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Full text of "Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme français"

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SOCIETE  DE  I/HISTOFRE 


DU 


PROTESTANTISME  FRANÇAIS 


BOURLOTON.  —  Iiiiprimcncs.  rciuiios,  B. 


SOCIÉTÉ  DE  L'HISTOIRE 

DU   PROTESTANTISME  FRANÇAIS 


BULLETIN 

HISTORIQUE  ET  LITTÉRAIRE 


TOME     XXXIII 


TROISIÈME  SÉRIE.  -  TROISIÈME  ANNÉE 


cO^^S^^. 


PARIS 

AGENCE  CENTRALE  DE  LA  SOCIÉTÉ 

33,   RUE  DE  SEINE,   33 

1884. 


e33 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Trente-troisième  année 1 

Assemblée  générale  de  la  Société 193 

Rapport  de  M.  le  baron  F.  de  Schickler  sur  les  travaux  de  la 

Société 194 

Fête  de  la  Rél'ormation.  Lettre  à  messieurs  les  pasteurs  des 

Eglises  réformées  de  France 433 

Collectes  de  1883 434,  528 

Procès-verbaux • 335 

ÉTUDES  HISTORIQUES 

La  Révocation  à  Marennes  par  M.  Frank  Puaux 2 

Imberl  Pécolet  par  M.  J.  M.  Gaufrés 49 

L'Eglise  Réformée  de  la  Calmette,  pages  d'histoire  locale,  par 

M.  Jules  Bonnet 97, 145,241  289 - 1^^'^' 

Rulhière  et  Rabaut  Saint-Etienne  par  M.  Ch.  Read 214 

Deux  intérieurs  de  pasteur  au  xvii'  siècle  par  M.  Paul  de 

Félice 227 

L'abbé  de  Florian  par  M.  Jules  Bonnet 342 

Les  Eglises  du  Désert  en  Provence  par  M.  le  pasteur  Eug. 

Arnaud 385 

Les  quatre  martyrs  de  Dijon  par  M.  Jules  Bonnet 437 

Jean  L'archer  ministre  à  Héricourt  par  M.  le  pasteur  Aug. 

Chenot 481,  529 

DOCUMENTS 

Arrêt  inédit  du  Parlement  de  Paris  contre  l'Institution  chré- 
tienne (1"  juillet  1542) (l 

Interdiction  de  l'exercice  de  laR.  P.R.  à  Bourg-Charente  (1684). 

Délibération  de  l'Eglise  de  Pomport  (2  février  1760) 25 

Acte  de  Société  de  deux  libraires  du  Béarn  (1580) 68 

Lettre  de  M.  Hamelot  à  un  jeune  proposant  (1683) 71 

Relation  de  la  mort  do  M.  Pierre  Durand  (24  avril  1732). , . .       74 

Poursuites  contre  les  Réformés  d'Alençon  (1533-1534)..  .112,  162 

Estât  des  cent  Gamisars  partis  avec  Cavalier  (1704) 235 

Lettres  du  pasteur  Pierre  Durand  à  Antoine  Court  et  à  divers 

(1721-1 731) 257 


VI  TABLE   DES  MATIERES. 

Le  l'rotestantisme  à  Issouduii  (1568) 305 

LcUro  d'Antoine  Court  à  Pierre  Durand  (23  octobre  1721). . .  310 

Lettre  de  l'abbé  de  Florianà  Louis  Rouquct  son  valet  (août  1710).  353 

Lettre  deRabaut  Saint-Etienne  surTEdit  de  tolérance  de  1787.  358 

Lettre  de  divers  à  Du  Plessis  Mornay  (lGlO-1623) 39G 

Testament   de   Charlotte  de    Bourbon,   princesse    d'Orange 

(18  novembre  1581) \ .  450 

Voyage  d'Antoine  Court  en  Suisse  dans  l'été  de  1746 463 

Trois  lettres  de  Pierre  Corteis  à  Antoine  Court  (1731-1732). .  404 

Trois  lettres  de  Strasbourg  (1570-1577) 

Dossier  d'un  proposant  martyr,  François  Bénézet 752 

MÉLANGES  ET  VARIÉTÉS 

Mémoires  d'un  Calviniste  de  Milhau  (1580-1562) 29 

Ode  de  M.  de  Chandieu  sur  les  misères  des  Eglises  françaises 

qui  ont  été  par  ci-devant  persécutées ^ 77 

Thomas  d'Escorbiac.  Lettre  et  requête  d'un  magistrat  huguenot 

au  xYii*^  siècle  par  M.  Frank  Puaux "  128,  267 

La  Réforme  à  Jersey  par  M.  Matthieu  Lelièvre 138 

Les  écoles  de  campagne  dans  l'ancien  pays  de  Montbéliard 

par  M.  le  pasteur  Roy 176,  322 

Le  chevalier  Jean  Daniel  de  Belrieu  de  la  Grâce 364 

Une  Eglise  du  Refuge  par  M.  J.  J.  Weiss 411 

Claudine  Denossc 478 

Un  sermon  de  Paul  Rabaut 479 

Fête  de  la  Reformation 528 

BIBLIOGRAPHIE 

Répertoire 35,     185,  375 

Un  testament  du  xvi"  siècle 80 

Mémoires  de  Bonbonnoux 90 

Histoire  de  la  Réformation  à  Bordeaux  et  dans  le  ressort  du 

Parlement  de  Guyenne 141 

Deux  médailles  de  la  Saint-Bartliélemy 285 

Les  Allemands  en  France  et  l'invasion  du  comté  de  Montbé- 

béliard  par  les  Lorrains 286 

Histoire  du   peuple   de    Genève   depuis  la   Réforme  jusqu'à 

l'Escalade ' 330 

Lettres  de  Paul  Rabaut  à  Antoine  Court 379 

Vie  de  Guillaume  Rude , . . .  421 

Jean  l*>rard  de  Bar-le-Duc 425 

Correspondance  des  deux  frères  Labordc,  forçats  du  Maz-d'Azil 

au  bagne  de  Toulon 474 

Bulletin  de  la  Société  d'histoire  Vaudoise , 521 

Histoire  du  Canada  et  des  Canadiens  français 523 


TABLE   DES   MATIERES.  VII 


CORRESPONDANCE 


Une  Bible  de  1565 91 

Un  baptême  en  1713 ,...  92 

Rectification  à  propos  d'nn  cantique 94- 

Maison  de  Calvin  à  Orléans 95 

Le  massacre  de  Vassy 143 

La  Saint-Barthclemy  à  Toulon 429 

Rectification  de  l'attribution  d'un  méreau 526 

Tombeau  de  Court  de  Gebelin 527,  571 

CHRONIQUE 

Réponse  à  un  article  de  M.  E.  Doumergue 40 

Un  dernier  mot  à  la  Société  des  livres  religieux  de  Toulouse.  337 

NÉCROLOGIE 

M.  Henri  Martin i8 

M.  le  pasteur  Vaurigaud 48 

M.  Alpbonse  Lagarde 96 

Madame  Laboucbère 144 

M.  Mignet 191 

M.  le  pasteur  Melon 336 

M.  Gratien  Charvet 384 


ERRATA 

Voir  VErrata  de  la  page  "289.  —  Page  7i,  I.  3,  lisez:  le  12  février; 
p.  189,  lisez  :  Fajal;  p.  300,  note  1,  lignes  5  cl  6,  lisez  :  Nassau  et 
Bradant ine;  p.  340,  I.  2i,  lisez  :  Canitz;  \).  381, 1.  35,  lisez  :  Boycr  et 
non  iîo^er;  ibidem,  avant-dernière  ligne, /«se:;  ;  à  demi  et  non  à  deux; 
page  527,  1.  1,  lisez  :  Gamain,  dil  Moinier  et  non  Gomain;  ibidem, 
1.  16,  lisez  :  l78i  et  non  158i;  enfin  p.  521,  dernier  iiaragraplic,  1.  I, 
lisez  :  dit  le  D'  Rostan. 


SOCIÉTÉ  DE  L'HISTOIRE 

DU 

PROTESTANTISME  FRANÇAIS 


TRENTE-TROISIliJIE  AN'NEE 

0  peuple,  n'oublie  pas  ce  que  les  yeux 
ont  vu!  {Dcutéronome,  III,  'J.) 

L'année  qui  vient  de  finir  a  été  marquée  par  un  de  ces  événe- 
nients  qui  laissent  une  trace  lumineuse  dans  les  annales  d'une  So- 
ciété, notre  trente-deuxième  anniversaire  célébré  avec  un  éclat,  un 
succès  qui  a  dépassé  nos  espérances,  à  Nîmes  et  dans  les  Cévennes. 
La  parole  inscrite  en  tête  de  cette  préface,  après  avoir  servi  de 
thème  à  un  éloquent  discours  au  Mas-Soubeyran,  répond  à  nos 
plus  ciiers  souvenirs  comme  à  nos  meilleurs  vœux  à  l'entrée  d'une 
nouvelle  période  de  travaux. 

Oui,  nous  aimons  à  nous  souvenir  de  ces  assemblées  sympa- 
thiques réunies  autour  de  nous,  sous  la  voûte  du  ciel  ou  dans  l'en- 
ceinte des  temples  trop  étroits  pour  les  recevoir.  Nous  entendons 
les  voix  émues  qui  nous  disent  :  «  Bon  courage,  nous  sommes  avec 
vous  dans  l'œuvre  de  fdiale  restauration  que  vous  poursuivez  !  » 
'Nous  revoyons  en  esprit  les  bords  du  Gardon,  ce  Jourdain  cévenol, 
témoin  de  tant  d'épisodes  de  la  sublime  épopée  du  Désert;  la  Gar- 
rigue de  Nîmes  parcourue  en  tous  sens  par  Paul  Rabaut  et  ses 
héroïques  collaborateurs;  la  Tour  de  Constance,  enfin  illustrée  par 
le  souvenir  de  quelques  pauvres  femmes  grandes  par  la  foi.  Une 
Société  telle  que  la  nôtre  a  besoin  de  se  retremper  dans  la  contem- 
plation des  lieux  qui  parlent  si  éloquemmcnt.  La  claire  vision  du 
passé,  ressuscitant  pour  ainsi  dire  de  la  tombe,  avec  ses  luttes  et  ses 
éprouves,  ses  triomphes  et  ses  sacrifices,  devenus  la  leçon  de  l'his- 
toire, est  la  meilleure  récompense  des  éludes  consacrées  à  le  faire 
revivre.  J.  ]]. 

XXXill.     —    1 


ÉTUDES   HISTORIQUES 


LA  RÉVOCATION  A  MARENNES 


LE  TEMPLE  ET  LES   ECOLES 


cl 


La  Réforme  trouva,  dès  les  premiers  jours,  de  fidèles  ser- 
viteurs dans  cette  contrée  qu'on  appelait  -alors  les  «  Isles  de 
Marennes.  »  Entraînés  par  cet  admirable  mouvement  qui  allait 
changer  le  monde,  on  portant  à  la  puissance  papale  un  coup 
dont  elle  ne  s'est  plus  relevée,  les  vaillantes  populations  de 
ce  pays  accueillirent  avec  joie  les  missionnaires  delà  vérité 
évangélique.  Charles  de  Clermont,  dit  La  Fontaine,  fut  le  pre- 
mier des  pasteurs  de  Marennes,  où  il  arriva  dès  l'année  1558. 
Par  son  activité,  sa  piété,  «  plusieurs  églises,  ainsi  parle  l'his- 
torien de  Bèze,  furent  dressées  dans  le  pays.  » 

C'était  jtendant  la  nuit  que  se  réunissaient  ceux  qui,  dégoûtés 
des  superstitions,  voulaient  lire  et  méditera  la  pure  parole  de 
de  Dieu  ».  Bientôt  la  persécution  sévit  avec  violence,  mais 
elle  fut  supportée  avec  un  héroïque  courage.  L'une  des  con- 
sé(|uences  les  plus  remarquables  de  la  Réformation  a  été  de 
donner  aux  laïques,  dans  la  vie  de  l'Église,  une  place  que  le 
catholicisme  leur  a  toujours  refusée.  De  là  le  maintien  du  clé- 
ricalisme dans  l'Eglise  romaine  et  sa  dispari  lion  dans  les 
églises  protestantes.  Parmi  les  défenseurs  des  Réformés  de 
Marennes  se  plaça  un  hùque  éminent,  le  docteur  Proust,  qui 
plaida  avec  une  mâle  éloquence  la  cause  de  la  religion  persé- 

1.  Conférence  donnée  par  M.  Frank  l'uaux,  à  Marennes,  pour  la  Fête  de  la 
Réformatioii,  et  n^produilc  jiar  le  Journal  de  Marennes  des  H,  18,  25  no- 
vembre, cl  du  ;»  décembre  1X8:!. 


LA   RÉVOCATION   A    MARENNES.  3 

cutée.  Si  ferme  fut  la  résistance  des  Marennais,  si  persévé- 
rante leur  fidélité,  qu'au  moment  où  les  guerres  civiles  prirent 
fin,  ils  obtinrent  un  article  particulier  dans  le  célèbre  édit  de 
Nantes,  qui  consacrait  leurs  droits  à  avoir  deux  églises  de  plus 
que  les  autres  bailliages  du  royaume. 

Le  culte  se  célébrait  alors  «  audit  bourg  de  Marennes  en  la 
salle  de  la  dame  comtesse  dudit  lieu».  Vers  1579,  on  avait 
voulu  que  les  Réformés  établissent  leur  temple  au  Lindron, 
mais  l'excentricité  de  ce  lieu  les  détermina  à  se  rapprocher 
du  centre  de  la  ville,  où  le  4  février  1600  ils  achetèrent  un 
terrain. 

Ce  fut  là  qu'ils  f  vVent,  cette  même  année,  «  un  temple 
fort  beau  et  fo''  ■  \i  dire  des  contemporains.  On  y  en- 
trait par  dei'  ^  \ne  on  lisait  ces  paroles  des  livres 
saints  :  Venez  et  montX)ns  à  usmontagne  de  VÉternel,  à  la 
maison  duRleu  deJ^b,  et  il  noihenseignera  les  voies  et  nous 
cJimtiium^nM^}jnf£^y^^^:^^_^__\ny  sortira  de  Sion  et  la 
l/Eterc/^  .JL,  y-/'-  -'--  -^Mutre  ces  mots  étaient 
Grâces  ■  ,j  >  ^''pm-''  Jésus-ChriH.nostre  Seigneur. 
Ediéîoet  ^^^^^-^^i^QQ^mUenrici  IV,  160Î\ 

'*=*^e%ij^PffiR^rjASP^F:;^"  '     "'  '      "     '-^mples furent 

.  .w...,. .  u  .  '  de  Saint- 
cette  inscripiiOr  :  Hen- 
~rîci  IV  Hegisêâtoiù  erîiiiui^.uuii.  l.  i]i\iymQu\  onnum  lidigio- 
nem  Reformatam  profltentium.  Anno  Redemptionis  4601.  A 
Saint-Just,  à  Moëse,  à  Soubise,  se  trouvaient  des  temples  qui 
prouvaient  de  quelle  faveur  jouissait  le  culte  protestant  dans 
ces  contrées.  Aussi,  à  la  tin  du  xyii'=  siècle.  De  Muin,  l'un  des 
intendants,  pouvait  écrire  ces  paroles  significatives  :  «  De 
Saintonge  on  peut  dire  que,  dans  le  lieu  de  lAIarennes,  les  îles 
d'Arvert  et  la  Tremblade,  à  peine  connaît-on  la  religion  ca- 
tholique, tant  la  religion  prétendue  réformée  y  est  en  vogue 
et  en  authorité,  les  plus  puissants  de  ces  lieux  estant  de  la 
ditte  religion.  »  Il  signalait  en  même  temps  le  nombre  crois- 
sant des  conversions  au  protestantisme,  qui,  malgré  les  per- 


4  LA   UÉVOCATION    A    MARENNES. 

sécutions,  s'élevaient  à  plusieurs  centaines  depuis  quelques 
années. 

Lorsque  le  clergé  eut  o])tenu  de  Louis  XIV,  par  ses  dé- 
marches incessantes,  les  persécutions  qui  devaient  aboutir  à 
la  révocation  de  VVA\l  de  Nantes,  l'église  de  Marennes  ne 
devait  pas  être  épargnée.  Elle  paraissait  en  effet  comme  une 
petite  Genève  dans  ces  contrées  si  riches  et  si  industrieuses; 
aussi  l'évèque  de  Saintes  poursuivit-il  de  sa  haine  acharnée 
la  communauté  protestante.  11  ne  sera  pas  sans  intérêt  de  re- 
later les  faits  qui  amenèrent  la  ruine  de  l'église.  Les  docu- 
ments trouvés  aux  Archives  nationales  vont  nous  montrer  à 
quels  mobiles  obéissait  le  clergé  en  persécutant  avec  une  vio- 
lence inouïe  ceux  qui  n'avaient  d'autre  tort  que  d'avoir  ab- 
juré le  catholicisme  pour  être  fidèles  à  Jésus-Christ. 

Dans  une  circonstance  solennelle,  parlant  au  nom  du  clergé 
de  France,  Gilbert  de  Ghoiscuil,  évoque  de  Comminges,  n'hé- 
sita pas  à  dire  à  Louis  XIY  enfant  les  paroles  suivantes,  qui 
révèlent  ce  que  devait  être  la  politique  de  son  parti  ; 

«  Nous  ne  demandons  pas  que  Yoti'e  Majesté  ])annisse  à 
présent  de  son  royaume  cette  malheureuse  liberté  de  cons- 
cience qui  détruit  la  véritable  liberté  des  enfants  de  Dieu, 
parce  que  nous  ne  jugeons  pas  que  l'exécution  en  soit  facile; 
mais  nous  souhaitons  au  moins  que  ce  mal  ne  fît  point  de 
progrès  et  que,  si  votre  autorité  ne  le  peut  étouffer  tout  d'un 
coup,  elle  le  rendît  languissant  et  le  fît  périr  peu  à  peu  par  le 
retrancliement  et  la  diminution  de  ses  forces.  »  (1 1  avril 
\J  1651.) 

Dès  lors  cette  plainte  cruelle  se  fait  entendre  sans  relâche 
et  Louis  XIV  se  rend  aux  désirs  du  clergé.  A  dater  de  1GG5, 
pas  une  année  ne  se  passera  sans  être  marquée  par  la  publi- 
(  al  ion  de  quelques  édits  frappant  les  prolestants  dans  leurs 
biens, dans  leurs  personnes, (laiisiciiri-cligion.  Ainsi  fut  dressé 
un  code  criminel,  lionte  éternelle  de  la  justice  cléricale,  où 
habilement  et  dévotement  furent  foulés  aux  pieds  les  droits 
inaliénables  de  la  conscience. 


LA    RÉVOCATION    A    MARENNES.  5 

Dans  les  assemblées  générales  du  clergé,  on  exprimait  au  roi 
le  désir  de  voir  les  Réformés  exclus  de  telles  et  telles  fonctions, 
et  le  roi  se  rendait  à  ces  pieux  désirs.  Jamais,  sans  la  passion 
persévérante  du  clergé,  l'Édit  de  Nantes  n'eût  été  révoqué. 
Aussi  est-ce  sur  cette  néfaste  politique  cléricale  que  doivent 
retomber  les  plus  grandes  des  responsabilités  encourues  *. 

Les  agents  généraux  du  clergé  avaient  signalé  à  Louis  XIV 
la  conduite  coupable  des  Réformés  qui,  jaloux  de  donner  une 
forte  et  solide  instruction  à  leurs  enfants,  multipliaient  le 
nombre  de  leurs  écoles,  partout  où  cela  était  en  leur  pouvoir. 
Ce  fut,  en  effet,  l'honneur  de  la  Réforme  de  placer  partout  h 
côté  de  l'église,  l'école.  Le  protestantisme  étant  fondé  sur  le 
livre  sacré,  pour  être  un  vrai  protestant  il  était  nécessaire 
d'arriver  à  comprendre  la  Bible.  Le  prêtre  ne  pouvant  rien 
contre  celui  qui  sait,  voulut  condamner  le  protestant  à  devenir 
ignorant,  afin  de  pouvoir  mieux  le  dominer. 

Louis  XIV  écouta  le  prêtre,  et  son  conseil  d'État  rendit,  le 
9  novembre  1070,  un  arrêt  qui  intimait  aux  maîtres  protes- 
tants d'enseigner  seulement  «  à  lire,  écrire  et  V arithmétique  », 
à  peine  de  fermeture  des  écoles. 

C'était  trop  encore  pour  le  clergé,  car  il  obtint,  deux  ans 
plus  tard  (4  décembre  1671),  qu'il  n'y  aurait  pas  plus  d'une 
école  par  église  protestante  et  que  cette  école  n'aurait  qu'un 
seul  maître.  C'étaitcondamnerlesprotestants,  dans  les  églises 
populeuses  comme  celle  de  Marennes,  à  conduire  leurs  enfants 
"dans  les  écoles  catholiques,  car  il  était  impossible  à  un  maître 
de  suffire  à  la  tache.  A  Marennes,  en  effet,  la  population  sco- 
laire était  considérable,  et  neuf  instituteurs  et  institutrices 
protestants  donnaient  leurs  soins  aux  enfants. 

Ému  de  la  prospérité  de  ces  écoles,  où  les  enfants  se  comp- 
taient par  centaines,  le  syndic  du  clergé  de  Saintes  mit  l'in- 

1.  Certains  prêtres,  comme  le  jésuite  Meynier,  allaient  jusqu'à  rédiger  des 
projets  d'arrêtés  qui  trop  souvent,  le  croirait-on,  étaient  acceptés  tels  quels  par 
le  conseil  d'État  et  signés  par  Louis  XIV.  Nous  avons  vu  ces  minutes  singulières 
aux  Archives  nationales. 


t>  LA    REVOCATION   A   MARENNES. 

tendant  en  demeure  de  poursuivre  le  corps  enseignant.  Nous 
tenons  à  conserver  les  noms  de  ces  vaillants  instituteurs  de  la 
jeunesse  inarennaise,  les  voici  :  Jacques  Jay,  Pierre  Poite, 
Théodore  Basole,  iesm Bureau,  Estienne  Rommeau,  dit  La  Fo- 
rest,  Pierre  La  Boissière.  Non  moins  dignes  d'être  connus, 
sont  les  noms  des  institutrices  :  Marie  Du  Lac,  Marie  Tinet  et 
Bossuit. 

Leur  enseignement  n'était  pas  seulement  suivi  par  les  pro- 
testants. De  Muin,  l'intendant  de  Brouage,  se  plaignait  de  la 
préférence  que  les  catholiques  eux-mêmes  lui  accordaient. 
Le  plus  distingué  de  ces  maîtres  était  La  Boissière,  qui  don- 
nait des  leçons  de  latin  à  ses  élèves,  ce  qui  était  expressé- 
ment défendu  par  arrêt  du  conseil  d'ÉtaKlu  9  novembre  1070 
tant  le  souci  d'organiser  l'ignorance  était  grand  dans  l'ancien 
régime. 

Pvicn  de  louchant  comme  la  déposition  deLoquet,  ancien  du 
consistoire  de  Marennes,  qui  vient  défendre  avec  force  les 
droits  de  ses  concitoyens.  Écoutez-le  plutôt  :  «  Il  est  bien 
juste  que  les  pères  et  les  mères  prennent  le  soin  de  l'instruc- 
tion de  leurs  enfants,  ce  qui  est  de  la  raison  et  de  l'équité 
naturelles  qui  n'autorisent  pas  moins  les  pères  à  donner  l'ins- 
truction que  du  pain  à  leurs  enfants  et  à  nourrir  leur  esprit 
par  un  enseignement  familier.  » 

Si  le  père  réclame  des  droits  sacrés,  le  patriote  fait  appel  à 
des  raisons  de  l'ordre  le  plus  élevé,  il  faut  l'écouter  encore  : 
«  11  y  a  d'ailleurs  ceci  de  particulier  dans  les  isles  de  Xainc- 
tonge,  où  Marenne  est  situé,  c'est  qu'il  y  a  plus  de  trois  mille 
matelots  employés  au  service  de  Sa  Majesté,  ainsi  qu'il  est  de 
nostrecognaissance,  lesquels  sont  obligés  indispensablement 
d'apprendre  à  lire  et  à  écrire  et  l'arithmétique,  parce  que  au- 
trcuK-nt  ils  ne  pourraient  devenir  maîtres-pilotes,  mariniers, 
bas-ofliciers  et  experts  mariniers  sans  cette  éducation.  » 

Que  ces  écoles  de  Marennes  se  ferment  et  l'État  perdra 
i)ientôt  ces  marins  d'élite  dont  la  réputation  s'étendait  sur 
toutes   les   côtes.  Ainsi  jiarlail   l'homme  intelligent   et  cou- 


LA   RÉVOCATION    A   MARENNES.  7 

rageux  auquel  l'église  de  Marennes  avait  coniié  ses  intérêts. 

Misérable  est  la  réponse  de  de  Muin,  car  la  ruine  de  ces 
belles  écoles  servira  sa  fortune  et  lui  vaudra  les  faveurs  du 
clergé.  Les  enfants  protestants  iront  à  l'école  catholique,  voilà 
la  solution  brutale.  «  Les  parents,  dit-il  dans  son  rapport  au 
ministre  d'Etat,  pourront  envoyer  leurs  enfants  chez  des 
maîtres  catholiques  quand  ceux  de  la  dite  religion  ne  suffiront 
pas.  »  Et  il  conclut  à  frapper  de  l'énorme  amende  de  500  livres 
les  pauvres  instituteurs  protestants  de  Marennes,  réservant  à 
celui  qui  enseignait  le  latin,  une  condamnation  de  1000  livres 
et  le  déclarant  déchu  de  son  droit  d'enseignement.  Toutes  les 
écoles,  à  la  réserve  d'une  seule,  devaient  être  fermées  et  grâce 
à  ces  mesures  savantes,  l'ignorance  allait  rester  maîtresse  du 
terrain.  Ceci  se  passait  en  juillet  1678.  Après  avoir  fermé  les 
écoles,  il  fallait  renverser  le  temple  :  rien  ne  fut  épargné, 
comme  on  le  verra,  pour  arriver  à  ce  résultat. 

Pénible  et  douloureuse  lecture  que  celle  de  ces  vieux  docu- 
ments, où,  dans  le  rude  et  dur  langage  du  palais,  sont  écrites 
les  mille  injustices  qui  frappèrent  les  Réformés. 

Si  Jean  Loquet,  ancien  du  consistoire  de  Marennes,  défen- 
dit simplement,  mais  avec  force  et  dignité,  les  droits  des 
écoles,  Olivier  Loquet,  ministre  de  l'Eglise,  ne  fut  pas  moins 
ferme  dans  la  défense  des  intérêts  religieux  de  son  troupeau. 
Déjà,  sur  une  simple  dénonciation,  il  s'était  vu  traiter  comme 
un  malfaiteur,  et  avait  été  jeté  dans  une  prison  de  La 
Rochelle.  Le  pauvre  pasteur,  désolé  à  la  vue  des  souffrances 
qui  accablaient  l'Église  Réformée,  avait  fait  entendre  une 
douloureuse  plainte,  mais  la  jurisprudence  royale  interdisait 
même  les  plaintes,  et  le  cachot,  avec  ses  infamies,  fut  sa 
punition. 

Loquet  revint  peu  après  à  Marennes,  décidé  à  lutter  jus- 
qu'à la  dernière  heure  contre  le  flot  montant  de  l'injustice. 
Après  avoir  fait  fermer  les  écoles,  les  prêtres  voulurent  ren- 
verser le  temple.  Pour  mener  la  chose  à  bonne  fin,  les  Pères 
Héraud  et  Carrière,  jésuites  qui  habitaient  alors  Marennes, 


8  I.A    HKYOCATION    A    MAFtENNES. 

comnioncrrcnt  par  attafjiifr  les  belles  inscriptions  qui  se  Irou- 
vaicnt  sur  les  porles  de  l'édifice.  Ils  demandèrent  qu'elles 
fussent  ôtées,  parce  que  les  armes  royales  ne  pouvaient  se 
trouver  sur  un  temple  où  on  enseignait,  disait  en  leur  nom 
le  père  Alexandre  Homeati,  promoteur  du  diocèse  de  Saintes, 
«  une  religion  contraire  à  celle  de  Sa  Majesté  ». 

Fidèles  sujets  des  rois  de  France,  les  Réformés,  en  effet, 
avaient  fait  graver  les  armes  royales  et  celles  des  seigneurs  de 
Marennes  sur  les  portes  du  temple.  Le  père  Homeaii  dénon- 
çait ce  crime:  Le  suppliant,  disait-il  à  l'intendant,  dans  sa 
requête  du  28  mars  1G81,  est  obligé  d'avoir  recours  à  votre 
justice,  pour  obtenir  que  lesRéformés-enlèvent,  à  leurs  frais, 
ces  armes,  et  il  le  priait,  «  en  outre,  de  les  condamner  en  une 
amende  proportionnée  à  leur  entreprise  ».  Suite  fut  donnée 
à  cette  incroyable  demande,  et  les  anciens  de  l'Église  durent 
comparaîli-e  devant  les  juges.  Ils  dirent  les  origines  de  ce 
temple  bâti  sur  la  foi  des  traités,  comment,  en  1603,  un  juge- 
ment solennel  avait  reconnu  les  droits  de  l'Église  et  qu'ils 
espéraient  de  la  bonté  royale  le  «  maintien  de  cette  marque 
de  sa  protection  qu'ils  considéraient  comme  une  espèce  de 
sauvegarde  ». 

Sans  qu'aucun  jugement  eût  été  rendu,  foulant  vaillamment 
le  droit  aux  pieds,  L.  de  Bonne,  le  procureur  du  roi,  accom- 
pagné des  jésuites  lléraud  et  Carrière,  se  présentait  devant  le 
temple,  aidé  d'un  maçon,  pour  faire  sauter  les  armes  royales. 
Mais  il  rencontrait  le  pasteur  et  les  anciens,  qui  déclarèrent 
a  s'opposer  formellement  à  cette  violation  de  la  loi  ».  Lorsque 
le  j)rocureur  du  roi  eut  l'audace  de  déclarer  qu'ils  voulait 
passer  outre,  ils  lui  demandèrent  de  produire  les  titres  et 
actes  en  vertu  desquels  il  prétendait  agir  et  firent  dresser, 
séance  tenante,  procès-verbal  de  cette  conduite  inouïe  d'un 
magistrat. 

Cette  scène  se  passait  le  10  avril  1C81,  sur  les  neuf  beures 
du  matin.  Il  est  juste  de  conserver  les  noms  des  courageux 
citoyens  qui  lin-nt  i-eculcr  le  juge  unique  et  les  deux  jésuites. 


LA     RÉVOCATION    A    MARENNES.  1) 

■Les  voici  :  Lo^ue/ pasteur,  Loquet,  Buhnh,  Aubin,  Despalus, 
anciens  du  consistoire. 

Mais  la  victoire  dernière  ne  devait  pas  leur  rester,  car 
l'intendant  fit  porter  cette  grosse  question  devant  le  Conseil 
d'État,  qui  lui  consacra  une  longue  et  solennelle  délibération 
non  seulement  pour  le  temple  de  Marenncs,  mais  pour  tous 
ceux  de  la  Saintonge  en  date  du  21  avril  iG81. 

Le  12  mai,  Joseph  André,  archer  de  la  marine,  servant  près 
de  M.  de  Muin,  intendant  maritime,  se  transportait  au  domi- 
cile de  Jean  Loquet,  ce  zélé  défenseur  des  droits  de  l'Église, 
et  lui  signifiait  l'arrêt  du  Conseil  d'Etat,  avec  injonction  de 
faire  enlever  sans  tarder  les  armes  royales*. 

La  persécution  à  Marennes  est  provoquée  ouvertement  par 
le  clergé,  qui  ne  se  lasse  pas  de  dénoncer  à  l'autorité  civile 
les  contraventions  des  Réformés.  Il  se  déclare  partie,  met  ses 
juges  e,n  mouvement,  exige  des  assignations,  veut  qu'on 
informe  sans  tarder.  Ses  plaintes  se  trouvent  dans  tous  les 
dossiers  et  les  tribunaux  sont  trop  lents  à  son  gré.  llomeau 
est  toujours  sur  la  brèche;  le  27  mars  1681,  il  observe  «  que 
Mathieu  Aubin  et  Jeanne  Pouarier,  sa  cousine  germaine, 
demeurant  au  dit  Marennes,  ont  été  conjoints  par  mariage, 
sans  avoir  obtenu  permission  de  Sa  Majesté,  en  raison  de 
quoi  le  suppliant  (ainsi  s'appelle  Homeau)  est  obligé  d'avoir 
recours  à  votre  justice  qu'il  vous  plaise  déclarer  leur  pré- 
tendu mariage  nul  et  incestueux —  déclarer  les  enfants  nés  et 
à  naître  bastards  et  illégitimes,  enjoindre  aux  dits  de  se  sépa- 
rer, avec  défense  de  se  fréquenter  sur  de  telles  peines  que  de 
droit  et  les  condamner,  ensemble  le  ministre  qui  a  fait  le 
mariage,  en  telle  amende  que  le  cas  le  requiert.  » 

Condamner  le  pasteur,  c'était  la  condamnation  du  temple, 
mais  la  rage  emportait  trop  loin  le  prêtre,  car  en  quoi  le  pas- 
teur était-il  coupable,  alors  que  les  publications  civiles  s'élant 

1.  Les  dossiers  relatifs  à  réglisc  de  Marcnaes  se  trouvent  aux  Archives  natio- 
nales, série  T.  T.,  numéro  217. 


10  LA    UÉVdCATION    A   MARENNES. 

faites  sans  opposition,  il  avait  uni  ceux  qui,  du  reste,  s'épou- 
saient à  un  degré  non  prohibé. 

Le  22  octobre  1670,  iMaury,  pasteur  de  La  Tremblade, 
prêche  à  Marennes;  près  de  cinq  années  après,  Homeau 
dénonce  le  fait  comme  une  vioLation  de  la  loi  interdisant  aux 
pasteurs  de  prêcher  en  plus  d'un  lieu  et  demande  une  répres- 
sion sévère.  Les  heures  de  l'église  étaient  donc  comptées,  et 
pour  la  renverser  un  prétexte  était  nécessaire  :  on  devait  le 
trouver  aisément.  L'Édit  du  Pioi,  de  juin  1G80,  avait  défendu 
aux  catholiques  de  quitter  leur  religion  «  sous  quelque  pré- 
texte que  cela  fût  »,  condarnnanl  au  bannissement  perpétuel 
les  contrevenants  et  défendant  aux  pa^iteurs  de  les  recevoir 
dans  les  temples  pour  y  faire  profession  de  la  religion  protes- 
tante, à  peine  de  l'interdiction  du  culte  à  jamais. 

Quelques  catholiques  pénétrèrent  dans  le  temple  de  Ma- 
rennes, non  pour  y  faire  profession  d'une  foi  nouvelle, 
mais  par  pure  curiosité.  Telle  fut  la  base  d'une  accusation 
dont  les  suites  devaient  être  fatales  pour  l'église  et  ses  con- 
ducteurs. 

Quelques  joins  plus  tard  (février  1684)  l'église  de  Marennes 
pouvait  voir  ses  deux  pasteurs.  Loquet  et  Boisbeleau,  conduits 
comme  de  vils  malfaiteurs  dans  les  cachots  de  la  Réole  et 
livrés  à  la  merci  d'un  parlement  dont  les  scandaleuses  injus- 
tices ne  se  comptaient  })lus*.  Sept  mois  après,  le  18  août  1684, 

1.  On  verra  par  la  lettre  suivante  que  ce  jugement  n'est  que  trop  justifié;  elle 
est  adressée  au  ministre  d'État  de  qui  dépendait  le  magistrat  qui  l'a  signée. 

La  Réole,  le  8  février  1686. 
Monsieur, 
Je  vous  envoyé  une  copie  cy-jointe  d'un  arrest  que  nous  avons  rendu  ce  matin 
contre  un  ministre  mal  converti.  Je  dois  vous  dire,  Monsieur,  que  la  preuve 
élail  délicate  et  même  défectueuse  dans  le  chef  principal,  et  que  néanmoins  le 
zélé  des  juges  est  ailé  au  delà  du    la  règle  pour  faire  un  exemple, 

.le  suis,  etc. 

DAULliDE, 

Premier  président  du  parlement  de  Guienne. 
La  victime  de  ce  crime  judiciaire  s'appelait  Vergniot;   il  fut  condamné,  ses 
juges  le  sacliiinl  iiinocciil,  aux  travaux  forcés  à  perpétuité. 


LA   REVOCATION   A    MARENNES.  11 

le  parlement  condamnait  les  deux  pasteurs  à  douze  livres 
d'amende  envers  le  roi  et  les  interdisait  de  leurs  fonctions. 
Le  but  poursuivi  avec  tant  de  haine  par  le  clergé  était  atteint. 
Le  temple  était  condamné,  la  dite  cour,  lisons-nous  «  a  inter- 
dit à  jamais  l'exercice  public  de  ceux  de  la  dite  religion  pré- 
tendue réformée,  dans  le  lieu  et  juridiction  de  Marennes,  a 
esteint  et  supprimé  le  Consistoire,  ordonne  que  le  temple  sera 
démoly  et  razé  jusqu'aux  fondements,  et  qu'au  milieu  de  la 
dite  place  où  le  temple  est  construit  il  y  sera  eslevé  une 
croix.  » 

L'arrêt  avait  été  rendu,  comme  il  fallait  s'y  attendre  de  la 
part  de  magistrats  de  cette  sorte,  c'est-à-dire  sans  débats 
contradictoires.  Les  pasteurs  furent  mis  hors  de  cause,  après 
de  longs  mois  de  détention,  sans  même  avoir  subi  de  confron- 
tations. Mais  le  clergé  avait  obtenu  ce  qu'il  désirait;  quelques 
mois  encore,  et  l'église  de  Marennes  n'existerait  plus. 

Le  malheur  grandissait  les  âmes.  En  face  de  l'injustice 
triomphante  se  levèrent  les  anciens  de  l'église  qui  protestè- 
rent noblement  contre  cette  cynique  violation  des  droits 
sacrés  de  l'Église.  A  l'heure  du  triomphe  delà  réaction  cléri- 
cale, quand  un  tel  acte  les  désignait  aux  basses  vengeances 
des  dévots,  ils  signèrent  noblement  une  protestation  contre 
l'inique  arrêt  de  la  Réole.  Là  encore  nous  trouvons  des  noms 
connus  et  aimés  à  Marennes  :  Hélie  CJiarron,  Mariocheau, 
Chaillé,  Neau. 

Mais  depuis  longtemps  déjà  on  ne  répondait  plus  aux  plaintes 
des  victimes,  et  l'exécution  de  l'arrêt  n'était  plus  qu'une 
affaire  de  temps.  Le  1"  novembre  1684,  sur  les  dix  heures  du 
soir.  Faucon  de  Ris,  commissaire  du  Roi,  arrivait  à  Marennes 
et  donnait  ordre  aux  anciens  de  venir  le  trouver.  Leur  ayant 
fait  signifier  l'arrêt  du  Parlement,  il  leur  demanda  «  s'ils  vou- 
laient se  charger  de  la  dite  démolition  et  y  mettre  eux-mêmes, 
et  en  sa  présence,  le  nombre  d'ouvriers  nécessaires,  faute  de 
quoi,  il  y  ferait  procéder  aux  dépens  des  matériaux  et  aux 
leurs.  »  Ils  se  refusèrent  à  prêter  leur  concours  à  une  œuvre 


12  LA    HKVOr.ATlON    A    MARF.NNES. 

semblable  et  déposèrent  une  dernière  protestation  entre  les 
mains  du  rommissaire,  après  lui  avoir  remis  les  clefs  du 
temple. 

Le  (limanclic  2  novemi)re  108-4,  fut  un  joui-  do  deuil  et  de 
douleur  pour  l'Église  de  Marennes.  Dès  le  matin,  une  foule 
évaluée  à  plusieurs  milliers  de  personnes  était  arrivée,  venant 
de  loutes  les  îles  de  Saintongc,  pour  assister  au  culte  divin 
dans  le  seul  temple  de  la  contrée  épargné  jusqu'alors  par  la 
rage  des  persécuteurs. 

Sans  tenir  aucun  compte  de  circonstances  si  touchantes, 
bien  que  vingt-trois  enfants  attendissent  le  baptême,  De  Ris 
donna  l'ordre  de  procéder  à  la  démolition.  Arnoul,  intendant 
de  Rochefort,  prévoyant  le  refus  des  protestants  de  détruire, 
de  leurs  mains,  un  temple  qui  consacrait  pour  eux  tant  de 
souvenirs,  avait  fait  venir  des  ouvriers  étrangers.  Triste  spec- 
tacle que  celui  offert  par  ces  mercenaires,  insultant  à  la  dou- 
leur des  réformés,  sonnant  la  cloche  ta  toute  volée,  montant 
dans  la  chaire  et  s'y  livrant  à  mille  moqueries.  Les  protestants 
assistaient,  dans  les  larmes  et  dans  les  gémissements,  à  ces 
actes  de  vandalisme  sans  nom.  «  Le  peuple,  lisons-nous  dans 
une  relation  contemporaine,  en  se  retirant,  donna  des  mar- 
ques d'une  sensible  douleur.  On  ne  se  contraignait  ni  dans  les 
rues,  ni  à  la  campagne;  les  parents  et  les  amis  s'embrassaient 
en  pleurant  et  sans  rien  dire;  les  hommes  et  les  femmes,  les 
mains  jointes,  les  yeux  tournés  vers  le  ciel,  ne  pouvaient  s'ar- 
racher du  lieu  où  ils  étaient  venus,  malgré  les  rigueurs  de  la 
saison,  chercher  la  consolation  et  prier  Dieu.  » 

Dernier  et  cruel  épilogue  de  ces  scènes  de  sauvagerie  : 
plusieurs  des  petits  enfants  que  leurs  parents  avaient  amenés 
à  Marennes  et  qu'on  voulut  conduire  àCozes  pour  y  recevoir 
le  baptême,  succombèrent  jiendant  la  roule. 

Il  fallut  d(;ux  jours  pour  abattre  le  temple,  deux  jours  pen- 
dant lesquels  de  Ris  et  de  Verneuil,  commissaire  de  la 
luarinc,  démolisseurs  attitrés  de  la  cour,  présidèrent  à  ces 
gloi'icux  exploits.  L'all'aii'c  faite,  il  lit  vendre  «  quelques  mon- 


LA   riÉVOCATION   A    MAHENNES.  13 

^Cîuix  de  bois  et  planches  rompues  et  pourries,  provenant  du 
temple  au  plus  offrant  et  dernier  enchérisseur,  jusqu'à  con- 
currence de  la  somme  de  266  livres  pour  estre  employée  et 
distribuée  en  nostre  présence  au  payement  des  ouvriers, 
menuisiers,  maçons,  etc.  »  Quant  au  reste  des  matériaux,  il 
ne  fut  pas  fait  d'enchères  sérieuses.  De  Ris  laissa  à  Verneuil 
le  soin  d'en  tirer  le  meilleur  profit  et  fit  déposer  chez  lui  la 
cloche  du  temple,  qui  pesait  deux  quintaux  et  demi.  Deux 
jours  après,  il  quittait  Marennes,  ayant  mené  à  bonne  fin  sa 
belle  mission  et  remporté  sur  l'hérésie  une  si  triomphante 
victoire. 

Le  protestantisme  avait  cessé  d'exister  officiellement  dans 
les  îles  de  Saintonge  et  le  clergé  célébrait  ses  Te  Deum.  Un 
an  plus  tard,  le  18  octobre  1685,  Louis  XIV  signait  la  révoca- 
tion de  rÉdit  de  Nantes  et  de  ses  mains  royales,  faisait,  aux 
applaudissements  du  clergé,  une  blessure  affreuse  à  la  patrie. 
On  connaît  l'hymne  triomphal  de  Bossuet. 

Être  le  restaurateur  de  la  foi,  l'exterminateur  de  l'hérésie, 
s'exclamait  Cosnac,  évêque  de  Valence,  au  nom  de  l'assemblée 
générale  du  clergé  de  France,  «  sont  des  titres  solides,  des 
titres  immortels,  qui  non  seulement  perceront  l'épaisseur  de 
tous  les  temps,  mais  qui  subsisteront  encore  quand  il  n'y 
aura  plus  de  temps*.  »  Jamais,  en  aucun  temps,  la  courtisan- 
nerie  n'avait  atteint  de  telles  limites,  jamais  exemple  plus 
funeste  n'avait  été  donné  à  la  nation. 

Nous  arrêtons  à  cette  date  ce  triste  récit  de  la  ruine  de 
l'église  de  Marennes-.  Dans  les  années  qui  suivirent,  l'émigra- 
tion enleva  au  pays  ses  meilleurs  matelots  qui  allèrent  mettre 
au  service  de  la  Hollande,  de  l'Angleterre,  une  vaillance  et  des 
aptitudes  qui  eussent  été  si  nécessaires  à  la  France.  De  tous 
côtés,  les  terres  restèrent  en  friche  et  aux  jours  de  prospérité 
succédèrent  des  temps  de  misère  et  de  décadence. 

1.  Voir  le  Bulletin,  t.  XIV,  p.  76. 

2.  Il  faut  lire  la  touciianlc  lettre  adressée  par  les  ministres  réfugiés  en  Hol- 
lande aux  réformés  de  Marennes,  la  Treniblade,  etc.  {DulL,  t.  X,  p.  137). 


1^  LA    lu: VOCATION   A    MARENNES. 

L'œuvre  des  persécuteurs  ne  pouvait  aboutir.  Quand,  dans 
son  orgueil,  le  parlement  de  Guyenne  avait  déclaré  interdit  à 
jamais  le  culte  protestant  à  Marennes,  il  ne  prévoyait  pas 
que  les  jours  viendraient  où  la  nation,  devenue  souveraine, 
interdirait  à  jamais  ces  parlements  où,  si  souvent,  la  justice 
avait  été  foulée  aux  pieds,  et  proclamerait  la  liberté  des 
cultes.  Ce  sont  là  les  grandes  leçons  de  l'histoire,  elles  mon- 
trent que  l'avenir  est  aux  causes  justes  et  que  jamais  la  force, 
qu'elle  soit  brutale  ou  hypocrite,  ne  remportera  la  dernière 
victoire. 


Frank  Puaux. 


DOCUMENTS 


ARRET  INEDIT  DU  PARLEMENT  DE  PARIS 

CONTRE    «    l'institution   CHRETIENNE   » 

1"  juillet  1542. 


On  sait  qu'une  des  sources  imprimées  les  plus  importantes  pour  la 
première  période  de  la  Réforme  en  France  est  la  compilation  publiée  par 
Du  Plessis  d'Argcntré,  sous  le  titre  de  Collectio  judlciorum  de  novis 
erroribus  (Paris,  1724,  3  vol.  in-folio).  Nous  avons  retrouvé  récem- 
ment aux  Archives  nationales  l'un  des  manuscrits  originaux  dépouillés 
par  d'Argentré  ;  c'est  le  registre  des  conclusions  de  la  Sorbonnc  du  26 
novembre  1533  au  1er  aoiît  1549  (MM.  248).  En  le  parcourant,  nous 
nous  sommes  aperçu  que  d'Argentré  n'a  pas  toujours  été  exact  dans  ses 
citations  et  notamment  qu'il  a  laissé  de  côté  bien  des  pièces  intéressantes  ; 
de  ce  nombre  est  celle  que  nous  donnons  plus  loin  d'après  le  registre  cri- 
minel du  parlement  de  Paris  pour  l'année  1542  (X  ^a  93)  et  dont  une  copie 
fautive  a  été  insérée  au  xvir  siècle  dans  le  susdit  registre  de  la  Sor- 
bonne.  D'Argentré  a  eu  connaissance  de  cet  arrêt;  il  le  résume  dans  l'In- 
dex son  tentiarum  de  son  1"  vol.  (page  XII,  2^  colonne),  mais  en  le  rap- 
portant à  la  date  du  2  mai  1542,  et  il  nous  apprend  qu'il  a  été  pris, 
ex  consilio  Parisiensium  magistrorum  Theologiœ,  c'est-à-dire  à  l'in- 
stigation de  la  Sorbonne.  Dans  le  registre  des  Archives  nous  n'avons 
trouvé  aucune  délibération  relative  à  ce  sujet  et  transmise  au  parle- 
ment, mais  cela  ne  prouve  pas  qu'elle  n'ait  pas  eu  lieu.  Cet  arrêt  est 
la  première  interdiction  officielle,  en  France,  de  l'Institution  chrétienne 
dont  la  première  édition  française  avait  paru  à  Genève,  l'année  précé- 
dente, vingt  ans  après  que  la  Sorbonne  eut  publié  sa  première  condam- 
nation de  la  doctrine  de  Luther.  Mais  il  a  encore  une  autre  valeur,  car  il 
contient  toute  une  ordonnance,  fort  détaillée,  et  remanjuablenient  ré- 
digée sur  l'impression  et  le  commerce  des  livres  tant  à  Paris  que  dans  le 
reste  du  ressort  du  parlement.  Il  est  juste  qu'au  bas  d'une   pièce  aussi 


16  ARRÊT   INÉDIT   DU    PARLEMENT   DE  PARI? 

antiprotoslanU;,  on  rcnoontrc  1<;  nom  du  président  L'zct  si  bien  immor- 
talisé j)ar  Th.  do  Hrzi;. 

N.  Weiss. 

Sur  la  requeste  et  articles  présentez  à  la  court  par  le  procureur 
général  du  Roy,  requiert  estre  ordonné  par  la  court  et  publié  à  son 
de  trompe  par  les  carrefours  de  Paris  et  autres  villes  de  ce  ressort 
ce  qui  s'ensuit  : 

Premièrement  que  tous  ceulx  et  celles  qui  auront  le  livre  inti- 
tulé Institulio  religionis  christianaî  authore  Calvino,  et  en  langage 
vulgaire  l'Institution  de  la  Religion  chrestienne  composé  par  Jehan 
Calvin,  et  pareillement  tous  autres  livres  qui  par  cydevant  ont 
esté  defenduz  et  prohibez  par  la  court  estre  imprimez  ny  venduz, 
aycnta  iceux  livres  reprouvez  rapporter  ou  renvoyer  au  greffe  de 
lad.  court,  ou  au  greffe  de  la  jurisdiction  ordinaire  du  lieu  ou  sera 
faicte  la  proclamation  de  dans  vingt-quatre  heures  sur  peine  de  la 
hard,  si  après  lesd.  vingt-quatre  heures  aulcuns  sont  trouvez  avoir 
et  retenir  aucuns  dcsd.  livres  en  leur  possession.  Item  que  inhi- 
bicions  et  défenses  soient  faictes  à  tous  imprimeurs  de  ce  royaume 
sur  peine  de  la  hard  de  non  imprimer  ancun^  livres  soient  grands 
ou  petitz  en  langaige  françoys,  latin  ou  aultre,  ne  de  faire  aucun 
estât,  faicl  ou  exercice  d'imprimerie  sinon  ez  maisons  et  lieux  accous- 
tumez  des  libraires  et  imprimeurs  et  soubz  un  maistre  imprimeur 
duquel  sera  la  marque  apposée  ez  livres  qui  seront  imprimez,  et 
sera  led.  maistre  imprimeur  tenu  respondre  du  faict  des  compai- 
gnons  imprimeurs  qui  besongneront  soubz  luy,  et  que  désormais 
ne  soit  faiclc  imprimerie  en  lieux  cachez,  destournez  et  non  accous- 
tumez*.  Item  que  inhibicions  et  défenses  soyent  faictes  sur  pareilles 
peines,  a  tous  libraires  elaultres  marchans  de  quelque  qualité  qu'ilz 
soient  de  non  exposer  en  vente  aucuns  livres  en  la  ville  de  Paris  que 
premièrement  ilz  n'ayent  esté  visitez.  Et  i)our  ce  faire  seront  tenuz 
avant  ru(;  les  exposer  en  vente  faire  appeler  quatre  des  libraires 
jurez  pour  iceux  ouvrir,  lesquelz  quatre  libraires  seront  tenus  incon- 
tinent, selon  la  qualité  des  livres,  advertir  le  recteur  et  doyens  des 
troys  haultes  facultez  pour  iceux  venir  visiter,  et  pour  ce  faire  sera 
c  recteur  tenu  commettre  deux  maistrcs  ez  arts  bons  personnaiges 

1.  I.a  iHiMuirro  ùdiliou  française  do  VInslUuliun  avait  [laiu  (à  Gciiovc)  sans 
nom  i\t  lieu  cl  d'impriinciir.  Voy.  Cnir.  0pp.,  1]I,  p.  XXVIII. 


CONTHE    i  l'institution   CHRÉTIENNE  ».  17 

pour  visiter  les  livres  qui  seront  de  grammaire  et  lettres  Imm- 
maines;  la  faculté  de  théologie  commectra  deux  notables  docteurs 
dicelle  faculté  pour  visiter  les  livres  qui  seront  apportez  touchant 
la  théologie;  la  faculté  de  droict  canon  pour  visiter  les  livres  de 
droict  canon  et  civil,  et  la  faculté  de  médecine  en  semblable  pour 
visiter  les  livres  concernans  leur  faculté,  Et  pour  ce  qu'il  s'est 
trouvé  que  en  tous  livres,  mesme  de  grammaire,  dialectique,  méde- 
cine, de  droict  civil  et  canon  et  mesme  en  alphabet/,  que  l'on  im- 
prime pour  les  petitz  enffans,  sont  nouvellement  imprimez  quelques 
postules,  préfaces,  arguments  ou  épistres  liminaires  contenans  aul- 
cunes  erreurs  de  la  secte  luthéi'ienne  pour  lousjours  plus  publier 
leur  maulvaise  et  damnée  doctrine  de  ceulx  qui  sont  de  cestc  secte 
luthérienne  et  en  imbuer  de  jeunesse  les  enfans  pour  a  jamais  leur 
sentir  desd.  erreurs  et  y  persévérer  toute  leur  vie  (chose  de  périlleuse 
conséquence),  Requiert  le  procureur  général  qu'il  iuy  soit  permis 
procéder  par  monitions  et  censures  contre  tous  afin  de  révéler 
les  fauteurs  et  adherens  à  lad.  secte,  et  ceulx  qui  auront  ou  recel- 
leront  desd.  livres  et  que  ausd.  rcvellateurs  sera  baillée  la  quarte 
partie  de  la  confiscalion,  le  tout  par  provision  et  jusques  a  ce  que  le 
roy  autrement  y  ait  pourveu.  Et  tout  considéré, 

La  court  deuement  advertye  que  au  moyen  de  ce  que  plusieurs 
imprimeurs  qui  ne  sont  maistres  en  l'imprimerie  demeurans  en 
lieux  destournez  et  esgarez  de  ceste  ville  de  Paris  impriment  secrè- 
tement et  occultement  plusieurs  livres  erronés,  blasphèmes  ethéré- 
ticques  en  la  foy  et  religion  chrestienne  lesquels  aussi  occultement 
sont  venduz  et  distribuez  a  plusieurs  personnaiges  estans  de  la  secte 
héréticque.  Et  aussi  que  l'on  apporte  en  ceste  ville  de  Paris  plu- 
sieurs livres  imprimez  en  Allemaigne,  Lyon  ou  ailleurs  conlenaiis 
doctrines  erronées  et  blasphèmes  contre  la  foy  catholicque  dont  la 
semence  de  la  pestiféré  secte  damnée  et  improuvee  hérésie  et 
autres  hereticques  pululent  grandement,  lalemment  et  occultement 
en  ce  royaulme  et  pourrait  faire  plus  avant  s'il  n'y  esloit  obvié  promp- 
tement, 

A  ordonné  et  ordonne  en  intérinant  quant  à  ce  lad.  requeste  faicte 
par  led.  procureur  général  du  roy,  qu'il  sera  enjoinct  à  son  de 
trompe  et  cry  publicq  a  tous  les  manans  habitans  et  demourans  en 
ceste  ville  et  forsbourgs  de  Paris  et  autres  quelsconques  estans  en 
icelle  et  pareillement  es  aultres  villes  et  lieux  quelsconques  du  rcs- 

XXXIH.   —  2 


18  ARRÊT   INÉDIT   DU   PARLEMENT  DE  l'AIUS 

sort  de  lad.  court  sur  peine  de  la  liard  aux  lais,  et  sur  peine  de 
bannissement  de  ce  royaulme  et  confiscation  des  biens  immeubles 
patrimoniaulx  quant  aux  clercs  et  gens  ecclésiasticques,  Qu'ilz  ayent 
dedans  troys  jours  après  la  publication  et  proclamation  de  ceste  pré- 
sente ordonnance  a  apporter  au  greffe  criminel  de  lad.  court,  quant 
aux  demourans  en  ceste  ville  de  Paris,  et  quant  aux  aultres  demou- 
rans  es  seneschaulcées  et  bailliages  de  ce  ressort,  au  greffe  du  plus 
procliain  juge  royal,  Tous  et  cliacuns  les  livres  qu'ilz  ont  devers  eulx 
conlenans   aulcunes    doctrines  nouvelles,  luthériennes  et  aultres 
contre  la  foy  catholicque  et  doctrine  de  notre  mère  saincte  église,  et 
entre  autres  un  Livre  intitulé   Inslitutio  religionis  christiante  au- 
thore  Alcuino',  et  en  langaige  vulgaire,  l'institution  de  la  religion 
clirestienne  composée  par  Jehan  Calvi/i,  et  sur  rnesmes  peines  sera 
enjoinct  a  tous  les  demourans  dedans  ce  ressort  après  lesd.  trois 
jours  escheuz  y  venir  dénoncer  à  justice  ceulx  qui  scauront  avoir 
retenu  et  recellé  devers  eulx  aucuns  desd.  livres  contenans  doctrines 
improuvées,  eronées,  blasphèmes,  héréticques  contre  la  tradicion  et 
foy  calholicque,  et  ce  quant  aux  demourans  en  ceste  ville  de  Paris 
au  procureur  général  du  roy,  et  quant  aux  autres  aux  substitut? 
dud.   procureur  général  du  plus  prochain  siège  royal  du  lieu  ou 
seront  demourans  ceulx  qui  auront  retenu  et  recellé  lesd.  livres, 
Auxquelz  juges  royaulx  la  court  enjoinct   de  procéder  prompte- 
menl  et  sans  delay  alencontre  desdits  recellateurs  et  désobeissans 
ainsi  qu'ilz  verront  estre  a  faire  par  raison.  Et  aux  substilutz  du  pro- 
cureur général  du  roy  d'en  faire  les  dilligences  sur  peine  de  sus- 
pension de  leurs  estatz  (tant  pour  le  regard  desd.  juges  que  desd. 
substilutz)  et  aussy  sera  défendu  de  par  lad.  court  sur  les  peines 
que  dessus  a  tous  imprimeurs  tant  de  ceste  ville  de  Paris  que  ail- 
leurs dedans  ce  ressort,  d'imprimer  aucuns    livres  en  la  doctrine 
chrestienne  en  lieux  esgarez  comme  ez  forsbourgs  de  ceste  ville  de 
Paris,  clos  bruneau- au  temple,  ou  autres  lieux  deslournez  et  en 
lieux  et  chambres  cachées  latemment  et  occullement  comme  on  a 
fait  parcy  devant  et  s'ilz  ne  sont  maistres  imprimeurs  en  ceste  ville 
de  paris  tenans  maison  et  boutique  d'imprimerie  ouverte  et  de- 
dans lesd.  maisons  et  boutiques  d'imprimerie  tant  seullement  et 
non  ailleurs,  si  n'est  qu'ilz  fussent  advouez  et  qu'ils  ayent  la  mar- 

1.  Sic. 

2.  Voy.  sur  le  Clos  Uruneau,  le  Bidlelin  IV,  -211). 


CONTRE   «   l'institution   CHRÉTIENNE  ».  19 

que  du  maistre  imprimeur,  le  nom  duquel  avec  la  marque  sera  mis 
en  la  lin  de  chascun  desd.  livres,  et  le  lieu  particulier  ou  ilz  auront 
este  imprimez,  et  seront  tenuz  aud.  cas  lesd.  maistres  imprimeurs 
soubz  l'adveu  desquelz  lesd.  livres  auront  esté  imprimez,  res- 
pondre  des  compaignons  imprimeurs  qui  feront  lesd.  impres- 
sions. Et  défend  la  court  sur  peine  de  la  hard  a  tous  libraires  et 
vendeurs  de  livres  et  ceulx  qui  les  portent  par  ceste  ville  de  Paris 
de  vendre  doresnavant  aulcun  livre  imprimé  de  nouveau  depuys  la 
publication  de  ces  présentes  s'il  n'a  la  marque  d'un  maistre  impri- 
meur publicque  de  ceste  ville  de  Paris,  ou  et  en  quel  lieu  led.  livre 
a  esté  imprimé;  et  le  semblable  estre  faict  es  autres  villes  de  ce 
ressort  ou  l'on  a  accoustumé  d'imprimer  sur  les  peines  que  dessus. 
Seront  aussi  faictes  défenses  sur  peine  de  confiscation  de  la  mar- 
chandise et  autres  peines  arbitraires  à  la  discrétion  de  lad.  court  a 
tous  libraires  et  aultres  marchans  de  quelque  qualité  qu'ilz  soient, 
d'exposer  en  vente  aulcuns  livres  en  ceste  ville  ou  autres  villes  de 
ce  ressort,  s'ilz  n'ont  esté  visités  quant  à  la  ville  de  Paris  en  la 
manière  qui  s'en  suit,  c'est  assavoir  que  les  libraires  ou  aultres 
marchans  qui  vouldront  exposer  en  vente  aulcuns  livres  qui  leur 
seront  venus  de  nouveau,  avant  que  ouvrir  leur  basles,  seront  tenuz 
appeler  quatre  libraires  jurez  pour  assister  a  lad.  ouverture  et  veoir 
les  livres  qui  y  sont,  et  selon  la  science  et  qualité  dont  lesd.  livres 
seront,  lesd.  quatre  libraires  jurez  advertiront  les  recteur  de  l'Uni- 
versité de  Paris  et  doyens  des  trois  haultes  facultez  d'icelle  pour 
veoir  et  visiter  lesd.  livres.  Et  a  ceste  fin  sera  tenu  le  recteur  coin- 
mectre  pour  la  Visitation  des  livres  de  grammaire,  logicque,  rhéto- 
ricque,  philosophie  et  lettres  humaines,  deux  maistres  ez  ars,  bons 
personnaiges,  scavans  et  non  suspectz,  et  quant  aux  livres  con- 
cernans  la  théologie  et  religion  chrestienne,  la  faculté  d'icelle  com- 
mectra  aussi  deux  notables  docteurs  vaccans  de  toute  suspicion  pour 
veoir  et  visiter  lesd.  livres,  et  la  faculté  de  droict  canon  en  com- 
mectra  aussi  deux  autres  non  suspectz  pour  la  Visitation  des  livres 
en  droict  canon  et  civil,  et  par  semblable  la  faculté  de  médecine 
quant  aux  livres  de  médecine  pour  visiter  lesd.  livres,  Lesquelz  dé- 
putez s'ilz  treuvent  aucun  livre  ou  il  y  ayt  quelque  apparence  ou 
suspicion  notable  de  quelque  doctrine  suspecte  en  la  foy  laquelle 
bien  souvent  l'on  a  accoustumé  de  inesler  parmy  les  livres  de  gram- 
maire, logicque  rhétoricque  et  lettres  humaines,  Ordonne  lad.  Court 


20  AIUltT    INÉIHT    DU    l'AIlLEMK.NT    UE   PAHIS. 

que  lesd.  commis  et  dépuiez  pour  visiter  seront  lenuz  les  commu- 
niquer aux  députez  delà  laculté  de  théologie  qui  en  parleront  à  lad. 
faculté  s'ilz  veoicnt  que  besoing  soit,  Et  pour  l'approbation  de  tous 
lesd.  livres  afin  de  les  pouvoir  exposer  en  vente,  sera  mis  par  lesd. 
députez  quelque  marque  ou  paraphe  en  la  fin  de  l'un  desdils  livres 
qu'ils  retiendront  par  devers  eulx,  quant  aux  livres  concernans  la 
doctrine  chrestienne;  Et  quant  aux  autres  villes  esquelles  y  a  uni- 
versité comme  Orléans,  Poictiers,  Angiers  et  Bourges  sera  faict  le 
semblable,  et  quant  aux  autres  villes  esquelles  n'y  a  université  sera 
la  Visitation  faictc  par  l'oflicial  ou  vicaire  de  l'evesque  et  docteurs 
en  théologie  s'il  en  y  a^  assistant  avec  eulx  l'un  des  officiers  du  roy, 
et  s'il  n'y  avoit  aucun  docteur  en  théologie  ou  officiai,  sera  lad.  Visi- 
tation faicle  par  deux  notables  personnaiges  non  suspeclz  qui  se- 
ront députez  par  le  bailly,  seneschal  ou  prevost  du  lieu,  ou  leurs 
lieutonaus. 

Aussi  lad.  cour  ordonne  que  défenses  seront  faictes  à  cry  publicq 
et  son  de  trompe,  tous  les  imprimeurs  de  cesle  ville  de  Paris  de 
meslereslivresdegrammaire,logicque,rhétoricque,  lettres  humaines 
ou  aultres,  aulcune  chose  de  la  doctrine  cbreslienne,  mais  seul- 
lement  imprimer  ce  qui  concerne  la  science  de  laquelle  lesd.  livres 
sont  composez  afiiii  que  soubzumbredesd.  livres  de  grammaire,  lo- 
gic(jue,  rhétoricque  ou  lettres  humaines  lesjeujies  enffans  ne  soient 
imbuez  de  cesle  perverse  et  pesiifere  doctrine  hereticque  contre  la 
Iradicion  de  la  foy  catholicque,  Et  au  demeurant  a  ordonné  et  ordonne 
la  court  au  procureur  général  du  roy,  afin  que  la  censure  ecclé- 
siastique en  ce  qu'elle  est  requise  et  nécessaire  ayde  a  la  jnrisdic- 
tion  séculière,  d'impétrer  lettres  moniloires,  et  icelles  faire  publier 
aux  prosues  des  Eglises  parroichialles  de  ceste  ville  de  Paris  et  es 
autres  lieux  et  villes  de  ce  ressort  ou  il  verra  qu'il  sera  besoing,  pour 
avoir  révélation  et  dénonciation  de  ceulx  qui  scauront  aucuns  sous- 
tenir  lI  maintenir  la  doctrine  luthérienne  et  aultres  doctrines  con- 
tre la  foy  catholicque  et  aussi  de  cculx  qui  scauront  aulcuns  avoir  re- 
cellé  ou  retenu  après  la  publication  de  cesle  présente  ordonnance 
les  trois  jours  passez  aucuns  desd.  livres  contenans  doctrines  im- 
prouvées erronées,  blasphèmes,  hereticques,  contre  la  foy  catholicque 
lesquelles  révélation  et  déimncialion  seront  faicles  aux  curez  desd. 
églises  parroichialles  s'ilz  sont  présents  en  la  ville  ou  au  lieu  ou  ilz 
sont  curez,  ou  a  leurs  vicaires  en   leur  absence,  appelle  l'un  des 


INTERDICTION   DE  l'EXERCICE    DE   LA   R.    P.   R.  21 

marguilliers  de  l'œuvre  et  fabricque  desdites  églises,  et  seront  ré- 
digées par  escript  par  lesd,  cure  ou  vicaire,  et  d'eulx  signées  et 
apportées  (quant  a  ceste  ville  de  Paris  aud.  procureur  général  du 
roy,  et  quant  es  aultres  lieux  et  villes  de  ce  ressort,  a  ses  substitutz 
du  plus  prochain  siège  royal  du  lieu  ou  lesd.  monitoires  auront  esté 
publiez)  Et  ce  dedans  troys  jours  après  que  lesd.  révélations  auront 
esté  faictes,  et  en  rédigeant  par  escript  icelles,  le  curé  ou  vicaire 
mectra  par  escript,  le  nom,  surnom,  estât  et  deinourance  de  ceulx 
qui  auront  révélé,  lesquels  seront  puys  après  examinez  par  informa- 
tion par  le  plus  prochain  juge  royal,  et  lesd.  informations  par  luy 
veues,  procéder  à  rencontre  de  ceulx  qui  seront  trouvés  delinquens 
et  coulpables,  ainsy  qu'il  verra  estre  a  faire  par  raison. 

Signé  :  P.  Lizet. 

Tavel,  rapporteur. 

Faict  en  parlement  et  publié  a  son  de  trompe  et  cry  publicq  par 
les  carrefours  et  autres  lieux  de  ceste  ville  de  Paris,  Le  premier 
jour  de  juillet  M.  Vc.  XLII. 

Il  y  aurait  bien  des  remarques  à.  faire  sur  telle  ou  telle  partie  de 
cet  arrêt,  notamment  sur  celles  qui  insistent  sur  l'examen  des  livres 
d'instruction  élémentaire  en  usage  à  celle  époque;  mais  elles  dépas- 
seraient l'étendue  desimpies  notes. 

N.  W. 


INTERDICTION 

DE    l'exercice   de   LA   R.    P.    H.    A    BOURG   CHARENTE,    EN    SAINTONC.E 

1681. 

Cabaricu,  par  Montauban,  20  nov.  1S83. 

Monsieur, 

Dans  les  recherches  que  j'ai  faites,  ces  dernières  années,  soit  aux 
Arcliives  nationales,  soit  à  la  Bibliothèque  Richelieu,  j'ai  souvent  ren- 
contré des  documents  qui  m'ont  paru  avoir  une  certaine  importance 
pour  l'Histoire  du  Protestantisme  et,  si  vous  voulez  bien  le  permettre, 


22  INTERDICTION    UE    l'EXERCICE    DE   LA   H.    P.    R. 

j'aurai  ;rhonnoui"  do  vous  on  adresser  successivement  quelques  extraits 
pour  être  reproduits  dans  le  Bulletin,  si  vous  le  jugez  convenable,  en 
tout  ou  en  partie. 

Je  viens  aujourd'hui  vous  donner  l'analyse  détaillée  d'un  dossier  con- 
servé aux  Arciiivcs  nationales  (T.  T.  287)  et  qui  est  relatif  à  l'interdic- 
tion do  l'oxorcico  du  culte  réformé  à  Bourg-Charente,  en  Saintonge, 
malgré  l'intervention  et  les  réclamations  d'une  grande  dame,  Anne  de 
Pons,  à  qui  appartenait  la  seigneurie  de  cette  terre  et  qui  était  protes- 
tajite,  comme  ses  ancêtres. 

M  n'est  pas  sans  intérêt,  ce  semble,  de  voir  par  cet  exemple,  —  et 
on  pourrait  citer  d'autres  faits  analogues  dans  d'autres  provinces,  — 
que  longtemps  avant  1685  la  religion  protestante  était  entourée  de 
nombreuses  entraves  qui  précédèrent  et  faisaient  facilement  pressentir 
la  révocation  officielle  de  l'Édit  de  Nanties. 

Veuillez  agréer,  je  vous  prie,  31onsieur,  la  nouvelle  expression  de 
mes  sentiments  les  plus  dévoués. 

DE  Gabarieu. 

La  baronnie  de  Bourg-Charente,  en  Saintonge,  appartenant  au 
commencement  du  xyii"'  siècle  à  une  famille  protestante,  le  culte 
réformé  y  fut  célébré  dans  la  chapelle  du  château  jusqu'en  1659, 
époque  du  mariage  d'Anne  de  Pons,  propriétaire  de  cette  terre, 
avec  François  Amanieu  d'Albret,  comte  de  Miossans,  qui  professait 
le  catholicisme. 

Ce  seigneur  n'ayant  plus  voulu  permettre  à  ceux  de  ses  vassaux 
qu'il  considérait  comme  des  hérétiques  de  se  réunir  dans  les  dépen. 
dances  de  son  habitation,  ils  furent  obligés  de  transférer  leurs 
assemblées  dans  une  maison  particulière  affermée  par  le  consistoire; 
mais  de  nouvelles  difficultés  ne  devaient  pas  tarder  à  leur  être  sus- 
citées et  à  venir  les  entraver  dans  leurs  exercices  religieux. 

Cinq  ans  plus  tard,  en  effet,  sur  la  plainte  du  syndic  du  clergé, 
les  habitants  réformés  de  Bourg-Charente  étaient  assignés  pour 
avoir  à  représenter  leurs  titres  devant  des  commissaires  chargés  de 
l'exécution  de  l'Édit  de  Nantes.  Leur  droit  contesté  par  le  commis- 
saire catholique,  le  S.  Houlier,  lieutenant-général  de  la  sénéchaus- 
sée d'Angoulême,  fut  au  contraire  reconnu  par  Charles  Odet,  seigneur 
du  Fouilloiix,  coniinissaire  prolestant,  ainsi  qu'il  résulte  de  leur 
procès-verbal  de  partage  dressé  le  24  juillet  1064-  et  conservé  aux 
Archives  nationales  (Tï.  287). 


INTERDICTION   DE  l'EXERCICE   DE    LA    R.    P.   R.  23 

.  L'influence  d'Anne  de  Pons,  qui  continuait  depuis  son  mariage  à 
persévérer  dans  la  foi  de  ses  pères,  empêcha  que  le  procès-verjjal 
dont  il  s'agit  reçût  les  suites  qu'il  comportait  et  il  ne  fut  pas  déféré 
au  conseil  du  Roi  pour  faire  statuer  sur  le  partage,  de  sorte  qu'il 
resta  comme  non  avenu.  Mais  lorsque  la  destruction  de  l'hérésie 
eût  été  définitivement  résolue  par  Louis  XIV  et  que  tous  les  moyens 
pour  y  parvenir  furent  trouvés  bons,  sans  vouloir  encore  recourir  à 
une  interdiction  formelle  et  brutale,  on  fit  acheter  subrepticement 
par  un  certain  Jean  Maugé,  marchand  et  habitant  de  Bourg-Charente, 
qui  était  catholique,  la  maison  où  était  célébré  le  culte  réformé  et, 
peu  après  cette  acquisition,  le  nouveau  propriétaire  n'ayant  pu 
obtenir  la  résiliation  à  l'amiable  du  bail  consenti  au  consistoire  par 
son  vendeur,  réclama  la  libre  disposition  de  son  immeuble  par  une 
requête  adressée  «  au  Roi  et  à  Mosseigneurs  de  son  conseil  »,  en  date 
du  17  décembre  1681. 

Dans  cette  pétition  Jean  Maugé  demande  «  que  l'exercice  de  la 
»  R.  P.  R.  ne  soit  plus  continué  dans  un  petit  bâtiment  qui  lui 
»  apartient  comme  l'ayant  acheté  le  15  mars  1680  à  noble  homme 
»  Pierre  de  Montalembert,  conseiller  du  Roi  et  receveur  de  l'élec- 
T>  tion  de  Cognac,  et  qu'il  plaise  à  Sa  Majesté  adjuger  le  bâtiment 
»  dont  il  s'agit  au  suppliant  contre  le  Ministre  et  les  anciens  du  con- 
»  sisloire  avec  la  restitution  des  jouissances  depuis  tout  le  temps 
»  qu'ils  en  ont  joui.  » 

D'après  l'acte  d'acquisition  dont  une  copie  authentique  signée  par 
le  notaire  Feuillet  est  annexée  au  dossier,  le  sieur  de  Montalembert 
aurait  fait  cette  vente,  tant  en  son  nom  privé  que  comme  cession- 
naire  de  demoiselle  Anne  de  Montalembert,  sa  sœur,  et  comme  cura- 
teur des  filles  mineures  de  défunt  Isaye  de  Montalembert,  marchand, 
son  frère.  Il  est  dit  en  outre,  que  «  le  bâtiment  vendu  avec  une 
»  petite  bassecour  sert  à  présent  de  temple  aux  habitants  de  la  reli- 
»  gion  P.  R.  du  dit  Bourg-Charente  et  est  situé  sur  le  port  du  dit 
))  lieu,  confrontant  d'un  bout  à  la  rue  qui  conduit  du  dit  port  à  la 
»  ville  de  Cognac,  à  main  senestre,  d'autre  bout  et  d'un  côté  aux 
»  bâtiments  de  M.  Mesnage,  assesseur  du  siège  royal  du  dit  Cognac, 
»  et  d'autre  côté  à  la  maison  et  bassecour  des  hoirs  Conrad  Tessier.  » 

La  réclamation  do  Jean  Maugé  vivement  appuyée  par  le  syndic 
du  clergé  ne  tarda  pas  à  être  accueillie,  puisque,  par  un  arrêt  du 
29  décembre  1681,  «  l'exercice  réel  et  public»  à  Bourg-Charente 


24  INTKUniCTlON    DF.    L'EX^IICICE    DR    LA    li.    P.    H. 

(îliiit  interdit  pour  toujours,  cette  décision  étant  basée  sur  le  procès- 
verbal  de  partage  du  -24  juillet  IGGOque  l'on  fit  revivre. 

Ce  tut  alors  qu'intervint  «  danieElisaljelh  de  Pons,  veuve  du  sieur 
»  comte  de  Miossans  et  dame  de  la  baronnie  de  Bourg-Charente  », 
ainsi  qu'elle  s'intilule,  par  une  ref|uête  adressée  au  Roi  et  dont  une 
copie  suit  : 

«  Sire,  dame  Elisabeth  de  Pons,  etc.,  remontre  très  humblement 
))  à  Votre  Majesté  que  l'exercice  de  la  R,  P.  R.  dont  elle  fait  profes- 
i>  sion  s'était  toujours  fait  dans  son  château  de  Bourg  que  la  sup- 
»  pliante  tient  en  droits  de  haute  justice  relevant  de  Votre  Majesté, 
«jusqu'en  l'an  1659  que  la  suppliante  épousa  le  sieur  comte  de 
»  Miossans,  qui  était  C.  A.  et  R,  et  qui  ne  voulut  plus  permettre  la 
)  contiuualion  du  dit  exercice  dans  ie dit  château  de  Bourg,  desorte 
))  qu'il  fut  transporté  au  bourg  du  dit  lieu.  Depuis  ce  temps  le  dit 
>  sieur  comte  de  Miossans  étant  mort,  la  suppliante  est  rentrée  dans 
»  son  droit  dont  elle  a  usé  de  temps  en  temps  en  faisant  dire  le 
»  preschedans  son  dit  château;  néanmoins  la  vérité  est  que  l'exer- 
»  cice  de  la  R.  P.  R.  a  toujours  été  fait  dans  le  bourg  du  dit  lieu 
j>  depuis  l'année  1659,  ce  qui  donna  prétexte  aux  commissaires 
»  exécuteurs  de  l'Edit  de  Nantes,  sur  la  plainte  du  syndic  du  clergé, 
»  d'assigner  les  habitants  du  dit  Bourg  pour  représenter  leurs  titres 
»  qui  ne  furent  pas  trouvés  bons  par  le  commissaire  catholique, 
»  mais  qui  l'urcnl  approuvés  par  le  commissaire  protestant...  » 

La  suppliante  ajoute  «  qu'elle  n'a  pu  représenter  son  droit  per- 
»  sonnel  devant  les  dits  commissaires  quand  ils  rédigèrent  leur 
»  procès-verbal  de  partage,  étant  alors  sous  puissance  de  mari, 
y>  mais  qu'elle  a  présentement  recours  au  Roi  qui,  elle  l'espère,  lui 
»  permettra  de  continuer  dans  son  château  l'exercice  de  sa  religion, 
»  ainsi  qu'il  y  était  avant  l'année  1659  et  ce  conformément  à  l'ar- 
»  ticle  9  de  l'Edit  de  Nantes,  et  la  suppliante  continuera  ses  prières 
»  à  Dieu  pour  la  santé  et  prospérité  de  Sa  Majesté.  » 

A  la  suite  de  cette  reipiête  dont  ils  furent  saisis,  l'intendant  de  la 
généralité  de  Bordeaux,  Charles  de  Faucon,  Sgr.  de  Ris,  et  François 
Daillet,  Sgr.  de  Labrousse,  faisant  profession  delà  R.  P.  R.  députés 
pour  juger  les  contraventions  faites  à  l'Edit  de  Nantes,  rendirent  le 
19  août  16«!2,unjugement  par  lequel,  n'ayant  pu  se  mettre  d'accord: 
«  Ils  ordonnent  que  les  parties  se  retireront  devant  le  Roi  et  nos 
»  seigneurs  de  son  const'il  |)onr  leurêtre  lait  droit  et  cependantfont 


DÉLIBEHATION    DE  L'ÉC.LISE  DE    POMPORT.  55 

>  défense  à  la  dame  de  Miossans  de  faire  faire  le  dit  exercice  au  dit 
j)  château  jusqu'à  ce  qu'autrement  par  Sa  Majesté  en  ait  été  onlonné.  > 
Le  4  septembre  1G82,  à  la  requête  du  syndic  du  clergé  de  Saintes 
qui  ne  perdait  jamais  de  temps,  cette  ordonnance  fut  signifiée  à 
((  Dame  Elisabeth  de  Pons,  y>  et  la  célébration  du  culte  protestant  fut 
définitivement  supprimée  à  Bourg-Charente,  aussi  bien  dans  le  châ- 
teau que  dans  le  Bourg. 


DELIBERATION  DE  L'EGLISE  DE  P(3MP0RT 

'2  février  17 GO. 

M.  Alfred  Leroux,  archiviste  de  la  Îlaufo-Vienno,  à  qui  nous  devons 
déjà  d'intéressantes  communications,  nous  adresse  copie  de  plusieurs 
délibérations  des  Églises  du  Périgord  et  de  l'Agenais  (1758-1762), 
découvertes  dans  les  détritus  d'une  maison  de  Bergerac  en  démolition^. 
Nous  reproduisons  une  de  ces  pièces,  qui  ouvre  des  perspectives  sur  les 
derniers  temps  des  Églises  du  désert  : 

Nous,  pasteurs  et  anciens  de  l'église  de  Pomporl"-  assamblés  sous 
la  protection  divine,  avons  délibéré  ce  qui  suit  : 

ART.  1*'. 

Sur  la  proposition  faite  au  colloque  dernier  par  les  églises  de 
Saint-Laurens  et  Mombazillac%  nous  ne  pouvons  que  les  recepvoir 
comme  annexe  de  notre  église  et  confirmer  ainsy  l'article  hui- 
tième dudit  colloque,  tenu  le  15' janvier  1760. 

ART.  2. 

Quoy  que  nous  ayons  protesté  contre  ces  assamblées  du  dedans, 
néansmoins  pour  mettre  mieux  an  jour  la  droiture  de  nos  intentions, 
la  pureté  de  nos  sentimens,  le  désir  que  nous  aurions  d'entretenir 
toujours  une  exacte  harmonie  avec  les  autres  églises  de  cette  pro- 
vince et  d'attirer  au  milieu  de  nous  les  personnes  qui  n'ont  point 

1.  La  maison  de  madame  veuve  Dtii)iiy,  ruo  Neuve  frArgen-inn. 

2.  Pomport,  près  Bergerac. 

3.  Localités  voisinos  de  Bergerac. 


26  DÉLIHKflATIO.N    Dt;   l/ÉGUSE    DE   POMPORT. 

encore  paru  dans  nos  exercices  publics  de  piété,  nous  avons  cru 
devoir  suspendre  nos  assamblées  publiques  de  dévotion,  conformé- 
ment aux  intentions  de  M.  le  maréchal  duc  de  Richelieu,  notre  gou- 
verneur, nous  réservant  toutefois  le  droit  de  les  reprendre,  supposé 
qu'il  nous  manque  de  parole.  Mais  en  attendant,  pour  que  tout  se 
fasse  dans  Tordre  et  à  l'édification  de  tout  le  monde,  nous  avons 
estimé  la  précaution  suivante  absolument  nécessaire. 

ART.  3. 

Pour  attirer  la  faveur  du  ciel  sur  les  sociétés  relligieuses  que  nous 
nous  proposons  d'établir  parmy  nous,  tous  les  fidelles  sont  exhortés 
a  s'y  comporter  décemment,  à  s'y  rendre  sans  affectation,  seulement 
dans  le  désir  de  s'instruire  et  de  glorifier  Dieu,  et  se  retirer  de 
même  prudemment. 

ART.  4. 

On  ne  souffrira  aucun  visage  inconnu,  aucune  personne  suspecte 
dans  les  dites  sociétés,  pour  éviter  les  dénonciations.  Supposé  qu'il 
s'en  trouve  quehiu'une  de  celte  sorte,  on  leur  bandera  les  yeux,  et 
elles  seront  guardées  à  vue  jusqu'à  ce  que  tout  le  monde  soit  retiré. 

ART.  5. 

On  ne  s'assamblera  point  deux  fois  de  suitte  dans  le  même  en- 
droit. Ghaqu'un  des  assistants  doivent  prêter  la  sienne  *  autant  que 
faire  se  pourra.  MM.  les  anciens,  en  qualité  de  chefs  des  sociétés, 
devront  commencer  pour  servir  d'exemple  aux  autres  en  prêtant 
leurs  domiciles,  s'ils  sont  propres  pour  celte  fin.  Sinon  chaqu'un 
d'eux  doit  se  charger  d'en  procurer  un  nombre  suffisant. 

ART.  (j. 

Les  susdites  sociétés  devront  être  composées  de  (juaraiite  per- 
sonnes au  moins.  En  conséquence  nous  partageons  notre  consis- 
toire en  deux  :  toute  la  plaine  y  compris  Saint-Laurcns  en  fera  une, 
et  lout  le  tertre  y  compris  Mombazillac  en  fera  l'autre,  lorsque  le 
pasteur  s'y  trouvera. 

ART.  7. 
Pour  prévenir  tout  coup  de  surprise,   la  prudence  veut    qu'on 
1.  C'est-i'i-dire  sa  maison. 


DÉLIBÉRATION   DE  L'ÉGLISE   DE   POMPORT.  27 

poste  deux  mouches  '  de  confiance  pour  veiller  à  la  sûreté  de  M.  le 
pasteur  et  à  celle  de  tous  ses  auditeurs. 

ART.  8. 

Comme  le  chant  des  pseaumes  forme  le  plus  beau  trait  de  la  ma- 
jesté de  notre  culte,  que  pour  cette  raison  il  a  été  scrupuleusement 
observé  dans  touttes  les  églises  chrétiennes,  il  est  nécessaire  de  le 
conserver  parmy  nous. 

ART.  9. 

Chaqu'une  des  dites  sociétés  se  prêteront  mutuellement  du  secours 
et  entretiendront  une  exacte  correspondance.  Elles  doivent  s'envi- 
sager comme  ne  faisant  qu'un  seul  corps;  l'une  ne  prétendra  pas 
dominer  sur  l'autre. 

ART.  10. 

Comme  ]e  secret  estl'àme  de  touttes  les  entreprises,  chaqu'un  est 
exhorté  à  garder  un  secret  inviolable  sur  le  lieu  où  nous  nous  as- 
samblerons,  sur  les  personnes  qu'elles  auront  reconnues  et  surtout, 
en  un  mot,  ce  qui  pourroit  préjudicier  à  nos  frères.  Les  chefs  des 
dittes  sociétés  sont  particulièrement  exhortés  à  guarder  un  profond 
silence  sur  nos  délibérations  consistoriales  et  colloquales  et  sino- 
dales.  Ils  ne  doivent  les  révéler  qu'à  ceux  qu'elles  auront  directe- 
ment pour  objet  ou  qui  seront  intéressés  à  les  connoître. 

ART.  11. 

Au  cas  qu'on  inquiétât  ceux  qui  auront  prêté  leur  maison  pour  la 
célébration  de  notre  culte,  il  conviendroit,  il  est  même  nécessaire 
'  que  les  églises  leur  aydent  à  supporter  les  dépenses  auxquelles  ils 
pourroient  être  exposés  à  cause  de  cela. 

ART.  12. 

Pour  donner  une  certaine  consistance  à  nos  susdittes  sociétés  et 
pour  le  soulagement  de  MM.  les  pasteurs,  on  pourra  confondre  deux 
ou  plusieurs  sociétés  dans  une  seule,  supposé  qu'elles  ne  soient  point 
interrompues. 

ART.  13. 

Les  susdittes  sociétés  doivent  se  faire  aussy  fréquemment  qu'il  se 

1.  C'est-à-dire  deux  espions. 


!28  DÉI.IBKIIATION    DK    1.'K(;1,ISR    I)K    l'OMl'DUT. 

pourra,  deux  fois  la  semaine,  scavoir  le  jeudy  et  le  dimenclie;  les 
jours  de  fête  suplôoront  aux  jeudys  pour  ceux  qui  sont  obligés  de 
travailler. 

ART.  14. 

Elles  se  feront  de  jour  plutôt  que  de  nuit  pour  éviter  tout  coup  de 
surprise. 

ART.  15. 

Les  personnes  qui  n'aiiroient  pas  encore  paru  promettront  de  se 
conformer  à  notre  discipline  ecclésiastique,  aux  arrêtés  de  nos 
sinodes  et  de  nos  colloques. 

ART.  16. 

On  aura  soin  de  faire  une  liste  de  tous  les  jeunes  gens  qui  dési- 
rent à  faire  leur  première  communion,  pour  être  instruits  dans 
les  sociétés  qui  se  fairont  ;  la  ditte  liste  sera  remise  entre  les 
mains  de  MM.  les  pasteurs  qui  auront  soin  d'interroger  les  dits  caté- 
chumènes avant  que  de  les  recepvoir  à  la  Sainte-Cène. 


ART.  17. 

nciens  s'engageni 
dits  articles 


MM.  les  anciens  s'engagent  à  tenir  la  main  à  l'exécution  des  sus- 


art.  18. 

Que  lecture  des  susdits  articles  soit  faite  aux  premières  sociétés 
pour  que  personne  ne  les  ignore  et  que  tous  ayent  à  s'y  conformer, 
tant  anciens  que  fidelles;  faute  de  quoy  on  agira  contre  eux  suivant 
toute  la  rigueur  de  notre  discipline. 

ART.  10. 

11  a  été  délibéré,  pour  faire  cesser  tout  le  soupçon,  qu'on  travail- 
leroit  incessamment  â  faire  construire  un  tronq  pour  chaqu'une  des 
sociétés,  duquel  MM.  les  secrétaire  et  boursier  auront  chaqu'un 
une  clef.  L'ouverture  ne  s'en  fera  qu'en  présence  de  MM.  les  pas- 
teurs et  de  deux  ou  trois  anciens.  Cela  fait,  M.  le  secrétaire  cou- 
clici'a  sur  son  livre  ce  (jui  se  trouvera  dans  le  tronq. 

ART.  ^0. 
Tous  les  membres  de  notre  dit  consistoire  sont  exhortés  de  prendre 


MÉLANGES.  29 

exactement  extraits  de  tous  les  baptêmes  el  mariages  qui  se  fairont 
dans  leur  district  et  de  les  faire  passer  entre  les  mains  du  secré- 
taire qui  aura  soin  de  les  coucher  fidellement  sur  son  registre. 
Ainsy  fait  et  arrêté  ce  jourd'huy  2-  février  1700. 

J.  PiCARU,  pasteur. 
CossEJOUR,  secrétaire. 


MELANGES 


MÉMOIRES  D'UlN  CALVINISTE  DE  MILIIAU 

Il  serait  supcrfiu  de  chercher  à  faire  ressortir  l'importance  de  ce 
manuscrit"-.  11  a  pour  le  Rouergue  l'importance  de  celui  de  Jacques 
Gâches  pour  le  haut  Languedoc  et  il  importerait  qu'il  fût  publié  et 
annoté  avec  le  même  soin.  Ces  écrits  de  la  même  époque  se  com- 
plètent réciproquement  et  permettent  de  suivre  les  personnages 
engagés  dans  la  même  pièce,  mais  c|ui  changent  fréquemment  de 
scène. 

1.  C'est  par  erreur  qu'on  a  mis  en  tète  de  la  première  partie  de  ce  mémoire 
(p.  562)  ce  sous-titre  :  1620  à  1682.  Ibidem,  p.  563,  1.  16,  lisez  :  fournit  et  mou 
soumit;  p.  560,  1.  58,  lisez  :  noiinains  et  n-jn  romains;  cnfm  p.  5l)8,  1.  24, 
lisez  :  Laurous  et  non  Laurons. 

2.  D'après  un  détail  fourni  par  M.  de  Gaujal  (t.  IV,  p.  5!ji),  le  manu  crit  calvi- 
niste appartenait  à  M.  de  Gualy,  évèquc  de  Carcassonne,  cl  passa  dans  les 
mains  de  ses  parents,  les  Gualy  de  Creissel,  à  la  mort  de  ce  prélat,  en  18i7.  Il 
ne  paraît  donc  pas  qu'il  en  ait  été  fait  des  communications  avant  cette  époque- 
M.  de  Gaujal  dit  encore  :  »  Le  titre  en  est  écrit  d'une  autre  main  que  le  corps 
de  l'ouvrage,  et  lui  est  bien  postérieur  ».  Ceci  permet  de  penser  que  le  manus- 
crit dont  il  s'agit  est  bien  l'original.  La  même  famille  possède  aussi  l'Histoire  du 
siéije  de  Creissel  et  de  ce  qui  s'estpasse,  avant  ledit  siège,  avec  les  Imçjuenols 
de  Millau,  par  Pierre  Granier,  et  mentionne  la  conduite  valeureuse  de  Pierre  de 
Crozatetde  La  Croix,  qui  défendit  celte  place  contre  le  duc  de  Hoiian.  Il  iei;iit 
à  ce  sujet  des  lettres  llatteuses  du  Prince  de  Condé,  Henri  de  Rouriuni  et  de 
Louis  XIII. 


30  MÉLANGES. 

Le  manuscrit  est  anonyme  :  il  ne  serait  peut-être  pas  difficile  de 
soulever  le  voile  qui  cache  le  nom  de  l'auteur.  D'abord  il  fait  partie 
des  papiers  d'une  famille  qui  le  délient  comme  un  héritage,  et, 
bien  mal  à  propos,  prive  le  public  des  renseignements  précieux 
qu'il  contient,  ou  du  moins  n'en  a  fait  que  des  communications 
beaucoup  trop  limitées.  Celte  famille  aujourd'hui  très  catholique 
était,  à  l'époque  où  le  manuscrit  fut  rédigé,  à  la  tête  du  parti  pro- 
testant. Nous  possédons  de  cette  famille  une  généalogie  s'étendant 
de  1419  à  18i3,  dressée  par  M.  H.  de  Barraii*,  principalement 
d'après  des  papiers  fournis  par  elle-même.  Nous  n'avons  à  nous 
occuper  que  de  la  partie  relative  à  notre  sujet.  Voici  ce  que  nous 
lisons  au  n"  VI,  marquant  la  6""  génération  :  Jacques  Gualy-Chaf- 
fary  (écrit  aussi  dans  plusieurs  actes  qui  le  concernent  de  Galy  et 
de  Gally)  épousa,  par  contrat  du  21  mars  15M,  demoiselle  Delphine 
Borzer  (ce  mot  est  aussi  écrit  Bourzer,  Bourzèr  et  Borzèr)  et  mourut 
peu  de  temps  avant  le  9  août  1565,  jour  auquel  fut  fait  l'inventaire 
de  ses  biens.  Quel  était  son  culte?  Rien  ne  l'indique;  mais  nous 
devons  faire  remarquer  que  plusieurs  personnes  du  nom  de  Bourzèr 
et  sir  Durand  Bourzer,  sieur  de  La  Rivière,  était  toujours  à  la  tête 
de  tous  les  mouvements  protestants. 

RésuUa-t-il  des  enfants  de  ce  mariage?  Contrairement  à  la 
marche  suivie  pour  tous  les  autres  noms,  la  généalogie  ne  le  dit 
pas;  elle  laisse  ignorer,  ceci  doit  être  remarqué,  s'il  n'y  en  eut 
pas,  s'il  y  en  eut  un  ou  plusieurs.  Mais  Pierre  de  Gualy-Chaffary 
continue  la  liguée  avec  le  n"  VII,  et  il  est  dit  qu'il  commandait  une 
compagnie;  de  cent  hommes,  pour  le  service  du  roi,  le  26  sep- 
tembre 1560.  Il  était  marié,  avant  le  25  mars  1586,  avec  Jeanne 
Durand  dont  il  eut  deux  enfants  :  Pierre  de  Gualy-Chaffary  et  Anne 
de  Gualy,  femme  de  Jacques  de  Molinier,  docteur  es  droit.  Encore 
ici  nous  pourrions  faire  remarquer  que  les  Durand,  les  Molinier, 
surtout,  étaient  des  noms  essentiellement  protestants.  Mais  ceci  ne 
prouve  rien,  nous  en  convenons.  Ce  qui  est  plus  concluant,  c'est 
que  le  23  décembre  1561,  Chaffary  figure  avec  Monti'ozier  et  Com- 
bettes  dans  l'inventaire  que  font  dresser  les  calvinistes,  des  reli- 
(juaires  (ju'ils  ont  trouvés  dans  l'église  des  .lacobins,  dont  il  se  sont 
emparés-,  et  qu'un  peu  plus  tard,  le  3  juin  1563,  Pierre  Galy,  c'est 

1.  Dov.nmcnls  hisloriqui'x  ri  (jvnénloijiqucs  du  Rouergue,  l.  111,  p.  065. 

2.  De  Giiujal,  iiuvra^tc  cilc,  t.  IV,  p.  i',li. 


MÉLANGES.  31 

évidemment  le  même  personnage,  est  un  de  ceux  qui  se  présentent 
avec  les  consuls  devant  Ramond  de  Donald,  docteur  es  droit,  con- 
seiller du  roi,  juge  de  Millau  et  Roquecizière,  pour  lui  demander 
un  lieu  convenable  où  l'on  puisse  continuer  la  prédication  de 
l'Évangile  ^ 

VIII.  Pierre  de  Gualy-ChalTary,  écuyer,  seigneur  de  la  Gineste 
et  de  la  Gruelle,  épousa  par  contrat  de  25  août  1606,  et  du  vivant 
de  ses  père  el  mère,  demoiselle  Suzanne  de  Tauriac,  fille  de  noble 
Antoine  de  Tauriac,  mort  le  6  octol)re  1585  d'une  blessure  d'arque- 
busade  qu'il  reçut  à  la  têle  au  château  de  La  Liquisse,  et  de  Demoi- 
selle Dernardine  d'Aisser.  La  généalogie  fait  ici  remarquer  avec 
soin  que  par  acte  du  15  septembre  1631,  une  chapelle  fondée  en 
l'église  de  Sainte-Foy  des  Prades  fut  conférée  par  Pierre  de  Gualy 
et  son  fils  à  maître  Jean  Garibal  prêtre,  et  qu'un  jugement  de 
M.  Pillot,  intendant  de  Guienne,  ordonna  que  le  dit  seigneur  de  la 
Gineste  serait  inscrit  dans  le  catalogue  des  nobles  de  cette  province, 
insi  qu'Etienne  et  Pierre  de  Gualy-Chaffary,  ses  enfants,  qu'il 
avait  eus  de  son  mariage  avec  la  dite  demoiselle  Suzanne  de  Tau- 
riac, laquelle  était  encore  vivante  le  23  juillet  1651.  Pierre  de 
Gualy-Chaffary  fils,  seigneur  de  la  Gineste  et  de  Gruelle,  faisait  pro- 
fession de  la  religion  protestante;  la  notice  généalogique  le  déclare, 
et  elle  nous  apprend  en  outre  qu'il  passa  en  Angleterre  avec  Louise 
Du  Puy,  sa  femme  et  leurs  enfants.  Sa  signature  au  bas  de  l'acte 
de  concession  de  la  chapelle,  n'est  donc  pas  un  signe  de  catholicité; 
et  si  lui,  protestant,  a  pu  signer  cet  acte,  son  père  pouvait  bien 
aussi  se  trouver  dans  la  même  situation.  Au  reste  on  nous  a  dit 
qu'il  fut  blessé  mortellement  d'un  coup  d'arquebuse  à  la  tête,  au 
château  de  La  Liquisse  et  le  très  précieux  ouvrage  de  M.  de  Gaujal 
nous  apprend  (t.  II,  p.  452)  qu'après  l'édit  de  Nemours,  7  juillet  1585, 
les  Calvinistes  mécontents  reprirent  les  armes  et  que  le  roi  de 
Navarre,  Henri  IV,  alors  chef  des  protestants,  donna  commission, 
le  18  août,  à  Antoine  de  Tauriac,  le  même  que  la  ville  de  Millau 
avait  choisi  en  1573,  pour  gouverneur,  de  mettre  sur  pied  deux 
cents  arquebusiers.  Tauriac  exécuta  cet  ordre  el  fut  tué  à  La  Li- 
quisse, près  de  Naut,  le  6  octobre,  en  combattant  à  la  tète  de  sa 
troupe.  C'est  dans  ce  même  combat  que  Pierre  de  Gualy-Chaffary, 

1.  Archives  de  la  mairie  de  Millan,  dans  le  Bulletin  de  Vhisloire  du  proies- 
tantistisme  français,  année  1860-1861,  p.  382. 


32  MÉLANGES. 

reçut  la  blessure  donl  il  mourut.  Or  ils  élaient  beaux  frères.  Esl-il 
probable  qu'ils  combattissent  l'un  contre  l'autre?  Oela  ne  serait 
pas  impossible  ;  mais  vu  les  sentiments  connus  de  la  famille  de 
Gualy,  il  serait  difficile  de  l'admettre.  Ce  qui  nous  semble  prouver 
qu'il  n'en  était  pas  ainsi,  c'est  précisément  le  silence  garde  par  les 
notes  qui  ont  été  fournies  à  M.  de  Barrau.  Avec  les  préoccupations 
que  nous  avons  fait  remarquer,  on  n'aurait  pas  manqué  d'.ijouter, 
si  on  l'avait  pu,  que  Pierre  de  Gualy  avait  été  blessé  en  combattant 
dans  les  rangs  des  catlioliques. 

Quant  à  Etienne  de  Gualy-Chaffary,  le  frère  et  le  fils  des  précé- 
dents, celui  qui  continue  la  lignée  sous  le  n»  9,  il  était  incontesta- 
blement protestant.  Cela  résulte  du  testament  qu'il  fit  le  1"  janvier 
107:2,  cl  dans  lequel  il  déclarait  vouloir  être  enseveli  dans  le  cime- 
tière de  ceux  qui  professaient  la  religion  réformée  et  dans  le 
tombeau  de  ses  ancêtres.  Il  est  vrai  qu'avant  sa  mort  qui  eut  lieu 
le  3  juillet  1705,  il  abjura,  ainsi  que  sa  femme,  Jeanne  de  Rozel, 
la  religion  prestanle  qu'ils  professaient  tous  les  deux.  Il  paraît 
même  que  c'est  par  cette  double  abjuration  que  la  branche  française 
de  la  famille  de  Gualy  rentra  dans  le  giron  de  l'église  romaine. 
Nous  nous  arrêtons  ici,  mais  nous  pouvons  dire  que  des  descendants 
de  cette  branche  de  Gualy  retourné  au  catholicisme  quittèrent  encore 
la  France  pour  cause  de  religion  et  se  retirèrent  en  Angleterre. 

Ces  rejetons  d'une  ancienne  famille  huguenote  ne  paraissent 
avoir  oublié,  dans  leur  nouvelle  juitrie,  ni  leur  culte  ni  leur 
pays. 

M.  de  Gaujal  dont  la  pensée  n'est  jamais  aventurée  a  dit  :  «  A 
cette  famille  appartenait  probablement  l'auteur  du  Mémoire  de  la 
guerre  des  Cévennes,  publié  en  anglais  en  1725  à  Londres  et  qu'on 
attribue  à  un  réfugié  français  nommé  Galli.  La  famille  de  Gualy  a 
du  moins  eu  en  Angleterre  une  branche  qui  y  avait  été  formée  par 
un  de  ses  membres,  qui  s'expatria  à  l'occasion  de  la  révocation  de 
riùlit  de  Nantes;  et  il  se  peut  fort  bien  que  l'on  ait  écrit  Galli  au 
lieu  de  Gualy,  d'autant  mieux  que  cette  famille  écrivait  à  cette 
époque  sou  nom  Galij  *.  » 

Il  faut  dire,  pour  ne  rien  cacher,  que  nous  n'avons  trouvé  le 
titre  de  ce  Mémoire  de  la  guerre  des  Camisards  ni  dans  la  France 

1.  I)f  ('.aiijnl,  niivrajîc  cilé,  t.   IV,  p.  272. 


MÉLANGES.  33 

littéraire  de  Quérard,  ni  dans  le  Manuel  du  libraire,  de  Brunet; 
néanmoins  l'autorité  de  M.  de  Gaujal  est  si  grande  que  nous  ne 
l'invaliderons  pas  pour  si  peu.  Ce  qu'il  a  dit,  il  a  cru  pouvoir  le 
dire.  Il  est  bien  vrai  qu'il  parut  en  Angleterre,  à  Londres  en  1744, 
chez  Moïse  Chastel,  une  histoire  des  Camisards  qu'Antoine  Court 
a  connue  et  qu'il  traite  de  roman  :  les  récits  sont  présentés  presque 
partout  d'une  manière  dramatique;  mais  elle  n'a  pas  été  écrite  en 
Anglais  et  le  livre  dont  je  parle  n'est  pas  une  traduction.  Celui  qui 
l'a  écrite  possédait  bien  la  langue  française  et  connaissait,  de  plus, 
l'idiome  Cévenol,  car  il  dit  qu'il  a  près  de  lui  un  homme  qui  lui  rap- 
porte ce  qu'il  a  vu  et  qu'il  fait  passer  ses  récits  dans  son  livre  avec 
autant  de  fidélité  qu'il  le  peut  :  «  Je  tiens  ces  circonstances,  dit-il, 
de  la  bouche  d'un  homme  qui  était  présent  et  je  m'attache  à  con- 
server le  sens  et,  autant  que  je  puis,  la  force  des  expressions.  » 
(t.  I,  page  100,  note.) 

Les  recherches  que  nous  avons  faites  à  l'occasion  de  ce  livre, 
nous  en  ont  fait  découvrir  un  autre.  On  trouve  dans  la  France  lit- 
téraire :  Gally  (P)  de  Gaujal  :  Relation  des  sociétés  établies  en  An- 
gleterre et  en  Irlande  pour  la  réformation  des  mœurs.  Le  P.  ne  se- 
rait-il pas  la  première  lettre  du  mot  Pierre  si  commun  dans  la 
famille  de  Gualy  et  le  de  Gaujal  n'indiquerait-il  pas  une  al- 
liance des  Gualy  avec  les  Gaujal  autre  famille  du  Rouergue  qui, 
elle  aussi,  professa  longtemps  les  doctrines  de  la  Réforme.  Voir 
Jules  Duval  :  Notice  biographique  sur  le  baron  de  Gaujal. 

Et  maintenant,  y  aurait-il  de  la  témérité  à  hasarder  une  opinion 
qui,  à  nos  yeux,  est  sinon  prouvée  du  moins  très  vraisemblable?  A 
nos  yeux  le  manuscrit  a  pour  auteur  un  membre  de  la  famille  de 
G.ualy  ;  cela  résulte  1°  de  ce  que  cette  famille  qui  le  possède  ne  veut 
pas  le  communiquer;  2»,  de  ce  que,  pour  cacher  ce  qu'elle  ne  veut 
pas  dire,  elle  ne  se  sert  qu'avec  un  visible  embarras  des  documents 
qu'elle  possède,  3«,  de  ce  que  il  y  a  une  intention  visible  de  dis- 
simuler que  ses  ancêtres  ont  joué  pour  la  défense  du  protestantisme, 
le  rôle  important  que  l'histoire  ne  permet  pas  de  leur  refuser.  Que 
les  amis  de  la  vérité  historique  qui  se  trouvent  convenablement 
placés  fassent  des  recherches  dans  les  registres  des  baptêmes  de 
4544  à  1580,  qu'ils  recherchent  surtout  les  noms  des  enfants  de 
Jacques  Gualy  et  de  Delphine  Borzer;  que  ceux  qui  le  pourront 
aussi  s'enquièrent  de  ce  combat  qui  eut  lieu  le  10  avril  1682  h  Lau- 

XXXIII.  —  3 


34  MÉLANGES. 

rens  près  Lodève.  C'est  par  là  que  la  pleine  lumière  doit  nous  ar- 
river*. 

L'auteur  du  manuscrit,  quel  qu'il  soit,  n'était  certes  pas  un  écri- 
vain; la  clarté  et  la  souplesse  de  la  langue  de  Montaigne  et  de  Cal- 
vin lui  font  absolument  défaut;  son  style  est  incorrect,  mêlé  de  lo- 
cutions vicieuses,  il  a  des  tours  et  des  mots  qui  sentent  la  langue 
alors  usitée  dans  le  pays;  mais  il  est  un  homme  instruit.  L'introduc- 
tion, dont  il  a  fait  précéder  ses  récits,  prouve  qu'il  avait  étudié  la 
nature  et  qu'il  était  au  courant  de  ces  théories  alanibiquées  sur  les 
éléments  dont  on  se  contentait  à  son  époque.  Mais  il  était  avant  tout 
un  témoin  fidèle,  racontant  avec  droiture  et  loyauté  ce  qu'il  avait 
appris  ou  dont  il  s'était  solj-^neusement  informé.  «  Ces  articles  ici 
articulés  l'un  après  l'autre,  suivant  leur  rang,  sont  véritables  et 
dignes  de  foi,  car  pour  mentir  je  ne  voudrois  avoir  mis  ce  labeur  en 
train,  car  non-seulement  du  présent  pourra  aproffiter,  mais  aussi  à 
temps  à  venir,  comme  plusieurs  verront  les  menées  qui  sont  estées 
faictes  en  plusieurs  villes  et  villages,  y  prendront  exemple  quand 
Dieu  leur  fera  la  grâce  que  l'évangile  fleurira  en  leurs  villes  ». 

»  Or,  frère  lecteur,  te  priant  que  s'il  i  a  rien  qui  ne  te  plaise, 
qu'il  ne  soept  au  plaisir  de  tes  aureilles,  te  prie  le  prendre  en  bonne 

1.  M.  Roman,  l'un  des  érudits  qui  annotent  avec  tant  de  soin  la  nouvelle 
édition  de  l'Histoire  générale  du  Languedoc,  a  bien  voulu,  sur  notre  demande, 
compulser  les  nombreux  documents  qu'il  a  recueillis,  et  nous  écrit,  le  li  dé- 
cembre dernier,  les  lignes  que  voici  : 

('  Il  n'y  eut  pas  de  guerre  générale  cette  année-là  (1582),  comme  vous  le  savez, 
en  Languedoc,  mais  une  foule  de  troupes  armées  parcouraient  le  pays,  faisant 
(les  prisonniers,  quelle  que  fut  leur  religion,  pour  les  rançonner  et  les  mettre  à 
mort  s'ils  refusaient  de  payer.  Précisément  un  document  assez  précieux,  une 
sorte  de  rapport  sur  l'état  général  du  Languedoc  fait  au  nom  du  roi  de  Navarre 
lîihl.  de  Toulouse,  10  B,  n°  93)  constate  qu'un  nommé  Regnault  et  sa  bande 
répandait  la  It-rreur  dans  l'évêché  de  Lodève  et  les  environs.  C'est  probable- 
ment dans  l'une  de  ces  razzias  que  le  père  de  l'auteur  de  votre  manuscrit  aura 
été  pris,  puis  tué.  Quant  à  trouver  son  nom  dans  ces  conditions-là  vous  comprenez 
que  c'est  impossible.  » 

Nous  craignons  bien  que  cette  découverte  soit  difficile,  en  effet;  mais  il  y  a 
tant  d'imprévu  dans  les  recherches  historiques  que  nous  ne  voulons  pas  déses- 
pérer. Et  qui  sait?  peut-être  les  lignes  que  nous  venons  de  transcrire  pourront- 
elles  faciliter  d'autres  recherches.  Quoi  qu'il  en  soit,  nous  avons  été  très  heureux 
de  Ips  recevoir  et  nous  remercions  notre  savant  correspondaiit  de  nous  les  avoir 
adressées. 


BIBLIOGRAPHIE.  35 

part,  car  je  n'ai  point  escript  ceci  per  malice  ni  per  aine  quelcon- 
que, main  comme  les  choses  ont  esté  tant (run parti  que  (Vaultre  ; 
car  pense  que  tous  sommes  gens  de  bien  et  d'oneur  o  le  devons 
estre.  Bien  est  vrai  que  les  uns  ont  bataillé  per  malice,  les  aultres 
per  ignorance  et  les  austres  per  avarice  à  piller  et  derrober  le  pai- 
sant  per  s'enrichir,  mes  quoique  soept  ni  quelque  soept  de  ceux-là, 
en  vain  ils  ont  laboré  et  pillé,  leur  ruine  s'approche  et  leur  fin  n'en 
sera  pas  bonne.  » 

Et  maintenant,  un  mot  avant  de  finir.  La  ville  où  nous  avons 
trouvé  une  copie  du  manuscrit  Calviniste,  Rodez,  possède  aussi, 
dans  ses  archives  communales,  quelques  papiers  qui  peuvent  nous 
intéresser.  On  lit  dans  une  de  ses  délibérations  du  mois  de  mai 
1560,  les  paroles  que  voici  :  «  Que  chascun  des  habitans  se  pour- 
voient d'arnoys  et  que  fasse  mètre  la  nuit  de  pierres  aux  fenestres, 
pourruer  à  ceulx  que  passeront  parles  rues  de  nuict  et  chanlans 
les  psaulmes  de  David,  comme  ont  faict  quelscungs  ces  jours  passés  » . 

Ph.  Corbière. 


BIBLIOGRAPHIE 


REPERTOIRE 

1.  BIOGRAPHIES.  —  Le  Bulletin  a  rendu  compte  (XXXII,  525) 
de  l'étude  de  M.  A.  Bourgoin,  Un  bourgeois  de  Paris  lettré  au 
xvii"  siècle,  Valentin  Conrartet  son  temps  (Paris,  Hachette,  1883, 
350  p.  in-8°).  On  doit  mentionner  aussi  G.  de  la  Tourette,  Théo- 
phraste  Renaudot  (Paris,  Pion,  1883,  316  p.  in-8°).  M.  G.  Becker 
est  l'auteur  de  quatre  intéressantes  notices  biographiques  et  biblio- 
graphiques sur  Eiistorg  de  Beaulieu  poète  et  vamicXaw,  Guillaume 
Guéroult  et  ses  chansons  spirituelles,  Jean  Caulery  et  ses  chan- 
sons spirituelles,  Hubert  Waelrant  et  ses  psaumes,  avec  musique 
de  chansons  et  psaumes  (Paris,  Fischbnciier,  1880-1881,  in-12,  tirage 


36  UlIiLlOGUAPHIE. 

à  cent  exemplaires).  MM.  Emile  et  René  Fage  se  sont  également 
occupés  CCEuslorçi  de  Beanlicu  (ïvi\\&,  1880,  50  p.  in-8°,  extr.  du 
Bull,  de  la  Société  des  lettres,  sciences  et  arts  de  la  Corrèze). 

La  Revue  Historique  (juill.-oct.  1883),  a  publié  un  article  consi- 
dérable de  M.  Dardier  sur  l'historien  Jean  de  Serres  (85  p.  in-8''); 
le  Catholic  World  de  sept.  1883,  un  de  M.  E.  Raymond  sur  Jean 
Calvin;  Les  Amiales  de  la  société  historique  et  archéologique  du 
Gdtinais  (3'  trim.  de  1883),  le  commencement  d'une  biographie  du 
Cardinal  de  Châtillon  par  M.  Léon  Marlet  (avec  portrait).  De 
plus  :  notes  de  M.  Couard  Luys  sur  Salomon  de  Brosse  et  ses 
enfants,  possesseurs  du  lief  de  l'Argillière  au  comté  de  Sentis 
(Bull,  de  la  Société  de  Vhikoire  de  Paris  et  de  Vile  de  France,  1883, 
n.  3)  ;  notes  du  B""  Pichon  sur  la  chapelle  des  orfèvres  de  Paris  à 
laquelle  travailla  Jean  Cousin  en  1557  (Mémoires  de  la  même  so- 
ciété, t.  IX)  ;  renseignements  sur  la  mort  de  Lefèvre  d'Etaple  d'après 
une  note  de  l'éd.  de  1772  des  bibl.  franc,  de  La  Croix  du  Maine  et 
(lu  Verdier  {Revue  de  VAgenais,  1883,  7'^  et  8"  liv.)  ;  Acte  de  nais- 
sance de  Perrot  d'Ablancourt  {iivt.xa.rié\és.  Revue  de  Champagne 
et  de  Bric,  1882  t.  XII);  acte  de  baptême  (;"'  Cognac  par  le  pasteur 
Rosscl)  de  Charles  et  Marie  enfants  (ïlsaac  de  Ponlevain,  15  août 
1655,  et  acte  d'abjuration  de  Marguerite  de  Morel  «  native  de  la 
paroisse  de  Palluau  en  Engoulmois  »  entre  les  mains  du  curé  de 
Cognac  le  9  mai  1G70,  à  la  lin  des  notes  de  M.  J.  Pellisson  sur 
les  de  la  Rochefoucauld  à  Cognac  (Bull,  des  archives  historiques 
de  la  Saintonge  et  de  l'Aunis,  t.  II,  p.  240).  André  Joubert,  Re- 
cherches épigraphiques,  le  mausolée  de  Catherine  de  Chivré, 
(Laval,  1883, 55  p.  in-8' ')  avec  détails  sur  l'église  delà  Barre.  Thèses 
historiques  D.  Ollier,  Guy  de  Brès,  Paris,  1883;  E.  Bertrand, 
Étude  homiléiique  sur  Bossuet  et  Saiirin;  F.  Penisson,  Treize 
années  du  ministère  de  G.  Farci,  Montauban  1883. 

II.  et  III.  ÉPOQUE  DES  GUERRES  DE  RELIGION  et  PROTES- 
TANTISME DANS  LES  PROVINCES.  —  J.  Lossius,  Urkunden  der 
Grafen  de Lagardie,  (Lei[)zig,  Kochler,  158  p.  in-8"), analyse  delà 
correspondance  du  baron  Pontus  de  Lagardie,  précieuse  pour 
l'époque  des  guerres  de  religion  en  France  (1571-1580).  Revue  his- 
tor.ct  archéol.  du  Maine,  tome  XI\',1"  livr.,  1883, 2" trim.  L'abbé 

1.  En  veille  chez  C.liampion  cl  Picart,  libraires  à  Paris. 


BIBLIOGRAPHIE.  37 

Ledru,  Notes  et  documents  sur  Jean  V  de  Champagne  dit  le 
grand  Godet,  sire  de  Pescheseul  (chef  de  bandes  catholiques  au 
début  des  guerres  de  religion;  se  signala  par  ses  crimes  à  côté  des 
Bressault,  des  Saint-Aignan,  etc.)  suivi  de  pièces  justificatives.  i?M/- 
letind'hist.  ecclésiast.  et  d'archéologie  religieuse  des  diocèses  de 
Valence,  etc.,  1883,  mars-août,  suite  de  la  publication  des  Mémoires 
des  frères  Gag  sur  les  guerres  de  religion  en  Dauphiné. 

E.  Chevrier,  Notice  historique  sur  le  protestantisme  dans  le 
département  de  l'Ain  et  lieux  circonvoisins.  Paris,  Fischbacher 
1883,  avec  photographie  d'un  portrait  de  Castalion,  302  p.  in-8° 
(/??(^/.,XXXIf,522).E.FRAiN  :  Une  terre, sespossesseurs  catholiques 
et  protestants  de  1200  à  1600,  renferme  comme  le  précédent  ou- 
vrage du  même  auteur  sur  les  Familles  de  Vitré,  beaucoup  d'indi- 
cations utiles  pour  l'histoire  du  protestantisme  en  Bretagne;  la 
terre  dont  il  s'agit  est  la  Gaidairie  près  Vitré  (Rennes,  1879,  in-12 
de  232  p.).  Revue  hist.  et  archêol.  du  Mairie,  t.  XIII,  3Mivr.,  1883 
1*'  trim.  Abbé  Ledru.  Note  sur  la  réforme  dans  le  Maine,  1560-72 
(services  rendus  par  Félix  le  Chesne  à  la  cause  royale,  d'après  un 
factum  de  son  fils).  Dans  les  archives  historiques  du  Poitou  (t.  XII, 
1882).  Les  lettres  adressées  à  Jean  et  à  Guy  de  Bâillon,  comte  de 
Lude,  gouverneur  de  Poitou,  Saintonge  et  la  Rochelle,  1543-1557 
et  de  1557  à  1585.  —  22  mai  1544.  Lettre  de  François  I"  avec  ordre 
de  porter  secours  au  lieutenant  du  Poitou  contre  les  assemblées  de 
luthériens  (en  partie  imprimée  dans  l'hist.  de  la  Rochelle  t.  II).  — 
29  juin  1561.  Lettre  de  Charles  IX,  relative  aux  prêches  des  hugue- 
nots et  au  curé  de  Ghiré  (voir  aussi  Arch.  hist.  de  la  Saint,  t.  IV, 
p.  290).  —  17  juin  1563,  lettres  patentes  de  Charles  IX,  nommant 
des  commissaires  pour  l'exécution  de  l'édit  de  pacification  en  Sain- 
tonge et  Aunis.  —  4  novembre  1567,  lettre  du  même  pour  aller  se- 
courir la  Rochelle.  —  1"  janvier  1568,  mémoire  de  M.  de  Lude  au 
roi  sur  les  affaires  du  Poitou,  et  réponse  du  roi.  —  2  août  1568, 
réponse  de  Charles  IX  à  une  lettre  de  M.  de  Lude,  dans  laquelle 
celui-ci  lui  avait  appris  la  prise  deTaillebourgpar  les  huguenots.  — 
Ph.  Tamizey  de  Larroque,  deux  documents  relatifs  à  La  Chambre 
de  redit  de  Nérac,  Bordeaux  1882,  38  p.  in-32.  —  F.  Teissier,  un 
document  sur  l'église  de  Saint-Félix  de  Sorgùes  en  Rouergue  1640 
(christianisme  au  xix'  siècle,  2  novembre  1883).  —  Le  tome  XII  de 
la  Revue  de  Champagne  et  de  Brie  contient  dans  la  suite  de  Vllis- 


88  BIBLIOGRAPHIE. 

toire  du  Bailliage  de  Vitry-lc-François  par  H.  Bouchot,  quelques 
mots  sur  les  protestants;  au  tome  XIII  :  l'enlèvement  d'un  enfant 
protestant  à  Vitry  au  xviir  siècle,  d'après  les  archives  de  la  Marne. 

Nous  tenons  à  signaler  VHistoire  de  la  ville  et  de  la  commu- 
nauté de  Montesquieu  sur-Canal  ^ar  M.  A.  Lucien  Cazals  (Tou- 
louse, 1883,  in-12),  couronné  par  la  société  archéoloi;ique  du  midi 
de  la  France  dans  son  concours  de  188!2,  car  ainsi  que  le  dit  l'au- 
teur dans  son  avertissement.  «  Il  y  aurait  <j;vdnd  intérêt  pour  l'his- 
toire que  chaque  commune  eût  sa  monograpliie  :  haucoup  de  faits 
seraient  révélés,  d'autres  précisés.  »  M.  Cazals  a  consulté  beaucoup 
de  pièces  originales^:  le  chap.  IV  rend  compte  de  la  possession  de 
la  ville  par  les  protestants  en  1573  et  1574,  sous  les  seigneurs  de  la 
famille  d'Avessens;  les  détails  sur  le  siège  de  1586  sont  empruntés 
à  Gâches,  Lalaille  et  D.  Vaisselle. 

liEFUGE,  RÉVOCATION,  DÉSERT.  —  La  plupart  des  journaux 
religieux  ont  résumé  une  communication  de  M.Gaberel  re  Rossil- 
LON  à  l'Académie  des  sciences  morales  et  politiques  (25  août  1883) 
sur  Jean  Lecomte  de  la  Croix,  né  vers  1500  à  Etaples,  mort  en 
1509,  après  avoir  été  élève  de  M.  Cordier,  collaborateur  de  Briçon- 
net,  précepteur  des  enfants  de  l'amiral  Bonnivet  et,  à  partir  de 
1532,  réfugié  en  Suisse  où  il  forma  l'église  de  Morat.  Michaud, 
Louis  XIV  et  Innocent  XI;  le  vol.  IV  traite  de  la  Révocation 
et  de  la  part  qui  y  revient  au  pape.  L.  Feer.  La  Politique  de 
Louis  XIV  à  l'égard  des  nouveaux  convertis  (Christianisme  au 
xix"^  siècle,  12  octobre  1883).  H.  M.  Lester,  traduit  par  M.  de  Ri- 
chement, Le  Refuge  à  New-Rochelle  (Id.).  F.  de  Schikler.  sous  le 
titre  de  Souvenirs  de  Londres,  description  et  extraits  des  registres 
des  églises  du  Refuge  conservés  à  Somerset  Ilouse  {Journ.du  Prot. 
français, \i  septembre  1883).  M.  F.  Teissier  publie  une  lettre  iné- 
dite de  Bonnemère, dontil  rectihe  la  biographie  d'après  les  archives 
(le  l'Hérault  (Id.  2  nov.  1883)  :  Refusant  de  se  convertir,  le  cor- 
donnier Paul  Bonnemère  sortit  de  France  à  la  Révocation  pour  y 
rentrer  comme  prédicant  et  être  exécuté  à  Montpellier,  31  mars 
1 090.  Cette  lettre  adressée  à  M.  Castel  tailleur  à  Montpellier,  et 
une  autre  (publiée  dans  l'Eglise  libre,  9  novembre  1883)  adressée  à 
Suzon  Banne  (h'  lu  même  ville,  les  engageaient  à  persévérer  dans  la 
foi  et  à  «  sortir  de  Babylone  ».  Dans  la  Renaissance  (21  septembre 
1883), d'ajirès  \q. fourn.de  Genève, deux  lettres  inédites  de  Voltaire 


BIBLIOGRAPHIE.  39 

en. faveur  du  forçat  Chaumont  dont  il  obtint  la  liberté,  4764.  — 
F.RouviÈRE,  U abjuration  de  1686  à  Nîmes,  texte  complet  d'après 
le  registre  secret  du  Présidial  (8  p.  in-8'',  Nîmes  1883).  —  Abjura- 
tion de  Mlle  Elisabeth  Henriette  Zorn  de  Bulach,  17^5,  discours 
prononcé  par  le  Cardinal  de  Rohan  (Revue  d'Alsace,  octobre  dé- 
cembre 1883). 

V.  VARIA.  — La  Nuova  Antologia  (Rome,  15  septembre  1883) 
renferme  un  parallèle  entre  Marsile  de  Padoue  et  Martin  Luther 
par  P.  Labanca;  on  y  trouve  cités,  sur  ce  précurseur  qui  professa 
à  l'Université  de  Paris,  fut  excommunié  par  le  pape  Jean  XXII,  et 
lui  opposa  l'antipape  Nicolas  V,  les  ouvrages  suivants  :  Labanca, 
Marsile  de  Padoue,  réformateur  politique  et  religieux  du 
xiW  siècle,  (Padoue  1882  en  italien)  ;  RiEZLER,Les  adversaires  lit- 
téraires des  papes  à  Vépoque  de  Louis  de  Bavière  (Leipzig  1874); 
C.  MuLLER,  La  lutte  de  Louis  de  Bavière  avec  la  curie  romaine, 
(Tubingue  4879);  Breger,  Les  commencements  de  la  lutte  ecclé- 
siastique et  politique.  Municb  1882  (les  trois  en  langue  alle- 
mande). 

Parmi  les  documents  livrés  aux  enchères  dans  lee  dernières 
ventes  d'autographes  à  Paris,  on  relève  : 

Hotnian,  Sancerre  1"  septembre  1570,  au  jurisconsulte  Render, 
lui  exposant  ses  inquiétudes  et  lui  annonçant  qu'il  va  abandonner  la 
France  pour  retourner  en  Allemagne,  car  les  alternatives  de  paix 
et  de  guerre  lui  semblent  intolérables  (vente  Eug.Charavay,28  avril) 
—  Henri  ///à  Villeroy,  Lyon,  septembre  1586,  «  Une  ambassade  des 
princes  protestants  d'Allemagne  l'attend  à  Paris;  il  ne  veut  pas 
leur  répondre  de  sa  bouche;  que  le  chancelier  les  reçoive;  s'il  est 
mis  en  leur  présence  il  se  fâchera  et  les  fâchera  (ce  qui  arriva  à 
Saint-Germain  le  12  octobre);  —  Mayenne,  15  novembre  1587, 
approbation  de  la  proposition  qui  lui  est  faite  de  donner  au  chapitre 
de  l'église  cathédrale  de  Notre-Dame  de  Rouen  la  somme  de 
3,000  escus  à  prendre  sur  la  vente  des  immeubles  des  hérétiques  de 
la  ville  de  Dieppe  (vente  Eug.  Charavay,  2  avril);  Marguerite  de 
Valois  au  roi,  Nérac  24  septembre  1579,  appuyant  la  demande 
que  font  les  habitants  de  Montauban  de  fonder  un  collège  pour 
l'instruction  de  la  jeunesse  (vente  Etienne  Charavay,  3  mai); — Sully, 
à  M.  de  la  Force,  Paris  4  août  1609,  «  il  faut  prouver  à  nos  voisins 
et  envieux  que  nous  avons  maintenant  un  roy  et  un  roiaume  qui  ne 


40  CHRONIQUE. 

sont  (le  qualité  pour  estre  méprisés  ni  i;oiirman(Iés.  »  (vente  Eug-, 
Cliaravay,  10  mai). 

N.  B,  Nous  tenons  à  signaler  le  premier  numéro  d'un  important 
recueil,  le  Bulletin  de  la  commission  pour  l'histoire  des  Églises 
wallonnes,  brochure  gr.  in-8°  de  96  paires,  où  l'on  remarque  un 
avant-propos  du  secrétaire  M.  W.  N.  Du  Rieu,  une  étude  magistrale 
de  M.  le  pasteur  Gagnebin  sur  les  Églises  wallonnes  avant  et  après 
la  Uévocalion,  nii  article  sur  Lambert  Daneau  à  Leyde,  avec  une  vue 
du  temple  wallon  de  cette  ville  (1581-1582).  Ce  recueil,  rédigé  par 
les  écrivains  les  plus  r^ompétents,  doit  contenir  des  articles  d'his- 
toire politique  et  religieuse,  des  notices  biographiques  et  généa- 
logiques, de  nombreux  documents  puisés  dans  les  archives  locales, 
un  questionnaire,  et  une  infinie  variété  de  détails  relatifs  à  l'histoire 
du  Refuge.  Nous  saluons  de  tout  cœur  le  nouveau  Bulletin,  (jui 
sera  le  meilleur  complément  du  nôtre. 


CHRONIQUE 


RÉPONSE  A  UN  ARTICLE  DE  M.  EMILE  DOUMERGUE 

J'eus  le  regret,  il  y  a  quelques  années,  de  ne  pouvoir  souscrire  à 
la  thèse  développée  par  un  jeune  professeur  de  Montauban  dans 
une  solennité  académique'  {Bull.,  t.  XXXI,  p.  3.) 

Pourquoi  suis-je  appelé  à  formuler  de  nouvelles  critiques,  à  pro- 
pos d'une  lettre  du  même  auteur  contenant  des  assertions  aussi 
erronées  que  peu  réfléchies  sur  une  édition  récente  d'un  livre  de 
Th.  deBèze? 

Mais  il  faut  laisser  parler  l'honorable  professeur  dans  son  langage 
provocant  : 

1.  La  Réforme  française  d'après  leshistoriens  et  d'après  l'histoire.  Discours 
prononcé  h  l'oiivorturo  do  l'année  scolairo  dans  la  Faculté  de  Montauban,  le 
1G  novcnibie  I8S0,  par  E,  Poumerguc,  professeur, 


CHRONIQUE.  41 

•  «  Qui  le  croirait,  s'écrie-t-il,  pour  faire  à  nos  Eglises  ce  magni- 
fique cadeau  (un  Grespin  bien  imprimé  et  bien  annoté  pour 
25  francs)  la  Société  de  Toulouse  a  dû  montrer  une  certaine  obstina- 
tion etrésisler  à  des  conseils  singuliers  mais  pressants.  On  regret- 
tait qu'elle  eût  déjà  imprimé  une  Histoire  ecclésiastique  de  Th. 
de  Bèze,  et  on  la  suppliait  de  ne  pas  commettre  faute  sur  faute  en 
imprimant  le  Martyrologe^.  » 

Il  s'est  trouvé  en  effet  quelques  esprits  chagrins  (et  je  suis  du 
nombre)  pour  estimer  que  l'excellente  Société  des  livres  religieux 
de  Toulouse,  qui  nous  a  rendu  tant  d'autres  services,  n'avait  peut- 
être  pas  toutes  les  qualités  requises  pour  nous  donner  un  Grespin, 
ni  même  un  Bèze,  et  je  le  lui  ai  dit  avec  tous  les  égards  possibles 
{Bull.,  t.  XXXII,  p.  3'27).  Il  paraît  que  je  n'ai  pas  été  seul  à  le  lui 
dire;  faut-il  s'en  étonner? 

Mais  j'ai  hâte  de  rendre  la  parole  à  M.  Doumergue  : 

«  Vraiment,  oui,  dans  les  classiques  du  Protestantisme  a  paru  le 
premier  volume  d'un  Th.  de  Bèze  magnifiquement  imprimé  et  admi- 
rablement annoté.  Les  éditeurs  se  proposent  de  publier  un  Grespin 
dans  les  mêmes  conditions.  La  Société  de  Toulouse  ne  fait  pas  aussi 
bien  ;  elle  se  borne  donc  à  gêner  la  vente,  le  splendide  succès  de 
la  collection  des  classiques;  n  est-ce  pas  lamentable?  » 

C'est  sur  ce  ton  dégagé  que  M,  Doumergue,  s'ingérant  dans  une 
question  des  plus  délicates,  apprécie  les  légitimes  revendications  et 
les  justes  réserves  de  la  Société  des  classiques  du  Protestantisme. 
Ignore-t-il  donc  que  bien  avant  que  la  Société  de  Toulouse  eût 
songé  à  célébrer  ses  noces  d'or  par  une  réimpression  de  VHisloire 
ecclésiastique  de  Th.  de  Bèze,  la  Société  des  classiques  protestants 
avait  annoncé  ce  dessein  et  s'était  môme  constituée  pour  cet  objets 
C'est  ce  qu'attestent  les  procès-verbaux  de  la  Société  de  l'histoire 
du  Protestantisme  français  dont  le  Comité  des  classiques  ne  fut  à 

1.  Lettre  de  Montauban,  dans  le  Christianisme  au  xix^  siècle  du  li  décembre 
1883. 

2.  Séance  du  12  février  1878.  M.  le  président  présente  le  Prospectus  d'un 
projet  de  publication  des  classiques  protestants  sous  les  auspices  de  la  Société 
de  riiistoire  du  Protestantisme  français... 

Séance  du  12  mars.  —  Le  président  rend  compte  de  la  première  séance  du 
Comité  des  classiques  du  Protestantisme  français,  qui  se  propose  de  commencer 
ses  publications  par  la  réimpression  de  l'Histoire  ecclésiastique  de  Th.  do 
Bèze,  sur  l'exemplaire  annoté  par  M.  Baum  et  revu  par  H.  Cunitz,  etc.. 


i2  CHRONIQUE. 

rorii,'ine  qu'une  émanation  ^  C'est  ce  que  rappelait  le  président  de 
notre  Société,  dans  la  séance  annuelle  du  20  mai  1878,  en  ces 
termes  : 

«  Et  Th.  de  Bèze,  et  VHistoire  ecclésiastique  depuis  trop  long- 
temps accessible  à  un  si  petit  nombre  de  lecteurs...  Nous  voici 
ramenés  au  vœu  reproduit  dans  chacune  de  nos  assemblées  an- 
nuelles. Mais  ce  n'est  plus  un  vœu,  cest  une  espérance  qui  devien- 
dra une  réalité.  Un  Comité  spécial  de  seize  membres  s'est  formé 
sous  les  auspices  de  la  Société;  huit  ont  été  pris  dans  son  sein,  huit 
en  dehors  de  ses  ranys.  Consulté  sur  toute  publication  nouvelle,  le 
Comité  choisira  de  plus'chaque  fois,  comme  cela  a  lieu  pour  les  pu- 
blications de  la  Société  de  l'histoire  de  France,  un  commissaire 
responsable  chargé  expressément  de  la  représenter.  Le  premier 
commissaire  désigné  est  notre  secrétaire  M.  Jules  Bonnet;  le  pre- 
mier ouvrage  est  celui  que  le  Bulletin  signalait  il  y  a  vingt-cinq 
ans  à  l'attention  des  Protestants  (Bull.,  t.  II,  219)  VHistoire  ecclé- 
siastique annotée  par  M.  Baum.  Nous  espérons  que  M.  Cunitz  le 
revisera  et  le  complotera  avec  la  science  qui  nous  est  connue.  Les 
noms  des  savants  éditeurs  des  Opéra  Calvini  et  des  Lettres  fran- 
çaises du  grand  réformateur  sont  une  garantie  qui  nous  dispense 
d'insister  sur  la  portée  de  cet  événement  littéraire  et  religieux.  » 
(6?a//.,  t.  XXVII,  p.  251.) 

A  cette  annonce  revêtant  une  sorte  de  solennité,  notre  président 
ajoutait  qu'il  espérait  montrer  à  la  prochaine  assemblée  les  premiers 
chapitres  de  la  réimpression  de  Th.  de  Bèze.  Il  renouvelait  cette 
déclaration,  le  24  avril  de  l'année  suivante.  «  D'autres  publications, 
disait-il,  depuis  longtemps  réclamées,  n'ont  point  cessé  de  nous  pré- 
occuper. Bientôt  nous  parlerons  de  nouveau  des  classiques  du 
Protestantisme  i'rançais,  de  la  réimpression  si  désirée  de  VHistoire 
ecclésiastique  de  Bèze.  »  (Bull.,  t.  XXVIII,  p.  200),  Mais  n'en  ai-je 
pas  dit  assez  pour  montrer  à  quel  point  ce  projet  était  sérieux  et 
digne  do  toute  considération,  malgré  d'inévitables  retards?  Après 

1.  J'ai  sous  les  yeux  son  prospectus  tiré  à  "lOUO  exemplaires,  avec  la  liste  de 
SCS  membres:  MM.  Alfred  Andrr,  Bersicr,  IJordier,  Delaborde,  Maurice  Cottier, 
r.aifTe,  Franklin,  etc..  et  un  bulletin  de  souscription  pour  VHistoire  ecdésias- 
iujue.  (Février  1878).  Le  projet  fut  acceuilli  avec  faveur  par  tous  les  journaux 
protestants,  y  compris  le  Christianisme  a u'xw  siècle  alors  rédigé  par  M.  Dou- 
mergue;  N"^  du  2*2  mars  et  du  ;{!  mai  1878. 


CHRONIQUE.  43 

quelques  hésitations  portant  sur  la  méthode  à  suivre  et  sur  la  forme 
à  donner  an  contrôle  que  devrait  exercer  le  Comité  de  Paris, 
M.  Cunilz  se  mettait  résolument  à  l'œuvre,  et  l'activité  bien  connue  de 
l'éditeur  des  classiques,  M.  Fischbacher,  nous  garantissait  un  plein 
succès,  quand  parut  un  point  noir  à  l'horizon.  Vers  la  fin  de  1879, 
la  Société  de  Toulouse  démasqua  pour  la  première  fois  son  dessein. 

Je  le  demande  ici  à  tout  esprit  non  prévenu  :  pouvait-elle  arguer 
de  son  ignorance?  Dès  le  premier  mot  d'une  conversation  sur  ce 
sujet  *,  je  déclarai  à  M.  le  pasteur  Vesson  que  la  Société  des  clas- 
siques avait  entrepris  la  publication  du  livre  de  Bèze,  et  qu'elle 
possédait  à  cet  égard  un  droit  d'antériorité  qni  ne  pouvait  être 
méconnu.  Je  le  suppliai  de  chercher  dans  le  vaste  champ  de  notre 
littérature  protestante  un  autre  ouvrage  (on  n'avait  que  l'embarras 
du  choix  !)  dont  la  Société  de  Toulouse  pourrait  faire  le  don  de 
joyeux  avènement  de  son  cinquantième  anniversaire.  J'insistai  sur 
les  inconvénients  d'une  concurrence  désastreuse,  sur  le  tort  d'un 
procédé  peu  fraternel  venant  s'ajouter  à  un  dommage  d'une  autre 
nature.  M.  Vesson  répondit  en  termes  évasifs.  Sans  s'expliquer 
autrement,  il  contesta  notre  droit  qui,  dit-il,  ne  s'était  manifesté 
par  aucun  commencement  d'exécution,  comme  si  la  formation  d'un 
Comité,  l'appel  adressé  à  M.  Cunitz,  et  un  prospectus  répandu  à 
5000  exemplaires  n'étaient  pas  une  suffisante  prise  de  possession 
de  l'ouvrage  de  Th.  de  Bèze! 

Je  ne  puis  me  défendre  ici  d'une  pénible  réflexion.  Il  est  dans  le 
monde  des  lettres  un  usage  qui,  pour  n'avoir  pas  force  de  loi,  n'en 
est  pas  moins  un  pur  hommage  aux  droits  de  l'esprit.  Lorsqu'un 
auteur  ou  un  éditeur  de  quelque  renom  a  fait  connaître  par  un 
prospectus,  ou  autrement,  son  intention  de  publier  un  ouvrage  nou- 
veau ou  même  de  réimprimer  un  livre  ancien  qu'il  s'est  pour  ainsi 
dire  approprié  par  de  sérieux  labeurs  et  de  réels  sacrifices,  la  con- 
currence elle-même  désarme  et  s'incline  devant  un  droit  antérieur. 
Dans  ma  modeste  carrière  d'écrivain,  j'en  ai  fait  plus  d'une  fois 
moi-même  l'heureuse  expérience.  Ne  pouvait-elle  se  renouveler  au 
profit  des  classiques?  Devions-nous  rencontrer  moins  d'égards  à 
Toulouse  qu'à  Paris,  ou  même  à  l'étranger,  dans  un  Comité  reli- 
gieux digne  de  tous  nos  respects,  que  dans  un  monde   régi  par  de 

1.  Au  Synode  officieux  de  Paris,  vers  la  fin  de  novembre  1879. 


44  CHRONIQUE. 

tout  autres  mobilos?  La  dure  loi  de  la  concurrence  nous  a  été  appli- 
quée sans  merci  par  des  frères! 

Ce  serait  une  triste  histoire  que  celle  des  négociations  poursui- 
vies par  l'éditeur  de  Paris  se  montrant  prêt  à  toutes  les  concessions, 
allant  même  jusqu'à  oiïrir  aux  éditeurs  toulousains  nne  coopération 
fraternelle  qui  eût  permis  d'abaisser  les  prix  et  de  réaliser  une  édi- 
tion à  la  fois  savante  et  populaire,  dans  le  vrai  sens  du  mot,  et  se 
heurtant  à  un  parti  pris  aussi  affligeant  qu'obstiné  *.  Je  n'ai  nul 
goût  à  ressusciter  des  souvenirs  pénibles  pour  tous.  Mais  je  re- 
trouve ici  l'apologiste  de  Toulouse  avec  ses  assertions  tranchantes 
qui  appellent  une  deiTîière  réponse  : 

«  On  n'a  oublié,  ce  me  semble,  d'insister  que  sur  un  point  :  Le 
Bèze  de  Toulouse  a  coûté  dix  francs-,  et  le  Bèze  de  Paris  en 
coûtera  soixante.  »  M.  Doumergue  oublie  à  son  tour  que  ce  prix 
eût  pu  être  réduit  de  moitié,  sans  la  déplorable  ingérence  du 
Comité  de  Toulouse  divisant  le  public  (déjà  si  restreint  !  )  suscep- 
tible de  s'intéresser  à  de  telles  publications ^  Et  puis,  n'y  at-il  donc 
ici  qu'une  question  de  chiffres?  La  science,  la  critique,  le  goût 
n'ont- ils  pas  voix  au  chapitre?  Se  croit-on  le  droit  d'infliger  au 
public  sérieux,  sous  prétexte  d'économie,  une  médiocre  édition  qui 
n'indique  pas  même  la  part  de  Th.  de  Bèze  dans  le  texte  original 
de  1580,  et  dont  les  notes  trahissent  une  singulière  inexpérience? 
Ce  mot  magique  dix  francs  I  répondrait-il  à  tout,  comme  le  sans 
dot  de  Molière  ? 

«  Qui  ne  voit,  poursuit  avec  une  imperturbable  assurance  l'auteur 
de  la  lettre  de  Montauban,  qu'il  y  a  là  deux  buts  distincts  ?  Toulouse 

t.  Dossier  Fisclibaclier  (Lettres  de  février,  mars  et  avril  1880).  J'écrivis  moi- 
même  à  M.  Vesson,  sans  plus  de  succès,  le  17  avril  de  la  même  année  :  (.  Il 
me  semble  impossible,  lui  disais-je,  de  ne  pas  tenir  compte  de  cette  circons- 
tance que  le  projeta  été  annoncé,  il  y  a  deux  ans,  par  le  Comité  des  classiques 
protestants.  11  y  a  là  une  question  de  délicatesse  que  nos  amis  de  Toulouse  no 
sauraient  résoudre  autrement  que  nous.  »  Je  n'obtins  en  réponse  que  de  pures 
arguties.  Quelques  mois  plus  tard  la  Société  de  Toulouse  lançait  son  prospectus 
(Chrislianisme  au  .\i.\"  siècle  du  30  juillet  188U).  llien  donc  do  plus  légitime 
que  la  jdainte  déposée  dans  les  procès-verbaux  de  notre  Société  et  reproduite 
{DuU.  t.  XXIX,  p.  57r)).  Je  corrige  ici  une  erreur  de  renvoi  dans  le  Bulletin  de 
juillet  dernier  (p.  3iJ0,  1.  10). 

2.  C'est  (/oujfi  et  non  pas  dix  qu'il  faut  dire;  aujourd'liui  20. 

3.  Le  prix  indiqué  sur  le  i)rospectus  primitif  est  de  12  fr.  50  le  volume;  10  francs 
pour  les  souscriiiteurs. 


CHRONIQUE.  45 

publie  une  édition  populaire  et  à  bon  marché;  Paris  publie  une 
édition  scientifique  qui  se  trouve  être  en  même  temps  une  édi- 
tion de  grand  luxe.  Cela  ne  s'adresse  donc  pas  au  même  public... 
Surtout  il  ne  faut  pas  poser  à  tout  acheteur  cette  condition  préa- 
lable d'être  un  banquier  ou  un  Crésus  »  (sic).  Pures  exagérations 
qui  ne  résistent  pas  au  plus  léger  examen.  L'édition  de  Paris 
n'était  point  dans  la  pensée  de  ses  auteurs  une  édition  de  luxe, 
ainsi  que  je  l'ai  montré  plus  haut  par  des  chiffres.  Elle  l'est  forcé- 
ment devenue  par  l'opposition  peu  intelligente  qu'elle  a  rencontrée. 
On  peut  dire  sans  exagération  qu'en  dotant  le  public  d'une  édition 
au  rabais,  la  Société  de  Toulouse  l'a  frustre  de  la  belle  et  bonne 
édition  qui,  par  la  modicité  du  prix,  eût  trouvé  place  dans  toutes 
les  bibliothèques. 

Il  faut  cependant  s'expliquer  sur  un  mot  dont  on  a  singulièrement 
abusé  dans  les  discussions  relatives  à  Bèze  et  à  Crespin.  L'illusion 
est  de  croire  que  de  tels  recueils  puissent  être  w&iment  populaires, 
et  de  sacrifier  à  une  pure  fiction  des  intérêts  d'un  ordre  supérieur. 
Qui  lit  aujourd'hui  VHistoire  ecclésiastique  de  Th.  de  Bèze,  hors 
les  savants  appelés  à  s'en  servir,  et  les  esprits  peu  nombreux 
qu'une  culture  spéciale  a  rendus  capables  d'apprécier  les  textes 
originaux  ?  Qui  pourrait  lire  dans  le  Martyrologe  ces  longs  inter- 
rogatoires se  déroulant  devant  des  juridictions  si  diverses,  ces 
interminables  controverses  théologiques  si  goûtées  de  nos  pères, 
mais  qui  n'excitent  de  nos  jours,  à  tort  ou  à  raison,  qu'un  faible 
intérêt?  L'historien  y  trouve  d'admirables  documents  qui  deviennent 
la  trame  de  ses  récits  et  se  popularisent  en  se  transformant.  Des 
sommets  un  peu  froids  de  l'érudition  coule  ainsi  par  mille  canaux, 
•dans  les  travaux  qu'elle  produit,  l'édification  que  reçoivent  des 
milliers  de  lecteurs  sans  avoir  besoin  de  remonter  à  la  source. 

Mais  je  dois  conclure,  et  non  sans  tristesse  :  s'il  est  une  chose  évi- 
dente de  soi,  c'est  qu'il  n'y  a  pas  place  pour  deux  éditions  de 
certains  ouvrages  sur  notre  marché  si  réduit;  que  l'une  tuera 
l'autre,  et  que  l'édition  savante  est  celle  qui  a  le  moins  de  chance  de 
vivre.  Le  mot  ^'émulation  appliqué  par  la  Société  de  Toulouse  à 
une  situation  pareille,  n'est  qu'un  non-sens  ou  une  ironie.  Deux 
fois  l'occasion  s'est  offerte  de  grouper  les  forces  vives  du  Protestan- 
tisme français,  la  Province  et  Paris,  autour  de  la  réimpression  de 
deux  des  œuvres  les  plus  remarquables  de  la  Réforme  française  au 


46  CHRONIQUE. 

XVI''  siècle;  deux  fois  ce  noble  espoir  a  été  déçu.  Deux  fois  aussi 
une  voix  s'est  élevée  pour  préconiser,  au  détriment  de  l'édition 
scientifique,  l'édition  au  rabais  quant  au  texte  et  quant  aux  notes. 
Cette  voix  est  celle  de  l'honorable  professeur  d'histoire  ecélésias- 
liquede  Montauban.  Je  ne  saurais  l'en  féliciter  !       Jules  Bonnet. 


FETE  DE  ZWINGLI 

Après  le  quatrième  anniversaire  séculaire  de  Luther,  celui 
d'Ulrich  Zwingli,  néle  1"  janvier  1484,  dans  un  village  du  Tocken- 
bourg.  Rien  de  plus  humble  que  les  commencements  de  celui  qui 
fut  le  réformateur  de  la  Suisse  orientale,  et  dont  le  nom  s'est  glo- 
rieusement inscrit  entre  ceux  de  Luther  et  de  Calvin.  Comme 
Luther  il  tonne  contre  les  indulgences  et  prêche  le  salut  gratuit; 
comme  Calvin  il  adresse  un  éloquent  appel  à  François  1"  dans  le 
livre  :  De  vera  et  falsa  religione,  qui  demeure  malheureusement 
sans  écho.  La  querelle  sacramentaire  n'altère  ni  la  sérénité  de 
son  esprit  ni  la  générosité  de  son  cœur  ouvert  aux  plus  nobles  ins- 
pirations du  patriote  et  du  croyant.  Sa  mort  sur  le  champ  de 
bataille  de  Cappel  (\  l  octobre  1531)  est  un  deuil  pour  la  Réforme 
tout  entière.  La  fêle  de  Zwingli  a  été  célébrée  le  0  janvier,  avec  un 
grand  éclat,  à  Zurich  et  dans  les  principales  villes  de  la  Suisse.  La 
France  n'y  est  pas  demeurée  étrangère.  Des  notices  ont  été  consa- 
crées au  grand  Helvétien  dans  nos  divers  journaux  protestants  ; 
sa  vie  a  été  rappelé  dans  nos  chaires,  et  a  fourni  la  matière  d'un 
éloquent  discours  à  M.  le  pasteur  Viguié  au  temple  de  l'Oratoire. 


SEANCES  DU  COMITE 

EXTRAITS  DES  PROCÈS-VERBAUX 


Séance  du  8  mai  1883. 

Présidence  de  M.  le  J)aron  V.  de  SchicUlcr. 

Lo  secrélairc  odVe  à  ses  collùi^uos  un  cxcmpliiiro  du  liragc  à  part  de 
l'arliclo  sur  /wV/à-r  l{icltie)\t]m  ;\  prodiiil  le  meilleur  oITet  à  Itar-lo-Duc 
et  à  Nancy. 


PROCÈS  VERBAUX.  47 

.  11  donne  ensuite  lecture  de  deux  lettres,  l'une  de  M.  le  pasteur 
Eug.  Arnaud,  l'autre  de  M.  le  pasteur  Daniel  Benoît,  remerciant  le 
Comité  du  prix  qui  leur  a  été  décerné. 

M.  Douen  demande  où  en  est  la  Table  générale  du  Bulletin  déjà 
plusieurs  fois  annoncée;  une  conversation  s'engage  à  ce  sujet,  et  le 
Comité  se  déclare  prêt  à  tous  les  sacrifices  pour  assurer  le  prompt 
achèvement  du  travail  confié  aux  soins  éclairés  de  M.  AYeiss. 

Bulletin.  —  Enumération  des  morceaux  contenus  dans  le  prochain 
numéro.  Une  précieuse  correspondance  du  pasteur- martyr  Pierre 
Durand  nous  est  signalée  par  M.  Ch.  Sagnier  et  sera  transcrite  dans 
les  papiers  d'Antoine  Court  à  Cenève. 

Bibliothèque.  —  Nouveau  don  à  signaler  de  Mme  de  Neuflize,  notre 
généreuse  amie. 

Le  secrétaire  présente  une  très  belle  copie  du  Catalogue  des  Archives 
du  Consistoire  de  Nîmes,  faite  par  les  soins  de  M.  le  pasteur  Cazalet, 
pour  nous  être  offerte  au  nom  du  Consistoire. 

Le  Comité  vivement  touché  de  cet  hommage  prie  le  secrétaire  de  se 
rendre  l'interprète  de  sa  reconnaissance  pour  ce  précieux  envoi. 

Correspondance.  —  M.  le  pasteur  Maillard  transmet  quelques  extraits 
relatifs  à  trois  prédicants  de  l'église  de  Mouchamps  (Vendée"»  avec 
quelques  fragments  de  ses  registres. 

M.  Charruaud  ofïre  une  pièce  intéressante  sur  une  inhumation  faite 
en  Poitou,  aux  termes  de  l'article  XIII  de  la  loi  de  1736. 

M.  L.  de  Uichcmond  communique  une  lettre  de  M.  John  Jay,  ancien 
ministre  plénipotentiaire  des  Etats-Unis  d'Amérique  demandant  des 
renseignements  sur  un  de  ses  ancêtres. 

Nouvelle  liste  de  suspects  dans  les  Cévennes,  transmise  par  M.  Teis- 
sicr  d'Aulas,  pour  faire  suite  à  celles  déjà  publiées  dans  le  Bulletin. 

Séance  du  \3juin  1883. 

Présidence  de  M.  le  baron  F.  de  Schickler. 

Bulletin.  —  Le  secrétaire  donne  lecture  de  divers  fragments  des 
lettres  inédites  de  Paul  Rabaut  à  Antoine  Court  dont  le  Comité  ne  peut 
qu'encourager  la  publication. 

Bibliothèque.  —  On  a  reçu  de  M.  Larnac  une  collection  de  rapports 
sur  la  reconstitution  de  l'état  civil  pour  les  églises  protestantes  après  1870. 

De  M.  de  Schickler  une  trentaine  d'inventaires  de  nos  archives  dépar- 
tementales, aussi  précieux  à  consulter  que  difficiles  à  se  procurer,  ainsi 
'  que  les  catalogues  de  Bibliothèques  d'Ulysse  Robert. 

Ouelques  opuscules  très  rares  ont  été  acquis  à  une  vente  réccnle  : 
Considérations  de  Louis  Leroy  (Regius),  1570.  Vie  de  Dusson  (fr.),  I(i77. 
La  France  intéressée  au  rétablissement  de  l'Edit  de  Nantes,  in-l!2,  IGOO. 
Un  cxem])]a.ive  de  VInstiliition  chrétienne  de  Calvin,  manuscrit  du  tenips. 

Mais  on  doit  surtout  mentionner  un  rarissime  volume,  les  deux  traités 
de  Michel  Servet  :  De  Trinitatis  errorlbus  (1532-1533)  acquis  à  la  vente 
de  la  librairie  de  Blenheim  par  la  généreuse  initiative  de  notre  prési- 
dent. 

M.  le  pasteur  Bersier  adresse  à  M.  Ch.  Readunc  question  sur  Sandras 
de  Courtils,  auteur  d'une  biographie  de  Coligny,  qui  ne  mérite  gn^"»e 
confiance  très  limitée.  Originaire  de  Montargis,  il  a  pu  recueillir  à  Chà- 
tillon-sur-i>oing  quebiues  faits  nouveaux  noyés  dans  une  rhétorique  qui 
tient  plus  du  roman  (|ue  de  l'histoire. 


NÉCROLOGIE 


M.  HENRI  MARTIN.  —  M.  LE  PASTEUR  VAURIGAUD 

Le  ii  décembre  dernier  a  été  marqué  par  un  grand  deuil  pour  les 
lettres  et  pour  la  patrie,  la  mort  de  M.  Henri  Martin  enlevé,  à  l'âge  de 
soixante-treize  ans,  .x^i  Sénat,  à  deux  sections  de  l'Institut  et  à  la  science 
historiijue  dont  il  était  un  des  plus  illustres  représentants.  Né  à  Saint- 
Quentin,  en  1810,  il  s'occupa  de  bonne  heure,  avec  une  passion  persé- 
vérante, d'études  sur  l'histoire  nationale  à  laquelle  il  a  su  élever,  par 
un  livre  digne  du  sujet,  un  monument  durable.  Sans  avoir  la  hauteur 
de  vues  de  Guizot,  la  merveilleuse  intelligence  de  Thiers,  ni  les  intui- 
tions de  génie  de  Michelet,  il  unit  au  plus  vaste  savoir  une  raison  ferme, 
un  esprit  généreux,  et  l'ardeur  de  son  patriotisme  ne  nuit  |)as  à  l'impar- 
tialité de  ses  jugements.  On  ne  pourrait  dire  qu'il  ait  bien  compris  la 
Réforme,  quoi  qu'il  ait  noblement  parlé  de  ses  héros  et  de  ses  martyrs. 
Détaché  du  catholicisme,  comme  tant  de  nos  contemporains,  sans  se 
rattacher  à  aucun  symbole  j)articulier,  Henri  Martin  fut  un  spiritualiste 
fervent,  et  c'est  au  Protestantisme  libéral  qu'il  a  demandé  les  paroles 
d'immortalité  prononcées  sur  sa  tombe. 

A  ce  deuil  de  la  patrie  se  joint  un  deuil  de  notre  Église  qui  vient  de 
perdre  un  de  ses  meilleurs  llls,  M.  le  pasteur  Vaui'i^^-aud  décédé,  le 
23  décembre  dernier,  à  l'âge  de  soixante  cin({  ans,  après  une  longue  et 
douloureuse  maladie.  L'Église  réformée  de  Nantes  n'oubliera  pas  les 
services  qu'il  lui  rendit  dans  un  ministère  de  plus  de  trente  années;  elle 
honorera  en  lui  son  hislorien.  M.  Vuurigaud  a  retracé  dans  un  ouvrage 
digne  des  Ijénédiclins  les  destinées  du  l'rotestanlismc  dans  la  province 
la  plus  catholique  de  la  monarchie,  et  il  a  pu  compléter  ce  travail  par 
une  excellenle  monographie  de  l'Église  dont  il  fut  si  longtemps  pasteur. 
{Bull.,  t.  .\.\I,  p.  51 7, et  t.  XXIX,  p.  232).  Notre  Société  n'avait  pas  d'ami 
plus  aiuien,  jdus  dévoué;  elle  gardera  fidèlement  sa  mémoire. 

J.  B. 


Le  Gérant  :  Fisciidaciier. 


UouRLOTON,  Imprimeries  léimics,  B. 


SOCIÉTÉ  DE  L'HISTOIRE 

DU 

PROTESTANTISME    FRANÇAIS 


ÉTUDES  HISTORIQUES 


IMBERT  PECOLET 


Nulle  carrière  n'a  donné,  au  xvi'  siècle,  plus  d'adhérents  à 
la  Réforme  et  n'a  plus  elTicacement  contribué  à  la  répandre, 
que  celle  de  l'enseignement.  Les  portraits  des  professeurs  et 
régents  attachés  à  la  nouvelle  église  dès  la  première  heure,  si 
on  pouvait  les  réunir,  rempliraient  un  musée,  et  il  en  faudrait 
plusieurs  pour  contenir  ceux  de  leurs  élèves  gagnés  par  eux  à 
U  même  cause.  Les  collèges  furent  le  grand  véhicule  du  mou- 
vement rénovateur  qui  inaugura  les  temps  modernes,  et  c'était 
chose  naturelle  :  la  jeunesse  a  été  de  tout  temps  portée  aux 
nouveautés;  elle  est  l'agent  prédestiné  du  progrès,  et  le  pro- 
grès alors,  c'était  celui  des  études,  des  sciences,  de  l'art,  de  la 
liberté  de  conscience.  Le  premier  nom  que  la  Réforme  fran- 
çaise ait  inscrit  sur  son  livre  d'or  est  celui  d'un  professeur, 
Lefèvre  d'Etaples. 

Mais  si  ce  fut  une  bonne  fortune  pour  elle  de  s'implanter 
au  cœur  des  humanistes  et  de  s'exprimer  par  l'éloquence  de 

XXXIII.    —    4: 


50  I.MBERT   PÉCOLET. 

leur  plume  ou  de  leur  parole  aux  applaudissements  de  leurs 
disci})les,  ce  fut  aussi  l'une  des  causes  de  son  insuccès  dans 
notre  pays.  Les  idées  généreuses  du  jeune  âge  peuvent  n'être 
pas  plus  durables  en  religion  qu'en  politique,  et  la  foi  qui  n'est 
qu'un  savoir  résiste  mal  aux  épreuves  de  la  vie.  Les  médecins, 
les  magistrats,  les  ecclésiastiques  qui  avaient  l'ait  connaissance, 
à  l'Université,  avec  les  idées  luthériennes,  ne  se  crurent  pas 
tenus  d'y  rester  fidèles  et  de  braver  les  dangers  qu'elles  leur 
faisaient  courir.  La  bourgeoisie  française  eut  au  xvr  siècle 
une  de  ces  déf;\illances  qu'on  a  vu  se  renouveler  si  souvent 
dans  l'ordre  politique,  et  notamment  après  1789  et  1830;  elle 
ne  suivit  point  jusqu'au  bout  les  chefs  qu'elle  avait  acclamés. 
Nous  avons  vu  Baduel  soutenu  par  ses  Nîmois  jusqu'au  jour 
du  danger;  treize  ans  auparavant,  son  prédécesseur  avait  fait 
la  même  expérience  :  Imbert  Pécolet  avait  dû  renoncer  à 
poursuivre  pour  sa  part,  en  France,  la  restauration  du  j)ur 
évangile  par  les  écoles. 

Une  des  causes  de  cet  insuccès,  et  non  la  moindre,  est  l'ac- 
croissement du  pouvoir  royal  et  le  progrès  de  l'unité  fran- 
çaise. Si  les  provinces  avaient  été  plus  indépendantes  et  les 
seigneurs  plus  puissants,  la  réforme  aurait  pu  s'établir  vic- 
torieusement sur  bien  des  points  du  territoire.  Mais  le  roi, 
présent  partout  par  ses  fonctionnaires  de  tout  ordre  et,  en 
première  ligne,  par  ses  cours  de  parlement,  exerçait  sur  tous 
une  autorité  prépondérante.  Il  donna  à  l'église  le  moyen  de 
se  défendre  sur  tous  les  points  à  la  fois  contre  les  attaques, 
et,  tandis  que  celles-ci  restaient  isolées  et  intermittentes,  la 
répression  fut  générale  et  organisée.  11  en  résulta  bientôt 
dan?  le  public  un  sentiment  d'appréhension  et  de  crainte  qui 
paralysa  la  propagande  protestante  et  fit  reculer  les  timides. 
La  persévérance  supposait  au  plus  haut  degré  un  genre  de 
courage  rare  partout,  rare  notamment  en  France.  Sans  être 
sans  doute  mieux  doués  sous  ce  rapport,  les  protestants  des 
cantons  suisses  purent  se  montrer  plus  conséquents.  La  Ré- 
forme s'établit  sans  peine  et  sans  beaucoup  de  luttes  dans  les 


IMBEUT    PÉCOLET.  51 

petites  républiques  qui  l'avaient  adoptée  :  il  n'y  avait  là  ni 
pouvoir  royal,  ni  ibrte  centralisation,  ni  parlements  au  ser- 
vice du  clergé.  C'est  là  aussi  que  nos  pères  malheureux  purent 
trouver  un  refuge  providentiel. 

Une  très  intéressante  étude  duc  à  la  plume  de  M.  G.  Marvé- 
jol  sur  Imbert  Pécolet,  recteur  des  écoles  de  Nîmes  de  1530  à 
1535,  nous  semble  confirmer  et  illustrer  ces  vues.  Elle  a  paru 
dans  une  revue  locale  qui,  sous  le  titre  gracieux  de  Némausa^ 
s'est  vouée  à  recueillir  les  souvenirs  anciens  et  récents  de  la 
vieille  cité  nimoise.  Des  recherches  heureuses  dans  les  ar- 
chives municipales  ont  mis  l'auteur  en  mesure  de  rectifier  en 
les  complétant  les  récits  mis  en  circulation  par  l'historien 
Ménard.  M.  Marvéjol  commence  par  corriger  l'orthographe 
du  nom  de  son  héros  :  Paccolet  devient  Pécolet  pour  se  rap- 
procher des  étymologies  de  la  langue  d'Oc-,  car  il  était  du  midi 
de  la  France,  mais  on  ne  sait  de  quelle  ville;  peut-être  de  Bé- 
ziers,  où  M.  Herminjard  assure  qu'il  existait  une  famille  du 
nom  de  Pacolet.  On  ne  sait  rien  non  plus  de  la  date  de  sa  nais- 
sance. On  le  trouve  pour  la  première  fois  à  Nîmes,  en  sep- 
tembre 1530,  sollicitant  la  charge  de  principal  régent  des 
écoles  de  la  ville. 

Nous  avons  parlé  ailleurs  de  ces  écoles  dont  le  nom  d'une 
petite  rue  fixe  encore  l'emplacement  près  du  grand  Temple 

1.  Numéro  de  janvier  1883. 

2.  Un  seul  notaire  parmi  ceux  qui  ont  rédigé  les  documents  contemporains 
a  écrit  Paccolet  et  il  se  trouve  que  son  lapsus  a  fait  autorité.  Est-ce  un  lapsus 
après  tout,  et  la  tendance  commune  dans  les  pays  à  patois  de  ramener  les  noms 
propres  aux  consonnances  ordinaires,  n'a-t-elle  pas  pu  aussi  bien  faire  dévier 
l'ortliographe  primitive  du  nom?  Le  cicéronien  Baduel  n'a-t-il  pas  une  fois  lui- 
même  suivi  la  prononciation  courante  en  écrivant  Musenquan  au  lieu  de  Mau- 
sancal?  Il  devait  y  avoir  ainsi  pour  chaque  nom  une  forme  populaire  et  une 
forme  écrite;  le  hasard  faisait  prédominer  l'une  ou  l'autre.  Mais  n'insistons  pas, 
et  tenons-nous  en  à  Pécolet  plus  conforme  aux  manuscrits.  Les  écrivains  ulté- 
rieurs ont  presque  oublié  le  nom  pour  s'en  tenir  au  prénom  Imbert.  II  en  était 
ainsi  pour  la  plupart  des  régents  dont  les  noms  de  famille  répugnaient  à  la 
forme  latine.  Ceux  de  Nimes  s'appellent  Alexandre,  Charles,  Gilibert,  Jacques, 
Nicolas,  sans  qu'on  sache  toujours  à  (luelle  famille  les  rattacher. 


52  IMBERT  PÉCOLET. 

actuel,  à  l'ancien  hôpital  Sainte-Croix.  Elles  étaient  assez 
prospères  et  n'allaient  pas  tardera  se  développer  sous  l'habile 
direction  de  leur  nouveau  chef  et  sous  l'influence  de  la  Re- 
naissance. Leur  organisation  était  simple  :  un  recteur  ou 
premier  régent;  un  ou  deux  maîtres-adjoints  connus  sous  le. 
litre  de  coadjuteurs  ou  bacheliers  ;  deux  ou  trois  classes 
latines  plus  ou  moins  graduées.  Le  conseil  de  ville  représenté 
par  les  consuls  traitait  annuellement  avec  le  recteur,  lui  lais- 
sant le  soin  de  choisir  et  de  payer  ses  aides;  il  le  nommait 
lui-même  à  la  suite  d'une  déclamation  ou  thèse  publique  et 
le  présentait  ensuite  au  chanoine  chargé  de  la  direction  du 
chant  dans  la  cathédrale  sous  le  titre  de  précenteur  ou  de 
cabiscol  {caput  scholœ).  Quand  le  conseil  élevait  les  gages  du 
recteur,  il  lui  défendait  d'astreindre  à  des  collectes  ou  rétri- 
butions les  enfants  de  la  ville;  il  ne  les  abaissait  qu'en  lui 
rendant  la  faculté  de  s'indemniser  de  la  sorte.  Des  conflits 
s'élevaient  fréquemment  entre  les  consuls  et  le  précenteur  sur 
le  choix  du  professeur  à  nommer  et  chacun  des  deux  pouvoirs 
prétendait  réduire  l'autre  à  abdiquer  devant  lui  ;  mais  le  ca- 
biscol ne  manquait  jamais,  au  cours  de  la  cérémonie  d'inves- 
titure, de  proclamer  la  supériorité  et  lasuflisance  du  sien. 

Pécolet,  reconnu  «  ydoine  et  souffisant  »,  fut  ainsi  élu  rec- 
teur aux  gages  élevés  de  soixante-quinze  livres  par  an,  à 
charge  de  ne  rien  exiger  des  enfants  de  la  ville,  et  il  choisit 
pour  coadjuteur  Alexandre  x\ntoine,  recteur  avant  lui  et  des- 
tiné à  rester  longtemjjs  à  l'école  ou  au  collège  de  Nîmes.  Son 
enseignement  fut  goûté  et  son  administration  prospère.  Au 
bout  de  deux  ans  il  dut  s'adjoindre  un  second  bachelier,  et, 
deux  ans  plus  tard  encore,  il  se  crut  en  mesure  d'ériger 
l'école  en  collège  :  il  en  fit  la  proposition  au  conseil  extraor- 
dinaire, en  présence  du  viguier  royal,  le  12  juillet  1531. 

«  Le  plan  était  des  plus  simples,  dit  M.  Marvéjol.  On  se 
serait  d'abord  contenté  de  (rois  classes  correspondant  aux 
divers  degrés  d'instruction  des  écoliers,  «  l'une  pour  ceulx 
qui  commenceront,  l'autre  pour  les  médiocres  et  la  tierce 


IMBERT   rÉCOLET,  53 

pour  les  parfaitz.  »  Les  après-dînées  auraient  été  consacrées 
aux  répétitions;  les  maîtres  se  seraient  chargés  de  prendre 
les  écoliers  à  la  pension  et  les  auraient  traités  en  commen- 
saux... Pécolet  fondait  les  plus  grandes  espérances  sur  cette 
future  organisation  et  il  faisait  ressortir  tous  les  avantages 
qu'en  devaient  retirer  les  enfants  obligés  de  vivre  et  de  tra- 
vailler sous  l'œil  du  maître,  astreints  à  parler  constamment 
latin.  Du  reste,  il  n'exigeait  pour  cela  aucune  augmentation 
de  gages;  il  demandait  seulement  qu'on  lui  assurât  la  place 
de  régent  pour  trois  années  consécutives  et  que  la  ville  fît 
réparer  et  agrandir  le  local  de  l'École.  » 

L'organisation  d'un  internat  dans  la  famille  du  principal 
était  alors  le  trait  caractéristique  de  l'érection  d'une  école 
en  collège,  et  l'avantage  qui  en  résultait  pour  les  études  par 
l'habitude  de  parler  constamment  latin  se  doublait  nécessai- 
rement de  l'avantage  du  nombre;  les  familles  étrangères  à  la 
ville  pouvaient  y  envoyer  leurs  enfants  dans  des  conditions 
favorables,  garanties  en  quelque  sorte  par  la  municipalité. 

Le  plan  de  Pécolet  ne  reçut  pourtant  pas  d'exécution  : 
l'Ecole  ne  lui  fut  remise  que  pour  un  an,  aux  mêmes  termes 
que  la  précédente  année;  mais  son  zèle  pour  la  prospérité  de 
l'Etablissement  ne  fit  que  redoubler  et  le  nombre  des  élèves 
augmenta  tellement  qu'il  fallut  se  décider  à  agrandir  le  local 
et  y  construire  au  premier  étage  un  vaste  auditoire  où  l'on 
plaça  de  nouveaux  régents. 

Ces  régents  venaient,  paraît-il,  de  provinces  éloignées.  Les 
plus  savants  de  ceux  qui  se  présentèrent  étaient  Antoine  Janin 
et  Benoît  Cosme.  Nous  ne  savons  si  le  Conseil  de  ville  fit  dès 
1535  une  faute  qu'il  devait  renouveler  en  1541  contre  Baduel 
et  s'il  eut  le  tort  de  ne  pas  subordonner  à  Pécolet  les  nouveaux 
venus,  ou  s'il  céda  à  des  considérations  d'un  autre  ordre.  La 
vérité  est  qu'il  entendit  «  les  lectures  et  disputations  »  des 
professeurs  qui  se  présentèrent  devant  lui  et  qu'il  finit  par 
donner  la  charge  de  recteur  à  Benoît  Cosme,  aux  gages  de 
quatre-vingts  livres  par  an,  faisant  de  Janin  et  de  Pécolet  de 


54  IMBERT   PÉCOLET. 

simples  coadjiUcurs  payés  chacun  trente  livres.  Il  est  vrai 
qu'il  les  payait  directement  au  lieu  de  laisser  à  Cosme  le  soin 
de  les  rémunérer. 

Le  mieux  est  l'ennemi  du  bien,  nous  en  sommes  plus  assu- 
rés aujourd'hui  que  ne  pouvaient  l'être  nos  pères  au  sortir 
de  la  longue  enfance  du  moyen  âge.  L'éloquence  dans  la  dis- 
pute n'est  pas  toujours  la  marque  distinclive  du  talent  d'en- 
seigner, ni  surtout  d'administrer.  Pécolet  disgracié  se  hâta 
de  quitter  Nînfes;  l'école  déclina.  Cosme  ne  fut  pas  seulement 
inhabile,  il  chercha  querelle  aux  consuls,  se  plaignit  de  son 
logement,  suscita  un  procès.  A  la  lin  de  l'année  on  se  garda 
bien  de  renouer  avec  lui;  on  le  laissa  partir  avec  Janin  et  l'on 
voulut  ravoir  Pécolet;  on  lui  avait  déjà  écrit;  mais  il  faisait 
la  sourde  oreille:  il  voulait  prolonger  le  châtiment  mérité  par 
l'inconstance  des  consuls.  Lorsqu'il  finit  par  rentrer  au  bout 
de  deux  ans,  l'école  diminuée  n'occupait  [)lus  que  deux  maîtres 
au  lieu  de  quatre. 

Sans  attendre  la  fin  de  l'année  classique,  le  Conseil  extra- 
ordinaire, qui  se  réunissait  spécialement  quand  il  y  avait  lieu 
d'engager  de  nouvelles  dépenses,  s'occupa,  au  mois  d'avril 
1537,  des  dispositions  à  prendre  avec  Pécolet  pour  l'année 
suivante.  On  décida  de  faire  lire  aux  élèves  de  bons  grammai- 
riens, d'expliquer  a  Cicero,  Yergille  »,  et  en  outre  a  l'Aristo- 
tel  »  en  grec  et  en  latin.  Un  bachelier  devait  instruire  à  part 
les  jeunes  enfants  et  le  recteur  «  maintenir  la  norme  »  ou 
discipline,  qui  sans  doute  avait  fléchi  avec  le  reste  pendant 
sa  longue  absence.  Il  devait  astreindre  les  écoliers  à  suivre 
.selon  l'usage  les  processions  en  chantant  les  litanies;  mais  il 
lil  une  j)roposilion  qui  ])araissait  émanci'  d'un  autre  esprit  : 
celle  de  leur  lire  tous  les  dimanches  les  Evangiles.  Le  juge 
des  crimes,  flairant  là  une  des  pratiques  familières  aux  luthé- 
riens, fit  observer  que  l'évêque  était  seul  compétent  sur  ces 
matières,  et  il  n'en  fut  plus  (juestion.  Il  ne  restait  qu'à  fixer 
les  conditions  pécuniaires  de  la  rentrée  de  l'ancien  recteur  : 
on  lui  assigna  cent  livres  par  an,  à  charge  de  défrayer  lui- 


IMBERT   PÉCOLET.  55 

même  un  ou  deux  coadjuteurs  et  un  bachelier  et  do  ne  rece- 
voir «  ne  premyt  {prœmmm)  ne  salaire  »  des  enfants  de  la  ville. 

Ces  conventions  arrêtées,  il  se  passa  six  mois  avant  que 
Pécolet  fût  présenté  au  cabiscol  pour  recevoir  l'investiture 
des  fonctions  qu'il  reprenait.  Le  cabiscol  Guy  de  Rispo  avait 
donné  précédemment  cette  investiture  avec  la  restriction  de 
forme  que  nous  avons  signalée  sur  son  droit  exclusif  à  nom- 
merles  régents.  S'il  n'était  rien  survenu  dans  l'intervalle  pour 
modifier  ses  dispositions,  il  n'y  a  pas  apparence  qu'il  eût 
songé  à  astreindre  Pécolet  à  prouver  de  nouveau  sa  suffisance 
par  une  dispute  publique.  C'est  pourtant  ce  qu'il  fit,  nous  ne 
savons  s'il  faut  dire,  au  grand  étonnamment  des  consuls,  mais 
certainement  au  nôtre.  Que  s'était-il  donc  passé?  Maître  Im- 
bert,  éloigné  de  Nîmes,  avait-il  régenté  dans  quelque  collège 
infecté  de  luthéranisme?  avait-il  fréquenté  les  conventicules 
évangéliques  ?  Les  consuls  l'ignoraient  sans  doute,  mais  févê- 
ché  devait  être  bien  informé.  Au  reste,  un  mot  ajouté  par  le 
précenteur  ne  tarda  pas  à  montrer  que  ses  objections  contre 
Pécolet  étaient  sérieuses  :  il  lui  interdit  de  lire  (d'enseigner) 
sons  peine  d'excommunication  ! 

Ceci  se  passait  le  7  octobre  et  les  consuls  Payan,  Lansart, 
Corconne  en  étaient  à  trouver  extraordinaire  le  procédé  du 
cabiscol,  quand  entra  en  séance  «  frère  Jean  du  Cayla,  lieute- 
nant du  vicaire  ou  officiai  de  Nîmes  »,  qui  déclara  ledit  maître 
Imhcrl suspect  en  la  foi;  a  par  quoy  inhibe  auxdits  consuls  et 
audit  cabiscol  snb  pœna  excommunicationis  latœ  sententiœ 
qu'ils  n'ayent  à  donner  faveur,  secours  ne  ayde  audit  maistre 
Ymbert  jusqu'à  ce  qu'il  s'en  soit  purgé,  à  Les  consuls  n'étaient 
pas  en  veine  de  soumission.  Ils  déclarent  à  leur  tour  qu'il  n'y 
a  pas  d'hérésie  chez  Pécolet  ;  qu'on  l'a  laissé  enseigner  long- 
temps sans  se  plaindre  et  que,  s'il  y  a  quelque  tort,  c'est  le 
lieutenant  de  l'official  qu'il  en  faut  accuser  :  il  aurait  dû  plus 
tôt  signaler  et  réprimer  l'hérésie.  En  conséquence  les  consuls 
protestent  contre  lui  et  déclarent  «  en  avoir  recours  là  où  il 
appartiendra  par  raison.  » 


56  IMBERT    PÉCOLET. 

Ils  commencent  par  en  appeler  à  Philippe  à  jeun,  soit 
qu'ainsi  le  voulut  l'usage,  soit  pour  revenir  à  une  modéra- 
tion de  forme  dont  ils  s'étaient  peut-être  départis  la  première 
fois.  Le  15  octobre  donc,  ils  présentent  de  nouveau  Pécolet 
au  cabiscol  «  requérant  qu'il  soit  son  plaisir  le  recevoir  comme 
ydoine  et  souffisant  et  par  lui  approuvé,  car  a  régi  lesdites 
écoles  par  plusieurs  années.  »  Le  cabiscol  ne  veut  répondre 
que  devant  ihi  notaire,  et,  celui-ci  venu,  déclare  «  qu'il  ne  re- 
cevra pas  ledit  maître  Imbert,  car  il  en  a  pourvu  d'un  autre, 
faisant  commandement  audit  Pécolet,  subpama  excommunica- 
tionis,  qu'il  n'ait  point  à  lire.  A  quoi  lesdits  consuls  ne  y  ont 
consenti,  ains  ont  protesté  d'en  avoir  recours  à  justice.  » 

Nous  ne  savons  quel  professeur  d'orthodoxie  incontestée  le 
cabiscol  avait  nommé  dans  l'intervalle  des  deux  présentations, 
mais  il  est  visible  que  le  conflit  entre  la  maison  consulaire  et 
révêché  esta  l'état  aigu  au  milieu  d'octobre  1537.  Un  docu- 
ment conservé  par  Ménard  (IV,  Preuves,  loi  et  suiv.)  montre 
que  l'émotion  était  grande  dans  la  ville  et  que  les  incidents  se 
déroulaient  avec  une  rapidité  menaçante. 

C'est  à  l'année  15:]^  qu'on  fait  remonter  les  premiers  symp- 
tômes des  idées  luthériennes  à  Nîmes  :  à  cette  date  un  moine 
augustin  ayant  prêché  le  carême  dans  un  sens  trop  évangélique, 
fut  mis  en  prison  au  château  du  roi  sur  la  dénonciation  de 
l'évèché  :  mais  le  conseil  de  ville  reconnaissant  envers  le  «  beau 
père  B  du  bien  spirituel  qu'il  avait  fait,  lui  envoya  comme 
marque  de  sympathie  une  somme  d'argent  en  sus  de  ses 
gages.  C'était  peut-être  là  l'effet  des  premières  leçons  de  Pé- 
colet et  l'origine  du  conllit  entre  les  autorités  civile  et  reli- 
gieuse. L'évêque  ne  résidait  guère.  Son  vicaire  Robert  de  la 
Croix  devait  suppléer  par  son  zèle  à  une  absence  dans  laquelle 
[)lusieurs  voyaient  la  cause  de  l'invasion  de  l'hérésie.  A  la 
date  où  nous  sommes,  Robert  reçut,  en  effet,  au  nom  de 
l'évêque  absent,  ra})pcl  des  consuls  contre  le  cabiscol,  appel 
daté  du  25  octobre  et  transmis  jiar  le  juge  Mage  au  nom  de 
la  cour  du  Sénéchal.  Cet  appel  et  la  réponse  du  vicaire  con- 


IMBERT  PÉCOLET.  57 

tiennent  quelques  indications  nouvelles  sur  l'état  des  esprits 
à  Nîmes  et  sur  Pécolet. 

Pour  forcer  la  main  à  l'évèchc,  les  consuls  ont  imaginé  un 
moyen  de  mettre  à  sa  charge  les  dépenses  de  l'école  et,  en 
outre,  celles  d'un  enseignement  théologique  populaire.  La 
Pragmatique,  les  concordats,  les  règlements  ecclésiastiques 
obligent,  selon  eux,  chaque  évôché  à  l'institulion  d'une  pré- 
ceptoriale,  ou  prébende  destinée  à  défrayer  les  régents,  et 
d'une  théologale  pour  assurer  l'enseignement  religieux  du 
peuple  par  des  leçons  et  des  sermons,  «  pour  lire  et  enseigner 
tous  les  jours,  disent-ils,  et  aussi  prescher  les  dimanches  et 
festes  solennelles  à  vostre  povre  peuple,  auquel  ex  dehitopas- 
tondis  officii  (par  le  devoir  de  votre  charge)  estes  tenus  ad- 
ministrer pabulum  doclrinœ  (la  nourriture  spirituelle),  veu 
mesmement  le  temps  qui  court  et  que,  cà  faute  de  ce,  il  y  a  eu 
et  de  présent  il  y  a  et  pullulent  journellement  plusieurs  grandes 
erreurs  contre  nostre  foy  el  cà  très  grand  préjudice  de  l'Eglise 
et  chrestienté.  d  C'était  là  du  pur  luthéranisme  et  l'opinion 
évidente  des  consuls  était  que  l'hérésie  n'était  pas  du  côté 
qu'on  supposait,  mais  exactement  de  l'autre. 

A  cette  demande  accusatrice  des  consuls,  Piobert  de  la 
Croix  fit  deux  réponses,  l'une  orale  concernant  le  maître  pro- 
posé pour  les  écoles,  l'autre  écrite  sur  la  question  générale. 
Le  maître  proposé  n'est  plus  Pécolet.  Pour  introduire  devant 
l'évèque  ou  son  vicaire  une  réclamation  qu'il  consente  à  écou- 
ter, il  faut  faire  preuve  envers  lui  d'une  certaine  obéissance. 
Or  l'évèque  a  décidé  par  l'organe  de  son  lieutenant  du  Cayla 
que  Pécolet  devait  avant  tout  se  purger  de  l'accusation  d'hé- 
résie, cérémonie  qui  ne  pouvait  être  brève  et  dont  les  écoles, 
à  la  fin  d'octobre,  ne  pouvaient  attendre  patiemment  l'issue. 
Sur  ce  point  donc,  les  consuls  avaient  cédé  et  ils  présentaient 
à  l'agrément  de  l'évèché  un  autre  candidat,  Gaspar  Caiart 
(nom  que  Ménard  avait  lu  à  tort  Cavart);  mais  par  malheur 
Caiart  était  arrivé  devant  Robert  de  la  Croix  dans  une  tenue 
interdite  aux  membres  de  l'enseignement,  presque  assimilés 


oH  niBERT   PÉCOLET. 

aux  clercs  :  il  portait  toute  sa  barbe.  Sur  quoi  le  vicaire  de 
Févêque  déclara  «  que  ledit  maistre  Caiartn'étaitpas  recevable, 
carn'étaitpas  connu  et  davantage  qu'il  n'était  pas  in  hahitu 
clericali  (en  tenue  cléricale)  et  a  fait  commandement  audit 
maistre  Gaspar,  illec  présent,  qu'il  eust  à  se  faire  sa  barbe  et 
ce,  sur  peine  d'excommuniement.  Auquel  ledit  M"  Gaspar  a 
répondu  qu'il  ny  compétoit  point,  ains  en  appeloit,  lui  disant 
en  outre  qu'il  n'était  pas  de  sa  juridiction,  car  n'était  pas  clerc 
tonsuré.  »  Robert  de  la  Croix  ajouta  que  le  cabiscol  seul  pou- 
vait accorder  l'investiture  des  écoles  et  que  c'était  à  lui  que 
les  consuls  avaient  à  le  présenter.  Il  ajourna  la  suite  de  sa  ré- 
ponse au  même  jour,  à  l'heure  de  Compiles;  mais  elle  fut 
dificréo,  nous  ne  savons  pourquoi,  jusqu'au  1"  novembre. 
Méditée  par  un  homme  d'expérience  et  écrite  à  loisir,  cette 
réponse  demande  une  lecture  attentive. 

Sur  la  question  de  la  préceptoriale  et  de  la  théologale,  le 
prévôt  de  l'évéché  (il  portait  aussi  ce  titre)  déclara  que  les 
consuls  se  trompaient  et  que  l'autorité  religieuse  n'était  tenue 
qu'à  ce  qu'elle  faisait  déjà;  qu'au  reste  la  mauvaise  volonté 
des  habitants  ôtait  au  clergé  le  moyen  d'encourir  de  nouvelles 
dépenses,  en  refusant  de  payer  la  dîme  des  huiles,  des  laines  et 
des  fruits  que  l'on  acquittait  ailleurs.  N'épiloguons  pas  sur 
ce  point  et  passons  à  la  réponse  de  Robert  sur  l'autorité  du 
précenteur  : 

Elle  est  entière,  ajouta-t-il,  n  et  est  bien  ;\  eonsidérer,  car  ledit  chantre 
(préccnleur)  voyait  le  dangier  cstre  survenu  en  la  présente  cité  de 
Nysnies  par  le  maistre-niaigc  (Pécolet)  es  cscolles  et  escolliers,  pullu- 
lant mafina  hœrcù  (la  grande  hérésie)  tant  de  sacramento  altaris  (du 
sacrement  de  l'aulel)  que  de  sacramentis  eccleslœ  (des  sacrements  de 
l'Eglise)  dont  plusieurs  ont  été  prévenus  et  punis  tant  par  les  censures 
ecclésiasti(|ucs  que  aussi  pcr  dominos  temporales  (par  le  bras  séculier) 
et  ce  cstoit  en  grand  esclandre  de  la  foy  cathoUquc.  Lesquels  consuls  ont 
essayé  de  présenter  un  maistre  Ymbert  Pécolet  pour  régir  les  écolles, 
lequel  a  longtemps  que  a  esté  intitulé  d'hérésie,  dont  lesdits  consuls 
devraient  désister  de  juster  avec  ledit  chantre  de  instituer  ledit  maître 
Ymbert  aux  écolles,  lesquels  estaient  bien  advertis  les  erreurs  hérétiques 


IMBERT   PÉCOLET.  59 

estre  provenues  ab  scolis,  ot  présenter  ledit  maître  Ymbcrt  intitulé  de 
hérésie,  ce  n'estait  sinon  pour  multiplier  les  erreurs.  Et  parce  que  à 
ceste  cause  ledit  M«  Ymbert  ait  été  prévenu  et  ait  répondu  super  prœ- 
viissis  (dans  un  interrogatoire  préliminaire?)  lesdits  consuls  ont  présenté 
un  autre  maître  Gaspar  Caiart,  lequel  est  inconnu  et  ne  sait-on  dont  il 
est  et  estait  compaignon  dudit  maistre  Ymbert,  lequel,  comme  est  pré- 
sumé, eodem  morbo  laborat\{cst  affecté  du  même  mal)  comme  ledit  maistre 
Ymbert.  Et  si  il  y  a  plus  encore,  car  ledit  M"*  Gaspar  fuit  socius  (fut  le 
compagnon)  de  M^  Batalerii,  lequel  obfugit  (est  fugitif)  et  de  bailler  les 
écoles  à  un  tel,  comme  est  ledit  M'^  Gaspar,  cum  videatur  esse  iinitator 
(qui  semble  l'imitateur)  desdits  maîtres  Ymbert  et  Batalerii,  n'est  point 
convenable  aux  écoUes...  Proteste  contre  lesdits  consuls  en  cas  que  la 
hérésie  et  secte  réprovée  viendrait  à  pulluler  et  que  contre  les  coupables 
d'icelles  soient  été  faictes  plusieurs  exécutions  et  enjoint  par  arrêt  à 
faire  punition,  que  ne  tient  pas  à  l'évêque  de  Nymcs,  ne  à  son  vicaire, 
mais  aux  consuls...  Toutefois  en  tant  que  touche  ledit  évèque  et  le  cha- 
pitre ils  offrent  de  demeurer  à  la  dicte  (disposition)  de  la  cour  souve- 
raine de  parlement,  séant  pour  le  Roy  notre  Sire,  à  laquelle  ledit  évèque 
et  son  vicaire  et  officiai  entend  faire  apparoir  de  la  désobéissance  et 
mépris  des  censures  ecclésiastiques  et  de  la  rébellion  formelle  faicte  par 
aulcuns  (certains)  desdits  consuls  à  l'official  dud.  évesque  dernière- 
ment, quand  ledit  M"  Ymbert  fut  présenté  audit  chantre,  et  de  la  fa- 
veur et  aide  qu'ils  donnent  et  ont  donnée  audit  M''  Ymbert  prévenu 
d'hérésie  et  de  la  sollicitation  que  font  pour  lui.  La  présente  response  a 
esté  baillée  à  maître  Ant.  Chabaudi,  notaire  de  la  maison  commune  de 
Nysmes. 

Promoteur  des  idées  luthériennes  dans  l'école  et  dans  la 
ville,  intitulé  depuis  longtemps  d'hérésie,  sotimis  en  dernier 
lieu  à  un  interrogatoire  et  tenu  de  purger  régulièrement  cette 
terrible  accusation,  ami  du  fugitif  Batalier  et  du  suspect  Gas- 
par Gaiart,  soutenu  par  des  consuls  accusés  eux-mêmes  et  dé- 
noncés au  Parlement  de  Toulouse,  témoin  de  plusieurs  exécu- 
tions dans  la  ville  et  de  l'émotion  ou  esclandre  qu'elles  y 
avaient  causée,  mis  en  prison  peut-être  et  menacé  de  pis, 
Pécolet  n'avait  qu'à  subir  le  supplice  réservé  aux  hérétiques 
ou  à  s'y  dérober,  s'il  pouvait,  par  la  fuite.  11  y  réussit  contrai- 
rement aux  prévisions  de  M.  Marvéjol,  par  des  moyens  qu'on 
ignore  et  se  hâta  de  chercher  un  séjoni'  où  la  profession  du 


60  IMBERT  PÉCOLET. 

pur  Evangile  fût  licite  et  honorée.  Nous  le  retrouverons  sous 
peu  à  Genève. 

Pendant  qu'il  pourvoit  à  sa  sûreté,  et  peut-être  à  la  protec- 
tion des  autres  victimes  de  l'intolérance,  nous  ne  pouvons 
qu'être  surpris  et  émerveillés  de  voir  le  haut  clergé  de  Nîmes 
lui  attribuer  une  si  grande  influence  sur  la  jeunesse  et  la  po- 
pulation do  la  ville.  Ils  étaient  donc  bien  redoutables  pour 
l'ancienne  égli\se,  les  humbles  régents  que  ces  dignitaires 
poursuivaient  avec  tant  d'acharnement  et  qui  étaient  dans  ce 
temps  de  crise  les  guides  discrets  de  l'opinion  !  Qui  sait  si 
Pécolet  n'avait  pas  rédigé  pour  les  consuls  cet  appel  contre  le 
cabiscol  où  était  si  finement  raillée  l'indifférence  de  l'évêque 
pour  l'instruction  religieuse  du  peuple  et  rappelées  avec  tant 
d'adresse  les  injonctions  de  la  Pragmatique  à  cet  égard  ?  Les 
consuls,  marchands,  notaires,  laboureurs,  n'étaient  pas  des 
lettrés,  et  il  ne  serait  pas  surprenant  que  leur  bonhomie  nar- 
quoise eût  employé  la  plume  d'un  homme  d'études.  Au  reste, 
un  document  conlidentiel,  parvenu  jusqu'à  nous,  permet  de 
concevoir  combien  un  maître  grave  et  respecté  pouvait  alors 
exercer  d'action  sur  la  jeunesse.  Un  professeur,  du  nom  de 
Collassus,  quitta  vers  la  même  époque  le  collège  de  Guyenne 
pour  se  rendre  en  Suisse,  où  Imbert  devait  le  rencontrer.  En 
1538  il  écrivait  à  Guillaume  Farel  *  :  «  Je  voudrais  vous  dire  à 
vous  seul  que,  en  m'éloignant  de  Bordeaux,  j'ai  laissé  deux 
cents  enfants  et  plus  qui,  par  mes  soins,  avaient  reçu  la 
parole  du  Seigneur.  Je  leur  avais  promis  de  revenir  au  plus 
tôt;  je  ne  i)uis  en  ce  moment  leur  tenir  ma  promesse;  mais 
pour  (p'o  la  bonne  semence  ne  soit  pas  gâtée  par  le  démon, 
il  faut  prévenir  son  action  malfaisante  et  je  vous  demande 
votre  concours  pour  une  œuvre  si  sainte...  Je  vous  prie  donc, 
au  nom  du  Seigneur,  de  m'adresser  une  lettre  en  français  que 
je  i)uissc  leur  i'.iirc  parvenir  et  où  vous  les  exhorterez  à  persé- 
vérer, à  m."  i)as  négliger  le  don  de  Dieu,  à  ne  pas  recevoir  sa 

1.  Voy.  Hcrin.,  V,  !i9. 


i.MBERT  PÉCOLET.  61 

grâce  en  vain,  bref,  tout  ce  que  vous  croiriez  agréable  au  Sei- 
gneur et  utile  pour  eux.  Il  n'est  pas  besoin  d'être  long.  En 
écrivant  dans  ce  sens,  vous  me  ferez  le  plus  grand  plaisir  et  je 
prévois  combien  il  en  résultera  de  fruit,  car  non  seulement 
ces  jeunes  gens  liront  eux-mêmes  votre  missive,  mais  ils  s'ar- 
rangeront pour  la  répandre  au  loin  et  la  faire  passer  par  beau- 
coup de  mains.  »  Et  un  collègue  de  Collasus,  André  Zébédée, 
ajoutait  cette  apostille  :  «  Ce  que  notre  frère  vous  demande 
pour  les  meilleurs  motifs,  je  vous  prie  instamment  de  l'accor- 
der :  vous  savez  combien  les  conseils  affectueux  des  maîtres 
ont  de  puissance  sur  leurs  élèves,  surtout  en  matière  de 
piété.  »  Baduel  devait,  plus  lard,  adresser  une  demande  sem- 
blable cà  Mélanchthon  en  faveur  des  luthériens  de  Nîmes  et 
rien  ne  dit  que  Pécolet  eût  moins  de  zèle  que  ses  collègues. 
Ce  n'est  donc  pas  à  tort  que  Robert  de  la  Croix  se  méfiait. 

Le  13  novembre  1537  (Herm.  IV,  315  et  suiv.)  les  pasteurs 
de  Genève,  sous  l'inspiration  du  plus  éminent  d'entre  eux, 
adressaient  à  leurs  collègues  de  Zurich,  de  Baie  et  de  Berne, 
une  lettre  collective  dont  le  porteur,  récemment  arrivé  auprès 
d'eux,  devait  compléter  de  vive  voix  le  contenu  : 

«  Peu  de  mots  suffiront,  leur  disaient-ils,  pour  vous  mettre  au  cou- 
rant des  circonstances  qui  nous  ont  décidés  à  l'envoi  de  ce  message.  A 
Nîmes,  ville  bien  connue  du  Languedoc,  la  cruauté  des  impies  vient  de 
se  déchaîner  contre  nos  frères.  Nous  étions  loin  de  nous  y  attendre. 
Nous  avions  récemment  obtenu  des  Conseils  de  Strasbourg  et  de  Bàle 
des  lettres  au  comte  de  Furstemberg  pour  lui  recommander  nos  prison- 
niers français.  Le  comte  avait  obtenu,  disait-on,  leur  libération  à  tous 
et  nous  étions  tranquilles  sur  leur  compte,  quand  on  nous  a  annoncé  que 
les  bûchers  se  rallumaient  là-bas.  Deux  de  nos  frères  ont  été  brûlés  : 
leur  mort  vous  sera  racontée  par  le  témoin  oculaire  ([ui  pourra  vous  ré- 
péter en  latin  ce  qu'il  nous  a  appris.  Un  grand  nombre  sont  en  prison 
et  en  danger  de  mort,  si  l'on  ne  parvient  à  contenir  une  fureur  que  le 
sang  de  deux  victimes  n'a  fait  qu'exaspérer  et  qui  ne  connaît  plus  de 
bornes.  Ces  deux  martyrs  ont  montré  jusqu'au  dernier  soupii'  la  plus  ad- 
mirable constance,  bien  que  leur  patience  ait  été  mise  à  l'épreuve  des 
cruautés  les  plus  raffmées.  Mais  savons-nous  si  les  autres  auront  la  même 
force  d'àme?  Il  faut  donc  venir  à  leur  aide  par  tous  les   moyens   possi- 


62  IMBERT    l'ÉCOLET. 

bles  et  prévenir  les  défaillances  des   faibles.  Gardons-nous  ne  pas  esti- 
mer à  sa  valeur  le  sang  des  saints,  si  précieux  aux  yeux  de  Dieu  ! 

c  Nous  apprenons  que  vos  princes  ont  conclu  avec  notre  roi  un  traité 
où  1  serait  question  d'adouoir  les  sévérités  déployées  contre  nos  frères 
évangéliques.  S'il  en  est  ainsi  ne  manquez  pas  celte  occasion  de  porter 
secours  à  ceux  que  le  Christ  vous  ordonne  si  clairement  d'assister  et 
dans  la  personne  desquels  il  se  plaint  d'être  abandonné  lui-même,  si 
nous  les  délaissons.  Appliquez-vous  y  de  toute  votre  âme,  frères  bien- 
aimés.  Assurés  que  vous  n'y  manquerez  pas,  nous  n'en  disons  pas  davan- 
tage. Obtenez  que  \votre  Conseil  s'adresse  à  ce  sujet  au  roi  et  que  ce  soit 
le  plus  tôt  possible,  de  peur  que  la  fureur  des  ennemis  ne  devance  ses 
ordres.  Vous  savez  si  elle  est  pressée  de  se  satisfaire.  i> 

Quatre  jours  après,  le  17  novembre,  le  Conseil  de  Berne, 
rappelant  les  mêmes  faits,  suppliait  «  le  roi  Très-chrétien  si 
très  afTectueiisement,  très  humblement  et  très  acertes  pour 
l'honneur  de  Dieu  et  amour  de  nous,  si  jamais  vous  finies 
plaisirs,  que  sa  bénigne  grâce  et  volonté  fut  de  faire  cesser  la 
dite  persécution,  dans  le  royaume,  donner  louange  à  Dieu  et 
par  sa  grâce  y  laisser  venir  en  avant  la  vérité,  »  et  en  envoyant 
la  lettre  à  l'ambassadeur  de  France,  M.  de  Boisrigaud,  à  So- 
leure,  ils  ajoutaient  :  «  Cette  matière  étant  de  grosse  impor- 
tance, nous  vous  prions  de  faire  tenir  lesdites  lettres  au  Roy, 
sitôt  qu'il  sera  possible,  et,  s'il  vous  est  agréable,  en  écrire 
au  roi,  aiin  que  nous  obtenions  bénigne  et  briève  réponse... 
El  la  réponse  que  nous  demandons  étant  venue,  la  nous  in- 
continent envoyer.  » 

Il  était  impossible  d'embrasser  plus  cordialement  une 
meilleure  cause  et  il  nous  semble  difficile  de  douter  que  le 
témoin  oculaire  (speclcUor)  porteur  du  message  des  pasteurs 
genevois  ne  fût  Pécolct  lui-môme.  Batalier  n'était  point  venu 
en  Suisse,  où  du  moins  on  )i'y  trouve  pas  sa  trace.  Quant  à 
Pécolet,  sa  présence  va  être  fréquemment  signalée  à  Genève 
et  à  Lausanne;  il  y  sera  connu  et  désigné  sous  son  prénom 
d'Imbertus,  Ni  M.  ilcriiiinjard,  ni  ses  savants  émules  de  Stras- 
bourg, n'hésitent  à  identifier  cet  Imbert  avec  l'ancien  recteur 
des  écoles  de  Nîmes.  La  circonstance  qu'il  parlait  latin  et  qu'il 


IMBERT   PÉCOLET.  63 

pourrait  se  faire  entendre  à  Berne  et  à  Bàle,  confirme  sa  qua- 
lité de  professeur;  les  persécutés  de  Nîmes,  en  favorisant  sa 
fuite,  avaient  sans  doute  espéré  qu'il  leur  ferait  porter  se- 
cours. On  peut  croire  que  ni  l'éloquence,  ni  le  zèle  ne  lui  firent 
défaut  et  qu'il  ne  resta  pas  au-dessous  de  sa  mission. 

Quels  étaient  ces  deux  martyrs  de  1537  dont  Théodore  de 
Bèze  et  Crespin  ne  parlent  point,  et  ces  nombreux  prisonniers 
pour  la  foi  plus  inconnus  encore?Des  reclierches  minutieuses 
faites  aux  archives  de  Nîmes  pour  MM.  Herminjard  etDardier, 
par  les  hommes  les  plus  compétents,  n'ont  pu  arracher  leurs 
noms  à  l'oubli.  Les  traces  de  ces  procès  et  de  ces  supplices 
ont  souvent  été  volontairement  effacées. 

De  retour  à  Genève,  Pécolet  se  trouva  tout  désigné  pour  un 
emploi  au  collège  de  Rive.  Cet  établissement,  fort  semblable  à 
celui  de  Nîmes,  avait  pour  chef  un  recteur  assisté  d'un  ou  plu- 
sieurs bacheliers.  Le  recteur  recevait  cent  ccus  sol,  sauf  à  in- 
demniser ses  collaborateurs  et  à  ne  rien  recevoir  des  élèves 
pauvres.  Nommé  par  le  Conseil,  il  enseignait  la  grammaire  et 
les  classiques.  L'établissement  avait  été  fondé  en  1530,  aussi- 
tôt après  la  conversion  de  Genève  à  la  Réforme,  dont  il  devait 
enseigner  les  doctrines  aux  enfants.  Il  avait  pour  directeur  An- 
toine Saunier,  autre  réfugié  français,  autre  échappé  du  bû- 
cher, et  il  devait  avoir  bientôt  pour  professeurs  ce  GoUassus 
dont  il  vient  d'être  question,  et  ce  Mathurin  Gordier,  le  plus 
vénérable  de  tous  les  maîtres  de  la  jeunessse.  Pécolet  n'en- 
'seignait  pas  directement  au  collège.  En  dehors  des  cours  clas- 
siques qui  s'y  donnaient,  il  y  avait,  dans  un  temple  de  la 
ville,  des  leçons  de  théologie  et  de  langues  sacrées,  hébreu  et 
grec.  Pour  l'hébreu  Imbert  expliquait  le  sens  littéral  et  gram- 
matical du  texte  et  les  diverses  locutions  qui  pouvaient  s'y  ren- 
contrer ;  Farel  ensuite  en  faisait  ressortir  la  portée  religieuse 
et  théologique.  Quant  au  grec,  Galvin  en  donnait  à  la  fois  le 
sens  grammatical  et  dogmatique. 

La  profession  de  l'Évangile  n'assura  pas  du  premier  coup 
la  tranquillité  de  Genève.  Ni  les  réformateurs,  ni  le  collège 


64  liMBERT  PÉGOLET. 

n'y  jouirent  d'abord  de  la  paix  qu'on  avait  espérée.  Deux 
partis  divisaient  la  petite  république  ;  celui  qui  prétendait  lui 
imposer  le  frein  d'une  discipline  religieuse  essuya,  en  1538,  un 
écliec  qui  entraîna  l'exil  de  Calvin  et  de  Farel.  Saunier  leur 
ami  eut  avec  un  Conseil  hostile  des  démêlés  qui  l'obligèrent 
en  octobre  à  laisser  partir  aussi  pour  l'exil  ses  deux  bacheliers 
"Tt,  en  décembre,  à  s'exiler  lui-même.  Déçu  et  attristé,  Pécolet 
avait  déjà  quitte  Genève  vers  la  fin  de  septembre  et  trouvé  à 
Lausanne  une  autre  chaire  d'hébreu  qu'il  devait  occuper  jus- 
qu'à sa  mort. 

Lausanne  avait,  comme  Genève,  un  enseignement  théolo- 
gique que  le  Conseil  de  Berne  venait  d'instituer  en  1537,  en 
même  temps  que  les  rudiments  d'un  collège.  Ce  collège  devait 
se  développer  plus  tard  par  la  fondation  d'une  maison  de  bour- 
siers, au  nombre  de  douze  d'abord,  de  quarante-huit  dans  la 
suite.  Une  vaste  installation  dans  la  Maison  du  Chapitre,  de 
larges  traitements  aux  professeurs,  assuraient  la  prospérité  de 
l'établissement.  Pécolet  était  à  peine  arrive  à  Lausanne  qu'il  y 
vit  Farel  encore  tout  ému  des  incidents  qui  l'avaient  obligé  à 
chercher  un  refuge  à  Neuchatel  et  qui  venaient  d'éloigner  de 
Genève  les  deux  bacheliers  de  Saunier;  Pécolet  partageait  son 
indignation.  «  Ce  brave  et  pieux  Imbert  {pms  sane  frater),  écri- 
vait le  réformateur,  rend  témoignage  à  la  vérité,  rappelle  en 
mots  brefs  les  chicanes  qui  nous  sont  faites,  déteste  surtout 
l'exil  de  Gaspar  Carmcl  et  d'Kynard  Piclion  :  rien  de  plus  in- 
tolérable à  ses  yeux  que  la  conduite  haineuse  de  Morand,  que 
la  violence  de  Bernard  avançant  la  main  })ourjeterEynard  par 
la  fenêtre.  »  Spectacle  étrange  en  vérité  et  désillusion  cruelle 
pour  ces  fugitifs  de  France  à  peine  échappés  aux  flammes  du 
bûcher,  que  celui  de  la  discorde  et  des  querelles  dans  le  camp 
de  l'évangile.  Mais  on  ne  dépouille  pas  en  un  instant  le  vieil 
homme,  ni  on  ne  distingue  du  premier  coup  les  faux  frères 
qui  ont  pu  s'insinuer  dans  la  nouvelle  église  :  ceux  des  gene- 
vois (jui  n'avaicnl  voulu  (jik;  repousser  la  domination  de  la 
Savoie  pouvaient  n'èti'c  (pie  do  uicdiocrcs  chrétiens. 


IMBEUT    l'ÉCOLET.  65 

D'aulres,  venuntoii  non  de  la  terre  élranijère,  pouvaient  être 
portés  à  abuser  de  la  charité  que  les  évangéliques  pratiquaient 
entre  eux.  Était-ce  le  cas  d'un  nommé  Perrot,  qu'il  est  diffi- 
cile d'identifier  avec  les  personnages  connus  de  ce  nom,  et 
qui  poursuivait  Pécoîet  de  ses  demandes  d'argent?  Calvin  à 
Genève,  Viret  à  Lausanne  servaient,  en  15-44  et  1545,  d'in- 
termédiaires à  cet  échange  de  réclamations  et  de  refus.  Ils 
trouvaient  Perrot  malheureux  et  ne  blâmaient  point  Imberl.  Il 
vaut  la  peine  de  recueillir  ce  détail  de  la  vie  de  nos  premiers 
réfugiés  :  «  Insistez  auprès  d'Imbert,  écrivait  Calvin,  pour 
qu'il  ne  laisse  pas  mourir  de  faim  ce  malheureux  {ne  mise- 
rum  hominem  palialur  inedia periré)  ».  —  «  Imbert  déclare, 
répondit  Viret,  qu'il  n'enverra  plus  rien,  à  moins  de  con- 
trainte judiciaire  ».  Quelque  temps  après,  nouvelle  instance 
de  Calvin  :  «  Adressez-vous  à  la  femme  d'Imbert  pour  obtenir 
quelque  envoi  d'argent  :  le  bonhomme  attend  dans  la  plus 
grande  anxiété.  »  Fiéponse  :  «  Je  vous  envoie  deux  écus  que 
j'ai  réussi  à  extorquer  à  Madeleine,  non  sans  querelle  ni  dé- 
bats. Elle  prétend  qu'on  la  met  à  la  gène,  qu'on  lui  réclame  ce 
qu'elle  ne  doit  pas.  Son  mari  refusant  net  de  payer,  c'est  elle 
qui  envoie  cet  argent,  mais  à  son  corps  défendant  et  pour  ne 
pas  recommencer.  Que  Perrot  se  le  tienne  pour  dit.  D'elle  ou 
de  lui,  peu  m'importe,  je  n'ai  pas  refusé  les  deux  écus.  Re- 
mettez-les contre  quittance  et  faites  connaître  à  Perrot  la  si- 
tuation. » 

Le  collège  de  Lausanne  prospérait  :  la  concorde  régnait 
entre  les  professeurs  et  les  ministres.  Le  professeur  de  grec, 
Conrad  Gessner,  se  louait  de  ses  bons  rapports  avec  ses  col- 
lègues; il  suivait  les  leçons  d'hébreu  de  Pécolet  et  songeait 
d'ailleurs  à  quitter  l'enseignement  pour  la  médecine.  Tout 
professeur  alors  était  étudiant  et,  descendu  de  sa  chaire,  s'as- 
seyait volontiers  au  pied  d'une  autre.  La  spécialité  qu'avait 
choisie  Pécolet,  renseigneuieut  de  l'hébreu,  était  peu  ])ropre 
à  lui  attirer  la  célébrité.  Nous  ne  connaissons  de  lui  ni  publi- 
cation, ni  discours,  ni  lettre.  11  ne  nous  reste  pas  un  mot  de  sa 

xxxiii.  —  5 


fi6  IMBERT   PÉCOLET. 

plume.  Ce  n'est  qu'indirectement  et  indistinctement  que  nous 
pouvons  entendre  sa  voix.  Elle  nous  a  paru  celle  d'un  homme 
intègre,  capable,  résolu.  Telle  qu'elle  nous  est  connue,  c'est-à- 
dire  en  dehors  de  tout  détail  personnel,  sa  carrière  est  comme 
le  type  de  celle  de  tant  de  réfugiés  de  la  première  heure  :  elle 
commence  par  un  enthousiasme  discret  et  de  vives  espérances, 
se  poursuit  à  travers  les  persécutions,  et  vient  s'achever  sur 
une  terre  hospitalière,  où  l'évangile  a  pris  racine  au  double 
profit  de  la  Suisse  et  de  la  France. 

Le  nom  d'Imbert  continue  à  revenir  quelques  années  encore 
dans  la  correspondance  de  Viret,  de  Farel,  de  Calvin,  qui  re- 
çoivent ou  transmettent  ses  salutations.  Le  16  septembre  1548 
il  était  très  malade  et  ses  amis  très  inquiets.  Le  20  il  était 
mort  et  déjà  Viret  avait  pressenti  Calvin  sur  le  choix  du  suc- 
cesseur à  lui  donner.  Le  réformateur  répondait  :  «  Je  ne  sais 
quel  conseil  vous  donner.  Je  vois  bien  les  inconvénients  {peri- 
cula)  qu'il  y  a  à  attendre,  mais  je  ne  dislingue  personne  au- 
tour de  vous  qui  me  sourie  tout  à  fait;  de  loin  on  ne  peut 
faire  venir  que  des  inconnus.  Il  vaut  donc  mieux  choisir  quel- 
qu'un qui  ne  convienne  qu'imparfaitement  pourvu  qu'il  y  ait 
en  lui  le  principal  :  la  piété  et  une  connaissance  suffisante  de 
la  langue.  Si  nous  faisions  un  choix  provisoire,  en  attendant 
qu'il  se  présente  un  homme  bien  qualifié,  mais  en  avertissant 
clairement  et  l'homme  et  le  Conseil?  »  Ce  sage  avis  fut  suivi. 
Il  confirme  l'idée  que  Pécolet  réunissait  les  aptitudes  requises 
à  son  enseignement  :  piété,  savoir,  autorité  morale.  On  ne 
voit  pas  qu'il  se  soit  élevé  de  plaintes  contre  lui.  Il  devait  être 
sur  et  fidèle  dans  ses  amitiés  et  il  était  bon  collègue  de  pro- 
fesseurs éminents.  Nous  avons  nommé  Gessner  qui  avait  vécu 
avec  lui  dans  les  meilleurs  termes  (jucmidissime  vixï);  nom- 
mons encore  J(;an  Merlin,  déjà  à  Lausanne  et  qui  allait  lui 
succéder  dans  la  chaire  d'hébreu,  destiné  d'ailleurs  à  une 
carrière  accidentée  dans  le  pays  dont  il  avait  dû  s'exiler 
d'abord;  Jean  Ribit  le  successeur,  l'ami  particulier  de  Con- 
rad Gessner,  le  futui-  professeur  de  l'académie  de  Genève, 


IMBEUÏ    l'ÉCOLET.  67 

d'une  douceur,  d'une  piété  qui  égalait  son  savoir  en  grec 
et  son  aptitude  à  l'enseignement;  Cfelius  secundus  Curio, 
l'exilé  de  Lucques,  arrivé  en  1543  et  dont  nous  n'avons  pas 
à  raconter  après  M.  Jules  Bonnet  le  savoir,  la  piété,  la  vie  de 
famille  à  Lausanne  et  à  Bàle  ;  enfin,  depuis  l'automne  de  1545, 
ce  Mathiirin  Cordier,  d'un  savoir,  d'une  pureté,  d'une  candeur 
telles  qu'on  l'a  moins  honoré  qu'on  n'honorait  Rollin  en  le 
nommant  le  Rollin  protestant.  Tous  ces  hommes,  sans  parler 
de  Viret  et  de  Béat  Comte,  quels  que  fussent  leur  lustre  ou  leur 
ohscurité  relative,  avaient  le  commun  mérite  d'avoir  accompli 
un  grand  acte  d'honnêteté  religieuse  en  mettant  leur  vie  d'ac- 
cord avec  leurs  principes.  Ces  premiers  exilés,  touchés  sinon 
dévorés  par  le  feu  de  la  persécution,  avaient  contribué  à  fonder 
la  tradition  de  la  sincérité  protestante,  et,  si  depuis  nous  avons 
pu  valoir  quelque  chose,  c'est  dans  la  mesure  où  nous  avons 
marché  sur  cette  route  royale  de  la  droiture  qu'ils  avaient 
frayée.  D'eux  aussi,  qu'ils  fussent  arrivés  du  sud  ou  de  l'ouest, 
le  Voyant  de  l'Apocalypse  aurait  pu  dire  :  Hi  sunt  qui  vene- 
nint  de  magna  trihulatione  :  ils  sont  venus  de  la  grande  tri- 
bulation! 


M.-J.  Gaufrés. 


DOCUMENTS 


ACTE  DE  SOGIËTË  DE  DEUX  LIBRAIRES  DU  BEARN 

1580. 

Un  co)rcs[)Oiidaiil  toujours  regretté  nous  écrivait,  il  y  a  déjà  plusieurs 
années  : 

Monsieur, 

J'ai  copié  et  traduit  de  Tidioine  béarnais  un  acte  de  société  passé 
entre  deux  libraires  protestants  du  \\\^  siècle,  tous  deux  réfugiés  de 
France  en  Béarn. 

Si  vous  croyez  que  ce  document  inédit,  et  assez  rare  dans  son  genre, 
peut  figurer  dans  le  Bulletin,  je  serai  content  d'avoir  donné  signe  de 
collaboration. 

Je  vous  renouvelle  l'expi'essiou  de  mes  meilleurs  sentiments. 

P.  Raymond. 

Au  nom  de  Dieu,  sachent  tous  présents  et  à  venir  que  pactes  et 
accords  ont  clé  laits  et  passés  entre  Jean  Saugrain,  libraire  de  Pau, 
et  Durand  Badel,  de  Cahors  en  Quercy,  aussi  libraire  habitant  en 
ladite  ville,  en  la  forme  et  manière  suivante  : 

Piemicrement  que  lesdits  Saugrain  et  de  Badel  promirent  de 
demeurer  et  trafiquer  ensemble  l'espace  de  dix  ans  prochains 
venant  à  compter  du  jour  et  date  du  présent  en  avant,  soit  en  la 
présente  ville  ou  autre  pari  avec  l'aide  de  Dieu  à  moitié  de  profit, 
durant  lecincl  temps  ils  i)romirenl  aussi  se  tenir  toute  fidélité  l'un 
à  Fautre. 

Item  la  marchandise  que  ledit  de  Saugrain  a  mise  avec  ledit  Badel 
a  été  estimée  par  eux  à  la  somme  de  six  cent  quarante  et  quatre 
livres  sept  sols  tournois,  comme  il  appert  par  l'inventaire  sur  ce  fait 


ACTE    DE   SOCIÉTÉ    DE    DEUX   LIBRAIRES   DU   BÉARN.  69 

et  signé  par  ledit  Badei,  laquelle  somme  ledit  Saugraiii  retirera  ou 
les  siens  après  leur  séparation  et  département  tant  en  argent  qu'en 
marchandise  de  tout  ce  qui  se  trouvera  en  nature  lorsqu'ils  feront 
ladite  séparation  soit  des  sortes  que  lui  a  mises  en  la  dite  société  ou 
autres  k  choisir  telles  que  bon  lui  semblera  jusques  à  la  susdite 
somme,  et  le  restant  de  la  marchandise  et  profit  sera  partagé  entre 
eux  par  moitié  ensemble  l'argent,  si  tant  qu'il  y  en  ait. 

Item  les  outils  et  fers  dudit  Saugrain  touchant  la  reliure  lui 
seront  rendus  après  leur  séparation,  selon  l'inventaire  par  eux  fait 
et  s'ils  en  achetaient  ou  en  faisaient  faire  d'autres  durant  ledit  temps, 
ils  seront  partagés  par  moitié. 

Item  que  après  ladite  séparation  les  boutiques  et  logements  qui 
ont  été  accordés  audit  Saugrain  tant  en  la  présente  ville  de  Pau  qu'.à 
Orthez  lui  resteront  ou  aux  siens  sans  que  ledit  Badel  y  puisse  rien 
demander  après  leur  séparation. 

Item  que  les  livres  que  ledit  Saugrain  avait  imprimés  à  Lyon  ne 
seront  pas  compris  dans  ladite  société,  auparavant  il  en  tirera  l'ar- 
gent pour  subvenir  à  ses  petites  nécessités  et  ils  seront  reliés  avec 
les  autres  livres  de  la  boutique,  quand  il  en  aura  besoin,  en  par- 
chemin vieux  seulement,  sans  rien  prendre  de  la  reliure. 

Item  que  si  ledit  Saugrain  venait  à  mourir  avant  ledit  temps  de 
leur  dite  société,  Jean  Saugrain,  son  fils  aîné,  pourra  continuer  et 
achever  ladite  société  avec  ledit  Badei  à  la  place  de  sondit  père,  et 
si  Abraham  Saugrain,  son  second  fils,  venait  par  deçà  et  voulait 
demeurer  avec  sondit  frère  et  faire  son  devoir,  il  sera  reçu  et  aura 
part  en  ladite  société  durant  icelle. 

Item  que  ledit  Saugrain  lèvera  sur  sondit  principal  ou  capital 
deux  cent  cinquante  ou  trois  cents  livres  tournois  quand  sa  nécessité 
le  requerra  et  ce  pour  payer  quelques  dettes  et  le  tout  en  diminu- 
tion de  sondit  capital. 

Item  tout  ce  que  ledit  Badel  a  promis  de  mettre  en  ladite  société, 
ledit  Saugrain  lui  en  fera  reçu  par  main  de  notaire  et  quand  lesdits 
Sangrain  et  Badel  iront  en  voyage  pour  les  affaires  de  ladite  société, 
ils  seront  nourris  et  entretenus  durant  ledit  voyage  aux  dépens  tant 
de  l'un  comme  de  l'autre. 

Item  que  lesdits  Saugrain  et  Badel  ne  lèveront  rien  sur  leur  prin- 
cipal ou  capital  que  pour  vivre,  ou  si  la  nécessité  requérait  qu'ils 
en  levassent  quelque  chose  davantage,  ce  sera  par  le  consentement 


70  ACTE   DE   SOCIÉTÉ   DE    DEUX   LIBRAIRES   DU   BÉARX. 

de  l'un  et  de  l'autre,  et  du  tout  sera  tenu  bon  compte  par  écrit  entre 
eux  en  un  livre. 

Item  que  ledit  Badel  donnera  à  Jean  Saugrain,  fils  aîné  dudit 
Saugrain,  pour  récompense  de  servir  de  l'état  en  ladite  société, 
savoir  :  trente  sols  tournois  par  chaque  mois,  et  quand  il  ira  en 
voyage  pour  la  société,  il  sera  nourri  et  entretenu  aux  dépens  de 
l'un  et  de  l'autre. 

Item  si  les  dits  Saugrain  et  Badel  prenaient  un  apprenti  ou  deux, 
ils  seront  entretenus  aux  frais  de  l'un  et  de  l'autre  pour  ce  qui  leur 
aura  été  promis  par  lesdits  Saugrain  et  Badel. 

Item  que  les  gages  qui  ont  été  accordés  audit  Saugrain,  qui  sont 
de  cent  livres  tournois  pour  chaque  année,  seront  mis  et  ajoutés  en 
ladite  société  durant  le  temps  d'icelle,  seulement  en  commençant  à 
lever  lesdits  gages  au  quartier  des  mois  de  juillet,  août  et  septembre 
prochain  de  l'année  présente  mille  V'=  LXXX;  de  l'argent  de  ces 
gages  qui  auront  été  mis  en  ladite  société  ou  la  valeur  d'iceux  ledit 
Saugrain  en  retirera  la  moitié  ou  les  siens  après  ladite  séparation 
soit  en  argent  ou  en  marchandise  de  tout  ce  qui  se  trouvera  alors  en 
nature,  à  prendre  sur  tout  ce  qui  restera  et  a  choisir  comme  de  son 
propre  capital 

Et  pour  ce  tenir,  observer  et  accomplir,  les  dites  parties  respec- 
tivement l'une  envers  l'autre,  ainsi  que  les  touche,  ont  obligé  tous 
et  chacuns  leurs  biens  et  ciioses,  présents  et  à  acquérir,  qu'ils  sou- 
mirent à  toutes  rigueurs  de  justice  et  d'enchères  et  ainsi  le  promi- 
rent et  jurèrent  au  Dieu  vivant 

A  Pau  le  vingt-si\'  de  janvier  mil  V'^  LXXX. 

Présens  et  témoins  :  Jean  Amelin,  de  Limoges,  Jean  de  Ainiz? 
marchands,  habitant  en  la  dite  ville  de  Pau,  et  moi  de  Forquet, 
notaire. 

Archives  des  Basses-Pvrénécs,  Série  E.  2003,  f"  35. 


LETTRE  DE   M.    HAMELOT  A    UN   JEUNE   PROPOSANT.  71 

LETTRE  DE  M.  HAMELOT 

A    UN   JEUNE    PROPOSANT 

Le  nom  de  Hamelot  ne  fig-ure  ni  dans  le  Bulletin  ni  dans  la  France 
protestante.  Autant  qu'on  peut  en  juger  par  la  lettre  qui  suit,  c'était 
une  de  ces  familles  pieuses  et  lettrées  si  nombreuses  dans  la  bour- 
geoisie protestante  du  xvii«  siècle,  qu'allait  bientôt  disperser  l'orage  de 
la  Révocation.  Notre  ami,  M.  Paul  Marchegay,  auquel  nous  devons  cette 
intéressante  épitre,  la  résume  ainsi  : 

Lettre  d'un  Hamelot,  fonctionnaire,  à  un  autre  Hamelot  (son  neveu?) 
écolier  à  Saumur,  et  attaché  à  la  maison  de  Villarnoul,  au  sujet  :  1°  d'une 
thèse  ou  d'un  sermon  sur  un  texte  de  l'épître  de  saint  Paul  aux  Romains 
(chap.  XIII,  V.  13  et  14)  dans  lequel  le  proposant  Hamelot  aurait  donne 
le  pas  aux  œuvres  sur  la  foi  contrairement  à  l'opinion  du  ministre,  M.  de 
la  Grand'Noue;  2°  au  sujet  des  études  dudit  proposant.  Le  jugement 
porté  sur  VInstitution  chrétienne  de  Calvin  n'est  pas  d'un  lecteur  ordi- 
naire. 

A   momieur  monsieur  Hamelot, 

chés  monsieur  le  marquis  de  Villarnou 

à  la  Forest. 

Le  2  de  février  1683. 

Hamelot,  il  y  a  déjà  longtemps  que  les  Oracles  ont  cessé  et  qu'il 
n'en  faut  plus  attendre  de  réponses. Ainsi  leur  silence  est  infail- 
lible, mais  les  avis  charitables  et  salutaires  ont  pris  leur  place  et 
ne  manquent  jamais  à  se  communiquer.  Tu  me  fais  toujours  bien 
du  plaisir  de  me  faire  part  de  tes  études  et  de  tes  propositions, 
mais  je  n'y  sçaurois  rien  dire  que  de  fort  simple  et  de  fort  commun  ; 
et  après  quelque  peu  de  bon  sens,  il  faut  que  tu  cherches  ailleurs 
la  sublime  solidité  et  la  beauté  des  recherches.  Ceux  qui  font  pro- 
fession de  prêcher  ont  des  connoissances  et  des  veues  que  les 
autres  n'ont  pas,  et  je  ne  doute  point  que  monsieur  de  La  Grand- 
noûe'  ne  pust  soutenir  son  sentiment.  Cependant  je  suis  icy  du  tien, 

1.  David  Pigoust,  S^  de  la  Graod'Noue,  ministre  de  la  Forèt-sur-Sèvre.  \'i 
Lièvre,  Hiat.  des  protestants  du  Poitou,  lil,  290. 


72  LETTRE   DE   M.    HAMELOT   A   UN   JEUNE    PROPOSANT. 

pour  toutes  les  raisons  que  tu  as  alléguées,  et  le  sens  el  lo  but  de 
l'Apostre  dans  tout  le  chapitre  et  principalement  dans  tou  verset, 
lie  peuvent  regarder  à  la  justification,  mais  seulement  la  présup- 
posant, nous  exhorter  à  la  sanctification  comme  en  étant  un  effet 
et  une  suitte  infaillible  qui  nous  vient  de  la  communion  à  J.  G. 
Mais  pour  éclaicir  plus  ma  pensée,  je  te  diray  que  cette  communion 
se  peut  considérer  sous  deux  idées  :  ou  en  tant  qu'elle  nous  unit  à 
J.  C.  par  la  foy  et  par  l'esprit,  ou  en  tant  qu'elle  nous  fait  les  imita- 
teurs (1^.  toutes  ses  vertus.  Or  c'est  dans  cette  imitation  que  S'  Paul 
fait  consister  le  devoir  des  Romains  dans  ce  chapitre,  et  laquelle  il 
demande  dans  un  si  souverain  degré  dans  son  verset  que  c'est 
comme  s'ils  devoyenl  être  revestus  de  J.  C.  luy  même,  et  le  repré- 
senter ainsi  parfaitement  tout  rayonnant  en  leurs  personnes  de 
piété,  de  charité  el  de  sainteté,  J.  C.  étant  en  effet  non  seulement 
l'auteur  de  notre  salut,  mais  l'unique  et  parfait  modèle. 

Ce  premier  membre  de  ton  texte  paroist  donc  clair,  ce  me  semble, 
ainsi  expliqué  ;  mais  le  second,  qui  en  est  une  explication,  comme 
tu  le  remarques  fort  bien,  ne  permet  pas  d'en  douter,  n'y  ayant  pas 
d'apparence  que  n'avoir  point  de  soin  de  la  chair  etc.,  etc.,  puisse 
se  rapporter  qu'à  la  sanctification.  Mais  voicy  encore  ce  que  l'on 
pourroit  dire  :  c'est  que  la  sanctification  a  deux  parties,  l'une  qui 
consiste  à  cesser  de  faire  le  mal  et  l'autre  à  faire  le  bien  ;  ce  qui  se 
trouve  assez  nettement  dans  le  verset  :  la  première  dans  n'avoir 
pas  soin  de  sa  chair,  et  l'autre  dans  Soîjés  revestus  etc.  etc.  Mais 
de  quelque  manière  que  tu  eusses  traitté  ton  texte,  cela  ne  te  devoit 
point  faire  de  peine  pour  me  faire  part  de  ta  pièce  parcequ'il  faut 
la  communiquer  telle  qu'elle  est  et  non  pas  avec  des  corrections  : 
autrement  je  n'aurois  pas  jugé  de  ton  ouvrage  mais  de  celuy  d'au- 
truy.  Tu  prendras  donc  tes  mesures  là  dessus. 

Pour  ce  qui  est  de  ta  lecture,  il  est  constant  que  l'Institution  de 
Calvin  est  écrite  d'une  manière  qui  fait  de  la  difficulté,  mais  cela 
vient  de  l'art  qui  y  est  ot  de  son  éloquence,  qui  est  tello  qu'on  peut 
dire  qu'il  n'y  a  point  de  pièce  d'orateur  plus  achevée.  Ainsi  l'art 
oratoire  triomphe  partout  et  le  dogmatique  est  caché  ;  mais  au  fonds 
il  y  a  un  remède,  qui  est  de  réduire  par  an  [alyse]  les  matières  en 
quoy  l'on  peut  trouver  son  conte.  Pour  le  livre  il  est  tel  en  soy  que 
l'on  luy  a  donné  cet  éloge  que 


LETTRE    DE  M.   HAMELOT  A   UN  JEUNE   PROPOSANT.  73 

Prœter  apostoUcas,  post  Christi  tempora,  chartas, 
Huic  peperere  libro  sœcula  nulla  parem. 

Ainsi  tu  n'en  sçaurois  lire  un  meilleur.  Pour  ce  qui  est  de  la 
chronologie  et  géographie,  si  tu  ne  veux  pas  les  posséder  a  fonds, 
il  faut  pourtant  en  avoir  quelque  idée,  soil  par  des  tables,  soit  par 
des  chartes,  car  ce  sont  choses  que  Ton  trouve  à  chaque  pas  que 
l'on  fait  dans  les  livres,  et  où  il  ne  faut  pas  se  tromper. 

Je  suis  bien  marry  que  mad"  Amyraut  ayt  parlé  si  franc,  car  une 
lettre  peut  être  lue  et  produire  un  mauvais  effet.  Je  luy  avois  seu- 
lement mandé  que  la  conjoncture  du  temps  et  l'incertitude  de  la 
subsistance  des  Académies  te  demandoient  de  la  patience;  mais  la 
bonne  femme  a  une  si  grande  passion  pour  toy  et  est  si  préoccupée 
de  son  collège  qu'elle  n'a  pu  s'empêcher  de  s'exprimer  fortement  et 
employer  de  nouveaux  termes. 

Il  fait  un  si  grand  froid  et  je  suis  si  accablé  d'affaires,  tant  publi- 
ques que  particulières,  que  je  suis  contraint  de  finir,  t'assurant  que 
tous  ceux  que  tu  salues  t'en  rendent  autant  et  que  je  suis  toujours 
à  toy 

Hamelot. 

N'oublie  pas  mes  compliments  a  monsieur  le  marquis  et  a  ma- 
dame la  marquise  et  assure  M''''  de  la  Grandnoiie  et  Coyaut*  de  mes 
obéissances. 

Au  dos  on  Ut  d'une  autre  main  :  la  charité  est  la  dernière  fin  do 
toutes  les  dispensations  de  Dieu  en  nous,  parce  qu'elle  est  la  souveraine 
perfection  de  l'hommo. 

(Orig.  autogr.  Papiers  de  la  Forèt-sur-Sèvre.) 

1.  Sur  le  ministre  Elle  Coyauld,  voir  Liôvre,  111,285,  291,  301. 


74.  fiELATION   DE   LA   MORT   DE   M.    PIERRE    DURAND. 

RELATION  DE  LA  MORT  DE  M.  PIERRE  DURAND 

-22  avril  J732. 


Le  Bulletin  publiera  dans  ses  prochains  numéros  une  série  de  lettres 
inédites  adressées  par  le  pasteur  martyr  du  Vivarais,  Pierre  Durand,  à 
Antoine  Court.  La  carrière  pastorale  du  frère  de  Marie  Durand  ne  fut 
pas  longue.  On  sait  que  trahi  par  l'apostat  Jacques  Astier,  et  arrêté 
près  de  Vernoux,  le  17  février  1732,  il  fut  transféré  successivement 
dans  les  prisons  de  Tournon  et  de  Monlpellier,  où  il  subit  de  longs  in- 
terrogatoires; il  ne  se  montra  pas  moins  ferme  devant  la  mort  qu'en 
présence  de  ses  juges  (voir  l'intéressante  notice  due  au  pasteur  Meyna- 
dier,  in  12,  Valence,  1861).  Il  existe  plusieurs  relations  du  martyre  de 
Pierre  Durand,  ainsi  qu'une  complainte  du  Désert  sur  le  même  sujet 
Le  récit  qu'on  lira  plus  loin,  écrit  par  ua  témoin,  Barthélémy  Claris,  est 
singulièrement  expressif  dans  sa  brièveté.  Il  a  été  copié  pour  nous  par 
M.  Armand  Picheral  Dardier,  dans  le  recueil  des  Lettres  à  Antoine 
Court,  t.  X,  0.  41  (Bibl.  de  Genève). 

«  C'est  avec  la  larme  aux  yeux,  écrivait  E.  Duvillard  à  Court,  que  je 
vous  apprend  la  prise  de  notre  cher  amy,  monsieur  le  Pasteur  Durand 
qui  fut  arrêté  le  12  de  ce  mois,  à  ce  que  l'on  me  marque  par  une  lettre 
que  j'ay  receue  hier  sans  seing  et  sans  me  dire  oi!i  il  a  été  pris.  Dieu 
veuille  le  soutenir  dans  ses  afflictions  !  Je  vous  laisse  le  soin,  si  vous  le 
trouvez  à  propos,  de  l'apprendre  à  son  épouse.  Pour  moy  je  ne  saurois 
m'y  résoudre.  » 

Grande  fut  la  douleur  de  madame  Durand  en  apprenant  la  captivité 
et  bientôt  après  la  mort  de  son  mari  ;  mais  son  courage  fut  égal  à  sa 
douleur,  si  l'on  en  juge  par  ce  fragment  d'une  lettre  à  Ant.  Court  : 

«  J'écrivis  à  mademoiselle  la  veuve  de  M.  Duran,  fidelle  ministre  et 
marlir.  Elle  m'a  répondu  de  la  manière  la  }»lus  crotieniie  et  avec  du 
savoir.  Cette  lettre  est  admirée  des  gens  de  cette  ville,  et  on  la  traduit 
en  allemand  pourque  ceux  qui  ne  savent  pas  le  français  la  puissent  lire. 
Personne  ne  la  lit  ni  ne  l'entend  nans  pleurer.  »  Lettre  d'Isabeau 
Corteis  à  Court,  du  7  juin  1732  (t.  Vil,  f-  2^21). 

Voicy  copie  d'une  lettre  qui  contient  la  relation  de  la  mort  de 
feu  M'  Durand  telle  qu'on  nous  la  manda  de  Montpellier  le  25  avril 
1732. 


RELATION'   DE   LA   MOUT   DE   M,    PIERRE   DURAND.  75 

Monsieur,  pour  m'aquiter  de  ma  promesse  je  prends  la  liberté 
de  vous  écrire  ces  deux  lignes  pour  vous  assurer  de  la  continuation 
de  mes  respects,  et  en  même  tems  pour  vous  informer  de  tout  ce 
qui  s'est  passé  au  jugement  et  à  la  mort  de  notre  cher  frère  et  con- 
fesseur, arrivée  mardy  dernier,  22"^  du  courant.  J'auray  donc  l'hon- 
neur de  vous  dire  que  lundy  matin  nous  vîmes  monter  à  la  citadelle 
neuf  juges  pour  voir  et  vérifier  l'état  de  la  procédure  faite  à  notre 
cher  confesseur,  et  pour  première  séance  ils  restèrent  4  heures, 
et  à  deux  heures  de  relevée  ils  y  remontèrent  et  y  restèrent  jusques 
à  la  nuit,  après  quoy  m'  l'intendant  leur  manda  d'avoir  la  bonté  de 
se  rendre  à  la  citadelle  le  lendemain  à  sept  heures  du  matin,  à  quoy 
il  fut  obey,  et  après  avoir  vérifié  toute  la  procédure,  ils  mandèrent 
venir  notre  cher  confesseur,  auquel  on  demanda  le  nom,  surnom  et 
qualité,  et  après  avoir  répondu  à  cet  interogat,  on  lui  fit  la  lecture 
de  toute  la  procédure,  on  lui  demanda  ensuite  sy  tout  le  contenu  en 
icelle  étoit  véritable;  il  repondit  qu'ouy;  on  lui  dit  alors  de  signer 
toutes  les  dépositions  et  interrogations,  ce  qu'il  fit  avec  une  fermeté 
héroïque;  après  quoy  on  le  fit  retirer  et  on  le  jugea  à  être  pendu. 
Après  cela  les  juges  ce  transportèrent  dans  la  prison  et  lui  firent 
la  lecture  de  sa  sentence;  il  les  remercia  de  cette  bonne  nouvelle 
puis  qu'ils  le  sortoient  de  captivité  pour  le  mettre  en  pleine  liberté  ; 
mais  la  grâce  quil  demanda  à  mons'  le  subdelegué  et  autres  ses 
juges  que  puis  qu'il  avoit  désobey  au  Pioy  pour  obéir  à  Dieu,  et  que 
son  cher  père  et  frère  étoient  détenus  prisonniers  à  son  occasion, 
de  vouloir  les  mettre  en  liberté;  Ils  lui  promirent  de  le  faire.  Il 
est  bon  de  vous  dire  par  parentèses,  que  les  juges  furent  ébaïs  de 
voir  un  homme  qui  signa  tous  les  interogatoires  sans  s'émouvoir. 
Nous  tenons  tout  cela  de  la  propre  bouche  du  greffier,  qui  assure 
que  la  citadelle  n'étoit  pas  plus  ferme  que  ses  jambes,  et  qu'il  signa 
aussy  hardiment  que  s'il  avoit  signé  un  contract  de  mariage,  ce  qui 
étonna  tous  les  assistans. 

Dès  qu'on  eut  achevé  la  lecture  de  la  sentence,  quatre  prêtres 
séculiers  et  un  de  l'Oratoire  s'aprocherent  pour  le  disposer  à  la 
mort  et  à  changer  de  Religion,  lesquels  il  remercia  fort  gracieu- 
sement, les  priant  de  le  laisser  mourir  en  repos,  et  quil  vouloit 
faire  la  paix  avec  Dieu,  et  quils  eussent  la  bonté  de  ne  pas  l'inte- 
rompre.  Ils  persistèrent  jusques  à  ce  que  l'exécuteur  vint  dans  sa 
prison  pour  le  prendre  et  pour  le  conduire  au  supplice;  auquel 


76  RELATION    DE  LA    MORT   DE   M.    PIERRE   DURAND. 

notre  cher  confesseur  demanda  sy  le  lieu  du  suplice  étoit  éloi^mé 
de  la  citadelle,  lequel  repondit  quil  n'étoit  pas  à  deux  cens  pas  de 
la  citadelle.  Notre  cher  confesseur  le  pria  de  lui  laisser  faire  sa 
prière  lors  quil  seroit  arrivé  au  pied  de  la  potence;  il  lui  repondit 
quil  y  resteroit  tant  quil  voudroit,  et  après  cela  il  se  mit  à  chanter 
le  pseaume  51".  Les  prêtres  voulurent  l'interompre,  mais  il  les 
pria  fort  de  le  laisser  mourir  en  repos  et  quil  vouloit  mourir  de  sa 
reliiiion.  On  le  sortit  au  milieu  d'un  détachement  de  cent  hommes, 
la  hayo^ète  au  bout  du  fusil;  six  tambours  devant  lui  et  sept  der- 
rière qui  ne  faisoient  que  rouler.  Il  est  bon  de  vous  dire  que  comme 
il  ne  cessa  de  pleuvoir  toute  cette  journée,  on  avoit  eu  le  soin  de 
faire  tenir  les  caisses  des  tambours  devant  un  grand  feu  pour 
qu'elles  fissent  plus  dejbruit.  Cela  n'empêcha  pourtant  pas  qu'on 
ne  distinguât  ce  qu'il  chantoit.  Lors  qu'il  fut  arivé  au  pied  de  la 
potence,  il  se  mit  a  genoux  pour  faire  sa  prière.  Les  cinq  prêtres 
furent  l'interompre  et  lui  dire  quil  y  avoit  assez  de  tems  pour  se 
réconcilier  avec  Dieu  en  changeant  de  religion,  ce  qui  obligea  notre 
cher  confesseur  à  dire  à  l'exécuteur  de  monter,  et  ils  montèrent; 
et  étant  arrivé  au  haut  de  l'échèle  il  fit  la  prière,  et  quand  il  connut 
que  l'exécuteur  pouvoit  l'avoir  attaché,  il  lui  demanda  s'il  avoit 
fait,  lequel  répondit  qu'ouy;  il  le  pria  de  lui  laisser  achever  sa 
prière,  ce  qu'il  fit,  et  après  que  notre  cher  confesseur  eut  achevé 
de  prier,  il  dit  à  l'exécuteur  de  le  dépécher.  Nous  tenons  tout  ce 
que  je  viens  de  vous  dire  depuis  sa  sortie  de  la  prison  de  la  bouche 
de  lexécuteur.  Le  major  de  la  ville  et  citadelle  ne  voulut  pas  nous 
permettre  de  l'ensevelir  dans  la  citadelle,  et  nous  le  fimes  enterer 
auprès  de  feu  M""  Roussel ^  Je  finis  en  vous  priant  de  comuniquer  la 
présente  a  nos  amis,  je  suis,  etc. 

1.    Le  toucluint    martyr  Alexandre   Roussel  d'IIzès,    jiendu  à  Montpellier,  le 
30  novei.ihrc  1728  {null.  t.  VIll,p.  4-78). 


MELANGES 


ODE  DE  M.  DE  CHANDIEU 

SUR   LES  MISÈKES   DES    ÉGLISES  FRANÇAISES 
QUI  ONT  ESTÉ   PAR   SI   LONGTEMPS  PERSÉCUTÉES 


Le  Bulletin  a  puJjlié  (t.  XXIX,  p.  416)  une  touchante  élégie  du  mi- 
nistre La  Roche-Chandieu  (Sadeel)  sur  la  mort  de  sa  fille,  tirée  d'une 
rarissime  plaquette  communiquée  par  31.  le  pasteur  Borloz.  Le  morceau 
qui  suit,  extrait  d'un  volume  non  moins  rare  appartenant  à  la  bibliothèque 
de  M.  Alfred  André,  présente  sous  un  autre  aspect  le  talent  du  pasteur 
de  l'ancienne  Église  réformée  de  Paris.  Ce  n'est  pas  sans  émotion  que 
nous  en  entendimes  la  lecture  dans  un  salon  qui  est  un  sanctuaire  de 
beaux  livres  et  de  pieux  souvenirs.  Cette  impression  sera  partagée,  nous 
n'en  doutons  pas,  par  les  lecteurs  du  Bulletin.  Ils  sauront  discerner  à 
travers  l'affectation  et  le  faux  goût  particuliers  à  l'époque,  les  accents 
d'un  vrai  poète. 

Le  volume  qui  renferme  ce  morceau  est  intitulé  :  EHUD  sive 
TVPANNOKTOXOi:.  TRAGŒDiA.  Auctore  Joanne  Jacomoto  Barrensi, 
cum  aliquot  Poematiis  latino-galiicis.  Apud  Joanneni  Tornœsium, 
010.  10.  Cl.  (1601),  in-12  de  160  pages. 

Dans  un  médaillon  placé  sous  le  titre  on  lit  :  Quod  tibi  fierinon  vis, 
aller i  ne  feceris. 

Les  diverses  poésies,  françaises  et  latines,  de  la  Roche-Chandieu, 
parmi  lesquelles  les  Octonnaires  sur  la  vanité  et  inconstance  du 
monde,  se  trouvent  réunies  à  celles  de  Jacomot  dans  ce  précieux  volume 
auquel  on  fera  d'autres  emprunts. 

L'astre  qui  l'an  fuyant  ramène, 
Commence  sa  troisième  peine, 
Depuis  que  la  fureur  des  cieux 
Tourne  et  foudroyé  sur  la  France, 
Sans  qu'il  naisse  aucune  apparence 
D'un  temps  serein  et  gracieux. 


'8  MELANGES. 

France  est  un  navire  semblable, 
Qui  n'a  mâts,  ny  voile,  ny  cable 
Qui  ne  soyt  rompu  et  cassé, 
Et  se  jecte  encore  à  la  nage 
Du  second  el  troisième  orage. 
Oublieuse  du  temps  passé. 

Son  gouvernail  est  cheut  en  l'onde 
Dont  elle  flotte  va:;abonde 
Au  seul  vent  de  sa  passion  ; 
Ja  du  naufrage  elle  s'approcbe 
Heurtant  à  l'insensible  roclie 
De  sa  longue  obstination. 

France  meurt  par  sa  propre  vie, 
France  est  par  sa  force  affaiblie, 
Et  sa  grandeur  la  met  en  bas. 
Son  tant  florissant  diadesme 
Devient  estranger  à  soy  mesme 
Quand  soy  mesme,  il  ne  congnoist  pas. 

France  fait  ce  que  n'a  peu  faire 
L'armée  de  son  adversaire. 
Soit  de  l'Espagnol  basané. 
Soit  de  cette  perruque  blonde 
Qui  n'a  autour  de  soy  que  l'onde 
Pour  borne  et  limite  assigné. 

Mais  enfin  faudra  qu'elle  sente 
Que  la  puissance  est  impuissante 
Quand  elle  se  peut  ruyner, 
Et  que  c'est  un  esclave  empire 
Quand  on  veut  ses  subjects  destruire 
Pour  ses  subjects  dominer. 

Qui  a  point  veu  le  j)lircnétique 
Lorsque  l'ardeur  du  mal  le  pique 
Cacher  son  glaive  dans  son  flanc, 
L'enragéfrançois  lui  ressemble, 
Meurtri  et  meui'lrier  tout  ensemble 
Se  baignant  en  son  propre  sang. 


-MÉLANGES.  79 

Furieux  se  plait  à  se  battre, 
Pensant  son  ennemi  combattre 
Et  mescongnoist  tous  ses  amis, 
Ceux  qui  pour  sa  langueur  soupirent 
Et  qui  sa  santé  luy  désirent, 
Et  les  tient  pour  ses  ennemis. 

La  France  est  troublée  ainsi  comme 
Quand  le  vin  osle  l'homme  à  l'homme, 
Il  chet  et  ne  pense  pas  clieoir. 
Malade  elle  pense  estre  saine, 
Travaillant  ne  sent  point  sa  peine. 
Voyant  sa  mort  ne  la  peut  voir. 

Saoule  de  sang  et  enyvrée 

De  sang  est  encore  altérée 

Et  s'en  vuide  en  s'en  remplissant. 

Se  veautre  au  bourbier  de  sa  gorge 

Que  blasphémant  elle  dégorge 

A  rencontre  du  Tout-Puissant. 

Ce  que  fait  le  irançois  tesmoigne 
Qu'il  est  frénétique  et  ivrongne, 
Privé  de  sens  et  de  raison, 
Si  qu'enfin  il  faudra  qu'il  meure, 
Car  pour  asseurer  sa  demeure 
Il  fait  cheoir  sur  soy  sa  maison. 

Quelle  est  ceste  forceneric 
Et  quelle  est  ceste  ivrongnerie 
Dont  le  françoys  est  transporté  ? 
L'idolâtrie  où  il  se  plonge, 
S'efforçant  d'assoir  le  mensonge 
Au  dessus  de  la  vérité. 

Il  ne  se  veut  rendre  docile. 
Ployant  son  col  sous  l'évangile  ; 
Mais  endurci  en  son  cueur, 
Il  cuyde  vivre  en  la  mort  mesme. 
Et  bien  dire  quand 'il  blasphème, 
Et  eslre  sage  en  sa  fureur. 


80 


MELANGES. 

Trois  fois  desjà  l'espée  a  prise, 
Trois  fois  a  transpercé  l'Église, 
Et  dans  son  estontiac  fendu 
Fait  tiédir  la  pointe  tranchante, 
Baignant  la  terre  rougissante 
Des  ruisseaux  du  sang  espandu. 

A  l'enfant  on  oste  la  vie 
Es  bras  de  sa  mère  qui  crie. 
Qui  s'efforce,  qui  le  défend, 
Et  qui  vient  sentir  la  première 
Le  coup  de  l'espée  meurtrière 
Et  de  la  mère  et  de  l'enfant. 

Le  père  a  veu  en  sa  vieillesse 
Mourir  le  fds  de  sa  jeunesse, 
Et  d'une  lamentable  voix 
Le  père  pleurait  la  misère 
De  son  fils,  et  le  fils  du  père, 
L'un  et  l'autre  mourant  deux  fois. 

Les  soldats  brutaux  et  farouches, 

Ont  souillé  les  pudiques  couches 

Des  maris  tout  devant  leurs  yeux, 

Yeux  ternis  d'angoisses  extrêmes 

Qui  voudroyent  n'estre  plus  yeux  mesmes 

Pour  ne  voyr  ce  crime  odieux. 

L»  vierge  en  son  florissant  aage 
A  esté  proye  de  leur  rage 
(Sans  qu'on  l'ayt  osé  secourir) 
Tout  devant  la  mère  liée 
Qui  attendant  d'estre  tuée 
Mourra  et  devant  que  mourir, 

Le  barbare  n'a  pas  eu  crainte 
D'ouvrir  la  mère  estant  enceinte, 
Qui  d'un  précipité  tourment 
Rend  son  fruict,  son  fruict  qui  bouillonne 
En  son  sang,  alors  qu'on  luy  donne 
Plutost  fin  que  commencement. 


MÉLANGES.  ^1 

Qiioy  plus?  L'air,  les  champs,  les  rivières 
Sont  tesmoins  que  les  mains  meurtrières 
Nous  ont  osté  vie  et  repos. 
L'air  retentit  de  cris  et  plaintes  ; 
De  sang  les  rivières  sont  teinctes; 
Les  champs  blanchissent  de  nos  os. 

Où  es-tu  !  reviens,  ressors  vite, 

0  sainct  vieillard  israelite 

Qui  as  veu  la  captivité 

Des  tiens,  leurs  assaux,  leurs  alarmes 

Et  as  le  cristal  de  tes  larmes 

Sacré  à  la  postérité. 

0  que  mes  yeux  ne  sont  fontaines 
Sourdans  du  rocher  de  mes  peines 
Et  faisant  des  fleuves  divers, 
Qui  sur  l'eschine  de  leur  onde 
Me  portassent  par  tout  le  monde 
Dedans  la  barque  de  mes  vers 

J'irois  au  pais  de  l'aurore 

Et  aux  sablons  recuits  du  More 

Et  jusqu'à  l'Espagnol  félon 

Qui  voit  coucher  la  grand'lumière 

Et  à  la  gent  qui  sent  première 

Le  froid  du  sifflant  Aquilon; 

J'obscurcirois  toute  la  terre 
Des  nouvelles  de  ceste  guerre. 
Des  massacres  pernicieux. 
Des  maux,  des  misères,  des  pertes 
Que  ses  fidèles,  ont  souffertes 
Pour  les  redire  à  mes  neveux. 

Mémoire,  mémoire  immortelle, 
De  ma  faible  voix  je  t'appelle 
Et  entre  tes  mains  je  remets 
Tant,  tant  de  cruautés  passées 
Et  contre  l'Église  exercées 
Pour  les  remarquer  à  jamais, 

XXXIII.   —  <i 


MÉLANGES. 

Arrache  à  l'oublieux  silence 
L'impitoyable  violence 
Qui  va  outrageant,  poursuyvaut, 
Qui  chasse,  qui  tue,  qui  brise 
Les  miens,  mon  peuple,  mon  Église 
Et  me  fait  mourir  en  vivant. 

Que  ta  main  noire  et  laide  trace 
D'un  encre  que  le  temps  n'efface, 
Les  meurtres'tant  démesurés 
Des  hommes,  que  dis-je,  des  hommes? 
Mais  des  tigres  par  qui  nous  sommes 
Assaillis,  meurtris,  dévorés. 

Témoin  ce  siècle  avecque  l'aage 
De  la  pharaonique  rage 
Et  de  l'orgueil  assyrien. 
Compte  les  maux  de  nos  Églises 
Avec  les  cruautés  commises 
Par  le  forcené  Syrien. 

Néron  le  malin  s'esbahisse 
De  voir  surmonter  sa  malice  ; 
Domitian  le  furieux 
Trouve  cette  fureur  nouvelle  ; 
Dioclétien  au  prix  d'elle 
Soit  dit  miséricordieux. 

Jadis  Romme  fut  détestable, 
Romme  est  encore  abominable 
Plus  qu'elle  n'a  jamais  esté. 
Que  Romme  à  Romme  face  place, 
Romme  anjourdhny,  Romme  surpasse 
En  horrible  meschanceté. 

Mais  que  fay-je?  hélas,  pourquoy  est-ce 
Que  chargé  de  douleur  j'abaisse 
Ma  veue  aux  hommes  terriens? 
Pourquoy  tieus-je  courbe  ma  teste 
Alors  (ju'estonné  je  m'arreste 
A  la  terre,  au  monde,  aux  moyens. 


MELANGES.  83 

J'eslève  à  toi  mes  yeux,  o  Sire, 
De  l'abysme  de  mon  martyre, 
A  toi  dont  la  grande  grandeur 
Surmonte  la  haute  machine 
Qui  d'un  cours  mesuré  chemine 
Et  ne  se  lasse  en  son  labeur. 

A  toy  dont  la  gloire  suprême 

N'a  semblable  à  soy  que  soy  mesme, 

Qui  es  tout  et  tout  est  en  toy  ; 

Dont  la  majesté  infinie 

Est  seule  source  de  la  vie 

A  tout  ce  qu'au  monde  je  voy. 

Ta  puissance  nous  manifeste 
Les  rayons  d'un  grand  œil  céleste 
Qui  roule,  roule  tout  autour 
De  son  azurée  carrière, 
Et  semé  l'or  de  sa  lumière 
Dont  il  nous  mesure  le  jour. 

Ta  sagesse  conduit  le  monde, 

La  terre  avec  la  mer  profonde, 

Et  ta  bonté  les  entretient. 

Ta  libéralité  commande 

Au  champ  labouré  qu'il  nous  rende 

Le  grain  qui  la  vie  soustient. 

Du  ciel  la  terre  est  arrosée. 
Et  des  larmes  de  la  rosée 
Qui  de  son  esmail  espandu 
Va  perlant  la  plaine  mouillée, 
Sitost  que  l'aube  réveillée 
Rameine  le  jour  attendu. 

Voyant  poindre  la  première  herbe, 
Voyant  l'esté  dorer  la  gerbe, 
Voyant  l'automne  rougissant 
Du  sang  de  la  grappe  vermeille. 
Voyant  des  glaces  la  merveille. 
Je  voy  que  tu  es  Tout-puissant, 


84  MÉLANGES. 

0  tout  puissant,  tout  bon,  tout  juste, 
Qui  ranges  sous  ton  bras  robuste 
Le  plus  roi  de  col  des  meschants, 
Voy  ta  gent  à  demy  deffaicte, 
Voy  nostre  vye  qui  est  faicte 
La  proye  des  glaives  tranchants. 

Le  sang,  le  sang  des  tiens  redonde 
^  Et  ruisselé  parmy  le  monde, 

Respandu  tout  aussi  comme  l'eau  ; 
Leurs  corps  gisent  sans  sépulture 
Servans  aux  bestes  de  pastures. 
Privés  de  l'honneur  du  tombeau. 

0  Dieu,  ton  Eglise  opprimée, 
Ta  gent  à  demi  consumée 
Et  exposée  à  l'abandon, 
Baignée  en  ses  larmes  sejecte 
Aux  pieds  de  ta  bonté  parfaicte, 
Te  demandant  grâce  et  pardon. 

Mon  Dieu,  mon  Seigneur,  je  confesse 
Que  je  t'ay  offensé  sans  cesse, 
Ne  ciieminanl  selon  ta  loy  : 
Hélas!  ma  grande  ingratitude 
Mérite  un  chastiment  plus  rude 
Que  tous  ces  maux  que  je  reçoy. 

Je  n'ay  ta  parole  sacrée 
Comme  je  devoy,  révérée; 
Mes  ténèbres  ont  combattu 
Contre  la  clarté  de  ta  face; 
Ma  lascheté  contre  ta  grâce. 
Mon  vice  contre  ta  vertu. 

Mais  pourquoy  ta  parole  Saincte 
Seroit-elle  en  ma  playe  atteincte 
Et  percée  par  mon  costé? 
Las,  faudra-t-il  qu'elle  innocente, 
Elle  juste  l'opprobre  sente 
Que  moy  coupable  ay  mérité? 


MÉLANGES.  85 

Soy  garend  de  ta  gloire  propre, 
Vengeant  le  blasphème  et  l'opprobre 
Dont  les  meschans  t'ont  diffamé; 
Les  méchans  qui  contre  ta  gloire 
Pensent  avoir  desjà  victoire 
Par  leur  bras  contre  moy  armé. 

Je  t'appelle,  o  Souverain  juge, 
Afin  que  ta  Majesté  juge 
Entre  moy  et  tes  ennemis. 
Je  t'appelle,  o  Dieu  véritable 
Afin  que  me  sois  secourable 
Ainsi  que  tu  me  l'as  promis. 

Que  la  grande  clémence  tienne 
Efface  la  grand'faute  mienne. 
Et  me  lave  au  sang  précieux 
De  celuy  qui  souffrant  ma  peine 
M'a  acquis  l'attente  certaine 
Et  la  demeure  de  tes  cieux. 

Donne  l'honneur  de  la  victoire 
A  ceux  qui  désirent  ta  gloire. 
Haussant  ta  secourable  main 
Qui  mettant  fin  à  mon  oppresse, 
Face  tant  que  ma  petitesse 
Triomphe  de  l'orgueil  mondain. 

Tiré  as  ta  gent  ancienne 

De  la  misère  Égyptienne, 

Ta  gent  qui  a  vu  descouverts 

Les  creux  vaisseaux  des  eaux  profondes, 

Foulant  les  cachettes  des  ondes 

Et  passant  a  sec  au  travers. 

0  Dieu  puissant  et  redoutable, 
Toujours  à  toy  même  semblable, 
Voy  doncques  ma  captivité; 
Change  ma  foiblesse  en  puissance, 
Ma  peur  en  joye  et  assurance. 
Ma  servitude  en  liberté. 


86  BIBLIOGUAPIIIE. 

Et  fay  que  le  ciel  et  la  terre, 
Et  ce  que  l'un  et  l'autre  enserre 
Se  réjouisse  en  te  servant  ; 
Que  tout  à  son  tout  face  hommage, 
Et  que  tous  d'un  mesme  courage 
Adorent  un  seul  Dieu  vivant. 


I 


BIBLIOGRAPHIE 


UN  TESTAMENT  DU  XVP  SIECLE 
In-12.  Paris,  1883.  Monneuat,  libraire-éditeur*. 

Avant  de  lire  les  49  pages  de  cette  charmante  plaquette,  on  est 
frappé  à  première  vue  de  la  beauté  du  papier,  de  la  pureté  des 
caractères  et  de  leur  distinction.  Cela  sort  des  presses  de  J.-G.  Fick, 
de  Genève,  et  c'est  tout  dire  :  car  leur  réputation  est  universelle. 
Si  nous  connaissions  la  personne  qui  a  mis  en  vente  l'opuscule, 
nous  l'en  féliciterions,  ne  serait-ce  qu'à  cet  égard,  car  l'œil  est 
flatté  fort  agréablement,  et  par  le  temps  qui  court,  cet  avantage 
n'est  pas  à  dédaigner. 

Mais  après  lecture,  nous  pouvons  louer  le  dedans  aussi  bien  ({ue 
le  dehors.  Il  est  bien  original  et  bien  curieux,  en  effet,  ce  testament 
dicté,  le  15  décembre  1575,  par  devant  Pierre  Chiboust,  notaire 
royal  à  Lizy-sur-Ourq,  par  Antoinette  d'Angesne,  veuve  de  messire 
Charles  du  Broulat,  baron  de  Montjay,  etc.  «  Estant  asseurée  de  la 
promesse  de  mon  Dieu  confirmée  mesme  par  son  serment,  dit  la 
noble  dame,  je  ne  demande  plus  sinon  de  dévcstir  cotte  chair  cor- 
ruptible pour  estre  faicte  participante  de  la  gloire  promise,  ce  que 
je  désire  par  mon  esprit,  informée  de  la  foy  en  Jésus-Clirist,  quoi({ue 

1.  Extrait  de  l'Evangtlisle  du  7  décembre  1883. 


BIBLIOGRAPHIE.  HT 

ma  chair  murmure,  désirant  tousjours  demeurer  en  Egypte,  mais  je 
sais  que  je  ne  peux  entrer  en  ce  repos,  sy  premièrement  l'ordon- 
nance du  Seigneur  n'est  accomplye  en  moy,  qui  est  de  finir  le  cours 
de  ceste  vye  par  mort,  parquoy,  n'attendant  plus  que  ceste  heure 
déterminée  de  Dieu,  j'ai  bien  voulu  laisser  par  escrit  à  vous,  mes 
très  chers  enfants,  et  à  tous  mes  amis,  quelle  a  esté  ma  dernière 
volonté.  » 

Comme  cela  sent  bien  son  xvr  siècle,  un  siècle  de  foi  profonde 
et  héroïque!  La  religion  est  la  chose  la  plus  importante,  pour  la- 
quelle, quand  Dieu  le  demande,  on  sacrifie  tout  :  son  repos,  sa  for- 
tune, sa  vie.  Tous  les  testaments  faits  par  les  huguenots  de  cette 
époque  (nous  en  connaissons  un  très  grand  nombre)  ont  cet  incom- 
parable cachet  de  sérieux  et  de  piété,  qui  montre  bien  de  quels 
sentiments  ces  fortes  ûmes  se  nourrissaient.  C'est,  d'un  côté,  un 
témoignage  de  gratitude  envers  Dieu;  on  se  complaît  dans  l'énu- 
mération  de  ses  misères  morales,  de  son  indignité,  parce  qu'on  se 
sait  racheté  par  Jésus-Christ,  et  l'on  proclame  son  salut.  Et  d'un 
autre  côté,  c'est  une  solennelle  confession  de  foi  sur  les  points 
essentiels  du  christianisme,  et  aussi  un  suprême  avertissement, 
une  dernière  exhortation  adressée  aux  vivants  du  fond  de  la  tombe. 

<i  Premièrement  doncq,  connoissant  que  le  vouloir  de  mon  Dieu 
a  esté  me  faire  sa  créature  et  mettre  dedans  ce  corps  une  âme  créée 
à  son  image,  laquelle  non  seullement  il  a  créée,  mais  aussi  recréée, 
pour  quoy  faire,  par  une  amour  singulière  n'a  rien  épargné, 
jusques  à  exposer  son  très  cher  fils  à  mort...  j'ay  aussi  été  faicte 
membre  du  corps  de  Jésus  et  sœur  d'icelluy  et  conséquemment 
héritière  avecque  luy.  Pour  un  tel  amour  de  mon  Dieu,  et  charité 
si  grande,  qu'il  a  voulu  monstrer  aux  hommes,  et  par  la  foy  que 
j'ay  reçeue,  je  me  persuade  en  asseurance  ferme  que  c'est  un  excel- 
lent et  parfait  ouvrier,  et  que  ung  si  bon  père  ne  veult  rejetter  son 
enfant,  comme  assez  nous  monstre  soubs  la  parabolle  de  l'enfant 
prodigue. 

»  Ici  donc,  entendez  que  en  moy  ne  trouve  aucun  bien  digne  d'un 
tel  héritage  de  ce  bon  Père  céleste,  car  j'ay  désobéy  à  sa  Saincte 
Loy,  suivant  les  affections  de  ce  monde  et  de  ma  chair,  prenant 
plus  de  plaisir  aux  choses  visibles  et  terriennes  qu'aux  invisibles  et 
célestes,  espérant  souvent  plus  aux  richesses  incertaines  qu'au  Dieu 
vivant,  rompant,  hélas  !  de  jour  en  jour  la  promesse  que  je  lui  avois 


XX  bibliogkaphip:. 

t'aile  au  batesme.  Luy,  au  contraire,  par  sa  bonté  et  miséricorde 
infinies  m'a  appelée  à  sa  Saincle  Eglise,  par  la  cognoissance  de  sa 
Saincte  Parolle  et  vérité,  et  par  la  foy  en  nng  seul  Jésus-Christ,  et 
nonobstant  je  me  suis  détournée  de  Luy  par  idollatrye  et  supersti- 
tions, en  mettant  plus  mon  cœur  et  fiance  aux  créatures  qu'au 
Créateur. 

j)  Las,  s'il  me  falloit  rendre  compte  de  ma  vye  malheureuse,  et 
s'il  me  falloit  payer  ce  que  je  dois  à  mon  créditeur  et  comparoir 
devant  Sa  Majesté  sans  piège  et  respondant,  il  n'est  à  douter  que 
je  tomberois  en  désespoir,  car  en  toutes  sortes  j'ay  mal  faict  prof- 
iter les  tallens  qu'il  m'a  mis  entre  les  mains.  Ne  m'appuyant  doncq 
point  sur  mes  bienfaicts  et  mérittes,  comme  chargée  et  apesantye 
de  mes  péchez,  je  me  veux  reposer  sur  mon  Seigneur  Jésus,  lequel 
nous  invite  si  doucement  :  «  Venez,  dit-il,  vous  tous  qui  estes  tra- 
vaillez et  chargez  et  je  vous  soulagerai,  »  le  priant  qu'il  responde 
pour  moy  et  que  soye  participante  du  payement  et  satisfaction  géné- 
ralle  qu'il  a  faicte  à  Dieu  son  Père,  et  je  dis  avecque  Sainct-Es- 
tienne  :  «  Seigneur  Jésus,  reçoy  mon  esprit,  »  afin  que  bientost  je 
me  puisse  endormir  en  Dieu  pour  voir  les  grandes  richesses  de  mon 
Seigneur  en  la  terre  des  vivans.  » 

Une  bonne  Huguenote  ne  pouvait  manquer  de  faire  un  peu  de 
controverse,  même  in  extremis;  l'anti-cléricalisme  existait  déjà 
dans  toute  sa  verdeur.  Notre  dame  du  Broulat  n'échappe  pas  à  cette 
règle  alors  générale  :  elle  défend  «  pompeuses  funérailles,  somp- 
tueux services  anniversaires  et  aultres  fondations  de  grands  fraits 
avecq  son  de  cloches,  torches  et  autres  choses  semblables,  au  profit 
des  prestrcs  seuUement,  mais  au  détriment  et  farcerye  des  vivants. 
Quant  à  moy,  ajoute-t-elle,  je  ne  demande,  ni  service,  ni  messe, 
sçachant  bien  que  Jésus-Christ  est  constitué  de  Dieu  son  Père, 
évesque  et  sacrificateur  et  grand  prestre,  toujours  vivant  pour  in- 
tercéder pour  nous,  »  etc.,  etc. 

En  bonne  Huguenote,  aussi,  elle  recommande  à  ses  héritiers 
qu'ils  fissent  largement  la  charité  aux  pauvres.  —  Mais  il  faudrait 
tout  citer,  et  nous  renvoyons  à  l'opuscule  lui-même. 

La  personne  qui  vient  de  publier  ces  intéressantes  pages  a  voulu 
faire  sans  doute  œuvre  de  piété  et  d'édification.  Tous  ceux  qui  les 
liront  penseront  avec  nous  qu'elle  a  parfaitement  réussi. 

Parmi  les  exécuteurs  du  testament,  est  mentionné  en  première 


BIBLIOGRAPHIE.  89 

ligne  :  «  noble  homme  messire  Jacques  de  Broulal,  son  fils,  Es- 
cuyer,  seigneur  de  Lizy.  » 

Ce  Jacques  de  Broulat  est  mentionné  dans  la  France  protes- 
tante (t.  IV,  p.  35i.)  Grâce  à  la  protection  de  Catherine  de  Médicis, 
il  fut  d'abord  abbé  de  Saint-Syinphorien  de  Beauvais,  de  La  Rivour 
et  de  Lagny,  et  il  fut  appelé,  en  1551,  par  Henri  II,  à  remplir  le 
siège  archiépiscopal  d'Arles.  Ayant  embrassé  les  opinions  nouvelles, 
il  s'attacha  au  prince  de  Coudé,  et  fut  dépouillé  de  ses  bénéfices, 
comme  Odet  de  Chàtillon,  par  arrêt  du  Parlement  de  Paris,  en 
1562,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas,  lit-on  dans  la  Gallia  christiana, 
de  prendre  encore,  en  156i,  le  titre  d'abbé  et  de  comte  de  Lagny 
et  de  seigneur  de  Lizy.  Cette  dernière  seigneurie  appartenait  cer- 
tainement à  sa  famille,  et  fut  portée  dans  celle  de  Monllouet,  par 
Madeleine  de  Broulat,  petite-fille  de  la  testatrice,  dont  l'époux, 
«  François  d'Angesne,  Escuyer  et  seigneur  de  Montlouoit  »  est 
institué,  avec  son  grand-oncle  Jacques  du  Broulat,  exécuteur  tes- 
tamentaire. 

On  ne  sait  ce  que  devint  ce  Jacques  du  Broulat,  ancien  arche- 
vêque d'Arles;  on  croit  qu'il  se  retira  en  Allemagne.  Mais  évidem- 
ment, sa  mère,  la  testatrice,  avait  embrassé,  comme  lui,  le  protes- 
tantisme de  tout  cœur. 

Le  testament  doit  se  treuver  en  original  dans  les  archives  de  Lizy- 
sur-Ourcq  (AisneJ.  Mais  nous  savons  que  M,  Charles  Eynard  en 
avait  jadis  communiqué  une  copie  à  MM.  Haag,  éditeurs  de  la 
France  protestante. 

Le  nom  de  M.  Charles  Eynard  nous  a  semblé  une  garantie  suf- 
fisante de  l'authenticité  du  testament.  Mais  comme  cette  pièce  est 
d'une  rare  perfection,  nous  serions  heureux  que  quelque  ami  du 
département  de  l'Aisne,  quelque  voisin  de  Lizy-sur-Ourcq  voulût 
bien  prendre  la  peine  de  consuller  les  minutes  du  notaire  Pierre 
Chiboust.  Un  témoignage  de  visu  dissiperait  tous  les  doutes  qui 
peuvent  s'élever  à  cet  égard. 

Charles  Dardier. 


90  BIBLIOGUAPIIIE. 

MÉMOIRES  DE  BONBONNOUX 

CHEF   CAMISARD   ET   PASTEUR  DU    DÉSERT 

Un  beau  volume  in-i°,  Jl:2  pages. 

Bonbonnoux  n'est  pas  un  inconnu  pour  les  lecteurs  du  Bulletin, 
qui  ont  pu  lire  (t.  XVII,  p.  420;  t.  XXII,  p.  72,  118)  des  fragments 
importants  de  ses  mémoires  sur  lesquels  un  docte  étranger,  M.  Fros- 
terus,  professeur  à  Helsingfors,  a  le  premier  attiré  l'attention.  Bon- 
bonnoux a  eu  ce  rare  privilège  d'être  un  des  compagnons  d'armes 
de  Cavalier  et  un  des  pacifiques  collaborateurs  d'Antoine  Court, 
avant  d'aller  s'éteindre  dans  l'obscurité  à  Lausanne,  vers  le  milieu 
du  siècle.  On  peut  donc  l'envisager  sous  un  triple  aspect,  «  comme 
camisard,  pasteur  du  Désert  et  réfugié  ».  C'est  ce  qu'a  fait  M.  le 
pasteur  Vielles,  dans  une  fort  intéressante  préface  qui  alfecte  trop 
peut-être  le  ton  d'un  panégyrique  dont  l'héroïque  et  simple  Bon- 
bonnoux n'a  pas  besoin. 

Des  documents  très  précieux,  conservés  au  ministère  de-  la  guerre, 
conlîrment  et  comolètent  sur  plus  d'un  point  les  Mémoires  du  chef 
camisard.  Il  est  curieux  de  comparer  les  vicissitudes  de  sa  vie  er- 
rante à  travers  bois  et  montagnes,  dans  les  environs  de  Sauve,  avec 
les  fragments  de  la  correspondance  militaire  qui  le  concernent,  sous 
la  plume  de  Planque,  de  Lalande  et  de  Bàville. 

Le  17  janvier  1704,  Planque,  brigadier  des  armées  du  roi,  écrit 
à  Chamillard  :  «  Je  cherche  tous  les  expédients  du  monde,  tant  par 
des  embuscades  que  par  des  battues  sans  cesse  à  pouvoir  attraper 
Claris  avec  son  compagnon  Bonbonnoux,  qui  sont  les  deux  seuls  qui 
restent  dans  ce  canton.  » 

Le  12  du  même  nmis,  Planque  écrit  d'Anduze  :  ((  J'appris  hier 
que  les  seuls  scélérats  (sic)  (jui  restent  en  campagne,  qui  sont 
liavanel,  Claris,  le  Dragon,  l'Angiois,  Deleuze  et  Bonbonnoux, 
estoient  ensemble.  J'y  ay  envoyé  un  parti  de  quatre  sergents  et 
deux  caporaux  habillés  en  païsans,  conduits  et  guidés  par  un  homme 
de  confiance  (jui  m'a  promis  de  ne  pas  revenir  ([uïl  ne  les  tue  ou 
qu'il  ne  les  ramène.  Cependant  j'ay  vingt  et  deux  embuscades  dans 
les  lieux  suspects  et  les  plus  dangereux,  les(iuelles  ne  se  relèvent 


CORRESPONDANCE.  91 

■que  toutes  les  vingt  et  quatre  heures;  si  mes  mesures  ne  réussis- 
sent pas,  je  suis  au  bout  de  mon  latin.  » 

Bâville  n'est  pas  plus  heureux;  Claris  et  Bonbonnoux  déjouent 
sans  cesse  sa  vigilance,  dans  «  ce  canton  de  Coutacli  rempli  de 

/rochers  et  de  précipices  affreux  »,  où  ils  ont  coutume  de  se  retirer. 
Le  premier  finit  cependant  par  tomber  entre  les  mains  de  ses  enne- 
mis, et  sa  mort  sur  la  roue  fut  digne  de  sa  vie.  C'est  de  lui  que 

;  Roquelaure  écrivait  le  2G  octobre  1710,  à  Chamillard  :  «  Il  a  sou- 
tenu son  caractère  jusqu'à  la  fin;  il  est  mort  avec  toute  la  férocité  et 
toute  l'opiniâtreté  d'un  scélérat  endurci  dans  le  crime  depuis  long- 
temps. ))  Le  courtisan  Roquelaure  pouvait-il  s'exprimer  autrement? 
Les  Mémoires  de  Bonbonnoux  peignent  avec  une  singulière  vérité, 
en  traits  parfois  saisissants,  les  périls  et  les  souffrances  du  chef 
camisard  survivant  à  presque  tous  ses  compagnons  et  trouvant  dans 
l'apostolat  du  Désert  le  complément  de  sa  destinée  :  «  L'épée  de 
l'Esprit,  dit  M.  Vielles,  a  remplacé  celle  du  chef  de  partisans;  mais 
c'est  la  même  main  qui  le  porte,  pour  la  même  cause  et  du  même 
courage,  »  On  ne  peut  que  remercier  le  savant  pasteur  d'Anduze 
d'avoir  restitué  le  texte  des  Mémoires  admirablement  réimprimé  «  en 
Cévennes,  »  1883,  en  y  joignant  de  précieuses  notes  topographiques 
et  historiques,  ainsi  que  des  fragments  de  la  correspondance  inédile 
de  Bonbonnoux  qui  laissent  regretter  de  n'en  pas  connaître  davan- 
tage. Les  lettres  de  Bonbonnoux  ne  sont-elles  pas  le  complément 
indispensable  de  ses  Mémoires?  J.  B. 


CORRESPONDANCE 


UNE  BIBLE  DE  1565 

Aiiduze,  26  novembre  1883. 

A  Monaieur  Jules  Bonnet,  secrétaire  de  la  Société  de  l'Histoire 
du  Protestantisme  français. 

Cher  et  honoré  sccrôtairo. 
J'ai  l'honneur  dt;  vous  expédier  comme  don,  pour  hi  liihliothèijue  du 


92  CORRESPONDANCE. 

Protestantisme  français,  une  Bible  grand  in-f",  d'Honorati.  Lyon,  1565. 

Je  suis  bien  aise  que  ce  soit  dans  le  mois  même  du  quatre-centième 
anniversaire  de  la  naissance  de  Martin  Luther,  le  grand  réformateur. 

Voici  quelques  mots  sur  cette  Bible,  que  j'ai  acquise  d'une  famille 
pieuse  des  Cévennes,  à  Lasalle  (Gard).  En  tenant  compte  de  sa  date 
1565,  je  puis  dire  :  ce  précieux  exemplaire  des  livres  sacrés,  témoin  des 
commencements  de  la  réforme  dans  les  Cévennes,  était  donc  là,  en  pieuse 
garde,  pendant  les  jours  sanglants  de  1572;  les  jours  de  paix  relative  de 
i598;  les  jours  de  larmes  de  1685;  les  dragonnades  de  Louis  XIV,  et  la 
lulte  héroïque  des  Camisards. 

Ce  volume,  en  effet,  porte  en  deux  ou  trois  endroits  d'immenses  taches 
d'huile  très  anciennes,  et  je  me  demande  s'il  n'y  aurait  pas  là  un  sou- 
venir de  surprises  nocturnes,  quand,  au  bruit  de  quelque  fusillade,  la 
lampe  éteinte  et  renversée  précipitamment,  aurait  déposé  là  pour  nous 
de  glorieuses  reliques. 

Les  dimensions  du  volume,  non  compris  les  couvertures  assez  épaisses, 
sont  les  suivantes  :  Hauteur  des  folios,  40  centimètres;  largeur,  27  cen- 
timètres. Epaisseur  du  livre,  12  centimètres  (toujours  sans  les  couver- 
tures en  peau). 

Ce  volume  contient  1315  feuillets  (soit  2690  pages).  11  comprend  l'An- 
cien Testament  en  deux  tomes;  les  Apocryphes  et  le  Nouveau  Testa- 
ment de  la  dernière  revision  de  Calvin  et  de  Th.  de  Bèze,  avec  une  pré- 
face dans  laquelle  est  signalé  (Genève,  10  octobre  1559)  le  péril  des 
traductions  nouvelles,  notamment  de  celle  de  Sébastien  Gastalion... 

Notre  pieux  correspondant  décrit  ici  le  précieux  volume  qu'il  a  bien 
voulu  nous  offrir  et  qui,  malgré  quelques  lacunes,  occupera  une  place 
d'iionneur  ù  la  Bibliothèque  du  Protestantisme  français,  comme  relique 
cévenole.  11  termine  ainsi  : 

Tel  est  l'état  du  vénérable  exemplaire  que  je  confie  à  la  sollicitude  du 
secrétaire  de  la  Société  d'histoire  et  de  ses  honorés  collègues,  en  les 
priant  d'agréer  mes  fraternelles  salutations. 

Luc   PULSFORD. 


UN  BAPTÊME  EN  1713 

La  Rochelle,  le  13  janvier  1884. 

Monsieur, 
Depuis  plus  de  vingt  ans  \e  réunis  des  matériaux  pour  l'Histoire  du 
Protestantisme  en  Saintonge,  et  la  période  douloureuse  qui  sépare  1685 


CORRESPONDANCE.  93 

de  1787,  est  particulièrement  riche  en  documents.  On  ne  sait  que  trop 
que  durant  cent  trois  ans,  les  Français  professant  la  religion  réformée 
furent  mis  hors  la  loi  par  des  édits  qui  leur  fermaient  aussi  bien  le  foyer 
de  la  famille  que  le  foyer  religieux.  On  sait  que  les  prétendus  nouveaux 
convertis  furent  ainsi  contraints  de  présenter  leurs  enfants  au  baptême 
de  l'Eglise  romaine,  et  toutes  les  familles  protestantes  figurent  ainsi  sur 
les  registres  des  cinq  paroisses  catholiques  de  la  Rochelle  après  la 
Révocation. 

Mais  ce  qu'il  me  paraît  intéressant  de  constater,  c'est  que  les  curés 
appliquaient  cette  flétrissure  d'une  prétendue  illégitimité  aux  enfants 
des  protestants,  non  seulement  lorsque  le  mariage  ne  leur  paraissait  pas 
justifié  dans  les  formes  canoniques,  mais  même  lorsque  les  protestants 
avaient  dû  passer  sous  les  fourches  caudines  de  l'Église  régnante,  et  que 
leur  mariage  était  enregistré  par  les  prêtres  avec  les  formules  habi- 
tuelles. Voilà  l'intérêt  particulier  du  rapprochement  de  l'acte  de  mariage 
et  de  l'acte  de  baptême  que  je  vous  adresse. 

Je  tiens  à  la  disposition  du  Bulletin  une  liste  que  je  viens  de  recevoir 
des  premiers  réfugiés  huguenots  établis  à  New-Rochelle  New- York), 
que  je  dois  à  l'obligeance  de  M.  Henry  Lester,  de  New-Rochelle. 

Agréez  l'expression  de  mon  respectueux  attachement. 

L.    DE   RlCHEMOND. 

Le  huitième  jour  de  janvier  mil  sept  cent  un,  après  les  fiançaille-s 
et  la  publication  d'un  ban  faitte  suivant  les  ordonnances  de  l'Eglise 
et  de  ce  diocèze  et  qu'il  ne  s'est  trouvé  aucun  empêchement  cano- 
nique, par  vertu  de  la  dispance  de  la  publication  de  deux  autres 
bans  accordée  par  Monseigneur  l'Evesque  de  la  Rochelle,  en  datte 
du  sixiesme  de  ce  mois,  insinuée  au  greffe  des  insinuations  ecclé- 
siastiques de  ce  diocèse,  le  huitiesme  du  présent  mois,  contrôllée  le 
mesme  jour  huitiesme  dudit  mois,  je  curé  de  la  paroisse  de  Saint- 
Barthélémy  soussigné  ay  receu  le  consentement  mutuel  du  mariage 
du  sieur  Samuel  Joseph  Meschinet  de  Richemond,  natif  de  Riche- 
mond,  paroisse  d'Escurat  en  Saintonge,  demeurant  en  cette  ville, 
paroisse  Saint-Jean,  fils  de  feu  Joseph  Meschinet,  sieur  de  Riche- 
mond, et  de  demoiselle  Margueritte  Dumorisson,  se?  père  et  mère, 
avec  demoiselle  Suzanne  Oualle,  native  et  demeurante  en  cette 
ville,  paroisse  Saint-Barthélémy,  fille  de  feu  le  sieur  David  Oualle, 
bourgeois  et  marchand  d'icelle,  et  de  demoiselle  Gabrielle  Thomas, 
aussi  ses  père  et  mère.  Ensuitte  de  quoy,  je  les  ay  solennellement 
par  parole  de  présent  conjoint  en  mariage  et  leur  ay  donné  la  béné- 


9i  C0Ri5ESP0NDA\CE. 

diction  nuptiale,  selon  la  forme  de  nostre  mère  Sainte-Église,  en 
présence  de  Jacques  Bezelas,  marchand,  de  maistre  Jean  Micheau, 
notaire  royal  en  cette  ville,  François  Breas  et  André  Coiffé,  tesmoins 
qui  ont  assisté  audit  mariage  et  qui  ont  signé  avec  moy. 

Joseph  Meschinet  de  Riciiemond. 
susanne  oûalle. 

Beselaix,  Micheau,  Breard,  Texier,  curé  de  S'  Barthélémy. 
Bapt.  mar.  et  sépult.,  1700-1701,  55  fr.,  p^"  S'  Barthélémy  de  la 
Rochelle.  Archives  communales  de  la  Rochelle. 

Le  dix-huit  du  même  mois  (février  1713)  a  esté  par  moy,  prêtre 
soubsigné,  baj)tisée  Marie-Anne,  fille  naturelle  de  Samuel  Joseph 
Meschaint  (sic)  et  de  Suzanne  Ouâlle,  mariez  à  la  huguenolte;  ont 
esté  parein  et  mareine  Jacques  Talineau  et  Anne  Gautron,  qui  ne 
savent  signer,  de  ce  enquis;  cet  enfant  est  né  le  seize  du  courant; 
le  père  absent  et  ne  s'est  pas  trouvé  au  baptême. 

Ragueneau,  prêtre  de  Notre-Dame. 

Reg.  des  bapt.  mar.  et  inhum.  de  la  p'*^»  Notre-Dame,  J  712-1 713  (Ar- 
chives communales  de  la  Rochelle). 


RECTIFICATION 

A   PROPOS  d'un   cantique 

Milhau,  13  décembre  1883. 

Monsieur, 

Je  viens  de  recevoir  le  compte  rendu,  publié  sous  les  auspices  de  la 
Société  fin  Protestantisme  français,  des  réunions  liisloriques  du  Gard  en 
octobre  dernier. 

C'est  par  erreur  que  dans  ce  compte  rendu  les  paroles  du  cantique  : 
«  Ils  ne  sont  plus,  ô  Dieu,  ces  sombres  jours  d'orarjc,  etc.,  d  sont  attri- 
buées à  M.  le  pasteur  Juillerat. 

Ce  cantique  a  été  composé  par  mon  père,  M.  J.  M,  de  Carbon  P^errière, 
à  la  demande  du  ])aslcur  Lissignol,  pour  la  consécration  du  premier 
temple  de  Cette,  vers  1832  ou  1833. 

Je  dois  à  la  mémoire  de  mon   père  de  vous   prier  de  relever  celle 


CORRESPONDANCE.  95 

erreur  dans  un  des  premiers  cahiers  du  Bulletin  de  rilisloire  du  Prolcs- 
tantisme  français. 

Mon  père  a  composé  un  recueil  de  cantiques  dont  quelques-uns  ont 
paru  sans  nom  d'auteur  dans  l'ancien  journal  les  Archives  du  Christia- 
nisme, et  ont  été  insérés  depuis  dans  plusieiirs  des  recueils  qui  sont  en 
usage  aujourd'hui  dans  nos  Eglises. 

Je  citerai  entre  autres  le  cantique  pour  la  Réformation  :  «  Chrétiens, 
entonnons  des  cantiques,  etc.  »  Il  fut  composé  à  l'occasion  du  jubilé 
séculaire  de  1817.  Deux  pour  les  missions  :  «  Seigneur  Jésus  du  haut 
de  ta  demeure,  etc.,  »  et  «  Sur  ion  Église  universelle,  »  etc.  Un  grand 
nombre  sont  restés  inédits. 

Agréez,  Monsieur,  mes  salutations  chrétiennes. 

E.  DE  Carbon  Ferrière. 


N.  B.  —  M.  Frank  Puaux  nous  prie  d'annoncer  qu'il  prépare  une  réim- 
pression des  Plaintes  des  Protestants  de  Claude,  à  l'occasion  de  l'anni- 
versaire de  la  révocation  de  l'Édit  de  Nantes,  et  que  ce  travail  destiné 
à  paraître  en  octobre  1885,  est  assez  avancé.  Des  faits  récents,  qu'il  est 
superflu  de  rappeler  à  la  mémoire  de  nos  lecteurs,  l'invitent  à  prendre 
date.  (Réd.) 


MAISON  DE  CALVIN  A  ORLEANS 

Plusieurs  feuilles  protestantes,  notamment  la  Renaissance  du 
4  janvier,  ont  annoncé,  sur  la  foi  du  Journal  du  Loiret,  que  l'on 
démolit  en  ce  moment,  rue  du  Gros-Anneau  n"  10,  la  maison 
qu'habita  Calvin,  étudiant  en  droit,  à  Orléans,  et  dans  laquelle  il  re- 
cevait ses  deux  amis,  le  célèbre  libraire  Leurez  (lisez  :  Leroy, 
Re(jiiis)et  Théodore  de  Bèze;  autant  d'erreurs  que  de  mots.  Les 
deux  maisons  qu'habita  Calvin,  rue  d'Argery  et  rue  du  Pommier, 
sont  connues,  grâce  aux  savantes  recherches  de  notre  collaborateur 
M.  Jules  Doinel  {Bull.,  t.  XXVI,  p.  185);  et  à  supposer  qu'il  ait 
jamais  occupé  la  chambre  du  numéro  10  aujourd'hui  démoli,  dans 
la  rue  du  Gros-Anneau,  il  ne  put  y  recevoir  Th.  de  Bèze  de  dix  ans 
plus  jeune  que  lui,  et  à  peine  adolescent  à  réj)0(jue  oii  Calvin  ter- 
minait ses  études. 


NÉCROLOGIE 


.C  ALPHONSE  LAGARDE 

Le  dernier  numéro  du  Bulletin  contenait  un  suprême  hommage  à  un 
pasteur  éminent,  M.  Benjamin  Vaurigaud,  qui  fut  un  des  meilleurs  amis 
de  notre  œuvre  historique.  Nous  avons  à  enregistrer  aujourd'hui  un  nou- 
veau deuil  pour  notre  Société,  la  mort  de  M.  Alphonse  Lagarde,  ancien 
juge  de  paix  à  Tonneins,  un  de  ces  laïques  pieux,  lettrés,  qui  sont  l'hon- 
neur du  protestantisme  français.  M.  Lagarde  a  adressé  de  nombreuses 
communications  à  l'ancien  Bulletin  (voir  la  Table),  sans  négliger  le  nou- 
veau (t.  XXIV,  p.  LiO).  On  a  de  lui  un  excellent  livre  :  Histoire  des  Églises 
réformées  de  VAgenais,  qui  perpétuera  son  souvenir  dans  son  pays  natal. 
M.  le  pasteur  Fargues  lui  a  consacré  une  notice  émue  dans  le  Chris- 
tianisme du  ^5  janvier,  dont  le  numéro  précédent  rendait,  par  la  plume 
de  M.  Davaine,  un  juste  hommage  à  la  mémoire  de  M.  Vaurigaud. 

J.  B. 


Nous  avons  sous  les  yeux  les  livraisons  31  et  32  des  Grandes 
scènes  historiques  du  xvr  siècle.  La  première  contient  un  tra- 
gique épisode  d'histoire  locale  :  La  surprise  de  la  ville  de  Nismes 
par  ceux  de  la  Religion  le  15  de  novembre  1569,  en  la  nuit.  La 
seconde  expose  Vœiivre  de  Tortorel  et  de  Perrissin  avec  toute  l'au- 
torité qui  s'attaciie  à  la  plume  de  M.  le  vicomte  Henri  Delaborde. 
Nous  ne  pouvons  que  former  des  vœux  pour  le  succès  si  mérité  de 
cette  belle  publication. 


Le  Gérant  :  Fischbacher. 

BouBLOTON,  Imprimeries  léunics,  B. 


SOCIETE  DE  L'HISTOIRE 

DU 

PROTESTANTISME  FRANÇAIS 


ETUDES   HISTORIQUES 


L'ÉGLISE  RÉFORMÉE  DE  LA  GALMETTE 

PAGES   d'histoire   LOCALE  * 


I 


Quand  on  sort  de  Nîmes  par  le  chemin  d'Alais,  en  laissant 
derrière  soi  la  colline  de  la  Tourmagne,  pour  suivre,  dans 
ses  monotones  détours,  la  route  confinant  aux  anciennes  as- 
semblées du  désert,  qui  longe  le  bois  des  Épaisses,  franchit 
le  plan  de  la  Fougasse,  et  traverse  les  carrières  romaines  de 
Barutel,  on  ne  peut  se  défendre  d'une  impression  de  tristesse 
en  rapport  avec  la  morne  aridité  du  paysage  pareil,  dit-on,  aux 
stériles  régions  de  la  Judée.  Gette  impression  ne  disparaît 
que  lorsqu'aux  abords  de  la  Calmette^  on  aperçoit  tout  à  coup 

t.  Je  dois  solliciter  doublement  Tindulgence  en  faveur  d'un  essai  qui  se  con- 
fond pour  moi  avec  la  Iradilion  des  aïeux  et  les  souvenirs  du  pays  natal,  dans 
un  coin  de  terre  toujours  aimé  ;  «  Paupera  régna!  » 

2.  Rourj^  de  l'200  liahitants,  à  13  kilomètres  au  nord  de  Nîmes, 

XXXIII,  —  7 


9N  l'église  réformée  de  la  calmette. 

la  plaine  du  Gardon  cultivée  comme  un  jardin,  parsemée  de 
villages,  que  dominent  à  l'Est  le  pic  de  Bouquet,  si  célèbre 
dans  l'histoire  des  Camisards,  et  au  Nord  les  Gévennes,  dont 
les  cimes  bleuâtres  légèrement  tachées  de  neige  forment  le 
fond  d'un  tableau  qui  n'est  pas  sans  grandeur. 

Nîmes,  l'antique  Nemausus,  capitale  des  Volces  Arécomi- 
ques,  avait  sons  sa  dépendance  vingt-quatre  bourgs  et  villages, 
parmi  lesquels  figurait  Calm  ou  Calmis,  désigné  dans  un  di- 
plôme de  121 1  sous  le  nom  de  Caslrum  de  Calmetta\  A  l'an- 
cienne station  romaine  succéda  le  bourg  fortifié  du  moyen 
âge,  relevant  à  la  fois  des  évêques  d'Uzès  et  de  la  ftimille  sei- 
gneuriale des  Bernard  Aton,  chevaliers  des  Arènes  de  Nîmes, 
qui  prirent  part  successivement  aux  expéditions  en  terre 
sainte,  et  à  la  guerre  des  Albigeois,  sous  le  drapeau  du  comte 
spolié  Raymond  VI  de  Saint-Gilles.  Il  semble  que,  dès  cette 
époque,  un  germe  d'indépendance  politique  et  religieuse  ait 
fermenté  au  sein  des  populations  que  devait  agiter  plus  tard  le 
souffle  orageux  de  la  Réforme.  En  1226  un  traité  d'alliance 
est  signé  par  les  chevaliers  des  Arènes,  parmi  lesquels  figurent 
Raymond  et  Bernard  de  la  Calmette,  pour  leur  commune  dé- 
fense contre  Louis  Vlll,  père  de  Saint-Louis;  suprême  effort 
d'une  nationalité  expirante  !  Le  traité  de  Meaux  (1229)  con- 
sacre l'asservissement  du  Midi  au  Nord.  La  seigneurie  de  la 
Calmette  incorporée  au  domaine  de  la  couronne,  sous  la  mi- 
norité de  Louis  IX,  passe,  avant  la  fin  du  siècle,  à  Raymond 
Gaucelin,  seigneur  d'Uzès,  baron  de  Vézenobres,  deBoucoiran 
et  de  la  Rouvière.  Un  acte  rédigé  le  8  août  1321,  dans  une 
salle  du  château  de  Vézenobres,  n'attribue  pas  moins  de  cent 
feux^  au  village  de  la  Calmette,  alors  fréquenté  par  de  nom- 

1.  Notice  hiitoiique  sur  le  village  de  la  Calmette  (Gard),  par  P.  Merle,  ln-8», 
Montpellier  1808. 

Germer-Durand,  Dictionnaire  toporjraphique  du  déparlement  du  Gard.  In-l", 
18C8.  i<  Villa  que  uuncupaiit  Calmes  in  comitatu  Uzetico  »  (p.  -42). 

2.  Ce  mot  doit  être  pris  ici  dans  le  sens  de  ménage,  habitation.  En  uu  sens 
plus  rigoureux,  il  s'appliquait  seulement  aux  familles  ayant  au  moins  dix  livres 
tournois  de  revenus  en  fonds  de  terre  et  nu-dessus  (environ  100  livres  de  notre 


l'église  réformée  de  la  calmette.  99 

brèiix  étrangers.  Les  revenus  du  péage  alimenté  par  un  mar- 
ché aux  bœufs,  se  tenant  toutes  les  semaines,  s'élevaient  à 
126  livres  à  partager  par  portions  inégales  entre  le  roi  et  le 
seigneur.  Un  fort  dont  on  voit  encore  les  restes^  se  reliant  à 
un  mur  d'enceinte  aujourd'hui  disparu,  protégeait  le  village 
qui  formait  un  prieuré  appartenant  à  un  chanoine  de  Nîmes". 
Il  est  ainsi  possible  de  recomposer  à  travers  les  âges  la 
physionomie  féodale  du  bourg  qui  se  dressait,  au  sortir  des 
Garrigues  de  Nîmes,  sur  la  plaine  fertile  que  baignent  le  Gar- 
don et  ses  divers  affluents  de  la  rive  droite,  Braune,  Loriol, 
etc..  On  peut  restituer  quelques  pages  de  son  histoire  à  l'aide 
des  vieilles  chroniques.  Après  la  paix  de  Brétigny,  premier 
entr'acte  de  la  guerre  de  cent  ans  entre  la  France  et  l'Angle- 
terre (1360),  de  nombreuses  bandes  de  routiers  se  rendant  en 
Espagne,  passèrent  par  Avignon  pour  rançonner  le  pape,  et 
laissèrent  de  terribles  traces  de  leur  passage  dans  le  Bas-Lan- 
guedoc. La  région  voisine  d'Uzès  eut  particulièrement  à  souf- 
frir des  ravages  exercés  par  la  compagnie  du  Petit  Meschin. 
Le  duc  de  Berry,  gouverneur  de  la  province,  acheva  de  l'exas- 
pérer par  ses  exactions^  Est-ce  aux  tuchins,  ou  à  ses  hommes 
d'armes  non  moins  redoutés,  que  l'on  doit  attribuer  la  sur- 
prise de  la  Calmette  mise  à  feu  et  à  sang  en  1382?  Le  souvenir 
s'est  conservé  de  malheureux,  bouillis  tout  vivants  dans  des 
chaudières  attisées  par  des  soudards;  temps  affreux  où  le 
.pouvoir  monarchique,  mal  fixé  sur  ses  droits  comme  sur  ses 

laouiiaic  actuelle).  A  ce  titre,  la  Calmette  comptait  seuleiueiit  neuf  l'eux  en  138.i, 
un  de  plus  ijue  Saint-Gcniès  de  Malgoires.  Dions  en  avait  sept  et  la  Rouvièro 
quatre,  à  la  même  époque.  Merle,  p.  "l"!. 

1.  Une  tour  très  ancienne  encastrée  dans  une  maison  du  village  du  côté  du 
couchant, (jui  regarde  la  Rouvicre. 

"2.  Merle,  p.  20.  En  1539,  les  ciianoines  de  l'église  de  Nimes,  au  nombre 
desquels  se  trouvait  Laurent  de  Bolonia,  prieur  de  la  Calmette,  demandent  au 
pape  Paul  III,  par  l'intermédiaire  de  l'évoque  Miciiel  Briçounet,  d'être  sécula- 
risés. Cette  réforme  donna  lieu  à  de  longues  contestations  et  ne  l'ut  accomplie 
qu'en  1551  {Ibidem,  p.  25). 

3.  Michelet,  Histoire  de  France,  t.  IV,  p.  51.  —  Dom  Vaissette,  Histoire  du 
Languedoc,  t.  IV,  p.  ;J82  et  suivantes. 


iOO  l'église  hékormée  de  la  rALMETTi;. 

devoirs,  n'était  point  un  aini  lutélaire  pour  les  populations 
que  leur  fidélité  incertaine  livrait  d'avance  à  tous  les  maux*  ! 
Aux  catastrophes  qui  viennent  des  hommes  s'ajoutaient  les 
calamités  qu'enfante  la  nature  sous  tous  les  cieux.  Vers  cette 
époque,  le  hameau  de  Massillan,  situé  dans  la  plaine,  au-des- 
sous de  la  Caiiïîette,  fut  emporté  par  une  de  ces  crues  subites 
connues  sous  le  nom  de  Gardonnades,  et  une  partie  de  ses 
habitants  échappée  au  désastre,  reflua  sur  la  Caliiiette,  se  re- 
levant à  peine  de  ses  ruines.  Le  hameau  de  Massillan  n'est 
plus  qu'un  souvenir.  Son  territoire  demeuré  longtemps  sans 
culture,  se  confond  avec  la  plaine  riante  qui  confine  aux  deux 
Habitarelles,  et  le  regard  s'étonne  de  ne  plus  rencontrer  le 
moindre  vestige  delà  catastrophe,  qui  n'a  laissé  de  traces  que 
dans  les  archives  locales^. 

Aux  ravages  des  grandes  compagnies,  aux  maux  de  la 
guerre  civile  entre  Armagnacs  et  Bourguignons,  succédèrent 
des  jours  meilleurs.  L'ordre  commence  à  s'établir  sous  la  des- 
potique autorité  de  Louis  XI.  Louis  XII  a  laissé,  malgré  ses 
guerres  malheureuses  en  Italie,  un  souvenir  populaire  dans 
les  campagnes.  L'époque  de  P^rançois  I""  se  confond  avec  la 
Renaissance  et  la  Réforme.  Un  souffle  nouveau  se  lève  sur  le 
monde;  villes,  châteaux,  chaumières,  en  ressentent  plus  ou 
moins  l'influence.  Les  âmes  se  réveillant  d'un  long  sonnneil  et 
secouant  leur  torpeur,  cherchent  comme  à  tâtons  de  nouveaux 
motifs  de  croire  à  des  vérités  supérieures.  La  lecture  de 
l'Evangile  en  langue  vulgaire  leur  ouvre  de  plus  purs  hori- 
zons. L'a(hniral)le  tableau  (pie  Bernard  Palissy  a  tracé  des 
commencements  de  l'Eglise  de  Saintes  n'est  pas  seulement 
vrai  des  populations  rurales  de  la  Saintonge  et  du  Poitou. 
Les  mêmes  effets  accompagnèrent  ailleurs  l'évangélique  mes- 
sage annoncé  par  des  cœurs  simples.  Les  après  vallées  des 

1.  Merle,  ouvrage  déjà  cilé,  p.  i^2.  Saiat-Genios  et  la  Rouvii;rc  ne  furent  pas 
épargnés. 

2.  Le  territoire  de  Massillan   fut   partage   entre  les  communautés  les  plus 
voisines.  La  Calmette  eut  la  meilleure  part. 


l'église  réformée  de  la  calmette.  101 

Cévennes,  les  plaines  du  Gardon  et  de  la  Vannage,  cette  petite 
Chanaan  du  Midi,  eurent  aussi  leur  printemps  spirituel  déjà 
riche  en  promesses.  Là  aussi...  «  Vous  eussiez  veu  es 
dimanches  les  compagnons  de  mestier  se  pourmener  par  les 
prairies,  bocages  et  autres  lieux  plaisants,  chantans  par 
troupes  pseaumes  et  cantiques,  lisans  et  s'instruisans  les  uns 
les  autres.  Vous  eussiez  veu  les  filles  et  vierges  assises  par 
troupes  es  jardins  et  autres  lieu.K  qui  se  délectaient  à  chanter 
toutes  choses  saintes  ^  » 

Deu.K.  villes  situées  à  peu  près  à  égale  distance  de  la  Calmette, 
Nîmes  et  Uzès,  furent  les  foyers  de  l'esprit  nouveau  dans  la 
région  qui  correspond  au  département  du  Gard.  D'obscurs 
messagers  dont  on  n'a  pas  conservé  le  nom,  précédèi'ent  les 
prédicateurs  en  titre  dans  ce  ministère  évangélique,  qui  n'est 
à  ses  débuts  que  la  réalisation  du  mot  de  l'apôtre  :  fai  cru, 
c'est  pourquoi  f  ai  parlé!  Dès  1547  les  fidèles  de  Nîmes,  sans 
pasteurs  pour  les  édifier,  entrent  en  rapport  avec  ceux  de  Ge- 
nève, et  reçoivent  de  Calvin  des  lettres  «  plus  douces  que  le 
miel  D  qui  circulent  également  à  Uzès^.  La  noble  famille  de 
Crussol  et  les  seigneurs  de  Saint-Privat  sont  favorables  à  la 
croyance  nouvelle  qui  trouve  un  appui  inespéré  dans  l'évêque 
d'Uzès,  Jean  de  Saint-Gelais.  Il  ne  faut  donc  pas  s'étonner  de 
ses  rapides  progrès  dans  les  villages  épars  sur  les  deux  rives 
du  Gardon,  à  Saint-Chaptes,  Dions,  la  Calmette,  la  Rouvière  et 
Saint-Geniès. 

Bien  que  la  majorité  de  la  population  demeurât  fort  attachée 
à  l'ancien  culte,  la  Calmette  compta  de  bonne  heure  des  sec- 
tateurs du  nouveau  se  réunissant  pour  prier  dans  des 
granges  isolées,  ou  sous  la  voûte  du  ciel,  dans  les  sites  agrestes 
dont  son  territoire  est  semé  du  côté  des  Huissières.  La  grotte 

I.  Œuvres  de  Bernard  l'alissy.  Extraits  reproduits  dans  le  Bulletin,  t.  I,  p.  90. 

"J.  Lettre  (1(!  l'Église  de  Nîmes  à  Calvin  du  14  juillet  l.ôi7  :  «  Eas  (épist  )  ut 
uKindabas,  ecclesiiB  uticensi  coininunicavimus,  cui  dulciores  visu)  sunl  luelle  et 
lavo.  ))  Calvini  opéra.  Edit.  Reuss,  t.  XII,  p.  S.'jO.  Voir  l'^galcnieiil  le  liiill.. 
t.  XXIX,  p.  491,  et  Derniers  Récits  du  xvi«  siècle,  p.  137. 


102  l'église  réformée   de    la    r.ALMETTE. 

de  la  Baume,  cachée  dans  un  pli  de  terrain  rocailleux,  est  un 
de  ces  sanctuaires  qui,  comme  la  Baume  des  Fées  de  Nîmes, 
semblent  taillés  par  la  nature  pour  les  furtives  réunions  d'un 
culte  proscrit.  Nul  doute  que  le  chant  des  psaumes  popula- 
risé par  Clément  Marot,  et  volant  de  bouche  en  bouche  comme 
le  signe  de  ralliement  de  l'Église  nouvelle,  n'ait  plus  d'une 
fois  retenti  dans  ces  gorges  solitaires  où  l'on  n'entend  aujour- 
d'hui que  le  cri  de  l'oiseau  de  proie  surpris  dans  sa  retraite  et 
la  cloche  monotone  des  troupeaux. 

Les  antiques  institutions  qui  représentaient  l'Église  du 
moyen  âge  étaient  une  barrière  impuissante  contre  l'hérésie 
qui  trouvait  partout  de  secrètes  complicités.  A  un  mille  de  la 
Galmette,  sur  la  route  de  Nîmes,  aux  pieds  des  arides  coteaux 
de  Peyramale  et  d'Estelzin,  quelques  débris  épars  rappellent 
l'existence  d'un  ancien  couvent  placé  sous  l'invocation  de 
Notre-Dame',  et  qui  dut  jouer  un  certain  rôle  dans  la  con- 
trée. Près  du  bâtiment  principal  jaillissait  une  source  aujour- 
d'hui presque  tarie.  Le  ruisseau  de  Goutajon  qui,  comme 
l'indique  son  nom,  recueille  pour  ainsi  dire  goutte  à  goutte 
les  eaux  de  pluie  si  rare  dans  cette  région,  et  le  suintement 
de  deux  fontaines  voisines  de  Barutel,  arrosait  l'enclos  mo- 
nastique lorsqu'il  ne  le  dévastait  pas  par  ses  crues  soudaines. 
Dans  ce  recoin  aujourd'hui  désert  où  croît  le  thym  et  la  bruyère, 
le  monastère  de  Notre-Dame  d'Estelzin  formait  une  oasis 
monastique  relevant  des  évêques  d'Uzès,  et  n'avait  traversé 
les  sombres  jours  du  moyen  âgequepouraffronter  la  Réforme 
et  les  guerres  de  religion  qui  n'en  ont  pas  laissé  pierre  sur 
pierre  :  eiiam  periere  ruinœ!  Le  pur  esprit  des  premiers 
âges  s'était-il  mieux  conservé  dans  cette  congrégation  des 
champs  que  dans  sa  métropole  nîmoise  de  Saint-Sauveur 
abritée  sous  les  voûtes  croulantes  du  temple  de  Diane?  On 

1.  Durand,  Dicl.  lopogr.  du  déparlement  du  Gard,  p.  7",).  Ce  fut  d'abord  un 
prieuré  rural  à  la  collation  des  évêques  d'Uzès  :  prioratus  de  Barilello.  Ménard, 
llial.  de  Nimefi,  t.  111,  p.  ITii.  u  Moniales  monaslerii  HeaUe  Mari»  de  Stau- 
zenco.  «  Ibidem,  p.  107.  Anno  1393. 


l'éclisk  réformer  de  la  calmette.  103 

l'ignore,  et  l'on  ne  peut  attribuer  qu'aux  mêmes  causes  leur 
commune  décadence'. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'Église  réformée  de  la  Calmette,  en  ses 
humbles  commencements,  dut  participer  aux  vicissitudes  des 
deux  grandes  Églises  voisines.  Est-il  téméraire  de  croire 
qu'elle  fournit  un  contingent  à  ces  réunions  furtives  de  la 
Tourmagne  qui  précédèrent  l'introduction  du  culte  réformé 
à  Nîmes?  Un  historien  nous  apprend  que  les  évangéliques 
des  villages  voisins  accouraient  à  ces  assemblées  nocturnes 
auxquelles  le  mystère  donnait  un  attrait  de  plus-.  Le  bois  des 
Épaisses,  qui  justifiait  alors  mieux  son  nom,  et  plus  près  de 
la  Calmette,  les  carrières  de  Barutel  eurent  sans  doute  aussi 
leurs  prêches  improvisés  qui  déjouaient  toute  surveillance.  A 
l'ombre  des  rochers  taillés  par  le  ciseau  romain  fleurit  la 
pervenche;  le  genêt  épineux  en  protège  les  abords,  et  les 
pieuses  mélodies,  errant  de  combe  en  combe,  n'éveillaient 
que  de  sobres  échos  dans  l'immensité  du  désert. 

Deux  figures  principales  de  pasteurs  se  détachent  alors  dans 
l'horizon  nîmois,  Mauget  et  Mutonis,  d'abord  unis  dans  l'é- 
vangélique  mission,  puis  divisés  par  des  rivahtés  personnelles 
au  détriment  du  règne  de  Dieu.  Mutonis,  sorti  d'un  couvent  de 
Grasse  en  Provence,  pour  prêcher  la  Réforme  à  Uzès,  avec  une 
éloquence  enflammée,  comptait  de  nombreux  partisans  à 
Nîmes,  où  Mauget  voyait  son  zèle  méconuu,  son  activité  para- 
'lyséepar  une  ardente  opposition.  Il  s'en  plaignit  à  Genève\ 
Il  ne  fallut  pas  moins  que  l'intervention  de  Calvin  pour  réta- 
blir la  paix  dans  la  congrégation  nîmoise  profondément  trou- 
blée :  «  Vous  scavez,  écrivit-il,  comme  le  fondement  de  l'é- 

1.  S'il  faut  en  croire  une  tradition,  les  dernières  religieuses  de  Notre-Dame 
d'Estelzin  allèrent  s'éteindre  au  couvent  des  Ursulines  de  Sommières. 

2.  Ménard,  Hist.  de  Nimes,  t.  IV,  p.  246,  248  de  la  nouvelle  édition. 

3.  «  Bien  est  vray  qu'on  nous  livre  beaucoup  d'assaux  et  fort  difficiles...  mais 
aussy  (qui  est  notre  grande  fascherie)  nos  propres  entrailles,  c'est-à-dire  quelque 
partie  de  ceux  de  nostre  consistoire  s'eslève  à  rencontre  de  nous  contre  tout 
ordre  et  discipline.  »  Mauget  à  Calvin,  12  mai  1561.  Lettres  françaises,  t.  Il, 
p.  403. 


104  l'église  réformée  de  la  calmette. 

t>lise  esl  uni  lé,  aiissy  qu'elle  s'entretient  en  son  estât  par 
fraternité  et  concorde.  Ainsi  ne  peut-on  attendre  que  dissi- 
pation et  ruine  quand  la  porle  est  ouverte  à  tous  débats  et 
contentions.  Et  de  faict  Dieu  accomplira  tousjours  ce  qu'il  a 
prononcé  par  la  bouche  de  saint  Paul  que  ceux  qui  se  mordent 
et  mangent  en  la  fin  se  consumeront^ .  »  Ce  langage  fut  compris 
des  deux  ministres  rivaux  et  de  leurs  adhérents.  Mutonis,  élu 
tumultueusement  à  Nîmes,  reprit  le  chemin  d'Uzès,  où  il  était 
vivement  regretté,  pour  y  continuer  le  beau  ministère  qu'il 
devait  clore  par  le  martyre  ;  tandis  que  Mauget  organisani 
l'Église  nîmoise  sur  le  modèle  de  celle  de  Genève,  la  prépa- 
rait aux  luttes  et  aux  épreuves  qui  ne  devaient  pas  tarder  ;'i 
l'assaillir. 

Le  a  petit  troupeau  »  de  la  Calmette,  à  peine  formé,  dut  res- 
sentir le  contre-coup  de  discordes  qui  agitèrent  les  deux 
grandes  congrégatior  s  voisines.  Entre  Mauget  et  Mutonis,  ses 
deux  pères  spiritueL,  il  ne  pouvait  prendre  parti  sans  ingra- 
titude. 11  dut  souscrire  à  l'hommage  rendu  par  les  anciens  de 
l'Église  d'Uzès  au  fidèle  pasteur  qui  lui  avait  toujours  prêché 
«  la  sainte  doctrine  et  dont  Dieu  avait  tellement  béni  le  la- 
beur que  leur  église  en  estoit  accreue  au  double-.  »  Mutonis 
méritait  cet  éloge.  Mauget  n'obtint  pas  moins  de  succès  à 
Nimes,  quoiqu'il  pût  dire  en  voyant  les  appels  se  multiplier  de 
toutes  parts  et  demeurer  sans  réponse  :  «  Nous  sommes  Irop 
peu  d'ouvriers  pour  recueillir  une  si  grand  moisson;  car  ces 
jours  passés  estans  assemblés  au  synode  provincial  en  la  ville 
de  Sauve  nous  ne  nous  sommes  trouvés  que  dix  ministres  pour 
cinquante-quatre  églises  qui  sont  en  ce  quartier  de  Languedoc, 
tellement  que  ce  pays  a  grand  besoin  de  gens  qui  veuillent  et 
puissent  s'emploier  vertueusement  pour  l'œuvre  du  Sei- 
gneur'. » 

1.  Lettre  du  l"'  juin  15G1.  Lettres  frant,' aises,  t.  II,  p.  403  et  suivantes. 

2.  Lettre  de  rÉj;;lise  rrilzès  aux  ministres  de  Genève,  du  7  mai  ir)(il.  liullelin, 
t.  XVU,  p.  4.82,  483. 

-.  Aux  ministres  (le  Genève,  H  mai  IMl  (Calvini  opéra,  t.  XVIII,  p.  446,447). 


l'église  réformée  de  la  calmette.  105 

L'Eglise  de  la  Calmette  était  certainement  une  de  celles  dé- 
nuées de  pasteurs,  dont  parle  ici  Mauget,  et  qui,  vers  1560, 
eurent  cruellement  à  souflrir  du  pillage  des  bandes  orga- 
nisées qui  comptaient  dans  leurs  rangs  de  prétendus  calvi- 
nistes ^  Quels  furent  les  premiers  membres  du  troupeau 
perdu  au  sein  d'une  majorité  catholique,  et  qui  n'acquit  une 
importance  réelle  que  par  son  extension  aux  deux  villages 
voisins,  Dions  et  la  Rouvière?  En  l'absence  de  tout  docu- 
ment primitif,  la  tradition  conservée  au  sein  des  familles 
peut  seule  fournir  une  réponse  à  cette  question.  Elle  inscrit 
les  noms  suivants  :  Arnassan,  Bonnet,  Hugues,  Maurel,  Mou- 
ret,  Granier,  Roux...  parmi  les  premiers  membres  de  la  con- 
grégation réformée,  qui  devait  plus  tard  conquérir  les  Ar- 
douin,  seigneurs  de  la  Calmette;  à  Dions,  la  doctrine  évangé- 
lique  était  professée  par  les  familles  Audemard,  Bruguières, 
Dombres,  Amalric,  Prades  ;  à  la  Rouvière  la  f;imille  Chambon 
était  acquise  à  la  foi  nouvelle  que  protégeait  le  seigneur  du 
lieu,  Robert  Le  Blanc,  membre  du  présidial  de  Nîmes,  où  il 
joua  dans  les  troubles  civils  un  rôle  importante  En  citant  ces 
noms  obscurs,  sauf  le  dernier,  j'éprouve  un  sentiment  ana- 
logue à  celui  qu'exprime  l'éloquent  auteur  des  Lettres  sur 
l'histoire  de  France,  Augustin  Thierry,  en  retraçant  les  vicis- 
situdes de  la  commune  de  Laon,  et  les  épreuves  des  bour- 
geois de  cette  ville  au  xii"  siècle  :  «  Je  ne  puis  m'empêcher, 
dit-il,  de  relire  et  de  prononcer  leurs  noms  plusieurs  fois, 
comme  s'ils  devaient  me  révéler  le  secret  de  ce  qu'ont  senti  et 
voulu  les  hommes  qui  les  portaient  il  y  a  sept  cents  ans.  »  Les 
ancêtres  de  la  liberté  religieuse  dans  un  obscur  hameau,  n'ont 
pas  moins  de  droit  à  nos  sympathies  que  les  héros  de  la 
liberté  politique  sur  un  théâtre  plus  important,  ou  plutôt  les 
deux  causes  se  confondent  dans  nos  respects  émus.  L'histoire; 

1.  On  se  rappelle  les  Camisaïub  blimcs,  ou  Cadets  de  la  croix,  vrais  brigands 
qui  désolèrent  le  Midi  lors  de  l'insurrection  cévenole. 

t.  Sa  fille  Honorade  Le  Blanc,  épousa  en  1570,  Jean  Boileau,  fils  du  châte- 
lain de  Casteinau,  depuis  longtemps  acquis  à  la  Réfornie. 


106  l'éguse  réformée  de  la  calmette. 

si  largement  ouverte  aux  grands  de  la  terre,  a  trop  négligé 
les  humbles,  les  petits,  dont  le  nom  se  retrouve  dans  les 
fondations  de  l'édifice  qui  abrite  aujourd'hui  leurs  descen- 
dants oublieux  ou  ingrats. 

L'Égiise-de  la  Calmette  entretint,  dès  son  origine,  les  plus 
étroites  relations  avec  celle  de  Nîmes,  tout  en  se  rattachant, 
dans  l'ordre  ecclésiastique,  au  colloque  d'Uzès.  De  1569  à 
1571,  elle  eut  pour  pasteur  Jacques  Queyrel,  inscrit  à  cette 
date  dans  les  actes  synodaux  du  Bas-Languedoc  *,  et  dont  le 
nom  disparaît  dans  les  troubles  ultérieurs.  L'Eglise  de  Saint- 
Geniès  de  Malgoires,  non  loin  de  la  Bouvière,  était  desservie 
par  Simon  d'Aresnes,  dont  le  nom  figure  dans  les  synodes  pro- 
vinciaux jusqu'à  la  fin  du  siècle  ^  La  période  de  dix  ans  qui 
précéda  la  néfaste  année  1572,  s'était  ouverte  sous  de  favo- 
rables auspices.  L'Édit  de  janvier  1562,  magnanime  inspira- 
lion  du  chancelier  l'Hôpital,  succédant  aux  atroces  persécu- 
tions exercées,  durant  un  quart  de  siècle,  sur  les  dissidents 
religieux,  inaugura  une  ère  réparatrice  également  invoquée 
par  les  sages  de  tous  les  partis.  Mais  le  massacre  de  Vassy, 
bientôt  suivi  de  celui  de  Sens,  plus  effroyable  encore,  mon- 
tra ce  que  l'on  devait  attendre  du  triumvirat  et  des  Guises, 
ces  implacables  adversaires  de  la  liberté  de  conscience.  Le 
sang  appelle  le  sang;  les  partis  coururent  aux  armes,  et  les 
provinces  du  Midi  ressentirent  le  contre-coup  des  tragiques 
événements  qui  se  succédaient  avec  une  effrayante  rapidité 
dans  le  Nord.  Nîmes  fut  un  des  foyers  les  plus  orageux  de  la 
lutte  entre  les  deux  religions  alternativement  triomphantes 
ou  proscrites  dans  ses  murs.  Le  voyage  de  Charles  IX  et  de  sa 
mère  s'aclieminant  lentement  vers  Rayonne  pour  y  recevoir 
les  sinistres  conseils  du  duc  d'Albe,  ne  fit  que  redoubler  les 
défiances.  Le  complot  ourdi  dans  la  maison  du  sieur  de  Ser- 

1.  Je  dois  cette  indication  au  savant  pasteur  Auzière  dont  les  travaux  de  géo- 
graphie protestante  prochainement  publiés  évoqueront  tout  un  monde. 

2.  Notes   communiquées  par  M.  Gardes,  étudiant  en  théologie,   qui  prépare 
une  thèse  sur  l'Kglise  il'Uzés.  Ljsto  insérée  dans  le  Ihilletin,  t.  XXI,  p.  13i. 


l'église  réformée  de  la  calmette.  107 

vas  et  dans  la  mystérieuse  entrevue  du  plan  de  la  Fougasse, 
entre  la  Calmette  et  Nîmes,  reçut  sa  tragique  exécution 
correspondant  à  la  tentative  de  Meaux.  Le  massacre  de  la 
Saint-Michel  (30  septembre  1567)  marqua  la  prépondérance 
du  parti  réformé  en  imprimant  une  tache  indélébile  à  ses 
chefs.  Ce  fut  bientôt  leur  tour  de  subir  la  persécution  et  de 
s'y  dérober  par  la  fuite  en  cherchant  un  asile  dans  les  âpres 
vallées  des  Cévennes  ou  dans  quelques  hameaux  de  la  Gardon- 
nenque  transformés  en  forteresses.  Ce  fut  le  cas  de  Saint- 
Geniès  de  Malgoires,  bourg  voisin  de  la  Calmette,  dont  les 
proscrits  huguenots  firent  un  camp  retranché  à  l'abri  de 
fortes  tours  capables  de  soutenir  un  vrai  siège*.  C'est  de  là 
qu'ils  partaient  pour  d'audacieuses  incursions,  à  travers 
les  garrigues  dont  tous  les  sentiers  leur  étaient  connus,  jus- 
qu'aux portes  de  Nîmes,  qui  se  rouvrirent  pour  eux,  dans  la 
nuit  du  14  au  15  novembre  1569,  grâce  au  stratagème  de 
Maduron  et  à  l'audace  de  Saint-Côme,  sieur  de  Qalvière,  un 
des  héros  de  ces  luttes  fratricides,  où  coulait  le  sang  le  plus 
généreux  sans  profit  pour  la  patrie  commune^. 

Quel  fut  le  rôle  des  protestants  de  la  Calmette,  de  Dions  et 
de  la  Rouvière  dans  ces  sombres  années  où  la  paix  n'était 
qu'une  courte  trêve  entre  les  partis,  et  où  le  drapeau  de  la 
guerre  civile  sans  cesse  déployé  à  l'horizon,  armait  voisins 
contre  voisins,  parents  contre  parents,  et  présidait  aux  plus 
cruelles  luttes,  à  celles  qui  troublent  et  parfois  ensanglantent 
le  foyer  domestique.  Aux  heures  de  crise,  plus  d'un,  sans 
doute,  parmi  les  adhérents  de  la  foi  nouvelle,  réduit  à  fuir 
du  hameau  natal,  alla  s'enfermer  dans  l'enceinte  fortifiée  de 
Saint-Geniès,  et  fournit  une  recrue  au  parti  qui  disait  avec 
Gondé  :  Pour  le  CJwisl  et  la  patrie  doux  est  le  péril  !  Les 
batailles  de  Saint-Denis,  de  Jarnac  et  de  Moncontour  eurent 
un  grand  retentissement  dans  les  campagnes  les  plus  recu- 

1.  Ménard,  Histoire  de  Nîmes,  t.  V,  p.  42,  et  Preuves. 

-.  Grandes  scènes  historiques  du  xvi''  siècle,  Ronioil  ilo  Toitorfl  cl  do,  Per- 
rissin,  n"  21. 


108  i.'kglise  héformée  de  la  calmette. 

lées.  Le  traité  de  Saint-Germain,  conquis  en  1570,  par  la 
retraite  victorieuse  des  princes  et  la  marche  hardie  de 
Goligny  sur  la  Loire,  ne  consacra  la  liberté  religieuse  que 
pour  l'entraîner  presque  aussitôt  dans  une  effroyable  cata- 
strophe. 

L'équilibre  des  partis,  et  peut-être  une  patriotique  inspi- 
ration des  catholiques  qui  avaient  tant  souffert,  épargna  les 
horreurs  de  la  Saint-Barthélémy  à  la  cité  nîmoise  disputée 
durant  plus  de  vingt  ans  par  les  factions  qui,  sous  des  noms 
divers,  déchiraient  le  midi  de  la  France.  La  Ligue  y  comp- 
tait de  nombreux  adhérents  disséminés  dans  les  campagnes  et 
dans  les  villes,  et  fanatisés  par  les  moines  prêcheurs  dont  les 
confréries  couvraient  le  pays  d'un  vaste  réseau.  Les  réformés 
se  donnèrent  une  organisation  non  moins  forte,  et  trouvèrent 
un  appui  dans  les  Politiques,  qui  des  sublimes  leçons  de 
l'Hôpital  retenaient  un  grand  mot  :  tolérance,  sans  se  mon- 
trer toujours  fidèles  à  ce  noble  programme.  L'instabilité  des 
principes  apparaît  trop  souvent  alors  dans  celle  des  hommes 
infidèles  à  la  cause  dont  ils  ont  arboré  le  drapeau.  Damville, 
Grussol,  le  duc  d'Alençon  (un  fils  de  Catherine  de  Médicis  !) 
passent  d'un  camp  à  l'autre  avec  l'indifférence  des  mercenaires 
italiens  (jui  n'ont  |)Our  mobile  que  l'intérêt.  Étrange  époque 
que  celle  où  des  prélats  suivent  la  fortune  errante  des  partis, 
où  l'on  voit  un  ancien  archevêque  d'Aix,  Saint-Romain  trans- 
formé en  homme  de  guerre,  défendre  Nîmes  contre  ses  agres- 
seurs catholiques,  et  repousser  victorieusement  le  maréchal 
de  Bcllegarde,  qui  affame  la  ville  sans  pouvoir  y  entrer,  et  se 
relire  ne  laissant  dtîrrière  lui  qu'un  désert.  De  celte  époque 
date  la  destruction  partielle  du  nymphée,  connu  sous  le  nom 
(h;  temple  de  Diane,  et  dont  les  voûtes,  d'une  rare  élégance, 
se  soutenant  encore  sans  appui  visible,  rappellent  le  vanda- 
lisme des  guerres  civiles,  et  la  puissance  destructrice  de 
l'homme  s'iuclinaiit,  comme  à  regret,  devant  les  fragiles 
merveilles  de  l'art  ! 

|)aiis  riucxlricahlc  coiiriisiou  des  événements   qui  précé- 


l'église  réformée  de  la  calmette.  100 

dèrenl  el  suivirent  le  traité  de  Nîmes  (1578)  S  une  ligure  se 
détache  non  sans  éclat.  C'est  celle  d'un  jeune  héros  qui 
porte,  sans  faiblir,  un  grand  nom,  François  de  Ghàtillon,  lils 
de  l'illustre  Coligny,  dont  la  courte  carrière  mériterait  un 
historien.  Aux  jours  de  péril,  Nîmes  n'a?ura  pas  de  plus  intré- 
pide défenseur  que  lui.  Assiégé  par  Damville  à  Montpellier 
(juin  1577)  et  voyant  diminuer  les  ressources  de  la  place, 
il  en  sort  avec  une  faible  escorte,  prend  Mauguio,  et  se  jetant 
dans  les  Cévennes,  il  reparaît,  au  bout  de  quinze  jours, 
avec  des  troupes  aguerries,  et  rentre  victorieux  dans  la  ville 
dont  la  situation  semblait  désespérée.  Tel  on  le  retrouve  dans 
mille  rencontres,  à  Sernhac,  à  Besouce,  à  Montfrin,  dé- 
ployant partout  des  ressources  inattendues,  et  unissant  à  la 
vaillante  ardeur  du  soldat  la  magnanimité  du  gentilhomme 
chrétien  qui  gémit  des  tristes  nécessités  de  la  guerre.  La  paix 
de  Nîmes  renouvelée  à  Alais  n'est  pas  même  une  trêve  dans 
les  luttes  sanglantes  qui  se  poursuivent  de  bourgade  en  bour- 
gade, de  château  en  château,  et  ne  laissent  partout  que  des 
ruines.  La  Calmette,  située  au  carrefour  des  routes  entre 
Alais,  Nîmes,  Uzès  et  Sommières,  est  tombée  aux  mains  des 
catholiques  qui  répandent  la  terreur  dans  le  voisinage.  Châ- 
lillon  s'en  empare  après  un  siège  de  trois  jours  (fin  de  juillet 
i580)  et  rend  ainsi  la  sécurité  à  la  grande  cité  réformée".  Sur 
les  rochers  à  pic  qui  surplombent  le  cours  du  Gardon,  en  face 
^  deRussan  et  de  l'oasis  de  Chariot,  s'élève  le  fort  de  Sainte-Anas- 

1.  Voir  le  savant  mémoire  de  M.  Cliarvet  :  le  Traité  de  Nimes  de  1578  et  les 
conclusions  de  rassemblée  tenue  en  Alla  en  1580.  Brochure  in-8°,  1881.  On  peut 
aussi  consulter  sur  cette  époque  le  Journal  de  Louis  Cliarbonneav,  public  par 
mon  savant  mailrc  et  ami,  M.  A.  Germain,  qui  a  si  bien  caractérisé  l'époque 
troublée  «  où  s'élabore  déjà  le  triomphe  de  Henri  IV,  mais  où  le  dernier  des 
Valois  sert  d'instrument  à  la  Ligue,  au  profit  du  fanatisme  des  princes  lor- 
rains et  des  convoitises  espagnoles.  » 

"2.  Histoire  générale  du  Languedoc,  t.  V,  p.  383.  Le  rigoureux  traitement 
infligé  au  commandant  catholique  du  fort,  pendu  par  ordre  de  Ciiàtillon,  seiiilde 
indiquer  un  crime  de  trahison  assez  fréquent  à  cette  époque.  Les  documents 
manquent  sur  cet  épisode  que  nous  signalons  aux  actives  investigation.s  de  nos 
correspondants  du  Gard. 


MO  l'église  kekormée  de  la  calmette. 

tasie,  tour  à  tour  repaire  de  brigands  de  l'une  et  l'autre  reli- 
gion ou  forteresse  de  la  Ligue,  se  reliant  aux  châteaux  de  Go- 
lias  et  de  Réraoulins,  et  tenant  en  échec  les  prolestants  d'Uzès. 
Pris  et  repris  en  1583,  mais  toujours  redoutable,  ce  fort  ne 
succoiïiba  définitivement  que  cinq  ans  après  sous  les  attaques 
redoublées  de  Châtillon  et  deTurenne,  le  futur  duc  de  Bouil- 
lon ^  Collas,  Marguerite,  Rémoulins  capitulèrent  a  leur  tour, 
et  le  nom  de  Châtillon  est  glorieusement  mêlé  à  ces  faits 
d'armes  d'histoire  locale. 

L'assassinat  de  Henri  III  ouvrit  une  nouvelle  carrière  au 
jeune  héros,  devenu  l'un  des  principaux  lieutenants  du  roi  de 
Navarre  dont  il  partage  la  fortune  à  Arques  et  sous  les  murs 
de  Paris.  Falaise,  le  Mans,  Chartres  sont  témoins  de  ses 
exploits  interrompus  par  une  mort  prématurée.  Il  succombe, 
le  8  septembre  1591,  à  peine  âgé  de  trente-quatre  ans,  dans 
le  manoir  de  ses  pères  dont  le  deuil  se  confond  avec  celui  de 
la  patrie.  Son  âme  respire  toute  entière  dans  ses  lettres  à  une 
femme  digne  de  lui,  Marguerite  d'Ailly,  qui  s'étonne  de  lui 
survivre  :  c  Mon  cœur,  il  semble  que  vous  soyez  en  peine  de 
moy.  Ne  sçavez-vous  pas  que  vous  m'avez  laissé  en  la  garde 
de  Dieu,  et  estimez-vous  après  cela  que  rien  de  mal  puisse 
m'arriver?  Nos  jours  sont  contés;  nous  ne  pouvons  alléger  ni 
accourcir  le  cours  de  nostre  vie;  ainsi  vous  ne  devez  rien 
craindre  pour  moy,  car  Dieu  m'a  gardé  jusques  icy,  et  me 
conservera  encore,  s'il  luy  plaist,  pour  vous  et  pour  nos 
enfants...  » 

On  retrouve  comme  un  écho  de  l'austère  voix  de  Coligny 
dans  'es  lignes  suivantes  :  «  Dieu  ayde  aux  siens,  il  me  bénit 
en  mes  actions,  et  je  reconnoy  cela  pour  venir  de  sa  main, 

1.  Je  dois  à  l'obligeance  de  M.  Charvet  la  communication  d'un  dossier  impor- 
tant de  pièces  relatives  à  l'occupation  du  fort  de  Sainte-Anastasie  par  divers 
capitaines  de  la  garnison  de  Beaucaire,  en  1583,  et  à  l'autorisation  de  déman- 
teler la  place  donnée,  le  6  mai  1583,  par  le  duc  de  Montmorency  aux  consuls  de 
Nîmes,  qui  ne  se  hâtèrent  point  d'en  user.  Je  reviendrai  sur  ce  point  dans  un 
appendice  à  celte  étude.  Voir  le  récit  de  Ménard,  flist.  de  Nimes,  t.  V,  p.  182, 
183. 


r/ÉGLISE   RÉKUK.MÉE    UK    LA    CALMETTE.  111 

avec  plus  d'humilité  que  je  ne  lis  jamais,  car  j'estime  que  le 
seul  moyen  de  ma  grandeur,  c'est  sa  crainte  et  de  me  proster- 
ner devant  luy...  »  Au  milieu  des  misères  du  temps  présent, 
Chàtillon  ne  sait  pas  désespérer  de  l'avenir  :  «  Je  suis  for 
estonné,  sortant  de  l'escole  où  mon  père  m'avoit  mis,  de 
trouver  parmy  les  hommes  si  peu  de  piété,  si  peu  d'affection 
au  public,  tant  de  désir  de  faire  les  affaires  privées,  tant  d'au- 
dace et  d'effronterie  à  mal  faire  en  tout  temps,  que  cela  me 
fascheroit  du  tout,  sinon  que  j'espère  voir  encore  venir  le  bon 
temps  que  les  gens  de  bien  s'appuyant  l'un  l'autre,  s'oppose- 
ront courageusement  à  tout  ce  mal  ». 

Nobles  illusions  des  La  Noue,  des  Chàtillon,  des  Mornay,  où 
brille  le  pur  esprit  de  la  Réforme  !  On  me  pardonnera  de 
m'être  attardé  sur  les  pas  du  héros  que  tout  rappelle  dans 
l'horizon  de  la  Calmette.  Il  est  de  ceux  qui  n'ont  pu  remplir 
toute  leur  fortune  ni  donner  toute  leur  mesure  ici-bas.  Il  ne 
vit  pas  le  triomphe  de  la  cause  pour  laquelle  il  avait  si 
vaillamment  combattu  dans  le  Midi,  en  Lorraine,  en  Norman- 
die, et  jusque  sous  les  murs  de  Paris.  Il  ne  put  qu'entrevoir 
le  glorieux  règne  dont  il  eût  été  un  des  plus  fermes  soutiens, 
et  peut-être  les  belles  années  marquées  par  la  sage  adminis- 
tration de  Sully,  par  les  grands  projets  de  Henri  IV,  eussent- 
elles  emprunté  un  éclat  de  plus  à  la  coopération  d'un  précur- 
seur de  Rohan,  d'un  digne  hls  du  grand  martyr  de  la  Saint- 
Barthélémy. 

Jules  Bonnet. 

(Suite.) 

i.  Du  Boucliet,  Précis  de  l'histoire  de  la  maison  de  Colignij.  In-f",  p.  625  à  690. 
Fragments  cités  par  M.  le  comte  Jules  Delaborde,  dans  l'article  :  Cliàtillon,  de 
VEncyclopédie  des  sciences  religieuses,  p.  'J9,  101. 


DOCUME^TS 


POURSUITES 

CONTRE  LES  RÉFORMÉS  D'ALENÇON 
1533-1534 


Le  Bulletin  a  publié  eu  1859',  d'après  une  copie  mutilée  du  greffier 
Dongois,  des  fragments  d'un  registre  d'arrêts  rendus  à  Alençon  par  une 
commission  envoyée  de  Paris,  au  mois  d'août  1534,  pour  réprimer  les 
premières  manifestations  de  la  Réforme  dans  le  duché.  L'original,  que 
l'éditeur  df  ces  extraits  croyait  perdu,  existe  encore  aujourd'hui  parmi 
les  registres  criminels  du  Parlement  de  Paris.  C'est  un  petit  manu- 
scrit in-4°  de  même  format  que  les  autres  volumes  du  Parlement,  con- 
tenant dix-neuf  feuillets  de  parchemin,  d'une  belle  écriture  de  l'é- 
poque'. Au  verso  de  la  première  page  demeurée  blanche,  on  lit  cette 
mention  intéressante,  ajoutée  postérieurement  :  «  Nota  que  ce  registre 
a  esté  apporté  au  Greffe  criminel  de  la  court  de  céans,  quelque  temps 
après  le  trespas  de  feu  M"  Philippe  Habert,  mon  frère,  en  Testât  qu'il  est 
etparchemyn  osté  d'icelluy'  par  l'ung  des  enfans  dudict  defuuct,  et  est 
demeuré  ung  coffre  de  bahut  par  devers  la  veuve  dudit  défunct  et  en- 
fans  dudict  defunct,  ou  quel  bahut  sont  les  minutes  des  arrestz  dudict 
présent  registre  et  autres  pièc(>s.  ^> 

Philippe  Habert ''  était  le  greffier  (|uc   les  commissaires  institués  par 

1.  Tome  VIII,  p    Cd  et  suiv. 

2.  Il  est  conservé  aux  Arcliivcs  nationales  sous  la  cote  \-»  83. 

.3.  L'auteur  de  la  note  entend  parler  de  la  couverture  primitive.  Une  fois 
entré  au  greffe,  le  cahier  reçut  la  même  reliure  en  peau  que  les  registres  du 
l'arlement. 

4.  Clerc  au  grell'e  criminel,  il  avait  épousé  Radegonde  Ilodon,  dont  il  eut  deux 
nis,  Louis  et  Jérôme,  et  une  fille,  Radegonde.  C'est  par  lui  que  débute  la  généa- 
logie de  la  famille  Habert  de  Montmort  donnée  par  La  Chesnaye-Desbois, 
t.  VIF,  p.  004.  Son  frère,  dont  il  est  question  ici,  n'y  est  pas  mentionné. 


POURSUITES   CONTKE   LES   UÈl'OUMES    d'aLEXÇOX.  113 

François  P'  avaient  emmené  à  Alençon.  Ordinairement  les  papiers  pro- 
venant de  ces  tribunaux  d'exception  et  d'existence  éphémère  restaient 
entre  les  mains  du  président,  d'un  membre  de  la  commission,  ou  du 
clerc  faisant  fonction  de  greffier,  comme  on  le  voit  ici.  Les  minutes  d'ar- 
rêts, les  enquêtes,  interrogntoires  et  autres  pièces  de  procédure  deve- 
naient une  propriété  de  famille,  dont  l'importance  était  le  plus  souvent 
méconnue  et  la  conservation  livrée  à  tous  les  hasards.  Bien  peu  de  ces 
actes,  échappés  à  la  destruction  ,  ont  été  recueillis  dans  les  archives 
publiques.  Sans  l'heureuse  inspiration  du  frère  de  Philippe  Habert  d'o- 
pérer le  dépôt  au  Greffe  du  parlement  de  ce  registre  que  les  enfants  du 
greffier  avaient  déjà  pris  pour  jouet,  la  trace  de  l'expédition  judiciaire 
d'Alençon  eut  été  complètement  perdue,  comme  il  est  arrivé  pour  tant 
d'autres.  L'extrême  rareté  des  documents  de  cette  nature  et  l'intérêt  par- 
ticulier de  celui-ci  nous  engagent  à  en  publier  le  texte  intégralement. 
Ouelques  excès  commis  la  veille  de  la  Fête-Dieu  1533,  sur  des  images 
de  la  chapelle  de  Saint-Biaise  par  deux  obscurs  habitants  de  la  ville, 
.lean  Couniin  et  Antoine  Potier,  dit  Laignel,  servirent  de  prétexte  à  l'ins- 
titution de  ce  tribunal  extraordinaire  et  aux  poursuites  dirigées  contre 
les  principaux  partisans  des  doctrines  nouvelles.  On  sait  les  sympathies 
dont  les  encourageait  Marguerite  d'Alençon  et  combien  la  Réforme  avait 
fait  de  rapides  progrés  dans  les  états  de  cette  princesse.  Aussi  les  juges 
locaux  étaient  peu  disposés  à  sévir.  On  ne  trouvait  sur  les  lieux  aucun 
huissier  pour  faire  les  exploits,  aucun  sergent  qui  voulût  les  exécuter. 
Le  fait  est  constaté  dans  les  lettres  de  commission  placées  en  tête  de 
notre  registre.  Les  juges  choisis  parle  roi  naturellement  parmi  les  moins 
portés  à  l'indulgence,  avaient  pour  mission  de  reprendre  les  procédures, 
commencées  l'année  précédente,  par  le  président  de  la  nouvelle  commis- 
sion, Bonaventure  de  Saint-Barthélémy',  et  par  un  conseiller  au  Parle- 
ment, nommé  Louis  Rouillart,  de  les  mener  à  terme  et  de  rendre  des 
arrêts  exécutoires  sur  le  champ  et  sans  appel.  Les  deux  premiers  com- 
missaires avaient  instruit  le  procès  de  huit  accusés,  qui  étaient  enfermés 
depuis  un  an  dans  les  prisons  d'Alençon,  attendant  la  décision  suprême. 
Trente-deux  autres  habitants  de  la  ville  et  des  environs  furent  décrétés 
de  prise  de  corps  ou  d'ajournement  personnel. 

1.  Bonaventure  Thomassin,  dit  de  Saint-Barttiélemy,  reçu  conseiller  au  Par- 
lement de  Paris,  le  2G  février  1.^21  (n.  s  ),  à  la  place  de  feu  maître  Germain 
Chartelier,  avait  été  nommé  président,  au  Parlement  do  Grenoble,  au  mois  de 
novembre  1533.  La  place  de  conseiller  qu'il  laissait  vacante  fut  donnée,  le 
15  décembre  suivant,  à  René  Gentil,  qui  fut  reçu  seulement  le  13  novembre  1534 
(Arch.  mil.,  X'%  1538,  f  1  V). 

XXXIII.  —  8 


lU  POURSUITES   CONTRE    LES   RÉFORMÉS    d'aLENÇON. 

Sauf  Pierre  Caroli,  dont  il  est  question  incidemment  dans  les  procès-ver- 
baux des  séances,  tous  ces  personnages  sont  demeurés  jusqu'ici  inconnus'. 
La  plupart  cependant  occupaient  un  rang  élevé  parmi  leurs  concitoyens. 
On  remarque  dans  cette  liste  trois  prêtres,  Paul  Graindorge,  Jean  Chasse- 
vant,  chapelain  de  l'Hôtel-Dieu,  Guillaume  Rolland,  curé  de  Condé,  un 
cordelier  du  couvent  de  Séez,  un  augustin,  Piené  Dufour,  qui  avait  prêché 
à  Alençon  des  propositions  réputées  scandaleuses  et  hérétiques,  Jean  Du- 
val,  administrateur  delà  chapelle  Saint-Louis,  plusieurs  avocats  de  la 
ville,  la  dame  d'Avoise,  etc.  Les  nouveaux  juges  se  montrèrent  expéditifs 
et  rigoureux.  Ils  ne  siégèrent  guère  qu'une  quinzaine  de  jours  à  Alençon 
et  prononcèrent  neuf  sentences  capitales.  Les  deux  principaux  accusés, 
ceux  qui  avaient  pendu  les  images  de  la  Vierge  et  de  Saint-Claude,  eurent 
le  poing  droit  coupé,  et  après  avoir  subi  le  dernier  supplice,  leurs  têtes 
séparées  du  tronc  furent  attachées  aux  deux  principales  portes  de  la  ville. 
Nicolas  Briolay,  Jean  Piuel  et  Jean  Lebrun,  coupables  de  grans  et  exé- 
crables blasphèmes,  proférés  contre  le  Saint-Sacrement  de  Vautel, 
V honneur  de  la  Vierge  Marie,  révérence  des  sainctz  etsainctes  dupa- 
radis,  et  estât  universel  de  notre  mère  saincte  Église,  furent  étranglés 
et  leurs  corps  réduits  en  cendre.  Quatre  autres  furent  condamnes  par  con- 
tumace à  être  brûlés  vifs,  trois  au  bannissement.  Pour  plusieurs  autres, 
on  se  contenta  de  la  fustigation  et  de  l'amende  honorable.  Le  procès  de 
deux  des  prêtres  poursuivis  fut  renvoyé  à  l'évêque  de  Séez.  Enfin,  en  ce 
qui  concerne  quelques  uns  des  autres  accusés,  on  ne  trouve  aucune  déci- 
sion prise  sur  leur  sort.  Peut-être  le  registre  ne  contient-il  pas  la  copie 
complète  de  tous  les  arrêts  prononcés  par  les  commissaires,  ce  qui  ren- 
drait d'autant  plus  regrettable  la  perte  des  minutes. 

Paul  Guérin. 

Françoys,  par  la  grâce  de  Dieu,  roy  de  France.  A  noz  amez  et 
feaulx  conseilliers,  maistres  Bonaventure  de  Sainct-Barthelemy, 
président  de  nostre  court  de  Parlement  séant  à  Grenoble,  Claude 
des  Âsses-,  Françoys  le  Charron,  Cliristolle  de  Harlay ',  Françoys 

1 .  Je  me  suis  assuré  qu'aucun  d'entre  eux  n'a  d'article  dans  l'autienne  édi- 
tion de  la  France  protestante, 

2.  Claude  des  Asses  ou  Dezasses,  fils  d'André,  conseiller  au  Parlement  de 
Paris,  reçu  à  la  place  de  son  pore,  le  18  août  1522,  mourut  le  4  juin  15-18  et  fut 
enterre  en  l'éj^lise  Saint-Paul  (Blanchard,  Catalogue  des  conseillers  au  Parle- 
ment, p.  50).  La  relation  de  sa  mort,  qui  se  trouve  dans  les  Mémoires  de  Condé, 
donne  une  triste  idée  de  ses  mœurs  (Secousse,  t.  I,  p.  592.) 

3.  Christophe  de  Harlay,  seigneur  de  Beaumont,  reçu  conseiller  le  2n  mai  1531, 
prcsidi-nt  à  mortier  en  1555,  mort  le  26  juillet  1572,  à  l'âge  de  soixante-dix  ans 


POURSUITES  CONTRE   LES   RÉFORMES   d'alENÇON.  115 

Errault*,  Jehan  Picart^  et  Jehan  le  Cirier%  conseilliers  en  nostre 
court  de  Parlement  à  Paris,  salut.  Comme  pour  pourveoir  à  la  pu- 
nition et  correction  de   plusieurs    grans,   énormes   et  exécrables 
blaphemes   et  scandales  faictz,  commis    et   perpétrez   téméraire- 
ment, indiscrètement  et  irrevereiunent  par  les  aucuns  des  manens  et 
habitans  de  nostre  ville,  duché  et  pays  d'Alençon,  contre  l'honneur 
et  reverance  de  la  divine  majesté  et  estât  gênerai  de  nostre  mère 
saincte  église,  dont  nous  avons  esté  deuement  advertiz,  nous  eussions 
par  cy  devant  décerné  noz  lettres  patentes  adressantes  à  vous,  pré- 
sident, et  nostre  amé  et  féal  conseillier  en  nostre  dicte  court,  maistre 
LoysRoillart,  en  vertu  desquelles  vous,  président  dessusdit,  et  ledit 
Roillart  feussiez  transportez  en  nostre  dicte  ville  d'Alençon,  faicten 
partie  et  parfaict  aucuns  procès  à  {'encontre  de  ceulx  que  vous  au- 
riez peu  trouver  et  appréhender  coupables  et  chargez  desdictz  cas. 
Et  depuis,  suivant  pareillement  le  pouvoir  à  vous  par  nous  donné 
par  autres  noz  lectres  patentes  émanées  de  nous  et  données  à  Arles, 
le  dix  neufiesme  jour  de  septembre  mil  cinq  cens  trente  Iroys,  pour 
certaines  causes  et  considérations  à   ce  nous  mouvans,  auriez  faict 
saisir,  prendre  au  corps  et  constituer  prisonniers  es  prisons  dudit 
Alençon,  Jehan  Coumyn  et  Anthoine  Potier,  ditLagnel,  delinquans, 
coupables  et  trouvez  chargez  desdictz  blaphemes  et  scandalles,  et 
comme  telz  condennez  par  les  officiers  dudict  Alençon,  juges  incom- 
petans,  parce  que  à  nous  et  à  noz  juges  tant  seullement  en  appar- 
tient la  décision  et  congnoissance,  et  d'ordonner  de  la  punition, 

(•Blancliard,  Présidents  à  mortier,  in-folio,  p.  "2'29).  Son  nom  est  cite  l'rcquem- 
ment  dans  les  mémoires  du  temps. 

1.  François  Errault,  seigneur  de  Clienians,  conseiller  au  Parlement  dès  l'an 
1522,  depuis  maître  des  requêtes,  président  au  Parlement  de  Turin,  et  enfin 
garde  des  sceaux  de  France,  l'an  1514,  mourut  le  3  septembre  de  cette  année,  à 
Cliùlons-sur-Marne,  où  il  était  avec  l'amiral  d'Annebaut  pour  traiter  de  la  paix 
entre  François  1"  et  Gharles-Quint  (lUancliard,  Catalogue  des  conseillers,  p.  53). 

2.  Ou  plus  souvent  Le  Picart,  second  fils  de  Jacques  Le  Picart,  seigneur  du 
Plessis,  d'une  vieille  famille  parisienne,  et  de  Jeanne  Girard.  Il  fut  reçu  con- 
seiller au  Parlement  en  1524.  Il  portait  le  titre  de  seigneur  de  Villefavreuse  et 
épousa  Catherine  Le  Cocq,  fille  de  Nicolas  Le  Cocq,  président  en  la  cour  des 
Aides,  et  de  Jacquette  Spifame  (/(/.,  ihid.,  p.  55). 

3.  Jean  Le  Cirier  avait  été  reçu  conseiller  le  20  décembre  1532.  L'an  1555, 
il  se  démit  de  sa  charge  en  faveur  de  son  fils,  et  mourut  le  19  novembre  de  la 
même  année.  Il  fut  enterré  en  l'église  Saint-Séveriu  (Blanchard,  op.  cit.,  p.  58). 


116  POIIHSUITES  CONTRE   LES  UÉFORMES   d'ALENÇON. 

correction  et  réparation  de  telz  crimes,  deliclz  et  maléfices  con- 
cernans  la  divine  majesté,  et  aussi  que  nostre  voulloir  et  intention 
est  que  la  punition,  que  voulions  et  désirons  en  estre  faicte,  selon 
l'exigence  des  cas,  soit  correction  et  exemple  à  tous  autres.  Savoir 
faisons  que  nous,  à  plain  confians  de  voz  sens,  loyautez,  preu- 
dhommie,  savoir,  expérience  et  bonne  diligence,  vous  mandons, 
commectons  et  expressément  enjoignons  par  ces  présentes  vous 
transporter  audict  lieu  d'Alençon,  et  reprins  par  devers  vous  les 
procès  et  procédures  t'aictestant  par  vous,  président  de  Dauphiné,  et 
icelluy  Roillart,  que  aussi  par  lesdictz  officiers  d'Alençon  à  rencontre 
dediclz  Coumyn  et  Potier,  en  Testât  qu'ilz  sont,  vous  parachevez  ix  faire 
et  parfaire  lesdictz  procès  et  procédez  à  rencontre  desdictz  blaphe- 
mateurs  et  delinquans  et  coupables,  et  vacquez  en  toute  diligence  à 
vous  possible  contre  eulx,  par  sentence  de  torture  et  question  extra- 
ordinaire, en  .sentence  difinitive,  selon  l'exigence  des  cas,  et  exécu- 
tions d'icelles  inclusivement,  nonobstant  lesdictz  procès  ainsi  faictz 
par  lesdictz  juges  d'Alençon,  jugemens  par  eulx  donnez  et  execu- 
cions  pour  cefaictes  etensuivyes,el.  aussi  oppositions  ou  appellations 
quelzconques,  faicles  ou  à  faire,  pour  lesquelles  ne  voulions  et  n'en- 
tendons estre  différé  àproceder  à  l'encontre desdictz  Coumyn  etPo- 
tier  et  tous  autres  delinquans  et  coupables,  ainsi  que  verrez  estre  à 
faire  par  raison,  ains  voulions  et  nous  plaist  que  voz  sentences  et  ju- 
gemens soient  de  telle  efficace,  effect  et  vertu  comme  si  elles  avoient 
esté  données  par  arrest  ou  arrestz  de  nostre  court  de  Parlement.  Et 
pour  l'expedicion  des  actes  et  registres  qu'il  conviendra  faire  en  vos- 
tre  dicte  commission  et  parachèvement  desdictz  procès,  avons  commis 
et  commectons  maistre  Philippes  Habert,  clerc  au  greffe  criminel  de 
nostredicte  court,  et  pour  faire  les  exploictz  requis  et  nécessaires  et 
qui  par  vous  seront  ordonnez  (par  ce  que  sur  le  lieu  ne  se  trouve  qui 
les  vueille  ou  ose  faire  et  exécuter),  voulons  que  puissiez  prendre  et 
mener  avecques  vous  tel  huissier  de  nostre  dicte  court  de  Parlement, 
ou  sergent  royal  que  mycnlx  adviserez  pour  faire  icculx  exploictz. 
Et  enjoignons  à  nostre  Procureur  gênerai  en  icelle  nostre  court  de 
substituer  quelque  bon  et  notable  personnaige  pour  poursuir  iceulx 
procès  et  prendre  sur  iceulx  telles  conclusions  qu'il  verra  estre  à 
faire. 

Mandons  en  oullre  cl  commandons  à  tous  iioz  justiciers,  officiers 
et  subjectz  que  vous  en  ce  faisant  obeyssent  et  entendent  diligen- 


POURSUITES  CONTRE  LES   RÉFORMÉS   d'aLENÇON.  117 

inent,  prestent  et  donnent  conseil,  confort  et  aide,  et  prisons,  si 
mestier  est  et  requis  en  sont,  sans  pour  ce  leur  demander  pareafis. 
Car  ainsi  de  nostre  plaine  puissance,  certaine  science  et  auctorité 
royal  nous  plaist  et  voulions  estre  faict.  Donné  à  Paris,  le  septiesme 
jour  d'aoust  mil  cinq  cens  treute  quatre  et  de  nostre  règne  le  ving- 
tiesme.  —  Sic  signatum  :  Par  le  Roy,  Breton. 

Du  lundi  dernier  jour  d'aoust  l'an  ■I53i,  du  matin,  en  la  ville 
d'Alençon,  ou  estoient  Messieurs  les  commissaires. 

M.  Bonaventure  de  Saincl-Barthelemy  '. 

M.  Claude  Dezasses. 

M.  Françoys  le  Charron. 

M.  ChristoJle  de  Harlay. 

M.  Françoys  Errault. 

M.  Jehan  Picart. 

M.  Jehan  Le  Cirier. 

Cejourd'huy,  mesdictz  seigneurs  les  commissaires  ont  délibéré  et 
conclud  entre  eulx  de  mander  et  faire  venir  par  devant  eulx,  à 
deux  heures  de  relevée,  les  bailly,  lieutenant  général,  advocat  et 
procureur  fiscaulx  de  la  ville  et  duché  d'Alençon,  pour  leur  faire  et 
donner  à  entendre  en  termes  generaulx  la  commission  qu'ilz  avoient 
du  Roy,  et  poursçavoird'eulx  s'ilz,ou  aucuns  d'eulx,  avoient  aucunes 
pièces  et  procédures  touchans  et  concernans  les  ymaiges  pendues 
par  aucuns  des  manans  et  habilans  de  ceste  dicte  ville  d'Alençon,  à 
ce  que,  à  toute  diligence  à  eulx  possible,  ilz  eussent  à  les  mectre 
,par  devers  mesdictz  seigneurs  les  commissaires,  pour  par  eulx  pro- 
céder aux  jugemens  des  procès  criminelz  desdictz  delinquens,  ainsi 
qu'ils  verroient  estreà  faire  par  raison. 

Desdictz  jour  et  an,  en  ladicle  ville  d'Alençon,  où  estoient  tous 
lesdictz  commissaires. 

Cedi(;t  jour  de  relevée,  en  ensuivant  ladicte  délibération  et  conclu- 
sion desdictz  commissaires,  seroient  venuz  et  comparuz  par  devant 
eulx  les  bailly,  lieutenant  gênerai,  vicomte,  son  lieutenant  gêne- 
rai, advocat  et  procureur  fiscaulx,  greffier  et  autres  officiers  de  ladicte 
ville  et  duché  d'Alençon,  auscjuelz  a  esté  dit,  remonstré  et  donné  à 

1.  Les  noms  des  sept  commissaires  se  retrouvent  en  lèh;  du  procrs-verluil  de 
ctiacune  des  séances. 


118  POURSUITES   CONTRE   LES   RÉFORMÉS   d'aLENÇON. 

entendre  l'intention  et  bon  vouloir  du  Roy,  ensemble  des  Roy  et 
Royne  de  Navarre*,  qu'ilz  avoient  de  faire  pourveoir  à  la  punition  et 
correction  de  plusieurs  grans,  énormes  et  exécrables  blasphèmes 
et  scandalles  faictz,  commis  et  perpétrez  témérairement,  indiscrè- 
tement et  irreverenment  par  les  aucuns  des  manens  et  habitens  de 
ceste  dicte  ville,  duché  et  pays  d'Alençon,  et  icelles  faultes  et  abuz 
corriger  et  reformer,  etmesmement  touchant  quelques  ymaiges  pen- 
dues par  aucuns  desclictz  habitans;et  que  si  les  dessus  dictz  officiers 
ou  aucuns  d'eulx  avaient  en  leur  possession  quelques  pièces  et  pro- 
cédures servant  à  la  décision  et  jugemens  des  procès  criminelz 
faictz  àl'encontre  desdictz  malefacteurs  etdelinquens,  qu'ilz eussent 
à  lesmectre  par  devers  lesdictz  commissaires,  et  oultre  que  levoul- 
loir  et  intention  de  ladicte  dame  duchesse  d'Alençon  estoit  que 
lesdictz  officiers  portassent  et  donnassent  confort,  ayde,  obeyssance, 
mainforte  et  tout  ce  que  besoing  seroit,  ausdictz  commissaires  pour 
les  exécutions  de  leurdicte  commission,  toutesfoys  et  quantes  qu'ilz 
en  seroient  requis. 

Sur  quoy,  par  l'organe  et  bouche  dudict  lieutenant-général,  a  esté 
dictet  respondu,  quant  auxdictes  pièces  et  procédures,  que  autrefoys 
il  avoit  baillé  tout  ce  qu'il  avoit  par  devers  luy  d'icelles  procédures 
à  MM.  Maistres  Loys  Royllart  et  ledict  de  Sainct-Barthelemy,  et  que 
neantmoins  s'il  se  trouvoit  aucunes  pièces  et  procédures  concernant 
lesdiciz  procès  criminelz  desdictz  delinquens  qui  feussenten  la  pos- 
session d'aucuns  des  officiers  de  ladicte  ville  ou  devers  luy,  que  en 
toute  diligence  à  eulx  possible,  ilz  les  feroient  chercher  et  mecte- 
îoient  par  devers  mesdictz  seigneurs.  Et  oultre  a  dict  que  tous  les- 
dictz officiers  sont  délibérez  porter  et  donner  toute  aide,  confort, 
mainforte  et  toutes  autres  choses  nécessaires  aux  commissaires  pour 
l'exécution  de  leurdicte  commission,  et  que  à  ce  ne  feront  faulte,  et 
que  toutes  foys  et  quantes  qu'il  plaira  à  inesdiclz  seigneurs  les  man- 
der, ils  les  trouveront  prestz  et  appareillez  leur  obeyr  en  tout  et 
partout. 

Du  mardi,  premier  jour  de  septembre,  du  malin. 

Cejourd'hui,   messieurs   les  commissaires  ont  advisé  et  délibéré 

).  Henri  II  d'Albret  et  Marguerite,  veuve  de  Charles  duc  d'Alençon,  sœur  dç 
François  It. 


POURSUITES   CONTRE   LES   RÉFORMÉS   D'ALENÇON.  H9 

entre  eulx  d'envoyer  par  Jehan  Targer,  huissier  en  la  court  de  Par- 
lement à  Paris  par  eulx  prins  pour  le  faict  de  leur  commission  et 
faire  les  expioitz  d'icelle,  quérir  le  suhstitut  du  procureur  général 
du  roy  en  la  seneschaulcée  du  Maine  pour  poursuivre  les  procès  cri- 
minelz  mentionnez  en  leurdicte  commission,  et  sur  iceulx  prendre 
telles  conclusions  qu'il  verra  estre  à  faire  par  raison.  En  ensuivant 
laquelle  délibération  et  conclusion  de  mesdictz  seigneurs  les  com- 
missaires, audict  Targer  huissier  ont  esté  baillées  lectres  pour  les  por- 
ter au  seneschel  du  Maine  ou  son  lieutenant,  dont  la  teneur  ensuit  : 

Cher  frère,  nous  vous  envoyons  exprès  la  présente  par  ce  présent 
porteur,  huissier  du  roy  nostre  sire  en  sa  court  de  Parlement  à  Paris, 
pournousenvoyer  par  deçà  le  procureur  du  roy  en  vostre  seneschaul- 
cée substituée  par  M.  le  Procureur  général  du  roy  au  faict  de  la 
commission  à  nous  ordonnée  par  le  roy  en  ceste  ville  d'Alençon.  A 
ceste  cause  ne  ferez  en  ce  faulte  et  aussi  ledict  procureur  du  roy 
qu'il  ne  vienne  par  deçà  avec  ledict  huissier.  Cher  frère,  après  nous 
estre  recommandez  à  vostre  bonne  grâce,  nous  supplions  le  benoist 
filz  de  Dieu  vous  tenir  et  avoir  en  sa  garde.  D'Alençon,  ce  premier 
jour  de  septembre.  Et  au-dessoubz  estoit  escript  :  Les  commissaires 
ordonnez  par  le  roy  à  Alençon.  Et  signé  :  P.  Habert.  —  Et  au  doz 
estoit  escript  :  A  nostre  cher  frère  le  seneschal  du  Maine  ou  son  lieu- 
tenant au  Mans. 

Etoultreont  conclut  entre  eulx,  mesdictz  sieurs  les  commissaires, 
que  Ton  manderoit  derechef  le  lieutenant  gênerai,  lequel  le  jour 
précèdent  avoit  promis  apporter  par  devers  eulx  toutes  les  pièces  et 
procedeures  qu'il  et  autres  officiers  du  duché  d'Alençon  avoient  en 
leur  possession,  concernant  les  procès  criminelz  faiclz  des  ymaiges 
pendues  en  la  ville  d'Alençon  par  aucuns  des  habitans  d'icelle,  pour 
luy  dire  et  enjoindre  de  rechef  qu'il  eust  à  apporter  icelles  pièces 
et  procedeures  par  devers  mesdictz  seigneurs  les  commissaires.  Ce 
qui  auroit  esté  faict  par  ledict  huissier  auparavant  son  partement. 
Et  seroit  venu  ledict  lieutenant  par  devers  aucuns  de  mesdictz  sei- 
gneurs, ausquelz  il  auroit  baillé  quelques  pisces  signées,  qu'il  disoit 
toucher  lesdictz  procès  criminelz,  et  dit  que  le  greffier  en  avoit 
quelques  autres  devers  luy,  mais  que  promptement  ne  les  avoit  peu 
recouvrer  de  luy,  obstant  son  absence,  et  qu'il  estoit  allé  aux  assises 
et  qu'il  seroit  de  retour  le  soir  dudict  jour. 


120         POURSUITES  CONTRE  LES  RÉFORMÉS  D'aI.ENÇON. 

Du  iiieicredi,  deuxiesiue  jour  de  septembre,  après  disaer. 

Cejourd'huy  délibéré  et  conclud  a  esté  par  messieurs  les  commis- 
saires que  pour  myeulx  procéder  au  faict  de  leur  commission,  il 
seroit  bon  et  expédient  veoir  préalablement  le  procès  verbal  faict 
par  messieurs  Maisli'es  Loys  Uoillart  et  Bonaventure  de  Sainct-Ber- 
thelemy,  conseillers  du  roy  en  sa  court  de  Parlement  et  commis- 
saires par  luy  en  ceste  partie,  et  ce  faict,  visiter  tous  ensemble  les 
prisonniers  estans  es  prisons  de  la  Consiergerie  d'Alençon,  par  or- 
donnance desdictz  Roillart  et  deSainct-Berthelemy,  et  iceulx  visitez, 
interroger  les  deux  d'iceulx  prisonniers  pour  le  faict  des  pentes  des 
yraaiges  et  leur  faire  et  parfaire  leur  procès  par  deux  ou  trois  de 
mesdictz  seigneurs  les  commissaires. 

Ce  dict  jour  sont  venuz  par  devers  mesdictz  seigneurs  les  com- 
missaires, les  lieutenant  général  et  vicomte  de  la  ville  etducliéd'A- 
lençon,  ausquelz  ilz  ont  supplié  et  requis  avoir  le  double  et  coppie 
de  leur  commission,  à  ce  que  myeulx  ilz  puissent  faire  donner  con- 
fort, ayde,  mainforte  et  autres  cboses  nécessaires  pour  le  faict  de  la 
dicte  commission. 

Surquoy  a  esté  délibéré  et  conclud  par  mesdictz  seigneurs  que  les 
dictz  officiers  d'Alençon  verront  par  les  mains  de  moy  leur  greffier 
ladicte  commission  et  que  icelle  commission  leur  sera  communie - 
quée. 

Ce  faict,  ont  mesdictz  seigneurs  mandé  venir  par  devers  eulx 
Jelian  Vanier,  geoUier  et  garde  des  prisons  de  la  Consiergerie  d'A- 
lençon,  auquel  ilz  ont  demandé  s'il  avoit  en  ses  prisons  tous  les 
prisonniers  à  luy  baillez  et  commis  en  garde  par  MM.  Roillart  et  de 
Sainct-Berthelemy,  lequel  a  respondu  qu'il  avoit  tous  lesdictz  pri- 
sonniers et  que  jusques  icy  il  les  avoit  bien  gardez. 

Ce  laict,  tous  mesdictz  seigneurs  les  commissaires  se  sont  trans- 
portez au  Palais  de  ceste  ville d'Alençon,  et  en  la  Chambre  du  con- 
seil d'icelluy  Palais  ont  faict  extraire  des  prisons  de  la  Consiergerie 
dudict  lieu  et  faict  venir  devant  culx  les  prisonniers  qui  ensuivent, 
c'est  assavoir  :  Jehan  Ruel,  Jehan  Chastellays,  Berlbault  Prevel, 
Nicolas  Brioley  et  Michel  Petit,  ausquelz  ensemblement  a  esté  dit 
par  mesdictz  seigneurs  que,  en  toute  diligence  à  eulx  possible,  l'on 
leur  feroit  bonne  et  prompte  expedicion  de  justice.  Et  à  tant  ont 
esté  renvoyez  en  l(Mir  prison.  Et  ont  esté  faict  venir  par  devant  mes- 


POURSUITES   CONTRE   LES   RÉFORMÉS   d'ALENÇON.  1:21 

dictz  seigneurs  Jehan  Coumyn  et  Aiithoine  Laignel,  dit  Potier,  et 
après  les  avoir  veuz  par  mesdictz  seigneurs,  ilz  ont  faicl  retirer  le- 
dict  Coumyn,  et  a  esté  ledict  Laignel  par  eulx  interrogué  sur  ses 
charges  et  confessions,  et  après  ce  renvoyé  en  sa  prison.  Et  ce  faict 
a  esté  faict  venir  ledict  Coumyn,  lequel  pareillement  a  esté  oy  et 
interrogué  sur  ses  charges  et  confessions,  comme  ce  appert  par  leurs 
interrogatoires  et  confessions,  et  ce  faict,  renvoyé  en  sa  prison.  Et 
enjoinct  audiclVanier,  geolliersursa  vie  de  bien  garder  lesdictzdenx 
prisonniers  et  les  enfermer  séparément,  et  ne  laisser  parlerne  com- 
municquer  directement  ou  indirectement  avec  eulx,  sans  leur  congé 
et  commandement,  ne  aussi  aux  cinq  autres  prisonniers  dessus  diclz. 
Et  luy  a  esté  faict  faire  le  serment  de  tenir  secret  tout  ce  qu'il  luy 
sera  dit  et  commandé  par  mesdictz  seigneurs  les  commissaires,  sur 
ladicte  peine.  Lequel  geollier  a  supplié  à  messeigneurs  pour  sa  dé- 
charge luy  estre  baillé  ung  acte  desdictes  défenses;  ce  qui  a  esté 
octroyé  audict  geollier  par  mesdictz  seigneurs  et  luy  a  esté  de  ce 
baillé  acte  en  la  forme  qui  ensuit  : 

Les  commissaires  ordonnez  par  le  roy  sur  le  faict  d'Alenron  ont 
enjoinct  et  commandé  à  Jehan  Vanier,  geollier  des  prisons  de  la 
Consiergerie  d'Alençon,  sur  sa  vie,  de  ne  laisser  parler  ne  commu- 
nicquer  directement  ou  indirectement  à  Jehan  Coumyn  et  Anthoine 
Laignel,  dit  Potier,  prisonniers  esdictes  prisons,  et  iceulx  mectre  et 
enfermer  séparément.  Et  aussi  enjoinct  et  commandé  audict  Vanier, 
sur  les  dictes  peines,  de  ne  laisser  parler  ne  communicquer  au- 
cunes personnes  avec  Jehan  Kuel,  Jehan  Chastellez,  Berthault 
Pr'evel,  Nicolas  Brioley  et  Michel  Petit,  aussi  prisonniers  esdictes 
prisons.  Faict  en  la  chambre  du  conseil  du  Palais  d'Alençon,  le 
deuxiesme  jour  de  septembre  mil  cinq  cens  trente  quatre. 

Du  jeudi,  li-oisiesme  jour  de  septembre. 

Cejourd'huy  lesdictz  commissaires  ont  ordonné  et  ordonnent  que 
Jehan  Coumyn  et  Anthoine  Laignel,  dit  Potier,  prisonniers  es  prisons 
de  la  Consiergerie  d'Alençon,  seront  oyzet  interroguez,  recollez  oA  à 
eulx  confrontez  les  tesmoings  contre  eulx  examinez  sur  les  charges 
et  informations  contre  eulx  faictes  el  sur  les  cas  precedens  et  sub- 
sequens  le  fait  des  pentes  des  ymaiges,  pour  sur  ce  y  avoir  tel  regard 
que  de  raison. 


122  PornsuiTES  contre  les  rcfofvmks  d'alençon. 

Ce  dict  jour,  lesdicts  commissaires,  veues  par  eulx  les  interroga- 
toires et  confessions  faictes  par  Jehan  Coumyn  et  Anthoine  Laignel, 
dit  Potier,  prisonniers  es  prisons  de  la  Consiergerie  d'Alençon,  pour 
le  faict  de  la  pente  des  ymaiges  et  autres  cas  par  eulx  commis,  ont 
ordonné  et  ordonnent  que  Paoul  Mabon  sera  prins  au  corps,  où 
pourra  estre  prins  et  appréhendé,  etiani  in  loco  sacro,  à  la  charge 
de  le  réintégrer,  si  faire  se  doit,  et  icelluy  amené  prisonnier  es  pri- 
sons de  ladicte  Consiergerie  d'Alençon,  pour  illec  ester  et  fournir 
adroit;  et  en  default  de  le  prendre  et  appréhender,  sera  adjourné 
à  troys  briefz  jours  à  comparoir  en  personne  par  devant  lesdictz 
commissaires  en  ladicte  ville  d'Alençon,  sur  peine  de  bannissement 
de  ce  royaulme,  confiscation  de  corps  et  de  biens,  et  d'estre  actainct 
et  convaincu  des  cas  à  luy  imposez,  pour  respondre  au  Procureur 
gênerai  du  roy  qui  sera  tenu  bailler  ses  conclusions  à  l'encontre  de 
luy,  telles  qu'il  vouldra  prendre  et  élire,  et  eu  oultre,  procéder 
comme  de  raison. 

Ce  dict  jour,  lesdictz  commissaires,  après  avoir  veu  les  charges 
et  informations  faictes  par  Maistres  Loys  Roillart  et  Bonavonture  de 
Sainct-Berthelemy,  conseillers  du  roy  nostre  sire  en  sa  court  de  Par- 
lement et  commissaires  de  par  icelle  en  ceste  partie,  à  l'encontre  de 
Maistre  Paoul  Graindorge,  prestre,  demeurant  en  la  ville  d'Alençon, 
ont  renvoyé  et  renvoyentla  congnoissance  de  ceste  matière  à  l'evesque 
de  Sées^  ou  son  vice-gerent,  pour  par  luy  estre  pourveu  en  la  ma- 
tière, ainsi  qu'il  verra  estre  à  faire  par  raison.  Et  ont  ordonné  et 
ordonnent  lesdictz  commissaires  que  ledict  evesque  ou  son  dict  vice- 
gerent  aura  le  double  des  troys  premiers  tesmoings  examinez  en 
ladicte  information,  signé  et  collationné  par  les  mains  de  leur  gref- 
fier, pour  servir  d'original. 

Voies  par  les  commissaires  ordonnez  par  le  roy  sur  le  faict  d'A- 
lençon, les  charges  et  informations  faictes  à  l'encontre  de  messire 
Guillaume  Rolland,  prestre,  de  la  paroisse  de  Condé-,  et  oy  sur  ce 
le  procureur  du  roy  et  tout  considéré; 

Lesdictz  commissaires  ont  ordonné  et  ordonnent  ledict  Rolland 
estre  prins  et  appréhendé  au  corps,  quelque  part  qu'il  pourra  estre 
trouvé  en  ce  royaulme,  etiam  in  loco  sncro,  à  la  charge  de  le  rein- 

1.  Jacques  de  Silly,  évêque  de  Seez,  du  26  février  1511  au  24  avril  1539. 

2.  Coudé-sur-Sarthe,  .irrondissement  et  canton  d'Alençon. 


POURSUITES  CONTRE   LES  RÉFORMÉS   D'ALENÇON.  123 

tégrer,  si  faire  ce  doit,  et  icelluy  estre  amené  prisonnier  à  ses  des- 
pens  es  prisons  de  la  Consiergerie  dudict  Alençon,  pour  illec  ester 
et  fournir  à  droit  sur  lesdictes  charges  et  informations,  et  procéder 
contre  luy  ainsi  qu'il  appartiendra  par  raison.  Et  où  prins  et  ap- 
préhendé ne  pourra  estre,  adjourné  à  troys  briefz  jours  à  comparoir 
en  personne  par  devant  lesdiclz  commissaires,  sur  peine  de  bannis- 
sement de  ce  royaulme,  et  d'estre  aclainct  et  convaincu  des  cas  à 
luy  imposez,  pour  respondre  audict  procureur  du  roy,  aux  lins  et 
conclusions  qu'il  vouldra  contre  luy  prendre  et  élire.  Et  oultre,  son 
temporel  estre  prins,  saisy  et  mis  en  la  main  du  roy  par  bon  et  loyal 
inventaire,  regy  et  gouverné  par  bons  et  suffisans  commissaires  qui 
en  saichent  et  puissent  rendre  bon  compte  et  reliqua  quant  et  à  qui 
il  appartiendra  et  par  lesdicts  commissaires  ainsi  sera  ordonno''. 

Errault  R. 

Du  vendredi,  quatriesme  jour  de  septembre,  du  matin, 

Cejourd'huy  a  esté  délibéré  et  conclud  par  lesdictz  commissaires 
que  Jehan  de  Moussy,  maistre  d'hostel  ordinaire  des  roy  etroyne  de 
Navarre,  denunciateur  de  frère  Germain,  cordelier  du  couvent  de 
Sées,  fera  diligence  de  faire  venir  par  devant  lesdictz  commissaires 
maistre  Mathurin  Quillet,  prestre,  vicaire  de  Nostre-Dame-d'Alen- 
çon,  maistre  Jacques  Touppe,  aussi  prestre,  curé  de  Sainct-Marc- 
d'Esgreyne  et  autres  tesmoings,  par  lesquelz  icelluy  Moussy  entend 
prouver  et  vérifier  la  proposition,  qu'il  dit  avoir  esté  preschée  par 
ledict  frère  Germain,  cordelier,  pour,  iceulx  tesmoings  oyz  parles- 
dits  commissaires,  estre  au  surplus  ordonné  en  la  matière  ce  que  de 
raison. 

Cedict  jour,  maistre  Mathurin  Quelain  substitut  du  procureur  gé- 
néral du  roy  en  la  seneschaulcée  du  Maine,  et  par  luy  substitué  en  la 
commission  des  commissaires  ordonnez  par  le  roy  sur  le  faict  d'A- 
lençon,  a  preste  et  faict  le  serment  de  ne  révéler  ains  tenir  secret 
tout  ce  qui  sera  faict,  conclud  et  délibéré  par  lesdictz  commissaires 
en  leur  dicte  commission  . 

I.  Nota  qu'il  y  a  deux  arrest?:  du  cinqiesme  jour  de  septembre  audict  an  qui 
sont  enregistrés  sur  le  dixiesme  jour  de  septembre,  V"  XXXIlil,  l'un  à  rencontre 
de  Jehanne  d'Avoise,  et  l'autre  à  i'encontre  de  Jehan  Besnault  (Note  du 
registre). 


124  POURSUITES   CONTRE   LES   RÉFORMÉS    D'ALENÇON. 

Cedict  jour,  lesdictz  commissaires  ont  ordonné  et  ordonnent  que 
Jehan  Chauvyn,  la  mère  de  Jehan  Coumyn,  maistre  Jehan  Martin, 
Guillaume  Thomas  et  autres  demourans  à  Alençon,  seront  oyz  et  in- 
terrogez, en  faisant  le  procès  dudict  Coumyn  et  Anthoine  Laignel, 
dit  Potier,  prisonniers  es  prisons  de  la  Consiergerie  d'Alençon,  sur 
le  faict  de  la  pente  des  ymaigcs. 

Sur  la  requeste  faicte  verballement  par  le  procureur  du  roy  aus- 
dictz  commissaires,  par  laquelle  il  requeroit  ([ue  sur  les  articles  et 
faictz  contenuz  ou  procès  verbal  faict  par  maistres  Loys  Roillart  et 
Bonaventure  de  Saincl-Berthelemy,  conseilliers  du  roy  en  sa  court 
de  Parlement  à  Paris  et  par  luy  commis  en  ceste  partie,  et  desquelz 
apert  par  les  soixante-dix-neuf  et  quatre-vingts  fueilletz  d'icelluy, 
feust  informé  par  deux  desdictz  commissaires  à  rencontre  de  maistre 
Geoffroy  Crochard,  advovat  eu  court  layeà  Alençon,  et  que  sur  les- 
diclz  faictz  et  articles  feussent  oyz,  interrogez  et  examinez  Nicolas 
Manger,  Anthoine  Barbier,  Sébastian  Farcy,  Estienne  Royer  et 
maistre  Loys  Barbier,  tous  demourans  en  ceste  ville  d'Alençon,  pour 
l'information  faicte  et  veue  par  luy,  prendre  à  l'encontre  dudict 
Brochard  telles  conclusions  qu'il  verra  estre  à  faire  par  raison; 

Lesdictz  commissaires  ont  ordonné  et  ordonnent  information  estre 
faicte  sur  lesdictz  faictz  et  articles,  leurs  circonstances  et  depen- 
dences,  pour  icelle  faicte,  monstrée  et  communicquée  audicl  procu- 
reur du  roy,  ([ui  sur  icelle  prendera  ses  conclusions,  et  par  eulx 
veue,  estre  procédé  à  l'encontre  dudict  Brochard,  ainsi  qu'ilz  ver- 
ront estre  à  faire  par  raison. 

Veues  par  les  commissaires  ordonnez  i)ar  le  roy  sur  le  faict  d'A- 
lençon les  charges  et  informations  respectivement  faictes,  à  la  re- 
queste de  maistre  Jehan  Honiedey,  promoteur  de  l'evesque  de  Sées, 
à  rencontre  de  maistre  Jehan  Le  Pelletier,  advocat,  Jehan  Boule- 
mer,  marchant  d(!  fil,  .hujiies  Haudebourg,  cordonnier,  demourans 
en  la  ville  d'Alençon,  Françoys  Chappellain,  de  CourteillesS  et  Ju- 
lian  de  Bernay,  nagueres  sergent,  demeurant  à  Radon  -,  sur  plusieurs 
blaphemes,  paroles  scandaleuses  et  hereticques  par  eulx  dictes  et 
proférées  contre  l'honneur  de  Dieu  et  estât  gênerai  de  nostre  Mère 
saincte  église;  et  oy  sur  ce  le  procureur  du  roy,  et  tout  considéré; 

1.  11  y  a  trois  Courteillcs  dans  l'Orne;  celui  dont  il  s'agit  est  un  faubourjï 
d'Alençon. 

"1.  Arrondisscmont  et  canton  d'Aloncoii. 


■      "  POURSUITES   CONTKE   LES    REFORMES    D'ALENÇO.N.  125 

Lesdictz  commissaires  ont  ordonné  et  ordonnent  lesdictz  Le  Pel- 
letier, Boulemer,Haudebourg,  Chappellain  et  de  Bernay  estre  prins 
et  appréhendez  au  corps,  quelque  part  qu'ilz  pourront  estre  trouvez, 
ctiain  in  loco  sacro,  à  la  charge  de  les  réintégrer,  si  faire  ce  doit, 
et  iceulx  amenez  soubz  bonne  et  seure  garde,  à  leurs  dépens,  es 
prisons  de  la  Consiergerie  d'Alençon,  pour  illec  ester  et  fournir  à 
droit  sur  les  dictes  charges  et  informations.  Et  où  prins  et  appré- 
hendez ne  pourront  estre,  adjournez  càtroys  briefz  jours  à  comparoir 
en  personne  par  devant  lesdictz  commissaires  en  ladicte  ville  d'A- 
lençon, sur  peine  de  bannissement  de  ce  royaulme,  confiscation  de 
corps  et  de  biens,  et  d'estre  actainctz  et  convaincuz  desdictz  cas  à 
eulx  imposez,  pour  respondre  audict  procureur  du  roy,  aux  fins, 
requestes  et  conclusions  qu'il  vouldra  contre  eulx  prendre  et  élire; 
et  oultre  tous  et  chacuns  leurs  biens  estre  prins,  saisiz  et  mis  en  la 
main  du  roy,  soubz  bon  et  loyal  inventaire,  regiz  et  gouvernez  par 
bons  et  suffisans  commissaires  qui  en  saichent  et  puissent  rendre 
bon  compte  et  reliqua,  quant  et  à  qui  il  aparliendra,  et  par  lesdictz 
commissaires  en  sera  ainsi  ordonné. 

Veues  par  les  commissaires  ordonnez  par  le  roy  sur  le  faict  d'A- 
lençon les  charges  et  informations  faictes  par  maistres  Loys  Roillart 
et  Bonaventure  de  Sainct-Berthelemy,  conseillers  dudict  seigneur 
en  sa  court  de  Parlement  à  Paris,  commissaires  par  luy  commis  en 
ceste  partie,  à  la  requeste  de  maistre  Jehan  Homedey,  promoteur 
de  l'evesque  de  Sées,  à  l'encontre  de  frère  René  Dufour,  religieux 
de  l'ordre  de  Sainct-Augustin,  sur  plusieurs  blaphemes  et  paroles 
scandaleuses  par  luy  dictes,  proférées  et  preschées  en  la  ville  d'A- 
lençon, et  oy  sur  ce  le  procureur  du  roy  et  tout  considéré  ; 

Lesdictz  commissaires  ont  ordonné  et  ordonnent  ledict  frère 
René  Dufour  estre  prins  et  appréhendé  au  corps,  quelque  part  qu'il 
pourra  estre  trouvé  en  ce  royaulme,  etiam  in  loco  sacro,k  la  charge 
de  le  réintégrer,  si  faire  ce  doit,  et  icelluy  amené  es  prisons  de  la 
Consiergerie  d'Alençon,  pour  illec  ester  et  fournir  à  droit  sur  les- 
dictes  charges  et  informations.  Et  où  prins  et  appréhendé  ne  pourra 
estre,  adjourné  <à  troys  briefz  jours  à  comparoir  en  personne  par 
devant  lesdictz  commissaires  en  ladicte  ville  d'Alençon,  sur  peine 
de  bannissement  de  ce  royaulme  et  d'estre  actainct  et  convaincu 
des  cas  à  luy  imposez,  pour  respondre  audict  procureur  du  roy, 
aux  fins  et  conclusions  qu'il  vouldra  contre  luy  prendre  et  élire, 


156  POURSUITES  CONTRE  LES   RÉFORMÉS   d'ALENÇON. 

procéder  et  faire  en  oultre,  ainsi  qu'il  appartiendra  par  raison. 

Errault  R. 

Veues  par  les  commissaires  ordonnez  par  le  roy  sur  le  faict  d'A- 
lençon,  les  charges  et  informations  faictes  par  maistres  Loys  Roillart 
et  Bonaventure  de  Sainct-Berlhelemy,  conseilliers  dudict  seigneur  en 
sa  court  de  Parlement  à  Paris,  commissaires  par  luy  commis  en 
ceste  partie,  à  la  requeste  de  maistre  Jehan  Homedey,  promoteur 
de  de  l'evesque  de  Sées,  à  l'encontre  de  Ysaac  Legoux,  dit  Tardif, 
et  Noël  de  Meaulx,  du  lieu  de  Courteilles,  sur  plusieurs  blaphemes, 
parolles  scandaleuses  et  herelicques  par  eulx  dictes  et  proférées,  et 
oy  sur  ce  le  procureur  du  roy  et  tout  considéré; 

Lesdictz  commissaires  ont  ordonné  et  ordonnent  lesdictz  Legoulx, 
dit  Tardif,  et  Noël  de  Meaulx  estre  prins  et  appréhendez  au  corps, 
quelque  part  qu'ilz  pourront  estre  trouvez  en  ceroyaulme,  etinm  in 
loco  sacro,  à  la  charge  de  les  réintégrer,  si  faire  ce  doit,  et  iceulx 
estre  amenez  prisonniers  en  la  Consiergerie  d'Alençon,  pour  ester 
et  fournir  à  droit  sur  lesdictes  charges  et  informations.  Et  où  prins 
et  appréhendez  ne  pourront  estre,  adjournez  à  troys  briefz  jours  à 
conparoir  en  personne  par  devant  lesdictz  commissaires  en  ladicte 
ville  d'Alençon,  sur  peine  de  hannissement  de  ce  royaulme,  confis- 
cation de  corps  et  de  biens,  et  d'estre  actainctz  et  convaincuz  des 
cas  à  eulx  imposez,  pour  respondre  audict  procureur  du  Roy,  aux 
fins  et  conclusions  qu'il  voukira  contre  eulx  prendre  et  élire,  i)ro- 
céder  et  faire  en  outre,  ainsi  ({u'ij  appartiendra  j)ar  raison. 

Errault  R. 

Dudict  jour,  après  disner. 

Veues  par  les  commissaires  ordonnez  par  le  roy  sur  le  faict  d'A- 
lençon les  chaiges  et  infoiinatiuns  faictes  à  l'encontre  de  la  femme 
de  Vincent  Chappellain,Georgine,  femme  de  Ysaac  Legoux,  dit  Tar- 
dif, la  femme  de  Jehan  Uuel  et  la  femme  de  Macé  Petit,  et  Guil- 
laume Lyon,  tous  demourans  à  Courteilles;  et  oy  sur  ce  le  procu- 
reur du  roy  et  tout  considéré  ; 

Lesdictz  commissaires  ont  ordonné  et  ordonnent  lesdictes  quatre 
femmes  et  Lyon  estre  prins  au  corps,  (|uel(|ue  part  qu'ilz  pouriont  es- 
tre trouvez  en  ce  royaulme,  et  iceulx  amenez  prisoiniiers  es  piisons  de 


POURSUITES  CONTRK   LES   RÉFORMES   d'aLENÇON.  127 

la  Gonsiergerie  du  Palais  d'AIeiiçon,  pour  illec  esler  et  fournir  à  droit 
sur  lesdictes  charges  et  informations.  Et  où  prias  et  appréhendez 
ne  pourront  eslre,  adjournez  à  troys  briefz  jours,  sur  peine  de  ban- 
nissement de  ce  royaulme  et  d'estre  aclainctz  et  convaincus  des  cas 
à  eulx  imposez,  pour  respondre  audict  procureur  du  Roy,  aux  fins, 
requestes  et  conclusions  qu'il  vouKlra  contre  eulx  prendre  et  élire; 
etoultretous  et  chacuns  leurs  biens  estre  prins,  saisiz  et  mis  en  la 
main  du  roy,  et  inventoriez,  regiz  et  gouvernez  par  bons  etsulfisans 
commissaires  qui  en  saichent  et  puissent  rendre  bon  compte  et 
reliqua,  quant  et  à  qui  il  appartiendra,  et  que  par  lesdictz  commis- 
saires ainsi  sera  ordonné. 

Veues  par  les  commissaires  ordonnez  par  le  Roy  sur  le  faict  d'A- 
lençon  les  charges  et  informations  faictes  respectivement  à  rencontre 
de  Marguerite  Edme,  Robert  Huron,  la  femme  de  Jehan  Juliette, 
messires  Jehan  Chassevant,  prestre,  et  Jehan  Duval,  maistre  et 
administrateur  de  la  chappelle  Sainct-Loys  d'Alençon,  et  tous 
demourans  audict  lieu,  et  oy  sur  ce  le  procureur  du  Roy  et  tout 
considéré  ; 

Lesdictz  commissaires  ont  ordonné  et  ordonnent  lesdictz  Marguerite 
Edme,  Robert  Huron,  la  femme  de  Jehan  Juliette,  Chassevant  et  Duval 
estre  prins  au  corps,  quelque  part  qu'ilz  pourront  estre  trouvez  en  ce 
royaulme,  etiam  in  loco  sacro,  à  la  charge  de  les  réintégrer,  si  faire 
ce  doit,  et  amenez  soubz  bonne  et  seure  garde,  à  leurs  despens,  es 
prisons  de  la  Gonsiergerie  d'Alençon,  pour  illec  ester  et  fournir  à 
droit  sur  lesdictes  charges  et  informations.  Et  où  prins  et  appréhen- 
dez ne  pourront  estre,  adjournez  à  troys  briefz  jours  à  comparoir  en 
personne  par  devant  lesdictz  commissaires  en  ladicte  ville  d'Alençon, 
sur  peine  de  bannissement  de  ce  royaulme,  confiscation  de  corps  et 
de  biens,  quant  auxlays,  et  d'estre  actainctz  el  convaincuz  des  casa 
eulx  imposez,  pour  respondre  audict  procureur  du  roy,  aux  fins, 
requestes  et  conclusions  qu'il  vouldra  contre  eulx  prendre  et  élire; 
et  oultre  tous  et  chacuns  les  biens  desdictz  Edme,  Huron,  la  femme 
de  Jehan  Juliotte,  et  Duval,  ensemble  le  temporel  dudict  Ghasse- 
vant,  prestre,  estre  prins,  saysiz  et  mis  en  la  main  du  Roy,  soubz 
bon  et  loyal  inventaire,  regiz  et  gouvernez  par  bons  et  suflisans 
commissaires,  qui  en  saichent  et  puissent  rendre  bon  compte  et 
reliqua,  quant  et  à  qui  il  apartiendra,  et  par  lesdictz  commissaires 
ainsi  sera  ordonné. 

^tues  par  les  commissaires  ordonnez  par  le  Roy  sur  le  faict  d'A- 


12!^  MÉLANGES. 

lençon  les  charges  et  informations  faictes  à  rencontre  de  Marie,  femme 
de  Nicolas  Dupont,  demourant  en  ceste  ville  d'Alençon,  et  oy  sur  ce 
le  procureur  du  roy  et  tout  considéré  ; 

Lesdictz  commissaires  ont  ordonné  et  ordonnent  ladicte  Marie, 
femme  de  Nicolas  Dupont,  estre  adjournée  à  comparoir  en  personne 
par  devant  lesdictz  commissaires  en  ceste  ville  d'Alençon,  ;i  certain 
jour  sur  peine  d'estre  actaincte  et  convaincue  des  cas  à  elle  impo- 
sez, pour  respondre  andictz  procureur  du  roy,  aux  fins,  requestes  et 
conclusions  qu'il  vouldra  contre  elle  prendre  et  élire,  procéder  et 
faire  enoultre  selon  raison. 

Les  commissaires  ordonnez  par  le  roy  sur  le  faict  d'Alençon  ont 
délibéré  et  conclu  entre  eulx  qu'il  sera  bon  et  expédient  de  advertir 
le  roy  des  cas  dont  maistre  Pierre  Caroli  '  est  chargé  depuis  troys 
ou  qnatre  ans  en  ça,  pour  en  estre  par  luy  ordonné  ce  qu'il  luy 
plaira. 

(Suite.) 


MELANGES 


THOMAS  D'ESGORBIAG 

LETTRE   ET   REQUÊTE   d'UN    MAGISTRAT   UUGUENOT  AU   XVII''  SIECLE 

liieii  no  peut  donner  une  idée  plus  juste  de  la  violence  des  luttes 
religieuses  du  xvi*"  siècle,  que  la  nécessité  où  se  trouva  Henri  IV  de 
sanctionner  la  création  d'une  chambre  mi-partie.  Si  ardent  avait  été 
le  combat  que  les  l'arlemcnts,  oublieux  de  leurs  devoirs,  en  se  jetant 
dans  la  mêlée,  avaient  pour  longtemps  compromis  l'administration  de 
la  justice. 

l.  l'icrrc  Caroli  avait  été  i)Ourvu  par  Marguerite,  duciiesse  d'Alençon,  de  la 
cure  de  Notre-Dame  d'Alençon.  C'est  sans  doute  à  cause  de  la  faveur  dont  il 
jouissait  auprès  de  la  sœur  de  François  I"',  que  les  conniiissaircs  n'osent  prendre 
sur  eux  de  procéder  contre  ce  personnage.  Voy.  son  article  dans  la  France 
protestante. 


MÉLANGES.  129 

Devant  la  France,  il  fallut  reconnaître  l'impossibilité  de  rendre  la 
justice,  supérieure  aux  dissentiments  religieux  et  politiques.  Ce  n'était 
pas  sans  raison  que  les  réformés  refusaient  de  croire  à  l'impartialité 
de  magistrats,  serfs  hier  encore  du  parti  ligueur  et  dissimulant  mal 
l'amertume  de  leur  ressentiment. 

Aussi  le  maintien  des  chambres  de  l'Édit  s'imposa-t-il  pour  que  «  la 
justice  fut  rendue  et  administrée  sans  aucune  suspicion,  haine  ou  fa- 
veur »  *. 

De  toutes  les  chambres  souveraines,  la  plus  importante,  par  l'étendue 
de  son  ressort  comme  par  le  nombre  des  affaires  qui  s'y  traitaient, 
était  celle  de  Castres. 

Pendant  plus  d'un  siècle  dans  les  diverses  séances  de  la  chambre  de 
l'Édit,  à  risle  comme  à  Béziers,  mais  surtout  à  Castres,  la  justice  fut 
rendue  avec  une  haute  impartialité  par  les  magistrats  huguenots.  Les 
d'Escorbiac  furent  l'honneur  de  cette  grande  compagnie;  associés  à 
ses  destinées  dès  le  premier  jour,  ils  les  suivirent  jusqu'à  l'heure  où 
Louis  XIV  la  supprima. 

Un  d'Escorbiac  faisait  partie  de  la  chambre  qui  se  réunit  à  l'Isle  en 
Albigeois  en  1579,  et  lorsqu'en  1595  son  siège  fut  transféré  à  Castres, 
il  vint  s'établir  dans  cette  ville  "-. 

Quand,  par  une  mesure  inique,  elle  fut  transportée  à  Castelnaudary, 
un  descendant  de  cette  vaillante  race  occupait  une  place  où  le  père  et 
l'aïeul  avaient  laissé  de  grands  souvenirs. 

L'étude  attentive  du  règne  de  Louis  XIV  a  toujours  mis  en  lumière 
la  pauvreté  morale  des  hommes  qui  approchaient  le  trône.  Sans  de  rares 
exceptions  on  ne  comprendrait  que  trop  la  justesse  de  l'ironie  des  pam- 
phlétaires du  refuge,  comparant  la  France  à  la  Turquie,  et  le  roi  au 
.grand  seigneur. 

Le  débordement  de  courtisanerie  qui  empeste  Versailles  tue  toute 
parole  de  liberté.  Aussi  éprouve-t-on  un  soulagement  à  quitter  la  cour 
pour  rencontrer  dans  les  provinces  quelques  descendants  de  ces  hommes, 
qui  savaient  parler  aux  rois  et  à  leurs  ministres. 

1.  Edit  de  Nantes,  art.  XXX. 

2.  Nous  pouvons,  grâce  à  la  savaule  étude  de  M.  Cambon  de  Lavallette,  sur 
La  chambre  de  l'Édil  de  Languedoc,  établir  en  partie  la  filiation  de  la  famille 
d'Escorbiac.  Sans  doute  le  d'Escorbiac  qui  siégeait  en  1579  pendant  la  séance 
de  Lisle  en  Albigeois  et  Guichard  d'Escorbiac,  qui  faisait  partie  de  la  chambre 
de  l'Édit  à  Castres  .;n  1595,  sont  une  seule  et  même  personne.  En  6"23,  Samuel 
d'Escorbiac  était  membre  de  la  Chambre  où  il  siégea  jus(iu'en  1638,  époque  où 
son  fils  Thomas  le  remplaça  dans  son  office.  Il  conserva  sa  charge  jusqu'au 
14  janvier  1671,  époque  à  laquelle  il  la  céda  à  son  fils  Samuel  d'Escorbiac. 

xxxiii.   —  9 


130  MÉLANGES. 

Thomas  d'Escorhiac,  doyen  des  conseillers  réformés  de  la  cour  de 
Castres,  parlait  cette  noble  langue,  et  savait  la  faire  entendre  au  dépens 
de  sa  carrière  sans  doute,  mais  assurément  à  la  gloire  de  son  nom. 

Les  années  de  la  minorité  de  Louis  XIV  avaient  pu  compter  parmi  les 
plus  heureuses  dont  les  réformés  gardaient  encore  le  souvenir.  La  paix 
semblait  se  faire  chaque  jour  plus  sûre,  même  définitive  entre  les  pro- 
testants et  les  catholiques,  lorsqu'un  revirement  se  produisit  dont  les 
conséquences  devaient  être  fatales. 

Le  clergé  qui,  lors  de  l'assemblée  générale  de  1656  avait  laissé  aisé- 
ment entrevoir  de  quelle  haine  il  haïssait  la  Réforme,  venait,  après  la 
paix  des  Pyrénées,  de  démasquer  ouvertement  son  projet  de  ruiner  TEdit 
de  Nantes. 

Du  reste,  depuis  le  jour  où  cédant  aux  perfides  conseils  du  clergé, 
Louis  XIV  avait  décidé  l'envoi  des  commissaires  chargés  de  connaître 
des  infractions  commises  à  l'Édit  de  Nantes,  une  guerre  sourde  avait 
éclaté  contre  les  réformés.  Dans  chaque  province,  se  groupant  autour 
des  syndics  du  clergé,  les  dévots  recherchaient  avidement  les  occasions 
de  nuire  à  leurs  adversaires,  multipliaient  les  dénonciations  envoyées 
en  cour,  la  plupart  puériles,  comme  le  reconnaît  Rulhieres,  et  visant 
souvent  le  délit  d'avoir  chanté  quelques  psaumes  au  pas  d'une  porte. 

Castres,  considérée  comme  une  des  villes  fortes  de  la  Réforme,  devint 
l'objet  des  plus  vives  attaques  du  clergé.  Il  trouvait  du  reste  dans  les 
conseillers  catholiques  de  la  chambre  de  l'Édit,  membres  de  ce  parle- 
ment de  Toulouse  dont  les  violences  étaient  restées  célèbres,  de  pré- 
cieux auxiliaires. 

Il  avait  suffi  d'un  mouvement  populaire,  où  cédant  à  la  foule,  le  bour- 
reau avait  exécuté  un  misérable  qui,  à  la  dernière  heure,  voulant  fuir 
le  supplice,  avait  demandé  à  se  faire  catholique,  pour  que  les  plaintes 
les  plus  violentes  fussent  portées  contre  les  Réformés.  A  entendre  la 
cabale  des  bigots,  la  liberté  de  conscience  était  violée  dans  leurs  per- 
sonnes, et  c'était  en  supprimant  la  chambre  de  l'Édit  qu'on  remédierait 
à  un  si  grand  mal. 

A  ces  misérables  dénonciations  les  officiers  de  la  cour  de  l'Édit  ré- 
pondirent en  disant  à  La  Vrillière.  «  Nous  vous  asseurons,  monsieur, 
en  gens  d'honneur,  qu'il  n'y  a  point  de  ville  en  France  où  la  religion 
catholique  soit  dans  une  plus  grande  liberté  ni  la  justice  plus  autorisée 
que  dans  Castres  ».  Depuis  trente  ans  cette  ville,  disaient-ils  encore, 
«  a  toujours  suivi  le  bon  parti,  est  demeurée  dans  l'obéissance  et  paie 
fort  bien  les  charges  »  ^. 

I.  Lettre  des  officiers  de  la  chambre  de  VÉdlt,  du  7  août  1660  (original 


MÉLANGES.  131 

Chaque  année  devait  marquer  quelques  vexations  nouvelles,  et  pour 
défendre  la  liberté  de  conscience  il  fallut  lutter  avec  énergie.  C'était 
une  coutume  reçue  de  longue  date  qu'il  était  permis  à  l'un  des  pasteurs 
de  Castres  de  venir  faire  un  culte  à  la  conciergerie  où  l'accompagnaient 
quelques  fidèles.  En  1661,  Puget  de  Gau,  président  catholique  de  la 
chambre,  pénètre  dans  la  prison  au  moment  du  culte,  l'interrompt  avec 
une  hautaine  violence  et  décrète  contre  M.  de  Lacaux,  qui  le  présidait. 
Sur  le  rapport  du  conseiller  catholique  de  l'Estang,  la  chambre  de  l'Édit 
est  contrainte  de  renoncer  à  cette  tolérance  et  d'ordonner  désormais 
aux  pasteurs  de  ne  plus  consoler  les  prisonniers  si  ce  n'est  «  dans  la 
chambre  haute  et  à  voix  basse  »  '■. 

Cette  même  année  le  curé  de  Villegoudon,  faubourg  Castrais,  fait 
informer  contre  les  femmes  huguenotes  qui  chantaient  des  Psaumes. 
Les  conseillers  réformés  ne  voulurent  pas  recevoir  une  telle  plainte 
que  leurs  collègues  catholiques  appuyaient  fortement;  de  là  un  partage 
qui,  soumis  au  conseil  d'État,  devait  aboutir  à  la  ridicule  défense  de 
chanter  à  haute  voix  les  psaumes  à  peine  de  cinq  cents  livres  d'amende  -. 

Ainsi  se  multiplient  à  l'envi  les  misérables  vexations  contre  une 
population  fidèle  à  son  roi  et  à  son  pays.  C'est  en  vain  que  les  officiers 
protestants  de  la  chambre,  d'Escorbiac  à  leur  tète,  effrayés  de  cette 
intrusion  des  prêtres,  se  refusent  à  accepter  l'arrêt  du  conseil  d'État. 
«  Que  défenses  soient  faites,  disent-ils  à  toutes  sortes  de  personnes, 
de  quelque  qualité  et  condition  qu'elles  soient,  de  rechercher  ceux  de 
ladite  R.  P.  R.  dans  leurs  maisons  pour  le  fait  de  ladite  religion  »  ; 
mais  il  n'est  tenu  aucun  compte  d'une  réclamation  si  juste,  et  le  conseil 
d'État  déclare  que  son  précédent  arrêté  sera  exécuté  «  selon  sa  forme 
e,t  teneur,  et  en  cas  de  contravention  qu'il  sera  procédé  contre  ceux  de 
ladite  R.  P.  R.  sur  la  dénonce  qui  en  sera  faite  par  les  particuliers 
qui  auront  eu  connaissance  de  ladite  contravention  »  'K 

C'était  ouvrir  la  porte  à  toutes  les  accusations  et  laisser  les  réformés 
à  la  merci  d'ennemis  qui,  en  défendant  leur  église,  poursuivaient  trop 
souvent  des  vengeances  particulières. 

Les  pasteurs  de  Castres  on  furent  les  premières  victimes,  lorsque 
sur  la  simple  accusation  de  «  cabale  et  faction  »  ils  furent  exilés  de  la 


signé),  TT,  299.  Nous  empruntons  à  la  riche  liasse  de  docuinenls  concernant 
Castres,  conservés  aux  Archives  nationales  dans  la  célèbre  série  TT,  les  diffé- 
rentes pièces  analysées  ou  citées  dans  cette  étude. 

1.  Arrêt  du  18  février  1661. 

2.  Arrêt  du  conseil  d'État  du  16  décembre  1661. 

3.  Arrêt  du  23  février  1662. 


i32  MÉLANGES. 

ville  où   ils  exerçaient  un  ministère  de  dévouement   et  de  charité*. 

r/était  une  souffrance  profonde  pour  Thomas  d'Escorbiac  d'être  con- 
traint à  rester  le  témoin  impuissant  de  ces  injustices  que  couvraient 
sans  honte  les  arrêts  réitérés  du  conseil  d'État. 

Rapporteur  dans  maintes  circonstances  d'affaires  semblables,  il  avait 
essayé  d'atténuer  les  rigueurs  des  arrêts  qu'il  fallait  que  la  Cour  rendît 
sur  les  injonctions  du  Uoi.  Blessé  dans  son  honneur  et  dans  sa  con- 
science de  magistrat,  eu  voyant  oîi  aboutissaient  les  menées  des  adver- 
saires des  Réformés,  il  se  décida  à  écrire  à  31.  de  La  Vrillièrc. 

Une  lettre  d'un  de  ses  collègues  nous  expliquera  les  motifs  qui  le 
déterminèrent  à  faire  entendre  un  langage  plein  de  fermeté  et  d'énergie. 

M.  de  Lacgcr,  conseiller  à  la  chambre,  avait  tenté  d'intervenir  à  Paris 
à  propos  de  cette  affaire  dont  il  parle  en  ces  termes. 

c  Sous  prétexte  d'un  arrêt  du  Conseil  (du  5  oct.  1663)  qui  vidant  les 
partages  de  .MM.  de  Bezonz  et  de  Peyremales,  ordonne  que  les  charges 
singulièi-cs  (uniques)  seront  exercées  par  des  catholiques,  on  a  dépos- 
sédé tous  les  j)orticrs  de  la  ville  qui  faisaient  profession  de  la  R.  P.  R. 
et  par  là  on  a  mis  ces  pauvres  gens  à  l'hospitp.l,  qui  avoient  leur  loge- 
ment et  quelque  petit  appointement  pour  la  nourriture  de  leurs  misé- 
rables familles,  ce  qui  a  été  exécuté  contre  eux  avec  toute  la  rigueur 
du  monde,  quoi(iue  l'arrest  du  Conseil  n'en  parle  en  aucune  façon,  ains 
seulement  des  charges  singulières  comme  greffier  de  la  maison  de  ville 
et  horlogeur. 

î  En  vertu  du  mesme  arrêt  et  sous  prétexte  d'un  article  par  lequel  le 
roy  ordonne  que  dans  les  villes  où  sera  l'exercice  de  la  R.  P.  R.  on 
pourra  avoir  de  petites  escoles  pour  apprendre  à  lire  et  à  escrire  et 
l'aritmètique,  on  a  fait  diffenses  au  régent  de  la  R.  P.  R.  de  cette  ville 
d'enseigner  du  latin  et  de  plus  on  luy  a  fait  commandement  de  vuider 
dudit  collège,  et  l'archidiacre  du  chapitre  a  esté  luy-mêmc  en  com- 
pagnie des  consuls  catholiques  lui  faire  le  dit  commandement,  quoique 
l'arri-st  du  Conseil  ne  parle  ni  près  ni  loin  du  collège  de  Castres  » 
(Lettre  du  10  mars  I(i6'(.). 

Thniiias  (rEscorl)iac,  rapporteur  de  cette  affaire,  avait  plaidé  une  fois 
de  pins  le  niaintiru  de  dniils  sacrés.  Vaincu,  il  proteste  avec  courage 
contre  les  empiétements  du  clergé  dans  des  ([ucslions  dont  doit  seul 
connaître  la  justice  : 

«  Nous  n'avions  pas  vu  jus(|u'icy,  dit-il,  (pi'an  préjudi(;e  des  arrêts 
de  partai^e  on  enlicprit  rien  de  part  ny  d'autre,  ny  que  messieurs  du 

I.  ArnU  du  conseil  diktat  pour  obliger  les  ministres  de  (■astres  d'aller  servir 
6n  d'autres  lieux  {'J  avril  l(5(i3).  Voir  aussi,  C.  Rabaud,  Histoire  du  proleslan- 
tisme  dans  l'Alhigeois,  etc.,  \^.  31i. 


MÉLANGES.  133 

clergé  fussent  les  exécuteurs  et  interprètes  des  édits.  Ils  prouvent 
seulement  que  notre  religion  n'est  plus  à  la  mode  et  que  tout  est  permis 
contre  nous.  Nous  ne  croyons  pas,  monsieur,  que  le  Roy  approuve  une 
telle  conduite;  vous  nous  obligeriez  infiniment  de  nous  faire  scavoir  son 
intention  et  nous  la  fairons  ponctuellement  exécuter.  Nous  nous  piquons 
de  servir  d'exemple  à  tous  les  autres  officiers  pour  l'obéissance  que  luy 
debvons.  Tout  ce  que  je  croy  debvoir  vous  dire,  monsieur,  en  bon  et 
fidèle  françois,  c'est  que  je  recognois  à  mon  grand  regret  que  cette 
nouvelle  mode  que  quelque  cabale  de  bigots  a  trouvé  de  criminaliser 
de  pauvres  idiots  *  ne  sert  à  rien  qu'à  aliéner  les  affections  des  peuples, 
et  j'estime  qu'il  est  plus  avantageux  au  Roy  de  posséder  le  cœur  de  ses 
sujets  que  d'estre  maistre  de  leurs  vies  et  de  leurs  biens  ».  (Lettre  du 
11  mars  1664.) 

Rares  alors  étaient  les  magistrats,  assez  indépendants  pour  marquer 
aussi  nettement  la  gravité  des  fautes  commises,  et  montrer  à  quelles 
extrémités  aboutirait  une  politique  esclave  du  plus  étroit  fanatisme. 
Thomas  d'Escorbiac  honorait  par  cette  ferme  attitude  la  magistrature 
huguenote,  signalée  de  longue  date,  comme  l'un  des  plus  fermes  appuis 
de  la  religion  réformée.  On  était  en  droit  d'attendre  de  lui  cette  virile 
protestation,  car  en  luttant  comme  il  l'avait  fait,  lors  de  la  nomina- 
tion d'un  des  collègues,  faite  contre  toutes  les  règles,  il  avait  montré 
que  seule  la  force  aurait  raison  de  sa  résistance.  Il  avait  empêché 
l'eni'egistrement  de  cette  nomination  et  il  avait  fallu  que  son  adversaire 
entrât  dans  la  cour,  par  la  volonté  expresse  du  Roi,  heureux  dit  avec 
raison  M.  Rabaud,  de  mortifier  une  fois  de  plus  la  chambre  de  Castres  ^. 

Il  se  réservait  d'intervenir  plus  énergiquement  encore,  et  c'est  à  cette 
résolution  que  nous  devons  de  posséder  une  lettre  trop  remarquable 
pour  ne  pas  être  publiée  intégralement.  Sans  date  et  sans  nom  de  des- 
tinataire, mais  écrite  en  166-i,  sans  doute  à  M.  de  La  Vrillière,  sous 
l'impression  de  ces  dénis  de  justice  déjà  signalés,  elle  révèle  les  souf- 
frances du  patriote  et  du  magistrat,  et  reste  comme  un  précieux  docu- 
ment pour  l'histoire  intérieure  de  notre  pays,  aux  premiers  jours  du 
gouvernement  personnel  de  Louis  XIV. 

Monsieur, 

Samedy  dernier  nous  fismes  le  partage  que  je  vous  envoyé, 
M"  de  Tolose  opinent  ici  d'une  autre  manière  qu'ils  ne  font  pas  a 
Tolose,  ils  nous  l'avouent  tous  les  jours;  s'ils  estoit  dans  leurs 

1.  Idiots  pris  ici  dans  le  sens  de  homme  ignorant  et  sans  défense. 

2.  Rabaud,  op.  d<.,  p.  305, 


134  MKLANGES. 

chambres  au  parlement,  ils  diroit  librement  leur  sentiment  et  ici  ils 
n'osent.  Si  le  premier  opinant  porte  un  avis  avec  chaleur,  pas  un 
de  ses  collègues  n'ose  le  choquer  de  peur  d'estre  accusé  de  n'estre 
pas  bon  catholique.  Nous  remarquons  qu'ils  sont  dans  cete  constrainte 
despuis  la  fronde,  que  le  parlement  s'est  arrogé  le  pouvoir  de  co- 
melre  seul  les  conseillers  qui  doivent  venir  servir  en  cete  chambre, 
au  lieu  qu'auparavant  le  Iloy  se  servoit  de  cete  comission  pour 
recompanser  ses  bous  serviteurs,  et  les  personnes  de  vertu  et  de 
mérite  qui  s'estoit  acquis  quelque  réputation  par  dessus  leurs  com- 
pagnons*. Nous  voudrions  bien,  Monsieur,  que  vous  pansassiez 
quelquefois  a  nous  envoyer  vos  amis,  et  vous  ne  seriez  pas  si  sou- 
vent importuné  de  nos  partages.  Celuy  cy  se  fut  évité  si  ces  M" 
eussent  voulu  en  audiance  ouyr  les  gens  du  Roy  qui  eussent  raporté, 
si  ce  supliant  avoit  changé  de  Religion  avant  ou  après  le  registre  de 
cette  nouvelle  déclaration  que  le  Roy  a  accordé  a  l'Importunité  des 
moyens  de  M"  du  clergé-;  si  c'est  avant,  ils  accordent  que  ce 
n'est  pas  un  crime;  si  c'est  depuis  il  faut  qu'il  en  aparoisse,  et 
nous  sommes  compétents  pour  l'examiner.  L'edict  nous  fait  juger 
de  ceux  qui  ont  fait  profession  six  mois  auparavant,  et  tous  les  jours 

1.  On  rapprochera  naturellement  ces  paroles  du  jugement  porté  par  E.  Benoit 
dans  sou  Histoire  de  VÉdit  de.  Nante'i,  1.277,  —  «  Cette  manière  de  former  les 
chambres  de  l'Édit  a  duré  plusieurs  années  :  et  depuis  l'établissement  des  députés 
généraux  ceux  qui  avaient  cet  employ  conferoient  tous  les  ans  avec  le  chance- 
lier, le  premier  président  et  les  gens  du  Koy,  pour  choisir  les  juges  catholiques 
les  plus  équitables.  Pendant  que  cela  tut  observé,  les  chambres  de  l'Édit  rendi- 
rent une  justice  fort  régulière  et  parce  que  leur  juridiction  étoit  plus  belle  et 
plus  profitable  que  celle  des  autres  Chambres,  tous  les  catholiques  affectèrent 
d'être  équitables  et  modérés  pour  n'être  pas  exclus  d'y  servir  comme  les 
autres.  Mais  les  affaires  des  Réformés  allant  en  décadence  sous  Louis  XIII, 
ces  chairbres  ne  se  formèrent  plus  que  par  des  brigues  et  des  cabales,  ou 
les  plus  honnêtes  gens  n'avoient  pas  toujours  le  choix,  de  sorte  que  les  Réfor- 
més n'y  trouvaient  pas  plus  de  justice  qu'ailleurs  ».  On  trouve  aux  Arcliives 
nationales  (T.T.  290)  les  procès-verbaux  de  nomination  des  conseillers  catiio- 
liquos  par  le  parlement  de  Toulouse,  ils  commencent  à  dater  de  1019. 

2.  Il  s'agit  de  la  déclaration  d'avril  1663,  qui  interdisait  aux  réformés  deve- 
nus catholiques  de  retourner  à  leur  première  religion,  en  les  menaçant  de 
les  poursuivre  suivant  la  rigueur  des  ordonnances.  Les  conseillers  de  la  reli- 
gion voulaient  retenir  l'affaire,  par  contre,  les  conseillers  catholiques  préten- 
daient la  renvoyer  au  Parlement  de  Toulouse.  De  là  le  partage  qui  devait  être 
ville  devant  h-  conseil  d'État, 


MÉLANGES.  135 

nous  décrétons  contre  les  prêtres  que  nous  trouvons  envelopés  dans 
les  crimes,  et  après  cela  nous  les  renvoyons  au  parlement.  Mais 
ces  M"  font  scrupule  pour  fait  de  religion  de  faire  aucune  action 
de  justice  favorable  a  ceux  qui  la  demandent;  ils  font  au  contraire 
profession  de  se  rendre  incompétents.  Il  y  en  a  qui  nous  disent  que 
notre  religion  n'est  plus  à  la  mode,  et  tachent  de  jetter  des  mes- 
fiances  dans  le  cœur  de  tous  ceux  qui  la  professent.  Nous  avons  par 
un  malheur  commun  aux  autres  compagnies,  fort  peu  d'affaires  au 
palais,  ce  qui  engendre  du  chagrin,  parce  que  l'argent  est  fort  rare; 
il  ne  manque  pourtant  pas  à  certaine  cabale  de  bigots  qui  s'assemble 
un  jour  de  chaque  septmene  pour  faire  des  procès  criminels^,  sur 
leur  invention  de  nouveaux  crimes,  tantôt  contre  un  qui  aura  chanté 
un  pseaume^,  contre  un  autre  qui  aura  esté  le  onsiesme  a  un  en- 
terrement, ou  qui  n'aura  pas  attendu  les  ténèbres  pour  faire  ces 
actions  de  piété^.  Nous  sommes  forcés  de  décréter  contre  les  pères 
qui  ont  enterré  leurs  enfans  et  contre  les  enfans  qui  ont  enterré 
leurs  pères,  quoy  que  cela  choque  notre  humanité;  mais  c'est  pour 
montrer  que  nous  sommes  fidèles  exécuteurs  de  la  volonté  du  Roy. 
Nous  recognoissons,  Monsieur,  a  notre  grand  regret  que  tous  ces 
nouveaux  retranchements  qu'on  a  fait  de  l'Edit,  produisent  de  mau- 
vais effets.  Le  comerce  de  ce  pays  est  presque  tout  entre  les  mains 
de  ceux  de  la  Religion  prétendue  réformée.  Dès  que  quelque  jeune 
homme  excelle  en  son  mestier,  il  quite  sa  patrie  où  sa  religion  est 

1.  D'Escorbiac  parle  certainement  d'une  association  semblable  à  celle  de  la 
propagation  de  Foy  de  Montpellier,  dont  le  Bulletin  (XXVI,  p.  113)  a  publié 
les  curieux  procès-verbaux. 

2.  Allusion  à  un  procès  intenté  par  Planez,  curé  de  Saint-Jacques  de  Ville 
Goudon,  à  quelques  femmes  de  Castres,  qui  chantaient  des  psaumes  publique- 
ment. Il  y  eut  partage  à  la  chambre  de  l'Édit,  mais  le  conseil  d'État  le  vida  en 
interdisant  le  chant  des  psaumes  par  son  arrêt  du  16  décembre  1(361. 

3.  Voici  une  preuve  curieuse  de  cette  préoccupation  de  n'être  pas  dénoncé 
par  les  agents  de  cette  cabale  dont  parle  Escorbiac.  En  rapportant  la  mort  du 
fils  de  Gâches,  l'historien  castrais,  Madiane,  écrit  ceci  :  «  Le  sieur  Gâches 
estant  mort  la  nuit  du  dimanche  9  avril  (1663),  nous  l'enterrâmes  le  lendemain 
au  soir  après  le  coucher  du  soleil,  à  la  clarté  de  la  lune  n'étant  que  dix  seule- 
ment, après  avoir  vérifié,  chez  M.  Alègre,  que  le  soleil  se  couchoit  environ  à 
sept  heures  »,  Mémoires  de  J.  Gâches,  XII.  Cette  même  année,  17  mars,  il  y 
avait  eu  arrêt  de  la  cour  condamnant  l'église  de  Castres,  à  ne  plus  inhumer  ses 
morts  qu'à  l'aube  et  au  crépuscule.  Rabadd,  Histoire  du  protestantisme  dans 
l'Albigeois,  etc.,  p.  313. 


136  MÉLANGES. 

en  opprobre,  et  se  retire  dans  les  pays  estrangers  où  il  est  bien 
receu  et  s'y  estabiit.  Ceux  qui  ont  leur  fortune  en  argent  ou  en  des 
effets  faciles  à  transporter,  se  retirent  ailleurs,  et  il  y  en  a  qui  se 
trouvent  plus  en  repos  a  Genève  et  a  Livourne  qu'ils  ne  l'estoient  a 
Nismes,  Usés  et  Montpelier.  La  ville  de  Genève  s'est  presque  dou- 
blée, et  on  y  fait  aujourd'hui  les  meilleures  étoffes  qui  se  débitent 
a  Lyon,  au  lieu  qu'autres  fois  on  n'y  faisoit  rien  qui  vaille.  On  a 
agrandi  la  ville  d'Amsterdam  d'un  tiers;  il  y  a  plus  de  dix  mil  co- 
munians  francois  de  la  R.  P.  R.  Dans  Leyde  il  y  a  deux  grands 
temples  et  deux  ministres  francois  et  dix  mil  comunians;  à  Roter- 
dam  il  y  en  a  sept  mil  et  trente  trois  autres  églises  francoises  dans 
la  Rolande,  il  y  en  a  dans  la  Suisse,  dans  l'Allemagne  et  en  Angle- 
terre. On  l'ait  estât  qu'il  y  a  cent  mil  personnes,  si  cliascun  a  em- 
porté mil  livres  ce  seroit  cent  millions  tirés  du  Royaume  depuis  une 
trentaine  d'années*.  C'est  chose  dont  le  Roy  peut  estre  informé  par 
ses  ambassadeurs,  et  dont  ceux  qui  en  sont  cause  ne  se  soucient 
gueres,  agissant  plustôt  pour  des  intérêts  particuliers  que  pour  les 
intérêts  de  l'Estat.  Quand  le  Roy  Henry  Le  Grand  fit  l'Edit  de  Nantes 
après  avoir  consulté  les  meilleurs  politiques  de  son  Conseil,  il  crut 
avoir  esté  de  l'esprit  de  ses  sujets  de  la  R.  P.  R.  la  mesfiance  et  la 
crainte  d'estre  maltraités,  et  de  les  retenir  par  Là  dans  les  terres  de 
son  obéissance,  sans  que  pas  un  s'escartat^.  Mais  aujourd'huy  qu'on 
void  que  M"  du  Clergé  obtiennent  au  Conseil  tous  les  arrêts 
qu'Us  demandent  pour  destruire  cet  edict^^,  il  y  a  fort  peu  de  gens 

I.  L'exagération  de  ces  indications  ne  permet  pas  cependant  d'en  négliger  la 
valeur.  11  est  certain  que  l'émigration  commença  dès  le  milieu  du  xvu°  siècle 
et  aboutit  aux  résultats  que  l'on  connaît.  On  remarquera  que  les  hommes  poli- 
tiques d'alors,  instruits  des  ruines  que  préparaient  les  mesures  édictées  contre 
les  Réformés,  ne  clierclièrent  cependant  pas  à  en  entraver  l'action. 

t.  «  Avons  permis,  disait  l'Édit  de  Nantes,  et  permettons  à  ceux  de  la  dite 
R.  P.  11.  vivre  et  demeurer  par  toutes  les  villes  et  lieux,  sans  estre  enquis, 
vexés,  molestés,  ny  adstraints  à  faire  chose  pour  le  fait  de  la  Religion,  contre 
leur  conscience.  »  Article  VI. 

3.  D'Escorhiac  est  l'un  des  premiers  qui  ait  prévu  où  tendait  la  politique  du 
clergé  de  France.  C'est  à  dater  de  16G1,  après  la  paix  des  Pyrénées,  que  le  con- 
seil d'État  accorda  au  clergé  les  nombreuses  demandes  qu'il  présentait  pour 
restreindre  les  libertés  des  Réformés.  La  ville  de  Castres  avait  été  particidière- 
ment  atteinte  par  ces  dénis  de  justice,  et  mieux  que  personne,  le  doyen  des 
conseillers  de  la  cour  pouvait  le  dire. 


MÉLANGES.  137 

qui  ne  songent  à  quitter  leur  patrie,  s'ils  peuvent  se  deffaire  de  leurs 
biens  en  fonds.  J'ay  cru,  Monsieur,  vous  devoir  dire  toutes  ces  vé- 
rités afin  que  vous  les  puissiés  représenter  au  Roy,  quand  vous  le 
jugerés  à  propos  pour  le  bien  de  son  service.  M''^  les  prélats  s'au- 
torisent trop  en  cete  province.  On  ne  souffre  pas  en  Espagne  qu'ils 
entreprennent  rien  sur  le  temporel,  et  ici  chacun  se  picque  de  dis- 
poser de  toutes  les  charges  politiques  dans  chasque  diocèse,  et  d'a- 
voir à  sa  dévotion  les  Magistrats  et  Officiers  du  Roy.  Dieu  veuille  que 
son  estât  ne  s'en  trouve  quelque  jour  incomodé. 

Au  reste,  Monsieur,  je  vous  donne  avis  que  le  Syndic  et  Conseils 
de  la  R.  P.  R.  se  sont  allés  plaindre  a  M''  de  Besons  et  Peyrema- 
len*,  conseillers  exécuteurs  des  édits,  de  la  voye  de  fait  comise 
dans  notre  collège  dont  je  vousay  cy  devant  informée  Ils  ont  donné 
ordre  le  18  de  ce  mois,  portant  que  les  Conseils  Catholiques  se- 
roit  assignés  au  5'  d'Avril  à  Nismes,  et  cependant  desfenses  de 
contrevenir  aux  Arrêts  du  Conseil  contradictoirement  rendus  que  je 
vous  envoyay.  Le  Roy  leur  pourra  renvoyer  le  partage  pour  y  pour- 
voir comme  ils  aviseront,  si  c'est  le  bon  plaisir  de  sa  Majesté.  Nous 
désirerions,  Monsieur,  que  vous  nous  honorassiés  de  ses  commande- 
ments ;  nous  les  fairions  exécuter  agréablement  au  lieu  que  le  peuple 
est  abusé,  voyant  qu'on  surprend  des  Arrêts  sur  requeste  sans  que 
sa  Majesté  en  aye  en  cognoissance,  qu'on  exécute  à  dessein  d'y  faire 
honeur  de  la  résistance  pour  jetter  dans  le  crime  de  bons  serviteurs 
du  Roy,  qui  n'ont  aucune  intention  d'être  désobéissants.  Je  vous 
demande  pardon,  Monsieur,  de  la  longueur  de  cette  lettre.  Je  vou- 
drais que  la  diction  fut  d'un  aussi  bon  françois  que  l'intention.  Je 
l'aurai  toujours  droite  pour  le  service  de  mon  roy  et  pour  le  vostre, 
je  vous  supplie  très  humblement  Monsieur  d'en  estre  persuadé,  et 
que  je  suis  avec  respect  et  soumission^  : 
Monsieur, 

Votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur. 

ESCORBIAC. 

1.  M.  deBezons,  intendant  du  Languedoc,  et  M.  de  Peyrcmales,  juge  au  présidial 
de  Nîmes,  étaient  les  commissaires  mi-partis  nommés  pour  l'exécution  de  l'Édit 
de  Nantes  en  Languedoc. 

2.  La  lettre  de  M.  de  Lacger,  conseiller  de  la  chambre  de  l'Édit,  donne  l'expli- 
cation du  fait  auquel  d'Escorbiac  fait  allusion.  Voir  page  132. 

3.  M.  de  Lacger  exprime  les  mômes  sentiments  à  la  fin  de  la  lettre  qui  vient 


138  MÉLANGES. 

Dans  des  circonstances  plus  sérieuses  encore,  l'intègre  magistral 
devait  faire  entendre  des  avertissements,  dont  il  ne  devait  pas  être  tenu 
compte,  mais  qui  restent  un  témoignage  de  la  fermeté  de  son  courage 
et  de  la  netteté  de  ses  vues. 

Frank  Pu aux. 

(A  suivre.) 


LA  REFORME  A  JERSEY 


La  Réforme  est  venue  de  la  France  aux  îles,  et  non  de  l'Angleterre. 
C'est  une  histoire  peu  connue,  même  ici,  et  sur  laquelle  je  me  pro- 
pose de  faire  quelques  recherches.  Le  roi  Edouard  VI,  d'Angleterre, 
tenta  bien  d'y  introduire,  vers  1550,  la  liturgie  anglicane,  qu'il  avait 
fait  traduire  en  français  à  l'usage  des  îles  de  la  Manche  et  de  l'E- 
glise française  de  Londres.  Mais  ni  les  ordres  venus  de  Londres,  ni 
l'envoi  d'une  liturgie  ne  pouvaient  prévaloir  contre  le  fait  que  le 
français  était,  au  xvf  siècle,  la  seule  langue  parlée  dans  les 
îles,  et  que  c'était  de  la  France  et  de  Genève  seulement  que  pou- 
vaient arriver  des  pasteurs  capables  d'instruire  le  peuple  dans  sa 
langue.  Dès  le  21  août  1548,  la  cour  royale  de  Jersey  votait  un  acte 
qui  assurait  la  subsistance  de  MaistreLangloysetde  Maistre  Thomas 
Johanne,  deux  ministres  français  «  venant  pour  annoncer  au  peuple 
la  parole  de  Dieu  purement  et  sincèrement,  selon  le  texte  de  l'Evan- 
vangile.  >  Un  acte  du  même  jour  naturalisait  Maistre  Martin  Lan- 
gloys. 

On  possède  une  lettre  de  Calvin  de  1559,  adressée  «  au  sieur  Guil- 
laume de  Beauvoir,  marchand,  demeurant  à  Guernesey,  et  à  ses 
compagnons  qui  font  profession  de  l'Évangile,  »  accréditant  auprès 
d'eux  le  ministre  Nicolas  Baudoyn.  «  Pource  que  nous  avons  entendu, 
écrivait  Calvin,  que  vous  désirez  d'estre  secouru  de  nostre  costé, 

«l'être  citée  :  «  Il  est  dur,  dit-il,  que  contre  les  termes  de  l'fidit  de  Nantes,  les 
ecclésiastiques   exécutent   contre   nous  toutes  choses,  mais  si  le  Roy  le  veut, 
nous  n'avons  rien  à  dire  et  l'obéissance  sera  une  qualité  dont  nous  ferons  pro- 
fession jusques  au  dernier  soupir  de  notre  vie.  » 
1.  Extrait  de  VEvangéliste,  du  7  décembre  1883. 


MÉLANGES.  139 

et  avoir  homme  qui  fust  propre  à  édifier,  nous  n'avons  voulu  faillir 
à  nostre  devoir.  Nous  vous  adressons  donc  nostre  l'rère  le  présent 
porteur,  lequel  a  monstre  par  effect  de  quel  zèle  il  estoit  mené^  » 

Les  persécutions  des  réformés  en  France,  et  surtout  le  massacre 
de  la  Saint-Barthélémy,  amenèrent  dans  les  îles  un  grand  nombre 
de  réfugiés  huguenots.  J'ai  sous  les  yeux  une  liste  de  quarante-deux 
ministres  français  qui  s'y  réfugièrent  à  cette  époque.  Un  certain 
nombre  s'y  établirent  définitivement,  et  plusieurs  de  leurs  noms  y 
existent  encore  de  nos  jours.  L'un  de  ces  ministres,  par  exemple, 
se  nommait  Nicolas  Le  Duc,  et  nous  avons  aujourd'hui  un  William 
Le  Duc  parmi  nos  prédicateurs  laïques. 

Ainsi  fondées  et  dirigées  par  des  pasteurs  venus  de  France,  les 
Églises  des  îles  de  la  Manche  se  constituèrent  d'après  le  type  presby- 
térien; elles  eurent  une  discipline  ecclésiastique,  des  synodes,  des 
colloques  et  des  consistoires,  à  la  ressemblance  des  Églises  de 
France.  La  reine  Elisabeth,  mise  au  courant  des  conditions  spéciales 
du  protestantisme  insulaire,  donna  son  approbation  à  cette  organi- 
sation non  conformiste.  Cette  période  presbytérienne  dura  environ 
soixante-dix  ans  à  Jersey  et  un  siècle  entier  à  Guernesey;  ce  fut  un 
temps  de  prospérité  religieuse  pour  la  contrée.  Jacques  I",  obéissant 
à  l'influence  du  haut  clergé  anglican,  résolut  de  faire  entrer  les  îles 
de  la  Manche  dans  le  giron  de  l'anglicanisme  et  nomma  à  cet  eifet 
pour  Jersey  un  gouverneur  à  poigne,  sir  John  Peyton,  qui  voulut 
enlever  au  colloque  la  nomination  des  pasteurs  pour  se  l'attribuer 
à  lui-même.  Il  imposa  à  la  paroisse  de  Saint-Pierre  un  ministre 
épiscopal  et  réussit  à  gagner  par  de  belles  promesses  quelques-uns 
des  pasteurs,  notamment  le  ministre  David  Baudinel,  auquel  il  pro- 
mit la  dignité  de  doyen  dès  qu'elle  serait  rétablie.  Une  fois  les  mi- 
nistres gagnés,  il  fut  facile  d'entraîner  le  peuple.  A  Guernesey,  la 
résistance  fut  un  peu  plus  longue,  mais  elle  finit  par  céder,  et  le 
presbytérianisme  fit  place  à  l'anglicanisme.  Celui-ci  demeura  cepen- 
dant mélangé  de  quelques  éléments  presbytériens.  Il  se  donna  une 
constitution  particulière  et  repoussa  certaines  formes  suspectes  de 


1.  Jules  Bonnet,  Lettres  de  Calvin,  t.  Il,  p.  252.  C'est  par  erreur  que  celte 
lettre  porte  dans  ce  recueil  la  suscription  "  A  un  seigneur  fie  Jersey.  » 
M.  Maulvault,  dans  une  lettre  parue  dans  le  Bulletin  de  rilist.  du  prot.  franc., 
1868,  p.  254,  a  rétabli  le  nom  du  véritable  destinataire. 


140  MÉLANGES. 

catholicisme,  telles  que  le  signe  de  la  croix  dans  le  baptême  et  le 
surplis. 

Ces  origines  huguenotes  du  protestantisme  des  îles  de  la  Manche 
ne  sont  pas  oubliées  ici.  S'il  se  trouve  çà  et  là  des  ultra-anglicans 
pour  en  rougir,  il  est  d'autres  membres  de  l'Eglise  établie  qui  en 
sont  fiers,  et  j'entendais  l'autre  jour  l'un  des  meilleurs  clergymen 
de  Jersey,  le  Rév.  Le  Neveu,  de  Saint-Martin,  déclarer  hautement 
cette  filiation  huguenote. 

Ces  services  que  la  France  a  rendus  aux  îles  de  la  Manche,  aux 
xvi"  et  XVII*  siècles,  elles  semblent  avoir  tenu  à  honneur  de  les  lui 
rendre  de  nos  jours  en  fournissant  en  grand  nombre  à  la  France 
des  pasteurs  fidèles  et  zélés.  C'est  le  méthodisme,  devenu  le  vé- 
ritable héritier  du  presbytérianisme,  qui  a  eu  pour  tâche  d'ac- 
quitter celte  dette,  et  je  pense  que  le  nombre  de  pasteurs  fournis 
par  les  îles  à  la  France  en  ce  siècle  égale  presque  le  nombre  des  pas- 
teurs français  qui  ont  évangélisé  Jersey  et  Guernesey  dans  les  siècles 
précédents. 

Il  y  a  là,  j'avais  raison  de  le  dire,  des  liens  historiques  qu'il  se- 
rait coupable  de  laisser  se  relâcher.  L'Église  méthodiste  fait  tout  ce 
qu'elle  peut  peur  qu'il  n'en  soit  pas  ainsi.  Tandis  que  bon  nombre 
d'insulaires  sont  pasteurs  en  France,  plusieurs  Français  sont  pas- 
teurs dans  les  îles,  et  ainsi  se  continuent  ces  relations  fraternelles 
qui  eurent  une  si  grande  importance  dans  le  passé. 

M.  L. 


Personne  ne  pouvait  rappeler  ces  souvenirs  avec  plus  d'autorité 
que  l'ancien  directeur  de  VÉvangéliste,  M.  le  pasteur  Matthieu  Lo- 
lièvre,  auquel  nous  devons  d'excellentes  publications  historiciues, 
dont  une  appréciée  ici  même  (Bull.,  t.  XXX,  p.  27),  et  un  beau  livre 
sur  John  Wesley,  qui  a  mérité  les  éloges  de  M.  de  Rémusat,  et  dont 
je  suis  heureux  de  saluer  la  nouvelle  édition  gracieusement  offerte 
à  la  Bibliothèque  du  Protestantisme  français*. 

J.  B. 

1.  John  Wesleij,  sa  vie  et  son  œuvre.  1  volume  m-\i,  avec  portrait  et  auto- 
graphe. Paris,  1883. 


BIBLIOGRAPHIE 


HISTOIRE  DE  LA  REFORMATION  A  BORDEAUX 

ET  DANS  LE  RESSORT  DU  PARLEMENT  DE  GUYENNE 

Par  Ernest  Gaullieur.  Tome  l"',  un  volume  gr.  in-8°  de  568  pages. 

Le  Bulletin  a  publié  (t.  XXXI,  p.  4)  un  chapitre  de  l'ouvrage 
alors  en  cours  d'exécution  de  M.  Gaullieur,  auquel  nous  devons  déjà 
une  remiirquiih]e  Histoire  du  Collège  de  Guyenne  (Bull.,  t.  XXIII, 
p.  267).  Le  cadre  de  l'ouvrage  que  nous  annoncions  alors  s'est 
depuis  singulièrement  élargi  sous  la  plume  de  l'auteur,  et  telle  est 
la  richesse  des  matériaux  accumulés  entre  ses  mains  par  vingt  ans 
d'études,  que  le  premier  volume  qui  devait  embrasser  le  xvi'  siècle 
tout  entier  et  nous  conduire  jusqu'à  l'Edit  de  Nantes,  s'arrête  à  la 
paix  d'Amboise,  qui  clôt  en  1563  la  première  guerre  de  religion. 
C'est  dire  avec  quelle  ampleur,  quelle  science  magistrale  M.  Gaul- 
lieur a  retracé  la  période  des  origines  et  des  premières  luttes  poli- 
tiques et  religieuses  dans  le  ressort  de  l'ancien  parlement  de  Bor- 
deaux, et  nul  ne  se  plaindra  de  cette  dérogation  au  plan  primitif 
qui  promet  à  une  province  importante  un  monument  historique 
digne  d'elle.  C'est  ce  qu'a  compris  le  conseil  municipal  de  Bordeaux, 
qui  a  souscrit  pour  200  exemplaires  à  l'ouvrage  de  M.  Gaullieur, 
rendant  ainsi  hommage  à  l'esprit  généreux  dont  il  est  empreint. 

Je  n'essaierai  pas  d'analyser,  dans  une  simple  notice,  un  volume 
qui  touche  à  tant  d'événements  et  embrasse  une  telle  multiplicité 
de  détails;  je  ne  veux  que  mettre  en  lumière  quelques  points  im- 
portants. Peu  de  villes  ont  donné  plus  de  gages  de  leur  attachement 
à  la  Réforme  et  plus  souffert  que  Bordeaux  pour  cette  nol)Ie  cause. 
Si,  comme  on  peut  le  croire,  d'après  un  texte  publié  par  M.  Ilermin- 
jard,  Farel  a  été  le  premier  apôtre  de  la  Réforme  dans  la  capitale 
de  la  Guyenne,  elle  n'a  pas  dérogé  dans  la  succession  des  martyrs 
qui,  de  1530  à  1562,  ont  scellé  de  leur  sang  le  culte  en  esprit.  Le 
Parlement  de  Bordeaux  rivalise  avec  celui  de  Toulouse  par  l'atrocité 


14.2  BIBLIOGRAPHIE. 

des  répressions,  et  la  faiblesse  du  président  Lagebàton,  suspect 
d'incliner  vers  la  croyance  nouvelle,  ne  fait  qu'ajouter  à  l'herreur 
des  supplices.  L'esprit  de  la  vieille  inquisition  toulousaine  revit  en 
des  magistrats  qui  n'ont  pas  toujours  le  fanatisme  pour  excuse.  Ici 
comme  ailleurs  la  sérénité  des  victimes  consfraste  avec  l'acharne- 
ment des  bourreaux.  Quelles  plus  touchantes  figures  que  celles  de 
Vindocin,d'Aymon  de  la  Voye,  d'Arnaud  Monnier  et  de  JeanDecaze  ! 
Quel  apôtre  que  Philibert  Hamelin  !  C'est  dans  l'ouvrage  de 
M.  Gaullieur  qu'il  faut  suivre,  de  ville  en  ville,  le  martyrologe  qui 
montre  combien  étaient  profondes  les  racines  de  la  Réforme  dans 
les  contrées  qu'arrosent  la  Gironde,  la  Dordogne  et  la  Charente, 
et  que  de  pieux  souvenirs  elle  peut  évoquer  dans  ses  moindres 
bourgades. 

A  la  période  des  martyrs  succède  celle  des  guerres  de  religion, 
qui  commencèrent  en  Guyenne  plus  tôt  qu'ailleurs,  provoquées  par 
d'affreux  massacres  bien  antérieurs  à  celui  de  Vassy.  L'assassinat 
du  baron  de  Fumel  fut  la  réponse  aux  violences  du  parti  catho- 
lique qui  allait  trouver  un  digne  agent  dans  le  féroce  Montluc.  C'est 
au  moment  où  l'Édit  de  janvier  proclame  la  liberté  religieuse,  et 
où  de  nombreux  ministres  accourus  de  Genève  en  invoquent  les 
clauses  protectrices,  que  le  Parlement  de  Bordeaux  redoublant  de 
rigueur,  achève  de  porter  l'exaspération  dans  les  esprits.  Grande 
avait  été  la  joie  des  protestants  de  Guyenne  à  la  nouvelle  de  l'Édit 
de  tolérance  qu'avait  dû  enregistrer  le  parlement  persécuteur   : 
«  Un  service  d'actions  de  grâces  fut  organisé  dans  toutes  les  Églises. 
A  Bordeaux,  la  veille  de  la  publication  de  l'Édit  (6  février)  les  pas- 
teurs La  Fromentée  et  Neuchâtel  convoquèrent  publiquement  les 
fidèles,  qui,  pour  la  plupart,  se  rendirent  à  leur  appel.  Le  culte  et  la 
[u-édication  eurent  lieu  dans  la  campagne,  hors  de  la  porte  Sainte- 
Croix.  La  chaire  avait  été  dressée  dans  une  vaste  grange  ouverte,  où 
se  pressaient  quelques  centaines  d'auditeurs,  des  femmes  pour  la 
plupart.  Quand  celles-ci,  sur  l'invitation  du  ministre,  entonnèrent  le 
cantique  de  délivrance,  des  milliers  de  voix  venues  du  dehors  se 
joignirent  à  elles  pour  prier  Dieu.  Ces  malheureux  si  longtemps 
persécutés,  se  prenaient  à  espérer  des  temps  meilleurs,  alors  qu'au 
contraire  allait  s'ouvrir  la  période  affreuse  des  guerres  civiles,  alors 
que  leurs  jeunes  et  courageux  pasteurs,  voués  au  plus  affreux  mar- 
tyre, n'avaient  plus  que  quelques  mois  à  vivre.  » 


BIBLIOGRAPHIE.  143 

Les  lecteurs  du  beau  livre  de  M.  GauUieur  sauront  l'aire  la  part 
des  responsabilités,  et  reconnaîtront  combien  était  juste  l'hommage 
rendu  aux  protestants  de  Bordeaux  par  une  voix  peu  suspecte,  celle 
du  gouverneur  M.  de  Burie,  écrivant  au  président  du  Parlement  : 
«  Ceux  de  l'Église  réformée  de  Bordeaux  ont  envoyé  devers  moy 
pour  me  remonstrer  la  façon  de  laquelle  la  cour  de  Parlement  a 
usé  en  leur  endroit,  en  leur  interdisant  la  sépulture  de  leurs  morts 
ez  temples  ou  cimetières,  tant  dans  la  ville  que  hors  icelle,  au  moyen 
de  quoy  les  corps  sont  encore  ez  maisons  embaumés,  chose  digne 
de  considération,  et  qui  pourrait  bien  esbranler  la  patience  des 
bons,  s'ils  îi' estaient  pourvus  d'une  grande  patience  et  prudence, 
laquelle  fay  toujours  cogneue  en  eulx.  » 

Cet  éloge  si  mérité  rend  plus  horribles  les  représailles  qui  sui- 
virent la  malheureuse  tentative  de  Pardaillan  pour  s'emparer  du 
Château-Trompette  (26  juin  1562).  Jean  Duranson,  dit  Neufchàtel, 
fut  le  premier  des  vingt-neuf  ministres  protestants,  qui,  dans  l'es- 
pace de  quelques  mois,  allaient  être  mis  à  mort  sur  divers  points  de 
la  Guyenne.  De  très  nombreuses  exécutions  eurent  lieu  à  Bordeaux, 
et  près  de  cent  personnes  furent  condamnées  par  coutumace  au  plus 
cruel  supplice.  Le  parlement  ne  croyait  pas  pouvoir  donner  trop  de 
gages  de  son  dévouement  à  la  cause  catholique.  Ainsi  s'ouvrit  la 
sombre  période  des  guerres  de  religion  qui  devaient  remplir  la  fin 
du  siècle.  Le  danger  pour  l'historien  est  ici  de  donner  trop  de  place 
à  l'histoire  politique  et  militaire  au  détriment  des  faits  religieux  qui 
intéressent  l'histoire  de  l'Église.  M.  E.  GauUieur  saura  éviter  cet 
écueil,  et  combiner  dans  une  juste  mesure  les  divers  éléments  dont 
se  compose  le  grand  sujet  qui  ne  pouvait  échoir  à  de  plus  dignes 
mains.  J.  B. 


LE  MASSACRE  DE  VASSY 

RECTIFICATION 

On  lit  dans  la  Renaissance  du  21  février  1884  : 
«  M.  le  pasteur  Gourjon  a  publié,  il  y  a  une  quarantaine  d'années, 
une  brocqure  très  intéressante  sur  le  massacre  de  Vassy,  accom- 
pagnée d'une  ancienne  gravure  représentant  cette  boucherie.  Cette 
brochure  est  extraite  d'un  manuscrit.  Cest  toute  une  histoire  que 
V histoire  de  ce  manuscrit  écrit  par  un  religieux  de  Vassy,  té- 
moin oculaire  du  massacre.  Ce  manuscrit  doit  se  trouver  entre 


144  NÉCROLOGIE. 

les  mains  de  l'un  des  descendants  des  héritiers  de  ce  religieux*.  » 
On  s'étonne  de  rencontrer  de  telles  assertions  dans  un  journal 
d'ordinaire  aussi  bien  informé  que  la  Renaissance,  et  sur  un  évé- 
nement aussi  connu  que  le  massacre  de  Vassy.  La  relation  publiée 
en  1844  par  M.  le  pasteur  Gourjon,  avec  des  notes  qui  avaient  un 
réel  mérite  de  nouveauté,  n'est  que  la  reproduction  abrégée  du  récit 
de  Crespin,  dont  copie  a  pu  être  conservée  dans  un  couvent  de  V^assy, 
et  tout  le  reste  n'est  que  pur  roman  (Bull.,  t.  XXXI.  p.  57  et 
58  en  noies). 

Il  n'existe  de  relation  catholique  contemporaine  du  massacre  que 
celle  si  mensongère  du  duc  de  Guise,  qui  a  été  amplement  réfutée 
dans  le  Bulletin  (t.  XXIY,  p.  212  et  suivantes),  et  qui  fournit  par 
ses  contradictions,  ses  choquantes  invraisemblances,  une  des  meil- 
leures preuves  de  la  préméditation.  J.  B. 


NÉCROLOGIE 


MADAME  LABOUCHÈRE 

Nous  avons  le  regret  d'aunoncer  la  mort  de  madame  Pierre  Labou- 
chère,  veuve  du  peintre  distingué  auquel  nous  devons  d'intéressantes 
scènes  de  la  Réforme,  et  mère  de  cet  Alfred  Labouchère,  si  prématuré- 
ment ravi  à  notre  Comité  d'histoire.  Ce  nouveau  deui!  ravive  les  deux 
autres,  et  nous  fait  plus  vivement  sentir  ce  que  nous  avions  perdu,  avant 
la  personne  vénérée  qui  portait  le  plus  vif  intérêt  ù  nos  travaux,  et  qui 
s'est  éteinte,  le  12  février  IHHï,  à  l'âge  de  soixante-dix  ans. 

C'est  aussi  une  perte  sensible  pour  notre  Société  que  la  mort  de 
M.  Peyrot-Tinel,  libraire  à  Nîmes,  dont  la  rare  intégrité,  la  complai- 
sance à  toute  épreuve,  avaient  fait  pour  nous,  depuis  bien  des  années, 
un  précieux  correspondant.  Sorti  des  vallées  vaudoises  du  Piémont  et 
d'une  famille  qui  a  marqué  dans  leur  histoire,  il  n'a  pas  démenti  cette 
belle  orisfine.  J.  B. 


JV.  B.  La  Société  de  l'Histoire  du  Protestantisme  français  tiendra  sa 
trente-unième  séance  annuelle,  le  jeudi,  24  avril,  à  8  heures  du  soir,  au 
temple  de  l'Oratoire  Saint-Honoré,  avec  le  concours  de  la  Société  cho- 
rale. Les  morceaux  lus  et  les  discours  prononcés  en  séance,  paraîtront 
dans  le  Bulletin  du  t5  mai  suivant. 

Le  Concours  ouvert  en  1882  sur  la  vie  de  Lefèvre  d'Étaples  et  Ip.s 
origines  de  la  Réforme  française,  est  prorogé  jusqu'au  15  février  1885. 

1.  Ces  lignes  sont  reproduites  dans  le  Journal  du  Pr-otestantisme  français 
du  7  mars. 


Le  Gérant  :  Fischdacher. 


BouRLOTON,  Imprimeries  réunies,  B. 


4» 


SOCIÉTÉ  DE  L'HISTOIRE 

DU 

PROTESTANTISME  FRANÇAIS 


ÉTUDES  HISTORIQUES 


L'ÉGLISE  RÉFORMÉE  DE  LA  CALMETTE 

PAGES   d'histoire   LOCALE  * 


II 


Le  règne  d'Henri  IV  inaugure  une  ère  nouvelle,  malheureu- 
sement trop  courte  (1593-1610)  et  montre  combien  la  France 
est  prompte  à  guérir  de  ses  maux  sous  un  régime  réparateur. 
Rien  de  plus  triste  que  l'aspect  du  pays  au  sortir  des  guerres 
de  religion  qui  ont  accumulé  tant  de  ruines.  C'est  dans  un 
ouvrage  publié  en  pleine  Ligue  (1581)  qu'il  faut  suivre,  de 
diocèse  en  diocèse,  le  lugubre  dénombrement  des  villages  brû- 
lés, des  maisons  détruites,  des  massacres  accomplis  sur  des 
personnes  de  tout  Age,  de  tout  sexe  et  de  tout  rang 2.  Rien  de 

1.  Voir  le  dernier  cahier  du  Bulletin,  p.  97. 

2.  Nicolas  Froumenteau,  Le  secret  des  finances  de  la  France  descouvert  et 
réparti  en  trois  livres.  Petit  in-8°.  Paris,  1581.  Sur  ce  livre  et  son  auteui-,  voir 
l'arlicle  de  la  France  Protestante . 

xxxiii.  —  10 


146  l'église  réformée  de  la  calmette. 

plus  misérable  que  l'état  des  populations  du  Languedoc.  Poul- 
ie seul  diocèse  de  Nîmes  on  ne  compte  pas  moins  de  1 300  mai- 
sons brûlées,  de  11  782  victimes  des  discordes  civiles.  Le 
journal  du  protestant  Gharbonneau  de  Béziers,  écrit  vers  la 
même  époque,  ne  présente  pas  un  tableau  moins  sombre  :  «  A 
cause,  dit-il,  de  la  grande  mangerie  de  la  guerre,  le  peuple 
estoit  en  extrême  pauvreté,  spécialement  aux  montagnes  dont 
il  descendit  tant  de  pauvres  que  c'estoit  chose  fort  pitoiable  à 
voir.  Davantage  il  survint  de  très  grandes  maladies  dont  mou- 
rurent beaucoup  de  gens  de  toute  qualité,  spécialement  des 
pauvres \  » 

Deux  grandes  stipulations  marquent  la  fin  du  siècle  et  an- 
noncent des  jours  meilleurs  :  l'une,  signée  àVervins  (2  mai 
1598)  assure  la  paix  avec  l'Espagne  et  l'intégrité  de  nos  fron- 
tières; l'autre,  conclue  à  Nantes  (13  avril  de  la  même  année), 
ramène  la  paix  intérieure  en  proclamant  un  droit  nouveau, 
la  liberté  de  conscience,  garantie  par  un  pacte  solennel  qui 
doit  faire  sentir  ses  effets  jusque  dans  le  plus  obscur  hameau 
du  royaume.  Le  monarque  a  trouvé  un  ministre  habile  pour 
panser  les  plaies  de  la  patrie  et  s'associer  à  son  œuvre  répa- 
ratrice. Le  nom  de  Sully  demeure  uni  dans  la  reconnaissance 
populaire  à  celui  du  Béarnais,  et  ce  n'est  que  justice.  De  sages 
mesures  appliquées  avec  suite  ramènent  l'ordre  dans  les 
finances  et  la  confiance  dans  les  esprits.  Le  commerce  et  l'in- 
dustrie reçoivent  de  précieux  encouragements.  L'agriculture 
est  surtout  l'objet  des  prédilections  du  ministre  :  «  Le  labou- 
rage et  le  pâturage,  écrit-il,  sont  les  deux  mamelles  qui  nour- 
rissent la  France,  les  vraies  mines  et  trésors  du  Pérou.  » 
Maxime  inverse  de  celle  qui,  appliquée  alors  à  l'Espagne,  a  fait 
de  ce  pays  un  vaste  désert;  car  un  peuple  ne  vit  pas  de  métaux 

1.  Journal  de  Louis  Churbonneau,  chronique  Diterroise- Languedocienne  con- 
cernant l'histoire  de  la  Ligue  dans  le  midi  de  la  France,  publié  par  A.  Ger- 
main. Broch.  in-i».  Montpellier  1874.  (p.  69).  A  rapprocher  de  Mcnard,  t.  V, 
p.  U8  et  passim.  La  peste  exerça  plusieurs  ibis  ses  ravages  autour  de  Nîmes. 
La  Calmette  fut  particulièrement  éprouvée. 


l'église  réformée  de  la  calmette.  147 

précieux,  mais  de  travail  et  d'économies  sagement  accumulées, 
et  il  peut  mourir  d'inanition  sur  des  monceaux  d'or  demeurés 
improductifs  entre  ses  mains.  La  postérité  a  droit  de  se  mon- 
trer sévère  pour  Philippe  II  et  ses  ministres,  aussi  impré- 
voyants que  cupides,  tandis  qu'il  sera  beaucoup  pardonné  au 
prince  qui  voulut,  selon  un  mot  touchant,  «  que  chaque  paysan 
pût  mettre  la  poule  au  pot  le  dimanche.  » 

A  l'initiative  heureuse  du  monarque  secondé  par  un  mi- 
nistre digne  de  lui,  correspond  l'élan  des  provinces  rivalisant 
d'ardeur  dans  la  voie  du  progrès.  Les  provinces  du  Midi 
voient  s'ouvrir  une  source  nouvelle  de  prospérité  dans  la  cul- 
ture du  mûrier  devenue  générale.  Un  illustre  agronome, 
Olivier  de  Serres,  sieur  de  Pradel,  répondant  aux  vœux  de 
Henri  IV,  publie,  en  1599,  un  chapitre  de  son  Mesnage  des 
champs,  intitulé  :  La  cueillette  de  la  soie  imr  la  nourriture 
des  vers  qui  la  font;  et  ouvre  sur  son  domaine  une  ferme 
modèle  qui  devient  l'école  du  pays.  Déjà,  plus  de  trente  ans 
auparavant,  un  simple  jardinier  de  Nîmes,  François  Traucat, 
avait  doté  son  pays  natal  de  l'arbre  précieux  qui  allait  deve- 
nir une  de  ses  principales  richesses*.  Plus  de  quatre  millions 
de  mûriers  plantés  par  ses  soins  «  es  provinces  de  Languedoc 
et  Provence  »  avaient  popularisé  son  nom  sur  les  deux  rives 
du  Rhône.  Olivier  de  Serres  a  reconnu,  avec  la  candeur  du 
génie,  ce  qu'il  devait  à  son  humble  précurseur,  et  sa  gloire 
n'est  point  diminuée  par  cet  aveu  K  N'est-ce  pas  lui  qui, 
recueillant  les  leçons  de  l'expérience  dans  une  longue  pra- 
tique, traça  d'une  main  ferme  les  préceptes  de  l'économie 
rurale,  et  mérita  d'être  appelé  le  «  Columelle  de  la  France  »? 
Par  son  admirable  ouvrage,  il  fit  aimer  les  champs  dont  il 

1.  Notice  historique  sur  François  Traucat,  jardinier  de  Nimes  au  xvi°  siècle, 
par  M.  Vincens  Saint-Laurent.  Brocli.  in-8".  Paris  1818.  Traucat  était  protestant, 
comme  le  prouve  son  contrat  de  mariage  avec  Estiennèle  Guillon,  signé  par  le 
ministre  Canipagnan  (4  mars  1571).  Communication  de  M.  Cli.  Saj,'nier. 

2.  Théâtre  d'agriculture.  Édition  de  1804,  t.  II.  Épitrc  dédicaloire  du  la 
Cueillette  de  lu  soie. 


'U8  l'église  réformée  de  la  calmette. 

décupla  les  richesses  par  une  intelligente  culturel  Ce  n'est 
pas  un  médiocre  honneur  pour  le  protestantisme  français 
d'avoir  produit,  à  deux  siècles  de  distance,  Olivier  de  Serres 
et  le  comte  Adrien  de  Gasparin,  ces  deux  pères  de  l'agricul- 
ture, dont  ils  ont  su  donner  à  la  fois  le  précepte  et  l'exemple, 
sans  se  dérober  à  aucun  des  grands  devoirs  de  leur  temps. 

Avant  la  fin  du  xvi'  siècle,  on  put  observer  les  signes  de  la 
prospérité  renaissante  dans  le  Languedoc.  L'étudiant  bâlois, 
Thomas  Platter,  frère  de  Félix,  qui  visita  le  pont  du  Gard  en 
1596,  et  qui  nous  a  laissé  le  curieux  récit  de  son  excursion, 
se  plaît  à  décrire  les  belles  plantations  de  mûriers  qui  entou- 
rent le  château  de  Saint-Privat  ^  L'exemple  de  la  famille  Faret 
est  suivi  dans  le  pays  d'Uzès,  et  les  deux  rives  du  Gardon, 
enrichies  de  l'arbre  précieux  qui  doit  alimenter  la  plus  belle 
des  industries,  prennent  l'aspect  d'ui  riant  jardin  qu'elles 
ont  plus  ou  moins  conservé  à  travers  les  vicissitudes  des  âges 
suivants.  Que  de  générations  écoulées  dans  la  culture  de 
l'arbre  qui  n'a  jamais  trompé  leur  pieux  labeur  !  J'ai  salué 
moi-même  dans  mon  enfance  les  derniers  survivants  de  ces 
troncs  vénérables  encore  parés  d'un  reste  de  verdure,  et  qu'on 
appelait  les  mûriers  de  Sully  ^  ! 

La  prospérité  du  foyer  ne  se  sépare  pas  de  celle  de  l'Église 
dans  l'organisation  aussi  souple  que  forle  que  lui  donna  le 
génie  de  Calvin  et  que  représentent  hiérarchiquement  le  con- 
sistoire, le  colloque,  le  synode  provincial  et  le  synode  général 
auquel  tout  vient  aboutir'*.   Durant  la  première  moitié  du 

1.  Qui  en  a  mieux  parlé  que  lui  dans  ses  descriptions  à  rapprocher  des  beaux 
vers  du  poème  de  Dubartas,  composé  à  la  même  époque?  Voir  les  extraits  qu'en 
a  donnés  un  bon  juge,  M.  Eug.  Réaunie,  dans  ses  morceaux  choisis  des  prosa 
teurs  et  poètes  français  du  xvi"  siècle.  In-li,  Paris,  1876. 

2.  Visito  de  Thomas  Flattera  Nîmes  et  au  Pont  du  Gard  (février  15%)  précédée 
d'une  lettre  de  M.  Jules  Bonnet  à  M.  Mcynard  Auquier  {Mémoires  de  l'Académie 
du  Gard,  année  187'J). 

3.  Dans  bien  des  localités  de  l'ancienne  France  on  montre  encore  des  ciiéncs 
de  Sully.  Albert  Rabeau,  le  Village  sous  l'ancien  régime,  p.  41,  note  3. 

4.  Elle  reparaît  aujourd'hui  dans  les  synodes  officieux  qui  réuniront  bientôt, 
on  aime  à  l'espérer,  tous  les  membres  de  la  famille  protestante. 


l'église  réformée  de  la  calmette.  149 

xvii'  siècle,  La  Calmette  et  Saint-Geniès  ne  forment,  sous  le 
ministère  de  Rally,  qu'une  Église  embrassant  Dions  et  La  Rou- 
vière,  et  se  rattachant  au  colloque  d'Uzès  dont  on  aperçoit  les 
tours  seigneuriales  se  profilant  à  l'horizon  du  côté  du  levant*. 
C'est  alors  que  paraît  la  famille  xVrdouin,  d'origine  cévenole, 
qui  doit  jouer  un  rôle  important  dans  le  pays.  Jean  Ardouin, 
seigneur  de  Lasalle,  épouse,  en  1538,  Anne  Airac  de  La  Cal- 
mette, dont  il  a  Antoine  Ardouin,  seigneur  de  Lasalle  et  de  La 
Calmette,  lequel  eut  à  son  tour  deux  fils  :  Raymond  Ardouin, 
seigneur  de  La  Calmette,  et  Antoine,  auquel  échut  la  seigneurie 
de  Lasalle"-.  Ce  Raymond  joue  un  rôle  dans  les  troubles  du 
pays  et  occupe  un  moment  le  fort  de  Sainte-Anastasie,  disputé 
par  tous  les  partis  ^  Henri  Ardouin,  son  fils,  protestant  zélé, 
remplit  les  fonctions  de  premier  consul  à  Nîmes  en  1610,  et 
est  chargé  d'une  mission  auprès  du  duc  de  Ventadour  pour  la 
remise  du  même  fort  de  Sainte-Anastasie.  Il  prend  part,  comme 
député  de  sa  province,  à  l'assemblée  de  Saumur  réunie  l'année 
suivante  (septembre  161 1  *).  Le  moment  est  solennel.  Henri  IV 
n'est  plus,  et  les  réformés  se  sentent  atteints  du  même  coup 
qui  leur  a  enlevé  «  leur  bon  maître  ».  Duplessy-Mornay  s'est 
rendu  l'organe  de  leur  juste  douleur  en  prononçant  ces  belles 
paroles  :  «  Notre  roi,  le  plus  grand  roi  que  la  chrétienté  ait 
porté  depuis  cinq  cents  ans,  qui  avait  survécu  à  tant  de  périls, 
de  sièges,  de  batailles,  d'assassinats  même  attentés  en  sa 
personne,  est  tombé  sous  le  coup  d'un  misérable  qui  a  noirci 
en  un  moment  tout  cet  état  de  deuil  et  noyé  tous  les  bons 
Français  de  larmes  ^  » 
Avec  Henri  Ardouin  siège  à  l'assemblée  de  Saumur,  comme 

1.  Dans  la  perspective  à  gauche  du  mont  Venteux  dont  la  masse  imposante 
domine  au  loin  toute  la  contrée. 

2.  Communication  de  M.  G.  Charvet  dont  on  connaît  les  savantes  études  généa- 
logiques sur  les  ducs  d'Uzès. 

3.  C'est  encore  à  M.  Cliarvet  que  je  dois  la  communication  du  document  où 
figure  Raymon  Ardouin.  Voir  à  l'appendice. 

4.  Ménard,  Histoire  de  Nimes,  t.  V,  p.  293  et  294  ;  et  Merle,  p.  28. 

5.  Fragment  cité  par  Anqucz  :  Histoire  den  assemblées  politiques  des  réformés 


150  L'Ér.LlSE   RÉFORMÉE   DE   LA   CALMETTE. 

députe  de  Nîmes,  le  trop  célèbre  Jérémie  Ferrier,  déjà  vendu 
secrètement  à  la  cour,  et  dont  le  nom  excite  de  justes  défiances 
au  sein  du  parti  réformée  La  fidélité  du  laïque  contraste  avec 
la  versatilité  du  ministre  sur  lequel  va  bientôt  retentir  le  ter- 
rible anathème  du  synode  de  Privas.  Devant  les  périls  qui  les 
menacent,   sous  une  régente  italienne,  avec  une  politique 
espagnole,  les  protestants  sentent  le  besoin  de  serrer  leurs 
rangs  et  de  se  donner  un  chef  pour  le  maintien  de  leurs  justes 
droits.  Ce  chef  est  Rohan,  qui  prononce  à  Saumur  ces  grandes 
paroles  bien  dignes  de  servir  de  programme  au  parti  hugue- 
not :  «  Nous  sommes  arrivés  à  un  carrefour  où  plusieurs  che- 
mins se  rencontrent;  mais  il  n'y  en  a  qu'un  où  se  trouve  notre 
sûreté.  La  vie  cV Henri  le  Grand  le  maintenait;  il  faut  que  ce 
soit  à  cette  heure  notre  vertu...  Soyons  religieux  à  ne  deman- 
der que  les  choses  nécessaires;  soyons  fermes  à  les  obtenir, 
et  asseurons-nous  que  celuy  qui  a  fait  naistrc  de  la  cendre  de 
martyrs  tant  d'esJus  en  France  pour  le  glorifier,  les  conser- 
vera et  augmentera  toujours  -.  » 

On  n'a  pas  à  retracer  ici  les  luttes  qui  devaient  si  tôt  suc- 
cédera l'ère  d'apaisement  marquée  par  Henri  IV.  «  En  dépit  de 
lapaixdeLoudun(16i6),  un  œil  clairvoyant  pouvait  discerner 
à  l'horizon  plus  d'un  signe  précurseur  des  troubles  politiques 
et  religieux  qui  allaient  de  nouveau  désoler  la  France.  Les 
réformés  avaient  pris  à  l'assemblée  de  Saumur  de  sages  réso- 
lutions dictées  par  les  circonstances  et  confirmées  au  synode 
de  Privas.  Mais  à  combien  de  périls  leur  fidélité  n'était-elle 
pas  exposée  dans  la  crise  d'une  régence  qui  affichait  une  poli- 
tique toute  espagnole?  Lorsque  les  États  généraux  de  16i4 
rappelaient  au  jeune  roi  le  serment  d'exterminer  l'hérésie,  et 
que  le  célèl)re  Duperron  affectait  de  ne  voir  dans  l'Édit  de 

de  France,  p.  22G-227.  Voir  la  belle  lettre  d'un  autre  illustre  huguenot,  Bongars, 
sur  le  même  sujet  (Bull.  t.  lU,  p.  341). 

1.  IJorrel,  Histoire  de  l'Eglise  réformée  de  Nîmes,  p.  155,  et  Ferrier,  article  do 
la  France  Protestante. 

2.  Mémoires  du  duc  de  Rohan,  édition  de  1675,  p.  109-110. 


l'égli5e  réformée  de  la  calmette.  151 

Nantes  qu'un  sursis  accordé  à  des  sujets  rebelles;  lorsque  la 
cour,  ne  respirant  que  menaces,  s'acheminait  au-devant  d'une 
petite-fdle  de  Philippe  II  qui  venait  s'asseoir  sur  le  trône  de 
Henri  IV,  les  réformés  n'étaient-ils  pas  fondés  à  concevoir 
quelques  craintes,  et  condamnés  par  leur  situation  au  rôle 
de  factieux  pour  soutenir  leurs  droits  légitimes?  L'édit  de 
Nantes  fut  moins,  en  effet,  un  acte  de  philosophie  religieuse, 
un  hommage  rendu  à  un  principe  sacré,  qu'un  décret  inspiré 
par  les  circonstances  et  tenant  trop  compte  peut-être  de 
nécessités  que  le  temps  avaient  créées  et  que  seul  il  pouvait 
abolir.  En  obtenant  la  liberté  de  conscience  et  de  culte,  des 
chambres  mi-parties,  des  places  de  sûreté  et  la  faculté  de  se 
réunir  pour  leurs  intérêts  généraux,  les  huguenots  formaient 
comme  un  État  dans  l'État.  Ils  ne  pouvaient  rentrer  dans  le 
droit,  commun  que  par  l'effet  d'une  longue  tolérance  qui  eût 
rendu  les  garanties  superflues,  ou  sous  la  pression  d'une 
main  impérieuse  qui,  les  dépouillant  de  leurs  privilèges  poli- 
tiques, les  livrerait  sans  défense  à  l'excès  de  l'omnipotence 
catholique.  De  ces  deux  éventuahtés,  la  seconde  prévalut 
avec  Richelieu  et  Louis  XIV,  et  la  chute  de  La  Rochelle,  ce 
dernier  boulevard  de  la  liberté  religieuse,  fut  le  prélude  cer- 
tain de  la  Révocation  '.  » 

Une  grande  figure  politique  et  militaire,  celle  de  Rohan, 
plane  sur  cette  époque  d'ardentes  luttes,  dont  le  premier 
foyer  fut  le  Béarn,  soumis  au  régime  des  dragonnades,  et  dont 
la  flamme  se  répandit  bientôt  à  Montauban,  Castres,  Montpel- 
lier, Nîmes,  La  Rochelle,  Alais,  et  projeta  son  dernier  et 
sombre  éclat  sous  les  murs  de  Privas  emporté  d'assaut  par 
Louis  XIII.  La  Calmette  eut  plusieurs  de  ses  fds  enrôlés  sous 
le  drapeau  de  Rohan.  Une  mention  d'honneur  est  due  à  deux 
capitaines  huguenots,  Iluguet  et  Sigalon,  qui  se  firent  remar- 
quer par  leur  vaillance  dans  Réalmont  assiégé  par  le  prince 

1.  Derniers  récits  du  xvi»  siècle,  par  Jules  Bonnet;  étude  sur  Anne  de  Rohan; 
p.  290-291. 


152  l'ÉGLISK    IIÉFÛIIMÉE    DE   LA    CALMETTE. 

de  Gondé,  infidèle  à  la  cause  de  ses  aïeux.  La  trahison  abrégea 
la  résistance  et  amena  une  capitulation  qui  consterna  ces  deux 
nobles  cœurs.  Retrancliés  dans  un  bastion,  «  avec  quelques 
bons  habitants,  ils  eurent,  ditRohan,  la  résolution  de  tesmon- 
gner  qu'ils  mourroient  plus  tost  que  de  quitter  leurs  armes. 
Ainsi  elles  leur  demeurèrent  afin  qu'ils  remportassent  autant 
d'honneur  de  leur  courage  comme  les  autres  d'infamie  de  leur 
lascheté  '.  » 

Il  faut  ici  admirer  la  prodigieuse  activité  de  Rohan,  pré- 
sent partout  de  sa  personne  ou  de  ses  conseils  dans  les  villes 
insurgées,  et  n'abandonnant  rien  ta  la  fortune  de  ce  qu'il  peut 
lui  ravir  par  la  promptitude  de  ses  coups.  Il  ne  peut  sauver 
la  garnison  protestante  de  Gallargues  du  triste  sort  qui  l'at- 
tend; mais  il  fait  d'Aimargues  la  citadelle  avancée  de  Nîmes, 
un  camp  retranché  qui  défie  les  assauts  de  Montmorency.  Il 
«  nettoie  les  bicoques  autour  de  Nîmes  et  d'Uzès  ».  La  prise 
de  Vézenobres,  entre  Alais  et  La  Calmette,  est  un  de  ses  der- 
niers e:tploils.  Pendant  que  deux  de  ses  lieutenants,  Aubais 
et  Saint-Étienne  se  dirigent,  l'un  sur  Castres,  l'autre  vers  le 
comté  de  Foix,  lui,  avec  le  reste  de  sa  troupe,  va  attaquer  Vé- 
zenobres «  pour  divertir  le  duc  de  Montmorency  du  Vivarais. 
11  le  surprend  par  une  grande  traite  qu'il  fait,  si  desgarni 
d'hommes,  qu'ayant  prins  la  ville  par  pétard  et  la  nuit  sui- 
vante ayant  mis  son  canon  en  batterie,  dès  le  lendemain  il 
bat  le  chasteau  et  le  prend  d'assaut,  donnant  la  vie  à  ceux 
qui  s'estoient  retirés  dans  quelques  tours  ".  » 

Les  prodiges  de  Rohan  déployant  sur  un  théâtre  restreint 
les  ressources  d'un  grand  homme  de  guei-re,  courant  de  Nîmes 
à  Alais,  Anduze,  et  songeant  à  faire  des  Gévennes  le  dernier 
boulevard  de  la  liberté  religieuse,  ne  purent  que  retarder  de 
quelques  mois  le  triomphe  de  Louis  Xlll,  déjà  vainqueur  de  La 
Rochelle.  G'est  dans  la  correspondance  du  cardinal  de  Riche- 

1.  Mémoires  de  Rohan,  t.  I,  p.  258.  L'année  suivante  (16-28)  lluguet  commande 
le  fort  de  Générac. 

2.  Mémoires,  t.  I,  p.  274. 


l'église  réformée  de  la  calmette.  153 

lieu  (avril-juillet  1629)  qu'il  faut  suivre  les  progrès  des  armées 
royales  et  la  prompte  décomposition  du  parti  protestant 
miné  par  l'intrigue  et  la  trahison.  Privas  vient  de  succomber 
après  une  résistance  héroïque  (oO  mai).  Alais  succombe  à  son 
tour;  Nîmes  n'essaie  pas  môme  de  résister.  On  peut  prévoir 
la  paix  prochaine  :  «  M.  de  Rohan  est  maintenant  extrêmement 
estonné;  mais  dans  peu  de  temps  il  le  sera  bien  davantage... 
Il  m'envoia  hier  un  conseiller  de  la  chambre  de  Castres  pour 
me  prier  de  favoriser  la  paix;  mais  il  ne  chante  pas  encore 
comme  il  faut.  Avec  le  temps  il  viendra  au  point  auquel  on  le 
peut  désirer.  Le  reste  de  l'esté  fera  voir  beaucoup  de  choses 
qu'on  ne  scauroit  penser  '  ». 

La  lettre  du  cardinal  à  M.  deRancé,  du  7  juillet  suivant,  an- 
nonce le  triomphe  définitif  :  «  La  paix  aura  surpris  les  esprits 
malins;  à  la  vérité  elle  est  miraculeuse,  car  elle  coupe  les  ra- 
cines du  mal  pour  le  présent  et  pour  l'avenir.  Anduze,  Sauve, 
Le  Vigan,  Ganges,  Uzès,  Aimargues  et  Nîmes  ont  déjà  obéy  et 
chaque  place  a  donné  ses  otages  pour  seureté.  Il  ne  restera 
plus  que  le  Haut-Languedoc  qui  suivra  bientost,  Dieu  ai- 
dant- ».  De  la  Calmette  on  put  voir  la  marche  triomphale  du 
roi  de  Lédignan  à  Saint-Chaptes,  de  Saint-Chaptes  à  Uzès,  au 
château  de  Saint-Privat,  à  Nîmes.  Les  guerres  de  religion 
étaient  terminées;  la  liberté  religieuse  semblait  garantie.  Elle 
subsistait  encore  ;  mais  pour  combien  de  temps  ? 

Quelle  était,  à  l'époque  dont  on  vient  d'esquisser  l'histoire, 
la  situation  de  La  Calmette,  au  point  de  vue  religieux?  La  po- 
pulation était  partagée  par  portions  inégales,  entre  deux 
cultes  :  les  catholiques,  au  nombre  de  400,  possédaient  une 
église  assez  vaste,  avec  un  cimetière  à  l'entour;  les  réformés 
(240  environ)  n'avaient  pas  de  temple  ^  Ils  se  réunissaient 

1.  Correspondance  de  Richelieu,  dans  le  recueil  des  Documents  inédits  t.  III, 
p.  350;  lettre  à  la  Reinedu  17  juin  1629. 

2.  Ibidem,  p.  369. 

3.  J'emprunte  ces  chiffres  à  un  document  olTicicl  contemporain  de  la  Révocation 
et  sur  lequel  j'aurai  l'occasion  de  revenir.  Dions  comptait  alors  300  protestants 
et  la  Rouvière  100.  C'est  à  peu  près  le  nombre  actuel. 


154  l'église  réformée  de  la  calmette. 

pour  prier  dans  la  demeure  du  sieur  d'Ardouin,  ayant  droit 
d'exercice,  et  plus  souvent  hors  du  village,  dans  ces  assemblées 
populaires  qui  attiraient  autour  d'une  chaire  dressée  à  la  hâte 
et  d'un  pasteur  aimé  les  protestants  fort  nombreux  des 
hameaux  voisins.  Ce  fut  seulement  en  1650  que  l'Église, 
ayant  alors  pour  ministre  M.  Faucher  (ou  Fauchié)^,  résolut 
l'achat  d'une  maison  qui  serait  consacrée  aux  réunions  de 
culte.  Ses  vues  se  portèrent  d'abord  sur  un  immeuble  «  fort 
commode  pour  servir  de  temple  »,  n'était  que  le  propriétaire, 
Venture  Dumas,  prétendait  s'y  réserver  une  pièce,  ou  crolton, 
sorte  de  cave.  La  question  fut  soumise  au  consistoire  de 
Nîmes  qui  en  délibéra  gravement  et  vit  un  péril  dans  le  voisi- 
nage d'un  «  papiste  s  -.  Faucher  dut  chercher  ailleurs,  et 
comme  il  ne  trouva  rien  à  sa  convenance,  on  décida  l'acqui- 
sition d'un  terrain  et  la  construction  d'un  temple  pour  lequel 
la  Compagnie  de  Nîmes  accorda  cent  livres.  Ce  modeste  édi- 
iice,  élevé  du  côté  du  couchant,  à  une  distance  raisonnable 
de  l'église  catholique,  eut  une  existence  éphémère,  et  n'a 
laissé  qu'un  vague  souvenir  dans  l'étroite  ruelle  qu'on  appelle 
encore  rue  du  Temple\  Dix  ans  à  peine  écoulés,  un  de  ces 
souffles  précurseurs  de  la  Révocation  qui  marquèrent  l'avè- 
nement personnel  de  Louis  XIV,  abattit  l'humble  sanctuaire 
dont  la  pièce  suivante  atteste  la  courte  destinée  : 

La  Calmette.  Juin  1662. 

Ordonnance  portant  deffense  aux  habitans  de  la  R.  P.  R.  du  dit  lieu 
d'y  faire  l'exercice  de  leur  Religion. 

Entvo.  lo  sindic  du  cliM'gé  du  diocèse  d'Uzôs  denuuidour  à  ce  que  inhi- 
hilioiis  et  deffenscs  soient  faictes  aux  hal)itaiis  (lu'  la  Calmette  d'y  faire  à 

1.  Qu'il  ne  faut  confondre  ni  avec  le  ministre  Jean  Faucher  de  Nîmes  (1617- 
1628),  ni  avec  un  autre  d'Uzès. 

2.  Registre  du  Consistoire  de  Nîmes.  Séance  du  10  aoiîtlBSO.  Extrait  important 
communi(iué  par  M.  Cli.  Sagnier,  et  réserve  à  l'appendice.  C'est  un  avocat  du 
nom  de  Recolin  qui  est  le  député  des  protestants  de  La  Calmette  à  Nîmes. 

3.  La  dernière  à  gauche  de  la  rue  principale  qui  n'est  que  la  route  d'Alads  con- 
pant  le  village  en  deux  parties  presque  égales. 


l'église  réformée  de  la  calmette.  165 

l'ad venir  aucun  exercice  de  leur  Religion  et  que  à  cet  effet  le  temple 
construit  au  dit  lieu  soit  desmoly,  d'une  part,  et  les  habitans  de  la 
Religion  prétendue  refformée  du  dit  lieu  de  la  Calmette  défendeurs,  d'au- 
tre part.  Veu  l'exploit  donné  aux  tins  susdites  au  sieur  deffendeur  le  14 
avril  dernier,  ordonnance  du  commandement  de  produire  du  troisiesme 
de  may  ensuivant  signifiée  au  dit  deffendeur,  forclusion  obtenue  par  le 
dit  demandeur  le  sixiesnie  du  mois  de  may,  faute  par  le  dit  demandeur 
d'avoir  produit  en  la  dite  instance,  demande  du  dit  sindic  signifiée  le 
premier  du  susdit  mois  de  may  et  certificat  du  greffier  de  la  commission 
de  ce  jourd'hui.  Comme  il  n'a  esté  aucune  cbose  produite  en  sa  main  de 
la  part  des  habitants  de  la  R.  P.  R.  du  dit  lieu  en  la  présente  instance, 
tout  considéré.  Nous  faisant  droict  sur  les  conclusions  bien  acquises  à 
rencontre  des  dits  habitants  de  la  R.P.  R.  de  la  Calmette  et  pour  le  profit 
annoncé,  faisons  expresses  défenses  de  fere  aucun  exercice  de  la  dite  reli- 
gion au  dit  lieu  à  peine  de  désobéissance,  auquel  etfect  ordonnons  que  le 
temple  sera  fermé,  et  auparavant  férc  droict  sur  la  desmoUtion  de- 
mandée du  dit  temple,  ordonnons  que  dans  huitaine  pour  tout  dellay  du 
jour  de  la  signification  de  nostre  présente  ordonnance  au  procureur  des 
dits  défendeurs,  ils  se  produiront  si  bon  leur  semble,  autrement  à  faute 
de  se  présenter  dans  le  temps  et  dellay  passé  sera  faict  droit  sur  la  des- 
moUtion requise,  ainsi  qu'il  appartiendra  sans  autre  forclusion  ou  inthi- 
mation  quelconque,  mandons  au  premier  huissier  archer  ou  sergent  fère 
tous  exploits,  significations,  deffenses  et  autres  actes  requis  et  néces- 
saires. Fait  à  Nismes,  vingtiesme  jour  de  juin  1662  : 

BiONNE.  Par  mon  dit  seigneur,  Tournier. 

Rien  de  plus  difficile  pour  une  paroisse  que  la  constatation 
du  droit  et  la  production  des  titres  sur  lequel  reposait  le  libre 
exercice  de  la  religion  réformée.  Quand  on  lit  attentivement 
l'Édit  de  Nantes,  on  est  plus  frappé  des  restrictions  apportées 
à  la  liberté  du  culte  que  des  garanties  propres  à  en  assurer 
le  maintien.  Comme  l'a  remarqué  M.  de  Félice,  «  cette  grande 
charte  de  la  Réforme  française  accordait  simplement  ce  qui 
suit  :  Pleine  liberté  de  conscience  dans  le  for  intérieur;  exer- 
cice public  de  la  religion  dans  les  lieux  oii  il  était  établi  en 
1597,  et  dans  les  faubourgs  des  villes;  permission  aux  .sei- 
gneurs haut  justicici^s  de  faire  célébrer  les  offices  dans  leurs 
châteaux,  et  aux  gentilshommes  de  second  rang  de  recevoir 
trente  personnes  à  leur  culte  privé  »,  Mais  il  n'était  pas  un  de 


156  l'église  réformée  de  la  calmette. 

ces  articles,  sauf  le  premier,  qui  ne  donnât  lieu  à  de  conti- 
nuelles contestations  où  l'autorité  civile  se  montrait  rarement 
impartiale.  La  construction  dus  temples  était  soumise  à  tant 
de  formalités,  entourée  de  tant  de  mesures  restrictives  dans 
les  campagnes,  que  le  droit  était  presque  illusoire.  On  le  vit 
bien  aux  nombreux  arrêts  de  démolition  prononcés  en  1665, 
et  qui  jonchèrent  de  ruines  la  Saintongc  et  le  Poitou*.  Le  Lan- 
guedoc ne  pouvait  échapper  à  ces  mesures  intolérantes  qui 
présageaient  déjà  les  plus  mauvais  jours  de  la  Révocation.  Le 
temple  de  La  Calmette  fut  un  des  premiers  atteints,  et  la  mino- 
rité religieuse  qui  s'y  réunissait  pour  prier,  pour  appeler  la 
bénédiction  de  Dieu  sur  les  grands  actes  de  la  vie  civile,  ne 
put  trouver  qu'un  abri  passager  sous  le  toit  de  la  noble 
famille  qui  représentait  encore  un  droit  tulélaire  aux  yeux  des 
populations. 

Le  temple  de  La  Rouvière  n'eut  pas  meilleur  sort  que  celui 
de  La  Calmette.  Construit  sans  doute  à  une  date  antérieure, 
sous  les  auspices  du  seigneur  du  lieu,  qui,  comme  on  l'a  vu, 
professait  la  Réfoi'me,  il  dut  s'élever,  non  loin  du  cliateau,  sur 
la  terrasse  qui  domine  une  plaine  charmante,  arrosée  par  une 
rivière  prenant  son  cours  dans  les  garrigues  voisines,  et  cou- 
lant nonchalamment  à  travers  les  prés  et  les  écluses  des  mou- 
lins, avant  de  se  perdre  au-dessous  de  Dions,  ou  de  porter  le 
tribut  de  ses  eaux  singulièrement  amoindries  au  Gardon  qui 
descend  vers  les  gorges  de  Ste  Anastasie.  Les  raisons  invoquées 
contre  le  temple  de  La  Calmette,  ou  plutôt  les  chicanes  juri- 
diques dont  il  fut  l'objet,  se  renouvelèrent  à  peu  près  dans  les 
mômes  termes  h  La  Rouvière,  et  la  population  protestante 
des  deux  hameaux  vit  tomber  à  la  môme  épo(pie,  presque  du 
même  coup,  les  deux  édifices  consacrés  à  la  prière,  dont  le 
premier  atteint  par  le  souffle  de  l'intolérance,  n'avait  pas 


i.  Lièvre,  Histoire  des  Vroteslanls  du  Poitou,  t.  II,  p.  71  et  suivantes.  Les 
syndics  du  clergé  se  bornent  ù  invoquer  partout  le  môinc  argument,  l'absence 
de  titres  attestant  un  exercice  non  interrompu  penilant  les  années  159G  et  1597. 


l'église  réformée  de  la  calmette.  157 

même  abrité,  dans  sa  courte  existence,  une  génération  de 
croyants*. 

Au  souvenir  des  temples  sitôt  abattus  dans  cette  région  du 
Gard,  se  lie  celui  des  pasteurs  qui  remplirent  les  fonctions 
du  ministère  en  ces  temps  difficiles.  On  a  déjà  nommé  Fau- 
cher, originaire  sans  doute  d'Alais,  et  que  l'on  se  représente 
volontiers  comme  un  homme  prudent,  avisé,  dans  une  bour- 
gade animée  de  l'esprit  le  plus  intolérant,  dont  la  majorité 
ne  voyait  pas  de  bon  œil  l'exercice  d'un  culte  nouveau  et 
n'attendait  qu'une  occasion  pour  le  témoigner.  Faucher  ne 
passa  du  reste  que  peu  d'années,  trois  au  plus  (1650-1652), 
à  La  Calmette.  Il  eut  pour  successeur  Capieu  ou  Capion,  ori- 
ginaire d'Uzès,  mentionné  en  1666,  dans  le  Journal  de  la  fa- 
mille Ardouin  sous  ce  titre  :  a  Aumônier  de  nostre  maison.  » 
Il  devint  plus  tard  pasteur  de  Saint-Dézéry  (1678-1681).  Il  fut 
remplacé  à  La  Calmette  par  Pierre  Thubert,  auparavant  pas- 
teur de  Lédignan  et  de  Tornac,  auquel  succéda,  en  167i2,  Rol- 
land Rey,  peut-être  de  la  famille  qui  devait  donner  au  protes- 
tantisme nhiiois  un  de  ses  plus  touchants  martyrs.  Après  lui 
vint  Claude  Justamond,  qui  eut  pour  successeurs  Clarion,  Du- 
val,  Jacques  Maistre...  Nous  touchons,  avec  ce  dernier,  aune 
date  néfaste  :  1685  ! 

Durant  la  période  qui  suivit  la  démolition  des  deux  temples, 
l'Église  de  La  Calmette  ne  fut  pas  exempte  de  troubles  inté- 
rieurs, si  l'on  en  juge  par  ces  lignes  des  registres  du  Consis- 
toire du  20  avril  1670  :  «  Sur  la  proposition  faite  par  M.  Car- 
cenat,  ministre,  la  compagnie  a  député  M.  Lombard,  ministre, 
pour  aller  prescher  dimanche  prochain  à  La  Calmette,  et 
M.  Fonfroide,  diacre,  pour  accompagner  le  dit  sieur  Lombard 
et  tascher  de  mettre  en  paix  celte  Église-.  »  De  quelle  nature 
étaient  les  troubles  ainsi  mentionnés,  et  correspondant  au 

1.  La  Rouvière,  juin  1C6-2.  Ordonnance  porlant  dcllcnscs  aux  lialiilans  de  La 
P..  P.  R.  dudit  lieu  d'y  faire  l'exercice  de  leur  religion,  etc.  {Arck.  nal.,  série  TT, 
261).  Voir  celte  pièce  à  l'appendice. 

2.  Communication  de  M.  Ciiarlcs  Sagnier. 


158  l'église  réformée  de  la  calmette. 

ministère  de  Pierre  Thubert,  aumônier  de  la  famille  Ardoiiin  ? 
Quelle  en  fut  la  durée  ?  On  l'ignore.  Mais  ils  étaient  apaisés 
quand  se  réunit  à  Nîmes  (22  octobre  1G78)  le  colloque  d'Uzès 
qui  fournit  la  liste  des  pasteurs  en  exercice  à  cette  date;  on  y 
lit  ces  mots  :  «  Le  sieur  Justamond,  ministre  du  seigneur  de  La 
Calmette  ».  Ce  colloque,  présidé  par  M.  Thomas,  ministre  de 
Montaren,  et  ayant  pour  secrétaire  M.  Rcy,  ministre  de  Fons, 
régla  divers  points  en  litige  et  fut  sans  doute  le  dernier  acte 
de  la  vie  ecclésiastique  dans  cette  circonscription  de  l'ancien 
synode  du  Bas-Languedoc  ^ 

Il  faut  rappeler  cependant  la  courageuse  supplique  du 
synode  d'Uzès  del680,  qui  allaexpirer  sans  écho  àVersailles^ 
Pendant  que  de  paisibles  populations  vouées  aux  travaux 
des  champs,  ou  aux  soins  du  commerce  et  de  l'industrie,  ne 
demandaient  qu'à  servir  fidèlement  Dieu  et  le  roi,  selon  le  pré- 
cepte apostolique,  le  clergé,  poursuivant  son  œuvre  néfaste, 
ne  cessait  de  réclamer  dans  ses  assemblées  générales  l'aboli- 
tion de  l'Édit  donné  par  Henri  IV,  juré  par  ses  successeurs, 
et  sur  lequel  reposait  la  prospérité  du  pays.  Le  ton  de  ces 
remontrances  épiscopales  varie  selon  les  temps,  doucereux  ou 
acerbe,  suppliant  ou  hautain,  mais  toujours  dicté  par  une 
haine  irréconciliable  contre  la  liberté  de  conscience  et  la  loi 
qui  en  protège  les  manifestations  extérieures.  Jeune,  superbe, 
asservi  à  ses  passions  ou  déjà  s'inclinant  sous  le  joug  d'une 
astucieuse  favorite,  madame  de  Maintenon,  et  croyant  réparer 
les  scandales  de  sa  vie  par  ses  rigueurs  contre  les  dissidents, 
Louis  XIV  n'est  que  trop  enclin  à  écouter  les  voix  adulatrices 
qui  lui  conseillent  de  révoquer  la  charte  de  son  aïeul.  Dans 
cette  croisade  contre  le  droit,  les  évêques  d'Uzès  se  distin- 
guent par  leur  violence.  Les  rares  conversions  que  l'on  voit 
se  produire  au  profit  du  protestantisme  amoindi'i  et  opprimé 

1.  Archives  nationales,  série  TT,  282.  Je  reproduis  cette  pièce  importante  à 
rappeiulice. 

±  22  octobre  1680  (DulL,  t.  XXX,  p.  439).  Pli.  Corbière, //isfoire  de  l'Église 
réformée  de  Montpellier,  p.  220-223. 


l'église  réformée  de  la  calmette.  159 

presque  partout,  mettent  le  comble  à  leur  fureur  :  a  Tout  est 
perdu  à  jamais,  s'écrie  messire  de  Grignan,  tous  nos  soins 
sont  superthis,  notre  zèle  tout  à  fait  inutile...  par  la  funeste 
liberté,  ou  pour  mieux  dire,  par  l'horrible  libertinage  qui 
donne  lieu  aux  catholiques  de  votre  royaume  de  faire  banque- 
route à  leur  religion.  Ces  misérables  déserteurs  qui  nous 
affligent  à  toute  heure  mériteraient  sans  doute  d'être  terrassés 
sous  les  carreaux  et  sous  les  foudres  de  la  colère  de  Dieu  *.  » 
La  colère  du  ciel  ne  saurait  suffire  au  pieux  prélat  invo- 
quant, avec  ses  collègues,  les  salutaires  rigueurs  du  monarque 
contre  l'hérésie  «  agonisante» .  A  chaque  réclamation  du  clergé 
correspond  une  restriction  nouvelle  de  l'Édit,  qui  voit  tomber 
l'une  après  l'autre  toutes  les  clauses  protectrices  de  la  liberté 
de  conscience.  Exclusion  des  réformés  de  tous  les  emplois 
civils,  suppression  des  chambres  mi-parties,  démolition  des 
temples  sous  les  plus  futiles  prétextes,  enfants  enlevés  à  leurs 
parents  pour  être  catéchisés,  au  mépris  des  droits  les  plus 
sacrés,  dans  la  religion  catholique,  apostolique  et  romaine, 
peines  contre  les  relaps  donnant  le  hideux  spectacle  de  cada- 
vres traînés  sur  la  claie  au  milieu  des  outrages  de  la  populace, 
premiers  essais  de  dragonnades  terrorisant  les  familles,  des 
provinces  entières,  tels  furent  les  degrés   rapidement  par- 
courus de  la  persécution  destinée  à  vaincre  ceux  qui,  selon 
l'expression  de  Louvois,  aspiraient  à  la  sotte  gloire  d'être  les 
derniers  à  professer  une  religion  qui  déplaisait  à  Sa  Majesté. 
Lorsqu'en  un  jour  néfaste  (18  octobre  1685),  Louis  XIV  signa 
l'acte  de  révocation,  il  ne   subsistait  presque  plus  rien  de 
l'Édit  dont  le  nom  seul  protégeait  encore  une  minorité  reli- 
gieuse réduite  aux  plus  cruelles  extrémités. 

S'il  faut  en  croire  les  actes  officiels,  Nîmes  n'opposa  qu'une 
faible  résistance  aux  convertisseurs.  Deux  partis  se  dessinaient 
dans  son  sein  :  celui  des  modérés,  inclinant  à  la  soumission 


1.  Les  remontrances  du   clergé   et  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes,  par 
0.  Douen  [Bull.,  t.  XIV,  p.  75). 


i60  L'ÉGLISE   RÉFORMÉE  DE   LA  CALMETTE. 

dans  l'espoir  de  meilleurs  jours;  celui  des  zélr.leurs,  ne  consi- 
dérant que  le  devoir  sans  être  toujours  prêt  à  l'accomplir.  Ils 
parurent  unanimes  lorsqu'un  des  pasteurs,  Cheyron,  montant 
pour  la  dernière  fois  en  chaire  dans  le  temple  de  La  Galade 
condamné  à  tomber  sous  le  marteau  démolisseur,  prit  Dieu 
à  témoin  de  la  fidélité  de  son  ministère,  et  prononça  ces 
paroles  d'une  voix  entrecoupée  de  sanglots  :  «  J'en  atteste 
le  Seigneur  devant  lequel  je  paraîtrai  aujourd'hui  peut-être, 
car  la  mort  et  la  ruine  planent  sur  nos  têtes.  Mais,  ô  brebis 
d'Israël,  quel  compte  lui  rendrai-je  de  vos  âmes?  Que  lui 
dirai-je  de  vos  résolutions  ?  Aurai-je  à  vous  accuser  du  renie- 
ment de  votre  foi  ou  à  mentionner  avec  joie  votre  fidélité  à 
l'Evangile?  Ah  !  jurez  ici  dans  son  temple,  dont  la  voûte  ne 
retentira  plus  ni  des  chants  de  nos  louanges,  ni  du  son  plus 
onctueux  de  nos  prières,  que  vous  persévérerez,  quoiqu'il  en 
coûte,  quelque  sacrifice  qu'il  faille  faire,  jusqu'à  la  mort, 
pour  obtenir  la  couronne  des  martyrs  glorifiés  dans  le  ciel  !... 
—  Nous  le  jurons,  s'écrièrent  une  multitude  de  voix  oppressées 
parla  douleur  la  plus  vive,  au  milieu  d'une  explosion  de  sou- 
pirs et  de  larmes,  de  cris  pitoyables  et  de  lamentations  déchi- 
rantes* ». 

Mystères  du  cœur  humain  dont  nul  ne  peut  se  flatter  do  dire 
le  dernier  mot  !  Le  ministre  qui  trouvait  à  cette  heure  de  si 
pathétiques  accents,  était  secrètement  vendu  à  la  cour  avec  un 
de  ses  collègues,  Paulhan  (les  deux  autres,  Icard  et  Peyrol, 
condamnés  à  mort  par  contumace,  étaient  en  fuite),  et  la  plu- 
part des  auditeurs  du  temple  de  La  Galade  devaient  signer, 
l'année  suivante  (19  novembre  1G8G)  l'acte  d'abjuration  qu'on 
peut  lire  encore  dans  le  Registre  secret  du  Présidial  de  Nîmes". 
Les  mêmes  formalités  s'accomplirent,  sous  la  pression  des  dra- 

1.  Horrel,  Hiduire  de  l'Eglise  réformée  de  Nimrs,  p.  301). 

2.  Ce  document  a  été  publié  tout  au  long  dans  une  Revue  locale,  Nemausd, 
(juillet  1883)  avec  241  signatures  et  une  liste  de  8i  personnes  illoitrées.  Presque 
toutes  les  familles  (jui  professent  encore  la  foi  protestante  à  INinies  y  sont  repré- 
sentées. Nombre  de  leurs  membres  avaient  déjà  pris  lo  chemin  de  l'exil. 


l'église  réformée  de  la  calmette.  IGl 

lions  de  Sainl-Piulh,  à  Uzès,  Mais,  Anduze  el  dans  toutes  les 

O  7  7  7 

paroisses  rurales  de  la  Gardonnenque.  Les  prolestants  de  La 
Calmette,  de  Dions  et  de  La  Rouvière,  au  nombre  de  plus  de 
six  cents,  subirent  la  commune  loi  et  durent  se  résigner  à 
assister  à  la  messe,  à  recevoir  la  bénédiction  catholique  du 
mariage,  du  baptême  et  du  lit  de  mort.  Aux  yeux  du  prêtre, 
comme  à  ceux  du  magistrat,  il  n'y  eut  plus  de  dissidents;  il 
ne  restait  que  des  nouveaux  convertis  ;  iiïnsi  appelait-on  ces 
transfuges  involontaires  d'une  foi  qui  vivait  au  fond  des 
cœurs.  L'œuvre  de  l'intolérance  parut  donc  accomplie,  et  un 
de  ses  plus  funestes  conseillers,  Michel  Le  Tellier,  commen- 
tant les  paroles  de  Siméon,  put  dire  :  «  Seigneur,  laisse  aller 
maintenant  ton  serviteur  en  paix,  car  mes  yeux  ont  vu  ton 
salut  !  » 


Jules  Bonnet. 


{La  fin  prochaineiiient.) 


xxxui.  —  Il 


DOCUMENTS 


POURSUITES 

CONTRE  LES  RÉFORMÉS  D'ALENÇON 

1533-1534' 


Du  lundi,  septiesme  jour  de  septembre. 

Veu  parles  cemmissaires  ordonnez  par  le  Roy  à  Alençon  le  pro- 
cès criminel  faict  à  rencontre  de  Nicolas  Briolay,  natif  et  deniourant 
en  la  dicte  ville  d'Alençon,  à  présent  prisonnier  es  prisons  de  la 
consiergerie  dudicllieu,  ponr  raison  de  plusieurs  grans  et  exécrables 
blaphemes  par  luy  dictz  et  proferez  contre  le  sainct  sacrement  de 
l'autel,  riionneur  delà  vierge  Marie,  révérence  des  sainctz  et  sainctes, 
de  paradis  et  estât  universel  de  nostre  mère  saincte  église,  à  plain 
contenuz  audict  procès  contre  luy  faict;  veues  aussi  les  conclusions 
baillées  et  prinses  par  le  procureur  du  Roy,  auquel  ledict  procès 
auroit  este  communicqué  ;  et  oy  et  interrogé  sur  ce  par  lesdicts  com- 
missaires, iceliuy  prisonnier,  et  tout  considéré  ; 

Lesdictz  commissaires  par  arresl-  ont  condenné  et  condennent 
ledict  Nicolas  Briolay,  pour  raison  desdictz  cas,  là  faire  amende  hon- 
norable  devant  laprincipalle  porte  de  l'église  Nostre-Dame  de  ceste 
ville  d'Alençon,  et  illec  à  genoulx  tenant  une  torche  de  cire  ardent 
du  poix  de  deux  livres,  requérir  mercy  et  pardon  à  Dieu,  à  la  glo- 
rieuse virge  Marie,  aux  sainctz  et  sainctes  de  paradis,  au  Roy  et  à 
justice  desdictz  blaphemes,  et  d'iceulx  se  desdire  et  repentir.  Ce 
faict,  estre  mené  et  conduict  aux  poullies  hors  la  porte  de  Sarte  de  la 

1.  Voir  le  dernier  numéro  du  Bullelin,  p.  112. 

2.  En  marge  :  Conclud  le  samedi  cinquicsme  jour  de  septembre,  du  matin, 
au  Palais  d'Alençon.  Errault  R. 


POURSUITES  CONTRE  LES   RÉFORMÉS    d'aLENÇON.  163 

dicte  ville  d'AIençon,  au  lieu  plus  commode  et  convenable,  où  illec 
sera  mis  et  attaché  ung  pousteau,  à  i'entour  dufjuel  sera  faict  ung 
grand  feu.  Et  après  avoir  par  ledict  prisonnier  esté  estranglé, 
sera  ars  et  bruslé,  et  son  corps  mis  et  converty  en  cendres.  Et  ont 
les  dictz  commissaires  declairé  et  declairent  tous  et  chacuns  les 
biens  dudict  Briolay  acquiz  et  confiquez  à  qui  il  apartiendra. 

Faict  et  exécuté  ce  dict  jour  septiesme  de  septembre  mil  cinq  cens 
trente  quatre. 

Veues  par  les  commissaires  ordonnez  par  le  Roy  à  Alençon  les 
charges  et  informations  faictes  à  l'enconlre  de  Symon  et  Bertrand 
Bahuel,  père  et  iilz,  et  Jehan  Juliette  demourans  en  ladicte  ville 
d'AIençon;  et  oy  sur  ce  le  procureur  du  Roy,  et  tout  considéré; 

Lesdictz  commissaires  ont  ordonné  et  ordonnent  les  dictz  Bahuel 
père  et  filz,  ensemble  ledict  Juliette,  estre  prins  au  corps  quelque 
part  qu'ilz  pourront  estre  trouvez  en  ce  royaulme,  etiam  in  loco 
sacro,  à  le  charge  de  les  réintégrer,  si  faire  ce  doit,  et  amenez  pri- 
sonniers soubz  bonne  et  seure  garde,  à  leurs  despens,  es  prisons  de 
la  consiergerie  dudict  Alençon,  pour  illec  ester  et  fournir  cà  droit  sur 
lesdictes  charges  et  iiiformalions.  Et  ou  prins  et  appréhendez  ne  pour- 
ront estre,  adjournez  à  troys  briefz  jours  à  comparoir  en  personne 
par  devant  lesdictz  commissaires  audict  Alençon,  sur  peine  de  ban- 
nissement de  ce  royaulme,  confiscation  de  corps  et  de  biens,  et  d'es- 
tre  actainctz  et  convaincuz  des  cas  à  eulx  imposez,  pour  respondre 
audict  procureur  du  roy  aux  fins  et  conclusions  qu'il  vouldra  contre 
eulx  prendre  et  élire.  Et  oultre  tous  et  chacuns  les  biens  desdictz 
Bahuelz  et  Juliette  estre  prins,  saisiz  et  mis  en  la  main  du  Roy  par 
bon  et  loyal  inventaire,  regiz  et  gouvernez  par  bons  et  suftisans  com- 
missaires, qui  en  puissent  rendre  bon  compte  et  reliqua,  quant  et 
à  qui  il  appartiendra  et  par  lesdictz  commissaires  en  sera  ainsi 
ordonné. 

Veues  par  les  commissaires  ordonnez  par  le  Roy  à  Alençon  les 
charges  et  informations  faictes  par  maistre  Loys  RoillartetBonaven- 
ture  de  Sainct-Berthelemy,  conseilliers  dudict  seigneur  en  sa  court 
de  Parlement,  et  commissaires  de  par  luy  en  ceste  partie,  à  la  dili- 
gence et  advertissement  de  Jehan  Moussy,  escuyer,  seigneur  de  la 
Mothe,  à  rencontre  de  Jehan  llenault,  à  présent  prisonnier  ou  chas- 
teau  dudict  Alençon;  et  oy  sur  ce  le  procureur  du  Roy,  et  tout  con- 
sidéré; 


i6i  POURSUITES  CONTRE  LES   RÉFORMÉS   d'ALENÇOX. 

Lesdictz  commissaires  ont  elargy  etfaict  mectre  hors  desdictes  pri- 
sons ledict  Jeiian  Henault  par  tout,  eu  faisant  les  submissions  acous- 
tumées.  Et  neantmoins  luy  ont  réservé  et  reservent  iceulx  commis- 
saires son  action  pour  ses  dommaig'es  et  interestz  contre  qui  ap- 
partiendra et  à  eulx  leurs  défenses  au  contraire. 

En  ensuivant  lequel  arrest,  ledict  llenault  a  esté  elargy  et  mis 
hors  desdictes  prisons,  après  ce  qu'il  a  i)romis  et  juré  retourner  et 
se  rendre  en  Testât  qu'il  cstoit,  toutes  foys  et  quantes  que  par  les- 
dictz commissaires  ainsi  sera  ordonné. 

Le  CiuiER  R. 

Veues  par  les  commissaires  ordonnez  par  le  Roy  à  Alençon  les 
charges  et  informations  faictes  à  l'encontre  de  Françoise  Larchere, 
dicte  Gueville,  demourant  audict  Alençon,  et  oy  sur  ce  le  procureur 
du  roy,  et  tout  considéré  ; 

Lesdictz  commissaires  ont  ordonné  et  ordonnent  ladicte  Lar- 
chere, dicte  Gueville,  estre  adjournée  à  comparoir  en  personne  par 
devant  lesdictz  commissaires  au  dict  Alençon,  à  certain  jour,  sur 
peine  de  bannissemmenl  de  ce  royaulme  et  d'estre  actainte  et  con- 
vaincue des  cas  à  elle  imposez,  pour  respondre  au  procureur  du  Roy 
aux  fins  et  conclusions  qu'il  vouldra  contre  elle  prendre  et  élire, 
procéder  et  faire  en  oultre  selon  raison. 

Du  niercredi  neulviesme  jour  de  septembre,  du  matin. 

Veu  par  les  conseilliers  du  Roy,  juges  et  commissaires  ordonnez 
à  Alençon,  le  procès  criminel  faict  à  l'enconlre  de  Jehan  Ruel,  natif 
de  Courteilles,  prisonnier  es  prisons  de  la  consiergerie  dudict  lieu 
(i'Alençon,  pour  raison  de  j)lusieurs  grans  et  exécrables  blaphemes 
l)ar  iny  diclz  et  proferez,  et  es(|uelz  il  a  longuement  persévéré,  con- 
tre le  sainct  sacrement  de  l'autel,  l'honneur  de  lavirge  Marie,  révé- 
rence des  sainctz  et  sainctes  de  paradis  et  cslat  universel  de  nostre 
niere  saincle  église,  à  plain  contenuz  audict  procès  contre  luy  faict; 
veues  aussi  les  conclusions  baillées  et  prinses  par  le  procureur  du 
Roy,  auquel  ledict  procès  avait  esté  communicqué,  et  oy  et  interrogé 
sur  ce  par  lesdictz  commissaires  icclluy  prisonnier,  et  tout  considéré, 

Lesdictz  commissaires  par  arrest  ont  condenné  et  condennent  le- 
dict Ruel,  pour  raison  desdictz  cas  à  faire  amende  honnorable  devant 


POURSUITES  CONTRE  LES  RÉFORMÉS  D  ALEXÇON.         165 

la  principalle  porte  de  l'église  Nostre-Dame  de  caste  dicte  ville  d'A- 
lençoii,  et  illec  à  i^eiioulx,  tenant  une  torche  de  cire  ardent  du  poix 
de  deux  livres,  requérir  pardon  à  Dieu,  à  la  glorieuse  virge  Marie, 
aux  sainctz  et  sainctes  de  paradis,  au  Roy  et  à  justice,  desdictz  bla- 
phenies,  et  d'icenlx  se  desdire  et  repentir;  ce  faict,  estre  mené  au 
Marchis  hors  la  porte  de  Sées,  et  illec  au  lieu  plus  commode  et  con- 
venable sera  mis  et  planté  ung  pousteau  à  l'entour  duquel  sera  l'aict 
ung  grant  feu,  et  après  avoir  esté  eslranglé,  estre  ars  bruslé  et  son 
corps  converty  en  cendres.  Et  ont  lesdictz  commissaires  declairé  et 
declairent  tous  les  biens  dudicl  Ruel  acquis  et  confisquez  à  qui  il 
appartiendra. 

Errault  R. 

Du  dixiesme  jour  de  septembre,  après  disner. 

Veues  parles  conseilliers  du  Roy,  juges  et  commissaires  de  par 
luy  ordonnez  à  Alençon,  les  interrogatoires  et  confessions  faictes  ce 
jourd'huy  par  devant  eulx  par  damoyselle  Jehanne  d'Avoise,  dame 
dndict  lieu,  adjournée  à  comparoir  en  personne,  et  tout  considéré; 

Lesdictz  juges  et  commissaires  ont  ordonné  et  ordonnent  que  les- 
dictz interrogatoires  et  confessions  de  ladicte  damoyselle  Jehanne 
d'Avoise  seront  monstrées  et  communiquées  au  procureur  du  Roy, 
pour  bailler  et  prendre  sur  icelles  ses  conclusions.  Et  ce  pendant  et 
jusques  à  ce  que  par  lesdictz  juges  et  commissaires  autrement  en 
soit  ordonné,  ilz  ont  défendu  et  défendent  à  ladicte  damoyselle 
Jehanne  d'Avoise  de  partir  de  ceste  ville  sur  peine  de  perdition  de 
cause  et  d'estre  actaincte  et  convaincue  des  cas  à  elle  imposez. 

DE  HarlvyR. 

Veues  par  les  conseilliers  du  Roy,  juges  et  commissaires  par  luy 
ordonnez  à  Alençon,  les  interrogatoires  et  confessions  faictes  devant 
eulx  par  la  vefve  de  feuMacé  Petit  et  le  femme  de  Vincent  Chappel- 
lain,  demouransà  Courleilles,  adjournées  à  comparoir  en  personne 
par  ordonnance  desdictz  conseilliers,  juges  et  commissaires  dudict 
seigneur;  et  oy  sur  ce  le  procureur  du  Roy,  et  tout  considéré; 

Lesdictz  conseilliers,  juges  et  commissaires  ont  renvoyé  et  ren- 
voyenl  lesdictes  femmes  en  leurs  maisons,  à  la  charge  toutes  foys 
de  retourner  et  se  rendre  en  Testai  qu'elles  estoienl,  toutes  foys  el 


166  POURSUITES   CONTRE    LES   KÉFORMÉS   D'ALENÇOiN. 

quanles  que  ainsi  pareulx  sera  ordonné,  sur  peine  d'estre  actainctes 
et  convaincues  des  cas  à  elles  imposez. 

Errault  R. 

Veues  par  les  commissaires  ordonnez  par  le  Roy  à  Alenron  les 
charges  et  informations  faictes  à  rencontre  de  daraoyselle  Jehanne 
d'Avoise,  dame  dudict  lieu,  et  ung  nommé  Delafosse,  son  serviteur, 
et  oy  sur  ce  le  procureur  du  Roy  et  tout  considéré; 

Lesdictz  commissaires  ont  ordonné  et  ordonnent  ladicte  damoy- 
selle  Jehanne  d'Avoise  estre  adjournée  à  comparoir  en  personne 
par  devant  culx  à  certain  jour,  en  ladicte  ville  d'Alençon,  sur  peine 
de  bannissement  de  ce  royaulme,  et  d'estre  actaincte  et  convaincue 
des  cas  à  elle  imposez,  pour  respondre  audict  procureur  du  Roy,  à 
telles  fins,  requestes  et  conclusions  qu'il  vouldra  contre  elle  pren- 
dre et  élire.  Et  oultre  ledict  Delafosse  estre  prins  et  appréhendé 
au  corps  quelque  part  qu'il  pourra  estre  trouvé  en  ce  royaulme, 
etiam  in  loco  sacro,  à  la  charge  de  le  reintégrer,  si  faire  ce  doit, 
et  icelluy  amené  prisonnier  soubz  bonne  et  seure  garde  es  prisons 
de  la  consiergerie  d'Alençon,  pour  ester  et  fournir  à  droit  sur  les 
dictes  charges  et  informations,  et  respondre  audict  procureur  du  Roy, 
aux  fins  et  conclusions  dessus  dictes.  Et  ou  prins  et  appréhendé  ne 
pourra  estre,  atljourné  à  troys  briefz  jours,  sur  peine  de  bannisse- 
ment de  ce  royaulme,  confiscation  de  corps  et  de  biens  et  d'estre 
actainct  et  convaincu  des  cas  à  luy  imposez,  à  estre  et  comparoir  par 
devant  lesdictz  commissaires  en  ladicte  ville  d'Alençon,  procéder 
et  faire  en  oultre  ainsi  qu'il  appartiendra  par  raison. 

Dezasses  R. 

Les  commissaires  ordonnez  par  le  Roy  sur  le  faict  d'Alençon  ont 
commandé  et  enjoincts  de  par  ledict  seigneur  et  eulx,  à  Jehan  Des- 
nault,  sergent  de  la  Prevosté  d'Alençon,  d'accompaigner  Jehan  ïar- 
ger,  huissier  en  la  court  de  Parlement  à  Paris,  pareulx  prins  pour  le 
faict  et  exécution  de  leur  cummission,  à  faire  et  exécuter  adjourne- 
mens  à  troys  briefz  jours  et  tous  autres  exploictz  quelz  qui  soient, 
par  eulx  ordoiniez  et  commandez,  et  à  donner  audict  huissier  con- 
fort et  ayde  en  telle  sorte  que  la  force  demeure  au  Roy  et  justice 
soit  obeye.  Et  oultre  permect  audictz  huissier  et  Besnault  de  pren- 
dre et  appeller  avec  eulx  tel  nombre  de  gens,  sergens,  officiers  et 


POURSUITES   CONTRE   LES   RÉFORMES   D'ALENÇON.  167 

auHres  personnes  qu'ilz  vouldront  pour  le  faictdes  dictes  exécutions 
et  commander  ausdictz  sergens,  officiers  et  autres  de  leur  donner 
confort  et  ayde,  ainsi  qu'ilz  verront  estre  à  faire  par  raison. 

Du  unziesmc  jour  de  septembre,  du  malin. 

Veues  par  les  conseilliers  du  roy,  juges  et  commissaires  de  par 
luy  ordonnez  à  Alençon,  les  interrogatoires  et  confessions  faictes 
par  devant  eulx  par  Michon,  femme  de  Jehan  Juliette,  de  la  ville 
d'Alençon,  prisonnière  de  l'ordonnance  desdictz  conseilliers,  juges 
et  commissaires  diidict  seigneur  es  prisons  de  la  consiergerie  du- 
dict  lieu,  et  oy  sur  ce  le  procureur  du  roy,  et  tout  considéré; 

Les  conseilliers,  juges  et  commissaires  dessus  diclz  ont  ordonné 
et  ordonnent  ladicte  Michon  Juliette  estre  mise  hors  des  dictes  pri- 
sons et  élargie  par  ceste  ville  d'Alençon  tant  seullement,  en  faisant 
par  elle  les  submissions  acoustumées. 

En  ensuivant  lequel  arrest,  ladicte  Michon  a  esté  élargie  et  mise 
hors  desdictes  prisons,  après  ce  qu'elle  a  promis  et  juré  ne  partir 
de  cesle  ville  d'Alençon,  sans  le  congé,  licence  et  ordonnance  des- 
dictz conseilliers,  juges  et  commissaires  dessusdictz,  sur  peine  d'es- 
tre  actaincte  et  convaincue  des  cas  k  elle  imposez. 

Errault  R. 

Dudict  jour,  après  disner. 

,  Sur  la  requeste  présentée  aux  conseilliers  du  Roy,  juges  et  com- 
missaires par  luy  ordonnez  à  Alençon,  par  Jehan  Tournebeuf,  Olivier 
Esnault  et  Raoullin  Bucquet,  geoUier  et  garde  des  prisons  de  la  ville 
de  Sées,  tendant  afin  d'avoir  payement  et  solution  pour  avoir  vacqué 
par  l'espace  de  deux  jours,  par  le  commandement  desdictz  conseil- 
liers, juges  et  commissaires,  à  conduire  et  amener  prisonnier  es 
prisons  de  ceste  ville  d'Alençon  Jehan  Lebrun,  lors  prisonnier  de- 
tenu  esdictes  prisons  de  Sées  pour  aucuns  cas  à  luy  imposez  ;  veue 
par  lesdictz  conseilliers,  juges  et  commissaires  ladicte  retiueste,  oy 
sur  ce  le  procureur  du  Roy,  et  tout  considéré  ; 

Lesdictz  conseilliers,  juges  et  commissaires  oiU  taxé  et  taxent 
ausdictz  Tournebeuf,  Olivier  Esnault  et  Raoullin  Bucquet,  pour  les 
causes  que  dessus,  la  somme  de  soixante  solz  parisis,  à  icelle  pren- 


168  POURSUITES   CONTRE  LES  RÉFORMÉS  D'ALENÇON. 

dre  et  avoir  sur  les  l)iens  dudict  Lebrun,  s'aucuns  en  a,  sinon  sur 
les  deniers  du  roy. 

Yeues  par  les  conseilliers  du  Roy,  juges  et  commissaires  j»arluy 
ordonnez  à  AIençon,les  informations  faictes  à  rencontre  de  damoy- 
selle  Jehanne  d'Avoyse,  dame  dudict  lieu,  prisonnière  arreslée  par 
ceste  dicte  ville  d'Alençon,  les  interrogatoires  et  confessions  par  elles 
faictes  devant  lesdictz  conseilliers  et  commissaires;  et  oy  sur  ce  le 
procureur  du  roy,  et  tout  considéré  ; 

Lesdictz  conseilliers,  juges  et  commissaires  ont  ordonné  et  or- 
donnent que  messire  Jehan  Cliambeurs,  prestre,  curé  de  Radon', 
et  frère  Thomas  Louvet,  hermite  à  Matreleurouse,  de  la  paroisse  de 
Feugeretz-,  en  la  forest  d'Escouves,  viendront  en  ceste  dicte  ville 
d'Alençon  pour  estre  recollez  et  confrontez  à  ladicte  damoyselle 
Jehanne  d'Avoyse,  pour  ce  faict  estre  au  surplus  ordonné  ce  que  de 

raison. 

Dezasses  R. 

Veu  par  les  conseilliers  du  Roy,  juges  et  commissaires  de  par  luy 
ordonnez  à  Alençon,  le  procès  criminel  faict  à  l'encoiitre  de  Jehan 
Chastellays,  natif  de  Courteilles,  prisonnier  es  prisons  de  la  consier- 
gerie  de  ladicte  ville  d'Alençon,  pour  avoir  par  luy  indiscrètement 
et  irreverenment  parlé  du  sainct  sacrement  de  l'autel,  et  contre 
l'honneur  et  révérence  des  benoistz  saincts  et  sainctes  du  paradis, 
et  s'estre  trouvé  es  assemblées  et  conventiculles  des  gens  suspectz 
de  la  secte  reprouvée  et  non  auctorisez  de  presches,  ainsi  que  plus 
à  plain  est  contenu  oudict  procès  contre  luy  faict.  Veues  aussi  les 
conclusions  prinscs  et  baillées  en  ceste  matière  par  le  procureur  du 
Roy,  et  oy  et  interrogé  sur  ce  par  lesdictz  commissaires  icelluy  pri- 
sonnier, et  tout  considéré; 

Les  conseilliers,  juges  et  commissaires  dessus  dictz  ont,  pour  rai- 
son desdictz  cas,  condenné  et  condennent  ledict  Jehan  Chastellays 
à  faire  amende  honnorablc  devant  la  principalle  porte  de  l'église 
Nostre-Dame  de  ceste  dicte  ville  d'Alençon,  'ayant  la  corde  au  col, 
picdz  et  leste  nudz,  à  genoulx  et  en  chemyse,  et  portant  en  ses 
mains  une  torche  de  cire  ardent  du  poix   de  deux  livres,    et  illec 

1.  Airondisscincnt  et  canton  d'Alonçon  (Orne). 

2.  rcugcrets  n'est  plus  qu'un  lianiean  dépendant  de  la  commune  de  Vingt- 
Ilanaps,  canton  d'Alençon. 


POURSUITES   CONTRE   LES   RÉFORMÉS  D'ALEN'CON.  109 

requérir  pardon  à  Dieu,  à  la  glorieuse  vierge  Marie,  aux  saiucts 
et  sainctes  de  paradis,  au  Roy  et  à  justice,  desdictes  pnrolles  mal, 
indiscrètement  et  irreverenment  par  luy  proférées;  et  oultre  eslre 
battu  et  fustigé  par  les  carrefours  de  ceste  ville  d'Âlençon  et 
audict  lieu  de  Courteilles.  Et  luy  enjoignent  neantmoins  lesdictz 
commissaires  de  bien  vivre  doresnavant,  et  ne  renchoir  ne  plus 
tomber  en  telles  indiscrétions  ne  irrévérences,  sur  peine  de  la 
hart. 

Errault  R, 

Du  samedi,  douzeiesmc  jour  de  septembre,  du  malin. 

Veu  par  les  conseilliers  du  Roy,  juges  et  commissaires  par  luy 
ordonnez  à  Alen^-on,  le  procès  criminel  faict  à  l'enconlre  de  Estienne 
Laignel,  dit  Potier,  et  Jehan  Coumyn,  prisonniers  es  prisons  de  la 
Consiergerie  de  ladicte  ville  d'Alençon,  pour  estre  entrez  de 
nuyt  de  propos  délibéré  et  par  effraction  de  verrières,  la  vigille 
de  la  feste  Dieu  en  l'an  mil  cinq  cens  trente  troys,  en  l'église  et 
chappelle  Sainct-Blaise  située  hors  la"  porte  de  Sées,  et  en  icelle 
chappelle  avoir  ])rins  et  emporté  les  ymaiges  de  la  glorieuse  vierge 
Marie  et  de  sainct  Claude,  icelles  ignominieusement  pendues  à 
deux  gouttières  en  ladicte  ville  d'Alençon,  contre  l'honneur  et 
révérence  de  Dieu,  de  la  glorieuse  vierge  Marie,  des  saincts  et 
sainctes  de  paradis,  grant  scandalle  et  contempnement  de  Testât 
universel  de  nostre  mère  saincte  église  et  de  la  religion  catholicque, 
et  persévérance  d'iceulx  prisonniers  en  leur  mauvais  vouloir,  ainsi 
que  plus  à  plain  est  contenu  oudict  procès  contre  eulx  faict;  veues 
aussi  les  conclusions  prinses  et  baillées  en  ceste  matière  par  le  pro- 
cureur du  Roy,  et  oyz  et  interrogez  sur  ce  lesdictz  prisonniers  par 
lesdictz  conseilliers,  juges  et  commissaires  dessus  dictz,  et  tout 
considéré; 

Lesdictz  conseilliers  du  Roy,  juges  et  commissaires  ont,  pour 
raison  desdiclz  cas,  condenné  et  condennenl  lesdictz  prisonniers  et 
chacun  d'eulx  à  avoir,  devant  ladicte  chappelle  Saincl-Blaise,  le 
poing  dextre  couppé,  cloué  et  attaché  à  deux  pousteaulx,  qui  pour 
ce  faire  y  seront  mis  et  dressez;  ce  faict,  iceulx  prisonniers  estre 
conduictz  et  menez  es  lieux  et  rues  où  ils  pendirent  Icsdiclcs  ymai- 
ges, esquelz,  ou  lieu  plus  commode  et  convenable,  seront  dressées 


170         POURSUITES  CONTRE  LES  RÉFORMÉS  d'aLENÇO.N. 

deux  potences,  ôsquelles  lesdictz  prisonniers  seront  penduz  et  es- 
tranglez  par  le  temps  et  espace  de  troys  heures  ;  ce  faict,  leurs  testes 
estre  couppées  et  chacune  d'elles  mises  au  bout  du  fer  d'une  lance, 
et  icelles  portées  aux  deux  principalles  portes  de  ceste  dicte  ville 
d'Alençon,  en  lieu  eminent,  et  leurs  corps  portez  et  penduz  aux 
fourches  patibulaires  d'icelle  ville.  Et  ont  declairé  et  declairent  les- 
dictz conseilliers,  juges  et  commissaires  dessus  dictz  tous  et  clia- 
cuns  les  biens  d'iceulx  prisonniers  acquis  et  confisquez  à  qui  il 
apartiendra. 

Prononcé  et  exécuté  le  xV  desdictz  moys  et  an. 

Le  Charron  R. 

Dudict  jour  après  disner. 

Veues  par  les  conseilliers  du  Roy,  juges  et  commissaires  par  luy 
ordonnez  à  Alençon,  les  interrogatoires  et  confessions  faictes  par 
devant  eiilx  par  maistre  Jehan  Duval,  praticien  et  advocat  audict 
lieu  d'Alençon,  prisonnier  en  la  consiergerie  dudict  lieu,  par  ordon- 
nance desdictz  commissaires,  et  oy  sur  ce  le  procureur  du  Roy,  et 
tout  considéré, 

Lesdictz  conseilliers,  juges  et  commissaires  dessusdictz  ont  or- 
donné et  ordonnent  que  ledict  Duval  sera  quant  à  présent  elargy  et 
mis  hors  desdictes  prisons,  en  faisant  les  submissions  en  tel  cas 
requises  et  acoustumées.  En  ensuivant  lequel  arrest,  ledict  Duval  a 
esté  elargy  et  mis  hors  desdictes  prisons,  après  ce  qu'il  a  promis  et 
juré  retourner  et  se  rendre  en  Testât  qu'il  est  toutes  foys  et  quanles 
que  par  lesdictz  conseilliers,  juges  et  commissaires  ainsi  sera  or- 
donné, 

Errault  R. 

Du  quiiiziesiue  jour  de  septembre,  du  matin. 

Veues  par  les  conseilliers  du  Roy,  juges  et  commissaires  par  luy 
ordonnez  à  Alençon,  les  charges  et  informations  faictes  à  l'encontre 
de  messirc  Jehan  Chassevanl,  prostré,  chappellain  de  l'Hostel-Dieu 
(ludict  Alençon,  prisonnier  en  la  consiergerie  dudict  lieu,  les  interro- 
gatoires et  confessions  faictes  par  leilict  Chassevant  par  devant  les- 
dictz commissaires,  et  oysur  ce  le  procureur  du  Roy,  et  tout  consi- 
déré; 


POURSUITES   CONTRE   LES   RÉFORMÉS   d'aLENÇON.  171 

Lesdictz  conseilliers,  juges  et  commissaires  ont  renvoyé  et  ren- 
voyent  la  congiioissance  de  ceste  matière  à  l'evesque  de  Sées,  lequel 
sera  tenu  bailler  vicariat  à  deux  notables  personnaiges  non  suspectz 
ne  favorables  pour  congnoistre  et  déterminer  de  cestes  matière  ; 
par  devant  lesquelz  la  coppie  des  charges  et  informations  chargeant 
ledict  Chassevant,  ensemble  ses  confessions  et  celle  de  maistre  Jehan 
Duval,  par  eulx  faictes  devant  lesdictz  commissaires,  seront  portées. 
Et  aussi  icelluy  Chassevant  sera  tenu  se  rendre  et  comparoir  en  per- 
sonne par  devant  lesdicts  vicaires  au  jour  (jui  luy  sera  donné  et  as- 
signé par  eulx,  sur  peine  d'estre  actainct  et  convaincu  des  cas  à  luy 
imposez.  Et  neantmoins  cependant  et  jusques  audictjour  à  assigner 
par  lesdictz  vicaires,  iceulx  commissaires  ont  ordonné  et  ordonnent 
que  ledict  Chassevant  sera  elargy  et  mis  hors  desdictes  prisons,  eu 
faisant  les  submissions  acoustumées. 

En  ensuivant  lequel  arrest,  ledict  Chassevant  a  esté  elargy,  après 
ce  qu'il  a  promis  et  juré  par  ses  sainctes  ordres  fournir  entièrement 
au  contenu  d'icelluy  arrest,  sur  les  peines  que  dessus. 

Errault  R. 

Veu  par  les  conseilliers  du  Roy,  juges  et  commissaires  par  luy  or- 
donnez à  Alençon,  le  procès  criminel  faict  ta  l'encontre  de  Jehan  Le- 
brun, à  présent  prisonnier  es  prisons  de  la  consiergerie  dudict  lieu 
d'Alençon,  pour  raison  de  plusieurs  grans  et  excecrables  blaphemes 
par  luy  dictz  et  proferez  contre  le  sainct  sacrement  de  l'autel,  l'hon- 
neur delà  vierge  Marie,  révérence  des  saints  et  sainctes  de  paradis,, 
et  estât  universel  de  nostre  mère  saincte  église,  ainsi  que  plus  à 
plain  est  contenu  audict  procès  contre  luy  faict;  veues  aussi  les  con- 
clusions prinses  et  baillées  par  le  procureur  du  Roy,  auquel  ledict 
procès  auroit  esté  communicqué,  et  oy  et  interrogé  sur  ce  par  les- 
dictz conseilliers  juges  et  commissaires  icelluy  prisonnier,  et  tout 
considéré  ; 

Lesdictz  conseilliers,  juges  et  commissaires  ont  pour  raison  des- 
dictzcascondenné  et  condennent  ledict  Lebrun  à  faire  amende  hon- 
norable  devant  la  [irincipalle  porte  de  l'église  Nostre-Dame  etladicte 
ville  d'Alençon,  et  iilec  à  genoulx  tenant  une  torche  de  cire  ardent 
du  poix  de  troys  livres,  requérir  mercy  et  pardon  à  Dieu,  à  la  glo- 
rieuse vierge  Marie,  aux  saincts  et  sainctes  de  paradis,  au  roy  et  à 
justice,  desdictz  excecrables  blaphemes,  et  d'icculx  se  desdire  et 


172  POURSUITES   CONTRE   LES  RÉFORMÉS   d'ALENÇON. 

repentir;  ce  faict,  eslre  condnict  et  itiené  en  quelque  carrefour  et 
Heu  publicq  hors  ladicte  ville  d'Alencon,  sur  le  cheniiu  de  Sées,  lieu 
convenable  et  commode,  ou  illec  sera  mis  et  alaché  ung  pousleau, 
alentour  duquel  sera  faict  un  grand  feu,  et  après  avoir  ledict  pri- 
sonnier esté  estranglé,  sera  ars  et  bruslé  et  son  corps  mis  et  con- 
verly  en  cendres.  Et  ont  lesdictz  commissaires  declairé  et  declai- 
renttous  les  biens  dudict  Lebrun  acquis  et  confisquez  à  qui  il  apar- 
liendra. 

Prononcé  et  exécuté  le  xvi"  desdictz  moys  et  an. 

Lk  Charron  11. 

Cejourd'huy  ont  esté  baillées  et  délivrées  à  Charles  Boitart,  servi 
teur  de  maistre  Jehan  Ilomedey,  promoteur  de  l'evesque  de  Sées, 
les  informations  chargeans  maistre  Jehan  Chassevant,  ensemble  ses 
interrogatoires  et  confessions  avec  celles  de  maistre  Jehan  Duval,  et 
1  arrest  de  renvoy  donné  par  les  conseilliers  du  Roy,  juges  et  com- 
missaires ordonnez  par  ledict  seigneur  à  Alençon,  pour  icelles  por- 
ter audictevesque  de  Sées,  ou  son  officiai,  en  ensuivant  ledict  arrest, 
pour  procéder  à  rencontre  dudict  Chassevant,  ainsi  qu'il  verra  estre 
à  faire  par  raison,  le  tout  selon  le  contenu  dudict  arrest.  Lequel 
Boytarta  promis  porter  lesdictes  pièces  estans  en  ungsacfeablemeni 
cloz  et  scellé  audict  evesque  ou  sondict  officiai. 

Du  scziesme  jour  de  septembre,  ilii  matin. 

Veuz  par  les  conseilliers  du  Roy,  juges  etcommissaires  par  luy  or- 
donnez à  Alençon,  les  troys  defaulx  à  troys  briefz  jours  obtenuz  par 
devant  le  procureur  du  Roy,  demandeur  en  matière  de  blaphemes 
contre  l'honneur  de  Dieu  et  du  sainct  sacrement  de  l'autel,  honneur 
et  révérence  des  saincts  et  traditions  de  l'église,  à  l'enconlre  de 
Ysaac  Legoulx,  dit  Tardif,  Noël  de  MeaiUx,  Jehan  Boullemor  et  Ju- 
lian  di)  Bernay,  défendeurs  csdiclz  cas  et  adjournez  à  troys  brifez 
jours  à  comparoir  en  pei'sonne  par  devant  lesdictz  conseilliers,  juges 
et  commissaires,  sur  peine  de  bannissement  de  ce  royaulme,  confis- 
cation de  corps  et  de  biens,  et  d'estre  actainctz  et  convaincuz  des 
cas  à  culx  imposez,  et  defaillans;  les  conclusions  prinses  par  ledics 
procureur  du  Roy  en  ceste  matière  à  l'encoutre  desdictz  défaillant 
et  chacun  d'eulx;  les  i'a[)por(z  et  relations  faicles  sur  ce  par  Jehna 


POURSUITES  CONTRE  LES   RÉFORMÉS   D'ALENÇON.  173 

Targer,  huissier  de  la  court  de  Parlement,  avec  les  charges  et  infor- 
mations faictes  à  l'encoutre  desdiclz  defaillans  et  chacun  d'eulx,  et 
tout  considéré  ; 

Lesconseilliers  du  Roy,  juges  et  commissaires dessusdictz  ont,  pour 
raison  desdictz  blaphemes  et  autres  cas  contenuz  esdictes  informa- 
tions, et  pour  la  réparation  d'iceulx,  condenné  et  condennent  lesdiclz 
Ysaac  Legoux,  dit  Tardif,  de  Meaulx,  Boullemer  et  de  Bernay,  et  cha- 
cun d'eulx,  à  estre  bruslez  et  ars  tous  vifz  au  marché  et  place  publi- 
que dudict  Alençon,  lieu  plus  commode  et  convenable,  et  leurs  corps 
consommez  en  cendres.  Et  declairent  iceulx  conseilliers,  juges  et 
commissaires  dessusdictz  tousetchacuns  les  biens  desdictz  Legoux, 
de  Meaulx,  Boullemer  et  de  Bernay  acquis  et  confisquez  à  qui  il  apar- 
tiendra. 

Prononcé  ledict  jour. 

Les  conseilliers  du  Roy,  juges  et  commissaires  de  par  luy  ordon- 
nez à  Alençon   enjoignent  à  toutes  personnes  de  quelque  estât  ou 
condition  qu'elles  soient,  quisçaventde  présent  ou  sçauront  cy  après 
où  sont  ung  nommé  frère  René  Dufour,  religieux  de  l'ordre  Sainct- 
Âugustin,  et  ung  autre  appelle  messire  Guillaume  Rolland,  prestre, 
qu'ilz  ayent  à  les  révéler  ausdictz  conseilliers  du  Roy  et  commissaires 
dessusdictz,  et  iceulx  Dufour  et  Rolland  prendre  et  appréhender  au 
corps  réaniment  et  de  faict  et  iceulx  amener  soubz  bonne  et  seure 
garde  es  prisons  de  la  consiergerie  de  ceste  dicte  ville  d' Alençon,  sur 
peine  de  confiscation  de  corps  et  de  biens.  Etoultrefont  lesdictz  con- 
seilliers du  Roy,  juges  et  commissaires  dessusdictz,  inhibitions  et 
défenses,  sur  les  peines  dessus  dictes,  c'est  assavoir  de  confiscation 
de  corps  et  de  biens,  de  ne  receller  ne  recepteren  leurs  maisons,  ne 
aillieurs,en  quelque  part  que  ce  soit,  lesdictz  Dufour  et  Rolland,  ains 
iceulx  rendre  et  mectre  esdictes  prisons;  et  en  ce  faisant,  celuy  ou 
ceulx  qui  rendra  ou  rendront  prisonniers  lesdictz  Dufour  et  Rolland 
en  ladicte  consiergerie,  auront  et  leur  sera  faict  bailler  par  ledict 
seigneur  la  somme  de  vingt  escuz  d'or.  Et  pareillement  enjoignent 
lesdiclz  commissaires  h  tous  les  juges  royaulx  et  autres  liaulx  justi- 
ciers de  prendre  etconstituer  prisonniers  lesdictz  Dufour  et  Rolland, 
quelque  part  qu'ilz  les  pourront  trouver  en  ce  royaulme  etiam  in 
loco  sacro,  et  iceulx  rendre  es  prisons  susdicles,  sur  peine  d'amen- 
de arbitraire.  Et  afin  que  aucun  ne  puisse  de  ce  prétendre  aucune 


174.  POURSUITES  CONTRE   LES   RÉFORMÉS   D'ALENÇON. 

cause  crigiiorance,  lesdictz  commissaires  ont  ordonné  et  ordonnent 
ce  présent  arrest  et  ordonnance  estre  publié  à  cry  public  par  ceste 
dicte  ville  d'Alençon. 

Publié  ledict  jour. 

Veuz  par  les  conseillicrs  du  Roy,  juges  et  commissaires  par  luy 
ordonnez  ta  Alenron,  les  troys  defaulx  à  troys  briefz  jours  obtenuzpar 
devant  eulx  par  le  procureur  du  Roy,  demandeur  en  matière  de  bla- 
phemes  contre  l'honneur  de  Dieu  et  du  sainct  sacrement  de  l'autel, 
honneur  et  révérence  des  saincts  et  traditions  de  l'cglise,  à  rencon- 
tre de  M^  Jehan  Le  Pelletier,  advocat,  demeurant  càAlençon,  Margue- 
rite Edme,  demeurant  audict  lieu,  et  Jaques  Haudebourg,  défendeurs 
et  adjournez  à  troys  briefz  jours  à  comparoir  en  personne  par  de- 
vant lesdictz  conseilliers,  juges  et  commissaires,  sur  peine  de  ban- 
nissement de  ce  royaulme,  confiscation  de  corps  et  de  biens,  etd'es- 
tre  actainctz  et  convaincuz  des  cas  à  eulx  imposez,  et  defaillans  ; 
les  conclusions  prinses  par  ledict  procureur  du  Roy  en  ceste  matière 
k  rencontre  desdictz  defaillans  et  chacun  d'eulx,  les  rapportz  et  re- 
lations faictes  sur  ce  par  Jehan  Targer,  huissier  de  la  court  de  par- 
lement, ensemble  les  charges  et  informations  faictes  à  l'encontre 
desdictz  defaillans  et  chacun  d'eulx,  et  tout  considéré; 

Les  conseilliers  du  Roy,  juges  et  commissaires  dessus  dictz  ont 
pour  raison  desdictz  blaphemes  et  autres  cas  contcnuz  èsdictes  in- 
formations, et  pour  la  réparation  d'iceulx,  condenué  et  condennent 
lesdictz  Le  Pelletier,  Edme  et  Haudebourg,  et  chacun  d'eulx,  k  esire 
baiiniz  perpétuellement  du  royaulme  de  France,  et  declairent  tous 
et  chacuns  leurs  biens  acquis  et  confistiuez  ta  qui  il  apartiendra. 

Veu  parles  conseilliers  du  Roy,  juges  et  commissaires  par  luy 
ordonnez  à  Alençon,  le  procès  criminel  faicl  y  l'encontre  de  Michel 
Petit,  i.atif  de  Courteilles,  prisonnier  en  laconsiergerie  diidict  Alen- 
çon pour  îivoir  par  luy  mal,  indiscrètement  et  irreverenment  parlé 
contre  rhonncur  de  Dieu,  l'honneur  de  la  vierge  Marie  et  révérence 
des  saincts  et  sainctes  de  parîidis,  et  s'estre  trouvé  en  assemblée  illi- 
cite au  lieu  de  Cerisîiy  *,  ainsi  que  plus  àplain  est  contenu  et  declairé 
audict  |)rocès  contre  luy  faict  ;  veues  aussi  les  conclusions  baillées 
parle  procureur  du  Roy  en  cestre  matière  à  l'encontre  dudict  pri- 

1.  Cérisé,  petite  commune  du  canton  d'Alençon. 


POURSUITES   CONTRE   LES   RÉFORMÉS   d'ALENÇON.  175 

sonnier;  et  oy  et  interrogé  par  les  lesdictz  commissaires  icelluy  pri- 
sonnier sur  ce,  et  tout  considéré; 

Lesdictz  conseilliers,  juges  et  commissaires  ont,  pour  raison  du- 
dict  cas,  condenné  et  condennent  ledict  Petit  à  faire  amende  honno- 
rable  devant  la  principalle  porte  de  l'église  Nostre-Dame  de  ceste 
dicte  ville  d'AIençon,  piedzet  teste  nudz  et  en  chemise,  tenant  en  ses 
mains  une  torche  de  cire  ardent  du  poix  de  deux  livres,  et  illec 
requérir  et  demander  pardon  à  Dieu,  à  la  glorieuse  vierge  Marie, 
aux  saincts  et  sainctes  de  paradis,  au  Roy  et  à  justice,  et  à  assister 
et  estre  présent  à  l'execucion  de  mort  qui  ce  cejourd'hui  sera  faicle 
de  la  personne  de  Jehan  Lebrun;  et  oultre,  pour  la  dicte  assemblée 
illicite,  à  estre  battu  et  fustigé  audict  lieu  deCerisay.  Et  font  lesdictz 
commissaires  inhibitions  et  défenses  audict  Petit  de  ne  plus  doresna- 
vant  user  de  paroUes  indiscrètes,  irreverentes  et  scandaleuses  con- 
tre l'honneur  de  Dieu,  de  la  vierge  Marie,  les  saincts  et  sainctes  de 
paradis,  sur  peine  de  la  hard. 

Veu  par  les  conseilliers  du  Roy, juges  et  commissaires  par  luy  or- 
donnez à  Alençon,  le  procès  criminel  faict  à  l'encontrede  Berlhault 
Prevel,  demeurant  en  ladicte  ville  d'AIençon,  à  présent  prisonnier 
en  la  consiergerie  dudict  lieu,  pour  avoir  par  luy  irreverenment  et 
indiscrètement  parlé  de  Dieu,  des  saincts  et  sainctes  de  paradis, 
des  traditions  de  l'église;  veues  aussi  les  conclusions  prinses  en 
ceste  matière  par  le  procureur  du  Roy,  auquel  ledict  procès  auroit 
estécommunicqué;  eloy  et  interrogé  par  lesdictz  commissaires  icel- 
luy  Prevel  sur  ce,  et  tout  considéré  ;     - 

Lesdiclz  conseilliers,  juges  et  commissaires  dessusdictz  ont,  pour 
raison  et  réparation  desdictz  cas,  condenné  et  condennent  ledicte 
Berlhault  Prevel  à  faire  amende  honnorahie  devant  la  principalle 
porte  de  l'église  Nostre-Dame  de  ceste  ville  d'AIençon,  piedz  et  teste 
nudz,  tenant  en  ses  mains  une  torche  de  cire  ardent  du  poix  de  deux 
livres,  et  illec  requérir  et  demander  pardon  à  Dieu,  à  la  glorieuse 
vierge  Marie,  aux  saincts  et  sainctes  de  paradis,  au  Roy  et  à  justice; 
et  oultre  à  assister  et  estre  présent  à  l'execucion  de  mort  qui  ccjour- 
d'huy  sera  faicle  de  la  personne  de  Jehan  Le  Brun.  Et  font  lesdictz 
commissaires  inhibicions  et  défenses  audict  Berthault  Prevel  de  ne 
plus  doresnavant  user  de  parolles  indiscrètes,  irreverentes  et  scan- 
daleuses contre  l'honneur  de  Dieu,  la  vierge  Marie,  les  sainctz  et 
sainctes  de  paradis,  sur  peine  de  la  hart. 


MÉLANGES 


LES  ECOLES  DE  CAMPAGNE 

DANS    l'ancien   l'AVS    UE   MONTIiÉLIARD 

Nous  avons  pailr,  dans  un  prrcédenl  article*,  de  l'école  primaire 
ou  école  française  de  Monibcliard,  ainsi  nommée  pour  la  distinguer 
(le  l'école  primaire  allemande  et  de  l'école  latine  ou  école  secon- 
daire de  la  même  ville,  dont  la  création  fut  postérieure  de  (|uel- 
(jues  amures.  Nous  avons  dit  que  l'établissement  de  cette  école 
l'ut  paiiiii  les  préoccupations  les  plus  vives  du  gouvernement  et  de 
TéglisL'  (lu  pays  a|très  que  la  réforme  y  eut  détinitivement  triomphé 
de  l'opposition  du  clergé  romain,  et  qu'il  fut  possible  de  travailler 
efficacement  à  son  organisation.  Nous  désirons  compléter  ici  cette 
étudo  par  une  autre  ([ui  y  touche  de  très  près,  et  non  moins  digne 
d'intérêt;  elle  concerne  les  écoles  villageoises  de  ce  même  pays,  qui 
furent  également  l'objet  de  l'attention  et  de  la  sollicitude  des  hommes 
dévoués  auxquels  était  confiée  la  tâche  non  moins  importante 
qu'arihu-  de  foiuler  et  de  de  diriger  la  nouvelle  institution.  Si  la  ville 
demandait  (pu;  rinsiruction  [jopulaire  y  fut  largement  l'épandne,  si 
elle  avait  bcsdin  ([u'on  fil  promptement  la  luiuière  au  milieu  des 
téin";j)ri's  iiilciicclucHes  où  croupissaient  une  bonne  partie  de  ses 
habitants,  la  campagne  en  avait  un  besoin  bien  plus  grand  et  plus 
|)rcssaii'  cncoïc,  parce  (pu^  l'ignorance  y  était  plus  répandue,  plus 
profonde  el  qu'elle  y  entraînait  avec  elle  des  abus  plus  criants. 

Il  y  avait  àpdurvoir  dès  l'abord  aux  besoins  des  villages  du  comté 
pro|MvnnMit  dit  (y  compris  la  terre  ou  seigneurie  d'Elobon  en 
dépciKl.iiil),  puis  à  ci'nx  de  la  seigneurie!  de  Blàmont, réformée  deux 
ans  après,  d  phis  lard,  en  1505,  à  ceux  îles  terres  d'IIéricourt,  de 
(Ihàlelol  et  de.  Clémonl,  à  leur  tour,  détachées  de  l'église  romaine 

I.  linll.,  t.  \\\ii,  1,.  iir,,  5li. 


MÉLANGES.  177 

et  définitivement  acquises  au  Protestantisme.  C'est  ce  dont  on 
s'oocupa  avec  toute  l'activité  et  toute  l'ardeur  que  réclamait  la 
situation. 

Mais  ce  n'était  pas  là  chose  facile,  vu  que  tout  manquait  à  la  fois 
pour  l'œuvre  à  accomplir.  La  question  de  l'éducation  populaire  était 
restée  à  peu  près  complètement  étrangère  au  catholicisme,  qui  ne 
s'était  inquiété  que  de  nourrir  les  foules  de  superstitions,  de  contes 
creux  et  de  fables  ridicules.  Aussi  les  nouveaux  serviteurs  de 
l'église,  qu'on  se  vit  dans  l'obligation  de  faire  venir  du  dehors*  pour 
les  mettre  à  la  tête  des  diverses  paroisses,  quoique  forcément 
réduites  en  nombre 2,  par  suite  de  la  pénurie  des  ouvriers  en  même 
temps  que  dans  des  vues  momentanées  d'économie,  les  ministres, 
disons-nous,  durent-ils  dès  l'abord  partout  et  pendant  un  certain 
espace  de  temps,  dont  la  durée  a  varié  d'une  paroisse  à  l'autre, 
joindre  à  leurs  fonctions  pastorales  celles  de  maîtres  d'école  et  même 
de  chantres  à  l'église,  tâche  assez  pénible  pour  eux  si  l'on  considère 
l'étendue  qu'avaient  alors  les  paroisses  à  cause  du  nombre  relative- 
ment restreint  d'ecclésiastiques  appelés  à  les  desservir. 

Nous  avons  dit  autre  part  qu'en  l'absence  d'instituteurs  réguliers 
et  ayant  vocation  d'enseigner,  Mélanchton  avait  donné  le  conseil  de 
former  à  cette  charge  le  sacristain  préposé  à  chaque  église,  et  c'est 
ce  qui  n'avait  pas  tardé  à  avoir  lieu  dans  notre  pays.  «  Mais  là,  dit 
l'ordonnance  de  15G0,  où  le  secrétaire  (sacristain,  en  même  temps 
instituteur)  par  cy-devant  a  esté  contraint  d'estre  garde-publique 
(garde-champêtre  ou  banvard)  et  sergeant  (sergent  de  police),  que 
les  maistres  doresnavant  soyent  délivrez  de  ceste  charge,  afin  qu'ils 
puissent  plus  librement  enseigner  les  enfants  à  l'advenir.  Que  si  les 
habitants  du  lieu  ne  se  pouvoyent  passer  de  tout  d'une  garde 
publique  des  jardins  et  des  champs,  qu'il  soit  loisible  d'en  louer  un 
aux  despens  publics  du  lieu  auquel  ils  baillent  ceste  charge.  » 

Les  maîtres,  on  le  voit,  cumulaient,  mais  il  est  fort  à  croire  que 
ce  cumul  était  loin  de  leur  procurer  le  bien-être  ou  même  les 
simples  moyens  d'existence. 

La  grande    ordonnance  ecclésiastique   de   1560    contenait  une 

1.  De  la  France,  de  la  Savoie  et  de  la  Suisse  française. 

2.  A  l'époque  de  la  réformalion,  les  paroisses  catiioiiiiues  étaient  au  nombre 
de  33;  elles  furent  ramenées  à  13. 

xxxiii,  —  12 


17S  MÉLANGES. 

ordoniiaiicL'  particulière  des  écoles*,  dont  il  convient  de  dire  ici 
quelques  mots.  Elle  renferme  soixante-quatre  pages  et  embrasse  à 
la  fois  l'instruction  primaire  sous  le  nom  d'École  française  et  l'ins- 
truction secondaire  sous  celui  d'École  latine.  La  première  paraît, 
dans  le  principe,  s'être  confondue  avec  la  seconde.  Ainsi  dans  la 
première  classe  de  l'école  latine  on  doit  apprendre  les  lettres  et  la 
valeur  d'icelles,  puis  les  assembler  et  incontinent  après  lire.  Il  faut 
aussi  mettre  en  peine  que  les  enfants  soient  déligemment  enseignés 
à  former  les  lettres  et  à  les  écrire  :  pourquoi  il  faudra  que  le  maître, 
toutes  les  sepmaines  au  moins  une  fois,  escvire  aux  enfants  les  lettres 
et  les  sentences  pour  doubler  (copier),  selon  que  la  chose  le 
requerra. 

a  A  partir  de  cette  ordonnance,  dit  M.  Clément  Duvernoy  (compte 
rendu  de  la  situation  et  des  travaux  de  la  Société  d'émulation  de 
Monlbéliard,  année  1857),  l'instruction  publique  est  soumise  à  un 
règlement  fixe,  à  une  méthode  uniforme  dans  tout  le  Comté  et  les 
Seigneuries".  Des  principes  d'une  grande  élévation  et  des  vues 
lumineuses  s'y  trouvent  consignés.  L'élément  religieux  et  moral  y 
est  présenté  comme  la  base  de  l'éducation  et  prend  souvent  le  pas 
sur  l'instruction  proprement  dite,  etc.  » 

C'était  là,  en  effet,  un  pas  important  fait  dans  la  voie  des  amélio- 
rations et  du  progrès;  la  route  était  tracée  et  il  ne  restait  qu'à  y 
marcher  résolument.  On  avait  ainsi  à  la  fois  assuré  le  présent  et 
préparc  l'avenir. 

L'ordonnance  sus-mcntionnéc  fit  loi  pour  nos  écoles  jusqu'à  l'appa- 
rition en  1724  de  son  supplément,  qui  vint  modifier  et  perfectionner 
les  règlements  parus  sur  la  matière,  sans  toutefois  imprimer  encore  à 
l'instruction  de  l'enfance  l'élan  fécond  qu'elle  ne  devait  recevoir  que 
beaucoup  plus  tard  pour  arriver  enfin  aux  grandes  réformes  dont 
nous  sommes  aujourd'hui  témoins. 

1.  Lo  rtglcmcat  du  duc  Clirislophc  destiné  à  régir  les  écoles  fut  rédigé 
d'après  les  principes  de  Michel  Toxitès,  qui  avait  exercé  pendant  quelque 
temps  des  fonctions  scolaires  ù  Strasbourg  et  en  Suisse,  et  que  le  même  duc 
Clirisloplie  avait  ciiargé  d'organiser  toutes  les  écoles  de  ses  États.  Toxitès  s'était 
inspiré  du  plan  de  Jean  Slurm,  le  célèbre  recteur  du  Gymnase   de  Strasbourg. 

2.  11  faut  se  reporter,  pour  les  trois  seigneuries  d'Héricourt,  de  Cluitelot  et  de 
Clénionl,  à  la  date  de  la  publication  en  trois  langues  de  cette  ordonnance, 
c'csl-à-dirc  eu  1508. 


MÉLANGES.  179 

Nous  venons  de  dire  que,  dans  nos  communes  rurales,  ce  furent 
les  ministres  qui,  primitivement  et  à  défaut  d'iiommes  capables, 
durent  enseigner  aux  enfants  les  premiers  éléments  de  rinstruction. 
Les  renseignements  nous  manquent  sur  ces  temps  si  éloignés  et 
où  tout  n'était  encore  qu'à  l'état  de  germe  ou  de  formation.  Il  est 
à  supposer  qu'il  n'existait  dans  l'enseignement  de  la  jeunesse  cam- 
pagnarde aucune  uniformité;  que  les  leçons  n'avaient  ni  suite,  ni 
régularité,  qu'elles  ne  s'adressaient  qu'aux  enfants  les  plus  âgés, 
que  les  absences  étaient  fréquentes  eu  égard  surtout  aux  circons- 
tances locales  et  que  les  progrès  des  élèves  laissaient  partout  infini- 
ment à  désirer.  Mais  c'était  là  un  commencement  et  les  commmen- 
cements  sont  toujours  difficiles. 

Quant  à  l'enseignement  donné  par  les  sacristains,  formés  sans 
doute  à  la  hâte  par  leurs  ministres,  pressés  de  se  décharger  sur  eux 
d'une  partie  de  la  lourde  tâche  qui  leur  incombait,  ce  ne  devait  guère 
être  autre  chose  qu'un  pis-aller  dans  l'attente  de  temps  meilleurs. 

Mais  les  années  s'écoulaient  et  la  culture  intellectuelle  demeurait 
nulle  ou  à  peu  près  nulle  dans  nos  villages.  Les  parents  ne  se  sou- 
ciaient que  médiocrement  de  donner  à  leurs  enfants  une  instruction 
dont  ils  manquaient  eux-mêmes  et  qu'ils  n'appréciaient  aucunement. 
Leur  incurie  sous  ce  rapport  était  extrême,  et  nous  la  verrons 
persister  pendant  presque  toute  la  durée  de  l'ancien  régime,  malgré 
les  règlements  en  vigueur  et  l'obligation  de  l'instruction  primaire 
prescrite  dès  le  premier  quart  du  xviii'  siècle  et  déjà  recommandée 
bien  auparavant. 

Pour  pourvoir  plus  efficacement  à  l'instruction  de  la  jeunesse,  il 
fut,  dans  la  deuxième  moitié  du  xvi^  siècle,  institué,  dans  trois 
localités  du  pays  plus  populeuses  ou  plus  en  vue  que  les  autres, 
savoir  à  Montécheroux  *  (1570),  à  Héricourt  (1581)  et  à  Blâment 
(1595),  comme  auxiliaires  des  ministres  titulaires,  trois  diacres  ou 
suffragants  chargés,  en  même  temps  que  de  la  cure  d'âmes,  de  la 
direction  des  écoles.  C'étaient,  à  Héricourt,  Pierre  Faivre,  natif  de 
Saint-Gelin  (Saint-Julien);  à  Blâment,  Daniel  Simonin,  de  Mont- 
béliard,  et  à  Montécheroiix,  les  trois  vicaires  successifs  de  Claude 
Vigneron  (Vinitor),  atteint  d'infirmités,  savoir  Claude  Gaudry 

1.  Le  village  de  Montéclieroux  était  probableineut  devenu  le  chcf-licu  de  la 
seigneurie  de  Clémunl  en  15G1,  lorsque  le  gouvernement  de  Montbéliard  s'était 
occupé  de  la  réorganisation  civile  et  judiciaire  de  cette  seigneurie. 


i80  MÉLANGES. 

(Oalliiuis),  1576-1579;  Humbert  Regnard,  1580  à  1585,  et  Guil- 
Idiniic  Tliuriii,  1585-1580,  tous  trois  originaires  de  Montbéliard. 
Le  ministre  titulaire  étant  décédé  en  cette  dernière  année,  le  diacre 
ne  fut  point  maintenu  à  Montécheroux,  ce  qui  n'empêcha  point 
l'école  du  lieu  de  continuer  à  exister  avec  un  maître  laïque  à  sa  lèle. 
La  place  de  diacre  subsista  à  Blâmont  jusqu'en  janvier  1729  et  à 
Héricourt  jusqu'en  1745,  où,  comme  la  précédente,  elle  fut  supprimée 
d'aulorité  par  l'intendant  de  Franche-Comté.  Le  diacre  de  cette 
dernière  église  fut  en  même  temps  instituteur  de  1581  à  1618,  année 
où  il  fut  remplacé  aux  écoles  par  un  maître  laï(iue. 

Sans  vouloir  entrer  sur  l'école  de  la  ville  d'Héricourt  dans  des 
détails  qui  appartiennent  plutôt  à  son  histoire  locale  et  ne  rentrent 
point  dans  notre  cadre,  nous  dirons  que  depuis  le  premier  quart  du 
xviii"  siècle,  après  que  le  simultané  eut  été  introduit  dans  son  église 
(1700),  la  ville  dut  avoir,  à  côté  de  l'école  protestante,  une  école 
catlioli(iue,  d'ailleurs  très  peu  fréquentée  à  l'origine,  l'endroit  ne 
comptant  encore  à  cette  époque  que  quelques  rares  fidèles  de  ce 
culte  (sei)t  chefs  de  famille  en  1721;  en  1748,  la  population  com- 
prenait 170  familles  protestantes  et  26  catholiques).  A  la  fin  du 
même  siècle,  Héricourt,  qui  comptait  alors  une  population  d'environ 
1400  âmes,  avait  quatre  écoles,  dont  deux  de  garçons  et  deux  de 
filles,  qui  se  partageaient  entre  les  deux  cultes. 

Une  maîtresse  protestante  y  figure  déjà  en  1614,  el  le  nom  d'une 
maîtresse  catholique  est  expressément  désigné  au  milieu  du  xviii'" 
siècle.  On  voit  en  1730  l'intendant  de  Franche-Comté,  M.  de  Beau- 
mont,  rejeter  la  demande  d'un  gage  qui  lui  est  faite  par  le  magistrat 
Iiour  linslitulrice  protestante  du  lieu,  dont  le  traitement  dut  sans 
doute,  i)ar  le  fait  de  ce  rejet,  tomber  tout  entier  à  la  charge  de  la 
communauté. 

A  la  Uévolulion,  l'inslituliice  laujuc  catholique  disparut  pour  ne 
plus  èlre  remplacée  jusqu'à  nos  jours  en  celte  qualité. 

En  1763,  Ijlàmont,  qui,  avec  toute  la  seigneurie  de  ce  nom,  avait 
l)arlagé  dans  le  siècle  précédent  le  sort  d'Héricourt  et  de  sa  terre 
el  passé  de  même  sous  la  souveraineté  de  la  France,  devait  avoir 
une  maîtresse  d'école  catholique,  au  salaire  de  laquelle  le  curé  du 
lieu  voulait  faire  contribuer  les  habitants  du  village  voisin  de 
Pierrefontaine,  sans  qu'il  y  pût  d'ailleurs  réussir.  -  En  1769,  le 
curé  Sarrazin  avait  établi  à  Mandeure  une  maîtresse  d'école  de  son 


MÉLANGES.  181 

culte,  qui,  dit-on  ne  savait  pas  même  écrire*.  Elle  se  nommait 
Ursule  Goisson  et  touchait,  outre  la  rétribution  mensuelle,  33 
livres  de  gages  et  7  livres  d'indemnité  de  logement.  Nous  ignorons 
si  quelqu'autre  localité  encore  avait  à  cette  époque  une  institutrice 
catholique,  mais  la  chose  nous  paraît  assez  peu  probable. 

Les  chefs-lieux  des  paroisses  rurales  furent  généralement  pourvus 
d'une  école  primaire  avec  un  maître  propre  à  leur  tête,  dans  la 
deuxième  moitié  du  xvi'  siècle.  La  paroisse  de  Clairegotitte  eut  le 
sien,  résidant  dans  la  fdiale,  le  magny  d'Anigon,  dans  le  dernier 
quart  de  ce  même  siècle.  La  maison  qui  devait  servir  à  tenir  la 
classe  avait  été  achetée  dans  ce  dernier  lieu  en  1575  et  payée  sur 
les  fonds  de  la  recette  ecclésiastique  de  Montbéliard,  dont  dépendait 
immédiatement  le  village  comme  appartenant  à  la  seigneurie 
d'Etobon.  En  1580  nous  trouvons  à  la  tête  de  cette  école  Jean 
Chardon,  réfugié  de  France  et  théologien,  qui  assistait  dans  ses 
fonctions  le  ministre  de  Clairegoutte,  Firmin  Dominique,  sans 
porter  le  titre  de  diacre  ^  En  1586,  c'est  un  laïque,  Christophe 
Poinsard,  d'Héricourt,  et  après  lui,  Marc  Girodin,  également 
laïque.  Ce  dernier  avait  été  nommé  en  1583  tabellion  subrogé  ou 
adjoint  pour  les  villages  de  la  seigneurie  ou  terre  d'Etobon,  trop 
éloignée  de  Montbéliard,  et  il  remplit  cette  fonction  jusqu'à  sa  mort 
arrivée  en  1635^ 

La  paroisse  à'Etobon  reçut  un  maître  d'école  vers  1580,  et  c'est 
sans  doute  de  cette  même  époque  que  date  la  construction  de  sa 
première  maison  d'école  qui,  comme  toutes  les  autres,  ne  devait 
être  qu'une  pauvre  chaumière  à  peine  logeable  et  plus  propre  à 
abriter  le  bétail  qu'à  recevoir  des  êtres  humains. 

1.  Il  est  vrai  qu'alors  et  plus  tard  encore,  on  n'apprenait  généralement  pas 
à  écrire  aux  filles,  de  peur,  disait-on,  qu'elles  ne  fussent  tentées  de  correspondre 
avec  leurs  amoureux  ou  galants. 

2.  Jean  Chardon  était  instruit  pour  son  temps  et  surtout  dans  la  langue 
latine.  A  l'occasion  du  mariage  du  comte  Frédéric  de  Montbéliard  avec  Sybilc, 
princesse  d'Anhalt,  célébré  à  Stuttgard  le  23  mai  1581,  il  fit  imprimer  à  Bâle 
un  cpithalame  en  vers  latins  dédié  aux  nouveaux  époux.  Il  quitta  le  pays  de 
Montbéliard  peu  d'années  après. 

3.  Le  tabellion  était  un  fonctionnaire  chargé  de  passer  les  contrats  d'aliéna- 
tion d'immeubles,  tandis  que  le  notaire  rédigeait  les  testaments,  les  contrats  de 
mariage,  les  donations  entre  vifs,  les  titres  d'obligations  et,  en  général,  tou 
ce  qui  n'était  pas  de  la  compétence  du  premier. 


i8i2  MÉLANGES. 

La  paroisse  de  Saint  Maurice^  avait,  dans  le  même  temps,  un 
maître  d'école  résidant  dans  la  filiale,  Colombier- Fontaine  (ou  Colom- 
bier-Savoureux), village  tout  à  fait  excentrique,  érigé  bientôt  (1581) 
en  paroisse  distincte  avec  Claude  Debout  pour  ministre  et  que 
nous  voyons  déjà  supprimée  en  1635.  De  même  pour  celle  de  Saint- 
Julien,  alors  composée  de  six  villages  ou  sections.  C'était,  dans 
celte  paroisse,  le  sieur  Jean-George,  qu'il  n'est  pas  permis  de  ranger 
au  nombre  des  instituteurs  ordinaires.  Nous  voyons,  en  effet,  en 
1588,  les  élèves  des  écoles  de  Montbéliard  jouer,  sur  la  place 
d'Armes  de  cette  ville,  une  pièce  dramatique  en  vers  de  sa  compo- 
sition intitulée  la  Tragique  Comédie  et  publiée  par  son  auteur  en 
1609  à  Montbéliard,  «  en  la  quelle,  y  est-il  dit,  l'histoire  des  deux 
grièves  tentations  desquelles  le  patriarche  Abraham  a  été  exercé 
(l'expulsion  d'Agar  et  d'Ismaël  et  le  sacrifice  d'Isaac)  est  représentée. 
La  pièce  fut  aussi  jouée  à  Saint-Julien. 

Le  fait  étonnera  moins  quand  nous  rappellerons  qu'à  cette  époque 
les  éducateurs  de  l'enfance  étaient  souvent  des  ecclésiastiques 
chargés  de  remplir  ces  fonctions  obscures  et  ingrates  en  attendant 
qu'ils  fussent  placés  à  la  tète  d'une  paroisse  pour  y  exercer  le 
ministère  évangélique.  Les  bourses  créées  au  Séminaire  de  Tubingue 
par  codicille  du  comte  George  I",  du  4  avril  1557,  en  faveur  d'un 
certain  nombre  d'étudiants  en  théologie  de  la  principauté  de  Mont- 
béliard avaient,  dès  l'année  1560,  attiré  dans  cet  établissement  une 
foule  de  jeunes  gens  peu  fortunés  auxquels  la  carrière  pastorale 
offrait  un  avenir  assuré,  de  sorte  qu'à  partir  de  celte  époque  le 
ministère  put  se  recruter  presqu'exclusivement  de  sujets  indigènes, 
et  que  l'on  ne  vit  plus  à  la  tête  de  nos  églises  que  quelques  rares 
ministres  venus  de  l'étranger. 

Nous  lisons  dans  les  Actes  du  Consistoire  de  Vyans  de  l'année 
1617  qu'un  habitant  de  ce  village^,  chef-lieu  de  la  paroisse  de  ce 
nom,  fut  cité  à  la  barre  du  Consistoire  (à  l'église)  et  «  illùc  censuré 

1.  Le  village  de  Saint-Maurice  avait  dû  remplacer  le  liameau  du  Ghàtelot 
comme  chef-lieu  de  la  seigneurie  de  ce  nom  vers  lu  milieu  du  xvi''  siècle. 

2.  En  1670,  Vyans  comptait  quarante  Iiabitants  formant  neuf  ménages.  Il  est 
vrai  que  la  guerre  de  Trente  Ans  avait  bien  décimé  sa  population,  qui  ne  devait 
cependant  guère  s'élever,  cinquante-trois  ans  auparavant,  au-dessus  de  soixante- 
dix  âmes.  Bussurel,  son  annexe,  renfermait  douze  ménages  en  1681  (à  peu 
près  quatre-vingt-dix  âmes). 


MÉLANGES.  183 

et  châtié  à  une  amende  de  neuf  gros  pour  avoir  maudit  et  baillé 
à  tous  les  diables  ceux  qui  étaient  cause  qu'il  y  avait  un  maistre 
d'eschole  dans  la  paroisse  ».  Ce  fait  ne  semblerait-il  pas  autoriser 
la  supposition  que  ce  maître  n'y  était  installé  que  depuis  peu  de 
temps  et  que  la  paroisse  n'en  avait  été  pourvue  que  tardivement. 

II  montre  tout  au  moins  que  sa  nomination  n'était  pas  vue  d'un 
bon  œil  par  tout  le  monde,  ce  qui  n'a  pas  lieu  de  surprendre  quand 
on  connaît  les  idées  que  se  formaient  de  l'instruction  les  populations 
villageoises  et  leur  éloignement  héréditaire  pour  tout  travail  de 
l'esprit. 

Les  écoles  primaires  ou  petites  écoles  (écoles  de  petits  enfants) 
devaient  être  alors,  chez  les  réformés  de  France,  en  plus  grand 
nombre  que  chez  nous,  a  tout  ce  que  nous  connaissons  des  anciens 
protestants  des  classes  populaires  nous  prouvant  qu'ils  possédaient 
à  un  degré  étonnant  les  saintes  Écritures,  ce  qui  suppose  qu'ils 
avaient  reçu  une  instruction  primaire  »  (M.  le  professeur  Michel 
Nicolas,  dans  le  Bulletin  de  la  Société  de  rHisloire  du  Protes- 
tantisme français,  tome  IV,  page  500).  Avant  la  révocation  de  l'édit 
de  Nantes,  le  1(S  octobre  1685,  il  y  avait  au  moins  une  école  dans 
chaque  église  et  plusieurs  existaient  dans  la  plupart  d'entre  elles. 
C'est  ce  qu'on  peut  conclure  entr'autres  d'un  arrêt  du  4  décembre 
1671  qui  interdisait  aux  réformés  d'avoir  plus  d'une  école  en  chaque 
lieu  où  l'exercice  public  de  leur  culte  était  autorisé. 

«  Vers  1715  on  en  voyait  partout  dans  les  Cévennes;  aucun  village 
ne  manquait  ni  d'école,  ni  de  régent;  la  plupart  même  avaient  une 
maîtresse.  C'est  que  ces  contrées  reculées  avaient  été  le  dernier 
asile  du  protestantisme  persécuté,  les  prescriptions  des  édits  de  1698 
et  de  1724  y  avaient  été  exécutées  avec  plus  de  soin  qu'ailleurs  et 
l'obligation  édictée  dans  ces  lois  n'y  était  pas  restée  lettre  morte  » 
(Maggiolo  :  De  l'enseignement  primaire  dans  les  Hautcs-Cévennes 
avant  et  après  1789.  Nancy,  1879,  page  23). 

Notre  pays,  malgré  tout  le  bon  vouloir  que  montraient  ses  gou- 
vernants pour  l'instruction  populaire  et  les  sages  et  utiles  règlements 
qu'ils  édictaient  à  son  sujet,  était  loin  de  présenter  un  pareil  spec- 
tacle, et  pour  ce  qui  concerne  en  particulier  les  maîtresses  d'école, 
aucune  ou  presqu'aucune  de  nos  communes  rurales  n'en  a  connu 
avant  ces  derniers  temps. 

La  guerre  de  Trente  Ans  fut  funeste  aux  écoles  villageoises  plus 


184  MÉLANGES. 

encore  qu'aux  écoles  urbaines.  Elle  décima  nos  paisibles  et  inoffen- 
sives populations  campagnardes  et  promena  par  toute  la  principauté 
ses  ravages  et  ses  fureurs,  n'épargnant  ni  âge,  ni  sexe,  ni  condition. 
La  mortalité,  causée  surtout  par  la  peste  de  1627  et  celle  de  1635, 
s'abattit  sur  les  maîtres  de  l'enfance  comme  sur  les  ministres,  dont 
la  tâche  excédait  les  forces  et  auxquels  elle  laissait  à  peine  le  temps 
de  respirer.  Quinze  de  ces  derniers  (la  moitié  du  nombre  total) 
succombèrent  à  l'horrible  épidémie,  qui  moissonna  un  nombre  à 
peu  près  égal  d'instituteurs.  Toutes  les  classes  durent  être  forcément 
fermées  et  les  leçons  suspendues  à  la  campagne  comme  à  la  ville. 
Plusieurs  maisons  d'école,  au  milieu  des  hostilités  sans  cesse  renais- 
santes, furent  réduites  en  cendres  avec  beaucoup  d'autres  habitations, 
et  le  malheur  des  temps  ne  permit  point  de  les  relever  aussitôt  après 
que  le  double  fléau  de  la  pesle  et  de  la  guerre  se  fut  éloigné.  On  dut 
alors,  en  bien  des  endroits,  louer  aux  frais  des  communautés,  pour 
y  retirer  les  enfants,  des  maisons  particulières,  disons  mieux,  de 
véritables  huttes  où  tout  faisait  défaut,  l'air,  la  lumière,  la  salubrité, 
et  où  souvent  c'est  à  peine  si  l'on  parvenait  à  se  mettre  à  l'abri  des 
intempéries. 

Pour  remédier  à  cette  triste  situation  causée  par  la  guerre  et  ses 
fureurs,  le  duc  Léopold-Frédéric,  aussitôt  ([u'un  peu  de  calme  et 
d'ordie  eut  succédé  à  l'orage  qui  s'était  déchaîné  sur  notre  pays, 
décréta,  vers  le  milieu  du  xvii'  siècle,  l'établissement  d'un  institu- 
teur laujuc  dans  tous  les  villages  de  chaque  paroisse,  les  élèves 
devant  rester  réunis  pour  les  deux  sexes  comme  auparavant.  Cette 
mesure  était  sans  doute  inspirée  par  un  sentiment  véritable  du 
bien  général,  mais  elle  était  prématurée,  et  son  exécution,  rendue 
impossible  par  les  circonstances  d'alors,  ne  pouvait  venir  qu'avec 
le  teuips  et  des  conjonctures  plus  favorables.  Le  successeur  de 
Léopold-Frédéric,  le  prince  George  II,  renouvela  la  prescription, 
mais  en  la  limitant  d'abord  aux  communes  possédant  une  église 
filiale  fvillage  avec  un  temple  et  services  réguliers),  et  il  paraît 
certain  que  de  1660  à  1670  des  maîtres  d'école  furent  institués 
dans  toutes  les  localités  où  il  existait  une  pareille  église.  La  règle  a 
dû  sonJTrir  peu  d'exceptions. 

Ch.  Roy,  pasteur. 
{Suite.) 


BfBLIOGRAPIIîE 


REPERTOIRE 


I.  BIOGRAPHIES.  —  Jules  Vuy,  Le  réformateur  Froment  et 
sa  première  femme,  esquisse  historique  qui  essaie  d'interpréter, 
au  point  de  vue  catholique,  les  document  pul)liés  et  déterminés  par 
MM.  Révilliod  et  Rilliet.  Paris,  Palmé,  1883,  in-8''  de  42  pages.  — 
L'étude  de  M.  Gaberel  sur  Jean  Lecomte  de  la  Croix  d'Étaples 
(Evangile  et  liberté,  30  novembre  et  7  décembre  1883)  renferme 
quelques  détails  curieux  sur  Lefèvre  d'Étaples;  rectifications  de 
quelques-unes  de  ses  assertions,  par  M.  Daniel  Benoit  (même  jour- 
nal, 21  décembre  1883).  Dans  la  Reçue  critique  dliistoire  et  de 
littérature  (IG  juillet  1883),  le  compte  rendu,  par  M.  Douen,  de 
l'ouvrage  de  M.  de  Félice  sur  Lambert  Daneau  renferme  une 
longue  dissertation  substituant,  avec  beaucoup  d'érudition  cri- 
tique, dans  les  salutations  d'une  lettre  de  Daneau,  au  nom  de  Ron- 
sard, celui  du  conseiller  Jacques  Roillard  ou  Rouillard. — Tamizey 
DE  Larroque,  Fontrailles  et  Montesquiou,  corrobore  l'opinion  que 
Condé,  à  la  bataille  de  Jarnac,  fut  tué  par  Montesquiou  {Revue  de 
Gascogne,  t.  XXIII,  1882,  Arch.,  p.  371;  voir  aussi  Bulletin  de 
la  Soc.  des  Archives  historiques  de  Saintonge,  1882).  Sur  du 
Bartas  :  Léonce  Couture,  Les  armoiries  des  duBartas,  d'après 
un  tableau  trouvé  au  château  du  Bartas  près  Cologne-du-Gers  : 
«  Parti,  au  premier,  d'or  à  la  tourterelle  d'azur,  les  ailes  déployées, 
becquée  et  membrée  de  gueules;  au  deuxième,  parti  de  sinople  au 
lion  d'or,  armé  et  lampassé  de  gueules,  et  d'argent  à  la  croix  double 
de  gueules  posée  en  bande.  L'écu  orné  de  feuillage  d'acanthe.  » 
{Revue  de  Gascogne,  t.  XXIII,  p.  %).—[bid.  p.  292-204  :  Le  même 
avec  T.  de  L.  et  le  B^"  de  Frère  de  Peyrecave,  Explication  d'un 
passage  obscur  de  du  Bartas,  et,  p.  489,  Inscription  commémora- 
tive  de  du  Bartas.  —  Beauchet-Filleau,  Notes  sur  le  ministre 


186  BIBLIOGRAPHIE. 

Marc  Fossa,  un  des  exécuteurs  testamentaires  de  Joseph  Desfon- 
tailles,  fondateur  du  collège  de  Melle  {Bull,  de  la  Soc.  de  statis- 
tique des  Deux-Sèvres,  Niort,  janvier,  mars,  1881).  —  H.  Mon- 
ceaux, Gravures  en  bois  portant  le  monogramme  de  Jean  Cousin, 
UArt,  t.  XXIV,  2=  trim.  de  1881.  —  Jules  Loiseleur,  Jacques 
Androuet  du  Cerceau,  ses  séjours  et  ses  travaux  dans  VOrUa- 
nais.  {L'Art,  t.  XXIX,  ^'  trimestre  de  1882).  —  Revillout  (Gh.), 
Le  jurisconsulte  Jules  Pacius  de  Bériga  avant  son  établisse- 
ment à  Montpellier  (1550-1602),  Montpellier,  Behm  et  fils,  1882, 
30  pages.  —  Henri  Lepage,  Les  mémoires  de  Michel  de  la  Huguerye 
(Addition  et  mort  de  l'auteur,  assassiné  le  26  juillet  1616)  [Journal 
de  la  Société  d'Archéologie  lorraine,  31^  année,  Nancy,  1882,  p.  43 
à  58].  —  Tamizey  de  Larroque,  Lettres  inédites  de  Saumaise.  Ces 
lettres  sont  au  nombre  de  trente-cinq  et  adressées  à  Peiresc  et  à 
Jacques  Dupuy  {Mémoires  de  V Académie  de  Dijon,  3'  série,  t.  VI ï, 
Dijon,  1883).  — M.  Eug.  Hatin  dans  sa  Biographie  de  Théophraste 
Benaudot  (Poitiers,  Oudin,  1883)  incline  à  croire  que  Renaudot, 
«  né  dans  la  religion  réformée,  se  sera  converti  au  catholicisme  à 
la  voix  de  son  ami,  le  père  Joseph,  et  peut-être  un  peu  aussi  à  celle 
de  son  intérêt  bien  entendu.  » 

II.  GUERRES  DE  RELIGION,  PROTESTANTISME  DANS  LES 
PROVINCES.  —  Cauvin  (Charles),  Henri  de  Guise  le  Balafré.  His- 
toire de  France  de  1583  à  1589,  Tours,  Maine,  1881,  grand  111-8° 
de  376  pages.  Plaidoyer  ultra-catholique.  —  Bévue  des  questions 
historiques,  \"  juillet  1883  :  Les  derniers  jours  de  la  Ligue  (La 
France  en  1592.  États  de  1593.  Absolution  de  Henri  IV),  par 
H.  DE  Lépinois;  l'""  octobre  1883  :  l'Entrevue  de  Bayonne  (1565), 
par  H.  DE  La  Perrière.  Préméditation  de  la  Saint-Barthélémy,  textes 
nouveaux  à  l'appui.  —  Bévue  des  sociétés  savantes  des  dépar- 
tements, t.  V,  1882,  in-8°,  p.  418  et  410.  Commission  donnée  par 
Calhoine  de  Médicis,  le  8  octobre  1578,  pour  veiller  à  l'exécution 
de  l'édit  de  pacification  qui  avait  suivi  la  paix  de  Bergerac  (1577). 
—  E.  Halphen,  Lettres  itiédites  de  Henri  IV  à  M.  de  Bellièvre 
(1602),  Paris,  Champion,  1881,  in-8",  en  renferme  entre  autres  une 
qui  commande  au  chancelier  de  poursuivre  ceux  qui  ont  injurié  les 
archers  du  guet  accompagnant  le  corps  d'un  protestant.  —  M.  de 
RicnEMOND,  archiviste  de  la  Charente-Inférieure,  vient  de  publier 
un  nouveau  volume  de  l'Inventaire  sommaire  des  Archives  de  ce 


BIBLIOGRAPHIE.  187 

département  (Série//,  supplément  de  148  pages  in-4°,  1883).  Nous 
y  apprenons  (p.  2,)  qu'  «  avant  la  révocation  del'édit  de  Nantes,  dès 
le  31  août  1685,  les  biens  des  consistoires  de  la  religion  réformée, 
l'emplacement  des  temples  démolis  et  des  cimetières  profanés 
furent  partagés  entre  les  couvents.  Six  neuvièmes  furent  attribués 
à  l'hôpital,  deux  neuvièmes  aux  charitains  et  un  neuvième  aux  hos- 
pitalières. Les  armes  royales  sculptées  au  fronton  du  prêche  de  la 
Ville-Neuve  (dont  une  rue  garde  encore  le  nom)  ornent  la  massive 
façade  de  la  chapelle  de  l'hôpital  Saint-Louis.  »  Cet  hôpital  reçut 
(p.  9)  les  matériaux  et  l'emplacement  du  susdit  prêche,  construit  le 
1"  mars  1630,  pour  remplacer  le  grand  temple  de  la  place  du  Châ- 
teau converti  en  cathédrale,  et  démoli  le  30  mars  1685,  en  exécu- 
tion d'une  sentence  du  parlement  de  Paris  du  18  janvier,  qui  en- 
voyait les  pasteurs  à  la  Bastille,  interdisait  l'exercice  de  leur  culte 
et  devançait  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes.  Le  domaine  du 
Plessis  fut  alors  vendu  aux  Pères  Jésuites  qui  le  gardèrent  jusqu'à 
l'arrêt  du  Parlement  du  6  août  1672.  L'hôpital  général  ne  fut  pas 
seulement  un  établissement  charitable,  il  devint  un  lieu  de  déten- 
tion pour  les  malheureuses  femmes  religionnaires,  arrêtées  par  la 
maréchaussée  pour  avoir  lu  l'Évangile  et  prié  aux  assemblées  du 
Désert  (C.  135).  Les  séries  G,  D,  E,  G,  H  de  cet  important  dépôt 
ont  été  précédemment  inventoriées  par  le  même  archiviste  (voy. 
1. 1,  De  l'Inventaire  sommaire,  1877).  La  préface  de  ce  volume  nous 
apprend  (p.  7)  que  le  fonds  des  religionnaires  comprend  dix-huit 
articles  formant  des  volumes  reliés,  in-folio,  1666-1789,  et  (p.  10), 
que  le  supplément  à  la  série  E  se  compose  des  registres  de  bap- 
têmes, mariages,  communions  et  sépultures  de  l'Église  réformée  de 
La  Rochelle  depuis  1561  jusqu'à  1791.  «  Le  rôle  joué  dans  l'histoire 
du  protestantisme  français  par  la  ville  de  La  Rochelle  donne  une 
importance  particulière  à  ces  registres  où  se  pressent  les  plus  grands 
noms  du  xvr  et  du  xvii"  siècle  :  capitaines,  théologiens,  savants, 
poètes,  magistrats,  marins,  etc.  Jean  de  la  Haize,  avocat,  poète, 
érudit;  Jean  Pierres,  jurisconsulte;  François  de  la  Noue,  grand 
capitaine  et  moraliste;  Jacques  Esprinchard,  savant  voyageur;  Le- 
fèvre,  humaniste  illustre;  les  pasteurs  Jean  de  l'Espine,  Odct  de 
Nord,  Rotan,  Maigneau,  Boysseul,  Loumeau,  Chanet,  Golomiez, 
Merlin,  Philippe-Vincent,  de  l'Ortie,  de  Tandebaratz,  Drelincourt, 
de  Laizement,  etc.  ;  l'historien  Amos  Barbot  ;  l'avocat  David  Defos, 


188  iJii!LiO(^.aAr'iiiE. 

les  annalistes  Mervault,  Raphaël  Collin,  Georges  Reveau,  Boucher 
de  Beauval,  Abraliaiu  Texereau;  le  général  Ratuit,  comte  de  Sou- 
ches; le  savant  des  Agiiliers;  la  famille  Tallemant;  le  maire  Jean 
Guiton;  les  imprimeurs  llaultin,  typographes,  fondeurs  de  carac- 
tères et  érudits;  le  médecin  Bouhereau,  érudit;  les  savants  Baulot, 
Seignelte;  les  familles  Vivier,  Fleuriau,  etc.;  le  poète  et  historien 
Agrippa  d'Aubigné.  »  —  H.  Imbert,  Documents  historiques  sur 
Thouars  et  les  environs  (Thouars,  1879).  Deux  séries  ont  paru  : 
dans  la  première  on  relève  :  Registre  du  Consistoire  de  Véglise  de 
Tliounrs,  1594-1G15  (de  la  page  14'2  à  la  page  176);  Permission 
far  Henri  de  la  TrémoUle  de  bâtir  le  temple  de  Thouars,  20  mars 
1640.  Lettres  du  même  sur  cette  construction  ;  dans  la  seconde, 
Biographie  de  Claude  et  de  Henri  de  la  TrémoUle.  —  On  a 
réimprimé  à  Nantes  (Forest  et  Grimaud,  1881)  l'opuscule  :  La  def- 
faicte  des  troupes  de  Monsieur  de  Soubise  et  de  la  Cressonnière, 
son  lieutenant,  par  le  sieur  des  Roches  Barilaut,  es  païs  du  bas 
Poiclon  ;  ensemble  la  mort  dudit  sieur  de  la  Cressonnière  et  de 
plusieurs  autres  rebelles  à  Sa  Majesté  ;  avec  la  vraye  relation  do 
tout  ce  qui  s'est  passé  en  icelle  tant  d'une  part  que  à  autre  (102:2). 
—  Dans  le  Bulletin  de  laf^ociété  historique  de  Périgord,  t.  IX, 
Pcrigueux,  1882,  in-8%  p.  90-98  :  Série  de  lettres  inédites  relatives 
à  la  reprise  de  Périgueux  par  les  catholiques,  le  26  juillet  1581, 
par  M.  Dupuy;  —  dans  les  Mémoires  de  la  même  Société,  Péri- 
gueux,  1882,  p.  329  à  350,  Larocue  (Cn,),  Montignac-le-Comte 
au  xxi"  siècle,  Description  dn  château  qui  relevait  de  la  couronne 
de  Navarre  et  Notice  historique  sur  les  événements  qui  s'y  passè- 
rent de  1561  à  1594  pendant  les  guerres  de  religion.  —  Revue  histo- 
rique du  Tarn,  3"  vol.  (1880-1881),  Albi,  impr.  Nouguiès,  1881. 
Anonyme  :  La  chambre  de  Védità  Liste  (p.  26-28)  années  1579- 
1585,  d'après  les  Archives  municipales.  —  Pages  269-273  :  Joli- 
rois  (E.),  Notes  extraites  des  archives  communales  de  Boissezon 
pour  servir  à  l'histoire  des  Albigeois  pendant  la  guerre  contre 
les  protestants  sous  Louis  XIII,  1621-1630  :  —  p.  322-325.  Ano- 
nyme :  Lettres  du  duc  de  Rohan  à  Madiame  et  aux  consuls  de 
Castres,  1621. —  Bulletin  archéologique  de  Tarn-et-Garonne, 
t.  X,  année  1882,  Monlauban,  in-8».  —  Pages  13-32  :  Moulenq 
(François),  Documents  historiques  sur  le  Tarn-et-Garonne;  Castel- 
sagrat,  Détails  sur  l'église  réformée  de  cette  localité  auxxvi"  et  xvii' 


BIBLIOGRAPHIE.  189 

siècles.  —  M.  le  P'  0.  de  Grenier-Fayal  a  publié,  en  4G  pages 
in-S",  d'après  le  texte  original  que  lui  a  communique  M.  Dumas 
de  Rauly,  archiviste  du  Tarn-et-Garonne,  le  Synode  {provincial 
7'éuni  à)  Réalmont  en  1606,  Montauban,  1883.  Ce  synode  n'avait 
pas  encore  été  retrouvé  dans  la  série  TT.  des  Archives  nationales. 
Dans  les  pièces  justificatives  de  la  monographie  des  communes  du 
canton  deLautrec,  parM.  Élie  Rossigîsol  (Toulouse,  1883,  in-8°  de 
306  pages),  il  y  en  a  qui  intéressent  l'histoire  protestante,  comme 
celle  qui  raconte  les  événements  dont  le  couvent  de  Lautrec  fut  le 
théâtre  en  1568.  Le  même  décrit  la  Commanderie  de  Saint-Antoine 
du  Viennois  dans  le  Bulletin  de  la  Société  archéologique  du  midi 
de  la  France  (Toulouse,  1881, 111-4").  —  Charles  Pradel,  Notice 
sur  riniprimerie  à  Castres^  suivie  d'un  Catalogue  des  livres 
imprimés  dans  cette  ville,  de  1605  à  1789.  {Mémoires  de  V Aca- 
démie de  Toulouse,  %"  série,  t.  IV,  l"--  et  2''  trimestres,  1882-1883). 
—  L'on  a  réimprimé  à  Yssingeaux  (Micolon,  1881),  Deffaite  très 
véritable  de  cinq  cens  hommes  (de  Privas),  rebelles  à  Sa  Majesté 
qui  s'étoient  glissés  clans  le  Velay  pensant  surprendre  quelque  ville 
pour  leur  asseurance,  par  M.  de  Ghate  et  autre  noblesse  du  pays  (le 
16  août  1621);  et  dans  «  V  Ancien  Forez  (mars  à  décembre  1882, 
Moutbrison),  Un  épisode  inconnu  des  guerres  de  la  Ligue  dans 
le  Forez,  plaquette  très  rare  sur  le  combat  de  Virecul,  13  décembre 
1586,  distinct  de  celui  de  Mélrieux  qui  est  du  9  décembre.  —  A. 
Lagier,  Notes  historiques  sur  Tréminis  (Isère),  Grenoble  1881, 
105  pages,  parle  des  protestants  dans  cette  localité,  depuis  la  Ré- 
formejusqu'ànosjours.  —  L.  Niepce,  Les  monumments  d'art  de 
la  primatiale  de  Lyon,  détruits  ou  aliénés  pendant  Voccupation 
protestante  de  1562,  Lyon,  Georg,  1881,  in-8°  de  106  pages.  — 
G.  Herelle,  Notice  sur  la  [création  de  Véchevinage  de  Vitry-le- 
François  (p.  45-118).  Denis  Varnier,  lieutenant  criminel  et  chef 
des  protestants,  disputa  longtemps,  mais  inutilement,  la  charge  de 
président  du  conseil  de  ville  à  Antoine  Linage,  lieutenant-général 
au  baillage.  L'échevinage  fut  créé  par  arrêt  du  conseil  d'Etat  du 
29  juillet  1603  {Société  des  sciences  et  arls  de  Vitry-le-François, 
t.  X,  1879-1881). 

4.  REFUGE,  RÉVOCATION,  DÉSERT  :  The  Academy,  1883,  24 
novembre.  —  Robinson  :  licgister  of  Merchant  Taylur's  schooL, 
vol.  II,  1699-1874  (indications  généalogiques,  entre  autres  pour  le 


190  BIBLIOGhAPillE. 

Refuge).  —  Dans  la  Zeitschrift  des   Vereins  fur  Hamburgische 
Geschichte  (Neue-¥o\s;e,  IV,  livr.  4)  Sillem,  surFHistoire  des  Néer- 
landais à  Hambourg  depuis  leur  arrivée  jusqu'à  la  signature  du  con- 
trat néerlandais  en  1605  (avec  la  liste  des  réformés  wallons-flamands 
réfugiés  à  Hambourg,  celle  des  anciens  et  des  diacres  réformés  à 
Stade,  de  1588-1618,  et  à  Hambourg,  de  1602  à  1618,  etc.).  —  Du 
MÊME  :  Deux  séances  de  réformés  néerlandais  à  Hambourg  en  1621 
et  1622,1a  première,  à  Hambourg  devant  le  palatin  fugitif,  Frédéric 
de  Bohême;  l'autre  à  Pinneberg  devant  le  comte  Jobst  H.  de  Scliaum- 
berg,  d'après  les  Archives  de  la  communauté  réformée  de  Ham- 
bourg {Mitheilungen  des   Vereins,  Hambourg,  1882).  —  Sains- 
BURY  (W.  Noël)  :  The  first  seulement  of  french  protestants  in 
America  (Le   premier  établissement   des   protestants  français  en 
Amérique).  {The  Antiquary,  1881,  pp.  101-103  et  164-167).  — 
A.  DE  Rochas  d'Aiglun  :  Pensées  et  mémoires  poliliques  inédits 
de  Vauban  (Paris-Guillaumin,  1882,  in-8''  de  46  p.  (Extrait  du 
Journal  des  Économistes).  Le  quatrième  et  dernier  de  ces  mé- 
moires est  la  forme  définitive,  incomplètement  connue  jusqu'ici,  des 
Réflexions  sur  la  guerre  présente  et  sur  les  nouveaux  convertis 
(p.  5,  1693).  —  Gh.  Dardier  :  A  propos  d'un  abbé  à  un  pasteur, 
1759;  Antoine  de  Valette  de  Taverne;  J.  Crinsoz,  seigneur  de 
Bionens  et  de  Cottens;  Préoccupations  apostoliques  des  Pasteurs 
du  Désert  (Nîmes,  1883,  52  pages  in-8'').  —  M.  Frank  Puaux 
montre,  par  quelques  documents  empruntés  aux  archives  du  minis- 
tère de  la  guerre,  et  qu'il  publie  dans  VÉglise  libre  (25  janvier 
1884),  comment  Bâville  parvenait  à  capturer  certains  prédicants  du 
Désert,  comme  Boisson  ou  Bauzon,  surnommé  Lallemand  ;  Dombres, 
ancien  de  Saint-Paul-Ia-Cosle,  qui  furent  exécutés,  M.  de  Valescure, 
qui  fut  condamné  aux  galères  (1689),  etc.  —  Du  même  (Journal 
du  Protestantisme,  10  janvier  1884)  :  Une  lettre  de  Louvois  à  Bâ- 
ville où  il  estquestion  de  dépeupler  les  Cévennes  (21  octobre  1686). 
VÉglise  libre  reproduit  quelques  lettres  inédites  de  pasteurs  du 
Déseil  (Ilibes  et  Combes)  adressées  à  M.  Bouc  de  la  Mazade  (Lozère) 
de  1755  à  1773  (7  et  14  décembre  1883),  et  M.  Ferd.  Teissier  en 
donne  encore  une  de  Bonnemci'c  (voirie  dernicA- Béperto ire),  adres- 
séeà M.  Donnadieu,  maître  coi'donnier  à  Montpellier  (UEvangéliste 
du  28  décembre  1883).    —   Enfin  ,lor.EZ  (A.),  La  France  sous 
Louis  XVI,  t.  II  (Paris,  Didier,  1881,  in-8''),  parle,  entre  autres, 


NÉCKOLOGIE.  191 

des  réclamations  de  l'assemblée  du  clergé  de  1780  au  sujet  des  pro- 
testants. 

5.  VARIA.  —  Notes,  entre  autres  sur  Goudimel  dans  J.  Sittard, 
Compendium  der  Geschichte  der  Kirchenniusik  mit  besonderer 
Berucksichtigung  des  kirchlichen  Gesanges  von  Ambrosius  zur 
Neuzeit,  Stuttgart,  Lugund  MûUer,  1881,  in-8°.  (Manuel  de  Vhis- 
toire  de  la  musique  d'Église). —  Diettricii,  Regesten  und  Briefe 
des  Cardinals  Gaspar  Conlarini  (Correspondance  de  Contarini), 
1483  à  1542  (1881)  :  Cet  ouvrage  donne  d'intéressants  détails  sur 
les  essais  de  réforme  tentés  au  xvi'  siècle  au  sein  de  l'Église  catho- 
lique. On  trouvera  une  étude  de  M.  H.  Louchay  sur  les  Edits  des 
princes-évêques  de  Liège  en  matière  dliérésie  au  xvf  siècle;  et 
une  autre  de  M.  Frédéricq,  sur  VEnseignement  public  des  calvi- 
nistes «  Gawrf  (1578-1584),  dans  les  travaux  du  Cours  pratique 
d'histoire  nationale,  de  Vaul  Frédéricq,  université  de  Liège  (Gand 
et  La  Haye,  1883),  M.  Staehelin  passe  en  revue  les  ouvrages  pu- 
bliés de  1879  à  1883  sur  VHistoire  de  la  Réforme  en  Suisse,  dans  la 
Zeitschrift  fur  Kirchengeschichte  (Band  VI,  Heft  3). 


NÉCROLOGIE 


M.  MIGNET 


La  France  et  l'Institut  viennent  de  faire  une  grande  perte  en  M.  Mignet, 
doyen  de  l'Académie  française,  secrétaire  perpétuel  honoraire  de  l'Aca- 
démie des  sciences  morales  et  politiques,  le  dernier  survivant  de  la 
grande  école  historique  qui  demeure  l'honneur  de  ce  siècle. 

Né  à  Aix  en  17;)6,  hoursicr  au  lycée  d'Avignon  en  1809,  François  Mignet 
fit  son  cours  de  droit  dans  sa  ville  natale,  oîi  il  eut  pour  condisciple 
Adolphe  Thiers,  auquel  l'unit  une  amitié  qw  a  duré  autant  que  leur  vie. 
Attirés  tous  deux  à  Paris  en  tcS2t,  par  de  précoces  succès  académiques, 
dans  toute  l'ardeur  de  la  jeunesse  et  du  talent,  ils  se  ])artagèrent 
l'étude  de  la  Révolution  française,  dont  l'un  fut  le  narrateur  brillant  et 
l'autre  le  théoricien  profond,  ne  demandant  i)as  même  à  l'histoire  une  di- 
version aux  luttes  animées  de  la  presse,  aux  déljats  retentissants  de  la 
tribune,  qui  préparèrent  la  révolution  de  1830. 

Thiers  et  Mignet  prirent,  comme  rédacteurs  du  National,  une  grande 


192  NÉCROLOGIE. 

part  à  ravènement  de  l'ordre  de  choses  nouveau,  où  leur  place  était 
marquée.  Mignct  n'y  chercha  que  la  satisfaction  des  goûts  historiques 
auxquels  il  a  su  demeurer  toujours  fidèle.  Nommé  directeur  des  Archives 
au  ministère  desallaires  étrangères,  il  y  puisa  la  mati^re  de  ses  admi- 
rahles  travaux  sur  les  négociations  relatives  à  la  succession  d'Espagne, 
véritahle  histoire  diplomatique  du  règne  de  Louis  XIV,  qui  s'arrête  à  la 
paix  deîNimègue,  et  que  résume  une  introduction  justement  considérée 
comme  un  chef-d'œuvre.  Le  xvr  siècle  n'attirait  pas  moins  Mignet.  Bien 
jeune  encore  il  avait  donné  à  l'Athénée  des  lectures  sur  la  Uéforme  qui 
laissèrent  une  impression  ineffaçable  à  des  auditeurs  d'élite.  Il  songeait 
même  à  écrire  l'histoire  de  la  grande  rénovation  politi(}ue  et  religieuse 
pour  laquelle  il  n'a  jamais  cessé  de  recueillir  des  matériaux.  A  cet  ordre 
d'idées  se  rattachent  le  hcan Mémoire  sur  fétablissenieiit  de  la  Reforme 
à  Genève,  et  les  articles  non  moins  remarcjuables  qu'il  consacra  plus 
tard  aux  Lettres  françaises  de  Calvin  dans  le  Journal  des  savants,  de 
1856-1857,  où  ce  trésor  ne  doit  pas  demeurer  enseveli.  Un  volume  sur 
Calvin  plusieurs  fois  annoncé  ne  déparera  pas  l'œuvre  du  maître,  et 
montrera  sous  son  double  aspect  la  révolution  accomplie  dans  la  cité  dn 
Léman. 

La  plupart  des  ouvrages  publiés  par  M.  Mignet  se  rapportent  à  la 
grande  époque  dont  il  avait  fait  comme  son  domaine  favori.  Antonio 
Ferez,  Chnrles-Quint  à  Saint-Juste,  Marie  Stuart,  autant  d'épisodes 
tracés  de  main  de  maître,  qui  trouvent  un  digne  complément  dans  la 
Rivalité  de  François  I"  et  de  Charles-Quint  où  la  maturité  de  l'expé- 
rience n'a  rien  ôté  au  charme  et  à  l'éclat  du  talent.  Mais  c'est  à  l'Acadé- 
mie des  sciences  morales  et  politiques  que  M.  3Iignet  réservait  ses  mor- 
ceaux les  plus  exquis,  dans  ces  notices  écrites  avec  tant  de  profondeur, 
lues  avec  tant  de  perfection,  dont  le  recueil  si  varié  semble  l'histoire  de 
l'esprit  humain  dans  ses  représenlants  les  plus  distingués  au  xw"  siècle. 

Je  ne  puis  qu'esijuisser  ici  la  belle  carrière  du  grand  historien,  du 
penseur  éminent  qui  fut  un  modèle  de  grâce  et  d'urbanité  dans  les  rela- 
tions ordinaires  de  la  vie.  .l'essaierai  de  le  peindre  ailleurs  tel  que  je  l'ai 
connu.  Je  ne  saui'ais  oublier  les  liens  qui  l'unirent  à  notre  œuvre  historique, 
au  modeste  Bulletin  dont  il  fut  un  des  premiers  abonnés  et  le  lecteur 
attentif  durant  trente-trois  ans.  Grand  honneur  pour  notre  Société 
d'avoir  eu  pour  président  honoraire  M.  Guizot,  et  pour  juge  bienveillant, 
j'oserais  dire  pour  ami,  l'illustre  écrivain  (jui  s'est  éteint,  le  2i  mars 
dernier,  rassasié  de  ti'avaux  et  de  jours,  et  dont  la  mort  est  pour  plu- 
sieurs de  nous  comme  un  deuil  personnel. 

J.  B. 


L'Académie  française,  dans  la  séance  du  20  mars,  a  rendu  son  juge- 
ment sur  le  concours  pour  le  prix  d'éloquence  :  Discours  sur  la  vie  et 
les  (l'urres  d'A(irii)pa  d'Auhir/îié.  Elle  a  décerné  le  prix  à  M.  Paul 
Morillot,  professeur  au  lycée  de  Dijon.  Une  mention  honorable  a  été 
accordée  à  M.  le  pasteur  Fabrc,  aumônier  du  lycée  de  Nîmes. 


Le  Gérant  :  Fisciiiîaciier. 

BouiU.dTON,  Iiii|Miiiit'rifS  réunies,  B. 


SOCIÉTÉ  DE  L'HISTOIRE 

DU 

PROTESTANTISME  FRANÇAIS 


TRENTE  ET  UNIÈME  ASSEMBLÉE  GÉNÉRALE 
DE  LA  SOCIÉTÉ 


La  Société  de  l'Histoire  du  Protestantisme  français  a  tenu  sa 
31"  séance  générale  le  jeudi  21  avril  1884,  à  8  heures  du  soir,  au 
temple  de  l'Oratoire  Saint-Honoré,  devant  une  nombreuse  assemblée 
dans  laquelle  on  remarquait  les  pasteurs  Appia,  Boucher,  Decop- 
pet,  Jacot,  Labeille,  Lalot,  Malter,  Puaux  père,  Recolin,  etc. 
L'Union  chorale  de  l'Église  réformée  de  Paris  a  de  nouveau  gra- 
cieusement contribué  au  succès  de  cette  soirée.  Elle  a  ouvert  la 
réunion  par  le  chant  d'un  psaume  du  xv'^  siècle  dont  la  mélodie 
douce  et  pénétrante  contrastait  heureusement  avec  les  accents  virils 
ou  mélancoliques  des  psaumes  huguenots  119,  42,  68  (des  ba- 
tailles) et  du  choral  de  Luther  qui  furent  successivement  exécutés 
après  la  prière  d'ouverture  de  M.  le  pasteur  Puaux  père,  et  avant 
celle  par  laquelle  M.  le  pasteur  Appia  a  clos  la  séance.  Le  rapport 
de  M.  le  baron  F.  de  Schickler  était  particulièrement  riche  cette 
année;  dans  cet  exposé  toujours  nouveau  on  a  fort  goûté  l'analyse  de 
quelques-uns  des  trésors  de  la  collection  d'autographes  protestants 
que  madame  Pierre  Labouchère  a  léguée  à  la  Bibliothèque  de  la 
Société.  En  terminant,  M.  le  président  n'a  pu  que  mentionner  le 
don  important  de  M.  le  pasteur  Mounier,  d'Amsterdam,  reçu,  place 
Vendôme,  quelques  heures  seulement  avant  la  séance.  On  lira  avec 
intérêt,  après  ce  rapport  où  personne  n'a  été  oublié,  l'étude  pleine 
de  finesse  de  M.  Ch.  Read  snr  Rabcmt  Sainl-Ëtienne  et  liul- 
hière  et  les  notes  spirituelles  de  M.  le  pasteur  P.  de  Félice  sur 
Deux  intérieurs  de  pasteurs  au  xvii°  siècle. 

xxxiii.  —  13 


194  RAPPORT  DU  PRESIDENT 

RAPPORT  DE  M.  LE  BARON  F.  DE  SCHICKLER,  PRÉSIDENT 

SUR   LES   TRAVAUX   DE   LA    SOCIÉTÉ 


Messieurs, 

11  y  a  deux  ans  que  vous  ne  vous  étiez  réunis  dans  ce 
Temple  autour  des  enseignements  de  notre  liistoire.  Après 
vous  avoir  rendu  compte  de  ses  travaux  vingt-neuf  fois  de 
suite  avec  la  seule  et  douloureuse  interruption  de  1871,  le 
Comité  a  cru  devoir  prendre,  en  1883,  l'initiative  d'un  dépla- 
cement pour  lequel  ne  manquaient  ni  les  motifs  sérieux,  ni 
les  invitations  répétées;  et  votre  sympathie  constante  s'est 
associée  de  loin  à  ce  premier  essai  de  décentralisation,  et  s'est 
réjouie  avec  nous  d'un  succès  qui  a  égalé,  ou  mieux,  (jui  a 
dépassé  nos  espérances. 

Du  moment  où  nous  nous  décidions  à  transporter  en 
dehors  delà  capitale  une  de  nos  assemblées  générales,  le  lieu 
semblait  indiqué  à  l'avance.  Il  s'agissait  d'abord  d'entrer  en 
rapports  plus  directs,  en  contact  personnel  avec  des  amis  de 
longue  date  dont  plusieurs  sont  des  collaborateurs  dévoués  ;  il 
s'agissait  ensuite  de  faire  connaître  notre  œuvre  à  un  grand 
nombre  de  ceux  qui,  n'habitant  point  Paris,  oublieraient 
|)eut-ètre  que  c'est  sur  l'histoire  de  la  France  protestante 
tout  entière  que  nos  efforts  sont  dirigés;  il  s'agissait,  et  nous 
l'avons  dit  alors  avec  une  conviction  profonde,  il  s'agissait 
sui'Iout  d'aller  chercher  nous-mêmes  les  leçons  du  passé,  là 
où  ce  passé  se  perpétue  dans  ]os  sites  qu'immortalisa 
l'héroïsme  des  pères  et  que  vénère  le  respectueux  attache- 
ment des  enfants.  Et  les  souvenirs  des  résistances  suprêmes, 
des  derniers  martyrs,  de  la  résurrection  de  nos  églises  après 
leur  écrasement  et  leur  dispersion  violenle  nous  attendaient 
dans  ces  montagnes  des  Gévennes,  sur  cette  plage  d'Aiguës- 


SUR   LES  TRAVAUX   DE   LA   SOCIÉTÉ.  195 

mortes,  clans  tous  les  alentours  de  Nîmes,  la  grande  cité  pro- 
testante, la  patrie  de  Brousson  et  de  Paul  Rabaut. 

Pour  ceux  qui  ont  eu  le  privilège  d'y  prendre  part,  les 
journées  des  9,  10  et  11  octobre,  ont  été  comme  des  pages 
d'histoires  vivantes  et  vécues.  Vous  ne  vous  étonnerez  pas  si, 
revenant  dans  ce  coup  d'œil  rétrospectif,  sur  les  points  lumi- 
neux du  31'  exercice,  nous  olYrons  encore  l'expression  de 
noire  gratitude  à  nos  frères  du  Midi  pour  un  accueil  dont 
l'impression  ineffaçable  restera  dans  nos  mémoires  et  dans 
nos  cœurs. 

Nous  avons  voulu  associer  nos  églises  à  ces  émotions,  par 
l'envoi  d'une  publication  spéciale  «  Les  réunions  historiques 
du  Gard  »  à  tous  les  pasteurs  de  France,  aussi  bien  qu'à  tous 
les  abonnés  du  Bulletin. 

Ce  Bulletin  même,  par  la  plume  appréciée  du  secrétaire, 
M.  Jules  Bonnet,  que  sa  santé  retient  malheureusement  loin  de 
notre  3P  assemblée,  n'avait  pu  leur  consacrer  qu'une  analyse 
sommaire,  réservé,  comme  il  doit  l'être  aux  documents  sans 
lesquels  Thistoire  n'a  point  de  fondements  sérieux,  aux 
études  qui  n'ont  de  valeur  réelle  que  si  elles  marquent  un  pas 
de  plus  dans  les  progrès  de  la  science.  Ce  caractère  nous  pou- 
vons l'attribuer  à  plusieurs  des  monographies  insérées  dans 
les  32'  et  33'  volumes,  parmi  lesquelles  nous  rappellerons 
celle  de  M.  Marins  Talion  sur  l'église  des  Vans  et  la  confé- 
rence de  M.  Franck  Puaux  sur  Marennes,  son  temple  et  ses 
écoles.  Les  documents  recueillis  appartiennent  aux  irois  der- 
niers siècles  :  à  ceux  de  la  Révocation  et  du  Désert  des  actes 
de  démolition  de  temples,  le  procès  sacrilège  fait  à  Pamiers 
en  1676  au  cadavre  d'un  relaps  six  mois  après  le  décès,  les 
feuillets  d'un  journal  relevant  dimanche  par  dimanche  les 
prédications  aux  environs  de  Nîmes  de  1743  à  1758,  où,  bien 
loin  d'être  écartés  par  l'imminence  du  péril,  les  auditeurs  se 
pressaient  au  nombre  de  10,  12  et  même  15  000  ! 

C'est  à  des  temps  plus  reculés  ({ue  sont  empruntés  les  pro- 
cès-verbaux, reproduits  in  extenso,  des  poursuites,  enquêtes 


196  RAPPORT   DU   PRÉSIDENT 

et  condamnations  contre  les  Réformés  d'Alençon  en  1533  et 
1534  :  on  y  implique  quarante  accusés,  sujets  de  la  sœur  de 
François  I",  si  violemment  attaquée  ell«-même  par  la  Sor- 
bonne,  trois  prêtres,  quatre  moines,  une  dame  noble  :  neuf 
sentences  capitales  furent  prononcées  et  cinq  suivies  d'exé- 
cution, aulant  de  martyrs  restés  jusqu'ici  inconnus  et  que 
nous  rendent  les  savantes  investigations  de  M.  l'archiviste 
Paul  Guérin  dans  les  registres  criminels  de  l'ancien  Parle- 
ment de  Paris. 

Les  découvertes,  qui  n'ont  pas  toutes  il  est  vrai,  cette  im- 
portance, se  multiplient  depuis  quelques  années.  Le  Réper- 
toire consulté  de  plus  en  plus,  mais  que  nos  correspondants 
pourraient  certainement  seconder  et  alimenter  davantage,  a 
continué  de  relever  les  articles  de  Revues,  les  opuscules, 
notices  et  ouvrages  plus  étendus  qui,  par  un  côté  quelconque, 
touchent  à  l'Histoire  du  Protestantisme  français.  Nous  y  avons 
salué  la  naissance  d'une  Revue  sœur  de  la  nôtre,  le  BuUeiin 
de  la  Commission  pour  Vllisloire  des  Églises  wallonnes  : 
deux  belles  livraisons  prouvent  à  quel  point  nos  recherches 
bénéficieront  de  celles  de  nos  savants  coreligionnaires  des 
P.ays-Bas. 

Au  nombre  des  publications  de  valeur  qui  ont  vu  le  jour 
depuis  quelques  mois,  nous  placerons  Vllisloire  de  la  Ré  for- 
mation à  Bordeaux  et  dans  le  ressort  du  Parlement  de 
Guyenne,  par  M.  Gaullieur  :  le  premier  volume,  seul  paru,  ne 
dépasse  pas  la  paix  d'Amboise;  ne  nous  en  plaignons  pas, 
<:e  travail  magistral  est  rempli  de  révélations.  C'est  ainsi  que 
nous  initiait  jadis  à  l'histoire  de  la  Bretagne  protestante,  le 
pasteur  Vaugiraud,  un  des  tout  premiers  membres  de  notre 
société  (le  16'),  que  Dieu  nous  a  repris  le  23  décembre  dernier. 

M.  llerminjard  a  publié  après  cinq  années  de  laborieuse 
préparation  le  sixième  tome  de  la  Correspondance  des  Réfor- 
mateurs dans  les  pays  de  langue  française  (1539-1540),  et 
s'est  vu  offrir  à  celte  occasion  par  l'Université  de  Genève,  les 
légitimes    honneurs   d'un  doctorat  exceptionnel.  M.   Henri 


SUR   LES   TRAVAUX   DE  LA   SOCIÉTÉ.  197 

Bordier  nous  promet  incessamment  la  seconde  partie  du 
tome  IV  de  la  France  Protestante,  qu'avaient  retardée  les  trois 
feuilles  d'additions  aux  lettres  A  B  et  G  dont  elle  est  enri- 
chie. Étant  parvenu  avec  la  fin  du  C  à  atteindre  la  page  173 
du  IV  volume  du  Haag,  il  s'ensuit  qu'il  est  pleinement  entré 
dans  le  second  tiers  de  la  tâche  entreprise  avec  autant  de 
science  que  de  dévouement.  M.  Alfred  Franklin,  entouré 
d'une  élite  de  collaborateurs  érudits,  en  est  au  38'  fascicule 
des  Grandes  Scènes  historiques  du  xvi"  siècle,  reproduction 
fac-similé  des  planches  de  Tortorel  et  Périssin  accompagnées 
de  notices  variées  qui  leur  donnent  un  attrait  particulier;  lAI.  le 
pasteur  Vielles  a  édité  avec  un  luxe  intelligent  les  mémoires 
de  Bonbonnoux,  le  chef  camisard.  M.  Dardier  livre  à  la  presse 
les  lettres  de  Paul  Rabaut  et  M.  le  prof.  Michel  Nicolas,  l'his- 
toire depuis  longtemps  désirée  de  l'Académie  Protestante  de 
Montauban.  Enfin  le  second  volume  de  Y  Histoire  ecclésias- 
tique de  Th.  de  Bèze,  annotée  et  commentée  par  MM.  Baum  et 
Gunitz,  révisée  par  M.  Jules  Bonnet  est  complètement  imprimé 
et  prêt  à  paraître  à  la  librairie  Fischbacher.  Constatant  les 
progrès  de  cetle  splendide  édition  que  nous  avons  si  souvent 
recommandée,  il  y  aurait  sans  doute  de  l'affectation  à  sem- 
bler ignorer  devant  vous  les  pénibles  dissentiments  avec  la 
société  des  livres  religieux  de  Toulouse  au  sujet  de  l'édition 
de  Th.  de  Bèze  et  du  martyrologe  de  Grespin;  l'écho  en  a 
été  forcément  rendu  public.  En  ce  solennel  et  heureux  anni- 
versaire nous  aimerions  cependant  à  ne  nous  arrêter  que  sur 
les  côtés  réjouissants  de  notre  mission  —  et  grâce  à  Dieu  ils 
ont  été  particulièrement  nombreux  dans  cet  exercice.  Aussi, 
après  avoir  rempli,  et  nous  réservant  de  remplir  s'il  le  faut 
encore,  le  devoir  impérieux  que  nous  commandaient  d'une 
part  les  droits  méconnus  du  Comité  des  classiques,  émanation 
du  nôtre,  et  d'autre  part,  les  intérêts  menacés  de  la  science 
historique  et  réformée,  aurons-nous  garde  d'ouvrir  a  nouveau 
ce  soir  un  débat  dont  les  éléments  ont  été  mis  à  la  portée  de 
tous  par  notre  circulaire  du  11  mars  1884. 


198  RAPPORT  DU  PRESIDENT 

Si  l'on  éprouve  parfois  le  sérieux  regret,  le  douloureux 
étonnement  de  ne  pouvoir  réunir  autour  d'une  grande  et 
belle  œuvre  toutes  les  forces  vives  du  protestantisme  ,  com- 
ment serait-on  surpris  quand  surgissent,  du  sein  d'un  catho- 
licisme outré  ou  de  la  soi-disant  libre  pensée  les  attaques 
passionnées  contre  l'accomplissement  d'un  acte  de  tardive  et 
trop  juste  réparation?  Vous  avez  assisté  comme  nous, 
Messieurs,  il  y  a  quelques  mois,  à  une  explosion  contre  la 
mémoire  de  Coligny,  de  vieilles  rancunes  que  l'on  croyait  défi- 
nitivement éteintes,  de  calomnies  usées  à  force  d'avoir  été 
péremptoirement  réfutées  depuis  trois  siècles.  L'apparition 
du  beau  livre  de  notre  collègue  M.  le  pasteur  Bersier  a  été 
comme  le  signal  de  ce  déchaînement,  et  tandis  que  le  Comité 
Coligny  avait  eu  la  joie,  recevant  dans  son  sein  de  nobles 
membres  du  catholicisme,  de  montrer  clairement  qu'il  éri- 
geait une  statue,  non  au  grand  huguenot  seulement,  mais 
avant  tout  au  grand  Français,  il  s'est  trouvé  dans  les  rangs  les 
plus  divers  de  la  presse  quotidienne  de  ces  aveugles,  —  puis- 
sent-ils l'avoir  été  involontairement  !  —  qui  se  sont  efforcés 
d'arracher  à  l'avance  de  son  piédestal  la  figure  auguste  que 
nous  voulons  y  dresser.  Reproduire  ces  accusations  qui  se 
suivent  et  se  ressemblent  par  la  méconnaissance  des  conclu- 
sions de  l'histoire  savante  et  impartiale,  et  parfois  par  l'igno- 
rance la  plus  grossière  des  événements,  ne  serait  peut-être 
qu'en  faire  justice.  Mais  en  est-il  besoin?  avons-nous  à 
défendre  une  cause  depuis  longtemps  gagnée  ?  Lorsque  accu- 
sant Coligny  d'avoir  voulu  s'appuyer  sur  l'Angleterre  on 
exaltera  les  Guises  qui  offraient  la  France  à  l'Espagne,  quand 
on  fera  «  un  simple  colonel  de  cavalerie,  un  général  toujours 
battu  »,  un  «  Tartufe  »,  un  «  révolté  qu'on  ii  bien  fait  d'as- 
sassiner à  temps  »,  on  va  jusque-là,  Messieurs,  —  de  l'homme 
auquel  l'armée  française  a  dû  son  organisation  première,  la 
France  ses  premières  colonies  et  qui,  au  moment  même  «  où 
il  fut  si  indignement  massacré  »  (St. -Simon),  voulait  doter  sa 
patri(;  de  ces  frontières  naturelles  rêvées  ensuite  par  Henri  IV 


SVR   LES  TRAVAUX  DE    LA   SOCIÉTÉ.  199 

eL  par  Richelieu,  —  nous  laisserons  le  soin  de  répondre  à 
des  juges  que  les  adversaires  ne  pourront  récuser. 

«Henri  IV,  nous  dit  St. -Simon,  eut  pour  maître  le  plus 
sage  et  le  plus  honnête  homme  de  son  temps,  le  plus  grand 
capitaine,  le  plus  adroit  à  tirer  parti  des  événements  les  plus 
fâcheux  et  à  relever  son  parti  de  ses  chutes  et  de  ses  plus 
grandes  pertes,  le  plus  hahile  à  le  tenir  uni  et  parer  tout  ce 
qui  pouvait  le  diviser,  enfin  le  plus  désintéressé,  le  plus 
prudent,  le  plus  aimé  et  le  plus  estimé  de  son  parti  dont  il  fut 
toujours  l'âme  et  le  soutien,  le  plus  autorisé  chez  les  étran- 
gers dont  il  savait  s'appuyer  pour  des  secours  et  pour  les 
négociations,  le  plus  considéré  du  parti  contraire,  et  ]e  plus 
(jénéralement  respecté  et  admiré  pour  ses  vertus.  Tel  fut  l'ami- 
ral de  Coligny,  si  peu  heureux  et  si  digne  de  l'être.  » 

«  Pour  confirmer  le  hruit  qu'on  voulait  répandre  de  la  con- 
juration de  l'amiral,  dit  Bossuet,  on  lui  fit  faire  son  procès. 
La  reine-mère  fit  chercher  parmi  ses  papiers  quelque  chose 
qui  diminuât  l'horreur  qu'un  tel  meurtre  devait  causer  dans 
les  pays  étrangers.  On  ne  trouva  que  des  mémoires  pour  la 
guerre  de  Flandre,  et  des  avis  qu'il  donnait  au  roi  pour  le 
bon  gouvernement  de  son  état.  Il  l'avertissait  entre  autres 
choses  de  ne  point  donner  trop  de  crédit  ou  de  trop  puissants 
apanages  à  ses  frères,  et  d'empêcher  de  tout  son  pouvoir  que 
les  Anglais  n'acquissent  dans  les  Pays-Bas  révoltés  un  pouvoir 
qui  deviendrait  fatal  à  la  France.  La  Cour  affecta  de  commu- 
niquer ces  mémoires  au  duc  d'Alençon  et  à  la  reine  d'Angle- 
terre; on  représentait  à  l'un  et  à  l'autre  la  manière  dont  les 
traitait  un  homme  qu'ils  estimaient  tant.  La  réponse  fut 
honorable  pour  l'amiral  :  ils  dirent  qu'ils  pouvaient  peut- 
être  se  plaindre  de  lui,  mais  que  le  Roi,  du  moins,  s'en  devait 
louer  et  que  des  avis  si  solides  et  désintéressés  ne  pouvaient 
venir  que  d'un  fidèle  serviteur...  Ainsi  tout  ce  qu'on  employait 
pour  décrier  l'amiral  ne  servait  qu'à  illustrer  sa  mémoire.  » 

Et  nous  ne  nous  lasserons  pas  de  répéter  avec  Montes- 
quieu : 


200  RAPPORT  DU   PRKSIDEXT 

«  L'amiral  Colignyfut  assassiné  n'ayant  dans  le  cœur  que 
la  gloire  de  l'État.  » 

A  ces  voix  du  passé  ajoutons,  sur  la  conversion  de  Colignv, 
celle  de  l'historien  éminent  que  la  France  vient  de  perdre  : 
«  La  gravité  hardie  et  ferme  de  son  esprit  »,  écrit  M.  Mignel, 
la  pieuse  austérité  de  son  âme  l'avaient  rapproché  d'une  doc- 
trine qui  semblait  à  la  fois  plus  pure  et  plus  forte,  qui  rame- 
nait librement  à  l'Évangile,  soumettait  pleinement  à  Dieu, 
ranimait  la  foi  religieuse  sans  interdire  la  raison  humaine, 
faisait  de  rigides  chrétiens  et  d'enthousiastes  martyrs.  )> 

Qu'il  nous  soit  permis  de  rendre  ici  un  suprême  et  respec- 
tueux hommage  à  la  mémoire  de  l'illustre  M.  Mignet.  Il  avait 
senti,  l'un  des  premiers,  que  l'histoire  doit  reposer,  non  sur 
des  conjectures  ou  des  impressions,  mais  sur  des  faits  établis 
par  les  documents  qu'ont  laissé  les  acteurs  et  les  témoins  de 
ces  faits.  De  là  ses  vastes  recherches  dans  les  archives  de  la 
France  et  de  l'étranger,  ces  matériaux  accumulés  avec  autant 
d'intuition  que  de  persévérance,  ces  livres  où  revivent,  avec 
un  charme  pénétrant,  quelques-unes  des  figures  les  plus  mar- 
quantes du  xvr  siècle,  les  contemporains  de  ce  mouvement 
religieux  qui  avait  formé  le  sujet  de  ses  lectures  publiques  à 
l'Athénée  dès  son  entrée  dans  la  carrière  des  lettres.  Son  at- 
tention s'est  portée  longtemps  et  à  plusieurs  reprises  sur 
Calvin  :  en  1837  il  présentait  à  l'Institut  un  mémoire  sur 
l'établissement  de  la  Réforme  à  Genève,  qui  fait  autorité  :  en 
1856  et  1857,  lors  de  la  publication  par  M.  Jules  Bonnet,  des 
Lettres  Françaises,  il  commcnçailùixnsleJournal  des  Savants 
une  série  de  travaux  approfondis  qui  faisaient  espérer  de 
lui  un  tableau  complet  de  l'œuvre  religieuse  et  politique  du 
réformateur.  Mais  si  le  temps  fait  défaut,  même  aux  exis- 
tences les  plus  longues  et  les  plus  constamment  remplies,  il 
en  avait  retracé  au  moins  les  grandes  lignes,  par  cette  analyse 
de  l'action  de  Calvin  dans  la  constitution  des  églises,  dans  la 
direction  des  partis,  et  de  la  pensée  de  Calvin  dans  l'institu- 
tion chrétienne  ouvrage  fondamental  de  1'  «  écrivain  rare  qui 


SUR   LES   TRAVAUX   DE   LA  SOCIÉTÉ.  201 

s'est  formé  sans  modèle  et  qui  est  resté  longtemps  sans  imi- 
tateur. f>  M.  Mignet  avait  initié  beaucoup  d'esprits,  d'abord 
indifférents  ou  hostiles,  à  l'histoire  plus  vraie  de  notre  Pro- 
testantisme; il  n'a  cessé  de  s'intéresser  au  progrès  de  cette 
histoire  :  il  n'avait  cessé,  rappelons-le  avec  gratitude,  depuis 
le  jour  où  il  s'inscrivit  le  101'  sur  la  liste  de  nos  premiers 
membres,  d'être  un  des  lecteurs  les  plus  fidèles  du  Bulletin, 
et  d'accorder  à  nos  études  l'honneur  de  ses  fréquents  et  pré- 
cieux encouragements. 

Moins  préoccupé  du  côté  religieux  que  du  côté  politique  et 
social  des  questions,  M.  Mignet  n'était  pas  remonté  assez 
loin  vers  la  toute  première  aurore  de  la  Réforme  :  sur  ces 
enfantements  obscurs  et  mystérieux  la  lumière  ne  se  fait  que 
lentement.  Nous  espérions  en  accélérer  la  diffusion  par  le 
concours  de  1884  :  aucun  des  mémoires  commencés  n'ayant 
été  achevé  dans  lu  délai  présent,  nous  remettons  au  concours, 
avec  le  terme  nouveau  du  15  février  1885  :  «  La  vie  de  Lefèvre 
d'Étaples  et  les  origines  de  la  Réforme  depuis  la  publication 
du  Commentaire  sur  les  épnlres  de  St.  Paul  jusqu'à  V appari- 
tion de  Vinstltution  chrétienne  de  Calvin  en  1536  »,  c'est- 
à-dire  six  ans  avant  son  interdiction  officielle  par  l'arrêt  du 
Parlement  de  Paris  retrouvé  récemment  aux  Archives  natio- 
nales par  M.  Weiss  et  inséré  dans  la  livraison  de  janvier  du 
Bulletin  de  cette  année. 

Vous  le  voyez,  M.  le  pasteur  Weiss  continue  à  être  pour  notre 
Société  un  collaborateur  autant  qu'un  bibliothécaire  zélé, 
toujours  prêt,  le  lundi  et  le  jeudi,  à  mettre  nos  ressources  à  la 
disposition  du  public,  ou  à  recevoir  les  adjonctions  que  des 
amis  généreuxapportent  souvent  eux-mêmes  à  nos  collections. 
La  Bibliothèque  poursuit  sa  marche  d'accroissement  rapide. 
Comme  d'habitude  vous  retrouverez  en  note  du  rapport,  le 
relevé  de  nos  donateurs  S  mais  il  y  aurait  une  véritable  ingra- 

1.  Donateurs  de  livres  depuis  le  30  avril  1883  jusqu'au  20  avril  1884.  Le 
ministère  de  l'Instruction  publique,  le  gouvernement  de  S.  M.  britannique,  la 
commission  des  archives  wallonnes,  la  Smitiisonian  Institution,  les  Facultés  de 


!202  ItAPPORT  DU   PRÉSIDENT 

titude  à  ne  pas  signaler  les  bienfaits  répétés  de  madame  la 
baronne  de  Neuflize;  le  don  du  ministère  de  l'Instruction 
publique  (six  vol.  du  Catalogue  général  des  manuscrits  des 
départements  et  le  répertoire  liislorique)  auquel  s'ajoute  celui 
de  M.  A.  Maury  de  l'inventaire  sommaire  des  Archives;  un 
exemplaire  presque  unique  de  l'édition  princeps  des  Souf- 
frances de  Louis  de  Marolles  placé  par  M.  le  pasteur  Gagnebin 
près  de  celui  de  la  2'  édition,  déjcà  rarissime,  précédemment 
offert  par  lui;  les  nombreux  ouvrages  de  prix  des  xvi'  et 
xvif  siècles  offert  par  notre  vice-président  M.  le  comte  Dela- 
borde,  et  le  présent  magnifique  de  quatre-vingt-sept  volumes 
des  Calendars  (Analyses  des  papiers  d'État  de  l'Angleterre) 
que  le  gouvernement  de  Sa  Majesté  britannique  vient  d'ajou- 
ter à  la  série  considérable  accordée  il  y  a  douze  et  dix  ans. 

Nous  sommes  redevables  de  portraits  anciens  à  madame 
Fuchs,  de  manuscrits  à  MM.  les  pasteurs  Delon  et  Gaidan,  à 
MM.  Falguière,  Talion  et  Teissier  :  dans  ce  dernier  dossier 
ligure  une  lettre  autographe  de  Rohan,  dans  celui  de  M.  Fal- 
guière une  ordonnance  en  forme  de  placard  qui  a  été  affichée 
et  porte  confiscation  de  plusieurs  caisses  de  livres  saisies  à 
Beaucaire  et  Villeneuve-d'Avignon  en  1735.  Les  détails  en  sont 
curieux  :  désireux  de  faire  parvenir  le  pain  de  vie  à  des  frères 
persécutés  et  depuis  longtemps  sevrés  de  toute  nourriture 
spirituelle,  les  Genevois  avaient  dissimulé  des  Nouveaux-Tes- 

Ihéologie  protestante  de  Montauban  et  de  Paris,  MM.  Alfred  André,  Rev.  Ashton, 
Baucr,  Block,  J.  Bonnet,  Bordier,  Clievrier,  C  Clibborn,  comte  J.  Delaborde, 
Delon,  p"",  Fauricl,  Fischbachcr,  Frossard,  p'',  Gagneliin,  p',  Guitlon,  p%  Alf. 
Maury,  Mcnc^oz,  p',  Morizc,  Mme  la  baronne  de  Neuflize,  MM.  d'  Niemeyer, 
Puaux,  p"',  Pulsford,  p"',  Ch.  Uead,  F.  de  Scbickler,  Tarrou,  p',  Ferd.  Teissier, 
Villaret,  Weiss,  p'. 

Comme  auteurs  :  S.  Berger,  pr,  Chevrier,  Dardier,  [>',  de  Grenier-Fajal,  p', 
Prof.  Fredericq,  Frossard,  p%  Kobler,  Ollier,  de  Richcmond,  Roman,  Sohier  de 
Vcrinandois,  p".  Vielles,  p''. 

Manuscrits  :  legs  de  Mme  Labouchcre,  MM.  Delon,  p'',  Gaidan,  pf,  Falguière, 
Read,  de  Schickler,  Talon,  Teissier. 

Gravures  :  legs  de  Mme  Laboucbère,  Mme  Fuciis,  M.  Frank  Puaux.  De 
Mme  Piclierai-Dardicr,  copie  à  riiuile  du  portrait  ilc  Paul  Raliaut. 


SUR   LES  TRAVAUX  DE   LA  SOCIÉTÉ.  203 

laments,  des  psautiers,  des  sermons  de  Saiirin,  de  Jacquelot, 
de  Drelincourt,  des  controverses  de  Claude  sous  des  paquets  de 
la  Henriade,  de  St.  Jérôme,  de  Mézeray,  voire  même  des  bré- 
viaires ou  des  contes  deCrébillon,  mais  au  moment  d'arriver 
à  la  foire  de  Beaucaire  d'où  la  propagation  était  assurée  à 
l'avance,  les  caisses  sont  saisies,  examinées  et  inventoriées, 
et  en  attendant  le  prononcé  du  jugement  contre  les  délin- 
quants, Nouveaux-Testaments,  psautiers  etsermonnaires  sont 
impitoyablement  condamnés  à  être  brûlés  en  place  publique, 
«  ou  devant  l'Hôtel  de  ville  de  Beaucaire  en  présence  du  maire 
et  des  Consuls.  »  Ces  autodafés  répétés  expliquent  la  rareté 
des  vieux  volumes  que  nous  conservons  à  la  Bibliotbèque. 

Ceux  d'entre  vous  qui  l'ont  visitée  connaissent  le  tableau  de 
l'entrevue  de  la  Rochelle  qui  en  orne  la  salle  de  lecture,  légué 
en  1874  par  l'artiste  M.  Ph.  A.  Labouchère  avec  des  médailles 
et  des  livres  rares.  M.  Labouchère  ne  s'était  pas  contenté  de 
reproduire  par  son  pinceau  les  grandes  scènes  protestantes; 
pour  mieux  les  saisir,  pour  s'identifier  avec  ces  hommes  d'un 
autre  âge  il  aimait  à  visiter  les  lieux  où  ils  avaient  agi,  à  relire 
leurs  écrits,  à  recueillir  leurs  portraits,  à  rassembler  des 
lettres  tracées  par  leurs  maiiis  :  deux  volumes  de  sa  célèbre 
collection  d'autographes  étaient  consacrés  aux  «  Réformés  ». 
En  regard  de  l'épître  ou  du  document  il  se  plaisait  à  placer  la 
gravure,  quelquefois  la  copie  à  l'aquarelle  d'un  portrait  du 
temps,  et  à  compléter  par  des  notices  ces  in-folios  dont  il 
serait  difficile,  en  quelques  lignes,  de  décrire  les  richesses. 
Il  ne  put  les  achever,  arrêté  par  la  mort  qui  devait  à  deux 
reprises  si  rapprochées  frapper  la  famille  Labouchère,  et  nous 
enlever  successivement  le  respecté  et  sympathique  ami  de 
notre  œuvre,  et  le  jeune  collègue  sur  lequel  nous  avions  fondé 
tant  d'espérances.  Mais  la  noble  veuve,  la  digne  fille  de  ma- 
dame J.  Mallet,  reprit  le  travail  interrompu  :  elle  fa  poursuivi 
en  pieuse  communion  de  pensée  avec  celui  qui  l'avait  préparé, 
accompagnant  les  pièces  anciennes  de  transcriptions  cor- 
rectes, continuant  les  notices  et  les  extraits,  ajoutant  même 


20i-  UAI'PORT   DU    l'UÉSIDENT 

des  autographes  à  la  colleclion,  ne  renonçanl  jamais  à  s'y 
intéresser  jusqu'au  jour  récent  où  rappelée,  elle  aussi  préma- 
turément, auprès  de  ceux  qui  l'avaient  devancée,  elle  nous  a 
légué  ces  précieux  albums.  Vous  y  rattacherez  comme  nous, 
Messieurs,  un  triple  et  vénéré  souvenir. 

Énumérer  les  deux  cent  cinquante  documents  serait  évo- 
quer l'un  après  l'autre  les  noms  les  plus  frappants  du  Protes- 
tantisme français,  ou  même  de  la  Réforme  en  général,  car 
tout  un  groupe  se  rapporte  à  la  Confession  d'Augsbourg.  Cer- 
taines Bibliothèques  de  l'Allemagne  nous  envieraient  ces 
pièces  des  amis  de  Luther,  docteurs  ou  princes,  depuis  Bu- 
genhagen,  Cruciger,  Jonas,  Peucer,  Spalatin  jusqu'à  Frédéric 
le  Sage,  Philippe  le  Magnanime,  Maurice  de  Saxe,  Albert  de 
Mansfeld  qui  reçut  son  dernier  soupir,  des  théologiens  do 
Strasbourg,  Ilédion,  Capiton,  Sturm,  des  correspondants 
d'Erasme  «  theologorum  summus  »  comme  l'appelle  Glarea- 
nus,  et  parmi  ceux  de  Vadian,  Bullinger,  Munster,  Myconius, 
Oecolampade,  l'une  des  perles  du  recueil,  Zwinglc,  i3  oc- 
tobre 1530,  quelques  mois  avant  sa  mort  héroïque  à  Cappel. 
Plaçons  près  de  la  signature  de  l'augustin  Staupitz  celle  de 
Charles-Quint  au  bas  d'une  des  convocations  pour  la  diète  de 
Worms  :  ici  une  lettre  de  Bucer  à  Luther,  là  deux  longues 
missives  de  Mélanchton;  celle  de  Luther  lui-même  brille  au 
milieu  d'un  dossier  qui  se  rapporte  exclusivement  à  lui.  C'est 
encore  à  l'étranger  qu'appartiennent  Flaccus  lUyricus,  Ar- 
minius,  Uytenbogaard,  Marnix  de  Sainte-Aldegonde,  Guillaume 
le  Taciturne,  Guslave-Adolplie,  l'électeur  F.  Guillaume  de  Bran- 
debourg, et  Vittoria  Colonna,  la  poétique  marquise  de  Pes- 
caire,  l'amie  de  Michel-Ange  et  de  Renée  de  France. 

Revenant  aux  Français,  nous  sommes  arrêtés  par  Farel, 
15oG,  ensuite  par  Calvin,  original  de  la  magnifique  épître  à 
d'Andelot  prisonnier,  pour  l'exhorter  à  la  persévérance  dans 
la  foi  (cause  de  sa  captivité,  21  mai  1558);  Virel,  signature 
au  bas  d'une  adresse  des  pasteurs  de  l'église  de  Lyon  au  Con- 
seil de  Berne,  1565;  Th.  de  Bèze,  deux  lettres,  une  à  Béroalde, 


SUR   LES   TRAVAUX  DE   LA   SOCIÉTÉ.  205 

1573;  Odet  de  Châlillon,  Renée  de  France,  Jean  Parthenay 
Larchevêque,  sieur  de  Soubise  ;  un  reçu  de  Ramus,  «  lecteur 
ordinaire  du  Roi,  du  semestre  de  la  pension  allouée  par  le 
Prévôt  des  marchands,  75  L.  T.  (1507)  et  un  d'Ambroise  Paré, 
premier  chirurgien  du  roi;  beaucoup  plus  tard  deux  de  d'Au- 
bigné  «  escuyer  d'escurie  »  ;  deux  lettres  de  Coligny  dont  une 
à  Jeanne  d'Albret,  deux  de  Jeanne  d'Albret  dont  une  à  Char- 
les IX,  moins  de  deux  ans  avant  les  Noces  Vermeilles;  la  rap- 
procherons-nous de  celles  des  Tavannes,  Montluc,  Nevers  et 
Catherine  de  Médicis  engageant  si  tendrement  sa  fdle  à  user 
de  toute  son  influence  sur  Philippe  II  en  faveur  d'Antoine  de 
Navarre  afin  de  le  contenter  et  par  là  «  d'assurer  la  conserva- 
tion de  la  religion...  »  «  Pour  ce  ma  fdle,  m'amye,si  vous  m'ay- 
mez  et  si  vous  avez  envie  de  mon  repos,  je  vous  prie  ne 
craindre  et  ne  croire  ni  ambassadeur  ni  autre  et  faire  ce  que 
je  vous  prye,  qui  est  que  étant  avec  le  roi  votre  mari  vous  lui 
disiez...  »  Mais  il  faut  borner  les  citations,  et  même  renvoyer 
au  Bulletin  pour  quelques  pièces  que  M.  Labouchère  avait 
autorisé  à  y  insérer,  par  exemple  l'émouvante  plaidoirie  de 
Catherine  de  Navarre  suppliant  son  frère  d'empêcher  le  duc 
de  Bar  de  la  priver  de  ses  femmes  protestantes. 

Plus  tard  c'est  La  Noue  Bras  de  fer,  deux  lettres,  plus  les 
points  de  sa  délivrance,  paraphés  par  Duplessis  Mornay  dont 
nous  relevons  avec  plusieurs  négociations  pour  les  Eglises, 
deux  dépêches  inédites.  Le  1"  avril  1597  Amiens  vient  d'elrc 
surpris  par  les  Espagnols  :  Mornay  s'empresse  d'informer  le 
roi  que  «  ceste  playc  »  a  été  profondément  ressentie  par  l'As- 
semblée de  Saurnur.  «  Tant  s'en  faut,  Sire,  qu'il  soit  entré  au 
cœur  d'aucun  d'avantager  sa  condition  du  malheur  public, 
que  Dieu  veuille  qu'il  ait  opéré  de  même  en  tous  les  sujets  de 
V.  M.  »  El  après  avoir  montré  ses  coreligionnaires  «  prêts  à 
répandre  tout  ce  qu'ils  ont  de  plus  précieux  aux  pieds  du  Roi 
pour  la  défense  de  sa  personne  et  état  »,  il  termine  par  ces 
touchantes  et  mélancoliques  paroles  :  «  Je  voudrais  racheter 
le  repos  de  votre  personne  et  le  salut  de  voire  ame  de  mon 


206  RAPPORT   DU   PRÉSIDENT 

sang  propre  et  aimerais  mieux  mourir  à  toute  heure  que  de  les 
survivre.  » 

Dans  les  premières  années  de  Louis  XIII,  Henri  de  Rohan, 
retranché  à  Saint-Jean  d'Angely,  mande  au  duc  de  la  Force  : 
((  On  tâche  par  tous  les  moyens  de  me  ruiner  en  me  séparant 
du  puhlic,  mays  j'ai  mon  recours  en  Dieu  qui  ne  m'abandon- 
nera point  s'il  lui  plaist  :  il  sçait  mon  but  et  comme  je  ne 
tends  qu'à  la  sécurité  des  Églises  et  au  repos  de  cet  état  »,  et 
il  conclut  :  «  Je  seray  toujours,  moyennant  la  grâce  de  Dieu, 
bon  huguenot.  » 

Ne  sentez-vous  pas,  Messieurs,  le  souffle  réconfortant  qui 
s'échappe  encore  de  ces  feuillets  jaunis? 

De  bons  huguenots,  ne  l'étaient-ils  pas  ces  La  Force  narrant 
à  la  duchesse  sa  réception  à  la  cour  de  la  régente,  d'Aubigné 
racontant  les  difficultés  (juclui  suscite  son  fils  Constant,  Cathe- 
rine de  ParLlienay,  madame  de  la  Trémoille  (l'aimable  du- 
chesse de  M.  Cousin),  et,  dans  le  groupe  des  pasteurs,  André 
Rivet,  Drelincourt,  Mestrezat  (lettre  où  il  annonce  que  le 
livre  d'Amiraut  rendra  fort  acceptable  une  manière  moins 
rigide  d'enseigner  la  doctrine  de  la  prédestination  et  de  la 
grâce). 

Avec  l'époque  de  Louis  XIV  le  ciel  s'assombrit,  on  sent  de 
loin  venir  la  tourmente.  En  1004  les  évèques  de  Lescun  et 
d'Oloron  prient  «  Messieurs  les  Prélats  »  de  les  aider  à  conser- 
ver les  victoires  que  nous  avons  eues  depuis  peu  en  cette  pro- 
vince du  Béarn  contre  l'hérésie  par  l'anéantissement  d'environ 
([ualie-vingts  prêches,  »  Vingt  ans  plus  tard,  c'est  Dangeau 
(jui  raconte,  les  missionnaires  sont  envoyés  une  seconde  fois 
à  Arvert,  sur  les  instances  assure-t-on,  des  nouveaux  conver- 
tis eux-mêmes,  pour  contrebalancer  l'eilet  des  lettres  de 
Jurieu,  et  le  courtisan  apostat  n'oublie  point  de  citer,  à  l'ap- 
pui de  l'ancienneté  de  la  petite  église  le  témoignage  de  Théo- 
dore de  Bèze  et  de  l'Histoire  ecclésiastique;  c'est  Fléchier  qui 
demande  en  1G07  la  mise  au  collège  du  fils  du  marquis  d'Au- 
bais,  «  gentilhomme  des  plus  riches  et  des  plus  qualifiés  de  son 


SUR   LES   TliAVAUX  DE   LA   SOCIÉTÉ.  207 

diocèse,  retiré  dans  les  pays  étrangers  lorsque  le  Roy,  par  sa 
piété,  fit  rentrer  dans  le  sein  de  l'église  tous  les  hérétiques  de 
son  royaume  »  et  qu'il  s'agit  de  soustraire  à  rintluence  de 
«  parents  qui  ont  de  l'honneur  et  de  la  probité  mais  ne  sont 
peut-être  pas  sincèrement  catholiques  »  ;  c'est  Chamillard 
effrayé  de  la  présence  en  Hollande  de  Cavalier  et  conseillant 
au  résident  français  de  lui  dresser  quelque  embuscade  «  qui 
réussira  sûrement  si  vous  trouvez  quelqu'un  d'assez  bonne 
foi  pour  s'attacher  à  lui,  qui  ne  l'abandonne  pas  jusqu'à  ce 
qu'il  fait  remis  à  quelque  onicier  des  troupes  de  S.  M.  ;  au 
cas  que  cette  affaire  réussisse  le  roi  fera  donner  2000  pistolcs 
à  celui  qui  aura  livré  Cavalier  »  :  c'est  enfin  le  sinistre  Lamoi- 
gnon  de  Bâville  qui  trace  au  bas  d'un  billet  ce  laconique  post- 
scriptum  :  «  Je  vous  ay  défait  ce  malin  d'un  mauvais  prédi- 
cant.  y> 

Au  xviii''  siècle  les  derniers  coups  de  l'intolérance  et  du 
fanatisme  tirent  expirer  sur  la  roue  l'innocent  Jean  Calas. 
M.  Labouchère  avait  acquis  à  la  vente  Lajarriettc  quelques- 
unes  des  lettres  échangées  entre  la  famille  et  celui  qui  en 
poursuivait  la  réhabilitation.  Elles  n'avaient  pas  échappé  aux 
recherches  de  l'historien  de  Galas,  notre  regretté  collègue 
M.  Ath.  Coquerel  lils,  mais  l'on  y  peut  ajouter  une  de  Sirven, 
écrivant  à  son  tour  à  Voltaire  :  c(  Je  vous  dois  la  vie,  et  plus 
que  cela,  le  rétablissement  de  mon  honneur  »,  et  celle  écrite 
sous  la  dictée  de  Voltaire  :  «  qui  ne  chante  pas  de  psaumes, 
dit-il,  mais  adore  la  divinité  »;  à  Paul  Rabaut,  auquel  il 
souhaite  de  vivre  assez  longtemps  «  pour  voir  l'accomplisse- 
ment delà  grande  révolution  qui  commence  dans  les  esprits... 
ce  sera  long.  »  Rabaut  y  assista  cependant.  Vingt  ans  après 
Ton  accordait  fétat  civil  à  ceux,  qui  selon  l'expression  de  son 
fils  aîné  Rabaut  Saint-Ëtienne  dans  une  des  pièces  de  cette 
remarquable  série,  «  travaillaient  efficacement  à  dédommager 
la  France  des  pertes  qu'elle  lit  en  persécutant  leurs  aïeux.  » 
Quelles  pertes  en  effet,  Messieurs,  que  celles  dont  l'année  pro- 
chaine nous  ramènera  l'anniversaire  deux  fois  séculaire  et 


208  ItAPI'ORT   DU   PRÉSIDENT 

toujours  douloureux!  Quelles  forces,  quels  talents,  quelles 
consciences  enlevées  à  leur  patrie...  et  cette  patrie  ils  ne  s'en 
arrachaient  qu'en  pleurant,  ils  se  retournaient  vers  elle  dans 
leurs  prières,  ils  ne  renoncèrent  à  leur  espérance  d'y  revenir 
qu'après  des  tentatives  vingt  fois  repoussées,  ils  ne  mettaient 
au-dessus  d'elle  que  leur  foi;  et  leurs  descendants,  après 
ces  deux  siècles  sont  loin  d'avoir  tous  oublié  leur  origine  et 
les  saintes  traditions  du  foyer  de  leurs  pères.  Lorsque  nous 
accomplissions,  cet  automne,  notre  pèlerinage  des  Gévennes, 
nous  avons  eu  l'heureuse  fortune  de  voir  arriver  de  Suisse  et 
d'Angleterre  des  représentants  distingués  de  ces  familles  du 
Refuge,  désireux  de  rendre  avec  nous  hommage  aux  jours 
d'autrefois.  Trois  d'entre  eux,  directeurs  de  ^'  l'hôpital  des 
français  réfugiés  de  Londres  >)  nous  ont  offert  alors  de  venir 
à  notre  tour  renouer  les  liens  que  les  siècles  n'avaient  pu 
rompre  entièrement;  ils  ont  promis  au  nom  de  leurs  origines 
huguenotes  de  nous  aider,  pour  leur  part,  dans  l'érection  du 
monument  de  Coligny,  et  cette  promesse  ils  l'ont  largement 
et  libéralement  remplie. 

Votre  rapporteur  regrette  vivement  ce  soir  l'absence  de 
M.  le  pasteur  Bersier.  Il  est  vrai  qu'il  vous  eût  laissé  ignorer 
à  quel  point  il  s'est  dépensé  lui-même  pendant  une  semaine 
entière  à  présenter,  avec  une  intarissable  éloquence,  des 
leçons  d'histoire  et  des  exemples  de  foi.  Mais  il  vous  eût  ra- 
conté et  il  vous  eût  fait  partager  l'impression  produite  par 
cette  vieille  crypte  de  la  catliédrale  de  Canterbury  où,  à  quel- 
ques pas  du  tombeau  d'Odet  de  Chatillon  mort  dans  l'exil,  le 
culte  n'a  jamais  cessé  d'être  célébré  depuis  la  moitié  du 
xvr  siècle,  en  langue  française,  avec  notre  liturgie  et  nos 
psaumes;  il  vous  eût  redit  ces  paroles  si  sympathiques  pour 
la  France  en  génér^il  et  pour  la  France  prolestante  en  parti- 
culier prononcées  dans  toutes  ces  réunions  où  tant  d'auditeurs 
se  répétaient  :  Et  moi  aussi  j'ai  dans  les  veines  du  sang  hugue- 
not; et  surtout  la  réception  dans  l'établissement  splendide, 
on  dirait  volontiers  dans  le  i)alais  où  sont  recueillis  avec  une 


SCn   LES  TRAVAUX   DE   LA  SOCIÉTÉ.  209 

si  large  et  si  chrétienne  hospitalité  des  vieillards  pouvant 
prouver  que  leurs  ancêtres  étaient  nés  sur  la  terre  de  France. 

Ainsi,  Messieurs,  nous  avons  successivement  recherché  les 
témoignages  visihles  de  notre  histoire,  et  il  nous  a  semblé 
que  nous  apprécions  mieux  la  beauté  de  notre  tâche,  la  gran- 
deur du  Protestantisme  que  les  plus  redoutables  tempêtes 
n'ont  point  déraciné  parce  qu'il  était  fondé  sur  le  roc.  Dans 
l'exercice  qui  vient  de  se  clore,  nous  nous  sommes  unis  de 
cœur  au  jubilé  célébré  par  nos  frères  de  la  Confession  d'Augs 
bourg,  le  quatrième  centenaire  de  Luther  et  nous  regardons 
comme  un  honneur  pour  le  Protestantisme  français  tout  entier 
le  monument  en  trois  volumes  aussi  élevés  par  le  style  que 
profonds  par  la  pensée  érigé  par  M.  le  pasteur  Kuhn  à  la 
mémoire  du  Réformateur.  Le  premier  dimanche  de  janvier, 
dans  ce  temple,  notre  collègue  M.  le  pasteur  Viguié  s'est 
associé  au  jubilé  de  Zwingle.  N'oublions  point  les  dates  qui 
ont  été  marquées  dans  les  desseins  de  Dieu. 

Aux  églises  qui  nous  ont  aidés  %  quelques-unes  pour  la 
première  fois  et  au  prix  de  vrais  sacrifices,  à  la  famille  de  M. 
Ferd.  AValbaum  qui  nous  a  envoyé  une  offrande  de  cent  francs 
en  mémoire  de  lui,   nous  adressons  l'expression  de  notre 

1.  Églises  donatrices  en  1883  :  Aiguesvives,  Anduze,  Angers  (église  libre  év.)^ 
Arles,  Aubais,  Aulienas,  Auniessas,  Bâle,  lîarbésieux,  Bayonne,  Beaumont-lès- 
Valcnce,  Bergerac,  Bernis,  Bioule,  Bolbec,  Boulogne-sur-Mcr,  Boulogne-sur-Seine, 
Bourgoin,  Brignon,  Cacn,  Castres  (deux  églises),  Caussade,  Cette,  Châtillon-sur- 
Loire,  Clermonl-Ferrand,  Codognan,  Cournonteral,  Creysseilles,  Dieppe,  Épinal, 
Ferney,  Fontainebleau  (église  libre),  Gemozac,  Gourniès,  Héricourt,  La  Bastide-sur- 
l'Hers,  Laccpèdc,  La  Grand'Combe,  La  Salle,  Le  Chambon,  Le  Havre  (chap.  cvang.), 
Le  Mans,  Lillebonae,  Logrian,  Lunel,  Luneville,  Maronnes,  Mauguio,  Mazamet 
(deux  églises),  Meaux,  Meauzac,  Meyrueis,  Mialet,  Millau,  Monoblct,  Moissac, 
S.  Bomans,  Montauban  (église  libre),  Montbéliard,  Montpellier,  Montpellier 
(chap.  indép.),  Mouchamps,  Nantes,  Nègrepelisse,  Nîmes,  Niort,  Nyons,  Paris  : 
Oratoire,  Batignolles,  Étoile,  Luxembourg,  Asile  Lambrechts;  Périgueux,  Pignan, 
Poitiers,  Réalmont,  Relizane,  Rouen,  St-Ambroix,  St-Antonin,  St-Éticnne, 
St-GiUes,  St-llippolyte  (deux  églises),  St-Jcan-de-Bruel,  St-Mamert,  St-Michel- 
de-Chaltrillanoux,  St-Pargoire,  Ste-Maric-aux-Miues,  Salies-de  Béarn,  Stras- 
bourg (église  St-Nicolas),  Tonneins,  Toulouse,  Vabre,  Valence,  Vallerauguc, 
Vauvert,  Vesoul,  Yiane,  Vialas. 

XXXUI.  —  li 


210  RAPPORT   DU   PRÉSIDENT 

reconnaissance  à  tous  nos  correligionnaires,  nous  voudrions 
redire  :  Bientôl  nous  serons  au  seuil  de  l'année  qui  nous 
rappellera  la  date  cruelle  du  18  octobre  1685.  Vous  ne  pou- 
vez point  la  laisser  passer  inaperçue.  Il  y  aura  ce  jour-là  des 
tristesses,  des  douleurs  poignantes  à  commémorer,  n'oubliez 
pas  vos  morts;  mais  n'y  aura-t-il  pas  des  actions  de  grâces  à 
renouveler  de  ce  que,  selon  les  paroles  du  Psaume  des  Ba- 
tailles, cher  à  nos  Camisards, 

Comme  la  cire  fond  au  feu, 
Ainsi  des  méchants  devant  Dieu 
La  force  est  consumée. 

A  notre  peuple  protestant  qui  nous  a  prouvé  que  son  cœur, 
quoiqu'on  en  dise,  sait  encore  battre  et  vibrer  quand  on  lui 
parle  de  ses  confesseurs  et  de  ses  martyrs,  racontez  d'église 
en  église  ce  que  furent  les  épreuves  de  Sion.  Il  est  des  contem- 
plations qui  élèvent  au-dessus  des  misères  du  présent  et 
poussent  vers  les  conquêtes  pacifiques  de  l'avenir.  Ah  !  Mes- 
sieurs, lorsque  dans  nos  temples  on  entonne  nos  vieux 
psaumes,  —  et  vous  êtes  comme  nous  reconnaissants  à  ceux 
qui  nous  les  rendent  ce  soir,  —  songez-vous  toujours  à  ce 
qu'ils  doivent  représenter  pour  nous,  au  bienfait  de  ce  culte 
en  esprit  et  en  vérité  où  rien  n'entrave  plus  l'élan  de  notre 
adoration  et  de  notre  gratitude?  Nous  l'avons  senti  profon- 
dément alors  que  réunis  dans  le  sombre  cachot  de  la  Tour  de 
Constance,  nous  avons  entendu  tout  à  coup  retentir  (la  pre- 
mière fois  depuis  les  chants  des  infortunées  captives),  ce 
psaume  XLII  dans  lequel,  malgré  les  coups  de  leurs  geôliers, 
la  voix  de  leur  gémissement  et  de  leur  pieux  désir  était  si 
souvent  montée  vers  Dieu. 

Ensemble  cantavoun  li  siaoume 
Din  la  prisoun  commo  ou  Doser.. 

Et  nous  voudrions,  vous  associant  toujours  plus  intimement 


SUR   LES  TRAVAUX  DE   LA   SOCIÉTÉ.  21i 

à  notre  œuvre  de  piété  filiale  et  de  large  fraternité  protestante, 
vous  redire  l'exhortation  qui  nous  a  été  lue  sous  les  châtai- 
gniers du  Mas-Soubeyran,  dans  les  pages  mêmes  de  la  vieille 
Bible  de  Roland  : 

((  Et  les  autres  ont  été  éprouvés  par  moqueries  et  battiires, 
davantage  aussi  par  liens  et  prison.  Ils  ont  été  lapidés,  ils  ont 
été  sciés,  ils  ont  été  tentés,  ils  ont  été  mis  à  mort  par  occision 
d'épée,  ils  ont  cheminé  ça  et  là  vêtus  de  peaux  de  brebis  et 
de  chèvres,  destitués,  affligés,  tourmentés.  Desquels  le  monde 
n'était  pas  digne;  errans  es  déserts  et  montagnes  et  cavernes 
et  pertuis  de  la  terre... 

»  0  peuple,  n'oublie  pas  ce  que  tes  yeux  ont  vu  !  » 

Messieurs, 

Selon  l'article  10  des  statuts  qui  porte  :  «  Les  membres  du 
Comité  peuvent  s'adjoindre  des  membres  associés  avec  voix 
consultative  »,  et  d'après  la  décision  votée  en  1877  d'offrir  ce 
titre  à  ceux  de  nos  amis  qui  voudraient,  par  une  cotisation 
de  trois  cents  francs  une  fois  versée,  aider  l'œuvre  d'une  ma- 
nière plus  directe,  et  lui  permettre  de  constituer  pour  l'ave- 
nir un  capital  inaliénable. 

J'ai  l'honneur  de  proclamer  aujourd'hui  membres  associés 
du  Comité  : 

MM.  Morris  de  Beaufort,  Giraud  Browning,  Saint-x\ubyn 
RouMiEU,  directeurs  de  l'Hospice  français  de  Londres. 

Messieurs, 

Un  mot  encore  pour  vous  annoncer  un  don  exceptionnel 
qui  ne  nous  est  parvenu  que  cet  après-midi  et  nous  a  été  con- 
firmé par  une  dépêche  reçue  ce  soir.  M.  le  pasteur  Mounier, 
d'Amsterdam,  depuis  si  longtemps  un  ami  dévoué  de  la  Société, 
offre  à  la  Bibliothèque  la  copie,  magnitiqucment  exécutée,  de 
deux-cent-vingt-neuf  pièces  relatives  à  l'histoire  des  Églises 
du  Désert  et  se  composant  surtout  de  la  correspondance 


21 '2         RArPORT   DU   PRÉSIDENT   SUR   LES   TRAVAUX   DE   LA    SOCIÉTÉ. 

d'A,  Court,  de  Court  de  Gébelin  el  des  pasteurs  du  séminaire 
de  Lausanne  avec  un  comité  de  pasteurs  de  l'Eglise  wallonne 
pendant  le  xviii'  siècle.  Celte  collection  forme  plus  de  six- 
cent-cinquanle  pages  in-folio  et  vous  vous  associerez  certai- 
nement à  l'expression  de  profonde  gratitude  que  j'adresse  au 
nom  de  la  Société  à  M.  le  pasteur  Mounier. 


F.    DE   SCHICKLER. 


MÉLANGES 


RULHIÈRE  ET  RABAUT  SALNT-ETIEN'NE 

LA  CALOMNIE  l'AK  l'hISTOIRE  ET  M.  MIGNET.  —  l'aMIUAL  COLIGNY  ET 
MALESHERBES.  —  RULHIÈRE  ET  LA  RÉVOCATION  DE  l'ÉDIT  DE  NANTES. 
—  RABAUT   SAIXT-ÉTIENNE  ET   RULHIÈRE. 

La  tâche  de  l'historien  n'est  jamais  terminée.  Elle  est  toujours  à 
poursuivre  ou  à  recommencer,  parce  que  l'histoire  (qui  se  trouve 
livrée,  comme  toute  chose  ici-bas,  aux  disputes  et  aux  passions  des 
hommes)  est  incessamment  présentée,  on  peut  dire,  exploitée  par 
eux,  selon  les  époques  et  les  circonstances,  au  gré  de  leurs  inté- 
rêts. Trop  heureux  lorsque  les  faits  historiques  ne  sont  que  mal 
compris,  lorsque  l'histoire  est  faussée  inconsciemment  et  de  bonne 
foi!  Mais  combien  souvent  on  l'a  vu,  on  la  voit  dénaturer  à  plaisir, 
et  devenir,  sous  la  plume  de  pamphlétaires  d'occasion,  une  arme 
empoisonnée! 

C'est  ce  que  nous  démontra  éloquemment,  il  a  trente-deux  ans, 
l'homme  éminent  que  la  France  vient  de  perdre,  —  M.  Mignet,  — 
lorsque  nous  lui  soumettions  notre  pensée  de  fonder  une  Société 
d'histoire  du  Protestantisme  français,  auxiliaire  de  la  Société  de 
l'histoire  de  France,  —  pensée  à  laquelle  il  applaudit  chaleureuse- 
ment et  pour  la  réalisation  de  laquelle  il  nous  prêta  tout  aussitôt  sou 
ferme  appui  et  son  précieux  concours.  «  Vous  entreprenez-là,  nous 
»  dit-il,  une  œuvre  des  plus  utiles,  et  pour  laquelle  l'heure  est 
»  venue.  11  n'est  que  temps  de  mettre  au  jour  tant  de  documents 
y>  restés  enfouis,  et  sans  lesquels  la  vérité  ne  saurait  être  connue 
»  dans  son  entier,  ni  les  erreurs  qui  ont  prévalu  ne  pourraient  être 
»  dissipées.  La  vérité!  Qu'il  est  difficile  de  la  faire  surgir,  et  de 
»  l'installer  définitivement,   hors  de  tout  conteste!  Les  erreurs! 


214  RULHIÈRE   ET   RABAUT   SAIXT-ÉTIE.NXE. 

»  Qu'elles  sont  malaisées  à  extirper,  et  comme  elles  repoussent  tou- 
»  jours,  à  l'instar  des  mauvaises  herbes  !  n 

Et,  cà  ce  propos,  nous  nous  rappelons  qu'il  en  vint  à  parler  de 
cette  «  Histoire  de  la  Réforme  »,  composée  par  lui  avant  1830,  qu'il 
avait  été  sur  le  point  de  publier,  qui  fut  même  annoncée  comme 
étant  déjà  sous  presse  sur  la  couverture  de  l'Histoire  de  la  Révolution 
de  son  ami  Adolphe  Thiers,  en  1829. —  «  C'est  que  j'étais  bien  jeune 
»  encore  alors,  —  jeune  et  présomptueux!  —  (ajouta-t-il  avec  ce  fin 
»  sourire  et  cetle  charmante  amabilité  qui  le  caractérisaient).  Mon 
»  siège  était  fait.  Pour  avoir  donné,  sur  la  révolution  religieuse  du 
»  XVI*  siècle,  quelques  conférences  qui  avaient  eu  du  succès,  pour 
»  les  avoir  rédigées  avec  soin,  je  me  figurais  avoir  écrit  l'Histoire  de 
»  la  Réforme.  Elle  allait  paraître.  Heureusement,  je  m'aperçus  à 
»  temps  que  mon  édifice  était  caduc,  qu'il  avait  besoin  d'être 
»  repris  parle  menu,  et  que  les  matériaux  d'un  tel  travail  n'étaient 
»  point  même  encore  amenés  à  pied  d'œuvre.  Je  remis  mon  manus- 
»  crit  au  tiroir,  d'où  il  n'est  plus  sorti,  et  je  résolus  d'étudier  à  nou- 
»  veau,  puis  de  procéder  par  épisodes  et  monographies.  Je  devrai 
»  m'estimer  heureux  si  je  viens  à  bout  d'achever  quelques-uns  de 
»  mes  épisodes  choisis,  comme  ceux  que  j'ai  mis  déjcà  en  lumière  et 
»  que  vous  connaissez.  Marchez,  vous  aussi,  dans  cette  voie,  qui  est 
»  la  bonne,  produisez  des  documents,  élucidez-les  par  des  inves- 
»  tigations  partielles  et  collectives.  Laboranduml...  sicitur  ad 
»  verum.  » 

Notre  Société  a  été  fidèle  à  cette  devise,  à  cette  mission,  et,  dans 
le  cours  d'une  carrière  déjà  longue  et  laborieuse,  elle  a  pu  maintes 
fois  reconnaître  combien  il  est  indispensable,  en  effet,  de  sonder  les 
écritures,  d'examiner  toutes  choses  pour  éliminer  ce  qui  est  mauvais 
et  roclifier  ce  qui  est  faux,  d'enlever  les  nombreux  boisseaux  qui 
recouvrent  de  nombreux  lumignons,  de  veiller  assidûment  à  ce  que 
le  zèle  persévérant  des  immortels  chevaliers  de  l'Ordre  de  l'Éteignoir 
réussisse  de  moins  en  moins  à  substituer  les  ténèbres  à  la  lumière, 
luci  tenebras.  En  dépit  des  contradictions  et  des  défaillances  de 
toute  œuvre  terrestre,  la  Réforme  a  su  maintenir  haut  et  ferme 
son  drapeau  :  Post  tenebras  lux! 

Pour  ne  citer  ici  que  les  deux  mémorables  sinistres  de  nos  annales 
de  la  France  protestante,  —  ces  deux  grands  crimes  religieux,  ces 
deux  grandes  fautes  politiques  (la  Saint-Rarthélemyet  la  Révocation 


RULHIÈRE   ET   RABAUT   SAINT-ÉTIENNE.  215 

de  rÉdit  de  Nantes),  qui  ont  marqué  notre  histoire  de  deux  néfastes 
fleurs  de  lis,  —  combien  pressante  est  l'obligation  où  nous  sommes 
d'y  revenir  constamment,  soit  pour  en  compléter  les  interminables 
dossiers,  soit  pour  en  confondre  les  obstinés  et  incorrigibles  apolo- 
gistes! Vainement  on  voudrait,  comme  le  président  de  Thou,  abolir 
cet  affreux  souvenir  du  mois  d'août  1572;  vainement  on  voudrait 
effacer  ces  importunes  images  de  l'exode  du  mois  d'octobre  1685  et 
de  tout  un  siècle  de  dragonnades  et  de  persécutions.  Il  faut  bien  en 
prendre  son  parti  et  se  résigner  à  en  parler  toujours,  puisque  le  der- 
nier mot  n'en  est  jamais  dit  et  que  l'on  ressasse  toujours  les  mêmes 
mensonges  et  les  mêmes  erreurs.  Il  n'avait  que  trop  raison,  le  chro- 
niqueur de  h  Revue  des  Deux-Mondes,  lorsqu'il  écrivait,  y  a  plus  de 
vingt-cinq  ans  (non  sans  ironie,  mais  en  se  fondant  sur  des  incidents 
du  moment),  que  ces  vieilles  questions  étaient  plus  que  jamais  des 
actualités,  dont  on  s'entretenait  dans  les  journaux,  dans  les  salons, 
sur  les  boulevards,  dans  le  monde  officiel.  Nous  pourrions  nous- 
même  faire  à  ce  sujet  une  bien  singulière  révélation;  mais  non  hic 
lociis.  Ce  qui  reste  certain,  c'est  que  la  calomnie  demeure  une  hydre 
sans  cette  renaissante,  contre  laquelle  il  faut  être  incessamment  prêt 
à  s'armer  et  à  guerroyer. 

N'est-ce  pas  hier  encore  que  l'un  des  plus  grands  hommes  dont 
notre  France  puisse  se  montrer  fière  à  bon  droit,  l'amiral  Coligny, 
—  ce  martyr  dont  Montesquieu  a  dit  «  qu'il  fut  assassiné,  n'ayant 
.)  dans  le  cœur  que  la  gloire  de  VÉtat;  »  dont  le  grand  évêque  de 
Meaux,  Bossuet,  a  dit  que  «  tout  ce  qu'on  employait  pour  décrier 
»  l'amiral  ne  servait  qu'à  illustrer  sa  mémoire;  »  —  n'est-ce  pas 
hier  que  l'amiral  Coligny  était  vilipendé  dans  les  colonnes  de  cer- 
tains journaux,  invectivant  à  tort  et  à  travers,  comme  s'ils  eussent 
été  jaloux  d'assassiner  une  fois  de  plus  cette  illustre  mémoire?... 
Hélas!  le  mot  de  Montaigne  est  bien  vrai  :  «  Tout  mal  vient  d'dne- 
rie,  »  c'est-à-dire  d'ignorance;  et  ces  insulteurs  nous  l'ont  bien  fait 
voir,  car  leurs  articles,  écrits  à  main  levée  pour  les  besoins  d'une 
lamentable  polémique,  fourmillaient  de  bourdes  et  d'inepties  sans 
pareilles. 

Qu'il  nous  soit  permis,  à  ce  propos,  de  rapporter  ici  une  note  ren- 
contrée par  nous,  l'autre  jour,  inopinément,  dans  un  Mémoire  inédit 
de  Malesherbes,  au  milieu  des  Papiers  de  Rulhière,  à  la  Biblio- 
thèque Nationale  (F.  Fr.  7047,  p.  000),  où  nous  faisions  des  re- 


21G  RULHiKi\i':  kt  nABArr  s.vint-etikn.ne. 

clierclies  sur  les  documoiits  dont  nous  allons  spécialement  vous 
entretenir.  Cette  note  de  Malesherbes  est  ainsi  courue  : 

f(  L'amiral  avait  une  vertu  qui  rend  bien  difficile  le  rôle  de  chef 
»  de  parti.  Il  aimait  sur  tout,  avec  une  sorte  de  passion,  l'ordre  et 
»  la  règle,  et  dès  le  règne  de  Henri  lï,  Lien  longtemps  avant  les 
»  guerres  de  religion,  il  s'était  signalé  en  introduisant  dans  l'infan- 
»  terie,  dont  il  était  alors  colonel-général,  une  discipline  exacte, 
»  inconnue  en  France  avant  lui  et  ([ui  l'avait  plus  t'ait  respecter 
»  qu'aimer  de  ses  troupes.  —  M.  de  Thon  remarque  qu'il  fit  avec 
))  trop  de  précipitation  la  paix  de  1570  qui  lui  lut  si  funeste,  parce 
»  que  (dit  ce  véridique  historien)  la  guerre  civile  lui  était  devenue 
»  insupportable;  parce  qu'il  haïssait  la  licence  et  généralement  tous 
»  les  vices;  parce  qu'il  était  attaché  à  la  discipline  militaire  et  qu'il 
»  était  au  désespoir  de  la  voir  corrompue  par  la  licence  des  guerres 
y>  civiles  sans  pouvoir  s'y  opposer.  » 

Voilà  l'homme  qu'on  traîne  encore  aux  gémonies  en  Tan  1,884! 
Voilà  l'homme  sur  qui  l'on  s'acharne  avec  autant  de  légèreté  que  de 
perfidie!  Quelle  triste  besogne,  pour  ne  pas  la  qualifier  plus  sévè- 
rement!... Honnis  soient  ceux  qui  s'en  chargent!  C'est  donc  une 
heureuse  coïncidence  que  celle  (|ui  nous  a  fait  tomber  sous  la  main 
à  l'improviste  ce  portrait  de  Coligny  tracé  par  le  vertueux  ministre 
de  Louis  XVI,  —  lequel  savait,  lui,  ce  qu'il  disait. 

Et  puist{ue  nous  nous  sommes  ainsi  laissé  aller  à  cette  communica- 
tion incidente,  ajoutons  que,  dans  une  lettre  àUulhière  (du  8  mars 
178G),  relative  au  Mémoire  contenant  la  note  (|ue  nous  venons  de 
citer,  Malesherbes  dit  (7047,  p.  654)  :  «  Ce  morceau  fait  partie  d'un 
»  plus  grand  Mémoiri^  que  je  veux  tenir  tout  prêt  pour  le  cas  où 
»  quelques  dérots  représenteraient  au  lîoy,  qu'en  rendant  aux  pro- 
»  testants  leur  état  civil,  le  Roi  très  chrétien  ne  doit  pas  abaiulonncr 
»  les  soins  qu'ont  toujours  pris  ses  prédécesseurs  pour  la  conversion 
))  des  héréticpies...  » 

Ainsi  le  sage  Malesherbes,  lui  qui  n'est  pas  suspect,  qui  savait  à 
quoi  s'en  tenir,  se  défiait,  en  matière  de  gouvernement,  non  pas 
seulement  des  faux  dévots  (lesquels  sont  de  tous  les  temps,  comnu; 
les  faux  braves),  mais  même  des  dévots  sincères,  des  vrain  dévots, 
que  leur  zèle  aveugle  et  rend  tout  particulièrement  propres  à  gâter 
les  meilleures  causes.  Il  serait  bon  que  la  presse,  (jui  est  devenue  un 
Etat  dans  l'Etat  et  qui  se  considère  même  volontiers  comme  le  pre- 


UIILHIÉnK    ET    UABAUT    S.VIXT-ÉTIEN'NE .  217 

miei*  des  pouvoirs,  veillai  un  peu  sur  elle;  même  qu'elle  se  méfiùtde 
ceux  qui  se  servent  d'elle  pour  tromper  le  public  et  qui  corrompent 
odieusement  ce  que  le  journalisme  ose  parfois  appeler  son  sacer- 
doce. —  Sacerdoce  oblige! 

Mais  venons-en,  sans  plus  tarder,  au  sujet  sur  lequel  nous  nous 
sommes  proposé  d'attirer  aujourd'hui  votre  attention. 

Il  s'agit  de  trois  lettres  témoignant  des  relations  qui  ont  existé,  en 
1788,  entre  le  chevalier  de  Rulliière,  capitaine  de  cavalerie,  l'un  des 
Quarante  de  l'Académie  française,  et  le  fils  de  Paul  Rabaut,  le  pas- 
teur du  Désert,  Rabaut  Saint-Etienne.  On  sait  que  Rulhière,  déjà 
honorablement  connu  comme  historien,  avait  été  chargé  par  le 
ministère  de  rédiger  des  a  Eclaircissements  historiques  sur  les 
causes  de  la  Rcvocalion  de  l'Edit  de  Nantes  et  sur  l'état  des  protes- 
tants en  France.  »  Il  fallait  venir  en  aide  aux  bonnes  intentions  du 
roi  Louis  XVI,  qui  voulait  bien  apporter  un  palliatif  à  des  maux 
séculaires,  mais  que  gênaient  encore  les  scrupules  d'une  dévotion 
à  la  l'ois  religieuse  et  monarchique  (car  il  s'agissait  pour  lui,  de 
revenir  sur  la  monstrueuse  iniquité  de  son  aïeul  Louis  XIV).  Il  était 
aussi  bieji  empêché  par  l'opposition  du  clergé  et  des  dévots,  tels  que 
ce  fougueux  parlementaire  d'Esprémenil  qui  allait  s'écrier  en  montrant 
l'image  du  Christ  :  «  Voulez-vous  donc  le  crucifier  encore  une  fois?  » 

Pour  atteindre  son  but,  Rulhière  s'appliqua  à  démontrer,  plus  ou 
moins  spécieusement,  que  la  Révocation  avait  été  amenée  par  des 
intrigues  étrangères  aux  choses  religieuses,  que  Louis  XIV  avait  été 
la  dupe  innocente  de  madame  de  Maintenon,  de  Louvois  et  du  R.  P. 
La  Chaise.  Au  lieu  défaire  l'apologie  des  protestants, l'habile  avocat 
plaidait  les  circonstances  atténuantes  pour  l'auteur  responsable  du 
crime  politique  de  1085,  et,  sans  laisser  voir  du  zèle  pour  les  vic- 
times, il  mettait  leurs  droits  en  évidence  par  la  nature  même  des 
excuses  alléguées  pour  l'oppresseur.  Au  reste,  voici  une  note  iné- 
dite, de  la  main  de  Rabaut  Saint-Etienne,  qu'il  païaît  avoir  rédigée 
lors  de  l'apparition  de  la  première  partie  du  travail  de  Rulhière  et 
qui  en  donne  une  analyse  caractéristique  : 

«  L'ouvrage  de  M.  le  chevalier  de  Rulhière  est  publié.  11  a  pour  titre  : 
Éclaircissements,  etc.  Cet  ouvrage,  dont  la  luclurc  est  attachante  par  la 
clarté  et  la  grâce  du  style,  jette  un  très  grand  jour  sur  une  des  plus 
obscures  époques  du  siècle  de  Louis  XIV,  lors(juc  oc  Roi,  parvenu  au 
déclin  de  l'âge  et  devenu  dévot,  adojita  le  projet  de  ramener  tous  ses 


218  RULHIÈRE   ET   HABAUT   SAIXT-ÉTIENNE. 

sujets  à  la  même  croyance.  Le  préjugé  nous  persuade  toujours,  malgré 
l'expérience,  que  les  opérations  des  cours  sont  l'effet  d'une  sage  politique. 
Bien  des  gens  avaient  cru  jusqu'ici  que  la  révocation  de  l'Édit  de  Nantes 
était  la  suite  d'un  système;  que  Louis  XIV  en  avait  formé  le  projet  de 
très  bonne  heure;  qu'il  l'avait  suivi  avec  constance;  elles  apologistes  de 
cette  révocation  avaient  pris  beaucoup  de  peine  à  prouver  qu'elle  était 
l'effet  de  la  politique  la  plus  consommée.  On  reviendra  de  ce  préjugé  à  la 
lecture  du  livre  de  M.  de  Pailhière.  On  y  verra  que  Louis  XIV  n'avait 
jamais  songé  à  révoquer  l'Édit  de  Xantes;  on  y  suivra  dans  les  diverses 
époques  que  l'auteur  a  distinguées  le  progrès  des  opérations  auxquelles 
il  fut  entraîné,  depuis  le  moment  où  Pélisson  ouvrit  une  banque  pour 
acheter  les  consciences  jusques  à  celui  oîi  Louvois,  voulant  attirer  à  son 
département  la  grande  affaire  qui  se  faisait  sans  lui,  employa  les  moyens 
qu'il  avait  en  mains,  les  soldats  ou  missionnaires  bottés. 

»  L'adresse  avec  laquelle  madame  de  Maintenon  démêla  le  caractère 
du  roy,  ce  mélange  de  galanterie  et  de  dévotion,  deux  fds  avec  lesquels 
elle  eut  l'habileté  de  le  conduire;  les  intentions  du  Roi,  toujours  éloignées 
de  la  violence,  les  dispositions  de  madame  de  Maintenon  qui  se  pliait  aux 
intentions  du  monarque  ;  la  manière  dont  il  fut  conduit  à  user  de  plus  de 
contrainte,  la  faute  de  Ruvigny  qui  força  la  favorite  à  renoncer  aux 
partis  de  douceur,  et  enfin  ce  moment  de  vertige  où,  toute  la  cour  étant 
devenue  dévote  et  les  intendants  jaloux  de  produire  à  l'envi  de  longues 
listes  de  conversions,  tout  se  précipita  à  l'exécution  des  moyens  violents 
qui  grossirent  les  listes  et  persuadèrent  enfin  au  monarque  qu'il  n'y 
avait  presque  plus  de  protestants  dans  le  royaume,  —  tous  ces  objets 
sont  peints  de  main  de  maître. 

»  31,  de  Rulhière  a  eu  l'avantage  de  fouiller  dans  les  Archives  aux  Au- 
gustins,  à  l'Hotcl  de  la  Guerre,  au  Dépôt  des  Affaires  étrangères.  11  a 
rassemblé  beaucoup  de  pièces  originales  et  de  mémoires  du  temps  qui 
étaient  inconnus,  il  a  fondu  les  principaux  matériaux  dans  son  ouvrage, 
et  il  les  a  heureusement  rapprochés  de  divers  ouvrages  imprimés  que 
nous  avons  déjà,  ce  qui  fait  de  son  livre  une  histoire  aussi  neuve  qu'in- 
téressante. Il  n'en  a  donné  que  la  première  partie  :  la  seconde  renfer- 
mera le  ('.  Rappport  général  que  M.  le  bai'on  de  Rreleuil  a  mis  sous  les 
yeux  du  roi,  au  mois  d'octobre  178(S  ».  Ces  éclaircissements  qui  suivront 
auront  pour  objet  dedonner  pliisde  développement  àdesfaitsquiinléres- 
sent  plus  particulièrement  l'histoire  et  (jui  ne  devaient  pas  entrer  dans  le 
Mémoire  du  Ministre  vers  lequel  doit  se  tourner  la  reconnaissance  pu- 
blique.» 

On  voit,  par  celte  note  aulograplie,  conservée  parmi  les  papiers 
Coquerel-Rabaut    de  notre   Bibliothèque   de    la    place   Vendôme 


RULHIÈRF.   ET   llABAUT   SAINT-ÉTlENNE.  219 

(t.  XXIX,  p.  J 13),  à  quel  point  Rabaut  Saint-Etienne  était  entré  dans 
l'esprit,  dans  le  jeu  du  travail  de  Rulhière.  «  On  avait  cru  jusqu'ici 
»  que  Louis  XIV  avait  voulu  révoquer  l'Édit  de  Nantes...  »  Quelle 
illusion!  Quelle  profonde  erreur!  a  On  reviendra  de  ce  préjugé  en 
»  lisant  M.  de  Rulhière...  Louis  XIV  n'y  avait  jamais  songé.  »  La 
thèse,  on  doit  en  convenir,  est  d'une  belle  force,  et  il  fallait  avoir  la 
grâce  d'état  d'un  avocat  généreux,  la  conviction  d'un  grand  service 
à  rendre,  il  fallait  que  la  nécessité  d'un  tel  paradoxe  fût  bien 
démontrée,  pour  que  l'on  crût  devoir  l'affronter  ainsi  pour  les 
besoins  de  la  cause  ! 

C'est  ce  que  Sainte-Beuve  ne  nous  semble  pas  avoir  suffisamment 
compris  et  expliqué  dans  sa  causerie  sur  Rulhière,  du  lundi  '20  sep- 
tembre 1851.  Il  ne  paraît  pas  non  plus  avoir  connu  les  rapports  qui 
s'étaient  noués,  à  l'occasion  de  cette  publication,  entre  Rulhière  et 
Rabaut  Saint-Etienne.  L'auteur  de  V Histoire  des  Églises  du  Désert, 
Charles  Coquerel,  ne  fait  lui-même  que  les  indiquer;  il  se  borne  à 
dire  que  Rabaut  Saint-Etienne  ne  resta  probablement  pas  étranger 
au  travail  de  Rulhière.  Les  pièces  inédites  que  nous  allons  vous  lire, 
et  que  nous  avions  copiées  sur  l'original,  il  a  longtemps  déjà,  éta- 
blissent clairement  et  positivement,  pour  la  première  fois,  ce  point 
intéressant  des  cordiales  et  utiles  relations  que  la  publication  des 
Éclaircissements  de  Rulhière  avait  amenées  entre  l'académicien  et 
!e  fils  de  Paul  Rabaut,  le  futur  président  de  l'Assemblée  nationale. 

Voici  la  première  de  ces  lettres,  portant  au  dos  cette  suscription 
et  adresse  :  A  Monsieur  de  Saint-Étienne,rue  de  Richelieu,  ^"42. 

I 

De  riIermilage-Rulhière,  près  Saint-Denis,  le  7  février  1788. 

«  Aurez-vous  la  bonté,  Monsieur,  de  rendre  à  la  seconde  partie  des 
Éclaircissements,  etc.,  le  même  service  que  vous  avez  bien  voulu 
rendre  à  la  première?  Pourriez-vous  me  donner,  dans  la  matinée  de 
mardi  prochain,  12  de  ce  mois,  environ  une  heure  et  demie,  de[)uis 
onze  heures?  J'arriverai  de  la  campagne  quelques  moments  avant, 
pour  passer  à  Paris  ce  jour-là  et  retourner  le  lendemain  achever  ce 
travail  dans  ma  profonde  solitude.  Je  regarderai  comme  bien 
employés  ce  peu  de  moments  que  je  passerai  à  Paris,  si  vous  voulez 
bien,  Monsieur,  en  prendre  une  partie. 


220  RULIIIÈrtE   ET   RADAL'T   SAIXT-ÉTIENNE. 

»  Quelques  petits  tracas  que  je  trouverai  en  arrivant  m'engagent  ù 
vous  supplier,  Monsieur,  de  permettre  que  ce  soit  chez  moi  que  je 
vous  propose  ce  rendez-vous.  Si  j'en  crois  ce  qu'on  m'écrit  de  Saint- 
Quentin,  la  seule  province  dont  j'aie  jusqu'à  présent  re(;u  des  nou- 
velles, les  Religionnaires  me  lisent  avec  grand  plaisir.  Je  n'oublie 
pas  que  sans  vous  ils  m'eussent  lu  avec  peine,  et  il  y  aura  peut-être 
bien  quelques  mots  du  mên)e  genre  à  expulser  de  la  Seconde  partie. 
Je  les  recommande  à  vos  rigueurs. 

»  Vous  connaissez.  Monsieur,  mon  inviolable  attachement.  « 

La  première  partie  des  Éclaircissements  (celle  à  laquelle  se 
rapporte  la  note  ci-dessus  de  Rabaut-Saint-Étienne)  avait  paru  en 
1788,  au  moment  où  le  Parlement  de  Paris  (18  janvier)  délibérait 
de  faire  au  roi  des  remontrances  sur  l'Édit  concernant  l'état  civil  des 
non-catholiques,  rendu  à  Versailles  deux  mois  auparavant.  On  voit 
que  Rabaut  Saint-Etienne  avait  rendu  h  Rulhière  le  service  de  relire 
cette  première  partie  et  de  lui  proposer  certains  amendements  ten- 
dant à  en  rendre  la  phraséologie  plus  acceptable  et  plus  agréable  aux 
Religionnaires.  Il  était  prié  de  faire  de  même  pour  le  manuscrit  de 
la  deuxième  partie. 

II 

Une  seconde  lettre  de  Rulhière  est  de  quatre  mois  et  demi  posté- 
rieure; elle  est  du  16  juin  1788.  La  seconde  partie  des  Éclaircisse- 
ments est  alors  presque  imprimée.  Rulhière  y  précise  davantage  ce 
dont  il  est  redevable  à  son  correspondant;  il  entre  dans  des  détails 
sur  l'économie  de  son  travail;  il  se  montre  anxieux  de  connaître 
l'opinion  qu'en  aura  le  vieux  Paul  Rabaut;  il  engage  le  iils  à  se  faire 
l'historien  de  la  guerre  des  Cévennes,  alors  si  peu  et  si  mal  connue; 
il  lui  promet  la  communication  des  documents  que  recèlent  les 
Archives  officielles  : 

Paris,  10  juin  1788. 

«  Italiam!  Tlaliam!  Enfin,  Monsieur,  je  louche  au  terme  de  ma 
navigation.  Mes  dernières  épreuves  sont  corrigées.  Les  dernières 
feuilles  sont  tirées.  Après-demain  j'achève  de  révéler  au  public 
toutes  les  misères,  toutes  les  erreurs,  toutes  les  fautes  du  gouverne- 
ment, pendant  plus  de  cent  années,  sur  une  affaire  qu'on  a  cherchée 


RULHIÈRE   ET   RABAUT   SAINT-ÉTIENNE.  221 

à  plaisir,  qu'on  a  reiulue  grave  et  désastreuse,  dans  une  matière  qui 
ne  devait  plus  produire,  quelque  passion  qu'on  y  portât,  que  les  plus 
simples  affaires  et  les  plus  faciles  à  terminer.  Je  n'oublierai  jamais, 
Monsieur,  le  très  grand  service  que  vous  m'avez  rendu  pour  cet 
ouvrage.  C'est  à  vous  que  je  dois  d'y  avoir  conservé  mon  avis,  comme 
philosoplie,  sur  la  tolérance,  indépendant  de  l'opinion  beaucoup 
plus  restreinte  à  laquelle  un  Ministre  d'Etat  a  dû  naturellement  être 
déterminé  par  mille  circonstances.  Cette  seconde  partie  serait  meil- 
leure, si  elle  avait  passé  tout  entière  sous  vos  yeux.  Mais  elle  aura 
du  moins  ce  mérite  particulier,  et  je  le  dois  à  celle  de  vos  observa- 
lions  qui  m'a  fait  réformer  un  chapitre  de  la  première  partie.  Je 
reconnais  avec  grand  plaisir  cette  obligation  que  je  vous  ai;  c'est 
par  là  que  mon  ouvrage  pourra  être  d'une  utilité  plus  générale  que 
celle  de  la  circonstance  particulière  qui  l'a  fait  naître. 

»  Le  libraire  de  Nismes  a  ordre  d'en  remettre  de  ma  part  un 
exemplaire  àM^  votre  père,  que  je  supplie  d'agréer  cet  hommage  de 
ma  vénération,  et  un  à  vous,  monsieur,  à  qui  je  demanderai  des 
critiques  sévères,  qui  puissent  me  servir  pour  une  seconde  édition. 
Dites-moi,  avec  la  vérité  que  j'aime,  avec  la  sévérité  dont  je  ne  suis 
pas  indigne,  ce  qu'en  disent  vos  compatriotes  qui  ne  porteront  pas 
comme  vous,  monsieur,  dans  cette  lecture,  la  prévention  de  l'amitié. 
»  Le  travail  auquel  j'ai  dû  me  livrer,  avec  une  tète  un  peu  fatiguée 
et  des  yeux  bien  mauvais  et  bien  affaiblis,  m'a  fait  différer  jusqu'à 
présent  de  répondre  à  la  lettre  dont  vous  m'avez  honoré  il  y  a  un 
mois.  J'ajoute  que  depuis  un  mois  je  suis  sans  secrétaire,  et  que  le 
mouvement  des  affaires  actuelles  m'a  aussi  donné  quelques  tristes 
distractions.  Pardonnez  donc  à  mon  silence,  et  ne  l'attribuez,  je  vous 
supplie,  à  aucun  genre  de  négligence.  M.  de  Malesherbes  m'a  com- 
muniqué deux  pièces  qui  lui  ont  été  envoyées  de  Genève.  Il  y  en  a 
une  dontj'ait  tait  usage  et  qui  m'a  été  fort  utile.  Je  recevrai  les 
autres  avec  grand  plaisir.  Elles  compléteront  la  collection  que  je 
compte  déposer  à  la   Bibliothèque  du  Roi.  Mais  plusieurs  raisons 
m'ont  déterminé  à  ne  point  les  attendre.  On  me  sommoit  de  toutes 
parts  de  remplir  la  promesse  que  j'ai  faite  de  donner  cette  seconde 
partie.  Dans  une  plus  longue  attente,  l'attention  du  public,  déjà 
distraite,  se  serait  entièrement  détournée.  Il   est  fort  à  craindre 
que  l'agitation  actuelle  ne  se  calme  de  sitôt,  et  je  dois  profiter  du 
moment  où  on  peut  encore  me  lire.  Le  mot  de  l'abbé  de  Vcrtut  : 


222  RULHIÈRE   ET   RABAUT   SAIXT-ÉTIENNE. 

«  Mon  siège  est  fait  »,  n'est  pas  aussi  ridicule  qu'il  le  paraît.  Quand 
un  historien  s'est  bien  assuré  de  la  vérité  d'un  fait  général  et  a  suf- 
fisamment de  preuves  pour  se  déterminer,  suffisament  de  faits  parti- 
culiers pour  orner  son  récit,  quelques  détails  et  quelques  preuves 
de  plus,  mais  qui  bien  certainement  ne  changeront  rien  à  la  nature 
des  choses  dont  il  est  assuré  de  connoîtrele  fonds,  peuvent  bien  être 
regardés  comme  inutiles.  Ce  que  j'ai  entrepris  n'est  pas  une  histoire 
complète  du  protestantisme  pendant  cent  années,  mais  uniquement 
l'histoire  de  la  conduite  du  gouvernement,  des  principes  qu'il  a 
suivis,  des  erreurs  où  il  est  tombé,  et  dont  j'ai  trouvé  les  preuves 
dans  ses  propres  archives.  J'ai  donc  été  en  avant  sans  plus  attendre. 
Mais  j'ai  prié  M.  de  Malesherbes  de  me  communiquer  tout  ce  qu'il 
recevrait  de  Genève,  afin  de  compléter  ma  collection,  et  peut-être 
d'en  faire  usage  pour  répondre  à  quelques  critiques,  si  on  entreprend 
de  me  répondre,  ce  qu'on  n'a  pas  fait  jusqu'à  présent;  j'ai  la  présomp- 
tion de  croire  que  de  nouveaux  documents  n'ajouteront  que  de  nou- 
velles preuves  à  tout  ce  que  j'ai  dit. 

»  Je  ne  puis,  Monsieur,  que  vous  encouragera  écrire  la  guerre  des 
Gévennes.  Vous  verrez  dans  le  livre  que  vous  aller  recevoir,  que  j'ai 
regardé  cette  partie  comme  absolument  étrangère  à  mon  travail.  Je 
le  dis  positivement,  et  je  n'ai  qu'un  chapitre  très  court  sur  cette 
guerre.  Il  contient  cependant  un  fait  très  curieux.  On  avait  d'abord 
caché  cette  guerre  à  Louis  XIV.  Hélas  !  nous  venons  de  voir,  dans 
les  fragments  des  Lettres  de  Madame,  qu'onavait  caché  à  ce  prince, 
en  1709,  la  famine  qui  était  dans  son  royaume.  Les  Mémoires  de 
Saint-Simon  contiennent  un  autre  fait  du  même  genre.  Mad"  de  Main- 
tenon  faisait  soustraire  tous  les  rapports  qui  arrivaient  de  l'armée 
d'Italie;  et  quand  Louis XIV  eut  éclairci  ce  fait  en  présence  du  maré- 
chal de  Catinat,  il  se  contenta  de  répondre  :  «  La  pauvre  femme!  11 
»  est  vrai  qu'elle  est  toujours  occupée  de  moi  !  »  C'est  dans  les  lettres 
mêmes  deMaintenon  que  j'ai  puisé  ce  fait  sur  la  guerre  des  Cévennes. 
Je  n'ai  point  étendu  mes  recherches  sur  cette  guerre  dans  les  Ar- 
chives :  elles  étaient  si  immenses  et  si  fastidieuses  parle  désordre 
que  j'ai  trouvé  dans  plusieurs  dépôts,  que,  sachant  où  étoil  tout  ce 
qui  concernoit  cette  guerre,  j'ai  passé  dessus  sans  m'y  arrêter.  Mais 
vous  me  donnez  l'espérance  de  vous  revoir  quelque  jour  à  Paris;  ol 
e  ne  doute  pas  que  toute  la  partie  qui  est  renfermée  dans  les  Dépôts 
de  M.  le  baron  de  Creteuil  ne  vous  soit  communiquée,  à  votre  pre- 


RULIIIÉRE    ET   HABAUT   SAINT-ÉTIENNE.  223 

mière  demande.  Je  me  joindrai  bien  volontiers  à  vous,  Monsieur, 
pour  obtenir  cette  permission.  Il  aime  trop  la  vérité,  il  se  plaît  trop 
à  seconder  tous  les  travaux  utiles,  pour  que  nous  devions  craindre 
de  sa  part  la  moindre  difficulté  à  ce  sujet.  C'est  aux  Augustins,  dans 
ce  qu'on  appelle  *  le  Dépôt  des  Provinces  »  de  ce  ministère,  que 
nous  trouverons  cette  partie.  Quant  aux  Correspondances  conservées 
dans  le  Dépôt  de  la  Guerre,  mes  relations  n'y  sont  pas  aussi  intimes. 
Peut-être  faudra-t-il  avoir  recours  à  M.  le  M'^  de  la  Fayette. 

»  J'attends  avec  impatience,  sur  mon  nouveau  travail,  l'opinion  de 
M.  votre  père  (à  qui  j'offre  mon  respect),  la  vôtre.  Monsieur,  et  celle 
de  vos  compatriotes  qui  n'ont  aucun  motif  d'indulgence  pour  moi. 

»  Agréez,  je  vous  en  supplie,  l'assurance  de  l'inviolable  attache- 
ment avec  lequel  j'ai  l'honneur  d'être, 
»  Monsieur, 
»  Votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur, 

»  RULHIÈRE  ». 

III 

La  troisième  lettre  de  Rulhière  à  Rabaut  Saint-Etienne  a  plus 
d'importance  et  un  plus  haut  intérêt  peut-être  que  les  deux  dont  nous 
venons  de  donner  lecture.  C'est  qu'elle  n'a  pas  trait  au  passé,  celle- 
ci  :  elle  regarde  le  présent,  elle  touche  à  l'actualité,  aux  brûlants 
préliminaires  de  la  Révolution.  Elle  est  datée  du  3  novembre  1788. 
Elle  met  en  présence  les  idées  politiques  et  sociales  de  l'historien 
académicien  et  celles  du  huguenot,  —  idées  qui  sont  bien  près  de 
s'accorder  complètement  et  qui  montrent  combien  ils  étaient  dignes 
de  se  comprendre  et  de  s'estimer  l'un  l'autre  : 

Ce  3  nuvembrc  1788. 
«  Il  y  a  plus  d'un  mois,  Monsieur,  que  je  vous  dois  une  réponse  : 
j'attendais  un  peu  de  loisir  pour  discuter  avec  vous  la  grande  ques- 
tion dont  vous  me  parlez,  celle  d'une  nouvelle  composition  dans  les 
États-Généraux,  qui  puisse  donner  au  Tiers-État  plus  d'inllucnce. 
Je  ne  jouis  pas  encore  de  ce  loisir.  Les  nouvelles  publiques  vous 
auront  appris  sans  doute  ([u'on  a  offert  à  mon  frère  la  place  de  Com- 
mandant de  la  Garde  de  Paris,  et  cela  dans  le  temps  même  où  le 
peuple  brûloit  le  mannequin  de  M.  Dubois  et  menaçoit  de  brûler  ce 
commandant  lui-même  dans  sa  maison.  Je  vis  trop  intimement  avec 


22i  IIULIIIÈRE   ET   RABAUT   SAINT-ÉTIENXK. 

mon  frère  {Dour  n'être  pas  venu  aussitôt  de  Danger,  où  j'étais,  par- 
tager toutes  ses  indécisions.  Nous  nous  sommes  enfin  déterminés  à 
accepter  cette  place  orageuse,  et  dans  laquelle  le  prédécesseur  de 
M.  Dubois  a  échoué  par  trop  de  mollesse,  comme  celui-ci  vient  de 
faire  par  trop  de  dureté.  Nous  ne  nous  sommes  point  dissimulé  (jue 
les  circonstances  actuelles  et  la  disposition  presque  générale  des 
esprits  ajoutaient  encore  à  ces  difficultés.  Mais  mon  frère  s'est  déjà 
foit  connaître  par  un  mélange  de  douceur  et  de  fermeté,  qui  n'a  pas 
peu  contribué  à  calmer  les  derniers  désordres  de  Paris,  où  il  avait 
été  appelé  à  la  tète  d'un  nombreux  détachement.  Il  est  capable  de 
la  place.  Celle  qu'il  vient  de  quitter  en  fait  vaquer  une  autre  qui  sera 
donnée  à  son  fils,  et  ce  sentiment  paternel  a  fait  pencher  la  balance. 
J'ai  un  grand  plaisir,  Monsieur,  à  vous  rendre  compte  de  tout  ce 
qui  m'intéresse,  et  je  puis  ajouter  une  chose  qui  vous  le  rendra  per- 
sonnel. Gazettes,  nouvelles  à  la  main,  propos  publics,  tout  a  été  si 
favorable  à  mon  nom  dans  cette  occurence,  que  j'ai  bien  vu  que, 
loin  de  me  savoir  mauvais  gré  d'avoir  deffendu  la  grande  et  belle 
cause  dont  je  me  suis  chargé,  et  qui,  cinquante  ans  plustôt,  m'au- 
rait attiré  une  foule  d'ennemis,  j'avais  au  contraire  bien  mérité  de 
ma  patrie;  on  le  sentait,  on  m'en  récompensait  dans  les  miens,  et  le 
choix  de  mon  frère  avait  l'approbation  universelle. 

»  Les  affaires  de  ma  famille  sont  les  miennes  :  mes  neveux  sont 
mes  enfants,  et  j'ai  été  fort  occupé  de  tout  ceci.  Mais  pour  répondre 
cependant,  Monsieur,  à  la  grande  question  traitée  dans  votre  lettre, 
voici  mon  opinion. 

»  M.  l'archevêque  de  Sens  proniettoit  les  Étals-Généraux,  mais  // 
ne  les  voulait  point.  Il  avoit  donné  sa  parole  au  Roi  rju^ils  ne  se- 
roient  pas  tenus.  Sa  mauvaise  administration,  il  est  vrai,  les  ren- 
dait de  plus  en  plus  inévitables;  et  cependant,  pour  les  éviter,  il  a 
élevé  à  la  l'ois  une  infinité  de  questions  failes  pour  diviser  les  esprits, 
pour  nous  persuader  ([u'une  tenue  d'États  est  devenue  presque  im- 
possible, pour  empêcher  les  Ordres  de  pouvoir  se  concilier,  pour 
donner  aux  différents  corps  des  motifs  de  méconnaître  les  États.  En 
un  mot,  il  nous  a  tendu  une  intinilé  de  pièges,  et  nous  avons  la 
simplicité  et  la  duperie  de  nous  y  prendre.  Nous  avons  aujourd'hui 
les  ailes  et  les  ongles  pris  dans  la  gliie  (ju'il  nous  a  préparée. 

»  Si  nous  voulons  agitera  la  fois  tant  tU\  (jiiestions,  sou-nettre  tant 
de  préjugés,  tant  de  passions,  tant  d'esprit  de  corps,  faire  en  six 


RULHIÈRE   ET  RAB.\UT   SAINT-ÉTlENNE.  225 

mois  ce  que  les  Anglais  ont  fait  en  cent  ans,  nous  sommes  perdus. 

»  Il  faut  laisser  aux  Etats  le  soin  de  se  perfectionner  eux-mêmes 
dans  l'espace  d'un  assez  grand  nombre  d'années. 

»  Je  conviens  avec  vous,  Monsieur,  de  lout  ce  que  contient  ce  beau 
passage  de  votre  lettre  :  «  Nous  aimerions  que,  s'il  y  a  des  États- 
»  Généraux,  le  Tiers-État  y  lut  en  nombre  très  prépondérant,  parce 
»  que  c'est  lui  qui  est  le  bouclier  de  l'Autorité  royale,  l'ami  naturel 
»  de  l'Ordre  et  du  Bien  public,  et  parce  que,  n'ayant  aucun  intérêt 
»  particulier  à  soutenir,  il  est  impossible  qu'il  demande  autre  chose 
»  que  l'intérêt  général.  Le  Tiers-État  est  la  Nation  même,  etc.,  etc.  » 
En  effet,  on  ne  peut  nier  que  la  démocratie  ne  soit  le  gouvernement 
le  plus  naturel,  et  que,  plus  une  constitution  se  rapproche  de  celle- 
làj  plus  elle  doit  être  juste  et  parfaite.  Je  pense  donc  comme  vous 
sur  ce  point;  mais  je  diffère  dans  mon  opinion  sur  le  moyen  de  pro- 
duire en  France  celte  approximation.  Je  crois  qu'il  faut  bien  nous 
garder  de  vouloir  précipitamment  tout  changer.  On  pourrait,  selon 
moi  s'en  tenir,  pour  cette  première  tenue  d'États,  aux  anciennes 
élections.  Personne  alors  n'auroit  aucun  prétexte  pour  les  mécon- 
naître :  on  continuerait  à  voter  par  Ordres  de  privilégiés  contre  le 
seul  Tiers-État,  on  établirait  dans  toutes  les  affaires  importantes  ce 
qui  est  établi  pour  les  impôts,  savoir  la  nécessité  du  consentement 
des  trois  Ordres.  Ce  moyen  me  paraîtroit  lever  toutes  les  difficultés 
qu'on  a  voulu  susciter.  Il  est  évident  que,  si  on  continue  de  voter 
par  Ordre,  il  n'y  a  aucun  motif  d'augmenter  le  nombre  de  députés 
du  Tiers.  Il  faut  donc,  si  on  augmente  ce  nombre,  changer  aussi 
l'ancienne  forme  de  compter  les  suffrages.  Que  d'innovations  !  Que 
d'occasions  de  mésintelligence  !  Et  par  quelle  autorité  seront  décidés, 
avant  la  tenue  des  États,  des  changements  ({ui  ne  peuvent  être  faits 
que  par  eux  seuls?  En  considérant  le  droit  naturel,  on  penche  pour 
le  gouvernement  démocratique*  :  en  considérant  toutes  les  malheu- 
reuses passions  humaines,  on  sent  qu'il  faut  compliquer  les  gouver- 

1.  <(  Tibérius  Gracchus  et  son  IVère  avaient  raison,  et  nous  ne  inamiuons  pas 
aujourd'liui  de  gens  qui  adoptent  une  partie  de  leurs  principes.  Il  est  vrai- 
semblable même  qu'ils  ne  s'arrêteront  pas  en  si  beau  chemin.  Après  avoir  sou- 
levé le  Tiers-État,  on  soulèvera  les  pauvres  contre  les  riches.  Pourquoi,  si  on 
renverse  tous  les  privilèges, ne  pas  demander  tout  de  suite  un  partage  des  terres? 
A  tous  ces  beaux  raisonnements,  il  laut  répondre  par  la  fable  de  Mennenius.  » 
{Note  de  Hulhière.) 

xxxiii.  —  15 


226  RULIIIÈRE    ET    RABAUT   SAINT-ÉTIENNE. 

nements.  Nous  aurons  toujours  des  rois  et  des  patriciens  :  ayons 
donc  des  épiiores  et  des  tribuns:  ainsi  raisonnèrent  les  Spartiates  et 
les  Romains.  Je  voudrais  que  nos  Français  se  disent  aussi  :  nous 
aurons  toujours  des  nobles  et  des  prêtres  :  cherchons  dans  notre 
Constitution  quelque  contre-poids,  ce  doit  être  là  notre  objet;  mais 
si  nous  essayons  de  trop  humilier  les  nobles  et  les  prêtres,  la  division 
qui  se  mettra  parmi  nous  va  tout  perdre.  ,Je  crains  la  précipitation 
française; je  crains  cette  fureur  démocratique.  Je  voudrais  qu'on  s'at- 
tachât l»  à  faciliter  une  tenue  d'États  quelconques;  2«  à  concilier 
d'abord  les  esprits  sur  le  mal  le  plus  pressant,  qui  est  le  Déficit. 
On  prétend  que  les  Provinces  veulent  la  banqueroute.  Les  insensées! 
elles  ne  sentent  pas  que  la  liberté  ne  tient  qu'à  la  Dette;  3"  enfin, 
je  voudrais  qu'on  rendît  les  fréquentes  convocations  nécessaires.  Le 
reste  viendra  ensuite  :  mais  il  faut  tenir  les  trois  premiers  points 
pour  avoir  le  reste.  En  un  mot,  posons  cette  fois-ci  de  bonnes  bases 
pour  l'avenir  et  de  bonnes  barrières  contre  les  exemples  du  passé. 

»  Voilà,  Monsieur,  mon  opinion  :  elle  est  d'accord  avec  celle  que 
vous  m'avez  vue  précédemment.  Je  crois  qu'en  toute  affaire,  après 
avoir  bien  examiné  le  fond  des  choses,  il  faut  se  prêter  au  tems,  et 
songer  moins  à  la  perfection  idéale  qu'au  succès  possible. 

»  Recevez  tous  les  hommages  de  mon  tendre  et  respectueux  atta- 
chement. » 

A  quelles  réflexions  cette  lettre  pourrait  donner  lieu  !  Laissons  à 
d'autres  le  soin  de  les  développer. 

Bornons-nous  à  rappeler  que  le  correspondant  de  Rabaut  Saint- 
Etienne,  Rulhière,  devait  survivre  deux  ans  seulement  à  l'ouver- 
ture de  ces  États-Généraux  qui  le  préoccupaient  si  léiiitimement  : 
il  mourut  le  5  décembre  1793. 

Rabaut  Saint-Étienne  allait  prendre  aux  premières  luttes  de  la 
Révolution  française  la  glorieuse  part  (|ue  l'on  sait.  11  devait  s'im- 
mortaliser [)ar  cette  parole,  digne  de  l'élofiuence  anti(jiio,  prononcée 
par  lui  à  la  tribune  de  la  Convention,  le  28  septembre  1793  :  «  Je 
suis  las  de  ma  portion  de  despotisme  f  Je  soupire  après  Vinstant 
où  un  tribunal  national  nous  fera  perdre  la  forme  et  la  conte- 
nance de  tyrans  !  »  —  Au  lieu  de  ce  tribunal  national  qu'il  avait 
appelé  de  ses  vœux  patriotiques,  c'est  hélas  !  le  tribunal  révolution- 
naire qu'il  vil  bieniùt  constituer  et  devant  lequel  une  mise  hors  la 


DEUX  INTÉRIEURS   DE    PASTEUR    AU   XVIP   SIÈCLE,  227 

loi  et  une  dénonciation  le  faisaient  comparaître  le  4  décembre  1793. 
Il  ne  sortit  du  prétoire  de  Fouquier-Tinville  que  pour  porter  sa 
noble  tête  sur  l'échafaud  et  sceller  de  son  sang  la  fin  des  temps 
anciens  et  l'avènement  des  temps  nouveaux. 

C'est  Rabaut  Saiiit-Étienne  (notons-le  en  finissant)  qui  a  écrit 
les  trois  réflexions  que  voici,  à  la  suite  de  son  excellent  Précis  de 
VHistoire  de  r Assemblée  constituante. 

«  La  France  n'a  pas  fait  sa  Révolution  :  elle  l'a  commencée.  » 

«  La  Révolution  sera  peut-être  finie  par  un  homme;  mais  elle 
))  devait  être  commencée  par  tous.  » 

€  L'Histoire  de  la  Révolution  de  France  est  un  recueil  de  pro- 
))  phéties.  » 

En  formulant  ces  pensées,  et  bien  d'autres  non  moins  remar- 
quables, dans  les  Réflexions  de  premier  jet  qui  terminent  son  tableau 
de  la  grande  Constituante,  —  tableau  rapidement  tracé  comme  on 
décrit  une  bataille  au  lendemain  du  jour  où  elle  fut  donnée,  — 
Rabaut  Saint-Étienne  fut  lui-même  un  vrai  prophète,  un  précurseur. 

On  ne  Test  pas  impunément  dans  son  pays  ! 

Charles  Read. 


DEUX  INTÉRIEURS  DE  PASTEUR  AU  XVIP  SIÈCLE 

Quand  M.  le  Président  delà  Société  du  Protestantisme  français  a 
bien  voulu  me  demander  si  j'aurais  ce  soir  quelque  chose  à  lire 
dans  celte  rénnion,  j'ai  d'abord  beaucoup  hésité  à  accepter  cette 
offre  flatteuse.  Pour  oser  vous  parler  après  ceux  que  vous  venez 
d'entendre,  il  faudrait  avoir  quelque  chose  de  plus  digne  de  votre 
attention  que  mes  modestes  travaux.  J'ose  cependant...  vous  sachant 
aussi  bienveillants  que  je  suis  au-desous  de  la  tâche  que  j'ai  assumée. 

Une  autre  raison  m'a  décidé  :  autant  j'admire  les  nombreux  et 
importants  travaux  historiques  auxquels  chaque  jour  nous  initie, 
autant  j'y  regrette,  à  quehiucs  louables  exceptions  près,  une 
absence  presque  complète  de  renseignements  sur  la  vie  intime  des 
protestants  de  France.  Leur  vie  extérieure  nous  est  assez  exacte- 
mont  et  a!)ondamment  décrite;  leur  vie  intérieure  ne  l'est  point. 


228  DEUX  INTÉRIEURS   DE   PASTEUR   AU   XVIl'^   SIÈCLE. 

Nous  savons  par  quelles  péripéties  ils  ont  dû  passer;  nous  ne  pou- 
vons jamais  nous  asseoir  à  leur  foyer.  Leur  organisation  ecclésias- 
tique nous  est  connue  dans  ses  traits  généraux;  on  ne  nous  raconte 
pas  son  fonctionnement  de  tous  les  jours.  En  un  mot,  leur  histoire 
du  dehors  —  si  je  puis  m'exprimer  ainsi  —  nous  devient  de  plus 
en  plus  familière,  mais  nous  attendons  encore  leur  histoire  du 
dedans. 

Puisse  un  historien  assez  patient,  assez  laborieux  et  assez  désin- 
téressé (car  ce  serait  une  histoire  sans  côtés  dramatiques,  une 
histoire  aussi  peu  à  effet  que  possible)  entreprendre  un  jour  une 
pareille  tâche  et  nous  montrer  enfin  les  protestants  de  France 
chez  eux. 

En  attendant,  les  circonstances  m'ayant  permis  de  tenter  un  essai 
de  ce  genre  pour  l'Église  de  Mer  (Loir-et-Cher),  il  m'a  semblé  que 
je  pouvais  en  détacher  une  page  et  vous  la  lire.  Elle  aura  toujours 
un  mérite,  celui  de  la  brièveté. 

L'Église  de  Mer  appartenait  autrefois  à  la  province  d'Orléans  el 
Berry.  C'était  même  une  des  plus  considérables  de  cette  province. 
A  un  point  de  vue  plus  général,  elle  n'a  pas  été  sans  une  certaine 
illustration  :  Claude  Mallingre  en  était  peut-être;  Agrippa  d'Aubigné 
y  possédait  un  fief  que  ses  descendants  possédèrent  longtemps  après 
lui;  Pierre  Jurieu  y  naquit  et  la  famille  dé  Jean  Rou,  dont  les  cap- 
tivants Mémoires  ont  été  publiés  de  nos  jours,  en  était  originaire. 

Or,  en  octobre  1651,  mourait  à  Mer  ]\P'  Élie  Péju,  docteur  en 
théologie,  naguère  pasteur  à  Mer,  puis  à  Argenlon,  maintenant 
retiré  dans  son  ancienne  Église. 

M""^  Elie  Péju  n'était  pas  un  homme  comme  on  rencontre  tous  les 
jours  et,  à  vrai  dire,  il  ne  faut  pas  trop  s'en  plaindre.  D'une  mora- 
lité parfaite,  il  était  affligé  d'un  caractère  insupportable.  J'attribue 
cela  en  partie  à  ce  qu'il  n'était  pas  marié.  Toujours  est-il  que  20  ans 
environ  auparavant,  il  avait  dû  quitter  son  Église,  après  de  longues 
années  de  luttes  et  sans  les  honneurs  de  la  guerre.  Mais,  avec  le 
temps,  tout  s'était  adouci,  et  c'est  Mer  que  le  vieux  lutteur  avait 
choisi  pour  y  terminer  paisiblement  sa  carrière  terrestre. 

Je  voudrais  vous  convier  à  venir  visiter  avec  moi  sa  maison.  Rien 
n'est  plus  facile.  Il  a  fallu  dresser  inventaire  de  ses  biens  meubles 
et  immeubles,  et  le  document  existe.  Tout  y  est  mentionné  :  maisons 
—  il  en  avait  trois,  — terres,  créances  hypothécaires,  dettes  actives... 


DEUX   INTERIEURS   DE   PASTEUR   AU  XVlle   SIECLE.  229 

C'est  complet  et  nous  permet  de  constater  tout  d'abord  que  noire 
pasteur  était  dans  une  position  aisée.  Mais  je  ne  veux  m'attacher 
qu'à  la  maison  où,  comme  le  dit  l'inventaire,  «  ledit  deffunt  est 
deceddé.  » 

Figurez-vous  donc  une  maison  ayant  pignon  sur  rue  et  composée 
d'une  chambre  basse,  d'une  chambre  haute  avec  une  petite  chambre 
de  débarras  à  côté,  d'une  cave  et  d'un  grenier,  et  l'inventaire,  comme 
tous  les  inventaires  possibles,  ne  manque  pas  de  dire  :  cave  dessous, 
grenier  dessus!  comme  si  on  pouvait  supposer  le  contraire. 

Deux  pièces  principales  et  quelques  dépendances,  voilà  pour  la 
maison.  Péju  l'habite  seul  et  sa  servante,  une  fort  patiente  créa- 
ture, probablement,  n'est  que  ce  que  nous  appellerions, une  femme 
de  ménage. 

Mais  si  Péju  n'a  que  deux  chambres,  il  faut  convenir  qu'elles  sont 
bien  remplies.  Vous  allez  en  juger.  Commençons  par  la  chambre 
haute  où  il  couche.  Outre  les  meubles  ordinaires,  lit,  table,  chaises, 
nous  y  trouvons  trois  ou  quatre  armoires,  «  boistes  de  bahu  »,  dit 
l'inventaire,  des  armes,  des  outils,  et  ce  qui  est  plus  curieux,  toute 
la  batterie  de  cuisine,  à  l'exception  d'un  grand  chaudron,  d'une 
((  lichefritte  de  fer  »  et  de  quelques  menus  objets  transportés  au 
grenier.  La  chambre  à  coucher  était  en  même  temps  la  cuisine. 

Et  voulez-vous  savoir  de  quoi  se  composait  la  batterie  de  cuisine 
de  notre  pasteur?  Le  voici  :  deux  chaudrons  d'airain  et  un  petit 
cassin  aussi  d'airain;  deux  poislons  d'airain,  une  poisle  de  fer, 
trois  chandelliers  de  cuivre  et  un  de  fer;  une  cloche  de  fonte  garnie 
de  son  écuelle  (objet  dont  je  n'ai  pu  apprécier  l'utilité  ni  la  nature) 
et,  enfin,  70  livres  «  d'estain  ouvragé,  dit  l'inventaire,  en  plusieurs 
espèces  de  vaisselle  » . 

On  le  voit,  Péju  mangeait  dans  la  vaisselle  d'étain  et  avec  des 
couverts  d'étain.  Aussi  son  argenterie  laissait-elle,  il  faut  en  conve- 
nir, fort  à  désirer  au  double  point  de  vue  de  la  variété  et  de  l'abon- 
dance. En  tout  il  possédait  six  «  cuillez  d'argent....  avec  l'estuy 
d'icelles  »,  ainsi  que  le  constate  le  digne  tabellion  et  notaire  royal, 
Jehan  Baignoux. 

Laissons  de  côté  l'épée  garnie  de  son  fourreau  et  le  baudrier  ; 
laissons  les  outils  :  marteau,  tenailles,  etc.;  le  miroir  suspendu  au 
mur  et  même  la  petite  orloge  «  garnie  de  sonmouuement  et  timbre» 
et,  avec  l'indiscrétion  que  l'histoire  autorise,  ouvrons  les  armoires. 


230  DEUX   INTÉRIEURS   DE   PASTEUR   AU    XVir  SlECLIi. 

Je  l'ai  dit,  il  y  en  a  trois  ou  quatre.  Ce  que  je  ne  dirai  pas,  c'est 
tout  ce  qu'elles  contiennent.  Je  n'en  finirais  pas,  s'il  fallait  compter 
les  draps,  les  nappes,  les  serviettes,  le  linge  de  corps  et  de  toilette, 
les  «  frezes,  les  manchettes,  les  collets  »,  etc.  Mais  comment  ne  pas 
être  frappé  de  trouver  des  provisions  de  fil  en  échevaux  et  en  pelo- 
tons, des  pièces  de  toile  ordinaire,  écrue,  fine,  de  lin,  de  fil,  de 
batiste,  de  Hollande;  ou  encore  des  morceaux  de  taffetas  noir,  de 
gros  de  Napples  noir  et  même  de  «  vieil  taffetas  de  velours  ». 
C'étaient,  on  le  voit,  de  ces  bonnes  vieilles  armoires  de  l'ancien 
temps,  bien  garnies  et  pliant  sous  le  poids. 

Évidemment  Péju  n'avait  pas  été  insensible  autrefois  au  plaisir 
de  s'habiller  élégamment.  Mais,  comme  l'a  dit  un  poète:  «  le  temps, 
qui  change  tout,  change  aussi  nos  humeurs  » ,  et  le  charme  de  la 
toilette  paraît  s'être  émoussé  chez  notre  pasteur.  Permettez-moi, 
pour  le  montrer,  d'énumérer  quelques-uns  des  habits  déposés  dans 
une  des  fameuses  armoires,  en  y  joignant  l'estimation  de  W  veuve 
Constant,  née  Gaultier,  «  revenderesse  publicque  audit  Mer  ». 

Une  robe  longue  de  serge  noire  fine,  100  sols  ;  une  soutane  d'es- 
tamine  noire,  30  s.;  une  autre  robe  longue  de  grosse  serge  noire, 
4  livres...  Vous  vous  étonnez  peut-être  de  trouver  des  robes  et  des 
soutanes  chez  un  de  nos  pasteurs.  Je  l'avoue,  je  fus  d'abord  étonné 
aussi.  Mais  j'appris  ensuite  que  nos  pasteurs  portaient  la  soutane 
et  la  robe.  La  preuve  en  soit  dans  la  Déclaration  du  roi  du  1""  fé- 
vrier 1669,  qui  leur  en  interdit  l'usage  hors  des  temples.  —  Reve- 
nons à  nos  habits  :  un  long  manteau  de  camelot  noir,  100  s.,  un 
manteau  de  drap  noir  doublé  de  serge,  3  1.  10  s.,  un  juste-au-corps 
de  camelot  doublé  de  même,  3  1.,  un  pareil  juste-au-corps,  50  s.,  un 
vieil  manteau  de  camelot  noir,  "20  s.,  un  pourpoint  et  un  haut  de 
chausse  de  camelot  noir  et  un  bas  de  chausse  de  serge  noire  à  usage 
d'homme,  1 1  1.  10  s.  ;  un  pourpoint  et  un  haut  de  chausse  de  came- 
lot noir,  40  s.,  enfin,  un  chapeau  noir  à  usage  d'homme,  :20  s.  — 
Multipliez  par  six  pour  avoir  le  prix  d'aujourd'hui,  et  vous  verrez 
([ue  notre  pasteur  avait  des  habits,  jadis  beaux,  peut-être,  mais  qui 
avaient  veilli  sur  lui  comme  il  avait  lui-même  veilli  sous  eux. 

Descendons  maintenant  l'escalier  en  jetant  un  coup  d'œil  dans 
la  soupente,  où  se  trouve  la  provision  de  bois  de  Péju  et  entrons 
dans  la  chambre  basse. 

Ici  encore  des  boites  de  bahu,  du  linge,  des  pièces  de  toile,  des 


DEUX   INTÉRIEURS   DE   PASTEUR   AU   XVII'^   SIÈCLE.  231 

habits,  probablement  ceux  qu'il  mettait  pour  sortir;  ici  aussi  et  sur- 
tout sa  bibliothèque. 

En  effet,  nous  sommes  dans  l'étude  ou  chambre  de  travail  de 
notre  pasteur.  C'est  là  qu'il  se  tient,  vêtu  de  sa  robe  de  chambre  de 
serge  gris-brun,  sa  «  calliotte  »  de  satin  sur  la  tête,  en  face  de  son 
pupitre  sur  lequel  nous  voyons,  outre  des  papiers  et  des  livres,  un 
vaste  encrier  de  bois  et  plusieurs  plumes  d'oie.  Quand  la  nuit  vient, 
il  allume  sa  lampe  à  trois  pieds  de  cuivre,  que  supporte  en  plein 
jour  la  large  cheminée.  C'est  là  qu'il  a  composé  quelques  ouvrages 
destinés  à  confondre  les  papistes,  ou  à  montrer  à  ses  ennemis  de 
Mer  et  d'ailleurs  toute  la  noirceur  de  leur  ingratitude. 

Sachez-moi  gré.  Messieurs  et  Mesdames  de  ne  pas  insister  là- 
dessus  et  de  ménager,  par  conséquent,  votre  patiente  bienveillance. 

Péju  a  une  belle  bibliothèque.  En  cela,  il  me  serait  facile  d'en 
fournir  la  preuve,  il  ressemble  à  ses  collègues  du  passé,  du  présent 
et  même,  tout  au  moins  dans  une  certaine  mesure,  de  l'avenir. 

«  Ces  affectés  de  ministres,  fait  dire  Agrippa  d'Aubigné  à  Haiiai 
de  Sancy  venant  de  se  reconvertir  au  catholicisme;  ces  affectés  de 
ministres  ont  leur  bibliothèque  pleine  de  livres  de  l'ancienne  im- 
pression! » 

Malheureusement,  à  part  le  prix  de  celle  de  Péju,  —  environ 
2400  francs  de  notre  monnaie  actuelle,  —  nous  ne  savons  rien  ou 
presque  rien  sur  elle.  La  phrase  de  l'inventaire  est  caractéristique 
et  vaut  la  peine  d'être  citée.  La  voici  : 

«  En  lad.  maison  dud.  Mer,  où  led.  deffunt  est  deceddé  a  encore 
esté  trouvé  de  sa  succession  La  Bibliothèque  dud.  deffunt,  composée 
de  plusieurs  livres  en  plusieurs  vollumes  grecs,  latins  et  fran^^ois, 
environ  plain  trois  poinssons,  tous  lesquelz  livres  ont  esté  prisez  et 
estimez  ensemble  par  personnes  congnoissans  pour  ce  faire  appelez, 
la  somme  de  400  1.  Is.  » 

Et  voilà!  trois  pleines  barriques  de  livres! 

Quoi  qu'il  en  soit,  c'est  là  ce  que  le  défunt  avait  de  plus  précieux 
et  de  mieux  garni...  avec  sa  cave.  Une  cave  comme  je  n'en  connais 
aucune  parmi  mes  honorés  collègues.  Elle  contenait  environ  qua- 
rante barriques  de  vin!  Il  est  vrai  que  Péju  possédait  quelques 
arpents  de  vigne...  Mais  il  est  vrai  aussi  que  vingt  ans  plus  tôt,  au 
moins,  les  mauvaises  langues  de  Mer  avaient  accusé  notre  pasteur 
de  s'occuper  du  commerce  des  vins.  Il  se  fâcha  fort,  un  jour,  d'avoir 


232  DEUX   INTÉRIEURS   DE    l'ASTEUU   AU   XVIF  SIÈCLE. 

été  traité,  en  plein  synode,  de  marchand  de  vin  et  d'avoir  été  cen- 
suré comme  tel.  Son  inventaire  aurait  été  certainement  un  grave 
témoin  à  charge...  Mais, laissons  cela!  laissons  ces  vieilles  querelles 
et  maintenant  que  nous  avons  vu  la  maison  de  Péju,  de  la  cave  au 
grenier,  transportons-nous  chez  le  noble  homme  Daniel  Jurien, 
docteur  en  théologie,  pasteur  à  Mer, 

Au  mois  d'août  1629,  Daniel  Jurieu  avait  épousé,  à  Sedan,  Esther 
du  Moulin,  fille  du  célèbre  professeur  Pierre  du  Moulin,  dont  le 
nom  est  encore,  on  peut  le  dire,  populaire  parmi  nous.  Elle  lui 
donna  cinq  enfants  :  Olympe,  Marie,  Thomasse  (ainsi  nommée  à 
cause  de  son  parrain,  Thomas  Cary,  gentilhomme  anglais),  Syméon 
et  Pierre,  le  fameux  Pierre  Jurieu,  qui  devait  illustrer  la  famille, 
mais  en  être  le  dernier  représentant  connu. 

En  1638,  madame  Jurieu  mourait  à  Chàteaudun,  chez  son  frère, 
le  pasteur  Cyrus  du  Moulin. 

Deux  ans  plus  tard,  voulant  épouser  en  secondes  noces  Charlotte 
de  Cambis  de  Soustelle,  sœur  du  futur  pasteur  de  Romorantin  et 
d'une  famille  de  la  meilleure  noblesse,  Daniel  Jurieu  dut  faire  faire 
l'inventaire  et  estimation  des  biens  communs  entre  lui  et  ses  enfants, 
provenant  de  la  communauté. 

C'est  grâce  à  cette  circonstance  que  nous  pouvons  le  5  décembre 
4640,  pénétrer  dans  la  maison  Jurieu  à  la  suite  du  notaire,  du 
tuteur  des  enfants,  Cyrus  du  Moulin,  déjà  nommé,  des  parents, 
voisins  et  amis,  presque  tous  membres  du  Consistoire  de  Mer  et  de 
Gentien  Maria,  vendeur  de  meubles  an  bailliage  de  Blois,  assisté 
de  la  revenderesse  publique,  Jacquette  Gaultier,  veuve  Constant, 
que  nous  connaissons  déjà. 

Il  va  sans  dire  que  je  ne  me  propose  pas  de  répéter  ici,  même 
avec  les  changements  nécessaires,  tout  ce  que  j'ai  dit  au  sujet  du 
mobilier,  du  linge  ou  des  habits  de  Péju.  L'énumératiou  de  ce  que 
contiennent  les  six  chambi'es  de  la  maison  Jurieu  nous  entraînerait 
trop  loin.  Qu'il  me  suffise  de  dire  qu'il  y  a  plus  de  linge,  notam- 
ment 100  aunes  de  toile  en  pièces,  plus  d'habits,  plus  de  meubles  et 
que  meubles,  linge  et  habits  sont  en  général  plus  beaux. 

Mais  si  je  m'interdis  un  examen  détaillé,  vous  me  permettrez  sans 
doute  de  jeter  çà  et  là  un  regard  indiscret  et  de  vous  dire  ce  que 
j 'aurai  vu  dans  les  chambres  ou  dans  les  armoires. 

Ainsi,  par  exemple,  voici  la  description  du  lit  du  pasteur  Jurieu, 


DEUX  INTÉRIEURS   DE   PASTEUR   AU   \\W   SIÈCLE.  2oo 

qui  se  trouve  dans  la  chambre  à  coucher  principale.  Je  copie  l'in- 
ventaire :  un  charlict(bois  de  lit)  en  bois  de  noyer,  fait  à  quenoilles, 
uarny  de  son  enffoureuse  et  paillace,  fond  de  toile,  dans  lequel  il 
y  a  une  coueste  de  lict,  garny  de  son  travers,  ayant  chacun  deux 
layes,  ung  matelas  garny  d'une  taye  de  loille  linge  œuvrée,  deux 
couvertures  estant  sur  led.  lict,  l'une  de  laine  verte  et  l'autre  de 
laine  blanche  et  un  tours  de  lict  de  serge  verte,  ayant  des  passe- 
menteries de  sois  dessus,  le  tout  prisé  et  estimé  150  1.,  soit  environ 
900  francs  de  notre  monnaie. 

Dans  cette  même  chambre  et  dans  une  des  armoires,  j'aurais 
aimé  trouver  et  pouvoir  énumérer,  partiellement  tout  au  moins,  la 
garde-robe  de  la  jeune  défunte.  Malheureusement  Jurieu  paraît  en 
avoir  disposé  antérieurement  etil  n'en  reste  presque  rien.  Une  robe 
d'estamine,  un  cotillon  de  satin  à  fleurs,  une  autre  d'une  espèce  de 
taffetas  dont  il  ne  m'a  pas  été  possible  de  déterminer  la  nature, 
une  écharpe  de  taffetas  noir,  encore  quelques  menus  objets,  et  c'est 
tout.  Par  contre  nous  trouvons  la  preuve  que  madame  Jurieu  faisait 
de  la  tapisserie.  L'inventaire  mentionne  «  un  petit  pacquet  de  laine 
de  diverses  couleurs  avec  quelque  canevas  servant  à  faire  de  la 
tapisserie.  »  Ce  paquet,  si  nous  en  jugeons  par  le  prix  devait  même 
être  assez  volumineux  (8  livres). 

En  descendant,  nous  passons  par  la  cuisine,  où  se  trouve  la  cou- 
chette de  la  servante  et  une  batterie  de  cuisine  de  cuivre,  d'airain, 
d'étain,  beaucoup  plus  complète  que  celle  de  Péju.  Comme  carac- 
térisant certains  usages  culinaires  de  l'époque,  je  citerai  la  «  poisic 
à  faire  confiture  »  et  la  «  poisle  à  faire  rost  ».  D'où  il  suit  que  chez 
Jurieu  on  ne  mangeait  pas  de  rôtis  cuits  à  la  broche. 

Vient  ensuite  l'étude  ou  cabinet  de  travail.  Ici  encore  une  grande 
et  belle  bibliothèque  et,  en  outre,  des  tableaux  et  des  cartes  dont 
notre  pasteur  paraît  avoir  été  amateur,  le  tout  estimé  450  livres.  En 
fait  de  meubles,  une  table  et  deux  chaises  en  noyer...  La  tapisserie, 
on  le  voit,  était  plus  complète  et  plus  précieuse  que  le  mobilier. 

Aussi  bien  n'est-ce  pas  dans  son  cabinet  que  Jurieu  reçoit  ses 
visites  et  nous  allons  traverser  son  salon,  car  Jurieu  a  un  salon  ! 
Mentionnons  rapidement  quelques-uns  des  meubles  qu'on  y  trouve. 
Tout  d'abord  un  cabinet  de  bois  de  noyer,  ayant  trois  fenêtres  fer- 
mant à  clef  et  dans  lequel  nous  jetterons  un  coup  d'oMl  tout  à 
l'heure.  Puis  sept  chaises  de  bois  de  noyer  avec  leur  garniliire  de 


234  DEUX   INTÉRIEURS   DE   PASTEUR  AU   XVIP   SIECLE. 

tapisserie,  due  peut-être  à  l'aiguille  industrieuse  de  celle  dont  nous 
constatons  l'absence  à  chaque  pas;  puis  un  miroir  ayant  la  garni- 
ture et  chassure  d'ébène,  une  tente  (tenture)  de  chambre  de  tapis- 
serie de  Bergame  et  enfin ,  outre  quelques  «  boisles  de  bahu  fermant 
à  clef,  »  des  tabourets  de  tapisserie... 

Revenons  au  cabinet  aux  trois  fenêtres.  C'est  là  que  sont  les 
bijoux  et  objets  précieux  et  j'en  indiquerai  quelques-uns.  Ainsi  : 
trois  quartiers  de  belle  toile  de  Hollande  avec  un  petit  paquet  de  fil 
blanc  ;  une  esguière,  une  escuelle,  une  sallière,  six  cuillers  et  autres 
petites  pièces  d'argent  d'orfèvrerie,  valant  ensemble  environ  950  fr. 
de  notre  monnaie;  deux  anneaux  de  diamant  en  l'un  desquels  il  y 
a  trois  pierres,  valant  ensemble  environ  4000  francs;  une  montre, 
que  Jurieu  prenait  sans  doute  dans  les  grands  jours,  ayant  la  boueste 
d'argent;  deux  paires  de  cousteaux  d'Angleterre  (on  voit  que  leur 
réputation  est  ancienne)  et  un  autre  grand  cousteau,  une  petite 
boite  d'ivoire  et  enfin  50  jetons  d'argent  valant  ensemble  ;25  livres. 

N'allez  pas  croire  que  cette  menue  monnaie  constituât  les  fonds 
disponibles  de  Jurieu...  Oh  non!  il  apporte  encore  «  en  deniers 
clairs  »,  comme  dit  l'inventaire,  une  somme  d'environ  7(X)0  francs. 
Il  attendait  évidemment  pour  la  placer  quelque  bonne  hypothèque 
ou  quelque  bonne  occasion  d'arrondir  ses  propriétés  foncières...  Ce 
n'est  qu'ainsi  qu'on  plaçait  alors  son  argent. 

Je  termine.  Si  ces  quelques  pages,  en  vous  faisant  pénétrer  dans 
l'intérieur  même  de  deux  de  nos  pasteurs,  vous  ont  intéressé,  je 
serai  heureux  de  les  avoir  dites  ici. 

Au  fond,  et  bien  que  se  mouvant  dans  une  sphère  beaucoup  plus 
modeste  et  beaucoup  moins  dramatique,  l'histoire  intime  est  une 
partie  et,  âmes  yeux,  une  des  parties  les  plus  importantes  de  ce 
(}ue  l'on  appelle  l'histoire.  Nous  ne  connaîtrons  vraiment  nos  pères 
que  lorsque  nous  pourrons  les  suivre  jusque  chez  eux.  Au  dehors, 
ils  sont  toujours,  plus  ou  moins,  des  personnages  ;  au  dedans,  ils 
sont  eux-mêmes.  L'histoire  extérieure  nous  révélera  leurs  destinées; 
l'histoire  intime  les  fera  comparaître  eux-mêmes  devant  nous. 

Voilà  pourquoi  j'ai  cru  pouvoir  aborder  de  tels  détails  devant  les 
membres  d'une  Société  comme  la  vôtre,  Messieurs,  auquel  rien  de 
ce  qui  est  protestant  ne  saurait  rester  étranger  et  devant  un  public 
aussi  sympathique  à  tout  ce  qui  tient  aux  annales  de  la  Réforme 
IVançaise.  P.  de  Félice. 


DOCUMENTS 


ESTAT  DES  CENS  CAMISARDS  PARTIS  AVEC  CAVALIER 


La  curieuse  pièce  qu'on  va  lire  n'est  pas  inédite.  Elle  a  été  publiée  dans 
le  tome  XIV  de  la.nouvelle  édition  de  l'Histoire  générale  du  Languedoc, 
col.  2001  et  suivantes,  d'après  l'original  conservé  aux  archives  du  Mi- 
nistère de  la  guerre.  Mais  il  existe  une  minute  de  la  même  pièce  aux 
archives  de  l'Hérault  (C.  189;  contenant  de  plus  l'âge  et  le  signalement 
des  cent  compagnons  de  Cavalier.  Nous  avons  cru  devoir  prendre  pour 
base  le  document  de  Montpellier,  en  y  joignant  la  caractéristique  de 
certains  noms  qui  fait  l'intérêt  principal  de  celui  de  Paris.  Ce  dernier 
porte  le  titre  développé  qui  suit,  et  se  termine  par  la  signature  de  Ca- 
valier, dont  l'authenticité  pourrait  inspirer  quelques  doutes,  rapprochée 
de  la  caractéristique  de  plusieurs  de  ses  compagnons,  si  celle-ci  n'avait 
évidemment  été  ajoutée  après  coup,  et  à  l'insu  du  chef  caraisard  : 

Etat  des  gens  qui  sont  partis  de  Valabrègues  avec  Cavalier,  qui  ont 
été  remis  par  M.  de  Fressieu  à  M.  de  Bassignac,  capitaine  de  dra- 
gons, ce  lundy  '1^°  juin  llOi,  pour  les  conduire  à  Lyon  et  de  là  au 
vieux  Brisach. 

[Les  plus  mauvais  et  les  plus  dangereux  sont  marqués  par  une 
croix.) 

Jean  Cavalier,  chef,  est  du  lieu  de  Ribaute,dioceze  d'Uzès,  âgé  de 
20  ans,  cheveux  châtains,  les  épaules  larges,  petite  taille. 

Jacques  Duplan,  d'Youset,  capitaine,  âgé  de  35  ans,  cheveux  châ- 
tains et  une  belle  taille. 

Antoine  Cavalier,  lieutenant,  frère  du  chef,  âgé  de  22  ans,  che- 
veux longs,  châtain  clair,  moyenne  taille. 

Pierre  Cavalier,  autre  frère  du  chef,  âgé  de  10  ans. 

David  Billard  de  Nisnies,  lieutenant,  âgé  de  35  à  40  ans,  cheveux 
noirs,  petite  taille.  {Fanatique  ctprédicant  f.) 


236  ESTAT  DES   CENS  CAMISARDS  PARTIS  AVEC  CAVALIER. 

Jean  Lacombe,  de  Vezenobre,  lieutenant,  âgé  de  25  ans,  clieveuv 
noirs,  petite  taille. 

Le  sr  Hugon,  de  Blauzac,  chirurgien,  lieutenant,  âgé  de  50  ans, 
cheveux  noirs  abattus,  moyenne  taille. 

Pierre  Blanc,  de  Cassagnols,  âgé  de  25  ans,  cheveux  châtains, 
moyenne  taille. 

Jean  Teissier,  d'Anduze,  sergent,  âgé  de  25  ans,  cheveux  châ- 
tains, bonne  taille. 

Jean  Guillaumet,  sergent,  âgé  de  28  ans,  cheveux  châtain  clair, 
belle  taille. 

Louis  Bonnaud,  de  L'Anglade,  sergent,  âgé  de  34  ans,  cheveux 
châtains,  moyenne  taille.  (Fanatique-]:) 

Pierre  Béchard,  de  L'Anglade,  sergent,  âgé  de  36  ans,  cheveux 
noirs,  moyenne  taille. 

Pierre  Crouzet,  de  Gajan,  âgé  de  22  ans,  cheveux  noirs,  belle 
taille  f. 

André  Mailloutier,  de  Montaren,  âgé  de  21  ans,  cheveux  noirs, 
petit  et  bossu.  (Scélérat  f.) 

Antoine  Robert,  de  Berne  en  Suisse,  âgé  de  27  ans,  cheveux 
châtains,  moyenne  taille.  (Dangereux  f.) 

Antoine  Coutarel,  d'Hortez  près  de  Quissac... 

Antoine  Durand,  de  Ledignan,  âgé  de  30  ans,  cheveux  châtains, 
moyenne  taille.  (Scélérat-].) 

Pierre  Cavalier,  de  Tornac,  âgé  de  25  ans,  cheveux  châtain  clair, 
belle  taille. 

Gabriel  Lauriol,  de  Blauzac,  âgé  de  20  ans,  cheveux  châtains, 
moyenne  taille.  (Dangereux  f .) 

Jacques  Dulong,  de  S'-Geniès,  âgé  de  21  ans,  cheveux  châtains, 
belle  taille.  (Scélérat  f.) 

Isaac  Lapierre,  de  Nismes,  âgé  de  35  ans,  cheveux  châtains, 
petite  taille.  (Fanatique  et prédicant  f .) 

Jean  Durand,  de  Ledignan,  âgé  de  16  ans,  cheveux  châtains, 
moyenne  taille. 

Jean  Bonnet,  de  Sauzet,  âgé  de  22  ans,  cheveux  blonds,  belle  taille. 
:  •  Pierre  Carrière,  de  Sauzet,  âgé  de  18  ans,  cheveux  noii's,  moyenne 
taille.  (Dangereux  f .) 

Jean  Carrière,  de  Sauzet,  âgé  de  19  ans,  cheveux  noirs,  moyenne 
taille. 


ESTAT  DES  CEiNS   CAMISARDS  PARTIS  AVEC  CAVALIER.  "237 

André  Bechaude,  de  Moussac,  âgé  de  22  ans,  cheveux  châtains, 
belle  taille. 

Guillaume  Taradel,  de  S*-Maurice  de  Cazevielle,  âgé  de  24  ans, 
cheveux  noirs,  belle  taille.  {Dangereux  f.) 

Louis  Pierre,  de  S'-Maurice  de  Cazevielle,  âgé  de  28  ans,  cheveux 
noirs,  taille  moyenne.  {Dangereux  f.) 

Jean  Pelladon,  de  Sommières,  âgé  de  20  ans,  cheveux  châtains, 
petite  taille. 

Antoine  Noguier,  de  Quissac,  âgé  de  20  ans,   cheveux  noirs, 
moyenne  taille.  {Dangereux  f.) 

Daniel  Campet,  de  Sommières,  âgé  de  18  ans,  cheveux  châtains, 
belle  taille. 

Pierre  Sabourin,  de  Sauzet,  âgé  de  22  ans,  cheveux  noirs,  moyenne 
taille. 

Antoine  Gay,  de  Serignac,  âgé  de  25  ans,  cheveux  noirs,  moyenne 
taille.  {Dangereux  f .) 

Loaurent  Brun,  deS'-Geniès,agé  de  22  ans,  cheveux  noirs,  moyenne 
taille. 

Charles  Roux,  de  Blauzac,  âgé  de  38  ans,  cheveux  blonds,  moyenne 
taille. 

Foulcrand  Fermaud,  de  Serignac,  âgé  de  20  ans,  cheveux  châ- 
tains, moyenne  taille. 

Jean  Gueydan,  de  Navacelle,  âgé  de  20  ans,  cheveux  blonds, 
petite  taille.  {Fanatiqite  f .) 

Adam  Béchard,  d'Aygremont,  âgé  de  35  ans,   cheveux  noirs, 
moyenne  taille.  {Dangereux  f .) 

Pierre Bresson,  de  Valence,  âgé  de  28  ans,  cheveux  noirs,  moyenne 
taille.  {Fanatique  f .) 

Ansème  Simond,  de  Vauvert,  âgé  de  22  ans,  cheveux  noirs  fri- 
zés,  belle  taille. 

Jean  Trentignan,  de  Vie,  âgé  de  22  ans,  cheveux  châtains,  belle 
taille.  {Dangereux  f.) 

Paul  Trentignan,  dud.  lieu,  âgé  de 26  ans,  cheveux  châtains,  belle 
taille. 

Pierre  Dulong,  de  Mende,  âgé  de  20  ans,  cheveux  châtains,  belle 
taille.  {Fanatique  f.) 

Vincent  Bruguiere,  de  Navacelle,  âgé  de  22  ans,  clicveux  châtains, 
belle  taille. 


"IZS  ESTAT  DES  CENS  CAMISARDS  PARTIS  AVEC  t'.AVALlER. 

Jacques  Carrière,  de  Mus,  âgé  de  25  ans,  cheveux  châtains  frizés, 
belle  taille.  {Dangereux  f.) 

Pierre  Trel,  deS"'-Foyen  Gascogne,  âgé  de  20  ans,  cheveux  noirs 
frizés,  moyenne  taille.  {Dangereux  \.) 

Jean  Paste,  d'Aiguevives,  âgé  de  vingt  ans,  cheveux  châtains,  belle 
taille.  (Dangereux-^.) 

Sidrac  Bagnol,  de  Marsillargues,  âgé  de  25  ans,  cheveux  noirs 
frizés,  belle  taille. 

Simon  Lombard,  de  Mar.sillargues,    âgé  de  17  ans,  cheveux  noirs, 
belle  taille. 

Pierre  Pradon,  de  Marsillargues,  âgé  de  25  ans,  cheveux  châ- 
tains, belle  taille. 

Jean  Féline,  de  Marsillargues,  âgé  de  25  ans,  cheveux  châtains, 
belle  taille. 

Barthélémy  Valette,  de  Marsillargues,  âgé  de  23  ans,  cheveux 
châtains  frizés,  belle  taille. 

Paul  Fromentau,  de  Marsillargues,  âgé  de  17  ans,  cheveux  châ- 
tains, belle  taille. 

Jean   Hue,  de  Marsillargues,  âgé  de  22  ans,  cheveux  blonds, 
moyenne  taille. 

Claude  Claveirol,   de  Marsillargues,  âgé   de  22  ans,    cheveux 
châtains,  moyenne  taille. 

Adias  Ausset,  de  Marsillargues,  âgé  de  20  ans,  cheveux  noirs, 
moyenne  taille. 

Jacques  Pages,  de  Marsillargues,  âgé  de  23  ans,  cheveux  châtains, 
belle  taille. 

Jacques  Gontrepas,  de  S^-Laurens,  âgé  de  22  ans,  cheveux  châ- 
tains, belle  taille. 

Estienne  Peloux,  de  S'-Laurens,  âgé  de  21  ans,  cheveux  noirs, 
belle  taille. 

Jacques  Gardon,  de  S^-Laurens,  âgé  de  21  ans,   cheveux  cli,!- 
tains,  moyenne  taille.  {Scélérat  \.) 

Jean  Guillermet,  de  S'-Laurons,  âgé  de  22  ans,  cheveux  noirs 
frizés,  belle  taille. 

Claude  Mourgue,  do  S'^-Lauiens,  âgé  de  18  ans,  cheveux  blonds, 
moyenne  taille. 

Antoine  Tront.  de  la  Salle  du  Gardon,  âgé  de  30  ans,  cheveux 
noirs  frizés,  belle  taille.  {A  servi  et  a  de  Vesprit  f .) 


ESTAT  DES    CENS   CAMISARDS  PARTIS   AVEC  CAVALIER.  239 

Gaspard  Giieydan,  de  Fons  surLussan,  âgé  deSOans,  cheveuxnoirs, 
moyenne  taille.  {Dangereux  f.) 

Pierre  Julian,  de  Mons,  âgé  de  24  ans,  cheveux  châtains,  moyenne 
taille. 

Pierre  Laurens,  de  S*-Pargoire,  âgé  de  21  ans,  cheveux  châtains. 

François  Chausse,  de  Sauve,  âgé  de  20  ans,  cheveux  châtains, 
moyenne  taille. 

Paul  Raynaud,  de  Villemagne,  âgé  de  22  ans,  cheveux  noirs, 
moyenne  taille. 

Pierre  Jean,  de  Mages,  âgé  de  18  ans,  cheveux  blonds,  petite  taille. 

Jean  Aubrespin,  de  S'-Pargoire,  âgé  de  25  ans,  cheveux  châtains, 
belle  taille. 

Jean  Cazaigne,  de  S'-Hillaire  de  Bruniat,  âgé  de  35  ans,  cheveux 
noirs,  moyenne  taille. 

Jacques  Lafond,  de  S'-Martin  de  Boubeau,  âgé  de  24  ans,  che- 
veux noirs,  petite  taille, 

Pierre  Maigre,  de  S^-Geniès,  âgé  de  25  ans,  cheveux  châtains,  belle 
taille.  {Scélérat  f.) 

François  Mages,  de  Nismes,  âgé  de  19  ans,  cheveux  noirs,  belle 
taille.  {Scélérat  f.) 

Pierre  Croisson,  de  Bouillargues,  âgé  de  22  ans,  cheveux  noirs, 
moyenne  taille. 

David  Pelet,  du  Pompidou,  âgé  de  25  ans,  cheveux  noirs,  moyenne 
taille. 

Jean  Moutet,  de  S'-Pargoire,  âgé  de  30  ans,  cheveux  noirs  frizés, 
moyenne  taille. 

Pierre  Nicolas,  de  Nismes,  âgé  de  20  ans,  boiteux,  cheveux  châ- 
tains, moyenne  taille. 

Moyse  Brun,  de  Vie  de  Canne,  âgé  de  22  ans,  cheveux  châtains, 
moyenne  taille.  {Scélérat  f .) 

Pierre  Rouquette,  de  S'-Maurice  de  Gazevielle,  âgé  de  24  ans, 
cheveux  châtains  frizés,  belle  taille. 

Gabriel  Bouget,  de  Lussan,  âgé  de  24  ans,  cheveux  châtains, 
moyenne  taille. 

David  Gentet,  de  Villemagne,  âgé  de  25  ans,  cheveux  noirs  frizés, 
belle  taille.  {Scélérat  j.) 

Charles  Gibert  de  Prades,  de  Lussan,  âgé  de  20  ans,  cheveux 
noirs,  belle  taille. 


240       ESTAT  DES  CENS  CAMISARDS  PARTIS  AVEC  CAVALIER. 

Jean  Mailloutier,  de  Bagards,  âgé  de  50  ans,  cheveux  noirs,  belle 
taille. 

Pierre  Cazalis,  de  Villemagne,  âgé  de  20  ans,  cheveux  châtains, 
moyenne  taille. 

Pierre  Fasse,  dud.  lieu,  âgé  de  -20  ans,  cheveux  châtains  frizés, 
moyenne  taille. 

Jean  Daniel,  dud.  lieu,  âgé  de  20  ans,  cheveux  châtains,  petite 
taille. 

Jacques  Cauvet,  dud.  lieu,  âgé  de  22  ans,  cheveux  noirs,  belle  taille. 

Isaac  Serre,  de  Villemagne,  âgé  de  22  ans,  cheveux  châtains, 
bonne  taille  -j-. 

Antoine  Martel,  de  Baron,  âgé  de  28  ans,  cheveux  noirs,  boiteux 
petite  taille. 

Jean  Martin,  de  Vauvert,  âgé  de  20  ans,  cheveux  blonds,  belle 
(aille. 

Jean  Donzer,  du  Gaila,  âgé  de  36  ans,  cheveux  noirs,  belle  taille. 

Jean  Méjanelle,  de  Vauvert,  âgé  de  20  ans,  cheveux  blonds,  belle 
taille. 

Israël  Guiraud,  d'Aubussargues,  âgé  de  22  ans,  cheveux  châtains 
moyenne  taille  f. 

Pierre  Brouzet,  de  Marsillargues,  âgé  de  20  ans,  cheveux  châtains, 
belle  taille. 

André  Privât,  de  St  Laurens,  âgé  de  21  ans,  cheveux  châtains 
frizés,  moyenne  taille. 

Arnoux  Gilles,  de  Marsillargues,  âgé  de  23  ans,  cheveux  noirs, 
moyenne  taille. 

Jean  Brunel,  de  la  Baume,  âgé  de  16  ans,  cheveux  châtains,  petite 
taille  f. 

Isaac  Espérandieu,  dud.  lieu,  âgé  de  50  ans,  cheveux  noirs,  belle 
taille  f . 

Antoine  Dupont,  de  Brais,  près  du  Vigan,  âgé  de  27  ans,  porte 
perruque  blonde,  bien  fait  et  de  bonne  taille.  (Dangereux  j.) 

Total  100.  Signé  :  Cavalier. 


Le  Gérant  :  Fiscubacher. 


BOUULOTON,  Imprimories  réunies,  B. 


SOClliTÉ  DE  L'IllSTUlKE 


DU 


PROTESTANTISME  FRANÇAIS 


ÉTUDES   IIISTOIIIQUES 


L'ÉGLISE  RÉFORMÉE  DE  LA  GALMETTE 

PAGES   d'histoire   LOCALE  1 


111 


Avec  la  RcvocLition  s'ouvre  la  période  dite  du  Désert,  pen- 
dant laquelle  les  membres  de  la  minorité  religieuse  mis  hors 
la  loi,  privés  de  pasteurs  et  de  temples,  se  réunissent  dans  des 
lieux  écartés,  autour  de  quelques  rares  ministres  ou  propo- 
sants prêchant  l'Évangile  au  péril  de  leur  vie.  Une  voix  s'élève 
alors,  celle  de  Claude  Brousson,  avocat,  pasteur,  martyr,  pour 
rappeler  à  chacun  son  devoir  :  «  Prenez  courage,  fortifiez-vous 
en  la  foy,  car  voicy  le  temps  de  la  tribulation  et  de  l'épreuve. 
Souvenez-vous  bien  que  Dieu  et  ses  anges  ont  les  yeux  sur 
vous,  qu'ils  regardent  et  qu'ils  observent  si  vous  ne  renierez 
point  Dieu.  Vous  avez  protesté  si  souvent  que  vous  vouliez 
eslre  lidèles  à  vostre  Dieu  jusques  à  la  mort;  lailcs-lc  con- 

1.  Voir  les  iiuincros  du  Bulleliit  do  mars  et  uvril,  [>.  %  et  I4ô, 

xxxui.  —  10 


242  l'église  réformée  de  la  calmette, 

noitre  mainlenant  par  des  effets.  Perdre  vos  denrées,  votre 
argent,  vos  meubles  et  vos  biens,  c'est  peu  de  chose,  et  même 
très  peu  de  chose,  en  comparaison  des  biens  et  des  richesses 
du  paradis.  Souffrir  d'estre  battu,  meurtri,  emprisonné,  mis 
dans  les  cachots  et  dans  la  boue  durant  quelques  jours  sont 
des  mortifications  qui  ne  sont  pas  à  contrepeser  à  la  gloire  à 
venir*.  » 

Telles  sont  les  fortes  exhortations  que  de  «  petits  impri- 
més »,  répandus  par  milliers,  sèment  partout,  dans  les  villes 
et  les  campagnes,  pour  réveiller  le  zèle  de  «  ceux  à  qui  la 
persécution  a  fait  perdre  courage.  »  On  les  lit  au  foyer,  sur 
les  ruines  des  temples  abattus,  dans  les  sites  solitaires  où  se 
célèbre  furtivement  le  culte  en  esprit.  Le  chant  des  psaumes 
se  fait  même  entendre,  parfois  interrompu  par  une  fusillade 
meurtrière,  car  les  ordres  de  la  cour  sont  rigoureux  et  ils 
sont  exécutés  à  la  lettre  :  «  L'intention  de  sa  Majesté  est  tou- 
jours que  l'on  essaie  de  tomber  avec  des  troupes  sur  toutes 
les  assemblées  qui  se  feront,  et  si  après  en  avoir  tué  un  grand 
nombre,  l'on  prend  quelques  prisonniers,  qu'on  leur  fasse  dili- 
gemment leur  procès,  et  qu'on  les  condamne  aux  peines  por- 
tées par  l'Édit  du  mois  d'octobre  1685,  et  la  déclaration  du 
1"  juillet  1686 -.  »  Le  gibet  ou  la  roue  pour  les  pasteurs,  les 
galères  pour  les  nouveaux  convertis  considérés  comme  relaps 
et  assimilés  aux  plus  vils  malfaiteurs,  tel  est  le  traitement 
réservé  à  ceux  qui  n'écoutant  que  la  voix  de  leur  conscience, 
et  ne  pouvant  franchir  la  frontière  pour  mettre  leur  âme  en 
sûreté,  mettent  en  pratique  la  grande  parole  :  Il  vaut  mieux 
obéir  à  Dieu  qu'aux  hommes  ! 

Le  diocèse  d'Uzès  fut  particulièrement  éprouvé,  si  l'on  en 
juge  par  la  liste  des  nombreux  fugitifs  dont  les  biens  furent 
confisqués  après  la  révocation  '\  Dès  1683  le  marquis  d'Agues- 

1.  Lettre  circulaire  d'un  martyr  (liull.,  t.  XXX,  p.  22). 
2. Lettre  de  Louvois  du  17  mars  1689.  Papiers  Lebret.  Fonds  français  n»  8833, 
f°  246.  Telles  sont  les  instructions  données  partout.  La  forme  varie  à  peine  ! 
3.  Bulletin,  t.  XXXI,  p.  160.  Les  biens  des  émigrés  de  ce  diocèse  sont  éva- 


l'église  réformée  de  la  CALMETTE,  2io 

seau  s'exprimait  ainsi  dans  un  mémoire  adressé  à  la  cour  : 
«  Nîmes  et  Uzès  sont  comme  le  centre  de  l'hérésie  en  Langue- 
doc. La  vraie  religion  y  est  opprimée  par  les  Huguenots  qui 
sont  en  grand  nombre  et  qui  y  sont  les  maîtres^.  »  C'est  bien 
là  le  langage  d'une  Église  qui  se  croit  persécutée  quand  elle 
ne  persécute,  et  qui  a  su  toujours  trouver  des  agents  dociles. 
Les  efforts  des  convertisseurs  se  concentrèrent  sur  les  points 
de  la  province  signalés  à  leur  zèle.  Le  seul  diocèse  d'Uzès 
reçut  vingt-quatre  missionnaires  auxquels  on  en  adjoignit 
bientôt  douze  nouveaux,  à  vingt  sols  par  jour,  pour  catéchiser 
les  populations,  avec  des  dragons  pour  acolytes.  Promesses, 
menaces,  tortures,  rien  ne  fut  épargné  pour  vaincre  les  der- 
nières résistances  dont  les  cachots  n'ont  gardé  qu'à  demi  le 
secret  : 

«  11  y  a  à  Uzès  une  mission  de  propagation  de  la  foi  gouver- 
née par  quatre  créatures  qu'on  appelle  les  filles  de  la  propa- 
gation. C'est  dans  cette  maison  où  sont  enfermées  plusieurs 
filles  de  la  religion  qui  ont  résisté  aux  violences  et  aux  tenta- 
tions précédentes.  L'une  de  ces  quatre  filles  de  la  propagation 
s'alla  plaindre  à  l'intendant  des  réponses  que  faisaient  ces 
filles  persécutées  et  du  peu  de  dispositions  qu'elles  avaient  à 
se  convertir.  L'intendant  qui  est  le  sire  de  Bâville,  dont  le  nom 
mérite  de  vivre  dans  tous  les  âges  à  venir,  ordonna  sur  l'heure 
flagellation  contre  dix  des  plus  indociles.  En  exécution  de 
l'ordonnance  on  posa  quatre  soldats  à  la  porte,  avec  le  mous- 
quet prêt  à  tirer  et  la  mèche  allumée,  et  deux  prêtres  en- 
trèrent avec  le  major  de  Vivonne  et  le  juge  Larnac,  subdélé- 
gué de  l'intendant.  En  leur  présence  ces  créatures  de  la 
propagation  dépouillèrent  ces  filles  depuis  la  ceinture  en 
haut,  et  faisant  office  de  bourreau,  elles  les  fustigèrent  de  la 
plus  cruelle  manière  du  monde  avec  des  étrivières  de  corde 

lues  à  près  de  deux  millions  <(  non  compris  ceux  qu'on  n'a  pas  pu  encore  rele- 
ver »,  p.  164. 

1.  Mémoire  sur  plusieurs  choses  à  faire  en  Languedoc,  envoyé  par  M.  Dagues- 
seau  (Arch.  nat.,  série  TT,  322). 


244  l'église   RÉIOIOIÉE    DE  LA   CALMETTE. 

au  bout  desquelles  il  y  avait  des  boules  de  plomb.  Toutes 
couvertes  de  sang  et  de  pluie,  elles  furent  jetées  dans  une 
sombre  prison.  Durant  ce  supplice  elles  ont  poussé  des  cris 
qui  se  faisaient  entendre  de  la  rue;  mais  elles  se  sont  forti- 
fiées les  unes  les  autres  à  souffrir  cette  épreuve  pour  le  nom 
de  Jésus-Christ*.  » 

On  ignore  jusqu'au  nom  des  vaillantes  filles  qui,  pareilles 
aux  héroïnes  duDauphiné,  Blanche  Gamond  et  Jeanne  Terras- 
son,  supportèrent  courageusement  la  persécution  dans  les 
cachots  d'Uzès,  et  dont  plusieurs  appartenaient,  à  n'en  pas 
douter,  aux  principales  familles  de  la  ville  et  des  environs. 
La  liste  des  fugitifs  du  diocèse  en  dit  long  à  ce  sujet".  La  Cal- 
meltc  n'y  figure  point.  Le  seigneur  du  lieu,  Philippe  d'Ardouin, 
privé  de  son  droit  d'exercice,  avec  ceux  de  la  Rouvière,  de 
Fons  et  de  Saint-Privat,  ne  fut  pas  au  nombre  de  ces  sublimes 
révoltés  qui,  comme  Jacques  Boileau,  seigneur  de  Castelnau, 
aimèrent  mieux  subir  une  longue  captivité,  mourir  à  Pieire- 
Encise  de  Lyon,  que  d'étouffer  la  voix  de  leur  conscience '. 
Parmi  les  prisonniers  de  ce  même  cachot  on  rencontre  en 
1691,  Pierre  Parades,  seigneur  de  Sauzct,  d'une  famille  alliée 
celle  de  Claude  Brousson'.  Les  derniers  pasteurs  de  la  Cal- 
mettc  ne  semblent  pas  avoir  donné  à  leur  troupeau  l'exemple 
de  la  fidélité ^  Si  l'on  en  croit  les  feuillets  d'un  journal  de 

1.  JJutlelin,  l.  XI,  l^.  309,  et  t.  XXX,  438. 

2.  La  Révocation  à  Uzès.  Estât  des  biens  des  fugitifs  du  diocèse  {Bull., 
t.  XXXI,  p.  160  et  suivantes. 

3.  Voir  l'admirable  légende  du  portrait  de  ce  confesseur  (Bull.,  t.  IX,  p.  16'.'). 
11  renuit  le  dernier  soupir  dans  un  cachot,  à  l'Age  de  soixante  et  onze  ans,  après 
une  longue  captivité  supportée  avec  la  plus  cliréticnnc  résignation. 

4.  {Bull.,  t.  XXVHI,  p.  76,  77).  Il  recouvra  une  liberté  relative  en  1705. 

5.  On  lit  les  noms  de  Capicu  et  de  Juslamond  sur  une  liste  de  ministres  pen- 
sionnés après  la  révocation  {Bull.,  l,  XXXII,  p.  408  et  suivantes).  Mais  on  ren- 
contre plusieurs  pasteurs  de  ce  nom  dans  la  région  voisine  d'Uzè.s,  à  celle 
époque;  il  est  difficile  de  distinguer  entre  eux.  Un  Capicu  (Antoine)  réussit  ù 
sortir  de  France  et  l'ut  réadmis  à  la  paix  de  l'Église.  Est-ce  le  martyr  de  169-2? 
(ilaude  Justamond,  ancien  ministre  de  la  Calmette,  est-il  le  même  que  le  sieur 
Juslamond  ministre  à  Massillargncs  ?  Tous  ces  ])oinls  seront  sans  doute  éclaircis 
dans  le  savant  ouvrage  qu'on  attend  de  M.  Auzièrc. 


l'église  réformée  de  la  calmette.  215 

l'amille  conservé  jusqu'à  nous,  Philippe  d'Ardouin  s'inclina 
devant  la  loi  inique,  préparant  ainsi  le  retour  de  ses  enfanis 
à  l'Eglise  romaine.  D'aulres  plus  courageux,  sous  le  titre  flé- 
trissant de  nouveaux-convertis,  retrouvèrent  au  lit  de  mort 
l'énergie  nécessaire  pour  repousser  les  cérémonies  d'un  culte 
abhorré,  affrontant  ainsi  la  peine  des  relaps,  et  léguant  la 
confiscation  et  l'opprobre  juridique  à  leur  famille.  Tel  fut  le 
cas  d'un  de  mes  ancêtres,  Claude  Bonnet,  consul  de  la  Cal- 
mette *  en  1672,  dont  fhéroïque  attitude  à  l'heure  suprême 
est  attestée  par  l'arrêt  qui  suit,  devenu  un  titre  d'honneur 
pour  sa  mémoire  et  une  lettre  de  noblesse  pour  ses  descen- 
dants : 

Jugé  le  7  novembre  1699.  —  Entre  le  procureur  du  roy  en  la  Cour 
demandeur  en  réparation  du  crime  de  relaps,  contrevention  à  la  déclara- 
tion du  roy  du  19  avril  1G86  donnée  conU"e  les  nouveaux  convertis  qui 
refusent  de  recevoir  les  sacrements  d'une  part,  et  Louis  Freschon  procu- 
reur et  curateur  nommé  à  la  défiance  de  la  mémoire  de  Claude  Bonnet 
du  lieu  de  la  Calmette,  deffendeur  et  autrement  suppléant  par  requeste 
incidante  renvoyée  en  jugement  le  2(3  septembre  dernier  en  cassation  des 
procédures  et  en  relaxe  d'une  part,  et  le  dit  sieur  procureur  du  roy 
deffendeur  d'autre. 

Veu  le  procès  verbail  faict  par  M"  Cassan  presbtre  et  vicaire  perpétuel 
du  dit  lieu  de  la  Calmette,  contenant  la  déclaration  du  dit  Bonnet  comme 
quoi  il  ne  voulait  pas  recevoir  les  sacrements  et  qu'il  voulait  mourir 
de  la  R.  P.  R,  du  'id  mars  dernier ,  requeste  et  commission  pour  informer 
contre  la  mémoire  du  dit  Bonnet,  du  7  avril  dernier,  l'exploit  d'assigna- 
tion à  témoins  pour  déposer  du  14  du  dit,  l'information  faite  par  M''  Cas- 
sagnes,  conseiller  en  la  cour  commissaire  contenant  les  dépositions  de 
six  témoins  du  dit  jour,  1  i'  dudit  mois  d'avril  dernier;  ordonnance  sur 
requeste  portant  nomination  de  curateur  delà  personne  de  Freschon,  pro- 
cureur en  la  cour  pour  defl'endre  la  mémoire  du  dit  Bonnet... 

1.  Je  reproduis  à  son  sujet  deux  extraits  des  anciens  registres  de  la  com- 
mune :  .<  l'ius  est  deub  à  Claude  Bonnet,  consul  de  la  Calmette,  l'année  1(57:2, 
la  somme  de  -49  livres,  10  sols,  IG  deniers,  pour  la  closlure  des  comptes  do  son 
administration.  »  (G,  1278.  Archives  déparlemenlales  du  Gard.) 

«  L'an  mille  six  cent  quatre  vingt  six  et  le  24  de  novembre,  fut  baptisée  Annf 
Bonnet,  fille  de  Claude  Bonnet  et  de  Catherine  Béchard,  nouveaux  convertis  « 
(Registres  de  la  Calmette». 


2i6  L'ÉGLISE  RÉFORMÉE   DE  LA   CALMETTE. 

Avons  sans  nous  arrester  à  la  requesle  du  dit  Fi'eschon  curateur,  et 
luy  démis  des  fins  d'icelles  pour  les  preuves  résultantes  du  procès 
déclaré  et  déclarons,  le  dit  Claude  Bonnet  cstre  mort  relaps,  et  en 
conséquence  pour  réparation  de  ce  sa  mémoire  éteinte  et  supprimée  à 
perpétuité,  et  ses  biens  acquis  et  confisqués  au  profit  de  Sa  Majesté,  et 
les  despens  et  frais  de  justice,  la  taxe  réservée,  pris  préalablement  sur 
iceux. 

(Taxe  dix  escusj. 

NovY,  Lt.  PI,  rapporteur.  Chabaud 

FORTON  MaLIAN 

MÉNARD  DE  VaRANGLES 

GÉVAUDAN 

L'homme  dont  la  mémoire  ainsi  «  éteinte  et  supprimée,  »  re- 
vivra du  moins  dans  ces  pages,était,  à  n'en  pas  douter,  un  de  ces 
fidèles  huguenots  qui, tout  en  subissant  le  baptême  catholique 
pour  leurs  enfants,  avaient  gardé  inviolée  au  fond  du  cœur  la 
croyance  des  aïeux  et  mis  la  justification  par  la  foi  en  Jésus- 
Christ  au-dessus  des  vaines  litanies  du  prêtre  et  de  la  vertu 
magique  des  sacrements.  Le  culte  du  Désert  faisait  revivre 
presque  partout  les  grandes  doctrines  qui  étaient  l'essence 
même  de  la  Réforme,  et  chacun  y  puisait  une  consolation, 
une  espérance  dans  les  sombres  jours  qui  s'étaient  levés  pour 
l'Eglise.  LaCalmclle  eut  aussi  ses  prédicateurs  itinérants,  ses 
messagers  du  salut,  d'autant  mieux  accueillis  qu'ils  étaient 
prêts  à  sceller  de  leur  sang  le  divin  message.  De  ce  nombre 
fiil  alors  ce  Fauché  dont  la  vie  est  tout  un  roman  semé  de 
tragiques  aventures.  Il  coBimence  son  apostolat  autour  de 
Nîmes,  à  l'époque  où  Vivens,  Serrel,  la  Jeunesse  commen- 
çaient le  leui'  dans  les  Cévenncs.  Il  prêche  en  1(i8(l  à 
Vallongue,  métairie  isolée  entre  Nîmes  et  la  Calmette,  puis 
dans  une  garrigue  solitaire  où  se  rendent  «  les  fidèles  de 
Sauzet,  Gajan,  Saint-Geniès  et  autres  lieux',  enfin  à  la 
Calmette  «  où  il  lit  aussi  des  assemblées  ».  Saint-Chaptes, 
Valence,  Valérargues,  an  pied  du  mont  Bouquet,  entendent  le 


l'église  réformée  de  la  calmette.  247 

courageux  prédicateur  exposé  chaque  jour  aux  plus  grands 
périls.  Une  fois  son  sermon  est  interrompu  par  les  dragons 
accourant  à  bride  abattue  du  côté  d'Uzès,  et  sabrant  impitoya- 
blement l'assemblée.  «  Le  nommé  Moïse,  cardeur  de  laine, 
est  pendu  à  un  arbre  avec  le  licou  d'un  cheval.  »  Le  valet 
de  M.  d'Azemar,  gentilhomme  verrier*,  a  le  même  sort. 
Fauché  trouve  un  asile  à  Saint-Ghaptes  ;  mais  il  doit  s'en 
éloigner  pour  échapper  aux  poursuites.  Il  frappe  en  vain  à  la 
porte  d'un  ami  qui  l'avait  plus  d'une  fois  reçu  à  la  Calmette; 
il  n'est  pas  plus  heureux  à  Vallongue,  et  ne  trouve  un  abri 
que  dans  une  capitèle  (cabane  rustique)  où  il  endure  la  faim 
et  la  soif,  avant  de  rentrer  à  Nîmes  pour  recommencer  peu 
après  son  périlleux  apostolat  entre  le  Gardon  et  la  Gèze  ". 

Bien  d'autres  après  lui  suivent  les  sentiers  du  désert  en  y 
laissant  une  trace  ineffaçable;  tel  est  ce  Claude  Brousson  qui 
doit  clore,  avant  la  Un  du  siècle,  son  glorieux  apostolat  par 
un  martyre  plus  glorieux  encore  sur  les  bastions  de  Montpel- 
lier (1698).  «  Durant  quatre  ou  cinq  mois,  écrit-il  lui-même, 
il  n'a  pas  eu  la  liberté  de  marcher  de  jour  et  il  a  été  toujours 
contraint  de  marcher  de  nuit,  si  l'on  en  excepte  quelques 
occasions  particulières  dans  lesquelles  le  grand  danger  où  il 
était  exposé  le  forçait  de  marcher  de  jour.  Il  a  bien  été  quel- 
quefois dans  Nhiies,  où  il  a  fait  plusieurs  assemblées,  pendant 
même  que  ses  ennemis  savaient  qu'il  y  était  et  qu'ils  y  fai- 
saient diverses  recherches.  Mais  d'ordinaire  il  faisait  son  sé- 
jour dans  les  bois,  sur  les  montagnes,  dans  les  cavernes  et  dans 
les  trous  de  la  terre,  et  il  couchait  souvent  sur  la  paille,  sur 
le  fumier,  sur  des  fagots,  sous  des  arbres,  dans  des  buissons, 
dans  les  fentes  des  rochers  et  sur  la  terre.  Durant  l'été  il  était 
consumé  par  les  ardeurs  du  soleil,  et  durant  l'hiver  il  a  sou- 
vent souffert  un  froid  extrême  sur  des  montagnes  couvertes 

1.  Lisez  d'Adhcmar.  Ses  descendants  habitent  encore  aujourd'iiui  St-Maurice 
de  Cazevieille. 

2.  Extrait  des  mémoires  de  M.  Fauché  qui  est  à  Zurich  et  qui  a  prêché  en 
France  (1085-1692).  Bull.  t.  XXX.  |j.  503-504. 


248  l'éc.lise  nÉForoiÉF,  dr  la  calmette. 

de  neige  et  de  glace,  n'ayant  pas  quelquefois  de  quoi  se  cou- 
vrir durant  la  nuit,  et  d'ordinaire  n'osant  pas  faire  de  feu 
pendant  le  jour,  de  peur  que  la  fumée  ne  le  découvrît,  et 
n'osant  pas  sortir  de  sa  cachette  pour  jouir  de  la  chaleur  du 
soleil  de  peur  de  se  faire  voir  aux  ennemis  et  aux  faux  frères. 
Quelquefois  aussi  il  était  exposé  à  la  faim  et  à  la  soif,  souvent 
à  des  fatigues  accablantes  et  mortelles...  Mais  toutes  ces 
misères  lui  étaient  douces  lorsqu'il  considérait  qu'il  les  souf- 
frait pour  la  gloire  de  Dieu  et  pour  la  consolation  de  son 
pauvre  peuple*.  » 

De  l'excès  des  souffrances  endurées  par  les  populations 
cévenoles,  sous  ces  proconsuls  du  grand  roi,  dont  la  rage 
persécutrice  s'acharnait  sur  les  vivants  et  sur  les  morts, 
naquit  l'insurrection  carnisarde,  sublime  accès  de  désespoir 
qui  enfanta  des  prodiges  d'héroïsme  et  qui  tint  en  échec,  du- 
rant plusieurs  années,  les  plus  habiles  généraux  de  Louis  XIV. 
Cavalier,  Roland,  Catinat,  Ravanel,  noms  qui  participent  de 
la  légende  et  de  l'histoire  dans  l'étonnante  succession  des 
événements  auxquels  ils  sont  si  tragiquement  mêlés.  L'Eglise 
de  la  Calmette  en  ressentit  le  terrible  contre-coup.  Un  de  ses 
membres,  Claude  Bonnet,  fds  du  relaps,  ligura  parmi  les 
bandes  insurgées,  sous  le  drapeau  de  Cavalier-.  C'est  dans 
les  environs  de  la  Calmette,  au  mas  de  Serrière,  tout  près  des 
carrières  de  Barutel  et  du  plan  de  la  Fougasse,  qu'eut  lieu  le 
furieux  combat  dans  lequel  une  poignée  de  Camisards  surpris 
par  le  maréchal  de  Montrevel,  et  entourés  par  des  forces 
supérieures,  a  firent,  dit  un  historien  catholique,  leur  dé- 
charge en  gens  de  guerre,  et  rompus  par  les  dragons,  se  ral- 
lièrent, revinrent  deux  fois  à  la  charge  avec  fureur,  se  mêlè- 
rent avec  les  soldats  et  combattirent  en  désespérés  ^  »  La 

1.  Douen,  Les  premiers  pasteurs  du  Désert,  t.  II,  p.  200,  201. 

2.  Ne  pouvant  rentrer  à  la  Calmette  après  la  pacification,  il  alla  s'établir  à 
CoUorgues  où  il  testa  en  faveur  d'un  petit  neveu,  André  Bonnet.  Il  est  connu 
dans  la  famille  sous  le  nom  de  Claude  le  Camisard. 

3.  Fragment  cité  par  Antoine  Court,  Ifisloire  de  la  querre  des  dnmisnrds. 
t.  I,  p.  2UU. 


l'église  réformée  de  la  calmette.  249 

nuit  seule  mit  tin  au  combat  qui  couvrit  de  gloire  Ravanel  et 
son  héroïque  phalange.  C'est  au  château  de  Castelnau,  dans 
l'horizon  de  la  Calmette,  que  s'accomplit  un  des  derniers 
épisodes  de  l'épopée  cévenole,  la  surprise  nocturne  et  la 
mort  de  Roland,  plus  fidèle  que  Cavalier  à  cette  grande  cause 
de  la  libei'té  religieuse  pour  laquelle  il  est  si  heau  de  vivre  et 
de  mourir  ! 

Située  à  égale  distance  de  Nîmes  et  d'Uzès,  dans  la  proxi- 
mité de  ces  deux  villes,  sur  la  principale  voie  de  communica- 
tion entre  Mais  et  Montpellier,  La  Calmette  dut  ressentir  les 
commotions  de  la  grande  lutte  dont  le  courant,  brisé  en 
mille  flots,  vint  plus  d'une  fois  battre  ses  murs  alors  debout. 
Les  extraits  suivants  des  archives  départementales  ont  ici  une 
valeur  historique  : 

29  octoJjre  170"2.  —  A  André  Bonnet,  Jean  Mouret,  Cliarles  Bécliard, 
Antoine  Gasay  et  Antoine  Réonard,  Ijahitants  de  la  Gatmette,  est  deu  la 
somme  de  cinquante  livres  d'eux  empruntée  par  la  dite  communauté  en 
conséquence  de  la  délibération  du  29  d'octobre  1702,  et  ordonnance  de 
Mgr  l'intendant  du  8  novembre  même  année,  suivant  l'obligation  consen- 
tie k  leur  profit  le  XIII  du  dit  mois  de  novembre  pour  subvenir  aux  frais 
de  la  garde  faitte  jour  et  nuit  pour  éviter  l'entrée  des  rebelles  des 
Cévennes,  comme  bois,  tuilles,  vente  de  maisons  et  réparations  faites  au 
corps  de  garde,  employant  pour  la  justitîcation  de  cette  partie  la  dite 
délibération,  l'ordonnance  de  mon  dit  seigneur  l'intendant  du  dit  jour 
Vlll'  novembre,  etc ,  .  .  L.  50. 

Les  mêmes  registres  nous  apprennent  que  huit  cents  livres 
furent  empruntées,  Ie25janvierl703,  pour  «  réparations  faites 
aux  murailles  dudit  lieu  ».  On  n'était  alors  qu'aux  débuts  de 
l'insurrection  dont  les  tragiques  vicissitudes  émurent  tant  de 
cœurs  et  laissèrent  partout  tant  de  ruines.  En  noveiTibre  1709, 
lorsque  l'insurrection  parut  terminée  par  la  mort  ou  l'exil  de 
ses  chefs,  un  nouvel  emprunt  fut  prescrit  par  ordonnance  de 
M.  de  Bâville,  de  la  somme  de  cent  quatre  vingt  quinze  livres 
pour  réparation  de  VÉglise  clawitrale  endomagée  et  réduite 
en  très  mauvais  état   lors  du  désordre  causé  par  les.  fana- 


250  l'église  réformée  de  la  calmette. 

tiques.  Ce  subside,  plus  ou  moins  déguisé,  trouva  peu  d'em- 
pressement à  la  Calmette  où  l'on  dut  procéder  d'office,  comme 
le  témoignent  les  lignes  suivantes  : 

N'ayant  trouvé  aucun  préteur  la  communauté  fut  obligée  de  délibérer 
que  les  habitants  y  nommés  en  feroient  l'avance...  à  savoir  à  M.  Jacques 
Privât,  André  Bonnet,  Jean  Mouret,  François  Mouret,  Jean  Amalry,  Fran- 
çois Amalry,  Jacques  Fajon  et  Antoine  Gazay,  habitans  dudit  lieu,  la 
somme  de  195  1.  suivant  l'obligation  à  eux  consentie  par  les  dits  consuls 
de  la  dite  communauté  le  24  septembre  1708  pour  estre  payée  à  l'impo- 
sition prochaine.  Présenté  aux  États  de  Languedoc.  Novembre  1709*. 

L'histoire  particulière  se  perd  et  se  retrouve  tour  à  tour 
dans  l'histoire  générale.  Le  1"  septembre,  Louis  XIV  expire 
à  Versailles  léguant  à  son  arrière  petit-fds,  à  peine  âgé  de  cinq 
ans,  le  funeste  héritage  des  mesures  iniques  qui  ont  dépeuplé 
le  royaume,  ruiné  le  commerce  et  l'industrie,  et  enrichi  à  nos 
dépens  les  puissances  étrangères.  Nouveau  Philippe  II,  il  se 
flatte  d'avoir  extirpé  l'hérésie,  restauré  dans  ses  États  l'unité 
catholique,  et  les  arts  rivalisent  avec  l'éloquence  de  la  chaire 
pour  proclamer  son  triomphe  plus  apparent  que  réel.  Au 
moment  en  effet  où  le  royal  moribond  va  comparaître  devant 
le  juge  suprême  des  vivants  et  des  morts,  quelques  hommes 
obscurs,  réunis  dans  une  carrière  voisine  de  la  Calmette, 
relèvent  le  culte  prosciùt  et  organisent  l'Église  du  Désert, 
sublime  protestation  du  droit  contre  la  force,  qui  puisera  son 
principal  lustre  dans  le  martyre.  Un  enfant  du  Vivarais,  An- 
toine Court  prend  la  glorieuse  initiative  à  laquelle  s'associe- 
ront Corteiz,  Du  Plan,  Bonbonnoux,  Roger,  Pradel,  Paul 
Rabaut,  et  qui  substituant  l'ordre  à  l'anarchie,  une  autorité 
révérée,  celle  des  Synodes,  aux  derniers  excès  du  prophé- 
tisme  camisard,  reliera  en  un  seul  faisceau  les  congrégations 
éparses,  et  ranimera  dans  leur  sein  la  ferveur  des  anciens 
jours. 

Parmi  les  députés  présents  à  la  réunion  de  Barutel  (21  août 

1.  Archives  départementales  de  Nîmes  (G.  1478). 


l'église  réformée  de  la  calmette.  251 

1715)  se  trouvait  Etienne  Arnaud,  natif  de  Saint-Hippolyte 
du  Fort,  dans  les  Gévennes,  mais  que  l'on  peut  considérer 
comme  un  des  apôtres  du  diocèse  d'Uzès.  Arrêté,  au  mois  de 
décembre  1717,  aux  portes  d'Alais,  par  les  agents  de  Bâville, 
le  féroce  proconsul  de  Montpellier,  et  condamné  à  mort  par 
les  juges  de  Nimes,  il  fut  ramené  sur  le  théâtre  de  son  apos- 
tolat pour  y  subir  le  supplice  du  gibet.  De  lui,  comme  des 
martyrs  de  la  primitive  Église,  on  aurait  pu  dire  : 

Où  le  conduisez-vous?  —  A  la  mort.  —  A  la  gloire! 

Tel  on  avait  vu  le  jeune  Fulcran  Rey,  allant  à  la  mort  comme 
à  une  fête,  exhortant  partout  les  populations  sur  son  passage, 
tel  parut  Etienne  Arnaud,  sur  la  route  lentement  parcourue 
de  Nîmes  à  Alais,  qui  ne  fut  pour  lui  qu'une  voie  triomphale, 
exprimant  par  de  pieux  cantiques  la  sainte  allégresse  du 
sacrifice  qui  devait  couronner  son  court  ministère  : 

On  le  passa  à  la  Calmette, 
De  la  Calmette  à  Boucoiran  ; 
Mais  toujours  ce  grand  athlète 
Les  psaumes  s'en  allait  chantant  ^. 

Quoi  de  plus  propre  que  de  tels  exemples  à  raviver  la  foi, 
à  ranimer  le  zèle  parmi  les  populations  rangées  sur  le  pas- 
sage des  martyrs  !  Les  assemblées  du  Désert  ne  furent  jamais 
plus  suivies  que  dans  ces  jours  de  deuil  où  les  larmes  se 
mêlaient  aux  prières,  et  où  le  prédicateur  du  moment  pouvait 
être  le  martyr  du  lendemain.  La  correspondance  d'Antoine 
Court,  le  grand  apôtre  du  temps,  mentionne  plusieurs  assem- 
blées tenues  dans  les  environs  de  la  Calmette,  pages  véridi- 
ques  qui  sont  comme  les  éphémérides  de  son  histoire.  Dans 
le  site  déjà  décrit  des  coteaux  d'Estelzin  et  de  Peyramale,  on 
remarque  une  antique  bergerie  relevant  du  Mas  de  Loumé 
ou  de  VOrmeau.  C'est  dans  ce  lieu  solitaire,  près  des  ruines 

1.  Complainte  sur  la  mort  d'I^.tiennfi  Arnaud  (Hihl.  du  Prot.  français). 


252  l'église  réformée  de  la  c.almette. 

de  l'ancien  couvent  de  Notre-Dame,  non  loin  de  la  fontaine  des 
Mourgues,  biblique  Siloë  qui  coule  doucement,  que  les  protes- 
tants de  Nîmes  et  de  la  Galmette  convoqués  par  leur  pasteur, 
s'étaient  donné  rendez-vous  dans  la  nuit  du  9  janvier  1727. 

L'assemblée,  dit  Antoine  Court,  fut  encore  fort  nombreuse,  et  tout  y 
allait  le  mieux  du  monde  jusques  à  ce  qu'un  de  ces  esprits  ombrageux 
dont  j'ai  déjà  parlé,  donna  l'alarme  sans  aucun  sujet.  Voici  comme  la 
chose  arriva  :  Deux  sentinelles  que  nous  avions  posées  sur  un  pont  à 
une  demi-lieue  de  rassemblée^  oîile  détachement  devait  nécessairement 
passer,  supposé  le  cas  qu'il  y  eut  eu  campagne  pour  nous  cherchtM-, 
voyant  que  l'on  était  tranquille,  le  minuit  déjà  passé,  quittèrent  leur 
poste  et  arrivèrent  à  grands  pas  sur  l'assemblée  pour  avoir  encore 
quelque  portion  de  l'exercice,  ou  du  moins  part  à.  la  bénédiction,  lors- 
qu'une des  sentinelles  plus  voisines  les  prenant  pour  un  détachement, 
s'est  mis  à  crier  :  Sauve  !  Ce  cri  fut  suivi  d'abord  d'une  grande  émotion. 
J'administrais  pour  lors  la  Sainte  Cène.  Il  me  fallut  interrompre  celle 
sainte  cérémonie  pour  calmer  l'émotion.  Mais  mes  efforts  ne  suffisant  pas 
pour  arrêter  le  monde  qui  fuyoit  en  désordre,  je  me  laissai  couler  en  bas 
par  une  fenêtre  et  m'étant  rendu  dehors  par  la  porte  de  la  bergerie, 
je  retins  ceux  qui  y  étoient  encore,  et  je  rappelai  par  le  chant  des  psaumes 
ceux  qui  couroient  dans  les  champs.  Ayant  ainsi  arrêté  le  désordre  et 
rappelé  les  fuyards  à  quelques-uns  près,  j'exposai  le  sujet  de  l'alarme  et 
donnai  pour  conseil  de  rentrer  dans  la  bergerie  et  d'y  finir  notre  exer- 
cice; ce  qui  fut  fait  avec  la  même  sérénité  (jue  s'il  n'y  avoit  pas  eu 
d'.alarme-. 

C'est  dans  le  même  site  qu'eut  lieu,  l'année  suivante,  l'as- 
semblée ainsi  racontée  par  Antoine  Court  : 

31  mai  IHH.  —  M'étant  rendu  à  Nîmes  pour  une  affaire  particulière, 
j'en  partis  le  lundi  dernier  mai,  et  j'assemblai  le  soir  même  cette  Église, 
celle  de  la  Calmette  et  de  Saint-Giniès.  Avant  que  de  sortir  de  la  ville,  on 
vint  me  dire  ({ue  l'assemblée  étoit  vendue.  Je  ne  laissai  pas  que  de  partir. 

1.  Le  pont  ainsi  désigné  ne  peut  être  que  celui  ilc  Goulajon,  le  seul  qu'on 
renconlre  sur  la  route  d'Alais,  à  proximité  de  la  Calnielle.  Au  premier  sigual 
(l'alainie  les  fidèles  assemblés  aux  Mourgues  iiouvaicnt  se  disperser  dans  les 
garriguesvoisines. 

2.  Lettre  d'Antoine  Court  à  Du  l'ian,  du  J-J  uiars  i7"27.  Papiers  Court,  n'  7, 
f.  m,  p.  177-179.  Hild.  de  C.-uéve. 


l'église  uéformee  de  la  calmette.  :253 

Sur  la  porte  je  vis  une  troupe  de  soldats,  et  un  peu  plus  loin  une  troupe 
d'officiers  qui  fixèrent  un  moment  les  yeux  sur  un  cavalier  que  j'avois 
avec  moi.  Ces  deux  troupes  me  firent  craindre  qu'on  n'eût  accusé  juste 
sur  l'avis  qu'on  venoit  de  me  donner;  mais  je  n'eu  continuai  pas  moins 
mon  chemin,  persuadé  que  rassemblée  se  tenoit  un  peu  trop  loin  de 
cette  ville  pour  être  suivie,  et  que  s'il  y  avoit  quelque  chose  à  craindre, 
ce  ne  seroit  qu'en  revenant  et  qu'alors  il  ne  manqueroit  pas  de  moyens 
de  rendre  inutiles  les  soins  des  soldats.  Il  y  eut  un  autre  obstacle,  ce 
fut  une  nuit  sombre  et  fort  obscure  accompagnée  de  pluie,  obstacle  qui 
fit  que  plusieurs  errèrent  pendant  la  nuit  sans  trouver  l'assemblée.  Je 
trouvai  siu'  mes  pas  une  de  ces  troupes  errantes  et  à  laquelle  il  fallut 
que  je  servisse  de  guide.  Nous  essuyâmes  avant  la  prédication  un  revers 
de  pluie  qui  peu  s'en  fallut  qu'elle  ne  nous  pénétra  tout  à  fait.  Il  cessa 
ce  revers,  et  la  pluie  nous  laissa  assez  tranquillement  achever  notre 
exercice.  11  n'en  fut  pas  de  même  au  retour.  Elle  se  renforça;  heureuse 
encore  l'assemblée  de  n'avoir  à  se  défendre  que  contre  la  pluie.  Les  sol- 
dats ne  firent  point  de  sortie  ^ 

Moins  heui'euse  devait  être  l'assemblée  tenue,  deux  ans 
après,  dans  un  autre  lieu,  et  qui  figure  parmi  les  plus  ti^agiques 
souvenirs  de  l'époque.  J'emprunte  ici  la  plume  de  mon  ami 
M.  Ch.  Sagnier  :  «  Le  27  mars  1730,  se  trouvait  réunie  au 
mas  des  Crottes  ^  une  foule  de  fidèles  qui,  à  l'appel  des  anciens 
s'y  était  rendue  pour  entendre  un  sermon  au  Désert.  Par  sa 
situation  pittoresque  au  milieu  des  garrigues  et  des  bois,  le 
mas  des  Crottes  éloigné  de  3  kilomètres  du  village  de  Saint- 
Mamert  et  de  7  à  8  de  Nîmes,  semblait  on  ne  peut  mieux  dési- 
gné pour  cacher  à  tous  regards  ennemis  l'acte  pieux  que  de 
zélés  protestants  venaient  y  accomplira  Mais,  soit  impru- 
dence, soit  dénonciation  d'un  traître,  l'assemblée  l'ut  surprise 
par  la  maréchaussée  qui,  sur  l'ordre  de  l'intendant  de  la  pro- 
vince, parcourait  incessamment  à  cette  époque  les  territoires 

1.  LeUie  d'Antoine  Court  à  Du  Plan,  de  juillet  1728,  insérée,  comme  la  pré- 
cédeulc,  diuis  le  journal  de  sa  visite  aux  Églises.  N°  7,  t.  Ili,  p.  302-3U3.  Dibl. 
de  Genève. 

2.  Ainsi  nommé  à  cause  de  ses   voûtes  basses  rappelant  d'anciennes   cryptes. 

3.  La  proximité  d'une  source  ajoutait  à  la  convenance  du  lieu.  La  poésie  des 
lonlaincs  sous  le  ciel  brûlant  du  midi,  égale  leur  rareté.  Le  beau  psaume  XLII  : 
Connue  un  cerf  alléré  brame...  est  là  d'une  terrible  réalité! 


254.  l'église  réformée  de  la  calmette. 

où  l'on  savait  qu'habitaient  des  réformés.  Grâce  à  ii  docu- 
ment précieux  récemment  découvert,  on  peut  laisser  iconter 
cette  terrible  scène  par  le  principal  acteur  lui-mêm<  le  mi- 
nistre François  Roux  : 

«  Le  27  mars,  dit-il,  je  fis  une  assemblée  du  côté  du  m,-  de  Las 
Crottes,  où  il  y  avoit  plusieurs  fidèles  de  Nîmes,  et  du  temps  ae  j'étois 
dans  la  seconde  partie  de  ma  prédication,  le  détachement  fon  sur  l'as- 
semblée et  les  fidèles  prirent  la  fuite,  dont  on  fit  dix  prisoniers,  neuf 
femmes  et  un  homme  qui  fut  condamné  aux  galères,  et  les  feiraes  à  la 
Tour  de  Constance*.  Les  soldats  poursuivireat  un  long  temps  s  fidèles, 
et  moy  je  fus  abandonné  de  tous  après  avoir  couru  un  long  unps  que 
j'entendis  les  tambours  des  soldats  qui  les  appeloient;  alors  ,j  m'arrêtai 
pour  me  reposer  un  peu,  et  ensuite  je  repris  ma  course  parc  que  j'en- 
tendois  toujours  les  soldats  qui  crioient  :  Arrête!  arrête!  ne!  tue! 
un  peu  après  quand  j'eus  passé  un  peu  plus  loin,  que  je  n'eicndis  plus 
de  bruit,  je  me  mis  à  genoux  et  rendis  grâce  à  Dieu  de  ce  q  il  m'avoit 
préservé.  Je  me  rendis  à  un  village  nommé  Saint-Mamert,  .  priay  un 
fidèle  de  me  conduire  plus  loin,  ce  qu'il  fit  d'abord,  et  éta:  allé  à  un 
lieu  nommé  Sauvignargues,  oîi  je  me  reposay  un  peu  (c'éto  le  lende- 
main 28,  et  environ  les  9  à  10  heures  du  matin),  voici  un  aachement 
de  soldats  qui  arrive  dans  ce  village  et  s'arrêta  devant  la  por!  oii  j'étois 
logé,  en  demandant  la  maison  du  consul,  et  alors  la  femme  e  la  maison 
me  dit  toute  tremblante  :  «  Ah!  nous  sommes  perdus!  »  ^t  m'étant 
mis  à  la  fenêtre,  je  vis  les  soldats  qui  coramençoient  à  défi.',  de  sorte 
que  je  commenÇois  à  prendre  la  fuite.  Mais  comme  on  me  lit  que  les 
soldats  avoient  mis  des  sentinelles  à  l'entour  du  lieu  et  a'on  alloit 
prendre  le  consul  pour  faire  la  visite,  je  quittai  mon  babic  t  pris  une 
méchante  veste  de  berger.  Je  quittai  mon  chapeau  et  ma  pouque,  pris 
un  mauvais  chapeau  et  un  luchct  (c'est  une  machine  de  fer  uis  du  bois 
pour  bêcher  la  terre),  et  avec  cet  équipage  et  mon  outil,  je  ortis  de  la 
maison  et  pris  d'abord  les  terres  comme  si  j'allais  travail^,  et  de  là 
m'en  fus  dans  un  bois  où  j'avois  ordonné  qu'on  m'apport;'  mon  habit 
et  me  transportai  dans  un  autre  endroit.  Gloire  soit  renue  à  notre 
Dieu!...  » 

Le  mas  des  Crottes  était  situé  sur  les  confins  di  territoire 
de  la  Calmette  et  de  celui  de  Nîmes.  Les  deux  arronissements 

1.  Ch.  Sagnier,  La  Tour  de  Constance  et  ses  prisonnières,  p.  1-17. 


l'église  réformée  de  la  calmette.  255 

furent  co damnés  à  une  amende  de  6300  livres,  dont  150  à 
la  chargeles  nouveaux  convertis  de  la  Calmette,  au  nombre 
de  quarate-deux,  parmi  lesquels  figurent  quatre  membres 
de  la  farnie  Bonnet,  à  savoir*  :  André  Bonnet  ménager,  1  1. 
7  s.  7  d.;  acques  Bonnet,  ménager,  1  1.  11  s.;  Antoine  Bon- 
net, cardar,  10  s.  6  d.  ;  Jean  Bonnet,  travailleur^  10  s.  6  d.  ; 
peine  bic  légère  comparée  à  celle  des  neuf  femmes  enseve- 
lies, durât  des  années,  dans  le  sombre  cachot  de  la  Tour  de 
Constanc  et  dont  on  connaît  la  douloureuse  histoire. 

A  l'épque  où  s'accomplirent  ces  tristes  événements,  le 
grand  misionnaire  du  midi,  le  prédicateur  aimé  des  popula- 
tions voisies  de  Nîmes  et  d'Uzès,  Antoine  Court  avait  pris  le 
chemin  ci  la  Suisse,  où  il  devait  fonder  le  séminaire  de  Lau- 
sanne, pemière  de  pasteurs  et  de  martyrs.  Son  départ,  dont 
les  motifs) taient  peu  connus,  et  qui  pour  quelques-uns  sem- 
blait unedéfection,  excita  partout  de  vifs  regrets.  Ils  sont 
naïvemer  exprimés  dans  la  lettre  d'un  fidèle  de  la  Calmette, 
au  dos  doaquelle  Court  a  écrit  ces  mots  :  Soupirs  après  mon 
retour.  E  voici  quelques  lignes  :  «  Tous  les  amis  du  circon- 
voisin  détrent  fort  de  vous  voir  dans  le  païs.  Les  uns  crai- 
gnent qu' les  affaires  se  relâchent;  les  autres  craignent  que 
vous  nou  abandonniez.  Enfin  tout  ce  pais  est  en  peine  et  en 
souci  de  e  vous  voir  pas...  Les  autres  disent  que  vous  estes 
placé  et  ue  vous  ne  retournerez  plus.  Je  vous  prie  par  grâce 
de  nous  mir  secourir  le  plus  tost  qui  vous  sera  possible.  A 
présent  i  semble  que  nous  sommes  seuls;  nous  demandons 
vostre  seours.  J'espère  ceste  grâce  de  vous  que  vous  revien- 
drez pou  nous  rassasier  de  la  faim  que  nous  avons  et  de  la 
soif  que  nus  endurons^.  »  Vœux  touchants,  aussi  honorables 

1.  Liste  ttf  nouveaux-convertis  de  l'arrondissement  de  la  Calmette  condamnes 
à  l'amende  î  1730.  Voir  ce  document  important  à  l'appendice. 

2.  Lettre  i  Mourc  (Mouret)  à  Antoine  Court;  de  la  Calmaitte,  ce  21  février 
1730.  J'en  ;  seulement  modifié  l'orthographe  par  trop  primitive.  Lettre  à  An- 
toine Counl.  VI,  p.  297.  Bibl.  de  Genève.  Le  signataire  de  cette  lettre,  Jean 
IWouret,  méager,  figure  pour  4  1.  16  s.  2  d.  sur  la  liste  des  amendes  citée  plus 
haut. 


:2o6  l'église  heformee  de  la  calmette. 

Iiour  le  pasteur  qui  en  est  l'objet  que  pour  le  membre  obscur 
du  troupeau  qui  les  exprime.  Ils  ne  devaient  se  réaliser  que 
longtemps  après  pour  les  Églises  menacées  d'un  schisme  plus 
dangereux  que  la  persécution. 

Déjà  paraît  le  grand  pasteur  nîmois,  dont  le  nom  va  s'unir 
si  glorieusement  à  celui  d'Antoine  Court,  dans  la  restauration 
du  Protestantisme.  :  c  Mon  quartier,  écrit  Paul  Rabaut,  com- 
mence à  la  Calmette  et  finit  à  Saint-Pargoire;  c'est-à-dire 
qu'il  a  iG  lieues  de  longueur.  Ce  qui  m'encourage  beaucoup, 
c'est  que  de  temps  en  temps  j'ai  lieu  de  me  convaincre  par 
mes  propres  yeux  que  le  Seigneur  bénit  mon  ministère.  Je 
vois  déjà  une  moisson  abondante  devant  moy.  Oh  !  si  j'avais 
une  lamille  comme  la  vôtre  ou  un  compagnon  d'œuvrc  tel 
que  vous,  que  de  blé  il  y  aurait  bientôt  dans  le  grenier  du 
Seigneur'  !  »  Saintes  moissons  du  Désert  préparées  par  Cor- 
teiz,  par  Antoine  Court,  et  recueillies  par  leur  jeune  émule, 
pour  la  gloire  de  leui'  commun  maître. 

Jules  BoxNnet. 


1.  Lellrc  de  Paul  Rabaut  à  Antoine  Couil,  du  10  juin  17i-2.  Communication  de 
M.  le  iiasleur  Cli.  Dardicr,  le  docte  éditeur  de  la  Correspondance  de  Tuibaul. 


{La  fin  au  prochain  numéro.) 


DOCUMENTS 


LETTRES  DU  PASTEUR  PIERRE  DURAND 

A   ANTOINE   COURT  ET    A   DIVERS 
1721-1731 


Le  Bulletin  du  15  février  (p.  74)  a  publié  une  relatmi  de  la  mort  de 
M.  Pierre  Durand  (12  février  1732),  et  annoncé  une  série  de  lettres 
du  pasteur  martyr  du  Vivarais  adressées  pour  la  plupart  à  Antoine  Court 
et  conservées  dans  la  collection  de  ce  nom  (iN"  1,  tome  II,  III,  IV,  V  et 
VI). 

Ces  lettres,  au  nombre  de  plus  de  trente,  réparties  sur  une  dizaine 
d'années,  n'offrent  pas  toutes  un  égal  intérêt.  Quelques-unes  môme  en 
sont  absolument  dénuées.  INous  avons  donc  fait  un  choix,  et  nous 
reproduisons  celles  qui  pourront  ôlre  utilement  consultées  pour  la  bio- 
graphie ou  pour  l'histoire. 

On  ne  sait  que  fort  peu  de  chose  sur  la  jeunesse  de  Pierre  Durand  né, 
le  12  septembre  1700,  au  hameau  de  Bouchet,  commune  de  Pranles, 
et  proposant,  à  l'âge  de  20  ans,  sous  les  auspices  du  pasiciir  Boger, 
martyr  du  Dauphiné.  Ses  études  furent  assez  négligées,  comme  il  nous 
l'apprend  lui-même  :  «  Je  vois  une  ville  (Privas)  qui  m'a  reçu  dès  ma 
tendre  enfance,  et  dans  laquelle  j'ai  fait  quelques  études  qui,  quoique 
peu  considérables,  ne  m'ont  pas  été  inutiles  ».  Il  travailla  sans  cesse  à 
augmenter  son  petit  trésor. 

On  voit  par  son  acte  de  consécration  —  17  mai  1726  —  qu'il  avait 
proposé  l'espace  d'environ  sept  ans,  et  son  ministère  proprement  dit  ne 
dura  pas  plus  de  cinq  années.  Dans  cette  double  période,  Antoine  (]ourt 
n'eut  [)as  de  collaborateur  plus  dévoué  que  lui.  Ses  lettres  vont  nous  le 
montrer  ardemment  préoccupé  du  rétablissement  de  l'ordre  et  de  la  pré- 
dication du  pur  Évangile  au  sein  des  Églises  agitées  par  les  derniers 
excès  du  prophétisme. 

Pour  les  détails  biographiques,  voir  la  notice  que  lui  a  consacrée  le 
pasteur  Meynadier  (in-12.  Valence,  IHOi). 

XXXIII.  —  17 


258  LETTRES  DU   l'ASTEUR 


A  MONSIEUR  CORTEIZ  * 

Ce  7  juin  1721. 

En  attendant  que  je  puisse  vous  informer  de  nos  affaires  plus 
clairement,  je  ne  puis  me  garder  de  vous  faire  ces  quatre  lignes  pour 
vous  asseurer  de  la  continuation  de  mes  respects  et  affections,  et 
pour  vous  apprendre  Testât  de  mon  arrivée  dans  notre  pais,  lequel 
a  été  bien  favorable  pour  moy,  grâces  à  Dieu.  Je  le  prie  qu'il  vous 
donne  et  à  nous  aussy  toujours  bon  .succès  en  nos  entreprises,  et 
veuille  que  tout  prospère  et  tende  à  l'avancement  de  sa  gloire  et  à  la 
destruction  de  l'empire  de  Satan. 

Je  vous  diray  que  pour  ce  qui  regarde  l'establissement  de 
l'ordre,  j'en  ay  grâces  à  Dieu,  de  grandes  espérances.  J'ay  parlé  au 
frère  Bernard,  lequel  y  va  d'un  grand  cœur,  suivant  ce  que  j'en 
connois.  Je  luy  dis  que  s'il  ne  vouloit  pas  crier  hautement  contre  le 
fanatisme,  il  devoit  se  taire  et  ne  pas  y  instruire  le  peuple,  et  il  ne 
m'a  rien  dit,  non  plus  que  sur  la  prédication  des  femmes.  Mais 
cependant  il  me  fit  connoistre  qu'il  ne  s'opposeroit  pas  contre  ce 
règlement,  et  je  crois  qu'il  observa  le  silence  pour  ne  pas  se  contre- 
dire soy  même  en  présence  des  gens  qu'il  y  avoit. 

Pour  le  frère  Monteil  je  luy  ay  écrit  et  luy  ay  envoyé  la  lettre  de 
M.  P.  et  la  vôtre,  et  luy  marquois  dans  ma  lettre  les  articles  de  vos 
règlements  qui  sont  d'une  indispensable  nécessité,  comme  de  signer 
la  confession  de  foy,  la  discipline  ecclésiastique  et  la  soumission  au 
prince,  l'interdissement  des  femmes,  l'e.xamen  de  la  doctrine  des 
prédicateurs  devant  le  Synode,  l'examen  de  la  sagesse,  et  enfin  quel- 
ques autres  points  que  j'escrivis  ayant  assez  de  papier,  et  sa  réponse 
n'est  que  favorable  pour  notre  prospérité.  Je  (rouve  son  sentiment 
assez  bon  cl  un  de  ces  jours  je  prétends  de  l'aller  joindre  pour  parler 
encore  avec  luy  et  voir  encore  mieu.\  son  sentiment  sur  le  tout.  J'ay 

1.  Lettre  collective,  mais  principalement  adressée  à  Pierre  Carrière,  dit  Cor- 
teiz,  un  des  plus  zélés  collaborateurs  d'Antoine  Court  pour  la  restauration  du 
Protestantisme.  Voir  son  Journal  publié  par  M.  Kdin.  Hugues  dans  la  biographie 
tl'Aut.  Court  (t.  I,  p.  488)  et  l'article  delà  France  protestante. 


PIERRE   DURAND.  259 

assez  bonne  espérance  de  son  secours,  car  les  Boutieres  ont  une 
grande  affection  pour  ce  qu'il  dit,  et  puisque  je  l'ay  gagné  luy,  pour 
ainsy  m'exprimer,  je  crois  d'avoir  gagné  tout  le  pais  où  il  domine;  et 
les  autres  contrées  ne  m'ont  jamais  tant  fait  de  peine  comme  celle 
cy.  Je  dois  aller  joindre  donc  Monteil  et  après  je  monteray  en  haut 
Vivarés;  mais  je  voudrois  auparavant  me  faire  habiller,  s'il  plail  à 
Dieu. 

J'ay  résolu,  avec  l'aide  de  Dieu,  de  faire  premièrement  assembler 
tous  les  prédicateurs  et  faire  examen  de  notre  doctrine  entre  nous, 
et  ne  pas  nous  quitter  que  nous  n'ayons  réuny  nos  sentiments  ;  et 
après  avoir  demeuré  d'accord  de  tout,  et  pris  de  chacun  le  seing  de 
son  advis,  puis  après  passer  l'un  d'un  côté  et  l'autre  de  l'autre, 
pour  l'establissement  des  anciens  par  chaque  Églize,  et  après  dans 
un  colloque  général  recevoir  nos  anciens,  eslire  celluy  à  qui  l'on 
donnera  pouvoir  de  faire  les  entières  fonctions,  et  dresser  nos  entiers 
règlements,  suivant  la  trace  des  vôtres.  Ayez  la  bonté  de  m'escrire 
à  lettre  veûe,  et  me  dire,  s'il  vous  plaît,  si  ce  est  bien  ou  mal 
entrepris;  comme  aussy  me  marquerez  si  vous  avez  escrit  à  Genève 
pour  nous  à  M.  P.  Je  n'y  ay  pas  escrit  encore  ;  mais  j'y  escriray  au 
premier  jour  pour  ce  qui  est  des  femmes  prédicantes.  La  première 
à  qui  j'ai  parlé  de  cela  s'est  soumise  avec  autant  d'humilité  qu'on 
en  puisse  demander.  C'est  la  Suzanne  de  Bougé,  et  je  ne  crois  pas, 
avec  l'ayde  de  Dieu  de  trouver  guiere  d'antagonistes. 

Adieu,  messieurs  mes  très  chers  frères;  je  vous  prie  de  vous  sou- 
venir de  moy,  car  je  vous  regarde  comme  mon  père,  et  vous  voyez 
combien  j'ay  besoin  de  votre  secours  de  part  et  d'autre,  car  si  je  per- 
dois  votre  amour  et  de  M.  Roger  mon  bon  père,  je  me  croirais  aban- 
donné de  tout  secours  humain.  Je  vous  prie  d'asseurer  de  mes 
respects  tous  nos  frères,  mes  collègues,  mais  en  particulier  mon 
bon  père  Deleuze  que  j'aime  tendrement,  et  mon  Bonbonnou,  et 
généralement  tous,  car  je  suis  avec  autant  de  tendresse  qu'on  puisse 
avoir  pour  des  intimes,  de  vous. 
Messieurs  mes  très  chers  et  bien  aymés  frères. 

Votre  très  humble  et  très  obéissant  et  zélé  serviteur 

Durand. 

Je  n'escris  pas  à  monsieur  Deleuze;  mais  je  luy  escriray  quand  je 
répondray  à  celle  que  j'attends,  et  si  luy  me  vouloit  honorer  d'une 


260  LETTRES   DU   PASTEUR 

des  siennes,  il  me  feroit  un  grand  plaisir.  J'eus  le  malheur  de  perdre 
mon  porte  leuillo  et  la  lettre  du  frère  R.  s'y  trouva,  ce  qui  m'a  bien 
donné  du  chagrin.  Je  dois  aller  voir  son  frère  dans  fort  peu;  j'avois 
promis  à  M'  Baldy  de  G.  des  copies  touchant  le  mot  de  phanatique, 
d'où  est  venu  son  origine,  et  je  luy  envoyeray;  mais  il  y  en  a  une 
que  je  tire  du  latin,  et  il  me  le  faut  faire  expliquer.  Je  salue  de 
même  tous  les  vrays  fidelles  que  j'aime  tendrement.  Adieu,  mes 
amis,  au  nom  de  Dieu,  je  vous  demande  protection. 

Notre  bon  ancien  païs  vous  salue  tous.  Adieu. 

Le  frère  Deleuze  fera  son  adresse  à  M'  de  Rias,  passant  par  Yer- 
noux,  parce  qu'on  ne  peut  pas  adresser  tant  de  lettres  en  un  en- 
droit; mais  qu'il  m'escrive,  je  l'en  prie  ardemment. 

Souscription  :  Messieurs 

Messieurs  Corteiz  ou  Crotte,  au  plus  vitte  qu'il  leur  soit  baillé 

en  main  propre  à  l'endroit  oit  ils  seront. 

l'adresse  de  l'enveloppe  était  faite  à  M.  Clair. 

L'adresse  à  Mlle  Rouvier  à  Graux  passant  par  Privas,  sans  mettre 
pour  rendre,  mais  l'enveloppe  sera  adressée  à  elle,  et  après  vous 
m'adresserés  la  lettre  à  nioy. 

L'on  m'a  dit  que  notre  bon  frère  Gnilhol  de  Vernoux  est  plus 
malade. 


II 

A  MONSIEUR  ANTOINE  COURT 

Aux  Doulières,  le  18  juin  ITtJl. 

Monsieur  mon  cher  frère  en  J-C. 
Je  profite  de  cette  occasion  pour  vous  asscurer  de  mes  très 
humbles  respects  et  pour  vous  dire  que  je  fus  au  bas-Languedoc 
comme  vous  verrez  sans  doute  en  la  lettre  tle  M'  le  professeur  Pit- 
tet,  et  comme  nous  avons  eu  grand  besoin  de  secours  de  qiiehiue 
serviteur  de  Dieu  qui  employé  ses  forces  à  dissiper  plusieurs  erreurs 
que  nous  rencontrons  icy,  à  cause  du  S'"  Bernard  que  vous  avez 


PIERRE  DURAND.  261 

peut  estre  connu,  lequel  je  crois  que  s'il  ne  s'y  prend  garde,  pren- 
dra la  doctrine  de  l'extraordinaire  Vesson'  :j'ay  écrit  au  bas  Lan- 
guedoc que  vous  prétendiez  vous  bazarder  de  venir;  ce  ne  sera  pas 
sans  beaucoup  de  risques;  mais  si  toutes  fois  vous  vouliez  cependant 
vous  bazarder,  nous  vous  serions  bien  obligés,  et  ce  seroit  une  cba- 
rité  de  nous  donner  en  passant  une  visite. 

Si  vous  pouviez  venir  à  Lyon  et  que  nous  en  fussions  informés, 
nous  pourrions  vous  y  aller  attendre  ;  toutefois  vous  ne  vous  bazar- 
derez ni  plus  ni  moins,  quoique  ce  seroit  une  chose  très  utile.  Mais 
nous  ne  voudrions  pas  vous  exposer  en  rien  ;  au  moins  je  vous  supplie 
de  soliciter  Monsieur  Pictet  à  nous  répondre,  et  vous  aussy,  je  vous 
prie  de  m'bonorer  d'une  de  vos  aimables  lettres.  Je  vous  demande 
pardon  si  je  parle  si  familièrement,  mais  je  ne  saurois  vous  expri- 
mer combien  j'ayme  tous  mes  frères  qui  se  consacrent  à  la  croix  de 
J-C.  et  ainsy  quoique  je  n'eusse  pas  l'bonneur  de  votre  cognoissance, 
il  n'empêche  pas  que  je  vous  aye  au  cœur;  ayez  donc  la  bonté  de 
m'escrire  et  vous  fairez  l'adresse  à  mon  père.  M""  Pictet  vous  la  don- 
nera. 

Je  passay  en  venant  du  bas  Languedoc  à  Villeneuve  de  Berg^ 
J'ai  mille  compliments  à  vous  faire  que  je  ne  puis  mettre  en  si  peu 
de  papier.  Madame  vostre  mère  et  mesdemoiselles  vos  sœurs,  et  en 
particulier  la  pauvre  veuve  laquelle  se  jette  entre  vos  bras,  comme 
entre  les  bras  de  son  plus  procbe  aray  dans  son  extrême  nécessité; 
elles  se  portent  bien  toutes,  et  les  petits  neveux  aussy.  Elle  me  dit 
de  vous  supplier  de  vous  informer  si  par  vostre  moyen  ou  de  vos 
bons  amis,  votre  fillieul  son  ayné  ne  pourroit  pas  apprendre  à  Genève 
la  vocation  de  feu  son  père.  Je  lui  donnay  un  autre  avis;  c'est  un 
enfant  qui,  avec  le  secours  de  Dieu,  pourroit  nous  estre  un  grand 
secours  dans  les  suites,  et  luy  en  seroit  peut-être  plus  content.  Je 
parle  si  vous  le  prenies  avec  vous  pour  apprendre  quelque  chose. 
Je  lui  trouve  d'assez  bonnes  dispositions  pour  sa  faculté.  Attendant 
votre  venue,  je  le  prendrois  avec  moy  pour   luy  commencer  les 

1.  Jean  Vcsson,  de  Gros,  {irès  Saint-Hippolyte,  un  des  principaux  chefs  de  la 
secte  des  inspirés.  Il  fut  supplicié,  l'année  suivante,  à  Montpellier. 

2.  Patrie  d'Antoine  Court.  Durand  revenait  alors  du  synode,  réuni  le  22  mai 
1721,  où  il  vit  d'importantes  réformes  réalisées.  i(  Il  en  fut  si  édifié,  dit  Corieiz, 
dans  son  Journal  (p.  461),  qu'il  se  promit  d'établir  même  ordre,  mêmes  règles 
et  mêmes  maximes  dans  les  Églises  du  Vivarez.  »  Voir  la  lotira  suivante. 


262  LETTRES  DU   PASTEUR 

déclinaisons  du  latin  ou  les  abrégés  de  vérités  de  la  religion. 

Je  n'ai  pas  assez  de  papier  pour  vous  dire  ce  que  je  souhaiterois, 
mais  vous  pouvez  juger  de  la  cause;  icy  il  n'y  a  pour  pasteurs  que 
quelques  pauvres  vieux  sans  grande  connoissance,  incapables  de 
souffrir  un  fort  petit  examen.  Je  suis  le  seul  jeune,  et  je  ne  puis  pas 
faire  grand  chose  faute  de  mille  facultés  qui  me  manquent.  Ainsi  je 
vous  prie  de  me  dire  vostre  sentiment,  et  attendant  je  suis  et  seray 
toute  ma  vie,  mon  très  cher  et  bien  aymé  frère, 

Votre  très  humble  et  très  obéissant 

Durand  '. 

Escrivez-moi  à  lettre  vëue  s'il  vous  plait,  et  M""  Pittet  aussy  s'il 
lui  plait. 

m 

AU    MÊME 

Ce  25  septembre  1721. 

Monsieur,  mon  très  cher  et  honoré  frère 
C'est  la  seconde  fois  que  je  me  donne  l'honneur  de  vous  escrire 
pour  vous  asseurer  de  mes  très  humbles  et  profonds  respects.  Je  vous 
avois  escrit  il  y  a  déjà  quelques  mois,  sans  que  j'aye  eu  aucune 
réponse,  quoy  que  je  vous  suppliois  de  me  répondre  à  lettre  veiic, 
ce  qui  m'a  fait  dire  que  vous  n'avez  pas  receû  ma  lettre.  Il  y  en 
avoit  une  pour  le  célèbre  monsieur  Pictet  et  une  pour  vous,  et 
comme  je  ne  scavois  pas  comment  vous  adresser  la  lettre  à  vous 
même,  ayant  esté  si  oublieux  que  de  prendre  par  escrit  vos 
adresses,  lors  que  monsieur  Corteiz  me  le  dit,  je  Pavois  dans  ma 
mémoire,  mais  non  pas  asseurée;  et  n'osant  pas  faire  l'adresse  ou- 
vertement à  monsieur  Pictet,  crainte  que  quelqu'un  par  malice  ou 
curiosité  ne  l'ouvrit  en  chemin,  je  la  fis  h  un  certain  M'  Fougeyrol 
apointé  en  la  compagnie  de  W  Dumont,  en  la  garnizon,  pour  rendre 
à  M'  Pictet,  dans  l'enveloppe,  et  la  vosire  estoit  dans  celle  de 
monsieur  Pictet;  ce  qui  me  donne  beaucoup  du  chagrin  qu'elles  se 

1  Cette  lettre  est  sans  adresse,  mais  on  lit  au  dos,  de  la  main  d'Ant.  Court 
alors  à  Genève  :  u  Du  proposant  Durand,  1721,  juin  18«;  reçue  le  25«  octobre; 
elle  avoit  esté  égarée.  » 


PIERRE  DURAND.  263 

soient  perdues,  et  qui  est  cause  que  je  n'ay  pas  affranchy  celle-cy 
pour  qu'elle  vous  vienne  avec  plus  de  sûreté. 

Je  l'ay  adressé  à  M' Bâta  Cord",  laquelle  adresse  l'on  m'a  donné  icy, 
et  je  crois  bien  que  ce  monsieur  se  faira  un  plaisir  de  me  répondre 
et  de  me  donner  de  bonnes  adresses  pour  recouvrer  l'entretien 
par  lettres  que  j'ay  perdu  depuis  que  je  l'ai  commencé  à  mou- 
voir (?),  comme  aussy  d'escrire  au  célèbre  M'Pictet,  lequel  aura  la 
charité  pour  nos  églises  de  résoudre  les  difficultés  qui  se  trouvent 
encore  en  nos  esprits  tout  nouveaux  aux  réformes  que  nous  avons 
entrepris  et  auxquelles  nousréiississons,  par  la  grâce  de  Dieu,  assez 
heureusement,  quoy  que  nous  trouvions  à  tout  moment  des  obs- 
tacles qui  nous  donnent  beaucoup  de  peine  à  rabattre. 

Nous  avons  rangé  nos  femmes  prédicantes  au  silence,  quoy  que 
nous  en  ayons  encore  qui  font  de  grandes  résistances.  Cependant, 
pfir  la  grâce  de  Dieu,  nous  voyons  que  leurs  résistances  se  terminent 
peu  à  peu. 

Nos  phanatiques  sont  pour  ainsy  dire  aux  abois,  voyant  le  trouble 
que  nous  avons  mis  à  leur  audience  et  réception.  Mais  comme  vous 
scavez  assez  que  c'est  leur  coutume,  les  foudres  et  anathèmes  nous 
roulent  dessus  aussy  espais  comme  ceux  qui  partirent  de  la  ville  de 
Trente  et  de  Bouloigne,  lorsque  le  concile  y  fut  tenu  en  faveur  de 
l'erreur  de  Rome;  et  principalement  sur  moy;  parce,  disent-ils,  que 
je  suis  leur  plus  grand  ennemy,  veu  que  si  je  n'eusse  pas  mis  la 
main  à  cette  œuvre,  je  veux  dire  à  l'établissement  de  l'ordre,  peut 
estre  personne  ne  l'auroit  entrepris  de  plusieurs  années.  Mais  je 
regarde  et  ay  toujours  regardé  ces  foudres  et  malédictions  comme 
partant  de  la  bouche  de  gens  sans  connoissance,  et  par  conséquent 
dignes  de  suport.  Jen'en  aymême  tenu  aucun  compte,  et  je  reprends 
ceux  qui  me  les  répètent,  car  cela  ne  se  pratique  pas  en  ma  pré- 
sence, ni  de  mes  chers  collègues;  quoyque  dernièrement  j'en  trouvay 
un  qui  me  fit  de  terribles  reproches,  à  son  avis  m'appelant  destruc- 
teur de  l'œuvre  de  Dieu,  quand  je  travaillois  à  détruire  les  pré- 
tendues révélations,  et  me  chassa  même  de  sa  maison  après  la 
grande  sollicitation  qu'il  m'avoit  fait  de  l'aller  voir.  J'ay  regardé  cela 
comme  rien,  et  je  vous  asseure  que  si  je  n'eusse  profitté  du  conseil 
que  je  reçeûs  de  mon  bon  père  monsieur  Corteiz,  et  que  j'avois 
desjà  conçeu  avant  l'entreprize,  et  que  vous  me  donnez  encore  dans 
la  lettre  que  vous   avez  escrit  pour  mademoiselle  Tremollet  à 


201  LETTRES   DU   PASTEUR 

mademoiselle  Rouvier,  je  n'aurois  nullement  rien  pu  faire  que  perdre 
tout  courage.  Mais  à  Dieu  en  soil  la  gloire!  Nous  avons  dcsjà  estably 
des  corps  de  consistoire  par  toutes  nos  Eglises,  excepté  quelques 
unes  où  je  travaille  maintenant,  assisté  de  Brunel  (jue  vous  con- 
noissez  des  long  temps.  Je  ne  saurois  vous  exprimer  le  secours  que 
j'ay  receu  en  cela  de  noire  bon  père  Monteil  (jui  vous  salue  de  toute 
son  âme  et  qui  est  un  homme  réformé  pour  ainsi  dire  de  tout  fana- 
tisme, et  qui  exprime  bien  ses  pensées.  Je  l'ay  quitté  depuis  cinq 
jours,  et  je  luy  dis  que  je  voulois  vous  écrire,  dont  il  me  chargea 
sur  tout  de  vous  asseurer  de  ses  affections,  de  même  que  nostre 
célèbre  et  charitable  docteur  monsieur  Pictet,  lequel  je  supplie  de 
m'escrire  et  me  répondre,  ou  pour  mieux  dire  informer  ;  1"  Comment 
est-ce  qu'on  doit  prendre  le  mot  de  prophétizcr  contenu  au  5'  verset 
du  11'^  chap.  de  la  1'°  aux  Corinthiens;  car  nos  prédicantesy  veullent 
fonder  leur  mission  ou  vocation.  Nous  avons  bien  sur  cela  le 
commentaire  de  M.  Calvin;  mais  il  leur  semble  que  M""  Pictet  sera 
d'autre  sentiment.  2°  Si  l'on  peut  faire  son  salut  en  demeurant  à 
part,  sans  consentir  à  un  ordre  en  la  société,  quoy  que  les  autres 
églises  voisines  en  establissent  un  entr'elles,  parce  que  celte 
objection  m'a  esté  faite  par  une  contrée;  et  après  que  j'eus  apporté 
mes  raisons,  ils  me  dirent  qu'ils  en  demeuroient  à  ce  que  JP  Pictet 
leur  diroit.  Cela  peut  estrc  mis  en  une  lettre  particulière,  et  la  leur 
adresser  à  eux  mêmes,  voicy  l'adresse;  [à  M'  Gourtial  bourgeois  de 
Chareyrial  paroisse  de  Chambon.  En  montagne  à  Annonay].  Je  le 
prie  aussy  de  parler  en  cette  lettre  du  ministère  des  femmes;  car  il 
y  en  a  deux  qui  ne  veulent  pas  bien  se  rendre,  crainte,  disent-elles, 
d'offenser  Dieu,  prétondant  avoir  parlé  i)ar  un  don  de  Dieu  extra- 
ordinaire. 3"  Si  l'on  peut  admettre  <à  la  communion  de  la  Ste  Gène 
ceux  qui  ont  scandalizé  l'Église  en  se  mariant  ou  faisant  marier 
leurs  enfans  en  l'églize  romaine;  de  même  ceux  qui  y  font  baptiser 
leurs  enfans;  comment  est-ce  que  nous  pourrons  agir  en  cela;  ce 
que  vous  me  pourriez  dire  vous  même,  si  vous  jugez  à  propos;  je 
conçois  bien  à  peu  près  ce  qui  m'en  sera  dit;  mais  ceux  qui  sont 
dans  un  tel  cas,  seront  j)liis  frappés,  lors  qu'il  verront  que  mon  sen- 
timent n'est  autre  que  la  vérité.  A°  Je  le  prie  do  me  dire  aussy 
charitablement,  ce  que  j'attend  de  sa  bonté,  voir  s'il  me  conseille 
d'apprendre  le  latin.  M''  de  Vaugiron  médecin  m'avoit  fort  conseillé 
de  l'entreprendre  sous  prétexte  que  luy  me  donneroit  quelque  leçon 


PIERRE    DURAND.  265 

de  temps  en  temps,  quand  j'aurois  la  faculté  de  l'aller  voir,  ce  qui  fut 
cause  que  j'achetay  un  rudiment,  un  Despautère  et  un  petit  diction- 
naire; mais  la  mort  m'a  enlevé  mon  précepteur,  et  je  ne  scais  pas 
maintenant  si  c'est  une  affaire  que  je  doive  entreprendre  seul.  J'ay 
peur  de  ne  pas  pouvoir  réussir  et  de  perdre  le  temps  que  je  pourrois 
employer  à  quelque  autre  choze  qui  me  seroit  plus  utile  que  de 
battre  mon  esprit  pour  ne  rien  faire.  Cependant  c'est  une  chose  à 
laquelle  je  porte  une  grande  envie  et  il  est  temps  d'y  songer,  si  je 
veux.  J'ay  eu  21  ans  accomplis  le  12  de  ce  mois.  J'espère  que 
Monsieur  Pictet  me  fera  le  plaisir  de  m'en  dire  son  avis,  et  de  me 
donner  une  règle  pour  me  conduire  en  celte  route,  s'il  juge  à  propos 
que  je  me  mette  en  chemin. 

Et  vous,  mon  cher  et  honoré  monsieur,  je  ne  puis  pas  vous  expri- 
mer la  grande  impatience  que  j'ay  de  vous  voir  et  de  vous  embrasser. 
Quad  je  fus  au  bas  Languedoc,  je  vis  dans  une  lettre  que  vous  leur 
aviez  envoyée  que  vous  prétendiez  de  vous  mettre  à  l'hazard  qu'il  y 
a  de  venir;  mais  depuis  le  temps  fâcheux  a  changé  sans  doute  votre 
hardiesse  en  la  prudence  qui  vous  faisoit  appréhender  avec  juste 
raison.  Mais,  au  nom  de  Dieu,  si  vous  avez  la  facilité  de  venir  dans 
les  suites,  honorez-nous  donc  de  vos  visites.  J'ay  eu  toujours  mon 
espérance  de  sortir  pour  quelques  mois  du  royaume  pour  avoir 
la  faculté  d'acheter  quelques  livres  de  ceux  qui  me  sont  nécessaires, 
n'en  ayant  que  fort  peu;  mais  je  voulois  premièrement  un  peu 
mettre  en  ordre  nos  églises,  à  quoi  je  travaille  avec  mes  chers 
collègues,  attendant  que  Dieu  m'ouvre  le  passage;  et  puis  après 
je  pourrois,  si  Dieu  le  permet,  aller  à  Genève  passer  quelques  mois 
pour  apprendre  quelque  chose,  et  je  serois  aise  de  vous  voir  aupa- 
ravant, ou  du  moins  d'avoir  l'espérance  de  vous  y  trouver  quand  j'y 
serois. 

J'ay  à  vous  dire  que  passant  par  Villeneuve  deBerg  je  dis,  comme 
juste,  que  je  voulois  vous  escrire,  sur  quoi  Mme  vostre  mère  et  mes- 
demoiselles vos  sœurs  me  chargèrent  de  vous  asseurer  de  la  conti- 
nuation de  leurs  affections,  et  votre  sœur  la  pauvre  veuve  me  dit 
de  vous  dire  qu'elle  souhaiteroit  grandement  que  son  fils  ayné  votre 
filleul  prit  quelque  professsion. 

Il  me  parloit  de  celle  de  feu  son  père  entre  autres.  Je  lui  dis 
que  je  souhaiterois  de  voir  l'enfant,  et  après  l'avoir  veu,  je  luy  dis 
que  le  meilleur  conseil  que  je  pouvois  luy  donner  c'estoit  de  le 


Sfifi  LETTRES  DU   PASTEUR  PIERRE  DURAND. 

mettre  entre  vos  mains  et  de  l'instruire  pour  le  consacrer  au  ser- 
vice de  Dieu.  Elle  me  dit  qu'elle  en  seroit  très  aise,  mais  qu'il  n'y 
a  pas  moyen,  veu  que  vous  estes  à  Genève,  et  qu'on  ne  scait  quand 
est-ce  que  vous  pourrez  revenir;  et  je  Iny  dis  que  je  le  prendrois 
avec  moy  en  attendant  que  vous  en  fassiez  à  voire  volonté,  mais  que 
je  ne  voulois  pas  le  faire  sans  votre  conseil.  Ainsy  je  vous  prie  de 
me  le  donner.  Je  trouve  cet  enfant  capable  de  faire  quelque  chose 
à  mon  avis,  et  plut  à  Dieu,  car  nos  églises  sont  presque  sans  pas- 
teurs, et  nous  ne  voyons  pas  grande  apparence  qu'il  se  trouve  des 
successeurs  à  ceux  qui  y  sont  aujourd'huy,  quoy  que  ceux  que  nous 
avons  sont  tous  vieux  ;  toutefois  Dieu  y  pourvoira.  Mais  je  crois  que 
cela  seroit  très  utile  et  pour  l'Église  et  pour  le  bien  de  votre  cher 
neveu. 

J'ai  receu  une  lettre  depuis  quinze  jours  du  frère  Corteiz'; 
tout  y  va  bien.  Je  leur  escris  souvent  et  je  souhaiterois  d'avoir 
la  même  faculté  pour  vous  et  pour  M.  le  scavant  professeur;  don- 
nez-moi, s'il  vous  plaît,  l'indice  et  de  bonnes  adresses.  Je  vous  en 
ay  marqué  quelques-uns  à  vous  et  à  luyà  qui  vous  pourriez  adresser 
les  lettres  ployées  dans  une  enveloppe,  la  4''°  à  M'  Prat  bourgeois 
à  Rias  de  Saint-Maurice  à  Vernoux,  la  2^  à  M'  Tapernoux  bourgeois 
à  Blanc  de  Saint-Jean  Chambre  à  Vernoux;  la  3'=  à  Mlle  Rouvier, 
veuve  de  Croux  h  Privas;  la  4"  à  Durand,  expert  du  Bouschet  de 
Pranles  à  Privas  ;  le  dernier  c'est  mon  père  qui  vous  asseure  de  ses 
respects  et  me  recommande  à  votre  direction,  comme  je  vous  sup- 
plie de  m'accorder  votre  secours,  de  même  que  le  célèbre  M""  Pic- 
tet;  au  nom  de  Dieu  asseurez-le  de  mes  plus  profonds  respects,  de 
même  que  toute  son  honorable  famille.  Je  prie  Dieu  qu'il  vous  con- 
serve tous  de  répéede  sa  vengeance  qui  épouvante  tous  nos  peuples, 
et  qui  fait  qu'on  n'entend  dans  nos  places  que  cris  et  que  larmes. 
Il  environne  grandement  la  ville  du  Puy.  Dieu  en  préserve  la  ville 
de  Genève.  Dieu  veuille  bénir  les  habitans,  conserver  son  repos  el 
y  augmenter  de  bien  en  mieux  son  règne. 

Je  suis  avec  attachement  entièrement  à  vous. 

Escrivez-moi  à  lettre  veuë.  S.  V.  P.  Durand. 

Monsieur  Court  ministre  du  S'  Évangile  et  consacré  à  la  Croix 

à  Genève. 

1.  Alors  en  miesion  dans  le  midi  de  la  France.  Voir  son  Journal. 


MÉLANGES 


THOMAS  D'ESCORBIAG 

LETTRE  ET    REQUÊTE   D'UN   MAGISTRAT  HUGUENOT  AU  XVIP   SIÈCLE* 


Depuis  que  Louis  XIV,  abandonnant  la  ligne  politique  de  Mazarin, 
travaillait,  sous  la  pression  du  clergé,  à  la  ruine  des  Réformés  ;  vexa- 
tions et  injustices,  se  multipliaient,  sans  qu'il  fût  possible  d'en  arrêter  le 
cours.  Assurés  de  l'impunité,  soutenus  par  une  magistrature  à  leur  dévo- 
tion les  prêtres  harcelaient  sans  relâche  les  protestants.  Sans  doute  l'Édit 
de  Nantes  subsistait;  par  des  déclarations  solennelles,  le  roi  avait  affir- 
mé son  ferme  dessein  de  le  maintenir,  mais  sous  l'habile  prétexte  de  le 
faire  observer  dans  son  intégrité,  on  en  dénaturait  chaque  jour  l'esprit. 
Près  d'un  siècle  s'était  passé  depuis  que  Henri  IV  avait  donné  à  la 
France  cet  admirable  traité  de  paix,  dont  les  bienfaits  avaient  été  si 
hautement  reconnus  ;  sans  doute  la  lettre  des  articles  de  l'Édit  avait 
vieilli,  mais  l'esprit  de  sage  tolérance  qui  les  avait  dictés  y  vivait 
encore. 

Par  une  coupable  interprétation,  ne  tenant  aucun  compte  des  temps, 
oubliant  volontairement  les  différences  créées  par  les  années  écoulées, 
le  clergé  obtint  que  les  Réformés  vécussent  sous  l'observation  étroite  et 
judaïque  des  termes  du  célèbre  traité. 

Ainsi  commencèrent  ces  interminables  procédures,  nées  des  contesta- 
tions entre  les  commissaires  mi-partis,  qui  presque  toujours  amenèrent 
la  chute  des  Églises. 

Quand  la  preuve  de  leurs  droits  était  faite  par  la  présence  même 
d'un  troupeau  se  groupant  autour  d'un  pasteur,  il  suffisait  de  l'impossi- 
bilité de  représenter  quelques  titres  remontant  aux  années  1596  et 
1597,  pour  qu'à  la  demande  des  syndics  du  clergé  le  temple  tombât 
sous  la  pioche  du  démolisseur  et  que  l'exercice  fût  interdit.  Pendant  de 
longues  années,  la  guerre  ainsi  déclarée  fut  une  guerre  de  chicane  dont 
nous  possédons  encore  les  tristes  dossiers. 

1.  Voir  Bulletin  de  mars  1884,  p.  128. 


268  MÉLANGES. 

La  Chambre  de  l'Édit  ne  pouvait  éoliapper  à  cette  persécution,  car  de 
longue  date,  le  parti  catholique,  comprenant  l'appui  que  donnait  aux 
réformés  l'existence  d'une  chambre  sou\eraine,  désirait  sa  ruine.  Ses 
adversaires  s'appuyaient  surtout  sur  l'article  de  l'Édit  de  Nantes  qui 
prévoyait  la  possibilité  d'incorporer  la  chambre  de  Castres  dans  le  Parle- 
ment de  Toulouse.  Vers  c(;  but  devaient  tendre  tous  les  efforts,  car  on 
savait  que  dans  le  parlement  toulousain,  les  magistrats  protestants 
perdraient  bientôt  toute  influence. 

«  Ce  serait  un  grand  advantage  à  la  dite  ville,  lisons-nous  dans  une 
délibération  de  la  maison  de  ville  de  Toulouse,  s'il  plaisoit  à  sa  Majesté 
de  lui  faire  cette  grâce,  j  Que  les  officiers  delà  chambre  de  l'Édit,  disaient 
les  capitouls,  ne  doutent  point  qu'ils  ne  soient  accueillis  dans  Toulouse 
et  n'y  puissent  habiter  et  vivre  avec  la  mesme  liberté,  sécurité  et  cour- 
toisie qui  y  reçoivent  les  autres  habitants*.  » 

Nulle  occasion  ne  se  présentait  sans  que  la  question  du  transfert  de 
la  chambre  ne  fût  posée.  A  écouter  les  doléances  du  Parlement,  on 
aurait  pu  croire  que  «  l'appui  donné  aux  sujets  du  roi  de  la  Fi.  P.  R.  en 
toute  sorte  d'affaires  empêchait  plusieurs  personnes  de  quitter  l'hérésie.  » 
On  dénonçait  les  manœuvres  des  officiers  de  la  chambre,  prenant  valets 
catholiques  et  servantes  de  même  religion,  afin  de  les  marier  à  leur 
guise  et  les  rcndres  huguenots.  On  se  plaignait  surtout  de  ce  que  les 
bénéfices  dus  à  la  présence  de  la  chambre  dans  le  Castrais,  fussent  re- 
cueillis par  les  hérétiques^. 

«  La  religion  catholique  souffre  à  Castres,  écrivent  les  magistrats  de 
Toulouse,  il  faut  mille  peines  pour  décider  les  Réformés  à  tapisser  le 
jour  de  la  Fête-Dieu.  »  Leur  indignation  grandit  quand  ils  dénoncent 
l'humble  culte  fait  dans  la  conciergerie  de  Castres.  «  De  quels  droits, 
disent-ils,  est-ce  que  les  Religionnaires  prétendent  que  leurs  ministres 
puissent  prêcher  en  tous  lieux  et  empoisonner  les  esprits  de  vos  snb- 
jects  de  leur  fausse  doctrine  ;  ne  sçavcnt-ils  pas  que  leurs  prédications 
ne  If'uv  sont  permises  que  dans  les  Temples,  et  qu'il  n'y  a  que  la  religion 
catholique  qui  est  la  vostrc  (|ui  n'est  point  limitée  de  mesme  que  vostre 
aiic(orité.  »  Que  la  consolation  soit  faite  à  voix  basse,  mais  qu'on  n'oublie 
pas  que  dans  celte  prison  se  trouve  une  chapelle  où  est  dite  la  messe. 
«  Et  serait-il  raisonnal)lc  qu'un  moment  après  la  célcbrntion  de  cet  au- 
gnste  sacrilice,  un  ministre  emporté  vint  proférer  impunément  ses 
blasphèmes  contre  le  plus  grand  de  tous  nos  mystères^.  » 

1.  Extraits  des  registrei  de  la  maison  de  ville  de  Toulous«,  2'J  décembre  1640. 

2.  Motifs  pour  sortir  la  chambre  de  l'Edit  de  Castres. 

3.  Mémoires  du  parlement  de  Toulouse  (2i  juillet  1060). 


MÉLANGES.  269 

Aussi,  concluent-ils  à  la  réunion  «  nécessaire  pour  la  gloire  de  Dieu, 
le  service  de  vostre  Majesté  et  la  seureté  de  vos  bons  subjects.  » 

Les  plaintes  éclatèrent  plus  violentes  après  les  troubles  qui  agitèrent 
passagèrement  Castres  lors  de  l'exécution  de  deux  criminels. 

Le  parlement  reconnaissait,  il  est  vrai,  la  nécessité  à  laquelle  avait 
obéi  Henri  IV  en  plaçant  la  chambre  à  Castres,  les  réformés  témoignant 
«  une  aversion  d'approcher  ce  grand  corps  qui  feust  toujours  zélé  pour 
la  conservation  de  la  Religion  catholique  et  par  la  rayson  aussy  de  l'in- 
compatibilité qu'une  longue  et  sanglante  guerre  avait  contractée  entre 
ceux  qui  professent  deux  religions  si  opposés  et  si  ennemies  ». 

Mais  en  même  temps,  évoquant  les  souvenirs  de  la  guerre  de  ilohan, 
il  faisait  de  Castres  la  ville  forte  du  prostestantisme  méridional,  dont  il 
fallait  ruiner  la  puissance.  Et  pour  arriver  à  ce  résultat,  il  parlait  «  de 
ce  scandale  d'avoir  empêché  un  homme  condamné  à  mort  de  se  conver- 
tir dans  le  dernier  moment  de  sa  vie  ».  «  Nous  avons  peine  à  compren- 
dre, disaient-ils,  quel  a  été  leur  desseing.  Et  comme  ils  ont  voulu 
donner  atteinte  à  cette  liberté  de  conscience  qu'ils  ont  demandé  si 
longtemps.  » 

La  réunion  de  la  Chambre  pouvait  seule  mettre  fin  à  de  pareils  atten- 
tats. Disposés  à  recevoir  «  comme  amis  et  collègues  »  les  magistrats 
protestants,  «  ne  les  faisant  pas  responsables  de  tout  ce  qui  est  fait  par 
ceux  de  leur  créance,  »  cependant  par  une  odieuse  accusation,  les  juges 
de  Toulouse  prétendaient  que  dans  de  nombreuses  circonstances  ils 
s'étaient  rendus  complices  d'actes  condamnables.  Si  faibles  étaient  les 
preuves,  si  ardente  l'accusation,  qu'aucune  réponse  favorable  ne  pouvait 
être  faite  à  de  telles  remonstrances*. 

Avec  une  cruelle  persévérance  les  États  du  Languedoc  appuyaient  la 
demande  du  Parlement  de  Toulouse;  pendant  de  longues  années  les 
réformés  purent  présenter  leur  défense  et  écarter  le  danger;  mais  le 
jour  vint  où  par  un  coup  de  force,  sans  aucun  motif  explicable.  Castres 
perdit  la  grande  compagnie  judiciaire  qui,  depuis  près  d'un  siècle, 
était  à  la  fois  l'honneur  et  la  fortune  de  la  cité. 

Telle  était  la  réputation  de  la  cour  de  Toulouse,  que  le  roi  n'osait 
céder  encore  à  la  passion  de  la  plus  dévote  de  toutes  les  magistratures, 
en  incorporant  la  Chambre  de  l'Édit;  mais  c'était  cependant  servir  ses 
haines  que  de  la  transférer  à  Castelnaudary. 

L'issue  de  la  lutte  engagée  ne  pouvait  être  douteuse;  quelques  années 
encore  et  la  Chambre  de  l'Édit  disparaîtrait.  Mais  avant  d'arriver 
au  but,  que  de  ruines  laissées  sur  le  chemin  !  De  tous  côtés,  s'élevèrent 

1.  Remonstrances  du  Parlement  de  Toulouse,  14  octobre  IGGO. 


270  MÉLANGES. 

des  plaintes  douloureuses;  les  réformés  demandaient  si  telle  était  la 
récompense  d'une  lidélité  éprouvée  à  la  cause  royale?  C'était  à  la 
Cliambre  de  l'Édit  que  Castres  était  redevable  de  sa  prospérité,  sa  dis- 
parition entraînerait  la  misère  pour  des  milliers  de  familles.  Et  dans 
leur  touchante  pétition,  ils  montraient  les  rues  de  la  cité  prêtes  à 
devenir  désertes,  la  mendicité  à  la  porte  de  nombre  de  maisons,  les 
campagnes  avoisinantes  se  transformant  en  de  tristes  solitudes.  Nulle 
pensée  de  révolte  chez  les  descendants  des  vaillants  lutteurs  des 
guerres  du  xvi^  siècle,  car  c'est  une  prière  désolée  qu'ils  adressent  à  ce 
roi  qui,  comme  un  père,  se  laissera  toucher  <  aux  gémissements  de  si 
nombreuses  personnes  affligées.  » 

A  leur  requête,  ils  ajoutent  les  humbles  délibérations  de  tous  les 
bourgs  et  villages  avoisinant  Castres,  qui  toutes  supplient  pour  qu'au- 
cune atteinte  ne  soit  portée  aux  privilèges  de  la  Chambre  de  l'Edit. 

Devant  ce  danger  qui  menace  la  cité,  les  catholiques  castrais  eux- 
mêmes  délaissant  leurs  vieilles  querelles,  joignent  leurs  protestations  à 
celle  des  réformés.  Ils  disent  nettement  :  c  que  si  la  translation  se  fait, 
elle  causera  la  ruyne  totalle  non  seulement  des  habitans  catholiques, 
mais  encore  de  plusieurs  villes  et  lieux  circonvoisins,  estant  certain 
que  dans  la  présente  ville,  il  ne  resterait  pas  plus  de  dix  familles 
catholiques  qui  peussent  vivre  commodément.  »  El  ils  ajoutent  que  les 
moines  mandians,  faute  de  pouvoir  trouver  leur  subsistance,  seraient 
contraints  d'abandonner  la  ville,  ce  qui  sera  «  infailliblement  un  grand 
préjudice  à  la  catholicité  »  '. 

La  Chambre  de  l'Édit  devait  faire  entendre  ses  Remonstrances  au 
Roi  sur  un  arrêt  qui  la  frappait  d'une  manière  si  dure  et  si  injuste. 
Pour  les  rédiger  elle  choisit  d'Escorbiac,  sachant  que  sa  fermeté  et  son 
courage  seraient  à  la  hauteur  d'une  lâche  si  difficile. 

Nul  ne  pouvait  faire  valoir  des  titres  aussi  sérieux,  nul  ne  pouvait 
(lire  comme  lui  «  qu'il  était  le  seul  en  France  qui  portât  la  robe  de  père 
eu  fds  depuis  l'institution  des  Chambres  de  l'Édit  de  l'année  157G  j.  Du 
reste  Louis  XIV  connaissait  cette  race  vaillante  des  d'Escorbiac,  car  en 
IGGO,  à  Fontainebleau,  avec  une  belle  fermeté  le  magistrat  huguenot 
avait  évoqué  devant  lui  le  souvenir  des  éclatants  services  rendus  par 
sa  famille  à  la  cause  royale^. 

1.  Supiiliques  des  liabitants  réformés  et  catholiiiiics  de  Castres,  TT.  290. 

2.  Dans  le  recueil  des  Lettres  missives  de  Henri  IV,  I,  158,  se  trouvent  quel- 
ques exlraits  d'un  discours  prononcé  par  Thomas  d'Escorbiac  devant  Louis  XIV, 
le  2  janvier  1C86.  En  les  reproduisant  ici  nous  faisons  des  réserves  sur  la  date 
indiquée  qui  paraît  fautive.  Il  est  difficile  d'expliquer  un  tel  discours  à  une  telle 
date,  les  chambres  de  l'Édit  ayant  disparu  depuis  plusieurs  années. 

«  Sire,  me  voicy   le  seul  en  France  qui  porte  la  robe  de  père  en  lils  depuis 


MÉLANGES.  2*71 

Pour  défendre  l'hoimeur  et  les  droits  d'une  compagnie  souveraine,  il 
allait  protester  contre  des  mesures  de  violence  que  rien  ne  justifiait, 
refaire  l'histoire  glorieuse  de  cette  Chambre  de  l'Edit  dont  la  cour  avait 
autrefois  proclamé  si  hautement  la  nécessité.  Sans  doute,  il  devait  éloi- 
gner la  possibilité  même  d'une  résistance  et  trouver  une  gloire  doulou- 
reuse à  protester  d'une  soumission  sans  bornes  à  l'autorité  du  prince, 
mais  il  devait  aussi  montrer  le  clergé  acharné  à  la  poursuite  des  réfor- 
més et  révéler  les  ardeurs  dévotes  du  parlement  de  Toulouse.  Fidèle 
enfin  à  toute  la  tradition  réformée,  il  se  déclarerait  prêt  à  tous  les  sacri- 
fices, mais  à  la  condition  expresse  de  la  sauvegarde  des  droits  de  la  con- 

l'institution  des  chambres  de  l'Édit  de  l'année  1576.  Je  viens  comparaître  devant 
Vostre  Majesté  pour  lui  tesmoigner  mon  profond  respect  et  ma  sincère  obéis- 
sance. 

«Elle  prit  autrefois  (à  Fontainebleau  en  1666)  plaisir  à  m'entendre  parler  des 
services  rendus  à  son  Estât  par  ma  famille,  avec  sa  permission  je  luy  en  rafrais- 
cliiray  la  mémoire  de  quelques-uns  en  peu  de  paroles. 

))  Du  temps  des  troubles  arrivés  soubs  vostre  minorité,  mon  père  et  moi  ren- 
dismes  ce  service  mémorable  à  vostre  couronne  de  faire  résoudre  la  ville  de 
Montauban,  nostre  pairie,  à  prendre  les  armes  pour  Vostre  Majesté,  sans  en 
attendre  les  ordres  ce  qui  retint  tout  le  haut  pays  dans  son  devoir  et  garantit 
le  Languedoc  des  calamités  de  la  guerre  civile. 

»  En  cette  considération,  la  Chambre  quoique  mi-partie  me  fit  flionneur,  en 
1651,  de  me  choisir  pour  aller  seul  à  Poitiers  et  à  Sauniur  assurer  Voire  Ma- 
jesté, au  commencement  de  sa  majorité,  de  la  continuation  de  la  fidélité  invio- 
lable de  tous  les  sujets  soumis  à  sa  juridiction. 

En  1656,  Vostre  Majesté  m'honora  d'une  commission  générale  pour  l'exécution 
de  ses  Édits  dans  tout  le  ressort  du  Parlement  de  Toulouse  conjointement  avec 
M.  de  Boucherai,  aujourd'hui  chevalier  de  France.  Mon  père  eut  un  pareil 
emploi,  en  1622,  avec  M.  Seguier,  qui  fut  dix  ans  après  chancelier  de  France; 
et  mon  grand-père  négocia  la  première  paix  avec  M.  le  chancelier  de  l'Hospi- 
tal.  Il  en  négocia  une  autre  en  1577  à  Bergerac  et  à  Poitiers  avec  M.  de  Ville- 
roy  ministre  et  secrétaire  d'État.  En  1579,  il  eut  l'honneur  à  Nérac  de  présenter 
à  la  reine  Catherine  les  articles  de  la  conférence  qu'il  avait  dressés  lui-même 
pour  son  maistre  le  roi  de  Navarre. 

))  Cette  heureuse  rencontre,  ajoutail-il,  est  singulière  et  honorable  pour  ma 
famille  d'avoir  esté  trois  fois  de  père  en  fils  employés  à  travailler  avec  de  si 
grands  personnages  pour  le  service  de  nos  Rois  et  pour  le  bien  de  leur  Estai. 

»  Mon  grand-père  avait  servi  longues  années  Henri  IV,  en  qualité  de  maistre 
des  requêtes,  de  conseiller  en  son  conseil  privé  et  de  surintendant  de  ses 
finances.  Vostre  Majesté  prit  plaisir  à  lire  elle-même  plusieurs  lettres  écrites 
de  la  main  de  ce  grand  Uoy,  qui  tesmoignent  festime  et  la  confiance  qu'il  avoit 
en  un  si  fidèle  serviteur,  lequel,  pour  une  marque  infaillible  de  sa  fidélité,  no 
laisse  pour  tout  héritage  à  ses  successeurs  que  sa  robe  que  je  porte.  » 


272  MÉLANGES. 

science.  Telles  devaient  être  les  grandes  lignes  de  l'éloquente  requête 
du  doyen  des  conseillers  de  la  cour.  Heureux  sommes-nous  de  pouvoir 
la  faire  connaître  après  des  siècles  d'injuste  oubli. 

Sire, 

La  déclaration  de  vostre  Majesté  qui  transfère  vostre  Chambre  de 
l'Edit  (le  Castres  à  Castelnaudarry  a  esté  vérifiée  par  la  mesme 
Chambre  le  jour  mesme  qu'elle  y  a  esté  présentée,  et  vos  très 
humbles,  très  obéissans  et  très  fidelles  sujets  les  officiers  qui  la 
composent  ont  pris  aussy  tost  la  résolution  de  s'y  rendre  dans  le 
temps  prescrit  par  vos  ordres  ^ 

L'étonnement  d'un  coup  si  impréveu  et  si  accablant,  la  rigueur 
d'une  saison  si  rude  et  si  avancée  dans  l'hyver,  la  douleur  de  se  voir 
réduits  à  quitter  leurs  maisons,  leurs  biens  et  leurs  amis,  la  déso- 
lation de  leurs  familles,  rien,  Sire,  n'a  peu  les  faire  balancer  un 
moment  dans  la  volonté  ferme  et  constante,  qu'ils  ont  toujours  eue 
de  rendre  une  obéissance  aveugle  h  tout  ce  qu'il  plaist  k  vostre 
Majesté  de  leur  commander. 

Ils  ne  s'en  plaindroient  mesmes  qu'en  secret.  Sire,  ils  souffri- 
roient  dans  le  silence,  si  la  voye  de  la  remontrance  ne  leur  de- 
meuroit  ouverte  par  vostre  dernière  ordonnance,  et  s'ils  n'estoient 
persuadez  que  le  trône  de  vostre  Majesté  n'est  pas  moins  accessible 
pour  eux  que  pour  vos  autres  sujets. 

Que  si  jamais  l'accez  de  ce  Trône  sacré  peut  estre  permis  aux 
malheureux;  si  jamais  le  cœur  généreux  de  vostre  Majesté  doit 
estre  sensible  aux  calamitez  de  son  peuple,  c'est  sans  doute.  Sire, 
dans  cette  conjoncture  ou  il  s'agit  de  la  ruine  totale  de  vos  officiers, 
et  de  l'entière  désolation,  non  seulement  d'une  ville,  mais  de  toute 
une  grande  contrée  qui,  dans  sa  situation  éloignée  de  tout  commerce, 
ne  trouvoit  le  débit  de  ses  bleds  et  de  ses  denrées  que  dans  le  con- 
cours des  gens  que  la  Chambre  attire  où  elle  est. 

Elle  y  fut  établie,  Sire,  quelques  années  avant  l'Édit  de  Nantes, 
et  y  fut  confirmée  par  le  mesme  édit  -. 

1.  La  chambre  enregistra,  le  1")  novembre  1(i70,  les  lettres  patentes  du 
30  octobre  qui  la  transféraient  dans  la  ville  de  Castelnaudary.  Cambon,  op.  cit., 
130. 

"1.  La  chambre  tint,  le  27  avril  1595,  sa  première;  audience  dans  la  ville  de 
Castres.  Cambon,  op.  cil.,  53. 


MÉLANGES.  273 

Le  Roy  Henry  le  Grand,  d'heureuse  et  de  triomphante  mémoire, 
voulut  par  cet  établissement  pourvoir  à  la  seureté  d'un  peuple  en- 
tièrement dévoué  à  son  service,  et  qui  ayant  eu  quelque  part  aux 
travaux  des  guerres  qu'il  avoit  si  heureusement  terminées,  et  à  la 
gloire  de  son  couronnement,  méritoit  en  quelque  façon  après  tant 
de  maux  et  de  calamitez  de  jouir  des  douceurs  de  la  paix  qu'il  ve- 
noit  d'établir  dans  un  royaume  que  ses  armes  victorieuses  avoient 
conquis  presque  tout  entier. 

Il  voulut  leur  donner  des  juges  qui  sans  aucune  suspicion,  haine 
ou  faveur,  ce  sont  les  termes  de  l'Édit,  peussent  leur  rendre  justice, 
et  décider  en  toute  liberté  de  leur  fortune  et  de  leur  vie. 

Ce  grand  Roy,  ce  sage  politique,  Sire,  eut  encore  pour  but  dans 
l'autorité  qu'il  donna  à  ces  mesmes  juges,  de  contenir  dans  leur 
devoir  des  peuples  qui,  nourris  dans  la  licence  d'une  longue  guerre, 
ne  pouvoient  souffrir  qu'impatiemment  la  tranquillité  et  le  bon 
ordre  que  la  paix  avoit  rétablis  dans  l'Estat;  ce  qui  lui  succéda  si 
heureusement,  qu'on  luy  a  souvent  ouy  dire  que  sa  Chambre  de 
l'Édit  de  Castres  luy  valoit  mieux  que  dix  mille  hommes  entre- 
tenus. 

Si  du  règne  de  Henry  le  Grand,  vostre  Majesté,  Sire,  nous  per- 
met de  passer  à  celuy  de  Louis  le  Juste,  cet  heureux  prince  qui, 
pour  la  félicité  et  la  gloire  immortelle  de  la  France,  a  transmis 
dans  les  mains  sacrées  de  vostre  Majesté  le  sceptre  de  ses  Pères, 
vous  y  verrez  dans  toutes  les  occasions  des  marques  delà  fidélité  de 
vos  officiers  de  la  chambre  de  l'Édit  de  Castres. 

Salces  et  Leucate,  Sire,  vous  en  rendront  des  témoignages  avan- 
tageux *  ;  ce  fut  là  que  dans  la  nécessité  de  l'Estat  on  vit  des  troupes 


1.  Les  Espagnols,  sortis  du  Roussillon,  mirent  le  siège  devant  la  ville  de 
Leucate  (bourg  du  département  de  l'Aude  sur  l'étang  de  ce  nom),  qui,  on  1590, 
avait  été  vaineuient  assiégée  par  les  Ligueurs. 

La  chambre  de  l'Édit  délibéra  aussitôt,  et,  le  9  septembre  1637,  députa  «  mes- 
sire  de  Fabry,  ■  on  procureur  général,  pour  se  transporter  es  villes  et  lieux  du 
ressort  de  la  cour,  à  l'effet  de  pourvoir  à  la  levée,  armement  et  conduite  de  tel 
nombre  de  gens  de  guerre  qu'il  sera  atlvisé  pour  le  secours  de  la  ville  de  Leu- 
cate. »  Les  Espagnols  furent  vaincus  le  2!)  septembre  1637.  Le  3  octobre  de  la 
même  année,  des  ordres  semblables  furent  donnés  pour  faire  lever  le  siège  de 
Salces,  petit  bourg  des  Pyrénées-Orientales,  à  quinze  kilomètres  nord  de  Perpi- 
gnan. Cambon,  op.  cil.,  99. 

xxxiii.  —  18 


■21i  MÉLANGES. 

levées  et  entretenues  aux  dépens  de  la  Chambre  se  niesler  aux 
milices  de  la  Province,  et  partager  avec  elles  la  gloire  d'avoir 
chassé  et  mis  en  déroute  les  ennemis  de  la  France;  vous  y  verrez, 
Sire,  les  séditions  appaisées  par  leurs  soins,  les  rebelles  punis  par 
leurs  arrests,  et  un  attachement  toujours  égal  aux  intérêts  et  au 
service  de  leur  Maistre. 

Vostre  chambre  de  l'Édit  de  Castres  sous  l'heureux  Empire  de 
vostre  Majesté  n'a  point  dégénéré.  Sire,  de  la  fidélité  incorruptible 
et  de  l'obéissance  inviolable  dans  laquelle  elle  avoit  vescu  sousceluy 
des  Roys  vos  prédécesseurs,  son  devoir  a  toujours  esté  la  règle  de 
sa  conduite;  Elle  n'a  eu  de  part  aux  derniers mouvemens  que  celle 
que  le  service  de  vostre  Majesté  l'a  obligée  d'y  prendre,  et  dans 
une  défection  quasy  générale,  non  seulement  les  officiers  dont  elle 
est  composée,  mais  les  peuples  qui  sous  la  protection  de  vostre 
Majesté  vivent  avec  eux  dans  une  mesme  communion,  ont  conservé 
dans  leur  pureté  cette  obéissance  et  cette  fidélité  dont  vous  avez  eu 
la  bonté  de  parler  quelquesfois  avantageusement,  et  qui  est  toujours 
le  partage  des  bons  et  des  véritables  sujets. 

Une  conduite  si  conforme  à  leur  devoir  leur  donnoit  lieu  d'espé- 
rer, Sire,  le  repos  et  les  félicitez  d'une  profonde  paix,  que  vostre 
Majesté  a  donnée  si  glorieusement  à  ses  peuples  leur  seroit  com- 
mune avec  leurs  concitoyens,  et  comme  vostre  Majesté  fait  le  bon 
ou  le  mauvais  destin  de  ses  sujets  suivant  qu'elle  les  trouve  dignes 
des  peines  ou  des  récompenses,  ces  malheureux  officiers  à  qui  leur 
conscience  rend  témoignage  de  n'avoir  jamais  manqué  à  rien  de 
ce  qu'ils  doivent  à  vostre  Majesté,  attendoient  toujours  les  mesmes 
effets  de  cette  protection  toute  puissante  sous  laquelle  ils  avoient 
passé  doucement  tant  d'années,  et  rendoient  tous  les  jours  grâces 
à  Dieu  de  les  avoir  fait  naistre  sous  le  règne  d'un  si  grand  Prince, 
et  d'un  si  bon  Maistre. 

CependanI,  Sire,  dans  ces  momens  ou  Fiunour  de  leur  Iloy  est 
gravé  le  plus  profondément  dans  leurs  cœurs,  ils  sentent  des 
marques  visibles  de  la  colère  et  de  l'indignation  de  vostre  Majesté, 
et  quoique  sur  la  demande  que  vos  Estats  de  Languedoc  faisoient 
comme  par  coustume  la  mettant  tous  les  ans  dans  leur  cahier, 
vous  ayez  toujours  ordonné,  Sire,  qu'avant  que  de  faire  droit, 
vos  officiers  seroient  ouys  ;  aujourd'huy  sans  iju'ils  Payent  esté, 
un  ordre  surprenant  les  arrache  à   tout  ce  qu'ils  ont  au  monde 


MÉLANGES.  275 

de  plus  cher,  et  les  rend  les  plus  malheureux  de  tous  vos  sujets*. 

On  dit,  Sire,  que  la  raison  d'Estat  est  la  cause  de  ce  change- 
ment; que  vostre  Chambre  de  l'édit  de  Castres  n'a  pas  esté  créée 
pour  y  estre  toujours  fixe,  que  ce  n'est  pas  une  nouveauté  que  d'en 
voir  changer  le  siège,  qu'il  a  esté  autrefois  transféré  d'une  ville  à 
une  autre,  que  vostre  Majesté  ne  nous  a  pas  promis  de  nous  y  lais- 
ser toujours,  et  qu'après  tout,  elle  peut,  sans  faire  violence  à  l'édit 
de  Nantes,  la  suprimer  ou  l'incorporer  à  son  Parlement  de  Tolose 
quand  bon  luy  semblera  ^. 

Nous  ne  révoquons  point  en  doute,  Sire,  l'empire  suprême,  et  le 
pouvoir  absolu  de  vostre  Majesté.  Nous  sçavons  qu'elle  impose  à 
nos  peuples  les  lois  qu'il  luy  plaist.  Mais  nous  sçavons  aussy  qu'elle 
les  impose  toujours  suivant  la  justice  et  la  droite  raison.  Et  que 
comme  vous  êtes  le  Prince  de  la  terre  le  plus  éclairé,  et  le  plus 
habile  en  l'art  de  régner,  vous  êtes  aussy  le  plus  juste  et  le  meil- 
leur. 

De  sorte,  Sire,  que  si  nous  sommes  assez  heureux  pour  faire  voir 
à  vostre  Majesté  le  tort  qu'on  nous  fait,  et  le  peu  de  fondement  de 
ces  raisons  si  recherchées,  nous  osons  attendre  de  sa  bonté,  qu'elle 
révoquera  un  ordre  qui  nous  désole.  Et  puisque  Dieu  mesme,  le  Roy 
des  Roys,  voulut  bien  révoquer  l'effroyable  condamnation  qu'il  avoit 
prononcée  solennellement  contre  une  grande  ville,  quoy  qu'elle  fust 
très  coupable,  pourquoy  n'espérerons  nous  pas  la  mesme  chose  de 
vostre  Majesté  qui  est  sa  vivante  image,  nous,  Sire,  à  qui  nos  enne- 
mis mesmes  ne  peuvent  rien  reprocher. 

La  Chambre  de  l'Édit,  il  est  vray,  a  esté  dans  diverses  villes  de 
vostre  province  de  Languedoc,  mais  ça  esté.  Sire,  lorsque  vos  offi- 
ciers épouvantez  de  la  peste  ^  ont  eux-mêmes  esté   obligez  d'en 

1.  Lorsque  les  députes  des  états  du  Languedoc  firent  cette  demande,  un  arrêt 
du  conseil  d'État  ordonna  :  «  Que  les  officiers  de  la  chambre  de  l'Édict  de 
Castres,  seraient  assignés  au  Conseil  à  six  semaines,  pour  eux  ouïs  estre  fait 
droit  sur  la  demande  dudit  article  ainsi  qu'il  appartiendra.  » 

2.  La  chambre  de  l'Édit  avait  été  en  effet  transférée  à  liéziers,  l&'i'-i-id'iO  ;  à 
Puylaurens,  1629;  à  Revel,  1630;  à  Saint-Félix  de  Caraman,  1631-1632,  pendant 
la  longue  période  des  guerres  civiles. 

3.  Ce  fut  en  1630.  «  Cette  année-là  nous  fusmes  ciiatiés  par  le  Héau  de  la 
peste  qui  fit  de  si  grands  ravages,  que  six  mille  personnes  en  moururent,  de 
sorte  que  la  ville  fut  si  désertée  ([ue  l'iierbe  creust  en  abondance  parmy  les 
rues»  »  Cambon,  op.  cit.,  97. 


276  MÉLANGES. 

transférer  la  séance  dans  ces  villes  circonvoisines,  sous  le  bon  plai- 
sir des  Roys,  vos  prédécesseurs;  ou  quand  les  mesmes  officiers,  ne 
s'y  trouvant  pas  en  sûreté  pendant  les  mouvemens  publics,  deman- 
dèrent d'en  sortir,  et  que  sur  leurs  instances  elle  fut  transférée  à 
Beziers;  hors  de  ces  deux  cas,  Sire,  qui  ne  peuvent  estre  tirez  à 
conséquence,  on  n'oseroil  en  marquer  d'autres  à  vostre  Majesté, 
que  nous  ne  puissions  convaincre  de  supposition. 

Mais  on  dit  que  vostre  Majesté,  Sire,  ne  nous  a  pas  promis  de 
nous  laisser  toujours  à  Castres,  et  que,  quand  nous  y  avons  con- 
tracté des  alliances,  acquis  du  bien  et  basty  des  maisons  qu'il  faut 
que  nous  abandonnions  aujourd'huy,  nous  avons  deu  le  faire  dans 
la  veûe  que  nostre  establissement  n'estant  pas  assuré,  aucune  de 
ces  choses  ne  pouvoit  estre  seurement  établie  pour  nous. 

Par  les  mesmes  raisons.  Sire,  tous  les  officiers  de  vos  autres  par- 
lemens,  qui  ne  sont  pas  établis  sur  des  fondemens  d'une  autre 
nature,  devroient  avoir  pensé  à  la  mesme  instabilité.  Les  édils  de 
leur  création  ne  difèrent  en  rien  de  celuy  qui  nous  établit,  et  dans 
aucun  de  ces  édits,  il  n'y  a  point  de  promesses  de  stabilité  pou'' 
les  villes  où  les  séances  en  furent  mises  lors  de  leur  institution. 

11  y  a  bien  plus.  Sire,  c'est  que  l'établissement  de  vostre  Chambre 
de  l'édit  de  Castres  est  l'ouvrage  de  deux  ou  trois  déclarations  des 
Uoys  vos  prédécesseurs,  et  qu'elle  fut  confirmée  en  cette  ville-là, 
non  seulement  par  l'édit  de  Nantes,  mais  encore  par  l'édit  de  1629, 
et  en  des  termes  si  forts  qu'ils  font  bien  voir  que  la  pensée  du  Roy, 
qui  pacifia  alors  son  État,  n'estoit  pas  qu'on  l'en  deust  jamais  faire 
sortir*. 

Outre  qu'on  ne  peut  pas  conclure  que  vostre  Majesté  nous  doive 
tirer  de  Castres,  de  ce  qu'elle  ne  nous  a  pas  promis  de  nous  y  lais- 
ser toujours,  nous  ne  nous  sommes  pas  rendus  indignes  de  la  grâce 
que  vostre  Majesté  fait  à  tous  ses  sujets  de  les  laisservivre  en  repos 

1.  <'  Voulons  aussi,  que  la  chambre  de  l'Édit,  séante  de  présenta  Béziers, 
soit  remise  en  la  ville  de  Castres,  après  que  les  fortifications  d'icelle  auront  été 
entièrement  démolies  et  rasées;  et  qu'elle  demeure  en  ladile  ville  de  Castres, 
suivant  ledit  Édit  de  Nantes,  nonobstant  ce  qui  esi  porte  par  l'ordonnance  par 
Nous  faicte  au  mois  de  janvier  dernier,  et  l'arrêt  intervenu  au  Parlement  de 
Thoulouzc  sur  le  Cil  article  d'icelle  :  laquelle  chambre  Sa  Majesté  veut  être 
nuuutfnuc  en  toutes  les  attributions  à  elle  faites  par  les  Édits  et  les  Règle- 
ments. »  Édit  de  juillet,  16"2'J,  art.  XXI. 


MÉLANGES.  "211 

dans  leurs  maisons,  et  vos  ordres,  Sire,  n'en  tirent  jamais  ni  de 
particuliers,  ni  de  compagnies  de  Justice,  que  quelque  faute  im- 
portante ne  leur  ayt  attiré  ce  chastiment. 

Pour  ce  qui  regarde  la  raison  d'Estat,  pardonnez  Sire  à  nostre 
douleur,  si  dans  un  profond  respect,  nous  osons  dire  àvostre  Majesté 
que  nous  ne  pouvons  trouver  dans  nostre  malheur,  ni  de  l'avantage 
pour  le  public  ni  de  l'utilité  pour  aucun  de  vos  sujets,  ni  rien  enfin, 
qui  puisse  contribuer  à  la  gloire  du  règne  de  vostre  Majesté,  et  au 
bien  de  son  Estât. 

On  dira  peut  estre,  Sire,  que  ce  changement  qui  ne  paroist  d'au- 
cune utilité  maintenant,  sera  dans  la  suite  d'un  grand  fruit,  puisque 
c'est  un  acheminement  à  l'incorporation  de  la  Chambre  de  l'édit  de 
Castres  au  Parlement  de  Tolose,  ou  la  marque  fatale  et  presque 
infaillible  de  sa  prochaine  suppression. 

Comme  Messieurs  du  clergé.  Sire,  ne  souhaitent  rien  avec  plus  de 
passion  que  l'entière  ruine  de  nostre  religion,  et  qu'ils  se  persua- 
dent que  la  suppression  ou  l'incorporation  de  la  Chambre  au  Par- 
lement est  un  moyen  infaillible  pour  y  parvenir',  ils  supposent  que 
c'est  aussy  l'intention  de  vostre  Majesté,  et  que  cela  se  peut  faire 
sans  détruire  l'édit  de  Nantes,  sous  prétexte  qu'il  est  porté  par  l'ar- 
ticle 36  ^  que  la  chambre  sera  réunie  au  Parlement  quand  les  causes 
qui  ont  porté  nos  Roys  à  en  faire  l'établissement  et  à  en  confirmer 
la  subsistence  cesseront. 

Mais  nous  espérons,  Sire,  une  justice  plus  favorable  de  vostre 
Majesté,  nous  sommes  nez  vos  sujets  comme  les  autres,  et  la  diver- 
sité des  sentimens,  qui  se  trouve  entre  nous  sur  la  religion,  ne  doit 

t.  D'Escorbiac  ne  se  trompait  pas  en  attribuant  ces  sentiments  au  clergé. 
Lorsque  quelques  années  plus  tard  les  chambres  succombèrent,  un  dignitaire 
éminent  de  ce  clergé,  l'archevêque  d'Arles,  écrivait  à  la  Vrillière  :  «  J'auray  une 
application  toute  particulière  pour  concourir  au  zélé  et  à  la  piété  de  nostre 
grand  monarque,  qui,  par  la  suppression  qu'il  vient  de  faire  des  chambres  de 
l'Edit,  faira  plus  de  conversions  que  tous  nos  prédicateurs  et  nos  missions 
n'auraient  sceu  faire  dans  tout  un  siècle.  »  14  septembre  1679.  Autographe. 
Arch.  nat.  TT.  259. 

2.  «  Voulons  et  entendons  que  lesdites  chambres  de  Castres  et  de  Bourdeaux 
soient  réunies  et  incorporées  en  iceux  Parlemens,  en  la  môme  forme  que  les 
autres  quand  besoin  sera,  et  quand  les  causes  qui  nous  ont  mû  d'en  faire  l'éta- 
blissement cesseront  et  n'auront  plus  de  lieu  entre  nos  suj(»ts.  »  Edit  de  Nantes, 
art.  30. 


278  MÉLANGES. 

point  mettre  de  différence  dans  la  protection  et  dans  les  soins  pater- 
nels que  les  uns  et  les  autres  doivent  attendre  des  bontés  de  vostre 
Majesté. 

Quelle  apparence,  Sire,  que  vostre  Majesté  eust  un  dessein  secret 
de  nous  supprimer  dans  un  temps  que  vos  sujets  de  nostre  religion 
ont  plus  de  besoin  que  jamais  d'avoir  des  juges  non  suspects,  ou  de 
nous  envoyer  nous-mesmes  en  une  ville  dans  laquelle  nous  ne 
trouverions  aucune  seureté  pournos  personnes,  et  où  nous  vivrions 
dans  une  crainte  perpétuelle  de  nous  voir  livrez  avec  nos  familles 
au  zèle  indiscret  et  à  la  fureur  d'un  peuple  qui  de  luy-mesme  ne 
connoissant  point  de  frein  ni  de  raison  en  la  pluspart  des  choses 
les  plus  indifférentes,  en  est  encore  bien  moins  capable  en  celles 
qui  regardent  la  religion. 

Que  n'aurions-nous  pas  sujet  de  craindre.  Sire,  dans  une  ville 
qui  toujours  animée  d'une  haine  implacable  a  obtenu  dans  toutes 
ses  capitulations  l'interdiction  de  l'exercice  de  nostre  religion  à 
qjuatre  lieues  à  la  ronde,  et  qui  par  des  délibérations  réitérées  et 
que  le  Parlement  a  toujours  autorisées  par  ses  arrests  a  exclus  d'y 
habiter  tous  ceux  qui  en  font  profession.  Et  qui  tous  les  ans  pour 
immortaliser  sa  haine  en  mémoire  du  massacre  qu'on  y  en  fit, 
célèbre  une  feste  et  une  procession  la  plus  solennelle  de  toutes*, 
sans  que  l'autorité  et  la  puissance  royale  en  ayt  pu  jusques  icy  faire 
abolir  l'usage,  ce  qui  n'a  lieu  en  aucune  autre  ville  de  vostre 
Royaume,  et  d'où  elle  tire  le  titre  de  sainte  qu'elle  s'arroge^.Où 
le  peuple,  poussé  du  mesme  esprit,  appelle  toujours  nostre  cimetière 
le  champ  d'Enfer,  et  regarde  encore  après  tant  d'années  avec  exé- 
cration une  porte  murée  qu'il  nomme  la  porte  de  malédiction  par- 
ce que  c'esloit  celle  par  où  il  falloit  passer  pour  aller  au  prescho''. 

1.  La  célèbre  procession  commémorativc  du  massacre  du  17  mai  1562,  inter- 
dite, mais  en  vain  par  un  arrêt  royal  du  18  juin  1563.  On  ne  saurait  oublier  qu'en 
ly02,  il  s'est  rencontré  un  archevêque  de  Toulouse  pour  demander  le  rétablisse- 
ment de  cette  odieuse  cérémonie,  à  laiiucllc,  dès  1561,  Pie  IV  avait  accordé  de 
précieuses  indulgences,  et  que  Clément  XIII  favorisa  d'une  manière  spéciale  en 
1762. 

2.  Non  alibi  ïnhœreses  armantur  severius  Leges...  quo  fit  ut  una  inter  Gal- 
liœ  urbes  immunis  sit  hœreticd  labe,  nemine  in  civem  adm,isso  cujus  suspecta 
sil  apostolica  fuies.  Ainsi  s'exprimait  de  Gramond,  premier  président  au  Parle- 
ment de  Toulouse.  Goquerel,  Jean  Calas,  i. 

3.  Le  temple  de  Toulouse,  qui  pouvait  contenir  près  de  8  0UO  personne,  était 


MÉLANGES.  279 

L'inhumanité  et  le  scrupule  y  estant  porté  si  avant  qu'on  croiroit 
y  commettre  un  crime  que  de  contribuer  la  moindre  chose  du 
monde  à  la  sépulture  de  nos  morts. 

Si  la  sécheresse  empéchoit  la  terre  de  produire  ses  fruits,  si  les 
pluyes  fréquentes  et  redoublées  ostoient  dans  leur  voisinage  l'espé- 
rence  des  moissons;  si  la  gresle  et  le  feu  y  faisoient  les  ravages  qui 
ne  sont  que  trop  ordinaires,  ils  ne  manqueroient  jamais  de  dire  que 
ce  sont  les  Huguenots  qui  auroient  causé  tous  ces  maux,  et  nous 
courrions  grand  risque  de  porter  la  peine  des  malheurs  dont  nous 
ne  serions  la  cause  que  dans  l'imagination  blessée  de  cette  popu- 
lace K 

Que  si  nous  craignons,  Sire,  ces  choses  funestes  du  bas  peuple 
de  Tolose,  nous  n'avons  pas  raison  d'en  espérer  de  beaucoup  meil- 
leures du  Parlement. 

Sa  haine,  Sire,  contre  ceux  de  nostre  communion  a  toujours  esté 
si  forte,  que  dans  le  temps  où  il  n'yavoit  pas  encore  de  Chambre  de 
redit,  la  connoissance  de  leurs  affaires  luy  fut  toujours  interdite, 
et  commise  au  grand  Conseil,  jusques  là  mesme  que  dans  les  com- 
mencemens  lorsque  la  Chambre  de  l'Édit  fut  créée  on  fut  obligé  de 
joindre  aux  juges  de  la  R.  P.  R.  des  commissaires  du  Grand  Con- 
seil, tant  on  avoit  à  craindre  ceux  du  Parlement  de  Tolose  -. 

Il  a  souvent  signalé  cette  haine  invétérée  par  des  arrests  pleins 
d'injustice  et  de  barbarie  ;  la  condamnation  et  l'exécution  de  Rapin  ^ 
qui  luy  portoit  un  édit  de  paix,  celle  du  baron  de  Levan,  arrivée 

bâti  en  dehors  de  la  porte  de  Villeneuve,  qui  fut  appelée  depuis  «  Porte  du  mi- 
nistre. ))  Mémoires  de  Gâches, 'il. 

1.  On  ne  saurait  trop  admirer  la  netteté  d'un  jugement  que  devait  confirmer, 
un  siècle  plus  tard,  l'éclat  et  le  scandale  de  l'affaire  des  Calas. 

2.  «  Quant  au  procès  qu'ils  auront  au  Parlement  de  Thoulouze,  si  les  parties 
ne  se  peuvent  accorder  d'autre  Parlement,  seront  renvoyés  par  devant  les  maîtres 
des  Requêtes  de  notre  hôtel  en  leur  auditoire  au  Palais,  à  Paris.  »  Edit  de 
Saint-Germain,  1570,  art.  36. 

Henri  IV  disait  aux  magistrats  Toulousains  de  son  temps  :  «  C'est  chose 
étrange  que  vous  ne  pouvez  chasser  vos  maulvaises  volontés.  J'aperçois  bien 
que  vous  aves  encore  de  l'Espagnol  dedans  le  ventre.  »  Lettres  missives,  V.  181. 

3.  Rapin,  gentilhomme  du  prince  de  Condé,  apportait  aux  réformes  du  Midi 
la  nouvelle  de  la  paix  de  Longjumeau,  quand  le  parlement  de  Toulouse,  au 
mépris  de  tous  les  traités,  le  fit  enlever  dans  sa  maison  de  campagne  près  de 
Toulouse,  et  le  fit  décapiter  trois  jours  après  (13  avril  15G8).  France  proteslanle. 


28U  MÉLANGES. 

dans  ces  derniers  temps,  quoy  qu'il  alléguast  son  privilège*,  et  une 
infinité  d'autres  en  font  foy;  mais  i)lus  encore  que  tout  cela,  le 
massacre  inhumain  de  leurs  confrères  de  nostre  religion  qu'ils 
firent  pendre  à  l'arbre  du  Palais  presque  en  mesme  temps  qu'ils 
venoient  de  rendre  avec  eux  la  justice  sur  un  mesme  tribunal  -. 

On  dira,  Sire,  que  toutes  ces  choses  se  sont  passées  dans  les 
fureurs  et  dans  les  désordres  de  la  guerre,  que  la  haine  enracinée 
dans  les  cœurs  de  l'un  et  de  l'autre  party  a  donné  la  naissance  aux 
chambres  de  l'Edit  ;  on  ajoutera  que  ces  causes  ont  finy  avec  elle, 
que  tout  est  paisible  et  soumis  dans  l'Estat,  et  qu'une  réconciliation 
générale  ayant  succédé  aux  partialités  et  aux  divisions,  il  n'est  pas 
juste  que  la  différence  des  juges  en  mette  entre  des  sujets  qui 
vivent  sous  la  domination  d'un  mesme  prince. 

Pleut  à  Dieu,  Sire,  que  les  choses  fussent  en  ces  termes;  après 
la  conservation  de  la  sacrée  personne  de  vostre  Majesté  nous  ne 
demanderions  rien  au  ciel  avec  plus  d'ardeur  et  de  zèle  que  de 
passer  doucement,  sous  l'obéissance  et  sous  la  protection  du  plus 
grand  monarque  de  la  Terre,  des  jours  que  la  félicité  de  son  règne 
ne  laisseroit  pas  de  rendre  beaux  et  sereins  pour  nous,  quoy  que 
privez  de  tous  les  honneurs  et  de  tous  les  avantages  ausquels  peuvent 
aspirer  de  bons  serviteurs  et  de  fidèles  sujets  ^. 

Mais  que  nous  en  sommes  éloignez.  Sire,  et  que  Testât  déplo- 
rable où  nous  nous  trouvons  aujourd'huy,  nous  fait  bien  sentir  que 
ces  malheureuses  causes  n'ont  pas  cessé  ! 

Certes,  si  la  haine  et  l'aversion  qu'on  a  contre  vos  sujets  de  la 
R.  P.  R.  a  esté  cause  de  l'établissement  des  Chambres  de  l'Edit, 
comme  elle  l'a  esté  sans  doute,  comment  peut-on  dire  qu'elle  ayt 
cessé,  puisqu'elle  ne  fut  jamais  ni  plus  obstinée,  ni  plus  ardente 
qu'elle  l'est  aujourd'huy. 

Le  clergé,  Sire,  qui  ne  respire  que  nostre  perle,  nous  fait  naistre 
tous  les  jours  de  nouvelles  matières  d'affliction;  c'est  à  sa  solicita- 

1.  Le  baron  de  Levan  condamné  à  mort  par  le  parlement  de  Toulouse,  le 
21  janvier  1664,  alors  qu'il  réclamait  la  juridiition  de  la  chambre  de  l'Edit. 
Canibon,  op.  cit.,  115. 

2.  Allusion  aux  massacres  judiciaires  de  1562. 

3.  L'attachement  des  réformés  au  pouvoir  royal  faisait  d'eux  les  plus  fidèles 
sujets  de  Louis  XIV.  Les  paroles  de  d'Escorbiac  en  fournissent  une  remarquable 
preuve. 


MÉLANGES.  281 

tion  qu'on  démolit  nos  Temples  en  tant  de  lieux,  qu'on  interdit 
nostre  religion  en  d'autres  ou  mesme  il  estoit  estably  par  l'édit  de 
Nantes,  cette  loy  constante  et  faite  par  Henry  le  Grand,  pour  estre 
perpétuelle  ;  qu'on  invente  de  nouveaux  genres  d'accusation  contre 
nous  sous  prétexte  d'avoir  parlé  irréverement  de  la  religion  catho- 
lique ou  d'avoir  induit  quelqu'un  à  changer  de  religion,  mesme  des 
avant  les  arrests  et  les  déclarations  qu'on  a  obtenues  pour  cela;  et 
c'est,  enfin,  à  la  solicitation  du  clergé,  qu'on  nous  fait  des  procez 
et  des  affaires  sur  toute  sorte  de  choses,  que  ceux  de  nostre  religion 
sont  exclus  des  moindres  charges  et  des  moindres  emplois,  qu'on 
estend  mesme  cette  rigueur  jusques  aux  arts  les  plus  vils  et  les  plus 
mécaniques,  en  leur  ostant  les  mestiers,  c'est-à-dire  le  moyen  de 
gagner  leur  vie  '. 

Vostre  Clergé  véritablement  ne  nous  poursuit  pas,  Sire,  les  armes 
à  la  main;  mais  il  nous  fait  une  guerre,  qui  pour  n'estre  pas  san- 
glante n'en  est  pas  moins  dangereuse.  Il  avoit  jusques  icy  sappé 
avec  quelque  précaution  les  fondemens  de  nostre  liberté,  il  avoit 
gardé  quelques  mesures  dans  les  atteintes  fréquentes  et  mortelles 
qu'il  a  données  aux  articles  les  plus  essentiels  de  l'Édit  de  Nantes. 
Mais  maintenant.  Sire,  il  n'en  garde  plus,  et  il  ne  fait  point  de  dif- 
ficulté de  publier  hautement  que  le  terme  fatal  de  nostre  ruine  est 
sur  le  point  d'arriver,  et  qu'après  avoir  obtenu  la  victoire  qu'il  vient 
de  remporter  sur  ce  serpent  qui  s'estoit  élevé  contre  la  religion 
catholique,  il  n'y  a  plus  guère  de  chemin  à  faire  pour  combler  la 
mesure  de  nostre  désolation  '-. 

C'est,  Grand  Roy,  ce  que,  pour  ne  défaillir  pas  à  nous  mesme  dans 
des  maux  si  pressans,  nous  sommes  obligez  de  vous  dire.  Et  comme 
nous  sommes  persuadez  que  vostre  Majesté  se  donne  le  soin  d'en- 

1.  Allusion  à  la  déclaration  du  1"  février  1669,  rendue  à  la  sollicitation  du 
clergé.  Par  ses  rigueurs  et  ses  duretés  elle  mettait  les  réformés  à  la  merci  du 
pouvoir. 

2.  Lorsque  Bernard  publia,  en  1666,  son  Explication  de  l'Édit  de  Nantes, 
ouvrage  plein  de  perfidies  et  de  jésuitiques  interprétations,  il  le  dédia  à  l'assem- 
blée générale  du  clergé  de  France.  Il  faut,  «  disait-il,  que  cette  illustre  assemblée 
achève  de  consommer  l'ouvrage  (la  ruine  des  réformés)  et  qu'elle  employé  son 
pouvoir  et  les  moyens  qu'elle  a  pour  réunir  tous  les  sujets  du  Roy  à  une  mesme 
créance.  » 

L'acceptation  de  ce  public  hommage  niar(jue  à  ((uel  point  le  clergé  en  était 
venu  dans  sa  haine  de  la  Réforme. 


ZOZ  MELANGES. 

trer  dans  la  connoissance  des  moindres  choses,  lorsqu'il  s'agit  du 
repos  de  ses  sujets  et  du  bien  de  son  Estât,  et  qu'elle  fait  gloire  de 
proléger  les  malheureux  et  do  secourir  les  affligez,  nous  avons  cru 
que  nous  pouvions,  versant  dans  son  sein  paternel  toutes  nos 
craintes  et  nos  allarmes,  implorer  le  secours  d'un  bon  maître  qui 
ne  manque  jamais  à  de  bons  et  fidelles  serviteurs. 

Nous  ne  contons  pour  rien,  Sire,  la  boue  et  les  fondrières  qui 
rendent  Castelnaudary  presque  inacessible  plus  de  six  mois  de 
l'année,  l'incomodité  de  ses  logemens  incapables  de  contenir  la 
dixiesme  partie  de  ceux  que  la  nécessité  de  leur  employ  obligera  de 
suivre  la  Chambre,  et  ce  qu'on  y  souffre  enfin  l'hyver  faute  de  bois, 
et  toute  année  faute  d'eau,  qui  rendra  nostre  condition  à  peu  près 
semblable  à  celle  de  ces  malheureux  à  qui  pour  punition  de  leurs 
crimes  l'ancienne  Rome  interdisoit  l'eau  et  le  feu.  L'amour  que  la 
nature  et  le  devoir  ont  imprimé  vivement  dans  nos  cœurs  pour  sa 
personne  sacrée  nous  donneroit  assez  de  courage  pour  souffrir  avec 
plaisir  pour  son  service  les  maux  les  plus  extrêmes,  et  ce  seroit  avec 
joye,  Sire,  que  nous  sacriefierions  et  nos  biens  et  nos  vies  pour  la 
gloire  et  pour  la  prospérité  de  vostre  Majesté  *. 

Ce  qui  nous  afflige  mortellement  et  qui  nous  touche  jusques  au 
plus  profond  de  nos  cœurs,  c'est.  Sire,  que  le  malheureux  estât  où 
nous  nous  trouvons  réduits,  est  une  marque  certaine  que  vostre 
Majesté  nous  veut  abandonner.  Cette  pensée  nous  jette  dans  des 
allarmes  et  des  appréhensions  capables  d'étonner  les  âmes  les  plus 
fermes  et  les  plus  constantes. 

Que  si  nostre  malheur  est  inévitable,  Sire,  si  nous  ne  pouvons 
pas  trouver  grâce  devant  le  Trône  de  vostre  Majesté,  et  que  par 
l'effet  d'une  volonté  absolue,  et  par  des  raisons  que  nous  n'osons  ni 
ne  devons  pas  pénétrer,  elle  soit  résolue  d'oster  de  Castres  sa 
Chambre  de  l'Edit,  en  ce  cas,  Sire,  nous  aurions  à  luy  demander 
bien  des  choses  qu'elle  trouveroit  pleines  de  justice. 

Premièrement,  Sire,  et  surtout,  l'exercice  libre  de  nostre  religion 
dans  Castelnaudary,  ou  telle  autre  ville  où  il  plaira  à  Vostre  Majesté 
de  nous  mettre,  ou  du  moins  si  proclie  que  nous  puissions  aller 
prier  Dieu  et  revenir  sans  interrompre  les  fonctions  de  nos  charges. 

\.  Toutes  les  difficultés  prévues  par  d'Escorbiac  se  présentèrent  dûs  les  pre- 
miers jours  du  transfert  de  la  chambre  à  Castelnaudary.  Dans  sa  consciencieuse 
histoire  de  la  Cliaiubre  de  i'Édit,  M.  Cambon  on  a  raconté  tous  les  détails. 


MÉLANGES.  283 

Hors  de  là  vostre  Majesté  aussy  pieuse  et  aussy  éclairée  qu'elle  est, 
comprendra  aisément  d'elle-mesme  que  nous  serions  obligez  d'y 
manquer  toujours  plûstot  qu'à  ce  qui  regarde  nostre  salut  dans  les 
sentimens  où  nous  sommes. 

Que  diroient  vos  peuples,  que  diroit  vostre  Majesté  elle-mesme  de 
voir  le  cours  de  sa  justice  ainsy  interrompu.  Mais  si  nous  en  usions 
d'une  autre  manière,  que  pourroit-elle  attendre  de  la  fidélité  des 
gens  qui,  portant  le  caractère  dont  elle  les  a  honorez,  negligeroient 
le  culte  de  leur  Créateur,  du  Dieu  qu'ils  adorent,  et  que  vous  ado- 
rez. Ils  ont  toujours  rendu  et  toute  leur  vie  rendront  à  Cœsar,  ce  qui 
est  deu  à  Cœsar.  Ils  faut  qu'ils  rendent  à  Dieu  ce  qui  appartient  à 
Dieu^ 

Nous  supplierions  encore  très  humblement  vostre  Majesté  de 
lions  donner  au  moins  quelque  temps  pour  mettre  quelque  ordre  à 
nos  affaires  domestiques,  et  pour  disposer  de  nos  terres  et  de  nos 
maisons  afin  d'éviter  une  entière  ruine,  et  de  prendre  quelques 
mesures  pour  nous  établir  ailleurs  avec  moins  d'incommodité  et  de 
dépense*. 

Nous  vous  demanderions,  Sire,  avec  le  mesme  respect  et  avec  la 
mesme  soumission,  qu'en  ce  cas  vostre  Majesté  eust  la  bonté  de 
nous  mettre  en  telle  autre  ville  qu'il  luy  plairoit  de  choisir,  ou 
exempts  des  incommoditez  insuportables  que  nous  trouverions  à 
Castelnaudary,  et  que  nous  n'avons  point  exagérées,  nous  pussions 
rendre  à  vostre  Majesté  avec  fidélité  et  obéissance  le  service  que 
nous  luy  devons. 

Nous  pourrions  aussy  avec  raison  espérer  de  la  bonté  de  vostre 
Majesté  l'ameublement  et  l'escu  par  jour  qu'elle  donne  à  ses  officiers 
du  parlement  de  Tolose  qui  quittent  leurs  maisons  pour  venir  à 
Castres  servir  avec  nous,  puisqu'il  nous  faudroil  quitter  les  nostres, 
et  nous  assujettir  à  de  nouvelles  despenses  pour  son  service. 

1.  La  chambre  n'obtint  qu'avec  une  peine  extrême  l'autorisation  d'avoir  un 
lieu  de  culte,  non  pas  dans  la  ville,  mais  aux  environs.  En  1675,  l'assemblée 
du  clergé  en  demanda  l'interdiction,  ajoutant  que,  si  l'exercice  était  maintenu, 
«  dans  ce  cas,  il  désirait  que  celui  de  Castres  et  le  temple  oîi  il  se  fait  fiît  démoli, 
pour  que  l'église  fut  dédommagée  du  tort  qui  lui  a  été  fait  par  ce  nouvel  éta- 
blissement de  prêche.  »  Cambon,  op.  cit.,  13GG. 

±  Il  fut  fait  droit  en  partie  à  cette  modeste  demande,  car  l'ouverture  de  la 
chambre  fut  renvoyée  au  7  janvier  1071. 


284  MÉLANGES. 

Mais  nous  espérons  plustost,  Sire,  que  vostre  Majesté  aura  la  bonté 
de  nous  faire  la  grâce  entière,  qu'elle  nous  laissera  dans  nos  mai- 
sons et  dans  nos  biens,  et  qu'elle  révoquera  un  ordre  qui  causeroit 
infailliblement  dans  la  suite  du  temps  nostre  ruine  et  celle  de  nos 
familles.  Car  enfin,  Sire,  si  quelqu'un  de  nous  venoit  à  mourir,  nos 
offices  estant  mis  hors  du  commerce  par  ce  changement,  et  par  les 
conséquences  qu'on  en  tire,  nous  laisserions.  Sire,  des  familles  dé- 
solées et  réduites  à  la  mendicité,  ce  qui  seroit  sans  doute  bien  éloi- 
gné des  intentions  de  vostre  Majesté  qui  n'en  a  jamais  que  de  droites, 
de  justes  et  d'avantageuses  pour  le  bien  de  ses  sujets. 

Ayez  pitié  de  nous,  Sire,  dans  ces  extrémilez  où  nous  sommes 
réduits,  ne  souffrez  pas  que  nous  soyions  les  victimes  de  vostre 
clergé.  Voudriez-vous,  Sire,  que  pendant  que  comme  un  nouveau 
soleil  vous  faites  par  vos  douces  et  bénignes  influences  régner  le 
calme  et  les  délices  de  la  paix  dans  les  climats  les  plus  reculez,  et 
parmy  les  nations  les  plus  éloignées,  vostre  ville  de  Castres,  el  vos 
officiers  fussent  les  seuls  à  souffrir  la  guerre  désolante  que  leur 
misère  et  leur  affliction  leur  feroit  incessamment. 

A  l'imitation  de  Dieu  qui  fait  la  blessure  et  qui  la  guérii,  tendez- 
nous  Sire,  vous  qui  estes  icy-bas  la  plus  parfaite  image  de  la  Divi- 
nité, tendez-nous  vos  mains  Royales  pour  nous  tirer  de  la  déso- 
lation où  nous  sommes.  Nous  n'attendons  de  secours  que  de  vostre 
Majesté;  rendez-nous  à  nos  maisons,  à  nos  biens,  et  à  nos  amis,  en 
nous  rétablissant  dans  vostre  ville  de  Castres,  qui  n'est  pas  moins 
accablée  que  nous.  Et  dans  les  cantiques  d'actions  de  grâces  que 
nous  rendrons  à  Dieu  de  la  bonté  et  de  la  protection  de  vostre  Ma- 
jesté, nous  meslerons  toute  nostre  vie,  les  vœux  les  plus  ardents 
el  les  prières  les  plus  ferventes  que  puissent  faire  pour  la  conserva- 
tion de  la  personne  sacrée  de  vostre  Majesté,  et  pour  la  prospérité 
de  son  règne,  ses  très  humbles,  très  obéissans  et  très  fidelles  sujets 
et  serviteurs.  » 

A  ces  justes  demandes,  nulle  réponse  ne  devait  être  faite  et  la 
requête  alla  se  perdre  dans  les  papiers  de  Cliâteauneuf.  Quebjues 
jours  plus  tard,  les  magistrats  partaient  tristement  pour  l'exil,  prêts 
à  supporter  de  nouvelles  injustices.  En  1679,  en  efi'et,  par  un  acte 
d'odieuse  violence,  la  Chambre  de  l'Édit  était  supprimée  et  le  Parle- 
ment de  Toulouse  victorieux  recueillait  les  débris  de  celte  illustre 
couqjagnie  judiciaire;  mais  il  n'eslinui  sa  victoire  complète  que  le 


BIBLIOGRAPHIE.  285 

29  juin  1685,  jour  où  il  obtint  une  déclaration  du  roi,  mettant  les 
magistrats  protestants  en  demeure  d'apostasier  ou  de  renoncer,  au 
mépris  de  tous  les  droits,  aux  sièges  qu'ils  occupaient. 

Frank  Puaux. 


BIBLIOGRAPHIE 


DEUX    MÉDAILLES   DE   LA   SAINT-BARTHÉLEMY 

in-12.  Impr.  Jules  Fick,  1884. 

L'éditeur  de  cette  intéressante  plaquette,  M.  Eug.  Arnaud  s'ex- 
prime ainsi  dans  une  note  bibliographique  : 

(.(  En  faisant  des  recherches  à  la  curieuse  et  riche  Bibliothèque 
d'Inguimbert  à  Carpentras  (Vaucluse),  nous  avons  découvert  cette 
Figure  et  exposition  des  Pourtraicts  et  Dictons,  et  son  impor- 
tance historique  nous  Ta  fait  juger  digne  d'une  réimpression  ;  car 
cet  opuscule  établit,  par  un  témoignage  irrécusable  et  une  fois  de 
plus,  la  participation  directe  que  Charles  IX  prit  au  massacre  de  la 
Saint-Barthélémy,  la  joie  qu'il  en  ressentit  et  la  gloire  qu'il  en  tira. 

»  Ce  n'est  pas  qu'il  fut  tout  à  fait  ignoré.  Les  mémoires  de  VEstal 
de  France  sous  Charles  IX  (t.  I,  p.  386,  édit.  de  1578)  en  donnent 
un  bon  extrait,  et  B.  Rigaud  l'a  réimprimé  à  Lyon  en  1573;  mais 
il  n'était  connu  que  de  quelques  rares  bibliophiles,  et  le  savant 
Brunet  lui-même  qui  le  cite  {Manuel  du  libraire,  cinquième  édit., 
t.  II,  2-  partie,  col.  1197)  ne  l'a  pas  eu  évidemment  sous  les  yeux, 
car  il  le  décrit  avec  des  inexactitudes.  Il  ajoute  qu'il  s'est  vendu 
20  francs  M.  R.  La  Vallière;  46  fr.  Monmerqué  ;  82  fr.  Cosle.  » 

Nous  ne  voudrions  troubler  eu  rien  la  joie  du  bibliophile  retrou- 
vant une  pièce  rare,  unique,  et  heureux  de  la  restituer  au  monde 
savant.  Mais  notre  ami  M.  le  pasteur  Arnaud  sera  le  premier  à  se 
réjouir  en  apprenant  que  la  bibliothè(iue  du  Protestantisme  fran- 
çais possède  depuis  longtemps  la  charmante  plaquette  dont  il  a 


!286  ■  BIBLIOGRAPHIE. 

retrouvé  un  exemplaire  à  la  bibliothèque  de  Carpentras.  Elle  n'en 
diffère  que  par  quelques  mots  insignifiants  du  titre  :  à  Paris  par 
Jean  Dallier,  libraire  demeurant  snv  le  pont  Saint-Michel...  1572; 
et  fait  partie  de  cette  collection  d'opuscules  rarissimes  formée  avec 
autant  de  discrétion  que  de  goût  par  un  de  nos  collègues.  Les  fon- 
dateurs de  la  bibliothèque  du  Protestantisme  sont  trop  enclins  à 
ignorer  ou  à  oublier  leurs  propres  trésors.  Remercions  M.  Arnaud 
de  nous  les  rappeler.  J.  B. 

LES  ALLEMANDS  EN  FRANCE 

ET  l'invasion   du   COMTÉ   DE  MONTBÉLIARD   PAK   LES   LORRAINS 

1587-15881. 

Sous  ce  titre,  M.  Alexandre  Tuetey,  archiviste  aux  Archives  Na- 
tionales, déjà  connu  par  de  savants  travaux,  s'est  proposé  de  racon- 
ter surtout  l'expédition  mémorable  par  ses  excès,  que  les  Lorrains, 
Henri,  duc  de  Guise,  et  Henri,  marquis  de  Pont,  firent  dans  la 
principauté  de  Montbéliard  en  décembre  1587.  Ces  princes  ayant 
représenté  cette  lâcheté  comme  un  acte  de  représailles,  légitimes 
puisqu'elles  s'exerçaient  au  détriment  des  hérétiques,  et,  de  plus, 
justifiées  par  les  dégâts  commis  quatre  mois  auparavant  par  l'armée 
allemande  qui  avait  traversé  la  Lorraine  pour  se  rendre  au-devant 
des  Béarnais,  M.  Tuetey  a  cru  devoir  faire  précéder  son  récit  de  deux 
chapitres  préliminaires  qui  forment  la  moitié  de  son  ouvrage-  et  en 
expliquent  le  titre. 

Le  premier  de  ces  chapitres  nous  montre  comment  la  principauté 
protestante,  accueillant  les  huguenots  qui  fuyaient  la  persécution 
et  la  St-Barthélémy,  et  tolérant  leurs  tentatives  en  faveur  de  l'année 
allemande  appelée  au  secours  du  roi  de  Navarre,  devint  odieuse  aux 
(■alh()li([iies  et  surtout  à  leurs  chefs,  les  Guises.  Les  lecteurs  du 
Bulletin  trouveront  dans  ces  premières  pages  beaucoup  de  faits 
nouveaux  ou  rectiliés,  parmi  lesquels  il  faut  signaler  une  pièce 

1.  Paris,  (;iiampion  cl  Montbélianl,  Barbier,  1883,  "2  vol.  iii-8"  de  301  cl 
•101  pages.  Extrait  des  Mémoires  de  la  Société  iV Emulalion  de  Monlhéliard, 
tiré  à  200  exenip.  sur  papier  verge,  20  francs. 

2.  Déduction  l'aile  du  tome  11  iiui  renferme  les  pièces  justilicativcs  se  rap- 
portant toutes  à  l'Invasion. 


BIBLIOGRAPHIE.  287 

capitale  (p.  19-34).  Le  Roole  des  Français  qui  résident  encore  de 
présent  en  ceste  ville  de  Montbéliard,  fait  ce  VI°  dejanvier  1586. 

Cet  épisode  du  Refuge  est  suivi  de  l'histoire  de  cette  fameuse 
campagne  de  4587,  le  plus  grand  effort  du  protestantisme  étranger 
pour  venir  au  secours  des  huguenots  et  que  des  causes  diverses 
firent  échouer  misérablement.  On  peut  considérer  le  récit  de 
M.  Tuetey,  appuyé  jusque  dans  les  moindres  détails  sur  de  nom- 
breux documents  manuscrits,  comme  définitif  au  point  de  vue  de 
l'exactitude,  et  aucun  historien  des  guerres  de  religion  ne  devra 
l'ignorer.  Notons,  en  passant,  les  dates  réelles  des  combats  de 
Vimory  et  d'Auneau  (26  octobre  et  24  novembre  1587),  inexactes 
dans  toutes  les  histoires,  et  ne  hasardons  qu'une  seule  question  : 
Michel  de  la  Huguerye  dont  M.  Tuetey  suit  et  contrôle  sans  cesse 
les  mémoires,  n'a-t-il  pas,  dans  cette  campagne,  joué  le  rôle  dou- 
teux d'ami  des  protestants  et  des  catholiques?  Nous  croyons  que  la 
question  mériterait  d'être  examinée. 

Les  chapitres  III  et  IV  contiennent  enfin  la  narration,  documentée 
de  manière  à  défier  tout  contradicteur,  de  la  brutale  invasion  du 
pays  de  Montbéliard  par  les  Lorrains.  Personne  ne  pourra  lire  ce 
défilé  de  faits  douloureux  sans  frémir  d'horreur  et  d'indignation. 
Les  historiens  intéressés  à  représenter  les  huguenots  comme  les 
communards  du  xvi^  siècle  et  Coligny  lui-même,  non  comme  la  vic- 
time, mais  comme  l'auteur  de  la  Saint-Barthélémy,  auront  beau 
faire  :  toute  leur  casuistique  ne  parviendra  jamais  à  laver  les  Lor- 
rains, c'est-à-dire,  à  leur  point  de  vue,  les  sauveurs  de  la  religion 
et  de  la  patrie,  du  reprociie  de  féroce  et  cupide  lâcheté  qui  restera 
comme  un  trait  de  leur  caractère.  Dès  1525  l'épouvantable  mas- 
sacre, à  Saverne,  des  paysans  alsaciens,  coupables  qu'on  ne  peut 
s'empêcher  de  plaindre;  plus  tard  l'assassinat  des  huguenots  à  Am- 
boise,  à  Sens,  à  Vassy  (1560-1562)  ;  dix  ans  plus  tard  encore  l'at- 
tentat de  Maurevers  et  les  horreurs  de  la  Saint-Barthélémy,  enfin  la 
Ligue  et  en  1587-1588  les  atrocités  commises  de  sang  froid  dans  le 
pays  de  Montbéliard, —  toutes  ces  actions  sanguinaires  sont  dos  faits 
imputables  pour  la  plus  grande  partie  aux  membres  de  la  même  fa- 
mille et  qu'il  n'est  au  pouvoir  de  personne  de  nier  ou  de  travestir. 
Nous  savons  bien  que  dans  ces  derniers  temps  on  a  essayé  d'en 
représenter  quelques  uns  comme  la  revanche  du  patriotisme  ulcéré 
par  le  recours  des  protestants  aux  armées  étrangères.  Cet  argu- 


288  BIBLIOGRAPHIE, 

ment  ne  saurait  loucher  que  les  ignorants,  car  quiconque  étudie 
l'histoire,  sait  que  dès  le  début  du  xvi'  siècle,  François  P'  guerroya 
avec  des  milices  demandées  à  la  Suisse  ou  à  l'Allemagne,  et  que 
tous  les  partis  j3renaient  leurs  alliés  où  ils  les  trouvaient.  Si  l'on 
voulait  appliquer  cet  argument  au  saccagement  du  pays  de  Montbé- 
liard,  on  arriverait  à  dire  que  les  Albanais,  les  Italiens  et  les  Alle- 
mands au  service  des  Lorrains,  y  brûlèrent  plus  de  700  maisons,  y 
pillèrent  et  détruisirent  119  villages,  y  enlevèrent  plus  de  8000  têtes 
de  bétail  et  de  200  000  mesures  de  céréales,  sans  compter  les 
meurtres,  la  torture,  le  viol  et  la  traite  infligés  à  des  centaines  de 
victimes,  pour  se  venger  de  ce  que  d'autres  allemands  avaient  fait, 
dans  de  bien  moindres  proportions,  en  Lorraine,  comme  belligé- 
rants sans  cesse  harcelés  et  décimés.  Les  soudards  de  ce  temps-là 
s'inquiétaient  si  peu  de  patriotisme  ou  de  religion  que,  lorsque 
Henri  III  donna  de  l'argent  aux  reîtres  et  aux  Suisses  protes- 
tants, ceux-ci  s'en  retournèrent  au  plus  vite  dans  leurs  pays, 
sans  s'occuper  de  leurs  promesses  aux  huguenots  et  à  Henri  de 
Navarre.  Et  si  les  Lorrains,  alors  soudoyés  par  l'Espagne,  avaient 
voulu  faire  du  patriotisme,  ils  n'auraient  pas  employé  le  secours 
de  l'étranger  pour  châtier  les  protestants  d'avoir  appelé  l'étranger. 
On  ne  trouvera  pas  seulement  dans  les  derniers  chapitres  et 
dans  les  pièces  justificatives  de  cet  ouvrage  tous  les  détails  imagi- 
ginables  sur  ce  que  pouvait  inventer  la  cruauté  sans  vergogne  d'une 
armée  d'aventuriers  déchaînée  sur  la  principauté  jusque-là  paisible, 
avec  l'ordre  formel  de  lui  faire  expier  son  hérésie  ;  mais,  chemin 
faisant,  l'auteur  nous  initie  à  la  condition  matérielle  des  paysans, 
aux  soins  que  recevaient  les  pestiférés,  à  la  manière  dont  se  con- 
duisirent les  pasteurs  pendant  l'épidémie  qui  succéda  à  l'invasion,  etc. 
Bref,  le  sujet  paraît  éjjuisé  et  nous  regrettons  seulement  que  dans 
son  premier  volume  M.  Tuetey  n'ait  pas  cru  devoir  donner  autant 
de  soins  à  la  forme  qu'au  fond;  cette  élude,  pourvue  d'une  excel- 
lente table,  n'en  constitue  pas  moins  un  document  de  premier  ordre 
pour  l'histoire  de  la  Ligue  en  général,  et  poui-  celle  du  pays  de 
iMonibéliard  eu  particulier.  iN.  Weiss. 


Le  Gérant  :  Fischbacher. 

BouuLoroN,  Iiniiriiiierics  rcmiics,  B. 


SOCIÉTÉ  DE  L'HISTOIRE 

DU 

PROTESTANTISME   FUA^CAIS 


/riîDES    IIISTUKIQUKS 


[/EGLISE  REFORMEE  DE  LA  CALiVIElTE 

PAGES   d'histoire   LOCALE  ' 


IV 


Né  à  Bédarieux,  le  29  janvier  1718,  dans  une  iamille  de 
grande  piélé,  Paul  Rabaiit  n'avait  pas  dix-sept  ans  quand  il 
commença  cette  vie  de  courses  incessantes,  de  fatigues  et  de 
périls  dont  se  composait  le  ministère  du  Désert.  Les  fidèles  de 
la  Galmelte  furent  des  premiers  à  entendre  le  jeune  proposant 
qui  leur  apportait  l'évangélique  message,  et  ne  l'interrompit 
que  pour  quelques  mois  d'études  à  Lausanne  ^  On  voit,  par  sa 
correspondance,  combien  tous  ses  pas  étaient  épiés  et  suivis 
autour  de  Nîmes.  C'est  au  milieu  de  perpétuelles  alertes  que 

1.  Voiries  numéros  du  DuUelin  de  mars,  avril,  juin,  p.  96,  145  et  ^iil.  Deux 
fautes  sont  à  relever.  Page  214,  1.  3,  lisez  :  couvertes  de  sang  et  (la  plaies; 
p.  256,  1.  3,  il  faut  lire  :  Oh!  si  j'avois  une  faucille  comme  la  vôtre... 

2.  Du  mois  d'août  1740  au  8  février  1741.  Article  de  M.  Ch.  Dardier  {Bull. 
t.  XXXII,  p.  402). 

xxxiii.  —  19 


290  l'église    nÉKORMÉE    DE   LA    CALMETTE. 

se  lenaienl  les  réunions,  inysléiieusement  annoncées,  tanlôt 
ici,  lanlôl  là,  dans  un  bois,  une  métairie  solitaire,  une  grotte 
perdue  sur  les  bords  de  quelque  torrent  desséché.  Les  troupes, 
dressées  à  cette  chasse  d'un  nouveau  genre,  se  répandaient 
partout.  Les  communes  et  les  fermes  suspectes  étaient  soumises 
aux  plus  rigoureuses  perquisitions,  comme  on  en  peut  juger 
par  les  lignes  suivantes,  adressées  d'Alais  à  Antoine  Court,  le 
24  mars  1738: 

((  Le  14  du  mois  de  mars,  la  nuit  du  samedi  au  dimanche, 
les  troupes  ont  été  en  plusieurs  détachements  investir  depuis 
le  Gardon  du  côté  de  Ners  jusqu'à  la  Cabnelte,  pour  lâcher 
d'atlraper  quelqu'un  de  ceux  du  désert.  On  fut  dans  plusieurs 
métairies,  entre  autres  à  celle  qui  appartient  à  M.  le  ducd'Uzès, 
qui  est  dans  le  bois  de  Gajan,  près  de  la  Rouvière^,  et,  n'ayant 
rien  trouvé  après  avoir  fouillé  dans  la  maison,  on  s'avisa  d'une 
caisse  que  l'on  enfonça,  où  l'on  trouva  plusieurs  livres  et  un 
petit  sac  de  peau  où  il  y  avait  certains  papiers  appartenant  à 
M.  Hétrinc.  La  plupart  de  ces  livres  sont  des  ouvrages  de  M.  de 
la  lUacetlc,  qu'on  a  lus  et  qu'on  a  trouvés  fort  bons.  On  con- 
duisit au  Jort  le  nommé  Brunel  de  ladite  métairie.  Tout  cela 
a  été  occasionné  par  le  baptême  d'une  fille  du  nommé  Boissier, 
du  village  do  Sauzet,  qui  a  été  baptisée  par  un  ministre  du 
désert.  Le  curé  du  lieu  en  a  porté  plainte;  le  père  de  Lîoissier 
a  été  emprisonné;  l'enfant  rebaptisée  catholique-.  » 

Bétrine  et  Roux  étaient  les  deux  pasteurs  de  cette  région,  et 
le  second,  que  nous  avons  déjà  rencontré  au  mas  des  Crottes, 
n'échappa,  une  fois,  aux  poursuites  dont  il  était  l'objet,  qu'en 
se  faisant  murer  dans  une  tombe.  Les  temps  n'étaient  pas  tou- 
jours aussi  rigoureux.  Quelques  mois  de  1744  virent  réunis, 
dans  le  même  champ  de  travail,  deux  ouvriers  d'élite,  Court  et 
Rabaut,  lorsque  les  troubles  suscités  par  le  schisme  de  Boyer, 
mettant  en  péril  la  discipline  si  nécessaire  aux  Eglises  du 

1.   Le    mas   de  (Juiulo  appartenant  aiijuuririuii   à   la  très   liunorablc    famille 
Flaissicr  fie  Nimes. 
-2.  Lettre  de  Claris,   l'apicis  Court,  n'   17,  t.  K,  p.  487,  Bibl.  de  Genève. 


l'église  réformée  de  la  calmette.  291 

Désert,  ramenèrent  le  directeur  du  séminaire  de  Lausanne  sur 
le  théâtre  de  son  premier  apostolat.  C'est  dans  sa  correspon- 
dance avec  la  compagne  chérie  qu'il  avait  laissée  en  Suisse, 
avec  celle  qu'il  appelait  «  sa  Uachel  »  qu'il  faut  lire  les  détails 
du  voyage  qui  lut  une  perpétuelle  mission  entre  Nîmes,  Uzès 
et  Montpellier.  On  était  en  pleine  guerre  de  la  succession  d'Au- 
triche, triste  legs  du  cardinal  Fleury,  et  la  fortune,  infidèle  à 
nos  armes,  ne  devait  être  ramenée  sous  nos  drapeaux  que  par 
les  victoires  d'un  luthérien,  Maurice,  maréchal  de  Saxe.  Les 
protestants  français  respirèrent  quelque  temps.  La  persécution, 
si  ardente  sous  Bàville  et  ses  successeurs,  Bernage,  Lenain,eut 
des  heures  de  lassitude  et  d'oubli,  des  intervalles  de  tolérance, 
qui  laissèrent  espérer  des  jours  meilleurs.  L'année  1744  fut 
un  de  ces  moments  trop  courts  où  la  persécution,  se  relâchant 
de  ses  rigueurs,  les  réformés  purent  se  réunir  en  divers  lieux 
pour  invoquer  le  Dieu  de  leurs  pères.  Quel  charme  dans  le 
récit  de  l'assemblée  tenue  le  16  septembre,  aux  environs  d'Uzès, 
avec  le  concours  des  populations  voisines.  On  a  vu  le  drame 
au  mas  des  Grottes;  voici  l'idylle  : 

Le  dimanche  venu,  écrit  Antoine  Court,  je  me  rendis  à  ce  qu'on  appelle 
le  Camp.  C'est  le  lieu  où  était  convoquée  l'assemblée,  une  espèce  de 
bosquet  perdu  près  du  mas  de  Tailles...  Là  on  avoit  dressé  une  chaire 
assez  élevée,  tendu  diverses  tentes  attachées  à  des  arbres  et  où  étoienL 
placées,  outre  plusieurs  sièges  de  pierre,  un  grand  nombre  de  cliaises 
dont  chacun  a  soin  de  se  pourvoir,  et  avec  lesquelles  on  sort  publique- 
ment de  la  ville.  Je  fus  témoin  de  révènement.  L'assemblée  étoit  nom- 
breuse ;  il  y  avoit  pour  le  moins  six  à  sept  mille  personnes.  Elle  étoit 
bien  rangée,  et  assurément  c'étoit  un  beau  coup  d'œil  sous  les  tentes. 
La  joye  parut  grande  lorsque  je  parus  en  chaire.  Il  y  avoit,  ou  pour  être 
ému,  ou  pour  s'amuser,  d'entendre  un  bruit  sourd  qui  se  levoit  de  tous 
côtés,  et  tout  le  mouvement  qu'on  se  donnoit  dans  l'assemblée.  Je  com- 
mençai par  la  publication  de  plusieurs  bans.  Je  passai  ensuite  aux  prières 
et  au  discours.  Exprimer  combien  tout  étoit  ému  et  touché,  la  chose  n'est 
pas  possible.  Là  étoit  tout  ce  qu'il  y  a  de  gens  de  distinction  dans  la 
ville,  à  l'exception  de  MM.  de  Massargues,  du  Combler,  de  Vallabris, 
Gallofres,  Soleirol  et  Trinquallague,  (jui  sont  les  seuls  de  tou.s  les  pro- 
testants d'Uzès  qui  n  assistent  point  aa  Camp.  Comme  dans  le  nombre  de 


202  I.KGLiSE    REFORMEE    DE  LA   CALMETTE. 

ceux  (|iii  y  as^iisteiit,  il  y  en  a  la  plus  grande  partie  qui  ne  sont  aguerris 
(|ue  depuis  la  tolérance,  je  jugeai  à  propos  de  faire  le  procès  à  leur  pré- 
cédente dcnuirche,  et  ceci  fit  verser  bien  des  larmes.  Il  n'y  eut  pas  même 
jusqu'à  M.  Faucher  qui  n'y  mêla  les  siennes.  Je  fis  grand  plaisir  aux  gens 
de  la  campagne,  parce  que  je  dis  dans  un  endroit  de  mon  discours  qtw 
ce  sont  eux  et  eux  seuls  qui  avaient  sontemi  la  religion  dans  les  temps 
de  crise.Yjn  un  mot,  il  ne  se  parle  plus  en  ville  que  du  discours  qu'on 
vient  d'entendre.  Le   prédicateur  eût  été  accablé  sous  les  caresses,  s'il 
n'avoit  eu  la  précaution  de  se  tenir  en  chaire  tout  le  temps  qu'on  vini 
pour  le  saluer.  Presque  toute  l'assemblée  passa  en  revue  devant  lui,  et 
lui  demanda  l'état  de  sa  santé,  et  son  épouse  ne  fut  oubliée  par  personne. 
Il  falloit  avoir  et  la  main  et  la  mémoire  prompte,  parce  que  tout  vouloit 
être  connu  et  articulé  par  son  nom,  et  au  moins  baiser  la  main,  puis- 
qu'on étoit  trop  haut  pour  pouvoir  être  baisé  au  visage...  Le  repas  se 
donna  dans  l'enclos  de  I\I.  Abauzi,  beau-frère  à  M.  Bouët,  près  de  l'aire 
de  Saint-Firmin.  Nous  étions  douze  à  table...  Actuellement  M.  le  baron 
de  Fontarèche,  qui  me  cherche  depuis  deux  jours   pour  me  donner  à 
manger,  fait  préparer  un  dîner  que  nous  devons  aller  prendre  sous  une 
treille,  auprès  d'une  fontaine,  au  milieu  de  l'enclos  de  Mademoiselle  Gau- 
tier, situé  près  de  la  croix  des  Pommiers,  aboutissant  au  chemin  de 
l'Escalettei. 

On  reproduit  à  dessein,  dans  leur  charmante  lamiliarilé,  les 
diHails  d'une  assemblée  où  les  protestants  j)nrent  cesser  de  se 
cioiie  proscrits,  et  donner  essor  aux  sentiments  les  plus  doux 
qu'il  soit  donné  à  l'homnie  d'éprouver  dans  son  double  atta- 
chement à  la  patrie  terrestre  et  à  celle  d'en  haut.  Ces  libres 
léunions,  qui  empruntaient  un  charme  de  plus  à  l'apaisement 
du  schisme  provoqué  par  le  ministre  Boyer,  et  à  l'heureuse 
icconciliation  de  tous  les  membres  de  la  famille  protestante-, 
continuèrent  après  le  départ  d'Antoine  Court,  retourné  à  Lau- 
sanne vers  la  fin  de  septembre  1744.  L'année  suivante  parut 


1.  LcUrc  à  madame  Courl.  Dulletin,  t.  XXVIl,  p.  75.  Je  rencontre  un  Bonnet 
mentionné  au  banquet  ([ui  suivit  cette  mémorable  assemblée  (p.  70). 

"i.  Ce  fut  l'œuvre  du  Synode  national  do  1744,  présidé  par  Antoine  Couit,  et 
c'est  dans  une  maison  voisine  de  la  Calmette,  au  mas  de  la  Bitarelle,  que  cet 
iieureux  accord  fut  conclu,  le  16  août.  Voir  Un  Journal  du  Désert,  dans  le  Bull., 
t.  XXXil,  p.  364,365.  Pour  détails,  lettres  de  Court  (Bull.,  t.  XXVII,  p.  72-75). 


l'église  réformée  de  la  calmette.  :!>9:^ 

continuer  sous  d'aussi  favorables  auspices.  La  victoire  do 
Foutenoy,  suivant  de  près  le  rétablissenienl  inespéré  de 
Louis  XV,  lui  célébrée  avec  des  iranspoi'ts  d'allégresse  par  les 
congrégations  du  Désert  (mai  1745),  moments  bien  rares  dans 
leurs  annales!  La  nature  et  l'iiomme  semblaient  unis  dans  une 
fête  commune.  Le  printemps  a  d'étranges  séductions  dans  ces 
régions  arides  où  il  dure  si  peu.  Du  sol  détrempé  par  de  fortes 
rosées  s'exhalent  d'enivrantes  senteurs.  L'asphodèle,  aimée 
des  anciens,  balance  ses  grappes  jaunes  au  sommet  de  ses 
longues  tiges;  les  cistes,  entremêlés  aux  buis,  étalent  leurs 
fleurs  blanches  et  roses;  le  rossignol  chante  le  réveil  de  la 
nature  et  le  Désert  s'épanouit  comme  un  Jardina 

A  l'époque  où  nous  sommes  parvenu,  vers  le  milieu  du 
xviii*  siècle,  la  seigneurie  de  la  Calmette,  successivement  pos- 
sédée par  les  familles  d'i\.ndré,  de  Brueys  et  d'Ardouin,  avait 
passé  en  d'autres  mains.  Jean  Mathieu,  procureur  à  Nîmes, 
épousa  en  premières  noces  (octobre  1645)  Catherine  Nouvelle. 
Il  en  eut  Etienne  Mathieu,  baptisé  le  A  mars  1647,  par  le  pas- 
leur  Osias  Darvieu,  avec  «  demoiselle  Réthéome  de  Daunant 
pour  marraine  ».  Cet  Etienne  Mathieu,  docteur  et  avocat  en 
1675,  marié  à  Madeleine  de  Cray,  puis  à  Susanne  d'Albenas, 
et  protestant  zélé  jusqu'à  la  Révocation,  nepersévéra  pas  dans 
la  foi  de  ses  pères;  son  abjuration  lui  valut,  avec  un  siège  au 
présidial,  une  partie  des  biens  de  sa  famille  réfugiée  en  Suisse. 
Son  fds  Jean-Louis  acquit  la  seigneurie  du  Mas-Blanc  et,  vers 
1713,  celle  de  la  Calmette,  érigée  plus  tard  en  marquisat,  et 
devint  un  personnage  important  dans  la  province.  De  ses  six 
tîls,  l'aîné,  Louis,  président  au  Parlement  de  Metz,  prit  le  titre 
de  marquis  de  la  Calmette,  tandis  que  le  second,  Charles,  lieu- 


1.  Paul  Rabaut  écrit  à  Antoine  Court  (juillet  1745)  :  «  Mes  assemblées  depuis 
quelque  temps  sont  fort  populeuses.  Dimanciie  deriiier  il  y  avait  bien  dix  mille 
âmes  sans  exagération.  » 

De  Lascours,  13  août  1745.  —  «  Nous  faisons  comme  l'été  dernier  des  assem- 
blées de  dix  à  douze  mille  âmes.  Puissions-nous  les  bientôt  faire  sans  crainte!  >■> 
Voir  pour  cette  époque  f//(  Journal  du  Di'serl  {Bull.  l.  XXXH,  p.  -ÎCi). 


29i  L'ÉGLISE  RÉFORMKF.   DF.   LA    CALMRTTK. 

tenant  général  des  armées  du  roi,  l'ut  marquis  do  Vallons,  On 
a  de  lui  d'assez  curieux  mémoires  ^ 

C'est  à  une  date  postérieure,  dans  la  seconde  moitié  du 
xviir  siècle,  que  les  familles  Fontarèche,  Trinquelague,  Vala- 
bris,  qui  avaient  traversé  sans  faiblir  l'orage  de  îa  révocation, 
et  si  longtemps  tenu  le  premier  rang  parmi  les  protestants 
d'Uzès,  rentrèrent  dans  le  giron  de  l'Église  catholique.  Ainsi 
se  réalisait,  dans  le  voisinage  de  la  Calmette,  ce  contraste 
remarqué  de  bonne  heure  entre  les  représentants  de  la  noblesse 
et  de  la  haute  bourgeoisie,  désertant  les  croyances  pater- 
nelles pour  avoir  part  aux  royales  faveurs,  et  les  pauvres,  les 
humbles,  aftrontant  la  persécution  pour  garder  la  foi  des  aïeux. 
Les  temps  redevenaient  sombres,  et  le  faible  rayon  de  tolé- 
rance qu'on  avait  vu  briller  quelques  instants  sur  les  congré- 
gations du  Désert  fut  suivi  d'un  orage  dont  les  derniers  éclats 
retentii'ent  en  17G2.  C'est  dans  cette  triste  période,  marquée 
par  les  martyres  de  Mathieu  Majal,  de  Bénézet,  de  Teissier,  et 
par  une  recrudescence  dans  l'enlèvement  des  enfants  restitués 
de  force  au  baptême  catholique,  que  viennent  se  placer  divers 
épisodes  dont  la  place  est  marquée  dans  nos  récits. 

Sur  la  route  de  la  Calmette  à  Gajan,  dans  un  pli  de  terrain 
ombreux  arrosé  par  un  ruisseau-  qui  se  jette  dans  la  Braûne, 
sous  le  mas  de  Comte,  on  rencontre  la  ferme  de  la  Rialle,  ap- 
partenant jadis  à  un  officier  de  police  du  nom  de  Lefèvre,  fils 
d'un  zélé  persécuteur  des  Camisards,  et  digne  de  son  père  par 
l'acharnement  avec  lequel  il  poursuivait  les  pasteurs  et  dénon- 
çait les  assemblées  du  Désert.  Ce  Lefèvre  avait  plus  d'une  fois 
reçu  le  prix  de  ses  honteux  services  et  attiré  sur  lui  bien  des 
haines.  On  se  détournait  avec  terreur  ou  mépris  sur  son  pas- 


1.  Noies  généalogiques  sur  la  l'amillo  Malliicn,  fomuniniqni'-cs  par  M.  Ch. 
Sagnier.  Lors  de  réreclion  de  la  seigneurie  de  la  Calmette  en  marquisat  (ITG-i), 
la  famille  Mathieu  obtint  d'échanger  son  nom  contre  celui  de  Matheï,  noble 
l'amille  bourguignonne  dont  elle  prétendait  descendre  (De  la  Roque.  Armoriai 
du  Languedoc). 

2.  La  Tourrassclie. 


l'église  réformer  de  la  calmette.  29.'. 

sage.  Dans  la  nuit  du  11  juin  1751 ,  on  le  trouva  mort  dans  son 
lit,  percé  de  coups  de  couteau  par  une  main  sûre,  et  l'enquête 
à  laquelle  ce  crime  donna  lieu  ne  put  en  révéler  l'auteur*.  Les 
habitants  des  villages  voisins  n'en  furent  pas  moins  cruelle- 
ment molestés,  et  les  poursuites  dirigées  contre  les  assemblées 
redoublèrent  de  rigueur.  Le  froid  extraordinaire  qui  régna 
dans  l'hiver  delTS-i  rendit  ces  assemblées  bien  difficiles.  Il  en 
est  deux  pourtant  que  doit  revendiquer  l'Eglise  de  la  Calmette  : 

Le  premier  raay  de  l'année  1754,  il  se  tint  une  assemblée  à  environ 
trois  quarts  de  lieue  de  Saint-Geniès.  Un  détachement  de  cette  garnison 
du  régiment  de  Briqueville  s'achemina  vers  ladite  assemblée  avec  tant 
de  vitesse  qu'à  peine  le  peuple  averti  de  cela  eut  le  temps  d'échapper  à 
la  main  des  soldats;  on  s'en  garantit  pourtant  par  l'extrême  diligence  et 
les  violents  efforts  que  chacun  faisoit  pour  ne  pas  tomber  dans  le  péril 
dont  il  étoit  menacé.  Peu  contents  d'avoir  dissipé  et  mis  en  fuite  ces 
pauvres  brebis  qui  paissoient  sous  la  houlette  de  leur  pasteur,  ces  indignes 
soldats  les  poursuivirent  quelques  centaines  de  pas  pour  les  prendre; 
mais,  voyant  qu'ils  ne  pouvoient  les  arrêter  avec  la  main,  ils  prirent  le 
parti  de  le  faire  à  coups  de  fusil.  Quatre  ou  cinq  furent  tirés  sans  doute 
à  ce  dessein,  et  quoique  les  balles  tombassent  parmi  les  fuyards,  elles 
ne  tirent  pourtant  de  mal  à  personne.  //  n'y  eut  pas  la  moindre  ombre 
de  résistance.  Chacun  se  retira  avec  le  cœur  chagrin  et  affligé  de  se  voir 
traité  si  rigoureusement  par  des  frères  pour  n'avoir  fait  d'autre  crime 
que  celui  de  servir  et  de  prier  Dieu  selon  les  sentiments  de  sa  conscience. 

11  arriva  quelque  chose  d'approchant  aune  autre  assemblée  qui  se  faisoit 
à  environ  demi-lieue  de  la  Calmette,  au-dessus  de  Dions,  le  16  février 
1755,  avec  cette  différence  qu'à  celle-ci  les  suites  furent  plus  funestes 
aux  protestants.  Voici  le  fait.  Plus  de  mille  personnes  étoient  déjà  sur 

1.  Rien  ne  fut  prouvé  quand  à  la  cause  de  ce  tragique  événement,  le  secré- 
taire d'État,  Saint-Florentin,  écrivait  :  «  J'ai  vu  plus  d'une  fois  les  curés  attribuer 
aux  protestants  les  accidents  qui  arrivaient  aux  catholiques;  cependant  la  chose 
mérite  d'être  vérifiée,  et  il  est  important  qu'il  y  ait  un  exemple  si  les  services 
rendus  par  le  sieur  Lefèvre  lui  ont  attiré  ce  malheur.  )>  Lettre  du  9  juin  1751, 
citée  par  Ch.  Coquerel,  Histoire  des  Eglises  du  Désert,  t.  Il,  p.  41. 

Voir  aussi  le  Journal  de  Paul  Rabaut.  Le  2  juillet  1751,  quelqiies  jours  après 
l'assassinat  de  Lefèvre,  il  prêche  à  la  Calmette  (Bull.,  t.  XXVII,  p.  118).  L'as- 
semblée du  1"'  aoiit  interrompue  par  un  détachement.  Nombreux  prisonniers 
d'Uzès,  de  Saint-Maurice,  de  Moussac,  de  la  Rouviére.  Fortes  amendes  pronon- 
cées pour  enfants  baptisés  au  Désert. 


29(i  LÉGLISE  RÉFOKMÉE    DE   LA   CALMETTE. 

le  lieu  occupées  à  chanter  les  louanges  de  Dieu  lorsqu'on  aperçut  un 
détachement  considérable  qui  gagnoit  de  leur  côlé.  On  n'eut  pas  plutôt 
pensé  à  la  roule  qu'il  falloit  prendre  pour  se  dérober  à  sa  vue,  qu'une 
espèce  d'avant-garde  de  cinq  à  six  soldats,  qui  s'étoient  traînés  de  fossé 
en  fossé,  se  trouva,  presque  sans  qu'on  s'en  fût  aperçu,  sur  la  place,  et 
ayant  découvert  quelques  personnes  qui  s'y  rendoient,  leur  lâcha  trois 
coups  de  fusil,  desquels  une  femme  reçut  deux  balles  dans  la  cuisse. 
Quelques  momens  après,  divers  autres  coups  de  fusil  furent  tirés  par 
d'autres  soldats,  qui  s'étaient  saisi  du  bateau  de  Dions,  sur  ceux  qui 
croyoientde  s'en  servir  pour  fuir  devant  leurs  ennemis.  Plusieurs  furent 
arrêtés  par  ces  premiers  détachemenis,  et  d'autres  le  furent  le  soir  par 
de  nouvelles  troupes  que  les  premières  avaient  appelées  comme  pour 
renfort.  Le  nombre  des  prisonniers  fut  de  22  personnes,  hommes  ou 
femmes,  filles,  jeunes  hommes  ou  enfans.  L'un  d'entre  eux,  ayant  avoué 
quil  venait  de  prier  Dieu,  fut  condamné  aux  galères  perpétuelles 
environ  deux  mois  après  sa  détention.  Un  autre  a  été  détenu  plus  d'une 
année  au  fort.  D'autres  en  sortirent  à  condition  qu'ils  prendraient  du  ser- 
vice. Les  autres  furent  délivrés  en  feignant  qu'ils  ne  venaient  pas  d'in- 
voquer le  nom  du  Seigneur.  Cette  assemblée,  au  reste,  n'en  fut  pas 
quitte  pour  cela.  Du  moins,  l'arrondissement  où  elle  se  tint,  qui  est  com- 
posé de  trois  à  quatre  petits  villages,  fut  condamné  à  une  amende  qui, 
frais  ou  tout,  se  porta  à  douze  cent  cinquante  et  quelques  livres. 

Les  mêmes  faits  sont  racontés  dans  une  lettre  de  Paul 
Rabautà  Antoine  Court,  en  ces  termes  : 

7  iiiius   175Ô. 

.Je  ne  sais  si  vous  avez  appris  le  fâcheux  événement  arrivé  ici  le  16  du 
mois  dernier.  Le  jour  susdit,  M.  Vincent,  proposant,  ayant  convoqué  une 
assemblée  entre  Dions  et  Russan,  elle  fut  dissipée  par  le  détachement 
de  la  Calmette*,  la  Rouvière,  Saint-Geniès,  Fons  et  Sauzet,  qui  arrètèreni 
22  prisonniers,  lesquels  furent  traduits  peu  à  peu  dans  la  citadelle  de 
Nîmes.  Il  y  en  avait  13  de  Dions,  3  de  la  Rouvière,  1  de  Saint-Geniès  et 
i  de  Moussac,  à  la  réserve  de  M.  Béchard,  tailleur-,  (jui  s'éloit  retiré 
tiepuis  (juelqucs  années  à  Saint-Geniès,  et  qui  s'est  toujours  distingué 
par  son  zèle,  et  d'un  nommé  Fromental,  du  lieu  de   Moussac.  Bien  des 

I.  Il  n'est  pas  iiiditïérent  de  remarquer  la  présence  à  la  Calmelte  d'un  déta- 
chement chargé  de  surveiller  les  assemblées  du  Désert. 
'2.  Originaire  de  la  Calmelte. 
lî.  Fromental    fut   retenu  un   an   en  prison,  Béchard,  condamné  avix   galères 


l'église  réformée  de  la  CALMETTE.  !297 

gens  craignent  que  ce  ne  soient  deux  victimes^;  d'autres  espèrent  qu'ils 
en  seront  quittes  pour  quelques  jours  de  prison.  Cet  événement  fait 
augurer  que  les  ordres  ne  sont  pas  aussi  rigoureux  qu'ils  l'étoionl,  et 
(|ue  notre  sort  est  sur  le  point  de  s'adoucir.  Puisse  se  vérifier  un  si  favo- 
rable présage  ! 

Le  jour  de  la  susdite  capture,  j'avais  assemblé  pour  celte  église,  à  une 
demy-lieue  de  l'endroit  où  se  devait  tenir  rassemblée'^,  etj'avois  au 
moins  deux  mille  auditeurs.  Heureusement  il  ne  sortit  point  de  détache- 
ment de  Nîmes,  car  s'il  y  en  eût  eu  quelqu'un  en  campagne,  le  nombre 
des  prisonniers  auroit  été  beaucoup   plus  grand  selon  les  apparences-. 

On  lit  enfin  dans  une  leltre  du  pasteui^  Pradel-Vernezobi'e, 
d'Uzès,  sui^  le  même  sujet  : 

24  février  1755. 

...  Le  16  du  courant,  on  vit  arriver  des  événements  bien  fâcheux  du 
côté  de  Dions.  Plusieurs  détachemens  ayant  surpris  une  assemblée  con- 
voquée par  notre  proposant  Vincent,  firent  sur  elle  20  ou  21  prisonniers, 
qui  furent  traduits  à  Nîmes,  tuèrent  une  fille  qui  fut  enterrée  secrète- 
ment, et  blessèrent  une  femme  qui  eut  le  bonheur  de  se  sauver^. 

Le  16  février  1755  était  un  dimanche.  L'impression  produite 

perpétuelles,  fut  libéré  bientôt  après  sur  les  instances  de  la  mart^rave  de  Bai- 
reuth,  sœur  du  grand  Frédéric. 

1.  Très  probablement  à  la  fontaine  des  Mourgues,  lieu  déjà  cité,  p.  252. 

2.  Lettre  de  Paul  Rahaut  communiquée  par  M.  Cli.  Dardier. 

3.  Je  complète  ces  détails  par  le  résumé  de  l'arrêt  qui  fut  rendu  à  Montpel- 
lier le  15  mars  1755. 

M  Assemblée  tenue  le  16  février  1755  au  quartier  appelé  Vallon  du  Pouteil. 
terrain  de  Dions. 

«  Pierre  Béchard,  tailleur  d'habits,  de  Saint-Geniès  de  Malgoires,  est  con- 
damné aux  galères  à  vie,  ses  biens  confisqués,  distraction  laite  du  tiers  poiu- 
ses  enfants,  les  frais  pour  le  conduire  aux  galères  à  sa  charge. 

«  Les  habitants  nouveaux  convertis  de  la  Calmette,  la  Bouvière,  (lajan  et 
Dions  sont  condamnés  à  500  livres  d'amende,  plus  789  livres,  4  sols,  9  deniers 
pour  les  frais.  « 

Le  vallon  du  Ponteil  que  j'ai  visité  avec  mon  jeune  parent,  M.  Audemard- 
Peyer,  est  situé  dans  la  garrigue  au-dessus  de  Dions  et  se  compose  d'une 
série  de  petits  vallons  boisés,  ayant  comme  perspective  le  pic  de  Bouquet. 
Le  ruisseau  presque  toujours  à  sec,  qui  descend  vers  Chailot,  est  sans  doute 
un  des  fossés  par  lesquels  se  fflissèr<>nt  b's  troupes,  d'après  la  rejaliun  du  pro- 
posant Vincenl. 


29H  l'église  réformée  de  la  calmette. 

par  la  fusillade  de  Dions  fut  telle,  que  les  protestants  de  Nîmes 
célébrèrent  un  jeûne  solennel  dans  leurs  maisons*.  Le  propo- 
sant Paul  Vincent,  qui  présidait  l'assemblée  si  malheureuse- 
ment interrompue,  et  qui  en  était  à  ses  débuts,  devint  le  chef 
d'une  famille  pastorale  et  fut  l'aïeul  de  Samuel  Vincent,  une 
des  gloires  du  protestantisme  français. 

Six  ans  étaient  à  peine  écoulés  quand  une  double  catastrophe, 
qui  montre  les  sentiments  les  plus  purs  égarés  jusqu'au  fana- 
tisme, mit  deux  fois  en  deuil  une  des  plus  honorables  familles 
du  pays.  Les  détails  manquent  sur  le  drame  domestique  qui 
marqua  d'une  tache  de  sang  les  châteaux  de  la  Rouvière  et 
d'Aubussargues.  On  se  borne  à  en  reproduire  la  relation  offi- 
cielle, telle  que  l'ont  conservée  les  archives  de  l'intendance  de 
l'Hérault,  où  notre  ami,  M.  Gh,  Sagnier,  explorateur  aussi 
heureux  qu'habile,  en  a  pris  copie. 

Lettre  du  subdélégué  Chamhon,  d'Uzès, 
à   r intendant   de  Languedoc,    à    Montpellier. 

A  Uzès  le  lit  janvier  17(j1. 
A  garder.) 

Monseigneur, 

Vous  apprendrez  avec  étonnement  que  la  fille  aînéo  du  sieur  Chambon 
de  la  Rouvière,  fiancée  au  sieur  liodier  d'Anduze,  s'est  défaite  (sic)  d'un 
coup  de  pistolet  dans  la  tète,  à  cause  que  son  père  exigeoit  qu'elle  se 
mariât  à  l'Église,  en  quoy  elle  a  suivi  l'exemple  de  sa  cadette,  qui,  pour 
le  même  motif,  se  porta  à  cet  excès  de  fureur,  il  y  a  environ  un  mois, 
dans  le  château  d'Aubussargues,  en  se  poignardant  sans  qu'on  s'en 
npperçût. 

J'ai  l'honneur  d'être,  avec  un  profond  respecl,  Monseigneur,  voire  très 
hunil)l(^  et  bien  obéissant  serviteur. 

ClIAMBON. 

1.  On  lit  dans  le  Journal  de  Paul  Rabant  :  ^  Le  dimanche  2"  de  mars,  jour 
jeune,  il  n'y  eut  point  d'assemblée  à  Nîmes  parce  qu'on  mit  trois  détachements 
en  eampagne.  Les  fidèles  célébrèrent  le  jeûne  dans  leurs  maisons,  et  nous  le 
célébrâmes  au  Désert  le  dimanche  suivant,  a"  du  susdit  mois  »  (/?«//.  t.  XXVII, 
p.  174). 


l'égusf.  réformée  de  la  calmette.  299 

Copie  (le  la  lettre  de  Vintendant  de  Languedoc 
au  ministre  Saint-Florentin. 

Monsieur, 

J'ai  l'honneur  de  vous  informer  d'un  accident  affreux,  arrivé  par  un 
excès  de  fanatisme.  La  fdle  du  sieur  Chaml)on  de  la  Rouvière,  fiancée 
au  sieur  Rodier  d'Anduse,  et  qui  professait  ainsi  que  sa  famille  la  reli- 
gion protestante,  s'est  l)riàlé  la  cervelle  d'un  coup  de  pistolet,  parce  que 
son  père  voulait  la  déterminer  à  épouser  à  l'Église,  et  sa  sœur  cadette 
s'est  poignardée  peu  de  temps  auparavant,  pour  un  motif  semblable. 

J'ai  l'honneur  d'être* 

La  catastrophe  de  la  Rouvièi^e,  contemporaine  des  procès  de 
Rochette  et  de  Calas,  dernièi^e  explosion  du  fanatisme  toidoii- 
sain,  qui  devait  provoquer  l'éloquente  pi^otestation  de  Voltaire, 
marqua  du  moins  le  terme  de  la  période  militante  pour  l'Eglise 
de  la  Calmette,  qui  ne  tarda  pas  à  ressentir  le  souffle  de  l'es- 
pi^it  nouveau,  présage  de  meilleurs  jours.  Je  dois  me  borner 
ici  à  retracer  les  principaux  faits  de  cette  dernière  période  de 
l'histoire  d'une  paroisse  des  champs  qui  se  confond,  pour  ainsi 
dire,  avec  mes  humbles  annales  doiTiestiques.  Depuis  la  con- 
damnation de  Claude  Bonnet,  consul  de  la  Calmette,  et  la  con- 
fiscation de  ses  biens,  ses  descendants  demandaient  au  fer- 
mage pratiqué  avec  succès  les  ressources  qu'ils  ne  trouvaient 
plus  dans  la  culture  du  domaine  paternel  injustement  ravi. 

1.  Arch.  de  l'intendance  de  rHérault.  G.  448. 

Voici  l'acte  de  baptême  d'une  des  deux  malheureuses  sœurs  : 

L'an  mil  sept  cens  trante  huit  et  le  quatorzième  jour  du  mois  de  juin  a  été 
baptisée  demoiselle  Catherine-Emilie  Chambon  de  la  Rouvière,  fdle  légitime  et 
naturelle  de  monsieur  André  Cliambon,  seigneur  de  Saint-Étienne  des  Sernian- 
tins  et  de  la  Rouvière,  et  dame  Françoise  Plantier,  née  le  dixième  de  ce  mois; 
a  été  son  parrain  Messire  Louis  Devèze,  prêtre  prieur  de  Castelnau,  la  marraine 
Catherine  Chambon,  épouse  de  monsieur  d'Aubessargues,  en  l'absence  de  qui 
demoiselle  Jeanne  Mathieu,  veuve  de  M"  Plantier  viguier  de  Saint-Genis,  a 
tenu  ladite  fille  sur  les  fonds,  en  présence  de  Mr<-  Denis  de  Raudan  Cabane, 
prêtre,  et  de  S''  Antoine  Crept,  régent  des  écoles,  par  nous  curé  soussigné. 

Ghambon  de  Saint-Étienne,  Devèze,  Baudan,  Crept,  Calmets,  curé,  -igné. 

Extrait  de  l'état  civil  de  la  Rouvière. 


300  l'église  réformée  de  la  CALMETTE. 

On  li'ouve  un  André  Bonnel,  l'ermier  de  Mme  Fiilvie  de  La 
Fare,  comtesse  de  Brison,  pour  la  métairie  de  Servas,  qui 
offrit  de  tout  temps  un  sur  asile  inw  pasteurs  du  Désert,  L'ar- 
rière-petit-fds  du  relaps,  le  petit-neveu  du  camisard,  pul  ainsi 
exercer  plus  d'une  fois  l'hospitalité  envers  ses  coreligionnaires 
proscrits,  et  priei-  avec  eux.  Il  mourut  le  23  mars  1756,  et  j'ai 
sous  les  yeux  le  permis  d'inhumation  conforme  aux  règles 
fixées  par  l'article  13  de  la  déclaration  royale  du  î)  avril  1736  : 

Extrait  dit  ref/islre  de  police  de  la  maison  consulaire 
de  la  ville  de  Nîmes. 

Du  mercredy  vingt-quatrième  mars  mil  sept  cent  cinquante-six,  par 
devant  nous  Pierre  Bouvière,  de  Liions,  président,  juge  mage,  lieutenant- 
général  en  la  sénéchaussée  et  siège  présidial  de  la  ville  de  Nismes,  lieu- 
tenant-général de  police  et  maire; 

Sur  la  requête  à  nous  présentée  par  François  Bonnet,  rentier  de  la 
métairie  de  Servas,  terroir  de  cette  ville,  contenant  que  André  Bonnet, 
sou  père,  est  décédé  depuis  le  jourd'huy,  sur  les  six  heures  du  soir,  dans 
ladite  metterie,  âgé  d'environ  soixante  ans.  Et,  comme  aux  termes  de  la 
déclaration  du  Roy  du  9*  avril  1736,  art.  13,  ceux  auxquels  la  sépulture 
ecclésiastique  n'est  pas  accordée  ne  peuvent  être  inhumés  qu'en  vertu 
de  nostre  ordonnance  rendue  sur  les  conclusions  du  procureur  du  Boy, 
il  vous  plaise  lui  permettre  de  faire  inhumer  ledit  André  Bonnet,  son  père. 

Veu  ladite  requeste,  nostre  ordonnance  soit  montré  et  les  conclusions 
du  procureur  du  Boy  de  police,  le  tout  de  ce  jourd'huy,  après  avoir  ouy 
les  nommés  Claude  Boussel  et  Antoine  Périnal,  vallets  de  ville,  qui  nous 
ont  affirmé  par  serment  avoir  veu  le  cadavre  qu'ils  ont  reconnu  estre 
celluy  dudit  André  Bonnet; 

Avons  permis  au  suppliant  de  faire  inliumer  ledit  Andr(''  Bonnet,  son 
père,  décédé  depuis  le  jour  d'hier,  sur  les  six  heures  du  soir,  âgé  d'en- 
viron soixante  ans,  et  ce,  en  conformité  de  la  déclaration  du  Boy,  du 
9  avril  1730,  art.  13...  Donné  à  Nisnies,  le  susdit  mois,  jour  el  an  que 
dessus.  Dions;  Cassan;  greffier,  signé.  Collationné  à  l'original. 

Cassan,  prestre^ 

Ce  permis  d'inhumation,  suppléant  sur  un  point  à  l'absence 

I.  Original.  Papiers  di-  friiiiille. 


l'église   REFORMEE   DE   LA   CALMETTC.  MOI 

d'état  civil  pour  les  victimes  de  l'odieuse  législation  du  temps, 
était  un  premier  pas  dans  la  voie  de  réparation  des  iniquités 
séculaires  dont  Tancienne  monarchie  ne  répudia  que  bien 
imparfaitement  Théritage.  Les  réformés  n'avaient  pas  encore 
droit  de  vivre;  mais  ils  pouvaient  impunément  naître  et  mou- 
rir! Sous  la  protection  des  formules  qu'on  vient  de  lire,  nos 
pères  obtenaient  du  moins  la  sécurité  du  dernier  repos  sur 
une  terre  enrichie  par  leur  constant  labeur,  mais  où  rien  ne 
devait  marquer  leur  place.  Une  bergerie,  à  l'entrée  de  la  Cal- 
mette,  où  furent  accumulées  les  sépultures  de  plusieurs  gé- 
nérations, tel  est  l'humble  monument  où  j'appris  à  vénérer, 
dans  mon  enfance,  la  mémoire  de  ceux  qui  nous  ont  précédés 
dans  les  luttes  de  la  vie  et  dans  l'inviolable  attachement  au 
devoir. 

Un  souvenir  respectueux  est  dû  aux  pasteurs  qui  les  gui- 
dèrent dans  le  bon  combat  de  la  foi,  sur  le  déclin  du  siècle  de 
Voltaire  et  de  Rousseau.  L'église  de  la  tlalmette,  alors  unie  à 
celle  de  Saint-Geniès',  s'honore  d'avoir  eu  pour  conducteur 
Jean-Pierre  Guizot,  aïeul  de  l'historien  et  de  l'homme  d'État 
illustre,  dont  la  gloire  est  pour  notre  société  comme  un  pa- 
Irirnoine  domestique.  Présenté  au  Synode  national  des  Églises 
léformées  de  France,  et  consacré  au  saint  ministère  le  8  avril 
1756,  Jean  Guizot  déploya  dans  l'exercice  de  ses  fonctions  un 
zèle  et  une  activité  qui  abrégèrent  sa  vie.  Le  Synode  provincial, 
l'éuni  le  16  avril  1766,  rendit  un  bel  hommage  à  sa  mémoire. 
On  y  lit,  en  effet,  article  8  :  (>  Les  pasteurs  qui  assistèrent  aux 
dernières  heures  de  feu  M,  Guizot,  ayant  exposé  que  ce  pasteur 
digne  de  mémoire  leur  avait  recommandé  sa  femme  et  ses 
enfants,  les  priant  de  les  recommander  à  la  présente  assemblée, 
tous  ses  membres,  après  avoir  témoigné  les  plus  vifs  i-egrets  de 
la  perte  de  cet  excellent  serviteur  de  Dieu,  ont  arrêté  de  mettre 
sa  famille  sous  la  protection  de  la  province,  et  lui  ont  lixé  une 
pension  annuelle  de  deux  cent  cinquante  livres-  ». 

1.  Synodes  provinciaux.  Archives  du  Consistoire  de  Nîmes. 

2.  Bulletin,  t.  IX,  p.  456.  La  Bibliothèque  du  protestantisme  français  possède 


302  l'église  réformée  de  la  calmette. 

Jean  Guizot  eut  pour  successeur  Pierre  Encontre,  chef  d'une 
famille  distinguée  dans  les  sciences  et  les  lettres,  qui  exerça  le 
ministère  à  Saint-Geniès  durant  plus  de  quinze  ans.  C'est  de 
lui  que  mon  aïeul,  André  Bonnet,  héritant  d'une  charge  pres- 
que héréditaire  dans  la  famille,  rerut  le  mandat  suivant  : 

Les  pasteurs  et  les  unciens  des  églises  de  Saint-Geniès  et  la  Calmette 
assemblés  en  consistoire  général,  le  9  février  1778,  après  avoir  invoqué 
le  saint  nom  de  Dieu,  ont  arrêté  ce  qui  suit  : 

1°  A  été  élu,  à  la   pluralité   des  suffrages,  M.  Bonnet,   ancien,  pour 
assister  au  colloque  prochain,  et  M.  Béchard,  aussi  ancien,  pour  substitut. 
Ainsi  conclu  et  arrosté  le  même  jour  et  an  que  dessus. 

Encontre,  pasteur; 
Bouvier,  ancien  et  secrétaire*. 

C'est  à  cette  période  ecclésiastique,  qui  ne  fut  pas  sans 
troubles,  si  l'on  en  juge  par  divers  extraits,  ni  peut-être  sans 
quelques  défaillances  morales-,  que  se  rapportent  les  austères 
instructions  données  par  le  Synode  de  1769  et  renouvelées  par 
les  synodes  suivants  : 

Les  pasteurs  et  anciens  qui  composent  la  présente  assemblée,  vivement 
pénétrés  de  douleur  en  voyant  que  la  corruption  se  répand  avec  tant  de 
progrés  dans  les  Églises,  craignant  de  ne  pas  s'y  être  opposés  avec  assez 
de  chaleur  par  leur  empressement  à  instruire,  à  reprendre,  à  édifier, 
sentant  cependant  de  quelle  importance  il  est  que  les  chefs  de  l'Église  en 
soient  les  flambeaux,  enflammés  du  zèle  de  la  maison  de  Dieu,  se  sont 
engagés  solennellement,  comme  étant  en  la  présence  do  Dieu  dont  l'Église 
leur  est  confiée,  à  faire  tout  ce  qui  est  en  leur  pouvoir  pour  enseigner, 
pour  reprendre,  |)our  censurer  et  pour  être  en  bon  exemple.  Et,  pour 
commencer,  ils  exhortent  les  pères  et  mères  à  élever  leurs  enfants  dans 
la  discipline  et  la  crainte  du  Seigneur,  à  se  fournir  de  bons  livres  pour 

un  sermon  autographe   et  plusieurs  lettres  du  digne  pasteur  dont  M.  Pierre  de 
Witt,  son  arrière  petit-lils,  nous  dira  l'iiisloire. 

1.  Papiers  de  l'aniilie. 

2.  Je  fais  ici  allusion  à  une  tentative  faite  par  le  pasteur  Roux  pour  séparer 
de  Saint-Geniès  les  deux  annexes  de  la  Calmette  et  de  Dions,  tentative  réprimée 
par  le  synode  provincial  de  177!».  Voir  les  pièces  à  ra|ipendice,  ainsi  qm  la 
liste  arrêtée  pour  les  prédications  de  177'.t-1780. 


l'église  réformée  de  la  calmette,  303 

réussir  dans  ce  pieux  dessein,  comme  aussi  à  les  édifier  par  leur  bonne 
conduite,  exhortant  les  jeunes  gens  cà  être  dociles  et  profiter  des  instruc- 
tions de  leurs  parents,  ainsi  que  de  celles  de  leurs  pasteurs;  enjoignant, 
de  plus,  aux  chefs  de  famille  de  ne  pas  borner  leur  dévotion  au  culte 
public,  mais  encore  d'observer  le  culte  domestique,  surtout  le  dimanche, 
après  avoir  assisté  aux  assemblées  religieuscsi... 

Pierre  Enconlre  eul  pour  successeur  à  laCalinelle  le  ministre 
Theyron,  qui  avait  été  son  collaborateur  dans  les  disti^icts  de 
Montpellier  et  deBédarieuxavantde  i^ecevoir  vocation  de  l'église 
d'Uzès,  où  il  exerça  la  plus  pure  influence  :  «  M.  le  pasteur 
Theyron,  ayant  été  demandé  par  les  mêmes  églises  qu'il  des- 
servait l'année  dernière,  son  attachement  pour  elles  l'aurait 
porté  volontiers  à  leur  consacrer  de  nouveau  ses  services,  mais 
les  instances  qui  lui  ont  été  faites  par  les  députés  de  l'Eglise 
d'Uzès,  r  espérance  que  son  ministère  contribuer  a,  selon  toutes 
les  apparences,  à  rétablir  clans  ladite  Église  V harmonie  et  la 
paix,  l'ont  porté  à  acquiescer  au  désir  de  ces  députés,  ce  que 
l'assemblée  a  vu  et  confirmé  avec  plaisir'-.  » 

Le  témoignage  rendu  quatre  ans  après  au  ministre  Theyron 
par  l'Église  d'Uzès  «  qu'il  avait  édifiée  par  sa  conduite  et  ses 
discours^  »,  montre  combien  il  était  digne  de  continuer  l'œuvre 
d'Encontre  à  Sainl-Geniès  et  à  la  Calmette.  C'est  de  la  main  de 
ce  digne  pasteur  que  sont  signés  la  plupart  des  actes  pastoraux 
concernant  ma  famille,  actes  de  baptême,  de  mariage  et  de 
décès,  joies  et  deuils  dans  lesquels  se  résume  le  terrestre 
pèlerinage.  L'ôdit  réparateur  de  1787,  accordant  l'État  civil 
aux  protestants,  inaugurait  une  ère  nouvelle,  que  devait  con- 
sacrer la  proclamation  du  grand  principe  de  la  liberté  des  cultes 
par  l'Assemblée  nationale.  Heureuse  la  France  sî  ces  droits 

1.  Actes  du  synode  du  Bas-Languedoc  couvoiiuii  par  le  colloque  de  Montpel- 
lier et  assemblé  au  Désert  le  11  mai  1773. 

Assistant  pour  les  Églises  de  Saint-Gcniès  et  la  Calmette  M.  le  pastciu-  encontre 
avec  un  député  (Archives  du  Consistoire  de  Nîmes). 

-2.  Synode  de  1766  (Bibl.  du  Prot.  français). 

:j.  Synode  de  1770  (Ibidem). 


304.  L'Ér.LISF,    HKKUUMEE    DE    LA    CALMETTE. 

sacrés,  si  (Jouloureusemcnt  acquis  par  la  fidélité  ikà  iiuyiic- 
nols,  n'eussent  reçu  aux  jours  de  la  Terreur  un  nouveau  bap- 
tême de  sang  et  de  larmes  ! 

Me  voici  parvenu  au  terme  d'une  étude  qui  embrasse  près 
de  trois  siècles,  et  montre  les  destinées  d'une  Eglise,  d'une 
l'amillc,  dans  l'histoire  générale  de  notre  pays  entre  ces  deux 
grandes  dates  :  Réforme  et  Révolution.  Je  m'arrête  sur  le  seuil 
d'un  autre  siècle  qui  n'a  pas  dit  son  dernier  mot.  L'avouerai- 
je  eu  linissant?  Je  n'ai  pu  écrire  sans  émotion  ces  pages  toutes 
pénétrées  de  la  piété  des  souvenirs.  Je  me  suis  revu  enfant, 
assistant  aux  assemblées  populaires  qui,  en  l'absence  de  tem- 
ples, rappelaient  encore  aux  congrégations  de  la  (^almette  et 
de  Saint-Geniès  le  régime  des  Eglises  du  Désert.  J'ai  revu  des 
lieux  toujours  aimés,  des  ligures  chéries,  une  aïeule  vénérée 
qui  fut  une  sainte,  et  j'ai  demandé  à  Dieu  de  remplir  les  géné- 
rations nouvelles  de  l'esprit  de  ferveur  qui  anima  nos  pères, 
et  qui  survivait  encore  dans  les  derniers  témoins  d'um»  époque 
dont  Rabaut  Saint-Etienne  se  souvint  itvec  une  juste  tierté 
(juand  il  prononça  ces  mots  à  la  liibune  nationale  :  Je  stiis  le 
représenlanl  d'un  grand  peuple  ' .' 

Jules  Bonnet. 


I.  Iliill.,  l.  \\Xl,|i.  30(1.  On  nisf.rvc,  (lour  le  tirage  ;i  pari  de  celle  élude,  (iii 
appendice  <'onlenaiit  un  certain  nonibre  de  pièces  jnstilu'atives,  avec  nue  carie 
de  la  Calniclte  et  des  environs. 


DOCUMENTS 


LE  PROTESTANTISME  A  ISSOUDUN 

1568 


Cliàteauroux,  le  <j  juin  1881. 


Monsieur, 


Puisque  le  Bulletin  n"a  rien  pu])lié  sur  Issoudun,  je  vous  envoie  un 
document  qui  m'a  paru  intéressant.  Je  l'ai  pris  dans  un  livre  ayant 
pour  titre  :  Recherches  historiques  et  archéologiques  sur  la  ville  cfls- 
sourfwn,  par  Armand  Perémé  (1847).  L'auteur  dit  que  cet  acte  est  conservé 
à  la  mairie  d'Issoudun  ;  mais  je  n'ai  pas  pu  me  procurer  l'original. 

Le  livre  de  M.  Perémé  est  peu  connu,  et  cette  pièce  peut  être  consi- 
dérée comme  inédite  à  l'égard  du  Bulletin. 

Il  n'y  a  pas  de  date,  mais  cela  remonte  évidemment  aux  premiers  mois 
de  1568,  puisque  la  réponse  du  roi,  qui  est  en  marge,  porte  mai  1568. 

Vous  savez  mieux  que  moi  que  la  ville  d'Issoudun  fut,  au  xvi*  siècle, 
en  majorité  protestante,  et  que,  à  l'époque  où  a  été  écrit  le  document 
que  je  vous  transmets,  les  deux  partis  catholique  et  protestant,  après 
des  luttes  violentes,  étaient  de  forces  à  peu  près  égales  *. 

Le  seigneur  de  Sarzay,  dont  il  est  question,  était  Charles  de  Barban- 
çois,  qui  joua  un  grand  rôle  dans  toutes  ces  affaires. 

Agréez,  Monsieur,  mes  sentiments  les  plus  dévoués. 

EuG.  Trigant-Geneste. 

1.  La  Réforme  fut  luèchéc  de  bonne  heure  à  Issoudun  par  un  cordelier,  Abcl 
Poupin,  qui  devint  pasteur  de  Genève.  L'Église  y  fut  dressée,  en  1556,  par  Si- 
mon Brossier,  et  fit  de  rapides  progrès.  Elle  eut  quelque  temps  pour  pasteur 
Spifame  de  Passy,  l'ancien  évoque  de  Nevers.  Voir  la  nouvelle  édition  de  Vllist. 
eccl,  de  Th.  de  Bèze,  t.  I,  p.  83,  126,  339,  842.  (Réd.) 

XXXII 1.  —  20 


306  LE  PROTESTANTISME    A   ISSOUDUN. 


ARTICLES  ET  REMONTRANCES  ET  TRES  HUMBLES  REQUESTES  QUE  FONT  AU 
ROY  LES  MANANS  CATHOLIQUES  DE  LA  VILLE  ET  CHASTEL  d'YSSOULDUN, 
SECONDE  DU  DUCHÉ  DE  BERRY,  QUI  SUPPLIENT  TRÈS  HUMBLEMENT  S.  M. 
DE   LEUR   OCTROYER   ET  BAILLER   SUR   CE   PROVISION. 

Le  Roy  trouve  bon  Qu'il  plaise  au  Uoy  continuer  pour  gouver- 

que  le  dict  sieur  de  neur  et  lieutenant  de  S.  M.  en  la  dicte  ville  et 

Sarzay   demeure    en-  chastel  le  Seigneur  de  Sarzay,  qui  le  fut  es 

cores    pour    quelque  pj-emiers  troubles  et  y  soustim  le  siège  qui  y 

temps  en  la  dicte  ville  e  .      •  i         •  j,t  i      -       ,-i 

'  lut  mis  par  le  seigneur  d  Ivoy,  pendant  qu  il 
comme  il  a  faict  cy-  x    .  j-.       ".  i      -u     i    r.  .1 

.     .        ^  -,  occupoit  et  delenoit  la  ville  de  Bourses  et  de- 
devant,  ainsi  que  S.  M. 

,  .        .  .  puYS  ces  derniers  troubles  nonobstant  lettres 

lui  escript.  '    '' 

obtenues  au  contraire  si  aucunes  en  y  a, 

S.  M.  ne  veut  qu'il       Et  pour  empescher  qu'il  n'y  ait  division 

y  ait  aulcuns  soldats   entre  les  catholiques  et  ceux  de  la  R.  P.  R., 

entretenus  en  la  dicte   ^g  q^j  advint  après  la  paciffication  des  pre- 

vdle,  mais  que  le  sieur  j^iiers  troubles,  et  que  la  dicte  ville  ne  soit 

de  Sarzav  s'ayde  des  •  1       1      ,       ,.  ,         i,-   • 

^       ■'  surprinse  par  ceulx    de    la    dicte  rellu^ion, 
habitans  de   la   dicte  ,  «.      ,       ,  ,     ,.  •  1         •  ,  \     , 

.„        .  ^  comme  s  eilorcerent  de  laire  en  la  nuict  de  la 

ville  qui  soyent  affec- 

,-   „_^  „  .      I     Saint-Michel  dernière;  de  la  quelle  s'ils  s'es- 

tionnez  au  service  du  '  1 

Roy  pour  garder  icelle  ^^^^^^^  saisis,  difficilement  enseroient  déchas- 
ville,  si  besoins  est  de  ^^^^  attendu  les  forliffications  queletlict  sieur 
le  faire.  tie  Sarzay  y  a  faict  faire  par  les  dicts  catho- 

licques,  ces  derniers  troubles,  les  quelles  ilz 
se  vantent  avoir  pour  eulx  été  faictes  et  pour 
servir  à  leur  entrepriuse;  il  vous  plaise  entre- 
tenir cinquante  ou  soixante  soldats;  attendu 
mesme  qu'ils  ont  déjà  payé  la  somme  à  la 
quelle  la  dicte  ville  a  esté  imposée  de  lasoulde 
mise  sus  pour  les  gens  de  guerre  sur  les  villes 
et  paroisses  du  dict  pays,  selon  Testât  qui  en 
a  esté  faict  par  le  sieur  de  Vastan  en  la  ville 
de  Bourges,  en  vertu  des  lettres  patentes  de 
S.  M.  jusquesà  la  fin  du  moys  de  juing  pro- 
chain, joinct  que  la  dicte  ville  importe  gran- 
dement et  est  de  conséquence  à  la  dicte  ville 
de  Bourges  et  au  plat  pays  de  Berry,  si  elle 


LE  PROTESTANTISME   A   ISSOUDUN.  307 

estoitsurpriiise  par  ceulx  de  la  dicte  relligion, 

pour  la  retraicte  qu'ilz  auroient  en  icelle  tant 

de  gens  de  guerre  que  des  vivres  et  munitions, 

attendu  que  c'est  la  fleur  de  la  campaigne  du 

dict  pais,  affin  que  ceulx  de  Bourges   n'en 

eussent. 

Le  Roy  ayant  laissé       Qu'il  plaise  aussy  à  S.  M.  ordonner  autre 

à  ceulx  de  la  R.  P.  R.   \\q^  à  ceulx  de  la  dicte  relligion  pour  l'exer- 

les  lieux  pour  Texer-    ^-^^.^  d'icelle  que  la  dicte  ville  d'Yssouldun,  at- 

cice  de  la  dicte  reli-   ^Q^^^^y^  ^^^jg  pg^j.  ]gg  articles  respondus  en  son 

gion  qui  ,  !  ,     conseil  privé  sur  le  règlement  de  la  paciffica- 

P    '      ,  '   tion,  Sa  dicte  M.  s'est  réservée  de  changer  les 

ne    peult   ester    pour    ,.    '     ,  ...  ., 

ceste  heure  le  presche  ^^^^^s  lieux  et  y  pourveoir;  joinct  que  il  y  a 
de  la  dicte  ville  d'Ys-  lieux  et  villes  aussy  et  plus  commodes  pour  le 
gouldun  où  partant  est  dict  exercice;  savoir  est  les  villes  de  Mehun- 
nécessaire  qu'il  de-  sur-Yèvre,  Dun-le-Roy,  Concressault,  Vierzon, 
meure  encores.  Sancerre,  Ruilly,  Graçay  et  aultres,  et  qu'il 

est  raisonnable  que  les  autres  villes  de  Berry 
se  ressentent  autantdel'incommodité  des  dicts 
presches  que  celle  d'Yssouldun,  en  laquelle 
le  dict  exercice  y  a  tousjours  esté  faict  despuis 
la  paciffication  des  premiers  troubles  ;  et  aussy 
attendu  l'inimitié  que  leur  portent  ceulx  de  la 
dicte  relligion  pour  avoir  tousjours  résisté  à 
leurs  entreprinses  etempesché  leurs  desseings 
tant  à  leur  regard  que  des  étrangers,  et  crai- 
gnent que  s'ilz  la  surprenoient,  comme  ilz  ont 
voulu  faire,  qu'ilz  se  vengeassent  d'eulx.  Of- 
frant pour  obvier  à  ce,  fournir  finances  pour 
les  affaires  du  Roi  où  il  plaira  à  S.  M.  d'oster 
de  la  dicte  ville  l'exercice  de  la  dicte  relligion. 

Requièrent  d'advantaige  qu'il  plaise  à  Sa 
Maintenant   qu  il    a    ,.       *      ,  .  .  i- i  „ 

.  ,,.  .,      ,     dicte  M.  leur  octroyer  provision  pour  valider 

pieu  a  Dieu  mettre  la  ,  i     i     n 

paix  en  ce  royaulme,  1««  commissions  qu'ilz  ont  obtenues  du  bail  y 
iln'estbesoingdefor-  «*  esluz  de  Berry,  selon  l'estat  iaict  par  le 
tilier  au  moïen  de  quoy  ^ict  sieur  de  Vastan  pour  cottiser  les  habitants 
il  faut  savoir  à  quoy  de  la  dicte  ville  tant  catholiques  que  de  la  dicte 
sera   bon   d'employer  relligion,  à  la  somme  de  4000  livres  et  la  cot- 


308  LE   PKOTESTAiNTISMt   A   ISSOUDUN. 

les  (licts  deniers  avant  lizalion  qui  en  a  esté  faicte  par  les  eschevins 
que  (lacheverde  lever  et  depputez  pour  la  faire  pendant  les  derniers 
ce  qui  reste.  troubles. 

Le  Roy  ne  veult  ny  Ensemble  pour  inhiber  et  deffendre  à  ceux 
entend  que  les  per-  de  la  dicte  relligion  de  travailler  en  procez  ni 
sonnes  qui  se  sont  em-  aultrement  les  eschevins  et  aultres  de  la  dicte 
ployez  à  la  levée  des  ville  pour  la  liève  de  la  somme  de  5  à  600  livres 
deniers     durant     les        •         , ,  .  ,  ,    ,         .     , 

, ,  .      qui  a  este  imposée  sur  eulx  es  mois  de  novem- 

Iroubles,    soyent     in-   ,  , -        ,        ,       . 

quiettez,  aulcunement  '"''  '^  décembre  derniers  pour  l'entretien  des 
poursuivys  ne  ravs  en  ^^"^  ^^  guerre  estans  en  icelles  esdicts  moys 
procès,  mais  que  ceulx  ^^  aultres  deniers  levez  sur  eulz  pour  les  rep- 
|tar  les  mains  de  qui  parations,  attendu  que,  par  l'edict  de  paciffi- 
oiit  jtassé  les  dicts  cation,  tous  deniers  levez  pendant  les  troubles 
deniers  en  rendent  sont  allouez  sans  que  ceulx  qui  les  ont  levez 
compte  en  sa  cliam-  en  puissent  estre  inquiétiez,  alTin  que  les 
brc  des  comptes  à  choses  faictes  durant  les  dicts  troubles  de- 
''^"  meurent  assoupies  et  sans  mémoire  et  que  les 

dicts  procez  qui  pourroient  intervenir  pour 
raison  des  dicts  deniers  n'engendrent  division 
entre  les  dicts  catholiques  et  ceulx  de  la  relli- 
gion, à  la  charge  toutes  foys  que  ceulx  qui  ont 
levé  les  dicts  deniers  en  rendront  compte  par 
devant  le  dict  bailly  de  Berry  ou  aultres  offi- 
ciers que  ceulx  de  la  dicte  ville. 
S.  M.,  qui  a  obtenu       Aussy  qu'il  plaise  à  S.  M.  remettre  aux  dicts 
que  ses  bons  et  loyaulx   habitants  la  somme  de  3200  livres  en  la  quelle 
subjects  le  secourent   ils  sont  réduicts  à  cause  des  grandes  pertes 
en  la  nécessité  où  il   qu'ij^  ont  faictes  tant  es  troubles  passez  que 
est,  affin  de  nettoyer  les  faulxbourgs  de  la  ville  furent  bruslez,  lors- 
son  royaulme  de  tant  i     i-  .    •        j>i  -,  i      •■ 

,     .  que  le  dict  sieur  d  Ivoy  y  nul  le  siège,  que  es 

(le  calamitcz,  no  peut    ,       .  ,  ,  ,  •       ,    r, 

,.  ,    ,       derniers  troubles  que  les  compagnies  de  Gas- 

rcmcttrc  aux  dicts  ha-  '  ' 

bitans  la  somme  à  la   ^O"'"'  Pi-ovenccaulx et  autres  nations  ont  passé 

.pi.'llc  ilz  ont  esté  col-   ^t  repassé  à  l'entour  d'icellc,  ([ue  dei)uys  la 

lisez.  dicte  pacifficatiou  par  les  Gascons  repassans 

qui  ont  mis  le  feu  aux  dicts  faulxbourgs  et 

iceux  pillez,  et  pour  les  fortiffications  que  les 

dicts  habitants  ont  faict  faire  de  leurs  deniers 

se  montans  de  10  à  12,000  livres,  ou  en  tout 


LE 


Après  que  les  habi- 
tans  auront  faict  en- 
tendre à  S.  M.  quels 
officiers  ilz  veulent  re- 
compenser et  de  quelz 
deniers,  S.  M.  regar- 
dera de  leur  satisfaire 
ainsi  que  de  raison. 


Il  y  a  esté  pourveu 


PROTESTANT[SME  A   ISSOUDUN.  309 

cas  leur  bailler  pour  ayde  les  villes  de  Lyniè- 
res,  Cluys,  Charroux,  Ruilly,  Graçay,  Déols, 
Argenton,Boussac  et  aultres  estant  du  ressort 
d'Yssouldun  ;  joinct  que  la  dicte  ville  est  gran- 
dement chargée  du  dict  emprunct  à  la  somme 
de  3200  livres,  n'y  estant  celle  de  Bourges  que 
pour  3000  livres  seulement,  combien  que  la 
dicte  ville  d'Yssouldun  n'ayt  couslume  de 
porter  que  la  quatriesme  partie  de  la  taxe  que 
celle  de  Bourges. 

Que  tous  officiers  tant  de  judicature,  no- 
taires, sergens  et  aultres  du  ressort  d'Yssoul- 
dun estant  de  la  dicte  relligion  soient  destituez 
et  néantmoings  récompensez  de  ce  qu'ilz  au- 
ront fourny  pour  leurs  dicts  offices  par  les  dicts 
habitans,  attendu  qu'ilz  ont  l'aulhorité  et 
armes  en  mains  pour  le  soustien  égal  de  la 
justice;  et  toute  foys  est  notoire  qu'ilz  favo- 
risent le  party  de  ceulx  de  la  dicte  relligion, 
au  préjudice  des  catholicques. 

Oultre  qu'il  plaise  à  S.  M.  de  désunir  l'ofllce 
d'advocat  du  roy  au  siège  d'Yssouldun  d'avec 
celle  de  maistreFrançoysArthuys,  procureur, 
qu'icelluy  d'Arthuys  a  faict  réunir  depuys  le 
dernier  edict  de  paciffication  soubz  ombre 
qu'il  a  donné  à  entendre  que  ung  seul  pour- 
roit  exercer  les  deux  estais,  combien  que  le 
siège  soit  de  grande  estendue  et  contient  la 
moktié  du  pays  de  Berry,  attendu  aussy  que 
le  dict  Arthuys  est  de  la  dicte  relligion,  et 
que  par  edict  il  a  pieu  à  S.  M.  d'ordonner  que 
tous  ses  officiers  de  judicature  soyent  dores 
en  advant  de  sa  relligion  et  que  Testât  d'advo- 
cat est  de  tout  temps  et  d'ancienneté  otdce 
ordinaire  du  siège,  lequel  n'a  oncques  esté 
supprimé  (lue  par  la  mort  de  feu  M.  Guillaume 
nobinet,  dernier  possesseur  du  dict  office,  an 
Mioven  de  l'édict  dos  Estais,  et  que  par  aultre 


310  LETTRE   D'aNTOINE   COUin 

édict  il  a  pieu  à  S.  M.  de  remettre  et  eslablir 

tous  offices  supprimez. 

Le  Roy  ne  veult  ny       Supplient  aussy  Immblement  S.  M.  qu'il  lui 

entend  que  lesdictsde   plaise  inhiber  et  delTendre  à  ceux  de  la  dicte 

la  relligion  ayent  aul-  relljgion  de  faire  tenir  escholes  publiques  pour 

très  escolles  que  celles    p-   „.„     *•       i    i    •  i 

1  1  instruction  de  la  jeunesse  par  des  regens  et 

qui  leur  sont  permises         ..,,,,  ,         ,.. 

,,,,.     ,        .„,,       maistres  d  escholes,  attendu  nu  il  Y  a  uni?  col- 
par  1  edict  de  paciinca-  i       j  o 

lege  de  tout  temps  et  d'ancienneté,  auquel  y 

a  regens  et  précepteurs,  qui  est  entretenu  par 
la  dicte  ville  et  chanoynes  de  l'église  collé- 
giale d'icelle. 
Le  Roy  veult  oyrung       Finalement  qu'il  plaise  à  S.  M.  de  nier  toute 
chascung  en  ses  re-   audience  à  tous  particuliers  de  la  dicte  ville 
monstrances  pour  faire   ^^^jj  ^^  seront  fondez  de  lettres,  adveuz  et  pro- 
justice ainsyque  il  ap-  (.^ipations  des  manans  et  habitans  de  la  dicte 
partient.  ^.jj^   {akti^   en  plaine  assemblée,  affin  que 

Faict  au  conseil  privé         ,      ,     ,       ,.  ,,.   •         ,     x 

j    ^,  -ni     ceulx  de  la   dicte  relligion  n  entreprennent 

du  Roy  tenu  a  Pans  le  . 

cinquiesmejourdemay   c^"*»'^  ''^  ^'^^^0  ville  au  préjudice  du  service 
1568.  de  S.  M. 

De  Neufville.  Tabouet. 


LETTRE  D'ANTOINE  COURT 

A   PIERRE   DURAND  ' 

23  octobre  172t. 


Copie  de  la  lettre  que  j'écrivis  à  M'  Durand,  proposant,  en 
Vivarais,  le  23  8i"-e  1721. 

Monsieur  et  cher  frère, 
Je  n'ai  reçu  l'honneur  de  la  chère  vôtre  en  date  du  24  T^rc  der- 

1.  Voir  leilernier  numôro  da  Bulletin,  p.  257.  Une  erreur  a  été  commise  note  1, 
où  il  faut  lire  :  Pierre  Corteiz,  dit  Carrière;  Corteiz  étant  son  vrai  nom,  et  Car- 
rière son  nom  d'emprunt. 

On  donne  ici  la   réponse  d'Antoine    Court  ;'i    la  lettre  de  Pierre  Durand,   du 


A  PIERRE  DURAND.  311 

nier  que  le  20"=  du  courant,  et  l'autre  dont  vous  me  parlez  je  ne  l'ai 
point  vue.  Comme  dans  cette  dernière  vous  me  priez  de  vous 
répondre  à  lettre  vue,  je  me  hâte  de  satisfaire  à  vos  désirs,  quoique 
je  n'aie  pas  parlé  encore  à  M.  le  Professeur  P.  de  qui  vous  souhai- 
tiez avoir  le  conseil  et  le  sentiment  sur  les  quelques  articles  insérés 
dans  votre  lettre.  La  raison  pour  laquelle  je  ne  lui  ai  point  parlé, 
c'est  qu'il  est  à  une  maison  de  campagne  où  je  ne  dois  l'aller  voir 
qu'à  la  fin  de  la  semaine. 

En  attendant  j'aurai  l'honneur  de  vous  dire  que  je  suis  plein  de 
consolation  d'apprendre  les  heureux  progrès  que  vous  faites  dans 
notre  triste  et  misérable  patrie;  le  zèle  dont  Dieu  vous  anime,  me 
ravit  en  admiration.  Je  vois  avec  plaisir  que  vous  agissez  avec  beau- 
coup d'ardeur  et  je  ne  doute  point  que  ce  zèle  et  ce  courage  ne  soient 
accompagnés  de  la  prudence  qui  en  doit  être  inséparable  et  comme 
le  sel  qui  doit  lui  servir  de  correctif  pour  empêcher  qu'il  ne  se 
corrompe  et  qu'il  ne  dégénère  en  témérité  et  en  indiscrétion;  puis- 
siez-vous  être  à  jamais  conduit  par  ces  trois  admirables  vertus,  ver- 
tus très  nécessaires  à  tout  homme,  mais  particulièrement  à  un 
ministre  de  l'Evangile.  Il  faut  qu'un  ministre  ait  du  zèle,  s'il  en 
était  autrement,  hélas,  que  serait-il?  ce  serait  un  homme  qui  verrait 
avec  froideur  et  avec  indifférence  ses  brebis  plongées  dans  le  vice, 
l'Église  du  Seigneur  exposée  aux  dangers  les  plus  éminents,  gémir 
sous  la  Croix  privée  de  consolations  nécessaires.  Il  n'est  pourtant 
que  trop  connu  dans  le  monde,  ce  caractère  d'homme,  mais  ô  Dieu, 
quel  est  leur  sort  !  ils  sont  actuellement  sous  la  malédiction  de 
Dieu,  selon  cette  déclaration  d'un  prophète  :  «  malheur  à  celui  qui 
fait  l'œuvre  du  Seigneur  lâchement».  Le  ministre,  un  véritable 
ministre,  un  ministre  fidèle  doit  être  rongé  du  zèle  de  la  maison  de 
Dieu.  ((  Mon  âme,  s'écrie-t-il  avec  un  Élie,  est  émue  de  jalousie  de 
par  l'Éternel.  »  Son  cœur  est  affectionné  aux  pierres  de  Sion,  sa 
viande  est  de  faire  la  volonté  de  son  père  céleste,  embrasé  des 
célestes  flammes  de  l'amour  divin;  il  n'aime  que  la  vertu,  son  cœur 
se  révolte  contre  le  vice,  et  autant  qu'il  prend  de  plaisir  à  voir  dans 
son  frère  la  vertu,  autant  il  s'afflige  de  voir  que  le  vice  règne  avec 

25  septembre  précédent,  la  seule  qui  fût  parvenue  à  son  adresse;  admirable  ré- 
ponse qui  montre  la  rare  sagesse  d'Antoiue  Court  et  sa  bienfaisante  action  sur 
les  proposants  du  Désert.  11  n'eut  pas  de  plus  digne  élève  que  Pierre  Durand. 


312  LETTRE    d'aNTOINE   COURT 

empire  clans  son  prochain;  autant  qu'il  a  d'exactitude  à  rendre  les 
éloges  dûs  au  premier,  autant  il  a  d'attention  à  censurer  et  à  rame- 
ner le  second;  les  soins  les  plus  empressés  ne  lui  coûtent  rien;  les 
travaux  les  plus  infatigables  sont  doux  pour  lui;  comme  un  bon 
berger,  il  court  les  vallons  et  les  montagnes,  les  déserts  et  les  bois, 
pour  ramener  dans  le  bercail  la  brebis  égarée;  quand  il  la  trouve, 
si  elle  ne  peut  ou  si  elle  ne  veut  marcher,  il  la  porte  sur  ses 
épaules. 

Voilà  quel  doit  être  le  zèle  d'un  ministre;  mais  ce  zèle  doit  être 
secondé  d'un  grand  courage.  Les  dangers  se  présentent  en  foule  à 
son  esprit.  Il  rencontre  dans  son  chemin  des  cœurs  indociles  ;  on  se 
révolte  quelquefois  contre  lui.  L'un  parle  mal  de  sa  personne,  un 
autre  se  fâche  de  ce  qu'il  prend  la  liberté  de  le  corriger.  Il  y  a 
d'ailleurs  de  grands  sacrifices  à  faire.  Je  parle  en  particulier  d'un 
ministre  sous  la  Croix,  en  ce  qu'il  vous  convient.  Il  ne  faut  pas 
renoncer  à  moins  qu'à  son  repos,  qu'à  ses  biens,  et  qu'à  la  vie  même. 
Certainement,  et  ce  sacrifice  qu'il  doit  faire  et  ces  dangers  où  il  se 
voit  exposé  et  ces  obstacles  qu'il  faut  qu'il  franchisse,  demandent 
bien  de  la  grandeur  d'âme;  cela  n'appartient  qu'à  l'héroïsme  chré- 
tien; c'est  ce  qui  fait  la  gloire  du  ministre.  Il  affronte  hardiment  le 
danger.  Il  méprise  généreusement  les  outrages  faits  à  sa  personne. 
L'insolence  de  ceux  qui  le  maudissent  en  leur  faisant  du  bien  lui 
inspire  plutôt  la  compassion  que  d'irriter  son  courroux  contre  eux. 
Les  sacrifices  les  plus  grands,  ceux  qui  sont  susceptibles  des  plus 
grandes  diflicultés,  n'arrêtent  pas  son  courage;  ils  les  fait  comme 
s'ils  étaient  la  chose  du  monde  la  plus  aisée  ;  les  biens  pour  lui  ne 
sont  que  du  fumier,  le  repos  et  la  vie  ne  lui  sont  encore  ni  repos  ni 
vie  qu'autant  qu'ils  peuvent  être  consacrés  au  service  de  Dieu  ;  ce 
service  l'appelle-t-il  à  renoncer  à  l'un  et  à  l'autre,  il  le  fait  aussi 
facilement  qu'un  esclave  accepte  la  liberté  et  qu'un  homme  acca- 
blé de  fatigue  [recherche]  le  sommeil.  Telle  est  la  générosité  d'un 
ministre  évangélique.  Mais  son  zèle  et  son  courage  sont  accompagnés 
toujours  d'une  sainte  prudence.  Je  dis  a  sainte  »,  car  il  y  a  une 
prudence  laussement  ainsi  nommée  ;  c'est  une  prudence  bien  mal 
entendue  que  celle  de  ce  politique  qui,  parce  que  l'ennemi  lui  a 
paru  redoutable,  a  laissé  envahir  l'État,  prendre  les  places  d'armes, 
se  saisir  des  arsenaux  et  des  munitions  de  guerre  et  de  bouche  sans 
beaucoup  (le  résistance,  parce  que  «  si  nous  nous  r(»idiss()ns,  disait- 


A  PIERRE  DURAND.  3i3 

il,  contre  l'ennemi,  il  nous  froissera  comme  la  menue  poussière.  » 
Telle  serait  la  conduite  d'un  ministre  qui  verrait  son  troupeau 
attaqué  de  légions  de  vices,  mais  qui  ne  saurait  l'en  délivrer  qu'en 
s'exposant  lui-même  à  être  froissé  et  brisé,  parce  que  les  ennemis  de 
l'Évangile  dont  il  est  le  ministre  ont  délibéré  sa  perle,  s'il  se  donne 
le  soin  de  secourir  son  troupeau.  Qu'un  ministre  serait  lâche,  si 
pour  sa  considération  il  laissait  périr  ses  chères  brebis;  ce  ne 
serait  plus  prudence,  ce  serait  tiédeur,  lâcheté.  Je  ne  veuv  point 
qu'on  affronte  le  danger  sans  nécessité.  Je  n'aurai  jamais  que  de 
l'éloignement  pour  l'action  téméraire  de  Quintus  qui  affronta  le 
péril  sans  y  être  appelé;  mais  St  Polycarpe  évêque  de  la  même 
Église  de  Smyrne  sera  à  jamais  l'objet  de  mes  éloges  d'avoir  souf- 
fert constamment  le  martyre  pour  le  bien  de  son  troupeau.  Il  n'af- 
fronta pas  le  péril  sans  y  être  appelé  mais  il  sut  le  soutenir  quand 
il  s'y  trouva  enveloppé  par  une  sage  providence.  C'est  ce  que  doit 
faire  un  bon  ministre,  un  ministre  prudent.  Il  ne  doit  point  s'expo- 
ser témérairement,  fuir  au  contraire  le  danger  quand  il  n'y  a  pas 
de  nécessité  à  s'y  exposer,  mais  quand  la  nécessité  le  demande,  ce 
serait  être  lâche  au  dernier  point  si  on  ne  l'affrontait  point;  alors  il 
faut  le  braver.  Il  est  donc  nécessaire  de  beaucoup  de  prudence 
pour  savoir  bien  discerner  et  le  temps  qu'il  y  aurait  de  l'imprudence 
à  faire  telle  ou  telle  chose  et  cet  autre  qu'il  y  en  aurait  aussi  de 
ne  pas  faire  telle  ou  telle  autre  chose  ;  il  y  a  certain  temps  que  si  on 
reprenait  un  pécheur,  on  ne  profiterait  rien,  et  d'autres  qu'on 
verra  des  heureux  succès  de  la  censure  adressée  à  ce  même 
pécheur.  Par  exemple  un  homme  plein  de  colère  :  si  l'on  veut  dans 
le  temps  qu'il  est  tout  en  feu  lui  dire  que  le  courroux  de  l'homme 
n'est  point  conforme  à  cette  vertu  de  la  divinité  que  nous  appelons 
Justice,  que  la  colère  est  défendue,  on  ne  profitera  point,  on  l'irri- 
tera davantage;  mais  si  l'on  attend  que  sa  fougue  soit  apaisée  et 
qu'alors  on  lui  fasse  voir  le  péché  qu'il  y  a  de  se  mettre  en  colère, 
quelles  sont  les  suites  infaillibles  de  la  colère,  il  en  conviendra  avec 
nous.  Il  changera  et  ainsi  du  reste.  Certains  pécheurs  sont  d'autre 
humeur  que  certains  autres.  Les  uns  demandent  d'être  repris  vive- 
vement,  les  autres  au  contraire  avec  douceur.  Si  l'on  renverse  cet 
ordre,  je  veux  dire  si  l'on  reprend  doucemeutle  premier  et  vivement 
le  second,  bien  loin  de  voir  des  heureux  succès  de  ses  censures 
l'on  verra   au  coniraire  que   ces  pécheurs  empireront  dans  leur 


3t4.  LETTRE   D'ANTOINE    COURT 

crime.  Il  faut  donc  que  les  censures  soient  accompagnées  de  beau- 
coup de  prudence.  Quand  on  veut  l'aire  quelque  changement  dans 
l'Église,  réformer  une  coutume  établie  par  une  longue  pratique, 
si  on  le  veut  faire  de  plein  vol  et  tout  à  coup,  bien  loin  d'en  venir  à 
bout,  on  affermira  de  plus  en  plus  ceux  qui  sont  les  sectateurs  de 
cette  coutume.  Il  en  est  (de  même)  de  cela  comme  du  pari  que  deux 
soldats  d'Antigonus  firent  sur  la  queue  d'un  cheval;  l'un  soutenait 
qu'en  arrachant  tout  le  poil  à  la  fois  il  en  viendrait  plus  à  bout  que 
celui  qui  ne  voudrait  les  arracher  qu'un  après  l'autre.  L'autre  au  con- 
traire soutenait  que  de  les  arracher  un  après  l'autre,  on  viendrait 
plutôt  à  bout  que  celui  qui  voudrait  les  arracher  tout  à  la  fois;  ce 
dernier  emporta  le  prix,  pendant  que  le  premier  fut  la  victime  de 
son  imprudence.  Il  faut  peu  à  peu  ramener  les  esprits  de  cette 
ancienne  pratique  par  des  exemples  choisis  à  propos,  leur  faire  voir 
que  telle  chose  irait  beaucoup  mieux  que  telle  autre,  si  on  pouvait 
mettre  celles  d'aujourd'hui  sur  un  tel  et  tel  pied  qu'on  leur  fait 
apercevoir  ;  leur  montrer  par  de  solides  raisonnements  soutenus  par 
l'écriture  qu'elles  seraient  autrement  belles  et  plus  convenables  au 
génie  de  l'Évangile.  Il  peut  accompagner  ses  raisonnements  de 
beaucoup  de  douceur  et  d'adresse,  tâcher  de  s'insinuer  d'abord 
dans  l'esprit  de  ceux  pour  lesquels  le  public  a  le  plus  de  déférence; 
si  on  les  gagne,  leur  exemple  sera  certainement  le  grand  mobile 
qui  donnera  le  branle  à  cette  lourde  machine.  Il  ne  faut  deman- 
der d'abord  (jue  les  choses  pour  lesquelles  ils  ont  le  moins  d'affec- 
tion, de  celles-là  à  d'autres  qui  leur  sont  un  peu  plus  chères  et  de 
celles-ci  à  d'autres;  monter  comme  cela  de  degré  en  degré,  jusqu'à 
ce  qu'on  n'ait  plus  rien  à  faire.  Il  faut  du  temps  pour  cela  et 
beaucoup  de  patience,  n'importe.  Il  ne  faut  point  se  décourager,  dès 
qu'on  a  obtenu  quelque  chose,  il  faut  tâcher  de  la  faire  statuer, 
c'est  le  moyen  le  plus  sur  de  la  conserver. 

Je  m'airète.  Je  ne  vous  dis  plus  rien  sur  cette  matière.  Je  ne  fais 
que  vous  indiquer  la  route  que  vous  devez  suivre.  L'on  vous  aura 
appris  sans  doute  de  quelle  manière  on  a  établi  l'ordre  dans  les 
églises  du  Languedoc;  marchez  sur  les  traces  de  ceux  qui  en  ont  été 
les  instruments,  faites  encore  mieux,  s'il  vous  est  possible,  engagez  à 
vous  imiter  tous  ceux  qui  ont  quelque  autorité  dans  l'Église.  J'en 
conjure  en  particulier,  M.  Monteil  pour  lequel  j'ai  beaucoup  d'es- 
time et  de  vénération.  Je  n'ai  eu  l'honneur  de  le  voir  qu'une  seule 


A   PIERRE   DURAND.  315 

fois  et  que  de  conférer  quelques  moments  avec  lui.  11  me  parut 
avoir  un  heureux  génie,  beaucoup  de  solidité  dans  ses  raisonne- 
ments et  assez  bien  digéré  ce  qu'il  avait  appris.  Il  sera  sans  doute 
revenu  du  sentiment  où  il  était  au  sujet  de  nos  petits  prophètes. 
L'expérience,  son  expérience  propre,  aura  eu,  je  m'assure,  assez 
d'efficace  pour  le  désabuser  et  lui  faire  connaître  l'erreur  où  il 
était,  que  s'il  avait  encore  quelque  doute  sur  cette  matière  et  qu'il 
voulût  bien  me  faire  l'honneur  de  m'en  faire  part,  j'entrerais  avec 
plaisir  en  lice  avec  lui,  non  pour  nous  combattre  comme  le  faisaient 
les  anciens  athlètes  qui  gagnaient  ou  remportaient  le  prix  à  la 
lutte  ou  à  la  course  dans  les  célèbres  jeux  Olympiques  inventés  par 
l'ancienne  Grèce,  mais  seulement  pour  nous  édifier  l'un  l'autre  et 
nous  communiquer  les  lumières  que  l'éternelle  sagesse  a  daigné 
répandre  sur  nous.  Faites-moi  le  plaisir  de  lui  faire  savoir  dans 
quel  sentiment  d'estime  je  suis  à  son  égard  et  quel  serait  le  désir 
que  j'aurais  qu'il  contribuât  non  point  une  pite,  —  il  est  autre- 
ment riche,  —  mais  le  talent  d'or  qu'il  a  reçu  au  trésor  de  l'Eglise, 
je  veux  dire  à  l'ordre,  qu'il  n'épargne  rien  de  tout  ce  dont  il  est 
capable  pour  aider  à  établir  cet  ordre  qui  y  est  nécessaire  et  surtout 
dans  notre  infortuné  Vivarais  qui  a  été  depuis  bien  des  années  un 
chaos  affreux,  où  à  la  faveur  d'un  nuage  très  épais  se  sont  jouées 
mille  scènes  qui,  si  elles  n'ont  pas  été  tragiques  (elles),  ont  été  du 
moins  bien  noires  et  très  fatales  à  l'esprit  de  plusieurs  qui  mal- 
heureusement ont  été  la  dupe  du  plus  grand  nombre  des  acteurs 
qui  ont  paru  sur  le  théâtre. 

Je  ne  vous  dis  point  que  le  meilleur  ressort  qu'on  doit  mettre  en 
usage  pour  donner  le  branle  à  la  machine  est,  après  celui  du  savoir 
et  du  discernement,  celui  de  bien  vivre,  de  pratiquer  soi-même  ce 
qu'on  veut  que  les  autres  fassent,  parce  que  je  suis  persuadé  que 
vous  êtes  parfaitement  convaincu  de  cette  importante  vérité  et  que 
vous  n'avez  jamais  douté  que  le  ministre  de  la  société  devait  être  le 
même  que  celui  de  la  chaire  ;  en  effet,  s'il  en  était  autrement  quel 
contraste  opposé?  que  pourrait-on  dire  si  le  ministre  de  la  chaire, 
exhortait  d'une  maniire  louchante  et  pathétique  son  auditoire  à  la 
vertu  et  que  le  ministre  de  la  société  fût  l'esclave  du  vice.  Que 
dirait-on  de  ce  ministre  qui,  étant  sur  la  chaire,  d'une  voix  terrible 
et  fulminante  n'a  lancé  que  des  foudres  sur  le  péché  d'habitude  et 
sur  tel  et  tel  autre  crime,  et  (ju'ensuite  lui-même,  étant  dans  la 


316  LETTRE   D'ANTOINE   COURT 

société,  il  eût  la  lâcheté  et  l'audace  de  pratiquer  ce  qu'il  a  défendu 
avec  tant  de  menaces  aux  autres  et  contre  quoi  il  se  déchaînait  avec 
tant  de  zèle?  on  dirait  de  lui,  avec  juste  raison,  que  s'il  prêche  aux 
autres  qu'on  ne  doit  point  dérober,  pourquoi  dérobe-t-il?  que  s'il 
défend  les  idoles  pourquoi  commet-il  sacrilège  ?  Ce  serait  vouloir 
perdre  tout  le  fruit  de  ses  peines,  que  dis-je  !  ce  serait  courir  à 
grands  pas  dans  les  abîmes  infernaux.  Quel  malheur!  ô  Dieu  sois  le 
soutien  de  tes  serviteurs,  rends-les  les  exemples  immuables  de  la 
vertu  ;  qu'imitant  Jésus-Christ,  ton  fds,  ils  puissent  tenir  à  leur  peuple 
le  même  langage  que  tenait  autrefois  un  grand  vaisseau  de  ta  grâce 
à  l'église  fidèle  d'Ephèse  :  «  Soyez  mes  imitateurs  comme  je  le  suis 
de  Christ.  »  Mon  cher  frère,  marquez  sur  cet  article  plus  de  zèle 
et  d'attachement  qu'en  tout  autre  ;  roidissez-vous  contre  tous  ceux 
qui  voudraient  tenir  une  autre  conduite;  n'admettez  jamais  personne 
dans  votre  corps  quelque  savant  et  quelque  éloquent  qu'il  vous 
parût,  s'il  ne  soutenait  son  savoir  et  son  éloquence  d'une  vie  exem- 
plaire. 

L'affaire  que  vous  entreprenez  est  importante;  elle  demande 
des  hommes  courageux  et  magnanimes;  un  lâche  efféminé,  un  es- 
clave du  vice  n'est  point  du  tout  propre  pour  cette  affaire.  Il  n'y  a 
que  la  piété  qui  inspire  la  noblesse  et  la  grandeur  d'âme  (qui)  est 
nécessaire  dans  cette  occasion;  la  piété  se  soutient  dans  les  dangers 
les  plus  extrêmes,  elle  surmonte,  elle  triomphe  des  obstacles  les 
plus  difficiles;  une  bonne  conscience  marche  toujours  la  tête  levée; 
la  vertu  ne  craint  point  de  paraître,  chacun  la  respecte  jusqu'à  ceux 
là  même  qui  lui  sont  le  plus  contraires.  Un  prédicateur,  qui  a  la 
vertu  en  partage,  ne  craint  point  d'attaquer  le  vice,  il  fait  trembler 
le  pécheur,  au  lieu  qu'un  efféminé  craint  toujours,  du  moins  il  a 
toujours  lieu  de  craindre.  Certainement  il  vaut  beaucoup  mieux 
pour  vous  que  vous  ne  soyez  qu'un  très  petit  nombre  de  prédica- 
teurs, tous  gens  de  probité  à  la  tête  de  ce  peuple,  que  si  vous  étiez 
un  plus  grand  nombre  composé  de  bons  et  de  mauvais,  cinq  ou  six 
du  premier  ordre  feront  infiniment  plus  de  progrès  que  vingt  et 
trente  du  second. 

Pousserai-je  plus  loin  mes  réflexions  ?  Je  m'aperçois  que  je  passe 
les  bornes  d'une  lettre;  je  n'ai  cependant  rien  répondu  encore  à  la 
vôtre.  J'en  vais  dire  quelque  chose  et  le  ranger  sous  les  deux  classes 
suivantes  :  dans  la  I'\je  vous  dirai  mon  sentiment  sur  les  articles 


A    PIERRE   DURAND.  317 

de  votre  lettre  ;  dans  la  s^c  je  prendrai  la  liberté  de  vous  donner 
encore  quelques  (autres)  conseils. 

Vous  demandez  d'abord  quel  sens  il  laut  donner  au  terme  de 
prophétiser  contenu  au  5"  v.  du  Ch.  XI  de  la  i''"  aux  Cor.  et  vous 
dites  que  les  prédicantes  établissent  sur  ce  verset  leur  vocation, 
qu'il  faut  qu'elles  soient  spirituelles  et  qu'elles  surpassent  infini- 
ment en  sagesse  tous  ceux  et  celles  qui  les  ont  précédés,  car  jus- 
qu'à elles  personne  ne  s'était  avisé  d'y  fonder  la  mission  de  femme 
et  je  ne  sais  si  on  ne  pourra  pas  dire  d'elles  ironiquement  ce  que 
Bellarmin  disait  de  Pascaze  Ratbert,   que  jusqu'à  lui  on  n'avait 
point  connu  le  vrai  sens  de  l'Église  sur  la  matière  du  sacrement  de 
rEucharistie.  En  changeant  quehjues  termes,  il  faudra  dire  qu'on 
uavait  point  jusqu'à  elles  connu  le  vrai  sens  du  terme  prophétiser 
dans  cet  endroit,  car  tous  les  savants  conviennent  qu'il  ne  s'agit 
point  ici  d'enseigner  dans  l'Eglise,  St  Paul  ne  l'a  jamais  permis  aux 
femmes;   il   le  leur   a  défendu  au  contraire  très  expressément, 
comme  on  peut  le  voir  au  v.  34  du  14  Ch.  de  cette  même  Épitre  et 
aux  v.  H,  12  du  2.  Ch.  de  la  1'''=  à  Timothée.  On  ne  doit  entendre 
autre  chose  sinon  que  ces  femmes  bénissaient  Dieu  par  des  hymnes 
dans  les  assemblées,  que  le  St  Esprit  leur  inspirait  ;  c'était  en  effet 
une  des  fonctions  de  prophètes,  voyez  les  exemples  de  Marie  — 
Exode  45,  v.  20-21,  de  Débora  — Juges  conféré  avec  Samuel  1  Ch.  X. 
v.  20.  1  Chron.  XXV,  1-2,   car  il  ne  s'agit  point  dans  tous  ces 
endroits  ni  de  prédire  l'avenir,  ni  d'enseigner,  mais  seulement  de 
louer  le  Seigneur  par  des  hymnes.  Si  nos  prédicantes  se  bornent  à 
chanter,  elles  pourront  peut-être  trouver  leur  mission  dans  le  terme 
de  prophétiser,  et  pour  cela  il  faut  encore  qu'elles  soient  animées 
de  l'esprit  de  Dieu,  car    pour  les  chants  de    certains  cantiques 
qu'elles  composent,  mal  fabriqués,  mal  rimes,  sans  ordre,  sans 
raison,  comme  ceux  que  j'ai  entendus  en  Vivarais  de  Mlle  Claire, 
à  Nimes  de  Mlles  Doucayranne  et  Tibaude,  ne  doivent  point  être 
soufferts  dans  les  assemblées  de  religion,  mais  qu'elles  enseignent 
dans  l'église,  qu'elles  prennent  la  place  d'un  orateur  chrétien,  cela 
ne  doit  point  être  permis,  St  Paul  ne  le  veut  point.  L'Eglise  primi- 
tive ne  nous  en  fournit  aucun  exemple.  Quand  je  lis  l'exemple,  je 
trouve  bien  qu'une  pauvre  captive  contribua  à  la  conversion  d'un 
peuple  barbare  mais  je  ne  trouve  point  qu'elle  s'érigeât  jamais  en 
prédicateur.  Si  quelqu'une  de  nos  prédicantes  a  assez  de  savoir  et 


318  LETTRE    d'AiNTOINE   COURT 

du  zèle  pour  convertir  certain  pécheur  ou  pour  maintenir  la  religion 
là  où  elle  est  établie  quand  il  n'y  aura  point  de  ministre  dans  cet 
endroit-là,  qu'elle  s'attache  par  des  représentations  à  ramener  ce 
pécheur,  à  consoler  l'affligé,  à  visiter  le  malade,  à  instruire  la  jeu- 
nesse, à  fortifier  le  faible  mais  qu'elle  fasse  tout  cela  par  des  visites 
charitables,  par  des  entretiens  particuliers,  qu'elle  ne  s'émancipe 
jamais  à  prêcher  ni  à  paraître  en  docteur  dans  une  assemblée 
dûment  convoquée,  cela  ne  convient  du  tout  point  K 

Vu  votre  2=  article,  je  ne  dirai  que  deux  mots.  Je  suis  surpris 
qu'il  y  ait  des  gens  qui  demandent  à  être  séparés  de  ceux  qu'ils 
reconnaissent  sans  doute  pour  frères.  Qui  est-ce  qui  les  oblige  à 
cela?  Trouvent-ils  quelque  chose  à  redire  à  l'ordre  qu'on  a  établi? 
Si  cela  est  qu'ils  proposent  ce  qui  leur  fait  de  la  peine  et  on  les 
satisfera.  S'ils  ne  trouvent  rien  à  redire  à  cet  ordre,  pourquoi  ne 
veulent-ils  pas  s'y  soumettre?  Il  faut  bien  peu  connaître  le  génie  et 
la  nature  de  la  Religion  pour  être  dans  ce  sentiment.  Le  génie  et  la 
nature  de  la  religion  sont  d'assembler  tous  les  fidèles  en  un  corps 
dont  J.-C.  est  le  chef.  Il  n'appartient  qu'à  des  sectes  schismatiques 
de  se  séparer.  Si  ces  gens  là  en  veulent  former  une  ils  n'ont  qu'à 
se  rebeller  à  l'ordre;  mais  par  cela  même  ils  se  rebelleront  contre 
Dieu  qui  est  un  Dieu  d'ordre,  celui  même  qui  l'a  prescrit  aux 
hommes.  Ne  sait-on  pas  quelle  affliction  a  causé  à  l'Église  protes- 
tante autrefois  la  séparation  des  Luthériens  et  combien  elle  désire 
encore  une  parfaite  union  avec  eux,  pour  n'être  qu'un  même  corps 
uni  d'amitié,  de  sentiment,  de  foi,  de  discipline  et  de  doctrine.  Si 
ces  gens  là  ont  quelque  reste  d'amour  pour  l'Église,  pour  cette 
bonne  mère  qui  les  a  enfantés  en  Christ,  pourquoi  la  vouloir  déchirer 
par  des  divisions  et  par  des  sectes?  Pourquoi  ne  travailler  pas  au 
contraire  tout  d'une  même  épaule  à  son  avancement  et  à  sa  gloire? 
C'est  de  quoi  je  les  conjure  par  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  tendre  dans 
la  religion,  par  la  comi)assion  de  notre  Dieu  et  père  et  par  le  sang 
précieux  que  Jésus-Christ  a  versé  sur  la  croix  pour  l'Église  afin  de 
se  la  rendre  une  épouse  pure,  sans  ride  et  sans  lâche. 

Pour  ce  qui  regarde  le  3*  article,  savoir  si  on  doit  admettre  à  la 
table  sacrée  ceux  qui  se  sont  mariés  dans  l'Église  romaine,  je  vous 
renvoie  aux  règlements  que  nous  en  avions  faits  dans  un  synode 

1.  Sages  réflexions  qui  ne  s'appiitiuent  pm  suuleiiientaux  piédicanles  du  Désert. 


A  PIERRE  DURAND.  319 

tenu  près  de  Nîmes  à  la  fin  de  l'année  1719  et  à  la  pratique  des 
églises  des  Cévennes.  M'  Cortez  pourra  vous  informer  de  cela.  Pour 
ce  qui  est  des  enfants  baptisés  dans  l'Église  Romaine,  je  ne  sache 
point  que  nous  ayons  rien  réglé  là-dessus  ;  on  peut  voir  ce  qu'en 
croit  M""  Pictet  dans  sa  lettre  contre  les  mariages  bigarrés  ;  si  vous 
souhaitez,  je  vous  l'enverrai  ou  si  vous  voulez  vous  n'avez  qu'à 
prier  M'  Cortez  de  vous  faire  part  de  celle  que  je  lui  envoyai  il  n'y 
pas  longtemps.  Je  vous  manderai  aussi  si  vous  souhaitez  un  petit 
livre  imprimé  que  je  priai  M'  Pictet  de  faire  contre  les  inspirés. 

Le  latin  que  vous  désireriez  d'apprendre  vous  sera  beaucoup 
plus  difficile  et  je  ne  crois  pas  même  que  vous  en  veniez  jamais  à 
bout,  sans  le  secours  d'un  maître.  C'est  une  langue  d'une  vaste 
étendue.  Je  vous  dirai  que  par  le  conseil  de  W  Pictet,  je  l'avais 
entrepris,  mais  plusieurs  autres  professeurs  m'ont  conseillé  le  con- 
traire. Un  gentilhomme  de  mes  amis  de  France,  m'écrivait  forte- 
ment là  dessus  pour  me  le  faire  abandonner.  Je  ne  l'aurais  pourtant 
pas  fait  sans  mes  grandes  occupations  et  une  infinité  de  correspon- 
dances que  j'ai;  car,  le  croiriez-vous,  cette  semaine  j'ai  plus  de  24 
lettres  à  répondre  sans  compter  celles  qui  me  surviendront  avant  la 
fin;  ajoutez  à  cela  la  composition  de  mes  sermons  et  d'autres  ouvrages 
que  je  fais.  Je  viens  de  finir  l'histoire  de  l'assemblée  de  Nîmes 
qui  contient  304-  petites  pages  *  ;  un  autre  est  l'ouvrage  intitulé  : 
Questions  adressées  à  MM.  les  pasteurs  au  sujet  des  assemblées 
de  religion  en  France  ou  dans  les  états  d'un  prince  où  elles  sont 
défendues^  savoir  si  on  doit  le  faire  ou  non.  A  ces  petites  occupa- 
tions, il  faut  joindre  encore  une  quantité  de  visites  ({u'il  faut  que  je 
fasse.  Je  ne  pouvais  pas  subvenir  à  tout  cela  ni  à  la  lecture  néces- 
saire en  apprenant  le  latin,  ainsi  je  l'ai  abandonné.  Je  crois 
qu'il  vous  en  faudra  faire  de  même;  cependant  si  vous  pouvez  l'ap- 
prendre, vous  ferez  bien  quoiqu'il  y  ait  d'autres  occupations  qui  me 
paraissent  pour  vous  beaucoup  plus  nécessaires  et  plus  utiles.  Je 
trouverais  bon  qu'en  attendant  mieux  vous  vous  applicâtes  (sic)  avant 
toute  chose  à  bien  étudier  l'Écriture  Sainte  ;  c'est  l'arsenal  d'où 

1.  C'est  la  :  Relation  historique  des  horribles  cruautés  qu'on  a  exercées  envers 
quelques  protestants  en  France  pour  avoir  assisté  à  une  assemblée  tenue  dans 
le  désert,  prés  de  Nismes,  etc.  (celle  de  la  Baume  des  Fées  en  1730),  opuscule 
très  rare  qui  mériterait  les  honneurs  d'une  réimpression.  Voir  \&  Bulletin,  t.  IV, 
p.  143,  et  t.  XXXI,  p.  450,  où  ou  en  lit  des  extraits. 


320  LETTRE   D'ANTOINE  COURT 

VOUS  devez  puiser  la  véritable  science.  II  faut  qu'un  minisire  se  la 
rende  familière,  qu'il  la  sache  comme  on  parle,  au  bout  du  doig!, 
quand  il  trouve  des  passages  obscurs,  recourir  à  de  bons  commen- 
taires, ou  à  quelque  ami  éclairé.  Étudier  ensuite  des  bons  livres  de 
théologie,  de  morale,  si  l'on  en  a  la  commodité.  Joindre  à  cela  l'his- 
toire ecclésiastique;  elle  est  très  utile  à  un  ministre.  Vous  ne  ferez 
pas  mal  de  lire  quelque  livre  bien  écrit  quand  il  serait  papiste.  Les 
proposants  d'ici  estiment  beaucoup  les  sermons  du  pèreBourdaloue, 
l'éloquence  de  Gisbert  jésuite;  en  effet  ces  livres  sont  très  propres 
à  rendre  correct  et  agréable  pour  parler  en  public.  Il  est  très  néces- 
saire que  vous  corrigiez  vos  phrases,  que  vous  polissiez  votre  style, 
que  vous  appreniez  à  dire  beaucouj)  de  choses  en  peu  de  mots;  cet 
arl  est  difficile.  Cicéron  demanda  pardon  à  un  de  ses  amis  de  ce 
qu'il  n'avait  pas  eu  le  temps  de  lui  écrire  d'une  manière  plus  courte. 
Pour  me  borner  présentement  à  vos  phrases  ou  à  vos  termes,  il  no 
faut  pas  par  exemple  dire  :  nous  réussissons  généreusement*;  l'on 
peut  dire  nous  voyons  avec  plaisir  les  heureux  succès  de  nos  tra- 
vaux ou  bien  les  efforts  que  îious  faisons  sont  accompagnés  d'une 
merveilleuse  efficace,  ou  bien  encore  nous  réussissons  au-delà  de 
nos  espérances.  On  dit  bien  nous  avons  agi  généreusement  ou  cou- 
rageusement mais  non  pas  réussi  généreusement.  On  ne  dit  pas  non 
plus  des  obstacles  à  rabattre;  on  dit  des  obstacles  à  franchir  ou  à 
surmonter,  des  obstacles  qui  paraissent  insurmontables,  des  obs- 
tacles qui  paraissent  invincibles;  on  ne  dit  pas  ranger  au  silence, 
on  dit  condamner  au  silence;  nous  avons  fait  si  bien  qu'elles  demeu- 
rent dans  le  silence;  on  dit  bien  terminer  un  différend,  mais  non 
pas  une  résistance;  on  dit  calmer,  apaiser  une  résistance  ;  quand  on 
se  sert  du  terme  des  abois  on  y  ajoute  toujours  derniers  ;  aux  der- 
niers abois,  cela  est  plus  énergique.  Le  trouble  que  nous  avons  mis 
à  leur  audience  et  rcce{ttioii,  cela  n'a  point  de  sens.  Ce  terme  d'au- 
dience est  un  terme  de  pratique  qui  n'est  plus  en  usage  ni  sur  la 
chaire  ni  dans  les  lettres.  Vous  avez  sans  doute  voulu  dire  nous 
avons  mis  les  choses  sur  un  tel  pied  que  nos  fanatiques  sont  réduits 
aux  derniers  abois;  leurs  auditeurs,  leurs  sectateurs  les  plus  favo- 
ris les  abandonnent  et  ne  veulent  plus  les  recevoir.  On  ne  dit  pas 

1.  Voir  ce  passage  (p.  203,  1.  10).  On  a  cru  à  tort  devoir  lire  :  assez  heureu- 
sement. Sauf  sur  ce  point  les  corrections  qui  suivent  gardent  lenr  à  propos,  et 
Pierre  Durand  ne  put  manquer  de  profiter  des  leçons  d'un  si  bon  maître. 


AU   PASTEUR  PIERRE   DURAND.  321 

les  foudres  et  les  anathèmes  nous  roulaient  dessus  aussi  épais  (jue 
ceux  qui  partirent  de  la  ville  de  Trente;  on  peut  dire  on  fulmine 
contre  nous  ou  bien  on  lance  contre  nous  des  foudres  et  des  ana- 
thèmes en  aussi  grand  nombre  qu'en  lancèrent  autrefois  les  pères 
du  Concile  de  Trente  contre  C. 

Pardonnez,  mon  cher  frère,  cette  liberté  que  je  me  donne.  Je  n'au- 
rais eu  garde  de  la  prendre,  n'eût  été  que  vous  m'avez  paru  être 
un  esprit  docile  et  qui  a  dessein  de  se  perfectionner  et  de  parvenir 
à  quelque  chose  de  grand.  Si  cette  liberté  ne  vous  déplaisait  point, 
vous  n'avez  qu'à  désirer  de  moi  tout  ce  dont  vous  méjugerez  capable 
et  de  me  le  marquer.  Vous  éprouverez  le  cas  infini  que  je  fais  de 
votre  personne  et  de  ce  qui  en  émane.  J'estime  les  personnes  sages 
qui  sont  amoureuses  de  la  science  et  surtout  de  celle  qui  porte  les 
hommes  au  salut.  Je  vous  suis  bien  obligé  de  l'affection  que  vous 
avez  pour  mon  neveu  ;  les  intentions  favorables  que  vous  avez  pour 
lui  ne  peuvent  point  s'exécuter  dans  la  circonstance  présente,  sup- 
posé qu'il  eût  autant  de  dispositions  que  vous  lui  en  donnez  pour  les 
lettres.  Vous  aurez  la  bonté  de  me  conserver  un  mémoire  fidèle  de 
toutes  les  principales  choses  que  vous  faites  pour  l'établissement  de 
l'ordre  des  assemblées  où  il  se  passera  quelque  chose  de  particulier, 
des  principaux  événements.  Il  faut  le  tout  bien  circonstancié  et 
conserver  la  date;  cela  me  sera  très  nécessaire  pour  l'histoire  de  nos 
églises  que  j'avais  commencée  en  France  avant  que  de  venir  en  cette 
ville.  Il  ne  me  reste  qu'à  faire  des  vœux  très  sincères  pour  votre 
conservation.  Dieu  veuille  vous  couvrir  de  sa  puissante  protection  et 
vous  rendre  un  puissant  instrument  pour  l'avancement  du  règne  de 
son  fils,  amen.  Souvenez-vous  de  moi  dans  vos  ferventes  prières.  Je 
suis  avec  beaucoup  de  tendresse,  monsieur  et  mon  très  cher  frère. 
Votre  très  humble  et  obéissant  serviteur, 

A.  Court. 


Vous  ferez  s.  v.  p.  une  brassade  tendre  à  M"" votre  père;  je  le  féli- 
cite d'avoir  un  fils  si  sage.  Mes  compliments  à  votre  collègue,  à  tous 
les  autres;  je  n'oublie  point  les  chers  fidèles;  je  me  recommande  à 
leur  cher  souvenir.  Je  désire  bien  de  les  visiter  encore  une  fois.  Il 
se  pourra  dans  la  suite.  Si  vous  veniez  quelque  jour  en  cette  ville, 
nous  pourrions  nous  en  aller  ensemble.  Ecrivez-moi  souvent,  vous 

xxxin.  —  21 


322  MÉLANGES. 

iiic  ferez  plaisir;  iipprenez-moi  toutes  les  pailicularitcs  sous 
l'adresse  qui  suit  : 

A  M.  Gacs  négociant  au  Moulard,  pour  rendre  à  M'  Court  à 
Genève. 

Nos  messieurs  du  Languedoc  se  portent  bien.  J'ai  reçu  cette 
semaine  des  lettres  de  M^^  Deluze,  Bonbonnoux,  Roux.  J'écrivis  hier 
à  M.  Betrine.  Je  n'ai  vent  de  M.  Cortès.  Mlle  son  épouse  m'a  char- 
gé de  vous  saluer;  Mlle  Fremolet  se  porte  bien;  M.  Bâtard  aussi, 
On  vous  salue. 

(Bibl.  de  Genève.  Lettres  d'Antoine  Court,  t.  I,  1"  177.) 


MÉLANGES 


LES  ÉCOLES  DE  CAMPAGNE 

DANS   l'ancien   PAYS  DE   MONTBÉLIARD 

Dès  1660  à  1670,  des  maîtres  d'école  furent  institués  dans  toutes 
les  localités  où  il  existait  une  pareille  église.  La  règle  a  du  moins 
dû  souffrir  peu  d'exceptions. 

L'auteur  des  Éph&mérides  du  comté  de  Montbéliard,  le  juge  de 
paix  Ch.  Duvernoy  (page  82,  note),  prétend  qu'en  1673  il  n'y  avait 
encore  qu'un  seul  instituteur  par  paroisse,  ce  qui,  ajoute-t-il,  a  duré 
,jus((Uvi  vers  la  fin  du  xvii''  siècle.  Cette  opinion  est  contredite  par 
les  faits.  En  effet,  le  village  mixte  de  Thavel  (Tavey),  filiale  de 
Vyans,  avait  déjà  un  instituteur  prolestant  en  1617,  et  vers  1667  un 
maître  parliculier  fut  placé  à  Clienebier  pour  ce  village  cl  celui 
d'Echavanne, auparavantréunispourl'instruction  primaire  à  Estobon, 
chef-lieu  de  la  paroisse.  Le  maître  était  vers  1672  le  sieur  Daniel 
Monnier.  Un  autre  existait  en  1690  à  Belverne,  village  érigé  en 

1.  Voir  le  Uulletin  d'avril  dcniier,  p.  175. 


MELANGES.  323 

chef-lieu  de  paroisse  en  1604  et  redevenu  simple  filiale  en  1635,  en 
même  temps  que  Colombier-Fontaine.  En  1673,  Bocourt(Beaucourt), 
petit  village*  d'abord  rattaché  après  la  réformation  à  l'église  de 
Dampierre-lès-Bois,  puis  à  celle  de  Dasle,  filiale  de  Vandoncourl 
avait  déjà  une  école  qui  ne  renfermait  d'ailleurs  que  trois  élèves 
«  Les  parents,  disaient  les  visiteurs  de  cette  époque,  ne  se  soucient 
point  de  faire  instruire  leurs  enfants  ».  Taillecourt,  annexe  d'Exin- 
court",  eut  un  instituteur  dès  le  premier  quart  du  xvii^  siècle. 

Une  chose  cependant  ne  peut  faire  doute,  —  et  l'exemple  de  Beau- 
court  en  est  déjà  la  preuve,  — c'est  qu'en  1673  l'instruction  populaire 
n'était  point  chez  nous  dans  un  état  prospère,  qu'elle  souffrait  d'un 
mal  qui  réclamait  de  prompts  remèdes,  quoique  l'autorité  ne 
s'endormît  point  et  qu'elle  accusât  une  indifférence  coupable  de  la 
part  des  populations,  vu  que,  au  dire  du  surintendant  Jean  Beurlin, 
dans  le  rapport  sur  la  visite  des  paroisses  rédigé  par  lui  en  cette 
même  année  «  il  n'y  a  point  dans  tout  Ecuray  un  homme  d'âge 
avancé  qui  sache  chanter  à  l'église  et  écrire  son  nom,  et  des  jeunes 
gens  il  n'y  en  peut  avoir  que  six  qui  puissent  ce  faire.  De  même  à 
Saint-Julien,  il  y  a  peu  d'hommes  au-dessous  de  trente  ans  qui 
sachent  lire  et  écrire,  et  si  l'on  n'y  met  ordre,  il  ne  se  trouvera  bien- 
tôt personne  au  village  qui  saura  lire  les  ordres  du  conseil  et  les 
billets  du  prévôt  ».  Il  est  vrai  que  l'on  était  encore  à  cette  époque 
presque  au  lendemain  de  la  guerre  de  Trente  ans,  et  que  la  désor- 
ganisation avait  été  partout  si  profonde,  que  de  longues  années 
étaient  nécessaires  pour  relever  le  pays  de  ses  ruines  et  y  ramener 
l'ordre  et  la  sécurité  dont  il  avait  antérieurement  joui. 

Nous  voyons  cependant  en  1608  un  simple  cultivateur  du  même 
village  de  Saint-Julien,  Daniel  Vessaiix,  adresser  au  duc  Jean-Fré- 
déric un  ouvrage  de  sa  composition,  imprimé  à  Montbéliard  sous  le 
titre  de  :  Thrésor  d'arithmétique,  1  vol.  in-li2.  Son  épître  dédica- 
toire  lui  avait  valu  une  gratification  de  30  francs,  —  c'était  là,  il 
faut  le  dire,  un  fait  exceptionnel,  une  espèce  de  phénomène,  car  nos 

1.  En  1750,  Bcaucoiiit  comptait  224  habitants,  dont  175  protestants  et  4!) 
catholiques.  Le  village  devait  en  avoir  bien  moins  quatre-vinj;ts  ans  auparavant. 

2.  A  la  Réformation,  Escincourl  fut  créé  mère  é8:lise  avec  Audincourt  pour 
filiale.  Vers  l'an  1588,  le  pasteur  d'Escincourt  alla  résider  à  Audincourt,  la  mai- 
son curiale  du  premier  de  ces  villages  ayant  été  incendiée  pendant  la  guerre  des 
Guises. 


324  MÉLANGES. 

populations  campagnardes  étaient  alors  ce  qu'elles  restèrent  encore 
bien  longtemps  après;  elles  ne  goûtaient  nullement  les  avantages 
de  l'instruction,  dont  elles  ne  sentaient  pas  le  besoin,  et  envoyer 
leurs  enfants  s'asseoir  sur  les  bancs  de  l'école,  c'était,  à  leurs  yeux, 
les  soumettre  à  un  travail  tout  à  fait  inutile  et  leur  ôter  en  quelque 
sorte  le  pain  quotidien.  L'esprit  était  entièrement  sacrifié  par  eux  à 
la  matière. 

Quant  Ruxannexes,  c'est-à-dire  aux  communes  qui  ne  possédaient 
point  de  temple  et  par  suite  point  de  culte  régulier,  et  qui  dépendaient 
de  la  filiale  ou  plus  rarement  de  la  mère-église,  elles  ne  furent  géné- 
ralement pourvues  d'écoles  qu'à  partir  du  xviir  siècle  et  pas  toutes 
en  même  temps.  Nous  disons  généralement,  car  nous  venons  tout  à 
l'heure  d'en  signaler  quelques-unes  —  et  elles  n'étaient  sans  doute 
pas  les  seules,  — qui  faisaient  exception  à  la  règle.  Il  est  certaines 
d'entre  ces  annexes  qui,  vu  leur  faible  population  (8  à  10  ménages) 
et  l'impossibilité  où  elles  se  trouvaient  de  faire  à  un  maître  un  trai- 
tement suffisant*,  durent  rester  habituellement  et  même  continuel- 
lement privées  d'un  maître  qui  leur  fût  propre.  Ainsi  Echavafine, 
qui  dépendait  de  Clienebier,  ayant  reçu  un  maître  particulier  en  1746, 
fut  détachée  pour  l'instruction  primaire  de  la  mère-église,  puis  de 
nouveau  rattachée  à  celle-ci  pour  s'en  séparer  en  1805,  où  elle  eut 
définitivement  un  maître  spécial.  Les  enfants  des  annexes  sans  insti- 
tuteur propre  recevaient  l'instruction  dans  la  mère-église  ou  dans  la 
filiale,  et  il  y  avait  des  maîtres  qui  tenaient  de  temps  à  autre  la 
classe  dans  ces  annexes,  sans  doute  par  suite  d'un  arrangement 
amiable  fait  entre  les  parties  intéressées. 

Si  la  guerre  de  Trente  ans  fut  fatale  à  nos  écoles  en  moissonnant 
les  maîtres  qui  les  dirigeaient  et  en  détruisant  leurs  locaux,  des  maux 
d'une  autre  nature  ne  tardèrent  pas  à  fondre  sur  elles  et  à  les  sou- 
mettre à  de  nouvelles  épreuves.  Depuis  longtemps  la  principauté  de 
Montbéliard  était  l'objet  des  convoitises  de  sa  puissante  voisine,  et 
les  projets  de  cette  dernière  commencèrent  à  se  dévoiler  dès  que  le 
roi  Louis  XIV  eut  conquis  pour  la  seconde  fois  la  Franche-Comté  en 
1674,  notre  petit  pays  lui  étant  indispensable  pour  assurer  la  défense 

1.  Le  tiailciiieiit  des  niiiilrcs  fui  fait  jusqu'à  la  guerre  de  Trenle  ans  sur  les 
revenus  des  recettes  ecclcsiasliqucs;  il  incomba  aux  comniunaulcs  après  cette 
môme  guerre,  qui  avait  diminué  les  revenus  de  ces  recettes  dans  une  forte 
proportion. 


MÉLANGES.  3*25 

de  cette  province.  C'est  alors  que  commença  pour  lui  et  spécialement 
pour  ses  seigneuries  cette  suite  presque  ininterrompue  de  vexations 
et  d'oppressions  tantôt  plus  ouvertes  et  plus  hardies,  tantôt  plus 
sourdes  et  plus  déguisées,  qui  devaient  se  prolonger  pendant  tout  le 
XVIII'  siècle  et  ne  finir  qu'avec  lui. 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  retracer  cette  triste  page  de  nos  annales, 
qui  d'ailleurs  est  loin  deprésenter  un  tableau  aussi  sombre quecelles 
qui  racontent,  à  la  même  époque,  les  souffrances  des  protestants 
français  privés,  par  un  pouvoir  qu'aveuglait  le  fanatisme  le  plus 
odieux,  de  leurs  droits  civils,  et  contraints  par  la  violence  et  l'ap- 
pareil des  supplices,  à  abjurer  la  foi  qu'ils  avaient  reçue  de  leurs 
pères  :  abus  monstrueux  de  la  force  qui  semble  aujourd'hui  sans 
excuse.  Nous  voulons  seulement  rappeler,  en  quelques  mots,  les 
mesures  vexatoires  et  odieuses  prises  par  ordre  du  gouvernement 
français  à  l'égard  de  certaines  écoles  des  seigneuries  que  les  cir- 
constances désignèrent  plus  particulièrement  à  l'attention  de  ce 
gouvernement. 

C'est  dès  le  début  du  xviii^  siècle  que  se  montra  envers  ces  écoles 
le  mauvais  vouloir,  l'hostilité  du  grand  roi  et  de  ses  trop  dociles 
agents.  La  première  paroisse  rurale  qu'atteignit  la  persécution  fut 
celle  de  Saint-Maurice,  une  des  plus  étendues  de  tout  le  pays.  Le 
village  de  ce  nom  venait  (janvier  1700)  de  voir  son  temple  envahi  par 
la  force  armée  et  un  curé  installé  dans  ce  temple  pour  y  célébrer  ré- 
gulièrement les  offices  catholiques,  quoique  la  population  fût  com- 
plètement protestante.  Le  même  sort  atteignit  les  deux  filiales,  Blus- 
sansetColombier-Fontache,  et  toutes  trois,  mère-église  et  filiales,  avec 
les  annexes  de  Colombier-Châtelot  (plus  anciennement  Colombier- 
sous-Châlelot)  et  de  Blussangeaur  (y  compris  le  hameau  du  Châtelot 
en  dépendant),  aux  habitants  desquelles  furent  interdits  non  seule- 
ment toute  assemblée  particulière  pour  la  célébration  de  leur  culte, 
mais  même  l'accès  dans  les  temples  voisins,  se  virent  en  même  temps 
enlever  leurs  instituteurs  dont  elles  sollicitèrent  en  vain  le  rétablis- 
sement dans  les  années  1713,  1727  et  1733.  Les  démarches  actives 
et  instantes  que  firent  à  cet  effet  les  municipalités  de  ces  communes 
n'aboutirent  qu'à  provoquer  contre  les  réclamants  de  fortes  amendes 
et  même,  pour  quelques-uns,  l'emprisonnement  temporaire  dans  les 
cachotsde  Baume  et  de  Besançon.  L'arrêté  de  l'intendant  de  Franche- 
Comté  prononçant  l'expulsion  définitive  de  tous  les  maîtres  d'école 


32(>  MÉLANGES. 

de  la  paroisse  est  du  14  octobre  1733,  et  dès  lors  aucune  tentative 
de  restauration  de  ces  maîtres  de  la  part  des  paroissiens  ne  fut  plus 
possible. 

Ce  ne  fut  qu'en  1790,  après  le  mémorable  décret  rendu  en  sep- 
tembre de  cette  année  par  l'Assemblée  Constituante,  qu'ils  purent 
être  réintégrés  dans  leurs  charges  pour  ces  différents  villages,  à 
l'exception  toutefois  de  Blussans,qui  fut  définitivement  privé  du  sien, 
la  population  protestante  de  cette  commune  mi-partie  ayant  consi- 
dérablement diminué  dans  le  cours  du  xviif  siècle  par  l'effet  de 
l'intolérance  et  des  mauvais  procédés  des  curés  du  lieu,  tous  enne- 
mis acharnés  de  l'hérésie  luthérienne. 

Bien  que  la  culture  intellectuelle  "des  maîtres  de  ce  temps  fût  à 
peine  supérieure  à  celle  des  autres  habitants  campagnards,  la  dispa- 
rition des  premiers  n'en  était  pas  moins  à  déplorer,  parce  qu'elle 
avait  pour  effet  d'abaisser  encore  le  niveau  général  de  l'instruction 
populaire  et,  par  suite,  de  porter  un  grave  préjudice  au  développe- 
ment moral  des  populations  et  aux  progrès  de  l'Église  évangélique 
à  laquelle  elles  appartenaient. 

Un  prêtre  catholique  fut  de  même  imposé  par  la  force  en  1741  au 
village  de  Longerelle,  également  compris  dans  la  seigneurie  du  Cliâ- 
telot,  après  la  mort,  survenue  en  cette  année,  du  ministre  qui  y  rési- 
dait, David-Frédéric  Macler,  en  fonctions  dans  l'église  de  ce  lieu 
depuis  1691,  et  alors  assisté,  en  raison  de  son  grand  âge,  par  un 
vicaire,  George-David  Sabler.  Il  était  le  seul  ministre  resté  en 
exercice  dans  cette  région,  qui  ne  comptait  d'ailleurs  qu'un  assez 
petit  nombre  d'habitants.  Dès  ce  moment,  le  vicaire  ayant  été  con- 
gédié par  ordre  supérieur,  il  ne  put  plus  y  être  question  de  maître 
protestant  (remplacé  par  un  maître  catholique,  en  même  temps 
sacristain)  jusqu'en  1790,  et  c'est  à  peine  si  l'on  osait  y  réunir,  dans 
le  plus  grand  secret,  quelques  enfants  pour  leur  enseigner  la  lecture, 
les  deux  curés  qui  se  succédèrent  dans  cette  église  après  l'expulsion 
du  vicaire  Sabler  poussant  le  fanatisme  religieux  jusqu'à  épier  les 
moindres  démarches  des  habitants,  les  surveillant  de  jour  et  de  nuit, 
et  les  faisant  punir  exemplairement  pour  la  plus  légère  infraction 
aux  ordres  du  Roi. 

En  1700,  le  chœur  de  l'église  de  hongres,  filiale  de  Bavans,  avait 
été  enlevé  de  force  aux  protestants,  et  le  curé  de  Montenois  en 
avait  nussitôt  pris  possession.  En  1744,  le  Conseil  de  régence  de 


MELANGES.  327 

Montbéliard  éleva  des  plaintes  inutiles  contre  la  défense  qui  venait, 
d'être  faite  aux  habitants  de  ce  village  mi-parti  de  continuer  à  tenir 
des  assemblées  dans  leur  temple,  qui  était  construit  sur  la  partie  du 
territoire  relevant  de  la  seigneurie  du  Châtelot.  Mais  ces  mêmes 
habitants  purent,  malgré  tout  le  déplaisir  qu'en  éprouvait  l'intolérant 
curé,  en  cela  imitateur  de  tous  ses  confrères,  conserver  leur  maître 
d'école  par  la  raison  que  certains  d'entre  euxétaient  sujets  du  comté. 
Ce  dernier  avait  même  la  faculté  d'entrer,  les  dimanches  et  jours  de 
fête,  dans  l'église  pour  y  lire  les  prières  publiques,  y  faire  les  caté- 
chisations,  et,  dans  la  semaine,  pour  y  lire  de  même  les  prières 
liturgiques  à  l'occasion  des  inhumations  qui  se  présentaient  (Colom- 
bier-Fontaine y  enterrait  aussi  ses  morts).  Il  était  libre  de  sonner 
la  cloche  pour  tous  ces  divers  services,  sans  que,  d'ailleurs,  aucun 
ministre  fut  autorisé  à  y  faire  la  moindre  prédication  ou  à  y  accom- 
plir le  moindre  acte  de  culte,  jusqu'à  la  Révolution. 

A  Montéctieroux,  le  temple  qui,  depuis  1700,  était  soumis  au 
simultanéum,  fut  [attribué  aux  seuls  catholiques  à  partir  du  9  avril 
1745,  après  la  mort  du  ministre  Pierre  Doriot,  vieillard  octogénaire 
qui  avait  pour  vicaire  F.-N.  Charrière.  L'expulsion  de  ce  dernier 
entraîna  celle  de  l'instituteur  du  lieu,  et  la  charge  ne  fut  rétablie 
qu'avec  toutes  les  autres  supprimées.  Le  même  sort  atteignit  le  maître 
de  LiebvillerSy  qui  faisait  partie  de  la  paroisse;  mais  la  population 
protestante  de  ce  village  ayant  été  réduite  en  nombre  dans  la 
seconde  moitié  du  xviii^  siècle,  n'eut  plus  à  elle  d'instituteur  de  ce 
culte  et  dut  faire  instruire  ses  enfants  au  dehors. 

Le  simultanéum  avait  été  introduit  en  août  1700,  dans  le  temple 
de  Bldmontj  construit  en  1608,  incendié  en  1726  avec  d'autres  bâti- 
ments, et  réédifié  en  1731,  les  protestants  ayant  été,  dès  cette  der- 
nière année,  exclus  de  son  usage  et  réduits  à  célébrer  leur  culte 
dans  une  maison  particulière.  En  1744,  on  leur  interdit  tout  exercice 
religieux  dans  le  bourg  et  on  leur  assigna  le  village  voisin  de  Pierre- 
fontaine  «  pour  y  aller  au  prêche  et  y  inhumer  leurs  morts  ».  Dès 
lors,  ce  dernier  village  servit  de  lieu  d'assemblée  aux  protestants  de 
Blâmont,  auxquels  se  réunirent  bientôt  ceux  des  paroisses  de  Mon- 
técheroux  et  de  Glay,  traités  avec  la  même  inflexible  rigueur.  L'em- 
ploi de  maître  d'école  protestant  ayant  été  supprimé  à  BlAmont,  les 
enfants  de  cette  localité  durent,  pour  recevoir  l'instruction  primaire, 
se  rendre  au  même  village  de  Pierrefontaine  jusqu'en  1790,  où  cessa 


328  MÉLANGES. 

le  règne  de  l'intolérance  pour  faire  place  aux  légitimes  réparations. 
C'est  en  1746  que  les  temples  de  Glay  et  de  Villars-lès-Bldmont 
furent  violemment  usurpés  sur  les  protestants  après  le  décès  de 
Chr.  Ch.  Duvernoy,  ministre  de  la  paroisse  depuis  l'année  1703.  Avec 
lui  disparurent  les  maîtres  d'école  de  ces  deux  villages,  ainsi  que 
ceux  de  Meslières  et  de  Dannemarie,  tous  ensemble  composant  la 
paroisse,  et  il  ne  leur  en  fut  accordé  de  nouveau  qu'en  1790,  à 
l'exception  toutefois  de  Dannemarie,  dont  la  population  catholique, 
dans  la  deuxième  moitié  du  xviii''  siècle,  s'était  formée  et  accrue 
par  des  immigrations  successives.  Lors  de  la  saisie  des  deux  temples 
susmentionnés,  il  n'existait  dans  chacun  des  lieux  de  Glay  et  de  "Vil- 
lars  qu'une  seule  famille  catholique  romaine. 

La  saisie  de  l'église  de  Chagey,  seigneurie  d'Héricourt,  opérée  le 
27  août  1740,  fut  accompagnée  d'excès  déplorables  et  qui  remplirent 
d'épouvante  tout  le  pays.  Cette  usurpation,  la  première  qni  ait  été 
signalée  par  des  incidents  aussi  tragiques,  amena  la  création,  dans 
la  même  année  1740,  de  la  cure  de  Couthenans  (village  du  comté 
de  Montbéliard),  avec  les  sections  de  Chagey  et  de  Luze.  Contraire- 
ment à  toutes  les  prévisions,  les  habitants  de  ces  deux  derniers  vil- 
lages conservèrent  leurs  instituteurs  protestants.  Nous  croyons,  sans 
l'affirmer,  qu'il  en  arriva  de  même  à  Seloncourt  et  à  Bondeval, 
dont  les  églises  furent  exclusivement  attribuées  aux  catholiques  après 
la  mort(1740)  du  ministre  qui  les  desservait,  Jean-NicolasBinningen, 
que  son  zèle  pieux  et  son  amourdesiimes  avaient  tout  particulière- 
ment exposé  à  l'animadversion  du  clergé  romain. 

Au  milieu  du  xviii'  siècle,  il  y  ax^ilkClienebier  et  à  Echavannes 
(seigneurie  d'Héricourt)  quelques  enfants  catholiques  appartenante 
des  familles  nouvellement  établies  dans  ces  deux  villages.  Un  insti- 
tuteur catholique  fut  placé  dans  le  premier  en  1755  et  salarié  sur  les 
revenus  communaux  en  vertu  d'arrêtés  du  gouvernement  français. 
Dès  lors,  cet  instituteur  s'est  toujours  maintenu  dans  l'endroit,  bien 
qu'il  ne  fût  pas  vu  de  bon  œil,  comme  c'était  d'ailleurs  partout  le 
cas  pour  les  membres  de  la  minorité  romaine.  Une  chapelle  catho- 
lique fut  construite  à  Chenebier  en  1843  et  1844,  et  elle  devint 
église  paroissiale  en  1846.  On  sait  que  la  place  de  pasteur  à  Chene- 
bier a  été  créée  en  1837.  Le  Conseil  de  régence  de  Montbéliard  avait 
tenté  à  deux  reprises  (1755  et  1756)  de  faire  écarter  l'instituteur 
catholique  récemment  installé  dans  ce  village,  sans  pouvoir  y  réussir. 


MÉLANGES.  329 

Des  circonstances  diverses  empêchèrent  que  les  autres  villages  des 
seigneuries  fussent  privés  de  leurs  instituteurs.  C'est  ainsi,  par 
exemple,  que  la  paroisse  de  Vyans  put  conserver  les  siens  par  suite 
de  la  mesure,  toute  de  prévoyance,  qui  la  rattacha  à  Bethoncourt 
(comté  de  Montbéliard),  après  1718,  époque  de  l'incendie  acciden- 
tel de  son  presbytère. 

Si  nous  ne  parlons  pas  ici  du  comté  proprement  dit,  c'est  que  le 
traité  de  Ryswick  (30  octobre  1697)  y  fut  mieux  exécuté  que  dans 
les  seigneuries,  et  que  les  maîtres  de  l'enfance  n'y  furent  pas  l'objet 
de  mesures  d'expulsions  pareilles  à  celles  qui  atteignirent  leurs  col- 
lègues des  quatre  terres. 

Tous  ces  exemples,  auxquels  pourraient  sans  doute  s'en  ajouter 
d'autres,  attestent  les  douloureuses  épreuves  par  lesquelles  passèrent 
nos  pères  sous  des  rois  qui  n'étaient  que  les  instruments  de  l'into- 
lérance, source  toujours  féconde  d'excès  que  l'impartiale  histoire 
ne  saurait  trop  condamner  et  flétrir.  Ils  doivent  nous  faire  d'au- 
tant mieux  apprécier  l'immense  bienfait  de  la  Révolution  fran- 
çaise reconnaissant  et  proclamant  à  la  face  du  monde  nos  droits  si 
indignement  méconnus  et  foulés  aux  pieds  par  un  pouvoir  sans 
contrôle,  persécuteur  obstiné  des  conscience  s,  et  réparant  ainsi  l'in- 
justice d'une  longue  oppression  d'autant  plus  odieuse,  qu'elle 
s'exerçait  au  nom  et  sous  les  auspices  d'une  religion  toute  de  bien- 
veillance, de  charité  et  de  fraternité! 

Aussi  longtemps  qu'il  n'exista  qu'une  école  de  paroisse,  tous  les 
enfants,  sans  distinction,  à  partir  d'un  âge  désigné,  furent  tenus  de 
s'y  rendre,  sauf  le  cas  d'empêchement  majeur,  pour  y  apprendre  et 
y  réciter  le  catéchisme,  dont  l'explication  formait  tout  l'enseigne- 
ment religieux.  Lors  de  la  création  des  écoles  de  filiales,  les  élèves 
des  annexes  durent  s'y  rendre  au  même  [titre  jusqu'à  ce  que 
celles-ci  fussent  à  leur  tour  pourvues  d'un  maître.  C'était  aux  con- 
sistoires paroissiaux  (dont  un  existait  dans  la  mère-église  et  un  dans 
la  filiale)  à  veiller  à  la  fois  sur  l'assiduité  des  élèves  et  sur  l'exacti- 
tude des  parents  à  les  ranger  au  devoir;  mais  quels  obstacles 
dans  l'éloignement  des  uns  pour  tout  travail  de  l'esprit  et  dans  l'in- 
curie habituelle  des  autres,  et  quoi  d'étonnant  que  la  sim|de  lecture 
ait  été  si  peu  familière  à  tant  de  personnes  et  leur  ignorance  si  pro- 
fonde! Lutter  contre  de  pareilles  dispositions  était  une  œuvre  qui 
demandait  du  temps,  de  la  persévérance  et   qui  ne  pouvait  s'ac- 


330  BIBLIOGRAPHIE. 

complir  que  par  un  dévouement  réel  et  effectif  à  la  chose  publique. 
Une  ordonnance  de  1571  «  pour  les  maîtres  de  Montbéliard  et 
Riquevihrt  »  rappelle  à  ceux-ci  que  les  enfants  leur  sont  confiés 
comme  des  joyaux  célestes  et  non  comme  le  bétail  au  pâtre,  et  cette 
idée  se  trouve  déjà  exprimée  dans  l'ordonnance  de  1560.  C'était  là 
parler  d'or;  mais  où  étaient  ceux  qui  comprenaient  un  tel  langage? 
Nous  pourrons  dire  ailleurs  le  cas  que  l'on  faisait  trop  généralement 
dans  les  écoles  de  cette  sage  recommandation. 

Ch.  Roy,  pasteur. 


BIBLIOGRAPHIE 


HISTOIRE  DU  PEUPLE  DE  GENÈVE 

DEPUIS   LA   RÉFORME    JUSQU'A   L'ESCALADE 

PAR  Amédée  Roget* 


Depuis  qu'il  avait  entrepris  la  publication  de  son  Histoire  du 
peuple  de  Genève,  depuis  la  Réforme  jusqu'à  VEscalade,  Amédée 
Roget  n'a  jamais  manqué  d'en  faire  paraître,  au  mois  de  décembre 
de  chaque  année,  une  livraison  soit  un  demi-volume.  Pour  la  pre- 
mière fois,  les  souscripteurs  n'ont  reçu  la  livraison  qu'au  mois 
d'aviil  de  l'année  suivante  et  ils  n'ont  que  trop  bien  compris  le  mo- 
tif douloureux  de  ce  retard  exceptionnel.  L'infatigable  auteur  a  été 
enlevé  à  son  pays  et  à  la  science  historique  avant  d'avoir  achevé 
l'impression  de  ce  demi-volume  et  c'est  à  des  mains  amies  qu'il 

1.  Tome  VII,  seconde  livraison.  Genève,  librairie  Julien. 

L'article  ci-dessus,  inséré  dans  le  Journal  de  Genève  du  25  mai  dernier,  par 
notre  ami  M.  Ch.  Lefort,  répond  trop  bien  à  nos  propres  sentiments  pour  que 
nous  nous  abstenions  de  le  reproduire  dans  le  Bulletin,  tout  en  nous  réservant 
d'exprimer,  avec  quelques  nuances,  un  jugement  personnel  sur  l'œuvre  d'Amc- 
dée  Roget  (fiéd.). 


BIBLIOGRAPHIE.  331 

était  réservé  de  le  mettre  au  jour,  après  avoir  publié  le  dernier  fas- 
cicule des  Étrenncs  genevoises. 

La  méthode  et  le  genre  d'exposition  d'Amédée  Roget  sont  natu- 
rellement demeurés  les  mêmes,  mais,  parvenu  à  une  période  rela- 
tivement plus  calme  de  l'histoire  de  Genève,  l'auteur  a  pu  embras- 
ser, dans  une  seule  livraison,  les  trois  années  1565,  4566  et  1567; 
un  dernier  chapitre  est  même  consacré  au  mois  de  janvier  1568, 
car  l'historien  genevois  avait  l'habitude  de  prendre  pour  point  de 
départ  des  divisions  de  son  ouvrage,  le  Conseil  général  du  premier 
dimanche  de  février,  dans  lequel  on  procédait  à  l'élection  des  syn- 
dics. 

Au  point  de  vue  de  la  situation  extérieure  de  Genève,  ces  années 
sont  comprises  entre  le  traité  de  1564  conclu  par  Berne  avec  la 
Savoie  et  la  mise  à  exécution  de  ce  traité.  C'est  une  période  mar- 
quée par  des  inquiétudes  de  tout  genre,  des  négociations,  des  con- 
férences tenues  ou  ajournées,  marquée  surtout  par  de  continuelles 
tracasseries  provenant  à  la  fois  des  Bernois,  ces  alliés  de  Genève, 
qui  doivent  bientôt  cesser  d'être  ses  voisins  immédiats,  mais  font 
sentir  leur  autorité  jusqu'au  dernier  jour;  et  de  la  Savoie  qui  est 
sur  le  point  de  reprendre,  avec  son  ancien  territoire,  son  mauvais 
vouloir  et  ses  procédés  hostiles.  D'ailleurs  aucune  alerte  sérieuse, 
à  l'exception  de  celle  que  provoque,  en  1567,  le  passage  du  duc 
d'Albe  au  travers  de  la  Franche-Comté.  Le  chapitre  consacré  à  ce 
passage  est  un  des  meilleurs  dus  à  la  plume  de  Roget,  car,  à  une 
exposition  précise  et  animée  des  préparatifs  de  défense  des  Genevois 
et  de  leurs  préoccupations,  il  joint  une  discussion  judicieuse  sur  le 
plus  ou  moins  de  probabilité  d'une  attaque  du  général  espagnol 
contre  Genève. 

Dans  l'intérieur  de  cette  ville,  indépendamment  de  menus  détails 
du  ménage  politique,  on  rencontre,  en  1566,  le  triste  épisode  du 
procès  et  de  la  condamnation  de  Jacques  Spifame,  cet  ancien 
évêque  de  Nevers,  qui  avait  joui  de  la  faveur  de  Calvin  el  de  celle 
des  princes  français  et,  en  janvier  1568,  la  promulgation  des  Édits 
politiques  et  des  Édits  civils.  Les  premiers  ne  formaient  en  réalité 
qu'une  révision  de  ceux  qui  avaient  été  votés  en  1543;  et,  en  com- 
parant ces  deux  recueils,  Roget  a  pu  réfuter  certaines  opinions 
inexactes  sur  les  institutions  de  Genève. 

Ce  n'est  point  sans  émotion  (|ue  nous  avons  élé  appelés  à  annon- 


332  BIBLIOGRAPHIE. 

cer  le  dernier  travail  de  noire  collègue  et  ami,  et  que  nous  devons 
maintenant  prendre  congé  de  ce  consciencieux  écrivain.  A  ces  sen- 
timents de  tristesse  et  de  regrets  doit  s'unir  une  juste  reconnais- 
sance des  services  qu'il  a  rendus  à  l'histoire  nationale. 

Sans  doute  il  n'a  pas  atteint  le  terme  qu'il  avait  fixé  pour  son 
principal  ouvrage,  et,  à  ne  compter  que  le  nombre  des  années,  il 
n'avait  pas  fourni  la  moitié  de  sa  carrière.  Mais  cette  donnée  chro- 
nologique conduirait  à  une  appréciation  inexacte.  Malgré  l'intérêt 
offert  par  les  négociations  et  les  guerres  qui  ont  rempli  les  trente 
dernières  années  du  seizième  siècle,  la  période  déjà  parcourue  est 
évidemment  plus  importante.  Elle  embrasse,  en  effet,  le  premier 
séjour  de  Calvin,  le  temps  de  son  exil,  qui  fut  l'épreuve  de  son 
influence,  son  retour  à  Genève,  les  luttes  qu'il  est  appelé  à  soutenir, 
l'époque  durant  laquelle  son  ascendant  est  incontesté,  et  les  pre- 
mières années  après  sa  mort;  c'est  dans  cette  période  qu'on  voit  se 
constituer  définitivement  l'individualité  nationale  de  Genève,  se  des- 
siner son  rôle  historique  et  quelques-uns  des  éléments  les  plus  im- 
portants de  sa  population  s'établir  dans  ses  murs.  D'autre  part, 
c'était  la  période  la  plus  délicate  à  traiter,  car  les  luttes  engagées  au 
seizième  siècle,  sur  le  double  terrain  politique  et  religieux,  provo- 
quent encore  aujourd'hui  des  sympathies  et  des  antipathies  qui 
risquent  de  compromettre  l'impartialité  de  l'historien.  Dans  les 
pages  aussi  judicieuses  que  sympathiques  dont  M.  le  professeur 
Pierre  Vaucher  a  fait  précéder  cette  livraison,  il  indique  à  quel 
point  Roget  a  su  s'acquitter  de  sa  tcàche  difficile,  il  signale  les  mé- 
rites de  son  ouvrage  et  le  caractère  de  sa  composition.  En  nous  joi- 
gnant pleinement  à  cette  appréciation,  nous  désirons,  avant  de  clore 
ces  lignes,  rechercher  de  plus  près  la  place  occupée  par  notre  ami 
dans  le  mouvement  contemporain  des  études  historiques  à  Genève. 

Au  moment  où  Amédée  Ilogel  entreprenait,  dans  nos  archives,  les 
recherches  qui  devaient  aboutir  à  la  rédaction  de  YHistoire  du 
peuple  de  Genève,  tout  un  groupe  d'érudits  s'était,  depuis  plus  de 
trente  années,  voué  à  l'étude  de  l'histoire  de  Genève  dans  l'esprit 
de  patiente  exactitude  et  d'impartial  examen  que  réclame  la  méthode 
moderne.  Mais  leurs  écrits  et  les  textes  publiés  par  leurs  soins  se 
rapportaient,  de  préférence,  ou  bien  au  moyen  âge  épiscopal,  ou 
bien  aux  luttes  pour  l'indépendance  politique,  qui  avaient  précédé 
la  réforme   religieuse.    Divers   mémoires,   rédigés  dans  le  même 


BIBLIOGRAPHIE.  333 

espril,  avaient  été,  i!  est  vrai,  consacrés  à  des  épisodes  spéciaux  ou 
à  des  biographies,  appartenant  à  la  période  dominée  par  la  person- 
nalité de  Calvin.  Mais  quant  à  l'ensemble  de  celte  période  et  à  l'ap- 
préciation du  rôle  du  réformateur,  on  était,  le  plus  souvent,  en 
présence  de  deux  classes  d'écrits  :  les  uns  se  rattachant,  avec 
diverses  nuances,  au  point  de  vue  traditionnel,  et  offrant  un  carac- 
tère apologétique,  qui  pouvait  inspirer  quelque  défiance;  les  autres 
renfermant  des  attaques  violentes  et  passionnées  contre  Calvin  et 
ses  compagnons  d'œuvre  et  devant,  moins  encore,  être  acceptés 
sans  examen.  Dès  lors,  nul  travail  ne  devait  être  plus  justement 
réclamé,  qu'une  investigation  approfondie  et  détaillée  de  l'histoire 
de  Genève  durant  les  années  qui  ont  suivi  l'établissement  de  la 
Réforme,  investigation  basée  sur  l'étude  des  documents  contem- 
porains et  prenant  en  considération  toutes  les  circonstances  poli- 
tiques et  sociales  de  Genève. 

Telle  est  précisément  l'œuvre  à  laquelle  Amédée  Roget  s'est  cou- 
rageusement consacré,  en  retraçant,  année  par  année,  presquejour 
par  jour,  les  faits  et  gestes  de  la  cité  genevoise  durant  la  période 
dont  nous  avons  signalé  tout  à  l'heure  l'étendue  et  l'importance. 

Il  a  pleinement  réalisé  son  programme  :  on  a  même  pu  croire 
qu'il  l'avait  interprété  d'une  manière  trop  littérale.  Les  registres  du 
Conseil,  la  correspondance  des  réformateurs,  au  lieu  d'être  simple- 
ment consultés,  fournissent  en  effet  à  l'ouvrage  de  Roget  de  nombreux 
fragments  textuellement  reproduits;  cette  méthode,  qui  offre,  au 
point  de  vue  de  la  forme,  certains  inconvénients,  répondait  à 
l'extrême  réserve  de  l'auteur,  et  donne  à  sa  publication  une  valeur 
documentaire  très  précieuse. 

On  s'est  encore  demandé  si  les  renseignements  sur  le  mouvement 
de  la  population,  les  réceptions  à  la  bourgoisie,  les  procès,  qui  ter- 
minent d'une  manière  un  peu  uniforme  le  récit  de  chaque  année, 
appartenaient  bien  réellement  à  l'histoire.  Nous  ne  regrettons  point, 
quant  à  nous,  ces  données  statistiques  qui  aident  à  mieux  connaître, 
dans  sa  vivante  réalité,  cette  communauté  genevoise  dont  les  vicis- 
situdes sont  retracées. 

Sans  doute,  après  les  sept  volumes  de  Roget,  on  entreprendra 
encore  des  recherches,  on  publiera  des  mémoires  sur  la  période 
traitée  par  lui  avec  une  si  grande  abondance.  Des  investigateurs 
examineront  de  plus  près  l'un  ou  l'autre  des  événements  exposés 


334  BIBLIOGRAPHIE. 

dans  cette  histoire,  ou  bien  retraceront  la  vie  d'un  personnage 
notable  ;  ils  seront  amenés,  peut-être,  à  rectifier  certaines  assertions 
de  l'auteur,  qui,  dans  la  crainte  d'adopter  une  opinion  trop  pronon- 
cée, cède  quelquefois  à  une  sorte  de  parti  pris  de  juste  milieu. 
D'autres  écrivains  résumeront  dans  un  tableau  d'ensemble  les  prin- 
cipaux faits  disséminés  dans  l'ouvrage  d'Amédée  Roget. 

Mais  c'est  précisément  grâce  à  cet  ouvrage  que  ces  divers  travaux 
s'accompliront;  il  les  provoque  et  les  facilite.  Il  reproduit  en  efTet 
les  textes  de  nombreux  documents  et  en  signale  un  plus  grand 
nombre;  il  offre  un  cadre  tracé  d'une  main  sûre,  dans  lequel  vien- 
dront se  placer  les  résultats  de  recherches  entreprises  sur  des  points 
spéciaux.  Même  après  sa  mort,  notre  collègue  contribuera  ainsi  au 
développement  des  études  historiques  à  Genève. 

On  reconnaîtra  peut-être  que  d'autres  périodes  de  nos  annales, 
ne  sauraient  être  exposées  d'une  manière  aussi  détaillée  et  sur  un 
plan  identique  à  celui  de  Roget.  Mais  ceux  de  nos  concitoyens  qui 
seront  appelés  à  explorer  un  domaine  quelconque  de  l'histoire  na- 
tionale, devront,  pour  aboutir  à  une  œuvre  sérieuse,  suivre 
l'exemple  de  ce  travailleur  consciencieux,  modeste  et  désintéressé, 
de  ce  citoyen  dévoué  qui  envisageait  l'étude  du  passé  de  Genève 
comme  un  devoir  envers  la  patrie. 

Charles  Le  Fort. 

N.  B.  Sous  ce  titre  :  Souvenirs  religieux  des  Cévennes,  j'ai  reçu 
de  mon  vénéré  maître  et  ami  M.  A.  Germain,  professeur  et  doyen 
honoraire  de  la  Faculté  des  lettres  de  Montpellier,  un  mémoire  aussi 
instructif  que  touchant  sur  Pierre  Claris,  abbé  de  Floriaii,  pasteur 
du  Refuge  à  Londres,  et  gra)id-oncle  du  fabuliste.  Ce  mémoire  qui 
complète,  à  certains  égards,  l'intéressant  ouvrage  que  nous  devons 
à  M.  Albin  de  Montvaillant  :  Florian,  sa  vie,  ses  œuvres,  etc.,  sera 
l'objet  d'un  compte  rendu  détaillé  dans  le  prochain  numéro  da  Bul- 
letin. Mais  nous  tenons  à  offrir,  dès  aujourd'hui,  nos  remerciements 
à  l'auteur  d'une  publication  qui  joint  à  la  nouveauté  dos  matériaux 
mis  en  œuvre  la  plus  haute  impartialité. 

J.  B. 


SÉANCES  DU   COMITÉ 

EXTRAITS  DBS  PROCÈS-VERBAUX 


Séance  du  8  avril  1884 

M.  le  baron  F.  de  Schickler,  président,  fait  part  à  ses  collègues  d'une 
circulaire  qu'il  a  reçue  de  M.  le  Ministre  de  l'instruction  publique  à  pro- 
pos de  la  prochaine  réunion  des  Sociétés  savantes  de  province  à  laquelle 
pourront  assister  les  membres  des  Sociétés  savantes  de  Paris,  moyennant 
une  carte  qui  leur  est  offerte. 

Le  président  demandera  une  carte  pour  lui-même  et  pour  ceux  de  ses 
collègues  qui  croiraient  devoir  user  de  ce  privilège.  Ne  devons-nous  pas 
garder  notre  rang? 

Quelques  doutes  sont  exprimés  à  ce  sujet.  Plusieurs  de  nos  collègues 
assisteront,  à  d'autres  titres,  aux  réunions  de  la  Sorbonne,  de  peu  d'in- 
térêt pour  nous  par  les  questions  qu'on  y  traite. 

Le  secrétaire  passe  en  revue  les  articles  contenus  dans  le  Bulletin 
d'avril,  et  réserve  pour  un  des  prochains  numéros  VEstat  des  cens 
Camisards  partis  avec  Cavalier,  dont  copie  lui  a  été  d'abord  commu- 
niquée par  M.  le  pasteur  Arnaud,  mais  dont  un  double  original  existe 
à  Paris  et  à  Montpellier  (Voir  Bull,  du  15  mai,  p.  275). 

Bibliothèque.  Deux  dons  considérables,  l'un  de  notre  collègue  M.  le 
comte  Delaborde,  l'autre  de  Mme  de  Neuflize,  ont  ajouté  à  ses  richesses, 
sans  parler  de  deux  précieux  volumes  de  pièces  autographes  offerls  au 
nom  de  madame  Labouchère  et  que  le  président  se  réserve  de  décrire 
dans  son  rapport  annuel. 

Monument  de  Coligny.  M.  Bersier  donne  quelques  détails  sur  la 
semaine  qu'il  vient  de  passer  à  Londres  et  sur  les  séances  historiques 
qui  l'ont  remplie;  d'abord  à  Canterbury,  dans  la  Crypte  qui  sert  de 
temple  aux  descendants  des  réfugiés  et  près  du  tombeau  du  cardinal  de 
Chàtillon  ;  puis  à  Westminster-Abbey  où  le  doyen  a  prononcé  un  excel- 
lent discours  d'ouverture,  suivi  d'une  allocution  en  anglais  de  M.  le 
marquis  de  Jaucourt,  et  d'une  conférence  oîi  M.  Bersier  a  retracé  les 
grands  traits  de  la  vie  de  l'amiral  devant  un  auditoire  d'élite;  ensuite 
au  Collège  d'Harrow  oii  maîtres  et  élèves  rivalisaient  de  sympathie.  La 
séance  de  Saint-James-lIall  n'a  pas  tenu  toutes  ses  promesses,  n'ayant 
pas  été  suffisamment  annoncée.  Mais  la  conférence  donnée  la  veille  chez 
le  lord  maire,  sur  le  rôle  des  Huguenots  en  France  et  en  Angleterre,  a 
produit  une  bonne  impression  confirmée  dans  la  très  intéressante  soirée 
offerte  par  M.  Arthur  Kinnaird,  membre  du  Parlement.  Le  banquet  de 
l'Hôpital  des  réfugiés,  organisé  par  nos  amis  avec  un  merveilleux 
succès,  mérite  un  récit  à  part  dont  M.  Bersier  laisse  le  soin  à  notn;  pré- 
sident qui  y  a  pris  la  parole. 

M.  de  Schickler  n'a  pu  qu'admirer  le  talent  et  l'à-propos  avec  UmiucI 
M.  Bersier  s'est  acquitté  de  sa  dinicilc  mission,  pendant  une  semaine  de 
glorieuses  fatigues  où  il  a  jiris  douze  lois  la  jtarole  en  français  et  en 
anglais.  La  souscription  s'annonce  très  favorablement. 

Le  Comité  écoute  ces  détails  avec  un  vif  intérêt  et  remercie  nos  deux 
collègues  d'avoir  si  bien  représenté  notre  passé  historiiiuc  de  l'aufrc 
côté  du  détroit. 


NÉCROLOGIE 


M.    LE   PASTEUR   MELON 

Encore  un  deuil  pour  noire  Société  qui  voit  disparaître  l'un  après 
l'autre  ses  amis  des  premiers  jours;  après  M.  Vaurigaud,  le  docte  histo- 
rien du  Protestantisme  en  Bretagne,  M.  Edouard  Melon,  le  fidèle  pasteur 
de  Caen,  dont  l'activité  rayonnait  bien  au-delà  du  presbytère  où  je  le 
visitai,  il  y  a  bien  des  années,  et  qui  m'apparut  comme  un  Port-Royal  des 
Champs.  Durant  prés  de  quarante  ans,  M.  Melon  a  desservi  l'Église 
illustrée  par  Du  Bosc,  avec  un  zèle  qui  semblait  croître  avec  l'âge  et 
s'alliait  aune  rare  sagesse.  Ses  nombreuses  communications  au  Bidlctin 
atlestent  l'intérêt  qu'il  poi'tait  à  nos  travaux.  On  n'a  pas  oublié  cette 
admirable  complainte  de  VÉtjUse  affligée,  recueillie  sur  la  première  page 
d'une  vieille  Bible  deTamillc,  et  oij  se  lisent  des  strophes  telles  que  celle-ci  : 

Nos  fdies  dans  les  monastères, 

Nos  prisonniers  dans  les  cachots, 
Nos  martyrs  dont  le  sang  se  répand  à  grands  flots, 

Nos  confesseurs  sur  les  galères, 

Nos  malades  persécutés. 
Nos  mourants  exposés  à  plus  d'une  furie, 

INos  morts  traînés  à  la  voirie. 

Te  disent  nos  calamités. 

Les  obsèques  de  M.  le  pasteur  Melon,  décédé,  le  21  juin,  à  l'âge  de 
soixante-se[tt  ans,  après  une  longue  maladie,  ont  été  dignes  de  son  minis- 
tère. «  Le  temple  était  trop  petit  pour  contenir  la  foule  d'amis  qui  témoi- 
gnaient par  leur  recueillement  de  leurs  sympathies  pour  la  famille  du 
défunt.  Tous  les  pasteurs  de  la  consistoriale  avaient  tenu  à  rendre  un 
suprême  hommage  au  chef  respecté  qui  marchait  à  leur  tête.  Les  élèves 
protestants  du  Lycée  avaient  voulu  donner  à  leur  maître  une  preuve  de 
leurs  affectueux  souvenirs;  deux  d'entre  eux  portaient  une  superbe  cou- 
ronne de  fleurs.  Plusieurs  pasteurs,  jn-oches  {»arents,  amis  et  iils  spirituels 
du  défunt,  ont  donné  une  voix  à  la  douleur  de  tous.  »  (Christ,  au  MX""" 
s/èc/g,dui  juillet  1884).  La  SociétéderhistoircduProtestantisme  français 
ne  peut  qu'ajouter  un  hommage  attendri  à  ceux  qui  composent  ladernièrc 
couronne  du  j)asteur  dont  le  souvenir  vivra  longtemps  en  Normandie. 

J.  B. 

P.  S.  Le  Comité  des  classiques  s'est  réuni  plus  d'une  fois  dans  ces  der- 
niers temps,  et  il  a  pris  d'importantes  résolutions.  Le  prochain  numéro 
du  Bulletin  contiendra  une  réponse  au  Baj)port  de  la  Société  des  livres 
religieux  de  Toulouse,  un  dernier  mot  sur  la  grave  et  douloureuse  ques- 
tion, dont  le  public  est  justement  ému. 


Le  Gérant  :  Fischbacher. 


BoL'RLOToN,  liiiprinierics  réunies,  B. 


SOCIÉTÉ  DE  L'HISTOIRE 

DU 

PROTESTANTISME  FRANÇAIS 


UN  DERNIER  MOT 

A  LA   SOCIÉTÉ   DES   LIVKES   RELIGIEUX  DE  TOULOUSE 

Paris,  juillet  I88i 

Nous  venons  de  lire  le  rapport  de  la  Société  des  livres  reli- 
gieux de  Toulouse,  rédigé  par  l'honorable  M.   Courtois  de 
Viçose,  et  nous  avons  le  devoir  de  déclarer  que  cette  lecture 
n'a  fait  que  confirmer  les  justes  griefs  exprimés  à  plusieurs 
reprises  dans  le  Bulletin  (n»^  du  15  janvier  et  du  15  avril  der- 
niers) au  sujet  de  l'attitude  de  cette  Société  à  notre  égard. 
Rappelons  brièvement  ce  dont  il  s'agit  : 
Il  y  a  bientôt  deux  ans,  la  Société  de  Toulouse  publiait,  en 
deux  volumes  in  8%  une  nouvelle  édition  de  V Histoire  ecclé- 
siastique de  Th.  de  Bèze;  nous  avons  alors  exprimé  nos  l'egrets 
(jue  cette  Société, dont  les  ressources,  provenant  en  partie  de 
collectes  faites  en  France  et  à  l'étranger,  pour  un  but  défini, 
sont  presque  exclusivement  consacrées  à  des  livres  religieux 
de  pure  édification,  sortant  de  son  domaine*,  eût  édité  une 
œuvre  érudile  aussi  coûteuse  et  de  telle  importance,  au  mo- 
inent  où  cette  même  œuvre  était  en  cours  d'exécution  à  Paris, 

1.  N'est-il  pas  étrange  que  l'on  prétende  tirer  le  droit  de  faire  des  iiublicatious 
érudites,  d'un  article  ainsi  conçu  :  «  Cette  Société  a  pour  but  de  faire  imprimer 
des  livres  religieux  et  de  les  répandre,  soit  par  des  ventes  à  bas  prix,  soit  par 
dos  dons,  notamment  pour  des  bibliolliùques  religieuses.  » 

xxxiii    —  ^'2 


338  UN   DERNIER   MOT 

dans  une  édition  que  l'on  pouvait  à  l)on  droit  considérer 
comme  définitive,  parce  qu'elle  était  le  fruit  de  patients 
labeurs,  et  qu'elle  présentait  des  garanties  indiscutables  de 
science  et  d'exactitude. 

Cette  édition  était  celle  du  Comité  des  classiques  du  Protes- 
tantisme français,  qui  s'était  constitué  pour  cet  objet,  long- 
temps avant  que  la  Société  de  Toulouse  eût  émis  un  tel  dessein. 

Nous  disions  (et  les  faits  ne  l'ont  que  trop  prouvé)  que  l'une 
de  ces  éditions  nuirait  fatalement  à  l'autre;  que  ce  serait  la 
meilleure,  la  plus  exacte  des  deux,  qui  aurait  à  en  souffrir, 
et  nous  nous  demandions,  non  sans  tristesse,  si  la  Société  de 
Toulouse  était  bien  sûre  de  la  légitimité  d'une  concurrence 
qui  s'était  produite  à  la  dernière  heure,  en  pleine  connais- 
sance de  cause,  et  dont  l'effet  certain  était  de  rendre  plus 
difficile  encore  l'œuvre  du  Comité  des  classiques. 

A  cela  que  répond  M.  Courtois  de  Viçose,  en  dehors  de  con- 
sidérations sans  portée  sur  d'autres  points  qui  n'ont  qu'un 
médiocre  intérêt  dans  le  débat? 

Et  d'abord  il  ne  dit  mot  du  Comité  des  classiques  et  pour 
cause.  La  Société  dô  Toulouse  savait  bien,  dit-il,  qu'en  1854, 
c'est-à-dire  il  y  a  trente  ans,  la  Société  d'histoire  du  Protes- 
tantisme français  exprimait  le  désir  qu'on  éditât  Th.  de  Bèze. 
«  Mais  c'est  précisément  parce  que  depuis  lors  il  n'en  a  plus 
été  question,  qu'on  ne  peut  être  incriminé,  soit  d'avoir 
aussi  perdu  de  vue  ce  projet,  soit  d'avoir  cru  qu'il  était  aban- 
donné. » 

On  croit  rêver  quand  on  lit  ces  lignes.  Leur  auteur  peut-il 
ignorer  qu'en  1878  (et  non  pas  il  y  a  trente  ans!)  un  Comité 
des  classiques  du  Protestantisme  français  se  formait  à  Paris,  et 
annonçait  immédiatement  son  intention  de  publier  VHistoire 
ecclésiastique  de  Th.  de  Bèze,  par  une  circulaire  tirée  ta 
5000  exemplaires,  et  ouvrant  une  souscription  dans  ce  but  ; 
que  cette  circulaire  était  reproduite  ou  mentionnée  dans  tous 
nos  journaux  religieux  {Christianisme  du  22  mars,du31  mai  ; 
Église  libre  du  22  mars,  31  mai;  Renaissa^ice  du  24  mai; 


A   LA   SOCIÉTÉ   DES    LIVRES  RELIGIEUX    DE  TOULOUSE.  ?>39 

Témoignage  du  27  mars  ;  Évangéliste  du  1 4  mars  cl  du  31  mai)  ; 
que  cette  circulaire  enfin,  commentée  dans  deux  assemblées 
annuelles  de  la  Société  d'histoire  (1878  et  1879)  par  son  pré- 
sident, faisait  valoir  les  raisons  décisives  pour  lesquelles  cette 
publication  devait  compter  sur  les  sympathies  et  les  souscrip- 
tions unanimes  des  Protestants  français. 

Nous  ne  saurions  admettre  que  la  Société  de  Toulouse 
ignorât  seule  ce  que  tout  le  monde  savait  en  1878,  et  qu'en 
publiant  une  édition  rivale,  elle  ne  se  rendît  pas  nettement 
compte  de  l'acte  qu'elle  accomplissait. 

M.  Courtois  espère-t-il  obtenir  une  créance  absolue  quand 
il  donne  à  entendre  que  la  Société  de  Toulouse  n'a  trouvé 
devant  elle  qu'un  libraire  M.  Fischbacher  «  lequel  n'a  pas 
fait  la  moindre  allusion  à  la  coopération  de  la  Société  du  Pro- 
testantisme? » 

Il  y  a  là  une  confusion  qu'il  importe  de  dissiper  sans  retour. 
M.  Fischbacher  a  entrepris,  il  est  vrai,  à  ses  risques  et  périls, 
la  publication  de  l'œuvre  de  Bcze.  Mais  il  n'a  cessé  de  rap- 
peler ce  que  la  circulaire  disait  en  termes  explicites,  que  cette 
œuvre  était  publiée  avec  le  (Concours  et  sous  le  patronage  du 
Comité  des  classiques  du  Protestantisme  français*.  Ignorer 
tout  cela,  ne  vouloir  connaître  en  toute  cette  affaire  que 
M.  Fischbacher  (dont  les  droits  méritaient  d'ailleurs  toute 
considération),  c'est  une  étrange  manière  de  justifier  les  voies 
de  la  Société  de  Toulouse  ! 

Redisons  le  bien  haut,  si  M.  Fischbaclier,  agissant  dans 
cette  circonstance  avec  son  courage  habituel,  a  pris  sur  lui  la 
responsabilité  pécuniaire  d'une  publication  exposée  à  plus 
d'un  écueil,  il  y  avait  à  côté  de  lui  un  Comité  dont  l'existence 
était  connue  du  Protestantisme  français  tout  entier,  et  n'a  pu 
être  ignorée  par  M.  Courtois  de  Viçose  et  ses  collègues. 

1.  n  écrivait  notamment  à  M.  Courtois  de  Viçose  :  «  Ce  travail  se  l'ait  avec  le 
plus  grand  soin,  et  sera  publié  sous  les  auspices  d'une  commission  composée  des 
personnages  les  plus  notables  du  Protestantisme  français.  ■>  Lettre  du  "2(5  février 
1880. 


3iO  l'.N    DEll.MEU    MUT 

C'est  celte  étiaiigu  ignorance  qu'après  connue  avant  les 
explications  de  la  Société  de  Tonloiise,  nous  persistons  à  con- 
sidérer comme  injustifiable. 

Nous  ne  reviendrons  ni  sur  les  rapports  de  notre  président, 
ni  sur  les  divers  articles  publiés  depuis,  dans  le  Bulletin  et 
ailleurs  1.  Tout  a  été  dit  sur  ce  sujet.  Dès  novembre  1879,  au 
synode  ofticieux  de  Paris,  le  secrétaire  de  notre  Société  a  pré- 
venu M.  Vesson,  secrétaire  de  la  Société  de  Toulouse,  des  ré- 
sultats déplorables  qu'aurait  la  décision  qu'allait  prendre  le 
Comité  toulousain,  en  annonçant  la  publication  de  Th.  de  Bèze 
pour  ses  noces  d'or;  et  M.  Yesson  n'a  pu  garder  le  silence  avec 
ses  collègues. 

Que  l'on  ne  parle  ici  ni  des  avantages  de  la  concurrence, 
ni  de  la  nécessité  de  faire  une  œuvre  populaire.  La  concur- 
rence est  tout  simplement  désastreuse  quand  elle  s'adresse  à 
un  public  limité  qui  devrait  s'unir  pour  une  œuvre  de  piété 
filiale;  et  il  ne  faut  pas  appeler  populaire  un  livre  qui  coûte 
12  et  même  20  francs.  L'édition  de  Toulouse  a  eu  pour 
résultat  le  plus  clair  d'empêcher  de  répandre  à  un  prix  acces- 
sible pour  tous,  l'édition  du  Comité  des  classiques.  Et  cepen- 
dant c'est  cette  dernière  seule  que  tout  écrivain  sérieux  pourra 
désormais  citer,  parce  qu'il  chercherait  vainement  ailleurs, 
le  fruit  de  longues  études  de  savants  tels  que  MM.  Baum  et 
Cuinitz,  et  parce  que  c'est  la  seule  qui  indique  clairement  ce 
qui  dans  V Histoire  ecclésiastique  est  l'œuvre  de  Th.  de  Bèze  ou 
de  ses  prédécesseurs. 

Nous  n'aurions  pas  insisté  sur  ces  laits  si  douloureux,  si 
nous  avions  pensé,  comme  plusieurs  de  nous  l'espéraient,  (juc 
la  Société  de  Toulouse  n'avait  agi  en  tout  ceci  que  par  simple 
imprévoyance.  Mais  l'illusion  n'est  plus  possible  à  cet  égard. 
Le  Comité  des  classiques  avait  annoncé  qu'il  éditerait  VHis- 
lo ire  des  martyrs  deCrespin,  œuvre  dinicilc  entre  toutes,  et 
qu'on  ne  peut  entreprendre  à  la  légère,  cai'  elle  exige  des  édi- 

1.  E(jlise  libre  du  t  mai  cl  du  i;j  juin  1884. 


A   LA    SOCIÉTÉ    DES  LIVRES  RELIGIEUX    DE  TOULOUSE.  311 

teui's  compétents  pour  les  diverses  contrées  où  Crespin  n 
poursuivi  son  enquête.  La  Société  de  Toulouse,  malgré 
l'annonce  faite  par  le  Comité  des  classiques,  a  ouvert  une 
souscription  pour  l'ouvrage  de  Crespin  et  va  le  publier  dans 
quelques  mois.  Il  est  évident  que  le  Comité  des  classiques  ne 
pourra  ici  essuyer  une  fois  de  plus  une  concurrence  qui 
n'était  pas  dans  ses  prévisions,  et  qu'il  sera  obligé  de  porter 
son  activité  sur  d'autres  sujets. 

Nous  devions  au  public  ces  explications  loyales,  et  c'est  à 
son  seul  jugement  que  nous  en  appelons  désormais. 

Au  nom  du  Comité,  les  membres  délégués  : 

F.  DE  SciiiCKLER,  président;      Eug.  Berster  ; 
Jules  Bonnet,  secrétaire;  F.  Ltchtenrercer. 


ÉTUDES  HISTORIQUES 


L'ABBE  DE  FLOPJAN 

Sous  ce  titre  :  Souvenirs  religieux  des  Cévemies,  le  savant 
professeur  et  doyen  honoraire  de  la  Faculté  des  lettres  de 
Montpellier,  M.  A.  Germain,  membre  de  l'Institut,  vient 
de  publier  une  brochure  du  plus  haut  intérêt.  Elle  contient 
des  lettres  de  Pierre  de  Claris,  abbé  de  Florian,  et  grand- 
oncle  du  fabuliste,  qui  renonça  au  sacerdoce  catholique  pour 
aller  exercer  le  ministère  dans  une  paroisse  de  réfugiés  à 
Londres.  Le  prieuré  de  Saint-Jean  de  Grieulon,  près  de  Sauve, 
fut  témoin,  en  4710,  d'un  de  ces  drames  tout  intimes  qui 
s'accomplissent  dans  les  profondeurs  de  la  conscience  et  ont 
di'oit  au  l'espect  des  membres  sérieux  de  tous  les  cultes.  C'est 
l'histoire  d'une  ànie  que  l'on  voudrait  raconter  ici  avec  les 
documents  de  grand  prix  où  elle  a  laissé  une  ineffaçable 
empreinte. 

Pierre  Claris  de  Florian  appartenait  à  une  ancienne  famille 
cévenole  qui  adopta  de  bonne  heure  les  croyances  de  la 
Réforme,  et  ne  cessa  de  les  professer  qu'aux  approches  de  la 
Révocation.  Jacques  de  Claris  son  père,  seigneur  de  Florian, 
poussa  môme  l'obéissance  au  roi  jusqu'à  prendre  parti  contre 
ses  anciens  coreligionnaires,  et  olbtin  en  retour  une  pension 
de  400  livres.  Jean  de  Claris,  son  frère,  capitaine  de  cavalerie 
dans  le  régiment  de  Girardin  et  plus  tard  conseiller  à  la  cour 
des  comptes  de  Montpellier,  suivit  cet  exemple  et  vit  son 
château  de  Florian  brûlé,  ses  récoltes  et  ses  troupeaux 
anéantis  parles  bandes  camisardes  de  Roland  etde Cavalier ^ 

1.  Ces  faits  sont  mentionnés  dans  une  supplique  de  Jean  de  Claris  rappelant 


l'abbé  de  florian.  343 

Ces  tragiques  souvenirs  durent  laisser  une  impression  pro- 
fonde au  jeune  Pierre  de  Claris,  né  protestant,  comme  Jean 
son  frère,  mais  élevé  dans  la  religion  catholique,  et  destiné 
par  sa  famille  au  sacerdoce.  Sa  croyance  dût  se  ressentir  de 
l'orageux  conflit  des  deux  religions  qui  avait  marqué  ses  dé- 
buts dans  la  vie. 

Voici  en  quels  termes  il  raconte  lui-même  dans  une  lettre 
à  l'évêque  de  Nîmes  cette  phase  de  sa  jeunesse  empreinte  de 
ferveur  catl^olique,  aussi  vive  que  peu  durable  : 

Né  dans  la  religion  protestante,  mais  élevé  ensuite  dans  la  catholique, 
on  me  destina  pour  l'Église.  Peu  en  état  de  faire  un  choix,  je  me  laissai 
conduire  par  mes  parents'.  Instruit  avec  soin  dans  des  séminaires  célèbres 
et  dans  des  académies  sçavantes,  je  me  conformay  au  sentiment  de  mes 
professeurs.  Je  m'appliquay  à  les  soutenir  et  je  crus  être  dans  la  vérité 
en  les  défendant.  Comme  je  sçavais  que  ma  parenté  avait  eu  une  religion 
difféi-ente  de  celle  que  je  professois,  je  me  remplis  de  matière  de  con- 
troverse, alin  de  pouvoir  répondre  aux  objections  que  mes  coziipatriotes 
me  faisoient  et  être  en  état  de  confondre  leurs  raisonnemens.  Me  croyant 
assez  fort  je  défiay  les  plus  braves,  jusques-là  (jue  je  partis  pour  Genève, 
dans  la  veûe  de  convertir  un  oncle,  frère  de  ma  mère,  qui  s'y  étoit  retiré 
pour  cause  de  religion.  Tout  jeune  que  j'étois,  je  fus  dans  cette  ville,  et 
j'y  disputay  à  voix  haute,  avec  tant  de  confiance  et  d'ardeur,  qu'on  fut 
obligé  de  m'avertir  d'être  plus  discret,  si  je  voulois  que  la  populace  ne 
m'insultât  pas.  Plein  de  mes  sentimens,  que  je  croyois  êlre  les  plus 
véritables,  je  revins  après  plusieurs  voyages  dans  le  diocèse  de  ma 

les  services  qu'il  a  rendus  comme  capitaine  des  Milices  en  1()94  et  1696,  et  dans 
les  années  suivantes,  «  contre  les  rebelles  des  Sevenes  qui  par  ressentiment  lui 
brûlèrent  son  château  de  Florian,  et  saccagèrent  ses  troupeaux  et  ses  récoltes  ». 
n  obtint  en  retour  le  renouvellement  gratuit  de  ses  lettres  de  noblesse,  «  no- 
nobstant la  dérogeance  d'aucun  de  ses  ancêtres  pour  avoir  exercé  les  offices  de 
notaire.  »  Voir  V Arrêt  du  Conseil  d'Etat  du  lioij,  du  27  mars  1723,  pièce  très 
importante  pour  riiistoire  de  la  famille  de  Claris,  reproduite  par  M.  Albin  de 
Montvaillant  dans  son  intéressant  ouvrage  :  Florian,  sa  vie,  ses  œuvres,  sa  cor- 
respondance, ia-S",  avec  portrait  et  autographe.  Paris,  1879  (p.  197,  201). 

1.  Sur  ce  point  délicat,  l'abbé  de  Florian  s'exprime  un  peu  autrement  dans  une 
pièce  qui  doit  également  être  citée  :  «  Je  fus  élevé,  dit-il,  dans  la  nouvelle 
religion  que  mon  père  avait  embrassée.  On  voulut  même  que  je  fusse  ecclésias- 
tique. J'y  résistai;  mais  l'autorité  de  mes  parents  l'emporta;  il  fallut  leur  obéir.  » 
Lettre  d'adieu  aux  fidèles  de  l'Eglise  de  Criolon  (p.  32). 


344  l'abbé  de  florian. 

naissance.  Mes  supérieurs  trouvèrent  bon  que  j'entrasse  dans  les  ordres. 
Je  leur  obéis.  Dès  que  je  fus  prêtre  on  m'employa  dans  la  ville  où  j'étois 
né.  J'étois  si  convaincu  que  la  voye  où  je  marchois  étoit  celle  de  la  vérité; 
j'avois  un  si  grand  désir  d'y  faire  entrer  au  moins  mes  compatriotes, 
que  je  demanday  qu'il  me  fût  permis  de  faire  trois  fois  la  semaine  des 
conférences  sur  les  matières  controversées.  Peu  de  temps  après,  chargé 
d'une  Église  dans  le  diocèse  de  Montpellier,  je  m'appliquay  de  toutes 
mes  forces  à  instruire  les  fidesles  qu'on  me  confioit.  Désolé  de  voir  les 
nouveaux  convertis  comme  des  brebis  errantes,  sans  pasteur  et  sans 
aucune  sorte  de  secours  pour  le  spirituel,  je  mis  tout  en  usage  pour  les 
gagner.  Me  souvenant  de  la  condescendance  dont  on  avait  usé,  au  com- 
mencement du  christianisme,  pour  faire  entrer  les  payons  dans  l'Église, 
je  crus  que  je  ne  pouvois  avoir  trop  de  ménagemens  pour  attirer  à  nous 
ces  chrétiens,  nos  frères.  Sçachant  qu'ils  se  plaignoient  de  ce  qu'on  leur 
parloit  dans  l'Église  une  langue  qu'ils  n'entendoient  pas,  je  fis  des  prières 
en  françois;  je  traduisis  des  psaumes  et  les  fis  chanter.  Je  leur  lus  l'Écri- 
ture Sainte  exactement;  je  leur  expliquay  toutes  les  cérémonies  de  la 
religion,  et  enfin  je  les  instruisis  autant  que  j'en  étois  capable,  selon  la 
manière  qu'ils  désiroient.  Voyant  que  mes  soins  étoient  inutiles  à 
Campagne,  qui  est  la  première  église  dont  je  fus  chargé,  je  creus  que 
cet  endurcissement  venoit  plus  de  leur  rusticité  que  de  leur  attachement 
à  leur  religion.  Cela  me  porta  à  désirer  de  m'aprocher  de  la  ville  de  ma 
naissance,  où  j'étois  assez  goûté...  je  me  flatay  que  l'affection  avec  laquelle 
j'instruisois  les  fidesles  attireroit  dans  ce  pais  là  beaucoup  de  personnes 
et  que  ce  succès  m'animeroit  au  travail.  Il  se  présenta  une  occasion  pour 
permuter.  Je  perdis  près  de  cent  écus  de  rente  en  changeant  d'église; 
mais  je  ne  fus  pas  sensible  à  cette  perte.  Je  vins  dans  votre  diocèse,  je  fus 
établi  à  Criolon.  Là  je  continuay  avec  plus  d'ardeur  que  jamais  à  m'ap- 
pliquer  à  l'instruction  des  fidesles... 


L'Église  calholiqiie  de  France  traversait  aloi's  une  crise 
difficile.  On  étail,  au  plus  foi't  des  débats  suscités  par  la  fUille 
Unigénit^is  condamnant,  avec  le  livre  du  père  Quesnel,  im- 
prégné du  plus  pur  esprit  de  l'Evangile,  les  doctrines  pro- 
fessées par  les  anciens  solitaires  de  Port-Royal.  La  Bulle 
inspirée  par  le  jésuite  Letellier,  confesseurdu  roi,  à  un  faible 
pontife,  Clément  XI,  qui  ne  l'avait  signée  qu'à  regret,  ren- 
contra une  opposition  univei^selle,  et  ne  prévalut  que  par  la 
terreur  ou  la  pei^sécution  exercée  sans  scrupules  sur   les 


l'abbé  de  florian.  ;i45 

membres  les  plus  pieux  du  clergé.  Les  évèques  subirent,  la 
pression  d'en  haut  et  l'exercèrent  à  leur  tour  sur  les  prêtres 
de  leurs  diocèses.  L'évêque  de  Nîmes,  M.  de  la  Parisière, 
lança  un  mandement  qui  devait  être  lu  dans  toutes  les  chaires, 
et  qui,  sans  prévoir  une  seule  résistance,  imposait  la  soumis- 
sion*. Le  curé  de  Saint-.fean  de  Crieulon  était  dans  un  étnt 
d'Ame  à  ne  pouvoir  se  soumettre  sans  s'éclairer  sur  les  ques- 
tions en  litige.  Les  études  qu'il  entreprit  sur  ce  sujet  furent 
longues  et  aboutirent  à  un  résultat  bien  différent  de  celui  qu'il 
avait  prévu;  mais  il  faut  le  laisser  s'expliquer  lui-même  sur 
un  point  si  important  : 

Comme  je  prenois,  dit-il,  toutes  les  propositions  l'une  après  l'autre 
et  que  je  tâchais  d'établir  les  sens  condamnés  et  leur  vérité,  je  fus  oldigé 
de  m'appliquer  beaucoup  à  la  lecture  de  l'Écriture  et  à  celle  de  plusieurs 
autres  bons  livres  qui  me  tombèrent  en  main.  Cette  application  me  fit 
ouvrir  les  yeux  sur  bien  des  choses  que  je  croiois  connoître  et  me  donna 
lieu  d'entrer  dans  un  examen  phis  particulier  des  dogmes  delà  foi.  .Ji' 
trouvay  dans  tous  une  altération  si  grande  que  j'eus  comme  horreur  do 
moy  mesme  d'avoir  été  si  longtemps  à  m'apercevoir  de  ces  effroyables 
changemens;  craignant  de  me  tromper,  je  cessay  toutes  mes  autres  occu- 
pations; je  renoncay  à  toute  compagnie,  et  je  m'enfermay  pour  vaquer 
plus  sérieusement  à  l'étude  de  la  vérité.  Uniquement  rempli  du  désir  de 
la  connoître  et  de  la  suivre,  mettant  toute  ma  fortune  en  cela  seul, 
j'épuisay  tous  les  moyens  humains;  je  m'humiliay  devant  Dieu  par  b^ 
jeime  et  la  prière;  je  fis  des  aumosnes  à  cette  intention;  je  passay  plus 
de  dix-huit  mois  dans  la  retraite  n'allant  qu'à  mon  Église  et  chez  les 
malades.  Dans  cette  application  je  trouvay  que  la  vérité  était  toute  pour 
les  protestans;  que  cette  communion  seule  servoit  Dieu  en  esprit;  que 
c'éloil  là  où  étoit  l'Église.  Leurs  dogmes,  leur  morale,  leur  discipline, 
me  paraissoient  si  clairement  conformes  à  toute  l'Écriture  que  je  creus  que 
ce  seroit  résister  à  Dieu  que  de  ne  pas  me  rendre  à  ce  qu'ils  croient 
l.e  bon  Dieu  quim'éclairoit  ainsi  par  une  miséricorde  dont  je  suis  indigne, 

1.  Mandement  pour  la  publication  de  la  Commission  de  notre  Saint  Pi'irc  lo 
pape  Clément  XI,  du  8  septembre  1713,  portant  condanmation  d'un  livre  inli- 
lulé  :  Le  Nouveau  Testament  en  français,  avec  des  réfle.i  ions  morales  sur  cha- 
que verset,  etc.,  à  Paris,  1699.  ap.  Panégyriques,  sermons,  harangues  el  autre ^ 
pièces  d'éloquence  par  feu  M.  de  la  Parisière,  évêque  de  Nismes,  Paris,  ITiO 
t.  II,  p.  323-344. 


346  l'abbé    de    FLORIAN. 

me  fit  prendre  la  résolution  de  tout  abandonner  pour  le  confesser.  Jouis- 
sant de  cent  pistoles  de  rente,  étant  dans  le  sein  de  ma  parenté  et  de  ma 
patrie,  n'ayant  aucune  peine,  et  étant  pourveu  de  tout  ce  que  rhomme 
un  peu  raisonnable  peut  désirer,  j'ay  résisté  longtemps  à  tant  de  sacri- 
fices qu'il  falloit  faire  et  à  tant  de  risques  qu'il  falloit  courir.  Mais  la 
grâce  de  Dieu  me  fait  enfin  surmonter  ces  accablantes  difficultés.  Le 
bien-être,  la  patrie,  la  parenté,  le  jugement  peu  avantageux  qu'on  fera 
de  moy,  l'affliction  de  mon  frère,  la  vôtre,  Monseignenr,  qui  sont  des 
motifs  si  touchants,  m'ont  souvent  fait  désirer  la  mort,  plutôt  que  cette 
difficile  et  périlleuse  conclusion.  Mais  Dieu  me  fait  passer  par  dessus. 
Je  ne  vois  que  la  vérité  qui  mérite  de  tels  sacrifices.  Je  crois  que  ce  n'est 
qu'à  elle  que  je  les  fais.  Il  seroit  honteux  pour  moy  de  cacher  une  telle 
action.  Quelque  opposé  que  vous  soyez  à  mes  sentimeas,  vous  êtes  trop 
juste,  Monseigneur,  pour  ne  pas  vouloir  que  je  me  rende  à  mes  lumières. 
Vous  me  blâmeriez  si  j'agissais  contre  mes  sentimens  et  si  j'a\ois  honfe 
de  les  manifester  à  la  face  de  tout  le  monde... 

On  ne  commente  pas  de  telles  pages  qui  font  lire  jusqu'au 
fond  dans  l'âme  de  celui  dont  elles  émanent.  Gomme  le  dit  si 
bien  M.  Germain,  à  qui  revient  le  mérite  de  les  avoir  tirées 
de  l'oubli,  «  l'abbé  de  Florian  nous  esquisse  ainsi  lui-même 
son  histoire  ;  autobiographie  précieuse  par  la  sincérité  qui  la 
caractérise,  non  moins  que  par  son  ton  ferme  et  respectueux. 
On  ne  saurait  sans  injustice  refuser  à  une  telle  confession  les 
égards  qu'elle  mérite.  Mais  on  conçoit  qu'elle  n'ait  pas  plu  à 
tout  le  monde.  »  Il  ne  pouvait  en  être  autrement,  et  la  lettre 
de  l'évêque  de  Nîmes  à  M.  de  Florian,  conseiller  à  la  cour  de 
Montpellier,  et  frère  du  prieur  de  Grieulon,  ne  fut  que  l'écho 
adouci  de  la  sévérité,  pour  ne  pas  dire  de  l'injustice,  des  juge- 
ments que  provoque  toujours  un  changement  de  cette  nature, 
alors  même  qu'on  ne  saurait  contester  la  pureté  des  motifs 
qui  le  déterminent  : 

Je  ne  pouvois,  Monsieur,  recevoir  une  nouvelle  plus  triste  et  plus  acca- 
blante que  celle  que  je  reçois  par  M.  de  Baville  et  par  vous.  J'aimois 
votre  frère,  parce  qu'il  avoit  beaucoup  de  bon,  et  que  j'espérois  en  guérir 
tout  le  mauvais  par  la  confiance  et  par  l'amitié.  J'avois  déjà  gagné  quelque 
chose  sur  luy,  et  je  n'attendois  rien  moins  que  son  apostasie.  Je  sais 
combien  <'llc  doit  affliger  l'Église,  surtout  avec  les  circonslances  (|ui  se 


i/abbé   de    florian.  847 

trouvent  jointes  d'une  démarche  qui  paraît  mesurée,  et  qui  ne  se  montre 
pas  comme  un  fruit  du  libertinage.  Je  n'en  ai  jamais  connu  en  luy;  mais 
il  n'y  a  que  Dieu  qui  le  sache.  Ce  qu'il  y  a  de  vray,  c'est  qu'il  avait  un 
esprit  d'indépendance  et  d'opiniâtreté.  Sa  conduite  par  rapport  à  la 
constitution,  de  son  aveu  même,  en  est  une  preuve,  et  ceux  qui  y  sont 
les  plus  opposés,  ne  sçauroient  en  disconvenir.  Il  falloit,  selon  toutes 
les  règles,  me  confier  ses  doutes  et  publier  mon  mandement,  ou  se 
retirer  enlin,  s'il  ne  pouvait  rien  obtenir  sur  cela.  Cela  ne  pouvoit  aller 
que  là  tout  au  plus;  mais  il  ne  falloit  ni  me  tromper  ni  se  faire  calviniste  : 
Si  le  livre  de  Quesnel  conduisait  à  cette  conclusion,  et  en  contenoii  la 
doctrine,  cela  ne  feroitpas  honneur  à  ses  défenseurs.  J'écris  à  ce  pauvre 
malheureux  et  fais  ce  que  je  puis  pour  le  ramener,  etc.. 

Le  conseiller  Jean  de  Claris  se  montra  fort  ému  de  cette 
communication  épiscopale,  et  ne  put  que  déplorer  l'obstina- 
tion de  son  frère,  en  faisant  des  vœux  pour  son  proinpt  retour 
à  l'orthodoxie  catholique  : 

Vous  pouvez,  Monseigneur,  mieux  que  personne  lui  ouvrir  les  yeux, 
comme  à  un  autre  Tobie.  La  vérité  partant  de  votre  main  le  frappera 
dans  sa  fuite,  comme  elle  frappa  St-Paul  sur  le  chemin  de  Damas.  La 
trop  grande  lecture  l'a  enivré  et  a  causé  sa  chute.  Enveloppé  dans  les 
doubles  qu'elle  a  excité  en  luy,  il  n'a  trouvé  personne  dans  noire  misé- 
rable canton  qui  peut  luy  aider  à  les  résoudre.  Il  s'est  laissé  aller  à  des 
fausses  lumières;  il  a  regardé  les  Calvinistes  comme  les  vrays  croyants, 
et  il  s'est  perdu.  S'il  est  assez  heureux  pour  recevoir  vos  admonitions 
charitables,  elles  exciteront  en  luy  un  salutaire  repentir.  Je  dois  avoir 
l'honneur  de  vous  advertir  sur  cela,  Monseigneur,  qu'il  est  parti  de 
Genève,  le  7  septembre,  pour  aller  en  Angleterre,  où  son  adresse,  à  ce 
que  j'ay  découvert,  est  chez  les  sieurs  Loubier  et  Gourdon,  banquiers  à 
Londres...  Si  vous  avez  la  charité  de  suivre  encore  là  votre  brebis,  c'est, 
ce  me  semble,  par  le  moyen  de  Monsieur  noire  ambassadeur  (|u'il  fau- 
droit  agir... 

La  lettre  du  conseiller  Jean  de  Claris  nous  apprend  que  son 
frèreenquittantSaint-JeandeCriculon,  avait  adressé  une  lettre 
pastorale  à  ses  paroissiens.  Cette  pièce  aujourd'hui  fort  rare, 
quoiqu'elle  ait  été  imprimée  aussi  du  vivant  de  l'auteur,  et 

1.  n  en  existe  un  exemplaire  dans  la  collection  Court  (vol.  II.  BB)  l'ornianl, 
avec  la  lettre  de  rabbé  de  Florian  à  l'éviMiuo  i]r  Nîmes,  une  brocliiire  in-i"  df 


3i8  l'abbé   de  florian. 

dont  M.  Germain,  a  pu  se  procurer  une  copie,  «  est,  dit-il,  une 
sorte  de  traité  théologique  où  le  curé  démissionnaire  expose 
en  détail  les  motifs  de  sa  conversion.  Il  le  fait  assez  longue- 
ment, trop  longuement  peut-être  au  point  de  vue  littéraire. 
Mais  si  ce  n'est  pas  un  chef-d'œuvre  de  composition,  c'est,  à 
coup  sûr,  une  manifestation  explicite  de  l'ardeur  de  ses  études 
et  de  la  sincérité  de  ses  sentiments.  C'est  en  même  temps  un 
moyen  pour  lui  de  cherchera  rallier  ses  paroissiens  au  pro- 
testantisme, en  leur  en  montrant,  sans  acrimonie  toutefois, 
la  supériorité  doctrinale  par  rapport  au  culte  catholique.  >) 

La  lettre  du  conseiller  de  Florian  à  l'évêque  de  Nîmes  nous 
apprend  en  outre  que  son  frère,  en  quittant  sa  paroisse,  avait 
pris  le  chemin  de  Genève.  Il  revit  donc  la  cité  qu'il  avait 
visitée,  quelques  années  auparavant,  dans  toute  la  ferveur  de 
sa  foi  catholique,  mais  où  il  portait  depuis  des  sentiments 
])ien  différents.  Il  en  fit  sans  doute  publique  profession,  et 
subit  peut-être  certaines  épreuves  nécessaires  pour  l'exer- 
cice du  ministère  en  pays  réformé.  Genève  était  trop  près  de 
la  frontière  française  pour  le  retenir  longtemps.  Il  en  partit, 
le  7  septembre  1716,  pour  se  rendre  à  Londres,  où  de  pré- 
cieuses recommandations  lui  valurent  les  fonctions  de  pré- 
dicateur et  lecteur  dans  les  églises  françaises  de  la  Savoie  et 
de  la  Patente \ 

En  s'éloignant  de  la  France,  r(;x-prieui'  de  Saint-Jean  de 
Crieulon  n'avait  pas  seulement  pris  congé  de  ses  anciens 
paroissiens  par  une  lettre  contenant  Texpression  de  ses  senti- 
meuis  nouveaux.  11  avait  aussi  adressé  une  épitre  à  son  ])ro- 
priélaii'o  de  Sauve,  ,le;in  Astruc,  célèbre  professeui'  de  mé- 

14  pages  sur  deux  eolonnos  (Hnll.  I.  M,  p.  SHI).  Cotte  somnilo.  pièro  est  ain^i 
flatéo  :  En  partant  de  Sauve.  U-  ^Onoùt  ITKi. 

1.  Sa  position  ocelésiastique  osl  assoz  difficilo  à  fixer.  «  Il  était,  m'écrit  mon 
savant  collègue  M.  V.  de  Schiekler,  non  attaché  à  ces  Eglises  pour  le  service 
paroissial  ordinaire,  mais  appelé  à  y  prêcher  de  temps  en  temps.  En  1725  11 
entre  en  possession  de  la  place  do  lecteur  à  l'Église  dite  des  Grecs,  dépendante 
de  la  Savoie,  et  à  la  chapelle  royale  de  Saint-James  ».  Kn  17^7  un  rnilre  occupe 
la  place.  Serait-ce  l'époque  de  sa  mort? 


L'aBBK    bt    l'LOUlAxX.  ùl!) 

deciiie  à  l'uiiivcisilé  de  Montpellier,  cl  uiieuutiL'  a  son  ancien 
sei'vileur  Louis  Rouquel.  11  n'est  que  juste  de  l'aire  quelques 
emprunts  à  ces  deux  documents  a  qui  réllètent,  dit  M.  Ger- 
main, l'enthousiasme  de  la  foi  du  néophyte,  et  où  la  prédica- 
tion se  mêle,  avec  une  douce  éloquence,  à  une  franche  ami- 
tié ».  La  lettre  à  Jean  Aslruc,  lils  d'un  pasteur  de  Sauve,  et 
gardant  sans  doute  au  fond  du  cœui-  quelques  restes  de  la 
croyance  paternelle,  mérite  spécialement  l'attention,  car  elle 
offre,  dans  quelques  uns  de  ses  arguments,  un  curieux  spéci- 
men du  genj'e  de  prosélytisme  que  pouvait  exercer  un  ancien 
prêtre  catholique  devenu  protestant,  sui"  un  nouveau  converti 
qui  avait  cessé  de  l'être,  aux  yeux  de  la  loi.  C'est  un  cas  reli- 
gieux assez  rare  pour  ne  pas  passer  inaperçu  dans  l'histoiie  ; 

Lettre  de  M.  l'abbé  de  Florian,  à  M.  Astruc,  son  hâte. 

Je  me  saurois  mauvais  gré  de  mon  silence  et  mon  indifterence  seroit 
blàmaljle  devant  Dieu  et  devant  les  liommes,  mon  clier  monsieur,  si 
après  avoir  logé  près  de  cinq  années  dans  votre  maison,  j'entreprenois 
le  long  et  difticile  voyage  dont  il  a  esté  tant  de  fois  parlé,  sans  vous  on 
rien  dire.  Il  est  juste  que  si  je  vous  ai/  esté  un  sujet  de  chute  par  mon 
exemple  ici,  je  tâche  de  réparer  le  mal  quej'at/  fait,  par  une  conduite 
contraire.  Je  dois  cette  édification  à  la  gloire  du  Seigneur,  que  nous 
sommes  tous  obligés  de  glorilier  par  la  lumière  de  nos  bonnes  œuvres. 
Je  la  dois  à  l'amitié  tendre  que  je  me  sens  pour  une  famille  qu'un  temps 
considérable  passé  avec  elle  sous  un  même  toit  m'a  rendue  plus  chère; 
et  je  voudrois,  au  prix  de  mon  sang,  pouvoir  vous  donner  un  exemple 
qui  vous  attachât  à  la  vérité,  et  qui  vous  fit  marcher  à  jamais  d'un 
pus  ferme  dans  cette  voye.  Il  y  a  plus  de  deux  ans,  Monsieur,  que  Dieu, 
par  une  miséricorde  dont  je  suis  indigne,  mé  fit  craindre  que  la  voye 
dans  laquelle  je  marchois  avec  confiance  ne  fut  point  la  voye  de  la  vérité. 
Reiuply  de  cette  crainte,  je  laissay  là  toute  sorte  de  récréation  et  je  me 
renfermay  pour  examiner  tous  les  points  de  notre  croyance.  Vous  savez, 
Monsieur,  que  ma  grande  retraite  et  mes  veilles  continuelles  vous  éton- 
nèrent, vous  et  votre  famille,  et  vous  donnèrent  lieu  déparier  beaucoup 
sur  mon  changement.  Ce  temps  fut  employé  à  l'étude.  Dieu  bénit  mon 
application,  et  il  me  fit  connoîlre  des  choses  (jue  j'avais  toujours  igno- 
rées. Je  fus  d'abord  touché  de  cette  lumière  dont  Dieu  m'échiiroit. 
Voyant,  sans  en  pouvoir  douter,  <}ue  je  professois  une  religion  contraire 
à  la  religion  de  J.  C.  et  toute  opposée  à  la  pure  doctrine  de  rÉyangile, 


350  L'AimÉ    DE     ll.ORlAN. 

je  pris  la  résolulioii  de  tout  ahandoiiiicr  pour  marquer  à  Dieu  ma  recon- 
naissance  

L'abbé  de  Florian  entre  ici  clans  le  détail  des  embarras 
domestiques  qui  le  retinrent  longtemps  ;  de  la  vente  de  ses 
meubles  à  laquelle  il  dut  procéder,  en  prétextant  un  voyage 
à  Paris,  pour  ramasser  le  peu  d'argent  nécessaire  à  l'ac- 
complissement de  son  dessein.  Il  s'accuse  d'avoir  préva- 
riqué,  fait  ce  qu'il  croyait  être  un  très  grand  mal,  parla  conti- 
nuation d'un  ministère  à  l'efficacité  duquel  il  ne  croyait  plus, 
et  scandalisé  ainsi  les  faibles.  Il  n'a  recouvré  la  paix  qu'en 
rompant  le  dernier  lien  qui  l'attachait  à  l'Église  romaine, 
en  acceptant  sans  réserve  une  vie  de  privation  et  de  sacrifice, 
sur  les  traces  de  Celui  qui  a  glorifié  les  pauvres,  et  promis  à 
ses  disciples  une  joie  parfaite  en  échange  des  tribulations  qui 
les  attendent  dans  l'accoinplissement  du  devoir.  Mais  il  fau 
laisser  Fabbé  fugitif  s'exprimer  lui  même  dans  les  touchants 
adieux,  entremêlés  d'exhortations  toutes  chrétiennes,  qu'il 
adresse  à  son  ancien  hôte  : 

Voilà,  Monsieur,  ce  qui  me  console  et  me  fortifie...  accordez  moy  vos 
prières  et  demandez  pour  moy  une  piété  solide  et  persévérante.  Je  seray 
longtemps  en  marche.  Au  nom  de  Dieu  levez  au  ciel  des  mains  pures 
pour  m'en  obtenir  du  secours.  Que  votre  famille  prie  pour  moy  :  l'inno- 
cence des  enfans  donne  de  la  force  aux  prières  de  leurs  pères. 

Si  j'ai  le  bonheur  de  me  voir  ferme  dans  la  vérité  et  dans  la  pratique 
du  bien,  je  me  souviendray  d'elle  devant  le  Seigneur.  Et  si,  dans  l'éta- 
blissement qu'il  plaira  à  la  Providence  de  me  faire  trouver,  je  puis  con- 
(ribnei-  par  moy-mème,  ou  par  mes  amis,  au  bien  de  vos  enfans,  je  le 
feray  sans  avoir  besoin  d'y  être  sollicité  par  vos  lettres.  Voire  famille  me 
sera  toujours  chère,  et  réioignenuînt  n'altérera  point  l'inclination  dans 
hujuoUe  vous  m'avez  toujours  vou  à  luy  faire  plaisir  en  touî. 

Je  crois  (juc  le  témoignage  le  plus  sensible  que  je  puisse  vous  donner 
maintenant  est  de  vous  exhorter,  Monsieur,  à  continuer  avec  plus  d'at- 
tention que  jamais  à  Vélever  dans  la  crainte  du  Seigneur,  à  l'amour 
de  la  retraite,  de  la  prière  et  du  travail.  Vous  êtes  chargé  d'elle;  c'est 
un  dépôt  que  Dieu  vous  redemandera;  il  faudra  en  reniire  compte.  Vous 
avez  une  bonne  volonté,  mais  permettez  moy  de  vous  dire,  comme  votre 
amy,  que  cela  ne  suffit  pas.  Il  faut  des  œuvres;  il  faut  insiruire  votre 


l'abbé  de  florian.  351 

famille,  premièrement  par  le  bon  exemple,  qui  est  la  voyc  la  plus  cfli- 
cace  et  la  plus  courte;  secondement  par  l'instruction  et  la  correclion. 
Pour  réussir  en  l'un  et  l'autre,  il  faut  persévérer  dans  la  lecture  de 
rÉcritiire  Sainte  et  dans  la  prière.  Cest  dans  VÉcriture  que  Dieu  nous 
parle;  il  supplée  par  làau  silence  des  pasteurs,  àleur  négligence, àleur 
ignorance  etàleurserreurs. Écoutoz-le  avec  amour,  avec  respect,  et  dans 
le  désir  de  vous  instruire,  de  vous  rendre  à  ce  que  Dieu  demande  de  nous... 

Jésus-Christ  vous  y  exhorte  :  «  Enquérez  vous  (dit-il)  diligemment 
des  Écritures,  car  vous  estimez  par  elles  avoir  la  vie  éternelle,  et  ce  sont 
elles  qui  rendent  témoignage  de  moy  ».  Si  vous  donnez  à  cette  lecture 
une  heure  chaque  jour,  demy  heure  le  matin,  demy  heure  le  soir,  et 
deux  au  moins  le  dimanche,  il  est  impossible  que  vous  ne  vous  sanctifiez 
tôt  ou  tard  avec  votre  famille...  Je  ne  saurois  rien  vous  conseiller  au-dessus 
de  cette  pratique,  la  prière,  la  lecture,  le  travail,  la  frugalité  et  la 
modestie.  Vous  êtes  riche  pour  cette  vie  et  pour  l'autre  à  venir,  si  vous 
la  suivez.  Ne  participez  point  à  Vidolàtrie;  adorez  Dieu  en  esprit  et 
en  vérité.  Faites  une  Église  de  votre  famille,  soyez  en  le  ministre  et  le 
pasteur.  Dieu  sera  au  milieu  de  vous,  et  il  vous  comblera  de  ses  grâces. 

Si  j'ai  eu  le  malheur  de  vous  détourner  par  mon  exemple  de  ce  que 
je  vous  inspire  présentement,  je  vous  en  demande  pardon  et  à  toute 
votre  famille.  Je  vous  prie  de  prier  pour  moy  et  d'oublier  toutes  mes 
faiblesses...  J'abandonne  ma  patrie,  ma  parenté,  mes  rentes,  mes  commo- 
dités, mes  amis,  votre  maison,  dont  la  situation  et  la  veue  éloient  si 
heureuses,  si  réjouissantes,  si  convenables  à  mes  études,  et  je  vay  dans 
un  pays  inconnu,  sans  appui,  sans  ami  et  sans  connaissances.  Je  m'expose 
à  la  censure  de  toute  la  terre,  à  passer  pour  un  débauché  et  un  scélérat, 
et  à  la  triste  nécessité  de  vivre  d'aumosne.  Croyez-vous,  Monsieur,  que 
rien  d'humain  puisse  faire  faire  de  telles  démarches?  Il  ne  faut  que 
réfléchir  pour  penser  le  contraire  et  pour  voir  qu'il  n'y  a  que  Dieu  qui 
puisse  faire  pi-endre  de  telles  résolutions.  Plaise  à  sa  bonté  que  ces  réso- 
lutions aient  tout  le  succès  que  je  me  suis  proposé  pour  sa  gloire  seule  ! 

On  ne  s'étonne  pas  en  lisant  de  telles  pages,  et  celles  plus 
intimes  adressées  par  l'abbé  de  Florian  à  Louis  Rouquct  son 
valet,  de  l'effet  qu'ont  produit  ces  deux  morceaux  véritablement 
exquis  sur  l'académie  de  Montpellier,  qui  «  en  a  été  parfois 
émue  jusqu'aux  larmes  ».  On  lira  plus  loin  le  second,  que  l'on 
reproduit  intégralement  comme  une  page  d'éloquence  fami- 
lière et  tout  évangélique.  Il  faut  remercier  le  savant  doyen 
honoraire  de  la  Faculté  des  lettres,  M.  Germain,  d'avoir  re- 


352  l'abbe  de  florian. 

cueilli  avec  amour  et  dignement  conuuenté  ces  dilïérenles 
pièces  qui  restituent  un  éi)isode  ignoré  de  la  Révocalion,  cl 
sont  inséparables  de  l'histoire  d'une  famille  que  des  litres 
plus  ijrillants,  mais  non  plus  purs,  allaient  bientôt  signalera 
l'attention  de  la  postérité.  L'aimable  fabuliste  qui  fut  trop  de 
son  siècle,  et  qui  ne  connul  ni  la  ferveur  huguenote,  ni  le  zèle 
catholique  de  ses  aïeux,  ignorût-il  l'existence  de  l'abbé  de 
Florian,  devenu  pasteur  du  Refuge,  ou  puisât-il  dans  son 
exemple  une  leçon  de  tolérance  qui  se  dégage  de  ses  divers 
écrits.  Il  perdit  trop  tôt  sa  mère,  Gille  Salgues,  d'origine 
espagnole,  quoique  protestante,  (alunissant  les  dons  de  l'esprit 
à  ceux  de  la  beauté,  pour  en  garder  un  souvenir  distinct  ;  mais 
il  vit  souvent  dans  son  enfance,  son  grand-père,  le  conseiller 
à  la  cour  des  comptes  de  Montpellier,  Jean  de  Claris,  frère  de 
l'abbé,  vieillard  aimable  et  spirituel,  jeune  encore  sous  ses 
quatre-vingts  ans,  qui,  le  prenant  pour  compagnon  de  ses 
courses  champêtres,  lui  faisait  admirer  ses  translorrnations 
agricoles:  «  Beaux  vallons,  s'écriera-t-il  un  jour,  en  songeant 
au  pays  natal,  fortunés  rivages  où  jeune  encore  j'allais  cueillir 
des  fleurs  !  Beaux  arbres  que  mon  aïeul  planta  et  dont  la  tète 
touchait  les  nues,  lorsque  courbé  sur  son  bâton  il  me  les  fai- 
sait admirer  *  i  »  Le  souvenir  de  l'exilé,  du  prieur  de  St-Jean 
de  Crieulon,  s'était  comme  effacé  dans  les  lieux  qu'il  ne  quitta 
pas  sans  un  profond  regret,  pour  obéir  à  un  devoir  de  cons- 
cience. C'est  l'honneur  de  M.  Germain  de  l'avoir  fait  revivre 
en  tirant  de  l'oubli  des  pages  durables  '.  J.  B. 

I.  L'abbé  de  Florian  fait  deux  fois  allusion  dans  sa  Ictlrc  à  l'cvèquc  de  Nîmes 
et  dans  sa  leUrc  d'adieu  à  ses  paroissiens  (p.  14  et  32)  à  un  ouvrage  spécial 
('  dans  lequel  il  tâche  de  rendre  raison  de  sa  foy  et  de  manifester  à  toute  la 
terre  les  motifs  de  son  changement.  »  Nous  avions  cru  d'abord  que  cet  ouvrage 
n'était  autre  que  la  lettre  d'adieu  aux  Fidèles  de  Saint-Jean  de  Crieulon 
(11  pages  in-l»)  touchant  aussi  aux  questions  de  controverse.  Mais  il  s'agit 
évidemment  d'un  ouvrage  plus  étendu,  que  l'abbé  fugitif  recommande  à  la  mé- 
ditation de  ses  anciens  paroissiens.  On  ne  peut  donc  que  s'associer  aux  voeux 
de  M.  (lermain  pour  que  d'activés  recherches,  faites  en  France  et  à  l'étranger, 
viennent  coiiqilélcr  sur  ce  point  la  notice  consacrée  à    Pierre  de  Claris. 


DOCUMENTS 


LETTRE  DE  L'ABBÉ  DE  FLORIAN 

A   LOUIS    ROUQUET,    SON   VALET. 

(Août  1716) 


Voicy,  mon  cher  frère  et  mon  cher  amy,  une  nouvelle  marque 
de  la  recognoissance  que  je  conserveray  toute  ma  vie  pour  la  fidélité 
avec  laquelle  vous  m'avés  accordé,  pendant  deux  années,  votre  ser- 
vice. Dieu,  qui  est  notre  commun  maître,  comme  notre  père,  a 
voulu  que  vous  ayés  esté  auprès  de  moy  près  de  deux  ans  en  qualité 
de  valet  et  de  serviteur.  Vous  avés  tasché  de  vous  comporter  dans 
cet  estât  d'humiliation  d'une  manière  digne  de  lui.  Il  auroit  esté 
juste  que  j'eusse  fait  mon  devoir,  comme  vous  le  votre,  La  crainte 
que  j'ai  d'y  avoir  manqué  m'obligea  suppléer  à  cette  négligence  par 
cette  lettre.  La  Providence  divine  ne  voulant  plus  permettre  que 
nous  demeurions  ensemble,  je  dois  vous  renouveler, en  me  séparant 
de  vous,  toutes  les  instructions  que  j'etois  chargé  de  vous  faire. 

Comme  je  devois  vous  parler  surtout  par  mes  bons  exemples, 
et  que  c'est  en  cela  que  je  ne  me  suis  que  trop  oublié,  je  commence 
par  en  demander  pardon  à  Dieu,  et  par  vous  recommander  de  le 
prier  de  toutes  vos  forces  de  me  pardonner,  et  de  vous  remplir  d'une 
vive  foy,  afin  que  vous  n'imitiés  que  les  bonnes  choses  que  vous 
avés  veues.  Vous  scavés  les  soins  que  je  me  suis  donnés  pour  votre 
instruction.  Ils  peuvent  vous  estre  d'un  secours  infini, si  vous  voulés 
suivre  ce  que  je  vous  ai  recommandé  si  souvent.  Je  le  renouvelle 
icy,  afin  que  vous  en  conserviés  la  mémoire  toute  votre  vie. 

Souvenés-vous,  mon  cher  enfant,  que  nous  ne  sommes  faits  que 
pour  estre  éternellement  heureux  da;is  le  Ciel.  Pensés  que  la  terre 
est  un  lieu  d'exil,  de  misère,  de  larmes   pour  les  chrétiens;  et 

XX.XIII.  -   23 


35i-  LETTRE    DE    L'ABBÉ    DE    FLORIAN. 

n'oubliés  jamais  que  c'est  par  nn  entier  renoncement  aux  richesses, 
aux  plaisirs,  aux  honneurs  du  monde,  que  nous  pouvons  arriver  à  la 
possession  de  notre  bonheur.  Le  chemin  du  Ciel  n'est  autre  que  la 
pauvreté,  la  mortification,  l'humilité  et  le  travail.  Tencs-vous  toute 
votre  vie  dans  ce  chemin;  n'en  sortes  jamais,  quelque  changement 
qui  arrive  dans  votre  fortune;  marchés  y  avecjoye,  en  vous  appuyant 
sur  le  bâton  de  la  foy,  de  l'espérance  et  de  la  charité,  qui  sont  les 
vertus  par  lesquelles  on  plaît  h  Dieu,  qui  nous  font  faire  notre 
chemin  :  par  la  foy,  qui  nous  fait  croire  sans  hésiter  ce  que  Dieu 
nous  dit,  vous  fermerés  l'oreille  aux  discours  du  monde;  par  l'es- 
pérance, qui  nous  fait  mettre  en  Dieu  notre  confiance,  et  attendre 
de  lui  seul  tout  notre  bonheur,  vous  mepriserés  les  biens  de  la 
terre,  et  vous  ne  serés  point  sensible  aux  recompenses  des  hommes, 
ni  à  leur  ingratitudes;  par  la  charité,  qui  nous  fait  aimer  Dieu  plus 
que  notre  vie,  et  qui  nous  oblige  à  aimer  tous  les  hommes  comme 
nous  mesmes,  vous  n'ecouterés  point  vos  passions,  et  vous  souffrirés 
tout  de  la  part  des  hommes,  plutost  que  de  leur  faire  ny  de  leur 
souhaiter  aucun  mal;  et  c'est  ainsi  que  vous  marcherés  ferme  dans 
le  chemin  qui  nous  mène  k  Dieu,  et  qu'après  quelques  tribulations 
souffertes  pendant  votre  vie,  vous  irés  jouir  de  cette  recompense  et 
de  ce  repos  que  Dieu  nous  promet,  et  qu'il  donne  sans  faute  à  ceux 
qui  le  servent  de  cette  manière. 

Pour  ne  pas  vous  négliger  dans  la  pratique  de  ces  vertus  si 
essentielles,  priés  et  veillés,  parce  que  de  nous  mesmes  nous  ne 
pouvons  rien,  et  que  Dieu  est  le  père  de  lumière,  duquel  descend 
tout  don  parfait.  Il  faut  prier  sans  cesse,  c'est  à  dire  faire  tout  ce 
qu'on  fait  dans  la  seule  veue  de  plaire  à  Dieu,  mais  vaquer  à  la 
prière  d'une  manière  plus  particulière  et  plus  marquée.  Faites  votre 
capital  de  cet  exercice  :  commencés  et  finisses  toujours  la  journée 
par  cette  action.  Donnés  votre  cœur  à  Dieu  dès  votre  réveil,  le 
matin;  donnes  le  lui  encore  avant  votre  sommeil,  le  soir  en  vous 
couchant.  Faites  vos  prières,  non  pas  de  bouche,  mais  de  cœur. 
Soyés  attentif  et  comprenés  bien  ce  que  vous  dites  k  Dieu  dans 
votre  prière.  Faites-la  avec  humilité,  en  vous  prosternant,  autant 
([ue  votre  santé  vous  le  pernuMlra,  devant  le  Seigneur.  Persévères 
dans  la  prière;  ne  manques  jamais  à  ce  grand  devoir.  Dieu  vous 
gardera  pendant  la  nuit,  et  répandra  ses  bénédictions  sur  votre 
travail  pendant  le  jour.  Avant  et  après  le  repas,  en  commençant  et 


LETTRE  DE  L  ABBE  DE  FLORIAN.  355 

en  finissant  votre  travail,  priés  le  Seigneur,  avec  les  mêmes  dispo- 
sitions. 

Après  la  prière  il  faut  vous  appliquer  à  ce  que  votre  estât  de- 
mande de  vous.  Quelque  soit  le  métier  que  vous  prendrés,  faites  le 
avec  amour  et  avec  fidélité.  Il  faut  aimer  l'ouvrage  qu'on  fait,  parce 
que,  après  avoir  choisi  un  métier,  nous  devons  croire  que  c'est  Dieu 
(jui  demande  que  nous  le  servions,  en  nous  appliquant  à  le  bien 
faire.  Ne  soyés  pas  précipité  dans  votre  travail  :  faites  votre  ouvrage 
avec  attention,  avec  poids  et  avec  sagesse.  On  ne  fait  jamais  bien  ce 
qu'on  fait  vite.  Piques  vous  surtout  de  travailler  sur  une  matière 
bonne  et  bien  préparée,  et  n'épargnés  pas  votre  peine,  ni  votre 
temps,  afin  que  votre  travail  soit  bien  bon.  N'ayés  jamais  de  veues 
d'avidité,  d'avarice,  ni  de  vanité  dans  votre  travail.  Proposés  vous 
de  plaire  à  Dieu,  d'obéir  à  son  commandement,  qui  veut  que  les 
hommes  gagnent  leur  pain  à  la  sueur  de  leur  front.  Cherchés  son 
royaume  et  la  pratique  de  sa  loy,  et  tout  le  reste  vous  sera  donné 
comme  pardessus.  Dieu  scait  que  vous  avés  besoin  d'estre  nourri 
et  d'estre  habillé.  Reposés  vous  sur  sa  bonté  pour  toutes  ces  choses, 
et  ne  vous  occupés  que  des  seuls  moyens  de  lui  plaire,  c'est  à  dire 
de  le  prier,  de  le  servir,  en  travaillant  avec  fidélité,  dans  Testât  où 
il  vous  a  mis.  Fuyés  avec  soin  la  compagnie  des  gens  vicieux  et  sans 
religion.  Ne  méprisés  pas  ces  personnes;  ne  parlés  pas  mal  d'elles; 
ne  refusés  pas  de  leur  rendre  service,  si  vous  pouvés  ;  mais  n'ayés 
aucune  société  avec  elles.  Cherchés  à  fréquenter  les  gens  craignant 
Dieu.  Ecoutés  ce  qu'ils  disent;  suives  les  bons  exemples  qu'ils  vous 
donnent.  Soyés  sobre  et  frugal.  Ne  mangés  qu'aux  heures  réglées. 
Ayés  soin  de  vous  tenir  propre;  car  la  propreté  est  une  vertu  digne 
d'un  Chrétien  :  elle  contribue  beaucoup  à  la  santé,  et  fait  qu'on 
dépense  moins  en  habits.  Contentés  vous  de  la  nourriture  de  votre 
famille.  N'allés  jamais  aux  cabarets,  qui  sont  des  maisons  abomi- 
nables pour  les  Chrétiens  auxquels  Dieu  a  donné  une  maison  pour 
manger. 

Respectés  tout  le  monde.  Ne  vous  meslés  jamais  dans  les  dis- 
putes. N'écoutés  jamais  les  rapports.  Cachés  tout  ce  qui  n'est  poin' 
à  la  louange  de  votre  prochain.  Soyés  officieux,  et  ne  refusés  point, 
tant  que  vous  pourrés,  de  rendre  service. 

Honorés  votre  père  et  votre  mère;  obéisses  leur  en  toutes 
choses,  selon  le  Seigneur.  Ne  les  laissés  point  manquer  du  néces- 


356  LETTRE    DE    l'ABBÉ    DE  FLORIAN. 

saire,  fallût  il  vous  mesme  vous  en  priver.  Ne  faites  rien  sans  leur 
consentement,  et  secourés-les  de  tous  vos  moyens  jusques  à  la  fin. 
Aimés  vos  frères  et  vos  sœurs,  et  ne  faites  avec  eux  qu'une  mesme 
personne. 

Si  Dieu  vous  appelle  au  mariage,  cherchés  une  fille,  non  pas 
belle,  mais  vertueuse;  non  riche,  mais  modeste,  retirée,  soumise  à 
ses  parens.  Si  elle  n'est  point  bien  instruite,  faites-la  instruire  avant 
toutes  choses;  et  ne  vous  mariés  qu'afin  de  servir  Dieu  avec  plus 
de  fidélité  et  moins  de  danger.  Si  vous  avés  des  enfans,  donnés  les 
à  Dieu  dès  leur  naissance  :  elevés-les  à  sa  crainte  à  bonne  heure, 
Apprenés  leur  à  ne  se  point  éloigner  de  vous,  ou  de  leur  mère,  d'un 
pas.  Faites  les  suivre  à  votre  travail,  et  accoutumés  les  à  travailler, 
dès  qu'ils  pourront  tenir  quelque  outil  en  leurs  petites  mains.  Sur 
toutes  choses,  formés-les  à  la  prière,  à  l'amour  des  biens  célestes, 
à  l'amour  de  la  sobriété,  de  la  pauvreté,  de  la  modestie,  de  l'obéis- 
sance, de  la  souffrance  et  du  travail. 

Vous  avés  le  bonheur  de  scavoir  lire,  ne  le  laissés  pas  inutile. 
Lises  sans  cesse  la  sainte  Écriture.  Dieu  y  parle  aux  petits  comme 
aux  grands.  Lises  la  donc,  sans  manquer  une  fois  du  jour,  ou  le  soir, 
ou  le  matin.  Votre  métier  ne  vous  dispense  pas  de  ce  devoir  ;  il  ne 
faut  qu'un  quart  d'heure,  les  jours  ouvriers  ;  lises  un  demi  chapitre  du 
Nouveau  Testament.  Lises  le  avec  respect,  avec  attention,  comme  si 
vous  n'aviés  que  cela  à  faire.  Profites  de  ce  que  vous  comprendrés, 
et  adorés  ce  que  vous  ne  comprendrés  pas.  Le  dimanche,  lises  ce 
divin  livre  plus  longtemps,  une  heure  le  matin  et  une  heure  l'après 
dînée.  Médités  les  belles  choses  que  Dieu  vous  y  dit.  Vous  de- 
viendrés  fort,  et  communiquerés  votre  force  à  votre  famille.  Chantés 
les  cantiques  que  vous  avés  copiés.  Lises  les  instructions  dont  vous 
avés  rempli  vos  cahiers;  recopiés  les  peu  à  peu,  une  heure  du  di- 
manche. Par  lîi  vous  sanctifierés  ce  saint  jour;  vous  graverés  en 
vous  ces  excellentes  choses,  et  vous  vous  rendrés  agréable  à  Dieu. 
Le  dimanche,  faites  encore  quelque  bonne  œuvre  :  visités  des  ma- 
lades, si  vous  pouvés  espérer  de  leur  esire  utile,  entretenés  vous 
de  bonnes  choses  avec  quelques  personnes  qui  craignent  Dieu. 
Promenés  vous,  et  mangés  mesme  avec  elles,  dans  leurs  maison  ou 
dans  la  vôtre.  Une  récréation  honneste  et  modeste  n'est  pas  de 
fendue. 

Si  vous  avés  la  pensée  de  servir  des  maîtres,  ce  que  je  ne  vous 


LETTRE    DE    l'aBBÉ    DE   FLORIAN.  357 

conseille  pas,  choisisses  en  un  parmi  mille.  Ne  regardés  pas  les 
gages  qu'on  donne,  ni  la  bonne  nourriture,  ni  rien  de  semblable; 
regardés  si  ce  sont  des  gens  de  bien,  des  gens  craignant  Dieu,  dé- 
tachés du  monde,  et  capables  de  vous  donner  de  bons  exemples.  Si 
vous  n'en  trouvés  pas  de  tels,  aimés  mieux  le  plus  rude  travail,  et 
aimés  mieux  mesme  mendier  votre  pain,  que  de  prendre  des  con- 
ditions où  vous  risqués  votre  salut. 

Yoilà,  mon  cher  amy,  les  instructions  que  j'ay  creu  estre  obligé 
de  vous  donner.  Je  souhaite  que  vous  en  profitiés,  et  que  vous  m'en 
marquiés  votre  recognoissance,  en  vous  rendant  plus  propre  à  me 
devenir  utile  par  vos  prières  devant  le  Seigneur.  Je  compte  pour 
très  peu  de  chose  les  petils  gages  que  vous  avés  gagnés  avec  moy. 
Le  soin  que  j'ay  eu  pour  la  santé  de  votre  corps  est  peu  considé- 
rable; mais  vous  devés  compter  pour  beaucoup  ce  que  j'ay  tasché 
de  faire  pour  vous  instruire,  pour  vous  faire  avoir  la  foy  pure  et 
éclairée  qui  fait  le  Chrétien,  et  sans  laquelle  il  est  impossible  de 
plaire  à  Dieu.  Ayés  toujours  présentes  ces  instructions  ;  communiqués 
les  aux  autres.  Serves  Dieu  en  esprit  et  en  vérité.  Donnés  lui  votre 
cœur,  il  vous  le  demande.  Souvenés  vous  des  pratiques  chrétiennes 
que  vous  avés  veues  pendant  que  vous  etiés  avec  moy.  Ne  vous  en 
départes  point,  et  informés  vous  du  pais  où  est  celui  que  Dieu  vous 
avoit  donné  pour  maître.  Scachés  comme  il  vit,  et  tachés  de  suivre 
son  exemple,  si  tout  ce  que  vous  lui  avés  veu  faire  ne  peut  que  vous 
persuader  que  ce  qu'il  pratique  est  bon. 

Je  ne  scais  pas  si  nous  nous  reverrons  jamais  sur  la  terre;  mais 
je  scais  que  nous  nous  reverrons  dans  le  Ciel,  si  nous  avons  le  bon- 
heur de  tenir  le  chemin  du  Ciel.  Travaillons  à  cela,  quelque  éloignés 
que  nous  soyons.  Nous  nous  retrouverons  dans  notre  patrie.  Nous 
nous  embrasserons  devant  notre  maître  commun,  et  si  nous  l'avons 
servi  fidèlement,  moy  dans  mon  estât,  et  vous  dans  le  votre,  nous 
recevrons,  comme  serviteurs  fidèles,  notre  recompense.  Je  vous  le 
souhaite,  et  je  prieray  toute  ma  vie,  le  Seigneur  de  vous  secourir, 
afin  que  vous  rendiés  certaine  par  vos  bonnes  œuvres  votre  vocation. 

Adieu,  mon  cher.  Je  ne  suis  plus  votre  maître,  mais  je  seray 
toute  ma  vie,  et  au  delà  des  siècles,  votre  serviteur,  votre  amy  et 
votre  bon  frère. 

De  Claris  Flouian. 


358  LETTRE   DE    R  AU  AUX   SAINT-ÉTIENNE. 

Paris,  le  18  juin  1884. 
A  Monsieur  Jules  Bonnet,  secrétaire  de  la  Société  d'Histoire. 

J'ai  l'honneur  do  vous  adresser  ci-jointe  la  copie  fidèle  d'une  belle  et 
énergique  lettre  de  Rabaut  Saint-Étienne  à  propos  de  l'Édit  de  tolérance 
qui  allait  paraître,  lettre  que  j'ai  eu  la  bonne  fortune  de  découvrir  dans 
les  Archives  du  Consistoire  de  Paris. 

Le  Consistoire  a  bien  voulu  m'autoriser  à  vous  coninuiniquor  pour 
le  Bulletin  de  rHistoire  du  Protestantisme,  où  il  a,  me  semble-t-il,  sa 
place  tout  indiquée,  ce  précieux  document  relatif  à  une  époque  oîi,  parmi 
tant  de  grands  caractères,  celui  de  Uabaul  Saint-Etienne  fut  certaine- 
ment un  des  plus  grands,  des  plus  sympathiques,  des  plus  utiles  à  la 
France  et  au  Protestantisme. 

Cette  lettre  du  6  décembre  1787,  écrite  par  conséquent  deux  mois 
avant  la  promulgation  de  l'Édit  qui,  donné  en  novembre  1787,  ne  fui 
«  registre  »  que  le  19  janvier  1788,  ne  porte  malheureusement  ni  suscrip- 
tion,  ni  mention,  ni  aucun  indice  permettant,  de  prime  abord,  d'indiquer 
sûrement  le  nom  de  la  personne  à  laquelle  elle  fut  adressée. 

J'avais  cru  tout  d'abord  qu'il  s'agissait  du  vertueux  Malesherbcs,  avec 
laquel  Rabaut  Saint-Étienne  eut,  comme  on  sait,  de  fréquentes  et  de 
très  intimes  relations  à  l'occasion  de  la  préparation  de  l'Édit;  mais 
Malesherbes  était  alors,  si  je  ne  me  trompe,  garde  des  sceaux,  et  Rabaut 
écrit  dans  sa  lettre  qu'  «  on  a  transporté  dans  le  préambule  la  pensée 

de  M'  le  garde  des  sceaux  dans  son  discours »  D'ailleurs,  si  grande 

qu'ait  pu  être  son  intimité  avec  Malesherbes  ou  avec  les  autres  mi 
nistres,  Rabaut,  dans  le  cas  particulier,  aurait  commencé  sa  lettre, 
semble-t-il  par  «  Monseigneur  »  ou  par  «  monsieur  le  ministre  »  et  non 
comme  il  le  fait  par  un  simple  et  bourgeois  «  Monsieur  ».  Ce  n'est  donc, 
selon  toute  apparence,  ni  à  Malesherbes  ni  à  l'un  des  membres  du  niinis 
tèro  qu'il  écrit. 

Ce  n'est  pas  non  plus  à  M.  de  Lafayette,  qu'il  n'aurait  pas  manqué 
d'appeler  «  3Ionseigneur  »,  ou  pour  le  moins  «  Monsieur  le  marquis  », 
non  plus  qu'à  M.  de  Rrctcuil  auquel  il  n'eut  pas  ménagé  son  titre  de 
«  baron  ».  Ne  serait-ce  pas  à  Ruhlières?  ou  encore  à  Roissy  d'Anglas? 
ou,  plus  probablement  au  rapporteur  de  l'Édit  ou  à  quelque  rédacteur 
du  ministère  chargé  de  porter  la  dernière  main  à  la  rédaction  de  l'Édi 
avant  qu'il  soit  discuté  et  «  registre  »  par  le  Parlement?  Cette  dernière 
hypothèse  me  paraît  la  plus  fondée,  et  voici  pourquoi  :  H  y  a  quelques 


LETTRE    DE    RABAUT    SAIXT-ETIENNE.  359 

semaines,  en  parcourant  la  Collection  Coquerel  à  la  bibliothèque  de 
l'Histoire  dn  Protestantisme  j'ai  trouvé  (vol.  XXIX,  p.  201)  une  lettre 
de  Rabaut  Saint-Etienne,  datée  du  9  janvier  1788,  lettre  écrite  en  des 
ternies  et  sur  un  ton  se  rapprochant  beaucoup  de  ceux  de  la  lettre  en 
question  et  tendant  au  même  but;  le  personnage  auquel  il  écrit  et  qui 
n'est  pas  non  plus  désigné  devra  répondre  aux  observations  que  présen- 
terale  Parlement  sur  VÉdit  de  tolérance.  Ce  personnage  et  le  destina- 
taire de  la  lettre  que  je  vous  envoie  sont  très  probablement  une  seule  et 
même  personne. 

Après  tout,  l'essentiel  n'est  pas  de  savoir  à  qui  fut  adressée  cette 
lettre,  si  intéressante  que  puisse  en  être  la  découverte,  mais  bien  de  savoir 
qu'elle  fut  adressée  et  que,  par  conséquent,  si  l'Édit  de  1787  ne  donna 
pas  à  nos  pères  une  entière  satisfaction  en  restituant  aux  pasteurs  et 
aux  fidèles  la  libre  possession  de  leurs  droits  civils,  politiques  et 
religieux  (l'Assemblée  nationale  allait  bientôt  s'honorer  en  proclamant 
celte  complète  et  tardive  restitution  !j  il  m  faut  pas  s'en  prendre  à 
l'apathie  ni  à  la  timidité  trop  aisément  satisfaite  de  notre  grand  et  tenace 
Rabaut  Saiut-Étienne.  On  s'en  doutait  bien,  sans  doute,  mais  il  est 
des  faits  que  l'on  ne  saurait  trop  mettre  en  luznière. 

C'est  une  grande  satisfaction  pour  moi.  Monsieur,  que  de  pouvoir  vous 
communiquer  cette  lettre;  vous  l'accueillerez,  j'en  suis  sur,  avec  une 
satisfaction  au  moins  égale  à  la  mienne.  De  plus,  je  suis  convaincu  que 
les  lecteurs  du  Bulletin,  si  vous  voulez  bien  la  leur  communiquer 
à  votre  tour,  vous  en  seront  reconnaissants,  surtout  si,  comme  je  l'espère, 
aidé  d'une  compétence  et  de  lumières  historiques  que  je  n'ai  point,  vous 
voulez  bien  leur  indiquer  le  nom  de  celui  qui  eut  les  prémices  de  ces 
remarquables  pages. 

Veuillez  agréer.  Monsieur,  l'assurance  de  mes  sentiments  dévoués, 

Paul  Jalaglier. 


Nos  lecteurs  remercieront  avec  nous  M.  Paul  Jalaguier  de  sa  très  pré- 
cieuse communication.  Quel  que  soit  le  destinataire  de  la  remarquable 
lettre  qui  suit,  il  y  a  lieu  de  la  comparer  avec  le  texte  des  observations 
présentées  sur  le  même  sujet  par  Rabaut  Saint-Étienne  et  insérées  dans 
le  Bulletin,  t.  XllI,  p.  342.  352  {Réd.). 


3tîO  LETTRE    DE  RABAUT   SAINT-ÉTIEXNE. 

LETTRE  DE  RABAUT  SAINT-ÉTIENNE 

SUR  l'édit  de  tolérance  de  1787 

Paris,  Je  6  décembre   1787. 

Monsieur, 

Je  me  permets  de  faire  aujoiu-d'hui  ce  que  le  public  fera  dans  un 
mois,  c'est-à-dire  mes  observations  sur  le  fameux  Édit  qui  va  occu- 
toute  l'Europe,  et  qui,  par  conséquent,  sera  jugé  par  Elle. 

On  a  retranché  des  articles,  celui  concernant  le  culte  public; 
mais  on  a  inséré  h  la  fin  du  préambule  que  la  Religion  Catholique 
jouira  seule  des  Droits  et  des  honneurs  du  culte  public;  et  comme 
il  n'est  fait  mention  dans  l'Édit  d'aucun  culte  pour  les  non-Catho- 
liques, il  est  évident  que  les  loix  pénales  concernant  le  culte  des 
Protestants  subsistent  toujours,  ce  qui  n'est  pas  propre  à  attirer  les 
étrangers.  Et  comme  ce  mot  culte  public  a  le  sens  qu'on  veut,  quand 
la  loi  ne  les  a  pas  interprétés,  c'est  une  expression  vague,  qui  laisse, 
à  la  vérité,  de  la  liberté  du  Ministère,  mais  qui  conserve  les  craintes 
des  nationaux  et  des  Etrangers.  Je  fais  cette  observation.  Monsieur, 
parce  qu'elle  montre  la  nécessité  de  ne  pas  tarder  à  s'expliquer  sur 
le  culte  qui  ne  doit  pas  être  public,  sans  doute,  mais  qui  doit  être 
libre;  qui  ne  ne  peut  être  approuvé  par  un  Roi  Catholique  mais  qui 
doit  être  permis  par  un  Roi  politique  et  sage. 

On  a  transporté  dans  le  préambule  la  pensée  de  M.  le  Garde  des 
Sceaux  dans  son  discours,  que  les  non-Catholiques  ne  tiendront  de 
la  loi  que  ce  que  le  droit  naturel  ne  permet  pas  de  leur  refuser,... 
les  effets  civils.  Mais  on  sait  aujourd'hui  ce  que  c'est  que  le  droit 
naturel,  et  certainement  il  donne  aux  hommes  bien  plus  que  l'Édit 
n'accorde  aux  Protestants  :  il  me  semble  qu'il  aurait  mieux  valu 
taire  celte  pensée.  Le  temps  est  venu  où  il  n'est  plus  permis  à  une 
loi  de  choquer  ouvertement  les  droits  de  l'humanité  très  bien  connus 
de  tout  le  monde. 

Permettez-moi,  Monsieur,  de  me  plaindre  aussi  de  cette  expres- 
sion vague  du  préambule;  les  sujets  non-catholiques  privés  de 
toute  influence  sur  l'ordre  établi  dans  nos  États.  Si  cette  parole 
veut  dire  que  les  Protestants  n'entreront  dans  aucune  sorte  d'admi- 


LETTRE   DE   RABAUT   SAINT-ÉTIENNE.  361 

iiistration,  elle  dit  la  chose  qui  n'est  pas,  qui  ne  sera  pas,  qui  n'est 
pas  possible  ;  le  législateur  ouvre  la  porte  [aux  vexations  contre  les 
Prolestants  qui,  entrant  en  diverses  administrations,  influent,  en 
petit  contingent,  sur  V ordre  établi  dans  VÉtat;  et  il  se  la  ferme 
pour  confirmer  ce  qui  est  déjà,  et  pour  établir  ce  qu'il  sera  juste  et 
indispensable  de  faire  à  l'avenir. 

Si  cette'  parole  veut  dire  que  les  Protestants  ne  pourront  pas 
influer  comme  corps,  cela  est  déjà  dit  dans  la  phrase  suivante;  c'est 
une  repétition,  mais  qui  laisse  du  louche  :  car  le  sens  qui  se  pré- 
sente à  l'esprit,  c'est  que  les  Prolestants  ne  seront  jamais  admis  à 
l'Administration,  même  dans  ses  détails;  ce  qui,  encore  une  fois, 
est  impossible. 

Art.  1 

Permettrons...  de  jouir  dans  nos  États  de  tous  les  biens  et 
droits  qui  pourront  leur  appartenir. 

Il  me  semble,  Monsieur,  qu'il  y  avait,  ci-devant,  une  expression 
plus  claire.  Ce  qui  leur  appartient,  selon  eux,  ce  sont  tous  les 
droits  de  citoyens  et  de  sujets.  Mais  qu'est-ce  qui  leur  appartient 
selon  la  loi?  C'est  ce  qu'elle  ne  dit  pas  :  ce  sera  donc  ce  que  les 
interprèles  de  la  loi  voudront  ou  ne  voudront  pas  ;  c'est  une  occasion 
de  chicanes. 

Art.  IV 

On  a  supprimé  (depuis  peu)  la  phrase  de  cet  article,  qui  permet- 
tait aux  Ministres  de  jouir  de  tous  les  effets  civils  comme  tous  les 
autres  sujets  non-catholiques. 

Cet  article  était  sage,  il  était  juste,  il  était  politique  :  j'ose  dire 
que  sa  suppression  est  une  faute. 

Il  est  prudent  d'attacher  les  ministres  à  la  patrie,  et  inconséquent 
de  les  traiter  comme  des  étrangers,  car  on  ne  veut  pas  qu'ils  soient 
étrangers. 

Il  est  inconséquent  de  garder  les  loix  pénales,  à  moins  qu'on  ne 
veuille  se  réserver  la  douceur  de  les  exécuter  conlr'eux.  Par  la 
phrase  supprimée,  on  les  abolissait  sans  le  dire  :  par  sa  suppres- 
sion, l'on  garde  nue  loi  honteuse,  l'opprobre  d'une  nation  qui  se  dit 
et  se  croit  tolérante. 


362  LETTRE   DE   RABAL'T   SAINT-ÉTIENXE. 

On  a  torl  de  compter  les  ministres  pour  rien,  parce  qu'ils  sont 
beaucoup,  et  qu'un  Gouvernement  sage  doit  avoir  l'attention  de 
n'aliéner  les  esprits  de  personne;  mais  il  est  imprudent  d'aliéner 
ceux  de  cinq  cents  personnes  qui  réunissent  entr'elles  la  confiance 
générale. 

Il  est  impossible  d'imaginer  que  trois  millions  d'hommes  ne 
sachent  pas  lire.  Les  Protestants  ne  sont  liés  que  par  leurs  Mi- 
nistres, et  ils  s'incorporent  avec  eux  par  la  chaîne  du  culte  :  mais 
les  Protestants  verront  dans  l'Edit  que  les  Ministres  sont  toujours 
condamnés  à  être  pendus,  et  ceux  qui  leur  donnent  à  souper,  ou 
qui  vont  les  entendre  prêcher,  condamnés  aux  galères.  Les  senti- 
ments qu'on  excitera  chez  eux  ne  pourront  pas  être  ceux  de  la  recon- 
naissance et  de  la  confiance,  ni  même  de  l'admiration. 

Les  Ministres  sont  de  bons  sujets,  on  ne  doit  pas  les  traiter  comme 
de  mauvais  citoyens. 

Il  ne  faut  pas  croire  que  ceux  que  la  loi  avilit  se  tiennent  pour 
avilis,  car  en  fait  de  religion,  opprobre  est  synonime  de  gloire;  on 
s'honore  de  l'injuslice  qu'on  souffre,  et  le  comble  de  l'imprudence 
serait  de  conserver  dans  l'État  cinq  ou  six  cents  martyrs  toujours  en 
exercice.  L'oppresseur  a\^\)e\\c  fanatisme  ce  sentiment  d'exaltation, 
mais  l'opprimé  l'appelle  zèle:  les  principes  qui  le  conduisent  ne 
sont  pas  dans  la  tête  d'autrui,  mais  dans  la  sienne  :  c'est  d'après 
son  opinion  que  chacun  se  gouverne,  et  les  conséquences  que  vous 
tirez  de  votre  idée  ne  pouvant  être  celles  que  je  tire  de  la  mienne, 
je  m'enorgueillis  de  cela  même  par  quoi  vous  avez  cru  m'humilier. 
Des  hommes  ainsi  constitués,  ou  déconstitués,  ne  peuvent  aller  à  la 
cadence  du  Gouvernement. 

Après  cela.  Monsieur,  il  n'y  a  nul  danger  à  rétaldir  la  phrase  sup- 
primée. Je  ne  dis  pas  que  cela  est  juste;  malheureusement  ce  n'est 
pas  ce  dont  il  s'agit,  et  il  faut  y  renoncer  à  bien  d'autres  justices. 
Mais  quel  danger  peut-il  y  avoir  à  ce  que  les  Ministres  jouissent  de 
droits  pareils  à  ceux  des  autres  sujets  non  catholiques  ?  et  quel  mal 
y  aurait-il  d'abolir  ainsi  indirectement  les  loix  pénales  portées 
contre  eux?  Quel  danger  à  leur  dire  :  nous  vous  regardons  comme 
des  Français,  conduisez-vous  comme  tels? 

Je  vois  une  plus  noble  politique  :  elle  consisterait  à  les  honorer 
et  les  estimer  plutôt  qu'à  les  proscrire  et  les  avilir;  à  placer  en  eux 
de  la  confiance,  j)lulôt  que  de  la  méfiance;  à  les  inciter  par  des 


LETTRE   DE   RABAUT  SAINT-ÊTIENNE.  363 

bontés,  assurément  très  bornées,  à  être  chez  les  Protestants  des 
trompettes  d'union,  de  concorde,  de  soumission  au  Gouvernement 
qui  les  protège.  Or,  certainement,  quand  une  marche  politique  es^ 
la  bonne,  la  marche  opposée  ne  vaut  rien. 

J'insiste  auprès  de  vous.  Monsieur,  sur  cet  objet,  comme  je  l'ai 
fait  autrefois,  parce  que  je  connais  l'esprit  général.  11  m'est  revenu 
de  partout  des  alarmes  des  ministres  sur  ce  qu'ils  sont  toujours 
oubliés  et  même  proscrits;  les  brebis  ne  sont  pas  elles-mêmes  fort 
rassurées  quand  on  continue  d'opprimer  les  bergers,  et  elles  s'ima- 
ginent qu'elles  doivent  souffrir  de  cette  oppression,  et  la  partager  à 
quelques  égards.  J'ai  cru  devoir  les  rassurer,  en  annonçant  l'article 
dont  j'ai  l'honneur  de  vous  parler,  et  je  pensais  que  cela  était 
nécessaire. 

Quand  on  ne  le  verra  point,  on  appercevra  toute  la  nudité  d'une  loi 
annoncée  depuis  longtemps  et  qui  se  borne  à  permettre  aux  Pro- 
testants d'être  orfèvres  et  perruquiers,  et  à  leur  promettre  que 
leurs  enfants  ne  seront  point  bâtards.  Cette  faveur  est  grande  sans 
doute  relativement  à  la  portée  des  esprits  de  notre  pays,  mais  elle 
n'est  point  grande  en  elle-même.  Elle  ne  peut  avoir  quelque  chose 
d'éclatant  que  dans  un  pays  où  l'on  a  gardé  tranquillement  quatre 
générations  de  concubins,  et  où  les  principes  du  droit  naturel  sont 
encore  si  ignorés  qu'on  est  tout  surpris  des  pas  de  nain  que  l'on  fait 
dans  la  réforme  de  la  législation. 

On  sera  forcé  d'attribuer  cette  réîicence  à  quelque  chose,  ou  à 
quelqu'un  :  et  de  quel  côté  que  se  portent  les  soupçons,  il  n'en 
peut  revenir  ni  avantage  ni  gloire. 

Je  prends  donc  la  liberté,  Monsieur,  de  vous  supplier  de  faire  ce 
qui  dépendra  de  vous  pour  faire  rétablir  cette  petite  phrase.  Je  sup- 
pose que  l'on  a  l'intention  de  rendre  les  Protestants  un  peu  satis 
faits; car  à  quoi  bon  faire  une  loi  si  elle  leur  prouvait  évidemment 
qu'on  a  cherché  le  repos  des  ministres  des  loix  et  non  le  leur  ? 

Si  on  néglige  l'objet  qui  leur  tient  plus  au  cœur,  la  liberté  reli- 
gieuse toujours  préf  rée  par  les  hommes  à  la  liberté  civile,  on  leur 
annonce  qu'on  ne  veut  pas  les  satisfaire  en  ce  qui  les  touche  le  plus. 
Mais  la  phrase  supi)riméepeut  les  engager  à  prendre  j)atience  encore, 
accoutumés  comme  ils  sont  au  long  exercice  de  cette  vertu.  Je  n'abu- 
serais pas  de  la  vôtre,  Monsieur,  si  je  n'étais  intimement  convaincu, 
que,  sans  cet  article,  on  n'a  presque  rien  fait,  et  qu'un  silence  ab- 


364  MÉLANGES. 

solu  à  cet  égard  ferait  crier  les  catiioliques  eux-mêmes  et  toute 
l'Europe.  Aussi,  pour  l'honneur  même  du  Ministère,  prendrai-je 
soin  de  le  redire  jusqu'à  extinction  de  forces;  car,  le  moment  une 
fois  passé,  on  aurait  regrets  à  avoir  refusé  un  objet  aussi  simple. 
Je  vous  demande  pardon,  Monsieur,  de  la  liberté  dont  je  continue 
d'user  jusques  au  moment  où  je  n'aurai  plus  à  vous  importuner  que 
des  témoignages  d'une  reconnaissance  immortelle. 
Je  suis  avec  un  profond  respect. 

Monsieur, 
Votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur, 

Rabaut  de  Saint-Étienxe, 

P.  S.  Comme  j'ai  changé  de  demeure,  Monsieur,  je  continuerai  de 
vous  donner  mon  adresse,  jusqu'à  ce  que  M.  Colreau  l'ait  vue. 

Rue  de  Riclielieu  n°  42,  près  de  la  Rue  Neuve  des  petits-champs. 


MÉLANGES 


LE  CHEVALIER 

.TEAN  DANIEL  DE   BELRIEU   DE   LA   GRACE 

On  connaît,  en  partie  du  moins,  le  ministère  pastoral,  souvent 
si  plein  de  dangers,  exercé  par  Jean  Louis  Gibert  dans  la  Sainlonge, 
l'Angoumois,  l'Agenais  et  le  Périgord.  On  sait  qu'il  était  traqué 
comme  une  bête  fauve  et  que  l'ordre  avait  été  partout  donné  de  le 
saisir  «  mort  ou  vif».  Un  certain  nombre  de  publications  S  dont 

1.  Citons  entre  aulics  :  CroUet,  Histoire  des  Églises  réformées  de  Pons.  — 
Charles  Coquercl,  Histoire  des  pasteurs  du  désert.  —  Dullelin  de  l'Histoire  du 
Protestantisme  français,  d"  annexe,  p.  190  et  suiv.  —  De  Richemond,  L'É(jlise 
sous  la  croix  et  Encijclopedie  des  sciences  religieuses,  t.  XII,  p.  623  et  s.  — 
Douen,  L'Intolérance  de  Fénelon,  —  La  France  protestante. 


MELANGES.  365 

quelques-unes  déjà  anciennes,  nous  ont  fait  connaître  quelques 
péripéties  de  ce  périlleux  ministère.  Parmi  les  nombreuses  circons- 
tance où  il  fut  en  danger  de  mort,  l'une  des  plus  connue  et  des 
plus  souvent  citée  est  celle  du  22  février  1755. 

Sur  des  instances  réitérées,  il  était  venu  à  Pons  (Charente-Infé- 
rieure) pour  baptiser  l'enfant  d'un  nommé  Syntier.  Ce  baptême 
n'était  pas  autre  chose  qu'un  guet-apens  habilement  tendu  par 
l'évéque  de  Saintes,  comme  en  fait  foi  le  registre  des  baptêmes  et 
mariages  de  la  paroisse  S'-Martin  de  Pons,  qui  contient  la  relation 
du  fait,  signée  de  la  main  du  curé  Fortet.  Gibert  échappa,  mais 
un  de  ceux  qui  l'accompagnaient  fut  tué  et  un  autre  fut  fait  prison- 
nier. Celui  qui  fut  tué  par  la  maréchaussée,  était  le  chevalier  Jean 
Daniel  de  Belrieu  de  la  Grâce;  celui  qui  fut  fait  prisonnier  était 
André  Bonfds  (de  la  Guadeloupe).  Les  deux  autres  compagnons  de 
Gibert  qui  s'échappèrent  avec  lui  étaient  :  son  frère  Etienne,  plus 
jeune  que  lui  de  15  ans,  et  Gentelot  (de  S'^'-Foy).  Bonfils  fut  jeté 
dans  les  prisons  de  Saintes  et  le  corps  du  chevalier  y  fut  également 
transporté.  Après  que  Bonfds  e\i  été  «  interrogé  sur  la  sellette  » 
ainsi  que  le  «  curateur  à  la  mémoire  dudit  de  Belrieu  de  la  Grâce, 
derrière  le  barreau  »,  le  jugement  fut  rendu  et  confirmé  par  l'in- 
tendant de  la  Rochelle,  Jean  Bâillon.  Par  ce  jugement  le  pasteur 
Gibert  fut  condamné  à  la  potence,  son  frère  Etienne  et  Gentelot 
aux  galères  perpétuelles;  comme  ils  étaient  en  fuite  ils  furent 
exécutés  en  effigie.  Bonfds  en  fut  quitte  pour  le  bannissement  per- 
pétuel; la  mémoire  de  Daniel  de  Belrieu  fut  éteinte,  supprimée  et 
condamnée  à  perpétuité,  et  les  biens  de  tous  furent  confisqués. 
Parmi  les  considérants  de  ce  jugement  se  trouve  celui-ci,  concer- 
nant Gentelot  et  de  Belrieu  :  «  Avons  déclaré  le  nommé  Gentelot 
de  S^'-Foy  dûment  atteint  et  convaincu  d'avoir  présenté  un  pistolet 
et  visé  les  cavaliers  de  la  maréchaussée  qui  voulait  arrêter  Gibert 
à  la  sortie  de  Pons  le  22  février...  »  «  avons  déclaré  ledit  J.  Daniel 
de  Belrieu  de  la  Grâce  duement  atteint  et  convaincu  d'avoir  fait 
rébellion  à  justice,  le  22  février  1755,  d'avoir  présenté  un  pistolet 
de  poche,  et  visé  les  cavaliers  de  la  maréchaussée  qui  étaient  à  la 

poursuite  dudit  Gibert »  Nous  verrons  tout-à-l'iieure  que  ces 

allégations  sont  fausses. 

Ces  faits  étaient  connus,  mais  il  fallait  les  rappeler  en  les  résu- 
mant, parce  qu'ils  servent  de  cadre  à  ce  qui  va  suivre  et  qui  est 


366  MÉLANGES. 

beaucoup  moins  connu,  ou  plutôt  qui  est  tout  à  fait  inconnu.  On 
ignorait  encore  que  la  mort  du  chevalier  de  Berlieu  était  due  à  une 
erreur  de  personne  de  la  part  de  la  maréchaussée,  et  que  celte 
erreur  avait  été  amenée  volontairement  par  de  Berlieu  qui  s'est 
dévoué  pour  sauver  le  pasteur  Gihert,  en  allant  au  devant  d'une 
mort  à  peu  près  certaine,  tout  au  moins  au  devant  des  galères  à 
perpétuité.  C'est  encore  une  belle  page  de  nos  annales  religieuses 
qui  vaut  la  peine  d'être  connue. 

Il  résulte  clairement,  eu  elYet,  de  documents  conservés  dans  les 
archives  de  la  famille  de  Belrieu,  ainsi  que  d'une  tradition  orale 
bien  précise,  transmise  par  les  frères  du  chevalier,  documents  et 
tradition  confirmés  par  une  relation  absolument  inédite  qui  fait 
partie  des  archives  du  Conseil  presbytéral  de  la  Rochelle,  et  qui 
m'est  communiquée  par  M.  de  Richemond,  que  Daniel  de  Belrieu 
obligea  le  pasteur  à  éviter  la  mort  en  changeant  de  cheval  et  en 
fuyant  à  la  campagne.  Dans  le  récit  fait  par  Etienne  Gibert  du  guet- 
apens  de  Pons,  il  est  déjà  dit  que  de  Belrieu  avait  changé  de  che- 
val avec  le  pasteur  Gibert.  Mais  la  relation  de  la  Rochelle  est  beau- 
coup plus  précise,  elle  mentionne  une  particularité  qui  répond 
bien  à  la  tradition  conservée  dans  la  famille  de  Belrieu.  On  y  lit 
que  le  cheval  de  Gibert  était  «  boiteux  »,  tandis  que  celui  du  che- 
valier était  ((  beau  et  bon  »,  et  que  de  Belrieu  engagea  Gibert  à 
le  prendre  et  Vobligea  à  se  sauver  à  la  campagne,  puis  il  se  pré- 
sente à  la  maréchaussée.  La  tradition  dit  que  «  le  cheval  de  Gibert 
était  boiteux  parce  que  le  maréchal  ferrant  d'un  village  voisin,  en 
lui  mettant  un  fer,  l'avait  blessé  exprès  aiîn  que  la  maréchaussée 
pût  reconnaître,  à  coup  sûr,  le  pasteur  et  le  prendre  mort  ou  vif  ». 
Or  si  l'on  songe  que  le  traître  Syntier,  qui  avait  mandé  Gibert, 
s'entendait  avec  l'évèque  de  Saintes  et  qu'il  avait  fait  prévenir  la 
brigade  de  S'-Geiiis,  il  est  vraisemblable  de  supposer  que  le  maré- 
chal ferrant,  bon  catholique,  avait  prévenu  Syntier  que  le  cheval 
était  boiteux  par  son  fait,  et  que  ce  dernier  en  avait  averti  la  maré- 
chaussée. En  tout  cas  les  archers  savaient  fort  bien  que  Gibert 
devait  monter  un  cheval  boiteux  :  cela  ressort  du  récit  d'Etienne 
Gibert  disant  :  «  Il  paraît  que  les  archers  crurent  avoir  tué  mon 
frère  »  ;  et  la  relation  du  Mémoire  de  la  Rochelle  le  dit  en  tout 
autant  de  termes. 

De  Belrieu,  Gentelot  et  Bonfils  se  présentèrent  donc  à  la  brigade 


MÉLANGES.  367 

pour  donner  aux  deux  frères  Gibert  le  temps  de  se  sauver.  Les 
archers  les  apercevant,  coururent  sur  eux  au  galop  de  leurs  che- 
vaux, et  s'attachèrent  surtout  «  au  pauvre  chevalier  qu'ils  crurent 
être  Gibert  à  cause  de  son  cheval  ».  Cela  ne  laisse  pas  le  moindre 
doute  :  la  maréchaussée  savait  à  quel  signe  elle  devait  reconnaître 
celui  qu'on  lui  avait  surtout  recommandé  de  saisir.  De  Belrieu  le 
savait  aussi,  et  voyant  le  danger  imminent,  possédant  un  a  beau 
et  bon  cheval  »,  il  força  le  pasteur  qui  en  avait  un  «  boiteux  »  à 
prendre  le  sien,  estimant  que  pour  le  salut  du  troupeau  il  faut 
sauver  le  berger  même  en  sacrifiant  une  des  brebis.  On  ne  sait  ce 
qu'il  faut  le  plus  admirer  du  calme  ou  de  la  puissance  d'une  foi 
qui  inspire  de  semblables  dévouements  ! 

Quant  à  l'assertion  de  l'intendant,  .Jean  Bâillon,  ([ui  prétend  que 
de  Belrieu  et  Gentelot  avaient  tiré  sur  les  archers,  j'ai  dit  plus  haut, 
qu'elle  était  fausse.  En  effet,  aucune  des  relations  connues,  à  part 
celle  du  curé  de  Pons,  n'en  fait  mention  :  ni  celle  d'Etienne  Gibert, 
ni  le  iMémoire  de  la  Rochelle,  ni  les  papiers  de  famille  que  j'ai 
consultés.  Non  seulement  je  n'ai  rien  trouvé  pour  confirmer  le  fait, 
mais  j'ai  sous  les  yeux,  une  pièce  qui  dit  tout  juste  le  contraire. 
C'est  une  requête  présentée,  avec  toutes  les  pièces  à  l'appui,  le 
18  juillet  1791,  au  tribunal  de  Montpont  (Dordogne),  en  faveur  des 
héritiers  de  Daniel  de  Belrieu.  Il  s'agissait,  en  vertu  de  la  loi  du 
15  décembre  1790  relative  aux  biens  des  religionnaires  fugitifs, 
de  les  faire  rentrer  en  possession  des  biens  du  chevalier  qui  avaient 
été  confisqués  après  l'alfaire  de  Pons.  Voici  ce  qu'on  lit  dans  ce 
document  :  «  On  ne  voyait  autre  chose  entre  les  mains  des  com- 
»  mandants  de  brigade  de  maréchaussée  que  des  signalements  qui 
»  désignaient  les  ministres  qui  publiaient  et  enseignaient  la  doctrine 

»  de  Calvin La  brigade  de  S'-Genis  pourvue  de  ces  signale- 

»  ments  et  cherchant  l'occasion  de  rencontrer  un  ministre  pour 

»  l'arrêter  mort  ou  vif ayant  pris  de  Belrieu  pour  un  prédicant, 

»  se  précipite  et  un  des  cavaliers  qui  la  composait  lui  décocha  par 
»  derrière  et  à  bout  touchant  un  coup  de  mousqueton  qui  lui  lit 
»  sauter  la  cervelle  et  le  laissa  sans  vie.  »  Cela  est  encore  plus 
explicite  que  le  récit  d'Etienne  Gibert  et  que  la  relation  contenue 
dans  le  Mémoire  de  la  Rochelle.  De  Belrieu  fut  tué  par  derrière, 
ce  qui  veut  dire  qu'il  cherchait  à  éviter  la  maréchaussée  qui 
s'acharnait  après  lui  parce  qu'elle  le  prenait  pour  le  pasteur,  parce 


368  MÉLANGES. 

qu'elle  «  croyait  tenir  sa  proie  »,  comme  s'exprime  Etienne  Giherl. 
D'ailleurs  il  n'y  a  pas  la  moindre  vraisemblance  à  supposer  que 
de  Belrieu,  Gentelot  et  Bonfils  se  soient  mis  à  attaquer  cinq  gen- 
darmes bien  armés.  S'ils  avaient  même  des  armes,  ce  qui  est  dou- 
teux, il  faut  avouer  qu'elles  étaient  bien  insuffisantes,  puisqu'on 
attribue  à  de  Belrieu  un  pistolet  de  poche. 

Revenons  à  la  relation  contenue  dans  le  Mémoire  de  la  Rochelle, 
qui  n'a  jamais  été  puljliée,  et  qui,  dans  la  circonstance,  est  très 
importante;  on  va  voir  pourquoi.  Disons  d'abord  qu'une  lacune  qui 
existe  dans  celte  partie  des  Archives  de  la  famille  de  Belrieu  qui 
m'a  été  confiée,  et  quelques  vagues  indications  m'avaient  fait  soup- 
çonner l'existence  de  la  relation  de  la  Rochelle.  Persuadé  qu'il 
devait  y  avoir  quelque  chose  de  plus,  en  un  mot  que  cette  lacune 
devait  être  remplie,  je  me  suis  adressé  à  M.  de  Richemond  si  dévoué 
aux  intérêts  de  notre  histoire  protestante  qu'il  connaît  si  bien  et  qui 
m'a  envoyé  la  copie  du  Mémoire  qu'on  va  lire.  Ce  qui  fait  surtout 
rimporiance  de  cette  relation,  c'est  qu'elle  émane  d'un  témoin  ocu- 
laire, d'un  des  acteurs  du  drame,  et  qu'elle  confirme  et  précise  le 
récit  du  jeune  frère  de  Gibert.  Bien  qu'elle  ne  soit  pas  signée,  il 
est,  en  effet,  de  toute  évidence  qu'elle  est  due  à  Gentelot,  ce  dont 
on  sera  convaincu  après  l'avoir  lue  en  la  confrontant  avec  le  récit 
d'Etienne  Gibert  et  le  jugement  de  l'intendant  Bâillon.  Avant  de 
donner  la  copie  de  ce  Mémoire,  nous  devons  faire  observer  que  la 
première  partie  se  rapporte  à  un  événement  antérieur  à  celui  de 
Pons.  Il  s'agit  là  de  l'assemblée  religieuse  tenue  à  Plardonnier  ' 
(ou  Plaurdonnier)  et  dont  il  est  fait  mention  dans  le  Bulletin  de 
Vhisloire  du  Protestantisme,  lome  III,  p.  108. 

Mémoire  pour  Monsieur  de  Valette  avocat  au  parlement  à 
Paris.  — A  remettre  à  Varrivèe  du  courrier,  s'il  est  possible  à 
lui-même. 

Du  2Gjuiii  1755. 

((  Comme  je  scais  que  dans  les  choses  de  conséquence,  il  peut  être 

\.  C'est  à  tort  qu'on  a  écrit  Plaudoniiier  dans  le  Bulletin,  loc.  cil.  Le  nom 
de  ce  village  est  Plardonnier.  Il  est  situé  assez  près  de  Saujoa;  il  était  alors 
sur  les  confins  de  la  forêt  d'Alvert  (aujounriiui  on  écrit  Arvcrt)  qui  s'étendait 
bien  au  delà  des  limites  actuelles. 


MÉLANGES.  369 

essentiel  d'avoir  les  premières  informations  quoique  sujetes  à  man- 
quer d'exactitude,  j'ay  creu  devoir  ne  pas  perdre  un  moment  à  vous 
instruire  de  ce  que  j'ay  apris  hier  d'une  tragédie  qui  s'est  passée  à 
un  quart  de  lieue  de  Saujon,  route  de  Mornac,  et  voici  le  fait  tel 
que  je  le  scai,  jusques  à  présent,  par  la  seule  lettre  qui  en  parle. 

La  nuit  de  samedy  21  a  dimanche  dernier  22  une  brigade  de 
4  archers  informée  sans  doute,  qu'il  y  avait  dans  cet  endroit  une 
assemblée  Rel.  de  Pro.  demande  et  obtient  un  détachement  de 
troupes  gardes-côtes,  sous  prétexte  d'aller  saisir  une  troupe  de 
mendiants  qu'on  avait  découvert.  J'ignore  comment  on  entra  dans 
le  centre  de  l'assemblée,  qui  était,  dit  la  lettre,  très  nombreuse; 
sans  doute  qu'on  feignit  d'abord  d'y  aller  en  habits  bourgeois  pour 
le  même  sujet  que  le  général,  de  quoi  on  ne  tarda  pas  à  être  désa- 
busé, puisqu'on  commença  par  se  saisir  du  chef  eng.  ce  qui  ne  peut 
qu'avoir  cauzé  un  grand  mouvement,  et  ce  mouvement  une  décharge 
qui  fut  faite  par  cette  troupe  inhumaine;  qu'on  dit  avoir  tué  trois 
du  peuple  qui,  à  son  tour,  désarma  ceux  qui  les  avaient  assailly,  et 
plût  à  Dieu  qu'on  s'en  fut  teneu  là;  mais  c'est  souhaiter  l'impos- 
sible, de  la  façon  dont  les  hommes  sont,  parcequ'une  agitation  en 
produit  ordinairement  une  autre,  et  le  peuple  émeu  par  son  sang 
qu'il  voit  verser  sans  ordre  et  sans  forme,  n'est  pas  ordinairement 
fort  tranquille;  ce  peuple  donc  désarma  autant  qu'il  peut  ceux  qui 
l'avaient  assailly,  tua  un  archer,  faillit  en  pendre  tout  de  suite  un 
autre  à  un  arbre  par  les  pies,  dont  il  échappa  avec  le  secours  d'un 
autre  qui  le  sauva  en  se  sauvant  lui-même,  le  sabre  à  la  main,  et 
blessa  huit  de  la  même  troupe,  dont  trois,  dit  la  lettre  susdite,  dan- 
gereusement. Le  peuple  emporta  ses  morts  et  ses  blessés;  par  ce 
moyen  personne  n'avait  encore  été  arrêté  lelundy,  puisque  la  lettre 
n'en  dit  rien.  Voilà  ce  que  j'ay  peu  aprendre  jusqu'à  ce  moment  de 
cette  triste  et  tragique  affaire.  Dieu  veuille  qu'elle  puisse  parvenir 
au  vray  aux  pies  des  personnes  constituées  en  authorité,  et  que 
l'amour  pour  la  justice  les  porte  à  punir  les  vrays  coupables  et  à 
prévenir  de  pareils  malheurs,  qui  se  succèdent  d'un  endroit  à 
l'autre  et  de  province  à  l'autredepuis  quelques  années,  ce  qui  ne 
peut  que  navrer  de  douleur  un  cœur  bon  et  vray  Français  qui  souffre 
de  pareils  désordres  dans  une  nation  respectable  autant  qu'elle  est 
éclairée,  gouvernée  par  le  plus  grand  et  le  meilleur  Prince  du 
monde.  » 

XXXIII.  —  24 


370  MÉLANGES. 

(Voilà  la  première  partie.  Dans  ce  qui  suit  on  remarquera  les  pré- 
cautions prises  pour  désigner  les  personnes  et  les  actes  du  culte 
sans  les  nommer,  pour  éviter  que  le  sujet  fût  connu  si  la  lettre  tom- 
bait dans  des  mains  étrangères). 

«  Comme  vous  êtes  curieux  des  faits  singuliers  je  veux  vous  dire 
avant  de  finir  ce  mémoire,  qu'il  arriva  le  dernier  jours  de  l'octave, 
dans  la  même  Eglise  au  vicaire  ce  qui  était  arrivé  au  curé  le  jour  de 
la  Quasimodo. -,      .     . 


Mon  cousin  (Gibert)  fut  invitté  d'aller  le  2-2  février,  donner  une 
couverture  (baptême)  à  un  enfant  nouvellement  né;  le  père  avait 
témoigné  beaucoup  d'envie  de  l'avoir  de  sa  fabrique  (protestant), 
et  ce  malheureux  ne  le  témoignait  ainsi  que  pour  livrer  le  fabri- 
quant (le  pasteur),  ayant  averti  lamaréchausséde  l'heure  et  de  l'en- 
droit marqués.  Mon  cousin  et  sa  compagnie  arrivèrent  les  premiers 
au  vilage,  et  n'eurent  pié  mis  à  terre  qu'ils  reconnurent  aux  mouve- 
ments des  habitans  tous  ennemis  de  la  fabrique  (du  protestantisme) 
qu'on  voulait  les  arrêter;  ils  remontent  bien  vite  à  eheval,  mon 
cousin,  en  avait  un  mauvais  et  boiteux;  le  chevalier,  mort  (Jean- 
Daniel  de  Belrieude  la  Grâce),  l'engagea  à  prendre  le  sien  qui  était 
beau  et  bon  et  l'obligea  de  se  sauver  dans  la  campagne  avec  son 
petit  parent  {son  ieime  Irère  Etienne  Gibert).  A  la  sortie  du  village, 
ils  aperçurent  la  brigade  de  la  maréchaussée  composée  de  4  archers 
et  un  brigadier,  à  laquelle  le  pauvre  chevalier,  le  créolle  (André 
Bonfils,  qui  était  de  la  Guadeloupe)  et  l'auteur  de  cette  relation  se 
présentèrent  pour  donner  à  mon  cousin  et  à  son  parent  le  tems  de 
se  sauver.  La  brigade  les  voyant  courut  sur  ces  trois  messieurs  au 
galop  et  s'attacha  au  pauvre  chevalier  qu'elle  creut  être  mon  cousin 
par  raport  à  son  cheval  et  à  la  valise  tira  sur  lui  et  le  tua.  Le  che- 
val du  créolle  actuellement  prisonnier  ayant  été  effrayé  de  cet  éclat 
se  cabra,  le  jeta  par  terre  et  fut  lacauze  qu'on  l'arretta,  après  l'avoir 
bien  maltraité  :  à  l'égard  de  l'auteur  de  ce  mémoire  envoyé  ici,  il 
prit  la  fuite  et  en  feut  quitte  pour  plusieurs  bourrades  de  fusil  armé 
de  bayonnette  que  les  archers  luy  donnèrent  en  le  poursuivant, 
sans  avoir  peu  le  saisir.  Cet  accident  faira  qu'une  quantité  d'enfants 
vont  rester  quelques  temps  sans  couverture  (sans  baptême)  et  plu- 
sieurs personnes  de  deux  provinces  sans  habits  de  noce  {sans  béné- 


MÉLANGES.  371 

diction  nuptiale),  parcequ'on  n'en  veut  absolument  que  de  ladi'e 
fabrique,  quelle  que  chose  qui  en  puisse  résulter. 

On  pourrait  vous  informer  de  l'affaire  arrivée  au  Gardon,  le 
16  février,  si  on  n'était  persuadé  que  vous  l'avés  été  dans  ce  tems 
et  que  vous  scavez  que  le  i  de  ce  mois  les  prisonniers  faits  ont  été 
relâchés  à  la  grande  satisfaction  et  espoir » 

—  Et  maintenant,  que  Gentelot  soit  l'auteur  de  la  relation  de  l'af- 
faire de  Pons,  contenue  dans  ce  Mémoire,  cela  ressort,  nous  semble- 
t-il,  de  l'ensemble  du  récit,  et  surtout  des  passages  suivants  : 
«  Ils  aperçurent  la  brigade  de  la  maréchaussée  composée  de  quatre 
archers  et  un  brigadier,  à  laquelle  le  pauvre  chevalier,  le  créolle  et 

Vauteur  de  cette  re^a^toM  se  présentèrent »  ;  encore  de  celui-ci  : 

«  A  l'égard  de  Vauteur  de  ce  mémoire  envoyé  ici,  il  prit  la  fuite  et 

en  feut  quitte  pour  plusieurs  bourrades  de  fusil »  De  plus  nous 

savons  que  quatre  personnes  accompagnaient  le  pasteur  Jean-Louis 
Gibert  :  Daniel  de  Belrieu,  Bonfils,  Gentelot  et  Etienne  Gibert  : 
tous  les  quatre  sont  nommés  et  dans  le  récit  d'Etienne  Gibert  et 
dans  le  jugement  signé  de  l'intendant  Bâillon.  Or  ici  ils  sont  égale- 
ment nommés  ou  clairement  désignés,  à  l'exception  de  Gentelot,  et 
l'auteur  de  la  relation  se  désigne  lui-même  comme  étant  au  nombre 
de  ceux  qui  accompagnaient  le  pasteur  :  ce  ne  peut  être  un  autre 
que  Gentelot. 

Ajoutons  enfin  que  Gentelot  qui,  après  l'Edit  de  1787,  s'était 
retiré  aux  environs  de  Sainte-Foy,  où  il  est  mort  dans  les  premières 
années  de  ce  siècle,  était  un  ami  intime  de  la  famille  de  Belrieu. 
Il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  c'est  lui  qui  a  rapporté  le  fait  du  maré- 
chal-ferrant  qui  avait  blessé  le  cheval  de  Gibert,  et  qu'il  avait 
raconté  les  divers  incidents  contenus  dans  la  relation  insérée  dans 
le  Mémoire  de  La  Bochelle.  Ce  qu'il  y  a  de  sûr  c'est  que  le  dernier 
représentant  mâle  de  la  famille  de  Belrieu,  Jean,  qui  est  mort  en 
1850  à  Sainte-Foy,  et  qui  avait  connu  Gentelot,  a  souvent  parlé  de 
ces  choses  à  ses  petits-enfants  *. 

1.  Je  tieris  la  plupart  de  ces  renseiguements  de  M.  de  Bruyière  de  Belrieu, 
conseiller  général  de  la  Gironde,  petit-fils  de  Jean  de  Belrieu  mort  en  1850, 
et  arrière-petit-neveu  du  chevalier  tué  à  Pons. 

Je  n'ai  encore  consulté  que  la  partie  des  archives  de  la  famille,  concernant  le 
chevalier  et  ses  deux  frères.  Sur  l'offre  gracieuse  de  M.  de  Brugière,  je  me  pro- 
pose de  voir  le  reste  où  doivent  se  trouver  des  renseignements  intéressants 


372  mélanges:. 

Dans  la  partie  des  archives  de  la  famille  de  Belrieu,  que  nous 
avons  étudiée,  nous  avons  trouvé  la  pièce  intéressante  qu'on  va  lire. 
C'est  un  arrêt  du  parlement  de  Bordeaux  en  date  du  2  avril  177'^, 
en  faveur  des  enfants  de  l'un  des  frères  du  chevalier  lue  à  Pons. 
Les  deux  frères  de  Belrieu  aîné  etjean  de  Belrieu  étaient  comptés 
comme  de  nouveaux  convertis  bien  qu'ils  ne  fissent  point  profession 
de  catholicisme.  Jean  de  Belrieu,  écuyer,  sieur  de  la  Grâce,  le  plus 
jeune,  s'était  marié,  en  1749,  avec  Marie  Masmontet.  Il  avait  si  peu 
d'enthousiasme  pour  le  catholicisme  qu'il  attendit  quatre  ans,  pour 
demander,  ou  plutôt  pour  subir  la  bénédiction  nuptiale  du  curé.  11 
s'y  décida  enfin  en  1753.  Comme  les  registres  de  l'état  civil  étaient 
entre   les   mains  des  curés,  pour  régulariser  la  situation  de  ses 
enfi-nts,  il  leur  fit  aussi  donner  le  baptême  catholique.  Tout  cela 
n'empêcha  pas  le  curé  d'inscrire  sur  les  registres  de  baptêmes,  le 
gai'çon,  Pierre,  avec  la  qualification  d'enfant  naturel,  et  les  deux 
filles,  toutes  deux  appelées  Marie,  sans  qualification,  ce  qui  reve- 
nait au  même.  Mais  cela  ne  doit  pas  nous  étonner  puisque  nous 
savons,  par  des  milliers  d'exemples,  que  c'était  l'habitude  des  curés 
d'inscrire  ainsi  les  enfants  des  prolestants.  La  règle  était  générale. 
Ce  qui,  à  notre  connaissance,  semble  une  exception,  c'est  l'arrêt  du 
parlement  de  Bordeaux  enjoignant  au  curé  de  Vélines,  sous  peine 
«  de  saisie  de  son  temporel  »,  d'effacer  le  mot  «  naturel  »  et  de  le 
remplacer  par  celui  de  «  légitime  »  pour  l'inscription  du  garçon  et 
d'ajouter  le  même  mot  à  l'inscription  des  deux  filles. 
Voici  cet  arrêt  : 

«  Extrait  des  registres  du  Parlement. 

«  Vu  par  la  cour  la  reciuette  à  elle  présentée  par  Jean  de  Belrieu, 
écuyer,  sieur  de  la  Grâce,  tendante  à  ce  que  pour  les  causes  et  rai- 
sons y  contenues  il  plaise  ù  la  d^'=  Cour  vu  le  contrat  de  mariage  de 

pour  notre  histoire  protestante;  entre  autres  sur  madame  de  Castelnau,  grand' 
mère  du  ehevalier,  morte  dans  les  prisons  de  Libourne  vers  1730,  et  dont  le 
cadavre  fut  traîné  sur  la  claie.  J'y  trouverai  certainement  aussi  la  filiation 
exacte  qui  permettra  de  compléter  et  de  rectifier  l'article  de  Belrieu  de  la 
France  Protestante. 

Un  autre  membre  de  la  lamillc  du  clievalier,  Pierre  de  Belrieu  des  Réaux 
est  mort  en  1813,  près  de  Sainte-Foy;  il  était  cousin  germain  de  Jean,  mort  en 
1850  ;  il  avait  épousé  une  demoiselle  de  Méric. 


MÉLANGES.  373 

lui  de  Belrieu  de  la  Grâce  avec  Marie  Masmontet  du  huit  septembre 
mil  sept  cent  quarante  neuf,  retenu  par  Pascaud  N'''=  ;  l'extrait  de  l'im- 
partition  de  la  bénédiction  nuptiale  du  d'  mariage  du  six  avril  mil 
sept  cent  cinquante  trois  délivré  par  Ligourre  curé  actuel  de  Lunas 
le  premier  may  mil  sept  cent  cinquante  huit;  le  verbal  de  saisie 
faite  un  préjudice  du  d^  de  Belrieu  de  la  Grâce,  le  deux  juin  mil 
sept  cent  soixante  huit,  à  la  requette  du  fermier  régisseur  des  biens 
des  religioniiaires  fugitifs,  faute  de  payement  de  l'amende  de  quatre 
cents  livres  prononcée  contre  lui  et  contre  led'  Masmontet  solidaire- 
ment par  l'appointement  du  sénéchal  de  Libourne  du  vingt  trois 
juillet  mil  sept  cent  cinquante  quatre,  la  requette  présentée  à  la 
cour  par  ledit  de  Belrieu  de  la  Grâce  contenant  son  appel  du  d' 
appointement  avec  l'ordonnance  de  la  cour  au  bas  d'icelle,  du  onze 
juillet  susditte  année  mil  sept  cent  cinquante  huit:  coppie  de  l'arrêt 
du  conseil  du  vingt  six  septembre  suivant;  coppie  imprimée  de 
l'arrêt  de  la  cour  du  trente  un  juillet  mil  sept  cent  soixante  neuf, 
ensemble  les  extraits  de  baptême  de  Pierre,  Marie  et  autre  Marie  de 
Belrieu,    enfans   dudit  de  Belrieu  et    de  laditte    Masmontet  son 
épouse,  Vidant  l'interlocutoire,  prononcé  par  ledit  arrêt  du  trente 
un  juillet  mil  sept  cent  soixante  neuf,  faisant  droit  de  l'appel  par 
lui  interjette  dudit  appointement  du  sénéchal  de  Libourne  du  vingt 
trois  juillet  mil  sept  cent  cinquante  quatre  émandant  casser  ledit 
appointement,  ensemble  les  commandemens  et  la  saisie  qui  s'en  est 
suivie,  lui  faire  main  levée  de  l'amende,  aumône  et  effets  saisis  à 
son  préjudice,  à  la  remise  desquc  Is  les  dépositaires  seront  contraints 
par  toutes  voyes,  lui  faire  en  outre  main  levée  de  l'amande  consi- 
gnée sur  son  appel  à  lad^'  délivrance  de  laquelle  le  receveur  sera 
contraint  par  corps,  au  surplus  ordonné  que  le  mot  naturel,  inscrit 
dans  l'acte  de  baptême  de  Pierre  de  Belrieu  fds  dud^  Jean  et  de  lad'" 
Masmontet,  sur  le  registre  de  l'Église  paroissiale  S^-Martiu  de 
Vélines  sera  effacé,  et  qu'au  dessus  il  sera  substitué  le  mot  légi- 
time, qui  lui  manque;  à  quoi  faire  le  dit  curé  de  Vélines  sera  con- 
traint par  saisie  de  son  temporel;  ordonné  en  outre  que  le  présent 
arrêt  sera  exécuté  nonobstant  toutes  oppositions  faites  ou  à  faire, 
laditte  requelle   signée  Dugay  procureur  dudit  de  Belrieu  de  la 
Grâce,  répondue  d'un  soit  montré  au  procureur  général  du  Roy, 
ayant  au  bas  ses  conclusions  du  vingt  huit  mars   dernier   signées 
Dudon  à  laquelle  d"^  requette  tant  les  Extraits  baptistaîres  des 


374  MÉLANGES. 

enfans  dudii  Belrieu  et  de  la  d'"  Masmonlet  du  vingt  sept  novembre 
mil  sept  cent  cinquante  sept  et  vingt  six  mars  mil  sept  cent  cin- 
quante huit  que  les  autres  pièces  cy-dessus  énoncées  sont  attachées, 
et  ouï  le  Rapport  dit  a  été  que  la  cour  ayant  égard  à  la  d''  requette, 
et  aux  conclusions  du  procureur  général  du  Roy,  vidant  l'interlocu- 
toire prononcé  par  l'arrêt  du  trente  un  juillet  mil  sept  cent  soixante 
neuf,  faisaut  droit  de  l'appel  interjette  par  ledit  de  Belrieu  de  la 
Grâce  de  ra;)point'ement  ensemble  les  coinmandemens  et  la  saisie 
qui  s'en  est  suivie,  fait  main  levée  au  dit  de  Belrieu  de  l'amende, 
aumône  et  effets  saisis  à  son  préjudice,  à  la  remise  desquels  les 
dépositaires  seront  contraints  par  les  voyes  qu'ils  sont  tenus,  ce  fait 
ils  en  seront  valablement  déchargés;  lui  fait  en  outre  main  levée  de 
l'amende  consignée  à  raison  de  son  dit  appel,  à  la  remise  de  laquelle 
le  receveur  sera  contraint  par  corps  ;  au  surplus  la  ditte  cour  ordonne 
qu'au  mot  naturel,  inscrit  dans  l'acte  de  baptême  de  Pierre  de  Bel- 
rieu, fils  dudit  Jean  de  Belrieu  de  la  Grâce,  et  de  Marie  Masmon- 
tet,  sur  le  registre  de  l'Église  paroissialle  S'  Martin  de  Vélines,  sera 
ajouté  le  mot  légitime  ;  ordonne  également  que  dans  les  actes  de 
baptême  de  Marie  et  autre  Marie  de  Belrieu  leurs  filles,  il  sera  aussi 
ajouté  le  mot  légitime,  qui  y  manque,  à  quoi  faire  le  curé  de  Vélines 
sera  contraint  par  saisie  de  son  temporel;  ordonne  en  outre  que  le 
présent  arrêt  sera  exécuté  nonobstant  toutes  oppositions  faites  ou  à 
faire  et  sans  préjudice  d'icelles;  prononcé  à  Bordeaux  en  parlement 
le  deux  avril  mil  sept  cent  soixante  douze. 

»  De  Gascq,  premier  président. 
»  Baritault,  rapporteur.  » 

C'est  après  de  longues  années  de  réclamations  soutenues  avec  une 
énergique  persévérance  que  Jean  de  Belrieu  finit  par  obtenir  cet 
arrêt  du  parlement  de  Bordeaux.  Justice  tardive,  sans  doute,  et 
(]ui  néanmoins  est  une  preuve  qu'on  commençait  à  se  relâcher  un 
peu  de  la  persécution  sauvage  qu'on  avait  employée  jusque-là  à 
regard  des  religionnaires.  Encore  une  quinzaine  d'années  et  on 
leur  donnera  VÉdit  de  Pacification  qui  sera  un  commencement  de 
réparation. 

D.    ClIARRUAUD. 

N.  B.  —  Cet  article  était  sous  presse  quand  nous  avons  reçu  de 


BIBLIOGRAPHIE.  375 

M.  de  Richemond,  une  note  qui  établit  qu'après  1765,  les  réclama- 
tions des  Protestants,  au  sujet  des  inscriptions  de  baptême  de  leurs 
enfants,  étaient  assez  souvent  écoutées,  et  que  les  qualifications  inju- 
rieuses qu'on  ajoutait  à  leur  nom,  étaient  effacées.  Il  nous  donne 
quelques  exemples  de  ces  rectifications  faites  en  marge  des  registres 
paroissiaux  déposés  aux  archives  de  la  mairie  de  la  Rochelle;  recti- 
fications opérées  en  vertu  d'un  arrêt  du  présidial  de  La  Rochelle, 
et  écrites  de  la  main  même  du  greffier  du  tribunal.  Certainement 
que  d'autres  archives  communales  doivent  contenir  des  rectifications 
semblables.  Elles  prouveraient  donc  que  Tarrèt  du  parlement  de 
Rordeaux  n'était  pas  si  exceptionnel  que  je  l'avais  cru;  que  la 
«  grande  tourmente  »  commençait  à  s'apaiser  et  que  ces  indomp- 
tables huguenots  reprenaient  enfin  leur  place  au  sein  de  la  nation  et 
de  l'humanité  d'où  le  roi-soleil  avait  espéré  les  bannir. 

D.  C. 


BIBLIOGRAPHIE 


RÉPERTOIRE 

I.  RIOGRAPHIE.  —  Testament  fait  par  Renjamin  de  Rohan,  sei- 
gneur de  Sunbizc,  avant  la  prise  d'armes,  qui  devait  avoir  lieu 
en  1619,  le  25  mai  {Archives  historiques  du  Poitou,  1. 1)  *. 

Epistre  funèbre,  où  est  contenu  un  abrégé  de  la  vie  de  feu 
madame  Charlote  Fiandriue  de  is^assan,  sœur  de  son  Altesse 
d'Orange,  très  illustre  abltesse  du  monastère  de  Sainte-Croix  de 
Poitiers,  de  l'ordre  de  S.  Rcnoist,  decedée  le  dixicsme  d'avril  1640, 
précédé  d'une  notice  par  M.  de  la  Menardière  —  l'éloge  est  de 

1.  On  trouvera  dans  ce  Répertoire  l'indication  de  ce  qui  concerne  l'iiistoire 
du  protestantisme  français  dans  les  14  premiers  volumes  des  Archives  histo- 
riques du  Poitou. 


376  BIBLIOGRAPHIE. 

Catherine  de  la  Tréinoille  qui  succéda  à  F.  de  Nassau  {Ibid.,  1.  IV). 

La  conversion  au  catholicisme  de  Charles  de  Sainte-Maure,  duc 
de  i>ion<ausîcr  (A.  et  M.  DE  S'  M.  dans  le  Bulletin  de  la  SocitHr 
des  archives  de  la  Saintonge  et  de  VAunis,  V'  vol.,  (?  livr., 
p.  411,  ss.). 

M.  T.  DE  Larroque  a  publié  un  extrait  d'une  lettre  de  Jean  Chape- 
lain, du  15  sept.  1672,  où  il  est  question  de  G.  <Ih  liavia»;,  dans  la 
Revue  de  Gascogne  (t.  XXII,  1881,  p.  49).  Dans  le  même  numéro 
de  la  Revue,  page  396,  M.  L.  C.  nous  apprend  que  Pierre  Davan- 
tès,  dit  Antésignamis,  mort  à  Genève  le  31  août  1561,  était  né  à 
Rabastens-de-Bigorre  (IP'^'-Pyrénées)  et  non  à  Rabastens-sur-Tarn 
(Tarn),  comme  l'avait  cru  Bayle. 

Le  livre  de  comptes  de  Samuel  Méquiiict,  pasteur  de  campagne 
au  pays  de  Montbéliard,  du  xviF  au  xviii'  siècle  a  été  publié  par 
M'  Léon  Sahler  dans  la  Revue  d'Alsace  de  1881,  pages  43-71. 

La  politique  de  Henri  iv  a  inspiré  h  M.  A.  Des  jardins  un  article 
très  catholique  dans  la  Revue  des  deux  Mondes  de  1884,  15  avril. 

L'article  de  M.  Frank  Puaux  sur  Tiiomas  «l'ËseorJiiac,  publié 
dans  notre  Bulletin  historique  et  littéraire  (1884,  15  mars  et 
15  juin)  est  rectifié  et  complété  dans  le  Bulletin  de  la  Société  de 
la  Saintonge  et  de  VAunis  (VP  vol.,  p.  27  et  28). 

A.  DE  BoiSLisLE  :  Lettre  de  la  duchesse  de  la  Tréraoille  sur  la 
mort  de  M™'  d»  Pies^^is-iviorasay,  mai  1606  (Notices  et  documents 
publiés  en  mai  1884  par  la  Société  de  rUistolre  de  France). — 
M'**  DE  VoGtJÉ  :  Lettres  et  discours  de  !§>uiiy  sur  le  projet  de  répu- 
blique chrétienne,  1630  (Ibid.).  —  Duc  d'Aumale  :  Cinq  lettres  de 
Tiircnne  au  duc  d'Enghicn,  1643-45  (Ibid.)  —  Jules  Roy  :  Tu- 
rcuue,  sa  vic  et  les  institutions  mihtaires  de  son  temps,  Paris, 
G.  Hurtrel.  —  A.  Roget,  Pîcn-e  Bayie  et  Genève  dans  les 
Étrennes  genevoises,  de  1884.  —  Le  même  :  Caiwin  et  les  Églises 
de  Pologne  dans  les  Étrennes  chrétiennes^  1884.  —  E.  Ritter, 
la  rentrée  do  j.-j.  Rousseau  dans  l'Église  de  Genève,  1754  (Ibid.). 
—  UsTERi,  la  doctrine  de  Caiviu  sur  le  baptême  et  la  S'^-Cène,  et 
l'attitude  des  réformateurs  slrasbourgeois  ituver  et  (lapiiikn  dans 
la  question  du  baptême  (Theologische  Studien  und  Kritiken  1884, 
3'  fascicule).  —  M.  Raphaël  Puiset  a  publié  un  Essai  sur  la  pein- 
ture française  au  xvi'  siècle,  où  il  parle  de  Jean  Coui^în,  dans 
L'investigateur  (t.  LU,  année  1881,  p.  155-166). 


BIBLIOGRA.PHIE.  377 

Le  pamphlet  de  M.  Cii.  Buet  sur  Coiigny  (Paris-Palmé  1884) 
n'a  été  signalé  qu'avec  des  réserves  par  la  Revue  des  questions 
historiques  du  1"  juillet  1881  et  apprécié  avec  esprit  dans  le  Feu 
follet  du  15  mars  de  la  même  année. 

II.  GUERRES  DE  RELIGION.  —  Lettre  adressée  par  l'amiral  de 
Coligny  au  capitaine  du  château  de  Foutenay,  à  l'occasion  du 
meurtre  du  capitaine  de  La  Mothe-Bonnet,  Niort,  29  janvier  15G9(?) 
(Archives  historiques  dit  Poitou  t.  I).  —  Lettre  adressée  par  le 
chapitre  de  Luçon  et  les  habitants  de  cette  ville  à  M.  de  Parabèze, 
gouverneur  du  Poitou,  pour  l'assurer  de  leur  résolution  de  vivre  en 
paix  les  uns  avec  les  autres,  sans  acception  de  religion,  ainsi  qu'il 
les  y  avait  exhortés  et  de  leur  obéissance  au  roi  ;  suivie  de  la  teneur 
de  leur  serment  de  fidélité  au  roi  et  à  la  reine  régente  et  de  celui 
de  l'évêque  de  Luçon,  Armand-Jean  du  Plossis-Richelieu...  1610 
(Ibid.). 

Lettres  de  Jeanne  d'Albret,  reine  de  Navarre,  Henri,  prince  de 
Navarre  et  Henri  de  Bourbon,  prince  de  Gondé,  déclarant  de  bonne 
prise  les  armes  capturées  pendant  les  troubles  de  1568  par  Jean  de 
Saint-Hermine,  commandant  à  La  Rochelle  en  l'absence  du  feu 
prince  de  Gondé,  et  promettant  de  garantir  et  défendre  ce  comman- 
dant et  les  maire,  échevins  et  pairs  de  la  Rochelle  contre  toutes  les 
recherches  et  perquisitions  qui  pourraient  être  faites  à  ce  sujet 
(9  avril  1569). 

Rapports  des  Rochciais  avec  Henri  I  de  Bourbon,  prince  de 
Gondé  1576  et  1577.  Sous  ce  titre,  M.  L.  Délayant  publie  les  cinq 
pièces  suivantes  : 

1.  Réponse  remise  au  nom  ducorps  de  la  ville  de  La  Rochelle,  aux 
envoyés  du  prince  de  Gondé  et  des  princes  allemands,  sur  leur 
demande  d'une  contribution  de  100000  écus. 

2.  Articles  et  remontrances  requises  par  les  maire,  échevins  et 
pairs  de  La  Rochelle  être  signés  par  la  majesté  du  roi  de  Navarre 
pour  faire  son  entrée  en  ladite  ville,  sur  la  remonstrance  et  recjuête 
des  bourgeois,  manants  et  habitants  d'icelle,  à  eux  faite  après  avoir 
ouy  la  lecture  de  la-lettre  de  sa  dite  Majesté  adressé  aux  dits  majre, 
échevins,  pairs,  bourgeois,  manants  et  habitants  (19  juin  1576). 

3.  Articles  accordés  parMonseigneur  leprincede  Gondé  aux  maire, 
échevins,  pairs,  bourgeois  manants  et  habitants  de  la  ville  de  La 
Rochelle,  le  23'  jour  de  janvier  1577. 


378  BlBLIOGRAPIIIt:. 

i.  Capitulation  de  monseigneur  le  prince  deConrlé  pour  Flandres, 
(6  juin  4577). 

5.  Instructions  et  mémoires  que  messieurs  les  maire,  éclievins, 
conseillers,  pairs,  bourgeois,  manants  et  habitants  de  la  ville  de  La 
Rochelle  baillent  à  sire  Pierre  Chastaigner  et  Michel  Réau,  pairs  de 
ladite  ville,  ou  l'un  d'eux  pour  l'absence  ou  maladie  de  l'autre,  sur 
la  négociation  de  l'armée  navale  que  mesdits  sieurs  entendent  que 
lesdits  Chastaigner  et  Réau  lassent  au  pays  de  Hollande  ou  Zélande 
(6  juin  1577). 

Lettre  de  Philippe  Desporls  au  duc  de  Joyeuse,  l'avertissant  de  ce 
(jui  se  passe  à  la  cour,  tandis  qu'il  tient  en  échec  l'armée  du  roi  de 
Navarre  et  cherche  à  l'éloigner  du  Poitou  (11  août  1587,  Ibid.^X.  II). 

A.  DE  Barthélémy  :  Actes  de  l'assemblée  générale  des  églises 
réformées  de  France  et  souveraineté  de  Béarn,  1620-1622,  suivis 
d'une  table  des  noms  de  personnes  elde  lieux  {Ibid.,t.  V).  A.Bar- 
DOXNET  :  Registre  de  l'amirauté  de  Guyenne  au  siège  de  La  isoehciic, 
1569-1570.  — G.  DE  LA  Marque.  Lettres  adressées  à  MM.  Chas- 
teigner  d'Abain  et  de  la  Roche-Posay  (1553-1561),  détails  sur  les 
guerres  de  religion  (Ibid.,  t.  YU).  —  A.  de  Barthélémy  :  Documents 
relatifs  à  l'assemblée  de  La  itoehciie  (Ibid.,  t.  "VIII,  p.  161-402). 

Lettres  de  Jean  de  Besly  (1612-1647),  publiées  par  M.  Apollin 
Briquet.  Elles  remplissent  tout  ce  volume;  on  y  trouve  des  détails 
circonstanciés  sur  la  guerre  civile  dans  le  Ba^i-Poitou,  depuis  1621 
jusqu'à  la  prise  de  La  Rochelle  1628  (Ibid.,  t.  IX). 

Lettres  adressées  à  Jean  et  Guy  de  Daillon,  comtes  deLude,  gou- 
verneurs du  Poitou  de  1543  à  1557  et  de  1557  à  1585,  publiées  par 
M.  Belisaire  Ledain.  —  Ces  424  pièces,  déjà  citées,  remplissent  les 
tomes  XII  et  XIV  des  Archives  historiques  du  Poitou  et  sont  très 
utiles  à  consuller  jKJurl'hisloire  des  guerres  de  religion.  H.  Fazy  : 
Genève,  le  parti  liuguenot  et  le  traité  de  Soleure,  1574-1579, 
Genève,  Georg,  1883,  in  4%  fait  suite  à  la  Saiut-Darthélemy  et  Ge- 
nève, du  même  auteur,  publié  en  1879. 

Camoin  de  Venge,  Épisodes  de  la  ligue  en  Pn'ovenee,  prétend 
dire  la  vérité  sur  les  accusations  portées  conti  e  lo.prési(lentd'Oppcde 
à  l'occasion  des  massacres  de  Mérindol  c[  Cabrières  {Linvestiga- 
teur,  l.  LU,  année  1881,  p.  24-35). 

Récit  véritable  de  ce  qui  s'est  passé  à  Biavci,  maintenant  dit  le 
Poit-Louys,  eiilre  monseigneur  le  duc  de  Vendosme  et  le  sieur  de 


BIBLIOGRAPHIE.  379 

Soiibize;  avec  la  sortie  du  dit  sieur  Soubize  hors  de  Blavet,  et  sa 
retraite  sur  la  mer  (Paris,  1625,  réimprimé  à  Nantes,  Forest  et 
Grimaud,  1881,  in  10°  de  16  pages). 

M.  P.  DE  Lacroix  revient  sur  Montesquieu,  Coudé  et  la  bataille 
de  Jaruacdans  le  Bulletin  de  la  Société  de  Saintonge  etde  VAunis 
(M"  vol.  6"  livr.  p.  397).  —  L'abbé  Métais.  Jeanne  d'Albret  et  la 
spoliation  de  l'église  Saint-Georges  de  Vessîtôme,  le  19  mai  1562. 
(Bulletin  de  la  Société  archéologique  du  Vendômois,  t.  XX,  1881, 
p.  297-328).  —  Comte  0.  delaHitte  :  Documents  sur  les  troubles  du 
xvi^  siècle  en  Gascogne  {Revuc  de  Gascogne,  iSSi,  mars  et  avril). 
—  Uawdox  Brown  :  Calendar  of  state  papers....  of  Venice.  VI,  part  IL 
London  Longmans  1881  in  8",  renferme,  entre  autres,  une  vingtaine 
de  dépêches  de  G.  Soranzo,  ambassadeur  de  Venise  en  France,  pour 
la  fin  de  1556,  et  69  pour  1557;  ces  dépêches  concernent,  entre 
autres,  l'histoire  du  siège  de  Saînt-Qîsenïîn. 

N.  Weiss. 


PAUL  RABAUT 

SES  LETTTES  A   ANTOINE   COURT 
AVEC   NOTES,   PORTRAIT   ET   AUTOGRAPHE 

2  volumes  iii-S"* 

Ce  fut  une  belle  soirée  que  celle  du  9  octobre  dernier,  consacrée 
à  Paul  Rabaut  dans  le  temple  de  l'Oratoire  de  Nîmes.  Le  sujet  fut 
introduit  par  la  leclure  d'un  mémoire  de  M.  le  pasteur  Dardier, 
puisé  aux  sources.  Ce  n'était  pas  un  Rabaut  de  fantaisie,  mais  le 
grand  pasteur  nîmois,  l'infatigable  apôtre  du  Désert,  parlant,  agis- 
sant, vivant,  devant  une  assemblée  populaire  émue  des  mêmes 
souffles,  animée  des  mêmes  senliments.  Je  n'ai  jamais  mieux  com- 
pris la  magie  du  passé  dans  les  textes  qui  en  sont  l'expression 
directe  et  authentique. 

Depuis  de  longues  années  M.  Dardier  vit  dans  ce  passé  devenu 

1.  En  vente  au  mois  de  septembre,  librairie  Grassart.  l'rix  :  12  francs. 


380  BIBLIOGRAPHIE. 

pour  lui  le  présent  par  l'étude  approfondie  des  documents  qui  en 
gardent  le  secret.  Ce  qu'un  éminenL  érudit  a  fait  pour  les  origines 
de  la  Réforme  dans  les  pays  de  langue  française,  M.  Dardier  l'a 
tenté,  non  sans  succès,  avec  des  collaborations  filiales,  pour  la 
restauration  du  protestantisme  au  siècle  dernier.  Il  est  l'Herminjard 
du  Désert.  C'est  plaisir  de  lire  avec  lui  les  pièces  tirées  de  la  pous- 
sière des  bibliothèques  et  rajeunie  par  ses  lumineux  commentaires. 
J'ai  sous  les  yeux  le  premier  volume  déjà  imprimé,  et  les  feuilles  du 
second  presque  achevé,  de  la  précieuse  correspondance  de  Paul 
Rabaut  avec  Antoine  Court  (de  1730  h  1755)  et  je  ne  résiste  pas  à 
la  tentation  de  dire  ce  qui  m'a  instruit,  captivé,  charmé  dans  celte 
lecture. 

Elle  nous  reporte  aux  premiers  jours  de  l'apostolat  de  Rabaut 
continuant  l'œuvre  de  Corteiz,  de  Bonbonnoux,  d'Arnaud,  de  Pierre 
Durand,  ses  vaillants  précurseurs  :  «  Mon  quartier,  écrit-il^  com- 
mence à  la  Calinette  et  finit  à  Saint-Pargoire,  c'est-à-dire  qu'il  a 
seize  lieues  de  longueur.  Ce  qui  m'encourage  beaucoup,  c'est  que 
de  temps  en  temps  j'ai  lieu  de  me  convaincre  par  mes  propres  yeux 
que  le  Seigneur  bénit  mon  ministère.  Je  voy  déjà  une  moisson 
abondante  devant  moy.  Oh  î  si  j'avais  une  faucille  comme  la  vôtre 
ou  un  compagnon  d'œuvre  tel  que  vous,  que  de  blé  il  y  auroit  bien- 
tôt dans  le  grenier  du  Seigneur  !  si  je  ne  craignois  de  vous  fâcher 
ou  de  perdre  mes  peines,  que  de  choses  je  vous  dirois  ici;  mais 
votre  cœur  ne  vous  les  dit-il  pas?  » 

Habanl  fait  ici  allusion  aux  regrets  qu'il  exprimait  naguère,  au 
nom  (les  pieuses  Dlles  Cabrier,  du  départ  de  leur  cousin  laissant 
une  œuvre  apostolique  interrompue  à  Nîmes,  pour  aller  fonder  le 
Séminaire  de  Lausanne,  qui  porte  déjà  les  plus  heureux  fruits.  Des 
lettres  ne  sauraient  remplacer,  pour  les  témoins  d'un  premier  réveil, 
ces  exhortations,  ces  discours  qui  c(  produisaient  dans  les  âmes  des 
sentiments  tout  divins...  Nous  réfléchissons  souvent  sur  ces  temps 
heureux  où  nous  allions  ensemble  dans  les  déserts  et  les  antres  de  la 
terre,  refuge  de  l'épouse  du  lils  de  Dieu  lorsiju'elle  est  persécutée, 
pour  y  célébrer  les  œuvres  du  Seigneur  et  les  merveilles  de  sa  gra- 
tuité. C'est  bien  le  même,  disions-nous,  à  l'ouïe  de  la  lecture  de 
votre  aimable  lettre;  c'est  notre  cher  monsieur  Court;  ce  sont  bien 
là  les  traits  de  cette  éloquence  mâle  qui,  comme  uu torrent,  entraî- 
nait tout,  captivait  tous  les  cœurs,  faisoit   fondre  en  larmes   les 


iUBLlOGRAPHIE.  381 

pécheurs  les  plus  endurcis,  et  amenoit  les  pensées  prisonnières  à 
l'obéissance  du  Sauveur  du  monde.  Heureux  temps  ne  reviendrez- 
vous  plus  !  »  On  surprend  ici  dans  sa  première  éclosion  ce  réveil 
dont  les  progrès  ne  devaient  plus  cesser.  Court  allait  trouver  un 
digne  successeur  dans  Paul  Rabaut  qui,  formé  par  ses  leçons, 
durant  un  court  séjour  à  Lauzanne,  devait  si  bien  continuer  son 
ministère  interrompu. 

Les  temps  se  prêtaient  moins  à  l'étude  qu'à  l'action.  Peu  de  mois 
suffirent  (d'août  1740  à  février  1741)  pour  lier  ces  deux  hommes 
d'une  de  ces  amitiés  où  la  différence  des  âges  s'efface  devant  la  con- 
formité des  vues  et  la  sainte  ardeur  de  la  foi  poursuivant  un  même 
but.  Le  maître  el  l'élève  ne  sont  qu'un  dans  Faccomplissement  de  la 
grande  mission  que  Dieu  leur  a  confiée.  Les  plus  aimables  elfusions 
se  mêlent  sous  la  plume  de  Piabaut  au  récit  de  ses  labeurs  et  de  ses 
périls  quotidiens;  mais  c'est  la  note  héroïque  qui  domine;  et  cet 
homme  fait  pour  goûter  les  plus  tendres  affections  est  toujours  prêt 
à  les  immoler  à  un  devoir  supérieur  :  «  Vous  ne  sauriez  croire, 
mon  cher  frère,  à  quel  point  nous  sommes  exposés.  Il  y  a  presque 
partout  des  gens  aux  aguets  pour  nous  surprendre,  de  sorte  que 
nous  pouvons  parfaitement  nous  appliquer  ce  que  disaient  à  Dieu  les 
anciens  fidèles  et  les  premiers  chrétiens  :  No2ts sommes  livrés  tous 
les  jours  à  la  mort  pour  l'amour  de  toy  et  Von  nous  regarde 
comme  des  brebis  destinées  à  la  boucherie...  Quoiqu'il  m'arrive  je 
suis  aux  ordres  de  la  Providence;  j'espère  que  Christ  me  sera  gain 
à  vivre  et  à  mourir.  »  Cette  pensée  revient  sans  cesse  dans  les  pré- 
visions de  Paul  Rabaut  et  lui  dicte  plus  d'un  sacrifice.  C'est  à  Lau- 
sanne qu'il  envoie  ses  trois  jeunes  fils,  dont  l'un  sera  Rabaut  Sainl- 
Étienne,  pour  y  être  élevés;  ses  lettres  à  ce  sujet  respirent  les  plus 
touchantes  sollicitudes  et  le  plus  gracieux  enjouement.  Il  ne  garde 
avec  lui  que  sa  vaillante  compagne,  Madeleine  Gaidan,  si  digne  de 
s'associer  à  son  beau  ministère. 

L'année  1744,  coïncidant  avec  la  guerre  de  la  succession  d'Au- 
triche, fut  marquée  par  un  adoucissement  passager  de  la  persécution. 
C'est  la  date  d'un  retour  temporaire  d'Antoine  Court  assistant  au 
synode  général  qui  mit  un  terme  au  schisme  de  Roger.  Mais  il  fallut 
trop  tôt  se  séparer  :  «  Quel  vide  que  je  sens  quand  nous  ne  sommes 
pas  ensemble  !  Il  me  semble  que  je  n'existe  qu'à  deux  et  qu'une 
partie  de  moy  mesme  m'a  esté  arrachée...  Oh  1  ijuel  fardeau  peur 


3S2  BIBLIOGRAPHIE. 

mes  faibles  épaules.  Hier  au  soir  je  bénis  vingt-six  mariages,  tout  à 
la  fois.  C'était  tout  de  Provençaux;  demain  j'en  bcniray  aussi  un 
nombre  considérable,  s'il  faut  s'en  rapporter  à  ce  qu'on  m'a  dit. 
Comme  j'aurais  une  nombreuse  assemblée  et  une  quantité  extraor- 
dinaire de  communiants,  fay  prié  notre  très  cher  frère  Monsieur 
Roger,  qui  voulait  partir  aujourdlmy,  de  rester  demain  pour 
m'aider  à  administrer  la  Sainte  Cène.  »  Un  an  n'est  pas  encore 
écoulé  que  Rabaut  annonce  à  Court  le  martyre  de  ce  même  Roger 
de  Boissières,  une  des  plus  belles  figures  du  Désert.  Condamné  par 
le  parlement  de  Grenoble,  «  il  employa  le  temps  qui  lui  restait  à 
chanter  des  psaumes  et  à  adresser  à  Dieu  de  ferventes  prières.  Le 
bourreau  l'ayant  exécuté,  son  âme  bienheureuse  fut  portée  dans  le 
sein  de  son  Sauveur.  Son  corps  resta  pendu  jusqu'au  lendemain 
qu'on  le  jeta  dans  l'Isère.  » 

Tel  est  le  sort  qui  attend  les  fidèles  ministres  de  J.-C.  à  cette 
époque.  Ce  fut  celui  de  Mathieu  Majal,  de  Btnézet,  de  Teissier  et  de 
bien  d'autres.  A  côté  de  Paul  Rabaut  viennent  se  placer,  dans  sa 
correspondance  quotidienne,  ses  collaborateurs  les  plus  dévoués, 
Bétrine,  Claris,  Gibert,  Defferre,  Encontre,  et  le  plus  éminent  de 
tous,  Pradel,  dit,  Vernezobre,  pasteur  d'Uzès,  dont  il  sera  séparé 
par  une  brouille  passagère  heureusement  dissipée  à  leur  honneur 
commun.  C'est  le  mérite  de  M.  Dardier,  et  j'y  insiste  à  dessein,  de 
ne  nous  laisser  rien  ignorer  des  faiblesses  comme  des  vertus  de  ces 
héros  de  la  conscience.  Ses  notes,  où  il  prodigue  les  trésors  d'une 
érudition  aussi  sûre  qu'attrayante,  forment  des  notices  historiques 
d'une  incontestable  valeur.  On  ne  lira  pas  sans  profit  celle  sur  les 
deux  Corteiz,  l'oncle  et  le  neveu,  que  l'on  a  si  souvent  confondus  ;  sur 
les  trois  Goste,  dont  l'un,  Barthélémy,  ne  causa  pas  peu  de  désa- 
gréments à  Court  et  à  Rabaut.  C'est  l'auteur  du  coup  de  fusil  tiré,  le 
13  août  1752,  contre  le  prieur  de  Ners,  et  qui  finit  lui-même  par 
tomber  en  démence.  Mais  où  donc  le  rédacteur  de  cet  article  dans 
la  France  protestante  a-t-il  vu  qu'à  la  voix  de  Cosie  les  vaillants 
montagnards  des  Cévennes  prirent  les  armes?  Quelques  coups 
de   fusil  tirés,  ci  et  là,  dans  la   Gardonnenque,  contre  des  curés 
|)ar  trop  hostiles,  ne  ressemblent  guère  à  une  insurrection  cévenole. 
Chemin  faisant  M.  Dardier  rectifie  ainsi  plus  d'une  erreur,  ou  ra- 
mène à  la  juste  mesure  plus  d'une  assertion  hasardée  dans  de 
graves  recueils. 


BIBLIOGRAPHIE.  383 

C'est  à  lui  que  l'on  doit  la  publication  de  la  lettre  contenant  le 
récit  de  Tentrevue  de  Rabaut  avec  le  marquis  de  Paulmy,  le  19  sep- 
tembre 1752.  11  ne  mérite  pas  moins  la  reconnaissance  des  amis  de 
notre  histoire  par  les  lumières  qu'il  a  répandues  sur  une  foule  de 
points  ignorés  ou  peu  connus,  tels  que  l'affaire  de  Du  Plan,  l'ancien 
agent  des  Églises,  et  celle  de  l'espion  Martin,  dit  Larroque;  les  rap- 
ports de  Paul  Rabaut  avec  le  prince  de  Conti,  et  le  rôle  d'Allamand 
comme  collaborateur  de  Saint-Florentin  dans  la  publication  de  la 
fameuse  lettre  contre  les  assemblées;  ou  encore  les  poursuites  diri- 
gées à  l'instigation  du  résident  français,  contre  les  frères  Cramer  de 
Genève,  pour  avoir  publié  la  lettre  pastorale  de  Rabaut  de  1761. 
Mais  il  faut  laisser  quelques  surprises  aux  lecteurs  d'un  recueil  que 
je  voudrais  voir  entre  toutes  les  mains.  11  m'est  doux  de  finir,  comme 
Nîmois,  par  l'expression  d'un  vœu  que  je  dépose  dans  le  cœur  de 
mes  compatriotes.  Que  d'aimables  rencontres  j'ai  faites  au  cours  de 
cette  lecture!  Il  est  peu  de  familles  protestantes  de  ma  ville  natale 
qui  ne  soient  représentées  dans  la  correspondance  dont  je  rends 
compte,  par  des  détails  précieux,  des  faits  touchants  où  les  annales 
domestiques  puisent  un  vrai  lustre.  J'aime  à  citer  sous  ce  rapport  les 
noms  justement  honorés  des  Flaissier,  Cler,  Lagorce,  Fabre,  Dumas, 
Meynier,  Gervais,  Sagnier,  Turge...  J'en  passe  et  des  meilleurs! 
Les  lettres  de  Paul  Rabaut,  si  heureusement  restituées  aux  fils  de  ses 
anciens  paroissiens,  de  ceux  pour  lesquels  il  exposa  si  souvent  sa 
vie,  sont  un  trésor  dont  plus  que  d'autres  ils  sauront  estimer  le  prix. 
Qui  ne  voudra  les  lire  dans  les  lieux  témoins  de  son  glorieux  apos- 
tolat? Un  des  premiers  exemplaires  devra  être  déposé  à  la  maison 
des  Orphelines  du  Gard,  dans  le  voisinage  de  sa  tombe  récemment 
restaurée  par  les  soins  du  Consistoire.  Mais  il  n'est  pas  dans  la 
Vannage  et  les  Cévennes  une  bibliothèque  de  famille  qui  ne  doive 
posséder  cet  admirable  recueil  si  bien  fait  pour  ranimer  partout  la 
piété  des  pères  dans  les  enfants. 

Jules  Bonnet. 


NECROLOGIE 


M.  GRATIEN  CHARVET 


Le  Journal  des  débats  ilu  ]  8  juillet  dernier  annonçait  la  mort  presque 
subite  de  M.  Gratien  Charvet,  archéologue  distingué,  correspondant  du 
ministère  de  l'instruction  publique,  auquel  ses  travaux  si  variés  ont  valu 
dans  le  Gard  une  grande  considération.  Né  à  Remoulin,  près  d'Uzès,  et 
catholique  sincère,  M.  Charvet  n'en  portait  pas  un  moins  vif  intérêt  aux 
études  protestantes,  et  ses  dernières  publications  ont  eu  pour  objet  le 
Traité  de  Nîmes  de  1578,  et  Jean  Cavalier,  notre  héros  camisard  {Bull., 
t.  XXXI,  p.  135).  «  C'était,  nous  écrit  M.  Emile  Oberkampf,  un  travailleur 
infatigable  qui,  malgré  des  fonctions  absorbantes,  trouvait  le  temps  de 
s'occuper  avec  succès  de  recherches  historiques  et  archéologiques.  La 
ré  daction  du  BulMln  de  noire  Société  littéraire  d'Alais  reposait  entière- 
ment sur  lui  ».  Par  son  savoir,  son  aménité,  M.  Charvet  laisse  à  tous  ceux 
<|ui  l'ont  connu  un  profond  souvenir.  Le  rédacteur  du  Bulletin,  qui  reçut 
(le  lui  en  divers  temps  de  précieuses  communications,  et  qui  avait  été  si 
h  eureux  de  le  revoir,  il  y  a  quelques  semaines,  ne  peut  que  s'associer 
au  deuil  de  ses  nombreux  amis  d'Alais  et  de  Nîmes. 

.1.  B. 

P.  S.  L'abondance  des  matières  nous  oblige  d'ajourner  divers  articles 
qui  trouveront  place  dans  le  prochain  numéro. 


Le  Gérant  :  Fischbacher. 


BoURLOTON.  —  Imprimeries  réunicf,  B. 


SOCIÉTÉ  DE  L'HISTOIRE 


DU 


PROTESTANTISME  FRANÇAIS 


ÉTUDES  HISTORIQUES 


LES  ÉGLISES  DU  DÉSERT  EN  PROVENGE* 

Pendanl  les  premières  années  du  xviii'  siècle  nous  ne  trou- 
vons aucun  fait  relatif  aux  protestants  de  Provence,  mais  en 
1719  ces  derniers  furent  visités  parle  célèbre  pasteur  Jacques 
Roger,  de  Boissière,  en  Languedoc,  le  restaurateur  du  pro- 
testantisme en  Dauphinc  et  l'émule  du  non  moins  célèbre 
Antoine  Gourt.  Il  quitta  momentanément  sa  province  à  la  suite 
du  saccagement  de  la  vallée  de  Bourdeaux  par  les  soldats  du 
comte  de  Médavid,  commandant  des  troupes  royales  en  Dau- 
plîiné.  A  sa  voix  les  protestants  provençaux  sortirent  de  leur 
long  sommeil  et  Roger  vit  son  ministère  béni.  «  La  contagion 
affligeant  la  Provence,  dit  un  mémoire  du  temps,  le  zèle  des 

1.  Les  pages  qui  suivent  sont  empruntées  au  savant  ouvrage  de  M.  Eu|ï.  Ar- 
naud couronné  dans  un  récent  concours  (Bull.  t.  XXXII,  p.  450-454)  et  dont 
nous  sommes  heureux  d'annoncer  la  prochaine  publication  {lied.]. 

XXXIII.  —  25 


386  LES   ÉGLISES  DU    DÉSERT  EN   PROVENCE. 

reformés  se  réveilla  et  les  assemblées  furent  plus  nombreuses; 
on  chantait  dans  les  bourgs  et  dans  les  villes  et  les  villages 
hautement  les  louanges  de  Dieu,  » 

Ceci  doit  surtout  s'entendre  des  protestants  des  vallées  de 
la  rive  droite  de  la  Durance,  qui,  à  raison  de  leur  nombre 
relativement  considérable,  se  fortifièrent  mutuellement  et 
résistèrent  aux  tentatives  de  conversion  dont  ils  furent  les 
objets.  A  partir  de  la  visite  de  Roger  ils  reçurent  comme  un 
nouveau  baptême  et  ne  craignirent  plus  de  s'assembler  au 
Désert  pour  célébrer  leur  culte.  Les  événements  extérieurs, 
du  reste,  vinrent  en  aide  à  leur  courage,  car  pendant  les  pre- 
mières années  du  ministère  du  cardinal  André  Hercule  de 
Fleury,  ancien  évêque  de  Fréjus  (1726-1732)  les  protestants 
de  France  jouirent  d'une  tolérance  relative  qui  cessa  trop 
tôt,  sur  les  remontrances  du  clergé  se  plaignant  amèrement 
de  ce  que  les  édits  du  roi  n'étaient  pas  exécutés. 

En  1735  François  Roux,  natif  de  Gaveirac  et  pasteur  dans 
le  Bas-Languedoc,  évangélisa  les  protestants  de  Provence,  sur 
la  fm  de  mars.  Le  27,  il  présida  une  assemblée  à  Raumettes 
près  Gordes,  où  assistèrent  les  protestants  de  Mouriès.  Il  se 
rendit  ensuite  à  Eyguières;  «  mais  un  réformé  des  plus  riches, 
dit  une  pièce  du  temps,  ne  permit  point  qu'on  y  convoquât 
aucune  assemblée.  D'ailleurs  presque  tous  les  réformés  de 
cette  église,  qui  avait  autrefois  un  pasteur,  sont  tombés  dans 
les  erreurs  de  l'église  romaine.  Le  29,  il  convoqua  une  assem- 
blée à  Mérindol  avec  un  heureux  succès;  de  là,  il  se  rendit  à 
Lourmarin,  qui  sont  presque  tous  des  réformés;  mais  un 
réformé  des  plus  riches  s'opposa  et  empêcha  la  convocation 
de  l'assemblée,  et  le  seul  mot  d'assemblée  fit  tout  trembler. 
Ensuite  il  passa  à  Cabrières  [d'Aiguës]  et  y  convoqua  une 
assemblée  en  faveur  des  réformés  de  ce  lieu  et  de  ceux  des 
villages  voisins.  Elle  fut,  dit  M.  Roux,  assez  nombreuse  et  la 
dévotion  fort  édifiante.  Le  même  M.  Roux  se  serait  porté  plus 
loin,  jusqu'à  Manosque,  mais  les  réformés  de  Cabrières  lui 
dirent  qu'il  n'y  avait  point  de  lieu  propre  pour  la  convoca- 


LES  ÉGLISES  DU  DÉSERT  EN  PUOVENCE.  387 

tion  des  [issemblées,  ni  de  personnes  à  (|ui  on  pût  se  fier. 
Ainsi  il  fut  obligé  de  rétrograder  et,  à  son  retour,  il  lit  encore 
une  assemblée  à  Mérindol  et  s'en  retourna  en  Vannage,  le 
tout  sans  trouble  et  sans  alarme  du  côté  de  l'ennemi.  » 

Peu  après  le  départ  de  Roux,  le  comte  du  Muy,  comman- 
dant militaire  de  Provence,  qui  eut  connaissance  de  l'assem- 
blée de  Cabrières,  chargea  Brunet  de  Molan,  subdélégué  de 
l'intendant  à  Manosque,  de  faire  des  informations.  Ce  der- 
nier entendit  soixante  témoins  qui  révélèrent  les  particularités 
suivantes  : 

L'assemblée  s'était  tenue,  la  nuit  du  30  au  31  mars,  dans 
la  bergerie  d'Antoine  Orcel,  ménager  de  Cabrières.  Roux  se 
faisait  passer  pour  un  marchand  de  soie  et  était  accompagné 
de  quatre  étrangers.  Il  montait  un  cheval  gris-pommelé,  tirant 
sur  le  blanc.  Il  parlait  français  et  s'exprimait  quelquefois  en 
mauvais  provençal.  Bien  fait  de  sa  personne,  il  avait  le  visage 
plein  et  brun  clair,  les  yeux  gros,  les  sourcils  épais,  le  front 
grand,  le  nez  un  peu  fort,  une  taille  épaisse  et  haute  de  cinq 
pieds  et  deux  ou  trois  pouces.  Il  était  âgé  de  quarante-cinq  ans 
et  portait  une  petite  perruque,  un  habit  gris  clair  tirant  sur  le 
ventre  de  biche,  une  veste  noire  et  un  chapeau  bordé  d'argent, 
qu'il  changea  pour  présider  l'assemblée  en  un  autre  sans 
bordure.  II  avait  été  conduit  à  Cabrières  depuis  Mérindol  par 
Paul  Meynard,  dit  La  Bourdille,  et  Jean  René  Meynard. 

Un  protestant,  nommé  Jacques  Murât,  commença  le  service 
par  la  lecture  d'un  ou  deux  chapitres  du  Nouveau-Testament 
et  le  chant  de  quelques  Psaumes.  Après  quoi,  le  ministre  pre- 
nant pour  texte  ces  paroles  :  «  Que  V espérance  du  salut  vous 
serve  de  bouclier  et  la  parole  de  Dieu  d'épée  de  VEspril,  » 
(Eph.  VI,  17),  prêcha  pendant  une  heure  sur  la  charité  et 
les  bonnes  œuvres.  On  chanta  le  Psaume  LI  :  «  Miséricorde  à 
un  pauvre  pécheur,  Dieu  tout  puissant,  selon  ta  grande  misé- 
ricorde. ))  Le  ministre  prononga  ensuite  une  prière  où  le  roi 
et  les  personnes  en  dignité  ne  furent  pas  oubliés  et.  tei'uiina 
par  ces  paroles  :  c^  Dieu  vous  bénisse,  mes  enfants  I  »  Murât 


388  LES  ÉGLISES  DU  DÉSERT  EN  PROVENCE. 

fit  une  quête  qui  rapporta  huit  à  dix  francs  remis  à  Roux  pour 
les  pauvres  de  Cabrières.  L'assemblée  qui  comptait  de  cent 
cinquante  à  deux  cents  personnes,  se  termina  à  minuit.  La 
Sainte-Cène  ne  lut  pas  distribuée,  et  aucun  assistant  n'avait 
des  armes.  Les  consuls  de  Cabrières,  quoique  huguenots,  n'y 
prirent  pas  part;  le  ministre  ne  prononça  aucune  parole  sédi- 
tieuse et  on  ne  Ini  donna  point  d'argent.  Le  boulanger  de 
Cabrières  vendit  vingt  quatre  douzaines  de  pain  de  plus  qu'à 
l'ordinaire. 

Telles  étaient  dans  leur  simplicité  naïve  ces  assemblées  du 
Désert,  que  l'on  voulait  faire  passer  pour  des  conciliabules 
séditieux  et  dont  les  assistants  étaient  impitoyablement  sa- 
brés, condamnés  à  mort  ou  aux  galères. 

Le  comte  du  Muy,  au  reçu  des  informations,  cita  huit  reli- 
gionnaires  à  comparaître  à  Aix,  notamment  Paul  Meynard,  dit 
LaBourdille  et  Antoine  Orcel.  S'étant  contredits  et  coupés  dans 
leurs  dépositions,  ils  reçurent  l'ordre  de  demeurer  à  Aix,  à  la 
disposition  de  la  justice,  mais  ils  jugèrent  prudent  de  fuir.  Le 
comte  de  Muy  se  rendit  ensuite  sur  les  lieux,  accompagné  de 
deux  compagnies  du  bataillon  de  milice  de  Fontanilles,  dont 
l'une  fut  logée  à  Cabrières,  et  l'autre  à  Mérindol  chez  les  reli- 
gionnaires  les  plus  compromis.  Plusieurs  d'entre  eux  furent 
arrêtés,  et  les  officiers  reçurent  l'ordre  de  découvrir  le  nom 
et  la  demeure  du  ministre  :  mais  ce  fut  peine  perdue  :  aucun 
rcligionnaire  ne  voulut  le  trahir. 

Le  roi,  instruit  de  ce  qui  s'était  passé,  chargea,  pai-  arrêt  du 
22  mai  1735,  Jean  Baptiste  des  Galois,  seigneur  de  La  Tour  et 
autres  lieux,  intendant  de  Provence  et  premier  président  du 
parlement  d'Aix,  d'instruire  et  déjuger  en  dernier  ressort  le 
procès  «  avec  tel  présidial  ou  le  nombre  des  gradués  requis 
par  l'ordonnance.  »  La  Tour  rendit  sa  sentence  le  24  mars -1730. 
Des  quatre  vingt-quatre  personnes  inculpées,  une  fut  condam- 
née à  mort,  le  prédicant;  six  aux  galères  perpétuelles  :  Jacques 
Mural,  n'égociantdeLourmarin  ;  Louis,  Daniel  et  Antoine  Roux, 
ménagers;  Antoine  Courbon,  maçon,  Pierre  Jourdan,ces  cinq 


LES   ÉGLISES  DU   DÉSERT  EN   PROVENCE.  389 

derniers  de  Cabrières;  —  quatre  à  un  bannissement  de  trois 
années  :  Daniel,  Jourdan,  Jacques  Sallon,  Anne  Estaillard 
(femme  de  Pierre  Jourdan)  tous  de  Cabrières;  Jean  Glot,  de 
Méindol. 

Ces  onze  condamnés  étaient  contumaces.  Paul  Meynard,  dit 
La  Bourdille,  cabaretier  de  Mérindol,fut  banni  pour  dix  ans, 
et  Antoine  Orcel,  ménager  de  Cabrières,  pour  trois  ans  ;  trente- 
trois  autres  accusés  furent  condamnés  à  la  confiscation  de  la 
moitié  de  leurs  biens,  de  môme  que  les  précédents;  trente- 
neuf  renvoyés  absous  ;  la  bergerie  d'Antoine  Orcel  dut  être 
((  démolie  et  entièrement  rasée  »  et  l'arrêt  alTiché  à  Mérindol, 
Lourmarin  et  Cabrières.  En  vertu  d'un  second  jugement  de 
La  Tour,  du  i 8  avril  1736,  un  poteau  portant  l'arrêt  du  24  mars 
fut  dressé  sur  l'emplacement  de  la  bergerie  et  le  prédicant 
pendu  en  effigie  à  Cabrières. 

En  envoyant  une  copie  de  ses  jugements  au  roi,  le  20  mars, 
La  Tour,  qui  était  un  homme  modéré,  comprenant  les  véritables 
intérêts  de  l'État,  écrivit  à  Phelypeaux,  comte  de  Saint-Flo- 
rentin, ministre  d'État  :  «  Presque  tous  ces  gens-là  sont  des 
paysans  ou  artisans  qui  n'ont  point  de  biens  ou  fort  peu,  et 
les  autres  sont  des  bourgeois  de  village  qui  ont  assez  de  peine 
à  vivre,  en  sorte  que  tous  ces  misérables,  qui  ne  sont  pour  la 
plupart  coupables  que  d'une  trop  grande  facilité  ou  tout  au 
plus  d'une  ancienne  prévention  pour  la  religion  dans  laquelle 
ils  sont  nés,  seront  réduits  à  faumône  ou  dans  la  nécessité  de 
sortir  du  royaume,  si  notre  jugement  est  exécuté  à  la  rigueur. 
Il  serait  de  la  bonté  et  de  la  charité  du  roi  de  modérer  ces 
amendes,  en  égard  aux  crimes  et  aux  facultés  des  coupables.  » 
La  Tour  pensait  aussi  qu'il  fallait  faire  grâce  aux  religion 
naires  condamnés  à  des  peines  afflictives,  qu'autrement  ils 
quitteraient  le  pays,  ce  qui  lui  causerait  un  grand  préjudice. 
Le  roi  agréa  la  proposition  de  La  Tour;  mais  il  exigea  (pie 
les  religionnaires  qui  pouvaient  payer  les  amendes  le  fissent. 

Les  biens  des  condamnés  s'élevaient  à  la  somme  de  vingt- 
deux  mille-six  cent-cinquante  livres,  quatre  sous,  quatre  de- 


390  LES   ÉGLISES  DU   DÉSERT  EN  PROVENCE. 

niers;  savoir  quatorze  mille  neuf  cent  cinquanle-lmit  livres, 
huit  sous  pour  les  religionnaires  de  Cabricres;  cinq  mille 
sept  cent  cinquante-deux  livres,  seize  sous,  quatre  deniers  pour 
ceux  de  Lourmarin  et  mille  neuf  cent  quarante-deux  livres 
pour  ceux  de  Mcrindol.  Ils  devaient  payer  la  moitié  de  cette 
somme  en  vertu  du  jugement.  Les  condamnés  offrirent  quatre 
mille  huit  cents  livres,  soit  trois  mille  neuf  cent  soixante-dix 
livres  pour  Cabrières  (offre  du  ^  juin  1736);  mille  quatre- 
vingts  pour  Lourmarin  (offre  du  10  juin),  et  six  cent  cin- 
quante livres  pour  Mérindol  (idem).  Mais  réduits  à  l'impossi- 
bilité de  payer  même  ces  sommes  réduites,  par  rinsuffisancc 
des  récoltes,  ils  demandèrent  d'en  être  entièrement  dé- 
chargés, dans  une  requête  adressée  au  comte  de  Saint-Flo- 
rentin où  ils  disaient  en  parlant  d'eux-mêmes  :  «  Comme  ils 
sont  presque  tous  misérables,  et  que  la  mauvaise  récolte  de 
cette  année,  les  met  hors  d'état  de  payer  cette  somme,  ils 
supplient  très  respectueusement  Votre  Grandeur  de  vouloir 
bien,  par  charité,  leur  procurer  de  Sa  Majesté  la  remise  enlière 
des  dits  quatre  mille  huit  cents  livres,  et  ils  continueront  leurs 
prières  pour  la  conservation  de  Votre  Grandeur.  »  Le  ministre 
ayant  répondu  que  les  condamnés  étaient  solidaires  et  devaient 
payer  les  uns  pour  les  autres,  La  Tour  fit  remarquer  que,  s'il 
devait  en  être  ainsi,  les  condamnés  quitteraient  la  France. 
Quatre  d'entre  eux  s'offrirent  néanmoins  à  payer  leur  part 
des  quatre  mille-huit  cents  livres,  savoir  Paul  Meynard, 
Jacques  Murât,  Daniel  et  Antoine  Roux;  mais  comme  les  trois 
derniers  étaient  contumaces,  et  que,  d'après  les  lois  du 
royaume,  aucune  grâce  ne  pouvait  être  accordée  à  des  con- 
damnés de  cette  catégorie,  La  Tour  ht  remarquer  que,  s'ils 
n'étaient  tous  déchargés,  Paul  Meynard  serait  seul  en  état  de 
profiter  de  la  remise  d'une  partie  de  son  amende.  Nous  ne 
savons  ce  qui  advint  de  cette  affaire  qui  fut  conduite  avec  une 
modération  tout  h.  la  louange  de  l'intendant  de  Provence. 

Ici  commence  une  époque  particulièrement  désastreuse  où 
l'on  tente  d'arracher  de  force  leurs  filles  aux  religionnaires. 


LES   ÉGLISES  DU   DÉSERT   EN   PROVENCE.  391 

pour  les  faire  instruire  dans  la  religion  catholique.  La  Pro- 
vence eut  sa  triste  part  de  cette  persécution  barbare,  comme 
on  en  peut  juger  par  la  lettre  qui  suit. 

L'an  1740,  dans  ceUe  époque  sinistre  et  calamiteuse  pour  les  filles 
des  réformés  que  les  évêques  faisaient  enlever  pour  les  enfermer  dans 
des  couvents,  on  enleva  la  fille  unique  d'une  veuve  très  riche  qu'on  mit 
dans  un  couvent  de  religieuses  d'Aix.  Elle  y  est  restée  captive  environ 
trois  ans.  Pendant  que  cet  espace  de  temps  s'écoula,  la  dolente  mère 
me  disait  comme  elle  pourrait  faire  pour  retirer  sa  fille  d'un  endroit  si 
contagieux.  Il  fut  résolu  avec  l'oncle  de  cette  orpheline  et  l'un  de  ses 
amis  qu'il  fallait  l'enlever.  Ces  trois  personnes  seulement  se  transpor- 
tèrent à  Aix.  Les  deux  hommes  se  mirent  à  la  porte  du  cloître  et  la  mère 
sonna  la  clochette  demandant  à  voir  sa  petite.  D'ahord  les  religieuses 
lui  firent  beaucoup  d'accueil  et  d'honnêteté  parce  qu'elle  était  riche  et 
leur  faisait  quantité  de  présents.  On  lui  fit  venir  ensuite  sa  fille  qu'elle 
caressa,  la  tenant  par  la  main,  et  tira  toujours  du  côté  de  la  porte 
sans  faire  semblant  de  rien.  Quand  elle  n'en  fut  qu'à  trois  ou  quatre  pas, 
elle  la  prit  par  le  bras  et  la  jeta  dehors  la  porte  entre  les  bras  de  ces 
deux  hommes,  qiii  attendaient  avec  impatience  ce  cher  dépôt.  Dès  qu'ils 
l'eurent  ils  firent  toute  la  diligence  possible  pour  la  mettre  en  sûreté. 

Rien  de  plus  rare  que  de  telles  délivrances.  Le  martyrologe 
des  familles  contient  peu  de  faits  aussi  douloureux  que  celui 
dont  on  va  lire  le  récit;  c'est  im  évêque  qui  joue  ici  le  prin- 
cipal rôle. 

Cette  même  année  1740,  dans  un  lieu  qui  s'appelait  Joucas,  [vivait]  le 
nommé  Antoine  Robert  du  dit  lieu,  et  Jeanne  Béridol  de  Mérindol,  son 
épouse,  ayant  plusieurs  filles;  on  lui  envoya  trois  cavaliers  de  la  maré- 
chaussée de  la  ville  d'Apt  pour  lui  en  enlever  deux  entre  onze  heures  et 
minuit.  Ces  émissaires  de  la  tyrannie  furent  heurter  fortement  à  leur 
porte  en  criant  que  s'ils  ne  l'ouvraient  pas  soudainement,  ils  allaieni 
la  mettre  par  terre.  La  femme,  se  trouvant  toute  seule  dans  la  maison,  se 
leva  de  son  lit  tout  épouvantée  pour  leur  ouvrir  et  leur  demanda  ce  qu'ils 
voulaient.  Ils  lui  répondirent  qu'ils  venaient  de  la  part  du  roi  et  de 
monseigneur  l'évêque  de  la  ville  d'Apt  pour  prendre  deux  de  ses  filles, 
Isabeau  et  Marianne.  Elh;  leur  dit  qu'elle  ne  savait  point  où  files  «Haicnl. 
Alors  lesdils  cavaliers  furent  fouiller  par  toute  la  maison  pour  les  cher- 
cher. Ne  les  ayant  poini  tronvéos  ils  allèrent  visiter  le   lit.   En  ayant 


392  LES  ÉGLISES  DU  DÉSERT  EN  PROVENCE. 

trouvé  uno,  nomméo  Marguerito,  âgée  de  trois  ans,  ils  dirent  :  «  Puisque 
nous  ne  trouvons  pas  les  autres,  nous  allons  toujours  prendre  celle-ci 
en  attendant  »  ;  ce  que  la  femme  ayant  entendu,  elle  courut  au  lit  et  prit 
sa  lille  entre  ses  bras.  L'un  de  ces  bourreaux,  n'ayant  de  l'homme  que 
la  figure,  voyant  cela,  fut  la  prendre  par  les  pieds,  et  la  tira  comme  s'il 
avait  voulu  l'écarteler;  mais  comme  sans  doute  il  ne  put  arracher  cette 
innocente  victime  d'entre  les  bras  de  cette  tendre  et  affectionnée  mère, 
il  donna  [à  celle-ci]  un  si  grand  cou])  de  poing  qu'il  la  jeta  sur  le  car- 
reau, et  lui  enleva  en  même  temps  la  petite.  La  peur  que  cette  pauvre 
femme  eut  de  cette  catastrophe,  lui  occasionna  une  si  violente  révolution 
dans  le  sang  que  de  huit  en  huit  jours  elle  tombe  morte  et  ne  revient  de 
ce  pitoyable  état  que  trois  heures  après. 

Cette  femme  éploréc  étant  revenue  cà  elle-même,  envoya  chercher  son 
mari  et  lui  raconta  le  cruel  et  barbare  traitement  qu'on  lui  avait  fait,  et 
qu'on  avait  emmené  leur  fille  Marguerite  à  la  ville  d'Apt.  Ce  récit  fait, 
le  mari  partit  sur  le  champ  pour  ladite  ville.  11  alla  tout  droit  à  l'évôché, 
et  trouvant,  en  entrant  dans  la  salle,  que  ces  impitoyables  bourreaux  y 
étaient  encore,  il  se  jeta  sur  eux  comme  un  lion,  en  leur  disant  :  «  Mal- 
heureux, il  faut  que  je  te  fasse  comme  tu  as  fait  à  mon  enfant  !»  Et  si 
Pévêquc  n'y  fut  accouru  au  bruit  qu'il  entendit,  en  lui  criant  :  «  Robert, 
Robert,  que  veux-tu  faire  ?»  il  l'aurait  sans  doute  déchiqueté  et  mis  en 
pièces;  mais  il  lâcha  prise  pour  répondre  à  l'évêquc  qu'on  lui  rendît  sa 
fille.  «  Eh  bien,  amène-moi  les  deux  autres,  et  je  te  rendrai  celle-ci.  » 
Ledit  Robert  dit  qu'on  les  lui  avait  enlevées.  «  Va,  va  retire-toi,  et  em- 
mène tes  filles  dans  ta  maison.  » 

Ce  bonhomme  croyant  d'être  en  sûreté  sur  la  parole  de  l'évêque, 
envoya  chercher  ses  filles  qui  étaient  càftiérindol.  Mais  qu'il  était  crédule 
de  se  tenir  assuré  sur  la  parole  d'un  malhonnête  homme,  d'un  tyran, 
d'un  persécuteur,  puisque,  à  peine  quinze  jours  furent  écoulés  que 
les  cavaliers  furent  chez  lui  pour  prendre  ses  filles.  Le  tapage  que 
firent  ces  estaffiers  éveilla  ledit  Robert  qui  se  leva  de  son  lit  et  sauta 
d'une  fenêtre  d'environ  douze  pieds  de  hauteur  qu'il  y  avait  derrière  la 
maison  ;  en  même  temps  son  épouse  prit  une  de  ses  filles  par  le  bras  et 
la  jeta  par  la  fenêtre,  qu'il  reçut  en  son  sein,  tout  en  chemise.  Ce  tendre 
et  affligé  père,  ému  de  compassion  de  voir  ainsi  son  enfant  e.vposé  à  la 
rigueur  du  temps,  se  dépouilla  de  sa  veste  pour  la  couvrir,  et  lui,  tout 
en  chemise,  la  porta  dans  une  bastide  à  une  demie-lieue  de  leur  maison. 
L'épouse  qui  était  restée,  lorsqu'elle  crut  son  mari  assez  loin,  fut  ouvrir 
la  porte  à  ces  gens  de  sac  et  de  corde  en  leur  disant  :  «  Que  me  deman- 
dez-vous, messieurs?  Mes  filles?  Je  n'en  ai  point.  »  Alors  les  cavaliers 
entrèrent  et  cherchèrent  les  filli>s  pai'  toute  la  maison.  i\e  les  ayant  pas 


LES  ÉGLISES  DU  DÉSERT  EN  PROVENCE.  393 

trouvées,  après  avoir  vomi  contre  cette  femme  plusieurs  injures  et  plu- 
sieurs duretés,  ils  se  retirèrent  en  la  menaçant  qu'ils  prendraient  le 
polit  qui  était  dans  le  berceau. 

Six  mois  après  ils  revim'ent  de  nouveau  à  la  charge  et,  pour  ne  pas 
manquer  leur  but,  ils  usèrent  de  ce  stratagème  ;  ils  prirent  avec  eux  le 
nommé  Pierre  Gaudin  qui  se  prêta  pour  leur  faire  ouvrir  la  porte.  Ce 
crocodile  fut  crier  à  la  femme  qui  était  seule  dans  la  maison,  de  lui  venir 
ouvrir,  qu'il  venait  pour  lui  rendre  service,  et  lui  ayant  répondu  qu'elle 
n'ouvrait  point  la  porte  à  une  heure  indue,  il  lui  protesta  de  nouveau 
qu'il  venait  pour  ses  affaires  ;  ce  qu'ayant  cru  bonnement,  elle  vint  lui 
ouvrir.  D'abord  les  cavaliers  se  jetèrent  sur  elle  comme  des  furieux; 
mais  en  ayant  saisi  un,  elle  le  renversa  par  terre,  et,  s'ils  n'avaient  été 
que  deux,  elle  s'en  serait  défaite  et  les  aurait  battu  certainement;  mais 
il  fallut  céder  à  la  force.  Tout  ce  qu'elle  put  faire  dans  le  temps  qu'on 
cherchait  ses  filles,  ce  fut  de  prendre  son  petit  enfant  qu'elle  porta  à  sa 
belle-sœur;  après  quoi  elle  alla  appeler  son  mari  qui  était  à  un  pré  : 
«  Mon  cher  Robert,  lui  cria-t-elle,  viens  vite;  nous  n'avons  plus  de 
filles;  c'en  est  fait;  on  nous  les  enlève.  »  Cet  homme  courut  de  toutes 
ses  forces,  mais  il  ne  fut  plus  temps.  En  arrivant  il  trouva  ses  (illes 
attachées  sur  des  chevaux.  11  fut  prendre  son  fusil;  mais  par  bonheur 
il  ne  se  trouva  point  chargé,  car  s'il  l'avait  été,  il  aurait  tué  quelqu'un. 

Les  cavaliers  cependant  faisaient  toujours  chemin  vers  la  ville  d'Api, 
Alors  ledit  Robert  ne  pouvant  faire  autre  chose  les  suivit  jusqu'à  la  ville, 
oîi  il  fut  trouver  l'évoque  pour  lui  dire,  les  larmes  aux  yeux  :  «  Ce  n'est 
pas,  monseigneur,  ce  que  vous  m'avez  promis,  de  ne  plus  me  faire  enlever 
mes  filles.  »  L'évèque  lui  répondit:  «Prends  la  plus  jeune,  si  tu  veux.  — 
Il  n'est  plus  temps  de  me  la  rendre  à  présent  qu'elle  est  morte  et  qu'on 
me  l'a  tuée.  —  Est-ce  que  tu  ne  le  veux  pas.  Fais  comme  tu  voudras.  Je 
suis  content.  —  Pardonnez-moi,  monseigneur,  car  quoicpie  morte,  je  la 
porterais  avec  les  dents  plutôt  que  de  vous  la  laisser.  »  L'ayant  donc 
emportée  chez  lui,  elle  mourut  dix-huit  jours  après. 

Le  malheureux  Robert  pei'dit  ainsi  ses  trois  filles  :  la  plus  jeune,  âgée 
de  trois  ans,  que  les  cavaliers  de  la  maréchaussée  avaient  enlevée  eu 
premier  lieu,  et  qui  mourut  évidemment  des  suites  des  violences  dont 
elle  fut  l'objet;  les  deux  aînées  qui  demeurèrent  la  proie  de  l'évèque. 

Le  pasteur  Élionne  DeffciTc,  natif  de  Grand-Gallai-gucs  eu 
Languedoc,  qui  nous  a  laissé  ces  touchants  détails,  les  avait 
peut-être  recueillis  de  la  bouche  des  malheureux  parents, 
dans  le  voyage  qu'il  lit  en  Piovence  en  174i,  trois  on  quatix^ 


394  LES  ÉGLISES   DU  DÉSERT   EN  PROVENCE. 

jours  après  le  départ  du  faux  prédicant  dont  on  a  parlé. 
Il  reçut  des  protestants  de  la  province  un  accueil  enthou- 
siaste. «  J'ai  été  visiter,  dit-il,  ces  pauvres  fidèles  affamés 
et  altérés  de  la  parole  de  Dieu,  qui  demandent  du  pain, 
et  personne  ne  leur  en  donne.  Avec  ces  dispositions,  j'ai 
été  reçu  non  pas  comme  un  homme,  mais  comme  un 
ange  de  Dieu.  A  voir  l'empressement  et  l'ardeur  avec  la- 
quelle ces  enfants  d'Israël  venaient  des  villages  et  des  ha- 
meaux pour  me  voir  et  pour  m'entendre,  on  aurait  dit  que 
le  Messie  était  arrivé  dans  leur  contrée.  Tous  voulaient  m'cm- 
brasscr,  tous  voulaient  m'avoir  chez  eux;  c'était  à  qui  mieux 
mieux.  Ils  me  témoignaient  beaucoup  d'affection  et  de  ten- 
dresse... Autant  quej'enpuisjugeretque  j'en  ai  pu  connaître, 
ces  descendants  des  Vaudois  qui  ont  enduré  tant  de  massacres 
et  de  persécutions  pour  la  profession  de  la  vérité,  n'ont  pas 
entièrement  dégénéré  du  courage  et  de  la  fermeté  de  leurs 
ancêtres.  Il  s'en  ferait  de  très  bons  soldats  de  Jésus-Christ.  » 

La  correspondance  de  Paul  Rabaut  nous  montre  les  protes- 
tants provençaux  passant  en  foule  le  Rhône  pour  faire  bénir 
leurs  mariages  au  Désert.  «  Hier  au  soir  je  bénis  vingt-six  ma- 
riages tous  à  la  fois.  C'était  tout  de  Provençaux.  Demain  j'en 
bénirai  un  nombre  aussi  considérable,  s'il  faut  s'en  rapporter 
à  ce  qu'on  m'a  dit.  Comme  j'auray  une  nombreuse  assemblée 
et  une  quantité  extraordinaire  de  communiants,  j'ay  prié  notre 
cher  frère,  M.  Roger,  qui  vouloit  partir  aujourd'huy,  de  rester 
demain  pour  m'aider  à  administrer  la  Sainte-Cène  '.  » 

La  Provence  offrait  moins  de  facilités  que  le  Languedoc 
pour  l'exercice  du  ministère.  Defterre  présida  à  Mérindol  une 
assemblée  de  quatre  cents  personnes  «  secrètement  et  avec 
toute  la  prudence  possible  »,  et  s'étant  transporté  à  Lour- 
marin,  il  s'ap])rêtait  à  en  présider  une  seconde,  quand  il  apprit 
(jiie  cinquante  soldats  marchaient  sur  Mérindol,  cent  sur 
Lourmarin  et  cinquante  surCabrières.  Les  assemblées  du  faux 

1.  Lettre  (lu  5  septemliro  17-44,  dans  le  précieux  recueil  des  Lettres  de  Paul 
Uahaul  à  Antoine  Court  que  nous  devrons  à  M.  le  pasteur  Dardicr  (t.  I,  p.  174). 


LES  ÉGLISES   DU   DÉSERT  EN   PROVENCE.  395 

prédicant  avaient  fait  du  bruit  et  le  commandant  militaire  de 
laProvence  envoyait  des  soldats  pour  les  faire  cesser.  Defferre 
crut  qu'il  était  sage  de  se  retirer  sur-le-champ  pour  laisser 
passer  l'orage  «  Lorsque  ces  chers  fidèles,  raconte-t-il,  ap- 
prirent que  je  voulais  m'en  aller,  qu'il  n'était  pas  prudent  que 
je  restasse  plus  longtemps  dans  leurs  cantons,  ils  se  mirent  à 
pleurer  et  à  s'attrister  profondément  :  Au  nom  de  Dieu,  me 
disaient-ils,  notre  cher  pasteur,  ne  nous  abandonnez  pas;  au 
nom  de  Dieu  souvenez-vous  de  nous  ;  souvenez-vous  que  nous 
sommes  de  pauvres  brebis  abandonnées;  venez  au  moins  nous 
visiter  quelquefois.  »  Après  quoi  je  me  séparai  d'eux  les  larmes 
aux  yeux  en  leur  promettant  que  je  viendrais  les  voir,  ce  que 
j'effectuerai,  moyennant  le  secours  de  Dieu,  lorsque  les  troupes 
se  seront  retirées.  En  chemin  faisant,  je  bénis  un  mariage  à 
Lacoste  et,  sans  l'arrivée  des  troupes,  j'en  aurais  béni  plus  de 
quarante,  car  il  y  en  a  plusieurs  qui  se  sont  mis  ensemble 
sans  être  épousés;  les  prêtres  ne  voulant  point  leur  accorder 
la  bénédiction  nuptiale,  sans  qu'au  préalable  ils  ne  se  con- 
fessent et  ne  communient,  ce  qu'ils  ne  veulent  point  faire.  » 
Ce  zèle  touchant  des  protestants  de  Provence,  constaté  par 
d'autres  pièces  de  l'époque,  décida  le  quatrième  synode  natio- 
nal réuni  au  Désert,  cette  même  année  1744,  à  leur  accorder 
un  pasteur  qui  leur  serait  alternativement  prêté  par  les  pro- 
vinces du  Bas-Languedoc  et  du  Dauphiné,  à  commencer  par 
la  première,  et  qui  desservirait  en  même  temps  l'Église  d'O- 
range. Nous  ne  savons  si  cette  décision  fut  exécutée  à  cette 
époque,  mais  elle  le  fut  certainement  plus  tard,  alors  môme 
que  la  Provence  possédait  un  et  même  plusieurs  pasteurs  en 
propre. 

EuG.  Arnaud,  pasteur. 


DOCUMENTS 


LETTRES  DE  DIVERS  A  DU  PLESSIS-MORNAY 

IGl  0-16-23. 

C'est  aux  archives  si  malheureusement  dispersées  de  La-Forêt-sura 
Sèvre,  que  sont  empruntées  les  lettres  qu'on  va  lire,  transcrites  avec 
la  plus  minutieuse  exactitude  par  notre  ami  M.  Paul  3Iarchegay  cur  les 
originaux  disparus.  Rien  de  plus  varié  que  leur  objet.  Elles  concernent 
les  Églises  de  Gaen,  Blois,  Bordeaux,  Orthez,  Alençon,  Nîmes,  Châtel- 
lerault,  et  intéressent  le  protestantisme  tout  entier,  dans  cette  période 
troublée  qui  suivit  la  mort  de  Henri  IV  et  oîi  les  événements  décernè- 
rent à  Du  Plessis-Mornay  une  sorte  d'épicospat  justifié  par  sa  rare  sa- 
gesse. Les  collections  épistolaires  récemment  acquises  par  notre  Société 
nous  ramèneront  plus  d'une  fois  à  cette  grande  figure  de  patriote  et  de 
croyant  (jui  n'a  pas  encore  trouvé  son  historien. 


I 

A  monsieur  du  Plessis  à  Saumur. 

De  Cacn,  ce  3  août  ItllO. 

Monsieur,  comme  tous  les  gens  de  bien  se  tienent  pieça  extrê- 
mement voz  obligez  de  l'affection  qu'avez  tousjours  portée  au 
bien  gênerai  de  toutes  noz  églises,  nous  en  avons  un  subjcct  parti- 
culier en  cette  province,  et  spécialement  en  celte  église,  pour  le 
soin  qu'entre  voz  grandes  et  assiduelles  occupations  il  vous  plaist 
prendre  de  personnes  si  esloignées  et  (jui  ne  vous  sont  cogneues 
qu'en  tant  que  le  zèle  de  Dieu  vous  porte  a  avoir  en  singulière  con- 
sidération tous  ceulx  qui  reclament  sou  nom  et  font  profession  de  la 
pureté  de  son  service.  La  saison  en  laquelle  nous  sommes  nous  Aiit 
d'aullanl  plus  estimer  et  cliéi'ir  cette  faveur  que  le  branle  incertain 


LETTRES    DE  DIVERS   A   DU    PLESSIS-MORNAY.  397 

des  affaires  de  ce  royaume  et  le  besoin  que  nous  avons  plus  que 
jamais  de  nous  tenir  sur  nos  gardes  nous  la  rendent  nécessaire. 
C'est  pourquoy,  Monsieur,  ayantz  receu  advertissement,  et  par  lettres 
par  monsieur  des  Oteulx  et  du  depuis  de  bouche  par  monsieur  de 
Fontenay,  passant  par  ici  pour  s'en  aller  en  court,  de  quelques  advis 
que  desirez  nous  faire  l'honneur  de  nous  communiquer  par  personne 
de  créance,  nous  avons,  sans  user  de  delay,  député  monsieur  de 
Licques,  l'un  de  nos  pasteurs,  vers  vous  pour  vous  informer  de  tout 
nostre  estât  et  recepvoir  les  bons  conseilz  dont  il  vous  plaira  nous 
faire  part,  pour  nous  en  servir  es  occurences  qui  se  pourront  pré- 
senter. 

Nousvous  supplions  donc,  Monsieur,  très  humblement,  de  prendre 
la  peine  de  l'ouir  en  ce  qu'il  vous  proposera  de  nostre  part  et  de 
nous  advertir  par  luy  de  tout  ce  que  vous  jugerez  importer  la  con- 
servation et  le  repos  d'un  assez  bon  nombre  de  pauvres  églises  que. 
la  prudence  humaine  nous  fait  preveoir,  si  Dieu  n'y  pourveoit,  devoir 
en  cas  de  changement,  estre  exposées  a  un  monde  de  périlz  et  d'in- 
commodités. 

Nous  ne  parlons  point  ici  de  nous  revancher  d'une  telle  obligation  : 
Il  n'y  a  point  de  service  qui  la  puisse  cgaller  en  attendant  toutefois 
qu'il  plaise  a  Dieu  nous  faire  naistre  l'occasion  de  vous  tesmoigner 
par  effet  le  désir  que  nous  avons  a  tout  le  moins  de  la  recognoistre, 
nous  le  prierons,  Monsieur,  qu'il  vous  conserve  a  sa  gloire  et  vous 
donne,  pour  le  bien  de  son  église  où  brillent  tous  voz  desseings,  en 
santé  longue  et  heureuse  vie.  C'est  le  vœu  de  voz  très  humbles  et 
très  obéissants  serviteurs  a  jamais  les  pasteurs  et  anciens  de  l'église 
de  Caen,  et  au  nom  de  tous 

Ilbonnieres,  Lefedvre,  Symon,  Georget. 

II 

Au  même 

De  Bloys,  le  dernier  jour  do  iiovcmljrc  1010. 

Monsieur,  partant  de  ceste  ville  pour  aller  en  noslre  Colloque,  je 
laissai  des  lettres  pour  vous  faire  tenir  (jiii  m'avoicnt  esté  commises 
par  monsieur  de  Couvrelles,  lesquelles  j'ay  esté  fort  marri  de  re- 


39fi-  LETTRES   DE    UIVEUS   A    DU    PLESSlS-MOKxNAY, 

trouver  ici,  a  mon  retour,  pour  ne  s'estre  présentée  commodité  cer- 
taine et  asseurée  pour  les  envoyer,  (jui  me  fait  vous  supplier  ne 
m'imputer  a  faute  ce  retardement  advenu  contre  mon  désir. 

J'estime  que  comme  on  vous  a  importuné  par  lettres  sur  le  subject 
du  trouble  de  l'église  d'Orléans,  qu'aussi  aurez  vous  a  plaisir  d'en- 
tendre que  Dieu  a  tellement  béni  nostre  assemblée,  convoquée  a 
Jargeau,  qu'il  nous  a  fait  la  grâce  de  mettre  fin  a  ces  divisions  et 
reconcilier  toutes  les  parties. 

Nous  avons  aussi  là  pris  advis  de  convoquer  nostre  assemblée  pro- 
vinciale dedans  la  fin  de  mars  ou  au  commencement  d'apvril  pour 
la  députation  en  l'assemblée  générale,  selon  le  Brevet  qui  nous  a  esté 
envoyé  du  roy.  Quant  au  conseil  de  la  province,  constitué  de  six  per- 
sonnes choisies  des  trois  colloques,  nous  ne  l'avons  point  encor  mis 
en  pratique  et  ne  le  ferons  pas  avant  ladicte  assemblée  si  nous  n'avons 
advis  de  quelque  urgent  et  important  affaire  qui  survint. 

Je  croy  qu'aurez  sceu  le  bruit  qui  est  arrivé  a  Paris  a  cause  du 
livre  deBellarmin  :  De  temporali  potestate  papœ  contre  Barcleyus  ; 
in  quo  j)otestatem  excommunicandi  principes,  solvendi  subditos 
a  juramento  et  obedientia,  privandi  etiam  dominiis  et  iniperiis 
nedum  ob  culpam  sed  et  quamcumque  ob  caiisam  visam  Papae, 
tanquam  fidei  articulvs  cssent,  docetque  Papam  non  modo  de  re- 
gnis  et  dominiis  sed  de  rébus  quibuscumque  christianorum  om- 
nium ita  disponere  posse  ut  e  bono  ecclesiœ  fore  censucrit.  Sur 
lequel  on  a  sonné  le  tocsin  par  un  livre  qui  court;  mais  je  croi 
que  l'apologie  pour  Mariana  contre  le  Père  Cotton,  ou  la  suite  de 
l'Anti-Colton,  que  nous  aurons  bientost,  le  relèvera  bien  d'autre 
sortes 

Le  Fra  Fulgentio,  capucin,  qui  s'estoit  retiré  de  Venise  a  Bome, 
y  a  esté  bruslé,  nonobstant  l'ample  sauf  conduit  qu'il  avoit  eu  du 
Pape  et  les  belles  promesses  «jui  lui  avoient  esté  faictes^.  Les  chefs 
de  ses  accusations  esloient  ces  trois  cy  : 

Qu'il  avoit  des  livres  défendus; 

1.  Oii  ne  peut  (luc  rappeler  ici  les  vives  controverses  provoquées  par  l'assassi- 
nat do  Henri  IV,  et  dont  la  doctrine  du  régicide,  faiblement  répudiée  ]uir  les 
jésuites,  était  le  fond.  Sur  le  rôle  du  Père  Cotton  voir  l'article  de  l'Encijclopédie 
des  sciences  religieuses,  t.  III,  p.  486. 

2.  Sur  les  rapports  de  Fra  Fulgentio  et  de  Paolo  Sarpi  avec  Jean  Diodati,  le 
traducteur  de  la  Bible  en  italien,  voir  le  Bulletin,  t.  XV,  p.  4-1:2. 


LETTRES  DE    DIVEUS   A    DU    PLESSIS-MORNAY.  399 

Qu'il  avoit  communication  par  lettres  avec  plusieurs  hérétiques 
d'Allemagne,  d'Angleterre  et  d'ailleurs; 

Qu'on  avoit  trouvé  entre  ses  papiers,  et  escrits  de  sa  main,  ces 
articles  soustenues  par  lui,  a  savoir  :  que  Jesus-Christ  n'avoit  point 
constitué  sainct  Pierre  par  dessus  les  autres  apostres;  —  que  le 
Pape  n'est  point  le  chef  de  l'Eglise;  —  que  le  concile  de  Trente 
n'est  ni  légitime  ni  universel  — =-  et  que  l'Eglise  Romaine  est  pleine 
d'erreurs  et  d'heresies. 

Sur  les  quelles  il  usa  de  quelques  tergiversations  (comme  on 
escrit)  mais  qui  ne  l'ont  peu  exempter  du  feu. 

Or  craignant  de  vous  ennuyer  par  choses  cognues,  je  fmiray  par 
mes  vœux  au  Seigneur  a  ce  qu'il  luy  plaise,  Monsieur,  vous  condjler 
de  plus  en  plus  de  toutes  ses  faveurs  et  bénédictions, 

Vostre  plus  humble  et  plus  obéissant  serviteur, 

ViGNIER*. 

III 

Au  même  ^ 

De  Bourdeaulx,  le  12  de  janvier  1641. 

Monsieur,  suivant  celle  qui  vous  a  pieu  m'escrire,  je  ay  travaillé 
envers  nostre  consistoire  et  ai  tant  fait  que  le  prest  de  monsieur 
Cappel  vous  a  esté  confirmé.  Vostre  prière,  monsieur,  y  a  eu  beau- 
de  poids,  car  vostre  nom  est  parmi  nous  en  grande  révérence  et  bé- 
nédiction et  n'y  arien  qu'aucun  de  nous  vous  voulust  refuser  de  ce 
qui  est  en  nostre  puissance;  mais  estans  responsables  a  toute  l'Eglise 
de  nos  deportemenset  sachant  que  monsieur  Cappel  est  en  fort  bonne 
odeur  en  icelle,  nous  avons  craint  d'encourir  le  blasme  de  tous,  si 
nous  vous  quittions  absoluement  et  simplement  le  droit  que  nous 

1.  Le  ministre  Nicolas  Vignier.  Voir  ce  nom  :  France  protestante. 

2.  L'Église  de  Bordeaux  dont  Primerose  était  pasteur,  venait  de  prêter  à  celle 
de  Saumur  Louis  Cappel,  qui  occupa  plus  tard  avec  tant  d'éclat  la  chaire 
d'hébreu  dans  l'académie  fondée  par  Du  IMcssis-Mornay.  Mais  les  deux,  lettres 
de  Primerose  ont  un  intérêt  plus  général  qui  s'explique  par  le  voisinage 
du  duc  de  Bouillon  et  l'influence  de  sa  pieuse  compagne,  Elisabeth  de  Nassaut. 
Voir  sa  correspondance  avec  sa  sœur,  Charlottc-Brabauteinc,  la  future  duchesse 
de  la  Trémouillc  (Bull.  t.  XV,  p.  36,  78). 


'lOO  LETTRES   DE   DIVERS    A   DU   PLESSIS-MORNAY. 

avons  sur  lui.  Cela  mesmesne  lui  eutpointesté  honorable.  Mais  vous 
estant  donné  jusques  a  ce  que  ceste  Eglise  en  aye  besoin,  et  sa  voix 
a  mon  advis  estant  trop  basse  pour  nostre  temple,  il  y  a  apparence 
qu'il  vous  pourra  demeurer  ou  pour  un  longtemps  ou  pour  tousjours. 

Nous  sommes  ici  en  grande  tranquillité.  Il  ne  se  fait  plus  d'as- 
semblée, et  nos  gens  se  lassent  de  se  rendre  odieux.  Monsieur  de 
Roquelaure  est  marescbal  de  France.  Il  y  a  un  gentilhomme  en  ceste 
église,  nomme  monsieur  de  Malleret,  vaillant,  éloquent  et  doué  de 
plusieurs  beaux  et  rares  dons,  outre  qu'il  a  six  mille  livres  de  revenu. 
Jlonsieur  de  la  Burte  et  moy,  admirans  les  grâces  de  Dieu  en  luy, 
avons  jugé  qu'il  seroit  un  instrument  Ibrt  propre  et  nécessaire 
auprès  de  quelcun  de  nos  grands,  et  mesmement  près  de  monsieur 
le  duc  de  la  Trémouille,  lequel  estant  jeune  en  pourroit  tirer  des 
services  fort  grands  et  utiles,  car  il  n'y  a  rien  de  quoi  ce  gentilhomme 
ne  soit  capable,  et  vit  en  fort  bonne  réputation,  tant  en  l'Eglise  en 
laquelle  il  est  ancien  pour  la  troisiesme  fois,  n'estant  encor  âgé 
de  plus  de  trente  ans,  qu'en  toute  ceste  province  et  parmi  ceux  qui 
le  cognoissent.  Je  vous  en  escri,  monsieur,  par  l'advis  de  mondit  sieur 
de  la  Burte,  sans  que  ledit  sieur  de  Malleret  en  sache  rien,  afin  que 
vous  jugiez,  monsieur,  si  ce  jeune  seigneur  en  pourroit  avoir  besoin, 
estant  certain  que  telles  personnes  sont  fort  rares  et  qu'a  grand'peyne 
en  trouve-t-on  entre  mille.  Selon  que  vous  m'en  escrirez  nous  lui 
en  parlerons  et  lui  persuaderons  de  préférer  le  bien  public  au  sien 
particulier,  et  de  quitter  sa  femme  et  ses  enfans  pour  un  temps,  pour 
en  faisant  service  a  un  tel  seigneur  servir  a  toutes  nos  églises. 

En  cest  endroit  je  prierai  le  Seigneur  pour  la  multiplication  de 
toutes  ses  grâces  sur  vous,  demeurant  a  jamais,  Monsieur,  vostre 
très  humble  et  très  obéissant  serviteur, 

G.  Primrose. 

IV 

Du  même  au  même 

De  Bdiirdeaux,  le  15  février  1615. 

Monsieur,  la  voslrc  du  24  de  janvier  ne  me  fut  rendue  qu'hier 
18  du  courant.  Vous  me  parlez  en  icelle  de  nostre  assemblée,  la 


LETTRES    DE   DIVERS    A    DU    PLESSIS-MORNAY.  -iOl 

la  convocation  de  laquelle  est  si  nécessaire  qu'il  est  a  craindre  que 
si  le  Roi  ne  la  permet,  le  Haut-Languedoc  ne  convoque  le  cercle,  a 
cause  du  désordre  survenu  a  Belesta  où  le  Seigneur  de  Sainte  Foy, 
poussé  par  madame  d'Audon  sa  tante,  et  vefve  du  feu  seneschal  et 
gouverneur  de  ce  païs,  a  empesché  qu'un  proposant  ne  receut  là 
l'imposition  des  mains,  a  fait  aguetter  les  pasteurs  qui  alloient  là 
pour  cest  effet;  et  Dieu  les  ayant  délivrés  de  sa  main,  a  deschargé 
sa  fureur  sur  le  temple  nouvellement  basty,  lequel  il  a  razé  de  fonds 
en  comble  sur  la  fin  de  décembre  dernier.  Sur  quoi  partage  estant 
survenu  a  Castres,  et  le  Roi  ayant  donné  commission  a  deux  con- 
seillers de  ladite  chambre  pour  le  restablissement  de  toutes  choses 
en  leur  premier  estât,  sur  le  point  de  l'exécution  environ  cent 
hommes  sortirent  du  chasteau  armés  de  bastons  a  feu,  l'un  desquels 
ayant  deslaché  un  coup  de  pistolet  contre  l'un  desdits  conseillers, 
le  pistolet  se  crevant  en  sa  main  et  la  lui  mutilant  lui  fit  porter  la 
peyne  de  sa  témérité,  a  cause  de  quoi  la  dite  province  est  tellement 
irritée  qu'il  y  a  de  la  peyne  a  la  retenir  qu'elle  ne  coure  sus  a  ces 
rebelles;  et  suis  adverti  qu'elle  convoquera  l'assemblée  sur  ce  sujet 
si  le  Roi  ne  nous  en  donne  le  brevet.  Vous  y  pouvez  beaucoup, 
monsieur,  selon  votre  prudence  et  le  soin  que  vous  avez  de  toutes  les 
Eglises. 

Je  mesnagerai  l'affaire  touchant  monsieur  Malleret  avec  silence. 
C'est  un  gentilhomme  aisé,  jeune,  pie,  vaillant  et  fort  éloquent,  qui 
pourroit  estre  grandement  utile  auprès  d'un  tel  Seigneur. 

Noslre  province  ne  dit  plus  mot  mais  vit  en  une  profonde  paix. 
Nos  conseils  ne  se  convoquent  plus,  chacun  se  contenant  en  sa  vo- 
cation, dont  nous  avons  sujet  de  louer  Dieu  qui  nous  empesché  de 
mal  faire.  L'acquisition  que  Monseigneur  le  duc  de  Bouillon  a  faite 
de  Castillan,  en  ce  païs,  lui  augmente  sa  créance  parmi  nous  et 
donne  de  la  frayeur  aux  voisins  papistes. 

Madame  sa  femme  est  fort  visitée  par  les  dépulations  des  Eglises 
et  communautés  vers  elle,  et  elle  se  fait  fort  estimer  [)our  sa  piété. 
Si  mondit  Seigneur  venoit  en  ce  païs,  tout  le  monde  courroit  après 
lui,  et  les  communautés  et  la  plupart  do  la  noblesse  n'en  font  point 
la  petite  bouche,  disaiis  (ju'aiires  Dieu  elles  tienent  de  lui  leur  con- 
servation. Par  ou  je  voi  <|ne  d'autres  n'y  ont  pas  ac(|iiis  la  créance 
qu'ils  pensoyent.  Dieu  lour  doint  à  tous  de  bien  iaire  et  de  prendre 
exemple  a  vous, Monsieur, de  piocurer  la  paix  el  |)rosperilé  de  Sion, 

XXXIII.  —  25 


402  LETTRES   DE    DIVERS  A    DU    PLESSIS-MORNAY. 

et  de  chercher  avant  toutes  choses  le  règne  de  Dieu  et  sa  justice. 
Aussi  voslre  loyer  est  par  devers  lui  qui  en  sa  bienheureuse  journée 
vous  rendra  la  couronne  de  justice  qu'il  vous  reserve  au  ciel. 

Je  l'en  prie  de  tout  mon  cœur  et  suis,  monsieur,  vostre  très 
humble  et  très  obéissant  serviteur, 

G.  Primrose. 


V 

Au  même^ 

Au  dos  :  receu  le  5  mars  1615. 

Monsieur,  estant  requis  du  Roy  de  la  Grande  Bretagne  de  faire  un 
tour  en  Angleterre,  je  t'ay  estât,  moyennant  l'aide  de  Dieu  et  le  con- 
sentement de  mon  Eglise,  de  partir  dans  quinze  ou  seize  jours. 

Je  penserois  avoir  manqué  a  mon  devoir  si  je  ne  vous  en  eusse 
adverti,  afin  de  recevoir  vos  sages  conseils  en  ceste  affaire  et  estre 
aidé  par  vostre  prudence,  car  je  désire  surtout  que  mon  voyage  ne 
soit  point  inutile  pour  le  bien  de  l'église,  et  scay  que  ce  bon  Roy  s'en- 
querra  de  moy  de  plusieurs  choses,  notamment  des  maladies  de  nos 
Eglises,  et  des  intentions  des  principaux  des  nostres,  et  notamment 
des  vostres,  et  de  nos  craintes,  et  de  la  paix  que  nous  pouvons 
espérer  en  ce  royaume,  et  des  remèdes  aux  maux  qui  nous  mena- 
cent. 

Je  pourray  aussi  luy  parler  de  l'Union  en  la  Religion  dont  je  vous 
ay  fait  voir  le  projet,  et  l'exhorter  a  s'y  employer.  Sur  lesquelles 
choses  je  vous  supplie  m'escrire  confidemment,  ou  bien  instruire 
M.  de  Rouvray  de  vos  intentions,  lequel  me  fera  l'honneur  de  me 
les  communiquer. 

J'ay  aussi  a  vous  supplier  de  deux  choses.  L'une  est  que  puisque 
vous  avez  jugé  que  les  thèses  injurieuses  du  s'"  Tilenus  me  dévoient 
estre  celées  alin  cjue  cela  ne  troublast  Taccord,  qu'au  moins  il  vous 
plaise  tenir  la  main  a  l'exécution  de  ce  qui  a  esté  juré  et  convenu, 

1.  Le  célèbre  pasteur  de  ChareiUon,  Pierre  Du  Moulin,  signataire  de  cette 
lettre,  était  sur  le  point  d'entreprendre  le  voyage  en  Angleterre  dont  il  est  fait 
mention  dans  son  autoljiographie  (Bull.  t.  VII,  p.  342,  343)  et  qui  avait  pour 
Ijut  l'union  géncrulc  des  Eglises  réformées. 


LETTRES    DE    DIVERS  A    DU    PLESSIS-MORNAY.  403 

car  j'apprends  que  les  provinces  et  les  Colloques  et  les  particuliers 
qui  ont  receu  le  livre  du  s''  Tilenus  ne  vous  le  renvoyent  point  et 
que  de  ce  costé  là  ne  s'est  fait  aucun  devoir  *. 

L'autre  est  que,  puisque  au  synode  de  Touneins  les  provinces  sont 
chargéee  de  se  préparer  sur  le  projet  de  l'Union  qui  a  esté  envoyé 
audit  Synode  par  le  roy  de  la  Grande  Bretagne  avec  exhortation  d'y 
penser  et  de  s'y  disposer,  qu'il  vous  plaise  les  y  exhorter  a  ce  qu'aux 
synodes  provinciaux  qui  se  tiendront  a  ce  renouveau  l'affaire  soit 
mise  sur  le  tapis,  car  j'apprens  que  les  estats  du  Pays-Bas  et  les 
princes  d'Allemagne  y  sont  disposés.  Que  s'il  y  a  quelque  empes- 
chement  du  costé  de  l'Angleterre,  je  tascheray  de  l'oster  quand  je 
seray  la;  et  ce  seroit  une  honte  si,  toutes  les  églises  étrangères  ten- 
dantes a  cet  accord,  nous  seuls  demeurions  en  arrière.  Vous  estes 
celuy  qui  pouvés  y  apporter  le  plus  et  que  nos  églises,  avec  juste 
sujet,  regardent  plus  que  nul  autre,  ce  qui  nous  oblige  a  prier  Dieu 
pour  vostre  prospérité  et  conservation  et  a  demeurer,  monsieur, 
vostre  très  humble  et  très  affectionné  serviteur. 

Du  Moulin. 


VI 

Au  même"- 

A  Ortliez,  le  30  de  juillet  1616. 

Monsieur,  nous  avons  entendu  par  les  lettres  de  monsieur  de  Les- 
cun,  nostre  député  en  cour,  que  vous  luy  avez  fait  de  nouvelles 
protestations  de  vostre  affection  au  bien  de  nos  Eglises,  et  mesmes 
luy  en  avez  donné  des  tesmoignages  fort  exprès  au  soin  qu'il  vous  a 
pieu  avoir  de  luy  fournir  des  expedians  en  la  poursuite  de  nos 
affaires.  De  quoy  nous  vous  mercions  très  humblement  et  vous 
prions  de  croire  que  nous  ne  mettrons  jamais  en  oubly  les  biens  que 

1.  Daniel  Tilenus,  ministre  et  professeur  ù  Sedan,  avait  eu  sur  une  question 
fort  obscure  de  tiiéologie,  l'union  hypostatiquc,  une  dispute  assez  vivo  avec  Du 
Moulin.  Le  synode  de  Touneins  réussit  ù  rétablir  la  paix. 

2.  Le  nom  du  signataire  du  cette  lettre  manque  à  la  France-  Protesianlc.  On 
pouvait  déjà  prévoir  les  douloureux  évcnemcnls  dont  le  Béurn  lut  le  théâtre 
quatre  ans  plus  tard. 


404  LETTRES    DE    DIVERS   A   DU    l'LESSlS-MORNAY. 

nous  avons  receu  de  vous,  ains  tacherons  de  le  recognoistre  a  toutes 
occasions. 

Cependant,  Monsieur,  si  nostre  pouvoir  n'esgale  point  nostre  vou- 
loir, en  cest  endroict,  ne  vous  lassez  pas  pourtant  de  nous  aymer, 
mais  continuez  a  nous  faire  du  bien  en  ce  temps  auquel  nous  en 
avons  plus  besoin  que  jamais,  pour  les  opiniastres  sollicitations  de 
nos  adversaires,  qui  ne  loissent  rien  en  arrière  de  ce  qu'ils  pensent 
pouvoir  servir  un  renversement  total  de  nostre  estât,  et  asseurez 
vous  que  comme  ainsy  soit  que  la  principale  recompence  que  vous 
attendez  de  recevoir  de  tant  de  travaux  que  vous  avez  endurez  pour 
Tadvencement  de  la  gloire  de  Dieu,  est  la  rémunération  et  la  cou- 
ronne de  justice,  laquelle  l'Eternel,  juste  juge,  vous  réserve  pour 
cette  journée  là,  quoy  que  tous  autres  moyens  nous  manquent  de 
recognoistre  les  obligations  que  nous  vous  avons,  à  tout  le  moins 
cesluy  cy  ne  nous  defaudra  point.  C'est,  monsieur,  que  nous  conti- 
nuerons de  prier  ardamment  le  Seigneur  que  vous  conservant  lon- 
guement à  son  Eglise  et  vous  comblant  de  ses  bénédictions  en  ceste 
vie,  il  vous  rende,  au  sortir  d'icelle,  ce  qu'il  vous  doibt  selon  ses 
gratuites  promesses  en  J.  C. 

C'est  la  prière  que  font  a  Dieu  monsieur,  vos  bien  humbles  et  plus 
affectionnez  serviteurs  les  ministres  et  anciens  des  Eglises  deBéarn 
et  au  nom  d'iceux, 

DiSEROTE,  conduisant  l'action. 

Vil 

Au  même  * 

D'Alençon,  ce  25=  avril  1610. 

Monsieur,  cete  province  aiant  a  s'assembler  en  ce  lieu  au  premier 
de  may  prochain,  pour  le  synode,  et  ceux  qui  ont  l'œil  aux  alTaires 
des  Eglises  aiant  de  coustume  de  conférer  autant  qu'ils  se  trouvent 

1.  Cette  lettre  écrite  au  moment  où  rassemblée  de  la  Kochclle  venait  de  se 
séparer,  laissant  l'affaire  du  Béarn  en  suspens,  trouve  son  complément  dans 
celle  qui  suit  et  qui  se  rapporte  à  rassemblée  de  Loudiui  a))j)cléo  à  délibérer 
sur  la  même  question.  Voir  sur  ce  sujet  le  savant  ouvrage  de  M.  Aiiquez,  His- 
toire des  assemblées  politiques  des  réformés,  p.  314,  317. 


LETTRES    DE    DIVERS   A   DU    PLESSIS-MORNAY.  405 

et  qu'il  est  expédient,  nous  de  deçà  avons  avisé  de  vous  supplier, 
comme  nous  faisons  parla  présente,  de  nous  faire  l'honneur  de  nous 
donner  avis  au  certain  de  ce  qui  se  passe,  et  ensemble  nous  donner 
vostre  bon,  grave  et  sainct  conseil  de  ce  que  nous  avons  a  faire  en  ce 
temps  si  douteux.  Nous  avons  escarté  beaucoup  de  soupçons  et  réservé 
en  nous  mesmes  les  choses  cogneues.Toutesfois  il  sera  bon  de  nous 
conserver,  comme  nous  faisons  tous,  sous  l'authorité  du  Roy,  avec 
prudence  et  en  toute  l'obéissance  que  nous  devons  a  Sa  Majesté 
terrienne  après  la  divine;  la  quelle  nous  supplions  vous  conserver 
en  longueur  de  jours,  avec  tous  les  vostres,  pour  le  bien  de  son 
Eglise. 

Ce  sont.  Monsieur,  vos  plus  humbles  et  plus  dédiés  serviteurs  ceux 
qui  ont  charge  des  affaires  en  ce  colloque;  —  et  au  nom  de  tous, 
R.  Boudier;  de  la  Buissonnière  ;  la  Pallière. 

Aucuns  parlent  du  départ  de  l'Assemblée  de  la  Rochelle;  mais 
ne  sçavons  encor  rien  de  cela  depuis  les  dernières  lettres  de  nos 
députez. 

VIII 

Au  même* 

Au  dos  :  reccuc  le  28  novembre  1019. 

Monsieur,  nous  vous  envolons  une  lettre  que  l'Assemblée  vous 
escrit,  aiant  trouvé  bon  de  tenir  tous  nos  grands  advertis  non  seule- 
ment de  Testât  auquel  sont  les  affaires  de  nos  Eglises,  mais  aussi  de  la 
procédure  qu'on  tient  au  Conseil,  tant  par  nous  refuser  de  recevoir 
nos  deux  premiers  cahiers,  qui  contiennent  les  demandes  les  plus 
essentielles,  que  nous  avons  charge  de  nos  provinces  de  faire,  que 
par  des  remises  et  des  longueurs  inaccoustumées  dans  le  loisir  des- 

1.  Le  rôle  de  du  Plessis-Mornay,  dans  les  graves  conjonctures  au  milieu  des 
quelles  s'ouvrit  l'assemblée  de  Loudun,  est  tout  à  son  honneur.  11  conseille  la  pa- 
tience aux  Eglises,  des  concessions  au  roi.  Les  députes  renouvellent  leurs  ser- 
ments ordinaires  de  fidélité;  ceux  du  Béarn,  sous  cette  uni(|ue  réserve  :  «  Sans 
préjudice  des  lois,  règlements,  coutumes  et  libertés  de  la  souveraineté  iln 
Béarn.  »  La  guerre  civile  est  procliaine.  Voir  Anqiiez,  p.  320,  cl  suivantes. 


406  LETTRES  DE  DIVERS  A    DU  PLESSIS-MORNAY. 

quelles  nous  ne  découvrons  que  mauvaise  volonté,  soit  a  tenter  ici 
par  corruption,  soit  a  desunir  et  diviser  dans  les  conseils  et  les  pro- 
vinces, afin  que  par  nos  divers  sentimens  ils  advancent  par  nous 
mesme,  comme  ci-devant,  nostre  ruine.  Il  n'y  apparoist  nulle  incli- 
nation a  nous  rendre  justice  aux  infractions  les  plus  grandes  et  les 
plus  violentes  des  Edits.  Nous  demandons  ace  coup  non  des  paroles 
mais  des  véritables  effets;  et  nous  en  sommes  si  loin  qu'a  peine 
seulement  nos  députés  ont  des  paroles.  Ce  que  nous  vous  disons 
plus  tost  pour  nous  plaindre  vers  vous  que  pour  vous  instruire  de 
nos  maux. 

Vous  les  savez  mieux  que  tous  et  nul  ne  s'y  peut  rendre  plus  sen- 
sible que  vous;  mais  la  haine,  mère  des  injustices,  s'augmente  tous 
les  jours  contre  les  loix  et  les  edits  les  plus  sacrés  pour  l'amour  de 
nous.  Un  seul  remède  nous  est  enseigné  de  Dieu  contre  tant  de  maux  : 
l'union  et  la  concorde  a  ne  parler  qu'une  mesme  chose  nous  tous. 
Geste  Assemblée,  non  seulement  escritsur  ce  subjet  a  chacun  de  nos 
grands  mais  aussi  a  chaque  Eglise  par  toutes  les  provinces,  comme 
vous  le  pouvez  voir  par  la  coppie  que  nous  vous  envoions  de  la  lettre 
faite  pour  les  églises.  Ici  tout  va  bien,  grâces  a  Dieu, jusqu'ici.  Il  est 
a  désirer  que  l'intégrité  et  la  vertu  paroisse  jusques  dehors  es  pro- 
vinces les  plus  esloignées.  Nos  prières  et  nos  supplications  tant  en- 
vers Dieu  que  le  Roy  seront  bien  fortes  et  vaincront  sans  doute  si  tous 
nos  cœurs,  n'estant  qu'un  cœur,  les  font  avec  piété  et  justice.  Nostre 
province  de  la  quelle  vous  faites  seul  une  bonne  part,  a  cest  advan- 
tage  par  dessus  toutes,  qu'aiant  l'Assemblée  dedans  elle,  elle  lui  a 
rendu  les  premiers  sermons  de  la  concorde  qu'elle  requiert  de  tous, 
et  osons  bien  espérer  que,  si  on  entend  que  l'union  soit  es  autres,  on 
la  verra  clairement  parmi  nous.  Car  c'est  ici  le  temps,  et  non  nos 
premiers  jours  de  l'Assemblée,  auquel  il  faut  se  préparer  a  bien 
soustenir  l'effort  qu'on  a  accoustumé  de  faire  contre  nos  plaintes  et 
nos  supplications  pour  les  rendre  inutiles.  Pourtant  si  vous  n'avés 
receu  ci-devant  quelque  lettre  particulière  de  nous,  députés  de  ceste 
province,  c'est  que  tout  ce  qui  s'y  est  passé  jusqu'à  présent  n'ont 
esté  que  discours  et  promesses.  Nous  avons  attendu  les  jours  aux- 
quels on  doit  voir  qui  fera  le  mieux.  Cependant  vous  nous  obligeres 
grandement,  monsieur,  si  sur  les  choses  que  les  occurences  nous 
aj)porteront  pour,  sous  la  permission  de  l'assemblée,  vous  en  com- 
muniquer, vous  nous  faites  part  quelquefois  des  advis  de  vostre 


LETTRES  DE  DIVERS  A  DU   PLESSIS-MORNAY.  407 

expérience.  Nous  les  recevrons  comme  doivent,  Monsieur,  vos  très 
humbles  et  très  obeissans  serviteurs  les  députés  de  la  Province 
d'Anjou, 

De  la  Primaudaye,  Despinay,  Farcy. 

IX 

Au  même^ 

De  Nismes,  ce  dernier  septembre  1620. 

Monsieur,  peu  après  mon  arrivée  en  ceste  ville,  j'ay  receu  celles 
qu'il  vous  a  pieu  m'escrire  du  28"  aoust,  que  l'on  m'a  envoyées  de 
Genève  ;  et  suis  bien  esmerveillé  que  mes  lettres  qui  parloient  de  la 
réception  des  actes  de  la  Conférence  n'avoient  encor  esté  rendues. 
J'espère  que  tous  ceux  qui  les  verront  reconnoistront  avec  nous  que 
Dieu  s'est  servi  de  Mons""  Cameron  pour  descouvrir  en  son  antago- 
niste ce  que  nous  n'eussions  osé  croire  de  luy  ^  Je  croy  que  le  synode 
national  en  sera  pleinement  informé,  et  je  ne  manquerai  d'en  dire 
a  ceux  que  je  pourrai  voir  de  ces  messieurs  nostre  commun  senti- 
ment. Nous  avons  vu  ici  mons'  Vignier  et  attendons  mess"  du  Mou- 
lin et  Bouchereau,  sinon  que  de  Marseille  ils  prenent  autre  chemin. 
Cette  province  et  les  voisines  fourniront  assez  de  matière  au  synode, 
qui  de  toutes  parts  doit  estre  exhorté  et  accouragé  a  mettre  la  main 
aux  maladies  qui  porteront  la  ruine  totale  de  ces  Eglises,  si  Dieu 
n'y  pourvoit.  J'ay  trouvé  Testât  de  celle  ci  tranquille  et  sans  esclat, 
mais  non  sans  une  fièvre  estique  qui  mine  tout  le  corps.  Tous  se 
plaignent  des  pasteurs,  et  les  pasteurs  des  uns  des  autres.  Chascun 
a  quelque  raison  et  quelque  tort.  La  teste  me  tourne  parmi  ces  re- 
muemens,  et  cependant  je  nefay  que  venir  et  n'en  voy  que  bien  peu, 
mais  qui  n'est  que  trop  pour  l'Eglise.  Il  y  a  plusieurs  ministres  qui 
sont  non  pédagogues,  comme  S' Paul  disoil,  mais  conseillers  d'estat 

1.  Une  lettre  du  pasteur  genevois,  Bénédict  Turettini,  durant  son  court  minis- 
tère à  Nîmes,  à  la  veille  du  Synode  d'Alais,  offre  un  double  intérêt.  Voir  l'inté- 
ressant ouvrage  de  M.  Borrcl,  Histoire  de  l'Eglise  réformée  de  Nîmes,  p.  1G8. 

2.  Allusion  assez  obscure  aux  controverses  de  Cameron  et  de  Tilenus  sur  lu 
grâce  et  la  prédestination,  qui  devaient  être  tranchées  par  le  synode  d'Alais  dans 
un  sens  conforme  aux  décisions  du  synode  do  Dnrdrcclil. 


4,08  LETTRES    DE    DIVERS   A    DU    PLESSIS-MORNAY. 

et  gens  d'affaires  plustost  que  pères  et  pasteurs;  plusieurs  desquels 
la  vie  destruit  plus  que  la  doctrine  ne  sçauroit  édifier.  Je  ne  peux 
ici  que  escouter  et  gémir,  et  autant  que  Dieu  m'en  fait  la  grâce 
ramener  a  l'Evangile  duquel,  si  Dieu  n'a  pitié  de  nous,  bientost  on 
en  aura  honte.  Il  y  a  un  grand  nombre  de  bon  peuple,  zélé  et  qui 
aime  la  vérité;  la  moisson  belle,  mais  peu  de  bons  ouvriers. 

Après  avoir  escrit  ce  que  dessus,  nous  avons  veu  mess'^'^du  Moulin 
etBouchereau  avec  une  indicible  consolation.  J'ay  aussi  receu  lettres 
de  mons"^  Daillé  ;  mais  la  distance  ne  me  permet  de  leur  rendre  le 
service  que  je  dois  et  désire.  Mons^  Calandrini  suppléera  a  mon  dé- 
faut. Cependant  je  prie  Dieu  qu'il  les  accompagne  et  vous  ait.  Mon- 
sieur, sous  sa  sainte  et  digne  garde, 

Vostre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur, 

B.    TURRETTIN. 

X 

Au  même^ 

J'  ,  Ce  2'  septembre  1623. 

Monsieur,  ayant  plu  à  Dieu  m'appeler,  depuis  X  ou  XI  ans  en 
ceste  Eglise,  je  n'y  feu  point  longtemps  sans  y  ressentir  des  marques 
de  la  faiblesse  de  ma  voix,  et  n'ay  pu  satisfaire  aux  charges  d'icelle 
sans  incommoder  grandement  ma  santé,  ce  qui  me  fit  résoudre,  dès 
l'an  1620,  de  cercher  relasche  dans  le  pais  de  ma  naissance;  mais  je 
fu  aussitôt  rappelé  par  la  nécessité  où  se  trouva  l'Eglise  de  ce  lieu 
par  l'abscence  de  M""  Carré,  mon  collègue,  employé  pour  les  affaires 
de  la  province.  Depuis  ce  temps-là  j'ay  esté  lié  ici  a  cause  des 
troubles  survenus  a  toutes  nos  Eglises.  Mais  a  la  fin  d'iceux,  s'est 
présentée  l'Eglise  de  Thouars,  la  recerche  et  la  vocation  de  laquelle 
je  liendray  estre  de  Dieu  si  celle  du  synode  national,  qui  en  est  le 
uge,  s'y  rencontre. 

I.  \j'  11  iiDVciiibro  l()2.'!fnt  un  jour  de  deuil  pour  les  protestants  français.  En 
ce  jour  s'éteijjjuit  Du  Plcssis-Mornay,au  château  de  La  Forêt-sur-Sèvrc.  11  ne 
parait  pas  que  l'appel  adressé  par  l'église  de  Cliâtellerault  à  Daillé,  si  peu 
avant  la  mort  du  i)ienfaiteur  vénéré  dont  il  devait  retracer  les  dernières 
heures,  ait  eu  aucune  suite.  Saumur  va  bientôt  le  céder  à  Paris. 


LETTRES   DE   DIVERS   A   DU   PLESSIS-MORNAY.  409 

L'église  de  ce  lieu  du  commencement  s'est  vivement  opposée  à  ma 
liberté;  mais  peu  a  peu  elle  s'est  grandement  rallentie,  de  sorte 
(ju'encor  qu'elle  persiste  en  quelque  façon  a  son  appel,  néantmoins 
la  voix  commune  se  porte  a  une  entière  et  1res  affectueuse  recerche 
de  la  personne  et  ministère  de  M.  d'Aillé,  son  compatriote,  sur 
l'espoir  qu'ell'a  qu'il  vous  plaira  encliner  aux  très  instantes  suppli- 
cations que  nous  avons,  M.  Carré  et  moy,  charge  expresse  de  vous 
en  faire.  Quoy  faisant,  Monsieur,  nous  ne  voudrions  point  nous  pré- 
valoir de  l'affection  que  nous  avons  apportée  et  a  laquelle  nous 
avons  veu  portés  tous  ceux  de  notre  Consistoire  pour  consentir  a  ce 
qu'il  vous  plust  désirer  de  nous,  en  vous  resignant  et  remettant  nostre 
droit;  mais  bien  vous  conjurerons-nous.  Monsieur,  par  le  soin  que 
vous  avés  toujours  porté  a  l'advancement  de  la  gloire  de  Dieu, 
laquelle  vous  avés  toujours  préférée,  avec  gloire  et  louange,  a  vostre 
profit  et  contentement  particulier;  nous  pouvons  aussi  vous  pro- 
tester, en  bonne  conscience  et  comme  devant  Dieu,  que  nous  ne 
savons  autre  moyen  pour  consoler  cett'église,  déjà  bien  affligée  et 
battue  de  divers  vents  et  tentations  très  dangereuses,  que  ce  seul 
remède,  lequel  vous  tenés  tout  prest  en  vostre  main. 

Ell'a  besoin  d'un  homme  de  savoir,  de  piété,  éloquence  et  expé- 
rience; encor  que  monsieur  Carré,  mon  collègue,  aye  bonne  part  en 
ses  grâces,  si  conviens  je  avec  luy,  et  luy  avec  moy,  que  ces  choses 
se  rencontrent  en  M'  d'Aillé  avec  un  extrême  désir  et  approbation  de 
touts,  et  particulièrement  des  siens.  C'est,  monsieur,  ce  qui  nous 
fait  vous  suplier  très  instamment  de  nous  vouloir  accorder  nostre 
très  humble  requeste;  mais  moy  particulièrement  qui  ai  un  interest 
très  particulier  en  cett'affaire  et  qui  ai  donné  cett'esperance  a  tous 
que  vous  ne  nous  renvoirés  point  confus. 

El  sur  cett'attcnte.  Monsieur,  je  supplirai  de  tout  mon  cœur  le 
Seigneur  qu'il  luy  plaise  combler  vostre  personne  de  ses  l)ontés 
et  consolations  les  plus  saintes  et  favorables,  et  me  faire  la  grâce 
de  pouvoir  par  services  très  humbles,  tesmoigner  avec  quelle 
gratitude,  affection  et  humilité  je  recepvrai  ma  part  de  ce  grand 
bénéfice,  demeurant  tout  le  reste  de  ma  vie.  Monsieur,  vostre  très 
humble,  très  obéissant  et  très  affectionné  serviteur, 

Paul  Geslin  de  la  Piltihre, 
l'un  des  Pasteurs  en  l'Eglise  Réformée  de  Cbasteleraud. 


410  LETTRES    DE    DIVERS    A    DU    PLESSIS-MORNAY. 

XI 

Au  même'- 

A  Chastellerault,  ce  2  de  septembre  4623. 

Monsieur,  cette  Eglize  s'est  ci-devant  desmise  du  droict  qu'elle 
avoit  sur  monsieur Daillé  en  vostre  faveur,  ne prevoiant  pointla  perte 
qu'elle  s'en  va  faire  de  Monsieur  de  la  Piltière.  Elle  est  maintenant 
en  termes  de  recourir  a  vous  pour  redemander  ce  qu'elle  vous  a  si 
facilement  concédé,  et  espère  trouver  en  vous  autant  de  bonté  et  de 
bienveillance  qu'elle  a  eu  de  franchise;  mais  l'affaire  n'estant  point 
encore  jugée;  et  craignant  de  se  faire  préjudice,  elle  n'oze  si  tost 
s'adresser  a  vous.  Nous  vous  en  donnons  j'advis  à  l'advance.  M'' de  la 
Piltière  et  moy,  avec  prières  de  nous  supporter  en  cela  et  de  nous 
conserver,  avec  l'honneur  de  vos  bonnes  grâces,  le  droit  que  nous 
vous  avons  cédé  sur  mondit  s""  Daillé  afin  que  cette  Eglize  vous  en 
puisse  faire  la  demande  temps  et  lieu.  Il  y  est  aimé  et  désiré  de  tous, 
et  je  souhaitte  grandement  l'ayde  d'un  tel  collègue.  Si  l'Eglize  obtient 
celte  faveur,  je  vous  en  auray  une  très  particulière  obligation,  qui 
me  fera  continuer  les  vœux  que  je  fay  a  Dieu  pour  vostre  prospérité 
a  ce  que  le  Seigneur  vous  donne  longue  et  heureuse  vie. 

C'est,  monsieur,  vostre  très  humble  et  très  affectionné  serviteur, 

J.  Carré. 

1.  Même  objet  que  la  précédente  lettre  :  sur  le  ministre  Jean  Carré,  voir 
l'article  de  la  France  protestante. 


MELANGES 


UNE  EGLISE  DU  REFUGE* 

Allez  à  Friedrichsdorf,  me  disait-on  ;  vous  verrez  quelque  chose 
d'intéressant  pour  un  Français  et  pour  un  huguenot.  J'y  suis  allé. 

Friedrichsdorf  est  un  gros  village,  séparé  de  Hombourg  par  un 
coteau  couvert  de  laillis  et  de  haute  futaie,  le  Hardt  qui  borde  le 
Kurhaus.  Il  y  a  de  Hombourg  à  Friedrichsdorf  trois  petits  quarts 
d'heure  de  marche  par  la  forêt.  Les  sentiers  du  Hardt  sont  doux 
à  monter  et  doux  à  descendre.  J'ai  eu  vite  fait  cette  charmante 
promenade. 

Au  débouché  du  bois,  sur  un  plateau,  dans  une  situation  pitto- 
resque et  fraîche,  je  vois  se  dessiner  le  village,  que  surmonte  un 
svelte  clocher.  Deux  hommes  s'entretiennent  à  l'entrée  de  la  prin- 
cipale rue;  l'un  des  deux  porte  les  insignes  de  facteur  des  postes  — 
Wo  bin  ich,  bitte?  —  Le  facteur  me  répond  :  «  Vous  pouvez  parler 
français  !  »  Il  ne  me  dit  pas,  comme  Coquelin  dans  l'Etourdi  :  «  Fous 
boufez  barler  franzè.  »  Il  me  dit  :  «  Yous  pouvez  parler  français.  » 
Il  n'a  pas,  d'ailleurs,  l'accent  alsacien  si  reconnaissable;  je  ne  puis 
soupçonner  en  lui  un  compatriote  du  Haut-Rhin,  devenu  fonction- 
naire allemand.  Il  n'a  pas  davantage  l'accent  de  Dijon  ou  de  la 
Comté,  ou  de  l'Aunis,  ou  de  tout  autre  lieu  spécial.  Il  a  le  pur 
accent  de  France,  sans  aucun  provincialisme.  Je  m'étonne  et  lui  fais 
compliment  sur  l'orthodoxie  de  sa  prononciation.  «  Il  n'y  a  pas  de 
quoi  être  surpris,  répond-il,  je  suis  originaire  de  la  Champagne.  » 
Son  compagnon  intervient  alors  :  «  El  moi,  fait-il,  trouvez-vous  que 

1.  Un  de  nos  publicisles  le?  plus  distingués,  notre  coreliginnnairo  M.  J.-.F. 
Weiss  a  publié,  dans  les  Débats  du  18  juillet,  lo  récit  fort  intéressant  d'une 
promenade  à  Friedrichsdorf,  cette  colonie  française  du  Refuge  dans  le  Taunus. 
Il  a  bien  voulu  nous  autoriser  à  reproduire,  avec  quelques  omissions,  ce  bril- 
lant morceau  qui  complète  un  article  de  l'ancien  DiUlclin  (t.  VllI,  p.  79).  Nous 
l'en  remercions  vivement,  (fie'f/.) 


WZ  MÉLANGES. 

je  m'exprime  aussi  bien  ?»  Il  avait  dit  :  «  Je  m'exprème  !  »  Et  il 
ajoute  :  «  C'est  que,  voyez-vous,  on  dit  que  le  Languedoc  a  mauvais 
accent,  et  précisément  c'est  du  Languedoc  que  j'arrive  par  mes 
aïeux.  » 

Et  moi  je  me  répétais,  mais  dans  un  autre  sens  que  tout  à  l'heure  : 
Wo  hin  ich  ?  Mes  deux  interlocuteurs  s'excusèrent  de  prendre  congé 
de  moi.  C'était  le  dimanche.  «Voici,  me  dirent-ils,  l'heure  du  prêche. 
Nous  allons  au  temple.  »  Le  prêche  !  Le  temple  !  Je  les  suis.  J'entre 
avec  eux. 

Le  pasteur  était  en  chaire.  Le  temple  nu,  sans  même  un  Christ, 
comme  on  le  trouve  dans  les  églises  luthériennes  ou  les  églises  des 
protestants  unis  de  Prusse,  offrait  l'aspect  et  le  caractère  du  plus 
sévère  calvinisme.  Le  pasteur  lisait  la  confession  des  péchés  en  fran- 
çais. Il  ne  passa  point  la  phrase  caractéristique  du  christianisme 
calviniste  :  «  Seigneur,  nous  reconnaissons  et  nous  confessons 
»  devant  toi  que  nous  sommes  de  pauvres  pécheurs,  nés  dans  la 
»  corruption,  enclins  au  mal,  incapables  par  nous-mêmes  de  faire 
»  le  bien,  et  qui  transgressons,  tous  les  jours  et  en  plusieurs  ma- 
»  nièrestes  saints  commandements.  Mais,  Seigneur,  nous  avons  une 
»  vive  douleur  de  t'avoir  offensé...  »  Les  hommes  dans  le  temple 
étaient  aussi  nombreux  et  même  plus  que  les  femmes.  Tous  étaient 
placés,  et  moi  avec  eux,  dans  une  tribune,  â  hauteur  de  premier 
étage,  formant  rectangle  ouvert  devant  la  chaire  du  prédicateur.  En 
bas  se  tenaient  les  femmes,  et  rien  ([ue  les  femmes.  J'interrogeai 
mon  voisin. 

Il  m'expliqua  qu'à  Friedrichsdorl',  et  de  temps  immémorial,  les 
hommes,  au  temple,  étaient  rigoureusement  séparés  des  femmes; 
que  parmi  les  femmes  même,  celles  qui  étaient  mariées  ne  se  con- 
fondaient pas  avec  les  jeunes  personnes,  les  unes  se  tenant  à  droite 
de  la  chaire,  les  autres  à  gauche.  Le  pasleur,  cependant  indiqua  un 
cantique  à  chanter.  Toute  l'assistance,  hommes  et  femmes,  sans 
aucune  exception,  entonna  le  chant  sacré.  Mon  voisin  me  tendit  son 
livre  de  cantiques,  pour  que  je  pusse  suivre  des  yeux.  Je  n'ai  plus 
besoin  de  dire  que  le  livre  de  cantiques  était  en  français.  J'examinai 
mon  voisin;  il  avait  la  taille  moyenne  du  pays  de  France,  mais  avec 
une  solide  carrure  qui  devient  très  rare  chez  nous,  le  type  français 
habituel,  mais  singulièrement  solide  et  robuste,  une  moustache 
qui,  par  sa  nuance,  n'appartient  pas  tout  à  fait  ni  au  blond,  ni  au 


MÉLANGES.  413 

brun,  ni  au  châtain,  ni  au  rouge,  un  teint  de  moustache  enfin  demi- 
roussâtre  que  je  ne  puis  définir  que  par  le  mot:  (.(  Teint  de  France.  » 
Les  quelques  phrases  que  mon  voisin  échangeait  avec  moi,  autant 
que  le  pouvait  permettre  le  respect  du  saint  lieu,  étaient  nettes, 
claires,  correctes,  aisées?  Mais  où  suis-je  donc  enfin?  Où  suis-je 
donc?  Ai-je  été  endormi  dans  le  Hardt  par  quelque  Rûbezahl  mali- 
cieux, qui,  en  trois  secondes,  m'a  transporté  au  beau  milieu  du 
département  de  la  Marne?  Tout  à  l'heure,  j'étais  à  Hombourg,  ville 
allemande;  par  des  éclaircies  du  bois,  tout  à  l'heure,  en  chemin, 
j'ai  aperçu,  à  ma  gauche,  le  clocher  de  Kiedorf  village  catholique 
allemand  ;  à  ma  droite,  le  clocher  de  Seulberg,  pleine  Allemagne  ! 
Et  ici  tout  résonne  français  !  Où  suis-je?  Où  suis-je? 

J'étais  devant  un  groupe  ethnologique.  J'étais  devant  une  pétrifi- 
cation française  de  l'an  1687.  Ici  habitent  un  millier  de  Français, 
qu'une  trombe  ethnique  et  politique  a  saisis  et  transportés,  il  y  a 
deux  cents  ans,  de  la  plaine  de  France  dans  un  repli  du  mont  Tau- 
nus;  depuis  ce  temps,  ils  sont  restés  fixés  dans  la  langue,  les  idées, 
la  foi  et  les  mœurs  de  l'heure  exacte  où  s'est  opérée  la  violente 
translation. 

Ces  Français  descendent   d'un   groupe  de  calvinistes  qui   sont 
venus  chercher  un  refuge  contre  les  dragonnades  auprès  de  Fré- 
déric II,  à  la  jambe  d'argent,  landgrave  de  Ilesse-Hombourg.  Ils 
offrent  ce  curieux  phénomène,  qu'ils  ont  totalement  perdu  l'esprit 
national  français  et  la  notion  raisonnée  de  la  France,  et  qu'ils  ont 
gardé  avec  un  soin  jaloux,  une  susceptibilité  ombrageuse,  la  langue 
de  la  France  et  la  forme  de  protestantisme  particulière  à  la  France. 
Leur  parler  français  est  celui  du  beau  moment,  il  est  intact  et  res- 
treint; aucune  mixture  n'est  venue  l'altérer  ni  l'enrichir:  il  n'a  rien 
acquis,  il  n'a  rien  perdu.   Leur  protestantisme  est  celui  de  l'âge 
héroïque  et  inflexible  ;  rien  n'a  percé  vers  leurs  forêts  du  courant 
d'idées  contemporaines.  Après  le  prêche,  je  vais  visiter  le  [lasteur, 
le  maire  qui  s'appelle  Garnier,  le  directeur  d'un  établissement  sco- 
laire important  et  remarquable  sur  lequel  j'aurai  à  revenir  un  autre 
jour.  Je  m'entretiens  çà  et  là  avec  quelques  personnes.  Chez  le  pas- 
teur il  y  aune  lithographie,  une  seule;  elle  représente  Calvin,  sur  son 
lit  de  mort,  faisant  ses  adieux  aux  quatre  syndics  et  aux  seigneur*; 
de  Genève  et  prononçant  les  belles  paroles  que  Théodoi-e  de  Bèze 
met  dans  la  bouche  du  réformateur  :  «  Je  proteste  devant  vous  que 


4.U  MÉLANGES. 

«  je  VOUS  ai  toujours  enseigné  dans  sa  pureté  et  avec  un  cœur  sincère 
«  la  parole  de  Dieu.  Restez  fermes  dans  la  pensée  que  c'est  Dieu  qui 
fonde  et  conserve  les  villes  et  les  royaumes...  »  Chez  le  maire  il  y  a 
un  tableau,  un  seul;  il  représente  Gravelotte,  mais  un  Gravelotte 
absolument  dénué  de  soldats  français.  On  n'y  voit  que  l'empereur 
Guillaume  et  ses  généraux,  après  la  bataille,  se  réjouissant  du  succès. 
Car,  il  ne  faut  pas  que  mes  lecteurs  s'y  trompent,  nous  sommes  ici 
en  un  pays  allemand  de  race  française.  Tous  les  habitants  de  Fried- 
richsdorf  sont  allemands,  bien  allemands  de  nation  ;  ils  ont  forte- 
ment enfoncée  dans  l'esprit  l'idée  de  l'État  allemand  ;  leur  patrie, 
c'est  l'Allemagne.  Songez  à  ce  qui  s'est  passé  dans  l'âme  de  leurs 
pères  quand  ceux-ci  ont  eu  à  choisir  entre  la  parole  de  Dieu  et  les 
ordres  duNabuchodonosorde  Versailles.  Songez  à  l'effort  surhumain 
qu'ils  ont  dû  accomplir  sur  eux-mêmes  pour  abandonner  leur  in- 
dustrie prospère,  le  champ  fécondé  par  leur  travail,  la  maison  où 
leurs  jours  s'écoulaient  dans  la  pensée  et  la  recherche  du  salut. 
C'était  de  quoi  arracher  à  jamais  de  leur  cœur  et  du  cœur  de  leurs 
enfants  le  souvenir  de  la  France  aimée  et  perverse.  Ils  ont  préféré  leur 
religion  à  leur  nation  originelle,  et  ils  ont  voué  leur  fidélité  au  pays 
qui  leur  a  donné  refuge.  En  tout  temps,  la  religion,  mise  en  demeure 
et  provoquée,  l'a  emporté  et  l'emportera  sur  la  patrie  ;  les  intérêts 
et  les  idées  que  représente  la  patrie  ne  pouvant  du  tout  lutter  en 
importance  avec  les  intérêts  et  les  idées  que  représente  une  reli- 
gion réellement  crue. 

Nos  congénères  de  Friedrichsdorf  sont  donc  à  présent  des  citoyens 
de  l'Allemagne  du  plus  absolucivisme  allemand.  La  plupart  d'entre 
eux  ignorent  tout  de  la  France,  bien  qu'ils  en  soient  venus.  Mais  la 
langue  française  leur  est  un  trésor  dont  ils  ne  voudraient  pas  sacri- 
fier une  parcelle.  Ils  ne  se  sont,  en  général,  mariés  qu'entre  eux 
depuis  deux  cents  ans,  malgré  les  inconvénients  physiologiques  de 
ce  cousinage  et  do  ce  népotisme  indéfinis.  Il  n'y  a  pas  encore  un 
demi-siècle,  c'était  déroger,  selon  leurs  idées,  que  d'épouser  un 
Allemand  ou  une  Allemande...  Je  crois  observer  que  les  femmes  ont 
un  plaisir  particulier  à  se  sentir  de  la  race  dont  elles  sont.  J'ai 
demandé  quelques  renseignements  à  l'une  d'elles  dont  l'œil  noir  et 
la  noire  chevelure  disaient  assez  le  sang  languedocien.  Les  paroles 
tombaient  de  sa  bouche  ailées,  sonores,  joyeuses  d'être  françaises. 
C'était  tout  le  caquet  des  bords  de  laDordogne,  qui  s'ébattait  en  elle... 


MÉLANGES.  -415 

Je  n'ai  qu'une  journée  à  passer  ici.  Il  faudrait  y  passer  trois 
semaines;  je  crois  qu'on  y  recueillerait  quantité  d'observations  de 
psychologie  ethnique  et  de  chimie  historique  du  plus  haut  prix. 
Première  remarque  sommaire  :  d'après  ce  que  j'entends  et  d'après 
certains  documents  manuscrits  que  j'ai  parcourus,  les  réfugiés  du 
dix-septième  siècle  ont  apporté  avec  eux  à  Friedrichsdorf  deux 
langues,  celle  de  la  bonne  compagnie  et  celle  du  peuple  des  cam- 
pagnes. Si  quelques-uns  parlent  comme  madame  de  Sévigné,  d'autres 
disent,  ou  disaient,  il  n'y  a  pas  longtemps  encore  :  J'étions,  —  // 
ont  dit,  —  C'est  maman  qu'elle  me  Va  dit,  —  A  c'f  heure,  —  Ils 
allions,  —  Quoi  ce  que  tu  dis,  —  Cet  argent  est  bonne,  —  Nous 
fans, —  Attends  me,  —  Les  chevals, —  Où  ce  que  tu  vas,  —  Nous 
ont  été,  —  Quoi  qu'ai  veut.  —  Les  pasteurs  et  les  maîtres  d'école 
ont  fait  la  chasse  à  ces  locutions  et  ils  n'ont  réussi  qu'à  grand'peine 
à  les  extirper.  De  cette  coexistence  de  la  bonne  langue  et  d'un  jargon 
vicieux,  on  peut  conclure  qu'il  y  a  eu  deux  classes  de  réfugiés  ;  les 
uns,  de  bonne  bourgeoisie;  les  autres,  du  simple  peuple.  Seconde 
remarque  :  quoiqu'il  y  ait  à  Friedrichsdorf  des  familles,  des  types 
et  des  noms  qui  sont  du  Midi,  la  langue  d'oc  ne  paraît  avoir  déposé 
aucun  sédiment  dans  le  parler  delà  communauté  française.  On  peut 
en  conclure,  ce  me  semble,  que  les  réfugiés  du  Languedoc  qui  sont 
arrivés  en  Hesse,  entre  1687  et  1704,  ne  parlaient  plus  déjà  le  lan- 
guedocien ;  c'est  un  fait  qui  permet  de  mesurer  ou  de  concevoir  le 
degré  de  généralisation  de  la  langue  française  au  temps  de  Louis  XIV. 
L'unité  de  langue  était  dès  lors  consommée  (sauf  en  Bretagne) 
comme  l'unité  politique  et  l'unité  nationale  *. 

Il  a  pourtant  persisté  à  Friedriclisdorf  quelques  formes  qui 
sentent  le  dialecte,  mais  dans  les  limites  de  la  langue  iVoil.  On  y  a 
dit  jusqu'au  commencement  de  ce  siècle,  on  y  dit  encore  quelquefois 
une  épée  pointute,  — une  \)omme  pourrite,  —rougerole  pour  rou- 
geole, —  filerie  pour  fdature,  —  s'assir  pour  s'asseoir,  —  des 
poires  cueilliées  pour  cueillies,  —  pounié  pour  poignée,  —  que- 
naille  pour  tenailles,  —  guernier  pour  grenier,  —  moigneau  pour 
moineau,  —  maladieux  pour  maladif,  —  Judic  pour  .ludith.  Les 

1.  Conclusion  trop  absolue  :  Le  l'ranrais  n'a  prévalu  que  leuteunînt  dans  le 
midi;  le  patois  ou  languedocien  n'a  pas  cessé  d'ctrc  parle  dans  les  campagnes  ; 
ainsi  s'explique  jilus  d'une  locution  dans  la  langue  du  Rclugc.  (ïiéd.) 


4.16  MÉLANGES. 

habitants  ont  longtemps  conservé  une  7ioie  ou  moie  pour  motte  ou 
tas,  moie  de  blé,  moie  de  terre.  Ils  possèdent  parc  à  salade  pour 
plan  de  salade,  soie  pour  passoire,  parc  à  bouquet  pour  parterre  ou 
corbeille  de  fleurs.  «  Voilà  de  beaux  bouquets  dans  ce  jardin  », 
signifie:  «  Voilà  de  belles  fleurs  ».  Ils  ont  potée  de  lait  pour  pot. 
((  Estomac  »  en  leur  langue  veut  dire  poitrine  :  «  Cette  dame  a  un 
bel  estomac  ».  Dans  certaines  de  nos  provinces,  le  mot  ainsi  en- 
tendu a  encore  cours. 

La  bonne  langue,  en  revanche,  a  gardé  chez  eux  bien  des  mots  et 
de  gentilles  formes  que  nous  avons  laissé  se  perdre.  Des  expressions 
surnagent  qui  sont  d'avant  le  dix-septième  siècle  :  J'ai  été  regouré 
(on  m'a  trompé,  triché,  refait)  ;  écafeuillé  pour  étourdi.  Ne  seriez- 
vous  pas  bien  aise  d'avoir,  comme  à  Friedrich sdorf,  les  mots  si  bien 
faits  et  si  commodes  de  «  claveciner  »  et  de  «  violonner.  »  Ne  font-ils 
pas  bien  de  dire  encore  «  esseulé,  —  souventes  fois,  —  une  paire 
«  de  fois  »?  Ne  regrettez-vous  pas  «  demeurance  »  ?  Est-ce  que  la 
locution  «  Je  me  pense  que  »  au  lieu  de  «je  pense  que  »  n'est  pas  bien 
expressive  et  bien  charmante!  Les  gens  de  Friedrichsdorf  disent 
«  poêle  »  pour  chambre  :  Descartes  aussi.  Ils  disent  «  aussi  telle- 
ment comme,  ainsi  comme  »  :  Malherbe  aussi.  Ils  emploient  beau- 
coup où  nous  mettrions  très  :  Molière  aussi  : 

La  campagne  à  présent  n'est  pas  beaucoup  fleurie 

J'ai  entendu  de  vieilles  gens  qui  m'ont  parlé  du  roué  (roi)  et  de 
Vitry-le-Françoué,  leur  lieu  d'origine. 

C'est  en  1687  qu'arrivèrent  dans  lelandgraviat  les  premiers  réfugiés 
protestants.  Ils  étaient  trente-deux,  chefs  de  famille  ou  célibataires. 
On  a  conservé  les  trente-deux  noms.  Ce  sont  des  noms  très  communs 
des  provinces  de  la  France  au  nord  de  la  Garonne  et  de  la  Loire  : 
Labbé,  Meunier,  Bonnemain,  Rossignol,  Lejcune,  Achard.  Je 
remarque  parmi  eux  un  Abraham  Droz  et  un  Boutemy.  De  1098  à 
1702,  il  vint  une  seconde  fournée;  elle  arrivait  de  Champagne,  de 
Picardie  et  de  l'Ile-de-France.  Noms  très  communs  encore.  Vers  ce 
temps  vinrent  aussi  des  Languedociens,  des  Fabre,  des  Privât.  Le 
landgrave  Frédéric  II  leur  distribua  des  terres  sur  lesquelles  ik 
bâtirent  Friedrichsdorf.  Il  décida  que  leurs  personnes  et  leurs  biens 
seraient  exempts  d'impôts  pendant  dix  années.  Au  bout  de  dix  ans, 
ils  devaient  payer  un  florin  par  arpent  déterre.  La  soie  put  entrera 


MÉLANGES.  il7 

Fricdrichsdorrsans  payer  de  droit.  Friedriclisdorf  ne  fut  pas  soumis, 
pour  l'exercice  de  l'industrie,  aux  règles  en  vigueur  desjurandes  et 
des  maîtrises.  A  ces  faveurs,  Frédéric  II  ajouta  deux  privilèges  qui 
expliquent  en  partie  comment  Friedrichsdorf  a  pu  longtemps  garder 
si  étroitement  ses  mœurs  et  sa  langue.  Les  procès  des  réfugiés 
français  ne  devaient  être  jugés  que  par  le  maire  et  les  éclievins,  élus 
par  eux-mêmes,  sauf  recours  dans  certains  cas  à  la  chancellerie  du 
landgrave.  Nul  n'eut  le  droit  de  s'établir  à  Friedrichsdorf,  sans  la 
permission  de  la  communauté.  Le  premier  maire  élu  de  la  tribu 
errante  fut  Esaïe  Rousselet. 

On  s'est  avisé  seulement  en  1837  à  Friedrichsdorf  de  recueillir 
les  souvenirs  des  habitants,  de  rechercher  ce  qui  pouvait  rester  de 
documents  dans  les  familles  et  d'en  composer  un  registre  que  le 
maire  s'est  chargé  de  conserver.  Cette  chroniqueest  assez  abondante 
pour  les  années  qui  suivent  1837  et  qui  sont  de  beaucoup  les  moins 
intéressantes.  Elle  est  plus  sèche  pour  les  origines.  C'est  dans  ce 
registre  que  sont  consignés  les  faits  que  je  viens  de  relater.  La  foi 
se  garda  vive  à  Friedrichsdorf,  et  les  habitants  restèrent  dignes,  par 
leurs  mœurs,  de  cette  bonne  réputation  des  protestants  français  à 
laquelle  Bourdaloue  apporte,  dans  un  de  ses  sermons,  un  précieux 
témoignage.  On  a  cependant  un  sermon  de  Gristophe  Roques,  leur 
septième  pasteur,  qui,  en  1746,  leur  reproche  leur  inattenlionàla  lec- 
ture de  la  parole  de  Dieu  et  les  dissensions  croissantes  des  familles; 
qui  se  plaint  aussi  de  l'humeur  querelleuse  et  de  l'intempérance  des 
jeunes  gens.  D'autre  part,  il  résulte  du  même  texte  qu'en  ce  temps- 
là  on  se  réunissait  au  temple  trois  fois  la  semaine;  ce  qui  est  bien 
une  marque  de  ferveur.  On  ht  un  recensement  en  1787.  Lu  popula- 
tion, ce  semble,  ne  s'était  guère  accrue.  En  1787,  Friedrichsdorf 
possédait  quatre-vingt-neuf  maisons,  six  cent  vingt-quatre  habitants, 
tous  Français,  dont  soixante-dix-sept  hommes,  quatre-vingt-huit 
femmes  (sur  les({uelles  treize  veuves  et  quarante-trois  servantes), 
cent  quarante-deux  garçons  et  cent  cinquante-neuf  fdies.  Friedrichs- 
dorf était  une  ville  de  petite  industrie,  autant  et  plus  (ju'une  ville 
agricole.  En  1787,  on  y  tiouvait  trente-quatre  fabricants  et  ({uati-c- 
vingt-dcux  ouvriers  de  métiers.  Sur  ces  trente-quatit!  fabricants, 
vingt-cinq  travaillaient  la  laine.  Ils  faisaient  de  la  llanelle  et  des  bas 
à  la  mécanique  ;  c'est  l'industrie  que  leurs  ancêtres  avaitîul  apportée 
avec  eux  en  venant  de  France. 

xxxiii.  — "21 


-418  .MÉLANGES. 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  remarquable  dans  le  registre  déposé  chez  le 
maire,  c'est  ce  qui  ne  s'y  trouve  pas.  Rien  n'atteste  mieux  que  cer- 
tains silences  combien,  au  bout  d'un  siècle,  les  réfugiés  du  Taunus 
étaient  moralement  séparés  de  leur  nation  d'origine.  Il  n'est  lait 
aucune  allusion  dans  le  registre  aux  événements  de  notre  histoire 
qui  intéressaient  le  plus  leur  communion.  Pas  un  mot  de  l'édit  de 
Louis  XVI  qui  rendait  aux  protestants  leur  état  civil  ;  pas  un  mot  de 
la  Révolution  française  où  leurs  coreligionnaires  jouèrent  un  rôle  si 
important;  pas  un  mot  de  la  renaissance  des  Eglises  réformées  sous 
le  Consulat;  et  quand  les  Français  parurent  sur  le  Mein,  abolissant 
la  féodalité  ecclésiastique  et  les  principautés  épiscopales,  pas  un 
mot,  pas  un  mot.  Il  n'estqu'un  seul  point  par  où  Friedrichsdorf  s'in- 
téresse encore  et  tient  à  notre  pays.  Chaque  année,  les  habitants 
souscrivent  une  somme  pour  les  missions  protestantes  ;  ils  en  con- 
sacrent la  moitié  aux  missions  de  France.  La  vie  religieuse  au  sur- 
plus, est  restée  intense  à  Friedrichsdorf.  Dans  plusieurs  familles 
subsiste  encore  le  culte  domestique,  qui  était  si  soigneusement  pra- 
tiqué par  les  protestants  du  dix-septième  siècle.  Soir  et  malin  la 
famille  se  réunit  pour  la  lecture  de  quelques  versets  de  la  Bible  et 
l)our  la  prière  en  commun. 

J'ai  vu  et  lu,  chez  le  pasteur  de  Friedrichsdorf,  un  récit  manus- 
crit, plus  ancien  et  de  beaucoup  plus  d'intérêt  que  le  registre  du 
maire.  C'est  le  récit  de  l'émigration  de  la  famille  d'Antoine  Privât, 
dont  les  descendants  occupent  actuellement  l'une  des  meilleures 
situations  à  Friedrichsdorf.  L'un  d'eux  dirige  une  fabrique  qui 
occupe  une  centaine  d'ouvriers.  Le  récit  transmis  par  la  tradition 
orale  n'a  été  fixé  par  écrit  qu'à  la  troisième  génération.  Il  offre  le 
double  caractère  de  la  légende  et  de  l'histoire.  Il  a  été  évidemment 
transcrit  dans  la  forme  naïve  où  il  a  été  transmis.  Les  circonstances 
romanesques,  mêlées  à  l'histoire  et  qui  trahissent  le  besoin  de  dra- 
matiser, particulier  à  ceux  qui  n'ont  pas  la  pratique  du  métier 
d'écrire,  n'infirment  pas  la  valeur  de  ce  document  où  s'expriment, 
en  traits  saisissants,  la  foi  brûlante  des  huguenots  du  dix-septième 
siècle  et  la  piété  ingénue  des  gens  de  Friedrichsdorf  envers  leurs 
aïeux.  Je  vais  tâcher  d'en  exprinu'r  la  substance  et  d'en  rendre  le 
ton  pour  mes  lecteurs. 

En  ce  temps-là,  il  y  avait  en  France  un  roi  nommé  Louis  XIV 
qui  avait  fait  ])eaucoup  de  choses  désagréables  à  Dieu.  Il  voulut  tout 


MÉLANGES.  419 

de  même  s'ouvrir  les  portes  du  paradis,  en  y  faisant  entrer  avant  lui 
les  hua^uenots  de  son  royaume  à  la  pointe  du  sabre  de  ses  dragons. 
Sa  maîtresse,  M""'  de  Montespan  (M""'  de  Montespan  au  lieu  de  M""' de 
Maintenon,  vous  voyez  la  légende),  sa  maîtresse  devenue  vieille  et 
bigote,  et  son  ministre  Louvois  l'encourageaient  dans  son  dessein 
de  révoquer  l'Édit  de  Nantes.  La  famille  d'Antoine  Privât,  qui  ne 
voulut  pas  renoncer  à  la  foi,  fut  alors  cruellement  frappée.  La  mère 
fut  massacrée  par  les  dragons;  le  père  Antoine  fut  jeté  dans  une 
forteresse  dont  on  ne  savait  pas  le  nom.  Ses  onze  enfans,  dont  le  plus 
âgé  avait  dix-sept  ans,  erraient  dans  l'abandon  et  dans  la  misère.  Un 
jour  que,  fatigués,  ils  se  tenaient  appuyés  contre  les  murs  d'une 
vieille  tour,  ils  entendirent  une  voix  qui  gémissait  au  fond  de  la 
tour.  La  voix  s'exprimait  ainsi  :  «  Seigneur,  pourquoi  laisses-tu  le 
»  tentateur  venir  à  moi?  Le  tentateur  murmure  à  mon  oreille  et  à 
»  mon  cœur,  que,  si  je  renie  l'Evangile,  je  reverrai  et  mon  cliamp 
»  et  ma  maison  et  mes  enfans,  et  les  enfans  auront  de  quoi  manger 
»  et,  tout  en  me  disant  catbolique  des  lèvres,  je  pourrai,  Seigneur 
»  te  rester  fidèle.  Mais  Jésus  a  dit  :  —  Celui  qui  quittera  sa  mère, 
»  sa  femme  et  ses  enfans  et  tous  ses  biens  pour  me  suivre,  à  celui-là 
»  sera  la  vie  éternelle;  et  partout  où  tu  iras.  Seigneur,  je  te  sui- 
»  vrai.  >  Les  enfans  écoutaient  la  voix.  Ils  restèrent  là.  Le  soir 
quelque  chose  tomba  du  haut  de  la  tour  à  leurs  pieds.  Ils  ramas- 
sèrent l'objet.  C'était  un  écu  de  six  livres,  enveloppé  dans  un  papier. 
Ils  lurent  sur  le  papier  :  «  Mes  enfans,  voici  tout  ce  que  j'ai;  allez 
»  vers  l'est  et  marchez  longtemps;  vous  trouverez  un  prince  agréable 
»  au  Seigneur  qui  vous  recueillera.  —  Antoine  Privât.  »  Les  enfans 
prirent  confiance  et  ils  marchèrent  vers  l'est.  Ils  marchaient  depuis 
quatre  mois  lorsqu'ils  arrivèrent  dans  une  grande  et  belle  ville,  où 
ils  tombèrent  épuisés  sur  une  promenade.  Un  homme  s'approcha  et 
leur  parla.  Mais  ils  n'entendaient  pas  son  langage  ni  lui  le  leur. 
L'homme  était  un  garde  de  ville  qui  les  mena  coucher  dans  la 
prison. 

Cette  grande  et  belle  ville  était  Francfort.  A  Offenbach,  heureuse- 
ment, près  de  Francfort,  vivait  un  pasteur  qui  savait  beaucoup,  beau- 
coup de  langues.  On  le  fit  venirdèsle  malin.  Il  leurparleunelangue, 
puis  une  autre,  puis  une  autre  jusqu'à  ce  que  l'aîné  dit  :  «  J'ai  com- 
pris. »  Quand  les  bourgeois  de  Francfort  connurent  l'histoire  de  ces 
onze  enfans  qui  erraient  depuis  quatre  mois  avec  un  écu  de  six  livres, 


•420  MÉLANGES. 

pour  l'amour  et  la  gloire  de  Dieu,  ce  fut  une  admiration;  cliacun 
vint  les  voir  et  on  oubliait  en  les  admirant  «  que  les  pauvres  petits 
«  n'avaient  pas  déjeuné  ni  soupe  la  veille  ».  Enfin  on  les  restaura. 
Les  bourgeois  de  Francfort  donnèrent  asile  aux  neuf  fdles  et  plus 
tard  les  marièrent.  Les  deux  garçons  s'en  allèrent  vers  le  prince  de 
liesse  qui  leur  permit  de  s'établir  à  Friedrichsdorf.  Ainsi  furent 
sauvés  les  rejetons  de  la  famille  Privât  qui  était  de  Saint-Hippolyte 
de  Sardige  en  Languedoc. 

J'abrège  et  j'omets  beaucoup  de  circonstances.  Mais  il  me  semble 
que  dans  cette  histoire  frémit  l'âme  des  croyants  du  protestantisme 
français.  La  fondation  de  Friedrichsdorf  apparaît  ici  plus  lumineuse 
et  plus  expressive  que  dans  le  recueil  d'annales  qui  serait  le  plus 
authentique  et  le  plus  détaillé.  De  combien  de  souffrances,  de  com- 
bien d'efforts,  de  combien  de  vertus,  ce  village  de  Hesse  a  été  bâti  ! 

Il  ne  faut  pas  se  le  dissimuler,  Friedrichsdorf  en  tant  que  pays  de 
langue  française  est  bien  menacé.  Friedrichsdorf  a  vaillamment 
lutté;  il  a  gardé  longtemps  l'empreinte  sans  mélange.  Mais  l'océan 
de  l'Allemagne  qui  entoure  et  presse  cet  îlot  de  France,  le  submer- 
gera tôt  ou  tard.  La  femme  de  l'hôte  qui  tient  l'auberge  Zum  neis- 
sen  Thurm  a  entendu  conter,  par  sa  mère,  qu'en  1840  on  n'aurait  pas 
trouvé  à  Friedrichsdorf  plus  de  quatre  femmes  d'origine  allemande. 
Sur  une  population  de  1,200  âmes,  il  y  a  maintenant  à  Friedrichs- 
dorf 400  Allemands  et  plus.  Les  médecins  poussent  aux  mariages 
entre  les  deux  races  par  des  raisons  d'hygiène  qui  ne  laissent  pas  que 
de  recouvrir  aussi  dos  raisons  nationales.  Les  destinées  des  Églises 
françaises  voisines  semblent  annoncer  celles  qui  attendent  Frie- 
drichsdorf. En  1842,  il  y  avait  encore  une  communauté  française  à 
Ilonibourg;  elle  est  maintenant  fondue  dans  l'Église  réformée  alle- 
mande. Une  autre  Église  française,  de  moindre  importance,  a  long- 
temps tleuri  aux  portes  d'Hombourg,  à  Dornolzhausen;  elle  a  été 
supprimée  l'an  dernier;  elle  a  lîni  faute  de  Français;  il  ne  restait 
plus  guère  de  Français  dans  le  village,  que  le  maître  d'école  et  le 
pasteur.  Ou  résistera  longtemps  encore  à  Friedrichsdorf.  Mais  que 
pourront  800  Français  contre  l'infiltration  allemande  grandissante? 
Que  pourront-ils  contre  l'uniformité  des  règlemens  scolaires  prus- 
siens. A  l'école  déjà,  il  a  été  attribué  autant  d'heures  à  l'enseigne- 
ment de  l'allemand  qu'à  l'enseignement  du  français.  A  partir  de  cet 
automne  le  temple  même,  où  n'a  jamais  retenti  (lue  la  langue  fran- 


BIBLIOGRAPHIE.  4.2] 

çaise,  entendra,  de  deux  dimanches  l'un,  une  instruction  religieuse 
donnée  en  allemand.  Dans  cinquante  ans  d'ici,  les  réformés  français 
de  Friedrichsdorf  ne  sauront  peut-être  plus  de  français  que  l'oraison 
dominicale  et  la  confession  de  foi  des  Églises  calvinistes.  Il  était 
temps  de  recueillir  et  de  sauver  les  fragments  épars  d'histoire  posi- 
tive qui  nous  restent  sur  cette  petite  Sion  française  du  Taunus. 

.I.-J.  Weiss. 


BIBLIOGRAPHIE 


VIE  DE  GUILLAUME  BUDÉ,  PAR  M.  EUG.  DE  BUDÉ 

Un  volmne  in-18.  Librairie  académique  Didier,  1884- 

a:  Quel  précurseur  que  cet  homme  qui,  dès  les  débuts  de  sa  car- 
rière, devançant  les  maîtres  chargés  de  lui  enseigner  les  sciences 
et  les  lettres,  s'avançait  d'un  pas  sûr  et  rapide,  se  formant  lui-même 
et  ne  devant  pour  ainsi  dire  rien  à  personne!  Puis,  helléniste  avant 
qu'on  imprimât  du  grec  en  France,  latiniste,  juriste  avant  Cujas,  il 
étonnait  son  siècle  par  ses  immortels  travaux  qui  lui  ont  fait  donner 
le  beau  surnom  du  plus  grand  des  Grecs!  Qu'étaient  les  sciences 
avant  lui?  En  vain  la  France,  l'Angleterre  s'efforçaient-elles  de 
secouer  le  joug  du  faux  goût  :  la  scolastique  tenait  toujours  enchaî- 
nées les  sciences  et  les  lettres.  D'absurdes  et  puériles  disputes 
étaient  le  seul  ressort  des  études,  le  but  unique  des  exercices  qui 
formaient  la  base  de  l'éducation.  Budé  brisa  toutes  les  entraves  de 
la  barbarie;  il  sut  obliger  l'université  à  changer  peu  à  peu  le  plan 
d'études  qu'avait  établi  lo  moyen  âge.  Il  appliqua  à  l'étude  de  l'an- 
tiquité une  méthode  rationnelle  et  scientitiquc  et  enfanta  lui-même 
de  ces  ouvrages  qui  assurent  l'immortalité.  » 

C'est  on  ces  termes  que  M.  Eug.  de  Budé  résume  Tneuvrc  do  son 


422  BIBLIOGRAPHIE. 

grand  ancêtre.  Cette  œuvre  appartient-elle  à  la  Réforme,  et  l'his- 
toire de  Guillaume  Budé  est-elle  un  chapitre  de  celle  du  protestan- 
tisme français  pour  trouver  ici  sa  place  ?  Oui,  assurément,  dans  un 
sens  général  et  très  important;  non,  dans  le  sens  où  l'illustre  savant 
aurait  appartenu  lui-même  au  nouveau  culte.  Quand  le  futur  grand 
homme,  après  les  années  d'une  jeunesse  indifférente  et  fastueuse, 
s'éveilla  à  la  vie  intellectuelle  et  s'adonna  aux  études  avec  une 
ardeur  qui  ruina  sa  santé,  le  temps  était  loin  encore  où  la  nouvelle 
église  devait  naître.  C'était  vers  1490,  avant  les  guerres  d'Italie;  la 
Renaissance  s'annonçait  à  peine  dans  notre  pays  et  n'était  guère 
représentée  que  par  Le  Fèvre  d'Étapes,  plus  occupé  encore  de  ma- 
thématiques et  de  philosophie  que  des  Épîtres  de  Saint-Paul.  Les 
premiers  humanistes  n'aspirèrent  d'ahord  qu'à  la  lumière,  sans 
prévoir  que  cette  lumière,  jetée  sur  les  origines  de  la  religion  chré- 
tienne, enfanterait  une  réforme  religieuse.  A  la  date  des  premiers 
travaux  de  Budé,  la  question  n'était  pas  encore  posée;  quand  elle 
le  fut,  entre  1515  et  1520,  son  parti  était  pris;  l'âge  des  conversions 
était  passé  :  novateur  dans  le  domaine  des  lettres  et  de  l'érudition, 
il  n'était  pas  appelé  à  le  devenir  dans  celui  de  la  foi. 

Deux  autres  circonstances  prévinrent  pour  lui  cette  gloire  et  ce 
péril  :  sa  situation  officielle  à  la  cour  et,  si  on  ose  le  dire  d'un  tel 
homme,  une  certaine  lacune  de  son  esprit.  Maître  des  requêtes 
sous  François  I",  en  rapports  fréquents  avec  le  roi,  préposé  à  la 
hibliothèque  royale  de  Fontainebleau,  prévôt  des  marchands  de 
Paris,  chargé  d'importantes  ambassades  (notamment  auprès  du 
pape  Léon  X  avant  Marignan  et  la  conquête  du  Milanais),  il  se 
trouvait  dans  cette  région  administrative  où  le  sentiment  de  la  res- 
ponsaldlité  inspire  plus  de  circonspection  que  d'enthousiasme  et  fait 
surtout  craindre  l'entraînement.  Quelles  furent  au  juste  ses  réflexions 
(|uand  il  s'occupa  de  théologie?  Comment  jugeait-il  la  querelle 
luthérienne  à  ses  débuis?  Il  n'en  a  pas  fait  la  confidence  au  public. 
Religieux  et  de  mœurs  austères,  il  resta  catholique,  mais  avec  si 
peu  d'étroitesse  qu'il  laissa  sa  femme  et  ses  enfants  glisser  sur  la 
pente  qui  entraînait  alors  la  France  vers  le  protestantisme. 

Il  eut  aussi  moins  que  d'autres  et,  en  un  certain  sens  moins  qu'il 
n'eût  fallu,  le  besoin  de  coordonner  ses  idées,  d'en  préciser  la  por- 
tée logique,  de  les  faire  aboutir  à  des  conclusions.  Il  avait  le  tempé- 
rament d'un  ériidit,  non  d'uii  théoricien.  Vovez  ses  livres  :  il  n'en 


BIBLIOGRAPHIE.  i:23 

est  pas  un  qui  soit  ce  qu'on  appelle  composé.  L'ordonnance  y  fait 
défaut.  Ses  Annotations  sur  les  Pandectes  ne  sont  qu'une  suite  de 
dissertations  qu'aucun  lien  ne  rattache  les  unes  aux  autres;  ses 
Commentaires  sur  la  langue  grecque  sont  aussi  une  série  d'articles 
dont  plus  tard  d'autres  savants,  Toussain,  Baduel,  tireront,  vaille 
que  vaille,  un  dictionnaire;  le  De  Asse  lui-même,  bien  que  traitant 
un  sujet  défini,  la  monnaie  et  les  diverses  mesures  grecques  et 
romaines,  passe  en  revue  toute  espèce  de  questions  d'histoire  an- 
cienne et  moderne.  Il  n'en  est  pas  autrement  des  écrits  sur  la 
Philologie,  le  Passage  de  l'héllénisme  au  christianisme  et  du 
livre  français  Y  Institution  d'un  prince.  Une  facilité  prodigieuse, 
jointe  d'ailleurs  à  une  certaine  emphase  et  à  la  recherche  des  images, 
faisait  courir  avec  rapidité  la  plume  du  savant.  Il  ne  devait  ni  effa- 
cer ni  se  reprendre.  Pressé  de  faire  connaître  ses  découvertes  et  de 
communiquer  au  public  son  savoir,  il  lui  suffisait  d'énoncer  ses 
idées,  n'importe  à  quelle  place,  et  il  laissait  au  lecteur  le  soin  de 
classer  et  de  conclure.  Il  sentait  que  sa  mission  était  plutôt  de  révé- 
ler l'antiquité  que  de  la  juger  ou  que  de  juger  à  sa  lumière  les 
institutions  du  temps  présent.  Son  jeune  ami  Dolet  avait  cette  même 
fougue  de  recherches  et  d'exposition  qui  se  retrouve  dans  Rabelais 
et  dans  Guillaume  Bigot.  Un  tel  esprit  devait  être  moins  pressé 
que  d'autres  de  se  prononcer  entre  deux  tendances  religieuses, 
dont  l'une  ne  devait  réaliser  que  plus  tard  les  aspirations  évangé- 
liques. 

Mais  si  Budé  n'a  point  appartenu  à  la  tendance  novatrice,  ses  tra- 
vaux l'ont  singulièrement  favorisée.  Il  a  fait  plus  que  tout  autre 
pour  la  susciter,  pour  la  munir  de  moyens  d'action,  pour  lui  créer 
un  milieu  où  elle  pût  vivre.  Le  grec  dont  il  a  introduit  l'étude  en 
France,  n'était-il  pas  la  langue  du  Nouveau-Testament,  langue  sus- 
pecte d'abord  à  l'Eglise  et  sévèrement  condamnée  par  la  Sorbonne  ? 
Budé  l'a  préconisée  et  maintenue  contre  elle  avec  le  plus  ferme  cou- 
rage. Le  Collège  de  France,  dont  il  a  provoqué  l'établissement,  n'a- 
t-il  pas  été  dans  notre  pays  la  source  du  libre  savoir,  l'organe  de  la 
pensée  scientifique,  et  n'est-ce  pas  sur  son  enseignement  que  se  sont 
réglés  les  collèges  et  les  académies  de  la  Réforme  comme  la  théo- 
logie catholique  a  continué  à  s'inspirer  de  la  Sorbonne?  Où  auraient 
pu  se  dresser  sans  Budé  les  chaires  de  langues  sacrées  de  Danés  et 
de  Vatable  et,  plus  tard,  la  chaire  de  philosophie  de  Ramus?  Sans 


424  BIBLIOGRAPHIE. 

eux  et  leurs  émules,  l'air  et  la  lumière  auraient  également  manqué  au 
protestantisme. 

Par  un  autre  côté  aussi  l'influence  de  Budé  a  été  grande  sur  les 
églises  de  la  Réforme  :  je  veux  parler  de  l'exégèse  biblique  que  l'il- 
lustre savant  n'a  point  abordée,  mais  sur  laquelle  il  a  exercé  une 
influence  indirecte  des  plus  puissantes.  Ses  Annotations  sur  les 
Pandectes  ont  donné  un  modèle  d'interprétation  qui  a  aussitôt  fait 
loi  dans  les  écoles  de  droit.  Or  ces  écoles  n'étaient  point,  comme 
aujourd'lmi,  séparées  par  un  abîme  de  celles  de  théologie.  Nos  réfor- 
mateurs passaient  volontiers  d'une  discipline  à  l'autre  et  portaient 
dans  les  études  religieuses  les  habitudes  d'esprit  qu'ils  avaient  con- 
tractées dans  celles  de  jurisprudence.  On  sait  ce  qu'était  devenue 
la  compilation  de  Justinien  sous  les  commentaires  du  moyen  âge. 
Accurse  avait  composé  sur  ce  texte  une  glose  continue  récapitulant, 
en  six  volumes,  toutes  celles  de  ses  prédécesseurs.  C'était  à  se 
perdre  dans  ce  fouillis  inextricable  d'explications.  Que  fit  Budé? 
«  Le  premier  de  son  siècle,  il  revint  à  une  étude  vraiment  scienti- 
fique du  droit  et  en  releva  les  fondements  que  les  affreuses  ruines 
de  la  barbarie  avaient  ensevelis.  »  Il  discrédita  Bartliole,  Baldus, 
Alexandre,  le  Palermitain,  et  fit  justice  de  la  fausse  science.  Pour 
expliquer  le  vrai  'sens  des  anciennes  lois,  il  eut  recours  à  la  philo- 
logie dont  il  avait  le  génie,  à  l'histoire  et  aux  usages  de  l'antiquité 
dont  il  avait  une  connaissance  prodigieuse.  Il  est  impossible  de 
dénombrer  les  contre-sens  et  les  erreurs  ridicules  dont  il  purgea  la 
jurisprudence.  Or,  ce  qu'il  fit  pour  le  droit,  c'est  ce  que  fit  Calvin 
ï»our  la  théologie.  Les  Commentaires  du  réformateur  sur  la  Bible 
étaient  fondés  sur  les  mêmes  principes  que  les  Annotations  de 
Budé  sur  leDigeste  :  l'histoire,  la  philologie,  le  bon  sens,  prévalaient 
d'un  côté  comme  de  l'autre  et  triomphaient  des  superstitions  et  des 
billevesées.  Calvin  ne  procède  pas  moins  de  Budé  qu'Alciatet  Cujas. 

Yoilà  par  quels  côlés  la  Réforme  se  réclame  ajuste  titre  du  grand 
huuianiste.  Elle  revendique  sans  restriction  ses  fils  venus  à  Genève 
avec  sa  veuve  quelques  années  après  la  mort  de  leur  père.  Nul  ne 
pouvait  mieux  que  leur  descendant,  M.  Eug.  de  Budé,  nous  raconter 
en  détail  leur  histoire.  Il  s'est  borné  à  des  indications  succinles, 
soit  par  une  juste  réserve  dans  un  sujet  qui  le  touche  de  près, 
soit  pour  ne  pas  compromettre  l'unité  de  son  œuvre.  Tout  l'intérêt 
(le  son  livre  S(^  conceutre  donc  sur  son  héros.  Cet  intérêt  que  le 


BIBLIOGRAPHIE.  425 

lecteur  partage,  est  très  vif,  on  s'en  doute  bien,  de  la  part  de  l'his- 
torien lui-même,  mais  sans  compromettre  son  impartialité  :  celle-ci 
est  complète  et  d'une  sérénité  inaltérable.  L'écrivain  a  plutôt  dissi- 
mulé que  trop  laissé  voir  les  sentiments  qu'il  a  apportés  à  son  étude  : 
on  les  distingue  néanmoins  et  l'on  s'y  associe  avec  une  vraie  sympa- 
thie. On  lui  sait  d'autant  plus  gré  de  n'être  pas  tombé  dans  le  pané- 
gyrique, d'avoir  été  exact,  mesuré,  complet,  et  d'avoir  ajouté  à  tant 
de  travaux  publiés  sur  la  Renaissance  un  volume  solide  où  l'érudi- 
tion n'exclut  pas  l'élégance  et  n'a  rien  qui  rebute  le  simple  lec- 
teur désireux  de  s'instruire. 

M.-J.  Gaufrés. 


1»  Notice  sur  Jean  Evrard,  ingénieur  du  roi  Henri  IV,  par  V.  Servais 
(14  p.  in-S"  dans  les  Mémoires  de  la  société  des  sciences,  lotlres  ot 
arls  de  Bar-le-Duc,  tome  111,  2°  série  1884). 

2°  Jean  Errard  de  Bar-le-Diic,  c  premier  ingesnicur  du  très  clireslien 
roy  de  France  et  de  Navarre  Henry  IV  s.  Sa  vie,  ses  œuvres,  sa  forti- 
fication (lettres  inédites  de  Henri  IV  et  de  Sully),  par  Marcel  Lalle- 
mcnd  et  Alfred  Boinette.  1  vol.  iu-12  de  vi  et  332  pages.  Paris  1884 1. 


Il  y  a  deux  manières  de  concevoir  la  biographie.  On  peut  se  con- 
tenter d'une  simple  nomenclature  des  laits  et  gestes  du  personnage 
dont  on  entreprend  d'écrire  l'histoire  ;  on  peut  se  borner  à  des  dis- 
cussions de  dates  et  de  généalogies.  La  courte  notice  de  M.  V.  Ser- 
vais, d'ailleurs  utile,  n'échappe  pas  à  ce  défaut.  Mais,  s'il  est  vrai 
que  la  biographie  vraiment  digne  de  ce  nom  doit  reproduire  une 
physionomie  historique  avec  tout  ce  qui  vient  se  grouper  autour 
d'elle,  si  elle  doit  mettre  en  lumière  une  vie  cl  rattacher  à  riiisloire 
générale  les  événements  particuliers  dont  se  compose  l'existeiu'e 
d'un  individu,  MM.  Lallemend  et  Boinette  ont  réussi  à  faire  du  |ior- 
traii  qu'ils  nous  doniunit  un  tableau  achevé.  La  fîgni'c  originab'  de 
Jean  Errard  se  meut  au  milieu  des  hommes  et  des  choses  de  son 
siècle  sans  se  perdre,  mais  sans  que  les  auteurs  tnnibcnl  d.uis  ]e 

1.  Librairie  de  Dumoulin.  Quai  des  Augusliiis. 


426  BIBLIOGRAPHIE. 

défaut  trop  commun  d'exagérer  et  de  grossir  outre  mesure  la  valeur 
et  l'importance  de  leur  héros.  Des  documents  inédits,  une  érudition 
puisée  à  des  sources  très  diverses,  —  trop  diverses  peut-être,  — des 
appréciations  neuves  et  quelquefois  hardies,  des  esquisses  jetées  en 
quelques  traits  heureux,  donnent  beaucoup  d'attrait  et  de  saveur  à 
ce  livre,  qui  n'est  rien  moins  que  banal. 

L'ingénieur  d'Henri  IV  n'était  guère  connu  que  par  quelques 
articles  de  dictionnaires,  l'un  reproduisant  l'autre,  selon  l'usage. 
La  France  protestante  (1"  édit.,  tome  IV,  p.  541)  lui  consacre  à 
peine  treize  lignes.  On  peut  dire  que  Jean  Errard  était  à  peu  près 
tombé  dans  l'oubli,  oubli  qu'on  trouvera  bien  immérité  après  avoir 
suivi  avec  ces  excellents  biographes  le  cours  de  cette  vie  si  utile. 
«  Errard,  nous  disent  MM.  L.  et  B.  (p.  3),  fut  l'un  des  rénovateurs 
des  sciences  exactes  ;  il  fut  mêlé  à  toutes  les  guerres  de  1588  à  1610; 
de  son  habileté  dépendirent  à  certains  moments  la  couronne  de 
Henri  IV  et  l'indépendance  de  notre  pays.  Il  coopéra  à  l'organisa- 
tion du  génie  et  cà  la  réorganisation  de  l'artillerie;  il  importa  le 
système  de  fortification  qui  forme  encore  la  base  de  la  fortification 
moderne;  il  en  donna  les  règles,  il  les  mit  en  pratique  et  pendant 
vingt  ans  travailla  à  la  grandeur  de  la  France.  Chose  étrange  :  il 
est  tombé  dans  l'oubli...  Il  est  presque  inconnu  à  ses  contemporains; 
tous  attrii)uent  à  d'autres  ou  s'attribuent  à  eux-mêmes  le  mérite  de 
ses  travaux.  Sa  gloire  s'est  absorbée  dans  celle  de  Sully...  » 

Je  n'essaierai  pas  d'analyser  le  livre  de  MM.  Lallemend  et  Boi- 
nette,  qui  sera  entre  les  mains  de  tous  ceux  qu'intéresse  l'histoire 
du  XVI' siècle;  mais  qu'il  me  soit  permis  d'appeler  spécialement 
l'attention  et  les  recherches  des  lecteurs  de  ce  Bulletin  sur  un  point 
important,  auquel  j'aurais  souhaité  de  voir  nos  auteurs  moins  indif- 
férents. Jean  Errard  a-t-il  été  protestant?  MM.  L.  et  B.  semblent  le 
soupçonner  (p.  20),  mais  ils  ne  parlent  de  leur  conjecture  qu'à  mots 
couverts,  comme  s'ils  redoutaient  d'attirer  l'attention  sur  celte  ques- 
tion cependant  si  im|»ortante,  même  au  point  de  vue  strictement 
historique.  Que  de  nos  jours,  un  ingénieur,  un  constructeur  de 
citadelles  soit  protestant  ou  catholique,  il  n'importe  guère;  mais 
lorsqu'il  s'agit  du  xvi''  siècle  où  la  patrie  religieuse  tenait  autant, 
sinon  plus  de  place  dans  les  cœurs  que  la  patrie  politique,  qui 
n'aperçoit  la  valeur  de  la  question  que  nos  auteurs  ont  liésité  à  se 
poser?  II  vaudrait  la  peine  d'élucider  ce  doute  et  de  se  demander  si 


BIBLIOGRAPHIE.  427 

Errard  doit  être  rayé  de  la  nouvelle  édition  de  la  France  proies- 
tante,  ou  si  au  contraire  son  nom  doit  y  être  maintenu.  Les  argu- 
ments positifs  manquent  encore,  mais  en  attendant  mieux,  le  livre 
de  MM.  L.  elB.  nous  offre  quelques  probabilités  qui  pourront  guider 
les  recherches  des  lecteurs  du  Bulletin,  et  qui  autorisent  jusqu'à  un 
certain  point  l'opinion  que  Jean  Errard  se  rattacha  au  protestantisme 
à  une  époque  de  sa  vie. 

1°  Jean  Errard,  né  à  Bar-le-Duc  en  1554,  entra  de  bonne  heure 
au  service  de  son  souverain  le  duc  de  Lorraine,  En  4584',  il  dédie  à 
Charles  III  le  premier  livre  des  instruments  mathématiques, 
imprimé  à  Nancy.  Avant  1588  (p.  21)  on  le  voit  quitter  brusque- 
ment le  service  de  Lorraine  pour  entrera  celui  des  ennemis  de  son 
prince,  des  ducs  de  Bouillon,  dont  il  devint  jusqu'à  sa  mort  (en  1610) 
un  serviteur  fidèle.  Il  prend  une  part  brillante  à  la  défense  de 
Jametz,  où  il  vint  se  jeter  avec  quelques  compagnies  de  gens  de  pied, 
tira  parti  de  toutes  les  ressources,  multiplia  les  obstacles  et  suppléa 
à  l'insuffisance  des  fortifications  par  des  dispositions  ingénieuses  et 
des  «  nouveautés  incogneues  ».  On  lira  avec  intérêt  le  récit  émou- 
vant (p.  30  à  55)  de  ce  siège  mémorable  où  une  poignée  d'hommes 
résolus  et  animés  d'un  véritable  enthousiasme  religieux  tint  tète 
pendant  deux  ans  à  toutes  les  forces  de  la  Lorraine.  —  On  a  peine  à 
se  figurer  un  catholique  dirigeant  la  résistance  acharnée  de  ces  vail- 
lants huguenots! 

2°  Après  la  chute  de  Jametz,  Errard  combat  sous  la  cornette 
blanche  de  l'armée  d'Henri  IV.  Nos  auteurs  sont  surpris  (p.  104)  de 
ne  pas  le  voir  «:  à  rhonneur  bien  qu'il  eût  été  à  la  peine  »  et  de  ne 
pas  trouver  son  nom  dans  les  listes  des  officiers  qui  assistèrent  aux 
cérémonies  de  l'abjuration  du  roi  en  1593  et  à  son  sacre  en  1594. 
Cette  abstention  n'est-elle  pas  bien  significative? 

3°  L'un  des  deux  fils  de  Jean  Erraril,  marié  d'ailleurs  dans  l'église 
romaine  en  16:23,  porte  le  prénom  biblique  et  essentiellement  pro- 
testant (VAbdias. 

4°  Enfin,  voici  presque  une  certitude.  En  1603,  Télecteur  palatin 
désirait  élever  une  forteresse  «  pour  la  défense  de  la  vraie  religion, 
sur  le  terrain  qui  sépare  son  territoire  de  la  France  »  (Sully,  Oec. 
Rotj.).  A  qui  s'adresse-t-il  sur  le  conseil  du  duc  de  Bouillon?  A  qui 
demandera-t-il  des  plans?  A  nul  autre  qu'Errard,  le  premier  ingé- 
nieur (lu  roi  de  France.  —  Et  (|uol  émissaire  lui  dépéche-t-il  avec 


4â8  BIBLIOGRAPHIE. 

une  leltro  publiée  pour  la  première  fois  par  MM.  L.clB.?  Benjamin 
Aiv^uenet  {Cî. Frcmce  prot. ,'2,"  édit.,tome  I,  p.265),quifut  plus  tard 
pasteur  de  Lixheim  et  ensuite  de  Vitry. 

Ce  ne  sont  là  que  des  probabilités,  mais  elles  sembleront  presque 
décisives  à  tout  lecteur  non  prévenu.  Elles  pourront,  du  reste,  se 
changer  en  certitudes  si,  comme  nous  l'espérons,  ces  lignes  pro- 
voquent quelques  recherches  de  la  part  des  lecteurs  du  Bulletin^ 
familiarisés  avec  les  mémoires  et  les  correspondances  inédites  ou 
imprimées  du  temps. 

MM.  Lallemend  et  Boinette,  personne  ne  s'en  plaindra,  n'ont  pas 
craint  d'aborder  les  considérations  générales.  Il  y  a,  au  chapitre  III, 
sur  le  protestantisme,  son  organisation,  ses  projets,  bien  des  pages 
(p.  56  à  83)  où  l'on  trouverait  ample  matière  à  discussion.  Nos 
auteurs  jugent  avec  raiion  que  la  Réforme  fut  un  grand  accroisse- 
ment de  la  foi,  mais  comment  les  comprendre  lorsqu'ils  assurent 
qu'à  cet  accroissement  de  la  foi  (p.  03)  correspondit  une  égale  dimi- 
nution delà  pensée!  Ils  accusent,  et  nous  félicitons  laRéforme  d'avoir 
fait  «  dévier  cette  admirable  révolution  sceptique  et  morale  qui  était 
née  de  la  Renaissance  :>).  Ils  entreprennent  la  réhabilitation  difficile 
de  Catherine  de  Médicis  et  de  Henri  III;  ils  amnistieraient  volontiers 
au  nom  de  la  politique  et  du  «  scepticisme  »  la  Saint-Barthélémy  ! 
Sans  doute,  Machiavel  a  absous  d'avance  la  reine  florentine;  mais 
aucun  historien  français  n'aura  la  même  indulgence  pour  cotte 
étrangère  qui  conduisit  la  France  à  un  abaissement  sans  pareil,  i)ar 
l'énervement  méthodique  des  caractères,  par  les  massacres  épouvan- 
tables de  1572,  par  les  crimes  de  la  Ligue;  et  Catherine  de  Médicis 
gardera  éternellement  la  responsabilité  de  ces  catastrophes  où  la 
patrie  faillit  sombrer.  Il  faut  le  répéter  sans  cesse  :  la  Réforme  a  été 
le  salut  de  la  France,  parce  que,  dans  notre  pays  surtout,  elle  a 
revêtu  ce  caractère  d'énergique  protestation  contre  les  dépravations 
raffinées  de  la  Renaissance  italienne.  Au  scepticisme  païen,  à  la 
morale  facile,  à  la  politique  cauteleuse  d'outre-monts,  elle  a  opposé 
des  caractères  vraiment  français,  des  âmes  fortes,  des  consciences 
loyales.  On  ne  saurait  assez  insister  sur  ce  côté  trop  méconnu  du 
vrai  caractère  français,  cette  gravité  austère  qui,  au  xvr  siècle  avec 
Calvin  et  Coligny,  au  xvii''  avec  Port-Royal,  réagit  contre  la  frivolité 
des  mœurs  et  l'avilissement  des  âmes.  Quel  n'eût  pas  été  l'avenir 
de  1.1  France  si  ce  bel  essor  n'avait  été  arrêté? 


CORRESPONUANCE.  429 

MM.  L.  et  B.  ne  se  contenteront  pas  sans  doute  dos  jugements  su- 
perficiels qu'ils  ont  porté  sur  le  grand  mouvement  d'aUVancliissemenl 
religieux  qui  s'appelle  la  Réformation.  Ils  sont  de  ceux  qui  aiment 
à  pénétrer  les  caractères.  Nous  osons  leur  recommander  l'étude  des 
grands  huguenots  du  xvi^  siècle.  Après  cet  examen,  ils  ne  jugeront 
sans  doute  plus  ce  siècle,  qui  est  peut-être  le  seul  digne  du  nom  de 
grand  siècle,  d'après  les  préjugés  et  les  paradoxes  de  V Essai  stir  les 
mœurs.  Ils  ne  demanderont  pas  à  Calvin  d'avoir  sur  la  tolérance  les 
idées  et  les  phrases  d'un  [)hilosophe  du  xviii*'  siècle.  En  tout  cas,  ils 
invoqueront  pour  l'apprécier  (p.  71)  des  documents  plus  authen- 
tiques que  les  fameuses  lettres  à  M.  du  Poët,  invention  d'un  faus- 
saire maladroit  dont  il  a  été  fait  justice  ici  même.  {Bull.,  IV,  7.  — 
Cf.  Lettres  fr.  de  Calvin,  éd.  J.  Bonnet,  II,  589). 

Ces  réserves  ne  nous  empêchent  pas  de  souhaiter  an  livre  de 
MM.  Lallemend  et  Boinette  tout  le  succès  que  mérite  une  œuvre 
aussi  distinguée  pour  le  fond  et  pour  la  forme.  Les  oi)inions  très 
indépendantes  des  auteurs,  leur  préoccupation  du  vrai,  leur  science 
des  choses  historiques  et  militaires,  méritaient  d'être  signalées  aux 
lecteurs  du  Bulletin, el  recommanilées  à  leur  plus  sérieuse  attention, 

H.  Dannueutheu. 


CORHESPONDANCE 


LA  SAliNT-BARTllELEMY  A  TOULON- 

Toulon,  le  11  juin  188 i. 

Monsieur, 

L'épisode  suivant,  rchitil  ;'i  hi  Sa'mt-Barlhélemy  à  Toulon,  m'a  paru 
aussi  romar<[ual)lc  qu'ignoré.  La  rareté  des  traces  laissées  par  le  [irotes- 
tanlisuic  dans  l'est  de  la  Ijasse-Provence  ajoute  encore  à  l'intérêt  de  ce 
récit.  11  est  signalé  comme  inédit  par  un  ouvrage  Inipriuié  en  pi'ovincc 

1.  Nous  ne  pouvons  insérer  cet  article  reçu  à  la  veille  de  cruollcs  épreuves, 
sans  exprimer  nos  vives  sympathies  à  l'Église  réformée  de  Taulon  et  à  ses 
deux  fidèles  pasteurs.  {Réd.) 


4-30  COKHESf'ONDANCE. 

et  sans  doute  peu  répandu:  c.  Histoire  de  l'île  Ste  Marguerite,  du  château- 
fort  de  Tarascon,  du  fort  Lamalgueet  dufort  St  Nicolas  ;  par.  A.  Lardicr, 
à  Maiseillc,  chez  Deretz  Séverin  et  C'%  1845.  »  II  est  regrettable  que 
l'auteur,  qui  fait  allusion  à  des  sources  manuscrites,  ne  les  indique  pas 
au  cours  de  son  travail,  d'ailleurs  rédigé  dans  un  but  populaire,  non 
d'érudition.  Ce  livre  ne  s'étant  trouvé  qu'accidentellement  à  ma  disposi- 
tion, je  me  suis  empressé  d'en  garder,  par  une  copie  textuelle,  la  portion 
(p.  260  et  suiv.)  ci-dessous  reproduite  et  qui  me  paraît  de  nature  à  inté- 
resser les  lecteurs  dn  Bulletin. 

Agréez,  monsieur,  mes  salutations  respectueuses, 

A.  ScnLŒSiNG,  pasteur. 

A  l'occasion  de  la  Saiiit-Barthélemy,  on  a  beaucoup  parlé  et  avec 
raison,  de  l'honorable  conduite  du  commandant  de  Bayonne,  qui 
répondit  à  Charles  IX  :  «  Sire,  j'ai  voulu  faire  exécuter  vos  ordres, 
mais  dans  la  ville  dont  vous  m'avez  confié  le  commandement,  je  n'ai 
trouvé  que  des  sujets  fidèles  de  Votre  Majesté,  et  pas  de  bourreaux.  » 
Il  est  étonnant  qu'aucun  historien  ne  dise  un  mot  de  Nicolas  de 
Pignans,  alors  commandant  de  la  Grosse  Tour  (à  l'entrée  de  la 
Petite  rade)  et  dont  la  conduite  à  cette  occasion  ne  fut  pas  moins 
généreuse  et  noble.  Le  souvenir  n'en  a  été  retrouvé  que  par  hasard, 
dans  un  manuscrit  de  l'époque,  et  n'a  point  été  reproduit.  On  sait 
au  surplus  que  de  pareils  exemples  ne  furent  pas  rares  en  Provence, 
et  que  le  sang  protestant  y  fut  épargné  dans  beaucoup  de  localités, 
bien  que  la  haine  qui  divisait  les  deux  sectes  y  fût  plus  ardente  que 
partout  ailleurs.  Mais  on  est  obligé  de  reconnaître  que  cette  circons- 
tance honorable  pour  le  pays  fut  due  à  l'humanité  de  quelques  chefs 
plutôt  qu'aux  dispositions  des  habitants. 

Il  en  fut  ainsi  à  Toulon.  Les  protestants  y  étaient  peu  nombreux 
et  par  cela  même  plus  exposés  aux  attaques  de  la  population  catho- 
lique qui  ne  les  aurait  pas  ménagés.  Le  commandant  de  la  Grosse 
Tour  quoique  catholique  lui-même,  voulut  les  sauver  et  épargner 
une  tache  à  la  ville  où  il  exerçait  un  commandement.  Il  s'était  tou- 
jours fait  remarquer,  d'après  le  manuscrit  que  nous  venons  de  citer, 
par  une  bravoure  brillante, qui  lui  avait  valu  le  poste  qu'il  occupait, 
et  par  des  qualités  plus  précieuses  encore,  origine  de  l'estime  et 
de  l'alfcction  qu'avaient  pour  lui  tous  les  habitants  de  Toulon. 

Aux  premières  nouvelles  de  ce  qui  ^venait  de  se  passer  à  Paris,  il 
fil  en  secret  et  individuellement  avertir  les  protestants  qu'ils  trou- 


CORRESPONDANCR.  431 

veraieiit  un  refuge  à  la  Grosse  Tour  dont  l'accès  leur  serait  toujours 
ouvert,  et  où  ils  pourraient  demeurer  aussi  longtemps  qu'il  y  aurait 
pour  eux  danger  à  habiter  la  ville.  Ignorant  le  nombre  de  ceux  qui 
pourraient  profiter  de  cette  invitation,  il  les  fit  engager  en  même 
temps  à  se  munir  de  vivres. 

En  conséquence,  environ  vingt  familles  protestantes  se  rendirent 
à  la  Grosse  Tour,  avant  l'arrivée  des  ordres  qui  avaient  été  donnés 
par  la  cour,  à  toutes  les  localités,  pour  le  massacre  des  dissidents. 
Il  est  douteux  même  que  ces  ordres  aient  été  envoyés  à  Toulon,  car 
il  ne  s'y  passa  rien  qui  puisse  le  faire  soupçonner,  et  ceux  des  pro- 
testants que  des  raisons  particulières,  ou  plus  de  confiance  que  leurs 
coreligionnaires,  portèrent  à  ne  pas  quitter  la  ville,  n'y  reçurent  au- 
cune injure.  Peut  être  la  sécurité  dont  ils  jouirent  doit  être  attribuée 
plutôt  à  la  tolérance  des  habitants  qu'à  la  bonne  volonté  des  chefs 
du  parti  catholique.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  conduite  du  commandant 
de  la  Grosse  Tour  n'en  est  pas  moins  honorable. 

Il  y  eut  bien  à  Toulon  quelques  voix  qui  se  firent  entendre  pour 
le  blâmer,  il  y  eut  bien  quelques  fanatiques  dont  les  discours  pro- 
voquèrent à  l'effusion  du  sang,  mais  ce  fut  sans  résultat,  et  la  ville  fut 
du  petit  nombre  de  celles  qui,  dans  le  Midi,  ne  furent  pas  souillées 
par  des  imitations  de  la  Saint-Barthélémy  de  Paris. 

Cependant,  à  la  Grosse  Tour  même,  la  dissidence  de  culte  qui 
causait  alors  tant  de  troubles  et  faisait  couler  tant  de  sang,  amena 
une  rixe  particulière,  qui  fut  la  cause  de  la  mort  de  deux  hommes, 
et  fut  sur  le  point  de  causer  une  plus  grande  catastrophe.  Les  sol- 
dats de  la  garnison,  tous  catholiques,  avaient  fait  entendre  quelques 
murmures  en  apprenant  les  dispositions  prises  par  leur  commandant 
envers  les  protestants,  et  surtout  en  voyant  leur  exécution.  Un  d'eux, 
le  lendemain  de  l'arrivée  des  réfugiés  à  la  forteresse,  insulta  gros- 
sièrement une  jeune  femme.  Le  mari  prit  sa  défense,  quelques  sol- 
dats d'une  part,  quelques  protestants  de  l'autre,  se  mêlèrent  à  la 
querelle,  qui  commençait  à  prendre  un  caractère  de  gravité  alar- 
mant, lorsque  le  commandant  intervint  et  la  fit  cesser. 

Mais  elle  n'en  devait  pas  moins  avoir  une  fâcheuse  issue.  Quelques 
instants  après  que  le  calme  eût  été  rétabli,  le  soldat  qui  avait  pro- 
voqué cette  rixe  rencontra  sur  l'esplanade  de  la  Tour,  le  protestant 
dont  il  avait  insulté  la  femme,  et  sans  provocation,  sans  lui  adresser 
un  mot,  le  tua  d'un  coup  de  pertuisane.  Cet  acte  de  férocité  fut  sur 


■ïài  CORKESPONDANCE. 

le  point  d'amener  une  scène  sanc^lante,  car  plusieurs  prolestants 
s'apprêtaient  à  venger  la  victime  parla  mort  de  l'assassin,  qui,  sans 
doute,  eût  été  défendu  par  ses  camarades;  mais  la  fermeté  du  com- 
mandant vint  encore  prévenir  ces  malheurs,  en  faisant  immédiate- 
ment arrêter  et  mettre  au  cachot  le  soldat,  qui  fut  pendu  le  lendemain . 
Au  surplus,  les  réfugiés  ne  firent  qu'un  très  court  séjour  à  la  ci- 
tadelle. Le  calme  dont  ils  surent  qu'avaient  joui  ceux  de  leurs  core- 
ligionnaires qui  n'avaient  pas  quitté  la  ville,  les  engagea,  peu  de 
jours  après,  à  revenir  dans  leurs  foyers,  sans  affaiblir  la  reconnais- 
sance qu'ils  devaient  et  qu'ils  exprimèrent  au  brave  commandant. 
Celui-ci  ne  jouit  pas  longtemps  de  l'estime  et  de  la  considération 
qui  l'entouraient  déjà,  et  qu'avait  accrue  sa  conduite  dans  celte  cir- 
constance. Un  matin,  et  quelques  mois  après  les  événements  dont 
nous  venons  de  parler,  on  trouva  son  cadavre  percé  de  plusieurs 
coups  de  poignard,  dans  le  court  chemin  qui  sépare  Toulon  de  la 
Grosse  Tour.  On  se  perdit  en  conjectures  sur  l'auteur  de  ce  meurtre, 
car  on  ne  connaissait  pas  d'ennemis  au  commandant,  et  on  trouva 
sur  lui  sa  montre  et  sa  bourse.  Dans  un  moment  d'ivresse  le  coupable 
se  décela,  en  se  vantant  de  son  forfait  qu'il  appelait  une  vengeance. 
C'était  un  matelot  corse  embarqué  sur  des  navires  français,  et  qui 
pour  quelques  délits  avait  été  enfermé  pendant  un  an  à  la  Grosse 
Tour.  II  n'avait  aucun  motif  d'animosité  particulière  contre  le  com- 
mandant qui,  au  contraire,  avait  cherché  à  adoucir  les  rigueurs  de 
sa  captivité.  Mais  son  caractère  déjà  irascible,  encore  aigri  par  le 
châtiment  qu'il  venait  de  subir  et  qu'il  croyait  injuste,  l'avait  porté 
à  la  révolte  contre  la  société  et  tous  ses  membres.  11  voulut  en  linir 
avec  la  vie  et  ne  pas  mourir  sans  vengeance,  et  il  choisit  pour  l'as- 
souvir, celui  qui  avait  été  l'instrument  bien  involontaire  de  ses  der- 
nières souffrances.  Le  but  qu'il  s'était  proposé  fut  facilement  atteint. 
Arrêté  et  mis  en  jugement,  il  montra  le  cynisme  des  scélérats  qui 
vont  au-devant  de  la  mort,  ne  repoussa  aucune  des  preuves  qu'on 
lui  donna  de  son  crime,  ne  nia  rien,  et  ne   demanda  à  ses  juges 
(ju'uiie  prompte  décision.  Ses  vœux  furent  exaucés  et  bientôt  sa  vie 
terminée  sur  un  échafaud  fut  oll'erte  comme  une  faible  expiation  à 
la  perle  du  brave  de  Pignans. 


Le  Gérant  :  Fischbacher. 


lîounLOToN,  liuprimcrics  rûmiies,  B. 


SOCIETE  DE  L'HISTOIRE 


DU 


PROTESTANTISME  FRANÇAIS 


FÊTE  DE  LA   RÉFORMATION 

A  messieurs  les  pasteurs  des  Églises  réformées  de  France. 


Paris,  16  septembre  1884. 


Cher  et  honoré  pasteur, 


Il  y  aura  bientôt  vingt  ans  que  notre  Société  provoquait  l'établis- 
sement d'une  Fête  destinée  à  commémorer  les  grands  souvenirs  de 
la  Réforme  (Bull.,  t.  XV,  p.  205.) 

Nous  disions  peu  après  : 

c  L'année  1866  a  marqué  dans  notre  œuvre  historique  une  phase 
nouvelle. 

»  Nous  avons  modifié  le  Bulletin,  institué  des  concours,  décerné 
des  prix,  fondé  une  Bibliothèque  où  viennent  s'accumuler  les  tré- 
sors anciens  et  nouveaux  de  notre  littérature  réformée. 

»  Pour  suffire  à  sa  tâche,  pour  satisfaire  aux  initiatives  du  pré- 
sent comme  à  celles  de  l'avenir,  des  ressources  nouvelles  sont  indis- 
pensables à  notre  Société.  Elle  ne  saurait  les  demander  au  Bulletin 
qui  peut  à  peine,  vu  la  modicité  de  son  prix,  couvrir  ses  frais. 

»  C'est  de  la  libéralité  des  protestants  français  qu'elle  attend  le 
budget  nécessaire  à  l'accomplissement  de  sa  mission. 

»  Déjà  ce  devoir  est  compris,  et  c'est  avec  gratitude  que  nous 
avons  inscrit  les  noms  de  cinquante-quatre  Églises  qui  nous  ont 
adressé  le  produit  de  collectes  spéciales. 

XXXIII.  —  28 


434.  FÊTE   DE    LA   RÉFORMATION. 

»  Que  cet  usage  se  généralise,  que  la  généreuse  inspiration  de 
de  quelques-uns  devienne  celle  de  tous,  et  notre  Société  affranchie 
de  tristes  nécessités,  prendra  rang  parmi  les  institutions  les  plus 
prospères  comme  les  plus  utiles  de  notre  Église  .  » 

Dix-huit  ans  sont  écoulés  depuis  que  nous  tenions  ce  langage,  et 
le  nombre  des  Églises  donatrices  a  dépassé  le  chiffre  de  cent,  pour 
un  subside  annuel  de  moins  de  3000  francs. 

Est-ce  assez  pour  réaliser  les  vœux  et  satisfaire  les  légitimes  am- 
bitions d'une  Société  telle  que  la  nôtre  ? 

C'est  à  vous,  cher  pasteur,  de  répondre  à  cette  question  selon  les 
sentiments  de  justice  et  de  libéralité  qui  vous  animent. 

Dans  Texercice  courant,  deux  Églises  importantes,  celle  de  Bor- 
deaux et  celle  du  Saint-Esprit  à  Paris,  ont  décidé  que  la  collecte 
de  la  Fête  de  la  Réformation  serait  désormais  consacrée  à  notre 
œuvre  historique. 

L'Église  des  Batignolles  était  entrée  dans  celte  voie,  l'an  dernier, 
et  nous  l'en  remercions  vivement. 

Que  cet  exemple  soit  suivi  à  Paris  et  ailleurs,  dans  les  campagnes 
et  dans  les  villes,  et  notre  Société  parvenue  à  sa  trente-troisième 
année  d'existence,  c'est-à-dire  de  services  rendus  à  une  cause  qui 
nous  est  chère,  verra  s'ouvrir  une  nouvelle  ère  de  prospérité  pour 
ses  travaux. 

Agréez  nos  fraternels  hommages. 


J.  B. 


COLLECTES    DE   1883 


Aiguesvives 1.3     »    Bernis 5     » 

Anduze i")  25    Roule 28     » 

Angers  (Église    libre) .5-45    Bolbec ti8     » 

Arles Il     »    Houlngne-sur-Mer 22     » 

Aubais 24     »    Boulognc-sur-Si-inc 25     » 

Aubenas 20    »    Bourgoin 35  45 

Aumessas 17  50    Bi'iL;iion 28  56 

Bâle .50    »    Caen Oi  50 

Barbczieux 9  05   Castres 135  50 

Bayonne 25  60   Caussade 1  i     » 

Beaumont-lez-Valence ....  5     »    Cette 60    » 

Bergerac 1 23    >    Châtillon-sur-Loire 1 7  35 


FETE 

Clermont-Ferrand, 

Codognan 

Cournonterral 

Creysscilles 

Dieppe 

Épinal 

Ferney 

Fontainebleau  (Égl.  libre). 

Gemozac 

Gensac 

Héricourt 

Labastide-sur-l'Hers 

Lacépède 

La  Grand'Combc 

La  SaUe 

Le  Chambon 

Le  Havre  (Chap.  Évang.).. 

Le  Mans 

Lillebonne. . .    

Logrian 

Lunel 

Lunéville 

Marennes 

Mauguio 

Mazamet  (Église  libre). . . 

Mazamet  (Culte  suppl.) . . . 

Meaux , 

Meaux  (Pasteur  Boissard). 

Meauzac 

Meyrueis 

Mialet 

Milbaud 

Milhau 

Monoblet 

Moissac-Saint-Romans.. . . 

Montauban  (Église  libre)., 

Monlbéliard 

Montpellier 

Montpellier  (Église  libre). 

Mouchamps 

Nantes 


DE   LA  RÉFORMATION.  435 

34  J    Nègrepelisse 30    » 

18     »    Niort 15     » 

35  »    Nyons 13     » 

5    ï 

15     »  l'-^Ris  : 

32  40     . 

Eglise  de  lEtoile 2.50    » 

15    »      * 

Oratoire 202  10 

2o     » 

Batignolles 81  55 

_  _„    Asile  Lauibrechts 27  iiO 

'   '      Chapelle  Madame 35  50 

28     D 

15  f    Périgueux 5     » 

10     »    Pignan 9     » 

10     »    Poitiers 14    » 

55    y>    Piéalmont 52  50 

31  40   Relizane 5     » 

230    s    Rouen 160  15 

20     »    S'-Ambroix 24     » 

38  25    S'-Antonin  . . , 15     » 

17     »    S'^-Croix  Vallée  française.  33    » 

25    »    S'-Étienne 52     » 

20     »    S'-Gilles H     * 

10    T>    S'-Hippolyte  (Égl.indép.).  29  30 

16  50    S'-Hippolyte  (Église  libre).  7     » 

4155   S'-Jean-de-Bruel 5    » 

87  35   S'-Laurent  de  Gros 8  55 

112    »    S'-Maraert 15  20 

15    »    S'-MicheldeChabrillanoux.  7  30 

10     »    S'-Michel  de  Dcze 35     » 

13    3   S"-Marie  aux  Mines 47     » 

15  00   Salies  de  Béarn 10     » 

19  T>    Strasbourg  (Égl.  S'-Nicolas)  20    » 

17  »    Tonneins 12     » 

20  65   Toulouse 00    » 

30    î    Tours 28  95 

00     »    Vabre 38     » 

90     »    Valence 50     » 

51  50  Vallerauguc 21     » 

75     »   Vauvert 30    » 

25     »    Vesoul 23     » 

71  60   Viane ■  22     i 


436  FÊTE   DE  LA    RÉFORMATION. 


COLLECTES    ANCIENNES 

Reçues  en  1883 


Angers,  1882  (Égl.  libre)..        k  55   La  Salle,  1882 56  » 

Lyon,  1882 100  » 

^^^^^^  '■                         Nancy,  1882 80  » 

Pour  1880 7     »    S'«-Marie  aux  Mines,  1882.  50  » 

_    1881 6     »    Vire,  1882..... 9  > 


S'-Pargoire 


—    1882 7     » 

Boulogne-sur-Mer,  1882..      25    » 

Fleix,  1882 32    »       1881,  1882  et  1883 13  70 


A  monsieur  le  Président  de  la  Société  de  VHistoire 
du  Protestantisme  français. 


Paris  le  17  juin  1881. 


Monsieur  le  Président, 


Le  Conseil  presbytéral  de  la  paroisse  du  Saint-Esprit,  voulant  témoi- 
gner d'une  façon  effective  sa  sympathie  pour  l'œuvre  poursuivie  par  la 
Société  de  l'histoire  du  Protestantisme  français,  a,  dans  sa  dernière 
séance  et  sur  la  proposition  de  son  président,  décidé  qu'une  collecte  serait 
faite  annuellement  dans  les  lieux  de  culte  de  la  paroisse,  en  faveur  de 
cette  Société. 

Il  a  décidé  que  cette  collecte  serait  faite,  au  temple  du  Saint-Esprit  el 
à  la  chapelle  Millon,  dans  les  rangs  de  l'assemblée,  après  la  prédication, 
le  premier  dimanche  de  novembre,  jour  de  la  Fête  de  la  Piéformation. 
Elle  aura  donc  lieu  pour  la  première  fois  en  novembre  prochain. 

Nous  sommes  heureux  de  porter  cette  décision  à  votre  connaissance, 
et  nous  vous  prions  d'agréer,  monsieur  le  Président,  l'assurance  de  notre 
considération  la  plus  distinguée. 

Le  président  du  conseil  presbytéral, 

Le  secrétaire,  Ernest  Dhombres,  pasteur. 

E.    SOULIÉ. 


ETUDES   HISTORIQUES 


LES  QUATRE  MARTYRS  DE  DIJON 

1557. 

J'ai  raconté  {Bull. y  t.  XXYIII,  p.  433)  l'histoire  des  cinq 
martyrs  de  Chambéry,  ce  touchant  épisode  de  la  Réforme  fran- 
çaise dans  la  vieille  capitale  de  la  Savoie  sous  Henri  II.  Il  est 
peu  de  villes  de  l'ancienne  France  qui  n'aient  alors  payé  tribut 
à  la  persécution  inspirée  par  les  cardinaux  de  Tournon  et  de 
Lorraine  aux  conseils  de  la  monarchie.  Les  parlements  riva- 
lisent d'intolérance  avec  des  prélats  moins  français  qu'espa- 
gnols, et  l'exemple  donné  de  si  haut  trouve  de  farouches 
imitateurs  dans  la  vile  multitude  qui  se  porte  aux  derniers 
excès  contre  les  huguenots.  L'année  1557  marquée  par  le  dé- 
sastre de  St-Quentin  et  les  épreuves  de  l'Église  réformée  de 
Paris,  tramée  dans  les  cachots,  décimée  sur  les  bûchers,  a 
aussi  ses  journées  sinistres  dans  les  provinces,  et  c'est  un  de 
ces  épisodes  moins  connu  et  non  moins  digne  de  mémoire, 
que  j'emprunte  au  martyrologe  de  Crespin,  complété  par  de 
nouveaux  documents  \ 

La  ville  de  Dijon  avec  ses  tombeaux  des  ducs  de  Bourgogne, 
,ses  vieilles  églises,  ses  reliques,  objet  de  la  dévotion  popu- 
laire, ne  s'émut  que  tardivement  aux  souffles  de  la  Réforme 
apportant  au  monde  un  culte  épuré.  Située  sur  la  route  de 
Genève  à  Paris,  elle  dut  recevoir  d'assez  bonne  heure  la  visite 

1.  Histoire  des  martyrs,  édition  de  1597,  folios  401-410.  On  y  renvoie  le  lec- 
teur une  fois  pour  toutes  pour  le  complément  des  citations. 


438  LES   QUATRE  MARTYRS   DE   DIJON. 

des  colporteurs,  des  évangélistes  partis  des  bords  du  Léman 
pour  annoncer  le  message  du  salut  dans  les  vallées  de  la  Saône 
et  de  la  Seine.  Ses  premiers  martyrs  furent  de  simples  voya- 
geurs traversant  ses  murs,  sans  faire  acte  de  prosélytisme, 
mais  n'hésitant  pas  à  confesser  devant  les  juges  une  croyance 
qui  leur  était  plus  chère  que  la  vie.  Tel  fut  ce  Simon  Laloë, 
de  Soissons,  dont  la  pieuse  sérénité,  l'allégresse  en  face  de  la 
mort,  firent  une  telle  impression  sur  le  bourreau  chargé  de 
l'exécuter,  qu'il  se  retira  peu  après  à  Genève,  donnant  gloire 
à  la  croyance  qui  trouvait  de  tels  confesseurs'.  Tels  furent 
aussi  les  quatre  témoins  dont  je  vais  retracer  l'histoire,  dans 
un  ordre  un  peu  différent  de  celui  de  Crespin,  et  plus  favorable 
à  la  clarté  du  récit. 

Au  mois  de  juillet  1557,  deux  Français  originaires  de  Nor- 
mandie, Philippe  Le  Cène,  de  St-Pierre  sur  Dives,  et  Jacques 
Valtan  %  retirés  à  Genève  pour  cause  de  religion,  franchissant 
la  frontière,  alors  très  sévèrement  gardée,  du  Jura,  sans  ren- 
contrer nul  obstacle  sur  leur  chemin,  arrivaientà  Dijon,  simple 
halte  dans  un  voyage  d'affaires  dirigé  vers  Paris  et  leur  pro- 
vince natale.  A  peine  entrés  dans  la  ville,  ils  furent  arrêtés  el 
soumis  à  un  minutieux  interrogatoire  auquel  ils  répondirent 
en  toute  franchise,  sans  dissimuler  leur  croyance.  C'en  fut 
assez  pour  les  compromettre  gravement  aux  yeux  des  magis- 
trats qui  les  retinrent  en  prison,  sous  la  menace  d'un  procès 
d'hérésie. 

Cette  triste  nouvelle  se  répandit  aussitôt  à  Genève.  Les 
syndics  en  charge  ne  purent  apprendre,  sans  en  être  émus,  la 
captivité  de  deux  réfugiés,  domiciliés  dans  leur  ville,  y  exer- 
çant une  industrie,  et  n'ayant  commis  aucun  délit  qui  put 
motiver  la  rigueur  du  traitement  dont  ils  étaient  l'objet. 

1.  Histoire  des  martyrs,  f"  ^6"?.,  novembre  1553.  11  faut  mentionner  tout 
d'abord  un  jeune  Dijonnals  de  dix-neuf  ans,  un  admirable  martyr,  Hubert 
Burrc,  digne  précurseur  de  ceux  ((ui  vont  suivre.  Ibidem,  f"  185,  mars  1549, 

2.  On  donne  ici  pour  la  première  fois  ce  nom  ignoré  de  l'auteur  du  martyro- 
loge. 


LES  QUATRE  MARTYRS    DR    DIJON.  439 

Sous  l'inspiration  de  Calvin,  peut-être  sous  sa  dictée,  ils  écri- 
virent aux  magistrats  de  Dijon  la  lettre  suivante  : 

Sans  date  :  juillet  1557. 

Nobles,  sages  et  très  honorés  seigneurs,  nous  avons  entendu  que  deux 
hommes  estans  partis  de  nostre  ville  où  ils  se  trouvent  et  ont  leur  mes- 
naige,  en  passant  par  Digeon  ont  esté  arrestés  prisonniers,  et  que  là  on 
faict  leur  procès,  non  point  pour  maléfice,  mais  à  cause  de  la  Religion, 
voire  sans  qu'ils  aient  dogmatizé,  ne  faict  ou  dict  chose  contrevenante 
aux  édicts  du  Roy.  L'un  se  nomme  Philippes  de  Cesnes  apothicaire, 
l'aultre  Jacques  Valtan,  chaussetier.  Or  puisqu'ils  passoient  paisiblement 
leur  chemin,  nous  espérons  bien  que  vous  ne  leur  serez  pas  si  rigoreulx, 
que  aiant  veu  qu'il  n'y  a  eu  nulle  cause  en  leur  détention,  que  vous  ne 
les  relaschiez  facillement  ;  et  aussi  nous  pensons  bleu  qne  l'intention  du 
Roy  n'est  pas  qu'on  guette  ceulx  que  se  tiennent  vers  ses  humbles  voisins 
qui  ne  demandent  qu'à  luy  faire  service,  mais  plus  tost  qu'on  les  laisse 
aller  et  venir  quand  ils  ne  feront  nul  trouble,  ne  scandalle.  Nous  avons 
donc  confiance  en  vostre  humanité  que  vous  n'exercerez  nulle  rigueur  en 
ces  deux  pouvres  gens,  mais,  comme  nostre  debvoir  le  porte,  nous  vous 
prions  aussy  affectueusement  qu'il  nous  est  possible,  comme  en  une 
chose  qui  est  singulièrement  recommandée,  qu'il  vous  plaise  nous  gra- 
tifier en  les  délivrant  de  prison,  et  encores  que  vous  ne  leur  veuilliez 
permettre  le  passaige  par  le  Royaulme  de  France,  qu'il  vous  plaise  les 
renvoyer  vers  leurs  femmes  et  enfans  ;  et  de  nostre  part  nous  accepte- 
rons ceste  faveur  d'aussi  bon  cœur  qu'après  nous  estre  recommandez  à 
vostre  bonne  grâce,  nous  supplions  nostre  bon  Dieu  vous  maintenir  eu 
bonne  prospérité,  et  vous  conduire  toujours  par  son  esprit  en  vostre 
estât,  nobles,  saiges,  et  très  honorés  seigneurs, 
Vos  bons  aniys  et  vosins, 

Les  syndicques  et  conseil  de  Genève  ^ 

Cette  lettre  portée  à  Dijon  par  un  messager  d'Etat  dont  la 
mission  devait  au  besoin  se  continuer  à  Paris,  obtint  peu  de 
succès  auprès  des  autorités  locales,  et  n'améliora  pas  la  con- 
dition des  deux  prisonniers  qui  virent  bientôt  leur  nombre 
augmenté  par  l'arrivée  de  nouveaux  inculpés  d'bérésie.  Le 

1.  Archives  de  Geaève.  Lettres  de  la  Seigneurie,  1557.  Copie. 


440  LES   QUATRE   MARTYRS   DE   DIJON. 

premier  fut  un  mercier,  des  environs  de  Bazas,  en  Gascogne, 
nommé  Séraphon  Archambaut,  d'une  piété  aussi  simple 
que  fervente,  qui  s'était  retiré  à  Genève  pour  cause  de  re- 
ligion, après  avoir  subi  quelques  poursuites  judiciaires  à 
ce  sujet  dans  son  pays  natal,  et  qui  s'étant  depuis  rendu  à 
Paris  pour  affaires,  retournait  en  Suisse  «  avec  un  bon  paquet 
de  marchandises  »  sur  le  dos.  Arrivé  à  Dijon,  un  samedi, 
pour  y  passer  le  saint  jour  du  dimanche,  dans  l'intimité  de 
quelques  frères  professant  secrètement  l'Évangile,  Archam- 
baut entendit  parler  de  ses  deux  compatriotes  prisonniers,  de 
leur  constance  dans  les  liens,  et  n'écoutant  que  l'inspiration 
d'une  foi  puisée  aux  mêmes  sources,  il  leur  adressa  la  lettre 
qui  suit  : 

Très  chers  frères,  passant  par  caste  ville,  j'ay  ouy  nouvelles  de  vous 
deux,  qui  m'ont  d'un  costé  contristé,et  puis  grandement  esjoui  de  ce  que 
j'ay  entendu  que  le  Seigneur  vous  avoit  fait  de  grandes  grâces;  c'est  de 
confesser  son  sainct  nom  devant  les  hommes.  Je  vous  dis  que  j'ay  aussy 
esté  marri  pour  ce  que  l'un  membre  ne  peut  souffrir  que  l'autre  n'en  soit 
participant.  Je  vous  prie,  persévérez  en  vostre  sainct  propos,  et  ne  crai- 
gnez ceux  qui  tuent  le  corps,  et  puis  ne  savent  plus  que  faire.  Il  y  a  un 
héraut  de  nos  magnifiques  seigneurs  qui  a  esté  icy,  et  vous  le  savez, 
desja  on  a  envoyé  au  Roy,  de  quoy  vous  vous  devez  estimer  heureux  de 
ce  que  vostre  confession  sera  présentée  devant  les  grands  de  la  terre. 
Et  quant  à  moy,  j'espère  que  j'en  porteray  bonnes  nouvelles  à  l'Église,  et 
que  tous  ensemble  nous  nous  réjouirons;  toutefois  je  ne  say  en  quel 
rang  Dieu  me  réserve;  mais  quoyqu'il  avienne,  il  faut  toujours  avoir  un 
pied  levé  pour  marcher  là  où  le  Seigneur  nous  voudra  employer.  Je  vous 
laisse  une  père  de  petis  Pseaumes.  Ne  say  s'ils  parviendront  à  vous. 

Ayant  ainsi  rempli  un  devoir  de  fraternelle  assistance  qui 
n'était  pas  sans  péril,  Archambaut  reprit  le  chemin  de  Genève, 
tout  joyeux,  et  chantant  de  pieuses  psalmodies  gravées  dans 
sa  mémoire;  mais  il  ne  devait  pas  arriver  au  terme  de  son 
voyage,  dans  la  cité  du  Léman,  où  l'attendait  une  famille  ten- 
drement aimée.  Arrêté,  dès  le  pi^emier  jour,  à  Auxonne,  et 
trouvé  ])orlcur  de  lettres  écrites  par  «  quelques  escholiers  de 
Paris  »  il  fut  retenu  prisonnier  et  ramené  à  Dijon,  dans  les 


LES   QUATKE    MARTYRS    DE   DIJON.  /tll 

cachots  où  languissaient  les  frères  auxquels  il  avait  adressé, 
trois  jours  auparavant,  un  pieux  message.  On  lit  dans  la  lettre 
à  sa  femme,  qui  contient  ces  divers  détails  : 

«  Je  vous  avise  que  les  frères,  depuis  que  le  Seigneur  m'a  amené  icy, 
se  sont  tous  esjouis,  et  moy  aussy;  et  combien  qu'il  nous  soit  défendu  de 
parler  aucunement  ensemble,  si  ne  nous  peut-on  empescher  de  commu- 
niquer quelque  peu.  Et  pour  nouveau  rafraischissement,  deux  jours  après 
moy  fut  prins  audit  Aussonne  un  grand  homme  noir,  gresle,  estant  à 
cheval,  venant  de  là  Lausanne  et  Neufchastel,  accompagné  de  deux  ou 
trois.  Mais  le  Seigneur  n'a  voulu  que  cestuy-ci  ;  on  laissa  donc  aller  les 
autres,  comme  il  est  dit  :  Deux  seront  au  moulin;  l'un  sera  pris  et  Vautre 
laissé  *. 

Quelques  explications  sont  ici  nécessaires,  et  c'est  à  Paris 
qu'il  faut  les  chercher.  Organisée  depuis  deux  ans,  avec  ses 
diacres  et  anciens  chargés  devisiter  les  pauvres,  de  veiller  sur  la 
doctrine  et  les  mœurs,  la  grande  Église  réformée  de  la  capi- 
tale semblait  pressentir  les  rudes  épreuves  qui  allaient  l'as- 
saillir dans  son  berceau.  Elle  demandait  à  Calvin  de  nouveaux 
ministres  pour  seconder  Chandieu  et  La  Rivière  dans  leur 
apostolat.  On  lit  dans  les  Registres  de  la  Compagnie  de  Ge- 
nève, juillet  1557  :  «  On  attend  M.  de  Coulonge  (François  de 
Morel)  lequel  estant  par  trop  descouvert  à  Paris  où  il  faisoit 
office  de  pasteur,  a  pris  congé  d'icelle  Eglise.  s>  Quelques 
semaines  après,  on  y  lit  encore  :  «  Au  commencement  d'aoust 
est  arrivé  icy  un  des  principaux  anciens  de  l'Eglise  de  Paris, 
envoyé  exprès  avec  lettres  de  créance  paur  ramener  avec  luy 
un  des  ministres  de  l'Evangile.  Après  délibération  le  frère 
M.  de  Saules  (Nicolas  des  Gallars)  est  parti  de  son  bon  gré 
pour  aller  à  Paris  afin  de  confirmer  les  frères  qui  sont  là.  » 
Mais  rion  de  plus  dangereux  que  la  route  à  suivre,  surtout  aux 
environs  de  Dijon.  Nicolas  des  Gallars  et  son  compagnon, 
Nicolas  du  Rousseau,  allaient  en  faire  l'expérience  :  «  Encore, 

1.  Texte  légèrement  altéré  de  Si-Mathieu,  C.  XXIV,  V.  40,  il.  U  faut  lire  : 
De  deux  hommes  qui  seront  dans  un  champ,  l'un  sera  pris,  l'autre  laissé,  etc.. 


442  LES   QUATRE   MARTYRS   DE   DIJON. 

écrit  ce  dernier,  qu'eusse  prins  deux  adresses  de  chemin  pour 
m'en  retourner,  et  mesme  surtout  pour  éviter  Dijon,  toutelbis 
laissant  l'une  et  l'autre,  comme  forcé  de  Dieu,  je  ne  sais  com- 
ment ma  compagnie  et  moy  nous  nous  rendismes  au  soir  bien 
tard  à  Aussone,  ce  samedi/  vingt  uniesme  d'aoust,  où  le  capi- 
taine fit  visiter  nos  mallètes,  et  ne  trouvant  rien  qui  luy  fut 
suspect  èz  deux  de  mes  compagnons,  les  laissa  aller  sans  em- 
peschement;  mais  de  moy  je  fus  arrêté,  parce  que  dedans  la 
mienne  se  trouvèrent  quelques  livres  et  paquets  qui  ne  luy 
plaisoyent  touchant  le  faict  de  la  Religion.  »  Ainsi  se  trouva 
complété  dans  les  cachots  de  Dijon  le  groupe  de  confesseurs 
dont  je  dois  raconter  la  pathétique  histoire. 

L'impression  produite  par  l'arrivée  de  Du  Rousseau  sur  ses 
compagnons  d'infortune  est  naïvement  exprimée  par  Archam- 
baut  : 

Ce  noble  personnage  fut  incontinent  mené  vers  nous.  Vous  diriez  que 
c'est  un  ange  que  Dieu  nous  a  envoyé  tant  il  est  savant.  Je  n'ay  encore 
pu  savoir  s'il  est  gentilhomme,  marchand,  advocat,  ou  escholier.  Bien  ay 
je  entendu  qu'il  est  advocat  à  Paris;  mais  à  tout  le  moins  il  est  scavanl 
en  plusieurs  sciences  comme  loix  et  autres.  Il  y  a  bien  aussi  un  jeune 
garçon  pour  faire  le  cinquième;  mais  il  est  fort  infirme  ^  Je  laisse  le 
tout  entre  les  mains  de  Dieu.  Nous  avons  mangé  et  bu  tous  en  une  table 
deux  ou  trois  jours;  mais  c'estoit  quasi  sans  s'oser  regarder  l'un  l'autre. 
Depuis  on  nous  a  tous  séparés,  pour  ce  que  ne  voulions  participer  aux 
grâces  que  disoit  le  fils  du  geôlier.  Pour  ce,  dis-je,  on  nous  a  enserrés 
et  moy  plus  estroitement  que  les  aulvos.  Mais  je  ne  laisse  point  de  prendre 
courage  en  ma  cachette,  chantant  les  louanges  du  Seigneur  à  pleine 
voix. 

Les  lignes  suivantes  d'Archambaut  à  sa  femme  achèveront 
de  nous  faire  connaître  ce  pieux  confesseur,  résolu  d'avance 
au  sacrifice  des  plus  pures  aftections  : 

Ma  très  loyale  espouse,  je  vous  envoyé  mes  humbles  saluts,  sans  oublier 
les  beaux  petits  enfans  que  Dieu  nous  a  donnés,  et  aussi  mon  frère  et 

1.  Il  fut  relùclié  n'ayant  persévéré. 


LES  QUATRE    MARTYRS   DE   DIJON.  H'ii 

sa  compagnie,  et  les  deux  frères  que  savez,  entre  les  mains  desquels  je 
vous  recommande,  les  priant  qu'ils  servent  de  père  aux  povres  petits 
comme  ils  ont  montré  par  ci-devant.  Ma  bonne  amie,  je  say  bien  que 
ces  nouvelles  vous  seront  fascheuses  à  cause  du  lien  d'amitié  entière  que 
me  portez  et  qui  est  entre  nous;  mais,  je  vous  prie,  consolez-vous  au 
Seigneur  avec  moy,  ce  que  j'auray  à  plaisir  si  je  le  peux  entendre.  Co- 
gnoissez,  très  loyale  espouse,  que  le  Seigneur  m'a  créé  en  ce  monde  pour 
m'employer  à  son  service,  et  qu'il  veut  qu'une  partie  de  mon  temps  soit 
employé  enchaînes  et  prisonspour  tesmoignage  de  son  Évangile  etpour 
mon  salut.  Et  par  là  pouvez  connoistre  le  grand  honneur  que  le  Seigneur 
me  fait  à  moy,  dis-je,  qui  ne  suis  rien,  de  me  vouloir  élever  en  un  degré 
si  haut  et  si  excellent;  de  quoy  je  luy  rends  grâces,  jour  et  nuict;  ainsi 
devez  vous  faire  de  vostre  pari,  ensemble  tous  mes  frères  et  bons  amis. 
S'il  vous  estoit  possible  de  me  faire  savoir  de  vos  nouvelles,  je  dis 
joyeuses,  ce  seroit  une  grande  consolation  et  allégement  d'esprit,  car  le 
plus  grand  souci  après  un,  qui  est  de  servir  au  Seigneur,  c'est  de  vous 
et  des  petis  enfans  que  avez  en  charge,  pour  ce  que  je  say  qu'estes  indi- 
gente; mais  j'ay  espérance  que  le  Seigneur  qui  a  toutes  richesses  en  sa 
main,  y  pourvoira,  et  combien  qu'en  cela  je  me  repose,  si  faut-il  que  je 
confesse  que  mon  infirmité,  ou  plustost  défiance,  m'en  fait  plus  souvenir 
que  je  ne  vouldroys,  et  sur  cela  je  vous  prie,  et  tous  mes  frères,  que 
m'aidiez  par  vos  prières. 

Aucun  détail  n'est  à  négliger  dans  la  précieuse  lettre  qui 
nous  ti'ansporte  tour  à  tour  à  Dijon,  à  Genève,  et  dans  la  soli- 
tude d'un  cachot  glorifié  par  de  nobles  témoignages  : 

Asseurez  vous  qu'il  y  a  icy  gens  de  bien  qui  nous  aiment,  ainsi  que  je 
l'ay  ouy  dire;  mais  ils  sont  tant  craintifs  que  merveilles;  et  mesme 
Dieu  m'a  baillé  un  juge  qui  m'a  monstre  grande  amitié,  et  ne  m'a  inter" 
rogé  que  sur  les  susdites  lettres  (de  Paris)  et  du  lieu  de  ma  résidence  ; 
si  je  trouvoy  ma  loy  bonne,  et  si  je  vouloy  vivre  en  icelle.  Je  luy  ay  l'es- 
pondu  qu'elle  estoit  bonne  et  que  telle  la  trouvoy.  Lors  il  me  dit  si  je 
vouloy  vivre  et  finir  mes  jours  en  icelle.  Je  dis  que  je  voulois  vivre  et 
finir  mes  jours  en  la  confession  de  ceste  loy  pour  ce  qu'elle  estoit  selon 
l'Évangile  du  Seigneur. 

Je  ne  say  comment  il  en  ira;  mais  on  dit  (|u'il  faudra  encore  respondrc 
devant  les  grands  docteurs,  et  là  j'espère  bieinju'il  faudra  mettre  la  main 
aux  armes  de  la  foy.  Quelque  rude  et  cruelle  sentence  qu'on  me  forge, 
asseurez  vous  que  je  ne  ployeray  par  les  genoux  devant  Jiaal.  Vous 
pourrez  montrer  la  présente  aux  femmes  de  mes  confrères  en  l'œuvre 


4M  LES   QUATRE    MARTYRS  DE  DIJON. 

du  Seigneur  et  qu'elles  s'esjouissenl,  car  ils  font  bonne  chère  et  ont  prins 
nouvelles  forces...  Hélas!  il  a  esté  quelque  temps  quemesdits  et  inoy 
n'avons  esté  ensemble,  et  n'osions  pailler  l'un  à  l'autre  sinon  par  regards 
affectueux,  levant  les  yeux  au  ciel  avec  soupirs.  Mais  pour  cela  ne 
soyez  en  tristesse  car  Dieu  besongne  pour  le  meilleur.  Et  je  vous  prie, 
femme,  enfants  et  amis,  soyez  joyeux  au  Seigneur,  et  plus  grand  plaisir 
ne  nous  pourriez  faire  avec  prières,  car  tous  quatre,  grâce  à  Dieu,  avons 
bonne  volonté  de  marcher  ensemble  au  sacrifice  quand  il  plaira  à 
Dieu  de  nous  y  appeler. 

Au  bas  de  la  lettre,  dans  une  sorte  de  post-scriptum,  on 
lit: 

Mes  frères,  je  vous  prie,  au  nom  de  Dieu,  apprenez,  apprenez  les 
psaumes,  cependant  qu'avez  le  temps  de  loisir,  car  quand  vous  serez 
appelés  aux  prisons  obscures,  je  dis  quand  le  Seigneur  se  voudra  servir 
de  vous,  vous  n'aurez  pas  le  livre  devant  vous,  en  grosses  et  petites 
lettres,  pour  regarder  quel  couplet  suit  l'autre...  Que  bien  heureux 
est  celuy  qui  fait  provision  de  foy  et  de  science  comme  d'huile  à  la  venue 
de  l'Epoux  !  Combien  que  le  geôlier  s'efforce  de  toute  la  puissance  de  me 
faire  endurer,  si  est-ce  que  le  Seigneur  m'envoye  provision  de  consolation 
spirituelle  et  pense  qu'il  (le  geôlier)  sera  plustot  lassé  de  m'affligcr 
que  moy  de  l'endurer  *. 

Mais  il  faut  revenir  aux  deux  prisonniers,  Le  Gène  et  Valtan, 
({ui  devaient  précéder  leurs  frères  dans  la  voie  douloureuse, 
ou  plutôt  triomphale  !  Interrogés  d'abord  par  le  lieutenant  du 
bailli,  formant  juridiction  du  premier  degré,  sur  les  points 
de  doctrine  controversés  entre  Rome  et  Genève,  ils  firent  une 
confession  catholique,  mais  non  romaine,  et  furent  «  tout  sou- 
dain condamnés  au  feu.  »  Le  bûcher  était  déjà  dressé  sur  une 
des  places  de  la  ville,  qui  avait  vu  le  sacrifice  de  Laloë,  et  lès 
deux  confesseurs  huguenots  allaient  y  monter,  quand  un  appel 
suggéré  par  des  amis  qui  espéraient  les  sauver,  prolongea 

1.  Réminiscence  de  deux  vers  de  la  belle  cpilrc  de  Th.  de  Bèzc,  en  tête  des 
fisaumcs  de  Marot  : 

Que  les  bourreaux  soycnt  de  nous  martyrcr, 
Plus  tost  lassés  que  nous  de  l'endurer  ! 


LES   QUATRE   MARTYRS   DE   DIJON.  445 

leurs  jours.  Ramenés  dans  leur  cachot  :  Nous  avons  encore  un 
peu  de  temps  à  vivre!  dirent-ils,  en  reprenant  les  chaînes  dont 
ils  avaient  paru  comme  afïranchis  devant  l'appareil  du  dernier 
supplice.  Déjà  presque  sortis  du  monde,  ils  n'avaient  pas 
prévu  les  tentations  qui  leur  étaient  réservées  dans  cette  lutte 
suprême  de  l'esprit  contre  la  chair  et  le  sang  imposée  aux 
meilleurs,  et  marquée  de  plus  d'une  chute,  même  pour  les 
héros  de  la  foi.  Ils  étaient  l'un  et  l'autre  époux  et  pères  :  ils 
avaient  laissé  femme  et  enfants  de  l'autre  côté  des  monts,  et 
l'image  de  ces  êtres  chéris,  de  la  famille  en  deuil,  s'offrant  à 
eux  dans  les  détresses  du  cachot,  venait  attendrir  leur  cœur 
et  ébranler  les  plus  stoïques  résolutions.  Les  tentateurs  ne 
manquaient  pas,  même  parmi  les  juges,  pour  conseiller  une 
attitude,  inspirer  un  langage  qui  pourrait  désarmer  les  rigueurs 
de  la  loi  ;  une  première  concession  en  amène  une  seconde,  et 
l'on  ne  s'arrête  plus  dans  cette  voie  fatale.  Voici  comment 
s'exprime  à  se  sujet  le  martyrologe  :  «  Pendant  leur  appel,  au 
moyen  des  pouretés  de  leur  prison  et  de  l'horreur  de  la  mort, 
surtout  encores  du  grand  regret  qu'ils  avoient  de  leurs  petits 
enfans  et  femmes,  selon  qu'ils  en  ont  dit,  ils  se  rétractèrent, 
et  signèrent  leur  rétractation.  Le  tout  fut  envoyé  par  devers 
le  Roy  pour  savoir  qu'elle  justice  il  lui  plaisait  qu'on  fit  d'eux, 
ainsi  qu'on  le  leur  fit  entendre.  » 

C'est  à  ce  moment  que  l'intervention  de  deux  nouveaux 
confesseurs,  arrivés  comme  à  point  pour  soutenir  leurs  frères 
défaillants,  amène  un  changement  décisif  dans  les  disposi- 
tions spirituelles  de  ces  derniers.  Mais  il  faut  laisser  Du  Rous- 
seau s'exprimer  à  ce  sujet  : 

Soudain  je  vins  a  leur  remonstrer  la  grandeur  lic  leur  faute  qui  apportoit 
si  grand  scandale  a  ceux  mesmement  lesquels  ils  avoient  si  l)ien  édifiés 
par  leur  confession,  et  le  jugement  de  Dieu  préparé  contre  eux  s'ils 
n'amendoient  bientost  cestc  faute,  et  qu'il  ne  falloit  point  (|u'ils  pen- 
sassent de  marchander  avec  luy...  car  puisque  par  son  conseil  admirable 
(comme  ils  voyoient  bien)  il  leur  faisoit  tant  d'honneur  de  les  présenter 
en  un  tel  triomphe,  ils  s'oublioient  bien  d'en  fuir  la  lice  et  résister  à  son 


446  LES   QUATRE   MARTYRS   DE   DIJON. 

sainct  vouloir.  Que  co  n'estoit  pas  à  nous  de  nous  faire  juges  des  occa- 
sions que  Dieu  nous  présente,  en  un  fait  si  grand,  pour  les  fuir  et  re- 
mettre a  nostre  appétit  et  déjuger  ainsi  du  temps  qui  nous  seroit  propre 
pour  mieux  servir  cà  sa  gloire...  Je  n'oublioy  les  misères  et  pouretés  de 
ce  monde,  auxquelles  nostre  vie  et  nostre  corps  sont  tousjours  subjects 
que  c'estoit  extrême  folie  a  nous  de  fuir  la  mort  même  si  heureuse  en  ce 
tas  de  maux.  Qu'eux  mêmes  savoient  bien  a  quoy  s'en  tenir  sentant 
desjà  la  main  de  Dieu  par  les  maladies  esquelles  ils  estoient  tombés.  Au 
contraire  leur  ramentevay  la  grande  miséricorde  de  ce  bon  Dieu  envers 
ceux  qui  se  retournent  et  reconnaissent  leur  faute,  rapportant  à  l'un  et  à 
l'autre  point  les  exemples  tant  vieux  que  de  nostre  temps.  Et  quant  au 
regret  de  leurs  femmes  et  petits  enfants,  que  ce  bon  Dieu  en  seroit  tuteur 
et  protecteur  comme  créateur.  Finalement  Dieu  par  sa  miséricorde  leur 
touche  si  bien  le  cœur  que  tous  deux  (principalement  l'apothicaire) 
fondans  en  soupirs  et  larmes,  reconnoissent  leur  faute  a  bon  escient. 

L'éloquence  natiii^elle  de  Séraphon  ne  contribua  pas  moins 
que  la  givavité  judiciaire  de  Du  Rousseau  à  relever  les  deux 
prisonniers,  dont  la  vie  était  comme  en  suspens,  et  à  les  pré- 
parer au  suprême  sacrifice  accepté  dans  toute  sa  plénitude. 
Condamnés  cà  périr  sur  un  biicher,  ils  se  refusèrent  à  toute 
concession  qui  aurait  pu  adoucir  pour  eux  l'horreur  du  der- 
nier supplice  .  Nous  en  avons  le  récit  de  la  plume  d'Archam- 
baut;  page  unique  dans  l'histoire  des  martyrs  : 

Cependant  comme  Dieu  le  vouloit,  la  response  du  Roy  vint,  laquelle  fit 
surseoir  l'exécution  du  premier  arrêt.  11  fut  finalement  exécuté  le  jour 
d'hier  premier  samedy  de  septembre,  et  c'est  avec  grande  constance 
quHls  sont  allés  faire  la  cène  avec  Jésus-Christ  et  ses  anges.  Le  greffier 
vint  premièrement  environ  à  l'heure  d'une  heure  après  midi  signifier  leur 
arrect;  et  lors  incontinent  se  prinrent  à  crier  au  Seigneur  regrettant 
leur  faute  et  disant  :  Hélas!  Seigneur,  nous  t'avons  gravement  offensé; 
aye  pitié  de  wo?/.s.Mnconlinenl ils  furent  environnés  de  vermine  de  moines 
de  toutes  couleurs,  comme  de  perchées  de  harangs,  avec  leurs  novices 
qui  tournoient  et  venoient  d'un  costé  et  d'autres,  regardans  çà  et  là  comme 
marmots...  amenés  par  les  juges  pour  les  accoustumer  au  sang,  comme 

1.  «  Quoiqu'on  leur  promit  de  leur  faire  ccste  grâce  de  ne  sentir  point  de 
feu,  s'ils  perseveroient  en  leur  désadveu,  d'une  grande  constance  rejetant  ceste 
offre,  etc..  »  Lettre  de  Du  Rousseau,  f"  410,  verso. 


LES   QUATRE  MARTYRS  DE   DIJON.  4,47 

on  feroit  h  des  petits  dogues  et  lévriers.  Il  y  en  eut  un  qui  avança  quelque 
propos  de  dispute,  auquel  fut  dit  par  nostre  frère  Philippe  :  que  veux-tu 
disputer  avec  nous  ?  Tu  sais  bien  que  tu  n'es  qu'une  beste  et  que  tu  ne 
sais  rien  ;  je  te  prie,  laisse  nous  penser  à  nostre  âme.  Élt  lors  mondit  frère 
l'ad vocal  et  moy  estions  en  la  basse  cour  nous  pourmenans^  et  comme 
ayans  les  bras  croisés,  regardions  vers  le  ciel  avec  pleurs  et  gèmissemens. 
Lors  chacun  des  prisonniers  (qui  sont  céans  en  nombre  de  vingt)  jettoit 
son  brocard  :  les  uns  disoient  :  ils  sont  plus  forts  qu'au  commencement. 
Le  commun  populaire  disoit  et  crioit  :  n'est-ce  pas  un  grand  cas?  lissent 
pires  que  devant;  et  l'on  disoit  qu'ils  s'estoient  retournés;  mais  il  s'en 
faut  de  beaucoup  !  Et  furent  ainsi  détenus  l'espace  de  trois  grosses  heures 
avec  bon  maintien  et  constance. 

Cependant  mondit  frère  et  moy  feignans  d'aller  aux  privés,  nous  nous 
allions  jeter  à  genoux  priant  le  Seigneur  et  luy  rendant  grâces  immor- 
telles pour  telles  nouvelles.  Puis  retournions  à  la  cour  nous  pourmenans 
comme  auparavant.  Et  une  partie  des  dits  prisonniers  à  qui  Dieu  a 
baillé  quelque  commencement,  nous  tenoit  compagnie  en  pleurs  et  gè- 
missemens. L'autre  partie  nous  montroit  au  doigt,  disant  qu'autant  nous 
en  pendoit  à  l'oreille.  Nous  portions  tout  cela  avec  joye  et  consolation. 
Et  sur  les  quatre  heures  du  soir  sortirent  nos  dits  frères  en  bonne  cons- 
tance. Nostre  frère  Philippe  ayant  une  face  riante  regardoit  nostre  frère 
Jacques  qui  montroit  sa  face  un  peu  triste,  ainsi  qu'il  est  de  petite  eoni- 
plexion  et  avoit  esté  fort  malade.  Il  lui  disoit  :  qu'avez-vous  mon  frère? 
11  semble  qu'ayez  peur;  mon  frère,  soyez  joyeux.  Et  cheminoient  ainsi 
par  la  rue  tous  deux  en  chemise  jusques  au  lieu  du  supplice,  oi!i  estans, 
prinrent  le  tourment  en  grande  patience;  et  regrettant  toujours  leur 
faute,  criant  à  Dieu  miséricorde  devant  tout  le  peuple. 

Et  entre  autres  choses  nostre  frère  Philippe  monté  sur  le  bois,  atten- 
dant le  tourment,  se  print  à  chanter  un  Pseaume.  Mais  un  moine  estant 
auprès  de  luy,  luy  mit  la  main  devant  la  bouche,  pour  empescher  sa  voix; 
si  est-ce  qu'en  dépit  de  luy  il  fut  entendu.  Et  la  plupart  du  peuple  fon- 
doit  en  larmes  leur  disant  à  haute  voix  :  Courage  mes  frères  !  Ne  crai- 
gnez pas  ceste  mort  î  Lors  un  des  malins  se  retira  vers  un  huissier  et 
lui  dit  :  Ne  voyez-vous  pas  que  quasi  la  moitié  du  peuple  est  de  leur  part 
et  les  console?..  En  leur  mort,  ainsi  qu'on  a  dit,  ils  ne  sembloient  en- 
durer aucun  mal,  et  rendirent  l'esprit  sans  bouger  aucun  membre,  sinon 
nostre  frère  Philippe  qui  repoussait  le  feu  un  peu  avec  les  mains;  et 
trespassèrent  soudain.  Il  n'y  eut  homme  ne  femme,  voire  jusques  aux 
petis  enfants,  qui  ne  s'en  estonuast,  et  cela  fut  à  cinq  heures  du  soir^ 

1.  Peu   de  semaines    après,  le  2  octobre   1557,  l'Église  réformée   de    Paris 


448  LES   QUATRE   MARTYRS   DE  DUON. 

Merveilleux  récit  où  l'on  ne  sait  ce  qu'on  doit  le  plus  admi- 
rer de  la  vérité  des  détails  pris  sur  le  fait,  ou  de  la  sérénité 
des  martyrs  comme  étrangers  à  la  douleur  au  sein  du  plus 
affreux  supplice.  L'admiration  augmente  quand  on  songe  que 
celui  qui  écrivait  ces  lignes  allait  sitôt  subir  le  même  sort, 
avec  la  même  constance,  et  qu'il  pouvait  dire  dans  un  élan 
de  sublime  émulation  : 

Ces  nouvelles  par  nous  enlendues,  pensez  quelle  joye  nous  eusmes. 
Elle  fut  si  grande  que  nous  ne  pûmes  tenir  contenance.  Et  tant  s'en 
faut  qu'on  doive  penser  que  ceste  mort  tant  heureuse  nous  ait  espou- 
vantés  que  je  vous  dis  à  la  vérité  que  cela  nous  a  renforcés  cent  fois  au 
double,  et  sommes  si  prests  et  appareillés  par  la  grâce  du  Seigneur 
qu'il  nous  semble  que  nous  y  sommes  desja.  Toutes  fois  nous  ne  sa- 
vons comment  Dieu  y  veut  besongner  en  nous.  Bien  est  vray  que  nous 
n'estimons  autre  chose  que  de  les  suivre  bientost,  comme  le  bruict  en  est 
par  toute  la  ville. 

On  ne  reproduira  pas  ici  les  longs  interrogatoires  d'Ar- 
ehambaut,  qui  montra  une  rare  connaissance  des  saints  Ecrits 
avec  une  présence  d'esprit  extraordinaire.  Quelques  extraits 
suffisent  à  notre  dessein.  Interrogé,  à  plusieurs  repiises,  par 
un  commissaire,  ayant,  dit-il  «  le  bruit  d'estre  fidèle  et  bon 
aux  enfants  de  Dieu  »  mais  qui  ressemblait  plutôt  à  un  Pilate 
((  craignant  de  perdre  son  estât  »,  il 'répondit  avec  une  fran- 
chise peut-être  excessive,  en  homme  qui  n'a  plus  aucun  in- 
térêt terrestre  à  ménager,  et  qui  est  dès  longtemps  préparé  à 
rendre  un  fidèle  témoignage.  On  en  jugera  par  ce  qui  suit  : 

On  me  vint  quérir  pour  la  quatrième  fois  pour  aller  devant  mon  juge, 
ayanl  sou  homme  avec  lui'  et  un  clerc  tant  seulement...  venu  devant  lui 
il  me  présenta  le  serment  de  dire  vérité,  ce  que  je  promis  et  priay  le 
Seigneur  ((ue  il  m'en  fist  la  grâce.  Et  incontinent  du  premier  coup  il 

comptait  un  martyr  du  même  nom,  le  médecin  Nicolas  La  Cène,  originaire 
aussi  de  Saint-Pierre-de-Dives,  et  de  la  famille,  à  n'en  pas  douti^r,  du  martyr 
de  Dijon.  Ilist.  des  martijrs,  1^  432.  Bull.,  t.  XXIX,  p.  440,  441. 

1.  Est-ce  une  allusion  à  l'abbé  de  Citeaux  qu'on  retrouvera  plus  loin,  ou  à 
quelque  assesseur? 


LES   QUATRE   MARTYRS   DE   DIJON.  419 

loucha  au  blanc,ce  qu'il  n'avait  fait  auparavant.  Etmoy  alors  levant  les 
yeux  au  ciel  devant  luy,  je  dis  :  0  Seigneur,  assiste  moy  maintenanl,  afin 
que  selon  la  mesure  du  Saint-Esprit  que  tu  me  donnes,  je  puisse  testifier 
de  la  vérité. 

Je  fus  interrogé  sur  l'invocation  des  saincts  trespassés,  puis  sur  le  pur- 
gatoire et  suK  la  confession  auriculaire,  et  pour  le  dernier  point  sur  la 
puissance  du  Pape.  Voilà  les  poincts  sur  lesquels  jay  esté  oui,  car  il  se 
hastoit  et  sembloit  qu'on  nous  voulust  dépescher  ce  jour-là,  comme  un 
chascun  se  doubtoit,  car  nos  dits  frères  Philippe  et  Jacques  furent  ainsi 
prins  au  deceu  de  tous  jusqu'à  l'heure  qu'ils  receurent  sentence.  Et  de 
faict  mondit  juge  demanda  quelle  heure  il  estoit;  et  lors  je  luy  dis  :  Gom- 
ment monsieur,  est-il  aujourd'huy  noslre  jour?  Lequel  me  respondit  : 
Nenni,  nenni,  Archambaut  mon  ami,  vous  n'estes  pas  encore  là.  Et  je  dis  : 
je  ne  say,  monsieur;  on  pourroit  bien  dire  que  non  pour  nous  bailler 
quelque  juge;  mais  quant  à  moy  je  suis  tousjours  prest,  grâces  à  Dieu, 
d'abandonner  mon  corps  et  ma  vie  pour  la  gloire  du  Seigneur  et  pour 
soutenir  la  vérité.  Je  ne  doute  point  de  mon  salut,  car  il  m'est  acquis 
par  la  mort  et  passion  de  noire  Seigneur  Jésus-Christ.  Et  puis  je  dis  :  0 
Dijon,  n'es-tu  pas  encore  content  du  sang  innocent  des  pauvres  ^dèles! 
J'adjoustay  plusieurs  autres  bous  mois  de  grande  efficace  que  le  Sei- 
gneur me  mettoit  en  la  bouche  tellement  que  tous  estoicnt  contraints 
de  soupirer  avec  moy.  Mesmes  le  geôlier  qui  est  le  plus  dur  du  monde  à 
rencontre  des  fidèles,  ne  put  tenir  si  belle  contenance  qu'il  ne  s'en  alloit 
derrière  un  tapis  pour  torcher  ses  yeux,  je  ne  sais  si  c'estoit  de  pitié  ou 
de  rage,  car  il  avoit  oui  et  entendu  toutes  mes  réponses...  Et  mon  dit 
juge  qui  entend  mieux  que  moy,  s'efforçoit  de  tout  son  pouvoir  à  bien 
coucher  les  tesmoignages  et  passages  qui  servoient  à  la  justice  de  ma 
cause,  lesquels  il  avoit  en  meilleure  souvenance  que  moy.  De  quoy  lors 
je  prenoy  grand  plaisir  et  le  louay  de  cela  en  sa  présence,  lui  disant 
ainsy  :  Oh  qu'il  y  en  a  bien  qui  savent  et  entendent  ;  plust  au  Seigneur 
qu'ils  en  fissent  leur  .jirofit  !  Vous  eussiez  dit  qu'il  s'cft'erçoit  de  bien 
coucher  toutes  allégations  pour  justifier  ma  cause  devant  les  autres.  Et 
de  faict  je  ne  doute  pas  que  le  poure  homme  n'ait  fait  tout  son  pouvoir 
envers  moy,  et  mesme  quand  ce  vint  à  juger  les  deux  frères,  il  s'enfuil 
aux  champs. 

La  dernière  demande  fut,  comme  je  dis,  sur  la  puissance  du  Pape,  à 
laquelle  je  répondis  ainsi  :  Je  pense  que  c'est  celui  duquel  parle  St-Paul 
aux  Thessaloniciens.  El  aussi  tost  il  eut  le  passage  en  main.  Et  sur  cela 
je  me  mis  à  regracier  Dieu  en  sa  présence,  disant  ainsi  :  Oh  !  monsicui- 
que  je  suis  joyeux  de  ce  que  le  Seigneur  vous  donne  si  bonne  intelligence, 
et  aussi  je  l'ay  fort  prié  qu'il  vous  assistât  et  conduisit  par  son  csprii 

XXXIIF.  —  20 


450  LES   QUATRE   MARTYRS   DE   DIJON. 

en  ceste  cause,  et  j'en  voyun  effect  quand  vous  couchez  si  bien  les  choses. 
11  me  dit  que  je  les  signasse  :  Oui,  oui,  monsieur, /<?  les  vay  signer,  voire 
de  monpropre  sang  plustost  que  d'encre.  Et  cela  faict  il  s'en  alla. 

Quoi  de  plus  touchant  que  le  dialogue  suivant  entre  le  con- 
fesseur près  de  soutenir  son  dernier  combat,  et  le  geôlier  ra- 
mené à  des  sentiments  plus  humains  à  son  égard  : 

Or  je  vous  dis  qu'à  ce  geôlier  qui  m'avoit  esté  auparavant  comme 
un  lion  rugissant  sans  cesse  contre  moy,  en  sorte  que  tous  les  pri- 
sonniers en  estoient  esbahis,  maintenant  le  Seigneur  a  amoly  le  cueur 
et  m'est  fort  doux.  Et  de  faict  hier  au  soir  il  me  vint  mener  en  ma  pri- 
son lui  mesme,  et  s'efforça  de  me  consoler  de  son  pouvoir,  me  disant 
ainsi  :  ne  vous  souciez,  Dieu  vous  aidera,  et  n'adviendra  pas  (possible)  ce 
que  vous  pensez  ;  car  n'estimez  vous  pas  qu'ils  diront  :  c'est  un  poure  com- 
pagnon mercier  qui  passoit  ;  il  n'a  point  presché  sa  loy  a  personne  ;  il 
est  et  demeure  en  ceste  loy.  Consolez  vous.  Je  lui  répondis  :  je  suis  bien 
consolé,  Dieu  merci,  etprest  de  recevoir  ce  qiCil  lui  plaira  m'envoyer; 
si  c'est  vie,  vie;  si  c'est  mort,  mort.  Et  sur  cela  il  me  dit  :  bonsoir, 
priant  pour  moy  en  s'en  allant,  et  moy  pour  luy,  qu'il  pleust  au  Seigneur 
lui  faire  miséricorde. 

Comme  contraste  avec  l'attendinssement  du  geôlier  il  faut 
reproduire  une  scène  où  se  peint  en  traits  expressifs  tout  le 
fanatisme  de  l'époque  : 

Au  reste  un  jeune  homme  est  ici  venu,  brave  et  glorieux  en  idolâtrie, 
ayant  un  pourpoint  de  velours  et  autres  accoustremens  bouffans,  pour  ce 
(jue  c'esloit  le  jour  de  nostre  Dame,  comme  ils  disent,  et  bailla  en  ma 
présence  quelques  deniers  aux  prisonniers,  leur  disant  :  Dites  un  salve 
devant  Nostre  Dame  pour  moy!  Ceste  leur  Dame  est  un  marmouset 
eslevé  en  ces  prisons,  devant  lequel  ces  poures  gens  hurlèrent  fort  pour 
les  petis  présents.  11  sembloit  qu'il  y  fust  venu  plus  pour  voir  la  conte- 
nance que  je  tiendrois.  Et  de  faict  il  monstra  son  venin  en  sortant,  car  il 
dit  que  si  son  père  propre  estoit  luthérien,  que  luy  mesme  le  feroit 
brusler.  Oh  !  quelle  consolation  cestui-là  m'apportoit... 

On  ne  voudrait  rien  omettre  de  ces  lettres  d'Archambaut, 
évoquant  tout  un  drame  pathétique  et  douloureux,  dont,  grâce 
à  lui,  le  secret  n'est  pas  demeuré  enseveli  dans  la  profondeur 
des  prisons.  Mais  on  ne  saurait  oublier  ses  dernières  recom- 


LES   QUATRE   MARTYRS   DE   DIJON.  451 

mandations,  ses  adieux  à  la  fois  si  tendres  et  si  stoïques  à 
la  compagne  de  sa  vie,  sur  laquelle  s'étend  déjcà  l'ombre  du 
veuvage  : 

Or  je  toucheray  icy  un  mot  de  ce  dont  vous  m'avez  parlé  estans 
ensemble,  c'est  si  le  Seigneur  m'appeloit  devant,  que  jamais  homme  ne 
vousseroit  rien  en  mariage.  Je  vous  prie,  ma  loyale  espouse,si  vous  voyez 
que  vous  puissiez  mieux  vivre  au  service  du  Seigneur,  estant  mariée, 
que  vous  le  faciez,  et  que  ne  laissiez  pas  pour  cela,  moyennant  que  le 
Seigneur  vous  présente,  quelque  homme  de  bien,  ayant  sa  crainte  et  sa 
charité  envers  vous  et  mes  enfants,  et  possible  que  cela  vous  pourra  faire 
vivre  plus  aisément,  veu  les  maladies  auxquelles  estes  sujette,  comme 
savez.  Et  aussi  vous  n'estes  pas  encores  guère  âgée,  et  par  ainsi  il  me 
semble  que  ferez  bien.  Toutesfois  vous  avez  boa  conseil  auprès  de  vous, 
c'est  à  dire  la  parole  du  Seigneur  et  aussi  vos  amis  et  les  miens  qui  sau- 
ront vous  adviser.  Je  prie  jour  et  nuict  sans  cesse  le  Seigneur  qu'il 
veuille  estre  vostre  mary,  conducteur  en  tout  et  partout,  et  père  admi- 
nistrateur des  poures  petits  enfants...  Je  vous  ay  bien  voulu  ici  toucher 
de  mes  plus  grands  soucis,  pour  ce  que  je  ne  say  si  je  pourray  plus  avoir 
la  commodité  de  vousescrire,  d'autre  part  que  je  ne  puis  plus  voir  autre 
chose  devant  les  yeux  sinon  une  ombre  de  mort;  mais  c'est  plus  tost  pas- 
sage à  la  vie  laquelle  nous  est  préparée... 

Vostre  mary  et  espoux, 
Archambaut. 

On  ignore  les  détails  de  la  mort  d' Archambaut  à  laquelle  n'a 
manqué  que  le  narrateur;  mais  on  peut  dire  avec  le  martyro- 
loge «  que  surmontant  toute  contradiction,  il  triompha  magni- 
liquement;  »  et  c'est  une  voix  d'outre-tombe,  celle  du  fidèle 
confesseur,  réuni  dans  la  gloire  à  Valtan  et  à  Le  Cène,  qui 
vient  nous  entretenir  encoi^e  du  dernier  survivant  des  quatre 
prisonniers  dijonnais  : 

En  prison  de  Dijon,  ce  6mc  jc  septembre  1557. 
Quant  à  nostre  frère  l'advocat  il  a  esté  aussi  oui  par  deux  ou  trois 
fois,  et  a  esté  mené  en  pleine  audience  devant  tous  messieurs  du  Palais. 
Mais  savez-vous  comment  il  est  brave  en  la  foy?//  me  semble  que  quand 
je  le  regarde,  je  voy  un  ange,  ou  à  tout  le  moins  un  saint  :  et  ainsi  est 
il  à  la  vérité.  Je  vous  laisse  à  penser  si  je  suis  heureux  d'estre  aussi 
accompagné...  J'enten  qu'il  est  de  grande  qualité  dont  ces  gens  ci  sont 


452  LES   QUATRE   MARTYRS   DE   DIJON. 

esbabis,  et  pense  que  les  plus  gros  de  la  cour  de  Paris  sont  ses  parens, 
lesquels  ceux-ci  craignent  ;  si  est  ce  qu'incontinent  qu'il  fut  revenu  de  la 
cour,  on  luy  mit  les  fers  aux  jambes,  desquels  il  se  quarre  et  glorifie 
plus  que  ne  feroit  un  prince  ou  gentilhomme  avec  une  chaîne  d'or 
en  son  col.  Bref,  c'est  un  roy,  voire  une  tour  imprenable;  nous  easmes 
bien  un  peu  de  commodité  de  parler  ensemble  cà  cause  que  tout  le  monde 
estoit  occupé  en  la  mort  de  nos  frères.  Etjusqiies  là  {Hélas)  nous  nous 
aimons  si  fort  que  désirons  marcher  ensemble,  si  le  Seigneur  le  veut; 
et  croyez,  mes  très  aimés  frères,  que  nostre  sacrifice  ne  sera  point  sans 
grand  fruict,  car  la  terre  est  bien  appareillée  pour  recevoir  la  semence. 

Le  vœu  exprimé  dans  les  lignes  qu'on  vient  de  lire  devait 
s'accomplir  tout  autrement  que  ne  l'espérait  le  pieux  confes- 
seur, et  c'est  à  Du  Rousseau  lui-même,  de  nous  faire  pres- 
sentir son  tiiste  sort,  dans  une  lettre  à  une  dame  de  France 
qu'il  avait  accompagnée  à  Genève.  Les  livres,  dont  on  l'avait 
trouvé  porteur,  furent  le  premier  chef  d'accusation  contre  lui, 
atix  termes  de  l'Édit  de  Bourdaisièi^e  qui  prohibait  de  telles 
lectures  :  «  Tout  ainsi,  répondit-il,  qu'il  m'est  permis,  faisant 
profession  des  lettres,  d'avoir  des  livres  profanes  pour  en  dis- 
cerner ce  qui  est  bien,  aussi  m'est-il  loisible  d'avoir  les  dits 
livres  pour  discerner  la  lèpre  d'avec  la  lèpre  et  en  faire  mon 
profit  ».  Interrogé  sur  la  messe,  la  confession  auriculaire,  de- 
vant le  président  du  parlement  de  Dijon  «  fort  bon  canoniste  », 
qui  tenait  sans  doute  à  bonne lu'  de  ramener  un  avocat  pari- 
sien, un  hérétique  aussi  savant  qu'obstiné,  il  ne  lui  laissa  pas 
cet  avantage,  et  se  vit  dès  lors  «  empestré  de  gros  fers  lui  fai- 
sant jour  et  nuit  bonne  compagnie  »  avec  la  vermine  du  cachot 
dans  lequel  il  devait  lentement  s'éteindre.  On  peut  juger  par 
les  lignes  qui  suivent  de  l'esprit  qui  animait  ses  juges  : 

Le  mesme  examen  a  encore  esté  repris  par  nos  commissaires  qui  ont 
eu  responses  de  moy  telles  que  devant,  tellement  (pi'il  ne  reste  plus  pour 
achever  mon  procès  qu'a  me  confronter  les  docteurs.  Je  supplie  ce  bon 
Dieu  me  faire  la  grâce  de  m'assister  au  combat  par  son  Esprit,  et  me 
donner  de  quoy  leur  respondre  suivant  sa  promesse.  3Iesmemcnt  que  de- 
puis que  je  suis  en  prison,  il  ne  m'a  esté  permis  d'avoir  aucun  livre  de 
Sainte  Escritiire,  quelque  requeste  qu'aye  faite,  messieurs  disant  que 


LES  QUATRE  MARTYRS    DE    DIJON.  7*53 

c'estoit  le  livre  qui  abusoit  telles  gens  que  moy.  Delà  pouvez-vousvoir, 
madamoiselle,  en  quel  aveuglement  Dieu  amis  ce  peuple  pour  exercer  en 
foy  les  fidèles,  et  leur  faire  sentir  d'autant  plus  sa  grâce  en  laquelle  seule 
je  mets  aussi  tout  mon  appuy.  Il  y  a  bien  pis,  que  mesme  Sathan  emploie 
tel  aveuglement  à  l'égard  du  Prince  et  quasi  de  tout  le  peuple, ]}o?(r  im- 
puter aux  pauvres  fidèles  les  calamités  de  la  guerre  et  tous  ces  maux  qui 
sont  advenus...  qu'au  moyen  de  cela  jamais  le  feu,  ne  la  ruse  du  monde 
contre  l'Église  ne  fut  si  bien  enflambée  qu'elle  est  maintenant.  De  toutes 
parts  y  a  mandemens  de  cercher  et  massacrer  ceux  c[u'on  trouvera  et 
n'espargner  personne...  Vous  pouvez  entendre,  madamoiselle,  quelle 
grâce  Dieu  vous  a  faite  de  vous  avoir  tirée  si  bien  à  propos,  et  en  temps 
si  prochain  du  mal,  hors  de  ceste  Egypte... 

Quant  est  de  moy,  je  ne  m'attens  pas  de  passer  la  semaine,  d'autant  que 
ce  matin,  comme  j'escrivois  la  présente,  on  m'a  amené  les  théologiens, 
et  entr'autres  un  grand  monsieur  l'abbé  de  Citcaux  qui  m'a  ergoté  de 
la  messe,  de  la  transubstantiation  et  non  d'autre  chose.  Il  m'a  dit  mon 
arrest,  que  je  perdrais  mon  corps  et  mon  âme  selon  son  avis...  J'esten- 
drois  volontiers  ce  propos  et  autres  plus  avant,  s'ilm'estoit  permis,  mais  le 
papier  icy  me  fait  défaut,  parquoy  faisant  fin,  je  vous  prie,  si  recevez  la 
présente  avant  mon  exécution,  de  prier  le  Seigneur  pour  moy  qu'il  ne  me 
délaisse  point.  De  Dijon,  en  prison,  ce  6^  de  septem))re  1557. 

Ces  lignes  sont  les  deiMiières  de  l'admirable  captif  auquel  fut 
épargné,  de  son  vivant,  le  supplice  enduré  par  ses  fi^ères,  sans 
doute  pour  ne  pas  renouveler  aux  yeux  du  peuple  le  spectacle 
de  ces  morts  dont  la  sublime  sérénité  parlait  si  éloquemment 
en  faveur  de  l'Église  nouvelle.  Un  supplice  plus  douloureux 
lui  était  i^éservé,  celui  d'une  lente  agonie,  qui  n'eut  que  Dieu 
pour  témoin,  et  qui  mérite  aussi  une  place  dans  le  martyro- 
loge : 

Ce  sainct  personnage  confessant  ainsi  le  fils  de  Dieu,  comme  sa  lettre  le 
tesmoigne,  demeura  assez  longtemps  après  la  mort  des  trois  martyrs 
ses  compagnons,  et  en  telle  détresse  qu'il  en  mourut;  de  quoy  les  adver- 
saires non  contents,  voulurent  aussy  se  montrer  cruels  dessus  le  corps 
mort,  et  le  firent  brusler  et  mettre  en  cendre  en  place  publique. 

Ainsi  fut  consommé  le  dernier  acte  de  l'holocauste  (pii  unit 
Paris  et  Dijon  dans  un  gloiieux  témoignage.  Il  ne  fut  pas 
perdu  pour  l'Église  naissante  de  celte  ville,  si  l'on  en  juge  par 


454  LES  QUATRE    MARTYRS   DE    DIJON. 

ces  lignes  d'une  lettre  écrite  par  un  de  ses  premiers  pasteurs  : 
«  Vous  avez  pu  entendre  comment  par  cy-devant  la  rudesse 
des  magistrats  en  ceste  ville  a  esté  si  grande  que  ceux  qui 
avoient  cognoissance  de  vérité  n'ont  osé  lever  la  teste,  et  quel 
traitement  aucuns  en  ont  eu.  Ce  nonobstant,  la  bonté  de  Dieu 
ne  s'est  point  tant  reculée,  que  parmy  les  feux,  tourmens, 
prisons,  perdition  de  bien  et  d'honneur,  aucuns  ne  se  soijent, 
avec  longanimité  nourris  en  sa  crainte  et  obéissance,  lesquels 
ont  enfin  descouvert  le  bon  zèle,  et  quant  et  quant  ont  esté 
cause  que  plusieurs  se  sont  déclairés  et  manifestés,  tellement 
que  nous  nous  sommes  trouvés  en  ceste  ville  une  congrégation 
de  fidèles  suffisants  pour  fonder  une  belle  et  honorable  Église. 
Mais  tout  ainsy  que  un  navire  flottant  en  mer,  sans  gouver- 
nail, est  subject  à  l'injure  des  vents  et  tourmentes,  aussi 
ceste  troupe  a  toujours  périclité  et  périclitera  encore  plus  à 
l'advenir,  s'il  n'y  a  un  pasteur  pour  la  conduire,  congréger  et 
fortifier  contre  les  assauts  et  tentations  de  Sathan  et  de  ses 
adhérents  ^  » 

L'avenir  réservait  de  nouvelles  épreuves  à  la  congrégation 
naissante.  Il  en  est  une  pourtant  qui,  par  une  heureuse  excep- 
tion, devait  lui  être  épargnée,  celle  de  la  Saint-Barthélémy.  Le 
jeudi  24  août  1865,  fut  posée  sur  un  mur  extérieur  donnant 
sur  la  rue  Ghabot-Gharny  (à  Dijon)  l'inscription  suivante,  en 
lettres  d'or,  sur  une  plaque  de  marbre  : 

EN    CE   LIEU   FUT   l'hOTEL 

OU    DANS   UN    CONSEIL   MÉMORABLE 

SUR  LA  PROPOSITION  DE  JEANNIN 

CHABOT,    COMTE    DE   CHARNY,    GOUVERNEUR   DE    LA    PROVINCE 

DÉLIVRA   CE   PAYS 

DES   MASSACRES   DE    LA   SAINT-BARTFIÉLEMY 

MDLXXII  - 

1.  L'Église  de  Dijon  à  Calvin  (10  février  15G2)  Bull.  t.  XIV,  p.  331.   Lettre 
signée  :  de  Frasans,  pour  la  compagnie. 

2.  BulUHn,  t.  XIV,  p.  3i7,  348. 


LES  QUATRE   MARTYRS   DE   DIJON.  455 

Honneur  au  comte  de  Charny,  et  aux  magistrats  qui  s'asso- 
ciant  à  sa  généreuse  pensée,  dans  la  «  mémorable  »  délibé- 
ration dont  on  voudrait  posséder  le  texte,  proclamèrent  la 
trêve  des  partis  et  firent  cesser  l'effusion  du  sang  en  Bour- 
gogne! Il  n'avait  que  trop  coulé  dans  la  néfaste  année  1562, 
sous  le  proconsulat  de  Gaspard  de  Saulx,  le  futur  maréchal 
de  Tavannes*.  Après  l'expulsion  de  deux  mille  religionnaires 
dijonnais,et  «  les  pilleries,  saccagemens,  meurtres  de  gens  de 
toute  qualité,  »  restait-il  beaucoup  de  huguenots  à  Dijon,  et 
dans  les  cités  voisines,  Auxonne,  Autun,  Beaune,  Mâcon?  Si 
réduit  qu'en  fût  le  nombre,  un  hommage  sans  réserve  est  dû 
aux  hommes  qui,  animés  d'un  esprit  supérieur  à  leur  temps, 
épargnèrent  k  la  vieille  capitale  de  la  Bourgogne  une  tache 
ineffaçable. 

Jules  Bonnet. 


1.  Histoire  des  martyrs,  folio  616  et  suivants;  Bèze,  Histoire  ecclésiastique, 
t.  III,  1.  XV  et  dernier.  Les  massacres  do  Màcon  durèrent  plusieurs  mois  et 
furent  une  Saint-Barthélémy  anticipée. 


DOCUMENTS 


TESTAMENT  DE  CHARLOTTE  DE  BOURBON 

PRINCESSE     d'orange 

18  novembre  1581. 

Le  10  juillet  dernier  ramenait  le  troisième  anniversaire  séculaire  de 
la  mort  du  prince  d'Orange,  le  libérateur  des  Pays-Bas,  et  cette  pieuse 
commémoration  coiacidait  avec  un  grand  deuil  national,  la  mort  de 
l'héritier  du  trône,  du  dernier  descendant  mâle  de  cette  illustre  maison. 
Aussi  tous  les  cœurs  étaient  unis  dans  la  touchante  cérémonie  célébrée 
à  Delft,  et  rappelant  toutes  les  gloires,  toutes  les  épreuves  de  la  monar- 
chie néerlandaise. 

«  Guillaume  le  Taciturne,  écrivait  le  correspondant  des  Débais  du 
14  juillet,  est  de  cette  race  d'élus  à  qui  la  destinée  a  réservé  le  privi- 
lège d'être  de  leur  temps  et  de  tous  les  temps,  de  parler  pour  ainsi  dire 
à  tous  les  partis  à  la  fois,  sans  se  laisser  absorber  par  un  seul,  les 
dominant  tous,  des  hauteurs  inspirées  d'un  cœur  large  et  désintéressé, 
d'un  génie  souple  et  complexe.  Pour  les  antirévolutionnaires,  pour  les 
protestants  légitimistes,  Guillaume  I"  est  le  restaurateur  de  la  vrai  foi, 
l'incarnation  vivante  de  l'union  féconde  de  l'État  et  de  l'Église  calviniste  ; 
pour  les  libéraux,  c'est  le  politique  fin  et  avisé,  qui  a  eu  l'art  de  se 
ménager  l'appui  des  synodes  et  des  pasteurs,  sans  subir  l'action  de 
leur  tyrannie  sectaire,  le  grand  stathouder  qui  est  arrivé,  par  la  léga- 
lité, à  tous  les  pouvoirs;  pour  les  catholiques  patriotes  comme  pour 
les  antirévolutionnaircs  et  pour  les  liliéraux,  c'est  le  grand  homme 
d'Etat,  le  grand  capilaine,  qui,  sans  autre  secours  que  l'appui  inter- 
mittent des  Etats,  a  tenu  tèle  à  i'hilippe  II,  à  ses  ministres,  à  ses 
incomparables  généraux,  et,  à  force  de  patience  et  d'héroïsme,  a  fait 
des  sept  provinces  unies  le  noyau  autour  diKjuel  -s'est  formée  la  Hol- 
lande moderne. 

»  Ajoutons,  et  c'est  par  là  que  la  mémoire  du  grand  Taciturne  doit 
nous  être  chère,  que,  Allemand  et  Néerlandais  par  les  origines  de  sa 
famille,  il  s'est  moniré,  en  tout  temps.  Français  par  le  cœur  et  la  poli- 


TESTAMENT   DE    CHARLOTTE    DE    BOURBON    PRINCESSE   d'ORANGE.      A51 

tique.  11  s'est  marié  trois  fois,  mais  c'est  seulement  avec  ses  deux  der- 
nières femmes,  françaises,  Charlotte  do  Bourbon  et  Louise  de  Coligny, 
qu'il  a  trouvé  la  paix  et  le  bonheur.  Dans  les  plus  grandes  extrémités, 
c'est  toujours  du  côté  de  la  France  qu'il  a  regardé,  sans  se  laisser  décou- 
rager, ni  par  le  crime  de  la  Saint-Barthélémy  ni  par  les  belles  équipées 
du  duc  d'Anjou.  La  main  qui  a  armé  le  bras  de  Jaureguy,  le  pistolet  de 
Ralthazard  Gérard,  est  la  même  qui  a  guidé  le  poignard  de  Ravaillac.  » 

J'ai  retracé  dans  les  Nouveaux  Récits  du  x\v  siècle,  l'histoire  de 
Charlotte  de  Bourbon,  l'évadée  du  cloître  de  Jouarre,  devenue  la  com- 
pagne de  Guillaume  d'Orange,  et  succombant,  le  4  mai  1582,  à  l'excès 
des  émotions,  des  angoisses  qui  suivirent  pour  elle  l'attentat  de  Jaureguy 
contre  la  vie  de  son  époux.  «  La  joie,  disais-je,  tue  comme  la  douleur.  Le 
»  2  mai  1582,  la  population  d'Anvers  réunie  sous  les  voûtes  de  sa  magni- 
»  fique  cathédrale,  rendait  de  solennelles  actions  de  grâce  à  Dieu  pour 
»  le  rétablissement  du  prince  d'Orange.  Trois  jours  après,  sa  fidèle  com- 
»  pagne,  épuisée  par  les  veilles  et  les  angoisses,  minée  par  la  fièvre, 
»  expirait  entre  les  bras  de  son  époux,  qui  s'étonnait  de  lui  survivre.  Au 
»  sein  de  l'allégresse  publique,  sa  mort  fut  un  deuil  national.  De  tou- 
»  chantes  marques  de  regrels  se  mêlèrent  à  la  pompe  de  ses  funérailles. 
»  Douze  cents  bourgeois  vêtus  de  noir  accompagnèrent  son  cercueil,  et 
î  bien  des  larmes  coulèrent  lorsque  la  fille  de  Louis  de  Bourbon,  l'an- 
»  cienne  abbesse  de  Jouarre,  martyre  de  la  piété  conjugale,  fut  dépo- 
li sée  dans  la  chapelle  de  la  Cii'concision  où  ses  restes  reposent  encore 
»  aujourd'hui.  » 

On  ne  lira  pas  sans  intérêt  le  testament  de  la  pieuse  princesse,  con- 
servé dans  le  chartrier  de  Thouars,  et  que  je  dois  à  une  précieuse  com- 
munication de  mon  ami  M.  Paul  Marchcgay^  : 

Au  nom  de  Dieu,  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit,  Amen. 

Commme  ainsy  soit  qu'à  toute  personne  est  ordonné  de  mourir, 
et  qu'il  n'y  a  rien  plus  incertain  que  le  jour  de  la  mort,  et  qu'il  est 
expédient  pour  attendre  ce  jour-là  avec  plus  de  repos  et  contente- 
ment d'esprit,  de  disposer  de  bonne  heure,  et  cependant  que  Dieu 
en  donne  le  moyen,  de  sa  maison,  en  faisant  une  déclaration  de  ce 
que  l'on  désire  estre  gardé  et  observé  après  sa  mort,  singulière- 
ment en  la  conduite  et  gouvernement  de  ses  enfants,  et  assignation 
des  biens  que  Dieu  donne,  nous,  Charlotte  de  Bourbon,  par  la 
grâce  de  Dieu  princesse  d'Orange,  eslanl  en  ijon  sens  et  entende- 

i.  C'est  une  copie  de  1600. 


458  TESTAMENT   DE  CHARLOTTE    DE  BOURBON 

ment  quant  à  l'esprit  et  en  bonne  santé  de  disposition  de  corps, 
sfraces  cà  Dieu,  désirant,  cependant  que  Dieu  nous  en  donne  le 
moïen,  pourvoir  à  ce  que  nous  pouvons,  selon  droit,  disposer  et 
ordonner  affin  que  après  nostre  décès  nostre  intention  puisse  estre 
ensuivie  et  mise  en  exécution,  et  par  mesme  moïen  soit  ostée  toute 
occasion  de  débats  et  dissensions,  et  ce  d'aultant  plus  que  par  le 
contrat  de  mariage  faict  avec  monseigneur  le  prince  n'y  est  assez 
clairement  pourveu,  avons  à  ces  fins  déclaré  et  ordonné,  déclarons 
et  ordonnons  en  toutes  les  meilleures  manières,  voyes  et  formes  que 
possible  nous  est  de  faire,  pour  notre  dernière  volonté  et  testament 
ce  qui  s'ensuit. 

Premièrement  je  rends  grâces  à  Dieu  mon  père  qui  par  sa  grande 
miséricorde  m'a  illuminé  en  la  congnoissance  de  sa  saincte  volonté, 
et  m'a  donné  asseurement  de  mon  salut  et  de  la  vie  éternelle  par 
les  mérites  infinis  de  Jésus-Christ  son  fils,  vray  Dieu  et  vray  homme, 
mon  seul  saulveur  et  rédempteur,  advocat  et  médiateur,  de  ce  que 
me  conduisant  et  fortiffiant  par  son  Sainct-Esprit,  il  m'a  retiré  en 
son  Esglise  et  en  icelle  faict  la  grasse  de  l'invoquer  en  esprit  et 
vérité  avecq  les  autres  fidèles,  ouïr  sa  parole  et  communiquer  aux 
Saints  Sacrementè,  en  me  confirmant  de  plus  en  plus  en  la  congnois- 
sance et  asseurance  de  son  amour  envers  moy  et  de  mon  élection  à 
salut  et  vie  éternelle,  dont  aussi  protestant  que  mon  désir  et  espé- 
rance certayne  est  de  vivre  et  mourir  en  ceste  foy.  Sur  cest  appuyje 
recommande  mon  esprit  es  mains  de  Dieu  mon  père,  le  priant 
n'avoir  égard  à  la  multitude  de  mes  péchés,  ains  de  me  regarder 
en  la  face  de  son  fils  bien  aymé  Jésus-Christ,  et  en  me  les  pardon- 
nant par  les  mérites  de  sa  mort,  me  revestir  de  sa  justice  pour  en 
faveur  de  luy  me  recongnoistre  son  enfant  bien-aimé  et  me  reee- 
voir  en  la  jouissance  de  la  vie  et  gloire  qu'il  a  préparée  à  tous  se 
esleus  en  son  royaulme  éternel.  —  Après  j'ordonne  et  veuil  que 
mon  corps  soit  ensevely  avecq  toute  modestie  et  honnesteté  selon 
qu'il  plaira  à  mon  seigneur  le  prince  en  disposer  pour  attendre  le 
jour  bienheureux  de  la  lésurrection  auquel  je  crois  certainement 
que,  par  la  puissance  et  grâce  de  Jésus-Christ,  il  ressuscitera  corps 
glorieux,  incorruptible  et  immortel,  pour  avecq  mon  esprit  remy 
avecq  mon  corps  conjointement  estre  élevée  au  devant  de  Jésus- 
Christ  et  receue  par  dessus  fous  les  cieux  en  la  possession  désirée 
de  l'accomplissement  du  bien  de  gloire  que  j'attens  en  la  compa- 


PRINCESSE   d'OBANGE.  459 

gnie  des  justes  avec  les  saints  anges,  lorsque  Dieu  sera  toutes 
choses  en  nous  comme  en  ses  autres  enfans  par  Jésus-Christ. 

Touchant  les  enfans  que  Dieu  m'a  donnez  et  autres  qu'il  luy 
plaira  me  donner  à  l'advenir,  mon  désir  et  intention  est  qu'ils 
soient  nourris,  élevez  et  soigneusement  endoctrinez  en  la  congnois- 
sance  et  crainte  de  Dieu,  et  en  la  foy  de  Jésus-Chriet  nostre  Saul- 
veur;  et  comme  c'est  le  principal  et  plus  exccellent  trésor  que  je 
leur  sçauray  demander  à  Dieu,  ainsy  je  me  confie  entièrement  que 
Mgr  le  Prince  en  portera  le  soing  convenable,  et  y  pourvoira  selon 
le  zèle  que  Dieu  luy  a  donné  à  sa  gloire  et  le  devoir  de  père  envers 
ses  enfans.  De  quoy  aussi  je  le  prie  très  humblement  et  de  tout 
mon  cœur. 

Et  quant  aux  biens  qu'il  a  pieu  et  plaira  cà  Dieu  me  donner  à 
l'advenir,  meubles  et  immeubles,  je  vueil  et  ordonne  qu'en  premier 
lieu  soit  prinse  d'iceux  la  somme  de  six  cents  florins  pour  une  fois 
et  donnée  es  mains  des  diacres  de  l'Église  Réformée  en  laquelle 
Dieu  m'appellera,  pour  estre  par  eux  distribuée  aux  pauvres 
membres  de  Jésus-Christ. 

Item  que  d'iceux  biens  ma  fille  Loïse  prenne  par  preciput  dix 
mil  francs,  monnoie  de  France,  en  considération  que  mes  autres 
filles  qu'il  a  plu  à  Dieu  me  donner  ont  esté  adventagées  de  mon 
vivant,  chacune  de  certayne  rente  qui  ont  esté  données,  ordonnant 
et  nommant  en  tout  le  reste  de  mes  biens  pour  mes  héritières  légi- 
times mes  cinq  enfans,  assavoir  :  Loyse,  Elizabeth,  Catherine, 
Flandrine  et  Brabantine^  et  celuy  duquel  j'espère  que  Dieu  en 
bref  me  deslivrera,  voulant  que  les  dits  biens  soient  départis  entre 
mes  dits  six  enfants  égallement  ;  et  advenant  que  l'un  d'eux  mou- 
rust  avant  estre  parvenu  en  aage  pour  disposer  de  sa  part,  et 
mesmes  estant  en  aage  sans  avoir  disposé  et  sans  enfans,  je  vueil 
et  ordonne  que  mes  autres  enfans  succèdent  en  icelle  égallement, 
suppliant  au  reste  monseigneur  le  prince  que  ce  qui  se  trouvera 
déclaré  et  disposé  par  moyen  deux  codicïles  et  m.émoires  contenant 
disposition  de  mes  bagues  et  vaisselles,  signées  do  ma  main,  soit 

•1.  Sur  les  cinq  filles  de  Charlotte  de  Bourbon  voir  les  Mémoires  pour  servir 
à  l'histoire  de  Hollande,  par  Aubéry  Du  Maurier,  Paris,  18C0  (p.  1(19.171),  et  les 
Noiiv«aux  récits,  p.  259.  Elisabeth  devint  duchesse  de  Bouillon,. et  Charlotle- 
Brabantine,  duchesse  de  la  Trémoillc. 


460  TESTAMENT   DE   CHARLOTTE    DE  BOURBON 

observé  et  exécuté  tout  ainsi  que  sy  chacun  point  et  ordonnances 
des  dits  codicïles  et  mémoires  estoit  expressément  inséré  et  couché 
par  escript  en  cestuy  mien  testament  et  dernière  vollonté,  et  que 
pour  fournissement  et  accomplissement  du  contenu  es  dits  codicïles 
soit  employé  ce  qui  me  sera  deub  des  rentes  qui  m'ont  esté  assignées 
par  monseigneur  mon  père  et  monsieur  mon  frère,  ordonnant  en 
outre  que  monseigneur  le  prince  jouisse  de  tout  ce  qui  m'appartient 
ou  escherra,  ou  a  mesdits  enfants  pour  ayder  à  les  entretenir  hon- 
nestement,  priant  Monseigneur  le  prince  en  cas  que  le  moyen  ne  fust 
suffisant  de  mon  costé,  vouloir  pourveoir  à  ce  qui  sera  besoing  pour 
leur  entretennement,  et  que  de  ce  qu'il  jouira  appartenant  aux- 
dits  enfans  il  y  ait  asseurance  sur  quelque  sienne  terre,  et  que 
venant  à  l'aage  de  quinze  ans,  sera  à  chacun  d'eux  délivrée  sa 
part  purement  et  librement,  et  advenant  sa  mort  avant  que  les 
dictz  enfans  ayent  atteint  ledict  aage,  que  le  bien  a  eux  appartenant 
soit  incontinent  mis  à  profict  à  leur  adventage  le  plus  grand  et  le 
plus  assuré  que  faire  se  pourra,  suppliant  très  humblement  mon- 
seigneur le  prince  ordonner  avant  sa  mort  gens  propres  et  tels  qu'il 
trouvera  convenir  affin  d'y  pourvoir,  rappelant  pour  conclusion 
toutes  autres  ordonnances  et  dispositions  précédentes,  sy  aulcuns 
s'y  trouvoient,  et  me  réservant  la  liberté  d'adjouster,  changer  ou 
diminuer  à  ce  que  dessus,  sy  Dieu  m'en  donne  le  moïen  et  vol- 
lonté. 

En  tesmoignage  et  pour  confirmation  de  tout  ce  que  dessus,  nous 
avons  signé  la  présente  de  nostre  propre  main  et  cachette  du  cachet 
de  nos  armoiries,  ensemble  prié  les  témoings  soubz  nommez  de  le 
soubsigiier. 

Faict  à  Anvers,  le  dix-huitième  jour  de  novembre  1581. 

Charlotte  de  Bourbon  ^ 

Suivent  les  signatures  de  Jean  Tai'lîn,  ministre;  Mathias  de  Lobel 
(méd),  Godefroy  (échevin),  Moutens,  Jacob  Van  Wachtendouch. 

A  la  pièce  qui  précède  se  rattachent  naturellement  deux  lettres  iné- 

1.  Les  mêmes  archives  de  Thouars  conservent  une  copie  du  contrat  de 
mariage  de  Guillaume  de  Nassau,  prince  d'Orange,  avec  Charlotte  de  Bourbon, 
du  12  juin  1575. 


PRINCESSE  d'orange.  461 

dites  S  qui  montrent  sous  un  aspect  touchant  les  rapports  de  la  noble 
défunte  avec  les  fils  du  grand  martyr  de  la  Saint-Barthélémy.  Ces  deux 
pièces  sont  également  extraites  des  archives  de  Thouars,  et  nous  les 
devons  aussi  à  l'amitié  de  31.  Paul  3Iarchegay. 


A  messieurs  de  Chastillon  et  d'Andelot-. 

Heydelberg,  12  mars    [1573]. 

Messieurs,  pour  estre  affligée  par  la  mesme  cause  qui  a  réduit 
vos  affaires  en  telle  extrémité  comme  elles  sont,  vous  ne  pouviez 
pas  à  qui  mieux  vous  adresser  qu'à  moi  pour  ressentir  vostre  peine 
et  vous  y  plaindre  infiniment,  n'en  faisant  point  seullement  compa- 
raison à  la  mienne,  mais  estimant,  selon  qu'à  la  vérité  l'on  peult 
juger,  ne  vous  en  pouvoir  advenir  de  plus  grande.  Mais  jespère  que 
les  moyens  qui  vous  sont  cachés  à  cest  heure  pour  en  pouvoir  sortir, 
ce  bon  Dieu  vous  les  descouvrira  lorsqu'il  luy  plaira  vous  en  retirer. 
De  ma  part,  si  je  puis  quelque  chose  pour  cest  eff'et,  je  m'y  emploi- 
ray  de  bien  grande  affection  tant  pour  le  mérite  du  faict  que  pour 
celle  que  j'ay  toujours  portée  à  feu  monsieur  Tadmiral  vostre  père, 
dont  le  zèle  et  piété  qu'un  chacun  a  recongneu  en  luy  me  fait 
honorer  la  mémoire. 

Incontinent  donc  que  j'ay  receu  vos  lettres  et  celles  que  vous 
escriviez  à  monsieur  l'Electeur,  j'ay  esté  les  luy  présenter  %  lequel 
m'a  faict  congnoistre  les  avoir  bien  agréables  et  vouloir  em- 
brasser l'affaire  dont  lui  faistes  requeste  avec  une  singulière  affec- 
tion... tant  pour  madame  l'admiralle  que  pour  vostre  regard,  telle 
que  vous  la  pouvez  désirer,  ce  que  je  ne  fauldray  de  luy  ramente- 
voir,  si  je  congnois  qu'il  en  soit  besoing,  comme  aussy  madame 
l'electrice  m'a  faict  entendre  estre  en  pareille  volonté,  en  sorte  que 
vous  ne  pouviez  choisir  un  meilleur  et  plus  favorable  recours  ([ue 
celui  de  Leurs  Excellences,  qui  sçavent  peser  les  causes  selon  la 

1.  J'en  ai  cité  un  fragment  dans  les  Nouveaux  Récils,  p.  238,  211. 

2.  Original  déchiré  sans  suscription.  Chartrier  de  Thouars. 

3.  Évadée  depuis  un  an  du  cloître  de  Jouarre,  Charlotte  de  Bourbon  avait 
trouvé  un  asile  à  la  Cour  de  l'électeur  palatin  Frédéric  III,  au  cliàteau  d'IIeydel- 
berg.  C'est  là  qu'elle  fit  la  connaissance  de  Guillaume  d'Orange.    - 


462     TESTAMENT  DE  CHARLOTTE   DE  BOURBON   PRINCESSE  D'ORANGE. 

droitlure  et  équité,  et  ont  tousjours  les  mains  ouvertes  pour  donner 
ayde  aux  affligés. 

Je  prie  Dieu,  messieurs,  de  vous  oster  de  ce  nombre,  et  bientost 
vous  remettre  en  tel  heur,  bien  et  félicité  que  vouldroit  voir  celle 
de  qui  vous  recevrez  les  affectionnées  recommandations  à  vos  bonnes 
grâces  et  la  tiendrez  pour 

Vostre  affectionnée  et  meilleure  amye 

Charlotte  de  Bourbon. 

A  Heydelberg  ce  12''  mars  [1573]. 

A  Mademoiselle  de  Bourbon  * 

Basle,  1"  juin  1573. 

Madamoiselle,  nostre  ingratitude  serait  la  plus  extrême  qui  fust 
onc,  si  nous  ne  sentions  à  bon  escient  combien  nous  sommes  obli- 
gés à  reconnoistre  par  tous  très  humbles  services,  quand  Dieu 
nous  en  donnera  les  moyens,  le  très  grand  bien  et  faveur  que  nous 
recevons  de  vous,  Madamoiselle,  qui  estes  émue  et  incitée  à  nous 
bien  faire  par  la  seule  inclination  naturelle  d'une  grande  et  ver- 
tueuse princesse,  de  laquelle  vous  estes  partout  merveilleusement 
recommandée.  A  ceste  cause,  Madamoiselle,  après  vous  avoir  très 
humblement  remercié  du  très  grand  bien  et  plaisir  qu'avons  prompte- 
ment  receu  par  vostre  moyen,  des  sainctes  consolations  et  vertueux 
enseignements  qu'il  vous  a  pieu  nous  adresser  par  vos  lettres,  avec 
les  offres  tant  lionnestes  et  amyables  accompagnées  d'une  vive 
démonstration  de  la  chanté  chresticiine  que  pouvons  espérer  et 
attendre  de  vous,  nous  vous  supplions  très  humblement,  Madamoi- 
selle, nous  faire  cest  honneur  de  croire  que  mettrons  si  bonne  peine 
et  diligence,  avec  la  grâce  de  Dieu,  à  suivre  le  droit  chemin  de 
vertu  et  vraye  pieté,  que  toutes  les  contrariétés  et  grandes  difficul- 
tés qui  se  présentent  à  nous  en  ce  bas  aage  ne  pourront  nous  en 
fermer  le  passage.  Que  si  nostre  bon  Dieu  prenant  compassion  de 
nostre  calamité,  comme  avons  bonne  espérance  qu'avec  le  temps  il 
fera,  nous  relève  de  cette  oppression  très  dure,  et  qu'ayons  moyen 

1.  Sur  le  séjour  des  fils  de  Coligny  à  Bùle,  voir  le  Bull.,  t.  1,  p.  370-373. 


VOYAGE   D'ANTOINE   COURT   EN   SUISSE.  463 

de  vous  faire  très  humble  service,  nous  osons  bien  vous  promettre, 
Madamoiselle,  que  jamais  n'aurez  serviteur  plus  humble  ni  plus 
affectionné  pour  recevoir  et  obéir  à  tous  vos  commandemens,  quand 
il  vous  plaira  les  nous  faire  entendre,  et  sur  ceste  asseurance... 
nous  supplions  l'Éternel  nostre  bon  Dieu  qu'il  luy  plaise  vous  main- 
tenir très  longuement,  Madamoiselle,  en  très  bonne  santé  et  heu- 
reuse vie  pour  servir  à  sa  gloire  et  à  la  consolation  et  soulagement 
des  pauvres  affligés. 

Chastillon,  Andelot. 

De  Basle  co  1"  juin  1573. 


VOYAGE  D'ANTOINE  COURT  EN  SUISSE 

DANS  l'Été  DE  1746. 

LETTRES    DE    RECOMMANDATION   EN    SA    FAVEUR 

On  ne  lira  pas,  croyons-nous,  sans  intérêt,  les  lettres  suivantes  qui  se 
trouvent  dans  les  Papiers  Court  {n"  9,  p.  289-300).  Elles  ont  été  écrites, 
à  la  fin  de  mai  1746,  par  des  pasteurs  ou  professeurs  de  Genève  et  de 
Lausanne,  amis  des  protestants  français,  pour  recommander  Antoine 
Court  à  leurs  collègues  ou  aux  magistrats  de  la  Suisse  allemande.  Celui- 
ci,  par  un  article  secret  du  synode  national  de  Lédignan  (août  1744), 
avait  été  nommé  député  ou  agent  général  des  églises  sous  la  croix  au- 
près des  puissances  protestantes;  et  comme  ces  églises  se  trouvaient 
dans  une  situation  exceptionnellement  douloureuse,  les  comités  des 
bords  du  Léman  jugèrent  bon  de  faire  exposer  de  vive  voix  leur  détresse 
et  leurs  besoins  par  un  homme  qui  les  connaissait  parfaitement  et  dont 
la  vie  était  depuis  un  tiers  de  siècle  vouée  ù  leur  relèvement. 

On  verra  dans  ces  lettres  la  haute  estime  en  laquelle  les  amis  de  Lau- 
sanne et  de  Genève  tenaient  Antoine  Court,  et  aussi  l'empressement 
qu'ils  mettaient  dans  les  circonstances  critiques  ù  procurer  de  généreux 
protecteurs  et  des  ressources  de  tout  genre  à  leurs  frères  persécutés. 

A.  Picheral-Dardier. 


464  VOYAGE   D'ANTOINE  COURT   EN  SUISSE. 


I 

Lettre  de  M.  le  Professeur  Lullin,  de  Genève 
à  S.  E.  Mgr  VAdvotjer  Steigiier,  à  Berne. 

Genève,  28°  may  1746. 

Monseigneur, 

Qu'il  me  soit  permis  de  profiter  du  voyage  de  M.  Court  pour 
renouveler  à  V.  E.  mes  devoirs  respectueux  et  pour  la  remercier 
humblement  de  la  réponse  dont  elle  m'honora  il  y  a  quelques  mois 
au  sujet  des  Confesseurs  de  notre  Sainte  Religion  sur  les  galères. 
Leur  nombre  augmente  de  plus  en  plus  par  les  condamnations  fré- 
quentes que  prononcent  les  Intendans  et  les  Parlemens,  en  parti- 
culier celui  de  Grenoble.  Par  conséquent  l'affliction  et  les  besoins 
augmentent  aussi,  et  les  troupeaux  sous  la  croix  éprouvent  au 
milieu  de  l'accroissement  de  leur  bercail  que  le  sang  des  martyrs 
est  la  semence  de  l'Eglyse. 

L'État  de  ces  pauvres  tidelles  est  dans  une  telle  position  que  nous 
avons  cru,  de  même  que  MM.  nos  très  Honorés  Collègues  de  Lau- 
sanne, Mgr,  que  les  choses  dévoient  être  représentées  aux  puissans 
et  généreux  bienfaiteurs  de  nos  frères.  V.  E.  qui  par  sa  protection 
retrace  si  glorieusement  les  bontés  (jue  leur  accorda  toujours  feu 
M.  l'Advoyer  Steiguer,  tient  le  premier  rang  parmi  les  apuis  que 
Dieu  leur  suscite. 

Personne  ne  pouvoit  l'informer  plus  amplement  de  la  situation 
présente  des  Eglises  que  ce  digne  serviteur  de  Christ  qui  leur  a 
rendu  de  si  importans  services  comme  leur  pasteur,  et  qui  leur 
député  aujourd'hui,  ne  cesse  de  travailler  pour  elles.  Qu'il  plaise  à 
V.  E.  de  l'honorer  de  ses  bontés  et  de  ses  conseils. 

Que  ne  peut-on  point  se  promettre,  moyennant  la  grâce  de  Dieu, 
de  son  voyage,  s'il  est  dirigé  par  des  lumières  si  supérieures  et  par 
cette  habile  main  qui  fait  le  secours  et  la  consolation  universelle 
des  misérables?  M.  Court  pouvoit  suivre  à  la  collecte  particulière 
pour  les  galériens  que  V.  E.  se  proposoit;  MM.  de  Zurich,  par  les 
soins  de  S.  E.  Escher,  nous  ont  fait  déjà  parvenir  quelque  chose  qui 


VOYAGE   D'ANTOINE   COURT   EN   SUISSE.  /j.65 

a  été  aussitôt  remis  à  Marseille.  Seroit-ce  trop  se  flatter,  Mgr,  que 
d'espérer  que  les  cantons  protestans  auront  la  charité,  à  la  pro- 
chaine Diète,  de  prendre,  comme  ils  l'ont  fait  en  plusieurs  ren- 
contres, cet  objet  en  considération? 

Je  demande  à  V.  E.  d'en  agréer  la  prière  que  je  lui  adresse  par 
ordre  et  de  la  part  de  mes  collègues.  Ils  sont  pénétrés  pour  vous, 
Mgr,  des  sentimens  les  plus  respectueux,  et  j'ose  bien  dire  que  rien 
n'égale  ceux  avec  lesquels  je  suis, 

Mgr,  de  V.  E.  Votre,  etc. 

Nous  nous  en  remettons  aux  très  humbles  représentations  de 
M.  Court  sur  tous  les  autres  articles. 


II 

Lettre  de  M.  Sarasin  l'aîné,  pasteur  à  Genève, 
à  M.  Schneider,  pasteur  de  VÉglise  Française  de  Zurich. 

Genève,  le  27^  May  1746. 

M.  et  Très  Honoré  Frère, 

J'eus  l'honneur  de  vous  écrire  il  y  a  quelques  jours  au  sujet  de 
M.  Blaclion,  pour  tâcher  sinon  de  le  justifier  entièrement  auprès  de 
vous,  du  moins  de  l'excuser  en  partie  sur  l'oubli  dont  vous  vous 
plaigniés,  et  j'espère  que  ma  lettre  vous  sera  parvenue.  Je  vous 
marquois  en  même  tems,  M.  et  Très  Honoré  Frère,  que  comme  vous 
n'étiés  pas  exactement  informés  de  l'état  des  églises  sous  la  croix, 
information  qu'il  est  cependant  important  que  vous  ayés,  une  per- 
sonne de  confiance  sedisposoità  faire  un  voyage  k  Zurich  pour  vous 
mettre  au  fait  sur  cette  matière,  de  même  que  quelques  autres  res- 
pectables amis  de  votre  ville. 

Cette  personne  qui  vous  rendra  la  présente  lettre  est  M.  Court  rési- 
dant à  Lausanne,  ininitre  du  Saint-Ev.  et  très  respectable  par  ses 
lumières,  par  son  zèle  pour  notre  Sainte  religion,  et  par  les  grands 
et  importans  services  qu'il  a  rendus  et  qu'il  rend  actuellement  aux 
églises  sous  la  croix  auquelles  il  est  dévoué  avec  une  affection,  une 
application,  une  prudence  et  une  ardeur  digne  de  tous  les  éloges. 

XXXIII.  —  30 


466  VOYAGE  d'antoixe  court  en  suisse. 

Rien  n'est  au-dessus  des  travaux  que  ce  digne  pasteur  a  suportés 
même  au  péril  de  sa  vie  pour  ces  églises  désolées,  auxquelles  il 
consacre  aujourd'hui  des  soins  infiniment  utiles;  et  je  suis  persuadé 
que  quand  il  aura  l'avantage  d'être  connu  de  vous  personnellement, 
vous  en  aurés  la  même  idée  que  moi,  et  que  vous  regarderés  comme 
un  tems  bien  employé  les  conversations  que  vous  aurés  avec  lui, 
par  les  choses  curieuses  et  intéressantes  qu'il  vous  apprendra  sur  le 
sujet  en  question.  Je  vous  prie,  Monsieur  et  Très  Honoré  Frère,  de 
lui  être  favorable  et  de  l'aider  de  vos  conseils  et  de  votre  crédit,  soit 
auprès  de  S.  E.  Mgr  le  Bourgmestre  Escher,  soit  auprès  des  autres 
personnes  que  vous  croirés  qu'il  doit  voir  pour  réussir  dans  ce  qu'il 
aura  à  vous  proposer  pour  l'avantage  de  nos  frères.  Le  canton  de 
Zurich  tient  le  premier  rang  entre  les  cantons  protestans  de  la 
Suisse,  et  les  illustres  magistrats  qui  gouvernent  cette  florissante 
république  ont  toujours  fait  paroitre  un  si  grand  zèle  pour  notre 
Sainte  Religion,  et  se  sont  en  tous  tems  si  <ort  intéressés  à  la  con- 
solation des  fidèles  persécutés,  que  je  ne  doute  point  que  notre  très 
cher  et  respectable  frère  M.  Court  ne  remporte  de  son  voyage  toute 
la  satisfaction  à  laquelle  il  s'attend.  Agréés,  Monsieur  et  Très 
Honoré  Frère,  que  je  saisisse  avec  empressement  cette  nouvelle 
occasion  de  vous  marquer  avec  quel  respect  et  quelle  considération 
je  suis, 

Monsieur  et  Très  Honoré  Frère, 

Votre  etc. 


III 

Lettre  de  M.  le  Professeur  LuUin  à  M.  Zilli,  pasteur  de  VÉglise 
Française  à  St-GalL 

De  Genève  30°  inny  1746. 

Monsieur  et  Très  Honoré  Frère, 
Le  voyage  de  M.  le  Ministre  Court  m'offre  une  occasion  si  natu- 
relle de  vous  présenter  cet^xcellent  serviteur  de  Dieu  et  de  vous 
marquer  les  sentimens  que  je  conserverai  toujours  à  votre  égard, 
que  je  ne  saurais  la  laisser  échapper.  Le  séjour  que  vous  avés  fait 


VOYAGE  D'ANTOINE   COURT   EN   SUlsSE.  467 

parmi  nous  nous  a  laissé  un  tel  souvenir  de  votre  piété  et  de  vos 
talens,  que  les  impressions  en  sont  inetTaçables.  Je  rends  i^râces  à 
Dieu  notre  père  des  succès  avec  lesquels  vous  vous  employés  par  sa 
bénédiction  au  service  de  son  Eglise.  Il  nous  est  honorable  et  bien 
doux  d'avoir  un  collègue  tel  que  vous,  et  j'espère,  Monsieur  et  Très 
Honoré  Frère,  que  vous  agréerez  mes  vœux  de  même  que  l'invio- 
lable considération  que  je  vous  ai  vouée.  Comme  vous  êtes  consacré 
au  bien  de  l'Église  Française,  M.  Court  qui  pendant  de  longues 
années  a  servi  avec  tant  de  fruit  celles  qui  sont  sous  la  croix  et  qui 
est  aujourd'hui  leur  Député,  trouvera,  je  m'assure,  près  de  vous. 
Monsieur  mon  Très  Honoré  Frère,  l'accueil  et  les  bons  offices  que 
nous  pouvons  espérer.  l\  aura  le  plaisir  de  vous  informer  de  l'œuvre 
magnifique  et  surprenante  de  Dieu  en  faveur  de  nos  frères.  Ces 
Églises  que  le  Papisme  avait  cru  ensevelir  sous  la  ruine  de  leurs 
temples  sont  sorties  nombreuses  et  florissantes  de  leurs  masures. 
Elles  ont  des  Pasteurs,  des  Consistoires,  des  Synodes,  des  Assem- 
blées de  plusieurs  milliers  de  personnes.  On  les  persécute,  on  envoyé 
au  supplice  les  serviteurs  de  Dieu,  on  condamne  les  laïques  aux 
galères,  on  enlève  les  enfans,  on  renferme  les  femmes  dans  des 
monastères,  on  ruine  les  familles  par  de  désolantes  amendes,  et 
néanmoins  la  foi,  le  zèle,  la  constance  dans  la  profession  de  la 
vérité  sont  inébranlables.  Les  détails  édifians  que  notre  digne 
frère  vous  donnera  là-dessus  sont  sans  nombre.  Vous  y  retrouverés, 
Monsieur,  l'ardeur  évangélique  des  premiers  lems  du  Christia- 
nisme. Telle  est  la  suite  des  soins  et  des  travaux  des  fidelles,  et  je 
dois  ajouter  de  la  charité  que  les  bonnes  âmes  ont  témoignée  cons- 
tamment. Votre  Église,  Monsieur  et  Très  Honoré  Frère,  y  a  concouru 
toutes  les  fois  qu'on  s'est  adressé  à  elle,  notamment  en  1730  et  en 
1734;  ce  qui  nous  donne  lieu  d'espérer  que  les  fidelles  persécutés 
trouveront  des  dispositions  aussi  avantageuses  à  présent  en  leur 
faveur.  Agréés  que  pour  le  surplus  je  m'en  remette  à  M.  Court 
dont  le  voyage  et  les  soins  doivçnt  faire  aussi  peu  de  bruit  qu'il 
sera  possible.  Je  ne  cesserai  jamais  mes  prières  ferventes  à  notre 
commun  et  divin  Maître  pour  votre  conservation  et  pour  celle 
de  tout  ce  qui  vous  intéresse.  J'ai  l'honneur  d'être  avec  un  profond 
respect, 

Monsieur  et  Très  Honoré  Frère, 

Votre,  etc. 


4G8  VOYAGE   D'ANTOINE   COURT  EN  SUISSE. 


ÎV 

Lettre  de  M.  J.  H.  de  Waldkirch,  pasteur  à  Genève, 
à  M.  J.  H.  Peyer,  ministre  de  VÉglise  française  de  Schaffouse. 

De  Genève  27  may  17-i6. 

Monsieur  mon  Très  Honoré  Père, 

J'espère  que  vous  anrés  reçu  la  lettre  que  j'eus  l'honneur  de  vous 
écrire  dernièrement,  et  je  me  tlatle  toujours  qu'avec  le  retour  des 
chaleurs,  voire  santé  qui  avait  élé  si  fort  altérée  pendant  cet  hyver, 
se  sera  fortitiée  de  plus  en  plus.  J'ai  l'honneur  de  vous  écrire  à 
présent  pour  vous  demander  le  secours  de  vos  honsotTiccs  en  faveur 
de  M.  Court  qui  doit  partir  dans  peu  de  jours  pour  Schaffouse.  Il 
les  mérite  et  par  son  caractère  et  par  ses  pieux  travaux,  et  par  le 
motif  qui  lui  fait  entreprendre  ce  voyage.  Il  a  prêché  longtems  h 
nos  frères  qui  sont  en  France;  et  ayant  été  ohligé  de  se  retirer  de- 
puis plusieurs  années  dans  le  pays  de  Vaud,  où  par  la  permission 
(le  L.  L.  E.  E.  il  a  continué  de  faire  toutes  les  fonctions  d'un 
ministre  de  Jésus-Christ,  il  s'est  attiré  l'estime  et  la  considération 
de  toutes  les  personnes  qui  le  connoissent,  soit  ici,  soit  à  Lausanne, 
où  il  fait  son  séjour  ordinaire.  Il  n'a  cessé  depuis  lors  de  travailler 
oour  les  réformés  de  France,  auxquels  il  s'étoit  d'ahord  dévoué, 

leur  a  rendu  des  services  très  essentiels.  C'est  dans  le  même 
dessein  qu'il  va  faire  actuellement  un  voyage  de  vos  côtés;  et  dès 
que  j'en  ai  été  informé,  je  n'ai  pas  douté  que  travaillant  pour  une 
si  bonne  cause,  vous  ne  fussiés  tout  disposé  à  vous  intéresser  en  sa 
faveur.  La  manière  dont  vous  m'avés  quelquefois  écritsur  ce  sujet,  m'a 
suffisamment  apris  combien  vous  prenés  de  part  à  ce  qui  regarde 
nos  pauvres  frères;  et  que  tout  ce  qui  pouvoit  leur  être  utile,  deve- 
noit  par  cela  même  très  intéressant  pour  vous.  A  la  vérité  j'ai  craint 
d'abord  que  l'état  de  faiblesse  où  vous  êtes  encore  ne  vous  permit 
pas  de  rendre  à  M.  Court  les  bons  offices  qu'il  auroit  reçu  de  vous 
sans  cela.  J'ai  cru  pourtant  que  votre  santé  se  fortifiant  peu  à  peu, 
je  devois  vous  faire  part  de  son  voyage  et  vous  prier  de  le  recom- 
mander soit  <à  M.  le  Professeur  Huster,  soit  à  M.  votre  suffragant. 


VOYAGE  d"ANTOINE  COURT    EN    SUISSE.  469 

soit  aux  autres  personues  qui  peuvent  lui  être  utiles  dans  le  des- 
sein qu'il  se  propose.  Pardonnes  moi,  s'il  vous  plaît,  M.  mon  Très 
Honoré  Père,  de  la  peine  que  je  vous  donne.  Je  joindrai  cette 
obligation  à  tant  d'autres  que  je  vous  si.  Je  fais  mille  vœux  au 
ciel  pour  votre  conservation.  En  vous  demandant  toujours  le 
secours  de  vos  prières,  j'ai  l'honneur  d'être  avec  le  plus  respectueux 
attachement, 

Monsieur  mon  Très  Honoré  Parrain, 

Votre,  etc. 


V 

Copie  de  la  lettre  de  M.  te  Professeur  Palier  à  S.  E.  M>  Steigiier, 

à  Berne. 

Lausanne,  31  may  lliQ. 

Monseigneur, 

V.  E.  fut,  je  pense,  informée  bientôt  après  le  retour  de  M.  le 
Ministre  Court  de  son  voyage  de  France,  sur  la  fin  de  1744,  que  les 
églises  sous  la  croix  assemblées  en  Synode  national,  l'avoient 
nommé  leur  agent  dans  les  états  protestans  et  l'avoient  chargé  de  la 
commission  de  veiller  à  leurs  intérêts  et  de  solliciter  ou  d'agir  en 
leur  nom  dans  toutes  les  occasions  où  les  besoins  de  ces  églises 
pourroient  requérir  le  secours  de  leurs  frères  du  dehors,  ou  des 
puissances  de  même  religion;  V.  E.  fut  encore  consultée  sur  le  lems 
le  plus  propre  à  exécuter  cette  commission  dans  les  cantons  pro- 
testans, el  sur  le  dessein  qu'avoit  alors  ledit  agent  de  faire  un  tour 
dans  la  Suisse  Allemande  pour  se  faire  connoître  aux  seigneurs  et 
particuliers  qu'il  pourroit  découvrir  être  favorables  aux  Églises, 
pour  les  informer  de  l'état  où  il  les  avoit  laissées  etde  leurs  besoins, 
pour  établir  quelque  correspondance  utile,  relative  à  sa  commission. 
Mais  V.  E.  ayant  jugé  qu'il  n'étoit  pas  convenable  défaire  ce  voyage 
si  lot  après  celui  de  France,  qui  n'avoil  que  trop  éclatté,  et  que  la 
saison  de  l'Iiyver  où  les  affaires  publiques  s'étoient  multipliées 
n'étoit  pas  propre  à  ce  dessein,  l'on  se  conforma  à  un  avis  si  pru- 
dent et  l'on  atlendit  à  l'exécuter  qu'il  se  présentât  des  conjonctures 


470  VOYAGE   D'ANTOINE    COURT   EN   SUISSE. 

plus  favorables  ou  plus  pressantes.  Dès  lors  l'état  des  Eglises  a 
beaucoup  changé;  si  d'un  côté  l'on  a  gagné  du  terrain  dans  plu- 
sieurs provinces  par  le  nombre  des  fidelles  qui  s'y  sont  manifeslés  à 
la  faveur  de  la  tranquillité  dont  on  y  jouit  par  rapport  à  la  Religion, 
et  par  le  nombre  d'ouvriers  qui  se  sont  offerts  pour  la  moisson  du 
Seigneur;  d'un  autre  l'on  a  éprouvé  dans  plusieurs  endroits  d'aussi 
rudes  persécutions  qu'on  en  ait  jamais  ressenties,  qui  ont  mis  les 
Religionnaires  de  ces  pays-là  à  deux  doigts  de  leur  ruine  et  de  leur 
extinction  totale.  Ces  différens  objets  ont  été  rais  devant  les  yeux  des 
amis,  bienfaiteurs  et  protecteurs  de  ces  églises,  par  des  lettres 
écrites  en  divers  endroits,  pour  obtenir  des  secours  qui  répondis- 
sent à  ces  différens  besoins,  et  l'on  a  recueilli  dos  réponses  reçues 
qu'il  étoit  tout  à  fait  important  que  ces  amis  et  bienfaiteurs  fussent 
bien  informés  de  l'état  des  choses  et  du  détail  de  ces  besoins  par 
des  personnes  qui  les  connussent  à  fond,  et  qui  pussent  répondre  à 
toutes  les  questions  et  objections  que  l'on  pourroit  faire  sur  ce 
sujet,  telle  qu'est  M.  le  Ministre  Court.  C'est  ce  qui  l'a  déterminé 
par  l'avis  de  ses  constituans  et  assistans  à  entreprendre  sans  plus  de 
renvoi  le  voyage  de  Suisse  cy-devant  projette,  et  il  a  cru  après  mûre 
réflexion  et  consultation  que  le  teras  le  plus  propre  à  le  faire  réus- 
sir étoit  celui  qui  précédoit  immédiatement  les  Diètes  des  cantons 
protestans,  où  les  affaires  de  la  Religion,  tant  du  dehors  que  du 
dedans,  dévoient  être  portées.  Les  amis  de  Genève  en  particulier 
qui  sont  chargés  de  ces  affaires,  lui  ont  fait  connoitre  plus  d'une 
fois  que  le  voyage  devenoit  tous  les  jours  plus  nécessaire,  en  sorte 
qu'il  n'a  pu  qu'acquiescer  à  leurs  représentations.  Mais  convaincu, 
comme  il  l'est,  aussi  bien  que  les  amis  d'ici  avec  qui  il  en  a  conféré, 
du  zèle  de  V.  E.  pour  la  Religion,  de  l'intérêt  qu'elle  prend  aux 
Églises  de  France  qui  en  font  profession,  de  l'étendue  de  ses  lu- 
mières dans  tout  ce  qui  y  a  du  raport,  et  de  l'efficace  de  sa  protection 
et  de  ses  recommandations  pour  parvenir  au  but  qu'on  se  propose, 
il  part  d'ici  dans  la  ferme  résolution  de  s'adresser  d'abord  à  V.  E. 
et  s'il  en  peut  obtenir  une  audience  favorable,  de  lui  exposer  sa 
commission  et  ses  instructions,  de  la  consulter  sur  tout  ce  qu'il  y  a 
d'essentiel  et  de  ne  rien  faire  que  par  ses  sages  directions.  Comme 
c'est  par  ce  seul  moyen  qu'il  peut  espérer  do  réussir  dans  sa  com- 
mission, c'est  aussi,  Mgr,  avec  la  plus  parfaite  confiance  et  le  plus 
profond  respect,  que  les  personnes  d'ici  instruites  de  l'état  de  ces 


VOYAGE  D'ANTOINE   COURT  EN   SUISSE.  4.71 

églises  prennent  avec  moi  la  liberté  de  recommander  à  votre  puis- 
sante protection  et  bienveillance  leur  agent  ou  député,  que  V.  E. 
connoît  déjà  être  très  recommandable  par  son  mérite  personnel,  par 
son  zèle  toujours  actif  pour  la  religion  et  par  les  grands  services 
qu'il  a  rendus  aux  églises;  mais  qui  l'est  spécialement  par  la  con- 
fiance qu'elles  lui  ont  témoignée  en  remettant  leurs  intérêts  entre 
ses  mains.  M.  le  Major  de  Montrond  en  particulier  qui  entre  dans 
cette  affaire  avec  une  affection  sans  égale,  et  qui  prend  une  part  si 
intime  au  dessein  et  au  succès  de  ce  voyage,  a  l'bonneur  d'assurer 
Y.  E.  de  ses  sentimens  les  plus  respectueux.  Je  la  suplie  d'agréer 
aussi  les  assurances  les  plus  sincères  du  parfait  dévouement  avec 
lequel  je  fais  gloire  d'être, 

Monseigneur, 

De  V.  E. 

Votre,  etc. 

Nous  sommes  lieureux  de  pouvoir  compléter  les  documenls  qui  précè- 
dent par  les  deux  pièces  suivantes,  se  rapportant  au  même  sujet,  et  qui 
viennent  de  nous  tomber  sous  la  main,  en  compulsant  le  n°  5  des  Papiers 
Court.  On  y  verra  les  recommandations  particulières  que  les  amis  de 
Genève  et  de  Lausanne  firent  à  Ant.  Court,  à  la  veille  de  son  voyage,  et 
le  discours  que  celui-ci  avait  préparé  pour  être  débité  au  principal  magis- 
trat de  Berne,  M.  Im-HofT.  Cette  dernière  pièce  est  de  l'écriture  de  Court. 

A.  Picheral-Dardier. 


Instructions  pour  servir  à  la  conduite  du  Ministre  Court 
dans  son  voijage  dans  les  cantons  évangéliques, 

1°  Ce  voyage  doit  se  faire  avec  toute  la  circonspection  et  la  réserve 
imaginables,  pour  ne  point  en  rendre  le  but  trop  public. 

2°  Il  ira  premièrement  à  Berne,  et  de  Là  à  Zuricli,  Schatïouse, 
AYintertbour  et  St-Gall,  et  si  l'on  juge  à  propos,  il  se  rendra  à  la 
Diette. 

3°  Il  s'attachera  dans  toutes  ces  capitales  à  s'informer  des  sei- 
gneurs du  gouvernement  qui  paroitront  prendre  le  plus  d'intérêt 
aux  affaires  de  la  religion  en  France,  pour  les  informer  de  ce  qui 
regarde  les  églises  sous  la  croix. 


Ht  VOYAGE   D'ANTOINE   COURT   EN   SUISSE. 

A°  Il  s'attachera  dans  tous  ces  endroits,  soit  par  un  mémoire  ou 
par  ses  informations,  à  faire  connaître  tout  ce  que  les  divers  cantons 
ou  républiques  évangéliques  ont  accordé  précédemment  pour  le 
soutien  de  la  religion  en  France  et  pour  le  soulagement  des  galé- 
riens et  des  prisonniers  de  l'un  et  de  l'autre  sexe  pour  cause  de 
religion.  Et  il  travaillera  à  obtenir  de  leur  piété  et  de  leur  charité 
le  rétablissement  de  ces  subsides,  vu  les  besoins  plus  pressans 
qu'autrefois  et  comme  faisant  le  principal  objet  de  sa  députation. 

5°  S'il  peut  en  obtenir,  il  chargera  quelques  personnes  de  solli- 
citer et  de  recevoir  ceux  qui  auront  été  promis,  et  il  fera  parvenir 
aux  personnes  déjà  préposées  ceux  qui  lui  auront  été  livrés. 

6"  Il  donnera  tous  ses  soins  pour  que  par  la  permission  du  gou- 
vernement, il  y  aye  dans  chaque  capitale,  ou  quelques  personnes 
préposées,  ou  quelque  comité  secret  établi,  à  qui  l'on  puisse  s'adres- 
ser pour  une  correspondance,  pour  les  informer  de  tout  ce  qui  se 
passe  en  France,  par  rapport  à  la  religion  et  recevoir  en  conséquence 
leurs  avis  suivant  les  occurences. 

7°  Il  est  d'une  indispensable  nécessité  qu'il  fasse  bien  connoitre 
dans  ses  informations  verbales,  l'impossibilité  que  le  ministère  sous 
la  croix  puisse  se  soutenir,  ni  être  fourni  d'un  nombre  suffisant  de 
bons  sujets,  éclairés  et  instruits  de  tout  ce  que  doivent  savoir  de  tels 
ministres,  pour  conduire  avec  sagesse,  prudence  et  édification, 
ces  églises  opprimées,  si  elles  n'ont  les  moyens  nécessaires  de  leur 
i'aire  faire  leurs  éludes  dans  les  pays  étrangers,  n'en  ayant  aucun  de 
le  pouvoir  en  France,  et  combien  il  importe  que  ces  ministres  j)uis- 
sent  recevoir  leur  ordination  dans  les  pays  étrangers. 


Dicours  à  M.  le  Banderet  Im-IIoff. 

Monsieur, 

Je  viens  auprès  de  V.  G.  [)our  la  prier  très  humblement  d'avoir 
la  charité  de  concourir  à  l'heureux  succès  d'une  commission  dont 
j'ai  été  chargé  par  les  églises  de  France  qui  gémissent  souslacroix, 
auprès  de  LL.EE.  des  louables  cantons  évangéliques.  Ces  bénignes 
et  charitables  Puissances  se  sont  toujours  vivement  intériessées  pour 
le  bien  de  ces  pauvres  églises,  et  depuis  labienheureuseRéformalion 


VOYAGE   D'ANTOINE   COURT  EN    SUISSE.  iVS 

il  n'esl  point  de  tems  qu'elles  ne  les  ayent  honorées  des  marques  de 
leur  bienveillance  el  qu'elles  ne  leur  ayenl  donné  des  preuves  sen- 
sibles de  communion  Iraternelle  qu'elles  ont  entretenue  avec  elles. 

Au  tems  de  la  bienheureuse  Réformation  les  louables  cantons 
évangéliques  et  surtout  LL.  EE.  du  canton  de  Berne  entretinrent 
à  leurs  dépens  plusieurs  étudians  François  qui  étant  dans  la  suite 
consacrés  entroient  dans  le  royaume  et  y  établissoient  et  desservoient 
plusieurs  églises,  comme  en  fait  foi  l'histoire  de  ce  tems  là.  L.  Ë. 
employèrent  aussi  en  diverses  occasions  leurs  puissantes  interces- 
sions, ou  pour  procurer  du  soulagement  à  ces  églises,  ou  pour  obte- 
nir la  liberté  de  ceux  qui  souffroient  au  milieu  d'elles  pour  cause 
de  la  religion.  Quelle  charité  leurs  E,  ne  mirent-elles  pas  en  œuvre 
au  temps  de  la  Révocation  de  l'Edit  de  Nantes,  avec  quel  tendre 
empressement  ne  recueillirent  elles  pas  dans  leurs  florissants  États 
tant  de  milliers  de  malheureux  qu'une  persécution  qui  n'en  eut  peut- 
être  jamais  sa  semblable,  exiloit  loin  de  leur  patrie.  C'est  par  la 
même  charité  qui  a  toujours  animé  LL.  EE.  qu'en  1728  elles  accor- 
dèrent quelque  subside  soit  pour  l'entretien  de  jeunes  gens  qui  se 
consacroient  au  service  des  églises  sous  la  croix,  soit  pour  fournir 
des  livres  de  piété,  comme  bibles,  testaments,  catéchismes,  pseaumes, 
sermons  pour  l'instruction  et  la  consolation  des  fidèles  persécutés 
restés  en  France,  soit  pour  le  soulagement  des  prisonniers  et  des 
galériens  qui  souffrent  pour  cause  de  religion.  Ces  charitables  sub- 
sides furent  continués  jusqu'en  1735;  mais  dès  lors  ils  cessèrent, 
sans  que  jusques  ici  on  en  ait  su  la  véritable  cause,  el  ils  cessèrent 
dans  un  tems  où  les  églises  en  auroient  eu  le  plus  besoin.  Ces  be- 
soins mêmes  se  sont  dès  lors  extrêmement  multipliés  comme  V.  G. 
pourra  s'en  assurer  si  Elle  daigne  jeter  les  yeux  sur  le  Mémoire  que 
je  prens  la  liberté  de  lui  remettre  au  nom  et  de  la  part  des  églises 
sous  la  croix. 

Je  la  prie  très  humblement  de  prendre  dans  la  plus  grande  con- 
sidération les  articles  qui  y  sont  contenus  ;  et  comme  Elle  est  députée 
à  la  Diette  de  la  part  de  LL.  EE.  des  louables  cantons  du  corps  hel- 
vétique, de  vouloir  les  apuyer  de  sa  puissante  recommandation 
auprès  des  représentans  des  cantons  évangéliques,  afin  qu'étant  par 
eux  pris  en  considération  ils  veuillent  bien  résoudre  en  conséquence 
les  choses  que  leur  piété,  leur  chanté  et  la  communion  fraternelle 
qu'ils  ont  toujours  entretenue  avec  les  églises  de  France,  leur  sug- 


4.74-  BIBLIOGRAPHIE. 

gérera  pour  le  bien  et  le  soulagement  de  ces  pauvres  églises,  qui  ne 
cessent  de  se  répandre  en  vœux  en  faveur  de  ces  louables  cantons 
évangéliques,  leurs  charitables  et  puissants  bienfaiteurs,  en  faveur 
de  LL.  EE.  et  qui  ne  cesseront  d'en  répandre  en  faveur  de  V.  G. 


BIBLIOGRAPHIE 


CORRESPONDANCE  DES  DEUX  FRÈRES  LABORDE 

FORÇATS  DU  MAS-d'AZIL  AU  BAGNE  DE  TOULON 

Broch.  iu-S"  de  Ml  pages. 
)' 
Nous  avons  une  double  dette  de  reconnaissance  à  acquitter  envers 
M.  le  pasteur  0.  de  Grenier-Fajal.  Il  nous  a  donné  presque  simul- 
tanément le  Synode  de  Réalmont  en  1606,  qui  fournit  d'intéressants 
détails  sur  les  Églises  de  cette  région  et  leur  vie  intérieure,  dans 
les  premières  années  du  xvii''  siècle,  et  la  Correspondance  inédite 
des  deux  frères  Laborde,  forçats  du  Mas-d'Azil,  dont  les  noms  déjà 
cités  dans  divers  recueils,  se  présentent  désormais  à  nous  avec  un 
cortège  de  touchants  souvenirs  tirés  de  leurs  lettres  qui  ne  déi)arc- 
raient  pas  le  Journal  des  Galères  publié  dans  le  Bulletin  (t.  XVI 
et  XVII). 

Dans  la  nuit  du  2  au  3  novembre  1748,  une  assemblée  religieuse 
présidée  par  Pierre  Cortez,  neveu  de  l'apôtre  du  Désert,  se  réunit 
en  un  lieu  appelé  le  Clôt  del  Bouix,  aux  environs  du  Mas-D'Azil. 
Elle  ne  put  échapper  à  l'attention  des  consuls  de  cette  ville  qui 
joignirent  leurs  procès-verbaux  à  ceux  de  Sabarat.  Le  16  novembre 
1748,  le  sieur  Siret,  sul)délégué  de  Foix,  fit  subirun  interrogatoire 
à  Pierre-Paul  Mercier,  Paul  Laborde,  Etienne  Laborde,  et  François 
Fargucs,  qui  furent  conduits  dans  les  prisons  de  Foix,  puis  à  celles 


BIBLIOGRAPHIE.  475 

de  Perpignan,  et  condamnés,  le  24  mars  suivant,  anx  galères  perpé- 
tuelles pour  avoir  assisté,  de  leur  propre  aveu,  à  une  assemblée 
illicite,  en  même  temps  qu'une  lourde  amende  (9126  livres)  était 
imposée  aux  nouveaux  convertis  des  communes  intéressées. 

C'est  cà  Marseille  que  commence  la  captivité  des  deux  frères,  l'un 
serrurier,  l'autre  perruquier  de  son  état,  qui  laissent  femme  et  en- 
fants au  Mas-d'Azil,  et  tiennent  alternativement  la  plume  dans  une 
correspondance  des  plus  touchantes;  on  en  jugera  par  les  extraits 
suivants  dont  on  modifie  seulement  l'orthographe  pour  en  faciliter 
la  lecture  : 

Ma  très  chère  femme,  l'impatience  dans  laquelle  je  suis  de  recevoir 
une  lettre  de  votre  part  et  signée  de  votre  main,  fait  que  je  n'ai  pas  plus 
différé  à  vous  écrire  celle-cy.  Oui,  ma  chère,  vous  êtes  si  gravée  dans 
mon  cœur  qu'il  n'y  a  que  la  mort  qui  puisse  l'effacer.  Il  ne  se  passe  pas 
un  moment  que  vous  ne  soyez  présente  à  mon  esprit,  et  la  triste  situation 
ou  mon  cœur  se  trouve,  m'assure  qu'il  ne  sera  jamais  plus  tranquille  que 
je  n'aye  le  plaisir  de  vous  emhrasser  et  d'être  auprès  de  vous,  persuadé 
que  vous  vous  conformerez  à  mes  sentiments.  Quelle  joyc  de  rejoindre 
celle  qui  fait  la  moitié  de  moy-même  !  Dieu  veille  que  les  vœux  et  les 
prières  que  je  lui  adresse  montent  jusques  à  son  trône  de  grâce.  Prions 
tous  cet  être  suprême  qu'il  bénisse  toutes  les  personnes  qui  s'intéressent 
à  nous  et  leur  fasse  la  grâces  de  réussir  dans  leurs  entreprises... 

Vostre  fidèle  raary, 
P.  Laborde. 

De  Marseille,  les  prisonniers  sont  transférés  à  Toulon  où  leur  foi, 
leur  pieuse  résignation  grandit  avec  l'épreuve  d'une  captivité  pro- 
longée : 

Ma  très  chère  femme,  depuis  ma  dernière  que  j'eus  l'honneur  de  vous 
écrire  mon  cœur  a  été  extrêmement  affligé  et  mes  yeux  ont  été  une  fon- 
taine de  larmes  au  sujet  d'une  maladie  que  mon  frère  a  faite  qu'il  se 
croyait  à  la  lui  de  ses  jours.  Mais  Dieu  qui  nous  envoyé  les  maladies  lui 
a  fait  la  grâce  de  lui  redonner  la  santé,  quoiqu'il  l'a  de  Lcmps  en  temps 
variable,  car  depuis  que  nous  sommes  dans  cet  hôpital  il  n'a  joui  que  de 
trois  mois  de  santé...  Mais  en  quel  état  que  nous  soyons  nous  devons 
nous  soumettre  à  la  volonté  de  Dieu  et  nous  remettre  entre  ses  mains. 
C'est  un  père  charitable  en  qui  nous  devons  chercher  notre  consolation. 
Il  agrée  que  nous  lui  parlions  par  nos  prières...  Les  afflictions  sont  jtour 


476  BIBLIOGRAPHIE. 

les  fidèles  des  sources  inépuisables  de  contentement  et  de  joye.  Baisons 
celles  qu'il  plaira  à  la  divine  Providence  d'employer  pour  notre  correc- 
tion et  adorons  en  les  secrets  même  dans  ses  plus  rudes  châtiments. 

Il  faudrait  citer  en  entier  la  lettre  écrite  par  Paul  Laborde  à  son 
neveu,  pour  lui  recommander  la  fidélité  au  culte  qui  conduit  aux 
galères  ses  plus  pieux  adbérents. 

Prenez  garde  qu'il  n'y  ait  aucune  considération  qui  vous  fasse  manquer 
ce  devoir,  car  se  serait  un  grand  désordre  si  l'intérêt  du  salut  n'allait 
devant  tout  autre.  Que  les  intérêts  ou  les  plaisirs  de  la  terre  ne  vous 
fassent  pas  oublier  ceux  du  ciel.  Attachez-vous  à  ce  culte,  mon  cher 
neveu,  et  vous  trouverez  qu'il  vous  rendra  un  meilleur  office  que  celui 
que  les  bergers  reçurent  de  l'Étoile  qui  les  guida  à  Bethléem,  car  elle 
les  mena  seulement  à  Jésus-Christ  dans  son  abaissement,  et  ce  culte 
vous  conduira  à  lui  dans  sa  gloire.  iNe  vous  en  éloignez  jamais,  quoi- 
qu'il arrive,  et  quelques  rudes  persécutions  qu'il  vous  faille  souffrir,  ne 
vous  rebutez  point;  tenez  plus  tost  a  grand  honneur  de  porter  la  croix 
après  votre  sauveur.  C'est  par  ce  chemin  que  tous  les  martyrs  sont  entrés 
dans  la  gloire  céleste... 

)' 
Plus  heureux  que  d'autres  captifs  qui  ne  recouvrèrent  jamais  la 
libellé,  Paul  et  Etienne  Laborde  virent  se  lever  des  jours  meilleurs. 
Voici  en  quels  termes  Etienne  annonçait  cette  nouvelle  a  un  de  ses 
amis  de  Nîmes  : 

Toulon  5  novembre  I15b. 

C'est  avec  un  grand  plaisir  que  je  viens  par  ces  lignes  vous  faire  part 
de  la  grâce  signalée  que  le  bon  Dieu  vient  de  nous  accorder  à  mon 
frère,  à  M.  Mercier  et  à  moy.  Aujourd'hui  M.  l'intendant  nous  a  fait 
ôter  nos  chaines,  par  l'ordre  de  la  cour;  il  nous  a  fait  mettre  en  liberté. 
11  nous  tarde  à  tous  les  trois,  cher  ami,  de  vous  aller  embrasser  et  votre 
chèi'c  épouse,  et  mon  fils  ;  en  attendant,  nous  vous  prions  de  vous  joindre 
avec  nous  pour  rendre  des  actions  d(;  grâce  à  cet  être  suprême  afin  qu'il 
nous  accorde  son  secours  puissant.  Notice  liberto  nous  coâteiOOO  éciis,  ce 
qui  fait  1000  livres  pour  chacun.  Nous  espérons  que  la  sainte  Providence 
nous  fera  trouver  de  bonnes  âmes,  afin  (juc  mon  frère  et  moi  puissions 
faire  honneur  à  l'engagement  que  nous  avons  donné.  Et  comme  nous 
sommes  entièrement  dépourvus  d'argent,  et  qu'il  nous  faut  quitter  celle 
ville  avec  nos  habits  de  forçats,  oserions-nous  vous  prier  de  parler  aux 


BIBLIOGRAPHIE.  4-77 

personnes  qu'il  convient,  afin  qu'on  exerce  en  notre  faveur  ce  que  vous 
sentez,  vu  notre  situation.  Je  ne  vous  en  dis  pas  davantage,  dans  l'espé- 
rance que  Dieu  nous  fera  la  grâce  de  vous  aller  embrasser  dans  sept  ou 
luiit  jours. 

Les  deux  frères  Laborde  et  Pierre  Mercier  revirent  donc  le  Mas- 
d'Azil,  et  la  famille  dont  ils  avaient  été  séparés  pendant  une  capti- 
vité de  près  de  sept  ans.  On  ignore  la  date  de  leur  mort;  mais, 
grâce  à  la  publication  de  M.  0.  de  Grenier,  qui  peut  lui-même 
réclamer  un  ancêtre,  et  des  plus  vénérables,  Isaac  Grenier  de 
Lastermes,  parmi  les  galériens  de  cette  époque,  leur  souvenir 
revivra  dans  le  pays  natal  comme  un  titre  d'honneur  pour  ceux  qui 
portent  leur  nom,  ou  qui  se  rattachent,  de  près  ou  de  loin,  à  la 
descendance  de  ces  nobles  forçats. 

J.  B. 

N.-B.  Nous  avons  annoncé  (p.  ^O)  le  premier  numéro  d'un  recueil 
plein  d'intérêt,  le  Bulletin  de  la  Commission  pour  lliistoire  des 
Églises  Wallonnes.  La  ^'livraison  contient  un  article  fort  important 
de  M.  le  pasteur  Gagnebin,  et  qui  sera  partout  consulté  avec  fruit. 
C'est  la  liste  des  pasteurs  de  France  réfugiés  en  Hollande.  «  La 
révocation  de  l'Édit  de  Nantes,  dit  notre  savant  ami,  a  été  le  signal 
de  l'effroyable  persécution  exercée  contre  les  protestants  de  France 
sur  toute  l'étendue  du  royaume,  et  qui  a  contraint  plus  de  cent 
mille  familles  a  chercher  un  retuge  dans  des  pays  plus  hospitaliers. 
Mais  déjà  bien  des  années  avant  cette  persécution  générale,  on  peut 
dire  dès  la  mort  de  Henri  IV  (i-i  mai  1610)  des  persécutions  parli- 
c\jlières  furent  dirigées  soit  contre  certaines  églises,  soit  contre  cer- 
tains personnages  dont  l'influence  religieuse  empêchait  l'action  des 
prêtres  et  qui  durent  s'enfuir  pour  échapper  à  la  malveillance  de  ces 
derniers.  A  la  suite  de  ces  persécutions  locales,  on  vit,  pendant  tout 
le  cours  du  xvir  siècle,  arriver  en  Hollande  un  nombre  relative- 
ment considérable  de  protestants  de  toutes  les  classes  de  la  société, 
parmi  lesquels  se  trouvaient  de  nombreux  pasteurs,  dont  nous  don- 
nons ici  la  liste  dès  le  milieu  du  siècle;  liste  que  nous  divisons  en 
deux  groupes;  le  premier  contenant  les  pasteurs  réfugiés  de  10 i5  à 
i68i;  le  second  de  1685  à  la  tin  du  siècle.  » 

Une  mention  exceptionnelle  est  due  au  premier  Ra[iport  de  la 


478  BIBLIOGRAPHIE. 

«  Huguenot  Society  »  d'Amérique  qui  nous  offre  un  remarquable 
discours  de  M.  Henry  Baird  sur  quelques  traits  du  caractère  hu- 
guenot, et  des  allocutions  pleines  d'intérêt  sur  les  réfugiés  de  New- 
York  et  de  la  Caroline  du  Sud.  Nous  regrettons  vivement  de  ne 
pouvoir  en  donner  ici  des  extraits  qui  trouveront  place  dans  un  pro- 
chain numéro  du  Bulletin. 


VARIA 


CLAUDINE   DENOSSE 


On  a  publié  {Bull.,  t.  XXX,  p.  161)  une  lettre  de  Catherine  del  Piano, 
seconde  femme  de  Th.  de  Bèze,  sur  sa  mort.  Que  ne  donnerait-on  pas 
pour  retrouver  une  lettre  de  Claudine  Denosse,  la  compagne  de  sa  jeu- 
nesse et  de  son  volontaire  exil  à  Genève?  Les  deux  distiques  suivants 
sont  empruntés  à  un  rarissime  volume  qui  nous  a  déjà  fourni  Vode  de 
M.  de  Chandieusur  les  misères  des  Eglises  françaises  {Bull,  de  février 
dernier,  p.  77).       '' 

In  obituni  Honestissimœ 

fœminœ  Claiidiœ  Denossiœ  uxoris 

Clariss.  Viri  Th>  Bezœ. 

Ilic  magni  jacet  heu  !  Conjunx  lectissima  Bezse, 
Conjunx  quœ  tanlo  conjuge  digna  fuit, 

Simt  lacrymœ  lestes,  surit  et  pia  vota  marili 
Qui  frustra  absentem  nocte  dieque  vocat. 

Sed  si  forte  cupis  cognoscerc  plura,  viator, 
Urbs  omnis  lali  funere  mœsla  gémit. 

Sur  la  mort  de  très  honnête  dame 

Claudine  Denosse, 

épouse  de  Th.  de  Bèze. 

Ici  repose  l'épouse  chérie  de  Th.  de  Bèze,  si  digne  d'un  tel  époux. 
J'en  atteste  les  larmes  et  les  vœux  touchants  de  celui  qui  vainement 


VARIA.  479 

appelle,  le  jour  comme  la  nuit,  sa  compagne  absente.  Mais  si  tu 
désires,  ô  voyageur,  en  savoir  plus  long,  la  ville  tout  entière  en  deuil 
gémit  d'une  telle  perte. 

Aliiid 

Gur  nuUa  uxori  posuit  moniimenta  sepultse 

Qui  victura  aliis  Beza  sepiilcra  dicat  ? 
Sœpe  tua  hoc  pietas  conata  est,  Beza  ;  sed  illam 

Impediunt  lacrymœ  perpetuusque  dolor. 
Sic  patriee  cecidere  manus  €[uum  pingere  quondam 

Tentaret  casus  Dedalus  Icarios. 

Même  sujet. 

Pourquoi  Bèze  n'a-t-il  élevé  aucun  monument  à  son  épouse  dé- 
funte, lui  qui  en  a  dédié  d'immortels  à  tant  d'autres?  Plus  d'une 
fois,  Bèze,  tu  Tas  essayé  dans  un  élan  de  piété  conjugale,  que  tes 
larmes  et  ta  perpétuelle  douleur  ont  rendu  impuissant!  Ainsi  re- 
tombèrent à  plusieurs  reprises  les  mains  paternelles,  lorsque  Dédale 
tentajadis  de  représenter  la  chute  d'Icare. 


UN  SERMON  DE  PAUL  RABAUT 

Ce  numéro  du  Bulletin  ne  fera  sans  doute  que  précéder  de  bien 
peu  la  publication  des  Lettres  de  Paul  Rabaut  à  Antoine  Court, 
"2.  volumes  in-S"  que  nous  avons  déjà  plusieurs  fois  annoncés,  et 
auxquels  une  table  analytique  des  personnes  et  des  lieux  nommés 
dans  la  correspondance  donnera  un  nouveau  prix.  Il  semble  superflu 
de  recommander  un  tel  recueil  à  la  veillo  de  la  Fête  de  la  Réforma- 
tion. Entr'autres  pièces  intéressantes  réunies  dans  l'appendice,  on 
trouvera  un  sermon  de  Paul  Rabaut  :  «  La  soif  spirituelle  »,  prêché 
au  Désert  le  vendredi  31  août  1753.  On  reproduit  ici  la  péroraison 
de  ce  touchant  morceau  qui  justifie,  à  bien  des  égards.,  l'Ode  à 
M.  Paul,  insérée  dans  le  Bulletin,  t.  XXV,  p.  477. 


-480  VARIA. 

«  Que  ne  puis-je,  mes  chers  frères,  vous  dévoiler  vous-mêmes  à 
vous-mêmes  !  Que  ne  puis-je  vous  faire  connaître  toute  la  misère 
d'une  âme  qui  s'est  éloignée  de  Dieu,  qui  n'a  aucune  communion 
avec  lui,  et  qui  est  par  conséquent  sujette  à  la  condamnation  !  Oli  ! 
si  vous  le  connaissiez  bien  cet  état,  si  vous  en  sentiez  tout  le  danger, 
vous  n'auriez  point  de  repos  que  le  Seigneur  ne  vous  eût  parlé  de 
paix. 

»  Mais  sans  doute  que  la  parole  sainte  que  je  vous  ai  annoncée  ne 
retournera  pas  à  Dieu  sans  effet.  Sans  doute  que  parmi  ceux  qui 
m'écoutent  il  y  a  des  pécheurs  travaillés  et  chargés,  des  âmes  affa- 
mées et  altérées  de  la  justice  de  J.-C.  Oh  !  allez  avec  confiance  k  ce 
divin  Sauveur;  c'est  vous  qu'il  appelle;  c'est  vous  qu'il  veut  désal- 
térer et  rassasier;  c'est  pour  vous  qu'il  a  répandu  son  sang,  c'est  à 
vous  qu'il  offre  tous  les  trésors  de  sa  grâce.  Allez  donc  â  lui  avec 
une  ferme  assurance  que  vous  trouverez  dans  son  sang  la  rémission 
de  vos  péchés,  et  le  principe  d'une  nouvelle  vie.  Allez  â  lui,  confus, 
affligés  de  lui  avoir  déplu,  et  résolus  de  ne  l'abandonner  jamais,  de 
n'avoir  désormais  d'autre  volonté  que  la  sienne.  Allez  à  lui  tout 
occupés  de  sa  mort,  pénétrés  de  sa  charité,  embrasés  d'amour  pour 
lui  et  de  reconnaissance  pour  ses  bienfaits.  Il  est  pour  ainsi  dire 
crucifié  devant  vos  yeux  parles  symboles  de  son  corps  et  de  son  sang 
qui  vous  sont  ici  présentés;  ne  vous  contentez  pas  de  les  contempler, 
mangez  le  pain  sacré,  buvez  la  coupe  bénite,  et  puissiez-vous  rece- 
voir avec  les  signes,  la  chose  signifiée  !  Puissions-nous  nous  en  re- 
tourner justifiés  dans  nos  maisons!  Puissions-nous  être  désormais 
des  fidèles  disciples,  afin  d'être  à  jamais  abreuvés  au  fleuve  de  ses 
délices!  Daigne-t-il  nous  en  faire  la  grâce;  et  à  ce  divin  Sauveur, 
de  même  qu'au  Père  et  au  St-Esprit,  soit  honneur  et  gloire  â  jamais  ! 
Amen.  » 

(Bibl.  du  Pi'Of'"'  fr.  Papiers  Rabaut,  t.  48). 


Le  Gérant  :  Fischbacher. 


BounLOToN.  —  Ini|ii-inierics  réunies,  B. 


SOCIÉTÉ  DE  L'HISTOIRE 

uu 

PROTESTANTISME  FRANÇAIS 


ÉTUDES  HISTORIQUES 


JEAN  L'ARCHER 

MINISTRE    A    HÉRICOURT  ■    ' 

1563-15881. 

Nous  consacrerons  ce  dernier  chapitre  à  l'iiomme  qui  eut 
l'honneur  de  rendre  la  Réforme  définitive  dans  les  trois  sei- 
gneuries d'IIéricourt,  du  Châtelot  et  de  Clémont.  Le  rôle  qu'il 
ajoué  dans  les  affaires  ecclésiastiques  du  pays  de  Montbéliard 
pendant  vingt-cinq  ans,  de  15G3  à  1588,  est  assez  important 
pour  lui  mériter  une  notice  spéciale. 

Jean  L'archer,  le  premier  en  date  des  pasteurs  d'Héricourt, 
se  nommait  lui  même  en  latin,  d'après  l'usage  adopté  par  les 

1.  Fragment  d'un  mémoire  couronne  Tan  ilornier  par  notre  Société, 
apprécié  par  le  Bulletin,  t.  XXXII,  p.  45'J  et  imprimé  par  la  Société  d'Emula- 
tion de  Montbéliard,  en  1883.  L'auteur  a  fait  d'importantes  additions  à  Tarlicle 
publié  sur  ce  sujet  par  M.  le  pasteur  Ga^Micbin  dans  la  nouvelle  édition  de  la 
France  protestante. 

xxxui.  —  ;u 


482  JEAN  l'archeu 

ériidits  du  temps,  Johannes  Sagiitarius  ou  Arquerius.  Il  élait 
né  à  Bordeaux  vers  l'an  1516.  Nous  ne  savons  rien  de  sa  jeu- 
nesse, si  ce  n'est  qu'il  dut  faire  de  fortes  études  et  que,  con- 
verti de  bonne  heure  au  protestantisme,  il  quitta  sa  patrie 
pour  pouvoir  professer  librement  ses  convictions  religieuses, 
et  se  retira,  d'abord  dans  le  comté  de  Montbéliard  où  il  exerça 
vers  1542  un  ministère  de  très  courte  durée  ',  puis  de  là  dans 
la  Suisse  française.  En  1543,  c'est-à-dire  à  l'âge  de  vingt-sept 
ans  environ,  il  était  pasteur  à  la  Neuveville,  canton  actuel  de 
Berne,  mais  dépendant  alors  de  l'évêque  de  Bâle.  Une  lettre 
qu'il  écrivit  de  cette  localité,  le  27  mars  de  la  dite  année,  à 
Farel,  nous  le  montre  très  au  courant  des  affaires  religieuses 
du  pays  de  Montbéliard  et  parfaitement  bien  disposé  à  l'égard 
de  celui  qu'il  appelle  ce  bon  Toussain.  Mais  déjà  il  se  séparait 
de  ses  collègues  et  faisait  preuve  d'indépendance  en  approu- 
vant et  en  reconnaissant  pour  «  vraie  et  divine  »  l'Ordonnance 
ecclésiastique  du  Wurtemberg  que  le  duc  Ulric  venait  d'en- 
voyer de  Stuttgard  à  son  fils  Christophe,  pour  lors  gouverneur 
de  Montbéhard,  afin  qu'il  l'introduisit  dans  le  comté  de  ce 
nom.  Alors  aussi,  il  se  plaignait  déjà  du  manque  de  discipline 
ecclésiastique  et  de  la  négligence  des  autres  ministres  qu'il 
accusait  de  ne  pas  remplir  leur  devoir,  de  condamner  le  mo- 
nachisme  et  de  vivre  cependant  comme  des  moines,  trop  à 
l'écart  et  en  dehors  de  leurs  troupeaux.  —  A  en  juger  d'après 
celte  lettre,  nous  avons  affaire  à  un  homme  actif,  plein  de 
zèle  et  foncièrement  pieux". 

Combien  d'années  L'archer  passa- t-il  à  la  Neuveville  ?  Nous 
ne  savons.  En  1551,  il  était  pasteur  à  Valengin,  chef-lieu  de 
la  seigneurie  de  ce  nom,  où  il  écrivit  en  date  du  9  avril,  la 
dédicace  de  son  premier  ouvrage,  les  Canons  de  tous  les  con- 

1.  Lettre  du  Conseil  de  régence  au  duc  Christophe  du  14  mai  15G3,  au  cha- 
pitre précédent.  Très  i)robablement,  L'archer  fut  attaché  à  l'église  française  de 
Montbéliard  en  qualité  de  deuxième  pasteur. 

2.  Cette  lettre  est  insérée  dans  le  Thésaurus  epistolicus  Calvinianus,  de 
MM.  Reuss,  Baum  et  Cunitz,  au  tome  XI. 


?.ilNISTUE   A   IIÉmCOURT.  4.83 

ci/es  (jusqu'au  pontificat  d'Eugène  IV  et  à  l'année  1431).  Le 
volume  lui-même  ne  parut  que  deux  ans  plus  tard,  en  1553,  à 
Baie,  chez  l'imprimeur  Jean  Herbster  (Oporinus  ;  petit  in-folio, 
en  latin,  de  541  pages,  plus  les  préliminaires  et  la  table). 
«  Nulle  part,  lisons-nous  dans  la  préface,  on  ne  trouvera  plus 
qu'ici  une  exposition  courte  et  claire  de  ce  qu'il  est  besoin  de 
savoir  sur  la  sainte  Trinité,   les  deux  natures  de  Christ,  la 
grâce  de  Dieu,  la  cause  du  péché,  le  libre  arbritre,  la  foi  et 
les  bonnes  œuvres,  les  sacrements,  l'église  et  son  organisation, 
le  ministère  et  les  qualités  du  ministre,  et  bien  d'autres  ar- 
ticles de  la  doctrine  chrétienne.  Grande  est  donc  l'utilité  de  ce 
livre,  surtout  en  ce  temps  où  l'on  peut  dire  à  bon  droit,  comme 
le  poète  :  Tant  d'avis  que  de  gens,  car  chacun  a  le  sien.  »  Le 
but  de  l'auteur  en  composant  son  livre  était  par  conséquent  de 
réagir  contre  l'abus  du  libre  examen  et  les  excès  de  l'indivi- 
dualisme théologique,  de  donner  une  base  solide  à  l'étude  de 
la  Bible,  et  de  contribuer  pour  sa  part  à  l'extinction  des  con- 
troverses religieuses  ^  Son  intention  était  louable,  sans  doute, 
mais  ne  pouvait-on  reprocher  à  sa  méthode  de  demeurer  trop 
attachée  aux  vieux  errements  de  l'église  romaine  et  de  sacrifier 
l'autorité  seule  normative  de  l'Ecriture-Sainte  à  celle  de  la 
tradition  catholique   représentée  par  les  pères  et  les   con- 
ciles"? De  plus,  lui-même  dit  quelque  part  qu'il  publia  son 
ouvrage  sans  avoir  consulté  les  pasteurs  ses  collègues  ^  Il 
n'en  fallait  certes  pas  davantage  pour  mécontenter  ces  derniers 
qui  étaient  très  pointilleux  sur  ce  sujet  *;  aussi,  après  l'avoir 

1.  Sous-litre  du  livre  :  Opus  dirimendis  in  religione  conlroversiis  titilis.ii- 
mum  ae  i7i  j)rimis  necessarium. 

2.  Il  parle  de  la  conférence  de  Jérusalem,  Actes  XV,  en  ces  termes  :  Conci- 
lium  apostolorum  sub  D.  Petro  papa  primo  celebralum. 

3.  Dans  sa  lettre  à  Jean  Brentz;  appendice  n»  8. 

4.  Dans  la  lettre  du  27  mars  15i3,  adressée  à  Farel,  nous  lisons  à  propos 
d'une  réimpression  du  Sommaire  :  «  Quidam  ex  fralrihus,  ([iium  incidcrent  in 
locum  (Siimmarii)  quomodo  œgroti  petere  debenl  cœnam  sibi  dari,  offensi 
fuerunt,  dicentes  te  non  debuisse  hœc  in  lucem  cmiltere,  quin  priua  fntlribus 
communicassei.  Quibus  respondi  Calvino  el  Virelo  conUdisse.  » 


484  JEAN  L'ARCHER 

réprimandé,  ils  exigèrent  qu'il  signât  une  rétractation  de  son 
livre,  et  Viret  en  écrivit  une  critique  et  une  réfutation  sévères 
qu'il  dut  également  approuver  en  y  apposant  sa  signature. 

A  cette  époque,  L'archer  était  déjà  en  relation  avec  son- 
«  très  chier  frère  et  Ijon  amy  »,  Sébastien  Ghastillon.  Dans 
une  lettre  qu'il  lui  écrivait  en  date  du  30  juillet  1554-,  il 
s'élève  hautement  contre  les  opinions  des  anabaptistes  et 
autres  sectaires  et  contre  celles  de  Scrvel,  mais  sans  se  pro- 
noncer sur  le  supplice  du  malheureux  Espagnol  i,  — Il  de- 
meura à  Valengin  jusqu'au  8  juillet  4555,  ainsi  que  l'atteste 
l'acte  de  réception  de  l'un  de  ses  petits-lils  à  la  bourgeoisie 
d'Héricourt,  en  date  du  S^  mai  4647,  oùnous  lisons  :  «  ...  s'est 
présenté  devant  nous  Abraham  de  L'archier,  fils  de  fut  maistre 
Nicolas  de  L'archier,  vivant  ministre  du  sainct  Évangile  à 
G  haigey,  lequel  nous  auroit  remonstré  que  fut  Jean  de  L'archier 
son  grand-père  estant  revenu  de  Valengin,  pays  de  Suisse, 
où  il  avoit  exercé  la  charge  de  ministre,  ainsi  qu'il  en  appa- 
rais soit  par  une  attestation  du  recepveur  dudit  Yallengin, 
munie  du  scel  du  dict  lieu,  en  date  du  huictiesme  jour  du 
mois  de  juillet  de  l'an  quinze  cent  cinquante  et  cinq,  signée 
B.  Junod,  il  seroit  venu  habiter  en  ce  pays,  etc.  -..y)  Le  minis- 
lè  re  de  L'archer  à  Valengin  ne  saurait  donc  plus  être  mis  en 
doute. 

Que  devint  Arquerius  à  partir  de  juillet  1555711  résulte  de 
ses  propres  déclarations^  qu'il  continua  à  exercer  le  ministère 
dans  le  comté  de  Neufchatel,  et  qu'il  ne  fut  pasteur  ni  àBienne, 
ni  à  Berne,  ainsi  qu'on  l'aquelquefois  prétendu  à  tort.  D'après 
M.  Gagnebin,  il  desservit,  dans  ledit  comté  de  Neuchatel,  la 
paroisse  de  Cortaillod,  et  c'est  delà  qu'il  continua  à  corres- 
pondre avec  Ghastillon,  soit  pour  lui  recommander  quelque 
étudiant  auquel  il  s'intéressait  ou  quelque  frère  auquel  il  s'agis- 
sait de  piocurer  un  emploi,  soit  pour  le  tenir  au  courant  des 

1.  France  protestante,  colonne  331. 

2.  Archives  de  la  mairie  d'Uéricourt,  registre  des  réceptions  à  la  bourgeoisie. 

3.  Appendice,  n°  8. 


MINISTRE  A   HKRICOURT.  485 

affaires  de  France  cl  le  mettre  en  garde  contre  ses  adversaires 
théologiques^  Dans  ses  lettres  de  cette  époque,  ilnousappa- 
raît  comme  un  homme  animé  d'une  charité  inépuisable  et 
constamment  porté  à  l'exercice  de  la  bienfaisance.  Néanmoins 
ses  relations  fréquentes  avec  le  théologien  de  Baie  que  quel- 
ques-uns qualifiaient  de  «  meschant  hérétique  »,  de  même 
que  ses  opinions  anticalvinistes  sur  la  valeur  de  la  tradition 
catholique,  sur  la  prédestination  et  sur  la  Cène  -,  ne  pouvaient 
manquer  de  le  brouiller  avec  Théodore  de  Bèze  qui  s'efforça, 
en  1556  et  1557,  de  le  rendre  suspect  à  Farel  et  aux  pasteurs 
de  Neuchatel  en  l'accusant,  non  sans  quelque  apparence  de 
raison,  de  dissimulation  et  d'hypocrisie.  Ces  accusations  éma- 
nant de  si  haut  portèrent  leur  fruit  et  valurent  à  L'archer 
toutes  sortes  d'attaques  plus  ou  moins  passionnées  de  la  part 
de  ses  collègues.  Farel  devait  même  en  venir  à  parler  très 
prochainement  (3  décembre  1563)  des  hérésies  d'Arquerius  et 
du  grand  dommage  qu'elles  avaient  causé  dans  l'église  qu'il 
desservait  ^ 

La  situation  de  L'archer  dans  sa  paroisse,  au  milieu  de 
collègues  dont  il  ne  partageait  pas  ou  dont  il  ne  partageait 
que  pour  la  forme  toutes  les  opinions  confessionnelles,  et  aux 
yeux  desquels  il  passait,  sinon  pour  un  hérétique  achevé,  du 
moins  pour  un  faux  frère,  était  donc  devenue  des  plus  difficiles 
et  des  plus  pénibles  ;  dès  lors  il  est  certain  que,  comme  il  le 
dit  lui-même,  ayant  «  beaucoup  souffert  de  la  part  des  calvi- 
nistes »,  il  accueillit  favorablement  la  proposition  que  lui  fit 
Pierre  Toussain,  dans  le  courant  d'avril  1563,  de  devenir  mi- 
nistre à  Héricourt.  Il  s'empressa  de  solliciter  de  la  classe 
des  pasteurs  de  Neuchatel,  dont  il  dépendait  et  envers  la- 
quelle il  était  lié  par  certains  engagements,  un  congé  tem- 
poraire qui  lui  fut  refusé.  Il  sollicita  ensuite,  mais  en  vain, 

1.  Voir  en  particulier  les  lettres  des  5  novembre  1508,  t"'  juin  lôijl,  5  juin  et 
5  octobre  1562,  insérées  au  Thesaurun  eplsloUciis  calviniamis. 

2.  Appendice,  n°  8. 

3.  M.  Gagnebin  a  très  bien  deviné  quelles  étaient  ces  hérésies. 


•i86  JEAN  L'ARCrcn 

son  exeat.  Ainsi  s'expliquent  bien  clairemenl  ces  mots  qui  se 
lisent  dans  le  registre  de  la  dite  classe,  à  la  date  du  6  mai  4563  : 
«  Sur  le  congé  qu'a  demandé  Jehan  Archerius  pour  aller  mi- 
nistre à  Héricourt,  lui  a  esté  respondu  par  l'advis  de  tous  les 
frères  que  sa  procédure  ne  peult  estre  approuvée.  Et  quant  à 
ce  qu'il  demande  que  son  église  soit  pourveue  d'ung  aultre 
ministre,  est  arresté  et  passé  que  aulcune  provision  n'y  sera 
faicte,  jusques  à  tant  qu'elle  soit  trouvée  estre  abbandonnée 
par  icelluy '.  »  L'archer  ne  quitta  donc  Cortaillod  qu'après  le 
6  mai  1563,  et  sans  avoir  obtenu  l'autorisation  de  la  classe. 
Quant  k  l'appel  à  lui  adressé  par  le  surintendant  Toussain  au 
nom  du  Conseil  de  régence,  il  s'explique  non  seulement  par  le 
fait  qu'il  fallait  absolument  un  pasteur  à  Héricourt,  que 
L'archer  était  un  homme  de  valeur,  un  pasteur  zélé,  bien 
connu  du  surintendant,  mais  encore  et  surtout  par  cet  autre 
fait  que  Larcher  approuva  la  doctrine,  les  rites  et  les  cérémo- 
nies des  églises  du  comté  de  Montbéliard  et  promit  par  serment 
de  n'y  faire  aucune  innovation  ^ 

Avant  d'accepter  l'offre  de  Pierre  Toussain,  L'archer  avait 
été  informé  très  exactement  par  ce  dernier  de  l'état  des  choses 
religieuses  dans  notre  pays.  On  sait  que  la  lutte  y  élait  de- 
venue des  plus  vives  entre  le  gouvernement  des  princes 
tuteurs  et  les-pasteurs  du  comté  et  des  seigneuries  de  Blamont 
etd'Etobon,  à  la  suite  de  l'introduction  d'une  nouvelle  Ordon- 
nance ecclésiastique.  Ce  formulaire,  rédigé  en  allemand  à 
Lichtenau,  dans  le  marquisat  de  Bade,  au  commencement  de 
septembre  i559,  par  une  commission  de  théologiens  nommée 
par  les  princes  tuteurs,  avait  été  traduit  en  latin  par  Dietrich 
Schnepf,  théologien  wurtembergeois,  et  publié  à  Montbéliard 
le  20  février  1560,  en  présence  de  tous  les  maires  et  pasteurs 

1.  On  remarquera  qu'il  y  eut  deux  demandes  adressées  successivement  par 
L'archer  à  la  classe  de  Ncufchatel.  C'est  ce  qu'indique  bien  positivement  la 
différence  des  temps,  le  premier  verbe  étant  au  passé,  le  second  au  prés(?nt  (il 
a  demandé  et  il  demande). 

2.  Appendice,  n°  9. 


MINISTRE  A  HÉRICOURT.  487 

de  la  Principiité  «  afin  qu'il  soit  duement  pourvu  aux  églises, 
tant  par  la  prédication  de  la  parole  de  Dieu,  que  par  les  céré- 
monies approuvées  par  le  témoignage  des  Saintes-Ecritures.  » 
Mais  loin  d'être  accepté  par  les  pasteurs,  il  avait  soulevé  de 
leur  part  plaintes  et  protestations,  parce  qu'il  renfermait  une 
agende  modifiant  profondément  la  manière  d'administrer  les 
sacrements  ainsi  que  la  forme  et  la  simplicité  des  rites  et 
cérémonies  ecclésiastiques  ».  La  plupart  des  ministres  s'étaient 
opposés  à  son  introduction  dans  leurs  églises,  et  en  1562,  les 
princes  s'étaient  vus,  pour  calmer  l'effervescence  qui  s'acrois- 
sait  toujours,  dans  la  nécessité  de  consentir  h  ce  que  les  dispo- 
sitions de  la  dite  Ordonnance  relatives  au  mode  d'administrer 
les  sacrements  ne  fussent  pas  exécutées.  Toutefois  cette  con- 
cession qu'ils  n'avaient  faite  qu'à  regret  et  sur  les  vives 
instances  de  Toussain,  ne  devait  être  selon  eux  que  temporaire, 
et  la  lutte  un  moment  apaisée  devait  reprendre  tôt  ou  tard 
avec  une  nouvelle  intensité.  Ce  fut  dans  ces  conjonctures  que 
L'archer  arriva  à  Héricourt,  avec  sa  famille,  au  commence- 
ment de  juin  1563"^. 
Nous  savons  déjà  ce  qu'allait  faire  le  nouveau  venu  :  luthé- 

1.  La  première  liturgie  en  usage  dans  les  églises  évangéliqiies  du  comté  de 
Montbéliard  et  des  seigneuries  de  Blamont  et  d'Etobon  avait  été  composée  par 
les  ministres  de  la  ville  de  Montbéliard,  à  la  tête  desquels  se  trouvait  Pierre 
Toussain.  Elle  fut  introduite  dans  l'église  de  Montbéliard  en  1538,  dans  celle  de 
Blamont  en  1539,  et  dans  les  églises  rurales  du  comté  et  des  seigneuries  de 
Blamont  et  d'Etobon  en  1541,  mais  sans  aucune  sanction  de  l'autorité  gouver- 
nementale. Après  avoir  été  revue  par  les  ministres,  elle  l'ut,  sur  Tordre  du 
comte  Georges,  solennellement  lue  et  publiée  à  Montbéliard  le  jeudi  24  août 
1554,  en  présence  du  conseil  du  prince  et  des  pasteurs  du  pays.  Elle  fut  enfin 
imprimée  à  Bàle,  par  Jaque  Estauge,  en  1559  sous  le  titre  suivant  :  L'ordre 
qu'on  lient  en  Végline  de  Mo7itbéliard,  en  instruisant  les  enfans,  et  adminis- 
trant les  saints  Sacremens,  avec  la  forme  du  Mariage,  et  des  Prières;  in-16 
de  64  pages  non  numérotées.  Elle  était  calviniste  plutôt  par  la  forme  et  la  sim- 
plicité des  rites  que  par  le  fond  ou  l'exposé  des  doctrines. 

2.  Nous  rendons  attentif  à  ce  fait,  que  dans  cette  controverse  entre  les  pas- 
teurs et  le  gouvernement  des  princes,  la  qiwstion  de  fond  ou  de  doctrine  ne  se 
posait  nullement;  il  ne  s'agissait  que  d'une  question  de  formes  ecclésiastiques. 
Pierre  Toussain,  dans  une  lettre  au  duc  Cbristopbc,  du  25  juillet  1560  {Arch. 
nat.  K.,  2179)  avait  protesté  de  son  attachement  à  la  confession  d'Augsbourg. 


488  JEAN  l'archer 

rien  en  doctrine,  il  observerait  strictement  celle-ci,  mais 
surtout  les  rites  et  les  cérémonies  des  anciennes  églises  du 
pays,  sans  y  apporter  la  moindre  innovation  et  selon  que  les 
princes  les  avaient  consentis  par  la  transaction  de  1562.  C'était, 
du  reste,  à  quoi  il  s'était  engagé  par  serment  et  par  écrit  dès 
avant  son  arrivée.  Aussi  est-il  de  fait  qu'il  fut  fidèle  à  sa  pro- 
messe, mais  pendant  fort  peu  de  temps.  Dès  le  10  février 
1564,  dans  sa  lettre  à  Jean  Brentz,  il  accusait  ouvertement 
Pierre  Toussain  de  n'avoir  pas  tenu  les  engagements  qu'il 
avait  contractés  envers  lui  relativement  à  son  traitement  et 
à  l'expulsion  des  prêtres,  et  il  semblait  trouver  dans  cette 
prétendue  infidélité  du  surintendant  un  motif  suffisantpour  ne 
pas  tenir  ses  propres  engagements.  N'exprimait-il  pas  le  vœu 
que  l'Ordonnance  ecclésiastique  de  1560  fût  traduite  du  latin 
en  français  et  appliquée  à  la  seigneurie  d'IIéricourt,  alors 
qu'il  prévoyait  dans  la  réalisation  de  ce  projet  une  cause  de 
conflit  avec  Toussain?  Il  est  vrai  qu'il  insistait  sur  la  néces- 
sité de  mettre  les  habitants  sous  une  discipline  sévère,  et  que 
l'Ordonnance  convenait  à  ce  but  par  son  chapitre  sur  «  l'office 
de  regarder  aux  mœurs  du  peuple  »  ;  mais  qu'importe?  A  cette 
époque  déjà,  il  était  d'accord  avec  Gaspard  Weismann,  pas- 
teur de  l'église  allemande  de  Montbéliard,  pour  admettre  la 
totalité  du  contenu  de  la  dite  Ordonnance,  et  il  se  faisait  fort 
de  trouver  des  ministres  qui  partageraient  ses  vues  et  intro- 
duiraient les  nouveaux  rites,  prescrits  par  l'Ordonnance,  dans 
les  églises  des  trois  seigneuries  où  le  catholicisme  allait  être 
supprimé.  Et  néanmoins,  peu  de  temps  après,  ilpromit  encore 
par  écrit  de  ne  rien  innover  quant  aux  rites  et  de  s'en  tenir 
au  compromis  de  1562.  Ce  dernier  acte  de  sa  part  ne  pouvait 
être  sincère,  nous  le  disons  en  toute  assurance,  et  bien  que 
Toussain  y  eût  ajouté  foi,  il  ne  tarda  pas  à  être  désabusé  sur 
le  cas  qu'il  fallait  faire  des  promesses  de  L'archer.  Dissiinula- 
tiouj  hypocrisie  :  Théodore  de  Bèze  avait  raison  K 

\.  Appendice,  n'  9.  Il  ne  faut  pas  oublier  toutefois  que  Bèze  est  porto  à  juger 
sévcrcmcut  un  ami  de  Castalion  (Réel.). 


MINISTRE   A   HÉRICOUUT.  iS9 

En  s'aliénanl  le  surintendant  Toussain,  L'archer  s'était,  à  la 
vérité,  concilié  les  bonnes  grâces  du  bailli  de  Montbéliard  et 
était  devenu  l'homme  du  gouvernement  des  princes.  Ceux-ci 
avaient  déjcà,  en  réponse  à  sa  lettre  à  Jean  Brenlz,  lancé  leur 
mandement  du  30  mars  1504.  En  juillet  suivant,  le  bailli  du 
comté  consultait  L'archer  sur  l'opportunité  des  mesures 
édictées  par  le  dit  mandement,  et  à  la  question  de  savoir  si 
l'Ordonnance  ecclésiastique  pouvait  être  introduite  sans  qu'il 
y  fût  fait  aucune  dérogation  et  sans  qu'il  y  fût  tenu  compte  du 
compromis  de  1562,  il  répondit  hardiment  :  «  Oui;  on  peut 
introduire  des  rites  nouveaux,  différents  de  ceux  des  anciennes 
églises,  et,  si  les  princes  le  veulent,  je  suis  prêt  à  les  introduire 
dans  la  seigneurie  d'IIéricourt  ^  ».  Qu'étaient  devenues  les 
promesses  solennelles  qu'il  avait  faites  un  an  auparavant? 
Qu'était  devenu  le  serment  qu'il  avait  prêté?  Il  y  avait  de  sa 
part  plus  que  dissimulation  et  hypocrisie,  mais  bien  parjure, 
et  cela  dans  le  but  d'entrer  plus  avant  dans  les  bonnes  grâces 
du  gouvernement. 

L'archer  a  beau  chercher  à  se  disculper,  à  protester  de  sa 
sincérité  et  de  sa  droiture  en  nous  disant  que  Luther  avait 
grandi  dans  son  esprit,  que  Luther  était  un  vrai  prophète, 
que  l'Ordonnance  ecclésiastique  des  princes  était  presque 
conforme  à  la  Réforme  de  Luther;  ce  n'est  pas  de  Luther  qu'il 
s'agissait  ni  de  la  doctrine  luthérienne,  mais  de  la  tranquillité 
des  églises  du  pays,  mais  de  la  vieille  Ordonnance  de  ces 
églises  qu'alors  encore  il  trouvait  bonne,  mais  de  rites  et  de 
cérémonies  dont  il  reconnaissait  parfaitement  le  caractère 
purement  adiaphoristique,  mais  du  serment  qu'il  avait  prêté, 
mais  d'un  scandale  qu'il  fallait  éviter  à  tout  prix.  Son  parjure 
était  évident,  et  ses  collègues  ne  devaient  pas  tarder  à  le 
lui  reprocher  amèrement-. 

Quelques  mois  plus  tard,  dès  avant  février  1565  et  son 
voyage  à  Lausanne,   L'archer  avait  introduit  l'Ordonnance 

1.  Appendice,  n"  10. 

2.  Appendice,  n'  12. 


-190  JEAN   l'archer 

dans  son  église  et  s'y  conformait  tant  pour  la  doctrine  que 
pour  les  cérémonies  du  culte*;  aussi  était-il  définitivement 
brouillé  avec  la  généralité  des  ministres  du  pays.  C'est  ce 
qu'atteste  la  lettre  que  les  six  principaux  d'entre  eux  adressè- 
rent, le  28  septembre  1566,  au  Conseil  de  régence,  et  dans 
laquelle  le  pasteur  d'Héricourt  nous  est  représenté  comme  un 
parjure  introduisant  dans  sa  paroisse  des  nouveautés 
humaines  (lesritesprescritspar  l'Ordonnance,  mais  non  admis 
dans  les  anciennes  églises  du  comlé),  et  partant  comme  un 
fauteur  de  troubles  et  de  discordes  entre  les  ministres  et 
parmi  les  sujets,  au  grand  dommage  de  l'Évangile  ^  Depuis 
ce  temps,  L'archer  soutenu  par  le  Conseil  de  régence  fut  tout 
entier  aux  ordres  et  à  la  dévotion  du  gouvernement  des  princes 
tuteurs  et  le  plus  ferme  appui  de  l'agende  luthérienne  au  pays 
de  Montbéliard.  C'est  ainsi,  au  détriment  de  sa  loyauté  et  de 
son  accord  avec  ses  collègues,  qu'il  témoignait  sa  reconnais- 
sance aux  princes  qui,  sur  ses  vives  instances  et  ses  pressantes 
sollicitations,  avaient  rendu  les  ordonnances  du  30  mars  1564 
et  du  7  avril  1565,  supprimant  le  catholicisme  dans  les  trois 
seigneuries. 

Si  la  conduite  de  L'archer  devait  paraître  singulièrement 
répréhensible  aux  autres  ministres,  ceux-ci  avaient  peut-être 
le  tort  de  ne  pas  modérer  suffisamment  l'expression  des 
plaintes  qu'ils  élevaient  contre  lui  et  d'être  plus  calvinistes 
que  Calvin  lui-même ^  C'est  du  moins  ce  que  L'archer  semble 
donner  h  entendre  dans  la  dédicace  de  son  Dictionnaire  théo- 
logique, qu'il  fit  imprimer  à  Bâle  en  1567*.  Après  avoir  rap- 

1.  Rapport  du  Conseil  de  régence  aux  princes  tuteurs,  du  5  mars  1565,  au 
cliapitre  précédent.  —  C'est  à  cette  occasion  et  vers  cette  époque  que  fut  écrite 
sur  le  compte  d'Arquerius,  par  la  classe  de  Neuchatel,  une  lettre  aujounrhui 
perdue,  dont  il  sera  question  plus  loin. 

2.  Appendice,  n»  12. 

3.  Sur  la  question  des  rites  ecclésiastiques,  voici  l'avis  de  Calvin  en  1555  : 
In  rébus  mediis,  ut  sunt  externi  ritus,  facilem  me  ac  flexihilem  prœbeo.  » 
France  protestante,  2»  édit.,  3"  vol.,  col.  527,  note. 

■i.  Dictionnarhm  theologicum,  etc.  Dasileae  per  Joliannem  Oporimtm,  1567; 


MINISTRE   A   HÉRICOUUT.  491 

pelé  que  la  Bible  vient  d'être  traduite  en  plusieurs  langues 
vulgaires,  allemand,  français,  italien,  espagnol, anglais,  etc.; 
que  les  Pères  grecs  et  latins  «  dont  la  lecture  est  tout  ce  qu'il 
y  a  de  plus  utile  pour  l'intelligence  de  la  Bible  »  sont  mis  au 
jour  par  de  nombreux  et  savants  éditeurs;  qu'il  paraît  d'in- 
nombrables explications  du  décalogue,  du  symbole  des  apôtres, 
de  l'oraison  dominicale  et  des  sacrements,  et  que  ce  brillant 
essor  delà  science  théologique constitue  ce  qu'il  y  a  d'heureux 
au  xvf  siècle,  l'auteur  s'écrie  dans  un  remarquable  mouve- 
ment d'éloquence  : 

Oui,  si  les  hommes  de  ce  temps  étaient  reconnaissants  envers  Dieu 
comme  ils  devraient  l'être,  ils  vivraient  comme  des  anges.  Ils  n'adore- 
raient qu'un  seul  Dieu  et  ils  s'aimeraient  entre  eux  comme  des  frères  et 
des  membres  d'un  même  corps.  Nous  n'avons  qu'un  Dieu  pour  Père,  nous 
disons  que  nous  n'avons  qu'un  sauveur  et  qu'un  rédempteur,  Jésus-Christ. 
Si  nous  croyions  cela  de  tout  notre  cœur,  nous  comprendrions  également 
que  nous  sommes  membres  d'un  seul  corps  dont  la  tète  est  Christ,  et  que 
nous  devons  vivre  comme  il  convient  à  des  membres  de  Christ.  Est-ce 
le  devoir  de  frères  de  se  haïr  comme  chiens  ou  serpents  ?  Est-ce  l'office 
de  membres  de  Christ  d'être  comme  un  faisceau  délié?  Est-ce  le  devoir 
de  chrétiens  de  professer  le  christianisme  et   de  commettre  tous  les 
excès...?  Si  nous  possédions  la  charité,  avant  tout  nous  nous  aimerions, 
nous  ferions  à  autrui  ce  que  nous  voudrions  qui  nous  fût  fait  à  nous- 
mêmes;  il  n'y  aurait  pas  tant  de  colères,  d'altercations,  de  contentions, 
de  guerres  et  autres  choses  de  cette  espèce.  Lorsque  quelqu'un  viendrait 
à  sortir  du  chemin  de  la  vérité,  ceux  qui  auraient  plus  de  lumières  et  de 
foi  s'efforceraient  de  le  tirer  de  son  erreur,  en  usant  de  modération,  de 
procédés  affectueux,  de  l'esprit  de  Christ.  Au  lieu  de  cela,  sitôt  que  nous 
sommes  en  désaccord  sur  quelque  point,  nous  jetons  feu  et  flamme,  nous 
nous  emportons,  nous  disons  de  gros  mots,  nous  insultons  (excundesci- 
miis,  invehimur,  conviciamnr).  Ce  n'est  pas  ainsi  qu'on  s'y  pi-cnd  pour 
tirer  quelqu'un  de  l'erreur;  par  ce  moyen,  on  ne  fait  ([ue  le  confirmer 
ans  son  erreur.    Puisqu'il  y  à  accord  entre   nous  sur  les  principaux 
points,  c'est-à-dire  sur   la  doctrine  des  trois  symboles,  des  apôtres,   de 

in-folio  de  303  pages  ou  Cu6  colonnes,  avec  une  dédicace  an  duc  Ciiristophc  et 
au  comte  Frédéric,  une  cpître  à  Jean  Brcntz,  une  préface  au  lecteur  chrétien 
et  un  catalogue  des  auteurs  cités  au  nombre  de  53,  y  compris  la  Bible  imprimée 
à  Venise,  apud  Junlas,\o51. 


492  JEAN  l'archer 

Nicée  et  d'Atlianase,  nous  devrions  facilement  être  d'accord  sur  le  reste 
et  prier  les  uns  pour  les  autres.  Si  nous  agissions  ainsi,  le  christianisme 
ne  s'en  porterait  que  mieux  et  il  n'y  aurait  pas  tant  de  scandales...  » 

Bien  que  tout  cela  ait  Tair  d'être  dit  d'tme  manière  générale 
et  d'être  sur  le  compte  du  xvr  siècle,  ne  faut-il  pas  entendre 
dans  ces  «  gros  mots  »,  dans  ces  «  insultes  »,  comme  un  écho 
des  clameurs  poussées  contre  le  pasteur  d'IIéiicourt  par  ses 
collègues? 

L'archer  terminait  sa  dédicace  en  conjurant  le  duc  Ghi4s- 
tophe  de  ramener  par  sa  prudence  et  son  autoiuté  la  paix 
religieuse  ;  puis,  se  souvenant  des  tribulations  que  lui  avait 
causées  antérieurement  la  publication  de  ses  Canons  de  tous 
les  conciles,  il  implorait  pour  lui-même  et  pour  son  nouvel 
ouvrage  la  défense  et  la  protection  du  duc  de  Wurtemberg  et 
du  jeune  comte  Frédéric  «  contre  de  malveillants  calomnia- 
teurs et  contre  des  gens  qui  pensent  qu'il  n'y  a  de  bien  que  ce 
qu'ils  ont  fait  eux-mêmes  ». 

Malgré  les  paroles  de  paix  et  de  conciliation  prononcées  par 
L'archer  en  1507,  et  peut-être  aussi  grâce  à  son  appel  à  la 
«  prudence  »  et  à  «  l'autorité  »  du  souverain,  la  lutte  continua 
entre  le  parti  des  ministres  du  pays,  ayant  à  sa  tête  Piéride 
Toussain,  et  le  parti  gouvernemental  représenté  par  les 
membres  du  Conseil  de  régence  et  L'archer.  La  cause  de  la 
discorde  était  toujours  la  question  des  rites  et  cérémonies, 
soulevée  par  l'Ordonnance  ecclésiastique.  Celle-ci  ayant  été 
traduite  du  latin  en  français  par  Léger  Grimault,  pasteur  à 
Montécheroux,  en  collaboration  d'Arquerius,  fut  imprimée  à 
Baie,  en  octobre  1508,  par  Jean  Luc  Iselin  et  Basilius  Imma- 
nuel Ilerold,  et  un  exemplaire  en  fut  remis  à  chacun  des  pas- 
teurs de  la  Principauté  avec  ordre  d'y  conformer  sa  foi  et  ses 
actes  de  culte.  Aussi  dès  l'année  suivante  (1509)  trois  des 
collaborateurs  de  L'archer  dans  la  seigneurie  d'Héricourt, 
que  lui-même  avait  ramenés  de  Lausanne  en  1505,  furent-ils 
destitués  par  le  Conseil  de  régence,  sur  le  refus  de  se  plier 


MINISTRE  A  HÉRICOURT.  493 

aux  prescriptions  rituelles  de  la  dite  Ordonnance;  c'étaient 
Flamand,  de  Brevilliers  ;  Thevignon,  de  Chagey  et  Duc,  de 
Vyans*.  L'archer  fut-il  pour  quelque  chose  dans  ces  mesures 
de  rigueur?  Il  est  absolument  certain  qu'il  les  approuva,  si 
plutôt  il  ne  les  sollicita  et  n'en  fut  pas  le  promoteur. 

AuG.  Ghenot,  pasteur. 

1.  Flamand  et  Duc  quittèrent  le  pays;  ils  furent  remplacés  le  premier  par 
Pierre  Bollot,  1570-1578  {France  protestante,  2"=  édit.,  2e  vol.,  col.  743,  ligne  25, 
indication  fautive  relativement  à  Brevilliers),  le  second  par  Jean  de  Novilier  ou 
de  Noviliat,  1569-1574,  originaire  de  France,  précédemment  prédicant  du  prince 
de  Condé,  Louis  I^"'  de  Bourbon,  chef  du  parti  calviniste.  Quand  à  Thevignon, 
il  fut  plus  tard  pasteur  à  St-Maurice-sur-le-Doubs,  de  1572  à  1574. 

(La  fin  au  prochain  numéro.) 


DOCUMENTS 


TROIS  LETTRES  DE  PIERRE  GORTEIS 

A   ANTOINE    COURT 

1731-1732 


La  collection  Court  nous  a  conserve  de  l'ort  nombreuses  lettres  de 
Pierre  Corteis,  un  des  plus  zélés  agents  de  la  restauration  des  Églises  du 
Désert;  on  a  de  lui  un  morceau  capital  :  Relation  historique  des  prin- 
cipaux événements  qui  sont  arrivés  à  la  religion  protestante  depuis 
la  révocation  des  édits  de  Nantes,  l'an  1685,  jusques  à  l'an  1728,  mor- 
ceau publié  pour  la  première  fois  par  3i.  Baum,et  reproduit  par  l'historien 
d'Antoine  Court,  M.  Edm.  Hugues  (t.  1,  p.  4.38-48G  de  l'appendice). 

En  voici  le  début  :  «  Je  ne  rapporterai  pas  icy  toutes  les  cruautés  qu'on 
a  exercées  contre  les  réformés,  ny  le  nom  des  personnes  qui  ont  souffert 
le  martyre  pour  la  deffense  de  la  vraye  foy.  Je  me  propose  seulement 
de  rapporter  ici  comme  Dieu  justement  irrité  pour  le  mépris  fait  à  sa 
parole,  a  voulu  bien  transporter  le  chandelier  hors  de  France.  Mais  pour 
la  gloire  de  son  nom  et  pour  le  bonheur  de  ses  élus,  Dieu  a  conservé 
dans  le  cœur  d'un  nombre  de  fidèles  comme  un  feu  caché  sous  les 
cendres,  et  lorsque  le  temps  précis  a  été  accompli.  Dieu  a  fait  naître  des 
moyens  pour  rallumer  ce  feu  caché.  Je  ne  doute  pas  que  quelques  pieux 
réformés  n'ayeat  fait  une  narration  exacte  de  toutes  les  choses  qui  se  sont 
passées  durant  le  cours  de  cette  horrible  persécution;  mais  en  attendant 
que  cette  pièce  soit  mise  aux  yeux  du  public,  les  personnes  qui  sent 
touchées  de  la  froissurc  de  Joseph,  liront  avec  quelque  plaisir  cette 
briève  relation.  » 

On  y  voit  l'ierrc  Corteis  allant  chercher  l'ordination  à  l'étranger  pour 
la  conférer,  à  son  tour,  à  ses  collègues  du   Désert,  et   travailler  «  à  la 
consolation  des  lidelles  eschappés  de  la  grande  tribulations;. Celte  premièn; 
partie  de  son  ministère  n'embrasse  pas  moins  de  dix  ans  (1718-1728)., 
Les  trois  lettres  qui  suivent  en  montrent  la  conlinualion  et  forment  comme 


TROIS    LETTRES    DE    PIERRE    CÛRTEIS   A    ANTOINE    COURT.  -i95 

un  journal  du  Désert  de  1731  à  1732.  On  les  emprunte  à  la  collection 
de  Genève;  Lettres  à  Court,  tome  V;  f"  145  et  suivants. 


Juillet  1731. 

Etant  heureusement  arrivé  à  la  montagne  de  Lozère,  vous  ne 
trouverez  pas  mauvais  que  je  fasse  une  brève  relation  de  toutes  les 
circonstances  arrivées  durant  le  cours  de  mon  voyage. 

Je  partis  de  Zurich  le  6  juillet  et  je  fus  coucher  à  Aarau,  où  je 
me  trouvai  si  indisposé  que  je  ne  pus  ni  boire  ni  manger.  Le  7,  je 
me  trouvai  un  peu  mieux  et  je  poursuivis  mon  chemin  jusqu'à 
Berne,  où  j'y  trouvai  M.  du  Caila  chez  M,  le  pasteur  d'Hacs.  J'y  res- 
tai quelques  jours  fort  enroué,  que  je  ne  pouvais  pas  parler,  après 
quoi  je  pris  mon  chemin  sans  me  manifester  dans  aucun  autre  en- 
droit de  nos  frères  réformés. 

Le  grand  Dieu  m'a  toujours  accompagné  de  sa  protection  divine, 
enlevé  toute  sorte  d'obstacles,  éloigné  toute  sorte  de  difficultés  ;  le 
plus  grand  chagrin  qui  m'est  arrivé  est  du  côté  de  mon  cheval,  en 
ce  que  cet  animal  se  coupait  des  deux  pieds  de  devant,  de  sorte 
qu'il  m'a  fallu  lui  mettre  deux  petites  bottines,  et  avec  tout  cela,  les 
grands  et  fréquents  coups  qu'il  se  baillait,  lui  rendit  les  jambes  dou- 
loureuses et  raides.  Je  lui  frottais  le  soir  les  jambes  avec  un  baume 
composé  avec  du  vin,  d'huile  que  je  faisais  bouillir  ensemble,  de 
sorte  qu'il  me  fallut  faire  de  petites  journées  et  même  m'arrêler 
quelquefois, crainte  que  mon  cheval  ne  m'abandonnât  tout  à  fait; 
c'est  la  cause  que  j'ai  resté  un  si  long  temps  en  chemin,  puisque  je 
partis  de  Zurich  le  6  de  juin  et  que  je  ne  suis  arrivé  que  le  30  du 
dit  mois;  il  est  vrai  que  j'ai  séjourné  deux  jours  entiers  à  la  mon- 
tagne du  Vivarez,  parce  que  mon  cheval  ne  pouvait  plus  marcher. 
J'ai  eu  le  bonheur  d'y  rencontrer  M.  Durand,  pasteur  de  ces  églises, 
avec  lequel  nous  avons  passé  une  journée  ensemble;  on  m'a  obligé 
de  leur  donner  une  prédication  et,  comme  en  sortant  de  cette  pa- 
roisse réformée,  il  me  fallait  marcher  vingt  lieues  parmi  les  infidèles, 
M.  Durand  et  ses  chers  fidèles  m'ont  voulu  donner  un  homme  pour 
m'accompagner  partie  du  chemin  ;  ainsi  après  avoir  embrassé  ces 
nobles  et  pieuses  âmes,  je  pris  mon  chemin. 

Me  voici  arrivé  au  milieu  de  mes  chers  frères,  reçu  par  les  anciens 
et  fidèles  avec  toutes  les  marques  d'amitié  et  de  tendresse.  Le  di- 


496  TROIS   LETTRES   DE  PIERRE  CORTEIS 

manche  1"  juillet,  nous  fûmes  assemblés  environ  soixante  fidèles 
dans  un  ruisseau  ;  là  nous  passâmes  quelques  heures  à  la  prière, 
à  la  lecture  et  à  la  dévotion. 

Le  dimanche  8  juillet  l'assemblée  y  fut  convoquée  à  la  place  nom- 
mée le  fau  des  armes;  l'assemblée  était  nombreuse  d'environ  douze 
cents  personnes,  et  c'est  là  où  j'ai  à  mon  retour  premièrement  em- 
brassé mon  cher  collègue  nommé  M.  Rouvière.  Avant  que  nous 
(juitter  avec  MM.  les  anciens,  je  fus  gagné  par  les  sollicitations 
pressantes  de  convoquer  une  seconde  assemblée,  le  dimanche  15 
juillet,  à  la  place  précédente  de  la  grande  forêt  du  lau  des  armes, 
et  c'est  là  où  j'ai  premièrement  vu  et  embrassé  MM.  Combe  et 
Clary  qui  me  donnèrent  avec  M.  Rouvière  les  secours  nécessaires. 

Dans  cette  assemblée  la  Cène  du  Seigneur  y  fut  administrée,  deux 
papistes  reçus  ;  plusieurs  réconciliations  y  furent  faites  par  les  cha- 
ritables soins  des  pasteurs  et  de  MM.  les  anciens;  diverses  per- 
sonnes y  firent  réparation  à  genoux  devant  la  table  sacrée  et  pro- 
mirent d'édifier  à  l'avenir  l'église  de  Dieu  qu'ils  avaient  scandalisée. 

Comme  par  ma  première  assemblée  mon  arrivée  fut  répandue, 
ma  seconde  assemblée  y  fut  extrêmement  nombreuse;  on  compte 
qu'il  y  avait  passé  deux  mille  âmes;  après  la  dévotion  achevée 
et  l'assemblée  congédiée,  nous  fûmes  eiwiron  cent  personnes 
à  dîner  ensemble  étant  assis  sur  l'herbe  proche  d'une  fontaine. 
Après  avoir  dîné  et  rendu  grâces,  nous  chantâmes  comme  à  l'ordi- 
naire le  psaume  91  qui  commence  :  «  qui  sous  la  garde  du  grand 
Dieu  pour  jamais  se  retire,  etc.  ».  Après  avoir  embrassé  et  pris 
congé  de  MM.  les  anciens ,  MM.  Combe,  Clary,  Rouvière  et  moi, 
nous  nous  retirâmes  à  l'écart,  et  comme  la  journée  s'écoulait 
et  qu'il  se  faisait  nuit,  nous  dîmes  de  passer  le  lundi  ensemble, 
ce  que  nous  fîmes  heureusement  dans  un  petit  bois,  et  là,  nous 
raisonnâmes  des  églises,  des  pasteurs,  des  colloques,  des  synodes  ; 
ainsi  la  journée  passée,  nous  dîmes  la  prière  et  après  nous  être 
embrassés  et  recommandés  à  Dieu  et  à  la  j)arole  de  la  grâce,  M. 
Combe  y  prit  du  côté  de  la  rivière  de  Saint-Germain,  M.  Clary  du 
côté  du  Gardon  d'Alais,  M.  Rouvière  et  moi  du  côté  de  la  rivière  de 
Florac.  Je  ne  dois  pas  omettre  que  le  dimanche  8  juillet  je  fus  appelé 
à  bénir  un  mariage  et  à  baptiser  deux  enfants,  le  mardi  aussi  et  le 
mercredi  de  même,  et  fiualemenl,  en  prenant  congé  de  MM.  les 
anciens   de   la   paroisse  de  Vialas,   ancienne   de   Castagnol,  qui 


A    ANTOINE    COURT.  497 

s'étaient  rendus  à  l'assemblée  tenue  le  16  de  juillet,  ils  me  prièrent 
de  me  rendre  chez  eux  pour  la  bénédiction  de  plusieurs  mariages 
dont  les  personnes  ont  une  particulière  confiance  en  moi,  ce 
que  j'aurais  fait,  si  l'avis  do  MM.  Combe,  Glary  et  Rouvière  ne 
m'avait  fortement  pressé  de  m'acheminer  dans  les  églises  du  res- 
sort de  M.  Boyer  et  cela  sans  renvoi. 

Je  ne  dois  encore  oublier  que  le  11  juillet  un  de  MM.  les  anciens 
me  parla  d'un  papiste  dont  les  enfants  s'élant  élevés  avec  les  enfants 
des  réformés  avaient  appris  les  catéchismes,  psaumes  et  prières, 
que  ces  enfants  ne  voulaient  point  absolument  aller  à  la  messe, 
qu'on  avait  déjà  fait  payer  trois  livres  d'amende  à  ce  pauvre  père 
à  cause  que  ses  enfants  y  manquaient  la  me«se  et  que  ce  pauvre 
catholique  était  tout  désolé.  Je  demandai  si  l'on  pourrait  parler  à  ce 
papiste  sans  danger,  on  me  répondit  que  oui.  Je  les  priai  de  m'ame- 
nerce  catholique,  ce  que  l'on  fit  le  jour  même.  Je  fis  quelques  inter- 
rogations à  ce  pauvre  ignorant  papiste;  mais  ce  qu'il  y  a  de  singu- 
lier, il  me  dit  :  «  voilà  cinq  enfants  que  Dieu  m'a  donné,  pas  un  n'a 
le  cœur  tourné  que  du  côté  des  réformés;  mes  renies  ne  me  per- 
mettent pas  de  satisfaire  les  amendes  que  M.  le  curé  y  fait  payer.  » 
Alors  je  lui  répondis  :  «Ne  vous  inquiétez  pas  et  n'inquiétez  pas  vos 
enfants,  vous  avez  baillé  un  écu,  tenez  le  voilà;  et  je  lui  baillai  sur 
le  champ  un  écu;  ne  perdez  pas  courage  et  ne  chagrinez  pas  vos  en- 
fants enles  obligeant  à  vous  quitter;  d'ailleurs  prenez  la  peine  d'exa- 
miner la  religion  protestante,  dépouillez-vous  de  toute  prévention, 
lisez  avec  application  l'Ecriture  Sainte;  il  est  très  certain  que  vous  y 
trouverez  du  goût,  du  plaisir  et  de  la  satisfaction,  aussi  bien  que  vos 
enfants.  »  Alors  mon  catholique  me  dit  :  «  Je  profiterai,  Monsieur, 
de  votre  conseil.  Je  ne  tourmenterai  plus  mes  enfants,  j  e  les  laisserai 
libres.  »  MM.  les  anciens  qui  étaient  auprès  de  moi  offrirent  leurs 
services  au  papiste,  l'exhortèrent  de  leur  côté  de  se  comporter 
sagement  avec  ses  voisins; de  sorte  que  j'espère  avec  le  secours  de 
Dieu  que  notre  papiste  avec  sa  famille  sera  bientôt  protestant. 

Une  demoiselle  du  lieu  de  Naves,  l'Esprit  de  Dieu  par  le  moyen 
de  la  lecture  de  l'Écriture  Sainte  et  quelques  autres  livres  de  piété, 
lui  a  découvert  les  erreurs  de  l'église  romaine  à  l'opposite  (de)  la 
pure  religion  des  réformés.  M.  son  mari  et  ses  parents  ne  l'ont  pu 
empêcher  de  rechercher  les  assemblées  de  réformés  qui  se  con- 
voquent dans  le  désert;  cette  demoiselle  trouvant  un  prétexte  pour 

xxxiii.  —  3'2 


4.98  TROIS  LETTRES    DE   PIERRE  CORTEIS 

échapper  de  son  mari  pour  quelques  jours,  venant  faire  une  visite 
est  venue  dans  nos  assemblées  et  après  l'avoir  entendue,  a  été  reçue 
à  la  Sainte  Cène  le  16  juillet. 

Seconde.  —  Une  jeune  demoiselle  fdle  unique  d'un  père  détes- 
tant les  assemblées,  la  jeune  demoiselle  par  l'entremise  des  siennes 
amies,  assista  à  quelques-unes  de  nos  assemblées  et  elle  a  parlé  à 
M.  son  père  avec  tant  de  louange  des  assemblées  et  de  la  religion 
réformée  que  le  10  juillet  la  fille  et  le  père  y  se  sont  rendus  à  l'as- 
semblée. Ainsi  nous  dirons  avec  Saint-Luc  que  le  Seigneur  ajoute 
tous  les  jours  des  personnes  en  l'église  pour  être  sauvées.  Actes 
Cliap.  Il  verset  47. 

M.  Rouvière  et  moi  étant  arrivés  à  l'église  de  Florac,  MM.  les 
anciens  auraient  souhaité  que  nous  eussions  fait  une  assemblée; 
mais  comme  il  n'y  avait  que  quelques  jours  que  M.  Combe  les  avait 
assemblés  et  que  d'ailleurs  ils  étaient  tous  empressés  à  couper  leurs 
blés,  nous  passâmes  plus  avant  et  nous  allâmes  jusqu'à  l'église  du 
Pompidou  ;rassemblée  y  fut  convoquée  par  l'avis  de  MM.  les  anciens 
le  dimanche  matin  22  juillet  à  travers  un  coteau,  sous  quelques  faux 
qui  nous  mettaient  à  couvert  de  l'ardeur  du  soleil.  La  Sainte  Cène 
y  fut  administrée,  quelques  personnes  y  firent  réparation  à  genoux 
devant  la  table  sacrée  pour  des  fautes  notables  et  en  particulier 
pour  s'être  souillées  dans  l'idolâtrie  de  l'église  romaine;  quelques- 
uns  y  furent  admis  à  la  Sainte  Cène,  quelques  autres  y  furent  ren- 
voyés ayant  égard  au  divers  degré  de  lumière  que  les  personnes  ont 
reçu,  et  des  tentations  qu'elles  ont  été  exposées  et  les  scandales 
qu'ils  ont  donné;  quelques  réconciliations  y  furent  faites  avec 
grande  édification,  hormis  une  méchante  femme  pleine  de  pré- 
jugés et  de  l'amour-propre.  Nous  n'avons  jamais  pu  lui  faire  com- 
prendre qu'il  faut  distinguer  le  vice  d'avecque  le  vicieux,  l'ou- 
vrage de  Dieu  d'avecque  l'ouvrage  du  démon,  qu'il  faut  aimer  le 
premier  et  détester  le  second.  Cette  méchante  s'est  montrée  inflexible 
à  toutes  nos  exhortations;  Dieu  veuille  avoir  pitié  de  cette  méchante 
qui  a  méprisé  la  parole  de  Dieu.  Il  est  vrai  qu'on  m'a  dit  que  en 
sen  retour  de  l'assemblée,  la  conscience  de  cette  femme  s'est 
alarmée  et  qu'elle  se  reprochait  la  dureté  de  son  cœur. 

Après  la  dévotion  finie  et  l'assemblée  congédiée,  nous  fûmes 
environ  soixante  à  diner  ensemble  et  nous  bûmes  à  la  santé  de  nos 
chers  amis  et  bienfaiteurs  de  Berne.  Au  reste  comme  M.  Uouvier  et 


A    ANTOINE    COURT.  .',.99 

moi,  ces  deux  dernières  semaines,  nous  avons  couché  par  les  prés; 
aussi  je  vous  écris  de  la  campagne,  il  ne  se  faut  donc  étonner  si  ma 
plume  a  mal  labouré. 

A  dix  heures  du  matin,  de  dessous  un  frêne,  ce  23  juillet,  mes 
genoux  me  servent  de  table.  Dieu  ait  pitié  de  nous  ! 

1731.  Mes  tendres  amitiés  à  tous  ceux  qui  sont  sensibles  aux 
longues  et  dures  misères  de  l'église  (que  le  bon  Dieu  les  bénisse)! 
Dans  une  autre  lettre  il  me  fera  la  grâce  de  vous  écrire  choses 
belles. 


28  octobre  1731. 
Monsieur  et  cher  frère. 

Vous  ne  serez  sans  point  de  doute  surpris  que  j'aie  différé  un  si  long 
temps  à  vous  donner  de  mes  nouvelles  et  de  celles  de  nos  églises 
que  je  ne  saurais  croire  que  la  mémoire  ne  vous  soit  toujours  chère. 
Mais  j'ai  voulu  faire  une  tournée  et  apprendre  l'état  de  nos  églises 
avant  que  de  vous  écrire.  J'arrivai  le  29  juin  au  milieu  de  nos 
frères.  Je  parlai  à  MM.  Combe,  Clary  et  Rouvière.  Je  priai  M.  Rou- 
vière  de  venir  avec  moi  pour  aller  voir  de  quelle  manière  M.  Boyer 
s'était  conduit  dans  la  maison  de  M''^  François  Février  du  Vigan, 
au  mas  de  Campelle.  Je  crus  qu'on  ne  devait  parler  ni  écrire 
de  l'affaire  de  M.  B...  sans  en  être  bien  informé  autant  qu'on  le  put 
être. 

Nous  fîmes  quelques  assemblées  le  long  de  notre  chemin  comme 
à  Vebron,  à  Merueix,  à  la  Lurette.  Dans  cette  dernière  assemblée 
que  j'avais  convoquée  nous  trouvâmes  M.  Boyer.  Je  refusai  d'admi- 
nistrer la  Sainte  Cène  avec  lui,  soit  parce  que  j'étais  informé  que 
M.  Boyer  était  suspendu  par  un  conseil  extraordinaire,  soit  parce 
que  je  n'étais  pas  encore  bien  instruit  de  la  nature  des  griefs  de 
M.  Boyer.  La  dévotion  finie,  l'assemblée  congédiée,  je  parlai  à  loisir 
à  M.  Boyer,  et  comme  je  suis  informé  par  une  suffisante  ex|)érience 
que  c'est  un  homme  violent  et  emporté,  je  me  munis  toujours  de 
douces  réponses,  en  sorte  que  nous  nous  quittâmes  avec  un  baiser 
de  paix,  quoique  je  ne  lui  dissimulai  point  (pie  son  affaire  était 
mauvaise,  et  que  ses  mœurs  n'étaient  pas  édifiantes.  M.  Boyer  de  son 
côté  ne  me  cacha  point  qu'il  voulait  faire  tirer  à  vif  la  vie, les  mœurs 


500  TROIS   LETTRES  DE  PIERRE   CORTEIS 

de  pasteurs  et  prédicateurs,  et  qu'on  le  mettrait  sous  la  presse.  Je  le 
priai  de  suspendre  cette  lecture;  mais  je  ne  crois  pas  qu'un  ange  de 
Dieu  l'en  détournât. 

M.  Rouvière  et  moi  nous  allâmes  à  Campclle,  nous  parlâmes  au 
père  et  à  la  mère  et  à  la  fille  ;  nous  parlâmes  à  tous,  et  ensuite  nous 
parlâmes  à  la  fille  à  part,  à  l'absence  du  père  et  de  la  mère,  et  fina- 
lement par  les  circonstances  rapportées  par  la  fille,  il  faudrait  se 
vouloir  aveugler  pour  ne  sentir  pas  que  M.  Boyer  est  le  premier 
qui  a  abusé  de  la  jeunesse  de  cette  fille,  qu'il  a  portée  dans  le  mal- 
heur, et  qu'il  a  plongée  dans  le  crime,  crime  qu'il  a  fait  durer  aussi 
longtemps  qu'il  a  pu  cacher.'...  Après  avoir  entendu  la  fille,  nous 
allâmes  faire  une  assemblée  à  Moulhier,  et  de  là  nous  passâmes  à 
Saint-André  afin  de  tromper  les  ennemis  qui  croyaient  que  nous 
descendrions  par  Gange.  Selon  le  rapport  de  quelques-uns,  les  déta- 
chements y  couraient  jour  et  nuit.  Nous  fîmes  quelques  assemblées 
à  la  rivière  de  Saint-André  et  de  là  nous  descendîmes  à  Saint-Jean; 
nous  y  trouvâmes  M.  Combe,  et  nous  nous  donnâmes  un  rendez- 
vous  proche  d'Alais;  ce  fut  là  que  nous  rencontrâmes  MM.  Roux, 
Betrine,  Glary.  Étant  assemblés  nous  parlâmes  sur  diverses  affaires 
du  Rouergue,  de  la  Guyenne,  de  nos  ennemis,  et  partout  nous 
trouvâmes  des  remèdes  dans  nos  maux,  excepté  lorsque  nous  par- 
lâmes de  M.  Boyer.  Je  ne  saurais  vous  cacher  qu'il  nous  arracha  des 
larmesdansla  prière,  et  après  la  prière.  Le  bon  Dieu  ait  pitié  de 
nous  et  vienne  à  notre  aide.  Nous  arrêtâmes  de  tenir  le  synode; 
mais  avant  que  nommer  le  jour,  il  fut  convenu  de  faire  les  députés 
pour  cela.  M.  Roux  alla  à  Nîmes;  M.  Betrine,  à  Uzèz;  M.  Combe,  à 
Lozère  ;  M.  Rouvière,  à  Saint-André  ;  M.  Claiy,  à  Anduze,  La  Salle, 

1.  Il  y  aurait  trop  à  dire  sur  ce  triste  sujet  que  l'on  rencontre  partout  dans 
les  correspondances  du  désert.  Il  a  été  parfaitement  résumé  dans  une  note  de 
M.  Dardier  [Lettres  de  Paul  Rabaut,  t.  1,  p.  11  et  suivantes).  «  Accusé  d'im- 
moralité, dit-il,  Roger  fut  déposé  par  des  colloques  et  réhabilité  par  d'autres. 
L'enquête  que  Pierre  Durand,  le  futur  martyr,  fut  appelé  à  faire  sur  sa  vie 
privée,  le  chargeait  extrêmemenl,  et  semble-t-il  avec  raison.  Mais  les  pasteurs 
de  Suisse,  qui  furent  priés  de  s'occuper  de  cette  triste  affaire,  trouvèrent  après 
examen  que  «  les  accusations  portées  dans  cette  enquête  n'étaient  rien  moins 
que  démontrées  ».  Les  Églises  du  Désert  furent  comme  divisées  en  deux  camps, 
et  les  assemblées  religieuses  dégénérèrent  parfois  en  véritables  batailles.  La 
paix  ne  fut  rétablie  que  par  des  concessions  réciproques,  et  le  synode  national 
de  Lédignan,  présidé  par  Antoine  Court,  mit  fin  au  schisme  (en  17-i-i). 


A    ANTOINE    COURT.  501 

Durfort,  Sauve,  Saint-Hyppolyte,  et  moi  Gange,  le  Vigan,  Valraugue, 
et  Mairuex.  En  montant  je  trouvai  M.Marouger  à  La  Salle.  Je  le  priai 
de  m'accompagner,  ce  qu'il  a  fait. 

Étant  arrivés  à  Gange,  nous  priâmes  MM  les  anciens  de  s'assem- 
bler en  colloque  pour  faire  leurs  députés;  mais  ceux  de  Sumène  ne 
voulurent  pas  se  rendre  au  rendez-vous,  dont  ils  envoyèrent  les 
raisons  qui  étaient  qu'ils  ne  voulaient  point  d'assemblée  ou  colloque 
que  par  le  pasteur  qui  leur  était  affecté;  ils  savaient  bien  que 
M.  Boyer  était  suspendu,  et  que  d'ailleurs  il  convient  bien  mieux 
qu'un  autre  y  face  les  députés  que  M.  Boyer.  Vous  voyez  donc  que 
cela  ressent  les  scbismes,  et  que  c'est  un  prélude  d'un  affligeant 
brouillement  dans  nos  affaires.  Ce  colloque  tenu,  les  députés  faits, 
nous  passâmes  au  Vigan,  nous  assemblâmes  les  anciens  des  églises 
du  Vigan,  de  Bréau,  d'Aulas,  de  Valraugue.  Les  députés  de  ce  dernier 
colloque  se  firent  sans  trouble,  et  sur  la  fin  du  colloque,  nous  arrê- 
tâmes la  convocation  d'une  assemblée  sur  la  montagne  de  la  Luselte 
qui  se  fit,  à  Dieu  grâce,  sans  trouble  et  sans  alarme.  Après  quoi, 
M.  Marouger  y  passa  du  côté  de  Mairuex  et  moi  des  Plantiez.  Le 
12  nous  fûmes  assemblés  pour  l'exercice  de  piété  dans  la  commu- 
nauté de  Sodorgues.  Le  26  je  fus  chercber  un  lieu  de  sûreté  pour 
recevoir  le  27  mes  chers  collègues,  pour  consulter  des  affaires  de 
religion  et  de  M.  Boyer.  Partout  nous  trouvâmes  quelques  remèiies 
dans  nos  maux,  hormis  dans  le  procédé  de  M.  Boyer  qui  aggrave 
notre  croix,  et  il  est  aujourd'hui  la  cause  principale  de  nos  alarme.'^. 

Nous  restâmes  trois  jours  ensemble  et  avant  de  nous  quitter,  nous 
arrêtâmes  le  jour  de  la  tenue  du  Synode,  savoir  le  18  octobre,  et 
chacun  se  chargea  de  faire  venir  avec  prudence  les  députés  de  son 
quartier.  Le  14  je  fis  convoquer  une  assemblée  en  faveur  de  Saint- 
Jean,de  Sainte-Croix, de  Lasallc,  de  Toiraz.  M.  Boyer  s'y  rendit,  mais 
je  ne  l'aperçus  qu'après  l'exercice  de  piété,  que  m'ayant  tiré  à 
l'écart, il  me  dit  entre  plusieurs  méchantes  paroles  que,  ou  Userait 
pendu,  ou  il  nous  ferait  tous  pendre,  ayant  en  vue  selon  moi  les 
prédicateurs  du  désert.  Le  15  je  me  rendis  à  un  rendez-vous  que  mes 
chers  collègues  se  devaient  trouver;  nous  demeurâmes  deux  jours 
ensemble,  nous  raisonnâmes  de  la  conduite  que  nous  devions  tenir 
pour  garantir  nos  églises  des  erreurs  et  des  vices,  et  quel  moyen 
pourrions-nous  prendre  pour  faire  sentir  â  M.  Boyer  son  crime  etson 
péché.  Le  18  le  Synode  provincial  fut  convoqué.  M.  Boyer  s'y  rendit 


502  TROIS   LETTRES    DE   PIERRE  CORTEIS 

avec  quelques  hommes  de  son  parti,  et  commença  de  récuser  une 
partie  des  députés,  disant  que  les  uns  avaient  parlé  mal  de  lui,  et 
que  les  autres  avaient  dansé.  L'assemblée  synodale  ne  s'arrêta  point 
au  procédé  de  M.  Boyer;  elle  fit  son  modérateur  et  son  secrétaire. 
Je  fis  la  prière  et  une  prédication  sur  les  5  et  6  versets  du  4  chap. 
de  VÊpitre  aux  Romains,  après  quoi  l'assemblée  commença  d'offi- 
cier. Les  députés  commencèrent  à  produire  les  plaintes  apportées 
contre  M.  Boyer;  à  savoir  les  consistoires  d'Anduze,  de  Lasalle, 
de  Saint  Pierre,  du  Vigan,  de  Sauve,  de  Durfort,  de  Galargues,  de 
Vauvert,  de  Nîmes  et  du  Manoblet.  Après  qu'on  eût  fait  la  lecture 
des  plaintes  apportées  contre  M.  Boyer,  il  s'éleva  un  murmure  par 
toute  l'assemblée  synodale  criant  et  disant  :  «  Cet  homme  est  in- 
digne de  support  »;  mais  M.  Boyer  et  ses  partisans  disaient  et  disent 
que  toutes  ces  accusations  sont  fausses.  Le  modérateur  ayant  un  peu 
calmé  les  esprits  dit  qu'il  fallait  examiner  M.  Boyer  sur  tous  les  griefs 
qu'il  était  accusé.  Alors  un  ancien  de  la  ville  d'Alais  proposa  que 
si  M.  Boyer  voulait  qu'on  envoyât  ces  procédures  à  Lausanne,  en 
Suisse,  et  que  nos  chers  amis  en  prissent  connaissance  pour  en  juger 
définitivement ,  et  que  M.  Boyer  se  porterait  lui-même  à  Lausanne 
pour  se  justifier  ;  à  quoi  M.  Boyer  et  les  hommes  qu'il  avait  amenés 
de  son  parti  répondirent  que  oui  ;  mais  quand  ce  vint  à  signer,  ils 
eurent  changé  d'avis,  seulement  ils  consentirent  que  le  procès  fut 
jugé  à  Lausanne,  mais  que  pour  M.  Boyer  il  ne  quitterait  point  les 
Cévennes,et  l'assemblée  synodale  aussi  y  consentit.  Vous  sentez  bien 
les  vues  de  l'ancien  d'Alais,  que  les  griefs  de  M.  Boyer  y  fussent 
portes  avec  sa  personne  à  Lausanne.  Vous  devinez  bien  aussi  la 
pensée  de  M.  Boyer  de  ne  vouloir  bouger  des  Cévennes.  Cela  fait, 
l'assemblée  synodale  quitte  la  personne  de  M.  Boyer  et  entre  dans 
des  matières  plus  honnêtes  et  plus  édifiantes. 

Le  25  octobre  le  synode  national  devait  être  assemblé;  les  pas- 
teurs et  les  anciens  députés  du  Languedoc  et  du  Vivarez  s'y  rendi- 
rent; mais  il  manqua  les  députés  duDauphiné.  M.  Boyer  fut  prié  de 
s'y  rendre,  ce  qu'il  fit  ;  l'assemblée  le  pria  de  ne  faire  pas  difficulté 
de  répondre  sur  les  griefs,  qu'il  serait  interrogé  afin  de  pouvoir 
envoyer  ses  réponses  avec  ces  griefs  à  Lausanne  ;  mais  il  refusa.  Seu- 
lement on  obtint  de  lui  que  M.  Durand,  pasteur  en  Vivarez,  avec  un 
pasteur  du  Languedoc  et  quelques  anciens,  iraient  faire  de  nou- 
velles perquisitions  sur  les  faits  dont  M.  Boyer  est  accusé,  et  qu'on 


A  ANTOINE   COURT.  503 

enverrait  le  tout  à  nos  chers  amis  à  Lausanne  pour  en  juger.  Après 
cela  M.  Boyer  se  retira,  et  l'assemblée  établit  son  modérateur  et  son 
secrétaire,  et  commença  à  examiner  les  articles  que  MM.  les  députés 
du  Vivarez  avaient  apportés  pour  les  faire  recevoir  au  synode  na- 
tional. 

Je  ne  rapporterai  pas  ici  les  articles,  je  me  contenterai  dédire  que 
les  députés  du  Languedoc  en  présentèrent  aussi  quelques-uns  qui 
furent  de  bon  goût  à  toute  l'assemblée  synodale,  et  en  particulier 
l'établissement  d'une  école  ambulante  à  chaque  corps  synodal,  si 
bien  que  désormais  chaque  corps  provincial  aura  son  école.  Nous 
avons  formé  le  plan  de  cette  école,  et  fait  le  choix  des  livres  qu'on  se 
doit  servir;  la  dépense  qui  se  peut  monter  de  chaque  écolier;  que 
chaque  corps  pourra  tenir  quatre  écolieirs  ;  il  y  a  cinq  corps  synodaux 
à  savoir  :  le  Dauphiné,  le  Vivarez,  le  Bas  Languedoc,  les  Cévennes 
et  le  Haut  Languedoc;  que  chaque  corps  synodal  fera  le  choix  des 
pasteurs  qui  doivent  servir  de  précepteurs  à  la  jeunesse  qui  leur 
sera  confiée;  qu'on  fera  le  choix  de  la  jeunesse  dans  des  assemblées 
de  notables  ;  que  les  synodes  députeront  des  pasteurs  une  fois  l'an- 
née pour  examiner  les  précepteurs  et  les  écoliers,  pour  voir  la  doc- 
trine qu'on  enseigne.  J'espère  dans  quelques  jours  que  nous  vous 
enverrons  une  copie  du  plan  que  nous  avons  dressé  de  l'école,  et 
nous  espérons  avec  la  merveilleuse  assistance  de  Dieu,  par  le  moyen 
de  cette  école,  d'avoir  dans  peu  d'années  des  pasteurs  pour  envoyer 
en  divers  endroits  qu'il  y  a  des  fidèles  qui  soupirent  après  la  pâture 
céleste,  et  qui  vivent  sans  assemblées  et  sans  sacrements,  faute  de 
pasteurs,  et  plusieurs  tombent  dans  l'idolâtrie,  et  les  autres  dans  la 
corruption  des  vices.  Puisque  nous  ne  pouvons  pas  tirer  de  pasteurs 
du  pays  étranger,  il  nous  en  faut  tirer  du  milieu  de  nos  troupeaux, 
mais  non  pas  du  milieu  des  soldats,  et  encore  moins  des  dragons 
qui  nous  causent  aujourd'hui  tant  de  larmes,  de  troubles  et  de  con- 
fusion. 

Au  reste  vous  me  ferez  un  grand  plaisir  d'envoyer  une  copie  de 
cette  relation  à  M.  d'Hacs,très  vénérable  pasteur,  et  notre  très  cher 
ami  à  Berne,  et  l'assurer  avec  sa  clièrc  famille  de  mes  très  res- 
pectueux devoirs.  Je  viens  d'écrire  tout  ce  que  dessus  â  Zurich.  M. 
Roux  m'a  baillé  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'eu- 
voyer.  Vous  pouvez  m'écrire  pour  Jacques  Lauriol.  Puis-je  vous 
faire  quelque  plaisir,  marquez-le  moi.  Mes  chers  coFlègues  m'on  t 


504  TROIS  LETTRES  DE    PIERRE  CORTEIS 

chargé  de  vous  saluer.  Je  vais  rendre  visite  à  Usés  et  à  Nîmes.  Je  suis 
avec  bien  d'amitiés, 

Votre  Frère. 

Mes  tendres  amitiés  à  ma  chère  commère,  votre  digne  épouse  et 
à  toute  la  chère  famille.  A  Marion,  bonne  fille.  Je  n'oublie  pas  M.Bon- 
bonnoux,  notre  cher  frère,  à  qui  je  dois  écrire  dans  quelques  jours. 

Février  1732. 

Monsieur  et  mon  cher  frère, 

II  ne  me  souvient  pas  directement  par  où  je  finis  la  dernière  rela- 
tion que  je  vous  fis  de  l'état  présent  des  églises  qui  sont  sous  la 
croix.  Je  m'en  vais  remplir  cette  feuille  de  tout  ce  que  la  mémoire 
me  fournit  de  plus  clair. 

Le  28  octobre  1731,  M.  Rouvière  et  moi  nous  fîmes  heureuse- 
ment une  assemblée  dans  l'église  de  Coulorgue;  le  dimanche  4  no- 
vembre à  dix  heures  du  matin  à  l'église  d'Uzès.  Après  l'assemblée 
congédiée  M.  Rouvière  partit  pour  le  Vivarais,  et  MM.  les  anciens 
me  prièrent  d'administrer  la  Sainte  Cène  à  leurs  messieurs  et  dames, 
qui  ne  peuvent  sans  grandes  difficultés  grimper  au  désert;  ce  que 
nous  aurions  fait  le  dixième  novembre,  si  un  nommé  Lanchoie, 
catholique,  n'y  avait  mis  des  obstacles  par  une  alarme  qui  se  donna 
à  son  sujet;  et  pourtant  notre  saint  projet  ne  fut  différé  que  d'un 
jour,  car  le  12  dudit  mois  nous  fûmes  assemblés  à  six  heures  du 
matin  à  un  quart  de  lieue  de  la  ville,  à  la  grande  consolation  de  ces 
âmes  affamées  de  la  parole  de  Dieu. 

Après  la  dévotion,  je  me  rendis  à  JNîmes  le  15.  Je  fus  conduit  à 
une  maison  pour  prêcher  et  administrer  la  Sainte  Cène  à  quelques 
dames,  entre  lesquelles  quelques-unes  n'avaient  jamais  participée 
la  Sainte  Cène,  et  comme  ma  prédication  était  un  peu  touchante, 
plusieurs  larmes  y  furent  versées.  Le  dimanche  18,  à  dix  heures  du 
matin,  dans  le  temps  que  ceux  qui  n'aiment  pas  la  vérité  étaient  à 
la  messe,  y  vinreiitàla  maison  où  j'étais,  à  un  faubourg  de  la  ville, 
environ  seize  personnes  d'une  piété  exemplaire  qui  me  prièrent  de 
leur  prêcher  et  de  leur  administrer  la  Sainte  Cène,  ce  que  je  fis 
étant  secondé  par  un  fidèle  ancien.  Le  21,  M.  Roux  me  vint  joindre; 


A    ANTOINE    COURT.  505 

le  22,  nous  allâmes  pas  trop  loin  du  mas  de  Billot; le  24,  nous  fûmes 
priés  de  former  une  assemblée;  le  25,  elle  fut  convoquée  à  neuf 
heures  du  matin  en  faveur  de  Nîmes,  de  la  Rouvière  et  des  lieux 
circonvoisins;  l'assemblée  était  nombreuse,  la  Cène  du  Seigneur 
y  fut  donnée;  plusieurs  réparations  et  conciliations  y  furent  faites. 
La  dévotion  finie,  l'assemblée  congédiée,  M.  Roux  et  moi,  nous 
nous  empressâmes  à  nous  rendre  à  un  rendez-vous  où  nos 
chers  collègues  nous  attendaient.  En  effet,  nous  les  trouvâmes 
au  rendez-vous  donné  ;  nous  restâmes  ensemble  le  26  en  parlant 
de  M.  Boyer  et  de  la  conduite  que  nous  devions  chrétiennement 
tenir  à  son  égard.  Environ  midi  la  lettre  de  M.  le  p^  et  prof'.  Polier 
arriva  avec  la  vôtre;  ces  deux  chères  lettres  nous  firent  un 
véritable  plaisir.  Nous  en  fîmes  deux  ou  trois  fois  la  lecture; 
après  chacun  y  fit  ses  réflexions  et  la  définition  y  fut  de  nous 
assembler  de  nouveau  en  synode  national.  M.  P...  en  Vivarais,  qui 
était  là  avec  nous,  y  nous  promit  d'aller  en  Dauphiné  et  de  faire  de 
saints  efforts  pour  disposer  M.  Roger  à  descendre  en  Languedoc. 
Après  avoir  invoqué  le  grand  nom  de  Dieu,  chacun  y  prit  son  che- 
min. MM.  Clary,  Combe,  Betrine  et  moi,  nous  fûmes  rendus  le  28 
novembre  entre  Anduze  et  Alais.  MM.  les  anciens  nous  prièrent  de 
convoquer  une  assemblée  pendant  le  temps  que  les  troupes  étaient 
allées  à  Béziers  pour  faire  honneur  à  don  Carlos,  infant  d'Espagne, 
qui  est  passé  à  Nîmes  pour  aller  se  faire  couronner  roi  au  royaume 
de  Parme,  et  en  fait  l'assemblée  y  fut  convoquée  le  29.  La  dévotion 
achevée,  après  avoir  pris  congé  de  nos  frères,  M.  Betrine  et  moi, 
nous  allâmes  faire  une  assemblée  en  faveur  de  l'église  de  Lézan,  de 
Tournac,  de  Durfort.  L'assemblée  congédiée,  M.  Betrine  prit  le 
chemin  d'Anduze,  et  je  m'en  allai  joindre  M.  Roux  à  Sauve.  L'assem- 
blée y  fut  formée  par  le  charitable  soin  de  MM.  les  anciens.  Le  2  dé- 
cembre 1731  nous  fûmes  battus  du  froid  :  la  Cène  du  Seigneur  y  fut 
administrée,  quelques  réparations  et  conciliations  y  furent  faites 
avec  édification.  En  sortant  de  la  dévotion  nous  fûmes  rendre  visite 
à  une  femme  malade  qui  venait  de  perdre  une  (ille  que  la  mort 
lui  avait  enlevée.  Le  lundi  3  décembre,  l'assemblée  fut  convoquée  en 
faveur  des  églises  de  Canne  et  de  son  voisinage.  Le  jeudi  G,  l'as- 
semblée fut  formée  en  faveur  de  l'église  de  Sommière. 

Ce  qu'il  y  a  de  particulier  dans  cette  assemblée!  ostque  M.  la  Fare 
gouverneur  de  la  province  était  à  un  quart  de  lieue  de  nous;  mais 


506  TROIS   LETTRES   DE  PIERRE   CORTEIS 

il  ne  savait  absolument  rien  de  notre  sainte  action  et  n'avait  point 
ir(avis)de  notre  exercice  de  piété.  Le  9,  l'assemblée  devait  se  faire  en 
faveur  de  l'église  de  Calvisson;  mais  nouvelle  y  fut  donnée  que  le  dé- 
tachement sortait;  ainsi  l'assemblée  fut  renvoyée. Le  11, les  anciens 
des  églises  de  Sommière,  de  Calvisson,  de  Galargues,  de  Massiliar- 
gues  y  furent  assemblés  en  colloque  pour  des  affaires  qui  concer- 
naient ces  églises,  et  que  remède  y  fut  apporté  à  la  consolation  d'un 
chacun.  En  nous  retirant  du  colloque,  la  pluie  y  chargea  nos  habits 
d'eau  et  la  chair  de  froid  qui  me  faisait  trembler.  Le  16  décembre  l'as- 
semblée y  fut  formée  en  faveur  de  l'église  de  Vauvert  à  9  heures  du 
matin;  le  18, l'assemblée  y  fut  formée  en  faveur  de  Massiliargues, 
des  Margues,  de  Lunel,  du  Caila,  à  9  heures  du  soir.  Je  ne  puis 
pas  cacher  que  la  pluie  sur  le  dos,  la  terre  grasse,  pleine  d'eau,  y 
faisait  mauvais  marcher;  la  soirée  était  belle  par  rapport  à  la 
piété  ou  à  l'exercice  de  piété,  mais  très  mauvaise  par  rapport  à  l'in- 
constance du  temps.  Je  souffrais  de  voir  ces  demoiselles  mouillées 
jusqu'aux  genoux  et  je  ne  m'oubliais  pas  un  moment  moi-même. 
En  sortant  de  ces  Tamarices  nous  allâmes  à  Montpellier  où  nous 
fîmes  deux  assemblées,  et  la  troisième  fut  à  Mauguio,  une  lieue 
de  Montpellier.  Dans  ce  dernier  lieu  nous  fûmes  menacés  que  le 
prêtre  était  informé  de  la  maison  qui  nous  servait  de  logis;  il  n'en 
fallut  pas  davantage  pour  nous  faire  décamper  à  dix  heures  du  soir; 
mais  pas  tant  loin  puisque  le  lendemain  l'assemblée  y  fut  formée; 
après  quoi  nous  entrâmes  dans  un  bateau  pour  aller  à  Massiliargues; 
mais  nous  n'y  trouvâmes  pas  la  satisfaction  qu'on  me  promettait, 
puisque  nos  bateliers  se  virent  bien  étonnés  de  se  voir  poussés  par 
lavent  du  côté  de  la  mer,  et  ce  ne  fut  que  avec  de  grands  efforts  et 
beaucoup  de  temps  qu'où  retourna  en  terre  à  laquelle  je  mis  mes 
pieds  très  volontiers.  Nous  allâmes  ce  jour-là  vers  les  espions  et  je 
languissais  de  retournera  Nîmes,  dans  les  lieux  où  les  endroits  du 
pays  me  sont  connus.  Finalement,  nous  allâmes  proche  Nîmes,  et 
nous  fîmes  l'assemblée,  le  1"  janvier  1732,  en  faveur  des  églises  de 
Nîmes,  de  Milhau,  de  Cavairac;  un  sergent  et  quelques  soldats  y 
furent  reçus  et  admis  à  la  communion  après  un  examen  ;  après  quoi 
nous  nous  rendîmes  à  la  ville,  et  le  6  nous  assemblâmes  les  anciens 
en  consistoire, et  après  avoir  invoqué  le  saint  nom  de  Dieu  et  exposé 
une  prédication,  on  raisonna  sur  les  affaires  qui  regardent  cette 
église,  et  on  trouva  bon  que  les  anciens  y  fussent  rechangés,  soit 


A    ANTOINE    COUIIT.  507 

parce  que  les  ennemis  les  connaissaient  et  les  observaient,  soit 
parce  quelques-uns  le  souhaitaient;  ainsi  les  anciens  ont  été  par 
consentement  unanime  tous  rechangés  ;  mais  avant  que  de  sortir 
du  consistoire,  on  appela  les  personnes  sur  les  quelles  MM.  les 
anciens  avaient  jeté  les  yeux  pour  prendre  leur  charge,  ce 
qui  fut  heureusement  exécuté  après  une  exhortation  faite  assez 
heureusement  à  ces  nouveaux  anciens  qui  étaient  entrés  en 
charge,  et  nos  remerciements  à  ceux  qui  en  sortaient.  Ils  s'embras- 
sèrent en  se  félicitant  et  promettant  de  se  donner  tous  les  secours 
mutuels  qui  dépendraient  d'eux. 

Le  lundi  7  janvier,  nous  nous  transportâmes  à  Usez  pour  trouver 
nos  chers  collègues  ;  mais  ne  sachant  où  les  trouver,  nous  dîmes  de 
faire  convoquer  une  assemblée,  et  ils  s'y  rendraient;  comme  en  effet 
l'assemblée  y  fut  formée  le  8  janvier.  MM.  Clary  et  Betrine  y  présidè- 
rent, et  nous  passâmes  le  mercredi  9  janvier  ensemble  en  consultant 
et  examinant  les  avis  que  M.  le  p"".  et  prof^  Potier  nous  donne  tou- 
chant M.  Boyer  et  sur  ce  qu'on  nous  dit  qu'il  faut  que  notre  [synode] 
national  en  donne  son  jugement.  La  journée  finie,  M.  Clary  et  moi 
nous  allâmes  faire  une  assemblée  proche  Alais.  L'assemblée  congé- 
diée, le  frère  Clary  descendit  le  long  du  Gardon,  et  je  fus  voir  un 
malade  qui  deux  jours  après  est  mort,  et  le  dimanche  20  l'assemblée 
y  fut  formée  en  faveur  de  la  Rivière  de  Générargues.  Dans  cette  der- 
nière assemblée  je  vis  deux  messieurs  qui  étaient  entièrement  dé- 
voués à  soutenir  M.  Boyer,  qu'il  eût  tort  ou  qu'il  eût  droit;  ces  deux 
messieurs  fâchèrent  d'une  manière  sensible  les  anciens  d'Anduze  ;  un 
de  ces  deux  avait  fait  de  puissants  efforts  pour  troubler  une  assemblée 
que  M.  Betrine  avait  convoquée  par  le  secours  des  anciens  d'Anduze . 
Je  priai  trois  de  ces  messieurs  qui  me  parurent  le  plus  prévenus  de 
me  venir  voir,  le  lundi  21  janvier.  Ils  ne  manquèrent  pas  de  venir, 
et  se  rendirent  à  l'endroit  que  je  les  avais  pries  de  venir.  Je  leur 
parlai  tout  le  jour;  mais  hélas  que  c'est  mauvais  de  parler  à  des 
gens  qui  n'aiment  pas  la  vérité,  qui  ne  la  veulent  pas  connaître  ni  ne 
la  recherchent.  A  moins  de  ne  se  trouver  dans  de  pareils  cas,  on  ne 
croirait  pas  que  la  chose  pût  jamais  arriver.  Ce  qu'il  y  a  de  plus 
affligeant,  c'est  que  ces  messieurs-là  ne  se  servent  que  de  men- 
songes, mensonges  qu'ils  affirment  comme  des  vérités,  et  qu'ils  ne 
veulent  point  ouvrir  les  yeux  pour  en  reconnaître  la  fausseté.  Si  le 
bon  Dieu  n'y  remédie,  je  ne  sais  pas  que  deviendront  les  véritables 


508  MÉLANGES. 

pasteurs  du  désert.  Nous  pleurons,  nous  gémissons  de  voir  que  le 
vice  se  veut  glisser  dans  le  sanctuaire,  et  que  les  pasteurs  du  désert 
qui  s'étaient  rendus  recommandables,  tant  par  la  pureté  de  la 
doctrine  que  par  la  sainteté  de  la  vie,  il  faudra  aujourd'hui  ou 
que  ces  chers  pasteurs  approuvent  le  péché  ou  qu'ils  voient  les  églises 
divisées.  0  Dieu  aie  pitié  de  ton  église  ;  viens,  Seigneur  Jésus,  viens 
soutenir  ta  vérité,  ta  justice,  tes  serviteurs  et  l'honneur  de  la  sainte 
religion. 

Vous  aurez  la  bonté  de  ne  m'écrire  pas  par  l'adresse  de  Saint- 
Jean,  puisque  toutes  les  lettres  que  Zuric  y  a  adressées  ne  sont 
point  parvenues  à  moi.  L'adresse  de  M.  Puget  est  bonne.  Jamais 
plus  de  larmes  nos  frères  n'avaient  versé  qu'ils  n'en  versent  à  pré- 
sent. 

Je  suis  avec  bien  d'amitié  votre  frère, 

CORTEIZ. 

J'ai  dessein  de  me  retirer  bientôt. 


MÉLANGES 


DES  CONSISTOIRES 

ET    DK    LA   CONFISCATION     DE   LEURS    BIENS 

en    1G85. 

La  question  relative  aux  biens  des  consistoires  n'a  pas  beaucoup 
préoccupé  les  esprits.  On  sait  d'une  manière  générale  que  ces  corps 
s'occupaient  de  l'entretien  de  leurs  pasteurs,  de  l'acquisition  ou  de 
la  construction  de  leurs  temples,  des  frais  du  culte,  du  soulagement 
des  pauvres  et  que,  par  conséquent,  ils  devaient  posséder  quelques 
ressources  qui  leur  furent  enlevées  lors  de  la  révocation  de  l'Édit 


MÉLANGES.  509 

de  Nantes.  Mais  ces  biens,  quelle  en  était  l'origine  et  la  nature, 
comment  étaient-ils  gérés,  de  quelle  importance  pouvaient-ils  être 
au  moment  où  Louis  XIV  déclara  qu'il  n'y  aurait  plus  qu'une  reli- 
gion dans  son  royaume  et  qu'il  mit  la  main  dessus?  On  ne  s'est  gé- 
néralement pas  donné  beaucoup  de  peine  pour  le  découvrir.  C'est 
précisément  la  question  dont  nous  voudrions  nous  occuper.  Elle  a 
ses  difficultés,  car  il  est  impossible  de  contester  qu'elle  soit  très 
complexe  et  ne  ressemble  en  rien  à  la  mesure  analogue  dont  fut 
frappée  la  religion  catholique  à  l'époque  de  la  Révolution  de  1789. 
Ces  deux  mesures  politiques  que  l'on  rapproche  souvent  n'ont  entre 
elles  aucun  rapport. 

Par  mesure  gouvernementale,  pour  remédier  à  des  embarras 
financiers  et  prévenir  des  complications  possibles,  l'Etat  s'empara 
des  biens  de  l'Église  catholique,  mais  il  prit  à  sa  charge  les  frais  du 
culte  et  du  traitement  de  ses  ministres.  On  sait,  en  effet,  qu'après 
une  discussion  mémorable,  sur  la  proposition  d'un  évêque,  Talley- 
rand-Périgord,  qui  devait  devenir  un  grand  homme  d'Etat,  l'As- 
semblée Constituante  décida  que  «  tous  les  biens  ecclésiastiques 
étaient  à  la  disposition  de  la  nation,  à  la  charge  de  pourvoir,  d'une 
manière  convenable,  aux  frais  du  culte  et  à  l'instruction  de  ses  mi- 
nistres ».  La  délibération  portait  même  qu'il  ne  pouvait  être  affecté 
à  la  dotation  des  curés  «  moins  de  1,200  livres,  non  compris  les  lo- 
gements et  jardin  en  dépendant  ».  En  ce  qui  concerne  les  catholi- 
ques, le  dépouillement  était  une  reconnaissance.  On  disait  :  l'Eglise 
a  des  richesses  dont  l'État  ne  peut  se  passer  et  qui  en  s'accumulant 
sans  mesure  constituent  un  péril,  nous  prévenons  ce  danger;  mais 
elle  ne  souffrira  pas  de  la  transformation  qui  va  s'opérer,  nous  nous 
chargeons  de  pourvoir  à  ses  besoins,  elle  devient  un  service  public. 
Et  en  réalité  l'État  la  prenait  sous  son  patronage  et  en  faisait  une 
branche  de  son  administration.  Celte  transformation  pouvait  déplaire 
au  clergé,  il  avait  le  droit  de  la  trouver  gênante  et  imisible  à  ses  in- 
térêts, elle  pouvait  lui  inspirer  des  craintes  pour  ses  libertés;  mais 
il  n'avait  aucun  motif  de  se  préoccuper  de  son  existence  qui  plutôt 
était  garantie.  Pour  les  protestants,  il  en  avait  été  tout  autrement 
en  1685.  Aux  yeux  de  l'État,  ils  ne  possédaient  que  des  droits 
octroyés  et  révocables.  C'est  ce  que  dit  ouvertement  Louis  XIV  dans 
son  Édit  de  décembre  1689. 
«  Les  rois  ses  prédécesseurs  et  lui   avaient  seulement  toléré 


510  MÉLANGES. 

l'exercice  de  la  religion  prétendue  réformée.  »  C'est  à  ce  point  de 
vue  qu'il  faut  se  placer  pour  traiter  la  question. 

Il  est  certain  que  la  position  que  nous  venons  d'indiquer  est  dif- 
ficile à  concevoir  de  nos  jours.  Nous  avons  de  la  peine  à  nous 
représenter  l'orgueil  d'un  homme  se  persuadant  que  tous  les  habi- 
tants de  son  royaume  ne  pourront  prier,  adorer,  servir  et  honorer 
Dieu  qu'avec  sa  permission  et  comme  il  lui  plair^  qu'ils  le  fassent. 

Et  pourtant  ce  n'est  pas  là  une  fiction.  11  est  certain  que,  par  je 
ne  sais  quel  enchaînement  de  circonstances,  ou  par  quelle  aberra- 
tion de  l'esprit,  par  quelle  force  d'habitude,  ces  hommes  en  étaient 
venus  à  croire  qu'il  n'était  pas  possible  de  sortir  de  l'église  romaine, 
de  se  dégoûter  de  ses  cérémonies  et  de  son  culte,  sans  sortir  de  la 
vérité  et  sans  rompre  avec  les  inspirations  qui  poussent  l'àme 
humaine  vers  le  ciel.  Cette  croyance  générale  n'était  pourtant  pas 
universellement  reçue  partout  et,  dans  tous  les  temps,  il  s'était 
trouvé  des  personnes  qui  avaient  protesté  contre  cette  tyrannie; 
mais,  ces  hommes,  on  les  avait  considérés  comme  des  insensés,  des 
conspirateurs  et  on  les  traitait  en  conséquence.  Cette  histoire  est 
celle  de  tous  }es  peuples  sur  lesquels  le  catholicisme  avait  étendu 
son  empire. 

Aussi  quand  le  mouvement  réformateur  qui  avait  éclaté  dans 
d'autres  pays  pénétra  dans  le  nôtre,  des  bûchers  se  dressèrent. 
Néanmoins  le  mouvement  prit  de  la  consistance,  les  souverains  lui 
accordèrent  une  certaine  attention,  quelques-uns  en  sentirent  l'in- 
fluence et  d'autres  comprirent  qu'il  fallait  user  de  ménagements.  Ces 
dispositions  différentes  produisirent  des  Édits  de  répression  et  des 
Edits  de  pacification,  selon  qu'on  avait  pour  but  d'écraser  toutes  les 
dissidences  ou  de  leur  permettre  de  s'exercer  sans  trouble  et  sans 
révolution.  L'Édit  de  juillet  1561  par  lequel  Charles  IX  amnistiait 
les  protestants  pour  le  passé  et  leur  prescrivait  de  vivre  catholique- 
ment,  sous  peine  de  prison  et  d'exil,  était  un  édit  répressif.  Mais 
depuis  que  le  protestantisme  eut  montré  son  importanee  par  les 
hommes  éminents  qui  défendirent  sa  cause,  soit  dans  les  conseils,  soit 
dans  les  rangs  de  l'armée,  soit  sur  les  champs  de  bataille;  il  n'y  eut 
plus  que  des  Edils  de  pacification.  Le  premier  de  ces  Édits  qui  se 
proposaient  de  faire  vivre  les  deux  cultes  en  paix,  fut  TÉdit  de 
janvier  1562  et  tous  ceux  qui  suivirent,  jusqu'à  la  révocation  de  celui 
de  Nantes,  furent,  comme  celui-là,  des  Édits  de  pacification.  Et  c'est 


MÉLANGES.  511 

bien  là  le  nom  qu'ils  portenl  dans  les  divers  Recueils  qui  en  ont 
été  faits.  C'est  celui  d'octobre  1G85  qui  ramena  le  régime  de  la 
répression;  ces  Edits  de  pacification,  comme  leur  nom  l'indique, 
n'avaient  qu'un  but,  ils  devaient  assurer  de  bonnes  relations  entre 
le  Catholicisme  et  le  Protestantisme  et  les  faire  vivre  en  paix  et 
côte  à  côte  sur  le  même  territoire.  Ces  Edits,  dont  l'idée  première 
remonte  au  chancelier  de  L'hôpital,  tendaient  à  résoudre  ce  pro- 
blème à  savoir  :  «  si  l'on  ne  peut  estre  bon  sujet  du  Roy  sans  estre 
catholique,  et  s'il  est  impossible  que  des  hommes  qui  n'ont  pas  la 
même  croyance  vivent  en  paix  les  uns  avec  les  autres.  » 

Il  y  avait  évidemment  dans  ces  Edits  de  pacification  des  conces- 
sions faites  et  des  droits  reconnus.  Les  protestants  pouvaient  se 
réunir  pour  la  célébration  de  leur  culte  en  certains  lieux  et  sous 
des  conditions  déterminées.  Leur  liberté  n'était  pas  complète,  mais 
il  y  avait  des  choses  qu'ils  avaient  le  droit  de  faire.  Ils  avaient  ce 
qu'on  appelait  des  franchises  lorsqu'il  s'agissait  des  villes  ou  des 
communes  ;  et  l'on  sait  si  ces  libertés  une  fois  accordées  n'ont  pas 
été  considérées  comme  des  droits  et  s'il  a  été  facile  de  les  retirer. 
Pourquoi  ces  libertés  garanties  par  les  Edits  avaient-elles  été  accor- 
dées aux  protestants  et  comment  en  ont-ils  usé?  La  réponse  à  ces 
deux  questions  nous  mènerait  trop  loin,  car  elle  ne  laisserait  en 
dehors  rien  de  ce  qui  touche  au  protestantisme.  Aussi  bien  nous 
n'avons  pas  besoin  de  nous  en  occuper  pour  traiter  notre  sujet.  Un 
gouvernement  a  toujours  le  moyen  de  faire  respecter  les  lois  et 
jamais  il  ne  doit  profiter  de  quelque  infraction  pour  revenir  au 
despotisme.  Il  a  le  droit  de  faire  respecter  les  lois,  il  n'a  pas  celui 
de  les  supprimer.  Voilà  pourtant  ce  qui  arriva.  Ces  malheureux 
protestants  qu'on  a  tant  accusés  d'être  des  anarchistes,  des  gens 
ingouvernables,  que  demandaient-ils?  Tout  simplement  l'exécution 
des  Edits.  Et  ceux  qui  les  accusaient,  que  faisaient-ils?  D'abord, 
ils  faisaient  naître  des  difficultés  sur  l'exécution  de  ces  Edits  (ju'ils 
avaient  donnés  ou  confirmés;  ils  chicanaient.  Et  puis  ils  en  venaient 
à  les  supprimer.  C'est  ce  qui  eut  lieu  en  1685.  Cette  révocation 
donna  lieu  à  la  saisie  générale  clés  biens  des  consistoires,  mais  en 
réalité  cette  confiscation  avait  commencé,  elle  était  même  bien 
avancée  à  la  révocation. 

On  sait  que  l'Édit  de  Nantes  avait  été  l'objet  de  fréquentes  con- 
testations, que  des  commissaires  avaient  été   nommés  soi-disant 


51  "2  MÉLANGES. 

pour  en  assurer  l'exécution  et  que  souvent  ces  contestations  don- 
nèrent lieu  à  des  procès  pour  régler  des  litiges  à  la  suite  desquels  le 
roi  rendait  des  Edits  ou  Déclarations.  Une  de  ces  contestations  amena 
une  décision  royale  dont  les  hôpitaux  retirèrent  un  grand  profit. 
Le  Consistoire  de  Montpellier  qui,  comme  tous  les  autres,  recevait 
des  legs  charitables,  fut  accusé  de  les  détourner  de  leur  destination 
en  les  appliquant  à  d'autres  objets.  On  lui  reprochait  par  exemple 
d'empêcher  les  protestants  de  se  faire  catholiques.  Cette  accusation 
avait  quelque  chose  d'étrange,  car  il  est  bien  certain  que  les  deniers 
donnés  à  l'église  réformée  lui  étaient  donnés  par  des  gens  qui  vou- 
laient sa  conservation,  subvenir  à  ses  besoins,  soulager  ses  pauvres, 
défendre  la  foi  de  ses  membres  lorsqu'elle  était  attaquée.  Sous  le 
prétexte  que  nous  venons  d'indiquer  un  Édit  fut  rendu  et,  ni  plus 
ni  moins,  les  biens  du  Consistoire  furent  attribués  à  l'hôpital.  Ce 
n'était  que  justice  selon  l'Édit,  car  les  legs  étaient  faits  pour  les 
pauvres  et  les  pauvres  de  l'un  et  l'autre  culte  devaient  être  reçus 
indistinctement  à  l'hôpital.  Oui,  cela  est  vrai,  mais  à  une  condition, 
c'est  que  lespauvres  prolestants  renonceraient  à  leur  religion  et  em- 
brasseraient la  religion  catholique  qui  seule  était  enseignée  et  pra- 
tiquée dans  cet  établissement.  Sa  Majesté  n'avait  pas  pris  la  peine  de 
remarquer  que  le  vœu  des  protestants,  qui  faisaient  des  largesses 
pour  subvenir  aux  besoins  de  leurs  coreligionnaires  tombés  dans 
l'infortune,  était  bien  qu'ils  fussent  secourus  en  conservant  leur  foi. 
A  l'aide  de  cet  Edit  les  biens  de  l'église  protestante  de  Montpellier 
furent  attribués  à  l'hôpital  de  cette  ville  et  la  mesure  fut  étendue 
à  tous  les  diocèses  de  la  province  du  Languedoc.  Quand,  pour  uu 
motif  ou  pour  un  autre,  une  église  était  interdite  ou  un  temple  con- 
damné et  démoli  (on  sait  combien  le  nombre  en  fut  considérable 
pendant  les  années  qui  précédèrent  la  révocation),  leurs  biens  allèrent 
grossir  les  ressources  des  hôpitaux  catholiques.  La  règle  adoptée 
pour  le  Languedoc  fut  aussi  appliquée  à  toutes  les  autres  provinces, 
et,  de  la  sorte,  un  grand  nombre  de  consistoires  furent  dépouillés 
avant  qu'ils  le  fussent  tous. 

11  est  indispensable  de  faire  ici  une  distinction  capitale.  Bien  que 
la  mesure  dont  il  s'agit  eut  frappé  un  grand  nombre  des  églises 
réformées,  elles  ne  l'étaient  encore  qu'à  titre  exceptionnel;  elles 
l'étaient  pour  un  motif  particulier,  pour  un  délit  vrai  ou  supposé, 
pour  une  infraction  aux   Édits,  mais  celles  qui  avaient  jusqu'ici 


MÉLANGES.  513 

échappé  aux  accusations,  celles  qui  étaient  restées  dans  le  devoir, 
conservaient  le  droit  d'exister  et  de  posséder.  Ce  ne  fut  que  par 
rÉdit  révocatoire  que  ce  droit  leur  fut  (Mé.  On  avait  commencé  par 
leur  demander  la  bourse,  on  leur  demanda  la  vie  et  il  est  bien  évi- 
dent que  la  bourse  devait  suivre  la  vie. 

Les  biens  des  consistoires,  tous  provenus  de  dons  charitables  et 
volontaires,  avaient  pour  but  spécial,  comme  le  bon  sens  rindii^ue 
et  les  Édits  le  reconnaissent,  de  pourvoir  au  traitement  des  pasteurs, 
au  soin  des  pauvres,  et  consistaient  en  rentes,  obligations  ou  effets, 
fonds  ou  charges  de  fonds,  en  revenus  annuels,  ou  en  legs  faits  aux 
pauvres.  Nous  conservons  cet  ordre  qui  est  celui  des  comptes  ren- 
dus à  l'État,  bien  que  les  chapitres  ne  soient  peut-être  pas  toujours 
d'une  distinction  parfaite  et  présentent  parfois  de  l'obscurité.  Or 
ces  biens  confisqués  par  l'Édit  de  1685,  devaient  être  recherchés 
et  il  fallait  apporter  quelque  soin  à  cette  recherche,  car  on  n'a  pas 
de  peine  à  concevoir  que  les  consistoires  et  leurs  représentants  ne 
se  faisaient  pas  scrupule  de  soustraire  autant  qu'ils  le  pouvaient  les 
sommes  qu'où  cherchait  à  leur  eidever.  Ce  mouvement  était  aussi 
légitime  qu'il  l'est  d'user  de  toute  notre  adresse  pour  conserver  la 
montre  ou  le  porte-monnaie  dont  un  obligeant  voleur  cherche  k  nous 
débarrasser.  Il  fallut  donc  rechercher  soigneusement  l'argent  et  les 
titres,  fouiller  les  minutes  des  notaires  pour  constater  les  actes  de 
propriété,  les  baux,  les  legs  testamentaires,  etc.  Cela  présentait 
quelques  difficultés  et  des  instructions  furent  données  pour  que  les 
agents  pussent  s'en  occuper  d'une  manière  fructueuse.  Ces  instruc- 
tions se  trouvent  dans  des  «  Remarques  sur  Testât  des  biens  des 
consistoires  de  Languedoc  remis  k  Monseigneur  l'Intendant  par  les 
pères  Chauvaud  et  Guevarre,  jésuites.  »  Archives  dç  V Hérault, 
c.  278.  Nous  en  copions  ce  qui  est  relatif  aux  moyens  de  recouvrer 
les  libéralités  faites  en  faveur  des  pauvres.  Il  faut  : 

1»  Remettre  à  chaque  Evesque  le  soin  de  faire  exiger  tout  ce  qui 
se  trouve  dû  aux  pauvres  de  son  Diocèse; 

2"  Il  faut  employer  pour  chaque  paroisse  en  particulier  un  exac- 
teur fidèle  et  zélé  qu'on  oblige,  s'il  se  peut,  de  faire  livre  net  de 
toutesles  sommesdeues,  aux  conditionsqu'on  mettra  dans  le  contrat; 
3«  Si  on  ne  peut  pas  trouver  un  tel  exacleur  pour  les  petites 
paroisses,  on  donnera  la  commission  à  ceux  des  plus  grandes  du 
voisinage  ; 

xxxiii      -  33 


514.  MÉLANGES. 

4°  Il  est  nécessaire  de  donner  aux  exacteurs  tant  pour  livre,  pour 
les  engager  à  bien  faire  et  de  leur  promettre  le  double  des  comptes 
pour  l'exaction  des  debtes  cachées  qu'ils  découvriront  eux-mêmes. 

5"  Si  on  doute  de  la  fidélité  des  exacteurs,  il  faut  nommer  pour 
surveillants  ou  contrôleurs  trois  directeurs  du  Bureau  de  Charité, 
ou  s'il  n'y  en  a  encore  point  dans  la  paroisse,  trois  des  habitants 
les  plus  zélés  et  les  plus  fidèles  ; 

6"  Quand  on  exigera  le  payement  des  legs,  on  doibt  user  d'une 
rigueur  fort  modérée  de  peur  qu'on  ne  détourne  la  bonne  volonté 
des  testateurs  qui  craindraient  qu'on  ne  causât,  pour  leurs  legs,  des 
troubles  à  leurs  héritiers. 

Ces  règles  de  conduite  adoptées  par  l'Intendant  furent  soigneuse- 
ment appliquées  et  l'on  conçoit  tout  ce  que  cet  appât  jeté  à  la  con- 
voitise produisit  de  tracasserie,  d'espionnage  et  de  délations.  On  sait 
encore  qu'il  fut  ajouté  ceci  à  savoir  que  la  moitié  des  biens  décou- 
verts serait  dévolue  au  dénonciateur. 

L'arrêt  du  5  novembre  1686  qui  permettait  aux  pasteurs  de  sortir 
de  France  avait  pourvu  à  ce  que  ces  pasteurs  ne  pussent  emporter 
ni  argent  ni  papiers  appartenant  aux  consistoires  et  des  certificats 
à  ce  sujet  devaient  leur  être  délivrés  par  les  anciens;  sans  ces 
certificats  ils  ne  pouvaient  pas  jouir  de  la  permission  qui  leur  avait 
été  accordée.  Do  la  sorte  les  anciens  demeuraient  responsables  et 
le  gouvernement  pouvait,  tout  à  son  aise,  faire  des  recherches  et 
prendre  son  temps;  il  avait  des  répondants.  Et  quand,  à  l'aide  de 
ces  recherches  de  toute  nature  qu'on  avait  le  droit  de  faire  remon- 
ter jusqu'en  1662,  on  parvenait  à  établir  qu'une  somme,  un  im- 
meuble, un  objet  étaient  devenus  la  pro[)riété  du  Consistoire,  il  fallait 
expliquer  et  justifier  comment  ils  étaient  sortis  de  sa  caisse  ou  en 
rendre  compte.  Il  est  vrai  que,  bien  souvent,  cela  devait  être  difficile. 
Nous  trouvons,  })ar  exemple,  que  dans  le  diocèse  de  Conserans,  au 
pays  de  Foix,  l'église  de  Labastide-de-Séran,  à  qui  l'on  demandait 
c(î  compte,  répondit  à  l'Intendant  que  l'on  ne  pouvait  rien  produire 
avant  1664,  «  parce  que  le  lieu  où  l'on  tenait  les  papiers  étant 
exposé  au  logement  des  gens  de  guerre,  les  uns  s'en  sont  éloignés, 
les  autres  n'ont  point  estimé  que  les  contes  leur  fussent  nécessaires 
et  pour  avoir  esté  rendus  et  clos  »  (c.  "211).  Ce  <iui  se  passait  à 
Conserans,  ou  quelque  cliose  d'analogue,  dut  aussi  se  produire 
ailleurs  et  il  fut  certainement  difficile  d'obtenir  partout  des  comptes 


MÉLANGES.  515 

réguliers.  On  dut  se  contenter  de  ce  qui  pouvait  être  fait.  On  lit  ce 
qu'on  put. 

Voici  un  fait  qui  rappelle  une  particularité  des  procédés  employés. 

L'église  de  Faugères,  près  Bédarieux,  avait  longtemps  célébré  la 
Cène  avec  des  coupes  en  verre  et  le  seigneur  du  lieu  eut  la  géné- 
reuse idée  de  donner  des  coupes  d'argent.  Après  qu'il  avait  été  par- 
ticipé à  la  communion,  on  apportait  ces  coupes  chez  M''  de  Faugères 
qui  en  était  le  dépositaire  naturel  comme  il  en  avait  été  le  dona- 
teur. En  1680  (6  janvier)  lorsqu'on  s'occupait  de  la  recherche  des 
biens  du  consistoire,  M""  de  Faugères  ne  vivait  déjà  plus  et  les  coupes 
ne  se  trouvaient  pas.  Qui  en  répondra?  La  question  fut  traitée  juri- 
diquement, et  voici  la  décision  qui  intervint  :  «  attendu  que  les  choses 
destinées  à  la  Religion  res  religioni  destinatœ  ne  peuvent  être 
vendues,  elles  n'appartiennent  à  personne,  sunt  nullicis.  Et,  en 
vertu  de  cette  décision,  la  valeur  de  ces  objets  fut  réclamée  aux 
héritiers.  Le  même  cas  se  reproduisit  plusieurs  fois  et  la  décision 
prise  pour  Faugères  fit  jurisprudence. 

Il  est  une  autre  particularité  de  ces  recherches  qu'il  faut  faire 
ressortir  pour  le  motif  qu'elle  témoigne  d'un  sentiment  très  hono- 
rable chez  nos  pères.  Nous  avons  dit  que,  dans  la  récapitulation  des 
biens  des  consistoires,  il  y  avait  une  colonne  portant  cette  désigna- 
tion :  Legs  faits  aux  pauvres.  Pour  connaître  l'importance  de  ces 
legs  on  visita  les  minutes  des  notaires;  et  ce  qui  nous  a  très  agréable- 
ment surpris,  c'est  le  grand  nombre  de  ces  legs  pieux.  Les  documents 
abondent  à  ce  sujet;  il  nous  en  serait  fourni  par  toutes  les  églises. 
Il  nous  suffira  d'en  citer  un  exemple  que  nous  prenons  non  pas  au 
hasard,  mais  parmi  beaucoup  d'autres  qui  lui  ressemblent.  Pour 
l'église  de  Vabre  de  Senegas  on  ne  trouve  pas  moins  de  quatre  cent 
soixante-sept  legs  chez  quatre  notaires  dont  trois  de  Vabre  (Poulet, 
Pierre  et  Jean  Tirefort)  et  un  de  Montredon  et  La  Bessonié  (Rodière). 
Il  ne  faut  pas  oublier  que  ces  recherches  pouvaient  remonler  jus- 
qu'à une  vingtaine  d'années,  mais  il  faut  reconnaître  aussi  que  ces 
legs,  consistant  à  peu  près  toujours  en  blés,  devaient  être  distribués 
bientôt  après  la  mort  du  testateur  et  qu'on  ne  dut,  par  consé(iuent, 
relever  que  ceux  dont  la  délivrance  n'avait  pas  été  faite.  Il  faut  sup- 
poser aussi  que  les  personnes  qui  faisaient  un  testament  n'étaient 
pas  seules  à  penser  aux  pauvres  et  (juc  beaucon|t  d'aiilres  devaient 
s'en  souvenir  avant  leur  mort. 


516  MÉLANGES. 

Il  esl  intéressant  d'indiquer  1°  comment  les  sommes  ainsi  ac- 
quises étaient  gérées,  et  2°  quel  usage  on  faisait  des  revenus  de  ces 
biens. 

La  première  de  ces  deux  questions  n'exige  qu'un  mot  de  réponse  : 
le  revenu  des  biens  confisqués  sur  les  consistoires  servait  à  payer 
des  pensions  aux  convertis  et  à  entretenir  des  écoles  destinées  à 
former  des  conversions.  Quant  à  la  gérance  des  biens,  il  y  a  ici  tout 
un  système  d'administration  qu'il  faut  étudier  avec  soin. 

Ph.  Corbière,  pasteur. 

(Suite.) 


m  PÈLERINAGE  A  CANTERBURY 

LE  CARDINAL  DE   CHATILLON 

Sous  le  tilrc  d'un  Pèlerinage  à  Canterbury,  le  journal  de  cette  ville 
du  2  août  (Canterbury  Press  and  County  news)  rend  compte  des  trois 
jours  ("25  à  27  juillet)  qu'uu  certain  nombre  des  directeurs  de  l'hôiùlal 
frauçais  de  Londres,  accompagnés  de  plusieurs  de  leurs  amis,  y  ont 
passés  à  rechercher  les  souvenirs  huguenots.  Après  avoir  examiné  les 
archives  de  l'Hôtel  de  Ville,  ils  visitèrent  le  monument  d'Odet  de  Coligny 
dans  la  chapelle  de  la  Trinité  à  la  cathédrale,  ainsi  que  les  inscriptions 
daus  hîs  cloîtres  et  le  cimetière;  les  honneurs  leur  en  furent  faits  par 
révè(iue  de  Douvres,  l'archidiacre  Harrison,  et  M.  Hall.  Ils  se  rendirent 
ensuite  à  la  hihiiolhèquc,  puis  à  l'église  de  Sainte-Croix  (jui  a  été  le 
princi|»al  lieu  de  sépulture  des  familles  huguenotes  (voir  les  savantes 
recherches  de  M.  J.  H.  Cowper  dans  les  registres  paroissiaux).  L'église 
même,  dont  M.  Kershaw,  le  bibliothécaire  de  Lambeth,  lut  une  courte 
description,  en  a  conservé  peu  de  traces,  mais  le  cimetière  est  rempli 
de  tombes  oii  figurent  des  noms  français. 

Après  quelques  autres  explorations  dans  la  vieille  cité  archiépiscopale, 
les  pèlerins  terminèrent  la  journée  du  20  par  un  repas  fraternel,  au(iuel 
participèrent  le  maire,  le  secrétaire  de  la  ville,  Taneien  maire,  l'archi- 
diacre et  quelques  amis.  Il  fut  suivi  de  quatre  lectures  qui  formèrent  le 
thème  de  discussions  intéressantes  :  Sur  l'admission  à  la  bourgeoisie  de 
la  ville,  par  M.  11.  Ilovcdeu;  le  protestantisme  calviniste  en  Allemagne 
l)ar  M.  Lamljcrl;  une   page  de  l'histoire  de   Canterbury  1685-1785  par 


MÉLANGES.  517 

M.  Kershaw  el  Odeldc  Coligiiy,  cardinal  de  Chastillon,  par  M.  Drowiiiiig, 
secrétaire  de  Fhôpital  français  de  Londres,  le  principal  proniotcnr  du 
pèlerinage. 

Le  dimanche  27,  les  visiteurs  assisièrent  au  service  de  l'église  françaisi' 
qui  se  recueille  dans  la  crypte  de  la  cathédrale.  Le  331"  anniversaire  de 
sa  fondaliou  fut  solennellement  célébré  par  un  service  liturgique  en 
français,  officiant  le  Rev.  J.  T.  Martin,  et  par  un  imporlnnt  sermon  du 
chanoine  Fremantle  sur  ce  verset  du  psaume  80:  «  rictourne,  ô  Dieu  des 
armées,  je  le  prie,  regarde  des  cieux  et  visite  cette  vigne.  »  Le  journal  du 
prolcslantisme  du  19  septembre  en  a  reproduit  les  principaux  passages. 
Avant  de  se  séparer,  quelques-uns  des  directeurs  de  l'hôpital  français  de 
Londres,  ont  demandé  au  doyen  et  au  chapitre  de  la  cathédrale  l'auto- 
risation de  faire  restaurer  à  leurs  frais  le  tombeau  actuellement  si  dé- 
gradé du  cardinal  de  Chatillon,  en  limitant  judicieusement  cette  restau- 
ration à  la  réfection  du  tombeau  selon  la  description  donnée  par  Dart 
en  1726  dans  la  monographie  de  Canterbury  :  «  une  simple  tombe  en 
briques  façonnée  comme  un  coffre  à  couvercle  arrondi,  ou  assez  sem- 
blable à  une  tombe  en  gazon,  mais  plus  élevée,  et  formée  de  briques 
recouvertes  en  plâtre  peint  couleur  plomb;  sur  le  pavé  de  l'église  repose 
le  cercueil.  »  On  y  ajouterait  seulement  le  nom  et  les  armoiries  du  car- 
dinal. 

La  lecture  de  M.  Browning  sur  Odet  de  Chatillon  était  surtout  con- 
sacrée à  sa  venue  en  Angleterre  comme  représentant  des  protestants  de 
France  et  à  sa  mort  mystérieuse  à  Canterbury.  Aj)rès  un  rapide  aperçu 
de  la  carrière  du  cardinal,  M.  Browning  a  tenu  à  s'effacer  pour  laisser 
parler  autant  que  possible  les  témoins  eux-mêmes,  en  produisant  des 
extraits  de  lettres  officielles  conservées  au  Record-Office.  Dans  celle  du 
10  septembre  1568  ILîury  Kyngesmyll,  chambellan  de  la  reine  qui  était 
allé  de  sa  part  souhaiter  la  bienvenue  à  l'illustre  exilé,  rend  compte  à 
Leicestcr  de  cette  première  entrevue  :  «  Je  l'ai  trouvé  accompagné  de 
trente  personnes,  la  principale  étant  M.  de  Lygy.  »  Cette  suite  paraissant 
trop  nombreuse  à  l'évèque  de  Londres  qui  devait  recevoir  le  cardinal, 
le  prélat  anglais  écrivit  pour  demander  a  être  déchargé  de  cet  honneur; 
sur  quoi  Sir  Thomas  Gresham,  le  citoyen  le  plus  distingué  de  la  capi- 
tale, s'offrit  généreusement  à  préparer  sa  maison  à  Rishopsgatc  el  à 
entretenir  de  son  mieux  ces  hôtes  de  la  reine. 

Le  cardinal  vint  par  eau  de  Gravescnd  à  Londres  où  il  fut  magnili- 
quement  accueilli  au  débarcadèi'C  de  la  Tour.  «  Dès  le  lendiMuain,  en 
manteau  court  et  la  rapière  au  côté,  il  se  rendit  à  cheval,  accompagné 
par  Sir  Thomas  Gresham  et  d'autres  personnes  de  distinction,  à  l'église 
française,  afin  de  témoigner  de  son  apiirobaliun  de  la  religion   |)i'otes- 


51  s  MÉLANGES. 

tante,  de  là  à  la  Bourse  de  Gornhill,  puis  à  l'église  de  Saiiit-Paul  et  re- 
tour à  la  maison  de  Sir  T.  Gresham  dans  Bishopsgate  Street.  »  Le  20  il 
fut  reçu  en  audience  solennelle  par  la  reine  qui  mit  à  sa  disposition  son 
palais  de  Shene  près  Hamptoncourt.  Il  paraît  que  l'installation  du  royal 
manoir  laissait  fort  cT,  désirer  et  qu'Elisabeth  en  conçut  un  violent 
déplaisir,  d'oîi  de  longues  lettres  d'excuses  du  grand  trésorier  lord 
Buckhurst  au  conseil  privé,  entrant  dans  les  détails  les  plus  naïvement 
circonstanciés  sur  l'insuffisance  première  de  l'ameublement  et  sur  ses 
sacrifices  personnels  pour  y  porter  remède;  de  même  du  chambellan 
Kyngesmyll,  se  disculpant  au  sujet  des  tentures  et  ustensiles  divers. 

Mais  le  plus  frappant  de  ces  documents  est,  sans  contredit,  le  rapport 
adressé  huit  jours  après  la  mort  du  cardinal  par  deux  commissaires 
chargés  d'une  enquête  spéciale  et  approfondie.  Nous  le  traduisons  en 
entier.  On  lil  au  verso  :  «  Il  ne  paraît  y  avoir  aucun  fondement  au 
soupçon  qu'il  aurait  été  empoisonné.  »  Sir  Roger  Manwood,  l'un  des 
signataires  était  «  chief  baron  of  the  Exchequer  »  et  résidait  à  Canter- 
bury. 

Qu'il  plaise  à  Vos  Seigneuries  (selon  le  bon  plaisir  de  S.  M.  et 
l'ordre  de  vos  Seigneuries)  au  retour  d'une  première  conférence 
tenue  avec  la  daiTie  de  Chastylyon,  sur  ce  qu'elle  pensait  de  la  mort 
du  lord  cardinal  Chastylyon,  par  empoisonnement  ou  non,  et  sur 
les  personnes  qui  pouvaient  être  soupçonnées,  nous  avons  trouvé 
qu'elle  attribuait  cette  mort  à  quelque  poison  lent,  aussi  i)ien  que 
le  Lord  Cardinal.  A  son  dernier  séjour  à  Londres  (le  jour  que  S.  M. 
se  rendit  au  Royal  Exchange),  la  dame  de  Chastylyon  ressentit  au 
cœur  une  soudaine  et  étrange  angoisse,  et  ne  put  se  défendre  de 
la  pensée  que  quelque  malheur  était  arrivé  au  cardinal.  Depuis 
son  retour  de  Londres,  il  n'eut  plus  jamais  la  même  santé  qu'aupa- 
ravant. Dans  tout  le  cours  do  sa  maladie,  il  se  plaignit  d'une  douleur 
brûlante  à  l'estomac.  Par  les  propos  du  médecin,  et  de  ceux  qui 
étaient  présents  à  l'ouverture  du  corps,  elle  avait  aussi  compris, 
qu'outre  la  découverte  de  certaines  taches  non  naturelles,  dans  la 
l)artie  intérieure  de  l'estomac,  le  fond  de  l'estomac  était  rongé  et 
d'une  façon  qui  s'exj)lique  moins  par  l'inflammation  de  la  fièvre  que 
perforé  par  l'effet  d'un  poison.  Quant  à  ce  qui  conceiMie  les  per- 
sonnes suspectes,  elle  ne  pouvait  en  désigner  spécialement  aucune; 
mais  le  soupçon  portait  naturellement  sur  celles  qui  avaient  accès 
pj  fonctions  auprès  de  lui. 


MÉLANGES.  519 

Là-dessus,  et  après  conférence  avec  M.  Kyngesinyll  sur  ce  qu'il 
avait  fait,  nous  trouvâmes  que  lui  à  sa  venue,  après  la  mort  du  sei^ 
gneur  cardinal,  avait  fait  ouvrir  et  examiner  toutes  les  malles, 
coffres,  et  autres  objets  appartenant  à  tous  les  visiteurs;  qu'il  n'y 
aperçut  rien  de  suspect,  et  qu'il  avait  mis  en  sûre  et  étroite  garde 
un  valet  de  chambre  qui  avait  soin  de  la  poudre  digestive  préparée 
par  le  pharmacien,  dont  le  cardinal  avait  coutume  d'user,  et  un 
autre  domestique,  pour  avoir  essayé  de  parler  à  ce  prisonnier  et 
avoir  nié  le  fait,  cela  jusqu'à  ce  qu'on  l'eût  prouvé  d'autre  façon.  — 
Ceci  fait,  nous  procédâmes  à  divers  et  sévères  interrogatoires,  par 
serment,  de  tous  les  officiers  et  autres  serviteurs  mâles,  sur  autant 
de  points  et  circonstances  que  l'on  put  imaginer,  aussi  bien  les  deux 
prisonniers  que  le  reste...  (Le  rapport  donne  en  détails  les  particu- 
larités de  la  maladie  du  cardinal  qui  lui  vint  graduellement  au 
retour  de  son  voyage  de  Londres  ;  et  après  que  son  apothicaire  eut 
essayé  divers  remèdes,  la  maladie  sembla  prendre  le  caractère  d'une 
fièvre  tierce)  qui,  malgré  des  saignées  et  autres  médications, 
continua  de  la  sorte,  par  six  ou  sept  accès,  jusqu'à  un  jour  ou  deux 
avant  sa  mort.  A  ce  moment,  paraît-il,  la  nature  était  si  affaiblie 
qu'elle  ne  pouvait  plus  supporter  d'accès;  il  mourut  alors.  Nous 
trouvons  aussi  cette  circonstance  que  nonobstant  qu'il  eût  continué 
à  se  plaindre  d'une  chaleur  brûlante  dans  l'estomac,  les  médecins, 
pendant  tout  le  temps  qu'il  vécut  encore,  ne  manifestèrent  aucun 
soupçon  d'empoisonnement  tiré  du  gontlement  ou  d'autres  caractères 
étranges;  mais  considérant  la  maladie  comme  une  fièvre  tierce 
ordinaire,  ils  conservèrent  bon  espoir  de  son  rétablissement,  et 
l'écrivirent  encore  en  France  l'avant  veille  de  sa  mort.  Nous  trou- 
vons de  plus  qu'à  l'ouverture  du  cadavre,  le  docteur  alors  présent 
ayant  trouvé  le  foie  et  les  poumons  corrompus,  a  dit  que  c'était 
merveille  que  le  cardinal  avec  des  organes  aussi  détériorés  eût  vécu 
aussi  longtemps,  et  que  s'il  ne  s'était  pas  maintenu  par  un  bon 
régime,  il  aurait  succombé  depuis  longtemps;  mais  il  ne  fut  ques- 
tion d'empoisonnement,  que  lorsque,  après  avoir  lavé  et  nettoyé 
l'estomac,  on  trouva  quelques  taches  et  le  fond  de  l'estomac  perforé, 
et  la  peau  déchirée  tout  à  l'entour,  à  ce  que  dit  voir  le  docteur.  — 
Mais  la  chose  n'était  pas  tellement  évidente  que  les  autres  assis- 
tants n'eussent  aperçu  seulement  quelques  points  dans  les  côtés  de 
l'estomac.  Ce  fut  alors  que  le  médecin  dit  en  secret  au  chirurgien, 


520  MÉLANGES. 

et  répéta  à  la  dame  de  Chastylyon  qu'il  croyait  qu'on  avait  admi- 
nistré au  cardinal  quelque  substance  corrosive  qui  lui  avait  été 
funeste.  Mais  ilaus  la  maison  ici,  il  n'y  eut  ni  bruit  ni  même 
rumeur  d'empoisonnement  jusqu'à  l'arrivée  de  M.  Kyngesmyll.... 

Le  rapport  s'occupe  ici  de  l'interrogatoire  des  serviteurs,  et 
ajoute:  —  En  dernier  lieu,  nous  trouvons  que  tous  sont  pauvres, 
et  se  lamentent  grandement  d'une  perte  qui  les  laisse  sans  emploi 
après  trente,  vingt  ou  plus  de  treize  années  de  service  et  de  dépen- 
dance absolue,  dans  l'attente  des  récompenses  et  pensions  qui  leur 
étaient  promises  au  retour  du  cardinal  en  France.  Du  reste  aucun 
de  tous  ses  domestiques  ou  officiers,  au  nombre  d'environ  quarante, 
dans  les  interrogatoires  particuliers  n'a  relevé  aucune  circonstance 
ou  indice  de  soupçon  contre  l'un  ou  contre  l'autre  ;  mais  interrogés 
séparément,  ils  ont  affirmé,  entre  autres  cboses,  que  tous  ses  servi- 
teurs le  servaient  de  tout  cœur  pour  la  prolongation  de  sa  vie,  re- 
tourner en  France  étant  tout  leur  espoir.Tous  enfin  dans  leurs  interro- 
gatoires particuliers  ont  nié  avoir  eu  aucune  privante  ou  conférence 
avec  l'Italien,  ou  d'avoir  accompli,  seuls  ou  secrètement,  avec  d'autres, 
aucun  acte  malicieux  ou  préjudiciable  à  l'égard  de  leur  maître. 
Pareillement  ceux  d'entre  eux  qui  avaient  quelque  cbarge  auprès  de 
lui,  affirmèrent  avec  larmes  et  protestations  que  si  l'un  de  leurs 
camarades  ou  quelque  autre  pouvait  leur  imputer  avec  raison, 
une  chose  quelconque  dommageable  à  leur  maître,  ils  ne  demande- 
raient ni  pardon,  ni  faveur,  mais  au  contraire  d'être  punis  à  toute 
rigueur,  soit  par  torture,  soit  autrement;  et  séparément,  ils  affir- 
mèrent que  s'ils  connaissaient  quelqu'un  qui  eût  consenti,  ou  qui 
eût  été  enclin  à  favoriser  un  tel  empoisonnement,  ils  lui  feraient 
subir  la  mort  la  plus  cruelle  pour  les  avoir  tous  compromis  par  la 
perte  d'un  si  bon  maître. 

Bien  qu'en  tout  ceci,  dans  nos  humbles  opinions,  nous  ne  trou- 
vions aucune  matière  à  suspicion  contre  aucun  des  serviteurs, 
néanmoins  après  nos  interrogatoires,  ayant  plusieurs  fois  conféré 
avec  la  dame  de  Chastylyon  et  offert  d'agir  comme  elle  désirerait 
qu'il  fût  fait,  la  trouvant  très  fixée  dans  son  opinion  que  le  lord 
cardinal  avait  été  empoisonné,  pour  les  raisons  susdites,  avec  le 
désir  qu'on  arrêtât  quelques-uns  de  ses  serviteurs  jusqu'à  ce  qu'on 
connût  l'opinion  du  seigneur  amiral  en  France,  quoi  qu'il  puisse 
advenir  par  cette  voie,  nous  avons  cru  bien  faire  en  donnant  charge 


BIBLIOGRAPHIE.  521 

et  ordre  au  maire  de  Canterbury  de  placer  dans  des  maisons  sépa- 
rées six  des  domestiques  qui  avaient  les  rapports  les  plus  familiers 
avec  le  Lord  Cardinal,  et  qui, aux  yeux  de  la  dame  de  Chaslylyon  et 
de  M.Kyngesmyll,  étaient  les  plus  compromis,  s'il  en  est  parmi  eux 
qui  justifient  le  soupçon.  Ces  six  personnes  ainsi  séquestrées,  sans 
que  l'on  permette  à  qui  que  ce  soit  d'avoir  accès  et  de  conférer  avec 
elles,  resteront  en  sûre  garde  jusqu'à  signification  du  bon  plaisir 
de  Sa  Majesté,  et  des  ordres  de  Vos  Seigneuries,  desquelles  nous 
attendrons  par  le  présent  messager  un  passe-port  pour  la  dame  de 
Cbastylyon,  afin  qu'elle  puisse  renvoyer  une  suite  d'hommes  et 
de  chevaux  inutile  et  onéreuse,  elle  surtout  étant  malade.  Cela  ainsi 
nous  prions  Dieu  de  longtemps  conserver  Vos  bonnes  Seigneuries. 
De  Canterbury,  ce  vendredi  le  30  de  mars  (1571). 
Les  très  obéissants  aux  commandements  de  Vos  Seigneuries, 

Roger  Manwood.  Tno.  Li:;ighton. 


BIBLIOGRAPHIE 


BULLETLN  DE  LA  SOCIETE  D'HISTOIRE  VAUDOISE 

N»  1,  mai  188i. 

Nous  annoncions  (p.  40  et  477)  le  Bulletin  de  la  Commission 
pour  l'Histoire  des  Églises  Wallonnes,  qui  se  relie  à  nos  annales 
protestantes  par  les  grands  souvenirs  du  Refuge.  C'est  avec  un  intérêt 
non  moins  sympathique  que  nous  avons  appris  la  formation  de  la 
Société  dliisloire  Vaudoise  que  tant  de  liens  unissent  à  la  nôtre, 
et  qui  a  aussi  un  Bulletin  pour  organe.  Le  but  que  se  propose  la 
Société  dont  le  D'  Rostan  a  pris  l'initiative  est  très  bien  exposé  dans 
les  lignes  suivantes  : 

«  L'histoire  religieuse  de  nos  Vallées,  dit  le  D'  Long,  se  partage 
en  trois  périodes  :  1°  Depuis  l'introduction  du  Cluistianisihe  jusqu'à 
l'arrivée  des   dis^ciples  de  Valdo;  2''  Depuis   Viddo  (1100)  jusiprà 


522  BIBLIOGRAPHIE. 

l'émancipation  des  Vaudois  (17  février  1848);  3°  Période  contem- 
poraine. 

»  1°  Malgré  les  recherches  faites  par  Gilly  et  d'autres  sur  Fiiilro- 
duction  du  christianisme  dans  les  Alpes  Cottiennes,  il  resle  bien  des 
questions  à  résoudre  à  cet  égard.  Qui  sont  ceux  qui  ont  introduit  le 
christianisme  dans  ce  coin  de  l'Italie?  Sont-ce  des  réchappes  de  la 
légion  Thébaine,  ou  des  persécutés  des  premiers  siècles  qui  ont 
trouvé  un  refuge  dans  ces  Vallées  alors  couvertes  d'épaisses  forêts  ? 
(Voir  les  articles  de  la  Buona  Novclla,  première  année).  Tout  ce 
qui  se  rapporte  à  l'histoire  religieuse  des  habitants  avant  l'arrivée  des 
disciples  de  Valdo  ne  peut  qu'intéresser  notre  Société. 

»  2°  La  période  qui  va  de  1190  à  1848,  embrasse,  au  fond,  toute 
l'histoire  Vaudoise  proprement  dite.  On  comprend  qu'elle  doive 
nécessairement  se  partager  en  époques  partielles  qui  auront  chacune 
leur  dossier  aux  archives  de  la  Société. 

»  Il  sera  tout  d'abord  convenable  de  se  procurer  des  copies  soi- 
gneusement collationnées  des  manuscrits  vaudois  existant  dans  les 
bibliothèques  de  Cambridge,  Dublin  et  Genève. 

»  La  Société  s'efforcera  de  se  procurer  le  plus  grand  nombre  pos- 
sible des  sources  manuscrites  ou  imprimées  auxquelles  ont  puisé  nos 
historiens,  tout  spécialement  M.  A.  Muston  qui,  grcâce  à  un  zèle 
patient  et  persévérant,  est  arrivé  à  réunir  plus  de  sources  qu'aucun 
autre  n'eût  fait  avant  lui  (Voir  sa  bibliographie  à  la  fin  du  4'  vol.  de 
l'Israël  des  Alpes). 

y>  A  côté  de  ce  travail  de  collection  des  sources  et  travaux  connus, 
il  reste  un  travail,  plus  attrayant  peut-être,  la  découverte  des  docu- 
ments qui  ont  été  ignorés  par  nos  devanciers.  Chaque  année  amène 
à  lalumière  quelque  procès  de  l'inquisition,  quelque  document,  offi- 
ciel ou  non,  gisant  dans  les  archives  de  l'État  ou  dans  quelque  biblio- 
thèque publique  ou  particulière. 

»  Le  champ  à  explorer  est  vaste  vu  que,  observe  le  Doct.  R.,  dès 
l'année  1320  les  Vaudois  ont  des  colonies  dans  la  Provence,  dans  la 
vallée  du  Po  (Biollet,  Biétoné,  Pravillelni),  dans  la  vallée  de  Suse  et 
dans  la  Calabre.  Peu  après  la  Réformation,  ils  occupent  tout  le  Val 
Cluson,  le  haut  de  la  vallée  d'Oulx,  plusieurs  villes  et  villages  dans 
la  province  de  Coni  et  même  de  Turin,  sans  compter  les  vallées 
situées  sur  le  versant  occidental  des  Alpes  et  les  trois  qu'ils  n'ont 
jamais  quittées  si  ce  n'est  lors  de  l'exil  de  168G. 


BIBLIOGRAPHIE.  523 

»  L'exil  lui-même  a  donné  naissance  aux  colonies  du  Wurtemberg, 
de  la  Hesse  et  de  la  Prusse,  dont  Tliistoire  a  été  écrite  parles  auteurs 
allemands  (Moser,  Dieterici,  etc.). 

»  3°  L'histoire  contemporaine  est  divisée  par  le  Doct.  R.  en  trois 
parties  :  histoire  des  Vallées  proprement  dites,  histoire  de  l'Evangé- 
lisation  et  histoire  des  Colonies.  Pour  le  moment  la  Société  n'aurait 
qu'à  se  pourvoir  d'un  exemplaire  de  toutes  les  publications  parues 
ou  à  paraître  et  offrant  un  intérêt  pour  l'histoire  :  actes  des  Synodes, 
rapports  divers,  collections  de  journaux,  etc.,  etc.  ». 

Le  premier  numéro  du  Bullelin  ne  se  borne  pas  à  nous  donner  le 
programme  des  futurs  travaux  de  la  Société.  Il  contient  plusieurs 
articles  de  géographie  et  d'histoire  qui  en  sont  comme  les  prémices. 
On  y  remarquera  une  lettre  fort  intéressante  de  M.  Jean  Pons  sur  les 
anciennes  localités  de  la  Calabre  occupées  par  les  Vaudois,  et  notam- 
ment sur  la  station  de  la  Guardia  consacrée  par  de  si  touchants 
souvenirs;  une  patente  d'Anne  d'Orléans  aux  1716  Vaudois  qui  pré- 
férèrent, en  1686,  l'exil  à  l'abjuration;  enfin  une  note  sur  l'origine 
toute  française  des  deux  plus  anciennes  histoires  des  Vaudois,  aux- 
quelles restent  attachés  les  noms  de  Perrin  et  de  Gilles.  On  ne  peut 
qu'applaudir  aux  doctes  investigations  qui  ouvriront  de  nouvelles 
perspectives  sur  l'origine  et  les  vicissitudes  des  antiques  églises 
unies  à  celles  de  France,  dès  les  premiers  jours  de  la  Réformation, 
par  la  communauté  des  épreuves.  En  nommant  M.  Alexis  Muston 
pour  son  président  honoraire,  la  Société  a  rendu  un  juste  hommage 
à  l'historien  quia  le  plus  fait  de  nos  jours  pour  populariser  ces  nobles 
études  et  qui  en  demeure  le  vénéré  doyen. 

J.  B. 


HISTOIRE  DU  CANADA  ET  DES  CANADIENS  FRANÇAIS 

Par  Eug.  Réveillaud 

1  volume  in-8".  Paris,  1884.. 

Je  rendais  compte,  il  y  a  bien  des  années  (BulL^  t.  XTV,  p,  387) 
de  l'excellent  ouvrage  de  M.  Astier  :  Histoire  de  la  république  des 


524  BIBLIOGRAPHIE. 

États-Unis,  précédée  d'une  introduction  de  M.  Laboulaye,  et  je 
rappelais  les  efforts  de  Coligny  pour  fonder  des  établissements 
durables  au  Brésil,  en  Floride.  Un  moment  on  put  croire  au  succès  : 
a  Les  émigrants  furent  charmés  de  trouver  un  pays  dont  le  climat 
leur  rappelait  si  bien  celui  de  la  patrie.  Ils  admirèrent  les  beUes 
forêts  de  mûriers,  se  hâtèrent  de  prendre  des  chenilles  pour  des 
vers  à  soie,  et  i)ientôt  la  Floride  eut  sa  Seine,  sa  Loire  et  sa  Ga- 
ronne. »  Temps  bien  court!  La  discorde  ruina  l'œuvre  naissante, 
et  la  tentative  de  Laudonnière  n'eut  pas  plus  de  succès  que  celle  de 
Ribaut,  par  suite  de  la  violente  opposition  des  Espagnols  et  de  la 
coupable  indifférence  du  gouvernement  français. 

La  pensée  de  Coligny  n'en  demeurait  pas  moins  grande  et  l'abbé 
Raynal,  dans  son  Histoire  philosophique  du  commerce  des  Euro- 
péens, lui  a  rendu  pleine  justice.  «  Que  fut-il  advenu,  dit  à  son 
tour  M.  Piéveillaud,  si,  à  l'exemple  des  puritains  d'Angleterre,  les 
huguenots  français  avaient  accompli  un  libre  exode  vers  cette  terre 
promise  de  la  liberté  de  conscience?  Supposez  qu'au  temps  de  la 
révocation  de  l'édit  de  Nantes,  au  lieu  d'être  dispersés  sur  toutes 
les  plages  de  l'Angleterre,  de  la  Hollande,  de  la  Prusse,  dans  tous 
ces  pays  qu'ils  contribuèrent  à  enrichir  et  à  fortifier,  —  supposez 
qu'ils  eussent  été  libres  de  se  rendre,  avec  la  certitude  d'y  trouver 
déjà  des  frères  de  môme  langue  et  de  même  foi,  dans  cette  nouvelle 
France  protestante  que  Coligny  s'était  proposé  de  fonder,  quelle 
n'eût  pas  été  la  moisson  d'une  telle  semence  en  cette  terre  vierge 
d'Amérique?  Quels  développements  n'eût  pas  pris  ce  jeune  peuple, 
formé  de  l'élite  du  nôtre  et  grandissant  dans  cette  atmosphère  de 
liberté,  de  Self-goverument  que  crée  partout  où  il  passe  le  souffle 
vivifiant  de  l'Evangile  !  Le  phénomène  qui  sera  probablement  le 
fait  capital  de  ce  siècle,  la  croissance  vertigineuse,  la  prospérité 
toujours  ascendante  des  Etats-Unis  d'Amérique,  n'eut  pas  laissé 
de  se  produire;  seulement  au  lieu  d'avoir  été  coulée  dans  le  moule 
anglo-saxon  toujours  un  peu  fruste,  la  républi(iue  américaine  au- 
rait reçu  l'empreinte  et  reproduit  l'effigie  de  la  nationalité  fran- 
çaise; c'est  à  notre  race  qu'eût  appartenu  l'hégémonie  du  nouveau 
monde;  pour  tout  dire  en  deux  mots,  l'Amérique  du  Nord,  au  lieu 
d'être  dans  son  ensemble  anglaise  de  race  et  de  langue,  serait  au- 
jourd'hui, dans  sa  presque  totalité,  un  pays  français.  Ainsi  l'avait 
rêvé  Culigny,  et  nous  ne  dirons  jamais  assez  quel  malheur  ce  fut,  au 


BlBLIOGnAPHIE.  525 

point  de  vue  français,  que  ses  patriotiques  visées  ne  soient  pas 
devenues  une  réalité.  » 

Tel  est  le  rêve  dont  l'amer  regret  inspire  plus  d'une  page  élo- 
quente à  M.  Réveillaud.  Les  essais,  interrompus  par  les  guerres 
de  religion,  se  renouvellent  encore  aux  premières  années  du 
XVII''  siècle,  et  ce  sont  des  huguenots  qui,  sous  la  conduite  de  Pierre 
Du  Gua,  sieur  de  Monts,  fondent  les  premiers  établissements  de 
l'Acadie  et  du  Canada  (1603-1608),  Ils  espéraient  jouir  en  paix 
de  cette  liberté  de  conscience  qui,  malgré  l'édit  réparateur  de 
Henri  IV,  était  encore  si  imparfaitement  reconnue  et  si  peu  pra- 
tiquée dans  leur  patrie.  Ils  n'avaient  pas  prévu  l'arrivée  des  jésuites 
qui  arrachèrent  à  Richelieu  un  arrêt  d'exclusion  contre  les  protes- 
tants déjà  établis  dans  ces  lointaines  contrées.  Le  premier  fruit  de 
cette  politique  fut  la  conquête  du  Canada,  au  profit  de  l'Angleterre, 
par  ces  mêmes  Français  exclus  du  sol  qu'ils  avaient  défriché;  con- 
quête qui  ne  fut,  il  est  vrai,  que  passagère,  mais  qui  en  présageait 
une  seconde  rendue  définitive  par  l'aveugle  intolérance  dont  les 
conseils  de  la  monarchie  se  montraient  de  plus  en  plus  animés. 
L'héroïsme  de  Montcalm  ne  suffit  pas  à  écarter  la  catastrophe  ([ui 
fit  irrévocablement  passer  aux  mains  de  l'Angleterre  une  colonie 
toute  française,  dont  la  fidélité  à  la  langue  de  son  ancienne  pairie 
est  un  des  plus  touchants  phénomènes  de  l'histoire.  M.  Réveillaud 
a  su  retracer  avec  une  chaleur,  une  émotion  communicative,  les  di- 
verses phases  historiques  dont  les  péripéties  offrent  un  poignant 
intérêt,  et  on  ne  peut  que  s'associer  aux  généreuses  conclusions  d'un 
livre  qui,  par  la  clarté  du  récit,  la  nouveauté  des  aperçus,  mérite 
de  trouver  de  nombreux  lecteurs,  parmi  ceux-là  surtout  qui  se 
préoccupent  de  Tavenir  colonial  de  notre  pairie.  Si  l'histoire  est, 
comme  l'a  dit  un  ancien,  une  institutrice  de  la  vie,  «  magistra 
vitœ  »,  les  destinées  du  Canada  nous  offrent  plus  d'une  leçon  qui 
ne  doit  pas  être  perdue.  C'est  l'honneur  de  M.  Réveillaud  de  les 
avoir  recueillies  sur  les  lieux  même,  et  exposées  avec  autant  de 
largeur  (juc  de  patriotisme. 

J.  B. 


CORRESPONDANCE 


UNE  RECTIFICATION 

Cher  monsieur, 

Dans  le  Bulletin  du  15  avril  1883,  nous  avons  eu  l'honneur  de  décrire 
un  méreau  inédit  de  la  Communion  réformée.  Le  lieu  de  provenance  et 
la  lettre  R  qui  figure  sur  cette  pièce,  nous  ont  fait  croire  qu'elle  appar- 
tenait à  iîoJHrtîîS,  petit  bourg  situé  à  17  kilomètres  de  Niort;  nous  ne 
raflirmions  pas  cependant,  car  en  terminant  notre  article,  nous  disions: 
«  Comme  on  vient  de  le  voir,  nous  avons  attribué  ce  méreau  à  l'ancienne 
église  de  Romans,  disparue  aujourd'hui,  sans  avoir  pour  cela  de  données 
absolument  positives.  Nous  avouons  même  que  la  lettre  R,  initiale  du 
nom  de  l'église,  nous  met  dans  un  certain  embarras  »,  etc.,  etc. 

Il  résulte  de  renseignements  que  nous  devons  à  l'obligeance  de 
monsieur  1).  Charruaud,  président  honoraire  du  Consistoire  et  de  la  ligue 
de  l'enseignement  des  Deux-Sèvres,  que  le  méreau  dont  nous  avons 
donné  la  description  n'a  pas  appartenu  à  iiomwns,  mais  bien  à  l'ancienne 
église  de  Régné. 

La  haute  compétence  en  pareille  matière  de  monsieur  Charruaud, 
qui  pendant  vingt-cinq  ans  a  exercé  les  fonctions  de  ministre  à  Saint- 
Maixent,  ne  nous  permet  pas  d'hésiter  un  seul  instant  sur  la  provenance 
(pi'il  donne  à  notre  pièce  ;  aussi  nous  faisons-nous  un  devoir  de  rectifier 
l'attribuliou  première  donnée  au  méreau  que  nous  avons  décrit  en  le 
restituant  à  l'église  de  Régné. 

Voici  à  l'appui  de  noire  rectification,  (luehjues  renseignements  histo- 
ri(|ucs  (jue  monsieur  (Charruaud  a  bien  voulu  encore  nous  donner,  ce 
dont  nous  1(!  remercions  sincèrement. 

11  n'y  a  jamais  (ui  d'église  à  Romans  et  jamais  non  plus  il  n'y  a  eu  de 
temple.  Mais  il  y  avait  un  temple  à  Régné,  ou  jdutôt,  il  n'y  avait  pas  de 
temple  à  Régné  même,  mais  il  y  avait  une  église  qui  s'appelait  de  ce 
nom  et  dont  le  temple  était  àMiaiirag,  tout  in'és  de  Romans.  Ce  temple 
l'ut  démoli  le  i  mai  17(17. 


CORIIESPONDANCE.  527 

En  1750,  lors  de  la  querelle  entre  Pelissicr  et  Gounon,  Gomain  qui 
pacifia  les  églises  en  opérant  le  partage  du  service,  forma  quatorze  églises 
consistoriales,  dont  Régné.  Gomme  Romans  dépendait  de  cette  église  de 
Bégné,  il  n'est  pas  étonnant  que  la  tradition  populaire  ait  confondu,  et 
dit  :  Temple  de  Romans,  d'autant  plus  qu'il  touchait  à  ce  village;  mais 
son  nom  est  bien  :  temple  de  Miauray,  église  de  Ré(/né. 

Je  vous  serai  reconnaissant,  cher  monsieur,  de  publier  cette  rectifica- 
tion dans  le  Bulletin  et  je  vous  prie  d'agréer  l'expression  de  mes  meil- 
leurs sentiments, 

Emmanuel  Delorme. 


TOMBEAU  DE  COURT  DE  GEBELIN 


Monsieur  le  rédacteur. 

Je  viens  d'acquérir  d'un  libraire  de  Paris  une  gravure  de  vingt  centi- 
mètres de  large  sur  onze  centimètres  et  demi  de  haut,  représentant  le 
Tombeau  de  Court  de  Gébelin  transporté  à  Franconville  et  inhumé 
dans  les  jardins  de  Mme  la  cointesse  d'Albon  le  iO  juillet  ibSï.  Au  has 
de  la  gravure,  à  gauche,  on  lit  ces  mots  :  F.  M.  Deliissy,  px.  ;  et  à 
droite,  ceux-ci  :  L.  P.  Sep.  sit.  ;  c'est  le  nom  du  peintre  et  du  graveur.  La 
pierre  tumulaire  a  la  forme  d'un  cube  rectangulaire,  dont  la  face  supé- 
rieure est  oblique  et  présente  au  regard  du  spectateur  un  petit  cercueil, 
taillé  en  relief.  Elle  est  placée  entre  quatre  colonnes  ruinées,  à  plusieurs 
assises.  Devant,  se  voient  deux  femmes  debout,  habillées  de  longues 
robes  à  l'antique.  L'une,  tournée  du  côté  du  tombeau,  le  conlemplc 
silencieusement  dans  l'attitude  de  la  douleur;  l'autre,  regardant  le 
spectateur,  étend  le  bras  gauche  et,  les  yeux  levés  au  ciel,  déplore  la 
mort  du  défunt.  Le  tout  est  encadré  d'arbres  de  diverses  grandeurs. 
Gourt  de  Gébelin  est  mort,  d'après  La  France  protestante,  le  10  mai 
1784.  11  paraîtrait  donc,  d'après  la  légende  de  la  gravure,  que  ses  restes 
furent  d'abord  inhumés  dans  un  cimetière  de  Paris,  puis  transportés 
dans  les  jardins  de  la  comtesse  d'Albon.  Quoiqu'il  en  soit,  il  serait 
intéressant,  un  siècle  s'étant  exactement  écoulé  depuis  la  moi't  du  lils 
d'Antoine  Court,  de  s'enquérir  si  sa  tombe  existe  encore.  Franconvillc- 
la-Garenne  est  un  bourg  du  département  de  Seine-et-Oise,  canton 
d'Enghien,  à  cinq  lieues  nord-ouest  de  Paris.  Il  est  situé  dans  la  partie 
la  plus  agréable  de  la  vallée  dite  de  Montmorency  et  environné  do  belles 
maisons  de  campagne  et  d'un  beau  parc.  11  semble  (ju'il  sei-ait  aisé  de 
retrouver,  si  le  temps  ne  l'a  pas  détruit,  le  tombeau  de  notre  illustre 


5:28  VA  Kl  A. 

conHipionnairc.  Les  services  aussi  éminents  que  désintéressés  qu'il  a 
rendus  à  nos  églises  sous  la  croix  en  font  mémo,  ce  nous  semble,  un 
devoir  à  ceux  que  leurs  loisirs  ou  la  proximité  des  lieux  metteul  à 
même  de  pouvoir  se  livrer  ù  une  recherche  d'un  si  louchant  et  si 
haut  intérêt. 

E.  Arnaud. 

Crest,  le  ti-2  octobre,  1884. 


VARIA 

FÊTE   DE  LA   liÉFORMATION 

Nous  ne  pouvons,  à  l'heure  qu'il  est,  rendre  compte  de  la  manière 
dont  cette  fête  a  été  célébrée  cette  année.  Les  renseignements  ne  nous 
parviendront,  sans  doute,  que  lorsque  ce  numéro  du  Bulletin  aura  paru. 
Nous  savons  toutefois  que  les  souvenirs  et  les  leçons  du  passé  ont  été 
évoqués  le  dimanche  2  novembre  dans  toutes  nos  églises  de  Paris,  au 
service  ordinaire.  Un  service  extraordinaire  a  môme  été  célébré  le  sa- 
medi l'^''  novembre  dans  quelques  temples  de  l'Église  de  la  Confession 
d'Augsbourg  et  dans  deux  temples  de  l'Église  réformée,  ceux  de  l'Étoile 
et  de  lioulogne-sur-Seine.  A  l'Étoile,  M.  le  pasteur  Bersier  a  entretenu 
un  immense  auditoire  des  Galériens  pour  la  foi.  A  Boulogne,  on  venait 
(l'ériger  sur  la  place  de  l'ancienne  mairie,  et  grâce  à  la  munificence  du 
ministère  des  Beaux-Arts,  une  slalue  à  Bernard  Palissij;  c'est  le  beau 
bronzf^  de  Barrias  dont  un  premier  exemplaire  a  été  dressé  naguère  au 
milieu  du  sipiare  Saint-Germain-des-l'rés  d(!  Paris.  La  pose  de  ce  monu- 
ment n'ayant  été  la  cause  d'aucune  solennité,  on  profita  des  I"  et  2  no- 
vembre pour  faire  connaître  le  célèbre  potier  dans  deux  conférences  au 
cours  desquelles  furent  cités  des  documents  peu  ou  point  connus  sur  la 
Ligue  à  i'aris  et  aux  environs. 

llàtons-nous,  puisque  nous  parlons  de  la  Fête  de  la  Réformation,  de 
réparer  une  regrettable  omission  sur  la  liste  des  Églises  qui,  en  1.S.S3, 
collecteront  ce  jour-là  pour  notre  Société  (voir  le  Bulletin  du  mois 
d'octobre  dernier)  :  l'Eglise  de  NImes  aurait  dû  y  figurer  pour  une  somme 
de  600  francs. 


Le  Gérant  :  Fisciibacher. 


BoURLOToN.  —  Iniprimciies  rciinies,  B. 


SOCiÉTÉ  DE  L'HISTOIRE 


DU 


PROTESTANTISME  FRANÇAIS 


ETUDES   iîlSTOIlIQUES 


JEAN  L'ARCHER 

MINISTRE    A    HÉRICOURT 

1563-15881 

Que  pouvaient  faire  les  pasteurs  de  Montbéliard  pour  ré- 
sister efficacement  à  leur  adversaire,  sinon  s'attaquer  à  sa 
personne  en  rendant  publique  la  lettre  écrite  au  printemps 
de  1565  par  la  classe  de  Neûchatel  au  maire  de  Montbéliard, 
Antoine  Carrav,  sur  la  «  doctrine,  vie  et  conversation  »  de 
l'ancien  pasteur  de  Cortaillod-? 

C'est  à  cette  extrémité  qu'ils  en  vinrent  dans  l'ardeur  de  la 
lutte.  Apparemment  L'archer  nia  la  vérité  des  accusations 

1.  Voir  le  dernier  numéro  du  littUetin,  p.  ASl. 

2.  Cette  lettre  a  été  vainement  recherchée  par  M.  Gagnebiri.  Nous  Pavons 
recherchée  nous  mêmes  aux  Archives  de  la  mairie  de  Montbéliard,  à  Ucsançon  et 
cà  Vesoul,  mais  en  vain.  Il  est  probable  qu'elle  est  perdue,  mais  on  en  retrouve 

la  substance  dans  la  lettre  du  18  août  1570  reproduite  ci-après. 

XXXI II.  —  'SI 


530  JEAN  l'archer 

dirigées  contre  lui  dans  cette  lettre,  et  le  Conseil  de  régence 
se  vit  obligé  d'en  écrire  à  ladite  classe  de  Neuchàtel,  en  même 
temps  que  les  pasteurs  du  comté  déléguaient  auprès  d'elle  le 
diacre  André  Floret,  dans  le  but  de  s'assurer  de  la  vérité  de 
ces  accusations  et  de  demander  à  la  classe  de  les  confirmer 
par  des  preuves  et  par  une  déclaration  solennelle. 

La  déclaration  de  la  classe  de  Neuchatel,  assemblée  en 
séance  extraordinaire  à  ce  sujet,  ne  fut  certes  pas  llatteuse 
pour  L'archer.  La  voici  tout  entière,  telle  qu'elle  est  donnée 
par  U.  Gagnebin  : 

«  Tres-chers  et  hounorez  frères,  nous  avons  entendu  de  maistre  André 
Floret,  diacre  de  Montbéliard,  la  charge  qu'il  avoit  de  vostrc  part  de 
conférer  avec  nous  touchant  certaines  lettres  escriptes  par  M"'  Guillaume 
Philippin  nostre  cher  frère  et  soubzsignées  par  nostre  bon  père  M''^  Guil- 
laume Farel  de  bonne  raemoyre  et  par  les  jurez  de  nostre  assemblée 
pour  et  au  nom  de  toute  la  classe,  qui  concernent  la  doctrine,  vie  et  con- 
versation de  Jean  L'archer.  Et  avons  aussi  receu  lettres  tant  de  Monsg' 
le  Gouverneur,  chancelier  et  conseillers  de  Montbéliard  que  de  nostre 
frère  M"  Pierre  Toussain,  par  lesquelles  sommes  priez  de  vous  advertir 
et  asseurer  tant  du  contenu  audit  escript,  que  de  ce  que  nous  pourrions 
scavoir  de  la  doctrine,  vie  et  conversation  dudit  1/arcber.  Et  ce  d'autant 
qu'en  ce  faict  il  est  question  de  la  gloire  de  Dieu  et  édification  de  ses 
Eglises,  ceia  a  esmcu  les  frères  de  ceste  classe  de  s'assembler  extraordi- 
nairenient  afin  de  adviser  à  ceste  affaire.  Ayant  donc  par  ensemble  con- 
sidéré et  diligemment  pesé  toutes  choses,  ilz  m'ont  donné  charge  de 
vous  OHcrirc,  (ju'ilz  ne  trouvent  guères  bon  que,  ayans  cogneu  le  per- 
sonnage et  estans  advertis  tant  de  sa  doctrine  que  de  sa  vie  et  conversa- 
tion, voyans  aussi  qu'il  n'apportait  tesmoignage  de  la  compagnie  de 
ceux  entre  ]es(iuclz  par  ordre;  il  avoit  esté  receu  et  sans  ordre  ne  dcvoit 
s'en  départir,  ne  de  son  Eglise  laquelle  comme  mercenaire  il  délaisse! t 
estant  lié  et  obligé  à  icelle  jusqu'à  ce  que  légitimement  il  en  fust  deslié, 
néantmoins  l'ayant  receu  et  admis,  dont  maintenant  vous  en  recevez  tel 
fruict  en  salaire  qui  vous  avoit  esté  prédit.  Car  vous  pouviez  bien  penser, 
frères,  que  celui  (pii  ne  vaudra  rien  vers  nous  et  entre  nous,  a  grande 
peine  qu'il  soit  homme  de  bien  ailleurs.  De  sorte  que  vous  voyez  eu  lui 
vérifié  ce  que  dit  le  commun  proverbe,  cœliim  non  animum  mutant  qui 
trans  mare  currunt.  Et  que  quant  à  ces  lettres  qui  furent  envoyées,  il 
y  a  cinq  ans  passez  à  iMons'  Carray  par  Mons'  Farel  nostre  bon  pèi'e  et 


MINISTRE  A  HÉRICOURT.  531 

aultres  de  noz  frères,  nous  les  estimons  si  fermes  et  authentiques, 
qu'elles  ne  pourroyent  cstre  davantage  corroborées  ni  autliorisécs  par 
nous,  sinon  que  nous  voulussions  cnfraindre  et  révoquer  en  doute  la 
fidélité  et  preudhommie  de  nostre  bon  père  et  de  noz  frères  qui  au  nom 
delà  classe  les  ont  escrites  et  soubzsignées.  Toutesfois  d'autant  que  vous 
avez  escript  que  ceci  concerne  la  gloire  de  Dieu  et  la  tranquilité  et  repos 
de  vos  Eglises  que  ce  brouillon  veut  troubler,  nous  avons  bien  voulu 
acquiescer  à  vostre  requeste  en  conformant  le  contenu  audit  escript. 
Et  mesme  nous  envoyons  la  copie  de  sa  recantation  soubzsignée  de  sa 
propre  main,  touchant  ceste  belle  rapsodie  des  conciles  qu'il  a  faict 
mettre  en  lumière,  oîi  vous  pourrez  voir  ce  que  dit  le  poète  :  et  criminc 
ah  uno,  etc.  Avec  ce  aussi  la  copie  des  censures  de  M.  Pierre  Viret  sur 
le  mesme  livre,  laquelle  ledit  L'archer  a  approuvée  et  soubzsignée  ayant 
promis  de  faire  imprimer  sa  recantation  afin  d'oster  le  scandale  qu'il 
avoit  donné  au  grand  préjudice  de  la  vraye  religion  chrestienne,  ce  qu'il 
n'a  faict  jusqu'tà  présent.  Item  des  lettres  escriptes  à  feu  notre  frère 
iM.  Antoine  Thomassin,  où  vous  pourrez  voir  quelque  chose  de  ces 
bizarres  opinions.  Voilà,  frères,  ce  que  nous  avons  pu  faire.  Nous  prions 
notre  Seigneur  qu'il  vous  vueille  si  bien  conduire  et  addrcsser  par  son 
esprit  que  le  tout  redonde  à  son  honneur  et  gloire,  au  bien,  édification 
et  tranquilité  de  son  Eglise.  Nous  avons  rescript  à  Mons""  le  Gouverneur 
et  Conseil  de  Montbeliard  pour  ce  mesme  faict,  leur  adressans  le  tout, 
qui  sera  l'endroit  oii  après  nous  estre  recommandez  à  vos  sainctes  prières, 
nous  prions  l'Eternel  qu'il  vous  ait  en  sa  saincte  et  digne  garde.  De  Neuf- 
chastel  ce  18  d'aoust  1570.  Vostre  frère  et  bon  ami  D.  Chailiet,  Doyen, 
par  commandement  et  au  nom  de  toute  la  classe. 

Assiii^ément  cetlc  lettre  où  L'archer  était  traité  de  brouil- 
lon et  d'homme  de  rien,  n'était  pas  de  nature  à  lui  rendre  les 
sympathies  et  l'estime  de  ses  collègues.  Quant  à  celle  qui  lut 
adressée  pour  le  môme  fait  au  Conseil  de  régence,  et  dont  le 
contenu  devait  être  ta  peu  près  identique,  elle  manqua  com- 
plètement son  but.  Dès  l'année  suivante  1571,  sur  la  lin  de 
juillet,  Jacques  Andreœ,  cliancelier  de  l'université  de  Tubin- 
gen  et  un  autre  théologien  allemand  du  nom  de  Chrislophe 
Binder,  vinrent  de  la  i)art  des  })rinces  curateurs,  les  mar- 
graves deBrandebourg-Anspach  et  de  Bade,  visiter  et  inspecter 
les  églises  de  la  Principauté.  Les  instructions  ((u'ils  avaient 
reçues  portaient  de  tout  l'aire  pour  maintenir  «  la  saine  doc- 


532  JEAN  l'archer 

Irine  »,  c'esl-à-dirc  le  lulliéranisme,  et  extirper  les  opinions 
de  Calvin,  de  Farel  et  de  Zwingle^  Leur  première  démarche 
fut  de  s'informer  auprès  de  personnes  qui  leur  avaient  été 
indiquées  comme  «  pures  dans  la  doctrine  »  et  au  nombre 
desquelles  était  L'archer,  de  celle  que  professaient  les 
ministres  du  pays  et  particulièrement  les  deux  Toussain. 
Bientôt  ils  apprirent  qu'avant  leur  arrivée  Pierre  Toussain 
avait  engagé  tous  les  pasteurs,  à  l'exception  des  seuls  L'ar- 
cher et  Pierre  de  Toux,  Tullius,  d'Allanjoie,  à  signer  un  acte 
qu'il  avait  rédigé  lui-même  et  portant  qu'ils  refuseraient  tous 
de  se  laisser  examiner  par  les  théologiens  wurtembergeois, 
qu'ils  persisteraient  dans  les  anciens  usages  et  rites  ecclésias- 
tiques, et  par  suite  n'accéderaient  pas  sur  cet  article  aux 
prescriptions  de  l'Ordonnance  de  1568.  L'examen  en  question 
n'eut  pas  moins  lieu  dans  les  premiers  jours  du  mois  d'août, 
à  Montbéliard,  en  présence  de  commissaires  politiques,  du 
biulli  du  comté,  Guillaume  Kranlz,  et  du  chancelier  Vogel- 
mann.  Pierre  Toussain  refusa  courageusement  de  comparaître 
devant  ce  tribunal.  Son  fils  Daniel  qui  le  suppléait  depuis  un 
au  dans  ses  fonctions  de  pasteur  fut  examiné  le  premier, 
principalement  sur  l'article  de  la  Gène,  et  il  aflirma  haute- 
ment ses  opinions  calvinistes ^  Tous  les  ministres  furent 
ensuite  examinés  sur  les  trois  points  suivants  :  le  contenu  des 

1.  La  luUc  entre  minnlenant  dans  une  phase  nouvelle.  La  question  des  rites 
va  se  compliquer  de  la  question  de  doctrine. 

2.  On  sait  que  la  divergence  entre  Luther  d'un  côté,  Calvin  et  Farel  de  l'autre, 
portait  principalement  sur  la  Sainte-Cène.  D'après  Luther  qui  s'en  tenait  stric- 
tement aux  paroles  de  l'institution  et  les  prenait  à  la  lettre,  la  cliair  et  le  sang 
étaient  réellement  et  substantiellement  présents  dans  le  pain  et  dans  le  vin 
pour  tous  ceux  qui  participaicut  à  la  Cène,  même  pour  les  indignes  et  les  impies. 
D'après  Calvin  et  Farel,  Christ  étant  au  ciel  depuis  son  ascension  ne  pouvait 
être  matériellement  présent  dans  le  pain  et  le  vin  de  la  Gène.  Sa  présence  ne 
devenait  sensible  à  l'individu  qui  participait  au  sacrement,  qu'autant  que  cet 
individu  avait  la  foi  et  par  la  foi  s'élevait  jusqu'au  Christ  glorifié  L't  assis  à  la 
droite  de  Duie.  C'était  tout  au  plus  une  présence  spirituelle,  n'ayant  rien  de 
commun  avec  une  présence  réelle  et  corporelle.  Enfin,  pour  Zwingle,  la  Cène 
n'était  qu'un  simple  mémorial  do  la  mort  de  Christ. 


MINISTRE   A   IIÉRICOURT.  533 

confessions  d'Aiigsbourg  et  de  Wurtemberg,  l'accord  de 
Luther  et  de  Bucer,  et  les  articles  de  l'Ordonnance  ecclésias- 
tique de  1568,  particulièrement  ceux  traitant  du  baptême  et 
de  la  Ste-Cène.  La  plupart  d'entre  eux  déclarèrent  adhérer  et 
s'en  tenir  à  la  Concorde  de  Wittemberg  qu'ils  avaient  signée 
en  1562  ^  Le  12  août,  Daniel  Toussain  écrivait  à  la  classe  de 
Neuchâtel  :  «  Combien  que  le  Magistrat  eût  rendu  tesmoin- 
gnage  aux  princes  du  repos  et  bon  ordre  de  ces  églises,  ce 
grand  remueur  de  mesnage  le  docteur  Jacobus  Andreœ  a 
brigué  une  commission  qu'il  a  obtenue,  de  visiter  (comme  ils 
appellent)  ces  églises,  ce  qui  rapporte  à  l'Inquisition  et  est  du 
tout  semblable.  Comme  aussy  ce  nous  a  esté  une  grande  Visi- 
tation de  Dieu  que  la  venue  de  cest  homme-là,  pour  ce  qu'il 
s'est  comporté  avec  toute  insolence  et  contre  tout  ordre  ecclé- 
siastique, estant  envenimé  contre  les  Calviniens  qu'il  nomme 
ainsy,  plus  que  ne  furent  jamais  les  Égyptiens  contre  les 
Israélites.  D'entrée  il  s'est  toujours  accosté  de  ce  profane 
Arquerius,  l'ayant  à  son  conseil,  au  lieu  de  peser  les  accusa- 
tions qu'on  a  voit  contre  luy.  »  Le  21  août,  trois  pasteurs  qui 
lors  de  l'examen  n'avaient  pas  dissimulé  leurs  opinions  calvi- 
nistes, furent  destitués  comme  tels  et  reçurent  l'ordre  de 
quitter  le  pays  :  c'étaient  Georges  Jung,  ministre  de  l'église 
allemande  de  Montbéliard,  Jean  Thélusson,  de  Blamont,  et 
Daniel  Toussaint.  Quant  au  père  de  celui-ci,  il  fut  dès  le  mois 
deseptembre  suivant,  mis  à  la  retraite  et  remplacé  dans  ses 

1.  L'accord  conclu  en  mai  1536  entre  Luther  et  Bucer,  sous  le  nom  de  Con- 
corde de  Wittemberg,  était  tout  entier  à  l'avantage  de  Luther.  Celui-ci  tenait 
à  une  présence  réelle  et  corporelle  de  Christ  dans  les  espèces  du  sacremcnl, 
pour  tous  ceux  qui  y  participaient,  môme  pour  les  indignes  et  les  impics.  Bucer, 
pasteur  à  Strasbourg,  qui  partageait  les  idées  des  réformateurs  suisses  et  qui 
par  conséquent  ne  croyait  pas  à  la  présence  réelle,  au  sens  luthérien,  consentit 
cependant,  dans  l'intérêt  de  la  pai.x,  à  affirmer  la  présence  réelle,  substantielle 
et  corporelle  de  Christ  dans  le  sacrement,  jiour  les  indignes,  mais  non  pour  les 
impies.  Appendice,  n°  13. 

2.  Georges  Jung  était  originaire  d'Allemagne;  Jean  Thélusson,.  originaire  de 
France,  avait  été  pasteur  à  Lyon  en  1561  et  1562;  il  desservit  l'église  de  Bla- 
mont de  1570  à  1571. 


534.  JEAN  l'archer 

fonctions  de  surintendant  des  églises  de  la  Principauté  par 
Henri  Efferhen,  théologien  wiirtembergeois  strictementatla- 
ché  au  luthéranisme  et  à  l'agende  luthérienne. 

Pendant  les  années  qui  suivirent,  L'archer  ne  cessa  de 
jouer  un  rôle  actif  comme  défenseur  de  la  doctrine  et  des 
rites  contenus  dans  l'Ordonnance  ecclésiastique.  Apparem- 
ment il  accompagna  les  commissaires  théologiens  envoyés  de 
nouveau  à  Montbéliard  en  i573  et  1574.  Dans  cette  dernière 
année,  il  obtint  d'être  déchargé  d'une  partie  de  ses  services 
religieux,  et  deux  pasteurs  de  Vyans,  François  Pelletier  et 
Antoine  Serray  vinrent  successivement,  le  premier  de  1574 
à  1570,  le  second  de  1576  à  1581,  prêcher  chaque  dimanche 
au  cliâteau-fort  d'Iïéricourt  pour  la  garnison  qu'y  entretenait 
le  souveraine  En  1577,  L'archer  signa  la  fameuse  Formule 
de  Concorde  dont  l'introduction  dans  nos  églises  entraîna 
l'année  suivante  la  destitution  de  six  pasteurs  et  de  cinq 
maîtres  d'école  ^  Puis  quand  parut,  le  25  juin  1580,  lacollec- 

1.  En  1581,  Iléricourt  obtint  un  deuxième  pasteur  qui  porta  le  titre  de  diacre. 
Celui-ci  n'était  qu'un  ministre  en  sous-ordre,  et  comme  tel  ne  recevait  que  la 
moitié  du  traitement  pastoral  ou  demi-gage;  aussi  les  jeunes  ecclésiastiques 
pourvus  du  diaconat  se  succédèrent  proinptement  les  uns  aux  autres,  pressés 
d'entrer  dans  des  places  qui  rapportaient  le  gage  complet.  Les  diacres,  chargés 
spécialement  de  prêcher  au  château  pour  la  garnison,  remplirent  en  outre  cls 
fonctions  de  maîtres  d'école  d'Héricourt  de  1581  jusqu'à  la  fin  de  l'année  1618 
nù  le  diacre  Jean-Christophe  Macler  fut  déchargé  desdites  fonctions  par  le 
rétablissement  d'un  instituteur  primaire  laïque  dans  la  personne  de  Jacques  de 
lîout,  fils  d'Ogier  de  Bout,  pasteur  d'Étobon.  Les  diacres  n'eurent  plus  dès  lors 
qu'à  vaquer  à  la  catéchisation  des  enfants,  au  soin  des  pauvres  et  à  remplacer 
le  pasteur  en  cas  d'absence  ou  d'indisposition. 

2.  Les  six  pasteurs  étaient  :  Jean  BruUey,  originaire  de  France,  diacre  à  Saint- 
Martin  de  Montbéliard  de  1571  à  1573,  pasteur  à  Allanjoie  de  1573  à  1578, 
pendu  dans  le  comté  de  Bourgogne  comme  prédicant; 

Claude  Morel,  de  Chàlons,  pasteur  à  Exincourt  de  1562  à  1578; 

Pierre  Bollot,  originaire  de  France,  pasteur  de  Brevilliers  de  1570  à  1578; 

François  Clerget,  originaire  de  Ciiampagne,  pasteur  à  Villars-les-Blamont  de 
1570 ù  1578; 

Jean  Aubert,  originaire  de  France  ou  de  Suisse,  pasteur  à  Scloncourt  de  1561 
à  1578; 

Jean  Wattelet.  originaire  de  Picardie,  pasteur  à  Saint-Julien  de  1569  à  1578. 


MINISTRE    A    HÉRICOURT  535 

tion  complète  des  symboles  luthériens  ou  Livre  de  Concorde, 
il  fut  un  des  premiers  à  y  conformer  sa  prédication*;  aussi 
le  voyons-nous  peu  de  temps  après  se  considérer  lui-même 
comme  le  pilier  du  luthéranisme  dans  notre  pays,  s'arroger 
le  droit  d'exercer  officieusement  une  espèce  de  surveillance 
et  de  contrôle  sur  ses  collègues,  et  appeler  contre  eux  de 
nouvelles  rigueurs  en  signalant,  en  158i,  au  gouvernement 
«  les  défauts  qui  sont  en  plusieurs  églises  de  Son  Excel- 
lence- ».  Enfin  en  1586,  à  la  suite  de  l'insuccès  du  colloque 
tenu  à  Montbéliard  entre  Jacques  Andreœ  et  Théodore  de 
Bèze,  il  signa  comme  les  autres  ministres  la  confession  de  foi 
du  comte  Frédéric. 

Pour  ce  qui  est  du  ministère  de  L'archer  à  Héricourt,  il  fut 
certainement  facilité  par  la  stricte  application  du  mandement 
des  princes  tuteurs  du  7  avril  1565.  Les  portiers  eux-mêmes 
des  portes  de  la  ville  étaient  tenus  d'en  assurer  l'exécution, 
ainsi  qu'on  s'en  convaincra  par  l'extrait  suivant  des  «  articles 
de  serment  »  que  lesdits  portiers  étaient  tenus  de  prêter 
entre  les  mains  des  membres  du  magistat  :  «  Tous  ceulx  qu'ils 
ouyront  jurer  ou  blasphémer  ou  donner  au  diable  soy  mesme 
ou  aultres  gens  ou  bestes,  les  admonesteront  pour  la  pre- 
mière, et  pour  la  seconde  fois  les  relateront  au  sieur  ministre 
et  anciens.  Ne  laisseront  emprès  d'eulx  aulcungs  des  bour- 
geois et  habitans  pendant  et  durant  que  l'on  fera  les  presches 
les  dimanches  et  aultres  jours;  pour  ce  ordonneront  sans  les 
admonester  d'aller  aux  sermons  et  en  cas  qu'ils  ne  obeiroient 
à  ce,  en  advertiront  le  sieur  ministre  et  anciens,  et  fermeront 
les  barrières  et  petites  portes  de  leurs  charges  durant  les 
dicts  presches,  lesquelles  après  iceulx  les  pourront  défermer 
et  ouvryr.  Item,  qu'ils  ayant  soingneulx  et  garde  de  ne  laisser 
entrer  nul  des  bourgeois  et  habitants  en  la  dicte  ville  les 
dimanches,  portans  fruicts  quels  qu'ils  soyent,  et  qu'ils  les 


1.  Appendice,  n"  14. 

2.  Appendice,  n"  15. 


536  JEAN  l'archer 

feront  estes  recueillis  pendant  et  durant  les  prédications  des- 
dicts  dimanches.  Que  si  aulcung  si  en  retrouvoit,  les  feront 
descharger  lesdicls  fruits,  et  en  advertiront  le  procureur 
pour  les  en  poursuir  par  justice'  ».  Grâce  à  ces  mesures  coer- 
citives  autant  qu'à  l'action  personnelle  de  L'archer,  le  culte 
public  était  plus  ou  moins  suivi  par  les  habitants.  Néanmoins 
lemal  était  profondément  enraciné  dans  les  mœurs;  les  jure- 
ments et  les  blasphèmes  se  produisaient  comme  par  le 
passé,  malgré  la  sévérité  de  la  discipline  ecclésiastico-civile^; 
les  parents  mettaient  peu  d'empressement  à  envoyer  leurs 
enfants  aux  cathéchisations,  et  la  Sainte-Cène  de  même  que 
le  chant  des  psaumes ^  étaient  «  en  grand  mépris  »,  attendu 
que  bon  nombre  d'habitants  comptaient  toujours  sur  un 
changement  de  prince,  lequel  amènerait  un  changement  de 
religion,  et  dans  cette  attente  continuaient  à  entretenir  des 
sympathies  plus  ou  moins  secrètes  pour  le  catholicisme. 

Tel  était  l'état  des  choses  à  Héricourt  et  dans  les  trois  sei- 
gneuries lorsque,  sur  la  lin  de  décembre  1587,  et  sans  qu'il 
y  eût  eu  déclaration  préalable  d'hostilités,  la  Principauté  de 
Monlbéliard  fut  envahie  par  Henri,  marquis  de  Pont-à-Mous- 
son,  fils  du  duc  Charles  II  de  Lorraine,  et  Henri  dit  le  Balafré, 
duc  de  Guise,  cousin  du  précédent,  qui  venaient  de  défaire 
dans  le  Gatinais  et  le  pays  chartrain  une  armée  allemande 
amenée  par  le  baron  Fabius  de  Dohna  au  secours  des  réfor- 

1.  Livre  des  réceptiom  à  la  bourgeoisie  d'Iléricourt,  page  58;  aux  archives 
municipales. 

2.  Peut-être  est-ce  ici  le  lieu  de  rappeler  ce  passage  de  Farel  :  «  La  fureur 
estoit  telle  (contre  les  reformés),  que  de  dire  Ciirist  simplement,  ou  parler  sans 
jurer  le  corps  et  le  ventre,  on  estoit  luthérien  et  hérétique.  »  Ainsi  les  jure- 
ments et  les  imprccations  claicnt  à  cette  époque  une  marque  de  catholicité.  — 
Farci,  Forme  d'oraison,  etc.,  page  280  du  volume  de  ses  œuvres  diverses  réim- 
primées à  Genève  en  1865. 

3.  Les  Psaumes  de  David,  mis  en  vers  français  par  Clément  Marot  et  Théodore 
de  Bèze,  puis  revus  et  corrigés  par  les  pasteurs  et  professeurs  de  l'église  et  de 
l'Académie  de  Genève,  furent  le  seul  livre  de  cantiques  en  usage  dans  les  églises 
et  les  écoles  du  pays  de  Monthéliard,  depuis  l'époque  de  la  Réformation  jus- 
qu'au commencement  du  siècle  actuel. 


MINISTRE   A  HÉRICOURT.  537 

mes  de  France.  Aux  yeux  de  ces  princes,  catholiques  fana- 
tiques, le  comte  Frédéric  de  Monlbéliard  avait  le  grand  tort 
d'être  hérétique  ainsi  que  ses  sujets,  d'avoir  favorisé  par  ses 
paroles,  ses  démarches  et  son  argent  les  protestants  du 
royaume,  et  d'avoir  offert  un  accueil  bienveillant  sur  ses 
terres  à  un  certain  nombre  d'entre  eux^  Alliant  le  fanatisme 
religieux  à  un  impérieux  besoin  de  faire  le  mal,  l'armée  des 
Guises,  composée  d'un  ramassis  de  Lorrains,  de  Bourgui- 
gnons, d'Italiens,  d'Albanais  et  d'autres  aventuriers  de  la  pire 
espèce  au  nombre  d'environ  douze  à  quinze  mille  hommes, 
mit  pendant  trois  semaines  notre  pays  à  feu  et  à  sang.  Les 
temples  de  Dampierre-lcs-Bois,  Étupes,  Roches-les-Blamont 
et  Glay  furent  livrés  aux  flammes;  quinze  presbytères,  à 
Abbévillers,  Allanjoie,  Bavans,  Glairegoutte,  Dampierre-les- 
Bois,  Désandans,  Etobon,  Exincourt,  Montéclieroux,  Roches- 
les-Blamont,  Saint-Julien,  Seloncourt,  Valcntigney,  Vandon- 
court  et  Villars-les-Blamont,  eurent  le  même  sort,  ainsi  que 
dix  usines,  huit  fermes  ou  métairies  appartenant  au  domaine 
du  prince  et  sept  cent  neuf  maisons  incendiées  dans  cin- 
quante-six villages.  Les  places  de  Montbéliard  et  de  Blamont 
résistèrent  aux  assauts  de  ces  barbares,  mais  celle  d'Iléricourt 
n'ayant  que  cent  vingt  hommes  de  garnison  et  manquant 
entièrement  de  munitions  et  de  vivres,  ouvrit  ses  portes  le 
jeudi  4  janvier  1588,  après  un  blocus  de  deux  ou  trois  jours. 
Le  premier  soin  de  Gérard  de  Reinach,  un  des  lieutenants  du 
marquis  de  Pont-à-Mousson,  fut  de  se  saisir  du  temple,  de  le 
rendre  au  culte  catholique  et  de  brûler  publiquement  hi  Bible 
et  les  autres  livres  d'église,  y  compris  le  registre  des  baptêmes 
de  la  paroisse,  après  les  avoir  offerts  à  la  risée  et  à  la  profa- 
nation de  ses  soldats.  Pendant  les  huit  jours  qu'IIéricourt  fut 
au  pouvoir  des  bandes  ennemies,  celles-ci  y  «  menèrent  une 

1.  On  sait  que  de  nombreux  rcligionnaircs  sN'taicnt  réfugiés  dans  la  ville  de 
Montbéliard.  De  plus,  le  village  de  Frédéric-Fontaine,  dans  la  seigneurie  d'iao- 
bon,  avait  été  fondé  en  1578  par  seize  chefs  de  famille  venus  de  Lorraine  cl  de 
Champagne  pour  cause  de  religion. 


538  JEAN  l'archer 

vie  insolente  »,  au  mépris  de  la  capitulation  accordée  aux 
habitants.  Heureusement  pour  ces  derniers  et  pour  la  Ré- 
forme, l'occupation  fut  de  courte  durée.  Dès  le  12  janvier 
suivant,  notre  ville  fut  reprise  sur  l'armée  des  Guises  par  la 
garnison  et  les  bourgeois  de  Montbéliard,  et  la  cause  du  pro- 
testantisme y  fut  sauvée. 

Jean  L'archer,  obligé  de  se  cacher  pour  échapper  aux 
recherches  des  soldats  qui  traquaient  les  ministres  de  l'Évan- 
gile comme  des  bêtes  fauves,  ne  survécut  que  peu  de  temps 
à  la  délivrance  de  sa  paroisse.  Il  mourut  dans  cette  même 
année  1588,  à  l'âge  d'environ  soixante-douze  ans,  laissant 
après  lui  la  réputation  d'un  très  docte  personnage  «  aymant 
les  gens  scavans^  »,  d'un  pasteur  actif  et  plein  de  zèle,  et 
d'un  luthérien  strict,  quelque  peu  complaisant  pour  l'auto- 
rité princière.  Son  influence  auprès  du  gouvernement  n'avait 
fait  que  grandir  jusqu'à  la  fin.  Peut-être  même  fut-il  anobli, 
en  récompense  des  services  rendus  par  lui  à  la  cause  du 
luthéranisme^;  eh  tout  cas,  il  avait  bien  mérité  de  celui-ci. 
Il  avait  également  bien  mérité  du  protestantisme,  en  obte- 
nant l'introduction  définitive  de  la  Réforme  dans  les  trois 
seigneuries  nouvellement  acquises.  Etait-il  aimé  à  Héricourt? 
nous  ne  savons;  toujours  est-il  que  son  nom  ne  figure  pas 
dans  le  hvrc  des  réceptions  à  la  bourgeoisie  du  lieu.  Deux 
de  ses  fils  embrassèrent  comme  lui  la  carrière  pastorale. 
L'un,  Nicolas,  qui  n'est  pas  mentionné  dans  la  France  protes- 
tante, fui  d'abord  maître  d'école,  puis  nommé  pasteur  h  Cha- 
geyen  157G,  et  déclaré  émérite  en  1620;  il  mourut  à  Chagey 
le  19  ianvier  1021,  dans  un  âge  avancé'.  L'autre,  Christophe 

1.  Lettre  (ic  L'archer  à  Cliastillon,  du  30  juillet  1551,  dans  la  France  protea- 
lante. 

2.  Dans  plusieurs  documents  de  XYii»  siècle,  le  nom  de  ses  fils  et  de  leurs 
descendants  est  précédé  de  la  particule  nobiliaire. 

'S.  En  1562,  Jean  L'archer  écrivait  à  Chastillon  :  «  S'il  plaît  à  mon  Dieu  me 
donner  vie  et  santé  et  à  mon  fils  Nicolas,  je  le  vous  enverray  incontinent  après 
Pasqucs  s'il  vous  plait  me  le  nourrir.  «  Lettre  du  5  octobre  1562,  dans  le  Thésau- 
rus epinlolicm  calvinianus. 


MINISTRE  A  HÉRICOURT.  539 

L'archer,  fut  nommé  diacre  à  Héricoiirt  en  1587,  pasteur  à 
Colombier-Fontaine  en  1592,  pasteur  à  Valcntigney  en  1595, 
et  en  1620  diacre  à  Blamont  où  il  demeura  jusqu'en  juin 
IGS^.  Aucun  de  leurs  descendants  ne  fut  pasteur  au  pays, 
si  ce  n'est  peut-être  Jacques-Gustave  L'archer,  décédé  pre- 
mier pasteur  de  Saint-Martin  de  Montbéliard  en  1834. 

Deux  siècles  auparavant,  en  1(334,  le  luthéranisme  avait 
définitivement  remplacé  le  calvinisme  dans  toute  l'étendue 
de  la  Principauté  de  Montbéliard  ^ 

AuG.  Ghenot,  pasteur. 

1.  Ce  morceau,  ainsi  que  la  notice  historique  dont  il  fait  partie,  vient  d'être 
publié  dans  les  Mémoires  de  la  Société  d'émulation  de  Montbéliard.  Année 
1884.  (Réd.) 


DOCUMENTS 


TROIS  LETTRES  DE  STRASBOURG 


Neuhof,  près  Strasbourg,  1"  septembre  1884. 

Monsieur  le  direclour, 

J'ai  copié,  il  y  a  quelque  temps  déjà,  les  documents  qui  suivent  aux 
archives  de  Strasbourg,  pensant  qu'ils  pourraient  avoir  peut-être  quelque 
intérêt  pour  les  lecteurs  du  Bulletin  du. protestantisme  français.  Je  les 
retrouve  aujourd'hui  parmi  mes  papiers,  durant  un  séjour  à  la  campagne, 
et  sans  être,  par  conséquent,  à  même  de  vérifier  s'ils  sont  inédits  ou  non. 
Evidemment  leur  publication  n'aurait  plus  de  raison  d'être,  s'ils  se 
trouvaient  déjà,  soit  dans  la  Collection  des  documents  inédits,  en  ce  qui 
concerne  la  missive  de  Henri  IV,  soit  dans  quelque  autre  recueil,  pour 
ce  qui  est  des  lettres  de  la  princesse  de  Condé.  Je  regrette  d'avoir  à  vous 
abandonner  les  recherches  nécessaires  pour  établir  le  fait  de  leur  pu- 
blication, mais  j'espère  que  le  vif  intérêt  que  vous  portez  à  l'histoire 
si  glorieuse  de  la  réforme  française,  vous  les  fera  paraître  moins  fasti- 
dieuses. Si  réellement  mes  lettres  avaient  déjà  vu  le  jour,  excusez  ce  dé- 
rangement inutile  par  le  sincère  désir  de  contribuer,  dans  les  modestes 
limites  de  mon  temps  et  de  mes  moyens,  au  grand  travail  de  restaura- 
lion  historique  entrepris  depuis  de  si  longues  années  par  vous  et  vos 
collègues. 

La  première  des  trois  pièces  ci-jointes  est  une  lettre  adressée  par 
Henri  de  Navarre  au  conseil  de  la  ville  de  iiàlc,  en  automne  1576,  au 
moment  à  la  formation  de  la  Sainte-Ligue,  Elle  n'existe  donc  point  en 
original  aux  archives  municipales;  nous  en  possédons  une  copie  seule- 
ment, immédiatement  envoyée  par  le  magistrat  de  la  cité  suisse  à  ses 
bons  alliés  de  Strasbourg.  Mais  je  vous  avouerai  que  je  n'ai  pas  cherché 
longtcnqjs  la  pièce  elle-même,  ayant  trouvé  parmi  des  papiers  qui  m'ont 
été  donnés,  la  copie  qu'en  avait  faite  autrefois  M.  Louis  Schnéegans,  ar- 


TROIS  LETTRES  DE  STRASBOURG.  541 

claviste  de  la  ville,  avec  l'attention  scrupuleuse  qui  distinguait  ce  savant 
modeste  et  laborieux;  c'est  cette  copie  même  que  je  vous  envoie. 

La  lettre  est  adressée  «  aux  magnificques  seigneurs,  Messieurs  les 
bourgeoismaistre  et  Conseil  de  Basle.  »  M.  Schneegans  en  a  strictement 
respecté  la  ponctuation,  qu'il  faudrait  modifier  peut-être,  pour  rendre  la 
pièce  plus  généralement  comprébensible.  Vous  trouverez  facilement  — 
ce  qu'il  m'est  impossible  de  faire  dans  ma  solitude  ici  —  quel  était 
l'envoyé  auquel  le  jeune  roi  de  Navarre  confiait  la  mission  d'éclairer  les 
cantons  protestants  sur  les  dangers  menaçant  la  Réforme  et  de  provoquer 
une  entente  de  plus  en  plus  nécessaire  de  tous  ses  adhérents  en  face 
des  projets  forgés  par  les  puissances  catholiques. 

«  Messieurs  estant  adverty  de  certains  malheureulx  desseings 
et  entreprises  que  font  les  ennemys  de  la  religion  reformée,  pour 
abolir  l'Edict  dernier  depacifficationquil  a  pieu  a  Dieu  nous  donner 
en  ce  Royaume  et  exterminer  ladicte  religion  et  ceux  qui  en  font 
profession,  ainsy  quon  vous  fera  amplement  entendre.  Et  daultant 
([ue  leffect  desdictes  entreprises  advenant,  je  pourrois  estendre  sur 
toutes  les  aultres  Églises  de  la  chrettienté,  qui  sont  de  mesme  reli- 
gion, je  vous  ay  bien  voullu  donner  cest  advertissement  comme  à 
nos  bous  voysins  et  amys  assoties  et  confédérés  affin  que  vous  advi- 
siez  a  destourner  par  tous  moiens  au  malheurs  imminiens  (?).  Et  a 
nous  conserver  et  maintenir  les  ungs  et  les  aultres  en  telle  unyon 
et  intelligence,  quils  puissent  estre  empeschés  en  exécution  de  leurs 
dits  desseings  voulant  bien  espérer  que  vous  employerés  tous  les 
moiens  que  Dieu  vous  aura  mis  en  main  pour  résister  a  leurs  dicls 
efforts  et  vyolences,  et  nous  soubvenir  a  nostre  bcsoing,  comme  nous 
ferons  très  volontiers  a  vostre,  et  moy  particulièrement  j'y  cmployeré 
tout  ce  que  jauray  en  ma  puissance  avec  telle  affection  que  je  prie 
Dieu,  messieurs,  vous  avoir  en  sa  saincte  protection  et  sauvegarde. 
De  Nerac  le  XVI.,  jour  doctobre  157G. 

Vostre  bien  bon  et  affectionné  amy. 

(Signé)  Henry.  » 

Les  deux  autres  lettres  se  rapportent  au  séjour  du  jeune  prince  de 
Condé  dans  nos  murs,  alors  qu'il  étudiait  les  belles-lettres  à  l'Académie 
nouvellement  créée  à  Strasbourg  et  dirigée  encore  par  le  célèbre  huma- 
niste Jean  Sturm.  Le  premier  de  ces  documents  est  adressé  au  magis- 
trat de  Strasbourg,  «  à  messieurs,  messieurs  les  Lanmeistre,  Statmaistrc 


542  TKOIS  LETTRES  DE  STRASBOURG. 

et  Conseil  de  la  ville  de  Strasbourg*  ».  11  en  fut  donné  lecture  au 
Conseil  des  Vingt  et  Un,  le  24  octobre  1577,  et  d'après  une  note  du 
secrétaire  du  Conseil,  il  y  fut  répondu  quatre  jours  plus  tard.  C'est  une 
lettre  de  remerciements  de  la  princesse,  pleine  de  choses  flatteuses  à 
l'adresse  de  notre  petite  république  protestante. 

«  Messieurs,  je  ne  puis  dire  le  contentement  et  ayse  que  j'ay 
receu  d'entendre  par  les  lettres  de  mon  fils  Ihonneur  que  luy  avez 
faict  de  le  recevoir  en  vostre  ville.  Car  estant  bien  atlvertie  de  vos 
vertus  et  prudence,  bonne  et  saincte  justice  que  vous  exercez,  avec 
singulière  police,  renommée  et  excellence  par  dessus  toutes  aultres 
villes  et  nations,  jay  tousiours  désiré  qui!  peult  estre  nourry  en  si 
bonne  escolle.  Je  prie  Dieu  quil  luy  face  la  grâce  de  retenir  si  bien 
les  bons  exemples  qu'il  peult  veoir  en  vostre  dicte  ville,  qu'a  lad- 
venir  il  en  puisse  avoir  bonneur,  et  se  rendre  capable  en  récom- 
pense de  vous  faire  quebiuc  bon  et  agréable  service,  comme  de  ma 
part,  après  vous  avoir  remerciez  bien  bumblemcnt  de  ce  plaisir,  je 
vous  offre  le  pouvoir  de  moy,  et  des  miens,  d'aussi  bon  cœur  que  je 
salue  vos  bonnes  grâces,  et  prie  Dieu,  Messieurs,  conserver  vos  Sei- 
gneuries, et  les  augmenter  et  accroislre  en  toute  prospérité.  De 
Sedan,  15'  octobre  1577. 

La  bien  fort  vostre  affectionnée, 

Françoise  de  Bourbon.  » 

La  seconde  lettre  de  la  princesse  est  adressée  à  un  riche  bourgeois  et 
négociant  de  Strasbourg,  Isaac  Wicker,  qui  fut  pendant  de  longues  an- 
nées lo  bailleur  de  fonds,  le  fournisseur  et  l'agent  diplomatique  des 
comtes  palatins  du  lUiin  dans  notre  ville  et  son  voisinage.  Je  l'ai  trouvée 
dans  un  fascicule  de  pièces  relatives  à  Jean-Casimir,  le  prince  remuant 
et  ambitieux  (jui,  continuant  les  relations  de  son  père,  l'électeur  Fré- 
déric le  Pieux,  avec  les  huguenots  de  France,  mais  avec  moins  de 
noblesse  et  des  visées  plus  positives,  joua  un  rôle  assez  important  durant 
es  guerres  de  religion,  à  partir  de  1567.  Cette  pièce  est  à  peu  près  la 
môme  époque  que  la  précédente. 

«  Seigneur  Isaac,  ayant  entendu  par  mon  fils,  lequel  il  a  pieu  a 

1.  Lanmeislre  pour  Vammehter,  le  représentant  de  la  bourgeoisie   dans  le 
pouvoir  executif,  comme  les  sletmeiste  étaient  ceux  du  patriciat. 


TROIS    LETTRES  DE    STRASBOURG.  513 

messieurs  de  vostre  Seigneurie  accepter  en  votre  tant  renommée  ville 
pour  la  estre  instruit  en  toutes  vertus  et  bonne  discipline,  et  par  pré- 
cepteur, le  soin  particulier  qu'il  vous  a  pieu  prendre  et  prenez  tous 
les  jours  par  infinies  peines  pour  le  regard  de  mondit  fils,  je  n'ai 
voulu  faillir  a  vous  en  remercier  autant  affectueusement  que  ce 
peult,  et  vous  asseure  que  si  en  récompense  je  vous  puis  faire 
quelcfue  aultre  plaisir,  vous  m'y  trouverez  entièrement  disposée  et 
aussi  promptement  de  bon  cœur  qu'en  attendant  je  vais  supplier 
Dieu,  Seigneur  Isaac,  vous  conserver  en  sa  très  saincte  et  digne 
garde.  De  Sedan,  le  17  d'octobre  1577. 
La  bien  fort  vostre, 

Françoise  de  Bourbon.  » 

Le  même  fascicule  de  la  correspondance  de  Jean  Casimir  renferme 
une  troisième  lettre  de  la  princesse,  également  adressée  à  Isaac  Wicker, 
et  datée  du  8  décembre  suivant.  Mais  comme  elle  est  conçue  à  peu  près 
dans  es  mêmes  termes  que  la  précédente,  je  pense  qu'il  est  inutile  de  la 
reproduire  aussi. 

Agréez,  monsieur  le  directeur,  l'expression  bien  sincère  de  ma  con- 
sidération respectueuse, 

RoD.  Reuss, 
Bibliothécaire  de  la  ville  de  Strasbourg. 


DOSSIER  D'UN  PROPOSANT-MARTYR 

FRANÇOIS   RÉNÉZET  ' 
1752 

Archives  de  l'Intendance  à  Montpellier,  série  C.  !23"2, 
Analyse  de  M.  Teissier,  d'Aulas. 

Papiers  trouvés  sur  Bénézet. 

Sermon  prêché  le  jeudi  12  mars  1722  à  Constantinoplc,  sur  les 
paroles  de  saint  Paul  aux  Romains,  cii.  vni,  v.  2  :  Car  je  suis  as- 
suré que  ni  mort,  ni  vie  à  danger,  ni  princiimutéy  etc. 

\.  Sur  François  Bétiézct,  voir  les  historiens  des  É^jUscs  du  désert,   Cli.  Co- 


544  DOSSIER  d'un  proposant-martyr. 

Autres  sermons,  prières,  etc. 

Copie  d'un  discours  prononcé  par  M.  Boyer,  le  31'  aoust  17i4.  — 
A  la  fin  on  lit  :  «  Prononcé  dans  une  assemblée  publique  à  l'occasion 
de  la  sentence  rendue  contre  le  s'  Boyer  par  lui,  le  31  aoust  1744.  » 

Fragment  de  lettre  du  l^octobre  1751,  signée  a  Paul-Auguste», 
engageant  Bénézet  à  venir  le  trouver,  etc. 

Lettre  du  même  du  27  juillet  1751,  dans  le  sens  de  la  précé- 
dente, indiquant  les  pièces  à  produire. 

Lettre  du  7  janvier  1748,  signée  «  P.  Gautier  y>,  parlant  des  me- 
nées des  sieurs  Coste,  Encontre  et  Bastide,  etc. 

Brouillons  de  sermons,  prières,  instructions  religieuses,  lettres, 
etc. 

Copies  des  complaintes  sur  la  mort  d'Alexandre  Roussel,  au 
nombre  de  trois. 

Voir  pour  le  reste  à  l'interrogatoire  deuxième,  du  31  janvier. 

Lettres  des  intendants,  ministre  d'État,  etc. 

Versailles,  le  28  février  1752.  —  Original  signé.  —  «  J'ai  reçu. 
Monsieur,  les  lettres  que  vous  m'avez  fait  l'bonneur  de  m'écrire  le 
24  du  mois  dernier  et  le  2  du  courant;  la  capture  dont  vous  m'in- 
formez par  la  dernière  du  nommé  Bénézet,  prédicant,  ne  peut  que 
faire  un  très  bon  effet,  surtout,  si  comme  il  y  a  lieu  d'en  juger  par 
ce  que  vous  me  marquez  de  son  propre  aveu,  l'on  peut  acquérir 
assez  de  preuves  contre  lui  pour  en  faire  un  exemple;  il  aurait  été 
à  dé'îirer  que  l'on  se  fût  assuré  en  même  temps  du  nommé  Paul, 
autre  prédicant,  qui  était  avec  Bénézet  quand  il  a  été  arrêté,  mais 
ce  sera  toujours  un  grand  bien  si  l'exécution  de  celui-ci  intimide 
les  autres  ministres  au  point  de  les  faire  sortir  tous  de  la  Province 
où  leur  présence  est  sans  difficulté  la  cause  principale  de  l'assu- 

quercl,  Nap.  Pcyrat,  ainsi  que  trois  articles  de  M.  Daniel  Benoit,  qui  n'est   pas 
sans  erreurs.  Evangéliste  de  1874. 

Nous  empruntons  au  beau  recueil  des  Lettres  de  Paul    Rabaut   à   Antoine 
Court,  qui  vient  de  paraître,  quelques  extraits   relatifs  au  proposant-martyr  : 

y  février  1752.  —  «  Autre  événement  plus  fâcheux  encore  :  Le  sieur  Bénézet    , 
élève  de  M.  Boyer,  fut  arrêté  au  Vi^^jau.   le  30°  du  mois    dernier,  et    il    est 
actuellement  dans  la  citadelle  de  Montpellier.  Comme  il  n'était  qu'élève,  plusieurs 


DOSSIER  d'un  proposant-martyr.  545 

rance  avec  laquelle  il  paraît  que  les  religionuaircs  qui  s'y  assemblent 
commencent  cà  résister  aux  troupes  du  Roi.  Je  ne  puis  m'en  rapporter 
au  reste,  qu'à  ce  que  le  comte  de  Saint-Florentin  nous  mande,  etc.  » 

Signé  :  «  V.  Dargenson.  » 

27  mars  1752.  —  Minute  de  lettres  écrites  à  M.  le  garde  des 
sceaux,  M.  le  chancelier,  etc.  —  «  J'ai  eu  l'honneur  de  vous  rendre 
compte  ce  matin  du  jugement  qui  avait  été  prononcé  contre  le  nommé 
Bénézet;  il  a  été  exécuté  sans  le  moindre  trouble;  il  est  mort  en 
vray  fanatique  et  avec  une  obstination  marquée  dans  ses  erreurs. 
J'ai  l'honneur,  etc.  » 

Paris,  le  6  avril  1752.  —  M.  Vernier.  Original  signé.  —  «  Mon- 
sieur, j'ai  reçu  votre  lettre  du  17  du  mois  dernier  par  laquelle  vous 
m'apprenez  l'exécution  du  nommé  Bénézet,  fameux  prédicant.  Il 
est  à  souhaiter  que  cet  exemple  contienne  les  religionnaires  dans 
leur  devoir.  Je  suis,  etc.  » 

Signé:  «  De  Lamoignon.  » 

15  avril  1752.  — Ordonnance  de  M.  de  Saint-Priest,  qui  commet 
Daudé,  subdélégué  au  Vigan,  pour  répartir  l'amende  de  3000  livres, 
prononcée  par  jugement  du  24  mars,  contre  les  habitants  N.  C.  des 

personnes  croient  qu'il  ne  sera  pas  condamné  à  mort.  Je  voudrais  qu'ils  conjec- 
turassent juste;  mais  je  crains  bien  qu'ils  se  tromperont.  Sa  femme  est  ici  dans 
une  désolation  plus  aisée  à  sentir  qu'à  exprimer,  et  pour  surcroît  d'affliction 
elle  se  trouve  dans  la  dernière  misère.  N'y  aurait-il  aucune  ressource  pour  elle 
dans  les  païs  étrangers,  supposé  qu'elle  soit  contrainte  d'y  clicrclicrun  refuge?  « 

17  mars  1752.  —  «  A  propos  de  Bénézet  nous  attendons  de  jour  à  autre  son 
jugement;  on  continue  à  dire  qu'il  ne  sera  condamné  qu'à  un  exil  le  reste  de  ses 
jours.  » 

Cet  espoir  fut  déçu  :  «  Si,  dit  le  savant  annotateur  des  lettres  de  l'aul  n;ibaut, 
les  réponses  de  Bénézet  aux  pasteurs  qui  l'avaient  examiné  quelques  mois  aupara- 
vant, n'avaient  pas  été  trouvées  suffisantes,  il  sut  du  moins  répondre  avec  une 
incontestable  dignité  quand  il  se  trouva  en  face  de  la  mort.  Le  lieutenant  qui 
l'avoit  pris  lui  ayant  dit  avec  satisfaction  :  «  Votre  prise  me  procurera  la  croix  de 
Saint  Louis;  »  —  «  Oui,  répliqua  le  futur  martyr, ce  sera  une  croix  de  sang  qui 
vous  reprochera  toujours  !  »  U  fut  condamné  à  mort  par  arrêt  du  24  mars  1752. 
Dans  la  crainte  d'un  soulèvement  on  le  fit  conduire  au  gibet  par  un  corps  de 
1200  hommes.  U  mourut  en  héros  le  27  mars,  sur  l'esplanade  de  Montpellier.  11 
y  a  sur  ce  sujet  une  belle  complainte  du  Désert.  Voir  le  Bulletin,  t.  XIV,  p.  258. 

XXXIII.  —  35 


546  DOSSIER  d'un  proposant-martyr. 

communautés,  ville  et  paroisse  du  Vigan,  Avèze,  Pommiers  et 
Mandagout,  qui  composent  l'arrondissement  de  la  ville  du  Vigan 
dans  laquelle  le  nommé  Bénézet,  prédicant,  a  été  arrêté. 

Puis  viennent  les  subalternes  de  tout  grade  : 

Sans  date.  —  Minute.  —  «  Monseigneur,  Votre  Grandeur  doit 
être  instruite  de  la  capture  du  sieur  Bénézet,  prédicant,  faite  par 
les  soins  du  sieur  Puechmille  aux  environs  du  Vigan,  etc.  »  Demande 
une  récompense. 

Vigan,  30  janvier  1752.  —  Daudé  Dalzoïi.  —  Original  signé.  — 
Il  annonce  la  capture  de  Bénézet,  prédicant.  a  Le  nommé  Paul, 
ministre,  était  à  table  avec  Bénézet  et  s'est  évadé.  Il  avait.  Monsei- 
gneur, prêché  à  l'assemblée  où  Bénézet  n'avait  fait  que  la  prière.  » 

4  février  1752.  —  Le  même.  —  Envoi  des  interrogatoires,  papiers 
saisis,  etc. 


Interrogatoires. 

1"  interrogatoire  devant  Daudé-Dalzon,  subdélégué  du  Vigan, 
assisté  de  Jean  Guibal,  greffier.  —  30  janvier  1752.  —  A  répondu 
qu'il  a  fait  les  fonctions  de  prédicateur  pendant  quatre  ans  ou  envi- 
ron, ayant  commencé  de  prêcher  quelque  temps  après  sa  sortie  de 
Montpellier.  Que  pendant  lesdits  quatre  ans,  il  a,  non  seulement 
prêché  mais  fait  les  prières,  exhorté  les  malades,  et  toutes  les 
autres  fonctions  du  ministère  de  lad.  religion  dont  il  était  capable. 
Qu'après  les  quatre  ans  il  demanda  son  congé  aux  ministres  (lui 
composent  cette  province,  pour  aller  dans  une  autre  province  ou 
département.  Que  l'ayant  obtenu,  il  est  allé  prêcher  et  faire  Icsd. 
fonctions  tantôt  dans  le  Bas-Languedoc,  tantôt  ailleurs,  jusqu'à  ce 
jourd'hui. 

Il  a  été  aujourd'hui  à  une  assemblée  aune  lieue  de  cette  ville  sur 
une  montagne  qu'il  ne  connaît  pas,  qu'il  n'y  a  pas  prêché,  un  autre 
qui  est  minisire  l'ayant  fait,  mais  que  lui  y  a  fait  la  prière,  dans 
laquelle  il  a  prié  «  pour  le  Roy,  la  Reyne,  Monseigneur  le  Dauphin 
et  toute  la  famille  Iloyalle.  » 

A  répondu  qu'il  a  été  arrêté  chez  la  nommée  Fraissinet,  veuve, 
et  soupait  quand  on  l'a  arrêté,  il  devait  partir  après  souper.  Il  était 
à  souper  avec  un  étranger  nommé  Paul,  ministre  de  lad.  religion, 


DOSSIER  d'un  proposant-martyr.  547 

le  même  qui  avait  prèclié  à  l'assemblée  aujourd'hui  et  qui  s'est  évadé 
tandis  qu'on  l'aiTétait. 

A  répondu  qu'il  ne  connaît  personne,  et  que  souvent  le  ciel  a  été 
sa  couverture. 

Signés  :  «  François  Bénézet,  Daudé-Dalzon,  Guibal,  g''^  » 

2«  Interrogatoire  devant  les  mêmes.  —  31  janvier  1752.  —  A  ré- 
pondu se  nommer  François  Bénézet,  être  aspirant  au  saint  minis- 
tère de  la  R.  P.  R.,  être  âgé  de  26  ans  à  27  ans,  qu'il  est  originaire 
de  la  ville  de  Montpellier,  paroisse  Notre-Dame  de  la  Grand'rue, 
et  que  sa  demeure  est  çà  et  là  depuis  huit  ans. 

A  répondu  que  ses  père  et  mère  sont  morts  depuis  longtemps,  que 
son  père  était  marchand-droguiste. 

A  répondu  qu'il  est  marié  depuis  environ  quatre  ans,  son  mariage 
ayant  été  béni  par  le  nommé  Paul  Marazel,  ministre,  aux  environs 
de  Montpellier,  qu'il  a  une  fille  qui, de  même  que  sa  mère,  sont  sor- 
ties du  royaume  et  sont  à  Genève. 

A  répondu  qu'étant  encore  jeune,  il  n'avait  pas  d'état  avant  d'être 
prédicant. 

A  répondu  qu'il  a  mangé  son  bien  depuis  qu'il  est  dans  le  désert. 

A  répondu  que  ses  père  et  mère  étaient  de  la  R.  P.  R.  et  qu'il 
n'en  avait  pas  professé  d'autre. 

II  a  embrassé  de  lui-même  le  parti  d'être  prédicant,  ayant  suivi 
de  lui-même  le  nommé  Rampon,  proposant,  qu'il  vit  dans  une  as- 
semblée aux  environs  de  Montpellier. 

Il  a  passé  à  Genève  en  allant  à  Lauzanne  où  il  étudia  deux  ans, 
après  lesquels  il  vint  faire  en  province  les  fonctions  de  proposant. 

Lorsqu'il  arriva  au  Vigan  samedi  soir,  il  venait  de  Saint-IIippo- 
lyte  et  avant  de  Nîmes.  En  arrivant,  il  demanda  un  cabaret  à  l'entrée 
de  la  ville,  on  lui  indiqua  celui  de  la  veuve  Fraissinet,  qui  lui  dit 
qu'elle  n'avait  pas  de  lit,  il  fut  dans  un  autre  dont  il  ignore  le  nom. 
Est  passé  quelquefois  au  Vigan  sans  s'y  arrêter,  ne  connaissant  per- 
sonne, qu'il  a  prêché  quelques  fois  aux  environs  sans  connaître  les 
lieux.  Qu'il  voulait  changer  de  province  ou  de  département,  ((uand 
il  a  été  arrêté. 

A  fait  les  fonctions  de  son  ministère  dans  les  Basses-Cévcnnes  et 
le  La  Vaunage,   ses  retraites  étaient  les  cabarets  où  il  se  disait 
marchand,  etqucbiucfois  la  plate  campagne. 
Ayant  ouvert  un  sac  saisi  sur  le  prévenu,  y  avons  trouvé  un  porte 


548  bossiER  d'un  proposant-mautyk. 

leuille  couvert  d'une  étoffe  de  soie  rouge  et  y  avons  trouvé  dedans 
le  certificat  dont  la  teneur  suit  :  «  Nous  soussignés,  ayant  été  requis 
par  François  Bénézet  qui  a  rempli  les  fonctions  de  prédicateur  et 
reconnu  pour  tel  au  milieu  de  nous,  de  lui  accorder  un  certificat  de 
vie  et  de  mœurs,  nous  le  lui  accordons  d'autant  plus  volontiers  que 
nous  pouvons  dire  avec  parole  de  vérité  qu'il  s'est  conduit  au  milieu 
de  nous  avec  sagesse;  nous  ayant  paru  rempli  de  bonnes  mœurs,  de 
piété  et  de  zèle  pour  l'avancement  de  la  gloire  de  Dieu.  Nous  espé- 
rons qu'avec  le  secours  de  Dieu  il  fairades  progrès  dans  les  sciences 
et  qu'il  sera  utile  à  l'église.  Nous  le  recommandons  à  la  grâce  de 
Dieu  et  à  la  bienveillance  de  nos  frères  au  milieu  desquels  il  pourra 
se  trouver.  En  foi  de  quoi  nous  avons  délivré  le  présent  certificat. 
Fait  en  notre  désert,  ce  15  octobre  1751.  »  Signés  :  «  Boyer,  pas- 
teur; Paul  Marazel,  pasteur;  Henry  Grail,  pasteur;  Pomaret,  pas- 
teur. »  Au  revers  est  écrit  :  a  C'est  avec  plaisir  que  je  souscris  au 
certificat  ci-derrière,  ayant  toujours  reconnu  en  M.  Bénézet  des 
sentiments  de  piété,  de  zèle  pour  la  gloire  de  Dieu  et  un  désir  dé- 
terminé de  se  rendre  utile  dans  les  églises  sous  la  croix.  »  Signé  : 
c(  Paul  Dalgue,  pasteur  des  Basses-Cévennes,  ce  26  janvier  1752.  » 

Plus  autre  caliier  (12  pages)  intitulé  :  Prière  pour  une  malade 
agonisante  : 

Plus  un  autre  cahier  contenant  un  sermon  sur  ces  paroles  de  saint 
Mathieu,  xii,  31. 

Plus   un  autre   contenant  sermon  tiré  dans  l'épître   de  saint 
acques,  I,  5. 

Plus  un  autre  sermon  sur  saint  Paul  aux  Épliésiens,  iv,  30. 

Plus  une  feuille  intitulée  :  Cantique  sur  la  paix  de  l'Eglise. 
Sigiiés  :  «  François  Bénézet,  Daudé-Dalzon,  Guibal,  greffier.  » 

3'  Interrogatoire  devant  les  mêmes.  —  3  février  1752.  —  A  ré- 
pondu qu'il  a  quitté  cette  ville  dimanche  dernier  entre  neuf  et  dix 
heures  du  matin,  qu'il  partit  à  cheval. 

A  répondu  qu'il  avait  deux  pistolets  à  son  cheval,  mais  qu'il  n'avait 
point  d'armes  sur  lui. 

Interrogé  qui  est  ce  Paul  qui  était  avec  lui  lorsqu'il  fut  arrêté.  — 
A  répondu  que  c'était  Paul  Marazel. 

Interrogé  en  quel  lieu  Paul  Dalgue  lui  avait  donné  le  certificat 
daté  du  26  janvier  dernier?  —  A  répondu  dans  un  désert  du  côté 
d'Alais. 


DOSSIER   d'un   proposant-martyr.  5i9 

Interrogé  quel  était  son  département  pour  ses  fonctions  de  pré- 
dicant  et  s'il  n'était  du  côté  de  Sauve,  Durfort  et  Quissac  ? 

A  répondu  qu'il  n'avait  point  de  département  fixe,  que  travaillant 
gratuitement,  il  avait  le  privilège  d'aller  où  il  voulait,  et  on  le  lais- 
sait prêcher  partout  où  il  voulait  ou  pouvait  le  faire.  Que  cette  année 
seulement,  on  lui  avait  promis  100  livres  qu'il  n'a  pas  touchées. 

Interrogé  s'il  était  à  une  assemblée  qui  se  fit  l'année  dernière  à 
Quissac  oi^i  un  grand  nombre  de  N.  C.  firent  feu  aux  troupes  qui 
voulaient  la  dissiper  ? 

A  répondu  qu'il  y  était,  qu'il  est  vrai  que  lui-même  avec  environ 
deux  cents  hommes  fut  parler  à  l'officier  pour  le  porter  à  se  retirer, 
ce  qu'il  fit,  et  il  parla  aussi  à  toute  l'assemblée  pour  les  exhorter  à 
se  retirer,  comme  ils  firent  également. 
Signés  :  «  François  Bénézet,  Daudé-Dalzon,  Guibal,  greffier.  » 

Informations  au  sujet  de  rassemblée.  — 4  février  1752.  — 
Devant  Daudé,  etc.  —  Jacques  Ménard,  fabriquant  de  bas  du  lieu  de 
BréaUjâgé  de  quarante  ans,  dépose  qu'il  vit  trois  ou  quatre  pelotons 
monter  vers  le  haut  de  Bréau,  ce  qui  lui  fit  juger  qu'il  y  avait  une 
assemblée  de  N.  C,  qu'il  rencontra  un  homme  à  cheval  portant 
une  redingote  qu'il  pensa  être  le  prédicant. 

Informations.  — 7  mars  1752.  —  Devant  les  mêmes.  —  Antoine 
Royer  de  Marsault,  lieutenant  de  dragons,  natif  de  Grenoble,  trente- 
huit  ans.  Le  30  janvier  ayant  par  ses  démarches  découvert  la  retraite 
des  prédicants  ou  ministres  chez  la  nommée  Fraissinet  cabarctière, 
il  envoya,  entre  six  et  sept  heures  du  soir,  Guérin,  Machard  et  Petit, 
dragons,  chez  la  veuve  Fraissinet,  pour  voir  s'il  y  avait  un  homme 
vêtu  de  gris,  etc.,  qu'il  s'y  rendit  seul  sur  l'avis  qu'il  y  était  et  monta 
le  pistolet  à  la  main  et  obligea  les  personnes  qu'il  rencontra  dans 
l'escalier  de  remonter,  avec  deffances  de  faire  aucune  résistance  sous 
peine  de  la  vie,  enfonça  une  porte  et  ayant  apperçu  l'homme  désigne 
qu'il  savait  être  un  prédicant,  il  fut  sur  lui  et  l'arrêta. 

Que  Bénézet  dit  avoir  assisté  ce  jour-là  à  une  assemblée  do  pro- 
lestants où  le  nommé  Paul  Marazel,  ministre,  qui  était  avec  lui  chez 
la  veuve  Fraissinet  lorsqu'il  y  avait  été  arrêté,  avait  prêché,  etc. 

Que  Bénézet  lui  avait  dit  que  le  nommé  Paul  Marazel,  ministre, 
qui  était  avec  lui  chez  la  veuve  Fraissinet  portait  une  i)aire  de  pis- 
tolets dans  son  manchon  et  qu'il  se  serait  bien  défendu  si  on  avait 
voulu  l'arrêter,  que  lui  Bénézet  en  aurait  fait  autant,  s'il  avait  pu. 


550  DOSSIER  d'un  proposant-martyr. 

Petit,  dragon,  dépose  qu'avant  de  fermer  la  porte  de  la  chambre, 
il  fut  obligé  de  donner  trois  ou  quatre  coups  de  plat  de  sabre  à  un 
homme  qui  était  dans  la  cuisine  avec  le  nommé  Mahistre,  maître 
perruquier,  et  qu'il  a  su  être  Paul  Marazel,  ministre,  que  ledit  Paul 
Marazel  ne  voulant  pas  sortir,  il  le  poussa  dehors,  etc. 

1"'  interrogatoire  de  Bénézet  par  Coulomb,  subdélégué  de  Mont- 
pellier, assisté  de  son  greffier.  —  8  et  9  mars  1752.  —  Est  resté 
huit  mois  dans  la  boutique  du  sieur  Rameau,  maître  chirurgien  de 
Montpellier,  où  il  fit  une  chute  qui  l'a  estropié,  pour  le  reste  de  ses 
jours,  de  la  main  gauche;  il  quitta  alors  cette  carrière  et  entreprit 
de  parvenir  au  ministère  de  la  religion  protestante.  Il  s'adressa  pour 
cela  au  sieur  Rampon,  proposant,  dont  il  fit  connaissance  la  veille 
de  Pentecôte  1744.  Il  partit  avec  Rampon  le  lendemain  pour  les 
Cévennes  où  il  assista  régulièrement  aux  assemblées  où  il  a  pu  se 
trouver.  Il  n'a  jamais  prêché  dans  lesdites  assemblées,  y  a  fait  quel- 
quefois la  prière,  mais  c'est  une  fonction  dont  tout  fidèle  est  capable 
pourvu  qu'il  sache  bien  lire.  N'a  pas  fait  d'autres  fonctions  dans 
lesdites  assemblées,  cependant  il  a  récité  quelquefois  de  petits  dis- 
cours que  le  proposant  lui  donnait  pour  voir  s'il  était  propre  au 
ministère,  mais  il  ne  les  a  récités  que  en  présence  des  anciens,  qui 
sont  les  juges-nés  des  talents  des  sujets  qui  aspirent  au  ministère. 

Il  est  resté  environ  un  an  avec  Rampon,  et  ensuite  fut  ta  Lausanne 
avec  le  consentement  verbal  du  sieur  Royer,  ministre,  il  y  étudia 
deux  ans.  Il  revint  en  France  auprès  de  Royer,  ayant  perdu  la  mé- 
moire; a  assisté  depuis  à  toutes  les  assemblées,  sans  prêcher 
parce  qu'on  le  lui  avait  défendu  jusques  à  un  prochain  synode,  sur 
ce  qu'il  n'avait  point  porté  de  certificat  de  son  professeur  de  Lau- 
sanne. 

Sa  mémoire  ne  revenant  pas,  il  se  dégoûta  de  l'étude,  et  laissa 
tenir  plusieurs  synodes  sans  y  assister.  11  avait  absolument  renoncé 
au  ministère  avec  d'autant  plus  de  raison  qu'il  avait  été  remercié 
dans  un  dernier  synode  à  cause  de  son  peu  de  mémoire. 

On  lui  fit  de  mauvais  traitements  dans  le  moment  qu'il  fut  ar- 
rêté. 

A  quelquefois  exhorté  des  malades,  avant  le  synode  tenu  en  1740, 
dans  lequel  il  fut  disgracié. 

A  assisté  à  l'assemblée  tenue  le  30  janvier  aux  environs  du  Vigan 
et  y  fit  la  prièrn.  «  Le  ministre  Paul  Marazel  y  prêcha  et  vint  ensuite 


DOSSIER    D  UN   PUOPOSANT-MARTYR.  551 

avec  le  répondant  au  Vigan,  où  ledit  répondant  fut  arrêté  dans  le 
cabaret  de  la  veuve  Fraissinet.  » 

Reconnaît  que  le  certificat  délivré  par  Grail,  P.  Marazel,  etc.,  est 
pour  lui  et  qu'il  demanda  ce  certificat  «  auxdits  ministres  pour 
pouvoir  se  procurer  du  pain  dans  les  pays  étrangers  où  il  avait  ré- 
solu de  passer,  et  où  il  espérait  trouver  une  condition  de  précepteur, 
ajoutant  encore  que  lesdits  ministres  ne  lui  ont  donné  la  qualité  de 
prédicateur  dans  ce  certificat  que  par  un  principe  de  charité,  per- 
suadés d'ailleurs  qu'il  était  hors  d'état  de  prêcher.  » 

Signés  :  «  B.  Coulomb  et  le  greffier.  » 

2»  Interrogatoire  devant  les  mêmes.  —  11  mars  1752.  —  Le 
répondant  n'étant  ni  ministre  ni  proposant  ne  pouvait  point  absoudre 
les  malades,  c'est-à-dire  leur  promettre  au  nom  de  J.-C.  le  pardon 
de  leurs  péchés,  ajoutant  encore  que  depuis  l'année  1748  il  avait 
été  défendu  de  la  part  des  ministres  par  des  lettres  circulaires  qu'ils 
avaient  écrit  aux  anciens  de  [le]  recevoir  dans  les  lieux  où  l'on  reçoit 
ordinairement  les  ministres  parce  qu'il  avait  absolument  demandé 
son  congé,  ce  qui  avait  indisposé  lesdits  ministres  contre  lui. 
Ce  ne  fut  que  par  grâce  et  à  force  de  sollicitations  qu'il  fut  intro- 
duit dans  le  synode  de  1749  où  il  fut  disgracié.  La  nouvelle  de  sa 
disgrâce  lui  ayant  été  annoncée,  il  tâcha  d'intéresser  par  ses  larmes 
les  ministres  et  les  anciens  qui  composaient  le  synode,  leur  faisant 
voir  qu'il  ne  savait  où  donner  de  la  tête  puisqu'ils  l'abandonnaient 
et  que  d'un  autre  côté  il  n'osait  point  retourner  dans  sa  famille 
crainte  d'être  arrêté.  Qu'alors  le  nommé  Boyer,  ministre,  le  rassura 
en  lui  disant  que  s'il  avait  quelque  chose  à  craindre  il  partagerait 
avec  lui  ses  appointements  plutôt  que  de  l'exposer,  mais  que  n'ayant 
élé  ni  ministre  ni  proposant  il  pouvait  se  retirer  en  toute  sûreté  à 
Montpellier,  où  les  puissances  le  laisseraient  tranquille  comme  elles 
en  usent  à  l'égard  de  quatre  autres  particuliers  qui,  après  avoir 
resté  quelque  temps  dans  le  désert  s'étaient  aussi  retirés  dans  leur 
patrie  où  personne  ne  les  inquiétait. 

Signés  :  «  B.  Coulomb  et  le  Greffier  ». 

17  mars  1752.  —  Interrogatoire  devant  les  mêmes.  —  Louis 
Mahistre,  maitre  perruquier  du  Vigan,  trente-cinq  ans,  de  la 
Religion  protestante. 


552  DOSSIER  d'un  proposant-martyr. 

Le  30  janvier  vers  les  six  heures  du  soir,  un  inconnu  vint  le 
chercher  pour  aller  au  cabaret  hors  de  la  ville  ranger  un  marchand 
étranger  chez  la  veuve  Fraissinet  dans  une  chambre  auprès  de  la 
cuisine  où  il  trouva  les  deux  hommes  qu'on  lui  dépeint,  qu'il 
accomoda  les  cheveux  au  nommé  Bénézet  c'est-à-dire  de  celui  qui 
portait  la  veste  rouge  car  il  ignorait  pour  lors  son  nom,  et  sortit 
de  ladite  chambre  tout  seul  lorsqu'il  eut  accommodé  le  nommé 
Bénézet. 

17  mars  1752.  —  Interrogatoire  devant  les  mêmes.  —  Jeanne 
Laporte  veuve  de  Jacob  Fraissinet,  cabaretière  au  Vigan,  quarante- 
huit  ans,  de  la  Religion  protestante,  logeant  les  voyageurs. 

La  maison  où  elle  habite  appartient  à  Poujade,  la  tient  à  loyer  à 
raison  de  66  francs  l'année. 

Nie  connaître  les  deux  particuliers  qui  soupèrent  chez  elle  quand 
Bénézet  fut  arrêté.  Mahistre  vint  et  entra  dans  la  chambre,  Marazel 
sortit  le  premier  de  la  chambre,  ensuite  Bénézet,  Mahistre  était 
sans  doute  sorti. 

17  mars  1752.  —  Interrogatoire  devant  les  mêmes.  —  Marie 
Fraissinet,  dix-sept  ans,  de  la  Religion  protestante,  fille  de  Jacob 
Fraissinet  et  Jeanne  Laporte. 

Dépose  comme  sa  mère. 

Informations  devant  les  mêmes.  —  17  mars  1752.  —  Laurens 
Dagorne,  dragon  dans  la  compagnie  de  Beauterel  au  régiment  de 
Laferonaye  en  quartier  au  Vigan,  vingt-neuf  ans,  témoin.  Fut 
commandé  par  ses  officiers  le  30  janvier  avec  les  autres  dragons 
pour  aller  chez  la  veuve  Fraissinet  cabaretière,  où  on  disait  dans 
la  troupe  qu'il  y  avait  un  ministre.  Il  s'y  rendit  et  y  trouva  beau- 
coup de  monde  rassemblé  dans  l'escalier.  Après  bien  des  efforts 
pour  passer,  il  parvint  au  premier  étage  avec  le  sieur  Demarceaux, 
son  lieutenant,  qui  l'avait  suivi  et  lui  aida  à  enfoncer  la  porte  de 
la  cuisine  où  ils  trouvèrent  un  homme  vêtu  de  gris,  veste  rouge, 
chapeau  bordé  d'or,  lequel  avait  déjà  été  arrêté  par  les  nommés 
Machard  et  Guérin,  dragons  du  même  régiment;  que  ledit  Demar- 
ceaux sauta  au  collet  de  ce  particulier  le  pistolet  à  la  main  en  lui 
disant  de  se  rendre,  qu'ensuite  le  déposant  le  fouilla  et  trouva 
plusieurs  livres... 

Que  ce  particulier  fut  conduit  dans  les  casernes  du  Vigan,  où  le 
déposant  le  fouilla  encore  et  trouva  sur  lui  plusieurs    papiers, 


DOSSIER  d'un  proposant-martyr.  553 

un  certificat  qui  avait  été  expédié  par  quelques  minisires,    cic. 

22  mars  4752.  —  Récusation  de  Daniel  Solier  avocat  du  Pioi  en  la 
sénéchaussée  de  Montpellier,  qui  est  remplacé  par  Faure  Saint- 
Marcel. 

24  mars  1752.  Interrogatoire  de  Bénézet  sur  la  selette,  par  Saint- 
Priest.  —  Répète  ce  qu'il  a  déjà  dit. 

24  mars  1752.  —Interrogatoire  par  Saint-Priesl  de  Louis  Maliistre, 
maitre  perruquier,  de  Jeanne  Laporte  veuve  Fraissinet  et  Marie  Frais- 
sinet,  safdle.  — Répondentcomme  devant  le  subdélégué  Coulomb. 

24  mars  1752.  —  Jugement  qui  condamne  à  mort  Bénézet,  etc.. 

20  avril  1752.  —  Jugement  qui  met  hors  de  cour  et  de  procès 
Louis  Mahistre,  Jeanne  Laporte  veuve  Fraissinet  et  Marie  Fraissinet, 
sa  fdle. 

Dossier  relatif  àl'assassinat  de  la  nomméeFlavier,  veuve  ViUaret, 
soupçonnée  d'avoir  vendu  la  retraite  de  Bénézet. 

Intendance.  Archives  civiles.  Série  C.  437.  Analyse  Teissier. 

5  mars  1752.  —  Lettre  de  Daudé-Dalzon  à  l'Intendant.  {Ori- 
ginal signé.) 

Avis  de  l'assassinat  commis  la  veille  sur  la  personne  de  la  nom- 
mée Flavier  veuve  Villaret  à  qui  on  a  coupé  la  gorge  près  de  sa 
cheminée,  la  nuit...  Elle  était  soupçonnée  d'avoir  fait  capturer 
Bénézet  et  elle  était  bien  avertie  de  se  tenir  sur  ses  gardes. 

9  mars  1752.  —  Daudé  père  au  même.  —  Soupçons  contre  Gibert 
et  Parlongue  de  la  paroisse  de  Molières  d'avoir  assassiné  la  veuve 
Villaret.  Gibert,  originaire  d'Avèze,  a  été  garçon  chirurgien,  à  pré- 
sent boucher,  est  un  véritable  bandit,  qui,  depuis  peu,  a  fait  i)anque- 
route,  très  mal  famé,  était  en  commerce  avec  la  Villaret.  Parlongue, 
cabaretier  de  Molières,  aussi  mal  famé  que  Gibert,  sont  toujours 
ensemble.  Ils  ont  volé  de  concert,  il  y  a  quelque  temps,  un  cahier  d(î 
notes  au  S"^  Laval  notaire,  où  il  y  avait  une  obligation  conseiili(; 
par  Gibert.  Cela  s'accomodc  en  rendant  ledit  cahier. 

On  a  soupçonné  ici.  Monseigneur,  que  la  Villaret  et  Gibert  avaicul 
pu  agir  de  concert  pour  la  capture  de  Bénézet,  et  que  Gibert,  pour 
ne  pas  être  découvert  par  ladite  Villaret  et  principalemenl  pour  la 
voler,  s'est  déterminer  à  la  tuer. 


554  MÉLANGES. 

Demande  d'une  garde  pour  tenir  Parlongue  en  prison. 

22  mars  1752.  —  Polibourg,  capitaine  de  dragons  au  Reg.  de  la 
Ferronnais  à  l'Intendant. 

Le  sieur  Bénézet,  le  jour  de  sa  prise,  avait  soupe  et  couché  aussi 
bien  que  le  sieur  Paul  chez  le  sieur  Perrin,  hôte  du  Cheval  Vert, 
chez  qui  nous  mangeons.  Le  lendemain  à  sept  heures  du  matin,  le 
sieur  Bénézet  passa  à  cheval  le  long  du  quay  estant  bien  frisé,  allant 
à  l'assemblée  pour  y  prêcher,  Ce  même  jour  il  fut  arrêté  entre  six 
à  sept  heures  du  soir,  étant  à  souper  chez  la  veuve  Fraissinet  avec 
Paul  de  Mahistre,  M."  perruquier,  qui  l'avait  frisé  le  matin.  Nous 
vînmes  souper  entre  les  huit  et  neuf  heures  du  soir,  nous  trou- 
vâmes les  visages  de  Perrin  et  de  sa  femme  fort  tristes  et  fort  allon- 
gés. Le  lendemain  au  soir  arrivèrent  deux  détachements.  Je  donnai 
à  manger  aux  officiers  el  la  dame  Villaret  vint  aider  à  son  beau- 
frère  et  à  sa  sœur,  selon  sa  coutume,  lorsqu'ils  avaient  beaucoup  de 
monde,  etc.. 


MÉLANGES 


DES  CONSISTOIRES 

ET   DE   LA   CONFISCATION    DE  LEURS   BIENS    EN    1G85'. 
GÉUANCE    DES    BIENS    CONFISQUÉS 

Louis  XIV  à  qui  l'on  avait  persuadé  qu'il  n'y  avait  plus  de  protes- 
tants dans  le  Royaume,  ou  du  moins  qu'ils  tenaient  si  peu  à  leur 
religion  qu'ils  ne  feraient  aucune  difficulté  de  l'abandonner  s'ils 
avaient  à  souffrir  pour  elle,  rendit  un  décret  en  vertu  duquel  ceux 
qui  avaient  été  dépouillés  de  leurs  biens  pouvaient  les  recouvrer  à 
la  condition  de  rentrer  en  France  el  de  se  faire  catholiques. 

1.  Voir  le  Bulletin  du  15  novembre  ilcrnicr,  p.  508. 


MÉLANGES.  555 

Cela  explique  comment  il  dépouillait  les  protestants  sans  se  de- 
mander ce  qu'on  ferait  de  leurs  dépouilles.  C'est  pourtant  bien  ce 
qui  arriva.  Et  en  effet,  dans  les  premiers  temps,  on  ne  paraît  pas 
avoir  songé  à  fonder  une  caisse  particulière;  on  mit  la  main  sur  les 
biens  des  religionnaires,  et  on  les  distribua  au  jour  le  jour  en  pen- 
sions à  de  nouveaux  convertis,  et  en  fondations  d'écoles  de  propa- 
gande. Et  les  comptes  sont  arrêtés  par  les  receveurs  ordinaires  dans 
la  forme  que  voici.  Recette  tant,  dépenses  pour  faire  la  recette  tant, 
doit  le  comptable  tant,  qu'il  tiendra  à  notre  disposition.  Nous  don- 
nons ici  un  compte  qui  fut  probablement  le  dernier  rendu  sous 
cette  forme. 

Somme  totale  de  la  reccpte  des  consis- 
toires et  des  pauvres 26G7  1.    9  s.  4  d. 

Et  la  dépense  monte 262      19  5 

Partant  doit  le  comptable  la   somme  de.  2391        9  il 

laquelle  il  payera  ainsi  qu'il  lui  sera  par  nous  ordonné. 

Voici  encore  un  autre  règlement  de  la  même  année  qui  établit 
la  même  chose. 

Somme  totale  de  la  recepte  des  biens  des 

ministres  et  des  fugitifs ,.  G9247  1.  15  s.     8  d. 

Et  les  dépenses  et  reprises  montant  à. . .  4CG37  0         9 

Par  suite  doit  le  comptable  la  somme  de.  20210  14  11 

qu'il  payera  ainsi  qu'il  lui  sera  par  nous  ordonné. 

Qu'on  veuille  bien  remarquer  que  dans  ces  deux  règlements  il 
s'agit  d'un  comptable  et  non  d'un  fermier. 

A  cette  époque  les  biens  des  consistoires  et  des  fugitifs  n'avaient 
pas  encore  été  soumis  aux  règles  d'une  administration  particulière. 
L'édit  de  janvier  1688,  prépare  l'avenir  en  même  temps  qu'il  éclaire 
le  passé.  On  lit  dans  cet  édit  :  «  Nous  avons  dit,  déclaré  et  ordonné 
disons,  déclarons  et  ordonnons  par  ces  présentes  signées  de  notre 
main,  voulons  et  nous  plaît,  que  les  biens  immeubles  qui  ont  aji- 
partenu  aux  consistoires,  aux  ministres  de  la  R.  P.  R.  et  à  ceux  de 
nos  sujets  de  la  dite  religion  qui  sont  sortis  et  sortiront  de  notre 
royaume,  au  préjudice  de  nos  édits  et  déclarations,  soient  et  de- 
meurent réunis  h  iiotro  domaino,  pour  osfro  les  dits  biens  immen- 


556  MÉLANGES. 

bles  dorénavant  administrés  et  régis  en  la  même  forme  et  manière 
(|ue  nos  autres  domaines,  et  en  être  fait  des  baux  aux  fermiers  des 
domaines  de  chacune  généralité,  ou  autres  particuliers,  au  plus 
offrant  et  dernier  enchérisseur,  par  les  sieurs  intendants  et  com- 
missaires départis  dans  les  provinces  et  généralitez  de  notre 
royaume,  à  la  diligence  des  receveurs  généraux  de  notre  domaine, 
le  prix  desquels  baux  sera  payé  parles  adjudicataires  entre  les  mains 
des  susdits  receveurs  généraux,  pour  être  employé  suivant  et  ainsi 
qu'il  sera  par  nous  ordonné,  tant  à  fonder  et  entretenir  des  maîtres 
et  maîtresses  d'école  pour  enseigner  gratuitement  tous  les  enfants 
des  lieux  où  l'établissement  en  sera  jugé  nécessaire,  et  des  villages 
des  environs  sur  les  avis  qui  nous  seront  donnez  par  les  dits  sieurs 
intendants  et  commissaires  établis,  après  avoir  conféré  avec  les  ar- 
chevêques et  évêques  des  diocèses  de  leur  département,  sur  les- 
quels il  sera  par  nous  pourvu,  qu'au  rétablissement  des  églises, 
fondations,  hôpitaux  et  toutes  autres  destinations  utiles  et  néces- 
saires pour  l'avantage  des  nouveaux  convertis  et  le  bien  de  la  reli- 
gion suivant  et  ainsi  qu'il  sera  par  nous  ordonné.  » 

Trois  choses  résultent  de  cet  édit  :  1°  Que  précédemment  les 
biens  saisis  entraient  dans  le  domaine  royal; '2° que  le  fermage  sera 
ou  pourra  être  substitué  à  la  perception  directe;  3°  Que  rien  n'est 
encore  changé  dans  l'emploi  de  ces  fonds. 

Quant  au  premier  chef  ou  à  l'entrée  des  biens  saisis  dans  le  do- 
maine royal,  jusqu'à  l'édit  dont  nous  venons  de  parler,  rien  n'avait 
été  réglé  sur  la  manière  de  saisir  ces  biens  et  de  les  distribuer.  Pour 
savoir  ce  qui  s'est  passé  dans  cet  intervalle,  il  faut  recourir  aux  rè- 
glements de  comptes  qui  heureusement  fournissent  tous  les  rensei- 
gnements dont  nous  avons  besoin.  Ils  nous  apprennent  que,  par 
ordre  de  M.  de  Basville,  les  subdélégués  furent  chargés  de  faire  par 
eux-mêmes  ou  avec  le  concours  de  personnes  dignes  de  leur  con- 
fiance une  recherche  très  exacte  des  biens  des  consistoires. 

Pour  y  })arvenir  les  subdélégués  ou  leurs  représentants  deman- 
dèrent des  détails  aux  anciens  des  consistoires  qui,  comme  nous 
l'avons  dit,  étaient  demeurés  responsables  en  vertu  du  certificat  de 
décharge  délivré  auxj'pasteurs  avant  leur  départ.  Quant  ces  états 
étaient  dressés  par  les  anciens,  les  subdélégués  ou  leurs  mandataires 
examinaient  très  soigneusement  article  par  article  les  uns  et  les 
autres  jusqu'à  plus  ample  information.  Après  ces  préliminaires  les 


MÉLANGES.  557 

comptes  étaient  transmis  par  les  délégués  au  receveur  général  des 
domaines  de  la  généralité  et  par  celui-ci  à  l'intendant. 

Un  compte  que  rend  à  M.  Lamoignon  de  Basville,  le  receveur 
général  de  la  généralité  de  Toulouse,  Etienne  Leclerc,  le  1:2  mars 
1690,  nous  fait  bien  connaître  la  marche  suivie  avant  cette  époque. 
Il  y  dit,  dans  le  préambule  :  «  Il  vous  plaira,  Monseigneur,  remar- 
quer que  le  roy  ayant  révoqué  Tédit  de  Nantes,  par  un  autre  du 
mois  d'octobre  1685  et  confisqué  le  bien  de  plusieurs  de  ses  sujets  de 
la  R.  P.  R.  par  diverses  déclarations  à  cause  de  leur  sortie  du 
royaume  et  de  leur  retraite  dans  les  pays  étrangers,  vous  fûtes  obligés 
de  pourvoir  à  l'administration  des  biens  tant  des  consistoires  sup- 
primés que  de  ces  fugitifs  et  d'y  commettre  des  personnes  intègres  et 
capables  pour  les  régir  et  les  conserver  aux  églises,  aux  pauvres  et  à 
ceux  qui  profiteraient  des  grâces  promisesparcetÉdit.  Mais  plusieurs 
estant  demeurés  dans  l'opiniâtreté,  Sa  Majesté  se  vit  forcée  de  réunir 
leurs  biens  à  son  domaine  par  un  autre  édit  du  mois  de  janvier  1688 
et  d'en  commettre  l'administration  aux  receveurs  de  ces  domaines, 
chacun  dans  l'étendue  de  leur  généralité,  en  exécution  de  laquelle 
le  comptable  a  fait  celle  de  la  généralité  de  Toulouse  sous  vos  ordres 
jusqu'à  la  fin  de  l'année  1689.  »  Ce  qui  précède  montre  comment  il 
était  procédé  jusqu'ici  à  la  perception  des  biens  confisqués.  C'étaient 
les  agents  du  pouvoir,  les  receveurs  généraux  qui  s'en  occupaient  et 
voici  comment.  Nous  sommes  en  pleine  régie,  ils  ne  portaient  à 
l'actif,  c'est-à-dire  à  la  colonne  des  sommes  exigibles,  que  ce  qu'ils 
avaient  réellement  touché;  et  si,  par  exemple,  une  terre  était  de- 
meurée improductive,  ou  si  le  revenu  avait  dû  être  employé  à  payer 
des  impositions  ou  des  réparations,  la  valeur  de  la  terre  figurait 
dans  le  compte,  mais  elle  n'était  portée  que  pour  mémoire  et,  au 
lieu  du  produit,  qui  n'existait  pas,  on  mettait  en  colonnes,  le  mot 
advertatur.  Il  en  était  de  même  des  valeurs  improductives,  comme 
des  bassins  et  des  coupes  en  argent  que  l'on  reincllait  aux  évoques^ 
Tout  cela  figurait  comme  advertatur. 

L'édit  de  janvier  1688  modifiait  ce  qui  s'était  passé  jus(iue-là, 
tant  au  point  de  vue  du  recouvrement  des  fonds  que  de  leur 
emploi. 

1.  Huit  coupes  et  deux  bassins,  appartenant  au  Consitoirc  de  Castres,  furent 
remis  à  l'évèque  de  cette  ville. 


558  MÉLANGES. 

Pour  ce  qui  csi  du  recouvrement  des  fonds,  nous  avons  vu  que 
dans  le  principe,  ils  étaient  directement  saisis  ou  perçus  par  les 
fonctionnaires  du  gouvernement;  maintenant  les  immeubles  vont 
être  affermés  au  plus  offrant  et  dernier  enchérisseur.  Et  en  effet, 
nous  trouvons  aux  archives  de  l'Hérault  tout  l'appareil  d'une  mise 
en  adjudication;  des  offres  sont  faites  séparément  par  diverses  per- 
sonnes pour  les  deux  adjudications  des  deux  généralités  de  la  pro- 
vince de  Languedoc,  et  comme  l'adjudicataire  qui  faisait  les  offres  les 
plus  avantageuses  ne  présentait  pas  des  garanties  suffisantes,  le  sieur 
Audiffret  les  obtint  toutes  les  deux  pour  la  somme  de  63  000  livres. 

Nous  voici  donc  entrés  dans  une  phase  nouvelle,  nous  sommes 
sous  le  régime  des  fermiers.  Il  ne  faut  cependant  pas  croire  que  ce 
régime  fut  exclusif  et  qu'il  put  être  partout  appliqué.  Là  où  la  chose 
n'était  pas  possible,  l'ancien  mode  était  conservé.  Il  y  eût  même  des 
cas  où  des  personnes  furent  directement  chargées  de  s'occuper  de 
ce  soin. 

C'était  bien  quelque  chose  que  d'obtenir  ainsi  des  listes  aussi  com- 
plètes que  possible,  mais  ce  n'était  pas  tout  ;  les  états  une  fois  dressés 
il  fallait  procéder  au  recouvrement  et  comme  l'intendant  ne  pouvait 
pas  entrer  dans  ces  détails,  il  pria  MM.  les  évêques  de  vouloir  bien 
prendre  cette  peine  et  nommer,  dans  ce  but,  Ici  subdélégué  qu'ils 
jugeront  bon  de  recommander.  L'emploi  des  sommes  ainsi  perçues, 
est-il  ajouté,  «  doit  être  au  profit  des  pauvres  de  chaque  lieu, 
observant  d'employer  les  capilauxà  ce  qu'ils  (les  évêques)  jugeront 
à  propos,  en  sorte  qu'il  n'y  ait  que  l'intérêt  qui  puisse  estre  depancé 
chaque  année  ».  Des  jugements  des  subdélégués,  il  y  aura  appel 
par  de/ant  M.  de  Basville  et  tout  cela  se  fera  sans  frais. 

Quelle  fut  la  cause  du  changement  que  nous  venons  de  signaler. 
Il  est  bien  vrai  que  sous  le  régime  de  la  régie  les  paiements  ne  se 
faisaient  pas  toujours  avec  une  parfaite  exactitude,  cl  nous  trouvons 
par  exemple  un  arrêté  (10  novembre  1088)  portant  que  les  commis 
qui  ont  ci-devant  fait  régie  des  biens  de  ceux  de  la  R.  P.  R.  pour  le 
Languedoc  et  la  Provence  et  dans  les  généralités  de  Metz,  Lyon  et 
Châlons  auront  à  payer  des  sommes  qui,  réunies,  s'élèvent  à  124  790 
livres  qui  sont  dues  d'après  les  comptes  arrêtés  par  les  intendants 
et  chefs  départis  dans  les  provinces  et  généralités  dont  il  s'agit; 
mais  il  est  vrai  aussi  que  des  reproches  analogues  furent  faits  aux 
fermiers  payeurs  et  autres  les  10  juillet  1690,  9  septembre  et  24  oc- 


AIÉLANGES.  559 

tobre  de  la  même  année.  Le  changement  ne  fut  donc  pas  très  heu- 
reux, mais  les  reproches  constateraient  au  besoin  que  le  mode 
d'administration  signalé  était  réel. 

L'adjudication  dont  nous  avons  parlé  était  faite  pour  trois  ans. 
Avant  que  cette  période  fût  révolue,  Louis  XIV  changea  d'avis.  Il  lui 
sembla  que  le  but  poursuivi  par  lui,  la  conversion  des  protestants, 
serait  plus  sûrement  atteint  par  une  autre  voie  et  tout  fut  dès 
lors  réglé  en  vue  de  faire  de  ces  biens  un  appât  continuel  pour  les 
descendants  et  les  héritiers  de  ceux  à  qui  ils  avaient  été  en- 
levés. 

Dans  la  citation  que  nous  avons  faite  plus  haut  du  préambule  du 
compte  que  le  receveur  général  des  domaines,  Etienne  Leclerc, 
rend  à  M.  de  Basville,  nous  avons  réservé  une  dernière  phrase  que 
nous  produisons  ici  :  «  A  la  fin  de  l'année  1689,  il  a  plu  au  Roy  de 
destiner  les  biens  des  Consistoires  pour  estre  employez  à  des  œuvres 
pieuses  et  de  donner  ceux  des  fugitifs  à  leurs  plus  proches  et  légi- 
times héritiers,  par  son  Édit  du  mois  de  décembre  1689,  en  confor- 
mité duquel  il  (le  comptable),  rend  le  présent  compte  comme  s'en- 
suit ».  Puis  vient  le  compte  qui  marque  évidemment  la  transition  des 
deux  régimes  et  dont  nous  parlerons,  dans  un  moment,  quand  nous 
essaierons  de  nous  faire  une  idée  de  la  valeur  des  biens  dont  les 
consistoires  étaient  possesseurs. 

La  foi,  le  dévouement,  la  fidélité  au  devoir  ne  sont  pas  toujours 
héréditaires  ;  le  père  ne  les  transmet  pas  à  ses  enfants  comme  il 
leur  transmet  un  bien  terrestre.  Il  arriva  donc  que  les  héritiers  de 
ces  fugitifs  à  qui  le  désir  de  servir  Dieu  selon  leur  conscience  avait 
fait  abandonner  leur  patrie,  virent  avec  regret  que  l'héritage  sur 
lequel  ils  avaient  compté  allait  leur  échapper.  En  effet,  si  ces  biens 
étaient  vendus,  si  le  montant  en  était  consacré  à  des  œuvres  pies, 
si  seulement  ils  entraient  dans  le  domaine  public,  comment  en 
retrouver  la  trace  plus  tard  ?  Ils  adressèrent  donc  de  nombreuses 
réclamations  à  Louis  XIV,  afin  d'obtenir  qu'ils  fussent  conservés, 
qu'on  se  bornât  à  en  recueillir  les  fruits,  et  que,  quand  les  proprié- 
taires de  ces  biens  qui  étaient  passés  à  l'étranger  viendraient  à 
mourir,  la  transmission  ne  fût  pas  interrompue  et  que  les  héritiers 
restés  en  France,  et  soumis  à  la  volonté  du  roi,  ne  fussent  pas  privés 
de  ce  qui  leur  aurait  appartenu,  si  ceux  ([ui  avaient  possédé  ces 
biens  n'avaient  pas  quitté  le  royaume.  Ces  observations  parurent 


560  MÉLANGES. 

justes  à  Sa  Majesté,  elles  étaient  d'ailleurs  conformes  au  but  qu'elle 
poursuivait  et,  en  décembre  1689,  elle  rendit  un  Édit  portant 
que  les  plus  proches  parents  et  légitimes  héritiers  des  religion- 
naires  fugitifs  entreront  en  possession  des  biens  que  ceux-ci  ont 
laissés  dans  le  Royaume.  «  Nous  aurions,  y  est-il  dit,  par  notre  Èdit 
du  mois  de  janvier  1688,  réuni  ces  biens  délaissez  à  notre  domaine 
non  pas  pour  en  augmenter  nos  revenus,  mais  afin  qu'ils  fussent 
régis  et  conservés  par  nos  officiers  avec  le  même  soin  que  les  nôtres, 
et  que  leurs  revenus  pussent  être  employez  ainsi  que  nous  les  avions 
destinés;  mais  ayant  esté  informez  des  difficultés  qui  se  rencontrent 
à  l'exécution  de  ce  projet,  à  cause  des  différentes  prétentions  que 
plusieurs  de  nos  sujets  ont  sur  lesdits  biens,  et  ayant  d'ailleurs 
égard  aux  supplications  qui  nous  ont  esté  faites  de  conserver  les  dits 
biens  aux  héritiers  légitimes  de  ceux  qui  par  leur  retraite  les  ont 
délaissez,  et  pouvant  par  d'autres  moyens  pourvoir  à  l'établissement 
de  ce  qui  sera  jugé  nécessaire  pour  l'avantage  de  la  Religion  dans 
notre  Royaume,  sans  réduire  tous  ces  biens  en  main  morte  et  les» 
ôter  du  commerce  de  ceux  qui  aident  à  supporter  les  charges  de 
notre  État.  A  ces  causes,  de  l'avis  de  notre  Conseil  et  après  avoir  y 
vu  lesdits  Édits  et  déclarations,  et  l'arrêt  rendu  en  icelui,  et  le 
31  mars  1688,  Nous  avons  de  notre  certaine  science,  pleine  puis- 
sance et  autorité  royale,  parle  présent  Edit  perpétuel  et  irrévocable, 
dit,  déclaré,  statué  et  ordonné  ;  disons,  déclarons,  statuons  et  ordon- 
nons, voulons  et  nous  plaît. 

1°  (Nous  abrégeons  sans  changer  l'idée.)  Que  les  biens  des  Consis- 
toires destinés  à  l'entretien  des  ministres  et  des  pauvres  continuent 
à  être  employés  à  des  œuvres  pieuses,  hôpitaux,  communautés  reli- 
gieuses, etc. 

'2"  Que  les  biens  des  fugitifs  appartiennent  à  ceux  de  leurs  parents 
paternels  ou  maternels,  auxquels  suivant  les  dispositions  des  cou- 
tumes et  des  lois  observées  dans  les  provinces  de  notre  Royaume, 
ils  eussent  appartenu  par  la  mort  naturelle  de  ceux  qui  se  sont 
ainsi  retirez  et  qu'ils  les  partagent  et  possèdent  en  la  môme  manière 
que  s'ils  les  avaient  recueillis  par  succession. 

3°  Nous  voulons  qu'ils  entrent  en  jouissance  d'iceux  au  premier 
jour  du  mois  de  janvier  prochain;  déclarons  à  cet  effet  nuls  et  réso- 
lus audit  jour,  tous  les  baux  généraux  et  particuliers  qui  ont  été 
faits  desdits  biens  par  nos  ordres. 


MÉLANGES.  561 

Suivent  cinq  autres  articles  relatifs  aux  questions  litigieuses  qui 
peuvent  se  présenter. 

De  cet  Édit  il  résulte  (|ue  le  changement  dans  le  mode  d'adminis- 
tration des  biens  est  parfaitement  constaté;  et  que  les  biens  des 
Consistoires  restent  distincts  de  ceux  des  fugitifs.  A  vrai  dire,  c'est 
de  ces  premiers  que  nous  nous  occupons  spécialement  ici  et  le  mo- 
ment est  venu  d'en  rechercher  la  valeur. 

Nous  n'avons  pas  sous  la  main  les  comptes  qui  ont  dû  être  ren- 
dus dans  toutes  les  provinces  de  France.  Nos  études  doivent  se  con- 
centrer sur  une  seule  et  encore  ne  peuvent-elles  embrasser  tous  les 
diocèses  dont  elle  se  composait;  de  plus  ces  comptes,  nous  ne 
savons  pourquoi,  sont  enchevêtrés  avec  plusieurs  diocèses  des  pro- 
vinces. Les  diocèses  sur  lesquels  nous  opérons  sont  :  Agde,  Alais, 
Alby,  Béziers,  Castres,  Lavaur,  Lodève,  Mende,  Nîmes,  Montpel- 
lier, St-Pons,  Valence,  Vienne,  Viviers  et  Uzès.  En  tout  quinze  dio- 
cèses seulement  sur  vingt  et  un  ou  vingt-deux,  Valence  et  Vienne 
sont  situés  de  l'autre  côté  du  Rhône.  Le  produit  des  quinze  dio- 
cèses sus-mentionnés  fut,  pour  l'année  1690, 443,491''^,  Ss,  7d.  A  ce 
capital  actif,  il  faut  ajouter  les  valeurs  portées  en  adcertatur  c'est- 
à-dire  celles  qui  ne  figurent  que  pour  mémoire  et  qui,  tout  en  étant 
réellement  possédées  sont  pour  le  moment  improductives,  et  les 
créances  qu'on  n'est  pas  encore  parvenu  à  faire  payer.  Ces  valeurs 
étaient  considérables,  mais  il  n'est  pas  possible  d'en  faire  une  éva- 
luation exacte.  Il  faut  encore  tenir  compte  de  sommes  qui  ne  figu- 
rent pas  dans  le  chiffre  ci-dessus  pour  le  motif  qu'elles  avaient  été 
saisies  avant  la  révocation  de  l'Édit  de  Nantes  et  qu'elles  étaient 
déjà  entrées  dans  la  caisse  des  hospices   et  dans  le  trésor  des 
évêques.  C'est  ce  que  nous  savons  positivement  pour  Montpellier. 
Dans  le  compte  de  ce  diocèse  qui,  comme  tous  les  autres,  est  ainsi 
divisé  :  Fonds,  legs,  reliquat  de  compte,  total ,  l'article  fonds  est 
porté  0  et  celui  de  legs  0  également.  Or  il  est  bien  connu  que  celte 
église  avait  possédé  des  maisons,  des  terres,  des  vignes,  des  empla- 
cements de  temples;  plus  un  cimetière  dont  il  est  dit  :  «  qu'il  n'est 
présentement  affermé  que  180  livres  de  rente  annuelle,  parce  que 
le  rentier  n'a  pas  la  liberté  de  s'en  servir  pour  y  faire  du  fourrage 
et  en  cueillir  la  feuille  des  mûriers  qui  y  sont  ».  Ceci  est  extrait  d'un 
état  dressé  par  M.  Guilleminet,  en  réponse  à  une  demande  qui  lui 
avait  été  faite  par  l'Intendant.  Voici  le  commencement  de  la  lettre 

XXXIII.  —  36 


562  MÉLANGES. 

qui  accompagne  le  Mémoire.  Elle  est  datée  du  25  juillet  1699. 

«  Monsieur, 

»  Je  satisfais  à  l'ordre  que  vous  m'avez  donné  par  votre  lettre  du 
18  de  ce  mois  et  vous  envoie  Testât  des  biens  et  revenus  que  nostre 
hôpital  général  jouit,  ayant  appartenu  au  consistoire  et  pauvres  de 
la  R.  P.  R.  de  cette  ville.  Je  vous  assure  que  j'y  ai  travaillé  avec 
toute  l'exactitude  possible,  sur  les  mémoires  et  actes  qui  sont  aux 
archives  dudit  hôpital.  Avec  tout  cela  je  ne  puis  pas  vous  assurer 
que  tout  ce  que  ces  Messieurs  possédaient  y  soit,  parce  que  ces 
Messieurs  ont  esté  si  soigneux  à  cacher  leurs  papiers  et  registres, 
qu'il  n'a  pas  esté  à  notre  pouvoir  de  découvrir  où  estoient  les 
comptes  de  leurs  receveurs;  mais  je  puis  vous  certifier,  Monsieur, 
que  tout  ce  que  nostre  hospital  jouit  est  actuellement  dans  Testât 
que  je  vous  envoie.  »  (x\rchives  de  l'Hérault,  C.  275.) 

Il  est  facile  de  concevoir  combien  les  sommes  déjà  saisies  aux 
Consistoires  et  attribuées  aux  hospices,  avant  la  Révocation,  auraient 
élevé  le  chiffre  de  leur  avoir,  si  elles  n'en  étaient  pas  sorties  avant 
cette  époque.  Or  le  nombre  des  temples  ainsi  démolis  et  dont  les 
biens  avaient  été  confisqués  avant  TÉdit  révocatoire  était  considé- 
rable. Il  y  en  avait  six  pour  le  diocèse  de  Montpellier*.  On  peut 
juger  des  autres  diocèses  par  ce  qui  se  passait  dans  celui-ci. 

D'après  le  produit  connu  de  quinze  diocèses  du  royaume,  on  peut 
se  faire  une  idée,  imparfaite,  il  est  vrai,  mais  pourtant  suffisante, 
des  biens  saisis  h  tous  les  consistoires  de  France.  Il  est  certain  que 
ce  chiffre,  impossible  à  déterminer  exactement,  était  très  élevé. 

il  y  avait  encore  pour  les  protestants  une  autre  ressource  qui  les 
tirait  toujours  de  peine  et  qui  ne  peut  être  soumise  à  aucun  calcul, 
c'était  celle  qu'on  désignait  par  le  nom  de  collectes  volontaires.  Ils 
y  recouraient  toutes  les  fois  que  leurs  ressources  étaient  épuisées  et 
ce  moyen  n'était  jamais  invoqué  en  vain.  C'est  pour  cela  ([ue  le 
despotisme  de  Louis  XIV  alla  jusqu'à  l'interdire. 

«  Sa  Majesté  leur  fait  défense  de  faire  aucune  imposition  sans  sa 

1.  Les  six  temples  démolis  avant  la  Révocation  étaient  :  les  deux  de  Mont- 
pellier, 1670  et  1682;  ceux  de  Mauguio,  Poussan,  Pignan,  Cournontsrral  :  tous 
en  1670. 


MÉLANGES.  563 

permission  expresse,  à  peine  d'être  punis  selon  la  rigueur  des 
ordonnances.  »  (Arrêt  du  Conseil  du  11  décembre  1681.) 

Le  chiffre  des  valeurs  actives  enlevées  aux  consistoires  était  déjà 
considérable,  nous  l'avons  vu.  Celui  des  valeurs  improductives, 
portées  pour  mémoire  et  figurant  sous  le  nom  d'advertatur,  \'ét3iii 
également;  et  à  cette  somme  il  faudrait  ajouter  encore  celles  qui, 
à  la  suite  de  nombreux  procès,  avaient  été  attribuées  aux  hôpitaux 
et  aux  évêques.  La  réunion  de  ces  sommes  diverses  s'élevait  à  un 
chiffre  considérable.  Ce  serait  beaucoup  sans  doute,  mais  ce  ne  serait 
pas  tout,  et,  pour  nous  faire  une  idée  de  son  importance  annuelle,  il 
serait  juste  encore  de  tenir  compte  de  la  valeur  de  l'argent  qui  était 
bien  supérieure  à  celle  qu'il  a  de  nos  jours  et  qu'il  est  permis  de 
tripler  sans  aucune  exagération  ^. 

i.  La  note  qu'on  va  lire  est  de  notre  savant  collègue  de  l'Académie  des  sciences 
et  lettres  de  Montpellier,  M.  le  professeur  Gide,  qui  a  bien  voulu  la  rédiger  à 
notre  demande  : 

En  1660  on  frappait  30  livres  au  marc  d'argent.  Le  marc  d'argent  pesant 
1/2  livre  ou  250  grammes,  la  livre  monnaie  pesait  donc  à  cette  époque  250/30 
—  Sï-^SO  environ. 

Comme  notre  franc  d'aujourd'hui  ne  contient  que  4a'50  d'argent,  la  livre  de 
1600  représentait  donc  en  poids  d'argent  à  peu  près  notre  pièce  de  40  sous  — 
exactement  1,83. 

En  1683  on  frappait  32  livres  au  marc.  La  livre  monnaie  contenait  donc  un 
peu  moins  d'argent  V^,10  environ. 

Reste  à  savoir  quel  était  le  pouvoir  d'acquisition  de  l'argent  à  celte  époque, 
c'est-à-dire  quelle  était  la  quantité  de  richesses  qu'on  pouvait  se  procurer  avec 
une  quantité  donnée  d'argent  comparée  à  celle  qu'on  pourrait  se  procurer 
aujourd'hui. 

Mais  sur  ce  point  on  en  est  réduit  à  des  conjectures.  La  statistique  n'a  aucun 
moyen  pour  mesurer  la  valeur  de  l'argent.  La  monnaie  est  une  mesure  qui  sert 
à  évaluer  toutes  les  valeurs,  mais  on  n'a  pas  de  mesure  pour  évaluer  la  mon- 
naie. D'après  Leber  le  pouvoir  d'acquisition  de  l'argent  était,  au  xvil"  siècle,  le 
double  de  ce  qu'il  est  de  nos  jours,  c'est-à-dire  qu'un  revenu  d'argent  représen- 
tait, à  poids  égal,  une  richesse  double  qu'aujourd'hui. 

Dans  cette  hypothèse  le  calcul  est  facile  :\  faire.  Soit  un  bien  évalué  100  livres 
en  1660.  Nous  savons  d'abord  que  ces  100  livres  représentent  un  poids  d'argent 
égal  à  183  francs;  si  maintenant  l'argent  avait  deux  fois  plus  de  valeur,  à  poids 
égal,  il  faut  en  conclure  que  ces  100  livres  valaient  en  monnaie  d'aujourd'hui 
366  francs. 

Soit  un  bien  évalué  100  livres  en  1683.  Ces  100  livres  pesaient  autant  quo 
170  francs  et  représentaient  une  valeur  de  3i0  francs  en  monnaie  d'aujourd'hui. 


564  MÉLANGES. 

Tous  ces  accroissements  que  nous  ne  calculons  ici  que  pour  le 
Languedoc  (pas  même  pour  le  Languedoc  entier)  et  qu'il  faudrait 
ensuite  étendre  proportionnellement  à  tout  le  royaume,  nous  condui- 
raient-ils à  la  somme  totale  des  spoliations  dont  nos  pères  furent  les 
victimes  ?  Nous  en  serions  encore  bien  éloignés.  En  effet,  et  il  ne  faut 
pas  l'oublier,  nous  n'avons  parlé  jusqu'ici  que  des  sommes  enlevées 
aux  consistoires,  et  il  semble  que  le  sujet  dont  nous  avons  fait  choix 
ne  nous  appelait  pas  à  nous  occuper  d'autre  chose;  mais  ici  l'appa- 
rence serait  trompeuse  et  il  est  une  autre  question  qui  ne  peut 
absolument  pas  se  séparer  de  celle-ci.  Il  est  bien  connu  que  tous  les 
protestants  qui  quittèrent  la  France  pour  jouir  à  l'étranger  du 
privilège  de  servir  Dieu  solon  leur  conscience  eurent  leurs  biens 
confisqués.  On  les  frappait  en  réalité  à  cause  de  l'attachement  qu'ils 
avaient  pour  leur  église  qu'ils  ne  voulaient  absolument  pas  aban- 
donner. C'est  bien  comme  protestants  qu'ils  étaient  dépouillés;  et  ce 
qu'on  fait  aux  membres  d'un  corps  en  cette  qualité  doit  bien  être 
considéré  comme  frappant  le  corps  lui-même.  La  saisie  des  biens 
des  fugitifs  suivit  de  près  la  confiscation  des  biens  des  consistoires 
dont  elle  était  la  conséquence  nécessaire  et  les  sommes  provenant  de 
ces  deux  sources  furent  consacrées  à  la  poursuite  du  même  but  :  la 
glorification  del'églisecatholiqueetladestruction  de  l'église  réformée. 
A  dater  de  1689,  les  listes  des  fugitifs  passés  à  l'étranger  sont 
accompagnés  des  noms  de  celui  ou  de  ceux  qui  jouissent  de  leurs 
biens,  c'est-à-dire  du  nom  des  fermiers  à  qui  le  fermier  général  les 
a  sous-affermés.  C'est  avec  ces  rentes  réunies  dans  les  caisses  du 
■  fermier  général  que  l'on  faisait  honneur  aux  engagements  passés 
au  nom  de  l'État  par  l'intendant  et  que  s'alimentait  cette  caisse  dont 
le  but  était  de  servir  au  bien  de  l'église  catholique,  c'est-à-dire  à  la 
conversion  des  protestants. 

Les  ressources  de  cette  caisse  devaient  pourtant  diminuer  de  jour 

Mais  d'après  d'autres  statisticiens,  Levasscur  par  exemple,  l'argent  ne  valait 
pas  deux  fois  plus  sous  Louis  XIV  qu'il  ne  vaut  aujourd'hui  :  il  valait  I  fois  1/2 
plus  seulement.  D'après  ce  nouveau  calcul,  100  livres  de  Louis  XIV,  pesant 
suivant  la  date  183  ou  170  francs,  auraient  représenté  une  valeur  de  274  ou 
255  francs. 

En  somme  il  paraît  probable  que  100  livres  du  temps  de  Louis  XIV  peuvent 
être  considérées  comme  équivalentes  au  moins  à  254  francs,  et  au  plus  à 
636  francs,  mettez  300  francs  en  moyenne,  si  vous  voulez. 


MÉLANGES,  565 

en  jour  par  suite  des  droits  qu'avaient  à  faire  valoir  les  héritiers  lé- 
gitimes remplissant  les  conditions  imposées  par  le  souverain  ;  il  est 
bien  vrai  qu'à  chaque  recrudescence  de  persécutions,  de  nouvelles 
émigrations  avaient  lieu  et  qu'elles  étaient  suivies  de  nouvelles  con- 
fiscations de  biens;  mais,  à  tout  prendre,  ces  émigrations  étaient  peu 
nom.breuses  comparativement  aux  premières  et  les  apports  qui  en 
résultaient  ne  compensaient  pas  ce  que  la  mort  des  réfugiés  de  1686 
et  les  réclamations  de  leurs  héritiers  en  faisait  sortir  ;  aussi  pour 
l'empêcher  de  tarir  on  la  réunit  à  la  caisse  des  amendes  qui,  celle- 
là  ne  tarissait  pas,  car  elle  était  alimentée  par  quatre  affluents  consi- 
dérable :  les  amendes  pour  fait  d'assemblées,  les  baptêmes  et  ma- 
riages au  désert,  les  poursuites  exercées  contre  les  parents  qui 
refusaient  d'envoyer  leurs  enfants  aux  écoles  et  à  la  messe;  il  y  avait 
aussi  des  fraits  de  procédure  dont  le  chiffre  s'élevait  très  haut,  mais 
ces  frais  étaient  pour  les  délégués  de  l'autorité  et  s'ils  sortaient  de 
la  bourse  des  persécutés,  ils  n'entraient  pas  dans  la  caisse  dont 
nousnous  occupons  .Nous  savons  parles  archives  de  rHérault(C,  337) 
que  le  tiers  *  des  revenus  des  religionnairos  fugitifs  était  distribué 
aux  nouveaux  convertis  pauvres  et  qu'il  fut,  en  1738,  de  1600  livres; 
en  1750,  de  1580;  en  1760,  de  1880;  en  1770,  de  3540;  en  1780,  de 
3980;  et  en  1784,  de  1870,  soit  en  moyenne  de  2408  livres,  et  si  ce 
n'est  là  que  le   tiers  de  la  somme,   la  somme  entière  était  de 
7224  livres,  qui   multipliée  encore  par  la  plus-value  de  l'argent, 
donnerait  en  monnaie  de  nos  jours  42672  livres. 

1.  II  paraît  que,  dans  le  principe,  cette  répartition  se  faisait  sans  qu'on  se  criât 
astreint  à  une  règle  invariable  de  proportionnalité  ;  mais  que,  peu  à  peu,  on  en 
vint  à  ce  que  le  secours  dont  il  s'agit,  s'élevât  au  tiers  et  ne  le  dépassât  pas. 

Voici  une  lettre  que  nous  transcrivons  à  ce  sujet.  Nous  la  prenons  parmi  beau- 
coup d'autres  qui  lui  ressemblent. 

A  Versailles,  le  3  avril  1772. 

Le  Roi  a  approuvé.  Monsieur,  Testât  que  vous  trouverez  ci-joint  montant  à  la- 
somme  de  trois-mille-quatre-cent-cinquante  livres  pour  l'année  1771,  et  qui 
doit  être  payée  sur  le  produit  du  tiers  net  des  revenus  des  biens  en  régie  de  vostre 
généralité,  pendant  1770.  Vous  voudrez  bien  en  ordonner  le  payement  sur  le 
commis  des  fermiers  de  la  Régie.  On  ne  peut.  Monsieur,  vous  lionorcr  plus  par- 
faitement que  je  le  fais. 

Le  duc  DK   LWRILLIÈRE. 

A  M.  de  Saint-Priest,  intendant  du  Languedoc,  à  Montpellier. 


566  MÉLANGES. 

On  le  voit,  la  caisse,  alimentée  d'une  part  au  moyen  des  biens 
saisis  sur  les  consistoires  et  les  minisires  qui,  avons  nous  dit,  s'éle- 
vait pour  quinze  diocèses  au  capital  de  443,491  liv.  2s,  7^',  pour  la 
dette  active,  produisait,  au  denier-vingt,  un  revenu  de  22,174  liv. 
répondant  en  monnaie  de  nos  jours  à 66,523^^65<=. 

La  somme  portée  comme  advertatur  et  les  confis- 
cations en  faveur  des  hôpitaux  dont  il  est  impossible 
de  donner  le  chiffre  exact,  sont  des  valeurs  enlevées 
aux  consistoires  et  qu'il  n'est  pas  possible  de  porter 
ici  en  compte. 

Les  revenus  des  biens  des  fugitifs  affermés  pour  les 
deux  généralités  du  Languedoc  63,000^%  répondant  à 
une  valeur  de 189,000 

(Cette  somme  qui  entrait  dans  la  caisse  ne  repré- 
sente pas  tout  ce  que  payaient  les  protestants,  car  il 
faudrait  tenir  compte  des  frais  d'exploitation  et  des 
bénéfices  des  fermiers) 

Plus  le  produit  des  amendes  s'élevant  à 42,672 


Quinze  diocèses  payaient  donc  annuellement 298,195f'",65^ 

Que  devaient  donc  payer  tous  les  diocèses  du  royaume  réunis? 

Les  choses  en  étaient  là  lorsque,  en  août  1789,  l'Assemblée  na- 
tionale proclama  les  Droits  de  lliomme  et  du  citoyen.  Quelques 
mois  plus  tard,  le  18  juillet  1790,  un  Décret  ordonnait  «  De  rendre 
à  leurs  descendants  les  biens  des  religionnaires  exilés  parla  Révoca- 
tion de  l'Édit  de  Nantes  ». 

Et  maintenant  quelle  est  la  conséquence  à  tirer  du  récit  qui  pré- 
cède? Après  des  duretés  et  des  injustices,  dont  on  trouverait  diffici- 
lement de  pareils  exemples,  Louis  XIV  en  était  venu  à  se  persuader 
que  les  Protestants  étaient  tellement  affaiblis  qu'ils  ne  pouvaient 
plus  opposer  de  résistance,  qu'il  en  ferait  ce  qu'il  voudrait,  qu'il 
n'y  avait  plus  de  protestants.  Et  ce  peuple  décimé  qu'on  croyait 
réduit  à  l'impuissance,  trouva  dans  le  sentiment  de  son  droit  et  de 
l'injustice  dont  il  était  l'objet  une  énergie  plus  qu'ordinaire.  Il 
résista  à  l'Edit  révocatoire  qui  le  dépouillait  de  ses  biens  et  de  sa 
liberté.  Une  partie  de  ces  hommes  ainsi  traités  quitta  la  France  et 
ceux  qui  restèrent  sur  le  sol  natal  trouvèrent  des  ressources  pour 
subvenir  à  l'entretien  d'un  culte  qui   subsista  dans  le  Désert,  c'est 


GOHKESPONDANCE.  567 

à  dire  eu  cachette,  au  milieu  de  la  persécution  et  de  la  souffrance, 
comme  on  a  dit,  sous  la  croix.  Ce  culte  durait  encore  lorsque  sonna 
l'heure  de  la  justice  et  que  les  protestants  virent  triompher  ces 
droits  de  la  conscience  pour  lesquels  ils  avaient  si  longtemps  et  si 
énergiquement  combattu. 

Qu'ajouter  après  des  faits  qui  parlent  avec  tant  d'éloquence, 
sinon  qu'on  ne  tue  pas  une  religion  avec  des  proscriptions,  des  em- 
prisonnements, des  spoliations  et  des  bûchers  ?  Quand  la  vie  est 
dans  une  église,  les  moyens  de  vivre  ne  lui  manquent  pas.  La  vie 
est  plus  que  la  nourriture  et  le  corps  plus  que  le  vêtement.  (Matth. 

VI,  25.) 

Pfi.  Corbière. 


CORRESPONDANCE 


TOMBEAU  DE  COURT  DE  GEBELIN 

Nîmes,  17  novembre  ISSi. 
Monsieur  le  rédacteur, 

Je  puis  apporter  un  supplément  d'informations  aux  renscignenicals 
pleins  d'intérêt  que  M.  le  pasteur  E.  Arnaud,  de  Crcst,  vient  de  publier 
dans  la  dernière  livraison  du  Bulletin  (p.  527),  sur  le  tombeau  de  Cour 
de  Gebelin  à  Franconville,  près  d'Enghien.  J'ai  été  assez  heureux  pour 
trouver  des  documents  inédits  qui,  sur  ce  point  secondaire,  comme  sur 
d'autres  points  plus  importants  et  jusqu'ici  assez  oiiscurs  de  sa  vie,  me 
permettront  bientôt,  je  pense,  de  niellre  en  plus  grande  lumière  l'illustre 
fds  du  restaurateur  des  églises  sous  la  croix. 

Je  dois  rectifier  avant  tout  une  légère  erreur  de  Ilaag  dans  la  France 
protestante  (t.  IV,  p.  96).  Court  de  Gebelin  est  mort  à  l*aris,  non  pas  le 
10  mai  1784,  mais  dans  la  nuit  du  mercredi  12  au  jeudi  Vo  de  ce  mois. 
L'écart  estinsignifiant;  maisonne  saurait  être  trop  n>inuti(uixen  histoire. 

Une  note  manuscrite  non  signée,  mais  de  l'écriture  de  son  ami  et 
patron,  Charles  de  Végobre,  de  Genève,  qui  fut  son  [dus  intime  corres- 
pondant, nous  fait  connaître  cette  date  avec  une  rigoureuse  [)récision. 
«  Obiit  virille  eximius,  doctissimus,  plus,  Parisiis,  nocleài'2.''ad  13"'" 
mensis  maii  sequentis,  bonis  omnibus  et  doctis  admodum  flebilis  ^  » 

1.  «  Cet  homme  excellent,  rempli  de  science  et  de  piété,  est  mort  à  Paris 
dans  la  nuit  du  12  au  13  mai  suivant,  pleuré  par  tous  les  hommes  de  bien  et  les 
savants.  »  Cette  note  est  au  bas  d'une  lettre  de  Court  de  Gebelin,  la  dernière 
qu'il  ait  écrite  à  Charles  de  Végobre,  datée  du  «  23  mars  Hi  ». 


568  CORRESPONDANCE. 

Voici  maintenant,  sur  la  première  inhumation  de  la  dépouille  mortelle 
de  Court  de  Gcbelin,  une  information  qui  ne  pouvait  venir  de  meilleure 
source,  puisqu'elle  est  du  comte  d'AIbon  lui-même,  par  les  soins  duquel 
l'exhumation  a  été  faite  à  Paris. 

«  Gebelin  n'avoit  besoin  ni  de  marbre  ni  de  bronze  pour  passer  à  la 
postérité.  Ses  productions  seules  sont  un  monument  qui  suffit  pour 
immortaliser  sa  mémoire.  Cependant  je  voyois  avec  regret  ses  cendres 
abandonnées  et  confondues  parmi  celles  de  ceux  qui  suivent  un  autre 
culte  que  celui  dont  l'Église  romaine  fait  profession.  Je  sollicitai  la  per- 
mission de  lui  donner  une  autre  sépulture.  Je  l'obtins  sans  aucun  obs- 
tacle, quoi  qu'en  aient  dit  quelques  papiers  publics  voués  à  l'imposture, 
au  mensonge,  à  la  calomnie;  et  le  corps  de  Gebelin  fut  transporté  le 
2  juillet  de  la  même  année,  dans  mes  jardins  de  Franconville  où,  durant 
sa  vie,  il  venait  quelquefois  doubler  mes  plaisirs  en  les  partageant.  Le 
tombeau  que  je  lui  ai  élevé,  est  placé  dans  un  endroit  écarté,  qu'il  choi- 
sissait pour  réfléchir  et  promener  ses  idées  philosophiques  sur  le  tableau 
de  la  nature,  qui  se  présentoit  non  loin  de  là  dans  toute  sa  beauté.  J'ai 
tâché  d'imiter  sa  simplicité,  et  d'exprimer  par  des  allégories  la  vaste 
étendue  de  son  génie  et  de  ses  connoissanccs.  Le  cercueil  de  plomb  où  il 
se  trouve,  est  couvert  d'une  pierre  sur  laquelle  on  voit  Hermès  traçant 
des  caractères  allégoriques.  Quatre  colonnes  environnent  le  tombeau.  Il 
en  est  une  où  j'ai  gravé  cette  inscription,  dégagée  de  toute  recherche 
pompeuse  :  «  Passant,  vénérez  cette  tombe  :  Gebelin  y  reposa).  Sur  les 
faces  sont  des  tablettes  de  marbre,  qui  présentent  l'alphabet  des  langues 
primitives*  ». 

Si  l'invitation  faite  par  M.  Arnaud  était  entendue,  si  quchiue  ann  de 
l'histoire  voulait  s'enquérir  si  cette  tombe  existe  encore,  cette  recherche 
«  d'un  si  touchant  et  si  haut  intérêt  »  serait  facilitée  par  les  lignes  que 
je  viens  de  transcrire. 

Charles  Dardier. 

Puisque  je  tiens  la  plume,  laissez-moi  relever  une  coquille,  à  la  même 
page  htl,  première  ligne,  dans  l'article  de  M.  Emmanuel  Delorme  :  c'est 
Gamain  (ju'il  faut  lire  et  non  Gomain;  son  nom  de  guerre  était  il/om/cr. 
—  De  plus,  les  véritables  pacificateurs  des  églises  du  Poitou  divisées  k 
l'occasion  des  deux  pasteurs  Pellissier,ditZ)M^6'SSC<,etGounon,  iXxiPradon, 
étaient  les  amis  et  protecteurs  de  Genève  et  de  Lausanne,  qui  avaient 
été  pris  comme  arbitres  entre  les  deux  partis.  Ils  rendirent  leur  jugement 
le  15  octobre  1749.  Voyez  pour  les  détails  :  Paul  Rabaut,  t.  II,  42-44  et 

notes. 

G.  U. 


P.    S,  Nous  regrettons  vivement  de  devoir  ajourner,  faute  d'espace,  un 
article  d'actualité  :  Agrippa  d'Aubigné;  prix  déloquence. 


Le  Gérant  :  Fischbacher. 


BOURLOToN.  —  Imprimeries  réunies, 


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9A50  protestantisme  français, 

S6U  Paris 
année  33     Bulletin 


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