouvent gênés, et pour mieux
dire incapables de remplir leurs devoirs religieux,
dans une langue différente de la langue de leur
mère, la langue française. En conséquence, ils se
voient obligés d'aviser aux moyens de se séparer de
la congrégation des Irlandais, pour remplir plus fa-
cilement et plus avantageusement les devoirs que
leur prescrit notre sainte religion et notre sainte
Mère l'Eglise romaine".
On nomma donc un comité composé de MM. Fis Lapointe, Ed.
Paradis, J. B. Denys, Aug. Beauregard, Capitaine Tucker, M. Clark,
Frs. Leclaire, Chs. Lafontaine, Jos. Niquette, Ls Ledoux et J. B. Pépin,
pour choisir un terrain et bâtir une église.
"Le même, jour, M. Mignault et les syndics se transportèrent
sur l'ancien terrain donné à la congrégation catholique de Burling-
ton, par le Colonel Hyde pour y construire Eglise, sacristie, cou-
vent et écoles, et là sur le lieu, Messïre Mignault, en sa qualité de
grand vicaire, a désigné et marqué la place où devait s'ériger le
nouveau temple, c'est-à-dire, près de l'ancienne église catholique
française dont on voit encore les ruines.
Signé Jos. Que v Mon, Ptre
Missionnaire deservant de la congrégation française de Burlington.
(Extrait des registres de la paroisse St-Joseph).
"Tout-à-coup, l'on se trouve en face d'un obstacle fort inattendu.
Les Irlandais catholiques s'opposaient et à la séparation des Canadiens,
et à la cession du terrain qu'on avait choisi pour y bâtir la nouvelle
église. Que faire?
Le capitaine Tucker, un américain converti, témoignait beaucoup
de sympathie aux Canadiens. De plus, c'était un ami personnel de
l'Evêque de Boston, Mgr Fitzpatrick. Il s'offrit pour aller plaider la
cause des Canadiens, et quelques mois plus tard, il rapportait de Boston
la permission de fonder une nouvelle paroisse. Quant au choix du
terrain, l'Evêque n'avait rien voulu décider. Le premier obstacle sur-
monté, les Canadiens se mirent bravement à attaquer le second.
Le 21 juillet 1850, nouvelle assemblée. Il y fut résolu que:
"vu l'opposition des Irlandais de cette ville aux Canadiens de bâtir
sur l'ancien terrain donné à la congrégation catholique romaine
66 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
pour la bâtisse d'une église, par le colonel Hyde, il était expédient
pour le maintien de la paix entre les deux congrégations, de céder
ce droit, à la vérité bien dû, mais qui pouvait être plus tard un
sujet de désordre et de scandale pour la religion et pour nos frères
séparés . . . En conséquence, il fallait aviser aux moyens d'acqué-
rir un nouveau terrain pour y bâtir l'église."
Signé, Jos. Quévillon, Ptre
(Extrait des Registres de la paroisse St- Joseph)
Un peu en dehors de la ville, à mi-chemin entre Burlington et
Winooski, où se trouvaient bon nombre de Canadiens, l'on acheta sur
une colline un vaste terrain et l'on résolut d'y élever la nouvelle
paroisse, sous le vocable de St-Joseph, le patron de la Nouvelle-France.
La bénédiction de la première pierre eut lieu le 22 août 1850 en
présence de MM. J. Gravel, ptre, B. J. Leclaire, Gédéon Huberdault,
J. Laroque, Jos. Quévillon et P. M. Mignault, curé de Chambly et
vic-gen de Boston. (Extrait des Registres)
Le 1er juin 1851, l'église St-Joseph était bénite. Les Canadiens-
Français prenaient possession de la première paroisse établie par eux
dans la Nouvelle-Angleterre.
Nous venons de le voir, ce fut par la lutte, au sein de la tempête,
et non sous l'influence d'un soleil bienfaisant que naquit la première
paroisse canadienne aux Etats-Unis. La chose se renouvellera plus
d'une fois dans l'avenir."
La première messe avait été célébrée le 6 avril 1850 par l'abbé
Quévillon dans l'ancienne "court house" aujourd'hui la Mary Fletcher
Library. Au sujet de la première église de briques érigée en 1850, sur
la colline, à l'extrémité de la rue Gough, aujourd'hui rue Prospect, il
ne reste plus que ce qui servait de sacristie et de presbytère, transformé
en logis. En face de l'église, l'abbé Cloarec établissait le cimetière
paroissial Mont-Calvaire et Mgr de Goesbriand le bénissait le 4 juillet
1878.
La paroisse Saint-François-Xavier de Winooski ayant été organisée
en 1868, l'église Saint-Joseph n'accommodait plus toute la population
française de Burlington qui s'était dirigée vers le centre de la ville.
On songea donc à un nouveau temple plus spacieux. Un terrain fut
acheté sur la rue Allen et le 4 juillet 1884, la cérémonie de la pierre
angulaire avait lieu. Le 14 juin 1887, en la fête Saint Jean-Baptiste,
Mgr Charles Edouard Fabre, archevêque de Montréal venait bénir
l'église et Mgr De Goesbriand chantait la messe pontificale.
A l'occasion de la célébration de ce centenaire, le 25 juin 1950,
l'Union St Jean-Baptiste d'Amérique présentait à la paroisse un ma-
gnifique tableau de bronze avec l'inscription suivante:
"Paroisse Saint-Joseph, Burlington, Vermont. La Première pa-
roisse catholique, nationale et distincte, des Franco- Américains
CENTENAIRES 67
en Nouvelle-Angleterre. Fondée le 27 avril 1850 par Sa Gran-
deur Mgr Fitzpatrick, troisième évêque de Boston. Plaque érigée
par l'Union Saint Jean-Baptiste d'Amérique. Célébration du
centenaire, le 25 juin 1950.
Sur l'emplacement de la première église, rue Prospect, en face
du cimetière, une pierre commémorative fut aussi érigée par le Conseil
de Goesbriand avec le texte suivant:
"Cette pierre marque l'emplacement de la première église Saint-
Joseph, paroisse nationale des Franco-Américains, construite en
1850."
Autour des conférences Podea-Wade
Le 29 décembre 1949, les sociétés American Historical Association
et American Catholic Historical Association tenaient une réunion con-
jointe, à l'hôtel Statler de Boston. C'était à l'occasion de la 64me réu-
nion annuelle de la première. On avait intitulé cette réunion' French-
Canadian Immigration into New-England in the Nineteenth Century"'
Elle avait lieu dans le salon Georgian, sous la présidence du Rév.
Robert H. Lord, ancien professeur d'histoire au Séminaire St. John
de Brighton, Mass.
Deux travaux furent présentés: ''Québec to Little Canada: The
Corning of the French Canadians to New England in the Nineteenth
Century" par Mme Iris Saunders Podea, de West Long Branch, New
Jersey et "The French Parish and Survivance in Nineteenth Century
New England" par Mason Wade, de Windsor, Vermont. La discus-
sion était ensuite soutenue par le R. P. Edward H. Finnegan, s.j., du
Boston Collège et J. Bartlet Brebner, de l'Université Columbia.
L'événement suscita un certain intérêt chez les Franco-Américains.
On se demandait de quelle façon serait traité un tel sujet. M. Lajoie
témoignait une certaine crainte le 13 décembre dans "On va parler de
notre histoire". Plusieurs compatriotes assistaient donc à la réunion.
Me Eugène Jalbert, ancien président de la Société Historique, se per-
mit de faire certaines précisions durant les quelques moments qui lui
furent aloués.
Après avoir félicité les conférenciers Me Jalbert ajoutait: "il est
regrettable que le temps ne me permette pas de prolonger les observa-
tions que m'inspirent ces travaux. Je me contenterai donc de terminer
par deux brèves observations. Vous avez pu constater par les confé-
renciers que nous venons d'entendre les sacrifices et les misères que les
Franco-Américains subirent et s'imposèrent pendant 50 ans pour la
triple survivance de leur foi, de leur langue et de leurs traditions et
vous connaissez les succès qui vinrent couronner leurs efforts. Leur
désir de conserver leur personnalité propre est, vous vous en rendez
compte, un désir légitime que l'histoire justifie pleinement, l'ous com-
prenez donc, lorsque je vous dirai que dant trois diocèses de la Nou-
velle-Angleterre les Franco-Américains constituent la grande majorité
des fidèles, pourquoi nous ambitionnons d'obtenir, dans la hiérarchie
épiscopale, le rang et la place qui nous reviennent. Chez un peuple
qui se développe et qui grandit comme le nôtre, une telle ambition est
certes très louable."
Les textes des deux causeries furent publiés et commentés dans "Le
Travailleur", 16, 23 février, 9, 16 mars et 6 avril 1950, pour la con-
AUTOUR DES CONFERENCES PODEA-WADE 69
férence Wade: les 26 et 29 janvier pour la causerie Podéa. "L'Indé-
pendant" également publia les deux textes avec commentaires.
Dans la "Revue d'Histoire de l'Amérique Française, déc. 1950,
M. Adolphe Robert résume la conférence de M. Wade avec cette
conclusion: "S'il en est qui se donnent la peine de comparer le présent
exposé avec le texte original ils trouveront que le commentaire s'écarte
de l'ordonnance du texte, tout en respectant le sens historique et l'in-
tention de M. Wade. Il n'existe guère de fils conducteurs dans son
travail. Tout est donné en vrac et va comme je te pousse. Nous
avons voulu y suppléer par une division chronologique, balisée par
l'insertion de sous-titres." Et comme jugement d'ensemble M. Robert
ajoute: "il faut reconnaître que M. Wade a eu le souci de l'objectivité
dans la reconstitution de l'histoire de nos paroisses. A suivre sa pensée,
l'on sent s'opérer une évolution qui, du canadianisme du dix-neuvième
siècle, nous amène au franco-américanisme du vingtième siècle."
(Paroisse et Survivance). (RHAF, déc. 1950. p. 452).
Dans "La paroisse franco-américaine et le survivance au XIXe
siècle" (1) M. Robert avait qualifié la conférence de "grande fresque,
haute en couleurs, où les dessins s'entremêlent sans grand souci de
charpente ou d'ordonnance de plan". Mais il acceptait la conclusion
de M. Wade à savoir que
"The French parish has remained the bulwark of the Franco-
American's remarkable résistance to complète cultural fusion
in the American mass, while the Franco- American record in
industry, govemment, and military service has refuted the
nineteenth century nativist's dire forebodings that the esta-
blishment of national parishes meant the end of the Republic.
Frictions there hâve been, still are, and presumably will be in
the future, but the Franco-American has become as typical of
New England as the Yankee and the Irishman, and has en-
riched it religiously as well as otherwise."
Résumant la discussion après les causeries, par le R. P. Finnigan
et M. Brebner, M. Robert ajoutait: "tous deux reconnurent franche-
ment que les Franco- Américains grâce à leur mystique de survivance,
avaient enrichi l'Eglise et la Patrie d'institutions religieuses et sociales
qui leur font honneur, et cela sans faire tache dans le cadre de la
démocratie."
Et comme leçon qu'il voulut en retirer, il dira enfin : "Tout au
long des conférences, de même que pendant la discussion . . . j'avais,
pour ma part l'impression que Je peuple franco-américain était sur la
sellette et que l'on était en train de faire son procès. Et lorsque tout
fut terminé, cela donnait l'impression que ce procès, nous l'avions
gagné." La paroisse franco-américaine , bastion de la survivance!
(1) Le Canado- Américain, février 1950.
70 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
"C'est elle qui nous a protégés au XIXe siècle. C'est elle aussi qui
nous sauvera durant ce XXe siècle. Et voilà pourquoi il est plus
urgent que jamais d'y rester fidèles, de la fréquenter, de la sustenter
de nos argents, d'empêcher que l'on en modifie le caractère, parce
que, suivant la pensée de Machiavel, "les changements de religion et
de langue étouffent la mémoire des choses".
Au sujet de la conférence Podea, M. Robert se montre moins
enthousiaste. Il lui reconnaît du mérite. Ses conclusions généralisent
peut-être un peu trop. Certaines nuances s'imposaient. Et puis, il ne
suffit pas de souligner seulement les ombres au tableau. Et il note:
"non pas que la conférencière ait présenté un travail définitif, mais
on la sentait disposée à une appréciation honnête et à un jugement
objectif."
M. Lajoie dans L'Indépendant (Fall-River) (9 janvier 1950)
écrira: "la documentation de la conférence est empruntée en majeure
partie à des rapports administratifs compilés dans des bureaux de
villes, d'états, ou de recensement fédéral. Au fait, tout ce qui dans le
travail Podea peut sembler un peu outré, s'inspire de cette documen-
tation, dressée, on ignore avec quel degré de probité, par des officiels
anglo-irlandais qui ne devaient pas éprouver pour nos anciens plus
de sympathie qu'un grand nombre de leurs successeurs en éprouvent
pour les nôtres en tant qu'élément. A la lecture des choses parfois
lamentables que ce travail donne . ... on est gagné par l'impression
que l'auteur aurait mieux servi la cause de l'Histoire, si elle avait
cherché en tout cela, à faire le partage des responsabilités .... Ces
précisions de même que certains parallèles n'entraient peut-être pas
dans les attributions de la conférencière. On le regrette .... M. Breb-
ner .... l'un des deux appréciateurs . . .a remis un peu les choses
dans leur perspective vraie quand il dit (entre autres choses non moins
justes) que les Canadiens-français venus en Nouvelle- Angleterre n'ont
fait ni mieux ni pire que ceux qui ont immigré ici avant eux et après."
Pour M. Wade, M. Lajoie écrira: "il y a dans le tableau brossé
par le professeur Wade des ombres et de la lumière. A tout hasard,
c'est une page d'histoire très riche. On observe chez l'auteur le
souci de l'impartialité. A ce titre ce travail mérite d'être parcouru
par ceux dont ces luttes trop facilement oubliées ont assuré la survi-
vance religieuse et ethnique en terre américaine."
Au compte des autres réactions, Desormeaux écrira dans Le Tra-
vailleur (23 mars 1950) "la conférence de monsieur Wade restera le
témoignage le plus sympathique qui ait été rendu aux Franco-Améri-
cains durant ce dernier quart de siècle . . ." Et de Mme Podéa (19
janvier 1950) il déplore que "pour n'avoir pas pénétré l'âme franco-
américaine, elle n'a pas su donner à notre passé tout son sens histori-
que. Et ces vérités incomplètes peuvent être en l'occurence, aussi
perfides que des erreurs . . . ."
AUTOUR DES CONFERENCES PODEA-WADE 71
Le professeur Alexandre Goulet se réjouit que le sujet ait été
abordé par ces deux importantes sociétés d'histoire. Il les remercie
"d'avoir posé un jalon qui suscitera, soyons-en sûrs, une abondance
d'études publiées dans les meilleures revues du pays. Les cinquantes
années du vingtième siècle y trouveront leur compte et leurs apolo-
gistes."
De tout cela, il résulte que les Franco-Américains existent et ne
s'en portent pas plus mal. Au fait les deux conférenciers n'ont rien
révélé aux Franco-Américains. Tls ont porté à l'attention d'un public
de langue anglaise une page douloureuse mais aussi glorieuse de notre
histoire. M. Wade avait déjà étudié d'assez près le fait français sur
cette partie du continent dans son "Canadian Outlook". Ce qui l'im-
pressionne c'est le secret de cette ténacité, chez ces humbles émigrés,
à se conserver dans leur climat culturel et religieux, malgré bien des
obstacles. Il entasse faits et gestes pour expliquer le succès de cette
gageure.
Mme Podea, elle, s'attarde surtout aux conditions sociales et écono-
miques de l'époque. Peut-être elle-même descendante de parents
émigrés, elle peut ressentir dans son âme émotive toutes les laideurs
d'une existence qui ne jouit pas alors de tous les conforts modernes.
Elle oublie ou ne dit pas, que ce sort n'est pas exclusivement celui des
émigrés canadiens-français, mais qu'il est partagé par la très grande
partie de la population des villes industrielles, faites de gens modestes
de toutes les nationalités. Elle pourrait même se promener aujourd'hui
dans de nombreux endroits du pays et constater des conditions aussi
sordides!
Allons-donc, pourquoi gémir! Nos devanciers l'ont eue dure
l'existence. Elle l'était alors pour tout le monde. Ce qu'il y a d'im-
portant c'est qu'en dépit de tout cela, la franco-américanie rayonne
aujourd'hui dans le couronnement de ses efforts. Ce qui intéresse
surtout les Franco-Américains actuellement, ce n'est pas tant l'âge
de la grande noirceur, mais bien leur comportement actuel pour
l'avenir.
Enfin, des causeries de cette facture prouvent toujours, qu'en
écrivant l'histoire, pour la rendre utile et profitable, il faut savoir
découvrir l'idéal et la mystique qui poussent les hommes à se grandir
pour aussi faire grandir la patrie, qui, elle, doit toujours conserver
avec tendresse le souvenir de leurs sacrifices.
VI
Pièces d'archives
Documents acadiens tirés des Archives
de l'Etat du Massachusetts
Arthur L. Eno *
Deuxième Partie
No. 11
Thèse may certify that we the Suscribers Selectmen of Marsh-
field, sometime in February last were at ye House of Mr. Nath Ray
Thomas in Marshfield to view the circumstances of the French People
under this case, and found them well provided for, but they behaved
themselves very unbecoming to Mr. Thos by absolutely refusing to obey
his resonable command, and insulted him very much by many threat-
ning Speaches, and much foui language and are a very ungoverned
Moross (?) Family.
SETH BRYANT
February 2 1 th 1758 THOS WATERMAN
No. 118
In the House of Représentatives January 5. 1759.
Resolved, That there be allowed to be paid out of the public
Treasury to Jacques Morris the sum of Seven pounds eight Shilings
and two pence, being the neat proceeds paid by Roland Cotton Esqr.
into the Treasury on sale of certain Canoës, in which the said Jacques
Morris, etc. then to this Province, from some of his Majesty's Southern
Governments.
Sent up for Concurrence.
T. HUBBARD, Speaker
In Council January 5, 1759.
Read and Concurred.
A. OLIVER, Secretary
Consented to
POWNALL
* Ces pièces, extraites par M. le juge Arthur-L. Eno, proviennent du
volume XXIV (1758-1769), intitulé "French Neutrals", des Archives de la
State House de Boston, Massachusetts. A leur suite se trouve un index de tous
les documents de ce volume XXIV, compilé par M. Emo. (*Pour la pre-
mière partie, voir le "Bulletin de la Société historique franco-américaine". 1948-
1949, pp. 58-78).
PIECES D ARCHIVES
73
No. 136
Province of the To His Excellency Thomas Pownal Esquire
Massachusetts Bay Captain General and Governour in chief in and
over his Majesties Province aforesaid and to the
Honorable his council assembled at Boston Jan-
uary 22, 1759.
This Mémorial of Ebenr. Harnden of Malden in the county of
Middlesex humbly shows
That your memoralist on the 15th of March 1757 at the Request
of the rest of the Selectmen of the town of Malden aforesaid under-
took and provided for the Late Inhabitants of Nova Scotia being Eleven
in No. (by Order of your Honour Sent thither) by the space of 37
Weeks i.e., from the 15th of March aforesaid to the 29th of November
then next following during which time they had much sickness amons;
them which added greatly to the Burthen notwithstanding which your
memorialist faithfully Discharged the Trust Reposed in him promissing
him self your honour Appropriation and Allowance for the Monies Ex-
pended for that purpose and his troubles therein.
In Confidence whereof he together with the other Selectmen on
the 29th of November aforesaid Exhibited a new Account of the Monies
Expended together with the Several Perticulary and their respective
priées amounting to in the whole L54" 18" 5 Yet so it was your Honr.
allowe but L46" 19" 5 making a Déduction of L17" 19" which your
memoralist persuaded ( ?) himself would never hâve been done could he
hâve had the Opportunity of urging the reasonableness of the Demand
from the then difficult Circumstances attending those people together
with the monies he actually payed out for their Provision.
Wherefore your memorialist Earnestly Prayes That your Excellency
and Honr. would Reconsider the aforesaid acct and allow him the
aforesaid Sum L7" 19" which was then deducted the Reasonableness
of which he (?) persuaded himself (if admitted) he can satisfactorily
urge
Which that he may obtain he shall continue as in Duty bound
Ever to pray, etc.
EBENR. HARNDEN
No. 215
The Committee upon the Pétition of the Selectmen of Milton
beg to leave to report That Alexis Brow and Family now in Milton
consisting of eight Persons be removed by the Selectmen of Milton
(if they see cause) to the Town of Hull, and that the Selectmen of
Hull be hereby directed to receive and take care of 3 French Family
agreeable to the several Laws and orders now in form.
W. BRATTLE
April 21, 1759 By order
74 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
In Council April 21, 1759, Read and Accepted and Ordered That
the Selectmen of the Towns of Milton and Hull conform themselves
accordingly.
Sent down for Concurrence.
A. OLIVER, Sec.
In the House of Représentatives April 21, 1759.
Read and Concurred.
Attested ROLAND COTTON,
Cler. Dom. Rep.
In Council June 6, 1759 Resolved that the foregoing order be
revived, and that the Selectmen of the Towns of Milton and Hull be
directed to conform themselves accordingly.
Sent down for Concurrence.
A. OLIVER, Sec.
In the House of Repes. June 11, 1759 Rea dand Concurred.
Attested ROLAND COTTON,
Cler. Dom. Rep.
Consented to POWNALL.
No. 233 To his Excellency Thomas Pownall Esquire
Province of the Governour and Commander in Chief in and
Massachusetts Bay over said province the Honourable His majests
Council and House of Représentatives in Gen-
eral Court assembled at Boston the first Day of
November A. D. 1759.
The Pétition of the Selectmen of Billerica in Behalfe of said Town
Humbly Showeth.
That in the year 1755 in the month of January the Committee
appointed to Distribute the late French Inhabitants of Nova Scotia
into the Several Towns in this province was pleas to send to Billerica
John King his wife and six children ail small excepting one — and one
Ann King a kinswoman to the said John who had a childe not long
after she came to Town and is since married to one John Mitchel one
of the late inhabitants of Nova Scotia who was carried to London
Derry and since came into this province by whom the said Ann has
had one childe.
That the said King is an old man of seventy three years old unable
to labour much, his wife a young woman by whom he has had two
children since they came to town.
That the oldest daughter of the said King is married to a French
man taken in the last warr and has had one childe so that there is now
ten children the oldest but about thirteen years old making in ail
fourteen. That the said famaly came to Town poor and naked unable
to do anything towards finding provision.
PIECES d'archives 75
That they hâve been very chargable to said Town which has
Brought on a Heavy Burden of tax upon the people beside the Publick
Charge which Burden the poorer sort of People amongst us are not
able to Bear, and what renders it most Difficult, the term for which
we Hired the house in which said people lived expires the 19th of this
month and the owner thereof will not let it any longer but will pull it
down being an old house and not suitable for people to Dwell in. That
your Petitioners were obliged to hire two rooms of Town for the Two
woman that are married their being none To be Hired in Town upon
any Terms their Husband paying one half of said Rent.
That there is no buildings in Town but what are made use of.
Neither can we at this season of the year Build a House sutable for so
large a famaly, and as some Towns hâve not been Burdend as we hâve
been and hâve Building in which they may be comfortable in the winter
season.
Therefore your Petitioners most Humbly Pray your Excellency and
Honour would be pleased to Remove the said Famaly as soon as pos-
No. 234
sable for the Reasons mentioned or retrieve your Petitioners in some way
as in your wisdom you shall judge best and as in Duty Bound shall
ever pray.
WM. STICKNEY
BENJAMIN LEWIS Selectmen
JOSHUA DAVIS of
JOSHUA ABBOTT JUNIOR Billerica
ISAAC MARSHALL
In the House of Représentatives November 9, 1759.
Read and voted that the within named John King and his Family
be removed from Billerica to Dunstable at the Charge of the Town of
Billerica. Also voted that the Selectmen of Dunstable be and they
hereby are directed to receive the said King and Family and make
suitable provision for them.
Sent up for concurrence.
S. WHITE, Speaker.
In Council November 9, 1759 Read and Concurred.
THOS. CLARKE, Dpty. Secry.
Consented to
POWNALL.
No. 275
To his Excellency Thomas Pownal Esquire Captain General and
Commander in Chief in and over His Majesties Province of the
Massachusetts Bay in New England and to the Honourable his Majes-
ties Council and House of Représentatives in Great and General Court
Assembled in the province House at Boston the Nineteenth day of
March 1760.
76 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
We the subscribers Selectmen of Acton Humbly Show that where-
as in the distribution of the french neutrals from Nova Scotia into the
Several Towns of this Province to be provided for and supported ac-
cording to the order of this Honourable Court a certain family of said
French Neutrals consisting of eight persons viz: Mr. Francis Robi-
cheaux his wife and three children also his aged mother and two women
were committed to this Infant Town to be provided for as before men-
tioned unto which family there hath been an addition of two children
since their arrivai at Acton which numerus family hâve been provided
for and supported hère as the Law directs with great difficulty said Mr.
Robicheaux's imploy as we are informed not having been much in
husbandry but business on the sea and sometimes in working aboard
vessel on which account he has been the less capable of profitable busi-
ness among us for the supporting his family not only the difficulty of
procuring provisions for said family increasing but also of providing
an habitation for them for the future expecting we must speedyly
through necessity be at the cost of building a house for them to dwell
in and considering some Towns in this province hâve not received and
Supplyed a french family as we hâve done notwithstanding our feeble
condition also that some french familys hâve been removed from the
Towns where they resided a considérable time to other places oui-
humble Request is that the french family which has been so long with
us may be removed to some other Town as this Honourable Court in
their wisdom may see fit and your Honours Humble petitioners as in
duty bound shall ever pray.
JONATHAN HOSMER Selectmen
JOHN HAILD JUNIOR of
FRANCIS FAULKNER Acton
Acton, March
ye 8: 1760.
No. 328
The Committee appointed to make Division of the French People
in the County of Worcester the late Inhabitants of Nova Scotia into
the Several Towns within said county Beg leave to report.
That on the 6th June they met and made the followini{
Division
John Labear
his wife
Nory Labear
7 Joseph Labear \ to Worcester
Stephen Labear
John Labear
Mary Labear
PIECES D ARCHIVES
77
No. .329
Simon Blanc
Jane his wife
6
Peter Blanc
Amos Blanc
Magdalen Blanc
Mary Blanc
Justin White
his wife
6
Justin White
John White
Charles White
Elizabeth White
Benony Meloso
4
Mary his wife
Bezaleel Moloso
Cane Meloso
2
Joseph Meloso
Simeon Meloso
1
John Meloso
2
Mary Meloso
2
Margaret Meloso
Margaret Guirdo
Morine Guirdo
Margaret Guirdo
Stanislaus Guirdo
Mary his wife
his Daughter
a Little Child
of his
Maudlin Gadrick
Isaac Guirdo
Gloud Dugut
Margaret his wife
John Dugut
Charles Dugut
Mary Dugut
Margaret Dugut
Joseph Dugut
.to Westboro
.to Rutland
.To Lunenburg
To Hardwicke
.Rutland District
...To Leominster
.To Southboro
.To Brookfield
.To Grafton
.To Uxbridge
78
BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
2
Gould Dugar
and his wife
► To Sturbridge
3
Margaret Dugar ]
Matten Dugar | To Oxford
Felicity Dugar j
2
Charles & Joseph
Dugar
► To Charlton
2
Elizabeth Dugar
Hannah Dugar
► To Dudley
3
1
7
Charles Belleine
his wife and
youngest child
his other child
Charles Belleve
Eunice Belleve
Charles Belleve Jr.
Margaret his wife
Peter, Mary and
Michael the children
- To Leicester
To Spencer
}► To Mendon
No.
330
2
Sarah Belleve
Isdore Belleve
■ Upton
1
Eunice Belleve
To Douglass
1
Nattaly Belleve
To Holdin
2
Joseph Belleve
Elizabeth Belleve
■ To Weston
6
Joseph Leblain
Mary his Wife
Isabel, Samuel,
Charles and
Margaret Leblain
> To Sutton
1
Mary Leblain
New Braintree
1
John Baptis
Westminster
1
Richard Leblain
Petersham
PIECES D ARCHIVES
79
Peter Deblanc
Frances his wife
Mary Rose Deblanc \
Peter Deblanc J
Jeffery Bonway
Abigail Bonway
John Bonway
Peter Bonway
Joseph Bonway
Paul Bonway
Mary Bonway
And an Infant of
the same Family
Israël Foue
Abigail Foue
Mary Foue
Abigail Foue Jr.
Margaret and
Rose
.Shrewsbury
► To Lancaster
.To Harvard
.To Boston
No. 331
The rest of said French People in said County we hâve ordered
to be sent into ye County of Hampshire viz:
Silvine Dupée
Francis his wife
Paul
Frances
Jason
John
Margaret
Joseph
9 Elizabeth
Francis Leblance
Isabel his wife
Joseph
Mary
Jezebel
Frances
Margaret
John
Francis
Peter
1 1 and an infant
Joseph Robesho
Mary his wife
Mary
Stephen and his wife
Joseph
Mary
Margaret
Anna
Paul Robesho
Elizabeth his wife
Micah
13 Felicia
Kenny Lablar
Mary his wife
Charles
Joseph
Richard
John
Mary
and an Infant
and the said committee further Report that they gave orders to the
Selectmen of the several Towns where said French People then resided
80 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
to remove them according to the aforegoing Distribution and directed
the Selectmen of the Several Towns where they were destined to Re-
ceive them accordingly.
Ail which is Humbly Submitted
Charge of ye Comittee
PAINE by order
Capt Richardson
Ll
12
2
Col. Ward
1
6
Capt. Davis
1
16
2
Mr. Paine
1
6
L5 : 16
In Council Jan. 27, 1761
Read and Concurred
A. OLIVER, Secv
Consented to
FRA. BERNARD
In Council January 8, 1761 Read and sent down.
In the House of Représentatives January 27 1761 Read and
ordered that the above acct be allowed and that the sum of Five
Pounds sixteen Shillings and four pence be allowed the Committee
ont of the Treasury accordingly.
Sent up for concurrence.
JAMES OTIS, Speaker.
No. 353
The committee to make a division of the French people in the
County of York late inhabitants of Nova Scotia into the Several Towns
within said County beg leave to report they met the 1 7th of July 1 760
and made the following division.
The Towns of York:
Francis Douset and wife with nine children
Mary, John, Noon, Joseph, Peter, Ann, Francis, Dennis and
Charles I 1
Kittery: John King and wife with eight children
Joseph, Margret, Alexandre, Ann. Charles, Paul. Bettey and
Sarah 1 ( )
Berwick: Peter White and Wife and five children
Mary, Joseph, Sebbell, Frances and Charles 7
Wells: John Mitchel and wife with two children
Mary and Grigory with two of Peter White's children
Margret and Madlin 6
Arundel: Joseph Deneur and wife with one child 3
Biddeford: Claud Boudrix and wife with one child 3
Scanbouverd: Joseph, John, Mary and Margret
PIECES d'archives 81
Children of Claud Boudrix 4
Falmouth: Paul Lablanc and wife and nine children
Mary, John, Rose, Tittium, Samuel, Margret, Madlin;
Joseph and Oliver gone and not returned, in ail 1 1
55
Those six not yet sent from Nantucket 6
61
The committee desires they may be sent to
Northyarmouth 2
George Town 2
Brunswick 2
6
The said Committee further report that they gave orders to the
Selectmen of the several Towns where the French People were distind
to receive them accordingly. Ail which is humbly submitted.
per order JOHN HILL.
No. 363
To His Exelency Francis Bernard Esquire Capt. General and
Governor In Chief of His Majesty's Province of the Massachusets
Bay. In New England. To the Honourable His Majesty's Council
and House of Représentatives.
We the subscribers being appointed by the great and General
Court as a Committee for the County of Barnstable to apportion and
settle the late French Inhabitants of Nova Scotia between the Countys
of Plymouth and Barnstable and allso to apportion and settle the
County of Barnstable, proportion af said French people to the several
Towns in said County. Hâve attended those services severally and
report as follows respecting those destined to the County of Barn-
stable.
Viz: To the Town of Barnstable: Charles Beaudroe, his wife and
two children with Mary Beaudroe widow and two
children.
Sandwich : Joseph Trawhawn, his wife and 2 children that are twins.
Falmouth: Mary Trawhawn, Joseph and John Trawhawn children
of the same family of those at Sandwich.
Harwich: Dominack Agun (?) with his wife and four children.
Yarmouth: John Delvine his wife and five children.
Eastham: John Trauhawn his wife and Charles and Mary their
children.
Touro: John Trauhawn, Jno. and Peter children of ye above John
Trauhawn of Eastham.
82
BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
To Chatham: Three persons to be sent from Nantucket names un-
known.
Besides the above persons their is in the Town of Barnstable
one John Beaudroe upward of thirty years of âge that hath been
bed ridden upward of four years last past and still continues to be so
and consequently the said John would be to great a burden for any
single Town in this County.
We therefore beg leave to offer it as our opinion that the said
John be supported either at the expense of the province or County
of Barnstable.
Dated at Barnstable July 1760.
SYLVANUS BOURN ]
EDWARD BACON \ Committee
NATHL STONE J
The Committee further pray for allowance of the acct for their
time and expense in the above affairs herewith exhibited on ye other
side.
No. 364
In the House of Représentatives April 1, 1761.
Read and ordered that Mr. Foster and Mr. Gold. Stewart with
such as the Honourable Board shall join be a committee to consider
this pétition and report thereon.
Sent up for concurrence. JAMES OTIS, Speaker
In Council April lst 1761 Read and Concurred and John Cushing,
Esquire is joined in the affair.
JNO. COTTON, Dep. Secry.
No. 367
A list of the French Inhabitants in the County of Essex as they
were settled and proportioned to the several Towns, after 16 of
Andover and 3 of Haverhill were sett off to the County of Hampshire.
(ALMSBURY
Age
(Margaret Bear
24
(Cloda Bausway
64
(Molly
4
(Mary his wife
51
(Charles
2
weaklv
[Margaret Bear
1
(Abel Bausway
25 '
(Jno. Landry
35
(Abab Bausway
22
13 (Joseph Landry
26
(Jeremy
10
Weaklv
weakly
(Mary Landry
26 '
(Margaret
19
(Amon Dupée
30
(Attala
17
(Mary his wife
29
(Mary Joseph
5
(ANDOVER
(Margaret Dupée
2
(Charles Bear
36
(Mermon Dupée
3/ 4
PIECES D ARCHIVES
83
(BEVERLY
(Joseph Bursway
Age
58
Infirm
(Anna Bursway 58
( Bursway 24
(Timothy Bursway 20
9 (Lydia Bursway 26
(Sarah Bursway 16
(Margaret Bursway 14
(Frank Grovely 54
(Mellish Grovely 50
(BRADFORD
(Peter Bloften 43
Infirm
(Elizabeth his wife 29
6 (Hannah their daughter 7
(Joseph 5
(Lydia 1
(Joseph Rashue 49
(BOXFORD
(Renée Landry
69
Unable
Paul Landry
34
5 (Elizabeth Landry
28
(Maria
4
( Margaret
2
(METHUEN
Age
(Marron Tebedo
8
Fr.
Andover
4 (Joseph Leblong
63
Fr.
Almsburv
(Margaret Leblong
61
Infirm
(Marv Richards
13
Fr.
Bradford
(D ANVERS
(Anthony Tibido 52
(Margaret his wife 35
very sickly
(Jno. son 13
(David 8
(Peter
(Molly
(Joseph Laundry
10 (Joseph 6
sickly
4
2
24
sickly
(Jno. Baptist Laundry 14
Fr. Boxford
( Rosale Laundry 8
(GLOUCESTER
(Joseph Doucett
(Ann Doucet
(Dominique son 26
(Issidore Do 24
13 (Francis Do 20
(Molly 18
(Ann 15
(John 12
(Florentius 10
(Michael 6
(Peggy 4
(Père 2
(Wid. Eliz. Janvire 72
Infirm
Fr. Manchester
(HAVERHILL
(Widow Robishaw 57
Infirm
(Ormin Robishaw 31
(Grigoire Robishaw 38
(Catharine Robishaw 35
8 (Margaret Barshaw 7
(Joseph Barshaw 6
(John Barshaw 5
(Titus Barshaw 1
(IPSWITCHE
(Francis Landry 67
Infirm
(Mary Landry 65
Do
(Charles Landry 36
Non Compos
(Oreta Landry 24
84
BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
(Jno. Landry
39
(Margret Landry
36
(Molly
15
(Peggy
13
(Nancy
11
(Susan
9
(Matty
7
(Francis
6
(Betty Landry
1
(Jno. Landry
3
23
(Paul Breau
43
(Mary his wife
41
( Joseph
17
(John
15
(Nanny
13
(Jno. Batist
6
(Molly
10
(Elizabeth
3
(Peter
1
No. 368
(LYNN Age
(His wife
31
(Hanah Prejean 20
(Joseph Landry
8
(Susan Prejean 32
(Mary
4
(Jno. LeBlanck 36
( Margaret
2
partly lame
(Anna
y*
9 (Mary his wife 30
From Middletown
(Molly 10
(Joseph Meuse
6
short breath
(Lydia Heuse
9
(Collet 7
From
Methuen
(Sarah 3
i
ov Gloster
( Peter 2
TOPSFIELD
(MANCHESTER
4/7th. MIDDLETON
(Nath. Grovely 23
(3/7th of ye followii
îg persons
Fr. Beverly
(Michael Dugoy
44
2 (Margret White or
a sickly man
Leblanck 29
(Elizabeth his wife
44
Fr. Boxford
7 (Ammon Dugoy
15
(Mary Dugoy
12
(MARBLEHEAD
(Joseph Dugoy
7
(Joseph Janvire 42
(Modesty Dugoy
9
(Natally his wife 32
(Anna
5
(Mary yr. daughter 11
(ROWLEY
(Anna 9
(Peter Dupée
44
( Maudly 5
(Nextuzzabura his wife 29
(Margarett 1%
( Buzzel Leblong
31
From Manchester
(Charloze Orée
30
(Peter Prejean 78
10 (Mary his wife
28
(Anna Prejean 36
(Molly
2
7 (Joseph Prejean 24
(Offee
y*
Infirm
(Joseph Leblong
4
From Lynn
(Anna Leblong
3
(Amon Landry 31
(Peggy Dupée
2
PIECES D ARCHIVES
85
30
(NEWBURY
(Nanny Dosset
41
(Joseph Broyn
48
7
(Molly
22
(Fanny his wife
46
(John
14
(Molly
16
(Maudely
12
(Margret
13
(Elizabeth Dossett
6
( Joseph
6
(Charles
4
(WENHAM
one
familv
( Lajean de Parris
73
(Peter Dossett
50
Sicklv
( Mary Dossett
50
4
(Maudlin de Partis
; 40 '
(Peter
27
( Maria
13
( Margret
24
(Titus Robishaw
24
(Joseph
21
From
Haverhill
(Amicable sick - lame
23
(SALEM
(Elizabeth
18
(John Meuse
49
(Edmond
16
(Mary his wife
45
(Charles
14
weaklv
(Aaron
6
(Margaret
23 '
(Mary
9
( Enock
21
one
familv
15
(Lawrence
19
(Allexandre Richards
70 '
for
(Jno.
17
Infirm
16
(Charles
11
(Francis Demong
28
(Maria
7
(Elizabeth his wife
36
(Paul
4
(Andrew yr child
2
(Susan Meuse
2
(Anna Lowerat Dosset
73
From Methuen or
Glocester
very
Infirm
(Michael Landry
20
(Hannah her daughter
40
From
Middleton
( Margaret
38
(Felicity Prejean (lame) 18
(Elizabeth Dossett
34
From Lyn
(Widow Rashue
28
(Urna Rishaw
74
From Bradford
(Margaret his wife
70
(Ann Rishaw
8
(SALISBURY
3 taken from Rowley
(Maria Gould
78
for 4 by consent.
(Jos. Dossett
47
The foregoing is the Distribution of the French Inhabitants in to
the several Towns in the County of Essex made by us July 20th 1760.
BENJAMIN LYNDE
ICHABOD PLAISTED
SAMUEL PHILLIPS Junior
In council April 4, 1761.
Read and sent down.
86 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
No. 370
The committee appointée! by the Great and General Court to
Proportion the French Inhabitants to the Several Towns in the County
of Essex gave their warrant to the Selectmen of the several towns where
the sd Inhabitants resided, to remove them according to the within
distribution and directed the Selectmen of the several Towns, where
they were destined to receive them accordingly.
July, 1760. BENJAMIN LYNDE per order.
The Committee pray allowance for the following charges:
To Benjamin Lynde 3 days attendance 6 per 18:0
To writing and sending 13 warrants to 13
Towns for removing and drawing our gênerai
and particular lists 18:0
To Ichabod Plaisted Esquire 3 days 18 18:0
To Caleb Cushing Esquire 3 days 18 18:0
To Samuel Phillips Esquire 3 days 6 per 18:0
July 1760 BENJAMIN LYNDE per order L4:10:0
In the House of Représentatives April 10, 1761.
Read and ordered that the foregoing report be accepted and that
there be allowed and paid out of the publick Treasury the sum of
four pound ten shillings to said Committee in full for their service
and expences.
Sent up for concurrence.
JAMES OTIS, Speaker.
In Council April 11, 1761. Read and Concurred.
A. OLIVER, Secy.
Consented to: FRA. BERNARD.
No. 388
The Committee appointed to make a Division of the French
people in the County of Suffolk late Inhabitants of Nova Scotia into
the Several Towns within said County beg leave to report they meet
August 22, 1760 and made the following division:
TO THE TOWN OF BOSTON
From ROXBURY
Abraham
John
Jacquis Morr
is
Mary
Rebecca
Margaret
his
wife
John
William
Peter
Mary
Rachel Morris
Maudlin
Peter
James Boshwee
James
Modest
Mary his wife
Josanna
Braseal
Joseph their son
Joseph
Margaret
Stursee yr Daughter
Mary
Jellick
Tôt 25
PIECES D ARCHIVES
87
From BRAINTREE
Peter Brow
Hannah Do
Ammon Brow Sr.
Maudlin Brow
Margaret Brow Jr.
Mary Brow
John Brow
Maudlin Brow Jr.
Zabble Brow 9
From HINGHAM
Anthony Terry
Margeret his wife
Margeret
Elizabeth
Mary
Joseph
Hannah and
Peter their children
Elizabeth Peacot
Joseph Brow Senior
Tôt 10
From MILTON
Frances Dagle
Frances her Daughter
Odown her Son
Loring Gallium
Margaret his wife
Casteen)
Joseph ) their children
John )
Peter Landry
Sarah Landry
Joseph Landry
Joseph Landry
Simon Landry
Sarah Landry
Franceway Brinway
Joseph Brinway
Frances Brinway
Brewno
Simon Landry
Mary Lannew 20
From BROOKLINE
Mary Brinnaway
Treton Brinnaway
Tussee Brinniway
Nathaniel Brinniway
Margaret Brinniway
Merrick Brinniway
Flora Turla
Samuel Landree 8
From MEDFIELD
Elizabeth Corner
Renne Benneway
Felicity his wife
Gregory their son
Mary their Daughter
Tôt 5
From NEEDHAM
Sibbel Liblone 1
Those Resideing in
Boston
Magdalen Dilbroin
(Rilbrain)
Charles Do
Joseph Do
Lucy Dilbroin
Ann Do
Magdalen Do
Mary Do
Margaret Doucet
Peter Boucher
Germain Landry
Frederick Reshaw
Together with ail thèse
sent from the County
of Middlesex 172 (or
174)
To the TOWN OF
ROXBURY
Philip Tebodo
Elizabeth his wife
Joseph Lannon
Susanna Do
Mary Do
Joseph Blancher
Joseph Vassell
Jane his wife
Margaret ) their
Joseph ) children
Ail the above now
resideing in
Roxbury 10
TO THE TOWN OF
DORCHESTER
Ammond Tabado
Margaret Tabado
Catherine Stitrin
Frossell Lannon
Joseph Tabado
Margaret Do
Charles Do
Mary
Ail returned by
the Selectmen
of Dorchester
last year.
Also James Leblanc
his wife and
his children
Tôt 12
from STOUGHTON
TO THE TOWN OF
MILTON
John Bâtis Dagle
Margaret his wife
with their
children
ail resideing
in Milton 6
TO THE TOWN OF
BRAINTREE
Francis Leblond
Joan his wife
James Leblond
Katherine his wife
BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Honora Babbin
Ann his wife
John Baptis Leblond
Benoni Leblond
Peer Babbin
Maudlin Leblond
Margaret Brow
Joseph Brow Junior
Ail resideing in
Braintree 12
TO THE TOWNS
OF WEYMOUTH
HINGHAM & HULL
Simeon Ferrau
Margaret his wife
John )
Joseph
) their
Mary )
Peter
) children
Betty )
William
)
Ail Resideing in
Samuel
)
HINGHAM
Magolen
mother to
Simeon
Ammon Brow Junior
Resideing
in
Samuel Brow
WEYMOUTH
From BRAINTREE
Joseph Brow
Peter Doucet
Hannah his wife
from BOSTON 21
Elixes Brow
TO THE TOWN OF
Margaret
his wife
DEDHAM
Joseph
)
Clode Benoie
Firmin
)
Hannah Benoie
Battis
) their
Margaret Benoie
Charles
children Esther Benoie
No. 289
John Benoie
Margaret Mitchel
John Mitchel
James Mitchel
Mary Mitchel 10
Ail resideing at
DEDHAM
TO THE TOWN OF
MEDFIELD
Margaret Benniway
Abel Deon
Ann his wife
Mary Deon
Belony Dantrimont
Joseph Mitchel 6
Ail Resideing in
MEDFIELD
TO THE TOWN OF
MEDWAY
James Omero
Lucy his wife
Nistazze ) their
and ) daugh-
Barzillai ) ters
Ail residing in
MEDWAY
Tôt 4
TO THE TOWN OF
NEEDHAM
Frances Leblanc
Margarit his wife
Ail residing at
Peter and ) their
Simeon ) sons
NEEDHAM
Tôt 4
TO THE TOWN OF
BELLINGHAM
James Omero junr.
Mary his wife and
their child
Ail to corne from
MEDWAY
Tôt 3
TO THE TOWN OF
STOUGHTON
Charles Liblane
his wife and 5 children
now residing at
STOUGHTON
also Ann Liblane from
Needham 8
TO THE TOWN OF
WALPOLE
Margaret Dantromont
Paul Dantromont
Benoni Dantromont
Ail Resideing at
WALPOLE
Tôt 3
TO THE TOWN OF
WRENTHAM
Peter Robishaw
his wife and
three children
Ail Resideing at
WRENTHAM
Also Aros Omero
Ezedore Omero and
Lucy Omero
To corne from
MEDWAY
Tôt 8
pièces d'archives 89
TO THE TOWN OF now resideing at Margaret Dantrimont
BROOKLINE Brookline both from Walpole
John Brinniway TO THE TOWN Paul Landry and
Mary his wife OF CHELSEA Rose Landry
and John their son Joseph Dantrimont from Dedham 4
NOTE: No. 391 and No. 392 same as 388 and 389
No. 390
The said Committee further Report that they gave orders to the
Selectmen of the Several Towns where the said French people then
resided to remove them according to the foregoing distribution and
directed the Selectmen of the Several Towns where they were distined
to receive them accordingly.
Ail which is Humbly submitted.
SAMUEL WATTS per order.
Province of the Massachusetts Bay Director to the Committee
for Time and Expenses in the foregoing service.
To Samuel Watts 4 days Ll-4
To Benjamin Lincoln 2 journeys from )
Hingham to Boston 20 miles 2 days )
each Journey at 6 per day man and horse ) 1-16
and 3 per day Expense )
To do Journey 3 days 6 per day Expenses ) 1-7
3 per )
To Capt. Medcalf 2 journeys from ) 2-5
Wrentham 25 miles at 6 per day Expense 3)
To Mr. Humphrey 3 journeys 6 days at 6 per )
and Day 3 per day Expense Travel 15 miles ) 2-14
L9-6
SAMUEL WATTS per order.
In the House of Représentatives January 27, 1761.
Read and Ordered that the above written acct. be allowed.
Sent up for concurrence.
JAMES OTIS, Speaker.
In Council January 28th 1761 Read and Concurred.
JNO. COTTON, Sep. Secry.
Consented to
FRA. BERNARD.
NOTE: No. 393 same as No. 390.
No. 442 Westford January 11, 1761
To his Excellency Francis Barnard Esquire Commander in Chiefe
over his Majesties Province of the Massachusetts Bay in New England
and to his Majesties Honourable Council.
90 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Thèse may certifie to your Honnour that their hath Been paid
out of our town Treasury in Westford the Sum of Nine pound Law-
full money for one year payd for the Necessary Support of the French
Family which was sent to Westford being six in Number and one of
said person being a very aged person of about Eighty Nine years of
âge and another of said person very weakly and not able to maintain
him self Which Sum Wee pray your Honour may be allowed and
granted to our Town of Westford So Wee beg Leave to subscribe our-
selves your Humble Servants.
JONAS PRESCOTT Selectmen of
JOHN ABBOTT Westford
NATHANIEL BOYNTON
N. B. We are Enformed that the Courts Committee hâve agreed that
three of the above French persons should be moved to some other
Town but we hâve had no order to Remove them.
No. 452 Boston January 30 1761.
The Committee appointed by the General Court to alot to every
Town in the County of Suffolk. There proportion of the late Inha-
bitants of Nova Scotia called French Neutures having Order'd the
Selectmen of the Town of Needham by writing under their hand Dated
August 22 left to take care of their proportion of the Neutures afore-
said and to Remove the remainder to the Town of Boston and Stough-
ton which orders the Committee are informed miscarried. Thèse are
therefore further to order the Selectmen aforesaid to take care of and
support the following persons viz: Francis Liblanc Margaret his wife
Peter and Simeon their Sons, and you are hereby directed to send
Sibbel Liblanc to the Selectmen of the Town of Boston, and Ann
Lablanc to the Selectmen of the Town of Stoughton who are directed
to Receive them.
The Selectmen of the Town of Needham In the name of the
Committee
SAMUEL WATTS
No. 458 To the Honourable Samuel Watts Esquire.
Pursuant to your Honours Direction We the Subscribers hâve
removed and Delivered to the Selectmen of Wrentham Aros Omero,
on the 16th day of February 1761 and also hâve Delivered to the
Selectmen of Bellingham James Omero.
The Trouble and charge of removing the above said Persons
L Sh P.
are 4
JONATHAN ADAMS
ELISHA ADAMS
MOSES RICHARDSON
Selectmen of Medway
PIECES D ARCHIVES
91
No. 460 Bedford March 23d 1761
Thèse are to certify that the Selectmen appointed Mr. Josiah
Fasset To See that the French Neutral Family, Namely Margaret,
Richards, Victor Richards, Margaret Richards, John Richards, Meriam
Richards, David Richards was Removed from ye Town to Charlstown
and the peticular cost For Removeing ye Family to the Honourable
Samuel Danforth Esquire, According to an order Received From
James Russell Esquire.
By order of the Selectmen
JOHN REED Town Clerk
No. 460A To the Honrebel Samuel Danforth Esquire.
Agreeing to the within ritten I hâve brought the within named
persons to the Town of Charlstown, and the cost for so doing is 1-0-6.
JOSIAH FASSET
No. 463 Division of the French Neutrals in the Several Towns in
the County of Middlesex by the Commander appointed by the Great
and General Court for that purpose.
The Names of the Town
were they are Sent to
Cambridge
Charlestown
Ages
Lewis Robishaw
55
Jane his Wife
51
27
Edward
24
Oto
18
Florence
13
Wilbourn
11
Esthar
20
Molly
16
Hannah
6
Joseph White
30
Mary his Wife
29
Mary a Daughter
4
An Infant
—
Margaret Richards Widow
58
Victor
23
Margaret
18
John
14
Merrimack
9
David
8
10
10
Watertown
Augt. Hibbert 48
Margaret Hibbert his Wife 48
Mary 21
92
BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Joseph
Margaret
Maturin
19
11
8
Stow
Peter Hibbert 17
Charles Hibbert 12
They are bound out at Watertown
No. 464 Brought overe
Ages
Newton
Peter Hibbert
41
Mary Joseph Hibbert
Peter
37
12
Mary
Joseph
Margaret
10
8
6
Marte
4
John Baptist
Magdalen
2
four month
Lexington
August Hibbert
Anna his Wife
68
68
Waltham
Margaret Hibbert
Margaret Jos. Hibbert
25
23
Bedford
John Hibbert
22
Samuel White
20
Concorde
Charles Trawhorn
31
Tithorn his wife
31
Mary his Daughter
John his son
Gorg Wyrer his son
Simon Landry-
8/ 2
4
5
20
Charles Landry
22
Chelmsford
Jane Landry
64
Madlain his wife
62
Asam his son
18
Billerica
Maudlin Trawhorn
Daughter of Charles Traw
horn 7i/2
Joseph Landry
Maudlin his wife
John his son
28
28
4
PIECES D ARCHIVES
93
Maudlin his Daughter 2/ 2
Joseph his son 1
Acton
Paul Landry
Margaret Trawhorn
daughter to Charles
Trawhorn who lives
24
at Concord
254
. 465
Brought Forwai
-d
âges
Reading
Francis Meirs
57
Jane his Wife
42
Rosella )
20
Elizabeth )
18
John ) their children
15
Francis )
13
Mary )
2
Stoneham
Pasella Meirs ) Children
) of Fran.
11
Christoph Meirs ) Meirs who
) live at
Rozzell Meirs ) Reading
Malden
Medford
Woburn
Paul Meirs Son to Fran.
Meirs
Jeremiah Debido
Magdalen his Wife
Mary )
Isaac ) children
Grigero )
Catherine Preshon
John Debodo
Ann his Wife
William
Susian
Anna
Eliz.
) children
John Lapadore
Margaret his Wife
Hannah
Maturin
Izabell
Charles
Eliz. Pecot
26
24
2
1
7
30
36
33
8
6
2
12Day
34
27
11
7
5
94
BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Willmington
John Lapadore
2
Joseph Lapadore
2
No. 466
Brought over
Weston
Bezaleel Simmex
34
his wife
38
Mathieu )
12
Paul )
Children
9
John )
2
Natick
Bezaleel )
Children
7
)
to Beza-
Lydia )
leel Sim-
mex at
Weston
4
Sudbury
Seymore
80
his Wife
75
Mary )
their
28
Ann ) Daughter
20
Marlborough
Timothy Seymore
40
Nanny his Wife
38
Sush. )
15
Joseph )
12
Peter )
10
Oliver )
Children
8
Philemon )
6
Ottel )
4
Paul )
6
months
Lincoln
Joseph Hébert
33
Nanny his wife
27
Mary )
Children
6
Madlen )
4
Margaret )
5
months
Westford
Marg. Maud Robenshaw
44
Eliz. Richard
17
Mary Richard
11
Littleton
Marge. Maud Robenshaw
87
Frederick Richard
20
Billy Winnett
12
PIECES D ARCHIVES
95
No. 467
Brought Forward
Sherbourn
Joseph Dugau
Mary
Monique
his
children
56
23
7
Wolliston
Hopkinton
Framingham
Ezedo Cordeau
Maudlin his Wife
Joseph their child
Ann Dugau
Eliz. Dugau
Marge. Gordeau
Charles Mercau
Clare his Wife
Margaret )
Maudlin
Eleanor
Susannah
28
25
7 months
19
12
3
61
57
26
Children 13
12
Dunstable
Peter Landerce
Sarah his Wife
Peter their Son
Dracut
Tewksbury
Mercy Landerce
Sàrah Landerce
Elizabeth Landerce
Mary Landerce
Magdalene "
Jane
) Children to
) Peter Landerce
) at Dunstable 3
) Children to
) Peter Landerce
) at Dunstable 3
No. 468
Brought over
Groton
Rain Bobbin
Marge, his Wife
John his Son
Matturen Do
Joseph Do
Eliz.
37
37
13
11
19
5 weeks
Pepperil
Marge. Marschal
Mary Bobbin daughter
of Rain Bobbin
18
96 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Townsend Paul Oliver Bobbin 7
Peter Bobbin 5
son to Rain Bobbin
of Groton 2
The Committee appointée! by the Great & General Court to
apportion & Distribute the French Neutrals among the Several Towns
in the County of Middlesex hâve effects the same in manner as set
forth in the List on Schedule aforegoing, and hâve caused them to
be placed in the respective Towns to which they are assign'd and hâve
notifyed the Selectmen of Each Town of the Number & Names of
the Persons assign'd them of their Proportion; and Each of the French
People as by order of Government were to be removed from the
County of Middlesex to other Counties hâve been Sent thither accord-
ingly:
Which is humbly submitted,
N. B. The charge occur-
red by removing the said
French People in pur- ( W. BRATTLE ) Committee
suance of the orders of
ye. Committee, are hère- (
unto annexed and hum
bly presented for Allow
ance.
S. DANFORTH
W. BRATTLE
JAMES RUSSELL
In Council April 18th 1761 Read & sent down.
JOHN COTTON, Dep. Secry.
In the House of Représentatives April 21, 1761 Read and accepted
and Ordered that the annexed acet of Charges for the removal of
the French Neutrals be allowed.
Sent up for concurrence.
JAMES OTIS, Speaker.
In Council April 21 Read & Concurr'd.
A. OLIVER. Secry.
Consented to
FRA. BERNARD
No. 471 Middlesex Charlestown, June 3, 1761
The Committee appointed by the Great & General Court, to dis-
tribute the French Neutrals in the County of Middlesex, hâve directed
me to inform you that Rain Bobbin, Margaret his Wife, Jonh, Mat-
turen, Joseph, Paul, Oliver, Peter, Mary & Elizabeth three children
and Margaret Marchai are Now Inhabitants of the Town of Groton
the District of Pepperil and Town of Townsend which French Neu-
trals you are to remove from your Town to the Town of Groton and
PIECES D ARCHIVES
97
Deliver to the Selectmen of said Town and make return of your
doings and the charge thereon to the Honourable Samuel Danforth
Esquire Ye Humble servants.
By order of the Committee.
JAMES RUSSELL
To the Selectmen of the Town of Lexington
Groton 6
Townsend 2
Pepperil 2
10
No. 508 Copie
A Boston ce premier décembre l'an 1764.
A votre excellence Monsieur le gouverneur en chef Commandant
en Massachusetts Bay.
Nous prenont la liberté touts en général de présenter à votre
excellence ce peu des mots en prenant la liberté de supplier votre
honeur de nous accorder un passeport en général pour touts ceux qui
veulent passer au Isle St Domingue. Nous priont votre honourable
personne de nous rendre raisons si votre honeur permettra de nous
accorder la demande que nous vous font ainsi signé par les chefs des
familles acadiens.
Paul Landry etc.
ici présents, sans compter le nombre de ceux qui ne sont pas présents.
No. 509 A nantaties ce 10 décembre 1764.
Marque des frances qui son a nantaties qui veille sen nales aux
frances le plus tôt qu'il sera possible au colonis frances ainsi cigné.
francois doupis
6 de sa famille
aman Broux
1 de sa famille 4
Michelle doupis
2 de sa famille 2
Joseph Broux
4 de sa famille
ollivier doupis
7 de sa famille
56
pierre Broux
9 de sa famille
9
dominique thibodot
4- de sa famille
4
allecis thibodot
3 de sa famille
3
garmain doupis
12 de sa famille
12
jean doupis
5 de sa famille
5
17
39
98 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
No. 510
A Boston ce premier décembre l'an 1764.
A votre excellence Monsieur le gouverneur en chef commandant
en Massachusetts bay. Nous prenont la liberté touts en général de
présenter à votre excellence ce peut des mots en prenant la liberté
de Supplier votre honneur de nous accorder un passeport en général
pour tous ceux qui veulent passer au isle St Dominigue. Nous prions
votre honnorable personne de nous Rendre raison si votre honneur
permetera de nous accorder la demande que nous vous font ainsi signé
par les chefs de familles acadiens.
paul landry
jean landry
jean trahant
allexis bronx
augustien leblanc
paul broux
charles thibodot
Joseph landry
aman landry
Joseph broux
jean Thibodot
Joseph hébaire
pierre leblanc
Benoni melansont
René landry
fransoit benoit
Joseph benoit
goldefroit benoit
Joseph vensent
jean melansont
Joseph masoralle
charle landry
jean hébaire
pierre tranhant
jean Bastis hébaire
ici présent san conter le Nombre
de tout ceux qui ne sont pas présent
No. 511 A Boston ce premier de genvier 1765.
Nous autre tout les acadien ayant un grand désire de passe au
colonies frances nous prenons la liberté de présente une segonde re-
tierte à votre Excellence Monsieur le gouverneur commandant an
massecusets Be a vous et à votre concielle an vous soitant une Bonne
anné et Bonne propairrité nous sespairont monsieur que votre hon-
pièces d'archives 99
norable personne nous Randras Bonne justice a legard de se que nous
vous présentant vous ette Bien persuadés messieurs des offre quon nous
fait au coloni frances voilas neuf an que nous vivont annepairance dalés
goindre notre patris et ils nous Semble que la porte nous Sétait ou-
verte et vous nous La fermés nous Savont toujours atant du dire quand
tamps de paix quan tout peyl que la porte des prison Souvrait pour
les prisonier cela mesieur nous Setonne Bien de voir quon nous detien
an nous disent quon nous donne toute liberté de notre Religion sa qui
et tout contraire a nos Sentiment parce que nos Sentiment son quand
nous detenent isis que vous nous sotés le libre excercis de notre Religion
celas et Bien deurre pour nous, autre chose qui nous et aussi durre se
de voirre notre Situation de nous voire tout dunssilot ettant uncapable
de nous soulage de nous mesme.
No. 512
Mesieur Si vous naves conpastion de Nous nous panson que nous
perdront de froid et de faim.
Monsieur dans puis que nous vous savont présentes notre rotier
jasvont resus 90 (?) livre de viende mouton 2 corde de Boy 2 Boisot
de poit 5 Boisot de patate et de navos a soisante et douse personne que
nous somme mesieur Sa nous et Bien pénible après avoir ette rouuoiné
(ruiné) comme nous savont ette quil i a de gen parmis vous autre qui
pance que nous Somme riche qui et une chose qui na jamais ette an
nous dans se peiel isis ancorre Bien moin apresens que jamais car la
Riches qui Reste ces la misère et la pauvreté.
Ainsi mesieur nous supplyon vos Bonté davoir compastion de
pauvre j'en comme nous le temps que nous seront détenus isis ainsi
signé
JEAN TRAHANT
CASTIEN THIBODOT
JEAN HEBAIRE
GHARLE LANDRY
ALEXIS BROUX
100
BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
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PIECES D ARCHIVES
101
No. 514
Voilas la liste
ainsis signe
paul Landry
5 de sa famille
jean landry
2 de sa famille
allexis Broux
9 de sa famille
jean melanson
4 de sa famille
jean leblanc
11 de sa famille
jean thibodot
7 de sa famille
Joseph landry
6 de sa famille
Joseph hébaire
4 de sa famille
augustine leblanc
8 de sa famille
charle landry
4 de sa famille
pierre trahant
4 de sa famille
No. 515
Clode dugat
7 de sa famille
pierre landry
7 de sa famille
la veuve antoine
thibodot
7 de sa famille
charle heboire
7 de sa famille
jean baptis tibodo
3 de sa famille
René landry
4 de sa famille
paul landry
6 de sa famille
Joseph leblanc
3 de sa famille
jean landry
10 de sa famille
de tout ceux qui vieulle passe au colonis franses
charle trahant
9 de sa famille
jean bâtis hébaire
3 de sa famille
charle thibodot
3 de sa famille
jean trahant
10 de sa famille
pierre leblanc
2 de sa famille
Total 91
françois leblanc
12 de sa famille
Joseph vensent
6 de sa famille
Joseph Benoit
4 de sa famille
françois Benoit
4 de sa famille
René landry
6 de sa famille
Benonis douses
2 de sa famille
aman doupuis
8 de sa famille
jean landry
5 de sa famille .
aman Broux
11 de sa famille
jean guedrit
10 de sa famille
jean leblanc
1 2 de sa famille
jean pelerant
9 de sa famille
9 de sa famille
pierre pelerant
9 de sa famille
Total 120
godefroit Benoit
9 de sa famille
jean charle daigre
8 de sa famille
jean jaque maiel
6 de sa famille
maigrile prigent
3 de sa famille
jaque remont
5 de sa famille
aman landry
7 de sa famille
paul Broux
9 de sa famille
Joseph Broux
2 de sa famille
françoit landry
3 de sa famille
garmain landry
2 de sa famille
Charle Broux
8 de sa famille
Total 94
dominique cloucitue
9 de sa famille
Charle Boudrot
7 de sa famille
françoit Rous
9 de sa famille
Nicolas Bario
2 de sa famille
Simon leblanc
ôfrançoit Rous 45
9 de sa famille 120
Nicolas Bario 94
2 de sa famille 91
Simon leblanc
6 de sa famille 350
castain tibaudau 56
4 de sa famille
Total 45 406
102 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
No. 516
Voilas le nombre des famille qui sont sur ils de Nantasquet ils a
9 famille ils lavont toujours étté bien sélés de san nalé au franses et
nous pansont bien qui sont toujours dans les mesme sentiment Nous
les sepairont de jour an jour pour se joindre a nous.
No. 516A
Belony Melanson Lancaster
jone landry Chelsea
No. 517 ce 21 de janvier L'an de grâce 1765
Miessieur votre excelence saurat que nous somme dans une grande
consternation et desollasion pour gannier notre vie.
Nous sommes câtre familles.
Voisy les complintes de pierre Landry un homme âgé de soisente
es un nat incoumodés par les grand travailles qui la été obligé de ferre
dans les contrés pour subvenir ô besoint de sa famielle. Naiant au-
cune assistence des supperrieures de la vielle nommé donnestable je
reserve les messieurs La tinc qui mon fait gannier mas vie: loges cha-
ritablement. Nous appertenont Messieurs de troy vielles Donestable
et de Drequet et Toucberry qui nous ont rien donnes danpuist 5 an
ce qui nous a obblige dant sortyre.
No. 518
Complinte de la veuve tybodo afflige da voire perdu son mary es
pour avoire été ôbbligé de lesser la vielle la où elle appertient par l'en-
contence de supperrieurs de la veille dont t'elle appertient qui étei
Dendevesse ne voulant luy donner que 12 sous par semennes: C'est
qui nous obblige dant sortyr: mentenant me voisy dans la vielle de
Selemme obblige de loiez la maison Dunt pry exorbitable je vous pry
Messieur davoir compassion de moi es de me enfant par vos charita-
bles soins et je pry messieurs que Dieu sois votre reconpense .... ils
ly a anviron catre an que mon mary est désédez.
No. 519
Vonsy Messieurs la conplainte de glod Dugas un homme âgés de
54 an aiant été infortuné: ne pouvent ferre ôgunt travaielle: dantpuis
le commencement de junt: jusqua présent: appartenant da deux vielles
nommés graftonne es ôcbrige. Nous somme cette de notre famielle,
jes lessez la vielle croiyant de ganniere mas vies plus aisément à lieurs
an nattandant de mant nalerre au fransois mentenant me voisy destenu
sent pouvoire gannier mas vies.
Charle broux, dépendant d'anouvre et mas femme, appertenant
de ipsige. Nous somme 5 de notre famille. Voilla cinq 5 ant que
je ne resu auqunt soulagement de personne que nous nous avons de-
pièces d'archives 103
placer pour nous an nalerre au fransois nous somme retenu par ordre
du gouvernement.
Voisy messieurs la situation la ou nous somme jespere que vous
aurez conpassion de nous es ne detorneré pas votre visage de sur nous
par la vous gangneré que le Seigneur vous favorrisera de ces grâce es
cera votre recompense dant le temps es dant l'éterniter.
Accorde nous messieurs ce faveurre par le fette de votre bontée.
Sant votre assistence nous somme pour souffrir. Nous somme Mes-
sieurs avec tous la reverrence possible soumy a votre majestés.
No. 545
A son Excellence François Bernard Esquire capitaine gênerai et
gouverneur en shef pour sa majesté le Roy de la grande Bretagne en
la province de masachuset en la nouvelle angleterre à Boston ainsy
qua messeigneur de son conseil de Boston.
Nous fransois de la cadie que Ion apelle neutre estant dans le
gouvernement de Boston estant répandu dans plusieurs ville de can-
pagne par ordre du conseil et y ayant restés plusieurs année sans in-
terrompre le gouvernement mais nos famille estant multipliés extrême-
ment depuis quelque année nous ayant obligé de quiter les canpagne et
venir à Boston pour nous en aller mais nous avons été aresté par ordre
du gouvernement ce qui nous a obligé de rester a Boston et de tacher
de gagner nostre vie et celle de nos pauvre famille les un sont allé a
la pèche les autre ont fait le travaille ordiner de la vielle quand quil
sont pu an trouver les seu qua vont été a la pèche avont été oblige de
charche des hommes quil leur sa avance tout leur nécésèr pour la pêche
an leur prometant de peie raprès daitre de retour après leur savance
peier ils ne leur restes rien pour mentenir leur famille.
No. 546
Cest pourquoy aujourdhuy nous pauvre fransois prions Messei-
gneurs de son conseil davoir pitié et compassion de nous et de plusieur
pauvre veuve et de nos petite famille de nous assister cette hiver de
quelque chose pour nous pouvoir faire subsister en vie faute de quoy
nous somme obligés davoir recours a vous de nous donner dus travail
estant tous bien volontiers de travailler et nen pouvant trouver aucune-
ment dans la ville cest pourquoy nous prions son exellence ainsy que
messeigneurs du conseil de nous regarder dun oeil de pitié et de ne
nous pas oublier et nous ne manqueront jamais de nous souvenir que
nous somme et serons toujour les plus humble et soumis serviteur
JEAN HEBERT
AUGUSTIN LE BLANC
PIERRE (his mark) TRAHAN
MARIN (his mark x) GOURDAUX
A Boston ce 13 de jeanvier lan 1766,
104
BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
No. 547
A son Exellence françois Barnard Gouverneur en chef a Boston
pour sa Majesty Le Roy de la Grande Bretagne ainsy qua Messeigneurs
du conseil.
Nous habitans françois Acadians ayant présentés un Mémoire en
datte du onse du Mois dernier a la Cour devant Messeigneurs du
Conseil pour les prier de nous assister de quelque chose pour nous
maintenir cette hiver et nen ayant reçu aucune réponse.
Nous vous suplions très humblement pour prier Son Exellence
ainsy que Messeigneurs du Conseils d'avoir la bontés de nous trans-
porter au Canada dans des vaisseaux propre pour nous et nos familles
avec des provisions pour une année pour pouvoir nous maintenir estant
hors destat par nous mesme de pouvoir y pourvoir et prions son Exellen-
ce françois Barnard Gouverneur en Chef pour sa Majesty a boston
d'avoir la bontés descrire en nostre faveur a l'honorable James Murray
Gouverneur et Commandant gênerai de la province du Canada d'avoir
No. 548
la bontés de nous donner des terres et des assistances pour nous et nos
familles après que nous saurons arrivés au Canada suivant la procla-
mation en datte du premier Mars 1765 signés James Murray En se
faisant Messeigneurs vous obligerés vos plus soumis nous tous les
sousignés
No. 557
françois Benois
4 de sa famille
josuad Benois
8 de sa famille
michelle Daigues
2 de sa famille
JEAN TRAHAN X
JOSEPH DUGAS X
ALEXIS BROE X
RENE LANDRY X
ISAC GOURDAUX X
AUGUSTIN LE BLANC X
ISIDOR GOURDAUX X
JEAN HEBERT X
FRANÇOIS AMIRAUX X
JOSEPH MANGEROL X
A Boston ce 8 février 1766.
joseuh vinsen
7 de sa famille
françoise Daigles
veuve
2 de sa famille
jean guidri
11 de sa famille
alexis bros
9 de sa famille
augustin le Blanc
7 de sa famille
jean Baptiste hebert
3 de sa famille
PIECES D ARCHIVES
105
jean trahant
5 de sa famille
agnes veuve de
Yclepte trahant
5 de sa famille
jean lacroix tibodo
7 de sa famille
Joseph landry
7 de sa famille
charles landry
3 de sa famille
Joseph Benois
5 de sa famille
pierre trahant
4 de sa famille
Dominique
9 de sa famille-
Charles Boudro
8 de sa famille
Charle hebert
7 de sa famille
aman dupuy
8 de sa famille
jean landry
5 de sa famille
jacque hebert
12 de sa famille
jermain landry
9 de sa famille
silvin dupuys
12 de sa famille
Joseph masrole
3 de sa famille
Joseph hebert
4 de sa famille
jean hebert
6 de sa famille
marie le Blanc veuve
2 de sa famille
abele Bourgois
4 de sa famille
pierre dupues
9 de sa famille
Joseph douxces
9 de sa famille
Joseph michelle
5 de sa famille
stanislasse gourdeau
5 de sa famille
isidore gourdeau
6 de sa famille
marins gourdeau
3 de sa famille
Isaac gourdeau
5 de sa famille
No. 558
Joseph Belivaux
7 de sa famille
paul le Blanc
7 de sa famille
Joseph Belinaux
4. de sa famille
Basile le Blanc
6 de sa famille
Joseph le Blanc
2 de sa famille
françois faurais
4 de sa famille
Charle tibodo
3 de sa famille
marie Benois veuve
6 de sa famille
roses Boudro
2 de sa famille
jean melanson
5 de sa famille
castin tibodo
4 de sa famille
jean tibodau
4 de sa famille
jean charle Daigles
5 de sa famille
pierre landry
6 de sa famille
pierre le Blanc
2 de sa famille
jermain Dupuy
12 de sa famille
olivier Dupuy
7 de sa famille
jermain Dupuy
2 de sa famille
alexis tibodau
3 de sa famille
jean Dupuis
5 de saèfamille
Dominique tibodau
4 de sa famille
pierre Bros
9 de sa famille
Joseph Bros
4 de sa famille
aman Bros
5 de sa famille
jean landry
3 de sa famille
paul landry
4 de sa famille
charle trahant
9 de sa famille
aman Bros
8 de sa famille
françois le Blanc
2 de sa famille
simon le Blanc
6 de sa famille
aman le Blanc
3 de sa famille
106
BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
No. 559
Joseph Douces
5 de sa famille
françois le Blanc
11 de sa famille
pierre pelerain
9 de sa famille
jean pelerain
9 de sa famille
michelle Dugas
7 de sa famille
jacque remon
5 de sa famille
et
jacque maïais
6 de sa famille
marie prigens
5 de sa famille
Benoni doucest
13 de sa famille
renés richaud
3 de sa famille
simon Douces
2 de sa famille
pierre landry
7 de sa famille
cantité de autre famille
marguerite landry
veuve
6 de sa famille
Claude Dugas
7 de sa famille
hemable prigens
2 de sa famille
marguerite gourdaux
3 de sa famille
89 famille
490 tête
qui ne
sont pas prévenue.
No. 562
A son Excellence françois Barnard Esquire Gouverneur en chef pour
sa Majesté le Roy de la Grande bretagne ainsy qua Messieurs du
Conseil.
Monseigneur
Nous tous les habitans Acadiens en Général Remercions vostre
Exellence ainsy que Messieurs du Conseil des bontés que vous avés
eu d'écrire en nostre faveur à Son Exellence Jacques Murray Esquire
Gouverneur à Québec pour sa majesté le Roy de La Grande Bretagne
et ayant eu réponse de Son Excellence pour nous aller Establir au
Canada mais Son Exellence ne pouvant nous aider en aucune façon
pour des provisions après que nous serons arrivez au Canada.
Nous prions vostre Exellence ainsy que Messieurs du Conseil
d'avoir la bontez de nous regarder d'un oeil de pitiez et de nous assister
de quelque chose pour pouvoir vivre quelque temps après que nous
serons arrivez au Canada.
No. 563
Notre situation estant extrêmement pauvre et bien triste et beau-
coup avancez d'âge estant hors d'estat de travailler cest Pourquoy nous
nous mettons sous vostre protection. Nous ayant toujours promis de
nous aider et nayant personne que vous.
Messeigneurs
qui puisent nous retirer de labisme et du grand trouble ou nous somme.
Messeigneur
Nous sommes en gênerai reson de prendre le serment de fidélitez
cest pourquoy nous vous prions de donner vos ordres le plus tost quil
PIECES D ARCHIVES
107
vous sera possible de nous faire passer car la plus part de nous autre
ne travaillons point tous les jours en attendant que vostre Exellence
nous fasse passer et ne sachant quelle parti prendre si non que votre
Exellence ainsy que Messieurs du Conseil nous veille assister dans
nostre besoin et Regarder nostre pauvre stat cest ce quatend vos très
humble et très obeisants soumis et fidelle sujets.
ALEXIS BRO
JEAN LANDRY
JEAN TIBODOT
PIERRE MUSE
AMAN LANDRY
A Boston ce 2 juin 1766.
No. 566
Joseph Mius
7 de
sa
famille
glaude dugâs
7 de
sa
famille
Charles mirôs
5 de
sa
famille
pierre le blanc
4 de
sa
famille
7 de
sa
famille
Margrites Landry
7 de
sa
famille
amable prégan
2 de
sa
famille
Charles Mius
6 de
sa
famille
polie Clarremont
7 de
sa
famille
gullient ?
5 de
sa
famille
gan baptise mius
10 de
sa
famille
charle ?
8 de
sa
famille
amant landry
10 de
sa
famille
polie landry
6 de
sa
famille
pierre landry
5 de
sa
famille
Joseph le blanc
5 de
sa
famille
Simon leblanc
5 de
sa
famille
Michelle Landry
2 de
sa
famille
gan Leblanc
9 de
sa
famille
Joseph girroire
8 de
sa
famille
René richarre
3 de
sa
famille
fransois mius
13 de
sa
famille
fransois roux
5 de
sa
famille
Nicola Gougeut
2 de
sa
famille
Leur nom donne a
Selemme pour y ferre
141
leur anberquement.
No. 567 Liste des noms des francois qui veulent passer au Canada:
Charles hebert 7 Jermain Landry 4
Aman dupuis
7
Jacques hebert
11
Jean Landry
5
Silvien dupuis
12
Jean Baptiste tibodo
5
fabien dupuis
3
108
BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
pierre le Blanc
4
Agnès veuve de
Jean baptiste Dugas
5
Joseph trahan
5
Joseph Vincent
7
Joseph Benoist
5
151
francois benoist
4
Charles tibodo
3
Pierre Trahant
4
René Landry
6
Jean La Croix tibodo
8
Jean Landry
3
Augustin le Blanc
8
charles Landry
4
Alexis Bro
9
fransoise Doucet
2
Jean le Blanc
12
Jean hebert
6
Isac Courdaux
5
Joseph Mangerolle
4
Stanislas Gourdaux
5
Joseph Landry
7
Joseph le blanc
2
Jean Guidri
11
Francois miraux
2
Joseph hebert
4
Joseph Doucet
6
Gastin tibodo
5
Charles Belivaux
8
Rose Boudro
2
Claude Dugas
9
Jean Belanson
5
Joseph Doucet
9
Jean trahan
5
Joseph Doucet
11
No. 569
abel Bourgeois
4
Joseph Brun
6
Joseph Michel
5
Charles Lord
7
Jean Landry
9
Basile Le Blanc
6
Estienne Robichaux
9
Eprahim Robichaux
3
Paul Robichaux
8
Joseph Doucet
2
Grégoire bourgeois
8
Francois Doucet
11
Tite Robichaux
4
Michel Robichaux
3
183
No. 568
Suitte de
la liste
Pierre Dupuis
4
Jermain dupuis
15
Joseph Bellivaux
4
Dominique tibodo
4
Pierre le Blanc
9
Olivier dupuis
8
Aman bourgeois
3
Joseph Bro
5
Charles Bellivaux
6
Aman Bro
5
Charles Bellivaux fils
5
francois Dupuis
7
Jacques Amiraux
6
Jean Dupuis
7
Jacques Amiraux
6
Alexis tibodo
6
Lange Amiraux
3
Charles trahan
9
Joseph Dantremons
4
Jean Baptiste hebert
La veuve Dantremons
4
francois le blanc
11
Abel Duhan
5
Joseph le Blanc
2
Dominique Cloistre
9
Isidore Gourdaux
6
Charles Boudrot
8
Pierre Bro
9
183
PIECES D ARCHIVES
109
Paul Landry
La veuve de Mathieu
5
pierre Landry
Joseph le blanc
5
5
Doucet
5
Simon le blanc
5
Joseph Mieuse
Glaude Dugas
7
7
Michel Landry
Jean Leblanc
2
9
Charles Miraux
5
Joseph Geroire
8
pierre Le blanc
4
René Richard
3
Marguerite Landiy
pierre Landry
Aimable pregnant
Charles Mieuse
7
7
2
6
francois mieuse
francois Roux
Nicolas Gentle
Charles Rabin
13
5
2
3
Charles Bro
8
Aman Landry
10
161
Paul Landry
6
No. 569
Suite de
la liste
francois Remon
4
Marin Gourdaux
4
151
La veuve Gourdaux
3
183
Godefroy Benoist
Aman Bro
8
11
183
161
Marie Benois veuve de
42
Benoni Melanson
6
Salem list
141
Benoni Douces
3
Addl list
29
Durgues Benois
3
42
A Boston ce 2 juin
No. 572
890
1766
A son Exellence francois Barnard Esquire Gouverneur en Chef
pour sa Majesté le Roy de La Grande Bretagne.
Monseigneur
Moy le sousignés francois le blanc, francois Acadien demeurant
dans la paroisse de Dudley dans le gouvernement de Boston estant un
personne extrêmement incommodés d'une main dont je ne puis me
servir ce qui met hors destat de pouvoir gagner ma pauvre vie ainsy
que mon fils francois le blanc estant tombé malade le 20 D'Aoust 1765
ne pouvant faire aucun travaille de ses mains et ayant été obligés d'y
appeler trois médecin pour tacher d'y remédier, et mon pauvre fils, cy
desus nommez, ayant perdu son bras, et les médecins aujourd'huy mon
fait assigner pour le payement et mon arresté jusqua mes pauvres
hardes pour le payement et moy nayant aucune chose pour pouvoi)
payer je recours a vous
Monseigneur
110
BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Pour vous prier d'avoir la bontez de massister dans mon besoin et
de donner sil vous plait vos ordres pour que la paroisse dou je suis qui
est Brinfield est a payer les médecins ma nécessités me mettant hors
No. 573
Destat de pouvoir payer, quoy que la somme nest pas extrêmement
forte, les trois médecin charge pour leur travail la scomme de L5"-2-8
Monseigneur
Cy jestois en estât de travaillé je voudrois le payer de moy mesme
je ne viendrois pas importuner vostre Exellence me voila sans apuy
du costé de mon fils qui a perdu le bras je prie
Monseigneur
De faire tout ce qui est en son pouvoir pour me délivrer de labisme
ou je suis sans cela mes pauvre hardes seronts vendue et je nauray plus
rien a me couvrir je prie Die upour la conservation de vostre Exellence
et suis et serez le reste de mes jours.
Monseigneur
Votre très humble et obéisant serviteur
FRANÇOIS LE BLANC
13
Pages
1
2
3
4
5
6
14
15-17
18
19
20-23
24-26
27
28
29-30
31
32
33-34
35
36
37
DEUXIEME PARTIE
Index du Vol. XXIV (French Neutrals)
Darthmouth Account
Hanover Account
Nantucket Account
Satuate Account
Milton Account
Papers with pétition of Neutrals
Methuen Account
Barnstable Account
Newton Account
Dorchester Account
Beverly Account
Topsfield Account
Weymouth Account
Rowley Account
Mémorial of Thos. Hutchinson
Note — Neutrals from the South
Order — Leicester
Concord Account
Obligation as to Neutrals
Westborough Account
York Account
Dates
1758
PIECES D'ARCHIVES 111
Pages Dates
38 Yeicester Account 1758
38 Boxford Account
40 Lexington Account
41-46 Ipswich Account
47-48 Andover Account
49-50 Pétition of J. LeBlanc
51-52 Marshfield Account
53 Southborough Account
54 Kingston Account
55-56 Bridgewater Account
57 Note — infirm Neutrals
58 Uxbridge Account
59 Chelmsford Account
60 Middleborough Account
61 Medford Account
62-63 Dartmouth Account
64-65 Stoughton Account
66 Acton Account
67 Plymouth Account
68 Bradford Account
69 Littleton Account
70-72 Boxford Account
73 Hanover Account
74-75 Holliston Account
76-77 Pétition of J. D'Autremont
78 Mendon Account
79 Scituate Account
80 Billerica Account
81-82 Walpole Account
83 Shrewsbury Account
84-85 Med(eld Account
86-90 Haverhill Account
91-93 Chelmsford Account
94 Hingham Account
95 Duxborough Account
96 Newbury Account
97 Watertown Account
98 Weymouth Account
99 Wrentham Account
100 Lancaster Account
101 Sutton Account
102-103 Sherburne Account
104-105 Worcester Account
106 Wilmington Account
107-108 Milton Account 1759
112 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Pages Dates
109 Walpole order 1759
110 Note — changes
111-113 Pétition of H. Tibido etc.— 1758
114-116 Topsfield Account 1759
117 Hopkinton Account 1759
118 Order — Neutrals' canoës
119 Brookline Account
120-122 Pétition of F. Meuse
123 Weston Account "
124 Sudbury Account
125 Milton Account "
126 Marshfield Account
127-128 Sutton Account
129-131 Manchester Account "
132 Plimpton Account "
133 Needham Account
134 Raynham Account
135 Westford Account "
136 Pétition of E. Harnden — Malden
137 Stoughton Account "
138-139 Stow Account
140 Oxford Account "
141 Shrewsbury Account
142 Concord Account
143 Medway Account "
144 Woburn Account
145 Salisbury Account
146 Wenham Account
147 Reading Account "
148 Dedham Account "
149 Norton Account "
150 Danvers Account "
151 Newton Account
152 Worcester "
153 Newton Account "
154-156 Malden Account "
157 Amesbury Account "
158 Ghelsea Account "
159-161 Beverly Account "
162 Topsfield Account "
163-164 Report on Neutrals
165-169 Dorchester Account — Pétition "
170-171 Pétition of P. Trahan
172-187 Charges paid to Towns etc. "
1 88 Rowlev Account
PIECES D'ARCHIVES 1 13
Pages
Dates
189
Medford Account
1759
190
York Account
191
Wrentham Account
192-193
Oxford Account
194-195
Moses Marcy's Account
196-197
Pétition of C. Meuse
198
Medfield Account
199-
Westborough Account
200-201
Southborough Account
202-203
Middleton Account
204
Perbroke Account
205
Lancaster Account
206-207
Walpole Account
208
Leicester Account
209
Taunton Account
210
Bolton Account
211-214
Braintree Account
215
Committee on Milton Pétition
216
Weymouth Account
217
Lexington Account
218
Uxbridge Account
219
Rehoboth Account
220-221
Malborough Account
222-223
Stow Account
224
Watertown Account
225-226
Neutral correspondance complained of by Gent Wolf
227-232
Committee about Neutrals
233-234
Billerica Pétition
235
Topsfield Account
236-238
Tewksbury Account
239
Medfield Account
240
York Account
241
Roxbury Account
242-244
Scituate Account
245-246
Pétition of Neutrals
247-248
Weymouth Account
1760
249
Newbury Account
250
Stoughton Account
251
Milton Account
252-253
Waltham Account
254-255
Committee about Neutrals
256
Lynn Account
257
Westford Account
258
Weston Account
259
Return of Neutrals
114 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Pa S es Dates
260 Mendon Account 1760
261 Watertown Account
252 Shrewsbury Account
263 Sutton Account
264 Medford Account
265 Newton Account
266 Stow Account
267-268 Topsfield Account
269 Malden Account
270 Dan vers Account
271 Wenham Account
272 Walpole Account
273 Malden Account
274 Medway Account
275 Acton Pétition
276 Dunstable Account
277 Danvers Account
278 Rowley Account
279 Taunton Account
280 Woburn Account
281 Plymton Account
282 Oxford Account
283 Pétition of J. Meuse
284 Needham Account
285-286 Sutton Account
287 Order
288 Salisbury Account
289-290 Sherburne Account
291 Worcester Account
292 Woburn Account
293-294 Pétition of J. Meuse
295-296 Sturbridge Account
297-301 Papers — Neutrals divided among the several
Counties according to tax
302 Plymouth Account
303-304 Order for Sherburne
305 Order for Newton
306 Geo. Leonard's bill
307 Concord Account
308 Barnstable Account
309 Concord report
310 Acton report
311 Framingham report
312 Boston report
313-314 Haverhill Account
PIEGES D'ARCHIVES 115
Pages
Dates
315
Pembroke Account
1760
316
Woburn report
55
317
Stow Account
55
318
Bolton Account
55
319
Uxbridge Account
55
320
Order as to Committee
55
319
Uxbridge Account
55
321-322
Ipswich Account
55
323
Scituate Account
55
324-325
Duxborough Account
I)
326-327
Note — continuance of Neutrals in their Towns
"
328-331
Neutrals in Worcester County
55
332-333
Stow report
55
334
Bridgewater Account
55
335
Westborough Account
55
336
Waltham Account
55
337-339
Beverly Account
55
340-341
Salisbury Order
55
342
Littleton Report
55
343-344
Rowley Order
»»
345
Med(eld Account
»>
346-347
Bradford Order
55
348-349
Dunstable Account
J5
350
Billerica Account
»
351-352
Boxford Order
»
353
Neutrals in York County
55
354-355
Scituate Account etc.
55
356
G. Bradford's Account
55
357
Arlington — W. Brown's Account
55
358-359
Accounts
»>
360-361
Wareham Account etc.
»
362
Barnstable County Committee Account
»»
363-365
Neutrals in Barnstable County
JJ
366
R. Ctttt's bill
5»
367-370
Neutrals in Essex County
>»
371
Thomas Hutchinson's bill
»J
372
Tewksbuiy Account
M
373
Salisbury Account
>>
374
Barnstable Account
>>
375
Chelmsford Account
55
376
Amesbury Account
55
377
Weymouth Account
55
378
Kingston Account
55
379
Dracut Account
55
380-381
Note — relative to Neutrals
»»
116 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Pages Dates
382 Littleton Account 1760
383-384 Braintree Account
385 Medway Account
386 Hingham Account "
387 Stoughton Account
383-384 Neutrals in Suffolk County — Committee's Accounts "
394 Roxbury Account
395 Wilmington Account "
396 Brookline Account
397 Topsfield Account "
398 Report of Sherburne committee etc.
399 Wilmington Account "
400-406 Etoneham Account
407 Topsfield Account
408 Boston Account "
409-411 Andover Account "
412-413 Medfield Account "
414 Milton Account
415 Medfield Account
516 Hanover Account "
416 Hanover Account
417 Natick Account "
418 Hull Account
419 Bradford Account
420-421 Middleton Account
422 Oxford Account "
423 Hopkinton Account "
424-425 Easton Account "
426 Lynn Account "
427 Lexington Account
428 Billerica Account "
429-434 Chelmsford Account
435-436 Reading Account "
437 Tewksbury Account "
438-440 Chelmsford Account
441 Reading Account "
442 Westford certificate "
443 Amesbury Account
444-445 Dedham Account
446 Bedford Account
447 Sutton Account "
447 Sutton Account "
448 Hadley Account
449 E. Davis' bill — Oxford — Brimfield
450 Rowley Account "
PIECES d'archives 117
Pages Dates
451 Charger allowed 1760
452 Committee's order
453 York Account
454 Woburn Account
455 Lancaster Account
456 Boxford Account
457 Shrewksbury Account
458 \ledway report
459 Needham Account
460 Bedford certificate
461 Framingham Account
462 Charlestown Account
463-468 Neptrals in Middlesex
469 Charges allowed to Towns
470- Chelsea Account
470 Chelsea Account
471 Report of Committee
472 Lexington charge 1 762
473 Uxbridge charge
474-475 Pétition of John Benoit
476 Hopkinton Certificate
477-478 Medford Statement
479-480 Bridgewater Account
481 Committee about neutrals
482-483 Committee on Governor's message
484-485 Letter as to Neutrals 1763
486-491 List of Neutrals who désire to go to Old France
492-502 Charges of Towns etc.
503-504 Governor Bernard's message - - innoculation of
neutrals 1 764
505 Notice from Governor of St. Domingo
506 Pétition of Dr. Benjamin Stockbridge
507 Newton bill
508-510 Petitionsfor passports to St. Domingo
511-512 Pétition for passports to St. Domingo 1765
513 Lists of Neutrals in Boston "
514-516 List of Neutrals for St. Domingo
517-523 Complaints and pétitions
524 Report about Ntutrals
525 Pétition of Neutrals
526 Account — Boston
527-529 Résolves
530-531 Pétition of John White
532-538 Boston Account etc.
539 Pétition of Peter Pèlerine "
I 18 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Pages Dates
540 Orders for Pembroke "
541-542 Lunenburgh — R. Tyler's account
543-544 Boston Account
545-561 Pétitions of Neutrals — with papers 1766
562-565 Pétition of Neutrals
566-569 List of Neutrals for Canada
570 Extract of a letter from Governor Murray
571 Governor Bernard's Message
572-575 Pétition of F. LeBlanc — papers
576-581 Committee's report — Towns paid
582-583 Pétition of John Labardore
584 Pétition of B. Eday — Dedham 1767
585 Order — M. Daigle
586 Boston — J. Russell's account 1 768
587-588 Pétition of E. Bennoy
589 Pétition of E. Bennoy 1769
590-591 Salem bill — order
592 Holliston bill
VII
Eloges des membres disparus
Abbé Paul Desaulniers (1881-1950)
Nashua, New-Hampshire
(Abbé René Constant)
Pertransiit benefacienda
La mort du paisible et doux curé inamovible de la paroisse St-
Louis-de-Gonzague de Nashua, survenue en l'hôpital St- Joseph, le 4
mars après-midi, a provoqué un remous de douleur vive, de surprise
consternée et de sympathie émue dans une belle et grande paroisse
franco-américaine, dans un diocèse entier, voir même dans les cercles
bien pensant et bien renseignés de la Nouvelle-Angleterre, où le dis-
tingué disparu s'était conquis une renommée enviable au service de
l'Eglise et des traditions ancestrales.
Né à Saint-Sulpice, comté de l'Assomption, P. Q., le 2 mars 1881,
du mariage de Arthur Lessieur Desaulniers et de Elise Bouthillier, celui
que l'on appellera le bon Père Desaulniers reçut sa première éducation
à l'école paroissiale, à Manchester, où sa famille habitait depuis quel-
ques années. Il fit ses études à Montréal, son cours classique au
Collège Ste-Marie chez les Jésuites et sa théologie chez les Messieurs
de St-Sulpice.
A la suite de son ordination, le 10 mars 1907, à Montréal, poul-
ie diocèse de Manchester, M. l'abbé Paul Desaulniers revient aux
E.-U. Il fut tour à tour vicaire à Ste-Marie de Manchester et à
St-Louis-de-Gonzaque de Nashua. En 1917, il devenait curé de St-
Edmond à Manchester jusqu'à 1926 où il fut transféré à St-Pierre
de Farmington jusqu'à 1932 pour passer ensuite à Greenville où il
demeura deux ans comme curé du Sacré-Coeur. Le 4 mai 1934, il
devenait curé de St-Antoine de Manchester où il établira une école
d'enseignement secondaire des plus modernes. Le 14 juin 1945, il
était nommé curé inamovible de St-Louis-de-Gonzague de Nashua.
Il était consulteur diocésain et vicaire forain. Il reçut la médaille
de l'Ordre de La Fidélité Française et la médaille de la Reconnaissance
Française de la France pour son long dévouement à la cause française.
Ses paroissiens comme ses confrères ont été unanimes à reconnaître
la profondeur et la sincérité de sa piété et la marque d'un esprit profon-
dément organisé.
Sa grande bonté était au diapason de sa vaste culture et celle-ci
était en raison directe de ses vastes lectures faites dans sa bibliothèque
personnelle où les Saintes Ecritures et la spiritualité vivaient en heureux
ménage avec les classiques du XVIIème siècle. Ce dualisme de cul-
120 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
ture affina sa personnalité au point qu'il fut essentiellement prêtre
avant tout, et "honnête homme" au sens XVIIème siècle du mot. Il
réalisa en lui une harmonie complète, un équilibre merveilleux, une
suavité de parole et d'approche qui me rappelait l'onctueux St. Fran-
çois de Sales. Volontiers il eut pu choisir pour son blason cette parole
de modération d'un philosophe grec qui pratiquait la tempérance en
tout: "Toute chose avec mesure est excellente."
S'il fallait synthétiser cette personnalité si sympathique, l'on pour-
rait évoquer sa grande douceur de caractère qui n'excluait pas la fer-
meté, et chez qui la douceur du langage n'enlevait rien à sa force;
l'on pourrait, en second lieu, rappeler sa générosité qui allait à l'excès,
jusqu'à l'oubli de soi, au point qu'il mourut dans un état d'indigence,
et il fallut que ses exécuteurs vendissent sa voiture pour payer ses dé-
penses funéraires: chapeau bas à un quelqu'un qui s'oublie à ce point.
L'abbé Dufour, curé de Farmington. et chez qui les contraires
s'harmonisent dans une culture enviable, et qui eut l'honneur d'être
le premier vicaire du Père Desaulniers à Farmington même, me disait,
en retraite chez les Jésuites à Andover, Mass., durant une récréation
dans ces allées recueillies et ombragées par des pins centenaires: "Les
quelques mois que j'ai eu l'honneur de passer dans son intimité m'ont
fait découvrir en lui un esprit des plus cultivés, un coeur vraiment
attachant, et m'ont permis de pénétrer le but toujours surnaturel et
désintéressé qui le guidait dans ses décisions, il était d'une bonté inalté-
rable."
C'est Maurice Barrés, je crois, qui saluait Napoléon du titre de
professeur d'énergie, l'abbé Dufour saluerait sans doute volontiers le
bon Père Desaulniers du titre de professeur de mansuétude évangélique
inaltérable et je ne doute pas que la postérité ne ratifie ce jugement.
Que le Dieu des pauvres lui soit miséricordieux, que sa mémoire vive
à jamais, que son humilité triomphe dans un cortège d'amitiées fidèles
qu'il laisse après soi, et où l'admiration se confond avec l'émulation
dans un exemple permanent qui invite et qui appelle, dans une carrière
à la ligne toute droite, aux journées obscures mais pleines; sa moisson
fut longue et magnifique, et le vaillant moissonneur est tombé fou-
droyé sur ses gerbes d'or.
Quand le voyageur célèbre qui avait nom Chateaubriand se trouva
sur les bords de l'Eurotas, il voulut faire parler sur les ruines de Sparte
la voix de Léonidas. Il l'appela de toutes ses forces. Aucune ruine
ne répéta ce mot. Sparte elle-même semblait l'avoir oublié.
Sans doute, il n'y a pas d'hommes nécessaires et malgré la dispa-
rition des personnalités les plus marquantes, le cours de la vie se pour-
suit à travers son habituel mélange de joies et de tristesses, de prospé-
rités et d'épreuves. Mais il y a des hommes particulièrement utiles,
dont l'influence est heureuse et féconde. Le Père Desaulniers était de
ELOGES DES MEMBRES DISPARUS 121
ce nombre. Nous ne saurions entourer son trépas de trop de larmes
et de trop de regrets. La perte est immense pour nous et pour tout
le diocèse. Prêtre exemplaire, il s'est montré en toute circonstance
l'homme du devoir, irréprochable dans ses moeurs, attaché à toutes les
règles de la discipline ecclésiastique, ponctuel dans l'accomplissement
de ses fonctions, soumis à l'autorité, dévoué à son évêque, fidèle à ses
amitiés, assidu à la prière, énergique et patient dans la conduite des
âmes, plein d'ardeur pour les intérêts de l'Eglise et la gloire de Dieu :
par-dessus les ruines du temps, et en dépit des assaults de l'oubli, nous
entendrons toujours sa voix.
Il n'est donc pas surprenant, si au contact d'une âme si grande
et si noble, l'on subisse une sorte d'éblouissement!
1889-1950
Abbé Albert Massé
Attleboro, Mass.
(Abbé F. X. Larivière)
Pour répondre au désir de monsieur le président j'ai accepté non
pas de faire l'éloge de monsieur le curé Albert A. Massé pour la bonne
raison que je ne l'ai pas assez connu, mais de dire quelques mots à la
louange de ce prêtre qui pendant 35 ans s'est dévoué au salut des âmes.
A la suite de son ordination, le 19 janvier 1915, il exerça son ministère
dans les paroisses du Saint-Sacrement et de Saint-Jean-Baptiste à Fall-
River et à St-Jacques de Taunton. Nommé Curé à Saint-Georges de
Westport au printemps de 1932 il se dévoua auprès de ses paroissiens
jusqu'à la fin de 1931, alors qu'il fut promu à l'importante paroisse de
Saint-Joseph à Attleboro où pendant 12 ans il se dépensa jusqu'à l'é-
puisement de ses forces.
Monsieur le curé Massé fut un de ces prêtres qui tout en voyant
à la bonne administration des finances sont persuadés que ce qui fait
la force d'une paroisse, c'est l'enseignement religieux, l'enseignement
religieux donné dans la langue maternelle.
Aussi s'est-il appliqué comme ses prédécesseurs à faire donner aux
enfants de l'école la connaissance de la langue du pays tout en dévelop-
pant chez eux l'amour du verbe français. Je me rappelle que lors de la
dernière visite de Son Eminence le Cardinal Villeneuve, à Marlboro,
il était venu l'y chercher et l'avait amené dans sa paroisse afin que ses
enfants d'école puissent bénéficier d'une bénédiction et des paroles
d'encouragement que Son Eminence savait si bien distribuer à l'élé-
ment franco-américain.
Le soir du 29 janvier, il a succombé à la crise cardiaque qui l'avait
arrêté dans son travail du Dimanche. Comme un vaillant soldat du
122 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Christ, il est mort au combat. Dieu l'a récompensé de son zèle, mais
j'ai cru de mon devoir d'accepter de dire ces quelques mots à sa louange
afin que son souvenir demeure dans les archives de la société historique
franco-américaine.
1871-1950
Dr. J. -Eugène Larochelle, M.D.
(Wilfrid J. Mathieu)
Le Dr J. -Eugène Larochelle vit le jour à St-Arsène, P. Q. le 30
mai 1871, fit ses études à l'Université Laval de Québec où il fut admis
à la pratique de la médecine en 1896, date de son arrivée à Manchester
pour y exercer sa profession.
En 1946 il célébrait conjointement ses noces d'or médicales et
son 75ième anniversaire de naissance; et à cette occasion il recevait au
cours d'un banquet, les hommages de ses nombreux admirateurs.
Au cours de sa longue carrière, le Dr Larochelle surveilla de près
et se tint au courant des progrès de la science médicale, tout particu-
lièrement de la chirurgie moderne, et dans ce but il suivit les grandes
cliniques non seulement du pays, mais notamment d'Europe. Il y fit
plusieurs séjours, le dernier quelque temps au début de la deuxième
guerre mondiale. Doyen de la profession médicale franco-américaine,
le Dr Larochelle était reconnu comme un des chirurgiens les plus habi-
les dans cette partie-ci du pays, et on rapporte de source autorisée, qu'il
aurait refusé des offres alléchantes de faire partie du corps médical de
la fameuse clinique Mayo de Rochester, Minnesota; le Dr Larochelle
préféra rester au service de ses compatriotes, plutôt que de se créer une
réputation nationale qu'il aurait pu facilement atteindre.
Membre de plusieurs sociétés de secours mutuels, des associations
médicales municipales, de comté et d'état, il était un Fellow de l' Amer-
ican Collège of Surgeons. Doyen du Bureau Médical et longtemps son
président, il donna à l'Hôpital Notre-Dame de Lourdes une attention
véritablement paternelle. Sa grande générosité, son dévouement in-
lassable, sa bonhomie, sa gentillesse, lui valurent de la part des Reli-
gieuses et des Gardes Malades le sobriquet de "papa", comme on se
plaisait à l'appeler. Il est un fait établi et reconnu par plusieurs méde-
cins que le Dr Larochelle était considéré comme le grand conseiller des
jeunes Esculapes qui en obtenant leur licence choisissaient la ville reine
du New Hampshire pour pratiquer leur profession. Jamais un seul de
ces jeunes médecins n'eût songé à se fixer à Manchester sans aller con-
sulter le Dr Larochelle.
Il les recevait tous et chacun avec bonté les prévenant contre cer-
taines difficultés, leur confiant même quelques-uns de ses patients, tout
cela dans le but de les encourager et faciliter leurs débuts.
ELOGES DES MEMBRES DISPARUS 123
Sans bruit et très souvent sans rétribution, le Dr Larochelle se
dépensa à alléger les souffrances humaines et par sa grande charité à
remonter le moral de bien des infortunés. Sa modestie empêcha que
l'on ne connut l'étendue véritable des services innombrables qu'il rendit
comme médecin et chirurgien et pour lesquels il ne fut jamais remercié.
Frappé quelque temps après que le bureau médical de l'hôpital
Notre-Dame eût observé son jubilé d'or dans la profession médicale,
le Dr Larochelle dut cesser ses activités professionnelles. Ce fut une
dure épreuve pour lui, mais il s'y résigna avec philosophie. Forcé de
garder sa chambre, jamais on ne l'entendit se plaindre de ses douleurs
physiques, ce qui le faisait le plus souffrir, c'était de se voir incapable
de prodiguer ses soins aux nombreux patients qui jusqu'aux derniers
jours continuaient à réclamer ses services.
Ses derniers moments furent empreints de calme et de paix; il vit
venir la fin avec dignité et une résignation vraiment chrétienne et édi-
fiante. Il n'est pas exagéré de dire que lorsque sa mort survint le 3
avril, Manchester en particulier et tout le New Hampshire perdit un
de nos médecins les plus distingués qui en tout lieu durant plus de cin-
quante ans s'évertua à remplir avec une scrupuleuse fidélité ses devoirs
professionnels, tout en s'intéressant au bien-être physique, matériel et
moral de ses concitoyens et de ses compatriotes.
Le Dr Larochelle a fait honneur aux Franco-Américains.
La Société Historique s'honore de l'avoir compté comme un de
ses membres.
Hector Louis Belisle (1873-1950)
Membre Fondateur
Fall-R'wer, Mass.
(Louis Clapin)
C'est avec un sentiment de profonde humilité que j'ai accepté de
prononcer ici ce soir l'éloge de notre regretté confrère et ami, feu
Hector-Louis Bélisle. Durant trente ans, j'ai joui pour ainsi dire de
son intimité, et la seule crainte que j'éprouve en faisant un tribut à
la mémoire de ce compatriote distingué, est de rester bien au-dessous
de la tâche.
Par la mort de monsieur Bélisle, survenue à Fall-River, le 23 avril
dernier, l'élément franco-américain a perdu l'un de ses fils les plus
éminents, la Société Historique Franco-Américaine un autre de ses
membres-fondateurs, et le monde de l'éducation, l'une de ses person-
nalités les plus respectées.
A la Société Historique, aux travaux et conférences de laquelle il
contribua largement, notre regretté disparu portait une affection et un
124 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
intérêt particuliers. Il y voyait — et non sans raison — un instrument
puissant pour le groupement et le prestige de l'élite de son élément, et
il n'en parlait jamais qu'avec une satisfaction visible. Il fit — si je
ne me trompe — son apparition à cette tribune lors de la célébration
du 40ième anniversaire de fondation de la société, aux archives de
laquelle il a contribué, en cette circonstance, un précis historique qui
nous permet de conserver les souvenirs authentiques des années déjà
lointaines.
Monsieur Bélisle était le fils de l'une des familles franco-américai-
nes les plus anciennes de la Nouvelle-Angleterre. Lorsqu'il était ques-
tion devant lui de "l'ancienneté" des Franco-Américains, il se plaisait
à rappeler que la famille de sa grand'mère avait vécu au Vermont
vers le milieu du dernier siècle. Plus tard, les siens s'établirent à Wor-
cester, où leur histoire a été intimement liée à celle de la ville et de la
région entière.
Hector-Louis Bélisle fut le frère cadet d'Alexandre Bélisle. l'édi-
teur-propriétaire du journal franco-américain "L'Opinion Publique",
de Worcester, et l'auteur d'une remarquable histoire de la presse de
langue française aux Etats-Unis.
Il fut le frère de feu Eugène Bélisle, dont la carrière distinguée
dans le service diplomatique et consulaire américains, a ajouté de la
distinction au nom franco-américain.
Lui-même, encore tout jeune homme, se destinait à une carrière
spéciale qui devait lui valoir, sinon l'opulence, du moins des mérites
et des honneurs nombreux. Il appliqua les aptitudes et la culture dont
il était richement doué, au magistère de l'Education, et dans cet im-
portant domaine de notre vie civique, il devint, par sa constance et ses
travaux, une autorité dont les directives, sollicitées avec empressement,
ont apporté au système éducationnel public de ce pays, des améliora-
tions aussi opportunes que profitables à la population ecolière.
En marge des devoirs de sa profession, qui consistèrent, pour une
bonne partie de sa vie, en la direction pédagogique et disciplinaire d'im-
portants départements scolaires, M. Bélisle trouva le temps de cultiver
les arts aimables, notamment la musique. Il fut non seulement un
dillettante, mais un compositeur, étant l'auteur d'une opérette que des
connaisseurs et critiques ont hautement louée. Il fut aussi un patron
actif du Bel Art, comme l'attestent les 20 ans qu'il passa, soit à la pré-
sidence, soit au directorat de la Fall River Civic Music Association.
Hors de son milieu officiel, où il s'imposait une grande réserve,
M. Bélisle était un homme d'une simplicité charmante, et c'était plaisir
que de causer dans l'intimité avec un homme d'une aussi vaste expé-
rience. Sous des dehors qui pouvaient paraître sévères à ceux qui le
connaissaient moins, il cachait une grande charité et un désir constant
de rendre service. Nombreuses sont les oeuvres de survivance qui ont
ELOGES DES MEMBRES DISPARUS 125
bénéficié de sa générosité, et nombreux aussi les jeunes gens qui ont
dû leur opportunité et leur avancement dans la carrière à ses démar-
ches, à son influence et même, à son argent.
Quand, après une carrière qui n'avait connu que des succès et
aucune interruption, il prit sa retraite, il accepta, sur les instances
pressantes qu'on lui en fit, la fonction bénévole de Conseiller et Média-
teur, dans les relations contractuelles de patron à employé. Et quand
vint pour lui l'heure du suprême repos, il avait déjà acquis de la distinc-
tion, dans ce rôle éducationnel d'un autre genre.
# * *
Hector-Louis Belisle naquit à Worcester, Massachusetts, du
mariage de feu Alexandre Belisle et de feu dame Marie Dorval-Bélisle.
Après une enfance et une adolescence studieuse, il suivit les cours
de l'université Harvard, et en fut gradué en 1894.
S'étant préparé à la carrière de l'enseignement, à laquelle il se
destinait, il fut accepté comme membre de la faculté à l'école supérieure
de la ville de Lawrence.
En 1912, les autorités scolaires de cette ville le nommèrent surin-
tendant des cours du soir. Un an plus tard, il était nommé Principal
de l'école John E. Rollins, de Lawrence. Il entrait ainsi de plein pied
dans la carrière qui devait le retenir toute sa vie.
Conscient des problèmes qui se posaient pour les élèves retarda-
taires dans leurs études, il se livra, pour leur venir en aide, à des démar-
ches et expériences qui attirèrent sur lui l'attention sympathique des
éducateurs dans la nation entière. Les articles qu'il publia sur le sujet,
dans "The Journal of Education", furent accueillis avec grande faveur.
Désireux de perfectionner le système imaginé par lui, et qui avait
déjà donné de si bons résultats, M. Belisle fit un voyage en France
afin d'observer et étudier sur place les méthodes éducationnelles pour
les arts, lettres et métiers, en honneur au pays de ses ancêtres. Il en
remporta des idées qui le servirent merveilleusement par la suite.
C'est en 1923 qu'il accepta, à Fall River, la position de surinten-
dant du système des écoles publiques de cette ville.
Il occupa ce poste durant 23 ans et prit sa retraite en 1945, à l'âge
de 70 ans.
A bonne heure durant son stage à Fall River, M. Belisle devint
membre, puis secrétaire, d'une commission formée de hauts éducateurs
américains, chargée de faire une étude approfondie des diverses métho-
des techniques employées un peu partout dans le domaine de l'ensei-
gnement supérieur.
Les études et constatations de cette commission furent contenues
dans un rapport que rédigea monsieur Belisle, en grande partie autour
des suggestions que lui-même y avait contribuées. C'est à l'une de ses
suggestions que l'on a dû la création des écoles dites "Junior High" et
des collèges préparatoires, devant, les unes et les autres, servir d'étape
126 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
et de liaison entre l'école primaire et l'école supérieure, et entre l'école
supérieure (ou High School) et l'université.
Ce rapport, conservé aux archives supérieures de l'enseignement
américain, a servi, en maint état de l'Union, de base au système éduca-
tionnel dans ces états.
A Fall River, le surintendant Bélisle fut de plus l'auteur d'une
initiative qui a fait depuis des années un bien immense aux écoliers
sortant des cours élémentaires et ne manifestant aucune aptitude ou
attirance pour les études supérieures. Ces écoliers étaient, pour un
bon nombre, en danger de devenir des déclassés, et étaient habituelle-
ment absorbés à bon heure par les tâches ingrates ou par une oisiveté
dangereuse.
Pour assurer à ce type d'écoliers un avenir sûrement orienté, mon-
sieur Bélisle conçut l'idée de l'éducation professionnelle ou "de métiers".
Les écoles dites "Vocational," inaugurées à Fall River sous ses
directives et imitées ailleurs, sont un hommage éloquent à la sagesse
d'un éducateur dont la vision pouvait embrasser l'ensemble et les
détails du problème éducationel de son pays.
Quand vint la première guerre mondiale, il fut au nombre des
papas américains qui eurent le douloureux honneur de donner en
holocauste un de leurs fils à la patrie. En bon patriote et citoyen, il
donna de plus ses services aux commissions des Préparatifs et de la
Défense Civile. Il fut un membre actif de l'Association pour le
Secours Franco-Américain. Les distinctions académiques et civiles
dont monsieur Bélisle a été l'objet ne se comptent plus.
Pour n'en mentionner que quelques-unes, il fut invité à faire partie
de nombreuses associations d'éducateurs, tant en ce pays qu'à l'étran-
ger. Il ne se passa guère d'année où il n'allât assister à des congrès et
conférences où son apport au progrès de la profession éducationnelle
fut dûment noté et louange par les revues traitant des problèmes de
l'éducation.
Un gouverneur le nomma Syndic de l'Ecole Textile Bradford
Durfee de Fall River, et un autre le nomma membre de la Faculté
pour les cours de l'été, au Collège des Professeurs, une institution de
l'état, à Hyannis, Mass.
Membre de l'Union Saint-Jean-Baptiste d'Amérique, et Rotarian,
M. Bélisle, obéissant à son désir de venir en aide aux jeunes, trouva le
temps d'établir à Fall River le "Petit Théâtre", et accepta d'être mem-
bre du conseil des Boy Scouts du district de Massasoit.
Le regret universel laissé par sa mort a été un hommage et une
consolation à la veuve, au fils, et aux trois filles qui le pleurent.
Dans ses affections et son histoire, la Société Historique Franco-
Américaine fera une place spéciale à cet homme qui fut un citoyen
modèle et dont la carrière laborieuse et utile a ajouté au prestige du
nom franco-américain.
VIII
Rapports des Réunions
Réunion du Bureau — 25 Mars 1950
A l'hôtel Vendôme de Boston. Sont présents: MM. l'abbé Adrien
Verrette, président; Antoine Clément; trésorier, Gabriel Nadeau,
secrétaire; Roland Cartier, secrétaire adjoint; l'abbé F.-X. Larivière,
Emile Iemelin, Alfred Chrétien, Valmore Forcier et William Arsenault.
conseillers.
Le bureau décide d'accorder la médaille Grand Prix aux personnes
suivantes qui ont particulièrement mérité de la Société: M. l'abbé
François-Xavier Larivière, curé de Sainte-Marie de Marlboro; Me
Eugène Jalbert, ancien président de la Société; M. le juge Arthur Eno,
ancien trésorier; M. Adolphe Robert, président général de l'Associa-
tion canado-américaine.
La réunion générale est fixée au 31 mai et se tiendra à l'hôtel
Vendôme. Dorénavant la réunion du printemps sera consacrée uni-
quement à des travaux d'histoire. Il n'y aura pas de banquet et seuls
les membres seront invités.
Réunion générale — 31 mai 1950
A l'hôtel Vendôme. Invités d'honneur: M. Albert Chambon.
consul de France, et M. Paul Beaulieu, consul du Canada. Nombre
des membres présents: 42.
Le T. R. P. Thomas Landry, O.P., donne lecture d'un travail sur
le Centenaire de la Franco-Américanie, célébré à Worcester, Mass., en
1949. M. Adolphe Robert lit un travail sur Gabriel Franchère. M.
Antoine Clément fait le compte rendu des fêtes qui ont marqué le 50e
anniversaire de l'Union Saint- Jean-Baptiste d'Amérique, à Boston.
M. l'abbé Verrette termine la séance d'étude par un travail sur la
paroisse Saint-Joseph de Burlington, Vermont, et sur Mgr de Goes-
briand, premier évêque de Burlington.
La médaille Grand Prix est décernée à MM. François-Xavier Lari-
vière, Adolphe Robert, Arthur Eno et, in absentia, à M. Eugène Jalbert.
Avant la présentation de chaque médaille, M. le président fait l'éloge
du récipiendaire et à l'issue de la cérémonie MM. Larivière et Eno
prononcèrent quelques mots de remerciement.
Quatre membres sont décédés depuis la dernière réunion. L'éloge
de l'abbé Albert-J. Massé est prononcé par M. l'abbé F.-X. Larivière,
celui de l'abbé Paul Desaulniers par M. l'abbé René Constant, celui
du Dr Joseph-E. Larochelle par M. Wilfrid Mathieu et celui de M.
Hector-L. Belisle par M. Louis Clapin.
128 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Les trois personnes suivantes sont élues membres titulaires de la
Société:
Mme Edgar-R. Corneau, de Biddeford, Maine
M. Jean-A. Chrétien, avocat, de Manchester, New-Hampshire
M. le Dr Louis-B. Amyot, dentiste, de Schenectady, New-York
Réunion du Bureau — 7 octobre 1950
A l'hôtel Vendôme. Sont présents: MM. l'abbé Adrien Verrette,
président; Valmore Carignan, vice-président; Antoine Clément, tré-
sorier; Gabriel Nadeau, secrétaire; Roland Cartier, secrétaire adjoint:
l'abbé F.-X. Larivière, le juge Emile Lemelin, le juge Alfred Chrétien
et Valmore Forcier, conseillers.
La réunion générale est fixée au 29 novembre et sera tenue à
l'University Club de Boston. M. Jean Bruchési, sous-ministre de la
Province de Québec, sera le conférencier.
Quatre membres sont décédés depuis la réunion du printemps:
les abbés George Dumas, Jean-Baptiste Messier et Joseph-H. Cormier
et le Dr Zenon Lavoie. Leurs éloges seront prononcés à la réunion
du printemps de 1951.
Le bureau accorde la médaille Grand Prix à M. Henri-T. Ledoux.
ancien président général de l'Union Saint-Jean Baptiste, pour recon-
naître les longs et éminents services qu'il a rendus à ses compatriotes.
Réunion générale — 29 novembre 1950
A l'University Club de Boston. Invités d'honneur: le T. R. P.
Paré, O.P., de Québec, et M. Paul Beaulieu, consul du Canada. M.
Albert Chambon, consul général de France, s'était excusé. Nombre
des membres et des invités présents: 100.
Présentation du conférencier par M. l'abbé Adrien Verrette.
Conférence de M. Jean Bruchési sur la Fidélité Française.
Remerciements de M. Verrette et présentation à M. Bruchési du
diplôme de membre d'honneur de la Société.
Remise de la médaille Grand Prix à M. Henri-T. Ledoux par
M. Verrette, suivie d'un discours de remerciement par M. Ledoux.
Une commission de trois membres sera nommée par M. le prési-
dent, qui fera la refonte des statuts et règlements de la Société.
Les personnes suivantes sont élues membres titulaires:
M. l'abbé Gilles Simard, de Manchester, New-Hampshire.
M. l'abbé Camille Blain, de Fitchburg, Massachusetts.
M. Albert-W. Hamel, de Manchester, New-Hampshire.
RAPPORTS DES REUNIONS 129
Après les élections le Bureau de la Société, pour 1950-1951, se
trouve constitué comme suit:
L'abbé Adrien Verrette, président
Me Valmore Carignan, vice-président
M. Antoine Clément, trésorier
Le Dr Gabriel Nadeau. secrétaire
Le Dr Roland Cartier, secrétaire-adjoint
Conseillers pour trois ans:
Le T. R. P. Thomas Landry, O.P.
M. Lucien Sansouci
Le juge Edouard Lampion
Conseillers pour deux ans:
Le juge Emile Lemelin
Le Dr Fernand Hémond
M. Valmore Forcier
Conseillers pour un an:
L'abbé F.-X. Larivière
M. William Arsenault
M. le président annonce le décès, arrivé l'avant-veille, du Dr
Benoit Garneau, de Fall River, Mass. Le Dr Garneau était conseiller,
ayant été élu le 3 novembre 1948.
IX
Echos des Sociétés Historiques
La Société Historique du Nouvel-Ontario, dont le siège est au
Collège du Sacré-Coeur, Sudbury, Ontario, publiait en 1950, Docu-
ments Historiques 19: "North Bay et les Jumelles Dionne" et 20:
"Folklore Franco-Ontarien, Chansons II".
La Société Historique de Québec publiait Cahiers d'Histoire No 2 :
"Bois de Coulonge" par Clément T. Dussault.
La New Hampshire Historical Society publiait les Nos 1 et 2 du
Vol. VI "Historical New Hampshire", avril et novembre 1950.
La Société Généalogique Canadienne-française (Montréal) No
1 et No 2 du Volume IV des Mémoires.
< ZfituLai f i£.± ^A/{édaiLL£, "^xand ÇPzLx
1934 Jean-Charlemagne Bracq
1936 L'Etoile (Lowell, Mass.)
1936 L'Indépendant (Fall-River, Mass.)
1936 Le Messager (Lewiston, Maine)
1937 Mgr Camille Roy P. A.
1939 S. E. le Cardinal Villeneuve
1939 L'Avenir National (Manchester. N. H.)
1944 Jean M. Garand
1947 Ubalde Paquin M.D.
1947 Corinne Rocheleau-Rouleau
1950 Adolphe Robert
1950 Eugène Jalbert
1950 Arthur L. Eno
1950 Abbé F. X. Larivière
1950 Henri Ledoux
!Bu%£au 1Q50-1Ç51
Gilbert Chinard, président d'honneur
Pierre-Georges Roy, vice-président d'honneur
Antoine Dumouchel M.D., vice-président d'honneur
Adrien Verrette, ptre, président
Valmore Carignan, vice-président
Gabriel Nadeau, M.D., secrétaire
Roland Cartier M.D., secrétaire-adjoint
Antoine Clément, trésorier
Conseillers
Abbé F.-X. Larivière (Marlboro, Mass.)
Dr. Benoit Garneau M.D. (Fall-River)*
William Arsenault (Cambridge)
Juge Emile Lemelin (Manchester, N. H.)
Dr. Fernand Hémond M.D. (West Warwick, R. I.)
Valmore Forcier (Danielson, Conn.)
T. R. P. Thomas Marie Landry o.p. (Fall-River, Mass.)
Juge Edouard Lampron (Nashua, N. H.)
Lucien SanSouci (Woonsocket, R. I.)
* Décédé le 27 novembre 1950
Table des Matières
Présentation 3
I Conférence: Fidélité Française 5
M. Jean Bruchési
II Remise de la médaille "Grand Prix" 23
Séance du 31 mai 1950 23
Séance du 29 novembre 1950 28
Me Henri T. Ledoux 28
III Etudes: Le Centenaire Franco-Américain de 1949 32
T. R. P. Thomas-Marie Landry, o.p.
Gabriel Franchère (1786-1862 38
Adolphe Robert
Cinquantenaire de l'Union Saint Jean-Baptiste
d'Amérique (1900-1950) 41
Antoine Clément
Mgr Louis de Goesbriand (1816-1899) 44
Adrien Verrette, ptre
IV Centenaires (1850-1950) 51
Un siècle d'Apostolat 51
Le Centenaire des religieux de l'Assomption 51
R. P. Polyeucte Cuissard, a. a.
Institut des Soeurs de Sainte-Anne 57
Institut du Bon Pasteur 59
Société Saint Jean-Baptiste de New- York 59
Paroisse Saint- Joseph de Burlington. Vermont 64
V Autour des conférences Podea-Wade 68
VI Documents et Archives 72
Documents acadiens tirés des Archives de l'Etat du
Massachusetts (2me partie) (recueillies par le Juge
Arthur Eno)
VII Eloges des membres disparus 119
Abbé Paul Desaulniers (Nashua) 119
Abbé Albert Massé (Attleboro) 121
Docteur J. Eugène Larochelle (Manchester) 122
Hector-Louis Belisle (Fall-River) 123
VIII Rapports des réunions 127
IX Echos des Sociétés Historiques 130
X Titulaires de la Médaille "Grand Prix" 131
Bureau 1950-51 132
Table des Matières 133
1951
BULLETIN
de la
Société Historique
Franco-Américaine
SEP 2 1952
Boston, Massachusetts
Imprimerie Ballard Frères
Manchester, New-Hampshire
1952
1951
BULLETIN
de la
Société Historique
Franco-Américaine
Bostox, Massachusetts
Imprimerie Ballard Frères
Manchester, New-Hampshire
1952
Présentation
Le bulletin 1951 paraît dans sa toilette habi-
tuelle pour renseigner les membres sur le travail
de la société.
L'année a été bien remplie et elle apporte une
nouvelle gerbe dans les annales de la franco-améri-
canie. La société espère mettre à exécution dans
un avenir rapproché le projet depuis longtemps
caressé de publier un "Précis d'Histoire franco-amé-
ricaine" pour nos écoliers.
S. H. le Juge Eugène L. Jalbert,
Président 1945-1949
Bulletin de
Jla Société cMuta^iù^e rf-icMca- Américaine
Fondée le 4 septembre 1899
Administration Secrétaire: Gabriel Nadeau, M.D., Rutland. Mass.
Trésorier: Antoine Clément, 195 W. Sixth St., Lowell. Mass.
Boston, Massachusetts Année 1951
Solidarité Française *
par l'abbé Paul-Emile Gosselin
Secrétaire du Comité de la Survivance française
Lorsque vous m'avez invité à prendre la parole devant vous,
je ne me suis point fait illusion sur la grandeur du péril dans lequel
je mettais votre Société. J'ai redouté l'honneur, que vous me faisiez,
non par vanité personnelle, mais par estime et amitié pour vous. Dans
le but de parer quelque peu au danger, j'ai songé à traiter un sujet que
je savais être cher à vos esprits: celui de la solidarité française.
J'essaierai de vous marquer en quel sens très étendu, pour quelles
fins très hautes, nous devons pratiquer cette solidarité. Dans une
deuxième partie, plus immédiatement pratique, je tenterai de vous
indiquer comment le troisième Congrès, en juin 1952, sera une mani-
festation de cette solidarité.
— I —
Parler de solidarité française, mesdames, messieurs, c'est évoquer
fondamentalement une hégémonie spirituelle telle qu'on n'en ren-
contre que deux ou trois exemples dans l'histoire de l'humanité: celle
de la France dans le monde occidental et même une partie du monde
oriental. Il fut une époque où notre ancienne mère-patrie exerçait
une suprématie quasi incontestée dans le domaine de l'esprit, où les
gens cultivés, ceux-là même qui la combattaient sur le plan politique,
se piquaient, non seulement de parler la langue française, mais de
penser en français, à tel point que le français était devenu, dans toute
l'Europe, la langue des salons et de la diplomatie, la langue de la
culture.
Conférence prononcée le 28 novembre 1951, à l'hôtel Vendôme, à Boston,
Mass,
6 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Cette hégémonie put s'accompagner, à certains moments, de
visées politiques, d'ambitions mercantiles. Elle demeura foncièrement
spiritualiste. Elle s'exerça en profondeur et se montra toujours plus
soucieuse de conquérir les intelligences et de servir les intérêts supé-
rieurs de la pensée que de subjuguer les continents et d'accaparer les
richesses matérielles de l'univers.
Il faut chercher dans cet idéalisme le secret de son extraordinaire
réussite, celui aussi de cette sympathie qui a valu à la France, mieux
que l'admiration des autres peuples, leur amitié dans ses revers comme
dans ses triomphes. Et déjà, sans le vouloir, j'ai groupé quelques uns
des éléments qui constituent ce que j'appelais, au début de cet entre-
tien, la solidarité française.
Nous pourrions définir ce phénomène social de la façon suivante:
l'attachement d'individus et de peuples à une forme de culture et, plus
largement, de civilisation, qui incarne à un haut degré les idéaux de
l'Occident catholique. Et si nous voulions analyser ce phénomène,
nous pourrions signaler, parmi les éléments de cette culture, la primauté
des valeurs spirituelles, le respect de la personne humaine, le sens des
données sociologiques de base: la famille et la communauté politique.
L'histoire de la France, mère de la culture française, peut se
ramener, dans son ensemble, à un effort de dépassement dans l'ordre
de la pensée et dans celui de la surnature. Aujourd'hui encore, après
les dévastations des luttes religieuses et celles des luttes militaires, le
voyageur qui parcourt les provinces françaises constate, avec un senti-
ment d'admiration, combien les problèmes de la culture et ceux de la
destinées éternelle continuent de préoccuper les esprits en dépit des
appels de la matière et des incertitudes de notre époque. Le choc des
opinions, les heurts des systèmes ne sont eux-mêmes que des indices
d'une recherche passionnée de la vérité par un peuple qui fut toujours
avide de clarté dans le domaine de la pensée comme dans celui de
l'action.
D'autres dissensions pourront choquer le touriste qui jette un
coup d'oeil superficiel sur la France actuelle : l'espèce d'anarchie dans
laquelle se débat la vie politique et sociale, les luttes de partis et les
rivalités de classes. Ici encore, nous pourrions retrouver, sous la varia-
tion des régimes administratifs, un constant effort vers un idéal politi-
que difficilement réalisable: celui d'un gouvernement souverainement
fort et souverainement respectueux non seulement des libertés, mais de
la personnalité même des sujets, ce qui n'est pas identique. Ainsi
s'inscrivent dans l'histoire de la nation française, tour à tour monar-
chique, césarienne et républicaine, les deux autres éléments de la cul-
ture française: la personne et la société.
Ce sont ces valeurs de vie qui sont à la racine de la culture fran-
çaise. Ce sont elles qui ont donné à la langue française sa robustesse
SOLIDARITE FRANÇAISE /
et sa finesse, ce solide bon sens qui en est la base et cette subtilité qui
en constitue le sommet, pour parler en termes quelque peu géométri-
ques. Si une culture concrétise des valeurs de vie, elle-même est, en
bonne partie, le produit d'une civilisation et la langue, à son tour,
est le fruit de la culture, elle doit l'être du moins si elle veut prétendre
à une certaine universalité.
Il suffit, si je ne m'abuse, d'expliquer les termes de ces propositions
pour en faire voir le lien logique. On peut définir la civilisation comme
une modalité évoluée de vie en communauté dans l'ordre économique,
social et politique. L'usage d'instruments plus ou moins perfectionnés
pour le travail manuel, l'organisation d'un ensemble humain selon des
formules aptes à satisfaire ses besoins essentiels au point de vue maté-
riel et au point de vue intellectuel sont des normes de civilisation.
Lorsque celle-ci se perfectionne suffisamment pour assurer à la
vie de l'esprit la prééminence sur l'existence simplement matérielle,
un peuple devient cultivé. Tout en continuant de faire oeuvre utile,
il se préoccupe de faire oeuvre purement et simplement belle. Il passe
des arts serviles aux arts libéraux. Il met la matière au service non
seulement de son corps mais de son esprit. S'élevant plus haut, il ne
se contente plus de faire, de fabriquer, de savoir, pour produire, il
ambitionne de connaître pour connaître, il veut arracher à la matière
ses secrets et s'élever, par eux jusqu'à la splendeur du Verbe divin qui
en est l'auteur. C'est ainsi, mesdames, messieurs, que la civilisation
engendre la culture.
Originaire du monde sensible, la culture humaine a besoin de
s'exprimer selon des données sensibles. Elle ne peut être pure spiri-
tualité, abstraction totale. Elle pourra s'incarner dans les chefs d'oeu-
vre de l'art, plus profondément et plus universellement dans ce chef
d'oeuvre de l'esprit qu'est une langue humaine.
Parce que la civilisation engendre la culture et que celle-ci s'épa-
nouit dans la langue, nous pouvons affirmer que les destinées d'une
langue et d'une culture sont liées étroitement aux destinées mêmes du
groupement humain qui est le détenteur de cette culture et le posses-
seur de ce verbe. Pour en revenir à la langue et à la culture françaises,
ce serait faire preuve de peu de réflexion que d'en ramener l'origine à
des pages de grammaire, à des disputes d'écoles, à des ateliers, à des
académies des beaux arts et du beau langage.
La langue française a commencé à se former avec le type français.
Elle s'est affinée à mesure que nos ancêtres gaulois s'affinaient eux-
mêmes, passaient de l'existence, plus ou moins primitive d'hommes de
la forêt à l'état déjà évolué de laboureurs et de citadins, à mesure que,
dans les campagnes françaises, le paysan humanisait la terre, pour être à
son tour, humanisé par elle, que dans les villes, les grands esprits et,
à un degré moindre, les beaux esprits, s'assemblaient, se groupaient pour
8 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
cultiver, non plus la terre de France, mais l'âme de la France et en
faire une des âmes les plus spirituelles et, par voie de conséquence,
l'une des plus apostoliques qui soient.
Je n'ai ni le temps ni la capacité d'entrer dans le détail de cette
genèse d'une pensée et d'un idiome. Il aura suffi, je crois, de vous en
signaler les phases maîtresses pour que nous en tirions les conclusions
et les leçons qui doivent nous guider dans notre comportement à l'en-
droit de la langue et de la culture françaises.
Ces leçons, elles me paraissent se ramener à cette proposition: la
langue est fonction de la culture, celle-ci est fonction de la civilisation.
Dès lors prétendre à l'une ou à l'autre isolément paraît passablement
utopique. Un Anglais, un Portuguais peuvent bien prétendre parler
la langue française à la perfection. Leur langage pourra être correct,
voire élégant et riche. Il sera toujours un verbe d'emprunt. Ce ne
sera pas lui qui rendra spontanément les nuances de leur pensée ou le
détail de leur existence concrète. Pour parler vraiment la langue fran-
çaise, il faut être français par la culture et la civilisation.
Et cela nous amène au péril qui menace l'âme française, non seule-
ment chez nous et chez vous, mais en France même. Parce qu'une
langue procède à la fois d'une culture et d'une civilisation, que, d'autre
part, cette dernière comporte de larges éléments matériels, la civilisa-
tion et, par contre coup, la culture et la langue ont besoin, pour se
maintenir, d'une certaine indépendance dans le domaine matériel.
Pour parler en termes plus concrets, au risque de froisser certaines
susceptibilités, la puissance américaine, qui veut sauver la civilisation
française et les autres civilisations qui sont apparentées à celle-ci me-
nace, si elle n'y prend garde, de les étouffer sous le poids même de son
formidable potentiel économique. Vous me permettrez d'illustrer cette
affirmation abstraite et peut-être audacieuse par un souvenir personnel.
J'étais à Paris, il y a deux ans, au plus fort de la bataille que menaient
les grands vins de France contre un produit américain que vous con-
naissez bien. Je m'étais assis à la terrasse d'un café avec un compa-
gnon.
Il nous prit fantaisie de commander un Coca-Cola. Nous étions
à cent lieues de soupçonner le drame que notre demande bien inno-
cente allait déchaîner. La jeune fille que nous avions interpellée nous
répondit sur un ton glacial que sa maison ne servait que des produits
français. Je n'oublierai pas de sitôt l'expression de son visage. Elle
avait réagi spontanément, non par âpreté au gain, pas même par chau-
vinisme national, mais parce qu'elle avait vaguement conscience que
du jour où les produits commerciaux et, avec eux, les modalités de vie
de l'étranger, auraient supplanté en France vingt siècles de civilisation
française, c'en serait fait de la langue, de la culture et de l'âme fran-
çaises.
SOLIDARITE FRANÇAISE
Mesdames, messieurs, lorsque nous parlons de solidarité française,
ce ne doit pas être du bout des lèvres seulement mais du fond même
de nos âmes. Et lorsque nous prétendons vivre à la française, nous
devons nous rappeler que si cette vie fleurit en des syllabes harmonieu-
ses, c'est dans les âmes qu'elle s'enracine. Que, par malheur, les âmes
viennent à mourir, le langage lui-même n'aura plus, sur des lèvres
éteintes, que la mélancolie des fleurs fanées.
Cette alliance entre la civilisation, la culture et la langue nous
met en dépendance étroite de la France si nous voulons survivre. Il
se rencontre chez nous, peut-être aussi chez vous, des esprits aventureux
pour proclamer que nous pouvons nous suffire à nous-mêmes et que
nous n'avons qu'à vouloir pour demeurer français.
A ces audacieux, je répondrai par une question : avons-nous donné
naissance sur les bords du Saint-Laurent, de l'Hudson ou du Mississipi
à une civilisation intégralement française, dans l'humus de laquelle
puisse s'épanouir et se renouveler une culture française. La réponse,
en toute sincérité, ne doit-elle pas être largement négative?
Dieu merci! Nous avons conservé une grande partie de l'héritage
culturel apporté de France en Amérique du Nord par nos ancêtres.
Mais nous ne pouvons espérer vivre indéfiniment sur ce fond primitif.
Nous devons nous demander si nous avons ajouté à cet héritage, si
nous avons créé des formes de vie et de pensée en harmonie avec lui.
Nous commencions à le faire lorsqu'est survenue la tragédie de 1760.
Depuis lors nous n'avons pu guère que nous défendre pendant un siècle
contre une pénétration étrangère, reprendre lentement et péniblement,
vers 1850, contact avec la vie française de la mère-patrie.
Nous parlons encore français. Le fait est d'importance majeure
car la langue est un signe sensible, elle est un lien tangible, elle est,
pour ainsi dire, une porte ouverte sur les trésors de la culture et de la
civilisation. Mais ne restons-nous pas trop volontiers à la porte à
regarder défiler des cortèges étrangers et n'oublions-nous pas les trésors
auxquels la langue nous donne accès?
Mesdames, messieurs, nous ne devons pas nous leurrer de mots.
Il faut parler français pour être français. Nous devons continuer nos
sacrifices pour maintenir la parlure ancestrale dans les foyers, dans les
églises, dans les écoles, dans les relations sociales. Mais il ne suffit
pas de parler français car, à ce compte, n'importe quel polyglotte pour-
rait se réclamer du titre de français. Et d'ailleurs lorsqu'un compa-
triote n'a conservé de ses origines ethniques qu'un bagage de mots sans
résonnance profonde dans son coeur, il est déjà marqué pour les abdica-
tions définitives. Etre français, cela signifie vivre une vie intégrale-
ment française et cette vie là, c'est encore de la France que nous devons
l'attendre, c'est dans les ressources de son génie, de son artisanat, de son
art, de ses lettres que nous devons, en bonne partie puiser pour l'entre-
tenir et la rénover,
10 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Par ailleurs nous pouvons et nous devons aider la France à proté-
ger la culture française chez nous et chez elle. On a dit et répété
depuis Maria Chapdelaine que nous étions un témoignage. Nous
devons ambitionner un rôle plus glorieux que celui de témoin. Nos
ancêtres ne se sont pas installés sur ce continent simplement pour durer
et rendre témoignage. Ils sont venus ici pour créer de la vie et c'est
notre mission de mettre dans le terrain de la civilisation nord-améri-
caine un ferment qui en fasse un élément de vie, non une menace de
mort pour les pays de culture latine.
Ce faisant, vous poursuivrez ici-même l'oeuvre de la France aux
premiers jours de votre puissante République. Nous retrouvons la
trace de son génie dans l'harmonieuse symétrie de votre Capitale fédé-
rale et le reflet de ses idéaux, de sa spiritualité, de son amour de la
liberté, de son respect de la personne humaine, de son attachement à
la patrie dans les pages de votre Constitution.
Il eût suffi d'un désir, dit-on, pour que le français devint langue
officielle dans la naissante république de George Washington. Il fau-
dra plus que des désirs, un travail de réflexion profonde, des convictions
solides, les efforts de générations pour que la civilisation française
marque de son empreinte la civilisation nord-américaine mais cela reste
tâche d'hommes à laquelle devraient suffire des volontés humaines.
A cause de ces labeurs qui nous attendent, parce que la civilisa-
tion française, la culture et la langue sont menacées chez nous comme
chez vous, le Comité de la Survivance française a cru que le temps
était venu de convoquer encore une fois à Québec,' aux lieux originels
de notre vie française, les élites de notre race. Le troisième Congrès
de la Langue française aura lieu du dix-huit au vingt-quatre juin 1952.
11 se déroulera en bonne partie dans la vieille Capitale, mais il s'achè-
vera à Montréal avec des manifestations, chemin faisant, aux Trois-
Rivières et à Saint-Hyacinthe.
Ce n'est point le moment de vous en détailler le programme.
Celui-ci d'ailleurs est sujet à revision en bien des parties. Comme en
1912 et en 1937, il comprendra des séances d'étude et des manifestations
que nous souhaitons grandioses. Il visera ainsi à mettre de la lumière
dans les esprits et à raviver des flammes dans les coeurs.
Ce que je crois plus expédient de vous marquer, ce sont les carac-
tères que nous entendons donner à ce Congrès. Nous voulons tout
d'abord qu'il soit une affirmation de solidarité entre tous les parlants
français de l'univers. Le progrès a supprimé les distances et il a trans-
formé les guerres de nations en conflits de culture et de civilisations.
Nous devons, nous aussi, élargir nos horizons et travailler à nous inté-
grer dans l'ensemble culturel et civilisateur auquel nous appartenons,
par-dessus les allégeances politiques et les fidélités proprement patrio-
tiques.
SOLIDARITE FRANÇAISE 1 1
Aussi avons-nous l'ambition de réunir en ces assises des représen-
tants, non seulement de nos groupes français du Canada et des Etats-
Unis, mais des délégués de tous les pays français de l'Univers, à com-
mencer par la France. Nous espérons que celle-ci sera magnifique-
ment représentée et qu'autour de son ambassade culturelle seront fiers
de se grouper les délégations de la Belgique, de la Suisse, d'Haïti, de
l'Ile Maurice et d'ailleurs.
Nous ne pouvons espérer réunir à Québec tous nos compatriotes.
Nous désirons du moins qu'ils participent tous d'esprit et de coeur au
Congrès. Nous avons commencé dans ce but un intense travail de
propagande. Nous nous proposons, en particulier, d'inviter toutes
les municipalités françaises du Canada à adhérer au Congrès par une
lettre que nous adresserons au maire de chacune d'entre elles. J'ai
confiance que votre actif comité régional transmettra la même invi-
tation à vos florissantes cités franco-américaines. Nous nous em-
ployons également à solliciter l'adhésion de nos communautés reli-
gieuses, de nos associations patriotiques, de nos groupements écono-
miques, de nos clubs sociaux. Et je suis heureux de vous dire que le
Congrès de 1952 a reçu l'approbation des plus hautes autorités reli-
gieuses et civiles chez nous puisque notre épiscopat de langue française
lui a donné son adhésion, que les premiers ministres du Canada et de
la province de Québec ont accepté de s'en partager la présidence
d'honneur.
Fête de l'esprit et fête du coeur, le Congrès de 1952 ne sera
cependant pas un acte isolé, un jour sans lendemain dans notre vie
nationale. Il constituera un aboutissant et, nous l'espérons, un point
de départ. Les assises de 1937 avaient donné naissance à un Comité
chargé d'en prolonger les effets bienfaisants et d'en mettre à exécu-
tion les voeux. Depuis bientôt quinze ans, le Comité de la Survivance
Française a fait effort pour se montrer digne de la mission qui lui avait
été confiée.
Selon les termes même de cette mission, vous vous en souvenez,
M. le juge Jalbert, il s'est employé, avec le concours empressé de nos
organismes patriotiques des deux côtés de la frontière, "au soutien et
à la défense des intérêts nationaux des populations de langue française
et au maintien des traditions de l'esprit français en Amérique du Nord".
Il serait peu séant de ma part d'essayer de vous démontrer que le
Comité de la Survivance a accompli, dans une certaine mesure, la tâche
très large qui lui avait été dévolue. Ce sera précisément l'un des objets
principaux du Congrès de 1952 d'examiner le travail accompli au sein
de nos groupements depuis 1937 et de prendre les dispositions requises
pour qu'il se continue avec plus d'efficacité.
Le Congrès sera ainsi un effort de solidarité française dans l'espace
et dans le temps. Il essaiera de grouper tous les bons ouvriers de la
12 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
pensée française et de prolonger les efforts des disparus par les labeurs
des générations montantes.
C'est précisément vers elles surtout que se tourne le Comité d'or-
ganisation du prochain Congrès. Il veut que ces Etats Majors de
notre race soient surtout ceux de la jeunesse. Je ne commettrai pas
l'erreur de traiter ce sujet d'importance capitale et d'ajouter un discours
à celui que j'achève.
Je sais que le problème de la jeunesse vous préoccupe et qu'après
avoir groupé les pères et les mères de familles franco-américaines dans
de prometteuses associations, vous caressez l'espoir d'unir votre jeunesse
sur le terrain même de la survivance française. Le même problème
se pose chez nous en des termes un peu différents.
Notre jeune pays vient de naître à la vie internationale. Avec un
naif contentement, il a, à certains moments, l'impression d'être l'enfant
chéri d'une partie de l'univers et il entretient parfois l'illusion que,
sans lui, les choses n'iraient pas si bien ou si mal dans le monde.
Cette fièvre de l'internationalisme a atteint une fraction de notre
jeunesse, l'une des plus ouvertes aux problèmes de l'esprit. Par ailleurs,
nous n'avons plus d'association qui groupe les jeunes Canadiens fran-
çais et les jeunes Acadiens sur un plan strictement national et quand je
dis national, je songe plus exactement à la nationalité canadienne-fran-
çaise.
L'examen de cette situation, les inquiétudes qu'elle suscite chez
nous, dans les milieux les plus avertis, nous ont incités à mettre à
l'étude pendant le Congrès de 1952, outre l'exposé de l'état de tous
nos groupes, la grave question de la formation patriotique de notre
jeunesse.
Tous les congressistes seront invités à étudier cette question car
l'éducation patriotique d'un peuple doit être l'oeuvre de tous les élé-
ments qui le constituent. Mais la jeunesse étant plus directement
concernée, c'est elle surtout que nous pressons de venir délibérer sur
ce sujet. Nous espérons, avec son concours, jeter les bases, pendant
le Congrès même, d'une association qui veillera à la formation française
de nos jeunes et qui assurera ainsi à l'avenir les chefs dont il a besoin
pour continuer le passé.
Déjà le digne successeur d'un grand archevêque qui vous hono-
rait de sa particulière dilection vient de constituer dans son diocèse
des cercles d'étude patriotique. Les deux premiers adhérents au
troisième Congrès de la Langue française ont été deux membres de ces
cercles, deux collégiens de Rimouski, qui ont trouvé dans la modicité
de leurs bourses et dans la richesse de leurs sentiments patriotiques
l'argent nécessaire pour se faire entendre au troisième Congrès de la
Langue française. Puisse le geste qu'ils ont posé être compris et imité
par des milliers de nos jeunes gens et de nos jeunes filles,
SOLIDARITE FRANÇAISE 1 !î
D'autres sujets seront abordés en ces assises de juin. Ai-je besoin
de mentionner notre langue et notre littérature? Elles feront l'objet
des préoccupations de deux sociétés spécialisées qui, avec l'Association
des Educateurs de Langue française, ont voulu se joindre à nos sociétés
patriotiques pour assurer le succès des réunions de juin prochain.
J'ai nommé la vénérable société du Parler français au Canada, qui
célébrera, en juin 1952, ses noces d'or, et l'active Société des Ecrivains
canadiens, l'une des gardiennes attitrées de la chose littéraire chez nous.
Il reviendra à ces deux groupements de sauver l'honneur du nom en
dissertant de cette partie des assises de l'été prochain qui s'inscrit for-
mellement dans le nom même du Congrès.
Une dernière section sera consacrée à la refrancisation. Le terme
est malheureusement à la mode chez nous. Je dis malheureusement
car je vous avoue qu'il ne me plaît qu'à demi. Tout d'abord parce
qu'il est révélateur d'un malaise et que personne n'aime avouer qu'il
est malade. Surtout parce qu'H a une allure répressive qui suscite
parfois relativement modeste dans l'ensemble du Congrès. Ses quel-
ques séances d'étude ne seront, en effet, que l'amorce de réunions plus
élaborées que nous projetons sur le même sujet quelques mois après le
Congrès, à l'automne de 1952 ou le printemps suivant.
Pour certains esprits, la section de la refrancisation devrait se
limiter à des buts excellents évidemment, mais que vous me permet-
trez de trouver modestes : substitution de panneaux-réclames français
ou bilingues, à un affichage uniquement anglais, campagne en faveur
du français dans tel ou tel service administratif, amélioration de la
publicité française de telle ou telle entreprise privée.
Le problème doit être envisagé beaucoup plus largement et plus
profondément. Il me paraît s'inscrire en plénitude dans les idées que
j'ai essayé de développer au début de cet entretien. Une campagne
de refrancisation doit être, en réalité, une campagne de civilisation
française si elle veut être vraiment efficace. C'est tout l'élément maté-
riel de notre vie nationale qu'elle doit s'efforcer d'atteindre pour l'inté-
grer dans notre vie française. Encore une fois, mesdames, messieurs,
l'avenir de notre langue et de notre culture ne sera assuré que le jour
où nous parlerons cette langue et nous développerons cette culture dans
un climat de civilisation intégralement française.
Nos institutions sociales, dans leur ensemble, sont d'inspiration
française. Dans le Québec, les institutions juridiques ont conservé en
bonne partie, leur cachet français. Mais notre infériorité dans le
domaine économique nous a valu une anglicisation forcée dans l'indus-
trie et le commerce et, par répercussion, dans toute la partie matérielle
de notre vie humaine: l'habitation, la nourriture, le vêtement, les
loisirs. L'agriculture a conservé assez généralement dans le Québec
sa physionomie traditionnelle. L'apport, depuis quelques années, de
14 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
spécialistes de France la fera bénéficier de méthodes modernes en har-
monie avec son caractère d'entreprise paroissiale et familiale.
L'artisanat, la petite et la moyenne industrie, l'architecture font
effort dans le Québec pour redonner à notre province française un
visage français. Il reste un travail de géant à accomplir. Nous avons,
en somme, à élaborer, en beaucoup de ces éléments, une civilisation
française sur le continent nord-américain. Si nous y réussissons, nous
aurons enfin une culture et une langue qui soient vraiment nôtres et qui
soient assurées de survivre, encore plus de rayonner, parce qu'elles
n'auront plus à emprunter constamment une partie de leur vitalité à
la France elle-même.
Mesdames, messieurs, en vous définissant les ambitions que nour-
rit le Comité du Congrès de juin 1952, j'ai touché certains problèmes
qui me paraissent fondamentaux pour l'avenir de notre groupe fran-
çais. Ces problèmes, je vous les ai exposés sous un angle québécois
et j'ai conscience de vous avoir tenu des propos assez austères sous ces
lambris dont le nom évoque une existence élégante et fleurie.
J'aurais pu me borner à des hommages et à des considérations
plutôt académiques sur les richesses qui constituent notre héritage cul-
turel. J'ai pensé que vous ayant visité à plusieurs reprises, que con-
naissant votre attachement à la culture française et votre confiance
malgré tout dans sa survivance, je pouvais, en toute simplicité, vous
entretenir des périls qu'elle court au foyer ancestral et, par répercus-
sion, chez vous.
Avec la même simplicité, je vous dis mon émotion et ma gratitude
pour l'accueil vraiment chaleureux que vous venez de faire, non pas
tant à ma personne et à mes paroles, qu'à vos frères du Canada que
j'ai l'honneur de représenter ce soir. Vous me permettrez d'exprimer
plus spécialement ma reconnaissance à votre distingué président. On
dit souvent que l'amitié est aveugle. Vous l'avez pu constater une
fois de plus en entendant le conférencier invité par M. l'abbé Verrette
à vos somptueux agapes.
Mesdames, messieurs, il me reste un fort agréable devoir à remplir:
celui de vous convier au Congrès de juin prochain. J'ai essayé de vous
dire ce que seraient ces assises. J'ai voulu garder pour la fin, la note
que nous y voulons dominante: une note familiale. Nous voulons que
le Congrès de juin 1952 soit une fête de famille, la fête de la grande
famille française en Amérique du Nord. Venez donc, chers compa-
triotes, vous asseoir nombreux au foyer ancestral, y rompre le pain béni
de nos traditions, venez revivre cette vie ancienne, un peu désuète peut-
être, à travers laquelle palpite l'âme même des ancêtres dans la paix
de nos vieux temples, dans l'activité bourdonnante de nos foyers, de
nos écoles, de nos villages et de nos villes. Venez nous apprendre à
lutter, à demeurer, à grandir, à rayonner. Venez vous-mêmes vous
SOLIDARITE FRANÇAISE 15
replonger dans le passé afin d'y retremper vos âmes, et de nous aider
à survivre en restant vous-mêmes fidèles à la civilisation catholique et
française dont nous sommes issus.
Allocution du Président
En cette 52e réunion annuelle, la Société Historique est heureuse
de saluer autour de sa table une assistance aussi distinguée. Elle se
réjouit surtout du fait que les dames prennent un intérêt croissant à
son travail. Elle les invite à se joindre en plus grand nombre.
La société est aussi reconnaissante à ses membres pour la précieuse
collaboration qu'ils lui accordent. A la séance d'étude, en mai dernier,
des travaux intéressants furent présentés. Ils paraîtront dans le bulle-
tin.
Le 17 novembre, le président avait l'honneur de remettre à la
Société Saint Jean-Baptiste de New-York, l'aînée de nos sociétés, pour
commémorer son centenaire, une plaque de bronze. La cérémonie
avait lieu à l'hôtel Victoria et notre collègue M. Adolphe Robert, con-
férencier invité, offrait une étude très documentée et fort captivante
sur la vie du fondateur, Gabriel Franchère.
La société remettait ensuite sa médaille ''Grand Prix" à M. Pierre -
Herménégilde Huot, important industriel et président de la société
centenaire, en reconnaissance de ses nombreux services à la vie franco-
américaine au sein de la grande métropole.
Au nombre de ses invités, la société salue avec empressement pour
la première fois, le nouveau consul du Canada à Boston, Me Jean-Louis
Delisle, En plus de lui souhaiter un heureux stage parmi nous, ainsi
qu'à Madame Delisle, nous voulons l'accueillir comme une précieuse
acquisition au service de la franeo-américanie.
Déjà M. Delisle a paru au congrès du Comité d'Orientation à
Lewiston pour laisser une magnifique impression d'estime et d'admira-
tion dans les coeurs. Nous avons l'assurance de sa brillante collabora-
tion. Nous voulons aussi rendre hommage à son distingué prédéces-
seur, Me Paul-André Beaulieu, qui fut pour nous tous, un bon ami,
très intéressé à l'oeuvre de la société.
Le départ prochain de M. le consul général Albert Chambon nous
étreint le coeur. Qui, en Nouvelle-Angleterre, n'a pas connu le dé-
vouement brillant et inlassable de M. Chambon, depuis sa venue à
Boston. Nous le comptions au nombre des meilleurs amis que la
France nous ait confiés. En plus d'être écouté dans tous les milieux,
parce qu'il représentait magnifiquement son pays, M. Chambon était
un habitué de toutes nos manifestations. Il était de la famille. Ses
conférences, allocutions, démarches et initiatives à notre endroit consti-
16 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
tuent une belle page dans nos annales. Nous voulons le remercier avec
effusion et lui souhaiter ainsi qu'à Madame Chambon de nouveaux
succès dans les tâches qui les attendent dans le paradis de Naples en
Italie. Nous ajoutons le voeu pour que M. Chambon couronne bientôt
sa carrière diplomatique avec les honneurs réservés aux ambassadeurs
de France.
Le 7 avril 1937, au cours d'une mémorable réunion, la société
avait l'honneur de recevoir à sa table Mer Camille Roy, de regrettée
mémoire, alors recteur magnifique de l'Université Laval et président
du Deuxième Congrès de la Langue française. Il venait nous inviter
à ces grandes assises. Nous aimons à évoquer sa douce et paternelle
figure de grand seigneur à la parole apostolique.
Au cours de sa brillante conférence nous nous rappelons cet appel
qui nous alla droit au coeur: "et on veut se revoir, (disait-il) , non seu-
lement parce qu'il est agréable de tenir une assemblée de famille, mais
aussi parce que la famille est en proie à des inquiétudes et en certains
de ses foyers, à de sérieuses inquiétudes . . . ,"
Nous avions l'honneur en cette circonstance de remercier Mgr
Roy en votre nom. Nous étions bien loin de nous douter qu'il nous
serait donné un jour de le remplacer dans cette même fonction. Nous
l'avons acceptée cette responsabilité par devoir avec le seul désir de
servir nos frères dans une mesure totale de nous-même.
Pour continuer ces nécessaires échanges avec le Québec français,
nous avons, ce soir, un autre brillant apôtre de la vie française en
Amérique, monsieur l'abbé Paul-Emile Gosselin, professeur de philo-
sophe à l'Université Laval et secrétaire fondateur du Comité de la
Survivance française en Amérique. A la Survivance, les présidents se
succèdent par la force des choses mais le secrétaire demeure.
Avant de vous présenter notre conférencier invité, l'abbé Gosselin,
je me permets donc d'inviter notre société à renouveler l'enthousiasme
qu'elle déploya en faveur du congrès de 1937. Certes, nous avons des
raisons encore plus sérieuses de nous joindre à nos frères du Québec-
dans la poursuite de notre idéal culturel.
Songeons à cette puissante armature intellectuelle que possèdent
nos frères d'outre-frontière, des valeurs qui peuvent nous être souverai-
nement utiles en appuyant nos modestes efforts. D'ailleurs ce n'est pas
au milieu de cette assemblée qu'il faudrait chercher des opposants au
principe de solidarité qui nous unit. En fait, le but de notre société
historique demande précisément que nous fassions prévaloir avec fierté,
que nous étagions dans toute sa véritable beauté notre contribution à
la vie de la patrie. Où chercher l'inspiration de cette entreprise, où
trouver les ferments qui ont provoqué cette aventure si ce n'est aux
sources immédiates de notre commune provenance.
SOLIDARITE FRANÇAISE 17
Combien il est réconfortant pour nous de la Société Historique de
proclamer cette croyance en face des démissions qui nous affligent.
Nous sommes de ceux qui croient dans la valeur indiscutable de notre
présence historique sur ce continent. Le Troisième Congrès de la
Langue française nous invite à revigorer cette fidélité. Notre esprit
français nous conservera ce que nous sommes et c'est ainsi que nous
continuerons notre noble et irremplaçable mission.
L'abbé Gosselin, depuis 15 ans, a pris la figure d'un chef, et tous
nous l'admirons dans le travail remarquable qu'il accomplit. Il vient
ici pour nous exposer la portée du Troisième Congrès de la Langue
française. Il a intitulé sa conférence "Solidarité française", magnifi-
que pendant à la remarquable conférence "Fidélité française" que nous
donnait l'an dernier, Monsieur le ministre Jean Bruchési.
C'est la première visite de l'abbé Gosselin à notre société. Nous
l'accueillons avec un fraternel empressement. Nous devinons un peu
quel vibrant message il nous apporte de la vieille cité de Champlain en
le faisant passer par son grand et noble coeur ....
En invitant son honneur le juge Eugène Jalbert à remercier notre
distingué conférencier, je me permets, en votre nom, de lui rendre
publiquement hommage. C'est sa première présence à la société
depuis son élévation à la magistrature. Nous voulons lui dire combien
nous sommes tous fiers de le voir briller sur le banc de la cour supé-
rieure du Rhode Island. Nous lui redisons notre admiration, notre
affection et nos meilleurs voeux.
II
Remise de la médaille "Grand Prix"
(Séance du 23 mai 1951J
La société historique considère comme l'un de ses grands privi-
lèges l'honneur de conférer sa médaille "Grand Prix" à des compa-
triotes ou à des institutions qui font rejaillir sur le prestige franco-amé-
ricain un lustre particulier. Elle invite donc ce soir son président à
proclamer de nouveaux lauréats de ce prix. Ces titulaires ont été jugés
dignes d'inscrire leur nom dans le livre d'or de la société. En des
termes sobres mais sincères, résumons les mérites des récipiendaires.
R. F. Wilfrid Gamcau, f.s.c.
C'est toute une carrière d'éducateur, longue de plus de 55 belles
années, que nous honorons dans la personne du cher et distingué frère
Wilfrid (Arthur Garneau), de la communauté des Frères du Sacré-
Coeur.
Il naît le 20 octobre 1870, à St. Christophe, comté d'Arthabaska,
fils de Hercule Garneau et de Délia Blanchette, de braves terriens.
La famille compte six enfants. La présence des frères du Sacré-Coeur
à quelques pas, depuis 1872, attire une nouvelle vocation. Arthur
Garneau leur apporte son coeur et sa vie, le 16 août 1896. Sa vie reli-
gieuse commence donc à 17 ans. Il en fit un don total.
Son enseignement, il le partagera entre le Québec et la Nouvelle-
Angleterre. Professeur, puis directeur, le frère Wilfrid multipliera ses
stages dans les différentes maisons de sa communauté. Mais c'est en
1909, à Central-Falls, au Rhode-Island, qu'il fonde le collège du Sacré-
Coeur pour lui imprégner sa tradition et son esprit. Son coeur y res-
tera rivé malgré ses autres déplacements. Il semble y être retourné
définitivement depuis 1943.
Des milliers d'élèves se rappelleront également de son apostolat à
Nashua, Stanstead, Manchester, Pointe-aux-Trembles, Verdun et
Woonsocket. Aussi quel ne fut pas le concert d'hommages qui lui
arrivaient, de partout, lorsque l'Amicale de Central Falls célébrait,
par une manifestation émouvante, son cinquantenaire de vie religieuse,
en octobre 1946.
Que de labeurs il faudrait résumer pour fixer dans son beau relief
cette vie toute consacrée à Dieu et à la formation chrétienne de notre
jeunesse. Nous croyons tout dire en affirmant que le frère Wilfrid est
un éducateur de grande taille et qu'il a toujours gardé dans son coeur
le souci de former des hommes au visage catholique et français.
REMISE DE LA MEDAILLE "GRAND l'RIx" 19
Nous savons avec quelle ardeur et succès il s'employa à organiser
la participation des jeunes du Rhode Island aux grandes assises du 2me
congrès de la langue française en 1937. Nous espérons que la Provi-
dence lui prêtera la santé pour inspirer au moins, une nouvelle levée
des jeunes pour le 3me congrès, en juin 1952.
Un aspect qui rend le frère Wilfrid particulièrement cher à notre
société, c'est qu'il est un ami passionné de notre histoire. D'ailleurs,
il vient de nous en fournir une preuve éclatante. Chercheur avéré, il
a organisé autour de lui une bibliothèque qui lui a permis de colliger
des masses de faits se rapportant à la présence française en Amérique.
Il connaît dans leur consonnance indienne, française et anglaise tous
les coins, les cours d'eau, rivières, hameaux et collines du pays. Ce
qu'il y a de très intéressant pour nous, c'est qu'il a eu le soin de diffuser
toute cette nomenclature historique dans son calendrier du Sacré-Coeur.
Et voilà que depuis près de 20 ans, plus de 25,000 foyers repassent
ensemble chaque année, des quantités de dates, de faits et de noms qui
nous enseignent la fierté en nous prêchant la splendeur de nos origines.
Cette même prédication, le frère Wilfrid la reprendra dans ses
"'cahiers de classe historiques", une oeuvre que nous voudrions voir se
Continuer dans toutes nos écoles, car c'est bien en tenant constamment
devant les yeux de nos enfants les valeurs de notre vie catholique et
française, que nous pouvons incruster dans leur esprit le souci de le«
conserver jalousement.
La société historique se devait de reconnaître cette belle fidélité
ù notre survivance française, de souligner les mérites .d'une vie aussi
généreusement consacrée à nos plus chers intérêts religieux et cultu-
rel? Elle le fait avec satisfaction et gratitude en inscrivant le nom
du frère Wilfrid Garneau sur le registre de ses lauréats, et en lui deman-
dant d'accepter sa médaille "Grand-Prix", qu'elle a l'honneur de lui
décerner.
Philippe- Armand Lajoic
Prétendre que la presse franco-américaine pâlit en face de la tâche
herculéenne qui lui est faite, serait faire injure à la franco-américanie.
Aussi longtemps que nous voudrons conserver à nos coeurs leur parlure
et leur esprit français, nous voulons avoir à notre service des journalistes
pour interpréter, animer et orienter cette vie commune que nous chéris-
sons. Il nous est donc agréable de constater que nous possédons tou-
jours ces militants chevaliers de la plume. L'Alliance des Journaux
franco-américains, toujours active, en est la preuve. Si le nombre de
nos journalistes n'es pas aussi considérable que nous le souhaiterions,
par contre, il nout plaît d'affirmer que certains parmi eux se présentent
à notre admiration avec un singulier relief.
20 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Trois fois déjà la société a voulu honorer l'oeuvre magnifique de
nos quotidiens cinquantenaires. Cette fois elle se penche avec affec-
tion sur la personne même de l'un de nos brillants journalistes pour
l'inscrire au nombre de ses lauréats.
Philippe Armand Lajoie, vous le devinez bien est celui que nous
saluons avec une admiration sans équivoque. Né le 29 juin 1887, à
Saint Hippolyte-de-Wotton, dans les Cantons de l'Est, il est le fils de
Joseph Lajoie, charpentier octogénaire à sa retraite croyons nous, et de
Hermilinda Belisle. Les études terminées au petit séminaire de Mont-
réal et au collège de l'Assomption (Québec) avec les honneurs du
baccalauréat et possédant déjà une belle réputation de musicien, c'est
au son de la trompette d'argent et de la vocalise qu'il écoulera ses
premiers efforts. On le croira consacré pour toujours à la musique.
Il devient directeur de la fanfare des Carabiniers Mont-Royal et maître
de chapelle. La musique ne le lâchera jamais et nous aimons à croire
qu'il voudra un jour rejoindre ses aïeux en chantant.
Mais c'est bien le journalisme qui devait réclamer définitivement
M. Lajoie. Bien qu'il fut déjà franco-américain d'adoption, puisque
sa famille habitait Fall-River depuis 1889, c'est à Montréal toujours
qu'il débuta dans la presse, au journal "Le Réveil" et plus tard au
quotidien "Le Canada". C'en était fait, Philippe-Armand Lajoie était
maintenant journaliste, mais il demeure toujours musicien.
Après ses années de service, durant la première guerre mondiale,
en qualité d'hospitalier et de musicien du 63me régiment d'infanterie,
M. Lajoie revient à Fall-River pour se replonger définitivement dans le
journalisme. Il collabore à "La Semaine Paroissiale" avec son ami
Adolphe Robert et c'est en 1926 qu'il devient rédacteur en chef à
L'Indépendant, poste qu'il occupe depuis vingt-cinq ans avec une
réputation croissante.
Monsieur Lajoie n'avait pas besoin de nous dresser son récent
"Inventaire de nos moyens de survivance" , une magnifique synthèse
de notre situation actuelle, pour nous convaincre de son intrépide
fidélité à défendre les intérêts de notre héritage culturel. C'est toute
la série ininterrompue de ses appels claironants, de ses études sérieuses
et fondées, de ses avertissements sages et pondérés qu'il nous faudrait
réunir en volume pour établir les immenses services qu'il nous a ménagés
et multipliés depuis un quart de siècle.
Nous croyons devoir lui rendre ce témoignage, qu'il a, au cours
de sa fructueuse carrière, toujours interprété avec une sincérité indé-
fectible le sens franco-américain, sans jamais lui sacrifier les honneurs
de l'objectivité. Il a su élever le journalisme franco-américain sur un
pallier qui invitait le lecteur aussi bien que l'observateur à mesurer dans
toute leur valeur probante les légitimes aspirations de la Iranco-améi i-
canie. Pour ce travail inlassable, pour cette dignité dans la lutte, pour
REMISE DE LA MEDAILLE "GRAND PRIX" 21
cet indomptable courage nous voulons lui dire notre profonde admira-
tion.
Déjà la France en 1936 avait déposé sur sa vaillante poitrine les
Palmes Académiques. Plus tard elle lui décernera sa Médaille de la
Reconnaissance. Il tardait à la société historique de joindre son tribut
et de souhaiter à M. Philippe-Armand Lajoie de longues années de vie,
consacrées au rayonnement et au maintien de notre patrimoine. Sa
plume, toujours limpide, martiale et écoutée restera, nous le savons, l'un
de nos plus réconfortants appuis. Nous lui demandons, après avoir
inscrit son nom sur le registre de nos lauréats, de recevoir cette médaille
de bronze qui symbolise en sa personne le courage, la dignité et la fidé-
lité.
Yvonne LeMaître
Place aux Dames, car il s'agit de rendre hommage à l'une de nos
femmes de lettres les plus distinguées, sinon la plus brillante, dans le
ciel de notre vie franco-américaine, Mademoiselle Yvonne LeMaître.
Pour avoir beaucoup et surtout bien écrit depuis un demi-siècle,
Mlle LeMaître a livré peu de secrets au sujet de sa personne. On la
sait toujours heureuse à Lowell, égrenant les jours et les ans près du
sanctuaire de ses pensées, toujours prête à cueillir au volant le moindre
de nos battements franco-américains pour les filtrer délicieusement
dans sa savoureuse prose ....
Au juste, lequel fut son ancêtre, François, Paschal, Denis ou
Antoine qui firent souche au Canada. Mlle LeMaître se chargera
peut-être un jour de nous l'indiquer. Nous la savons tout de même
issue de l'une des meilleures familles du Québec. Un frère aîné laissa
le souvenir, à Manchester, de l'une de nos plus grandes figures dans le
monde médical.
Originaire de Pierreville, Mlle LeMaître, à l'âge de dix ans,
accompagnait les siens pour s'établir à Lowell. Elle y demeure depuis,
sauf durant les stages qu'elle fit en Europe en qualité de correspondant
de cet important journal que fut pendant près d'un siècle "The Boston
Transcript."
C'est en 1902 que Mlle LeMaître débute dans le journalisme, à
l'Etoile et ensuite dans le Franco-Américain de Lowell. Ses chroni-
ques sont de suite remarquées pour faire le tour de la presse et il y a
longtemps que notre chère compatriote se promène, en grande dame,
dans notre presse, sans jamais avoir vu pâlir le regard de ses admira-
teurs. Voilà un vrai "test" écrirait-elle.
Pour satisfaire sa double culture et mieux représenter les siens
auprès des autres éléments, en 1904, elle passe au journalisme anglais
22 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
de la même ville ou plutôt elle mène les deux de front, ce qui lui est
d'ailleurs extrêmement facile, mettant en pleine lumière sa belle cul-
ture. C'est le Courier-Citizen qui profite cependant de ses chroniques
toujours charmantes et fourmillantes d'humour et de jolies choses. Les
lettres anglaises semblent l'avoir réclamée pour de bon lorsqu'elle ac-
cepte un poste de correspondant à Paris. Elle en profite pour visiter
l'Europe et rapporter un baggage de souvenirs et d'impressions qui
n'a pas encore tari la source de son inspiration. Ses collègues l'avaient
vue partir avec regret. On la qualifiait déjà de "lumière dans le jour-
nalisme anglais de Lowell.
Heureusement, Mlle LeMaître n'avait pas abandonné les siens.
Son âme, trop fièrement et solidement frappée au timbre français, ne
pouvait pas s'éloigner définitivement de la terre quittée même après ce
que Claudel appellerait "un sommeil démesuré".
De retour à Lowell, elle reprend la chronique chez son vieil ami
l'Etoile, chaudement applaudie par ses fidèles lecteurs. Ce sera en-
suite Le Travailleur qui depuis bientôt 20 ans jouit du prestige de sa
précieuse collaboration. Sous toute une variété de rubriques, elle
continue de semer "aux quatre vents" la fine poussière de ses prome-
nades régulières au sein de la franco-américanie.
Que de belles choses ne nous a-t-elle pas livrées dans ses critiques.
ses études et appréciations. Personne n'oserait discuter les jugements
de cette grande soeur! C'est toujours pondéré, mesuré, vrai et sou-,
vent riant. Derrière sa plume, Mlle LeMaître cache un grand coeur
qui "trottine" dans sa prose. C'est que jusqu'à son dernier souffle,
elle veut aimer et servir les siens. Sans doute, se rend-elle compte,
que le Seigneur se plaît à ouvrir les grandes âmes, au soir de la vie,
pour leur permettre de confier à la postérité les accents de cette belle
sérénité chrétienne qui fait aimer et croire. Et parce qu'elle se plaît
dans ce beau travail de conservation de nos richesses spirituelles, à
leur tour tous ses petits frères l'admirent et l'aiment.
La société historique voulait ajouter un autre fleuron à cette
belle carrière en lui décernant sa plus haute approbation. Avec bien-
veillance, Mlle LeMaître nous a permis d'inscrire son nom sur notre
registre de reconnaissance et nous lui demandons en retour d'accueillir
notre geste amical et bien sincère, celui de lui présenter "in absencia"
au nom de tous ses admirateurs, la médaille "Grand Prix" de notre
société.
Le Phare
On a dit, non sans raison, qu'il n'y a pas que les hommes qui ont
une âme. Les institutions humaines souvent en possèdent une qui sait
vibrer généreusement sous la touche de leurs animateurs. La société
historique a déjà, en trois circonstances, proclamé le mérite de notre
REMISE DE LA MEDAILLE "GRAND PRIX" 23
presse en honorant trois de nos quotidiens cinquantenaires. Il a sem-
blé que le moment était venu de répéter cet hommage à l'endroit d'une
autre publication qui jouit d'une faveur croissante, "Le Phare" ', maga-
zine des franco-américains.
Fonder une revue française spécifiquement consacrée aux intérêts
de notre culture, en ces temps incertains, demandait un courage peu
ordinaire. Cette entreprise était donc lancée en février 1948. Dans
son article programme, M. Lucien Sansouci, directeur-fondateur écri-
vait: "au service des intérêts primordiaux des franco-américains, nous
lutterons pour conserver intact le patrimoine des dieux". Cette profes-
sion de foi semble donc animer les nombreux bienfaiteurs qui se sont
faits les amis et les appuis du Phare.
Le Phare est entré dans sa quatrième année d'existence et tous
lui souhaitent une longue vie remplie de bons offices et de riches
moissons. Dès sa parution, la direction inaugurait une rubrique 'photo-
couverture" avec biographie, permettant ainsi de faire mieux connaître,
dans les différents domaines, les compatriotes qui s'y distinguent.
Déjà des quantités d'articles sur notre histoire, des reportages,
des traductions, des illustrations et des études ont rempli les trois
premiers volumes de la revue. Ils trouveront certainement leur place
dans toutes nos bibliothèques et nos centres d'information. Plusieurs
collaborateurs ont prêté leur concours et beaucoup d'autres devraient
les rejoindre pour faire de cette publication un porte-parole hautement
écouté de notre vie franco-américaine. Nous voulons ici saluer le tra-
vail soutenu de Monsieur et de Madame Sansoucie et de leur fille
ainsi que la contribution des autres amis de l'oeuvre.
L'entrée de M. Rosaire Dion-Lévesque à la rédaction de la revue
augure bien. Cette décision, comme le notait bien candidement le
directeur, a pour but de relever le ton littéraire de la revue et lui
assurer une toilette de grand genre. Nous félicitons la direction de
cette amélioration considérable permettant ainsi à l'administration de
répandre davantage ses efforts dans le domaine de la propagande.
Laissons à la sagesse des directeurs de cette revue le soin de nous
la maintenir dans un climat idéal. Dans son tribut d'hommage, la
société n'a pas en vue d'engager l'avenir. Elle veut simplement souli-
gner d'une façon publique son approbation en faveur de cette impor-
tante et nécessaire publication et inviter ainsi les compatriotes à l'ap-
puyer de leur générosité. Une revue franco-américaine devrait vivre
sans difficulté. Le Phare nous offre un organe qui vise à une formule
intelligente, adaptée à nos besoins. Nous devons l'appuyer et l'aider
à rayonner.
La société inscrit donc ce soir Le Phare sur la liste de ses lauréats
et avec des hommages sincères adressés à ses directeurs, elle prie M,
24 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Lucien Sansouci, directeur-fondateur, d'accepter en leur nom sa mé-
daille "Grand-Prix."
Lauréat de la Médaille Guillet-Dubuc-Bédard
Edouard Fecteau
Dans la personne de M. Edouard Fecteau, auteur-journaliste, la
société historique veut honorer l'un des artisans les plus actifs de la
vie française dans le Massachusetts. Originaire de Lawrence où il a
toujours vécu depuis 1897, M. Fecteau a accumulé depuis 30 ans une
masse de travaux qui attestent un dévouement inlassable.
Son poste de journaliste et de correspondant soit à l'Etoile, au
Courrier de Lawrence, à La Presse et à la revue Le Phare ne l'a pas
empêché de se répandre au service de nombreuses associations qui
réclamaient tour à tour son concours de secrétaire ou de président. On
le voit encore à l'oeuvre au sein des fédérations de sociétés ou d'ami-
cales.
Mais c'est surtout le souci de l'histoire qui remplit les heures de
loisir de notre compatriote. Il préparera l'historique de plusieurs
organismes, paroisses, sociétés, cercles, amicales, etc. Il publiera aussi
"French Contributions to America" sous le patronage de notre société.
Il rédigera drames, comédies et tableaux vivants pour les soirées parois-
siales. Il travaille actuellement à la compilation d'un "glossaire franco-
américain" qui ne manquera pas de valeur.
Monsieur Fecteau est un modeste. Il ne prétend pas à la célé-
brité mais il est de ceux qui aiment à conserver les choses et voilà la
mesure de son travail que d'autres reprendront mais dont il aura été
un précieux animateur.
La société qui admire les efforts de M. Fecteau veut lui donner
un premier signe de sa haute approbation en le citant à l'honneur.
De tels ouvriers sont trop peu nombreux. En lui rendant ce tribut
bien mérité, la société sollicite l'honneur de lui remettre sa "Médaille
Guillet-Dubuque-Bédard" , le priant d'accepter en même temps ses féli-
citations empressées et ses meilleurs voeux de succès toujours croissant
au service de notre survivance.
Réponse de M. Lajoie
N'eussè-je eu à parler ici que pour moi-même, je pourrais peut-
être me borner à remercier de tout coeur la Société Historique Franco-
Américaine de l'honneur qu'elle a bien voulu faire à un modeste jour-
naliste, un honneur que je partage très volontiers d'ailleurs avec le
journal que je sers déjà depuis 31 ans,
Le R. F. Wilfrid Garneau, f.s.c, reçoit la médaille "Grand Prix"
(Séance du 23 mai 1951)
Le président remet la médaille "Grand Prix" à M. Philippe-Armand
Lajoie, journaliste.
(Séance du 23 mai 1951)
REMISE DE LA MEDAILLE "GRAND PRIX" 25
Mais si je comprends bien la situation, je dois parler au nom des
camarades et amis qui viennent de recevoir ici le même honneur, et ils
pourraient me faire le reproche d'être un peu concis. Au risque d'al-
longer de deux minutes, le programme de cette belle réunion, qu'on
me permette d'ajouter que ....
C'est parce que la Société Historique Franco-Américaine est la
plus distinguée de nos organisations culturelles, que les distinctions
octroyées par elle ont aux yeux de ceux qui les reçoivent, une valeur
si hautement prisée.
C'est parce que la Société Historique Franco-Américaine est la
grande gardienne du "souvenir franco-américain" , de l'histoire franco-
américaine qu'il est si honorable d'être compté par elle au nombre de
ceux qui ont voulu aider à rendre cette histoire plus prestigieuse et
plus riche.
C'est parce que la Société Historique Franco-Américaine atteste
l'existence d'une élite franco-américaine, et qu'elle en épouse la perpé-
tuation, que ses faveurs ont un prix exceptionnel pour ceux qui préser-
vent intacts leur foi en la survivance de notre race française en ce pays.
C'est enfin parce qu'elle incarne et symbolise tout un passé de
travail, d'épreuves et de réalisations, tout un présent de graves respon-
sabilités et de décisions courageuses, et tout un avenir d'aspirations et
d'espoirs légitimes, que la Société Historique Franco-Américaine pos-
sède le prestige dont elle confère une petite parcelle à ceux et à celles
qu'il lui plaît d'honorer.
J'ose croire que j'interprète justement les sentiments de nos amis
et les miens propres, en disant que nous sommes très sensibles à l'hon-
neur qui nous est fait ici, et dont nous garderons le souvenir ému et
reconnaissant.
Pierre Herménégilde Huot
(Hôtel Victoria, New-York)
17 novembre 1951
Poursuivant sa mission, qui est de conserver à la postérité le lustre
et la véracité des faits, la Société Historique Franco-Américaine a déjà
déposé dans ses archives bien des gestes de la Société Saint Jean-Bap-
tiste de New- York, l'aînée toujours vivante de nos associations.
Gabriel Franchère a indiscutablement accompli une grande
oeuvre. Son souvenir serait malheureusement enfoui dans la pous-
sière, s'il n'avait pas eu des continuateurs. La Société Historique se
devait donc de signaler leur mérite. Après les rayons lumineux de ce
centenaire, la Société Saint Jean-Baptiste aurait pu songer à s'ensevelir
26 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
dans la nuit des temps. Que d'organismes n'ont-ils pas reçu ce silen-
cieux partage avant d'atteindre même la maturité pour ne pas parler
de la sagesse centenaire.
C'est parce qu'elle a eu le bonheur de toujours compter sur le
dévouement de ses serviteurs qu'elle vit en pleine santé. Cette persé-
vérance invite à la confiance. Elle nous convie à l'espérance.
Dans un récent symposium de sociétés historiques américaines
d'expression anglaise, on a semblé laisser planer un doute sur la valeur
de l'apport que la franco-américanie avait fourni à l'épanouissement
de la nation américaine. Notre société historique, d'abord parce qu'elle
en connaît véridiquement toutes les pulsations, n'hésite pas à proclamer
l'annapréciable et l'irremplaçable dévouement chrétien que nous avons
déposé au service de la patrie, soit la ristourne d'un capital humain et
moral, qui, dans son principe et dans sa maintenance a été étranger à
toutes les démissions dont souffre présentement notre pays, à deventure
fantastique, jouisseuse et artificielle. Nous ne sauverons peut-être pas
l'Amérique, mais nous ne voulons pas contribuer à sa décadence.
Depuis ces derniers temps, un compatriote très distingué guide la
barque de notre société centenaire. La Société Historique a pensé
qu'il représentait hautement la tradition des sociétaires et à cause de
ses mérites personnels, elle veut l'honorer d'une façon particulière en
lui remettant sa médaille "Grand Prix".
Pierre Herménégilde Huot occupe une place de choix dans la
haute industrie, étant à New-York, le vice-président administrateur de
l'importante firme la Montmorency Paper Company. Cette occupa-
tion ne l'a cependant pas empêché de s'intéresser vivement au fait
franco-américain. Il mérite notre admiration.
Né à Québec, tout juste à la fin du siècle, c'est vers l'industrie
qu'il tourne ses talents, car l'immense domaine de l'économique doit
attirer les nôtres, si nous voulons étendre notre rayonnement sur tous
les horizons.
Après ses études secondaires à l'Académie Commerciale, il obtien-
dra avec très grande distinction sa licence en sciences commerciales de
l'Ecole des Hautes Etudes Commerciales de l'Université de Montréal.
Membre d l'Institut des Comptables Agrégés de la Province de
Québec, il sera chargé r Vî^ cours à Y Ecole des Hautes Etudes et pour
reconnaître sa valeur, i oniversité de Montréal lui décerna, en 1950,
un doctorat h( jorifiqufi "es sciences commerciales". Entre temps, il
publiera de sérieux ar • ï-£-la comptabilité et l'industrie du papier.
Ce sera enfin dans' le domaine des affaires que M. Huot fixera sa
carrière, pour occuper tour à tour d'excellentes situations, comptable
industriel d^.s firmes du papier Rolland et Laurentide, comptable en
chef et se .etaire trésorier de YAnglo-Canadian Pulp and Paper Mills,
REMISE DE LA MEDAILLE "GRAND PRIX" 27
comptable en chef de la Régie Provinciale de l'Electricité de Montréal,
enfin contrôleur, assistant gérant et vice-président administrateur de la
Montmorency Paper Co. qui transporta ses opérations à New-York en
1943.
Une aussi brillante carrière devait être signalée au Québec et cela
explique le beau prestige dont jouit notre récent compatriote de la
franco-américanie. Voilà encore un réconfortant effet de ces heureux
échanges que nous pouvons effectuer de chaque côté de la frontière.
Mais au-dessus de ces succès, ce qui nous réjouit dans cette car-
rière c'est que M. Huot est un profond chrétien et qu'il aime à se
dépenser pour les siens, une double leçon qu'il est convenable de
souligner.
La Société Historique avait donc raison de fixer en haut relief
ce compatriote distingué. A sa réunion du 6 octobre, le bureau déci-
dait avec joie d'honorer M. Huot en lui décernant sa médaille "Grand
Prix". Elle voyait aussi dans ce geste un moyen d'établir des liens
encore plus étroits avec le groupe franco-américain de New-York.
J'ai donc la grande satisfaction de remettre au nouveau récipien-
daire cette haute distinction en l'accompagnant des voeux et des remer-
ciements de tous les membres de la société, digne couronnement de ce
magnifique centenaire dans les annales de la franco-américanie.
Puisse la Société Saint Jean-Baptiste de New- York toujours comp-
ter sur d'aussi dévoués serviteurs pour se maintenir au-dessus de toutes
nos institutions, le témoin vénéré de la grande aventure de nos devan-
ciers.
(Séance du 28 novembre 1951J
Abbé Paul-Emile Gosselin
Au deuxième Congrès de la langue française, durant la soirée du
1er juillet 1937, notre distingué prédécesseur, le docteur Ubalde Paquin,
au nom de la société, remettait à Mgr Camille Roy, recteur de Laval,
à Québec même, au cours d'une imposante séance de remise de diplô-
mes honorifiques, la médaille "Grand Prix", en reconnaissance du réveil
à la vie française qu'il avait opéré chez nous oar sa tournée en Nou-
velle-Angleterre. C'était un hommage -bie^ 'té.
Depuis 1937, un autre apôtre s'est dévoue inlassablement au rayon-
nement de la vie française en Amérique avec » "vmpa'mie toute parti-
culière pour la franco-américanie. Nou ^ons et surtout nous
l'admirons cet infatigable secrétaire du Comut de la Survivance fran-
çaise.
Brillant diplômé de l'Université Laval, il est au nombre de ses
éminents professeurs de philosophie; aumônier diocésain ttv .'a Société
28 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Saint Jean-Baptiste de Québec, directeur de la revue "Vie Française",
secrétaire de la Société Historique de Québec, directeur de l'ACELF,
il est de plus le sous-directeur de l'Action Sociale Catholique de Québec,
qui, au nombre de ses oeuvres innombrables publie l'important quoti-
dien L'Action Catholique de Québec.
Auteur de remarquables études sur la culture et la pensée fran-
çaise, défenseur intrépide de la vie française sur tout le continent,
l'abbé Gosselin incarne dans sa personne tous les problèmes de notre
survivance, et à cause de son poste clef, de grand surveillant de tous les
gestes de la famille française en Amérique, personne ne comprend mieux
que lui les nuances, les complexités et les adaptations de cet héritage
au sein des minorités. Décidément nous sommes très fortunés de
posséder un tel serviteur.
La Société Historique se devait de proclamer son admiration à
l'endroit de ce magnifique ouvrier de notre maintenance française.
Elle le fait ce soir, d'une façon officielle et avec un empressement bien
fraternel.
Au nom de la Société Historique, j'ai donc l'honneur de remettre
à l'abbé Paul-Emile Gosselin sa médaille '"Grand Prix" et d'inscrire
son nom sur la liste déjà imposante de ses membres honoraires.
III
Etudes
(Séance du 23 mai 195 1J
Allocution du président
En cette 52me année de son existence, la société n'entend pas
ralentir son travail. Elle salue avec empressement ses invités et ses
membres et leur adresse ses remerciements. Le programme de cette
séance peut paraître chargé, mais il semble qu'il n'est pas trop de
consacrer au moins une réunion par année pour travailler un peu
sérieusement dans le domaine de notre histoire. Avec un peu de bonne
volonté et la collaboration "à point" des personnes inscrites au pro-
gramme, la soirée ne devrait pas languir. D'ailleurs nous sommes ici
pour travailler.
Inventaire des archives franco-américaines
L'Etude approfondie de l'histoire ne peut pas se contenter d'appré-
ciations générales ou d'évocations sentimentales autour du passé. Il
faut pour fouiller les cadres d'une époque posséder les sources, les preu-
ves et les documents. C'est la technique établie et il faut bien s'y con-
former si la recherche doit obtenir une valeur probante. Déjà, l'histo-
rien ajoutera s'il en est capable, ses jugements, il en retirera les leçons
ou encore en déduira ce qu'on appelle la philosophie de l'histoire. Dans
tout ce travail, les archives sont donc à la base de tout effort sérieux.
Le temps ne serait-il pas venu de s'employer à cette besogne, à
savoir de dresser l'inventaire des archives franco-américaines. Hélas,
combien de documents irremplaçables ont été dispersés aux quatre
vents au cours de notre jeune histoire! La société n'est-elle pas tout
naturellement désignée pour se consacrer à cette oeuvre, avant qu'il
ne soit trop tard.
Nous possédons plusieurs bibliothèques assez considérables au sein
de nos institutions. En les consultant, il serait assez facile de faire un
relevé de la plupart des ouvrages qui traitent de notre histoire. Mais
les archives, voilà notre pauvreté. Il en existe des quantités éparpillées
un peu partout. Il faudrait les repérer, afin d'en établir le bilan et le
lieu de conservation.
Dans cette entreprise, la société possédant ni immeuble, ni voûte,
n'est pas en mesure de recueillir ces pièces, mais elle peut s'occuper
d'en établir l'existence et suggérer ensuite les endroits où elles pour-
raient être conservées, pour répondre aux besoins des chercheurs.
30 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
C'est dans cet esprit que l'Association Canado-Américaine créait
en 1944 sa Commission des Archives. Celle-ci s'employait immédiate-
ment à organiser l'oeuvre de l'Institut Canado-américain dont la riche
bibliothèque, avec son dépôt d'archives, se prêtait tout naturellement à
cette très importante entreprise. Avec ses salles spacieuses, ses clas-
seurs et ses voûtes, l'institut se constituait du coup un conservatoire de
nos richesses documentaires. Les chercheurs ne tardèrent pas à donner
à cette fondation le nom de "bibliothèque nationale" et nous croyons
que le terme n'est pas exagéré.
Il est intéressant de noter en plus que l'institut a aussi inaugure
l'oeuvre du "fichier franco-américain" qui finira par établir la prove-
nance et la source de tous les renseignements se rapportant à notre
histoire. Une entreprise unique et colossale sans doute qui compren-
dra plus de 200,000 fiches et qui devra se continuer à perpétuité. Enfin,
nous posséderons cette centrale indispensable d'information fonction-
nant sur un plan technique et scientifique. Une entreprise aussi con-
sidérable est loin d'être terminée, nous le comprenons bien, mais le
travail déjà accompli fait voir toute la valeur de l'oeuvre.
Dans le domaine des archives, l'institut ne prétend pas à l'exclusi-
vité. Il se réjouit des autres efforts qui pourraient se multiplier dans
l'avenir, mais il croit avoir semé un éveil sérieux dans la recherche et
la conservation de nos documents. Il invite tous ceux qui voudraient
lui confier de telles richesses à saisir la valeur pour nous d'un tel con-
servatoire.
Notre société accomplirait donc un service très utile à l'histoire
en se prêtant à un pareil inventaire de nos archives partout où elles
existent, traditions orales, documents, imprimés, pièces historiques, etc.
En repérant ces pièces elle pourrait aussi veiller à leur scrupuleuse con-
servation. Que de documents très précieux sont souvent la possession
de compatriotes, et advenant leur disparition ces objets sont détruits et
perdus parce qu'on n'en apprécie par la valeur. Nous avons à la
pensée des trésors qui ont été ainsi vendus à des acheteurs de guenilles
et de journaux. Quelle tragédie! Il serait malheureux qu'une seule
de ces pièces disparût à l'avenir. Il n'en tient qu'à nous de répandre
chez les nôtres le souci de la conservation et de déposer ces valeurs en
lieu sûr, même au prix de quelque sacrifice personnel.
La société fait donc appel à tous ses membres et à ses amis pour
l'aider dans ce travail afin de mieux connaître, d'enrichir et de conser-
ver nos archives au moyen d'un sérieux inventaire.
Nous avons l'honneur ce soir d'accueillir un grand ami de nos
oeuvres, un apôtre de notre culture et surtout un artisan de notre his-
toire, qui a dépensé plusieurs années de sa vie d'éducateur à "fouiller"
littéralement, mais discrètement, avec méthode et un flair de techni-
cien tous les coins du vaste continent américain pour en découvrir les
ETUDES 31
échos de la pénétration française. Il nous apporte une tranche seule-
ment de ses recherches, un travail de maître dans lequel il a voulu
résumer ce que l'apostolat et le dévouement français ont déposé sur la
côte de la Nouvelle-Angleterre ....
Le franco-américain n'est pas un étranger aux
Etats-Unis
(R. F. Wilfrid, f.î.c.)
De toutes les nations qui constituent aujourd'hui la population
des Etats-Unis, aucune ne peut revendiquer, pour elle seule, le titre
d'Américain de pur sang, ou regarder les autres comme des étrangers
qui n'auraient obtenu que plus tard leur naturalité.
Les aborigènes qui habitaient le pays lors de la venue des Euro-
péens, n'étaient qu'un ensemble de centaines de tribus, la plupart
nomades, qui non seulement ne formaient pas un groupe homogène
mais qui encore étaient en luttes continuelles les unes contre les autres.
Aucune de ces tribus n'eut la prépondérance au point de pouvoir unifier
et faire de ces divers éléments ce que l'on pourrait appeler un peuple.
Si l'une ou l'autre des nations européennes qui vinrent se partager
l'immense territoire qui forment aujourd'hui les Etats-Unis s'était
établie longtemps avant les autres, et avait eu le temps, alors qu'elle
était seule, de prendre de l'expansion, elle pourrait, de par le droit de
premier occupant en jouissance non contestée, se proclamer la nation
américaine originelle et regarder les autres comme des apports au
noyau primitif. Mais, tel n'est point le cas: les premiers explorateurs
qui, d'ailleurs, ne firent que passer, furent les Normands, vers l'an
1000; puis les Espagnols, en 1513; les Français, en 1524; et les Anglais,
en 1578 et en 1584.
L'honneur d'avoir tenté les premiers essais de colonisation revient
aux Français. En effet, en 1562, Jean Ribaut bâtissait, en Caroline
du Sud, le Fort Charles près de la Grande rivière, aujourd'hui Broad
River. (C'est lui aussi qui donna à la région le nom de Caroline, en
l'honneur de Charles IX) . En 1564, De Laudonnière érigeait le fort
Caroline, en Floride; et en 1565, Jean Ribaut encore débarquait avec
cinq cents hommes pour fonder un poste, sur la rivière St-Jean, en
Floride également. (A Mayport, en Floride, une colonne a été érigée
en mémoire de la colonie de Jean Ribaut) .
Les Espagnols suivirent les Français de près, en fondant St-Augus-
tin, en Floride, en 1565.
Les Anglais n'apparurent qu'en 1584, avec Sir Walter Raleigh à
l'île Doanoke, en Caroline du Nord, île que Verazano, au service de la
France, avait surnommé l'Ile Longue, en 1524. Et des deux com-
32 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
mandants de vaisseaux sous les ordres de Raleigh, l'un était le Breton
Philippe Amidas, l'autre un Anglais, Arthur Barlow.
Toutefois, les établissements qui connurent la permanence furent
par ordre chronologique, les suivants: celui des Espagnols à St-A'ugus-
tin, en 1565; celui des Anglais à Jamestown, en Virginie, en 1607; ceux
des Hollandais, en Nouvelle-Hollande (Etat de New York), en 1614,
et au New Jersey, en 1617; (1) les établissements des Anglais à Ply-
mouth, en 1620; à la baie Massachusetts, en 1628; en Caroline, en
1633, et au Maryland, en 1634; au Rhode Island, en 1636; enfin,
ceux des Suédois, au Delaware (De La Warr), en 1638.
C'est donc presque simultanément qu'apparurent en Amérique du
Nord, Espagnols, Français, Anglais, Hollandais et Suédois. En consé-
quence, aucune de ces nations ne peut se glorifier d'avoir fourni le
groupe originel qui aurait constitué le peuple américain proprement
dit.
Mais il y a plus. La plupart de ces groupes n'étaient pas homo-
gènes. Ainsi, à l'époque où les "Hollandais" colonisaient l'état de
New York, les Pays-Bas englobaient la Wallonie française et une partie
de la France. Il y avait donc nécessairement, parmi les colons, un
grand nombre de Français; et de fait, un des gouverneurs de la Nou-
velle-Amsterdam (New York) n'était autre que Pierre Minuit. (2)
Parmi les Pèlerins de Plymouth et les colons de la Baie Massachu-
setts, qu'on se plaît à désigner comme formant la souche type du
peuple américain, il y avait encore plusieurs Français qui s'étaient joints
aux émigrants en "Hollande", ou qui étaient venus les rejoindre plus
tard.
Des Français, on en trouvait encore dans les Etats du Sud, en
Pennsylvanie, en Virginie, en Caroline et en Géorgie.
Enfin, si l'on considère l'étendue de territoire que chaque nation
de l'Europe ouvrit à la colonisation dans ce qui forme les Etats-LJnis
actuels, on doit reconnaître que la France a eu la part du lion. A un
moment donné, même, elle dominait les trois quarts de l'ensemble; et
les coureurs de bois Canadiens-français circulaient à travers ces espaces,
qu'ils connaissaient comme le creux de leur main et qu'ils avaient par-
semés de noms français.
En 1684, Gabriel Mivielle, originaire de Bordeaux, fut élu maire
de New York. Il fut remplacé par Nicholas Bayard en 1685. Jean
Bayard fut l'orateur du congrès américain pendant la guerre de l'Indé-
( 1 ) Remarquons, en passant, que parmi les fondateurs du New Jersey, on trou-
ve Georges Carteret avec trente hommes, tous Français, originaires de l'Ile
Jersey, île qui avait appartenue à la France jusqu'à sa conquête par Guil-
laume le Conquérant, en 1076.
(2) Les noms français ne manquent pas, d'ailleurs. Ainsi, il y avait le médecin
I.amontagne, le professeur Langlais; Judith Bayard. femme du dernier
gouverneur: et le premier gouverneur né au pays fut Jacques de Lancy.
ETUDES 33
pendance. Samuel Bayard écrivit l'oraison funèbre de Washington.
Thomas Bayard fut secrétaire d'Etat dans le cabinet du Président Cleve-
land. Le premier Bayard arriva à la Nouvelle-Hollande le 1 1 mai
1647. Tous ces Bayard sont des descendants de Baltazar Bayard, pro-
fesseur à Paris.
Les Espagnols, eux, arrivent bons deuxièmes, avec la Floride et les
états du Sud-ouest.
Quant aux Anglais, ils n'ont ouvert que les états de l'Atlantique;
et encore, ils n'y furent pas seuls, loin de là! Ce sont les aléas de la
guerre et les suites de la politique des autres mères-patries qui ont voulu
que les Anglais obtiennent la maîtrise entière et fassent l'unité parmi
ces peuples. Mais, ni par le droit de découverte, ni par le droit de
premier occupant, ils ne peuvent se glorifier d'avoir constitué le noyau
primitif de la grande nation américaine. Ils n'ont même pas l'hon-
neur d'avoir donné le nom au pays, puisque ce sont les moines de
l'abbaye St-Dié en France qui, en publiant le récit des voyages d'Amé-
rigo Vespucci, en 1507, l'appelèrent du nom d'"Amérique". (La Lé-
gion Américaine a souligné le fait en 1921, en érigeant une tablette
commémorative où il est écrit "Cette maison symbolise les fonds bap-
tismaux de l'Amérique" ) .
Le peuple américain s'est donc formé petit à petit, sur l'espace de
trois siècles, de l'apport fourni par plusieurs nations européennes à la
fois. De toutes ces parties diverses, la cohésion s'est faite non pas
surtout par la langue, mais par l'unité de sentiments, d'aspirations, et
de conception d'un régime de vie et de gouvernement.
Et ici encore, de toutes les nations qui ont apporté leur contribu-
tion à ce grand oeuvre, à ses débuts, c'est la France qui a joué le rôle
le plus considérable; et par l'ancienneté de sa venue, et par l'immensité
du territoire qu'ell ea ouvert à la civilisation; et cela sans compter l'aide
précieuse qu'elle a apportée à l'unification des colonies, au moment de
la guerre de l'Indépendance américaine.
Aussi, qu'un descendant de Français foule le sol américain depuis
plusieurs générations ou qu'il vienne directement de France ou du
Canada français, il n'est pas un étranger aux Etats-Unis. Car on n'est
pas étranger chez soi ni chez ses proches parents.
Voyons un peu, si vous le voulez bien, ce rôle qu'a joué la France
dans une toute petite portion des Etats-Unis, la Nouvelle-Angleterre.
Exploration de la Côte de la Nouvelle- Angleterre
A l'époque des grandes découvertes en Amérique, quelques explo-
rateurs longèrent la côte de la Nouvelle-Angleterre. Entre autres,
Verazzano, venu en 1524 pour le compte de la France, et qui a laissé
derrière lui quelques appellations françaises, telles que la Rivière St-
34 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
Antoine (Hudson River), l'Ile de l'Ascension (Long Island, New
York), la baie Notre-Dame (Narragansett Bay, Rhode Island) et l'Ile
Louise-Clothilde (Block Island, Rhode Island). (1)
Mais c'est à Samuel de Champlain que revient l'honneur d'avoir
le premier exploré minutieusement la côte, et surtout d'avoir dressé des
cartes et composé un récit détaillé de ses voyages. Et, ce qui est plus
intéressant pour nous encore, il a donné à ces caps, à ces îles, à ces baies,
à ces rivières et à ces montagnes, de beaux noms français.
En 1604, Pierre du Guast, sieur de Monts, nommé par le roi de
France lieutenant-général de l'Acadie, était venu établir ses quartiers
sur la petite île Ste-Croix (Dochet Island, Maine, corruption de île
Doucette) dans la rivière Ste-Croix, frontière actuelle entre le Nouveau-
Brunswick et le Maine. Il y "avait fait construire à l'intérieur d'une
palissade, des maisons, des magasins, des boutiques, un four, un moulin,
et le reste.
Il avait avec lui, Champlain, le baron de Poutrincourt, l'abbé
Nicoles Aubry, les sieurs Orville, Champdoré; Beaumont, Fouqueray,
la Motte-Bourioli, et 120 hommes, artisans et laboureurs.
Le territoire sous sa juridiction comprenait les Provinces Maritimes
actuelles et la Nouvelle-Angleterre.
Premier voyage de Champlain, en 1604
Le 2 septembre 1604, Champlain partit, sous les ordres de M. de
Monts, avec douze matelots et deux sauvages pour explorer la côte
Norembègue (Maine).
Le 5, il découvre une île "fort haute, coupée par endroits, qui
paraissait comme sept ou huit montagnes rangées les unes proches des
autres," dit Champlain; et il ajoute: "Je l'ai nommée l'Ile des Monts-
Déserts (Mt. Désert Island).
Le 6, il visite l'embouchure de la rivière Pentagouet (Penobscot
River) et s'arrête sur l'Ile au Haut (Isle au Haut) et sur l'Ile Longue
(Long Island, Maine). Il remonte la rivière jusqu'à la ville actuelle
de Bangor, Maine.
Le 17, il part pour visiter la rivière Quinebequy (Kennebec River)
mais manquant de vivres il doit revenir à Ste-Croix.
Deuxième voyage de Champlain, en 1605
Le 18 juin 1605, M. de Monts et Champlain partent, en com-
pagnie de vingt matelots et d'un sauvage, pour explorer la côte du
( 1 ) Battery, en face de la statue de la Liberté, oeuvre du sculpteur français
Bartholdi. et don de la France aux Etats-Unis, une plaque de cuivre rap-
pelle le souvenir du passage de Vcrrazzano.
ETUDES 35
pays des Almouchiquois (New Hampshire, Massachusetts, Rhode
Island et Connectieut) .
Ils longèrent l'Ile du Grand Ménane (Grand Manon Island), puis
une autre qu'ils appelèrent l'Ile aux Corneilles (Crow Island) ; ils
s'arrêtèrent à l'Ile des Monts-Déserts déjà découverte, puis à l'Ile aux
Renards (Fox Island).
Le 1er juillet, ils arrivaient à la rivière Quinibequy (Kennebec
River) . Dans la baie, ils nommèrent une île, l'Ile aux Marsouins
(Sequin Island), et une série d'autres, les Iles aux Roches (Sugar
Loaves Islands) . Ils visitèrent aussi l'embouchure de la rivière Andros-
coggin.
Le 8 juillet, ils étaient dans la baie de Casco (Gasco Bay, à Port-
land, Maine). C'est de là qu'ils aperçurent et nommèrent les Monta-
gnes Blanches (White Mountains) du New Hampshire: "Nous voyons
de hautes montagnes toutes blanches, que l'on croit encore couvertes
de neige."
Le lendemain, ils s'arrêtaient à un îlot (Ram Island) et à une île
couverte de raisins sauvages et qu'ils nommèrent l'Ile Bacchus (Rich-
mond Island) .
Le 12 et les jours suivants, ils doublèrent un cap qu'ils appelèrent
Port aux Iles (Harbor Island) ; puis, ils s'arrêtèrent aux Iles des Bat-
tures (Isles of Shoals), visitèrent la Baie Longue (l'embouchure de la
rivière Merrimack, d'après W. I. Grant), doublèrent le Cap aux Iles
(Cape Ann), s'arrêtèrent à Beauport (Gloucester, Massachusetts), et
visitèrent une rivière qu'ils baptisèrent la Rivière du Guast — du nom
de M. de Monts: Pierre du Guast (Charles River à Boston).
Le 17, ils doublèrent le Cap St-Louis (Brant Point), s'arrêtèrent
dans un port voisin qu'ils appelèrent le Fort du Cap St-Louis (Ply-
mouth, Massachusetts) , de là, se rendirent au Cap Blanc (Cap Cod) ,
puis ils descendirent dans la Baie Ste-Suzanne du Cap Blanc (Wellfleet
Bay).
Le 20, ils visitaient un village indien, qu'ils dénommèrent Male-
barre — mauvaise barre — à cause des battures qui en barraient
l'entrée (Nauset, Massachusetts) .
Enfin, le 25 juillet, ils commençaient leur voyage de retour à
Ste-Croix, en passant par le Cap Blanc, le Cap aux Iles, Chouacouet
(Saco) et Quinibequy, pour rentrer chez eux le 3 août.
Troisième voyage de Champlain, en 1606
Le 5 septembre 1606, Poutrincourt et Champlain allèrent conti-
nuer leurs découvertes. Ils longèrent la côte qu'ils avaient déjà visitée,
36 BULLETIN DE LA SOCIETE HISTORIQUE
et en passant, ils donnèrent le nom de Baie Blanche à ce que l'on
nomme aujourd'hui la Massachusetts Bay.
Le 20, ils étaient au fond de la baie du Cap Blanc (Cod) et débar-
quaient dans un port où ils trouvèrent "force huitres très bonnes", dit
Ghamplain, "et la nommâmes Port aux Huîtres" (Barnstable Bay).
Après avoir contourné le Cap Blanc et doublé le Cap Batturier
(Pollock Kip Shoals), le 14, ils descendirent dans une baie où les
sauvages leur tuèrent quelques hommes; en conséquence, ils nommè-
rent l'endroit Port Fortuné (Chatham Bay). (1)
Le 15 octobre, ils aperçurent une "île qu'ils baptisèrent La Soup-
çonneuse (Martha's Vineyard), "pour avoir eu plusieurs fois croyance
de loin que ce fût autre chose qu'une île", écrit Champlain. Quelques
jours plus tard, ils passaient près d'une rivière, le long de la terre ferme,
et ils la nommèrent Rivière Champlain (Mashpee River).
Le 28 octobre, ils repartaient de la Malebarre (N'auset) et retour-
naient à Port-Royal, leurs nouveaux quartiers, où ils arrivaient le 14
novembre 1606.
Le Maine
L'histoire française du Maine se confond, durant un siècle et demi,
avec l'histoire de l'Acadie, alors que le Maine et l'Acadie ne formaient
qu'un même territoire.
En concédant l'Acadie à M. de Monts, en 1603, Henri IV de
France considérait la colonie comme s'étendant depuis le 40e degré
(au sud de New- York) jusqu'au 56e (au Labrador) ; de son côté,
Jacques 1er d'Angleterre constituait, en 1606, soit trois ans plus tard,
une colonie anglaise dont le territoire s'étendait du 41e degré (au Nord
de New- York) jusqu'à la frontière actuelle du Canada, au 45e. Cette
double prétention à un même territoire ne pouvait qu'amener une série
de luttes entre les deux colonies; et les luttes n'ont pas manqué.
L'état de guerre continuel empêcha les colons français de s'établir
solidement au Maine. Il n'y a, à vrai dire, que les missions qui soient
demeurées en permanence. Aussi bien, les incursions anglaises devin-
rent surtout des guerres de religion: il s'agissait d'abord d'éloigner les
missionnaires, et ainsi empêcher leur emprise sur les Indiens.
Premiers Etablissements
En 1604, M. de Monts, nous l'avons vu, établissait le poste de
l'Ile Ste-Croix (Dochet Island, Maine) , sur la rivière Ste-Croix. L'abbé
Nicolas Aubry y célébra la première messe en Nouvelle-Angleterre.
( 1 ) Sur une plaque de bronze érigée à Stage Harbor, dans la baie de Chatam,
on y lit ce qui suit: "Samuel de Champlain was the first white man to
land hère in 1606."
ETUDES 51
En 1611, M. de Poutrincourt, accompagné des Pères Jésuites
Pierre Biard et Ennemond Massé, se rendit jusqu'à la rivière Kennebec.
Les Pères y célébrèrent la messe.
En 1613, M. de la Saussaye, avec les Jésuites Jacques Quentin,
Biard et Massé, le Frère Gilbert du Thet, et une cinquantaine de colons
au service de la Marquise de Guercheville, se dirigeait sur Pentagouet
pour y fonder un poste de missions. Mais, s'étant arrêtés en chemin à
l'Ile des Monts-Déserts, ils décidèrent, sur les pressantes invitations des
Indiens, de s'établir sur l'Ile, et ils y fondèrent la Mission St-Sauveur
(Bar Harbor, Maine).
Dès l'automne de la même année, le capitaine anglais Argall vint
de la Virginie s'attaquer à la Mission. Le Frère du Thet et plusieurs
colons furent tués; le Père Massé, M. de la Saussaye et treize autres
Français furent envoyés à la dérive dans une barque — ils purent heu-
reusement rejoindre Ste-Croix — ; et les Pères Biard et Quentin, ainsi
que dix Français, furent emmenés comme prisonniers en Virginie.
L'année suivante, Argall revint, sur les ordres du gouverneur de
la Virginie, détruire complètement St-Sauveur, Ste-Croix et Port-
Royal. Les deux Pères et les autres prisonniers furent conduits en
Angleterre, et de là en France.
Cette Ile des Monts-Déserts fut concédée à Lamothe-Cadillac, en
1688. La possession en fut confirmée à ses descendants, des Grégoire,
par la Cour suprême du Massachusetts, après la Guerre de l'Indé-
pendance.
Aujourd'hui, à Bar Harbor, une église catholique et une autre
protestante portent le même nom de Holy Redeemer, en souvenir
de la mission de 1613, tandis qu'une plaque rappelle le passage de
Champlain.
Les Récollets
Les Récollets prirent charge des missions de l'Acadie de 1619
à 1632. Ce furent les Pères Sébastiens, Jacques de la Foyer, Louis
Fontinier et Jacques Cardon.
Les Capucins
A partir de 1633 et jusqu'en 1658, ce furent les Pères Capucins
qui eurent charge d'âmes. Ils