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SOCIETE DE I/HISTOFRE
DU
PROTESTANTISME FRANÇAIS
BOURLOTON. — Iiiiprimcncs. rciuiios, B.
SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE
DU PROTESTANTISME FRANÇAIS
BULLETIN
HISTORIQUE ET LITTÉRAIRE
TOME XXXIII
TROISIÈME SÉRIE. - TROISIÈME ANNÉE
cO^^S^^.
PARIS
AGENCE CENTRALE DE LA SOCIÉTÉ
33, RUE DE SEINE, 33
1884.
e33
TABLE DES MATIÈRES
Trente-troisième année 1
Assemblée générale de la Société 193
Rapport de M. le baron F. de Schickler sur les travaux de la
Société 194
Fête de la Rél'ormation. Lettre à messieurs les pasteurs des
Eglises réformées de France 433
Collectes de 1883 434, 528
Procès-verbaux • 335
ÉTUDES HISTORIQUES
La Révocation à Marennes par M. Frank Puaux 2
Imberl Pécolet par M. J. M. Gaufrés 49
L'Eglise Réformée de la Calmette, pages d'histoire locale, par
M. Jules Bonnet 97, 145,241 289 - 1^^'^'
Rulhière et Rabaut Saint-Etienne par M. Ch. Read 214
Deux intérieurs de pasteur au xvii' siècle par M. Paul de
Félice 227
L'abbé de Florian par M. Jules Bonnet 342
Les Eglises du Désert en Provence par M. le pasteur Eug.
Arnaud 385
Les quatre martyrs de Dijon par M. Jules Bonnet 437
Jean L'archer ministre à Héricourt par M. le pasteur Aug.
Chenot 481, 529
DOCUMENTS
Arrêt inédit du Parlement de Paris contre l'Institution chré-
tienne (1" juillet 1542) (l
Interdiction de l'exercice de laR. P.R. à Bourg-Charente (1684).
Délibération de l'Eglise de Pomport (2 février 1760) 25
Acte de Société de deux libraires du Béarn (1580) 68
Lettre de M. Hamelot à un jeune proposant (1683) 71
Relation de la mort do M. Pierre Durand (24 avril 1732). , . . 74
Poursuites contre les Réformés d'Alençon (1533-1534).. .112, 162
Estât des cent Gamisars partis avec Cavalier (1704) 235
Lettres du pasteur Pierre Durand à Antoine Court et à divers
(1721-1 731) 257
VI TABLE DES MATIERES.
Le l'rotestantisme à Issouduii (1568) 305
LcUro d'Antoine Court à Pierre Durand (23 octobre 1721). . . 310
Lettre de l'abbé de Florianà Louis Rouquct son valet (août 1710). 353
Lettre deRabaut Saint-Etienne surTEdit de tolérance de 1787. 358
Lettre de divers à Du Plessis Mornay (lGlO-1623) 39G
Testament de Charlotte de Bourbon, princesse d'Orange
(18 novembre 1581) \ . 450
Voyage d'Antoine Court en Suisse dans l'été de 1746 463
Trois lettres de Pierre Corteis à Antoine Court (1731-1732). . 404
Trois lettres de Strasbourg (1570-1577)
Dossier d'un proposant martyr, François Bénézet 752
MÉLANGES ET VARIÉTÉS
Mémoires d'un Calviniste de Milhau (1580-1562) 29
Ode de M. de Chandieu sur les misères des Eglises françaises
qui ont été par ci-devant persécutées ^ 77
Thomas d'Escorbiac. Lettre et requête d'un magistrat huguenot
au xYii*^ siècle par M. Frank Puaux " 128, 267
La Réforme à Jersey par M. Matthieu Lelièvre 138
Les écoles de campagne dans l'ancien pays de Montbéliard
par M. le pasteur Roy 176, 322
Le chevalier Jean Daniel de Belrieu de la Grâce 364
Une Eglise du Refuge par M. J. J. Weiss 411
Claudine Denossc 478
Un sermon de Paul Rabaut 479
Fête de la Reformation 528
BIBLIOGRAPHIE
Répertoire 35, 185, 375
Un testament du xvi" siècle 80
Mémoires de Bonbonnoux 90
Histoire de la Réformation à Bordeaux et dans le ressort du
Parlement de Guyenne 141
Deux médailles de la Saint-Bartliélemy 285
Les Allemands en France et l'invasion du comté de Montbé-
béliard par les Lorrains 286
Histoire du peuple de Genève depuis la Réforme jusqu'à
l'Escalade ' 330
Lettres de Paul Rabaut à Antoine Court 379
Vie de Guillaume Rude , . . . 421
Jean l*>rard de Bar-le-Duc 425
Correspondance des deux frères Labordc, forçats du Maz-d'Azil
au bagne de Toulon 474
Bulletin de la Société d'histoire Vaudoise , 521
Histoire du Canada et des Canadiens français 523
TABLE DES MATIERES. VII
CORRESPONDANCE
Une Bible de 1565 91
Un baptême en 1713 ,... 92
Rectification à propos d'nn cantique 94-
Maison de Calvin à Orléans 95
Le massacre de Vassy 143
La Saint-Barthclemy à Toulon 429
Rectification de l'attribution d'un méreau 526
Tombeau de Court de Gebelin 527, 571
CHRONIQUE
Réponse à un article de M. E. Doumergue 40
Un dernier mot à la Société des livres religieux de Toulouse. 337
NÉCROLOGIE
M. Henri Martin i8
M. le pasteur Vaurigaud 48
M. Alpbonse Lagarde 96
Madame Laboucbère 144
M. Mignet 191
M. le pasteur Melon 336
M. Gratien Charvet 384
ERRATA
Voir VErrata de la page "289. — Page 7i, I. 3, lisez: le 12 février;
p. 189, lisez : Fajal; p. 300, note 1, lignes 5 cl 6, lisez : Nassau et
Bradant ine; p. 340, I. 2i, lisez : Canitz; \). 381, 1. 35, lisez : Boycr et
non iîo^er; ibidem, avant-dernière ligne, /«se:; ; à demi et non à deux;
page 527, 1. 1, lisez : Gamain, dil Moinier et non Gomain; ibidem,
1. 16, lisez : l78i et non 158i; enfin p. 521, dernier iiaragraplic, 1. I,
lisez : dit le D' Rostan.
SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE
DU
PROTESTANTISME FRANÇAIS
TRENTE-TROISIliJIE AN'NEE
0 peuple, n'oublie pas ce que les yeux
ont vu! {Dcutéronome, III, 'J.)
L'année qui vient de finir a été marquée par un de ces événe-
nients qui laissent une trace lumineuse dans les annales d'une So-
ciété, notre trente-deuxième anniversaire célébré avec un éclat, un
succès qui a dépassé nos espérances, à Nîmes et dans les Cévennes.
La parole inscrite en tête de cette préface, après avoir servi de
thème à un éloquent discours au Mas-Soubeyran, répond à nos
plus ciiers souvenirs comme à nos meilleurs vœux à l'entrée d'une
nouvelle période de travaux.
Oui, nous aimons à nous souvenir de ces assemblées sympa-
thiques réunies autour de nous, sous la voûte du ciel ou dans l'en-
ceinte des temples trop étroits pour les recevoir. Nous entendons
les voix émues qui nous disent : « Bon courage, nous sommes avec
vous dans l'œuvre de fdiale restauration que vous poursuivez ! »
'Nous revoyons en esprit les bords du Gardon, ce Jourdain cévenol,
témoin de tant d'épisodes de la sublime épopée du Désert; la Gar-
rigue de Nîmes parcourue en tous sens par Paul Rabaut et ses
héroïques collaborateurs; la Tour de Constance, enfin illustrée par
le souvenir de quelques pauvres femmes grandes par la foi. Une
Société telle que la nôtre a besoin de se retremper dans la contem-
plation des lieux qui parlent si éloquemmcnt. La claire vision du
passé, ressuscitant pour ainsi dire de la tombe, avec ses luttes et ses
éprouves, ses triomphes et ses sacrifices, devenus la leçon de l'his-
toire, est la meilleure récompense des éludes consacrées à le faire
revivre. J. ]].
XXXill. — 1
ÉTUDES HISTORIQUES
LA RÉVOCATION A MARENNES
LE TEMPLE ET LES ECOLES
cl
La Réforme trouva, dès les premiers jours, de fidèles ser-
viteurs dans cette contrée qu'on appelait -alors les « Isles de
Marennes. » Entraînés par cet admirable mouvement qui allait
changer le monde, on portant à la puissance papale un coup
dont elle ne s'est plus relevée, les vaillantes populations de
ce pays accueillirent avec joie les missionnaires delà vérité
évangélique. Charles de Clermont, dit La Fontaine, fut le pre-
mier des pasteurs de Marennes, où il arriva dès l'année 1558.
Par son activité, sa piété, « plusieurs églises, ainsi parle l'his-
torien de Bèze, furent dressées dans le pays. »
C'était jtendant la nuit que se réunissaient ceux qui, dégoûtés
des superstitions, voulaient lire et méditera la pure parole de
de Dieu ». Bientôt la persécution sévit avec violence, mais
elle fut supportée avec un héroïque courage. L'une des con-
sé(|uences les plus remarquables de la Réformation a été de
donner aux laïques, dans la vie de l'Église, une place que le
catholicisme leur a toujours refusée. De là le maintien du clé-
ricalisme dans l'Eglise romaine et sa dispari lion dans les
églises protestantes. Parmi les défenseurs des Réformés de
Marennes se plaça un hùque éminent, le docteur Proust, qui
plaida avec une mâle éloquence la cause de la religion persé-
1. Conférence donnée par M. Frank l'uaux, à Marennes, pour la Fête de la
Réformatioii, et n^produilc jiar le Journal de Marennes des H, 18, 25 no-
vembre, cl du ;» décembre 1X8:!.
LA RÉVOCATION A MARENNES. 3
cutée. Si ferme fut la résistance des Marennais, si persévé-
rante leur fidélité, qu'au moment où les guerres civiles prirent
fin, ils obtinrent un article particulier dans le célèbre édit de
Nantes, qui consacrait leurs droits à avoir deux églises de plus
que les autres bailliages du royaume.
Le culte se célébrait alors « audit bourg de Marennes en la
salle de la dame comtesse dudit lieu». Vers 1579, on avait
voulu que les Réformés établissent leur temple au Lindron,
mais l'excentricité de ce lieu les détermina à se rapprocher
du centre de la ville, où le 4 février 1600 ils achetèrent un
terrain.
Ce fut là qu'ils f vVent, cette même année, « un temple
fort beau et fo'' ■ \i dire des contemporains. On y en-
trait par dei' ^ \ne on lisait ces paroles des livres
saints : Venez et montX)ns à usmontagne de VÉternel, à la
maison duRleu deJ^b, et il noihenseignera les voies et nous
cJimtiium^nM^}jnf£^y^^^:^^_^__\ny sortira de Sion et la
l/Eterc/^ .JL, y-/'- -'-- -^Mutre ces mots étaient
Grâces ■ ,j > ^''pm-'' Jésus-ChriH.nostre Seigneur.
Ediéîoet ^^^^^-^^i^QQ^mUenrici IV, 160Î\
'*=*^e%ij^PffiR^rjASP^F:;^" ' "' ' " '-^mples furent
. .w...,. . u . ' de Saint-
cette inscripiiOr : Hen-
~rîci IV Hegisêâtoiù erîiiiui^.uuii. l. i]i\iymQu\ onnum lidigio-
nem Reformatam profltentium. Anno Redemptionis 4601. A
Saint-Just, à Moëse, à Soubise, se trouvaient des temples qui
prouvaient de quelle faveur jouissait le culte protestant dans
ces contrées. Aussi, à la tin du xyii'= siècle. De Muin, l'un des
intendants, pouvait écrire ces paroles significatives : « De
Saintonge on peut dire que, dans le lieu de lAIarennes, les îles
d'Arvert et la Tremblade, à peine connaît-on la religion ca-
tholique, tant la religion prétendue réformée y est en vogue
et en authorité, les plus puissants de ces lieux estant de la
ditte religion. » Il signalait en même temps le nombre crois-
sant des conversions au protestantisme, qui, malgré les per-
4 LA UÉVOCATION A MARENNES.
sécutions, s'élevaient à plusieurs centaines depuis quelques
années.
Lorsque le clergé eut o])tenu de Louis XIV, par ses dé-
marches incessantes, les persécutions qui devaient aboutir à
la révocation de VVA\l de Nantes, l'église de Marennes ne
devait pas être épargnée. Elle paraissait en effet comme une
petite Genève dans ces contrées si riches et si industrieuses;
aussi l'évèque de Saintes poursuivit-il de sa haine acharnée
la communauté protestante. 11 ne sera pas sans intérêt de re-
later les faits qui amenèrent la ruine de l'église. Les docu-
ments trouvés aux Archives nationales vont nous montrer à
quels mobiles obéissait le clergé en persécutant avec une vio-
lence inouïe ceux qui n'avaient d'autre tort que d'avoir ab-
juré le catholicisme pour être fidèles à Jésus-Christ.
Dans une circonstance solennelle, parlant au nom du clergé
de France, Gilbert de Ghoiscuil, évoque de Comminges, n'hé-
sita pas à dire à Louis XIY enfant les paroles suivantes, qui
révèlent ce que devait être la politique de son parti ;
« Nous ne demandons pas que Yoti'e Majesté ])annisse à
présent de son royaume cette malheureuse liberté de cons-
cience qui détruit la véritable liberté des enfants de Dieu,
parce que nous ne jugeons pas que l'exécution en soit facile;
mais nous souhaitons au moins que ce mal ne fît point de
progrès et que, si votre autorité ne le peut étouffer tout d'un
coup, elle le rendît languissant et le fît périr peu à peu par le
retrancliement et la diminution de ses forces. » (1 1 avril
\J 1651.)
Dès lors cette plainte cruelle se fait entendre sans relâche
et Louis XIV se rend aux désirs du clergé. A dater de 1GG5,
pas une année ne se passera sans être marquée par la publi-
( al ion de quelques édits frappant les prolestants dans leurs
biens, dans leurs personnes, (laiisiciiri-cligion. Ainsi fut dressé
un code criminel, lionte éternelle de la justice cléricale, où
habilement et dévotement furent foulés aux pieds les droits
inaliénables de la conscience.
LA RÉVOCATION A MARENNES. 5
Dans les assemblées générales du clergé, on exprimait au roi
le désir de voir les Réformés exclus de telles et telles fonctions,
et le roi se rendait à ces pieux désirs. Jamais, sans la passion
persévérante du clergé, l'Édit de Nantes n'eût été révoqué.
Aussi est-ce sur cette néfaste politique cléricale que doivent
retomber les plus grandes des responsabilités encourues *.
Les agents généraux du clergé avaient signalé à Louis XIV
la conduite coupable des Réformés qui, jaloux de donner une
forte et solide instruction à leurs enfants, multipliaient le
nombre de leurs écoles, partout où cela était en leur pouvoir.
Ce fut, en effet, l'honneur de la Réforme de placer partout h
côté de l'église, l'école. Le protestantisme étant fondé sur le
livre sacré, pour être un vrai protestant il était nécessaire
d'arriver à comprendre la Bible. Le prêtre ne pouvant rien
contre celui qui sait, voulut condamner le protestant à devenir
ignorant, afin de pouvoir mieux le dominer.
Louis XIV écouta le prêtre, et son conseil d'État rendit, le
9 novembre 1070, un arrêt qui intimait aux maîtres protes-
tants d'enseigner seulement « à lire, écrire et V arithmétique »,
à peine de fermeture des écoles.
C'était trop encore pour le clergé, car il obtint, deux ans
plus tard (4 décembre 1671), qu'il n'y aurait pas plus d'une
école par église protestante et que cette école n'aurait qu'un
seul maître. C'étaitcondamnerlesprotestants, dans les églises
populeuses comme celle de Marennes, à conduire leurs enfants
"dans les écoles catholiques, car il était impossible à un maître
de suffire à la tache. A Marennes, en effet, la population sco-
laire était considérable, et neuf instituteurs et institutrices
protestants donnaient leurs soins aux enfants.
Ému de la prospérité de ces écoles, où les enfants se comp-
taient par centaines, le syndic du clergé de Saintes mit l'in-
1. Certains prêtres, comme le jésuite Meynier, allaient jusqu'à rédiger des
projets d'arrêtés qui trop souvent, le croirait-on, étaient acceptés tels quels par
le conseil d'État et signés par Louis XIV. Nous avons vu ces minutes singulières
aux Archives nationales.
t> LA REVOCATION A MARENNES.
tendant en demeure de poursuivre le corps enseignant. Nous
tenons à conserver les noms de ces vaillants instituteurs de la
jeunesse inarennaise, les voici : Jacques Jay, Pierre Poite,
Théodore Basole, iesm Bureau, Estienne Rommeau, dit La Fo-
rest, Pierre La Boissière. Non moins dignes d'être connus,
sont les noms des institutrices : Marie Du Lac, Marie Tinet et
Bossuit.
Leur enseignement n'était pas seulement suivi par les pro-
testants. De Muin, l'intendant de Brouage, se plaignait de la
préférence que les catholiques eux-mêmes lui accordaient.
Le plus distingué de ces maîtres était La Boissière, qui don-
nait des leçons de latin à ses élèves, ce qui était expressé-
ment défendu par arrêt du conseil d'ÉtaKlu 9 novembre 1070
tant le souci d'organiser l'ignorance était grand dans l'ancien
régime.
Pvicn de louchant comme la déposition deLoquet, ancien du
consistoire de Marennes, qui vient défendre avec force les
droits de ses concitoyens. Écoutez-le plutôt : « Il est bien
juste que les pères et les mères prennent le soin de l'instruc-
tion de leurs enfants, ce qui est de la raison et de l'équité
naturelles qui n'autorisent pas moins les pères à donner l'ins-
truction que du pain à leurs enfants et à nourrir leur esprit
par un enseignement familier. »
Si le père réclame des droits sacrés, le patriote fait appel à
des raisons de l'ordre le plus élevé, il faut l'écouter encore :
« 11 y a d'ailleurs ceci de particulier dans les isles de Xainc-
tonge, où Marenne est situé, c'est qu'il y a plus de trois mille
matelots employés au service de Sa Majesté, ainsi qu'il est de
nostrecognaissance, lesquels sont obligés indispensablement
d'apprendre à lire et à écrire et l'arithmétique, parce que au-
trcuK-nt ils ne pourraient devenir maîtres-pilotes, mariniers,
bas-ofliciers et experts mariniers sans cette éducation. »
Que ces écoles de Marennes se ferment et l'État perdra
i)ientôt ces marins d'élite dont la réputation s'étendait sur
toutes les côtes. Ainsi jiarlail l'homme intelligent et cou-
LA RÉVOCATION A MARENNES. 7
rageux auquel l'église de Marennes avait coniié ses intérêts.
Misérable est la réponse de de Muin, car la ruine de ces
belles écoles servira sa fortune et lui vaudra les faveurs du
clergé. Les enfants protestants iront à l'école catholique, voilà
la solution brutale. « Les parents, dit-il dans son rapport au
ministre d'Etat, pourront envoyer leurs enfants chez des
maîtres catholiques quand ceux de la dite religion ne suffiront
pas. » Et il conclut à frapper de l'énorme amende de 500 livres
les pauvres instituteurs protestants de Marennes, réservant à
celui qui enseignait le latin, une condamnation de 1000 livres
et le déclarant déchu de son droit d'enseignement. Toutes les
écoles, à la réserve d'une seule, devaient être fermées et grâce
à ces mesures savantes, l'ignorance allait rester maîtresse du
terrain. Ceci se passait en juillet 1678. Après avoir fermé les
écoles, il fallait renverser le temple : rien ne fut épargné,
comme on le verra, pour arriver à ce résultat.
Pénible et douloureuse lecture que celle de ces vieux docu-
ments, où, dans le rude et dur langage du palais, sont écrites
les mille injustices qui frappèrent les Réformés.
Si Jean Loquet, ancien du consistoire de Marennes, défen-
dit simplement, mais avec force et dignité, les droits des
écoles, Olivier Loquet, ministre de l'Eglise, ne fut pas moins
ferme dans la défense des intérêts religieux de son troupeau.
Déjà, sur une simple dénonciation, il s'était vu traiter comme
un malfaiteur, et avait été jeté dans une prison de La
Rochelle. Le pauvre pasteur, désolé à la vue des souffrances
qui accablaient l'Église Réformée, avait fait entendre une
douloureuse plainte, mais la jurisprudence royale interdisait
même les plaintes, et le cachot, avec ses infamies, fut sa
punition.
Loquet revint peu après à Marennes, décidé à lutter jus-
qu'à la dernière heure contre le flot montant de l'injustice.
Après avoir fait fermer les écoles, les prêtres voulurent ren-
verser le temple. Pour mener la chose à bonne fin, les Pères
Héraud et Carrière, jésuites qui habitaient alors Marennes,
8 I.A HKYOCATION A MAFtENNES.
comnioncrrcnt par attafjiifr les belles inscriptions qui se Irou-
vaicnt sur les porles de l'édifice. Ils demandèrent qu'elles
fussent ôtées, parce que les armes royales ne pouvaient se
trouver sur un temple où on enseignait, disait en leur nom
le père Alexandre Homeati, promoteur du diocèse de Saintes,
« une religion contraire à celle de Sa Majesté ».
Fidèles sujets des rois de France, les Réformés, en effet,
avaient fait graver les armes royales et celles des seigneurs de
Marennes sur les portes du temple. Le père Homeaii dénon-
çait ce crime: Le suppliant, disait-il à l'intendant, dans sa
requête du 28 mars 1G81, est obligé d'avoir recours à votre
justice, pour obtenir que lesRéformés-enlèvent, à leurs frais,
ces armes, et il le priait, « en outre, de les condamner en une
amende proportionnée à leur entreprise ». Suite fut donnée
à cette incroyable demande, et les anciens de l'Église durent
comparaîli-e devant les juges. Ils dirent les origines de ce
temple bâti sur la foi des traités, comment, en 1603, un juge-
ment solennel avait reconnu les droits de l'Église et qu'ils
espéraient de la bonté royale le « maintien de cette marque
de sa protection qu'ils considéraient comme une espèce de
sauvegarde ».
Sans qu'aucun jugement eût été rendu, foulant vaillamment
le droit aux pieds, L. de Bonne, le procureur du roi, accom-
pagné des jésuites lléraud et Carrière, se présentait devant le
temple, aidé d'un maçon, pour faire sauter les armes royales.
Mais il rencontrait le pasteur et les anciens, qui déclarèrent
a s'opposer formellement à cette violation de la loi ». Lorsque
le j)rocureur du roi eut l'audace de déclarer qu'ils voulait
passer outre, ils lui demandèrent de produire les titres et
actes en vertu desquels il prétendait agir et firent dresser,
séance tenante, procès-verbal de cette conduite inouïe d'un
magistrat.
Cette scène se passait le 10 avril 1C81, sur les neuf beures
du matin. Il est juste de conserver les noms des courageux
citoyens qui lin-nt i-eculcr le juge unique et les deux jésuites.
LA RÉVOCATION A MARENNES. 1)
■Les voici : Lo^ue/ pasteur, Loquet, Buhnh, Aubin, Despalus,
anciens du consistoire.
Mais la victoire dernière ne devait pas leur rester, car
l'intendant fit porter cette grosse question devant le Conseil
d'État, qui lui consacra une longue et solennelle délibération
non seulement pour le temple de Marenncs, mais pour tous
ceux de la Saintonge en date du 21 avril iG81.
Le 12 mai, Joseph André, archer de la marine, servant près
de M. de Muin, intendant maritime, se transportait au domi-
cile de Jean Loquet, ce zélé défenseur des droits de l'Église,
et lui signifiait l'arrêt du Conseil d'Etat, avec injonction de
faire enlever sans tarder les armes royales*.
La persécution à Marennes est provoquée ouvertement par
le clergé, qui ne se lasse pas de dénoncer à l'autorité civile
les contraventions des Réformés. Il se déclare partie, met ses
juges e,n mouvement, exige des assignations, veut qu'on
informe sans tarder. Ses plaintes se trouvent dans tous les
dossiers et les tribunaux sont trop lents à son gré. llomeau
est toujours sur la brèche; le 27 mars 1681, il observe « que
Mathieu Aubin et Jeanne Pouarier, sa cousine germaine,
demeurant au dit Marennes, ont été conjoints par mariage,
sans avoir obtenu permission de Sa Majesté, en raison de
quoi le suppliant (ainsi s'appelle Homeau) est obligé d'avoir
recours à votre justice qu'il vous plaise déclarer leur pré-
tendu mariage nul et incestueux — déclarer les enfants nés et
à naître bastards et illégitimes, enjoindre aux dits de se sépa-
rer, avec défense de se fréquenter sur de telles peines que de
droit et les condamner, ensemble le ministre qui a fait le
mariage, en telle amende que le cas le requiert. »
Condamner le pasteur, c'était la condamnation du temple,
mais la rage emportait trop loin le prêtre, car en quoi le pas-
teur était-il coupable, alors que les publications civiles s'élant
1. Les dossiers relatifs à réglisc de Marcnaes se trouvent aux Archives natio-
nales, série T. T., numéro 217.
10 LA UÉVdCATION A MARENNES.
faites sans opposition, il avait uni ceux qui, du reste, s'épou-
saient à un degré non prohibé.
Le 22 octobre 1670, iMaury, pasteur de La Tremblade,
prêche à Marennes; près de cinq années après, Homeau
dénonce le fait comme une vioLation de la loi interdisant aux
pasteurs de prêcher en plus d'un lieu et demande une répres-
sion sévère. Les heures de l'église étaient donc comptées, et
pour la renverser un prétexte était nécessaire : on devait le
trouver aisément. L'Édit du Pioi, de juin 1G80, avait défendu
aux catholiques de quitter leur religion « sous quelque pré-
texte que cela fût », condarnnanl au bannissement perpétuel
les contrevenants et défendant aux pa^iteurs de les recevoir
dans les temples pour y faire profession de la religion protes-
tante, à peine de l'interdiction du culte à jamais.
Quelques catholiques pénétrèrent dans le temple de Ma-
rennes, non pour y faire profession d'une foi nouvelle,
mais par pure curiosité. Telle fut la base d'une accusation
dont les suites devaient être fatales pour l'église et ses con-
ducteurs.
Quelques joins plus tard (février 1684) l'église de Marennes
pouvait voir ses deux pasteurs. Loquet et Boisbeleau, conduits
comme de vils malfaiteurs dans les cachots de la Réole et
livrés à la merci d'un parlement dont les scandaleuses injus-
tices ne se comptaient })lus*. Sept mois après, le 18 août 1684,
1. On verra par la lettre suivante que ce jugement n'est que trop justifié; elle
est adressée au ministre d'État de qui dépendait le magistrat qui l'a signée.
La Réole, le 8 février 1686.
Monsieur,
Je vous envoyé une copie cy-jointe d'un arrest que nous avons rendu ce matin
contre un ministre mal converti. Je dois vous dire, Monsieur, que la preuve
élail délicate et même défectueuse dans le chef principal, et que néanmoins le
zélé des juges est ailé au delà du la règle pour faire un exemple,
.le suis, etc.
DAULliDE,
Premier président du parlement de Guienne.
La victime de ce crime judiciaire s'appelait Vergniot; il fut condamné, ses
juges le sacliiinl iiinocciil, aux travaux forcés à perpétuité.
LA REVOCATION A MARENNES. 11
le parlement condamnait les deux pasteurs à douze livres
d'amende envers le roi et les interdisait de leurs fonctions.
Le but poursuivi avec tant de haine par le clergé était atteint.
Le temple était condamné, la dite cour, lisons-nous « a inter-
dit à jamais l'exercice public de ceux de la dite religion pré-
tendue réformée, dans le lieu et juridiction de Marennes, a
esteint et supprimé le Consistoire, ordonne que le temple sera
démoly et razé jusqu'aux fondements, et qu'au milieu de la
dite place où le temple est construit il y sera eslevé une
croix. »
L'arrêt avait été rendu, comme il fallait s'y attendre de la
part de magistrats de cette sorte, c'est-à-dire sans débats
contradictoires. Les pasteurs furent mis hors de cause, après
de longs mois de détention, sans même avoir subi de confron-
tations. Mais le clergé avait obtenu ce qu'il désirait; quelques
mois encore, et l'église de Marennes n'existerait plus.
Le malheur grandissait les âmes. En face de l'injustice
triomphante se levèrent les anciens de l'église qui protestè-
rent noblement contre cette cynique violation des droits
sacrés de l'Église. A l'heure du triomphe delà réaction cléri-
cale, quand un tel acte les désignait aux basses vengeances
des dévots, ils signèrent noblement une protestation contre
l'inique arrêt de la Réole. Là encore nous trouvons des noms
connus et aimés à Marennes : Hélie CJiarron, Mariocheau,
Chaillé, Neau.
Mais depuis longtemps déjà on ne répondait plus aux plaintes
des victimes, et l'exécution de l'arrêt n'était plus qu'une
affaire de temps. Le 1" novembre 1684, sur les dix heures du
soir. Faucon de Ris, commissaire du Roi, arrivait à Marennes
et donnait ordre aux anciens de venir le trouver. Leur ayant
fait signifier l'arrêt du Parlement, il leur demanda « s'ils vou-
laient se charger de la dite démolition et y mettre eux-mêmes,
et en sa présence, le nombre d'ouvriers nécessaires, faute de
quoi, il y ferait procéder aux dépens des matériaux et aux
leurs. » Ils se refusèrent à prêter leur concours à une œuvre
12 LA HKVOr.ATlON A MARF.NNES.
semblable et déposèrent une dernière protestation entre les
mains du rommissaire, après lui avoir remis les clefs du
temple.
Le (limanclic 2 novemi)re 108-4, fut un joui- do deuil et de
douleur pour l'Église de Marennes. Dès le matin, une foule
évaluée à plusieurs milliers de personnes était arrivée, venant
de loutes les îles de Saintongc, pour assister au culte divin
dans le seul temple de la contrée épargné jusqu'alors par la
rage des persécuteurs.
Sans tenir aucun compte de circonstances si touchantes,
bien que vingt-trois enfants attendissent le baptême, De Ris
donna l'ordre de procéder à la démolition. Arnoul, intendant
de Rochefort, prévoyant le refus des protestants de détruire,
de leurs mains, un temple qui consacrait pour eux tant de
souvenirs, avait fait venir des ouvriers étrangers. Triste spec-
tacle que celui offert par ces mercenaires, insultant à la dou-
leur des réformés, sonnant la cloche ta toute volée, montant
dans la chaire et s'y livrant à mille moqueries. Les protestants
assistaient, dans les larmes et dans les gémissements, à ces
actes de vandalisme sans nom. « Le peuple, lisons-nous dans
une relation contemporaine, en se retirant, donna des mar-
ques d'une sensible douleur. On ne se contraignait ni dans les
rues, ni à la campagne; les parents et les amis s'embrassaient
en pleurant et sans rien dire; les hommes et les femmes, les
mains jointes, les yeux tournés vers le ciel, ne pouvaient s'ar-
racher du lieu où ils étaient venus, malgré les rigueurs de la
saison, chercher la consolation et prier Dieu. »
Dernier et cruel épilogue de ces scènes de sauvagerie :
plusieurs des petits enfants que leurs parents avaient amenés
à Marennes et qu'on voulut conduire àCozes pour y recevoir
le baptême, succombèrent jiendant la roule.
Il fallut d(;ux jours pour abattre le temple, deux jours pen-
dant lesquels de Ris et de Verneuil, commissaire de la
luarinc, démolisseurs attitrés de la cour, présidèrent à ces
gloi'icux exploits. L'all'aii'c faite, il lit vendre « quelques mon-
LA riÉVOCATION A MAHENNES. 13
^Cîuix de bois et planches rompues et pourries, provenant du
temple au plus offrant et dernier enchérisseur, jusqu'à con-
currence de la somme de 266 livres pour estre employée et
distribuée en nostre présence au payement des ouvriers,
menuisiers, maçons, etc. » Quant au reste des matériaux, il
ne fut pas fait d'enchères sérieuses. De Ris laissa à Verneuil
le soin d'en tirer le meilleur profit et fit déposer chez lui la
cloche du temple, qui pesait deux quintaux et demi. Deux
jours après, il quittait Marennes, ayant mené à bonne fin sa
belle mission et remporté sur l'hérésie une si triomphante
victoire.
Le protestantisme avait cessé d'exister officiellement dans
les îles de Saintonge et le clergé célébrait ses Te Deum. Un
an plus tard, le 18 octobre 1685, Louis XIV signait la révoca-
tion de rÉdit de Nantes et de ses mains royales, faisait, aux
applaudissements du clergé, une blessure affreuse à la patrie.
On connaît l'hymne triomphal de Bossuet.
Être le restaurateur de la foi, l'exterminateur de l'hérésie,
s'exclamait Cosnac, évêque de Valence, au nom de l'assemblée
générale du clergé de France, « sont des titres solides, des
titres immortels, qui non seulement perceront l'épaisseur de
tous les temps, mais qui subsisteront encore quand il n'y
aura plus de temps*. » Jamais, en aucun temps, la courtisan-
nerie n'avait atteint de telles limites, jamais exemple plus
funeste n'avait été donné à la nation.
Nous arrêtons à cette date ce triste récit de la ruine de
l'église de Marennes-. Dans les années qui suivirent, l'émigra-
tion enleva au pays ses meilleurs matelots qui allèrent mettre
au service de la Hollande, de l'Angleterre, une vaillance et des
aptitudes qui eussent été si nécessaires à la France. De tous
côtés, les terres restèrent en friche et aux jours de prospérité
succédèrent des temps de misère et de décadence.
1. Voir le Bulletin, t. XIV, p. 76.
2. Il faut lire la touciianlc lettre adressée par les ministres réfugiés en Hol-
lande aux réformés de Marennes, la Treniblade, etc. {DulL, t. X, p. 137).
1^ LA lu: VOCATION A MARENNES.
L'œuvre des persécuteurs ne pouvait aboutir. Quand, dans
son orgueil, le parlement de Guyenne avait déclaré interdit à
jamais le culte protestant à Marennes, il ne prévoyait pas
que les jours viendraient où la nation, devenue souveraine,
interdirait à jamais ces parlements où, si souvent, la justice
avait été foulée aux pieds, et proclamerait la liberté des
cultes. Ce sont là les grandes leçons de l'histoire, elles mon-
trent que l'avenir est aux causes justes et que jamais la force,
qu'elle soit brutale ou hypocrite, ne remportera la dernière
victoire.
Frank Puaux.
DOCUMENTS
ARRET INEDIT DU PARLEMENT DE PARIS
CONTRE « l'institution CHRETIENNE »
1" juillet 1542.
On sait qu'une des sources imprimées les plus importantes pour la
première période de la Réforme en France est la compilation publiée par
Du Plessis d'Argcntré, sous le titre de Collectio judlciorum de novis
erroribus (Paris, 1724, 3 vol. in-folio). Nous avons retrouvé récem-
ment aux Archives nationales l'un des manuscrits originaux dépouillés
par d'Argentré ; c'est le registre des conclusions de la Sorbonnc du 26
novembre 1533 au 1er aoiît 1549 (MM. 248). En le parcourant, nous
nous sommes aperçu que d'Argentré n'a pas toujours été exact dans ses
citations et notamment qu'il a laissé de côté bien des pièces intéressantes ;
de ce nombre est celle que nous donnons plus loin d'après le registre cri-
minel du parlement de Paris pour l'année 1542 (X ^a 93) et dont une copie
fautive a été insérée au xvir siècle dans le susdit registre de la Sor-
bonne. D'Argentré a eu connaissance de cet arrêt; il le résume dans l'In-
dex son tentiarum de son 1" vol. (page XII, 2^ colonne), mais en le rap-
portant à la date du 2 mai 1542, et il nous apprend qu'il a été pris,
ex consilio Parisiensium magistrorum Theologiœ, c'est-à-dire à l'in-
stigation de la Sorbonne. Dans le registre des Archives nous n'avons
trouvé aucune délibération relative à ce sujet et transmise au parle-
ment, mais cela ne prouve pas qu'elle n'ait pas eu lieu. Cet arrêt est
la première interdiction officielle, en France, de l'Institution chrétienne
dont la première édition française avait paru à Genève, l'année précé-
dente, vingt ans après que la Sorbonne eut publié sa première condam-
nation de la doctrine de Luther. Mais il a encore une autre valeur, car il
contient toute une ordonnance, fort détaillée, et remanjuablenient ré-
digée sur l'impression et le commerce des livres tant à Paris que dans le
reste du ressort du parlement. Il est juste qu'au bas d'une pièce aussi
16 ARRÊT INÉDIT DU PARLEMENT DE PARI?
antiprotoslanU;, on rcnoontrc 1<; nom du président L'zct si bien immor-
talisé j)ar Th. do Hrzi;.
N. Weiss.
Sur la requeste et articles présentez à la court par le procureur
général du Roy, requiert estre ordonné par la court et publié à son
de trompe par les carrefours de Paris et autres villes de ce ressort
ce qui s'ensuit :
Premièrement que tous ceulx et celles qui auront le livre inti-
tulé Institulio religionis christianaî authore Calvino, et en langage
vulgaire l'Institution de la Religion chrestienne composé par Jehan
Calvin, et pareillement tous autres livres qui par cydevant ont
esté defenduz et prohibez par la court estre imprimez ny venduz,
aycnta iceux livres reprouvez rapporter ou renvoyer au greffe de
lad. court, ou au greffe de la jurisdiction ordinaire du lieu ou sera
faicte la proclamation de dans vingt-quatre heures sur peine de la
hard, si après lesd. vingt-quatre heures aulcuns sont trouvez avoir
et retenir aucuns dcsd. livres en leur possession. Item que inhi-
bicions et défenses soient faictes à tous imprimeurs de ce royaume
sur peine de la hard de non imprimer ancun^ livres soient grands
ou petitz en langaige françoys, latin ou aultre, ne de faire aucun
estât, faicl ou exercice d'imprimerie sinon ez maisons et lieux accous-
tumez des libraires et imprimeurs et soubz un maistre imprimeur
duquel sera la marque apposée ez livres qui seront imprimez, et
sera led. maistre imprimeur tenu respondre du faict des compai-
gnons imprimeurs qui besongneront soubz luy, et que désormais
ne soit faiclc imprimerie en lieux cachez, destournez et non accous-
tumez*. Item que inhibicions et défenses soyent faictes sur pareilles
peines, a tous libraires elaultres marchans de quelque qualité qu'ilz
soient de non exposer en vente aucuns livres en la ville de Paris que
premièrement ilz n'ayent esté visitez. Et i)our ce faire seront tenuz
avant ru(; les exposer en vente faire appeler quatre des libraires
jurez pour iceux ouvrir, lesquelz quatre libraires seront tenus incon-
tinent, selon la qualité des livres, advertir le recteur et doyens des
troys haultes facultez pour iceux venir visiter, et pour ce faire sera
c recteur tenu commettre deux maistrcs ez arts bons personnaiges
1. I.a iHiMuirro ùdiliou française do VInslUuliun avait [laiu (à Gciiovc) sans
nom i\t lieu cl d'impriinciir. Voy. Cnir. 0pp., 1]I, p. XXVIII.
CONTHE i l'institution CHRÉTIENNE ». 17
pour visiter les livres qui seront de grammaire et lettres Imm-
maines; la faculté de théologie commectra deux notables docteurs
dicelle faculté pour visiter les livres qui seront apportez touchant
la théologie; la faculté de droict canon pour visiter les livres de
droict canon et civil, et la faculté de médecine en semblable pour
visiter les livres concernans leur faculté, Et pour ce qu'il s'est
trouvé que en tous livres, mesme de grammaire, dialectique, méde-
cine, de droict civil et canon et mesme en alphabet/, que l'on im-
prime pour les petitz enffans, sont nouvellement imprimez quelques
postules, préfaces, arguments ou épistres liminaires contenans aul-
cunes erreurs de la secte luthéi'ienne pour lousjours plus publier
leur maulvaise et damnée doctrine de ceulx qui sont de cestc secte
luthérienne et en imbuer de jeunesse les enfans pour a jamais leur
sentir desd. erreurs et y persévérer toute leur vie (chose de périlleuse
conséquence), Requiert le procureur général qu'il iuy soit permis
procéder par monitions et censures contre tous afin de révéler
les fauteurs et adherens à lad. secte, et ceulx qui auront ou recel-
leront desd. livres et que ausd. rcvellateurs sera baillée la quarte
partie de la confiscalion, le tout par provision et jusques a ce que le
roy autrement y ait pourveu. Et tout considéré,
La court deuement advertye que au moyen de ce que plusieurs
imprimeurs qui ne sont maistres en l'imprimerie demeurans en
lieux destournez et esgarez de ceste ville de Paris impriment secrè-
tement et occultement plusieurs livres erronés, blasphèmes ethéré-
ticques en la foy et religion chrestienne lesquels aussi occultement
sont venduz et distribuez a plusieurs personnaiges estans de la secte
héréticque. Et aussi que l'on apporte en ceste ville de Paris plu-
sieurs livres imprimez en Allemaigne, Lyon ou ailleurs conlenaiis
doctrines erronées et blasphèmes contre la foy catholicque dont la
semence de la pestiféré secte damnée et improuvee hérésie et
autres hereticques pululent grandement, lalemment et occultement
en ce royaulme et pourrait faire plus avant s'il n'y esloit obvié promp-
tement,
A ordonné et ordonne en intérinant quant à ce lad. requeste faicte
par led. procureur général du roy, qu'il sera enjoinct à son de
trompe et cry publicq a tous les manans habitans et demourans en
ceste ville et forsbourgs de Paris et autres quelsconques estans en
icelle et pareillement es aultres villes et lieux quelsconques du rcs-
XXXIH. — 2
18 ARRÊT INÉDIT DU PARLEMENT DE l'AIUS
sort de lad. court sur peine de la liard aux lais, et sur peine de
bannissement de ce royaulme et confiscation des biens immeubles
patrimoniaulx quant aux clercs et gens ecclésiasticques, Qu'ilz ayent
dedans troys jours après la publication et proclamation de ceste pré-
sente ordonnance a apporter au greffe criminel de lad. court, quant
aux demourans en ceste ville de Paris, et quant aux aultres demou-
rans es seneschaulcées et bailliages de ce ressort, au greffe du plus
procliain juge royal, Tous et cliacuns les livres qu'ilz ont devers eulx
conlenans aulcunes doctrines nouvelles, luthériennes et aultres
contre la foy catholicque et doctrine de notre mère saincte église, et
entre autres un Livre intitulé Inslitutio religionis christiante au-
thore Alcuino', et en langaige vulgaire, l'institution de la religion
clirestienne composée par Jehan Calvi/i, et sur rnesmes peines sera
enjoinct a tous les demourans dedans ce ressort après lesd. trois
jours escheuz y venir dénoncer à justice ceulx qui scauront avoir
retenu et recellé devers eulx aucuns desd. livres contenans doctrines
improuvées, eronées, blasphèmes, héréticques contre la tradicion et
foy calholicque, et ce quant aux demourans en ceste ville de Paris
au procureur général du roy, et quant aux autres aux substitut?
dud. procureur général du plus prochain siège royal du lieu ou
seront demourans ceulx qui auront retenu et recellé lesd. livres,
Auxquelz juges royaulx la court enjoinct de procéder prompte-
menl et sans delay alencontre desdits recellateurs et désobeissans
ainsi qu'ilz verront estre a faire par raison. Et aux substilutz du pro-
cureur général du roy d'en faire les dilligences sur peine de sus-
pension de leurs estatz (tant pour le regard desd. juges que desd.
substilutz) et aussy sera défendu de par lad. court sur les peines
que dessus a tous imprimeurs tant de ceste ville de Paris que ail-
leurs dedans ce ressort, d'imprimer aucuns livres en la doctrine
chrestienne en lieux esgarez comme ez forsbourgs de ceste ville de
Paris, clos bruneau- au temple, ou autres lieux deslournez et en
lieux et chambres cachées latemment et occullement comme on a
fait parcy devant et s'ilz ne sont maistres imprimeurs en ceste ville
de paris tenans maison et boutique d'imprimerie ouverte et de-
dans lesd. maisons et boutiques d'imprimerie tant seullement et
non ailleurs, si n'est qu'ilz fussent advouez et qu'ils ayent la mar-
1. Sic.
2. Voy. sur le Clos Uruneau, le Bidlelin IV, -211).
CONTRE « l'institution CHRÉTIENNE ». 19
que du maistre imprimeur, le nom duquel avec la marque sera mis
en la lin de chascun desd. livres, et le lieu particulier ou ilz auront
este imprimez, et seront tenuz aud. cas lesd. maistres imprimeurs
soubz l'adveu desquelz lesd. livres auront esté imprimez, res-
pondre des compaignons imprimeurs qui feront lesd. impres-
sions. Et défend la court sur peine de la hard a tous libraires et
vendeurs de livres et ceulx qui les portent par ceste ville de Paris
de vendre doresnavant aulcun livre imprimé de nouveau depuys la
publication de ces présentes s'il n'a la marque d'un maistre impri-
meur publicque de ceste ville de Paris, ou et en quel lieu led. livre
a esté imprimé; et le semblable estre faict es autres villes de ce
ressort ou l'on a accoustumé d'imprimer sur les peines que dessus.
Seront aussi faictes défenses sur peine de confiscation de la mar-
chandise et autres peines arbitraires à la discrétion de lad. court a
tous libraires et aultres marchans de quelque qualité qu'ilz soient,
d'exposer en vente aulcuns livres en ceste ville ou autres villes de
ce ressort, s'ilz n'ont esté visités quant à la ville de Paris en la
manière qui s'en suit, c'est assavoir que les libraires ou aultres
marchans qui vouldront exposer en vente aulcuns livres qui leur
seront venus de nouveau, avant que ouvrir leur basles, seront tenuz
appeler quatre libraires jurez pour assister a lad. ouverture et veoir
les livres qui y sont, et selon la science et qualité dont lesd. livres
seront, lesd. quatre libraires jurez advertiront les recteur de l'Uni-
versité de Paris et doyens des trois haultes facultez d'icelle pour
veoir et visiter lesd. livres. Et a ceste fin sera tenu le recteur coin-
mectre pour la Visitation des livres de grammaire, logicque, rhéto-
ricque, philosophie et lettres humaines, deux maistres ez ars, bons
personnaiges, scavans et non suspectz, et quant aux livres con-
cernans la théologie et religion chrestienne, la faculté d'icelle com-
mectra aussi deux notables docteurs vaccans de toute suspicion pour
veoir et visiter lesd. livres, et la faculté de droict canon en com-
mectra aussi deux autres non suspectz pour la Visitation des livres
en droict canon et civil, et par semblable la faculté de médecine
quant aux livres de médecine pour visiter lesd. livres, Lesquelz dé-
putez s'ilz treuvent aucun livre ou il y ayt quelque apparence ou
suspicion notable de quelque doctrine suspecte en la foy laquelle
bien souvent l'on a accoustumé de inesler parmy les livres de gram-
maire, logicque rhétoricque et lettres humaines, Ordonne lad. Court
20 AIUltT INÉIHT DU l'AIlLEMK.NT UE PAHIS.
que lesd. commis et dépuiez pour visiter seront lenuz les commu-
niquer aux députez delà laculté de théologie qui en parleront à lad.
faculté s'ilz veoicnt que besoing soit, Et pour l'approbation de tous
lesd. livres afin de les pouvoir exposer en vente, sera mis par lesd.
députez quelque marque ou paraphe en la fin de l'un desdils livres
qu'ils retiendront par devers eulx, quant aux livres concernans la
doctrine chrestienne; Et quant aux autres villes esquelles y a uni-
versité comme Orléans, Poictiers, Angiers et Bourges sera faict le
semblable, et quant aux autres villes esquelles n'y a université sera
la Visitation faictc par l'oflicial ou vicaire de l'evesque et docteurs
en théologie s'il en y a^ assistant avec eulx l'un des officiers du roy,
et s'il n'y avoit aucun docteur en théologie ou officiai, sera lad. Visi-
tation faicle par deux notables personnaiges non suspeclz qui se-
ront députez par le bailly, seneschal ou prevost du lieu, ou leurs
lieutonaus.
Aussi lad. cour ordonne que défenses seront faictes à cry publicq
et son de trompe, tous les imprimeurs de cesle ville de Paris de
meslereslivresdegrammaire,logicque,rhétoricque, lettres humaines
ou aultres, aulcune chose de la doctrine cbreslienne, mais seul-
lement imprimer ce qui concerne la science de laquelle lesd. livres
sont composez afiiii que soubzumbredesd. livres de grammaire, lo-
gic(jue, rhétoricque ou lettres humaines lesjeujies enffans ne soient
imbuez de cesle perverse et pesiifere doctrine hereticque contre la
Iradicion de la foy catholicque, Et au demeurant a ordonné et ordonne
la court au procureur général du roy, afin que la censure ecclé-
siastique en ce qu'elle est requise et nécessaire ayde a la jnrisdic-
tion séculière, d'impétrer lettres moniloires, et icelles faire publier
aux prosues des Eglises parroichialles de ceste ville de Paris et es
autres lieux et villes de ce ressort ou il verra qu'il sera besoing, pour
avoir révélation et dénonciation de ceulx qui scauront aucuns sous-
tenir lI maintenir la doctrine luthérienne et aultres doctrines con-
tre la foy catholicque et aussi de cculx qui scauront aulcuns avoir re-
cellé ou retenu après la publication de cesle présente ordonnance
les trois jours passez aucuns desd. livres contenans doctrines im-
prouvées erronées, blasphèmes, hereticques, contre la foy catholicque
lesquelles révélation et déimncialion seront faicles aux curez desd.
églises parroichialles s'ilz sont présents en la ville ou au lieu ou ilz
sont curez, ou a leurs vicaires en leur absence, appelle l'un des
INTERDICTION DE l'EXERCICE DE LA R. P. R. 21
marguilliers de l'œuvre et fabricque desdites églises, et seront ré-
digées par escript par lesd, cure ou vicaire, et d'eulx signées et
apportées (quant a ceste ville de Paris aud. procureur général du
roy, et quant es aultres lieux et villes de ce ressort, a ses substitutz
du plus prochain siège royal du lieu ou lesd. monitoires auront esté
publiez) Et ce dedans troys jours après que lesd. révélations auront
esté faictes, et en rédigeant par escript icelles, le curé ou vicaire
mectra par escript, le nom, surnom, estât et deinourance de ceulx
qui auront révélé, lesquels seront puys après examinez par informa-
tion par le plus prochain juge royal, et lesd. informations par luy
veues, procéder à rencontre de ceulx qui seront trouvés delinquens
et coulpables, ainsy qu'il verra estre a faire par raison.
Signé : P. Lizet.
Tavel, rapporteur.
Faict en parlement et publié a son de trompe et cry publicq par
les carrefours et autres lieux de ceste ville de Paris, Le premier
jour de juillet M. Vc. XLII.
Il y aurait bien des remarques à. faire sur telle ou telle partie de
cet arrêt, notamment sur celles qui insistent sur l'examen des livres
d'instruction élémentaire en usage à celle époque; mais elles dépas-
seraient l'étendue desimpies notes.
N. W.
INTERDICTION
DE l'exercice de LA R. P. H. A BOURG CHARENTE, EN SAINTONC.E
1681.
Cabaricu, par Montauban, 20 nov. 1S83.
Monsieur,
Dans les recherches que j'ai faites, ces dernières années, soit aux
Arcliives nationales, soit à la Bibliothèque Richelieu, j'ai souvent ren-
contré des documents qui m'ont paru avoir une certaine importance
pour l'Histoire du Protestantisme et, si vous voulez bien le permettre,
22 INTERDICTION UE l'EXERCICE DE LA H. P. R.
j'aurai ;rhonnoui" do vous on adresser successivement quelques extraits
pour être reproduits dans le Bulletin, si vous le jugez convenable, en
tout ou en partie.
Je viens aujourd'hui vous donner l'analyse détaillée d'un dossier con-
servé aux Arciiivcs nationales (T. T. 287) et qui est relatif à l'interdic-
tion do l'oxorcico du culte réformé à Bourg-Charente, en Saintonge,
malgré l'intervention et les réclamations d'une grande dame, Anne de
Pons, à qui appartenait la seigneurie de cette terre et qui était protes-
tajite, comme ses ancêtres.
M n'est pas sans intérêt, ce semble, de voir par cet exemple, — et
on pourrait citer d'autres faits analogues dans d'autres provinces, —
que longtemps avant 1685 la religion protestante était entourée de
nombreuses entraves qui précédèrent et faisaient facilement pressentir
la révocation officielle de l'Édit de Nanties.
Veuillez agréer, je vous prie, 31onsieur, la nouvelle expression de
mes sentiments les plus dévoués.
DE Gabarieu.
La baronnie de Bourg-Charente, en Saintonge, appartenant au
commencement du xyii"' siècle à une famille protestante, le culte
réformé y fut célébré dans la chapelle du château jusqu'en 1659,
époque du mariage d'Anne de Pons, propriétaire de cette terre,
avec François Amanieu d'Albret, comte de Miossans, qui professait
le catholicisme.
Ce seigneur n'ayant plus voulu permettre à ceux de ses vassaux
qu'il considérait comme des hérétiques de se réunir dans les dépen.
dances de son habitation, ils furent obligés de transférer leurs
assemblées dans une maison particulière affermée par le consistoire;
mais de nouvelles difficultés ne devaient pas tarder à leur être sus-
citées et à venir les entraver dans leurs exercices religieux.
Cinq ans plus tard, en effet, sur la plainte du syndic du clergé,
les habitants réformés de Bourg-Charente étaient assignés pour
avoir à représenter leurs titres devant des commissaires chargés de
l'exécution de l'Édit de Nantes. Leur droit contesté par le commis-
saire catholique, le S. Houlier, lieutenant-général de la sénéchaus-
sée d'Angoulême, fut au contraire reconnu par Charles Odet, seigneur
du Fouilloiix, coniinissaire prolestant, ainsi qu'il résulte de leur
procès-verbal de partage dressé le 24 juillet 1064- et conservé aux
Archives nationales (Tï. 287).
INTERDICTION DE l'EXERCICE DE LA R. P. R. 23
. L'influence d'Anne de Pons, qui continuait depuis son mariage à
persévérer dans la foi de ses pères, empêcha que le procès-verjjal
dont il s'agit reçût les suites qu'il comportait et il ne fut pas déféré
au conseil du Roi pour faire statuer sur le partage, de sorte qu'il
resta comme non avenu. Mais lorsque la destruction de l'hérésie
eût été définitivement résolue par Louis XIV et que tous les moyens
pour y parvenir furent trouvés bons, sans vouloir encore recourir à
une interdiction formelle et brutale, on fit acheter subrepticement
par un certain Jean Maugé, marchand et habitant de Bourg-Charente,
qui était catholique, la maison où était célébré le culte réformé et,
peu après cette acquisition, le nouveau propriétaire n'ayant pu
obtenir la résiliation à l'amiable du bail consenti au consistoire par
son vendeur, réclama la libre disposition de son immeuble par une
requête adressée « au Roi et à Mosseigneurs de son conseil », en date
du 17 décembre 1681.
Dans cette pétition Jean Maugé demande « que l'exercice de la
» R. P. R. ne soit plus continué dans un petit bâtiment qui lui
» apartient comme l'ayant acheté le 15 mars 1680 à noble homme
» Pierre de Montalembert, conseiller du Roi et receveur de l'élec-
T> tion de Cognac, et qu'il plaise à Sa Majesté adjuger le bâtiment
» dont il s'agit au suppliant contre le Ministre et les anciens du con-
» sisloire avec la restitution des jouissances depuis tout le temps
» qu'ils en ont joui. »
D'après l'acte d'acquisition dont une copie authentique signée par
le notaire Feuillet est annexée au dossier, le sieur de Montalembert
aurait fait cette vente, tant en son nom privé que comme cession-
naire de demoiselle Anne de Montalembert, sa sœur, et comme cura-
teur des filles mineures de défunt Isaye de Montalembert, marchand,
son frère. Il est dit en outre, que « le bâtiment vendu avec une
» petite bassecour sert à présent de temple aux habitants de la reli-
» gion P. R. du dit Bourg-Charente et est situé sur le port du dit
)) lieu, confrontant d'un bout à la rue qui conduit du dit port à la
» ville de Cognac, à main senestre, d'autre bout et d'un côté aux
» bâtiments de M. Mesnage, assesseur du siège royal du dit Cognac,
» et d'autre côté à la maison et bassecour des hoirs Conrad Tessier. »
La réclamation do Jean Maugé vivement appuyée par le syndic
du clergé ne tarda pas à être accueillie, puisque, par un arrêt du
29 décembre 1681, « l'exercice réel et public» à Bourg-Charente
24 INTKUniCTlON DF. L'EX^IICICE DR LA li. P. H.
(îliiit interdit pour toujours, cette décision étant basée sur le procès-
verbal de partage du -24 juillet IGGOque l'on fit revivre.
Ce tut alors qu'intervint « danieElisaljelh de Pons, veuve du sieur
» comte de Miossans et dame de la baronnie de Bourg-Charente »,
ainsi qu'elle s'intilule, par une ref|uête adressée au Roi et dont une
copie suit :
« Sire, dame Elisabeth de Pons, etc., remontre très humblement
)) à Votre Majesté que l'exercice de la R, P. R. dont elle fait profes-
i> sion s'était toujours fait dans son château de Bourg que la sup-
» pliante tient en droits de haute justice relevant de Votre Majesté,
«jusqu'en l'an 1659 que la suppliante épousa le sieur comte de
» Miossans, qui était C. A. et R, et qui ne voulut plus permettre la
) contiuualion du dit exercice dans ie dit château de Bourg, desorte
)) qu'il fut transporté au bourg du dit lieu. Depuis ce temps le dit
> sieur comte de Miossans étant mort, la suppliante est rentrée dans
» son droit dont elle a usé de temps en temps en faisant dire le
» preschedans son dit château; néanmoins la vérité est que l'exer-
» cice de la R. P. R. a toujours été fait dans le bourg du dit lieu
j> depuis l'année 1659, ce qui donna prétexte aux commissaires
» exécuteurs de l'Edit de Nantes, sur la plainte du syndic du clergé,
» d'assigner les habitants du dit Bourg pour représenter leurs titres
» qui ne furent pas trouvés bons par le commissaire catholique,
» mais qui l'urcnl approuvés par le commissaire protestant... »
La suppliante ajoute « qu'elle n'a pu représenter son droit per-
» sonnel devant les dits commissaires quand ils rédigèrent leur
» procès-verbal de partage, étant alors sous puissance de mari,
y> mais qu'elle a présentement recours au Roi qui, elle l'espère, lui
» permettra de continuer dans son château l'exercice de sa religion,
» ainsi qu'il y était avant l'année 1659 et ce conformément à l'ar-
» ticle 9 de l'Edit de Nantes, et la suppliante continuera ses prières
» à Dieu pour la santé et prospérité de Sa Majesté. »
A la suite de cette reipiête dont ils furent saisis, l'intendant de la
généralité de Bordeaux, Charles de Faucon, Sgr. de Ris, et François
Daillet, Sgr. de Labrousse, faisant profession delà R. P. R. députés
pour juger les contraventions faites à l'Edit de Nantes, rendirent le
19 août 16«!2,unjugement par lequel, n'ayant pu se mettre d'accord:
« Ils ordonnent que les parties se retireront devant le Roi et nos
» seigneurs de son const'il |)onr leurêtre lait droit et cependantfont
DÉLIBEHATION DE L'ÉC.LISE DE POMPORT. 55
> défense à la dame de Miossans de faire faire le dit exercice au dit
j) château jusqu'à ce qu'autrement par Sa Majesté en ait été onlonné. >
Le 4 septembre 1G82, à la requête du syndic du clergé de Saintes
qui ne perdait jamais de temps, cette ordonnance fut signifiée à
(( Dame Elisabeth de Pons, y> et la célébration du culte protestant fut
définitivement supprimée à Bourg-Charente, aussi bien dans le châ-
teau que dans le Bourg.
DELIBERATION DE L'EGLISE DE P(3MP0RT
'2 février 17 GO.
M. Alfred Leroux, archiviste de la Îlaufo-Vienno, à qui nous devons
déjà d'intéressantes communications, nous adresse copie de plusieurs
délibérations des Églises du Périgord et de l'Agenais (1758-1762),
découvertes dans les détritus d'une maison de Bergerac en démolition^.
Nous reproduisons une de ces pièces, qui ouvre des perspectives sur les
derniers temps des Églises du désert :
Nous, pasteurs et anciens de l'église de Pomporl"- assamblés sous
la protection divine, avons délibéré ce qui suit :
ART. 1*'.
Sur la proposition faite au colloque dernier par les églises de
Saint-Laurens et Mombazillac% nous ne pouvons que les recepvoir
comme annexe de notre église et confirmer ainsy l'article hui-
tième dudit colloque, tenu le 15' janvier 1760.
ART. 2.
Quoy que nous ayons protesté contre ces assamblées du dedans,
néansmoins pour mettre mieux an jour la droiture de nos intentions,
la pureté de nos sentimens, le désir que nous aurions d'entretenir
toujours une exacte harmonie avec les autres églises de cette pro-
vince et d'attirer au milieu de nous les personnes qui n'ont point
1. La maison de madame veuve Dtii)iiy, ruo Neuve frArgen-inn.
2. Pomport, près Bergerac.
3. Localités voisinos de Bergerac.
26 DÉLIHKflATIO.N Dt; l/ÉGUSE DE POMPORT.
encore paru dans nos exercices publics de piété, nous avons cru
devoir suspendre nos assamblées publiques de dévotion, conformé-
ment aux intentions de M. le maréchal duc de Richelieu, notre gou-
verneur, nous réservant toutefois le droit de les reprendre, supposé
qu'il nous manque de parole. Mais en attendant, pour que tout se
fasse dans Tordre et à l'édification de tout le monde, nous avons
estimé la précaution suivante absolument nécessaire.
ART. 3.
Pour attirer la faveur du ciel sur les sociétés relligieuses que nous
nous proposons d'établir parmy nous, tous les fidelles sont exhortés
a s'y comporter décemment, à s'y rendre sans affectation, seulement
dans le désir de s'instruire et de glorifier Dieu, et se retirer de
même prudemment.
ART. 4.
On ne souffrira aucun visage inconnu, aucune personne suspecte
dans les dites sociétés, pour éviter les dénonciations. Supposé qu'il
s'en trouve quehiu'une de celte sorte, on leur bandera les yeux, et
elles seront guardées à vue jusqu'à ce que tout le monde soit retiré.
ART. 5.
On ne s'assamblera point deux fois de suitte dans le même en-
droit. Ghaqu'un des assistants doivent prêter la sienne * autant que
faire se pourra. MM. les anciens, en qualité de chefs des sociétés,
devront commencer pour servir d'exemple aux autres en prêtant
leurs domiciles, s'ils sont propres pour celte fin. Sinon chaqu'un
d'eux doit se charger d'en procurer un nombre suffisant.
ART. (j.
Les susdites sociétés devront être composées de (juaraiite per-
sonnes au moins. En conséquence nous partageons notre consis-
toire en deux : toute la plaine y compris Saint-Laurcns en fera une,
et lout le tertre y compris Mombazillac en fera l'autre, lorsque le
pasteur s'y trouvera.
ART. 7.
Pour prévenir tout coup de surprise, la prudence veut qu'on
1. C'est-i'i-dire sa maison.
DÉLIBÉRATION DE L'ÉGLISE DE POMPORT. 27
poste deux mouches ' de confiance pour veiller à la sûreté de M. le
pasteur et à celle de tous ses auditeurs.
ART. 8.
Comme le chant des pseaumes forme le plus beau trait de la ma-
jesté de notre culte, que pour cette raison il a été scrupuleusement
observé dans touttes les églises chrétiennes, il est nécessaire de le
conserver parmy nous.
ART. 9.
Chaqu'une des dites sociétés se prêteront mutuellement du secours
et entretiendront une exacte correspondance. Elles doivent s'envi-
sager comme ne faisant qu'un seul corps; l'une ne prétendra pas
dominer sur l'autre.
ART. 10.
Comme ]e secret estl'àme de touttes les entreprises, chaqu'un est
exhorté à garder un secret inviolable sur le lieu où nous nous as-
samblerons, sur les personnes qu'elles auront reconnues et surtout,
en un mot, ce qui pourroit préjudicier à nos frères. Les chefs des
dittes sociétés sont particulièrement exhortés à guarder un profond
silence sur nos délibérations consistoriales et colloquales et sino-
dales. Ils ne doivent les révéler qu'à ceux qu'elles auront directe-
ment pour objet ou qui seront intéressés à les connoître.
ART. 11.
Au cas qu'on inquiétât ceux qui auront prêté leur maison pour la
célébration de notre culte, il conviendroit, il est même nécessaire
' que les églises leur aydent à supporter les dépenses auxquelles ils
pourroient être exposés à cause de cela.
ART. 12.
Pour donner une certaine consistance à nos susdittes sociétés et
pour le soulagement de MM. les pasteurs, on pourra confondre deux
ou plusieurs sociétés dans une seule, supposé qu'elles ne soient point
interrompues.
ART. 13.
Les susdittes sociétés doivent se faire aussy fréquemment qu'il se
1. C'est-à-dire deux espions.
!28 DÉI.IBKIIATION DK 1.'K(;1,ISR I)K l'OMl'DUT.
pourra, deux fois la semaine, scavoir le jeudy et le dimenclie; les
jours de fête suplôoront aux jeudys pour ceux qui sont obligés de
travailler.
ART. 14.
Elles se feront de jour plutôt que de nuit pour éviter tout coup de
surprise.
ART. 15.
Les personnes qui n'aiiroient pas encore paru promettront de se
conformer à notre discipline ecclésiastique, aux arrêtés de nos
sinodes et de nos colloques.
ART. 16.
On aura soin de faire une liste de tous les jeunes gens qui dési-
rent à faire leur première communion, pour être instruits dans
les sociétés qui se fairont ; la ditte liste sera remise entre les
mains de MM. les pasteurs qui auront soin d'interroger les dits caté-
chumènes avant que de les recepvoir à la Sainte-Cène.
ART. 17.
nciens s'engageni
dits articles
MM. les anciens s'engagent à tenir la main à l'exécution des sus-
art. 18.
Que lecture des susdits articles soit faite aux premières sociétés
pour que personne ne les ignore et que tous ayent à s'y conformer,
tant anciens que fidelles; faute de quoy on agira contre eux suivant
toute la rigueur de notre discipline.
ART. 10.
11 a été délibéré, pour faire cesser tout le soupçon, qu'on travail-
leroit incessamment â faire construire un tronq pour chaqu'une des
sociétés, duquel MM. les secrétaire et boursier auront chaqu'un
une clef. L'ouverture ne s'en fera qu'en présence de MM. les pas-
teurs et de deux ou trois anciens. Cela fait, M. le secrétaire cou-
clici'a sur son livre ce (jui se trouvera dans le tronq.
ART. ^0.
Tous les membres de notre dit consistoire sont exhortés de prendre
MÉLANGES. 29
exactement extraits de tous les baptêmes el mariages qui se fairont
dans leur district et de les faire passer entre les mains du secré-
taire qui aura soin de les coucher fidellement sur son registre.
Ainsy fait et arrêté ce jourd'huy 2- février 1700.
J. PiCARU, pasteur.
CossEJOUR, secrétaire.
MELANGES
MÉMOIRES D'UlN CALVINISTE DE MILIIAU
Il serait supcrfiu de chercher à faire ressortir l'importance de ce
manuscrit"-. 11 a pour le Rouergue l'importance de celui de Jacques
Gâches pour le haut Languedoc et il importerait qu'il fût publié et
annoté avec le même soin. Ces écrits de la même époque se com-
plètent réciproquement et permettent de suivre les personnages
engagés dans la même pièce, mais c|ui changent fréquemment de
scène.
1. C'est par erreur qu'on a mis en tète de la première partie de ce mémoire
(p. 562) ce sous-titre : 1620 à 1682. Ibidem, p. 563, 1. 16, lisez : fournit et mou
soumit; p. 560, 1. 58, lisez : noiinains et n-jn romains; cnfm p. 5l)8, 1. 24,
lisez : Laurous et non Laurons.
2. D'après un détail fourni par M. de Gaujal (t. IV, p. 5!ji), le manu crit calvi-
niste appartenait à M. de Gualy, évèquc de Carcassonne, cl passa dans les
mains de ses parents, les Gualy de Creissel, à la mort de ce prélat, en 18i7. Il
ne paraît donc pas qu'il en ait été fait des communications avant cette époque-
M. de Gaujal dit encore : » Le titre en est écrit d'une autre main que le corps
de l'ouvrage, et lui est bien postérieur ». Ceci permet de penser que le manus-
crit dont il s'agit est bien l'original. La même famille possède aussi l'Histoire du
siéije de Creissel et de ce qui s'estpasse, avant ledit siège, avec les Imçjuenols
de Millau, par Pierre Granier, et mentionne la conduite valeureuse de Pierre de
Crozatetde La Croix, qui défendit celte place contre le duc de Hoiian. Il iei;iit
à ce sujet des lettres llatteuses du Prince de Condé, Henri de Rouriuni et de
Louis XIII.
30 MÉLANGES.
Le manuscrit est anonyme : il ne serait peut-être pas difficile de
soulever le voile qui cache le nom de l'auteur. D'abord il fait partie
des papiers d'une famille qui le délient comme un héritage, et,
bien mal à propos, prive le public des renseignements précieux
qu'il contient, ou du moins n'en a fait que des communications
beaucoup trop limitées. Celte famille aujourd'hui très catholique
était, à l'époque où le manuscrit fut rédigé, à la tête du parti pro-
testant. Nous possédons de cette famille une généalogie s'étendant
de 1419 à 18i3, dressée par M. H. de Barraii*, principalement
d'après des papiers fournis par elle-même. Nous n'avons à nous
occuper que de la partie relative à notre sujet. Voici ce que nous
lisons au n" VI, marquant la 6"" génération : Jacques Gualy-Chaf-
fary (écrit aussi dans plusieurs actes qui le concernent de Galy et
de Gally) épousa, par contrat du 21 mars 15M, demoiselle Delphine
Borzer (ce mot est aussi écrit Bourzer, Bourzèr et Borzèr) et mourut
peu de temps avant le 9 août 1565, jour auquel fut fait l'inventaire
de ses biens. Quel était son culte? Rien ne l'indique; mais nous
devons faire remarquer que plusieurs personnes du nom de Bourzèr
et sir Durand Bourzer, sieur de La Rivière, était toujours à la tête
de tous les mouvements protestants.
RésuUa-t-il des enfants de ce mariage? Contrairement à la
marche suivie pour tous les autres noms, la généalogie ne le dit
pas; elle laisse ignorer, ceci doit être remarqué, s'il n'y en eut
pas, s'il y en eut un ou plusieurs. Mais Pierre de Gualy-Chaffary
continue la liguée avec le n" VII, et il est dit qu'il commandait une
compagnie; de cent hommes, pour le service du roi, le 26 sep-
tembre 1560. Il était marié, avant le 25 mars 1586, avec Jeanne
Durand dont il eut deux enfants : Pierre de Gualy-Chaffary et Anne
de Gualy, femme de Jacques de Molinier, docteur es droit. Encore
ici nous pourrions faire remarquer que les Durand, les Molinier,
surtout, étaient des noms essentiellement protestants. Mais ceci ne
prouve rien, nous en convenons. Ce qui est plus concluant, c'est
que le 23 décembre 1561, Chaffary figure avec Monti'ozier et Com-
bettes dans l'inventaire que font dresser les calvinistes, des reli-
(juaires (ju'ils ont trouvés dans l'église des .lacobins, dont il se sont
emparés-, et qu'un peu plus tard, le 3 juin 1563, Pierre Galy, c'est
1. Dov.nmcnls hisloriqui'x ri (jvnénloijiqucs du Rouergue, l. 111, p. 065.
2. De Giiujal, iiuvra^tc cilc, t. IV, p. i',li.
MÉLANGES. 31
évidemment le même personnage, est un de ceux qui se présentent
avec les consuls devant Ramond de Donald, docteur es droit, con-
seiller du roi, juge de Millau et Roquecizière, pour lui demander
un lieu convenable où l'on puisse continuer la prédication de
l'Évangile ^
VIII. Pierre de Gualy-ChalTary, écuyer, seigneur de la Gineste
et de la Gruelle, épousa par contrat de 25 août 1606, et du vivant
de ses père el mère, demoiselle Suzanne de Tauriac, fille de noble
Antoine de Tauriac, mort le 6 octol)re 1585 d'une blessure d'arque-
busade qu'il reçut à la têle au château de La Liquisse, et de Demoi-
selle Dernardine d'Aisser. La généalogie fait ici remarquer avec
soin que par acte du 15 septembre 1631, une chapelle fondée en
l'église de Sainte-Foy des Prades fut conférée par Pierre de Gualy
et son fils à maître Jean Garibal prêtre, et qu'un jugement de
M. Pillot, intendant de Guienne, ordonna que le dit seigneur de la
Gineste serait inscrit dans le catalogue des nobles de cette province,
insi qu'Etienne et Pierre de Gualy-Chaffary, ses enfants, qu'il
avait eus de son mariage avec la dite demoiselle Suzanne de Tau-
riac, laquelle était encore vivante le 23 juillet 1651. Pierre de
Gualy-Chaffary fils, seigneur de la Gineste et de Gruelle, faisait pro-
fession de la religion protestante; la notice généalogique le déclare,
et elle nous apprend en outre qu'il passa en Angleterre avec Louise
Du Puy, sa femme et leurs enfants. Sa signature au bas de l'acte
de concession de la chapelle, n'est donc pas un signe de catholicité;
et si lui, protestant, a pu signer cet acte, son père pouvait bien
aussi se trouver dans la même situation. Au reste on nous a dit
qu'il fut blessé mortellement d'un coup d'arquebuse à la tête, au
château de La Liquisse et le très précieux ouvrage de M. de Gaujal
nous apprend (t. II, p. 452) qu'après l'édit de Nemours, 7 juillet 1585,
les Calvinistes mécontents reprirent les armes et que le roi de
Navarre, Henri IV, alors chef des protestants, donna commission,
le 18 août, à Antoine de Tauriac, le même que la ville de Millau
avait choisi en 1573, pour gouverneur, de mettre sur pied deux
cents arquebusiers. Tauriac exécuta cet ordre el fut tué à La Li-
quisse, près de Naut, le 6 octobre, en combattant à la tète de sa
troupe. C'est dans ce même combat que Pierre de Gualy-Chaffary,
1. Archives de la mairie de Millan, dans le Bulletin de Vhisloire du proies-
tantistisme français, année 1860-1861, p. 382.
32 MÉLANGES.
reçut la blessure donl il mourut. Or ils élaient beaux frères. Esl-il
probable qu'ils combattissent l'un contre l'autre? Oela ne serait
pas impossible ; mais vu les sentiments connus de la famille de
Gualy, il serait difficile de l'admettre. Ce qui nous semble prouver
qu'il n'en était pas ainsi, c'est précisément le silence garde par les
notes qui ont été fournies à M. de Barrau. Avec les préoccupations
que nous avons fait remarquer, on n'aurait pas manqué d'.ijouter,
si on l'avait pu, que Pierre de Gualy avait été blessé en combattant
dans les rangs des catlioliques.
Quant à Etienne de Gualy-Chaffary, le frère et le fils des précé-
dents, celui qui continue la lignée sous le n» 9, il était incontesta-
blement protestant. Cela résulte du testament qu'il fit le 1" janvier
107:2, cl dans lequel il déclarait vouloir être enseveli dans le cime-
tière de ceux qui professaient la religion réformée et dans le
tombeau de ses ancêtres. Il est vrai qu'avant sa mort qui eut lieu
le 3 juillet 1705, il abjura, ainsi que sa femme, Jeanne de Rozel,
la religion prestanle qu'ils professaient tous les deux. Il paraît
même que c'est par cette double abjuration que la branche française
de la famille de Gualy rentra dans le giron de l'église romaine.
Nous nous arrêtons ici, mais nous pouvons dire que des descendants
de cette branche de Gualy retourné au catholicisme quittèrent encore
la France pour cause de religion et se retirèrent en Angleterre.
Ces rejetons d'une ancienne famille huguenote ne paraissent
avoir oublié, dans leur nouvelle juitrie, ni leur culte ni leur
pays.
M. de Gaujal dont la pensée n'est jamais aventurée a dit : « A
cette famille appartenait probablement l'auteur du Mémoire de la
guerre des Cévennes, publié en anglais en 1725 à Londres et qu'on
attribue à un réfugié français nommé Galli. La famille de Gualy a
du moins eu en Angleterre une branche qui y avait été formée par
un de ses membres, qui s'expatria à l'occasion de la révocation de
riùlit de Nantes; et il se peut fort bien que l'on ait écrit Galli au
lieu de Gualy, d'autant mieux que cette famille écrivait à cette
époque sou nom Galij *. »
Il faut dire, pour ne rien cacher, que nous n'avons trouvé le
titre de ce Mémoire de la guerre des Camisards ni dans la France
1. I)f ('.aiijnl, niivrajîc cilé, t. IV, p. 272.
MÉLANGES. 33
littéraire de Quérard, ni dans le Manuel du libraire, de Brunet;
néanmoins l'autorité de M. de Gaujal est si grande que nous ne
l'invaliderons pas pour si peu. Ce qu'il a dit, il a cru pouvoir le
dire. Il est bien vrai qu'il parut en Angleterre, à Londres en 1744,
chez Moïse Chastel, une histoire des Camisards qu'Antoine Court
a connue et qu'il traite de roman : les récits sont présentés presque
partout d'une manière dramatique; mais elle n'a pas été écrite en
Anglais et le livre dont je parle n'est pas une traduction. Celui qui
l'a écrite possédait bien la langue française et connaissait, de plus,
l'idiome Cévenol, car il dit qu'il a près de lui un homme qui lui rap-
porte ce qu'il a vu et qu'il fait passer ses récits dans son livre avec
autant de fidélité qu'il le peut : « Je tiens ces circonstances, dit-il,
de la bouche d'un homme qui était présent et je m'attache à con-
server le sens et, autant que je puis, la force des expressions. »
(t. I, page 100, note.)
Les recherches que nous avons faites à l'occasion de ce livre,
nous en ont fait découvrir un autre. On trouve dans la France lit-
téraire : Gally (P) de Gaujal : Relation des sociétés établies en An-
gleterre et en Irlande pour la réformation des mœurs. Le P. ne se-
rait-il pas la première lettre du mot Pierre si commun dans la
famille de Gualy et le de Gaujal n'indiquerait-il pas une al-
liance des Gualy avec les Gaujal autre famille du Rouergue qui,
elle aussi, professa longtemps les doctrines de la Réforme. Voir
Jules Duval : Notice biographique sur le baron de Gaujal.
Et maintenant, y aurait-il de la témérité à hasarder une opinion
qui, à nos yeux, est sinon prouvée du moins très vraisemblable? A
nos yeux le manuscrit a pour auteur un membre de la famille de
G.ualy ; cela résulte 1° de ce que cette famille qui le possède ne veut
pas le communiquer; 2», de ce que, pour cacher ce qu'elle ne veut
pas dire, elle ne se sert qu'avec un visible embarras des documents
qu'elle possède, 3«, de ce que il y a une intention visible de dis-
simuler que ses ancêtres ont joué pour la défense du protestantisme,
le rôle important que l'histoire ne permet pas de leur refuser. Que
les amis de la vérité historique qui se trouvent convenablement
placés fassent des recherches dans les registres des baptêmes de
4544 à 1580, qu'ils recherchent surtout les noms des enfants de
Jacques Gualy et de Delphine Borzer; que ceux qui le pourront
aussi s'enquièrent de ce combat qui eut lieu le 10 avril 1682 h Lau-
XXXIII. — 3
34 MÉLANGES.
rens près Lodève. C'est par là que la pleine lumière doit nous ar-
river*.
L'auteur du manuscrit, quel qu'il soit, n'était certes pas un écri-
vain; la clarté et la souplesse de la langue de Montaigne et de Cal-
vin lui font absolument défaut; son style est incorrect, mêlé de lo-
cutions vicieuses, il a des tours et des mots qui sentent la langue
alors usitée dans le pays; mais il est un homme instruit. L'introduc-
tion, dont il a fait précéder ses récits, prouve qu'il avait étudié la
nature et qu'il était au courant de ces théories alanibiquées sur les
éléments dont on se contentait à son époque. Mais il était avant tout
un témoin fidèle, racontant avec droiture et loyauté ce qu'il avait
appris ou dont il s'était solj-^neusement informé. « Ces articles ici
articulés l'un après l'autre, suivant leur rang, sont véritables et
dignes de foi, car pour mentir je ne voudrois avoir mis ce labeur en
train, car non-seulement du présent pourra aproffiter, mais aussi à
temps à venir, comme plusieurs verront les menées qui sont estées
faictes en plusieurs villes et villages, y prendront exemple quand
Dieu leur fera la grâce que l'évangile fleurira en leurs villes ».
» Or, frère lecteur, te priant que s'il i a rien qui ne te plaise,
qu'il ne soept au plaisir de tes aureilles, te prie le prendre en bonne
1. M. Roman, l'un des érudits qui annotent avec tant de soin la nouvelle
édition de l'Histoire générale du Languedoc, a bien voulu, sur notre demande,
compulser les nombreux documents qu'il a recueillis, et nous écrit, le li dé-
cembre dernier, les lignes que voici :
(' Il n'y eut pas de guerre générale cette année-là (1582), comme vous le savez,
en Languedoc, mais une foule de troupes armées parcouraient le pays, faisant
(les prisonniers, quelle que fut leur religion, pour les rançonner et les mettre à
mort s'ils refusaient de payer. Précisément un document assez précieux, une
sorte de rapport sur l'état général du Languedoc fait au nom du roi de Navarre
lîihl. de Toulouse, 10 B, n° 93) constate qu'un nommé Regnault et sa bande
répandait la It-rreur dans l'évêché de Lodève et les environs. C'est probable-
ment dans l'une de ces razzias que le père de l'auteur de votre manuscrit aura
été pris, puis tué. Quant à trouver son nom dans ces conditions-là vous comprenez
que c'est impossible. »
Nous craignons bien que cette découverte soit difficile, en effet; mais il y a
tant d'imprévu dans les recherches historiques que nous ne voulons pas déses-
pérer. Et qui sait? peut-être les lignes que nous venons de transcrire pourront-
elles faciliter d'autres recherches. Quoi qu'il en soit, nous avons été très heureux
de Ips recevoir et nous remercions notre savant correspondaiit de nous les avoir
adressées.
BIBLIOGRAPHIE. 35
part, car je n'ai point escript ceci per malice ni per aine quelcon-
que, main comme les choses ont esté tant (run parti que (Vaultre ;
car pense que tous sommes gens de bien et d'oneur o le devons
estre. Bien est vrai que les uns ont bataillé per malice, les aultres
per ignorance et les austres per avarice à piller et derrober le pai-
sant per s'enrichir, mes quoique soept ni quelque soept de ceux-là,
en vain ils ont laboré et pillé, leur ruine s'approche et leur fin n'en
sera pas bonne. »
Et maintenant, un mot avant de finir. La ville où nous avons
trouvé une copie du manuscrit Calviniste, Rodez, possède aussi,
dans ses archives communales, quelques papiers qui peuvent nous
intéresser. On lit dans une de ses délibérations du mois de mai
1560, les paroles que voici : « Que chascun des habitans se pour-
voient d'arnoys et que fasse mètre la nuit de pierres aux fenestres,
pourruer à ceulx que passeront parles rues de nuict et chanlans
les psaulmes de David, comme ont faict quelscungs ces jours passés » .
Ph. Corbière.
BIBLIOGRAPHIE
REPERTOIRE
1. BIOGRAPHIES. — Le Bulletin a rendu compte (XXXII, 525)
de l'étude de M. A. Bourgoin, Un bourgeois de Paris lettré au
xvii" siècle, Valentin Conrartet son temps (Paris, Hachette, 1883,
350 p. in-8°). On doit mentionner aussi G. de la Tourette, Théo-
phraste Renaudot (Paris, Pion, 1883, 316 p. in-8°). M. G. Becker
est l'auteur de quatre intéressantes notices biographiques et biblio-
graphiques sur Eiistorg de Beaulieu poète et vamicXaw, Guillaume
Guéroult et ses chansons spirituelles, Jean Caulery et ses chan-
sons spirituelles, Hubert Waelrant et ses psaumes, avec musique
de chansons et psaumes (Paris, Fischbnciier, 1880-1881, in-12, tirage
36 UlIiLlOGUAPHIE.
à cent exemplaires). MM. Emile et René Fage se sont également
occupés CCEuslorçi de Beanlicu (ïvi\\&, 1880, 50 p. in-8°, extr. du
Bull, de la Société des lettres, sciences et arts de la Corrèze).
La Revue Historique (juill.-oct. 1883), a publié un article consi-
dérable de M. Dardier sur l'historien Jean de Serres (85 p. in-8'');
le Catholic World de sept. 1883, un de M. E. Raymond sur Jean
Calvin; Les Amiales de la société historique et archéologique du
Gdtinais (3' trim. de 1883), le commencement d'une biographie du
Cardinal de Châtillon par M. Léon Marlet (avec portrait). De
plus : notes de M. Couard Luys sur Salomon de Brosse et ses
enfants, possesseurs du lief de l'Argillière au comté de Sentis
(Bull, de la Société de Vhikoire de Paris et de Vile de France, 1883,
n. 3) ; notes du B"" Pichon sur la chapelle des orfèvres de Paris à
laquelle travailla Jean Cousin en 1557 (Mémoires de la même so-
ciété, t. IX) ; renseignements sur la mort de Lefèvre d'Etaple d'après
une note de l'éd. de 1772 des bibl. franc, de La Croix du Maine et
(lu Verdier {Revue de VAgenais, 1883, 7'^ et 8" liv.) ; Acte de nais-
sance de Perrot d'Ablancourt {iivt.xa.rié\és. Revue de Champagne
et de Bric, 1882 t. XII); acte de baptême (;"' Cognac par le pasteur
Rosscl) de Charles et Marie enfants (ïlsaac de Ponlevain, 15 août
1655, et acte d'abjuration de Marguerite de Morel « native de la
paroisse de Palluau en Engoulmois » entre les mains du curé de
Cognac le 9 mai 1G70, à la lin des notes de M. J. Pellisson sur
les de la Rochefoucauld à Cognac (Bull, des archives historiques
de la Saintonge et de l'Aunis, t. II, p. 240). André Joubert, Re-
cherches épigraphiques, le mausolée de Catherine de Chivré,
(Laval, 1883, 55 p. in-8' ') avec détails sur l'église delà Barre. Thèses
historiques D. Ollier, Guy de Brès, Paris, 1883; E. Bertrand,
Étude homiléiique sur Bossuet et Saiirin; F. Penisson, Treize
années du ministère de G. Farci, Montauban 1883.
II. et III. ÉPOQUE DES GUERRES DE RELIGION et PROTES-
TANTISME DANS LES PROVINCES. — J. Lossius, Urkunden der
Grafen de Lagardie, (Lei[)zig, Kochler, 158 p. in-8"), analyse delà
correspondance du baron Pontus de Lagardie, précieuse pour
l'époque des guerres de religion en France (1571-1580). Revue his-
tor.ct archéol. du Maine, tome XI\',1" livr., 1883, 2" trim. L'abbé
1. En veille chez C.liampion cl Picart, libraires à Paris.
BIBLIOGRAPHIE. 37
Ledru, Notes et documents sur Jean V de Champagne dit le
grand Godet, sire de Pescheseul (chef de bandes catholiques au
début des guerres de religion; se signala par ses crimes à côté des
Bressault, des Saint-Aignan, etc.) suivi de pièces justificatives. i?M/-
letind'hist. ecclésiast. et d'archéologie religieuse des diocèses de
Valence, etc., 1883, mars-août, suite de la publication des Mémoires
des frères Gag sur les guerres de religion en Dauphiné.
E. Chevrier, Notice historique sur le protestantisme dans le
département de l'Ain et lieux circonvoisins. Paris, Fischbacher
1883, avec photographie d'un portrait de Castalion, 302 p. in-8°
(/??(^/.,XXXIf,522).E.FRAiN : Une terre, sespossesseurs catholiques
et protestants de 1200 à 1600, renferme comme le précédent ou-
vrage du même auteur sur les Familles de Vitré, beaucoup d'indi-
cations utiles pour l'histoire du protestantisme en Bretagne; la
terre dont il s'agit est la Gaidairie près Vitré (Rennes, 1879, in-12
de 232 p.). Revue hist. et archêol. du Mairie, t. XIII, 3Mivr., 1883
1*' trim. Abbé Ledru. Note sur la réforme dans le Maine, 1560-72
(services rendus par Félix le Chesne à la cause royale, d'après un
factum de son fils). Dans les archives historiques du Poitou (t. XII,
1882). Les lettres adressées à Jean et à Guy de Bâillon, comte de
Lude, gouverneur de Poitou, Saintonge et la Rochelle, 1543-1557
et de 1557 à 1585. — 22 mai 1544. Lettre de François I" avec ordre
de porter secours au lieutenant du Poitou contre les assemblées de
luthériens (en partie imprimée dans l'hist. de la Rochelle t. II). —
29 juin 1561. Lettre de Charles IX, relative aux prêches des hugue-
nots et au curé de Ghiré (voir aussi Arch. hist. de la Saint, t. IV,
p. 290). — 17 juin 1563, lettres patentes de Charles IX, nommant
des commissaires pour l'exécution de l'édit de pacification en Sain-
tonge et Aunis. — 4 novembre 1567, lettre du même pour aller se-
courir la Rochelle. — 1" janvier 1568, mémoire de M. de Lude au
roi sur les affaires du Poitou, et réponse du roi. — 2 août 1568,
réponse de Charles IX à une lettre de M. de Lude, dans laquelle
celui-ci lui avait appris la prise deTaillebourgpar les huguenots. —
Ph. Tamizey de Larroque, deux documents relatifs à La Chambre
de redit de Nérac, Bordeaux 1882, 38 p. in-32. — F. Teissier, un
document sur l'église de Saint-Félix de Sorgùes en Rouergue 1640
(christianisme au xix' siècle, 2 novembre 1883). — Le tome XII de
la Revue de Champagne et de Brie contient dans la suite de Vllis-
88 BIBLIOGRAPHIE.
toire du Bailliage de Vitry-lc-François par H. Bouchot, quelques
mots sur les protestants; au tome XIII : l'enlèvement d'un enfant
protestant à Vitry au xviir siècle, d'après les archives de la Marne.
Nous tenons à signaler VHistoire de la ville et de la commu-
nauté de Montesquieu sur-Canal ^ar M. A. Lucien Cazals (Tou-
louse, 1883, in-12), couronné par la société archéoloi;ique du midi
de la France dans son concours de 188!2, car ainsi que le dit l'au-
teur dans son avertissement. « Il y aurait <j;vdnd intérêt pour l'his-
toire que chaque commune eût sa monograpliie : haucoup de faits
seraient révélés, d'autres précisés. » M. Cazals a consulté beaucoup
de pièces originales^: le chap. IV rend compte de la possession de
la ville par les protestants en 1573 et 1574, sous les seigneurs de la
famille d'Avessens; les détails sur le siège de 1586 sont empruntés
à Gâches, Lalaille et D. Vaisselle.
liEFUGE, RÉVOCATION, DÉSERT. — La plupart des journaux
religieux ont résumé une communication de M.Gaberel re Rossil-
LON à l'Académie des sciences morales et politiques (25 août 1883)
sur Jean Lecomte de la Croix, né vers 1500 à Etaples, mort en
1509, après avoir été élève de M. Cordier, collaborateur de Briçon-
net, précepteur des enfants de l'amiral Bonnivet et, à partir de
1532, réfugié en Suisse où il forma l'église de Morat. Michaud,
Louis XIV et Innocent XI; le vol. IV traite de la Révocation
et de la part qui y revient au pape. L. Feer. La Politique de
Louis XIV à l'égard des nouveaux convertis (Christianisme au
xix"^ siècle, 12 octobre 1883). H. M. Lester, traduit par M. de Ri-
chement, Le Refuge à New-Rochelle (Id.). F. de Schikler. sous le
titre de Souvenirs de Londres, description et extraits des registres
des églises du Refuge conservés à Somerset Ilouse {Journ.du Prot.
français, \i septembre 1883). M. F. Teissier publie une lettre iné-
dite de Bonnemère, dontil rectihe la biographie d'après les archives
(le l'Hérault (Id. 2 nov. 1883) : Refusant de se convertir, le cor-
donnier Paul Bonnemère sortit de France à la Révocation pour y
rentrer comme prédicant et être exécuté à Montpellier, 31 mars
1 090. Cette lettre adressée à M. Castel tailleur à Montpellier, et
une autre (publiée dans l'Eglise libre, 9 novembre 1883) adressée à
Suzon Banne (h' lu même ville, les engageaient à persévérer dans la
foi et à « sortir de Babylone ». Dans la Renaissance (21 septembre
1883), d'ajirès \q. fourn.de Genève, deux lettres inédites de Voltaire
BIBLIOGRAPHIE. 39
en. faveur du forçat Chaumont dont il obtint la liberté, 4764. —
F.RouviÈRE, U abjuration de 1686 à Nîmes, texte complet d'après
le registre secret du Présidial (8 p. in-8'', Nîmes 1883). — Abjura-
tion de Mlle Elisabeth Henriette Zorn de Bulach, 17^5, discours
prononcé par le Cardinal de Rohan (Revue d'Alsace, octobre dé-
cembre 1883).
V. VARIA. — La Nuova Antologia (Rome, 15 septembre 1883)
renferme un parallèle entre Marsile de Padoue et Martin Luther
par P. Labanca; on y trouve cités, sur ce précurseur qui professa
à l'Université de Paris, fut excommunié par le pape Jean XXII, et
lui opposa l'antipape Nicolas V, les ouvrages suivants : Labanca,
Marsile de Padoue, réformateur politique et religieux du
xiW siècle, (Padoue 1882 en italien) ; RiEZLER,Les adversaires lit-
téraires des papes à Vépoque de Louis de Bavière (Leipzig 1874);
C. MuLLER, La lutte de Louis de Bavière avec la curie romaine,
(Tubingue 4879); Breger, Les commencements de la lutte ecclé-
siastique et politique. Municb 1882 (les trois en langue alle-
mande).
Parmi les documents livrés aux enchères dans lee dernières
ventes d'autographes à Paris, on relève :
Hotnian, Sancerre 1" septembre 1570, au jurisconsulte Render,
lui exposant ses inquiétudes et lui annonçant qu'il va abandonner la
France pour retourner en Allemagne, car les alternatives de paix
et de guerre lui semblent intolérables (vente Eug.Charavay,28 avril)
— Henri ///à Villeroy, Lyon, septembre 1586, « Une ambassade des
princes protestants d'Allemagne l'attend à Paris; il ne veut pas
leur répondre de sa bouche; que le chancelier les reçoive; s'il est
mis en leur présence il se fâchera et les fâchera (ce qui arriva à
Saint-Germain le 12 octobre); — Mayenne, 15 novembre 1587,
approbation de la proposition qui lui est faite de donner au chapitre
de l'église cathédrale de Notre-Dame de Rouen la somme de
3,000 escus à prendre sur la vente des immeubles des hérétiques de
la ville de Dieppe (vente Eug. Charavay, 2 avril); Marguerite de
Valois au roi, Nérac 24 septembre 1579, appuyant la demande
que font les habitants de Montauban de fonder un collège pour
l'instruction de la jeunesse (vente Etienne Charavay, 3 mai); — Sully,
à M. de la Force, Paris 4 août 1609, « il faut prouver à nos voisins
et envieux que nous avons maintenant un roy et un roiaume qui ne
40 CHRONIQUE.
sont (le qualité pour estre méprisés ni i;oiirman(Iés. » (vente Eug-,
Cliaravay, 10 mai).
N. B, Nous tenons à signaler le premier numéro d'un important
recueil, le Bulletin de la commission pour l'histoire des Églises
wallonnes, brochure gr. in-8° de 96 paires, où l'on remarque un
avant-propos du secrétaire M. W. N. Du Rieu, une étude magistrale
de M. le pasteur Gagnebin sur les Églises wallonnes avant et après
la Uévocalion, nii article sur Lambert Daneau à Leyde, avec une vue
du temple wallon de cette ville (1581-1582). Ce recueil, rédigé par
les écrivains les plus r^ompétents, doit contenir des articles d'his-
toire politique et religieuse, des notices biographiques et généa-
logiques, de nombreux documents puisés dans les archives locales,
un questionnaire, et une infinie variété de détails relatifs à l'histoire
du Refuge. Nous saluons de tout cœur le nouveau Bulletin, (jui
sera le meilleur complément du nôtre.
CHRONIQUE
RÉPONSE A UN ARTICLE DE M. EMILE DOUMERGUE
J'eus le regret, il y a quelques années, de ne pouvoir souscrire à
la thèse développée par un jeune professeur de Montauban dans
une solennité académique' {Bull., t. XXXI, p. 3.)
Pourquoi suis-je appelé à formuler de nouvelles critiques, à pro-
pos d'une lettre du même auteur contenant des assertions aussi
erronées que peu réfléchies sur une édition récente d'un livre de
Th. deBèze?
Mais il faut laisser parler l'honorable professeur dans son langage
provocant :
1. La Réforme française d'après leshistoriens et d'après l'histoire. Discours
prononcé h l'oiivorturo do l'année scolairo dans la Faculté de Montauban, le
1G novcnibie I8S0, par E, Poumerguc, professeur,
CHRONIQUE. 41
• « Qui le croirait, s'écrie-t-il, pour faire à nos Eglises ce magni-
fique cadeau (un Grespin bien imprimé et bien annoté pour
25 francs) la Société de Toulouse a dû montrer une certaine obstina-
tion etrésisler à des conseils singuliers mais pressants. On regret-
tait qu'elle eût déjà imprimé une Histoire ecclésiastique de Th.
de Bèze, et on la suppliait de ne pas commettre faute sur faute en
imprimant le Martyrologe^. »
Il s'est trouvé en effet quelques esprits chagrins (et je suis du
nombre) pour estimer que l'excellente Société des livres religieux
de Toulouse, qui nous a rendu tant d'autres services, n'avait peut-
être pas toutes les qualités requises pour nous donner un Grespin,
ni même un Bèze, et je le lui ai dit avec tous les égards possibles
{Bull., t. XXXII, p. 3'27). Il paraît que je n'ai pas été seul à le lui
dire; faut-il s'en étonner?
Mais j'ai hâte de rendre la parole à M. Doumergue :
« Vraiment, oui, dans les classiques du Protestantisme a paru le
premier volume d'un Th. de Bèze magnifiquement imprimé et admi-
rablement annoté. Les éditeurs se proposent de publier un Grespin
dans les mêmes conditions. La Société de Toulouse ne fait pas aussi
bien ; elle se borne donc à gêner la vente, le splendide succès de
la collection des classiques; n est-ce pas lamentable? »
C'est sur ce ton dégagé que M, Doumergue, s'ingérant dans une
question des plus délicates, apprécie les légitimes revendications et
les justes réserves de la Société des classiques du Protestantisme.
Ignore-t-il donc que bien avant que la Société de Toulouse eût
songé à célébrer ses noces d'or par une réimpression de VHisloire
ecclésiastique de Th. de Bèze, la Société des classiques protestants
avait annoncé ce dessein et s'était môme constituée pour cet objets
C'est ce qu'attestent les procès-verbaux de la Société de l'histoire
du Protestantisme français dont le Comité des classiques ne fut à
1. Lettre de Montauban, dans le Christianisme au xix^ siècle du li décembre
1883.
2. Séance du 12 février 1878. M. le président présente le Prospectus d'un
projet de publication des classiques protestants sous les auspices de la Société
de riiistoire du Protestantisme français...
Séance du 12 mars. — Le président rend compte de la première séance du
Comité des classiques du Protestantisme français, qui se propose de commencer
ses publications par la réimpression de l'Histoire ecclésiastique de Th. do
Bèze, sur l'exemplaire annoté par M. Baum et revu par H. Cunitz, etc..
i2 CHRONIQUE.
rorii,'ine qu'une émanation ^ C'est ce que rappelait le président de
notre Société, dans la séance annuelle du 20 mai 1878, en ces
termes :
« Et Th. de Bèze, et VHistoire ecclésiastique depuis trop long-
temps accessible à un si petit nombre de lecteurs... Nous voici
ramenés au vœu reproduit dans chacune de nos assemblées an-
nuelles. Mais ce n'est plus un vœu, cest une espérance qui devien-
dra une réalité. Un Comité spécial de seize membres s'est formé
sous les auspices de la Société; huit ont été pris dans son sein, huit
en dehors de ses ranys. Consulté sur toute publication nouvelle, le
Comité choisira de plus'chaque fois, comme cela a lieu pour les pu-
blications de la Société de l'histoire de France, un commissaire
responsable chargé expressément de la représenter. Le premier
commissaire désigné est notre secrétaire M. Jules Bonnet; le pre-
mier ouvrage est celui que le Bulletin signalait il y a vingt-cinq
ans à l'attention des Protestants (Bull., t. II, 219) VHistoire ecclé-
siastique annotée par M. Baum. Nous espérons que M. Cunitz le
revisera et le complotera avec la science qui nous est connue. Les
noms des savants éditeurs des Opéra Calvini et des Lettres fran-
çaises du grand réformateur sont une garantie qui nous dispense
d'insister sur la portée de cet événement littéraire et religieux. »
(6?a//., t. XXVII, p. 251.)
A cette annonce revêtant une sorte de solennité, notre président
ajoutait qu'il espérait montrer à la prochaine assemblée les premiers
chapitres de la réimpression de Th. de Bèze. Il renouvelait cette
déclaration, le 24 avril de l'année suivante. « D'autres publications,
disait-il, depuis longtemps réclamées, n'ont point cessé de nous pré-
occuper. Bientôt nous parlerons de nouveau des classiques du
Protestantisme i'rançais, de la réimpression si désirée de VHistoire
ecclésiastique de Bèze. » (Bull., t. XXVIII, p. 200), Mais n'en ai-je
pas dit assez pour montrer à quel point ce projet était sérieux et
digne do toute considération, malgré d'inévitables retards? Après
1. J'ai sous les yeux son prospectus tiré à "lOUO exemplaires, avec la liste de
SCS membres: MM. Alfred Andrr, Bersicr, IJordier, Delaborde, Maurice Cottier,
r.aifTe, Franklin, etc.. et un bulletin de souscription pour VHistoire ecdésias-
iujue. (Février 1878). Le projet fut acceuilli avec faveur par tous les journaux
protestants, y compris le Christianisme a u'xw siècle alors rédigé par M. Dou-
mergue; N"^ du 2*2 mars et du ;{! mai 1878.
CHRONIQUE. 43
quelques hésitations portant sur la méthode à suivre et sur la forme
à donner an contrôle que devrait exercer le Comité de Paris,
M. Cunilz se mettait résolument à l'œuvre, et l'activité bien connue de
l'éditeur des classiques, M. Fischbacher, nous garantissait un plein
succès, quand parut un point noir à l'horizon. Vers la fin de 1879,
la Société de Toulouse démasqua pour la première fois son dessein.
Je le demande ici à tout esprit non prévenu : pouvait-elle arguer
de son ignorance? Dès le premier mot d'une conversation sur ce
sujet *, je déclarai à M. le pasteur Vesson que la Société des clas-
siques avait entrepris la publication du livre de Bèze, et qu'elle
possédait à cet égard un droit d'antériorité qni ne pouvait être
méconnu. Je le suppliai de chercher dans le vaste champ de notre
littérature protestante un autre ouvrage (on n'avait que l'embarras
du choix !) dont la Société de Toulouse pourrait faire le don de
joyeux avènement de son cinquantième anniversaire. J'insistai sur
les inconvénients d'une concurrence désastreuse, sur le tort d'un
procédé peu fraternel venant s'ajouter à un dommage d'une autre
nature. M. Vesson répondit en termes évasifs. Sans s'expliquer
autrement, il contesta notre droit qui, dit-il, ne s'était manifesté
par aucun commencement d'exécution, comme si la formation d'un
Comité, l'appel adressé à M. Cunitz, et un prospectus répandu à
5000 exemplaires n'étaient pas une suffisante prise de possession
de l'ouvrage de Th. de Bèze!
Je ne puis me défendre ici d'une pénible réflexion. Il est dans le
monde des lettres un usage qui, pour n'avoir pas force de loi, n'en
est pas moins un pur hommage aux droits de l'esprit. Lorsqu'un
auteur ou un éditeur de quelque renom a fait connaître par un
prospectus, ou autrement, son intention de publier un ouvrage nou-
veau ou même de réimprimer un livre ancien qu'il s'est pour ainsi
dire approprié par de sérieux labeurs et de réels sacrifices, la con-
currence elle-même désarme et s'incline devant un droit antérieur.
Dans ma modeste carrière d'écrivain, j'en ai fait plus d'une fois
moi-même l'heureuse expérience. Ne pouvait-elle se renouveler au
profit des classiques? Devions-nous rencontrer moins d'égards à
Toulouse qu'à Paris, ou même à l'étranger, dans un Comité reli-
gieux digne de tous nos respects, que dans un monde régi par de
1. Au Synode officieux de Paris, vers la fin de novembre 1879.
44 CHRONIQUE.
tout autres mobilos? La dure loi de la concurrence nous a été appli-
quée sans merci par des frères!
Ce serait une triste histoire que celle des négociations poursui-
vies par l'éditeur de Paris se montrant prêt à toutes les concessions,
allant même jusqu'à oiïrir aux éditeurs toulousains nne coopération
fraternelle qui eût permis d'abaisser les prix et de réaliser une édi-
tion à la fois savante et populaire, dans le vrai sens du mot, et se
heurtant à un parti pris aussi affligeant qu'obstiné *. Je n'ai nul
goût à ressusciter des souvenirs pénibles pour tous. Mais je re-
trouve ici l'apologiste de Toulouse avec ses assertions tranchantes
qui appellent une deiTîière réponse :
« On n'a oublié, ce me semble, d'insister que sur un point : Le
Bèze de Toulouse a coûté dix francs-, et le Bèze de Paris en
coûtera soixante. » M. Doumergue oublie à son tour que ce prix
eût pu être réduit de moitié, sans la déplorable ingérence du
Comité de Toulouse divisant le public (déjà si restreint ! ) suscep-
tible de s'intéresser à de telles publications ^ Et puis, n'y at-il donc
ici qu'une question de chiffres? La science, la critique, le goût
n'ont- ils pas voix au chapitre? Se croit-on le droit d'infliger au
public sérieux, sous prétexte d'économie, une médiocre édition qui
n'indique pas même la part de Th. de Bèze dans le texte original
de 1580, et dont les notes trahissent une singulière inexpérience?
Ce mot magique dix francs I répondrait-il à tout, comme le sans
dot de Molière ?
« Qui ne voit, poursuit avec une imperturbable assurance l'auteur
de la lettre de Montauban, qu'il y a là deux buts distincts ? Toulouse
t. Dossier Fisclibaclier (Lettres de février, mars et avril 1880). J'écrivis moi-
même à M. Vesson, sans plus de succès, le 17 avril de la même année : (. Il
me semble impossible, lui disais-je, de ne pas tenir compte de cette circons-
tance que le projeta été annoncé, il y a deux ans, par le Comité des classiques
protestants. 11 y a là une question de délicatesse que nos amis de Toulouse no
sauraient résoudre autrement que nous. » Je n'obtins en réponse que de pures
arguties. Quelques mois plus tard la Société de Toulouse lançait son prospectus
(Chrislianisme au .\i.\" siècle du 30 juillet 188U). llien donc do plus légitime
que la jdainte déposée dans les procès-verbaux de notre Société et reproduite
{DuU. t. XXIX, p. 57r)). Je corrige ici une erreur de renvoi dans le Bulletin de
juillet dernier (p. 3iJ0, 1. 10).
2. C'est (/oujfi et non pas dix qu'il faut dire; aujourd'liui 20.
3. Le prix indiqué sur le i)rospectus primitif est de 12 fr. 50 le volume; 10 francs
pour les souscriiiteurs.
CHRONIQUE. 45
publie une édition populaire et à bon marché; Paris publie une
édition scientifique qui se trouve être en même temps une édi-
tion de grand luxe. Cela ne s'adresse donc pas au même public...
Surtout il ne faut pas poser à tout acheteur cette condition préa-
lable d'être un banquier ou un Crésus » (sic). Pures exagérations
qui ne résistent pas au plus léger examen. L'édition de Paris
n'était point dans la pensée de ses auteurs une édition de luxe,
ainsi que je l'ai montré plus haut par des chiffres. Elle l'est forcé-
ment devenue par l'opposition peu intelligente qu'elle a rencontrée.
On peut dire sans exagération qu'en dotant le public d'une édition
au rabais, la Société de Toulouse l'a frustre de la belle et bonne
édition qui, par la modicité du prix, eût trouvé place dans toutes
les bibliothèques.
Il faut cependant s'expliquer sur un mot dont on a singulièrement
abusé dans les discussions relatives à Bèze et à Crespin. L'illusion
est de croire que de tels recueils puissent être w&iment populaires,
et de sacrifier à une pure fiction des intérêts d'un ordre supérieur.
Qui lit aujourd'hui VHistoire ecclésiastique de Th. de Bèze, hors
les savants appelés à s'en servir, et les esprits peu nombreux
qu'une culture spéciale a rendus capables d'apprécier les textes
originaux ? Qui pourrait lire dans le Martyrologe ces longs inter-
rogatoires se déroulant devant des juridictions si diverses, ces
interminables controverses théologiques si goûtées de nos pères,
mais qui n'excitent de nos jours, à tort ou à raison, qu'un faible
intérêt? L'historien y trouve d'admirables documents qui deviennent
la trame de ses récits et se popularisent en se transformant. Des
sommets un peu froids de l'érudition coule ainsi par mille canaux,
•dans les travaux qu'elle produit, l'édification que reçoivent des
milliers de lecteurs sans avoir besoin de remonter à la source.
Mais je dois conclure, et non sans tristesse : s'il est une chose évi-
dente de soi, c'est qu'il n'y a pas place pour deux éditions de
certains ouvrages sur notre marché si réduit; que l'une tuera
l'autre, et que l'édition savante est celle qui a le moins de chance de
vivre. Le mot ^'émulation appliqué par la Société de Toulouse à
une situation pareille, n'est qu'un non-sens ou une ironie. Deux
fois l'occasion s'est offerte de grouper les forces vives du Protestan-
tisme français, la Province et Paris, autour de la réimpression de
deux des œuvres les plus remarquables de la Réforme française au
46 CHRONIQUE.
XVI'' siècle; deux fois ce noble espoir a été déçu. Deux fois aussi
une voix s'est élevée pour préconiser, au détriment de l'édition
scientifique, l'édition au rabais quant au texte et quant aux notes.
Cette voix est celle de l'honorable professeur d'histoire ecélésias-
liquede Montauban. Je ne saurais l'en féliciter ! Jules Bonnet.
FETE DE ZWINGLI
Après le quatrième anniversaire séculaire de Luther, celui
d'Ulrich Zwingli, néle 1" janvier 1484, dans un village du Tocken-
bourg. Rien de plus humble que les commencements de celui qui
fut le réformateur de la Suisse orientale, et dont le nom s'est glo-
rieusement inscrit entre ceux de Luther et de Calvin. Comme
Luther il tonne contre les indulgences et prêche le salut gratuit;
comme Calvin il adresse un éloquent appel à François 1" dans le
livre : De vera et falsa religione, qui demeure malheureusement
sans écho. La querelle sacramentaire n'altère ni la sérénité de
son esprit ni la générosité de son cœur ouvert aux plus nobles ins-
pirations du patriote et du croyant. Sa mort sur le champ de
bataille de Cappel (\ l octobre 1531) est un deuil pour la Réforme
tout entière. La fêle de Zwingli a été célébrée le 0 janvier, avec un
grand éclat, à Zurich et dans les principales villes de la Suisse. La
France n'y est pas demeurée étrangère. Des notices ont été consa-
crées au grand Helvétien dans nos divers journaux protestants ;
sa vie a été rappelé dans nos chaires, et a fourni la matière d'un
éloquent discours à M. le pasteur Viguié au temple de l'Oratoire.
SEANCES DU COMITE
EXTRAITS DES PROCÈS-VERBAUX
Séance du 8 mai 1883.
Présidence de M. le J)aron V. de SchicUlcr.
Lo secrélairc odVe à ses collùi^uos un cxcmpliiiro du liragc à part de
l'arliclo sur /wV/à-r l{icltie)\t]m ;\ prodiiil le meilleur oITet à Itar-lo-Duc
et à Nancy.
PROCÈS VERBAUX. 47
. 11 donne ensuite lecture de deux lettres, l'une de M. le pasteur
Eug. Arnaud, l'autre de M. le pasteur Daniel Benoît, remerciant le
Comité du prix qui leur a été décerné.
M. Douen demande où en est la Table générale du Bulletin déjà
plusieurs fois annoncée; une conversation s'engage à ce sujet, et le
Comité se déclare prêt à tous les sacrifices pour assurer le prompt
achèvement du travail confié aux soins éclairés de M. AYeiss.
Bulletin. — Enumération des morceaux contenus dans le prochain
numéro. Une précieuse correspondance du pasteur- martyr Pierre
Durand nous est signalée par M. Ch. Sagnier et sera transcrite dans
les papiers d'Antoine Court à Cenève.
Bibliothèque. — Nouveau don à signaler de Mme de Neuflize, notre
généreuse amie.
Le secrétaire présente une très belle copie du Catalogue des Archives
du Consistoire de Nîmes, faite par les soins de M. le pasteur Cazalet,
pour nous être offerte au nom du Consistoire.
Le Comité vivement touché de cet hommage prie le secrétaire de se
rendre l'interprète de sa reconnaissance pour ce précieux envoi.
Correspondance. — M. le pasteur Maillard transmet quelques extraits
relatifs à trois prédicants de l'église de Mouchamps (Vendée"» avec
quelques fragments de ses registres.
M. Charruaud ofïre une pièce intéressante sur une inhumation faite
en Poitou, aux termes de l'article XIII de la loi de 1736.
M. L. de Uichcmond communique une lettre de M. John Jay, ancien
ministre plénipotentiaire des Etats-Unis d'Amérique demandant des
renseignements sur un de ses ancêtres.
Nouvelle liste de suspects dans les Cévennes, transmise par M. Teis-
sicr d'Aulas, pour faire suite à celles déjà publiées dans le Bulletin.
Séance du \3juin 1883.
Présidence de M. le baron F. de Schickler.
Bulletin. — Le secrétaire donne lecture de divers fragments des
lettres inédites de Paul Rabaut à Antoine Court dont le Comité ne peut
qu'encourager la publication.
Bibliothèque. — On a reçu de M. Larnac une collection de rapports
sur la reconstitution de l'état civil pour les églises protestantes après 1870.
De M. de Schickler une trentaine d'inventaires de nos archives dépar-
tementales, aussi précieux à consulter que difficiles à se procurer, ainsi
' que les catalogues de Bibliothèques d'Ulysse Robert.
Ouelques opuscules très rares ont été acquis à une vente réccnle :
Considérations de Louis Leroy (Regius), 1570. Vie de Dusson (fr.), I(i77.
La France intéressée au rétablissement de l'Edit de Nantes, in-l!2, IGOO.
Un cxem])]a.ive de VInstiliition chrétienne de Calvin, manuscrit du tenips.
Mais on doit surtout mentionner un rarissime volume, les deux traités
de Michel Servet : De Trinitatis errorlbus (1532-1533) acquis à la vente
de la librairie de Blenheim par la généreuse initiative de notre prési-
dent.
M. le pasteur Bersier adresse à M. Ch. Readunc question sur Sandras
de Courtils, auteur d'une biographie de Coligny, qui ne mérite gn^"»e
confiance très limitée. Originaire de Montargis, il a pu recueillir à Chà-
tillon-sur-i>oing quebiues faits nouveaux noyés dans une rhétorique qui
tient plus du roman (|ue de l'histoire.
NÉCROLOGIE
M. HENRI MARTIN. — M. LE PASTEUR VAURIGAUD
Le ii décembre dernier a été marqué par un grand deuil pour les
lettres et pour la patrie, la mort de M. Henri Martin enlevé, à l'âge de
soixante-treize ans, .x^i Sénat, à deux sections de l'Institut et à la science
historiijue dont il était un des plus illustres représentants. Né à Saint-
Quentin, en 1810, il s'occupa de bonne heure, avec une passion persé-
vérante, d'études sur l'histoire nationale à laquelle il a su élever, par
un livre digne du sujet, un monument durable. Sans avoir la hauteur
de vues de Guizot, la merveilleuse intelligence de Thiers, ni les intui-
tions de génie de Michelet, il unit au plus vaste savoir une raison ferme,
un esprit généreux, et l'ardeur de son patriotisme ne nuit |)as à l'impar-
tialité de ses jugements. On ne pourrait dire qu'il ait bien compris la
Réforme, quoi qu'il ait noblement parlé de ses héros et de ses martyrs.
Détaché du catholicisme, comme tant de nos contemporains, sans se
rattacher à aucun symbole j)articulier, Henri Martin fut un spiritualiste
fervent, et c'est au Protestantisme libéral qu'il a demandé les paroles
d'immortalité prononcées sur sa tombe.
A ce deuil de la patrie se joint un deuil de notre Église qui vient de
perdre un de ses meilleurs llls, M. le pasteur Vaui'i^^-aud décédé, le
23 décembre dernier, à l'âge de soixante cin({ ans, après une longue et
douloureuse maladie. L'Église réformée de Nantes n'oubliera pas les
services qu'il lui rendit dans un ministère de plus de trente années; elle
honorera en lui son hislorien. M. Vuurigaud a retracé dans un ouvrage
digne des Ijénédiclins les destinées du l'rotestanlismc dans la province
la plus catholique de la monarchie, et il a pu compléter ce travail par
une excellenle monographie de l'Église dont il fut si longtemps pasteur.
{Bull., t. .\.\I, p. 51 7, et t. XXIX, p. 232). Notre Société n'avait pas d'ami
plus aiuien, jdus dévoué; elle gardera fidèlement sa mémoire.
J. B.
Le Gérant : Fisciidaciier.
UouRLOTON, Imprimeries léimics, B.
SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE
DU
PROTESTANTISME FRANÇAIS
ÉTUDES HISTORIQUES
IMBERT PECOLET
Nulle carrière n'a donné, au xvi' siècle, plus d'adhérents à
la Réforme et n'a plus elTicacement contribué à la répandre,
que celle de l'enseignement. Les portraits des professeurs et
régents attachés à la nouvelle église dès la première heure, si
on pouvait les réunir, rempliraient un musée, et il en faudrait
plusieurs pour contenir ceux de leurs élèves gagnés par eux à
U même cause. Les collèges furent le grand véhicule du mou-
vement rénovateur qui inaugura les temps modernes, et c'était
chose naturelle : la jeunesse a été de tout temps portée aux
nouveautés; elle est l'agent prédestiné du progrès, et le pro-
grès alors, c'était celui des études, des sciences, de l'art, de la
liberté de conscience. Le premier nom que la Réforme fran-
çaise ait inscrit sur son livre d'or est celui d'un professeur,
Lefèvre d'Etaples.
Mais si ce fut une bonne fortune pour elle de s'implanter
au cœur des humanistes et de s'exprimer par l'éloquence de
XXXIII. — 4:
50 I.MBERT PÉCOLET.
leur plume ou de leur parole aux applaudissements de leurs
disci})les, ce fut aussi l'une des causes de son insuccès dans
notre pays. Les idées généreuses du jeune âge peuvent n'être
pas plus durables en religion qu'en politique, et la foi qui n'est
qu'un savoir résiste mal aux épreuves de la vie. Les médecins,
les magistrats, les ecclésiastiques qui avaient l'ait connaissance,
à l'Université, avec les idées luthériennes, ne se crurent pas
tenus d'y rester fidèles et de braver les dangers qu'elles leur
faisaient courir. La bourgeoisie française eut au xvr siècle
une de ces déf;\illances qu'on a vu se renouveler si souvent
dans l'ordre politique, et notamment après 1789 et 1830; elle
ne suivit point jusqu'au bout les chefs qu'elle avait acclamés.
Nous avons vu Baduel soutenu par ses Nîmois jusqu'au jour
du danger; treize ans auparavant, son prédécesseur avait fait
la même expérience : Imbert Pécolet avait dû renoncer à
poursuivre pour sa part, en France, la restauration du j)ur
évangile par les écoles.
Une des causes de cet insuccès, et non la moindre, est l'ac-
croissement du pouvoir royal et le progrès de l'unité fran-
çaise. Si les provinces avaient été plus indépendantes et les
seigneurs plus puissants, la réforme aurait pu s'établir vic-
torieusement sur bien des points du territoire. Mais le roi,
présent partout par ses fonctionnaires de tout ordre et, en
première ligne, par ses cours de parlement, exerçait sur tous
une autorité prépondérante. Il donna à l'église le moyen de
se défendre sur tous les points à la fois contre les attaques,
et, tandis que celles-ci restaient isolées et intermittentes, la
répression fut générale et organisée. 11 en résulta bientôt
dan? le public un sentiment d'appréhension et de crainte qui
paralysa la propagande protestante et fit reculer les timides.
La persévérance supposait au plus haut degré un genre de
courage rare partout, rare notamment en France. Sans être
sans doute mieux doués sous ce rapport, les protestants des
cantons suisses purent se montrer plus conséquents. La Ré-
forme s'établit sans peine et sans beaucoup de luttes dans les
IMBEUT PÉCOLET. 51
petites républiques qui l'avaient adoptée : il n'y avait là ni
pouvoir royal, ni ibrte centralisation, ni parlements au ser-
vice du clergé. C'est là aussi que nos pères malheureux purent
trouver un refuge providentiel.
Une très intéressante étude duc à la plume de M. G. Marvé-
jol sur Imbert Pécolet, recteur des écoles de Nîmes de 1530 à
1535, nous semble confirmer et illustrer ces vues. Elle a paru
dans une revue locale qui, sous le titre gracieux de Némausa^
s'est vouée à recueillir les souvenirs anciens et récents de la
vieille cité nimoise. Des recherches heureuses dans les ar-
chives municipales ont mis l'auteur en mesure de rectifier en
les complétant les récits mis en circulation par l'historien
Ménard. M. Marvéjol commence par corriger l'orthographe
du nom de son héros : Paccolet devient Pécolet pour se rap-
procher des étymologies de la langue d'Oc-, car il était du midi
de la France, mais on ne sait de quelle ville; peut-être de Bé-
ziers, où M. Herminjard assure qu'il existait une famille du
nom de Pacolet. On ne sait rien non plus de la date de sa nais-
sance. On le trouve pour la première fois à Nîmes, en sep-
tembre 1530, sollicitant la charge de principal régent des
écoles de la ville.
Nous avons parlé ailleurs de ces écoles dont le nom d'une
petite rue fixe encore l'emplacement près du grand Temple
1. Numéro de janvier 1883.
2. Un seul notaire parmi ceux qui ont rédigé les documents contemporains
a écrit Paccolet et il se trouve que son lapsus a fait autorité. Est-ce un lapsus
après tout, et la tendance commune dans les pays à patois de ramener les noms
propres aux consonnances ordinaires, n'a-t-elle pas pu aussi bien faire dévier
l'ortliographe primitive du nom? Le cicéronien Baduel n'a-t-il pas une fois lui-
même suivi la prononciation courante en écrivant Musenquan au lieu de Mau-
sancal? Il devait y avoir ainsi pour chaque nom une forme populaire et une
forme écrite; le hasard faisait prédominer l'une ou l'autre. Mais n'insistons pas,
et tenons-nous en à Pécolet plus conforme aux manuscrits. Les écrivains ulté-
rieurs ont presque oublié le nom pour s'en tenir au prénom Imbert. II en était
ainsi pour la plupart des régents dont les noms de famille répugnaient à la
forme latine. Ceux de Nimes s'appellent Alexandre, Charles, Gilibert, Jacques,
Nicolas, sans qu'on sache toujours à (luelle famille les rattacher.
52 IMBERT PÉCOLET.
actuel, à l'ancien hôpital Sainte-Croix. Elles étaient assez
prospères et n'allaient pas tardera se développer sous l'habile
direction de leur nouveau chef et sous l'influence de la Re-
naissance. Leur organisation était simple : un recteur ou
premier régent; un ou deux maîtres-adjoints connus sous le.
litre de coadjuteurs ou bacheliers ; deux ou trois classes
latines plus ou moins graduées. Le conseil de ville représenté
par les consuls traitait annuellement avec le recteur, lui lais-
sant le soin de choisir et de payer ses aides; il le nommait
lui-même à la suite d'une déclamation ou thèse publique et
le présentait ensuite au chanoine chargé de la direction du
chant dans la cathédrale sous le titre de précenteur ou de
cabiscol {caput scholœ). Quand le conseil élevait les gages du
recteur, il lui défendait d'astreindre à des collectes ou rétri-
butions les enfants de la ville; il ne les abaissait qu'en lui
rendant la faculté de s'indemniser de la sorte. Des conflits
s'élevaient fréquemment entre les consuls et le précenteur sur
le choix du professeur à nommer et chacun des deux pouvoirs
prétendait réduire l'autre à abdiquer devant lui ; mais le ca-
biscol ne manquait jamais, au cours de la cérémonie d'inves-
titure, de proclamer la supériorité et lasuflisance du sien.
Pécolet, reconnu « ydoine et souffisant », fut ainsi élu rec-
teur aux gages élevés de soixante-quinze livres par an, à
charge de ne rien exiger des enfants de la ville, et il choisit
pour coadjuteur Alexandre x\ntoine, recteur avant lui et des-
tiné à rester longtemjjs à l'école ou au collège de Nîmes. Son
enseignement fut goûté et son administration prospère. Au
bout de deux ans il dut s'adjoindre un second bachelier, et,
deux ans plus tard encore, il se crut en mesure d'ériger
l'école en collège : il en fit la proposition au conseil extraor-
dinaire, en présence du viguier royal, le 12 juillet 1531.
« Le plan était des plus simples, dit M. Marvéjol. On se
serait d'abord contenté de (rois classes correspondant aux
divers degrés d'instruction des écoliers, « l'une pour ceulx
qui commenceront, l'autre pour les médiocres et la tierce
IMBERT rÉCOLET, 53
pour les parfaitz. » Les après-dînées auraient été consacrées
aux répétitions; les maîtres se seraient chargés de prendre
les écoliers à la pension et les auraient traités en commen-
saux... Pécolet fondait les plus grandes espérances sur cette
future organisation et il faisait ressortir tous les avantages
qu'en devaient retirer les enfants obligés de vivre et de tra-
vailler sous l'œil du maître, astreints à parler constamment
latin. Du reste, il n'exigeait pour cela aucune augmentation
de gages; il demandait seulement qu'on lui assurât la place
de régent pour trois années consécutives et que la ville fît
réparer et agrandir le local de l'École. »
L'organisation d'un internat dans la famille du principal
était alors le trait caractéristique de l'érection d'une école
en collège, et l'avantage qui en résultait pour les études par
l'habitude de parler constamment latin se doublait nécessai-
rement de l'avantage du nombre; les familles étrangères à la
ville pouvaient y envoyer leurs enfants dans des conditions
favorables, garanties en quelque sorte par la municipalité.
Le plan de Pécolet ne reçut pourtant pas d'exécution :
l'Ecole ne lui fut remise que pour un an, aux mêmes termes
que la précédente année; mais son zèle pour la prospérité de
l'Etablissement ne fit que redoubler et le nombre des élèves
augmenta tellement qu'il fallut se décider à agrandir le local
et y construire au premier étage un vaste auditoire où l'on
plaça de nouveaux régents.
Ces régents venaient, paraît-il, de provinces éloignées. Les
plus savants de ceux qui se présentèrent étaient Antoine Janin
et Benoît Cosme. Nous ne savons si le Conseil de ville fit dès
1535 une faute qu'il devait renouveler en 1541 contre Baduel
et s'il eut le tort de ne pas subordonner à Pécolet les nouveaux
venus, ou s'il céda à des considérations d'un autre ordre. La
vérité est qu'il entendit « les lectures et disputations » des
professeurs qui se présentèrent devant lui et qu'il finit par
donner la charge de recteur à Benoît Cosme, aux gages de
quatre-vingts livres par an, faisant de Janin et de Pécolet de
54 IMBERT PÉCOLET.
simples coadjiUcurs payés chacun trente livres. Il est vrai
qu'il les payait directement au lieu de laisser à Cosme le soin
de les rémunérer.
Le mieux est l'ennemi du bien, nous en sommes plus assu-
rés aujourd'hui que ne pouvaient l'être nos pères au sortir
de la longue enfance du moyen âge. L'éloquence dans la dis-
pute n'est pas toujours la marque distinclive du talent d'en-
seigner, ni surtout d'administrer. Pécolet disgracié se hâta
de quitter Nînfes; l'école déclina. Cosme ne fut pas seulement
inhabile, il chercha querelle aux consuls, se plaignit de son
logement, suscita un procès. A la lin de l'année on se garda
bien de renouer avec lui; on le laissa partir avec Janin et l'on
voulut ravoir Pécolet; on lui avait déjà écrit; mais il faisait
la sourde oreille: il voulait prolonger le châtiment mérité par
l'inconstance des consuls. Lorsqu'il finit par rentrer au bout
de deux ans, l'école diminuée n'occupait [)lus que deux maîtres
au lieu de quatre.
Sans attendre la fin de l'année classique, le Conseil extra-
ordinaire, qui se réunissait spécialement quand il y avait lieu
d'engager de nouvelles dépenses, s'occupa, au mois d'avril
1537, des dispositions à prendre avec Pécolet pour l'année
suivante. On décida de faire lire aux élèves de bons grammai-
riens, d'expliquer a Cicero, Yergille », et en outre a l'Aristo-
tel » en grec et en latin. Un bachelier devait instruire à part
les jeunes enfants et le recteur « maintenir la norme » ou
discipline, qui sans doute avait fléchi avec le reste pendant
sa longue absence. Il devait astreindre les écoliers à suivre
.selon l'usage les processions en chantant les litanies; mais il
lil une j)roposilion qui ])araissait émanci' d'un autre esprit :
celle de leur lire tous les dimanches les Evangiles. Le juge
des crimes, flairant là une des pratiques familières aux luthé-
riens, fit observer que l'évêque était seul compétent sur ces
matières, et il n'en fut plus (juestion. Il ne restait qu'à fixer
les conditions pécuniaires de la rentrée de l'ancien recteur :
on lui assigna cent livres par an, à charge de défrayer lui-
IMBERT PÉCOLET. 55
même un ou deux coadjuteurs et un bachelier et do ne rece-
voir « ne premyt {prœmmm) ne salaire » des enfants de la ville.
Ces conventions arrêtées, il se passa six mois avant que
Pécolet fût présenté au cabiscol pour recevoir l'investiture
des fonctions qu'il reprenait. Le cabiscol Guy de Rispo avait
donné précédemment cette investiture avec la restriction de
forme que nous avons signalée sur son droit exclusif à nom-
merles régents. S'il n'était rien survenu dans l'intervalle pour
modifier ses dispositions, il n'y a pas apparence qu'il eût
songé à astreindre Pécolet à prouver de nouveau sa suffisance
par une dispute publique. C'est pourtant ce qu'il fit, nous ne
savons s'il faut dire, au grand étonnamment des consuls, mais
certainement au nôtre. Que s'était-il donc passé? Maître Im-
bert, éloigné de Nîmes, avait-il régenté dans quelque collège
infecté de luthéranisme? avait-il fréquenté les conventicules
évangéliques ? Les consuls l'ignoraient sans doute, mais févê-
ché devait être bien informé. Au reste, un mot ajouté par le
précenteur ne tarda pas à montrer que ses objections contre
Pécolet étaient sérieuses : il lui interdit de lire (d'enseigner)
sons peine d'excommunication !
Ceci se passait le 7 octobre et les consuls Payan, Lansart,
Corconne en étaient à trouver extraordinaire le procédé du
cabiscol, quand entra en séance « frère Jean du Cayla, lieute-
nant du vicaire ou officiai de Nîmes », qui déclara ledit maître
Imhcrl suspect en la foi; a par quoy inhibe auxdits consuls et
audit cabiscol snb pœna excommunicationis latœ sententiœ
qu'ils n'ayent à donner faveur, secours ne ayde audit maistre
Ymbert jusqu'à ce qu'il s'en soit purgé, à Les consuls n'étaient
pas en veine de soumission. Ils déclarent à leur tour qu'il n'y
a pas d'hérésie chez Pécolet ; qu'on l'a laissé enseigner long-
temps sans se plaindre et que, s'il y a quelque tort, c'est le
lieutenant de l'official qu'il en faut accuser : il aurait dû plus
tôt signaler et réprimer l'hérésie. En conséquence les consuls
protestent contre lui et déclarent « en avoir recours là où il
appartiendra par raison. »
56 IMBERT PÉCOLET.
Ils commencent par en appeler à Philippe à jeun, soit
qu'ainsi le voulut l'usage, soit pour revenir à une modéra-
tion de forme dont ils s'étaient peut-être départis la première
fois. Le 15 octobre donc, ils présentent de nouveau Pécolet
au cabiscol « requérant qu'il soit son plaisir le recevoir comme
ydoine et souffisant et par lui approuvé, car a régi lesdites
écoles par plusieurs années. » Le cabiscol ne veut répondre
que devant ihi notaire, et, celui-ci venu, déclare « qu'il ne re-
cevra pas ledit maître Imbert, car il en a pourvu d'un autre,
faisant commandement audit Pécolet, subpama excommunica-
tionis, qu'il n'ait point à lire. A quoi lesdits consuls ne y ont
consenti, ains ont protesté d'en avoir recours à justice. »
Nous ne savons quel professeur d'orthodoxie incontestée le
cabiscol avait nommé dans l'intervalle des deux présentations,
mais il est visible que le conflit entre la maison consulaire et
révêché esta l'état aigu au milieu d'octobre 1537. Un docu-
ment conservé par Ménard (IV, Preuves, loi et suiv.) montre
que l'émotion était grande dans la ville et que les incidents se
déroulaient avec une rapidité menaçante.
C'est à l'année 15:]^ qu'on fait remonter les premiers symp-
tômes des idées luthériennes à Nîmes : à cette date un moine
augustin ayant prêché le carême dans un sens trop évangélique,
fut mis en prison au château du roi sur la dénonciation de
l'évèché : mais le conseil de ville reconnaissant envers le « beau
père B du bien spirituel qu'il avait fait, lui envoya comme
marque de sympathie une somme d'argent en sus de ses
gages. C'était peut-être là l'effet des premières leçons de Pé-
colet et l'origine du conllit entre les autorités civile et reli-
gieuse. L'évêque ne résidait guère. Son vicaire Robert de la
Croix devait suppléer par son zèle à une absence dans laquelle
[)lusieurs voyaient la cause de l'invasion de l'hérésie. A la
date où nous sommes, Robert reçut, en effet, au nom de
l'évêque absent, ra})pcl des consuls contre le cabiscol, appel
daté du 25 octobre et transmis jiar le juge Mage au nom de
la cour du Sénéchal. Cet appel et la réponse du vicaire con-
IMBERT PÉCOLET. 57
tiennent quelques indications nouvelles sur l'état des esprits
à Nîmes et sur Pécolet.
Pour forcer la main à l'évèchc, les consuls ont imaginé un
moyen de mettre à sa charge les dépenses de l'école et, en
outre, celles d'un enseignement théologique populaire. La
Pragmatique, les concordats, les règlements ecclésiastiques
obligent, selon eux, chaque évôché à l'institulion d'une pré-
ceptoriale, ou prébende destinée à défrayer les régents, et
d'une théologale pour assurer l'enseignement religieux du
peuple par des leçons et des sermons, « pour lire et enseigner
tous les jours, disent-ils, et aussi prescher les dimanches et
festes solennelles à vostre povre peuple, auquel ex dehitopas-
tondis officii (par le devoir de votre charge) estes tenus ad-
ministrer pabulum doclrinœ (la nourriture spirituelle), veu
mesmement le temps qui court et que, cà faute de ce, il y a eu
et de présent il y a et pullulent journellement plusieurs grandes
erreurs contre nostre foy el cà très grand préjudice de l'Eglise
et chrestienté. d C'était là du pur luthéranisme et l'opinion
évidente des consuls était que l'hérésie n'était pas du côté
qu'on supposait, mais exactement de l'autre.
A cette demande accusatrice des consuls, Piobert de la
Croix fit deux réponses, l'une orale concernant le maître pro-
posé pour les écoles, l'autre écrite sur la question générale.
Le maître proposé n'est plus Pécolet. Pour introduire devant
l'évèque ou son vicaire une réclamation qu'il consente à écou-
ter, il faut faire preuve envers lui d'une certaine obéissance.
Or l'évèque a décidé par l'organe de son lieutenant du Cayla
que Pécolet devait avant tout se purger de l'accusation d'hé-
résie, cérémonie qui ne pouvait être brève et dont les écoles,
à la fin d'octobre, ne pouvaient attendre patiemment l'issue.
Sur ce point donc, les consuls avaient cédé et ils présentaient
à l'agrément de l'évèché un autre candidat, Gaspar Caiart
(nom que Ménard avait lu à tort Cavart); mais par malheur
Caiart était arrivé devant Robert de la Croix dans une tenue
interdite aux membres de l'enseignement, presque assimilés
oH niBERT PÉCOLET.
aux clercs : il portait toute sa barbe. Sur quoi le vicaire de
Févêque déclara « que ledit maistre Caiartn'étaitpas recevable,
carn'étaitpas connu et davantage qu'il n'était pas in hahitu
clericali (en tenue cléricale) et a fait commandement audit
maistre Gaspar, illec présent, qu'il eust à se faire sa barbe et
ce, sur peine d'excommuniement. Auquel ledit M" Gaspar a
répondu qu'il ny compétoit point, ains en appeloit, lui disant
en outre qu'il n'était pas de sa juridiction, car n'était pas clerc
tonsuré. » Robert de la Croix ajouta que le cabiscol seul pou-
vait accorder l'investiture des écoles et que c'était à lui que
les consuls avaient à le présenter. Il ajourna la suite de sa ré-
ponse au même jour, à l'heure de Compiles; mais elle fut
dificréo, nous ne savons pourquoi, jusqu'au 1" novembre.
Méditée par un homme d'expérience et écrite à loisir, cette
réponse demande une lecture attentive.
Sur la question de la préceptoriale et de la théologale, le
prévôt de l'évéché (il portait aussi ce titre) déclara que les
consuls se trompaient et que l'autorité religieuse n'était tenue
qu'à ce qu'elle faisait déjà; qu'au reste la mauvaise volonté
des habitants ôtait au clergé le moyen d'encourir de nouvelles
dépenses, en refusant de payer la dîme des huiles, des laines et
des fruits que l'on acquittait ailleurs. N'épiloguons pas sur
ce point et passons à la réponse de Robert sur l'autorité du
précenteur :
Elle est entière, ajouta-t-il, n et est bien ;\ eonsidérer, car ledit chantre
(préccnleur) voyait le dangier cstre survenu en la présente cité de
Nysnies par le maistre-niaigc (Pécolet) es cscolles et escolliers, pullu-
lant mafina hœrcù (la grande hérésie) tant de sacramento altaris (du
sacrement de l'aulel) que de sacramentis eccleslœ (des sacrements de
l'Eglise) dont plusieurs ont été prévenus et punis tant par les censures
ecclésiasti(|ucs que aussi pcr dominos temporales (par le bras séculier)
et ce cstoit en grand esclandre de la foy cathoUquc. Lesquels consuls ont
essayé de présenter un maistre Ymbert Pécolet pour régir les écolles,
lequel a longtemps que a esté intitulé d'hérésie, dont lesdits consuls
devraient désister de juster avec ledit chantre de instituer ledit maître
Ymbert aux écolles, lesquels estaient bien advertis les erreurs hérétiques
IMBERT PÉCOLET. 59
estre provenues ab scolis, ot présenter ledit maître Ymbcrt intitulé de
hérésie, ce n'estait sinon pour multiplier les erreurs. Et parce que à
ceste cause ledit M« Ymbert ait été prévenu et ait répondu super prœ-
viissis (dans un interrogatoire préliminaire?) lesdits consuls ont présenté
un autre maître Gaspar Caiart, lequel est inconnu et ne sait-on dont il
est et estait compaignon dudit maistre Ymbert, lequel, comme est pré-
sumé, eodem morbo laborat\{cst affecté du même mal) comme ledit maistre
Ymbert. Et si il y a plus encore, car ledit M"* Gaspar fuit socius (fut le
compagnon) de M^ Batalerii, lequel obfugit (est fugitif) et de bailler les
écoles à un tel, comme est ledit M'^ Gaspar, cum videatur esse iinitator
(qui semble l'imitateur) desdits maîtres Ymbert et Batalerii, n'est point
convenable aux écoUes... Proteste contre lesdits consuls en cas que la
hérésie et secte réprovée viendrait à pulluler et que contre les coupables
d'icelles soient été faictes plusieurs exécutions et enjoint par arrêt à
faire punition, que ne tient pas à l'évêque de Nymcs, ne à son vicaire,
mais aux consuls... Toutefois en tant que touche ledit évèque et le cha-
pitre ils offrent de demeurer à la dicte (disposition) de la cour souve-
raine de parlement, séant pour le Roy notre Sire, à laquelle ledit évèque
et son vicaire et officiai entend faire apparoir de la désobéissance et
mépris des censures ecclésiastiques et de la rébellion formelle faicte par
aulcuns (certains) desdits consuls à l'official dud. évesque dernière-
ment, quand ledit M" Ymbert fut présenté audit chantre, et de la fa-
veur et aide qu'ils donnent et ont donnée audit M'' Ymbert prévenu
d'hérésie et de la sollicitation que font pour lui. La présente response a
esté baillée à maître Ant. Chabaudi, notaire de la maison commune de
Nysmes.
Promoteur des idées luthériennes dans l'école et dans la
ville, intitulé depuis longtemps d'hérésie, sotimis en dernier
lieu à un interrogatoire et tenu de purger régulièrement cette
terrible accusation, ami du fugitif Batalier et du suspect Gas-
par Gaiart, soutenu par des consuls accusés eux-mêmes et dé-
noncés au Parlement de Toulouse, témoin de plusieurs exécu-
tions dans la ville et de l'émotion ou esclandre qu'elles y
avaient causée, mis en prison peut-être et menacé de pis,
Pécolet n'avait qu'à subir le supplice réservé aux hérétiques
ou à s'y dérober, s'il pouvait, par la fuite. 11 y réussit contrai-
rement aux prévisions de M. Marvéjol, par des moyens qu'on
ignore et se hâta de chercher un séjoni' où la profession du
60 IMBERT PÉCOLET.
pur Evangile fût licite et honorée. Nous le retrouverons sous
peu à Genève.
Pendant qu'il pourvoit à sa sûreté, et peut-être à la protec-
tion des autres victimes de l'intolérance, nous ne pouvons
qu'être surpris et émerveillés de voir le haut clergé de Nîmes
lui attribuer une si grande influence sur la jeunesse et la po-
pulation do la ville. Ils étaient donc bien redoutables pour
l'ancienne égli\se, les humbles régents que ces dignitaires
poursuivaient avec tant d'acharnement et qui étaient dans ce
temps de crise les guides discrets de l'opinion ! Qui sait si
Pécolet n'avait pas rédigé pour les consuls cet appel contre le
cabiscol où était si finement raillée l'indifférence de l'évêque
pour l'instruction religieuse du peuple et rappelées avec tant
d'adresse les injonctions de la Pragmatique à cet égard ? Les
consuls, marchands, notaires, laboureurs, n'étaient pas des
lettrés, et il ne serait pas surprenant que leur bonhomie nar-
quoise eût employé la plume d'un homme d'études. Au reste,
un document conlidentiel, parvenu jusqu'à nous, permet de
concevoir combien un maître grave et respecté pouvait alors
exercer d'action sur la jeunesse. Un professeur, du nom de
Collassus, quitta vers la même époque le collège de Guyenne
pour se rendre en Suisse, où Imbert devait le rencontrer. En
1538 il écrivait à Guillaume Farel * : « Je voudrais vous dire à
vous seul que, en m'éloignant de Bordeaux, j'ai laissé deux
cents enfants et plus qui, par mes soins, avaient reçu la
parole du Seigneur. Je leur avais promis de revenir au plus
tôt; je ne i)uis en ce moment leur tenir ma promesse; mais
pour (p'o la bonne semence ne soit pas gâtée par le démon,
il faut prévenir son action malfaisante et je vous demande
votre concours pour une œuvre si sainte... Je vous prie donc,
au nom du Seigneur, de m'adresser une lettre en français que
je i)uissc leur i'.iirc parvenir et où vous les exhorterez à persé-
vérer, à m." i)as négliger le don de Dieu, à ne pas recevoir sa
1. Voy. Hcrin., V, !i9.
i.MBERT PÉCOLET. 61
grâce en vain, bref, tout ce que vous croiriez agréable au Sei-
gneur et utile pour eux. Il n'est pas besoin d'être long. En
écrivant dans ce sens, vous me ferez le plus grand plaisir et je
prévois combien il en résultera de fruit, car non seulement
ces jeunes gens liront eux-mêmes votre missive, mais ils s'ar-
rangeront pour la répandre au loin et la faire passer par beau-
coup de mains. » Et un collègue de Collasus, André Zébédée,
ajoutait cette apostille : « Ce que notre frère vous demande
pour les meilleurs motifs, je vous prie instamment de l'accor-
der : vous savez combien les conseils affectueux des maîtres
ont de puissance sur leurs élèves, surtout en matière de
piété. » Baduel devait, plus lard, adresser une demande sem-
blable cà Mélanchthon en faveur des luthériens de Nîmes et
rien ne dit que Pécolet eût moins de zèle que ses collègues.
Ce n'est donc pas à tort que Robert de la Croix se méfiait.
Le 13 novembre 1537 (Herm. IV, 315 et suiv.) les pasteurs
de Genève, sous l'inspiration du plus éminent d'entre eux,
adressaient à leurs collègues de Zurich, de Baie et de Berne,
une lettre collective dont le porteur, récemment arrivé auprès
d'eux, devait compléter de vive voix le contenu :
« Peu de mots suffiront, leur disaient-ils, pour vous mettre au cou-
rant des circonstances qui nous ont décidés à l'envoi de ce message. A
Nîmes, ville bien connue du Languedoc, la cruauté des impies vient de
se déchaîner contre nos frères. Nous étions loin de nous y attendre.
Nous avions récemment obtenu des Conseils de Strasbourg et de Bàle
des lettres au comte de Furstemberg pour lui recommander nos prison-
niers français. Le comte avait obtenu, disait-on, leur libération à tous
et nous étions tranquilles sur leur compte, quand on nous a annoncé que
les bûchers se rallumaient là-bas. Deux de nos frères ont été brûlés :
leur mort vous sera racontée par le témoin oculaire ([ui pourra vous ré-
péter en latin ce qu'il nous a appris. Un grand nombre sont en prison
et en danger de mort, si l'on ne parvient à contenir une fureur que le
sang de deux victimes n'a fait qu'exaspérer et qui ne connaît plus de
bornes. Ces deux martyrs ont montré jusqu'au dernier soupii' la plus ad-
mirable constance, bien que leur patience ait été mise à l'épreuve des
cruautés les plus raffmées. Mais savons-nous si les autres auront la même
force d'àme? Il faut donc venir à leur aide par tous les moyens possi-
62 IMBERT l'ÉCOLET.
bles et prévenir les défaillances des faibles. Gardons-nous ne pas esti-
mer à sa valeur le sang des saints, si précieux aux yeux de Dieu !
c Nous apprenons que vos princes ont conclu avec notre roi un traité
où 1 serait question d'adouoir les sévérités déployées contre nos frères
évangéliques. S'il en est ainsi ne manquez pas celte occasion de porter
secours à ceux que le Christ vous ordonne si clairement d'assister et
dans la personne desquels il se plaint d'être abandonné lui-même, si
nous les délaissons. Appliquez-vous y de toute votre âme, frères bien-
aimés. Assurés que vous n'y manquerez pas, nous n'en disons pas davan-
tage. Obtenez que \votre Conseil s'adresse à ce sujet au roi et que ce soit
le plus tôt possible, de peur que la fureur des ennemis ne devance ses
ordres. Vous savez si elle est pressée de se satisfaire. i>
Quatre jours après, le 17 novembre, le Conseil de Berne,
rappelant les mêmes faits, suppliait « le roi Très-chrétien si
très afTectueiisement, très humblement et très acertes pour
l'honneur de Dieu et amour de nous, si jamais vous finies
plaisirs, que sa bénigne grâce et volonté fut de faire cesser la
dite persécution, dans le royaume, donner louange à Dieu et
par sa grâce y laisser venir en avant la vérité, » et en envoyant
la lettre à l'ambassadeur de France, M. de Boisrigaud, à So-
leure, ils ajoutaient : « Cette matière étant de grosse impor-
tance, nous vous prions de faire tenir lesdites lettres au Roy,
sitôt qu'il sera possible, et, s'il vous est agréable, en écrire
au roi, aiin que nous obtenions bénigne et briève réponse...
El la réponse que nous demandons étant venue, la nous in-
continent envoyer. »
Il était impossible d'embrasser plus cordialement une
meilleure cause et il nous semble difficile de douter que le
témoin oculaire (speclcUor) porteur du message des pasteurs
genevois ne fût Pécolct lui-môme. Batalier n'était point venu
en Suisse, où du moins on )i'y trouve pas sa trace. Quant à
Pécolet, sa présence va être fréquemment signalée à Genève
et à Lausanne; il y sera connu et désigné sous son prénom
d'Imbertus, Ni M. ilcriiiinjard, ni ses savants émules de Stras-
bourg, n'hésitent à identifier cet Imbert avec l'ancien recteur
des écoles de Nîmes. La circonstance qu'il parlait latin et qu'il
IMBERT PÉCOLET. 63
pourrait se faire entendre à Berne et à Bàle, confirme sa qua-
lité de professeur; les persécutés de Nîmes, en favorisant sa
fuite, avaient sans doute espéré qu'il leur ferait porter se-
cours. On peut croire que ni l'éloquence, ni le zèle ne lui firent
défaut et qu'il ne resta pas au-dessous de sa mission.
Quels étaient ces deux martyrs de 1537 dont Théodore de
Bèze et Crespin ne parlent point, et ces nombreux prisonniers
pour la foi plus inconnus encore?Des reclierches minutieuses
faites aux archives de Nîmes pour MM. Herminjard etDardier,
par les hommes les plus compétents, n'ont pu arracher leurs
noms à l'oubli. Les traces de ces procès et de ces supplices
ont souvent été volontairement effacées.
De retour à Genève, Pécolet se trouva tout désigné pour un
emploi au collège de Rive. Cet établissement, fort semblable à
celui de Nîmes, avait pour chef un recteur assisté d'un ou plu-
sieurs bacheliers. Le recteur recevait cent ccus sol, sauf à in-
demniser ses collaborateurs et à ne rien recevoir des élèves
pauvres. Nommé par le Conseil, il enseignait la grammaire et
les classiques. L'établissement avait été fondé en 1530, aussi-
tôt après la conversion de Genève à la Réforme, dont il devait
enseigner les doctrines aux enfants. Il avait pour directeur An-
toine Saunier, autre réfugié français, autre échappé du bû-
cher, et il devait avoir bientôt pour professeurs ce GoUassus
dont il vient d'être question, et ce Mathurin Gordier, le plus
vénérable de tous les maîtres de la jeunessse. Pécolet n'en-
'seignait pas directement au collège. En dehors des cours clas-
siques qui s'y donnaient, il y avait, dans un temple de la
ville, des leçons de théologie et de langues sacrées, hébreu et
grec. Pour l'hébreu Imbert expliquait le sens littéral et gram-
matical du texte et les diverses locutions qui pouvaient s'y ren-
contrer ; Farel ensuite en faisait ressortir la portée religieuse
et théologique. Quant au grec, Galvin en donnait à la fois le
sens grammatical et dogmatique.
La profession de l'Évangile n'assura pas du premier coup
la tranquillité de Genève. Ni les réformateurs, ni le collège
64 liMBERT PÉGOLET.
n'y jouirent d'abord de la paix qu'on avait espérée. Deux
partis divisaient la petite république ; celui qui prétendait lui
imposer le frein d'une discipline religieuse essuya, en 1538, un
écliec qui entraîna l'exil de Calvin et de Farel. Saunier leur
ami eut avec un Conseil hostile des démêlés qui l'obligèrent
en octobre à laisser partir aussi pour l'exil ses deux bacheliers
"Tt, en décembre, à s'exiler lui-même. Déçu et attristé, Pécolet
avait déjà quitte Genève vers la fin de septembre et trouvé à
Lausanne une autre chaire d'hébreu qu'il devait occuper jus-
qu'à sa mort.
Lausanne avait, comme Genève, un enseignement théolo-
gique que le Conseil de Berne venait d'instituer en 1537, en
même temps que les rudiments d'un collège. Ce collège devait
se développer plus tard par la fondation d'une maison de bour-
siers, au nombre de douze d'abord, de quarante-huit dans la
suite. Une vaste installation dans la Maison du Chapitre, de
larges traitements aux professeurs, assuraient la prospérité de
l'établissement. Pécolet était à peine arrive à Lausanne qu'il y
vit Farel encore tout ému des incidents qui l'avaient obligé à
chercher un refuge à Neuchatel et qui venaient d'éloigner de
Genève les deux bacheliers de Saunier; Pécolet partageait son
indignation. « Ce brave et pieux Imbert {pms sane frater), écri-
vait le réformateur, rend témoignage à la vérité, rappelle en
mots brefs les chicanes qui nous sont faites, déteste surtout
l'exil de Gaspar Carmcl et d'Kynard Piclion : rien de plus in-
tolérable à ses yeux que la conduite haineuse de Morand, que
la violence de Bernard avançant la main })ourjeterEynard par
la fenêtre. » Spectacle étrange en vérité et désillusion cruelle
pour ces fugitifs de France à peine échappés aux flammes du
bûcher, que celui de la discorde et des querelles dans le camp
de l'évangile. Mais on ne dépouille pas en un instant le vieil
homme, ni on ne distingue du premier coup les faux frères
qui ont pu s'insinuer dans la nouvelle église : ceux des gene-
vois (jui n'avaicnl voulu (jik; repousser la domination de la
Savoie pouvaient n'èti'c (pie do uicdiocrcs chrétiens.
IMBEUT l'ÉCOLET. 65
D'aulres, venuntoii non de la terre élranijère, pouvaient être
portés à abuser de la charité que les évangéliques pratiquaient
entre eux. Était-ce le cas d'un nommé Perrot, qu'il est diffi-
cile d'identifier avec les personnages connus de ce nom, et
qui poursuivait Pécoîet de ses demandes d'argent? Calvin à
Genève, Viret à Lausanne servaient, en 15-44 et 1545, d'in-
termédiaires à cet échange de réclamations et de refus. Ils
trouvaient Perrot malheureux et ne blâmaient point Imberl. Il
vaut la peine de recueillir ce détail de la vie de nos premiers
réfugiés : « Insistez auprès d'Imbert, écrivait Calvin, pour
qu'il ne laisse pas mourir de faim ce malheureux {ne mise-
rum hominem palialur inedia periré) ». — « Imbert déclare,
répondit Viret, qu'il n'enverra plus rien, à moins de con-
trainte judiciaire ». Quelque temps après, nouvelle instance
de Calvin : « Adressez-vous à la femme d'Imbert pour obtenir
quelque envoi d'argent : le bonhomme attend dans la plus
grande anxiété. » Fiéponse : « Je vous envoie deux écus que
j'ai réussi à extorquer à Madeleine, non sans querelle ni dé-
bats. Elle prétend qu'on la met à la gène, qu'on lui réclame ce
qu'elle ne doit pas. Son mari refusant net de payer, c'est elle
qui envoie cet argent, mais à son corps défendant et pour ne
pas recommencer. Que Perrot se le tienne pour dit. D'elle ou
de lui, peu m'importe, je n'ai pas refusé les deux écus. Re-
mettez-les contre quittance et faites connaître à Perrot la si-
tuation. »
Le collège de Lausanne prospérait : la concorde régnait
entre les professeurs et les ministres. Le professeur de grec,
Conrad Gessner, se louait de ses bons rapports avec ses col-
lègues; il suivait les leçons d'hébreu de Pécolet et songeait
d'ailleurs à quitter l'enseignement pour la médecine. Tout
professeur alors était étudiant et, descendu de sa chaire, s'as-
seyait volontiers au pied d'une autre. La spécialité qu'avait
choisie Pécolet, renseigneuieut de l'hébreu, était peu ])ropre
à lui attirer la célébrité. Nous ne connaissons de lui ni publi-
cation, ni discours, ni lettre. 11 ne nous reste pas un mot de sa
xxxiii. — 5
fi6 IMBERT PÉCOLET.
plume. Ce n'est qu'indirectement et indistinctement que nous
pouvons entendre sa voix. Elle nous a paru celle d'un homme
intègre, capable, résolu. Telle qu'elle nous est connue, c'est-à-
dire en dehors de tout détail personnel, sa carrière est comme
le type de celle de tant de réfugiés de la première heure : elle
commence par un enthousiasme discret et de vives espérances,
se poursuit à travers les persécutions, et vient s'achever sur
une terre hospitalière, où l'évangile a pris racine au double
profit de la Suisse et de la France.
Le nom d'Imbert continue à revenir quelques années encore
dans la correspondance de Viret, de Farel, de Calvin, qui re-
çoivent ou transmettent ses salutations. Le 16 septembre 1548
il était très malade et ses amis très inquiets. Le 20 il était
mort et déjà Viret avait pressenti Calvin sur le choix du suc-
cesseur à lui donner. Le réformateur répondait : « Je ne sais
quel conseil vous donner. Je vois bien les inconvénients {peri-
cula) qu'il y a à attendre, mais je ne dislingue personne au-
tour de vous qui me sourie tout à fait; de loin on ne peut
faire venir que des inconnus. Il vaut donc mieux choisir quel-
qu'un qui ne convienne qu'imparfaitement pourvu qu'il y ait
en lui le principal : la piété et une connaissance suffisante de
la langue. Si nous faisions un choix provisoire, en attendant
qu'il se présente un homme bien qualifié, mais en avertissant
clairement et l'homme et le Conseil? » Ce sage avis fut suivi.
Il confirme l'idée que Pécolet réunissait les aptitudes requises
à son enseignement : piété, savoir, autorité morale. On ne
voit pas qu'il se soit élevé de plaintes contre lui. Il devait être
sur et fidèle dans ses amitiés et il était bon collègue de pro-
fesseurs éminents. Nous avons nommé Gessner qui avait vécu
avec lui dans les meilleurs termes (jucmidissime vixï); nom-
mons encore J(;an Merlin, déjà à Lausanne et qui allait lui
succéder dans la chaire d'hébreu, destiné d'ailleurs à une
carrière accidentée dans le pays dont il avait dû s'exiler
d'abord; Jean Ribit le successeur, l'ami particulier de Con-
rad Gessner, le futui- professeur de l'académie de Genève,
IMBEUÏ l'ÉCOLET. 67
d'une douceur, d'une piété qui égalait son savoir en grec
et son aptitude à l'enseignement; Cfelius secundus Curio,
l'exilé de Lucques, arrivé en 1543 et dont nous n'avons pas
à raconter après M. Jules Bonnet le savoir, la piété, la vie de
famille à Lausanne et à Bàle ; enfin, depuis l'automne de 1545,
ce Mathiirin Cordier, d'un savoir, d'une pureté, d'une candeur
telles qu'on l'a moins honoré qu'on n'honorait Rollin en le
nommant le Rollin protestant. Tous ces hommes, sans parler
de Viret et de Béat Comte, quels que fussent leur lustre ou leur
ohscurité relative, avaient le commun mérite d'avoir accompli
un grand acte d'honnêteté religieuse en mettant leur vie d'ac-
cord avec leurs principes. Ces premiers exilés, touchés sinon
dévorés par le feu de la persécution, avaient contribué à fonder
la tradition de la sincérité protestante, et, si depuis nous avons
pu valoir quelque chose, c'est dans la mesure où nous avons
marché sur cette route royale de la droiture qu'ils avaient
frayée. D'eux aussi, qu'ils fussent arrivés du sud ou de l'ouest,
le Voyant de l'Apocalypse aurait pu dire : Hi sunt qui vene-
nint de magna trihulatione : ils sont venus de la grande tri-
bulation!
M.-J. Gaufrés.
DOCUMENTS
ACTE DE SOGIËTË DE DEUX LIBRAIRES DU BEARN
1580.
Un co)rcs[)Oiidaiil toujours regretté nous écrivait, il y a déjà plusieurs
années :
Monsieur,
J'ai copié et traduit de Tidioine béarnais un acte de société passé
entre deux libraires protestants du \\\^ siècle, tous deux réfugiés de
France en Béarn.
Si vous croyez que ce document inédit, et assez rare dans son genre,
peut figurer dans le Bulletin, je serai content d'avoir donné signe de
collaboration.
Je vous renouvelle l'expi'essiou de mes meilleurs sentiments.
P. Raymond.
Au nom de Dieu, sachent tous présents et à venir que pactes et
accords ont clé laits et passés entre Jean Saugrain, libraire de Pau,
et Durand Badel, de Cahors en Quercy, aussi libraire habitant en
ladite ville, en la forme et manière suivante :
Piemicrement que lesdits Saugrain et de Badel promirent de
demeurer et trafiquer ensemble l'espace de dix ans prochains
venant à compter du jour et date du présent en avant, soit en la
présente ville ou autre pari avec l'aide de Dieu à moitié de profit,
durant lecincl temps ils i)romirenl aussi se tenir toute fidélité l'un
à Fautre.
Item la marchandise que ledit de Saugrain a mise avec ledit Badel
a été estimée par eux à la somme de six cent quarante et quatre
livres sept sols tournois, comme il appert par l'inventaire sur ce fait
ACTE DE SOCIÉTÉ DE DEUX LIBRAIRES DU BÉARN. 69
et signé par ledit Badei, laquelle somme ledit Saugraiii retirera ou
les siens après leur séparation et département tant en argent qu'en
marchandise de tout ce qui se trouvera en nature lorsqu'ils feront
ladite séparation soit des sortes que lui a mises en la dite société ou
autres k choisir telles que bon lui semblera jusques à la susdite
somme, et le restant de la marchandise et profit sera partagé entre
eux par moitié ensemble l'argent, si tant qu'il y en ait.
Item les outils et fers dudit Saugrain touchant la reliure lui
seront rendus après leur séparation, selon l'inventaire par eux fait
et s'ils en achetaient ou en faisaient faire d'autres durant ledit temps,
ils seront partagés par moitié.
Item que après ladite séparation les boutiques et logements qui
ont été accordés audit Saugrain tant en la présente ville de Pau qu'.à
Orthez lui resteront ou aux siens sans que ledit Badel y puisse rien
demander après leur séparation.
Item que les livres que ledit Saugrain avait imprimés à Lyon ne
seront pas compris dans ladite société, auparavant il en tirera l'ar-
gent pour subvenir à ses petites nécessités et ils seront reliés avec
les autres livres de la boutique, quand il en aura besoin, en par-
chemin vieux seulement, sans rien prendre de la reliure.
Item que si ledit Saugrain venait à mourir avant ledit temps de
leur dite société, Jean Saugrain, son fils aîné, pourra continuer et
achever ladite société avec ledit Badei à la place de sondit père, et
si Abraham Saugrain, son second fils, venait par deçà et voulait
demeurer avec sondit frère et faire son devoir, il sera reçu et aura
part en ladite société durant icelle.
Item que ledit Saugrain lèvera sur sondit principal ou capital
deux cent cinquante ou trois cents livres tournois quand sa nécessité
le requerra et ce pour payer quelques dettes et le tout en diminu-
tion de sondit capital.
Item tout ce que ledit Badel a promis de mettre en ladite société,
ledit Saugrain lui en fera reçu par main de notaire et quand lesdits
Sangrain et Badel iront en voyage pour les affaires de ladite société,
ils seront nourris et entretenus durant ledit voyage aux dépens tant
de l'un comme de l'autre.
Item que lesdits Saugrain et Badel ne lèveront rien sur leur prin-
cipal ou capital que pour vivre, ou si la nécessité requérait qu'ils
en levassent quelque chose davantage, ce sera par le consentement
70 ACTE DE SOCIÉTÉ DE DEUX LIBRAIRES DU BÉARX.
de l'un et de l'autre, et du tout sera tenu bon compte par écrit entre
eux en un livre.
Item que ledit Badel donnera à Jean Saugrain, fils aîné dudit
Saugrain, pour récompense de servir de l'état en ladite société,
savoir : trente sols tournois par chaque mois, et quand il ira en
voyage pour la société, il sera nourri et entretenu aux dépens de
l'un et de l'autre.
Item si les dits Saugrain et Badel prenaient un apprenti ou deux,
ils seront entretenus aux frais de l'un et de l'autre pour ce qui leur
aura été promis par lesdits Saugrain et Badel.
Item que les gages qui ont été accordés audit Saugrain, qui sont
de cent livres tournois pour chaque année, seront mis et ajoutés en
ladite société durant le temps d'icelle, seulement en commençant à
lever lesdits gages au quartier des mois de juillet, août et septembre
prochain de l'année présente mille V'= LXXX; de l'argent de ces
gages qui auront été mis en ladite société ou la valeur d'iceux ledit
Saugrain en retirera la moitié ou les siens après ladite séparation
soit en argent ou en marchandise de tout ce qui se trouvera alors en
nature, à prendre sur tout ce qui restera et a choisir comme de son
propre capital
Et pour ce tenir, observer et accomplir, les dites parties respec-
tivement l'une envers l'autre, ainsi que les touche, ont obligé tous
et chacuns leurs biens et ciioses, présents et à acquérir, qu'ils sou-
mirent à toutes rigueurs de justice et d'enchères et ainsi le promi-
rent et jurèrent au Dieu vivant
A Pau le vingt-si\' de janvier mil V'^ LXXX.
Présens et témoins : Jean Amelin, de Limoges, Jean de Ainiz?
marchands, habitant en la dite ville de Pau, et moi de Forquet,
notaire.
Archives des Basses-Pvrénécs, Série E. 2003, f" 35.
LETTRE DE M. HAMELOT A UN JEUNE PROPOSANT. 71
LETTRE DE M. HAMELOT
A UN JEUNE PROPOSANT
Le nom de Hamelot ne fig-ure ni dans le Bulletin ni dans la France
protestante. Autant qu'on peut en juger par la lettre qui suit, c'était
une de ces familles pieuses et lettrées si nombreuses dans la bour-
geoisie protestante du xvii« siècle, qu'allait bientôt disperser l'orage de
la Révocation. Notre ami, M. Paul Marchegay, auquel nous devons cette
intéressante épitre, la résume ainsi :
Lettre d'un Hamelot, fonctionnaire, à un autre Hamelot (son neveu?)
écolier à Saumur, et attaché à la maison de Villarnoul, au sujet : 1° d'une
thèse ou d'un sermon sur un texte de l'épître de saint Paul aux Romains
(chap. XIII, V. 13 et 14) dans lequel le proposant Hamelot aurait donne
le pas aux œuvres sur la foi contrairement à l'opinion du ministre, M. de
la Grand'Noue; 2° au sujet des études dudit proposant. Le jugement
porté sur VInstitution chrétienne de Calvin n'est pas d'un lecteur ordi-
naire.
A momieur monsieur Hamelot,
chés monsieur le marquis de Villarnou
à la Forest.
Le 2 de février 1683.
Hamelot, il y a déjà longtemps que les Oracles ont cessé et qu'il
n'en faut plus attendre de réponses. Ainsi leur silence est infail-
lible, mais les avis charitables et salutaires ont pris leur place et
ne manquent jamais à se communiquer. Tu me fais toujours bien
du plaisir de me faire part de tes études et de tes propositions,
mais je n'y sçaurois rien dire que de fort simple et de fort commun ;
et après quelque peu de bon sens, il faut que tu cherches ailleurs
la sublime solidité et la beauté des recherches. Ceux qui font pro-
fession de prêcher ont des connoissances et des veues que les
autres n'ont pas, et je ne doute point que monsieur de La Grand-
noûe' ne pust soutenir son sentiment. Cependant je suis icy du tien,
1. David Pigoust, S^ de la Graod'Noue, ministre de la Forèt-sur-Sèvre. \'i
Lièvre, Hiat. des protestants du Poitou, lil, 290.
72 LETTRE DE M. HAMELOT A UN JEUNE PROPOSANT.
pour toutes les raisons que tu as alléguées, et le sens el lo but de
l'Apostre dans tout le chapitre et principalement dans tou verset,
lie peuvent regarder à la justification, mais seulement la présup-
posant, nous exhorter à la sanctification comme en étant un effet
et une suitte infaillible qui nous vient de la communion à J. G.
Mais pour éclaicir plus ma pensée, je te diray que cette communion
se peut considérer sous deux idées : ou en tant qu'elle nous unit à
J. C. par la foy et par l'esprit, ou en tant qu'elle nous fait les imita-
teurs (1^. toutes ses vertus. Or c'est dans cette imitation que S' Paul
fait consister le devoir des Romains dans ce chapitre, et laquelle il
demande dans un si souverain degré dans son verset que c'est
comme s'ils devoyenl être revestus de J. C. luy même, et le repré-
senter ainsi parfaitement tout rayonnant en leurs personnes de
piété, de charité el de sainteté, J. C. étant en effet non seulement
l'auteur de notre salut, mais l'unique et parfait modèle.
Ce premier membre de ton texte paroist donc clair, ce me semble,
ainsi expliqué ; mais le second, qui en est une explication, comme
tu le remarques fort bien, ne permet pas d'en douter, n'y ayant pas
d'apparence que n'avoir point de soin de la chair etc., etc., puisse
se rapporter qu'à la sanctification. Mais voicy encore ce que l'on
pourroit dire : c'est que la sanctification a deux parties, l'une qui
consiste à cesser de faire le mal et l'autre à faire le bien ; ce qui se
trouve assez nettement dans le verset : la première dans n'avoir
pas soin de sa chair, et l'autre dans Soîjés revestus etc. etc. Mais
de quelque manière que tu eusses traitté ton texte, cela ne te devoit
point faire de peine pour me faire part de ta pièce parcequ'il faut
la communiquer telle qu'elle est et non pas avec des corrections :
autrement je n'aurois pas jugé de ton ouvrage mais de celuy d'au-
truy. Tu prendras donc tes mesures là dessus.
Pour ce qui est de ta lecture, il est constant que l'Institution de
Calvin est écrite d'une manière qui fait de la difficulté, mais cela
vient de l'art qui y est ot de son éloquence, qui est tello qu'on peut
dire qu'il n'y a point de pièce d'orateur plus achevée. Ainsi l'art
oratoire triomphe partout et le dogmatique est caché ; mais au fonds
il y a un remède, qui est de réduire par an [alyse] les matières en
quoy l'on peut trouver son conte. Pour le livre il est tel en soy que
l'on luy a donné cet éloge que
LETTRE DE M. HAMELOT A UN JEUNE PROPOSANT. 73
Prœter apostoUcas, post Christi tempora, chartas,
Huic peperere libro sœcula nulla parem.
Ainsi tu n'en sçaurois lire un meilleur. Pour ce qui est de la
chronologie et géographie, si tu ne veux pas les posséder a fonds,
il faut pourtant en avoir quelque idée, soil par des tables, soit par
des chartes, car ce sont choses que Ton trouve à chaque pas que
l'on fait dans les livres, et où il ne faut pas se tromper.
Je suis bien marry que mad" Amyraut ayt parlé si franc, car une
lettre peut être lue et produire un mauvais effet. Je luy avois seu-
lement mandé que la conjoncture du temps et l'incertitude de la
subsistance des Académies te demandoient de la patience; mais la
bonne femme a une si grande passion pour toy et est si préoccupée
de son collège qu'elle n'a pu s'empêcher de s'exprimer fortement et
employer de nouveaux termes.
Il fait un si grand froid et je suis si accablé d'affaires, tant publi-
ques que particulières, que je suis contraint de finir, t'assurant que
tous ceux que tu salues t'en rendent autant et que je suis toujours
à toy
Hamelot.
N'oublie pas mes compliments a monsieur le marquis et a ma-
dame la marquise et assure M'''' de la Grandnoiie et Coyaut* de mes
obéissances.
Au dos on Ut d'une autre main : la charité est la dernière fin do
toutes les dispensations de Dieu en nous, parce qu'elle est la souveraine
perfection de l'hommo.
(Orig. autogr. Papiers de la Forèt-sur-Sèvre.)
1. Sur le ministre Elle Coyauld, voir Liôvre, 111,285, 291, 301.
74. fiELATION DE LA MORT DE M. PIERRE DURAND.
RELATION DE LA MORT DE M. PIERRE DURAND
-22 avril J732.
Le Bulletin publiera dans ses prochains numéros une série de lettres
inédites adressées par le pasteur martyr du Vivarais, Pierre Durand, à
Antoine Court. La carrière pastorale du frère de Marie Durand ne fut
pas longue. On sait que trahi par l'apostat Jacques Astier, et arrêté
près de Vernoux, le 17 février 1732, il fut transféré successivement
dans les prisons de Tournon et de Monlpellier, où il subit de longs in-
terrogatoires; il ne se montra pas moins ferme devant la mort qu'en
présence de ses juges (voir l'intéressante notice due au pasteur Meyna-
dier, in 12, Valence, 1861). Il existe plusieurs relations du martyre de
Pierre Durand, ainsi qu'une complainte du Désert sur le même sujet
Le récit qu'on lira plus loin, écrit par ua témoin, Barthélémy Claris, est
singulièrement expressif dans sa brièveté. Il a été copié pour nous par
M. Armand Picheral Dardier, dans le recueil des Lettres à Antoine
Court, t. X, 0. 41 (Bibl. de Genève).
« C'est avec la larme aux yeux, écrivait E. Duvillard à Court, que je
vous apprend la prise de notre cher amy, monsieur le Pasteur Durand
qui fut arrêté le 12 de ce mois, à ce que l'on me marque par une lettre
que j'ay receue hier sans seing et sans me dire oi!i il a été pris. Dieu
veuille le soutenir dans ses afflictions ! Je vous laisse le soin, si vous le
trouvez à propos, de l'apprendre à son épouse. Pour moy je ne saurois
m'y résoudre. »
Grande fut la douleur de madame Durand en apprenant la captivité
et bientôt après la mort de son mari ; mais son courage fut égal à sa
douleur, si l'on en juge par ce fragment d'une lettre à Ant. Court :
« J'écrivis à mademoiselle la veuve de M. Duran, fidelle ministre et
marlir. Elle m'a répondu de la manière la }»lus crotieniie et avec du
savoir. Cette lettre est admirée des gens de cette ville, et on la traduit
en allemand pourque ceux qui ne savent pas le français la puissent lire.
Personne ne la lit ni ne l'entend nans pleurer. » Lettre d'Isabeau
Corteis à Court, du 7 juin 1732 (t. Vil, f- 2^21).
Voicy copie d'une lettre qui contient la relation de la mort de
feu M' Durand telle qu'on nous la manda de Montpellier le 25 avril
1732.
RELATION' DE LA MOUT DE M, PIERRE DURAND. 75
Monsieur, pour m'aquiter de ma promesse je prends la liberté
de vous écrire ces deux lignes pour vous assurer de la continuation
de mes respects, et en même tems pour vous informer de tout ce
qui s'est passé au jugement et à la mort de notre cher frère et con-
fesseur, arrivée mardy dernier, 22"^ du courant. J'auray donc l'hon-
neur de vous dire que lundy matin nous vîmes monter à la citadelle
neuf juges pour voir et vérifier l'état de la procédure faite à notre
cher confesseur, et pour première séance ils restèrent 4 heures,
et à deux heures de relevée ils y remontèrent et y restèrent jusques
à la nuit, après quoy m' l'intendant leur manda d'avoir la bonté de
se rendre à la citadelle le lendemain à sept heures du matin, à quoy
il fut obey, et après avoir vérifié toute la procédure, ils mandèrent
venir notre cher confesseur, auquel on demanda le nom, surnom et
qualité, et après avoir répondu à cet interogat, on lui fit la lecture
de toute la procédure, on lui demanda ensuite sy tout le contenu en
icelle étoit véritable; il repondit qu'ouy; on lui dit alors de signer
toutes les dépositions et interrogations, ce qu'il fit avec une fermeté
héroïque; après quoy on le fit retirer et on le jugea à être pendu.
Après cela les juges ce transportèrent dans la prison et lui firent
la lecture de sa sentence; il les remercia de cette bonne nouvelle
puis qu'ils le sortoient de captivité pour le mettre en pleine liberté ;
mais la grâce quil demanda à mons' le subdelegué et autres ses
juges que puis qu'il avoit désobey au Pioy pour obéir à Dieu, et que
son cher père et frère étoient détenus prisonniers à son occasion,
de vouloir les mettre en liberté; Ils lui promirent de le faire. Il
est bon de vous dire par parentèses, que les juges furent ébaïs de
voir un homme qui signa tous les interogatoires sans s'émouvoir.
Nous tenons tout cela de la propre bouche du greffier, qui assure
que la citadelle n'étoit pas plus ferme que ses jambes, et qu'il signa
aussy hardiment que s'il avoit signé un contract de mariage, ce qui
étonna tous les assistans.
Dès qu'on eut achevé la lecture de la sentence, quatre prêtres
séculiers et un de l'Oratoire s'aprocherent pour le disposer à la
mort et à changer de Religion, lesquels il remercia fort gracieu-
sement, les priant de le laisser mourir en repos, et quil vouloit
faire la paix avec Dieu, et quils eussent la bonté de ne pas l'inte-
rompre. Ils persistèrent jusques à ce que l'exécuteur vint dans sa
prison pour le prendre et pour le conduire au supplice; auquel
76 RELATION DE LA MORT DE M. PIERRE DURAND.
notre cher confesseur demanda sy le lieu du suplice étoit éloi^mé
de la citadelle, lequel repondit quil n'étoit pas à deux cens pas de
la citadelle. Notre cher confesseur le pria de lui laisser faire sa
prière lors quil seroit arrivé au pied de la potence; il lui repondit
quil y resteroit tant quil voudroit, et après cela il se mit à chanter
le pseaume 51". Les prêtres voulurent l'interompre, mais il les
pria fort de le laisser mourir en repos et quil vouloit mourir de sa
reliiiion. On le sortit au milieu d'un détachement de cent hommes,
la hayo^ète au bout du fusil; six tambours devant lui et sept der-
rière qui ne faisoient que rouler. Il est bon de vous dire que comme
il ne cessa de pleuvoir toute cette journée, on avoit eu le soin de
faire tenir les caisses des tambours devant un grand feu pour
qu'elles fissent plus dejbruit. Cela n'empêcha pourtant pas qu'on
ne distinguât ce qu'il chantoit. Lors qu'il fut arivé au pied de la
potence, il se mit a genoux pour faire sa prière. Les cinq prêtres
furent l'interompre et lui dire quil y avoit assez de tems pour se
réconcilier avec Dieu en changeant de religion, ce qui obligea notre
cher confesseur à dire à l'exécuteur de monter, et ils montèrent;
et étant arrivé au haut de l'échèle il fit la prière, et quand il connut
que l'exécuteur pouvoit l'avoir attaché, il lui demanda s'il avoit
fait, lequel répondit qu'ouy; il le pria de lui laisser achever sa
prière, ce qu'il fit, et après que notre cher confesseur eut achevé
de prier, il dit à l'exécuteur de le dépécher. Nous tenons tout ce
que je viens de vous dire depuis sa sortie de la prison de la bouche
de lexécuteur. Le major de la ville et citadelle ne voulut pas nous
permettre de l'ensevelir dans la citadelle, et nous le fimes enterer
auprès de feu M"" Roussel ^ Je finis en vous priant de comuniquer la
présente a nos amis, je suis, etc.
1. Le toucluint martyr Alexandre Roussel d'IIzès, jiendu à Montpellier, le
30 novei.ihrc 1728 {null. t. VIll,p. 4-78).
MELANGES
ODE DE M. DE CHANDIEU
SUR LES MISÈKES DES ÉGLISES FRANÇAISES
QUI ONT ESTÉ PAR SI LONGTEMPS PERSÉCUTÉES
Le Bulletin a puJjlié (t. XXIX, p. 416) une touchante élégie du mi-
nistre La Roche-Chandieu (Sadeel) sur la mort de sa fille, tirée d'une
rarissime plaquette communiquée par 31. le pasteur Borloz. Le morceau
qui suit, extrait d'un volume non moins rare appartenant à la bibliothèque
de M. Alfred André, présente sous un autre aspect le talent du pasteur
de l'ancienne Église réformée de Paris. Ce n'est pas sans émotion que
nous en entendimes la lecture dans un salon qui est un sanctuaire de
beaux livres et de pieux souvenirs. Cette impression sera partagée, nous
n'en doutons pas, par les lecteurs du Bulletin. Ils sauront discerner à
travers l'affectation et le faux goût particuliers à l'époque, les accents
d'un vrai poète.
Le volume qui renferme ce morceau est intitulé : EHUD sive
TVPANNOKTOXOi:. TRAGŒDiA. Auctore Joanne Jacomoto Barrensi,
cum aliquot Poematiis latino-galiicis. Apud Joanneni Tornœsium,
010. 10. Cl. (1601), in-12 de 160 pages.
Dans un médaillon placé sous le titre on lit : Quod tibi fierinon vis,
aller i ne feceris.
Les diverses poésies, françaises et latines, de la Roche-Chandieu,
parmi lesquelles les Octonnaires sur la vanité et inconstance du
monde, se trouvent réunies à celles de Jacomot dans ce précieux volume
auquel on fera d'autres emprunts.
L'astre qui l'an fuyant ramène,
Commence sa troisième peine,
Depuis que la fureur des cieux
Tourne et foudroyé sur la France,
Sans qu'il naisse aucune apparence
D'un temps serein et gracieux.
'8 MELANGES.
France est un navire semblable,
Qui n'a mâts, ny voile, ny cable
Qui ne soyt rompu et cassé,
Et se jecte encore à la nage
Du second el troisième orage.
Oublieuse du temps passé.
Son gouvernail est cheut en l'onde
Dont elle flotte va:;abonde
Au seul vent de sa passion ;
Ja du naufrage elle s'approcbe
Heurtant à l'insensible roclie
De sa longue obstination.
France meurt par sa propre vie,
France est par sa force affaiblie,
Et sa grandeur la met en bas.
Son tant florissant diadesme
Devient estranger à soy mesme
Quand soy mesme, il ne congnoist pas.
France fait ce que n'a peu faire
L'armée de son adversaire.
Soit de l'Espagnol basané.
Soit de cette perruque blonde
Qui n'a autour de soy que l'onde
Pour borne et limite assigné.
Mais enfin faudra qu'elle sente
Que la puissance est impuissante
Quand elle se peut ruyner,
Et que c'est un esclave empire
Quand on veut ses subjects destruire
Pour ses subjects dominer.
Qui a point veu le j)lircnétique
Lorsque l'ardeur du mal le pique
Cacher son glaive dans son flanc,
L'enragéfrançois lui ressemble,
Meurtri et meui'lrier tout ensemble
Se baignant en son propre sang.
-MÉLANGES. 79
Furieux se plait à se battre,
Pensant son ennemi combattre
Et mescongnoist tous ses amis,
Ceux qui pour sa langueur soupirent
Et qui sa santé luy désirent,
Et les tient pour ses ennemis.
La France est troublée ainsi comme
Quand le vin osle l'homme à l'homme,
Il chet et ne pense pas clieoir.
Malade elle pense estre saine,
Travaillant ne sent point sa peine.
Voyant sa mort ne la peut voir.
Saoule de sang et enyvrée
De sang est encore altérée
Et s'en vuide en s'en remplissant.
Se veautre au bourbier de sa gorge
Que blasphémant elle dégorge
A rencontre du Tout-Puissant.
Ce que fait le irançois tesmoigne
Qu'il est frénétique et ivrongne,
Privé de sens et de raison,
Si qu'enfin il faudra qu'il meure,
Car pour asseurer sa demeure
Il fait cheoir sur soy sa maison.
Quelle est ceste forceneric
Et quelle est ceste ivrongnerie
Dont le françoys est transporté ?
L'idolâtrie où il se plonge,
S'efforçant d'assoir le mensonge
Au dessus de la vérité.
Il ne se veut rendre docile.
Ployant son col sous l'évangile ;
Mais endurci en son cueur,
Il cuyde vivre en la mort mesme.
Et bien dire quand 'il blasphème,
Et eslre sage en sa fureur.
80
MELANGES.
Trois fois desjà l'espée a prise,
Trois fois a transpercé l'Église,
Et dans son estontiac fendu
Fait tiédir la pointe tranchante,
Baignant la terre rougissante
Des ruisseaux du sang espandu.
A l'enfant on oste la vie
Es bras de sa mère qui crie.
Qui s'efforce, qui le défend,
Et qui vient sentir la première
Le coup de l'espée meurtrière
Et de la mère et de l'enfant.
Le père a veu en sa vieillesse
Mourir le fds de sa jeunesse,
Et d'une lamentable voix
Le père pleurait la misère
De son fils, et le fils du père,
L'un et l'autre mourant deux fois.
Les soldats brutaux et farouches,
Ont souillé les pudiques couches
Des maris tout devant leurs yeux,
Yeux ternis d'angoisses extrêmes
Qui voudroyent n'estre plus yeux mesmes
Pour ne voyr ce crime odieux.
L» vierge en son florissant aage
A esté proye de leur rage
(Sans qu'on l'ayt osé secourir)
Tout devant la mère liée
Qui attendant d'estre tuée
Mourra et devant que mourir,
Le barbare n'a pas eu crainte
D'ouvrir la mère estant enceinte,
Qui d'un précipité tourment
Rend son fruict, son fruict qui bouillonne
En son sang, alors qu'on luy donne
Plutost fin que commencement.
MÉLANGES. ^1
Qiioy plus? L'air, les champs, les rivières
Sont tesmoins que les mains meurtrières
Nous ont osté vie et repos.
L'air retentit de cris et plaintes ;
De sang les rivières sont teinctes;
Les champs blanchissent de nos os.
Où es-tu ! reviens, ressors vite,
0 sainct vieillard israelite
Qui as veu la captivité
Des tiens, leurs assaux, leurs alarmes
Et as le cristal de tes larmes
Sacré à la postérité.
0 que mes yeux ne sont fontaines
Sourdans du rocher de mes peines
Et faisant des fleuves divers,
Qui sur l'eschine de leur onde
Me portassent par tout le monde
Dedans la barque de mes vers
J'irois au pais de l'aurore
Et aux sablons recuits du More
Et jusqu'à l'Espagnol félon
Qui voit coucher la grand'lumière
Et à la gent qui sent première
Le froid du sifflant Aquilon;
J'obscurcirois toute la terre
Des nouvelles de ceste guerre.
Des massacres pernicieux.
Des maux, des misères, des pertes
Que ses fidèles, ont souffertes
Pour les redire à mes neveux.
Mémoire, mémoire immortelle,
De ma faible voix je t'appelle
Et entre tes mains je remets
Tant, tant de cruautés passées
Et contre l'Église exercées
Pour les remarquer à jamais,
XXXIII. — <i
MÉLANGES.
Arrache à l'oublieux silence
L'impitoyable violence
Qui va outrageant, poursuyvaut,
Qui chasse, qui tue, qui brise
Les miens, mon peuple, mon Église
Et me fait mourir en vivant.
Que ta main noire et laide trace
D'un encre que le temps n'efface,
Les meurtres'tant démesurés
Des hommes, que dis-je, des hommes?
Mais des tigres par qui nous sommes
Assaillis, meurtris, dévorés.
Témoin ce siècle avecque l'aage
De la pharaonique rage
Et de l'orgueil assyrien.
Compte les maux de nos Églises
Avec les cruautés commises
Par le forcené Syrien.
Néron le malin s'esbahisse
De voir surmonter sa malice ;
Domitian le furieux
Trouve cette fureur nouvelle ;
Dioclétien au prix d'elle
Soit dit miséricordieux.
Jadis Romme fut détestable,
Romme est encore abominable
Plus qu'elle n'a jamais esté.
Que Romme à Romme face place,
Romme anjourdhny, Romme surpasse
En horrible meschanceté.
Mais que fay-je? hélas, pourquoy est-ce
Que chargé de douleur j'abaisse
Ma veue aux hommes terriens?
Pourquoy tieus-je courbe ma teste
Alors (ju'estonné je m'arreste
A la terre, au monde, aux moyens.
MELANGES. 83
J'eslève à toi mes yeux, o Sire,
De l'abysme de mon martyre,
A toi dont la grande grandeur
Surmonte la haute machine
Qui d'un cours mesuré chemine
Et ne se lasse en son labeur.
A toy dont la gloire suprême
N'a semblable à soy que soy mesme,
Qui es tout et tout est en toy ;
Dont la majesté infinie
Est seule source de la vie
A tout ce qu'au monde je voy.
Ta puissance nous manifeste
Les rayons d'un grand œil céleste
Qui roule, roule tout autour
De son azurée carrière,
Et semé l'or de sa lumière
Dont il nous mesure le jour.
Ta sagesse conduit le monde,
La terre avec la mer profonde,
Et ta bonté les entretient.
Ta libéralité commande
Au champ labouré qu'il nous rende
Le grain qui la vie soustient.
Du ciel la terre est arrosée.
Et des larmes de la rosée
Qui de son esmail espandu
Va perlant la plaine mouillée,
Sitost que l'aube réveillée
Rameine le jour attendu.
Voyant poindre la première herbe,
Voyant l'esté dorer la gerbe,
Voyant l'automne rougissant
Du sang de la grappe vermeille.
Voyant des glaces la merveille.
Je voy que tu es Tout-puissant,
84 MÉLANGES.
0 tout puissant, tout bon, tout juste,
Qui ranges sous ton bras robuste
Le plus roi de col des meschants,
Voy ta gent à demy deffaicte,
Voy nostre vye qui est faicte
La proye des glaives tranchants.
Le sang, le sang des tiens redonde
^ Et ruisselé parmy le monde,
Respandu tout aussi comme l'eau ;
Leurs corps gisent sans sépulture
Servans aux bestes de pastures.
Privés de l'honneur du tombeau.
0 Dieu, ton Eglise opprimée,
Ta gent à demi consumée
Et exposée à l'abandon,
Baignée en ses larmes sejecte
Aux pieds de ta bonté parfaicte,
Te demandant grâce et pardon.
Mon Dieu, mon Seigneur, je confesse
Que je t'ay offensé sans cesse,
Ne ciieminanl selon ta loy :
Hélas! ma grande ingratitude
Mérite un chastiment plus rude
Que tous ces maux que je reçoy.
Je n'ay ta parole sacrée
Comme je devoy, révérée;
Mes ténèbres ont combattu
Contre la clarté de ta face;
Ma lascheté contre ta grâce.
Mon vice contre ta vertu.
Mais pourquoy ta parole Saincte
Seroit-elle en ma playe atteincte
Et percée par mon costé?
Las, faudra-t-il qu'elle innocente,
Elle juste l'opprobre sente
Que moy coupable ay mérité?
MÉLANGES. 85
Soy garend de ta gloire propre,
Vengeant le blasphème et l'opprobre
Dont les meschans t'ont diffamé;
Les méchans qui contre ta gloire
Pensent avoir desjà victoire
Par leur bras contre moy armé.
Je t'appelle, o Souverain juge,
Afin que ta Majesté juge
Entre moy et tes ennemis.
Je t'appelle, o Dieu véritable
Afin que me sois secourable
Ainsi que tu me l'as promis.
Que la grande clémence tienne
Efface la grand'faute mienne.
Et me lave au sang précieux
De celuy qui souffrant ma peine
M'a acquis l'attente certaine
Et la demeure de tes cieux.
Donne l'honneur de la victoire
A ceux qui désirent ta gloire.
Haussant ta secourable main
Qui mettant fin à mon oppresse,
Face tant que ma petitesse
Triomphe de l'orgueil mondain.
Tiré as ta gent ancienne
De la misère Égyptienne,
Ta gent qui a vu descouverts
Les creux vaisseaux des eaux profondes,
Foulant les cachettes des ondes
Et passant a sec au travers.
0 Dieu puissant et redoutable,
Toujours à toy même semblable,
Voy doncques ma captivité;
Change ma foiblesse en puissance,
Ma peur en joye et assurance.
Ma servitude en liberté.
86 BIBLIOGUAPIIIE.
Et fay que le ciel et la terre,
Et ce que l'un et l'autre enserre
Se réjouisse en te servant ;
Que tout à son tout face hommage,
Et que tous d'un mesme courage
Adorent un seul Dieu vivant.
I
BIBLIOGRAPHIE
UN TESTAMENT DU XVP SIECLE
In-12. Paris, 1883. Monneuat, libraire-éditeur*.
Avant de lire les 49 pages de cette charmante plaquette, on est
frappé à première vue de la beauté du papier, de la pureté des
caractères et de leur distinction. Cela sort des presses de J.-G. Fick,
de Genève, et c'est tout dire : car leur réputation est universelle.
Si nous connaissions la personne qui a mis en vente l'opuscule,
nous l'en féliciterions, ne serait-ce qu'à cet égard, car l'œil est
flatté fort agréablement, et par le temps qui court, cet avantage
n'est pas à dédaigner.
Mais après lecture, nous pouvons louer le dedans aussi bien ({ue
le dehors. Il est bien original et bien curieux, en effet, ce testament
dicté, le 15 décembre 1575, par devant Pierre Chiboust, notaire
royal à Lizy-sur-Ourq, par Antoinette d'Angesne, veuve de messire
Charles du Broulat, baron de Montjay, etc. « Estant asseurée de la
promesse de mon Dieu confirmée mesme par son serment, dit la
noble dame, je ne demande plus sinon de dévcstir cotte chair cor-
ruptible pour estre faicte participante de la gloire promise, ce que
je désire par mon esprit, informée de la foy en Jésus-Clirist, quoi({ue
1. Extrait de l'Evangtlisle du 7 décembre 1883.
BIBLIOGRAPHIE. HT
ma chair murmure, désirant tousjours demeurer en Egypte, mais je
sais que je ne peux entrer en ce repos, sy premièrement l'ordon-
nance du Seigneur n'est accomplye en moy, qui est de finir le cours
de ceste vye par mort, parquoy, n'attendant plus que ceste heure
déterminée de Dieu, j'ai bien voulu laisser par escrit à vous, mes
très chers enfants, et à tous mes amis, quelle a esté ma dernière
volonté. »
Comme cela sent bien son xvr siècle, un siècle de foi profonde
et héroïque! La religion est la chose la plus importante, pour la-
quelle, quand Dieu le demande, on sacrifie tout : son repos, sa for-
tune, sa vie. Tous les testaments faits par les huguenots de cette
époque (nous en connaissons un très grand nombre) ont cet incom-
parable cachet de sérieux et de piété, qui montre bien de quels
sentiments ces fortes ûmes se nourrissaient. C'est, d'un côté, un
témoignage de gratitude envers Dieu; on se complaît dans l'énu-
mération de ses misères morales, de son indignité, parce qu'on se
sait racheté par Jésus-Christ, et l'on proclame son salut. Et d'un
autre côté, c'est une solennelle confession de foi sur les points
essentiels du christianisme, et aussi un suprême avertissement,
une dernière exhortation adressée aux vivants du fond de la tombe.
<i Premièrement doncq, connoissant que le vouloir de mon Dieu
a esté me faire sa créature et mettre dedans ce corps une âme créée
à son image, laquelle non seullement il a créée, mais aussi recréée,
pour quoy faire, par une amour singulière n'a rien épargné,
jusques à exposer son très cher fils à mort... j'ay aussi été faicte
membre du corps de Jésus et sœur d'icelluy et conséquemment
héritière avecque luy. Pour un tel amour de mon Dieu, et charité
si grande, qu'il a voulu monstrer aux hommes, et par la foy que
j'ay reçeue, je me persuade en asseurance ferme que c'est un excel-
lent et parfait ouvrier, et que ung si bon père ne veult rejetter son
enfant, comme assez nous monstre soubs la parabolle de l'enfant
prodigue.
» Ici donc, entendez que en moy ne trouve aucun bien digne d'un
tel héritage de ce bon Père céleste, car j'ay désobéy à sa Saincte
Loy, suivant les affections de ce monde et de ma chair, prenant
plus de plaisir aux choses visibles et terriennes qu'aux invisibles et
célestes, espérant souvent plus aux richesses incertaines qu'au Dieu
vivant, rompant, hélas ! de jour en jour la promesse que je lui avois
XX bibliogkaphip:.
t'aile au batesme. Luy, au contraire, par sa bonté et miséricorde
infinies m'a appelée à sa Saincle Eglise, par la cognoissance de sa
Saincte Parolle et vérité, et par la foy en nng seul Jésus-Christ, et
nonobstant je me suis détournée de Luy par idollatrye et supersti-
tions, en mettant plus mon cœur et fiance aux créatures qu'au
Créateur.
j) Las, s'il me falloit rendre compte de ma vye malheureuse, et
s'il me falloit payer ce que je dois à mon créditeur et comparoir
devant Sa Majesté sans piège et respondant, il n'est à douter que
je tomberois en désespoir, car en toutes sortes j'ay mal faict prof-
iter les tallens qu'il m'a mis entre les mains. Ne m'appuyant doncq
point sur mes bienfaicts et mérittes, comme chargée et apesantye
de mes péchez, je me veux reposer sur mon Seigneur Jésus, lequel
nous invite si doucement : « Venez, dit-il, vous tous qui estes tra-
vaillez et chargez et je vous soulagerai, » le priant qu'il responde
pour moy et que soye participante du payement et satisfaction géné-
ralle qu'il a faicte à Dieu son Père, et je dis avecque Sainct-Es-
tienne : « Seigneur Jésus, reçoy mon esprit, » afin que bientost je
me puisse endormir en Dieu pour voir les grandes richesses de mon
Seigneur en la terre des vivans. »
Une bonne Huguenote ne pouvait manquer de faire un peu de
controverse, même in extremis; l'anti-cléricalisme existait déjà
dans toute sa verdeur. Notre dame du Broulat n'échappe pas à cette
règle alors générale : elle défend « pompeuses funérailles, somp-
tueux services anniversaires et aultres fondations de grands fraits
avecq son de cloches, torches et autres choses semblables, au profit
des prestrcs seuUement, mais au détriment et farcerye des vivants.
Quant à moy, ajoute-t-elle, je ne demande, ni service, ni messe,
sçachant bien que Jésus-Christ est constitué de Dieu son Père,
évesque et sacrificateur et grand prestre, toujours vivant pour in-
tercéder pour nous, » etc., etc.
En bonne Huguenote, aussi, elle recommande à ses héritiers
qu'ils fissent largement la charité aux pauvres. — Mais il faudrait
tout citer, et nous renvoyons à l'opuscule lui-même.
La personne qui vient de publier ces intéressantes pages a voulu
faire sans doute œuvre de piété et d'édification. Tous ceux qui les
liront penseront avec nous qu'elle a parfaitement réussi.
Parmi les exécuteurs du testament, est mentionné en première
BIBLIOGRAPHIE. 89
ligne : « noble homme messire Jacques de Broulal, son fils, Es-
cuyer, seigneur de Lizy. »
Ce Jacques de Broulat est mentionné dans la France protes-
tante (t. IV, p. 35i.) Grâce à la protection de Catherine de Médicis,
il fut d'abord abbé de Saint-Syinphorien de Beauvais, de La Rivour
et de Lagny, et il fut appelé, en 1551, par Henri II, à remplir le
siège archiépiscopal d'Arles. Ayant embrassé les opinions nouvelles,
il s'attacha au prince de Coudé, et fut dépouillé de ses bénéfices,
comme Odet de Chàtillon, par arrêt du Parlement de Paris, en
1562, ce qui ne l'empêcha pas, lit-on dans la Gallia christiana,
de prendre encore, en 156i, le titre d'abbé et de comte de Lagny
et de seigneur de Lizy. Cette dernière seigneurie appartenait cer-
tainement à sa famille, et fut portée dans celle de Monllouet, par
Madeleine de Broulat, petite-fille de la testatrice, dont l'époux,
« François d'Angesne, Escuyer et seigneur de Montlouoit » est
institué, avec son grand-oncle Jacques du Broulat, exécuteur tes-
tamentaire.
On ne sait ce que devint ce Jacques du Broulat, ancien arche-
vêque d'Arles; on croit qu'il se retira en Allemagne. Mais évidem-
ment, sa mère, la testatrice, avait embrassé, comme lui, le protes-
tantisme de tout cœur.
Le testament doit se treuver en original dans les archives de Lizy-
sur-Ourcq (AisneJ. Mais nous savons que M, Charles Eynard en
avait jadis communiqué une copie à MM. Haag, éditeurs de la
France protestante.
Le nom de M. Charles Eynard nous a semblé une garantie suf-
fisante de l'authenticité du testament. Mais comme cette pièce est
d'une rare perfection, nous serions heureux que quelque ami du
département de l'Aisne, quelque voisin de Lizy-sur-Ourcq voulût
bien prendre la peine de consuller les minutes du notaire Pierre
Chiboust. Un témoignage de visu dissiperait tous les doutes qui
peuvent s'élever à cet égard.
Charles Dardier.
90 BIBLIOGUAPIIIE.
MÉMOIRES DE BONBONNOUX
CHEF CAMISARD ET PASTEUR DU DÉSERT
Un beau volume in-i°, Jl:2 pages.
Bonbonnoux n'est pas un inconnu pour les lecteurs du Bulletin,
qui ont pu lire (t. XVII, p. 420; t. XXII, p. 72, 118) des fragments
importants de ses mémoires sur lesquels un docte étranger, M. Fros-
terus, professeur à Helsingfors, a le premier attiré l'attention. Bon-
bonnoux a eu ce rare privilège d'être un des compagnons d'armes
de Cavalier et un des pacifiques collaborateurs d'Antoine Court,
avant d'aller s'éteindre dans l'obscurité à Lausanne, vers le milieu
du siècle. On peut donc l'envisager sous un triple aspect, « comme
camisard, pasteur du Désert et réfugié ». C'est ce qu'a fait M. le
pasteur Vielles, dans une fort intéressante préface qui alfecte trop
peut-être le ton d'un panégyrique dont l'héroïque et simple Bon-
bonnoux n'a pas besoin.
Des documents très précieux, conservés au ministère de- la guerre,
conlîrment et comolètent sur plus d'un point les Mémoires du chef
camisard. Il est curieux de comparer les vicissitudes de sa vie er-
rante à travers bois et montagnes, dans les environs de Sauve, avec
les fragments de la correspondance militaire qui le concernent, sous
la plume de Planque, de Lalande et de Bàville.
Le 17 janvier 1704, Planque, brigadier des armées du roi, écrit
à Chamillard : « Je cherche tous les expédients du monde, tant par
des embuscades que par des battues sans cesse à pouvoir attraper
Claris avec son compagnon Bonbonnoux, qui sont les deux seuls qui
restent dans ce canton. »
Le 12 du même nmis, Planque écrit d'Anduze : (( J'appris hier
que les seuls scélérats (sic) (jui restent en campagne, qui sont
liavanel, Claris, le Dragon, l'Angiois, Deleuze et Bonbonnoux,
estoient ensemble. J'y ay envoyé un parti de quatre sergents et
deux caporaux habillés en païsans, conduits et guidés par un homme
de confiance (jui m'a promis de ne pas revenir ([uïl ne les tue ou
qu'il ne les ramène. Cependant j'ay vingt et deux embuscades dans
les lieux suspects et les plus dangereux, les(iuelles ne se relèvent
CORRESPONDANCE. 91
■que toutes les vingt et quatre heures; si mes mesures ne réussis-
sent pas, je suis au bout de mon latin. »
Bâville n'est pas plus heureux; Claris et Bonbonnoux déjouent
sans cesse sa vigilance, dans « ce canton de Coutacli rempli de
/rochers et de précipices affreux », où ils ont coutume de se retirer.
Le premier finit cependant par tomber entre les mains de ses enne-
mis, et sa mort sur la roue fut digne de sa vie. C'est de lui que
; Roquelaure écrivait le 2G octobre 1710, à Chamillard : « Il a sou-
tenu son caractère jusqu'à la fin; il est mort avec toute la férocité et
toute l'opiniâtreté d'un scélérat endurci dans le crime depuis long-
temps. )) Le courtisan Roquelaure pouvait-il s'exprimer autrement?
Les Mémoires de Bonbonnoux peignent avec une singulière vérité,
en traits parfois saisissants, les périls et les souffrances du chef
camisard survivant à presque tous ses compagnons et trouvant dans
l'apostolat du Désert le complément de sa destinée : « L'épée de
l'Esprit, dit M. Vielles, a remplacé celle du chef de partisans; mais
c'est la même main qui le porte, pour la même cause et du même
courage, » On ne peut que remercier le savant pasteur d'Anduze
d'avoir restitué le texte des Mémoires admirablement réimprimé « en
Cévennes, » 1883, en y joignant de précieuses notes topographiques
et historiques, ainsi que des fragments de la correspondance inédile
de Bonbonnoux qui laissent regretter de n'en pas connaître davan-
tage. Les lettres de Bonbonnoux ne sont-elles pas le complément
indispensable de ses Mémoires? J. B.
CORRESPONDANCE
UNE BIBLE DE 1565
Aiiduze, 26 novembre 1883.
A Monaieur Jules Bonnet, secrétaire de la Société de l'Histoire
du Protestantisme français.
Cher et honoré sccrôtairo.
J'ai l'honneur dt; vous expédier comme don, pour hi liihliothèijue du
92 CORRESPONDANCE.
Protestantisme français, une Bible grand in-f", d'Honorati. Lyon, 1565.
Je suis bien aise que ce soit dans le mois même du quatre-centième
anniversaire de la naissance de Martin Luther, le grand réformateur.
Voici quelques mots sur cette Bible, que j'ai acquise d'une famille
pieuse des Cévennes, à Lasalle (Gard). En tenant compte de sa date
1565, je puis dire : ce précieux exemplaire des livres sacrés, témoin des
commencements de la réforme dans les Cévennes, était donc là, en pieuse
garde, pendant les jours sanglants de 1572; les jours de paix relative de
i598; les jours de larmes de 1685; les dragonnades de Louis XIV, et la
lulte héroïque des Camisards.
Ce volume, en effet, porte en deux ou trois endroits d'immenses taches
d'huile très anciennes, et je me demande s'il n'y aurait pas là un sou-
venir de surprises nocturnes, quand, au bruit de quelque fusillade, la
lampe éteinte et renversée précipitamment, aurait déposé là pour nous
de glorieuses reliques.
Les dimensions du volume, non compris les couvertures assez épaisses,
sont les suivantes : Hauteur des folios, 40 centimètres; largeur, 27 cen-
timètres. Epaisseur du livre, 12 centimètres (toujours sans les couver-
tures en peau).
Ce volume contient 1315 feuillets (soit 2690 pages). 11 comprend l'An-
cien Testament en deux tomes; les Apocryphes et le Nouveau Testa-
ment de la dernière revision de Calvin et de Th. de Bèze, avec une pré-
face dans laquelle est signalé (Genève, 10 octobre 1559) le péril des
traductions nouvelles, notamment de celle de Sébastien Gastalion...
Notre pieux correspondant décrit ici le précieux volume qu'il a bien
voulu nous offrir et qui, malgré quelques lacunes, occupera une place
d'iionneur ù la Bibliothèque du Protestantisme français, comme relique
cévenole. 11 termine ainsi :
Tel est l'état du vénérable exemplaire que je confie à la sollicitude du
secrétaire de la Société d'histoire et de ses honorés collègues, en les
priant d'agréer mes fraternelles salutations.
Luc PULSFORD.
UN BAPTÊME EN 1713
La Rochelle, le 13 janvier 1884.
Monsieur,
Depuis plus de vingt ans \e réunis des matériaux pour l'Histoire du
Protestantisme en Saintonge, et la période douloureuse qui sépare 1685
CORRESPONDANCE. 93
de 1787, est particulièrement riche en documents. On ne sait que trop
que durant cent trois ans, les Français professant la religion réformée
furent mis hors la loi par des édits qui leur fermaient aussi bien le foyer
de la famille que le foyer religieux. On sait que les prétendus nouveaux
convertis furent ainsi contraints de présenter leurs enfants au baptême
de l'Eglise romaine, et toutes les familles protestantes figurent ainsi sur
les registres des cinq paroisses catholiques de la Rochelle après la
Révocation.
Mais ce qu'il me paraît intéressant de constater, c'est que les curés
appliquaient cette flétrissure d'une prétendue illégitimité aux enfants
des protestants, non seulement lorsque le mariage ne leur paraissait pas
justifié dans les formes canoniques, mais même lorsque les protestants
avaient dû passer sous les fourches caudines de l'Église régnante, et que
leur mariage était enregistré par les prêtres avec les formules habi-
tuelles. Voilà l'intérêt particulier du rapprochement de l'acte de mariage
et de l'acte de baptême que je vous adresse.
Je tiens à la disposition du Bulletin une liste que je viens de recevoir
des premiers réfugiés huguenots établis à New-Rochelle New- York),
que je dois à l'obligeance de M. Henry Lester, de New-Rochelle.
Agréez l'expression de mon respectueux attachement.
L. DE RlCHEMOND.
Le huitième jour de janvier mil sept cent un, après les fiançaille-s
et la publication d'un ban faitte suivant les ordonnances de l'Eglise
et de ce diocèze et qu'il ne s'est trouvé aucun empêchement cano-
nique, par vertu de la dispance de la publication de deux autres
bans accordée par Monseigneur l'Evesque de la Rochelle, en datte
du sixiesme de ce mois, insinuée au greffe des insinuations ecclé-
siastiques de ce diocèse, le huitiesme du présent mois, contrôllée le
mesme jour huitiesme dudit mois, je curé de la paroisse de Saint-
Barthélémy soussigné ay receu le consentement mutuel du mariage
du sieur Samuel Joseph Meschinet de Richemond, natif de Riche-
mond, paroisse d'Escurat en Saintonge, demeurant en cette ville,
paroisse Saint-Jean, fils de feu Joseph Meschinet, sieur de Riche-
mond, et de demoiselle Margueritte Dumorisson, se? père et mère,
avec demoiselle Suzanne Oualle, native et demeurante en cette
ville, paroisse Saint-Barthélémy, fille de feu le sieur David Oualle,
bourgeois et marchand d'icelle, et de demoiselle Gabrielle Thomas,
aussi ses père et mère. Ensuitte de quoy, je les ay solennellement
par parole de présent conjoint en mariage et leur ay donné la béné-
9i C0Ri5ESP0NDA\CE.
diction nuptiale, selon la forme de nostre mère Sainte-Église, en
présence de Jacques Bezelas, marchand, de maistre Jean Micheau,
notaire royal en cette ville, François Breas et André Coiffé, tesmoins
qui ont assisté audit mariage et qui ont signé avec moy.
Joseph Meschinet de Riciiemond.
susanne oûalle.
Beselaix, Micheau, Breard, Texier, curé de S' Barthélémy.
Bapt. mar. et sépult., 1700-1701, 55 fr., p^" S' Barthélémy de la
Rochelle. Archives communales de la Rochelle.
Le dix-huit du même mois (février 1713) a esté par moy, prêtre
soubsigné, baj)tisée Marie-Anne, fille naturelle de Samuel Joseph
Meschaint (sic) et de Suzanne Ouâlle, mariez à la huguenolte; ont
esté parein et mareine Jacques Talineau et Anne Gautron, qui ne
savent signer, de ce enquis; cet enfant est né le seize du courant;
le père absent et ne s'est pas trouvé au baptême.
Ragueneau, prêtre de Notre-Dame.
Reg. des bapt. mar. et inhum. de la p'*^» Notre-Dame, J 712-1 713 (Ar-
chives communales de la Rochelle).
RECTIFICATION
A PROPOS d'un cantique
Milhau, 13 décembre 1883.
Monsieur,
Je viens de recevoir le compte rendu, publié sous les auspices de la
Société fin Protestantisme français, des réunions liisloriques du Gard en
octobre dernier.
C'est par erreur que dans ce compte rendu les paroles du cantique :
« Ils ne sont plus, ô Dieu, ces sombres jours d'orarjc, etc., d sont attri-
buées à M. le pasteur Juillerat.
Ce cantique a été composé par mon père, M. J. M, de Carbon P^errière,
à la demande du ])aslcur Lissignol, pour la consécration du premier
temple de Cette, vers 1832 ou 1833.
Je dois à la mémoire de mon père de vous prier de relever celle
CORRESPONDANCE. 95
erreur dans un des premiers cahiers du Bulletin de rilisloire du Prolcs-
tantisme français.
Mon père a composé un recueil de cantiques dont quelques-uns ont
paru sans nom d'auteur dans l'ancien journal les Archives du Christia-
nisme, et ont été insérés depuis dans plusieiirs des recueils qui sont en
usage aujourd'hui dans nos Eglises.
Je citerai entre autres le cantique pour la Réformation : « Chrétiens,
entonnons des cantiques, etc. » Il fut composé à l'occasion du jubilé
séculaire de 1817. Deux pour les missions : « Seigneur Jésus du haut
de ta demeure, etc., » et « Sur ion Église universelle, » etc. Un grand
nombre sont restés inédits.
Agréez, Monsieur, mes salutations chrétiennes.
E. DE Carbon Ferrière.
N. B. — M. Frank Puaux nous prie d'annoncer qu'il prépare une réim-
pression des Plaintes des Protestants de Claude, à l'occasion de l'anni-
versaire de la révocation de l'Édit de Nantes, et que ce travail destiné
à paraître en octobre 1885, est assez avancé. Des faits récents, qu'il est
superflu de rappeler à la mémoire de nos lecteurs, l'invitent à prendre
date. (Réd.)
MAISON DE CALVIN A ORLEANS
Plusieurs feuilles protestantes, notamment la Renaissance du
4 janvier, ont annoncé, sur la foi du Journal du Loiret, que l'on
démolit en ce moment, rue du Gros-Anneau n" 10, la maison
qu'habita Calvin, étudiant en droit, à Orléans, et dans laquelle il re-
cevait ses deux amis, le célèbre libraire Leurez (lisez : Leroy,
Re(jiiis)et Théodore de Bèze; autant d'erreurs que de mots. Les
deux maisons qu'habita Calvin, rue d'Argery et rue du Pommier,
sont connues, grâce aux savantes recherches de notre collaborateur
M. Jules Doinel {Bull., t. XXVI, p. 185); et à supposer qu'il ait
jamais occupé la chambre du numéro 10 aujourd'hui démoli, dans
la rue du Gros-Anneau, il ne put y recevoir Th. de Bèze de dix ans
plus jeune que lui, et à peine adolescent à réj)0(jue oii Calvin ter-
minait ses études.
NÉCROLOGIE
.C ALPHONSE LAGARDE
Le dernier numéro du Bulletin contenait un suprême hommage à un
pasteur éminent, M. Benjamin Vaurigaud, qui fut un des meilleurs amis
de notre œuvre historique. Nous avons à enregistrer aujourd'hui un nou-
veau deuil pour notre Société, la mort de M. Alphonse Lagarde, ancien
juge de paix à Tonneins, un de ces laïques pieux, lettrés, qui sont l'hon-
neur du protestantisme français. M. Lagarde a adressé de nombreuses
communications à l'ancien Bulletin (voir la Table), sans négliger le nou-
veau (t. XXIV, p. LiO). On a de lui un excellent livre : Histoire des Églises
réformées de VAgenais, qui perpétuera son souvenir dans son pays natal.
M. le pasteur Fargues lui a consacré une notice émue dans le Chris-
tianisme du ^5 janvier, dont le numéro précédent rendait, par la plume
de M. Davaine, un juste hommage à la mémoire de M. Vaurigaud.
J. B.
Nous avons sous les yeux les livraisons 31 et 32 des Grandes
scènes historiques du xvr siècle. La première contient un tra-
gique épisode d'histoire locale : La surprise de la ville de Nismes
par ceux de la Religion le 15 de novembre 1569, en la nuit. La
seconde expose Vœiivre de Tortorel et de Perrissin avec toute l'au-
torité qui s'attaciie à la plume de M. le vicomte Henri Delaborde.
Nous ne pouvons que former des vœux pour le succès si mérité de
cette belle publication.
Le Gérant : Fischbacher.
BouBLOTON, Imprimeries léunics, B.
SOCIETE DE L'HISTOIRE
DU
PROTESTANTISME FRANÇAIS
ETUDES HISTORIQUES
L'ÉGLISE RÉFORMÉE DE LA GALMETTE
PAGES d'histoire LOCALE *
I
Quand on sort de Nîmes par le chemin d'Alais, en laissant
derrière soi la colline de la Tourmagne, pour suivre, dans
ses monotones détours, la route confinant aux anciennes as-
semblées du désert, qui longe le bois des Épaisses, franchit
le plan de la Fougasse, et traverse les carrières romaines de
Barutel, on ne peut se défendre d'une impression de tristesse
en rapport avec la morne aridité du paysage pareil, dit-on, aux
stériles régions de la Judée. Gette impression ne disparaît
que lorsqu'aux abords de la Calmette^ on aperçoit tout à coup
t. Je dois solliciter doublement Tindulgence en faveur d'un essai qui se con-
fond pour moi avec la Iradilion des aïeux et les souvenirs du pays natal, dans
un coin de terre toujours aimé ; « Paupera régna! »
2. Rourj^ de l'200 liahitants, à 13 kilomètres au nord de Nîmes,
XXXIII, — 7
9N l'église réformée de la calmette.
la plaine du Gardon cultivée comme un jardin, parsemée de
villages, que dominent à l'Est le pic de Bouquet, si célèbre
dans l'histoire des Camisards, et au Nord les Gévennes, dont
les cimes bleuâtres légèrement tachées de neige forment le
fond d'un tableau qui n'est pas sans grandeur.
Nîmes, l'antique Nemausus, capitale des Volces Arécomi-
ques, avait sons sa dépendance vingt-quatre bourgs et villages,
parmi lesquels figurait Calm ou Calmis, désigné dans un di-
plôme de 121 1 sous le nom de Caslrum de Calmetta\ A l'an-
cienne station romaine succéda le bourg fortifié du moyen
âge, relevant à la fois des évêques d'Uzès et de la ftimille sei-
gneuriale des Bernard Aton, chevaliers des Arènes de Nîmes,
qui prirent part successivement aux expéditions en terre
sainte, et à la guerre des Albigeois, sous le drapeau du comte
spolié Raymond VI de Saint-Gilles. Il semble que, dès cette
époque, un germe d'indépendance politique et religieuse ait
fermenté au sein des populations que devait agiter plus tard le
souffle orageux de la Réforme. En 1226 un traité d'alliance
est signé par les chevaliers des Arènes, parmi lesquels figurent
Raymond et Bernard de la Calmette, pour leur commune dé-
fense contre Louis Vlll, père de Saint-Louis; suprême effort
d'une nationalité expirante ! Le traité de Meaux (1229) con-
sacre l'asservissement du Midi au Nord. La seigneurie de la
Calmette incorporée au domaine de la couronne, sous la mi-
norité de Louis IX, passe, avant la fin du siècle, à Raymond
Gaucelin, seigneur d'Uzès, baron de Vézenobres, deBoucoiran
et de la Rouvière. Un acte rédigé le 8 août 1321, dans une
salle du château de Vézenobres, n'attribue pas moins de cent
feux^ au village de la Calmette, alors fréquenté par de nom-
1. Notice hiitoiique sur le village de la Calmette (Gard), par P. Merle, ln-8»,
Montpellier 1808.
Germer-Durand, Dictionnaire toporjraphique du déparlement du Gard. In-l",
18C8. i< Villa que uuncupaiit Calmes in comitatu Uzetico » (p. -42).
2. Ce mot doit être pris ici dans le sens de ménage, habitation. En uu sens
plus rigoureux, il s'appliquait seulement aux familles ayant au moins dix livres
tournois de revenus en fonds de terre et nu-dessus (environ 100 livres de notre
l'église réformée de la calmette. 99
brèiix étrangers. Les revenus du péage alimenté par un mar-
ché aux bœufs, se tenant toutes les semaines, s'élevaient à
126 livres à partager par portions inégales entre le roi et le
seigneur. Un fort dont on voit encore les restes^ se reliant à
un mur d'enceinte aujourd'hui disparu, protégeait le village
qui formait un prieuré appartenant à un chanoine de Nîmes".
Il est ainsi possible de recomposer à travers les âges la
physionomie féodale du bourg qui se dressait, au sortir des
Garrigues de Nîmes, sur la plaine fertile que baignent le Gar-
don et ses divers affluents de la rive droite, Braune, Loriol,
etc.. On peut restituer quelques pages de son histoire à l'aide
des vieilles chroniques. Après la paix de Brétigny, premier
entr'acte de la guerre de cent ans entre la France et l'Angle-
terre (1360), de nombreuses bandes de routiers se rendant en
Espagne, passèrent par Avignon pour rançonner le pape, et
laissèrent de terribles traces de leur passage dans le Bas-Lan-
guedoc. La région voisine d'Uzès eut particulièrement à souf-
frir des ravages exercés par la compagnie du Petit Meschin.
Le duc de Berry, gouverneur de la province, acheva de l'exas-
pérer par ses exactions^ Est-ce aux tuchins, ou à ses hommes
d'armes non moins redoutés, que l'on doit attribuer la sur-
prise de la Calmette mise à feu et à sang en 1382? Le souvenir
s'est conservé de malheureux, bouillis tout vivants dans des
chaudières attisées par des soudards; temps affreux où le
.pouvoir monarchique, mal fixé sur ses droits comme sur ses
laouiiaic actuelle). A ce titre, la Calmette comptait seuleiueiit neuf l'eux en 138.i,
un de plus ijue Saint-Gcniès de Malgoires. Dions en avait sept et la Rouvièro
quatre, à la même époque. Merle, p. "l"!.
1. Une tour très ancienne encastrée dans une maison du village du côté du
couchant, (jui regarde la Rouvicre.
"2. Merle, p. 20. En 1539, les ciianoines de l'église de Nimes, au nombre
desquels se trouvait Laurent de Bolonia, prieur de la Calmette, demandent au
pape Paul III, par l'intermédiaire de l'évoque Miciiel Briçounet, d'être sécula-
risés. Cette réforme donna lieu à de longues contestations et ne l'ut accomplie
qu'en 1551 {Ibidem, p. 25).
3. Michelet, Histoire de France, t. IV, p. 51. — Dom Vaissette, Histoire du
Languedoc, t. IV, p. ;J82 et suivantes.
iOO l'église hékormée de la rALMETTi;.
devoirs, n'était point un aini lutélaire pour les populations
que leur fidélité incertaine livrait d'avance à tous les maux* !
Aux catastrophes qui viennent des hommes s'ajoutaient les
calamités qu'enfante la nature sous tous les cieux. Vers cette
époque, le hameau de Massillan, situé dans la plaine, au-des-
sous de la Caiiïîette, fut emporté par une de ces crues subites
connues sous le nom de Gardonnades, et une partie de ses
habitants échappée au désastre, reflua sur la Caliiiette, se re-
levant à peine de ses ruines. Le hameau de Massillan n'est
plus qu'un souvenir. Son territoire demeuré longtemps sans
culture, se confond avec la plaine riante qui confine aux deux
Habitarelles, et le regard s'étonne de ne plus rencontrer le
moindre vestige delà catastrophe, qui n'a laissé de traces que
dans les archives locales^.
Aux ravages des grandes compagnies, aux maux de la
guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons, succédèrent
des jours meilleurs. L'ordre commence à s'établir sous la des-
potique autorité de Louis XI. Louis XII a laissé, malgré ses
guerres malheureuses en Italie, un souvenir populaire dans
les campagnes. L'époque de P^rançois I"" se confond avec la
Renaissance et la Réforme. Un souffle nouveau se lève sur le
monde; villes, châteaux, chaumières, en ressentent plus ou
moins l'influence. Les âmes se réveillant d'un long sonnneil et
secouant leur torpeur, cherchent comme à tâtons de nouveaux
motifs de croire à des vérités supérieures. La lecture de
l'Evangile en langue vulgaire leur ouvre de plus purs hori-
zons. L'a(hniral)le tableau (pie Bernard Palissy a tracé des
commencements de l'Eglise de Saintes n'est pas seulement
vrai des populations rurales de la Saintonge et du Poitou.
Les mêmes effets accompagnèrent ailleurs l'évangélique mes-
sage annoncé par des cœurs simples. Les après vallées des
1. Merle, ouvrage déjà cilé, p. i^2. Saiat-Genios et la Rouvii;rc ne furent pas
épargnés.
2. Le territoire de Massillan fut partage entre les communautés les plus
voisines. La Calmette eut la meilleure part.
l'église réformée de la calmette. 101
Cévennes, les plaines du Gardon et de la Vannage, cette petite
Chanaan du Midi, eurent aussi leur printemps spirituel déjà
riche en promesses. Là aussi... « Vous eussiez veu es
dimanches les compagnons de mestier se pourmener par les
prairies, bocages et autres lieux plaisants, chantans par
troupes pseaumes et cantiques, lisans et s'instruisans les uns
les autres. Vous eussiez veu les filles et vierges assises par
troupes es jardins et autres lieu.K qui se délectaient à chanter
toutes choses saintes ^ »
Deu.K. villes situées à peu près à égale distance de la Calmette,
Nîmes et Uzès, furent les foyers de l'esprit nouveau dans la
région qui correspond au département du Gard. D'obscurs
messagers dont on n'a pas conservé le nom, précédèi'ent les
prédicateurs en titre dans ce ministère évangélique, qui n'est
à ses débuts que la réalisation du mot de l'apôtre : fai cru,
c'est pourquoi f ai parlé! Dès 1547 les fidèles de Nîmes, sans
pasteurs pour les édifier, entrent en rapport avec ceux de Ge-
nève, et reçoivent de Calvin des lettres « plus douces que le
miel D qui circulent également à Uzès^. La noble famille de
Crussol et les seigneurs de Saint-Privat sont favorables à la
croyance nouvelle qui trouve un appui inespéré dans l'évêque
d'Uzès, Jean de Saint-Gelais. Il ne faut donc pas s'étonner de
ses rapides progrès dans les villages épars sur les deux rives
du Gardon, à Saint-Chaptes, Dions, la Calmette, la Rouvière et
Saint-Geniès.
Bien que la majorité de la population demeurât fort attachée
à l'ancien culte, la Calmette compta de bonne heure des sec-
tateurs du nouveau se réunissant pour prier dans des
granges isolées, ou sous la voûte du ciel, dans les sites agrestes
dont son territoire est semé du côté des Huissières. La grotte
I. Œuvres de Bernard l'alissy. Extraits reproduits dans le Bulletin, t. I, p. 90.
"J. Lettre (1(! l'Église de Nîmes à Calvin du 14 juillet l.ôi7 : « Eas (épist ) ut
uKindabas, ecclesiiB uticensi coininunicavimus, cui dulciores visu) sunl luelle et
lavo. )) Calvini opéra. Edit. Reuss, t. XII, p. S.'jO. Voir l'^galcnieiil le liiill..
t. XXIX, p. 491, et Derniers Récits du xvi« siècle, p. 137.
102 l'église réformée de la r.ALMETTE.
de la Baume, cachée dans un pli de terrain rocailleux, est un
de ces sanctuaires qui, comme la Baume des Fées de Nîmes,
semblent taillés par la nature pour les furtives réunions d'un
culte proscrit. Nul doute que le chant des psaumes popula-
risé par Clément Marot, et volant de bouche en bouche comme
le signe de ralliement de l'Église nouvelle, n'ait plus d'une
fois retenti dans ces gorges solitaires où l'on n'entend aujour-
d'hui que le cri de l'oiseau de proie surpris dans sa retraite et
la cloche monotone des troupeaux.
Les antiques institutions qui représentaient l'Église du
moyen âge étaient une barrière impuissante contre l'hérésie
qui trouvait partout de secrètes complicités. A un mille de la
Galmette, sur la route de Nîmes, aux pieds des arides coteaux
de Peyramale et d'Estelzin, quelques débris épars rappellent
l'existence d'un ancien couvent placé sous l'invocation de
Notre-Dame', et qui dut jouer un certain rôle dans la con-
trée. Près du bâtiment principal jaillissait une source aujour-
d'hui presque tarie. Le ruisseau de Goutajon qui, comme
l'indique son nom, recueille pour ainsi dire goutte à goutte
les eaux de pluie si rare dans cette région, et le suintement
de deux fontaines voisines de Barutel, arrosait l'enclos mo-
nastique lorsqu'il ne le dévastait pas par ses crues soudaines.
Dans ce recoin aujourd'hui désert où croît le thym et la bruyère,
le monastère de Notre-Dame d'Estelzin formait une oasis
monastique relevant des évêques d'Uzès, et n'avait traversé
les sombres jours du moyen âgequepouraffronter la Réforme
et les guerres de religion qui n'en ont pas laissé pierre sur
pierre : eiiam periere ruinœ! Le pur esprit des premiers
âges s'était-il mieux conservé dans cette congrégation des
champs que dans sa métropole nîmoise de Saint-Sauveur
abritée sous les voûtes croulantes du temple de Diane? On
1. Durand, Dicl. lopogr. du déparlement du Gard, p. 7",). Ce fut d'abord un
prieuré rural à la collation des évêques d'Uzès : prioratus de Barilello. Ménard,
llial. de Nimefi, t. 111, p. ITii. u Moniales monaslerii HeaUe Mari» de Stau-
zenco. « Ibidem, p. 107. Anno 1393.
l'éclisk réformer de la calmette. 103
l'ignore, et l'on ne peut attribuer qu'aux mêmes causes leur
commune décadence'.
Quoi qu'il en soit, l'Église réformée de la Calmette, en ses
humbles commencements, dut participer aux vicissitudes des
deux grandes Églises voisines. Est-il téméraire de croire
qu'elle fournit un contingent à ces réunions furtives de la
Tourmagne qui précédèrent l'introduction du culte réformé
à Nîmes? Un historien nous apprend que les évangéliques
des villages voisins accouraient à ces assemblées nocturnes
auxquelles le mystère donnait un attrait de plus-. Le bois des
Épaisses, qui justifiait alors mieux son nom, et plus près de
la Calmette, les carrières de Barutel eurent sans doute aussi
leurs prêches improvisés qui déjouaient toute surveillance. A
l'ombre des rochers taillés par le ciseau romain fleurit la
pervenche; le genêt épineux en protège les abords, et les
pieuses mélodies, errant de combe en combe, n'éveillaient
que de sobres échos dans l'immensité du désert.
Deux figures principales de pasteurs se détachent alors dans
l'horizon nîmois, Mauget et Mutonis, d'abord unis dans l'é-
vangélique mission, puis divisés par des rivahtés personnelles
au détriment du règne de Dieu. Mutonis, sorti d'un couvent de
Grasse en Provence, pour prêcher la Réforme à Uzès, avec une
éloquence enflammée, comptait de nombreux partisans à
Nîmes, où Mauget voyait son zèle méconuu, son activité para-
'lyséepar une ardente opposition. Il s'en plaignit à Genève\
Il ne fallut pas moins que l'intervention de Calvin pour réta-
blir la paix dans la congrégation nîmoise profondément trou-
blée : « Vous scavez, écrivit-il, comme le fondement de l'é-
1. S'il faut en croire une tradition, les dernières religieuses de Notre-Dame
d'Estelzin allèrent s'éteindre au couvent des Ursulines de Sommières.
2. Ménard, Hist. de Nimes, t. IV, p. 246, 248 de la nouvelle édition.
3. « Bien est vray qu'on nous livre beaucoup d'assaux et fort difficiles... mais
aussy (qui est notre grande fascherie) nos propres entrailles, c'est-à-dire quelque
partie de ceux de nostre consistoire s'eslève à rencontre de nous contre tout
ordre et discipline. » Mauget à Calvin, 12 mai 1561. Lettres françaises, t. Il,
p. 403.
104 l'église réformée de la calmette.
t>lise esl uni lé, aiissy qu'elle s'entretient en son estât par
fraternité et concorde. Ainsi ne peut-on attendre que dissi-
pation et ruine quand la porle est ouverte à tous débats et
contentions. Et de faict Dieu accomplira tousjours ce qu'il a
prononcé par la bouche de saint Paul que ceux qui se mordent
et mangent en la fin se consumeront^ . » Ce langage fut compris
des deux ministres rivaux et de leurs adhérents. Mutonis, élu
tumultueusement à Nîmes, reprit le chemin d'Uzès, où il était
vivement regretté, pour y continuer le beau ministère qu'il
devait clore par le martyre ; tandis que Mauget organisani
l'Église nîmoise sur le modèle de celle de Genève, la prépa-
rait aux luttes et aux épreuves qui ne devaient pas tarder ;'i
l'assaillir.
Le a petit troupeau » de la Calmette, à peine formé, dut res-
sentir le contre-coup de discordes qui agitèrent les deux
grandes congrégatior s voisines. Entre Mauget et Mutonis, ses
deux pères spiritueL, il ne pouvait prendre parti sans ingra-
titude. 11 dut souscrire à l'hommage rendu par les anciens de
l'Église d'Uzès au fidèle pasteur qui lui avait toujours prêché
« la sainte doctrine et dont Dieu avait tellement béni le la-
beur que leur église en estoit accreue au double-. » Mutonis
méritait cet éloge. Mauget n'obtint pas moins de succès à
Nimes, quoiqu'il pût dire en voyant les appels se multiplier de
toutes parts et demeurer sans réponse : « Nous sommes Irop
peu d'ouvriers pour recueillir une si grand moisson; car ces
jours passés estans assemblés au synode provincial en la ville
de Sauve nous ne nous sommes trouvés que dix ministres pour
cinquante-quatre églises qui sont en ce quartier de Languedoc,
tellement que ce pays a grand besoin de gens qui veuillent et
puissent s'emploier vertueusement pour l'œuvre du Sei-
gneur'. »
1. Lettre du l"' juin 15G1. Lettres frant,' aises, t. II, p. 403 et suivantes.
2. Lettre de rÉj;;lise rrilzès aux ministres de Genève, du 7 mai ir)(il. liullelin,
t. XVU, p. 4.82, 483.
-. Aux ministres (le Genève, H mai IMl (Calvini opéra, t. XVIII, p. 446,447).
l'église réformée de la calmette. 105
L'Eglise de la Calmette était certainement une de celles dé-
nuées de pasteurs, dont parle ici Mauget, et qui, vers 1560,
eurent cruellement à souflrir du pillage des bandes orga-
nisées qui comptaient dans leurs rangs de prétendus calvi-
nistes ^ Quels furent les premiers membres du troupeau
perdu au sein d'une majorité catholique, et qui n'acquit une
importance réelle que par son extension aux deux villages
voisins, Dions et la Rouvière? En l'absence de tout docu-
ment primitif, la tradition conservée au sein des familles
peut seule fournir une réponse à cette question. Elle inscrit
les noms suivants : Arnassan, Bonnet, Hugues, Maurel, Mou-
ret, Granier, Roux... parmi les premiers membres de la con-
grégation réformée, qui devait plus tard conquérir les Ar-
douin, seigneurs de la Calmette; à Dions, la doctrine évangé-
lique était professée par les familles Audemard, Bruguières,
Dombres, Amalric, Prades ; à la Rouvière la f;imille Chambon
était acquise à la foi nouvelle que protégeait le seigneur du
lieu, Robert Le Blanc, membre du présidial de Nîmes, où il
joua dans les troubles civils un rôle importante En citant ces
noms obscurs, sauf le dernier, j'éprouve un sentiment ana-
logue à celui qu'exprime l'éloquent auteur des Lettres sur
l'histoire de France, Augustin Thierry, en retraçant les vicis-
situdes de la commune de Laon, et les épreuves des bour-
geois de cette ville au xii" siècle : « Je ne puis m'empêcher,
dit-il, de relire et de prononcer leurs noms plusieurs fois,
comme s'ils devaient me révéler le secret de ce qu'ont senti et
voulu les hommes qui les portaient il y a sept cents ans. » Les
ancêtres de la liberté religieuse dans un obscur hameau, n'ont
pas moins de droit à nos sympathies que les héros de la
liberté politique sur un théâtre plus important, ou plutôt les
deux causes se confondent dans nos respects émus. L'histoire;
1. On se rappelle les Camisaïub blimcs, ou Cadets de la croix, vrais brigands
qui désolèrent le Midi lors de l'insurrection cévenole.
t. Sa fille Honorade Le Blanc, épousa en 1570, Jean Boileau, fils du châte-
lain de Casteinau, depuis longtemps acquis à la Réfornie.
106 l'éguse réformée de la calmette.
si largement ouverte aux grands de la terre, a trop négligé
les humbles, les petits, dont le nom se retrouve dans les
fondations de l'édifice qui abrite aujourd'hui leurs descen-
dants oublieux ou ingrats.
L'Égiise-de la Calmette entretint, dès son origine, les plus
étroites relations avec celle de Nîmes, tout en se rattachant,
dans l'ordre ecclésiastique, au colloque d'Uzès. De 1569 à
1571, elle eut pour pasteur Jacques Queyrel, inscrit à cette
date dans les actes synodaux du Bas-Languedoc *, et dont le
nom disparaît dans les troubles ultérieurs. L'Eglise de Saint-
Geniès de Malgoires, non loin de la Bouvière, était desservie
par Simon d'Aresnes, dont le nom figure dans les synodes pro-
vinciaux jusqu'à la fin du siècle ^ La période de dix ans qui
précéda la néfaste année 1572, s'était ouverte sous de favo-
rables auspices. L'Édit de janvier 1562, magnanime inspira-
lion du chancelier l'Hôpital, succédant aux atroces persécu-
tions exercées, durant un quart de siècle, sur les dissidents
religieux, inaugura une ère réparatrice également invoquée
par les sages de tous les partis. Mais le massacre de Vassy,
bientôt suivi de celui de Sens, plus effroyable encore, mon-
tra ce que l'on devait attendre du triumvirat et des Guises,
ces implacables adversaires de la liberté de conscience. Le
sang appelle le sang; les partis coururent aux armes, et les
provinces du Midi ressentirent le contre-coup des tragiques
événements qui se succédaient avec une effrayante rapidité
dans le Nord. Nîmes fut un des foyers les plus orageux de la
lutte entre les deux religions alternativement triomphantes
ou proscrites dans ses murs. Le voyage de Charles IX et de sa
mère s'aclieminant lentement vers Rayonne pour y recevoir
les sinistres conseils du duc d'Albe, ne fit que redoubler les
défiances. Le complot ourdi dans la maison du sieur de Ser-
1. Je dois cette indication au savant pasteur Auzière dont les travaux de géo-
graphie protestante prochainement publiés évoqueront tout un monde.
2. Notes communiquées par M. Gardes, étudiant en théologie, qui prépare
une thèse sur l'Kglise il'Uzés. Ljsto insérée dans le Ihilletin, t. XXI, p. 13i.
l'église réformée de la calmette. 107
vas et dans la mystérieuse entrevue du plan de la Fougasse,
entre la Calmette et Nîmes, reçut sa tragique exécution
correspondant à la tentative de Meaux. Le massacre de la
Saint-Michel (30 septembre 1567) marqua la prépondérance
du parti réformé en imprimant une tache indélébile à ses
chefs. Ce fut bientôt leur tour de subir la persécution et de
s'y dérober par la fuite en cherchant un asile dans les âpres
vallées des Cévennes ou dans quelques hameaux de la Gardon-
nenque transformés en forteresses. Ce fut le cas de Saint-
Geniès de Malgoires, bourg voisin de la Calmette, dont les
proscrits huguenots firent un camp retranché à l'abri de
fortes tours capables de soutenir un vrai siège*. C'est de là
qu'ils partaient pour d'audacieuses incursions, à travers
les garrigues dont tous les sentiers leur étaient connus, jus-
qu'aux portes de Nîmes, qui se rouvrirent pour eux, dans la
nuit du 14 au 15 novembre 1569, grâce au stratagème de
Maduron et à l'audace de Saint-Côme, sieur de Qalvière, un
des héros de ces luttes fratricides, où coulait le sang le plus
généreux sans profit pour la patrie commune^.
Quel fut le rôle des protestants de la Calmette, de Dions et
de la Rouvière dans ces sombres années où la paix n'était
qu'une courte trêve entre les partis, et où le drapeau de la
guerre civile sans cesse déployé à l'horizon, armait voisins
contre voisins, parents contre parents, et présidait aux plus
cruelles luttes, à celles qui troublent et parfois ensanglantent
le foyer domestique. Aux heures de crise, plus d'un, sans
doute, parmi les adhérents de la foi nouvelle, réduit à fuir
du hameau natal, alla s'enfermer dans l'enceinte fortifiée de
Saint-Geniès, et fournit une recrue au parti qui disait avec
Gondé : Pour le CJwisl et la patrie doux est le péril ! Les
batailles de Saint-Denis, de Jarnac et de Moncontour eurent
un grand retentissement dans les campagnes les plus recu-
1. Ménard, Histoire de Nîmes, t. V, p. 42, et Preuves.
-. Grandes scènes historiques du xvi'' siècle, Ronioil ilo Toitorfl cl do, Per-
rissin, n" 21.
108 i.'kglise héformée de la calmette.
lées. Le traité de Saint-Germain, conquis en 1570, par la
retraite victorieuse des princes et la marche hardie de
Goligny sur la Loire, ne consacra la liberté religieuse que
pour l'entraîner presque aussitôt dans une effroyable cata-
strophe.
L'équilibre des partis, et peut-être une patriotique inspi-
ration des catholiques qui avaient tant souffert, épargna les
horreurs de la Saint-Barthélémy à la cité nîmoise disputée
durant plus de vingt ans par les factions qui, sous des noms
divers, déchiraient le midi de la France. La Ligue y comp-
tait de nombreux adhérents disséminés dans les campagnes et
dans les villes, et fanatisés par les moines prêcheurs dont les
confréries couvraient le pays d'un vaste réseau. Les réformés
se donnèrent une organisation non moins forte, et trouvèrent
un appui dans les Politiques, qui des sublimes leçons de
l'Hôpital retenaient un grand mot : tolérance, sans se mon-
trer toujours fidèles à ce noble programme. L'instabilité des
principes apparaît trop souvent alors dans celle des hommes
infidèles à la cause dont ils ont arboré le drapeau. Damville,
Grussol, le duc d'Alençon (un fils de Catherine de Médicis !)
passent d'un camp à l'autre avec l'indifférence des mercenaires
italiens (jui n'ont |)Our mobile que l'intérêt. Étrange époque
que celle où des prélats suivent la fortune errante des partis,
où l'on voit un ancien archevêque d'Aix, Saint-Romain trans-
formé en homme de guerre, défendre Nîmes contre ses agres-
seurs catholiques, et repousser victorieusement le maréchal
de Bcllegarde, qui affame la ville sans pouvoir y entrer, et se
relire ne laissant dtîrrière lui qu'un désert. De celte époque
date la destruction partielle du nymphée, connu sous le nom
(h; temple de Diane, et dont les voûtes, d'une rare élégance,
se soutenant encore sans appui visible, rappellent le vanda-
lisme des guerres civiles, et la puissance destructrice de
l'homme s'iuclinaiit, comme à regret, devant les fragiles
merveilles de l'art !
|)aiis riucxlricahlc coiiriisiou des événements qui précé-
l'église réformée de la calmette. 100
dèrenl el suivirent le traité de Nîmes (1578) S une ligure se
détache non sans éclat. C'est celle d'un jeune héros qui
porte, sans faiblir, un grand nom, François de Ghàtillon, lils
de l'illustre Coligny, dont la courte carrière mériterait un
historien. Aux jours de péril, Nîmes n'a?ura pas de plus intré-
pide défenseur que lui. Assiégé par Damville à Montpellier
(juin 1577) et voyant diminuer les ressources de la place,
il en sort avec une faible escorte, prend Mauguio, et se jetant
dans les Cévennes, il reparaît, au bout de quinze jours,
avec des troupes aguerries, et rentre victorieux dans la ville
dont la situation semblait désespérée. Tel on le retrouve dans
mille rencontres, à Sernhac, à Besouce, à Montfrin, dé-
ployant partout des ressources inattendues, et unissant à la
vaillante ardeur du soldat la magnanimité du gentilhomme
chrétien qui gémit des tristes nécessités de la guerre. La paix
de Nîmes renouvelée à Alais n'est pas même une trêve dans
les luttes sanglantes qui se poursuivent de bourgade en bour-
gade, de château en château, et ne laissent partout que des
ruines. La Calmette, située au carrefour des routes entre
Alais, Nîmes, Uzès et Sommières, est tombée aux mains des
catholiques qui répandent la terreur dans le voisinage. Châ-
lillon s'en empare après un siège de trois jours (fin de juillet
i580) et rend ainsi la sécurité à la grande cité réformée". Sur
les rochers à pic qui surplombent le cours du Gardon, en face
^ deRussan et de l'oasis de Chariot, s'élève le fort de Sainte-Anas-
1. Voir le savant mémoire de M. Cliarvet : le Traité de Nimes de 1578 et les
conclusions de rassemblée tenue en Alla en 1580. Brochure in-8°, 1881. On peut
aussi consulter sur cette époque le Journal de Louis Cliarbonneav, public par
mon savant mailrc et ami, M. A. Germain, qui a si bien caractérisé l'époque
troublée « où s'élabore déjà le triomphe de Henri IV, mais où le dernier des
Valois sert d'instrument à la Ligue, au profit du fanatisme des princes lor-
rains et des convoitises espagnoles. »
"2. Histoire générale du Languedoc, t. V, p. 383. Le rigoureux traitement
infligé au commandant catholique du fort, pendu par ordre de Ciiàtillon, seiiilde
indiquer un crime de trahison assez fréquent à cette époque. Les documents
manquent sur cet épisode que nous signalons aux actives investigation.s de nos
correspondants du Gard.
MO l'église kekormée de la calmette.
tasie, tour à tour repaire de brigands de l'une et l'autre reli-
gion ou forteresse de la Ligue, se reliant aux châteaux de Go-
lias et de Réraoulins, et tenant en échec les prolestants d'Uzès.
Pris et repris en 1583, mais toujours redoutable, ce fort ne
succoiïiba définitivement que cinq ans après sous les attaques
redoublées de Châtillon et deTurenne, le futur duc de Bouil-
lon ^ Collas, Marguerite, Rémoulins capitulèrent a leur tour,
et le nom de Châtillon est glorieusement mêlé à ces faits
d'armes d'histoire locale.
L'assassinat de Henri III ouvrit une nouvelle carrière au
jeune héros, devenu l'un des principaux lieutenants du roi de
Navarre dont il partage la fortune à Arques et sous les murs
de Paris. Falaise, le Mans, Chartres sont témoins de ses
exploits interrompus par une mort prématurée. Il succombe,
le 8 septembre 1591, à peine âgé de trente-quatre ans, dans
le manoir de ses pères dont le deuil se confond avec celui de
la patrie. Son âme respire toute entière dans ses lettres à une
femme digne de lui, Marguerite d'Ailly, qui s'étonne de lui
survivre : c Mon cœur, il semble que vous soyez en peine de
moy. Ne sçavez-vous pas que vous m'avez laissé en la garde
de Dieu, et estimez-vous après cela que rien de mal puisse
m'arriver? Nos jours sont contés; nous ne pouvons alléger ni
accourcir le cours de nostre vie; ainsi vous ne devez rien
craindre pour moy, car Dieu m'a gardé jusques icy, et me
conservera encore, s'il luy plaist, pour vous et pour nos
enfants... »
On retrouve comme un écho de l'austère voix de Coligny
dans 'es lignes suivantes : « Dieu ayde aux siens, il me bénit
en mes actions, et je reconnoy cela pour venir de sa main,
1. Je dois à l'obligeance de M. Charvet la communication d'un dossier impor-
tant de pièces relatives à l'occupation du fort de Sainte-Anastasie par divers
capitaines de la garnison de Beaucaire, en 1583, et à l'autorisation de déman-
teler la place donnée, le 6 mai 1583, par le duc de Montmorency aux consuls de
Nîmes, qui ne se hâtèrent point d'en user. Je reviendrai sur ce point dans un
appendice à celte étude. Voir le récit de Ménard, flist. de Nimes, t. V, p. 182,
183.
r/ÉGLISE RÉKUK.MÉE UK LA CALMETTE. 111
avec plus d'humilité que je ne lis jamais, car j'estime que le
seul moyen de ma grandeur, c'est sa crainte et de me proster-
ner devant luy... » Au milieu des misères du temps présent,
Chàtillon ne sait pas désespérer de l'avenir : « Je suis for
estonné, sortant de l'escole où mon père m'avoit mis, de
trouver parmy les hommes si peu de piété, si peu d'affection
au public, tant de désir de faire les affaires privées, tant d'au-
dace et d'effronterie à mal faire en tout temps, que cela me
fascheroit du tout, sinon que j'espère voir encore venir le bon
temps que les gens de bien s'appuyant l'un l'autre, s'oppose-
ront courageusement à tout ce mal ».
Nobles illusions des La Noue, des Chàtillon, des Mornay, où
brille le pur esprit de la Réforme ! On me pardonnera de
m'être attardé sur les pas du héros que tout rappelle dans
l'horizon de la Calmette. Il est de ceux qui n'ont pu remplir
toute leur fortune ni donner toute leur mesure ici-bas. Il ne
vit pas le triomphe de la cause pour laquelle il avait si
vaillamment combattu dans le Midi, en Lorraine, en Norman-
die, et jusque sous les murs de Paris. Il ne put qu'entrevoir
le glorieux règne dont il eût été un des plus fermes soutiens,
et peut-être les belles années marquées par la sage adminis-
tration de Sully, par les grands projets de Henri IV, eussent-
elles emprunté un éclat de plus à la coopération d'un précur-
seur de Rohan, d'un digne hls du grand martyr de la Saint-
Barthélémy.
Jules Bonnet.
(Suite.)
i. Du Boucliet, Précis de l'histoire de la maison de Colignij. In-f", p. 625 à 690.
Fragments cités par M. le comte Jules Delaborde, dans l'article : Cliàtillon, de
VEncyclopédie des sciences religieuses, p. 'J9, 101.
DOCUME^TS
POURSUITES
CONTRE LES RÉFORMÉS D'ALENÇON
1533-1534
Le Bulletin a publié eu 1859', d'après une copie mutilée du greffier
Dongois, des fragments d'un registre d'arrêts rendus à Alençon par une
commission envoyée de Paris, au mois d'août 1534, pour réprimer les
premières manifestations de la Réforme dans le duché. L'original, que
l'éditeur df ces extraits croyait perdu, existe encore aujourd'hui parmi
les registres criminels du Parlement de Paris. C'est un petit manu-
scrit in-4° de même format que les autres volumes du Parlement, con-
tenant dix-neuf feuillets de parchemin, d'une belle écriture de l'é-
poque'. Au verso de la première page demeurée blanche, on lit cette
mention intéressante, ajoutée postérieurement : « Nota que ce registre
a esté apporté au Greffe criminel de la court de céans, quelque temps
après le trespas de feu M" Philippe Habert, mon frère, en Testât qu'il est
etparchemyn osté d'icelluy' par l'ung des enfans dudict defuuct, et est
demeuré ung coffre de bahut par devers la veuve dudit défunct et en-
fans dudict defunct, ou quel bahut sont les minutes des arrestz dudict
présent registre et autres pièc(>s. ^>
Philippe Habert '' était le greffier (|uc les commissaires institués par
1. Tome VIII, p Cd et suiv.
2. Il est conservé aux Arcliivcs nationales sous la cote \-» 83.
.3. L'auteur de la note entend parler de la couverture primitive. Une fois
entré au greffe, le cahier reçut la même reliure en peau que les registres du
l'arlement.
4. Clerc au grell'e criminel, il avait épousé Radegonde Ilodon, dont il eut deux
nis, Louis et Jérôme, et une fille, Radegonde. C'est par lui que débute la généa-
logie de la famille Habert de Montmort donnée par La Chesnaye-Desbois,
t. VIF, p. 004. Son frère, dont il est question ici, n'y est pas mentionné.
POURSUITES CONTKE LES UÈl'OUMES d'aLEXÇOX. 113
François P' avaient emmené à Alençon. Ordinairement les papiers pro-
venant de ces tribunaux d'exception et d'existence éphémère restaient
entre les mains du président, d'un membre de la commission, ou du
clerc faisant fonction de greffier, comme on le voit ici. Les minutes d'ar-
rêts, les enquêtes, interrogntoires et autres pièces de procédure deve-
naient une propriété de famille, dont l'importance était le plus souvent
méconnue et la conservation livrée à tous les hasards. Bien peu de ces
actes, échappés à la destruction , ont été recueillis dans les archives
publiques. Sans l'heureuse inspiration du frère de Philippe Habert d'o-
pérer le dépôt au Greffe du parlement de ce registre que les enfants du
greffier avaient déjà pris pour jouet, la trace de l'expédition judiciaire
d'Alençon eut été complètement perdue, comme il est arrivé pour tant
d'autres. L'extrême rareté des documents de cette nature et l'intérêt par-
ticulier de celui-ci nous engagent à en publier le texte intégralement.
Ouelques excès commis la veille de la Fête-Dieu 1533, sur des images
de la chapelle de Saint-Biaise par deux obscurs habitants de la ville,
.lean Couniin et Antoine Potier, dit Laignel, servirent de prétexte à l'ins-
titution de ce tribunal extraordinaire et aux poursuites dirigées contre
les principaux partisans des doctrines nouvelles. On sait les sympathies
dont les encourageait Marguerite d'Alençon et combien la Réforme avait
fait de rapides progrés dans les états de cette princesse. Aussi les juges
locaux étaient peu disposés à sévir. On ne trouvait sur les lieux aucun
huissier pour faire les exploits, aucun sergent qui voulût les exécuter.
Le fait est constaté dans les lettres de commission placées en tête de
notre registre. Les juges choisis parle roi naturellement parmi les moins
portés à l'indulgence, avaient pour mission de reprendre les procédures,
commencées l'année précédente, par le président de la nouvelle commis-
sion, Bonaventure de Saint-Barthélémy', et par un conseiller au Parle-
ment, nommé Louis Rouillart, de les mener à terme et de rendre des
arrêts exécutoires sur le champ et sans appel. Les deux premiers com-
missaires avaient instruit le procès de huit accusés, qui étaient enfermés
depuis un an dans les prisons d'Alençon, attendant la décision suprême.
Trente-deux autres habitants de la ville et des environs furent décrétés
de prise de corps ou d'ajournement personnel.
1. Bonaventure Thomassin, dit de Saint-Barttiélemy, reçu conseiller au Par-
lement de Paris, le 2G février 1.^21 (n. s ), à la place de feu maître Germain
Chartelier, avait été nommé président, au Parlement do Grenoble, au mois de
novembre 1533. La place de conseiller qu'il laissait vacante fut donnée, le
15 décembre suivant, à René Gentil, qui fut reçu seulement le 13 novembre 1534
(Arch. mil., X'% 1538, f 1 V).
XXXIII. — 8
lU POURSUITES CONTRE LES RÉFORMÉS d'aLENÇON.
Sauf Pierre Caroli, dont il est question incidemment dans les procès-ver-
baux des séances, tous ces personnages sont demeurés jusqu'ici inconnus'.
La plupart cependant occupaient un rang élevé parmi leurs concitoyens.
On remarque dans cette liste trois prêtres, Paul Graindorge, Jean Chasse-
vant, chapelain de l'Hôtel-Dieu, Guillaume Rolland, curé de Condé, un
cordelier du couvent de Séez, un augustin, Piené Dufour, qui avait prêché
à Alençon des propositions réputées scandaleuses et hérétiques, Jean Du-
val, administrateur delà chapelle Saint-Louis, plusieurs avocats de la
ville, la dame d'Avoise, etc. Les nouveaux juges se montrèrent expéditifs
et rigoureux. Ils ne siégèrent guère qu'une quinzaine de jours à Alençon
et prononcèrent neuf sentences capitales. Les deux principaux accusés,
ceux qui avaient pendu les images de la Vierge et de Saint-Claude, eurent
le poing droit coupé, et après avoir subi le dernier supplice, leurs têtes
séparées du tronc furent attachées aux deux principales portes de la ville.
Nicolas Briolay, Jean Piuel et Jean Lebrun, coupables de grans et exé-
crables blasphèmes, proférés contre le Saint-Sacrement de Vautel,
V honneur de la Vierge Marie, révérence des sainctz etsainctes dupa-
radis, et estât universel de notre mère saincte Église, furent étranglés
et leurs corps réduits en cendre. Quatre autres furent condamnes par con-
tumace à être brûlés vifs, trois au bannissement. Pour plusieurs autres,
on se contenta de la fustigation et de l'amende honorable. Le procès de
deux des prêtres poursuivis fut renvoyé à l'évêque de Séez. Enfin, en ce
qui concerne quelques uns des autres accusés, on ne trouve aucune déci-
sion prise sur leur sort. Peut-être le registre ne contient-il pas la copie
complète de tous les arrêts prononcés par les commissaires, ce qui ren-
drait d'autant plus regrettable la perte des minutes.
Paul Guérin.
Françoys, par la grâce de Dieu, roy de France. A noz amez et
feaulx conseilliers, maistres Bonaventure de Sainct-Barthelemy,
président de nostre court de Parlement séant à Grenoble, Claude
des Âsses-, Françoys le Charron, Cliristolle de Harlay ', Françoys
1 . Je me suis assuré qu'aucun d'entre eux n'a d'article dans l'autienne édi-
tion de la France protestante,
2. Claude des Asses ou Dezasses, fils d'André, conseiller au Parlement de
Paris, reçu à la place de son pore, le 18 août 1522, mourut le 4 juin 15-18 et fut
enterre en l'éj^lise Saint-Paul (Blanchard, Catalogue des conseillers au Parle-
ment, p. 50). La relation de sa mort, qui se trouve dans les Mémoires de Condé,
donne une triste idée de ses mœurs (Secousse, t. I, p. 592.)
3. Christophe de Harlay, seigneur de Beaumont, reçu conseiller le 2n mai 1531,
prcsidi-nt à mortier en 1555, mort le 26 juillet 1572, à l'âge de soixante-dix ans
POURSUITES CONTRE LES RÉFORMES d'alENÇON. 115
Errault*, Jehan Picart^ et Jehan le Cirier% conseilliers en nostre
court de Parlement à Paris, salut. Comme pour pourveoir à la pu-
nition et correction de plusieurs grans, énormes et exécrables
blaphemes et scandales faictz, commis et perpétrez téméraire-
ment, indiscrètement et irrevereiunent par les aucuns des manens et
habitans de nostre ville, duché et pays d'Alençon, contre l'honneur
et reverance de la divine majesté et estât gênerai de nostre mère
saincte église, dont nous avons esté deuement advertiz, nous eussions
par cy devant décerné noz lettres patentes adressantes à vous, pré-
sident, et nostre amé et féal conseillier en nostre dicte court, maistre
LoysRoillart, en vertu desquelles vous, président dessusdit, et ledit
Roillart feussiez transportez en nostre dicte ville d'Alençon, faicten
partie et parfaict aucuns procès à {'encontre de ceulx que vous au-
riez peu trouver et appréhender coupables et chargez desdictz cas.
Et depuis, suivant pareillement le pouvoir à vous par nous donné
par autres noz lectres patentes émanées de nous et données à Arles,
le dix neufiesme jour de septembre mil cinq cens trente Iroys, pour
certaines causes et considérations à ce nous mouvans, auriez faict
saisir, prendre au corps et constituer prisonniers es prisons dudit
Alençon, Jehan Coumyn et Anthoine Potier, ditLagnel, delinquans,
coupables et trouvez chargez desdictz blaphemes et scandalles, et
comme telz condennez par les officiers dudict Alençon, juges incom-
petans, parce que à nous et à noz juges tant seullement en appar-
tient la décision et congnoissance, et d'ordonner de la punition,
(•Blancliard, Présidents à mortier, in-folio, p. "2'29). Son nom est cite l'rcquem-
ment dans les mémoires du temps.
1. François Errault, seigneur de Clienians, conseiller au Parlement dès l'an
1522, depuis maître des requêtes, président au Parlement de Turin, et enfin
garde des sceaux de France, l'an 1514, mourut le 3 septembre de cette année, à
Cliùlons-sur-Marne, où il était avec l'amiral d'Annebaut pour traiter de la paix
entre François 1" et Gharles-Quint (lUancliard, Catalogue des conseillers, p. 53).
2. Ou plus souvent Le Picart, second fils de Jacques Le Picart, seigneur du
Plessis, d'une vieille famille parisienne, et de Jeanne Girard. Il fut reçu con-
seiller au Parlement en 1524. Il portait le titre de seigneur de Villefavreuse et
épousa Catherine Le Cocq, fille de Nicolas Le Cocq, président en la cour des
Aides, et de Jacquette Spifame (/(/., ihid., p. 55).
3. Jean Le Cirier avait été reçu conseiller le 20 décembre 1532. L'an 1555,
il se démit de sa charge en faveur de son fils, et mourut le 19 novembre de la
même année. Il fut enterré en l'église Saint-Séveriu (Blanchard, op. cit., p. 58).
116 POIIHSUITES CONTRE LES UÉFORMES d'ALENÇON.
correction et réparation de telz crimes, deliclz et maléfices con-
cernans la divine majesté, et aussi que nostre voulloir et intention
est que la punition, que voulions et désirons en estre faicte, selon
l'exigence des cas, soit correction et exemple à tous autres. Savoir
faisons que nous, à plain confians de voz sens, loyautez, preu-
dhommie, savoir, expérience et bonne diligence, vous mandons,
commectons et expressément enjoignons par ces présentes vous
transporter audict lieu d'Alençon, et reprins par devers vous les
procès et procédures t'aictestant par vous, président de Dauphiné, et
icelluy Roillart, que aussi par lesdictz officiers d'Alençon à rencontre
dediclz Coumyn et Potier, en Testât qu'ilz sont, vous parachevez ix faire
et parfaire lesdictz procès et procédez à rencontre desdictz blaphe-
mateurs et delinquans et coupables, et vacquez en toute diligence à
vous possible contre eulx, par sentence de torture et question extra-
ordinaire, en .sentence difinitive, selon l'exigence des cas, et exécu-
tions d'icelles inclusivement, nonobstant lesdictz procès ainsi faictz
par lesdictz juges d'Alençon, jugemens par eulx donnez et execu-
cions pour cefaictes etensuivyes,el. aussi oppositions ou appellations
quelzconques, faicles ou à faire, pour lesquelles ne voulions et n'en-
tendons estre différé àproceder à l'encontre desdictz Coumyn etPo-
tier et tous autres delinquans et coupables, ainsi que verrez estre à
faire par raison, ains voulions et nous plaist que voz sentences et ju-
gemens soient de telle efficace, effect et vertu comme si elles avoient
esté données par arrest ou arrestz de nostre court de Parlement. Et
pour l'expedicion des actes et registres qu'il conviendra faire en vos-
tre dicte commission et parachèvement desdictz procès, avons commis
et commectons maistre Philippes Habert, clerc au greffe criminel de
nostredicte court, et pour faire les exploictz requis et nécessaires et
qui par vous seront ordonnez (par ce que sur le lieu ne se trouve qui
les vueille ou ose faire et exécuter), voulons que puissiez prendre et
mener avecques vous tel huissier de nostre dicte court de Parlement,
ou sergent royal que mycnlx adviserez pour faire icculx exploictz.
Et enjoignons à nostre Procureur gênerai en icelle nostre court de
substituer quelque bon et notable personnaige pour poursuir iceulx
procès et prendre sur iceulx telles conclusions qu'il verra estre à
faire.
Mandons en oullre cl commandons à tous iioz justiciers, officiers
et subjectz que vous en ce faisant obeyssent et entendent diligen-
POURSUITES CONTRE LES RÉFORMÉS d'aLENÇON. 117
inent, prestent et donnent conseil, confort et aide, et prisons, si
mestier est et requis en sont, sans pour ce leur demander pareafis.
Car ainsi de nostre plaine puissance, certaine science et auctorité
royal nous plaist et voulions estre faict. Donné à Paris, le septiesme
jour d'aoust mil cinq cens treute quatre et de nostre règne le ving-
tiesme. — Sic signatum : Par le Roy, Breton.
Du lundi dernier jour d'aoust l'an ■I53i, du matin, en la ville
d'Alençon, ou estoient Messieurs les commissaires.
M. Bonaventure de Saincl-Barthelemy '.
M. Claude Dezasses.
M. Françoys le Charron.
M. ChristoJle de Harlay.
M. Françoys Errault.
M. Jehan Picart.
M. Jehan Le Cirier.
Cejourd'huy, mesdictz seigneurs les commissaires ont délibéré et
conclud entre eulx de mander et faire venir par devant eulx, à
deux heures de relevée, les bailly, lieutenant général, advocat et
procureur fiscaulx de la ville et duché d'Alençon, pour leur faire et
donner à entendre en termes generaulx la commission qu'ilz avoient
du Roy, et poursçavoird'eulx s'ilz,ou aucuns d'eulx, avoient aucunes
pièces et procédures touchans et concernans les ymaiges pendues
par aucuns des manans et habilans de ceste dicte ville d'Alençon, à
ce que, à toute diligence à eulx possible, ilz eussent à les mectre
,par devers mesdictz seigneurs les commissaires, pour par eulx pro-
céder aux jugemens des procès criminelz desdictz delinquens, ainsi
qu'ils verroient estreà faire par raison.
Desdictz jour et an, en ladicle ville d'Alençon, où estoient tous
lesdictz commissaires.
Cedi(;t jour de relevée, en ensuivant ladicte délibération et conclu-
sion desdictz commissaires, seroient venuz et comparuz par devant
eulx les bailly, lieutenant gênerai, vicomte, son lieutenant gêne-
rai, advocat et procureur fiscaulx, greffier et autres officiers de ladicte
ville et duché d'Alençon, auscjuelz a esté dit, remonstré et donné à
1. Les noms des sept commissaires se retrouvent en lèh; du procrs-verluil de
ctiacune des séances.
118 POURSUITES CONTRE LES RÉFORMÉS d'aLENÇON.
entendre l'intention et bon vouloir du Roy, ensemble des Roy et
Royne de Navarre*, qu'ilz avoient de faire pourveoir à la punition et
correction de plusieurs grans, énormes et exécrables blasphèmes
et scandalles faictz, commis et perpétrez témérairement, indiscrè-
tement et irreverenment par les aucuns des manens et habitens de
ceste dicte ville, duché et pays d'Alençon, et icelles faultes et abuz
corriger et reformer, etmesmement touchant quelques ymaiges pen-
dues par aucuns desclictz habitans;et que si les dessus dictz officiers
ou aucuns d'eulx avaient en leur possession quelques pièces et pro-
cédures servant à la décision et jugemens des procès criminelz
faictz àl'encontre desdictz malefacteurs etdelinquens, qu'ilz eussent
à lesmectre par devers lesdictz commissaires, et oultre que levoul-
loir et intention de ladicte dame duchesse d'Alençon estoit que
lesdictz officiers portassent et donnassent confort, ayde, obeyssance,
mainforte et tout ce que besoing seroit, ausdictz commissaires pour
les exécutions de leurdicte commission, toutesfoys et quantes qu'ilz
en seroient requis.
Sur quoy, par l'organe et bouche dudict lieutenant-général, a esté
dictet respondu, quant auxdictes pièces et procédures, que autrefoys
il avoit baillé tout ce qu'il avoit par devers luy d'icelles procédures
à MM. Maistres Loys Royllart et ledict de Sainct-Barthelemy, et que
neantmoins s'il se trouvoit aucunes pièces et procédures concernant
lesdiciz procès criminelz desdictz delinquens qui feussenten la pos-
session d'aucuns des officiers de ladicte ville ou devers luy, que en
toute diligence à eulx possible, ilz les feroient chercher et mecte-
îoient par devers mesdictz seigneurs. Et oultre a dict que tous les-
dictz officiers sont délibérez porter et donner toute aide, confort,
mainforte et toutes autres choses nécessaires aux commissaires pour
l'exécution de leurdicte commission, et que à ce ne feront faulte, et
que toutes foys et quantes qu'il plaira à inesdiclz seigneurs les man-
der, ils les trouveront prestz et appareillez leur obeyr en tout et
partout.
Du mardi, premier jour de septembre, du malin.
Cejourd'hui, messieurs les commissaires ont advisé et délibéré
). Henri II d'Albret et Marguerite, veuve de Charles duc d'Alençon, sœur dç
François It.
POURSUITES CONTRE LES RÉFORMÉS D'ALENÇON. H9
entre eulx d'envoyer par Jehan Targer, huissier en la court de Par-
lement à Paris par eulx prins pour le faict de leur commission et
faire les expioitz d'icelle, quérir le suhstitut du procureur général
du roy en la seneschaulcée du Maine pour poursuivre les procès cri-
minelz mentionnez en leurdicte commission, et sur iceulx prendre
telles conclusions qu'il verra estre à faire par raison. En ensuivant
laquelle délibération et conclusion de mesdictz seigneurs les com-
missaires, audict Targer huissier ont esté baillées lectres pour les por-
ter au seneschel du Maine ou son lieutenant, dont la teneur ensuit :
Cher frère, nous vous envoyons exprès la présente par ce présent
porteur, huissier du roy nostre sire en sa court de Parlement à Paris,
pournousenvoyer par deçà le procureur du roy en vostre seneschaul-
cée substituée par M. le Procureur général du roy au faict de la
commission à nous ordonnée par le roy en ceste ville d'Alençon. A
ceste cause ne ferez en ce faulte et aussi ledict procureur du roy
qu'il ne vienne par deçà avec ledict huissier. Cher frère, après nous
estre recommandez à vostre bonne grâce, nous supplions le benoist
filz de Dieu vous tenir et avoir en sa garde. D'Alençon, ce premier
jour de septembre. Et au-dessoubz estoit escript : Les commissaires
ordonnez par le roy à Alençon. Et signé : P. Habert. — Et au doz
estoit escript : A nostre cher frère le seneschal du Maine ou son lieu-
tenant au Mans.
Etoultreont conclut entre eulx, mesdictz sieurs les commissaires,
que Ton manderoit derechef le lieutenant gênerai, lequel le jour
précèdent avoit promis apporter par devers eulx toutes les pièces et
procedeures qu'il et autres officiers du duché d'Alençon avoient en
leur possession, concernant les procès criminelz faiclz des ymaiges
pendues en la ville d'Alençon par aucuns des habitans d'icelle, pour
luy dire et enjoindre de rechef qu'il eust à apporter icelles pièces
et procedeures par devers mesdictz seigneurs les commissaires. Ce
qui auroit esté faict par ledict huissier auparavant son partement.
Et seroit venu ledict lieutenant par devers aucuns de mesdictz sei-
gneurs, ausquelz il auroit baillé quelques pisces signées, qu'il disoit
toucher lesdictz procès criminelz, et dit que le greffier en avoit
quelques autres devers luy, mais que promptement ne les avoit peu
recouvrer de luy, obstant son absence, et qu'il estoit allé aux assises
et qu'il seroit de retour le soir dudict jour.
120 POURSUITES CONTRE LES RÉFORMÉS D'aI.ENÇON.
Du iiieicredi, deuxiesiue jour de septembre, après disaer.
Cejourd'huy délibéré et conclud a esté par messieurs les commis-
saires que pour myeulx procéder au faict de leur commission, il
seroit bon et expédient veoir préalablement le procès verbal faict
par messieurs Maisli'es Loys Uoillart et Bonaventure de Sainct-Ber-
thelemy, conseillers du roy en sa court de Parlement et commis-
saires par luy en ceste partie, et ce faict, visiter tous ensemble les
prisonniers estans es prisons de la Consiergerie d'Alençon, par or-
donnance desdictz Roillart et deSainct-Berthelemy, et iceulx visitez,
interroger les deux d'iceulx prisonniers pour le faict des pentes des
yraaiges et leur faire et parfaire leur procès par deux ou trois de
mesdictz seigneurs les commissaires.
Ce dict jour sont venuz par devers mesdictz seigneurs les com-
missaires, les lieutenant général et vicomte de la ville etducliéd'A-
lençon, ausquelz ilz ont supplié et requis avoir le double et coppie
de leur commission, à ce que myeulx ilz puissent faire donner con-
fort, ayde, mainforte et autres cboses nécessaires pour le faict de la
dicte commission.
Surquoy a esté délibéré et conclud par mesdictz seigneurs que les
dictz officiers d'Alençon verront par les mains de moy leur greffier
ladicte commission et que icelle commission leur sera communie -
quée.
Ce faict, ont mesdictz seigneurs mandé venir par devers eulx
Jelian Vanier, geoUier et garde des prisons de la Consiergerie d'A-
lençon, auquel ilz ont demandé s'il avoit en ses prisons tous les
prisonniers à luy baillez et commis en garde par MM. Roillart et de
Sainct-Berthelemy, lequel a respondu qu'il avoit tous lesdictz pri-
sonniers et que jusques icy il les avoit bien gardez.
Ce laict, tous mesdictz seigneurs les commissaires se sont trans-
portez au Palais de ceste ville d'Alençon, et en la Chambre du con-
seil d'icelluy Palais ont faict extraire des prisons de la Consiergerie
dudict lieu et faict venir devant culx les prisonniers qui ensuivent,
c'est assavoir : Jehan Ruel, Jehan Chastellays, Berlbault Prevel,
Nicolas Brioley et Michel Petit, ausquelz ensemblement a esté dit
par mesdictz seigneurs que, en toute diligence à eulx possible, l'on
leur feroit bonne et prompte expedicion de justice. Et à tant ont
esté renvoyez en l(Mir prison. Et ont esté faict venir par devant mes-
POURSUITES CONTRE LES RÉFORMÉS d'ALENÇON. 1:21
dictz seigneurs Jehan Coumyn et Aiithoine Laignel, dit Potier, et
après les avoir veuz par mesdictz seigneurs, ilz ont faicl retirer le-
dict Coumyn, et a esté ledict Laignel par eulx interrogué sur ses
charges et confessions, et après ce renvoyé en sa prison. Et ce faict
a esté faict venir ledict Coumyn, lequel pareillement a esté oy et
interrogué sur ses charges et confessions, comme ce appert par leurs
interrogatoires et confessions, et ce faict, renvoyé en sa prison. Et
enjoinct audiclVanier, geolliersursa vie de bien garder lesdictzdenx
prisonniers et les enfermer séparément, et ne laisser parlerne com-
municquer directement ou indirectement avec eulx, sans leur congé
et commandement, ne aussi aux cinq autres prisonniers dessus diclz.
Et luy a esté faict faire le serment de tenir secret tout ce qu'il luy
sera dit et commandé par mesdictz seigneurs les commissaires, sur
ladicte peine. Lequel geollier a supplié à messeigneurs pour sa dé-
charge luy estre baillé ung acte desdictes défenses; ce qui a esté
octroyé audict geollier par mesdictz seigneurs et luy a esté de ce
baillé acte en la forme qui ensuit :
Les commissaires ordonnez par le roy sur le faict d'Alenron ont
enjoinct et commandé à Jehan Vanier, geollier des prisons de la
Consiergerie d'Alençon, sur sa vie, de ne laisser parler ne commu-
nicquer directement ou indirectement à Jehan Coumyn et Anthoine
Laignel, dit Potier, prisonniers esdictes prisons, et iceulx mectre et
enfermer séparément. Et aussi enjoinct et commandé audict Vanier,
sur les dictes peines, de ne laisser parler ne communicquer au-
cunes personnes avec Jehan Kuel, Jehan Chastellez, Berthault
Pr'evel, Nicolas Brioley et Michel Petit, aussi prisonniers esdictes
prisons. Faict en la chambre du conseil du Palais d'Alençon, le
deuxiesme jour de septembre mil cinq cens trente quatre.
Du jeudi, li-oisiesme jour de septembre.
Cejourd'huy lesdictz commissaires ont ordonné et ordonnent que
Jehan Coumyn et Anthoine Laignel, dit Potier, prisonniers es prisons
de la Consiergerie d'Alençon, seront oyzet interroguez, recollez oA à
eulx confrontez les tesmoings contre eulx examinez sur les charges
et informations contre eulx faictes el sur les cas precedens et sub-
sequens le fait des pentes des ymaiges, pour sur ce y avoir tel regard
que de raison.
122 PornsuiTES contre les rcfofvmks d'alençon.
Ce dict jour, lesdicts commissaires, veues par eulx les interroga-
toires et confessions faictes par Jehan Coumyn et Anthoine Laignel,
dit Potier, prisonniers es prisons de la Consiergerie d'Alençon, pour
le faict de la pente des ymaiges et autres cas par eulx commis, ont
ordonné et ordonnent que Paoul Mabon sera prins au corps, où
pourra estre prins et appréhendé, etiani in loco sacro, à la charge
de le réintégrer, si faire se doit, et icelluy amené prisonnier es pri-
sons de ladicte Consiergerie d'Alençon, pour illec ester et fournir
adroit; et en default de le prendre et appréhender, sera adjourné
à troys briefz jours à comparoir en personne par devant lesdictz
commissaires en ladicte ville d'Alençon, sur peine de bannissement
de ce royaulme, confiscation de corps et de biens, et d'estre actainct
et convaincu des cas à luy imposez, pour respondre au Procureur
gênerai du roy qui sera tenu bailler ses conclusions à l'encontre de
luy, telles qu'il vouldra prendre et élire, et eu oultre, procéder
comme de raison.
Ce dict jour, lesdictz commissaires, après avoir veu les charges
et informations faictes par Maistres Loys Roillart et Bonavonture de
Sainct-Berthelemy, conseillers du roy nostre sire en sa court de Par-
lement et commissaires de par icelle en ceste partie, à l'encontre de
Maistre Paoul Graindorge, prestre, demeurant en la ville d'Alençon,
ont renvoyé et renvoyentla congnoissance de ceste matière à l'evesque
de Sées^ ou son vice-gerent, pour par luy estre pourveu en la ma-
tière, ainsi qu'il verra estre à faire par raison. Et ont ordonné et
ordonnent lesdictz commissaires que ledict evesque ou son dict vice-
gerent aura le double des troys premiers tesmoings examinez en
ladicte information, signé et collationné par les mains de leur gref-
fier, pour servir d'original.
Voies par les commissaires ordonnez par le roy sur le faict d'A-
lençon, les charges et informations faictes à l'encontre de messire
Guillaume Rolland, prestre, de la paroisse de Condé-, et oy sur ce
le procureur du roy et tout considéré;
Lesdictz commissaires ont ordonné et ordonnent ledict Rolland
estre prins et appréhendé au corps, quelque part qu'il pourra estre
trouvé en ce royaulme, etiam in loco sncro, à la charge de le rein-
1. Jacques de Silly, évêque de Seez, du 26 février 1511 au 24 avril 1539.
2. Coudé-sur-Sarthe, .irrondissement et canton d'Alençon.
POURSUITES CONTRE LES RÉFORMÉS D'ALENÇON. 123
tégrer, si faire ce doit, et icelluy estre amené prisonnier à ses des-
pens es prisons de la Consiergerie dudict Alençon, pour illec ester
et fournir à droit sur lesdictes charges et informations, et procéder
contre luy ainsi qu'il appartiendra par raison. Et où prins et ap-
préhendé ne pourra estre, adjourné à troys briefz jours à comparoir
en personne par devant lesdiclz commissaires, sur peine de bannis-
sement de ce royaulme, et d'estre aclainct et convaincu des cas à
luy imposez, pour respondre audict procureur du roy, aux lins et
conclusions qu'il vouldra contre luy prendre et élire. Et oultre, son
temporel estre prins, saisy et mis en la main du roy par bon et loyal
inventaire, regy et gouverné par bons et suffisans commissaires qui
en saichent et puissent rendre bon compte et reliqua quant et à qui
il appartiendra et par lesdicts commissaires ainsi sera ordonno''.
Errault R.
Du vendredi, quatriesme jour de septembre, du matin,
Cejourd'huy a esté délibéré et conclud par lesdictz commissaires
que Jehan de Moussy, maistre d'hostel ordinaire des roy etroyne de
Navarre, denunciateur de frère Germain, cordelier du couvent de
Sées, fera diligence de faire venir par devant lesdictz commissaires
maistre Mathurin Quillet, prestre, vicaire de Nostre-Dame-d'Alen-
çon, maistre Jacques Touppe, aussi prestre, curé de Sainct-Marc-
d'Esgreyne et autres tesmoings, par lesquelz icelluy Moussy entend
prouver et vérifier la proposition, qu'il dit avoir esté preschée par
ledict frère Germain, cordelier, pour, iceulx tesmoings oyz parles-
dits commissaires, estre au surplus ordonné en la matière ce que de
raison.
Cedict jour, maistre Mathurin Quelain substitut du procureur gé-
néral du roy en la seneschaulcée du Maine, et par luy substitué en la
commission des commissaires ordonnez par le roy sur le faict d'A-
lençon, a preste et faict le serment de ne révéler ains tenir secret
tout ce qui sera faict, conclud et délibéré par lesdictz commissaires
en leur dicte commission .
I. Nota qu'il y a deux arrest?: du cinqiesme jour de septembre audict an qui
sont enregistrés sur le dixiesme jour de septembre, V" XXXIlil, l'un à rencontre
de Jehanne d'Avoise, et l'autre à i'encontre de Jehan Besnault (Note du
registre).
124 POURSUITES CONTRE LES RÉFORMÉS D'ALENÇON.
Cedict jour, lesdictz commissaires ont ordonné et ordonnent que
Jehan Chauvyn, la mère de Jehan Coumyn, maistre Jehan Martin,
Guillaume Thomas et autres demourans à Alençon, seront oyz et in-
terrogez, en faisant le procès dudict Coumyn et Anthoine Laignel,
dit Potier, prisonniers es prisons de la Consiergerie d'Alençon, sur
le faict de la pente des ymaigcs.
Sur la requeste faicte verballement par le procureur du roy aus-
dictz commissaires, par laquelle il requeroit ([ue sur les articles et
faictz contenuz ou procès verbal faict par maistres Loys Roillart et
Bonaventure de Saincl-Berthelemy, conseilliers du roy en sa court
de Parlement à Paris et par luy commis en ceste partie, et desquelz
apert par les soixante-dix-neuf et quatre-vingts fueilletz d'icelluy,
feust informé par deux desdictz commissaires à rencontre de maistre
Geoffroy Crochard, advovat eu court layeà Alençon, et que sur les-
diclz faictz et articles feussent oyz, interrogez et examinez Nicolas
Manger, Anthoine Barbier, Sébastian Farcy, Estienne Royer et
maistre Loys Barbier, tous demourans en ceste ville d'Alençon, pour
l'information faicte et veue par luy, prendre à l'encontre dudict
Brochard telles conclusions qu'il verra estre à faire par raison;
Lesdictz commissaires ont ordonné et ordonnent information estre
faicte sur lesdictz faictz et articles, leurs circonstances et depen-
dences, pour icelle faicte, monstrée et communicquée audicl procu-
reur du roy, ([ui sur icelle prendera ses conclusions, et par eulx
veue, estre procédé à l'encontre dudict Brochard, ainsi qu'ilz ver-
ront estre à faire par raison.
Veues par les commissaires ordonnez i)ar le roy sur le faict d'A-
lençon les charges et informations respectivement faictes, à la re-
queste de maistre Jehan Honiedey, promoteur de l'evesque de Sées,
à rencontre de maistre Jehan Le Pelletier, advocat, Jehan Boule-
mer, marchant d(! fil, .hujiies Haudebourg, cordonnier, demourans
en la ville d'Alençon, Françoys Chappellain, de CourteillesS et Ju-
lian de Bernay, nagueres sergent, demeurant à Radon -, sur plusieurs
blaphemes, paroles scandaleuses et hereticques par eulx dictes et
proférées contre l'honneur de Dieu et estât gênerai de nostre Mère
saincte église; et oy sur ce le procureur du roy, et tout considéré;
1. 11 y a trois Courteillcs dans l'Orne; celui dont il s'agit est un faubourjï
d'Alençon.
"1. Arrondisscmont et canton d'Aloncoii.
■ " POURSUITES CONTKE LES REFORMES D'ALENÇO.N. 125
Lesdictz commissaires ont ordonné et ordonnent lesdictz Le Pel-
letier, Boulemer,Haudebourg, Chappellain et de Bernay estre prins
et appréhendez au corps, quelque part qu'ilz pourront estre trouvez,
ctiain in loco sacro, à la charge de les réintégrer, si faire ce doit,
et iceulx amenez soubz bonne et seure garde, à leurs dépens, es
prisons de la Consiergerie d'Alençon, pour illec ester et fournir à
droit sur les dictes charges et informations. Et où prins et appré-
hendez ne pourront estre, adjournez càtroys briefz jours à comparoir
en personne par devant lesdictz commissaires en ladicte ville d'A-
lençon, sur peine de bannissement de ce royaulme, confiscation de
corps et de biens, et d'estre actainctz et convaincuz desdictz cas à
eulx imposez, pour respondre audict procureur du roy, aux fins,
requestes et conclusions qu'il vouldra contre eulx prendre et élire;
et oultre tous et chacuns leurs biens estre prins, saisiz et mis en la
main du roy, soubz bon et loyal inventaire, regiz et gouvernez par
bons et suffisans commissaires qui en saichent et puissent rendre
bon compte et reliqua, quant et à qui il aparliendra, et par lesdictz
commissaires en sera ainsi ordonné.
Veues par les commissaires ordonnez par le roy sur le faict d'A-
lençon les charges et informations faictes par maistres Loys Roillart
et Bonaventure de Sainct-Berthelemy, conseillers dudict seigneur
en sa court de Parlement à Paris, commissaires par luy commis en
ceste partie, à la requeste de maistre Jehan Homedey, promoteur
de l'evesque de Sées, à l'encontre de frère René Dufour, religieux
de l'ordre de Sainct-Augustin, sur plusieurs blaphemes et paroles
scandaleuses par luy dictes, proférées et preschées en la ville d'A-
lençon, et oy sur ce le procureur du roy et tout considéré ;
Lesdictz commissaires ont ordonné et ordonnent ledict frère
René Dufour estre prins et appréhendé au corps, quelque part qu'il
pourra estre trouvé en ce royaulme, etiam in loco sacro,k la charge
de le réintégrer, si faire ce doit, et icelluy amené es prisons de la
Consiergerie d'Alençon, pour illec ester et fournir à droit sur les-
dictes charges et informations. Et où prins et appréhendé ne pourra
estre, adjourné <à troys briefz jours à comparoir en personne par
devant lesdictz commissaires en ladicte ville d'Alençon, sur peine
de bannissement de ce royaulme et d'estre actainct et convaincu
des cas à luy imposez, pour respondre audict procureur du roy,
aux fins et conclusions qu'il vouldra contre luy prendre et élire,
156 POURSUITES CONTRE LES RÉFORMÉS d'ALENÇON.
procéder et faire en oultre, ainsi qu'il appartiendra par raison.
Errault R.
Veues par les commissaires ordonnez par le roy sur le faict d'A-
lençon, les charges et informations faictes par maistres Loys Roillart
et Bonaventure de Sainct-Berlhelemy, conseilliers dudict seigneur en
sa court de Parlement à Paris, commissaires par luy commis en
ceste partie, à la requeste de maistre Jehan Homedey, promoteur
de de l'evesque de Sées, à l'encontre de Ysaac Legoux, dit Tardif,
et Noël de Meaulx, du lieu de Courteilles, sur plusieurs blaphemes,
parolles scandaleuses et herelicques par eulx dictes et proférées, et
oy sur ce le procureur du roy et tout considéré;
Lesdictz commissaires ont ordonné et ordonnent lesdictz Legoulx,
dit Tardif, et Noël de Meaulx estre prins et appréhendez au corps,
quelque part qu'ilz pourront estre trouvez en ceroyaulme, etinm in
loco sacro, à la charge de les réintégrer, si faire ce doit, et iceulx
estre amenez prisonniers en la Consiergerie d'Alençon, pour ester
et fournir à droit sur lesdictes charges et informations. Et où prins
et appréhendez ne pourront estre, adjournez à troys briefz jours à
conparoir en personne par devant lesdictz commissaires en ladicte
ville d'Alençon, sur peine de hannissement de ce royaulme, confis-
cation de corps et de biens, et d'estre actainctz et convaincuz des
cas à eulx imposez, pour respondre audict procureur du Roy, aux
fins et conclusions qu'il voukira contre eulx prendre et élire, i)ro-
céder et faire en outre, ainsi ({u'ij appartiendra j)ar raison.
Errault R.
Dudict jour, après disner.
Veues par les commissaires ordonnez par le roy sur le faict d'A-
lençon les chaiges et infoiinatiuns faictes à l'encontre de la femme
de Vincent Chappellain,Georgine, femme de Ysaac Legoux, dit Tar-
dif, la femme de Jehan Uuel et la femme de Macé Petit, et Guil-
laume Lyon, tous demourans à Courteilles; et oy sur ce le procu-
reur du roy et tout considéré ;
Lesdictz commissaires ont ordonné et ordonnent lesdictes quatre
femmes et Lyon estre prins au corps, (|uel(|ue part qu'ilz pouriont es-
tre trouvez en ce royaulme, et iceulx amenez prisoiniiers es piisons de
POURSUITES CONTRK LES RÉFORMES d'aLENÇON. 127
la Gonsiergerie du Palais d'AIeiiçon, pour illec esler et fournir à droit
sur lesdictes charges et informations. Et où prias et appréhendez
ne pourront eslre, adjournez à troys briefz jours, sur peine de ban-
nissement de ce royaulme et d'estre aclainctz et convaincus des cas
à eulx imposez, pour respondre audict procureur du Roy, aux fins,
requestes et conclusions qu'il vouKlra contre eulx prendre et élire;
etoultretous et chacuns leurs biens estre prins, saisiz et mis en la
main du roy, et inventoriez, regiz et gouvernez par bons etsulfisans
commissaires qui en saichent et puissent rendre bon compte et
reliqua, quant et à qui il appartiendra, et que par lesdictz commis-
saires ainsi sera ordonné.
Veues par les commissaires ordonnez par le Roy sur le faict d'A-
lençon les charges et informations faictes respectivement à rencontre
de Marguerite Edme, Robert Huron, la femme de Jehan Juliette,
messires Jehan Chassevant, prestre, et Jehan Duval, maistre et
administrateur de la chappelle Sainct-Loys d'Alençon, et tous
demourans audict lieu, et oy sur ce le procureur du Roy et tout
considéré ;
Lesdictz commissaires ont ordonné et ordonnent lesdictz Marguerite
Edme, Robert Huron, la femme de Jehan Juliette, Chassevant et Duval
estre prins au corps, quelque part qu'ilz pourront estre trouvez en ce
royaulme, etiam in loco sacro, à la charge de les réintégrer, si faire
ce doit, et amenez soubz bonne et seure garde, à leurs despens, es
prisons de la Gonsiergerie d'Alençon, pour illec ester et fournir à
droit sur lesdictes charges et informations. Et où prins et appréhen-
dez ne pourront estre, adjournez à troys briefz jours à comparoir en
personne par devant lesdictz commissaires en ladicte ville d'Alençon,
sur peine de bannissement de ce royaulme, confiscation de corps et
de biens, quant auxlays, et d'estre actainctz el convaincuz des casa
eulx imposez, pour respondre audict procureur du roy, aux fins,
requestes et conclusions qu'il vouldra contre eulx prendre et élire;
et oultre tous et chacuns les biens desdictz Edme, Huron, la femme
de Jehan Juliotte, et Duval, ensemble le temporel dudict Ghasse-
vant, prestre, estre prins, saysiz et mis en la main du Roy, soubz
bon et loyal inventaire, regiz et gouvernez par bons et suflisans
commissaires, qui en saichent et puissent rendre bon compte et
reliqua, quant et à qui il apartiendra, et par lesdictz commissaires
ainsi sera ordonné.
^tues par les commissaires ordonnez par le Roy sur le faict d'A-
12!^ MÉLANGES.
lençon les charges et informations faictes à rencontre de Marie, femme
de Nicolas Dupont, demourant en ceste ville d'Alençon, et oy sur ce
le procureur du roy et tout considéré ;
Lesdictz commissaires ont ordonné et ordonnent ladicte Marie,
femme de Nicolas Dupont, estre adjournée à comparoir en personne
par devant lesdictz commissaires en ceste ville d'Alençon, ;i certain
jour sur peine d'estre actaincte et convaincue des cas à elle impo-
sez, pour respondre andictz procureur du roy, aux fins, requestes et
conclusions qu'il vouldra contre elle prendre et élire, procéder et
faire enoultre selon raison.
Les commissaires ordonnez par le roy sur le faict d'Alençon ont
délibéré et conclu entre eulx qu'il sera bon et expédient de advertir
le roy des cas dont maistre Pierre Caroli ' est chargé depuis troys
ou qnatre ans en ça, pour en estre par luy ordonné ce qu'il luy
plaira.
(Suite.)
MELANGES
THOMAS D'ESGORBIAG
LETTRE ET REQUÊTE d'UN MAGISTRAT UUGUENOT AU XVII'' SIECLE
liieii no peut donner une idée plus juste de la violence des luttes
religieuses du xvi*" siècle, que la nécessité où se trouva Henri IV de
sanctionner la création d'une chambre mi-partie. Si ardent avait été
le combat que les l'arlemcnts, oublieux de leurs devoirs, en se jetant
dans la mêlée, avaient pour longtemps compromis l'administration de
la justice.
l. l'icrrc Caroli avait été i)Ourvu par Marguerite, duciiesse d'Alençon, de la
cure de Notre-Dame d'Alençon. C'est sans doute à cause de la faveur dont il
jouissait auprès de la sœur de François I"', que les conniiissaircs n'osent prendre
sur eux de procéder contre ce personnage. Voy. son article dans la France
protestante.
MÉLANGES. 129
Devant la France, il fallut reconnaître l'impossibilité de rendre la
justice, supérieure aux dissentiments religieux et politiques. Ce n'était
pas sans raison que les réformés refusaient de croire à l'impartialité
de magistrats, serfs hier encore du parti ligueur et dissimulant mal
l'amertume de leur ressentiment.
Aussi le maintien des chambres de l'Édit s'imposa-t-il pour que « la
justice fut rendue et administrée sans aucune suspicion, haine ou fa-
veur » *.
De toutes les chambres souveraines, la plus importante, par l'étendue
de son ressort comme par le nombre des affaires qui s'y traitaient,
était celle de Castres.
Pendant plus d'un siècle dans les diverses séances de la chambre de
l'Édit, à risle comme à Béziers, mais surtout à Castres, la justice fut
rendue avec une haute impartialité par les magistrats huguenots. Les
d'Escorbiac furent l'honneur de cette grande compagnie; associés à
ses destinées dès le premier jour, ils les suivirent jusqu'à l'heure où
Louis XIV la supprima.
Un d'Escorbiac faisait partie de la chambre qui se réunit à l'Isle en
Albigeois en 1579, et lorsqu'en 1595 son siège fut transféré à Castres,
il vint s'établir dans cette ville "-.
Quand, par une mesure inique, elle fut transportée à Castelnaudary,
un descendant de cette vaillante race occupait une place où le père et
l'aïeul avaient laissé de grands souvenirs.
L'étude attentive du règne de Louis XIV a toujours mis en lumière
la pauvreté morale des hommes qui approchaient le trône. Sans de rares
exceptions on ne comprendrait que trop la justesse de l'ironie des pam-
phlétaires du refuge, comparant la France à la Turquie, et le roi au
.grand seigneur.
Le débordement de courtisanerie qui empeste Versailles tue toute
parole de liberté. Aussi éprouve-t-on un soulagement à quitter la cour
pour rencontrer dans les provinces quelques descendants de ces hommes,
qui savaient parler aux rois et à leurs ministres.
1. Edit de Nantes, art. XXX.
2. Nous pouvons, grâce à la savaule étude de M. Cambon de Lavallette, sur
La chambre de l'Édil de Languedoc, établir en partie la filiation de la famille
d'Escorbiac. Sans doute le d'Escorbiac qui siégeait en 1579 pendant la séance
de Lisle en Albigeois et Guichard d'Escorbiac, qui faisait partie de la chambre
de l'Édit à Castres .;n 1595, sont une seule et même personne. En 6"23, Samuel
d'Escorbiac était membre de la Chambre où il siégea jus(iu'en 1638, époque où
son fils Thomas le remplaça dans son office. Il conserva sa charge jusqu'au
14 janvier 1671, époque à laquelle il la céda à son fils Samuel d'Escorbiac.
xxxiii. — 9
130 MÉLANGES.
Thomas d'Escorhiac, doyen des conseillers réformés de la cour de
Castres, parlait cette noble langue, et savait la faire entendre au dépens
de sa carrière sans doute, mais assurément à la gloire de son nom.
Les années de la minorité de Louis XIV avaient pu compter parmi les
plus heureuses dont les réformés gardaient encore le souvenir. La paix
semblait se faire chaque jour plus sûre, même définitive entre les pro-
testants et les catholiques, lorsqu'un revirement se produisit dont les
conséquences devaient être fatales.
Le clergé qui, lors de l'assemblée générale de 1656 avait laissé aisé-
ment entrevoir de quelle haine il haïssait la Réforme, venait, après la
paix des Pyrénées, de démasquer ouvertement son projet de ruiner TEdit
de Nantes.
Du reste, depuis le jour où cédant aux perfides conseils du clergé,
Louis XIV avait décidé l'envoi des commissaires chargés de connaître
des infractions commises à l'Édit de Nantes, une guerre sourde avait
éclaté contre les réformés. Dans chaque province, se groupant autour
des syndics du clergé, les dévots recherchaient avidement les occasions
de nuire à leurs adversaires, multipliaient les dénonciations envoyées
en cour, la plupart puériles, comme le reconnaît Rulhieres, et visant
souvent le délit d'avoir chanté quelques psaumes au pas d'une porte.
Castres, considérée comme une des villes fortes de la Réforme, devint
l'objet des plus vives attaques du clergé. Il trouvait du reste dans les
conseillers catholiques de la chambre de l'Édit, membres de ce parle-
ment de Toulouse dont les violences étaient restées célèbres, de pré-
cieux auxiliaires.
Il avait suffi d'un mouvement populaire, où cédant à la foule, le bour-
reau avait exécuté un misérable qui, à la dernière heure, voulant fuir
le supplice, avait demandé à se faire catholique, pour que les plaintes
les plus violentes fussent portées contre les Réformés. A entendre la
cabale des bigots, la liberté de conscience était violée dans leurs per-
sonnes, et c'était en supprimant la chambre de l'Édit qu'on remédierait
à un si grand mal.
A ces misérables dénonciations les officiers de la cour de l'Édit ré-
pondirent en disant à La Vrillière. « Nous vous asseurons, monsieur,
en gens d'honneur, qu'il n'y a point de ville en France où la religion
catholique soit dans une plus grande liberté ni la justice plus autorisée
que dans Castres ». Depuis trente ans cette ville, disaient-ils encore,
« a toujours suivi le bon parti, est demeurée dans l'obéissance et paie
fort bien les charges » ^.
I. Lettre des officiers de la chambre de VÉdlt, du 7 août 1660 (original
MÉLANGES. 131
Chaque année devait marquer quelques vexations nouvelles, et pour
défendre la liberté de conscience il fallut lutter avec énergie. C'était
une coutume reçue de longue date qu'il était permis à l'un des pasteurs
de Castres de venir faire un culte à la conciergerie où l'accompagnaient
quelques fidèles. En 1661, Puget de Gau, président catholique de la
chambre, pénètre dans la prison au moment du culte, l'interrompt avec
une hautaine violence et décrète contre M. de Lacaux, qui le présidait.
Sur le rapport du conseiller catholique de l'Estang, la chambre de l'Édit
est contrainte de renoncer à cette tolérance et d'ordonner désormais
aux pasteurs de ne plus consoler les prisonniers si ce n'est « dans la
chambre haute et à voix basse » '■.
Cette même année le curé de Villegoudon, faubourg Castrais, fait
informer contre les femmes huguenotes qui chantaient des Psaumes.
Les conseillers réformés ne voulurent pas recevoir une telle plainte
que leurs collègues catholiques appuyaient fortement; de là un partage
qui, soumis au conseil d'État, devait aboutir à la ridicule défense de
chanter à haute voix les psaumes à peine de cinq cents livres d'amende -.
Ainsi se multiplient à l'envi les misérables vexations contre une
population fidèle à son roi et à son pays. C'est en vain que les officiers
protestants de la chambre, d'Escorbiac à leur tète, effrayés de cette
intrusion des prêtres, se refusent à accepter l'arrêt du conseil d'État.
« Que défenses soient faites, disent-ils à toutes sortes de personnes,
de quelque qualité et condition qu'elles soient, de rechercher ceux de
ladite R. P. R. dans leurs maisons pour le fait de ladite religion » ;
mais il n'est tenu aucun compte d'une réclamation si juste, et le conseil
d'État déclare que son précédent arrêté sera exécuté « selon sa forme
e,t teneur, et en cas de contravention qu'il sera procédé contre ceux de
ladite R. P. R. sur la dénonce qui en sera faite par les particuliers
qui auront eu connaissance de ladite contravention » 'K
C'était ouvrir la porte à toutes les accusations et laisser les réformés
à la merci d'ennemis qui, en défendant leur église, poursuivaient trop
souvent des vengeances particulières.
Les pasteurs de Castres on furent les premières victimes, lorsque
sur la simple accusation de « cabale et faction » ils furent exilés de la
signé), TT, 299. Nous empruntons à la riche liasse de docuinenls concernant
Castres, conservés aux Archives nationales dans la célèbre série TT, les diffé-
rentes pièces analysées ou citées dans cette étude.
1. Arrêt du 18 février 1661.
2. Arrêt du conseil d'État du 16 décembre 1661.
3. Arrêt du 23 février 1662.
i32 MÉLANGES.
ville où ils exerçaient un ministère de dévouement et de charité*.
r/était une souffrance profonde pour Thomas d'Escorbiac d'être con-
traint à rester le témoin impuissant de ces injustices que couvraient
sans honte les arrêts réitérés du conseil d'État.
Rapporteur dans maintes circonstances d'affaires semblables, il avait
essayé d'atténuer les rigueurs des arrêts qu'il fallait que la Cour rendît
sur les injonctions du Uoi. Blessé dans son honneur et dans sa con-
science de magistrat, eu voyant oîi aboutissaient les menées des adver-
saires des Réformés, il se décida à écrire à 31. de La Vrillièrc.
Une lettre d'un de ses collègues nous expliquera les motifs qui le
déterminèrent à faire entendre un langage plein de fermeté et d'énergie.
M. de Lacgcr, conseiller à la chambre, avait tenté d'intervenir à Paris
à propos de cette affaire dont il parle en ces termes.
c Sous prétexte d'un arrêt du Conseil (du 5 oct. 1663) qui vidant les
partages de .MM. de Bezonz et de Peyremales, ordonne que les charges
singulièi-cs (uniques) seront exercées par des catholiques, on a dépos-
sédé tous les j)orticrs de la ville qui faisaient profession de la R. P. R.
et par là on a mis ces pauvres gens à l'hospitp.l, qui avoient leur loge-
ment et quelque petit appointement pour la nourriture de leurs misé-
rables familles, ce qui a été exécuté contre eux avec toute la rigueur
du monde, quoi(iue l'arrest du Conseil n'en parle en aucune façon, ains
seulement des charges singulières comme greffier de la maison de ville
et horlogeur.
î En vertu du mesme arrêt et sous prétexte d'un article par lequel le
roy ordonne que dans les villes où sera l'exercice de la R. P. R. on
pourra avoir de petites escoles pour apprendre à lire et à escrire et
l'aritmètique, on a fait diffenses au régent de la R. P. R. de cette ville
d'enseigner du latin et de plus on luy a fait commandement de vuider
dudit collège, et l'archidiacre du chapitre a esté luy-mêmc en com-
pagnie des consuls catholiques lui faire le dit commandement, quoique
l'arri-st du Conseil ne parle ni près ni loin du collège de Castres »
(Lettre du 10 mars I(i6'(.).
Thniiias (rEscorl)iac, rapporteur de cette affaire, avait plaidé une fois
de pins le niaintiru de dniils sacrés. Vaincu, il proteste avec courage
contre les empiétements du clergé dans des ([ucslions dont doit seul
connaître la justice :
« Nous n'avions pas vu jus(|u'icy, dit-il, (pi'an préjudi(;e des arrêts
de partai^e on enlicprit rien de part ny d'autre, ny que messieurs du
I. ArnU du conseil diktat pour obliger les ministres de (■astres d'aller servir
6n d'autres lieux {'J avril l(5(i3). Voir aussi, C. Rabaud, Histoire du proleslan-
tisme dans l'Alhigeois, etc., \^. 31i.
MÉLANGES. 133
clergé fussent les exécuteurs et interprètes des édits. Ils prouvent
seulement que notre religion n'est plus à la mode et que tout est permis
contre nous. Nous ne croyons pas, monsieur, que le Roy approuve une
telle conduite; vous nous obligeriez infiniment de nous faire scavoir son
intention et nous la fairons ponctuellement exécuter. Nous nous piquons
de servir d'exemple à tous les autres officiers pour l'obéissance que luy
debvons. Tout ce que je croy debvoir vous dire, monsieur, en bon et
fidèle françois, c'est que je recognois à mon grand regret que cette
nouvelle mode que quelque cabale de bigots a trouvé de criminaliser
de pauvres idiots * ne sert à rien qu'à aliéner les affections des peuples,
et j'estime qu'il est plus avantageux au Roy de posséder le cœur de ses
sujets que d'estre maistre de leurs vies et de leurs biens ». (Lettre du
11 mars 1664.)
Rares alors étaient les magistrats, assez indépendants pour marquer
aussi nettement la gravité des fautes commises, et montrer à quelles
extrémités aboutirait une politique esclave du plus étroit fanatisme.
Thomas d'Escorbiac honorait par cette ferme attitude la magistrature
huguenote, signalée de longue date, comme l'un des plus fermes appuis
de la religion réformée. On était en droit d'attendre de lui cette virile
protestation, car en luttant comme il l'avait fait, lors de la nomina-
tion d'un des collègues, faite contre toutes les règles, il avait montré
que seule la force aurait raison de sa résistance. Il avait empêché
l'eni'egistrement de cette nomination et il avait fallu que son adversaire
entrât dans la cour, par la volonté expresse du Roi, heureux dit avec
raison M. Rabaud, de mortifier une fois de plus la chambre de Castres ^.
Il se réservait d'intervenir plus énergiquement encore, et c'est à cette
résolution que nous devons de posséder une lettre trop remarquable
pour ne pas être publiée intégralement. Sans date et sans nom de des-
tinataire, mais écrite en 166-i, sans doute à M. de La Vrillière, sous
l'impression de ces dénis de justice déjà signalés, elle révèle les souf-
frances du patriote et du magistrat, et reste comme un précieux docu-
ment pour l'histoire intérieure de notre pays, aux premiers jours du
gouvernement personnel de Louis XIV.
Monsieur,
Samedy dernier nous fismes le partage que je vous envoyé,
M" de Tolose opinent ici d'une autre manière qu'ils ne font pas a
Tolose, ils nous l'avouent tous les jours; s'ils estoit dans leurs
1. Idiots pris ici dans le sens de homme ignorant et sans défense.
2. Rabaud, op. d<., p. 305,
134 MKLANGES.
chambres au parlement, ils diroit librement leur sentiment et ici ils
n'osent. Si le premier opinant porte un avis avec chaleur, pas un
de ses collègues n'ose le choquer de peur d'estre accusé de n'estre
pas bon catholique. Nous remarquons qu'ils sont dans cete constrainte
despuis la fronde, que le parlement s'est arrogé le pouvoir de co-
melre seul les conseillers qui doivent venir servir en cete chambre,
au lieu qu'auparavant le Iloy se servoit de cete comission pour
recompanser ses bous serviteurs, et les personnes de vertu et de
mérite qui s'estoit acquis quelque réputation par dessus leurs com-
pagnons*. Nous voudrions bien, Monsieur, que vous pansassiez
quelquefois a nous envoyer vos amis, et vous ne seriez pas si sou-
vent importuné de nos partages. Celuy cy se fut évité si ces M"
eussent voulu en audiance ouyr les gens du Roy qui eussent raporté,
si ce supliant avoit changé de Religion avant ou après le registre de
cette nouvelle déclaration que le Roy a accordé a l'Importunité des
moyens de M" du clergé-; si c'est avant, ils accordent que ce
n'est pas un crime; si c'est depuis il faut qu'il en aparoisse, et
nous sommes compétents pour l'examiner. L'edict nous fait juger
de ceux qui ont fait profession six mois auparavant, et tous les jours
1. On rapprochera naturellement ces paroles du jugement porté par E. Benoit
dans sou Histoire de VÉdit de. Nante'i, 1.277, — « Cette manière de former les
chambres de l'Édit a duré plusieurs années : et depuis l'établissement des députés
généraux ceux qui avaient cet employ conferoient tous les ans avec le chance-
lier, le premier président et les gens du Koy, pour choisir les juges catholiques
les plus équitables. Pendant que cela tut observé, les chambres de l'Édit rendi-
rent une justice fort régulière et parce que leur juridiction étoit plus belle et
plus profitable que celle des autres Chambres, tous les catholiques affectèrent
d'être équitables et modérés pour n'être pas exclus d'y servir comme les
autres. Mais les affaires des Réformés allant en décadence sous Louis XIII,
ces chairbres ne se formèrent plus que par des brigues et des cabales, ou
les plus honnêtes gens n'avoient pas toujours le choix, de sorte que les Réfor-
més n'y trouvaient pas plus de justice qu'ailleurs ». On trouve aux Arcliives
nationales (T.T. 290) les procès-verbaux de nomination des conseillers catiio-
liquos par le parlement de Toulouse, ils commencent à dater de 1019.
2. Il s'agit de la déclaration d'avril 1663, qui interdisait aux réformés deve-
nus catholiques de retourner à leur première religion, en les menaçant de
les poursuivre suivant la rigueur des ordonnances. Les conseillers de la reli-
gion voulaient retenir l'affaire, par contre, les conseillers catholiques préten-
daient la renvoyer au Parlement de Toulouse. De là le partage qui devait être
ville devant h- conseil d'État,
MÉLANGES. 135
nous décrétons contre les prêtres que nous trouvons envelopés dans
les crimes, et après cela nous les renvoyons au parlement. Mais
ces M" font scrupule pour fait de religion de faire aucune action
de justice favorable a ceux qui la demandent; ils font au contraire
profession de se rendre incompétents. Il y en a qui nous disent que
notre religion n'est plus à la mode, et tachent de jetter des mes-
fiances dans le cœur de tous ceux qui la professent. Nous avons par
un malheur commun aux autres compagnies, fort peu d'affaires au
palais, ce qui engendre du chagrin, parce que l'argent est fort rare;
il ne manque pourtant pas à certaine cabale de bigots qui s'assemble
un jour de chaque septmene pour faire des procès criminels^, sur
leur invention de nouveaux crimes, tantôt contre un qui aura chanté
un pseaume^, contre un autre qui aura esté le onsiesme a un en-
terrement, ou qui n'aura pas attendu les ténèbres pour faire ces
actions de piété^. Nous sommes forcés de décréter contre les pères
qui ont enterré leurs enfans et contre les enfans qui ont enterré
leurs pères, quoy que cela choque notre humanité; mais c'est pour
montrer que nous sommes fidèles exécuteurs de la volonté du Roy.
Nous recognoissons, Monsieur, a notre grand regret que tous ces
nouveaux retranchements qu'on a fait de l'Edit, produisent de mau-
vais effets. Le comerce de ce pays est presque tout entre les mains
de ceux de la Religion prétendue réformée. Dès que quelque jeune
homme excelle en son mestier, il quite sa patrie où sa religion est
1. D'Escorbiac parle certainement d'une association semblable à celle de la
propagation de Foy de Montpellier, dont le Bulletin (XXVI, p. 113) a publié
les curieux procès-verbaux.
2. Allusion à un procès intenté par Planez, curé de Saint-Jacques de Ville
Goudon, à quelques femmes de Castres, qui chantaient des psaumes publique-
ment. Il y eut partage à la chambre de l'Édit, mais le conseil d'État le vida en
interdisant le chant des psaumes par son arrêt du 16 décembre 1(361.
3. Voici une preuve curieuse de cette préoccupation de n'être pas dénoncé
par les agents de cette cabale dont parle Escorbiac. En rapportant la mort du
fils de Gâches, l'historien castrais, Madiane, écrit ceci : « Le sieur Gâches
estant mort la nuit du dimanche 9 avril (1663), nous l'enterrâmes le lendemain
au soir après le coucher du soleil, à la clarté de la lune n'étant que dix seule-
ment, après avoir vérifié, chez M. Alègre, que le soleil se couchoit environ à
sept heures », Mémoires de J. Gâches, XII. Cette même année, 17 mars, il y
avait eu arrêt de la cour condamnant l'église de Castres, à ne plus inhumer ses
morts qu'à l'aube et au crépuscule. Rabadd, Histoire du protestantisme dans
l'Albigeois, etc., p. 313.
136 MÉLANGES.
en opprobre, et se retire dans les pays estrangers où il est bien
receu et s'y estabiit. Ceux qui ont leur fortune en argent ou en des
effets faciles à transporter, se retirent ailleurs, et il y en a qui se
trouvent plus en repos a Genève et a Livourne qu'ils ne l'estoient a
Nismes, Usés et Montpelier. La ville de Genève s'est presque dou-
blée, et on y fait aujourd'hui les meilleures étoffes qui se débitent
a Lyon, au lieu qu'autres fois on n'y faisoit rien qui vaille. On a
agrandi la ville d'Amsterdam d'un tiers; il y a plus de dix mil co-
munians francois de la R. P. R. Dans Leyde il y a deux grands
temples et deux ministres francois et dix mil comunians; à Roter-
dam il y en a sept mil et trente trois autres églises francoises dans
la Rolande, il y en a dans la Suisse, dans l'Allemagne et en Angle-
terre. On l'ait estât qu'il y a cent mil personnes, si cliascun a em-
porté mil livres ce seroit cent millions tirés du Royaume depuis une
trentaine d'années*. C'est chose dont le Roy peut estre informé par
ses ambassadeurs, et dont ceux qui en sont cause ne se soucient
gueres, agissant plustôt pour des intérêts particuliers que pour les
intérêts de l'Estat. Quand le Roy Henry Le Grand fit l'Edit de Nantes
après avoir consulté les meilleurs politiques de son Conseil, il crut
avoir esté de l'esprit de ses sujets de la R. P. R. la mesfiance et la
crainte d'estre maltraités, et de les retenir par Là dans les terres de
son obéissance, sans que pas un s'escartat^. Mais aujourd'huy qu'on
void que M" du Clergé obtiennent au Conseil tous les arrêts
qu'Us demandent pour destruire cet edict^^, il y a fort peu de gens
I. L'exagération de ces indications ne permet pas cependant d'en négliger la
valeur. 11 est certain que l'émigration commença dès le milieu du xvu° siècle
et aboutit aux résultats que l'on connaît. On remarquera que les hommes poli-
tiques d'alors, instruits des ruines que préparaient les mesures édictées contre
les Réformés, ne clierclièrent cependant pas à en entraver l'action.
t. « Avons permis, disait l'Édit de Nantes, et permettons à ceux de la dite
R. P. 11. vivre et demeurer par toutes les villes et lieux, sans estre enquis,
vexés, molestés, ny adstraints à faire chose pour le fait de la Religion, contre
leur conscience. » Article VI.
3. D'Escorhiac est l'un des premiers qui ait prévu où tendait la politique du
clergé de France. C'est à dater de 16G1, après la paix des Pyrénées, que le con-
seil d'État accorda au clergé les nombreuses demandes qu'il présentait pour
restreindre les libertés des Réformés. La ville de Castres avait été particidière-
ment atteinte par ces dénis de justice, et mieux que personne, le doyen des
conseillers de la cour pouvait le dire.
MÉLANGES. 137
qui ne songent à quitter leur patrie, s'ils peuvent se deffaire de leurs
biens en fonds. J'ay cru, Monsieur, vous devoir dire toutes ces vé-
rités afin que vous les puissiés représenter au Roy, quand vous le
jugerés à propos pour le bien de son service. M''^ les prélats s'au-
torisent trop en cete province. On ne souffre pas en Espagne qu'ils
entreprennent rien sur le temporel, et ici chacun se picque de dis-
poser de toutes les charges politiques dans chasque diocèse, et d'a-
voir à sa dévotion les Magistrats et Officiers du Roy. Dieu veuille que
son estât ne s'en trouve quelque jour incomodé.
Au reste, Monsieur, je vous donne avis que le Syndic et Conseils
de la R. P. R. se sont allés plaindre a M'' de Besons et Peyrema-
len*, conseillers exécuteurs des édits, de la voye de fait comise
dans notre collège dont je vousay cy devant informée Ils ont donné
ordre le 18 de ce mois, portant que les Conseils Catholiques se-
roit assignés au 5' d'Avril à Nismes, et cependant desfenses de
contrevenir aux Arrêts du Conseil contradictoirement rendus que je
vous envoyay. Le Roy leur pourra renvoyer le partage pour y pour-
voir comme ils aviseront, si c'est le bon plaisir de sa Majesté. Nous
désirerions, Monsieur, que vous nous honorassiés de ses commande-
ments ; nous les fairions exécuter agréablement au lieu que le peuple
est abusé, voyant qu'on surprend des Arrêts sur requeste sans que
sa Majesté en aye en cognoissance, qu'on exécute à dessein d'y faire
honeur de la résistance pour jetter dans le crime de bons serviteurs
du Roy, qui n'ont aucune intention d'être désobéissants. Je vous
demande pardon, Monsieur, de la longueur de cette lettre. Je vou-
drais que la diction fut d'un aussi bon françois que l'intention. Je
l'aurai toujours droite pour le service de mon roy et pour le vostre,
je vous supplie très humblement Monsieur d'en estre persuadé, et
que je suis avec respect et soumission^ :
Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur.
ESCORBIAC.
1. M. deBezons, intendant du Languedoc, et M. de Peyrcmales, juge au présidial
de Nîmes, étaient les commissaires mi-partis nommés pour l'exécution de l'Édit
de Nantes en Languedoc.
2. La lettre de M. de Lacger, conseiller de la chambre de l'Édit, donne l'expli-
cation du fait auquel d'Escorbiac fait allusion. Voir page 132.
3. M. de Lacger exprime les mômes sentiments à la fin de la lettre qui vient
138 MÉLANGES.
Dans des circonstances plus sérieuses encore, l'intègre magistral
devait faire entendre des avertissements, dont il ne devait pas être tenu
compte, mais qui restent un témoignage de la fermeté de son courage
et de la netteté de ses vues.
Frank Pu aux.
(A suivre.)
LA REFORME A JERSEY
La Réforme est venue de la France aux îles, et non de l'Angleterre.
C'est une histoire peu connue, même ici, et sur laquelle je me pro-
pose de faire quelques recherches. Le roi Edouard VI, d'Angleterre,
tenta bien d'y introduire, vers 1550, la liturgie anglicane, qu'il avait
fait traduire en français à l'usage des îles de la Manche et de l'E-
glise française de Londres. Mais ni les ordres venus de Londres, ni
l'envoi d'une liturgie ne pouvaient prévaloir contre le fait que le
français était, au xvf siècle, la seule langue parlée dans les
îles, et que c'était de la France et de Genève seulement que pou-
vaient arriver des pasteurs capables d'instruire le peuple dans sa
langue. Dès le 21 août 1548, la cour royale de Jersey votait un acte
qui assurait la subsistance de MaistreLangloysetde Maistre Thomas
Johanne, deux ministres français « venant pour annoncer au peuple
la parole de Dieu purement et sincèrement, selon le texte de l'Evan-
vangile. > Un acte du même jour naturalisait Maistre Martin Lan-
gloys.
On possède une lettre de Calvin de 1559, adressée « au sieur Guil-
laume de Beauvoir, marchand, demeurant à Guernesey, et à ses
compagnons qui font profession de l'Évangile, » accréditant auprès
d'eux le ministre Nicolas Baudoyn. « Pource que nous avons entendu,
écrivait Calvin, que vous désirez d'estre secouru de nostre costé,
«l'être citée : « Il est dur, dit-il, que contre les termes de l'fidit de Nantes, les
ecclésiastiques exécutent contre nous toutes choses, mais si le Roy le veut,
nous n'avons rien à dire et l'obéissance sera une qualité dont nous ferons pro-
fession jusques au dernier soupir de notre vie. »
1. Extrait de VEvangéliste, du 7 décembre 1883.
MÉLANGES. 139
et avoir homme qui fust propre à édifier, nous n'avons voulu faillir
à nostre devoir. Nous vous adressons donc nostre l'rère le présent
porteur, lequel a monstre par effect de quel zèle il estoit mené^ »
Les persécutions des réformés en France, et surtout le massacre
de la Saint-Barthélémy, amenèrent dans les îles un grand nombre
de réfugiés huguenots. J'ai sous les yeux une liste de quarante-deux
ministres français qui s'y réfugièrent à cette époque. Un certain
nombre s'y établirent définitivement, et plusieurs de leurs noms y
existent encore de nos jours. L'un de ces ministres, par exemple,
se nommait Nicolas Le Duc, et nous avons aujourd'hui un William
Le Duc parmi nos prédicateurs laïques.
Ainsi fondées et dirigées par des pasteurs venus de France, les
Églises des îles de la Manche se constituèrent d'après le type presby-
térien; elles eurent une discipline ecclésiastique, des synodes, des
colloques et des consistoires, à la ressemblance des Églises de
France. La reine Elisabeth, mise au courant des conditions spéciales
du protestantisme insulaire, donna son approbation à cette organi-
sation non conformiste. Cette période presbytérienne dura environ
soixante-dix ans à Jersey et un siècle entier à Guernesey; ce fut un
temps de prospérité religieuse pour la contrée. Jacques I", obéissant
à l'influence du haut clergé anglican, résolut de faire entrer les îles
de la Manche dans le giron de l'anglicanisme et nomma à cet eifet
pour Jersey un gouverneur à poigne, sir John Peyton, qui voulut
enlever au colloque la nomination des pasteurs pour se l'attribuer
à lui-même. Il imposa à la paroisse de Saint-Pierre un ministre
épiscopal et réussit à gagner par de belles promesses quelques-uns
des pasteurs, notamment le ministre David Baudinel, auquel il pro-
mit la dignité de doyen dès qu'elle serait rétablie. Une fois les mi-
nistres gagnés, il fut facile d'entraîner le peuple. A Guernesey, la
résistance fut un peu plus longue, mais elle finit par céder, et le
presbytérianisme fit place à l'anglicanisme. Celui-ci demeura cepen-
dant mélangé de quelques éléments presbytériens. Il se donna une
constitution particulière et repoussa certaines formes suspectes de
1. Jules Bonnet, Lettres de Calvin, t. Il, p. 252. C'est par erreur que celte
lettre porte dans ce recueil la suscription " A un seigneur fie Jersey. »
M. Maulvault, dans une lettre parue dans le Bulletin de rilist. du prot. franc.,
1868, p. 254, a rétabli le nom du véritable destinataire.
140 MÉLANGES.
catholicisme, telles que le signe de la croix dans le baptême et le
surplis.
Ces origines huguenotes du protestantisme des îles de la Manche
ne sont pas oubliées ici. S'il se trouve çà et là des ultra-anglicans
pour en rougir, il est d'autres membres de l'Eglise établie qui en
sont fiers, et j'entendais l'autre jour l'un des meilleurs clergymen
de Jersey, le Rév. Le Neveu, de Saint-Martin, déclarer hautement
cette filiation huguenote.
Ces services que la France a rendus aux îles de la Manche, aux
xvi" et XVII* siècles, elles semblent avoir tenu à honneur de les lui
rendre de nos jours en fournissant en grand nombre à la France
des pasteurs fidèles et zélés. C'est le méthodisme, devenu le vé-
ritable héritier du presbytérianisme, qui a eu pour tâche d'ac-
quitter celte dette, et je pense que le nombre de pasteurs fournis
par les îles à la France en ce siècle égale presque le nombre des pas-
teurs français qui ont évangélisé Jersey et Guernesey dans les siècles
précédents.
Il y a là, j'avais raison de le dire, des liens historiques qu'il se-
rait coupable de laisser se relâcher. L'Église méthodiste fait tout ce
qu'elle peut peur qu'il n'en soit pas ainsi. Tandis que bon nombre
d'insulaires sont pasteurs en France, plusieurs Français sont pas-
teurs dans les îles, et ainsi se continuent ces relations fraternelles
qui eurent une si grande importance dans le passé.
M. L.
Personne ne pouvait rappeler ces souvenirs avec plus d'autorité
que l'ancien directeur de VÉvangéliste, M. le pasteur Matthieu Lo-
lièvre, auquel nous devons d'excellentes publications historiciues,
dont une appréciée ici même (Bull., t. XXX, p. 27), et un beau livre
sur John Wesley, qui a mérité les éloges de M. de Rémusat, et dont
je suis heureux de saluer la nouvelle édition gracieusement offerte
à la Bibliothèque du Protestantisme français*.
J. B.
1. John Wesleij, sa vie et son œuvre. 1 volume m-\i, avec portrait et auto-
graphe. Paris, 1883.
BIBLIOGRAPHIE
HISTOIRE DE LA REFORMATION A BORDEAUX
ET DANS LE RESSORT DU PARLEMENT DE GUYENNE
Par Ernest Gaullieur. Tome l"', un volume gr. in-8° de 568 pages.
Le Bulletin a publié (t. XXXI, p. 4) un chapitre de l'ouvrage
alors en cours d'exécution de M. Gaullieur, auquel nous devons déjà
une remiirquiih]e Histoire du Collège de Guyenne (Bull., t. XXIII,
p. 267). Le cadre de l'ouvrage que nous annoncions alors s'est
depuis singulièrement élargi sous la plume de l'auteur, et telle est
la richesse des matériaux accumulés entre ses mains par vingt ans
d'études, que le premier volume qui devait embrasser le xvi' siècle
tout entier et nous conduire jusqu'à l'Edit de Nantes, s'arrête à la
paix d'Amboise, qui clôt en 1563 la première guerre de religion.
C'est dire avec quelle ampleur, quelle science magistrale M. Gaul-
lieur a retracé la période des origines et des premières luttes poli-
tiques et religieuses dans le ressort de l'ancien parlement de Bor-
deaux, et nul ne se plaindra de cette dérogation au plan primitif
qui promet à une province importante un monument historique
digne d'elle. C'est ce qu'a compris le conseil municipal de Bordeaux,
qui a souscrit pour 200 exemplaires à l'ouvrage de M. Gaullieur,
rendant ainsi hommage à l'esprit généreux dont il est empreint.
Je n'essaierai pas d'analyser, dans une simple notice, un volume
qui touche à tant d'événements et embrasse une telle multiplicité
de détails; je ne veux que mettre en lumière quelques points im-
portants. Peu de villes ont donné plus de gages de leur attachement
à la Réforme et plus souffert que Bordeaux pour cette nol)Ie cause.
Si, comme on peut le croire, d'après un texte publié par M. Ilermin-
jard, Farel a été le premier apôtre de la Réforme dans la capitale
de la Guyenne, elle n'a pas dérogé dans la succession des martyrs
qui, de 1530 à 1562, ont scellé de leur sang le culte en esprit. Le
Parlement de Bordeaux rivalise avec celui de Toulouse par l'atrocité
14.2 BIBLIOGRAPHIE.
des répressions, et la faiblesse du président Lagebàton, suspect
d'incliner vers la croyance nouvelle, ne fait qu'ajouter à l'herreur
des supplices. L'esprit de la vieille inquisition toulousaine revit en
des magistrats qui n'ont pas toujours le fanatisme pour excuse. Ici
comme ailleurs la sérénité des victimes consfraste avec l'acharne-
ment des bourreaux. Quelles plus touchantes figures que celles de
Vindocin,d'Aymon de la Voye, d'Arnaud Monnier et de JeanDecaze !
Quel apôtre que Philibert Hamelin ! C'est dans l'ouvrage de
M. Gaullieur qu'il faut suivre, de ville en ville, le martyrologe qui
montre combien étaient profondes les racines de la Réforme dans
les contrées qu'arrosent la Gironde, la Dordogne et la Charente,
et que de pieux souvenirs elle peut évoquer dans ses moindres
bourgades.
A la période des martyrs succède celle des guerres de religion,
qui commencèrent en Guyenne plus tôt qu'ailleurs, provoquées par
d'affreux massacres bien antérieurs à celui de Vassy. L'assassinat
du baron de Fumel fut la réponse aux violences du parti catho-
lique qui allait trouver un digne agent dans le féroce Montluc. C'est
au moment où l'Édit de janvier proclame la liberté religieuse, et
où de nombreux ministres accourus de Genève en invoquent les
clauses protectrices, que le Parlement de Bordeaux redoublant de
rigueur, achève de porter l'exaspération dans les esprits. Grande
avait été la joie des protestants de Guyenne à la nouvelle de l'Édit
de tolérance qu'avait dû enregistrer le parlement persécuteur :
« Un service d'actions de grâces fut organisé dans toutes les Églises.
A Bordeaux, la veille de la publication de l'Édit (6 février) les pas-
teurs La Fromentée et Neuchâtel convoquèrent publiquement les
fidèles, qui, pour la plupart, se rendirent à leur appel. Le culte et la
[u-édication eurent lieu dans la campagne, hors de la porte Sainte-
Croix. La chaire avait été dressée dans une vaste grange ouverte, où
se pressaient quelques centaines d'auditeurs, des femmes pour la
plupart. Quand celles-ci, sur l'invitation du ministre, entonnèrent le
cantique de délivrance, des milliers de voix venues du dehors se
joignirent à elles pour prier Dieu. Ces malheureux si longtemps
persécutés, se prenaient à espérer des temps meilleurs, alors qu'au
contraire allait s'ouvrir la période affreuse des guerres civiles, alors
que leurs jeunes et courageux pasteurs, voués au plus affreux mar-
tyre, n'avaient plus que quelques mois à vivre. »
BIBLIOGRAPHIE. 143
Les lecteurs du beau livre de M. GauUieur sauront l'aire la part
des responsabilités, et reconnaîtront combien était juste l'hommage
rendu aux protestants de Bordeaux par une voix peu suspecte, celle
du gouverneur M. de Burie, écrivant au président du Parlement :
« Ceux de l'Église réformée de Bordeaux ont envoyé devers moy
pour me remonstrer la façon de laquelle la cour de Parlement a
usé en leur endroit, en leur interdisant la sépulture de leurs morts
ez temples ou cimetières, tant dans la ville que hors icelle, au moyen
de quoy les corps sont encore ez maisons embaumés, chose digne
de considération, et qui pourrait bien esbranler la patience des
bons, s'ils îi' estaient pourvus d'une grande patience et prudence,
laquelle fay toujours cogneue en eulx. »
Cet éloge si mérité rend plus horribles les représailles qui sui-
virent la malheureuse tentative de Pardaillan pour s'emparer du
Château-Trompette (26 juin 1562). Jean Duranson, dit Neufchàtel,
fut le premier des vingt-neuf ministres protestants, qui, dans l'es-
pace de quelques mois, allaient être mis à mort sur divers points de
la Guyenne. De très nombreuses exécutions eurent lieu à Bordeaux,
et près de cent personnes furent condamnées par coutumace au plus
cruel supplice. Le parlement ne croyait pas pouvoir donner trop de
gages de son dévouement à la cause catholique. Ainsi s'ouvrit la
sombre période des guerres de religion qui devaient remplir la fin
du siècle. Le danger pour l'historien est ici de donner trop de place
à l'histoire politique et militaire au détriment des faits religieux qui
intéressent l'histoire de l'Église. M. E. GauUieur saura éviter cet
écueil, et combiner dans une juste mesure les divers éléments dont
se compose le grand sujet qui ne pouvait échoir à de plus dignes
mains. J. B.
LE MASSACRE DE VASSY
RECTIFICATION
On lit dans la Renaissance du 21 février 1884 :
« M. le pasteur Gourjon a publié, il y a une quarantaine d'années,
une brocqure très intéressante sur le massacre de Vassy, accom-
pagnée d'une ancienne gravure représentant cette boucherie. Cette
brochure est extraite d'un manuscrit. Cest toute une histoire que
V histoire de ce manuscrit écrit par un religieux de Vassy, té-
moin oculaire du massacre. Ce manuscrit doit se trouver entre
144 NÉCROLOGIE.
les mains de l'un des descendants des héritiers de ce religieux*. »
On s'étonne de rencontrer de telles assertions dans un journal
d'ordinaire aussi bien informé que la Renaissance, et sur un évé-
nement aussi connu que le massacre de Vassy. La relation publiée
en 1844 par M. le pasteur Gourjon, avec des notes qui avaient un
réel mérite de nouveauté, n'est que la reproduction abrégée du récit
de Crespin, dont copie a pu être conservée dans un couvent de V^assy,
et tout le reste n'est que pur roman (Bull., t. XXXI. p. 57 et
58 en noies).
Il n'existe de relation catholique contemporaine du massacre que
celle si mensongère du duc de Guise, qui a été amplement réfutée
dans le Bulletin (t. XXIY, p. 212 et suivantes), et qui fournit par
ses contradictions, ses choquantes invraisemblances, une des meil-
leures preuves de la préméditation. J. B.
NÉCROLOGIE
MADAME LABOUCHÈRE
Nous avons le regret d'aunoncer la mort de madame Pierre Labou-
chère, veuve du peintre distingué auquel nous devons d'intéressantes
scènes de la Réforme, et mère de cet Alfred Labouchère, si prématuré-
ment ravi à notre Comité d'histoire. Ce nouveau deui! ravive les deux
autres, et nous fait plus vivement sentir ce que nous avions perdu, avant
la personne vénérée qui portait le plus vif intérêt ù nos travaux, et qui
s'est éteinte, le 12 février IHHï, à l'âge de soixante-dix ans.
C'est aussi une perte sensible pour notre Société que la mort de
M. Peyrot-Tinel, libraire à Nîmes, dont la rare intégrité, la complai-
sance à toute épreuve, avaient fait pour nous, depuis bien des années,
un précieux correspondant. Sorti des vallées vaudoises du Piémont et
d'une famille qui a marqué dans leur histoire, il n'a pas démenti cette
belle orisfine. J. B.
JV. B. La Société de l'Histoire du Protestantisme français tiendra sa
trente-unième séance annuelle, le jeudi, 24 avril, à 8 heures du soir, au
temple de l'Oratoire Saint-Honoré, avec le concours de la Société cho-
rale. Les morceaux lus et les discours prononcés en séance, paraîtront
dans le Bulletin du t5 mai suivant.
Le Concours ouvert en 1882 sur la vie de Lefèvre d'Étaples et Ip.s
origines de la Réforme française, est prorogé jusqu'au 15 février 1885.
1. Ces lignes sont reproduites dans le Journal du Pr-otestantisme français
du 7 mars.
Le Gérant : Fischdacher.
BouRLOTON, Imprimeries réunies, B.
4»
SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE
DU
PROTESTANTISME FRANÇAIS
ÉTUDES HISTORIQUES
L'ÉGLISE RÉFORMÉE DE LA CALMETTE
PAGES d'histoire LOCALE *
II
Le règne d'Henri IV inaugure une ère nouvelle, malheureu-
sement trop courte (1593-1610) et montre combien la France
est prompte à guérir de ses maux sous un régime réparateur.
Rien de plus triste que l'aspect du pays au sortir des guerres
de religion qui ont accumulé tant de ruines. C'est dans un
ouvrage publié en pleine Ligue (1581) qu'il faut suivre, de
diocèse en diocèse, le lugubre dénombrement des villages brû-
lés, des maisons détruites, des massacres accomplis sur des
personnes de tout Age, de tout sexe et de tout rang 2. Rien de
1. Voir le dernier cahier du Bulletin, p. 97.
2. Nicolas Froumenteau, Le secret des finances de la France descouvert et
réparti en trois livres. Petit in-8°. Paris, 1581. Sur ce livre et son auteui-, voir
l'arlicle de la France Protestante .
xxxiii. — 10
146 l'église réformée de la calmette.
plus misérable que l'état des populations du Languedoc. Poul-
ie seul diocèse de Nîmes on ne compte pas moins de 1 300 mai-
sons brûlées, de 11 782 victimes des discordes civiles. Le
journal du protestant Gharbonneau de Béziers, écrit vers la
même époque, ne présente pas un tableau moins sombre : « A
cause, dit-il, de la grande mangerie de la guerre, le peuple
estoit en extrême pauvreté, spécialement aux montagnes dont
il descendit tant de pauvres que c'estoit chose fort pitoiable à
voir. Davantage il survint de très grandes maladies dont mou-
rurent beaucoup de gens de toute qualité, spécialement des
pauvres \ »
Deux grandes stipulations marquent la fin du siècle et an-
noncent des jours meilleurs : l'une, signée àVervins (2 mai
1598) assure la paix avec l'Espagne et l'intégrité de nos fron-
tières; l'autre, conclue à Nantes (13 avril de la même année),
ramène la paix intérieure en proclamant un droit nouveau,
la liberté de conscience, garantie par un pacte solennel qui
doit faire sentir ses effets jusque dans le plus obscur hameau
du royaume. Le monarque a trouvé un ministre habile pour
panser les plaies de la patrie et s'associer à son œuvre répa-
ratrice. Le nom de Sully demeure uni dans la reconnaissance
populaire à celui du Béarnais, et ce n'est que justice. De sages
mesures appliquées avec suite ramènent l'ordre dans les
finances et la confiance dans les esprits. Le commerce et l'in-
dustrie reçoivent de précieux encouragements. L'agriculture
est surtout l'objet des prédilections du ministre : « Le labou-
rage et le pâturage, écrit-il, sont les deux mamelles qui nour-
rissent la France, les vraies mines et trésors du Pérou. »
Maxime inverse de celle qui, appliquée alors à l'Espagne, a fait
de ce pays un vaste désert; car un peuple ne vit pas de métaux
1. Journal de Louis Churbonneau, chronique Diterroise- Languedocienne con-
cernant l'histoire de la Ligue dans le midi de la France, publié par A. Ger-
main. Broch. in-i». Montpellier 1874. (p. 69). A rapprocher de Mcnard, t. V,
p. U8 et passim. La peste exerça plusieurs ibis ses ravages autour de Nîmes.
La Calmette fut particulièrement éprouvée.
l'église réformée de la calmette. 147
précieux, mais de travail et d'économies sagement accumulées,
et il peut mourir d'inanition sur des monceaux d'or demeurés
improductifs entre ses mains. La postérité a droit de se mon-
trer sévère pour Philippe II et ses ministres, aussi impré-
voyants que cupides, tandis qu'il sera beaucoup pardonné au
prince qui voulut, selon un mot touchant, « que chaque paysan
pût mettre la poule au pot le dimanche. »
A l'initiative heureuse du monarque secondé par un mi-
nistre digne de lui, correspond l'élan des provinces rivalisant
d'ardeur dans la voie du progrès. Les provinces du Midi
voient s'ouvrir une source nouvelle de prospérité dans la cul-
ture du mûrier devenue générale. Un illustre agronome,
Olivier de Serres, sieur de Pradel, répondant aux vœux de
Henri IV, publie, en 1599, un chapitre de son Mesnage des
champs, intitulé : La cueillette de la soie imr la nourriture
des vers qui la font; et ouvre sur son domaine une ferme
modèle qui devient l'école du pays. Déjà, plus de trente ans
auparavant, un simple jardinier de Nîmes, François Traucat,
avait doté son pays natal de l'arbre précieux qui allait deve-
nir une de ses principales richesses*. Plus de quatre millions
de mûriers plantés par ses soins « es provinces de Languedoc
et Provence » avaient popularisé son nom sur les deux rives
du Rhône. Olivier de Serres a reconnu, avec la candeur du
génie, ce qu'il devait à son humble précurseur, et sa gloire
n'est point diminuée par cet aveu K N'est-ce pas lui qui,
recueillant les leçons de l'expérience dans une longue pra-
tique, traça d'une main ferme les préceptes de l'économie
rurale, et mérita d'être appelé le « Columelle de la France »?
Par son admirable ouvrage, il fit aimer les champs dont il
1. Notice historique sur François Traucat, jardinier de Nimes au xvi° siècle,
par M. Vincens Saint-Laurent. Brocli. in-8". Paris 1818. Traucat était protestant,
comme le prouve son contrat de mariage avec Estiennèle Guillon, signé par le
ministre Canipagnan (4 mars 1571). Communication de M. Cli. Saj,'nier.
2. Théâtre d'agriculture. Édition de 1804, t. II. Épitrc dédicaloire du la
Cueillette de lu soie.
'U8 l'église réformée de la calmette.
décupla les richesses par une intelligente culturel Ce n'est
pas un médiocre honneur pour le protestantisme français
d'avoir produit, à deux siècles de distance, Olivier de Serres
et le comte Adrien de Gasparin, ces deux pères de l'agricul-
ture, dont ils ont su donner à la fois le précepte et l'exemple,
sans se dérober à aucun des grands devoirs de leur temps.
Avant la fin du xvi' siècle, on put observer les signes de la
prospérité renaissante dans le Languedoc. L'étudiant bâlois,
Thomas Platter, frère de Félix, qui visita le pont du Gard en
1596, et qui nous a laissé le curieux récit de son excursion,
se plaît à décrire les belles plantations de mûriers qui entou-
rent le château de Saint-Privat ^ L'exemple de la famille Faret
est suivi dans le pays d'Uzès, et les deux rives du Gardon,
enrichies de l'arbre précieux qui doit alimenter la plus belle
des industries, prennent l'aspect d'ui riant jardin qu'elles
ont plus ou moins conservé à travers les vicissitudes des âges
suivants. Que de générations écoulées dans la culture de
l'arbre qui n'a jamais trompé leur pieux labeur ! J'ai salué
moi-même dans mon enfance les derniers survivants de ces
troncs vénérables encore parés d'un reste de verdure, et qu'on
appelait les mûriers de Sully ^ !
La prospérité du foyer ne se sépare pas de celle de l'Église
dans l'organisation aussi souple que forle que lui donna le
génie de Calvin et que représentent hiérarchiquement le con-
sistoire, le colloque, le synode provincial et le synode général
auquel tout vient aboutir'*. Durant la première moitié du
1. Qui en a mieux parlé que lui dans ses descriptions à rapprocher des beaux
vers du poème de Dubartas, composé à la même époque? Voir les extraits qu'en
a donnés un bon juge, M. Eug. Réaunie, dans ses morceaux choisis des prosa
teurs et poètes français du xvi" siècle. In-li, Paris, 1876.
2. Visito de Thomas Flattera Nîmes et au Pont du Gard (février 15%) précédée
d'une lettre de M. Jules Bonnet à M. Mcynard Auquier {Mémoires de l'Académie
du Gard, année 187'J).
3. Dans bien des localités de l'ancienne France on montre encore des ciiéncs
de Sully. Albert Rabeau, le Village sous l'ancien régime, p. 41, note 3.
4. Elle reparaît aujourd'hui dans les synodes officieux qui réuniront bientôt,
on aime à l'espérer, tous les membres de la famille protestante.
l'église réformée de la calmette. 149
xvii' siècle, La Calmette et Saint-Geniès ne forment, sous le
ministère de Rally, qu'une Église embrassant Dions et La Rou-
vière, et se rattachant au colloque d'Uzès dont on aperçoit les
tours seigneuriales se profilant à l'horizon du côté du levant*.
C'est alors que paraît la famille xVrdouin, d'origine cévenole,
qui doit jouer un rôle important dans le pays. Jean Ardouin,
seigneur de Lasalle, épouse, en 1538, Anne Airac de La Cal-
mette, dont il a Antoine Ardouin, seigneur de Lasalle et de La
Calmette, lequel eut à son tour deux fils : Raymond Ardouin,
seigneur de La Calmette, et Antoine, auquel échut la seigneurie
de Lasalle"-. Ce Raymond joue un rôle dans les troubles du
pays et occupe un moment le fort de Sainte-Anastasie, disputé
par tous les partis ^ Henri Ardouin, son fils, protestant zélé,
remplit les fonctions de premier consul à Nîmes en 1610, et
est chargé d'une mission auprès du duc de Ventadour pour la
remise du même fort de Sainte-Anastasie. Il prend part, comme
député de sa province, à l'assemblée de Saumur réunie l'année
suivante (septembre 161 1 *). Le moment est solennel. Henri IV
n'est plus, et les réformés se sentent atteints du même coup
qui leur a enlevé « leur bon maître ». Duplessy-Mornay s'est
rendu l'organe de leur juste douleur en prononçant ces belles
paroles : « Notre roi, le plus grand roi que la chrétienté ait
porté depuis cinq cents ans, qui avait survécu à tant de périls,
de sièges, de batailles, d'assassinats même attentés en sa
personne, est tombé sous le coup d'un misérable qui a noirci
en un moment tout cet état de deuil et noyé tous les bons
Français de larmes ^ »
Avec Henri Ardouin siège à l'assemblée de Saumur, comme
1. Dans la perspective à gauche du mont Venteux dont la masse imposante
domine au loin toute la contrée.
2. Communication de M. G. Charvet dont on connaît les savantes études généa-
logiques sur les ducs d'Uzès.
3. C'est encore à M. Cliarvet que je dois la communication du document où
figure Raymon Ardouin. Voir à l'appendice.
4. Ménard, Histoire de Nimes, t. V, p. 293 et 294 ; et Merle, p. 28.
5. Fragment cité par Anqucz : Histoire den assemblées politiques des réformés
150 L'Ér.LlSE RÉFORMÉE DE LA CALMETTE.
députe de Nîmes, le trop célèbre Jérémie Ferrier, déjà vendu
secrètement à la cour, et dont le nom excite de justes défiances
au sein du parti réformée La fidélité du laïque contraste avec
la versatilité du ministre sur lequel va bientôt retentir le ter-
rible anathème du synode de Privas. Devant les périls qui les
menacent, sous une régente italienne, avec une politique
espagnole, les protestants sentent le besoin de serrer leurs
rangs et de se donner un chef pour le maintien de leurs justes
droits. Ce chef est Rohan, qui prononce à Saumur ces grandes
paroles bien dignes de servir de programme au parti hugue-
not : « Nous sommes arrivés à un carrefour où plusieurs che-
mins se rencontrent; mais il n'y en a qu'un où se trouve notre
sûreté. La vie cV Henri le Grand le maintenait; il faut que ce
soit à cette heure notre vertu... Soyons religieux à ne deman-
der que les choses nécessaires; soyons fermes à les obtenir,
et asseurons-nous que celuy qui a fait naistrc de la cendre de
martyrs tant d'esJus en France pour le glorifier, les conser-
vera et augmentera toujours -. »
On n'a pas à retracer ici les luttes qui devaient si tôt suc-
cédera l'ère d'apaisement marquée par Henri IV. « En dépit de
lapaixdeLoudun(16i6), un œil clairvoyant pouvait discerner
à l'horizon plus d'un signe précurseur des troubles politiques
et religieux qui allaient de nouveau désoler la France. Les
réformés avaient pris à l'assemblée de Saumur de sages réso-
lutions dictées par les circonstances et confirmées au synode
de Privas. Mais à combien de périls leur fidélité n'était-elle
pas exposée dans la crise d'une régence qui affichait une poli-
tique toute espagnole? Lorsque les États généraux de 16i4
rappelaient au jeune roi le serment d'exterminer l'hérésie, et
que le célèl)re Duperron affectait de ne voir dans l'Édit de
de France, p. 22G-227. Voir la belle lettre d'un autre illustre huguenot, Bongars,
sur le même sujet (Bull. t. lU, p. 341).
1. IJorrel, Histoire de l'Eglise réformée de Nîmes, p. 155, et Ferrier, article do
la France Protestante.
2. Mémoires du duc de Rohan, édition de 1675, p. 109-110.
l'égli5e réformée de la calmette. 151
Nantes qu'un sursis accordé à des sujets rebelles; lorsque la
cour, ne respirant que menaces, s'acheminait au-devant d'une
petite-fdle de Philippe II qui venait s'asseoir sur le trône de
Henri IV, les réformés n'étaient-ils pas fondés à concevoir
quelques craintes, et condamnés par leur situation au rôle
de factieux pour soutenir leurs droits légitimes? L'édit de
Nantes fut moins, en effet, un acte de philosophie religieuse,
un hommage rendu à un principe sacré, qu'un décret inspiré
par les circonstances et tenant trop compte peut-être de
nécessités que le temps avaient créées et que seul il pouvait
abolir. En obtenant la liberté de conscience et de culte, des
chambres mi-parties, des places de sûreté et la faculté de se
réunir pour leurs intérêts généraux, les huguenots formaient
comme un État dans l'État. Ils ne pouvaient rentrer dans le
droit, commun que par l'effet d'une longue tolérance qui eût
rendu les garanties superflues, ou sous la pression d'une
main impérieuse qui, les dépouillant de leurs privilèges poli-
tiques, les livrerait sans défense à l'excès de l'omnipotence
catholique. De ces deux éventuahtés, la seconde prévalut
avec Richelieu et Louis XIV, et la chute de La Rochelle, ce
dernier boulevard de la liberté religieuse, fut le prélude cer-
tain de la Révocation '. »
Une grande figure politique et militaire, celle de Rohan,
plane sur cette époque d'ardentes luttes, dont le premier
foyer fut le Béarn, soumis au régime des dragonnades, et dont
la flamme se répandit bientôt à Montauban, Castres, Montpel-
lier, Nîmes, La Rochelle, Alais, et projeta son dernier et
sombre éclat sous les murs de Privas emporté d'assaut par
Louis XIII. La Calmette eut plusieurs de ses fds enrôlés sous
le drapeau de Rohan. Une mention d'honneur est due à deux
capitaines huguenots, Iluguet et Sigalon, qui se firent remar-
quer par leur vaillance dans Réalmont assiégé par le prince
1. Derniers récits du xvi» siècle, par Jules Bonnet; étude sur Anne de Rohan;
p. 290-291.
152 l'ÉGLISK IIÉFÛIIMÉE DE LA CALMETTE.
de Gondé, infidèle à la cause de ses aïeux. La trahison abrégea
la résistance et amena une capitulation qui consterna ces deux
nobles cœurs. Retrancliés dans un bastion, « avec quelques
bons habitants, ils eurent, ditRohan, la résolution de tesmon-
gner qu'ils mourroient plus tost que de quitter leurs armes.
Ainsi elles leur demeurèrent afin qu'ils remportassent autant
d'honneur de leur courage comme les autres d'infamie de leur
lascheté '. »
Il faut ici admirer la prodigieuse activité de Rohan, pré-
sent partout de sa personne ou de ses conseils dans les villes
insurgées, et n'abandonnant rien ta la fortune de ce qu'il peut
lui ravir par la promptitude de ses coups. Il ne peut sauver
la garnison protestante de Gallargues du triste sort qui l'at-
tend; mais il fait d'Aimargues la citadelle avancée de Nîmes,
un camp retranché qui défie les assauts de Montmorency. Il
« nettoie les bicoques autour de Nîmes et d'Uzès ». La prise
de Vézenobres, entre Alais et La Calmette, est un de ses der-
niers e:tploils. Pendant que deux de ses lieutenants, Aubais
et Saint-Étienne se dirigent, l'un sur Castres, l'autre vers le
comté de Foix, lui, avec le reste de sa troupe, va attaquer Vé-
zenobres « pour divertir le duc de Montmorency du Vivarais.
11 le surprend par une grande traite qu'il fait, si desgarni
d'hommes, qu'ayant prins la ville par pétard et la nuit sui-
vante ayant mis son canon en batterie, dès le lendemain il
bat le chasteau et le prend d'assaut, donnant la vie à ceux
qui s'estoient retirés dans quelques tours ". »
Les prodiges de Rohan déployant sur un théâtre restreint
les ressources d'un grand homme de guei-re, courant de Nîmes
à Alais, Anduze, et songeant à faire des Gévennes le dernier
boulevard de la liberté religieuse, ne purent que retarder de
quelques mois le triomphe de Louis Xlll, déjà vainqueur de La
Rochelle. G'est dans la correspondance du cardinal de Riche-
1. Mémoires de Rohan, t. I, p. 258. L'année suivante (16-28) lluguet commande
le fort de Générac.
2. Mémoires, t. I, p. 274.
l'église réformée de la calmette. 153
lieu (avril-juillet 1629) qu'il faut suivre les progrès des armées
royales et la prompte décomposition du parti protestant
miné par l'intrigue et la trahison. Privas vient de succomber
après une résistance héroïque (oO mai). Alais succombe à son
tour; Nîmes n'essaie pas môme de résister. On peut prévoir
la paix prochaine : « M. de Rohan est maintenant extrêmement
estonné; mais dans peu de temps il le sera bien davantage...
Il m'envoia hier un conseiller de la chambre de Castres pour
me prier de favoriser la paix; mais il ne chante pas encore
comme il faut. Avec le temps il viendra au point auquel on le
peut désirer. Le reste de l'esté fera voir beaucoup de choses
qu'on ne scauroit penser ' ».
La lettre du cardinal à M. deRancé, du 7 juillet suivant, an-
nonce le triomphe définitif : « La paix aura surpris les esprits
malins; à la vérité elle est miraculeuse, car elle coupe les ra-
cines du mal pour le présent et pour l'avenir. Anduze, Sauve,
Le Vigan, Ganges, Uzès, Aimargues et Nîmes ont déjà obéy et
chaque place a donné ses otages pour seureté. Il ne restera
plus que le Haut-Languedoc qui suivra bientost, Dieu ai-
dant- ». De la Calmette on put voir la marche triomphale du
roi de Lédignan à Saint-Chaptes, de Saint-Chaptes à Uzès, au
château de Saint-Privat, à Nîmes. Les guerres de religion
étaient terminées; la liberté religieuse semblait garantie. Elle
subsistait encore ; mais pour combien de temps ?
Quelle était, à l'époque dont on vient d'esquisser l'histoire,
la situation de La Calmette, au point de vue religieux? La po-
pulation était partagée par portions inégales, entre deux
cultes : les catholiques, au nombre de 400, possédaient une
église assez vaste, avec un cimetière à l'entour; les réformés
(240 environ) n'avaient pas de temple ^ Ils se réunissaient
1. Correspondance de Richelieu, dans le recueil des Documents inédits t. III,
p. 350; lettre à la Reinedu 17 juin 1629.
2. Ibidem, p. 369.
3. J'emprunte ces chiffres à un document olTicicl contemporain de la Révocation
et sur lequel j'aurai l'occasion de revenir. Dions comptait alors 300 protestants
et la Rouvière 100. C'est à peu près le nombre actuel.
154 l'église réformée de la calmette.
pour prier dans la demeure du sieur d'Ardouin, ayant droit
d'exercice, et plus souvent hors du village, dans ces assemblées
populaires qui attiraient autour d'une chaire dressée à la hâte
et d'un pasteur aimé les protestants fort nombreux des
hameaux voisins. Ce fut seulement en 1650 que l'Église,
ayant alors pour ministre M. Faucher (ou Fauchié)^, résolut
l'achat d'une maison qui serait consacrée aux réunions de
culte. Ses vues se portèrent d'abord sur un immeuble « fort
commode pour servir de temple », n'était que le propriétaire,
Venture Dumas, prétendait s'y réserver une pièce, ou crolton,
sorte de cave. La question fut soumise au consistoire de
Nîmes qui en délibéra gravement et vit un péril dans le voisi-
nage d'un « papiste s -. Faucher dut chercher ailleurs, et
comme il ne trouva rien à sa convenance, on décida l'acqui-
sition d'un terrain et la construction d'un temple pour lequel
la Compagnie de Nîmes accorda cent livres. Ce modeste édi-
iice, élevé du côté du couchant, à une distance raisonnable
de l'église catholique, eut une existence éphémère, et n'a
laissé qu'un vague souvenir dans l'étroite ruelle qu'on appelle
encore rue du Temple\ Dix ans à peine écoulés, un de ces
souffles précurseurs de la Révocation qui marquèrent l'avè-
nement personnel de Louis XIV, abattit l'humble sanctuaire
dont la pièce suivante atteste la courte destinée :
La Calmette. Juin 1662.
Ordonnance portant deffense aux habitans de la R. P. R. du dit lieu
d'y faire l'exercice de leur Religion.
Entvo. lo sindic du cliM'gé du diocèse d'Uzôs denuuidour à ce que inhi-
hilioiis et deffenscs soient faictes aux hal)itaiis (lu' la Calmette d'y faire à
1. Qu'il ne faut confondre ni avec le ministre Jean Faucher de Nîmes (1617-
1628), ni avec un autre d'Uzès.
2. Registre du Consistoire de Nîmes. Séance du 10 aoiîtlBSO. Extrait important
communi(iué par M. Cli. Sagnier, et réserve à l'appendice. C'est un avocat du
nom de Recolin qui est le député des protestants de La Calmette à Nîmes.
3. La dernière à gauche de la rue principale qui n'est que la route d'Alads con-
pant le village en deux parties presque égales.
l'église réformée de la calmette. 165
l'ad venir aucun exercice de leur Religion et que à cet effet le temple
construit au dit lieu soit desmoly, d'une part, et les habitans de la
Religion prétendue refformée du dit lieu de la Calmette défendeurs, d'au-
tre part. Veu l'exploit donné aux tins susdites au sieur deffendeur le 14
avril dernier, ordonnance du commandement de produire du troisiesme
de may ensuivant signifiée au dit deffendeur, forclusion obtenue par le
dit demandeur le sixiesnie du mois de may, faute par le dit demandeur
d'avoir produit en la dite instance, demande du dit sindic signifiée le
premier du susdit mois de may et certificat du greffier de la commission
de ce jourd'hui. Comme il n'a esté aucune cbose produite en sa main de
la part des habitants de la R. P. R. du dit lieu en la présente instance,
tout considéré. Nous faisant droict sur les conclusions bien acquises à
rencontre des dits habitants de la R.P. R. de la Calmette et pour le profit
annoncé, faisons expresses défenses de fere aucun exercice de la dite reli-
gion au dit lieu à peine de désobéissance, auquel etfect ordonnons que le
temple sera fermé, et auparavant férc droict sur la desmoUtion de-
mandée du dit temple, ordonnons que dans huitaine pour tout dellay du
jour de la signification de nostre présente ordonnance au procureur des
dits défendeurs, ils se produiront si bon leur semble, autrement à faute
de se présenter dans le temps et dellay passé sera faict droit sur la des-
moUtion requise, ainsi qu'il appartiendra sans autre forclusion ou inthi-
mation quelconque, mandons au premier huissier archer ou sergent fère
tous exploits, significations, deffenses et autres actes requis et néces-
saires. Fait à Nismes, vingtiesme jour de juin 1662 :
BiONNE. Par mon dit seigneur, Tournier.
Rien de plus difficile pour une paroisse que la constatation
du droit et la production des titres sur lequel reposait le libre
exercice de la religion réformée. Quand on lit attentivement
l'Édit de Nantes, on est plus frappé des restrictions apportées
à la liberté du culte que des garanties propres à en assurer
le maintien. Comme l'a remarqué M. de Félice, « cette grande
charte de la Réforme française accordait simplement ce qui
suit : Pleine liberté de conscience dans le for intérieur; exer-
cice public de la religion dans les lieux oii il était établi en
1597, et dans les faubourgs des villes; permission aux .sei-
gneurs haut justicici^s de faire célébrer les offices dans leurs
châteaux, et aux gentilshommes de second rang de recevoir
trente personnes à leur culte privé », Mais il n'était pas un de
156 l'église réformée de la calmette.
ces articles, sauf le premier, qui ne donnât lieu à de conti-
nuelles contestations où l'autorité civile se montrait rarement
impartiale. La construction dus temples était soumise à tant
de formalités, entourée de tant de mesures restrictives dans
les campagnes, que le droit était presque illusoire. On le vit
bien aux nombreux arrêts de démolition prononcés en 1665,
et qui jonchèrent de ruines la Saintongc et le Poitou*. Le Lan-
guedoc ne pouvait échapper à ces mesures intolérantes qui
présageaient déjà les plus mauvais jours de la Révocation. Le
temple de La Calmette fut un des premiers atteints, et la mino-
rité religieuse qui s'y réunissait pour prier, pour appeler la
bénédiction de Dieu sur les grands actes de la vie civile, ne
put trouver qu'un abri passager sous le toit de la noble
famille qui représentait encore un droit tulélaire aux yeux des
populations.
Le temple de La Rouvière n'eut pas meilleur sort que celui
de La Calmette. Construit sans doute à une date antérieure,
sous les auspices du seigneur du lieu, qui, comme on l'a vu,
professait la Réfoi'me, il dut s'élever, non loin du cliateau, sur
la terrasse qui domine une plaine charmante, arrosée par une
rivière prenant son cours dans les garrigues voisines, et cou-
lant nonchalamment à travers les prés et les écluses des mou-
lins, avant de se perdre au-dessous de Dions, ou de porter le
tribut de ses eaux singulièrement amoindries au Gardon qui
descend vers les gorges de Ste Anastasie. Les raisons invoquées
contre le temple de La Calmette, ou plutôt les chicanes juri-
diques dont il fut l'objet, se renouvelèrent à peu près dans les
mômes termes h La Rouvière, et la population protestante
des deux hameaux vit tomber à la môme épo(pie, presque du
même coup, les deux édifices consacrés à la prière, dont le
premier atteint par le souffle de l'intolérance, n'avait pas
i. Lièvre, Histoire des Vroteslanls du Poitou, t. II, p. 71 et suivantes. Les
syndics du clergé se bornent ù invoquer partout le môinc argument, l'absence
de titres attestant un exercice non interrompu penilant les années 159G et 1597.
l'église réformée de la calmette. 157
même abrité, dans sa courte existence, une génération de
croyants*.
Au souvenir des temples sitôt abattus dans cette région du
Gard, se lie celui des pasteurs qui remplirent les fonctions
du ministère en ces temps difficiles. On a déjà nommé Fau-
cher, originaire sans doute d'Alais, et que l'on se représente
volontiers comme un homme prudent, avisé, dans une bour-
gade animée de l'esprit le plus intolérant, dont la majorité
ne voyait pas de bon œil l'exercice d'un culte nouveau et
n'attendait qu'une occasion pour le témoigner. Faucher ne
passa du reste que peu d'années, trois au plus (1650-1652),
à La Calmette. Il eut pour successeur Capieu ou Capion, ori-
ginaire d'Uzès, mentionné en 1666, dans le Journal de la fa-
mille Ardouin sous ce titre : a Aumônier de nostre maison. »
Il devint plus tard pasteur de Saint-Dézéry (1678-1681). Il fut
remplacé à La Calmette par Pierre Thubert, auparavant pas-
teur de Lédignan et de Tornac, auquel succéda, en 167i2, Rol-
land Rey, peut-être de la famille qui devait donner au protes-
tantisme nhiiois un de ses plus touchants martyrs. Après lui
vint Claude Justamond, qui eut pour successeurs Clarion, Du-
val, Jacques Maistre... Nous touchons, avec ce dernier, aune
date néfaste : 1685 !
Durant la période qui suivit la démolition des deux temples,
l'Église de La Calmette ne fut pas exempte de troubles inté-
rieurs, si l'on en juge par ces lignes des registres du Consis-
toire du 20 avril 1670 : « Sur la proposition faite par M. Car-
cenat, ministre, la compagnie a député M. Lombard, ministre,
pour aller prescher dimanche prochain à La Calmette, et
M. Fonfroide, diacre, pour accompagner le dit sieur Lombard
et tascher de mettre en paix celte Église-. » De quelle nature
étaient les troubles ainsi mentionnés, et correspondant au
1. La Rouvière, juin 1C6-2. Ordonnance porlant dcllcnscs aux lialiilans de La
P.. P. R. dudit lieu d'y faire l'exercice de leur religion, etc. {Arck. nal., série TT,
261). Voir celte pièce à l'appendice.
2. Communication de M. Ciiarlcs Sagnier.
158 l'église réformée de la calmette.
ministère de Pierre Thubert, aumônier de la famille Ardoiiin ?
Quelle en fut la durée ? On l'ignore. Mais ils étaient apaisés
quand se réunit à Nîmes (22 octobre 1G78) le colloque d'Uzès
qui fournit la liste des pasteurs en exercice à cette date; on y
lit ces mots : « Le sieur Justamond, ministre du seigneur de La
Calmette ». Ce colloque, présidé par M. Thomas, ministre de
Montaren, et ayant pour secrétaire M. Rcy, ministre de Fons,
régla divers points en litige et fut sans doute le dernier acte
de la vie ecclésiastique dans cette circonscription de l'ancien
synode du Bas-Languedoc ^
Il faut rappeler cependant la courageuse supplique du
synode d'Uzès del680, qui allaexpirer sans écho àVersailles^
Pendant que de paisibles populations vouées aux travaux
des champs, ou aux soins du commerce et de l'industrie, ne
demandaient qu'à servir fidèlement Dieu et le roi, selon le pré-
cepte apostolique, le clergé, poursuivant son œuvre néfaste,
ne cessait de réclamer dans ses assemblées générales l'aboli-
tion de l'Édit donné par Henri IV, juré par ses successeurs,
et sur lequel reposait la prospérité du pays. Le ton de ces
remontrances épiscopales varie selon les temps, doucereux ou
acerbe, suppliant ou hautain, mais toujours dicté par une
haine irréconciliable contre la liberté de conscience et la loi
qui en protège les manifestations extérieures. Jeune, superbe,
asservi à ses passions ou déjà s'inclinant sous le joug d'une
astucieuse favorite, madame de Maintenon, et croyant réparer
les scandales de sa vie par ses rigueurs contre les dissidents,
Louis XIV n'est que trop enclin à écouter les voix adulatrices
qui lui conseillent de révoquer la charte de son aïeul. Dans
cette croisade contre le droit, les évêques d'Uzès se distin-
guent par leur violence. Les rares conversions que l'on voit
se produire au profit du protestantisme amoindi'i et opprimé
1. Archives nationales, série TT, 282. Je reproduis cette pièce importante à
rappeiulice.
± 22 octobre 1680 (DulL, t. XXX, p. 439). Pli. Corbière, //isfoire de l'Église
réformée de Montpellier, p. 220-223.
l'église réformée de la calmette. 159
presque partout, mettent le comble à leur fureur : a Tout est
perdu à jamais, s'écrie messire de Grignan, tous nos soins
sont superthis, notre zèle tout à fait inutile... par la funeste
liberté, ou pour mieux dire, par l'horrible libertinage qui
donne lieu aux catholiques de votre royaume de faire banque-
route à leur religion. Ces misérables déserteurs qui nous
affligent à toute heure mériteraient sans doute d'être terrassés
sous les carreaux et sous les foudres de la colère de Dieu *. »
La colère du ciel ne saurait suffire au pieux prélat invo-
quant, avec ses collègues, les salutaires rigueurs du monarque
contre l'hérésie « agonisante» . A chaque réclamation du clergé
correspond une restriction nouvelle de l'Édit, qui voit tomber
l'une après l'autre toutes les clauses protectrices de la liberté
de conscience. Exclusion des réformés de tous les emplois
civils, suppression des chambres mi-parties, démolition des
temples sous les plus futiles prétextes, enfants enlevés à leurs
parents pour être catéchisés, au mépris des droits les plus
sacrés, dans la religion catholique, apostolique et romaine,
peines contre les relaps donnant le hideux spectacle de cada-
vres traînés sur la claie au milieu des outrages de la populace,
premiers essais de dragonnades terrorisant les familles, des
provinces entières, tels furent les degrés rapidement par-
courus de la persécution destinée à vaincre ceux qui, selon
l'expression de Louvois, aspiraient à la sotte gloire d'être les
derniers à professer une religion qui déplaisait à Sa Majesté.
Lorsqu'en un jour néfaste (18 octobre 1685), Louis XIV signa
l'acte de révocation, il ne subsistait presque plus rien de
l'Édit dont le nom seul protégeait encore une minorité reli-
gieuse réduite aux plus cruelles extrémités.
S'il faut en croire les actes officiels, Nîmes n'opposa qu'une
faible résistance aux convertisseurs. Deux partis se dessinaient
dans son sein : celui des modérés, inclinant à la soumission
1. Les remontrances du clergé et la révocation de l'édit de Nantes, par
0. Douen [Bull., t. XIV, p. 75).
i60 L'ÉGLISE RÉFORMÉE DE LA CALMETTE.
dans l'espoir de meilleurs jours; celui des zélr.leurs, ne consi-
dérant que le devoir sans être toujours prêt à l'accomplir. Ils
parurent unanimes lorsqu'un des pasteurs, Cheyron, montant
pour la dernière fois en chaire dans le temple de La Galade
condamné à tomber sous le marteau démolisseur, prit Dieu
à témoin de la fidélité de son ministère, et prononça ces
paroles d'une voix entrecoupée de sanglots : « J'en atteste
le Seigneur devant lequel je paraîtrai aujourd'hui peut-être,
car la mort et la ruine planent sur nos têtes. Mais, ô brebis
d'Israël, quel compte lui rendrai-je de vos âmes? Que lui
dirai-je de vos résolutions ? Aurai-je à vous accuser du renie-
ment de votre foi ou à mentionner avec joie votre fidélité à
l'Evangile? Ah ! jurez ici dans son temple, dont la voûte ne
retentira plus ni des chants de nos louanges, ni du son plus
onctueux de nos prières, que vous persévérerez, quoiqu'il en
coûte, quelque sacrifice qu'il faille faire, jusqu'à la mort,
pour obtenir la couronne des martyrs glorifiés dans le ciel !...
— Nous le jurons, s'écrièrent une multitude de voix oppressées
parla douleur la plus vive, au milieu d'une explosion de sou-
pirs et de larmes, de cris pitoyables et de lamentations déchi-
rantes* ».
Mystères du cœur humain dont nul ne peut se flatter do dire
le dernier mot ! Le ministre qui trouvait à cette heure de si
pathétiques accents, était secrètement vendu à la cour avec un
de ses collègues, Paulhan (les deux autres, Icard et Peyrol,
condamnés à mort par contumace, étaient en fuite), et la plu-
part des auditeurs du temple de La Galade devaient signer,
l'année suivante (19 novembre 1G8G) l'acte d'abjuration qu'on
peut lire encore dans le Registre secret du Présidial de Nîmes".
Les mêmes formalités s'accomplirent, sous la pression des dra-
1. Horrel, Hiduire de l'Eglise réformée de Nimrs, p. 301).
2. Ce document a été publié tout au long dans une Revue locale, Nemausd,
(juillet 1883) avec 241 signatures et une liste de 8i personnes illoitrées. Presque
toutes les familles (jui professent encore la foi protestante à INinies y sont repré-
sentées. Nombre de leurs membres avaient déjà pris lo chemin de l'exil.
l'église réformée de la calmette. IGl
lions de Sainl-Piulh, à Uzès, Mais, Anduze el dans toutes les
O 7 7 7
paroisses rurales de la Gardonnenque. Les prolestants de La
Calmette, de Dions et de La Rouvière, au nombre de plus de
six cents, subirent la commune loi et durent se résigner à
assister à la messe, à recevoir la bénédiction catholique du
mariage, du baptême et du lit de mort. Aux yeux du prêtre,
comme à ceux du magistrat, il n'y eut plus de dissidents; il
ne restait que des nouveaux convertis ; iiïnsi appelait-on ces
transfuges involontaires d'une foi qui vivait au fond des
cœurs. L'œuvre de l'intolérance parut donc accomplie, et un
de ses plus funestes conseillers, Michel Le Tellier, commen-
tant les paroles de Siméon, put dire : « Seigneur, laisse aller
maintenant ton serviteur en paix, car mes yeux ont vu ton
salut ! »
Jules Bonnet.
{La fin prochaineiiient.)
xxxui. — Il
DOCUMENTS
POURSUITES
CONTRE LES RÉFORMÉS D'ALENÇON
1533-1534'
Du lundi, septiesme jour de septembre.
Veu parles cemmissaires ordonnez par le Roy à Alençon le pro-
cès criminel faict à rencontre de Nicolas Briolay, natif et deniourant
en la dicte ville d'Alençon, à présent prisonnier es prisons de la
consiergerie dudicllieu, ponr raison de plusieurs grans et exécrables
blaphemes par luy dictz et proferez contre le sainct sacrement de
l'autel, riionneur delà vierge Marie, révérence des sainctz et sainctes,
de paradis et estât universel de nostre mère saincte église, à plain
contenuz audict procès contre luy faict; veues aussi les conclusions
baillées et prinses par le procureur du Roy, auquel ledict procès
auroit este communicqué ; et oy et interrogé sur ce par lesdicts com-
missaires, iceliuy prisonnier, et tout considéré ;
Lesdictz commissaires par arresl- ont condenné et condennent
ledict Nicolas Briolay, pour raison desdictz cas, là faire amende hon-
norable devant laprincipalle porte de l'église Nostre-Dame de ceste
ville d'Alençon, et illec à genoulx tenant une torche de cire ardent
du poix de deux livres, requérir mercy et pardon à Dieu, à la glo-
rieuse virge Marie, aux sainctz et sainctes de paradis, au Roy et à
justice desdictz blaphemes, et d'iceulx se desdire et repentir. Ce
faict, estre mené et conduict aux poullies hors la porte de Sarte de la
1. Voir le dernier numéro du Bullelin, p. 112.
2. En marge : Conclud le samedi cinquicsme jour de septembre, du matin,
au Palais d'Alençon. Errault R.
POURSUITES CONTRE LES RÉFORMÉS d'aLENÇON. 163
dicte ville d'AIençon, au lieu plus commode et convenable, où illec
sera mis et attaché ung pousteau, à i'entour dufjuel sera faict ung
grand feu. Et après avoir par ledict prisonnier esté estranglé,
sera ars et bruslé, et son corps mis et converty en cendres. Et ont
les dictz commissaires declairé et declairent tous et chacuns les
biens dudict Briolay acquiz et confiquez à qui il apartiendra.
Faict et exécuté ce dict jour septiesme de septembre mil cinq cens
trente quatre.
Veues par les commissaires ordonnez par le Roy à Alençon les
charges et informations faictes à l'enconlre de Symon et Bertrand
Bahuel, père et iilz, et Jehan Juliette demourans en ladicte ville
d'AIençon; et oy sur ce le procureur du Roy, et tout considéré;
Lesdictz commissaires ont ordonné et ordonnent les dictz Bahuel
père et filz, ensemble ledict Juliette, estre prins au corps quelque
part qu'ilz pourront estre trouvez en ce royaulme, etiam in loco
sacro, à le charge de les réintégrer, si faire ce doit, et amenez pri-
sonniers soubz bonne et seure garde, à leurs despens, es prisons de
la consiergerie dudict Alençon, pour illec ester et fournir cà droit sur
lesdictes charges et iiiformalions. Et ou prins et appréhendez ne pour-
ront estre, adjournez à troys briefz jours à comparoir en personne
par devant lesdictz commissaires audict Alençon, sur peine de ban-
nissement de ce royaulme, confiscation de corps et de biens, et d'es-
tre actainctz et convaincuz des cas à eulx imposez, pour respondre
audict procureur du roy aux fins et conclusions qu'il vouldra contre
eulx prendre et élire. Et oultre tous et chacuns les biens desdictz
Bahuelz et Juliette estre prins, saisiz et mis en la main du Roy par
bon et loyal inventaire, regiz et gouvernez par bons et suftisans com-
missaires, qui en puissent rendre bon compte et reliqua, quant et
à qui il appartiendra et par lesdictz commissaires en sera ainsi
ordonné.
Veues par les commissaires ordonnez par le Roy à Alençon les
charges et informations faictes par maistre Loys RoillartetBonaven-
ture de Sainct-Berthelemy, conseilliers dudict seigneur en sa court
de Parlement, et commissaires de par luy en ceste partie, à la dili-
gence et advertissement de Jehan Moussy, escuyer, seigneur de la
Mothe, à rencontre de Jehan llenault, à présent prisonnier ou chas-
teau dudict Alençon; et oy sur ce le procureur du Roy, et tout con-
sidéré;
i6i POURSUITES CONTRE LES RÉFORMÉS d'ALENÇOX.
Lesdictz commissaires ont elargy etfaict mectre hors desdictes pri-
sons ledict Jeiian Henault par tout, eu faisant les submissions acous-
tumées. Et neantmoins luy ont réservé et reservent iceulx commis-
saires son action pour ses dommaig'es et interestz contre qui ap-
partiendra et à eulx leurs défenses au contraire.
En ensuivant lequel arrest, ledict llenault a esté elargy et mis
hors desdictes prisons, après ce qu'il a i)romis et juré retourner et
se rendre en Testât qu'il cstoit, toutes foys et quantes que par les-
dictz commissaires ainsi sera ordonné.
Le CiuiER R.
Veues par les commissaires ordonnez par le Roy à Alençon les
charges et informations faictes à l'encontre de Françoise Larchere,
dicte Gueville, demourant audict Alençon, et oy sur ce le procureur
du roy, et tout considéré ;
Lesdictz commissaires ont ordonné et ordonnent ladicte Lar-
chere, dicte Gueville, estre adjournée à comparoir en personne par
devant lesdictz commissaires au dict Alençon, à certain jour, sur
peine de bannissemmenl de ce royaulme et d'estre actainte et con-
vaincue des cas à elle imposez, pour respondre au procureur du Roy
aux fins et conclusions qu'il vouldra contre elle prendre et élire,
procéder et faire en oultre selon raison.
Du niercredi neulviesme jour de septembre, du matin.
Veu par les conseilliers du Roy, juges et commissaires ordonnez
à Alençon, le procès criminel faict à l'enconlre de Jehan Ruel, natif
de Courteilles, prisonnier es prisons de la consiergerie dudict lieu
(i'Alençon, pour raison de j)lusieurs grans et exécrables blaphemes
l)ar iny diclz et proferez, et es(|uelz il a longuement persévéré, con-
tre le sainct sacrement de l'autel, l'honneur de lavirge Marie, révé-
rence des sainctz et sainctes de paradis et cslat universel de nostre
niere saincle église, à plain contenuz audict procès contre luy faict;
veues aussi les conclusions baillées et prinses par le procureur du
Roy, auquel ledict procès avait esté communicqué, et oy et interrogé
sur ce par lesdictz commissaires icclluy prisonnier, et tout considéré,
Lesdictz commissaires par arrest ont condenné et condennent le-
dict Ruel, pour raison desdictz cas à faire amende honnorable devant
POURSUITES CONTRE LES RÉFORMÉS D ALEXÇON. 165
la principalle porte de l'église Nostre-Dame de caste dicte ville d'A-
lençoii, et illec à i^eiioulx, tenant une torche de cire ardent du poix
de deux livres, requérir pardon à Dieu, à la glorieuse virge Marie,
aux sainctz et sainctes de paradis, au Roy et à justice, desdictz bla-
phenies, et d'icenlx se desdire et repentir; ce faict, estre mené au
Marchis hors la porte de Sées, et illec au lieu plus commode et con-
venable sera mis et planté ung pousteau à l'entour duquel sera l'aict
ung grant feu, et après avoir esté eslranglé, estre ars bruslé et son
corps converty en cendres. Et ont lesdictz commissaires declairé et
declairent tous les biens dudicl Ruel acquis et confisquez à qui il
appartiendra.
Errault R.
Du dixiesme jour de septembre, après disner.
Veues parles conseilliers du Roy, juges et commissaires de par
luy ordonnez à Alençon, les interrogatoires et confessions faictes ce
jourd'huy par devant eulx par damoyselle Jehanne d'Avoise, dame
dndict lieu, adjournée à comparoir en personne, et tout considéré;
Lesdictz juges et commissaires ont ordonné et ordonnent que les-
dictz interrogatoires et confessions de ladicte damoyselle Jehanne
d'Avoise seront monstrées et communiquées au procureur du Roy,
pour bailler et prendre sur icelles ses conclusions. Et ce pendant et
jusques à ce que par lesdictz juges et commissaires autrement en
soit ordonné, ilz ont défendu et défendent à ladicte damoyselle
Jehanne d'Avoise de partir de ceste ville sur peine de perdition de
cause et d'estre actaincte et convaincue des cas à elle imposez.
DE HarlvyR.
Veues par les conseilliers du Roy, juges et commissaires par luy
ordonnez à Alençon, les interrogatoires et confessions faictes devant
eulx par la vefve de feuMacé Petit et le femme de Vincent Chappel-
lain, demouransà Courleilles, adjournées à comparoir en personne
par ordonnance desdictz conseilliers, juges et commissaires dudict
seigneur; et oy sur ce le procureur du Roy, et tout considéré;
Lesdictz conseilliers, juges et commissaires ont renvoyé et ren-
voyenl lesdictes femmes en leurs maisons, à la charge toutes foys
de retourner et se rendre en Testai qu'elles estoienl, toutes foys el
166 POURSUITES CONTRE LES KÉFORMÉS D'ALENÇOiN.
quanles que ainsi pareulx sera ordonné, sur peine d'estre actainctes
et convaincues des cas à elles imposez.
Errault R.
Veues par les commissaires ordonnez par le Roy à Alenron les
charges et informations faictes à rencontre de daraoyselle Jehanne
d'Avoise, dame dudict lieu, et ung nommé Delafosse, son serviteur,
et oy sur ce le procureur du Roy et tout considéré;
Lesdictz commissaires ont ordonné et ordonnent ladicte damoy-
selle Jehanne d'Avoise estre adjournée à comparoir en personne
par devant culx à certain jour, en ladicte ville d'Alençon, sur peine
de bannissement de ce royaulme, et d'estre actaincte et convaincue
des cas à elle imposez, pour respondre audict procureur du Roy, à
telles fins, requestes et conclusions qu'il vouldra contre elle pren-
dre et élire. Et oultre ledict Delafosse estre prins et appréhendé
au corps quelque part qu'il pourra estre trouvé en ce royaulme,
etiam in loco sacro, à la charge de le reintégrer, si faire ce doit,
et icelluy amené prisonnier soubz bonne et seure garde es prisons
de la consiergerie d'Alençon, pour ester et fournir à droit sur les
dictes charges et informations, et respondre audict procureur du Roy,
aux fins et conclusions dessus dictes. Et ou prins et appréhendé ne
pourra estre, atljourné à troys briefz jours, sur peine de bannisse-
ment de ce royaulme, confiscation de corps et de biens et d'estre
actainct et convaincu des cas à luy imposez, à estre et comparoir par
devant lesdictz commissaires en ladicte ville d'Alençon, procéder
et faire en oultre ainsi qu'il appartiendra par raison.
Dezasses R.
Les commissaires ordonnez par le Roy sur le faict d'Alençon ont
commandé et enjoincts de par ledict seigneur et eulx, à Jehan Des-
nault, sergent de la Prevosté d'Alençon, d'accompaigner Jehan ïar-
ger, huissier en la court de Parlement à Paris, pareulx prins pour le
faict et exécution de leur cummission, à faire et exécuter adjourne-
mens à troys briefz jours et tous autres exploictz quelz qui soient,
par eulx ordoiniez et commandez, et à donner audict huissier con-
fort et ayde en telle sorte que la force demeure au Roy et justice
soit obeye. Et oultre permect audictz huissier et Besnault de pren-
dre et appeller avec eulx tel nombre de gens, sergens, officiers et
POURSUITES CONTRE LES RÉFORMES D'ALENÇON. 167
auHres personnes qu'ilz vouldront pour le faictdes dictes exécutions
et commander ausdictz sergens, officiers et autres de leur donner
confort et ayde, ainsi qu'ilz verront estre à faire par raison.
Du unziesmc jour de septembre, du malin.
Veues par les conseilliers du roy, juges et commissaires de par
luy ordonnez à Alençon, les interrogatoires et confessions faictes
par devant eulx par Michon, femme de Jehan Juliette, de la ville
d'Alençon, prisonnière de l'ordonnance desdictz conseilliers, juges
et commissaires diidict seigneur es prisons de la consiergerie du-
dict lieu, et oy sur ce le procureur du roy, et tout considéré;
Les conseilliers, juges et commissaires dessus diclz ont ordonné
et ordonnent ladicte Michon Juliette estre mise hors des dictes pri-
sons et élargie par ceste ville d'Alençon tant seullement, en faisant
par elle les submissions acoustumées.
En ensuivant lequel arrest, ladicte Michon a esté élargie et mise
hors desdictes prisons, après ce qu'elle a promis et juré ne partir
de cesle ville d'Alençon, sans le congé, licence et ordonnance des-
dictz conseilliers, juges et commissaires dessusdictz, sur peine d'es-
tre actaincte et convaincue des cas k elle imposez.
Errault R.
Dudict jour, après disner.
, Sur la requeste présentée aux conseilliers du Roy, juges et com-
missaires par luy ordonnez à Alençon, par Jehan Tournebeuf, Olivier
Esnault et Raoullin Bucquet, geoUier et garde des prisons de la ville
de Sées, tendant afin d'avoir payement et solution pour avoir vacqué
par l'espace de deux jours, par le commandement desdictz conseil-
liers, juges et commissaires, à conduire et amener prisonnier es
prisons de ceste ville d'Alençon Jehan Lebrun, lors prisonnier de-
tenu esdictes prisons de Sées pour aucuns cas à luy imposez ; veue
par lesdictz conseilliers, juges et commissaires ladicte retiueste, oy
sur ce le procureur du Roy, et tout considéré ;
Lesdictz conseilliers, juges et commissaires oiU taxé et taxent
ausdictz Tournebeuf, Olivier Esnault et Raoullin Bucquet, pour les
causes que dessus, la somme de soixante solz parisis, à icelle pren-
168 POURSUITES CONTRE LES RÉFORMÉS D'ALENÇON.
dre et avoir sur les l)iens dudict Lebrun, s'aucuns en a, sinon sur
les deniers du roy.
Yeues par les conseilliers du Roy, juges et commissaires j»arluy
ordonnez à AIençon,les informations faictes à rencontre de damoy-
selle Jehanne d'Avoyse, dame dudict lieu, prisonnière arreslée par
ceste dicte ville d'Alençon, les interrogatoires et confessions par elles
faictes devant lesdictz conseilliers et commissaires; et oy sur ce le
procureur du roy, et tout considéré ;
Lesdictz conseilliers, juges et commissaires ont ordonné et or-
donnent que messire Jehan Cliambeurs, prestre, curé de Radon',
et frère Thomas Louvet, hermite à Matreleurouse, de la paroisse de
Feugeretz-, en la forest d'Escouves, viendront en ceste dicte ville
d'Alençon pour estre recollez et confrontez à ladicte damoyselle
Jehanne d'Avoyse, pour ce faict estre au surplus ordonné ce que de
raison.
Dezasses R.
Veu par les conseilliers du Roy, juges et commissaires de par luy
ordonnez à Alençon, le procès criminel faict à l'encoiitre de Jehan
Chastellays, natif de Courteilles, prisonnier es prisons de la consier-
gerie de ladicte ville d'Alençon, pour avoir par luy indiscrètement
et irreverenment parlé du sainct sacrement de l'autel, et contre
l'honneur et révérence des benoistz saincts et sainctes du paradis,
et s'estre trouvé es assemblées et conventiculles des gens suspectz
de la secte reprouvée et non auctorisez de presches, ainsi que plus
à plain est contenu oudict procès contre luy faict. Veues aussi les
conclusions prinscs et baillées en ceste matière par le procureur du
Roy, et oy et interrogé sur ce par lesdictz commissaires icelluy pri-
sonnier, et tout considéré;
Les conseilliers, juges et commissaires dessus dictz ont, pour rai-
son desdictz cas, condenné et condennent ledict Jehan Chastellays
à faire amende honnorablc devant la principalle porte de l'église
Nostre-Dame de ceste dicte ville d'Alençon, 'ayant la corde au col,
picdz et leste nudz, à genoulx et en chemyse, et portant en ses
mains une torche de cire ardent du poix de deux livres, et illec
1. Airondisscincnt et canton d'Alonçon (Orne).
2. rcugcrets n'est plus qu'un lianiean dépendant de la commune de Vingt-
Ilanaps, canton d'Alençon.
POURSUITES CONTRE LES RÉFORMÉS D'ALEN'CON. 109
requérir pardon à Dieu, à la glorieuse vierge Marie, aux saiucts
et sainctes de paradis, au Roy et à justice, desdictes pnrolles mal,
indiscrètement et irreverenment par luy proférées; et oultre eslre
battu et fustigé par les carrefours de ceste ville d'Âlençon et
audict lieu de Courteilles. Et luy enjoignent neantmoins lesdictz
commissaires de bien vivre doresnavant, et ne renchoir ne plus
tomber en telles indiscrétions ne irrévérences, sur peine de la
hart.
Errault R,
Du samedi, douzeiesmc jour de septembre, du malin.
Veu par les conseilliers du Roy, juges et commissaires par luy
ordonnez à Alen^-on, le procès criminel faict à l'enconlre de Estienne
Laignel, dit Potier, et Jehan Coumyn, prisonniers es prisons de la
Consiergerie de ladicte ville d'Alençon, pour estre entrez de
nuyt de propos délibéré et par effraction de verrières, la vigille
de la feste Dieu en l'an mil cinq cens trente troys, en l'église et
chappelle Sainct-Blaise située hors la" porte de Sées, et en icelle
chappelle avoir ])rins et emporté les ymaiges de la glorieuse vierge
Marie et de sainct Claude, icelles ignominieusement pendues à
deux gouttières en ladicte ville d'Alençon, contre l'honneur et
révérence de Dieu, de la glorieuse vierge Marie, des saincts et
sainctes de paradis, grant scandalle et contempnement de Testât
universel de nostre mère saincte église et de la religion catholicque,
et persévérance d'iceulx prisonniers en leur mauvais vouloir, ainsi
que plus à plain est contenu oudict procès contre eulx faict; veues
aussi les conclusions prinses et baillées en ceste matière par le pro-
cureur du Roy, et oyz et interrogez sur ce lesdictz prisonniers par
lesdictz conseilliers, juges et commissaires dessus dictz, et tout
considéré;
Lesdictz conseilliers du Roy, juges et commissaires ont, pour
raison desdiclz cas, condenné et condennenl lesdictz prisonniers et
chacun d'eulx à avoir, devant ladicte chappelle Saincl-Blaise, le
poing dextre couppé, cloué et attaché à deux pousteaulx, qui pour
ce faire y seront mis et dressez; ce faict, iceulx prisonniers estre
conduictz et menez es lieux et rues où ils pendirent Icsdiclcs ymai-
ges, esquelz, ou lieu plus commode et convenable, seront dressées
170 POURSUITES CONTRE LES RÉFORMÉS d'aLENÇO.N.
deux potences, ôsquelles lesdictz prisonniers seront penduz et es-
tranglez par le temps et espace de troys heures ; ce faict, leurs testes
estre couppées et chacune d'elles mises au bout du fer d'une lance,
et icelles portées aux deux principalles portes de ceste dicte ville
d'Alençon, en lieu eminent, et leurs corps portez et penduz aux
fourches patibulaires d'icelle ville. Et ont declairé et declairent les-
dictz conseilliers, juges et commissaires dessus dictz tous et clia-
cuns les biens d'iceulx prisonniers acquis et confisquez à qui il
apartiendra.
Prononcé et exécuté le xV desdictz moys et an.
Le Charron R.
Dudict jour après disner.
Veues par les conseilliers du Roy, juges et commissaires par luy
ordonnez à Alençon, les interrogatoires et confessions faictes par
devant eiilx par maistre Jehan Duval, praticien et advocat audict
lieu d'Alençon, prisonnier en la consiergerie dudict lieu, par ordon-
nance desdictz commissaires, et oy sur ce le procureur du Roy, et
tout considéré,
Lesdictz conseilliers, juges et commissaires dessusdictz ont or-
donné et ordonnent que ledict Duval sera quant à présent elargy et
mis hors desdictes prisons, en faisant les submissions en tel cas
requises et acoustumées. En ensuivant lequel arrest, ledict Duval a
esté elargy et mis hors desdictes prisons, après ce qu'il a promis et
juré retourner et se rendre en Testât qu'il est toutes foys et quanles
que par lesdictz conseilliers, juges et commissaires ainsi sera or-
donné,
Errault R.
Du quiiiziesiue jour de septembre, du matin.
Veues par les conseilliers du Roy, juges et commissaires par luy
ordonnez à Alençon, les charges et informations faictes à l'encontre
de messirc Jehan Chassevanl, prostré, chappellain de l'Hostel-Dieu
(ludict Alençon, prisonnier en la consiergerie dudict lieu, les interro-
gatoires et confessions faictes par leilict Chassevant par devant les-
dictz commissaires, et oysur ce le procureur du Roy, et tout consi-
déré;
POURSUITES CONTRE LES RÉFORMÉS d'aLENÇON. 171
Lesdictz conseilliers, juges et commissaires ont renvoyé et ren-
voyent la congiioissance de ceste matière à l'evesque de Sées, lequel
sera tenu bailler vicariat à deux notables personnaiges non suspectz
ne favorables pour congnoistre et déterminer de cestes matière ;
par devant lesquelz la coppie des charges et informations chargeant
ledict Chassevant, ensemble ses confessions et celle de maistre Jehan
Duval, par eulx faictes devant lesdictz commissaires, seront portées.
Et aussi icelluy Chassevant sera tenu se rendre et comparoir en per-
sonne par devant lesdicts vicaires au jour (jui luy sera donné et as-
signé par eulx, sur peine d'estre actainct et convaincu des cas à luy
imposez. Et neantmoins cependant et jusques audictjour à assigner
par lesdictz vicaires, iceulx commissaires ont ordonné et ordonnent
que ledict Chassevant sera elargy et mis hors desdictes prisons, eu
faisant les submissions acoustumées.
En ensuivant lequel arrest, ledict Chassevant a esté elargy, après
ce qu'il a promis et juré par ses sainctes ordres fournir entièrement
au contenu d'icelluy arrest, sur les peines que dessus.
Errault R.
Veu par les conseilliers du Roy, juges et commissaires par luy or-
donnez à Alençon, le procès criminel faict ta l'encontre de Jehan Le-
brun, à présent prisonnier es prisons de la consiergerie dudict lieu
d'Alençon, pour raison de plusieurs grans et excecrables blaphemes
par luy dictz et proferez contre le sainct sacrement de l'autel, l'hon-
neur delà vierge Marie, révérence des saints et sainctes de paradis,,
et estât universel de nostre mère saincte église, ainsi que plus à
plain est contenu audict procès contre luy faict; veues aussi les con-
clusions prinses et baillées par le procureur du Roy, auquel ledict
procès auroit esté communicqué, et oy et interrogé sur ce par les-
dictz conseilliers juges et commissaires icelluy prisonnier, et tout
considéré ;
Lesdictz conseilliers, juges et commissaires ont pour raison des-
dictzcascondenné et condennent ledict Lebrun à faire amende hon-
norable devant la [irincipalle porte de l'église Nostre-Dame etladicte
ville d'Alençon, et iilec à genoulx tenant une torche de cire ardent
du poix de troys livres, requérir mercy et pardon à Dieu, à la glo-
rieuse vierge Marie, aux saincts et sainctes de paradis, au roy et à
justice, desdictz excecrables blaphemes, et d'icculx se desdire et
172 POURSUITES CONTRE LES RÉFORMÉS d'ALENÇON.
repentir; ce faict, eslre condnict et itiené en quelque carrefour et
Heu publicq hors ladicte ville d'Alencon, sur le cheniiu de Sées, lieu
convenable et commode, ou illec sera mis et alaché ung pousleau,
alentour duquel sera faict un grand feu, et après avoir ledict pri-
sonnier esté estranglé, sera ars et bruslé et son corps mis et con-
verly en cendres. Et ont lesdictz commissaires declairé et declai-
renttous les biens dudict Lebrun acquis et confisquez à qui il apar-
liendra.
Prononcé et exécuté le xvi" desdictz moys et an.
Lk Charron 11.
Cejourd'huy ont esté baillées et délivrées à Charles Boitart, servi
teur de maistre Jehan Ilomedey, promoteur de l'evesque de Sées,
les informations chargeans maistre Jehan Chassevant, ensemble ses
interrogatoires et confessions avec celles de maistre Jehan Duval, et
1 arrest de renvoy donné par les conseilliers du Roy, juges et com-
missaires ordonnez par ledict seigneur à Alençon, pour icelles por-
ter audictevesque de Sées, ou son officiai, en ensuivant ledict arrest,
pour procéder à rencontre dudict Chassevant, ainsi qu'il verra estre
à faire par raison, le tout selon le contenu dudict arrest. Lequel
Boytarta promis porter lesdictes pièces estans en ungsacfeablemeni
cloz et scellé audict evesque ou sondict officiai.
Du scziesme jour de septembre, ilii matin.
Veuz par les conseilliers du Roy, juges etcommissaires par luy or-
donnez à Alençon, les troys defaulx à troys briefz jours obtenuz par
devant le procureur du Roy, demandeur en matière de blaphemes
contre l'honneur de Dieu et du sainct sacrement de l'autel, honneur
et révérence des saincts et traditions de l'église, à l'enconlre de
Ysaac Legoulx, dit Tardif, Noël de MeaiUx, Jehan Boullemor et Ju-
lian di) Bernay, défendeurs csdiclz cas et adjournez à troys brifez
jours à comparoir en pei'sonne par devant lesdictz conseilliers, juges
et commissaires, sur peine de bannissement de ce royaulme, confis-
cation de corps et de biens, et d'estre actainctz et convaincuz des
cas à culx imposez, et defaillans; les conclusions prinses par ledics
procureur du Roy en ceste matière à l'encoutre desdictz défaillant
et chacun d'eulx; les i'a[)por(z et relations faicles sur ce par Jehna
POURSUITES CONTRE LES RÉFORMÉS D'ALENÇON. 173
Targer, huissier de la court de Parlement, avec les charges et infor-
mations faictes à l'encoutre desdiclz defaillans et chacun d'eulx, et
tout considéré ;
Lesconseilliers du Roy, juges et commissaires dessusdictz ont, pour
raison desdictz blaphemes et autres cas contenuz esdictes informa-
tions, et pour la réparation d'iceulx, condenné et condennent lesdiclz
Ysaac Legoux, dit Tardif, de Meaulx, Boullemer et de Bernay, et cha-
cun d'eulx, à estre bruslez et ars tous vifz au marché et place publi-
que dudict Alençon, lieu plus commode et convenable, et leurs corps
consommez en cendres. Et declairent iceulx conseilliers, juges et
commissaires dessusdictz tousetchacuns les biens desdictz Legoux,
de Meaulx, Boullemer et de Bernay acquis et confisquez à qui il apar-
tiendra.
Prononcé ledict jour.
Les conseilliers du Roy, juges et commissaires de par luy ordon-
nez à Alençon enjoignent à toutes personnes de quelque estât ou
condition qu'elles soient, quisçaventde présent ou sçauront cy après
où sont ung nommé frère René Dufour, religieux de l'ordre Sainct-
Âugustin, et ung autre appelle messire Guillaume Rolland, prestre,
qu'ilz ayent à les révéler ausdictz conseilliers du Roy et commissaires
dessusdictz, et iceulx Dufour et Rolland prendre et appréhender au
corps réaniment et de faict et iceulx amener soubz bonne et seure
garde es prisons de la consiergerie de ceste dicte ville d' Alençon, sur
peine de confiscation de corps et de biens. Etoultrefont lesdictz con-
seilliers du Roy, juges et commissaires dessusdictz, inhibitions et
défenses, sur les peines dessus dictes, c'est assavoir de confiscation
de corps et de biens, de ne receller ne recepteren leurs maisons, ne
aillieurs,en quelque part que ce soit, lesdictz Dufour et Rolland, ains
iceulx rendre et mectre esdictes prisons; et en ce faisant, celuy ou
ceulx qui rendra ou rendront prisonniers lesdictz Dufour et Rolland
en ladicte consiergerie, auront et leur sera faict bailler par ledict
seigneur la somme de vingt escuz d'or. Et pareillement enjoignent
lesdiclz commissaires h tous les juges royaulx et autres liaulx justi-
ciers de prendre etconstituer prisonniers lesdictz Dufour et Rolland,
quelque part qu'ilz les pourront trouver en ce royaulme etiam in
loco sacro, et iceulx rendre es prisons susdicles, sur peine d'amen-
de arbitraire. Et afin que aucun ne puisse de ce prétendre aucune
174. POURSUITES CONTRE LES RÉFORMÉS D'ALENÇON.
cause crigiiorance, lesdictz commissaires ont ordonné et ordonnent
ce présent arrest et ordonnance estre publié à cry public par ceste
dicte ville d'Alençon.
Publié ledict jour.
Veuz par les conseillicrs du Roy, juges et commissaires par luy
ordonnez ta Alenron, les troys defaulx à troys briefz jours obtenuzpar
devant eulx par le procureur du Roy, demandeur en matière de bla-
phemes contre l'honneur de Dieu et du sainct sacrement de l'autel,
honneur et révérence des saincts et traditions de l'cglise, à rencon-
tre de M^ Jehan Le Pelletier, advocat, demeurant càAlençon, Margue-
rite Edme, demeurant audict lieu, et Jaques Haudebourg, défendeurs
et adjournez à troys briefz jours à comparoir en personne par de-
vant lesdictz conseilliers, juges et commissaires, sur peine de ban-
nissement de ce royaulme, confiscation de corps et de biens, etd'es-
tre actainctz et convaincuz des cas à eulx imposez, et defaillans ;
les conclusions prinses par ledict procureur du Roy en ceste matière
k rencontre desdictz defaillans et chacun d'eulx, les rapportz et re-
lations faictes sur ce par Jehan Targer, huissier de la court de par-
lement, ensemble les charges et informations faictes à l'encontre
desdictz defaillans et chacun d'eulx, et tout considéré;
Les conseilliers du Roy, juges et commissaires dessus dictz ont
pour raison desdictz blaphemes et autres cas contcnuz èsdictes in-
formations, et pour la réparation d'iceulx, condenué et condennent
lesdictz Le Pelletier, Edme et Haudebourg, et chacun d'eulx, k esire
baiiniz perpétuellement du royaulme de France, et declairent tous
et chacuns leurs biens acquis et confistiuez ta qui il apartiendra.
Veu parles conseilliers du Roy, juges et commissaires par luy
ordonnez à Alençon, le procès criminel faicl y l'encontre de Michel
Petit, i.atif de Courteilles, prisonnier en laconsiergerie diidict Alen-
çon pour îivoir par luy mal, indiscrètement et irreverenment parlé
contre rhonncur de Dieu, l'honneur de la vierge Marie et révérence
des saincts et sainctes de parîidis, et s'estre trouvé en assemblée illi-
cite au lieu de Cerisîiy *, ainsi que plus àplain est contenu et declairé
audict |)rocès contre luy faict ; veues aussi les conclusions baillées
parle procureur du Roy en cestre matière à l'encontre dudict pri-
1. Cérisé, petite commune du canton d'Alençon.
POURSUITES CONTRE LES RÉFORMÉS d'ALENÇON. 175
sonnier; et oy et interrogé par les lesdictz commissaires icelluy pri-
sonnier sur ce, et tout considéré;
Lesdictz conseilliers, juges et commissaires ont, pour raison du-
dict cas, condenné et condennent ledict Petit à faire amende honno-
rable devant la principalle porte de l'église Nostre-Dame de ceste
dicte ville d'AIençon, piedzet teste nudz et en chemise, tenant en ses
mains une torche de cire ardent du poix de deux livres, et illec
requérir et demander pardon à Dieu, à la glorieuse vierge Marie,
aux saincts et sainctes de paradis, au Roy et à justice, et à assister
et estre présent à l'execucion de mort qui ce cejourd'hui sera faicle
de la personne de Jehan Lebrun; et oultre, pour la dicte assemblée
illicite, à estre battu et fustigé audict lieu deCerisay. Et font lesdictz
commissaires inhibitions et défenses audict Petit de ne plus doresna-
vant user de paroUes indiscrètes, irreverentes et scandaleuses con-
tre l'honneur de Dieu, de la vierge Marie, les saincts et sainctes de
paradis, sur peine de la hard.
Veu par les conseilliers du Roy, juges et commissaires par luy or-
donnez à Alençon, le procès criminel faict à l'encontrede Berlhault
Prevel, demeurant en ladicte ville d'AIençon, à présent prisonnier
en la consiergerie dudict lieu, pour avoir par luy irreverenment et
indiscrètement parlé de Dieu, des saincts et sainctes de paradis,
des traditions de l'église; veues aussi les conclusions prinses en
ceste matière par le procureur du Roy, auquel ledict procès auroit
estécommunicqué; eloy et interrogé par lesdictz commissaires icel-
luy Prevel sur ce, et tout considéré ; -
Lesdiclz conseilliers, juges et commissaires dessusdictz ont, pour
raison et réparation desdictz cas, condenné et condennent ledicte
Berlhault Prevel à faire amende honnorahie devant la principalle
porte de l'église Nostre-Dame de ceste ville d'AIençon, piedz et teste
nudz, tenant en ses mains une torche de cire ardent du poix de deux
livres, et illec requérir et demander pardon à Dieu, à la glorieuse
vierge Marie, aux saincts et sainctes de paradis, au Roy et à justice;
et oultre à assister et estre présent à l'execucion de mort qui ccjour-
d'huy sera faicle de la personne de Jehan Le Brun. Et font lesdictz
commissaires inhibicions et défenses audict Berthault Prevel de ne
plus doresnavant user de parolles indiscrètes, irreverentes et scan-
daleuses contre l'honneur de Dieu, la vierge Marie, les sainctz et
sainctes de paradis, sur peine de la hart.
MÉLANGES
LES ECOLES DE CAMPAGNE
DANS l'ancien l'AVS UE MONTIiÉLIARD
Nous avons pailr, dans un prrcédenl article*, de l'école primaire
ou école française de Monibcliard, ainsi nommée pour la distinguer
(le l'école primaire allemande et de l'école latine ou école secon-
daire de la même ville, dont la création fut postérieure de (|uel-
(jues amures. Nous avons dit que l'établissement de cette école
l'ut paiiiii les préoccupations les plus vives du gouvernement et de
TéglisL' (lu pays a|très que la réforme y eut détinitivement triomphé
de l'opposition du clergé romain, et qu'il fut possible de travailler
efficacement à son organisation. Nous désirons compléter ici cette
étudo par une autre ([ui y touche de très près, et non moins digne
d'intérêt; elle concerne les écoles villageoises de ce même pays, qui
furent également l'objet de l'attention et de la sollicitude des hommes
dévoués auxquels était confiée la tâche non moins importante
qu'arihu- de foiuler et de de diriger la nouvelle institution. Si la ville
demandait (pu; rinsiruction [jopulaire y fut largement l'épandne, si
elle avait bcsdin ([u'on fil promptement la luiuière au milieu des
téin";j)ri's iiilciicclucHes où croupissaient une bonne partie de ses
habitants, la campagne en avait un besoin bien plus grand et plus
|)rcssaii' cncoïc, parce (pu^ l'ignorance y était plus répandue, plus
profonde el qu'elle y entraînait avec elle des abus plus criants.
Il y avait àpdurvoir dès l'abord aux besoins des villages du comté
pro|MvnnMit dit (y compris la terre ou seigneurie d'Elobon en
dépciKl.iiil), puis à ci'nx de la seigneurie! de Blàmont, réformée deux
ans après, d phis lard, en 1505, à ceux îles terres d'IIéricourt, de
(Ihàlelol et de. Clémonl, à leur tour, détachées de l'église romaine
I. linll., t. \\\ii, 1,. iir,, 5li.
MÉLANGES. 177
et définitivement acquises au Protestantisme. C'est ce dont on
s'oocupa avec toute l'activité et toute l'ardeur que réclamait la
situation.
Mais ce n'était pas là chose facile, vu que tout manquait à la fois
pour l'œuvre à accomplir. La question de l'éducation populaire était
restée à peu près complètement étrangère au catholicisme, qui ne
s'était inquiété que de nourrir les foules de superstitions, de contes
creux et de fables ridicules. Aussi les nouveaux serviteurs de
l'église, qu'on se vit dans l'obligation de faire venir du dehors* pour
les mettre à la tête des diverses paroisses, quoique forcément
réduites en nombre 2, par suite de la pénurie des ouvriers en même
temps que dans des vues momentanées d'économie, les ministres,
disons-nous, durent-ils dès l'abord partout et pendant un certain
espace de temps, dont la durée a varié d'une paroisse à l'autre,
joindre à leurs fonctions pastorales celles de maîtres d'école et même
de chantres à l'église, tâche assez pénible pour eux si l'on considère
l'étendue qu'avaient alors les paroisses à cause du nombre relative-
ment restreint d'ecclésiastiques appelés à les desservir.
Nous avons dit autre part qu'en l'absence d'instituteurs réguliers
et ayant vocation d'enseigner, Mélanchton avait donné le conseil de
former à cette charge le sacristain préposé à chaque église, et c'est
ce qui n'avait pas tardé à avoir lieu dans notre pays. « Mais là, dit
l'ordonnance de 15G0, où le secrétaire (sacristain, en même temps
instituteur) par cy-devant a esté contraint d'estre garde-publique
(garde-champêtre ou banvard) et sergeant (sergent de police), que
les maistres doresnavant soyent délivrez de ceste charge, afin qu'ils
puissent plus librement enseigner les enfants à l'advenir. Que si les
habitants du lieu ne se pouvoyent passer de tout d'une garde
publique des jardins et des champs, qu'il soit loisible d'en louer un
aux despens publics du lieu auquel ils baillent ceste charge. »
Les maîtres, on le voit, cumulaient, mais il est fort à croire que
ce cumul était loin de leur procurer le bien-être ou même les
simples moyens d'existence.
La grande ordonnance ecclésiastique de 1560 contenait une
1. De la France, de la Savoie et de la Suisse française.
2. A l'époque de la réformalion, les paroisses catiioiiiiues étaient au nombre
de 33; elles furent ramenées à 13.
xxxiii, — 12
17S MÉLANGES.
ordoniiaiicL' particulière des écoles*, dont il convient de dire ici
quelques mots. Elle renferme soixante-quatre pages et embrasse à
la fois l'instruction primaire sous le nom d'École française et l'ins-
truction secondaire sous celui d'École latine. La première paraît,
dans le principe, s'être confondue avec la seconde. Ainsi dans la
première classe de l'école latine on doit apprendre les lettres et la
valeur d'icelles, puis les assembler et incontinent après lire. Il faut
aussi mettre en peine que les enfants soient déligemment enseignés
à former les lettres et à les écrire : pourquoi il faudra que le maître,
toutes les sepmaines au moins une fois, escvire aux enfants les lettres
et les sentences pour doubler (copier), selon que la chose le
requerra.
a A partir de cette ordonnance, dit M. Clément Duvernoy (compte
rendu de la situation et des travaux de la Société d'émulation de
Monlbéliard, année 1857), l'instruction publique est soumise à un
règlement fixe, à une méthode uniforme dans tout le Comté et les
Seigneuries". Des principes d'une grande élévation et des vues
lumineuses s'y trouvent consignés. L'élément religieux et moral y
est présenté comme la base de l'éducation et prend souvent le pas
sur l'instruction proprement dite, etc. »
C'était là, en effet, un pas important fait dans la voie des amélio-
rations et du progrès; la route était tracée et il ne restait qu'à y
marcher résolument. On avait ainsi à la fois assuré le présent et
préparc l'avenir.
L'ordonnance sus-mcntionnéc fit loi pour nos écoles jusqu'à l'appa-
rition en 1724 de son supplément, qui vint modifier et perfectionner
les règlements parus sur la matière, sans toutefois imprimer encore à
l'instruction de l'enfance l'élan fécond qu'elle ne devait recevoir que
beaucoup plus tard pour arriver enfin aux grandes réformes dont
nous sommes aujourd'hui témoins.
1. Lo rtglcmcat du duc Clirislophc destiné à régir les écoles fut rédigé
d'après les principes de Michel Toxitès, qui avait exercé pendant quelque
temps des fonctions scolaires ù Strasbourg et en Suisse, et que le même duc
Clirisloplie avait ciiargé d'organiser toutes les écoles de ses États. Toxitès s'était
inspiré du plan de Jean Slurm, le célèbre recteur du Gymnase de Strasbourg.
2. 11 faut se reporter, pour les trois seigneuries d'Héricourt, de Cluitelot et de
Clénionl, à la date de la publication en trois langues de cette ordonnance,
c'csl-à-dirc eu 1508.
MÉLANGES. 179
Nous venons de dire que, dans nos communes rurales, ce furent
les ministres qui, primitivement et à défaut d'iiommes capables,
durent enseigner aux enfants les premiers éléments de rinstruction.
Les renseignements nous manquent sur ces temps si éloignés et
où tout n'était encore qu'à l'état de germe ou de formation. Il est
à supposer qu'il n'existait dans l'enseignement de la jeunesse cam-
pagnarde aucune uniformité; que les leçons n'avaient ni suite, ni
régularité, qu'elles ne s'adressaient qu'aux enfants les plus âgés,
que les absences étaient fréquentes eu égard surtout aux circons-
tances locales et que les progrès des élèves laissaient partout infini-
ment à désirer. Mais c'était là un commencement et les commmen-
cements sont toujours difficiles.
Quant à l'enseignement donné par les sacristains, formés sans
doute à la hâte par leurs ministres, pressés de se décharger sur eux
d'une partie de la lourde tâche qui leur incombait, ce ne devait guère
être autre chose qu'un pis-aller dans l'attente de temps meilleurs.
Mais les années s'écoulaient et la culture intellectuelle demeurait
nulle ou à peu près nulle dans nos villages. Les parents ne se sou-
ciaient que médiocrement de donner à leurs enfants une instruction
dont ils manquaient eux-mêmes et qu'ils n'appréciaient aucunement.
Leur incurie sous ce rapport était extrême, et nous la verrons
persister pendant presque toute la durée de l'ancien régime, malgré
les règlements en vigueur et l'obligation de l'instruction primaire
prescrite dès le premier quart du xviii' siècle et déjà recommandée
bien auparavant.
Pour pourvoir plus efficacement à l'instruction de la jeunesse, il
fut, dans la deuxième moitié du xvi^ siècle, institué, dans trois
localités du pays plus populeuses ou plus en vue que les autres,
savoir à Montécheroux * (1570), à Héricourt (1581) et à Blâment
(1595), comme auxiliaires des ministres titulaires, trois diacres ou
suffragants chargés, en même temps que de la cure d'âmes, de la
direction des écoles. C'étaient, à Héricourt, Pierre Faivre, natif de
Saint-Gelin (Saint-Julien); à Blâment, Daniel Simonin, de Mont-
béliard, et à Montécheroiix, les trois vicaires successifs de Claude
Vigneron (Vinitor), atteint d'infirmités, savoir Claude Gaudry
1. Le village de Montéclieroux était probableineut devenu le chcf-licu de la
seigneurie de Clémunl en 15G1, lorsque le gouvernement de Montbéliard s'était
occupé de la réorganisation civile et judiciaire de cette seigneurie.
i80 MÉLANGES.
(Oalliiuis), 1576-1579; Humbert Regnard, 1580 à 1585, et Guil-
Idiniic Tliuriii, 1585-1580, tous trois originaires de Montbéliard.
Le ministre titulaire étant décédé en cette dernière année, le diacre
ne fut point maintenu à Montécheroux, ce qui n'empêcha point
l'école du lieu de continuer à exister avec un maître laïque à sa lèle.
La place de diacre subsista à Blâmont jusqu'en janvier 1729 et à
Héricourt jusqu'en 1745, où, comme la précédente, elle fut supprimée
d'aulorité par l'intendant de Franche-Comté. Le diacre de cette
dernière église fut en même temps instituteur de 1581 à 1618, année
où il fut remplacé aux écoles par un maître laï(iue.
Sans vouloir entrer sur l'école de la ville d'Héricourt dans des
détails qui appartiennent plutôt à son histoire locale et ne rentrent
point dans notre cadre, nous dirons que depuis le premier quart du
xviii" siècle, après que le simultané eut été introduit dans son église
(1700), la ville dut avoir, à côté de l'école protestante, une école
catlioli(iue, d'ailleurs très peu fréquentée à l'origine, l'endroit ne
comptant encore à cette époque que quelques rares fidèles de ce
culte (sei)t chefs de famille en 1721; en 1748, la population com-
prenait 170 familles protestantes et 26 catholiques). A la fin du
même siècle, Héricourt, qui comptait alors une population d'environ
1400 âmes, avait quatre écoles, dont deux de garçons et deux de
filles, qui se partageaient entre les deux cultes.
Une maîtresse protestante y figure déjà en 1614, el le nom d'une
maîtresse catholique est expressément désigné au milieu du xviii'"
siècle. On voit en 1730 l'intendant de Franche-Comté, M. de Beau-
mont, rejeter la demande d'un gage qui lui est faite par le magistrat
Iiour linslitulrice protestante du lieu, dont le traitement dut sans
doute, i)ar le fait de ce rejet, tomber tout entier à la charge de la
communauté.
A la Uévolulion, l'inslituliice laujuc catholique disparut pour ne
plus èlre remplacée jusqu'à nos jours en celte qualité.
En 1763, Ijlàmont, qui, avec toute la seigneurie de ce nom, avait
l)arlagé dans le siècle précédent le sort d'Héricourt et de sa terre
el passé de même sous la souveraineté de la France, devait avoir
une maîtresse d'école catholique, au salaire de laquelle le curé du
lieu voulait faire contribuer les habitants du village voisin de
Pierrefontaine, sans qu'il y pût d'ailleurs réussir. - En 1769, le
curé Sarrazin avait établi à Mandeure une maîtresse d'école de son
MÉLANGES. 181
culte, qui, dit-on ne savait pas même écrire*. Elle se nommait
Ursule Goisson et touchait, outre la rétribution mensuelle, 33
livres de gages et 7 livres d'indemnité de logement. Nous ignorons
si quelqu'autre localité encore avait à cette époque une institutrice
catholique, mais la chose nous paraît assez peu probable.
Les chefs-lieux des paroisses rurales furent généralement pourvus
d'une école primaire avec un maître propre à leur tête, dans la
deuxième moitié du xvi' siècle. La paroisse de Clairegotitte eut le
sien, résidant dans la fdiale, le magny d'Anigon, dans le dernier
quart de ce même siècle. La maison qui devait servir à tenir la
classe avait été achetée dans ce dernier lieu en 1575 et payée sur
les fonds de la recette ecclésiastique de Montbéliard, dont dépendait
immédiatement le village comme appartenant à la seigneurie
d'Etobon. En 1580 nous trouvons à la tête de cette école Jean
Chardon, réfugié de France et théologien, qui assistait dans ses
fonctions le ministre de Clairegoutte, Firmin Dominique, sans
porter le titre de diacre ^ En 1586, c'est un laïque, Christophe
Poinsard, d'Héricourt, et après lui, Marc Girodin, également
laïque. Ce dernier avait été nommé en 1583 tabellion subrogé ou
adjoint pour les villages de la seigneurie ou terre d'Etobon, trop
éloignée de Montbéliard, et il remplit cette fonction jusqu'à sa mort
arrivée en 1635^
La paroisse à'Etobon reçut un maître d'école vers 1580, et c'est
sans doute de cette même époque que date la construction de sa
première maison d'école qui, comme toutes les autres, ne devait
être qu'une pauvre chaumière à peine logeable et plus propre à
abriter le bétail qu'à recevoir des êtres humains.
1. Il est vrai qu'alors et plus tard encore, on n'apprenait généralement pas
à écrire aux filles, de peur, disait-on, qu'elles ne fussent tentées de correspondre
avec leurs amoureux ou galants.
2. Jean Chardon était instruit pour son temps et surtout dans la langue
latine. A l'occasion du mariage du comte Frédéric de Montbéliard avec Sybilc,
princesse d'Anhalt, célébré à Stuttgard le 23 mai 1581, il fit imprimer à Bâle
un cpithalame en vers latins dédié aux nouveaux époux. Il quitta le pays de
Montbéliard peu d'années après.
3. Le tabellion était un fonctionnaire chargé de passer les contrats d'aliéna-
tion d'immeubles, tandis que le notaire rédigeait les testaments, les contrats de
mariage, les donations entre vifs, les titres d'obligations et, en général, tou
ce qui n'était pas de la compétence du premier.
i8i2 MÉLANGES.
La paroisse de Saint Maurice^ avait, dans le même temps, un
maître d'école résidant dans la filiale, Colombier- Fontaine (ou Colom-
bier-Savoureux), village tout à fait excentrique, érigé bientôt (1581)
en paroisse distincte avec Claude Debout pour ministre et que
nous voyons déjà supprimée en 1635. De même pour celle de Saint-
Julien, alors composée de six villages ou sections. C'était, dans
celte paroisse, le sieur Jean-George, qu'il n'est pas permis de ranger
au nombre des instituteurs ordinaires. Nous voyons, en effet, en
1588, les élèves des écoles de Montbéliard jouer, sur la place
d'Armes de cette ville, une pièce dramatique en vers de sa compo-
sition intitulée la Tragique Comédie et publiée par son auteur en
1609 à Montbéliard, « en la quelle, y est-il dit, l'histoire des deux
grièves tentations desquelles le patriarche Abraham a été exercé
(l'expulsion d'Agar et d'Ismaël et le sacrifice d'Isaac) est représentée.
La pièce fut aussi jouée à Saint-Julien.
Le fait étonnera moins quand nous rappellerons qu'à cette époque
les éducateurs de l'enfance étaient souvent des ecclésiastiques
chargés de remplir ces fonctions obscures et ingrates en attendant
qu'ils fussent placés à la tète d'une paroisse pour y exercer le
ministère évangélique. Les bourses créées au Séminaire de Tubingue
par codicille du comte George I", du 4 avril 1557, en faveur d'un
certain nombre d'étudiants en théologie de la principauté de Mont-
béliard avaient, dès l'année 1560, attiré dans cet établissement une
foule de jeunes gens peu fortunés auxquels la carrière pastorale
offrait un avenir assuré, de sorte qu'à partir de celte époque le
ministère put se recruter presqu'exclusivement de sujets indigènes,
et que l'on ne vit plus à la tête de nos églises que quelques rares
ministres venus de l'étranger.
Nous lisons dans les Actes du Consistoire de Vyans de l'année
1617 qu'un habitant de ce village^, chef-lieu de la paroisse de ce
nom, fut cité à la barre du Consistoire (à l'église) et « illùc censuré
1. Le village de Saint-Maurice avait dû remplacer le liameau du Ghàtelot
comme chef-lieu de la seigneurie de ce nom vers lu milieu du xvi'' siècle.
2. En 1670, Vyans comptait quarante Iiabitants formant neuf ménages. Il est
vrai que la guerre de Trente Ans avait bien décimé sa population, qui ne devait
cependant guère s'élever, cinquante-trois ans auparavant, au-dessus de soixante-
dix âmes. Bussurel, son annexe, renfermait douze ménages en 1681 (à peu
près quatre-vingt-dix âmes).
MÉLANGES. 183
et châtié à une amende de neuf gros pour avoir maudit et baillé
à tous les diables ceux qui étaient cause qu'il y avait un maistre
d'eschole dans la paroisse ». Ce fait ne semblerait-il pas autoriser
la supposition que ce maître n'y était installé que depuis peu de
temps et que la paroisse n'en avait été pourvue que tardivement.
II montre tout au moins que sa nomination n'était pas vue d'un
bon œil par tout le monde, ce qui n'a pas lieu de surprendre quand
on connaît les idées que se formaient de l'instruction les populations
villageoises et leur éloignement héréditaire pour tout travail de
l'esprit.
Les écoles primaires ou petites écoles (écoles de petits enfants)
devaient être alors, chez les réformés de France, en plus grand
nombre que chez nous, a tout ce que nous connaissons des anciens
protestants des classes populaires nous prouvant qu'ils possédaient
à un degré étonnant les saintes Écritures, ce qui suppose qu'ils
avaient reçu une instruction primaire » (M. le professeur Michel
Nicolas, dans le Bulletin de la Société de rHisloire du Protes-
tantisme français, tome IV, page 500). Avant la révocation de l'édit
de Nantes, le 1(S octobre 1685, il y avait au moins une école dans
chaque église et plusieurs existaient dans la plupart d'entre elles.
C'est ce qu'on peut conclure entr'autres d'un arrêt du 4 décembre
1671 qui interdisait aux réformés d'avoir plus d'une école en chaque
lieu où l'exercice public de leur culte était autorisé.
« Vers 1715 on en voyait partout dans les Cévennes; aucun village
ne manquait ni d'école, ni de régent; la plupart même avaient une
maîtresse. C'est que ces contrées reculées avaient été le dernier
asile du protestantisme persécuté, les prescriptions des édits de 1698
et de 1724 y avaient été exécutées avec plus de soin qu'ailleurs et
l'obligation édictée dans ces lois n'y était pas restée lettre morte »
(Maggiolo : De l'enseignement primaire dans les Hautcs-Cévennes
avant et après 1789. Nancy, 1879, page 23).
Notre pays, malgré tout le bon vouloir que montraient ses gou-
vernants pour l'instruction populaire et les sages et utiles règlements
qu'ils édictaient à son sujet, était loin de présenter un pareil spec-
tacle, et pour ce qui concerne en particulier les maîtresses d'école,
aucune ou presqu'aucune de nos communes rurales n'en a connu
avant ces derniers temps.
La guerre de Trente Ans fut funeste aux écoles villageoises plus
184 MÉLANGES.
encore qu'aux écoles urbaines. Elle décima nos paisibles et inoffen-
sives populations campagnardes et promena par toute la principauté
ses ravages et ses fureurs, n'épargnant ni âge, ni sexe, ni condition.
La mortalité, causée surtout par la peste de 1627 et celle de 1635,
s'abattit sur les maîtres de l'enfance comme sur les ministres, dont
la tâche excédait les forces et auxquels elle laissait à peine le temps
de respirer. Quinze de ces derniers (la moitié du nombre total)
succombèrent à l'horrible épidémie, qui moissonna un nombre à
peu près égal d'instituteurs. Toutes les classes durent être forcément
fermées et les leçons suspendues à la campagne comme à la ville.
Plusieurs maisons d'école, au milieu des hostilités sans cesse renais-
santes, furent réduites en cendres avec beaucoup d'autres habitations,
et le malheur des temps ne permit point de les relever aussitôt après
que le double fléau de la pesle et de la guerre se fut éloigné. On dut
alors, en bien des endroits, louer aux frais des communautés, pour
y retirer les enfants, des maisons particulières, disons mieux, de
véritables huttes où tout faisait défaut, l'air, la lumière, la salubrité,
et où souvent c'est à peine si l'on parvenait à se mettre à l'abri des
intempéries.
Pour remédier à cette triste situation causée par la guerre et ses
fureurs, le duc Léopold-Frédéric, aussitôt ([u'un peu de calme et
d'ordie eut succédé à l'orage qui s'était déchaîné sur notre pays,
décréta, vers le milieu du xvii' siècle, l'établissement d'un institu-
teur laujuc dans tous les villages de chaque paroisse, les élèves
devant rester réunis pour les deux sexes comme auparavant. Cette
mesure était sans doute inspirée par un sentiment véritable du
bien général, mais elle était prématurée, et son exécution, rendue
impossible par les circonstances d'alors, ne pouvait venir qu'avec
le teuips et des conjonctures plus favorables. Le successeur de
Léopold-Frédéric, le prince George II, renouvela la prescription,
mais en la limitant d'abord aux communes possédant une église
filiale fvillage avec un temple et services réguliers), et il paraît
certain que de 1660 à 1670 des maîtres d'école furent institués
dans toutes les localités où il existait une pareille église. La règle a
dû sonJTrir peu d'exceptions.
Ch. Roy, pasteur.
{Suite.)
BfBLIOGRAPIIîE
REPERTOIRE
I. BIOGRAPHIES. — Jules Vuy, Le réformateur Froment et
sa première femme, esquisse historique qui essaie d'interpréter,
au point de vue catholique, les document pul)liés et déterminés par
MM. Révilliod et Rilliet. Paris, Palmé, 1883, in-8'' de 42 pages. —
L'étude de M. Gaberel sur Jean Lecomte de la Croix d'Étaples
(Evangile et liberté, 30 novembre et 7 décembre 1883) renferme
quelques détails curieux sur Lefèvre d'Étaples; rectifications de
quelques-unes de ses assertions, par M. Daniel Benoit (même jour-
nal, 21 décembre 1883). Dans la Reçue critique dliistoire et de
littérature (IG juillet 1883), le compte rendu, par M. Douen, de
l'ouvrage de M. de Félice sur Lambert Daneau renferme une
longue dissertation substituant, avec beaucoup d'érudition cri-
tique, dans les salutations d'une lettre de Daneau, au nom de Ron-
sard, celui du conseiller Jacques Roillard ou Rouillard. — Tamizey
DE Larroque, Fontrailles et Montesquiou, corrobore l'opinion que
Condé, à la bataille de Jarnac, fut tué par Montesquiou {Revue de
Gascogne, t. XXIII, 1882, Arch., p. 371; voir aussi Bulletin de
la Soc. des Archives historiques de Saintonge, 1882). Sur du
Bartas : Léonce Couture, Les armoiries des duBartas, d'après
un tableau trouvé au château du Bartas près Cologne-du-Gers :
« Parti, au premier, d'or à la tourterelle d'azur, les ailes déployées,
becquée et membrée de gueules; au deuxième, parti de sinople au
lion d'or, armé et lampassé de gueules, et d'argent à la croix double
de gueules posée en bande. L'écu orné de feuillage d'acanthe. »
{Revue de Gascogne, t. XXIII, p. %).—[bid. p. 292-204 : Le même
avec T. de L. et le B^" de Frère de Peyrecave, Explication d'un
passage obscur de du Bartas, et, p. 489, Inscription commémora-
tive de du Bartas. — Beauchet-Filleau, Notes sur le ministre
186 BIBLIOGRAPHIE.
Marc Fossa, un des exécuteurs testamentaires de Joseph Desfon-
tailles, fondateur du collège de Melle {Bull, de la Soc. de statis-
tique des Deux-Sèvres, Niort, janvier, mars, 1881). — H. Mon-
ceaux, Gravures en bois portant le monogramme de Jean Cousin,
UArt, t. XXIV, 2= trim. de 1881. — Jules Loiseleur, Jacques
Androuet du Cerceau, ses séjours et ses travaux dans VOrUa-
nais. {L'Art, t. XXIX, ^' trimestre de 1882). — Revillout (Gh.),
Le jurisconsulte Jules Pacius de Bériga avant son établisse-
ment à Montpellier (1550-1602), Montpellier, Behm et fils, 1882,
30 pages. — Henri Lepage, Les mémoires de Michel de la Huguerye
(Addition et mort de l'auteur, assassiné le 26 juillet 1616) [Journal
de la Société d'Archéologie lorraine, 31^ année, Nancy, 1882, p. 43
à 58]. — Tamizey de Larroque, Lettres inédites de Saumaise. Ces
lettres sont au nombre de trente-cinq et adressées à Peiresc et à
Jacques Dupuy {Mémoires de V Académie de Dijon, 3' série, t. VI ï,
Dijon, 1883). — M. Eug. Hatin dans sa Biographie de Théophraste
Benaudot (Poitiers, Oudin, 1883) incline à croire que Renaudot,
« né dans la religion réformée, se sera converti au catholicisme à
la voix de son ami, le père Joseph, et peut-être un peu aussi à celle
de son intérêt bien entendu. »
II. GUERRES DE RELIGION, PROTESTANTISME DANS LES
PROVINCES. — Cauvin (Charles), Henri de Guise le Balafré. His-
toire de France de 1583 à 1589, Tours, Maine, 1881, grand 111-8°
de 376 pages. Plaidoyer ultra-catholique. — Bévue des questions
historiques, \" juillet 1883 : Les derniers jours de la Ligue (La
France en 1592. États de 1593. Absolution de Henri IV), par
H. DE Lépinois; l'"" octobre 1883 : l'Entrevue de Bayonne (1565),
par H. DE La Perrière. Préméditation de la Saint-Barthélémy, textes
nouveaux à l'appui. — Bévue des sociétés savantes des dépar-
tements, t. V, 1882, in-8°, p. 418 et 410. Commission donnée par
Calhoine de Médicis, le 8 octobre 1578, pour veiller à l'exécution
de l'édit de pacification qui avait suivi la paix de Bergerac (1577).
— E. Halphen, Lettres itiédites de Henri IV à M. de Bellièvre
(1602), Paris, Champion, 1881, in-8", en renferme entre autres une
qui commande au chancelier de poursuivre ceux qui ont injurié les
archers du guet accompagnant le corps d'un protestant. — M. de
RicnEMOND, archiviste de la Charente-Inférieure, vient de publier
un nouveau volume de l'Inventaire sommaire des Archives de ce
BIBLIOGRAPHIE. 187
département (Série//, supplément de 148 pages in-4°, 1883). Nous
y apprenons (p. 2,) qu' « avant la révocation del'édit de Nantes, dès
le 31 août 1685, les biens des consistoires de la religion réformée,
l'emplacement des temples démolis et des cimetières profanés
furent partagés entre les couvents. Six neuvièmes furent attribués
à l'hôpital, deux neuvièmes aux charitains et un neuvième aux hos-
pitalières. Les armes royales sculptées au fronton du prêche de la
Ville-Neuve (dont une rue garde encore le nom) ornent la massive
façade de la chapelle de l'hôpital Saint-Louis. » Cet hôpital reçut
(p. 9) les matériaux et l'emplacement du susdit prêche, construit le
1" mars 1630, pour remplacer le grand temple de la place du Châ-
teau converti en cathédrale, et démoli le 30 mars 1685, en exécu-
tion d'une sentence du parlement de Paris du 18 janvier, qui en-
voyait les pasteurs à la Bastille, interdisait l'exercice de leur culte
et devançait la révocation de l'édit de Nantes. Le domaine du
Plessis fut alors vendu aux Pères Jésuites qui le gardèrent jusqu'à
l'arrêt du Parlement du 6 août 1672. L'hôpital général ne fut pas
seulement un établissement charitable, il devint un lieu de déten-
tion pour les malheureuses femmes religionnaires, arrêtées par la
maréchaussée pour avoir lu l'Évangile et prié aux assemblées du
Désert (C. 135). Les séries G, D, E, G, H de cet important dépôt
ont été précédemment inventoriées par le même archiviste (voy.
1. 1, De l'Inventaire sommaire, 1877). La préface de ce volume nous
apprend (p. 7) que le fonds des religionnaires comprend dix-huit
articles formant des volumes reliés, in-folio, 1666-1789, et (p. 10),
que le supplément à la série E se compose des registres de bap-
têmes, mariages, communions et sépultures de l'Église réformée de
La Rochelle depuis 1561 jusqu'à 1791. « Le rôle joué dans l'histoire
du protestantisme français par la ville de La Rochelle donne une
importance particulière à ces registres où se pressent les plus grands
noms du xvr et du xvii" siècle : capitaines, théologiens, savants,
poètes, magistrats, marins, etc. Jean de la Haize, avocat, poète,
érudit; Jean Pierres, jurisconsulte; François de la Noue, grand
capitaine et moraliste; Jacques Esprinchard, savant voyageur; Le-
fèvre, humaniste illustre; les pasteurs Jean de l'Espine, Odct de
Nord, Rotan, Maigneau, Boysseul, Loumeau, Chanet, Golomiez,
Merlin, Philippe-Vincent, de l'Ortie, de Tandebaratz, Drelincourt,
de Laizement, etc. ; l'historien Amos Barbot ; l'avocat David Defos,
188 iJii!LiO(^.aAr'iiiE.
les annalistes Mervault, Raphaël Collin, Georges Reveau, Boucher
de Beauval, Abraliaiu Texereau; le général Ratuit, comte de Sou-
ches; le savant des Agiiliers; la famille Tallemant; le maire Jean
Guiton; les imprimeurs llaultin, typographes, fondeurs de carac-
tères et érudits; le médecin Bouhereau, érudit; les savants Baulot,
Seignelte; les familles Vivier, Fleuriau, etc.; le poète et historien
Agrippa d'Aubigné. » — H. Imbert, Documents historiques sur
Thouars et les environs (Thouars, 1879). Deux séries ont paru :
dans la première on relève : Registre du Consistoire de Véglise de
Tliounrs, 1594-1G15 (de la page 14'2 à la page 176); Permission
far Henri de la TrémoUle de bâtir le temple de Thouars, 20 mars
1640. Lettres du même sur cette construction ; dans la seconde,
Biographie de Claude et de Henri de la TrémoUle. — On a
réimprimé à Nantes (Forest et Grimaud, 1881) l'opuscule : La def-
faicte des troupes de Monsieur de Soubise et de la Cressonnière,
son lieutenant, par le sieur des Roches Barilaut, es païs du bas
Poiclon ; ensemble la mort dudit sieur de la Cressonnière et de
plusieurs autres rebelles à Sa Majesté ; avec la vraye relation do
tout ce qui s'est passé en icelle tant d'une part que à autre (102:2).
— Dans le Bulletin de laf^ociété historique de Périgord, t. IX,
Pcrigueux, 1882, in-8% p. 90-98 : Série de lettres inédites relatives
à la reprise de Périgueux par les catholiques, le 26 juillet 1581,
par M. Dupuy; — dans les Mémoires de la même Société, Péri-
gueux, 1882, p. 329 à 350, Larocue (Cn,), Montignac-le-Comte
au xxi" siècle, Description dn château qui relevait de la couronne
de Navarre et Notice historique sur les événements qui s'y passè-
rent de 1561 à 1594 pendant les guerres de religion. — Revue histo-
rique du Tarn, 3" vol. (1880-1881), Albi, impr. Nouguiès, 1881.
Anonyme : La chambre de Védità Liste (p. 26-28) années 1579-
1585, d'après les Archives municipales. — Pages 269-273 : Joli-
rois (E.), Notes extraites des archives communales de Boissezon
pour servir à l'histoire des Albigeois pendant la guerre contre
les protestants sous Louis XIII, 1621-1630 : — p. 322-325. Ano-
nyme : Lettres du duc de Rohan à Madiame et aux consuls de
Castres, 1621. — Bulletin archéologique de Tarn-et-Garonne,
t. X, année 1882, Monlauban, in-8». — Pages 13-32 : Moulenq
(François), Documents historiques sur le Tarn-et-Garonne; Castel-
sagrat, Détails sur l'église réformée de cette localité auxxvi" et xvii'
BIBLIOGRAPHIE. 189
siècles. — M. le P' 0. de Grenier-Fayal a publié, en 4G pages
in-S", d'après le texte original que lui a communique M. Dumas
de Rauly, archiviste du Tarn-et-Garonne, le Synode {provincial
7'éuni à) Réalmont en 1606, Montauban, 1883. Ce synode n'avait
pas encore été retrouvé dans la série TT. des Archives nationales.
Dans les pièces justificatives de la monographie des communes du
canton deLautrec, parM. Élie Rossigîsol (Toulouse, 1883, in-8° de
306 pages), il y en a qui intéressent l'histoire protestante, comme
celle qui raconte les événements dont le couvent de Lautrec fut le
théâtre en 1568. Le même décrit la Commanderie de Saint-Antoine
du Viennois dans le Bulletin de la Société archéologique du midi
de la France (Toulouse, 1881, 111-4"). — Charles Pradel, Notice
sur riniprimerie à Castres^ suivie d'un Catalogue des livres
imprimés dans cette ville, de 1605 à 1789. {Mémoires de V Aca-
démie de Toulouse, %" série, t. IV, l"-- et 2'' trimestres, 1882-1883).
— L'on a réimprimé à Yssingeaux (Micolon, 1881), Deffaite très
véritable de cinq cens hommes (de Privas), rebelles à Sa Majesté
qui s'étoient glissés clans le Velay pensant surprendre quelque ville
pour leur asseurance, par M. de Ghate et autre noblesse du pays (le
16 août 1621); et dans « V Ancien Forez (mars à décembre 1882,
Moutbrison), Un épisode inconnu des guerres de la Ligue dans
le Forez, plaquette très rare sur le combat de Virecul, 13 décembre
1586, distinct de celui de Mélrieux qui est du 9 décembre. — A.
Lagier, Notes historiques sur Tréminis (Isère), Grenoble 1881,
105 pages, parle des protestants dans cette localité, depuis la Ré-
formejusqu'ànosjours. — L. Niepce, Les monumments d'art de
la primatiale de Lyon, détruits ou aliénés pendant Voccupation
protestante de 1562, Lyon, Georg, 1881, in-8° de 106 pages. —
G. Herelle, Notice sur la [création de Véchevinage de Vitry-le-
François (p. 45-118). Denis Varnier, lieutenant criminel et chef
des protestants, disputa longtemps, mais inutilement, la charge de
président du conseil de ville à Antoine Linage, lieutenant-général
au baillage. L'échevinage fut créé par arrêt du conseil d'Etat du
29 juillet 1603 {Société des sciences et arls de Vitry-le-François,
t. X, 1879-1881).
4. REFUGE, RÉVOCATION, DÉSERT : The Academy, 1883, 24
novembre. — Robinson : licgister of Merchant Taylur's schooL,
vol. II, 1699-1874 (indications généalogiques, entre autres pour le
190 BIBLIOGhAPillE.
Refuge). — Dans la Zeitschrift des Vereins fur Hamburgische
Geschichte (Neue-¥o\s;e, IV, livr. 4) Sillem, surFHistoire des Néer-
landais à Hambourg depuis leur arrivée jusqu'à la signature du con-
trat néerlandais en 1605 (avec la liste des réformés wallons-flamands
réfugiés à Hambourg, celle des anciens et des diacres réformés à
Stade, de 1588-1618, et à Hambourg, de 1602 à 1618, etc.). — Du
MÊME : Deux séances de réformés néerlandais à Hambourg en 1621
et 1622,1a première, à Hambourg devant le palatin fugitif, Frédéric
de Bohême; l'autre à Pinneberg devant le comte Jobst H. de Scliaum-
berg, d'après les Archives de la communauté réformée de Ham-
bourg {Mitheilungen des Vereins, Hambourg, 1882). — Sains-
BURY (W. Noël) : The first seulement of french protestants in
America (Le premier établissement des protestants français en
Amérique). {The Antiquary, 1881, pp. 101-103 et 164-167). —
A. DE Rochas d'Aiglun : Pensées et mémoires poliliques inédits
de Vauban (Paris-Guillaumin, 1882, in-8'' de 46 p. (Extrait du
Journal des Économistes). Le quatrième et dernier de ces mé-
moires est la forme définitive, incomplètement connue jusqu'ici, des
Réflexions sur la guerre présente et sur les nouveaux convertis
(p. 5, 1693). — Gh. Dardier : A propos d'un abbé à un pasteur,
1759; Antoine de Valette de Taverne; J. Crinsoz, seigneur de
Bionens et de Cottens; Préoccupations apostoliques des Pasteurs
du Désert (Nîmes, 1883, 52 pages in-8''). — M. Frank Puaux
montre, par quelques documents empruntés aux archives du minis-
tère de la guerre, et qu'il publie dans VÉglise libre (25 janvier
1884), comment Bâville parvenait à capturer certains prédicants du
Désert, comme Boisson ou Bauzon, surnommé Lallemand ; Dombres,
ancien de Saint-Paul-Ia-Cosle, qui furent exécutés, M. de Valescure,
qui fut condamné aux galères (1689), etc. — Du même (Journal
du Protestantisme, 10 janvier 1884) : Une lettre de Louvois à Bâ-
ville où il estquestion de dépeupler les Cévennes (21 octobre 1686).
VÉglise libre reproduit quelques lettres inédites de pasteurs du
Déseil (Ilibes et Combes) adressées à M. Bouc de la Mazade (Lozère)
de 1755 à 1773 (7 et 14 décembre 1883), et M. Ferd. Teissier en
donne encore une de Bonnemci'c (voirie dernicA- Béperto ire), adres-
séeà M. Donnadieu, maître coi'donnier à Montpellier (UEvangéliste
du 28 décembre 1883). — Enfin ,lor.EZ (A.), La France sous
Louis XVI, t. II (Paris, Didier, 1881, in-8''), parle, entre autres,
NÉCKOLOGIE. 191
des réclamations de l'assemblée du clergé de 1780 au sujet des pro-
testants.
5. VARIA. — Notes, entre autres sur Goudimel dans J. Sittard,
Compendium der Geschichte der Kirchenniusik mit besonderer
Berucksichtigung des kirchlichen Gesanges von Ambrosius zur
Neuzeit, Stuttgart, Lugund MûUer, 1881, in-8°. (Manuel de Vhis-
toire de la musique d'Église). — Diettricii, Regesten und Briefe
des Cardinals Gaspar Conlarini (Correspondance de Contarini),
1483 à 1542 (1881) : Cet ouvrage donne d'intéressants détails sur
les essais de réforme tentés au xvi' siècle au sein de l'Église catho-
lique. On trouvera une étude de M. H. Louchay sur les Edits des
princes-évêques de Liège en matière dliérésie au xvf siècle; et
une autre de M. Frédéricq, sur VEnseignement public des calvi-
nistes « Gawrf (1578-1584), dans les travaux du Cours pratique
d'histoire nationale, de Vaul Frédéricq, université de Liège (Gand
et La Haye, 1883), M. Staehelin passe en revue les ouvrages pu-
bliés de 1879 à 1883 sur VHistoire de la Réforme en Suisse, dans la
Zeitschrift fur Kirchengeschichte (Band VI, Heft 3).
NÉCROLOGIE
M. MIGNET
La France et l'Institut viennent de faire une grande perte en M. Mignet,
doyen de l'Académie française, secrétaire perpétuel honoraire de l'Aca-
démie des sciences morales et politiques, le dernier survivant de la
grande école historique qui demeure l'honneur de ce siècle.
Né à Aix en 17;)6, hoursicr au lycée d'Avignon en 1809, François Mignet
fit son cours de droit dans sa ville natale, oîi il eut pour condisciple
Adolphe Thiers, auquel l'unit une amitié qw a duré autant que leur vie.
Attirés tous deux à Paris en tcS2t, par de précoces succès académiques,
dans toute l'ardeur de la jeunesse et du talent, ils se ])artagèrent
l'étude de la Révolution française, dont l'un fut le narrateur brillant et
l'autre le théoricien profond, ne demandant i)as même à l'histoire une di-
version aux luttes animées de la presse, aux déljats retentissants de la
tribune, qui préparèrent la révolution de 1830.
Thiers et Mignet prirent, comme rédacteurs du National, une grande
192 NÉCROLOGIE.
part à ravènement de l'ordre de choses nouveau, où leur place était
marquée. Mignct n'y chercha que la satisfaction des goûts historiques
auxquels il a su demeurer toujours fidèle. Nommé directeur des Archives
au ministère desallaires étrangères, il y puisa la mati^re de ses admi-
rahles travaux sur les négociations relatives à la succession d'Espagne,
véritahle histoire diplomatique du règne de Louis XIV, qui s'arrête à la
paix deîNimègue, et que résume une introduction justement considérée
comme un chef-d'œuvre. Le xvr siècle n'attirait pas moins Mignet. Bien
jeune encore il avait donné à l'Athénée des lectures sur la Uéforme qui
laissèrent une impression ineffaçable à des auditeurs d'élite. Il songeait
même à écrire l'histoire de la grande rénovation politi(}ue et religieuse
pour laquelle il n'a jamais cessé de recueillir des matériaux. A cet ordre
d'idées se rattachent le hcan Mémoire sur fétablissenieiit de la Reforme
à Genève, et les articles non moins remarcjuables qu'il consacra plus
tard aux Lettres françaises de Calvin dans le Journal des savants, de
1856-1857, où ce trésor ne doit pas demeurer enseveli. Un volume sur
Calvin plusieurs fois annoncé ne déparera pas l'œuvre du maître, et
montrera sous son double aspect la révolution accomplie dans la cité dn
Léman.
La plupart des ouvrages publiés par M. Mignet se rapportent à la
grande époque dont il avait fait comme son domaine favori. Antonio
Ferez, Chnrles-Quint à Saint-Juste, Marie Stuart, autant d'épisodes
tracés de main de maître, qui trouvent un digne complément dans la
Rivalité de François I" et de Charles-Quint où la maturité de l'expé-
rience n'a rien ôté au charme et à l'éclat du talent. Mais c'est à l'Acadé-
mie des sciences morales et politiques que M. 3Iignet réservait ses mor-
ceaux les plus exquis, dans ces notices écrites avec tant de profondeur,
lues avec tant de perfection, dont le recueil si varié semble l'histoire de
l'esprit humain dans ses représenlants les plus distingués au xw" siècle.
Je ne puis qu'esijuisser ici la belle carrière du grand historien, du
penseur éminent qui fut un modèle de grâce et d'urbanité dans les rela-
tions ordinaires de la vie. .l'essaierai de le peindre ailleurs tel que je l'ai
connu. Je ne saui'ais oublier les liens qui l'unirent à notre œuvre historique,
au modeste Bulletin dont il fut un des premiers abonnés et le lecteur
attentif durant trente-trois ans. Grand honneur pour notre Société
d'avoir eu pour président honoraire M. Guizot, et pour juge bienveillant,
j'oserais dire pour ami, l'illustre écrivain (jui s'est éteint, le 2i mars
dernier, rassasié de ti'avaux et de jours, et dont la mort est pour plu-
sieurs de nous comme un deuil personnel.
J. B.
L'Académie française, dans la séance du 20 mars, a rendu son juge-
ment sur le concours pour le prix d'éloquence : Discours sur la vie et
les (l'urres d'A(irii)pa d'Auhir/îié. Elle a décerné le prix à M. Paul
Morillot, professeur au lycée de Dijon. Une mention honorable a été
accordée à M. le pasteur Fabrc, aumônier du lycée de Nîmes.
Le Gérant : Fisciiiîaciier.
BouiU.dTON, Iiii|Miiiit'rifS réunies, B.
SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE
DU
PROTESTANTISME FRANÇAIS
TRENTE ET UNIÈME ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
DE LA SOCIÉTÉ
La Société de l'Histoire du Protestantisme français a tenu sa
31" séance générale le jeudi 21 avril 1884, à 8 heures du soir, au
temple de l'Oratoire Saint-Honoré, devant une nombreuse assemblée
dans laquelle on remarquait les pasteurs Appia, Boucher, Decop-
pet, Jacot, Labeille, Lalot, Malter, Puaux père, Recolin, etc.
L'Union chorale de l'Église réformée de Paris a de nouveau gra-
cieusement contribué au succès de cette soirée. Elle a ouvert la
réunion par le chant d'un psaume du xv'^ siècle dont la mélodie
douce et pénétrante contrastait heureusement avec les accents virils
ou mélancoliques des psaumes huguenots 119, 42, 68 (des ba-
tailles) et du choral de Luther qui furent successivement exécutés
après la prière d'ouverture de M. le pasteur Puaux père, et avant
celle par laquelle M. le pasteur Appia a clos la séance. Le rapport
de M. le baron F. de Schickler était particulièrement riche cette
année; dans cet exposé toujours nouveau on a fort goûté l'analyse de
quelques-uns des trésors de la collection d'autographes protestants
que madame Pierre Labouchère a léguée à la Bibliothèque de la
Société. En terminant, M. le président n'a pu que mentionner le
don important de M. le pasteur Mounier, d'Amsterdam, reçu, place
Vendôme, quelques heures seulement avant la séance. On lira avec
intérêt, après ce rapport où personne n'a été oublié, l'étude pleine
de finesse de M. Ch. Read snr Rabcmt Sainl-Ëtienne et liul-
hière et les notes spirituelles de M. le pasteur P. de Félice sur
Deux intérieurs de pasteurs au xvii° siècle.
xxxiii. — 13
194 RAPPORT DU PRESIDENT
RAPPORT DE M. LE BARON F. DE SCHICKLER, PRÉSIDENT
SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
Messieurs,
11 y a deux ans que vous ne vous étiez réunis dans ce
Temple autour des enseignements de notre liistoire. Après
vous avoir rendu compte de ses travaux vingt-neuf fois de
suite avec la seule et douloureuse interruption de 1871, le
Comité a cru devoir prendre, en 1883, l'initiative d'un dépla-
cement pour lequel ne manquaient ni les motifs sérieux, ni
les invitations répétées; et votre sympathie constante s'est
associée de loin à ce premier essai de décentralisation, et s'est
réjouie avec nous d'un succès qui a égalé, ou mieux, (jui a
dépassé nos espérances.
Du moment où nous nous décidions à transporter en
dehors delà capitale une de nos assemblées générales, le lieu
semblait indiqué à l'avance. Il s'agissait d'abord d'entrer en
rapports plus directs, en contact personnel avec des amis de
longue date dont plusieurs sont des collaborateurs dévoués ; il
s'agissait ensuite de faire connaître notre œuvre à un grand
nombre de ceux qui, n'habitant point Paris, oublieraient
|)eut-ètre que c'est sur l'histoire de la France protestante
tout entière que nos efforts sont dirigés; il s'agissait, et nous
l'avons dit alors avec une conviction profonde, il s'agissait
sui'Iout d'aller chercher nous-mêmes les leçons du passé, là
où ce passé se perpétue dans ]os sites qu'immortalisa
l'héroïsme des pères et que vénère le respectueux attache-
ment des enfants. Et les souvenirs des résistances suprêmes,
des derniers martyrs, de la résurrection de nos églises après
leur écrasement et leur dispersion violenle nous attendaient
dans ces montagnes des Gévennes, sur cette plage d'Aiguës-
SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ. 195
mortes, clans tous les alentours de Nîmes, la grande cité pro-
testante, la patrie de Brousson et de Paul Rabaut.
Pour ceux qui ont eu le privilège d'y prendre part, les
journées des 9, 10 et 11 octobre, ont été comme des pages
d'histoires vivantes et vécues. Vous ne vous étonnerez pas si,
revenant dans ce coup d'œil rétrospectif, sur les points lumi-
neux du 31' exercice, nous olYrons encore l'expression de
noire gratitude à nos frères du Midi pour un accueil dont
l'impression ineffaçable restera dans nos mémoires et dans
nos cœurs.
Nous avons voulu associer nos églises à ces émotions, par
l'envoi d'une publication spéciale « Les réunions historiques
du Gard » à tous les pasteurs de France, aussi bien qu'à tous
les abonnés du Bulletin.
Ce Bulletin même, par la plume appréciée du secrétaire,
M. Jules Bonnet, que sa santé retient malheureusement loin de
notre 3P assemblée, n'avait pu leur consacrer qu'une analyse
sommaire, réservé, comme il doit l'être aux documents sans
lesquels Thistoire n'a point de fondements sérieux, aux
études qui n'ont de valeur réelle que si elles marquent un pas
de plus dans les progrès de la science. Ce caractère nous pou-
vons l'attribuer à plusieurs des monographies insérées dans
les 32' et 33' volumes, parmi lesquelles nous rappellerons
celle de M. Marins Talion sur l'église des Vans et la confé-
rence de M. Franck Puaux sur Marennes, son temple et ses
écoles. Les documents recueillis appartiennent aux irois der-
niers siècles : à ceux de la Révocation et du Désert des actes
de démolition de temples, le procès sacrilège fait à Pamiers
en 1676 au cadavre d'un relaps six mois après le décès, les
feuillets d'un journal relevant dimanche par dimanche les
prédications aux environs de Nîmes de 1743 à 1758, où, bien
loin d'être écartés par l'imminence du péril, les auditeurs se
pressaient au nombre de 10, 12 et même 15 000 !
C'est à des temps plus reculés ({ue sont empruntés les pro-
cès-verbaux, reproduits in extenso, des poursuites, enquêtes
196 RAPPORT DU PRÉSIDENT
et condamnations contre les Réformés d'Alençon en 1533 et
1534 : on y implique quarante accusés, sujets de la sœur de
François I", si violemment attaquée ell«-même par la Sor-
bonne, trois prêtres, quatre moines, une dame noble : neuf
sentences capitales furent prononcées et cinq suivies d'exé-
cution, aulant de martyrs restés jusqu'ici inconnus et que
nous rendent les savantes investigations de M. l'archiviste
Paul Guérin dans les registres criminels de l'ancien Parle-
ment de Paris.
Les découvertes, qui n'ont pas toutes il est vrai, cette im-
portance, se multiplient depuis quelques années. Le Réper-
toire consulté de plus en plus, mais que nos correspondants
pourraient certainement seconder et alimenter davantage, a
continué de relever les articles de Revues, les opuscules,
notices et ouvrages plus étendus qui, par un côté quelconque,
touchent à l'Histoire du Protestantisme français. Nous y avons
salué la naissance d'une Revue sœur de la nôtre, le BuUeiin
de la Commission pour Vllisloire des Églises wallonnes :
deux belles livraisons prouvent à quel point nos recherches
bénéficieront de celles de nos savants coreligionnaires des
P.ays-Bas.
Au nombre des publications de valeur qui ont vu le jour
depuis quelques mois, nous placerons Vllisloire de la Ré for-
mation à Bordeaux et dans le ressort du Parlement de
Guyenne, par M. Gaullieur : le premier volume, seul paru, ne
dépasse pas la paix d'Amboise; ne nous en plaignons pas,
<:e travail magistral est rempli de révélations. C'est ainsi que
nous initiait jadis à l'histoire de la Bretagne protestante, le
pasteur Vaugiraud, un des tout premiers membres de notre
société (le 16'), que Dieu nous a repris le 23 décembre dernier.
M. llerminjard a publié après cinq années de laborieuse
préparation le sixième tome de la Correspondance des Réfor-
mateurs dans les pays de langue française (1539-1540), et
s'est vu offrir à celte occasion par l'Université de Genève, les
légitimes honneurs d'un doctorat exceptionnel. M. Henri
SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ. 197
Bordier nous promet incessamment la seconde partie du
tome IV de la France Protestante, qu'avaient retardée les trois
feuilles d'additions aux lettres A B et G dont elle est enri-
chie. Étant parvenu avec la fin du C à atteindre la page 173
du IV volume du Haag, il s'ensuit qu'il est pleinement entré
dans le second tiers de la tâche entreprise avec autant de
science que de dévouement. M. Alfred Franklin, entouré
d'une élite de collaborateurs érudits, en est au 38' fascicule
des Grandes Scènes historiques du xvi" siècle, reproduction
fac-similé des planches de Tortorel et Périssin accompagnées
de notices variées qui leur donnent un attrait particulier; lAI. le
pasteur Vielles a édité avec un luxe intelligent les mémoires
de Bonbonnoux, le chef camisard. M. Dardier livre à la presse
les lettres de Paul Rabaut et M. le prof. Michel Nicolas, l'his-
toire depuis longtemps désirée de l'Académie Protestante de
Montauban. Enfin le second volume de Y Histoire ecclésias-
tique de Th. de Bèze, annotée et commentée par MM. Baum et
Gunitz, révisée par M. Jules Bonnet est complètement imprimé
et prêt à paraître à la librairie Fischbacher. Constatant les
progrès de cetle splendide édition que nous avons si souvent
recommandée, il y aurait sans doute de l'affectation à sem-
bler ignorer devant vous les pénibles dissentiments avec la
société des livres religieux de Toulouse au sujet de l'édition
de Th. de Bèze et du martyrologe de Grespin; l'écho en a
été forcément rendu public. En ce solennel et heureux anni-
versaire nous aimerions cependant à ne nous arrêter que sur
les côtés réjouissants de notre mission — et grâce à Dieu ils
ont été particulièrement nombreux dans cet exercice. Aussi,
après avoir rempli, et nous réservant de remplir s'il le faut
encore, le devoir impérieux que nous commandaient d'une
part les droits méconnus du Comité des classiques, émanation
du nôtre, et d'autre part, les intérêts menacés de la science
historique et réformée, aurons-nous garde d'ouvrir a nouveau
ce soir un débat dont les éléments ont été mis à la portée de
tous par notre circulaire du 11 mars 1884.
198 RAPPORT DU PRESIDENT
Si l'on éprouve parfois le sérieux regret, le douloureux
étonnement de ne pouvoir réunir autour d'une grande et
belle œuvre toutes les forces vives du protestantisme , com-
ment serait-on surpris quand surgissent, du sein d'un catho-
licisme outré ou de la soi-disant libre pensée les attaques
passionnées contre l'accomplissement d'un acte de tardive et
trop juste réparation? Vous avez assisté comme nous,
Messieurs, il y a quelques mois, à une explosion contre la
mémoire de Coligny, de vieilles rancunes que l'on croyait défi-
nitivement éteintes, de calomnies usées à force d'avoir été
péremptoirement réfutées depuis trois siècles. L'apparition
du beau livre de notre collègue M. le pasteur Bersier a été
comme le signal de ce déchaînement, et tandis que le Comité
Coligny avait eu la joie, recevant dans son sein de nobles
membres du catholicisme, de montrer clairement qu'il éri-
geait une statue, non au grand huguenot seulement, mais
avant tout au grand Français, il s'est trouvé dans les rangs les
plus divers de la presse quotidienne de ces aveugles, — puis-
sent-ils l'avoir été involontairement ! — qui se sont efforcés
d'arracher à l'avance de son piédestal la figure auguste que
nous voulons y dresser. Reproduire ces accusations qui se
suivent et se ressemblent par la méconnaissance des conclu-
sions de l'histoire savante et impartiale, et parfois par l'igno-
rance la plus grossière des événements, ne serait peut-être
qu'en faire justice. Mais en est-il besoin? avons-nous à
défendre une cause depuis longtemps gagnée ? Lorsque accu-
sant Coligny d'avoir voulu s'appuyer sur l'Angleterre on
exaltera les Guises qui offraient la France à l'Espagne, quand
on fera « un simple colonel de cavalerie, un général toujours
battu », un « Tartufe », un « révolté qu'on ii bien fait d'as-
sassiner à temps », on va jusque-là, Messieurs, — de l'homme
auquel l'armée française a dû son organisation première, la
France ses premières colonies et qui, au moment même « où
il fut si indignement massacré » (St. -Simon), voulait doter sa
patri(; de ces frontières naturelles rêvées ensuite par Henri IV
SVR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ. 199
eL par Richelieu, — nous laisserons le soin de répondre à
des juges que les adversaires ne pourront récuser.
«Henri IV, nous dit St. -Simon, eut pour maître le plus
sage et le plus honnête homme de son temps, le plus grand
capitaine, le plus adroit à tirer parti des événements les plus
fâcheux et à relever son parti de ses chutes et de ses plus
grandes pertes, le plus hahile à le tenir uni et parer tout ce
qui pouvait le diviser, enfin le plus désintéressé, le plus
prudent, le plus aimé et le plus estimé de son parti dont il fut
toujours l'âme et le soutien, le plus autorisé chez les étran-
gers dont il savait s'appuyer pour des secours et pour les
négociations, le plus considéré du parti contraire, et ]e plus
(jénéralement respecté et admiré pour ses vertus. Tel fut l'ami-
ral de Coligny, si peu heureux et si digne de l'être. »
« Pour confirmer le hruit qu'on voulait répandre de la con-
juration de l'amiral, dit Bossuet, on lui fit faire son procès.
La reine-mère fit chercher parmi ses papiers quelque chose
qui diminuât l'horreur qu'un tel meurtre devait causer dans
les pays étrangers. On ne trouva que des mémoires pour la
guerre de Flandre, et des avis qu'il donnait au roi pour le
bon gouvernement de son état. Il l'avertissait entre autres
choses de ne point donner trop de crédit ou de trop puissants
apanages à ses frères, et d'empêcher de tout son pouvoir que
les Anglais n'acquissent dans les Pays-Bas révoltés un pouvoir
qui deviendrait fatal à la France. La Cour affecta de commu-
niquer ces mémoires au duc d'Alençon et à la reine d'Angle-
terre; on représentait à l'un et à l'autre la manière dont les
traitait un homme qu'ils estimaient tant. La réponse fut
honorable pour l'amiral : ils dirent qu'ils pouvaient peut-
être se plaindre de lui, mais que le Roi, du moins, s'en devait
louer et que des avis si solides et désintéressés ne pouvaient
venir que d'un fidèle serviteur... Ainsi tout ce qu'on employait
pour décrier l'amiral ne servait qu'à illustrer sa mémoire. »
Et nous ne nous lasserons pas de répéter avec Montes-
quieu :
200 RAPPORT DU PRKSIDEXT
« L'amiral Colignyfut assassiné n'ayant dans le cœur que
la gloire de l'État. »
A ces voix du passé ajoutons, sur la conversion de Colignv,
celle de l'historien éminent que la France vient de perdre :
« La gravité hardie et ferme de son esprit », écrit M. Mignel,
la pieuse austérité de son âme l'avaient rapproché d'une doc-
trine qui semblait à la fois plus pure et plus forte, qui rame-
nait librement à l'Évangile, soumettait pleinement à Dieu,
ranimait la foi religieuse sans interdire la raison humaine,
faisait de rigides chrétiens et d'enthousiastes martyrs. )>
Qu'il nous soit permis de rendre ici un suprême et respec-
tueux hommage à la mémoire de l'illustre M. Mignet. Il avait
senti, l'un des premiers, que l'histoire doit reposer, non sur
des conjectures ou des impressions, mais sur des faits établis
par les documents qu'ont laissé les acteurs et les témoins de
ces faits. De là ses vastes recherches dans les archives de la
France et de l'étranger, ces matériaux accumulés avec autant
d'intuition que de persévérance, ces livres où revivent, avec
un charme pénétrant, quelques-unes des figures les plus mar-
quantes du xvr siècle, les contemporains de ce mouvement
religieux qui avait formé le sujet de ses lectures publiques à
l'Athénée dès son entrée dans la carrière des lettres. Son at-
tention s'est portée longtemps et à plusieurs reprises sur
Calvin : en 1837 il présentait à l'Institut un mémoire sur
l'établissement de la Réforme à Genève, qui fait autorité : en
1856 et 1857, lors de la publication par M. Jules Bonnet, des
Lettres Françaises, il commcnçailùixnsleJournal des Savants
une série de travaux approfondis qui faisaient espérer de
lui un tableau complet de l'œuvre religieuse et politique du
réformateur. Mais si le temps fait défaut, même aux exis-
tences les plus longues et les plus constamment remplies, il
en avait retracé au moins les grandes lignes, par cette analyse
de l'action de Calvin dans la constitution des églises, dans la
direction des partis, et de la pensée de Calvin dans l'institu-
tion chrétienne ouvrage fondamental de 1' « écrivain rare qui
SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ. 201
s'est formé sans modèle et qui est resté longtemps sans imi-
tateur. f> M. Mignet avait initié beaucoup d'esprits, d'abord
indifférents ou hostiles, à l'histoire plus vraie de notre Pro-
testantisme; il n'a cessé de s'intéresser au progrès de cette
histoire : il n'avait cessé, rappelons-le avec gratitude, depuis
le jour où il s'inscrivit le 101' sur la liste de nos premiers
membres, d'être un des lecteurs les plus fidèles du Bulletin,
et d'accorder à nos études l'honneur de ses fréquents et pré-
cieux encouragements.
Moins préoccupé du côté religieux que du côté politique et
social des questions, M. Mignet n'était pas remonté assez
loin vers la toute première aurore de la Réforme : sur ces
enfantements obscurs et mystérieux la lumière ne se fait que
lentement. Nous espérions en accélérer la diffusion par le
concours de 1884 : aucun des mémoires commencés n'ayant
été achevé dans lu délai présent, nous remettons au concours,
avec le terme nouveau du 15 février 1885 : « La vie de Lefèvre
d'Étaples et les origines de la Réforme depuis la publication
du Commentaire sur les épnlres de St. Paul jusqu'à V appari-
tion de Vinstltution chrétienne de Calvin en 1536 », c'est-
à-dire six ans avant son interdiction officielle par l'arrêt du
Parlement de Paris retrouvé récemment aux Archives natio-
nales par M. Weiss et inséré dans la livraison de janvier du
Bulletin de cette année.
Vous le voyez, M. le pasteur Weiss continue à être pour notre
Société un collaborateur autant qu'un bibliothécaire zélé,
toujours prêt, le lundi et le jeudi, à mettre nos ressources à la
disposition du public, ou à recevoir les adjonctions que des
amis généreuxapportent souvent eux-mêmes à nos collections.
La Bibliothèque poursuit sa marche d'accroissement rapide.
Comme d'habitude vous retrouverez en note du rapport, le
relevé de nos donateurs S mais il y aurait une véritable ingra-
1. Donateurs de livres depuis le 30 avril 1883 jusqu'au 20 avril 1884. Le
ministère de l'Instruction publique, le gouvernement de S. M. britannique, la
commission des archives wallonnes, la Smitiisonian Institution, les Facultés de
!202 ItAPPORT DU PRÉSIDENT
titude à ne pas signaler les bienfaits répétés de madame la
baronne de Neuflize; le don du ministère de l'Instruction
publique (six vol. du Catalogue général des manuscrits des
départements et le répertoire liislorique) auquel s'ajoute celui
de M. A. Maury de l'inventaire sommaire des Archives; un
exemplaire presque unique de l'édition princeps des Souf-
frances de Louis de Marolles placé par M. le pasteur Gagnebin
près de celui de la 2' édition, déjcà rarissime, précédemment
offert par lui; les nombreux ouvrages de prix des xvi' et
xvif siècles offert par notre vice-président M. le comte Dela-
borde, et le présent magnifique de quatre-vingt-sept volumes
des Calendars (Analyses des papiers d'État de l'Angleterre)
que le gouvernement de Sa Majesté britannique vient d'ajou-
ter à la série considérable accordée il y a douze et dix ans.
Nous sommes redevables de portraits anciens à madame
Fuchs, de manuscrits à MM. les pasteurs Delon et Gaidan, à
MM. Falguière, Talion et Teissier : dans ce dernier dossier
ligure une lettre autographe de Rohan, dans celui de M. Fal-
guière une ordonnance en forme de placard qui a été affichée
et porte confiscation de plusieurs caisses de livres saisies à
Beaucaire et Villeneuve-d'Avignon en 1735. Les détails en sont
curieux : désireux de faire parvenir le pain de vie à des frères
persécutés et depuis longtemps sevrés de toute nourriture
spirituelle, les Genevois avaient dissimulé des Nouveaux-Tes-
Ihéologie protestante de Montauban et de Paris, MM. Alfred André, Rev. Ashton,
Baucr, Block, J. Bonnet, Bordier, Clievrier, C Clibborn, comte J. Delaborde,
Delon, p"", Fauricl, Fischbachcr, Frossard, p'', Gagneliin, p', Guitlon, p% Alf.
Maury, Mcnc^oz, p', Morizc, Mme la baronne de Neuflize, MM. d' Niemeyer,
Puaux, p"', Pulsford, p"', Ch. Uead, F. de Scbickler, Tarrou, p', Ferd. Teissier,
Villaret, Weiss, p'.
Comme auteurs : S. Berger, pr, Chevrier, Dardier, [>', de Grenier-Fajal, p',
Prof. Fredericq, Frossard, p% Kobler, Ollier, de Richcmond, Roman, Sohier de
Vcrinandois, p". Vielles, p''.
Manuscrits : legs de Mme Labouchcre, MM. Delon, p'', Gaidan, pf, Falguière,
Read, de Schickler, Talon, Teissier.
Gravures : legs de Mme Laboucbère, Mme Fuciis, M. Frank Puaux. De
Mme Piclierai-Dardicr, copie à riiuile du portrait ilc Paul Raliaut.
SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ. 203
laments, des psautiers, des sermons de Saiirin, de Jacquelot,
de Drelincourt, des controverses de Claude sous des paquets de
la Henriade, de St. Jérôme, de Mézeray, voire même des bré-
viaires ou des contes deCrébillon, mais au moment d'arriver
à la foire de Beaucaire d'où la propagation était assurée à
l'avance, les caisses sont saisies, examinées et inventoriées,
et en attendant le prononcé du jugement contre les délin-
quants, Nouveaux-Testaments, psautiers etsermonnaires sont
impitoyablement condamnés à être brûlés en place publique,
« ou devant l'Hôtel de ville de Beaucaire en présence du maire
et des Consuls. » Ces autodafés répétés expliquent la rareté
des vieux volumes que nous conservons à la Bibliotbèque.
Ceux d'entre vous qui l'ont visitée connaissent le tableau de
l'entrevue de la Rochelle qui en orne la salle de lecture, légué
en 1874 par l'artiste M. Ph. A. Labouchère avec des médailles
et des livres rares. M. Labouchère ne s'était pas contenté de
reproduire par son pinceau les grandes scènes protestantes;
pour mieux les saisir, pour s'identifier avec ces hommes d'un
autre âge il aimait à visiter les lieux où ils avaient agi, à relire
leurs écrits, à recueillir leurs portraits, à rassembler des
lettres tracées par leurs maiiis : deux volumes de sa célèbre
collection d'autographes étaient consacrés aux « Réformés ».
En regard de l'épître ou du document il se plaisait à placer la
gravure, quelquefois la copie à l'aquarelle d'un portrait du
temps, et à compléter par des notices ces in-folios dont il
serait difficile, en quelques lignes, de décrire les richesses.
Il ne put les achever, arrêté par la mort qui devait à deux
reprises si rapprochées frapper la famille Labouchère, et nous
enlever successivement le respecté et sympathique ami de
notre œuvre, et le jeune collègue sur lequel nous avions fondé
tant d'espérances. Mais la noble veuve, la digne fille de ma-
dame J. Mallet, reprit le travail interrompu : elle fa poursuivi
en pieuse communion de pensée avec celui qui l'avait préparé,
accompagnant les pièces anciennes de transcriptions cor-
rectes, continuant les notices et les extraits, ajoutant même
20i- UAI'PORT DU l'UÉSIDENT
des autographes à la colleclion, ne renonçanl jamais à s'y
intéresser jusqu'au jour récent où rappelée, elle aussi préma-
turément, auprès de ceux qui l'avaient devancée, elle nous a
légué ces précieux albums. Vous y rattacherez comme nous,
Messieurs, un triple et vénéré souvenir.
Énumérer les deux cent cinquante documents serait évo-
quer l'un après l'autre les noms les plus frappants du Protes-
tantisme français, ou même de la Réforme en général, car
tout un groupe se rapporte à la Confession d'Augsbourg. Cer-
taines Bibliothèques de l'Allemagne nous envieraient ces
pièces des amis de Luther, docteurs ou princes, depuis Bu-
genhagen, Cruciger, Jonas, Peucer, Spalatin jusqu'à Frédéric
le Sage, Philippe le Magnanime, Maurice de Saxe, Albert de
Mansfeld qui reçut son dernier soupir, des théologiens do
Strasbourg, Ilédion, Capiton, Sturm, des correspondants
d'Erasme « theologorum summus » comme l'appelle Glarea-
nus, et parmi ceux de Vadian, Bullinger, Munster, Myconius,
Oecolampade, l'une des perles du recueil, Zwinglc, i3 oc-
tobre 1530, quelques mois avant sa mort héroïque à Cappel.
Plaçons près de la signature de l'augustin Staupitz celle de
Charles-Quint au bas d'une des convocations pour la diète de
Worms : ici une lettre de Bucer à Luther, là deux longues
missives de Mélanchton; celle de Luther lui-même brille au
milieu d'un dossier qui se rapporte exclusivement à lui. C'est
encore à l'étranger qu'appartiennent Flaccus lUyricus, Ar-
minius, Uytenbogaard, Marnix de Sainte-Aldegonde, Guillaume
le Taciturne, Guslave-Adolplie, l'électeur F. Guillaume de Bran-
debourg, et Vittoria Colonna, la poétique marquise de Pes-
caire, l'amie de Michel-Ange et de Renée de France.
Revenant aux Français, nous sommes arrêtés par Farel,
15oG, ensuite par Calvin, original de la magnifique épître à
d'Andelot prisonnier, pour l'exhorter à la persévérance dans
la foi (cause de sa captivité, 21 mai 1558); Virel, signature
au bas d'une adresse des pasteurs de l'église de Lyon au Con-
seil de Berne, 1565; Th. de Bèze, deux lettres, une à Béroalde,
SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ. 205
1573; Odet de Châlillon, Renée de France, Jean Parthenay
Larchevêque, sieur de Soubise ; un reçu de Ramus, « lecteur
ordinaire du Roi, du semestre de la pension allouée par le
Prévôt des marchands, 75 L. T. (1507) et un d'Ambroise Paré,
premier chirurgien du roi; beaucoup plus tard deux de d'Au-
bigné « escuyer d'escurie » ; deux lettres de Coligny dont une
à Jeanne d'Albret, deux de Jeanne d'Albret dont une à Char-
les IX, moins de deux ans avant les Noces Vermeilles; la rap-
procherons-nous de celles des Tavannes, Montluc, Nevers et
Catherine de Médicis engageant si tendrement sa fdle à user
de toute son influence sur Philippe II en faveur d'Antoine de
Navarre afin de le contenter et par là « d'assurer la conserva-
tion de la religion... » « Pour ce ma fdle, m'amye,si vous m'ay-
mez et si vous avez envie de mon repos, je vous prie ne
craindre et ne croire ni ambassadeur ni autre et faire ce que
je vous prye, qui est que étant avec le roi votre mari vous lui
disiez... » Mais il faut borner les citations, et même renvoyer
au Bulletin pour quelques pièces que M. Labouchère avait
autorisé à y insérer, par exemple l'émouvante plaidoirie de
Catherine de Navarre suppliant son frère d'empêcher le duc
de Bar de la priver de ses femmes protestantes.
Plus tard c'est La Noue Bras de fer, deux lettres, plus les
points de sa délivrance, paraphés par Duplessis Mornay dont
nous relevons avec plusieurs négociations pour les Eglises,
deux dépêches inédites. Le 1" avril 1597 Amiens vient d'elrc
surpris par les Espagnols : Mornay s'empresse d'informer le
roi que « ceste playc » a été profondément ressentie par l'As-
semblée de Saurnur. « Tant s'en faut, Sire, qu'il soit entré au
cœur d'aucun d'avantager sa condition du malheur public,
que Dieu veuille qu'il ait opéré de même en tous les sujets de
V. M. » El après avoir montré ses coreligionnaires « prêts à
répandre tout ce qu'ils ont de plus précieux aux pieds du Roi
pour la défense de sa personne et état », il termine par ces
touchantes et mélancoliques paroles : « Je voudrais racheter
le repos de votre personne et le salut de voire ame de mon
206 RAPPORT DU PRÉSIDENT
sang propre et aimerais mieux mourir à toute heure que de les
survivre. »
Dans les premières années de Louis XIII, Henri de Rohan,
retranché à Saint-Jean d'Angely, mande au duc de la Force :
(( On tâche par tous les moyens de me ruiner en me séparant
du puhlic, mays j'ai mon recours en Dieu qui ne m'abandon-
nera point s'il lui plaist : il sçait mon but et comme je ne
tends qu'à la sécurité des Églises et au repos de cet état », et
il conclut : « Je seray toujours, moyennant la grâce de Dieu,
bon huguenot. »
Ne sentez-vous pas, Messieurs, le souffle réconfortant qui
s'échappe encore de ces feuillets jaunis?
De bons huguenots, ne l'étaient-ils pas ces La Force narrant
à la duchesse sa réception à la cour de la régente, d'Aubigné
racontant les difficultés (juclui suscite son fils Constant, Cathe-
rine de ParLlienay, madame de la Trémoille (l'aimable du-
chesse de M. Cousin), et, dans le groupe des pasteurs, André
Rivet, Drelincourt, Mestrezat (lettre où il annonce que le
livre d'Amiraut rendra fort acceptable une manière moins
rigide d'enseigner la doctrine de la prédestination et de la
grâce).
Avec l'époque de Louis XIV le ciel s'assombrit, on sent de
loin venir la tourmente. En 1004 les évèques de Lescun et
d'Oloron prient « Messieurs les Prélats » de les aider à conser-
ver les victoires que nous avons eues depuis peu en cette pro-
vince du Béarn contre l'hérésie par l'anéantissement d'environ
([ualie-vingts prêches, » Vingt ans plus tard, c'est Dangeau
(jui raconte, les missionnaires sont envoyés une seconde fois
à Arvert, sur les instances assure-t-on, des nouveaux conver-
tis eux-mêmes, pour contrebalancer l'eilet des lettres de
Jurieu, et le courtisan apostat n'oublie point de citer, à l'ap-
pui de l'ancienneté de la petite église le témoignage de Théo-
dore de Bèze et de l'Histoire ecclésiastique; c'est Fléchier qui
demande en 1G07 la mise au collège du fils du marquis d'Au-
bais, « gentilhomme des plus riches et des plus qualifiés de son
SUR LES TliAVAUX DE LA SOCIÉTÉ. 207
diocèse, retiré dans les pays étrangers lorsque le Roy, par sa
piété, fit rentrer dans le sein de l'église tous les hérétiques de
son royaume » et qu'il s'agit de soustraire à rintluence de
« parents qui ont de l'honneur et de la probité mais ne sont
peut-être pas sincèrement catholiques » ; c'est Chamillard
effrayé de la présence en Hollande de Cavalier et conseillant
au résident français de lui dresser quelque embuscade « qui
réussira sûrement si vous trouvez quelqu'un d'assez bonne
foi pour s'attacher à lui, qui ne l'abandonne pas jusqu'à ce
qu'il fait remis à quelque onicier des troupes de S. M. ; au
cas que cette affaire réussisse le roi fera donner 2000 pistolcs
à celui qui aura livré Cavalier » : c'est enfin le sinistre Lamoi-
gnon de Bâville qui trace au bas d'un billet ce laconique post-
scriptum : « Je vous ay défait ce malin d'un mauvais prédi-
cant. y>
Au xviii'' siècle les derniers coups de l'intolérance et du
fanatisme tirent expirer sur la roue l'innocent Jean Calas.
M. Labouchère avait acquis à la vente Lajarriettc quelques-
unes des lettres échangées entre la famille et celui qui en
poursuivait la réhabilitation. Elles n'avaient pas échappé aux
recherches de l'historien de Galas, notre regretté collègue
M. Ath. Coquerel lils, mais l'on y peut ajouter une de Sirven,
écrivant à son tour à Voltaire : c( Je vous dois la vie, et plus
que cela, le rétablissement de mon honneur », et celle écrite
sous la dictée de Voltaire : « qui ne chante pas de psaumes,
dit-il, mais adore la divinité »; à Paul Rabaut, auquel il
souhaite de vivre assez longtemps « pour voir l'accomplisse-
ment delà grande révolution qui commence dans les esprits...
ce sera long. » Rabaut y assista cependant. Vingt ans après
Ton accordait fétat civil à ceux, qui selon l'expression de son
fils aîné Rabaut Saint-Ëtienne dans une des pièces de cette
remarquable série, « travaillaient efficacement à dédommager
la France des pertes qu'elle lit en persécutant leurs aïeux. »
Quelles pertes en effet, Messieurs, que celles dont l'année pro-
chaine nous ramènera l'anniversaire deux fois séculaire et
208 ItAPI'ORT DU PRÉSIDENT
toujours douloureux! Quelles forces, quels talents, quelles
consciences enlevées à leur patrie... et cette patrie ils ne s'en
arrachaient qu'en pleurant, ils se retournaient vers elle dans
leurs prières, ils ne renoncèrent à leur espérance d'y revenir
qu'après des tentatives vingt fois repoussées, ils ne mettaient
au-dessus d'elle que leur foi; et leurs descendants, après
ces deux siècles sont loin d'avoir tous oublié leur origine et
les saintes traditions du foyer de leurs pères. Lorsque nous
accomplissions, cet automne, notre pèlerinage des Gévennes,
nous avons eu l'heureuse fortune de voir arriver de Suisse et
d'Angleterre des représentants distingués de ces familles du
Refuge, désireux de rendre avec nous hommage aux jours
d'autrefois. Trois d'entre eux, directeurs de ^' l'hôpital des
français réfugiés de Londres >) nous ont offert alors de venir
à notre tour renouer les liens que les siècles n'avaient pu
rompre entièrement; ils ont promis au nom de leurs origines
huguenotes de nous aider, pour leur part, dans l'érection du
monument de Coligny, et cette promesse ils l'ont largement
et libéralement remplie.
Votre rapporteur regrette vivement ce soir l'absence de
M. le pasteur Bersier. Il est vrai qu'il vous eût laissé ignorer
à quel point il s'est dépensé lui-même pendant une semaine
entière à présenter, avec une intarissable éloquence, des
leçons d'histoire et des exemples de foi. Mais il vous eût ra-
conté et il vous eût fait partager l'impression produite par
cette vieille crypte de la catliédrale de Canterbury où, à quel-
ques pas du tombeau d'Odet de Chatillon mort dans l'exil, le
culte n'a jamais cessé d'être célébré depuis la moitié du
xvr siècle, en langue française, avec notre liturgie et nos
psaumes; il vous eût redit ces paroles si sympathiques pour
la France en génér^il et pour la France prolestante en parti-
culier prononcées dans toutes ces réunions où tant d'auditeurs
se répétaient : Et moi aussi j'ai dans les veines du sang hugue-
not; et surtout la réception dans l'établissement splendide,
on dirait volontiers dans le i)alais où sont recueillis avec une
SCn LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ. 209
si large et si chrétienne hospitalité des vieillards pouvant
prouver que leurs ancêtres étaient nés sur la terre de France.
Ainsi, Messieurs, nous avons successivement recherché les
témoignages visihles de notre histoire, et il nous a semblé
que nous apprécions mieux la beauté de notre tâche, la gran-
deur du Protestantisme que les plus redoutables tempêtes
n'ont point déraciné parce qu'il était fondé sur le roc. Dans
l'exercice qui vient de se clore, nous nous sommes unis de
cœur au jubilé célébré par nos frères de la Confession d'Augs
bourg, le quatrième centenaire de Luther et nous regardons
comme un honneur pour le Protestantisme français tout entier
le monument en trois volumes aussi élevés par le style que
profonds par la pensée érigé par M. le pasteur Kuhn à la
mémoire du Réformateur. Le premier dimanche de janvier,
dans ce temple, notre collègue M. le pasteur Viguié s'est
associé au jubilé de Zwingle. N'oublions point les dates qui
ont été marquées dans les desseins de Dieu.
Aux églises qui nous ont aidés % quelques-unes pour la
première fois et au prix de vrais sacrifices, à la famille de M.
Ferd. AValbaum qui nous a envoyé une offrande de cent francs
en mémoire de lui, nous adressons l'expression de notre
1. Églises donatrices en 1883 : Aiguesvives, Anduze, Angers (église libre év.)^
Arles, Aubais, Aulienas, Auniessas, Bâle, lîarbésieux, Bayonne, Beaumont-lès-
Valcnce, Bergerac, Bernis, Bioule, Bolbec, Boulogne-sur-Mcr, Boulogne-sur-Seine,
Bourgoin, Brignon, Cacn, Castres (deux églises), Caussade, Cette, Châtillon-sur-
Loire, Clermonl-Ferrand, Codognan, Cournonteral, Creysseilles, Dieppe, Épinal,
Ferney, Fontainebleau (église libre), Gemozac, Gourniès, Héricourt, La Bastide-sur-
l'Hers, Laccpèdc, La Grand'Combe, La Salle, Le Chambon, Le Havre (chap. cvang.),
Le Mans, Lillebonae, Logrian, Lunel, Luneville, Maronnes, Mauguio, Mazamet
(deux églises), Meaux, Meauzac, Meyrueis, Mialet, Millau, Monoblct, Moissac,
S. Bomans, Montauban (église libre), Montbéliard, Montpellier, Montpellier
(chap. indép.), Mouchamps, Nantes, Nègrepelisse, Nîmes, Niort, Nyons, Paris :
Oratoire, Batignolles, Étoile, Luxembourg, Asile Lambrechts; Périgueux, Pignan,
Poitiers, Réalmont, Relizane, Rouen, St-Ambroix, St-Antonin, St-Éticnne,
St-GiUes, St-llippolyte (deux églises), St-Jcan-de-Bruel, St-Mamert, St-Michel-
de-Chaltrillanoux, St-Pargoire, Ste-Maric-aux-Miues, Salies-de Béarn, Stras-
bourg (église St-Nicolas), Tonneins, Toulouse, Vabre, Valence, Vallerauguc,
Vauvert, Vesoul, Yiane, Vialas.
XXXUI. — li
210 RAPPORT DU PRÉSIDENT
reconnaissance à tous nos correligionnaires, nous voudrions
redire : Bientôl nous serons au seuil de l'année qui nous
rappellera la date cruelle du 18 octobre 1685. Vous ne pou-
vez point la laisser passer inaperçue. Il y aura ce jour-là des
tristesses, des douleurs poignantes à commémorer, n'oubliez
pas vos morts; mais n'y aura-t-il pas des actions de grâces à
renouveler de ce que, selon les paroles du Psaume des Ba-
tailles, cher à nos Camisards,
Comme la cire fond au feu,
Ainsi des méchants devant Dieu
La force est consumée.
A notre peuple protestant qui nous a prouvé que son cœur,
quoiqu'on en dise, sait encore battre et vibrer quand on lui
parle de ses confesseurs et de ses martyrs, racontez d'église
en église ce que furent les épreuves de Sion. Il est des contem-
plations qui élèvent au-dessus des misères du présent et
poussent vers les conquêtes pacifiques de l'avenir. Ah ! Mes-
sieurs, lorsque dans nos temples on entonne nos vieux
psaumes, — et vous êtes comme nous reconnaissants à ceux
qui nous les rendent ce soir, — songez-vous toujours à ce
qu'ils doivent représenter pour nous, au bienfait de ce culte
en esprit et en vérité où rien n'entrave plus l'élan de notre
adoration et de notre gratitude? Nous l'avons senti profon-
dément alors que réunis dans le sombre cachot de la Tour de
Constance, nous avons entendu tout à coup retentir (la pre-
mière fois depuis les chants des infortunées captives), ce
psaume XLII dans lequel, malgré les coups de leurs geôliers,
la voix de leur gémissement et de leur pieux désir était si
souvent montée vers Dieu.
Ensemble cantavoun li siaoume
Din la prisoun commo ou Doser..
Et nous voudrions, vous associant toujours plus intimement
SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ. 21i
à notre œuvre de piété filiale et de large fraternité protestante,
vous redire l'exhortation qui nous a été lue sous les châtai-
gniers du Mas-Soubeyran, dans les pages mêmes de la vieille
Bible de Roland :
(( Et les autres ont été éprouvés par moqueries et battiires,
davantage aussi par liens et prison. Ils ont été lapidés, ils ont
été sciés, ils ont été tentés, ils ont été mis à mort par occision
d'épée, ils ont cheminé ça et là vêtus de peaux de brebis et
de chèvres, destitués, affligés, tourmentés. Desquels le monde
n'était pas digne; errans es déserts et montagnes et cavernes
et pertuis de la terre...
» 0 peuple, n'oublie pas ce que tes yeux ont vu ! »
Messieurs,
Selon l'article 10 des statuts qui porte : « Les membres du
Comité peuvent s'adjoindre des membres associés avec voix
consultative », et d'après la décision votée en 1877 d'offrir ce
titre à ceux de nos amis qui voudraient, par une cotisation
de trois cents francs une fois versée, aider l'œuvre d'une ma-
nière plus directe, et lui permettre de constituer pour l'ave-
nir un capital inaliénable.
J'ai l'honneur de proclamer aujourd'hui membres associés
du Comité :
MM. Morris de Beaufort, Giraud Browning, Saint-x\ubyn
RouMiEU, directeurs de l'Hospice français de Londres.
Messieurs,
Un mot encore pour vous annoncer un don exceptionnel
qui ne nous est parvenu que cet après-midi et nous a été con-
firmé par une dépêche reçue ce soir. M. le pasteur Mounier,
d'Amsterdam, depuis si longtemps un ami dévoué de la Société,
offre à la Bibliothèque la copie, magnitiqucment exécutée, de
deux-cent-vingt-neuf pièces relatives à l'histoire des Églises
du Désert et se composant surtout de la correspondance
21 '2 RArPORT DU PRÉSIDENT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ.
d'A, Court, de Court de Gébelin el des pasteurs du séminaire
de Lausanne avec un comité de pasteurs de l'Eglise wallonne
pendant le xviii' siècle. Celte collection forme plus de six-
cent-cinquanle pages in-folio et vous vous associerez certai-
nement à l'expression de profonde gratitude que j'adresse au
nom de la Société à M. le pasteur Mounier.
F. DE SCHICKLER.
MÉLANGES
RULHIÈRE ET RABAUT SALNT-ETIEN'NE
LA CALOMNIE l'AK l'hISTOIRE ET M. MIGNET. — l'aMIUAL COLIGNY ET
MALESHERBES. — RULHIÈRE ET LA RÉVOCATION DE l'ÉDIT DE NANTES.
— RABAUT SAIXT-ÉTIENNE ET RULHIÈRE.
La tâche de l'historien n'est jamais terminée. Elle est toujours à
poursuivre ou à recommencer, parce que l'histoire (qui se trouve
livrée, comme toute chose ici-bas, aux disputes et aux passions des
hommes) est incessamment présentée, on peut dire, exploitée par
eux, selon les époques et les circonstances, au gré de leurs inté-
rêts. Trop heureux lorsque les faits historiques ne sont que mal
compris, lorsque l'histoire est faussée inconsciemment et de bonne
foi! Mais combien souvent on l'a vu, on la voit dénaturer à plaisir,
et devenir, sous la plume de pamphlétaires d'occasion, une arme
empoisonnée!
C'est ce que nous démontra éloquemment, il a trente-deux ans,
l'homme éminent que la France vient de perdre, — M. Mignet, —
lorsque nous lui soumettions notre pensée de fonder une Société
d'histoire du Protestantisme français, auxiliaire de la Société de
l'histoire de France, — pensée à laquelle il applaudit chaleureuse-
ment et pour la réalisation de laquelle il nous prêta tout aussitôt sou
ferme appui et son précieux concours. « Vous entreprenez-là, nous
» dit-il, une œuvre des plus utiles, et pour laquelle l'heure est
» venue. 11 n'est que temps de mettre au jour tant de documents
y> restés enfouis, et sans lesquels la vérité ne saurait être connue
» dans son entier, ni les erreurs qui ont prévalu ne pourraient être
» dissipées. La vérité! Qu'il est difficile de la faire surgir, et de
» l'installer définitivement, hors de tout conteste! Les erreurs!
214 RULHIÈRE ET RABAUT SAIXT-ÉTIE.NXE.
» Qu'elles sont malaisées à extirper, et comme elles repoussent tou-
» jours, à l'instar des mauvaises herbes ! n
Et, cà ce propos, nous nous rappelons qu'il en vint à parler de
cette « Histoire de la Réforme », composée par lui avant 1830, qu'il
avait été sur le point de publier, qui fut même annoncée comme
étant déjà sous presse sur la couverture de l'Histoire de la Révolution
de son ami Adolphe Thiers, en 1829. — « C'est que j'étais bien jeune
» encore alors, — jeune et présomptueux! — (ajouta-t-il avec ce fin
» sourire et cetle charmante amabilité qui le caractérisaient). Mon
» siège était fait. Pour avoir donné, sur la révolution religieuse du
» XVI* siècle, quelques conférences qui avaient eu du succès, pour
» les avoir rédigées avec soin, je me figurais avoir écrit l'Histoire de
» la Réforme. Elle allait paraître. Heureusement, je m'aperçus à
» temps que mon édifice était caduc, qu'il avait besoin d'être
» repris parle menu, et que les matériaux d'un tel travail n'étaient
» point même encore amenés à pied d'œuvre. Je remis mon manus-
» crit au tiroir, d'où il n'est plus sorti, et je résolus d'étudier à nou-
» veau, puis de procéder par épisodes et monographies. Je devrai
» m'estimer heureux si je viens à bout d'achever quelques-uns de
» mes épisodes choisis, comme ceux que j'ai mis déjcà en lumière et
» que vous connaissez. Marchez, vous aussi, dans cette voie, qui est
» la bonne, produisez des documents, élucidez-les par des inves-
» tigations partielles et collectives. Laboranduml... sicitur ad
» verum. »
Notre Société a été fidèle à cette devise, à cette mission, et, dans
le cours d'une carrière déjà longue et laborieuse, elle a pu maintes
fois reconnaître combien il est indispensable, en effet, de sonder les
écritures, d'examiner toutes choses pour éliminer ce qui est mauvais
et roclifier ce qui est faux, d'enlever les nombreux boisseaux qui
recouvrent de nombreux lumignons, de veiller assidûment à ce que
le zèle persévérant des immortels chevaliers de l'Ordre de l'Éteignoir
réussisse de moins en moins à substituer les ténèbres à la lumière,
luci tenebras. En dépit des contradictions et des défaillances de
toute œuvre terrestre, la Réforme a su maintenir haut et ferme
son drapeau : Post tenebras lux!
Pour ne citer ici que les deux mémorables sinistres de nos annales
de la France protestante, — ces deux grands crimes religieux, ces
deux grandes fautes politiques (la Saint-Rarthélemyet la Révocation
RULHIÈRE ET RABAUT SAINT-ÉTIENNE. 215
de rÉdit de Nantes), qui ont marqué notre histoire de deux néfastes
fleurs de lis, — combien pressante est l'obligation où nous sommes
d'y revenir constamment, soit pour en compléter les interminables
dossiers, soit pour en confondre les obstinés et incorrigibles apolo-
gistes! Vainement on voudrait, comme le président de Thou, abolir
cet affreux souvenir du mois d'août 1572; vainement on voudrait
effacer ces importunes images de l'exode du mois d'octobre 1685 et
de tout un siècle de dragonnades et de persécutions. Il faut bien en
prendre son parti et se résigner à en parler toujours, puisque le der-
nier mot n'en est jamais dit et que l'on ressasse toujours les mêmes
mensonges et les mêmes erreurs. Il n'avait que trop raison, le chro-
niqueur de h Revue des Deux-Mondes, lorsqu'il écrivait, y a plus de
vingt-cinq ans (non sans ironie, mais en se fondant sur des incidents
du moment), que ces vieilles questions étaient plus que jamais des
actualités, dont on s'entretenait dans les journaux, dans les salons,
sur les boulevards, dans le monde officiel. Nous pourrions nous-
même faire à ce sujet une bien singulière révélation; mais non hic
lociis. Ce qui reste certain, c'est que la calomnie demeure une hydre
sans cette renaissante, contre laquelle il faut être incessamment prêt
à s'armer et à guerroyer.
N'est-ce pas hier encore que l'un des plus grands hommes dont
notre France puisse se montrer fière à bon droit, l'amiral Coligny,
— ce martyr dont Montesquieu a dit « qu'il fut assassiné, n'ayant
.) dans le cœur que la gloire de VÉtat; » dont le grand évêque de
Meaux, Bossuet, a dit que « tout ce qu'on employait pour décrier
» l'amiral ne servait qu'à illustrer sa mémoire; » — n'est-ce pas
hier que l'amiral Coligny était vilipendé dans les colonnes de cer-
tains journaux, invectivant à tort et à travers, comme s'ils eussent
été jaloux d'assassiner une fois de plus cette illustre mémoire?...
Hélas! le mot de Montaigne est bien vrai : « Tout mal vient d'dne-
rie, » c'est-à-dire d'ignorance; et ces insulteurs nous l'ont bien fait
voir, car leurs articles, écrits à main levée pour les besoins d'une
lamentable polémique, fourmillaient de bourdes et d'inepties sans
pareilles.
Qu'il nous soit permis, à ce propos, de rapporter ici une note ren-
contrée par nous, l'autre jour, inopinément, dans un Mémoire inédit
de Malesherbes, au milieu des Papiers de Rulhière, à la Biblio-
thèque Nationale (F. Fr. 7047, p. 000), où nous faisions des re-
21G RULHiKi\i': kt nABArr s.vint-etikn.ne.
clierclies sur les documoiits dont nous allons spécialement vous
entretenir. Cette note de Malesherbes est ainsi courue :
f( L'amiral avait une vertu qui rend bien difficile le rôle de chef
» de parti. Il aimait sur tout, avec une sorte de passion, l'ordre et
» la règle, et dès le règne de Henri lï, Lien longtemps avant les
» guerres de religion, il s'était signalé en introduisant dans l'infan-
» terie, dont il était alors colonel-général, une discipline exacte,
» inconnue en France avant lui et ([ui l'avait plus t'ait respecter
» qu'aimer de ses troupes. — M. de Thon remarque qu'il fit avec
)) trop de précipitation la paix de 1570 qui lui lut si funeste, parce
» que (dit ce véridique historien) la guerre civile lui était devenue
» insupportable; parce qu'il haïssait la licence et généralement tous
» les vices; parce qu'il était attaché à la discipline militaire et qu'il
» était au désespoir de la voir corrompue par la licence des guerres
y> civiles sans pouvoir s'y opposer. »
Voilà l'homme qu'on traîne encore aux gémonies en Tan 1,884!
Voilà l'homme sur qui l'on s'acharne avec autant de légèreté que de
perfidie! Quelle triste besogne, pour ne pas la qualifier plus sévè-
rement!... Honnis soient ceux qui s'en chargent! C'est donc une
heureuse coïncidence que celle (|ui nous a fait tomber sous la main
à l'improviste ce portrait de Coligny tracé par le vertueux ministre
de Louis XVI, — lequel savait, lui, ce qu'il disait.
Et puist{ue nous nous sommes ainsi laissé aller à cette communica-
tion incidente, ajoutons que, dans une lettre àUulhière (du 8 mars
178G), relative au Mémoire contenant la note (|ue nous venons de
citer, Malesherbes dit (7047, p. 654) : « Ce morceau fait partie d'un
» plus grand Mémoiri^ que je veux tenir tout prêt pour le cas où
» quelques dérots représenteraient au lîoy, qu'en rendant aux pro-
» testants leur état civil, le Roi très chrétien ne doit pas abaiulonncr
» les soins qu'ont toujours pris ses prédécesseurs pour la conversion
)) des héréticpies... »
Ainsi le sage Malesherbes, lui qui n'est pas suspect, qui savait à
quoi s'en tenir, se défiait, en matière de gouvernement, non pas
seulement des faux dévots (lesquels sont de tous les temps, comnu;
les faux braves), mais même des dévots sincères, des vrain dévots,
que leur zèle aveugle et rend tout particulièrement propres à gâter
les meilleures causes. Il serait bon que la presse, (jui est devenue un
Etat dans l'Etat et qui se considère même volontiers comme le pre-
UIILHIÉnK ET UABAUT S.VIXT-ÉTIEN'NE . 217
miei* des pouvoirs, veillai un peu sur elle; même qu'elle se méfiùtde
ceux qui se servent d'elle pour tromper le public et qui corrompent
odieusement ce que le journalisme ose parfois appeler son sacer-
doce. — Sacerdoce oblige!
Mais venons-en, sans plus tarder, au sujet sur lequel nous nous
sommes proposé d'attirer aujourd'hui votre attention.
Il s'agit de trois lettres témoignant des relations qui ont existé, en
1788, entre le chevalier de Rulliière, capitaine de cavalerie, l'un des
Quarante de l'Académie française, et le fils de Paul Rabaut, le pas-
teur du Désert, Rabaut Saint-Etienne. On sait que Rulhière, déjà
honorablement connu comme historien, avait été chargé par le
ministère de rédiger des a Eclaircissements historiques sur les
causes de la Rcvocalion de l'Edit de Nantes et sur l'état des protes-
tants en France. » Il fallait venir en aide aux bonnes intentions du
roi Louis XVI, qui voulait bien apporter un palliatif à des maux
séculaires, mais que gênaient encore les scrupules d'une dévotion
à la l'ois religieuse et monarchique (car il s'agissait pour lui, de
revenir sur la monstrueuse iniquité de son aïeul Louis XIV). Il était
aussi bieji empêché par l'opposition du clergé et des dévots, tels que
ce fougueux parlementaire d'Esprémenil qui allait s'écrier en montrant
l'image du Christ : « Voulez-vous donc le crucifier encore une fois? »
Pour atteindre son but, Rulhière s'appliqua à démontrer, plus ou
moins spécieusement, que la Révocation avait été amenée par des
intrigues étrangères aux choses religieuses, que Louis XIV avait été
la dupe innocente de madame de Maintenon, de Louvois et du R. P.
La Chaise. Au lieu défaire l'apologie des protestants, l'habile avocat
plaidait les circonstances atténuantes pour l'auteur responsable du
crime politique de 1085, et, sans laisser voir du zèle pour les vic-
times, il mettait leurs droits en évidence par la nature même des
excuses alléguées pour l'oppresseur. Au reste, voici une note iné-
dite, de la main de Rabaut Saint-Etienne, qu'il païaît avoir rédigée
lors de l'apparition de la première partie du travail de Rulhière et
qui en donne une analyse caractéristique :
« L'ouvrage de M. le chevalier de Rulhière est publié. 11 a pour titre :
Éclaircissements, etc. Cet ouvrage, dont la luclurc est attachante par la
clarté et la grâce du style, jette un très grand jour sur une des plus
obscures époques du siècle de Louis XIV, lors(juc oc Roi, parvenu au
déclin de l'âge et devenu dévot, adojita le projet de ramener tous ses
218 RULHIÈRE ET HABAUT SAIXT-ÉTIENNE.
sujets à la même croyance. Le préjugé nous persuade toujours, malgré
l'expérience, que les opérations des cours sont l'effet d'une sage politique.
Bien des gens avaient cru jusqu'ici que la révocation de l'Édit de Nantes
était la suite d'un système; que Louis XIV en avait formé le projet de
très bonne heure; qu'il l'avait suivi avec constance; elles apologistes de
cette révocation avaient pris beaucoup de peine à prouver qu'elle était
l'effet de la politique la plus consommée. On reviendra de ce préjugé à la
lecture du livre de M. de Pailhière. On y verra que Louis XIV n'avait
jamais songé à révoquer l'Édit de Xantes; on y suivra dans les diverses
époques que l'auteur a distinguées le progrès des opérations auxquelles
il fut entraîné, depuis le moment où Pélisson ouvrit une banque pour
acheter les consciences jusques à celui oîi Louvois, voulant attirer à son
département la grande affaire qui se faisait sans lui, employa les moyens
qu'il avait en mains, les soldats ou missionnaires bottés.
» L'adresse avec laquelle madame de Maintenon démêla le caractère
du roy, ce mélange de galanterie et de dévotion, deux fds avec lesquels
elle eut l'habileté de le conduire; les intentions du Roi, toujours éloignées
de la violence, les dispositions de madame de Maintenon qui se pliait aux
intentions du monarque ; la manière dont il fut conduit à user de plus de
contrainte, la faute de Ruvigny qui força la favorite à renoncer aux
partis de douceur, et enfin ce moment de vertige où, toute la cour étant
devenue dévote et les intendants jaloux de produire à l'envi de longues
listes de conversions, tout se précipita à l'exécution des moyens violents
qui grossirent les listes et persuadèrent enfin au monarque qu'il n'y
avait presque plus de protestants dans le royaume, — tous ces objets
sont peints de main de maître.
» 31, de Rulhière a eu l'avantage de fouiller dans les Archives aux Au-
gustins, à l'Hotcl de la Guerre, au Dépôt des Affaires étrangères. 11 a
rassemblé beaucoup de pièces originales et de mémoires du temps qui
étaient inconnus, il a fondu les principaux matériaux dans son ouvrage,
et il les a heureusement rapprochés de divers ouvrages imprimés que
nous avons déjà, ce qui fait de son livre une histoire aussi neuve qu'in-
téressante. Il n'en a donné que la première partie : la seconde renfer-
mera le ('. Rappport général que M. le bai'on de Rreleuil a mis sous les
yeux du roi, au mois d'octobre 178(S ». Ces éclaircissements qui suivront
auront pour objet dedonner pliisde développement àdesfaitsquiinléres-
sent plus particulièrement l'histoire et (jui ne devaient pas entrer dans le
Mémoire du Ministre vers lequel doit se tourner la reconnaissance pu-
blique.»
On voit, par celte note aulograplie, conservée parmi les papiers
Coquerel-Rabaut de notre Bibliothèque de la place Vendôme
RULHIÈRF. ET llABAUT SAINT-ÉTlENNE. 219
(t. XXIX, p. J 13), à quel point Rabaut Saint-Etienne était entré dans
l'esprit, dans le jeu du travail de Rulhière. « On avait cru jusqu'ici
» que Louis XIV avait voulu révoquer l'Édit de Nantes... » Quelle
illusion! Quelle profonde erreur! a On reviendra de ce préjugé en
» lisant M. de Rulhière... Louis XIV n'y avait jamais songé. » La
thèse, on doit en convenir, est d'une belle force, et il fallait avoir la
grâce d'état d'un avocat généreux, la conviction d'un grand service
à rendre, il fallait que la nécessité d'un tel paradoxe fût bien
démontrée, pour que l'on crût devoir l'affronter ainsi pour les
besoins de la cause !
C'est ce que Sainte-Beuve ne nous semble pas avoir suffisamment
compris et expliqué dans sa causerie sur Rulhière, du lundi '20 sep-
tembre 1851. Il ne paraît pas non plus avoir connu les rapports qui
s'étaient noués, à l'occasion de cette publication, entre Rulhière et
Rabaut Saint-Etienne. L'auteur de V Histoire des Églises du Désert,
Charles Coquerel, ne fait lui-même que les indiquer; il se borne à
dire que Rabaut Saint-Etienne ne resta probablement pas étranger
au travail de Rulhière. Les pièces inédites que nous allons vous lire,
et que nous avions copiées sur l'original, il a longtemps déjà, éta-
blissent clairement et positivement, pour la première fois, ce point
intéressant des cordiales et utiles relations que la publication des
Éclaircissements de Rulhière avait amenées entre l'académicien et
!e fils de Paul Rabaut, le futur président de l'Assemblée nationale.
Voici la première de ces lettres, portant au dos cette suscription
et adresse : A Monsieur de Saint-Étienne,rue de Richelieu, ^"42.
I
De riIermilage-Rulhière, près Saint-Denis, le 7 février 1788.
« Aurez-vous la bonté, Monsieur, de rendre à la seconde partie des
Éclaircissements, etc., le même service que vous avez bien voulu
rendre à la première? Pourriez-vous me donner, dans la matinée de
mardi prochain, 12 de ce mois, environ une heure et demie, de[)uis
onze heures? J'arriverai de la campagne quelques moments avant,
pour passer à Paris ce jour-là et retourner le lendemain achever ce
travail dans ma profonde solitude. Je regarderai comme bien
employés ce peu de moments que je passerai à Paris, si vous voulez
bien, Monsieur, en prendre une partie.
220 RULIIIÈrtE ET RADAL'T SAIXT-ÉTIENNE.
» Quelques petits tracas que je trouverai en arrivant m'engagent ù
vous supplier, Monsieur, de permettre que ce soit chez moi que je
vous propose ce rendez-vous. Si j'en crois ce qu'on m'écrit de Saint-
Quentin, la seule province dont j'aie jusqu'à présent re(;u des nou-
velles, les Religionnaires me lisent avec grand plaisir. Je n'oublie
pas que sans vous ils m'eussent lu avec peine, et il y aura peut-être
bien quelques mots du mên)e genre à expulser de la Seconde partie.
Je les recommande à vos rigueurs.
» Vous connaissez. Monsieur, mon inviolable attachement. «
La première partie des Éclaircissements (celle à laquelle se
rapporte la note ci-dessus de Rabaut-Saint-Étienne) avait paru en
1788, au moment où le Parlement de Paris (18 janvier) délibérait
de faire au roi des remontrances sur l'Édit concernant l'état civil des
non-catholiques, rendu à Versailles deux mois auparavant. On voit
que Rabaut Saint-Etienne avait rendu h Rulhière le service de relire
cette première partie et de lui proposer certains amendements ten-
dant à en rendre la phraséologie plus acceptable et plus agréable aux
Religionnaires. Il était prié de faire de même pour le manuscrit de
la deuxième partie.
II
Une seconde lettre de Rulhière est de quatre mois et demi posté-
rieure; elle est du 16 juin 1788. La seconde partie des Éclaircisse-
ments est alors presque imprimée. Rulhière y précise davantage ce
dont il est redevable à son correspondant; il entre dans des détails
sur l'économie de son travail; il se montre anxieux de connaître
l'opinion qu'en aura le vieux Paul Rabaut; il engage le iils à se faire
l'historien de la guerre des Cévennes, alors si peu et si mal connue;
il lui promet la communication des documents que recèlent les
Archives officielles :
Paris, 10 juin 1788.
« Italiam! Tlaliam! Enfin, Monsieur, je louche au terme de ma
navigation. Mes dernières épreuves sont corrigées. Les dernières
feuilles sont tirées. Après-demain j'achève de révéler au public
toutes les misères, toutes les erreurs, toutes les fautes du gouverne-
ment, pendant plus de cent années, sur une affaire qu'on a cherchée
RULHIÈRE ET RABAUT SAINT-ÉTIENNE. 221
à plaisir, qu'on a reiulue grave et désastreuse, dans une matière qui
ne devait plus produire, quelque passion qu'on y portât, que les plus
simples affaires et les plus faciles à terminer. Je n'oublierai jamais,
Monsieur, le très grand service que vous m'avez rendu pour cet
ouvrage. C'est à vous que je dois d'y avoir conservé mon avis, comme
philosoplie, sur la tolérance, indépendant de l'opinion beaucoup
plus restreinte à laquelle un Ministre d'Etat a dû naturellement être
déterminé par mille circonstances. Cette seconde partie serait meil-
leure, si elle avait passé tout entière sous vos yeux. Mais elle aura
du moins ce mérite particulier, et je le dois à celle de vos observa-
lions qui m'a fait réformer un chapitre de la première partie. Je
reconnais avec grand plaisir cette obligation que je vous ai; c'est
par là que mon ouvrage pourra être d'une utilité plus générale que
celle de la circonstance particulière qui l'a fait naître.
» Le libraire de Nismes a ordre d'en remettre de ma part un
exemplaire àM^ votre père, que je supplie d'agréer cet hommage de
ma vénération, et un à vous, monsieur, à qui je demanderai des
critiques sévères, qui puissent me servir pour une seconde édition.
Dites-moi, avec la vérité que j'aime, avec la sévérité dont je ne suis
pas indigne, ce qu'en disent vos compatriotes qui ne porteront pas
comme vous, monsieur, dans cette lecture, la prévention de l'amitié.
» Le travail auquel j'ai dû me livrer, avec une tète un peu fatiguée
et des yeux bien mauvais et bien affaiblis, m'a fait différer jusqu'à
présent de répondre à la lettre dont vous m'avez honoré il y a un
mois. J'ajoute que depuis un mois je suis sans secrétaire, et que le
mouvement des affaires actuelles m'a aussi donné quelques tristes
distractions. Pardonnez donc à mon silence, et ne l'attribuez, je vous
supplie, à aucun genre de négligence. M. de Malesherbes m'a com-
muniqué deux pièces qui lui ont été envoyées de Genève. Il y en a
une dontj'ait tait usage et qui m'a été fort utile. Je recevrai les
autres avec grand plaisir. Elles compléteront la collection que je
compte déposer à la Bibliothèque du Roi. Mais plusieurs raisons
m'ont déterminé à ne point les attendre. On me sommoit de toutes
parts de remplir la promesse que j'ai faite de donner cette seconde
partie. Dans une plus longue attente, l'attention du public, déjà
distraite, se serait entièrement détournée. Il est fort à craindre
que l'agitation actuelle ne se calme de sitôt, et je dois profiter du
moment où on peut encore me lire. Le mot de l'abbé de Vcrtut :
222 RULHIÈRE ET RABAUT SAIXT-ÉTIENNE.
« Mon siège est fait », n'est pas aussi ridicule qu'il le paraît. Quand
un historien s'est bien assuré de la vérité d'un fait général et a suf-
fisamment de preuves pour se déterminer, suffisament de faits parti-
culiers pour orner son récit, quelques détails et quelques preuves
de plus, mais qui bien certainement ne changeront rien à la nature
des choses dont il est assuré de connoîtrele fonds, peuvent bien être
regardés comme inutiles. Ce que j'ai entrepris n'est pas une histoire
complète du protestantisme pendant cent années, mais uniquement
l'histoire de la conduite du gouvernement, des principes qu'il a
suivis, des erreurs où il est tombé, et dont j'ai trouvé les preuves
dans ses propres archives. J'ai donc été en avant sans plus attendre.
Mais j'ai prié M. de Malesherbes de me communiquer tout ce qu'il
recevrait de Genève, afin de compléter ma collection, et peut-être
d'en faire usage pour répondre à quelques critiques, si on entreprend
de me répondre, ce qu'on n'a pas fait jusqu'à présent; j'ai la présomp-
tion de croire que de nouveaux documents n'ajouteront que de nou-
velles preuves à tout ce que j'ai dit.
» Je ne puis, Monsieur, que vous encouragera écrire la guerre des
Gévennes. Vous verrez dans le livre que vous aller recevoir, que j'ai
regardé cette partie comme absolument étrangère à mon travail. Je
le dis positivement, et je n'ai qu'un chapitre très court sur cette
guerre. Il contient cependant un fait très curieux. On avait d'abord
caché cette guerre à Louis XIV. Hélas ! nous venons de voir, dans
les fragments des Lettres de Madame, qu'onavait caché à ce prince,
en 1709, la famine qui était dans son royaume. Les Mémoires de
Saint-Simon contiennent un autre fait du même genre. Mad" de Main-
tenon faisait soustraire tous les rapports qui arrivaient de l'armée
d'Italie; et quand Louis XIV eut éclairci ce fait en présence du maré-
chal de Catinat, il se contenta de répondre : « La pauvre femme! 11
» est vrai qu'elle est toujours occupée de moi ! » C'est dans les lettres
mêmes deMaintenon que j'ai puisé ce fait sur la guerre des Cévennes.
Je n'ai point étendu mes recherches sur cette guerre dans les Ar-
chives : elles étaient si immenses et si fastidieuses parle désordre
que j'ai trouvé dans plusieurs dépôts, que, sachant où étoil tout ce
qui concernoit cette guerre, j'ai passé dessus sans m'y arrêter. Mais
vous me donnez l'espérance de vous revoir quelque jour à Paris; ol
e ne doute pas que toute la partie qui est renfermée dans les Dépôts
de M. le baron de Creteuil ne vous soit communiquée, à votre pre-
RULIIIÉRE ET HABAUT SAINT-ÉTIENNE. 223
mière demande. Je me joindrai bien volontiers à vous, Monsieur,
pour obtenir cette permission. Il aime trop la vérité, il se plaît trop
à seconder tous les travaux utiles, pour que nous devions craindre
de sa part la moindre difficulté à ce sujet. C'est aux Augustins, dans
ce qu'on appelle * le Dépôt des Provinces » de ce ministère, que
nous trouverons cette partie. Quant aux Correspondances conservées
dans le Dépôt de la Guerre, mes relations n'y sont pas aussi intimes.
Peut-être faudra-t-il avoir recours à M. le M'^ de la Fayette.
» J'attends avec impatience, sur mon nouveau travail, l'opinion de
M. votre père (à qui j'offre mon respect), la vôtre. Monsieur, et celle
de vos compatriotes qui n'ont aucun motif d'indulgence pour moi.
» Agréez, je vous en supplie, l'assurance de l'inviolable attache-
ment avec lequel j'ai l'honneur d'être,
» Monsieur,
» Votre très humble et très obéissant serviteur,
» RULHIÈRE ».
III
La troisième lettre de Rulhière à Rabaut Saint-Etienne a plus
d'importance et un plus haut intérêt peut-être que les deux dont nous
venons de donner lecture. C'est qu'elle n'a pas trait au passé, celle-
ci : elle regarde le présent, elle touche à l'actualité, aux brûlants
préliminaires de la Révolution. Elle est datée du 3 novembre 1788.
Elle met en présence les idées politiques et sociales de l'historien
académicien et celles du huguenot, — idées qui sont bien près de
s'accorder complètement et qui montrent combien ils étaient dignes
de se comprendre et de s'estimer l'un l'autre :
Ce 3 nuvembrc 1788.
« Il y a plus d'un mois, Monsieur, que je vous dois une réponse :
j'attendais un peu de loisir pour discuter avec vous la grande ques-
tion dont vous me parlez, celle d'une nouvelle composition dans les
États-Généraux, qui puisse donner au Tiers-État plus d'inllucnce.
Je ne jouis pas encore de ce loisir. Les nouvelles publiques vous
auront appris sans doute ([u'on a offert à mon frère la place de Com-
mandant de la Garde de Paris, et cela dans le temps même où le
peuple brûloit le mannequin de M. Dubois et menaçoit de brûler ce
commandant lui-même dans sa maison. Je vis trop intimement avec
22i IIULIIIÈRE ET RABAUT SAINT-ÉTIENXK.
mon frère {Dour n'être pas venu aussitôt de Danger, où j'étais, par-
tager toutes ses indécisions. Nous nous sommes enfin déterminés à
accepter cette place orageuse, et dans laquelle le prédécesseur de
M. Dubois a échoué par trop de mollesse, comme celui-ci vient de
faire par trop de dureté. Nous ne nous sommes point dissimulé (jue
les circonstances actuelles et la disposition presque générale des
esprits ajoutaient encore à ces difficultés. Mais mon frère s'est déjà
foit connaître par un mélange de douceur et de fermeté, qui n'a pas
peu contribué à calmer les derniers désordres de Paris, où il avait
été appelé à la tète d'un nombreux détachement. Il est capable de
la place. Celle qu'il vient de quitter en fait vaquer une autre qui sera
donnée à son fils, et ce sentiment paternel a fait pencher la balance.
J'ai un grand plaisir, Monsieur, à vous rendre compte de tout ce
qui m'intéresse, et je puis ajouter une chose qui vous le rendra per-
sonnel. Gazettes, nouvelles à la main, propos publics, tout a été si
favorable à mon nom dans cette occurence, que j'ai bien vu que,
loin de me savoir mauvais gré d'avoir deffendu la grande et belle
cause dont je me suis chargé, et qui, cinquante ans plustôt, m'au-
rait attiré une foule d'ennemis, j'avais au contraire bien mérité de
ma patrie; on le sentait, on m'en récompensait dans les miens, et le
choix de mon frère avait l'approbation universelle.
» Les affaires de ma famille sont les miennes : mes neveux sont
mes enfants, et j'ai été fort occupé de tout ceci. Mais pour répondre
cependant, Monsieur, à la grande question traitée dans votre lettre,
voici mon opinion.
» M. l'archevêque de Sens proniettoit les Étals-Généraux, mais //
ne les voulait point. Il avoit donné sa parole au Roi rju^ils ne se-
roient pas tenus. Sa mauvaise administration, il est vrai, les ren-
dait de plus en plus inévitables; et cependant, pour les éviter, il a
élevé à la l'ois une infinité de questions failes pour diviser les esprits,
pour nous persuader ([u'une tenue d'États est devenue presque im-
possible, pour empêcher les Ordres de pouvoir se concilier, pour
donner aux différents corps des motifs de méconnaître les États. En
un mot, il nous a tendu une intinilé de pièges, et nous avons la
simplicité et la duperie de nous y prendre. Nous avons aujourd'hui
les ailes et les ongles pris dans la gliie (ju'il nous a préparée.
» Si nous voulons agitera la fois tant tU\ (jiiestions, sou-nettre tant
de préjugés, tant de passions, tant d'esprit de corps, faire en six
RULHIÈRE ET RAB.\UT SAINT-ÉTlENNE. 225
mois ce que les Anglais ont fait en cent ans, nous sommes perdus.
» Il faut laisser aux Etats le soin de se perfectionner eux-mêmes
dans l'espace d'un assez grand nombre d'années.
» Je conviens avec vous, Monsieur, de lout ce que contient ce beau
passage de votre lettre : « Nous aimerions que, s'il y a des États-
» Généraux, le Tiers-État y lut en nombre très prépondérant, parce
» que c'est lui qui est le bouclier de l'Autorité royale, l'ami naturel
» de l'Ordre et du Bien public, et parce que, n'ayant aucun intérêt
» particulier à soutenir, il est impossible qu'il demande autre chose
» que l'intérêt général. Le Tiers-État est la Nation même, etc., etc. »
En effet, on ne peut nier que la démocratie ne soit le gouvernement
le plus naturel, et que, plus une constitution se rapproche de celle-
làj plus elle doit être juste et parfaite. Je pense donc comme vous
sur ce point; mais je diffère dans mon opinion sur le moyen de pro-
duire en France celte approximation. Je crois qu'il faut bien nous
garder de vouloir précipitamment tout changer. On pourrait, selon
moi s'en tenir, pour cette première tenue d'États, aux anciennes
élections. Personne alors n'auroit aucun prétexte pour les mécon-
naître : on continuerait à voter par Ordres de privilégiés contre le
seul Tiers-État, on établirait dans toutes les affaires importantes ce
qui est établi pour les impôts, savoir la nécessité du consentement
des trois Ordres. Ce moyen me paraîtroit lever toutes les difficultés
qu'on a voulu susciter. Il est évident que, si on continue de voter
par Ordre, il n'y a aucun motif d'augmenter le nombre de députés
du Tiers. Il faut donc, si on augmente ce nombre, changer aussi
l'ancienne forme de compter les suffrages. Que d'innovations ! Que
d'occasions de mésintelligence ! Et par quelle autorité seront décidés,
avant la tenue des États, des changements ({ui ne peuvent être faits
que par eux seuls? En considérant le droit naturel, on penche pour
le gouvernement démocratique* : en considérant toutes les malheu-
reuses passions humaines, on sent qu'il faut compliquer les gouver-
1. <( Tibérius Gracchus et son IVère avaient raison, et nous ne inamiuons pas
aujourd'liui de gens qui adoptent une partie de leurs principes. Il est vrai-
semblable même qu'ils ne s'arrêteront pas en si beau chemin. Après avoir sou-
levé le Tiers-État, on soulèvera les pauvres contre les riches. Pourquoi, si on
renverse tous les privilèges, ne pas demander tout de suite un partage des terres?
A tous ces beaux raisonnements, il laut répondre par la fable de Mennenius. »
{Note de Hulhière.)
xxxiii. — 15
226 RULIIIÈRE ET RABAUT SAINT-ÉTIENNE.
nements. Nous aurons toujours des rois et des patriciens : ayons
donc des épiiores et des tribuns: ainsi raisonnèrent les Spartiates et
les Romains. Je voudrais que nos Français se disent aussi : nous
aurons toujours des nobles et des prêtres : cherchons dans notre
Constitution quelque contre-poids, ce doit être là notre objet; mais
si nous essayons de trop humilier les nobles et les prêtres, la division
qui se mettra parmi nous va tout perdre. ,Je crains la précipitation
française; je crains cette fureur démocratique. Je voudrais qu'on s'at-
tachât l» à faciliter une tenue d'États quelconques; 2« à concilier
d'abord les esprits sur le mal le plus pressant, qui est le Déficit.
On prétend que les Provinces veulent la banqueroute. Les insensées!
elles ne sentent pas que la liberté ne tient qu'à la Dette; 3" enfin,
je voudrais qu'on rendît les fréquentes convocations nécessaires. Le
reste viendra ensuite : mais il faut tenir les trois premiers points
pour avoir le reste. En un mot, posons cette fois-ci de bonnes bases
pour l'avenir et de bonnes barrières contre les exemples du passé.
» Voilà, Monsieur, mon opinion : elle est d'accord avec celle que
vous m'avez vue précédemment. Je crois qu'en toute affaire, après
avoir bien examiné le fond des choses, il faut se prêter au tems, et
songer moins à la perfection idéale qu'au succès possible.
» Recevez tous les hommages de mon tendre et respectueux atta-
chement. »
A quelles réflexions cette lettre pourrait donner lieu ! Laissons à
d'autres le soin de les développer.
Bornons-nous à rappeler que le correspondant de Rabaut Saint-
Etienne, Rulhière, devait survivre deux ans seulement à l'ouver-
ture de ces États-Généraux qui le préoccupaient si léiiitimement :
il mourut le 5 décembre 1793.
Rabaut Saint-Étienne allait prendre aux premières luttes de la
Révolution française la glorieuse part (|ue l'on sait. 11 devait s'im-
mortaliser [)ar cette parole, digne de l'élofiuence anti(jiio, prononcée
par lui à la tribune de la Convention, le 28 septembre 1793 : « Je
suis las de ma portion de despotisme f Je soupire après Vinstant
où un tribunal national nous fera perdre la forme et la conte-
nance de tyrans ! » — Au lieu de ce tribunal national qu'il avait
appelé de ses vœux patriotiques, c'est hélas ! le tribunal révolution-
naire qu'il vil bieniùt constituer et devant lequel une mise hors la
DEUX INTÉRIEURS DE PASTEUR AU XVIP SIÈCLE, 227
loi et une dénonciation le faisaient comparaître le 4 décembre 1793.
Il ne sortit du prétoire de Fouquier-Tinville que pour porter sa
noble tête sur l'échafaud et sceller de son sang la fin des temps
anciens et l'avènement des temps nouveaux.
C'est Rabaut Saiiit-Étienne (notons-le en finissant) qui a écrit
les trois réflexions que voici, à la suite de son excellent Précis de
VHistoire de r Assemblée constituante.
« La France n'a pas fait sa Révolution : elle l'a commencée. »
« La Révolution sera peut-être finie par un homme; mais elle
)) devait être commencée par tous. »
€ L'Histoire de la Révolution de France est un recueil de pro-
)) phéties. »
En formulant ces pensées, et bien d'autres non moins remar-
quables, dans les Réflexions de premier jet qui terminent son tableau
de la grande Constituante, — tableau rapidement tracé comme on
décrit une bataille au lendemain du jour où elle fut donnée, —
Rabaut Saint-Étienne fut lui-même un vrai prophète, un précurseur.
On ne Test pas impunément dans son pays !
Charles Read.
DEUX INTÉRIEURS DE PASTEUR AU XVIP SIÈCLE
Quand M. le Président delà Société du Protestantisme français a
bien voulu me demander si j'aurais ce soir quelque chose à lire
dans celte rénnion, j'ai d'abord beaucoup hésité à accepter cette
offre flatteuse. Pour oser vous parler après ceux que vous venez
d'entendre, il faudrait avoir quelque chose de plus digne de votre
attention que mes modestes travaux. J'ose cependant... vous sachant
aussi bienveillants que je suis au-desous de la tâche que j'ai assumée.
Une autre raison m'a décidé : autant j'admire les nombreux et
importants travaux historiques auxquels chaque jour nous initie,
autant j'y regrette, à quehiucs louables exceptions près, une
absence presque complète de renseignements sur la vie intime des
protestants de France. Leur vie extérieure nous est assez exacte-
mont et a!)ondamment décrite; leur vie intérieure ne l'est point.
228 DEUX INTÉRIEURS DE PASTEUR AU XVIl'^ SIÈCLE.
Nous savons par quelles péripéties ils ont dû passer; nous ne pou-
vons jamais nous asseoir à leur foyer. Leur organisation ecclésias-
tique nous est connue dans ses traits généraux; on ne nous raconte
pas son fonctionnement de tous les jours. En un mot, leur histoire
du dehors — si je puis m'exprimer ainsi — nous devient de plus
en plus familière, mais nous attendons encore leur histoire du
dedans.
Puisse un historien assez patient, assez laborieux et assez désin-
téressé (car ce serait une histoire sans côtés dramatiques, une
histoire aussi peu à effet que possible) entreprendre un jour une
pareille tâche et nous montrer enfin les protestants de France
chez eux.
En attendant, les circonstances m'ayant permis de tenter un essai
de ce genre pour l'Église de Mer (Loir-et-Cher), il m'a semblé que
je pouvais en détacher une page et vous la lire. Elle aura toujours
un mérite, celui de la brièveté.
L'Église de Mer appartenait autrefois à la province d'Orléans el
Berry. C'était même une des plus considérables de cette province.
A un point de vue plus général, elle n'a pas été sans une certaine
illustration : Claude Mallingre en était peut-être; Agrippa d'Aubigné
y possédait un fief que ses descendants possédèrent longtemps après
lui; Pierre Jurieu y naquit et la famille dé Jean Rou, dont les cap-
tivants Mémoires ont été publiés de nos jours, en était originaire.
Or, en octobre 1651, mourait à Mer ]\P' Élie Péju, docteur en
théologie, naguère pasteur à Mer, puis à Argenlon, maintenant
retiré dans son ancienne Église.
M""^ Elie Péju n'était pas un homme comme on rencontre tous les
jours et, à vrai dire, il ne faut pas trop s'en plaindre. D'une mora-
lité parfaite, il était affligé d'un caractère insupportable. J'attribue
cela en partie à ce qu'il n'était pas marié. Toujours est-il que 20 ans
environ auparavant, il avait dû quitter son Église, après de longues
années de luttes et sans les honneurs de la guerre. Mais, avec le
temps, tout s'était adouci, et c'est Mer que le vieux lutteur avait
choisi pour y terminer paisiblement sa carrière terrestre.
Je voudrais vous convier à venir visiter avec moi sa maison. Rien
n'est plus facile. Il a fallu dresser inventaire de ses biens meubles
et immeubles, et le document existe. Tout y est mentionné : maisons
— il en avait trois, — terres, créances hypothécaires, dettes actives...
DEUX INTERIEURS DE PASTEUR AU XVlle SIECLE. 229
C'est complet et nous permet de constater tout d'abord que noire
pasteur était dans une position aisée. Mais je ne veux m'attacher
qu'à la maison où, comme le dit l'inventaire, « ledit deffunt est
deceddé. »
Figurez-vous donc une maison ayant pignon sur rue et composée
d'une chambre basse, d'une chambre haute avec une petite chambre
de débarras à côté, d'une cave et d'un grenier, et l'inventaire, comme
tous les inventaires possibles, ne manque pas de dire : cave dessous,
grenier dessus! comme si on pouvait supposer le contraire.
Deux pièces principales et quelques dépendances, voilà pour la
maison. Péju l'habite seul et sa servante, une fort patiente créa-
ture, probablement, n'est que ce que nous appellerions, une femme
de ménage.
Mais si Péju n'a que deux chambres, il faut convenir qu'elles sont
bien remplies. Vous allez en juger. Commençons par la chambre
haute où il couche. Outre les meubles ordinaires, lit, table, chaises,
nous y trouvons trois ou quatre armoires, « boistes de bahu », dit
l'inventaire, des armes, des outils, et ce qui est plus curieux, toute
la batterie de cuisine, à l'exception d'un grand chaudron, d'une
(( lichefritte de fer » et de quelques menus objets transportés au
grenier. La chambre à coucher était en même temps la cuisine.
Et voulez-vous savoir de quoi se composait la batterie de cuisine
de notre pasteur? Le voici : deux chaudrons d'airain et un petit
cassin aussi d'airain; deux poislons d'airain, une poisle de fer,
trois chandelliers de cuivre et un de fer; une cloche de fonte garnie
de son écuelle (objet dont je n'ai pu apprécier l'utilité ni la nature)
et, enfin, 70 livres « d'estain ouvragé, dit l'inventaire, en plusieurs
espèces de vaisselle » .
On le voit, Péju mangeait dans la vaisselle d'étain et avec des
couverts d'étain. Aussi son argenterie laissait-elle, il faut en conve-
nir, fort à désirer au double point de vue de la variété et de l'abon-
dance. En tout il possédait six « cuillez d'argent.... avec l'estuy
d'icelles », ainsi que le constate le digne tabellion et notaire royal,
Jehan Baignoux.
Laissons de côté l'épée garnie de son fourreau et le baudrier ;
laissons les outils : marteau, tenailles, etc.; le miroir suspendu au
mur et même la petite orloge « garnie de sonmouuement et timbre»
et, avec l'indiscrétion que l'histoire autorise, ouvrons les armoires.
230 DEUX INTÉRIEURS DE PASTEUR AU XVir SlECLIi.
Je l'ai dit, il y en a trois ou quatre. Ce que je ne dirai pas, c'est
tout ce qu'elles contiennent. Je n'en finirais pas, s'il fallait compter
les draps, les nappes, les serviettes, le linge de corps et de toilette,
les « frezes, les manchettes, les collets », etc. Mais comment ne pas
être frappé de trouver des provisions de fil en échevaux et en pelo-
tons, des pièces de toile ordinaire, écrue, fine, de lin, de fil, de
batiste, de Hollande; ou encore des morceaux de taffetas noir, de
gros de Napples noir et même de « vieil taffetas de velours ».
C'étaient, on le voit, de ces bonnes vieilles armoires de l'ancien
temps, bien garnies et pliant sous le poids.
Évidemment Péju n'avait pas été insensible autrefois au plaisir
de s'habiller élégamment. Mais, comme l'a dit un poète: « le temps,
qui change tout, change aussi nos humeurs » , et le charme de la
toilette paraît s'être émoussé chez notre pasteur. Permettez-moi,
pour le montrer, d'énumérer quelques-uns des habits déposés dans
une des fameuses armoires, en y joignant l'estimation de W veuve
Constant, née Gaultier, « revenderesse publicque audit Mer ».
Une robe longue de serge noire fine, 100 sols ; une soutane d'es-
tamine noire, 30 s.; une autre robe longue de grosse serge noire,
4 livres... Vous vous étonnez peut-être de trouver des robes et des
soutanes chez un de nos pasteurs. Je l'avoue, je fus d'abord étonné
aussi. Mais j'appris ensuite que nos pasteurs portaient la soutane
et la robe. La preuve en soit dans la Déclaration du roi du 1"" fé-
vrier 1669, qui leur en interdit l'usage hors des temples. — Reve-
nons à nos habits : un long manteau de camelot noir, 100 s., un
manteau de drap noir doublé de serge, 3 1. 10 s., un juste-au-corps
de camelot doublé de même, 3 1., un pareil juste-au-corps, 50 s., un
vieil manteau de camelot noir, "20 s., un pourpoint et un haut de
chausse de camelot noir et un bas de chausse de serge noire à usage
d'homme, 1 1 1. 10 s. ; un pourpoint et un haut de chausse de came-
lot noir, 40 s., enfin, un chapeau noir à usage d'homme, :20 s. —
Multipliez par six pour avoir le prix d'aujourd'hui, et vous verrez
([ue notre pasteur avait des habits, jadis beaux, peut-être, mais qui
avaient veilli sur lui comme il avait lui-même veilli sous eux.
Descendons maintenant l'escalier en jetant un coup d'œil dans
la soupente, où se trouve la provision de bois de Péju et entrons
dans la chambre basse.
Ici encore des boites de bahu, du linge, des pièces de toile, des
DEUX INTÉRIEURS DE PASTEUR AU XVII'^ SIÈCLE. 231
habits, probablement ceux qu'il mettait pour sortir; ici aussi et sur-
tout sa bibliothèque.
En effet, nous sommes dans l'étude ou chambre de travail de
notre pasteur. C'est là qu'il se tient, vêtu de sa robe de chambre de
serge gris-brun, sa « calliotte » de satin sur la tête, en face de son
pupitre sur lequel nous voyons, outre des papiers et des livres, un
vaste encrier de bois et plusieurs plumes d'oie. Quand la nuit vient,
il allume sa lampe à trois pieds de cuivre, que supporte en plein
jour la large cheminée. C'est là qu'il a composé quelques ouvrages
destinés à confondre les papistes, ou à montrer à ses ennemis de
Mer et d'ailleurs toute la noirceur de leur ingratitude.
Sachez-moi gré. Messieurs et Mesdames de ne pas insister là-
dessus et de ménager, par conséquent, votre patiente bienveillance.
Péju a une belle bibliothèque. En cela, il me serait facile d'en
fournir la preuve, il ressemble à ses collègues du passé, du présent
et même, tout au moins dans une certaine mesure, de l'avenir.
« Ces affectés de ministres, fait dire Agrippa d'Aubigné à Haiiai
de Sancy venant de se reconvertir au catholicisme; ces affectés de
ministres ont leur bibliothèque pleine de livres de l'ancienne im-
pression! »
Malheureusement, à part le prix de celle de Péju, — environ
2400 francs de notre monnaie actuelle, — nous ne savons rien ou
presque rien sur elle. La phrase de l'inventaire est caractéristique
et vaut la peine d'être citée. La voici :
« En lad. maison dud. Mer, où led. deffunt est deceddé a encore
esté trouvé de sa succession La Bibliothèque dud. deffunt, composée
de plusieurs livres en plusieurs vollumes grecs, latins et fran^^ois,
environ plain trois poinssons, tous lesquelz livres ont esté prisez et
estimez ensemble par personnes congnoissans pour ce faire appelez,
la somme de 400 1. Is. »
Et voilà! trois pleines barriques de livres!
Quoi qu'il en soit, c'est là ce que le défunt avait de plus précieux
et de mieux garni... avec sa cave. Une cave comme je n'en connais
aucune parmi mes honorés collègues. Elle contenait environ qua-
rante barriques de vin! Il est vrai que Péju possédait quelques
arpents de vigne... Mais il est vrai aussi que vingt ans plus tôt, au
moins, les mauvaises langues de Mer avaient accusé notre pasteur
de s'occuper du commerce des vins. Il se fâcha fort, un jour, d'avoir
232 DEUX INTÉRIEURS DE l'ASTEUU AU XVIF SIÈCLE.
été traité, en plein synode, de marchand de vin et d'avoir été cen-
suré comme tel. Son inventaire aurait été certainement un grave
témoin à charge... Mais, laissons cela! laissons ces vieilles querelles
et maintenant que nous avons vu la maison de Péju, de la cave au
grenier, transportons-nous chez le noble homme Daniel Jurien,
docteur en théologie, pasteur à Mer,
Au mois d'août 1629, Daniel Jurieu avait épousé, à Sedan, Esther
du Moulin, fille du célèbre professeur Pierre du Moulin, dont le
nom est encore, on peut le dire, populaire parmi nous. Elle lui
donna cinq enfants : Olympe, Marie, Thomasse (ainsi nommée à
cause de son parrain, Thomas Cary, gentilhomme anglais), Syméon
et Pierre, le fameux Pierre Jurieu, qui devait illustrer la famille,
mais en être le dernier représentant connu.
En 1638, madame Jurieu mourait à Chàteaudun, chez son frère,
le pasteur Cyrus du Moulin.
Deux ans plus tard, voulant épouser en secondes noces Charlotte
de Cambis de Soustelle, sœur du futur pasteur de Romorantin et
d'une famille de la meilleure noblesse, Daniel Jurieu dut faire faire
l'inventaire et estimation des biens communs entre lui et ses enfants,
provenant de la communauté.
C'est grâce à cette circonstance que nous pouvons le 5 décembre
4640, pénétrer dans la maison Jurieu à la suite du notaire, du
tuteur des enfants, Cyrus du Moulin, déjà nommé, des parents,
voisins et amis, presque tous membres du Consistoire de Mer et de
Gentien Maria, vendeur de meubles an bailliage de Blois, assisté
de la revenderesse publique, Jacquette Gaultier, veuve Constant,
que nous connaissons déjà.
Il va sans dire que je ne me propose pas de répéter ici, même
avec les changements nécessaires, tout ce que j'ai dit au sujet du
mobilier, du linge ou des habits de Péju. L'énumératiou de ce que
contiennent les six chambi'es de la maison Jurieu nous entraînerait
trop loin. Qu'il me suffise de dire qu'il y a plus de linge, notam-
ment 100 aunes de toile en pièces, plus d'habits, plus de meubles et
que meubles, linge et habits sont en général plus beaux.
Mais si je m'interdis un examen détaillé, vous me permettrez sans
doute de jeter çà et là un regard indiscret et de vous dire ce que
j 'aurai vu dans les chambres ou dans les armoires.
Ainsi, par exemple, voici la description du lit du pasteur Jurieu,
DEUX INTÉRIEURS DE PASTEUR AU \\W SIÈCLE. 2oo
qui se trouve dans la chambre à coucher principale. Je copie l'in-
ventaire : un charlict(bois de lit) en bois de noyer, fait à quenoilles,
uarny de son enffoureuse et paillace, fond de toile, dans lequel il
y a une coueste de lict, garny de son travers, ayant chacun deux
layes, ung matelas garny d'une taye de loille linge œuvrée, deux
couvertures estant sur led. lict, l'une de laine verte et l'autre de
laine blanche et un tours de lict de serge verte, ayant des passe-
menteries de sois dessus, le tout prisé et estimé 150 1., soit environ
900 francs de notre monnaie.
Dans cette même chambre et dans une des armoires, j'aurais
aimé trouver et pouvoir énumérer, partiellement tout au moins, la
garde-robe de la jeune défunte. Malheureusement Jurieu paraît en
avoir disposé antérieurement etil n'en reste presque rien. Une robe
d'estamine, un cotillon de satin à fleurs, une autre d'une espèce de
taffetas dont il ne m'a pas été possible de déterminer la nature,
une écharpe de taffetas noir, encore quelques menus objets, et c'est
tout. Par contre nous trouvons la preuve que madame Jurieu faisait
de la tapisserie. L'inventaire mentionne « un petit pacquet de laine
de diverses couleurs avec quelque canevas servant à faire de la
tapisserie. » Ce paquet, si nous en jugeons par le prix devait même
être assez volumineux (8 livres).
En descendant, nous passons par la cuisine, où se trouve la cou-
chette de la servante et une batterie de cuisine de cuivre, d'airain,
d'étain, beaucoup plus complète que celle de Péju. Comme carac-
térisant certains usages culinaires de l'époque, je citerai la « poisic
à faire confiture » et la « poisle à faire rost ». D'où il suit que chez
Jurieu on ne mangeait pas de rôtis cuits à la broche.
Vient ensuite l'étude ou cabinet de travail. Ici encore une grande
et belle bibliothèque et, en outre, des tableaux et des cartes dont
notre pasteur paraît avoir été amateur, le tout estimé 450 livres. En
fait de meubles, une table et deux chaises en noyer... La tapisserie,
on le voit, était plus complète et plus précieuse que le mobilier.
Aussi bien n'est-ce pas dans son cabinet que Jurieu reçoit ses
visites et nous allons traverser son salon, car Jurieu a un salon !
Mentionnons rapidement quelques-uns des meubles qu'on y trouve.
Tout d'abord un cabinet de bois de noyer, ayant trois fenêtres fer-
mant à clef et dans lequel nous jetterons un coup d'oMl tout à
l'heure. Puis sept chaises de bois de noyer avec leur garniliire de
234 DEUX INTÉRIEURS DE PASTEUR AU XVIP SIECLE.
tapisserie, due peut-être à l'aiguille industrieuse de celle dont nous
constatons l'absence à chaque pas; puis un miroir ayant la garni-
ture et chassure d'ébène, une tente (tenture) de chambre de tapis-
serie de Bergame et enfin , outre quelques « boisles de bahu fermant
à clef, » des tabourets de tapisserie...
Revenons au cabinet aux trois fenêtres. C'est là que sont les
bijoux et objets précieux et j'en indiquerai quelques-uns. Ainsi :
trois quartiers de belle toile de Hollande avec un petit paquet de fil
blanc ; une esguière, une escuelle, une sallière, six cuillers et autres
petites pièces d'argent d'orfèvrerie, valant ensemble environ 950 fr.
de notre monnaie; deux anneaux de diamant en l'un desquels il y
a trois pierres, valant ensemble environ 4000 francs; une montre,
que Jurieu prenait sans doute dans les grands jours, ayant la boueste
d'argent; deux paires de cousteaux d'Angleterre (on voit que leur
réputation est ancienne) et un autre grand cousteau, une petite
boite d'ivoire et enfin 50 jetons d'argent valant ensemble ;25 livres.
N'allez pas croire que cette menue monnaie constituât les fonds
disponibles de Jurieu... Oh non! il apporte encore « en deniers
clairs », comme dit l'inventaire, une somme d'environ 7(X)0 francs.
Il attendait évidemment pour la placer quelque bonne hypothèque
ou quelque bonne occasion d'arrondir ses propriétés foncières... Ce
n'est qu'ainsi qu'on plaçait alors son argent.
Je termine. Si ces quelques pages, en vous faisant pénétrer dans
l'intérieur même de deux de nos pasteurs, vous ont intéressé, je
serai heureux de les avoir dites ici.
Au fond, et bien que se mouvant dans une sphère beaucoup plus
modeste et beaucoup moins dramatique, l'histoire intime est une
partie et, âmes yeux, une des parties les plus importantes de ce
(}ue l'on appelle l'histoire. Nous ne connaîtrons vraiment nos pères
que lorsque nous pourrons les suivre jusque chez eux. Au dehors,
ils sont toujours, plus ou moins, des personnages ; au dedans, ils
sont eux-mêmes. L'histoire extérieure nous révélera leurs destinées;
l'histoire intime les fera comparaître eux-mêmes devant nous.
Voilà pourquoi j'ai cru pouvoir aborder de tels détails devant les
membres d'une Société comme la vôtre, Messieurs, auquel rien de
ce qui est protestant ne saurait rester étranger et devant un public
aussi sympathique à tout ce qui tient aux annales de la Réforme
IVançaise. P. de Félice.
DOCUMENTS
ESTAT DES CENS CAMISARDS PARTIS AVEC CAVALIER
La curieuse pièce qu'on va lire n'est pas inédite. Elle a été publiée dans
le tome XIV de la.nouvelle édition de l'Histoire générale du Languedoc,
col. 2001 et suivantes, d'après l'original conservé aux archives du Mi-
nistère de la guerre. Mais il existe une minute de la même pièce aux
archives de l'Hérault (C. 189; contenant de plus l'âge et le signalement
des cent compagnons de Cavalier. Nous avons cru devoir prendre pour
base le document de Montpellier, en y joignant la caractéristique de
certains noms qui fait l'intérêt principal de celui de Paris. Ce dernier
porte le titre développé qui suit, et se termine par la signature de Ca-
valier, dont l'authenticité pourrait inspirer quelques doutes, rapprochée
de la caractéristique de plusieurs de ses compagnons, si celle-ci n'avait
évidemment été ajoutée après coup, et à l'insu du chef caraisard :
Etat des gens qui sont partis de Valabrègues avec Cavalier, qui ont
été remis par M. de Fressieu à M. de Bassignac, capitaine de dra-
gons, ce lundy '1^° juin llOi, pour les conduire à Lyon et de là au
vieux Brisach.
[Les plus mauvais et les plus dangereux sont marqués par une
croix.)
Jean Cavalier, chef, est du lieu de Ribaute,dioceze d'Uzès, âgé de
20 ans, cheveux châtains, les épaules larges, petite taille.
Jacques Duplan, d'Youset, capitaine, âgé de 35 ans, cheveux châ-
tains et une belle taille.
Antoine Cavalier, lieutenant, frère du chef, âgé de 22 ans, che-
veux longs, châtain clair, moyenne taille.
Pierre Cavalier, autre frère du chef, âgé de 10 ans.
David Billard de Nisnies, lieutenant, âgé de 35 à 40 ans, cheveux
noirs, petite taille. {Fanatique ctprédicant f.)
236 ESTAT DES CENS CAMISARDS PARTIS AVEC CAVALIER.
Jean Lacombe, de Vezenobre, lieutenant, âgé de 25 ans, clieveuv
noirs, petite taille.
Le sr Hugon, de Blauzac, chirurgien, lieutenant, âgé de 50 ans,
cheveux noirs abattus, moyenne taille.
Pierre Blanc, de Cassagnols, âgé de 25 ans, cheveux châtains,
moyenne taille.
Jean Teissier, d'Anduze, sergent, âgé de 25 ans, cheveux châ-
tains, bonne taille.
Jean Guillaumet, sergent, âgé de 28 ans, cheveux châtain clair,
belle taille.
Louis Bonnaud, de L'Anglade, sergent, âgé de 34 ans, cheveux
châtains, moyenne taille. (Fanatique-]:)
Pierre Béchard, de L'Anglade, sergent, âgé de 36 ans, cheveux
noirs, moyenne taille.
Pierre Crouzet, de Gajan, âgé de 22 ans, cheveux noirs, belle
taille f.
André Mailloutier, de Montaren, âgé de 21 ans, cheveux noirs,
petit et bossu. (Scélérat f.)
Antoine Robert, de Berne en Suisse, âgé de 27 ans, cheveux
châtains, moyenne taille. (Dangereux f.)
Antoine Coutarel, d'Hortez près de Quissac...
Antoine Durand, de Ledignan, âgé de 30 ans, cheveux châtains,
moyenne taille. (Scélérat-].)
Pierre Cavalier, de Tornac, âgé de 25 ans, cheveux châtain clair,
belle taille.
Gabriel Lauriol, de Blauzac, âgé de 20 ans, cheveux châtains,
moyenne taille. (Dangereux f .)
Jacques Dulong, de S'-Geniès, âgé de 21 ans, cheveux châtains,
belle taille. (Scélérat f.)
Isaac Lapierre, de Nismes, âgé de 35 ans, cheveux châtains,
petite taille. (Fanatique et prédicant f .)
Jean Durand, de Ledignan, âgé de 16 ans, cheveux châtains,
moyenne taille.
Jean Bonnet, de Sauzet, âgé de 22 ans, cheveux blonds, belle taille.
: • Pierre Carrière, de Sauzet, âgé de 18 ans, cheveux noii's, moyenne
taille. (Dangereux f .)
Jean Carrière, de Sauzet, âgé de 19 ans, cheveux noirs, moyenne
taille.
ESTAT DES CEiNS CAMISARDS PARTIS AVEC CAVALIER. "237
André Bechaude, de Moussac, âgé de 22 ans, cheveux châtains,
belle taille.
Guillaume Taradel, de S*-Maurice de Cazevielle, âgé de 24 ans,
cheveux noirs, belle taille. {Dangereux f.)
Louis Pierre, de S'-Maurice de Cazevielle, âgé de 28 ans, cheveux
noirs, taille moyenne. {Dangereux f.)
Jean Pelladon, de Sommières, âgé de 20 ans, cheveux châtains,
petite taille.
Antoine Noguier, de Quissac, âgé de 20 ans, cheveux noirs,
moyenne taille. {Dangereux f.)
Daniel Campet, de Sommières, âgé de 18 ans, cheveux châtains,
belle taille.
Pierre Sabourin, de Sauzet, âgé de 22 ans, cheveux noirs, moyenne
taille.
Antoine Gay, de Serignac, âgé de 25 ans, cheveux noirs, moyenne
taille. {Dangereux f .)
Loaurent Brun, deS'-Geniès,agé de 22 ans, cheveux noirs, moyenne
taille.
Charles Roux, de Blauzac, âgé de 38 ans, cheveux blonds, moyenne
taille.
Foulcrand Fermaud, de Serignac, âgé de 20 ans, cheveux châ-
tains, moyenne taille.
Jean Gueydan, de Navacelle, âgé de 20 ans, cheveux blonds,
petite taille. {Fanatiqite f .)
Adam Béchard, d'Aygremont, âgé de 35 ans, cheveux noirs,
moyenne taille. {Dangereux f .)
Pierre Bresson, de Valence, âgé de 28 ans, cheveux noirs, moyenne
taille. {Fanatique f .)
Ansème Simond, de Vauvert, âgé de 22 ans, cheveux noirs fri-
zés, belle taille.
Jean Trentignan, de Vie, âgé de 22 ans, cheveux châtains, belle
taille. {Dangereux f.)
Paul Trentignan, dud. lieu, âgé de 26 ans, cheveux châtains, belle
taille.
Pierre Dulong, de Mende, âgé de 20 ans, cheveux châtains, belle
taille. {Fanatique f.)
Vincent Bruguiere, de Navacelle, âgé de 22 ans, clicveux châtains,
belle taille.
"IZS ESTAT DES CENS CAMISARDS PARTIS AVEC t'.AVALlER.
Jacques Carrière, de Mus, âgé de 25 ans, cheveux châtains frizés,
belle taille. {Dangereux f.)
Pierre Trel, deS"'-Foyen Gascogne, âgé de 20 ans, cheveux noirs
frizés, moyenne taille. {Dangereux \.)
Jean Paste, d'Aiguevives, âgé de vingt ans, cheveux châtains, belle
taille. (Dangereux-^.)
Sidrac Bagnol, de Marsillargues, âgé de 25 ans, cheveux noirs
frizés, belle taille.
Simon Lombard, de Mar.sillargues, âgé de 17 ans, cheveux noirs,
belle taille.
Pierre Pradon, de Marsillargues, âgé de 25 ans, cheveux châ-
tains, belle taille.
Jean Féline, de Marsillargues, âgé de 25 ans, cheveux châtains,
belle taille.
Barthélémy Valette, de Marsillargues, âgé de 23 ans, cheveux
châtains frizés, belle taille.
Paul Fromentau, de Marsillargues, âgé de 17 ans, cheveux châ-
tains, belle taille.
Jean Hue, de Marsillargues, âgé de 22 ans, cheveux blonds,
moyenne taille.
Claude Claveirol, de Marsillargues, âgé de 22 ans, cheveux
châtains, moyenne taille.
Adias Ausset, de Marsillargues, âgé de 20 ans, cheveux noirs,
moyenne taille.
Jacques Pages, de Marsillargues, âgé de 23 ans, cheveux châtains,
belle taille.
Jacques Gontrepas, de S^-Laurens, âgé de 22 ans, cheveux châ-
tains, belle taille.
Estienne Peloux, de S'-Laurens, âgé de 21 ans, cheveux noirs,
belle taille.
Jacques Gardon, de S^-Laurens, âgé de 21 ans, cheveux cli,!-
tains, moyenne taille. {Scélérat \.)
Jean Guillermet, de S'-Laurons, âgé de 22 ans, cheveux noirs
frizés, belle taille.
Claude Mourgue, do S'^-Lauiens, âgé de 18 ans, cheveux blonds,
moyenne taille.
Antoine Tront. de la Salle du Gardon, âgé de 30 ans, cheveux
noirs frizés, belle taille. {A servi et a de Vesprit f .)
ESTAT DES CENS CAMISARDS PARTIS AVEC CAVALIER. 239
Gaspard Giieydan, de Fons surLussan, âgé deSOans, cheveuxnoirs,
moyenne taille. {Dangereux f.)
Pierre Julian, de Mons, âgé de 24 ans, cheveux châtains, moyenne
taille.
Pierre Laurens, de S*-Pargoire, âgé de 21 ans, cheveux châtains.
François Chausse, de Sauve, âgé de 20 ans, cheveux châtains,
moyenne taille.
Paul Raynaud, de Villemagne, âgé de 22 ans, cheveux noirs,
moyenne taille.
Pierre Jean, de Mages, âgé de 18 ans, cheveux blonds, petite taille.
Jean Aubrespin, de S'-Pargoire, âgé de 25 ans, cheveux châtains,
belle taille.
Jean Cazaigne, de S'-Hillaire de Bruniat, âgé de 35 ans, cheveux
noirs, moyenne taille.
Jacques Lafond, de S'-Martin de Boubeau, âgé de 24 ans, che-
veux noirs, petite taille,
Pierre Maigre, de S^-Geniès, âgé de 25 ans, cheveux châtains, belle
taille. {Scélérat f.)
François Mages, de Nismes, âgé de 19 ans, cheveux noirs, belle
taille. {Scélérat f.)
Pierre Croisson, de Bouillargues, âgé de 22 ans, cheveux noirs,
moyenne taille.
David Pelet, du Pompidou, âgé de 25 ans, cheveux noirs, moyenne
taille.
Jean Moutet, de S'-Pargoire, âgé de 30 ans, cheveux noirs frizés,
moyenne taille.
Pierre Nicolas, de Nismes, âgé de 20 ans, boiteux, cheveux châ-
tains, moyenne taille.
Moyse Brun, de Vie de Canne, âgé de 22 ans, cheveux châtains,
moyenne taille. {Scélérat f .)
Pierre Rouquette, de S'-Maurice de Gazevielle, âgé de 24 ans,
cheveux châtains frizés, belle taille.
Gabriel Bouget, de Lussan, âgé de 24 ans, cheveux châtains,
moyenne taille.
David Gentet, de Villemagne, âgé de 25 ans, cheveux noirs frizés,
belle taille. {Scélérat j.)
Charles Gibert de Prades, de Lussan, âgé de 20 ans, cheveux
noirs, belle taille.
240 ESTAT DES CENS CAMISARDS PARTIS AVEC CAVALIER.
Jean Mailloutier, de Bagards, âgé de 50 ans, cheveux noirs, belle
taille.
Pierre Cazalis, de Villemagne, âgé de 20 ans, cheveux châtains,
moyenne taille.
Pierre Fasse, dud. lieu, âgé de -20 ans, cheveux châtains frizés,
moyenne taille.
Jean Daniel, dud. lieu, âgé de 20 ans, cheveux châtains, petite
taille.
Jacques Cauvet, dud. lieu, âgé de 22 ans, cheveux noirs, belle taille.
Isaac Serre, de Villemagne, âgé de 22 ans, cheveux châtains,
bonne taille -j-.
Antoine Martel, de Baron, âgé de 28 ans, cheveux noirs, boiteux
petite taille.
Jean Martin, de Vauvert, âgé de 20 ans, cheveux blonds, belle
(aille.
Jean Donzer, du Gaila, âgé de 36 ans, cheveux noirs, belle taille.
Jean Méjanelle, de Vauvert, âgé de 20 ans, cheveux blonds, belle
taille.
Israël Guiraud, d'Aubussargues, âgé de 22 ans, cheveux châtains
moyenne taille f.
Pierre Brouzet, de Marsillargues, âgé de 20 ans, cheveux châtains,
belle taille.
André Privât, de St Laurens, âgé de 21 ans, cheveux châtains
frizés, moyenne taille.
Arnoux Gilles, de Marsillargues, âgé de 23 ans, cheveux noirs,
moyenne taille.
Jean Brunel, de la Baume, âgé de 16 ans, cheveux châtains, petite
taille f.
Isaac Espérandieu, dud. lieu, âgé de 50 ans, cheveux noirs, belle
taille f .
Antoine Dupont, de Brais, près du Vigan, âgé de 27 ans, porte
perruque blonde, bien fait et de bonne taille. (Dangereux j.)
Total 100. Signé : Cavalier.
Le Gérant : Fiscubacher.
BOUULOTON, Imprimories réunies, B.
SOClliTÉ DE L'IllSTUlKE
DU
PROTESTANTISME FRANÇAIS
ÉTUDES IIISTOIIIQUES
L'ÉGLISE RÉFORMÉE DE LA GALMETTE
PAGES d'histoire LOCALE 1
111
Avec la RcvocLition s'ouvre la période dite du Désert, pen-
dant laquelle les membres de la minorité religieuse mis hors
la loi, privés de pasteurs et de temples, se réunissent dans des
lieux écartés, autour de quelques rares ministres ou propo-
sants prêchant l'Évangile au péril de leur vie. Une voix s'élève
alors, celle de Claude Brousson, avocat, pasteur, martyr, pour
rappeler à chacun son devoir : « Prenez courage, fortifiez-vous
en la foy, car voicy le temps de la tribulation et de l'épreuve.
Souvenez-vous bien que Dieu et ses anges ont les yeux sur
vous, qu'ils regardent et qu'ils observent si vous ne renierez
point Dieu. Vous avez protesté si souvent que vous vouliez
eslre lidèles à vostre Dieu jusques à la mort; lailcs-lc con-
1. Voir les iiuincros du Bulleliit do mars et uvril, [>. % et I4ô,
xxxui. — 10
242 l'église réformée de la calmette,
noitre mainlenant par des effets. Perdre vos denrées, votre
argent, vos meubles et vos biens, c'est peu de chose, et même
très peu de chose, en comparaison des biens et des richesses
du paradis. Souffrir d'estre battu, meurtri, emprisonné, mis
dans les cachots et dans la boue durant quelques jours sont
des mortifications qui ne sont pas à contrepeser à la gloire à
venir*. »
Telles sont les fortes exhortations que de « petits impri-
més », répandus par milliers, sèment partout, dans les villes
et les campagnes, pour réveiller le zèle de « ceux à qui la
persécution a fait perdre courage. » On les lit au foyer, sur
les ruines des temples abattus, dans les sites solitaires où se
célèbre furtivement le culte en esprit. Le chant des psaumes
se fait même entendre, parfois interrompu par une fusillade
meurtrière, car les ordres de la cour sont rigoureux et ils
sont exécutés à la lettre : « L'intention de sa Majesté est tou-
jours que l'on essaie de tomber avec des troupes sur toutes
les assemblées qui se feront, et si après en avoir tué un grand
nombre, l'on prend quelques prisonniers, qu'on leur fasse dili-
gemment leur procès, et qu'on les condamne aux peines por-
tées par l'Édit du mois d'octobre 1685, et la déclaration du
1" juillet 1686 -. » Le gibet ou la roue pour les pasteurs, les
galères pour les nouveaux convertis considérés comme relaps
et assimilés aux plus vils malfaiteurs, tel est le traitement
réservé à ceux qui n'écoutant que la voix de leur conscience,
et ne pouvant franchir la frontière pour mettre leur âme en
sûreté, mettent en pratique la grande parole : Il vaut mieux
obéir à Dieu qu'aux hommes !
Le diocèse d'Uzès fut particulièrement éprouvé, si l'on en
juge par la liste des nombreux fugitifs dont les biens furent
confisqués après la révocation '\ Dès 1683 le marquis d'Agues-
1. Lettre circulaire d'un martyr (liull., t. XXX, p. 22).
2. Lettre de Louvois du 17 mars 1689. Papiers Lebret. Fonds français n» 8833,
f° 246. Telles sont les instructions données partout. La forme varie à peine !
3. Bulletin, t. XXXI, p. 160. Les biens des émigrés de ce diocèse sont éva-
l'église réformée de la CALMETTE, 2io
seau s'exprimait ainsi dans un mémoire adressé à la cour :
« Nîmes et Uzès sont comme le centre de l'hérésie en Langue-
doc. La vraie religion y est opprimée par les Huguenots qui
sont en grand nombre et qui y sont les maîtres^. » C'est bien
là le langage d'une Église qui se croit persécutée quand elle
ne persécute, et qui a su toujours trouver des agents dociles.
Les efforts des convertisseurs se concentrèrent sur les points
de la province signalés à leur zèle. Le seul diocèse d'Uzès
reçut vingt-quatre missionnaires auxquels on en adjoignit
bientôt douze nouveaux, à vingt sols par jour, pour catéchiser
les populations, avec des dragons pour acolytes. Promesses,
menaces, tortures, rien ne fut épargné pour vaincre les der-
nières résistances dont les cachots n'ont gardé qu'à demi le
secret :
« 11 y a à Uzès une mission de propagation de la foi gouver-
née par quatre créatures qu'on appelle les filles de la propa-
gation. C'est dans cette maison où sont enfermées plusieurs
filles de la religion qui ont résisté aux violences et aux tenta-
tions précédentes. L'une de ces quatre filles de la propagation
s'alla plaindre à l'intendant des réponses que faisaient ces
filles persécutées et du peu de dispositions qu'elles avaient à
se convertir. L'intendant qui est le sire de Bâville, dont le nom
mérite de vivre dans tous les âges à venir, ordonna sur l'heure
flagellation contre dix des plus indociles. En exécution de
l'ordonnance on posa quatre soldats à la porte, avec le mous-
quet prêt à tirer et la mèche allumée, et deux prêtres en-
trèrent avec le major de Vivonne et le juge Larnac, subdélé-
gué de l'intendant. En leur présence ces créatures de la
propagation dépouillèrent ces filles depuis la ceinture en
haut, et faisant office de bourreau, elles les fustigèrent de la
plus cruelle manière du monde avec des étrivières de corde
lues à près de deux millions <( non compris ceux qu'on n'a pas pu encore rele-
ver », p. 164.
1. Mémoire sur plusieurs choses à faire en Languedoc, envoyé par M. Dagues-
seau (Arch. nat., série TT, 322).
244 l'église RÉIOIOIÉE DE LA CALMETTE.
au bout desquelles il y avait des boules de plomb. Toutes
couvertes de sang et de pluie, elles furent jetées dans une
sombre prison. Durant ce supplice elles ont poussé des cris
qui se faisaient entendre de la rue; mais elles se sont forti-
fiées les unes les autres à souffrir cette épreuve pour le nom
de Jésus-Christ*. »
On ignore jusqu'au nom des vaillantes filles qui, pareilles
aux héroïnes duDauphiné, Blanche Gamond et Jeanne Terras-
son, supportèrent courageusement la persécution dans les
cachots d'Uzès, et dont plusieurs appartenaient, à n'en pas
douter, aux principales familles de la ville et des environs.
La liste des fugitifs du diocèse en dit long à ce sujet". La Cal-
meltc n'y figure point. Le seigneur du lieu, Philippe d'Ardouin,
privé de son droit d'exercice, avec ceux de la Rouvière, de
Fons et de Saint-Privat, ne fut pas au nombre de ces sublimes
révoltés qui, comme Jacques Boileau, seigneur de Castelnau,
aimèrent mieux subir une longue captivité, mourir à Pieire-
Encise de Lyon, que d'étouffer la voix de leur conscience '.
Parmi les prisonniers de ce même cachot on rencontre en
1691, Pierre Parades, seigneur de Sauzct, d'une famille alliée
celle de Claude Brousson'. Les derniers pasteurs de la Cal-
mettc ne semblent pas avoir donné à leur troupeau l'exemple
de la fidélité ^ Si l'on en croit les feuillets d'un journal de
1. JJutlelin, l. XI, l^. 309, et t. XXX, 438.
2. La Révocation à Uzès. Estât des biens des fugitifs du diocèse {Bull.,
t. XXXI, p. 160 et suivantes.
3. Voir l'admirable légende du portrait de ce confesseur (Bull., t. IX, p. 16'.').
11 renuit le dernier soupir dans un cachot, à l'Age de soixante et onze ans, après
une longue captivité supportée avec la plus cliréticnnc résignation.
4. {Bull., t. XXVHI, p. 76, 77). Il recouvra une liberté relative en 1705.
5. On lit les noms de Capicu et de Juslamond sur une liste de ministres pen-
sionnés après la révocation {Bull., l, XXXII, p. 408 et suivantes). Mais on ren-
contre plusieurs pasteurs de ce nom dans la région voisine d'Uzè.s, à celle
époque; il est difficile de distinguer entre eux. Un Capicu (Antoine) réussit ù
sortir de France et l'ut réadmis à la paix de l'Église. Est-ce le martyr de 169-2?
(ilaude Justamond, ancien ministre de la Calmette, est-il le même que le sieur
Juslamond ministre à Massillargncs ? Tous ces ])oinls seront sans doute éclaircis
dans le savant ouvrage qu'on attend de M. Auzièrc.
l'église réformée de la calmette. 215
l'amille conservé jusqu'à nous, Philippe d'Ardouin s'inclina
devant la loi inique, préparant ainsi le retour de ses enfanis
à l'Eglise romaine. D'aulres plus courageux, sous le titre flé-
trissant de nouveaux-convertis, retrouvèrent au lit de mort
l'énergie nécessaire pour repousser les cérémonies d'un culte
abhorré, affrontant ainsi la peine des relaps, et léguant la
confiscation et l'opprobre juridique à leur famille. Tel fut le
cas d'un de mes ancêtres, Claude Bonnet, consul de la Cal-
mette * en 1672, dont fhéroïque attitude à l'heure suprême
est attestée par l'arrêt qui suit, devenu un titre d'honneur
pour sa mémoire et une lettre de noblesse pour ses descen-
dants :
Jugé le 7 novembre 1699. — Entre le procureur du roy en la Cour
demandeur en réparation du crime de relaps, contrevention à la déclara-
tion du roy du 19 avril 1G86 donnée conU"e les nouveaux convertis qui
refusent de recevoir les sacrements d'une part, et Louis Freschon procu-
reur et curateur nommé à la défiance de la mémoire de Claude Bonnet
du lieu de la Calmette, deffendeur et autrement suppléant par requeste
incidante renvoyée en jugement le 2(3 septembre dernier en cassation des
procédures et en relaxe d'une part, et le dit sieur procureur du roy
deffendeur d'autre.
Veu le procès verbail faict par M" Cassan presbtre et vicaire perpétuel
du dit lieu de la Calmette, contenant la déclaration du dit Bonnet comme
quoi il ne voulait pas recevoir les sacrements et qu'il voulait mourir
de la R. P. R, du 'id mars dernier , requeste et commission pour informer
contre la mémoire du dit Bonnet, du 7 avril dernier, l'exploit d'assigna-
tion à témoins pour déposer du 14 du dit, l'information faite par M'' Cas-
sagnes, conseiller en la cour commissaire contenant les dépositions de
six témoins du dit jour, 1 i' dudit mois d'avril dernier; ordonnance sur
requeste portant nomination de curateur delà personne de Freschon, pro-
cureur en la cour pour defl'endre la mémoire du dit Bonnet...
1. Je reproduis à son sujet deux extraits des anciens registres de la com-
mune : .< l'ius est deub à Claude Bonnet, consul de la Calmette, l'année 1(57:2,
la somme de -49 livres, 10 sols, IG deniers, pour la closlure des comptes do son
administration. » (G, 1278. Archives déparlemenlales du Gard.)
« L'an mille six cent quatre vingt six et le 24 de novembre, fut baptisée Annf
Bonnet, fille de Claude Bonnet et de Catherine Béchard, nouveaux convertis «
(Registres de la Calmette».
2i6 L'ÉGLISE RÉFORMÉE DE LA CALMETTE.
Avons sans nous arrester à la requesle du dit Fi'eschon curateur, et
luy démis des fins d'icelles pour les preuves résultantes du procès
déclaré et déclarons, le dit Claude Bonnet cstre mort relaps, et en
conséquence pour réparation de ce sa mémoire éteinte et supprimée à
perpétuité, et ses biens acquis et confisqués au profit de Sa Majesté, et
les despens et frais de justice, la taxe réservée, pris préalablement sur
iceux.
(Taxe dix escusj.
NovY, Lt. PI, rapporteur. Chabaud
FORTON MaLIAN
MÉNARD DE VaRANGLES
GÉVAUDAN
L'homme dont la mémoire ainsi « éteinte et supprimée, » re-
vivra du moins dans ces pages,était, à n'en pas douter, un de ces
fidèles huguenots qui, tout en subissant le baptême catholique
pour leurs enfants, avaient gardé inviolée au fond du cœur la
croyance des aïeux et mis la justification par la foi en Jésus-
Christ au-dessus des vaines litanies du prêtre et de la vertu
magique des sacrements. Le culte du Désert faisait revivre
presque partout les grandes doctrines qui étaient l'essence
même de la Réforme, et chacun y puisait une consolation,
une espérance dans les sombres jours qui s'étaient levés pour
l'Eglise. LaCalmclle eut aussi ses prédicateurs itinérants, ses
messagers du salut, d'autant mieux accueillis qu'ils étaient
prêts à sceller de leur sang le divin message. De ce nombre
fiil alors ce Fauché dont la vie est tout un roman semé de
tragiques aventures. Il coBimence son apostolat autour de
Nîmes, à l'époque où Vivens, Serrel, la Jeunesse commen-
çaient le leui' dans les Cévenncs. Il prêche en 1(i8(l à
Vallongue, métairie isolée entre Nîmes et la Calmette, puis
dans une garrigue solitaire où se rendent « les fidèles de
Sauzet, Gajan, Saint-Geniès et autres lieux', enfin à la
Calmette « où il lit aussi des assemblées ». Saint-Chaptes,
Valence, Valérargues, an pied du mont Bouquet, entendent le
l'église réformée de la calmette. 247
courageux prédicateur exposé chaque jour aux plus grands
périls. Une fois son sermon est interrompu par les dragons
accourant à bride abattue du côté d'Uzès, et sabrant impitoya-
blement l'assemblée. « Le nommé Moïse, cardeur de laine,
est pendu à un arbre avec le licou d'un cheval. » Le valet
de M. d'Azemar, gentilhomme verrier*, a le même sort.
Fauché trouve un asile à Saint-Ghaptes ; mais il doit s'en
éloigner pour échapper aux poursuites. Il frappe en vain à la
porte d'un ami qui l'avait plus d'une fois reçu à la Calmette;
il n'est pas plus heureux à Vallongue, et ne trouve un abri
que dans une capitèle (cabane rustique) où il endure la faim
et la soif, avant de rentrer à Nîmes pour recommencer peu
après son périlleux apostolat entre le Gardon et la Gèze ".
Bien d'autres après lui suivent les sentiers du désert en y
laissant une trace ineffaçable; tel est ce Claude Brousson qui
doit clore, avant la Un du siècle, son glorieux apostolat par
un martyre plus glorieux encore sur les bastions de Montpel-
lier (1698). « Durant quatre ou cinq mois, écrit-il lui-même,
il n'a pas eu la liberté de marcher de jour et il a été toujours
contraint de marcher de nuit, si l'on en excepte quelques
occasions particulières dans lesquelles le grand danger où il
était exposé le forçait de marcher de jour. Il a bien été quel-
quefois dans Nhiies, où il a fait plusieurs assemblées, pendant
même que ses ennemis savaient qu'il y était et qu'ils y fai-
saient diverses recherches. Mais d'ordinaire il faisait son sé-
jour dans les bois, sur les montagnes, dans les cavernes et dans
les trous de la terre, et il couchait souvent sur la paille, sur
le fumier, sur des fagots, sous des arbres, dans des buissons,
dans les fentes des rochers et sur la terre. Durant l'été il était
consumé par les ardeurs du soleil, et durant l'hiver il a sou-
vent souffert un froid extrême sur des montagnes couvertes
1. Lisez d'Adhcmar. Ses descendants habitent encore aujourd'iiui St-Maurice
de Cazevieille.
2. Extrait des mémoires de M. Fauché qui est à Zurich et qui a prêché en
France (1085-1692). Bull. t. XXX. |j. 503-504.
248 l'éc.lise nÉForoiÉF, dr la calmette.
de neige et de glace, n'ayant pas quelquefois de quoi se cou-
vrir durant la nuit, et d'ordinaire n'osant pas faire de feu
pendant le jour, de peur que la fumée ne le découvrît, et
n'osant pas sortir de sa cachette pour jouir de la chaleur du
soleil de peur de se faire voir aux ennemis et aux faux frères.
Quelquefois aussi il était exposé à la faim et à la soif, souvent
à des fatigues accablantes et mortelles... Mais toutes ces
misères lui étaient douces lorsqu'il considérait qu'il les souf-
frait pour la gloire de Dieu et pour la consolation de son
pauvre peuple*. »
De l'excès des souffrances endurées par les populations
cévenoles, sous ces proconsuls du grand roi, dont la rage
persécutrice s'acharnait sur les vivants et sur les morts,
naquit l'insurrection carnisarde, sublime accès de désespoir
qui enfanta des prodiges d'héroïsme et qui tint en échec, du-
rant plusieurs années, les plus habiles généraux de Louis XIV.
Cavalier, Roland, Catinat, Ravanel, noms qui participent de
la légende et de l'histoire dans l'étonnante succession des
événements auxquels ils sont si tragiquement mêlés. L'Eglise
de la Calmette en ressentit le terrible contre-coup. Un de ses
membres, Claude Bonnet, fds du relaps, ligura parmi les
bandes insurgées, sous le drapeau de Cavalier-. C'est dans
les environs de la Calmette, au mas de Serrière, tout près des
carrières de Barutel et du plan de la Fougasse, qu'eut lieu le
furieux combat dans lequel une poignée de Camisards surpris
par le maréchal de Montrevel, et entourés par des forces
supérieures, a firent, dit un historien catholique, leur dé-
charge en gens de guerre, et rompus par les dragons, se ral-
lièrent, revinrent deux fois à la charge avec fureur, se mêlè-
rent avec les soldats et combattirent en désespérés ^ » La
1. Douen, Les premiers pasteurs du Désert, t. II, p. 200, 201.
2. Ne pouvant rentrer à la Calmette après la pacification, il alla s'établir à
CoUorgues où il testa en faveur d'un petit neveu, André Bonnet. Il est connu
dans la famille sous le nom de Claude le Camisard.
3. Fragment cité par Antoine Court, Ifisloire de la querre des dnmisnrds.
t. I, p. 2UU.
l'église réformée de la calmette. 249
nuit seule mit tin au combat qui couvrit de gloire Ravanel et
son héroïque phalange. C'est au château de Castelnau, dans
l'horizon de la Calmette, que s'accomplit un des derniers
épisodes de l'épopée cévenole, la surprise nocturne et la
mort de Roland, plus fidèle que Cavalier à cette grande cause
de la libei'té religieuse pour laquelle il est si heau de vivre et
de mourir !
Située à égale distance de Nîmes et d'Uzès, dans la proxi-
mité de ces deux villes, sur la principale voie de communica-
tion entre Mais et Montpellier, La Calmette dut ressentir les
commotions de la grande lutte dont le courant, brisé en
mille flots, vint plus d'une fois battre ses murs alors debout.
Les extraits suivants des archives départementales ont ici une
valeur historique :
29 octoJjre 170"2. — A André Bonnet, Jean Mouret, Cliarles Bécliard,
Antoine Gasay et Antoine Réonard, Ijahitants de la Gatmette, est deu la
somme de cinquante livres d'eux empruntée par la dite communauté en
conséquence de la délibération du 29 d'octobre 1702, et ordonnance de
Mgr l'intendant du 8 novembre même année, suivant l'obligation consen-
tie k leur profit le XIII du dit mois de novembre pour subvenir aux frais
de la garde faitte jour et nuit pour éviter l'entrée des rebelles des
Cévennes, comme bois, tuilles, vente de maisons et réparations faites au
corps de garde, employant pour la justitîcation de cette partie la dite
délibération, l'ordonnance de mon dit seigneur l'intendant du dit jour
Vlll' novembre, etc , . . L. 50.
Les mêmes registres nous apprennent que huit cents livres
furent empruntées, Ie25janvierl703, pour « réparations faites
aux murailles dudit lieu ». On n'était alors qu'aux débuts de
l'insurrection dont les tragiques vicissitudes émurent tant de
cœurs et laissèrent partout tant de ruines. En noveiTibre 1709,
lorsque l'insurrection parut terminée par la mort ou l'exil de
ses chefs, un nouvel emprunt fut prescrit par ordonnance de
M. de Bâville, de la somme de cent quatre vingt quinze livres
pour réparation de VÉglise clawitrale endomagée et réduite
en très mauvais état lors du désordre causé par les. fana-
250 l'église réformée de la calmette.
tiques. Ce subside, plus ou moins déguisé, trouva peu d'em-
pressement à la Calmette où l'on dut procéder d'office, comme
le témoignent les lignes suivantes :
N'ayant trouvé aucun préteur la communauté fut obligée de délibérer
que les habitants y nommés en feroient l'avance... à savoir à M. Jacques
Privât, André Bonnet, Jean Mouret, François Mouret, Jean Amalry, Fran-
çois Amalry, Jacques Fajon et Antoine Gazay, habitans dudit lieu, la
somme de 195 1. suivant l'obligation à eux consentie par les dits consuls
de la dite communauté le 24 septembre 1708 pour estre payée à l'impo-
sition prochaine. Présenté aux États de Languedoc. Novembre 1709*.
L'histoire particulière se perd et se retrouve tour à tour
dans l'histoire générale. Le 1" septembre, Louis XIV expire
à Versailles léguant à son arrière petit-fds, à peine âgé de cinq
ans, le funeste héritage des mesures iniques qui ont dépeuplé
le royaume, ruiné le commerce et l'industrie, et enrichi à nos
dépens les puissances étrangères. Nouveau Philippe II, il se
flatte d'avoir extirpé l'hérésie, restauré dans ses États l'unité
catholique, et les arts rivalisent avec l'éloquence de la chaire
pour proclamer son triomphe plus apparent que réel. Au
moment en effet où le royal moribond va comparaître devant
le juge suprême des vivants et des morts, quelques hommes
obscurs, réunis dans une carrière voisine de la Calmette,
relèvent le culte prosciùt et organisent l'Église du Désert,
sublime protestation du droit contre la force, qui puisera son
principal lustre dans le martyre. Un enfant du Vivarais, An-
toine Court prend la glorieuse initiative à laquelle s'associe-
ront Corteiz, Du Plan, Bonbonnoux, Roger, Pradel, Paul
Rabaut, et qui substituant l'ordre à l'anarchie, une autorité
révérée, celle des Synodes, aux derniers excès du prophé-
tisme camisard, reliera en un seul faisceau les congrégations
éparses, et ranimera dans leur sein la ferveur des anciens
jours.
Parmi les députés présents à la réunion de Barutel (21 août
1. Archives départementales de Nîmes (G. 1478).
l'église réformée de la calmette. 251
1715) se trouvait Etienne Arnaud, natif de Saint-Hippolyte
du Fort, dans les Gévennes, mais que l'on peut considérer
comme un des apôtres du diocèse d'Uzès. Arrêté, au mois de
décembre 1717, aux portes d'Alais, par les agents de Bâville,
le féroce proconsul de Montpellier, et condamné à mort par
les juges de Nimes, il fut ramené sur le théâtre de son apos-
tolat pour y subir le supplice du gibet. De lui, comme des
martyrs de la primitive Église, on aurait pu dire :
Où le conduisez-vous? — A la mort. — A la gloire!
Tel on avait vu le jeune Fulcran Rey, allant à la mort comme
à une fête, exhortant partout les populations sur son passage,
tel parut Etienne Arnaud, sur la route lentement parcourue
de Nîmes à Alais, qui ne fut pour lui qu'une voie triomphale,
exprimant par de pieux cantiques la sainte allégresse du
sacrifice qui devait couronner son court ministère :
On le passa à la Calmette,
De la Calmette à Boucoiran ;
Mais toujours ce grand athlète
Les psaumes s'en allait chantant ^.
Quoi de plus propre que de tels exemples à raviver la foi,
à ranimer le zèle parmi les populations rangées sur le pas-
sage des martyrs ! Les assemblées du Désert ne furent jamais
plus suivies que dans ces jours de deuil où les larmes se
mêlaient aux prières, et où le prédicateur du moment pouvait
être le martyr du lendemain. La correspondance d'Antoine
Court, le grand apôtre du temps, mentionne plusieurs assem-
blées tenues dans les environs de la Calmette, pages véridi-
ques qui sont comme les éphémérides de son histoire. Dans
le site déjà décrit des coteaux d'Estelzin et de Peyramale, on
remarque une antique bergerie relevant du Mas de Loumé
ou de VOrmeau. C'est dans ce lieu solitaire, près des ruines
1. Complainte sur la mort d'I^.tiennfi Arnaud (Hihl. du Prot. français).
252 l'église réformée de la c.almette.
de l'ancien couvent de Notre-Dame, non loin de la fontaine des
Mourgues, biblique Siloë qui coule doucement, que les protes-
tants de Nîmes et de la Galmette convoqués par leur pasteur,
s'étaient donné rendez-vous dans la nuit du 9 janvier 1727.
L'assemblée, dit Antoine Court, fut encore fort nombreuse, et tout y
allait le mieux du monde jusques à ce qu'un de ces esprits ombrageux
dont j'ai déjà parlé, donna l'alarme sans aucun sujet. Voici comme la
chose arriva : Deux sentinelles que nous avions posées sur un pont à
une demi-lieue de rassemblée^ oîile détachement devait nécessairement
passer, supposé le cas qu'il y eut eu campagne pour nous cherchtM-,
voyant que l'on était tranquille, le minuit déjà passé, quittèrent leur
poste et arrivèrent à grands pas sur l'assemblée pour avoir encore
quelque portion de l'exercice, ou du moins part à. la bénédiction, lors-
qu'une des sentinelles plus voisines les prenant pour un détachement,
s'est mis à crier : Sauve ! Ce cri fut suivi d'abord d'une grande émotion.
J'administrais pour lors la Sainte Cène. Il me fallut interrompre celle
sainte cérémonie pour calmer l'émotion. Mais mes efforts ne suffisant pas
pour arrêter le monde qui fuyoit en désordre, je me laissai couler en bas
par une fenêtre et m'étant rendu dehors par la porte de la bergerie,
je retins ceux qui y étoient encore, et je rappelai par le chant des psaumes
ceux qui couroient dans les champs. Ayant ainsi arrêté le désordre et
rappelé les fuyards à quelques-uns près, j'exposai le sujet de l'alarme et
donnai pour conseil de rentrer dans la bergerie et d'y finir notre exer-
cice; ce qui fut fait avec la même sérénité (jue s'il n'y avoit pas eu
d'.alarme-.
C'est dans le même site qu'eut lieu, l'année suivante, l'as-
semblée ainsi racontée par Antoine Court :
31 mai IHH. — M'étant rendu à Nîmes pour une affaire particulière,
j'en partis le lundi dernier mai, et j'assemblai le soir même cette Église,
celle de la Calmette et de Saint-Giniès. Avant que de sortir de la ville, on
vint me dire ({ue l'assemblée étoit vendue. Je ne laissai pas que de partir.
1. Le pont ainsi désigné ne peut être que celui ilc Goulajon, le seul qu'on
renconlre sur la route d'Alais, à proximité de la Calnielle. Au premier sigual
(l'alainie les fidèles assemblés aux Mourgues iiouvaicnt se disperser dans les
garriguesvoisines.
2. Lettre d'Antoine Court à Du l'ian, du J-J uiars i7"27. Papiers Court, n' 7,
f. m, p. 177-179. Hild. de C.-uéve.
l'église uéformee de la calmette. :253
Sur la porte je vis une troupe de soldats, et un peu plus loin une troupe
d'officiers qui fixèrent un moment les yeux sur un cavalier que j'avois
avec moi. Ces deux troupes me firent craindre qu'on n'eût accusé juste
sur l'avis qu'on venoit de me donner; mais je n'eu continuai pas moins
mon chemin, persuadé que rassemblée se tenoit un peu trop loin de
cette ville pour être suivie, et que s'il y avoit quelque chose à craindre,
ce ne seroit qu'en revenant et qu'alors il ne manqueroit pas de moyens
de rendre inutiles les soins des soldats. Il y eut un autre obstacle, ce
fut une nuit sombre et fort obscure accompagnée de pluie, obstacle qui
fit que plusieurs errèrent pendant la nuit sans trouver l'assemblée. Je
trouvai siu' mes pas une de ces troupes errantes et à laquelle il fallut
que je servisse de guide. Nous essuyâmes avant la prédication un revers
de pluie qui peu s'en fallut qu'elle ne nous pénétra tout à fait. Il cessa
ce revers, et la pluie nous laissa assez tranquillement achever notre
exercice. 11 n'en fut pas de même au retour. Elle se renforça; heureuse
encore l'assemblée de n'avoir à se défendre que contre la pluie. Les sol-
dats ne firent point de sortie ^
Moins heui'euse devait être l'assemblée tenue, deux ans
après, dans un autre lieu, et qui figure parmi les plus ti^agiques
souvenirs de l'époque. J'emprunte ici la plume de mon ami
M. Ch. Sagnier : « Le 27 mars 1730, se trouvait réunie au
mas des Crottes ^ une foule de fidèles qui, à l'appel des anciens
s'y était rendue pour entendre un sermon au Désert. Par sa
situation pittoresque au milieu des garrigues et des bois, le
mas des Crottes éloigné de 3 kilomètres du village de Saint-
Mamert et de 7 à 8 de Nîmes, semblait on ne peut mieux dési-
gné pour cacher à tous regards ennemis l'acte pieux que de
zélés protestants venaient y accomplira Mais, soit impru-
dence, soit dénonciation d'un traître, l'assemblée l'ut surprise
par la maréchaussée qui, sur l'ordre de l'intendant de la pro-
vince, parcourait incessamment à cette époque les territoires
1. LeUie d'Antoine Court à Du Plan, de juillet 1728, insérée, comme la pré-
cédeulc, diuis le journal de sa visite aux Églises. N° 7, t. Ili, p. 302-3U3. Dibl.
de Genève.
2. Ainsi nommé à cause de ses voûtes basses rappelant d'anciennes cryptes.
3. La proximité d'une source ajoutait à la convenance du lieu. La poésie des
lonlaincs sous le ciel brûlant du midi, égale leur rareté. Le beau psaume XLII :
Connue un cerf alléré brame... est là d'une terrible réalité!
254. l'église réformée de la calmette.
où l'on savait qu'habitaient des réformés. Grâce à ii docu-
ment précieux récemment découvert, on peut laisser iconter
cette terrible scène par le principal acteur lui-mêm< le mi-
nistre François Roux :
« Le 27 mars, dit-il, je fis une assemblée du côté du m,- de Las
Crottes, où il y avoit plusieurs fidèles de Nîmes, et du temps ae j'étois
dans la seconde partie de ma prédication, le détachement fon sur l'as-
semblée et les fidèles prirent la fuite, dont on fit dix prisoniers, neuf
femmes et un homme qui fut condamné aux galères, et les feiraes à la
Tour de Constance*. Les soldats poursuivireat un long temps s fidèles,
et moy je fus abandonné de tous après avoir couru un long unps que
j'entendis les tambours des soldats qui les appeloient; alors ,j m'arrêtai
pour me reposer un peu, et ensuite je repris ma course parc que j'en-
tendois toujours les soldats qui crioient : Arrête! arrête! ne! tue!
un peu après quand j'eus passé un peu plus loin, que je n'eicndis plus
de bruit, je me mis à genoux et rendis grâce à Dieu de ce q il m'avoit
préservé. Je me rendis à un village nommé Saint-Mamert, . priay un
fidèle de me conduire plus loin, ce qu'il fit d'abord, et éta: allé à un
lieu nommé Sauvignargues, oîi je me reposay un peu (c'éto le lende-
main 28, et environ les 9 à 10 heures du matin), voici un aachement
de soldats qui arrive dans ce village et s'arrêta devant la por! oii j'étois
logé, en demandant la maison du consul, et alors la femme e la maison
me dit toute tremblante : « Ah! nous sommes perdus! » ^t m'étant
mis à la fenêtre, je vis les soldats qui coramençoient à défi.', de sorte
que je commenÇois à prendre la fuite. Mais comme on me lit que les
soldats avoient mis des sentinelles à l'entour du lieu et a'on alloit
prendre le consul pour faire la visite, je quittai mon babic t pris une
méchante veste de berger. Je quittai mon chapeau et ma pouque, pris
un mauvais chapeau et un luchct (c'est une machine de fer uis du bois
pour bêcher la terre), et avec cet équipage et mon outil, je ortis de la
maison et pris d'abord les terres comme si j'allais travail^, et de là
m'en fus dans un bois où j'avois ordonné qu'on m'apport;' mon habit
et me transportai dans un autre endroit. Gloire soit renue à notre
Dieu!... »
Le mas des Crottes était situé sur les confins di territoire
de la Calmette et de celui de Nîmes. Les deux arronissements
1. Ch. Sagnier, La Tour de Constance et ses prisonnières, p. 1-17.
l'église réformée de la calmette. 255
furent co damnés à une amende de 6300 livres, dont 150 à
la chargeles nouveaux convertis de la Calmette, au nombre
de quarate-deux, parmi lesquels figurent quatre membres
de la farnie Bonnet, à savoir* : André Bonnet ménager, 1 1.
7 s. 7 d.; acques Bonnet, ménager, 1 1. 11 s.; Antoine Bon-
net, cardar, 10 s. 6 d. ; Jean Bonnet, travailleur^ 10 s. 6 d. ;
peine bic légère comparée à celle des neuf femmes enseve-
lies, durât des années, dans le sombre cachot de la Tour de
Constanc et dont on connaît la douloureuse histoire.
A l'épque où s'accomplirent ces tristes événements, le
grand misionnaire du midi, le prédicateur aimé des popula-
tions voisies de Nîmes et d'Uzès, Antoine Court avait pris le
chemin ci la Suisse, où il devait fonder le séminaire de Lau-
sanne, pemière de pasteurs et de martyrs. Son départ, dont
les motifs) taient peu connus, et qui pour quelques-uns sem-
blait unedéfection, excita partout de vifs regrets. Ils sont
naïvemer exprimés dans la lettre d'un fidèle de la Calmette,
au dos doaquelle Court a écrit ces mots : Soupirs après mon
retour. E voici quelques lignes : « Tous les amis du circon-
voisin détrent fort de vous voir dans le païs. Les uns crai-
gnent qu' les affaires se relâchent; les autres craignent que
vous nou abandonniez. Enfin tout ce pais est en peine et en
souci de e vous voir pas... Les autres disent que vous estes
placé et ue vous ne retournerez plus. Je vous prie par grâce
de nous mir secourir le plus tost qui vous sera possible. A
présent i semble que nous sommes seuls; nous demandons
vostre seours. J'espère ceste grâce de vous que vous revien-
drez pou nous rassasier de la faim que nous avons et de la
soif que nus endurons^. » Vœux touchants, aussi honorables
1. Liste ttf nouveaux-convertis de l'arrondissement de la Calmette condamnes
à l'amende î 1730. Voir ce document important à l'appendice.
2. Lettre i Mourc (Mouret) à Antoine Court; de la Calmaitte, ce 21 février
1730. J'en ; seulement modifié l'orthographe par trop primitive. Lettre à An-
toine Counl. VI, p. 297. Bibl. de Genève. Le signataire de cette lettre, Jean
IWouret, méager, figure pour 4 1. 16 s. 2 d. sur la liste des amendes citée plus
haut.
:2o6 l'église heformee de la calmette.
Iiour le pasteur qui en est l'objet que pour le membre obscur
du troupeau qui les exprime. Ils ne devaient se réaliser que
longtemps après pour les Églises menacées d'un schisme plus
dangereux que la persécution.
Déjà paraît le grand pasteur nîmois, dont le nom va s'unir
si glorieusement à celui d'Antoine Court, dans la restauration
du Protestantisme. : c Mon quartier, écrit Paul Rabaut, com-
mence à la Calmette et finit à Saint-Pargoire; c'est-à-dire
qu'il a iG lieues de longueur. Ce qui m'encourage beaucoup,
c'est que de temps en temps j'ai lieu de me convaincre par
mes propres yeux que le Seigneur bénit mon ministère. Je
vois déjà une moisson abondante devant moy. Oh ! si j'avais
une lamille comme la vôtre ou un compagnon d'œuvrc tel
que vous, que de blé il y aurait bientôt dans le grenier du
Seigneur' ! » Saintes moissons du Désert préparées par Cor-
teiz, par Antoine Court, et recueillies par leur jeune émule,
pour la gloire de leui' commun maître.
Jules BoxNnet.
1. Lellrc de Paul Rabaut à Antoine Couil, du 10 juin 17i-2. Communication de
M. le iiasleur Cli. Dardicr, le docte éditeur de la Correspondance de Tuibaul.
{La fin au prochain numéro.)
DOCUMENTS
LETTRES DU PASTEUR PIERRE DURAND
A ANTOINE COURT ET A DIVERS
1721-1731
Le Bulletin du 15 février (p. 74) a publié une relatmi de la mort de
M. Pierre Durand (12 février 1732), et annoncé une série de lettres
du pasteur martyr du Vivarais adressées pour la plupart à Antoine Court
et conservées dans la collection de ce nom (iN" 1, tome II, III, IV, V et
VI).
Ces lettres, au nombre de plus de trente, réparties sur une dizaine
d'années, n'offrent pas toutes un égal intérêt. Quelques-unes môme en
sont absolument dénuées. INous avons donc fait un choix, et nous
reproduisons celles qui pourront ôlre utilement consultées pour la bio-
graphie ou pour l'histoire.
On ne sait que fort peu de chose sur la jeunesse de Pierre Durand né,
le 12 septembre 1700, au hameau de Bouchet, commune de Pranles,
et proposant, à l'âge de 20 ans, sous les auspices du pasiciir Boger,
martyr du Dauphiné. Ses études furent assez négligées, comme il nous
l'apprend lui-même : « Je vois une ville (Privas) qui m'a reçu dès ma
tendre enfance, et dans laquelle j'ai fait quelques études qui, quoique
peu considérables, ne m'ont pas été inutiles ». Il travailla sans cesse à
augmenter son petit trésor.
On voit par son acte de consécration — 17 mai 1726 — qu'il avait
proposé l'espace d'environ sept ans, et son ministère proprement dit ne
dura pas plus de cinq années. Dans cette double période, Antoine (]ourt
n'eut [)as de collaborateur plus dévoué que lui. Ses lettres vont nous le
montrer ardemment préoccupé du rétablissement de l'ordre et de la pré-
dication du pur Évangile au sein des Églises agitées par les derniers
excès du prophétisme.
Pour les détails biographiques, voir la notice que lui a consacrée le
pasteur Meynadier (in-12. Valence, IHOi).
XXXIII. — 17
258 LETTRES DU l'ASTEUR
A MONSIEUR CORTEIZ *
Ce 7 juin 1721.
En attendant que je puisse vous informer de nos affaires plus
clairement, je ne puis me garder de vous faire ces quatre lignes pour
vous asseurer de la continuation de mes respects et affections, et
pour vous apprendre Testât de mon arrivée dans notre pais, lequel
a été bien favorable pour moy, grâces à Dieu. Je le prie qu'il vous
donne et à nous aussy toujours bon .succès en nos entreprises, et
veuille que tout prospère et tende à l'avancement de sa gloire et à la
destruction de l'empire de Satan.
Je vous diray que pour ce qui regarde l'establissement de
l'ordre, j'en ay grâces à Dieu, de grandes espérances. J'ay parlé au
frère Bernard, lequel y va d'un grand cœur, suivant ce que j'en
connois. Je luy dis que s'il ne vouloit pas crier hautement contre le
fanatisme, il devoit se taire et ne pas y instruire le peuple, et il ne
m'a rien dit, non plus que sur la prédication des femmes. Mais
cependant il me fit connoistre qu'il ne s'opposeroit pas contre ce
règlement, et je crois qu'il observa le silence pour ne pas se contre-
dire soy même en présence des gens qu'il y avoit.
Pour le frère Monteil je luy ay écrit et luy ay envoyé la lettre de
M. P. et la vôtre, et luy marquois dans ma lettre les articles de vos
règlements qui sont d'une indispensable nécessité, comme de signer
la confession de foy, la discipline ecclésiastique et la soumission au
prince, l'interdissement des femmes, l'e.xamen de la doctrine des
prédicateurs devant le Synode, l'examen de la sagesse, et enfin quel-
ques autres points que j'escrivis ayant assez de papier, et sa réponse
n'est que favorable pour notre prospérité. Je (rouve son sentiment
assez bon cl un de ces jours je prétends de l'aller joindre pour parler
encore avec luy et voir encore mieu.\ son sentiment sur le tout. J'ay
1. Lettre collective, mais principalement adressée à Pierre Carrière, dit Cor-
teiz, un des plus zélés collaborateurs d'Antoine Court pour la restauration du
Protestantisme. Voir son Journal publié par M. Kdin. Hugues dans la biographie
tl'Aut. Court (t. I, p. 488) et l'article delà France protestante.
PIERRE DURAND. 259
assez bonne espérance de son secours, car les Boutieres ont une
grande affection pour ce qu'il dit, et puisque je l'ay gagné luy, pour
ainsy m'exprimer, je crois d'avoir gagné tout le pais où il domine; et
les autres contrées ne m'ont jamais tant fait de peine comme celle
cy. Je dois aller joindre donc Monteil et après je monteray en haut
Vivarés; mais je voudrois auparavant me faire habiller, s'il plail à
Dieu.
J'ay résolu, avec l'aide de Dieu, de faire premièrement assembler
tous les prédicateurs et faire examen de notre doctrine entre nous,
et ne pas nous quitter que nous n'ayons réuny nos sentiments ; et
après avoir demeuré d'accord de tout, et pris de chacun le seing de
son advis, puis après passer l'un d'un côté et l'autre de l'autre,
pour l'establissement des anciens par chaque Églize, et après dans
un colloque général recevoir nos anciens, eslire celluy à qui l'on
donnera pouvoir de faire les entières fonctions, et dresser nos entiers
règlements, suivant la trace des vôtres. Ayez la bonté de m'escrire
à lettre veûe, et me dire, s'il vous plaît, si ce est bien ou mal
entrepris; comme aussy me marquerez si vous avez escrit à Genève
pour nous à M. P. Je n'y ay pas escrit encore ; mais j'y escriray au
premier jour pour ce qui est des femmes prédicantes. La première
à qui j'ai parlé de cela s'est soumise avec autant d'humilité qu'on
en puisse demander. C'est la Suzanne de Bougé, et je ne crois pas,
avec l'ayde de Dieu de trouver guiere d'antagonistes.
Adieu, messieurs mes très chers frères; je vous prie de vous sou-
venir de moy, car je vous regarde comme mon père, et vous voyez
combien j'ay besoin de votre secours de part et d'autre, car si je per-
dois votre amour et de M. Roger mon bon père, je me croirais aban-
donné de tout secours humain. Je vous prie d'asseurer de mes
respects tous nos frères, mes collègues, mais en particulier mon
bon père Deleuze que j'aime tendrement, et mon Bonbonnou, et
généralement tous, car je suis avec autant de tendresse qu'on puisse
avoir pour des intimes, de vous.
Messieurs mes très chers et bien aymés frères.
Votre très humble et très obéissant et zélé serviteur
Durand.
Je n'escris pas à monsieur Deleuze; mais je luy escriray quand je
répondray à celle que j'attends, et si luy me vouloit honorer d'une
260 LETTRES DU PASTEUR
des siennes, il me feroit un grand plaisir. J'eus le malheur de perdre
mon porte leuillo et la lettre du frère R. s'y trouva, ce qui m'a bien
donné du chagrin. Je dois aller voir son frère dans fort peu; j'avois
promis à M' Baldy de G. des copies touchant le mot de phanatique,
d'où est venu son origine, et je luy envoyeray; mais il y en a une
que je tire du latin, et il me le faut faire expliquer. Je salue de
même tous les vrays fidelles que j'aime tendrement. Adieu, mes
amis, au nom de Dieu, je vous demande protection.
Notre bon ancien païs vous salue tous. Adieu.
Le frère Deleuze fera son adresse à M' de Rias, passant par Yer-
noux, parce qu'on ne peut pas adresser tant de lettres en un en-
droit; mais qu'il m'escrive, je l'en prie ardemment.
Souscription : Messieurs
Messieurs Corteiz ou Crotte, au plus vitte qu'il leur soit baillé
en main propre à l'endroit oit ils seront.
l'adresse de l'enveloppe était faite à M. Clair.
L'adresse à Mlle Rouvier à Graux passant par Privas, sans mettre
pour rendre, mais l'enveloppe sera adressée à elle, et après vous
m'adresserés la lettre à nioy.
L'on m'a dit que notre bon frère Gnilhol de Vernoux est plus
malade.
II
A MONSIEUR ANTOINE COURT
Aux Doulières, le 18 juin ITtJl.
Monsieur mon cher frère en J-C.
Je profite de cette occasion pour vous asscurer de mes très
humbles respects et pour vous dire que je fus au bas-Languedoc
comme vous verrez sans doute en la lettre tle M' le professeur Pit-
tet, et comme nous avons eu grand besoin de secours de qiiehiue
serviteur de Dieu qui employé ses forces à dissiper plusieurs erreurs
que nous rencontrons icy, à cause du S'" Bernard que vous avez
PIERRE DURAND. 261
peut estre connu, lequel je crois que s'il ne s'y prend garde, pren-
dra la doctrine de l'extraordinaire Vesson' :j'ay écrit au bas Lan-
guedoc que vous prétendiez vous bazarder de venir; ce ne sera pas
sans beaucoup de risques; mais si toutes fois vous vouliez cependant
vous bazarder, nous vous serions bien obligés, et ce seroit une cba-
rité de nous donner en passant une visite.
Si vous pouviez venir à Lyon et que nous en fussions informés,
nous pourrions vous y aller attendre ; toutefois vous ne vous bazar-
derez ni plus ni moins, quoique ce seroit une chose très utile. Mais
nous ne voudrions pas vous exposer en rien ; au moins je vous supplie
de soliciter Monsieur Pictet à nous répondre, et vous aussy, je vous
prie de m'bonorer d'une de vos aimables lettres. Je vous demande
pardon si je parle si familièrement, mais je ne saurois vous expri-
mer combien j'ayme tous mes frères qui se consacrent à la croix de
J-C. et ainsy quoique je n'eusse pas l'bonneur de votre cognoissance,
il n'empêche pas que je vous aye au cœur; ayez donc la bonté de
m'escrire et vous fairez l'adresse à mon père. M"" Pictet vous la don-
nera.
Je passay en venant du bas Languedoc à Villeneuve de Berg^
J'ai mille compliments à vous faire que je ne puis mettre en si peu
de papier. Madame vostre mère et mesdemoiselles vos sœurs, et en
particulier la pauvre veuve laquelle se jette entre vos bras, comme
entre les bras de son plus procbe aray dans son extrême nécessité;
elles se portent bien toutes, et les petits neveux aussy. Elle me dit
de vous supplier de vous informer si par vostre moyen ou de vos
bons amis, votre fillieul son ayné ne pourroit pas apprendre à Genève
la vocation de feu son père. Je lui donnay un autre avis; c'est un
enfant qui, avec le secours de Dieu, pourroit nous estre un grand
secours dans les suites, et luy en seroit peut-être plus content. Je
parle si vous le prenies avec vous pour apprendre quelque chose.
Je lui trouve d'assez bonnes dispositions pour sa faculté. Attendant
votre venue, je le prendrois avec moy pour luy commencer les
1. Jean Vcsson, de Gros, {irès Saint-Hippolyte, un des principaux chefs de la
secte des inspirés. Il fut supplicié, l'année suivante, à Montpellier.
2. Patrie d'Antoine Court. Durand revenait alors du synode, réuni le 22 mai
1721, où il vit d'importantes réformes réalisées. i( Il en fut si édifié, dit Corieiz,
dans son Journal (p. 461), qu'il se promit d'établir même ordre, mêmes règles
et mêmes maximes dans les Églises du Vivarez. » Voir la lotira suivante.
262 LETTRES DU PASTEUR
déclinaisons du latin ou les abrégés de vérités de la religion.
Je n'ai pas assez de papier pour vous dire ce que je souhaiterois,
mais vous pouvez juger de la cause; icy il n'y a pour pasteurs que
quelques pauvres vieux sans grande connoissance, incapables de
souffrir un fort petit examen. Je suis le seul jeune, et je ne puis pas
faire grand chose faute de mille facultés qui me manquent. Ainsi je
vous prie de me dire vostre sentiment, et attendant je suis et seray
toute ma vie, mon très cher et bien aymé frère,
Votre très humble et très obéissant
Durand '.
Escrivez-moi à lettre vëue s'il vous plait, et M"" Pittet aussy s'il
lui plait.
m
AU MÊME
Ce 25 septembre 1721.
Monsieur, mon très cher et honoré frère
C'est la seconde fois que je me donne l'honneur de vous escrire
pour vous asseurer de mes très humbles et profonds respects. Je vous
avois escrit il y a déjà quelques mois, sans que j'aye eu aucune
réponse, quoy que je vous suppliois de me répondre à lettre veiic,
ce qui m'a fait dire que vous n'avez pas receû ma lettre. Il y en
avoit une pour le célèbre monsieur Pictet et une pour vous, et
comme je ne scavois pas comment vous adresser la lettre à vous
même, ayant esté si oublieux que de prendre par escrit vos
adresses, lors que monsieur Corteiz me le dit, je Pavois dans ma
mémoire, mais non pas asseurée; et n'osant pas faire l'adresse ou-
vertement à monsieur Pictet, crainte que quelqu'un par malice ou
curiosité ne l'ouvrit en chemin, je la fis h un certain M' Fougeyrol
apointé en la compagnie de W Dumont, en la garnizon, pour rendre
à M' Pictet, dans l'enveloppe, et la vosire estoit dans celle de
monsieur Pictet; ce qui me donne beaucoup du chagrin qu'elles se
1 Cette lettre est sans adresse, mais on lit au dos, de la main d'Ant. Court
alors à Genève : u Du proposant Durand, 1721, juin 18«; reçue le 25« octobre;
elle avoit esté égarée. »
PIERRE DURAND. 263
soient perdues, et qui est cause que je n'ay pas affranchy celle-cy
pour qu'elle vous vienne avec plus de sûreté.
Je l'ay adressé à M' Bâta Cord", laquelle adresse l'on m'a donné icy,
et je crois bien que ce monsieur se faira un plaisir de me répondre
et de me donner de bonnes adresses pour recouvrer l'entretien
par lettres que j'ay perdu depuis que je l'ai commencé à mou-
voir (?), comme aussy d'escrire au célèbre M'Pictet, lequel aura la
charité pour nos églises de résoudre les difficultés qui se trouvent
encore en nos esprits tout nouveaux aux réformes que nous avons
entrepris et auxquelles nousréiississons, par la grâce de Dieu, assez
heureusement, quoy que nous trouvions à tout moment des obs-
tacles qui nous donnent beaucoup de peine à rabattre.
Nous avons rangé nos femmes prédicantes au silence, quoy que
nous en ayons encore qui font de grandes résistances. Cependant,
pfir la grâce de Dieu, nous voyons que leurs résistances se terminent
peu à peu.
Nos phanatiques sont pour ainsy dire aux abois, voyant le trouble
que nous avons mis à leur audience et réception. Mais comme vous
scavez assez que c'est leur coutume, les foudres et anathèmes nous
roulent dessus aussy espais comme ceux qui partirent de la ville de
Trente et de Bouloigne, lorsque le concile y fut tenu en faveur de
l'erreur de Rome; et principalement sur moy; parce, disent-ils, que
je suis leur plus grand ennemy, veu que si je n'eusse pas mis la
main à cette œuvre, je veux dire à l'établissement de l'ordre, peut
estre personne ne l'auroit entrepris de plusieurs années. Mais je
regarde et ay toujours regardé ces foudres et malédictions comme
partant de la bouche de gens sans connoissance, et par conséquent
dignes de suport. Jen'en aymême tenu aucun compte, et je reprends
ceux qui me les répètent, car cela ne se pratique pas en ma pré-
sence, ni de mes chers collègues; quoyque dernièrement j'en trouvay
un qui me fit de terribles reproches, à son avis m'appelant destruc-
teur de l'œuvre de Dieu, quand je travaillois à détruire les pré-
tendues révélations, et me chassa même de sa maison après la
grande sollicitation qu'il m'avoit fait de l'aller voir. J'ay regardé cela
comme rien, et je vous asseure que si je n'eusse profitté du conseil
que je reçeûs de mon bon père monsieur Corteiz, et que j'avois
desjà conçeu avant l'entreprize, et que vous me donnez encore dans
la lettre que vous avez escrit pour mademoiselle Tremollet à
201 LETTRES DU PASTEUR
mademoiselle Rouvier, je n'aurois nullement rien pu faire que perdre
tout courage. Mais à Dieu en soil la gloire! Nous avons dcsjà estably
des corps de consistoire par toutes nos Eglises, excepté quelques
unes où je travaille maintenant, assisté de Brunel (jue vous con-
noissez des long temps. Je ne saurois vous exprimer le secours que
j'ay receu en cela de noire bon père Monteil (jui vous salue de toute
son âme et qui est un homme réformé pour ainsi dire de tout fana-
tisme, et qui exprime bien ses pensées. Je l'ay quitté depuis cinq
jours, et je luy dis que je voulois vous écrire, dont il me chargea
sur tout de vous asseurer de ses affections, de même que nostre
célèbre et charitable docteur monsieur Pictet, lequel je supplie de
m'escrire et me répondre, ou pour mieux dire informer ; 1" Comment
est-ce qu'on doit prendre le mot de prophétizcr contenu au 5' verset
du 11'^ chap. de la 1'° aux Corinthiens; car nos prédicantesy veullent
fonder leur mission ou vocation. Nous avons bien sur cela le
commentaire de M. Calvin; mais il leur semble que M"" Pictet sera
d'autre sentiment. 2° Si l'on peut faire son salut en demeurant à
part, sans consentir à un ordre en la société, quoy que les autres
églises voisines en establissent un entr'elles, parce que celte
objection m'a esté faite par une contrée; et après que j'eus apporté
mes raisons, ils me dirent qu'ils en demeuroient à ce que JP Pictet
leur diroit. Cela peut estrc mis en une lettre particulière, et la leur
adresser à eux mêmes, voicy l'adresse; [à M' Gourtial bourgeois de
Chareyrial paroisse de Chambon. En montagne à Annonay]. Je le
prie aussy de parler en cette lettre du ministère des femmes; car il
y en a deux qui ne veulent pas bien se rendre, crainte, disent-elles,
d'offenser Dieu, prétondant avoir parlé i)ar un don de Dieu extra-
ordinaire. 3" Si l'on peut admettre <à la communion de la Ste Gène
ceux qui ont scandalizé l'Église en se mariant ou faisant marier
leurs enfans en l'églize romaine; de même ceux qui y font baptiser
leurs enfans; comment est-ce que nous pourrons agir en cela; ce
que vous me pourriez dire vous même, si vous jugez à propos; je
conçois bien à peu près ce qui m'en sera dit; mais ceux qui sont
dans un tel cas, seront j)liis frappés, lors qu'il verront que mon sen-
timent n'est autre que la vérité. A° Je le prie do me dire aussy
charitablement, ce que j'attend de sa bonté, voir s'il me conseille
d'apprendre le latin. M'' de Vaugiron médecin m'avoit fort conseillé
de l'entreprendre sous prétexte que luy me donneroit quelque leçon
PIERRE DURAND. 265
de temps en temps, quand j'aurois la faculté de l'aller voir, ce qui fut
cause que j'achetay un rudiment, un Despautère et un petit diction-
naire; mais la mort m'a enlevé mon précepteur, et je ne scais pas
maintenant si c'est une affaire que je doive entreprendre seul. J'ay
peur de ne pas pouvoir réussir et de perdre le temps que je pourrois
employer à quelque autre choze qui me seroit plus utile que de
battre mon esprit pour ne rien faire. Cependant c'est une chose à
laquelle je porte une grande envie et il est temps d'y songer, si je
veux. J'ay eu 21 ans accomplis le 12 de ce mois. J'espère que
Monsieur Pictet me fera le plaisir de m'en dire son avis, et de me
donner une règle pour me conduire en celte route, s'il juge à propos
que je me mette en chemin.
Et vous, mon cher et honoré monsieur, je ne puis pas vous expri-
mer la grande impatience que j'ay de vous voir et de vous embrasser.
Quad je fus au bas Languedoc, je vis dans une lettre que vous leur
aviez envoyée que vous prétendiez de vous mettre à l'hazard qu'il y
a de venir; mais depuis le temps fâcheux a changé sans doute votre
hardiesse en la prudence qui vous faisoit appréhender avec juste
raison. Mais, au nom de Dieu, si vous avez la facilité de venir dans
les suites, honorez-nous donc de vos visites. J'ay eu toujours mon
espérance de sortir pour quelques mois du royaume pour avoir
la faculté d'acheter quelques livres de ceux qui me sont nécessaires,
n'en ayant que fort peu; mais je voulois premièrement un peu
mettre en ordre nos églises, à quoi je travaille avec mes chers
collègues, attendant que Dieu m'ouvre le passage; et puis après
je pourrois, si Dieu le permet, aller à Genève passer quelques mois
pour apprendre quelque chose, et je serois aise de vous voir aupa-
ravant, ou du moins d'avoir l'espérance de vous y trouver quand j'y
serois.
J'ay à vous dire que passant par Villeneuve deBerg je dis, comme
juste, que je voulois vous escrire, sur quoi Mme vostre mère et mes-
demoiselles vos sœurs me chargèrent de vous asseurer de la conti-
nuation de leurs affections, et votre sœur la pauvre veuve me dit
de vous dire qu'elle souhaiteroit grandement que son fils ayné votre
filleul prit quelque professsion.
Il me parloit de celle de feu son père entre autres. Je lui dis
que je souhaiterois de voir l'enfant, et après l'avoir veu, je luy dis
que le meilleur conseil que je pouvois luy donner c'estoit de le
Sfifi LETTRES DU PASTEUR PIERRE DURAND.
mettre entre vos mains et de l'instruire pour le consacrer au ser-
vice de Dieu. Elle me dit qu'elle en seroit très aise, mais qu'il n'y
a pas moyen, veu que vous estes à Genève, et qu'on ne scait quand
est-ce que vous pourrez revenir; et je Iny dis que je le prendrois
avec moy en attendant que vous en fassiez à voire volonté, mais que
je ne voulois pas le faire sans votre conseil. Ainsy je vous prie de
me le donner. Je trouve cet enfant capable de faire quelque chose
à mon avis, et plut à Dieu, car nos églises sont presque sans pas-
teurs, et nous ne voyons pas grande apparence qu'il se trouve des
successeurs à ceux qui y sont aujourd'huy, quoy que ceux que nous
avons sont tous vieux ; toutefois Dieu y pourvoira. Mais je crois que
cela seroit très utile et pour l'Église et pour le bien de votre cher
neveu.
J'ai receu une lettre depuis quinze jours du frère Corteiz';
tout y va bien. Je leur escris souvent et je souhaiterois d'avoir
la même faculté pour vous et pour M. le scavant professeur; don-
nez-moi, s'il vous plaît, l'indice et de bonnes adresses. Je vous en
ay marqué quelques-uns à vous et à luyà qui vous pourriez adresser
les lettres ployées dans une enveloppe, la 4''° à M' Prat bourgeois
à Rias de Saint-Maurice à Vernoux, la 2^ à M' Tapernoux bourgeois
à Blanc de Saint-Jean Chambre à Vernoux; la 3'= à Mlle Rouvier,
veuve de Croux h Privas; la 4" à Durand, expert du Bouschet de
Pranles à Privas ; le dernier c'est mon père qui vous asseure de ses
respects et me recommande à votre direction, comme je vous sup-
plie de m'accorder votre secours, de même que le célèbre M"" Pic-
tet; au nom de Dieu asseurez-le de mes plus profonds respects, de
même que toute son honorable famille. Je prie Dieu qu'il vous con-
serve tous de répéede sa vengeance qui épouvante tous nos peuples,
et qui fait qu'on n'entend dans nos places que cris et que larmes.
Il environne grandement la ville du Puy. Dieu en préserve la ville
de Genève. Dieu veuille bénir les habitans, conserver son repos el
y augmenter de bien en mieux son règne.
Je suis avec attachement entièrement à vous.
Escrivez-moi à lettre veuë. S. V. P. Durand.
Monsieur Court ministre du S' Évangile et consacré à la Croix
à Genève.
1. Alors en miesion dans le midi de la France. Voir son Journal.
MÉLANGES
THOMAS D'ESCORBIAG
LETTRE ET REQUÊTE D'UN MAGISTRAT HUGUENOT AU XVIP SIÈCLE*
Depuis que Louis XIV, abandonnant la ligne politique de Mazarin,
travaillait, sous la pression du clergé, à la ruine des Réformés ; vexa-
tions et injustices, se multipliaient, sans qu'il fût possible d'en arrêter le
cours. Assurés de l'impunité, soutenus par une magistrature à leur dévo-
tion les prêtres harcelaient sans relâche les protestants. Sans doute l'Édit
de Nantes subsistait; par des déclarations solennelles, le roi avait affir-
mé son ferme dessein de le maintenir, mais sous l'habile prétexte de le
faire observer dans son intégrité, on en dénaturait chaque jour l'esprit.
Près d'un siècle s'était passé depuis que Henri IV avait donné à la
France cet admirable traité de paix, dont les bienfaits avaient été si
hautement reconnus ; sans doute la lettre des articles de l'Édit avait
vieilli, mais l'esprit de sage tolérance qui les avait dictés y vivait
encore.
Par une coupable interprétation, ne tenant aucun compte des temps,
oubliant volontairement les différences créées par les années écoulées,
le clergé obtint que les Réformés vécussent sous l'observation étroite et
judaïque des termes du célèbre traité.
Ainsi commencèrent ces interminables procédures, nées des contesta-
tions entre les commissaires mi-partis, qui presque toujours amenèrent
la chute des Églises.
Quand la preuve de leurs droits était faite par la présence même
d'un troupeau se groupant autour d'un pasteur, il suffisait de l'impossi-
bilité de représenter quelques titres remontant aux années 1596 et
1597, pour qu'à la demande des syndics du clergé le temple tombât
sous la pioche du démolisseur et que l'exercice fût interdit. Pendant de
longues années, la guerre ainsi déclarée fut une guerre de chicane dont
nous possédons encore les tristes dossiers.
1. Voir Bulletin de mars 1884, p. 128.
268 MÉLANGES.
La Chambre de l'Édit ne pouvait éoliapper à cette persécution, car de
longue date, le parti catholique, comprenant l'appui que donnait aux
réformés l'existence d'une chambre sou\eraine, désirait sa ruine. Ses
adversaires s'appuyaient surtout sur l'article de l'Édit de Nantes qui
prévoyait la possibilité d'incorporer la chambre de Castres dans le Parle-
ment de Toulouse. Vers c(; but devaient tendre tous les efforts, car on
savait que dans le parlement toulousain, les magistrats protestants
perdraient bientôt toute influence.
« Ce serait un grand advantage à la dite ville, lisons-nous dans une
délibération de la maison de ville de Toulouse, s'il plaisoit à sa Majesté
de lui faire cette grâce, j Que les officiers delà chambre de l'Édit, disaient
les capitouls, ne doutent point qu'ils ne soient accueillis dans Toulouse
et n'y puissent habiter et vivre avec la mesme liberté, sécurité et cour-
toisie qui y reçoivent les autres habitants*. »
Nulle occasion ne se présentait sans que la question du transfert de
la chambre ne fût posée. A écouter les doléances du Parlement, on
aurait pu croire que « l'appui donné aux sujets du roi de la Fi. P. R. en
toute sorte d'affaires empêchait plusieurs personnes de quitter l'hérésie. »
On dénonçait les manœuvres des officiers de la chambre, prenant valets
catholiques et servantes de même religion, afin de les marier à leur
guise et les rcndres huguenots. On se plaignait surtout de ce que les
bénéfices dus à la présence de la chambre dans le Castrais, fussent re-
cueillis par les hérétiques^.
« La religion catholique souffre à Castres, écrivent les magistrats de
Toulouse, il faut mille peines pour décider les Réformés à tapisser le
jour de la Fête-Dieu. » Leur indignation grandit quand ils dénoncent
l'humble culte fait dans la conciergerie de Castres. « De quels droits,
disent-ils, est-ce que les Religionnaires prétendent que leurs ministres
puissent prêcher en tous lieux et empoisonner les esprits de vos snb-
jects de leur fausse doctrine ; ne sçavcnt-ils pas que leurs prédications
ne If'uv sont permises que dans les Temples, et qu'il n'y a que la religion
catholique qui est la vostrc (|ui n'est point limitée de mesme que vostre
aiic(orité. » Que la consolation soit faite à voix basse, mais qu'on n'oublie
pas que dans celte prison se trouve une chapelle où est dite la messe.
« Et serait-il raisonnal)lc qu'un moment après la célcbrntion de cet au-
gnste sacrilice, un ministre emporté vint proférer impunément ses
blasphèmes contre le plus grand de tous nos mystères^. »
1. Extraits des registrei de la maison de ville de Toulous«, 2'J décembre 1640.
2. Motifs pour sortir la chambre de l'Edit de Castres.
3. Mémoires du parlement de Toulouse (2i juillet 1060).
MÉLANGES. 269
Aussi, concluent-ils à la réunion « nécessaire pour la gloire de Dieu,
le service de vostre Majesté et la seureté de vos bons subjects. »
Les plaintes éclatèrent plus violentes après les troubles qui agitèrent
passagèrement Castres lors de l'exécution de deux criminels.
Le parlement reconnaissait, il est vrai, la nécessité à laquelle avait
obéi Henri IV en plaçant la chambre à Castres, les réformés témoignant
« une aversion d'approcher ce grand corps qui feust toujours zélé pour
la conservation de la Religion catholique et par la rayson aussy de l'in-
compatibilité qu'une longue et sanglante guerre avait contractée entre
ceux qui professent deux religions si opposés et si ennemies ».
Mais en même temps, évoquant les souvenirs de la guerre de ilohan,
il faisait de Castres la ville forte du prostestantisme méridional, dont il
fallait ruiner la puissance. Et pour arriver à ce résultat, il parlait « de
ce scandale d'avoir empêché un homme condamné à mort de se conver-
tir dans le dernier moment de sa vie ». « Nous avons peine à compren-
dre, disaient-ils, quel a été leur desseing. Et comme ils ont voulu
donner atteinte à cette liberté de conscience qu'ils ont demandé si
longtemps. »
La réunion de la Chambre pouvait seule mettre fin à de pareils atten-
tats. Disposés à recevoir « comme amis et collègues » les magistrats
protestants, « ne les faisant pas responsables de tout ce qui est fait par
ceux de leur créance, » cependant par une odieuse accusation, les juges
de Toulouse prétendaient que dans de nombreuses circonstances ils
s'étaient rendus complices d'actes condamnables. Si faibles étaient les
preuves, si ardente l'accusation, qu'aucune réponse favorable ne pouvait
être faite à de telles remonstrances*.
Avec une cruelle persévérance les États du Languedoc appuyaient la
demande du Parlement de Toulouse; pendant de longues années les
réformés purent présenter leur défense et écarter le danger; mais le
jour vint où par un coup de force, sans aucun motif explicable. Castres
perdit la grande compagnie judiciaire qui, depuis près d'un siècle,
était à la fois l'honneur et la fortune de la cité.
Telle était la réputation de la cour de Toulouse, que le roi n'osait
céder encore à la passion de la plus dévote de toutes les magistratures,
en incorporant la Chambre de l'Édit; mais c'était cependant servir ses
haines que de la transférer à Castelnaudary.
L'issue de la lutte engagée ne pouvait être douteuse; quelques années
encore et la Chambre de l'Édit disparaîtrait. Mais avant d'arriver
au but, que de ruines laissées sur le chemin ! De tous côtés, s'élevèrent
1. Remonstrances du Parlement de Toulouse, 14 octobre IGGO.
270 MÉLANGES.
des plaintes douloureuses; les réformés demandaient si telle était la
récompense d'une lidélité éprouvée à la cause royale? C'était à la
Cliambre de l'Édit que Castres était redevable de sa prospérité, sa dis-
parition entraînerait la misère pour des milliers de familles. Et dans
leur touchante pétition, ils montraient les rues de la cité prêtes à
devenir désertes, la mendicité à la porte de nombre de maisons, les
campagnes avoisinantes se transformant en de tristes solitudes. Nulle
pensée de révolte chez les descendants des vaillants lutteurs des
guerres du xvi^ siècle, car c'est une prière désolée qu'ils adressent à ce
roi qui, comme un père, se laissera toucher < aux gémissements de si
nombreuses personnes affligées. »
A leur requête, ils ajoutent les humbles délibérations de tous les
bourgs et villages avoisinant Castres, qui toutes supplient pour qu'au-
cune atteinte ne soit portée aux privilèges de la Chambre de l'Edit.
Devant ce danger qui menace la cité, les catholiques castrais eux-
mêmes délaissant leurs vieilles querelles, joignent leurs protestations à
celle des réformés. Ils disent nettement : c que si la translation se fait,
elle causera la ruyne totalle non seulement des habitans catholiques,
mais encore de plusieurs villes et lieux circonvoisins, estant certain
que dans la présente ville, il ne resterait pas plus de dix familles
catholiques qui peussent vivre commodément. » El ils ajoutent que les
moines mandians, faute de pouvoir trouver leur subsistance, seraient
contraints d'abandonner la ville, ce qui sera « infailliblement un grand
préjudice à la catholicité » '.
La Chambre de l'Édit devait faire entendre ses Remonstrances au
Roi sur un arrêt qui la frappait d'une manière si dure et si injuste.
Pour les rédiger elle choisit d'Escorbiac, sachant que sa fermeté et son
courage seraient à la hauteur d'une lâche si difficile.
Nul ne pouvait faire valoir des titres aussi sérieux, nul ne pouvait
(lire comme lui « qu'il était le seul en France qui portât la robe de père
eu fds depuis l'institution des Chambres de l'Édit de l'année 157G j. Du
reste Louis XIV connaissait cette race vaillante des d'Escorbiac, car en
IGGO, à Fontainebleau, avec une belle fermeté le magistrat huguenot
avait évoqué devant lui le souvenir des éclatants services rendus par
sa famille à la cause royale^.
1. Supiiliques des liabitants réformés et catholiiiiics de Castres, TT. 290.
2. Dans le recueil des Lettres missives de Henri IV, I, 158, se trouvent quel-
ques exlraits d'un discours prononcé par Thomas d'Escorbiac devant Louis XIV,
le 2 janvier 1C86. En les reproduisant ici nous faisons des réserves sur la date
indiquée qui paraît fautive. Il est difficile d'expliquer un tel discours à une telle
date, les chambres de l'Édit ayant disparu depuis plusieurs années.
« Sire, me voicy le seul en France qui porte la robe de père en lils depuis
MÉLANGES. 2*71
Pour défendre l'hoimeur et les droits d'une compagnie souveraine, il
allait protester contre des mesures de violence que rien ne justifiait,
refaire l'histoire glorieuse de cette Chambre de l'Edit dont la cour avait
autrefois proclamé si hautement la nécessité. Sans doute, il devait éloi-
gner la possibilité même d'une résistance et trouver une gloire doulou-
reuse à protester d'une soumission sans bornes à l'autorité du prince,
mais il devait aussi montrer le clergé acharné à la poursuite des réfor-
més et révéler les ardeurs dévotes du parlement de Toulouse. Fidèle
enfin à toute la tradition réformée, il se déclarerait prêt à tous les sacri-
fices, mais à la condition expresse de la sauvegarde des droits de la con-
l'institution des chambres de l'Édit de l'année 1576. Je viens comparaître devant
Vostre Majesté pour lui tesmoigner mon profond respect et ma sincère obéis-
sance.
«Elle prit autrefois (à Fontainebleau en 1666) plaisir à m'entendre parler des
services rendus à son Estât par ma famille, avec sa permission je luy en rafrais-
cliiray la mémoire de quelques-uns en peu de paroles.
)) Du temps des troubles arrivés soubs vostre minorité, mon père et moi ren-
dismes ce service mémorable à vostre couronne de faire résoudre la ville de
Montauban, nostre pairie, à prendre les armes pour Vostre Majesté, sans en
attendre les ordres ce qui retint tout le haut pays dans son devoir et garantit
le Languedoc des calamités de la guerre civile.
» En cette considération, la Chambre quoique mi-partie me fit flionneur, en
1651, de me choisir pour aller seul à Poitiers et à Sauniur assurer Voire Ma-
jesté, au commencement de sa majorité, de la continuation de la fidélité invio-
lable de tous les sujets soumis à sa juridiction.
En 1656, Vostre Majesté m'honora d'une commission générale pour l'exécution
de ses Édits dans tout le ressort du Parlement de Toulouse conjointement avec
M. de Boucherai, aujourd'hui chevalier de France. Mon père eut un pareil
emploi, en 1622, avec M. Seguier, qui fut dix ans après chancelier de France;
et mon grand-père négocia la première paix avec M. le chancelier de l'Hospi-
tal. Il en négocia une autre en 1577 à Bergerac et à Poitiers avec M. de Ville-
roy ministre et secrétaire d'État. En 1579, il eut l'honneur à Nérac de présenter
à la reine Catherine les articles de la conférence qu'il avait dressés lui-même
pour son maistre le roi de Navarre.
)) Cette heureuse rencontre, ajoutail-il, est singulière et honorable pour ma
famille d'avoir esté trois fois de père en fils employés à travailler avec de si
grands personnages pour le service de nos Rois et pour le bien de leur Estai.
» Mon grand-père avait servi longues années Henri IV, en qualité de maistre
des requêtes, de conseiller en son conseil privé et de surintendant de ses
finances. Vostre Majesté prit plaisir à lire elle-même plusieurs lettres écrites
de la main de ce grand Uoy, qui tesmoignent festime et la confiance qu'il avoit
en un si fidèle serviteur, lequel, pour une marque infaillible de sa fidélité, no
laisse pour tout héritage à ses successeurs que sa robe que je porte. »
272 MÉLANGES.
science. Telles devaient être les grandes lignes de l'éloquente requête
du doyen des conseillers de la cour. Heureux sommes-nous de pouvoir
la faire connaître après des siècles d'injuste oubli.
Sire,
La déclaration de vostre Majesté qui transfère vostre Chambre de
l'Edit (le Castres à Castelnaudarry a esté vérifiée par la mesme
Chambre le jour mesme qu'elle y a esté présentée, et vos très
humbles, très obéissans et très fidelles sujets les officiers qui la
composent ont pris aussy tost la résolution de s'y rendre dans le
temps prescrit par vos ordres ^
L'étonnement d'un coup si impréveu et si accablant, la rigueur
d'une saison si rude et si avancée dans l'hyver, la douleur de se voir
réduits à quitter leurs maisons, leurs biens et leurs amis, la déso-
lation de leurs familles, rien, Sire, n'a peu les faire balancer un
moment dans la volonté ferme et constante, qu'ils ont toujours eue
de rendre une obéissance aveugle h tout ce qu'il plaist k vostre
Majesté de leur commander.
Ils ne s'en plaindroient mesmes qu'en secret. Sire, ils souffri-
roient dans le silence, si la voye de la remontrance ne leur de-
meuroit ouverte par vostre dernière ordonnance, et s'ils n'estoient
persuadez que le trône de vostre Majesté n'est pas moins accessible
pour eux que pour vos autres sujets.
Que si jamais l'accez de ce Trône sacré peut estre permis aux
malheureux; si jamais le cœur généreux de vostre Majesté doit
estre sensible aux calamitez de son peuple, c'est sans doute. Sire,
dans cette conjoncture ou il s'agit de la ruine totale de vos officiers,
et de l'entière désolation, non seulement d'une ville, mais de toute
une grande contrée qui, dans sa situation éloignée de tout commerce,
ne trouvoit le débit de ses bleds et de ses denrées que dans le con-
cours des gens que la Chambre attire où elle est.
Elle y fut établie, Sire, quelques années avant l'Édit de Nantes,
et y fut confirmée par le mesme édit -.
1. La chambre enregistra, le 1") novembre 1(i70, les lettres patentes du
30 octobre qui la transféraient dans la ville de Castelnaudary. Cambon, op. cit.,
130.
"1. La chambre tint, le 27 avril 1595, sa première; audience dans la ville de
Castres. Cambon, op. cil., 53.
MÉLANGES. 273
Le Roy Henry le Grand, d'heureuse et de triomphante mémoire,
voulut par cet établissement pourvoir à la seureté d'un peuple en-
tièrement dévoué à son service, et qui ayant eu quelque part aux
travaux des guerres qu'il avoit si heureusement terminées, et à la
gloire de son couronnement, méritoit en quelque façon après tant
de maux et de calamitez de jouir des douceurs de la paix qu'il ve-
noit d'établir dans un royaume que ses armes victorieuses avoient
conquis presque tout entier.
Il voulut leur donner des juges qui sans aucune suspicion, haine
ou faveur, ce sont les termes de l'Édit, peussent leur rendre justice,
et décider en toute liberté de leur fortune et de leur vie.
Ce grand Roy, ce sage politique, Sire, eut encore pour but dans
l'autorité qu'il donna à ces mesmes juges, de contenir dans leur
devoir des peuples qui, nourris dans la licence d'une longue guerre,
ne pouvoient souffrir qu'impatiemment la tranquillité et le bon
ordre que la paix avoit rétablis dans l'Estat; ce qui lui succéda si
heureusement, qu'on luy a souvent ouy dire que sa Chambre de
l'Édit de Castres luy valoit mieux que dix mille hommes entre-
tenus.
Si du règne de Henry le Grand, vostre Majesté, Sire, nous per-
met de passer à celuy de Louis le Juste, cet heureux prince qui,
pour la félicité et la gloire immortelle de la France, a transmis
dans les mains sacrées de vostre Majesté le sceptre de ses Pères,
vous y verrez dans toutes les occasions des marques delà fidélité de
vos officiers de la chambre de l'Édit de Castres.
Salces et Leucate, Sire, vous en rendront des témoignages avan-
tageux * ; ce fut là que dans la nécessité de l'Estat on vit des troupes
1. Les Espagnols, sortis du Roussillon, mirent le siège devant la ville de
Leucate (bourg du département de l'Aude sur l'étang de ce nom), qui, on 1590,
avait été vaineuient assiégée par les Ligueurs.
La chambre de l'Édit délibéra aussitôt, et, le 9 septembre 1637, députa « mes-
sire de Fabry, ■ on procureur général, pour se transporter es villes et lieux du
ressort de la cour, à l'effet de pourvoir à la levée, armement et conduite de tel
nombre de gens de guerre qu'il sera atlvisé pour le secours de la ville de Leu-
cate. » Les Espagnols furent vaincus le 2!) septembre 1637. Le 3 octobre de la
même année, des ordres semblables furent donnés pour faire lever le siège de
Salces, petit bourg des Pyrénées-Orientales, à quinze kilomètres nord de Perpi-
gnan. Cambon, op. cil., 99.
xxxiii. — 18
■21i MÉLANGES.
levées et entretenues aux dépens de la Chambre se niesler aux
milices de la Province, et partager avec elles la gloire d'avoir
chassé et mis en déroute les ennemis de la France; vous y verrez,
Sire, les séditions appaisées par leurs soins, les rebelles punis par
leurs arrests, et un attachement toujours égal aux intérêts et au
service de leur Maistre.
Vostre chambre de l'Édit de Castres sous l'heureux Empire de
vostre Majesté n'a point dégénéré. Sire, de la fidélité incorruptible
et de l'obéissance inviolable dans laquelle elle avoit vescu sousceluy
des Roys vos prédécesseurs, son devoir a toujours esté la règle de
sa conduite; Elle n'a eu de part aux derniers mouvemens que celle
que le service de vostre Majesté l'a obligée d'y prendre, et dans
une défection quasy générale, non seulement les officiers dont elle
est composée, mais les peuples qui sous la protection de vostre
Majesté vivent avec eux dans une mesme communion, ont conservé
dans leur pureté cette obéissance et cette fidélité dont vous avez eu
la bonté de parler quelquesfois avantageusement, et qui est toujours
le partage des bons et des véritables sujets.
Une conduite si conforme à leur devoir leur donnoit lieu d'espé-
rer, Sire, le repos et les félicitez d'une profonde paix, que vostre
Majesté a donnée si glorieusement à ses peuples leur seroit com-
mune avec leurs concitoyens, et comme vostre Majesté fait le bon
ou le mauvais destin de ses sujets suivant qu'elle les trouve dignes
des peines ou des récompenses, ces malheureux officiers à qui leur
conscience rend témoignage de n'avoir jamais manqué à rien de
ce qu'ils doivent à vostre Majesté, attendoient toujours les mesmes
effets de cette protection toute puissante sous laquelle ils avoient
passé doucement tant d'années, et rendoient tous les jours grâces
à Dieu de les avoir fait naistre sous le règne d'un si grand Prince,
et d'un si bon Maistre.
CependanI, Sire, dans ces momens ou Fiunour de leur Iloy est
gravé le plus profondément dans leurs cœurs, ils sentent des
marques visibles de la colère et de l'indignation de vostre Majesté,
et quoique sur la demande que vos Estats de Languedoc faisoient
comme par coustume la mettant tous les ans dans leur cahier,
vous ayez toujours ordonné, Sire, qu'avant que de faire droit,
vos officiers seroient ouys ; aujourd'huy sans iju'ils Payent esté,
un ordre surprenant les arrache à tout ce qu'ils ont au monde
MÉLANGES. 275
de plus cher, et les rend les plus malheureux de tous vos sujets*.
On dit, Sire, que la raison d'Estat est la cause de ce change-
ment; que vostre Chambre de l'édit de Castres n'a pas esté créée
pour y estre toujours fixe, que ce n'est pas une nouveauté que d'en
voir changer le siège, qu'il a esté autrefois transféré d'une ville à
une autre, que vostre Majesté ne nous a pas promis de nous y lais-
ser toujours, et qu'après tout, elle peut, sans faire violence à l'édit
de Nantes, la suprimer ou l'incorporer à son Parlement de Tolose
quand bon luy semblera ^.
Nous ne révoquons point en doute, Sire, l'empire suprême, et le
pouvoir absolu de vostre Majesté. Nous sçavons qu'elle impose à
nos peuples les lois qu'il luy plaist. Mais nous sçavons aussy qu'elle
les impose toujours suivant la justice et la droite raison. Et que
comme vous êtes le Prince de la terre le plus éclairé, et le plus
habile en l'art de régner, vous êtes aussy le plus juste et le meil-
leur.
De sorte, Sire, que si nous sommes assez heureux pour faire voir
à vostre Majesté le tort qu'on nous fait, et le peu de fondement de
ces raisons si recherchées, nous osons attendre de sa bonté, qu'elle
révoquera un ordre qui nous désole. Et puisque Dieu mesme, le Roy
des Roys, voulut bien révoquer l'effroyable condamnation qu'il avoit
prononcée solennellement contre une grande ville, quoy qu'elle fust
très coupable, pourquoy n'espérerons nous pas la mesme chose de
vostre Majesté qui est sa vivante image, nous, Sire, à qui nos enne-
mis mesmes ne peuvent rien reprocher.
La Chambre de l'Édit, il est vray, a esté dans diverses villes de
vostre province de Languedoc, mais ça esté. Sire, lorsque vos offi-
ciers épouvantez de la peste ^ ont eux-mêmes esté obligez d'en
1. Lorsque les députes des états du Languedoc firent cette demande, un arrêt
du conseil d'État ordonna : « Que les officiers de la chambre de l'Édict de
Castres, seraient assignés au Conseil à six semaines, pour eux ouïs estre fait
droit sur la demande dudit article ainsi qu'il appartiendra. »
2. La chambre de l'Édit avait été en effet transférée à liéziers, l&'i'-i-id'iO ; à
Puylaurens, 1629; à Revel, 1630; à Saint-Félix de Caraman, 1631-1632, pendant
la longue période des guerres civiles.
3. Ce fut en 1630. « Cette année-là nous fusmes ciiatiés par le Héau de la
peste qui fit de si grands ravages, que six mille personnes en moururent, de
sorte que la ville fut si désertée ([ue l'iierbe creust en abondance parmy les
rues» » Cambon, op. cit., 97.
276 MÉLANGES.
transférer la séance dans ces villes circonvoisines, sous le bon plai-
sir des Roys, vos prédécesseurs; ou quand les mesmes officiers, ne
s'y trouvant pas en sûreté pendant les mouvemens publics, deman-
dèrent d'en sortir, et que sur leurs instances elle fut transférée à
Beziers; hors de ces deux cas, Sire, qui ne peuvent estre tirez à
conséquence, on n'oseroil en marquer d'autres à vostre Majesté,
que nous ne puissions convaincre de supposition.
Mais on dit que vostre Majesté, Sire, ne nous a pas promis de
nous laisser toujours à Castres, et que, quand nous y avons con-
tracté des alliances, acquis du bien et basty des maisons qu'il faut
que nous abandonnions aujourd'huy, nous avons deu le faire dans
la veûe que nostre establissement n'estant pas assuré, aucune de
ces choses ne pouvoit estre seurement établie pour nous.
Par les mesmes raisons. Sire, tous les officiers de vos autres par-
lemens, qui ne sont pas établis sur des fondemens d'une autre
nature, devroient avoir pensé à la mesme instabilité. Les édils de
leur création ne difèrent en rien de celuy qui nous établit, et dans
aucun de ces édits, il n'y a point de promesses de stabilité pou''
les villes où les séances en furent mises lors de leur institution.
11 y a bien plus. Sire, c'est que l'établissement de vostre Chambre
de l'édit de Castres est l'ouvrage de deux ou trois déclarations des
Uoys vos prédécesseurs, et qu'elle fut confirmée en cette ville-là,
non seulement par l'édit de Nantes, mais encore par l'édit de 1629,
et en des termes si forts qu'ils font bien voir que la pensée du Roy,
qui pacifia alors son État, n'estoit pas qu'on l'en deust jamais faire
sortir*.
Outre qu'on ne peut pas conclure que vostre Majesté nous doive
tirer de Castres, de ce qu'elle ne nous a pas promis de nous y lais-
ser toujours, nous ne nous sommes pas rendus indignes de la grâce
que vostre Majesté fait à tous ses sujets de les laisservivre en repos
1. <' Voulons aussi, que la chambre de l'Édit, séante de présenta Béziers,
soit remise en la ville de Castres, après que les fortifications d'icelle auront été
entièrement démolies et rasées; et qu'elle demeure en ladile ville de Castres,
suivant ledit Édit de Nantes, nonobstant ce qui esi porte par l'ordonnance par
Nous faicte au mois de janvier dernier, et l'arrêt intervenu au Parlement de
Thoulouzc sur le Cil article d'icelle : laquelle chambre Sa Majesté veut être
nuuutfnuc en toutes les attributions à elle faites par les Édits et les Règle-
ments. » Édit de juillet, 16"2'J, art. XXI.
MÉLANGES. "211
dans leurs maisons, et vos ordres, Sire, n'en tirent jamais ni de
particuliers, ni de compagnies de Justice, que quelque faute im-
portante ne leur ayt attiré ce chastiment.
Pour ce qui regarde la raison d'Estat, pardonnez Sire à nostre
douleur, si dans un profond respect, nous osons dire àvostre Majesté
que nous ne pouvons trouver dans nostre malheur, ni de l'avantage
pour le public ni de l'utilité pour aucun de vos sujets, ni rien enfin,
qui puisse contribuer à la gloire du règne de vostre Majesté, et au
bien de son Estât.
On dira peut estre, Sire, que ce changement qui ne paroist d'au-
cune utilité maintenant, sera dans la suite d'un grand fruit, puisque
c'est un acheminement à l'incorporation de la Chambre de l'édit de
Castres au Parlement de Tolose, ou la marque fatale et presque
infaillible de sa prochaine suppression.
Comme Messieurs du clergé. Sire, ne souhaitent rien avec plus de
passion que l'entière ruine de nostre religion, et qu'ils se persua-
dent que la suppression ou l'incorporation de la Chambre au Par-
lement est un moyen infaillible pour y parvenir', ils supposent que
c'est aussy l'intention de vostre Majesté, et que cela se peut faire
sans détruire l'édit de Nantes, sous prétexte qu'il est porté par l'ar-
ticle 36 ^ que la chambre sera réunie au Parlement quand les causes
qui ont porté nos Roys à en faire l'établissement et à en confirmer
la subsistence cesseront.
Mais nous espérons, Sire, une justice plus favorable de vostre
Majesté, nous sommes nez vos sujets comme les autres, et la diver-
sité des sentimens, qui se trouve entre nous sur la religion, ne doit
t. D'Escorbiac ne se trompait pas en attribuant ces sentiments au clergé.
Lorsque quelques années plus tard les chambres succombèrent, un dignitaire
éminent de ce clergé, l'archevêque d'Arles, écrivait à la Vrillière : « J'auray une
application toute particulière pour concourir au zélé et à la piété de nostre
grand monarque, qui, par la suppression qu'il vient de faire des chambres de
l'Edit, faira plus de conversions que tous nos prédicateurs et nos missions
n'auraient sceu faire dans tout un siècle. » 14 septembre 1679. Autographe.
Arch. nat. TT. 259.
2. « Voulons et entendons que lesdites chambres de Castres et de Bourdeaux
soient réunies et incorporées en iceux Parlemens, en la môme forme que les
autres quand besoin sera, et quand les causes qui nous ont mû d'en faire l'éta-
blissement cesseront et n'auront plus de lieu entre nos suj(»ts. » Edit de Nantes,
art. 30.
278 MÉLANGES.
point mettre de différence dans la protection et dans les soins pater-
nels que les uns et les autres doivent attendre des bontés de vostre
Majesté.
Quelle apparence, Sire, que vostre Majesté eust un dessein secret
de nous supprimer dans un temps que vos sujets de nostre religion
ont plus de besoin que jamais d'avoir des juges non suspects, ou de
nous envoyer nous-mesmes en une ville dans laquelle nous ne
trouverions aucune seureté pournos personnes, et où nous vivrions
dans une crainte perpétuelle de nous voir livrez avec nos familles
au zèle indiscret et à la fureur d'un peuple qui de luy-mesme ne
connoissant point de frein ni de raison en la pluspart des choses
les plus indifférentes, en est encore bien moins capable en celles
qui regardent la religion.
Que n'aurions-nous pas sujet de craindre. Sire, dans une ville
qui toujours animée d'une haine implacable a obtenu dans toutes
ses capitulations l'interdiction de l'exercice de nostre religion à
qjuatre lieues à la ronde, et qui par des délibérations réitérées et
que le Parlement a toujours autorisées par ses arrests a exclus d'y
habiter tous ceux qui en font profession. Et qui tous les ans pour
immortaliser sa haine en mémoire du massacre qu'on y en fit,
célèbre une feste et une procession la plus solennelle de toutes*,
sans que l'autorité et la puissance royale en ayt pu jusques icy faire
abolir l'usage, ce qui n'a lieu en aucune autre ville de vostre
Royaume, et d'où elle tire le titre de sainte qu'elle s'arroge^.Où
le peuple, poussé du mesme esprit, appelle toujours nostre cimetière
le champ d'Enfer, et regarde encore après tant d'années avec exé-
cration une porte murée qu'il nomme la porte de malédiction par-
ce que c'esloit celle par où il falloit passer pour aller au prescho''.
1. La célèbre procession commémorativc du massacre du 17 mai 1562, inter-
dite, mais en vain par un arrêt royal du 18 juin 1563. On ne saurait oublier qu'en
ly02, il s'est rencontré un archevêque de Toulouse pour demander le rétablisse-
ment de cette odieuse cérémonie, à laiiucllc, dès 1561, Pie IV avait accordé de
précieuses indulgences, et que Clément XIII favorisa d'une manière spéciale en
1762.
2. Non alibi ïnhœreses armantur severius Leges... quo fit ut una inter Gal-
liœ urbes immunis sit hœreticd labe, nemine in civem adm,isso cujus suspecta
sil apostolica fuies. Ainsi s'exprimait de Gramond, premier président au Parle-
ment de Toulouse. Goquerel, Jean Calas, i.
3. Le temple de Toulouse, qui pouvait contenir près de 8 0UO personne, était
MÉLANGES. 279
L'inhumanité et le scrupule y estant porté si avant qu'on croiroit
y commettre un crime que de contribuer la moindre chose du
monde à la sépulture de nos morts.
Si la sécheresse empéchoit la terre de produire ses fruits, si les
pluyes fréquentes et redoublées ostoient dans leur voisinage l'espé-
rence des moissons; si la gresle et le feu y faisoient les ravages qui
ne sont que trop ordinaires, ils ne manqueroient jamais de dire que
ce sont les Huguenots qui auroient causé tous ces maux, et nous
courrions grand risque de porter la peine des malheurs dont nous
ne serions la cause que dans l'imagination blessée de cette popu-
lace K
Que si nous craignons, Sire, ces choses funestes du bas peuple
de Tolose, nous n'avons pas raison d'en espérer de beaucoup meil-
leures du Parlement.
Sa haine, Sire, contre ceux de nostre communion a toujours esté
si forte, que dans le temps où il n'yavoit pas encore de Chambre de
redit, la connoissance de leurs affaires luy fut toujours interdite,
et commise au grand Conseil, jusques là mesme que dans les com-
mencemens lorsque la Chambre de l'Édit fut créée on fut obligé de
joindre aux juges de la R. P. R. des commissaires du Grand Con-
seil, tant on avoit à craindre ceux du Parlement de Tolose -.
Il a souvent signalé cette haine invétérée par des arrests pleins
d'injustice et de barbarie ; la condamnation et l'exécution de Rapin ^
qui luy portoit un édit de paix, celle du baron de Levan, arrivée
bâti en dehors de la porte de Villeneuve, qui fut appelée depuis « Porte du mi-
nistre. )) Mémoires de Gâches, 'il.
1. On ne saurait trop admirer la netteté d'un jugement que devait confirmer,
un siècle plus tard, l'éclat et le scandale de l'affaire des Calas.
2. « Quant au procès qu'ils auront au Parlement de Thoulouze, si les parties
ne se peuvent accorder d'autre Parlement, seront renvoyés par devant les maîtres
des Requêtes de notre hôtel en leur auditoire au Palais, à Paris. » Edit de
Saint-Germain, 1570, art. 36.
Henri IV disait aux magistrats Toulousains de son temps : « C'est chose
étrange que vous ne pouvez chasser vos maulvaises volontés. J'aperçois bien
que vous aves encore de l'Espagnol dedans le ventre. » Lettres missives, V. 181.
3. Rapin, gentilhomme du prince de Condé, apportait aux réformes du Midi
la nouvelle de la paix de Longjumeau, quand le parlement de Toulouse, au
mépris de tous les traités, le fit enlever dans sa maison de campagne près de
Toulouse, et le fit décapiter trois jours après (13 avril 15G8). France proteslanle.
28U MÉLANGES.
dans ces derniers temps, quoy qu'il alléguast son privilège*, et une
infinité d'autres en font foy; mais i)lus encore que tout cela, le
massacre inhumain de leurs confrères de nostre religion qu'ils
firent pendre à l'arbre du Palais presque en mesme temps qu'ils
venoient de rendre avec eux la justice sur un mesme tribunal -.
On dira, Sire, que toutes ces choses se sont passées dans les
fureurs et dans les désordres de la guerre, que la haine enracinée
dans les cœurs de l'un et de l'autre party a donné la naissance aux
chambres de l'Edit ; on ajoutera que ces causes ont finy avec elle,
que tout est paisible et soumis dans l'Estat, et qu'une réconciliation
générale ayant succédé aux partialités et aux divisions, il n'est pas
juste que la différence des juges en mette entre des sujets qui
vivent sous la domination d'un mesme prince.
Pleut à Dieu, Sire, que les choses fussent en ces termes; après
la conservation de la sacrée personne de vostre Majesté nous ne
demanderions rien au ciel avec plus d'ardeur et de zèle que de
passer doucement, sous l'obéissance et sous la protection du plus
grand monarque de la Terre, des jours que la félicité de son règne
ne laisseroit pas de rendre beaux et sereins pour nous, quoy que
privez de tous les honneurs et de tous les avantages ausquels peuvent
aspirer de bons serviteurs et de fidèles sujets ^.
Mais que nous en sommes éloignez. Sire, et que Testât déplo-
rable où nous nous trouvons aujourd'huy, nous fait bien sentir que
ces malheureuses causes n'ont pas cessé !
Certes, si la haine et l'aversion qu'on a contre vos sujets de la
R. P. R. a esté cause de l'établissement des Chambres de l'Edit,
comme elle l'a esté sans doute, comment peut-on dire qu'elle ayt
cessé, puisqu'elle ne fut jamais ni plus obstinée, ni plus ardente
qu'elle l'est aujourd'huy.
Le clergé, Sire, qui ne respire que nostre perle, nous fait naistre
tous les jours de nouvelles matières d'affliction; c'est à sa solicita-
1. Le baron de Levan condamné à mort par le parlement de Toulouse, le
21 janvier 1664, alors qu'il réclamait la juridiition de la chambre de l'Edit.
Canibon, op. cit., 115.
2. Allusion aux massacres judiciaires de 1562.
3. L'attachement des réformés au pouvoir royal faisait d'eux les plus fidèles
sujets de Louis XIV. Les paroles de d'Escorbiac en fournissent une remarquable
preuve.
MÉLANGES. 281
tion qu'on démolit nos Temples en tant de lieux, qu'on interdit
nostre religion en d'autres ou mesme il estoit estably par l'édit de
Nantes, cette loy constante et faite par Henry le Grand, pour estre
perpétuelle ; qu'on invente de nouveaux genres d'accusation contre
nous sous prétexte d'avoir parlé irréverement de la religion catho-
lique ou d'avoir induit quelqu'un à changer de religion, mesme des
avant les arrests et les déclarations qu'on a obtenues pour cela; et
c'est, enfin, à la solicitation du clergé, qu'on nous fait des procez
et des affaires sur toute sorte de choses, que ceux de nostre religion
sont exclus des moindres charges et des moindres emplois, qu'on
estend mesme cette rigueur jusques aux arts les plus vils et les plus
mécaniques, en leur ostant les mestiers, c'est-à-dire le moyen de
gagner leur vie '.
Vostre Clergé véritablement ne nous poursuit pas, Sire, les armes
à la main; mais il nous fait une guerre, qui pour n'estre pas san-
glante n'en est pas moins dangereuse. Il avoit jusques icy sappé
avec quelque précaution les fondemens de nostre liberté, il avoit
gardé quelques mesures dans les atteintes fréquentes et mortelles
qu'il a données aux articles les plus essentiels de l'Édit de Nantes.
Mais maintenant. Sire, il n'en garde plus, et il ne fait point de dif-
ficulté de publier hautement que le terme fatal de nostre ruine est
sur le point d'arriver, et qu'après avoir obtenu la victoire qu'il vient
de remporter sur ce serpent qui s'estoit élevé contre la religion
catholique, il n'y a plus guère de chemin à faire pour combler la
mesure de nostre désolation '-.
C'est, Grand Roy, ce que, pour ne défaillir pas à nous mesme dans
des maux si pressans, nous sommes obligez de vous dire. Et comme
nous sommes persuadez que vostre Majesté se donne le soin d'en-
1. Allusion à la déclaration du 1" février 1669, rendue à la sollicitation du
clergé. Par ses rigueurs et ses duretés elle mettait les réformés à la merci du
pouvoir.
2. Lorsque Bernard publia, en 1666, son Explication de l'Édit de Nantes,
ouvrage plein de perfidies et de jésuitiques interprétations, il le dédia à l'assem-
blée générale du clergé de France. Il faut, « disait-il, que cette illustre assemblée
achève de consommer l'ouvrage (la ruine des réformés) et qu'elle employé son
pouvoir et les moyens qu'elle a pour réunir tous les sujets du Roy à une mesme
créance. »
L'acceptation de ce public hommage niar(jue à ((uel point le clergé en était
venu dans sa haine de la Réforme.
ZOZ MELANGES.
trer dans la connoissance des moindres choses, lorsqu'il s'agit du
repos de ses sujets et du bien de son Estât, et qu'elle fait gloire de
proléger les malheureux et do secourir les affligez, nous avons cru
que nous pouvions, versant dans son sein paternel toutes nos
craintes et nos allarmes, implorer le secours d'un bon maître qui
ne manque jamais à de bons et fidelles serviteurs.
Nous ne contons pour rien, Sire, la boue et les fondrières qui
rendent Castelnaudary presque inacessible plus de six mois de
l'année, l'incomodité de ses logemens incapables de contenir la
dixiesme partie de ceux que la nécessité de leur employ obligera de
suivre la Chambre, et ce qu'on y souffre enfin l'hyver faute de bois,
et toute année faute d'eau, qui rendra nostre condition à peu près
semblable à celle de ces malheureux à qui pour punition de leurs
crimes l'ancienne Rome interdisoit l'eau et le feu. L'amour que la
nature et le devoir ont imprimé vivement dans nos cœurs pour sa
personne sacrée nous donneroit assez de courage pour souffrir avec
plaisir pour son service les maux les plus extrêmes, et ce seroit avec
joye, Sire, que nous sacriefierions et nos biens et nos vies pour la
gloire et pour la prospérité de vostre Majesté *.
Ce qui nous afflige mortellement et qui nous touche jusques au
plus profond de nos cœurs, c'est. Sire, que le malheureux estât où
nous nous trouvons réduits, est une marque certaine que vostre
Majesté nous veut abandonner. Cette pensée nous jette dans des
allarmes et des appréhensions capables d'étonner les âmes les plus
fermes et les plus constantes.
Que si nostre malheur est inévitable, Sire, si nous ne pouvons
pas trouver grâce devant le Trône de vostre Majesté, et que par
l'effet d'une volonté absolue, et par des raisons que nous n'osons ni
ne devons pas pénétrer, elle soit résolue d'oster de Castres sa
Chambre de l'Edit, en ce cas, Sire, nous aurions à luy demander
bien des choses qu'elle trouveroit pleines de justice.
Premièrement, Sire, et surtout, l'exercice libre de nostre religion
dans Castelnaudary, ou telle autre ville où il plaira à Vostre Majesté
de nous mettre, ou du moins si proclie que nous puissions aller
prier Dieu et revenir sans interrompre les fonctions de nos charges.
\. Toutes les difficultés prévues par d'Escorbiac se présentèrent dûs les pre-
miers jours du transfert de la chambre à Castelnaudary. Dans sa consciencieuse
histoire de la Cliaiubre de i'Édit, M. Cambon on a raconté tous les détails.
MÉLANGES. 283
Hors de là vostre Majesté aussy pieuse et aussy éclairée qu'elle est,
comprendra aisément d'elle-mesme que nous serions obligez d'y
manquer toujours plûstot qu'à ce qui regarde nostre salut dans les
sentimens où nous sommes.
Que diroient vos peuples, que diroit vostre Majesté elle-mesme de
voir le cours de sa justice ainsy interrompu. Mais si nous en usions
d'une autre manière, que pourroit-elle attendre de la fidélité des
gens qui, portant le caractère dont elle les a honorez, negligeroient
le culte de leur Créateur, du Dieu qu'ils adorent, et que vous ado-
rez. Ils ont toujours rendu et toute leur vie rendront à Cœsar, ce qui
est deu à Cœsar. Ils faut qu'ils rendent à Dieu ce qui appartient à
Dieu^
Nous supplierions encore très humblement vostre Majesté de
lions donner au moins quelque temps pour mettre quelque ordre à
nos affaires domestiques, et pour disposer de nos terres et de nos
maisons afin d'éviter une entière ruine, et de prendre quelques
mesures pour nous établir ailleurs avec moins d'incommodité et de
dépense*.
Nous vous demanderions, Sire, avec le mesme respect et avec la
mesme soumission, qu'en ce cas vostre Majesté eust la bonté de
nous mettre en telle autre ville qu'il luy plairoit de choisir, ou
exempts des incommoditez insuportables que nous trouverions à
Castelnaudary, et que nous n'avons point exagérées, nous pussions
rendre à vostre Majesté avec fidélité et obéissance le service que
nous luy devons.
Nous pourrions aussy avec raison espérer de la bonté de vostre
Majesté l'ameublement et l'escu par jour qu'elle donne à ses officiers
du parlement de Tolose qui quittent leurs maisons pour venir à
Castres servir avec nous, puisqu'il nous faudroil quitter les nostres,
et nous assujettir à de nouvelles despenses pour son service.
1. La chambre n'obtint qu'avec une peine extrême l'autorisation d'avoir un
lieu de culte, non pas dans la ville, mais aux environs. En 1675, l'assemblée
du clergé en demanda l'interdiction, ajoutant que, si l'exercice était maintenu,
« dans ce cas, il désirait que celui de Castres et le temple oîi il se fait fiît démoli,
pour que l'église fut dédommagée du tort qui lui a été fait par ce nouvel éta-
blissement de prêche. » Cambon, op. cit., 13GG.
± Il fut fait droit en partie à cette modeste demande, car l'ouverture de la
chambre fut renvoyée au 7 janvier 1071.
284 MÉLANGES.
Mais nous espérons plustost, Sire, que vostre Majesté aura la bonté
de nous faire la grâce entière, qu'elle nous laissera dans nos mai-
sons et dans nos biens, et qu'elle révoquera un ordre qui causeroit
infailliblement dans la suite du temps nostre ruine et celle de nos
familles. Car enfin, Sire, si quelqu'un de nous venoit à mourir, nos
offices estant mis hors du commerce par ce changement, et par les
conséquences qu'on en tire, nous laisserions. Sire, des familles dé-
solées et réduites à la mendicité, ce qui seroit sans doute bien éloi-
gné des intentions de vostre Majesté qui n'en a jamais que de droites,
de justes et d'avantageuses pour le bien de ses sujets.
Ayez pitié de nous, Sire, dans ces extrémilez où nous sommes
réduits, ne souffrez pas que nous soyions les victimes de vostre
clergé. Voudriez-vous, Sire, que pendant que comme un nouveau
soleil vous faites par vos douces et bénignes influences régner le
calme et les délices de la paix dans les climats les plus reculez, et
parmy les nations les plus éloignées, vostre ville de Castres, el vos
officiers fussent les seuls à souffrir la guerre désolante que leur
misère et leur affliction leur feroit incessamment.
A l'imitation de Dieu qui fait la blessure et qui la guérii, tendez-
nous Sire, vous qui estes icy-bas la plus parfaite image de la Divi-
nité, tendez-nous vos mains Royales pour nous tirer de la déso-
lation où nous sommes. Nous n'attendons de secours que de vostre
Majesté; rendez-nous à nos maisons, à nos biens, et à nos amis, en
nous rétablissant dans vostre ville de Castres, qui n'est pas moins
accablée que nous. Et dans les cantiques d'actions de grâces que
nous rendrons à Dieu de la bonté et de la protection de vostre Ma-
jesté, nous meslerons toute nostre vie, les vœux les plus ardents
el les prières les plus ferventes que puissent faire pour la conserva-
tion de la personne sacrée de vostre Majesté, et pour la prospérité
de son règne, ses très humbles, très obéissans et très fidelles sujets
et serviteurs. »
A ces justes demandes, nulle réponse ne devait être faite et la
requête alla se perdre dans les papiers de Cliâteauneuf. Quebjues
jours plus tard, les magistrats partaient tristement pour l'exil, prêts
à supporter de nouvelles injustices. En 1679, en efi'et, par un acte
d'odieuse violence, la Chambre de l'Édit était supprimée et le Parle-
ment de Toulouse victorieux recueillait les débris de celte illustre
couqjagnie judiciaire; mais il n'eslinui sa victoire complète que le
BIBLIOGRAPHIE. 285
29 juin 1685, jour où il obtint une déclaration du roi, mettant les
magistrats protestants en demeure d'apostasier ou de renoncer, au
mépris de tous les droits, aux sièges qu'ils occupaient.
Frank Puaux.
BIBLIOGRAPHIE
DEUX MÉDAILLES DE LA SAINT-BARTHÉLEMY
in-12. Impr. Jules Fick, 1884.
L'éditeur de cette intéressante plaquette, M. Eug. Arnaud s'ex-
prime ainsi dans une note bibliographique :
(.( En faisant des recherches à la curieuse et riche Bibliothèque
d'Inguimbert à Carpentras (Vaucluse), nous avons découvert cette
Figure et exposition des Pourtraicts et Dictons, et son impor-
tance historique nous Ta fait juger digne d'une réimpression ; car
cet opuscule établit, par un témoignage irrécusable et une fois de
plus, la participation directe que Charles IX prit au massacre de la
Saint-Barthélémy, la joie qu'il en ressentit et la gloire qu'il en tira.
» Ce n'est pas qu'il fut tout à fait ignoré. Les mémoires de VEstal
de France sous Charles IX (t. I, p. 386, édit. de 1578) en donnent
un bon extrait, et B. Rigaud l'a réimprimé à Lyon en 1573; mais
il n'était connu que de quelques rares bibliophiles, et le savant
Brunet lui-même qui le cite {Manuel du libraire, cinquième édit.,
t. II, 2- partie, col. 1197) ne l'a pas eu évidemment sous les yeux,
car il le décrit avec des inexactitudes. Il ajoute qu'il s'est vendu
20 francs M. R. La Vallière; 46 fr. Monmerqué ; 82 fr. Cosle. »
Nous ne voudrions troubler eu rien la joie du bibliophile retrou-
vant une pièce rare, unique, et heureux de la restituer au monde
savant. Mais notre ami M. le pasteur Arnaud sera le premier à se
réjouir en apprenant que la bibliothè(iue du Protestantisme fran-
çais possède depuis longtemps la charmante plaquette dont il a
!286 ■ BIBLIOGRAPHIE.
retrouvé un exemplaire à la bibliothèque de Carpentras. Elle n'en
diffère que par quelques mots insignifiants du titre : à Paris par
Jean Dallier, libraire demeurant snv le pont Saint-Michel... 1572;
et fait partie de cette collection d'opuscules rarissimes formée avec
autant de discrétion que de goût par un de nos collègues. Les fon-
dateurs de la bibliothèque du Protestantisme sont trop enclins à
ignorer ou à oublier leurs propres trésors. Remercions M. Arnaud
de nous les rappeler. J. B.
LES ALLEMANDS EN FRANCE
ET l'invasion du COMTÉ DE MONTBÉLIARD PAK LES LORRAINS
1587-15881.
Sous ce titre, M. Alexandre Tuetey, archiviste aux Archives Na-
tionales, déjà connu par de savants travaux, s'est proposé de racon-
ter surtout l'expédition mémorable par ses excès, que les Lorrains,
Henri, duc de Guise, et Henri, marquis de Pont, firent dans la
principauté de Montbéliard en décembre 1587. Ces princes ayant
représenté cette lâcheté comme un acte de représailles, légitimes
puisqu'elles s'exerçaient au détriment des hérétiques, et, de plus,
justifiées par les dégâts commis quatre mois auparavant par l'armée
allemande qui avait traversé la Lorraine pour se rendre au-devant
des Béarnais, M. Tuetey a cru devoir faire précéder son récit de deux
chapitres préliminaires qui forment la moitié de son ouvrage- et en
expliquent le titre.
Le premier de ces chapitres nous montre comment la principauté
protestante, accueillant les huguenots qui fuyaient la persécution
et la St-Barthélémy, et tolérant leurs tentatives en faveur de l'année
allemande appelée au secours du roi de Navarre, devint odieuse aux
(■alh()li([iies et surtout à leurs chefs, les Guises. Les lecteurs du
Bulletin trouveront dans ces premières pages beaucoup de faits
nouveaux ou rectiliés, parmi lesquels il faut signaler une pièce
1. Paris, (;iiampion cl Montbélianl, Barbier, 1883, "2 vol. iii-8" de 301 cl
•101 pages. Extrait des Mémoires de la Société iV Emulalion de Monlhéliard,
tiré à 200 exenip. sur papier verge, 20 francs.
2. Déduction l'aile du tome 11 iiui renferme les pièces justilicativcs se rap-
portant toutes à l'Invasion.
BIBLIOGRAPHIE. 287
capitale (p. 19-34). Le Roole des Français qui résident encore de
présent en ceste ville de Montbéliard, fait ce VI° dejanvier 1586.
Cet épisode du Refuge est suivi de l'histoire de cette fameuse
campagne de 4587, le plus grand effort du protestantisme étranger
pour venir au secours des huguenots et que des causes diverses
firent échouer misérablement. On peut considérer le récit de
M. Tuetey, appuyé jusque dans les moindres détails sur de nom-
breux documents manuscrits, comme définitif au point de vue de
l'exactitude, et aucun historien des guerres de religion ne devra
l'ignorer. Notons, en passant, les dates réelles des combats de
Vimory et d'Auneau (26 octobre et 24 novembre 1587), inexactes
dans toutes les histoires, et ne hasardons qu'une seule question :
Michel de la Huguerye dont M. Tuetey suit et contrôle sans cesse
les mémoires, n'a-t-il pas, dans cette campagne, joué le rôle dou-
teux d'ami des protestants et des catholiques? Nous croyons que la
question mériterait d'être examinée.
Les chapitres III et IV contiennent enfin la narration, documentée
de manière à défier tout contradicteur, de la brutale invasion du
pays de Montbéliard par les Lorrains. Personne ne pourra lire ce
défilé de faits douloureux sans frémir d'horreur et d'indignation.
Les historiens intéressés à représenter les huguenots comme les
communards du xvi^ siècle et Coligny lui-même, non comme la vic-
time, mais comme l'auteur de la Saint-Barthélémy, auront beau
faire : toute leur casuistique ne parviendra jamais à laver les Lor-
rains, c'est-à-dire, à leur point de vue, les sauveurs de la religion
et de la patrie, du reprociie de féroce et cupide lâcheté qui restera
comme un trait de leur caractère. Dès 1525 l'épouvantable mas-
sacre, à Saverne, des paysans alsaciens, coupables qu'on ne peut
s'empêcher de plaindre; plus tard l'assassinat des huguenots à Am-
boise, à Sens, à Vassy (1560-1562) ; dix ans plus tard encore l'at-
tentat de Maurevers et les horreurs de la Saint-Barthélémy, enfin la
Ligue et en 1587-1588 les atrocités commises de sang froid dans le
pays de Montbéliard, — toutes ces actions sanguinaires sont dos faits
imputables pour la plus grande partie aux membres de la même fa-
mille et qu'il n'est au pouvoir de personne de nier ou de travestir.
Nous savons bien que dans ces derniers temps on a essayé d'en
représenter quelques uns comme la revanche du patriotisme ulcéré
par le recours des protestants aux armées étrangères. Cet argu-
288 BIBLIOGRAPHIE,
ment ne saurait loucher que les ignorants, car quiconque étudie
l'histoire, sait que dès le début du xvi' siècle, François P' guerroya
avec des milices demandées à la Suisse ou à l'Allemagne, et que
tous les partis j3renaient leurs alliés où ils les trouvaient. Si l'on
voulait appliquer cet argument au saccagement du pays de Montbé-
liard, on arriverait à dire que les Albanais, les Italiens et les Alle-
mands au service des Lorrains, y brûlèrent plus de 700 maisons, y
pillèrent et détruisirent 119 villages, y enlevèrent plus de 8000 têtes
de bétail et de 200 000 mesures de céréales, sans compter les
meurtres, la torture, le viol et la traite infligés à des centaines de
victimes, pour se venger de ce que d'autres allemands avaient fait,
dans de bien moindres proportions, en Lorraine, comme belligé-
rants sans cesse harcelés et décimés. Les soudards de ce temps-là
s'inquiétaient si peu de patriotisme ou de religion que, lorsque
Henri III donna de l'argent aux reîtres et aux Suisses protes-
tants, ceux-ci s'en retournèrent au plus vite dans leurs pays,
sans s'occuper de leurs promesses aux huguenots et à Henri de
Navarre. Et si les Lorrains, alors soudoyés par l'Espagne, avaient
voulu faire du patriotisme, ils n'auraient pas employé le secours
de l'étranger pour châtier les protestants d'avoir appelé l'étranger.
On ne trouvera pas seulement dans les derniers chapitres et
dans les pièces justificatives de cet ouvrage tous les détails imagi-
ginables sur ce que pouvait inventer la cruauté sans vergogne d'une
armée d'aventuriers déchaînée sur la principauté jusque-là paisible,
avec l'ordre formel de lui faire expier son hérésie ; mais, chemin
faisant, l'auteur nous initie à la condition matérielle des paysans,
aux soins que recevaient les pestiférés, à la manière dont se con-
duisirent les pasteurs pendant l'épidémie qui succéda à l'invasion, etc.
Bref, le sujet paraît éjjuisé et nous regrettons seulement que dans
son premier volume M. Tuetey n'ait pas cru devoir donner autant
de soins à la forme qu'au fond; cette élude, pourvue d'une excel-
lente table, n'en constitue pas moins un document de premier ordre
pour l'histoire de la Ligue en général, et poui- celle du pays de
iMonibéliard eu particulier. iN. Weiss.
Le Gérant : Fischbacher.
BouuLoroN, Iiniiriiiierics rcmiics, B.
SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE
DU
PROTESTANTISME FUA^CAIS
/riîDES IIISTUKIQUKS
[/EGLISE REFORMEE DE LA CALiVIElTE
PAGES d'histoire LOCALE '
IV
Né à Bédarieux, le 29 janvier 1718, dans une iamille de
grande piélé, Paul Rabaiit n'avait pas dix-sept ans quand il
commença cette vie de courses incessantes, de fatigues et de
périls dont se composait le ministère du Désert. Les fidèles de
la Galmelte furent des premiers à entendre le jeune proposant
qui leur apportait l'évangélique message, et ne l'interrompit
que pour quelques mois d'études à Lausanne ^ On voit, par sa
correspondance, combien tous ses pas étaient épiés et suivis
autour de Nîmes. C'est au milieu de perpétuelles alertes que
1. Voiries numéros du DuUelin de mars, avril, juin, p. 96, 145 et ^iil. Deux
fautes sont à relever. Page 214, 1. 3, lisez : couvertes de sang et (la plaies;
p. 256, 1. 3, il faut lire : Oh! si j'avois une faucille comme la vôtre...
2. Du mois d'août 1740 au 8 février 1741. Article de M. Ch. Dardier {Bull.
t. XXXII, p. 402).
xxxiii. — 19
290 l'église nÉKORMÉE DE LA CALMETTE.
se lenaienl les réunions, inysléiieusement annoncées, tanlôt
ici, lanlôl là, dans un bois, une métairie solitaire, une grotte
perdue sur les bords de quelque torrent desséché. Les troupes,
dressées à cette chasse d'un nouveau genre, se répandaient
partout. Les communes et les fermes suspectes étaient soumises
aux plus rigoureuses perquisitions, comme on en peut juger
par les lignes suivantes, adressées d'Alais à Antoine Court, le
24 mars 1738:
(( Le 14 du mois de mars, la nuit du samedi au dimanche,
les troupes ont été en plusieurs détachements investir depuis
le Gardon du côté de Ners jusqu'à la Cabnelte, pour lâcher
d'atlraper quelqu'un de ceux du désert. On fut dans plusieurs
métairies, entre autres à celle qui appartient à M. le ducd'Uzès,
qui est dans le bois de Gajan, près de la Rouvière^, et, n'ayant
rien trouvé après avoir fouillé dans la maison, on s'avisa d'une
caisse que l'on enfonça, où l'on trouva plusieurs livres et un
petit sac de peau où il y avait certains papiers appartenant à
M. Hétrinc. La plupart de ces livres sont des ouvrages de M. de
la lUacetlc, qu'on a lus et qu'on a trouvés fort bons. On con-
duisit au Jort le nommé Brunel de ladite métairie. Tout cela
a été occasionné par le baptême d'une fille du nommé Boissier,
du village do Sauzet, qui a été baptisée par un ministre du
désert. Le curé du lieu en a porté plainte; le père de Lîoissier
a été emprisonné; l'enfant rebaptisée catholique-. »
Bétrine et Roux étaient les deux pasteurs de cette région, et
le second, que nous avons déjà rencontré au mas des Crottes,
n'échappa, une fois, aux poursuites dont il était l'objet, qu'en
se faisant murer dans une tombe. Les temps n'étaient pas tou-
jours aussi rigoureux. Quelques mois de 1744 virent réunis,
dans le même champ de travail, deux ouvriers d'élite, Court et
Rabaut, lorsque les troubles suscités par le schisme de Boyer,
mettant en péril la discipline si nécessaire aux Eglises du
1. Le mas de (Juiulo appartenant aiijuuririuii à la très liunorablc famille
Flaissicr fie Nimes.
-2. Lettre de Claris, l'apicis Court, n' 17, t. K, p. 487, Bibl. de Genève.
l'église réformée de la calmette. 291
Désert, ramenèrent le directeur du séminaire de Lausanne sur
le théâtre de son premier apostolat. C'est dans sa correspon-
dance avec la compagne chérie qu'il avait laissée en Suisse,
avec celle qu'il appelait « sa Uachel » qu'il faut lire les détails
du voyage qui lut une perpétuelle mission entre Nîmes, Uzès
et Montpellier. On était en pleine guerre de la succession d'Au-
triche, triste legs du cardinal Fleury, et la fortune, infidèle à
nos armes, ne devait être ramenée sous nos drapeaux que par
les victoires d'un luthérien, Maurice, maréchal de Saxe. Les
protestants français respirèrent quelque temps. La persécution,
si ardente sous Bàville et ses successeurs, Bernage, Lenain,eut
des heures de lassitude et d'oubli, des intervalles de tolérance,
qui laissèrent espérer des jours meilleurs. L'année 1744 fut
un de ces moments trop courts où la persécution, se relâchant
de ses rigueurs, les réformés purent se réunir en divers lieux
pour invoquer le Dieu de leurs pères. Quel charme dans le
récit de l'assemblée tenue le 16 septembre, aux environs d'Uzès,
avec le concours des populations voisines. On a vu le drame
au mas des Grottes; voici l'idylle :
Le dimanche venu, écrit Antoine Court, je me rendis à ce qu'on appelle
le Camp. C'est le lieu où était convoquée l'assemblée, une espèce de
bosquet perdu près du mas de Tailles... Là on avoit dressé une chaire
assez élevée, tendu diverses tentes attachées à des arbres et où étoienL
placées, outre plusieurs sièges de pierre, un grand nombre de cliaises
dont chacun a soin de se pourvoir, et avec lesquelles on sort publique-
ment de la ville. Je fus témoin de révènement. L'assemblée étoit nom-
breuse ; il y avoit pour le moins six à sept mille personnes. Elle étoit
bien rangée, et assurément c'étoit un beau coup d'œil sous les tentes.
La joye parut grande lorsque je parus en chaire. Il y avoit, ou pour être
ému, ou pour s'amuser, d'entendre un bruit sourd qui se levoit de tous
côtés, et tout le mouvement qu'on se donnoit dans l'assemblée. Je com-
mençai par la publication de plusieurs bans. Je passai ensuite aux prières
et au discours. Exprimer combien tout étoit ému et touché, la chose n'est
pas possible. Là étoit tout ce qu'il y a de gens de distinction dans la
ville, à l'exception de MM. de Massargues, du Combler, de Vallabris,
Gallofres, Soleirol et Trinquallague, (jui sont les seuls de tou.s les pro-
testants d'Uzès qui n assistent point aa Camp. Comme dans le nombre de
202 I.KGLiSE REFORMEE DE LA CALMETTE.
ceux (|iii y as^iisteiit, il y en a la plus grande partie qui ne sont aguerris
(|ue depuis la tolérance, je jugeai à propos de faire le procès à leur pré-
cédente dcnuirche, et ceci fit verser bien des larmes. Il n'y eut pas même
jusqu'à M. Faucher qui n'y mêla les siennes. Je fis grand plaisir aux gens
de la campagne, parce que je dis dans un endroit de mon discours qtw
ce sont eux et eux seuls qui avaient sontemi la religion dans les temps
de crise.Yjn un mot, il ne se parle plus en ville que du discours qu'on
vient d'entendre. Le prédicateur eût été accablé sous les caresses, s'il
n'avoit eu la précaution de se tenir en chaire tout le temps qu'on vini
pour le saluer. Presque toute l'assemblée passa en revue devant lui, et
lui demanda l'état de sa santé, et son épouse ne fut oubliée par personne.
Il falloit avoir et la main et la mémoire prompte, parce que tout vouloit
être connu et articulé par son nom, et au moins baiser la main, puis-
qu'on étoit trop haut pour pouvoir être baisé au visage... Le repas se
donna dans l'enclos de I\I. Abauzi, beau-frère à M. Bouët, près de l'aire
de Saint-Firmin. Nous étions douze à table... Actuellement M. le baron
de Fontarèche, qui me cherche depuis deux jours pour me donner à
manger, fait préparer un dîner que nous devons aller prendre sous une
treille, auprès d'une fontaine, au milieu de l'enclos de Mademoiselle Gau-
tier, situé près de la croix des Pommiers, aboutissant au chemin de
l'Escalettei.
On reproduit à dessein, dans leur charmante lamiliarilé, les
diHails d'une assemblée où les protestants j)nrent cesser de se
cioiie proscrits, et donner essor aux sentiments les plus doux
qu'il soit donné à l'homnie d'éprouver dans son double atta-
chement à la patrie terrestre et à celle d'en haut. Ces libres
léunions, qui empruntaient un charme de plus à l'apaisement
du schisme provoqué par le ministre Boyer, et à l'heureuse
icconciliation de tous les membres de la famille protestante-,
continuèrent après le départ d'Antoine Court, retourné à Lau-
sanne vers la fin de septembre 1744. L'année suivante parut
1. LcUrc à madame Courl. Dulletin, t. XXVIl, p. 75. Je rencontre un Bonnet
mentionné au banquet ([ui suivit cette mémorable assemblée (p. 70).
"i. Ce fut l'œuvre du Synode national do 1744, présidé par Antoine Couit, et
c'est dans une maison voisine de la Calmette, au mas de la Bitarelle, que cet
iieureux accord fut conclu, le 16 août. Voir Un Journal du Désert, dans le Bull.,
t. XXXil, p. 364,365. Pour détails, lettres de Court (Bull., t. XXVII, p. 72-75).
l'église réformée de la calmette. :!>9:^
continuer sous d'aussi favorables auspices. La victoire do
Foutenoy, suivant de près le rétablissenienl inespéré de
Louis XV, lui célébrée avec des iranspoi'ts d'allégresse par les
congrégations du Désert (mai 1745), moments bien rares dans
leurs annales! La nature et l'iiomme semblaient unis dans une
fête commune. Le printemps a d'étranges séductions dans ces
régions arides où il dure si peu. Du sol détrempé par de fortes
rosées s'exhalent d'enivrantes senteurs. L'asphodèle, aimée
des anciens, balance ses grappes jaunes au sommet de ses
longues tiges; les cistes, entremêlés aux buis, étalent leurs
fleurs blanches et roses; le rossignol chante le réveil de la
nature et le Désert s'épanouit comme un Jardina
A l'époque où nous sommes parvenu, vers le milieu du
xviii* siècle, la seigneurie de la Calmette, successivement pos-
sédée par les familles d'i\.ndré, de Brueys et d'Ardouin, avait
passé en d'autres mains. Jean Mathieu, procureur à Nîmes,
épousa en premières noces (octobre 1645) Catherine Nouvelle.
Il en eut Etienne Mathieu, baptisé le A mars 1647, par le pas-
leur Osias Darvieu, avec « demoiselle Réthéome de Daunant
pour marraine ». Cet Etienne Mathieu, docteur et avocat en
1675, marié à Madeleine de Cray, puis à Susanne d'Albenas,
et protestant zélé jusqu'à la Révocation, nepersévéra pas dans
la foi de ses pères; son abjuration lui valut, avec un siège au
présidial, une partie des biens de sa famille réfugiée en Suisse.
Son fds Jean-Louis acquit la seigneurie du Mas-Blanc et, vers
1713, celle de la Calmette, érigée plus tard en marquisat, et
devint un personnage important dans la province. De ses six
tîls, l'aîné, Louis, président au Parlement de Metz, prit le titre
de marquis de la Calmette, tandis que le second, Charles, lieu-
1. Paul Rabaut écrit à Antoine Court (juillet 1745) : « Mes assemblées depuis
quelque temps sont fort populeuses. Dimanciie deriiier il y avait bien dix mille
âmes sans exagération. »
De Lascours, 13 août 1745. — « Nous faisons comme l'été dernier des assem-
blées de dix à douze mille âmes. Puissions-nous les bientôt faire sans crainte! >■>
Voir pour cette époque f//( Journal du Di'serl {Bull. l. XXXH, p. -ÎCi).
29i L'ÉGLISE RÉFORMKF. DF. LA CALMRTTK.
tenant général des armées du roi, l'ut marquis do Vallons, On
a de lui d'assez curieux mémoires ^
C'est à une date postérieure, dans la seconde moitié du
xviir siècle, que les familles Fontarèche, Trinquelague, Vala-
bris, qui avaient traversé sans faiblir l'orage de îa révocation,
et si longtemps tenu le premier rang parmi les protestants
d'Uzès, rentrèrent dans le giron de l'Église catholique. Ainsi
se réalisait, dans le voisinage de la Calmette, ce contraste
remarqué de bonne heure entre les représentants de la noblesse
et de la haute bourgeoisie, désertant les croyances pater-
nelles pour avoir part aux royales faveurs, et les pauvres, les
humbles, aftrontant la persécution pour garder la foi des aïeux.
Les temps redevenaient sombres, et le faible rayon de tolé-
rance qu'on avait vu briller quelques instants sur les congré-
gations du Désert fut suivi d'un orage dont les derniers éclats
retentii'ent en 17G2. C'est dans cette triste période, marquée
par les martyres de Mathieu Majal, de Bénézet, de Teissier, et
par une recrudescence dans l'enlèvement des enfants restitués
de force au baptême catholique, que viennent se placer divers
épisodes dont la place est marquée dans nos récits.
Sur la route de la Calmette à Gajan, dans un pli de terrain
ombreux arrosé par un ruisseau- qui se jette dans la Braûne,
sous le mas de Comte, on rencontre la ferme de la Rialle, ap-
partenant jadis à un officier de police du nom de Lefèvre, fils
d'un zélé persécuteur des Camisards, et digne de son père par
l'acharnement avec lequel il poursuivait les pasteurs et dénon-
çait les assemblées du Désert. Ce Lefèvre avait plus d'une fois
reçu le prix de ses honteux services et attiré sur lui bien des
haines. On se détournait avec terreur ou mépris sur son pas-
1. Noies généalogiques sur la l'amillo Malliicn, fomuniniqni'-cs par M. Ch.
Sagnier. Lors de réreclion de la seigneurie de la Calmette en marquisat (ITG-i),
la famille Mathieu obtint d'échanger son nom contre celui de Matheï, noble
l'amille bourguignonne dont elle prétendait descendre (De la Roque. Armoriai
du Languedoc).
2. La Tourrassclie.
l'église réformer de la calmette. 29.'.
sage. Dans la nuit du 11 juin 1751 , on le trouva mort dans son
lit, percé de coups de couteau par une main sûre, et l'enquête
à laquelle ce crime donna lieu ne put en révéler l'auteur*. Les
habitants des villages voisins n'en furent pas moins cruelle-
ment molestés, et les poursuites dirigées contre les assemblées
redoublèrent de rigueur. Le froid extraordinaire qui régna
dans l'hiver delTS-i rendit ces assemblées bien difficiles. Il en
est deux pourtant que doit revendiquer l'Eglise de la Calmette :
Le premier raay de l'année 1754, il se tint une assemblée à environ
trois quarts de lieue de Saint-Geniès. Un détachement de cette garnison
du régiment de Briqueville s'achemina vers ladite assemblée avec tant
de vitesse qu'à peine le peuple averti de cela eut le temps d'échapper à
la main des soldats; on s'en garantit pourtant par l'extrême diligence et
les violents efforts que chacun faisoit pour ne pas tomber dans le péril
dont il étoit menacé. Peu contents d'avoir dissipé et mis en fuite ces
pauvres brebis qui paissoient sous la houlette de leur pasteur, ces indignes
soldats les poursuivirent quelques centaines de pas pour les prendre;
mais, voyant qu'ils ne pouvoient les arrêter avec la main, ils prirent le
parti de le faire à coups de fusil. Quatre ou cinq furent tirés sans doute
à ce dessein, et quoique les balles tombassent parmi les fuyards, elles
ne tirent pourtant de mal à personne. // n'y eut pas la moindre ombre
de résistance. Chacun se retira avec le cœur chagrin et affligé de se voir
traité si rigoureusement par des frères pour n'avoir fait d'autre crime
que celui de servir et de prier Dieu selon les sentiments de sa conscience.
11 arriva quelque chose d'approchant aune autre assemblée qui se faisoit
à environ demi-lieue de la Calmette, au-dessus de Dions, le 16 février
1755, avec cette différence qu'à celle-ci les suites furent plus funestes
aux protestants. Voici le fait. Plus de mille personnes étoient déjà sur
1. Rien ne fut prouvé quand à la cause de ce tragique événement, le secré-
taire d'État, Saint-Florentin, écrivait : « J'ai vu plus d'une fois les curés attribuer
aux protestants les accidents qui arrivaient aux catholiques; cependant la chose
mérite d'être vérifiée, et il est important qu'il y ait un exemple si les services
rendus par le sieur Lefèvre lui ont attiré ce malheur. )> Lettre du 9 juin 1751,
citée par Ch. Coquerel, Histoire des Eglises du Désert, t. Il, p. 41.
Voir aussi le Journal de Paul Rabaut. Le 2 juillet 1751, quelqiies jours après
l'assassinat de Lefèvre, il prêche à la Calmette (Bull., t. XXVII, p. 118). L'as-
semblée du 1"' aoiit interrompue par un détachement. Nombreux prisonniers
d'Uzès, de Saint-Maurice, de Moussac, de la Rouviére. Fortes amendes pronon-
cées pour enfants baptisés au Désert.
29(i LÉGLISE RÉFOKMÉE DE LA CALMETTE.
le lieu occupées à chanter les louanges de Dieu lorsqu'on aperçut un
détachement considérable qui gagnoit de leur côlé. On n'eut pas plutôt
pensé à la roule qu'il falloit prendre pour se dérober à sa vue, qu'une
espèce d'avant-garde de cinq à six soldats, qui s'étoient traînés de fossé
en fossé, se trouva, presque sans qu'on s'en fût aperçu, sur la place, et
ayant découvert quelques personnes qui s'y rendoient, leur lâcha trois
coups de fusil, desquels une femme reçut deux balles dans la cuisse.
Quelques momens après, divers autres coups de fusil furent tirés par
d'autres soldats, qui s'étaient saisi du bateau de Dions, sur ceux qui
croyoientde s'en servir pour fuir devant leurs ennemis. Plusieurs furent
arrêtés par ces premiers détachemenis, et d'autres le furent le soir par
de nouvelles troupes que les premières avaient appelées comme pour
renfort. Le nombre des prisonniers fut de 22 personnes, hommes ou
femmes, filles, jeunes hommes ou enfans. L'un d'entre eux, ayant avoué
quil venait de prier Dieu, fut condamné aux galères perpétuelles
environ deux mois après sa détention. Un autre a été détenu plus d'une
année au fort. D'autres en sortirent à condition qu'ils prendraient du ser-
vice. Les autres furent délivrés en feignant qu'ils ne venaient pas d'in-
voquer le nom du Seigneur. Cette assemblée, au reste, n'en fut pas
quitte pour cela. Du moins, l'arrondissement où elle se tint, qui est com-
posé de trois à quatre petits villages, fut condamné à une amende qui,
frais ou tout, se porta à douze cent cinquante et quelques livres.
Les mêmes faits sont racontés dans une lettre de Paul
Rabautà Antoine Court, en ces termes :
7 iiiius 175Ô.
.Je ne sais si vous avez appris le fâcheux événement arrivé ici le 16 du
mois dernier. Le jour susdit, M. Vincent, proposant, ayant convoqué une
assemblée entre Dions et Russan, elle fut dissipée par le détachement
de la Calmette*, la Rouvière, Saint-Geniès, Fons et Sauzet, qui arrètèreni
22 prisonniers, lesquels furent traduits peu à peu dans la citadelle de
Nîmes. Il y en avait 13 de Dions, 3 de la Rouvière, 1 de Saint-Geniès et
i de Moussac, à la réserve de M. Béchard, tailleur-, (jui s'éloit retiré
tiepuis (juelqucs années à Saint-Geniès, et qui s'est toujours distingué
par son zèle, et d'un nommé Fromental, du lieu de Moussac. Bien des
I. Il n'est pas iiiditïérent de remarquer la présence à la Calmelte d'un déta-
chement chargé de surveiller les assemblées du Désert.
'2. Originaire de la Calmelte.
lî. Fromental fut retenu un an en prison, Béchard, condamné avix galères
l'église réformée de la CALMETTE. !297
gens craignent que ce ne soient deux victimes^; d'autres espèrent qu'ils
en seront quittes pour quelques jours de prison. Cet événement fait
augurer que les ordres ne sont pas aussi rigoureux qu'ils l'étoionl, et
(|ue notre sort est sur le point de s'adoucir. Puisse se vérifier un si favo-
rable présage !
Le jour de la susdite capture, j'avais assemblé pour celte église, à une
demy-lieue de l'endroit où se devait tenir rassemblée'^, etj'avois au
moins deux mille auditeurs. Heureusement il ne sortit point de détache-
ment de Nîmes, car s'il y en eût eu quelqu'un en campagne, le nombre
des prisonniers auroit été beaucoup plus grand selon les apparences-.
On lit enfin dans une leltre du pasteui^ Pradel-Vernezobi'e,
d'Uzès, sui^ le même sujet :
24 février 1755.
... Le 16 du courant, on vit arriver des événements bien fâcheux du
côté de Dions. Plusieurs détachemens ayant surpris une assemblée con-
voquée par notre proposant Vincent, firent sur elle 20 ou 21 prisonniers,
qui furent traduits à Nîmes, tuèrent une fille qui fut enterrée secrète-
ment, et blessèrent une femme qui eut le bonheur de se sauver^.
Le 16 février 1755 était un dimanche. L'impression produite
perpétuelles, fut libéré bientôt après sur les instances de la mart^rave de Bai-
reuth, sœur du grand Frédéric.
1. Très probablement à la fontaine des Mourgues, lieu déjà cité, p. 252.
2. Lettre de Paul Rahaut communiquée par M. Cli. Dardier.
3. Je complète ces détails par le résumé de l'arrêt qui fut rendu à Montpel-
lier le 15 mars 1755.
M Assemblée tenue le 16 février 1755 au quartier appelé Vallon du Pouteil.
terrain de Dions.
« Pierre Béchard, tailleur d'habits, de Saint-Geniès de Malgoires, est con-
damné aux galères à vie, ses biens confisqués, distraction laite du tiers poiu-
ses enfants, les frais pour le conduire aux galères à sa charge.
« Les habitants nouveaux convertis de la Calmette, la Bouvière, (lajan et
Dions sont condamnés à 500 livres d'amende, plus 789 livres, 4 sols, 9 deniers
pour les frais. «
Le vallon du Ponteil que j'ai visité avec mon jeune parent, M. Audemard-
Peyer, est situé dans la garrigue au-dessus de Dions et se compose d'une
série de petits vallons boisés, ayant comme perspective le pic de Bouquet.
Le ruisseau presque toujours à sec, qui descend vers Chailot, est sans doute
un des fossés par lesquels se fflissèr<>nt b's troupes, d'après la rejaliun du pro-
posant Vincenl.
29H l'église réformée de la calmette.
par la fusillade de Dions fut telle, que les protestants de Nîmes
célébrèrent un jeûne solennel dans leurs maisons*. Le propo-
sant Paul Vincent, qui présidait l'assemblée si malheureuse-
ment interrompue, et qui en était à ses débuts, devint le chef
d'une famille pastorale et fut l'aïeul de Samuel Vincent, une
des gloires du protestantisme français.
Six ans étaient à peine écoulés quand une double catastrophe,
qui montre les sentiments les plus purs égarés jusqu'au fana-
tisme, mit deux fois en deuil une des plus honorables familles
du pays. Les détails manquent sur le drame domestique qui
marqua d'une tache de sang les châteaux de la Rouvière et
d'Aubussargues. On se borne à en reproduire la relation offi-
cielle, telle que l'ont conservée les archives de l'intendance de
l'Hérault, où notre ami, M. Gh, Sagnier, explorateur aussi
heureux qu'habile, en a pris copie.
Lettre du subdélégué Chamhon, d'Uzès,
à r intendant de Languedoc, à Montpellier.
A Uzès le lit janvier 17(j1.
A garder.)
Monseigneur,
Vous apprendrez avec étonnement que la fille aînéo du sieur Chambon
de la Rouvière, fiancée au sieur liodier d'Anduze, s'est défaite (sic) d'un
coup de pistolet dans la tète, à cause que son père exigeoit qu'elle se
mariât à l'Église, en quoy elle a suivi l'exemple de sa cadette, qui, pour
le même motif, se porta à cet excès de fureur, il y a environ un mois,
dans le château d'Aubussargues, en se poignardant sans qu'on s'en
npperçût.
J'ai l'honneur d'être, avec un profond respecl, Monseigneur, voire très
hunil)l(^ et bien obéissant serviteur.
ClIAMBON.
1. On lit dans le Journal de Paul Rabant : ^ Le dimanche 2" de mars, jour
jeune, il n'y eut point d'assemblée à Nîmes parce qu'on mit trois détachements
en eampagne. Les fidèles célébrèrent le jeûne dans leurs maisons, et nous le
célébrâmes au Désert le dimanche suivant, a" du susdit mois » (/?«//. t. XXVII,
p. 174).
l'égusf. réformée de la calmette. 299
Copie (le la lettre de Vintendant de Languedoc
au ministre Saint-Florentin.
Monsieur,
J'ai l'honneur de vous informer d'un accident affreux, arrivé par un
excès de fanatisme. La fdle du sieur Chaml)on de la Rouvière, fiancée
au sieur Rodier d'Anduse, et qui professait ainsi que sa famille la reli-
gion protestante, s'est l)riàlé la cervelle d'un coup de pistolet, parce que
son père voulait la déterminer à épouser à l'Église, et sa sœur cadette
s'est poignardée peu de temps auparavant, pour un motif semblable.
J'ai l'honneur d'être*
La catastrophe de la Rouvièi^e, contemporaine des procès de
Rochette et de Calas, dernièi^e explosion du fanatisme toidoii-
sain, qui devait provoquer l'éloquente pi^otestation de Voltaire,
marqua du moins le terme de la période militante pour l'Eglise
de la Calmette, qui ne tarda pas à ressentir le souffle de l'es-
pi^it nouveau, présage de meilleurs jours. Je dois me borner
ici à retracer les principaux faits de cette dernière période de
l'histoire d'une paroisse des champs qui se confond, pour ainsi
dire, avec mes humbles annales doiTiestiques. Depuis la con-
damnation de Claude Bonnet, consul de la Calmette, et la con-
fiscation de ses biens, ses descendants demandaient au fer-
mage pratiqué avec succès les ressources qu'ils ne trouvaient
plus dans la culture du domaine paternel injustement ravi.
1. Arch. de l'intendance de rHérault. G. 448.
Voici l'acte de baptême d'une des deux malheureuses sœurs :
L'an mil sept cens trante huit et le quatorzième jour du mois de juin a été
baptisée demoiselle Catherine-Emilie Chambon de la Rouvière, fdle légitime et
naturelle de monsieur André Cliambon, seigneur de Saint-Étienne des Sernian-
tins et de la Rouvière, et dame Françoise Plantier, née le dixième de ce mois;
a été son parrain Messire Louis Devèze, prêtre prieur de Castelnau, la marraine
Catherine Chambon, épouse de monsieur d'Aubessargues, en l'absence de qui
demoiselle Jeanne Mathieu, veuve de M" Plantier viguier de Saint-Genis, a
tenu ladite fille sur les fonds, en présence de Mr<- Denis de Raudan Cabane,
prêtre, et de S'' Antoine Crept, régent des écoles, par nous curé soussigné.
Ghambon de Saint-Étienne, Devèze, Baudan, Crept, Calmets, curé, -igné.
Extrait de l'état civil de la Rouvière.
300 l'église réformée de la CALMETTE.
On li'ouve un André Bonnel, l'ermier de Mme Fiilvie de La
Fare, comtesse de Brison, pour la métairie de Servas, qui
offrit de tout temps un sur asile inw pasteurs du Désert, L'ar-
rière-petit-fds du relaps, le petit-neveu du camisard, pul ainsi
exercer plus d'une fois l'hospitalité envers ses coreligionnaires
proscrits, et priei- avec eux. Il mourut le 23 mars 1756, et j'ai
sous les yeux le permis d'inhumation conforme aux règles
fixées par l'article 13 de la déclaration royale du î) avril 1736 :
Extrait dit ref/islre de police de la maison consulaire
de la ville de Nîmes.
Du mercredy vingt-quatrième mars mil sept cent cinquante-six, par
devant nous Pierre Bouvière, de Liions, président, juge mage, lieutenant-
général en la sénéchaussée et siège présidial de la ville de Nismes, lieu-
tenant-général de police et maire;
Sur la requête à nous présentée par François Bonnet, rentier de la
métairie de Servas, terroir de cette ville, contenant que André Bonnet,
sou père, est décédé depuis le jourd'huy, sur les six heures du soir, dans
ladite metterie, âgé d'environ soixante ans. Et, comme aux termes de la
déclaration du Roy du 9* avril 1736, art. 13, ceux auxquels la sépulture
ecclésiastique n'est pas accordée ne peuvent être inhumés qu'en vertu
de nostre ordonnance rendue sur les conclusions du procureur du Boy,
il vous plaise lui permettre de faire inhumer ledit André Bonnet, son père.
Veu ladite requeste, nostre ordonnance soit montré et les conclusions
du procureur du Boy de police, le tout de ce jourd'huy, après avoir ouy
les nommés Claude Boussel et Antoine Périnal, vallets de ville, qui nous
ont affirmé par serment avoir veu le cadavre qu'ils ont reconnu estre
celluy dudit André Bonnet;
Avons permis au suppliant de faire inliumer ledit Andr('' Bonnet, son
père, décédé depuis le jour d'hier, sur les six heures du soir, âgé d'en-
viron soixante ans, et ce, en conformité de la déclaration du Boy, du
9 avril 1730, art. 13... Donné à Nisnies, le susdit mois, jour el an que
dessus. Dions; Cassan; greffier, signé. Collationné à l'original.
Cassan, prestre^
Ce permis d'inhumation, suppléant sur un point à l'absence
I. Original. Papiers di- friiiiille.
l'église REFORMEE DE LA CALMETTC. MOI
d'état civil pour les victimes de l'odieuse législation du temps,
était un premier pas dans la voie de réparation des iniquités
séculaires dont Tancienne monarchie ne répudia que bien
imparfaitement Théritage. Les réformés n'avaient pas encore
droit de vivre; mais ils pouvaient impunément naître et mou-
rir! Sous la protection des formules qu'on vient de lire, nos
pères obtenaient du moins la sécurité du dernier repos sur
une terre enrichie par leur constant labeur, mais où rien ne
devait marquer leur place. Une bergerie, à l'entrée de la Cal-
mette, où furent accumulées les sépultures de plusieurs gé-
nérations, tel est l'humble monument où j'appris à vénérer,
dans mon enfance, la mémoire de ceux qui nous ont précédés
dans les luttes de la vie et dans l'inviolable attachement au
devoir.
Un souvenir respectueux est dû aux pasteurs qui les gui-
dèrent dans le bon combat de la foi, sur le déclin du siècle de
Voltaire et de Rousseau. L'église de la tlalmette, alors unie à
celle de Saint-Geniès', s'honore d'avoir eu pour conducteur
Jean-Pierre Guizot, aïeul de l'historien et de l'homme d'État
illustre, dont la gloire est pour notre société comme un pa-
Irirnoine domestique. Présenté au Synode national des Églises
léformées de France, et consacré au saint ministère le 8 avril
1756, Jean Guizot déploya dans l'exercice de ses fonctions un
zèle et une activité qui abrégèrent sa vie. Le Synode provincial,
l'éuni le 16 avril 1766, rendit un bel hommage à sa mémoire.
On y lit, en effet, article 8 : (> Les pasteurs qui assistèrent aux
dernières heures de feu M, Guizot, ayant exposé que ce pasteur
digne de mémoire leur avait recommandé sa femme et ses
enfants, les priant de les recommander à la présente assemblée,
tous ses membres, après avoir témoigné les plus vifs i-egrets de
la perte de cet excellent serviteur de Dieu, ont arrêté de mettre
sa famille sous la protection de la province, et lui ont lixé une
pension annuelle de deux cent cinquante livres- ».
1. Synodes provinciaux. Archives du Consistoire de Nîmes.
2. Bulletin, t. IX, p. 456. La Bibliothèque du protestantisme français possède
302 l'église réformée de la calmette.
Jean Guizot eut pour successeur Pierre Encontre, chef d'une
famille distinguée dans les sciences et les lettres, qui exerça le
ministère à Saint-Geniès durant plus de quinze ans. C'est de
lui que mon aïeul, André Bonnet, héritant d'une charge pres-
que héréditaire dans la famille, rerut le mandat suivant :
Les pasteurs et les unciens des églises de Saint-Geniès et la Calmette
assemblés en consistoire général, le 9 février 1778, après avoir invoqué
le saint nom de Dieu, ont arrêté ce qui suit :
1° A été élu, à la pluralité des suffrages, M. Bonnet, ancien, pour
assister au colloque prochain, et M. Béchard, aussi ancien, pour substitut.
Ainsi conclu et arrosté le même jour et an que dessus.
Encontre, pasteur;
Bouvier, ancien et secrétaire*.
C'est à cette période ecclésiastique, qui ne fut pas sans
troubles, si l'on en juge par divers extraits, ni peut-être sans
quelques défaillances morales-, que se rapportent les austères
instructions données par le Synode de 1769 et renouvelées par
les synodes suivants :
Les pasteurs et anciens qui composent la présente assemblée, vivement
pénétrés de douleur en voyant que la corruption se répand avec tant de
progrés dans les Églises, craignant de ne pas s'y être opposés avec assez
de chaleur par leur empressement à instruire, à reprendre, à édifier,
sentant cependant de quelle importance il est que les chefs de l'Église en
soient les flambeaux, enflammés du zèle de la maison de Dieu, se sont
engagés solennellement, comme étant en la présence do Dieu dont l'Église
leur est confiée, à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour enseigner,
pour reprendre, |)our censurer et pour être en bon exemple. Et, pour
commencer, ils exhortent les pères et mères à élever leurs enfants dans
la discipline et la crainte du Seigneur, à se fournir de bons livres pour
un sermon autographe et plusieurs lettres du digne pasteur dont M. Pierre de
Witt, son arrière petit-lils, nous dira l'iiisloire.
1. Papiers de l'aniilie.
2. Je fais ici allusion à une tentative faite par le pasteur Roux pour séparer
de Saint-Geniès les deux annexes de la Calmette et de Dions, tentative réprimée
par le synode provincial de 177!». Voir les pièces à ra|ipendice, ainsi qm la
liste arrêtée pour les prédications de 177'.t-1780.
l'église réformée de la calmette, 303
réussir dans ce pieux dessein, comme aussi à les édifier par leur bonne
conduite, exhortant les jeunes gens cà être dociles et profiter des instruc-
tions de leurs parents, ainsi que de celles de leurs pasteurs; enjoignant,
de plus, aux chefs de famille de ne pas borner leur dévotion au culte
public, mais encore d'observer le culte domestique, surtout le dimanche,
après avoir assisté aux assemblées religieuscsi...
Pierre Enconlre eul pour successeur à laCalinelle le ministre
Theyron, qui avait été son collaborateur dans les disti^icts de
Montpellier et deBédarieuxavantde i^ecevoir vocation de l'église
d'Uzès, où il exerça la plus pure influence : « M. le pasteur
Theyron, ayant été demandé par les mêmes églises qu'il des-
servait l'année dernière, son attachement pour elles l'aurait
porté volontiers à leur consacrer de nouveau ses services, mais
les instances qui lui ont été faites par les députés de l'Eglise
d'Uzès, r espérance que son ministère contribuer a, selon toutes
les apparences, à rétablir clans ladite Église V harmonie et la
paix, l'ont porté à acquiescer au désir de ces députés, ce que
l'assemblée a vu et confirmé avec plaisir'-. »
Le témoignage rendu quatre ans après au ministre Theyron
par l'Église d'Uzès « qu'il avait édifiée par sa conduite et ses
discours^ », montre combien il était digne de continuer l'œuvre
d'Encontre à Sainl-Geniès et à la Calmette. C'est de la main de
ce digne pasteur que sont signés la plupart des actes pastoraux
concernant ma famille, actes de baptême, de mariage et de
décès, joies et deuils dans lesquels se résume le terrestre
pèlerinage. L'ôdit réparateur de 1787, accordant l'État civil
aux protestants, inaugurait une ère nouvelle, que devait con-
sacrer la proclamation du grand principe de la liberté des cultes
par l'Assemblée nationale. Heureuse la France sî ces droits
1. Actes du synode du Bas-Languedoc couvoiiuii par le colloque de Montpel-
lier et assemblé au Désert le 11 mai 1773.
Assistant pour les Églises de Saint-Gcniès et la Calmette M. le pastciu- encontre
avec un député (Archives du Consistoire de Nîmes).
-2. Synode de 1766 (Bibl. du Prot. français).
:j. Synode de 1770 (Ibidem).
304. L'Ér.LISF, HKKUUMEE DE LA CALMETTE.
sacrés, si (Jouloureusemcnt acquis par la fidélité ikà iiuyiic-
nols, n'eussent reçu aux jours de la Terreur un nouveau bap-
tême de sang et de larmes !
Me voici parvenu au terme d'une étude qui embrasse près
de trois siècles, et montre les destinées d'une Eglise, d'une
l'amillc, dans l'histoire générale de notre pays entre ces deux
grandes dates : Réforme et Révolution. Je m'arrête sur le seuil
d'un autre siècle qui n'a pas dit son dernier mot. L'avouerai-
je eu linissant? Je n'ai pu écrire sans émotion ces pages toutes
pénétrées de la piété des souvenirs. Je me suis revu enfant,
assistant aux assemblées populaires qui, en l'absence de tem-
ples, rappelaient encore aux congrégations de la (^almette et
de Saint-Geniès le régime des Eglises du Désert. J'ai revu des
lieux toujours aimés, des ligures chéries, une aïeule vénérée
qui fut une sainte, et j'ai demandé à Dieu de remplir les géné-
rations nouvelles de l'esprit de ferveur qui anima nos pères,
et qui survivait encore dans les derniers témoins d'um» époque
dont Rabaut Saint-Etienne se souvint itvec une juste tierté
(juand il prononça ces mots à la liibune nationale : Je stiis le
représenlanl d'un grand peuple ' .'
Jules Bonnet.
I. Iliill., l. \\Xl,|i. 30(1. On nisf.rvc, (lour le tirage ;i pari de celle élude, (iii
appendice <'onlenaiit un certain nonibre de pièces jnstilu'atives, avec nue carie
de la Calniclte et des environs.
DOCUMENTS
LE PROTESTANTISME A ISSOUDUN
1568
Cliàteauroux, le <j juin 1881.
Monsieur,
Puisque le Bulletin n"a rien pu])lié sur Issoudun, je vous envoie un
document qui m'a paru intéressant. Je l'ai pris dans un livre ayant
pour titre : Recherches historiques et archéologiques sur la ville cfls-
sourfwn, par Armand Perémé (1847). L'auteur dit que cet acte est conservé
à la mairie d'Issoudun ; mais je n'ai pas pu me procurer l'original.
Le livre de M. Perémé est peu connu, et cette pièce peut être consi-
dérée comme inédite à l'égard du Bulletin.
Il n'y a pas de date, mais cela remonte évidemment aux premiers mois
de 1568, puisque la réponse du roi, qui est en marge, porte mai 1568.
Vous savez mieux que moi que la ville d'Issoudun fut, au xvi* siècle,
en majorité protestante, et que, à l'époque où a été écrit le document
que je vous transmets, les deux partis catholique et protestant, après
des luttes violentes, étaient de forces à peu près égales *.
Le seigneur de Sarzay, dont il est question, était Charles de Barban-
çois, qui joua un grand rôle dans toutes ces affaires.
Agréez, Monsieur, mes sentiments les plus dévoués.
EuG. Trigant-Geneste.
1. La Réforme fut luèchéc de bonne heure à Issoudun par un cordelier, Abcl
Poupin, qui devint pasteur de Genève. L'Église y fut dressée, en 1556, par Si-
mon Brossier, et fit de rapides progrès. Elle eut quelque temps pour pasteur
Spifame de Passy, l'ancien évoque de Nevers. Voir la nouvelle édition de Vllist.
eccl, de Th. de Bèze, t. I, p. 83, 126, 339, 842. (Réd.)
XXXII 1. — 20
306 LE PROTESTANTISME A ISSOUDUN.
ARTICLES ET REMONTRANCES ET TRES HUMBLES REQUESTES QUE FONT AU
ROY LES MANANS CATHOLIQUES DE LA VILLE ET CHASTEL d'YSSOULDUN,
SECONDE DU DUCHÉ DE BERRY, QUI SUPPLIENT TRÈS HUMBLEMENT S. M.
DE LEUR OCTROYER ET BAILLER SUR CE PROVISION.
Le Roy trouve bon Qu'il plaise au Uoy continuer pour gouver-
que le dict sieur de neur et lieutenant de S. M. en la dicte ville et
Sarzay demeure en- chastel le Seigneur de Sarzay, qui le fut es
cores pour quelque pj-emiers troubles et y soustim le siège qui y
temps en la dicte ville e . • i • j,t i - ,-i
' lut mis par le seigneur d Ivoy, pendant qu il
comme il a faict cy- x . j-. ". i -u i r. .1
. . ^ -, occupoit et delenoit la ville de Bourses et de-
devant, ainsi que S. M.
, . . . puYS ces derniers troubles nonobstant lettres
lui escript. ' ''
obtenues au contraire si aucunes en y a,
S. M. ne veut qu'il Et pour empescher qu'il n'y ait division
y ait aulcuns soldats entre les catholiques et ceux de la R. P. R.,
entretenus en la dicte ^g q^j advint après la paciffication des pre-
vdle, mais que le sieur j^iiers troubles, et que la dicte ville ne soit
de Sarzav s'ayde des • 1 1 , ,. , i,- •
^ ■' surprinse par ceulx de la dicte rellu^ion,
habitans de la dicte , «. , , , ,. • 1 • , \ ,
.„ . ^ comme s eilorcerent de laire en la nuict de la
ville qui soyent affec-
,- „_^ „ . I Saint-Michel dernière; de la quelle s'ils s'es-
tionnez au service du ' 1
Roy pour garder icelle ^^^^^^^ saisis, difficilement enseroient déchas-
ville, si besoins est de ^^^^ attendu les forliffications queletlict sieur
le faire. tie Sarzay y a faict faire par les dicts catho-
licques, ces derniers troubles, les quelles ilz
se vantent avoir pour eulx été faictes et pour
servir à leur entrepriuse; il vous plaise entre-
tenir cinquante ou soixante soldats; attendu
mesme qu'ils ont déjà payé la somme à la
quelle la dicte ville a esté imposée de lasoulde
mise sus pour les gens de guerre sur les villes
et paroisses du dict pays, selon Testât qui en
a esté faict par le sieur de Vastan en la ville
de Bourges, en vertu des lettres patentes de
S. M. jusquesà la fin du moys de juing pro-
chain, joinct que la dicte ville importe gran-
dement et est de conséquence à la dicte ville
de Bourges et au plat pays de Berry, si elle
LE PROTESTANTISME A ISSOUDUN. 307
estoitsurpriiise par ceulx de la dicte relligion,
pour la retraicte qu'ilz auroient en icelle tant
de gens de guerre que des vivres et munitions,
attendu que c'est la fleur de la campaigne du
dict pais, affin que ceulx de Bourges n'en
eussent.
Le Roy ayant laissé Qu'il plaise aussy à S. M. ordonner autre
à ceulx de la R. P. R. \\q^ à ceulx de la dicte relligion pour l'exer-
les lieux pour Texer- ^-^^.^ d'icelle que la dicte ville d'Yssouldun, at-
cice de la dicte reli- ^Q^^^^y^ ^^^jg pg^j. ]gg articles respondus en son
gion qui , ! , conseil privé sur le règlement de la paciffica-
P ' , ' tion, Sa dicte M. s'est réservée de changer les
ne peult ester pour ,. ' , ... .,
ceste heure le presche ^^^^^s lieux et y pourveoir; joinct que il y a
de la dicte ville d'Ys- lieux et villes aussy et plus commodes pour le
gouldun où partant est dict exercice; savoir est les villes de Mehun-
nécessaire qu'il de- sur-Yèvre, Dun-le-Roy, Concressault, Vierzon,
meure encores. Sancerre, Ruilly, Graçay et aultres, et qu'il
est raisonnable que les autres villes de Berry
se ressentent autantdel'incommodité des dicts
presches que celle d'Yssouldun, en laquelle
le dict exercice y a tousjours esté faict despuis
la paciffication des premiers troubles ; et aussy
attendu l'inimitié que leur portent ceulx de la
dicte relligion pour avoir tousjours résisté à
leurs entreprinses etempesché leurs desseings
tant à leur regard que des étrangers, et crai-
gnent que s'ilz la surprenoient, comme ilz ont
voulu faire, qu'ilz se vengeassent d'eulx. Of-
frant pour obvier à ce, fournir finances pour
les affaires du Roi où il plaira à S. M. d'oster
de la dicte ville l'exercice de la dicte relligion.
Requièrent d'advantaige qu'il plaise à Sa
Maintenant qu il a ,. * , . . i- i „
. ,,. ., , dicte M. leur octroyer provision pour valider
pieu a Dieu mettre la , i i n
paix en ce royaulme, 1«« commissions qu'ilz ont obtenues du bail y
iln'estbesoingdefor- «* esluz de Berry, selon l'estat iaict par le
tilier au moïen de quoy ^ict sieur de Vastan pour cottiser les habitants
il faut savoir à quoy de la dicte ville tant catholiques que de la dicte
sera bon d'employer relligion, à la somme de 4000 livres et la cot-
308 LE PKOTESTAiNTISMt A ISSOUDUN.
les (licts deniers avant lizalion qui en a esté faicte par les eschevins
que (lacheverde lever et depputez pour la faire pendant les derniers
ce qui reste. troubles.
Le Roy ne veult ny Ensemble pour inhiber et deffendre à ceux
entend que les per- de la dicte relligion de travailler en procez ni
sonnes qui se sont em- aultrement les eschevins et aultres de la dicte
ployez à la levée des ville pour la liève de la somme de 5 à 600 livres
deniers durant les • , , . , , , . ,
, , . qui a este imposée sur eulx es mois de novem-
Iroubles, soyent in- , , - , , .
quiettez, aulcunement '"'' '^ décembre derniers pour l'entretien des
poursuivys ne ravs en ^^"^ ^^ guerre estans en icelles esdicts moys
procès, mais que ceulx ^^ aultres deniers levez sur eulz pour les rep-
|tar les mains de qui parations, attendu que, par l'edict de paciffi-
oiit jtassé les dicts cation, tous deniers levez pendant les troubles
deniers en rendent sont allouez sans que ceulx qui les ont levez
compte en sa cliam- en puissent estre inquiétiez, alTin que les
brc des comptes à choses faictes durant les dicts troubles de-
''^" meurent assoupies et sans mémoire et que les
dicts procez qui pourroient intervenir pour
raison des dicts deniers n'engendrent division
entre les dicts catholiques et ceulx de la relli-
gion, à la charge toutes foys que ceulx qui ont
levé les dicts deniers en rendront compte par
devant le dict bailly de Berry ou aultres offi-
ciers que ceulx de la dicte ville.
S. M., qui a obtenu Aussy qu'il plaise à S. M. remettre aux dicts
que ses bons et loyaulx habitants la somme de 3200 livres en la quelle
subjects le secourent ils sont réduicts à cause des grandes pertes
en la nécessité où il qu'ij^ ont faictes tant es troubles passez que
est, affin de nettoyer les faulxbourgs de la ville furent bruslez, lors-
son royaulme de tant i i- . • j>i -, i •■
, . que le dict sieur d Ivoy y nul le siège, que es
(le calamitcz, no peut , . , , , • , r,
,. , , derniers troubles que les compagnies de Gas-
rcmcttrc aux dicts ha- ' '
bitans la somme à la ^O"'"' Pi-ovenccaulx et autres nations ont passé
.pi.'llc ilz ont esté col- ^t repassé à l'entour d'icellc, ([ue dei)uys la
lisez. dicte pacifficatiou par les Gascons repassans
qui ont mis le feu aux dicts faulxbourgs et
iceux pillez, et pour les fortiffications que les
dicts habitants ont faict faire de leurs deniers
se montans de 10 à 12,000 livres, ou en tout
LE
Après que les habi-
tans auront faict en-
tendre à S. M. quels
officiers ilz veulent re-
compenser et de quelz
deniers, S. M. regar-
dera de leur satisfaire
ainsi que de raison.
Il y a esté pourveu
PROTESTANT[SME A ISSOUDUN. 309
cas leur bailler pour ayde les villes de Lyniè-
res, Cluys, Charroux, Ruilly, Graçay, Déols,
Argenton,Boussac et aultres estant du ressort
d'Yssouldun ; joinct que la dicte ville est gran-
dement chargée du dict emprunct à la somme
de 3200 livres, n'y estant celle de Bourges que
pour 3000 livres seulement, combien que la
dicte ville d'Yssouldun n'ayt couslume de
porter que la quatriesme partie de la taxe que
celle de Bourges.
Que tous officiers tant de judicature, no-
taires, sergens et aultres du ressort d'Yssoul-
dun estant de la dicte relligion soient destituez
et néantmoings récompensez de ce qu'ilz au-
ront fourny pour leurs dicts offices par les dicts
habitans, attendu qu'ilz ont l'aulhorité et
armes en mains pour le soustien égal de la
justice; et toute foys est notoire qu'ilz favo-
risent le party de ceulx de la dicte relligion,
au préjudice des catholicques.
Oultre qu'il plaise à S. M. de désunir l'ofllce
d'advocat du roy au siège d'Yssouldun d'avec
celle de maistreFrançoysArthuys, procureur,
qu'icelluy d'Arthuys a faict réunir depuys le
dernier edict de paciffication soubz ombre
qu'il a donné à entendre que ung seul pour-
roit exercer les deux estais, combien que le
siège soit de grande estendue et contient la
moktié du pays de Berry, attendu aussy que
le dict Arthuys est de la dicte relligion, et
que par edict il a pieu à S. M. d'ordonner que
tous ses officiers de judicature soyent dores
en advant de sa relligion et que Testât d'advo-
cat est de tout temps et d'ancienneté otdce
ordinaire du siège, lequel n'a oncques esté
supprimé (lue par la mort de feu M. Guillaume
nobinet, dernier possesseur du dict office, an
Mioven de l'édict dos Estais, et que par aultre
310 LETTRE D'aNTOINE COUin
édict il a pieu à S. M. de remettre et eslablir
tous offices supprimez.
Le Roy ne veult ny Supplient aussy Immblement S. M. qu'il lui
entend que lesdictsde plaise inhiber et delTendre à ceux de la dicte
la relligion ayent aul- relljgion de faire tenir escholes publiques pour
très escolles que celles p- „.„ *• i i • i
1 1 instruction de la jeunesse par des regens et
qui leur sont permises ..,,,, , ,..
,,,,. , .„,, maistres d escholes, attendu nu il Y a uni? col-
par 1 edict de paciinca- i j o
lege de tout temps et d'ancienneté, auquel y
a regens et précepteurs, qui est entretenu par
la dicte ville et chanoynes de l'église collé-
giale d'icelle.
Le Roy veult oyrung Finalement qu'il plaise à S. M. de nier toute
chascung en ses re- audience à tous particuliers de la dicte ville
monstrances pour faire ^^^jj ^^ seront fondez de lettres, adveuz et pro-
justice ainsyque il ap- (.^ipations des manans et habitans de la dicte
partient. ^.jj^ {akti^ en plaine assemblée, affin que
Faict au conseil privé , , , ,. ,,. • , x
j ^, -ni ceulx de la dicte relligion n entreprennent
du Roy tenu a Pans le .
cinquiesmejourdemay c^"*»'^ ''^ ^'^^^0 ville au préjudice du service
1568. de S. M.
De Neufville. Tabouet.
LETTRE D'ANTOINE COURT
A PIERRE DURAND '
23 octobre 172t.
Copie de la lettre que j'écrivis à M' Durand, proposant, en
Vivarais, le 23 8i"-e 1721.
Monsieur et cher frère,
Je n'ai reçu l'honneur de la chère vôtre en date du 24 T^rc der-
1. Voir leilernier numôro da Bulletin, p. 257. Une erreur a été commise note 1,
où il faut lire : Pierre Corteiz, dit Carrière; Corteiz étant son vrai nom, et Car-
rière son nom d'emprunt.
On donne ici la réponse d'Antoine Court ;'i la lettre de Pierre Durand, du
A PIERRE DURAND. 311
nier que le 20"= du courant, et l'autre dont vous me parlez je ne l'ai
point vue. Comme dans cette dernière vous me priez de vous
répondre à lettre vue, je me hâte de satisfaire à vos désirs, quoique
je n'aie pas parlé encore à M. le Professeur P. de qui vous souhai-
tiez avoir le conseil et le sentiment sur les quelques articles insérés
dans votre lettre. La raison pour laquelle je ne lui ai point parlé,
c'est qu'il est à une maison de campagne où je ne dois l'aller voir
qu'à la fin de la semaine.
En attendant j'aurai l'honneur de vous dire que je suis plein de
consolation d'apprendre les heureux progrès que vous faites dans
notre triste et misérable patrie; le zèle dont Dieu vous anime, me
ravit en admiration. Je vois avec plaisir que vous agissez avec beau-
coup d'ardeur et je ne doute point que ce zèle et ce courage ne soient
accompagnés de la prudence qui en doit être inséparable et comme
le sel qui doit lui servir de correctif pour empêcher qu'il ne se
corrompe et qu'il ne dégénère en témérité et en indiscrétion; puis-
siez-vous être à jamais conduit par ces trois admirables vertus, ver-
tus très nécessaires à tout homme, mais particulièrement à un
ministre de l'Evangile. Il faut qu'un ministre ait du zèle, s'il en
était autrement, hélas, que serait-il? ce serait un homme qui verrait
avec froideur et avec indifférence ses brebis plongées dans le vice,
l'Église du Seigneur exposée aux dangers les plus éminents, gémir
sous la Croix privée de consolations nécessaires. Il n'est pourtant
que trop connu dans le monde, ce caractère d'homme, mais ô Dieu,
quel est leur sort ! ils sont actuellement sous la malédiction de
Dieu, selon cette déclaration d'un prophète : « malheur à celui qui
fait l'œuvre du Seigneur lâchement». Le ministre, un véritable
ministre, un ministre fidèle doit être rongé du zèle de la maison de
Dieu. (( Mon âme, s'écrie-t-il avec un Élie, est émue de jalousie de
par l'Éternel. » Son cœur est affectionné aux pierres de Sion, sa
viande est de faire la volonté de son père céleste, embrasé des
célestes flammes de l'amour divin; il n'aime que la vertu, son cœur
se révolte contre le vice, et autant qu'il prend de plaisir à voir dans
son frère la vertu, autant il s'afflige de voir que le vice règne avec
25 septembre précédent, la seule qui fût parvenue à son adresse; admirable ré-
ponse qui montre la rare sagesse d'Antoiue Court et sa bienfaisante action sur
les proposants du Désert. 11 n'eut pas de plus digne élève que Pierre Durand.
312 LETTRE d'aNTOINE COURT
empire clans son prochain; autant qu'il a d'exactitude à rendre les
éloges dûs au premier, autant il a d'attention à censurer et à rame-
ner le second; les soins les plus empressés ne lui coûtent rien; les
travaux les plus infatigables sont doux pour lui; comme un bon
berger, il court les vallons et les montagnes, les déserts et les bois,
pour ramener dans le bercail la brebis égarée; quand il la trouve,
si elle ne peut ou si elle ne veut marcher, il la porte sur ses
épaules.
Voilà quel doit être le zèle d'un ministre; mais ce zèle doit être
secondé d'un grand courage. Les dangers se présentent en foule à
son esprit. Il rencontre dans son chemin des cœurs indociles ; on se
révolte quelquefois contre lui. L'un parle mal de sa personne, un
autre se fâche de ce qu'il prend la liberté de le corriger. Il y a
d'ailleurs de grands sacrifices à faire. Je parle en particulier d'un
ministre sous la Croix, en ce qu'il vous convient. Il ne faut pas
renoncer à moins qu'à son repos, qu'à ses biens, et qu'à la vie même.
Certainement, et ce sacrifice qu'il doit faire et ces dangers où il se
voit exposé et ces obstacles qu'il faut qu'il franchisse, demandent
bien de la grandeur d'âme; cela n'appartient qu'à l'héroïsme chré-
tien; c'est ce qui fait la gloire du ministre. Il affronte hardiment le
danger. Il méprise généreusement les outrages faits à sa personne.
L'insolence de ceux qui le maudissent en leur faisant du bien lui
inspire plutôt la compassion que d'irriter son courroux contre eux.
Les sacrifices les plus grands, ceux qui sont susceptibles des plus
grandes diflicultés, n'arrêtent pas son courage; ils les fait comme
s'ils étaient la chose du monde la plus aisée ; les biens pour lui ne
sont que du fumier, le repos et la vie ne lui sont encore ni repos ni
vie qu'autant qu'ils peuvent être consacrés au service de Dieu ; ce
service l'appelle-t-il à renoncer à l'un et à l'autre, il le fait aussi
facilement qu'un esclave accepte la liberté et qu'un homme acca-
blé de fatigue [recherche] le sommeil. Telle est la générosité d'un
ministre évangélique. Mais son zèle et son courage sont accompagnés
toujours d'une sainte prudence. Je dis a sainte », car il y a une
prudence laussement ainsi nommée ; c'est une prudence bien mal
entendue que celle de ce politique qui, parce que l'ennemi lui a
paru redoutable, a laissé envahir l'État, prendre les places d'armes,
se saisir des arsenaux et des munitions de guerre et de bouche sans
beaucoup (le résistance, parce que « si nous nous r(»idiss()ns, disait-
A PIERRE DURAND. 3i3
il, contre l'ennemi, il nous froissera comme la menue poussière. »
Telle serait la conduite d'un ministre qui verrait son troupeau
attaqué de légions de vices, mais qui ne saurait l'en délivrer qu'en
s'exposant lui-même à être froissé et brisé, parce que les ennemis de
l'Évangile dont il est le ministre ont délibéré sa perle, s'il se donne
le soin de secourir son troupeau. Qu'un ministre serait lâche, si
pour sa considération il laissait périr ses chères brebis; ce ne
serait plus prudence, ce serait tiédeur, lâcheté. Je ne veuv point
qu'on affronte le danger sans nécessité. Je n'aurai jamais que de
l'éloignement pour l'action téméraire de Quintus qui affronta le
péril sans y être appelé; mais St Polycarpe évêque de la même
Église de Smyrne sera à jamais l'objet de mes éloges d'avoir souf-
fert constamment le martyre pour le bien de son troupeau. Il n'af-
fronta pas le péril sans y être appelé mais il sut le soutenir quand
il s'y trouva enveloppé par une sage providence. C'est ce que doit
faire un bon ministre, un ministre prudent. Il ne doit point s'expo-
ser témérairement, fuir au contraire le danger quand il n'y a pas
de nécessité à s'y exposer, mais quand la nécessité le demande, ce
serait être lâche au dernier point si on ne l'affrontait point; alors il
faut le braver. Il est donc nécessaire de beaucoup de prudence
pour savoir bien discerner et le temps qu'il y aurait de l'imprudence
à faire telle ou telle chose et cet autre qu'il y en aurait aussi de
ne pas faire telle ou telle autre chose ; il y a certain temps que si on
reprenait un pécheur, on ne profiterait rien, et d'autres qu'on
verra des heureux succès de la censure adressée à ce même
pécheur. Par exemple un homme plein de colère : si l'on veut dans
le temps qu'il est tout en feu lui dire que le courroux de l'homme
n'est point conforme à cette vertu de la divinité que nous appelons
Justice, que la colère est défendue, on ne profitera point, on l'irri-
tera davantage; mais si l'on attend que sa fougue soit apaisée et
qu'alors on lui fasse voir le péché qu'il y a de se mettre en colère,
quelles sont les suites infaillibles de la colère, il en conviendra avec
nous. Il changera et ainsi du reste. Certains pécheurs sont d'autre
humeur que certains autres. Les uns demandent d'être repris vive-
vement, les autres au contraire avec douceur. Si l'on renverse cet
ordre, je veux dire si l'on reprend doucemeutle premier et vivement
le second, bien loin de voir des heureux succès de ses censures
l'on verra au coniraire que ces pécheurs empireront dans leur
3t4. LETTRE D'ANTOINE COURT
crime. Il faut donc que les censures soient accompagnées de beau-
coup de prudence. Quand on veut l'aire quelque changement dans
l'Église, réformer une coutume établie par une longue pratique,
si on le veut faire de plein vol et tout à coup, bien loin d'en venir à
bout, on affermira de plus en plus ceux qui sont les sectateurs de
cette coutume. Il en est (de même) de cela comme du pari que deux
soldats d'Antigonus firent sur la queue d'un cheval; l'un soutenait
qu'en arrachant tout le poil à la fois il en viendrait plus à bout que
celui qui ne voudrait les arracher qu'un après l'autre. L'autre au con-
traire soutenait que de les arracher un après l'autre, on viendrait
plutôt à bout que celui qui voudrait les arracher tout à la fois; ce
dernier emporta le prix, pendant que le premier fut la victime de
son imprudence. Il faut peu à peu ramener les esprits de cette
ancienne pratique par des exemples choisis à propos, leur faire voir
que telle chose irait beaucoup mieux que telle autre, si on pouvait
mettre celles d'aujourd'hui sur un tel et tel pied qu'on leur fait
apercevoir ; leur montrer par de solides raisonnements soutenus par
l'écriture qu'elles seraient autrement belles et plus convenables au
génie de l'Évangile. Il peut accompagner ses raisonnements de
beaucoup de douceur et d'adresse, tâcher de s'insinuer d'abord
dans l'esprit de ceux pour lesquels le public a le plus de déférence;
si on les gagne, leur exemple sera certainement le grand mobile
qui donnera le branle à cette lourde machine. Il ne faut deman-
der d'abord (jue les choses pour lesquelles ils ont le moins d'affec-
tion, de celles-là à d'autres qui leur sont un peu plus chères et de
celles-ci à d'autres; monter comme cela de degré en degré, jusqu'à
ce qu'on n'ait plus rien à faire. Il faut du temps pour cela et
beaucoup de patience, n'importe. Il ne faut point se décourager, dès
qu'on a obtenu quelque chose, il faut tâcher de la faire statuer,
c'est le moyen le plus sur de la conserver.
Je m'airète. Je ne vous dis plus rien sur cette matière. Je ne fais
que vous indiquer la route que vous devez suivre. L'on vous aura
appris sans doute de quelle manière on a établi l'ordre dans les
églises du Languedoc; marchez sur les traces de ceux qui en ont été
les instruments, faites encore mieux, s'il vous est possible, engagez à
vous imiter tous ceux qui ont quelque autorité dans l'Église. J'en
conjure en particulier, M. Monteil pour lequel j'ai beaucoup d'es-
time et de vénération. Je n'ai eu l'honneur de le voir qu'une seule
A PIERRE DURAND. 315
fois et que de conférer quelques moments avec lui. 11 me parut
avoir un heureux génie, beaucoup de solidité dans ses raisonne-
ments et assez bien digéré ce qu'il avait appris. Il sera sans doute
revenu du sentiment où il était au sujet de nos petits prophètes.
L'expérience, son expérience propre, aura eu, je m'assure, assez
d'efficace pour le désabuser et lui faire connaître l'erreur où il
était, que s'il avait encore quelque doute sur cette matière et qu'il
voulût bien me faire l'honneur de m'en faire part, j'entrerais avec
plaisir en lice avec lui, non pour nous combattre comme le faisaient
les anciens athlètes qui gagnaient ou remportaient le prix à la
lutte ou à la course dans les célèbres jeux Olympiques inventés par
l'ancienne Grèce, mais seulement pour nous édifier l'un l'autre et
nous communiquer les lumières que l'éternelle sagesse a daigné
répandre sur nous. Faites-moi le plaisir de lui faire savoir dans
quel sentiment d'estime je suis à son égard et quel serait le désir
que j'aurais qu'il contribuât non point une pite, — il est autre-
ment riche, — mais le talent d'or qu'il a reçu au trésor de l'Eglise,
je veux dire à l'ordre, qu'il n'épargne rien de tout ce dont il est
capable pour aider à établir cet ordre qui y est nécessaire et surtout
dans notre infortuné Vivarais qui a été depuis bien des années un
chaos affreux, où à la faveur d'un nuage très épais se sont jouées
mille scènes qui, si elles n'ont pas été tragiques (elles), ont été du
moins bien noires et très fatales à l'esprit de plusieurs qui mal-
heureusement ont été la dupe du plus grand nombre des acteurs
qui ont paru sur le théâtre.
Je ne vous dis point que le meilleur ressort qu'on doit mettre en
usage pour donner le branle à la machine est, après celui du savoir
et du discernement, celui de bien vivre, de pratiquer soi-même ce
qu'on veut que les autres fassent, parce que je suis persuadé que
vous êtes parfaitement convaincu de cette importante vérité et que
vous n'avez jamais douté que le ministre de la société devait être le
même que celui de la chaire ; en effet, s'il en était autrement quel
contraste opposé? que pourrait-on dire si le ministre de la chaire,
exhortait d'une maniire louchante et pathétique son auditoire à la
vertu et que le ministre de la société fût l'esclave du vice. Que
dirait-on de ce ministre qui, étant sur la chaire, d'une voix terrible
et fulminante n'a lancé que des foudres sur le péché d'habitude et
sur tel et tel autre crime, et (ju'ensuite lui-même, étant dans la
316 LETTRE D'ANTOINE COURT
société, il eût la lâcheté et l'audace de pratiquer ce qu'il a défendu
avec tant de menaces aux autres et contre quoi il se déchaînait avec
tant de zèle? on dirait de lui, avec juste raison, que s'il prêche aux
autres qu'on ne doit point dérober, pourquoi dérobe-t-il? que s'il
défend les idoles pourquoi commet-il sacrilège ? Ce serait vouloir
perdre tout le fruit de ses peines, que dis-je ! ce serait courir à
grands pas dans les abîmes infernaux. Quel malheur! ô Dieu sois le
soutien de tes serviteurs, rends-les les exemples immuables de la
vertu ; qu'imitant Jésus-Christ, ton fds, ils puissent tenir à leur peuple
le même langage que tenait autrefois un grand vaisseau de ta grâce
à l'église fidèle d'Ephèse : « Soyez mes imitateurs comme je le suis
de Christ. » Mon cher frère, marquez sur cet article plus de zèle
et d'attachement qu'en tout autre ; roidissez-vous contre tous ceux
qui voudraient tenir une autre conduite; n'admettez jamais personne
dans votre corps quelque savant et quelque éloquent qu'il vous
parût, s'il ne soutenait son savoir et son éloquence d'une vie exem-
plaire.
L'affaire que vous entreprenez est importante; elle demande
des hommes courageux et magnanimes; un lâche efféminé, un es-
clave du vice n'est point du tout propre pour cette affaire. Il n'y a
que la piété qui inspire la noblesse et la grandeur d'âme (qui) est
nécessaire dans cette occasion; la piété se soutient dans les dangers
les plus extrêmes, elle surmonte, elle triomphe des obstacles les
plus difficiles; une bonne conscience marche toujours la tête levée;
la vertu ne craint point de paraître, chacun la respecte jusqu'à ceux
là même qui lui sont le plus contraires. Un prédicateur, qui a la
vertu en partage, ne craint point d'attaquer le vice, il fait trembler
le pécheur, au lieu qu'un efféminé craint toujours, du moins il a
toujours lieu de craindre. Certainement il vaut beaucoup mieux
pour vous que vous ne soyez qu'un très petit nombre de prédica-
teurs, tous gens de probité à la tête de ce peuple, que si vous étiez
un plus grand nombre composé de bons et de mauvais, cinq ou six
du premier ordre feront infiniment plus de progrès que vingt et
trente du second.
Pousserai-je plus loin mes réflexions ? Je m'aperçois que je passe
les bornes d'une lettre; je n'ai cependant rien répondu encore à la
vôtre. J'en vais dire quelque chose et le ranger sous les deux classes
suivantes : dans la I'\je vous dirai mon sentiment sur les articles
A PIERRE DURAND. 317
de votre lettre ; dans la s^c je prendrai la liberté de vous donner
encore quelques (autres) conseils.
Vous demandez d'abord quel sens il laut donner au terme de
prophétiser contenu au 5" v. du Ch. XI de la i''" aux Cor. et vous
dites que les prédicantes établissent sur ce verset leur vocation,
qu'il faut qu'elles soient spirituelles et qu'elles surpassent infini-
ment en sagesse tous ceux et celles qui les ont précédés, car jus-
qu'à elles personne ne s'était avisé d'y fonder la mission de femme
et je ne sais si on ne pourra pas dire d'elles ironiquement ce que
Bellarmin disait de Pascaze Ratbert, que jusqu'à lui on n'avait
point connu le vrai sens de l'Église sur la matière du sacrement de
rEucharistie. En changeant quehjues termes, il faudra dire qu'on
uavait point jusqu'à elles connu le vrai sens du terme prophétiser
dans cet endroit, car tous les savants conviennent qu'il ne s'agit
point ici d'enseigner dans l'Eglise, St Paul ne l'a jamais permis aux
femmes; il le leur a défendu au contraire très expressément,
comme on peut le voir au v. 34 du 14 Ch. de cette même Épitre et
aux v. H, 12 du 2. Ch. de la 1'''= à Timothée. On ne doit entendre
autre chose sinon que ces femmes bénissaient Dieu par des hymnes
dans les assemblées, que le St Esprit leur inspirait ; c'était en effet
une des fonctions de prophètes, voyez les exemples de Marie —
Exode 45, v. 20-21, de Débora — Juges conféré avec Samuel 1 Ch. X.
v. 20. 1 Chron. XXV, 1-2, car il ne s'agit point dans tous ces
endroits ni de prédire l'avenir, ni d'enseigner, mais seulement de
louer le Seigneur par des hymnes. Si nos prédicantes se bornent à
chanter, elles pourront peut-être trouver leur mission dans le terme
de prophétiser, et pour cela il faut encore qu'elles soient animées
de l'esprit de Dieu, car pour les chants de certains cantiques
qu'elles composent, mal fabriqués, mal rimes, sans ordre, sans
raison, comme ceux que j'ai entendus en Vivarais de Mlle Claire,
à Nimes de Mlles Doucayranne et Tibaude, ne doivent point être
soufferts dans les assemblées de religion, mais qu'elles enseignent
dans l'église, qu'elles prennent la place d'un orateur chrétien, cela
ne doit point être permis, St Paul ne le veut point. L'Eglise primi-
tive ne nous en fournit aucun exemple. Quand je lis l'exemple, je
trouve bien qu'une pauvre captive contribua à la conversion d'un
peuple barbare mais je ne trouve point qu'elle s'érigeât jamais en
prédicateur. Si quelqu'une de nos prédicantes a assez de savoir et
318 LETTRE d'AiNTOINE COURT
du zèle pour convertir certain pécheur ou pour maintenir la religion
là où elle est établie quand il n'y aura point de ministre dans cet
endroit-là, qu'elle s'attache par des représentations à ramener ce
pécheur, à consoler l'affligé, à visiter le malade, à instruire la jeu-
nesse, à fortifier le faible mais qu'elle fasse tout cela par des visites
charitables, par des entretiens particuliers, qu'elle ne s'émancipe
jamais à prêcher ni à paraître en docteur dans une assemblée
dûment convoquée, cela ne convient du tout point K
Vu votre 2= article, je ne dirai que deux mots. Je suis surpris
qu'il y ait des gens qui demandent à être séparés de ceux qu'ils
reconnaissent sans doute pour frères. Qui est-ce qui les oblige à
cela? Trouvent-ils quelque chose à redire à l'ordre qu'on a établi?
Si cela est qu'ils proposent ce qui leur fait de la peine et on les
satisfera. S'ils ne trouvent rien à redire à cet ordre, pourquoi ne
veulent-ils pas s'y soumettre? Il faut bien peu connaître le génie et
la nature de la Religion pour être dans ce sentiment. Le génie et la
nature de la religion sont d'assembler tous les fidèles en un corps
dont J.-C. est le chef. Il n'appartient qu'à des sectes schismatiques
de se séparer. Si ces gens là en veulent former une ils n'ont qu'à
se rebeller à l'ordre; mais par cela même ils se rebelleront contre
Dieu qui est un Dieu d'ordre, celui même qui l'a prescrit aux
hommes. Ne sait-on pas quelle affliction a causé à l'Église protes-
tante autrefois la séparation des Luthériens et combien elle désire
encore une parfaite union avec eux, pour n'être qu'un même corps
uni d'amitié, de sentiment, de foi, de discipline et de doctrine. Si
ces gens là ont quelque reste d'amour pour l'Église, pour cette
bonne mère qui les a enfantés en Christ, pourquoi la vouloir déchirer
par des divisions et par des sectes? Pourquoi ne travailler pas au
contraire tout d'une même épaule à son avancement et à sa gloire?
C'est de quoi je les conjure par tout ce qu'il y a de plus tendre dans
la religion, par la comi)assion de notre Dieu et père et par le sang
précieux que Jésus-Christ a versé sur la croix pour l'Église afin de
se la rendre une épouse pure, sans ride et sans lâche.
Pour ce qui regarde le 3* article, savoir si on doit admettre à la
table sacrée ceux qui se sont mariés dans l'Église romaine, je vous
renvoie aux règlements que nous en avions faits dans un synode
1. Sages réflexions qui ne s'appiitiuent pm suuleiiientaux piédicanles du Désert.
A PIERRE DURAND. 319
tenu près de Nîmes à la fin de l'année 1719 et à la pratique des
églises des Cévennes. M' Cortez pourra vous informer de cela. Pour
ce qui est des enfants baptisés dans l'Église Romaine, je ne sache
point que nous ayons rien réglé là-dessus ; on peut voir ce qu'en
croit M"" Pictet dans sa lettre contre les mariages bigarrés ; si vous
souhaitez, je vous l'enverrai ou si vous voulez vous n'avez qu'à
prier M' Cortez de vous faire part de celle que je lui envoyai il n'y
pas longtemps. Je vous manderai aussi si vous souhaitez un petit
livre imprimé que je priai M' Pictet de faire contre les inspirés.
Le latin que vous désireriez d'apprendre vous sera beaucoup
plus difficile et je ne crois pas même que vous en veniez jamais à
bout, sans le secours d'un maître. C'est une langue d'une vaste
étendue. Je vous dirai que par le conseil de W Pictet, je l'avais
entrepris, mais plusieurs autres professeurs m'ont conseillé le con-
traire. Un gentilhomme de mes amis de France, m'écrivait forte-
ment là dessus pour me le faire abandonner. Je ne l'aurais pourtant
pas fait sans mes grandes occupations et une infinité de correspon-
dances que j'ai; car, le croiriez-vous, cette semaine j'ai plus de 24
lettres à répondre sans compter celles qui me surviendront avant la
fin; ajoutez à cela la composition de mes sermons et d'autres ouvrages
que je fais. Je viens de finir l'histoire de l'assemblée de Nîmes
qui contient 304- petites pages * ; un autre est l'ouvrage intitulé :
Questions adressées à MM. les pasteurs au sujet des assemblées
de religion en France ou dans les états d'un prince où elles sont
défendues^ savoir si on doit le faire ou non. A ces petites occupa-
tions, il faut joindre encore une quantité de visites ({u'il faut que je
fasse. Je ne pouvais pas subvenir à tout cela ni à la lecture néces-
saire en apprenant le latin, ainsi je l'ai abandonné. Je crois
qu'il vous en faudra faire de même; cependant si vous pouvez l'ap-
prendre, vous ferez bien quoiqu'il y ait d'autres occupations qui me
paraissent pour vous beaucoup plus nécessaires et plus utiles. Je
trouverais bon qu'en attendant mieux vous vous applicâtes (sic) avant
toute chose à bien étudier l'Écriture Sainte ; c'est l'arsenal d'où
1. C'est la : Relation historique des horribles cruautés qu'on a exercées envers
quelques protestants en France pour avoir assisté à une assemblée tenue dans
le désert, prés de Nismes, etc. (celle de la Baume des Fées en 1730), opuscule
très rare qui mériterait les honneurs d'une réimpression. Voir \& Bulletin, t. IV,
p. 143, et t. XXXI, p. 450, où ou en lit des extraits.
320 LETTRE D'ANTOINE COURT
VOUS devez puiser la véritable science. II faut qu'un minisire se la
rende familière, qu'il la sache comme on parle, au bout du doig!,
quand il trouve des passages obscurs, recourir à de bons commen-
taires, ou à quelque ami éclairé. Étudier ensuite des bons livres de
théologie, de morale, si l'on en a la commodité. Joindre à cela l'his-
toire ecclésiastique; elle est très utile à un ministre. Vous ne ferez
pas mal de lire quelque livre bien écrit quand il serait papiste. Les
proposants d'ici estiment beaucoup les sermons du pèreBourdaloue,
l'éloquence de Gisbert jésuite; en effet ces livres sont très propres
à rendre correct et agréable pour parler en public. Il est très néces-
saire que vous corrigiez vos phrases, que vous polissiez votre style,
que vous appreniez à dire beaucouj) de choses en peu de mots; cet
arl est difficile. Cicéron demanda pardon à un de ses amis de ce
qu'il n'avait pas eu le temps de lui écrire d'une manière plus courte.
Pour me borner présentement à vos phrases ou à vos termes, il no
faut pas par exemple dire : nous réussissons généreusement*; l'on
peut dire nous voyons avec plaisir les heureux succès de nos tra-
vaux ou bien les efforts que îious faisons sont accompagnés d'une
merveilleuse efficace, ou bien encore nous réussissons au-delà de
nos espérances. On dit bien nous avons agi généreusement ou cou-
rageusement mais non pas réussi généreusement. On ne dit pas non
plus des obstacles à rabattre; on dit des obstacles à franchir ou à
surmonter, des obstacles qui paraissent insurmontables, des obs-
tacles qui paraissent invincibles; on ne dit pas ranger au silence,
on dit condamner au silence; nous avons fait si bien qu'elles demeu-
rent dans le silence; on dit bien terminer un différend, mais non
pas une résistance; on dit calmer, apaiser une résistance ; quand on
se sert du terme des abois on y ajoute toujours derniers ; aux der-
niers abois, cela est plus énergique. Le trouble que nous avons mis
à leur audience et rcce{ttioii, cela n'a point de sens. Ce terme d'au-
dience est un terme de pratique qui n'est plus en usage ni sur la
chaire ni dans les lettres. Vous avez sans doute voulu dire nous
avons mis les choses sur un tel pied que nos fanatiques sont réduits
aux derniers abois; leurs auditeurs, leurs sectateurs les plus favo-
ris les abandonnent et ne veulent plus les recevoir. On ne dit pas
1. Voir ce passage (p. 203, 1. 10). On a cru à tort devoir lire : assez heureu-
sement. Sauf sur ce point les corrections qui suivent gardent lenr à propos, et
Pierre Durand ne put manquer de profiter des leçons d'un si bon maître.
AU PASTEUR PIERRE DURAND. 321
les foudres et les anathèmes nous roulaient dessus aussi épais (jue
ceux qui partirent de la ville de Trente; on peut dire on fulmine
contre nous ou bien on lance contre nous des foudres et des ana-
thèmes en aussi grand nombre qu'en lancèrent autrefois les pères
du Concile de Trente contre C.
Pardonnez, mon cher frère, cette liberté que je me donne. Je n'au-
rais eu garde de la prendre, n'eût été que vous m'avez paru être
un esprit docile et qui a dessein de se perfectionner et de parvenir
à quelque chose de grand. Si cette liberté ne vous déplaisait point,
vous n'avez qu'à désirer de moi tout ce dont vous méjugerez capable
et de me le marquer. Vous éprouverez le cas infini que je fais de
votre personne et de ce qui en émane. J'estime les personnes sages
qui sont amoureuses de la science et surtout de celle qui porte les
hommes au salut. Je vous suis bien obligé de l'affection que vous
avez pour mon neveu ; les intentions favorables que vous avez pour
lui ne peuvent point s'exécuter dans la circonstance présente, sup-
posé qu'il eût autant de dispositions que vous lui en donnez pour les
lettres. Vous aurez la bonté de me conserver un mémoire fidèle de
toutes les principales choses que vous faites pour l'établissement de
l'ordre des assemblées où il se passera quelque chose de particulier,
des principaux événements. Il faut le tout bien circonstancié et
conserver la date; cela me sera très nécessaire pour l'histoire de nos
églises que j'avais commencée en France avant que de venir en cette
ville. Il ne me reste qu'à faire des vœux très sincères pour votre
conservation. Dieu veuille vous couvrir de sa puissante protection et
vous rendre un puissant instrument pour l'avancement du règne de
son fils, amen. Souvenez-vous de moi dans vos ferventes prières. Je
suis avec beaucoup de tendresse, monsieur et mon très cher frère.
Votre très humble et obéissant serviteur,
A. Court.
Vous ferez s. v. p. une brassade tendre à M"" votre père; je le féli-
cite d'avoir un fils si sage. Mes compliments à votre collègue, à tous
les autres; je n'oublie point les chers fidèles; je me recommande à
leur cher souvenir. Je désire bien de les visiter encore une fois. Il
se pourra dans la suite. Si vous veniez quelque jour en cette ville,
nous pourrions nous en aller ensemble. Ecrivez-moi souvent, vous
xxxin. — 21
322 MÉLANGES.
iiic ferez plaisir; iipprenez-moi toutes les pailicularitcs sous
l'adresse qui suit :
A M. Gacs négociant au Moulard, pour rendre à M' Court à
Genève.
Nos messieurs du Languedoc se portent bien. J'ai reçu cette
semaine des lettres de M^^ Deluze, Bonbonnoux, Roux. J'écrivis hier
à M. Betrine. Je n'ai vent de M. Cortès. Mlle son épouse m'a char-
gé de vous saluer; Mlle Fremolet se porte bien; M. Bâtard aussi,
On vous salue.
(Bibl. de Genève. Lettres d'Antoine Court, t. I, 1" 177.)
MÉLANGES
LES ÉCOLES DE CAMPAGNE
DANS l'ancien PAYS DE MONTBÉLIARD
Dès 1660 à 1670, des maîtres d'école furent institués dans toutes
les localités où il existait une pareille église. La règle a du moins
dû souffrir peu d'exceptions.
L'auteur des Éph&mérides du comté de Montbéliard, le juge de
paix Ch. Duvernoy (page 82, note), prétend qu'en 1673 il n'y avait
encore qu'un seul instituteur par paroisse, ce qui, ajoute-t-il, a duré
,jus((Uvi vers la fin du xvii'' siècle. Cette opinion est contredite par
les faits. En effet, le village mixte de Thavel (Tavey), filiale de
Vyans, avait déjà un instituteur prolestant en 1617, et vers 1667 un
maître parliculier fut placé à Clienebier pour ce village cl celui
d'Echavanne, auparavantréunispourl'instruction primaire à Estobon,
chef-lieu de la paroisse. Le maître était vers 1672 le sieur Daniel
Monnier. Un autre existait en 1690 à Belverne, village érigé en
1. Voir le Uulletin d'avril dcniier, p. 175.
MELANGES. 323
chef-lieu de paroisse en 1604 et redevenu simple filiale en 1635, en
même temps que Colombier-Fontaine. En 1673, Bocourt(Beaucourt),
petit village* d'abord rattaché après la réformation à l'église de
Dampierre-lès-Bois, puis à celle de Dasle, filiale de Vandoncourl
avait déjà une école qui ne renfermait d'ailleurs que trois élèves
« Les parents, disaient les visiteurs de cette époque, ne se soucient
point de faire instruire leurs enfants ». Taillecourt, annexe d'Exin-
court", eut un instituteur dès le premier quart du xvii^ siècle.
Une chose cependant ne peut faire doute, — et l'exemple de Beau-
court en est déjà la preuve, — c'est qu'en 1673 l'instruction populaire
n'était point chez nous dans un état prospère, qu'elle souffrait d'un
mal qui réclamait de prompts remèdes, quoique l'autorité ne
s'endormît point et qu'elle accusât une indifférence coupable de la
part des populations, vu que, au dire du surintendant Jean Beurlin,
dans le rapport sur la visite des paroisses rédigé par lui en cette
même année « il n'y a point dans tout Ecuray un homme d'âge
avancé qui sache chanter à l'église et écrire son nom, et des jeunes
gens il n'y en peut avoir que six qui puissent ce faire. De même à
Saint-Julien, il y a peu d'hommes au-dessous de trente ans qui
sachent lire et écrire, et si l'on n'y met ordre, il ne se trouvera bien-
tôt personne au village qui saura lire les ordres du conseil et les
billets du prévôt ». Il est vrai que l'on était encore à cette époque
presque au lendemain de la guerre de Trente ans, et que la désor-
ganisation avait été partout si profonde, que de longues années
étaient nécessaires pour relever le pays de ses ruines et y ramener
l'ordre et la sécurité dont il avait antérieurement joui.
Nous voyons cependant en 1608 un simple cultivateur du même
village de Saint-Julien, Daniel Vessaiix, adresser au duc Jean-Fré-
déric un ouvrage de sa composition, imprimé à Montbéliard sous le
titre de : Thrésor d'arithmétique, 1 vol. in-li2. Son épître dédica-
toire lui avait valu une gratification de 30 francs, — c'était là, il
faut le dire, un fait exceptionnel, une espèce de phénomène, car nos
1. En 1750, Bcaucoiiit comptait 224 habitants, dont 175 protestants et 4!)
catholiques. Le village devait en avoir bien moins quatre-vinj;ts ans auparavant.
2. A la Réformation, Escincourl fut créé mère é8:lise avec Audincourt pour
filiale. Vers l'an 1588, le pasteur d'Escincourt alla résider à Audincourt, la mai-
son curiale du premier de ces villages ayant été incendiée pendant la guerre des
Guises.
324 MÉLANGES.
populations campagnardes étaient alors ce qu'elles restèrent encore
bien longtemps après; elles ne goûtaient nullement les avantages
de l'instruction, dont elles ne sentaient pas le besoin, et envoyer
leurs enfants s'asseoir sur les bancs de l'école, c'était, à leurs yeux,
les soumettre à un travail tout à fait inutile et leur ôter en quelque
sorte le pain quotidien. L'esprit était entièrement sacrifié par eux à
la matière.
Quant Ruxannexes, c'est-à-dire aux communes qui ne possédaient
point de temple et par suite point de culte régulier, et qui dépendaient
de la filiale ou plus rarement de la mère-église, elles ne furent géné-
ralement pourvues d'écoles qu'à partir du xviir siècle et pas toutes
en même temps. Nous disons généralement, car nous venons tout à
l'heure d'en signaler quelques-unes — et elles n'étaient sans doute
pas les seules, — qui faisaient exception à la règle. Il est certaines
d'entre ces annexes qui, vu leur faible population (8 à 10 ménages)
et l'impossibilité où elles se trouvaient de faire à un maître un trai-
tement suffisant*, durent rester habituellement et même continuel-
lement privées d'un maître qui leur fût propre. Ainsi Echavafine,
qui dépendait de Clienebier, ayant reçu un maître particulier en 1746,
fut détachée pour l'instruction primaire de la mère-église, puis de
nouveau rattachée à celle-ci pour s'en séparer en 1805, où elle eut
définitivement un maître spécial. Les enfants des annexes sans insti-
tuteur propre recevaient l'instruction dans la mère-église ou dans la
filiale, et il y avait des maîtres qui tenaient de temps à autre la
classe dans ces annexes, sans doute par suite d'un arrangement
amiable fait entre les parties intéressées.
Si la guerre de Trente ans fut fatale à nos écoles en moissonnant
les maîtres qui les dirigeaient et en détruisant leurs locaux, des maux
d'une autre nature ne tardèrent pas à fondre sur elles et à les sou-
mettre à de nouvelles épreuves. Depuis longtemps la principauté de
Montbéliard était l'objet des convoitises de sa puissante voisine, et
les projets de cette dernière commencèrent à se dévoiler dès que le
roi Louis XIV eut conquis pour la seconde fois la Franche-Comté en
1674, notre petit pays lui étant indispensable pour assurer la défense
1. Le tiailciiieiit des niiiilrcs fui fait jusqu'à la guerre de Trenle ans sur les
revenus des recettes ecclcsiasliqucs; il incomba aux comniunaulcs après cette
môme guerre, qui avait diminué les revenus de ces recettes dans une forte
proportion.
MÉLANGES. 3*25
de cette province. C'est alors que commença pour lui et spécialement
pour ses seigneuries cette suite presque ininterrompue de vexations
et d'oppressions tantôt plus ouvertes et plus hardies, tantôt plus
sourdes et plus déguisées, qui devaient se prolonger pendant tout le
XVIII' siècle et ne finir qu'avec lui.
Ce n'est pas ici le lieu de retracer cette triste page de nos annales,
qui d'ailleurs est loin deprésenter un tableau aussi sombre quecelles
qui racontent, à la même époque, les souffrances des protestants
français privés, par un pouvoir qu'aveuglait le fanatisme le plus
odieux, de leurs droits civils, et contraints par la violence et l'ap-
pareil des supplices, à abjurer la foi qu'ils avaient reçue de leurs
pères : abus monstrueux de la force qui semble aujourd'hui sans
excuse. Nous voulons seulement rappeler, en quelques mots, les
mesures vexatoires et odieuses prises par ordre du gouvernement
français à l'égard de certaines écoles des seigneuries que les cir-
constances désignèrent plus particulièrement à l'attention de ce
gouvernement.
C'est dès le début du xviii^ siècle que se montra envers ces écoles
le mauvais vouloir, l'hostilité du grand roi et de ses trop dociles
agents. La première paroisse rurale qu'atteignit la persécution fut
celle de Saint-Maurice, une des plus étendues de tout le pays. Le
village de ce nom venait (janvier 1700) de voir son temple envahi par
la force armée et un curé installé dans ce temple pour y célébrer ré-
gulièrement les offices catholiques, quoique la population fût com-
plètement protestante. Le même sort atteignit les deux filiales, Blus-
sansetColombier-Fontache, et toutes trois, mère-église et filiales, avec
les annexes de Colombier-Châtelot (plus anciennement Colombier-
sous-Châlelot) et de Blussangeaur (y compris le hameau du Châtelot
en dépendant), aux habitants desquelles furent interdits non seule-
ment toute assemblée particulière pour la célébration de leur culte,
mais même l'accès dans les temples voisins, se virent en même temps
enlever leurs instituteurs dont elles sollicitèrent en vain le rétablis-
sement dans les années 1713, 1727 et 1733. Les démarches actives
et instantes que firent à cet effet les municipalités de ces communes
n'aboutirent qu'à provoquer contre les réclamants de fortes amendes
et même, pour quelques-uns, l'emprisonnement temporaire dans les
cachotsde Baume et de Besançon. L'arrêté de l'intendant de Franche-
Comté prononçant l'expulsion définitive de tous les maîtres d'école
32(> MÉLANGES.
de la paroisse est du 14 octobre 1733, et dès lors aucune tentative
de restauration de ces maîtres de la part des paroissiens ne fut plus
possible.
Ce ne fut qu'en 1790, après le mémorable décret rendu en sep-
tembre de cette année par l'Assemblée Constituante, qu'ils purent
être réintégrés dans leurs charges pour ces différents villages, à
l'exception toutefois de Blussans,qui fut définitivement privé du sien,
la population protestante de cette commune mi-partie ayant consi-
dérablement diminué dans le cours du xviif siècle par l'effet de
l'intolérance et des mauvais procédés des curés du lieu, tous enne-
mis acharnés de l'hérésie luthérienne.
Bien que la culture intellectuelle "des maîtres de ce temps fût à
peine supérieure à celle des autres habitants campagnards, la dispa-
rition des premiers n'en était pas moins à déplorer, parce qu'elle
avait pour effet d'abaisser encore le niveau général de l'instruction
populaire et, par suite, de porter un grave préjudice au développe-
ment moral des populations et aux progrès de l'Église évangélique
à laquelle elles appartenaient.
Un prêtre catholique fut de même imposé par la force en 1741 au
village de Longerelle, également compris dans la seigneurie du Cliâ-
telot, après la mort, survenue en cette année, du ministre qui y rési-
dait, David-Frédéric Macler, en fonctions dans l'église de ce lieu
depuis 1691, et alors assisté, en raison de son grand âge, par un
vicaire, George-David Sabler. Il était le seul ministre resté en
exercice dans cette région, qui ne comptait d'ailleurs qu'un assez
petit nombre d'habitants. Dès ce moment, le vicaire ayant été con-
gédié par ordre supérieur, il ne put plus y être question de maître
protestant (remplacé par un maître catholique, en même temps
sacristain) jusqu'en 1790, et c'est à peine si l'on osait y réunir, dans
le plus grand secret, quelques enfants pour leur enseigner la lecture,
les deux curés qui se succédèrent dans cette église après l'expulsion
du vicaire Sabler poussant le fanatisme religieux jusqu'à épier les
moindres démarches des habitants, les surveillant de jour et de nuit,
et les faisant punir exemplairement pour la plus légère infraction
aux ordres du Roi.
En 1700, le chœur de l'église de hongres, filiale de Bavans, avait
été enlevé de force aux protestants, et le curé de Montenois en
avait nussitôt pris possession. En 1744, le Conseil de régence de
MELANGES. 327
Montbéliard éleva des plaintes inutiles contre la défense qui venait,
d'être faite aux habitants de ce village mi-parti de continuer à tenir
des assemblées dans leur temple, qui était construit sur la partie du
territoire relevant de la seigneurie du Châtelot. Mais ces mêmes
habitants purent, malgré tout le déplaisir qu'en éprouvait l'intolérant
curé, en cela imitateur de tous ses confrères, conserver leur maître
d'école par la raison que certains d'entre euxétaient sujets du comté.
Ce dernier avait même la faculté d'entrer, les dimanches et jours de
fête, dans l'église pour y lire les prières publiques, y faire les caté-
chisations, et, dans la semaine, pour y lire de même les prières
liturgiques à l'occasion des inhumations qui se présentaient (Colom-
bier-Fontaine y enterrait aussi ses morts). Il était libre de sonner
la cloche pour tous ces divers services, sans que, d'ailleurs, aucun
ministre fut autorisé à y faire la moindre prédication ou à y accom-
plir le moindre acte de culte, jusqu'à la Révolution.
A Montéctieroux, le temple qui, depuis 1700, était soumis au
simultanéum, fut [attribué aux seuls catholiques à partir du 9 avril
1745, après la mort du ministre Pierre Doriot, vieillard octogénaire
qui avait pour vicaire F.-N. Charrière. L'expulsion de ce dernier
entraîna celle de l'instituteur du lieu, et la charge ne fut rétablie
qu'avec toutes les autres supprimées. Le même sort atteignit le maître
de LiebvillerSy qui faisait partie de la paroisse; mais la population
protestante de ce village ayant été réduite en nombre dans la
seconde moitié du xviii^ siècle, n'eut plus à elle d'instituteur de ce
culte et dut faire instruire ses enfants au dehors.
Le simultanéum avait été introduit en août 1700, dans le temple
de Bldmontj construit en 1608, incendié en 1726 avec d'autres bâti-
ments, et réédifié en 1731, les protestants ayant été, dès cette der-
nière année, exclus de son usage et réduits à célébrer leur culte
dans une maison particulière. En 1744, on leur interdit tout exercice
religieux dans le bourg et on leur assigna le village voisin de Pierre-
fontaine « pour y aller au prêche et y inhumer leurs morts ». Dès
lors, ce dernier village servit de lieu d'assemblée aux protestants de
Blâmont, auxquels se réunirent bientôt ceux des paroisses de Mon-
técheroux et de Glay, traités avec la même inflexible rigueur. L'em-
ploi de maître d'école protestant ayant été supprimé à BlAmont, les
enfants de cette localité durent, pour recevoir l'instruction primaire,
se rendre au même village de Pierrefontaine jusqu'en 1790, où cessa
328 MÉLANGES.
le règne de l'intolérance pour faire place aux légitimes réparations.
C'est en 1746 que les temples de Glay et de Villars-lès-Bldmont
furent violemment usurpés sur les protestants après le décès de
Chr. Ch. Duvernoy, ministre de la paroisse depuis l'année 1703. Avec
lui disparurent les maîtres d'école de ces deux villages, ainsi que
ceux de Meslières et de Dannemarie, tous ensemble composant la
paroisse, et il ne leur en fut accordé de nouveau qu'en 1790, à
l'exception toutefois de Dannemarie, dont la population catholique,
dans la deuxième moitié du xviii'' siècle, s'était formée et accrue
par des immigrations successives. Lors de la saisie des deux temples
susmentionnés, il n'existait dans chacun des lieux de Glay et de "Vil-
lars qu'une seule famille catholique romaine.
La saisie de l'église de Chagey, seigneurie d'Héricourt, opérée le
27 août 1740, fut accompagnée d'excès déplorables et qui remplirent
d'épouvante tout le pays. Cette usurpation, la première qni ait été
signalée par des incidents aussi tragiques, amena la création, dans
la même année 1740, de la cure de Couthenans (village du comté
de Montbéliard), avec les sections de Chagey et de Luze. Contraire-
ment à toutes les prévisions, les habitants de ces deux derniers vil-
lages conservèrent leurs instituteurs protestants. Nous croyons, sans
l'affirmer, qu'il en arriva de même à Seloncourt et à Bondeval,
dont les églises furent exclusivement attribuées aux catholiques après
la mort(1740) du ministre qui les desservait, Jean-NicolasBinningen,
que son zèle pieux et son amourdesiimes avaient tout particulière-
ment exposé à l'animadversion du clergé romain.
Au milieu du xviii' siècle, il y ax^ilkClienebier et à Echavannes
(seigneurie d'Héricourt) quelques enfants catholiques appartenante
des familles nouvellement établies dans ces deux villages. Un insti-
tuteur catholique fut placé dans le premier en 1755 et salarié sur les
revenus communaux en vertu d'arrêtés du gouvernement français.
Dès lors, cet instituteur s'est toujours maintenu dans l'endroit, bien
qu'il ne fût pas vu de bon œil, comme c'était d'ailleurs partout le
cas pour les membres de la minorité romaine. Une chapelle catho-
lique fut construite à Chenebier en 1843 et 1844, et elle devint
église paroissiale en 1846. On sait que la place de pasteur à Chene-
bier a été créée en 1837. Le Conseil de régence de Montbéliard avait
tenté à deux reprises (1755 et 1756) de faire écarter l'instituteur
catholique récemment installé dans ce village, sans pouvoir y réussir.
MÉLANGES. 329
Des circonstances diverses empêchèrent que les autres villages des
seigneuries fussent privés de leurs instituteurs. C'est ainsi, par
exemple, que la paroisse de Vyans put conserver les siens par suite
de la mesure, toute de prévoyance, qui la rattacha à Bethoncourt
(comté de Montbéliard), après 1718, époque de l'incendie acciden-
tel de son presbytère.
Si nous ne parlons pas ici du comté proprement dit, c'est que le
traité de Ryswick (30 octobre 1697) y fut mieux exécuté que dans
les seigneuries, et que les maîtres de l'enfance n'y furent pas l'objet
de mesures d'expulsions pareilles à celles qui atteignirent leurs col-
lègues des quatre terres.
Tous ces exemples, auxquels pourraient sans doute s'en ajouter
d'autres, attestent les douloureuses épreuves par lesquelles passèrent
nos pères sous des rois qui n'étaient que les instruments de l'into-
lérance, source toujours féconde d'excès que l'impartiale histoire
ne saurait trop condamner et flétrir. Ils doivent nous faire d'au-
tant mieux apprécier l'immense bienfait de la Révolution fran-
çaise reconnaissant et proclamant à la face du monde nos droits si
indignement méconnus et foulés aux pieds par un pouvoir sans
contrôle, persécuteur obstiné des conscience s, et réparant ainsi l'in-
justice d'une longue oppression d'autant plus odieuse, qu'elle
s'exerçait au nom et sous les auspices d'une religion toute de bien-
veillance, de charité et de fraternité!
Aussi longtemps qu'il n'exista qu'une école de paroisse, tous les
enfants, sans distinction, à partir d'un âge désigné, furent tenus de
s'y rendre, sauf le cas d'empêchement majeur, pour y apprendre et
y réciter le catéchisme, dont l'explication formait tout l'enseigne-
ment religieux. Lors de la création des écoles de filiales, les élèves
des annexes durent s'y rendre au même [titre jusqu'à ce que
celles-ci fussent à leur tour pourvues d'un maître. C'était aux con-
sistoires paroissiaux (dont un existait dans la mère-église et un dans
la filiale) à veiller à la fois sur l'assiduité des élèves et sur l'exacti-
tude des parents à les ranger au devoir; mais quels obstacles
dans l'éloignement des uns pour tout travail de l'esprit et dans l'in-
curie habituelle des autres, et quoi d'étonnant que la sim|de lecture
ait été si peu familière à tant de personnes et leur ignorance si pro-
fonde! Lutter contre de pareilles dispositions était une œuvre qui
demandait du temps, de la persévérance et qui ne pouvait s'ac-
330 BIBLIOGRAPHIE.
complir que par un dévouement réel et effectif à la chose publique.
Une ordonnance de 1571 « pour les maîtres de Montbéliard et
Riquevihrt » rappelle à ceux-ci que les enfants leur sont confiés
comme des joyaux célestes et non comme le bétail au pâtre, et cette
idée se trouve déjà exprimée dans l'ordonnance de 1560. C'était là
parler d'or; mais où étaient ceux qui comprenaient un tel langage?
Nous pourrons dire ailleurs le cas que l'on faisait trop généralement
dans les écoles de cette sage recommandation.
Ch. Roy, pasteur.
BIBLIOGRAPHIE
HISTOIRE DU PEUPLE DE GENÈVE
DEPUIS LA RÉFORME JUSQU'A L'ESCALADE
PAR Amédée Roget*
Depuis qu'il avait entrepris la publication de son Histoire du
peuple de Genève, depuis la Réforme jusqu'à VEscalade, Amédée
Roget n'a jamais manqué d'en faire paraître, au mois de décembre
de chaque année, une livraison soit un demi-volume. Pour la pre-
mière fois, les souscripteurs n'ont reçu la livraison qu'au mois
d'aviil de l'année suivante et ils n'ont que trop bien compris le mo-
tif douloureux de ce retard exceptionnel. L'infatigable auteur a été
enlevé à son pays et à la science historique avant d'avoir achevé
l'impression de ce demi-volume et c'est à des mains amies qu'il
1. Tome VII, seconde livraison. Genève, librairie Julien.
L'article ci-dessus, inséré dans le Journal de Genève du 25 mai dernier, par
notre ami M. Ch. Lefort, répond trop bien à nos propres sentiments pour que
nous nous abstenions de le reproduire dans le Bulletin, tout en nous réservant
d'exprimer, avec quelques nuances, un jugement personnel sur l'œuvre d'Amc-
dée Roget (fiéd.).
BIBLIOGRAPHIE. 331
était réservé de le mettre au jour, après avoir publié le dernier fas-
cicule des Étrenncs genevoises.
La méthode et le genre d'exposition d'Amédée Roget sont natu-
rellement demeurés les mêmes, mais, parvenu à une période rela-
tivement plus calme de l'histoire de Genève, l'auteur a pu embras-
ser, dans une seule livraison, les trois années 1565, 4566 et 1567;
un dernier chapitre est même consacré au mois de janvier 1568,
car l'historien genevois avait l'habitude de prendre pour point de
départ des divisions de son ouvrage, le Conseil général du premier
dimanche de février, dans lequel on procédait à l'élection des syn-
dics.
Au point de vue de la situation extérieure de Genève, ces années
sont comprises entre le traité de 1564 conclu par Berne avec la
Savoie et la mise à exécution de ce traité. C'est une période mar-
quée par des inquiétudes de tout genre, des négociations, des con-
férences tenues ou ajournées, marquée surtout par de continuelles
tracasseries provenant à la fois des Bernois, ces alliés de Genève,
qui doivent bientôt cesser d'être ses voisins immédiats, mais font
sentir leur autorité jusqu'au dernier jour; et de la Savoie qui est
sur le point de reprendre, avec son ancien territoire, son mauvais
vouloir et ses procédés hostiles. D'ailleurs aucune alerte sérieuse,
à l'exception de celle que provoque, en 1567, le passage du duc
d'Albe au travers de la Franche-Comté. Le chapitre consacré à ce
passage est un des meilleurs dus à la plume de Roget, car, à une
exposition précise et animée des préparatifs de défense des Genevois
et de leurs préoccupations, il joint une discussion judicieuse sur le
plus ou moins de probabilité d'une attaque du général espagnol
contre Genève.
Dans l'intérieur de cette ville, indépendamment de menus détails
du ménage politique, on rencontre, en 1566, le triste épisode du
procès et de la condamnation de Jacques Spifame, cet ancien
évêque de Nevers, qui avait joui de la faveur de Calvin el de celle
des princes français et, en janvier 1568, la promulgation des Édits
politiques et des Édits civils. Les premiers ne formaient en réalité
qu'une révision de ceux qui avaient été votés en 1543; et, en com-
parant ces deux recueils, Roget a pu réfuter certaines opinions
inexactes sur les institutions de Genève.
Ce n'est point sans émotion (|ue nous avons élé appelés à annon-
332 BIBLIOGRAPHIE.
cer le dernier travail de noire collègue et ami, et que nous devons
maintenant prendre congé de ce consciencieux écrivain. A ces sen-
timents de tristesse et de regrets doit s'unir une juste reconnais-
sance des services qu'il a rendus à l'histoire nationale.
Sans doute il n'a pas atteint le terme qu'il avait fixé pour son
principal ouvrage, et, à ne compter que le nombre des années, il
n'avait pas fourni la moitié de sa carrière. Mais cette donnée chro-
nologique conduirait à une appréciation inexacte. Malgré l'intérêt
offert par les négociations et les guerres qui ont rempli les trente
dernières années du seizième siècle, la période déjà parcourue est
évidemment plus importante. Elle embrasse, en effet, le premier
séjour de Calvin, le temps de son exil, qui fut l'épreuve de son
influence, son retour à Genève, les luttes qu'il est appelé à soutenir,
l'époque durant laquelle son ascendant est incontesté, et les pre-
mières années après sa mort; c'est dans cette période qu'on voit se
constituer définitivement l'individualité nationale de Genève, se des-
siner son rôle historique et quelques-uns des éléments les plus im-
portants de sa population s'établir dans ses murs. D'autre part,
c'était la période la plus délicate à traiter, car les luttes engagées au
seizième siècle, sur le double terrain politique et religieux, provo-
quent encore aujourd'hui des sympathies et des antipathies qui
risquent de compromettre l'impartialité de l'historien. Dans les
pages aussi judicieuses que sympathiques dont M. le professeur
Pierre Vaucher a fait précéder cette livraison, il indique à quel
point Roget a su s'acquitter de sa tcàche difficile, il signale les mé-
rites de son ouvrage et le caractère de sa composition. En nous joi-
gnant pleinement à cette appréciation, nous désirons, avant de clore
ces lignes, rechercher de plus près la place occupée par notre ami
dans le mouvement contemporain des études historiques à Genève.
Au moment où Amédée Ilogel entreprenait, dans nos archives, les
recherches qui devaient aboutir à la rédaction de YHistoire du
peuple de Genève, tout un groupe d'érudits s'était, depuis plus de
trente années, voué à l'étude de l'histoire de Genève dans l'esprit
de patiente exactitude et d'impartial examen que réclame la méthode
moderne. Mais leurs écrits et les textes publiés par leurs soins se
rapportaient, de préférence, ou bien au moyen âge épiscopal, ou
bien aux luttes pour l'indépendance politique, qui avaient précédé
la réforme religieuse. Divers mémoires, rédigés dans le même
BIBLIOGRAPHIE. 333
espril, avaient été, i! est vrai, consacrés à des épisodes spéciaux ou
à des biographies, appartenant à la période dominée par la person-
nalité de Calvin. Mais quant à l'ensemble de celte période et à l'ap-
préciation du rôle du réformateur, on était, le plus souvent, en
présence de deux classes d'écrits : les uns se rattachant, avec
diverses nuances, au point de vue traditionnel, et offrant un carac-
tère apologétique, qui pouvait inspirer quelque défiance; les autres
renfermant des attaques violentes et passionnées contre Calvin et
ses compagnons d'œuvre et devant, moins encore, être acceptés
sans examen. Dès lors, nul travail ne devait être plus justement
réclamé, qu'une investigation approfondie et détaillée de l'histoire
de Genève durant les années qui ont suivi l'établissement de la
Réforme, investigation basée sur l'étude des documents contem-
porains et prenant en considération toutes les circonstances poli-
tiques et sociales de Genève.
Telle est précisément l'œuvre à laquelle Amédée Roget s'est cou-
rageusement consacré, en retraçant, année par année, presquejour
par jour, les faits et gestes de la cité genevoise durant la période
dont nous avons signalé tout à l'heure l'étendue et l'importance.
Il a pleinement réalisé son programme : on a même pu croire
qu'il l'avait interprété d'une manière trop littérale. Les registres du
Conseil, la correspondance des réformateurs, au lieu d'être simple-
ment consultés, fournissent en effet à l'ouvrage de Roget de nombreux
fragments textuellement reproduits; cette méthode, qui offre, au
point de vue de la forme, certains inconvénients, répondait à
l'extrême réserve de l'auteur, et donne à sa publication une valeur
documentaire très précieuse.
On s'est encore demandé si les renseignements sur le mouvement
de la population, les réceptions à la bourgoisie, les procès, qui ter-
minent d'une manière un peu uniforme le récit de chaque année,
appartenaient bien réellement à l'histoire. Nous ne regrettons point,
quant à nous, ces données statistiques qui aident à mieux connaître,
dans sa vivante réalité, cette communauté genevoise dont les vicis-
situdes sont retracées.
Sans doute, après les sept volumes de Roget, on entreprendra
encore des recherches, on publiera des mémoires sur la période
traitée par lui avec une si grande abondance. Des investigateurs
examineront de plus près l'un ou l'autre des événements exposés
334 BIBLIOGRAPHIE.
dans cette histoire, ou bien retraceront la vie d'un personnage
notable ; ils seront amenés, peut-être, à rectifier certaines assertions
de l'auteur, qui, dans la crainte d'adopter une opinion trop pronon-
cée, cède quelquefois à une sorte de parti pris de juste milieu.
D'autres écrivains résumeront dans un tableau d'ensemble les prin-
cipaux faits disséminés dans l'ouvrage d'Amédée Roget.
Mais c'est précisément grâce à cet ouvrage que ces divers travaux
s'accompliront; il les provoque et les facilite. Il reproduit en efTet
les textes de nombreux documents et en signale un plus grand
nombre; il offre un cadre tracé d'une main sûre, dans lequel vien-
dront se placer les résultats de recherches entreprises sur des points
spéciaux. Même après sa mort, notre collègue contribuera ainsi au
développement des études historiques à Genève.
On reconnaîtra peut-être que d'autres périodes de nos annales,
ne sauraient être exposées d'une manière aussi détaillée et sur un
plan identique à celui de Roget. Mais ceux de nos concitoyens qui
seront appelés à explorer un domaine quelconque de l'histoire na-
tionale, devront, pour aboutir à une œuvre sérieuse, suivre
l'exemple de ce travailleur consciencieux, modeste et désintéressé,
de ce citoyen dévoué qui envisageait l'étude du passé de Genève
comme un devoir envers la patrie.
Charles Le Fort.
N. B. Sous ce titre : Souvenirs religieux des Cévennes, j'ai reçu
de mon vénéré maître et ami M. A. Germain, professeur et doyen
honoraire de la Faculté des lettres de Montpellier, un mémoire aussi
instructif que touchant sur Pierre Claris, abbé de Floriaii, pasteur
du Refuge à Londres, et gra)id-oncle du fabuliste. Ce mémoire qui
complète, à certains égards, l'intéressant ouvrage que nous devons
à M. Albin de Montvaillant : Florian, sa vie, ses œuvres, etc., sera
l'objet d'un compte rendu détaillé dans le prochain numéro da Bul-
letin. Mais nous tenons à offrir, dès aujourd'hui, nos remerciements
à l'auteur d'une publication qui joint à la nouveauté dos matériaux
mis en œuvre la plus haute impartialité.
J. B.
SÉANCES DU COMITÉ
EXTRAITS DBS PROCÈS-VERBAUX
Séance du 8 avril 1884
M. le baron F. de Schickler, président, fait part à ses collègues d'une
circulaire qu'il a reçue de M. le Ministre de l'instruction publique à pro-
pos de la prochaine réunion des Sociétés savantes de province à laquelle
pourront assister les membres des Sociétés savantes de Paris, moyennant
une carte qui leur est offerte.
Le président demandera une carte pour lui-même et pour ceux de ses
collègues qui croiraient devoir user de ce privilège. Ne devons-nous pas
garder notre rang?
Quelques doutes sont exprimés à ce sujet. Plusieurs de nos collègues
assisteront, à d'autres titres, aux réunions de la Sorbonne, de peu d'in-
térêt pour nous par les questions qu'on y traite.
Le secrétaire passe en revue les articles contenus dans le Bulletin
d'avril, et réserve pour un des prochains numéros VEstat des cens
Camisards partis avec Cavalier, dont copie lui a été d'abord commu-
niquée par M. le pasteur Arnaud, mais dont un double original existe
à Paris et à Montpellier (Voir Bull, du 15 mai, p. 275).
Bibliothèque. Deux dons considérables, l'un de notre collègue M. le
comte Delaborde, l'autre de Mme de Neuflize, ont ajouté à ses richesses,
sans parler de deux précieux volumes de pièces autographes offerls au
nom de madame Labouchère et que le président se réserve de décrire
dans son rapport annuel.
Monument de Coligny. M. Bersier donne quelques détails sur la
semaine qu'il vient de passer à Londres et sur les séances historiques
qui l'ont remplie; d'abord à Canterbury, dans la Crypte qui sert de
temple aux descendants des réfugiés et près du tombeau du cardinal de
Chàtillon ; puis à Westminster-Abbey où le doyen a prononcé un excel-
lent discours d'ouverture, suivi d'une allocution en anglais de M. le
marquis de Jaucourt, et d'une conférence oîi M. Bersier a retracé les
grands traits de la vie de l'amiral devant un auditoire d'élite; ensuite
au Collège d'Harrow oii maîtres et élèves rivalisaient de sympathie. La
séance de Saint-James-lIall n'a pas tenu toutes ses promesses, n'ayant
pas été suffisamment annoncée. Mais la conférence donnée la veille chez
le lord maire, sur le rôle des Huguenots en France et en Angleterre, a
produit une bonne impression confirmée dans la très intéressante soirée
offerte par M. Arthur Kinnaird, membre du Parlement. Le banquet de
l'Hôpital des réfugiés, organisé par nos amis avec un merveilleux
succès, mérite un récit à part dont M. Bersier laisse le soin à notn; pré-
sident qui y a pris la parole.
M. de Schickler n'a pu qu'admirer le talent et l'à-propos avec UmiucI
M. Bersier s'est acquitté de sa dinicilc mission, pendant une semaine de
glorieuses fatigues où il a jiris douze lois la jtarole en français et en
anglais. La souscription s'annonce très favorablement.
Le Comité écoute ces détails avec un vif intérêt et remercie nos deux
collègues d'avoir si bien représenté notre passé historiiiuc de l'aufrc
côté du détroit.
NÉCROLOGIE
M. LE PASTEUR MELON
Encore un deuil pour noire Société qui voit disparaître l'un après
l'autre ses amis des premiers jours; après M. Vaurigaud, le docte histo-
rien du Protestantisme en Bretagne, M. Edouard Melon, le fidèle pasteur
de Caen, dont l'activité rayonnait bien au-delà du presbytère où je le
visitai, il y a bien des années, et qui m'apparut comme un Port-Royal des
Champs. Durant prés de quarante ans, M. Melon a desservi l'Église
illustrée par Du Bosc, avec un zèle qui semblait croître avec l'âge et
s'alliait aune rare sagesse. Ses nombreuses communications au Bidlctin
atlestent l'intérêt qu'il poi'tait à nos travaux. On n'a pas oublié cette
admirable complainte de VÉtjUse affligée, recueillie sur la première page
d'une vieille Bible deTamillc, et oij se lisent des strophes telles que celle-ci :
Nos fdies dans les monastères,
Nos prisonniers dans les cachots,
Nos martyrs dont le sang se répand à grands flots,
Nos confesseurs sur les galères,
Nos malades persécutés.
Nos mourants exposés à plus d'une furie,
INos morts traînés à la voirie.
Te disent nos calamités.
Les obsèques de M. le pasteur Melon, décédé, le 21 juin, à l'âge de
soixante-se[tt ans, après une longue maladie, ont été dignes de son minis-
tère. « Le temple était trop petit pour contenir la foule d'amis qui témoi-
gnaient par leur recueillement de leurs sympathies pour la famille du
défunt. Tous les pasteurs de la consistoriale avaient tenu à rendre un
suprême hommage au chef respecté qui marchait à leur tête. Les élèves
protestants du Lycée avaient voulu donner à leur maître une preuve de
leurs affectueux souvenirs; deux d'entre eux portaient une superbe cou-
ronne de fleurs. Plusieurs pasteurs, jn-oches {»arents, amis et iils spirituels
du défunt, ont donné une voix à la douleur de tous. » (Christ, au MX"""
s/èc/g,dui juillet 1884). La SociétéderhistoircduProtestantisme français
ne peut qu'ajouter un hommage attendri à ceux qui composent ladernièrc
couronne du j)asteur dont le souvenir vivra longtemps en Normandie.
J. B.
P. S. Le Comité des classiques s'est réuni plus d'une fois dans ces der-
niers temps, et il a pris d'importantes résolutions. Le prochain numéro
du Bulletin contiendra une réponse au Baj)port de la Société des livres
religieux de Toulouse, un dernier mot sur la grave et douloureuse ques-
tion, dont le public est justement ému.
Le Gérant : Fischbacher.
BoL'RLOToN, liiiprinierics réunies, B.
SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE
DU
PROTESTANTISME FRANÇAIS
UN DERNIER MOT
A LA SOCIÉTÉ DES LIVKES RELIGIEUX DE TOULOUSE
Paris, juillet I88i
Nous venons de lire le rapport de la Société des livres reli-
gieux de Toulouse, rédigé par l'honorable M. Courtois de
Viçose, et nous avons le devoir de déclarer que cette lecture
n'a fait que confirmer les justes griefs exprimés à plusieurs
reprises dans le Bulletin (n»^ du 15 janvier et du 15 avril der-
niers) au sujet de l'attitude de cette Société à notre égard.
Rappelons brièvement ce dont il s'agit :
Il y a bientôt deux ans, la Société de Toulouse publiait, en
deux volumes in 8% une nouvelle édition de V Histoire ecclé-
siastique de Th. de Bèze; nous avons alors exprimé nos l'egrets
(jue cette Société, dont les ressources, provenant en partie de
collectes faites en France et à l'étranger, pour un but défini,
sont presque exclusivement consacrées à des livres religieux
de pure édification, sortant de son domaine*, eût édité une
œuvre érudile aussi coûteuse et de telle importance, au mo-
inent où cette même œuvre était en cours d'exécution à Paris,
1. N'est-il pas étrange que l'on prétende tirer le droit de faire des iiublicatious
érudites, d'un article ainsi conçu : « Cette Société a pour but de faire imprimer
des livres religieux et de les répandre, soit par des ventes à bas prix, soit par
dos dons, notamment pour des bibliolliùques religieuses. »
xxxiii — ^'2
338 UN DERNIER MOT
dans une édition que l'on pouvait à l)on droit considérer
comme définitive, parce qu'elle était le fruit de patients
labeurs, et qu'elle présentait des garanties indiscutables de
science et d'exactitude.
Cette édition était celle du Comité des classiques du Protes-
tantisme français, qui s'était constitué pour cet objet, long-
temps avant que la Société de Toulouse eût émis un tel dessein.
Nous disions (et les faits ne l'ont que trop prouvé) que l'une
de ces éditions nuirait fatalement à l'autre; que ce serait la
meilleure, la plus exacte des deux, qui aurait à en souffrir,
et nous nous demandions, non sans tristesse, si la Société de
Toulouse était bien sûre de la légitimité d'une concurrence
qui s'était produite à la dernière heure, en pleine connais-
sance de cause, et dont l'effet certain était de rendre plus
difficile encore l'œuvre du Comité des classiques.
A cela que répond M. Courtois de Viçose, en dehors de con-
sidérations sans portée sur d'autres points qui n'ont qu'un
médiocre intérêt dans le débat?
Et d'abord il ne dit mot du Comité des classiques et pour
cause. La Société dô Toulouse savait bien, dit-il, qu'en 1854,
c'est-à-dire il y a trente ans, la Société d'histoire du Protes-
tantisme français exprimait le désir qu'on éditât Th. de Bèze.
« Mais c'est précisément parce que depuis lors il n'en a plus
été question, qu'on ne peut être incriminé, soit d'avoir
aussi perdu de vue ce projet, soit d'avoir cru qu'il était aban-
donné. »
On croit rêver quand on lit ces lignes. Leur auteur peut-il
ignorer qu'en 1878 (et non pas il y a trente ans!) un Comité
des classiques du Protestantisme français se formait à Paris, et
annonçait immédiatement son intention de publier VHistoire
ecclésiastique de Th. de Bèze, par une circulaire tirée ta
5000 exemplaires, et ouvrant une souscription dans ce but ;
que cette circulaire était reproduite ou mentionnée dans tous
nos journaux religieux {Christianisme du 22 mars,du31 mai ;
Église libre du 22 mars, 31 mai; Renaissa^ice du 24 mai;
A LA SOCIÉTÉ DES LIVRES RELIGIEUX DE TOULOUSE. ?>39
Témoignage du 27 mars ; Évangéliste du 1 4 mars cl du 31 mai) ;
que cette circulaire enfin, commentée dans deux assemblées
annuelles de la Société d'histoire (1878 et 1879) par son pré-
sident, faisait valoir les raisons décisives pour lesquelles cette
publication devait compter sur les sympathies et les souscrip-
tions unanimes des Protestants français.
Nous ne saurions admettre que la Société de Toulouse
ignorât seule ce que tout le monde savait en 1878, et qu'en
publiant une édition rivale, elle ne se rendît pas nettement
compte de l'acte qu'elle accomplissait.
M. Courtois espère-t-il obtenir une créance absolue quand
il donne à entendre que la Société de Toulouse n'a trouvé
devant elle qu'un libraire M. Fischbacher « lequel n'a pas
fait la moindre allusion à la coopération de la Société du Pro-
testantisme? »
Il y a là une confusion qu'il importe de dissiper sans retour.
M. Fischbacher a entrepris, il est vrai, à ses risques et périls,
la publication de l'œuvre de Bcze. Mais il n'a cessé de rap-
peler ce que la circulaire disait en termes explicites, que cette
œuvre était publiée avec le (Concours et sous le patronage du
Comité des classiques du Protestantisme français*. Ignorer
tout cela, ne vouloir connaître en toute cette affaire que
M. Fischbacher (dont les droits méritaient d'ailleurs toute
considération), c'est une étrange manière de justifier les voies
de la Société de Toulouse !
Redisons le bien haut, si M. Fischbaclier, agissant dans
cette circonstance avec son courage habituel, a pris sur lui la
responsabilité pécuniaire d'une publication exposée à plus
d'un écueil, il y avait à côté de lui un Comité dont l'existence
était connue du Protestantisme français tout entier, et n'a pu
être ignorée par M. Courtois de Viçose et ses collègues.
1. n écrivait notamment à M. Courtois de Viçose : « Ce travail se l'ait avec le
plus grand soin, et sera publié sous les auspices d'une commission composée des
personnages les plus notables du Protestantisme français. ■> Lettre du "2(5 février
1880.
3iO l'.N DEll.MEU MUT
C'est celte étiaiigu ignorance qu'après connue avant les
explications de la Société de Tonloiise, nous persistons à con-
sidérer comme injustifiable.
Nous ne reviendrons ni sur les rapports de notre président,
ni sur les divers articles publiés depuis, dans le Bulletin et
ailleurs 1. Tout a été dit sur ce sujet. Dès novembre 1879, au
synode ofticieux de Paris, le secrétaire de notre Société a pré-
venu M. Vesson, secrétaire de la Société de Toulouse, des ré-
sultats déplorables qu'aurait la décision qu'allait prendre le
Comité toulousain, en annonçant la publication de Th. de Bèze
pour ses noces d'or; et M. Yesson n'a pu garder le silence avec
ses collègues.
Que l'on ne parle ici ni des avantages de la concurrence,
ni de la nécessité de faire une œuvre populaire. La concur-
rence est tout simplement désastreuse quand elle s'adresse à
un public limité qui devrait s'unir pour une œuvre de piété
filiale; et il ne faut pas appeler populaire un livre qui coûte
12 et même 20 francs. L'édition de Toulouse a eu pour
résultat le plus clair d'empêcher de répandre à un prix acces-
sible pour tous, l'édition du Comité des classiques. Et cepen-
dant c'est cette dernière seule que tout écrivain sérieux pourra
désormais citer, parce qu'il chercherait vainement ailleurs,
le fruit de longues études de savants tels que MM. Baum et
Cuinitz, et parce que c'est la seule qui indique clairement ce
qui dans V Histoire ecclésiastique est l'œuvre de Th. de Bèze ou
de ses prédécesseurs.
Nous n'aurions pas insisté sur ces laits si douloureux, si
nous avions pensé, comme plusieurs de nous l'espéraient, (juc
la Société de Toulouse n'avait agi en tout ceci que par simple
imprévoyance. Mais l'illusion n'est plus possible à cet égard.
Le Comité des classiques avait annoncé qu'il éditerait VHis-
lo ire des martyrs deCrespin, œuvre dinicilc entre toutes, et
qu'on ne peut entreprendre à la légère, cai' elle exige des édi-
1. E(jlise libre du t mai cl du i;j juin 1884.
A LA SOCIÉTÉ DES LIVRES RELIGIEUX DE TOULOUSE. 311
teui's compétents pour les diverses contrées où Crespin n
poursuivi son enquête. La Société de Toulouse, malgré
l'annonce faite par le Comité des classiques, a ouvert une
souscription pour l'ouvrage de Crespin et va le publier dans
quelques mois. Il est évident que le Comité des classiques ne
pourra ici essuyer une fois de plus une concurrence qui
n'était pas dans ses prévisions, et qu'il sera obligé de porter
son activité sur d'autres sujets.
Nous devions au public ces explications loyales, et c'est à
son seul jugement que nous en appelons désormais.
Au nom du Comité, les membres délégués :
F. DE SciiiCKLER, président; Eug. Berster ;
Jules Bonnet, secrétaire; F. Ltchtenrercer.
ÉTUDES HISTORIQUES
L'ABBE DE FLOPJAN
Sous ce titre : Souvenirs religieux des Cévemies, le savant
professeur et doyen honoraire de la Faculté des lettres de
Montpellier, M. A. Germain, membre de l'Institut, vient
de publier une brochure du plus haut intérêt. Elle contient
des lettres de Pierre de Claris, abbé de Florian, et grand-
oncle du fabuliste, qui renonça au sacerdoce catholique pour
aller exercer le ministère dans une paroisse de réfugiés à
Londres. Le prieuré de Saint-Jean de Grieulon, près de Sauve,
fut témoin, en 4710, d'un de ces drames tout intimes qui
s'accomplissent dans les profondeurs de la conscience et ont
di'oit au l'espect des membres sérieux de tous les cultes. C'est
l'histoire d'une ànie que l'on voudrait raconter ici avec les
documents de grand prix où elle a laissé une ineffaçable
empreinte.
Pierre Claris de Florian appartenait à une ancienne famille
cévenole qui adopta de bonne heure les croyances de la
Réforme, et ne cessa de les professer qu'aux approches de la
Révocation. Jacques de Claris son père, seigneur de Florian,
poussa môme l'obéissance au roi jusqu'à prendre parti contre
ses anciens coreligionnaires, et olbtin en retour une pension
de 400 livres. Jean de Claris, son frère, capitaine de cavalerie
dans le régiment de Girardin et plus tard conseiller à la cour
des comptes de Montpellier, suivit cet exemple et vit son
château de Florian brûlé, ses récoltes et ses troupeaux
anéantis parles bandes camisardes de Roland etde Cavalier ^
1. Ces faits sont mentionnés dans une supplique de Jean de Claris rappelant
l'abbé de florian. 343
Ces tragiques souvenirs durent laisser une impression pro-
fonde au jeune Pierre de Claris, né protestant, comme Jean
son frère, mais élevé dans la religion catholique, et destiné
par sa famille au sacerdoce. Sa croyance dût se ressentir de
l'orageux conflit des deux religions qui avait marqué ses dé-
buts dans la vie.
Voici en quels termes il raconte lui-même dans une lettre
à l'évêque de Nîmes cette phase de sa jeunesse empreinte de
ferveur catl^olique, aussi vive que peu durable :
Né dans la religion protestante, mais élevé ensuite dans la catholique,
on me destina pour l'Église. Peu en état de faire un choix, je me laissai
conduire par mes parents'. Instruit avec soin dans des séminaires célèbres
et dans des académies sçavantes, je me conformay au sentiment de mes
professeurs. Je m'appliquay à les soutenir et je crus être dans la vérité
en les défendant. Comme je sçavais que ma parenté avait eu une religion
difféi-ente de celle que je professois, je me remplis de matière de con-
troverse, alin de pouvoir répondre aux objections que mes coziipatriotes
me faisoient et être en état de confondre leurs raisonnemens. Me croyant
assez fort je défiay les plus braves, jusques-là (jue je partis pour Genève,
dans la veûe de convertir un oncle, frère de ma mère, qui s'y étoit retiré
pour cause de religion. Tout jeune que j'étois, je fus dans cette ville, et
j'y disputay à voix haute, avec tant de confiance et d'ardeur, qu'on fut
obligé de m'avertir d'être plus discret, si je voulois que la populace ne
m'insultât pas. Plein de mes sentimens, que je croyois êlre les plus
véritables, je revins après plusieurs voyages dans le diocèse de ma
les services qu'il a rendus comme capitaine des Milices en 1()94 et 1696, et dans
les années suivantes, « contre les rebelles des Sevenes qui par ressentiment lui
brûlèrent son château de Florian, et saccagèrent ses troupeaux et ses récoltes ».
n obtint en retour le renouvellement gratuit de ses lettres de noblesse, « no-
nobstant la dérogeance d'aucun de ses ancêtres pour avoir exercé les offices de
notaire. » Voir V Arrêt du Conseil d'Etat du lioij, du 27 mars 1723, pièce très
importante pour riiistoire de la famille de Claris, reproduite par M. Albin de
Montvaillant dans son intéressant ouvrage : Florian, sa vie, ses œuvres, sa cor-
respondance, ia-S", avec portrait et autographe. Paris, 1879 (p. 197, 201).
1. Sur ce point délicat, l'abbé de Florian s'exprime un peu autrement dans une
pièce qui doit également être citée : « Je fus élevé, dit-il, dans la nouvelle
religion que mon père avait embrassée. On voulut même que je fusse ecclésias-
tique. J'y résistai; mais l'autorité de mes parents l'emporta; il fallut leur obéir. »
Lettre d'adieu aux fidèles de l'Eglise de Criolon (p. 32).
344 l'abbé de florian.
naissance. Mes supérieurs trouvèrent bon que j'entrasse dans les ordres.
Je leur obéis. Dès que je fus prêtre on m'employa dans la ville où j'étois
né. J'étois si convaincu que la voye où je marchois étoit celle de la vérité;
j'avois un si grand désir d'y faire entrer au moins mes compatriotes,
que je demanday qu'il me fût permis de faire trois fois la semaine des
conférences sur les matières controversées. Peu de temps après, chargé
d'une Église dans le diocèse de Montpellier, je m'appliquay de toutes
mes forces à instruire les fidesles qu'on me confioit. Désolé de voir les
nouveaux convertis comme des brebis errantes, sans pasteur et sans
aucune sorte de secours pour le spirituel, je mis tout en usage pour les
gagner. Me souvenant de la condescendance dont on avait usé, au com-
mencement du christianisme, pour faire entrer les payons dans l'Église,
je crus que je ne pouvois avoir trop de ménagemens pour attirer à nous
ces chrétiens, nos frères. Sçachant qu'ils se plaignoient de ce qu'on leur
parloit dans l'Église une langue qu'ils n'entendoient pas, je fis des prières
en françois; je traduisis des psaumes et les fis chanter. Je leur lus l'Écri-
ture Sainte exactement; je leur expliquay toutes les cérémonies de la
religion, et enfin je les instruisis autant que j'en étois capable, selon la
manière qu'ils désiroient. Voyant que mes soins étoient inutiles à
Campagne, qui est la première église dont je fus chargé, je creus que
cet endurcissement venoit plus de leur rusticité que de leur attachement
à leur religion. Cela me porta à désirer de m'aprocher de la ville de ma
naissance, où j'étois assez goûté... je me flatay que l'affection avec laquelle
j'instruisois les fidesles attireroit dans ce pais là beaucoup de personnes
et que ce succès m'animeroit au travail. Il se présenta une occasion pour
permuter. Je perdis près de cent écus de rente en changeant d'église;
mais je ne fus pas sensible à cette perte. Je vins dans votre diocèse, je fus
établi à Criolon. Là je continuay avec plus d'ardeur que jamais à m'ap-
pliquer à l'instruction des fidesles...
L'Église calholiqiie de France traversait aloi's une crise
difficile. On étail, au plus foi't des débats suscités par la fUille
Unigénit^is condamnant, avec le livre du père Quesnel, im-
prégné du plus pur esprit de l'Evangile, les doctrines pro-
fessées par les anciens solitaires de Port-Royal. La Bulle
inspirée par le jésuite Letellier, confesseurdu roi, à un faible
pontife, Clément XI, qui ne l'avait signée qu'à regret, ren-
contra une opposition univei^selle, et ne prévalut que par la
terreur ou la pei^sécution exercée sans scrupules sur les
l'abbé de florian. ;i45
membres les plus pieux du clergé. Les évèques subirent, la
pression d'en haut et l'exercèrent à leur tour sur les prêtres
de leurs diocèses. L'évêque de Nîmes, M. de la Parisière,
lança un mandement qui devait être lu dans toutes les chaires,
et qui, sans prévoir une seule résistance, imposait la soumis-
sion*. Le curé de Saint-.fean de Crieulon était dans un étnt
d'Ame à ne pouvoir se soumettre sans s'éclairer sur les ques-
tions en litige. Les études qu'il entreprit sur ce sujet furent
longues et aboutirent à un résultat bien différent de celui qu'il
avait prévu; mais il faut le laisser s'expliquer lui-même sur
un point si important :
Comme je prenois, dit-il, toutes les propositions l'une après l'autre
et que je tâchais d'établir les sens condamnés et leur vérité, je fus oldigé
de m'appliquer beaucoup à la lecture de l'Écriture et à celle de plusieurs
autres bons livres qui me tombèrent en main. Cette application me fit
ouvrir les yeux sur bien des choses que je croiois connoître et me donna
lieu d'entrer dans un examen phis particulier des dogmes delà foi. .Ji'
trouvay dans tous une altération si grande que j'eus comme horreur do
moy mesme d'avoir été si longtemps à m'apercevoir de ces effroyables
changemens; craignant de me tromper, je cessay toutes mes autres occu-
pations; je renoncay à toute compagnie, et je m'enfermay pour vaquer
plus sérieusement à l'étude de la vérité. Uniquement rempli du désir de
la connoître et de la suivre, mettant toute ma fortune en cela seul,
j'épuisay tous les moyens humains; je m'humiliay devant Dieu par b^
jeime et la prière; je fis des aumosnes à cette intention; je passay plus
de dix-huit mois dans la retraite n'allant qu'à mon Église et chez les
malades. Dans cette application je trouvay que la vérité était toute pour
les protestans; que cette communion seule servoit Dieu en esprit; que
c'éloil là où étoit l'Église. Leurs dogmes, leur morale, leur discipline,
me paraissoient si clairement conformes à toute l'Écriture que je creus que
ce seroit résister à Dieu que de ne pas me rendre à ce qu'ils croient
l.e bon Dieu quim'éclairoit ainsi par une miséricorde dont je suis indigne,
1. Mandement pour la publication de la Commission de notre Saint Pi'irc lo
pape Clément XI, du 8 septembre 1713, portant condanmation d'un livre inli-
lulé : Le Nouveau Testament en français, avec des réfle.i ions morales sur cha-
que verset, etc., à Paris, 1699. ap. Panégyriques, sermons, harangues el autre ^
pièces d'éloquence par feu M. de la Parisière, évêque de Nismes, Paris, ITiO
t. II, p. 323-344.
346 l'abbé de FLORIAN.
me fit prendre la résolution de tout abandonner pour le confesser. Jouis-
sant de cent pistoles de rente, étant dans le sein de ma parenté et de ma
patrie, n'ayant aucune peine, et étant pourveu de tout ce que rhomme
un peu raisonnable peut désirer, j'ay résisté longtemps à tant de sacri-
fices qu'il falloit faire et à tant de risques qu'il falloit courir. Mais la
grâce de Dieu me fait enfin surmonter ces accablantes difficultés. Le
bien-être, la patrie, la parenté, le jugement peu avantageux qu'on fera
de moy, l'affliction de mon frère, la vôtre, Monseignenr, qui sont des
motifs si touchants, m'ont souvent fait désirer la mort, plutôt que cette
difficile et périlleuse conclusion. Mais Dieu me fait passer par dessus.
Je ne vois que la vérité qui mérite de tels sacrifices. Je crois que ce n'est
qu'à elle que je les fais. Il seroit honteux pour moy de cacher une telle
action. Quelque opposé que vous soyez à mes sentimeas, vous êtes trop
juste, Monseigneur, pour ne pas vouloir que je me rende à mes lumières.
Vous me blâmeriez si j'agissais contre mes sentimens et si j'a\ois honfe
de les manifester à la face de tout le monde...
On ne commente pas de telles pages qui font lire jusqu'au
fond dans l'âme de celui dont elles émanent. Gomme le dit si
bien M. Germain, à qui revient le mérite de les avoir tirées
de l'oubli, « l'abbé de Florian nous esquisse ainsi lui-même
son histoire ; autobiographie précieuse par la sincérité qui la
caractérise, non moins que par son ton ferme et respectueux.
On ne saurait sans injustice refuser à une telle confession les
égards qu'elle mérite. Mais on conçoit qu'elle n'ait pas plu à
tout le monde. » Il ne pouvait en être autrement, et la lettre
de l'évêque de Nîmes à M. de Florian, conseiller à la cour de
Montpellier, et frère du prieur de Grieulon, ne fut que l'écho
adouci de la sévérité, pour ne pas dire de l'injustice, des juge-
ments que provoque toujours un changement de cette nature,
alors même qu'on ne saurait contester la pureté des motifs
qui le déterminent :
Je ne pouvois, Monsieur, recevoir une nouvelle plus triste et plus acca-
blante que celle que je reçois par M. de Baville et par vous. J'aimois
votre frère, parce qu'il avoit beaucoup de bon, et que j'espérois en guérir
tout le mauvais par la confiance et par l'amitié. J'avois déjà gagné quelque
chose sur luy, et je n'attendois rien moins que son apostasie. Je sais
combien <'llc doit affliger l'Église, surtout avec les circonslances (|ui se
i/abbé de florian. 847
trouvent jointes d'une démarche qui paraît mesurée, et qui ne se montre
pas comme un fruit du libertinage. Je n'en ai jamais connu en luy; mais
il n'y a que Dieu qui le sache. Ce qu'il y a de vray, c'est qu'il avait un
esprit d'indépendance et d'opiniâtreté. Sa conduite par rapport à la
constitution, de son aveu même, en est une preuve, et ceux qui y sont
les plus opposés, ne sçauroient en disconvenir. Il falloit, selon toutes
les règles, me confier ses doutes et publier mon mandement, ou se
retirer enlin, s'il ne pouvait rien obtenir sur cela. Cela ne pouvoit aller
que là tout au plus; mais il ne falloit ni me tromper ni se faire calviniste :
Si le livre de Quesnel conduisait à cette conclusion, et en contenoii la
doctrine, cela ne feroitpas honneur à ses défenseurs. J'écris à ce pauvre
malheureux et fais ce que je puis pour le ramener, etc..
Le conseiller Jean de Claris se montra fort ému de cette
communication épiscopale, et ne put que déplorer l'obstina-
tion de son frère, en faisant des vœux pour son proinpt retour
à l'orthodoxie catholique :
Vous pouvez, Monseigneur, mieux que personne lui ouvrir les yeux,
comme à un autre Tobie. La vérité partant de votre main le frappera
dans sa fuite, comme elle frappa St-Paul sur le chemin de Damas. La
trop grande lecture l'a enivré et a causé sa chute. Enveloppé dans les
doubles qu'elle a excité en luy, il n'a trouvé personne dans noire misé-
rable canton qui peut luy aider à les résoudre. Il s'est laissé aller à des
fausses lumières; il a regardé les Calvinistes comme les vrays croyants,
et il s'est perdu. S'il est assez heureux pour recevoir vos admonitions
charitables, elles exciteront en luy un salutaire repentir. Je dois avoir
l'honneur de vous advertir sur cela, Monseigneur, qu'il est parti de
Genève, le 7 septembre, pour aller en Angleterre, où son adresse, à ce
que j'ay découvert, est chez les sieurs Loubier et Gourdon, banquiers à
Londres... Si vous avez la charité de suivre encore là votre brebis, c'est,
ce me semble, par le moyen de Monsieur noire ambassadeur (|u'il fau-
droit agir...
La lettre du conseiller Jean de Claris nous apprend que son
frèreenquittantSaint-JeandeCriculon, avait adressé une lettre
pastorale à ses paroissiens. Cette pièce aujourd'hui fort rare,
quoiqu'elle ait été imprimée aussi du vivant de l'auteur, et
1. n en existe un exemplaire dans la collection Court (vol. II. BB) l'ornianl,
avec la lettre de rabbé de Florian à l'éviMiuo i]r Nîmes, une brocliiire in-i" df
3i8 l'abbé de florian.
dont M. Germain, a pu se procurer une copie, « est, dit-il, une
sorte de traité théologique où le curé démissionnaire expose
en détail les motifs de sa conversion. Il le fait assez longue-
ment, trop longuement peut-être au point de vue littéraire.
Mais si ce n'est pas un chef-d'œuvre de composition, c'est, à
coup sûr, une manifestation explicite de l'ardeur de ses études
et de la sincérité de ses sentiments. C'est en même temps un
moyen pour lui de cherchera rallier ses paroissiens au pro-
testantisme, en leur en montrant, sans acrimonie toutefois,
la supériorité doctrinale par rapport au culte catholique. >)
La lettre du conseiller de Florian à l'évêque de Nîmes nous
apprend en outre que son frère, en quittant sa paroisse, avait
pris le chemin de Genève. Il revit donc la cité qu'il avait
visitée, quelques années auparavant, dans toute la ferveur de
sa foi catholique, mais où il portait depuis des sentiments
])ien différents. Il en fit sans doute publique profession, et
subit peut-être certaines épreuves nécessaires pour l'exer-
cice du ministère en pays réformé. Genève était trop près de
la frontière française pour le retenir longtemps. Il en partit,
le 7 septembre 1716, pour se rendre à Londres, où de pré-
cieuses recommandations lui valurent les fonctions de pré-
dicateur et lecteur dans les églises françaises de la Savoie et
de la Patente \
En s'éloignant de la France, r(;x-prieui' de Saint-Jean de
Crieulon n'avait pas seulement pris congé de ses anciens
paroissiens par une lettre contenant Texpression de ses senti-
meuis nouveaux. 11 avait aussi adressé une épitre à son ])ro-
priélaii'o de Sauve, ,le;in Astruc, célèbre professeui' de mé-
14 pages sur deux eolonnos (Hnll. I. M, p. SHI). Cotte somnilo. pièro est ain^i
flatéo : En partant de Sauve. U- ^Onoùt ITKi.
1. Sa position ocelésiastique osl assoz difficilo à fixer. « Il était, m'écrit mon
savant collègue M. V. de Schiekler, non attaché à ces Eglises pour le service
paroissial ordinaire, mais appelé à y prêcher de temps en temps. En 1725 11
entre en possession de la place do lecteur à l'Église dite des Grecs, dépendante
de la Savoie, et à la chapelle royale de Saint-James ». Kn 17^7 un rnilre occupe
la place. Serait-ce l'époque de sa mort?
L'aBBK bt l'LOUlAxX. ùl!)
deciiie à l'uiiivcisilé de Montpellier, cl uiieuutiL' a son ancien
sei'vileur Louis Rouquel. 11 n'est que juste de l'aire quelques
emprunts à ces deux documents a qui réllètent, dit M. Ger-
main, l'enthousiasme de la foi du néophyte, et où la prédica-
tion se mêle, avec une douce éloquence, à une franche ami-
tié ». La lettre à Jean Aslruc, lils d'un pasteur de Sauve, et
gardant sans doute au fond du cœui- quelques restes de la
croyance paternelle, mérite spécialement l'attention, car elle
offre, dans quelques uns de ses arguments, un curieux spéci-
men du genj'e de prosélytisme que pouvait exercer un ancien
prêtre catholique devenu protestant, sui" un nouveau converti
qui avait cessé de l'être, aux yeux de la loi. C'est un cas reli-
gieux assez rare pour ne pas passer inaperçu dans l'histoiie ;
Lettre de M. l'abbé de Florian, à M. Astruc, son hâte.
Je me saurois mauvais gré de mon silence et mon indifterence seroit
blàmaljle devant Dieu et devant les liommes, mon clier monsieur, si
après avoir logé près de cinq années dans votre maison, j'entreprenois
le long et difticile voyage dont il a esté tant de fois parlé, sans vous on
rien dire. Il est juste que si je vous ai/ esté un sujet de chute par mon
exemple ici, je tâche de réparer le mal quej'at/ fait, par une conduite
contraire. Je dois cette édification à la gloire du Seigneur, que nous
sommes tous obligés de glorilier par la lumière de nos bonnes œuvres.
Je la dois à l'amitié tendre que je me sens pour une famille qu'un temps
considérable passé avec elle sous un même toit m'a rendue plus chère;
et je voudrois, au prix de mon sang, pouvoir vous donner un exemple
qui vous attachât à la vérité, et qui vous fit marcher à jamais d'un
pus ferme dans cette voye. Il y a plus de deux ans, Monsieur, que Dieu,
par une miséricorde dont je suis indigne, mé fit craindre que la voye
dans laquelle je marchois avec confiance ne fut point la voye de la vérité.
Reiuply de cette crainte, je laissay là toute sorte de récréation et je me
renfermay pour examiner tous les points de notre croyance. Vous savez,
Monsieur, que ma grande retraite et mes veilles continuelles vous éton-
nèrent, vous et votre famille, et vous donnèrent lieu déparier beaucoup
sur mon changement. Ce temps fut employé à l'étude. Dieu bénit mon
application, et il me fit connoîlre des choses (jue j'avais toujours igno-
rées. Je fus d'abord touché de cette lumière dont Dieu m'échiiroit.
Voyant, sans en pouvoir douter, <}ue je professois une religion contraire
à la religion de J. C. et toute opposée à la pure doctrine de rÉyangile,
350 L'AimÉ DE ll.ORlAN.
je pris la résolulioii de tout ahandoiiiicr pour marquer à Dieu ma recon-
naissance
L'abbé de Florian entre ici clans le détail des embarras
domestiques qui le retinrent longtemps ; de la vente de ses
meubles à laquelle il dut procéder, en prétextant un voyage
à Paris, pour ramasser le peu d'argent nécessaire à l'ac-
complissement de son dessein. Il s'accuse d'avoir préva-
riqué, fait ce qu'il croyait être un très grand mal, parla conti-
nuation d'un ministère à l'efficacité duquel il ne croyait plus,
et scandalisé ainsi les faibles. Il n'a recouvré la paix qu'en
rompant le dernier lien qui l'attachait à l'Église romaine,
en acceptant sans réserve une vie de privation et de sacrifice,
sur les traces de Celui qui a glorifié les pauvres, et promis à
ses disciples une joie parfaite en échange des tribulations qui
les attendent dans l'accoinplissement du devoir. Mais il fau
laisser Fabbé fugitif s'exprimer lui même dans les touchants
adieux, entremêlés d'exhortations toutes chrétiennes, qu'il
adresse à son ancien hôte :
Voilà, Monsieur, ce qui me console et me fortifie... accordez moy vos
prières et demandez pour moy une piété solide et persévérante. Je seray
longtemps en marche. Au nom de Dieu levez au ciel des mains pures
pour m'en obtenir du secours. Que votre famille prie pour moy : l'inno-
cence des enfans donne de la force aux prières de leurs pères.
Si j'ai le bonheur de me voir ferme dans la vérité et dans la pratique
du bien, je me souviendray d'elle devant le Seigneur. Et si, dans l'éta-
blissement qu'il plaira à la Providence de me faire trouver, je puis con-
(ribnei- par moy-mème, ou par mes amis, au bien de vos enfans, je le
feray sans avoir besoin d'y être sollicité par vos lettres. Voire famille me
sera toujours chère, et réioignenuînt n'altérera point l'inclination dans
hujuoUe vous m'avez toujours vou à luy faire plaisir en touî.
Je crois (juc le témoignage le plus sensible que je puisse vous donner
maintenant est de vous exhorter, Monsieur, à continuer avec plus d'at-
tention que jamais à Vélever dans la crainte du Seigneur, à l'amour
de la retraite, de la prière et du travail. Vous êtes chargé d'elle; c'est
un dépôt que Dieu vous redemandera; il faudra en reniire compte. Vous
avez une bonne volonté, mais permettez moy de vous dire, comme votre
amy, que cela ne suffit pas. Il faut des œuvres; il faut insiruire votre
l'abbé de florian. 351
famille, premièrement par le bon exemple, qui est la voyc la plus cfli-
cace et la plus courte; secondement par l'instruction et la correclion.
Pour réussir en l'un et l'autre, il faut persévérer dans la lecture de
rÉcritiire Sainte et dans la prière. Cest dans VÉcriture que Dieu nous
parle; il supplée par làau silence des pasteurs, àleur négligence, àleur
ignorance etàleurserreurs. Écoutoz-le avec amour, avec respect, et dans
le désir de vous instruire, de vous rendre à ce que Dieu demande de nous...
Jésus-Christ vous y exhorte : « Enquérez vous (dit-il) diligemment
des Écritures, car vous estimez par elles avoir la vie éternelle, et ce sont
elles qui rendent témoignage de moy ». Si vous donnez à cette lecture
une heure chaque jour, demy heure le matin, demy heure le soir, et
deux au moins le dimanche, il est impossible que vous ne vous sanctifiez
tôt ou tard avec votre famille... Je ne saurois rien vous conseiller au-dessus
de cette pratique, la prière, la lecture, le travail, la frugalité et la
modestie. Vous êtes riche pour cette vie et pour l'autre à venir, si vous
la suivez. Ne participez point à Vidolàtrie; adorez Dieu en esprit et
en vérité. Faites une Église de votre famille, soyez en le ministre et le
pasteur. Dieu sera au milieu de vous, et il vous comblera de ses grâces.
Si j'ai eu le malheur de vous détourner par mon exemple de ce que
je vous inspire présentement, je vous en demande pardon et à toute
votre famille. Je vous prie de prier pour moy et d'oublier toutes mes
faiblesses... J'abandonne ma patrie, ma parenté, mes rentes, mes commo-
dités, mes amis, votre maison, dont la situation et la veue éloient si
heureuses, si réjouissantes, si convenables à mes études, et je vay dans
un pays inconnu, sans appui, sans ami et sans connaissances. Je m'expose
à la censure de toute la terre, à passer pour un débauché et un scélérat,
et à la triste nécessité de vivre d'aumosne. Croyez-vous, Monsieur, que
rien d'humain puisse faire faire de telles démarches? Il ne faut que
réfléchir pour penser le contraire et pour voir qu'il n'y a que Dieu qui
puisse faire pi-endre de telles résolutions. Plaise à sa bonté que ces réso-
lutions aient tout le succès que je me suis proposé pour sa gloire seule !
On ne s'étonne pas en lisant de telles pages, et celles plus
intimes adressées par l'abbé de Florian à Louis Rouquct son
valet, de l'effet qu'ont produit ces deux morceaux véritablement
exquis sur l'académie de Montpellier, qui « en a été parfois
émue jusqu'aux larmes ». On lira plus loin le second, que l'on
reproduit intégralement comme une page d'éloquence fami-
lière et tout évangélique. Il faut remercier le savant doyen
honoraire de la Faculté des lettres, M. Germain, d'avoir re-
352 l'abbe de florian.
cueilli avec amour et dignement conuuenté ces dilïérenles
pièces qui restituent un éi)isode ignoré de la Révocalion, cl
sont inséparables de l'histoire d'une famille que des litres
plus ijrillants, mais non plus purs, allaient bientôt signalera
l'attention de la postérité. L'aimable fabuliste qui fut trop de
son siècle, et qui ne connul ni la ferveur huguenote, ni le zèle
catholique de ses aïeux, ignorût-il l'existence de l'abbé de
Florian, devenu pasteur du Refuge, ou puisât-il dans son
exemple une leçon de tolérance qui se dégage de ses divers
écrits. Il perdit trop tôt sa mère, Gille Salgues, d'origine
espagnole, quoique protestante, (alunissant les dons de l'esprit
à ceux de la beauté, pour en garder un souvenir distinct ; mais
il vit souvent dans son enfance, son grand-père, le conseiller
à la cour des comptes de Montpellier, Jean de Claris, frère de
l'abbé, vieillard aimable et spirituel, jeune encore sous ses
quatre-vingts ans, qui, le prenant pour compagnon de ses
courses champêtres, lui faisait admirer ses translorrnations
agricoles: « Beaux vallons, s'écriera-t-il un jour, en songeant
au pays natal, fortunés rivages où jeune encore j'allais cueillir
des fleurs ! Beaux arbres que mon aïeul planta et dont la tète
touchait les nues, lorsque courbé sur son bâton il me les fai-
sait admirer * i » Le souvenir de l'exilé, du prieur de St-Jean
de Crieulon, s'était comme effacé dans les lieux qu'il ne quitta
pas sans un profond regret, pour obéir à un devoir de cons-
cience. C'est l'honneur de M. Germain de l'avoir fait revivre
en tirant de l'oubli des pages durables '. J. B.
I. L'abbé de Florian fait deux fois allusion dans sa Ictlrc à l'cvèquc de Nîmes
et dans sa leUrc d'adieu à ses paroissiens (p. 14 et 32) à un ouvrage spécial
(' dans lequel il tâche de rendre raison de sa foy et de manifester à toute la
terre les motifs de son changement. » Nous avions cru d'abord que cet ouvrage
n'était autre que la lettre d'adieu aux Fidèles de Saint-Jean de Crieulon
(11 pages in-l») touchant aussi aux questions de controverse. Mais il s'agit
évidemment d'un ouvrage plus étendu, que l'abbé fugitif recommande à la mé-
ditation de ses anciens paroissiens. On ne peut donc que s'associer aux voeux
de M. (lermain pour que d'activés recherches, faites en France et à l'étranger,
viennent coiiqilélcr sur ce point la notice consacrée à Pierre de Claris.
DOCUMENTS
LETTRE DE L'ABBÉ DE FLORIAN
A LOUIS ROUQUET, SON VALET.
(Août 1716)
Voicy, mon cher frère et mon cher amy, une nouvelle marque
de la recognoissance que je conserveray toute ma vie pour la fidélité
avec laquelle vous m'avés accordé, pendant deux années, votre ser-
vice. Dieu, qui est notre commun maître, comme notre père, a
voulu que vous ayés esté auprès de moy près de deux ans en qualité
de valet et de serviteur. Vous avés tasché de vous comporter dans
cet estât d'humiliation d'une manière digne de lui. Il auroit esté
juste que j'eusse fait mon devoir, comme vous le votre, La crainte
que j'ai d'y avoir manqué m'obligea suppléer à cette négligence par
cette lettre. La Providence divine ne voulant plus permettre que
nous demeurions ensemble, je dois vous renouveler, en me séparant
de vous, toutes les instructions que j'etois chargé de vous faire.
Comme je devois vous parler surtout par mes bons exemples,
et que c'est en cela que je ne me suis que trop oublié, je commence
par en demander pardon à Dieu, et par vous recommander de le
prier de toutes vos forces de me pardonner, et de vous remplir d'une
vive foy, afin que vous n'imitiés que les bonnes choses que vous
avés veues. Vous scavés les soins que je me suis donnés pour votre
instruction. Ils peuvent vous estre d'un secours infini, si vous voulés
suivre ce que je vous ai recommandé si souvent. Je le renouvelle
icy, afin que vous en conserviés la mémoire toute votre vie.
Souvenés-vous, mon cher enfant, que nous ne sommes faits que
pour estre éternellement heureux da;is le Ciel. Pensés que la terre
est un lieu d'exil, de misère, de larmes pour les chrétiens; et
XX.XIII. - 23
35i- LETTRE DE L'ABBÉ DE FLORIAN.
n'oubliés jamais que c'est par nn entier renoncement aux richesses,
aux plaisirs, aux honneurs du monde, que nous pouvons arriver à la
possession de notre bonheur. Le chemin du Ciel n'est autre que la
pauvreté, la mortification, l'humilité et le travail. Tencs-vous toute
votre vie dans ce chemin; n'en sortes jamais, quelque changement
qui arrive dans votre fortune; marchés y avecjoye, en vous appuyant
sur le bâton de la foy, de l'espérance et de la charité, qui sont les
vertus par lesquelles on plaît h Dieu, qui nous font faire notre
chemin : par la foy, qui nous fait croire sans hésiter ce que Dieu
nous dit, vous fermerés l'oreille aux discours du monde; par l'es-
pérance, qui nous fait mettre en Dieu notre confiance, et attendre
de lui seul tout notre bonheur, vous mepriserés les biens de la
terre, et vous ne serés point sensible aux recompenses des hommes,
ni à leur ingratitudes; par la charité, qui nous fait aimer Dieu plus
que notre vie, et qui nous oblige à aimer tous les hommes comme
nous mesmes, vous n'ecouterés point vos passions, et vous souffrirés
tout de la part des hommes, plutost que de leur faire ny de leur
souhaiter aucun mal; et c'est ainsi que vous marcherés ferme dans
le chemin qui nous mène k Dieu, et qu'après quelques tribulations
souffertes pendant votre vie, vous irés jouir de cette recompense et
de ce repos que Dieu nous promet, et qu'il donne sans faute à ceux
qui le servent de cette manière.
Pour ne pas vous négliger dans la pratique de ces vertus si
essentielles, priés et veillés, parce que de nous mesmes nous ne
pouvons rien, et que Dieu est le père de lumière, duquel descend
tout don parfait. Il faut prier sans cesse, c'est à dire faire tout ce
qu'on fait dans la seule veue de plaire à Dieu, mais vaquer à la
prière d'une manière plus particulière et plus marquée. Faites votre
capital de cet exercice : commencés et finisses toujours la journée
par cette action. Donnés votre cœur à Dieu dès votre réveil, le
matin; donnes le lui encore avant votre sommeil, le soir en vous
couchant. Faites vos prières, non pas de bouche, mais de cœur.
Soyés attentif et comprenés bien ce que vous dites k Dieu dans
votre prière. Faites-la avec humilité, en vous prosternant, autant
([ue votre santé vous le pernuMlra, devant le Seigneur. Persévères
dans la prière; ne manques jamais à ce grand devoir. Dieu vous
gardera pendant la nuit, et répandra ses bénédictions sur votre
travail pendant le jour. Avant et après le repas, en commençant et
LETTRE DE L ABBE DE FLORIAN. 355
en finissant votre travail, priés le Seigneur, avec les mêmes dispo-
sitions.
Après la prière il faut vous appliquer à ce que votre estât de-
mande de vous. Quelque soit le métier que vous prendrés, faites le
avec amour et avec fidélité. Il faut aimer l'ouvrage qu'on fait, parce
que, après avoir choisi un métier, nous devons croire que c'est Dieu
(jui demande que nous le servions, en nous appliquant à le bien
faire. Ne soyés pas précipité dans votre travail : faites votre ouvrage
avec attention, avec poids et avec sagesse. On ne fait jamais bien ce
qu'on fait vite. Piques vous surtout de travailler sur une matière
bonne et bien préparée, et n'épargnés pas votre peine, ni votre
temps, afin que votre travail soit bien bon. N'ayés jamais de veues
d'avidité, d'avarice, ni de vanité dans votre travail. Proposés vous
de plaire à Dieu, d'obéir à son commandement, qui veut que les
hommes gagnent leur pain à la sueur de leur front. Cherchés son
royaume et la pratique de sa loy, et tout le reste vous sera donné
comme pardessus. Dieu scait que vous avés besoin d'estre nourri
et d'estre habillé. Reposés vous sur sa bonté pour toutes ces choses,
et ne vous occupés que des seuls moyens de lui plaire, c'est à dire
de le prier, de le servir, en travaillant avec fidélité, dans Testât où
il vous a mis. Fuyés avec soin la compagnie des gens vicieux et sans
religion. Ne méprisés pas ces personnes; ne parlés pas mal d'elles;
ne refusés pas de leur rendre service, si vous pouvés ; mais n'ayés
aucune société avec elles. Cherchés à fréquenter les gens craignant
Dieu. Ecoutés ce qu'ils disent; suives les bons exemples qu'ils vous
donnent. Soyés sobre et frugal. Ne mangés qu'aux heures réglées.
Ayés soin de vous tenir propre; car la propreté est une vertu digne
d'un Chrétien : elle contribue beaucoup à la santé, et fait qu'on
dépense moins en habits. Contentés vous de la nourriture de votre
famille. N'allés jamais aux cabarets, qui sont des maisons abomi-
nables pour les Chrétiens auxquels Dieu a donné une maison pour
manger.
Respectés tout le monde. Ne vous meslés jamais dans les dis-
putes. N'écoutés jamais les rapports. Cachés tout ce qui n'est poin'
à la louange de votre prochain. Soyés officieux, et ne refusés point,
tant que vous pourrés, de rendre service.
Honorés votre père et votre mère; obéisses leur en toutes
choses, selon le Seigneur. Ne les laissés point manquer du néces-
356 LETTRE DE l'ABBÉ DE FLORIAN.
saire, fallût il vous mesme vous en priver. Ne faites rien sans leur
consentement, et secourés-les de tous vos moyens jusques à la fin.
Aimés vos frères et vos sœurs, et ne faites avec eux qu'une mesme
personne.
Si Dieu vous appelle au mariage, cherchés une fille, non pas
belle, mais vertueuse; non riche, mais modeste, retirée, soumise à
ses parens. Si elle n'est point bien instruite, faites-la instruire avant
toutes choses; et ne vous mariés qu'afin de servir Dieu avec plus
de fidélité et moins de danger. Si vous avés des enfans, donnés les
à Dieu dès leur naissance : elevés-les à sa crainte à bonne heure,
Apprenés leur à ne se point éloigner de vous, ou de leur mère, d'un
pas. Faites les suivre à votre travail, et accoutumés les à travailler,
dès qu'ils pourront tenir quelque outil en leurs petites mains. Sur
toutes choses, formés-les à la prière, à l'amour des biens célestes,
à l'amour de la sobriété, de la pauvreté, de la modestie, de l'obéis-
sance, de la souffrance et du travail.
Vous avés le bonheur de scavoir lire, ne le laissés pas inutile.
Lises sans cesse la sainte Écriture. Dieu y parle aux petits comme
aux grands. Lises la donc, sans manquer une fois du jour, ou le soir,
ou le matin. Votre métier ne vous dispense pas de ce devoir ; il ne
faut qu'un quart d'heure, les jours ouvriers ; lises un demi chapitre du
Nouveau Testament. Lises le avec respect, avec attention, comme si
vous n'aviés que cela à faire. Profites de ce que vous comprendrés,
et adorés ce que vous ne comprendrés pas. Le dimanche, lises ce
divin livre plus longtemps, une heure le matin et une heure l'après
dînée. Médités les belles choses que Dieu vous y dit. Vous de-
viendrés fort, et communiquerés votre force à votre famille. Chantés
les cantiques que vous avés copiés. Lises les instructions dont vous
avés rempli vos cahiers; recopiés les peu à peu, une heure du di-
manche. Par lîi vous sanctifierés ce saint jour; vous graverés en
vous ces excellentes choses, et vous vous rendrés agréable à Dieu.
Le dimanche, faites encore quelque bonne œuvre : visités des ma-
lades, si vous pouvés espérer de leur esire utile, entretenés vous
de bonnes choses avec quelques personnes qui craignent Dieu.
Promenés vous, et mangés mesme avec elles, dans leurs maison ou
dans la vôtre. Une récréation honneste et modeste n'est pas de
fendue.
Si vous avés la pensée de servir des maîtres, ce que je ne vous
LETTRE DE l'aBBÉ DE FLORIAN. 357
conseille pas, choisisses en un parmi mille. Ne regardés pas les
gages qu'on donne, ni la bonne nourriture, ni rien de semblable;
regardés si ce sont des gens de bien, des gens craignant Dieu, dé-
tachés du monde, et capables de vous donner de bons exemples. Si
vous n'en trouvés pas de tels, aimés mieux le plus rude travail, et
aimés mieux mesme mendier votre pain, que de prendre des con-
ditions où vous risqués votre salut.
Yoilà, mon cher amy, les instructions que j'ay creu estre obligé
de vous donner. Je souhaite que vous en profitiés, et que vous m'en
marquiés votre recognoissance, en vous rendant plus propre à me
devenir utile par vos prières devant le Seigneur. Je compte pour
très peu de chose les petils gages que vous avés gagnés avec moy.
Le soin que j'ay eu pour la santé de votre corps est peu considé-
rable; mais vous devés compter pour beaucoup ce que j'ay tasché
de faire pour vous instruire, pour vous faire avoir la foy pure et
éclairée qui fait le Chrétien, et sans laquelle il est impossible de
plaire à Dieu. Ayés toujours présentes ces instructions ; communiqués
les aux autres. Serves Dieu en esprit et en vérité. Donnés lui votre
cœur, il vous le demande. Souvenés vous des pratiques chrétiennes
que vous avés veues pendant que vous etiés avec moy. Ne vous en
départes point, et informés vous du pais où est celui que Dieu vous
avoit donné pour maître. Scachés comme il vit, et tachés de suivre
son exemple, si tout ce que vous lui avés veu faire ne peut que vous
persuader que ce qu'il pratique est bon.
Je ne scais pas si nous nous reverrons jamais sur la terre; mais
je scais que nous nous reverrons dans le Ciel, si nous avons le bon-
heur de tenir le chemin du Ciel. Travaillons à cela, quelque éloignés
que nous soyons. Nous nous retrouverons dans notre patrie. Nous
nous embrasserons devant notre maître commun, et si nous l'avons
servi fidèlement, moy dans mon estât, et vous dans le votre, nous
recevrons, comme serviteurs fidèles, notre recompense. Je vous le
souhaite, et je prieray toute ma vie, le Seigneur de vous secourir,
afin que vous rendiés certaine par vos bonnes œuvres votre vocation.
Adieu, mon cher. Je ne suis plus votre maître, mais je seray
toute ma vie, et au delà des siècles, votre serviteur, votre amy et
votre bon frère.
De Claris Flouian.
358 LETTRE DE R AU AUX SAINT-ÉTIENNE.
Paris, le 18 juin 1884.
A Monsieur Jules Bonnet, secrétaire de la Société d'Histoire.
J'ai l'honneur do vous adresser ci-jointe la copie fidèle d'une belle et
énergique lettre de Rabaut Saint-Étienne à propos de l'Édit de tolérance
qui allait paraître, lettre que j'ai eu la bonne fortune de découvrir dans
les Archives du Consistoire de Paris.
Le Consistoire a bien voulu m'autoriser à vous coninuiniquor pour
le Bulletin de rHistoire du Protestantisme, où il a, me semble-t-il, sa
place tout indiquée, ce précieux document relatif à une époque oîi, parmi
tant de grands caractères, celui de Uabaul Saint-Etienne fut certaine-
ment un des plus grands, des plus sympathiques, des plus utiles à la
France et au Protestantisme.
Cette lettre du 6 décembre 1787, écrite par conséquent deux mois
avant la promulgation de l'Édit qui, donné en novembre 1787, ne fui
« registre » que le 19 janvier 1788, ne porte malheureusement ni suscrip-
tion, ni mention, ni aucun indice permettant, de prime abord, d'indiquer
sûrement le nom de la personne à laquelle elle fut adressée.
J'avais cru tout d'abord qu'il s'agissait du vertueux Malesherbcs, avec
laquel Rabaut Saint-Étienne eut, comme on sait, de fréquentes et de
très intimes relations à l'occasion de la préparation de l'Édit; mais
Malesherbes était alors, si je ne me trompe, garde des sceaux, et Rabaut
écrit dans sa lettre qu' « on a transporté dans le préambule la pensée
de M' le garde des sceaux dans son discours » D'ailleurs, si grande
qu'ait pu être son intimité avec Malesherbes ou avec les autres mi
nistres, Rabaut, dans le cas particulier, aurait commencé sa lettre,
semble-t-il par « Monseigneur » ou par « monsieur le ministre » et non
comme il le fait par un simple et bourgeois « Monsieur ». Ce n'est donc,
selon toute apparence, ni à Malesherbes ni à l'un des membres du niinis
tèro qu'il écrit.
Ce n'est pas non plus à M. de Lafayette, qu'il n'aurait pas manqué
d'appeler « 3Ionseigneur », ou pour le moins « Monsieur le marquis »,
non plus qu'à M. de Rrctcuil auquel il n'eut pas ménagé son titre de
« baron ». Ne serait-ce pas à Ruhlières? ou encore à Roissy d'Anglas?
ou, plus probablement au rapporteur de l'Édit ou à quelque rédacteur
du ministère chargé de porter la dernière main à la rédaction de l'Édi
avant qu'il soit discuté et « registre » par le Parlement? Cette dernière
hypothèse me paraît la plus fondée, et voici pourquoi : H y a quelques
LETTRE DE RABAUT SAIXT-ETIENNE. 359
semaines, en parcourant la Collection Coquerel à la bibliothèque de
l'Histoire dn Protestantisme j'ai trouvé (vol. XXIX, p. 201) une lettre
de Rabaut Saint-Etienne, datée du 9 janvier 1788, lettre écrite en des
ternies et sur un ton se rapprochant beaucoup de ceux de la lettre en
question et tendant au même but; le personnage auquel il écrit et qui
n'est pas non plus désigné devra répondre aux observations que présen-
terale Parlement sur VÉdit de tolérance. Ce personnage et le destina-
taire de la lettre que je vous envoie sont très probablement une seule et
même personne.
Après tout, l'essentiel n'est pas de savoir à qui fut adressée cette
lettre, si intéressante que puisse en être la découverte, mais bien de savoir
qu'elle fut adressée et que, par conséquent, si l'Édit de 1787 ne donna
pas à nos pères une entière satisfaction en restituant aux pasteurs et
aux fidèles la libre possession de leurs droits civils, politiques et
religieux (l'Assemblée nationale allait bientôt s'honorer en proclamant
celte complète et tardive restitution !j il m faut pas s'en prendre à
l'apathie ni à la timidité trop aisément satisfaite de notre grand et tenace
Rabaut Saiut-Étienne. On s'en doutait bien, sans doute, mais il est
des faits que l'on ne saurait trop mettre en luznière.
C'est une grande satisfaction pour moi. Monsieur, que de pouvoir vous
communiquer cette lettre; vous l'accueillerez, j'en suis sur, avec une
satisfaction au moins égale à la mienne. De plus, je suis convaincu que
les lecteurs du Bulletin, si vous voulez bien la leur communiquer
à votre tour, vous en seront reconnaissants, surtout si, comme je l'espère,
aidé d'une compétence et de lumières historiques que je n'ai point, vous
voulez bien leur indiquer le nom de celui qui eut les prémices de ces
remarquables pages.
Veuillez agréer. Monsieur, l'assurance de mes sentiments dévoués,
Paul Jalaglier.
Nos lecteurs remercieront avec nous M. Paul Jalaguier de sa très pré-
cieuse communication. Quel que soit le destinataire de la remarquable
lettre qui suit, il y a lieu de la comparer avec le texte des observations
présentées sur le même sujet par Rabaut Saint-Étienne et insérées dans
le Bulletin, t. XllI, p. 342. 352 {Réd.).
3tîO LETTRE DE RABAUT SAINT-ÉTIEXNE.
LETTRE DE RABAUT SAINT-ÉTIENNE
SUR l'édit de tolérance de 1787
Paris, Je 6 décembre 1787.
Monsieur,
Je me permets de faire aujoiu-d'hui ce que le public fera dans un
mois, c'est-à-dire mes observations sur le fameux Édit qui va occu-
toute l'Europe, et qui, par conséquent, sera jugé par Elle.
On a retranché des articles, celui concernant le culte public;
mais on a inséré h la fin du préambule que la Religion Catholique
jouira seule des Droits et des honneurs du culte public; et comme
il n'est fait mention dans l'Édit d'aucun culte pour les non-Catho-
liques, il est évident que les loix pénales concernant le culte des
Protestants subsistent toujours, ce qui n'est pas propre à attirer les
étrangers. Et comme ce mot culte public a le sens qu'on veut, quand
la loi ne les a pas interprétés, c'est une expression vague, qui laisse,
à la vérité, de la liberté du Ministère, mais qui conserve les craintes
des nationaux et des Etrangers. Je fais cette observation. Monsieur,
parce qu'elle montre la nécessité de ne pas tarder à s'expliquer sur
le culte qui ne doit pas être public, sans doute, mais qui doit être
libre; qui ne ne peut être approuvé par un Roi Catholique mais qui
doit être permis par un Roi politique et sage.
On a transporté dans le préambule la pensée de M. le Garde des
Sceaux dans son discours, que les non-Catholiques ne tiendront de
la loi que ce que le droit naturel ne permet pas de leur refuser,...
les effets civils. Mais on sait aujourd'hui ce que c'est que le droit
naturel, et certainement il donne aux hommes bien plus que l'Édit
n'accorde aux Protestants : il me semble qu'il aurait mieux valu
taire celte pensée. Le temps est venu où il n'est plus permis à une
loi de choquer ouvertement les droits de l'humanité très bien connus
de tout le monde.
Permettez-moi, Monsieur, de me plaindre aussi de cette expres-
sion vague du préambule; les sujets non-catholiques privés de
toute influence sur l'ordre établi dans nos États. Si cette parole
veut dire que les Protestants n'entreront dans aucune sorte d'admi-
LETTRE DE RABAUT SAINT-ÉTIENNE. 361
iiistration, elle dit la chose qui n'est pas, qui ne sera pas, qui n'est
pas possible ; le législateur ouvre la porte [aux vexations contre les
Prolestants qui, entrant en diverses administrations, influent, en
petit contingent, sur V ordre établi dans VÉtat; et il se la ferme
pour confirmer ce qui est déjà, et pour établir ce qu'il sera juste et
indispensable de faire à l'avenir.
Si cette' parole veut dire que les Protestants ne pourront pas
influer comme corps, cela est déjà dit dans la phrase suivante; c'est
une repétition, mais qui laisse du louche : car le sens qui se pré-
sente à l'esprit, c'est que les Prolestants ne seront jamais admis à
l'Administration, même dans ses détails; ce qui, encore une fois,
est impossible.
Art. 1
Permettrons... de jouir dans nos États de tous les biens et
droits qui pourront leur appartenir.
Il me semble, Monsieur, qu'il y avait, ci-devant, une expression
plus claire. Ce qui leur appartient, selon eux, ce sont tous les
droits de citoyens et de sujets. Mais qu'est-ce qui leur appartient
selon la loi? C'est ce qu'elle ne dit pas : ce sera donc ce que les
interprèles de la loi voudront ou ne voudront pas ; c'est une occasion
de chicanes.
Art. IV
On a supprimé (depuis peu) la phrase de cet article, qui permet-
tait aux Ministres de jouir de tous les effets civils comme tous les
autres sujets non-catholiques.
Cet article était sage, il était juste, il était politique : j'ose dire
que sa suppression est une faute.
Il est prudent d'attacher les ministres à la patrie, et inconséquent
de les traiter comme des étrangers, car on ne veut pas qu'ils soient
étrangers.
Il est inconséquent de garder les loix pénales, à moins qu'on ne
veuille se réserver la douceur de les exécuter conlr'eux. Par la
phrase supprimée, on les abolissait sans le dire : par sa suppres-
sion, l'on garde nue loi honteuse, l'opprobre d'une nation qui se dit
et se croit tolérante.
362 LETTRE DE RABAL'T SAINT-ÉTIENXE.
On a torl de compter les ministres pour rien, parce qu'ils sont
beaucoup, et qu'un Gouvernement sage doit avoir l'attention de
n'aliéner les esprits de personne; mais il est imprudent d'aliéner
ceux de cinq cents personnes qui réunissent entr'elles la confiance
générale.
Il est impossible d'imaginer que trois millions d'hommes ne
sachent pas lire. Les Protestants ne sont liés que par leurs Mi-
nistres, et ils s'incorporent avec eux par la chaîne du culte : mais
les Protestants verront dans l'Edit que les Ministres sont toujours
condamnés à être pendus, et ceux qui leur donnent à souper, ou
qui vont les entendre prêcher, condamnés aux galères. Les senti-
ments qu'on excitera chez eux ne pourront pas être ceux de la recon-
naissance et de la confiance, ni même de l'admiration.
Les Ministres sont de bons sujets, on ne doit pas les traiter comme
de mauvais citoyens.
Il ne faut pas croire que ceux que la loi avilit se tiennent pour
avilis, car en fait de religion, opprobre est synonime de gloire; on
s'honore de l'injuslice qu'on souffre, et le comble de l'imprudence
serait de conserver dans l'État cinq ou six cents martyrs toujours en
exercice. L'oppresseur a\^\)e\\c fanatisme ce sentiment d'exaltation,
mais l'opprimé l'appelle zèle: les principes qui le conduisent ne
sont pas dans la tête d'autrui, mais dans la sienne : c'est d'après
son opinion que chacun se gouverne, et les conséquences que vous
tirez de votre idée ne pouvant être celles que je tire de la mienne,
je m'enorgueillis de cela même par quoi vous avez cru m'humilier.
Des hommes ainsi constitués, ou déconstitués, ne peuvent aller à la
cadence du Gouvernement.
Après cela. Monsieur, il n'y a nul danger à rétaldir la phrase sup-
primée. Je ne dis pas que cela est juste; malheureusement ce n'est
pas ce dont il s'agit, et il faut y renoncer à bien d'autres justices.
Mais quel danger peut-il y avoir à ce que les Ministres jouissent de
droits pareils à ceux des autres sujets non catholiques ? et quel mal
y aurait-il d'abolir ainsi indirectement les loix pénales portées
contre eux? Quel danger à leur dire : nous vous regardons comme
des Français, conduisez-vous comme tels?
Je vois une plus noble politique : elle consisterait à les honorer
et les estimer plutôt qu'à les proscrire et les avilir; à placer en eux
de la confiance, j)lulôt que de la méfiance; à les inciter par des
LETTRE DE RABAUT SAINT-ÊTIENNE. 363
bontés, assurément très bornées, à être chez les Protestants des
trompettes d'union, de concorde, de soumission au Gouvernement
qui les protège. Or, certainement, quand une marche politique es^
la bonne, la marche opposée ne vaut rien.
J'insiste auprès de vous. Monsieur, sur cet objet, comme je l'ai
fait autrefois, parce que je connais l'esprit général. 11 m'est revenu
de partout des alarmes des ministres sur ce qu'ils sont toujours
oubliés et même proscrits; les brebis ne sont pas elles-mêmes fort
rassurées quand on continue d'opprimer les bergers, et elles s'ima-
ginent qu'elles doivent souffrir de cette oppression, et la partager à
quelques égards. J'ai cru devoir les rassurer, en annonçant l'article
dont j'ai l'honneur de vous parler, et je pensais que cela était
nécessaire.
Quand on ne le verra point, on appercevra toute la nudité d'une loi
annoncée depuis longtemps et qui se borne à permettre aux Pro-
testants d'être orfèvres et perruquiers, et à leur promettre que
leurs enfants ne seront point bâtards. Cette faveur est grande sans
doute relativement à la portée des esprits de notre pays, mais elle
n'est point grande en elle-même. Elle ne peut avoir quelque chose
d'éclatant que dans un pays où l'on a gardé tranquillement quatre
générations de concubins, et où les principes du droit naturel sont
encore si ignorés qu'on est tout surpris des pas de nain que l'on fait
dans la réforme de la législation.
On sera forcé d'attribuer cette réîicence à quelque chose, ou à
quelqu'un : et de quel côté que se portent les soupçons, il n'en
peut revenir ni avantage ni gloire.
Je prends donc la liberté, Monsieur, de vous supplier de faire ce
qui dépendra de vous pour faire rétablir cette petite phrase. Je sup-
pose que l'on a l'intention de rendre les Protestants un peu satis
faits; car à quoi bon faire une loi si elle leur prouvait évidemment
qu'on a cherché le repos des ministres des loix et non le leur ?
Si on néglige l'objet qui leur tient plus au cœur, la liberté reli-
gieuse toujours préf rée par les hommes à la liberté civile, on leur
annonce qu'on ne veut pas les satisfaire en ce qui les touche le plus.
Mais la phrase supi)riméepeut les engager à prendre j)atience encore,
accoutumés comme ils sont au long exercice de cette vertu. Je n'abu-
serais pas de la vôtre, Monsieur, si je n'étais intimement convaincu,
que, sans cet article, on n'a presque rien fait, et qu'un silence ab-
364 MÉLANGES.
solu à cet égard ferait crier les catiioliques eux-mêmes et toute
l'Europe. Aussi, pour l'honneur même du Ministère, prendrai-je
soin de le redire jusqu'à extinction de forces; car, le moment une
fois passé, on aurait regrets à avoir refusé un objet aussi simple.
Je vous demande pardon, Monsieur, de la liberté dont je continue
d'user jusques au moment où je n'aurai plus à vous importuner que
des témoignages d'une reconnaissance immortelle.
Je suis avec un profond respect.
Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur,
Rabaut de Saint-Étienxe,
P. S. Comme j'ai changé de demeure, Monsieur, je continuerai de
vous donner mon adresse, jusqu'à ce que M. Colreau l'ait vue.
Rue de Riclielieu n° 42, près de la Rue Neuve des petits-champs.
MÉLANGES
LE CHEVALIER
.TEAN DANIEL DE BELRIEU DE LA GRACE
On connaît, en partie du moins, le ministère pastoral, souvent
si plein de dangers, exercé par Jean Louis Gibert dans la Sainlonge,
l'Angoumois, l'Agenais et le Périgord. On sait qu'il était traqué
comme une bête fauve et que l'ordre avait été partout donné de le
saisir « mort ou vif». Un certain nombre de publications S dont
1. Citons entre aulics : CroUet, Histoire des Églises réformées de Pons. —
Charles Coquercl, Histoire des pasteurs du désert. — Dullelin de l'Histoire du
Protestantisme français, d" annexe, p. 190 et suiv. — De Richemond, L'É(jlise
sous la croix et Encijclopedie des sciences religieuses, t. XII, p. 623 et s. —
Douen, L'Intolérance de Fénelon, — La France protestante.
MELANGES. 365
quelques-unes déjà anciennes, nous ont fait connaître quelques
péripéties de ce périlleux ministère. Parmi les nombreuses circons-
tance où il fut en danger de mort, l'une des plus connue et des
plus souvent citée est celle du 22 février 1755.
Sur des instances réitérées, il était venu à Pons (Charente-Infé-
rieure) pour baptiser l'enfant d'un nommé Syntier. Ce baptême
n'était pas autre chose qu'un guet-apens habilement tendu par
l'évéque de Saintes, comme en fait foi le registre des baptêmes et
mariages de la paroisse S'-Martin de Pons, qui contient la relation
du fait, signée de la main du curé Fortet. Gibert échappa, mais
un de ceux qui l'accompagnaient fut tué et un autre fut fait prison-
nier. Celui qui fut tué par la maréchaussée, était le chevalier Jean
Daniel de Belrieu de la Grâce; celui qui fut fait prisonnier était
André Bonfds (de la Guadeloupe). Les deux autres compagnons de
Gibert qui s'échappèrent avec lui étaient : son frère Etienne, plus
jeune que lui de 15 ans, et Gentelot (de S'^'-Foy). Bonfils fut jeté
dans les prisons de Saintes et le corps du chevalier y fut également
transporté. Après que Bonfds e\i été « interrogé sur la sellette »
ainsi que le « curateur à la mémoire dudit de Belrieu de la Grâce,
derrière le barreau », le jugement fut rendu et confirmé par l'in-
tendant de la Rochelle, Jean Bâillon. Par ce jugement le pasteur
Gibert fut condamné à la potence, son frère Etienne et Gentelot
aux galères perpétuelles; comme ils étaient en fuite ils furent
exécutés en effigie. Bonfds en fut quitte pour le bannissement per-
pétuel; la mémoire de Daniel de Belrieu fut éteinte, supprimée et
condamnée à perpétuité, et les biens de tous furent confisqués.
Parmi les considérants de ce jugement se trouve celui-ci, concer-
nant Gentelot et de Belrieu : « Avons déclaré le nommé Gentelot
de S^'-Foy dûment atteint et convaincu d'avoir présenté un pistolet
et visé les cavaliers de la maréchaussée qui voulait arrêter Gibert
à la sortie de Pons le 22 février... » « avons déclaré ledit J. Daniel
de Belrieu de la Grâce duement atteint et convaincu d'avoir fait
rébellion à justice, le 22 février 1755, d'avoir présenté un pistolet
de poche, et visé les cavaliers de la maréchaussée qui étaient à la
poursuite dudit Gibert » Nous verrons tout-à-l'iieure que ces
allégations sont fausses.
Ces faits étaient connus, mais il fallait les rappeler en les résu-
mant, parce qu'ils servent de cadre à ce qui va suivre et qui est
366 MÉLANGES.
beaucoup moins connu, ou plutôt qui est tout à fait inconnu. On
ignorait encore que la mort du chevalier de Berlieu était due à une
erreur de personne de la part de la maréchaussée, et que celte
erreur avait été amenée volontairement par de Berlieu qui s'est
dévoué pour sauver le pasteur Gihert, en allant au devant d'une
mort à peu près certaine, tout au moins au devant des galères à
perpétuité. C'est encore une belle page de nos annales religieuses
qui vaut la peine d'être connue.
Il résulte clairement, eu elYet, de documents conservés dans les
archives de la famille de Belrieu, ainsi que d'une tradition orale
bien précise, transmise par les frères du chevalier, documents et
tradition confirmés par une relation absolument inédite qui fait
partie des archives du Conseil presbytéral de la Rochelle, et qui
m'est communiquée par M. de Richemond, que Daniel de Belrieu
obligea le pasteur à éviter la mort en changeant de cheval et en
fuyant à la campagne. Dans le récit fait par Etienne Gibert du guet-
apens de Pons, il est déjà dit que de Belrieu avait changé de che-
val avec le pasteur Gibert. Mais la relation de la Rochelle est beau-
coup plus précise, elle mentionne une particularité qui répond
bien à la tradition conservée dans la famille de Belrieu. On y lit
que le cheval de Gibert était « boiteux », tandis que celui du che-
valier était (( beau et bon », et que de Belrieu engagea Gibert à
le prendre et Vobligea à se sauver à la campagne, puis il se pré-
sente à la maréchaussée. La tradition dit que « le cheval de Gibert
était boiteux parce que le maréchal ferrant d'un village voisin, en
lui mettant un fer, l'avait blessé exprès aiîn que la maréchaussée
pût reconnaître, à coup sûr, le pasteur et le prendre mort ou vif ».
Or si l'on songe que le traître Syntier, qui avait mandé Gibert,
s'entendait avec l'évèque de Saintes et qu'il avait fait prévenir la
brigade de S'-Geiiis, il est vraisemblable de supposer que le maré-
chal ferrant, bon catholique, avait prévenu Syntier que le cheval
était boiteux par son fait, et que ce dernier en avait averti la maré-
chaussée. En tout cas les archers savaient fort bien que Gibert
devait monter un cheval boiteux : cela ressort du récit d'Etienne
Gibert disant : « Il paraît que les archers crurent avoir tué mon
frère » ; et la relation du Mémoire de la Rochelle le dit en tout
autant de termes.
De Belrieu, Gentelot et Bonfils se présentèrent donc à la brigade
MÉLANGES. 367
pour donner aux deux frères Gibert le temps de se sauver. Les
archers les apercevant, coururent sur eux au galop de leurs che-
vaux, et s'attachèrent surtout « au pauvre chevalier qu'ils crurent
être Gibert à cause de son cheval ». Cela ne laisse pas le moindre
doute : la maréchaussée savait à quel signe elle devait reconnaître
celui qu'on lui avait surtout recommandé de saisir. De Belrieu le
savait aussi, et voyant le danger imminent, possédant un a beau
et bon cheval », il força le pasteur qui en avait un « boiteux » à
prendre le sien, estimant que pour le salut du troupeau il faut
sauver le berger même en sacrifiant une des brebis. On ne sait ce
qu'il faut le plus admirer du calme ou de la puissance d'une foi
qui inspire de semblables dévouements !
Quant à l'assertion de l'intendant, .Jean Bâillon, ([ui prétend que
de Belrieu et Gentelot avaient tiré sur les archers, j'ai dit plus haut,
qu'elle était fausse. En effet, aucune des relations connues, à part
celle du curé de Pons, n'en fait mention : ni celle d'Etienne Gibert,
ni le iMémoire de la Rochelle, ni les papiers de famille que j'ai
consultés. Non seulement je n'ai rien trouvé pour confirmer le fait,
mais j'ai sous les yeux, une pièce qui dit tout juste le contraire.
C'est une requête présentée, avec toutes les pièces à l'appui, le
18 juillet 1791, au tribunal de Montpont (Dordogne), en faveur des
héritiers de Daniel de Belrieu. Il s'agissait, en vertu de la loi du
15 décembre 1790 relative aux biens des religionnaires fugitifs,
de les faire rentrer en possession des biens du chevalier qui avaient
été confisqués après l'alfaire de Pons. Voici ce qu'on lit dans ce
document : « On ne voyait autre chose entre les mains des com-
» mandants de brigade de maréchaussée que des signalements qui
» désignaient les ministres qui publiaient et enseignaient la doctrine
» de Calvin La brigade de S'-Genis pourvue de ces signale-
» ments et cherchant l'occasion de rencontrer un ministre pour
» l'arrêter mort ou vif ayant pris de Belrieu pour un prédicant,
» se précipite et un des cavaliers qui la composait lui décocha par
» derrière et à bout touchant un coup de mousqueton qui lui lit
» sauter la cervelle et le laissa sans vie. » Cela est encore plus
explicite que le récit d'Etienne Gibert et que la relation contenue
dans le Mémoire de la Rochelle. De Belrieu fut tué par derrière,
ce qui veut dire qu'il cherchait à éviter la maréchaussée qui
s'acharnait après lui parce qu'elle le prenait pour le pasteur, parce
368 MÉLANGES.
qu'elle « croyait tenir sa proie », comme s'exprime Etienne Giherl.
D'ailleurs il n'y a pas la moindre vraisemblance à supposer que
de Belrieu, Gentelot et Bonfils se soient mis à attaquer cinq gen-
darmes bien armés. S'ils avaient même des armes, ce qui est dou-
teux, il faut avouer qu'elles étaient bien insuffisantes, puisqu'on
attribue à de Belrieu un pistolet de poche.
Revenons à la relation contenue dans le Mémoire de la Rochelle,
qui n'a jamais été puljliée, et qui, dans la circonstance, est très
importante; on va voir pourquoi. Disons d'abord qu'une lacune qui
existe dans celte partie des Archives de la famille de Belrieu qui
m'a été confiée, et quelques vagues indications m'avaient fait soup-
çonner l'existence de la relation de la Rochelle. Persuadé qu'il
devait y avoir quelque chose de plus, en un mot que cette lacune
devait être remplie, je me suis adressé à M. de Richemond si dévoué
aux intérêts de notre histoire protestante qu'il connaît si bien et qui
m'a envoyé la copie du Mémoire qu'on va lire. Ce qui fait surtout
rimporiance de cette relation, c'est qu'elle émane d'un témoin ocu-
laire, d'un des acteurs du drame, et qu'elle confirme et précise le
récit du jeune frère de Gibert. Bien qu'elle ne soit pas signée, il
est, en effet, de toute évidence qu'elle est due à Gentelot, ce dont
on sera convaincu après l'avoir lue en la confrontant avec le récit
d'Etienne Gibert et le jugement de l'intendant Bâillon. Avant de
donner la copie de ce Mémoire, nous devons faire observer que la
première partie se rapporte à un événement antérieur à celui de
Pons. Il s'agit là de l'assemblée religieuse tenue à Plardonnier '
(ou Plaurdonnier) et dont il est fait mention dans le Bulletin de
Vhisloire du Protestantisme, lome III, p. 108.
Mémoire pour Monsieur de Valette avocat au parlement à
Paris. — A remettre à Varrivèe du courrier, s'il est possible à
lui-même.
Du 2Gjuiii 1755.
(( Comme je scais que dans les choses de conséquence, il peut être
\. C'est à tort qu'on a écrit Plaudoniiier dans le Bulletin, loc. cil. Le nom
de ce village est Plardonnier. Il est situé assez près de Saujoa; il était alors
sur les confins de la forêt d'Alvert (aujounriiui on écrit Arvcrt) qui s'étendait
bien au delà des limites actuelles.
MÉLANGES. 369
essentiel d'avoir les premières informations quoique sujetes à man-
quer d'exactitude, j'ay creu devoir ne pas perdre un moment à vous
instruire de ce que j'ay apris hier d'une tragédie qui s'est passée à
un quart de lieue de Saujon, route de Mornac, et voici le fait tel
que je le scai, jusques à présent, par la seule lettre qui en parle.
La nuit de samedy 21 a dimanche dernier 22 une brigade de
4 archers informée sans doute, qu'il y avait dans cet endroit une
assemblée Rel. de Pro. demande et obtient un détachement de
troupes gardes-côtes, sous prétexte d'aller saisir une troupe de
mendiants qu'on avait découvert. J'ignore comment on entra dans
le centre de l'assemblée, qui était, dit la lettre, très nombreuse;
sans doute qu'on feignit d'abord d'y aller en habits bourgeois pour
le même sujet que le général, de quoi on ne tarda pas à être désa-
busé, puisqu'on commença par se saisir du chef eng. ce qui ne peut
qu'avoir cauzé un grand mouvement, et ce mouvement une décharge
qui fut faite par cette troupe inhumaine; qu'on dit avoir tué trois
du peuple qui, à son tour, désarma ceux qui les avaient assailly, et
plût à Dieu qu'on s'en fut teneu là; mais c'est souhaiter l'impos-
sible, de la façon dont les hommes sont, parcequ'une agitation en
produit ordinairement une autre, et le peuple émeu par son sang
qu'il voit verser sans ordre et sans forme, n'est pas ordinairement
fort tranquille; ce peuple donc désarma autant qu'il peut ceux qui
l'avaient assailly, tua un archer, faillit en pendre tout de suite un
autre à un arbre par les pies, dont il échappa avec le secours d'un
autre qui le sauva en se sauvant lui-même, le sabre à la main, et
blessa huit de la même troupe, dont trois, dit la lettre susdite, dan-
gereusement. Le peuple emporta ses morts et ses blessés; par ce
moyen personne n'avait encore été arrêté lelundy, puisque la lettre
n'en dit rien. Voilà ce que j'ay peu aprendre jusqu'à ce moment de
cette triste et tragique affaire. Dieu veuille qu'elle puisse parvenir
au vray aux pies des personnes constituées en authorité, et que
l'amour pour la justice les porte à punir les vrays coupables et à
prévenir de pareils malheurs, qui se succèdent d'un endroit à
l'autre et de province à l'autredepuis quelques années, ce qui ne
peut que navrer de douleur un cœur bon et vray Français qui souffre
de pareils désordres dans une nation respectable autant qu'elle est
éclairée, gouvernée par le plus grand et le meilleur Prince du
monde. »
XXXIII. — 24
370 MÉLANGES.
(Voilà la première partie. Dans ce qui suit on remarquera les pré-
cautions prises pour désigner les personnes et les actes du culte
sans les nommer, pour éviter que le sujet fût connu si la lettre tom-
bait dans des mains étrangères).
« Comme vous êtes curieux des faits singuliers je veux vous dire
avant de finir ce mémoire, qu'il arriva le dernier jours de l'octave,
dans la même Eglise au vicaire ce qui était arrivé au curé le jour de
la Quasimodo. -, . .
Mon cousin (Gibert) fut invitté d'aller le 2-2 février, donner une
couverture (baptême) à un enfant nouvellement né; le père avait
témoigné beaucoup d'envie de l'avoir de sa fabrique (protestant),
et ce malheureux ne le témoignait ainsi que pour livrer le fabri-
quant (le pasteur), ayant averti lamaréchausséde l'heure et de l'en-
droit marqués. Mon cousin et sa compagnie arrivèrent les premiers
au vilage, et n'eurent pié mis à terre qu'ils reconnurent aux mouve-
ments des habitans tous ennemis de la fabrique (du protestantisme)
qu'on voulait les arrêter; ils remontent bien vite à eheval, mon
cousin, en avait un mauvais et boiteux; le chevalier, mort (Jean-
Daniel de Belrieude la Grâce), l'engagea à prendre le sien qui était
beau et bon et l'obligea de se sauver dans la campagne avec son
petit parent {son ieime Irère Etienne Gibert). A la sortie du village,
ils aperçurent la brigade de la maréchaussée composée de 4 archers
et un brigadier, à laquelle le pauvre chevalier, le créolle (André
Bonfils, qui était de la Guadeloupe) et l'auteur de cette relation se
présentèrent pour donner à mon cousin et à son parent le tems de
se sauver. La brigade les voyant courut sur ces trois messieurs au
galop et s'attacha au pauvre chevalier qu'elle creut être mon cousin
par raport à son cheval et à la valise tira sur lui et le tua. Le che-
val du créolle actuellement prisonnier ayant été effrayé de cet éclat
se cabra, le jeta par terre et fut lacauze qu'on l'arretta, après l'avoir
bien maltraité : à l'égard de l'auteur de ce mémoire envoyé ici, il
prit la fuite et en feut quitte pour plusieurs bourrades de fusil armé
de bayonnette que les archers luy donnèrent en le poursuivant,
sans avoir peu le saisir. Cet accident faira qu'une quantité d'enfants
vont rester quelques temps sans couverture (sans baptême) et plu-
sieurs personnes de deux provinces sans habits de noce {sans béné-
MÉLANGES. 371
diction nuptiale), parcequ'on n'en veut absolument que de ladi'e
fabrique, quelle que chose qui en puisse résulter.
On pourrait vous informer de l'affaire arrivée au Gardon, le
16 février, si on n'était persuadé que vous l'avés été dans ce tems
et que vous scavez que le i de ce mois les prisonniers faits ont été
relâchés à la grande satisfaction et espoir »
— Et maintenant, que Gentelot soit l'auteur de la relation de l'af-
faire de Pons, contenue dans ce Mémoire, cela ressort, nous semble-
t-il, de l'ensemble du récit, et surtout des passages suivants :
« Ils aperçurent la brigade de la maréchaussée composée de quatre
archers et un brigadier, à laquelle le pauvre chevalier, le créolle et
Vauteur de cette re^a^toM se présentèrent » ; encore de celui-ci :
« A l'égard de Vauteur de ce mémoire envoyé ici, il prit la fuite et
en feut quitte pour plusieurs bourrades de fusil » De plus nous
savons que quatre personnes accompagnaient le pasteur Jean-Louis
Gibert : Daniel de Belrieu, Bonfils, Gentelot et Etienne Gibert :
tous les quatre sont nommés et dans le récit d'Etienne Gibert et
dans le jugement signé de l'intendant Bâillon. Or ici ils sont égale-
ment nommés ou clairement désignés, à l'exception de Gentelot, et
l'auteur de la relation se désigne lui-même comme étant au nombre
de ceux qui accompagnaient le pasteur : ce ne peut être un autre
que Gentelot.
Ajoutons enfin que Gentelot qui, après l'Edit de 1787, s'était
retiré aux environs de Sainte-Foy, où il est mort dans les premières
années de ce siècle, était un ami intime de la famille de Belrieu.
Il y a tout lieu de croire que c'est lui qui a rapporté le fait du maré-
chal-ferrant qui avait blessé le cheval de Gibert, et qu'il avait
raconté les divers incidents contenus dans la relation insérée dans
le Mémoire de La Bochelle. Ce qu'il y a de sûr c'est que le dernier
représentant mâle de la famille de Belrieu, Jean, qui est mort en
1850 à Sainte-Foy, et qui avait connu Gentelot, a souvent parlé de
ces choses à ses petits-enfants *.
1. Je tieris la plupart de ces renseiguements de M. de Bruyière de Belrieu,
conseiller général de la Gironde, petit-fils de Jean de Belrieu mort en 1850,
et arrière-petit-neveu du chevalier tué à Pons.
Je n'ai encore consulté que la partie des archives de la famille, concernant le
chevalier et ses deux frères. Sur l'offre gracieuse de M. de Brugière, je me pro-
pose de voir le reste où doivent se trouver des renseignements intéressants
372 mélanges:.
Dans la partie des archives de la famille de Belrieu, que nous
avons étudiée, nous avons trouvé la pièce intéressante qu'on va lire.
C'est un arrêt du parlement de Bordeaux en date du 2 avril 177'^,
en faveur des enfants de l'un des frères du chevalier lue à Pons.
Les deux frères de Belrieu aîné etjean de Belrieu étaient comptés
comme de nouveaux convertis bien qu'ils ne fissent point profession
de catholicisme. Jean de Belrieu, écuyer, sieur de la Grâce, le plus
jeune, s'était marié, en 1749, avec Marie Masmontet. Il avait si peu
d'enthousiasme pour le catholicisme qu'il attendit quatre ans, pour
demander, ou plutôt pour subir la bénédiction nuptiale du curé. 11
s'y décida enfin en 1753. Comme les registres de l'état civil étaient
entre les mains des curés, pour régulariser la situation de ses
enfi-nts, il leur fit aussi donner le baptême catholique. Tout cela
n'empêcha pas le curé d'inscrire sur les registres de baptêmes, le
gai'çon, Pierre, avec la qualification d'enfant naturel, et les deux
filles, toutes deux appelées Marie, sans qualification, ce qui reve-
nait au même. Mais cela ne doit pas nous étonner puisque nous
savons, par des milliers d'exemples, que c'était l'habitude des curés
d'inscrire ainsi les enfants des prolestants. La règle était générale.
Ce qui, à notre connaissance, semble une exception, c'est l'arrêt du
parlement de Bordeaux enjoignant au curé de Vélines, sous peine
« de saisie de son temporel », d'effacer le mot « naturel » et de le
remplacer par celui de « légitime » pour l'inscription du garçon et
d'ajouter le même mot à l'inscription des deux filles.
Voici cet arrêt :
« Extrait des registres du Parlement.
« Vu par la cour la reciuette à elle présentée par Jean de Belrieu,
écuyer, sieur de la Grâce, tendante à ce que pour les causes et rai-
sons y contenues il plaise ù la d^'= Cour vu le contrat de mariage de
pour notre histoire protestante; entre autres sur madame de Castelnau, grand'
mère du ehevalier, morte dans les prisons de Libourne vers 1730, et dont le
cadavre fut traîné sur la claie. J'y trouverai certainement aussi la filiation
exacte qui permettra de compléter et de rectifier l'article de Belrieu de la
France Protestante.
Un autre membre de la lamillc du clievalier, Pierre de Belrieu des Réaux
est mort en 1813, près de Sainte-Foy; il était cousin germain de Jean, mort en
1850 ; il avait épousé une demoiselle de Méric.
MÉLANGES. 373
lui de Belrieu de la Grâce avec Marie Masmontet du huit septembre
mil sept cent quarante neuf, retenu par Pascaud N'''= ; l'extrait de l'im-
partition de la bénédiction nuptiale du d' mariage du six avril mil
sept cent cinquante trois délivré par Ligourre curé actuel de Lunas
le premier may mil sept cent cinquante huit; le verbal de saisie
faite un préjudice du d^ de Belrieu de la Grâce, le deux juin mil
sept cent soixante huit, à la requette du fermier régisseur des biens
des religioniiaires fugitifs, faute de payement de l'amende de quatre
cents livres prononcée contre lui et contre led' Masmontet solidaire-
ment par l'appointement du sénéchal de Libourne du vingt trois
juillet mil sept cent cinquante quatre, la requette présentée à la
cour par ledit de Belrieu de la Grâce contenant son appel du d'
appointement avec l'ordonnance de la cour au bas d'icelle, du onze
juillet susditte année mil sept cent cinquante huit: coppie de l'arrêt
du conseil du vingt six septembre suivant; coppie imprimée de
l'arrêt de la cour du trente un juillet mil sept cent soixante neuf,
ensemble les extraits de baptême de Pierre, Marie et autre Marie de
Belrieu, enfans dudit de Belrieu et de laditte Masmontet son
épouse, Vidant l'interlocutoire, prononcé par ledit arrêt du trente
un juillet mil sept cent soixante neuf, faisant droit de l'appel par
lui interjette dudit appointement du sénéchal de Libourne du vingt
trois juillet mil sept cent cinquante quatre émandant casser ledit
appointement, ensemble les commandemens et la saisie qui s'en est
suivie, lui faire main levée de l'amende, aumône et effets saisis à
son préjudice, à la remise desquc Is les dépositaires seront contraints
par toutes voyes, lui faire en outre main levée de l'amande consi-
gnée sur son appel à lad^' délivrance de laquelle le receveur sera
contraint par corps, au surplus ordonné que le mot naturel, inscrit
dans l'acte de baptême de Pierre de Belrieu fds dud^ Jean et de lad'"
Masmontet, sur le registre de l'Église paroissiale S^-Martiu de
Vélines sera effacé, et qu'au dessus il sera substitué le mot légi-
time, qui lui manque; à quoi faire le dit curé de Vélines sera con-
traint par saisie de son temporel; ordonné en outre que le présent
arrêt sera exécuté nonobstant toutes oppositions faites ou à faire,
laditte requelle signée Dugay procureur dudit de Belrieu de la
Grâce, répondue d'un soit montré au procureur général du Roy,
ayant au bas ses conclusions du vingt huit mars dernier signées
Dudon à laquelle d"^ requette tant les Extraits baptistaîres des
374 MÉLANGES.
enfans dudii Belrieu et de la d'" Masmonlet du vingt sept novembre
mil sept cent cinquante sept et vingt six mars mil sept cent cin-
quante huit que les autres pièces cy-dessus énoncées sont attachées,
et ouï le Rapport dit a été que la cour ayant égard à la d'' requette,
et aux conclusions du procureur général du Roy, vidant l'interlocu-
toire prononcé par l'arrêt du trente un juillet mil sept cent soixante
neuf, faisaut droit de l'appel interjette par ledit de Belrieu de la
Grâce de ra;)point'ement ensemble les coinmandemens et la saisie
qui s'en est suivie, fait main levée au dit de Belrieu de l'amende,
aumône et effets saisis à son préjudice, à la remise desquels les
dépositaires seront contraints par les voyes qu'ils sont tenus, ce fait
ils en seront valablement déchargés; lui fait en outre main levée de
l'amende consignée à raison de son dit appel, à la remise de laquelle
le receveur sera contraint par corps ; au surplus la ditte cour ordonne
qu'au mot naturel, inscrit dans l'acte de baptême de Pierre de Bel-
rieu, fils dudit Jean de Belrieu de la Grâce, et de Marie Masmon-
tet, sur le registre de l'Église paroissialle S' Martin de Vélines, sera
ajouté le mot légitime ; ordonne également que dans les actes de
baptême de Marie et autre Marie de Belrieu leurs filles, il sera aussi
ajouté le mot légitime, qui y manque, à quoi faire le curé de Vélines
sera contraint par saisie de son temporel; ordonne en outre que le
présent arrêt sera exécuté nonobstant toutes oppositions faites ou à
faire et sans préjudice d'icelles; prononcé à Bordeaux en parlement
le deux avril mil sept cent soixante douze.
» De Gascq, premier président.
» Baritault, rapporteur. »
C'est après de longues années de réclamations soutenues avec une
énergique persévérance que Jean de Belrieu finit par obtenir cet
arrêt du parlement de Bordeaux. Justice tardive, sans doute, et
(]ui néanmoins est une preuve qu'on commençait à se relâcher un
peu de la persécution sauvage qu'on avait employée jusque-là à
regard des religionnaires. Encore une quinzaine d'années et on
leur donnera VÉdit de Pacification qui sera un commencement de
réparation.
D. ClIARRUAUD.
N. B. — Cet article était sous presse quand nous avons reçu de
BIBLIOGRAPHIE. 375
M. de Richemond, une note qui établit qu'après 1765, les réclama-
tions des Protestants, au sujet des inscriptions de baptême de leurs
enfants, étaient assez souvent écoutées, et que les qualifications inju-
rieuses qu'on ajoutait à leur nom, étaient effacées. Il nous donne
quelques exemples de ces rectifications faites en marge des registres
paroissiaux déposés aux archives de la mairie de la Rochelle; recti-
fications opérées en vertu d'un arrêt du présidial de La Rochelle,
et écrites de la main même du greffier du tribunal. Certainement
que d'autres archives communales doivent contenir des rectifications
semblables. Elles prouveraient donc que Tarrèt du parlement de
Rordeaux n'était pas si exceptionnel que je l'avais cru; que la
« grande tourmente » commençait à s'apaiser et que ces indomp-
tables huguenots reprenaient enfin leur place au sein de la nation et
de l'humanité d'où le roi-soleil avait espéré les bannir.
D. C.
BIBLIOGRAPHIE
RÉPERTOIRE
I. RIOGRAPHIE. — Testament fait par Renjamin de Rohan, sei-
gneur de Sunbizc, avant la prise d'armes, qui devait avoir lieu
en 1619, le 25 mai {Archives historiques du Poitou, 1. 1) *.
Epistre funèbre, où est contenu un abrégé de la vie de feu
madame Charlote Fiandriue de is^assan, sœur de son Altesse
d'Orange, très illustre abltesse du monastère de Sainte-Croix de
Poitiers, de l'ordre de S. Rcnoist, decedée le dixicsme d'avril 1640,
précédé d'une notice par M. de la Menardière — l'éloge est de
1. On trouvera dans ce Répertoire l'indication de ce qui concerne l'iiistoire
du protestantisme français dans les 14 premiers volumes des Archives histo-
riques du Poitou.
376 BIBLIOGRAPHIE.
Catherine de la Tréinoille qui succéda à F. de Nassau {Ibid., 1. IV).
La conversion au catholicisme de Charles de Sainte-Maure, duc
de i>ion<ausîcr (A. et M. DE S' M. dans le Bulletin de la SocitHr
des archives de la Saintonge et de VAunis, V' vol., (? livr.,
p. 411, ss.).
M. T. DE Larroque a publié un extrait d'une lettre de Jean Chape-
lain, du 15 sept. 1672, où il est question de G. <Ih liavia»;, dans la
Revue de Gascogne (t. XXII, 1881, p. 49). Dans le même numéro
de la Revue, page 396, M. L. C. nous apprend que Pierre Davan-
tès, dit Antésignamis, mort à Genève le 31 août 1561, était né à
Rabastens-de-Bigorre (IP'^'-Pyrénées) et non à Rabastens-sur-Tarn
(Tarn), comme l'avait cru Bayle.
Le livre de comptes de Samuel Méquiiict, pasteur de campagne
au pays de Montbéliard, du xviF au xviii' siècle a été publié par
M' Léon Sahler dans la Revue d'Alsace de 1881, pages 43-71.
La politique de Henri iv a inspiré h M. A. Des jardins un article
très catholique dans la Revue des deux Mondes de 1884, 15 avril.
L'article de M. Frank Puaux sur Tiiomas «l'ËseorJiiac, publié
dans notre Bulletin historique et littéraire (1884, 15 mars et
15 juin) est rectifié et complété dans le Bulletin de la Société de
la Saintonge et de VAunis (VP vol., p. 27 et 28).
A. DE BoiSLisLE : Lettre de la duchesse de la Tréraoille sur la
mort de M™' d» Pies^^is-iviorasay, mai 1606 (Notices et documents
publiés en mai 1884 par la Société de rUistolre de France). —
M'** DE VoGtJÉ : Lettres et discours de !§>uiiy sur le projet de répu-
blique chrétienne, 1630 (Ibid.). — Duc d'Aumale : Cinq lettres de
Tiircnne au duc d'Enghicn, 1643-45 (Ibid.) — Jules Roy : Tu-
rcuue, sa vic et les institutions mihtaires de son temps, Paris,
G. Hurtrel. — A. Roget, Pîcn-e Bayie et Genève dans les
Étrennes genevoises, de 1884. — Le même : Caiwin et les Églises
de Pologne dans les Étrennes chrétiennes^ 1884. — E. Ritter,
la rentrée do j.-j. Rousseau dans l'Église de Genève, 1754 (Ibid.).
— UsTERi, la doctrine de Caiviu sur le baptême et la S'^-Cène, et
l'attitude des réformateurs slrasbourgeois ituver et (lapiiikn dans
la question du baptême (Theologische Studien und Kritiken 1884,
3' fascicule). — M. Raphaël Puiset a publié un Essai sur la pein-
ture française au xvi' siècle, où il parle de Jean Coui^în, dans
L'investigateur (t. LU, année 1881, p. 155-166).
BIBLIOGRA.PHIE. 377
Le pamphlet de M. Cii. Buet sur Coiigny (Paris-Palmé 1884)
n'a été signalé qu'avec des réserves par la Revue des questions
historiques du 1" juillet 1881 et apprécié avec esprit dans le Feu
follet du 15 mars de la même année.
II. GUERRES DE RELIGION. — Lettre adressée par l'amiral de
Coligny au capitaine du château de Foutenay, à l'occasion du
meurtre du capitaine de La Mothe-Bonnet, Niort, 29 janvier 15G9(?)
(Archives historiques dit Poitou t. I). — Lettre adressée par le
chapitre de Luçon et les habitants de cette ville à M. de Parabèze,
gouverneur du Poitou, pour l'assurer de leur résolution de vivre en
paix les uns avec les autres, sans acception de religion, ainsi qu'il
les y avait exhortés et de leur obéissance au roi ; suivie de la teneur
de leur serment de fidélité au roi et à la reine régente et de celui
de l'évêque de Luçon, Armand-Jean du Plossis-Richelieu... 1610
(Ibid.).
Lettres de Jeanne d'Albret, reine de Navarre, Henri, prince de
Navarre et Henri de Bourbon, prince de Gondé, déclarant de bonne
prise les armes capturées pendant les troubles de 1568 par Jean de
Saint-Hermine, commandant à La Rochelle en l'absence du feu
prince de Gondé, et promettant de garantir et défendre ce comman-
dant et les maire, échevins et pairs de la Rochelle contre toutes les
recherches et perquisitions qui pourraient être faites à ce sujet
(9 avril 1569).
Rapports des Rochciais avec Henri I de Bourbon, prince de
Gondé 1576 et 1577. Sous ce titre, M. L. Délayant publie les cinq
pièces suivantes :
1. Réponse remise au nom ducorps de la ville de La Rochelle, aux
envoyés du prince de Gondé et des princes allemands, sur leur
demande d'une contribution de 100000 écus.
2. Articles et remontrances requises par les maire, échevins et
pairs de La Rochelle être signés par la majesté du roi de Navarre
pour faire son entrée en ladite ville, sur la remonstrance et recjuête
des bourgeois, manants et habitants d'icelle, à eux faite après avoir
ouy la lecture de la-lettre de sa dite Majesté adressé aux dits majre,
échevins, pairs, bourgeois, manants et habitants (19 juin 1576).
3. Articles accordés parMonseigneur leprincede Gondé aux maire,
échevins, pairs, bourgeois manants et habitants de la ville de La
Rochelle, le 23' jour de janvier 1577.
378 BlBLIOGRAPIIIt:.
i. Capitulation de monseigneur le prince deConrlé pour Flandres,
(6 juin 4577).
5. Instructions et mémoires que messieurs les maire, éclievins,
conseillers, pairs, bourgeois, manants et habitants de la ville de La
Rochelle baillent à sire Pierre Chastaigner et Michel Réau, pairs de
ladite ville, ou l'un d'eux pour l'absence ou maladie de l'autre, sur
la négociation de l'armée navale que mesdits sieurs entendent que
lesdits Chastaigner et Réau lassent au pays de Hollande ou Zélande
(6 juin 1577).
Lettre de Philippe Desporls au duc de Joyeuse, l'avertissant de ce
(jui se passe à la cour, tandis qu'il tient en échec l'armée du roi de
Navarre et cherche à l'éloigner du Poitou (11 août 1587, Ibid.^X. II).
A. DE Barthélémy : Actes de l'assemblée générale des églises
réformées de France et souveraineté de Béarn, 1620-1622, suivis
d'une table des noms de personnes elde lieux {Ibid.,t. V). A.Bar-
DOXNET : Registre de l'amirauté de Guyenne au siège de La isoehciic,
1569-1570. — G. DE LA Marque. Lettres adressées à MM. Chas-
teigner d'Abain et de la Roche-Posay (1553-1561), détails sur les
guerres de religion (Ibid., t. YU). — A. de Barthélémy : Documents
relatifs à l'assemblée de La itoehciie (Ibid., t. "VIII, p. 161-402).
Lettres de Jean de Besly (1612-1647), publiées par M. Apollin
Briquet. Elles remplissent tout ce volume; on y trouve des détails
circonstanciés sur la guerre civile dans le Ba^i-Poitou, depuis 1621
jusqu'à la prise de La Rochelle 1628 (Ibid., t. IX).
Lettres adressées à Jean et Guy de Daillon, comtes deLude, gou-
verneurs du Poitou de 1543 à 1557 et de 1557 à 1585, publiées par
M. Belisaire Ledain. — Ces 424 pièces, déjà citées, remplissent les
tomes XII et XIV des Archives historiques du Poitou et sont très
utiles à consuller jKJurl'hisloire des guerres de religion. H. Fazy :
Genève, le parti liuguenot et le traité de Soleure, 1574-1579,
Genève, Georg, 1883, in 4% fait suite à la Saiut-Darthélemy et Ge-
nève, du même auteur, publié en 1879.
Camoin de Venge, Épisodes de la ligue en Pn'ovenee, prétend
dire la vérité sur les accusations portées conti e lo.prési(lentd'Oppcde
à l'occasion des massacres de Mérindol c[ Cabrières {Linvestiga-
teur, l. LU, année 1881, p. 24-35).
Récit véritable de ce qui s'est passé à Biavci, maintenant dit le
Poit-Louys, eiilre monseigneur le duc de Vendosme et le sieur de
BIBLIOGRAPHIE. 379
Soiibize; avec la sortie du dit sieur Soubize hors de Blavet, et sa
retraite sur la mer (Paris, 1625, réimprimé à Nantes, Forest et
Grimaud, 1881, in 10° de 16 pages).
M. P. DE Lacroix revient sur Montesquieu, Coudé et la bataille
de Jaruacdans le Bulletin de la Société de Saintonge etde VAunis
(M" vol. 6" livr. p. 397). — L'abbé Métais. Jeanne d'Albret et la
spoliation de l'église Saint-Georges de Vessîtôme, le 19 mai 1562.
(Bulletin de la Société archéologique du Vendômois, t. XX, 1881,
p. 297-328). — Comte 0. delaHitte : Documents sur les troubles du
xvi^ siècle en Gascogne {Revuc de Gascogne, iSSi, mars et avril).
— Uawdox Brown : Calendar of state papers.... of Venice. VI, part IL
London Longmans 1881 in 8", renferme, entre autres, une vingtaine
de dépêches de G. Soranzo, ambassadeur de Venise en France, pour
la fin de 1556, et 69 pour 1557; ces dépêches concernent, entre
autres, l'histoire du siège de Saînt-Qîsenïîn.
N. Weiss.
PAUL RABAUT
SES LETTTES A ANTOINE COURT
AVEC NOTES, PORTRAIT ET AUTOGRAPHE
2 volumes iii-S"*
Ce fut une belle soirée que celle du 9 octobre dernier, consacrée
à Paul Rabaut dans le temple de l'Oratoire de Nîmes. Le sujet fut
introduit par la leclure d'un mémoire de M. le pasteur Dardier,
puisé aux sources. Ce n'était pas un Rabaut de fantaisie, mais le
grand pasteur nîmois, l'infatigable apôtre du Désert, parlant, agis-
sant, vivant, devant une assemblée populaire émue des mêmes
souffles, animée des mêmes senliments. Je n'ai jamais mieux com-
pris la magie du passé dans les textes qui en sont l'expression
directe et authentique.
Depuis de longues années M. Dardier vit dans ce passé devenu
1. En vente au mois de septembre, librairie Grassart. l'rix : 12 francs.
380 BIBLIOGRAPHIE.
pour lui le présent par l'étude approfondie des documents qui en
gardent le secret. Ce qu'un éminenL érudit a fait pour les origines
de la Réforme dans les pays de langue française, M. Dardier l'a
tenté, non sans succès, avec des collaborations filiales, pour la
restauration du protestantisme au siècle dernier. Il est l'Herminjard
du Désert. C'est plaisir de lire avec lui les pièces tirées de la pous-
sière des bibliothèques et rajeunie par ses lumineux commentaires.
J'ai sous les yeux le premier volume déjà imprimé, et les feuilles du
second presque achevé, de la précieuse correspondance de Paul
Rabaut avec Antoine Court (de 1730 h 1755) et je ne résiste pas à
la tentation de dire ce qui m'a instruit, captivé, charmé dans celte
lecture.
Elle nous reporte aux premiers jours de l'apostolat de Rabaut
continuant l'œuvre de Corteiz, de Bonbonnoux, d'Arnaud, de Pierre
Durand, ses vaillants précurseurs : « Mon quartier, écrit-il^ com-
mence à la Calinette et finit à Saint-Pargoire, c'est-à-dire qu'il a
seize lieues de longueur. Ce qui m'encourage beaucoup, c'est que
de temps en temps j'ai lieu de me convaincre par mes propres yeux
que le Seigneur bénit mon ministère. Je voy déjà une moisson
abondante devant moy. Oh î si j'avais une faucille comme la vôtre
ou un compagnon d'œuvre tel que vous, que de blé il y auroit bien-
tôt dans le grenier du Seigneur ! si je ne craignois de vous fâcher
ou de perdre mes peines, que de choses je vous dirois ici; mais
votre cœur ne vous les dit-il pas? »
Habanl fait ici allusion aux regrets qu'il exprimait naguère, au
nom (les pieuses Dlles Cabrier, du départ de leur cousin laissant
une œuvre apostolique interrompue à Nîmes, pour aller fonder le
Séminaire de Lausanne, qui porte déjà les plus heureux fruits. Des
lettres ne sauraient remplacer, pour les témoins d'un premier réveil,
ces exhortations, ces discours qui c( produisaient dans les âmes des
sentiments tout divins... Nous réfléchissons souvent sur ces temps
heureux où nous allions ensemble dans les déserts et les antres de la
terre, refuge de l'épouse du lils de Dieu lorsiju'elle est persécutée,
pour y célébrer les œuvres du Seigneur et les merveilles de sa gra-
tuité. C'est bien le même, disions-nous, à l'ouïe de la lecture de
votre aimable lettre; c'est notre cher monsieur Court; ce sont bien
là les traits de cette éloquence mâle qui, comme uu torrent, entraî-
nait tout, captivait tous les cœurs, faisoit fondre en larmes les
iUBLlOGRAPHIE. 381
pécheurs les plus endurcis, et amenoit les pensées prisonnières à
l'obéissance du Sauveur du monde. Heureux temps ne reviendrez-
vous plus ! » On surprend ici dans sa première éclosion ce réveil
dont les progrès ne devaient plus cesser. Court allait trouver un
digne successeur dans Paul Rabaut qui, formé par ses leçons,
durant un court séjour à Lauzanne, devait si bien continuer son
ministère interrompu.
Les temps se prêtaient moins à l'étude qu'à l'action. Peu de mois
suffirent (d'août 1740 à février 1741) pour lier ces deux hommes
d'une de ces amitiés où la différence des âges s'efface devant la con-
formité des vues et la sainte ardeur de la foi poursuivant un même
but. Le maître el l'élève ne sont qu'un dans Faccomplissement de la
grande mission que Dieu leur a confiée. Les plus aimables elfusions
se mêlent sous la plume de Piabaut au récit de ses labeurs et de ses
périls quotidiens; mais c'est la note héroïque qui domine; et cet
homme fait pour goûter les plus tendres affections est toujours prêt
à les immoler à un devoir supérieur : « Vous ne sauriez croire,
mon cher frère, à quel point nous sommes exposés. Il y a presque
partout des gens aux aguets pour nous surprendre, de sorte que
nous pouvons parfaitement nous appliquer ce que disaient à Dieu les
anciens fidèles et les premiers chrétiens : No2ts sommes livrés tous
les jours à la mort pour l'amour de toy et Von nous regarde
comme des brebis destinées à la boucherie... Quoiqu'il m'arrive je
suis aux ordres de la Providence; j'espère que Christ me sera gain
à vivre et à mourir. » Cette pensée revient sans cesse dans les pré-
visions de Paul Rabaut et lui dicte plus d'un sacrifice. C'est à Lau-
sanne qu'il envoie ses trois jeunes fils, dont l'un sera Rabaut Sainl-
Étienne, pour y être élevés; ses lettres à ce sujet respirent les plus
touchantes sollicitudes et le plus gracieux enjouement. Il ne garde
avec lui que sa vaillante compagne, Madeleine Gaidan, si digne de
s'associer à son beau ministère.
L'année 1744, coïncidant avec la guerre de la succession d'Au-
triche, fut marquée par un adoucissement passager de la persécution.
C'est la date d'un retour temporaire d'Antoine Court assistant au
synode général qui mit un terme au schisme de Roger. Mais il fallut
trop tôt se séparer : « Quel vide que je sens quand nous ne sommes
pas ensemble ! Il me semble que je n'existe qu'à deux et qu'une
partie de moy mesme m'a esté arrachée... Oh 1 ijuel fardeau peur
3S2 BIBLIOGRAPHIE.
mes faibles épaules. Hier au soir je bénis vingt-six mariages, tout à
la fois. C'était tout de Provençaux; demain j'en bcniray aussi un
nombre considérable, s'il faut s'en rapporter à ce qu'on m'a dit.
Comme j'aurais une nombreuse assemblée et une quantité extraor-
dinaire de communiants, fay prié notre très cher frère Monsieur
Roger, qui voulait partir aujourdlmy, de rester demain pour
m'aider à administrer la Sainte Cène. » Un an n'est pas encore
écoulé que Rabaut annonce à Court le martyre de ce même Roger
de Boissières, une des plus belles figures du Désert. Condamné par
le parlement de Grenoble, « il employa le temps qui lui restait à
chanter des psaumes et à adresser à Dieu de ferventes prières. Le
bourreau l'ayant exécuté, son âme bienheureuse fut portée dans le
sein de son Sauveur. Son corps resta pendu jusqu'au lendemain
qu'on le jeta dans l'Isère. »
Tel est le sort qui attend les fidèles ministres de J.-C. à cette
époque. Ce fut celui de Mathieu Majal, de Btnézet, de Teissier et de
bien d'autres. A côté de Paul Rabaut viennent se placer, dans sa
correspondance quotidienne, ses collaborateurs les plus dévoués,
Bétrine, Claris, Gibert, Defferre, Encontre, et le plus éminent de
tous, Pradel, dit, Vernezobre, pasteur d'Uzès, dont il sera séparé
par une brouille passagère heureusement dissipée à leur honneur
commun. C'est le mérite de M. Dardier, et j'y insiste à dessein, de
ne nous laisser rien ignorer des faiblesses comme des vertus de ces
héros de la conscience. Ses notes, où il prodigue les trésors d'une
érudition aussi sûre qu'attrayante, forment des notices historiques
d'une incontestable valeur. On ne lira pas sans profit celle sur les
deux Corteiz, l'oncle et le neveu, que l'on a si souvent confondus ; sur
les trois Goste, dont l'un, Barthélémy, ne causa pas peu de désa-
gréments à Court et à Rabaut. C'est l'auteur du coup de fusil tiré, le
13 août 1752, contre le prieur de Ners, et qui finit lui-même par
tomber en démence. Mais où donc le rédacteur de cet article dans
la France protestante a-t-il vu qu'à la voix de Cosie les vaillants
montagnards des Cévennes prirent les armes? Quelques coups
de fusil tirés, ci et là, dans la Gardonnenque, contre des curés
|)ar trop hostiles, ne ressemblent guère à une insurrection cévenole.
Chemin faisant M. Dardier rectifie ainsi plus d'une erreur, ou ra-
mène à la juste mesure plus d'une assertion hasardée dans de
graves recueils.
BIBLIOGRAPHIE. 383
C'est à lui que l'on doit la publication de la lettre contenant le
récit de Tentrevue de Rabaut avec le marquis de Paulmy, le 19 sep-
tembre 1752. 11 ne mérite pas moins la reconnaissance des amis de
notre histoire par les lumières qu'il a répandues sur une foule de
points ignorés ou peu connus, tels que l'affaire de Du Plan, l'ancien
agent des Églises, et celle de l'espion Martin, dit Larroque; les rap-
ports de Paul Rabaut avec le prince de Conti, et le rôle d'Allamand
comme collaborateur de Saint-Florentin dans la publication de la
fameuse lettre contre les assemblées; ou encore les poursuites diri-
gées à l'instigation du résident français, contre les frères Cramer de
Genève, pour avoir publié la lettre pastorale de Rabaut de 1761.
Mais il faut laisser quelques surprises aux lecteurs d'un recueil que
je voudrais voir entre toutes les mains. 11 m'est doux de finir, comme
Nîmois, par l'expression d'un vœu que je dépose dans le cœur de
mes compatriotes. Que d'aimables rencontres j'ai faites au cours de
cette lecture! Il est peu de familles protestantes de ma ville natale
qui ne soient représentées dans la correspondance dont je rends
compte, par des détails précieux, des faits touchants où les annales
domestiques puisent un vrai lustre. J'aime à citer sous ce rapport les
noms justement honorés des Flaissier, Cler, Lagorce, Fabre, Dumas,
Meynier, Gervais, Sagnier, Turge... J'en passe et des meilleurs!
Les lettres de Paul Rabaut, si heureusement restituées aux fils de ses
anciens paroissiens, de ceux pour lesquels il exposa si souvent sa
vie, sont un trésor dont plus que d'autres ils sauront estimer le prix.
Qui ne voudra les lire dans les lieux témoins de son glorieux apos-
tolat? Un des premiers exemplaires devra être déposé à la maison
des Orphelines du Gard, dans le voisinage de sa tombe récemment
restaurée par les soins du Consistoire. Mais il n'est pas dans la
Vannage et les Cévennes une bibliothèque de famille qui ne doive
posséder cet admirable recueil si bien fait pour ranimer partout la
piété des pères dans les enfants.
Jules Bonnet.
NECROLOGIE
M. GRATIEN CHARVET
Le Journal des débats ilu ] 8 juillet dernier annonçait la mort presque
subite de M. Gratien Charvet, archéologue distingué, correspondant du
ministère de l'instruction publique, auquel ses travaux si variés ont valu
dans le Gard une grande considération. Né à Remoulin, près d'Uzès, et
catholique sincère, M. Charvet n'en portait pas un moins vif intérêt aux
études protestantes, et ses dernières publications ont eu pour objet le
Traité de Nîmes de 1578, et Jean Cavalier, notre héros camisard {Bull.,
t. XXXI, p. 135). « C'était, nous écrit M. Emile Oberkampf, un travailleur
infatigable qui, malgré des fonctions absorbantes, trouvait le temps de
s'occuper avec succès de recherches historiques et archéologiques. La
ré daction du BulMln de noire Société littéraire d'Alais reposait entière-
ment sur lui ». Par son savoir, son aménité, M. Charvet laisse à tous ceux
<|ui l'ont connu un profond souvenir. Le rédacteur du Bulletin, qui reçut
(le lui en divers temps de précieuses communications, et qui avait été si
h eureux de le revoir, il y a quelques semaines, ne peut que s'associer
au deuil de ses nombreux amis d'Alais et de Nîmes.
.1. B.
P. S. L'abondance des matières nous oblige d'ajourner divers articles
qui trouveront place dans le prochain numéro.
Le Gérant : Fischbacher.
BoURLOTON. — Imprimeries réunicf, B.
SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE
DU
PROTESTANTISME FRANÇAIS
ÉTUDES HISTORIQUES
LES ÉGLISES DU DÉSERT EN PROVENGE*
Pendanl les premières années du xviii' siècle nous ne trou-
vons aucun fait relatif aux protestants de Provence, mais en
1719 ces derniers furent visités parle célèbre pasteur Jacques
Roger, de Boissière, en Languedoc, le restaurateur du pro-
testantisme en Dauphinc et l'émule du non moins célèbre
Antoine Gourt. Il quitta momentanément sa province à la suite
du saccagement de la vallée de Bourdeaux par les soldats du
comte de Médavid, commandant des troupes royales en Dau-
plîiné. A sa voix les protestants provençaux sortirent de leur
long sommeil et Roger vit son ministère béni. « La contagion
affligeant la Provence, dit un mémoire du temps, le zèle des
1. Les pages qui suivent sont empruntées au savant ouvrage de M. Eu|ï. Ar-
naud couronné dans un récent concours (Bull. t. XXXII, p. 450-454) et dont
nous sommes heureux d'annoncer la prochaine publication {lied.].
XXXIII. — 25
386 LES ÉGLISES DU DÉSERT EN PROVENCE.
reformés se réveilla et les assemblées furent plus nombreuses;
on chantait dans les bourgs et dans les villes et les villages
hautement les louanges de Dieu, »
Ceci doit surtout s'entendre des protestants des vallées de
la rive droite de la Durance, qui, à raison de leur nombre
relativement considérable, se fortifièrent mutuellement et
résistèrent aux tentatives de conversion dont ils furent les
objets. A partir de la visite de Roger ils reçurent comme un
nouveau baptême et ne craignirent plus de s'assembler au
Désert pour célébrer leur culte. Les événements extérieurs,
du reste, vinrent en aide à leur courage, car pendant les pre-
mières années du ministère du cardinal André Hercule de
Fleury, ancien évêque de Fréjus (1726-1732) les protestants
de France jouirent d'une tolérance relative qui cessa trop
tôt, sur les remontrances du clergé se plaignant amèrement
de ce que les édits du roi n'étaient pas exécutés.
En 1735 François Roux, natif de Gaveirac et pasteur dans
le Bas-Languedoc, évangélisa les protestants de Provence, sur
la fm de mars. Le 27, il présida une assemblée à Raumettes
près Gordes, où assistèrent les protestants de Mouriès. Il se
rendit ensuite à Eyguières; « mais un réformé des plus riches,
dit une pièce du temps, ne permit point qu'on y convoquât
aucune assemblée. D'ailleurs presque tous les réformés de
cette église, qui avait autrefois un pasteur, sont tombés dans
les erreurs de l'église romaine. Le 29, il convoqua une assem-
blée à Mérindol avec un heureux succès; de là, il se rendit à
Lourmarin, qui sont presque tous des réformés; mais un
réformé des plus riches s'opposa et empêcha la convocation
de l'assemblée, et le seul mot d'assemblée fit tout trembler.
Ensuite il passa à Cabrières [d'Aiguës] et y convoqua une
assemblée en faveur des réformés de ce lieu et de ceux des
villages voisins. Elle fut, dit M. Roux, assez nombreuse et la
dévotion fort édifiante. Le même M. Roux se serait porté plus
loin, jusqu'à Manosque, mais les réformés de Cabrières lui
dirent qu'il n'y avait point de lieu propre pour la convoca-
LES ÉGLISES DU DÉSERT EN PUOVENCE. 387
tion des [issemblées, ni de personnes à (|ui on pût se fier.
Ainsi il fut obligé de rétrograder et, à son retour, il lit encore
une assemblée à Mérindol et s'en retourna en Vannage, le
tout sans trouble et sans alarme du côté de l'ennemi. »
Peu après le départ de Roux, le comte du Muy, comman-
dant militaire de Provence, qui eut connaissance de l'assem-
blée de Cabrières, chargea Brunet de Molan, subdélégué de
l'intendant à Manosque, de faire des informations. Ce der-
nier entendit soixante témoins qui révélèrent les particularités
suivantes :
L'assemblée s'était tenue, la nuit du 30 au 31 mars, dans
la bergerie d'Antoine Orcel, ménager de Cabrières. Roux se
faisait passer pour un marchand de soie et était accompagné
de quatre étrangers. Il montait un cheval gris-pommelé, tirant
sur le blanc. Il parlait français et s'exprimait quelquefois en
mauvais provençal. Bien fait de sa personne, il avait le visage
plein et brun clair, les yeux gros, les sourcils épais, le front
grand, le nez un peu fort, une taille épaisse et haute de cinq
pieds et deux ou trois pouces. Il était âgé de quarante-cinq ans
et portait une petite perruque, un habit gris clair tirant sur le
ventre de biche, une veste noire et un chapeau bordé d'argent,
qu'il changea pour présider l'assemblée en un autre sans
bordure. II avait été conduit à Cabrières depuis Mérindol par
Paul Meynard, dit La Bourdille, et Jean René Meynard.
Un protestant, nommé Jacques Murât, commença le service
par la lecture d'un ou deux chapitres du Nouveau-Testament
et le chant de quelques Psaumes. Après quoi, le ministre pre-
nant pour texte ces paroles : « Que V espérance du salut vous
serve de bouclier et la parole de Dieu d'épée de VEspril, »
(Eph. VI, 17), prêcha pendant une heure sur la charité et
les bonnes œuvres. On chanta le Psaume LI : « Miséricorde à
un pauvre pécheur, Dieu tout puissant, selon ta grande misé-
ricorde. )) Le ministre prononga ensuite une prière où le roi
et les personnes en dignité ne furent pas oubliés et. tei'uiina
par ces paroles : c^ Dieu vous bénisse, mes enfants I » Murât
388 LES ÉGLISES DU DÉSERT EN PROVENCE.
fit une quête qui rapporta huit à dix francs remis à Roux pour
les pauvres de Cabrières. L'assemblée qui comptait de cent
cinquante à deux cents personnes, se termina à minuit. La
Sainte-Cène ne lut pas distribuée, et aucun assistant n'avait
des armes. Les consuls de Cabrières, quoique huguenots, n'y
prirent pas part; le ministre ne prononça aucune parole sédi-
tieuse et on ne Ini donna point d'argent. Le boulanger de
Cabrières vendit vingt quatre douzaines de pain de plus qu'à
l'ordinaire.
Telles étaient dans leur simplicité naïve ces assemblées du
Désert, que l'on voulait faire passer pour des conciliabules
séditieux et dont les assistants étaient impitoyablement sa-
brés, condamnés à mort ou aux galères.
Le comte du Muy, au reçu des informations, cita huit reli-
gionnaires à comparaître à Aix, notamment Paul Meynard, dit
LaBourdille et Antoine Orcel. S'étant contredits et coupés dans
leurs dépositions, ils reçurent l'ordre de demeurer à Aix, à la
disposition de la justice, mais ils jugèrent prudent de fuir. Le
comte de Muy se rendit ensuite sur les lieux, accompagné de
deux compagnies du bataillon de milice de Fontanilles, dont
l'une fut logée à Cabrières, et l'autre à Mérindol chez les reli-
gionnaires les plus compromis. Plusieurs d'entre eux furent
arrêtés, et les officiers reçurent l'ordre de découvrir le nom
et la demeure du ministre : mais ce fut peine perdue : aucun
rcligionnaire ne voulut le trahir.
Le roi, instruit de ce qui s'était passé, chargea, pai- arrêt du
22 mai 1735, Jean Baptiste des Galois, seigneur de La Tour et
autres lieux, intendant de Provence et premier président du
parlement d'Aix, d'instruire et déjuger en dernier ressort le
procès « avec tel présidial ou le nombre des gradués requis
par l'ordonnance. » La Tour rendit sa sentence le 24 mars -1730.
Des quatre vingt-quatre personnes inculpées, une fut condam-
née à mort, le prédicant; six aux galères perpétuelles : Jacques
Mural, n'égociantdeLourmarin ; Louis, Daniel et Antoine Roux,
ménagers; Antoine Courbon, maçon, Pierre Jourdan,ces cinq
LES ÉGLISES DU DÉSERT EN PROVENCE. 389
derniers de Cabrières; — quatre à un bannissement de trois
années : Daniel, Jourdan, Jacques Sallon, Anne Estaillard
(femme de Pierre Jourdan) tous de Cabrières; Jean Glot, de
Méindol.
Ces onze condamnés étaient contumaces. Paul Meynard, dit
La Bourdille, cabaretier de Mérindol,fut banni pour dix ans,
et Antoine Orcel, ménager de Cabrières, pour trois ans ; trente-
trois autres accusés furent condamnés à la confiscation de la
moitié de leurs biens, de môme que les précédents; trente-
neuf renvoyés absous ; la bergerie d'Antoine Orcel dut être
(( démolie et entièrement rasée » et l'arrêt alTiché à Mérindol,
Lourmarin et Cabrières. En vertu d'un second jugement de
La Tour, du i 8 avril 1736, un poteau portant l'arrêt du 24 mars
fut dressé sur l'emplacement de la bergerie et le prédicant
pendu en effigie à Cabrières.
En envoyant une copie de ses jugements au roi, le 20 mars,
La Tour, qui était un homme modéré, comprenant les véritables
intérêts de l'État, écrivit à Phelypeaux, comte de Saint-Flo-
rentin, ministre d'État : « Presque tous ces gens-là sont des
paysans ou artisans qui n'ont point de biens ou fort peu, et
les autres sont des bourgeois de village qui ont assez de peine
à vivre, en sorte que tous ces misérables, qui ne sont pour la
plupart coupables que d'une trop grande facilité ou tout au
plus d'une ancienne prévention pour la religion dans laquelle
ils sont nés, seront réduits à faumône ou dans la nécessité de
sortir du royaume, si notre jugement est exécuté à la rigueur.
Il serait de la bonté et de la charité du roi de modérer ces
amendes, en égard aux crimes et aux facultés des coupables. »
La Tour pensait aussi qu'il fallait faire grâce aux religion
naires condamnés à des peines afflictives, qu'autrement ils
quitteraient le pays, ce qui lui causerait un grand préjudice.
Le roi agréa la proposition de La Tour; mais il exigea (pie
les religionnaires qui pouvaient payer les amendes le fissent.
Les biens des condamnés s'élevaient à la somme de vingt-
deux mille-six cent-cinquante livres, quatre sous, quatre de-
390 LES ÉGLISES DU DÉSERT EN PROVENCE.
niers; savoir quatorze mille neuf cent cinquanle-lmit livres,
huit sous pour les religionnaires de Cabricres; cinq mille
sept cent cinquante-deux livres, seize sous, quatre deniers pour
ceux de Lourmarin et mille neuf cent quarante-deux livres
pour ceux de Mcrindol. Ils devaient payer la moitié de cette
somme en vertu du jugement. Les condamnés offrirent quatre
mille huit cents livres, soit trois mille neuf cent soixante-dix
livres pour Cabrières (offre du ^ juin 1736); mille quatre-
vingts pour Lourmarin (offre du 10 juin), et six cent cin-
quante livres pour Mérindol (idem). Mais réduits à l'impossi-
bilité de payer même ces sommes réduites, par rinsuffisancc
des récoltes, ils demandèrent d'en être entièrement dé-
chargés, dans une requête adressée au comte de Saint-Flo-
rentin où ils disaient en parlant d'eux-mêmes : « Comme ils
sont presque tous misérables, et que la mauvaise récolte de
cette année, les met hors d'état de payer cette somme, ils
supplient très respectueusement Votre Grandeur de vouloir
bien, par charité, leur procurer de Sa Majesté la remise enlière
des dits quatre mille huit cents livres, et ils continueront leurs
prières pour la conservation de Votre Grandeur. » Le ministre
ayant répondu que les condamnés étaient solidaires et devaient
payer les uns pour les autres, La Tour fit remarquer que, s'il
devait en être ainsi, les condamnés quitteraient la France.
Quatre d'entre eux s'offrirent néanmoins à payer leur part
des quatre mille-huit cents livres, savoir Paul Meynard,
Jacques Murât, Daniel et Antoine Roux; mais comme les trois
derniers étaient contumaces, et que, d'après les lois du
royaume, aucune grâce ne pouvait être accordée à des con-
damnés de cette catégorie, La Tour ht remarquer que, s'ils
n'étaient tous déchargés, Paul Meynard serait seul en état de
profiter de la remise d'une partie de son amende. Nous ne
savons ce qui advint de cette affaire qui fut conduite avec une
modération tout h. la louange de l'intendant de Provence.
Ici commence une époque particulièrement désastreuse où
l'on tente d'arracher de force leurs filles aux religionnaires.
LES ÉGLISES DU DÉSERT EN PROVENCE. 391
pour les faire instruire dans la religion catholique. La Pro-
vence eut sa triste part de cette persécution barbare, comme
on en peut juger par la lettre qui suit.
L'an 1740, dans ceUe époque sinistre et calamiteuse pour les filles
des réformés que les évêques faisaient enlever pour les enfermer dans
des couvents, on enleva la fille unique d'une veuve très riche qu'on mit
dans un couvent de religieuses d'Aix. Elle y est restée captive environ
trois ans. Pendant que cet espace de temps s'écoula, la dolente mère
me disait comme elle pourrait faire pour retirer sa fille d'un endroit si
contagieux. Il fut résolu avec l'oncle de cette orpheline et l'un de ses
amis qu'il fallait l'enlever. Ces trois personnes seulement se transpor-
tèrent à Aix. Les deux hommes se mirent à la porte du cloître et la mère
sonna la clochette demandant à voir sa petite. D'ahord les religieuses
lui firent beaucoup d'accueil et d'honnêteté parce qu'elle était riche et
leur faisait quantité de présents. On lui fit venir ensuite sa fille qu'elle
caressa, la tenant par la main, et tira toujours du côté de la porte
sans faire semblant de rien. Quand elle n'en fut qu'à trois ou quatre pas,
elle la prit par le bras et la jeta dehors la porte entre les bras de ces
deux hommes, qiii attendaient avec impatience ce cher dépôt. Dès qu'ils
l'eurent ils firent toute la diligence possible pour la mettre en sûreté.
Rien de plus rare que de telles délivrances. Le martyrologe
des familles contient peu de faits aussi douloureux que celui
dont on va lire le récit; c'est im évêque qui joue ici le prin-
cipal rôle.
Cette même année 1740, dans un lieu qui s'appelait Joucas, [vivait] le
nommé Antoine Robert du dit lieu, et Jeanne Béridol de Mérindol, son
épouse, ayant plusieurs filles; on lui envoya trois cavaliers de la maré-
chaussée de la ville d'Apt pour lui en enlever deux entre onze heures et
minuit. Ces émissaires de la tyrannie furent heurter fortement à leur
porte en criant que s'ils ne l'ouvraient pas soudainement, ils allaieni
la mettre par terre. La femme, se trouvant toute seule dans la maison, se
leva de son lit tout épouvantée pour leur ouvrir et leur demanda ce qu'ils
voulaient. Ils lui répondirent qu'ils venaient de la part du roi et de
monseigneur l'évêque de la ville d'Apt pour prendre deux de ses filles,
Isabeau et Marianne. Elh; leur dit qu'elle ne savait point où files «Haicnl.
Alors lesdils cavaliers furent fouiller par toute la maison pour les cher-
cher. Ne les ayant poini tronvéos ils allèrent visiter le lit. En ayant
392 LES ÉGLISES DU DÉSERT EN PROVENCE.
trouvé uno, nomméo Marguerito, âgée de trois ans, ils dirent : « Puisque
nous ne trouvons pas les autres, nous allons toujours prendre celle-ci
en attendant » ; ce que la femme ayant entendu, elle courut au lit et prit
sa lille entre ses bras. L'un de ces bourreaux, n'ayant de l'homme que
la figure, voyant cela, fut la prendre par les pieds, et la tira comme s'il
avait voulu l'écarteler; mais comme sans doute il ne put arracher cette
innocente victime d'entre les bras de cette tendre et affectionnée mère,
il donna [à celle-ci] un si grand cou]) de poing qu'il la jeta sur le car-
reau, et lui enleva en même temps la petite. La peur que cette pauvre
femme eut de cette catastrophe, lui occasionna une si violente révolution
dans le sang que de huit en huit jours elle tombe morte et ne revient de
ce pitoyable état que trois heures après.
Cette femme éploréc étant revenue cà elle-même, envoya chercher son
mari et lui raconta le cruel et barbare traitement qu'on lui avait fait, et
qu'on avait emmené leur fille Marguerite à la ville d'Apt. Ce récit fait,
le mari partit sur le champ pour ladite ville. 11 alla tout droit à l'évôché,
et trouvant, en entrant dans la salle, que ces impitoyables bourreaux y
étaient encore, il se jeta sur eux comme un lion, en leur disant : « Mal-
heureux, il faut que je te fasse comme tu as fait à mon enfant !» Et si
Pévêquc n'y fut accouru au bruit qu'il entendit, en lui criant : « Robert,
Robert, que veux-tu faire ?» il l'aurait sans doute déchiqueté et mis en
pièces; mais il lâcha prise pour répondre à l'évêquc qu'on lui rendît sa
fille. « Eh bien, amène-moi les deux autres, et je te rendrai celle-ci. »
Ledit Robert dit qu'on les lui avait enlevées. « Va, va retire-toi, et em-
mène tes filles dans ta maison. »
Ce bonhomme croyant d'être en sûreté sur la parole de l'évêque,
envoya chercher ses filles qui étaient càftiérindol. Mais qu'il était crédule
de se tenir assuré sur la parole d'un malhonnête homme, d'un tyran,
d'un persécuteur, puisque, à peine quinze jours furent écoulés que
les cavaliers furent chez lui pour prendre ses filles. Le tapage que
firent ces estaffiers éveilla ledit Robert qui se leva de son lit et sauta
d'une fenêtre d'environ douze pieds de hauteur qu'il y avait derrière la
maison ; en même temps son épouse prit une de ses filles par le bras et
la jeta par la fenêtre, qu'il reçut en son sein, tout en chemise. Ce tendre
et affligé père, ému de compassion de voir ainsi son enfant e.vposé à la
rigueur du temps, se dépouilla de sa veste pour la couvrir, et lui, tout
en chemise, la porta dans une bastide à une demie-lieue de leur maison.
L'épouse qui était restée, lorsqu'elle crut son mari assez loin, fut ouvrir
la porte à ces gens de sac et de corde en leur disant : « Que me deman-
dez-vous, messieurs? Mes filles? Je n'en ai point. » Alors les cavaliers
entrèrent et cherchèrent les filli>s pai' toute la maison. i\e les ayant pas
LES ÉGLISES DU DÉSERT EN PROVENCE. 393
trouvées, après avoir vomi contre cette femme plusieurs injures et plu-
sieurs duretés, ils se retirèrent en la menaçant qu'ils prendraient le
polit qui était dans le berceau.
Six mois après ils revim'ent de nouveau à la charge et, pour ne pas
manquer leur but, ils usèrent de ce stratagème ; ils prirent avec eux le
nommé Pierre Gaudin qui se prêta pour leur faire ouvrir la porte. Ce
crocodile fut crier à la femme qui était seule dans la maison, de lui venir
ouvrir, qu'il venait pour lui rendre service, et lui ayant répondu qu'elle
n'ouvrait point la porte à une heure indue, il lui protesta de nouveau
qu'il venait pour ses affaires ; ce qu'ayant cru bonnement, elle vint lui
ouvrir. D'abord les cavaliers se jetèrent sur elle comme des furieux;
mais en ayant saisi un, elle le renversa par terre, et, s'ils n'avaient été
que deux, elle s'en serait défaite et les aurait battu certainement; mais
il fallut céder à la force. Tout ce qu'elle put faire dans le temps qu'on
cherchait ses filles, ce fut de prendre son petit enfant qu'elle porta à sa
belle-sœur; après quoi elle alla appeler son mari qui était à un pré :
« Mon cher Robert, lui cria-t-elle, viens vite; nous n'avons plus de
filles; c'en est fait; on nous les enlève. » Cet homme courut de toutes
ses forces, mais il ne fut plus temps. En arrivant il trouva ses (illes
attachées sur des chevaux. 11 fut prendre son fusil; mais par bonheur
il ne se trouva point chargé, car s'il l'avait été, il aurait tué quelqu'un.
Les cavaliers cependant faisaient toujours chemin vers la ville d'Api,
Alors ledit Robert ne pouvant faire autre chose les suivit jusqu'à la ville,
oîi il fut trouver l'évoque pour lui dire, les larmes aux yeux : « Ce n'est
pas, monseigneur, ce que vous m'avez promis, de ne plus me faire enlever
mes filles. » L'évèque lui répondit: «Prends la plus jeune, si tu veux. —
Il n'est plus temps de me la rendre à présent qu'elle est morte et qu'on
me l'a tuée. — Est-ce que tu ne le veux pas. Fais comme tu voudras. Je
suis content. — Pardonnez-moi, monseigneur, car quoicpie morte, je la
porterais avec les dents plutôt que de vous la laisser. » L'ayant donc
emportée chez lui, elle mourut dix-huit jours après.
Le malheureux Robert pei'dit ainsi ses trois filles : la plus jeune, âgée
de trois ans, que les cavaliers de la maréchaussée avaient enlevée eu
premier lieu, et qui mourut évidemment des suites des violences dont
elle fut l'objet; les deux aînées qui demeurèrent la proie de l'évèque.
Le pasteur Élionne DeffciTc, natif de Grand-Gallai-gucs eu
Languedoc, qui nous a laissé ces touchants détails, les avait
peut-être recueillis de la bouche des malheureux parents,
dans le voyage qu'il lit en Piovence en 174i, trois on quatix^
394 LES ÉGLISES DU DÉSERT EN PROVENCE.
jours après le départ du faux prédicant dont on a parlé.
Il reçut des protestants de la province un accueil enthou-
siaste. « J'ai été visiter, dit-il, ces pauvres fidèles affamés
et altérés de la parole de Dieu, qui demandent du pain,
et personne ne leur en donne. Avec ces dispositions, j'ai
été reçu non pas comme un homme, mais comme un
ange de Dieu. A voir l'empressement et l'ardeur avec la-
quelle ces enfants d'Israël venaient des villages et des ha-
meaux pour me voir et pour m'entendre, on aurait dit que
le Messie était arrivé dans leur contrée. Tous voulaient m'cm-
brasscr, tous voulaient m'avoir chez eux; c'était à qui mieux
mieux. Ils me témoignaient beaucoup d'affection et de ten-
dresse... Autant quej'enpuisjugeretque j'en ai pu connaître,
ces descendants des Vaudois qui ont enduré tant de massacres
et de persécutions pour la profession de la vérité, n'ont pas
entièrement dégénéré du courage et de la fermeté de leurs
ancêtres. Il s'en ferait de très bons soldats de Jésus-Christ. »
La correspondance de Paul Rabaut nous montre les protes-
tants provençaux passant en foule le Rhône pour faire bénir
leurs mariages au Désert. « Hier au soir je bénis vingt-six ma-
riages tous à la fois. C'était tout de Provençaux. Demain j'en
bénirai un nombre aussi considérable, s'il faut s'en rapporter
à ce qu'on m'a dit. Comme j'auray une nombreuse assemblée
et une quantité extraordinaire de communiants, j'ay prié notre
cher frère, M. Roger, qui vouloit partir aujourd'huy, de rester
demain pour m'aider à administrer la Sainte-Cène '. »
La Provence offrait moins de facilités que le Languedoc
pour l'exercice du ministère. Defterre présida à Mérindol une
assemblée de quatre cents personnes « secrètement et avec
toute la prudence possible », et s'étant transporté à Lour-
marin, il s'ap])rêtait à en présider une seconde, quand il apprit
(jiie cinquante soldats marchaient sur Mérindol, cent sur
Lourmarin et cinquante surCabrières. Les assemblées du faux
1. Lettre (lu 5 septemliro 17-44, dans le précieux recueil des Lettres de Paul
Uahaul à Antoine Court que nous devrons à M. le pasteur Dardicr (t. I, p. 174).
LES ÉGLISES DU DÉSERT EN PROVENCE. 395
prédicant avaient fait du bruit et le commandant militaire de
laProvence envoyait des soldats pour les faire cesser. Defferre
crut qu'il était sage de se retirer sur-le-champ pour laisser
passer l'orage « Lorsque ces chers fidèles, raconte-t-il, ap-
prirent que je voulais m'en aller, qu'il n'était pas prudent que
je restasse plus longtemps dans leurs cantons, ils se mirent à
pleurer et à s'attrister profondément : Au nom de Dieu, me
disaient-ils, notre cher pasteur, ne nous abandonnez pas; au
nom de Dieu souvenez-vous de nous ; souvenez-vous que nous
sommes de pauvres brebis abandonnées; venez au moins nous
visiter quelquefois. » Après quoi je me séparai d'eux les larmes
aux yeux en leur promettant que je viendrais les voir, ce que
j'effectuerai, moyennant le secours de Dieu, lorsque les troupes
se seront retirées. En chemin faisant, je bénis un mariage à
Lacoste et, sans l'arrivée des troupes, j'en aurais béni plus de
quarante, car il y en a plusieurs qui se sont mis ensemble
sans être épousés; les prêtres ne voulant point leur accorder
la bénédiction nuptiale, sans qu'au préalable ils ne se con-
fessent et ne communient, ce qu'ils ne veulent point faire. »
Ce zèle touchant des protestants de Provence, constaté par
d'autres pièces de l'époque, décida le quatrième synode natio-
nal réuni au Désert, cette même année 1744, à leur accorder
un pasteur qui leur serait alternativement prêté par les pro-
vinces du Bas-Languedoc et du Dauphiné, à commencer par
la première, et qui desservirait en même temps l'Église d'O-
range. Nous ne savons si cette décision fut exécutée à cette
époque, mais elle le fut certainement plus tard, alors môme
que la Provence possédait un et même plusieurs pasteurs en
propre.
EuG. Arnaud, pasteur.
DOCUMENTS
LETTRES DE DIVERS A DU PLESSIS-MORNAY
IGl 0-16-23.
C'est aux archives si malheureusement dispersées de La-Forêt-sura
Sèvre, que sont empruntées les lettres qu'on va lire, transcrites avec
la plus minutieuse exactitude par notre ami M. Paul 3Iarchegay cur les
originaux disparus. Rien de plus varié que leur objet. Elles concernent
les Églises de Gaen, Blois, Bordeaux, Orthez, Alençon, Nîmes, Châtel-
lerault, et intéressent le protestantisme tout entier, dans cette période
troublée qui suivit la mort de Henri IV et oîi les événements décernè-
rent à Du Plessis-Mornay une sorte d'épicospat justifié par sa rare sa-
gesse. Les collections épistolaires récemment acquises par notre Société
nous ramèneront plus d'une fois à cette grande figure de patriote et de
croyant (jui n'a pas encore trouvé son historien.
I
A monsieur du Plessis à Saumur.
De Cacn, ce 3 août ItllO.
Monsieur, comme tous les gens de bien se tienent pieça extrê-
mement voz obligez de l'affection qu'avez tousjours portée au
bien gênerai de toutes noz églises, nous en avons un subjcct parti-
culier en cette province, et spécialement en celte église, pour le
soin qu'entre voz grandes et assiduelles occupations il vous plaist
prendre de personnes si esloignées et (jui ne vous sont cogneues
qu'en tant que le zèle de Dieu vous porte a avoir en singulière con-
sidération tous ceulx qui reclament sou nom et font profession de la
pureté de son service. La saison en laquelle nous sommes nous Aiit
d'aullanl plus estimer et cliéi'ir cette faveur que le branle incertain
LETTRES DE DIVERS A DU PLESSIS-MORNAY. 397
des affaires de ce royaume et le besoin que nous avons plus que
jamais de nous tenir sur nos gardes nous la rendent nécessaire.
C'est pourquoy, Monsieur, ayantz receu advertissement, et par lettres
par monsieur des Oteulx et du depuis de bouche par monsieur de
Fontenay, passant par ici pour s'en aller en court, de quelques advis
que desirez nous faire l'honneur de nous communiquer par personne
de créance, nous avons, sans user de delay, député monsieur de
Licques, l'un de nos pasteurs, vers vous pour vous informer de tout
nostre estât et recepvoir les bons conseilz dont il vous plaira nous
faire part, pour nous en servir es occurences qui se pourront pré-
senter.
Nousvous supplions donc, Monsieur, très humblement, de prendre
la peine de l'ouir en ce qu'il vous proposera de nostre part et de
nous advertir par luy de tout ce que vous jugerez importer la con-
servation et le repos d'un assez bon nombre de pauvres églises que.
la prudence humaine nous fait preveoir, si Dieu n'y pourveoit, devoir
en cas de changement, estre exposées a un monde de périlz et d'in-
commodités.
Nous ne parlons point ici de nous revancher d'une telle obligation :
Il n'y a point de service qui la puisse cgaller en attendant toutefois
qu'il plaise a Dieu nous faire naistre l'occasion de vous tesmoigner
par effet le désir que nous avons a tout le moins de la recognoistre,
nous le prierons, Monsieur, qu'il vous conserve a sa gloire et vous
donne, pour le bien de son église où brillent tous voz desseings, en
santé longue et heureuse vie. C'est le vœu de voz très humbles et
très obéissants serviteurs a jamais les pasteurs et anciens de l'église
de Caen, et au nom de tous
Ilbonnieres, Lefedvre, Symon, Georget.
II
Au même
De Bloys, le dernier jour do iiovcmljrc 1010.
Monsieur, partant de ceste ville pour aller en noslre Colloque, je
laissai des lettres pour vous faire tenir (jiii m'avoicnt esté commises
par monsieur de Couvrelles, lesquelles j'ay esté fort marri de re-
39fi- LETTRES DE UIVEUS A DU PLESSlS-MOKxNAY,
trouver ici, a mon retour, pour ne s'estre présentée commodité cer-
taine et asseurée pour les envoyer, (jui me fait vous supplier ne
m'imputer a faute ce retardement advenu contre mon désir.
J'estime que comme on vous a importuné par lettres sur le subject
du trouble de l'église d'Orléans, qu'aussi aurez vous a plaisir d'en-
tendre que Dieu a tellement béni nostre assemblée, convoquée a
Jargeau, qu'il nous a fait la grâce de mettre fin a ces divisions et
reconcilier toutes les parties.
Nous avons aussi là pris advis de convoquer nostre assemblée pro-
vinciale dedans la fin de mars ou au commencement d'apvril pour
la députation en l'assemblée générale, selon le Brevet qui nous a esté
envoyé du roy. Quant au conseil de la province, constitué de six per-
sonnes choisies des trois colloques, nous ne l'avons point encor mis
en pratique et ne le ferons pas avant ladicte assemblée si nous n'avons
advis de quelque urgent et important affaire qui survint.
Je croy qu'aurez sceu le bruit qui est arrivé a Paris a cause du
livre deBellarmin : De temporali potestate papœ contre Barcleyus ;
in quo j)otestatem excommunicandi principes, solvendi subditos
a juramento et obedientia, privandi etiam dominiis et iniperiis
nedum ob culpam sed et quamcumque ob caiisam visam Papae,
tanquam fidei articulvs cssent, docetque Papam non modo de re-
gnis et dominiis sed de rébus quibuscumque christianorum om-
nium ita disponere posse ut e bono ecclesiœ fore censucrit. Sur
lequel on a sonné le tocsin par un livre qui court; mais je croi
que l'apologie pour Mariana contre le Père Cotton, ou la suite de
l'Anti-Colton, que nous aurons bientost, le relèvera bien d'autre
sortes
Le Fra Fulgentio, capucin, qui s'estoit retiré de Venise a Bome,
y a esté bruslé, nonobstant l'ample sauf conduit qu'il avoit eu du
Pape et les belles promesses «jui lui avoient esté faictes^. Les chefs
de ses accusations esloient ces trois cy :
Qu'il avoit des livres défendus;
1. Oii ne peut (luc rappeler ici les vives controverses provoquées par l'assassi-
nat do Henri IV, et dont la doctrine du régicide, faiblement répudiée ]uir les
jésuites, était le fond. Sur le rôle du Père Cotton voir l'article de l'Encijclopédie
des sciences religieuses, t. III, p. 486.
2. Sur les rapports de Fra Fulgentio et de Paolo Sarpi avec Jean Diodati, le
traducteur de la Bible en italien, voir le Bulletin, t. XV, p. 4-1:2.
LETTRES DE DIVEUS A DU PLESSIS-MORNAY. 399
Qu'il avoit communication par lettres avec plusieurs hérétiques
d'Allemagne, d'Angleterre et d'ailleurs;
Qu'on avoit trouvé entre ses papiers, et escrits de sa main, ces
articles soustenues par lui, a savoir : que Jesus-Christ n'avoit point
constitué sainct Pierre par dessus les autres apostres; — que le
Pape n'est point le chef de l'Eglise; — que le concile de Trente
n'est ni légitime ni universel — =- et que l'Eglise Romaine est pleine
d'erreurs et d'heresies.
Sur les quelles il usa de quelques tergiversations (comme on
escrit) mais qui ne l'ont peu exempter du feu.
Or craignant de vous ennuyer par choses cognues, je fmiray par
mes vœux au Seigneur a ce qu'il luy plaise, Monsieur, vous condjler
de plus en plus de toutes ses faveurs et bénédictions,
Vostre plus humble et plus obéissant serviteur,
ViGNIER*.
III
Au même ^
De Bourdeaulx, le 12 de janvier 1641.
Monsieur, suivant celle qui vous a pieu m'escrire, je ay travaillé
envers nostre consistoire et ai tant fait que le prest de monsieur
Cappel vous a esté confirmé. Vostre prière, monsieur, y a eu beau-
de poids, car vostre nom est parmi nous en grande révérence et bé-
nédiction et n'y arien qu'aucun de nous vous voulust refuser de ce
qui est en nostre puissance; mais estans responsables a toute l'Eglise
de nos deportemenset sachant que monsieur Cappel est en fort bonne
odeur en icelle, nous avons craint d'encourir le blasme de tous, si
nous vous quittions absoluement et simplement le droit que nous
1. Le ministre Nicolas Vignier. Voir ce nom : France protestante.
2. L'Église de Bordeaux dont Primerose était pasteur, venait de prêter à celle
de Saumur Louis Cappel, qui occupa plus tard avec tant d'éclat la chaire
d'hébreu dans l'académie fondée par Du IMcssis-Mornay. Mais les deux, lettres
de Primerose ont un intérêt plus général qui s'explique par le voisinage
du duc de Bouillon et l'influence de sa pieuse compagne, Elisabeth de Nassaut.
Voir sa correspondance avec sa sœur, Charlottc-Brabauteinc, la future duchesse
de la Trémouillc (Bull. t. XV, p. 36, 78).
'lOO LETTRES DE DIVERS A DU PLESSIS-MORNAY.
avons sur lui. Cela mesmesne lui eutpointesté honorable. Mais vous
estant donné jusques a ce que ceste Eglise en aye besoin, et sa voix
a mon advis estant trop basse pour nostre temple, il y a apparence
qu'il vous pourra demeurer ou pour un longtemps ou pour tousjours.
Nous sommes ici en grande tranquillité. Il ne se fait plus d'as-
semblée, et nos gens se lassent de se rendre odieux. Monsieur de
Roquelaure est marescbal de France. Il y a un gentilhomme en ceste
église, nomme monsieur de Malleret, vaillant, éloquent et doué de
plusieurs beaux et rares dons, outre qu'il a six mille livres de revenu.
Jlonsieur de la Burte et moy, admirans les grâces de Dieu en luy,
avons jugé qu'il seroit un instrument Ibrt propre et nécessaire
auprès de quelcun de nos grands, et mesmement près de monsieur
le duc de la Trémouille, lequel estant jeune en pourroit tirer des
services fort grands et utiles, car il n'y a rien de quoi ce gentilhomme
ne soit capable, et vit en fort bonne réputation, tant en l'Eglise en
laquelle il est ancien pour la troisiesme fois, n'estant encor âgé
de plus de trente ans, qu'en toute ceste province et parmi ceux qui
le cognoissent. Je vous en escri, monsieur, par l'advis de mondit sieur
de la Burte, sans que ledit sieur de Malleret en sache rien, afin que
vous jugiez, monsieur, si ce jeune seigneur en pourroit avoir besoin,
estant certain que telles personnes sont fort rares et qu'a grand'peyne
en trouve-t-on entre mille. Selon que vous m'en escrirez nous lui
en parlerons et lui persuaderons de préférer le bien public au sien
particulier, et de quitter sa femme et ses enfans pour un temps, pour
en faisant service a un tel seigneur servir a toutes nos églises.
En cest endroit je prierai le Seigneur pour la multiplication de
toutes ses grâces sur vous, demeurant a jamais, Monsieur, vostre
très humble et très obéissant serviteur,
G. Primrose.
IV
Du même au même
De Bdiirdeaux, le 15 février 1615.
Monsieur, la voslrc du 24 de janvier ne me fut rendue qu'hier
18 du courant. Vous me parlez en icelle de nostre assemblée, la
LETTRES DE DIVERS A DU PLESSIS-MORNAY. -iOl
la convocation de laquelle est si nécessaire qu'il est a craindre que
si le Roi ne la permet, le Haut-Languedoc ne convoque le cercle, a
cause du désordre survenu a Belesta où le Seigneur de Sainte Foy,
poussé par madame d'Audon sa tante, et vefve du feu seneschal et
gouverneur de ce païs, a empesché qu'un proposant ne receut là
l'imposition des mains, a fait aguetter les pasteurs qui alloient là
pour cest effet; et Dieu les ayant délivrés de sa main, a deschargé
sa fureur sur le temple nouvellement basty, lequel il a razé de fonds
en comble sur la fin de décembre dernier. Sur quoi partage estant
survenu a Castres, et le Roi ayant donné commission a deux con-
seillers de ladite chambre pour le restablissement de toutes choses
en leur premier estât, sur le point de l'exécution environ cent
hommes sortirent du chasteau armés de bastons a feu, l'un desquels
ayant deslaché un coup de pistolet contre l'un desdits conseillers,
le pistolet se crevant en sa main et la lui mutilant lui fit porter la
peyne de sa témérité, a cause de quoi la dite province est tellement
irritée qu'il y a de la peyne a la retenir qu'elle ne coure sus a ces
rebelles; et suis adverti qu'elle convoquera l'assemblée sur ce sujet
si le Roi ne nous en donne le brevet. Vous y pouvez beaucoup,
monsieur, selon votre prudence et le soin que vous avez de toutes les
Eglises.
Je mesnagerai l'affaire touchant monsieur Malleret avec silence.
C'est un gentilhomme aisé, jeune, pie, vaillant et fort éloquent, qui
pourroit estre grandement utile auprès d'un tel Seigneur.
Noslre province ne dit plus mot mais vit en une profonde paix.
Nos conseils ne se convoquent plus, chacun se contenant en sa vo-
cation, dont nous avons sujet de louer Dieu qui nous empesché de
mal faire. L'acquisition que Monseigneur le duc de Bouillon a faite
de Castillan, en ce païs, lui augmente sa créance parmi nous et
donne de la frayeur aux voisins papistes.
Madame sa femme est fort visitée par les dépulations des Eglises
et communautés vers elle, et elle se fait fort estimer [)our sa piété.
Si mondit Seigneur venoit en ce païs, tout le monde courroit après
lui, et les communautés et la plupart do la noblesse n'en font point
la petite bouche, disaiis (ju'aiires Dieu elles tienent de lui leur con-
servation. Par ou je voi <|ne d'autres n'y ont pas ac(|iiis la créance
qu'ils pensoyent. Dieu lour doint à tous de bien iaire et de prendre
exemple a vous, Monsieur, de piocurer la paix el |)rosperilé de Sion,
XXXIII. — 25
402 LETTRES DE DIVERS A DU PLESSIS-MORNAY.
et de chercher avant toutes choses le règne de Dieu et sa justice.
Aussi voslre loyer est par devers lui qui en sa bienheureuse journée
vous rendra la couronne de justice qu'il vous reserve au ciel.
Je l'en prie de tout mon cœur et suis, monsieur, vostre très
humble et très obéissant serviteur,
G. Primrose.
V
Au même^
Au dos : receu le 5 mars 1615.
Monsieur, estant requis du Roy de la Grande Bretagne de faire un
tour en Angleterre, je t'ay estât, moyennant l'aide de Dieu et le con-
sentement de mon Eglise, de partir dans quinze ou seize jours.
Je penserois avoir manqué a mon devoir si je ne vous en eusse
adverti, afin de recevoir vos sages conseils en ceste affaire et estre
aidé par vostre prudence, car je désire surtout que mon voyage ne
soit point inutile pour le bien de l'église, et scay que ce bon Roy s'en-
querra de moy de plusieurs choses, notamment des maladies de nos
Eglises, et des intentions des principaux des nostres, et notamment
des vostres, et de nos craintes, et de la paix que nous pouvons
espérer en ce royaume, et des remèdes aux maux qui nous mena-
cent.
Je pourray aussi luy parler de l'Union en la Religion dont je vous
ay fait voir le projet, et l'exhorter a s'y employer. Sur lesquelles
choses je vous supplie m'escrire confidemment, ou bien instruire
M. de Rouvray de vos intentions, lequel me fera l'honneur de me
les communiquer.
J'ay aussi a vous supplier de deux choses. L'une est que puisque
vous avez jugé que les thèses injurieuses du s'" Tilenus me dévoient
estre celées alin cjue cela ne troublast Taccord, qu'au moins il vous
plaise tenir la main a l'exécution de ce qui a esté juré et convenu,
1. Le célèbre pasteur de ChareiUon, Pierre Du Moulin, signataire de cette
lettre, était sur le point d'entreprendre le voyage en Angleterre dont il est fait
mention dans son autoljiographie (Bull. t. VII, p. 342, 343) et qui avait pour
Ijut l'union géncrulc des Eglises réformées.
LETTRES DE DIVERS A DU PLESSIS-MORNAY. 403
car j'apprends que les provinces et les Colloques et les particuliers
qui ont receu le livre du s'' Tilenus ne vous le renvoyent point et
que de ce costé là ne s'est fait aucun devoir *.
L'autre est que, puisque au synode de Touneins les provinces sont
chargéee de se préparer sur le projet de l'Union qui a esté envoyé
audit Synode par le roy de la Grande Bretagne avec exhortation d'y
penser et de s'y disposer, qu'il vous plaise les y exhorter a ce qu'aux
synodes provinciaux qui se tiendront a ce renouveau l'affaire soit
mise sur le tapis, car j'apprens que les estats du Pays-Bas et les
princes d'Allemagne y sont disposés. Que s'il y a quelque empes-
chement du costé de l'Angleterre, je tascheray de l'oster quand je
seray la; et ce seroit une honte si, toutes les églises étrangères ten-
dantes a cet accord, nous seuls demeurions en arrière. Vous estes
celuy qui pouvés y apporter le plus et que nos églises, avec juste
sujet, regardent plus que nul autre, ce qui nous oblige a prier Dieu
pour vostre prospérité et conservation et a demeurer, monsieur,
vostre très humble et très affectionné serviteur.
Du Moulin.
VI
Au même"-
A Ortliez, le 30 de juillet 1616.
Monsieur, nous avons entendu par les lettres de monsieur de Les-
cun, nostre député en cour, que vous luy avez fait de nouvelles
protestations de vostre affection au bien de nos Eglises, et mesmes
luy en avez donné des tesmoignages fort exprès au soin qu'il vous a
pieu avoir de luy fournir des expedians en la poursuite de nos
affaires. De quoy nous vous mercions très humblement et vous
prions de croire que nous ne mettrons jamais en oubly les biens que
1. Daniel Tilenus, ministre et professeur ù Sedan, avait eu sur une question
fort obscure de tiiéologie, l'union hypostatiquc, une dispute assez vivo avec Du
Moulin. Le synode de Touneins réussit ù rétablir la paix.
2. Le nom du signataire du cette lettre manque à la France- Protesianlc. On
pouvait déjà prévoir les douloureux évcnemcnls dont le Béurn lut le théâtre
quatre ans plus tard.
404 LETTRES DE DIVERS A DU l'LESSlS-MORNAY.
nous avons receu de vous, ains tacherons de le recognoistre a toutes
occasions.
Cependant, Monsieur, si nostre pouvoir n'esgale point nostre vou-
loir, en cest endroict, ne vous lassez pas pourtant de nous aymer,
mais continuez a nous faire du bien en ce temps auquel nous en
avons plus besoin que jamais, pour les opiniastres sollicitations de
nos adversaires, qui ne loissent rien en arrière de ce qu'ils pensent
pouvoir servir un renversement total de nostre estât, et asseurez
vous que comme ainsy soit que la principale recompence que vous
attendez de recevoir de tant de travaux que vous avez endurez pour
Tadvencement de la gloire de Dieu, est la rémunération et la cou-
ronne de justice, laquelle l'Eternel, juste juge, vous réserve pour
cette journée là, quoy que tous autres moyens nous manquent de
recognoistre les obligations que nous vous avons, à tout le moins
cesluy cy ne nous defaudra point. C'est, monsieur, que nous conti-
nuerons de prier ardamment le Seigneur que vous conservant lon-
guement à son Eglise et vous comblant de ses bénédictions en ceste
vie, il vous rende, au sortir d'icelle, ce qu'il vous doibt selon ses
gratuites promesses en J. C.
C'est la prière que font a Dieu monsieur, vos bien humbles et plus
affectionnez serviteurs les ministres et anciens des Eglises deBéarn
et au nom d'iceux,
DiSEROTE, conduisant l'action.
Vil
Au même *
D'Alençon, ce 25= avril 1610.
Monsieur, cete province aiant a s'assembler en ce lieu au premier
de may prochain, pour le synode, et ceux qui ont l'œil aux alTaires
des Eglises aiant de coustume de conférer autant qu'ils se trouvent
1. Cette lettre écrite au moment où rassemblée de la Kochclle venait de se
séparer, laissant l'affaire du Béarn en suspens, trouve son complément dans
celle qui suit et qui se rapporte à rassemblée de Loudiui a))j)cléo à délibérer
sur la même question. Voir sur ce sujet le savant ouvrage de M. Aiiquez, His-
toire des assemblées politiques des réformés, p. 314, 317.
LETTRES DE DIVERS A DU PLESSIS-MORNAY. 405
et qu'il est expédient, nous de deçà avons avisé de vous supplier,
comme nous faisons parla présente, de nous faire l'honneur de nous
donner avis au certain de ce qui se passe, et ensemble nous donner
vostre bon, grave et sainct conseil de ce que nous avons a faire en ce
temps si douteux. Nous avons escarté beaucoup de soupçons et réservé
en nous mesmes les choses cogneues.Toutesfois il sera bon de nous
conserver, comme nous faisons tous, sous l'authorité du Roy, avec
prudence et en toute l'obéissance que nous devons a Sa Majesté
terrienne après la divine; la quelle nous supplions vous conserver
en longueur de jours, avec tous les vostres, pour le bien de son
Eglise.
Ce sont. Monsieur, vos plus humbles et plus dédiés serviteurs ceux
qui ont charge des affaires en ce colloque; — et au nom de tous,
R. Boudier; de la Buissonnière ; la Pallière.
Aucuns parlent du départ de l'Assemblée de la Rochelle; mais
ne sçavons encor rien de cela depuis les dernières lettres de nos
députez.
VIII
Au même*
Au dos : reccuc le 28 novembre 1019.
Monsieur, nous vous envolons une lettre que l'Assemblée vous
escrit, aiant trouvé bon de tenir tous nos grands advertis non seule-
ment de Testât auquel sont les affaires de nos Eglises, mais aussi de la
procédure qu'on tient au Conseil, tant par nous refuser de recevoir
nos deux premiers cahiers, qui contiennent les demandes les plus
essentielles, que nous avons charge de nos provinces de faire, que
par des remises et des longueurs inaccoustumées dans le loisir des-
1. Le rôle de du Plessis-Mornay, dans les graves conjonctures au milieu des
quelles s'ouvrit l'assemblée de Loudun, est tout à son honneur. 11 conseille la pa-
tience aux Eglises, des concessions au roi. Les députes renouvellent leurs ser-
ments ordinaires de fidélité; ceux du Béarn, sous cette uni(|ue réserve : « Sans
préjudice des lois, règlements, coutumes et libertés de la souveraineté iln
Béarn. » La guerre civile est procliaine. Voir Anqiiez, p. 320, cl suivantes.
406 LETTRES DE DIVERS A DU PLESSIS-MORNAY.
quelles nous ne découvrons que mauvaise volonté, soit a tenter ici
par corruption, soit a desunir et diviser dans les conseils et les pro-
vinces, afin que par nos divers sentimens ils advancent par nous
mesme, comme ci-devant, nostre ruine. Il n'y apparoist nulle incli-
nation a nous rendre justice aux infractions les plus grandes et les
plus violentes des Edits. Nous demandons ace coup non des paroles
mais des véritables effets; et nous en sommes si loin qu'a peine
seulement nos députés ont des paroles. Ce que nous vous disons
plus tost pour nous plaindre vers vous que pour vous instruire de
nos maux.
Vous les savez mieux que tous et nul ne s'y peut rendre plus sen-
sible que vous; mais la haine, mère des injustices, s'augmente tous
les jours contre les loix et les edits les plus sacrés pour l'amour de
nous. Un seul remède nous est enseigné de Dieu contre tant de maux :
l'union et la concorde a ne parler qu'une mesme chose nous tous.
Geste Assemblée, non seulement escritsur ce subjet a chacun de nos
grands mais aussi a chaque Eglise par toutes les provinces, comme
vous le pouvez voir par la coppie que nous vous envoions de la lettre
faite pour les églises. Ici tout va bien, grâces a Dieu, jusqu'ici. Il est
a désirer que l'intégrité et la vertu paroisse jusques dehors es pro-
vinces les plus esloignées. Nos prières et nos supplications tant en-
vers Dieu que le Roy seront bien fortes et vaincront sans doute si tous
nos cœurs, n'estant qu'un cœur, les font avec piété et justice. Nostre
province de la quelle vous faites seul une bonne part, a cest advan-
tage par dessus toutes, qu'aiant l'Assemblée dedans elle, elle lui a
rendu les premiers sermons de la concorde qu'elle requiert de tous,
et osons bien espérer que, si on entend que l'union soit es autres, on
la verra clairement parmi nous. Car c'est ici le temps, et non nos
premiers jours de l'Assemblée, auquel il faut se préparer a bien
soustenir l'effort qu'on a accoustumé de faire contre nos plaintes et
nos supplications pour les rendre inutiles. Pourtant si vous n'avés
receu ci-devant quelque lettre particulière de nous, députés de ceste
province, c'est que tout ce qui s'y est passé jusqu'à présent n'ont
esté que discours et promesses. Nous avons attendu les jours aux-
quels on doit voir qui fera le mieux. Cependant vous nous obligeres
grandement, monsieur, si sur les choses que les occurences nous
aj)porteront pour, sous la permission de l'assemblée, vous en com-
muniquer, vous nous faites part quelquefois des advis de vostre
LETTRES DE DIVERS A DU PLESSIS-MORNAY. 407
expérience. Nous les recevrons comme doivent, Monsieur, vos très
humbles et très obeissans serviteurs les députés de la Province
d'Anjou,
De la Primaudaye, Despinay, Farcy.
IX
Au même^
De Nismes, ce dernier septembre 1620.
Monsieur, peu après mon arrivée en ceste ville, j'ay receu celles
qu'il vous a pieu m'escrire du 28" aoust, que l'on m'a envoyées de
Genève ; et suis bien esmerveillé que mes lettres qui parloient de la
réception des actes de la Conférence n'avoient encor esté rendues.
J'espère que tous ceux qui les verront reconnoistront avec nous que
Dieu s'est servi de Mons"" Cameron pour descouvrir en son antago-
niste ce que nous n'eussions osé croire de luy ^ Je croy que le synode
national en sera pleinement informé, et je ne manquerai d'en dire
a ceux que je pourrai voir de ces messieurs nostre commun senti-
ment. Nous avons vu ici mons' Vignier et attendons mess" du Mou-
lin et Bouchereau, sinon que de Marseille ils prenent autre chemin.
Cette province et les voisines fourniront assez de matière au synode,
qui de toutes parts doit estre exhorté et accouragé a mettre la main
aux maladies qui porteront la ruine totale de ces Eglises, si Dieu
n'y pourvoit. J'ay trouvé Testât de celle ci tranquille et sans esclat,
mais non sans une fièvre estique qui mine tout le corps. Tous se
plaignent des pasteurs, et les pasteurs des uns des autres. Chascun
a quelque raison et quelque tort. La teste me tourne parmi ces re-
muemens, et cependant je nefay que venir et n'en voy que bien peu,
mais qui n'est que trop pour l'Eglise. Il y a plusieurs ministres qui
sont non pédagogues, comme S' Paul disoil, mais conseillers d'estat
1. Une lettre du pasteur genevois, Bénédict Turettini, durant son court minis-
tère à Nîmes, à la veille du Synode d'Alais, offre un double intérêt. Voir l'inté-
ressant ouvrage de M. Borrcl, Histoire de l'Eglise réformée de Nîmes, p. 1G8.
2. Allusion assez obscure aux controverses de Cameron et de Tilenus sur lu
grâce et la prédestination, qui devaient être tranchées par le synode d'Alais dans
un sens conforme aux décisions du synode do Dnrdrcclil.
4,08 LETTRES DE DIVERS A DU PLESSIS-MORNAY.
et gens d'affaires plustost que pères et pasteurs; plusieurs desquels
la vie destruit plus que la doctrine ne sçauroit édifier. Je ne peux
ici que escouter et gémir, et autant que Dieu m'en fait la grâce
ramener a l'Evangile duquel, si Dieu n'a pitié de nous, bientost on
en aura honte. Il y a un grand nombre de bon peuple, zélé et qui
aime la vérité; la moisson belle, mais peu de bons ouvriers.
Après avoir escrit ce que dessus, nous avons veu mess'^'^du Moulin
etBouchereau avec une indicible consolation. J'ay aussi receu lettres
de mons"^ Daillé ; mais la distance ne me permet de leur rendre le
service que je dois et désire. Mons^ Calandrini suppléera a mon dé-
faut. Cependant je prie Dieu qu'il les accompagne et vous ait. Mon-
sieur, sous sa sainte et digne garde,
Vostre très humble et très obéissant serviteur,
B. TURRETTIN.
X
Au même^
J' , Ce 2' septembre 1623.
Monsieur, ayant plu à Dieu m'appeler, depuis X ou XI ans en
ceste Eglise, je n'y feu point longtemps sans y ressentir des marques
de la faiblesse de ma voix, et n'ay pu satisfaire aux charges d'icelle
sans incommoder grandement ma santé, ce qui me fit résoudre, dès
l'an 1620, de cercher relasche dans le pais de ma naissance; mais je
fu aussitôt rappelé par la nécessité où se trouva l'Eglise de ce lieu
par l'abscence de M"" Carré, mon collègue, employé pour les affaires
de la province. Depuis ce temps-là j'ay esté lié ici a cause des
troubles survenus a toutes nos Eglises. Mais a la fin d'iceux, s'est
présentée l'Eglise de Thouars, la recerche et la vocation de laquelle
je liendray estre de Dieu si celle du synode national, qui en est le
uge, s'y rencontre.
I. \j' 11 iiDVciiibro l()2.'!fnt un jour de deuil pour les protestants français. En
ce jour s'éteijjjuit Du Plcssis-Mornay,au château de La Forêt-sur-Sèvrc. 11 ne
parait pas que l'appel adressé par l'église de Cliâtellerault à Daillé, si peu
avant la mort du i)ienfaiteur vénéré dont il devait retracer les dernières
heures, ait eu aucune suite. Saumur va bientôt le céder à Paris.
LETTRES DE DIVERS A DU PLESSIS-MORNAY. 409
L'église de ce lieu du commencement s'est vivement opposée à ma
liberté; mais peu a peu elle s'est grandement rallentie, de sorte
(ju'encor qu'elle persiste en quelque façon a son appel, néantmoins
la voix commune se porte a une entière et 1res affectueuse recerche
de la personne et ministère de M. d'Aillé, son compatriote, sur
l'espoir qu'ell'a qu'il vous plaira encliner aux très instantes suppli-
cations que nous avons, M. Carré et moy, charge expresse de vous
en faire. Quoy faisant, Monsieur, nous ne voudrions point nous pré-
valoir de l'affection que nous avons apportée et a laquelle nous
avons veu portés tous ceux de notre Consistoire pour consentir a ce
qu'il vous plust désirer de nous, en vous resignant et remettant nostre
droit; mais bien vous conjurerons-nous. Monsieur, par le soin que
vous avés toujours porté a l'advancement de la gloire de Dieu,
laquelle vous avés toujours préférée, avec gloire et louange, a vostre
profit et contentement particulier; nous pouvons aussi vous pro-
tester, en bonne conscience et comme devant Dieu, que nous ne
savons autre moyen pour consoler cett'église, déjà bien affligée et
battue de divers vents et tentations très dangereuses, que ce seul
remède, lequel vous tenés tout prest en vostre main.
Ell'a besoin d'un homme de savoir, de piété, éloquence et expé-
rience; encor que monsieur Carré, mon collègue, aye bonne part en
ses grâces, si conviens je avec luy, et luy avec moy, que ces choses
se rencontrent en M' d'Aillé avec un extrême désir et approbation de
touts, et particulièrement des siens. C'est, monsieur, ce qui nous
fait vous suplier très instamment de nous vouloir accorder nostre
très humble requeste; mais moy particulièrement qui ai un interest
très particulier en cett'affaire et qui ai donné cett'esperance a tous
que vous ne nous renvoirés point confus.
El sur cett'attcnte. Monsieur, je supplirai de tout mon cœur le
Seigneur qu'il luy plaise combler vostre personne de ses l)ontés
et consolations les plus saintes et favorables, et me faire la grâce
de pouvoir par services très humbles, tesmoigner avec quelle
gratitude, affection et humilité je recepvrai ma part de ce grand
bénéfice, demeurant tout le reste de ma vie. Monsieur, vostre très
humble, très obéissant et très affectionné serviteur,
Paul Geslin de la Piltihre,
l'un des Pasteurs en l'Eglise Réformée de Cbasteleraud.
410 LETTRES DE DIVERS A DU PLESSIS-MORNAY.
XI
Au même'-
A Chastellerault, ce 2 de septembre 4623.
Monsieur, cette Eglize s'est ci-devant desmise du droict qu'elle
avoit sur monsieur Daillé en vostre faveur, ne prevoiant pointla perte
qu'elle s'en va faire de Monsieur de la Piltière. Elle est maintenant
en termes de recourir a vous pour redemander ce qu'elle vous a si
facilement concédé, et espère trouver en vous autant de bonté et de
bienveillance qu'elle a eu de franchise; mais l'affaire n'estant point
encore jugée; et craignant de se faire préjudice, elle n'oze si tost
s'adresser a vous. Nous vous en donnons j'advis à l'advance. M'' de la
Piltière et moy, avec prières de nous supporter en cela et de nous
conserver, avec l'honneur de vos bonnes grâces, le droit que nous
vous avons cédé sur mondit s"" Daillé afin que cette Eglize vous en
puisse faire la demande temps et lieu. Il y est aimé et désiré de tous,
et je souhaitte grandement l'ayde d'un tel collègue. Si l'Eglize obtient
celte faveur, je vous en auray une très particulière obligation, qui
me fera continuer les vœux que je fay a Dieu pour vostre prospérité
a ce que le Seigneur vous donne longue et heureuse vie.
C'est, monsieur, vostre très humble et très affectionné serviteur,
J. Carré.
1. Même objet que la précédente lettre : sur le ministre Jean Carré, voir
l'article de la France protestante.
MELANGES
UNE EGLISE DU REFUGE*
Allez à Friedrichsdorf, me disait-on ; vous verrez quelque chose
d'intéressant pour un Français et pour un huguenot. J'y suis allé.
Friedrichsdorf est un gros village, séparé de Hombourg par un
coteau couvert de laillis et de haute futaie, le Hardt qui borde le
Kurhaus. Il y a de Hombourg à Friedrichsdorf trois petits quarts
d'heure de marche par la forêt. Les sentiers du Hardt sont doux
à monter et doux à descendre. J'ai eu vite fait cette charmante
promenade.
Au débouché du bois, sur un plateau, dans une situation pitto-
resque et fraîche, je vois se dessiner le village, que surmonte un
svelte clocher. Deux hommes s'entretiennent à l'entrée de la prin-
cipale rue; l'un des deux porte les insignes de facteur des postes —
Wo bin ich, bitte? — Le facteur me répond : « Vous pouvez parler
français ! » Il ne me dit pas, comme Coquelin dans l'Etourdi : « Fous
boufez barler franzè. » Il me dit : « Yous pouvez parler français. »
Il n'a pas, d'ailleurs, l'accent alsacien si reconnaissable; je ne puis
soupçonner en lui un compatriote du Haut-Rhin, devenu fonction-
naire allemand. Il n'a pas davantage l'accent de Dijon ou de la
Comté, ou de l'Aunis, ou de tout autre lieu spécial. Il a le pur
accent de France, sans aucun provincialisme. Je m'étonne et lui fais
compliment sur l'orthodoxie de sa prononciation. « Il n'y a pas de
quoi être surpris, répond-il, je suis originaire de la Champagne. »
Son compagnon intervient alors : « El moi, fait-il, trouvez-vous que
1. Un de nos publicisles le? plus distingués, notre coreliginnnairo M. J.-.F.
Weiss a publié, dans les Débats du 18 juillet, lo récit fort intéressant d'une
promenade à Friedrichsdorf, cette colonie française du Refuge dans le Taunus.
Il a bien voulu nous autoriser à reproduire, avec quelques omissions, ce bril-
lant morceau qui complète un article de l'ancien DiUlclin (t. VllI, p. 79). Nous
l'en remercions vivement, (fie'f/.)
WZ MÉLANGES.
je m'exprime aussi bien ?» Il avait dit : « Je m'exprème ! » Et il
ajoute : « C'est que, voyez-vous, on dit que le Languedoc a mauvais
accent, et précisément c'est du Languedoc que j'arrive par mes
aïeux. »
Et moi je me répétais, mais dans un autre sens que tout à l'heure :
Wo hin ich ? Mes deux interlocuteurs s'excusèrent de prendre congé
de moi. C'était le dimanche. «Voici, me dirent-ils, l'heure du prêche.
Nous allons au temple. » Le prêche ! Le temple ! Je les suis. J'entre
avec eux.
Le pasteur était en chaire. Le temple nu, sans même un Christ,
comme on le trouve dans les églises luthériennes ou les églises des
protestants unis de Prusse, offrait l'aspect et le caractère du plus
sévère calvinisme. Le pasteur lisait la confession des péchés en fran-
çais. Il ne passa point la phrase caractéristique du christianisme
calviniste : « Seigneur, nous reconnaissons et nous confessons
» devant toi que nous sommes de pauvres pécheurs, nés dans la
» corruption, enclins au mal, incapables par nous-mêmes de faire
» le bien, et qui transgressons, tous les jours et en plusieurs ma-
» nièrestes saints commandements. Mais, Seigneur, nous avons une
» vive douleur de t'avoir offensé... » Les hommes dans le temple
étaient aussi nombreux et même plus que les femmes. Tous étaient
placés, et moi avec eux, dans une tribune, â hauteur de premier
étage, formant rectangle ouvert devant la chaire du prédicateur. En
bas se tenaient les femmes, et rien ([ue les femmes. J'interrogeai
mon voisin.
Il m'expliqua qu'à Friedrichsdorl', et de temps immémorial, les
hommes, au temple, étaient rigoureusement séparés des femmes;
que parmi les femmes même, celles qui étaient mariées ne se con-
fondaient pas avec les jeunes personnes, les unes se tenant à droite
de la chaire, les autres à gauche. Le pasleur, cependant indiqua un
cantique à chanter. Toute l'assistance, hommes et femmes, sans
aucune exception, entonna le chant sacré. Mon voisin me tendit son
livre de cantiques, pour que je pusse suivre des yeux. Je n'ai plus
besoin de dire que le livre de cantiques était en français. J'examinai
mon voisin; il avait la taille moyenne du pays de France, mais avec
une solide carrure qui devient très rare chez nous, le type français
habituel, mais singulièrement solide et robuste, une moustache
qui, par sa nuance, n'appartient pas tout à fait ni au blond, ni au
MÉLANGES. 413
brun, ni au châtain, ni au rouge, un teint de moustache enfin demi-
roussâtre que je ne puis définir que par le mot: (.( Teint de France. »
Les quelques phrases que mon voisin échangeait avec moi, autant
que le pouvait permettre le respect du saint lieu, étaient nettes,
claires, correctes, aisées? Mais où suis-je donc enfin? Où suis-je
donc? Ai-je été endormi dans le Hardt par quelque Rûbezahl mali-
cieux, qui, en trois secondes, m'a transporté au beau milieu du
département de la Marne? Tout à l'heure, j'étais à Hombourg, ville
allemande; par des éclaircies du bois, tout à l'heure, en chemin,
j'ai aperçu, à ma gauche, le clocher de Kiedorf village catholique
allemand ; à ma droite, le clocher de Seulberg, pleine Allemagne !
Et ici tout résonne français ! Où suis-je? Où suis-je?
J'étais devant un groupe ethnologique. J'étais devant une pétrifi-
cation française de l'an 1687. Ici habitent un millier de Français,
qu'une trombe ethnique et politique a saisis et transportés, il y a
deux cents ans, de la plaine de France dans un repli du mont Tau-
nus; depuis ce temps, ils sont restés fixés dans la langue, les idées,
la foi et les mœurs de l'heure exacte où s'est opérée la violente
translation.
Ces Français descendent d'un groupe de calvinistes qui sont
venus chercher un refuge contre les dragonnades auprès de Fré-
déric II, à la jambe d'argent, landgrave de Ilesse-Hombourg. Ils
offrent ce curieux phénomène, qu'ils ont totalement perdu l'esprit
national français et la notion raisonnée de la France, et qu'ils ont
gardé avec un soin jaloux, une susceptibilité ombrageuse, la langue
de la France et la forme de protestantisme particulière à la France.
Leur parler français est celui du beau moment, il est intact et res-
treint; aucune mixture n'est venue l'altérer ni l'enrichir: il n'a rien
acquis, il n'a rien perdu. Leur protestantisme est celui de l'âge
héroïque et inflexible ; rien n'a percé vers leurs forêts du courant
d'idées contemporaines. Après le prêche, je vais visiter le [lasteur,
le maire qui s'appelle Garnier, le directeur d'un établissement sco-
laire important et remarquable sur lequel j'aurai à revenir un autre
jour. Je m'entretiens çà et là avec quelques personnes. Chez le pas-
teur il y aune lithographie, une seule; elle représente Calvin, sur son
lit de mort, faisant ses adieux aux quatre syndics et aux seigneur*;
de Genève et prononçant les belles paroles que Théodoi-e de Bèze
met dans la bouche du réformateur : « Je proteste devant vous que
4.U MÉLANGES.
« je VOUS ai toujours enseigné dans sa pureté et avec un cœur sincère
« la parole de Dieu. Restez fermes dans la pensée que c'est Dieu qui
fonde et conserve les villes et les royaumes... » Chez le maire il y a
un tableau, un seul; il représente Gravelotte, mais un Gravelotte
absolument dénué de soldats français. On n'y voit que l'empereur
Guillaume et ses généraux, après la bataille, se réjouissant du succès.
Car, il ne faut pas que mes lecteurs s'y trompent, nous sommes ici
en un pays allemand de race française. Tous les habitants de Fried-
richsdorf sont allemands, bien allemands de nation ; ils ont forte-
ment enfoncée dans l'esprit l'idée de l'État allemand ; leur patrie,
c'est l'Allemagne. Songez à ce qui s'est passé dans l'âme de leurs
pères quand ceux-ci ont eu à choisir entre la parole de Dieu et les
ordres duNabuchodonosorde Versailles. Songez à l'effort surhumain
qu'ils ont dû accomplir sur eux-mêmes pour abandonner leur in-
dustrie prospère, le champ fécondé par leur travail, la maison où
leurs jours s'écoulaient dans la pensée et la recherche du salut.
C'était de quoi arracher à jamais de leur cœur et du cœur de leurs
enfants le souvenir de la France aimée et perverse. Ils ont préféré leur
religion à leur nation originelle, et ils ont voué leur fidélité au pays
qui leur a donné refuge. En tout temps, la religion, mise en demeure
et provoquée, l'a emporté et l'emportera sur la patrie ; les intérêts
et les idées que représente la patrie ne pouvant du tout lutter en
importance avec les intérêts et les idées que représente une reli-
gion réellement crue.
Nos congénères de Friedrichsdorf sont donc à présent des citoyens
de l'Allemagne du plus absolucivisme allemand. La plupart d'entre
eux ignorent tout de la France, bien qu'ils en soient venus. Mais la
langue française leur est un trésor dont ils ne voudraient pas sacri-
fier une parcelle. Ils ne se sont, en général, mariés qu'entre eux
depuis deux cents ans, malgré les inconvénients physiologiques de
ce cousinage et do ce népotisme indéfinis. Il n'y a pas encore un
demi-siècle, c'était déroger, selon leurs idées, que d'épouser un
Allemand ou une Allemande... Je crois observer que les femmes ont
un plaisir particulier à se sentir de la race dont elles sont. J'ai
demandé quelques renseignements à l'une d'elles dont l'œil noir et
la noire chevelure disaient assez le sang languedocien. Les paroles
tombaient de sa bouche ailées, sonores, joyeuses d'être françaises.
C'était tout le caquet des bords de laDordogne, qui s'ébattait en elle...
MÉLANGES. -415
Je n'ai qu'une journée à passer ici. Il faudrait y passer trois
semaines; je crois qu'on y recueillerait quantité d'observations de
psychologie ethnique et de chimie historique du plus haut prix.
Première remarque sommaire : d'après ce que j'entends et d'après
certains documents manuscrits que j'ai parcourus, les réfugiés du
dix-septième siècle ont apporté avec eux à Friedrichsdorf deux
langues, celle de la bonne compagnie et celle du peuple des cam-
pagnes. Si quelques-uns parlent comme madame de Sévigné, d'autres
disent, ou disaient, il n'y a pas longtemps encore : J'étions, — //
ont dit, — C'est maman qu'elle me Va dit, — A c'f heure, — Ils
allions, — Quoi ce que tu dis, — Cet argent est bonne, — Nous
fans, — Attends me, — Les chevals, — Où ce que tu vas, — Nous
ont été, — Quoi qu'ai veut. — Les pasteurs et les maîtres d'école
ont fait la chasse à ces locutions et ils n'ont réussi qu'à grand'peine
à les extirper. De cette coexistence de la bonne langue et d'un jargon
vicieux, on peut conclure qu'il y a eu deux classes de réfugiés ; les
uns, de bonne bourgeoisie; les autres, du simple peuple. Seconde
remarque : quoiqu'il y ait à Friedrichsdorf des familles, des types
et des noms qui sont du Midi, la langue d'oc ne paraît avoir déposé
aucun sédiment dans le parler delà communauté française. On peut
en conclure, ce me semble, que les réfugiés du Languedoc qui sont
arrivés en Hesse, entre 1687 et 1704, ne parlaient plus déjà le lan-
guedocien ; c'est un fait qui permet de mesurer ou de concevoir le
degré de généralisation de la langue française au temps de Louis XIV.
L'unité de langue était dès lors consommée (sauf en Bretagne)
comme l'unité politique et l'unité nationale *.
Il a pourtant persisté à Friedriclisdorf quelques formes qui
sentent le dialecte, mais dans les limites de la langue iVoil. On y a
dit jusqu'au commencement de ce siècle, on y dit encore quelquefois
une épée pointute, — une \)omme pourrite, —rougerole pour rou-
geole, — filerie pour fdature, — s'assir pour s'asseoir, — des
poires cueilliées pour cueillies, — pounié pour poignée, — que-
naille pour tenailles, — guernier pour grenier, — moigneau pour
moineau, — maladieux pour maladif, — Judic pour .ludith. Les
1. Conclusion trop absolue : Le l'ranrais n'a prévalu que leuteunînt dans le
midi; le patois ou languedocien n'a pas cessé d'ctrc parle dans les campagnes ;
ainsi s'explique jilus d'une locution dans la langue du Rclugc. (ïiéd.)
4.16 MÉLANGES.
habitants ont longtemps conservé une 7ioie ou moie pour motte ou
tas, moie de blé, moie de terre. Ils possèdent parc à salade pour
plan de salade, soie pour passoire, parc à bouquet pour parterre ou
corbeille de fleurs. « Voilà de beaux bouquets dans ce jardin »,
signifie: « Voilà de belles fleurs ». Ils ont potée de lait pour pot.
(( Estomac » en leur langue veut dire poitrine : « Cette dame a un
bel estomac ». Dans certaines de nos provinces, le mot ainsi en-
tendu a encore cours.
La bonne langue, en revanche, a gardé chez eux bien des mots et
de gentilles formes que nous avons laissé se perdre. Des expressions
surnagent qui sont d'avant le dix-septième siècle : J'ai été regouré
(on m'a trompé, triché, refait) ; écafeuillé pour étourdi. Ne seriez-
vous pas bien aise d'avoir, comme à Friedrich sdorf, les mots si bien
faits et si commodes de « claveciner » et de « violonner. » Ne font-ils
pas bien de dire encore « esseulé, — souventes fois, — une paire
« de fois »? Ne regrettez-vous pas « demeurance » ? Est-ce que la
locution « Je me pense que » au lieu de «je pense que » n'est pas bien
expressive et bien charmante! Les gens de Friedrichsdorf disent
« poêle » pour chambre : Descartes aussi. Ils disent « aussi telle-
ment comme, ainsi comme » : Malherbe aussi. Ils emploient beau-
coup où nous mettrions très : Molière aussi :
La campagne à présent n'est pas beaucoup fleurie
J'ai entendu de vieilles gens qui m'ont parlé du roué (roi) et de
Vitry-le-Françoué, leur lieu d'origine.
C'est en 1687 qu'arrivèrent dans lelandgraviat les premiers réfugiés
protestants. Ils étaient trente-deux, chefs de famille ou célibataires.
On a conservé les trente-deux noms. Ce sont des noms très communs
des provinces de la France au nord de la Garonne et de la Loire :
Labbé, Meunier, Bonnemain, Rossignol, Lejcune, Achard. Je
remarque parmi eux un Abraham Droz et un Boutemy. De 1098 à
1702, il vint une seconde fournée; elle arrivait de Champagne, de
Picardie et de l'Ile-de-France. Noms très communs encore. Vers ce
temps vinrent aussi des Languedociens, des Fabre, des Privât. Le
landgrave Frédéric II leur distribua des terres sur lesquelles ik
bâtirent Friedrichsdorf. Il décida que leurs personnes et leurs biens
seraient exempts d'impôts pendant dix années. Au bout de dix ans,
ils devaient payer un florin par arpent déterre. La soie put entrera
MÉLANGES. il7
Fricdrichsdorrsans payer de droit. Friedriclisdorf ne fut pas soumis,
pour l'exercice de l'industrie, aux règles en vigueur desjurandes et
des maîtrises. A ces faveurs, Frédéric II ajouta deux privilèges qui
expliquent en partie comment Friedrichsdorf a pu longtemps garder
si étroitement ses mœurs et sa langue. Les procès des réfugiés
français ne devaient être jugés que par le maire et les éclievins, élus
par eux-mêmes, sauf recours dans certains cas à la chancellerie du
landgrave. Nul n'eut le droit de s'établir à Friedrichsdorf, sans la
permission de la communauté. Le premier maire élu de la tribu
errante fut Esaïe Rousselet.
On s'est avisé seulement en 1837 à Friedrichsdorf de recueillir
les souvenirs des habitants, de rechercher ce qui pouvait rester de
documents dans les familles et d'en composer un registre que le
maire s'est chargé de conserver. Cette chroniqueest assez abondante
pour les années qui suivent 1837 et qui sont de beaucoup les moins
intéressantes. Elle est plus sèche pour les origines. C'est dans ce
registre que sont consignés les faits que je viens de relater. La foi
se garda vive à Friedrichsdorf, et les habitants restèrent dignes, par
leurs mœurs, de cette bonne réputation des protestants français à
laquelle Bourdaloue apporte, dans un de ses sermons, un précieux
témoignage. On a cependant un sermon de Gristophe Roques, leur
septième pasteur, qui, en 1746, leur reproche leur inattenlionàla lec-
ture de la parole de Dieu et les dissensions croissantes des familles;
qui se plaint aussi de l'humeur querelleuse et de l'intempérance des
jeunes gens. D'autre part, il résulte du même texte qu'en ce temps-
là on se réunissait au temple trois fois la semaine; ce qui est bien
une marque de ferveur. On ht un recensement en 1787. Lu popula-
tion, ce semble, ne s'était guère accrue. En 1787, Friedrichsdorf
possédait quatre-vingt-neuf maisons, six cent vingt-quatre habitants,
tous Français, dont soixante-dix-sept hommes, quatre-vingt-huit
femmes (sur les({uelles treize veuves et quarante-trois servantes),
cent quarante-deux garçons et cent cinquante-neuf fdies. Friedrichs-
dorf était une ville de petite industrie, autant et plus (ju'une ville
agricole. En 1787, on y tiouvait trente-quatre fabricants et ({uati-c-
vingt-dcux ouvriers de métiers. Sur ces trente-quatit! fabricants,
vingt-cinq travaillaient la laine. Ils faisaient de la llanelle et des bas
à la mécanique ; c'est l'industrie que leurs ancêtres avaitîul apportée
avec eux en venant de France.
xxxiii. — "21
-418 .MÉLANGES.
Ce qu'il y a de plus remarquable dans le registre déposé chez le
maire, c'est ce qui ne s'y trouve pas. Rien n'atteste mieux que cer-
tains silences combien, au bout d'un siècle, les réfugiés du Taunus
étaient moralement séparés de leur nation d'origine. Il n'est lait
aucune allusion dans le registre aux événements de notre histoire
qui intéressaient le plus leur communion. Pas un mot de l'édit de
Louis XVI qui rendait aux protestants leur état civil ; pas un mot de
la Révolution française où leurs coreligionnaires jouèrent un rôle si
important; pas un mot de la renaissance des Eglises réformées sous
le Consulat; et quand les Français parurent sur le Mein, abolissant
la féodalité ecclésiastique et les principautés épiscopales, pas un
mot, pas un mot. Il n'estqu'un seul point par où Friedrichsdorf s'in-
téresse encore et tient à notre pays. Chaque année, les habitants
souscrivent une somme pour les missions protestantes ; ils en con-
sacrent la moitié aux missions de France. La vie religieuse au sur-
plus, est restée intense à Friedrichsdorf. Dans plusieurs familles
subsiste encore le culte domestique, qui était si soigneusement pra-
tiqué par les protestants du dix-septième siècle. Soir et malin la
famille se réunit pour la lecture de quelques versets de la Bible et
l)our la prière en commun.
J'ai vu et lu, chez le pasteur de Friedrichsdorf, un récit manus-
crit, plus ancien et de beaucoup plus d'intérêt que le registre du
maire. C'est le récit de l'émigration de la famille d'Antoine Privât,
dont les descendants occupent actuellement l'une des meilleures
situations à Friedrichsdorf. L'un d'eux dirige une fabrique qui
occupe une centaine d'ouvriers. Le récit transmis par la tradition
orale n'a été fixé par écrit qu'à la troisième génération. Il offre le
double caractère de la légende et de l'histoire. Il a été évidemment
transcrit dans la forme naïve où il a été transmis. Les circonstances
romanesques, mêlées à l'histoire et qui trahissent le besoin de dra-
matiser, particulier à ceux qui n'ont pas la pratique du métier
d'écrire, n'infirment pas la valeur de ce document où s'expriment,
en traits saisissants, la foi brûlante des huguenots du dix-septième
siècle et la piété ingénue des gens de Friedrichsdorf envers leurs
aïeux. Je vais tâcher d'en exprinu'r la substance et d'en rendre le
ton pour mes lecteurs.
En ce temps-là, il y avait en France un roi nommé Louis XIV
qui avait fait ])eaucoup de choses désagréables à Dieu. Il voulut tout
MÉLANGES. 419
de même s'ouvrir les portes du paradis, en y faisant entrer avant lui
les hua^uenots de son royaume à la pointe du sabre de ses dragons.
Sa maîtresse, M""' de Montespan (M""' de Montespan au lieu de M""' de
Maintenon, vous voyez la légende), sa maîtresse devenue vieille et
bigote, et son ministre Louvois l'encourageaient dans son dessein
de révoquer l'Édit de Nantes. La famille d'Antoine Privât, qui ne
voulut pas renoncer à la foi, fut alors cruellement frappée. La mère
fut massacrée par les dragons; le père Antoine fut jeté dans une
forteresse dont on ne savait pas le nom. Ses onze enfans, dont le plus
âgé avait dix-sept ans, erraient dans l'abandon et dans la misère. Un
jour que, fatigués, ils se tenaient appuyés contre les murs d'une
vieille tour, ils entendirent une voix qui gémissait au fond de la
tour. La voix s'exprimait ainsi : « Seigneur, pourquoi laisses-tu le
» tentateur venir à moi? Le tentateur murmure à mon oreille et à
» mon cœur, que, si je renie l'Evangile, je reverrai et mon cliamp
» et ma maison et mes enfans, et les enfans auront de quoi manger
» et, tout en me disant catbolique des lèvres, je pourrai, Seigneur
» te rester fidèle. Mais Jésus a dit : — Celui qui quittera sa mère,
» sa femme et ses enfans et tous ses biens pour me suivre, à celui-là
» sera la vie éternelle; et partout où tu iras. Seigneur, je te sui-
» vrai. > Les enfans écoutaient la voix. Ils restèrent là. Le soir
quelque chose tomba du haut de la tour à leurs pieds. Ils ramas-
sèrent l'objet. C'était un écu de six livres, enveloppé dans un papier.
Ils lurent sur le papier : « Mes enfans, voici tout ce que j'ai; allez
» vers l'est et marchez longtemps; vous trouverez un prince agréable
» au Seigneur qui vous recueillera. — Antoine Privât. » Les enfans
prirent confiance et ils marchèrent vers l'est. Ils marchaient depuis
quatre mois lorsqu'ils arrivèrent dans une grande et belle ville, où
ils tombèrent épuisés sur une promenade. Un homme s'approcha et
leur parla. Mais ils n'entendaient pas son langage ni lui le leur.
L'homme était un garde de ville qui les mena coucher dans la
prison.
Cette grande et belle ville était Francfort. A Offenbach, heureuse-
ment, près de Francfort, vivait un pasteur qui savait beaucoup, beau-
coup de langues. On le fit venirdèsle malin. Il leurparleunelangue,
puis une autre, puis une autre jusqu'à ce que l'aîné dit : « J'ai com-
pris. » Quand les bourgeois de Francfort connurent l'histoire de ces
onze enfans qui erraient depuis quatre mois avec un écu de six livres,
•420 MÉLANGES.
pour l'amour et la gloire de Dieu, ce fut une admiration; cliacun
vint les voir et on oubliait en les admirant « que les pauvres petits
« n'avaient pas déjeuné ni soupe la veille ». Enfin on les restaura.
Les bourgeois de Francfort donnèrent asile aux neuf fdles et plus
tard les marièrent. Les deux garçons s'en allèrent vers le prince de
liesse qui leur permit de s'établir à Friedrichsdorf. Ainsi furent
sauvés les rejetons de la famille Privât qui était de Saint-Hippolyte
de Sardige en Languedoc.
J'abrège et j'omets beaucoup de circonstances. Mais il me semble
que dans cette histoire frémit l'âme des croyants du protestantisme
français. La fondation de Friedrichsdorf apparaît ici plus lumineuse
et plus expressive que dans le recueil d'annales qui serait le plus
authentique et le plus détaillé. De combien de souffrances, de com-
bien d'efforts, de combien de vertus, ce village de Hesse a été bâti !
Il ne faut pas se le dissimuler, Friedrichsdorf en tant que pays de
langue française est bien menacé. Friedrichsdorf a vaillamment
lutté; il a gardé longtemps l'empreinte sans mélange. Mais l'océan
de l'Allemagne qui entoure et presse cet îlot de France, le submer-
gera tôt ou tard. La femme de l'hôte qui tient l'auberge Zum neis-
sen Thurm a entendu conter, par sa mère, qu'en 1840 on n'aurait pas
trouvé à Friedrichsdorf plus de quatre femmes d'origine allemande.
Sur une population de 1,200 âmes, il y a maintenant à Friedrichs-
dorf 400 Allemands et plus. Les médecins poussent aux mariages
entre les deux races par des raisons d'hygiène qui ne laissent pas que
de recouvrir aussi dos raisons nationales. Les destinées des Églises
françaises voisines semblent annoncer celles qui attendent Frie-
drichsdorf. En 1842, il y avait encore une communauté française à
Ilonibourg; elle est maintenant fondue dans l'Église réformée alle-
mande. Une autre Église française, de moindre importance, a long-
temps tleuri aux portes d'Hombourg, à Dornolzhausen; elle a été
supprimée l'an dernier; elle a lîni faute de Français; il ne restait
plus guère de Français dans le village, que le maître d'école et le
pasteur. Ou résistera longtemps encore à Friedrichsdorf. Mais que
pourront 800 Français contre l'infiltration allemande grandissante?
Que pourront-ils contre l'uniformité des règlemens scolaires prus-
siens. A l'école déjà, il a été attribué autant d'heures à l'enseigne-
ment de l'allemand qu'à l'enseignement du français. A partir de cet
automne le temple même, où n'a jamais retenti (lue la langue fran-
BIBLIOGRAPHIE. 4.2]
çaise, entendra, de deux dimanches l'un, une instruction religieuse
donnée en allemand. Dans cinquante ans d'ici, les réformés français
de Friedrichsdorf ne sauront peut-être plus de français que l'oraison
dominicale et la confession de foi des Églises calvinistes. Il était
temps de recueillir et de sauver les fragments épars d'histoire posi-
tive qui nous restent sur cette petite Sion française du Taunus.
.I.-J. Weiss.
BIBLIOGRAPHIE
VIE DE GUILLAUME BUDÉ, PAR M. EUG. DE BUDÉ
Un volmne in-18. Librairie académique Didier, 1884-
a: Quel précurseur que cet homme qui, dès les débuts de sa car-
rière, devançant les maîtres chargés de lui enseigner les sciences
et les lettres, s'avançait d'un pas sûr et rapide, se formant lui-même
et ne devant pour ainsi dire rien à personne! Puis, helléniste avant
qu'on imprimât du grec en France, latiniste, juriste avant Cujas, il
étonnait son siècle par ses immortels travaux qui lui ont fait donner
le beau surnom du plus grand des Grecs! Qu'étaient les sciences
avant lui? En vain la France, l'Angleterre s'efforçaient-elles de
secouer le joug du faux goût : la scolastique tenait toujours enchaî-
nées les sciences et les lettres. D'absurdes et puériles disputes
étaient le seul ressort des études, le but unique des exercices qui
formaient la base de l'éducation. Budé brisa toutes les entraves de
la barbarie; il sut obliger l'université à changer peu à peu le plan
d'études qu'avait établi lo moyen âge. Il appliqua à l'étude de l'an-
tiquité une méthode rationnelle et scientitiquc et enfanta lui-même
de ces ouvrages qui assurent l'immortalité. »
C'est on ces termes que M. Eug. de Budé résume Tneuvrc do son
422 BIBLIOGRAPHIE.
grand ancêtre. Cette œuvre appartient-elle à la Réforme, et l'his-
toire de Guillaume Budé est-elle un chapitre de celle du protestan-
tisme français pour trouver ici sa place ? Oui, assurément, dans un
sens général et très important; non, dans le sens où l'illustre savant
aurait appartenu lui-même au nouveau culte. Quand le futur grand
homme, après les années d'une jeunesse indifférente et fastueuse,
s'éveilla à la vie intellectuelle et s'adonna aux études avec une
ardeur qui ruina sa santé, le temps était loin encore où la nouvelle
église devait naître. C'était vers 1490, avant les guerres d'Italie; la
Renaissance s'annonçait à peine dans notre pays et n'était guère
représentée que par Le Fèvre d'Étapes, plus occupé encore de ma-
thématiques et de philosophie que des Épîtres de Saint-Paul. Les
premiers humanistes n'aspirèrent d'ahord qu'à la lumière, sans
prévoir que cette lumière, jetée sur les origines de la religion chré-
tienne, enfanterait une réforme religieuse. A la date des premiers
travaux de Budé, la question n'était pas encore posée; quand elle
le fut, entre 1515 et 1520, son parti était pris; l'âge des conversions
était passé : novateur dans le domaine des lettres et de l'érudition,
il n'était pas appelé à le devenir dans celui de la foi.
Deux autres circonstances prévinrent pour lui cette gloire et ce
péril : sa situation officielle à la cour et, si on ose le dire d'un tel
homme, une certaine lacune de son esprit. Maître des requêtes
sous François I", en rapports fréquents avec le roi, préposé à la
hibliothèque royale de Fontainebleau, prévôt des marchands de
Paris, chargé d'importantes ambassades (notamment auprès du
pape Léon X avant Marignan et la conquête du Milanais), il se
trouvait dans cette région administrative où le sentiment de la res-
ponsaldlité inspire plus de circonspection que d'enthousiasme et fait
surtout craindre l'entraînement. Quelles furent au juste ses réflexions
(|uand il s'occupa de théologie? Comment jugeait-il la querelle
luthérienne à ses débuis? Il n'en a pas fait la confidence au public.
Religieux et de mœurs austères, il resta catholique, mais avec si
peu d'étroitesse qu'il laissa sa femme et ses enfants glisser sur la
pente qui entraînait alors la France vers le protestantisme.
Il eut aussi moins que d'autres et, en un certain sens moins qu'il
n'eût fallu, le besoin de coordonner ses idées, d'en préciser la por-
tée logique, de les faire aboutir à des conclusions. Il avait le tempé-
rament d'un ériidit, non d'uii théoricien. Vovez ses livres : il n'en
BIBLIOGRAPHIE. i:23
est pas un qui soit ce qu'on appelle composé. L'ordonnance y fait
défaut. Ses Annotations sur les Pandectes ne sont qu'une suite de
dissertations qu'aucun lien ne rattache les unes aux autres; ses
Commentaires sur la langue grecque sont aussi une série d'articles
dont plus tard d'autres savants, Toussain, Baduel, tireront, vaille
que vaille, un dictionnaire; le De Asse lui-même, bien que traitant
un sujet défini, la monnaie et les diverses mesures grecques et
romaines, passe en revue toute espèce de questions d'histoire an-
cienne et moderne. Il n'en est pas autrement des écrits sur la
Philologie, le Passage de l'héllénisme au christianisme et du
livre français Y Institution d'un prince. Une facilité prodigieuse,
jointe d'ailleurs à une certaine emphase et à la recherche des images,
faisait courir avec rapidité la plume du savant. Il ne devait ni effa-
cer ni se reprendre. Pressé de faire connaître ses découvertes et de
communiquer au public son savoir, il lui suffisait d'énoncer ses
idées, n'importe à quelle place, et il laissait au lecteur le soin de
classer et de conclure. Il sentait que sa mission était plutôt de révé-
ler l'antiquité que de la juger ou que de juger à sa lumière les
institutions du temps présent. Son jeune ami Dolet avait cette même
fougue de recherches et d'exposition qui se retrouve dans Rabelais
et dans Guillaume Bigot. Un tel esprit devait être moins pressé
que d'autres de se prononcer entre deux tendances religieuses,
dont l'une ne devait réaliser que plus tard les aspirations évangé-
liques.
Mais si Budé n'a point appartenu à la tendance novatrice, ses tra-
vaux l'ont singulièrement favorisée. Il a fait plus que tout autre
pour la susciter, pour la munir de moyens d'action, pour lui créer
un milieu où elle pût vivre. Le grec dont il a introduit l'étude en
France, n'était-il pas la langue du Nouveau-Testament, langue sus-
pecte d'abord à l'Eglise et sévèrement condamnée par la Sorbonne ?
Budé l'a préconisée et maintenue contre elle avec le plus ferme cou-
rage. Le Collège de France, dont il a provoqué l'établissement, n'a-
t-il pas été dans notre pays la source du libre savoir, l'organe de la
pensée scientifique, et n'est-ce pas sur son enseignement que se sont
réglés les collèges et les académies de la Réforme comme la théo-
logie catholique a continué à s'inspirer de la Sorbonne? Où auraient
pu se dresser sans Budé les chaires de langues sacrées de Danés et
de Vatable et, plus tard, la chaire de philosophie de Ramus? Sans
424 BIBLIOGRAPHIE.
eux et leurs émules, l'air et la lumière auraient également manqué au
protestantisme.
Par un autre côté aussi l'influence de Budé a été grande sur les
églises de la Réforme : je veux parler de l'exégèse biblique que l'il-
lustre savant n'a point abordée, mais sur laquelle il a exercé une
influence indirecte des plus puissantes. Ses Annotations sur les
Pandectes ont donné un modèle d'interprétation qui a aussitôt fait
loi dans les écoles de droit. Or ces écoles n'étaient point, comme
aujourd'lmi, séparées par un abîme de celles de théologie. Nos réfor-
mateurs passaient volontiers d'une discipline à l'autre et portaient
dans les études religieuses les habitudes d'esprit qu'ils avaient con-
tractées dans celles de jurisprudence. On sait ce qu'était devenue
la compilation de Justinien sous les commentaires du moyen âge.
Accurse avait composé sur ce texte une glose continue récapitulant,
en six volumes, toutes celles de ses prédécesseurs. C'était à se
perdre dans ce fouillis inextricable d'explications. Que fit Budé?
« Le premier de son siècle, il revint à une étude vraiment scienti-
fique du droit et en releva les fondements que les affreuses ruines
de la barbarie avaient ensevelis. » Il discrédita Bartliole, Baldus,
Alexandre, le Palermitain, et fit justice de la fausse science. Pour
expliquer le vrai 'sens des anciennes lois, il eut recours à la philo-
logie dont il avait le génie, à l'histoire et aux usages de l'antiquité
dont il avait une connaissance prodigieuse. Il est impossible de
dénombrer les contre-sens et les erreurs ridicules dont il purgea la
jurisprudence. Or, ce qu'il fit pour le droit, c'est ce que fit Calvin
ï»our la théologie. Les Commentaires du réformateur sur la Bible
étaient fondés sur les mêmes principes que les Annotations de
Budé sur leDigeste : l'histoire, la philologie, le bon sens, prévalaient
d'un côté comme de l'autre et triomphaient des superstitions et des
billevesées. Calvin ne procède pas moins de Budé qu'Alciatet Cujas.
Yoilà par quels côlés la Réforme se réclame ajuste titre du grand
huuianiste. Elle revendique sans restriction ses fils venus à Genève
avec sa veuve quelques années après la mort de leur père. Nul ne
pouvait mieux que leur descendant, M. Eug. de Budé, nous raconter
en détail leur histoire. Il s'est borné à des indications succinles,
soit par une juste réserve dans un sujet qui le touche de près,
soit pour ne pas compromettre l'unité de son œuvre. Tout l'intérêt
(le son livre S(^ conceutre donc sur son héros. Cet intérêt que le
BIBLIOGRAPHIE. 425
lecteur partage, est très vif, on s'en doute bien, de la part de l'his-
torien lui-même, mais sans compromettre son impartialité : celle-ci
est complète et d'une sérénité inaltérable. L'écrivain a plutôt dissi-
mulé que trop laissé voir les sentiments qu'il a apportés à son étude :
on les distingue néanmoins et l'on s'y associe avec une vraie sympa-
thie. On lui sait d'autant plus gré de n'être pas tombé dans le pané-
gyrique, d'avoir été exact, mesuré, complet, et d'avoir ajouté à tant
de travaux publiés sur la Renaissance un volume solide où l'érudi-
tion n'exclut pas l'élégance et n'a rien qui rebute le simple lec-
teur désireux de s'instruire.
M.-J. Gaufrés.
1» Notice sur Jean Evrard, ingénieur du roi Henri IV, par V. Servais
(14 p. in-S" dans les Mémoires de la société des sciences, lotlres ot
arls de Bar-le-Duc, tome 111, 2° série 1884).
2° Jean Errard de Bar-le-Diic, c premier ingesnicur du très clireslien
roy de France et de Navarre Henry IV s. Sa vie, ses œuvres, sa forti-
fication (lettres inédites de Henri IV et de Sully), par Marcel Lalle-
mcnd et Alfred Boinette. 1 vol. iu-12 de vi et 332 pages. Paris 1884 1.
Il y a deux manières de concevoir la biographie. On peut se con-
tenter d'une simple nomenclature des laits et gestes du personnage
dont on entreprend d'écrire l'histoire ; on peut se borner à des dis-
cussions de dates et de généalogies. La courte notice de M. V. Ser-
vais, d'ailleurs utile, n'échappe pas à ce défaut. Mais, s'il est vrai
que la biographie vraiment digne de ce nom doit reproduire une
physionomie historique avec tout ce qui vient se grouper autour
d'elle, si elle doit mettre en lumière une vie cl rattacher à riiisloire
générale les événements particuliers dont se compose l'existeiu'e
d'un individu, MM. Lallemend et Boinette ont réussi à faire du |ior-
traii qu'ils nous doniunit un tableau achevé. La fîgni'c originab' de
Jean Errard se meut au milieu des hommes et des choses de son
siècle sans se perdre, mais sans que les auteurs tnnibcnl d.uis ]e
1. Librairie de Dumoulin. Quai des Augusliiis.
426 BIBLIOGRAPHIE.
défaut trop commun d'exagérer et de grossir outre mesure la valeur
et l'importance de leur héros. Des documents inédits, une érudition
puisée à des sources très diverses, — trop diverses peut-être, — des
appréciations neuves et quelquefois hardies, des esquisses jetées en
quelques traits heureux, donnent beaucoup d'attrait et de saveur à
ce livre, qui n'est rien moins que banal.
L'ingénieur d'Henri IV n'était guère connu que par quelques
articles de dictionnaires, l'un reproduisant l'autre, selon l'usage.
La France protestante (1" édit., tome IV, p. 541) lui consacre à
peine treize lignes. On peut dire que Jean Errard était à peu près
tombé dans l'oubli, oubli qu'on trouvera bien immérité après avoir
suivi avec ces excellents biographes le cours de cette vie si utile.
« Errard, nous disent MM. L. et B. (p. 3), fut l'un des rénovateurs
des sciences exactes ; il fut mêlé à toutes les guerres de 1588 à 1610;
de son habileté dépendirent à certains moments la couronne de
Henri IV et l'indépendance de notre pays. Il coopéra à l'organisa-
tion du génie et cà la réorganisation de l'artillerie; il importa le
système de fortification qui forme encore la base de la fortification
moderne; il en donna les règles, il les mit en pratique et pendant
vingt ans travailla à la grandeur de la France. Chose étrange : il
est tombé dans l'oubli... Il est presque inconnu à ses contemporains;
tous attrii)uent à d'autres ou s'attribuent à eux-mêmes le mérite de
ses travaux. Sa gloire s'est absorbée dans celle de Sully... »
Je n'essaierai pas d'analyser le livre de MM. Lallemend et Boi-
nette, qui sera entre les mains de tous ceux qu'intéresse l'histoire
du XVI' siècle; mais qu'il me soit permis d'appeler spécialement
l'attention et les recherches des lecteurs de ce Bulletin sur un point
important, auquel j'aurais souhaité de voir nos auteurs moins indif-
férents. Jean Errard a-t-il été protestant? MM. L. et B. semblent le
soupçonner (p. 20), mais ils ne parlent de leur conjecture qu'à mots
couverts, comme s'ils redoutaient d'attirer l'attention sur celte ques-
tion cependant si im|»ortante, même au point de vue strictement
historique. Que de nos jours, un ingénieur, un constructeur de
citadelles soit protestant ou catholique, il n'importe guère; mais
lorsqu'il s'agit du xvi'' siècle où la patrie religieuse tenait autant,
sinon plus de place dans les cœurs que la patrie politique, qui
n'aperçoit la valeur de la question que nos auteurs ont liésité à se
poser? II vaudrait la peine d'élucider ce doute et de se demander si
BIBLIOGRAPHIE. 427
Errard doit être rayé de la nouvelle édition de la France proies-
tante, ou si au contraire son nom doit y être maintenu. Les argu-
ments positifs manquent encore, mais en attendant mieux, le livre
de MM. L. elB. nous offre quelques probabilités qui pourront guider
les recherches des lecteurs du Bulletin, et qui autorisent jusqu'à un
certain point l'opinion que Jean Errard se rattacha au protestantisme
à une époque de sa vie.
1° Jean Errard, né à Bar-le-Duc en 1554, entra de bonne heure
au service de son souverain le duc de Lorraine, En 4584', il dédie à
Charles III le premier livre des instruments mathématiques,
imprimé à Nancy. Avant 1588 (p. 21) on le voit quitter brusque-
ment le service de Lorraine pour entrera celui des ennemis de son
prince, des ducs de Bouillon, dont il devint jusqu'à sa mort (en 1610)
un serviteur fidèle. Il prend une part brillante à la défense de
Jametz, où il vint se jeter avec quelques compagnies de gens de pied,
tira parti de toutes les ressources, multiplia les obstacles et suppléa
à l'insuffisance des fortifications par des dispositions ingénieuses et
des « nouveautés incogneues ». On lira avec intérêt le récit émou-
vant (p. 30 à 55) de ce siège mémorable où une poignée d'hommes
résolus et animés d'un véritable enthousiasme religieux tint tète
pendant deux ans à toutes les forces de la Lorraine. — On a peine à
se figurer un catholique dirigeant la résistance acharnée de ces vail-
lants huguenots!
2° Après la chute de Jametz, Errard combat sous la cornette
blanche de l'armée d'Henri IV. Nos auteurs sont surpris (p. 104) de
ne pas le voir «: à rhonneur bien qu'il eût été à la peine » et de ne
pas trouver son nom dans les listes des officiers qui assistèrent aux
cérémonies de l'abjuration du roi en 1593 et à son sacre en 1594.
Cette abstention n'est-elle pas bien significative?
3° L'un des deux fils de Jean Erraril, marié d'ailleurs dans l'église
romaine en 16:23, porte le prénom biblique et essentiellement pro-
testant (VAbdias.
4° Enfin, voici presque une certitude. En 1603, Télecteur palatin
désirait élever une forteresse « pour la défense de la vraie religion,
sur le terrain qui sépare son territoire de la France » (Sully, Oec.
Rotj.). A qui s'adresse-t-il sur le conseil du duc de Bouillon? A qui
demandera-t-il des plans? A nul autre qu'Errard, le premier ingé-
nieur (lu roi de France. — Et (|uol émissaire lui dépéche-t-il avec
4â8 BIBLIOGRAPHIE.
une leltro publiée pour la première fois par MM. L.clB.? Benjamin
Aiv^uenet {Cî. Frcmce prot. ,'2," édit.,tome I, p.265),quifut plus tard
pasteur de Lixheim et ensuite de Vitry.
Ce ne sont là que des probabilités, mais elles sembleront presque
décisives à tout lecteur non prévenu. Elles pourront, du reste, se
changer en certitudes si, comme nous l'espérons, ces lignes pro-
voquent quelques recherches de la part des lecteurs du Bulletin^
familiarisés avec les mémoires et les correspondances inédites ou
imprimées du temps.
MM. Lallemend et Boinette, personne ne s'en plaindra, n'ont pas
craint d'aborder les considérations générales. Il y a, au chapitre III,
sur le protestantisme, son organisation, ses projets, bien des pages
(p. 56 à 83) où l'on trouverait ample matière à discussion. Nos
auteurs jugent avec raiion que la Réforme fut un grand accroisse-
ment de la foi, mais comment les comprendre lorsqu'ils assurent
qu'à cet accroissement de la foi (p. 03) correspondit une égale dimi-
nution delà pensée! Ils accusent, et nous félicitons laRéforme d'avoir
fait « dévier cette admirable révolution sceptique et morale qui était
née de la Renaissance :>). Ils entreprennent la réhabilitation difficile
de Catherine de Médicis et de Henri III; ils amnistieraient volontiers
au nom de la politique et du « scepticisme » la Saint-Barthélémy !
Sans doute, Machiavel a absous d'avance la reine florentine; mais
aucun historien français n'aura la même indulgence pour cotte
étrangère qui conduisit la France à un abaissement sans pareil, i)ar
l'énervement méthodique des caractères, par les massacres épouvan-
tables de 1572, par les crimes de la Ligue; et Catherine de Médicis
gardera éternellement la responsabilité de ces catastrophes où la
patrie faillit sombrer. Il faut le répéter sans cesse : la Réforme a été
le salut de la France, parce que, dans notre pays surtout, elle a
revêtu ce caractère d'énergique protestation contre les dépravations
raffinées de la Renaissance italienne. Au scepticisme païen, à la
morale facile, à la politique cauteleuse d'outre-monts, elle a opposé
des caractères vraiment français, des âmes fortes, des consciences
loyales. On ne saurait assez insister sur ce côté trop méconnu du
vrai caractère français, cette gravité austère qui, au xvr siècle avec
Calvin et Coligny, au xvii'' avec Port-Royal, réagit contre la frivolité
des mœurs et l'avilissement des âmes. Quel n'eût pas été l'avenir
de 1.1 France si ce bel essor n'avait été arrêté?
CORRESPONUANCE. 429
MM. L. et B. ne se contenteront pas sans doute dos jugements su-
perficiels qu'ils ont porté sur le grand mouvement d'aUVancliissemenl
religieux qui s'appelle la Réformation. Ils sont de ceux qui aiment
à pénétrer les caractères. Nous osons leur recommander l'étude des
grands huguenots du xvi^ siècle. Après cet examen, ils ne jugeront
sans doute plus ce siècle, qui est peut-être le seul digne du nom de
grand siècle, d'après les préjugés et les paradoxes de V Essai stir les
mœurs. Ils ne demanderont pas à Calvin d'avoir sur la tolérance les
idées et les phrases d'un [)hilosophe du xviii*' siècle. En tout cas, ils
invoqueront pour l'apprécier (p. 71) des documents plus authen-
tiques que les fameuses lettres à M. du Poët, invention d'un faus-
saire maladroit dont il a été fait justice ici même. {Bull., IV, 7. —
Cf. Lettres fr. de Calvin, éd. J. Bonnet, II, 589).
Ces réserves ne nous empêchent pas de souhaiter an livre de
MM. Lallemend et Boinette tout le succès que mérite une œuvre
aussi distinguée pour le fond et pour la forme. Les oi)inions très
indépendantes des auteurs, leur préoccupation du vrai, leur science
des choses historiques et militaires, méritaient d'être signalées aux
lecteurs du Bulletin, el recommanilées à leur plus sérieuse attention,
H. Dannueutheu.
CORHESPONDANCE
LA SAliNT-BARTllELEMY A TOULON-
Toulon, le 11 juin 188 i.
Monsieur,
L'épisode suivant, rchitil ;'i hi Sa'mt-Barlhélemy à Toulon, m'a paru
aussi romar<[ual)lc qu'ignoré. La rareté des traces laissées par le [irotes-
tanlisuic dans l'est de la Ijasse-Provence ajoute encore à l'intérêt de ce
récit. 11 est signalé comme inédit par un ouvrage Inipriuié en pi'ovincc
1. Nous ne pouvons insérer cet article reçu à la veille de cruollcs épreuves,
sans exprimer nos vives sympathies à l'Église réformée de Taulon et à ses
deux fidèles pasteurs. {Réd.)
4-30 COKHESf'ONDANCE.
et sans doute peu répandu: c. Histoire de l'île Ste Marguerite, du château-
fort de Tarascon, du fort Lamalgueet dufort St Nicolas ; par. A. Lardicr,
à Maiseillc, chez Deretz Séverin et C'% 1845. » II est regrettable que
l'auteur, qui fait allusion à des sources manuscrites, ne les indique pas
au cours de son travail, d'ailleurs rédigé dans un but populaire, non
d'érudition. Ce livre ne s'étant trouvé qu'accidentellement à ma disposi-
tion, je me suis empressé d'en garder, par une copie textuelle, la portion
(p. 260 et suiv.) ci-dessous reproduite et qui me paraît de nature à inté-
resser les lecteurs dn Bulletin.
Agréez, monsieur, mes salutations respectueuses,
A. ScnLŒSiNG, pasteur.
A l'occasion de la Saiiit-Barthélemy, on a beaucoup parlé et avec
raison, de l'honorable conduite du commandant de Bayonne, qui
répondit à Charles IX : « Sire, j'ai voulu faire exécuter vos ordres,
mais dans la ville dont vous m'avez confié le commandement, je n'ai
trouvé que des sujets fidèles de Votre Majesté, et pas de bourreaux. »
Il est étonnant qu'aucun historien ne dise un mot de Nicolas de
Pignans, alors commandant de la Grosse Tour (à l'entrée de la
Petite rade) et dont la conduite à cette occasion ne fut pas moins
généreuse et noble. Le souvenir n'en a été retrouvé que par hasard,
dans un manuscrit de l'époque, et n'a point été reproduit. On sait
au surplus que de pareils exemples ne furent pas rares en Provence,
et que le sang protestant y fut épargné dans beaucoup de localités,
bien que la haine qui divisait les deux sectes y fût plus ardente que
partout ailleurs. Mais on est obligé de reconnaître que cette circons-
tance honorable pour le pays fut due à l'humanité de quelques chefs
plutôt qu'aux dispositions des habitants.
Il en fut ainsi à Toulon. Les protestants y étaient peu nombreux
et par cela même plus exposés aux attaques de la population catho-
lique qui ne les aurait pas ménagés. Le commandant de la Grosse
Tour quoique catholique lui-même, voulut les sauver et épargner
une tache à la ville où il exerçait un commandement. Il s'était tou-
jours fait remarquer, d'après le manuscrit que nous venons de citer,
par une bravoure brillante, qui lui avait valu le poste qu'il occupait,
et par des qualités plus précieuses encore, origine de l'estime et
de l'alfcction qu'avaient pour lui tous les habitants de Toulon.
Aux premières nouvelles de ce qui ^venait de se passer à Paris, il
fil en secret et individuellement avertir les protestants qu'ils trou-
CORRESPONDANCR. 431
veraieiit un refuge à la Grosse Tour dont l'accès leur serait toujours
ouvert, et où ils pourraient demeurer aussi longtemps qu'il y aurait
pour eux danger à habiter la ville. Ignorant le nombre de ceux qui
pourraient profiter de cette invitation, il les fit engager en même
temps à se munir de vivres.
En conséquence, environ vingt familles protestantes se rendirent
à la Grosse Tour, avant l'arrivée des ordres qui avaient été donnés
par la cour, à toutes les localités, pour le massacre des dissidents.
Il est douteux même que ces ordres aient été envoyés à Toulon, car
il ne s'y passa rien qui puisse le faire soupçonner, et ceux des pro-
testants que des raisons particulières, ou plus de confiance que leurs
coreligionnaires, portèrent à ne pas quitter la ville, n'y reçurent au-
cune injure. Peut être la sécurité dont ils jouirent doit être attribuée
plutôt à la tolérance des habitants qu'à la bonne volonté des chefs
du parti catholique. Quoi qu'il en soit, la conduite du commandant
de la Grosse Tour n'en est pas moins honorable.
Il y eut bien à Toulon quelques voix qui se firent entendre pour
le blâmer, il y eut bien quelques fanatiques dont les discours pro-
voquèrent à l'effusion du sang, mais ce fut sans résultat, et la ville fut
du petit nombre de celles qui, dans le Midi, ne furent pas souillées
par des imitations de la Saint-Barthélémy de Paris.
Cependant, à la Grosse Tour même, la dissidence de culte qui
causait alors tant de troubles et faisait couler tant de sang, amena
une rixe particulière, qui fut la cause de la mort de deux hommes,
et fut sur le point de causer une plus grande catastrophe. Les sol-
dats de la garnison, tous catholiques, avaient fait entendre quelques
murmures en apprenant les dispositions prises par leur commandant
envers les protestants, et surtout en voyant leur exécution. Un d'eux,
le lendemain de l'arrivée des réfugiés à la forteresse, insulta gros-
sièrement une jeune femme. Le mari prit sa défense, quelques sol-
dats d'une part, quelques protestants de l'autre, se mêlèrent à la
querelle, qui commençait à prendre un caractère de gravité alar-
mant, lorsque le commandant intervint et la fit cesser.
Mais elle n'en devait pas moins avoir une fâcheuse issue. Quelques
instants après que le calme eût été rétabli, le soldat qui avait pro-
voqué cette rixe rencontra sur l'esplanade de la Tour, le protestant
dont il avait insulté la femme, et sans provocation, sans lui adresser
un mot, le tua d'un coup de pertuisane. Cet acte de férocité fut sur
■ïài CORKESPONDANCE.
le point d'amener une scène sanc^lante, car plusieurs prolestants
s'apprêtaient à venger la victime parla mort de l'assassin, qui, sans
doute, eût été défendu par ses camarades; mais la fermeté du com-
mandant vint encore prévenir ces malheurs, en faisant immédiate-
ment arrêter et mettre au cachot le soldat, qui fut pendu le lendemain .
Au surplus, les réfugiés ne firent qu'un très court séjour à la ci-
tadelle. Le calme dont ils surent qu'avaient joui ceux de leurs core-
ligionnaires qui n'avaient pas quitté la ville, les engagea, peu de
jours après, à revenir dans leurs foyers, sans affaiblir la reconnais-
sance qu'ils devaient et qu'ils exprimèrent au brave commandant.
Celui-ci ne jouit pas longtemps de l'estime et de la considération
qui l'entouraient déjà, et qu'avait accrue sa conduite dans celte cir-
constance. Un matin, et quelques mois après les événements dont
nous venons de parler, on trouva son cadavre percé de plusieurs
coups de poignard, dans le court chemin qui sépare Toulon de la
Grosse Tour. On se perdit en conjectures sur l'auteur de ce meurtre,
car on ne connaissait pas d'ennemis au commandant, et on trouva
sur lui sa montre et sa bourse. Dans un moment d'ivresse le coupable
se décela, en se vantant de son forfait qu'il appelait une vengeance.
C'était un matelot corse embarqué sur des navires français, et qui
pour quelques délits avait été enfermé pendant un an à la Grosse
Tour. II n'avait aucun motif d'animosité particulière contre le com-
mandant qui, au contraire, avait cherché à adoucir les rigueurs de
sa captivité. Mais son caractère déjà irascible, encore aigri par le
châtiment qu'il venait de subir et qu'il croyait injuste, l'avait porté
à la révolte contre la société et tous ses membres. 11 voulut en linir
avec la vie et ne pas mourir sans vengeance, et il choisit pour l'as-
souvir, celui qui avait été l'instrument bien involontaire de ses der-
nières souffrances. Le but qu'il s'était proposé fut facilement atteint.
Arrêté et mis en jugement, il montra le cynisme des scélérats qui
vont au-devant de la mort, ne repoussa aucune des preuves qu'on
lui donna de son crime, ne nia rien, et ne demanda à ses juges
(ju'uiie prompte décision. Ses vœux furent exaucés et bientôt sa vie
terminée sur un échafaud fut oll'erte comme une faible expiation à
la perle du brave de Pignans.
Le Gérant : Fischbacher.
lîounLOToN, liuprimcrics rûmiies, B.
SOCIETE DE L'HISTOIRE
DU
PROTESTANTISME FRANÇAIS
FÊTE DE LA RÉFORMATION
A messieurs les pasteurs des Églises réformées de France.
Paris, 16 septembre 1884.
Cher et honoré pasteur,
Il y aura bientôt vingt ans que notre Société provoquait l'établis-
sement d'une Fête destinée à commémorer les grands souvenirs de
la Réforme (Bull., t. XV, p. 205.)
Nous disions peu après :
c L'année 1866 a marqué dans notre œuvre historique une phase
nouvelle.
» Nous avons modifié le Bulletin, institué des concours, décerné
des prix, fondé une Bibliothèque où viennent s'accumuler les tré-
sors anciens et nouveaux de notre littérature réformée.
» Pour suffire à sa tâche, pour satisfaire aux initiatives du pré-
sent comme à celles de l'avenir, des ressources nouvelles sont indis-
pensables à notre Société. Elle ne saurait les demander au Bulletin
qui peut à peine, vu la modicité de son prix, couvrir ses frais.
» C'est de la libéralité des protestants français qu'elle attend le
budget nécessaire à l'accomplissement de sa mission.
» Déjà ce devoir est compris, et c'est avec gratitude que nous
avons inscrit les noms de cinquante-quatre Églises qui nous ont
adressé le produit de collectes spéciales.
XXXIII. — 28
434. FÊTE DE LA RÉFORMATION.
» Que cet usage se généralise, que la généreuse inspiration de
de quelques-uns devienne celle de tous, et notre Société affranchie
de tristes nécessités, prendra rang parmi les institutions les plus
prospères comme les plus utiles de notre Église . »
Dix-huit ans sont écoulés depuis que nous tenions ce langage, et
le nombre des Églises donatrices a dépassé le chiffre de cent, pour
un subside annuel de moins de 3000 francs.
Est-ce assez pour réaliser les vœux et satisfaire les légitimes am-
bitions d'une Société telle que la nôtre ?
C'est à vous, cher pasteur, de répondre à cette question selon les
sentiments de justice et de libéralité qui vous animent.
Dans Texercice courant, deux Églises importantes, celle de Bor-
deaux et celle du Saint-Esprit à Paris, ont décidé que la collecte
de la Fête de la Réformation serait désormais consacrée à notre
œuvre historique.
L'Église des Batignolles était entrée dans celte voie, l'an dernier,
et nous l'en remercions vivement.
Que cet exemple soit suivi à Paris et ailleurs, dans les campagnes
et dans les villes, et notre Société parvenue à sa trente-troisième
année d'existence, c'est-à-dire de services rendus à une cause qui
nous est chère, verra s'ouvrir une nouvelle ère de prospérité pour
ses travaux.
Agréez nos fraternels hommages.
J. B.
COLLECTES DE 1883
Aiguesvives 1.3 » Bernis 5 »
Anduze i") 25 Roule 28 »
Angers (Église libre) .5-45 Bolbec ti8 »
Arles Il » Houlngne-sur-Mer 22 »
Aubais 24 » Boulognc-sur-Si-inc 25 »
Aubenas 20 » Bourgoin 35 45
Aumessas 17 50 Bi'iL;iion 28 56
Bâle .50 » Caen Oi 50
Barbczieux 9 05 Castres 135 50
Bayonne 25 60 Caussade 1 i »
Beaumont-lez-Valence .... 5 » Cette 60 »
Bergerac 1 23 > Châtillon-sur-Loire 1 7 35
FETE
Clermont-Ferrand,
Codognan
Cournonterral
Creysscilles
Dieppe
Épinal
Ferney
Fontainebleau (Égl. libre).
Gemozac
Gensac
Héricourt
Labastide-sur-l'Hers
Lacépède
La Grand'Combc
La SaUe
Le Chambon
Le Havre (Chap. Évang.)..
Le Mans
Lillebonne. . .
Logrian
Lunel
Lunéville
Marennes
Mauguio
Mazamet (Église libre). . .
Mazamet (Culte suppl.) . . .
Meaux ,
Meaux (Pasteur Boissard).
Meauzac
Meyrueis
Mialet
Milbaud
Milhau
Monoblet
Moissac-Saint-Romans.. . .
Montauban (Église libre).,
Monlbéliard
Montpellier
Montpellier (Église libre).
Mouchamps
Nantes
DE LA RÉFORMATION. 435
34 J Nègrepelisse 30 »
18 » Niort 15 »
35 » Nyons 13 »
5 ï
15 » l'-^Ris :
32 40 .
Eglise de lEtoile 2.50 »
15 » *
Oratoire 202 10
2o »
Batignolles 81 55
_ _„ Asile Lauibrechts 27 iiO
' ' Chapelle Madame 35 50
28 D
15 f Périgueux 5 »
10 » Pignan 9 »
10 » Poitiers 14 »
55 y> Piéalmont 52 50
31 40 Relizane 5 »
230 s Rouen 160 15
20 » S'-Ambroix 24 »
38 25 S'-Antonin . . , 15 »
17 » S'^-Croix Vallée française. 33 »
25 » S'-Étienne 52 »
20 » S'-Gilles H *
10 T> S'-Hippolyte (Égl.indép.). 29 30
16 50 S'-Hippolyte (Église libre). 7 »
4155 S'-Jean-de-Bruel 5 »
87 35 S'-Laurent de Gros 8 55
112 » S'-Maraert 15 20
15 » S'-MicheldeChabrillanoux. 7 30
10 » S'-Michel de Dcze 35 »
13 3 S"-Marie aux Mines 47 »
15 00 Salies de Béarn 10 »
19 T> Strasbourg (Égl. S'-Nicolas) 20 »
17 » Tonneins 12 »
20 65 Toulouse 00 »
30 î Tours 28 95
00 » Vabre 38 »
90 » Valence 50 »
51 50 Vallerauguc 21 »
75 » Vauvert 30 »
25 » Vesoul 23 »
71 60 Viane ■ 22 i
436 FÊTE DE LA RÉFORMATION.
COLLECTES ANCIENNES
Reçues en 1883
Angers, 1882 (Égl. libre).. k 55 La Salle, 1882 56 »
Lyon, 1882 100 »
^^^^^^ '■ Nancy, 1882 80 »
Pour 1880 7 » S'«-Marie aux Mines, 1882. 50 »
_ 1881 6 » Vire, 1882..... 9 >
S'-Pargoire
— 1882 7 »
Boulogne-sur-Mer, 1882.. 25 »
Fleix, 1882 32 » 1881, 1882 et 1883 13 70
A monsieur le Président de la Société de VHistoire
du Protestantisme français.
Paris le 17 juin 1881.
Monsieur le Président,
Le Conseil presbytéral de la paroisse du Saint-Esprit, voulant témoi-
gner d'une façon effective sa sympathie pour l'œuvre poursuivie par la
Société de l'histoire du Protestantisme français, a, dans sa dernière
séance et sur la proposition de son président, décidé qu'une collecte serait
faite annuellement dans les lieux de culte de la paroisse, en faveur de
cette Société.
Il a décidé que cette collecte serait faite, au temple du Saint-Esprit el
à la chapelle Millon, dans les rangs de l'assemblée, après la prédication,
le premier dimanche de novembre, jour de la Fête de la Piéformation.
Elle aura donc lieu pour la première fois en novembre prochain.
Nous sommes heureux de porter cette décision à votre connaissance,
et nous vous prions d'agréer, monsieur le Président, l'assurance de notre
considération la plus distinguée.
Le président du conseil presbytéral,
Le secrétaire, Ernest Dhombres, pasteur.
E. SOULIÉ.
ETUDES HISTORIQUES
LES QUATRE MARTYRS DE DIJON
1557.
J'ai raconté {Bull. y t. XXYIII, p. 433) l'histoire des cinq
martyrs de Chambéry, ce touchant épisode de la Réforme fran-
çaise dans la vieille capitale de la Savoie sous Henri II. Il est
peu de villes de l'ancienne France qui n'aient alors payé tribut
à la persécution inspirée par les cardinaux de Tournon et de
Lorraine aux conseils de la monarchie. Les parlements riva-
lisent d'intolérance avec des prélats moins français qu'espa-
gnols, et l'exemple donné de si haut trouve de farouches
imitateurs dans la vile multitude qui se porte aux derniers
excès contre les huguenots. L'année 1557 marquée par le dé-
sastre de St-Quentin et les épreuves de l'Église réformée de
Paris, tramée dans les cachots, décimée sur les bûchers, a
aussi ses journées sinistres dans les provinces, et c'est un de
ces épisodes moins connu et non moins digne de mémoire,
que j'emprunte au martyrologe de Crespin, complété par de
nouveaux documents \
La ville de Dijon avec ses tombeaux des ducs de Bourgogne,
,ses vieilles églises, ses reliques, objet de la dévotion popu-
laire, ne s'émut que tardivement aux souffles de la Réforme
apportant au monde un culte épuré. Située sur la route de
Genève à Paris, elle dut recevoir d'assez bonne heure la visite
1. Histoire des martyrs, édition de 1597, folios 401-410. On y renvoie le lec-
teur une fois pour toutes pour le complément des citations.
438 LES QUATRE MARTYRS DE DIJON.
des colporteurs, des évangélistes partis des bords du Léman
pour annoncer le message du salut dans les vallées de la Saône
et de la Seine. Ses premiers martyrs furent de simples voya-
geurs traversant ses murs, sans faire acte de prosélytisme,
mais n'hésitant pas à confesser devant les juges une croyance
qui leur était plus chère que la vie. Tel fut ce Simon Laloë,
de Soissons, dont la pieuse sérénité, l'allégresse en face de la
mort, firent une telle impression sur le bourreau chargé de
l'exécuter, qu'il se retira peu après à Genève, donnant gloire
à la croyance qui trouvait de tels confesseurs'. Tels furent
aussi les quatre témoins dont je vais retracer l'histoire, dans
un ordre un peu différent de celui de Crespin, et plus favorable
à la clarté du récit.
Au mois de juillet 1557, deux Français originaires de Nor-
mandie, Philippe Le Cène, de St-Pierre sur Dives, et Jacques
Valtan % retirés à Genève pour cause de religion, franchissant
la frontière, alors très sévèrement gardée, du Jura, sans ren-
contrer nul obstacle sur leur chemin, arrivaientà Dijon, simple
halte dans un voyage d'affaires dirigé vers Paris et leur pro-
vince natale. A peine entrés dans la ville, ils furent arrêtés el
soumis à un minutieux interrogatoire auquel ils répondirent
en toute franchise, sans dissimuler leur croyance. C'en fut
assez pour les compromettre gravement aux yeux des magis-
trats qui les retinrent en prison, sous la menace d'un procès
d'hérésie.
Cette triste nouvelle se répandit aussitôt à Genève. Les
syndics en charge ne purent apprendre, sans en être émus, la
captivité de deux réfugiés, domiciliés dans leur ville, y exer-
çant une industrie, et n'ayant commis aucun délit qui put
motiver la rigueur du traitement dont ils étaient l'objet.
1. Histoire des martyrs, f" ^6"?., novembre 1553. 11 faut mentionner tout
d'abord un jeune Dijonnals de dix-neuf ans, un admirable martyr, Hubert
Burrc, digne précurseur de ceux ((ui vont suivre. Ibidem, f" 185, mars 1549,
2. On donne ici pour la première fois ce nom ignoré de l'auteur du martyro-
loge.
LES QUATRE MARTYRS DR DIJON. 439
Sous l'inspiration de Calvin, peut-être sous sa dictée, ils écri-
virent aux magistrats de Dijon la lettre suivante :
Sans date : juillet 1557.
Nobles, sages et très honorés seigneurs, nous avons entendu que deux
hommes estans partis de nostre ville où ils se trouvent et ont leur mes-
naige, en passant par Digeon ont esté arrestés prisonniers, et que là on
faict leur procès, non point pour maléfice, mais à cause de la Religion,
voire sans qu'ils aient dogmatizé, ne faict ou dict chose contrevenante
aux édicts du Roy. L'un se nomme Philippes de Cesnes apothicaire,
l'aultre Jacques Valtan, chaussetier. Or puisqu'ils passoient paisiblement
leur chemin, nous espérons bien que vous ne leur serez pas si rigoreulx,
que aiant veu qu'il n'y a eu nulle cause en leur détention, que vous ne
les relaschiez facillement ; et aussi nous pensons bleu qne l'intention du
Roy n'est pas qu'on guette ceulx que se tiennent vers ses humbles voisins
qui ne demandent qu'à luy faire service, mais plus tost qu'on les laisse
aller et venir quand ils ne feront nul trouble, ne scandalle. Nous avons
donc confiance en vostre humanité que vous n'exercerez nulle rigueur en
ces deux pouvres gens, mais, comme nostre debvoir le porte, nous vous
prions aussy affectueusement qu'il nous est possible, comme en une
chose qui est singulièrement recommandée, qu'il vous plaise nous gra-
tifier en les délivrant de prison, et encores que vous ne leur veuilliez
permettre le passaige par le Royaulme de France, qu'il vous plaise les
renvoyer vers leurs femmes et enfans ; et de nostre part nous accepte-
rons ceste faveur d'aussi bon cœur qu'après nous estre recommandez à
vostre bonne grâce, nous supplions nostre bon Dieu vous maintenir eu
bonne prospérité, et vous conduire toujours par son esprit en vostre
estât, nobles, saiges, et très honorés seigneurs,
Vos bons aniys et vosins,
Les syndicques et conseil de Genève ^
Cette lettre portée à Dijon par un messager d'Etat dont la
mission devait au besoin se continuer à Paris, obtint peu de
succès auprès des autorités locales, et n'améliora pas la con-
dition des deux prisonniers qui virent bientôt leur nombre
augmenté par l'arrivée de nouveaux inculpés d'bérésie. Le
1. Archives de Geaève. Lettres de la Seigneurie, 1557. Copie.
440 LES QUATRE MARTYRS DE DIJON.
premier fut un mercier, des environs de Bazas, en Gascogne,
nommé Séraphon Archambaut, d'une piété aussi simple
que fervente, qui s'était retiré à Genève pour cause de re-
ligion, après avoir subi quelques poursuites judiciaires à
ce sujet dans son pays natal, et qui s'étant depuis rendu à
Paris pour affaires, retournait en Suisse « avec un bon paquet
de marchandises » sur le dos. Arrivé à Dijon, un samedi,
pour y passer le saint jour du dimanche, dans l'intimité de
quelques frères professant secrètement l'Évangile, Archam-
baut entendit parler de ses deux compatriotes prisonniers, de
leur constance dans les liens, et n'écoutant que l'inspiration
d'une foi puisée aux mêmes sources, il leur adressa la lettre
qui suit :
Très chers frères, passant par caste ville, j'ay ouy nouvelles de vous
deux, qui m'ont d'un costé contristé,et puis grandement esjoui de ce que
j'ay entendu que le Seigneur vous avoit fait de grandes grâces; c'est de
confesser son sainct nom devant les hommes. Je vous dis que j'ay aussy
esté marri pour ce que l'un membre ne peut souffrir que l'autre n'en soit
participant. Je vous prie, persévérez en vostre sainct propos, et ne crai-
gnez ceux qui tuent le corps, et puis ne savent plus que faire. Il y a un
héraut de nos magnifiques seigneurs qui a esté icy, et vous le savez,
desja on a envoyé au Roy, de quoy vous vous devez estimer heureux de
ce que vostre confession sera présentée devant les grands de la terre.
Et quant à moy, j'espère que j'en porteray bonnes nouvelles à l'Église, et
que tous ensemble nous nous réjouirons; toutefois je ne say en quel
rang Dieu me réserve; mais quoyqu'il avienne, il faut toujours avoir un
pied levé pour marcher là où le Seigneur nous voudra employer. Je vous
laisse une père de petis Pseaumes. Ne say s'ils parviendront à vous.
Ayant ainsi rempli un devoir de fraternelle assistance qui
n'était pas sans péril, Archambaut reprit le chemin de Genève,
tout joyeux, et chantant de pieuses psalmodies gravées dans
sa mémoire; mais il ne devait pas arriver au terme de son
voyage, dans la cité du Léman, où l'attendait une famille ten-
drement aimée. Arrêté, dès le pi^emier jour, à Auxonne, et
trouvé ])orlcur de lettres écrites par « quelques escholiers de
Paris » il fut retenu prisonnier et ramené à Dijon, dans les
LES QUATKE MARTYRS DE DIJON. /tll
cachots où languissaient les frères auxquels il avait adressé,
trois jours auparavant, un pieux message. On lit dans la lettre
à sa femme, qui contient ces divers détails :
« Je vous avise que les frères, depuis que le Seigneur m'a amené icy,
se sont tous esjouis, et moy aussy; et combien qu'il nous soit défendu de
parler aucunement ensemble, si ne nous peut-on empescher de commu-
niquer quelque peu. Et pour nouveau rafraischissement, deux jours après
moy fut prins audit Aussonne un grand homme noir, gresle, estant à
cheval, venant de là Lausanne et Neufchastel, accompagné de deux ou
trois. Mais le Seigneur n'a voulu que cestuy-ci ; on laissa donc aller les
autres, comme il est dit : Deux seront au moulin; l'un sera pris et Vautre
laissé *.
Quelques explications sont ici nécessaires, et c'est à Paris
qu'il faut les chercher. Organisée depuis deux ans, avec ses
diacres et anciens chargés devisiter les pauvres, de veiller sur la
doctrine et les mœurs, la grande Église réformée de la capi-
tale semblait pressentir les rudes épreuves qui allaient l'as-
saillir dans son berceau. Elle demandait à Calvin de nouveaux
ministres pour seconder Chandieu et La Rivière dans leur
apostolat. On lit dans les Registres de la Compagnie de Ge-
nève, juillet 1557 : « On attend M. de Coulonge (François de
Morel) lequel estant par trop descouvert à Paris où il faisoit
office de pasteur, a pris congé d'icelle Eglise. s> Quelques
semaines après, on y lit encore : « Au commencement d'aoust
est arrivé icy un des principaux anciens de l'Eglise de Paris,
envoyé exprès avec lettres de créance paur ramener avec luy
un des ministres de l'Evangile. Après délibération le frère
M. de Saules (Nicolas des Gallars) est parti de son bon gré
pour aller à Paris afin de confirmer les frères qui sont là. »
Mais rion de plus dangereux que la route à suivre, surtout aux
environs de Dijon. Nicolas des Gallars et son compagnon,
Nicolas du Rousseau, allaient en faire l'expérience : « Encore,
1. Texte légèrement altéré de Si-Mathieu, C. XXIV, V. 40, il. U faut lire :
De deux hommes qui seront dans un champ, l'un sera pris, l'autre laissé, etc..
442 LES QUATRE MARTYRS DE DIJON.
écrit ce dernier, qu'eusse prins deux adresses de chemin pour
m'en retourner, et mesme surtout pour éviter Dijon, toutelbis
laissant l'une et l'autre, comme forcé de Dieu, je ne sais com-
ment ma compagnie et moy nous nous rendismes au soir bien
tard à Aussone, ce samedi/ vingt uniesme d'aoust, où le capi-
taine fit visiter nos mallètes, et ne trouvant rien qui luy fut
suspect èz deux de mes compagnons, les laissa aller sans em-
peschement; mais de moy je fus arrêté, parce que dedans la
mienne se trouvèrent quelques livres et paquets qui ne luy
plaisoyent touchant le faict de la Religion. » Ainsi se trouva
complété dans les cachots de Dijon le groupe de confesseurs
dont je dois raconter la pathétique histoire.
L'impression produite par l'arrivée de Du Rousseau sur ses
compagnons d'infortune est naïvement exprimée par Archam-
baut :
Ce noble personnage fut incontinent mené vers nous. Vous diriez que
c'est un ange que Dieu nous a envoyé tant il est savant. Je n'ay encore
pu savoir s'il est gentilhomme, marchand, advocat, ou escholier. Bien ay
je entendu qu'il est advocat à Paris; mais à tout le moins il est scavanl
en plusieurs sciences comme loix et autres. Il y a bien aussi un jeune
garçon pour faire le cinquième; mais il est fort infirme ^ Je laisse le
tout entre les mains de Dieu. Nous avons mangé et bu tous en une table
deux ou trois jours; mais c'estoit quasi sans s'oser regarder l'un l'autre.
Depuis on nous a tous séparés, pour ce que ne voulions participer aux
grâces que disoit le fils du geôlier. Pour ce, dis-je, on nous a enserrés
et moy plus estroitement que les aulvos. Mais je ne laisse point de prendre
courage en ma cachette, chantant les louanges du Seigneur à pleine
voix.
Les lignes suivantes d'Archambaut à sa femme achèveront
de nous faire connaître ce pieux confesseur, résolu d'avance
au sacrifice des plus pures aftections :
Ma très loyale espouse, je vous envoyé mes humbles saluts, sans oublier
les beaux petits enfans que Dieu nous a donnés, et aussi mon frère et
1. Il fut relùclié n'ayant persévéré.
LES QUATRE MARTYRS DE DIJON. H'ii
sa compagnie, et les deux frères que savez, entre les mains desquels je
vous recommande, les priant qu'ils servent de père aux povres petits
comme ils ont montré par ci-devant. Ma bonne amie, je say bien que
ces nouvelles vous seront fascheuses à cause du lien d'amitié entière que
me portez et qui est entre nous; mais, je vous prie, consolez-vous au
Seigneur avec moy, ce que j'auray à plaisir si je le peux entendre. Co-
gnoissez, très loyale espouse, que le Seigneur m'a créé en ce monde pour
m'employer à son service, et qu'il veut qu'une partie de mon temps soit
employé enchaînes et prisonspour tesmoignage de son Évangile etpour
mon salut. Et par là pouvez connoistre le grand honneur que le Seigneur
me fait à moy, dis-je, qui ne suis rien, de me vouloir élever en un degré
si haut et si excellent; de quoy je luy rends grâces, jour et nuict; ainsi
devez vous faire de vostre pari, ensemble tous mes frères et bons amis.
S'il vous estoit possible de me faire savoir de vos nouvelles, je dis
joyeuses, ce seroit une grande consolation et allégement d'esprit, car le
plus grand souci après un, qui est de servir au Seigneur, c'est de vous
et des petis enfans que avez en charge, pour ce que je say qu'estes indi-
gente; mais j'ay espérance que le Seigneur qui a toutes richesses en sa
main, y pourvoira, et combien qu'en cela je me repose, si faut-il que je
confesse que mon infirmité, ou plustost défiance, m'en fait plus souvenir
que je ne vouldroys, et sur cela je vous prie, et tous mes frères, que
m'aidiez par vos prières.
Aucun détail n'est à négliger dans la précieuse lettre qui
nous ti'ansporte tour à tour à Dijon, à Genève, et dans la soli-
tude d'un cachot glorifié par de nobles témoignages :
Asseurez vous qu'il y a icy gens de bien qui nous aiment, ainsi que je
l'ay ouy dire; mais ils sont tant craintifs que merveilles; et mesme
Dieu m'a baillé un juge qui m'a monstre grande amitié, et ne m'a inter"
rogé que sur les susdites lettres (de Paris) et du lieu de ma résidence ;
si je trouvoy ma loy bonne, et si je vouloy vivre en icelle. Je luy ay l'es-
pondu qu'elle estoit bonne et que telle la trouvoy. Lors il me dit si je
vouloy vivre et finir mes jours en icelle. Je dis que je voulois vivre et
finir mes jours en la confession de ceste loy pour ce qu'elle estoit selon
l'Évangile du Seigneur.
Je ne say comment il en ira; mais on dit (|u'il faudra encore respondrc
devant les grands docteurs, et là j'espère bieinju'il faudra mettre la main
aux armes de la foy. Quelque rude et cruelle sentence qu'on me forge,
asseurez vous que je ne ployeray par les genoux devant Jiaal. Vous
pourrez montrer la présente aux femmes de mes confrères en l'œuvre
4M LES QUATRE MARTYRS DE DIJON.
du Seigneur et qu'elles s'esjouissenl, car ils font bonne chère et ont prins
nouvelles forces... Hélas! il a esté quelque temps quemesdits et inoy
n'avons esté ensemble, et n'osions pailler l'un à l'autre sinon par regards
affectueux, levant les yeux au ciel avec soupirs. Mais pour cela ne
soyez en tristesse car Dieu besongne pour le meilleur. Et je vous prie,
femme, enfants et amis, soyez joyeux au Seigneur, et plus grand plaisir
ne nous pourriez faire avec prières, car tous quatre, grâce à Dieu, avons
bonne volonté de marcher ensemble au sacrifice quand il plaira à
Dieu de nous y appeler.
Au bas de la lettre, dans une sorte de post-scriptum, on
lit:
Mes frères, je vous prie, au nom de Dieu, apprenez, apprenez les
psaumes, cependant qu'avez le temps de loisir, car quand vous serez
appelés aux prisons obscures, je dis quand le Seigneur se voudra servir
de vous, vous n'aurez pas le livre devant vous, en grosses et petites
lettres, pour regarder quel couplet suit l'autre... Que bien heureux
est celuy qui fait provision de foy et de science comme d'huile à la venue
de l'Epoux ! Combien que le geôlier s'efforce de toute la puissance de me
faire endurer, si est-ce que le Seigneur m'envoye provision de consolation
spirituelle et pense qu'il (le geôlier) sera plustot lassé de m'affligcr
que moy de l'endurer *.
Mais il faut revenir aux deux prisonniers, Le Gène et Valtan,
({ui devaient précéder leurs frères dans la voie douloureuse,
ou plutôt triomphale ! Interrogés d'abord par le lieutenant du
bailli, formant juridiction du premier degré, sur les points
de doctrine controversés entre Rome et Genève, ils firent une
confession catholique, mais non romaine, et furent « tout sou-
dain condamnés au feu. » Le bûcher était déjà dressé sur une
des places de la ville, qui avait vu le sacrifice de Laloë, et lès
deux confesseurs huguenots allaient y monter, quand un appel
suggéré par des amis qui espéraient les sauver, prolongea
1. Réminiscence de deux vers de la belle cpilrc de Th. de Bèzc, en tête des
fisaumcs de Marot :
Que les bourreaux soycnt de nous martyrcr,
Plus tost lassés que nous de l'endurer !
LES QUATRE MARTYRS DE DIJON. 445
leurs jours. Ramenés dans leur cachot : Nous avons encore un
peu de temps à vivre! dirent-ils, en reprenant les chaînes dont
ils avaient paru comme afïranchis devant l'appareil du dernier
supplice. Déjà presque sortis du monde, ils n'avaient pas
prévu les tentations qui leur étaient réservées dans cette lutte
suprême de l'esprit contre la chair et le sang imposée aux
meilleurs, et marquée de plus d'une chute, même pour les
héros de la foi. Ils étaient l'un et l'autre époux et pères : ils
avaient laissé femme et enfants de l'autre côté des monts, et
l'image de ces êtres chéris, de la famille en deuil, s'offrant à
eux dans les détresses du cachot, venait attendrir leur cœur
et ébranler les plus stoïques résolutions. Les tentateurs ne
manquaient pas, même parmi les juges, pour conseiller une
attitude, inspirer un langage qui pourrait désarmer les rigueurs
de la loi ; une première concession en amène une seconde, et
l'on ne s'arrête plus dans cette voie fatale. Voici comment
s'exprime à se sujet le martyrologe : « Pendant leur appel, au
moyen des pouretés de leur prison et de l'horreur de la mort,
surtout encores du grand regret qu'ils avoient de leurs petits
enfans et femmes, selon qu'ils en ont dit, ils se rétractèrent,
et signèrent leur rétractation. Le tout fut envoyé par devers
le Roy pour savoir qu'elle justice il lui plaisait qu'on fit d'eux,
ainsi qu'on le leur fit entendre. »
C'est à ce moment que l'intervention de deux nouveaux
confesseurs, arrivés comme à point pour soutenir leurs frères
défaillants, amène un changement décisif dans les disposi-
tions spirituelles de ces derniers. Mais il faut laisser Du Rous-
seau s'exprimer à ce sujet :
Soudain je vins a leur remonstrer la grandeur lic leur faute qui apportoit
si grand scandale a ceux mesmement lesquels ils avoient si l)ien édifiés
par leur confession, et le jugement de Dieu préparé contre eux s'ils
n'amendoient bientost cestc faute, et qu'il ne falloit point (|u'ils pen-
sassent de marchander avec luy... car puisque par son conseil admirable
(comme ils voyoient bien) il leur faisoit tant d'honneur de les présenter
en un tel triomphe, ils s'oublioient bien d'en fuir la lice et résister à son
446 LES QUATRE MARTYRS DE DIJON.
sainct vouloir. Que co n'estoit pas à nous de nous faire juges des occa-
sions que Dieu nous présente, en un fait si grand, pour les fuir et re-
mettre a nostre appétit et déjuger ainsi du temps qui nous seroit propre
pour mieux servir cà sa gloire... Je n'oublioy les misères et pouretés de
ce monde, auxquelles nostre vie et nostre corps sont tousjours subjects
que c'estoit extrême folie a nous de fuir la mort même si heureuse en ce
tas de maux. Qu'eux mêmes savoient bien a quoy s'en tenir sentant
desjà la main de Dieu par les maladies esquelles ils estoient tombés. Au
contraire leur ramentevay la grande miséricorde de ce bon Dieu envers
ceux qui se retournent et reconnaissent leur faute, rapportant à l'un et à
l'autre point les exemples tant vieux que de nostre temps. Et quant au
regret de leurs femmes et petits enfants, que ce bon Dieu en seroit tuteur
et protecteur comme créateur. Finalement Dieu par sa miséricorde leur
touche si bien le cœur que tous deux (principalement l'apothicaire)
fondans en soupirs et larmes, reconnoissent leur faute a bon escient.
L'éloquence natiii^elle de Séraphon ne contribua pas moins
que la givavité judiciaire de Du Rousseau à relever les deux
prisonniers, dont la vie était comme en suspens, et à les pré-
parer au suprême sacrifice accepté dans toute sa plénitude.
Condamnés cà périr sur un biicher, ils se refusèrent à toute
concession qui aurait pu adoucir pour eux l'horreur du der-
nier supplice . Nous en avons le récit de la plume d'Archam-
baut; page unique dans l'histoire des martyrs :
Cependant comme Dieu le vouloit, la response du Roy vint, laquelle fit
surseoir l'exécution du premier arrêt. 11 fut finalement exécuté le jour
d'hier premier samedy de septembre, et c'est avec grande constance
quHls sont allés faire la cène avec Jésus-Christ et ses anges. Le greffier
vint premièrement environ à l'heure d'une heure après midi signifier leur
arrect; et lors incontinent se prinrent à crier au Seigneur regrettant
leur faute et disant : Hélas! Seigneur, nous t'avons gravement offensé;
aye pitié de wo?/.s.Mnconlinenl ils furent environnés de vermine de moines
de toutes couleurs, comme de perchées de harangs, avec leurs novices
qui tournoient et venoient d'un costé et d'autres, regardans çà et là comme
marmots... amenés par les juges pour les accoustumer au sang, comme
1. « Quoiqu'on leur promit de leur faire ccste grâce de ne sentir point de
feu, s'ils perseveroient en leur désadveu, d'une grande constance rejetant ceste
offre, etc.. » Lettre de Du Rousseau, f" 410, verso.
LES QUATRE MARTYRS DE DIJON. 4,47
on feroit h des petits dogues et lévriers. Il y en eut un qui avança quelque
propos de dispute, auquel fut dit par nostre frère Philippe : que veux-tu
disputer avec nous ? Tu sais bien que tu n'es qu'une beste et que tu ne
sais rien ; je te prie, laisse nous penser à nostre âme. Élt lors mondit frère
l'ad vocal et moy estions en la basse cour nous pourmenans^ et comme
ayans les bras croisés, regardions vers le ciel avec pleurs et gèmissemens.
Lors chacun des prisonniers (qui sont céans en nombre de vingt) jettoit
son brocard : les uns disoient : ils sont plus forts qu'au commencement.
Le commun populaire disoit et crioit : n'est-ce pas un grand cas? lissent
pires que devant; et l'on disoit qu'ils s'estoient retournés; mais il s'en
faut de beaucoup ! Et furent ainsi détenus l'espace de trois grosses heures
avec bon maintien et constance.
Cependant mondit frère et moy feignans d'aller aux privés, nous nous
allions jeter à genoux priant le Seigneur et luy rendant grâces immor-
telles pour telles nouvelles. Puis retournions à la cour nous pourmenans
comme auparavant. Et une partie des dits prisonniers à qui Dieu a
baillé quelque commencement, nous tenoit compagnie en pleurs et gè-
missemens. L'autre partie nous montroit au doigt, disant qu'autant nous
en pendoit à l'oreille. Nous portions tout cela avec joye et consolation.
Et sur les quatre heures du soir sortirent nos dits frères en bonne cons-
tance. Nostre frère Philippe ayant une face riante regardoit nostre frère
Jacques qui montroit sa face un peu triste, ainsi qu'il est de petite eoni-
plexion et avoit esté fort malade. Il lui disoit : qu'avez-vous mon frère?
11 semble qu'ayez peur; mon frère, soyez joyeux. Et cheminoient ainsi
par la rue tous deux en chemise jusques au lieu du supplice, oi!i estans,
prinrent le tourment en grande patience; et regrettant toujours leur
faute, criant à Dieu miséricorde devant tout le peuple.
Et entre autres choses nostre frère Philippe monté sur le bois, atten-
dant le tourment, se print à chanter un Pseaume. Mais un moine estant
auprès de luy, luy mit la main devant la bouche, pour empescher sa voix;
si est-ce qu'en dépit de luy il fut entendu. Et la plupart du peuple fon-
doit en larmes leur disant à haute voix : Courage mes frères ! Ne crai-
gnez pas ceste mort î Lors un des malins se retira vers un huissier et
lui dit : Ne voyez-vous pas que quasi la moitié du peuple est de leur part
et les console?.. En leur mort, ainsi qu'on a dit, ils ne sembloient en-
durer aucun mal, et rendirent l'esprit sans bouger aucun membre, sinon
nostre frère Philippe qui repoussait le feu un peu avec les mains; et
trespassèrent soudain. Il n'y eut homme ne femme, voire jusques aux
petis enfants, qui ne s'en estonuast, et cela fut à cinq heures du soir^
1. Peu de semaines après, le 2 octobre 1557, l'Église réformée de Paris
448 LES QUATRE MARTYRS DE DUON.
Merveilleux récit où l'on ne sait ce qu'on doit le plus admi-
rer de la vérité des détails pris sur le fait, ou de la sérénité
des martyrs comme étrangers à la douleur au sein du plus
affreux supplice. L'admiration augmente quand on songe que
celui qui écrivait ces lignes allait sitôt subir le même sort,
avec la même constance, et qu'il pouvait dire dans un élan
de sublime émulation :
Ces nouvelles par nous enlendues, pensez quelle joye nous eusmes.
Elle fut si grande que nous ne pûmes tenir contenance. Et tant s'en
faut qu'on doive penser que ceste mort tant heureuse nous ait espou-
vantés que je vous dis à la vérité que cela nous a renforcés cent fois au
double, et sommes si prests et appareillés par la grâce du Seigneur
qu'il nous semble que nous y sommes desja. Toutes fois nous ne sa-
vons comment Dieu y veut besongner en nous. Bien est vray que nous
n'estimons autre chose que de les suivre bientost, comme le bruict en est
par toute la ville.
On ne reproduira pas ici les longs interrogatoires d'Ar-
ehambaut, qui montra une rare connaissance des saints Ecrits
avec une présence d'esprit extraordinaire. Quelques extraits
suffisent à notre dessein. Interrogé, à plusieurs repiises, par
un commissaire, ayant, dit-il « le bruit d'estre fidèle et bon
aux enfants de Dieu » mais qui ressemblait plutôt à un Pilate
(( craignant de perdre son estât », il 'répondit avec une fran-
chise peut-être excessive, en homme qui n'a plus aucun in-
térêt terrestre à ménager, et qui est dès longtemps préparé à
rendre un fidèle témoignage. On en jugera par ce qui suit :
On me vint quérir pour la quatrième fois pour aller devant mon juge,
ayanl sou homme avec lui' et un clerc tant seulement... venu devant lui
il me présenta le serment de dire vérité, ce que je promis et priay le
Seigneur ((ue il m'en fist la grâce. Et incontinent du premier coup il
comptait un martyr du même nom, le médecin Nicolas La Cène, originaire
aussi de Saint-Pierre-de-Dives, et de la famille, à n'en pas douti^r, du martyr
de Dijon. Ilist. des martijrs, 1^ 432. Bull., t. XXIX, p. 440, 441.
1. Est-ce une allusion à l'abbé de Citeaux qu'on retrouvera plus loin, ou à
quelque assesseur?
LES QUATRE MARTYRS DE DIJON. 419
loucha au blanc,ce qu'il n'avait fait auparavant. Etmoy alors levant les
yeux au ciel devant luy, je dis : 0 Seigneur, assiste moy maintenanl, afin
que selon la mesure du Saint-Esprit que tu me donnes, je puisse testifier
de la vérité.
Je fus interrogé sur l'invocation des saincts trespassés, puis sur le pur-
gatoire et suK la confession auriculaire, et pour le dernier point sur la
puissance du Pape. Voilà les poincts sur lesquels jay esté oui, car il se
hastoit et sembloit qu'on nous voulust dépescher ce jour-là, comme un
chascun se doubtoit, car nos dits frères Philippe et Jacques furent ainsi
prins au deceu de tous jusqu'à l'heure qu'ils receurent sentence. Et de
faict mondit juge demanda quelle heure il estoit; et lors je luy dis : Gom-
ment monsieur, est-il aujourd'huy noslre jour? Lequel me respondit :
Nenni, nenni, Archambaut mon ami, vous n'estes pas encore là. Et je dis :
je ne say, monsieur; on pourroit bien dire que non pour nous bailler
quelque juge; mais quant à moy je suis tousjours prest, grâces à Dieu,
d'abandonner mon corps et ma vie pour la gloire du Seigneur et pour
soutenir la vérité. Je ne doute point de mon salut, car il m'est acquis
par la mort et passion de noire Seigneur Jésus-Christ. Et puis je dis : 0
Dijon, n'es-tu pas encore content du sang innocent des pauvres ^dèles!
J'adjoustay plusieurs autres bous mois de grande efficace que le Sei-
gneur me mettoit en la bouche tellement que tous estoicnt contraints
de soupirer avec moy. Mesmes le geôlier qui est le plus dur du monde à
rencontre des fidèles, ne put tenir si belle contenance qu'il ne s'en alloit
derrière un tapis pour torcher ses yeux, je ne sais si c'estoit de pitié ou
de rage, car il avoit oui et entendu toutes mes réponses... Et mon dit
juge qui entend mieux que moy, s'efforçoit de tout son pouvoir à bien
coucher les tesmoignages et passages qui servoient à la justice de ma
cause, lesquels il avoit en meilleure souvenance que moy. De quoy lors
je prenoy grand plaisir et le louay de cela en sa présence, lui disant
ainsy : Oh qu'il y en a bien qui savent et entendent ; plust au Seigneur
qu'ils en fissent leur .jirofit ! Vous eussiez dit qu'il s'cft'erçoit de bien
coucher toutes allégations pour justifier ma cause devant les autres. Et
de faict je ne doute pas que le poure homme n'ait fait tout son pouvoir
envers moy, et mesme quand ce vint à juger les deux frères, il s'enfuil
aux champs.
La dernière demande fut, comme je dis, sur la puissance du Pape, à
laquelle je répondis ainsi : Je pense que c'est celui duquel parle St-Paul
aux Thessaloniciens. El aussi tost il eut le passage en main. Et sur cela
je me mis à regracier Dieu en sa présence, disant ainsi : Oh ! monsicui-
que je suis joyeux de ce que le Seigneur vous donne si bonne intelligence,
et aussi je l'ay fort prié qu'il vous assistât et conduisit par son csprii
XXXIIF. — 20
450 LES QUATRE MARTYRS DE DIJON.
en ceste cause, et j'en voyun effect quand vous couchez si bien les choses.
11 me dit que je les signasse : Oui, oui, monsieur, /<? les vay signer, voire
de monpropre sang plustost que d'encre. Et cela faict il s'en alla.
Quoi de plus touchant que le dialogue suivant entre le con-
fesseur près de soutenir son dernier combat, et le geôlier ra-
mené à des sentiments plus humains à son égard :
Or je vous dis qu'à ce geôlier qui m'avoit esté auparavant comme
un lion rugissant sans cesse contre moy, en sorte que tous les pri-
sonniers en estoient esbahis, maintenant le Seigneur a amoly le cueur
et m'est fort doux. Et de faict hier au soir il me vint mener en ma pri-
son lui mesme, et s'efforça de me consoler de son pouvoir, me disant
ainsi : ne vous souciez, Dieu vous aidera, et n'adviendra pas (possible) ce
que vous pensez ; car n'estimez vous pas qu'ils diront : c'est un poure com-
pagnon mercier qui passoit ; il n'a point presché sa loy a personne ; il
est et demeure en ceste loy. Consolez vous. Je lui répondis : je suis bien
consolé, Dieu merci, etprest de recevoir ce qiCil lui plaira m'envoyer;
si c'est vie, vie; si c'est mort, mort. Et sur cela il me dit : bonsoir,
priant pour moy en s'en allant, et moy pour luy, qu'il pleust au Seigneur
lui faire miséricorde.
Comme contraste avec l'attendinssement du geôlier il faut
reproduire une scène où se peint en traits expressifs tout le
fanatisme de l'époque :
Au reste un jeune homme est ici venu, brave et glorieux en idolâtrie,
ayant un pourpoint de velours et autres accoustremens bouffans, pour ce
(jue c'esloit le jour de nostre Dame, comme ils disent, et bailla en ma
présence quelques deniers aux prisonniers, leur disant : Dites un salve
devant Nostre Dame pour moy! Ceste leur Dame est un marmouset
eslevé en ces prisons, devant lequel ces poures gens hurlèrent fort pour
les petis présents. 11 sembloit qu'il y fust venu plus pour voir la conte-
nance que je tiendrois. Et de faict il monstra son venin en sortant, car il
dit que si son père propre estoit luthérien, que luy mesme le feroit
brusler. Oh ! quelle consolation cestui-là m'apportoit...
On ne voudrait rien omettre de ces lettres d'Archambaut,
évoquant tout un drame pathétique et douloureux, dont, grâce
à lui, le secret n'est pas demeuré enseveli dans la profondeur
des prisons. Mais on ne saurait oublier ses dernières recom-
LES QUATRE MARTYRS DE DIJON. 451
mandations, ses adieux à la fois si tendres et si stoïques à
la compagne de sa vie, sur laquelle s'étend déjcà l'ombre du
veuvage :
Or je toucheray icy un mot de ce dont vous m'avez parlé estans
ensemble, c'est si le Seigneur m'appeloit devant, que jamais homme ne
vousseroit rien en mariage. Je vous prie, ma loyale espouse,si vous voyez
que vous puissiez mieux vivre au service du Seigneur, estant mariée,
que vous le faciez, et que ne laissiez pas pour cela, moyennant que le
Seigneur vous présente, quelque homme de bien, ayant sa crainte et sa
charité envers vous et mes enfants, et possible que cela vous pourra faire
vivre plus aisément, veu les maladies auxquelles estes sujette, comme
savez. Et aussi vous n'estes pas encores guère âgée, et par ainsi il me
semble que ferez bien. Toutesfois vous avez boa conseil auprès de vous,
c'est à dire la parole du Seigneur et aussi vos amis et les miens qui sau-
ront vous adviser. Je prie jour et nuict sans cesse le Seigneur qu'il
veuille estre vostre mary, conducteur en tout et partout, et père admi-
nistrateur des poures petits enfants... Je vous ay bien voulu ici toucher
de mes plus grands soucis, pour ce que je ne say si je pourray plus avoir
la commodité de vousescrire, d'autre part que je ne puis plus voir autre
chose devant les yeux sinon une ombre de mort; mais c'est plus tost pas-
sage à la vie laquelle nous est préparée...
Vostre mary et espoux,
Archambaut.
On ignore les détails de la mort d' Archambaut à laquelle n'a
manqué que le narrateur; mais on peut dire avec le martyro-
loge « que surmontant toute contradiction, il triompha magni-
liquement; » et c'est une voix d'outre-tombe, celle du fidèle
confesseur, réuni dans la gloire à Valtan et à Le Cène, qui
vient nous entretenir encoi^e du dernier survivant des quatre
prisonniers dijonnais :
En prison de Dijon, ce 6mc jc septembre 1557.
Quant à nostre frère l'advocat il a esté aussi oui par deux ou trois
fois, et a esté mené en pleine audience devant tous messieurs du Palais.
Mais savez-vous comment il est brave en la foy?// me semble que quand
je le regarde, je voy un ange, ou à tout le moins un saint : et ainsi est
il à la vérité. Je vous laisse à penser si je suis heureux d'estre aussi
accompagné... J'enten qu'il est de grande qualité dont ces gens ci sont
452 LES QUATRE MARTYRS DE DIJON.
esbabis, et pense que les plus gros de la cour de Paris sont ses parens,
lesquels ceux-ci craignent ; si est ce qu'incontinent qu'il fut revenu de la
cour, on luy mit les fers aux jambes, desquels il se quarre et glorifie
plus que ne feroit un prince ou gentilhomme avec une chaîne d'or
en son col. Bref, c'est un roy, voire une tour imprenable; nous easmes
bien un peu de commodité de parler ensemble cà cause que tout le monde
estoit occupé en la mort de nos frères. Etjusqiies là {Hélas) nous nous
aimons si fort que désirons marcher ensemble, si le Seigneur le veut;
et croyez, mes très aimés frères, que nostre sacrifice ne sera point sans
grand fruict, car la terre est bien appareillée pour recevoir la semence.
Le vœu exprimé dans les lignes qu'on vient de lire devait
s'accomplir tout autrement que ne l'espérait le pieux confes-
seur, et c'est à Du Rousseau lui-même, de nous faire pres-
sentir son tiiste sort, dans une lettre à une dame de France
qu'il avait accompagnée à Genève. Les livres, dont on l'avait
trouvé porteur, furent le premier chef d'accusation contre lui,
atix termes de l'Édit de Bourdaisièi^e qui prohibait de telles
lectures : « Tout ainsi, répondit-il, qu'il m'est permis, faisant
profession des lettres, d'avoir des livres profanes pour en dis-
cerner ce qui est bien, aussi m'est-il loisible d'avoir les dits
livres pour discerner la lèpre d'avec la lèpre et en faire mon
profit ». Interrogé sur la messe, la confession auriculaire, de-
vant le président du parlement de Dijon « fort bon canoniste »,
qui tenait sans doute à bonne lu' de ramener un avocat pari-
sien, un hérétique aussi savant qu'obstiné, il ne lui laissa pas
cet avantage, et se vit dès lors « empestré de gros fers lui fai-
sant jour et nuit bonne compagnie » avec la vermine du cachot
dans lequel il devait lentement s'éteindre. On peut juger par
les lignes qui suivent de l'esprit qui animait ses juges :
Le mesme examen a encore esté repris par nos commissaires qui ont
eu responses de moy telles que devant, tellement (pi'il ne reste plus pour
achever mon procès qu'a me confronter les docteurs. Je supplie ce bon
Dieu me faire la grâce de m'assister au combat par son Esprit, et me
donner de quoy leur respondre suivant sa promesse. 3Iesmemcnt que de-
puis que je suis en prison, il ne m'a esté permis d'avoir aucun livre de
Sainte Escritiire, quelque requeste qu'aye faite, messieurs disant que
LES QUATRE MARTYRS DE DIJON. 7*53
c'estoit le livre qui abusoit telles gens que moy. Delà pouvez-vousvoir,
madamoiselle, en quel aveuglement Dieu amis ce peuple pour exercer en
foy les fidèles, et leur faire sentir d'autant plus sa grâce en laquelle seule
je mets aussi tout mon appuy. Il y a bien pis, que mesme Sathan emploie
tel aveuglement à l'égard du Prince et quasi de tout le peuple, ]}o?(r im-
puter aux pauvres fidèles les calamités de la guerre et tous ces maux qui
sont advenus... qu'au moyen de cela jamais le feu, ne la ruse du monde
contre l'Église ne fut si bien enflambée qu'elle est maintenant. De toutes
parts y a mandemens de cercher et massacrer ceux c[u'on trouvera et
n'espargner personne... Vous pouvez entendre, madamoiselle, quelle
grâce Dieu vous a faite de vous avoir tirée si bien à propos, et en temps
si prochain du mal, hors de ceste Egypte...
Quant est de moy, je ne m'attens pas de passer la semaine, d'autant que
ce matin, comme j'escrivois la présente, on m'a amené les théologiens,
et entr'autres un grand monsieur l'abbé de Citcaux qui m'a ergoté de
la messe, de la transubstantiation et non d'autre chose. Il m'a dit mon
arrest, que je perdrais mon corps et mon âme selon son avis... J'esten-
drois volontiers ce propos et autres plus avant, s'ilm'estoit permis, mais le
papier icy me fait défaut, parquoy faisant fin, je vous prie, si recevez la
présente avant mon exécution, de prier le Seigneur pour moy qu'il ne me
délaisse point. De Dijon, en prison, ce 6^ de septem))re 1557.
Ces lignes sont les deiMiières de l'admirable captif auquel fut
épargné, de son vivant, le supplice enduré par ses fi^ères, sans
doute pour ne pas renouveler aux yeux du peuple le spectacle
de ces morts dont la sublime sérénité parlait si éloquemment
en faveur de l'Église nouvelle. Un supplice plus douloureux
lui était i^éservé, celui d'une lente agonie, qui n'eut que Dieu
pour témoin, et qui mérite aussi une place dans le martyro-
loge :
Ce sainct personnage confessant ainsi le fils de Dieu, comme sa lettre le
tesmoigne, demeura assez longtemps après la mort des trois martyrs
ses compagnons, et en telle détresse qu'il en mourut; de quoy les adver-
saires non contents, voulurent aussy se montrer cruels dessus le corps
mort, et le firent brusler et mettre en cendre en place publique.
Ainsi fut consommé le dernier acte de l'holocauste (pii unit
Paris et Dijon dans un gloiieux témoignage. Il ne fut pas
perdu pour l'Église naissante de celte ville, si l'on en juge par
454 LES QUATRE MARTYRS DE DIJON.
ces lignes d'une lettre écrite par un de ses premiers pasteurs :
« Vous avez pu entendre comment par cy-devant la rudesse
des magistrats en ceste ville a esté si grande que ceux qui
avoient cognoissance de vérité n'ont osé lever la teste, et quel
traitement aucuns en ont eu. Ce nonobstant, la bonté de Dieu
ne s'est point tant reculée, que parmy les feux, tourmens,
prisons, perdition de bien et d'honneur, aucuns ne se soijent,
avec longanimité nourris en sa crainte et obéissance, lesquels
ont enfin descouvert le bon zèle, et quant et quant ont esté
cause que plusieurs se sont déclairés et manifestés, tellement
que nous nous sommes trouvés en ceste ville une congrégation
de fidèles suffisants pour fonder une belle et honorable Église.
Mais tout ainsy que un navire flottant en mer, sans gouver-
nail, est subject à l'injure des vents et tourmentes, aussi
ceste troupe a toujours périclité et périclitera encore plus à
l'advenir, s'il n'y a un pasteur pour la conduire, congréger et
fortifier contre les assauts et tentations de Sathan et de ses
adhérents ^ »
L'avenir réservait de nouvelles épreuves à la congrégation
naissante. Il en est une pourtant qui, par une heureuse excep-
tion, devait lui être épargnée, celle de la Saint-Barthélémy. Le
jeudi 24 août 1865, fut posée sur un mur extérieur donnant
sur la rue Ghabot-Gharny (à Dijon) l'inscription suivante, en
lettres d'or, sur une plaque de marbre :
EN CE LIEU FUT l'hOTEL
OU DANS UN CONSEIL MÉMORABLE
SUR LA PROPOSITION DE JEANNIN
CHABOT, COMTE DE CHARNY, GOUVERNEUR DE LA PROVINCE
DÉLIVRA CE PAYS
DES MASSACRES DE LA SAINT-BARTFIÉLEMY
MDLXXII -
1. L'Église de Dijon à Calvin (10 février 15G2) Bull. t. XIV, p. 331. Lettre
signée : de Frasans, pour la compagnie.
2. BulUHn, t. XIV, p. 3i7, 348.
LES QUATRE MARTYRS DE DIJON. 455
Honneur au comte de Charny, et aux magistrats qui s'asso-
ciant à sa généreuse pensée, dans la « mémorable » délibé-
ration dont on voudrait posséder le texte, proclamèrent la
trêve des partis et firent cesser l'effusion du sang en Bour-
gogne! Il n'avait que trop coulé dans la néfaste année 1562,
sous le proconsulat de Gaspard de Saulx, le futur maréchal
de Tavannes*. Après l'expulsion de deux mille religionnaires
dijonnais,et « les pilleries, saccagemens, meurtres de gens de
toute qualité, » restait-il beaucoup de huguenots à Dijon, et
dans les cités voisines, Auxonne, Autun, Beaune, Mâcon? Si
réduit qu'en fût le nombre, un hommage sans réserve est dû
aux hommes qui, animés d'un esprit supérieur à leur temps,
épargnèrent k la vieille capitale de la Bourgogne une tache
ineffaçable.
Jules Bonnet.
1. Histoire des martyrs, folio 616 et suivants; Bèze, Histoire ecclésiastique,
t. III, 1. XV et dernier. Les massacres do Màcon durèrent plusieurs mois et
furent une Saint-Barthélémy anticipée.
DOCUMENTS
TESTAMENT DE CHARLOTTE DE BOURBON
PRINCESSE d'orange
18 novembre 1581.
Le 10 juillet dernier ramenait le troisième anniversaire séculaire de
la mort du prince d'Orange, le libérateur des Pays-Bas, et cette pieuse
commémoration coiacidait avec un grand deuil national, la mort de
l'héritier du trône, du dernier descendant mâle de cette illustre maison.
Aussi tous les cœurs étaient unis dans la touchante cérémonie célébrée
à Delft, et rappelant toutes les gloires, toutes les épreuves de la monar-
chie néerlandaise.
« Guillaume le Taciturne, écrivait le correspondant des Débais du
14 juillet, est de cette race d'élus à qui la destinée a réservé le privi-
lège d'être de leur temps et de tous les temps, de parler pour ainsi dire
à tous les partis à la fois, sans se laisser absorber par un seul, les
dominant tous, des hauteurs inspirées d'un cœur large et désintéressé,
d'un génie souple et complexe. Pour les antirévolutionnaires, pour les
protestants légitimistes, Guillaume I" est le restaurateur de la vrai foi,
l'incarnation vivante de l'union féconde de l'État et de l'Église calviniste ;
pour les libéraux, c'est le politique fin et avisé, qui a eu l'art de se
ménager l'appui des synodes et des pasteurs, sans subir l'action de
leur tyrannie sectaire, le grand stathouder qui est arrivé, par la léga-
lité, à tous les pouvoirs; pour les catholiques patriotes comme pour
les antirévolutionnaircs et pour les liliéraux, c'est le grand homme
d'Etat, le grand capilaine, qui, sans autre secours que l'appui inter-
mittent des Etats, a tenu tèle à i'hilippe II, à ses ministres, à ses
incomparables généraux, et, à force de patience et d'héroïsme, a fait
des sept provinces unies le noyau autour diKjuel -s'est formée la Hol-
lande moderne.
» Ajoutons, et c'est par là que la mémoire du grand Taciturne doit
nous être chère, que, Allemand et Néerlandais par les origines de sa
famille, il s'est moniré, en tout temps. Français par le cœur et la poli-
TESTAMENT DE CHARLOTTE DE BOURBON PRINCESSE d'ORANGE. A51
tique. 11 s'est marié trois fois, mais c'est seulement avec ses deux der-
nières femmes, françaises, Charlotte do Bourbon et Louise de Coligny,
qu'il a trouvé la paix et le bonheur. Dans les plus grandes extrémités,
c'est toujours du côté de la France qu'il a regardé, sans se laisser décou-
rager, ni par le crime de la Saint-Barthélémy ni par les belles équipées
du duc d'Anjou. La main qui a armé le bras de Jaureguy, le pistolet de
Ralthazard Gérard, est la même qui a guidé le poignard de Ravaillac. »
J'ai retracé dans les Nouveaux Récits du x\v siècle, l'histoire de
Charlotte de Bourbon, l'évadée du cloître de Jouarre, devenue la com-
pagne de Guillaume d'Orange, et succombant, le 4 mai 1582, à l'excès
des émotions, des angoisses qui suivirent pour elle l'attentat de Jaureguy
contre la vie de son époux. « La joie, disais-je, tue comme la douleur. Le
» 2 mai 1582, la population d'Anvers réunie sous les voûtes de sa magni-
» fique cathédrale, rendait de solennelles actions de grâce à Dieu pour
» le rétablissement du prince d'Orange. Trois jours après, sa fidèle com-
» pagne, épuisée par les veilles et les angoisses, minée par la fièvre,
» expirait entre les bras de son époux, qui s'étonnait de lui survivre. Au
» sein de l'allégresse publique, sa mort fut un deuil national. De tou-
» chantes marques de regrels se mêlèrent à la pompe de ses funérailles.
» Douze cents bourgeois vêtus de noir accompagnèrent son cercueil, et
î bien des larmes coulèrent lorsque la fille de Louis de Bourbon, l'an-
» cienne abbesse de Jouarre, martyre de la piété conjugale, fut dépo-
li sée dans la chapelle de la Cii'concision où ses restes reposent encore
» aujourd'hui. »
On ne lira pas sans intérêt le testament de la pieuse princesse, con-
servé dans le chartrier de Thouars, et que je dois à une précieuse com-
munication de mon ami M. Paul Marchcgay^ :
Au nom de Dieu, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, Amen.
Commme ainsy soit qu'à toute personne est ordonné de mourir,
et qu'il n'y a rien plus incertain que le jour de la mort, et qu'il est
expédient pour attendre ce jour-là avec plus de repos et contente-
ment d'esprit, de disposer de bonne heure, et cependant que Dieu
en donne le moyen, de sa maison, en faisant une déclaration de ce
que l'on désire estre gardé et observé après sa mort, singulière-
ment en la conduite et gouvernement de ses enfants, et assignation
des biens que Dieu donne, nous, Charlotte de Bourbon, par la
grâce de Dieu princesse d'Orange, eslanl en ijon sens et entende-
i. C'est une copie de 1600.
458 TESTAMENT DE CHARLOTTE DE BOURBON
ment quant à l'esprit et en bonne santé de disposition de corps,
sfraces cà Dieu, désirant, cependant que Dieu nous en donne le
moïen, pourvoir à ce que nous pouvons, selon droit, disposer et
ordonner affin que après nostre décès nostre intention puisse estre
ensuivie et mise en exécution, et par mesme moïen soit ostée toute
occasion de débats et dissensions, et ce d'aultant plus que par le
contrat de mariage faict avec monseigneur le prince n'y est assez
clairement pourveu, avons à ces fins déclaré et ordonné, déclarons
et ordonnons en toutes les meilleures manières, voyes et formes que
possible nous est de faire, pour notre dernière volonté et testament
ce qui s'ensuit.
Premièrement je rends grâces à Dieu mon père qui par sa grande
miséricorde m'a illuminé en la congnoissance de sa saincte volonté,
et m'a donné asseurement de mon salut et de la vie éternelle par
les mérites infinis de Jésus-Christ son fils, vray Dieu et vray homme,
mon seul saulveur et rédempteur, advocat et médiateur, de ce que
me conduisant et fortiffiant par son Sainct-Esprit, il m'a retiré en
son Esglise et en icelle faict la grasse de l'invoquer en esprit et
vérité avecq les autres fidèles, ouïr sa parole et communiquer aux
Saints Sacrementè, en me confirmant de plus en plus en la congnois-
sance et asseurance de son amour envers moy et de mon élection à
salut et vie éternelle, dont aussi protestant que mon désir et espé-
rance certayne est de vivre et mourir en ceste foy. Sur cest appuyje
recommande mon esprit es mains de Dieu mon père, le priant
n'avoir égard à la multitude de mes péchés, ains de me regarder
en la face de son fils bien aymé Jésus-Christ, et en me les pardon-
nant par les mérites de sa mort, me revestir de sa justice pour en
faveur de luy me recongnoistre son enfant bien-aimé et me reee-
voir en la jouissance de la vie et gloire qu'il a préparée à tous se
esleus en son royaulme éternel. — Après j'ordonne et veuil que
mon corps soit ensevely avecq toute modestie et honnesteté selon
qu'il plaira à mon seigneur le prince en disposer pour attendre le
jour bienheureux de la lésurrection auquel je crois certainement
que, par la puissance et grâce de Jésus-Christ, il ressuscitera corps
glorieux, incorruptible et immortel, pour avecq mon esprit remy
avecq mon corps conjointement estre élevée au devant de Jésus-
Christ et receue par dessus fous les cieux en la possession désirée
de l'accomplissement du bien de gloire que j'attens en la compa-
PRINCESSE d'OBANGE. 459
gnie des justes avec les saints anges, lorsque Dieu sera toutes
choses en nous comme en ses autres enfans par Jésus-Christ.
Touchant les enfans que Dieu m'a donnez et autres qu'il luy
plaira me donner à l'advenir, mon désir et intention est qu'ils
soient nourris, élevez et soigneusement endoctrinez en la congnois-
sance et crainte de Dieu, et en la foy de Jésus-Chriet nostre Saul-
veur; et comme c'est le principal et plus exccellent trésor que je
leur sçauray demander à Dieu, ainsy je me confie entièrement que
Mgr le Prince en portera le soing convenable, et y pourvoira selon
le zèle que Dieu luy a donné à sa gloire et le devoir de père envers
ses enfans. De quoy aussi je le prie très humblement et de tout
mon cœur.
Et quant aux biens qu'il a pieu et plaira cà Dieu me donner à
l'advenir, meubles et immeubles, je vueil et ordonne qu'en premier
lieu soit prinse d'iceux la somme de six cents florins pour une fois
et donnée es mains des diacres de l'Église Réformée en laquelle
Dieu m'appellera, pour estre par eux distribuée aux pauvres
membres de Jésus-Christ.
Item que d'iceux biens ma fille Loïse prenne par preciput dix
mil francs, monnoie de France, en considération que mes autres
filles qu'il a plu à Dieu me donner ont esté adventagées de mon
vivant, chacune de certayne rente qui ont esté données, ordonnant
et nommant en tout le reste de mes biens pour mes héritières légi-
times mes cinq enfans, assavoir : Loyse, Elizabeth, Catherine,
Flandrine et Brabantine^ et celuy duquel j'espère que Dieu en
bref me deslivrera, voulant que les dits biens soient départis entre
mes dits six enfants égallement ; et advenant que l'un d'eux mou-
rust avant estre parvenu en aage pour disposer de sa part, et
mesmes estant en aage sans avoir disposé et sans enfans, je vueil
et ordonne que mes autres enfans succèdent en icelle égallement,
suppliant au reste monseigneur le prince que ce qui se trouvera
déclaré et disposé par moyen deux codicïles et m.émoires contenant
disposition de mes bagues et vaisselles, signées do ma main, soit
•1. Sur les cinq filles de Charlotte de Bourbon voir les Mémoires pour servir
à l'histoire de Hollande, par Aubéry Du Maurier, Paris, 18C0 (p. 1(19.171), et les
Noiiv«aux récits, p. 259. Elisabeth devint duchesse de Bouillon,. et Charlotle-
Brabantine, duchesse de la Trémoillc.
460 TESTAMENT DE CHARLOTTE DE BOURBON
observé et exécuté tout ainsi que sy chacun point et ordonnances
des dits codicïles et mémoires estoit expressément inséré et couché
par escript en cestuy mien testament et dernière vollonté, et que
pour fournissement et accomplissement du contenu es dits codicïles
soit employé ce qui me sera deub des rentes qui m'ont esté assignées
par monseigneur mon père et monsieur mon frère, ordonnant en
outre que monseigneur le prince jouisse de tout ce qui m'appartient
ou escherra, ou a mesdits enfants pour ayder à les entretenir hon-
nestement, priant Monseigneur le prince en cas que le moyen ne fust
suffisant de mon costé, vouloir pourveoir à ce qui sera besoing pour
leur entretennement, et que de ce qu'il jouira appartenant aux-
dits enfans il y ait asseurance sur quelque sienne terre, et que
venant à l'aage de quinze ans, sera à chacun d'eux délivrée sa
part purement et librement, et advenant sa mort avant que les
dictz enfans ayent atteint ledict aage, que le bien a eux appartenant
soit incontinent mis à profict à leur adventage le plus grand et le
plus assuré que faire se pourra, suppliant très humblement mon-
seigneur le prince ordonner avant sa mort gens propres et tels qu'il
trouvera convenir affin d'y pourvoir, rappelant pour conclusion
toutes autres ordonnances et dispositions précédentes, sy aulcuns
s'y trouvoient, et me réservant la liberté d'adjouster, changer ou
diminuer à ce que dessus, sy Dieu m'en donne le moïen et vol-
lonté.
En tesmoignage et pour confirmation de tout ce que dessus, nous
avons signé la présente de nostre propre main et cachette du cachet
de nos armoiries, ensemble prié les témoings soubz nommez de le
soubsigiier.
Faict à Anvers, le dix-huitième jour de novembre 1581.
Charlotte de Bourbon ^
Suivent les signatures de Jean Tai'lîn, ministre; Mathias de Lobel
(méd), Godefroy (échevin), Moutens, Jacob Van Wachtendouch.
A la pièce qui précède se rattachent naturellement deux lettres iné-
1. Les mêmes archives de Thouars conservent une copie du contrat de
mariage de Guillaume de Nassau, prince d'Orange, avec Charlotte de Bourbon,
du 12 juin 1575.
PRINCESSE d'orange. 461
dites S qui montrent sous un aspect touchant les rapports de la noble
défunte avec les fils du grand martyr de la Saint-Barthélémy. Ces deux
pièces sont également extraites des archives de Thouars, et nous les
devons aussi à l'amitié de 31. Paul 3Iarchegay.
A messieurs de Chastillon et d'Andelot-.
Heydelberg, 12 mars [1573].
Messieurs, pour estre affligée par la mesme cause qui a réduit
vos affaires en telle extrémité comme elles sont, vous ne pouviez
pas à qui mieux vous adresser qu'à moi pour ressentir vostre peine
et vous y plaindre infiniment, n'en faisant point seullement compa-
raison à la mienne, mais estimant, selon qu'à la vérité l'on peult
juger, ne vous en pouvoir advenir de plus grande. Mais jespère que
les moyens qui vous sont cachés à cest heure pour en pouvoir sortir,
ce bon Dieu vous les descouvrira lorsqu'il luy plaira vous en retirer.
De ma part, si je puis quelque chose pour cest eff'et, je m'y emploi-
ray de bien grande affection tant pour le mérite du faict que pour
celle que j'ay toujours portée à feu monsieur Tadmiral vostre père,
dont le zèle et piété qu'un chacun a recongneu en luy me fait
honorer la mémoire.
Incontinent donc que j'ay receu vos lettres et celles que vous
escriviez à monsieur l'Electeur, j'ay esté les luy présenter % lequel
m'a faict congnoistre les avoir bien agréables et vouloir em-
brasser l'affaire dont lui faistes requeste avec une singulière affec-
tion... tant pour madame l'admiralle que pour vostre regard, telle
que vous la pouvez désirer, ce que je ne fauldray de luy ramente-
voir, si je congnois qu'il en soit besoing, comme aussy madame
l'electrice m'a faict entendre estre en pareille volonté, en sorte que
vous ne pouviez choisir un meilleur et plus favorable recours ([ue
celui de Leurs Excellences, qui sçavent peser les causes selon la
1. J'en ai cité un fragment dans les Nouveaux Récils, p. 238, 211.
2. Original déchiré sans suscription. Chartrier de Thouars.
3. Évadée depuis un an du cloître de Jouarre, Charlotte de Bourbon avait
trouvé un asile à la Cour de l'électeur palatin Frédéric III, au cliàteau d'IIeydel-
berg. C'est là qu'elle fit la connaissance de Guillaume d'Orange. -
462 TESTAMENT DE CHARLOTTE DE BOURBON PRINCESSE D'ORANGE.
droitlure et équité, et ont tousjours les mains ouvertes pour donner
ayde aux affligés.
Je prie Dieu, messieurs, de vous oster de ce nombre, et bientost
vous remettre en tel heur, bien et félicité que vouldroit voir celle
de qui vous recevrez les affectionnées recommandations à vos bonnes
grâces et la tiendrez pour
Vostre affectionnée et meilleure amye
Charlotte de Bourbon.
A Heydelberg ce 12'' mars [1573].
A Mademoiselle de Bourbon *
Basle, 1" juin 1573.
Madamoiselle, nostre ingratitude serait la plus extrême qui fust
onc, si nous ne sentions à bon escient combien nous sommes obli-
gés à reconnoistre par tous très humbles services, quand Dieu
nous en donnera les moyens, le très grand bien et faveur que nous
recevons de vous, Madamoiselle, qui estes émue et incitée à nous
bien faire par la seule inclination naturelle d'une grande et ver-
tueuse princesse, de laquelle vous estes partout merveilleusement
recommandée. A ceste cause, Madamoiselle, après vous avoir très
humblement remercié du très grand bien et plaisir qu'avons prompte-
ment receu par vostre moyen, des sainctes consolations et vertueux
enseignements qu'il vous a pieu nous adresser par vos lettres, avec
les offres tant lionnestes et amyables accompagnées d'une vive
démonstration de la chanté chresticiine que pouvons espérer et
attendre de vous, nous vous supplions très humblement, Madamoi-
selle, nous faire cest honneur de croire que mettrons si bonne peine
et diligence, avec la grâce de Dieu, à suivre le droit chemin de
vertu et vraye pieté, que toutes les contrariétés et grandes difficul-
tés qui se présentent à nous en ce bas aage ne pourront nous en
fermer le passage. Que si nostre bon Dieu prenant compassion de
nostre calamité, comme avons bonne espérance qu'avec le temps il
fera, nous relève de cette oppression très dure, et qu'ayons moyen
1. Sur le séjour des fils de Coligny à Bùle, voir le Bull., t. 1, p. 370-373.
VOYAGE D'ANTOINE COURT EN SUISSE. 463
de vous faire très humble service, nous osons bien vous promettre,
Madamoiselle, que jamais n'aurez serviteur plus humble ni plus
affectionné pour recevoir et obéir à tous vos commandemens, quand
il vous plaira les nous faire entendre, et sur ceste asseurance...
nous supplions l'Éternel nostre bon Dieu qu'il luy plaise vous main-
tenir très longuement, Madamoiselle, en très bonne santé et heu-
reuse vie pour servir à sa gloire et à la consolation et soulagement
des pauvres affligés.
Chastillon, Andelot.
De Basle co 1" juin 1573.
VOYAGE D'ANTOINE COURT EN SUISSE
DANS l'Été DE 1746.
LETTRES DE RECOMMANDATION EN SA FAVEUR
On ne lira pas, croyons-nous, sans intérêt, les lettres suivantes qui se
trouvent dans les Papiers Court {n" 9, p. 289-300). Elles ont été écrites,
à la fin de mai 1746, par des pasteurs ou professeurs de Genève et de
Lausanne, amis des protestants français, pour recommander Antoine
Court à leurs collègues ou aux magistrats de la Suisse allemande. Celui-
ci, par un article secret du synode national de Lédignan (août 1744),
avait été nommé député ou agent général des églises sous la croix au-
près des puissances protestantes; et comme ces églises se trouvaient
dans une situation exceptionnellement douloureuse, les comités des
bords du Léman jugèrent bon de faire exposer de vive voix leur détresse
et leurs besoins par un homme qui les connaissait parfaitement et dont
la vie était depuis un tiers de siècle vouée ù leur relèvement.
On verra dans ces lettres la haute estime en laquelle les amis de Lau-
sanne et de Genève tenaient Antoine Court, et aussi l'empressement
qu'ils mettaient dans les circonstances critiques ù procurer de généreux
protecteurs et des ressources de tout genre à leurs frères persécutés.
A. Picheral-Dardier.
464 VOYAGE D'ANTOINE COURT EN SUISSE.
I
Lettre de M. le Professeur Lullin, de Genève
à S. E. Mgr VAdvotjer Steigiier, à Berne.
Genève, 28° may 1746.
Monseigneur,
Qu'il me soit permis de profiter du voyage de M. Court pour
renouveler à V. E. mes devoirs respectueux et pour la remercier
humblement de la réponse dont elle m'honora il y a quelques mois
au sujet des Confesseurs de notre Sainte Religion sur les galères.
Leur nombre augmente de plus en plus par les condamnations fré-
quentes que prononcent les Intendans et les Parlemens, en parti-
culier celui de Grenoble. Par conséquent l'affliction et les besoins
augmentent aussi, et les troupeaux sous la croix éprouvent au
milieu de l'accroissement de leur bercail que le sang des martyrs
est la semence de l'Eglyse.
L'État de ces pauvres tidelles est dans une telle position que nous
avons cru, de même que MM. nos très Honorés Collègues de Lau-
sanne, Mgr, que les choses dévoient être représentées aux puissans
et généreux bienfaiteurs de nos frères. V. E. qui par sa protection
retrace si glorieusement les bontés (jue leur accorda toujours feu
M. l'Advoyer Steiguer, tient le premier rang parmi les apuis que
Dieu leur suscite.
Personne ne pouvoit l'informer plus amplement de la situation
présente des Eglises que ce digne serviteur de Christ qui leur a
rendu de si importans services comme leur pasteur, et qui leur
député aujourd'hui, ne cesse de travailler pour elles. Qu'il plaise à
V. E. de l'honorer de ses bontés et de ses conseils.
Que ne peut-on point se promettre, moyennant la grâce de Dieu,
de son voyage, s'il est dirigé par des lumières si supérieures et par
cette habile main qui fait le secours et la consolation universelle
des misérables? M. Court pouvoit suivre à la collecte particulière
pour les galériens que V. E. se proposoit; MM. de Zurich, par les
soins de S. E. Escher, nous ont fait déjà parvenir quelque chose qui
VOYAGE D'ANTOINE COURT EN SUISSE. /j.65
a été aussitôt remis à Marseille. Seroit-ce trop se flatter, Mgr, que
d'espérer que les cantons protestans auront la charité, à la pro-
chaine Diète, de prendre, comme ils l'ont fait en plusieurs ren-
contres, cet objet en considération?
Je demande à V. E. d'en agréer la prière que je lui adresse par
ordre et de la part de mes collègues. Ils sont pénétrés pour vous,
Mgr, des sentimens les plus respectueux, et j'ose bien dire que rien
n'égale ceux avec lesquels je suis,
Mgr, de V. E. Votre, etc.
Nous nous en remettons aux très humbles représentations de
M. Court sur tous les autres articles.
II
Lettre de M. Sarasin l'aîné, pasteur à Genève,
à M. Schneider, pasteur de VÉglise Française de Zurich.
Genève, le 27^ May 1746.
M. et Très Honoré Frère,
J'eus l'honneur de vous écrire il y a quelques jours au sujet de
M. Blaclion, pour tâcher sinon de le justifier entièrement auprès de
vous, du moins de l'excuser en partie sur l'oubli dont vous vous
plaigniés, et j'espère que ma lettre vous sera parvenue. Je vous
marquois en même tems, M. et Très Honoré Frère, que comme vous
n'étiés pas exactement informés de l'état des églises sous la croix,
information qu'il est cependant important que vous ayés, une per-
sonne de confiance sedisposoità faire un voyage k Zurich pour vous
mettre au fait sur cette matière, de même que quelques autres res-
pectables amis de votre ville.
Cette personne qui vous rendra la présente lettre est M. Court rési-
dant à Lausanne, ininitre du Saint-Ev. et très respectable par ses
lumières, par son zèle pour notre Sainte religion, et par les grands
et importans services qu'il a rendus et qu'il rend actuellement aux
églises sous la croix auquelles il est dévoué avec une affection, une
application, une prudence et une ardeur digne de tous les éloges.
XXXIII. — 30
466 VOYAGE d'antoixe court en suisse.
Rien n'est au-dessus des travaux que ce digne pasteur a suportés
même au péril de sa vie pour ces églises désolées, auxquelles il
consacre aujourd'hui des soins infiniment utiles; et je suis persuadé
que quand il aura l'avantage d'être connu de vous personnellement,
vous en aurés la même idée que moi, et que vous regarderés comme
un tems bien employé les conversations que vous aurés avec lui,
par les choses curieuses et intéressantes qu'il vous apprendra sur le
sujet en question. Je vous prie, Monsieur et Très Honoré Frère, de
lui être favorable et de l'aider de vos conseils et de votre crédit, soit
auprès de S. E. Mgr le Bourgmestre Escher, soit auprès des autres
personnes que vous croirés qu'il doit voir pour réussir dans ce qu'il
aura à vous proposer pour l'avantage de nos frères. Le canton de
Zurich tient le premier rang entre les cantons protestans de la
Suisse, et les illustres magistrats qui gouvernent cette florissante
république ont toujours fait paroitre un si grand zèle pour notre
Sainte Religion, et se sont en tous tems si <ort intéressés à la con-
solation des fidèles persécutés, que je ne doute point que notre très
cher et respectable frère M. Court ne remporte de son voyage toute
la satisfaction à laquelle il s'attend. Agréés, Monsieur et Très
Honoré Frère, que je saisisse avec empressement cette nouvelle
occasion de vous marquer avec quel respect et quelle considération
je suis,
Monsieur et Très Honoré Frère,
Votre etc.
III
Lettre de M. le Professeur LuUin à M. Zilli, pasteur de VÉglise
Française à St-GalL
De Genève 30° inny 1746.
Monsieur et Très Honoré Frère,
Le voyage de M. le Ministre Court m'offre une occasion si natu-
relle de vous présenter cet^xcellent serviteur de Dieu et de vous
marquer les sentimens que je conserverai toujours à votre égard,
que je ne saurais la laisser échapper. Le séjour que vous avés fait
VOYAGE D'ANTOINE COURT EN SUlsSE. 467
parmi nous nous a laissé un tel souvenir de votre piété et de vos
talens, que les impressions en sont inetTaçables. Je rends i^râces à
Dieu notre père des succès avec lesquels vous vous employés par sa
bénédiction au service de son Eglise. Il nous est honorable et bien
doux d'avoir un collègue tel que vous, et j'espère, Monsieur et Très
Honoré Frère, que vous agréerez mes vœux de même que l'invio-
lable considération que je vous ai vouée. Comme vous êtes consacré
au bien de l'Église Française, M. Court qui pendant de longues
années a servi avec tant de fruit celles qui sont sous la croix et qui
est aujourd'hui leur Député, trouvera, je m'assure, près de vous.
Monsieur mon Très Honoré Frère, l'accueil et les bons offices que
nous pouvons espérer. l\ aura le plaisir de vous informer de l'œuvre
magnifique et surprenante de Dieu en faveur de nos frères. Ces
Églises que le Papisme avait cru ensevelir sous la ruine de leurs
temples sont sorties nombreuses et florissantes de leurs masures.
Elles ont des Pasteurs, des Consistoires, des Synodes, des Assem-
blées de plusieurs milliers de personnes. On les persécute, on envoyé
au supplice les serviteurs de Dieu, on condamne les laïques aux
galères, on enlève les enfans, on renferme les femmes dans des
monastères, on ruine les familles par de désolantes amendes, et
néanmoins la foi, le zèle, la constance dans la profession de la
vérité sont inébranlables. Les détails édifians que notre digne
frère vous donnera là-dessus sont sans nombre. Vous y retrouverés,
Monsieur, l'ardeur évangélique des premiers lems du Christia-
nisme. Telle est la suite des soins et des travaux des fidelles, et je
dois ajouter de la charité que les bonnes âmes ont témoignée cons-
tamment. Votre Église, Monsieur et Très Honoré Frère, y a concouru
toutes les fois qu'on s'est adressé à elle, notamment en 1730 et en
1734; ce qui nous donne lieu d'espérer que les fidelles persécutés
trouveront des dispositions aussi avantageuses à présent en leur
faveur. Agréés que pour le surplus je m'en remette à M. Court
dont le voyage et les soins doivçnt faire aussi peu de bruit qu'il
sera possible. Je ne cesserai jamais mes prières ferventes à notre
commun et divin Maître pour votre conservation et pour celle
de tout ce qui vous intéresse. J'ai l'honneur d'être avec un profond
respect,
Monsieur et Très Honoré Frère,
Votre, etc.
4G8 VOYAGE D'ANTOINE COURT EN SUISSE.
ÎV
Lettre de M. J. H. de Waldkirch, pasteur à Genève,
à M. J. H. Peyer, ministre de VÉglise française de Schaffouse.
De Genève 27 may 17-i6.
Monsieur mon Très Honoré Père,
J'espère que vous anrés reçu la lettre que j'eus l'honneur de vous
écrire dernièrement, et je me tlatle toujours qu'avec le retour des
chaleurs, voire santé qui avait élé si fort altérée pendant cet hyver,
se sera fortitiée de plus en plus. J'ai l'honneur de vous écrire à
présent pour vous demander le secours de vos honsotTiccs en faveur
de M. Court qui doit partir dans peu de jours pour Schaffouse. Il
les mérite et par son caractère et par ses pieux travaux, et par le
motif qui lui fait entreprendre ce voyage. Il a prêché longtems h
nos frères qui sont en France; et ayant été ohligé de se retirer de-
puis plusieurs années dans le pays de Vaud, où par la permission
(le L. L. E. E. il a continué de faire toutes les fonctions d'un
ministre de Jésus-Christ, il s'est attiré l'estime et la considération
de toutes les personnes qui le connoissent, soit ici, soit à Lausanne,
où il fait son séjour ordinaire. Il n'a cessé depuis lors de travailler
oour les réformés de France, auxquels il s'étoit d'ahord dévoué,
leur a rendu des services très essentiels. C'est dans le même
dessein qu'il va faire actuellement un voyage de vos côtés; et dès
que j'en ai été informé, je n'ai pas douté que travaillant pour une
si bonne cause, vous ne fussiés tout disposé à vous intéresser en sa
faveur. La manière dont vous m'avés quelquefois écritsur ce sujet, m'a
suffisamment apris combien vous prenés de part à ce qui regarde
nos pauvres frères; et que tout ce qui pouvoit leur être utile, deve-
noit par cela même très intéressant pour vous. A la vérité j'ai craint
d'abord que l'état de faiblesse où vous êtes encore ne vous permit
pas de rendre à M. Court les bons offices qu'il auroit reçu de vous
sans cela. J'ai cru pourtant que votre santé se fortifiant peu à peu,
je devois vous faire part de son voyage et vous prier de le recom-
mander soit <à M. le Professeur Huster, soit à M. votre suffragant.
VOYAGE d"ANTOINE COURT EN SUISSE. 469
soit aux autres personues qui peuvent lui être utiles dans le des-
sein qu'il se propose. Pardonnes moi, s'il vous plaît, M. mon Très
Honoré Père, de la peine que je vous donne. Je joindrai cette
obligation à tant d'autres que je vous si. Je fais mille vœux au
ciel pour votre conservation. En vous demandant toujours le
secours de vos prières, j'ai l'honneur d'être avec le plus respectueux
attachement,
Monsieur mon Très Honoré Parrain,
Votre, etc.
V
Copie de la lettre de M. te Professeur Palier à S. E. M> Steigiier,
à Berne.
Lausanne, 31 may lliQ.
Monseigneur,
V. E. fut, je pense, informée bientôt après le retour de M. le
Ministre Court de son voyage de France, sur la fin de 1744, que les
églises sous la croix assemblées en Synode national, l'avoient
nommé leur agent dans les états protestans et l'avoient chargé de la
commission de veiller à leurs intérêts et de solliciter ou d'agir en
leur nom dans toutes les occasions où les besoins de ces églises
pourroient requérir le secours de leurs frères du dehors, ou des
puissances de même religion; V. E. fut encore consultée sur le lems
le plus propre à exécuter cette commission dans les cantons pro-
testans, el sur le dessein qu'avoit alors ledit agent de faire un tour
dans la Suisse Allemande pour se faire connoître aux seigneurs et
particuliers qu'il pourroit découvrir être favorables aux Églises,
pour les informer de l'état où il les avoit laissées etde leurs besoins,
pour établir quelque correspondance utile, relative à sa commission.
Mais V. E. ayant jugé qu'il n'étoit pas convenable défaire ce voyage
si lot après celui de France, qui n'avoil que trop éclatté, et que la
saison de l'Iiyver où les affaires publiques s'étoient multipliées
n'étoit pas propre à ce dessein, l'on se conforma à un avis si pru-
dent et l'on atlendit à l'exécuter qu'il se présentât des conjonctures
470 VOYAGE D'ANTOINE COURT EN SUISSE.
plus favorables ou plus pressantes. Dès lors l'état des Eglises a
beaucoup changé; si d'un côté l'on a gagné du terrain dans plu-
sieurs provinces par le nombre des fidelles qui s'y sont manifeslés à
la faveur de la tranquillité dont on y jouit par rapport à la Religion,
et par le nombre d'ouvriers qui se sont offerts pour la moisson du
Seigneur; d'un autre l'on a éprouvé dans plusieurs endroits d'aussi
rudes persécutions qu'on en ait jamais ressenties, qui ont mis les
Religionnaires de ces pays-là à deux doigts de leur ruine et de leur
extinction totale. Ces différens objets ont été rais devant les yeux des
amis, bienfaiteurs et protecteurs de ces églises, par des lettres
écrites en divers endroits, pour obtenir des secours qui répondis-
sent à ces différens besoins, et l'on a recueilli dos réponses reçues
qu'il étoit tout à fait important que ces amis et bienfaiteurs fussent
bien informés de l'état des choses et du détail de ces besoins par
des personnes qui les connussent à fond, et qui pussent répondre à
toutes les questions et objections que l'on pourroit faire sur ce
sujet, telle qu'est M. le Ministre Court. C'est ce qui l'a déterminé
par l'avis de ses constituans et assistans à entreprendre sans plus de
renvoi le voyage de Suisse cy-devant projette, et il a cru après mûre
réflexion et consultation que le teras le plus propre à le faire réus-
sir étoit celui qui précédoit immédiatement les Diètes des cantons
protestans, où les affaires de la Religion, tant du dehors que du
dedans, dévoient être portées. Les amis de Genève en particulier
qui sont chargés de ces affaires, lui ont fait connoitre plus d'une
fois que le voyage devenoit tous les jours plus nécessaire, en sorte
qu'il n'a pu qu'acquiescer à leurs représentations. Mais convaincu,
comme il l'est, aussi bien que les amis d'ici avec qui il en a conféré,
du zèle de V. E. pour la Religion, de l'intérêt qu'elle prend aux
Églises de France qui en font profession, de l'étendue de ses lu-
mières dans tout ce qui y a du raport, et de l'efficace de sa protection
et de ses recommandations pour parvenir au but qu'on se propose,
il part d'ici dans la ferme résolution de s'adresser d'abord à V. E.
et s'il en peut obtenir une audience favorable, de lui exposer sa
commission et ses instructions, de la consulter sur tout ce qu'il y a
d'essentiel et de ne rien faire que par ses sages directions. Comme
c'est par ce seul moyen qu'il peut espérer do réussir dans sa com-
mission, c'est aussi, Mgr, avec la plus parfaite confiance et le plus
profond respect, que les personnes d'ici instruites de l'état de ces
VOYAGE D'ANTOINE COURT EN SUISSE. 4.71
églises prennent avec moi la liberté de recommander à votre puis-
sante protection et bienveillance leur agent ou député, que V. E.
connoît déjà être très recommandable par son mérite personnel, par
son zèle toujours actif pour la religion et par les grands services
qu'il a rendus aux églises; mais qui l'est spécialement par la con-
fiance qu'elles lui ont témoignée en remettant leurs intérêts entre
ses mains. M. le Major de Montrond en particulier qui entre dans
cette affaire avec une affection sans égale, et qui prend une part si
intime au dessein et au succès de ce voyage, a l'bonneur d'assurer
Y. E. de ses sentimens les plus respectueux. Je la suplie d'agréer
aussi les assurances les plus sincères du parfait dévouement avec
lequel je fais gloire d'être,
Monseigneur,
De V. E.
Votre, etc.
Nous sommes lieureux de pouvoir compléter les documenls qui précè-
dent par les deux pièces suivantes, se rapportant au même sujet, et qui
viennent de nous tomber sous la main, en compulsant le n° 5 des Papiers
Court. On y verra les recommandations particulières que les amis de
Genève et de Lausanne firent à Ant. Court, à la veille de son voyage, et
le discours que celui-ci avait préparé pour être débité au principal magis-
trat de Berne, M. Im-HofT. Cette dernière pièce est de l'écriture de Court.
A. Picheral-Dardier.
Instructions pour servir à la conduite du Ministre Court
dans son voijage dans les cantons évangéliques,
1° Ce voyage doit se faire avec toute la circonspection et la réserve
imaginables, pour ne point en rendre le but trop public.
2° Il ira premièrement à Berne, et de Là à Zuricli, Schatïouse,
AYintertbour et St-Gall, et si l'on juge à propos, il se rendra à la
Diette.
3° Il s'attachera dans toutes ces capitales à s'informer des sei-
gneurs du gouvernement qui paroitront prendre le plus d'intérêt
aux affaires de la religion en France, pour les informer de ce qui
regarde les églises sous la croix.
Ht VOYAGE D'ANTOINE COURT EN SUISSE.
A° Il s'attachera dans tous ces endroits, soit par un mémoire ou
par ses informations, à faire connaître tout ce que les divers cantons
ou républiques évangéliques ont accordé précédemment pour le
soutien de la religion en France et pour le soulagement des galé-
riens et des prisonniers de l'un et de l'autre sexe pour cause de
religion. Et il travaillera à obtenir de leur piété et de leur charité
le rétablissement de ces subsides, vu les besoins plus pressans
qu'autrefois et comme faisant le principal objet de sa députation.
5° S'il peut en obtenir, il chargera quelques personnes de solli-
citer et de recevoir ceux qui auront été promis, et il fera parvenir
aux personnes déjà préposées ceux qui lui auront été livrés.
6" Il donnera tous ses soins pour que par la permission du gou-
vernement, il y aye dans chaque capitale, ou quelques personnes
préposées, ou quelque comité secret établi, à qui l'on puisse s'adres-
ser pour une correspondance, pour les informer de tout ce qui se
passe en France, par rapport à la religion et recevoir en conséquence
leurs avis suivant les occurences.
7° Il est d'une indispensable nécessité qu'il fasse bien connoitre
dans ses informations verbales, l'impossibilité que le ministère sous
la croix puisse se soutenir, ni être fourni d'un nombre suffisant de
bons sujets, éclairés et instruits de tout ce que doivent savoir de tels
ministres, pour conduire avec sagesse, prudence et édification,
ces églises opprimées, si elles n'ont les moyens nécessaires de leur
i'aire faire leurs éludes dans les pays étrangers, n'en ayant aucun de
le pouvoir en France, et combien il importe que ces ministres j)uis-
sent recevoir leur ordination dans les pays étrangers.
Dicours à M. le Banderet Im-IIoff.
Monsieur,
Je viens auprès de V. G. [)our la prier très humblement d'avoir
la charité de concourir à l'heureux succès d'une commission dont
j'ai été chargé par les églises de France qui gémissent souslacroix,
auprès de LL.EE. des louables cantons évangéliques. Ces bénignes
et charitables Puissances se sont toujours vivement intériessées pour
le bien de ces pauvres églises, et depuis labienheureuseRéformalion
VOYAGE D'ANTOINE COURT EN SUISSE. iVS
il n'esl point de tems qu'elles ne les ayent honorées des marques de
leur bienveillance el qu'elles ne leur ayenl donné des preuves sen-
sibles de communion Iraternelle qu'elles ont entretenue avec elles.
Au tems de la bienheureuse Réformation les louables cantons
évangéliques et surtout LL. EE. du canton de Berne entretinrent
à leurs dépens plusieurs étudians François qui étant dans la suite
consacrés entroient dans le royaume et y établissoient et desservoient
plusieurs églises, comme en fait foi l'histoire de ce tems là. L. Ë.
employèrent aussi en diverses occasions leurs puissantes interces-
sions, ou pour procurer du soulagement à ces églises, ou pour obte-
nir la liberté de ceux qui souffroient au milieu d'elles pour cause
de la religion. Quelle charité leurs E, ne mirent-elles pas en œuvre
au temps de la Révocation de l'Edit de Nantes, avec quel tendre
empressement ne recueillirent elles pas dans leurs florissants États
tant de milliers de malheureux qu'une persécution qui n'en eut peut-
être jamais sa semblable, exiloit loin de leur patrie. C'est par la
même charité qui a toujours animé LL. EE. qu'en 1728 elles accor-
dèrent quelque subside soit pour l'entretien de jeunes gens qui se
consacroient au service des églises sous la croix, soit pour fournir
des livres de piété, comme bibles, testaments, catéchismes, pseaumes,
sermons pour l'instruction et la consolation des fidèles persécutés
restés en France, soit pour le soulagement des prisonniers et des
galériens qui souffrent pour cause de religion. Ces charitables sub-
sides furent continués jusqu'en 1735; mais dès lors ils cessèrent,
sans que jusques ici on en ait su la véritable cause, el ils cessèrent
dans un tems où les églises en auroient eu le plus besoin. Ces be-
soins mêmes se sont dès lors extrêmement multipliés comme V. G.
pourra s'en assurer si Elle daigne jeter les yeux sur le Mémoire que
je prens la liberté de lui remettre au nom et de la part des églises
sous la croix.
Je la prie très humblement de prendre dans la plus grande con-
sidération les articles qui y sont contenus ; et comme Elle est députée
à la Diette de la part de LL. EE. des louables cantons du corps hel-
vétique, de vouloir les apuyer de sa puissante recommandation
auprès des représentans des cantons évangéliques, afin qu'étant par
eux pris en considération ils veuillent bien résoudre en conséquence
les choses que leur piété, leur chanté et la communion fraternelle
qu'ils ont toujours entretenue avec les églises de France, leur sug-
4.74- BIBLIOGRAPHIE.
gérera pour le bien et le soulagement de ces pauvres églises, qui ne
cessent de se répandre en vœux en faveur de ces louables cantons
évangéliques, leurs charitables et puissants bienfaiteurs, en faveur
de LL. EE. et qui ne cesseront d'en répandre en faveur de V. G.
BIBLIOGRAPHIE
CORRESPONDANCE DES DEUX FRÈRES LABORDE
FORÇATS DU MAS-d'AZIL AU BAGNE DE TOULON
Broch. iu-S" de Ml pages.
)'
Nous avons une double dette de reconnaissance à acquitter envers
M. le pasteur 0. de Grenier-Fajal. Il nous a donné presque simul-
tanément le Synode de Réalmont en 1606, qui fournit d'intéressants
détails sur les Églises de cette région et leur vie intérieure, dans
les premières années du xvii'' siècle, et la Correspondance inédite
des deux frères Laborde, forçats du Mas-d'Azil, dont les noms déjà
cités dans divers recueils, se présentent désormais à nous avec un
cortège de touchants souvenirs tirés de leurs lettres qui ne déi)arc-
raient pas le Journal des Galères publié dans le Bulletin (t. XVI
et XVII).
Dans la nuit du 2 au 3 novembre 1748, une assemblée religieuse
présidée par Pierre Cortez, neveu de l'apôtre du Désert, se réunit
en un lieu appelé le Clôt del Bouix, aux environs du Mas-D'Azil.
Elle ne put échapper à l'attention des consuls de cette ville qui
joignirent leurs procès-verbaux à ceux de Sabarat. Le 16 novembre
1748, le sieur Siret, sul)délégué de Foix, fit subirun interrogatoire
à Pierre-Paul Mercier, Paul Laborde, Etienne Laborde, et François
Fargucs, qui furent conduits dans les prisons de Foix, puis à celles
BIBLIOGRAPHIE. 475
de Perpignan, et condamnés, le 24 mars suivant, anx galères perpé-
tuelles pour avoir assisté, de leur propre aveu, à une assemblée
illicite, en même temps qu'une lourde amende (9126 livres) était
imposée aux nouveaux convertis des communes intéressées.
C'est cà Marseille que commence la captivité des deux frères, l'un
serrurier, l'autre perruquier de son état, qui laissent femme et en-
fants au Mas-d'Azil, et tiennent alternativement la plume dans une
correspondance des plus touchantes; on en jugera par les extraits
suivants dont on modifie seulement l'orthographe pour en faciliter
la lecture :
Ma très chère femme, l'impatience dans laquelle je suis de recevoir
une lettre de votre part et signée de votre main, fait que je n'ai pas plus
différé à vous écrire celle-cy. Oui, ma chère, vous êtes si gravée dans
mon cœur qu'il n'y a que la mort qui puisse l'effacer. Il ne se passe pas
un moment que vous ne soyez présente à mon esprit, et la triste situation
ou mon cœur se trouve, m'assure qu'il ne sera jamais plus tranquille que
je n'aye le plaisir de vous emhrasser et d'être auprès de vous, persuadé
que vous vous conformerez à mes sentiments. Quelle joyc de rejoindre
celle qui fait la moitié de moy-même ! Dieu veille que les vœux et les
prières que je lui adresse montent jusques à son trône de grâce. Prions
tous cet être suprême qu'il bénisse toutes les personnes qui s'intéressent
à nous et leur fasse la grâces de réussir dans leurs entreprises...
Vostre fidèle raary,
P. Laborde.
De Marseille, les prisonniers sont transférés à Toulon où leur foi,
leur pieuse résignation grandit avec l'épreuve d'une captivité pro-
longée :
Ma très chère femme, depuis ma dernière que j'eus l'honneur de vous
écrire mon cœur a été extrêmement affligé et mes yeux ont été une fon-
taine de larmes au sujet d'une maladie que mon frère a faite qu'il se
croyait à la lui de ses jours. Mais Dieu qui nous envoyé les maladies lui
a fait la grâce de lui redonner la santé, quoiqu'il l'a de Lcmps en temps
variable, car depuis que nous sommes dans cet hôpital il n'a joui que de
trois mois de santé... Mais en quel état que nous soyons nous devons
nous soumettre à la volonté de Dieu et nous remettre entre ses mains.
C'est un père charitable en qui nous devons chercher notre consolation.
Il agrée que nous lui parlions par nos prières... Les afflictions sont jtour
476 BIBLIOGRAPHIE.
les fidèles des sources inépuisables de contentement et de joye. Baisons
celles qu'il plaira à la divine Providence d'employer pour notre correc-
tion et adorons en les secrets même dans ses plus rudes châtiments.
Il faudrait citer en entier la lettre écrite par Paul Laborde à son
neveu, pour lui recommander la fidélité au culte qui conduit aux
galères ses plus pieux adbérents.
Prenez garde qu'il n'y ait aucune considération qui vous fasse manquer
ce devoir, car se serait un grand désordre si l'intérêt du salut n'allait
devant tout autre. Que les intérêts ou les plaisirs de la terre ne vous
fassent pas oublier ceux du ciel. Attachez-vous à ce culte, mon cher
neveu, et vous trouverez qu'il vous rendra un meilleur office que celui
que les bergers reçurent de l'Étoile qui les guida à Bethléem, car elle
les mena seulement à Jésus-Christ dans son abaissement, et ce culte
vous conduira à lui dans sa gloire. iNe vous en éloignez jamais, quoi-
qu'il arrive, et quelques rudes persécutions qu'il vous faille souffrir, ne
vous rebutez point; tenez plus tost a grand honneur de porter la croix
après votre sauveur. C'est par ce chemin que tous les martyrs sont entrés
dans la gloire céleste...
)'
Plus heureux que d'autres captifs qui ne recouvrèrent jamais la
libellé, Paul et Etienne Laborde virent se lever des jours meilleurs.
Voici en quels termes Etienne annonçait cette nouvelle a un de ses
amis de Nîmes :
Toulon 5 novembre I15b.
C'est avec un grand plaisir que je viens par ces lignes vous faire part
de la grâce signalée que le bon Dieu vient de nous accorder à mon
frère, à M. Mercier et à moy. Aujourd'hui M. l'intendant nous a fait
ôter nos chaines, par l'ordre de la cour; il nous a fait mettre en liberté.
11 nous tarde à tous les trois, cher ami, de vous aller embrasser et votre
chèi'c épouse, et mon fils ; en attendant, nous vous prions de vous joindre
avec nous pour rendre des actions d(; grâce à cet être suprême afin qu'il
nous accorde son secours puissant. Notice liberto nous coâteiOOO éciis, ce
qui fait 1000 livres pour chacun. Nous espérons que la sainte Providence
nous fera trouver de bonnes âmes, afin (juc mon frère et moi puissions
faire honneur à l'engagement que nous avons donné. Et comme nous
sommes entièrement dépourvus d'argent, et qu'il nous faut quitter celle
ville avec nos habits de forçats, oserions-nous vous prier de parler aux
BIBLIOGRAPHIE. 4-77
personnes qu'il convient, afin qu'on exerce en notre faveur ce que vous
sentez, vu notre situation. Je ne vous en dis pas davantage, dans l'espé-
rance que Dieu nous fera la grâce de vous aller embrasser dans sept ou
luiit jours.
Les deux frères Laborde et Pierre Mercier revirent donc le Mas-
d'Azil, et la famille dont ils avaient été séparés pendant une capti-
vité de près de sept ans. On ignore la date de leur mort; mais,
grâce à la publication de M. 0. de Grenier, qui peut lui-même
réclamer un ancêtre, et des plus vénérables, Isaac Grenier de
Lastermes, parmi les galériens de cette époque, leur souvenir
revivra dans le pays natal comme un titre d'honneur pour ceux qui
portent leur nom, ou qui se rattachent, de près ou de loin, à la
descendance de ces nobles forçats.
J. B.
N.-B. Nous avons annoncé (p. ^O) le premier numéro d'un recueil
plein d'intérêt, le Bulletin de la Commission pour lliistoire des
Églises Wallonnes. La ^'livraison contient un article fort important
de M. le pasteur Gagnebin, et qui sera partout consulté avec fruit.
C'est la liste des pasteurs de France réfugiés en Hollande. « La
révocation de l'Édit de Nantes, dit notre savant ami, a été le signal
de l'effroyable persécution exercée contre les protestants de France
sur toute l'étendue du royaume, et qui a contraint plus de cent
mille familles a chercher un retuge dans des pays plus hospitaliers.
Mais déjà bien des années avant cette persécution générale, on peut
dire dès la mort de Henri IV (i-i mai 1610) des persécutions parli-
c\jlières furent dirigées soit contre certaines églises, soit contre cer-
tains personnages dont l'influence religieuse empêchait l'action des
prêtres et qui durent s'enfuir pour échapper à la malveillance de ces
derniers. A la suite de ces persécutions locales, on vit, pendant tout
le cours du xvir siècle, arriver en Hollande un nombre relative-
ment considérable de protestants de toutes les classes de la société,
parmi lesquels se trouvaient de nombreux pasteurs, dont nous don-
nons ici la liste dès le milieu du siècle; liste que nous divisons en
deux groupes; le premier contenant les pasteurs réfugiés de 10 i5 à
i68i; le second de 1685 à la tin du siècle. »
Une mention exceptionnelle est due au premier Ra[iport de la
478 BIBLIOGRAPHIE.
« Huguenot Society » d'Amérique qui nous offre un remarquable
discours de M. Henry Baird sur quelques traits du caractère hu-
guenot, et des allocutions pleines d'intérêt sur les réfugiés de New-
York et de la Caroline du Sud. Nous regrettons vivement de ne
pouvoir en donner ici des extraits qui trouveront place dans un pro-
chain numéro du Bulletin.
VARIA
CLAUDINE DENOSSE
On a publié {Bull., t. XXX, p. 161) une lettre de Catherine del Piano,
seconde femme de Th. de Bèze, sur sa mort. Que ne donnerait-on pas
pour retrouver une lettre de Claudine Denosse, la compagne de sa jeu-
nesse et de son volontaire exil à Genève? Les deux distiques suivants
sont empruntés à un rarissime volume qui nous a déjà fourni Vode de
M. de Chandieusur les misères des Eglises françaises {Bull, de février
dernier, p. 77). ''
In obituni Honestissimœ
fœminœ Claiidiœ Denossiœ uxoris
Clariss. Viri Th> Bezœ.
Ilic magni jacet heu ! Conjunx lectissima Bezse,
Conjunx quœ tanlo conjuge digna fuit,
Simt lacrymœ lestes, surit et pia vota marili
Qui frustra absentem nocte dieque vocat.
Sed si forte cupis cognoscerc plura, viator,
Urbs omnis lali funere mœsla gémit.
Sur la mort de très honnête dame
Claudine Denosse,
épouse de Th. de Bèze.
Ici repose l'épouse chérie de Th. de Bèze, si digne d'un tel époux.
J'en atteste les larmes et les vœux touchants de celui qui vainement
VARIA. 479
appelle, le jour comme la nuit, sa compagne absente. Mais si tu
désires, ô voyageur, en savoir plus long, la ville tout entière en deuil
gémit d'une telle perte.
Aliiid
Gur nuUa uxori posuit moniimenta sepultse
Qui victura aliis Beza sepiilcra dicat ?
Sœpe tua hoc pietas conata est, Beza ; sed illam
Impediunt lacrymœ perpetuusque dolor.
Sic patriee cecidere manus €[uum pingere quondam
Tentaret casus Dedalus Icarios.
Même sujet.
Pourquoi Bèze n'a-t-il élevé aucun monument à son épouse dé-
funte, lui qui en a dédié d'immortels à tant d'autres? Plus d'une
fois, Bèze, tu Tas essayé dans un élan de piété conjugale, que tes
larmes et ta perpétuelle douleur ont rendu impuissant! Ainsi re-
tombèrent à plusieurs reprises les mains paternelles, lorsque Dédale
tentajadis de représenter la chute d'Icare.
UN SERMON DE PAUL RABAUT
Ce numéro du Bulletin ne fera sans doute que précéder de bien
peu la publication des Lettres de Paul Rabaut à Antoine Court,
"2. volumes in-S" que nous avons déjà plusieurs fois annoncés, et
auxquels une table analytique des personnes et des lieux nommés
dans la correspondance donnera un nouveau prix. Il semble superflu
de recommander un tel recueil à la veillo de la Fête de la Réforma-
tion. Entr'autres pièces intéressantes réunies dans l'appendice, on
trouvera un sermon de Paul Rabaut : « La soif spirituelle », prêché
au Désert le vendredi 31 août 1753. On reproduit ici la péroraison
de ce touchant morceau qui justifie, à bien des égards., l'Ode à
M. Paul, insérée dans le Bulletin, t. XXV, p. 477.
-480 VARIA.
« Que ne puis-je, mes chers frères, vous dévoiler vous-mêmes à
vous-mêmes ! Que ne puis-je vous faire connaître toute la misère
d'une âme qui s'est éloignée de Dieu, qui n'a aucune communion
avec lui, et qui est par conséquent sujette à la condamnation ! Oli !
si vous le connaissiez bien cet état, si vous en sentiez tout le danger,
vous n'auriez point de repos que le Seigneur ne vous eût parlé de
paix.
» Mais sans doute que la parole sainte que je vous ai annoncée ne
retournera pas à Dieu sans effet. Sans doute que parmi ceux qui
m'écoutent il y a des pécheurs travaillés et chargés, des âmes affa-
mées et altérées de la justice de J.-C. Oh ! allez avec confiance k ce
divin Sauveur; c'est vous qu'il appelle; c'est vous qu'il veut désal-
térer et rassasier; c'est pour vous qu'il a répandu son sang, c'est à
vous qu'il offre tous les trésors de sa grâce. Allez donc â lui avec
une ferme assurance que vous trouverez dans son sang la rémission
de vos péchés, et le principe d'une nouvelle vie. Allez â lui, confus,
affligés de lui avoir déplu, et résolus de ne l'abandonner jamais, de
n'avoir désormais d'autre volonté que la sienne. Allez à lui tout
occupés de sa mort, pénétrés de sa charité, embrasés d'amour pour
lui et de reconnaissance pour ses bienfaits. Il est pour ainsi dire
crucifié devant vos yeux parles symboles de son corps et de son sang
qui vous sont ici présentés; ne vous contentez pas de les contempler,
mangez le pain sacré, buvez la coupe bénite, et puissiez-vous rece-
voir avec les signes, la chose signifiée ! Puissions-nous nous en re-
tourner justifiés dans nos maisons! Puissions-nous être désormais
des fidèles disciples, afin d'être à jamais abreuvés au fleuve de ses
délices! Daigne-t-il nous en faire la grâce; et à ce divin Sauveur,
de même qu'au Père et au St-Esprit, soit honneur et gloire â jamais !
Amen. »
(Bibl. du Pi'Of'"' fr. Papiers Rabaut, t. 48).
Le Gérant : Fischbacher.
BounLOToN. — Ini|ii-inierics réunies, B.
SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE
uu
PROTESTANTISME FRANÇAIS
ÉTUDES HISTORIQUES
JEAN L'ARCHER
MINISTRE A HÉRICOURT ■ '
1563-15881.
Nous consacrerons ce dernier chapitre à l'iiomme qui eut
l'honneur de rendre la Réforme définitive dans les trois sei-
gneuries d'IIéricourt, du Châtelot et de Clémont. Le rôle qu'il
ajoué dans les affaires ecclésiastiques du pays de Montbéliard
pendant vingt-cinq ans, de 15G3 à 1588, est assez important
pour lui mériter une notice spéciale.
Jean L'archer, le premier en date des pasteurs d'Héricourt,
se nommait lui même en latin, d'après l'usage adopté par les
1. Fragment d'un mémoire couronne Tan ilornier par notre Société,
apprécié par le Bulletin, t. XXXII, p. 45'J et imprimé par la Société d'Emula-
tion de Montbéliard, en 1883. L'auteur a fait d'importantes additions à Tarlicle
publié sur ce sujet par M. le pasteur Ga^Micbin dans la nouvelle édition de la
France protestante.
xxxui. — ;u
482 JEAN l'archeu
ériidits du temps, Johannes Sagiitarius ou Arquerius. Il élait
né à Bordeaux vers l'an 1516. Nous ne savons rien de sa jeu-
nesse, si ce n'est qu'il dut faire de fortes études et que, con-
verti de bonne heure au protestantisme, il quitta sa patrie
pour pouvoir professer librement ses convictions religieuses,
et se retira, d'abord dans le comté de Montbéliard où il exerça
vers 1542 un ministère de très courte durée ', puis de là dans
la Suisse française. En 1543, c'est-à-dire à l'âge de vingt-sept
ans environ, il était pasteur à la Neuveville, canton actuel de
Berne, mais dépendant alors de l'évêque de Bâle. Une lettre
qu'il écrivit de cette localité, le 27 mars de la dite année, à
Farel, nous le montre très au courant des affaires religieuses
du pays de Montbéliard et parfaitement bien disposé à l'égard
de celui qu'il appelle ce bon Toussain. Mais déjà il se séparait
de ses collègues et faisait preuve d'indépendance en approu-
vant et en reconnaissant pour « vraie et divine » l'Ordonnance
ecclésiastique du Wurtemberg que le duc Ulric venait d'en-
voyer de Stuttgard à son fils Christophe, pour lors gouverneur
de Montbéhard, afin qu'il l'introduisit dans le comté de ce
nom. Alors aussi, il se plaignait déjà du manque de discipline
ecclésiastique et de la négligence des autres ministres qu'il
accusait de ne pas remplir leur devoir, de condamner le mo-
nachisme et de vivre cependant comme des moines, trop à
l'écart et en dehors de leurs troupeaux. — A en juger d'après
celte lettre, nous avons affaire à un homme actif, plein de
zèle et foncièrement pieux".
Combien d'années L'archer passa- t-il à la Neuveville ? Nous
ne savons. En 1551, il était pasteur à Valengin, chef-lieu de
la seigneurie de ce nom, où il écrivit en date du 9 avril, la
dédicace de son premier ouvrage, les Canons de tous les con-
1. Lettre du Conseil de régence au duc Christophe du 14 mai 15G3, au cha-
pitre précédent. Très i)robablement, L'archer fut attaché à l'église française de
Montbéliard en qualité de deuxième pasteur.
2. Cette lettre est insérée dans le Thésaurus epistolicus Calvinianus, de
MM. Reuss, Baum et Cunitz, au tome XI.
?.ilNISTUE A IIÉmCOURT. 4.83
ci/es (jusqu'au pontificat d'Eugène IV et à l'année 1431). Le
volume lui-même ne parut que deux ans plus tard, en 1553, à
Baie, chez l'imprimeur Jean Herbster (Oporinus ; petit in-folio,
en latin, de 541 pages, plus les préliminaires et la table).
« Nulle part, lisons-nous dans la préface, on ne trouvera plus
qu'ici une exposition courte et claire de ce qu'il est besoin de
savoir sur la sainte Trinité, les deux natures de Christ, la
grâce de Dieu, la cause du péché, le libre arbritre, la foi et
les bonnes œuvres, les sacrements, l'église et son organisation,
le ministère et les qualités du ministre, et bien d'autres ar-
ticles de la doctrine chrétienne. Grande est donc l'utilité de ce
livre, surtout en ce temps où l'on peut dire à bon droit, comme
le poète : Tant d'avis que de gens, car chacun a le sien. » Le
but de l'auteur en composant son livre était par conséquent de
réagir contre l'abus du libre examen et les excès de l'indivi-
dualisme théologique, de donner une base solide à l'étude de
la Bible, et de contribuer pour sa part à l'extinction des con-
troverses religieuses ^ Son intention était louable, sans doute,
mais ne pouvait-on reprocher à sa méthode de demeurer trop
attachée aux vieux errements de l'église romaine et de sacrifier
l'autorité seule normative de l'Ecriture-Sainte à celle de la
tradition catholique représentée par les pères et les con-
ciles"? De plus, lui-même dit quelque part qu'il publia son
ouvrage sans avoir consulté les pasteurs ses collègues ^ Il
n'en fallait certes pas davantage pour mécontenter ces derniers
qui étaient très pointilleux sur ce sujet *; aussi, après l'avoir
1. Sous-litre du livre : Opus dirimendis in religione conlroversiis titilis.ii-
mum ae i7i j)rimis necessarium.
2. Il parle de la conférence de Jérusalem, Actes XV, en ces termes : Conci-
lium apostolorum sub D. Petro papa primo celebralum.
3. Dans sa lettre à Jean Brentz; appendice n» 8.
4. Dans la lettre du 27 mars 15i3, adressée à Farel, nous lisons à propos
d'une réimpression du Sommaire : « Quidam ex fralrihus, ([iium incidcrent in
locum (Siimmarii) quomodo œgroti petere debenl cœnam sibi dari, offensi
fuerunt, dicentes te non debuisse hœc in lucem cmiltere, quin priua fntlribus
communicassei. Quibus respondi Calvino el Virelo conUdisse. »
484 JEAN L'ARCHER
réprimandé, ils exigèrent qu'il signât une rétractation de son
livre, et Viret en écrivit une critique et une réfutation sévères
qu'il dut également approuver en y apposant sa signature.
A cette époque, L'archer était déjà en relation avec son-
« très chier frère et Ijon amy », Sébastien Ghastillon. Dans
une lettre qu'il lui écrivait en date du 30 juillet 1554-, il
s'élève hautement contre les opinions des anabaptistes et
autres sectaires et contre celles de Scrvel, mais sans se pro-
noncer sur le supplice du malheureux Espagnol i, — Il de-
meura à Valengin jusqu'au 8 juillet 4555, ainsi que l'atteste
l'acte de réception de l'un de ses petits-lils à la bourgeoisie
d'Héricourt, en date du S^ mai 4647, oùnous lisons : « ... s'est
présenté devant nous Abraham de L'archier, fils de fut maistre
Nicolas de L'archier, vivant ministre du sainct Évangile à
G haigey, lequel nous auroit remonstré que fut Jean de L'archier
son grand-père estant revenu de Valengin, pays de Suisse,
où il avoit exercé la charge de ministre, ainsi qu'il en appa-
rais soit par une attestation du recepveur dudit Yallengin,
munie du scel du dict lieu, en date du huictiesme jour du
mois de juillet de l'an quinze cent cinquante et cinq, signée
B. Junod, il seroit venu habiter en ce pays, etc. -..y) Le minis-
lè re de L'archer à Valengin ne saurait donc plus être mis en
doute.
Que devint Arquerius à partir de juillet 1555711 résulte de
ses propres déclarations^ qu'il continua à exercer le ministère
dans le comté de Neufchatel, et qu'il ne fut pasteur ni àBienne,
ni à Berne, ainsi qu'on l'aquelquefois prétendu à tort. D'après
M. Gagnebin, il desservit, dans ledit comté de Neuchatel, la
paroisse de Cortaillod, et c'est delà qu'il continua à corres-
pondre avec Ghastillon, soit pour lui recommander quelque
étudiant auquel il s'intéressait ou quelque frère auquel il s'agis-
sait de piocurer un emploi, soit pour le tenir au courant des
1. France protestante, colonne 331.
2. Archives de la mairie d'Uéricourt, registre des réceptions à la bourgeoisie.
3. Appendice, n° 8.
MINISTRE A HKRICOURT. 485
affaires de France cl le mettre en garde contre ses adversaires
théologiques^ Dans ses lettres de cette époque, ilnousappa-
raît comme un homme animé d'une charité inépuisable et
constamment porté à l'exercice de la bienfaisance. Néanmoins
ses relations fréquentes avec le théologien de Baie que quel-
ques-uns qualifiaient de « meschant hérétique », de même
que ses opinions anticalvinistes sur la valeur de la tradition
catholique, sur la prédestination et sur la Cène -, ne pouvaient
manquer de le brouiller avec Théodore de Bèze qui s'efforça,
en 1556 et 1557, de le rendre suspect à Farel et aux pasteurs
de Neuchatel en l'accusant, non sans quelque apparence de
raison, de dissimulation et d'hypocrisie. Ces accusations éma-
nant de si haut portèrent leur fruit et valurent à L'archer
toutes sortes d'attaques plus ou moins passionnées de la part
de ses collègues. Farel devait même en venir à parler très
prochainement (3 décembre 1563) des hérésies d'Arquerius et
du grand dommage qu'elles avaient causé dans l'église qu'il
desservait ^
La situation de L'archer dans sa paroisse, au milieu de
collègues dont il ne partageait pas ou dont il ne partageait
que pour la forme toutes les opinions confessionnelles, et aux
yeux desquels il passait, sinon pour un hérétique achevé, du
moins pour un faux frère, était donc devenue des plus difficiles
et des plus pénibles ; dès lors il est certain que, comme il le
dit lui-même, ayant « beaucoup souffert de la part des calvi-
nistes », il accueillit favorablement la proposition que lui fit
Pierre Toussain, dans le courant d'avril 1563, de devenir mi-
nistre à Héricourt. Il s'empressa de solliciter de la classe
des pasteurs de Neuchatel, dont il dépendait et envers la-
quelle il était lié par certains engagements, un congé tem-
poraire qui lui fut refusé. Il sollicita ensuite, mais en vain,
1. Voir en particulier les lettres des 5 novembre 1508, t"' juin lôijl, 5 juin et
5 octobre 1562, insérées au Thesaurun eplsloUciis calviniamis.
2. Appendice, n° 8.
3. M. Gagnebin a très bien deviné quelles étaient ces hérésies.
•i86 JEAN L'ARCrcn
son exeat. Ainsi s'expliquent bien clairemenl ces mots qui se
lisent dans le registre de la dite classe, à la date du 6 mai 4563 :
« Sur le congé qu'a demandé Jehan Archerius pour aller mi-
nistre à Héricourt, lui a esté respondu par l'advis de tous les
frères que sa procédure ne peult estre approuvée. Et quant à
ce qu'il demande que son église soit pourveue d'ung aultre
ministre, est arresté et passé que aulcune provision n'y sera
faicte, jusques à tant qu'elle soit trouvée estre abbandonnée
par icelluy '. » L'archer ne quitta donc Cortaillod qu'après le
6 mai 1563, et sans avoir obtenu l'autorisation de la classe.
Quant k l'appel à lui adressé par le surintendant Toussain au
nom du Conseil de régence, il s'explique non seulement par le
fait qu'il fallait absolument un pasteur à Héricourt, que
L'archer était un homme de valeur, un pasteur zélé, bien
connu du surintendant, mais encore et surtout par cet autre
fait que Larcher approuva la doctrine, les rites et les cérémo-
nies des églises du comté de Montbéliard et promit par serment
de n'y faire aucune innovation ^
Avant d'accepter l'offre de Pierre Toussain, L'archer avait
été informé très exactement par ce dernier de l'état des choses
religieuses dans notre pays. On sait que la lutte y élait de-
venue des plus vives entre le gouvernement des princes
tuteurs et les-pasteurs du comté et des seigneuries de Blamont
etd'Etobon, à la suite de l'introduction d'une nouvelle Ordon-
nance ecclésiastique. Ce formulaire, rédigé en allemand à
Lichtenau, dans le marquisat de Bade, au commencement de
septembre i559, par une commission de théologiens nommée
par les princes tuteurs, avait été traduit en latin par Dietrich
Schnepf, théologien wurtembergeois, et publié à Montbéliard
le 20 février 1560, en présence de tous les maires et pasteurs
1. On remarquera qu'il y eut deux demandes adressées successivement par
L'archer à la classe de Ncufchatel. C'est ce qu'indique bien positivement la
différence des temps, le premier verbe étant au passé, le second au prés(?nt (il
a demandé et il demande).
2. Appendice, n° 9.
MINISTRE A HÉRICOURT. 487
de la Principiité « afin qu'il soit duement pourvu aux églises,
tant par la prédication de la parole de Dieu, que par les céré-
monies approuvées par le témoignage des Saintes-Ecritures. »
Mais loin d'être accepté par les pasteurs, il avait soulevé de
leur part plaintes et protestations, parce qu'il renfermait une
agende modifiant profondément la manière d'administrer les
sacrements ainsi que la forme et la simplicité des rites et
cérémonies ecclésiastiques ». La plupart des ministres s'étaient
opposés à son introduction dans leurs églises, et en 1562, les
princes s'étaient vus, pour calmer l'effervescence qui s'acrois-
sait toujours, dans la nécessité de consentir h ce que les dispo-
sitions de la dite Ordonnance relatives au mode d'administrer
les sacrements ne fussent pas exécutées. Toutefois cette con-
cession qu'ils n'avaient faite qu'à regret et sur les vives
instances de Toussain, ne devait être selon eux que temporaire,
et la lutte un moment apaisée devait reprendre tôt ou tard
avec une nouvelle intensité. Ce fut dans ces conjonctures que
L'archer arriva à Héricourt, avec sa famille, au commence-
ment de juin 1563"^.
Nous savons déjà ce qu'allait faire le nouveau venu : luthé-
1. La première liturgie en usage dans les églises évangéliqiies du comté de
Montbéliard et des seigneuries de Blamont et d'Etobon avait été composée par
les ministres de la ville de Montbéliard, à la tête desquels se trouvait Pierre
Toussain. Elle fut introduite dans l'église de Montbéliard en 1538, dans celle de
Blamont en 1539, et dans les églises rurales du comté et des seigneuries de
Blamont et d'Etobon en 1541, mais sans aucune sanction de l'autorité gouver-
nementale. Après avoir été revue par les ministres, elle l'ut, sur Tordre du
comte Georges, solennellement lue et publiée à Montbéliard le jeudi 24 août
1554, en présence du conseil du prince et des pasteurs du pays. Elle fut enfin
imprimée à Bàle, par Jaque Estauge, en 1559 sous le titre suivant : L'ordre
qu'on lient en Végline de Mo7itbéliard, en instruisant les enfans, et adminis-
trant les saints Sacremens, avec la forme du Mariage, et des Prières; in-16
de 64 pages non numérotées. Elle était calviniste plutôt par la forme et la sim-
plicité des rites que par le fond ou l'exposé des doctrines.
2. Nous rendons attentif à ce fait, que dans cette controverse entre les pas-
teurs et le gouvernement des princes, la qiwstion de fond ou de doctrine ne se
posait nullement; il ne s'agissait que d'une question de formes ecclésiastiques.
Pierre Toussain, dans une lettre au duc Cbristopbc, du 25 juillet 1560 {Arch.
nat. K., 2179) avait protesté de son attachement à la confession d'Augsbourg.
488 JEAN l'archer
rien en doctrine, il observerait strictement celle-ci, mais
surtout les rites et les cérémonies des anciennes églises du
pays, sans y apporter la moindre innovation et selon que les
princes les avaient consentis par la transaction de 1562. C'était,
du reste, à quoi il s'était engagé par serment et par écrit dès
avant son arrivée. Aussi est-il de fait qu'il fut fidèle à sa pro-
messe, mais pendant fort peu de temps. Dès le 10 février
1564, dans sa lettre à Jean Brentz, il accusait ouvertement
Pierre Toussain de n'avoir pas tenu les engagements qu'il
avait contractés envers lui relativement à son traitement et
à l'expulsion des prêtres, et il semblait trouver dans cette
prétendue infidélité du surintendant un motif suffisantpour ne
pas tenir ses propres engagements. N'exprimait-il pas le vœu
que l'Ordonnance ecclésiastique de 1560 fût traduite du latin
en français et appliquée à la seigneurie d'IIéricourt, alors
qu'il prévoyait dans la réalisation de ce projet une cause de
conflit avec Toussain? Il est vrai qu'il insistait sur la néces-
sité de mettre les habitants sous une discipline sévère, et que
l'Ordonnance convenait à ce but par son chapitre sur « l'office
de regarder aux mœurs du peuple » ; mais qu'importe? A cette
époque déjà, il était d'accord avec Gaspard Weismann, pas-
teur de l'église allemande de Montbéliard, pour admettre la
totalité du contenu de la dite Ordonnance, et il se faisait fort
de trouver des ministres qui partageraient ses vues et intro-
duiraient les nouveaux rites, prescrits par l'Ordonnance, dans
les églises des trois seigneuries où le catholicisme allait être
supprimé. Et néanmoins, peu de temps après, ilpromit encore
par écrit de ne rien innover quant aux rites et de s'en tenir
au compromis de 1562. Ce dernier acte de sa part ne pouvait
être sincère, nous le disons en toute assurance, et bien que
Toussain y eût ajouté foi, il ne tarda pas à être désabusé sur
le cas qu'il fallait faire des promesses de L'archer. Dissiinula-
tiouj hypocrisie : Théodore de Bèze avait raison K
\. Appendice, n' 9. Il ne faut pas oublier toutefois que Bèze est porto à juger
sévcrcmcut un ami de Castalion (Réel.).
MINISTRE A HÉRICOUUT. iS9
En s'aliénanl le surintendant Toussain, L'archer s'était, à la
vérité, concilié les bonnes grâces du bailli de Montbéliard et
était devenu l'homme du gouvernement des princes. Ceux-ci
avaient déjcà, en réponse à sa lettre à Jean Brenlz, lancé leur
mandement du 30 mars 1504. En juillet suivant, le bailli du
comté consultait L'archer sur l'opportunité des mesures
édictées par le dit mandement, et à la question de savoir si
l'Ordonnance ecclésiastique pouvait être introduite sans qu'il
y fût fait aucune dérogation et sans qu'il y fût tenu compte du
compromis de 1562, il répondit hardiment : « Oui; on peut
introduire des rites nouveaux, différents de ceux des anciennes
églises, et, si les princes le veulent, je suis prêt à les introduire
dans la seigneurie d'IIéricourt ^ ». Qu'étaient devenues les
promesses solennelles qu'il avait faites un an auparavant?
Qu'était devenu le serment qu'il avait prêté? Il y avait de sa
part plus que dissimulation et hypocrisie, mais bien parjure,
et cela dans le but d'entrer plus avant dans les bonnes grâces
du gouvernement.
L'archer a beau chercher à se disculper, à protester de sa
sincérité et de sa droiture en nous disant que Luther avait
grandi dans son esprit, que Luther était un vrai prophète,
que l'Ordonnance ecclésiastique des princes était presque
conforme à la Réforme de Luther; ce n'est pas de Luther qu'il
s'agissait ni de la doctrine luthérienne, mais de la tranquillité
des églises du pays, mais de la vieille Ordonnance de ces
églises qu'alors encore il trouvait bonne, mais de rites et de
cérémonies dont il reconnaissait parfaitement le caractère
purement adiaphoristique, mais du serment qu'il avait prêté,
mais d'un scandale qu'il fallait éviter à tout prix. Son parjure
était évident, et ses collègues ne devaient pas tarder à le
lui reprocher amèrement-.
Quelques mois plus tard, dès avant février 1565 et son
voyage à Lausanne, L'archer avait introduit l'Ordonnance
1. Appendice, n" 10.
2. Appendice, n' 12.
-190 JEAN l'archer
dans son église et s'y conformait tant pour la doctrine que
pour les cérémonies du culte*; aussi était-il définitivement
brouillé avec la généralité des ministres du pays. C'est ce
qu'atteste la lettre que les six principaux d'entre eux adressè-
rent, le 28 septembre 1566, au Conseil de régence, et dans
laquelle le pasteur d'Héricourt nous est représenté comme un
parjure introduisant dans sa paroisse des nouveautés
humaines (lesritesprescritspar l'Ordonnance, mais non admis
dans les anciennes églises du comlé), et partant comme un
fauteur de troubles et de discordes entre les ministres et
parmi les sujets, au grand dommage de l'Évangile ^ Depuis
ce temps, L'archer soutenu par le Conseil de régence fut tout
entier aux ordres et à la dévotion du gouvernement des princes
tuteurs et le plus ferme appui de l'agende luthérienne au pays
de Montbéliard. C'est ainsi, au détriment de sa loyauté et de
son accord avec ses collègues, qu'il témoignait sa reconnais-
sance aux princes qui, sur ses vives instances et ses pressantes
sollicitations, avaient rendu les ordonnances du 30 mars 1564
et du 7 avril 1565, supprimant le catholicisme dans les trois
seigneuries.
Si la conduite de L'archer devait paraître singulièrement
répréhensible aux autres ministres, ceux-ci avaient peut-être
le tort de ne pas modérer suffisamment l'expression des
plaintes qu'ils élevaient contre lui et d'être plus calvinistes
que Calvin lui-même ^ C'est du moins ce que L'archer semble
donner h entendre dans la dédicace de son Dictionnaire théo-
logique, qu'il fit imprimer à Bâle en 1567*. Après avoir rap-
1. Rapport du Conseil de régence aux princes tuteurs, du 5 mars 1565, au
cliapitre précédent. — C'est à cette occasion et vers cette époque que fut écrite
sur le compte d'Arquerius, par la classe de Neuchatel, une lettre aujounrhui
perdue, dont il sera question plus loin.
2. Appendice, n» 12.
3. Sur la question des rites ecclésiastiques, voici l'avis de Calvin en 1555 :
In rébus mediis, ut sunt externi ritus, facilem me ac flexihilem prœbeo. »
France protestante, 2» édit., 3" vol., col. 527, note.
■i. Dictionnarhm theologicum, etc. Dasileae per Joliannem Oporimtm, 1567;
MINISTRE A HÉRICOUUT. 491
pelé que la Bible vient d'être traduite en plusieurs langues
vulgaires, allemand, français, italien, espagnol, anglais, etc.;
que les Pères grecs et latins « dont la lecture est tout ce qu'il
y a de plus utile pour l'intelligence de la Bible » sont mis au
jour par de nombreux et savants éditeurs; qu'il paraît d'in-
nombrables explications du décalogue, du symbole des apôtres,
de l'oraison dominicale et des sacrements, et que ce brillant
essor delà science théologique constitue ce qu'il y a d'heureux
au xvf siècle, l'auteur s'écrie dans un remarquable mouve-
ment d'éloquence :
Oui, si les hommes de ce temps étaient reconnaissants envers Dieu
comme ils devraient l'être, ils vivraient comme des anges. Ils n'adore-
raient qu'un seul Dieu et ils s'aimeraient entre eux comme des frères et
des membres d'un même corps. Nous n'avons qu'un Dieu pour Père, nous
disons que nous n'avons qu'un sauveur et qu'un rédempteur, Jésus-Christ.
Si nous croyions cela de tout notre cœur, nous comprendrions également
que nous sommes membres d'un seul corps dont la tète est Christ, et que
nous devons vivre comme il convient à des membres de Christ. Est-ce
le devoir de frères de se haïr comme chiens ou serpents ? Est-ce l'office
de membres de Christ d'être comme un faisceau délié? Est-ce le devoir
de chrétiens de professer le christianisme et de commettre tous les
excès...? Si nous possédions la charité, avant tout nous nous aimerions,
nous ferions à autrui ce que nous voudrions qui nous fût fait à nous-
mêmes; il n'y aurait pas tant de colères, d'altercations, de contentions,
de guerres et autres choses de cette espèce. Lorsque quelqu'un viendrait
à sortir du chemin de la vérité, ceux qui auraient plus de lumières et de
foi s'efforceraient de le tirer de son erreur, en usant de modération, de
procédés affectueux, de l'esprit de Christ. Au lieu de cela, sitôt que nous
sommes en désaccord sur quelque point, nous jetons feu et flamme, nous
nous emportons, nous disons de gros mots, nous insultons (excundesci-
miis, invehimur, conviciamnr). Ce n'est pas ainsi qu'on s'y pi-cnd pour
tirer quelqu'un de l'erreur; par ce moyen, on ne fait ([ue le confirmer
ans son erreur. Puisqu'il y à accord entre nous sur les principaux
points, c'est-à-dire sur la doctrine des trois symboles, des apôtres, de
in-folio de 303 pages ou Cu6 colonnes, avec une dédicace an duc Ciiristophc et
au comte Frédéric, une cpître à Jean Brcntz, une préface au lecteur chrétien
et un catalogue des auteurs cités au nombre de 53, y compris la Bible imprimée
à Venise, apud Junlas,\o51.
492 JEAN l'archer
Nicée et d'Atlianase, nous devrions facilement être d'accord sur le reste
et prier les uns pour les autres. Si nous agissions ainsi, le christianisme
ne s'en porterait que mieux et il n'y aurait pas tant de scandales... »
Bien que tout cela ait Tair d'être dit d'tme manière générale
et d'être sur le compte du xvr siècle, ne faut-il pas entendre
dans ces « gros mots », dans ces « insultes », comme un écho
des clameurs poussées contre le pasteur d'IIéiicourt par ses
collègues?
L'archer terminait sa dédicace en conjurant le duc Ghi4s-
tophe de ramener par sa prudence et son autoiuté la paix
religieuse ; puis, se souvenant des tribulations que lui avait
causées antérieurement la publication de ses Canons de tous
les conciles, il implorait pour lui-même et pour son nouvel
ouvrage la défense et la protection du duc de Wurtemberg et
du jeune comte Frédéric « contre de malveillants calomnia-
teurs et contre des gens qui pensent qu'il n'y a de bien que ce
qu'ils ont fait eux-mêmes ».
Malgré les paroles de paix et de conciliation prononcées par
L'archer en 1507, et peut-être aussi grâce à son appel à la
« prudence » et à « l'autorité » du souverain, la lutte continua
entre le parti des ministres du pays, ayant à sa tête Piéride
Toussain, et le parti gouvernemental représenté par les
membres du Conseil de régence et L'archer. La cause de la
discorde était toujours la question des rites et cérémonies,
soulevée par l'Ordonnance ecclésiastique. Celle-ci ayant été
traduite du latin en français par Léger Grimault, pasteur à
Montécheroux, en collaboration d'Arquerius, fut imprimée à
Baie, en octobre 1508, par Jean Luc Iselin et Basilius Imma-
nuel Ilerold, et un exemplaire en fut remis à chacun des pas-
teurs de la Principauté avec ordre d'y conformer sa foi et ses
actes de culte. Aussi dès l'année suivante (1509) trois des
collaborateurs de L'archer dans la seigneurie d'Héricourt,
que lui-même avait ramenés de Lausanne en 1505, furent-ils
destitués par le Conseil de régence, sur le refus de se plier
MINISTRE A HÉRICOURT. 493
aux prescriptions rituelles de la dite Ordonnance; c'étaient
Flamand, de Brevilliers ; Thevignon, de Chagey et Duc, de
Vyans*. L'archer fut-il pour quelque chose dans ces mesures
de rigueur? Il est absolument certain qu'il les approuva, si
plutôt il ne les sollicita et n'en fut pas le promoteur.
AuG. Ghenot, pasteur.
1. Flamand et Duc quittèrent le pays; ils furent remplacés le premier par
Pierre Bollot, 1570-1578 {France protestante, 2"= édit., 2e vol., col. 743, ligne 25,
indication fautive relativement à Brevilliers), le second par Jean de Novilier ou
de Noviliat, 1569-1574, originaire de France, précédemment prédicant du prince
de Condé, Louis I^"' de Bourbon, chef du parti calviniste. Quand à Thevignon,
il fut plus tard pasteur à St-Maurice-sur-le-Doubs, de 1572 à 1574.
(La fin au prochain numéro.)
DOCUMENTS
TROIS LETTRES DE PIERRE GORTEIS
A ANTOINE COURT
1731-1732
La collection Court nous a conserve de l'ort nombreuses lettres de
Pierre Corteis, un des plus zélés agents de la restauration des Églises du
Désert; on a de lui un morceau capital : Relation historique des prin-
cipaux événements qui sont arrivés à la religion protestante depuis
la révocation des édits de Nantes, l'an 1685, jusques à l'an 1728, mor-
ceau publié pour la première fois par 3i. Baum,et reproduit par l'historien
d'Antoine Court, M. Edm. Hugues (t. 1, p. 4.38-48G de l'appendice).
En voici le début : « Je ne rapporterai pas icy toutes les cruautés qu'on
a exercées contre les réformés, ny le nom des personnes qui ont souffert
le martyre pour la deffense de la vraye foy. Je me propose seulement
de rapporter ici comme Dieu justement irrité pour le mépris fait à sa
parole, a voulu bien transporter le chandelier hors de France. Mais pour
la gloire de son nom et pour le bonheur de ses élus, Dieu a conservé
dans le cœur d'un nombre de fidèles comme un feu caché sous les
cendres, et lorsque le temps précis a été accompli. Dieu a fait naître des
moyens pour rallumer ce feu caché. Je ne doute pas que quelques pieux
réformés n'ayeat fait une narration exacte de toutes les choses qui se sont
passées durant le cours de cette horrible persécution; mais en attendant
que cette pièce soit mise aux yeux du public, les personnes qui sent
touchées de la froissurc de Joseph, liront avec quelque plaisir cette
briève relation. »
On y voit l'ierrc Corteis allant chercher l'ordination à l'étranger pour
la conférer, à son tour, à ses collègues du Désert, et travailler « à la
consolation des lidelles eschappés de la grande tribulations;. Celte premièn;
partie de son ministère n'embrasse pas moins de dix ans (1718-1728).,
Les trois lettres qui suivent en montrent la conlinualion et forment comme
TROIS LETTRES DE PIERRE CÛRTEIS A ANTOINE COURT. -i95
un journal du Désert de 1731 à 1732. On les emprunte à la collection
de Genève; Lettres à Court, tome V; f" 145 et suivants.
Juillet 1731.
Etant heureusement arrivé à la montagne de Lozère, vous ne
trouverez pas mauvais que je fasse une brève relation de toutes les
circonstances arrivées durant le cours de mon voyage.
Je partis de Zurich le 6 juillet et je fus coucher à Aarau, où je
me trouvai si indisposé que je ne pus ni boire ni manger. Le 7, je
me trouvai un peu mieux et je poursuivis mon chemin jusqu'à
Berne, où j'y trouvai M. du Caila chez M, le pasteur d'Hacs. J'y res-
tai quelques jours fort enroué, que je ne pouvais pas parler, après
quoi je pris mon chemin sans me manifester dans aucun autre en-
droit de nos frères réformés.
Le grand Dieu m'a toujours accompagné de sa protection divine,
enlevé toute sorte d'obstacles, éloigné toute sorte de difficultés ; le
plus grand chagrin qui m'est arrivé est du côté de mon cheval, en
ce que cet animal se coupait des deux pieds de devant, de sorte
qu'il m'a fallu lui mettre deux petites bottines, et avec tout cela, les
grands et fréquents coups qu'il se baillait, lui rendit les jambes dou-
loureuses et raides. Je lui frottais le soir les jambes avec un baume
composé avec du vin, d'huile que je faisais bouillir ensemble, de
sorte qu'il me fallut faire de petites journées et même m'arrêler
quelquefois, crainte que mon cheval ne m'abandonnât tout à fait;
c'est la cause que j'ai resté un si long temps en chemin, puisque je
partis de Zurich le 6 de juin et que je ne suis arrivé que le 30 du
dit mois; il est vrai que j'ai séjourné deux jours entiers à la mon-
tagne du Vivarez, parce que mon cheval ne pouvait plus marcher.
J'ai eu le bonheur d'y rencontrer M. Durand, pasteur de ces églises,
avec lequel nous avons passé une journée ensemble; on m'a obligé
de leur donner une prédication et, comme en sortant de cette pa-
roisse réformée, il me fallait marcher vingt lieues parmi les infidèles,
M. Durand et ses chers fidèles m'ont voulu donner un homme pour
m'accompagner partie du chemin ; ainsi après avoir embrassé ces
nobles et pieuses âmes, je pris mon chemin.
Me voici arrivé au milieu de mes chers frères, reçu par les anciens
et fidèles avec toutes les marques d'amitié et de tendresse. Le di-
496 TROIS LETTRES DE PIERRE CORTEIS
manche 1" juillet, nous fûmes assemblés environ soixante fidèles
dans un ruisseau ; là nous passâmes quelques heures à la prière,
à la lecture et à la dévotion.
Le dimanche 8 juillet l'assemblée y fut convoquée à la place nom-
mée le fau des armes; l'assemblée était nombreuse d'environ douze
cents personnes, et c'est là où j'ai à mon retour premièrement em-
brassé mon cher collègue nommé M. Rouvière. Avant que nous
(juitter avec MM. les anciens, je fus gagné par les sollicitations
pressantes de convoquer une seconde assemblée, le dimanche 15
juillet, à la place précédente de la grande forêt du lau des armes,
et c'est là où j'ai premièrement vu et embrassé MM. Combe et
Clary qui me donnèrent avec M. Rouvière les secours nécessaires.
Dans cette assemblée la Cène du Seigneur y fut administrée, deux
papistes reçus ; plusieurs réconciliations y furent faites par les cha-
ritables soins des pasteurs et de MM. les anciens; diverses per-
sonnes y firent réparation à genoux devant la table sacrée et pro-
mirent d'édifier à l'avenir l'église de Dieu qu'ils avaient scandalisée.
Comme par ma première assemblée mon arrivée fut répandue,
ma seconde assemblée y fut extrêmement nombreuse; on compte
qu'il y avait passé deux mille âmes; après la dévotion achevée
et l'assemblée congédiée, nous fûmes eiwiron cent personnes
à dîner ensemble étant assis sur l'herbe proche d'une fontaine.
Après avoir dîné et rendu grâces, nous chantâmes comme à l'ordi-
naire le psaume 91 qui commence : « qui sous la garde du grand
Dieu pour jamais se retire, etc. ». Après avoir embrassé et pris
congé de MM. les anciens , MM. Combe, Clary, Rouvière et moi,
nous nous retirâmes à l'écart, et comme la journée s'écoulait
et qu'il se faisait nuit, nous dîmes de passer le lundi ensemble,
ce que nous fîmes heureusement dans un petit bois, et là, nous
raisonnâmes des églises, des pasteurs, des colloques, des synodes ;
ainsi la journée passée, nous dîmes la prière et après nous être
embrassés et recommandés à Dieu et à la j)arole de la grâce, M.
Combe y prit du côté de la rivière de Saint-Germain, M. Clary du
côté du Gardon d'Alais, M. Rouvière et moi du côté de la rivière de
Florac. Je ne dois pas omettre que le dimanche 8 juillet je fus appelé
à bénir un mariage et à baptiser deux enfants, le mardi aussi et le
mercredi de même, et fiualemenl, en prenant congé de MM. les
anciens de la paroisse de Vialas, ancienne de Castagnol, qui
A ANTOINE COURT. 497
s'étaient rendus à l'assemblée tenue le 16 de juillet, ils me prièrent
de me rendre chez eux pour la bénédiction de plusieurs mariages
dont les personnes ont une particulière confiance en moi, ce
que j'aurais fait, si l'avis do MM. Combe, Glary et Rouvière ne
m'avait fortement pressé de m'acheminer dans les églises du res-
sort de M. Boyer et cela sans renvoi.
Je ne dois encore oublier que le 11 juillet un de MM. les anciens
me parla d'un papiste dont les enfants s'élant élevés avec les enfants
des réformés avaient appris les catéchismes, psaumes et prières,
que ces enfants ne voulaient point absolument aller à la messe,
qu'on avait déjà fait payer trois livres d'amende à ce pauvre père
à cause que ses enfants y manquaient la me«se et que ce pauvre
catholique était tout désolé. Je demandai si l'on pourrait parler à ce
papiste sans danger, on me répondit que oui. Je les priai de m'ame-
nerce catholique, ce que l'on fit le jour même. Je fis quelques inter-
rogations à ce pauvre ignorant papiste; mais ce qu'il y a de singu-
lier, il me dit : « voilà cinq enfants que Dieu m'a donné, pas un n'a
le cœur tourné que du côté des réformés; mes renies ne me per-
mettent pas de satisfaire les amendes que M. le curé y fait payer. »
Alors je lui répondis : «Ne vous inquiétez pas et n'inquiétez pas vos
enfants, vous avez baillé un écu, tenez le voilà; et je lui baillai sur
le champ un écu; ne perdez pas courage et ne chagrinez pas vos en-
fants enles obligeant à vous quitter; d'ailleurs prenez la peine d'exa-
miner la religion protestante, dépouillez-vous de toute prévention,
lisez avec application l'Ecriture Sainte; il est très certain que vous y
trouverez du goût, du plaisir et de la satisfaction, aussi bien que vos
enfants. » Alors mon catholique me dit : « Je profiterai, Monsieur,
de votre conseil. Je ne tourmenterai plus mes enfants, j e les laisserai
libres. » MM. les anciens qui étaient auprès de moi offrirent leurs
services au papiste, l'exhortèrent de leur côté de se comporter
sagement avec ses voisins; de sorte que j'espère avec le secours de
Dieu que notre papiste avec sa famille sera bientôt protestant.
Une demoiselle du lieu de Naves, l'Esprit de Dieu par le moyen
de la lecture de l'Écriture Sainte et quelques autres livres de piété,
lui a découvert les erreurs de l'église romaine à l'opposite (de) la
pure religion des réformés. M. son mari et ses parents ne l'ont pu
empêcher de rechercher les assemblées de réformés qui se con-
voquent dans le désert; cette demoiselle trouvant un prétexte pour
xxxiii. — 3'2
4.98 TROIS LETTRES DE PIERRE CORTEIS
échapper de son mari pour quelques jours, venant faire une visite
est venue dans nos assemblées et après l'avoir entendue, a été reçue
à la Sainte Cène le 16 juillet.
Seconde. — Une jeune demoiselle fdle unique d'un père détes-
tant les assemblées, la jeune demoiselle par l'entremise des siennes
amies, assista à quelques-unes de nos assemblées et elle a parlé à
M. son père avec tant de louange des assemblées et de la religion
réformée que le 10 juillet la fille et le père y se sont rendus à l'as-
semblée. Ainsi nous dirons avec Saint-Luc que le Seigneur ajoute
tous les jours des personnes en l'église pour être sauvées. Actes
Cliap. Il verset 47.
M. Rouvière et moi étant arrivés à l'église de Florac, MM. les
anciens auraient souhaité que nous eussions fait une assemblée;
mais comme il n'y avait que quelques jours que M. Combe les avait
assemblés et que d'ailleurs ils étaient tous empressés à couper leurs
blés, nous passâmes plus avant et nous allâmes jusqu'à l'église du
Pompidou ;rassemblée y fut convoquée par l'avis de MM. les anciens
le dimanche matin 22 juillet à travers un coteau, sous quelques faux
qui nous mettaient à couvert de l'ardeur du soleil. La Sainte Cène
y fut administrée, quelques personnes y firent réparation à genoux
devant la table sacrée pour des fautes notables et en particulier
pour s'être souillées dans l'idolâtrie de l'église romaine; quelques-
uns y furent admis à la Sainte Cène, quelques autres y furent ren-
voyés ayant égard au divers degré de lumière que les personnes ont
reçu, et des tentations qu'elles ont été exposées et les scandales
qu'ils ont donné; quelques réconciliations y furent faites avec
grande édification, hormis une méchante femme pleine de pré-
jugés et de l'amour-propre. Nous n'avons jamais pu lui faire com-
prendre qu'il faut distinguer le vice d'avecque le vicieux, l'ou-
vrage de Dieu d'avecque l'ouvrage du démon, qu'il faut aimer le
premier et détester le second. Cette méchante s'est montrée inflexible
à toutes nos exhortations; Dieu veuille avoir pitié de cette méchante
qui a méprisé la parole de Dieu. Il est vrai qu'on m'a dit que en
sen retour de l'assemblée, la conscience de cette femme s'est
alarmée et qu'elle se reprochait la dureté de son cœur.
Après la dévotion finie et l'assemblée congédiée, nous fûmes
environ soixante à diner ensemble et nous bûmes à la santé de nos
chers amis et bienfaiteurs de Berne. Au reste comme M. Uouvier et
A ANTOINE COURT. .',.99
moi, ces deux dernières semaines, nous avons couché par les prés;
aussi je vous écris de la campagne, il ne se faut donc étonner si ma
plume a mal labouré.
A dix heures du matin, de dessous un frêne, ce 23 juillet, mes
genoux me servent de table. Dieu ait pitié de nous !
1731. Mes tendres amitiés à tous ceux qui sont sensibles aux
longues et dures misères de l'église (que le bon Dieu les bénisse)!
Dans une autre lettre il me fera la grâce de vous écrire choses
belles.
28 octobre 1731.
Monsieur et cher frère.
Vous ne serez sans point de doute surpris que j'aie différé un si long
temps à vous donner de mes nouvelles et de celles de nos églises
que je ne saurais croire que la mémoire ne vous soit toujours chère.
Mais j'ai voulu faire une tournée et apprendre l'état de nos églises
avant que de vous écrire. J'arrivai le 29 juin au milieu de nos
frères. Je parlai à MM. Combe, Clary et Rouvière. Je priai M. Rou-
vière de venir avec moi pour aller voir de quelle manière M. Boyer
s'était conduit dans la maison de M''^ François Février du Vigan,
au mas de Campelle. Je crus qu'on ne devait parler ni écrire
de l'affaire de M. B... sans en être bien informé autant qu'on le put
être.
Nous fîmes quelques assemblées le long de notre chemin comme
à Vebron, à Merueix, à la Lurette. Dans cette dernière assemblée
que j'avais convoquée nous trouvâmes M. Boyer. Je refusai d'admi-
nistrer la Sainte Cène avec lui, soit parce que j'étais informé que
M. Boyer était suspendu par un conseil extraordinaire, soit parce
que je n'étais pas encore bien instruit de la nature des griefs de
M. Boyer. La dévotion finie, l'assemblée congédiée, je parlai à loisir
à M. Boyer, et comme je suis informé par une suffisante ex|)érience
que c'est un homme violent et emporté, je me munis toujours de
douces réponses, en sorte que nous nous quittâmes avec un baiser
de paix, quoique je ne lui dissimulai point (pie son affaire était
mauvaise, et que ses mœurs n'étaient pas édifiantes. M. Boyer de son
côté ne me cacha point qu'il voulait faire tirer à vif la vie, les mœurs
500 TROIS LETTRES DE PIERRE CORTEIS
de pasteurs et prédicateurs, et qu'on le mettrait sous la presse. Je le
priai de suspendre cette lecture; mais je ne crois pas qu'un ange de
Dieu l'en détournât.
M. Rouvière et moi nous allâmes à Campclle, nous parlâmes au
père et à la mère et à la fille ; nous parlâmes à tous, et ensuite nous
parlâmes à la fille à part, à l'absence du père et de la mère, et fina-
lement par les circonstances rapportées par la fille, il faudrait se
vouloir aveugler pour ne sentir pas que M. Boyer est le premier
qui a abusé de la jeunesse de cette fille, qu'il a portée dans le mal-
heur, et qu'il a plongée dans le crime, crime qu'il a fait durer aussi
longtemps qu'il a pu cacher.'... Après avoir entendu la fille, nous
allâmes faire une assemblée à Moulhier, et de là nous passâmes à
Saint-André afin de tromper les ennemis qui croyaient que nous
descendrions par Gange. Selon le rapport de quelques-uns, les déta-
chements y couraient jour et nuit. Nous fîmes quelques assemblées
à la rivière de Saint-André et de là nous descendîmes à Saint-Jean;
nous y trouvâmes M. Combe, et nous nous donnâmes un rendez-
vous proche d'Alais; ce fut là que nous rencontrâmes MM. Roux,
Betrine, Glary. Étant assemblés nous parlâmes sur diverses affaires
du Rouergue, de la Guyenne, de nos ennemis, et partout nous
trouvâmes des remèdes dans nos maux, excepté lorsque nous par-
lâmes de M. Boyer. Je ne saurais vous cacher qu'il nous arracha des
larmesdansla prière, et après la prière. Le bon Dieu ait pitié de
nous et vienne à notre aide. Nous arrêtâmes de tenir le synode;
mais avant que nommer le jour, il fut convenu de faire les députés
pour cela. M. Roux alla à Nîmes; M. Betrine, à Uzèz; M. Combe, à
Lozère ; M. Rouvière, à Saint-André ; M. Claiy, à Anduze, La Salle,
1. Il y aurait trop à dire sur ce triste sujet que l'on rencontre partout dans
les correspondances du désert. Il a été parfaitement résumé dans une note de
M. Dardier [Lettres de Paul Rabaut, t. 1, p. 11 et suivantes). « Accusé d'im-
moralité, dit-il, Roger fut déposé par des colloques et réhabilité par d'autres.
L'enquête que Pierre Durand, le futur martyr, fut appelé à faire sur sa vie
privée, le chargeait extrêmemenl, et semble-t-il avec raison. Mais les pasteurs
de Suisse, qui furent priés de s'occuper de cette triste affaire, trouvèrent après
examen que « les accusations portées dans cette enquête n'étaient rien moins
que démontrées ». Les Églises du Désert furent comme divisées en deux camps,
et les assemblées religieuses dégénérèrent parfois en véritables batailles. La
paix ne fut rétablie que par des concessions réciproques, et le synode national
de Lédignan, présidé par Antoine Court, mit fin au schisme (en 17-i-i).
A ANTOINE COURT. 501
Durfort, Sauve, Saint-Hyppolyte, et moi Gange, le Vigan, Valraugue,
et Mairuex. En montant je trouvai M.Marouger à La Salle. Je le priai
de m'accompagner, ce qu'il a fait.
Étant arrivés à Gange, nous priâmes MM les anciens de s'assem-
bler en colloque pour faire leurs députés; mais ceux de Sumène ne
voulurent pas se rendre au rendez-vous, dont ils envoyèrent les
raisons qui étaient qu'ils ne voulaient point d'assemblée ou colloque
que par le pasteur qui leur était affecté; ils savaient bien que
M. Boyer était suspendu, et que d'ailleurs il convient bien mieux
qu'un autre y face les députés que M. Boyer. Vous voyez donc que
cela ressent les scbismes, et que c'est un prélude d'un affligeant
brouillement dans nos affaires. Ce colloque tenu, les députés faits,
nous passâmes au Vigan, nous assemblâmes les anciens des églises
du Vigan, de Bréau, d'Aulas, de Valraugue. Les députés de ce dernier
colloque se firent sans trouble, et sur la fin du colloque, nous arrê-
tâmes la convocation d'une assemblée sur la montagne de la Luselte
qui se fit, à Dieu grâce, sans trouble et sans alarme. Après quoi,
M. Marouger y passa du côté de Mairuex et moi des Plantiez. Le
12 nous fûmes assemblés pour l'exercice de piété dans la commu-
nauté de Sodorgues. Le 26 je fus chercber un lieu de sûreté pour
recevoir le 27 mes chers collègues, pour consulter des affaires de
religion et de M. Boyer. Partout nous trouvâmes quelques remèiies
dans nos maux, hormis dans le procédé de M. Boyer qui aggrave
notre croix, et il est aujourd'hui la cause principale de nos alarme.'^.
Nous restâmes trois jours ensemble et avant de nous quitter, nous
arrêtâmes le jour de la tenue du Synode, savoir le 18 octobre, et
chacun se chargea de faire venir avec prudence les députés de son
quartier. Le 14 je fis convoquer une assemblée en faveur de Saint-
Jean,de Sainte-Croix, de Lasallc, de Toiraz. M. Boyer s'y rendit, mais
je ne l'aperçus qu'après l'exercice de piété, que m'ayant tiré à
l'écart, il me dit entre plusieurs méchantes paroles que, ou Userait
pendu, ou il nous ferait tous pendre, ayant en vue selon moi les
prédicateurs du désert. Le 15 je me rendis à un rendez-vous que mes
chers collègues se devaient trouver; nous demeurâmes deux jours
ensemble, nous raisonnâmes de la conduite que nous devions tenir
pour garantir nos églises des erreurs et des vices, et quel moyen
pourrions-nous prendre pour faire sentir â M. Boyer son crime etson
péché. Le 18 le Synode provincial fut convoqué. M. Boyer s'y rendit
502 TROIS LETTRES DE PIERRE CORTEIS
avec quelques hommes de son parti, et commença de récuser une
partie des députés, disant que les uns avaient parlé mal de lui, et
que les autres avaient dansé. L'assemblée synodale ne s'arrêta point
au procédé de M. Boyer; elle fit son modérateur et son secrétaire.
Je fis la prière et une prédication sur les 5 et 6 versets du 4 chap.
de VÊpitre aux Romains, après quoi l'assemblée commença d'offi-
cier. Les députés commencèrent à produire les plaintes apportées
contre M. Boyer; à savoir les consistoires d'Anduze, de Lasalle,
de Saint Pierre, du Vigan, de Sauve, de Durfort, de Galargues, de
Vauvert, de Nîmes et du Manoblet. Après qu'on eût fait la lecture
des plaintes apportées contre M. Boyer, il s'éleva un murmure par
toute l'assemblée synodale criant et disant : « Cet homme est in-
digne de support »; mais M. Boyer et ses partisans disaient et disent
que toutes ces accusations sont fausses. Le modérateur ayant un peu
calmé les esprits dit qu'il fallait examiner M. Boyer sur tous les griefs
qu'il était accusé. Alors un ancien de la ville d'Alais proposa que
si M. Boyer voulait qu'on envoyât ces procédures à Lausanne, en
Suisse, et que nos chers amis en prissent connaissance pour en juger
définitivement , et que M. Boyer se porterait lui-même à Lausanne
pour se justifier ; à quoi M. Boyer et les hommes qu'il avait amenés
de son parti répondirent que oui ; mais quand ce vint à signer, ils
eurent changé d'avis, seulement ils consentirent que le procès fut
jugé à Lausanne, mais que pour M. Boyer il ne quitterait point les
Cévennes,et l'assemblée synodale aussi y consentit. Vous sentez bien
les vues de l'ancien d'Alais, que les griefs de M. Boyer y fussent
portes avec sa personne à Lausanne. Vous devinez bien aussi la
pensée de M. Boyer de ne vouloir bouger des Cévennes. Cela fait,
l'assemblée synodale quitte la personne de M. Boyer et entre dans
des matières plus honnêtes et plus édifiantes.
Le 25 octobre le synode national devait être assemblé; les pas-
teurs et les anciens députés du Languedoc et du Vivarez s'y rendi-
rent; mais il manqua les députés duDauphiné. M. Boyer fut prié de
s'y rendre, ce qu'il fit ; l'assemblée le pria de ne faire pas difficulté
de répondre sur les griefs, qu'il serait interrogé afin de pouvoir
envoyer ses réponses avec ces griefs à Lausanne ; mais il refusa. Seu-
lement on obtint de lui que M. Durand, pasteur en Vivarez, avec un
pasteur du Languedoc et quelques anciens, iraient faire de nou-
velles perquisitions sur les faits dont M. Boyer est accusé, et qu'on
A ANTOINE COURT. 503
enverrait le tout à nos chers amis à Lausanne pour en juger. Après
cela M. Boyer se retira, et l'assemblée établit son modérateur et son
secrétaire, et commença à examiner les articles que MM. les députés
du Vivarez avaient apportés pour les faire recevoir au synode na-
tional.
Je ne rapporterai pas ici les articles, je me contenterai dédire que
les députés du Languedoc en présentèrent aussi quelques-uns qui
furent de bon goût à toute l'assemblée synodale, et en particulier
l'établissement d'une école ambulante à chaque corps synodal, si
bien que désormais chaque corps provincial aura son école. Nous
avons formé le plan de cette école, et fait le choix des livres qu'on se
doit servir; la dépense qui se peut monter de chaque écolier; que
chaque corps pourra tenir quatre écolieirs ; il y a cinq corps synodaux
à savoir : le Dauphiné, le Vivarez, le Bas Languedoc, les Cévennes
et le Haut Languedoc; que chaque corps synodal fera le choix des
pasteurs qui doivent servir de précepteurs à la jeunesse qui leur
sera confiée; qu'on fera le choix de la jeunesse dans des assemblées
de notables ; que les synodes députeront des pasteurs une fois l'an-
née pour examiner les précepteurs et les écoliers, pour voir la doc-
trine qu'on enseigne. J'espère dans quelques jours que nous vous
enverrons une copie du plan que nous avons dressé de l'école, et
nous espérons avec la merveilleuse assistance de Dieu, par le moyen
de cette école, d'avoir dans peu d'années des pasteurs pour envoyer
en divers endroits qu'il y a des fidèles qui soupirent après la pâture
céleste, et qui vivent sans assemblées et sans sacrements, faute de
pasteurs, et plusieurs tombent dans l'idolâtrie, et les autres dans la
corruption des vices. Puisque nous ne pouvons pas tirer de pasteurs
du pays étranger, il nous en faut tirer du milieu de nos troupeaux,
mais non pas du milieu des soldats, et encore moins des dragons
qui nous causent aujourd'hui tant de larmes, de troubles et de con-
fusion.
Au reste vous me ferez un grand plaisir d'envoyer une copie de
cette relation à M. d'Hacs,très vénérable pasteur, et notre très cher
ami à Berne, et l'assurer avec sa clièrc famille de mes très res-
pectueux devoirs. Je viens d'écrire tout ce que dessus â Zurich. M.
Roux m'a baillé la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'eu-
voyer. Vous pouvez m'écrire pour Jacques Lauriol. Puis-je vous
faire quelque plaisir, marquez-le moi. Mes chers coFlègues m'on t
504 TROIS LETTRES DE PIERRE CORTEIS
chargé de vous saluer. Je vais rendre visite à Usés et à Nîmes. Je suis
avec bien d'amitiés,
Votre Frère.
Mes tendres amitiés à ma chère commère, votre digne épouse et
à toute la chère famille. A Marion, bonne fille. Je n'oublie pas M.Bon-
bonnoux, notre cher frère, à qui je dois écrire dans quelques jours.
Février 1732.
Monsieur et mon cher frère,
II ne me souvient pas directement par où je finis la dernière rela-
tion que je vous fis de l'état présent des églises qui sont sous la
croix. Je m'en vais remplir cette feuille de tout ce que la mémoire
me fournit de plus clair.
Le 28 octobre 1731, M. Rouvière et moi nous fîmes heureuse-
ment une assemblée dans l'église de Coulorgue; le dimanche 4 no-
vembre à dix heures du matin à l'église d'Uzès. Après l'assemblée
congédiée M. Rouvière partit pour le Vivarais, et MM. les anciens
me prièrent d'administrer la Sainte Cène à leurs messieurs et dames,
qui ne peuvent sans grandes difficultés grimper au désert; ce que
nous aurions fait le dixième novembre, si un nommé Lanchoie,
catholique, n'y avait mis des obstacles par une alarme qui se donna
à son sujet; et pourtant notre saint projet ne fut différé que d'un
jour, car le 12 dudit mois nous fûmes assemblés à six heures du
matin à un quart de lieue de la ville, à la grande consolation de ces
âmes affamées de la parole de Dieu.
Après la dévotion, je me rendis à JNîmes le 15. Je fus conduit à
une maison pour prêcher et administrer la Sainte Cène à quelques
dames, entre lesquelles quelques-unes n'avaient jamais participée
la Sainte Cène, et comme ma prédication était un peu touchante,
plusieurs larmes y furent versées. Le dimanche 18, à dix heures du
matin, dans le temps que ceux qui n'aiment pas la vérité étaient à
la messe, y vinreiitàla maison où j'étais, à un faubourg de la ville,
environ seize personnes d'une piété exemplaire qui me prièrent de
leur prêcher et de leur administrer la Sainte Cène, ce que je fis
étant secondé par un fidèle ancien. Le 21, M. Roux me vint joindre;
A ANTOINE COURT. 505
le 22, nous allâmes pas trop loin du mas de Billot; le 24, nous fûmes
priés de former une assemblée; le 25, elle fut convoquée à neuf
heures du matin en faveur de Nîmes, de la Rouvière et des lieux
circonvoisins; l'assemblée était nombreuse, la Cène du Seigneur
y fut donnée; plusieurs réparations et conciliations y furent faites.
La dévotion finie, l'assemblée congédiée, M. Roux et moi, nous
nous empressâmes à nous rendre à un rendez-vous où nos
chers collègues nous attendaient. En effet, nous les trouvâmes
au rendez-vous donné ; nous restâmes ensemble le 26 en parlant
de M. Boyer et de la conduite que nous devions chrétiennement
tenir à son égard. Environ midi la lettre de M. le p^ et prof'. Polier
arriva avec la vôtre; ces deux chères lettres nous firent un
véritable plaisir. Nous en fîmes deux ou trois fois la lecture;
après chacun y fit ses réflexions et la définition y fut de nous
assembler de nouveau en synode national. M. P... en Vivarais, qui
était là avec nous, y nous promit d'aller en Dauphiné et de faire de
saints efforts pour disposer M. Roger à descendre en Languedoc.
Après avoir invoqué le grand nom de Dieu, chacun y prit son che-
min. MM. Clary, Combe, Betrine et moi, nous fûmes rendus le 28
novembre entre Anduze et Alais. MM. les anciens nous prièrent de
convoquer une assemblée pendant le temps que les troupes étaient
allées à Béziers pour faire honneur à don Carlos, infant d'Espagne,
qui est passé à Nîmes pour aller se faire couronner roi au royaume
de Parme, et en fait l'assemblée y fut convoquée le 29. La dévotion
achevée, après avoir pris congé de nos frères, M. Betrine et moi,
nous allâmes faire une assemblée en faveur de l'église de Lézan, de
Tournac, de Durfort. L'assemblée congédiée, M. Betrine prit le
chemin d'Anduze, et je m'en allai joindre M. Roux à Sauve. L'assem-
blée y fut formée par le charitable soin de MM. les anciens. Le 2 dé-
cembre 1731 nous fûmes battus du froid : la Cène du Seigneur y fut
administrée, quelques réparations et conciliations y furent faites
avec édification. En sortant de la dévotion nous fûmes rendre visite
à une femme malade qui venait de perdre une (ille que la mort
lui avait enlevée. Le lundi 3 décembre, l'assemblée fut convoquée en
faveur des églises de Canne et de son voisinage. Le jeudi G, l'as-
semblée fut formée en faveur de l'église de Sommière.
Ce qu'il y a de particulier dans cette assemblée! ostque M. la Fare
gouverneur de la province était à un quart de lieue de nous; mais
506 TROIS LETTRES DE PIERRE CORTEIS
il ne savait absolument rien de notre sainte action et n'avait point
ir(avis)de notre exercice de piété. Le 9, l'assemblée devait se faire en
faveur de l'église de Calvisson; mais nouvelle y fut donnée que le dé-
tachement sortait; ainsi l'assemblée fut renvoyée. Le 11, les anciens
des églises de Sommière, de Calvisson, de Galargues, de Massiliar-
gues y furent assemblés en colloque pour des affaires qui concer-
naient ces églises, et que remède y fut apporté à la consolation d'un
chacun. En nous retirant du colloque, la pluie y chargea nos habits
d'eau et la chair de froid qui me faisait trembler. Le 16 décembre l'as-
semblée y fut formée en faveur de l'église de Vauvert à 9 heures du
matin; le 18, l'assemblée y fut formée en faveur de Massiliargues,
des Margues, de Lunel, du Caila, à 9 heures du soir. Je ne puis
pas cacher que la pluie sur le dos, la terre grasse, pleine d'eau, y
faisait mauvais marcher; la soirée était belle par rapport à la
piété ou à l'exercice de piété, mais très mauvaise par rapport à l'in-
constance du temps. Je souffrais de voir ces demoiselles mouillées
jusqu'aux genoux et je ne m'oubliais pas un moment moi-même.
En sortant de ces Tamarices nous allâmes à Montpellier où nous
fîmes deux assemblées, et la troisième fut à Mauguio, une lieue
de Montpellier. Dans ce dernier lieu nous fûmes menacés que le
prêtre était informé de la maison qui nous servait de logis; il n'en
fallut pas davantage pour nous faire décamper à dix heures du soir;
mais pas tant loin puisque le lendemain l'assemblée y fut formée;
après quoi nous entrâmes dans un bateau pour aller à Massiliargues;
mais nous n'y trouvâmes pas la satisfaction qu'on me promettait,
puisque nos bateliers se virent bien étonnés de se voir poussés par
lavent du côté de la mer, et ce ne fut que avec de grands efforts et
beaucoup de temps qu'où retourna en terre à laquelle je mis mes
pieds très volontiers. Nous allâmes ce jour-là vers les espions et je
languissais de retournera Nîmes, dans les lieux où les endroits du
pays me sont connus. Finalement, nous allâmes proche Nîmes, et
nous fîmes l'assemblée, le 1" janvier 1732, en faveur des églises de
Nîmes, de Milhau, de Cavairac; un sergent et quelques soldats y
furent reçus et admis à la communion après un examen ; après quoi
nous nous rendîmes à la ville, et le 6 nous assemblâmes les anciens
en consistoire, et après avoir invoqué le saint nom de Dieu et exposé
une prédication, on raisonna sur les affaires qui regardent cette
église, et on trouva bon que les anciens y fussent rechangés, soit
A ANTOINE COUIIT. 507
parce que les ennemis les connaissaient et les observaient, soit
parce quelques-uns le souhaitaient; ainsi les anciens ont été par
consentement unanime tous rechangés ; mais avant que de sortir
du consistoire, on appela les personnes sur les quelles MM. les
anciens avaient jeté les yeux pour prendre leur charge, ce
qui fut heureusement exécuté après une exhortation faite assez
heureusement à ces nouveaux anciens qui étaient entrés en
charge, et nos remerciements à ceux qui en sortaient. Ils s'embras-
sèrent en se félicitant et promettant de se donner tous les secours
mutuels qui dépendraient d'eux.
Le lundi 7 janvier, nous nous transportâmes à Usez pour trouver
nos chers collègues ; mais ne sachant où les trouver, nous dîmes de
faire convoquer une assemblée, et ils s'y rendraient; comme en effet
l'assemblée y fut formée le 8 janvier. MM. Clary et Betrine y présidè-
rent, et nous passâmes le mercredi 9 janvier ensemble en consultant
et examinant les avis que M. le p"". et prof^ Potier nous donne tou-
chant M. Boyer et sur ce qu'on nous dit qu'il faut que notre [synode]
national en donne son jugement. La journée finie, M. Clary et moi
nous allâmes faire une assemblée proche Alais. L'assemblée congé-
diée, le frère Clary descendit le long du Gardon, et je fus voir un
malade qui deux jours après est mort, et le dimanche 20 l'assemblée
y fut formée en faveur de la Rivière de Générargues. Dans cette der-
nière assemblée je vis deux messieurs qui étaient entièrement dé-
voués à soutenir M. Boyer, qu'il eût tort ou qu'il eût droit; ces deux
messieurs fâchèrent d'une manière sensible les anciens d'Anduze ; un
de ces deux avait fait de puissants efforts pour troubler une assemblée
que M. Betrine avait convoquée par le secours des anciens d'Anduze .
Je priai trois de ces messieurs qui me parurent le plus prévenus de
me venir voir, le lundi 21 janvier. Ils ne manquèrent pas de venir,
et se rendirent à l'endroit que je les avais pries de venir. Je leur
parlai tout le jour; mais hélas que c'est mauvais de parler à des
gens qui n'aiment pas la vérité, qui ne la veulent pas connaître ni ne
la recherchent. A moins de ne se trouver dans de pareils cas, on ne
croirait pas que la chose pût jamais arriver. Ce qu'il y a de plus
affligeant, c'est que ces messieurs-là ne se servent que de men-
songes, mensonges qu'ils affirment comme des vérités, et qu'ils ne
veulent point ouvrir les yeux pour en reconnaître la fausseté. Si le
bon Dieu n'y remédie, je ne sais pas que deviendront les véritables
508 MÉLANGES.
pasteurs du désert. Nous pleurons, nous gémissons de voir que le
vice se veut glisser dans le sanctuaire, et que les pasteurs du désert
qui s'étaient rendus recommandables, tant par la pureté de la
doctrine que par la sainteté de la vie, il faudra aujourd'hui ou
que ces chers pasteurs approuvent le péché ou qu'ils voient les églises
divisées. 0 Dieu aie pitié de ton église ; viens, Seigneur Jésus, viens
soutenir ta vérité, ta justice, tes serviteurs et l'honneur de la sainte
religion.
Vous aurez la bonté de ne m'écrire pas par l'adresse de Saint-
Jean, puisque toutes les lettres que Zuric y a adressées ne sont
point parvenues à moi. L'adresse de M. Puget est bonne. Jamais
plus de larmes nos frères n'avaient versé qu'ils n'en versent à pré-
sent.
Je suis avec bien d'amitié votre frère,
CORTEIZ.
J'ai dessein de me retirer bientôt.
MÉLANGES
DES CONSISTOIRES
ET DK LA CONFISCATION DE LEURS BIENS
en 1G85.
La question relative aux biens des consistoires n'a pas beaucoup
préoccupé les esprits. On sait d'une manière générale que ces corps
s'occupaient de l'entretien de leurs pasteurs, de l'acquisition ou de
la construction de leurs temples, des frais du culte, du soulagement
des pauvres et que, par conséquent, ils devaient posséder quelques
ressources qui leur furent enlevées lors de la révocation de l'Édit
MÉLANGES. 509
de Nantes. Mais ces biens, quelle en était l'origine et la nature,
comment étaient-ils gérés, de quelle importance pouvaient-ils être
au moment où Louis XIV déclara qu'il n'y aurait plus qu'une reli-
gion dans son royaume et qu'il mit la main dessus? On ne s'est gé-
néralement pas donné beaucoup de peine pour le découvrir. C'est
précisément la question dont nous voudrions nous occuper. Elle a
ses difficultés, car il est impossible de contester qu'elle soit très
complexe et ne ressemble en rien à la mesure analogue dont fut
frappée la religion catholique à l'époque de la Révolution de 1789.
Ces deux mesures politiques que l'on rapproche souvent n'ont entre
elles aucun rapport.
Par mesure gouvernementale, pour remédier à des embarras
financiers et prévenir des complications possibles, l'Etat s'empara
des biens de l'Église catholique, mais il prit à sa charge les frais du
culte et du traitement de ses ministres. On sait, en effet, qu'après
une discussion mémorable, sur la proposition d'un évêque, Talley-
rand-Périgord, qui devait devenir un grand homme d'Etat, l'As-
semblée Constituante décida que « tous les biens ecclésiastiques
étaient à la disposition de la nation, à la charge de pourvoir, d'une
manière convenable, aux frais du culte et à l'instruction de ses mi-
nistres ». La délibération portait même qu'il ne pouvait être affecté
à la dotation des curés « moins de 1,200 livres, non compris les lo-
gements et jardin en dépendant ». En ce qui concerne les catholi-
ques, le dépouillement était une reconnaissance. On disait : l'Eglise
a des richesses dont l'État ne peut se passer et qui en s'accumulant
sans mesure constituent un péril, nous prévenons ce danger; mais
elle ne souffrira pas de la transformation qui va s'opérer, nous nous
chargeons de pourvoir à ses besoins, elle devient un service public.
Et en réalité l'État la prenait sous son patronage et en faisait une
branche de son administration. Celte transformation pouvait déplaire
au clergé, il avait le droit de la trouver gênante et imisible à ses in-
térêts, elle pouvait lui inspirer des craintes pour ses libertés; mais
il n'avait aucun motif de se préoccuper de son existence qui plutôt
était garantie. Pour les protestants, il en avait été tout autrement
en 1685. Aux yeux de l'État, ils ne possédaient que des droits
octroyés et révocables. C'est ce que dit ouvertement Louis XIV dans
son Édit de décembre 1689.
« Les rois ses prédécesseurs et lui avaient seulement toléré
510 MÉLANGES.
l'exercice de la religion prétendue réformée. » C'est à ce point de
vue qu'il faut se placer pour traiter la question.
Il est certain que la position que nous venons d'indiquer est dif-
ficile à concevoir de nos jours. Nous avons de la peine à nous
représenter l'orgueil d'un homme se persuadant que tous les habi-
tants de son royaume ne pourront prier, adorer, servir et honorer
Dieu qu'avec sa permission et comme il lui plair^ qu'ils le fassent.
Et pourtant ce n'est pas là une fiction. 11 est certain que, par je
ne sais quel enchaînement de circonstances, ou par quelle aberra-
tion de l'esprit, par quelle force d'habitude, ces hommes en étaient
venus à croire qu'il n'était pas possible de sortir de l'église romaine,
de se dégoûter de ses cérémonies et de son culte, sans sortir de la
vérité et sans rompre avec les inspirations qui poussent l'àme
humaine vers le ciel. Cette croyance générale n'était pourtant pas
universellement reçue partout et, dans tous les temps, il s'était
trouvé des personnes qui avaient protesté contre cette tyrannie;
mais, ces hommes, on les avait considérés comme des insensés, des
conspirateurs et on les traitait en conséquence. Cette histoire est
celle de tous }es peuples sur lesquels le catholicisme avait étendu
son empire.
Aussi quand le mouvement réformateur qui avait éclaté dans
d'autres pays pénétra dans le nôtre, des bûchers se dressèrent.
Néanmoins le mouvement prit de la consistance, les souverains lui
accordèrent une certaine attention, quelques-uns en sentirent l'in-
fluence et d'autres comprirent qu'il fallait user de ménagements. Ces
dispositions différentes produisirent des Édits de répression et des
Edits de pacification, selon qu'on avait pour but d'écraser toutes les
dissidences ou de leur permettre de s'exercer sans trouble et sans
révolution. L'Édit de juillet 1561 par lequel Charles IX amnistiait
les protestants pour le passé et leur prescrivait de vivre catholique-
ment, sous peine de prison et d'exil, était un édit répressif. Mais
depuis que le protestantisme eut montré son importanee par les
hommes éminents qui défendirent sa cause, soit dans les conseils, soit
dans les rangs de l'armée, soit sur les champs de bataille; il n'y eut
plus que des Edils de pacification. Le premier de ces Édits qui se
proposaient de faire vivre les deux cultes en paix, fut TÉdit de
janvier 1562 et tous ceux qui suivirent, jusqu'à la révocation de celui
de Nantes, furent, comme celui-là, des Édits de pacification. Et c'est
MÉLANGES. 511
bien là le nom qu'ils portenl dans les divers Recueils qui en ont
été faits. C'est celui d'octobre 1G85 qui ramena le régime de la
répression; ces Edits de pacification, comme leur nom l'indique,
n'avaient qu'un but, ils devaient assurer de bonnes relations entre
le Catholicisme et le Protestantisme et les faire vivre en paix et
côte à côte sur le même territoire. Ces Edits, dont l'idée première
remonte au chancelier de L'hôpital, tendaient à résoudre ce pro-
blème à savoir : « si l'on ne peut estre bon sujet du Roy sans estre
catholique, et s'il est impossible que des hommes qui n'ont pas la
même croyance vivent en paix les uns avec les autres. »
Il y avait évidemment dans ces Edits de pacification des conces-
sions faites et des droits reconnus. Les protestants pouvaient se
réunir pour la célébration de leur culte en certains lieux et sous
des conditions déterminées. Leur liberté n'était pas complète, mais
il y avait des choses qu'ils avaient le droit de faire. Ils avaient ce
qu'on appelait des franchises lorsqu'il s'agissait des villes ou des
communes ; et l'on sait si ces libertés une fois accordées n'ont pas
été considérées comme des droits et s'il a été facile de les retirer.
Pourquoi ces libertés garanties par les Edits avaient-elles été accor-
dées aux protestants et comment en ont-ils usé? La réponse à ces
deux questions nous mènerait trop loin, car elle ne laisserait en
dehors rien de ce qui touche au protestantisme. Aussi bien nous
n'avons pas besoin de nous en occuper pour traiter notre sujet. Un
gouvernement a toujours le moyen de faire respecter les lois et
jamais il ne doit profiter de quelque infraction pour revenir au
despotisme. Il a le droit de faire respecter les lois, il n'a pas celui
de les supprimer. Voilà pourtant ce qui arriva. Ces malheureux
protestants qu'on a tant accusés d'être des anarchistes, des gens
ingouvernables, que demandaient-ils? Tout simplement l'exécution
des Edits. Et ceux qui les accusaient, que faisaient-ils? D'abord,
ils faisaient naître des difficultés sur l'exécution de ces Edits (ju'ils
avaient donnés ou confirmés; ils chicanaient. Et puis ils en venaient
à les supprimer. C'est ce qui eut lieu en 1685. Cette révocation
donna lieu à la saisie générale clés biens des consistoires, mais en
réalité cette confiscation avait commencé, elle était même bien
avancée à la révocation.
On sait que l'Édit de Nantes avait été l'objet de fréquentes con-
testations, que des commissaires avaient été nommés soi-disant
51 "2 MÉLANGES.
pour en assurer l'exécution et que souvent ces contestations don-
nèrent lieu à des procès pour régler des litiges à la suite desquels le
roi rendait des Edits ou Déclarations. Une de ces contestations amena
une décision royale dont les hôpitaux retirèrent un grand profit.
Le Consistoire de Montpellier qui, comme tous les autres, recevait
des legs charitables, fut accusé de les détourner de leur destination
en les appliquant à d'autres objets. On lui reprochait par exemple
d'empêcher les protestants de se faire catholiques. Cette accusation
avait quelque chose d'étrange, car il est bien certain que les deniers
donnés à l'église réformée lui étaient donnés par des gens qui vou-
laient sa conservation, subvenir à ses besoins, soulager ses pauvres,
défendre la foi de ses membres lorsqu'elle était attaquée. Sous le
prétexte que nous venons d'indiquer un Édit fut rendu et, ni plus
ni moins, les biens du Consistoire furent attribués à l'hôpital. Ce
n'était que justice selon l'Édit, car les legs étaient faits pour les
pauvres et les pauvres de l'un et l'autre culte devaient être reçus
indistinctement à l'hôpital. Oui, cela est vrai, mais à une condition,
c'est que lespauvres prolestants renonceraient à leur religion et em-
brasseraient la religion catholique qui seule était enseignée et pra-
tiquée dans cet établissement. Sa Majesté n'avait pas pris la peine de
remarquer que le vœu des protestants, qui faisaient des largesses
pour subvenir aux besoins de leurs coreligionnaires tombés dans
l'infortune, était bien qu'ils fussent secourus en conservant leur foi.
A l'aide de cet Edit les biens de l'église protestante de Montpellier
furent attribués à l'hôpital de cette ville et la mesure fut étendue
à tous les diocèses de la province du Languedoc. Quand, pour uu
motif ou pour un autre, une église était interdite ou un temple con-
damné et démoli (on sait combien le nombre en fut considérable
pendant les années qui précédèrent la révocation), leurs biens allèrent
grossir les ressources des hôpitaux catholiques. La règle adoptée
pour le Languedoc fut aussi appliquée à toutes les autres provinces,
et, de la sorte, un grand nombre de consistoires furent dépouillés
avant qu'ils le fussent tous.
11 est indispensable de faire ici une distinction capitale. Bien que
la mesure dont il s'agit eut frappé un grand nombre des églises
réformées, elles ne l'étaient encore qu'à titre exceptionnel; elles
l'étaient pour un motif particulier, pour un délit vrai ou supposé,
pour une infraction aux Édits, mais celles qui avaient jusqu'ici
MÉLANGES. 513
échappé aux accusations, celles qui étaient restées dans le devoir,
conservaient le droit d'exister et de posséder. Ce ne fut que par
rÉdit révocatoire que ce droit leur fut (Mé. On avait commencé par
leur demander la bourse, on leur demanda la vie et il est bien évi-
dent que la bourse devait suivre la vie.
Les biens des consistoires, tous provenus de dons charitables et
volontaires, avaient pour but spécial, comme le bon sens rindii^ue
et les Édits le reconnaissent, de pourvoir au traitement des pasteurs,
au soin des pauvres, et consistaient en rentes, obligations ou effets,
fonds ou charges de fonds, en revenus annuels, ou en legs faits aux
pauvres. Nous conservons cet ordre qui est celui des comptes ren-
dus à l'État, bien que les chapitres ne soient peut-être pas toujours
d'une distinction parfaite et présentent parfois de l'obscurité. Or
ces biens confisqués par l'Édit de 1685, devaient être recherchés
et il fallait apporter quelque soin à cette recherche, car on n'a pas
de peine à concevoir que les consistoires et leurs représentants ne
se faisaient pas scrupule de soustraire autant qu'ils le pouvaient les
sommes qu'où cherchait à leur eidever. Ce mouvement était aussi
légitime qu'il l'est d'user de toute notre adresse pour conserver la
montre ou le porte-monnaie dont un obligeant voleur cherche k nous
débarrasser. Il fallut donc rechercher soigneusement l'argent et les
titres, fouiller les minutes des notaires pour constater les actes de
propriété, les baux, les legs testamentaires, etc. Cela présentait
quelques difficultés et des instructions furent données pour que les
agents pussent s'en occuper d'une manière fructueuse. Ces instruc-
tions se trouvent dans des « Remarques sur Testât des biens des
consistoires de Languedoc remis k Monseigneur l'Intendant par les
pères Chauvaud et Guevarre, jésuites. » Archives dç V Hérault,
c. 278. Nous en copions ce qui est relatif aux moyens de recouvrer
les libéralités faites en faveur des pauvres. Il faut :
1» Remettre à chaque Evesque le soin de faire exiger tout ce qui
se trouve dû aux pauvres de son Diocèse;
2" Il faut employer pour chaque paroisse en particulier un exac-
teur fidèle et zélé qu'on oblige, s'il se peut, de faire livre net de
toutesles sommesdeues, aux conditionsqu'on mettra dans le contrat;
3« Si on ne peut pas trouver un tel exacleur pour les petites
paroisses, on donnera la commission à ceux des plus grandes du
voisinage ;
xxxiii - 33
514. MÉLANGES.
4° Il est nécessaire de donner aux exacteurs tant pour livre, pour
les engager à bien faire et de leur promettre le double des comptes
pour l'exaction des debtes cachées qu'ils découvriront eux-mêmes.
5" Si on doute de la fidélité des exacteurs, il faut nommer pour
surveillants ou contrôleurs trois directeurs du Bureau de Charité,
ou s'il n'y en a encore point dans la paroisse, trois des habitants
les plus zélés et les plus fidèles ;
6" Quand on exigera le payement des legs, on doibt user d'une
rigueur fort modérée de peur qu'on ne détourne la bonne volonté
des testateurs qui craindraient qu'on ne causât, pour leurs legs, des
troubles à leurs héritiers.
Ces règles de conduite adoptées par l'Intendant furent soigneuse-
ment appliquées et l'on conçoit tout ce que cet appât jeté à la con-
voitise produisit de tracasserie, d'espionnage et de délations. On sait
encore qu'il fut ajouté ceci à savoir que la moitié des biens décou-
verts serait dévolue au dénonciateur.
L'arrêt du 5 novembre 1686 qui permettait aux pasteurs de sortir
de France avait pourvu à ce que ces pasteurs ne pussent emporter
ni argent ni papiers appartenant aux consistoires et des certificats
à ce sujet devaient leur être délivrés par les anciens; sans ces
certificats ils ne pouvaient pas jouir de la permission qui leur avait
été accordée. Do la sorte les anciens demeuraient responsables et
le gouvernement pouvait, tout à son aise, faire des recherches et
prendre son temps; il avait des répondants. Et quand, à l'aide de
ces recherches de toute nature qu'on avait le droit de faire remon-
ter jusqu'en 1662, on parvenait à établir qu'une somme, un im-
meuble, un objet étaient devenus la pro[)riété du Consistoire, il fallait
expliquer et justifier comment ils étaient sortis de sa caisse ou en
rendre compte. Il est vrai que, bien souvent, cela devait être difficile.
Nous trouvons, })ar exemple, que dans le diocèse de Conserans, au
pays de Foix, l'église de Labastide-de-Séran, à qui l'on demandait
c(î compte, répondit à l'Intendant que l'on ne pouvait rien produire
avant 1664, « parce que le lieu où l'on tenait les papiers étant
exposé au logement des gens de guerre, les uns s'en sont éloignés,
les autres n'ont point estimé que les contes leur fussent nécessaires
et pour avoir esté rendus et clos » (c. "211). Ce <iui se passait à
Conserans, ou quelque cliose d'analogue, dut aussi se produire
ailleurs et il fut certainement difficile d'obtenir partout des comptes
MÉLANGES. 515
réguliers. On dut se contenter de ce qui pouvait être fait. On lit ce
qu'on put.
Voici un fait qui rappelle une particularité des procédés employés.
L'église de Faugères, près Bédarieux, avait longtemps célébré la
Cène avec des coupes en verre et le seigneur du lieu eut la géné-
reuse idée de donner des coupes d'argent. Après qu'il avait été par-
ticipé à la communion, on apportait ces coupes chez M'' de Faugères
qui en était le dépositaire naturel comme il en avait été le dona-
teur. En 1680 (6 janvier) lorsqu'on s'occupait de la recherche des
biens du consistoire, M"" de Faugères ne vivait déjà plus et les coupes
ne se trouvaient pas. Qui en répondra? La question fut traitée juri-
diquement, et voici la décision qui intervint : « attendu que les choses
destinées à la Religion res religioni destinatœ ne peuvent être
vendues, elles n'appartiennent à personne, sunt nullicis. Et, en
vertu de cette décision, la valeur de ces objets fut réclamée aux
héritiers. Le même cas se reproduisit plusieurs fois et la décision
prise pour Faugères fit jurisprudence.
Il est une autre particularité de ces recherches qu'il faut faire
ressortir pour le motif qu'elle témoigne d'un sentiment très hono-
rable chez nos pères. Nous avons dit que, dans la récapitulation des
biens des consistoires, il y avait une colonne portant cette désigna-
tion : Legs faits aux pauvres. Pour connaître l'importance de ces
legs on visita les minutes des notaires; et ce qui nous a très agréable-
ment surpris, c'est le grand nombre de ces legs pieux. Les documents
abondent à ce sujet; il nous en serait fourni par toutes les églises.
Il nous suffira d'en citer un exemple que nous prenons non pas au
hasard, mais parmi beaucoup d'autres qui lui ressemblent. Pour
l'église de Vabre de Senegas on ne trouve pas moins de quatre cent
soixante-sept legs chez quatre notaires dont trois de Vabre (Poulet,
Pierre et Jean Tirefort) et un de Montredon et La Bessonié (Rodière).
Il ne faut pas oublier que ces recherches pouvaient remonler jus-
qu'à une vingtaine d'années, mais il faut reconnaître aussi que ces
legs, consistant à peu près toujours en blés, devaient être distribués
bientôt après la mort du testateur et qu'on ne dut, par consé(iuent,
relever que ceux dont la délivrance n'avait pas été faite. Il faut sup-
poser aussi que les personnes qui faisaient un testament n'étaient
pas seules à penser aux pauvres et (juc beaucon|t d'aiilres devaient
s'en souvenir avant leur mort.
516 MÉLANGES.
Il esl intéressant d'indiquer 1° comment les sommes ainsi ac-
quises étaient gérées, et 2° quel usage on faisait des revenus de ces
biens.
La première de ces deux questions n'exige qu'un mot de réponse :
le revenu des biens confisqués sur les consistoires servait à payer
des pensions aux convertis et à entretenir des écoles destinées à
former des conversions. Quant à la gérance des biens, il y a ici tout
un système d'administration qu'il faut étudier avec soin.
Ph. Corbière, pasteur.
(Suite.)
m PÈLERINAGE A CANTERBURY
LE CARDINAL DE CHATILLON
Sous le tilrc d'un Pèlerinage à Canterbury, le journal de cette ville
du 2 août (Canterbury Press and County news) rend compte des trois
jours ("25 à 27 juillet) qu'uu certain nombre des directeurs de l'hôiùlal
frauçais de Londres, accompagnés de plusieurs de leurs amis, y ont
passés à rechercher les souvenirs huguenots. Après avoir examiné les
archives de l'Hôtel de Ville, ils visitèrent le monument d'Odet de Coligny
dans la chapelle de la Trinité à la cathédrale, ainsi que les inscriptions
daus hîs cloîtres et le cimetière; les honneurs leur en furent faits par
révè(iue de Douvres, l'archidiacre Harrison, et M. Hall. Ils se rendirent
ensuite à la hihiiolhèquc, puis à l'église de Sainte-Croix (jui a été le
princi|»al lieu de sépulture des familles huguenotes (voir les savantes
recherches de M. J. H. Cowper dans les registres paroissiaux). L'église
même, dont M. Kershaw, le bibliothécaire de Lambeth, lut une courte
description, en a conservé peu de traces, mais le cimetière est rempli
de tombes oii figurent des noms français.
Après quelques autres explorations dans la vieille cité archiépiscopale,
les pèlerins terminèrent la journée du 20 par un repas fraternel, au(iuel
participèrent le maire, le secrétaire de la ville, Taneien maire, l'archi-
diacre et quelques amis. Il fut suivi de quatre lectures qui formèrent le
thème de discussions intéressantes : Sur l'admission à la bourgeoisie de
la ville, par M. 11. Ilovcdeu; le protestantisme calviniste en Allemagne
l)ar M. Lamljcrl; une page de l'histoire de Canterbury 1685-1785 par
MÉLANGES. 517
M. Kershaw el Odeldc Coligiiy, cardinal de Chastillon, par M. Drowiiiiig,
secrétaire de Fhôpital français de Londres, le principal proniotcnr du
pèlerinage.
Le dimanche 27, les visiteurs assisièrent au service de l'église françaisi'
qui se recueille dans la crypte de la cathédrale. Le 331" anniversaire de
sa fondaliou fut solennellement célébré par un service liturgique en
français, officiant le Rev. J. T. Martin, et par un imporlnnt sermon du
chanoine Fremantle sur ce verset du psaume 80: « rictourne, ô Dieu des
armées, je le prie, regarde des cieux et visite cette vigne. » Le journal du
prolcslantisme du 19 septembre en a reproduit les principaux passages.
Avant de se séparer, quelques-uns des directeurs de l'hôpital français de
Londres, ont demandé au doyen et au chapitre de la cathédrale l'auto-
risation de faire restaurer à leurs frais le tombeau actuellement si dé-
gradé du cardinal de Chatillon, en limitant judicieusement cette restau-
ration à la réfection du tombeau selon la description donnée par Dart
en 1726 dans la monographie de Canterbury : « une simple tombe en
briques façonnée comme un coffre à couvercle arrondi, ou assez sem-
blable à une tombe en gazon, mais plus élevée, et formée de briques
recouvertes en plâtre peint couleur plomb; sur le pavé de l'église repose
le cercueil. » On y ajouterait seulement le nom et les armoiries du car-
dinal.
La lecture de M. Browning sur Odet de Chatillon était surtout con-
sacrée à sa venue en Angleterre comme représentant des protestants de
France et à sa mort mystérieuse à Canterbury. Aj)rès un rapide aperçu
de la carrière du cardinal, M. Browning a tenu à s'effacer pour laisser
parler autant que possible les témoins eux-mêmes, en produisant des
extraits de lettres officielles conservées au Record-Office. Dans celle du
10 septembre 1568 ILîury Kyngesmyll, chambellan de la reine qui était
allé de sa part souhaiter la bienvenue à l'illustre exilé, rend compte à
Leicestcr de cette première entrevue : « Je l'ai trouvé accompagné de
trente personnes, la principale étant M. de Lygy. » Cette suite paraissant
trop nombreuse à l'évèque de Londres qui devait recevoir le cardinal,
le prélat anglais écrivit pour demander a être déchargé de cet honneur;
sur quoi Sir Thomas Gresham, le citoyen le plus distingué de la capi-
tale, s'offrit généreusement à préparer sa maison à Rishopsgatc el à
entretenir de son mieux ces hôtes de la reine.
Le cardinal vint par eau de Gravescnd à Londres où il fut magnili-
quement accueilli au débarcadèi'C de la Tour. « Dès le lendiMuain, en
manteau court et la rapière au côté, il se rendit à cheval, accompagné
par Sir Thomas Gresham et d'autres personnes de distinction, à l'église
française, afin de témoigner de son apiirobaliun de la religion |)i'otes-
51 s MÉLANGES.
tante, de là à la Bourse de Gornhill, puis à l'église de Saiiit-Paul et re-
tour à la maison de Sir T. Gresham dans Bishopsgate Street. » Le 20 il
fut reçu en audience solennelle par la reine qui mit à sa disposition son
palais de Shene près Hamptoncourt. Il paraît que l'installation du royal
manoir laissait fort cT, désirer et qu'Elisabeth en conçut un violent
déplaisir, d'oîi de longues lettres d'excuses du grand trésorier lord
Buckhurst au conseil privé, entrant dans les détails les plus naïvement
circonstanciés sur l'insuffisance première de l'ameublement et sur ses
sacrifices personnels pour y porter remède; de même du chambellan
Kyngesmyll, se disculpant au sujet des tentures et ustensiles divers.
Mais le plus frappant de ces documents est, sans contredit, le rapport
adressé huit jours après la mort du cardinal par deux commissaires
chargés d'une enquête spéciale et approfondie. Nous le traduisons en
entier. On lil au verso : « Il ne paraît y avoir aucun fondement au
soupçon qu'il aurait été empoisonné. » Sir Roger Manwood, l'un des
signataires était « chief baron of the Exchequer » et résidait à Canter-
bury.
Qu'il plaise à Vos Seigneuries (selon le bon plaisir de S. M. et
l'ordre de vos Seigneuries) au retour d'une première conférence
tenue avec la daiTie de Chastylyon, sur ce qu'elle pensait de la mort
du lord cardinal Chastylyon, par empoisonnement ou non, et sur
les personnes qui pouvaient être soupçonnées, nous avons trouvé
qu'elle attribuait cette mort à quelque poison lent, aussi i)ien que
le Lord Cardinal. A son dernier séjour à Londres (le jour que S. M.
se rendit au Royal Exchange), la dame de Chastylyon ressentit au
cœur une soudaine et étrange angoisse, et ne put se défendre de
la pensée que quelque malheur était arrivé au cardinal. Depuis
son retour de Londres, il n'eut plus jamais la même santé qu'aupa-
ravant. Dans tout le cours do sa maladie, il se plaignit d'une douleur
brûlante à l'estomac. Par les propos du médecin, et de ceux qui
étaient présents à l'ouverture du corps, elle avait aussi compris,
qu'outre la découverte de certaines taches non naturelles, dans la
l)artie intérieure de l'estomac, le fond de l'estomac était rongé et
d'une façon qui s'exj)lique moins par l'inflammation de la fièvre que
perforé par l'effet d'un poison. Quant à ce qui conceiMie les per-
sonnes suspectes, elle ne pouvait en désigner spécialement aucune;
mais le soupçon portait naturellement sur celles qui avaient accès
pj fonctions auprès de lui.
MÉLANGES. 519
Là-dessus, et après conférence avec M. Kyngesinyll sur ce qu'il
avait fait, nous trouvâmes que lui à sa venue, après la mort du sei^
gneur cardinal, avait fait ouvrir et examiner toutes les malles,
coffres, et autres objets appartenant à tous les visiteurs; qu'il n'y
aperçut rien de suspect, et qu'il avait mis en sûre et étroite garde
un valet de chambre qui avait soin de la poudre digestive préparée
par le pharmacien, dont le cardinal avait coutume d'user, et un
autre domestique, pour avoir essayé de parler à ce prisonnier et
avoir nié le fait, cela jusqu'à ce qu'on l'eût prouvé d'autre façon. —
Ceci fait, nous procédâmes à divers et sévères interrogatoires, par
serment, de tous les officiers et autres serviteurs mâles, sur autant
de points et circonstances que l'on put imaginer, aussi bien les deux
prisonniers que le reste... (Le rapport donne en détails les particu-
larités de la maladie du cardinal qui lui vint graduellement au
retour de son voyage de Londres ; et après que son apothicaire eut
essayé divers remèdes, la maladie sembla prendre le caractère d'une
fièvre tierce) qui, malgré des saignées et autres médications,
continua de la sorte, par six ou sept accès, jusqu'à un jour ou deux
avant sa mort. A ce moment, paraît-il, la nature était si affaiblie
qu'elle ne pouvait plus supporter d'accès; il mourut alors. Nous
trouvons aussi cette circonstance que nonobstant qu'il eût continué
à se plaindre d'une chaleur brûlante dans l'estomac, les médecins,
pendant tout le temps qu'il vécut encore, ne manifestèrent aucun
soupçon d'empoisonnement tiré du gontlement ou d'autres caractères
étranges; mais considérant la maladie comme une fièvre tierce
ordinaire, ils conservèrent bon espoir de son rétablissement, et
l'écrivirent encore en France l'avant veille de sa mort. Nous trou-
vons de plus qu'à l'ouverture du cadavre, le docteur alors présent
ayant trouvé le foie et les poumons corrompus, a dit que c'était
merveille que le cardinal avec des organes aussi détériorés eût vécu
aussi longtemps, et que s'il ne s'était pas maintenu par un bon
régime, il aurait succombé depuis longtemps; mais il ne fut ques-
tion d'empoisonnement, que lorsque, après avoir lavé et nettoyé
l'estomac, on trouva quelques taches et le fond de l'estomac perforé,
et la peau déchirée tout à l'entour, à ce que dit voir le docteur. —
Mais la chose n'était pas tellement évidente que les autres assis-
tants n'eussent aperçu seulement quelques points dans les côtés de
l'estomac. Ce fut alors que le médecin dit en secret au chirurgien,
520 MÉLANGES.
et répéta à la dame de Chastylyon qu'il croyait qu'on avait admi-
nistré au cardinal quelque substance corrosive qui lui avait été
funeste. Mais ilaus la maison ici, il n'y eut ni bruit ni même
rumeur d'empoisonnement jusqu'à l'arrivée de M. Kyngesmyll....
Le rapport s'occupe ici de l'interrogatoire des serviteurs, et
ajoute: — En dernier lieu, nous trouvons que tous sont pauvres,
et se lamentent grandement d'une perte qui les laisse sans emploi
après trente, vingt ou plus de treize années de service et de dépen-
dance absolue, dans l'attente des récompenses et pensions qui leur
étaient promises au retour du cardinal en France. Du reste aucun
de tous ses domestiques ou officiers, au nombre d'environ quarante,
dans les interrogatoires particuliers n'a relevé aucune circonstance
ou indice de soupçon contre l'un ou contre l'autre ; mais interrogés
séparément, ils ont affirmé, entre autres cboses, que tous ses servi-
teurs le servaient de tout cœur pour la prolongation de sa vie, re-
tourner en France étant tout leur espoir.Tous enfin dans leurs interro-
gatoires particuliers ont nié avoir eu aucune privante ou conférence
avec l'Italien, ou d'avoir accompli, seuls ou secrètement, avec d'autres,
aucun acte malicieux ou préjudiciable à l'égard de leur maître.
Pareillement ceux d'entre eux qui avaient quelque cbarge auprès de
lui, affirmèrent avec larmes et protestations que si l'un de leurs
camarades ou quelque autre pouvait leur imputer avec raison,
une chose quelconque dommageable à leur maître, ils ne demande-
raient ni pardon, ni faveur, mais au contraire d'être punis à toute
rigueur, soit par torture, soit autrement; et séparément, ils affir-
mèrent que s'ils connaissaient quelqu'un qui eût consenti, ou qui
eût été enclin à favoriser un tel empoisonnement, ils lui feraient
subir la mort la plus cruelle pour les avoir tous compromis par la
perte d'un si bon maître.
Bien qu'en tout ceci, dans nos humbles opinions, nous ne trou-
vions aucune matière à suspicion contre aucun des serviteurs,
néanmoins après nos interrogatoires, ayant plusieurs fois conféré
avec la dame de Chastylyon et offert d'agir comme elle désirerait
qu'il fût fait, la trouvant très fixée dans son opinion que le lord
cardinal avait été empoisonné, pour les raisons susdites, avec le
désir qu'on arrêtât quelques-uns de ses serviteurs jusqu'à ce qu'on
connût l'opinion du seigneur amiral en France, quoi qu'il puisse
advenir par cette voie, nous avons cru bien faire en donnant charge
BIBLIOGRAPHIE. 521
et ordre au maire de Canterbury de placer dans des maisons sépa-
rées six des domestiques qui avaient les rapports les plus familiers
avec le Lord Cardinal, et qui, aux yeux de la dame de Chaslylyon et
de M.Kyngesmyll, étaient les plus compromis, s'il en est parmi eux
qui justifient le soupçon. Ces six personnes ainsi séquestrées, sans
que l'on permette à qui que ce soit d'avoir accès et de conférer avec
elles, resteront en sûre garde jusqu'à signification du bon plaisir
de Sa Majesté, et des ordres de Vos Seigneuries, desquelles nous
attendrons par le présent messager un passe-port pour la dame de
Cbastylyon, afin qu'elle puisse renvoyer une suite d'hommes et
de chevaux inutile et onéreuse, elle surtout étant malade. Cela ainsi
nous prions Dieu de longtemps conserver Vos bonnes Seigneuries.
De Canterbury, ce vendredi le 30 de mars (1571).
Les très obéissants aux commandements de Vos Seigneuries,
Roger Manwood. Tno. Li:;ighton.
BIBLIOGRAPHIE
BULLETLN DE LA SOCIETE D'HISTOIRE VAUDOISE
N» 1, mai 188i.
Nous annoncions (p. 40 et 477) le Bulletin de la Commission
pour l'Histoire des Églises Wallonnes, qui se relie à nos annales
protestantes par les grands souvenirs du Refuge. C'est avec un intérêt
non moins sympathique que nous avons appris la formation de la
Société dliisloire Vaudoise que tant de liens unissent à la nôtre,
et qui a aussi un Bulletin pour organe. Le but que se propose la
Société dont le D' Rostan a pris l'initiative est très bien exposé dans
les lignes suivantes :
« L'histoire religieuse de nos Vallées, dit le D' Long, se partage
en trois périodes : 1° Depuis l'introduction du Cluistianisihe jusqu'à
l'arrivée des dis^ciples de Valdo; 2'' Depuis Viddo (1100) jusiprà
522 BIBLIOGRAPHIE.
l'émancipation des Vaudois (17 février 1848); 3° Période contem-
poraine.
» 1° Malgré les recherches faites par Gilly et d'autres sur Fiiilro-
duction du christianisme dans les Alpes Cottiennes, il resle bien des
questions à résoudre à cet égard. Qui sont ceux qui ont introduit le
christianisme dans ce coin de l'Italie? Sont-ce des réchappes de la
légion Thébaine, ou des persécutés des premiers siècles qui ont
trouvé un refuge dans ces Vallées alors couvertes d'épaisses forêts ?
(Voir les articles de la Buona Novclla, première année). Tout ce
qui se rapporte à l'histoire religieuse des habitants avant l'arrivée des
disciples de Valdo ne peut qu'intéresser notre Société.
» 2° La période qui va de 1190 à 1848, embrasse, au fond, toute
l'histoire Vaudoise proprement dite. On comprend qu'elle doive
nécessairement se partager en époques partielles qui auront chacune
leur dossier aux archives de la Société.
» Il sera tout d'abord convenable de se procurer des copies soi-
gneusement collationnées des manuscrits vaudois existant dans les
bibliothèques de Cambridge, Dublin et Genève.
» La Société s'efforcera de se procurer le plus grand nombre pos-
sible des sources manuscrites ou imprimées auxquelles ont puisé nos
historiens, tout spécialement M. A. Muston qui, grcâce à un zèle
patient et persévérant, est arrivé à réunir plus de sources qu'aucun
autre n'eût fait avant lui (Voir sa bibliographie à la fin du 4' vol. de
l'Israël des Alpes).
y> A côté de ce travail de collection des sources et travaux connus,
il reste un travail, plus attrayant peut-être, la découverte des docu-
ments qui ont été ignorés par nos devanciers. Chaque année amène
à lalumière quelque procès de l'inquisition, quelque document, offi-
ciel ou non, gisant dans les archives de l'État ou dans quelque biblio-
thèque publique ou particulière.
» Le champ à explorer est vaste vu que, observe le Doct. R., dès
l'année 1320 les Vaudois ont des colonies dans la Provence, dans la
vallée du Po (Biollet, Biétoné, Pravillelni), dans la vallée de Suse et
dans la Calabre. Peu après la Réformation, ils occupent tout le Val
Cluson, le haut de la vallée d'Oulx, plusieurs villes et villages dans
la province de Coni et même de Turin, sans compter les vallées
situées sur le versant occidental des Alpes et les trois qu'ils n'ont
jamais quittées si ce n'est lors de l'exil de 168G.
BIBLIOGRAPHIE. 523
» L'exil lui-même a donné naissance aux colonies du Wurtemberg,
de la Hesse et de la Prusse, dont Tliistoire a été écrite parles auteurs
allemands (Moser, Dieterici, etc.).
» 3° L'histoire contemporaine est divisée par le Doct. R. en trois
parties : histoire des Vallées proprement dites, histoire de l'Evangé-
lisation et histoire des Colonies. Pour le moment la Société n'aurait
qu'à se pourvoir d'un exemplaire de toutes les publications parues
ou à paraître et offrant un intérêt pour l'histoire : actes des Synodes,
rapports divers, collections de journaux, etc., etc. ».
Le premier numéro du Bullelin ne se borne pas à nous donner le
programme des futurs travaux de la Société. Il contient plusieurs
articles de géographie et d'histoire qui en sont comme les prémices.
On y remarquera une lettre fort intéressante de M. Jean Pons sur les
anciennes localités de la Calabre occupées par les Vaudois, et notam-
ment sur la station de la Guardia consacrée par de si touchants
souvenirs; une patente d'Anne d'Orléans aux 1716 Vaudois qui pré-
férèrent, en 1686, l'exil à l'abjuration; enfin une note sur l'origine
toute française des deux plus anciennes histoires des Vaudois, aux-
quelles restent attachés les noms de Perrin et de Gilles. On ne peut
qu'applaudir aux doctes investigations qui ouvriront de nouvelles
perspectives sur l'origine et les vicissitudes des antiques églises
unies à celles de France, dès les premiers jours de la Réformation,
par la communauté des épreuves. En nommant M. Alexis Muston
pour son président honoraire, la Société a rendu un juste hommage
à l'historien quia le plus fait de nos jours pour populariser ces nobles
études et qui en demeure le vénéré doyen.
J. B.
HISTOIRE DU CANADA ET DES CANADIENS FRANÇAIS
Par Eug. Réveillaud
1 volume in-8". Paris, 1884..
Je rendais compte, il y a bien des années (BulL^ t. XTV, p, 387)
de l'excellent ouvrage de M. Astier : Histoire de la république des
524 BIBLIOGRAPHIE.
États-Unis, précédée d'une introduction de M. Laboulaye, et je
rappelais les efforts de Coligny pour fonder des établissements
durables au Brésil, en Floride. Un moment on put croire au succès :
a Les émigrants furent charmés de trouver un pays dont le climat
leur rappelait si bien celui de la patrie. Ils admirèrent les beUes
forêts de mûriers, se hâtèrent de prendre des chenilles pour des
vers à soie, et i)ientôt la Floride eut sa Seine, sa Loire et sa Ga-
ronne. » Temps bien court! La discorde ruina l'œuvre naissante,
et la tentative de Laudonnière n'eut pas plus de succès que celle de
Ribaut, par suite de la violente opposition des Espagnols et de la
coupable indifférence du gouvernement français.
La pensée de Coligny n'en demeurait pas moins grande et l'abbé
Raynal, dans son Histoire philosophique du commerce des Euro-
péens, lui a rendu pleine justice. « Que fut-il advenu, dit à son
tour M. Piéveillaud, si, à l'exemple des puritains d'Angleterre, les
huguenots français avaient accompli un libre exode vers cette terre
promise de la liberté de conscience? Supposez qu'au temps de la
révocation de l'édit de Nantes, au lieu d'être dispersés sur toutes
les plages de l'Angleterre, de la Hollande, de la Prusse, dans tous
ces pays qu'ils contribuèrent à enrichir et à fortifier, — supposez
qu'ils eussent été libres de se rendre, avec la certitude d'y trouver
déjà des frères de môme langue et de même foi, dans cette nouvelle
France protestante que Coligny s'était proposé de fonder, quelle
n'eût pas été la moisson d'une telle semence en cette terre vierge
d'Amérique? Quels développements n'eût pas pris ce jeune peuple,
formé de l'élite du nôtre et grandissant dans cette atmosphère de
liberté, de Self-goverument que crée partout où il passe le souffle
vivifiant de l'Evangile ! Le phénomène qui sera probablement le
fait capital de ce siècle, la croissance vertigineuse, la prospérité
toujours ascendante des Etats-Unis d'Amérique, n'eut pas laissé
de se produire; seulement au lieu d'avoir été coulée dans le moule
anglo-saxon toujours un peu fruste, la républi(iue américaine au-
rait reçu l'empreinte et reproduit l'effigie de la nationalité fran-
çaise; c'est à notre race qu'eût appartenu l'hégémonie du nouveau
monde; pour tout dire en deux mots, l'Amérique du Nord, au lieu
d'être dans son ensemble anglaise de race et de langue, serait au-
jourd'hui, dans sa presque totalité, un pays français. Ainsi l'avait
rêvé Culigny, et nous ne dirons jamais assez quel malheur ce fut, au
BlBLIOGnAPHIE. 525
point de vue français, que ses patriotiques visées ne soient pas
devenues une réalité. »
Tel est le rêve dont l'amer regret inspire plus d'une page élo-
quente à M. Réveillaud. Les essais, interrompus par les guerres
de religion, se renouvellent encore aux premières années du
XVII'' siècle, et ce sont des huguenots qui, sous la conduite de Pierre
Du Gua, sieur de Monts, fondent les premiers établissements de
l'Acadie et du Canada (1603-1608), Ils espéraient jouir en paix
de cette liberté de conscience qui, malgré l'édit réparateur de
Henri IV, était encore si imparfaitement reconnue et si peu pra-
tiquée dans leur patrie. Ils n'avaient pas prévu l'arrivée des jésuites
qui arrachèrent à Richelieu un arrêt d'exclusion contre les protes-
tants déjà établis dans ces lointaines contrées. Le premier fruit de
cette politique fut la conquête du Canada, au profit de l'Angleterre,
par ces mêmes Français exclus du sol qu'ils avaient défriché; con-
quête qui ne fut, il est vrai, que passagère, mais qui en présageait
une seconde rendue définitive par l'aveugle intolérance dont les
conseils de la monarchie se montraient de plus en plus animés.
L'héroïsme de Montcalm ne suffit pas à écarter la catastrophe ([ui
fit irrévocablement passer aux mains de l'Angleterre une colonie
toute française, dont la fidélité à la langue de son ancienne pairie
est un des plus touchants phénomènes de l'histoire. M. Réveillaud
a su retracer avec une chaleur, une émotion communicative, les di-
verses phases historiques dont les péripéties offrent un poignant
intérêt, et on ne peut que s'associer aux généreuses conclusions d'un
livre qui, par la clarté du récit, la nouveauté des aperçus, mérite
de trouver de nombreux lecteurs, parmi ceux-là surtout qui se
préoccupent de Tavenir colonial de notre pairie. Si l'histoire est,
comme l'a dit un ancien, une institutrice de la vie, « magistra
vitœ », les destinées du Canada nous offrent plus d'une leçon qui
ne doit pas être perdue. C'est l'honneur de M. Réveillaud de les
avoir recueillies sur les lieux même, et exposées avec autant de
largeur (juc de patriotisme.
J. B.
CORRESPONDANCE
UNE RECTIFICATION
Cher monsieur,
Dans le Bulletin du 15 avril 1883, nous avons eu l'honneur de décrire
un méreau inédit de la Communion réformée. Le lieu de provenance et
la lettre R qui figure sur cette pièce, nous ont fait croire qu'elle appar-
tenait à iîoJHrtîîS, petit bourg situé à 17 kilomètres de Niort; nous ne
raflirmions pas cependant, car en terminant notre article, nous disions:
« Comme on vient de le voir, nous avons attribué ce méreau à l'ancienne
église de Romans, disparue aujourd'hui, sans avoir pour cela de données
absolument positives. Nous avouons même que la lettre R, initiale du
nom de l'église, nous met dans un certain embarras », etc., etc.
Il résulte de renseignements que nous devons à l'obligeance de
monsieur 1). Charruaud, président honoraire du Consistoire et de la ligue
de l'enseignement des Deux-Sèvres, que le méreau dont nous avons
donné la description n'a pas appartenu à iiomwns, mais bien à l'ancienne
église de Régné.
La haute compétence en pareille matière de monsieur Charruaud,
qui pendant vingt-cinq ans a exercé les fonctions de ministre à Saint-
Maixent, ne nous permet pas d'hésiter un seul instant sur la provenance
(pi'il donne à notre pièce ; aussi nous faisons-nous un devoir de rectifier
l'attribuliou première donnée au méreau que nous avons décrit en le
restituant à l'église de Régné.
Voici à l'appui de noire rectification, (luehjues renseignements histo-
ri(|ucs (jue monsieur (Charruaud a bien voulu encore nous donner, ce
dont nous 1(! remercions sincèrement.
11 n'y a jamais (ui d'église à Romans et jamais non plus il n'y a eu de
temple. Mais il y avait un temple à Régné, ou jdutôt, il n'y avait pas de
temple à Régné même, mais il y avait une église qui s'appelait de ce
nom et dont le temple était àMiaiirag, tout in'és de Romans. Ce temple
l'ut démoli le i mai 17(17.
CORIIESPONDANCE. 527
En 1750, lors de la querelle entre Pelissicr et Gounon, Gomain qui
pacifia les églises en opérant le partage du service, forma quatorze églises
consistoriales, dont Régné. Gomme Romans dépendait de cette église de
Bégné, il n'est pas étonnant que la tradition populaire ait confondu, et
dit : Temple de Romans, d'autant plus qu'il touchait à ce village; mais
son nom est bien : temple de Miauray, église de Ré(/né.
Je vous serai reconnaissant, cher monsieur, de publier cette rectifica-
tion dans le Bulletin et je vous prie d'agréer l'expression de mes meil-
leurs sentiments,
Emmanuel Delorme.
TOMBEAU DE COURT DE GEBELIN
Monsieur le rédacteur.
Je viens d'acquérir d'un libraire de Paris une gravure de vingt centi-
mètres de large sur onze centimètres et demi de haut, représentant le
Tombeau de Court de Gébelin transporté à Franconville et inhumé
dans les jardins de Mme la cointesse d'Albon le iO juillet ibSï. Au has
de la gravure, à gauche, on lit ces mots : F. M. Deliissy, px. ; et à
droite, ceux-ci : L. P. Sep. sit. ; c'est le nom du peintre et du graveur. La
pierre tumulaire a la forme d'un cube rectangulaire, dont la face supé-
rieure est oblique et présente au regard du spectateur un petit cercueil,
taillé en relief. Elle est placée entre quatre colonnes ruinées, à plusieurs
assises. Devant, se voient deux femmes debout, habillées de longues
robes à l'antique. L'une, tournée du côté du tombeau, le conlemplc
silencieusement dans l'attitude de la douleur; l'autre, regardant le
spectateur, étend le bras gauche et, les yeux levés au ciel, déplore la
mort du défunt. Le tout est encadré d'arbres de diverses grandeurs.
Gourt de Gébelin est mort, d'après La France protestante, le 10 mai
1784. 11 paraîtrait donc, d'après la légende de la gravure, que ses restes
furent d'abord inhumés dans un cimetière de Paris, puis transportés
dans les jardins de la comtesse d'Albon. Quoiqu'il en soit, il serait
intéressant, un siècle s'étant exactement écoulé depuis la moi't du lils
d'Antoine Court, de s'enquérir si sa tombe existe encore. Franconvillc-
la-Garenne est un bourg du département de Seine-et-Oise, canton
d'Enghien, à cinq lieues nord-ouest de Paris. Il est situé dans la partie
la plus agréable de la vallée dite de Montmorency et environné do belles
maisons de campagne et d'un beau parc. 11 semble (ju'il sei-ait aisé de
retrouver, si le temps ne l'a pas détruit, le tombeau de notre illustre
5:28 VA Kl A.
conHipionnairc. Les services aussi éminents que désintéressés qu'il a
rendus à nos églises sous la croix en font mémo, ce nous semble, un
devoir à ceux que leurs loisirs ou la proximité des lieux metteul à
même de pouvoir se livrer ù une recherche d'un si louchant et si
haut intérêt.
E. Arnaud.
Crest, le ti-2 octobre, 1884.
VARIA
FÊTE DE LA liÉFORMATION
Nous ne pouvons, à l'heure qu'il est, rendre compte de la manière
dont cette fête a été célébrée cette année. Les renseignements ne nous
parviendront, sans doute, que lorsque ce numéro du Bulletin aura paru.
Nous savons toutefois que les souvenirs et les leçons du passé ont été
évoqués le dimanche 2 novembre dans toutes nos églises de Paris, au
service ordinaire. Un service extraordinaire a môme été célébré le sa-
medi l'^'' novembre dans quelques temples de l'Église de la Confession
d'Augsbourg et dans deux temples de l'Église réformée, ceux de l'Étoile
et de lioulogne-sur-Seine. A l'Étoile, M. le pasteur Bersier a entretenu
un immense auditoire des Galériens pour la foi. A Boulogne, on venait
(l'ériger sur la place de l'ancienne mairie, et grâce à la munificence du
ministère des Beaux-Arts, une slalue à Bernard Palissij; c'est le beau
bronzf^ de Barrias dont un premier exemplaire a été dressé naguère au
milieu du sipiare Saint-Germain-des-l'rés d(! Paris. La pose de ce monu-
ment n'ayant été la cause d'aucune solennité, on profita des I" et 2 no-
vembre pour faire connaître le célèbre potier dans deux conférences au
cours desquelles furent cités des documents peu ou point connus sur la
Ligue à i'aris et aux environs.
llàtons-nous, puisque nous parlons de la Fête de la Réformation, de
réparer une regrettable omission sur la liste des Églises qui, en 1.S.S3,
collecteront ce jour-là pour notre Société (voir le Bulletin du mois
d'octobre dernier) : l'Eglise de NImes aurait dû y figurer pour une somme
de 600 francs.
Le Gérant : Fisciibacher.
BoURLOToN. — Iniprimciies rciinies, B.
SOCiÉTÉ DE L'HISTOIRE
DU
PROTESTANTISME FRANÇAIS
ETUDES iîlSTOIlIQUES
JEAN L'ARCHER
MINISTRE A HÉRICOURT
1563-15881
Que pouvaient faire les pasteurs de Montbéliard pour ré-
sister efficacement à leur adversaire, sinon s'attaquer à sa
personne en rendant publique la lettre écrite au printemps
de 1565 par la classe de Neûchatel au maire de Montbéliard,
Antoine Carrav, sur la « doctrine, vie et conversation » de
l'ancien pasteur de Cortaillod-?
C'est à cette extrémité qu'ils en vinrent dans l'ardeur de la
lutte. Apparemment L'archer nia la vérité des accusations
1. Voir le dernier numéro du littUetin, p. ASl.
2. Cette lettre a été vainement recherchée par M. Gagnebiri. Nous Pavons
recherchée nous mêmes aux Archives de la mairie de Montbéliard, à Ucsançon et
cà Vesoul, mais en vain. Il est probable qu'elle est perdue, mais on en retrouve
la substance dans la lettre du 18 août 1570 reproduite ci-après.
XXXI II. — 'SI
530 JEAN l'archer
dirigées contre lui dans cette lettre, et le Conseil de régence
se vit obligé d'en écrire à ladite classe de Neuchàtel, en même
temps que les pasteurs du comté déléguaient auprès d'elle le
diacre André Floret, dans le but de s'assurer de la vérité de
ces accusations et de demander à la classe de les confirmer
par des preuves et par une déclaration solennelle.
La déclaration de la classe de Neuchatel, assemblée en
séance extraordinaire à ce sujet, ne fut certes pas llatteuse
pour L'archer. La voici tout entière, telle qu'elle est donnée
par U. Gagnebin :
« Tres-chers et hounorez frères, nous avons entendu de maistre André
Floret, diacre de Montbéliard, la charge qu'il avoit de vostrc part de
conférer avec nous touchant certaines lettres escriptes par M"' Guillaume
Philippin nostre cher frère et soubzsignées par nostre bon père M''^ Guil-
laume Farel de bonne raemoyre et par les jurez de nostre assemblée
pour et au nom de toute la classe, qui concernent la doctrine, vie et con-
versation de Jean L'archer. Et avons aussi receu lettres tant de Monsg'
le Gouverneur, chancelier et conseillers de Montbéliard que de nostre
frère M" Pierre Toussain, par lesquelles sommes priez de vous advertir
et asseurer tant du contenu audit escript, que de ce que nous pourrions
scavoir de la doctrine, vie et conversation dudit 1/arcber. Et ce d'autant
qu'en ce faict il est question de la gloire de Dieu et édification de ses
Eglises, ceia a esmcu les frères de ceste classe de s'assembler extraordi-
nairenient afin de adviser à ceste affaire. Ayant donc par ensemble con-
sidéré et diligemment pesé toutes choses, ilz m'ont donné charge de
vous OHcrirc, (ju'ilz ne trouvent guères bon que, ayans cogneu le per-
sonnage et estans advertis tant de sa doctrine que de sa vie et conversa-
tion, voyans aussi qu'il n'apportait tesmoignage de la compagnie de
ceux entre ]es(iuclz par ordre; il avoit esté receu et sans ordre ne dcvoit
s'en départir, ne de son Eglise laquelle comme mercenaire il délaisse! t
estant lié et obligé à icelle jusqu'à ce que légitimement il en fust deslié,
néantmoins l'ayant receu et admis, dont maintenant vous en recevez tel
fruict en salaire qui vous avoit esté prédit. Car vous pouviez bien penser,
frères, que celui (pii ne vaudra rien vers nous et entre nous, a grande
peine qu'il soit homme de bien ailleurs. De sorte que vous voyez eu lui
vérifié ce que dit le commun proverbe, cœliim non animum mutant qui
trans mare currunt. Et que quant à ces lettres qui furent envoyées, il
y a cinq ans passez à iMons' Carray par Mons' Farel nostre bon pèi'e et
MINISTRE A HÉRICOURT. 531
aultres de noz frères, nous les estimons si fermes et authentiques,
qu'elles ne pourroyent cstre davantage corroborées ni autliorisécs par
nous, sinon que nous voulussions cnfraindre et révoquer en doute la
fidélité et preudhommie de nostre bon père et de noz frères qui au nom
delà classe les ont escrites et soubzsignées. Toutesfois d'autant que vous
avez escript que ceci concerne la gloire de Dieu et la tranquilité et repos
de vos Eglises que ce brouillon veut troubler, nous avons bien voulu
acquiescer à vostre requeste en conformant le contenu audit escript.
Et mesme nous envoyons la copie de sa recantation soubzsignée de sa
propre main, touchant ceste belle rapsodie des conciles qu'il a faict
mettre en lumière, oîi vous pourrez voir ce que dit le poète : et criminc
ah uno, etc. Avec ce aussi la copie des censures de M. Pierre Viret sur
le mesme livre, laquelle ledit L'archer a approuvée et soubzsignée ayant
promis de faire imprimer sa recantation afin d'oster le scandale qu'il
avoit donné au grand préjudice de la vraye religion chrestienne, ce qu'il
n'a faict jusqu'tà présent. Item des lettres escriptes à feu notre frère
iM. Antoine Thomassin, où vous pourrez voir quelque chose de ces
bizarres opinions. Voilà, frères, ce que nous avons pu faire. Nous prions
notre Seigneur qu'il vous vueille si bien conduire et addrcsser par son
esprit que le tout redonde à son honneur et gloire, au bien, édification
et tranquilité de son Eglise. Nous avons rescript à Mons"" le Gouverneur
et Conseil de Montbeliard pour ce mesme faict, leur adressans le tout,
qui sera l'endroit oii après nous estre recommandez à vos sainctes prières,
nous prions l'Eternel qu'il vous ait en sa saincte et digne garde. De Neuf-
chastel ce 18 d'aoust 1570. Vostre frère et bon ami D. Chailiet, Doyen,
par commandement et au nom de toute la classe.
Assiii^ément cetlc lettre où L'archer était traité de brouil-
lon et d'homme de rien, n'était pas de nature à lui rendre les
sympathies et l'estime de ses collègues. Quant à celle qui lut
adressée pour le môme fait au Conseil de régence, et dont le
contenu devait être ta peu près identique, elle manqua com-
plètement son but. Dès l'année suivante 1571, sur la lin de
juillet, Jacques Andreœ, cliancelier de l'université de Tubin-
gen et un autre théologien allemand du nom de Chrislophe
Binder, vinrent de la i)art des })rinces curateurs, les mar-
graves deBrandebourg-Anspach et de Bade, visiter et inspecter
les églises de la Principauté. Les instructions ((u'ils avaient
reçues portaient de tout l'aire pour maintenir « la saine doc-
532 JEAN l'archer
Irine », c'esl-à-dirc le lulliéranisme, et extirper les opinions
de Calvin, de Farel et de Zwingle^ Leur première démarche
fut de s'informer auprès de personnes qui leur avaient été
indiquées comme « pures dans la doctrine » et au nombre
desquelles était L'archer, de celle que professaient les
ministres du pays et particulièrement les deux Toussain.
Bientôt ils apprirent qu'avant leur arrivée Pierre Toussain
avait engagé tous les pasteurs, à l'exception des seuls L'ar-
cher et Pierre de Toux, Tullius, d'Allanjoie, à signer un acte
qu'il avait rédigé lui-même et portant qu'ils refuseraient tous
de se laisser examiner par les théologiens wurtembergeois,
qu'ils persisteraient dans les anciens usages et rites ecclésias-
tiques, et par suite n'accéderaient pas sur cet article aux
prescriptions de l'Ordonnance de 1568. L'examen en question
n'eut pas moins lieu dans les premiers jours du mois d'août,
à Montbéliard, en présence de commissaires politiques, du
biulli du comté, Guillaume Kranlz, et du chancelier Vogel-
mann. Pierre Toussain refusa courageusement de comparaître
devant ce tribunal. Son fils Daniel qui le suppléait depuis un
au dans ses fonctions de pasteur fut examiné le premier,
principalement sur l'article de la Gène, et il aflirma haute-
ment ses opinions calvinistes ^ Tous les ministres furent
ensuite examinés sur les trois points suivants : le contenu des
1. La luUc entre minnlenant dans une phase nouvelle. La question des rites
va se compliquer de la question de doctrine.
2. On sait que la divergence entre Luther d'un côté, Calvin et Farel de l'autre,
portait principalement sur la Sainte-Cène. D'après Luther qui s'en tenait stric-
tement aux paroles de l'institution et les prenait à la lettre, la cliair et le sang
étaient réellement et substantiellement présents dans le pain et dans le vin
pour tous ceux qui participaicut à la Cène, même pour les indignes et les impies.
D'après Calvin et Farel, Christ étant au ciel depuis son ascension ne pouvait
être matériellement présent dans le pain et le vin de la Gène. Sa présence ne
devenait sensible à l'individu qui participait au sacrement, qu'autant que cet
individu avait la foi et par la foi s'élevait jusqu'au Christ glorifié L't assis à la
droite de Duie. C'était tout au plus une présence spirituelle, n'ayant rien de
commun avec une présence réelle et corporelle. Enfin, pour Zwingle, la Cène
n'était qu'un simple mémorial do la mort de Christ.
MINISTRE A IIÉRICOURT. 533
confessions d'Aiigsbourg et de Wurtemberg, l'accord de
Luther et de Bucer, et les articles de l'Ordonnance ecclésias-
tique de 1568, particulièrement ceux traitant du baptême et
de la Ste-Cène. La plupart d'entre eux déclarèrent adhérer et
s'en tenir à la Concorde de Wittemberg qu'ils avaient signée
en 1562 ^ Le 12 août, Daniel Toussain écrivait à la classe de
Neuchâtel : « Combien que le Magistrat eût rendu tesmoin-
gnage aux princes du repos et bon ordre de ces églises, ce
grand remueur de mesnage le docteur Jacobus Andreœ a
brigué une commission qu'il a obtenue, de visiter (comme ils
appellent) ces églises, ce qui rapporte à l'Inquisition et est du
tout semblable. Comme aussy ce nous a esté une grande Visi-
tation de Dieu que la venue de cest homme-là, pour ce qu'il
s'est comporté avec toute insolence et contre tout ordre ecclé-
siastique, estant envenimé contre les Calviniens qu'il nomme
ainsy, plus que ne furent jamais les Égyptiens contre les
Israélites. D'entrée il s'est toujours accosté de ce profane
Arquerius, l'ayant à son conseil, au lieu de peser les accusa-
tions qu'on a voit contre luy. » Le 21 août, trois pasteurs qui
lors de l'examen n'avaient pas dissimulé leurs opinions calvi-
nistes, furent destitués comme tels et reçurent l'ordre de
quitter le pays : c'étaient Georges Jung, ministre de l'église
allemande de Montbéliard, Jean Thélusson, de Blamont, et
Daniel Toussaint. Quant au père de celui-ci, il fut dès le mois
deseptembre suivant, mis à la retraite et remplacé dans ses
1. L'accord conclu en mai 1536 entre Luther et Bucer, sous le nom de Con-
corde de Wittemberg, était tout entier à l'avantage de Luther. Celui-ci tenait
à une présence réelle et corporelle de Christ dans les espèces du sacremcnl,
pour tous ceux qui y participaient, môme pour les indignes et les impics. Bucer,
pasteur à Strasbourg, qui partageait les idées des réformateurs suisses et qui
par conséquent ne croyait pas à la présence réelle, au sens luthérien, consentit
cependant, dans l'intérêt de la pai.x, à affirmer la présence réelle, substantielle
et corporelle de Christ dans le sacrement, jiour les indignes, mais non pour les
impies. Appendice, n° 13.
2. Georges Jung était originaire d'Allemagne; Jean Thélusson,. originaire de
France, avait été pasteur à Lyon en 1561 et 1562; il desservit l'église de Bla-
mont de 1570 à 1571.
534. JEAN l'archer
fonctions de surintendant des églises de la Principauté par
Henri Efferhen, théologien wiirtembergeois strictementatla-
ché au luthéranisme et à l'agende luthérienne.
Pendant les années qui suivirent, L'archer ne cessa de
jouer un rôle actif comme défenseur de la doctrine et des
rites contenus dans l'Ordonnance ecclésiastique. Apparem-
ment il accompagna les commissaires théologiens envoyés de
nouveau à Montbéliard en i573 et 1574. Dans cette dernière
année, il obtint d'être déchargé d'une partie de ses services
religieux, et deux pasteurs de Vyans, François Pelletier et
Antoine Serray vinrent successivement, le premier de 1574
à 1570, le second de 1576 à 1581, prêcher chaque dimanche
au cliâteau-fort d'Iïéricourt pour la garnison qu'y entretenait
le souveraine En 1577, L'archer signa la fameuse Formule
de Concorde dont l'introduction dans nos églises entraîna
l'année suivante la destitution de six pasteurs et de cinq
maîtres d'école ^ Puis quand parut, le 25 juin 1580, lacollec-
1. En 1581, Iléricourt obtint un deuxième pasteur qui porta le titre de diacre.
Celui-ci n'était qu'un ministre en sous-ordre, et comme tel ne recevait que la
moitié du traitement pastoral ou demi-gage; aussi les jeunes ecclésiastiques
pourvus du diaconat se succédèrent proinptement les uns aux autres, pressés
d'entrer dans des places qui rapportaient le gage complet. Les diacres, chargés
spécialement de prêcher au château pour la garnison, remplirent en outre cls
fonctions de maîtres d'école d'Héricourt de 1581 jusqu'à la fin de l'année 1618
nù le diacre Jean-Christophe Macler fut déchargé desdites fonctions par le
rétablissement d'un instituteur primaire laïque dans la personne de Jacques de
lîout, fils d'Ogier de Bout, pasteur d'Étobon. Les diacres n'eurent plus dès lors
qu'à vaquer à la catéchisation des enfants, au soin des pauvres et à remplacer
le pasteur en cas d'absence ou d'indisposition.
2. Les six pasteurs étaient : Jean BruUey, originaire de France, diacre à Saint-
Martin de Montbéliard de 1571 à 1573, pasteur à Allanjoie de 1573 à 1578,
pendu dans le comté de Bourgogne comme prédicant;
Claude Morel, de Chàlons, pasteur à Exincourt de 1562 à 1578;
Pierre Bollot, originaire de France, pasteur de Brevilliers de 1570 à 1578;
François Clerget, originaire de Ciiampagne, pasteur à Villars-les-Blamont de
1570 ù 1578;
Jean Aubert, originaire de France ou de Suisse, pasteur à Scloncourt de 1561
à 1578;
Jean Wattelet. originaire de Picardie, pasteur à Saint-Julien de 1569 à 1578.
MINISTRE A HÉRICOURT 535
tion complète des symboles luthériens ou Livre de Concorde,
il fut un des premiers à y conformer sa prédication*; aussi
le voyons-nous peu de temps après se considérer lui-même
comme le pilier du luthéranisme dans notre pays, s'arroger
le droit d'exercer officieusement une espèce de surveillance
et de contrôle sur ses collègues, et appeler contre eux de
nouvelles rigueurs en signalant, en 158i, au gouvernement
« les défauts qui sont en plusieurs églises de Son Excel-
lence- ». Enfin en 1586, à la suite de l'insuccès du colloque
tenu à Montbéliard entre Jacques Andreœ et Théodore de
Bèze, il signa comme les autres ministres la confession de foi
du comte Frédéric.
Pour ce qui est du ministère de L'archer à Héricourt, il fut
certainement facilité par la stricte application du mandement
des princes tuteurs du 7 avril 1565. Les portiers eux-mêmes
des portes de la ville étaient tenus d'en assurer l'exécution,
ainsi qu'on s'en convaincra par l'extrait suivant des « articles
de serment » que lesdits portiers étaient tenus de prêter
entre les mains des membres du magistat : « Tous ceulx qu'ils
ouyront jurer ou blasphémer ou donner au diable soy mesme
ou aultres gens ou bestes, les admonesteront pour la pre-
mière, et pour la seconde fois les relateront au sieur ministre
et anciens. Ne laisseront emprès d'eulx aulcungs des bour-
geois et habitans pendant et durant que l'on fera les presches
les dimanches et aultres jours; pour ce ordonneront sans les
admonester d'aller aux sermons et en cas qu'ils ne obeiroient
à ce, en advertiront le sieur ministre et anciens, et fermeront
les barrières et petites portes de leurs charges durant les
dicts presches, lesquelles après iceulx les pourront défermer
et ouvryr. Item, qu'ils ayant soingneulx et garde de ne laisser
entrer nul des bourgeois et habitants en la dicte ville les
dimanches, portans fruicts quels qu'ils soyent, et qu'ils les
1. Appendice, n" 14.
2. Appendice, n" 15.
536 JEAN l'archer
feront estes recueillis pendant et durant les prédications des-
dicts dimanches. Que si aulcung si en retrouvoit, les feront
descharger lesdicls fruits, et en advertiront le procureur
pour les en poursuir par justice' ». Grâce à ces mesures coer-
citives autant qu'à l'action personnelle de L'archer, le culte
public était plus ou moins suivi par les habitants. Néanmoins
lemal était profondément enraciné dans les mœurs; les jure-
ments et les blasphèmes se produisaient comme par le
passé, malgré la sévérité de la discipline ecclésiastico-civile^;
les parents mettaient peu d'empressement à envoyer leurs
enfants aux cathéchisations, et la Sainte-Cène de même que
le chant des psaumes ^ étaient « en grand mépris », attendu
que bon nombre d'habitants comptaient toujours sur un
changement de prince, lequel amènerait un changement de
religion, et dans cette attente continuaient à entretenir des
sympathies plus ou moins secrètes pour le catholicisme.
Tel était l'état des choses à Héricourt et dans les trois sei-
gneuries lorsque, sur la lin de décembre 1587, et sans qu'il
y eût eu déclaration préalable d'hostilités, la Principauté de
Monlbéliard fut envahie par Henri, marquis de Pont-à-Mous-
son, fils du duc Charles II de Lorraine, et Henri dit le Balafré,
duc de Guise, cousin du précédent, qui venaient de défaire
dans le Gatinais et le pays chartrain une armée allemande
amenée par le baron Fabius de Dohna au secours des réfor-
1. Livre des réceptiom à la bourgeoisie d'Iléricourt, page 58; aux archives
municipales.
2. Peut-être est-ce ici le lieu de rappeler ce passage de Farel : « La fureur
estoit telle (contre les reformés), que de dire Ciirist simplement, ou parler sans
jurer le corps et le ventre, on estoit luthérien et hérétique. » Ainsi les jure-
ments et les imprccations claicnt à cette époque une marque de catholicité. —
Farci, Forme d'oraison, etc., page 280 du volume de ses œuvres diverses réim-
primées à Genève en 1865.
3. Les Psaumes de David, mis en vers français par Clément Marot et Théodore
de Bèze, puis revus et corrigés par les pasteurs et professeurs de l'église et de
l'Académie de Genève, furent le seul livre de cantiques en usage dans les églises
et les écoles du pays de Monthéliard, depuis l'époque de la Réformation jus-
qu'au commencement du siècle actuel.
MINISTRE A HÉRICOURT. 537
mes de France. Aux yeux de ces princes, catholiques fana-
tiques, le comte Frédéric de Monlbéliard avait le grand tort
d'être hérétique ainsi que ses sujets, d'avoir favorisé par ses
paroles, ses démarches et son argent les protestants du
royaume, et d'avoir offert un accueil bienveillant sur ses
terres à un certain nombre d'entre eux^ Alliant le fanatisme
religieux à un impérieux besoin de faire le mal, l'armée des
Guises, composée d'un ramassis de Lorrains, de Bourgui-
gnons, d'Italiens, d'Albanais et d'autres aventuriers de la pire
espèce au nombre d'environ douze à quinze mille hommes,
mit pendant trois semaines notre pays à feu et à sang. Les
temples de Dampierre-lcs-Bois, Étupes, Roches-les-Blamont
et Glay furent livrés aux flammes; quinze presbytères, à
Abbévillers, Allanjoie, Bavans, Glairegoutte, Dampierre-les-
Bois, Désandans, Etobon, Exincourt, Montéclieroux, Roches-
les-Blamont, Saint-Julien, Seloncourt, Valcntigney, Vandon-
court et Villars-les-Blamont, eurent le même sort, ainsi que
dix usines, huit fermes ou métairies appartenant au domaine
du prince et sept cent neuf maisons incendiées dans cin-
quante-six villages. Les places de Montbéliard et de Blamont
résistèrent aux assauts de ces barbares, mais celle d'Iléricourt
n'ayant que cent vingt hommes de garnison et manquant
entièrement de munitions et de vivres, ouvrit ses portes le
jeudi 4 janvier 1588, après un blocus de deux ou trois jours.
Le premier soin de Gérard de Reinach, un des lieutenants du
marquis de Pont-à-Mousson, fut de se saisir du temple, de le
rendre au culte catholique et de brûler publiquement hi Bible
et les autres livres d'église, y compris le registre des baptêmes
de la paroisse, après les avoir offerts à la risée et à la profa-
nation de ses soldats. Pendant les huit jours qu'IIéricourt fut
au pouvoir des bandes ennemies, celles-ci y « menèrent une
1. On sait que de nombreux rcligionnaircs sN'taicnt réfugiés dans la ville de
Montbéliard. De plus, le village de Frédéric-Fontaine, dans la seigneurie d'iao-
bon, avait été fondé en 1578 par seize chefs de famille venus de Lorraine cl de
Champagne pour cause de religion.
538 JEAN l'archer
vie insolente », au mépris de la capitulation accordée aux
habitants. Heureusement pour ces derniers et pour la Ré-
forme, l'occupation fut de courte durée. Dès le 12 janvier
suivant, notre ville fut reprise sur l'armée des Guises par la
garnison et les bourgeois de Montbéliard, et la cause du pro-
testantisme y fut sauvée.
Jean L'archer, obligé de se cacher pour échapper aux
recherches des soldats qui traquaient les ministres de l'Évan-
gile comme des bêtes fauves, ne survécut que peu de temps
à la délivrance de sa paroisse. Il mourut dans cette même
année 1588, à l'âge d'environ soixante-douze ans, laissant
après lui la réputation d'un très docte personnage « aymant
les gens scavans^ », d'un pasteur actif et plein de zèle, et
d'un luthérien strict, quelque peu complaisant pour l'auto-
rité princière. Son influence auprès du gouvernement n'avait
fait que grandir jusqu'à la fin. Peut-être même fut-il anobli,
en récompense des services rendus par lui à la cause du
luthéranisme^; eh tout cas, il avait bien mérité de celui-ci.
Il avait également bien mérité du protestantisme, en obte-
nant l'introduction définitive de la Réforme dans les trois
seigneuries nouvellement acquises. Etait-il aimé à Héricourt?
nous ne savons; toujours est-il que son nom ne figure pas
dans le hvrc des réceptions à la bourgeoisie du lieu. Deux
de ses fils embrassèrent comme lui la carrière pastorale.
L'un, Nicolas, qui n'est pas mentionné dans la France protes-
tante, fui d'abord maître d'école, puis nommé pasteur h Cha-
geyen 157G, et déclaré émérite en 1620; il mourut à Chagey
le 19 ianvier 1021, dans un âge avancé'. L'autre, Christophe
1. Lettre (ic L'archer à Cliastillon, du 30 juillet 1551, dans la France protea-
lante.
2. Dans plusieurs documents de XYii» siècle, le nom de ses fils et de leurs
descendants est précédé de la particule nobiliaire.
'S. En 1562, Jean L'archer écrivait à Chastillon : « S'il plaît à mon Dieu me
donner vie et santé et à mon fils Nicolas, je le vous enverray incontinent après
Pasqucs s'il vous plait me le nourrir. « Lettre du 5 octobre 1562, dans le Thésau-
rus epinlolicm calvinianus.
MINISTRE A HÉRICOURT. 539
L'archer, fut nommé diacre à Héricoiirt en 1587, pasteur à
Colombier-Fontaine en 1592, pasteur à Valcntigney en 1595,
et en 1620 diacre à Blamont où il demeura jusqu'en juin
IGS^. Aucun de leurs descendants ne fut pasteur au pays,
si ce n'est peut-être Jacques-Gustave L'archer, décédé pre-
mier pasteur de Saint-Martin de Montbéliard en 1834.
Deux siècles auparavant, en 1(334, le luthéranisme avait
définitivement remplacé le calvinisme dans toute l'étendue
de la Principauté de Montbéliard ^
AuG. Ghenot, pasteur.
1. Ce morceau, ainsi que la notice historique dont il fait partie, vient d'être
publié dans les Mémoires de la Société d'émulation de Montbéliard. Année
1884. (Réd.)
DOCUMENTS
TROIS LETTRES DE STRASBOURG
Neuhof, près Strasbourg, 1" septembre 1884.
Monsieur le direclour,
J'ai copié, il y a quelque temps déjà, les documents qui suivent aux
archives de Strasbourg, pensant qu'ils pourraient avoir peut-être quelque
intérêt pour les lecteurs du Bulletin du. protestantisme français. Je les
retrouve aujourd'hui parmi mes papiers, durant un séjour à la campagne,
et sans être, par conséquent, à même de vérifier s'ils sont inédits ou non.
Evidemment leur publication n'aurait plus de raison d'être, s'ils se
trouvaient déjà, soit dans la Collection des documents inédits, en ce qui
concerne la missive de Henri IV, soit dans quelque autre recueil, pour
ce qui est des lettres de la princesse de Condé. Je regrette d'avoir à vous
abandonner les recherches nécessaires pour établir le fait de leur pu-
blication, mais j'espère que le vif intérêt que vous portez à l'histoire
si glorieuse de la réforme française, vous les fera paraître moins fasti-
dieuses. Si réellement mes lettres avaient déjà vu le jour, excusez ce dé-
rangement inutile par le sincère désir de contribuer, dans les modestes
limites de mon temps et de mes moyens, au grand travail de restaura-
lion historique entrepris depuis de si longues années par vous et vos
collègues.
La première des trois pièces ci-jointes est une lettre adressée par
Henri de Navarre au conseil de la ville de iiàlc, en automne 1576, au
moment à la formation de la Sainte-Ligue, Elle n'existe donc point en
original aux archives municipales; nous en possédons une copie seule-
ment, immédiatement envoyée par le magistrat de la cité suisse à ses
bons alliés de Strasbourg. Mais je vous avouerai que je n'ai pas cherché
longtcnqjs la pièce elle-même, ayant trouvé parmi des papiers qui m'ont
été donnés, la copie qu'en avait faite autrefois M. Louis Schnéegans, ar-
TROIS LETTRES DE STRASBOURG. 541
claviste de la ville, avec l'attention scrupuleuse qui distinguait ce savant
modeste et laborieux; c'est cette copie même que je vous envoie.
La lettre est adressée « aux magnificques seigneurs, Messieurs les
bourgeoismaistre et Conseil de Basle. » M. Schneegans en a strictement
respecté la ponctuation, qu'il faudrait modifier peut-être, pour rendre la
pièce plus généralement comprébensible. Vous trouverez facilement —
ce qu'il m'est impossible de faire dans ma solitude ici — quel était
l'envoyé auquel le jeune roi de Navarre confiait la mission d'éclairer les
cantons protestants sur les dangers menaçant la Réforme et de provoquer
une entente de plus en plus nécessaire de tous ses adhérents en face
des projets forgés par les puissances catholiques.
« Messieurs estant adverty de certains malheureulx desseings
et entreprises que font les ennemys de la religion reformée, pour
abolir l'Edict dernier depacifficationquil a pieu a Dieu nous donner
en ce Royaume et exterminer ladicte religion et ceux qui en font
profession, ainsy quon vous fera amplement entendre. Et daultant
([ue leffect desdictes entreprises advenant, je pourrois estendre sur
toutes les aultres Églises de la chrettienté, qui sont de mesme reli-
gion, je vous ay bien voullu donner cest advertissement comme à
nos bous voysins et amys assoties et confédérés affin que vous advi-
siez a destourner par tous moiens au malheurs imminiens (?). Et a
nous conserver et maintenir les ungs et les aultres en telle unyon
et intelligence, quils puissent estre empeschés en exécution de leurs
dits desseings voulant bien espérer que vous employerés tous les
moiens que Dieu vous aura mis en main pour résister a leurs dicls
efforts et vyolences, et nous soubvenir a nostre bcsoing, comme nous
ferons très volontiers a vostre, et moy particulièrement j'y cmployeré
tout ce que jauray en ma puissance avec telle affection que je prie
Dieu, messieurs, vous avoir en sa saincte protection et sauvegarde.
De Nerac le XVI., jour doctobre 157G.
Vostre bien bon et affectionné amy.
(Signé) Henry. »
Les deux autres lettres se rapportent au séjour du jeune prince de
Condé dans nos murs, alors qu'il étudiait les belles-lettres à l'Académie
nouvellement créée à Strasbourg et dirigée encore par le célèbre huma-
niste Jean Sturm. Le premier de ces documents est adressé au magis-
trat de Strasbourg, « à messieurs, messieurs les Lanmeistre, Statmaistrc
542 TKOIS LETTRES DE STRASBOURG.
et Conseil de la ville de Strasbourg* ». 11 en fut donné lecture au
Conseil des Vingt et Un, le 24 octobre 1577, et d'après une note du
secrétaire du Conseil, il y fut répondu quatre jours plus tard. C'est une
lettre de remerciements de la princesse, pleine de choses flatteuses à
l'adresse de notre petite république protestante.
« Messieurs, je ne puis dire le contentement et ayse que j'ay
receu d'entendre par les lettres de mon fils Ihonneur que luy avez
faict de le recevoir en vostre ville. Car estant bien atlvertie de vos
vertus et prudence, bonne et saincte justice que vous exercez, avec
singulière police, renommée et excellence par dessus toutes aultres
villes et nations, jay tousiours désiré qui! peult estre nourry en si
bonne escolle. Je prie Dieu quil luy face la grâce de retenir si bien
les bons exemples qu'il peult veoir en vostre dicte ville, qu'a lad-
venir il en puisse avoir bonneur, et se rendre capable en récom-
pense de vous faire quebiuc bon et agréable service, comme de ma
part, après vous avoir remerciez bien bumblemcnt de ce plaisir, je
vous offre le pouvoir de moy, et des miens, d'aussi bon cœur que je
salue vos bonnes grâces, et prie Dieu, Messieurs, conserver vos Sei-
gneuries, et les augmenter et accroislre en toute prospérité. De
Sedan, 15' octobre 1577.
La bien fort vostre affectionnée,
Françoise de Bourbon. »
La seconde lettre de la princesse est adressée à un riche bourgeois et
négociant de Strasbourg, Isaac Wicker, qui fut pendant de longues an-
nées lo bailleur de fonds, le fournisseur et l'agent diplomatique des
comtes palatins du lUiin dans notre ville et son voisinage. Je l'ai trouvée
dans un fascicule de pièces relatives à Jean-Casimir, le prince remuant
et ambitieux (jui, continuant les relations de son père, l'électeur Fré-
déric le Pieux, avec les huguenots de France, mais avec moins de
noblesse et des visées plus positives, joua un rôle assez important durant
es guerres de religion, à partir de 1567. Cette pièce est à peu près la
môme époque que la précédente.
« Seigneur Isaac, ayant entendu par mon fils, lequel il a pieu a
1. Lanmeislre pour Vammehter, le représentant de la bourgeoisie dans le
pouvoir executif, comme les sletmeiste étaient ceux du patriciat.
TROIS LETTRES DE STRASBOURG. 513
messieurs de vostre Seigneurie accepter en votre tant renommée ville
pour la estre instruit en toutes vertus et bonne discipline, et par pré-
cepteur, le soin particulier qu'il vous a pieu prendre et prenez tous
les jours par infinies peines pour le regard de mondit fils, je n'ai
voulu faillir a vous en remercier autant affectueusement que ce
peult, et vous asseure que si en récompense je vous puis faire
quelcfue aultre plaisir, vous m'y trouverez entièrement disposée et
aussi promptement de bon cœur qu'en attendant je vais supplier
Dieu, Seigneur Isaac, vous conserver en sa très saincte et digne
garde. De Sedan, le 17 d'octobre 1577.
La bien fort vostre,
Françoise de Bourbon. »
Le même fascicule de la correspondance de Jean Casimir renferme
une troisième lettre de la princesse, également adressée à Isaac Wicker,
et datée du 8 décembre suivant. Mais comme elle est conçue à peu près
dans es mêmes termes que la précédente, je pense qu'il est inutile de la
reproduire aussi.
Agréez, monsieur le directeur, l'expression bien sincère de ma con-
sidération respectueuse,
RoD. Reuss,
Bibliothécaire de la ville de Strasbourg.
DOSSIER D'UN PROPOSANT-MARTYR
FRANÇOIS RÉNÉZET '
1752
Archives de l'Intendance à Montpellier, série C. !23"2,
Analyse de M. Teissier, d'Aulas.
Papiers trouvés sur Bénézet.
Sermon prêché le jeudi 12 mars 1722 à Constantinoplc, sur les
paroles de saint Paul aux Romains, cii. vni, v. 2 : Car je suis as-
suré que ni mort, ni vie à danger, ni princiimutéy etc.
\. Sur François Bétiézct, voir les historiens des É^jUscs du désert, Cli. Co-
544 DOSSIER d'un proposant-martyr.
Autres sermons, prières, etc.
Copie d'un discours prononcé par M. Boyer, le 31' aoust 17i4. —
A la fin on lit : « Prononcé dans une assemblée publique à l'occasion
de la sentence rendue contre le s' Boyer par lui, le 31 aoust 1744. »
Fragment de lettre du l^octobre 1751, signée a Paul-Auguste»,
engageant Bénézet à venir le trouver, etc.
Lettre du même du 27 juillet 1751, dans le sens de la précé-
dente, indiquant les pièces à produire.
Lettre du 7 janvier 1748, signée « P. Gautier y>, parlant des me-
nées des sieurs Coste, Encontre et Bastide, etc.
Brouillons de sermons, prières, instructions religieuses, lettres,
etc.
Copies des complaintes sur la mort d'Alexandre Roussel, au
nombre de trois.
Voir pour le reste à l'interrogatoire deuxième, du 31 janvier.
Lettres des intendants, ministre d'État, etc.
Versailles, le 28 février 1752. — Original signé. — « J'ai reçu.
Monsieur, les lettres que vous m'avez fait l'bonneur de m'écrire le
24 du mois dernier et le 2 du courant; la capture dont vous m'in-
formez par la dernière du nommé Bénézet, prédicant, ne peut que
faire un très bon effet, surtout, si comme il y a lieu d'en juger par
ce que vous me marquez de son propre aveu, l'on peut acquérir
assez de preuves contre lui pour en faire un exemple; il aurait été
à dé'îirer que l'on se fût assuré en même temps du nommé Paul,
autre prédicant, qui était avec Bénézet quand il a été arrêté, mais
ce sera toujours un grand bien si l'exécution de celui-ci intimide
les autres ministres au point de les faire sortir tous de la Province
où leur présence est sans difficulté la cause principale de l'assu-
quercl, Nap. Pcyrat, ainsi que trois articles de M. Daniel Benoit, qui n'est pas
sans erreurs. Evangéliste de 1874.
Nous empruntons au beau recueil des Lettres de Paul Rabaut à Antoine
Court, qui vient de paraître, quelques extraits relatifs au proposant-martyr :
y février 1752. — « Autre événement plus fâcheux encore : Le sieur Bénézet ,
élève de M. Boyer, fut arrêté au Vi^^jau. le 30° du mois dernier, et il est
actuellement dans la citadelle de Montpellier. Comme il n'était qu'élève, plusieurs
DOSSIER d'un proposant-martyr. 545
rance avec laquelle il paraît que les religionuaircs qui s'y assemblent
commencent cà résister aux troupes du Roi. Je ne puis m'en rapporter
au reste, qu'à ce que le comte de Saint-Florentin nous mande, etc. »
Signé : « V. Dargenson. »
27 mars 1752. — Minute de lettres écrites à M. le garde des
sceaux, M. le chancelier, etc. — « J'ai eu l'honneur de vous rendre
compte ce matin du jugement qui avait été prononcé contre le nommé
Bénézet; il a été exécuté sans le moindre trouble; il est mort en
vray fanatique et avec une obstination marquée dans ses erreurs.
J'ai l'honneur, etc. »
Paris, le 6 avril 1752. — M. Vernier. Original signé. — « Mon-
sieur, j'ai reçu votre lettre du 17 du mois dernier par laquelle vous
m'apprenez l'exécution du nommé Bénézet, fameux prédicant. Il
est à souhaiter que cet exemple contienne les religionnaires dans
leur devoir. Je suis, etc. »
Signé: « De Lamoignon. »
15 avril 1752. — Ordonnance de M. de Saint-Priest, qui commet
Daudé, subdélégué au Vigan, pour répartir l'amende de 3000 livres,
prononcée par jugement du 24 mars, contre les habitants N. C. des
personnes croient qu'il ne sera pas condamné à mort. Je voudrais qu'ils conjec-
turassent juste; mais je crains bien qu'ils se tromperont. Sa femme est ici dans
une désolation plus aisée à sentir qu'à exprimer, et pour surcroît d'affliction
elle se trouve dans la dernière misère. N'y aurait-il aucune ressource pour elle
dans les païs étrangers, supposé qu'elle soit contrainte d'y clicrclicrun refuge? «
17 mars 1752. — « A propos de Bénézet nous attendons de jour à autre son
jugement; on continue à dire qu'il ne sera condamné qu'à un exil le reste de ses
jours. »
Cet espoir fut déçu : « Si, dit le savant annotateur des lettres de l'aul n;ibaut,
les réponses de Bénézet aux pasteurs qui l'avaient examiné quelques mois aupara-
vant, n'avaient pas été trouvées suffisantes, il sut du moins répondre avec une
incontestable dignité quand il se trouva en face de la mort. Le lieutenant qui
l'avoit pris lui ayant dit avec satisfaction : « Votre prise me procurera la croix de
Saint Louis; » — « Oui, répliqua le futur martyr, ce sera une croix de sang qui
vous reprochera toujours ! » U fut condamné à mort par arrêt du 24 mars 1752.
Dans la crainte d'un soulèvement on le fit conduire au gibet par un corps de
1200 hommes. U mourut en héros le 27 mars, sur l'esplanade de Montpellier. 11
y a sur ce sujet une belle complainte du Désert. Voir le Bulletin, t. XIV, p. 258.
XXXIII. — 35
546 DOSSIER d'un proposant-martyr.
communautés, ville et paroisse du Vigan, Avèze, Pommiers et
Mandagout, qui composent l'arrondissement de la ville du Vigan
dans laquelle le nommé Bénézet, prédicant, a été arrêté.
Puis viennent les subalternes de tout grade :
Sans date. — Minute. — « Monseigneur, Votre Grandeur doit
être instruite de la capture du sieur Bénézet, prédicant, faite par
les soins du sieur Puechmille aux environs du Vigan, etc. » Demande
une récompense.
Vigan, 30 janvier 1752. — Daudé Dalzoïi. — Original signé. —
Il annonce la capture de Bénézet, prédicant. a Le nommé Paul,
ministre, était à table avec Bénézet et s'est évadé. Il avait. Monsei-
gneur, prêché à l'assemblée où Bénézet n'avait fait que la prière. »
4 février 1752. — Le même. — Envoi des interrogatoires, papiers
saisis, etc.
Interrogatoires.
1" interrogatoire devant Daudé-Dalzon, subdélégué du Vigan,
assisté de Jean Guibal, greffier. — 30 janvier 1752. — A répondu
qu'il a fait les fonctions de prédicateur pendant quatre ans ou envi-
ron, ayant commencé de prêcher quelque temps après sa sortie de
Montpellier. Que pendant lesdits quatre ans, il a, non seulement
prêché mais fait les prières, exhorté les malades, et toutes les
autres fonctions du ministère de lad. religion dont il était capable.
Qu'après les quatre ans il demanda son congé aux ministres (lui
composent cette province, pour aller dans une autre province ou
département. Que l'ayant obtenu, il est allé prêcher et faire Icsd.
fonctions tantôt dans le Bas-Languedoc, tantôt ailleurs, jusqu'à ce
jourd'hui.
Il a été aujourd'hui à une assemblée aune lieue de cette ville sur
une montagne qu'il ne connaît pas, qu'il n'y a pas prêché, un autre
qui est minisire l'ayant fait, mais que lui y a fait la prière, dans
laquelle il a prié « pour le Roy, la Reyne, Monseigneur le Dauphin
et toute la famille Iloyalle. »
A répondu qu'il a été arrêté chez la nommée Fraissinet, veuve,
et soupait quand on l'a arrêté, il devait partir après souper. Il était
à souper avec un étranger nommé Paul, ministre de lad. religion,
DOSSIER d'un proposant-martyr. 547
le même qui avait prèclié à l'assemblée aujourd'hui et qui s'est évadé
tandis qu'on l'aiTétait.
A répondu qu'il ne connaît personne, et que souvent le ciel a été
sa couverture.
Signés : « François Bénézet, Daudé-Dalzon, Guibal, g''^ »
2« Interrogatoire devant les mêmes. — 31 janvier 1752. — A ré-
pondu se nommer François Bénézet, être aspirant au saint minis-
tère de la R. P. R., être âgé de 26 ans à 27 ans, qu'il est originaire
de la ville de Montpellier, paroisse Notre-Dame de la Grand'rue,
et que sa demeure est çà et là depuis huit ans.
A répondu que ses père et mère sont morts depuis longtemps, que
son père était marchand-droguiste.
A répondu qu'il est marié depuis environ quatre ans, son mariage
ayant été béni par le nommé Paul Marazel, ministre, aux environs
de Montpellier, qu'il a une fille qui, de même que sa mère, sont sor-
ties du royaume et sont à Genève.
A répondu qu'étant encore jeune, il n'avait pas d'état avant d'être
prédicant.
A répondu qu'il a mangé son bien depuis qu'il est dans le désert.
A répondu que ses père et mère étaient de la R. P. R. et qu'il
n'en avait pas professé d'autre.
II a embrassé de lui-même le parti d'être prédicant, ayant suivi
de lui-même le nommé Rampon, proposant, qu'il vit dans une as-
semblée aux environs de Montpellier.
Il a passé à Genève en allant à Lauzanne où il étudia deux ans,
après lesquels il vint faire en province les fonctions de proposant.
Lorsqu'il arriva au Vigan samedi soir, il venait de Saint-IIippo-
lyte et avant de Nîmes. En arrivant, il demanda un cabaret à l'entrée
de la ville, on lui indiqua celui de la veuve Fraissinet, qui lui dit
qu'elle n'avait pas de lit, il fut dans un autre dont il ignore le nom.
Est passé quelquefois au Vigan sans s'y arrêter, ne connaissant per-
sonne, qu'il a prêché quelques fois aux environs sans connaître les
lieux. Qu'il voulait changer de province ou de département, ((uand
il a été arrêté.
A fait les fonctions de son ministère dans les Basses-Cévcnnes et
le La Vaunage, ses retraites étaient les cabarets où il se disait
marchand, etqucbiucfois la plate campagne.
Ayant ouvert un sac saisi sur le prévenu, y avons trouvé un porte
548 bossiER d'un proposant-mautyk.
leuille couvert d'une étoffe de soie rouge et y avons trouvé dedans
le certificat dont la teneur suit : « Nous soussignés, ayant été requis
par François Bénézet qui a rempli les fonctions de prédicateur et
reconnu pour tel au milieu de nous, de lui accorder un certificat de
vie et de mœurs, nous le lui accordons d'autant plus volontiers que
nous pouvons dire avec parole de vérité qu'il s'est conduit au milieu
de nous avec sagesse; nous ayant paru rempli de bonnes mœurs, de
piété et de zèle pour l'avancement de la gloire de Dieu. Nous espé-
rons qu'avec le secours de Dieu il fairades progrès dans les sciences
et qu'il sera utile à l'église. Nous le recommandons à la grâce de
Dieu et à la bienveillance de nos frères au milieu desquels il pourra
se trouver. En foi de quoi nous avons délivré le présent certificat.
Fait en notre désert, ce 15 octobre 1751. » Signés : « Boyer, pas-
teur; Paul Marazel, pasteur; Henry Grail, pasteur; Pomaret, pas-
teur. » Au revers est écrit : a C'est avec plaisir que je souscris au
certificat ci-derrière, ayant toujours reconnu en M. Bénézet des
sentiments de piété, de zèle pour la gloire de Dieu et un désir dé-
terminé de se rendre utile dans les églises sous la croix. » Signé :
c( Paul Dalgue, pasteur des Basses-Cévennes, ce 26 janvier 1752. »
Plus autre caliier (12 pages) intitulé : Prière pour une malade
agonisante :
Plus un autre cahier contenant un sermon sur ces paroles de saint
Mathieu, xii, 31.
Plus un autre contenant sermon tiré dans l'épître de saint
acques, I, 5.
Plus un autre sermon sur saint Paul aux Épliésiens, iv, 30.
Plus une feuille intitulée : Cantique sur la paix de l'Eglise.
Sigiiés : « François Bénézet, Daudé-Dalzon, Guibal, greffier. »
3' Interrogatoire devant les mêmes. — 3 février 1752. — A ré-
pondu qu'il a quitté cette ville dimanche dernier entre neuf et dix
heures du matin, qu'il partit à cheval.
A répondu qu'il avait deux pistolets à son cheval, mais qu'il n'avait
point d'armes sur lui.
Interrogé qui est ce Paul qui était avec lui lorsqu'il fut arrêté. —
A répondu que c'était Paul Marazel.
Interrogé en quel lieu Paul Dalgue lui avait donné le certificat
daté du 26 janvier dernier? — A répondu dans un désert du côté
d'Alais.
DOSSIER d'un proposant-martyr. 5i9
Interrogé quel était son département pour ses fonctions de pré-
dicant et s'il n'était du côté de Sauve, Durfort et Quissac ?
A répondu qu'il n'avait point de département fixe, que travaillant
gratuitement, il avait le privilège d'aller où il voulait, et on le lais-
sait prêcher partout où il voulait ou pouvait le faire. Que cette année
seulement, on lui avait promis 100 livres qu'il n'a pas touchées.
Interrogé s'il était à une assemblée qui se fit l'année dernière à
Quissac oi^i un grand nombre de N. C. firent feu aux troupes qui
voulaient la dissiper ?
A répondu qu'il y était, qu'il est vrai que lui-même avec environ
deux cents hommes fut parler à l'officier pour le porter à se retirer,
ce qu'il fit, et il parla aussi à toute l'assemblée pour les exhorter à
se retirer, comme ils firent également.
Signés : « François Bénézet, Daudé-Dalzon, Guibal, greffier. »
Informations au sujet de rassemblée. — 4 février 1752. —
Devant Daudé, etc. — Jacques Ménard, fabriquant de bas du lieu de
BréaUjâgé de quarante ans, dépose qu'il vit trois ou quatre pelotons
monter vers le haut de Bréau, ce qui lui fit juger qu'il y avait une
assemblée de N. C, qu'il rencontra un homme à cheval portant
une redingote qu'il pensa être le prédicant.
Informations. — 7 mars 1752. — Devant les mêmes. — Antoine
Royer de Marsault, lieutenant de dragons, natif de Grenoble, trente-
huit ans. Le 30 janvier ayant par ses démarches découvert la retraite
des prédicants ou ministres chez la nommée Fraissinet cabarctière,
il envoya, entre six et sept heures du soir, Guérin, Machard et Petit,
dragons, chez la veuve Fraissinet, pour voir s'il y avait un homme
vêtu de gris, etc., qu'il s'y rendit seul sur l'avis qu'il y était et monta
le pistolet à la main et obligea les personnes qu'il rencontra dans
l'escalier de remonter, avec deffances de faire aucune résistance sous
peine de la vie, enfonça une porte et ayant apperçu l'homme désigne
qu'il savait être un prédicant, il fut sur lui et l'arrêta.
Que Bénézet dit avoir assisté ce jour-là à une assemblée do pro-
lestants où le nommé Paul Marazel, ministre, qui était avec lui chez
la veuve Fraissinet lorsqu'il y avait été arrêté, avait prêché, etc.
Que Bénézet lui avait dit que le nommé Paul Marazel, ministre,
qui était avec lui chez la veuve Fraissinet portait une i)aire de pis-
tolets dans son manchon et qu'il se serait bien défendu si on avait
voulu l'arrêter, que lui Bénézet en aurait fait autant, s'il avait pu.
550 DOSSIER d'un proposant-martyr.
Petit, dragon, dépose qu'avant de fermer la porte de la chambre,
il fut obligé de donner trois ou quatre coups de plat de sabre à un
homme qui était dans la cuisine avec le nommé Mahistre, maître
perruquier, et qu'il a su être Paul Marazel, ministre, que ledit Paul
Marazel ne voulant pas sortir, il le poussa dehors, etc.
1"' interrogatoire de Bénézet par Coulomb, subdélégué de Mont-
pellier, assisté de son greffier. — 8 et 9 mars 1752. — Est resté
huit mois dans la boutique du sieur Rameau, maître chirurgien de
Montpellier, où il fit une chute qui l'a estropié, pour le reste de ses
jours, de la main gauche; il quitta alors cette carrière et entreprit
de parvenir au ministère de la religion protestante. Il s'adressa pour
cela au sieur Rampon, proposant, dont il fit connaissance la veille
de Pentecôte 1744. Il partit avec Rampon le lendemain pour les
Cévennes où il assista régulièrement aux assemblées où il a pu se
trouver. Il n'a jamais prêché dans lesdites assemblées, y a fait quel-
quefois la prière, mais c'est une fonction dont tout fidèle est capable
pourvu qu'il sache bien lire. N'a pas fait d'autres fonctions dans
lesdites assemblées, cependant il a récité quelquefois de petits dis-
cours que le proposant lui donnait pour voir s'il était propre au
ministère, mais il ne les a récités que en présence des anciens, qui
sont les juges-nés des talents des sujets qui aspirent au ministère.
Il est resté environ un an avec Rampon, et ensuite fut ta Lausanne
avec le consentement verbal du sieur Royer, ministre, il y étudia
deux ans. Il revint en France auprès de Royer, ayant perdu la mé-
moire; a assisté depuis à toutes les assemblées, sans prêcher
parce qu'on le lui avait défendu jusques à un prochain synode, sur
ce qu'il n'avait point porté de certificat de son professeur de Lau-
sanne.
Sa mémoire ne revenant pas, il se dégoûta de l'étude, et laissa
tenir plusieurs synodes sans y assister. 11 avait absolument renoncé
au ministère avec d'autant plus de raison qu'il avait été remercié
dans un dernier synode à cause de son peu de mémoire.
On lui fit de mauvais traitements dans le moment qu'il fut ar-
rêté.
A quelquefois exhorté des malades, avant le synode tenu en 1740,
dans lequel il fut disgracié.
A assisté à l'assemblée tenue le 30 janvier aux environs du Vigan
et y fit la prièrn. « Le ministre Paul Marazel y prêcha et vint ensuite
DOSSIER D UN PUOPOSANT-MARTYR. 551
avec le répondant au Vigan, où ledit répondant fut arrêté dans le
cabaret de la veuve Fraissinet. »
Reconnaît que le certificat délivré par Grail, P. Marazel, etc., est
pour lui et qu'il demanda ce certificat « auxdits ministres pour
pouvoir se procurer du pain dans les pays étrangers où il avait ré-
solu de passer, et où il espérait trouver une condition de précepteur,
ajoutant encore que lesdits ministres ne lui ont donné la qualité de
prédicateur dans ce certificat que par un principe de charité, per-
suadés d'ailleurs qu'il était hors d'état de prêcher. »
Signés : « B. Coulomb et le greffier. »
2» Interrogatoire devant les mêmes. — 11 mars 1752. — Le
répondant n'étant ni ministre ni proposant ne pouvait point absoudre
les malades, c'est-à-dire leur promettre au nom de J.-C. le pardon
de leurs péchés, ajoutant encore que depuis l'année 1748 il avait
été défendu de la part des ministres par des lettres circulaires qu'ils
avaient écrit aux anciens de [le] recevoir dans les lieux où l'on reçoit
ordinairement les ministres parce qu'il avait absolument demandé
son congé, ce qui avait indisposé lesdits ministres contre lui.
Ce ne fut que par grâce et à force de sollicitations qu'il fut intro-
duit dans le synode de 1749 où il fut disgracié. La nouvelle de sa
disgrâce lui ayant été annoncée, il tâcha d'intéresser par ses larmes
les ministres et les anciens qui composaient le synode, leur faisant
voir qu'il ne savait où donner de la tête puisqu'ils l'abandonnaient
et que d'un autre côté il n'osait point retourner dans sa famille
crainte d'être arrêté. Qu'alors le nommé Boyer, ministre, le rassura
en lui disant que s'il avait quelque chose à craindre il partagerait
avec lui ses appointements plutôt que de l'exposer, mais que n'ayant
élé ni ministre ni proposant il pouvait se retirer en toute sûreté à
Montpellier, où les puissances le laisseraient tranquille comme elles
en usent à l'égard de quatre autres particuliers qui, après avoir
resté quelque temps dans le désert s'étaient aussi retirés dans leur
patrie où personne ne les inquiétait.
Signés : « B. Coulomb et le Greffier ».
17 mars 1752. — Interrogatoire devant les mêmes. — Louis
Mahistre, maitre perruquier du Vigan, trente-cinq ans, de la
Religion protestante.
552 DOSSIER d'un proposant-martyr.
Le 30 janvier vers les six heures du soir, un inconnu vint le
chercher pour aller au cabaret hors de la ville ranger un marchand
étranger chez la veuve Fraissinet dans une chambre auprès de la
cuisine où il trouva les deux hommes qu'on lui dépeint, qu'il
accomoda les cheveux au nommé Bénézet c'est-à-dire de celui qui
portait la veste rouge car il ignorait pour lors son nom, et sortit
de ladite chambre tout seul lorsqu'il eut accommodé le nommé
Bénézet.
17 mars 1752. — Interrogatoire devant les mêmes. — Jeanne
Laporte veuve de Jacob Fraissinet, cabaretière au Vigan, quarante-
huit ans, de la Religion protestante, logeant les voyageurs.
La maison où elle habite appartient à Poujade, la tient à loyer à
raison de 66 francs l'année.
Nie connaître les deux particuliers qui soupèrent chez elle quand
Bénézet fut arrêté. Mahistre vint et entra dans la chambre, Marazel
sortit le premier de la chambre, ensuite Bénézet, Mahistre était
sans doute sorti.
17 mars 1752. — Interrogatoire devant les mêmes. — Marie
Fraissinet, dix-sept ans, de la Religion protestante, fille de Jacob
Fraissinet et Jeanne Laporte.
Dépose comme sa mère.
Informations devant les mêmes. — 17 mars 1752. — Laurens
Dagorne, dragon dans la compagnie de Beauterel au régiment de
Laferonaye en quartier au Vigan, vingt-neuf ans, témoin. Fut
commandé par ses officiers le 30 janvier avec les autres dragons
pour aller chez la veuve Fraissinet cabaretière, où on disait dans
la troupe qu'il y avait un ministre. Il s'y rendit et y trouva beau-
coup de monde rassemblé dans l'escalier. Après bien des efforts
pour passer, il parvint au premier étage avec le sieur Demarceaux,
son lieutenant, qui l'avait suivi et lui aida à enfoncer la porte de
la cuisine où ils trouvèrent un homme vêtu de gris, veste rouge,
chapeau bordé d'or, lequel avait déjà été arrêté par les nommés
Machard et Guérin, dragons du même régiment; que ledit Demar-
ceaux sauta au collet de ce particulier le pistolet à la main en lui
disant de se rendre, qu'ensuite le déposant le fouilla et trouva
plusieurs livres...
Que ce particulier fut conduit dans les casernes du Vigan, où le
déposant le fouilla encore et trouva sur lui plusieurs papiers,
DOSSIER d'un proposant-martyr. 553
un certificat qui avait été expédié par quelques minisires, cic.
22 mars 4752. — Récusation de Daniel Solier avocat du Pioi en la
sénéchaussée de Montpellier, qui est remplacé par Faure Saint-
Marcel.
24 mars 1752. Interrogatoire de Bénézet sur la selette, par Saint-
Priest. — Répète ce qu'il a déjà dit.
24 mars 1752. —Interrogatoire par Saint-Priesl de Louis Maliistre,
maitre perruquier, de Jeanne Laporte veuve Fraissinet et Marie Frais-
sinet, safdle. — Répondentcomme devant le subdélégué Coulomb.
24 mars 1752. — Jugement qui condamne à mort Bénézet, etc..
20 avril 1752. — Jugement qui met hors de cour et de procès
Louis Mahistre, Jeanne Laporte veuve Fraissinet et Marie Fraissinet,
sa fdle.
Dossier relatif àl'assassinat de la nomméeFlavier, veuve ViUaret,
soupçonnée d'avoir vendu la retraite de Bénézet.
Intendance. Archives civiles. Série C. 437. Analyse Teissier.
5 mars 1752. — Lettre de Daudé-Dalzon à l'Intendant. {Ori-
ginal signé.)
Avis de l'assassinat commis la veille sur la personne de la nom-
mée Flavier veuve Villaret à qui on a coupé la gorge près de sa
cheminée, la nuit... Elle était soupçonnée d'avoir fait capturer
Bénézet et elle était bien avertie de se tenir sur ses gardes.
9 mars 1752. — Daudé père au même. — Soupçons contre Gibert
et Parlongue de la paroisse de Molières d'avoir assassiné la veuve
Villaret. Gibert, originaire d'Avèze, a été garçon chirurgien, à pré-
sent boucher, est un véritable bandit, qui, depuis peu, a fait i)anque-
route, très mal famé, était en commerce avec la Villaret. Parlongue,
cabaretier de Molières, aussi mal famé que Gibert, sont toujours
ensemble. Ils ont volé de concert, il y a quelque temps, un cahier d(î
notes au S"^ Laval notaire, où il y avait une obligation conseiili(;
par Gibert. Cela s'accomodc en rendant ledit cahier.
On a soupçonné ici. Monseigneur, que la Villaret et Gibert avaicul
pu agir de concert pour la capture de Bénézet, et que Gibert, pour
ne pas être découvert par ladite Villaret et principalemenl pour la
voler, s'est déterminer à la tuer.
554 MÉLANGES.
Demande d'une garde pour tenir Parlongue en prison.
22 mars 1752. — Polibourg, capitaine de dragons au Reg. de la
Ferronnais à l'Intendant.
Le sieur Bénézet, le jour de sa prise, avait soupe et couché aussi
bien que le sieur Paul chez le sieur Perrin, hôte du Cheval Vert,
chez qui nous mangeons. Le lendemain à sept heures du matin, le
sieur Bénézet passa à cheval le long du quay estant bien frisé, allant
à l'assemblée pour y prêcher, Ce même jour il fut arrêté entre six
à sept heures du soir, étant à souper chez la veuve Fraissinet avec
Paul de Mahistre, M." perruquier, qui l'avait frisé le matin. Nous
vînmes souper entre les huit et neuf heures du soir, nous trou-
vâmes les visages de Perrin et de sa femme fort tristes et fort allon-
gés. Le lendemain au soir arrivèrent deux détachements. Je donnai
à manger aux officiers el la dame Villaret vint aider à son beau-
frère et à sa sœur, selon sa coutume, lorsqu'ils avaient beaucoup de
monde, etc..
MÉLANGES
DES CONSISTOIRES
ET DE LA CONFISCATION DE LEURS BIENS EN 1G85'.
GÉUANCE DES BIENS CONFISQUÉS
Louis XIV à qui l'on avait persuadé qu'il n'y avait plus de protes-
tants dans le Royaume, ou du moins qu'ils tenaient si peu à leur
religion qu'ils ne feraient aucune difficulté de l'abandonner s'ils
avaient à souffrir pour elle, rendit un décret en vertu duquel ceux
qui avaient été dépouillés de leurs biens pouvaient les recouvrer à
la condition de rentrer en France el de se faire catholiques.
1. Voir le Bulletin du 15 novembre ilcrnicr, p. 508.
MÉLANGES. 555
Cela explique comment il dépouillait les protestants sans se de-
mander ce qu'on ferait de leurs dépouilles. C'est pourtant bien ce
qui arriva. Et en effet, dans les premiers temps, on ne paraît pas
avoir songé à fonder une caisse particulière; on mit la main sur les
biens des religionnaires, et on les distribua au jour le jour en pen-
sions à de nouveaux convertis, et en fondations d'écoles de propa-
gande. Et les comptes sont arrêtés par les receveurs ordinaires dans
la forme que voici. Recette tant, dépenses pour faire la recette tant,
doit le comptable tant, qu'il tiendra à notre disposition. Nous don-
nons ici un compte qui fut probablement le dernier rendu sous
cette forme.
Somme totale de la reccpte des consis-
toires et des pauvres 26G7 1. 9 s. 4 d.
Et la dépense monte 262 19 5
Partant doit le comptable la somme de. 2391 9 il
laquelle il payera ainsi qu'il lui sera par nous ordonné.
Voici encore un autre règlement de la même année qui établit
la même chose.
Somme totale de la recepte des biens des
ministres et des fugitifs ,. G9247 1. 15 s. 8 d.
Et les dépenses et reprises montant à. . . 4CG37 0 9
Par suite doit le comptable la somme de. 20210 14 11
qu'il payera ainsi qu'il lui sera par nous ordonné.
Qu'on veuille bien remarquer que dans ces deux règlements il
s'agit d'un comptable et non d'un fermier.
A cette époque les biens des consistoires et des fugitifs n'avaient
pas encore été soumis aux règles d'une administration particulière.
L'édit de janvier 1688, prépare l'avenir en même temps qu'il éclaire
le passé. On lit dans cet édit : « Nous avons dit, déclaré et ordonné
disons, déclarons et ordonnons par ces présentes signées de notre
main, voulons et nous plaît, que les biens immeubles qui ont aji-
partenu aux consistoires, aux ministres de la R. P. R. et à ceux de
nos sujets de la dite religion qui sont sortis et sortiront de notre
royaume, au préjudice de nos édits et déclarations, soient et de-
meurent réunis h iiotro domaino, pour osfro les dits biens immen-
556 MÉLANGES.
bles dorénavant administrés et régis en la même forme et manière
(|ue nos autres domaines, et en être fait des baux aux fermiers des
domaines de chacune généralité, ou autres particuliers, au plus
offrant et dernier enchérisseur, par les sieurs intendants et com-
missaires départis dans les provinces et généralitez de notre
royaume, à la diligence des receveurs généraux de notre domaine,
le prix desquels baux sera payé parles adjudicataires entre les mains
des susdits receveurs généraux, pour être employé suivant et ainsi
qu'il sera par nous ordonné, tant à fonder et entretenir des maîtres
et maîtresses d'école pour enseigner gratuitement tous les enfants
des lieux où l'établissement en sera jugé nécessaire, et des villages
des environs sur les avis qui nous seront donnez par les dits sieurs
intendants et commissaires établis, après avoir conféré avec les ar-
chevêques et évêques des diocèses de leur département, sur les-
quels il sera par nous pourvu, qu'au rétablissement des églises,
fondations, hôpitaux et toutes autres destinations utiles et néces-
saires pour l'avantage des nouveaux convertis et le bien de la reli-
gion suivant et ainsi qu'il sera par nous ordonné. »
Trois choses résultent de cet édit : 1° Que précédemment les
biens saisis entraient dans le domaine royal; '2° que le fermage sera
ou pourra être substitué à la perception directe; 3° Que rien n'est
encore changé dans l'emploi de ces fonds.
Quant au premier chef ou à l'entrée des biens saisis dans le do-
maine royal, jusqu'à l'édit dont nous venons de parler, rien n'avait
été réglé sur la manière de saisir ces biens et de les distribuer. Pour
savoir ce qui s'est passé dans cet intervalle, il faut recourir aux rè-
glements de comptes qui heureusement fournissent tous les rensei-
gnements dont nous avons besoin. Ils nous apprennent que, par
ordre de M. de Basville, les subdélégués furent chargés de faire par
eux-mêmes ou avec le concours de personnes dignes de leur con-
fiance une recherche très exacte des biens des consistoires.
Pour y })arvenir les subdélégués ou leurs représentants deman-
dèrent des détails aux anciens des consistoires qui, comme nous
l'avons dit, étaient demeurés responsables en vertu du certificat de
décharge délivré auxj'pasteurs avant leur départ. Quant ces états
étaient dressés par les anciens, les subdélégués ou leurs mandataires
examinaient très soigneusement article par article les uns et les
autres jusqu'à plus ample information. Après ces préliminaires les
MÉLANGES. 557
comptes étaient transmis par les délégués au receveur général des
domaines de la généralité et par celui-ci à l'intendant.
Un compte que rend à M. Lamoignon de Basville, le receveur
général de la généralité de Toulouse, Etienne Leclerc, le 1:2 mars
1690, nous fait bien connaître la marche suivie avant cette époque.
Il y dit, dans le préambule : « Il vous plaira, Monseigneur, remar-
quer que le roy ayant révoqué Tédit de Nantes, par un autre du
mois d'octobre 1685 et confisqué le bien de plusieurs de ses sujets de
la R. P. R. par diverses déclarations à cause de leur sortie du
royaume et de leur retraite dans les pays étrangers, vous fûtes obligés
de pourvoir à l'administration des biens tant des consistoires sup-
primés que de ces fugitifs et d'y commettre des personnes intègres et
capables pour les régir et les conserver aux églises, aux pauvres et à
ceux qui profiteraient des grâces promisesparcetÉdit. Mais plusieurs
estant demeurés dans l'opiniâtreté, Sa Majesté se vit forcée de réunir
leurs biens à son domaine par un autre édit du mois de janvier 1688
et d'en commettre l'administration aux receveurs de ces domaines,
chacun dans l'étendue de leur généralité, en exécution de laquelle
le comptable a fait celle de la généralité de Toulouse sous vos ordres
jusqu'à la fin de l'année 1689. » Ce qui précède montre comment il
était procédé jusqu'ici à la perception des biens confisqués. C'étaient
les agents du pouvoir, les receveurs généraux qui s'en occupaient et
voici comment. Nous sommes en pleine régie, ils ne portaient à
l'actif, c'est-à-dire à la colonne des sommes exigibles, que ce qu'ils
avaient réellement touché; et si, par exemple, une terre était de-
meurée improductive, ou si le revenu avait dû être employé à payer
des impositions ou des réparations, la valeur de la terre figurait
dans le compte, mais elle n'était portée que pour mémoire et, au
lieu du produit, qui n'existait pas, on mettait en colonnes, le mot
advertatur. Il en était de même des valeurs improductives, comme
des bassins et des coupes en argent que l'on reincllait aux évoques^
Tout cela figurait comme advertatur.
L'édit de janvier 1688 modifiait ce qui s'était passé jus(iue-là,
tant au point de vue du recouvrement des fonds que de leur
emploi.
1. Huit coupes et deux bassins, appartenant au Consitoirc de Castres, furent
remis à l'évèque de cette ville.
558 MÉLANGES.
Pour ce qui csi du recouvrement des fonds, nous avons vu que
dans le principe, ils étaient directement saisis ou perçus par les
fonctionnaires du gouvernement; maintenant les immeubles vont
être affermés au plus offrant et dernier enchérisseur. Et en effet,
nous trouvons aux archives de l'Hérault tout l'appareil d'une mise
en adjudication; des offres sont faites séparément par diverses per-
sonnes pour les deux adjudications des deux généralités de la pro-
vince de Languedoc, et comme l'adjudicataire qui faisait les offres les
plus avantageuses ne présentait pas des garanties suffisantes, le sieur
Audiffret les obtint toutes les deux pour la somme de 63 000 livres.
Nous voici donc entrés dans une phase nouvelle, nous sommes
sous le régime des fermiers. Il ne faut cependant pas croire que ce
régime fut exclusif et qu'il put être partout appliqué. Là où la chose
n'était pas possible, l'ancien mode était conservé. Il y eût même des
cas où des personnes furent directement chargées de s'occuper de
ce soin.
C'était bien quelque chose que d'obtenir ainsi des listes aussi com-
plètes que possible, mais ce n'était pas tout ; les états une fois dressés
il fallait procéder au recouvrement et comme l'intendant ne pouvait
pas entrer dans ces détails, il pria MM. les évêques de vouloir bien
prendre cette peine et nommer, dans ce but, Ici subdélégué qu'ils
jugeront bon de recommander. L'emploi des sommes ainsi perçues,
est-il ajouté, « doit être au profit des pauvres de chaque lieu,
observant d'employer les capilauxà ce qu'ils (les évêques) jugeront
à propos, en sorte qu'il n'y ait que l'intérêt qui puisse estre depancé
chaque année ». Des jugements des subdélégués, il y aura appel
par de/ant M. de Basville et tout cela se fera sans frais.
Quelle fut la cause du changement que nous venons de signaler.
Il est bien vrai que sous le régime de la régie les paiements ne se
faisaient pas toujours avec une parfaite exactitude, cl nous trouvons
par exemple un arrêté (10 novembre 1088) portant que les commis
qui ont ci-devant fait régie des biens de ceux de la R. P. R. pour le
Languedoc et la Provence et dans les généralités de Metz, Lyon et
Châlons auront à payer des sommes qui, réunies, s'élèvent à 124 790
livres qui sont dues d'après les comptes arrêtés par les intendants
et chefs départis dans les provinces et généralités dont il s'agit;
mais il est vrai aussi que des reproches analogues furent faits aux
fermiers payeurs et autres les 10 juillet 1690, 9 septembre et 24 oc-
AIÉLANGES. 559
tobre de la même année. Le changement ne fut donc pas très heu-
reux, mais les reproches constateraient au besoin que le mode
d'administration signalé était réel.
L'adjudication dont nous avons parlé était faite pour trois ans.
Avant que cette période fût révolue, Louis XIV changea d'avis. Il lui
sembla que le but poursuivi par lui, la conversion des protestants,
serait plus sûrement atteint par une autre voie et tout fut dès
lors réglé en vue de faire de ces biens un appât continuel pour les
descendants et les héritiers de ceux à qui ils avaient été en-
levés.
Dans la citation que nous avons faite plus haut du préambule du
compte que le receveur général des domaines, Etienne Leclerc,
rend à M. de Basville, nous avons réservé une dernière phrase que
nous produisons ici : « A la fin de l'année 1689, il a plu au Roy de
destiner les biens des Consistoires pour estre employez à des œuvres
pieuses et de donner ceux des fugitifs à leurs plus proches et légi-
times héritiers, par son Édit du mois de décembre 1689, en confor-
mité duquel il (le comptable), rend le présent compte comme s'en-
suit ». Puis vient le compte qui marque évidemment la transition des
deux régimes et dont nous parlerons, dans un moment, quand nous
essaierons de nous faire une idée de la valeur des biens dont les
consistoires étaient possesseurs.
La foi, le dévouement, la fidélité au devoir ne sont pas toujours
héréditaires ; le père ne les transmet pas à ses enfants comme il
leur transmet un bien terrestre. Il arriva donc que les héritiers de
ces fugitifs à qui le désir de servir Dieu selon leur conscience avait
fait abandonner leur patrie, virent avec regret que l'héritage sur
lequel ils avaient compté allait leur échapper. En effet, si ces biens
étaient vendus, si le montant en était consacré à des œuvres pies,
si seulement ils entraient dans le domaine public, comment en
retrouver la trace plus tard ? Ils adressèrent donc de nombreuses
réclamations à Louis XIV, afin d'obtenir qu'ils fussent conservés,
qu'on se bornât à en recueillir les fruits, et que, quand les proprié-
taires de ces biens qui étaient passés à l'étranger viendraient à
mourir, la transmission ne fût pas interrompue et que les héritiers
restés en France, et soumis à la volonté du roi, ne fussent pas privés
de ce qui leur aurait appartenu, si ceux ([ui avaient possédé ces
biens n'avaient pas quitté le royaume. Ces observations parurent
560 MÉLANGES.
justes à Sa Majesté, elles étaient d'ailleurs conformes au but qu'elle
poursuivait et, en décembre 1689, elle rendit un Édit portant
que les plus proches parents et légitimes héritiers des religion-
naires fugitifs entreront en possession des biens que ceux-ci ont
laissés dans le Royaume. « Nous aurions, y est-il dit, par notre Èdit
du mois de janvier 1688, réuni ces biens délaissez à notre domaine
non pas pour en augmenter nos revenus, mais afin qu'ils fussent
régis et conservés par nos officiers avec le même soin que les nôtres,
et que leurs revenus pussent être employez ainsi que nous les avions
destinés; mais ayant esté informez des difficultés qui se rencontrent
à l'exécution de ce projet, à cause des différentes prétentions que
plusieurs de nos sujets ont sur lesdits biens, et ayant d'ailleurs
égard aux supplications qui nous ont esté faites de conserver les dits
biens aux héritiers légitimes de ceux qui par leur retraite les ont
délaissez, et pouvant par d'autres moyens pourvoir à l'établissement
de ce qui sera jugé nécessaire pour l'avantage de la Religion dans
notre Royaume, sans réduire tous ces biens en main morte et les»
ôter du commerce de ceux qui aident à supporter les charges de
notre État. A ces causes, de l'avis de notre Conseil et après avoir y
vu lesdits Édits et déclarations, et l'arrêt rendu en icelui, et le
31 mars 1688, Nous avons de notre certaine science, pleine puis-
sance et autorité royale, parle présent Edit perpétuel et irrévocable,
dit, déclaré, statué et ordonné ; disons, déclarons, statuons et ordon-
nons, voulons et nous plaît.
1° (Nous abrégeons sans changer l'idée.) Que les biens des Consis-
toires destinés à l'entretien des ministres et des pauvres continuent
à être employés à des œuvres pieuses, hôpitaux, communautés reli-
gieuses, etc.
'2" Que les biens des fugitifs appartiennent à ceux de leurs parents
paternels ou maternels, auxquels suivant les dispositions des cou-
tumes et des lois observées dans les provinces de notre Royaume,
ils eussent appartenu par la mort naturelle de ceux qui se sont
ainsi retirez et qu'ils les partagent et possèdent en la môme manière
que s'ils les avaient recueillis par succession.
3° Nous voulons qu'ils entrent en jouissance d'iceux au premier
jour du mois de janvier prochain; déclarons à cet effet nuls et réso-
lus audit jour, tous les baux généraux et particuliers qui ont été
faits desdits biens par nos ordres.
MÉLANGES. 561
Suivent cinq autres articles relatifs aux questions litigieuses qui
peuvent se présenter.
De cet Édit il résulte (|ue le changement dans le mode d'adminis-
tration des biens est parfaitement constaté; et que les biens des
Consistoires restent distincts de ceux des fugitifs. A vrai dire, c'est
de ces premiers que nous nous occupons spécialement ici et le mo-
ment est venu d'en rechercher la valeur.
Nous n'avons pas sous la main les comptes qui ont dû être ren-
dus dans toutes les provinces de France. Nos études doivent se con-
centrer sur une seule et encore ne peuvent-elles embrasser tous les
diocèses dont elle se composait; de plus ces comptes, nous ne
savons pourquoi, sont enchevêtrés avec plusieurs diocèses des pro-
vinces. Les diocèses sur lesquels nous opérons sont : Agde, Alais,
Alby, Béziers, Castres, Lavaur, Lodève, Mende, Nîmes, Montpel-
lier, St-Pons, Valence, Vienne, Viviers et Uzès. En tout quinze dio-
cèses seulement sur vingt et un ou vingt-deux, Valence et Vienne
sont situés de l'autre côté du Rhône. Le produit des quinze dio-
cèses sus-mentionnés fut, pour l'année 1690, 443,491''^, Ss, 7d. A ce
capital actif, il faut ajouter les valeurs portées en adcertatur c'est-
à-dire celles qui ne figurent que pour mémoire et qui, tout en étant
réellement possédées sont pour le moment improductives, et les
créances qu'on n'est pas encore parvenu à faire payer. Ces valeurs
étaient considérables, mais il n'est pas possible d'en faire une éva-
luation exacte. Il faut encore tenir compte de sommes qui ne figu-
rent pas dans le chiffre ci-dessus pour le motif qu'elles avaient été
saisies avant la révocation de l'Édit de Nantes et qu'elles étaient
déjà entrées dans la caisse des hospices et dans le trésor des
évêques. C'est ce que nous savons positivement pour Montpellier.
Dans le compte de ce diocèse qui, comme tous les autres, est ainsi
divisé : Fonds, legs, reliquat de compte, total , l'article fonds est
porté 0 et celui de legs 0 également. Or il est bien connu que celte
église avait possédé des maisons, des terres, des vignes, des empla-
cements de temples; plus un cimetière dont il est dit : « qu'il n'est
présentement affermé que 180 livres de rente annuelle, parce que
le rentier n'a pas la liberté de s'en servir pour y faire du fourrage
et en cueillir la feuille des mûriers qui y sont ». Ceci est extrait d'un
état dressé par M. Guilleminet, en réponse à une demande qui lui
avait été faite par l'Intendant. Voici le commencement de la lettre
XXXIII. — 36
562 MÉLANGES.
qui accompagne le Mémoire. Elle est datée du 25 juillet 1699.
« Monsieur,
» Je satisfais à l'ordre que vous m'avez donné par votre lettre du
18 de ce mois et vous envoie Testât des biens et revenus que nostre
hôpital général jouit, ayant appartenu au consistoire et pauvres de
la R. P. R. de cette ville. Je vous assure que j'y ai travaillé avec
toute l'exactitude possible, sur les mémoires et actes qui sont aux
archives dudit hôpital. Avec tout cela je ne puis pas vous assurer
que tout ce que ces Messieurs possédaient y soit, parce que ces
Messieurs ont esté si soigneux à cacher leurs papiers et registres,
qu'il n'a pas esté à notre pouvoir de découvrir où estoient les
comptes de leurs receveurs; mais je puis vous certifier, Monsieur,
que tout ce que nostre hospital jouit est actuellement dans Testât
que je vous envoie. » (x\rchives de l'Hérault, C. 275.)
Il est facile de concevoir combien les sommes déjà saisies aux
Consistoires et attribuées aux hospices, avant la Révocation, auraient
élevé le chiffre de leur avoir, si elles n'en étaient pas sorties avant
cette époque. Or le nombre des temples ainsi démolis et dont les
biens avaient été confisqués avant TÉdit révocatoire était considé-
rable. Il y en avait six pour le diocèse de Montpellier*. On peut
juger des autres diocèses par ce qui se passait dans celui-ci.
D'après le produit connu de quinze diocèses du royaume, on peut
se faire une idée, imparfaite, il est vrai, mais pourtant suffisante,
des biens saisis h tous les consistoires de France. Il est certain que
ce chiffre, impossible à déterminer exactement, était très élevé.
il y avait encore pour les protestants une autre ressource qui les
tirait toujours de peine et qui ne peut être soumise à aucun calcul,
c'était celle qu'on désignait par le nom de collectes volontaires. Ils
y recouraient toutes les fois que leurs ressources étaient épuisées et
ce moyen n'était jamais invoqué en vain. C'est pour cela ([ue le
despotisme de Louis XIV alla jusqu'à l'interdire.
« Sa Majesté leur fait défense de faire aucune imposition sans sa
1. Les six temples démolis avant la Révocation étaient : les deux de Mont-
pellier, 1670 et 1682; ceux de Mauguio, Poussan, Pignan, Cournontsrral : tous
en 1670.
MÉLANGES. 563
permission expresse, à peine d'être punis selon la rigueur des
ordonnances. » (Arrêt du Conseil du 11 décembre 1681.)
Le chiffre des valeurs actives enlevées aux consistoires était déjà
considérable, nous l'avons vu. Celui des valeurs improductives,
portées pour mémoire et figurant sous le nom d'advertatur, \'ét3iii
également; et à cette somme il faudrait ajouter encore celles qui,
à la suite de nombreux procès, avaient été attribuées aux hôpitaux
et aux évêques. La réunion de ces sommes diverses s'élevait à un
chiffre considérable. Ce serait beaucoup sans doute, mais ce ne serait
pas tout, et, pour nous faire une idée de son importance annuelle, il
serait juste encore de tenir compte de la valeur de l'argent qui était
bien supérieure à celle qu'il a de nos jours et qu'il est permis de
tripler sans aucune exagération ^.
i. La note qu'on va lire est de notre savant collègue de l'Académie des sciences
et lettres de Montpellier, M. le professeur Gide, qui a bien voulu la rédiger à
notre demande :
En 1660 on frappait 30 livres au marc d'argent. Le marc d'argent pesant
1/2 livre ou 250 grammes, la livre monnaie pesait donc à cette époque 250/30
— Sï-^SO environ.
Comme notre franc d'aujourd'hui ne contient que 4a'50 d'argent, la livre de
1600 représentait donc en poids d'argent à peu près notre pièce de 40 sous —
exactement 1,83.
En 1683 on frappait 32 livres au marc. La livre monnaie contenait donc un
peu moins d'argent V^,10 environ.
Reste à savoir quel était le pouvoir d'acquisition de l'argent à celte époque,
c'est-à-dire quelle était la quantité de richesses qu'on pouvait se procurer avec
une quantité donnée d'argent comparée à celle qu'on pourrait se procurer
aujourd'hui.
Mais sur ce point on en est réduit à des conjectures. La statistique n'a aucun
moyen pour mesurer la valeur de l'argent. La monnaie est une mesure qui sert
à évaluer toutes les valeurs, mais on n'a pas de mesure pour évaluer la mon-
naie. D'après Leber le pouvoir d'acquisition de l'argent était, au xvil" siècle, le
double de ce qu'il est de nos jours, c'est-à-dire qu'un revenu d'argent représen-
tait, à poids égal, une richesse double qu'aujourd'hui.
Dans cette hypothèse le calcul est facile :\ faire. Soit un bien évalué 100 livres
en 1660. Nous savons d'abord que ces 100 livres représentent un poids d'argent
égal à 183 francs; si maintenant l'argent avait deux fois plus de valeur, à poids
égal, il faut en conclure que ces 100 livres valaient en monnaie d'aujourd'hui
366 francs.
Soit un bien évalué 100 livres en 1683. Ces 100 livres pesaient autant quo
170 francs et représentaient une valeur de 3i0 francs en monnaie d'aujourd'hui.
564 MÉLANGES.
Tous ces accroissements que nous ne calculons ici que pour le
Languedoc (pas même pour le Languedoc entier) et qu'il faudrait
ensuite étendre proportionnellement à tout le royaume, nous condui-
raient-ils à la somme totale des spoliations dont nos pères furent les
victimes ? Nous en serions encore bien éloignés. En effet, et il ne faut
pas l'oublier, nous n'avons parlé jusqu'ici que des sommes enlevées
aux consistoires, et il semble que le sujet dont nous avons fait choix
ne nous appelait pas à nous occuper d'autre chose; mais ici l'appa-
rence serait trompeuse et il est une autre question qui ne peut
absolument pas se séparer de celle-ci. Il est bien connu que tous les
protestants qui quittèrent la France pour jouir à l'étranger du
privilège de servir Dieu solon leur conscience eurent leurs biens
confisqués. On les frappait en réalité à cause de l'attachement qu'ils
avaient pour leur église qu'ils ne voulaient absolument pas aban-
donner. C'est bien comme protestants qu'ils étaient dépouillés; et ce
qu'on fait aux membres d'un corps en cette qualité doit bien être
considéré comme frappant le corps lui-même. La saisie des biens
des fugitifs suivit de près la confiscation des biens des consistoires
dont elle était la conséquence nécessaire et les sommes provenant de
ces deux sources furent consacrées à la poursuite du même but : la
glorification del'églisecatholiqueetladestruction de l'église réformée.
A dater de 1689, les listes des fugitifs passés à l'étranger sont
accompagnés des noms de celui ou de ceux qui jouissent de leurs
biens, c'est-à-dire du nom des fermiers à qui le fermier général les
a sous-affermés. C'est avec ces rentes réunies dans les caisses du
■ fermier général que l'on faisait honneur aux engagements passés
au nom de l'État par l'intendant et que s'alimentait cette caisse dont
le but était de servir au bien de l'église catholique, c'est-à-dire à la
conversion des protestants.
Les ressources de cette caisse devaient pourtant diminuer de jour
Mais d'après d'autres statisticiens, Levasscur par exemple, l'argent ne valait
pas deux fois plus sous Louis XIV qu'il ne vaut aujourd'hui : il valait I fois 1/2
plus seulement. D'après ce nouveau calcul, 100 livres de Louis XIV, pesant
suivant la date 183 ou 170 francs, auraient représenté une valeur de 274 ou
255 francs.
En somme il paraît probable que 100 livres du temps de Louis XIV peuvent
être considérées comme équivalentes au moins à 254 francs, et au plus à
636 francs, mettez 300 francs en moyenne, si vous voulez.
MÉLANGES, 565
en jour par suite des droits qu'avaient à faire valoir les héritiers lé-
gitimes remplissant les conditions imposées par le souverain ; il est
bien vrai qu'à chaque recrudescence de persécutions, de nouvelles
émigrations avaient lieu et qu'elles étaient suivies de nouvelles con-
fiscations de biens; mais, à tout prendre, ces émigrations étaient peu
nom.breuses comparativement aux premières et les apports qui en
résultaient ne compensaient pas ce que la mort des réfugiés de 1686
et les réclamations de leurs héritiers en faisait sortir ; aussi pour
l'empêcher de tarir on la réunit à la caisse des amendes qui, celle-
là ne tarissait pas, car elle était alimentée par quatre affluents consi-
dérable : les amendes pour fait d'assemblées, les baptêmes et ma-
riages au désert, les poursuites exercées contre les parents qui
refusaient d'envoyer leurs enfants aux écoles et à la messe; il y avait
aussi des fraits de procédure dont le chiffre s'élevait très haut, mais
ces frais étaient pour les délégués de l'autorité et s'ils sortaient de
la bourse des persécutés, ils n'entraient pas dans la caisse dont
nousnous occupons .Nous savons parles archives de rHérault(C, 337)
que le tiers * des revenus des religionnairos fugitifs était distribué
aux nouveaux convertis pauvres et qu'il fut, en 1738, de 1600 livres;
en 1750, de 1580; en 1760, de 1880; en 1770, de 3540; en 1780, de
3980; et en 1784, de 1870, soit en moyenne de 2408 livres, et si ce
n'est là que le tiers de la somme, la somme entière était de
7224 livres, qui multipliée encore par la plus-value de l'argent,
donnerait en monnaie de nos jours 42672 livres.
1. II paraît que, dans le principe, cette répartition se faisait sans qu'on se criât
astreint à une règle invariable de proportionnalité ; mais que, peu à peu, on en
vint à ce que le secours dont il s'agit, s'élevât au tiers et ne le dépassât pas.
Voici une lettre que nous transcrivons à ce sujet. Nous la prenons parmi beau-
coup d'autres qui lui ressemblent.
A Versailles, le 3 avril 1772.
Le Roi a approuvé. Monsieur, Testât que vous trouverez ci-joint montant à la-
somme de trois-mille-quatre-cent-cinquante livres pour l'année 1771, et qui
doit être payée sur le produit du tiers net des revenus des biens en régie de vostre
généralité, pendant 1770. Vous voudrez bien en ordonner le payement sur le
commis des fermiers de la Régie. On ne peut. Monsieur, vous lionorcr plus par-
faitement que je le fais.
Le duc DK LWRILLIÈRE.
A M. de Saint-Priest, intendant du Languedoc, à Montpellier.
566 MÉLANGES.
On le voit, la caisse, alimentée d'une part au moyen des biens
saisis sur les consistoires et les minisires qui, avons nous dit, s'éle-
vait pour quinze diocèses au capital de 443,491 liv. 2s, 7^', pour la
dette active, produisait, au denier-vingt, un revenu de 22,174 liv.
répondant en monnaie de nos jours à 66,523^^65<=.
La somme portée comme advertatur et les confis-
cations en faveur des hôpitaux dont il est impossible
de donner le chiffre exact, sont des valeurs enlevées
aux consistoires et qu'il n'est pas possible de porter
ici en compte.
Les revenus des biens des fugitifs affermés pour les
deux généralités du Languedoc 63,000^% répondant à
une valeur de 189,000
(Cette somme qui entrait dans la caisse ne repré-
sente pas tout ce que payaient les protestants, car il
faudrait tenir compte des frais d'exploitation et des
bénéfices des fermiers)
Plus le produit des amendes s'élevant à 42,672
Quinze diocèses payaient donc annuellement 298,195f'",65^
Que devaient donc payer tous les diocèses du royaume réunis?
Les choses en étaient là lorsque, en août 1789, l'Assemblée na-
tionale proclama les Droits de lliomme et du citoyen. Quelques
mois plus tard, le 18 juillet 1790, un Décret ordonnait « De rendre
à leurs descendants les biens des religionnaires exilés parla Révoca-
tion de l'Édit de Nantes ».
Et maintenant quelle est la conséquence à tirer du récit qui pré-
cède? Après des duretés et des injustices, dont on trouverait diffici-
lement de pareils exemples, Louis XIV en était venu à se persuader
que les Protestants étaient tellement affaiblis qu'ils ne pouvaient
plus opposer de résistance, qu'il en ferait ce qu'il voudrait, qu'il
n'y avait plus de protestants. Et ce peuple décimé qu'on croyait
réduit à l'impuissance, trouva dans le sentiment de son droit et de
l'injustice dont il était l'objet une énergie plus qu'ordinaire. Il
résista à l'Edit révocatoire qui le dépouillait de ses biens et de sa
liberté. Une partie de ces hommes ainsi traités quitta la France et
ceux qui restèrent sur le sol natal trouvèrent des ressources pour
subvenir à l'entretien d'un culte qui subsista dans le Désert, c'est
GOHKESPONDANCE. 567
à dire eu cachette, au milieu de la persécution et de la souffrance,
comme on a dit, sous la croix. Ce culte durait encore lorsque sonna
l'heure de la justice et que les protestants virent triompher ces
droits de la conscience pour lesquels ils avaient si longtemps et si
énergiquement combattu.
Qu'ajouter après des faits qui parlent avec tant d'éloquence,
sinon qu'on ne tue pas une religion avec des proscriptions, des em-
prisonnements, des spoliations et des bûchers ? Quand la vie est
dans une église, les moyens de vivre ne lui manquent pas. La vie
est plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement. (Matth.
VI, 25.)
Pfi. Corbière.
CORRESPONDANCE
TOMBEAU DE COURT DE GEBELIN
Nîmes, 17 novembre ISSi.
Monsieur le rédacteur,
Je puis apporter un supplément d'informations aux renscignenicals
pleins d'intérêt que M. le pasteur E. Arnaud, de Crcst, vient de publier
dans la dernière livraison du Bulletin (p. 527), sur le tombeau de Cour
de Gebelin à Franconville, près d'Enghien. J'ai été assez heureux pour
trouver des documents inédits qui, sur ce point secondaire, comme sur
d'autres points plus importants et jusqu'ici assez oiiscurs de sa vie, me
permettront bientôt, je pense, de niellre en plus grande lumière l'illustre
fds du restaurateur des églises sous la croix.
Je dois rectifier avant tout une légère erreur de Ilaag dans la France
protestante (t. IV, p. 96). Court de Gebelin est mort à l*aris, non pas le
10 mai 1784, mais dans la nuit du mercredi 12 au jeudi Vo de ce mois.
L'écart estinsignifiant; maisonne saurait être trop n>inuti(uixen histoire.
Une note manuscrite non signée, mais de l'écriture de son ami et
patron, Charles de Végobre, de Genève, qui fut son [dus intime corres-
pondant, nous fait connaître cette date avec une rigoureuse [)récision.
« Obiit virille eximius, doctissimus, plus, Parisiis, nocleài'2.''ad 13"'"
mensis maii sequentis, bonis omnibus et doctis admodum flebilis ^ »
1. « Cet homme excellent, rempli de science et de piété, est mort à Paris
dans la nuit du 12 au 13 mai suivant, pleuré par tous les hommes de bien et les
savants. » Cette note est au bas d'une lettre de Court de Gebelin, la dernière
qu'il ait écrite à Charles de Végobre, datée du « 23 mars Hi ».
568 CORRESPONDANCE.
Voici maintenant, sur la première inhumation de la dépouille mortelle
de Court de Gcbelin, une information qui ne pouvait venir de meilleure
source, puisqu'elle est du comte d'AIbon lui-même, par les soins duquel
l'exhumation a été faite à Paris.
« Gebelin n'avoit besoin ni de marbre ni de bronze pour passer à la
postérité. Ses productions seules sont un monument qui suffit pour
immortaliser sa mémoire. Cependant je voyois avec regret ses cendres
abandonnées et confondues parmi celles de ceux qui suivent un autre
culte que celui dont l'Église romaine fait profession. Je sollicitai la per-
mission de lui donner une autre sépulture. Je l'obtins sans aucun obs-
tacle, quoi qu'en aient dit quelques papiers publics voués à l'imposture,
au mensonge, à la calomnie; et le corps de Gebelin fut transporté le
2 juillet de la même année, dans mes jardins de Franconville où, durant
sa vie, il venait quelquefois doubler mes plaisirs en les partageant. Le
tombeau que je lui ai élevé, est placé dans un endroit écarté, qu'il choi-
sissait pour réfléchir et promener ses idées philosophiques sur le tableau
de la nature, qui se présentoit non loin de là dans toute sa beauté. J'ai
tâché d'imiter sa simplicité, et d'exprimer par des allégories la vaste
étendue de son génie et de ses connoissanccs. Le cercueil de plomb où il
se trouve, est couvert d'une pierre sur laquelle on voit Hermès traçant
des caractères allégoriques. Quatre colonnes environnent le tombeau. Il
en est une où j'ai gravé cette inscription, dégagée de toute recherche
pompeuse : « Passant, vénérez cette tombe : Gebelin y reposa). Sur les
faces sont des tablettes de marbre, qui présentent l'alphabet des langues
primitives* ».
Si l'invitation faite par M. Arnaud était entendue, si quchiue ann de
l'histoire voulait s'enquérir si cette tombe existe encore, cette recherche
« d'un si touchant et si haut intérêt » serait facilitée par les lignes que
je viens de transcrire.
Charles Dardier.
Puisque je tiens la plume, laissez-moi relever une coquille, à la même
page htl, première ligne, dans l'article de M. Emmanuel Delorme : c'est
Gamain (ju'il faut lire et non Gomain; son nom de guerre était il/om/cr.
— De plus, les véritables pacificateurs des églises du Poitou divisées k
l'occasion des deux pasteurs Pellissier,ditZ)M^6'SSC<,etGounon, iXxiPradon,
étaient les amis et protecteurs de Genève et de Lausanne, qui avaient
été pris comme arbitres entre les deux partis. Ils rendirent leur jugement
le 15 octobre 1749. Voyez pour les détails : Paul Rabaut, t. II, 42-44 et
notes.
G. U.
P. S, Nous regrettons vivement de devoir ajourner, faute d'espace, un
article d'actualité : Agrippa d'Aubigné; prix déloquence.
Le Gérant : Fischbacher.
BOURLOToN. — Imprimeries réunies,
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S6U Paris
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