Skip to main content

Full text of "Bulletin de la Société archéologique de Nantes et du département de la Loire-Inférieure"

See other formats


«j&K.Ci'.  Ci 


<r 


«<S<°  £  C«  <C 


*2s 


ce 

CC< 


V&J 


«T^C 


CCC  <ST  c< 


ce  «smece 

ce  c^ç^ 

r  V  v 


<rc 


a  c< 


<    C 
«3L 


<S3 


■ri    i 


c  ce 


C.  <C 


1<LC 


ecc 


<L<C*LCrâE  c   c  < 
CiCjC.^1 


-41  s 


ircc 


ecc 


<T;.C 


g^L<K 


xcc   ce  <e     &< 


r    c4C      c  c 


CCC«K'(C 


#f< 


\«:  ^ 


"C-.<CC  C<®C^-«QCs<<  ' 


Cq<CjCJCvC<CC  C 


cl  C><  (C   cC  CCCC.Ç 


kl€  <z <<  ■  <<.'  ee  ce  ç  < 
~*rc£  c  c  ce     «  c  ce  ç 


C<^ 

•c 

fi 

Ce 

c 

<  < 

Ce 

C 

c< 

§=ï&; 

gTs 

i 

£  t 

rC 

c 

e 

i<r 

c 

c 

3CJKSC 


-    <fc<C.     <BS 


-re^refee 


ecc  ce  cc     ce  ecc 

C&JWL,  C5    <C       «te_  ^^ 


*-<  <c     ci.ee:  ecc 


l  «  <<      c 


-<3GC< 


^CCCC 


'fcC 


<:<  e 


ec:c<c 


CC     «      C«L 


'  -    C.  ec? 


c  ctv«^    ce  eeeee^r  «erre  mcéz    ce  ce  ecc  ce 


«r^   CéOTC 


CC  C^C        CCi.cC 


ce  ee     ee  *  c 

c  c  <:    <r^C        arc      < 

cccc    «3:C<n 


-ce  f  c     ;&r«r' 

CjCCC 


*x^5c 


-c 


CT:ce  c  <T 


3 


*  ev 


CCJC 


cer" 


cc.ee 

CCCC 


cc# 
«a 
ces 


<r    <e^c 


<  -ce 


*«. 


<-     C 


car  C  «1  ~ 


«re«r 


CeCCj 


SKC  <LCe 

KC  CC  . 

Ri.' 


<ECMX   CXL 


€fcx  <tMjr 
^  ce  cccc    <t  c  <x 


et 


<TC    «CC  c 

<re  ce  c  i 


*X<SL_  cic 


<C3fCCf 


CCCC'^C-.  Ç  <• 

c  cjccr^c    C  <ec  * 


^tig^ËsÊË-— 

B33C  <ZC 

^■L 

=*~^  "^^^^5^^n 

1P 

ffVc"<r' 

CXC    CC  4 

C 

•< 

^r^^:' 

CC<CC 
C^e5^c  ^r   cc:-^ 


c<3C^c^K:csr<c 


ce   ^^<C 


jTcc 

3^-C 


CC/; 


SOCIÉTÉ   ARCHÉOLOGIQUE 

DE    NANTES 


BULLETIN 


DE   LA 


SOCIÉTÉ  ARCHÉOLOGIQUE 


DE  NANTES 


ET  DU  DEPARTEMENT  DE  LA  LOIRE-INFERIEURE 


Année    1908 


TOME     QUARANTE-NEUVIEME 


1er  Semestre 


NANTES 


BUREAUX     DE    LA     SOCIÉTÉ    ARCHÉOLOGIQUE 


1908 


N  OTE 


Les  études  insérées  dans  le  Bulletin  de  la  Société  Archéolo- 
gique de  Nantes  et  de  la  Loire-Inférieure  sont  publiées  sous 
l'entière  responsabilité  des  auteurs. 


B  U  REAU 

DE   LA 

SOCIÉTÉ  ARCHÉOLOGIQUE  de  NANTES 

ET  DE  LA  LOIRE-INFÉRIEURE 


MM.  Alcide  DORTEL,  0.  I.   Q  Président. 

Alcide  LEROUX  , 

le  baron  Gaétan  de  WISMES  »     Vice-présidents. 

Docteur  Georges  HALGaN 

Joseph  XAU  (     Secrétaires  généraux. 

Joseph  ANGOT 

Joseph  HOUDET  (     Secrétaires  du  Comité. 


ËDOUAKD  PIED,  0.  I. 

Raymond  POUVREAU 
Paul  SOULLARD 


rrésorier. 
Trésorier-adjoint. 


'     Bibliothécaires- 
Victor  LAGREE,  0.  #  »        archivistes. 


COMITÉ    CENTRAI, 
MEMBRES   A  VIE 

Anciens  Présidents  (1; 

MM.  le  marquis  de  BREMOND  d'ARS  MIGRÉ,  #  (1881-1886  etl899-1901). 
Léon  MAITRE.  0.  I.  O  (  1902-1904)  ;  le  baron  de  WISMES  (1905-1907). 

MEMBRES    ÉLUS 
MM.  GIIAILLOU,  0.  I.  Q 

SK.NOT  DE  la  LONDE  Sortants  en  1908. 

Claude  de  MOXTI  de  REZÉ  ^ 

CAILLÉ 

Ludovic  CORMERAIS  '     Sortants  en  1909. 

le  chanoine  DURVILLE,    0.  A.   Q      ) 

le  comte  de  BERTHOL' 

BLANCHARD,  0.  I.  Q  Sortants  en  1910. 

TRÉMANT  ) 

(t|  Les  autres  présidents  de  la  Société  ont  été  :  MM.  Xau  (1845-1862). 
f  4  juillet  1865;  —  le  vicomte  Sioch'Ân  de  Kersabiec  (1863-1868), 
f  28  novembre  18,97 ;  -  le  chanoine  Cahour,  0.  A.  Q  (1869-187i). 
f  7  septembre  1901;  -  l'intendant  Galles,  O.  #  (1872-1874),  fil 
août  1891  ;  —  Marionneau.  #,  0. 1.  €}  (1875-1877 1.  f  13  septembre  1896; 
—  le  baron  de  Wismes  (1878-1880),  f  5  janvier  1887,  -  le  vicomte  de 
la  Lauhencie.  *  (1881-1883);  -  Le  Meiunen,  0.  A.  y  (1887-1889 
et   1896-1898),   f    22    septembre    1905;  le    marquis   de   Dion,   % 

(1890-1892),  f  26  avril  1901;  —  de  la  Nioollière-Teijeiro,  0.  A.  Q 
(189,M895),  f  17  juin  1900. 


EXTRAITS 


Des    procès-verbaux    des    Siéarxoes 


^•Ov9JKiA3t>- 


r  » 


SOCIETE  ARCHEOLOGIQUE 


DE    LA    LOIRE-INFERIEURE 


Manoir    cle    la    Touche 


SÉANCE  DU   14  JANVIER   1908 

Présidence  de  M.  le  baron  de  Wismes,  président  sortant 
et  ensuite  de  M.   Dortel,  président  élu 

Etaient  présents  :  MM.  Angot,  commandant  d'AnuoN- 
neau,  Bastard,  Blanchard,  abbé  Brault,  de  Brévé- 
dent,  Caillé,  Chaillou,  chanoine  Durville,  Ferron- 
nière,  Flornoy,  Furret,  Gourdon,  abbé  Grelier,  Hou- 
det,  commandant  Lagrée,  Leroux,  abbé  Lesimple, 
vicomte  de  Lisle  du  Dréneuc,  Maître,  Pied,  Pineau- 
Chaillou,  Poirier,  Pouvreau,  Renard,  Renaud,  Révé- 
rend, RlNGEVAL,  SENOT  DE  LA  LONDE,  SOULLARD,  TrÉ- 
MANT,    DE    VeILLECHÈZE,    GaËTAN    DE    WlSMES. 

MM.  de  Brémond  d'Ars,  chevalier  Joubert  et  Coutil 
s'étaient  excusés. 

M.  Jules  Crouan,  présenté  par  MM.  le  commandant 
Lagrée  et  l'abbé  Brault,  est  élu  membre  titulaire. 

M.  Gabriel  Revelière,  présenté  par  MM.  le  baron  de 
Wismes  et  Antoine  Vincent,  est  élu  membre  correspon- 
dant. 

M.  le  Président  annonce  que  le  Comité  désire  l'élection 
de  M.  Senot  de  la  Londe  comme   membre  du   Comité,   à 


Soc.  Archéol.  Nantes. 


X 


cause   de  sa  science  et  de  son    dévouement  reconnus     de 
tous. 

M.  Senot  de  la  Londe  est  élu  membre  du  Comité  cen- 
tral eu  remplacement  de  M.  Leroux  appelé  à  la  vice-pré- 
sidence. 

Monseigneur  I'Evêque  de  Nantes  et  Monsieur  le  Maire 
de  Nantes  entrent  dans  la  salle  des  séances  et  prennent 
place  au  Bureau,  ainsi  que  M.  Linyer,  président  de  la 
Société  de  Géographie  et  M.  Leray,  président  de  la  Société 
des  Artistes  Bretons. 

M.  Jamin  a  regretté  de  ne  pouvoir  venir  représenter  le 
Conseil  général  du  Département. 

M.  le  Président  salue  et  remercie  de  leur  présence 
Monseigneur  I'Evêque,  M.  le  Maire  et  MM.  les  Présidents 
des  autres  Sociétés  savantes.  Monseigneur  I'Evêque  dit, 
en  quelques  mots,  la  joie  qu'il  éprouve,  en  venant  au  milieu 
de  nous.  Il  fait  l'éloge  de  la  science  archéologique,  et  se 
déclare  particulièrement  heureux  de  remettre,  au  nom  de 
la  Société,  la  médaille  d'or  du  concours  triennal  à  M.  le 
chanoine  Durville,  dont  les  doctes  travaux  sont  appréciés 
hautement  par  les  hommes  compétents. 

M.  le  chanoine  Durville  exprime  sa  reconnaissance  à 
Monseigneur  I'Evêque,  à  M.  le  Maire  et  à  la  Société.  Il  le 
fait  en  termes  délicats  et  pleins  d'esprit. 

M.  le  baron  de  \Vismes,  président  sortant,  prend  ensuite 
la  parole  ;  dans  un  discours  très  érudit  et  d'une  très  grande 
élévation  d'idées,  il  retrace  l'histoire  de  l'architecture  et 
fait  remarquer  l'influence  que  les  idées  religieuses,  surtout 
au  temps  des  cathédrales  gothiques,  ont  exercé  sur  le  déve- 
loppement de  cet  art.  Puis  il  salue  M.  Dortel,  appelé  à  lui 
succéder;  il  remercie  les  membres  du  Bureau  et  exprime, 
en  termes  émus,  son  dévouement  et  sa  reconnaissance  pour 
la  Société. 

M.  Dortel  prend  alors  place  au  fauteuil  de  la  présidence. 
Il  se  félicite  de  la  prospérité  croissante  de  la  Société,  due 
en  grande  partie  à  son  prédécesseur  ;  il  se  déclare  heureux 
d'avoir  pour  collaborateurs,  au  Bureau,  des  hommes  éclairés 
et  dévoués  à  chacun  desquels  il  adresse,  avec  beaucoup  de 
délicatesse  et   d'à-propos,  un  aimable  salut.   Il  espère  que 


XI 


les  questions  préhistoriques,  si  passionnantes,  seront  sou- 
vent à  l'ordre  du  jour,  et  dès  cette  première  séance,  il  trace, 
en  un  style  très  vigoureux  et  très  précis,  le  tableau  des 
résultats  auxquels  est  parvenue,  à  l'heure  actuelle,  cette 
jeune  science  appelée  sans  nul  doute  à  nous  faire,  dans 
l'avenir,  de  si  intéressantes  révélations. 

La  séance  est  levée  à  6  h.  1/4. 

Le  Secrétaire  général, 

Ferdinand  BRAULT. 


SEANCE  DU  MARDI  4  FEVRIER   1908 

Présidence  de  M.  Dortel,  Président. 

Etaient  présents  . 

MM.  de  la  Brosse,  abbé  Brault,  Caillé,  Cazautet, 
Chaillou,  Cormerais,  Crouan,  abbé  Durville,  Furret, 
Gourdon,  abbé  Grelier,  Dr  Halgan,  commandant 
Lagrée,  de  Lastours,  Leroux,  abbé  Lesimple,  Pied, 
Pineau-Chaillou,  Dr  Plantard,  Renard.  Révérend, 
Ringeval,  Senot  de  la  Londe,  Vicomte  de  Sécillon, 
Soullard,  Trémant,  de  Veillechèze,  baron  Christian 
de  Wismes,  baron  Gaétan  de  Wismes. 

Le  procès- verbal  de  la  précédente  séance  ayant  été  lu  et 
adopté,  il  est  procédé  à  l'admission  comme  membres  titu- 
laires de  : 

M.  le  Marquis  de  la  Ferronnays,  fils  du  Marquis  de  la 
Ferronnays,  député,  président  du  Conseil  Général,  récem- 
ment décédé,  et  de  M.  l'abbé  Mouillet. 

Ai.  l'abbé  Brault  rappelle  les  nouveaux  travaux  dont 
M.  l'abbé  Mouillet  est  l'auteur;  il  cite  en  particulier  une 
histoire  du  Grand  Séminaire  de  Nantes,  très  documentée 
en  ce  qui  concerne  surtout  le  XVIIe  siècle. 

M.  le  Président  fait  passer  une  très  belle  photographie 
communiquée  par  M.  le  Directeur  de  la  Belle  Jardinière,  à 


XII 


Nantes,  et  représentant  une  maison  du  Vieux  Nantes 
réédifiée  avec  des  servie!  les  de  toilette  dans  le  grand  hall 
de  la  succursale  de  la  rue  du  Calvaire. 

Cette  1res  fidèle  reconstitution  d'un  des  plus  vieux  et 
des  plus  curieux  logis  du  XVe  siècle  manifeste  l'esprit  d'ini- 
tiative et  le  sens  esthétique  du  Directeur  à  qui  M.  le  Pré- 
sident propose  d'adresser  les  félicitations  de  notre  Société. 
Cette  œuvre  d'arl  ne  constitue  pas  seulement  une  réclame 
commerciale  (20.000  serviettes  ont  été  nécessaires  pour 
l'édification  de  ce  chef-d'œuvre),  mais  permet  encore  aux 
habitants  du  XXe  siècle  de  pouvoir  étudier  une  de  ces 
vieilles  maisons,  si  rares  aujourd'hui  dans  notre  ville  où 
l'on  songe  plutôt  à  démolir  qu'à  conserver  ces  intéressants 
vestiges  du  passé. 

Cette  maison  faisait  autrefois  l'angle  de  la  rue  de  la  Jui- 
verie  et  de  la  rue  du  Port-Maillard  ;  elle  fut  démolie  en  1903. 

Après  exhibition  d'un  curieux  fusil.  M.  le  Président  pré- 
sente une  plaque  de  bronze  représentant  un  brigadier  expi- 
rant et  tombant  dans  les  bras  de  son  général.  En  exergue  : 
Les  Français  à  Waterloo,  1815.  M.  Ghaillou,  qui  possède 
une  plaque  identique,  pense  que  ces  objets  ont  pu  être  fondu 
à  Nantes.  Peut-être  pourrait-on  voir  en  ce  général  notre 
illustre  compatriote  Cambronne.  mais  il  serait  difficile  de 
l'affirmer. 

M.  l'abbé  Greliei:  montre  des  tentures  de  tabernacle 
et  un  voile  de  calice  d'une  réelle  beauté  de  dessin. 

Le  baron  Christian  de  Wismes  donne  lecture  d'un  arti- 
cle très  délicat  de  la  Croix  Nantaise  qui  félicite  M.  le  cha- 
noine Durville  de  la  distinction  honorifique  que  la  Société 
archéologique  lui  a  décernée,  reconnaissant  ainsi  toute  la 
valeur  des  travaux  que  M.  Durville  a  consacrés  à  notre 
vieille  cité. 

Le  baron  Gaétan  de  Wismes  communique  une  lettre 
de  M.  le  sénateur  Bodinier,  qui  affirme  sa  sympathie 
pour  notre  Société  et  souhaite  cpie  nous  venions  visiter 
les    curiosités    archéologiques   si    nombreuses   en   Anjou. 

M.  le  baron  Gaétan  de  Wismes  signale  qu'à  Volo 
(Thessalie)  oui  été  récemment  trouvées  des  stèles  funé- 
raires   qui   peuvent    dater   du    IIIe    et   du    IIe    siècles.    La 


—  xnr  — 

conservation  relative  des  peintures  qui  ornementaient 
ces  monuments  ajoute  beaucoup  à  l'intérêt  de  leur  décou- 
verte, car  c'est  un  fait  d'une  véritable  rareté. 

Le  baron  de  Wismes  parle  à  ce  propos  de  la  très  belle 
collection  de  planches,  représentant  les  monuments  de 
l'ancienne  Egypte,  due  au  talent  de  M.  l'abbé  Soreau. 
M.  le  président  espère  que  M.  Soreau  voudra  bien  nous 
les  montrer  à  l'une  des  prochaines  séances  de  notre  Société. 

M.  le  Président  se  demande  s'il  ne  serait  pas  du  devoir 
de  la  Société  Archéologique  de  présenter  un  nouveau 
voeu  pour  la  conservation  de  la  jolie  tourelle  qui,  sous 
prétexte  d'alignement,  va,  subissant  le  sort  réservé  aux 
souvenirs  du  Vieux  Nantes,  tomber  sous  la  pioche  des 
démolisseurs.  L'hôtel  de  Monti  ,  qui  lui  est  contigu  , 
offre  peu  d'intérêt. 

M.  Soullard  nous  présente  un  anneau  en  or  gaulois 
et  d'intéressantes  monnaies,  récemment  trouvées  à  Joué, 
Ligné  et  à  Petit-Mars,  à  l'effigie  de  Se  ver  III,  de  Julius 
Kepos  et  de  Henri  VI  d'Angleterre. 

M.  Soullard  nous  donne  également  lecture  d'un  docu- 
ment que  M.  le  chevalier  d'Achon  a  bien  voulu  extraire 
pour  nous  de  sa  bibliothèque.  Ce  manuscrit,  dû  à  la  plume 
de  M.  de  Pommerie,  est  daté  du  lor  mars  1788.  Il  relate 
un  différend  qui  s'éleva  entre  lui-même,  qui,  à  cette  époque, 
commandait  le  château  de  Nantes,  et  la  Municipalité. 
On  voit  déjà  l'esprit  révolutionnaire  se  manifester  dans 
les  faits  et  gestes  des  ouvriers  qui  travaillaient  au  châ- 
teau, et  la  Municipalité,  épousant  leurs  querelles,  exiger 
de  M.  de  Pommerie  d'inutiles  explications. 

Lecture  est  ensuite  donnée  d'un  travail  consciencieux 
de  M.  Michel,  ingénieur  de  la  Ville,  qui  présida  aux  travaux 
récemment  faits  pour  la  création  des  égouts  sur  les  quais 
de  l'Erdre.  Il  nous  dit  ce  qu'était  jadis  cette  rivière  dans 
son  parcours  urbain  ;  la  rive  droite  tombant  abrupte, 
couverte  cependant  de  tanneries  jusqu'au  pont  actuel 
de  l'Hôtel- de- Ville  ;  la  rive  gauche,  basse,  très  maréca- 
geuse. Vers  1800,  un  ponit  fut  créé  au  niveau  du  Marché 
à  la  paille,  il  le  fut  dans  de  mauvaises  conditions  et  on 
dut  le  faire   disparaître   vingt   ans   plus   tard.    C'est    à   ce 


—   XIV   — 

niveau,  qu'au  cours  des  travaux  exécutés  il  y  a  quelques 
mois,  les  ouvriers  trouvèrent  quelques  pièces  intéressantes, 
statuettes,  vases  plus  ou  moins  mutilés. 

M.  Maître  lit  un  rapport  sur  la  découverte  d'un  atelier 
de  fondeur  qui  fut  faite  au  mois  d'avril  1907  à  Saint- 
Père-en-Retz.  M.  Maître  vit  là  une  collection  de  douze 
culots  de  bronze  en  forme  de  galettes  qui  devaient  être 
les  résidus  empruntés  à  des  fonds  de  creusets.  D'où 
pouvait  venir  ce  cuivre  ?  Peut-être  d'Espagne.  Les  fon- 
deurs se  seraient  établis  en  cette  contrée  par  cette  raison 
qu'elle  était  à  l'état  de  forêt  et  que  le  combustible  était 
pour  eux  chose  indispensable. 

M.  le  Président  remercie  M.  Maître  de  la  communica- 
tion qu'il  a  bien  voulu  faire. 

La  séance  est  levée  à  6  heures. 

Le   Secrétaire  général, 

Dr   Halgan. 


SÉANCE  DU   MARDI   10  MARS    1908 

Présidence  de  M.  Dortel,  président 

Membres  présents  :  MM.  Angot,  Bastard,  Chanoine 
Delanoue,  de  Brévedent,  Caillé,  Cazautet,  Chaillou, 
Charon,  Chouan,  Furret,  Grelier,  le  Commandant 
Lagrée,  le  Docteur  de  Lastours,  Leroux,  l'abbé  Mouillé, 
Pied,  Révérend,  Ringeval,  Senot  de  la  Londe,  P.  Soul- 
lard,  Trémant,  de  Veillechèze,  Barons  Christian  et 
Gaétan   de   Wismes. 

M.  Dano,  intendant  militaire,  qui,  en  Tunisie  et  dans 
l'Afrique  du  Nord,  a  pris  part  à  de  nombreuses  fouilles  et 
assisté  à  plusieurs  découvertes  archéologiques  très  inté- 
ressantes, et  M.  Roy,  le  vaillant  défenseur  du  Vieux  Nantes, 
sont  admis  Membres  titulaires  de  la  Société.  Ils  ont  comme 
parrains  MM.  Dortel  et  Pied. 

M.    le    Président    donne    communication    d'une    lettre 


XV 


de  M.  Delattre  qui,  élu  secrétaire  général,  regrette,  à 
cause  de  ses  occupations  très  absorbantes  à  l'heure  actuelle, 
de  ne  pouvoir  en  remplir  les  fonctions.  M.  Joseph  Nau, 
pressenti  à  ce  sujet,  veut  bien  assurer  cette  délicate  respon- 
sabilité. M.  Dortel  rappelle  que  le  grand-père  de  M.  Nau 
a  été  un  des  fondateurs  et  le  premier  président  pendant 
dix-sept  ans  de  la  Société  Archéologique  de  Nantes  et  que 
son  père,  qui  est  président  de  la  Société  des  Architectes, 
a  été  vice-président  de  la  Société  Archéologique  et  en  a 
refusé  la  présidence.  Le  scrutin  ayant  eu  lieu,  à  l'unanimité 
des  votants,  M.  Nau  est  élu  secrétaire  général. 

M.  le  Président  dit  à  M.  Chaillou  avoir  vu,  en  bronze, 
la  reproduction  d'un  épisode  de  la  bataille  de  Waterloo 
dans  laquelle  la  légende  supprimée  dans  la  plaque  en 
bronze  présentée  par  M.  Chaillou  se  trouvait  re- 
produite. 

M.  Alcide  Leroux  fait  don  à  la  Société  de  deux  brochures 
des  plus  intéressantes  au  point  de  vue  de  la  linguistique  : 
Du  Langage  Populaire  et  Marche  du  Patois  actuel.  La 
Société  reconnaissante  l'en  remercie  très  vivement. 

M.  le  Président  rend  compte  des  Congrès  auxquels 
sont  invités  les  membres  de  la  Société  :  Congrès  préhisto- 
rique se  tenant  à  Chambéry  du  24  au  30  août  prochain, 
Congrès  des  Sociétés  Savantes  à  la  Sorbonne  dans  la  se- 
maine qui  suivra  les  fêtes  de  Pâques.  Il  se  fait  le  porte- 
parole  de  M.  le  Marquis  de  l'Estourbeillon  qui,  au  nom 
de  l'Union  régionaliste  bretonne  à  laquelle  vient  d'adhé- 
rer la  Société  Archéologique  de  Nantes,  invite  le  plus 
de  membres  possible  à  se  réunir  pour  les  fêtes  qui  se 
feront  à  Jugon  les  21,  22  et  23  mars.  Le  programme  com- 
porte des  excursions  du  plus  grand  intérêt  aux  ruines  du 
vieux  château  de  la  Hunaudaye  et  à  l'abbaye  de  Bosquen. 
M.  de  l'Estourbeillon  a  joint  à  son  invitation  tous  les 
bulletins  de  la  Société  dont  il  est  le  très  dévoué  président. 

Plusieurs  membres  se  proposant  d'aller  à  Jugon,  M.  le 
baron  Gaétan  de  Wismes  prend  la  parole  pour  indiquer 
les  conditions  matérielles  de  l'excursion  et  demande  à 
être  prévenu  le  15  mars  au  plus  tard  pour  prendre  les  dis- 
positions nécessaires.  Il  termine  en  présentant  une  petite 
brochure  où  M.   de  l'Estourbeillon,  sous  un  pseudonyme, 


—   XVI    — 

fait  un  parallèle  entre  les  vieux  (Bretons)  fidèles  à  leurs 
nobles  et  anciennes  coutumes  et  ceux  qui  se  laissent  trop 
entraîner  par  le  modernisme.  Le  titre  de  cet  intéressant 
écrit  est  :   Bretagne  d'Aujourd'hui  et  Bretagne  de  Demain. 

Le  docteur  de  Lastours  présente  un  cachet  breloque 
semblant  appartenir  aux  dernières  années  du  dix-hui- 
tième siècle;  il  paraît  représenter  en  intaille  le  portrait 
en  buste  d'un  muscadin. 

M.  Dortel  exhibe  à  la  Société  un  pistolet  à  pierre  à 
2  canons  superposés,  bassinet  tournant,  portant  une 
marque  anglaise.  Cette  arme  curieuse  ayant  été  trouvée 
près  de  Quiberon,  il  est  probable  qu'elle  a  dû  appartenir 
à  un  des  émigrés  venus  d'Angleterre  prendre  part  au 
débarquement  qui  eut  lieu  à  cette  époque.  Le  président 
fait  passer  parmi  les  membres  de  la  Société  des  coquilles 
munies  de  leurs  deux  valves  trouvées  dans  les  fouilles 
d'un  jardin  de  Rezé;  ces  huîtres  étaient  entassées  en  un 
monceau  de  30  centimètres  de  hauteur  sur  15  mètres  de 
longueur. 

M.  Chaillou,  qui  les  examine,  est  du  même  avis  que 
M.  le  président;  ces  huîtres,  qui  n'ont  rien  des  fossiles, 
doivent  être  dues  au  déchargement  d'une  cargaison 
avariée.  Le  commerce  d'huîtres  étant  très  développé  en 
Bretagne   à  l'époque   gallo-romaine. 

M.  Dortel  donne  alors  lecture  du  vœu  proposé  à  la 
dernière  séance  à  l'occasion  des  projets  de  démolition 
à  l'Hôtel  de  Monti  et  de  la  tourelle  dite  de  Gabrielle 
d'Estrées   : 

La    Société    Archéologique, 

Considérant  que  chaque  année  voit  disparaître  quel- 
ques-uns des  monuments  vénérables  que  nos  ancêtres 
nous  avaient  pieusement  conservés  ; 

Considérant  que  ces  monuments  se  recommandent  à 
nous  :  1°  par  le  cachet  «  pittoresque  »  qu'ils  donnent  à 
certains  quartiers,  en  attirant  par  là  même  la  visite  des 
étrangers,  source  de  bénéfices  pour  notre  ville  ;  2°  par 
leur  valeur  «  architecturale  »,  qui  permet  à  nos  artistes 
de  les  étudier  et  de  les  reproduire  ;  3°  par  leur  importance 


XVII 


«  historique  »,  en  raison  des  faits  dont  ils  sont  les  témoins 
et  qu'ils  font  connaître  avec  plus  de  vérité  ; 

Considérant  que  ces  constructions,  dont  la  beauté 
appartient  à  tous  et  dont  l'intérêt  s'accroît  du  fait  des 
destructions  déjà  accomplies,  sont  un  legs  précieux  que 
le  présent  reçoit  du  passé  et  dont  il  doit  compte  à  l'avenir  ; 
—  que  le  premier  souci  d'une  municipalité  devrait  être, 
par  conséquent,  d'exercer  une  surveillance  active  pour 
éviter  leur  dégradation  et  leur  ruine  ; 

Considérant  que  malheureusement,  depuis  un  trop 
grand  nombre  d'années,  la  plupart  de  ces  curieux  édifices 
ont  été  démolis  sans  motifs  sérieux  et  sous  les  prétextes 
les  plus  futiles  ;  qu'il  est  temps  de  mettre  un  terme  à  ce 
vandalisme  systématique,  si  novis  ne  voulons  voir  dispa- 
raître tout  ce  qui  nous  reste  de  curieux  et  d'intéressant. 

Considérant  qu'il  appartient  à  notre  Compagnie  de  se 
faire  l'écho  des  protestations  qui  se  sont  maintes  fois 
élevées   dans  la   Presse. 

Proteste  avec  énergie  contre  les  démolitions  accomplies, 
au  mépris  des  intérêts  de  l'Art  et  de  l'Histoire,  et  espère 
qu'à  l'avenir  elle  sera  consultée  toutes  les  fois  qu'une 
mesure  de  ce  genre  menacera  l'un  des  rares  vestiges  de 
notre    Vieux   Nantes. 

A  ce  sujet,  M.  le  baron  Christian  de  Wismes  lit  des 
extraits  :  1°  d'un  livre  assez  ancien  dans  lequel  l'auteur, 
un  Parisien,  se  plaint  de  voir  les  Nantais  mutiler  et  détruire 
leurs  vieux  édifices  remarquables  par  l'architecture  et  les 
souvenirs  précieux  qui  y  sont  attachés  ;  de  plus,  il 
commente  rapidement  un  article  du  distingué  savant 
qu'était  M.  de  la  Gournerie  et  dans  lequel  celui-ci  constate 
avec  tristesse  qu'on  démolit  beaucoup  trop  à  Nantes. 

Le  vœu  tendant  à  la  conservation  de  nos  vieux  monu- 
ments est  voté  à  l'unanimité.  Il  sera  transmis  à  M.  le  Maire 
et  communiqué  aux  journaux.  On  entend  ensuite  M.  Soul- 
lard,  informant  la  Société  qu'il  est  parvenu  à  établir  l'iden- 
tité d'un  sceau  du  XVIe  siècle  présenté  antérieurement. 
Ce  sceau  losange,  parti  d'hermines  à  la  bordure  de  gueules 
et  d'or  à  trois  lionceaux  de  gueules  ,  est  celui  de  Jeanne  de 
Pisseleu,  ductiesse  d'Etampes,  dont  le  mari  ,  Jean  de 
Brosses,  reçut,   à  cause   de-   s;i   complaisance,  le  comté   de 


—   XVIII   — 

Penthièvre  auquel  il  se  croyait  des  droits  par  le  mariage 
d'une  fille  de  Charles  de  Blois  avec  un  de  ses  aïeux.  La  sei- 
gneurie de  la  Roche-Suhart,  enclavée  dans  ce  comte, 
fut  acquise  à  prix  d'argent  par  la  duchesse  aux  anciens  pos- 
sesseurs. Il  comprenait  des  privilèges  et  droits  maritimes 
très  étendus. 

M.  Angot  continue  la  très  captivante  lecture  du  travail 
de  Mme  Baudry  sur  Saint-Mars-la-Jàille  et  ses  anciens 
seigneurs;  l'état  de  Saint-Mars-la-Jàille,  au  moment  de  la 
Ligue,  et  une  notice  sur  la  famille  Ferron  de  la  Ferronays  où 
l'on  voit  se  détacher  la  très  noble  figure  de  .Monseigneur 
Ferron  de  la  Ferronays.  évêque  de  Baveux  et  de  Bayonne, 
mort  en  exil  en  1799. 

M.  le  baron  de  Wismes  donne  lecture  de  diverses  nou- 
velles archéologiques.  La  découverte  de  la  mosaïque  de 
Saint-Colombe  (Rhône)  et  la  destruction  de  la  Roche  qui 
tourne,  pierre  intéressante  à  cause  des  superstitions  qui  y 
étaient  attachées,  etc.  Des  notes  bibliographiques  lues  par 
M.  Angot  sont  très  intéressantes,  plusieurs  faux  du  fond  de 
Béthune  ont  été  relevés  par  M.  Léopold  Delisle  dans  les 
manuscrits  de  M.  Pierpont  Morgan.  M.  le  chanoine  Durville 
avait  déjà  signalé  à  Nantes  plusieurs  faux  dans  les  pièces 
venant  de  la  même  source  et  se  trouvant  à  Nantes. 

M.  Angot  termine  en  présentant  à  la  Société  quelques 
manuscrits  en  partie  édités  provenant  de  l'érudit  abbé 
Gaignard,  ancien  supérieur  du  collège  d'Ancenis,  au  moment 
de  la  Révolution. 

La  séance  est  levée  à  6  heures  1/4. 


SÉANCE   DU  JEUDI    19  MARS   1908 

Présidence  de  M.  A.  Dortel.  président. 

Etaient  présents  : 

MM.  Bacqua,  Brau,  Bougouin,  de  Brévedent,  Domi- 
nique Caillé,  Cazautet,  Chaillou,  Crouan,  chanoine 
Dirville,   Furet,  Gourdon,  commandant  Lagrée,  doc- 


—   XIX    — 

teur  de  Lastours,  Leroux,  Nau,  Pied,  Pineau- 
Chaillou,  Poirier,  Révérend,  Ringeval,  Roy,  le  cha- 
noine Saureau,  Senot  de  la  Londe,  Soullard,  Trémant, 
Vignard,  Antoine  et  Félix  Vincent,  Barons  Gaëtan  et 
Christian  de  Wismes. 

Le  procès- verbal  de  la  dernière  séance  est  lu  et  adopté. 

M.  le  Président,  en  quelques  mots  émus,  nous  fait  part 
de  la  mort  d'un  de  nos  plus  anciens  membres,  M.  René  de 
Veillechèze,  qui,  présent  à  la  dernière  séance,  a  été  brusque- 
ment enlevé  à  l'affection  des  siens. 

Son  testament  exprimait  le  désir  qu'aucun  discours  n'eut 
lieu  sur  sa  tombe.  M.  Dortel  se  propose  de  prononcer  l'éloge 
de  M.  de  Veillechèze  à  la  prochaine  séance,  et  de  nous  mon- 
trer comment,  chez  celui-ci,  une  grande  intelligence  s'alliait 
à  une  extrême  modestie. 

Il  termine  en  souhaitant  la  bienvenue  à  M.  Roy,  élu 
membre  titulaire  à  la  dernière  séance  et  qui  a  toujours  si 
vaillamment  défendu  les  anciens  monuments  de  notre  vieille 
cité  nantaise. 

La  parole  est  donnée  à  M.  le  chanoine  Saureau  qui,  dans 
une  conférence  du  plus  captivant  intérêt,  après  nous  avoir 
transporté  sur  les  ailes  de  l'ange  Raphaël,  à  la  cité  de 
Thèbes  aux  cent  portes,  appelée  alors  Oasith  ou  Mont-Amon, 
quatorze  siècles  avant  l'ère  chrétienne,  nous  fait  revivre, 
avec  une  réelle  intensité,  la  vie  même  de  ce  peuple  égyptien 
aussi  bien  dans  ses  menus  détails  quotidiens  que  dans  ceux 
des  cérémonies  religieuses  et  des  fêtes  les  plus  solennelles. 

Il  le  fait  avec  une  telle  éloquence  et  par  le  moyen  de 
tableaux  si  exactement  réels,  qu'à  la  fin  de  la  conférence 
les  membres  de  la  Société  archéologique  se  sont  étonnés  de 
se  retrouver,  au  vingtième  siècle  après  l'ère  chrétienne,  dans 
une  salle  de  réunions  à  Nantes. 

M.  Dortel  adresse  au  nom  de  la  Société  de  chaleureux 
remercîments  à  M.  le  chanoine  Saureau  et  espère  qu'il 
voudra  bien  donner  une  suite  à  sa  première  conférence. 

Il  donne  alors  la  parole  à  M.  Alcide  Leroux  qui  veut  bien 
faire  part  à  la  Société  de  ses  impressions  sur  l'Egypte 
moderne  et  sur  les  vieilles  pyramides  qu'il  a  visitées  jadis. 

C'était  pendant  l'hiver  que  M.  Leroux  fit  ce  voyage,  mais 


—    XX    — 

le  Nil  avait  déjà  donné  aux  terrains  qui  l'avoisinent  celte 
fécondité  proverbiale  qui  avait  transformé  ses  rives  en 
paysages  ravissants,  et  la  magie  du  style  de  M.  Leroux  nous 
les  fait  apprécier  mieux  encore.  Les  sombres  pyramides  pa- 
raissent dans  le  lointain  de  petits  monticules  de  sable  sur 
le  subie  du  désert.  On  s'y  dirige  par  une  chaussée  ombra- 
gée en  partie  construite  pour  la  visite  qu'y  fil  l'impératrice 
Eugénie. L'effet  curieux  de  rapetissement  puis  d'allongement 
de  ces  monuments  du  passé  égyptien  sont  décrits  de  main 
de  maître.  Le  contraste  si  frappant  de  ces  colonnes  du 
passé  avec  les  huttes  de  terre  où  se  blotissenf  les  fellahs, 
sont  une  triste  leçon  pour  les  visiteurs  actuels.  Les  quelques 
Arabes  oublieux  d'une  histoire  si  glorieuse  pour  l'Egypte 
sont  des  guides  et  surtout  des  mendiants  sans  aucune 
bonne  foi.  Le  sommet  de  la  pyramide  de  Chéops,  la  plus 
élevée  de  toutes  ces  pyramides,  est  d'accès  difficile 
sans  l'aide  des  Arabes  ;  les  deux  cents  marches  à  gravir, 
et  quelles  marches  !  rendent  cette  escalade  fort  pénible. 
Mais  de  la  plate-forme  de  10  mètres  carrés  environ,  la  vue 
est  splendide  et  le  sphinx,  presque  accroupi  à  ses  pieds, 
évoque  dans  l'esprit  la  grandeur  mélancolique  des  siècles 
écoulés.  L'heure  qui  s'avance  empêche  M.  Leroux,  à  notre 
grand  regret,  d'achever  la  lecture  de  ses  intéressantes  obser- 
vations qu'il  reprendra  d'ailleurs  à  la  prochaine  réunion. 

La  séance  est  levée  à  (i  heures  1/4. 


SÉANCE  DU  7  AVRIL  1908 

Présidence    de     M.     Dortel,    président 

La  séance  est  ouverte  à  quatre  heures. 

Etaient  présents  :  MINI,  l'abbé  Braud,  de  Brévedent, 
Caillé,  Cazautet,  Chaillou,  Charron,  Dortel,  Ferron- 

NIÈRE,     FURRET,     GoiTRDON,     abbé     GRELIER,     DE     FvERVE- 

noael,  Lagrée,  de  Lastour,  A.  Leroux,  l'abbé  Lesimple, 
Maître,  Joseph  Nvu,  Pineau,  Pied,  Renard,  Ringeval, 
Commandant   Riondel,   Henry   Riondel,   Senot   de  la 


—   XXI    — 

Londe,    Soullard,    Trémant,   baron   de   Wismes,   baron 
Gaétan   de  Wismes. 

Le  procès-verbal  de  la  précédente  séance  est  lu  et  adopté. 

M.  le  Président  nous  parle,  en  termes  émus,  du  vide 
cpie  laisse  à  notre  Société  la  mort  de  M.  de  Veillechèze 
dont  les  qualités  du  cœur  et  de  l'esprit,  jointes  à  la  distinc- 
tion et  à  l'affabilité  de  ses  manières  avaient  su  lui  conqué- 
rir  l'estime  et  la  sympathie  de  tous  ceux  qui  l'ont  connu. 
D'un  caractère  facile,  généreux  et  bon,  s'oubliant  lui- 
même  pour  être  utile  aux  autres,  et  d'une  délicatesse 
extrême,  il  savait  égayer  ses  collègues  par  ses  bons  mots 
et  ses  chansons  frappés  au  coin  du  meilleur  esprit. 

Il  laisse  des  mémoires  et  des  études  très  documentés 
où  l'on  retrouve,  sous  sa  plume  alerte  et  spirituelle,  son 
attachement  pour  le  pays  qui  l'a  vu  naître,  ou  pour  celui 
où  il  fit  ses  premières  armes. 

C'est  ainsi  que  nous  avons  de  lui  des  détails  fort  inté- 
ressants sur  la  Chapelle  du  Mûrier,  du  Crucifix,  et  de 
Saint-Goustan,  au  Croisic,  de  Bethléem  en  Saint- Jean- 
de-Boiseau,  etc. 

M.  de  Veillechèze  faisait  partie  de  la  Société  Archéo- 
logique depuis  l'année  1887. 

L'Assemblée  reçoit,  par  vote  unanime,  comme  membre 
titulaire,  M.  Jean  de  Vienne,  présenté  par  MM.  Senot  de 
la  Londe  et  le  Vicomte  de  Kervenoaël. 

M.  le  Président  fait  part  à  la  Société  des  dons  qu'il  a 
reçus  : 

1°  De  M.  Delatlre  :  Notes  historiques  sur  le  passage 
des  Ambassadeurs  de   Siam  : 

2°  De  M.  le  Dr  Marcel  Baudouin  :  Les  Mégalithes  du 
Brandeau   (  Bretignolle),    Vendée  ; 

3°  Du  Directeur  de  la  Belle  Jardinière,  de  superbes 
photographies  représentant  les  vieux  logis  de  la  rue  de 
la   Juiverie. 

Il  adresse  ses  remerciements  au  nom  de  la  Société. 

M.  de  Lastour  remet  à  la  Société  de  fort  artistiques 
photographies  prises  par  lui  à  Jagon,  pendant  les  assises 
de  l'Union  Bégionale  bretonne. 


—   XXII   — 

M.  Senot  de  la  Londe  exhibe  une  curieuse  affiche  de 
théâtre  de   1771. 

M.  Maître  remet  sur  le  bureau  de  vieilles  poteries, 
provenant  de  la  rue  de  la  Juiverie,  et  trouvées  au  milieu 
même  de  la  rue. 

M.  Furret,  enfin,  montre  des  restes  assez  curieux  de 
verroterie  qu'il  a  trouvés  en  faisant  exécuter  des  fouilles 
rue   Saint-André. 

On  aborde  ensuite  l'ordre  du  jour  : 

M.  Alcide  Leroux  reprend  la  narration  de  son  voyage 
au  Caire.  Il  nous  décrit  les  Pyramides,  nous  en  fait  visiter 
en  détail  les  multiples  galeries,  la  chambre  du  roi,  celle 
de  la  reine,  nous  transporte  ensuite  aux  pieds  du  Sphinx, 
et  son  récit  nous  donne  un  instant  l'illusion  d'avoir  contem- 
plé nous-mêmes  ces   géants. 

La  parole  est  ensuite  donnée  à  M.  Chaillou  qui  rend 
compte  de  la  visite  faite  à  Rezé  avec  MM.  de  Berthou, 
Dortel,  Maître,  Senot  de  la  Londe  et  Soudard,  chargés 
par  la  Société  Archéologique  de  vouloir  bien  étudier  la 
nature  des  objets  qui  y  furent  récemment  découverts. 

M.  Chaillou  donne  un  compte  rendu  très  complet  des 
démarches  de  la  Commission,  qui,  en  se  rendant  sur  le 
terrain  des  fouilles,  fait  une  halte  à  la  Chapelle  de  Saint- 
Lupien.  Il  exhibe  sur  le  bureau  quelques-uns  des  objets 
trouvés:  des  vases,  une  statuette, des  débris  de  cloisonnage 
en  argile,  etc.  L'opinion  personnelle  de  M.  Chaillou 
est  que  les  objets  trouvés  sont  postérieurs  à  l'occupation 
romaine,  et  qu'il  ne  faut  pas  clore  mais  ouvrir  une  enquête. 

M.  le  baron  Gaétan  de  Wismes  rend  compte  des  assises 
d'hiver  de  l'Union  Régionaliste  bretonne  à  Jagon,  et  du  but 
de  ces  assises.  Il  a  été  heureux  de  constater  le  bon  accueil 
fait  aux  Nantais  qui  semblent  enfin  être  reconnus  comme 
vrais  Bretons.  C'est  très  chaleureusement  que  M.  le  Pré- 
sident remercie  M.  de  Wismes  d'avoir  si  aimablement 
représenté    la   Société    Archéologique. 

M.  Senot  de  la  Londe  fait  part  à  la  Société  de  pièces 
curieuses  concernant  un  aveu  de  passage  de  la  Chebuette 
sur  la  Loire  en  1507  et  la  prise  de  possession  de  la  seigneu- 
rerie   de   Thouaré   par  Josepb   Mosnier  de  la  Valtière   en 


XXIII 


1704.    Il   met  sous   nos   yeux   un   plan   très   curieux,  orne- 
menté de  sanguines,  par  Henon,  et  datant  de  1704. 

La  séance  est  levée  à  6  heures  1/2. 

Le    Secrétaire    Général, 
J.  Nau. 


SÉANCE  DU    MARDI   5    MAI   1908 

Présidence  successive  du  baron  Gaétan  de  Wismes, 
vice-président,     et     de     M.     Dortel,     président. 

La  séance  est  ouverte  à  4  heures. 

Etaient  présents  : 

M.  Angot,  abbé  Braud,  Blanchard,  de  Brévedent, 
Caillé,  Cazautet,  Chaillou,  Dortel,  Ferronnière, 
de  France,  de  Freslon,  Furret,  Grelier,  Dr  Halgan, 
Commandant  Lagrée,  Leroux.  Maître,  Dr  Plantard, 
Pied,  Henry  Biondel,  Soullard,  Vignard,  Benard, 
Baron  de  Wismes,  Baron  Gaétan  de  Wismes. 

Après  lecture  et  adoption  du  procès- verbal  de  la  séance 
précédente,  il  est  procédé  à  la  nomination,  comme  membre 
titulaire,  du  capitaine  Georges  du  Plessix,  qui,  présenté  par 
M.  Furret  et  le  vicomte  de  Sécillon.  obtient  l'unanimité 
des  suffrages. 

M.  le  Président  se  fait  l'interprète  des  membres  pré- 
sents en  adressant  ses  sentiments  de  vive  sympathie  à 
M.  Antoine  Vincent,  président  du  Tribunal  de  Commerce, 
qui,  pendant  trois  ans,  remplit,  à  la  Société  d'archéologie, 
les  fonctions  de  secrétaire  général,  à  l'occasion  de  la  mort 
si  cruelle  de  son  jeune  fils,  élève  à  l'Ecole  de  la  rue  des  Postes, 
à   Paris. 

Une  excursion  à  Pontchâteau,  Missillac,  la  Brctêche  est 
décidée  et  fixée  au  18  mai. 

M.  Halgan  présente  un  vase  en  forme  de  casque  trouvé, 
il  y  a  quelques  années,  en  terre,  près  d'un  vieux  château 
vendéen. 


XXIV 


Puis  la  parole  est  donnée  à  M.  Grelier,  qui  présente  un 
important  travail  sur  l'ancienne  église  de  Challans.  Datant 
du  VIe  siècle,  ainsi  qu'en  témoigne  la  découverte  faite  par 
M.  Grelier  d'une  curieuse  croix  mérovingienne,  ce  monu- 
ment primitif  s'enveloppe,  quant  à  ses  origines,  de  curieu- 
ses légendes.  Un  second  édifice  fut  construit  au  XIe  siècle 
et  a  subsisté  après  avoir  subi  de  considérables  modifica- 
tions. 

Du  type  de  l'architecture  romane  poitevine,  il  était  le 
plus  vieux  monument  de  la  région.  Seul  le  transept  est 
demeuré  jusqu'à  nos  jours.  Le  Conseil  municipal  de  Challans 
a  fait  procéder  à  la  démolition  de  cette  ancienne  église, 
montrant,  par  cet  acte,  le  peu  de  cas  qu'il  faisait  de  ces  an- 
tiques et  pieux  souvenirs. 

Entre  Commissaires  au  X  VIII0  siècle,  tel  est  le  titre  de  la 
nouvelle  dont  M.  René  Blanchard  est  l'auteur,  et  qu'il  a 
composée  en  s'appuyant  sur  des  textes  pris  aux  meilleures 
sources. 

M.  Blanchard  met  en  scène  deux  représentants  de  notre 
police  municipale  vers  1710,  qui  ne  donnent,  ni  l'un  ni 
l'autre,  l'exemple  delà  bonne  entente  et  du  calme  dont  ils 
devaient  être  les  modèles.  Curieuse  exquisse  de  l'existence 
bavarde  et  potinière  des  petits  boutiquiers  de  notre  ville 
il  y  a  deux  siècles.  Cette  plaquette  nous  montre  encore 
combien,  depuis  ce  temps,  les  mœurs  ont  pu  varier  ;  le  prin- 
cipal personnage  cumulait  les  fonctions  si  disparates  de 
pharmacien  et  de  commissaire  de  police. 

A  cette  époque,  le  grand  commerce  nantais  était  particu- 
lièrement prospère,  et  les  armateurs  élevaient  les  luxueuses 
demeures  que  nous  admirons  encore  aujourd'hui  sur  l'île 
Feydeau  et  le  quai  de  la  Fosse.  La  guerre  d'Espagne  avait 
cependant  troublé  nos  relations  avec  les  Antilles  où  Anglais 
et  Hollandais  étaient  presque  parvenus  à  nous  supplanter. 
Ces  étrangers  avaient  répandu  dans  les  îles  des  réaux  légers, 
monnaie  à  titre  variable.  Leraydela  Clarté,  juge  consulaire, 
est  délégué  à  Paris  pour  porter  les  doléances  de  ses  conci- 
toyens. M.  Soullard,  s'appuyant  sur  des  documents  de 
l'époque,  nous  décrit  les  tergiversations  qui  signalèrent  sa 
mission.  Longues  attentes  dans  les  antichambres  ministé- 
rielles, indifférence  et  rebuffades,  mais  Leray  de  la  Clarté 


—    XXV   — 

ne  se  désespère  jamais  ;  il  obtient  presque  gain  de  cause, 
tout  en  concluant  philosophiquement  que  les  grands  sei- 
gneurs ne  voient  les  choses  que  superficiellement. 

Ces  documents  sont  la  correspondance  entre  M.   Leray  et 
les  juges  consulaires. 

Le  Secrétaire  général, 
Dr   Halgan. 


SEANCE    DU    2    JUIN    1908 

Présidence  de  M.  Dortel. 

La  séance  est  ouverte  à  4  heures  1/4. 

Etaient  présents  : .  MM.  Angot,  abbé  Brault,  Domi- 
nique Caillé,  Georges  Ferronnière,  de  France,  Docteur 
de  Lastour,  Alcide  Leroux,  Léon  Maître,  abbé  Mouillé, 
J.  Nau,  Pied,  du  Plessis,  Renard,  Ringeval,  de  Sécillon, 
Soullard,  Trémant,  A.  Vincent,  Baron  de  Wismes, 
Baron  Gaétan  de  Wismes. 

Le  Commandant  Lagrée  se  fait  excuser. 

Le  procès-verbal  de  la  dernière  séance  est  lu  et  adopté. 

M.  Léonce  Ouvrard,  Rédacteur  en  chef  de  l' fixpress 
de  V  Ouest,  présenté  par  M.  le  chanoine  Durville  et  M.  Angot, 
est  nommé  membre  titulaire  de  la  Société,  à  l'unanimité. 

M.  Gaétan  de  Wismes  présente  un  dessin  reconstituant 
l'ancienne  chaire  de  la  Cathédrale  de  Nantes,  par  Josset. 
Ce  dessin  faisait  partie  de  la  collection  de  M.  de  Veillechèze. 

M.  le  Président  dépose  sur  le  bureau  un  ouvrage  du 
Révérend  Père  de  la  Croix  sur  la  Chapelle  Saint-Sixte  et 
la  Cathédrale  de  Poitiers,  et  une  étude  sur  la  mère  de 
Victor  Hugo,  Sophie-Françoise  Trébuchet,  par  M.  Domi- 
nique Caillé.  Il  exprime  aux  auteurs  de  ces  ouvrages  toute 
la  gratitude  de  la  Société. 

M.  de  Sécillon  mentionne  la  découverte,  à  la  Chapelle- 
sur-Erdre,  de  deux  tombeaux  en  pierre,  recouverts  de  dalles 

Soc.  Archéol.  Nantes.  B 


—    XXVI    — 

d'ardoises.  La  Société  charge  M.  de  Sécillon  de  rechercher 
l'origine   et    l'époque   de   ces   deux   tombes. 

M.  Dortel  retrace  en  quelques  mots  la  vie  de  M.  de 
Laubrière,  dont  la  mort  est  un  nouveau  deuil  pour  la 
Société.  C'était  un  érudit  inlassable  et  un  travailleur 
infatigable. 

Il  est  procédé  à  l'élection  d'un  membre  du  Comité  en 
remplacement  de  M.  de  Veilléchèze.  M.  Dominique  Caillé 
emporte  tous  les  suffrages. 

M.  le  Président  fait  le  compte  rendu  de  l'excursion 
à  la  Bretêche  et  à  Missillac  et  donne  l'illusion,  même  aux 
absents,  qu'ils  étaient  de  la  fête.  C'est  dire  que  s'il  a  su 
organiser,  il  sait  aussi  très  bien  narrer.  On  décide  de  décer- 
ner à  M.  de  Montaigu  une  médaille  d'argent  en  reconnais- 
sance de  son  gracieux  accueil  et  de  son  aimable  réception. 

La  parole  est  ensuite  donné  à  M.  Léon  Maître  qui  a 
fait  une  étude  très  approfondie  des  voies  romaines  du 
département.  Il  met  sous  les  yeux  de  la  Société  une  carte 
permettant  de  suivre  avec  plus  de  clarté  et  de  précision 
ses  démonstrations.  Il  établit  les  différents  points  de  con- 
centration de  ces  routes,  que  nous  n'avons  fait  qu'imiter 
ou  emprunter  dans  nos  routes  nationales. 

M.  Alcide  Leroux  fait  part  à  la  Société  de  la  découverte 
faite  par  lui  de  ruines  de  l'époque  gallo-romaine  et  du 
Moyen  âge,  à  Nort-sur-Erdre.  Depuis  quelques  temps 
il  a  suivi  des  fouilles  qu'il  serait  intéressant  de  connaître 
plus  à  fond.  Il  croit  que  la  Société  pourrait  trouver  dans 
les  ruines  de  la  Mothe  et  de  la  Pancarte  un  sujet  d'étude 
intéressant. 

Avant  de  se  séparer,  la  Société  décide  une  nouvelle 
excursion  avec  les  confrères  d'Anjou,  pour  visiter  Ancenis, 
Lire,  Champtoceaux,  La  Turmelière  et  Oudon,  pour  le 
lundi   22   juin. 

La  séance  est  levée  à  6  heures. 

Le  Secrétaire, 

J.   Nau. 


—    XXVII    — 

EXCURSION  DU  LUNDI  18  MAI   1908 

Lundi  18  Mai  1908,  la  Société  Archéologique  de  Nantes 
accomplissait  son  excursion  annuelle. 

Vingt-cinq  sociétaires  (1)  auxquels  s'étaient  joints 
quelques  collègues  de  la  Société  Académique  s'embar- 
quaient à  6  heures  du  matin,  à  la  gare  de  la  Bourse  dans 
un  wagon  mis  gracieusement  à  la  disposition  de  la  Société 
par  les  soins  de  M.  de  Lavenne  de  la  Montoise,  Inspecteur. 

A  7  heures  1/2  les  excursionnistes  trouvèrent,  en  des- 
cendant à  Pont-Château,  M.  Vigneron-Jousselandière 
et  M.  le  Commandant  Martin,  l'inséparable  compagnon 
de  M.  du  Chatellier  dans  ses  grandes  fouilles  du  Finistère 
et  des  Côtes-du-Nord,  venu  de  Rennes  pour  se  joindre 
à  ses  confrères  de  Nantes. 

Près  de  Sainte-Reine,  à  l'entrée  de  la  forêt  du  Defîay, 
M.  le  vicomte  de  la  Villesboisnet,  Conseiller  général,  atten- 
dait les  confrères  archéologues  pour  leur  faire  visiter 
au  lieu  dit  «  Don  Julien  »  un  retranchement  en  terre 
formant  un  carré  de  200  mètres  de  côté.  Les  fossés  et  le 
relevé  de  terre  sont  encore  très  apparents.  Vers  le  milieu 
d'un  des  côtés  et  touchant  presque  le  talus,  un  tumulus 
de  10  mètres  de  diamètre  environ  a  été  fouillé  en  partie 
par  M.  de  la  Villesboisnet.  Après  avoir  enlevé  la  terre 
végétale,  M.  de  la  Villesboisnet  a  trouvé  dans  la  couche 
d'argile  voisinant  avec  une  couche  de  cendre  compacte 
un  débris  de  bracelet  en  bronze,  de  nombreux  fragments 
de  bronze,  des  morceaux  de  poterie  qui  ne  semblent  pas 
avoir  été  fabriqués  au  tour;  l'un  d'eux  présente  comme 
ornementation  une  sorte  de  renflement  fort  intéressant 
et  rare.   M.  le  Commandant  Martin  se  déclare  particuliè- 


(1)  MM.  Dortel,  Président;  Baron  G.  de  Wismes,  Leroux, 
Vice-Présidents  ;  Soullard,  Pouvreau,  Commandant  Martin, 
Vigneron-Jousselandière,  Baron  Christian  de  \Yismes,  Cha- 
noine Durville,  Dominique  Caillé,  Senot  de  la  Londe , 
Riondel  fils,  Du  Plessis,  Couëtoux  du  Tertre,  Léon  Maître, 
Commandant  Lagrée,  Révérend,  De  Lastour,  De  Sécillon, 
De   Brévédent,    Chauvet,    Rivet,    Renard. 


—    XXVIII    — 

renient  heureux  de  ces  découvertes  ;  il  engage  M.  de  la 
Villesboisnel  à  continuer  ses  fouilles;  les  enceintes  de  terre, 
si  nombreuses  en  Bretagne  et  «tans  toute  la  France,  n'ont 
point  encore  été  étudiées  scientifiquement,  on  en  ignore 
l'âge  et  La  destination.  Sont -elles  préhistoriques,  ont- 
elles  été  édifiées  au  moyen  âge?  Ce  sont  là  autant  de  points 
d'interrogation  que  des  fouilles  savamment  et  métho- 
diquement    conduites    peuvent    seules    résoudre. 

Après  une  promenade  sous  bois  et  une  visite  au  célèbre 
calvaire  de  Pont-Château  d'où  l'on  découvre  un  panorama 
admirable  sur  la  Grande  Brière  et  sur  l'estuaire  de  la 
Loire,   les   touristes   se   dirigent    vers   Missillac. 

L'église  moderne  renferme  la  plus  belle  verrière  du 
diocèse  de  Nantes.  Echappé  miraculeusement  aux  troupes 
des  généraux  Avril  et  Beyssere  cpii  incendièrent  la  Bretesche 
et  saccagèrent  la  vieille  église,  ce  superbe  vitrail  porte 
la  date  de  M.  1).  C.  11  fut  offert  à  l'église  de  Missillac 
par  Coligny,  baron  de  la  Roche-Bernard  et  Fçois  de  Cam- 
boul,  abbé  de  Saint-Gildas.  dont  il  porte  les  armoiries. 
Il  remplit  les  trois  fenêtres  géminées  du  chœur  et  re- 
présente la  Passion  du  Christ.  Les  deux  tableaux  les 
plus  remarquables  sont  ceux  de  la  Me  (\u  Christ  (lre  fe- 
nêtre droite)  et  le  Baiser  de  Judas  (3e  à  gauche),  d'une 
tonalité  et  d'une  vérité  d'expression  extraordinaire. 
La  restauration  en  est  dû  à  M.  Meuret,  le  célèbre  peintre- 
verrier  nantais. 

L'heure  du  déjeuner  a  sonné  et  l'on  se  dirige  vers 
l'hôtel  Bizeul  où  chacun  se  met  gaiement  à  table.  Au 
dessert,  M.  Dorlel.  président,  lève  son  verre  en  l'honneur 
(\u  Commandant  Martin  qui  poursuit,  dit-il,  avec  une 
infatigable  ardeur  ses  fouilles  en  Bretagne  et  dont  les 
études  si  méthodiques  et  si  documentées  font  autorité 
dans  le  monde  savant.  Il  rappelle  que  les  riches  découvertes 
faites  par  M.  le  Commandant  Martin  ne  sont  pas  perdues 
pour  la  Bretagne,  puisqu'elles  sont  déposées  par  lui  au 
Musée  de  Kernuz.  au  milieu  des  riches  collections  de 
M.    du    Chatellier. 

On  s'achemine  alors  vers  la  Bretesche  dont  la  masse 
imposante  se  détache  bientôt  sur  le  fonds  de  verdure 
de  la  forêt.  M.  le  Marquis  de-  Montaigu,  qui  a  tenu  à  faire 


—    XXIX    — 


lui-même  les  honneurs  de  ses  riches  collections,  vient 
à  la  rencontre  de  ses  confrères  nantais  et  leur  souhaite 
la   bienvenue. 

Le  Château  (le  la  Bretesche,  édifié  à  500  mètres  du 
bourg  de  Missillac,  à  l'entrée  de  la  forêt,  appartenait  en 
l'an  1000,  à  Bernard  de  la  Boche.  De  ce  premier  château 
il  ne  reste  rien;  il  en  est  autrement  de  celui  du  XIV"  siècle, 
construit  par  Guy  XIV  de  Laval  et  par  Jean  de  Laval 
de  1433  à  1470.  La  Tour  de  Liburin,  le  grand  corps  de 
logis  datent  de  celte  époque.  Ogée  raconte  qu'il  fut  in- 
cendié en  1500.  Le  fait  est  discutable;  mais  ce  qui  est 
certain,  c'est  qu'en  octobre  1501  il  fut  assiégé  par  Mercœur, 
les  tours  d'entrée  portent  encore  la  trace  des  brèches 
qui  leur  furent  faites  par  les  boulets  lancés  par  les  bom- 
bardes de  l'armée  assiégeante.  Ces  boulets,  retrouvés 
dans  les  fossés,  ont  été  réunis  dans  la  cour  d'honneur. 
Beconstruil  et  restauré,  il  fut  incendié  en  octobre  1793. 
par  le  général  Avril.  Besté  à  l'état  de  ruines  pendant 
5  ans,  il  fut  en  partie  relevé  par  MM.  Formont  et  Perron, 
mais  ce  fut  M.  le  Marquis  de  Montaigu  qui,  de  1817  à 
1898,  entreprit  la  réédification  sur  les  plans  de  Viollet-le 
Duc  et  avec  le  concours  de  deux  architectes  nantais, 
MM.   Boismen  et   Lediberder.   \ 

Aujourd'hui,  la  Bretesche  présente  une  niasse  imposante 
et  princière  avec  pont  devis,  fossés,  mâchicoulis,  et  une 
façade  grandiose  sur  l'étang  qui  l'entoure  de  tous  côtés. 
Les  excursionnistes  parcourent,  sous  la  conduite  de 
M.  de  Montaigu,  les  vastes  salles  du  château  dont  ils 
admirent  les  tapisseries  merveilleuses,  les  meubles 
flamands  et  bretons,  et  les  trophées  de  chasses  qui  ornent 
le  vestibule  d'entrée.  La  chapelle  est  ornée  d'un  chemin 
de  croix  très  artistique,  œuvre  du  peintre  nantais  Meuret. 

Dans  une  des  tours  d'entrée  aménagées  en  musée, 
M.  de  Montaigu  a  réuni  toutes  les  trouvailles  archéologiques 
découvertes  dans  l'arrondissement  de  Saint-Nazaire.  Clis, 
l'antique  établissement  voisin  de  Guérande,  étudié  avec 
tant  de  soins  par  MM.  Léon  Maître  et  le  Commandant 
Martin,  a  fourni  une  ample  moisson  de  monnaies  romaines 
et  grecques,  en  or,  en  argent  et  en  bronze  ;  l'une  des  plus 
belles    est    sans    contredit    une   monnaie   en   or    d'Arsinoë, 


—   XXX   — 

pièce  unique,  d'une  conservation  merveilleuse  ;  dans 
les  vitrines  sont  rangés  les  fameux  bas-reliefs  du  Grigue- 
ny,  en  marbre  de  Paros,  provenant  des  fouilles  de  Clis  et  té- 
moignant par  leur  richesse  et  leur  valeur  artistique  du 
luxe  qui  régnait  dans  la  décoration  des  salles  intérieures. 

Prés  de  ces  merveilles:  des  vases  funéraires,  des  statuettes 
votives,  des  laraircs  provenant  des  fouilles  opérées  dans 
la  région. 

Dans  une  autre  vitrine,  l'armement  complet  d'un  soldat 
trouvé  dans  les  fossés  du  château  de  Derval  où  il  fut  tué 
lors  de  l'assaut  donné  par  Duguesclin. 

Une  vitrine  spéciale  est  consacrée  aux  fouilles  Opérées 
dans  la  forêt  de  la  Bretesche  par  MM.  Léon  Maître  et 
Paille,  au  lieu  dit  «  Misti  Courtin  ».  Ce  vaste  chatellier, 
d'une  superficie  de  près  de  2  hectares,  situé  en  pleine 
forêt,  et  que  les  touristes  n'ont  pu  visiter  en  raison  des 
bois  qui  le  recouvrent,  a  été  fouillé  à  différentes  reprises. 
Au  centre  d'une  vaste  caverne  recouverte  de  constructions 
carrés  en  pierres  sèches,  et  à  1  m  50  de  profondeur,  on  a 
retiré  des  écailles  d'huîtres,  des  ossements  d'animaux, 
beaucoup  de  morceaux  de  poteries  grossières,  des  clous, 
trois  pointes  de  lances  etn  fer.  Les  objets  les  plus  curieux 
sont  un  anneau  de  bronze  portant  des  rondelles  d'incrusta- 
tion, une  tige  en  bronze  creusée  et  guillochée  de  10  cm  de  lon- 
gueur, semblable  à  un  passe-lacet  ;  un  mors  et  un  éperon 
de  voyage  du  XIII0  siècle.  Il  est  assez  curieux  de  trouver 
ainsi  accumulés  sur  un  même  point  des  vestiges  de  l'âge  de 
la  pierre,  de  l'époque  romaine  et  du  moyen  âge. 

Après  cette  visite  si  complète  et  si  intéressante,  M.  de 
Montaigu  reçut  dans  la  vaste  salle  à  manger  ses  confrères 
et  leur  offrit  un  lunch  succulent,  auquel  chacun  fit  honneur. 
M.  Dortel  remercie  M.  de  Montaigu  de  son  hospitalité 
et  de  sa  réception  si  cordiale,  dont  les  archéologues  nantais 
conserveront  un  long  et  durable  souvenir.  M.  de  Montaigu, 
dans  une  allocution  charmante  réplique,  que  l'honneur  est 
pour  lui,  qu'à  la  Bretesche,.  ses  collègues  de  la  Sociélé 
d'Arcbéologie  sont  chez  eux  et  que  ses  collections  sont 
et  seront  toujours  à  la  disposition  de  tous  les  travailleurs 
qui  voudront  les  étudier  et  les  examiner. 

L'heure   s'avance,    il   est   0   heures;    les   excursionnistes 


—    XXXI    — 

prennent  congé  de  leur  aimable  hôte  et  se  dirigent  vers 
Pont-Château  et  Nantes,  emportant  de  l'accueil  qu'ils 
ont  reçu,  des  merveilles  qu'ils  ont  admirées  en  cette  journée 
ensoleillée  et  superbe,  des  impressions  inoubliables. 

A.    D. 


EXCURSION    BRETONNE-ANGEVINE 

SUR     LES     BORDS     DE     LA     LOIRE,     22     juin      I908 

Les  voyages,  dit-on,  forment  la  jeunesse.  Ils  forment 
aussi  et  séduisent  l'âge  mûr  et  la  vieillesse,  si  j'en  juge  par 
le  goût  ambulatoire  qui,  de  nos  jours,  s'est  emparé  des  Com- 
pagnies les  plus  casanières. 

Que  l'on  ne  soit  donc  pas  surpris  si,  le  22  juin  1908,  à 
6  heures  1/2  du  matin,  des  membres  de  la  Société  Archéolo- 
gique et  de  la  Société  Académique  de  Nantes  prenaient  le 
train  pour  Ancenis.  A  peine  sommes-nous  descendus  que 
cordiales  poignées  de  mains  et  propos  joyeux  s'échangent 
entre  Bretons  et  Angevins,  car  plusieurs  collègues  de  la  ville 
du  Roi  René  nous  attendent  avec  impatience. 

Le  cortège  s'organise  aussitôt  et,  pédestrement,  par  des 
chemins  sauvages,  nous  gagnons  la  prairie  basse  où  gît  un 
curieux  mégalithe,  affectant  l'aspect  d'un  demi-dolmen  et 
connu  sous  le  nom  de  dolmen  de  Saint-Pierre  ou  pierre  cou- 
verte ;  le  bloc,  formant  couverture,  mesure  hors  de  la  terre, 
4  m28  de  longueur,  sa  largeur  est  de  3m20,  son  épaisseur  de 
0  m  66  centimètres. 

De  là,  nous  nous  rendons  à  l'église  Saint-Pierre;  hâtons- 
nous  de  la  visiter,  car  elle  est  condamnée  à  disparaître. 
«  Bâtie  sur  un  banc  de  schiste,  dit  M.  Maillard  (Histoire 
d' Ancenis  et  de  ses  Barons),  elle  se  compose  d'une  nef  flan- 
quée de  collatéraux  ;  à  l'extrémité  occidentale  de  cette  nef 
s'élève  la  tour  sans  flèche  et  surmontée  d'un  campanile  ;  à 
l'autre  extrémité  se  dresse,  au  milieu  d'un  chœur  très 
resserré,  l'autel  à  baldaquin.  Les  bas-côtés  sont  mis  en 
rapport  avec  la  nef  par  quatre  arcades  de  chaque  côté,  sou- 


—    XXXII    — 

tenues  par  de  gros  piliers  octogones,  cl  sont  éclairés  par  des 
fenêtres  ogivales  dont  l'une  conserve  encore  la  trace  de 
beaux  vitraux  ;  le  chœur  est  percé  de  trois  fenêtres  ogivales. 
L'église  d'Ancenis,  dans  sa  partie  principale,  paraît  être  du 
xiiiu  siècle.  Quant  aux  bas-côtés,  ils  ont  été  construits  au 
xviiu  siècle,  et  le  style  de  leurs  fenêtres  et  de  leurs  arcades  a 
été  raccordé  seulement  avec  celui  de  l'ancienne  église.  » 

Tandis  que  nous  parcourons  l'antique  sanctuaire,  M.  le 
chanoine  Joguet.  curé  d'Ancenis,  arrive  vers  noire  groupe, 
nous  prodigue  des  explications,  nous  fait  monter  dans  le 
campanile  où  nous  examinons  une  belle  charpente,  et,  fina- 
lement, nous  invite  à  déguster  le  muscadet  du  pays.  En  tra- 
versant la  cour  du  presbytère,  d'une  part,  nous  remarquons 
l'ancienne  chapelle  Saint-Barnabe  qui  était  placée  dans  le 
cimetière  primitif  de  la  ville;  d'autre  part,  nous  admirons 
les  gracieuses  verrières  de  l'église,  qui  semblent  les  sœurs 
jumelles  de  celles  de  Sainte-Croix  de  Nantes. 

Nous  voici  réunis  à  la  Cure  ;  les  verres  se  remplissent  et 
l'on  trinque  avec  jovialité  —  car  ce  diable  de  petit  vin 
blanc  met  du  soleil  dans  le  cœur  —  à  l'aimable  amphytrion 
et  au  succès  de  la  journée. 

Nous  nous  transportons  alors  au  château.  A  peine  entrés 
dans  la  cour,  on  est  captivé  par  le  vaste  et  élégant  logis  que 
AI.  Maillard  {Histoire  d'Ancenis  et  de  ses  Barons)  décrit  en 
ces  termes  : 

«  Les  quatre  jolies  mansardes  à  pilastres  richement  déco- 
rés, aux  arabesques  nombreuses,  aux  pinacles  en  pots  de 
fleurs,  les  fenêtres  divisées  par  des  meneaux  en  pierre  qui 
se  coupent  en  croix,  la  tourelle  en  encorbellement  servant 
de  cage  à  un  bel  escalier  de  granit,  tout  indique  au  visiteur 
le  style  de  la  Renaissance,  et,  d'ailleurs,  il  existe  une  pn  uve 
plus  frappante  encore,  c'est  l'image  d'une  salamandre  ter- 
minant le  cul-de-lampe  de  la  tourelle.  » 

Ensuite,  nous  nous  engageons  dans  la  partie  la  plus 
ancienne  de  ce  qui  existe  encore  de  la  forteresse,  car  du  pre- 
mier château,  construit  au  xe  siècle,  il  ne  reste  rien,  du 
moins  rien  d'apparent.  C'est  encore  à  l'historiographe  d'An- 
cenis que  j'emprunte  des  détails  précis  sur  ces  constructions 
jadis  si  imposantes  :  «  Les  murs  ornés  de  mâchicoulis  conti- 
nus a  trèfles,  qui  aspectent  le  fleuve,  au  sud  et  au  sud-est, 


—    XXXIII    — 

paraissent  appartenir  au  xme  siècle  ou,  tout  au  plus,  au  xivc 
siècle  ;  ceux  du  nord,  aux  créneaux  démantelés,  n'ont  plus 
de  style  particulier,  mais  semblent  de  la  même  époque.  Les 
deux  tours  situées  au  couchant,  avec  leurs  mâchicoulis 
ornés  d'ogives  en  accolade  et  de  dessins  flamboyants,  se 
rapportent  au  xve  siècle,  ainsi  que  le  corps  de  bâtiments  en 
ruines  qui  s'y  rattache.  » 

De  ce  château  si  puissant,  si  ingénieusement  placé,  qui 
soutint  plus  d'un  assaut  terrible,  il  ne  subsiste  aujourd'hui 
qu'une  promenade  agréable  et  un  point  de  vue  attachant  : 
du  sommet  des  vieilles  tours,  le  regard  embrasse  une 
étendue  immense  sur  les  coteaux  angevins  et  voit  descendre 
vers  la  mer.  avec  une  lenteur  majestueuse,  le  grand  fleuve 
national. 


Mais  le  temps  presse.  Nous  traversons  le  pont  suspendu 
qui  relie  la  Loire- Inférieure  au  Maine-et-Loire,  nous  nous 
installons  dans  deux  excellentes  voitures,  et  fouette  cocher 
pour  la  Bourgonnière  ! 

Du  parc  aux  prairies  verdoyantes,  aux  frondaisons  cente- 
naires, du  château  moderne  et  même  de  la  vieille  tourelle  à 
la  hauteur  prodigieuse,  je  ne  dirai  rien.  Notre  but  unique 
est  de  connaître  un  des  plus  riches  bijoux  de  la  Renaissance, 
la  chapelle  de  la  Bourgonnière.  Que  l'on  pardonne  à  mon 
amour  filial  de  reproduire  la  description  précise  et  colorée 


—    XXXIV    — 

que  mon  vénéré  père  donna  dans  son  ouvrage  La  Vendée, 
où  se  trouvent  deux  superbes  lithographies  du  sanctuaire, 
l'une  représentant  l'extérieur,  due  au  crayon  de  mon  père, 
l'autre  dessinée  avec  une  exactitude  remarquable  par  M.  de 
la  Michellerie  et  donnant  l'intérieur  de  la  chapelle  ;  celte 
dernière  vue  est  d'autant  plus  précieuse  que  la  propriétaire 
actuelle  interdit  toute  reproduction  de  cet  intérieur. 

«  Unique  débris  de  cette  somptueuse  demeure,  la  chapelle 
de  la  Bourgonnière  est  une  des  enivres  les  plus  exquises 
laissées  dans  nos  contrées  par  l'architecture  de  la  Renaissance. 
Nulle  part  ailleurs,  elle  n'a  déployé  plus  de  profusion  et 
d'élégance  dans  les  ornements;  nulle  part,  des  voûtes  azurées 
et  chargées  d'étoiles  d'or,  elle  n'a  fait  descendre  de  plus 
ingénieux  pendentifs;  nulle  part,  l'art  des  Pinaigrier  et  des 
Jean  Cousin  n'a  réuni,  dans  les  vitraux,  plus  de  grâce 
dans  le  dessin  des  figures  et  des  arabesques  à  un  coloris 
plus  harmonieux  ;  nulle  part,  tribune  plus  coquettement 
enjolivée  né  fut  destinée  à  de  nobles  seigneurs.  Cette  cha- 
pelle, malgré  l'exiguïté  de  ses  proportions,  renferme  deux 
autels  (1).  Le  principal  est  dédié  à  la  Vierge,  dont  la  statue, 
d'une  admirable  expression,  s'élève  au-dessus  du  taber- 
nacle, entre  celles  de  saint  Sébastien  et  de  saint  Antoine. 
Sur  l'autre  autel  on  remarque  un  Christ  singulier.  Le  corps 
est  revêtu  d'une  robe  d'or  serrée  au  milieu  par  une  cein- 
ture bouclée.  Le  visage  est  peint  d'un  ton  de  chair  frappant 
de  vérité.  Les  mains  et  les  pieds  sont  également  coloriés  ; 
mais,  au  lieu  d'être  percés  de  clous,  ils  sont  attachés  à  la 
croix  par  des  liens  de  pourpre.  Une  couronne  de  comte 
remplace,  sur  le  front  de  cette  image,  la  couronne  d'épines 
habituelle.  Aux  deux  côtés  sont  peints,  sur  la  muraille, 
Charlemagne  et  saint  Louis...  Le  Christ  de  la  Bourgon- 
nière nous  paraît  être  une  imitation  des  fameux  Christs 
de  Vérone,  de  Lucques  et  autres  villes  du  nord  de  l'Italie.  » 

Si  j'ouvre  le  savant  ouvrage  du  R.  P.  J.  Hoppenot, 
Le  Crucifix  dans  l'histoire  et  dans  l'art,  j'y  trouve  l'opinion 
de  mon  père  confirmée  avec  autorité  :  après  avoir  parlé 
du   célèbre  Crucifix  de  Lucques,  attribué  à  Nicodème  et 


(1)  Il  y  a  actuellement    un   troisième  autel  qui    sert,   sans 
doute,  à  la  célébration  ordinaire  du  Saint  Sacrifice 


XXXV 


grandement  vénéré  en  Italie,  en  France,  en  Espagne,  en 
Angleterre,  l'auteur  énumère  d'assez  nombreuses  imita- 
tions de  cette  image  bizarre,  et  ajoute  :  «  Le  Christ  de  la 
Bourgonnière  est  l'expression  la  plus  achevée  et  l'exécu- 
tion la  plus  esthétiquement  remarquable  de  l'inspiration 
puisée  au  Crucifix  de  Lucques.  »  Puis,  prévoyant  et  réfu- 
tant une  objection  trop  naturelle,  il  ajoute  :  «  On  n'y 
voit  pas  de  clous  pour  retenir  attachées  sur  la  croix  les 
mains  de  la  Victime  immolée;  mais,  précisément,  l'absence 
de  tels  liens,  et  tout  à  la  fois  l'attitude  de  Celui  qui  s'est 
sacrifié  lui-même,  parce  qu'il  l'a  voulu,  attirent  l'atten- 
tion sur  ce  rôle  du  «  Grand  Prebstre  »,  en  marquant  avec 
plus  de  force  l'idée  de  l'acceptation  volontaire...  Le 
Sauveur  s'étend  de  lui-même  avec  magnanimité  sur  le 
bois  de  la  Croix,  et  l'ample  déploiement  des  bras  étendus 
dans  une  position  parfaitement  horizontale,  sans  flexion 
aucune,  et  cependant  sans  raideur,  rappelle  avec  une 
énergie  saisissante  la  générosité  de  Celui  qui  s'est  fait 
pour  nous  Victime  volontaire  ». 

La  chapelle  de  la  Bourgonnière  est  ornée,  à  l'intérieur 
et  à  l'extérieur,  d'une  profusion  de  T  ;  c'est  le  tau  grec, 
dit  en  blason  :  croix  potencée  ;  les  religieux  de  l'ordre  de 
Saint-Antoine  portaient  cet  ornement  sur  leurs  robes  et 
nous  venons  de  voir  que  saint  Antoine  était  l'un  des  pa- 
trons du  merveilleux  sanctuaire. 

L'heure  s'avance,  les  estomacs  crient  famine  et  l'on 
reprend  les  voitures  pour  gagner  Champtoceaux,  sans 
s'arrêter,  comme  on  l'espérait,  à  la  Turmelière  afin  d'y  saluer 
la  demeure  du  doux  poète  Joachim  du  Bellay.  Cette  route 
est  une  des  plus  pittoresques  que  l'on  puisse  imaginer  : 
à  gauche,  les  sveltes  clochers  de  Bouzillé,  de  Lire,  de  Drain, 
émergent  des  vignobles  fertiles  et  des  champs  plantureux  ; 
à  droite  s'étend  le  panorama  incomparable  des  îles  de  la 
Loire,  des  flots  argentés  du  fleuve  et  des  coteaux  enso- 
leillés du  pays  d'Ancenis. 

A  midi  1/2,  nous  traversons  triomphalement  la  grande 
rue  du  joli  bourg  de  Champtoceaux  et,  peu  d'instants 
après,  dans  une  salle  vaste  et  fraîche,  nous  nous  asseyons 
autour  d'une  table  en  forme  de  tau,  pour  faire  honneur  à 
un  repas  plantureux  et   finement   apprêté  :   tête  de  veau. 


—    XXXVI    — 

anguille  à  la  tartare,  gigot,   haricots  verts,  fraises,  crème, 
le  tout  arrosé  d'un  vin  blanc  au  bouquet  exquis,  viennent 

rendre   des  forées   aux  esthètes    fatigués. 

Les  convives  qui  participèrent  à  ces  fraternelles  agapes 
turent  :  M.  le  chanoine  Thibault,  vicaire  général  d'Angers; 
M.  le  chanoine  l'rseau,  d'Angers,  membre  correspondant 
du  M.  I.  P.;  M.  de  I'arev.  Vice-Président  de  la  Société 
d'Agriculture. Sciences  et  Arts  d'Angers;  M.  Plancheuault , 
bibliothécaire;  M.  le  chanoine  Joguet,  curé  d'Ancenis, 
qui  avait  accepté  avec  le  plus  vif  empressement  de  nous 
accompagner;  M.  Dortel,  Président  de  la  Société  Archéo- 
logique de  Nantes:  le  baron  de  Wismes,  Président  hono- 
raire de  la  même  Compagnie;  M.  P.  Soudard,  bibliothé- 
caire; Messieurs  le  chanoine  Durville,  Trémant  et  Domi- 
nique Caillé,  membres  du  Comité;  les  capitaines  Ringeval 
et  Jochaud  du  Plessis;  M.  de  Brévedent,  le  vicomte  de 
Secillon.  M.  Renard,  M.  Etienne  Port,  M.  Renaud  ,  le 
baron  Gaétan  de  Wismes,  Président,  et  M.  Baranger, 
Vice- Président   de  la  Société  Académique. 

M.  le  sénateur  Bodinier,  Président  de  la  Société  d'Agri- 
culture. Sciences  et  A-r^j  d'Angers  ,  M.  Alcide  Leroux, 
Vice-Président  de  la  Société  Archéologique  de  Nantes, 
et  M.  Henry  Rîohdel,  Trésorier  de  la  Société  Académique, 
avaient  exprimé  leurs  regrets  sincères  de  ne  pouvoir  être 
des   nôtres. 

A  l'heure  du  calé  et  des  cigares.  M.  Dortel  adresse 
quelques  mots  aimables  à  tous  ceux  qui  l'entourent  et  en 
particulier  aux  Angevins  qui,  pour  la  troisième  fois.exeur- 
sionnent  avec  les  Bretons  ;  M.  le  chanoine  l'rseau  h'  remè- 
de ;  M.  Port  se  félicite  de  l'heureuse  coïncidence  qui  lui 
permet  de  passer  quelques  heures  avec  nous  ;  enfin  M.  de 
Farey  nous  révèle  que  le  pourpoint  porté  par  le  Vénérable 
(maries  de  Blois  à  la  bataille  d'Auray  est  actuellement 
entre  les  mains  d'une  personne  digne  de  conserver  cette 
relique  insigne  du  bon  Duc. 

Il  est  deux  heures  et  demie  ;  l'on  se  dirige  en  hâte  vers 
le  magnifique  domaine  de  M.  Roumain  de  la  Touche,  qui 
comprend  l'ancienne  ville  de  Champtoceaux  ;  comme  le 
17  juin  1901,  notre  vénéré  collègue  nous  attend,  le  sourire 
aux  lèvres.  Après  avoir  disserté  sur  le  mur  d'enceinte  qui 


—    XXXVII 

dévale  vers  le  fleuve,  nous  nous  engouffrons  sous  la  po- 
terne, remarquons  en  passant  les  ruines  de  l'une  des  deux 
anciennes  églises  et.  pendant  quelques  instants,  de  la  ter- 
rasse du  château  moderne,  contemplons  le  panorama 
splendide  de  la  vallée  de  la  Loire.  Puis,  sous  la  savante  et 
aimable  conduite  du  maître  de  céans,  nous  parcourons 
les  anciennes  lignes  de  défense  de  «Champtoceaux  ;  au 
cours  de  cette  promenade,  on  nous  signale  la  vieille  cha- 
pelle, l'entrée  de  l'escalier  descendant  à  la  Loire,  la  citerne, 
le  cellier,  les  cachots,  les  boulets  de  pierre,  le  pont  à  péage. 

Cette  copieuse  inspection  a  quelque  peu  lassé  les  tou- 
ristes et  c'est  avec  un  plaisir  réel  qu'ils  reçoivent  dans  les 
salons  de  Champtoceaux  la  plus  charmante  hospitalité  : 
gâteaux  excellents,  vins  de  derrière  les  fagots  circulent 
avec  abondance.  Les  physionomies  reprennent  leur  aspect 
joyeux,  et  c'est  tant  mieux,  car  avant  de  quitter  ce  beau 
domaine  nous  sommes  photographiés  avec  M.  et  Mme  de 
la  Touche  par  M.  rI  reniant,  le  plus  sympathique  des  col- 
lègues et  le  plus  habile  des  opérateurs. 

En  route  pour  Oudon  !  Hélas  !  il  est  trop  tard  pour  son- 
ger à  terminer  le  programme  et  à  -regagner  Ancenis  à 
(i  beures  1/4.  La  plupart  des  Nantais  prennent  le  train  de 
5  heures  1/2  qui  les  ramène  dans  leur  cité. 

Mais  les  Présidents  de  la  Société  Archéologique  et  de 
la  Société  Académique,  auxquels  s'adjoignent  .M.  Soullard 
et  .M.  Renard,  tiennent  à  honneur  de  ne  pas  fausser  com- 
pagnie à  leurs  invités  d'Anjou  et  à  M.  le  Curé  d' Ancenis. 

C'est  donc  au  nombre  de  neuf  que  nous  visitons  de 
nouveau  les  ruines  imposantes  et  pittoresques  de  la  forte- 
resse d'Oudon.  On  sait  que  la  tour  majestueuse  avec'sa 
forme  octogonale  rappelle  beaucoup  la  tour  d'Elven. 

Alors,  par  un  temps  radieux,  car  le  soleil  brille  pour  la 
première  fois  de  la  journée,  nous  suivons  en  voiture  la 
route  capricieuse  qui  longe  la  ravissante  vallée  du  Havre. 
Un  de  nos  collègues  angevins,  enthousiasmé  par  la  beauté 
du  lieu,  laisse  échapper  cette  phrase  que  je  recueille  avec 
fierté  :  «  Si  cette  vallée  était  située  dans  les  environs  de 
Quimperlé,    tous   les   guides   la   signaleraient.    > 

La  voiture  s'arrête.  A  travers  les  herbes  folles  nous 
gagnons   Vieillecour.    Ici,  je   cède   la   plume   à   M.    .Maillard 


—    XXXVIII    — 

qui,  clans  son  intéressante  brochure  La  Tour  d' Oudon 
(Ancenis,  Loncin,  1882),  décrit  a  la  perfection  ce  site 
curieux    et    enchanteur    : 

«  Les  ruines  de  Vieillecour  sont  situées  sur  un  coteau 
de  25  à  30  mètres  de  hauteur.  Vieillecour  était  autrefois 
un  château-fort,  ou  au  moins  une  maison  fortifiée,  qui 
dépendait  de  la  seigneurie  d'Oudon.  La  construction  était 
défendue  naturellement,  à  l'O.  et  au  S.,  par  la  hauteur 
et  la  ligne  presque  perpendiculaire  du  coteau,  et,  des  deux 
autres  côtés,  par  un  fossé,  peut-être  même  par  d'autres 
travaux.  Le  bâtiment  principal  avait  environ  12  mètres 
de  longueur  sur  12  de  largeur  ;  à  chaque  bout  se  ratta- 
chait une  aile  ou  pavillon.  Le  pignon  méridional,  qui  est 
le  mieux  conservé,  peut  avoir  10  à  12  mètres  de  hauteur; 
il  supporte,  au  milieu,  nn  tuyau  de  cheminée  et  est  traversé, 
de  chaque  côté,  vers  le  haut,  par  deux  fenêtres  en  plein- 
cintre.  Sur  le  mur  de  façade  qui  domine  la  rivière,  il 
existe  deux  larges  ouvertures  dont  les  arcs  sont  en  anse 
de  panier.  Ce  bâtiment  devait  être  la  maison  d'habitation 
proprement   dite. 

«  Ces  formes  indiquent  ordinairement  le  XVe  siècle 
ou  tout  au  plus  le  XIVe  ;  c'est  bien  dans  ce  dernier  siècle 
que  nous  voyons  le  nom  de  Vieillecour  cité  pour  la  pre- 
mière fois,  mais  le  fort  était  antérieur  à  cette  date. 

«  Au  bout  de  la  vigne  qui  touche  le  fossé  versleN.-E., 
on  distingue  d'autres  murs  très  épais,  mais  si  recouverts 
de  broussailles  qu'il  est  difficile  de  les  bien  examiner. 

«  De  la  plate:forme  de  Vieillecour,  et  au  milieu  du 
lierre  et  des  épines  qui  l'entourent,  la  vue  est  particuliè- 
rement pittoresque.  Voyez  comme  les  ruines  du  vieux 
castel  commandent  bien  tout  le  paysage  :  le  Havre  déroule 
en  bas  ses  replis  tortueux,  le  mamelon  opposé  se  dresse 
avec  les  échancrures  et  les  reliefs  les  plus  harmonieux, 
quoique  les  plus  variés.   » 

Sur  cette  impression  inoubliable,  que  le  poète  comme 
l'archéologue,  l'artiste  comme  le  philosophe,  emportèrent 
gravée  au  fond  de  leur  âme,  se  termina  l'excursion  si 
réussie  du  22  juin  1908. 

trie  heure  après,  à  Ancenis,  un  dîner  rapide  réunit 
les    vaillants    touristes.    Puis    les    Bretons    reconduisirent 


—    XXXIX    — 

les  Angevins  à  la  gare  et,  à  leur  tour,  prirent  l'express  de 
Nantes. 

Avant  de  signer  ce  journal  de  bord,  je  remercie  notre 
sympathique  et  savant  capitaine,  mon  vieil  ami  Dortel, 
de  nous  avoir  procuré  une'  si  heureuse  traversée,  et  je  lui 
affirme  que  tous  ses  compagnons  de  route  sont  disposés 
à  rembarquer  au  premier  signal  sous  son  pavillon  qui  porte 
en  lettres  d'or  :  miscere  utile  dulci. 

Baron    Gaétan    de    WISMES, 

Président   de    la    Société    Académique, 
Vice-Président  de  la    Société    Archéologique. 


MÉMOIRES 


Soc.  Archéol.  Nantes. 


ALLOCUTION 


DISCOURS 


PRONONCES      PAU 


M.    le   Baron    de   WISMES 

Président  sortant 


Monseigneur  (1), 
Monsieur  le  Maire  (2), 
Messieurs  les  Présidents  (3), 
Mes  chers  Collègues, 

L'heure  est  venue  de  remettre  en  d'autres  mains  le  com- 
mandement de  l'esquif  dont  vous  aviez  bien  voulu  me 
confier  la  direction.  De  ce  grand  honneur  je  fus  redevable 
surtout  à  votre  affectueuse  sympathie.  Si  j'avais  pu  en 
douter,  les  marques  de  déférence  amicale,  les  attentions 
délicates  que  vous  m'avez  prodiguées  bien  au  delà  de  ce 
que  je  pouvais  espérer,  en  auraient  été  autant  de  preuves. 
Il  en  est  une  surtout  que  je  ne  saurais  oublier  :  frappé  dans 
mes  plus  chères  affections  par  la  perte  d'un  frère  bien- 
aimé,  presque  à  la  veille  du  jour  où  nous  devions  célébrer 
les  noces  de  diamant  de  notre  Société,  j'ai  appris  avec  une 
intraduisible  émotion  que  vous  y  aviez  spontanément 
renoncé,  afin  de  vous  associer  à  mon  deuil.  J'en  conser- 
verai, Messieurs,  croyez-le  bien,  une  gratitude  inaltérable, 
et  du  fond  du  cœur  je  vous  dis  :  Merci,  mes  amis.  Car,  «  un 

(1)  S.  G.  Monseigneur  Rouard,  évêque  de  Nantes. 

(2)  M.  Sarradin,  maire  de  Nantes. 

(:J>)  M.  Linyer,  président  de  la  Société  de  Géographie  com- 
merciale, et  M.  Lorois,  président  de  la  Société  des  Artistes 
Bretons. 


—  2 


des  privilèges  du  travail  étant  de  rapprocher  par  l'estime, 
puis  par  l'amitié  »,  comme  le  disait  un  de  mes  prédécesseurs, 
l'intendant  Galles,  ce  nom  d'ami,  j'ai  le  droit  de  vous  le 
donner. 

N'avons-nous  pas  travaillé  ensemble,  en  effet,  au  bien 
de  notre  chère  Société?  Ensemble  n'avons-nous  pas  pleuré 
ces  treize  collègues  qui,  depuis  trois  ans,  ont  rendu  leur  âme 
à  Dieu  et  auxquels  nous  gardons  une  place  dans  nos  sou- 
venirs et  dans  nos  prières?  Si  plusieurs  autres  ont  dû,  non 
sans  regret,  nous  abandonner,  le  nombre  des  admissions, 
qui  a  été  de  39,  a  comblé  ces  vides  et  au  delà,  puisque  de 
172  le  chiffre  de  nos  collègues  s'est  élevé  à  182.  Puisse-t-il 
s'accroître  avec  mon  successeur  ! 

Cher  ami ,  c'est  à  vous  que  la  Société  a  cçyifié  ses 
destinées.  Vous  serez  digne  de  cette  haute  distinction. 
N'êtes-vous  pas,  quoique  plus  jeune  encore  que  moi,  un 
de  ses  membres  déjà  anciens?  un  des  plus  assidus,  des  plus 
actifs,  des  plus  dévoués?  Quelles  séances  avez-vous  man- 
quées?  Fort  peu.  Quelle  excursion  n'avez-vous  pas  faite? 
Aucune.  Comme  un  des  héros  de  Messire  du  Guesclin,  vous 
pourriez  vous  écrier  :  «  Moi,  les  suivre?  je  les  poussais  !  » 
Plein  d'entrain,  de  verve  et  d'intelligence,  M.  Dortel  sera, 
Messieurs,  un  président  dontle  tact,  l'aménité  et  l'autorité 
souriante  conserveront  à  nos  séances  ce  cachet  de  bonne 
compagnie,  cette  atmosphère  de  cordialité,  ce  charme  fami- 
lial, que  plus  d'un  m'a  dit  et  répété  ne  trouver  nulle  part 
autant  qu'en  notre  vieux  manoir.  Brillant  président  de 
la  Société  Académique,  où  il  cède  le  fauteuil  à  mon  frère, 
il  le  retrouve  comme  lieutenant  avec  notre  très  cher  et 
très  aimé  Alcide  Leroux.  Ainsi  secondé,  entouré  de  cette 
élite  intellectuelle  et  morale  dont  sont  formés  le  Bureau 
et  le  Comité,  il  ne  peut  manquer  d'avoir  un  règne  heureux 
et  tranquille.  Il  verra  continuer  l'ère  de  prospérité  dans 
laquelle,  si  j'ai  réussi  à  maintenir  notre  chère  Société, 
l'honneur  en  revient  au  concours  infatigable  d'un  Comité 
où  s'allie  à  l'harmonie  la  plus  complète  des  cœurs  la  plus 
large  indépendance  des  idées.  Je  ne  lui  dis  pas  adieu,  puis- 


3  — 


que  le  règlement,  qui  interdit  la  réélection  du  président 
sortant,  lui  accorde  le  privilège  de  faire  ,  toute  sa  vie  , 
partie  de  ce  Comité,  mais  du  fond  du  cœur  :  Merci  ! 
Merci  ! 

Qu'avons-nous  donc  fait  depuis  trois  ans,  mes  chers 
collègues?  C'est  ce  que  je  vous  exposerai  en  deux  mots. 

Nos  30  séances  ont  été  suivies  par  une  assistance  con- 
sidérable, séduite  par  l'intérêt  des  travaux  qui  nous  ont 
été  lus  par  M.  Angot,  Mme  Baudry,  MM.  le  comte  de  Berthou, 
l'abbé  Brault,  Caillé,  Chaillou,  Chapron,  le  B.  P.  de  la  Croix, 
Delattre,  Dortel,  le  chanoine  Durville,  Furret,  Gourdon, 
Leroux,  le  vicomte  de  Lisle  du  Dreneuc,  Senot  de  la  Londe, 
Maître,  l'abbé  Mollat,  l'abbé  Badigois,  P.  Soullard,  deVeille- 
chèze,  Vigneron-Jousselandière  et  le  baron  G.  de  Wismes, 
et  par  les  piquantes  et  instructives  communications  ou 
les  curieuses  exhibitions  de  MM.  Angot,  Bastard,  Bonneau, 
le  marquis  de  Bremond  d'Ars,  Caillé,  Chaillou,  Charon, 
Dortel,  le  chanoine  Durville,  le  marquis  de  l'Estourbeillon, 
Furret,  Gourdon,  l'abbé  Grélier,  l'abbé  Lesimple,  Senot  de 
la  Londe,  Maître,  Oheix,  Pied,  Bévérend,  Bingeval,  P.  Soul- 
lard, Vigneron-Jousselandière,  A.  Vincent  et  les  barons 
C.  et  G.  de  Wismes.  De  ces  30  séances  nos  dévoués  secrétaires 
généraux,  MM.  Vincent  et  l'abbé  Brault,  nous  ont  donné 
des  comptes  rendus  aussi  remarquables  par  l'exactitude 
du  fond  que  par  l'élégante  précision  du  style.  Je  les  remer- 
cie vivement,  ainsi  que  nos  secrétaires  du  Comité,  dont  le 
labeur,  pour  être  apprécié  d'un  plus  petit  nombre,  n'est 
pas  moins  méritoire  et  dont  le  zèle  et  le  dévouement  n'ont 
jamais  défailli.  Par  une  rare  modestie,  notre  ami  Houdet 
a  décliné  les  fonctions  de  secrétaire  général,  que  des 
occupations  absorbantes  n'ont  pas  permis  à  M.  Vincent 
et  à  M.  l'abbé  Brault  de  conserver  plus  longtemps. 

C'est  à  ces  messieurs  qu'incombait  aussi  la  tâche  déli- 
cate de  veiller  à  l'impression  du  Bulletin.  La  poésie  y  a 
trouvé  place  avec  la  Clochette  des  Cléons  et  Guy  de  Dom- 
martin,  premier  architecte  de  la  Cathédrale  de  Nantes,  de 
l'un  de  nos  bardes  les  plus  inspirés,  mon  ami  Dominique 


Caillé,  qui  a  bien  voulu  m'offrir  la  dédicace  de  cette  der- 
nière pièce.  A  lui  seul,  le  travail  du  R.  P.  de  la  Croix  a 
fourni  un  fascicule  considérable  et  extraordinaire,  accom- 
pagné d'un  album  de  21  planches.  Si  le  grand  renom  de 
notre  illustre  collègue  a  déterminé  le  Comité,  après  sept 
délibérations  à  ce  sujet,  à  supporter  les  frais  de  cette  publi- 
cation, c'est  que  le  Conseil  général  a  généreusement  atténué 
l'atteinte  sérieuse  portée  à  nos  finances,  en  nous  accordant 
le  subside  que  j'avais  eu  l'honneur  de  solliciter  de  sa  bien- 
veillance et  que  M.  Dortel  a  eu  celui,  plus  grand  encore, 
de  nous  faire  obtenir.  La  façon  persuasive  dont  il  a  su 
plaider  notre  cause  près  de  cette  haute  Assemblée  n'a  pas 
été  étrangère  certainement  au  vote  d'un  nouveau  subside, 
qui  permet  d'espérer  la  reprise  des  bonnes  traditions  inter- 
rompues. Grâce  à  ces  libéralités  et  à  celles  que  nous^ccorde 
le  Conseil  municipal,  ainsi  qu'à  la  façon  sage  et  intelli- 
gente dont  notre  très  digne  et  très  méritant  trésorier, 
M.  Pied,  a  su  gérer  notre  modeste  budget,  je  lègue  à  mon 
successeur  une  situation  parfaitement  nette. 

Malgré  ses  faibles  ressources,  la  Société  a  souscrit  pour 
le  monument  de  Jules  Verne  et  pour  celui  d'Alain  le  Grand. 
—  Elle  a  émis  un  vœu  en  faveur  des  édifices  et  objets 
religieux  menacés  par  la  loi  de  séparation. 

Sa  bibliothèque  s'est  enrichie  d'ouvrages  ou  revues  dus 
à  de  généreux  donateurs  :  MM.  Angot,  Baudouin,  Mme 
Baudry,  M.  Caillé,  le  R.  P.  de  la  Croix,  MM.  Dortel,  le 
chanoine  Durville,  de  Farcy,  Allotte  de  la  Fuie,  Legrand, 
Oheix,  Rigault,  Rousse,  le  chanoine  Urseau  et  surtout  le 
marquis  de  Bremond  d'Ars,  qui  s'est  dessaisi  en  notre 
faveur  d'une  partie  de  ses  riches  collections.  Mon  frère  et 
moi  avons  été  heureux  également  d'offrir  à  la  Société 
le  Maine  et  l'Anjou,  de  notre  regretté  père,  ainsi  qu'un 
choix  d'ouvrages  lui  ayant  appartenu.  —  Le  buste  de 
notre  ancien  président  d'honneur  ,  Mgr  Fournier  ,  et 
d'autres  précieux  souvenirs  nous  ont  été  légués  par 
M.  l'abbé  Pothier,  membre  honoraire,  à  la  mémoire 
duquel    j'adresse    l'hommage    ému    de    l'amitié    respec- 


—  5 


tueuse.  —  Notre  éminent  collègue,  le  marquis  de  l'Estour- 
beillon,  nous  a  aimablement  envoyé  son  portrait  en  bronze. 
—  De  M.  Guénault  et  de  M.  Robuchon  nous  sont  venues 
de  magnifiques  séries  de  cartes  postales  sur  le  Vieux  Nantes 
et  sur  le  Poitou. 

Si  vous  ajoutez  à  cela  des  achats,  abonnements  et  échan- 
ges nouveaux  avec  plusieurs  Sociétés  et  Revues  savantes, 
vous  comprendrez  facilement,  Messieurs,  l'embarras  de 
nos  excellents  et  sympathiques  bibliothécaires,  qui  doivent 
douter  de  la  vérité  du  proverbe  :  «  Abondance  de  biens  ne 
nuit  pas  ».  Que  faudrait-il  cependant  pour  tirer  de  peine 
MM.  Soullard  et  Lagrée  ?  Qu'une  des  salles  voisines 
nous  fût  accordée  par  l'administration  de  ce  Musée  que 
«  nous  pouvons  considérer  avec  un  légitime  orgueil  comme 
notre  œuvre  »,  disait  M.  Marionneau,  et  qui  a  pris,  sous 
la  direction  de  l'éminent  conservateur,  le  vicomte  de  Lisle 
du  Dreneuc,  une  extension  dont  vous  avez  pu  juger  dans 
l'après-midi   du  23  avril  1907. 

En  1905,  nous  avons  visité,  au  nombre  de  26,  la  cachette 
de  la  duchesse  de  Berry  et  la  Cathédrale,  où  M.  l'abbé 
Barat  nous  a  guidés  avec  son  amabilité  accoutumée  (21 
mars),  —  reçu,  au  nombre  de  23,  l'hospitalité  généreuse 
du  châtelain  des  Cléons,  M.  Chaillou,  et  admiré  son  mer- 
veilleux musée  gallo-romain  (15  mai),  —  accompagné  dans 
son  examen  du  Château,  dont  M.  Furret  s'est  fait  le  guide 
éclairé,  M.  Pocquet  du  Haut-Jussé,  continuateur  de  notre 
illustre  de  La  Borderie  (7  juin),  —  été,  au  nombre  de  16, 
déjeuner  à  Blain,  où  M.  Revelière,  notre  bon  et  regretté 
collègue,  nous  a  fait  les  honneurs  de  ses  collections,  aussi 
belles  que  variées  (10  juillet). 

En  1906,  une  décision  presque  impromptu  nous  a  con- 
duits, au  nombre  de  14,  à  la  chapelle  de  Bon-Garand,  au 
château  du  Buron,  où  M.  Hersart  de  la  Villemarqué  nous 
a  reçus  d'exquise  façon,  et  à  celui  de  la  Tour,  dont  notre 
aimable  collègue,  le  vicomte  de  Sécillon,  était  malheureu- 
sement absent  (5  avril),  -  -  puis,  franchissant  les  marches  de 
l'Anjou,  nous  nous  rencontrions  avec  l'éminent  chanoine 


6  — 


Urseau  et  le  très  distingué  chevalier  Joûbert,  avec  lesquels 
nous  allions  visiter  le  cirque  et  les  thermes  romains  de 
notre  savant  collègue  M.  le  chevalier  d'Achon  et  passions 
un  de  ces  après-midi  merveilleux  dont  ne  perdront  jamais 
le  souvenir  les  21  personnes  qui  prirent  part  à  cette 
excursion  et  que  le  talent  émérite  de  notre  modeste  et 
aimable  collègue  M.  Trémant  a  fixées  de  façon  si  pitto- 
resque au  milieu  des  ruines  de  Saint-Macé  (28  mai).  — 
M.  Ringeval  représenta  la  Société  près  de  celles  de  Rennes 
et  de  Saint-Malo,  qui  nous  avaient  conviés  à  une  excursion 
au  Mont  Saint-Michel  (7  juin). 

En  1907,  notre  Compagnie  fut  encore  représentée  par 
quelques  membres  à  l'inauguration  de  la  statue  d'Alain 
le  Grand,  due  à  l'initiative  du  marquis  de  l'Estourbeillon 
(21  avril).  —  Enfin  la  série  de  nos  excursions  fut  close  par 
celle  qu'au  nombre  de  20  —  sans  compter  trois  membres 
d'autres  Sociétés  qui  s'étaient  joints  à  nous —  nous  fîmes, 
le  13  mai,  en  Anjou,  où  nous  reçut  avec  la  plus  cordiale 
fraternité  la  Société  d'Agriculture,  Sciences  et  Arts  d'An- 
gers, à  laquelle,  cette  année,  sans  doute,  nous  rendrons 
la  politesse. 

Les  rapports  les  meilleurs  ont  été  entretenus  par  notre 
Compagnie  avec  celles  qui  fleurissent  à  ses  côtés.  Sociétés 
Académique,  des  Artistes  Bretons,  d'Horticulture,  etc.,  ont 
convié  votre  président  à  leurs  expositions  ou  à  leurs  dis- 
tributions de  prix.  Le  29  mai  dernier,  j'étais  heureux 
d'aller  porter  l'hommage  de  tous  à  notre  éminent  collègue 
M.  Linyer,  à  l'occasion  des  noces  d'argent  de  la  Société  de 
Géographie  commerciale,  et  de  me  joindre,  le  lendemain, 
au  cortège  qui  descendit  une  Loire  rendue  navigable, 
grâce  à  sa  persévérante  énergie.  Enfin,  le  15  décembre 
dernier,  la  Revue  de  Bretagne  et  la  Société  des  Bibliophiles 
Bretons  célébrant  à  Nantes  le  50e  et  le  30e  anniversaire 
de  leur  fondation,  j'eus  la  très  grande  joie  d'aller  saluer 
notre  éminent  collègue,  mon  ami,  le  marquis  de  l'Estour- 
beillon, qui  considère  notre  Compagnie,  il  nous  le  disait 
récemment,  comme  une  seconde  famille,  et  de  commenter, 


en  quelque  sorte,  ces  vers  du   doux  poète  qui  lui   faisait 
face  à  la  table  d'honneur  : 

Les  Français  n'ont  conquis  que  le  sol  d'Armorique; 
Toujours  libres  et  fiers,  nous  garderons  nos  cœurs  ! 

(La  Chapelle  de  Sainl-Gildas,  par  M.  Rousse). 

D'où  vient,  mes  chers  collègues,  cette  situation  de  plus 
en  plus  florissante  de  notre  Société?  C'est  qu'il  est  loin 
le  temps  où  les  archéologues  «  étaient  en  butte  aux 
bons  mots  des  hommes  d'esprit,  lesquels  croient,  avec 
les  sots,  qu'avant  leur  naissance  il  n'y  avait  rien  qui 
attirât  l'attention  »  (Dr  Foulon).  Les  sarcasmes  avaient 
fait  place  au  respect  lorsque  M.  de  la  Nicollière  quitta 
la  présidence  en  disant  :  «  Tous  ont  compris  que  la  mission 
de  la  Société  est  belle,  grande,  parfaitement  remplie. 
Sa  place  est  marquée  parmi  les  institutions  considérées 
et  fructueuses.  »  Et  M.  Maître  constatait,  à  son  tour, 
en  prenant  le  fauteuil,  que  «  l'esprit  public,  comme  les 
administrations,  accueillait  avec  bienveillance  les  pro- 
positions qui  avaient  pour  but  de  favoriser  les  études 
archéologiques.  » 

C'est  que  la  science  du  passé  est  l'une  des  plus  atta- 
chantes qui  soient.  «  C'est  à  lui,  disait  Mgr  Freppel,  en 
ouvrant  le  Congrès  archéologique  d'Angers,  le  19  juin 
1871,  que  nous  devons  notre  langue,  notre  patrie,  nos 
mœurs  et  nos  croyances.  Chaque  fois  qu'un  siècle  se 
lève  à  l'horizon,  ce  sont  les  lumières  des  âges  précédents 
qui  viennent  former  au-dessus  de  son  berceau  l'étoile 
destinée  à  éclairer  sa  marche.  » 

Du  passé  qui  s'éteint  gardons  quelques  lumières, 

comme  l'a  dit  M.  Rousse.  Quelque  branche  de  l'art  que 
nous  choisissions,  elle  nous  révèle  la  religion,  les  mœurs, 
l'histoire  entière  d'une  époque. 

Prenons,  si  vous  le  voulez  bien,  l'architecture. 


—  8  - 


Quels  souvenirs  n'éveillent  pas  en  nous  les  monuments 
de  l'ancienne  France,  tels  que  :  Versailles,  Blois,  Amboise...  ! 
La  pierre,  au  muet  mais  saisissant  langage,  nous  fait  com- 
prendre l'histoire  mieux  que  bien  des  lectures.  C'est 
l'image  à  côté  du  récit,  l'illustration  auprès  du  texte. 
Tel  que  l'Océan,  dont  les  profondeurs  restent  calmes 
malgré  les  plus  violentes  tempêtes,  notre  pays,  en  dépit 
des  agitations  politiques  et  religieuses,  demeure  si  tradi- 
tionaliste qu'il  n'est  guère  de  province  où  les  amis  du  passé 
ne  puissent  respirer,  près  de  quelque  majestueux  relief 
ou  de  quelque  modeste  épave,  ce  je  ne  sais  quoi  d'indé- 
finissable qu'on  appelle  l'atmosphère.  Qu'est-ce  que  la 
colonne  des  Trente?  Une  simple  pierre,  grise  et  fruste. 
Cependant,  devant  elle,  notre  âme  palpite,  l'enthou- 
siasme nous  saisit,  et  les  bruissements  mélancoliques 
des  pins  semblent  l'écho  de  grandes  clameurs  :  Beaumanoir, 
bois  ton  sang!  Beaumanoir,  bois  ton  sang,  et  ta  soif  passera! 

Mais,  si  l'architecture  nous  initie  à  l'histoire  d'un  peuple, 
elle  nous  révèle  mieux  encore  sa  religion.  Le  but  de  l'art, 
en  effet,  sa  loi,  son  génie,  son  essence,  c'est  d'exprimer 
le  beau.  Or,  le  Beau  absolu,  c'est  Dieu.  Plus  donc  l'homme 
s'approchera  de  Dieu  par  sa  foi,  plus  parfaite  sera  l'image 
qu'il  nous  donnera  du  Beau.  «  Sans  religion,  a  écrit  Jean 
Rameau,  sans  aspirations  célestes,  sans  l'éblouissement 
de  Dieu  qui  brûle  les  prunelles,  aucun  artiste  ne  créera 
jamais  rien  de  vraiment  immortel.  » 

Voyez  plutôt 

Bartholomé  pensif,  le  front  dans  la  poussière, 
Brisant  son   jeune  cœur  sur  un  autel  de  pierre. 
Interrogé  tout  bas  sur  l'art  par  Raphaël 
Et  bornant  sa  réponse  à  lui  montrer  le  ciel... 

(Alfred  de  Musset  ). 

Or,  comme  l'observe  Chateaubriand,  «  c'est  au  chris- 
tianisme que  les  beaux -arts  doivent  leur  renaissance  et 
leur  perfection.  Plus  les  âges  qui  ont  élevé  nos  monuments 
ont  eu  de  piété  et  de  foi,  plus  aussi  ils  ont  été  frappants 


—  9  — 

par  la  grandeur  et  la  noblesse  de  leur  caractère.  »  (Le  Génie 
du  Christianisme). 

Ces  vérités,  Messieurs,  je  n'ai  pas  la  prétention  de  les 
apprendre  à  des  hommes  de  science  et  d'érudition  comme 
vous  l'êtes.  D'ailleurs, 

Il  faut  être  ignorant  comme  un  maître  d'école 

Pour  se  flatter  de  dire  une  seule  parole 

Que  personne  ici-bas  n'ait  pu  dire  avant  vous. 

(Alfred  de  Musset  ). 

Mais,  si  elles  ne  sont  pas  nouvelles,  ces  vérités,  je  veux 
vous  les  exposer  de  telle  sorte  que  de  leur  choc  jaillisse 
une  lumière  éclatante  sur  le  tableau  où  vous  verrez  se 
dérouler  parallèlement  les  diverses  phases  de  notre  his- 
toire et  de  notre  architecture.  Ainsi  qu'une  barque  s'élève 
et  s'abaisse  avec  le  flot  qui  la  porte,  celle-ci  subit  le  flux 
et  le  reflux  religieux,  moral,  politique,  avec  une  sensi- 
bilité telle  que  cette  harmonie  presque  constante  entre 
l'âme  de  la  France  et  ses  monuments  m'a  paru  digne  de 
faire  l'objet  de  ce  discours. 

Mais,  tout  d'abord,  quelques  mots  sur  l'antiquité. 
Oh  !  soyez  tranquilles,  je  ne  remonterai  pas  aux  cités 
lacustres,  n'ayant  pas,  comme  M.  Pohier,  qui  les  a  si  poé- 
tiquement ressuscitées  par  le  pinceau,  la  musique  et  les  vers, 
la  ressource  de  distraire  votre  attention  par  l'apparition 
sur  la  toile  des  édifices  de  notre  chère  patrie. 

La  Chine,  l'Inde  et  l'Egypte  ne  sauraient  retenir  notre 
attention.  Qu'elle  découpe  sur  le  ciel  la  silhouette  mes- 
quinement laide  de  ses  maigres  pagodes  ou  de  ses  grosses 
tours  de  porcelaine,  qu'elle  entasse  bloc  sur  bloc  pour 
former  des  temples  gigantesques,  autour  desquels  elle 
amoncelle  un  fatras  de  monstrueuses  divinités,  qu'elle 
associe  à  la  splendeur  du  désert  la  froide  tristesse  de  ces 
pierres  colossales  qui  ne  tressailliront  même  pas  lorsque 
Bonaparte  leur  jettera  la  phrase  doublement  lapidaire 
que  l'on  sait,  ici  puérile  et  bizarre,  là  grotesque  et  hideuse, 
ailleurs    lourde    et    hiératique,     l'architecture    reste    figée 


—  10  — 

dans  une  immobilité  absolue.  Elle  est,  en  effet,  associée 
à  l'Etat,  et  l'Etat  repose  sur  un  système  de  castes  qui  le 
condamne  à  une  mortelle  monotonie. 

Allons  respirer  sur  l'Hymette  ou  sur  le  Pentélique  l'air 
de  la  liberté  !  En  Grèce,  tout  vibre,  tout  rayonne,  tout 
est  harmonie  et  lumière;  la  nature,  prise  pour  modèle, 
revit  dans  les  créations.  «  Pourquoi  fais-tu  ce  chêne,  puis- 
qu'il est  déjà  fait?  »  demandait  un  paysan  à  Corot.  Pas 
un  pasteur  de  l'Hellade  n'eût  posé  pareille  question.  Ah  ! 
je  n'oublierai  jamais,  Messieurs,  le  frémissement  subit, 
profond,  irrésistible  qui  me  saisit  à  la  vue  du  Parthénon. 
Plein  d'une  muette  extase,  je  demeurai  cloué  sur  place, 
devant  ce  temple  dont  les  siècles  sans  doute  ont  terni  les 
couleurs,  dont  l'étranger  a  pu  mutiler  les  portiques,  mais 
qui  garde  toujours  cette  incomparable  beauté  qu'achève 
le  ciel  de  Grèce  !  Oh  !  ce  ciel  fin,  suave,  délicat,  comme 
poudré  d'argent  par  la  lumière  qui  lui  prêle  son  moelleux 
éclat  !  Sous  les  brumes  parisiennes,  la  Madeleine  n'est 
qu'un  gros  pavé  massif;  le  Parthénon  est  une  fleur  de  clarté 
qui  resplendit  dans  l'azur.  Elle  resplendit,  il  est  vrai, 
mais  elle  ne  sourit  pas;  elle  charme,  mais  elle  n'émeut 
point,  car,  pour  être  émouvante,  l'œuvre  doit  être  née  d'un 
émoi  et  non  d'une  formule.  Puis  à  ce  temple  il  manque 
la  voûte,  cette  figure  du  ciel;  son  spiritualisme  ne  dépasse 
pas  les  sommets  de  l'Olympe  ;  comme  ses  dieux  il  se  tient 
terre  à  terre. 

Tout  inférieur  qu'il  soit  à  notre  style  chrétien,  le  style 
grec  n'en  garde  pas  moins  sa  supériorité  sur  tous  ceux  du 
paganisme.  Pourquoi?  C'est  que  la  religion  et  les  mœurs, 
à  l'époque  où  il  brilla,  étaient  également  moins  grossières 
et  que  peut-être  l'idée  du  vrai  Dieu,  de  ce  Dieu  inconnu 
auquel  les  habitants  d'Athènes  élevèrent  un  temple, 
s'était  en  quelque  sorte  révélée  à  certains  esprits  supérieurs, 
tels  que  Platon  et  Socrate.  Sur  le  point  de  boire  la  ciguë, 
celui-ci  l'entrevoit 

Par  delà  tous  ces  dieux  que  notre  ail  peut  atteindre. 


—  11  — 

Force,  amour,  vérité,  créateur  de  tout  bien. 

C'est  le  dieu  de  nos  dieux,  c'est  le  seul;  c'est  le  mien. 

Dieu   saint,   unique,   universel, 

Le  seul  Dieu  que  j'adore  et  qui  n'ait  point  d'autel. 

(A.  de  Lamartine,  Harmonies). 

• 

Lorsque  les  arts,  méprisés  en  Italie,  y  pénétrèrent  par 
suite  de  la  réduction  de  la  Grèce  en  province  romaine 
(IIe  s.  av.  J.-C),  les  Etrusques  apportèrent  à  l'architec- 
ture un  immense  perfectionnement  par  l'invention  de 
l'arcade  et  de  la  voûte.  Sous  Auguste,  Rome  se  couvrit 
d'un  si  grand  nombre  de  luxueux  édifices  que  ce  prince 
put  dire  :  «  Je  l'ai  trouvée  bâtie  en  briques,  je  la  laisse 
bâtie  enmarbre.  »  La  force,  la  régularité  et  le  faste  de  ces 
monuments  sont  les  indices  d'un  peuple  orgueilleux, 
ambitieux  et  dominateur;  les  ponts,  aqueducs,  thermes, 
attestent  son  génie  pratique.  Mais  l'amour  du  bien-être 
dégénéra  peu  à  peu  en  raffinement  et  en  mollesse.  La 
tyrannie  et  la  bassesse,  qui  s'engendrent  l'une  l'autre, 
annoncent  la  décadence.  Afin  d'abrutir  le  peuple  et  de 
prévenir  ses  révoltes,  ses  tyrans  multiplient  les  fêtes  et 
lui  offrent  les  spectacles  les  plus  dégradants  :  «  Du  pain  et 
des  jeux!  »,  tel  est  le  cri  qu'on  entendra  retentir  jusqu'à  ce 
que  s'en  élève  un  autre  :  «  Les  dieux  s'en  vont  !  »  Ils  s'en 
vont  en  effet,  ceux  de  la  jeune  Italie  pêle-mêle  avec  ceux 
du  vieil  Orient,  qui  ont  envahi  l'empire;  on  s'en  moque; 
Néron,  par  mépris,  souille  leurs  statues;  les  poulets  sacrés 
ne  trouvent  plus  d'acheteurs  ;  bref,  c'est  la  débandade  de 
tout  l'Olympe  ! 

Le  monde  était  dans  Rome,  et  Rome  dans  la  fange. 
L'Olympe  s'écroulait  sur  son  autel  pourri. 
L'or  régnait.  La  vertu  de  l'homme  avait  tari 
Comme  une  vigne  après  les  temps  de  la  vendange. 
La  terre  était  sans  but  sous  un  ciel  sans  amour. 

(Edmond  Haraucourt,  Le  Messie). 

Or,  comme  «  l'incrédulité  est  la  principale  cause  de  la 
décadence,  du  goût  et  du  génie,  quand  on  ne  crut  à  rien 


—  12  — 

à  Athènes  et  à  Rome,  les  talents  disparurent  avec  les 
dieux...  Le  monde  romain,  pourrissant  dans  ses  sources, 
était  menacé  d'une  dissolution  épouvantable...  L'Evangile 
a  prévenu  la  destruction  de  la  société.  »  (Vicomte  de 
Chateaubriand). 

Dieu  avait  permis  que  son  Eglise  reçût,  pendant  près 
de  trois  siècles,  le  baptême  du  sang.  Mais,  du  champ 
rougi  par  les  martyrs  ayant  levé  une  abondante  moisson 
de  chrétiens,  par  un  miracle  il  convertit  Constantin. 

Nos  pères  sortent  des  catacombes  et  cherchent  des 
édifices  pour  célébrer  les  saints  mystères.  Les  temples, 
souillés  par  d'abominables  sacrifices,  —  les  immolations 
d'enfants  sont  attestées  par  plusieurs  historiens,  —  leur 
répugnent.  Aussi,  à  de  rares  exceptions  près,  leur  préfèrent- 
ils  des  espèces  de  prétoires  ou  de  bourses  de  commerce 
appelés  basiliques  (maisons  royales),  qu'ils  transforment 
ou  copient  en  y  apportant  deux  innovations  :  1°  l'allonge- 
ment du  transept  pour  leur  donner  la  forme  de  croix  et  2°, 
ceci  est  capital,  le  remplacement  de  l'architrave  par 
l'arcade  sur  colonne,  qui  restera  le  principe  fondamental 
de  toute  l'architecture  chrétienne. 

L'Empereur  transporte  le  siège  du  gouvernement 
à  Byzance,  où  il  appelle  les  plus  savants  architectes, 
afin  de  remplacer  l'art  dégénéré  de  l'Italie  par  l'art  indi- 
gène. Celui-ci  atteint  son  plus  haut  point  de  perfection  : 
liberté,  élégance,  hardiesse,  dans  Sainte-Sophie,  recons- 
truite sous  Justinien  (VIe  siècle);  mais,  en  dépit  de  ses 
riches  décorations,  c'est  une  triste  impression,  Messieurs, 
que  j'éprouvai  en  pénétrant  sous  cette  vaste  coupole, 
d'où  l'on  a  chassé  le  Dieu  vivant  et  qui  semble  porter  une 
seconde  fois  le  deuil  du  Christ. 

Quittons  la  Grèce  et  l'Italie  pour  aborder  aux  rivages 
de  la  Gaule.  Ils  sont  couverts  de  cromlechs,  dolmens, 
menhirs,  etc.  Bien  téméraire  serait  celui  qui  voudrait 
en  déterminer  la  signification  précise.  «  Ne  confie  l'histoire 
du  passé  qu'à  ta  mémoire  »,  prescrivait  la  loi  druidique. 


13 


Donc  nul  écrit.  Peut-être  quelques  rares  inscriptions 
gravées  sur  ces  pierres  pourront-elles  être  déchiffrées. 
En  attendant,  gardons  de  M.  de  Caumont  le  silence  pru- 
dent, quand  il  nous  engage  à  «  ne  pas  vouloir  pénétrer 
trop  avant  dans  la  connaissance  des  premiers  temps 
historiques  sous  peine  de  s'exposer  à  substituer  à  la  vérité 
des  fables  ou  des  conjectures.  »  (Cours  d'antiquités  monu- 
mentales). A  propos  de  ces  vestiges,  qui  conservent, 
vous  le  voyez,  tout  l'attrait  du  mystère ,  j'hésite  à 
prononcer  le  grand  mot  d'architecture.  Et  cependant 
on  les  appelle  des  monuments;  ils  sont  simples  et  rudes 
comme  les  mœurs  et  attestent  le  respect  des  héros  et  la 
croyance  à  l'immortalité;  leurs  formes  hautaines  et  tristes 
ont  leur  genre  de  beauté,  qui  inspira  plus  d'un  poète.  Quelle 
impression  profonde  et  délicieuse  n'avez-vous  pas  gardée 
de  la  pièce  qu'aux  Noces  d'or  nous  récita  M.  Alcide  Leroux? 
Ecoutez  un  étranger,  mais  un  étranger  qui  a  parlé  de  la 
Bretagne  mieux  que  nul  Breton,  a  dit  le  vicomte  de  Gour- 
cuff,  M.  Fuster,  passant  à  Saint-Nazaire,  où 

Se  dresse  le  dolmen  impassible  :  il  est  là, 
Grave,  sans  la  douleur  des  choses  ruinées. 
Nos  bâtisses  par  lui  se  sentent  dominées. 
Sur  lui  le  vieux  soleil  de  Gaule  étincela. 

Le  culte  superstitieux  des  pierres  persista  dans  les 
campagnes,  à  l'insu  même  de  ceux  qui  le  professaient, 
et  dut  être  combattu  par  maints  conciles.  Celui  de  Nantes, 
tenu  en  658,  interdit  «  l'adoration  des  pierres  élevées 
aux  démons  dans  les  antiques  forêts  et  sur  lesquelles  on 
allait  faire  des  vœux  ».  Souvent  l'Eglise  les  transforma 
en  calvaires  : 

O  Christ  !   ami  du  faible  et  des  âmes  blessées, 
Seul  vrai  consolateur,  votre  souffle  puissant 
A  détruit  les  autels  qui  s'abreuvaient  de  sang, 

s'écrie  M.  Rousse  près  d'un  dolmen. 

Ces  pratiques  ne  disparurent  qu'au  IXe  siècle,  et  encore 


—  14    - 

n'est-il  pas  rare  de  voir  ces  monuments,  dont  les  noms 
mêmes  de  grottes  aux  fées,  châteaux  des  mauvais  esprits, 
etc.,  sont  une  lointaine  réminiscence  des  traditions , 
assignés  comme  lieux  de  réunion  aux  farfadets,  lutins  , 
garaches,  loups-garous,  etc. 

Lavant  l'affront  du  brenn  gaulois  dans  le  sang  de 
Vercingétorix,  César  a  soumis  et  civilisé,  ou  plutôt  paga- 
nisé  notre  pays,  car  «  Rome  avait  donné  à  la  Gaule  son 
effroyable  corruption  de  mœurs,  de  sorte  qu'au  commen- 
cement du  Ve  siècle,  le  nom  de  Gaule  était  prêt  à  dispa- 
raître de  la  carte  du  monde.  »  (Histoire  nationale  illustrée 
de  la  France). 

Mais  voici  que  des  peuplades  farouches  se  ruent  sur 
le  pays.  Les  prêtres  de  Jupiter  fuient  épouvantés,  ren- 
versant leurs  idoles  impuissantes.  C'est  alors  que  se  dé- 
roula un  merveilleux  spectacle  :  l'Eglise,  en  la  personne 
de  sainte  Geneviève  et  de  ses  vénérables  évêques,  s'avança 
à  la  rencontre  des  hordes  formidables  et  sauva  cet  Empire 
qui  l'avait  si  cruellement  persécutée!  Si  toute  l'Europe 
ne  fut  pas,  comme  l'Angleterre  demeurée  païenne,  sub- 
mergée par  le  rouge  torrent  des  invasions  barbares,  c'est 
à  l'Eglise  qu'elle  le  doit. 

L'Eglise  baptise  Clovis,  qui  donne  à  la  Gaule  l'unité 
morale  et  la  grandeur  politique,  et  sur  les  ruines  dupoly- 
théisme  s'établit  en  douce  victorieuse.  Au  VIIIe  siècle, 
l'Islam  est  écrasé  à  Poitiers  par  Charles  Martel;  Pépin  le 
Bref  fonde  le  domaine  temporel  des  papes,  et  Charle- 
magne,  après  avoir  conquis  la  Saxe  au  christianisme, 
vole  au  secours  du  Saint-Siège,  menacé  par  les  Lombards, 
et  reçoit  du  Pape  Léon  III  la  couronne  impériale  (800). 
O  Charlemagne  à  la  barbe  fleurie,  toi  qu'ont  popularisé 
l'image  et  la  légende,  toi  que  les  écoliers  acclament  en  de 
joyeux  banquets,  quelle  impulsion  magnifique  et  féconde 
ton  génie  va  donner  aux  lettres  et  aux  arts  ! 

France,  ma  douce  France,  ù  ma  France  bénie, 
Rien  n'épuisera  donc,  ta  force  et  ton  génie  ! 


—  15 

te  fait  dire  le  vicomte  de  Bornier.  Tu  parais,  tel  un  colosse 
dans  un  désert,  et  rallumes  le  flambeau  de  la  civilisation 
en  faisant  pénétrer  le  christianisme  dans  l'Occident. 
A  ce  relèvement  religieux  correspond  le  relèvement  de 
l'architecture.  Certes,  à  une  époque  où  se  trouvent  souvent 
encore  confondues  les  mœurs  du  barbare,  du  romain  et 
du  chrétien,  elle  ne  peut  avoir  un  style  précis.  Elle  est, 
comme  la  société,  soumise  à  des  influences  si  diverses 
que  les  auteurs  modernes  hésitent  même  sur  le  nom  que 
celui-ci  doit  porter  :  latin?  gallo-romain?  roman  primitif? 

Mais  M.  de  Caumont,  qui  adopte  ce  dernier  terme,  ne 
craint  pas  d'affirmer  que  l'architecture  atteignit  alors 
un  haut  degré  de  prospérité.  Elle  est  remarquable  surtout 
dans  les  monastères,  dont  l'importance  n'échappe  pas 
aux  regards  inquisiteurs  et  cupides  des  Normands. 

Près  d'un  siècle  durèrent  leurs  horribles  ravages,  au 
cours  desquels,  dit  un  vieux  chroniqueur,  «  ils  gâtèrent, 
saccagèrent  et  désertèrent  d'une  horrible  et  énorme 
façon  la  Bretagne,  signamment  le  pays  nantais.  »  Restée 
la  dernière  en  leur  pouvoir,  notre  malheureuse  cité  fut 
délivrée  par  Alain  Barbe-Torte,  grâce  au  secours  mira- 
culeux de  «  la  benoiste  Vierge  Marie  ».  Ce  prince  fut  élevé 
en  Angleterre, 

Puis  revint  en  Bretaigne  en  chaczer  les  Normans. .  . 
Lesquels  tenaient  en  leur  subgection 
Pays  Nantois  et  sa  ville  iolie. 

Notre  Cathédrale  était  en  ruines.  Il  en  était  ainsi  de 
nombreux  et  riches  monuments.  Dans  les  cloîtres  déserts, 
lugubres  s'élevaient  les  cris  de  la  chouette  ou  le  hulule- 
ment du  hibou,  qui  remplaçaient  les  hymnes  et  les  psaumes. 

Le  calme  rétabli,  on  voulut  reconstruire;  mais  presque 
tous  les  fragments  gallo-romains,  qui  depuis  le  Ve  siècle 
avaient  servi  de  matériaux  ou  de  modèles,  avaient  été 
réduits  en  poussière.  Il  fallut  extraire  de  la  pierre,  la 
tailler,  inventer  des  formes  nouvelles.  Sur  ces  entrefaites, 
une  étrange  terreur  saisit  les  hommes  et    fit  tomber   de 

Soc  Archéol.  Nantes.  2 


-  16   - 

leurs  mains  découragées  la  truelle  et  le  marteau  :  l'an 
mille  devait  marquer  la  fin  du  monde 

Seuls  les  châteaux-forts  se  multiplient,  grâce  au  système 
féodal.  Il  y  a  encore  vingt  ou  trente  ans,  avant  que  les 
milliers  de  documents  puises  dans  les  archives  publiques 
ou  privées  n'aient  permis  de  refaire  nos  annales  et  ne  nous 
aient  montré  «  l'histoire  reçue,  officiellement  enseignée 
et  propagée,  comme  la  plus  grossière  des  duperies,  ou  la 
plus  audacieuse  îles  impostures,  on  nous  avait  appris 
un  moyen  âge  qui  était  un  enfer.  »  (Maurice  Talmeyr, 
Chaires  de  mensonge.) 

Dans  un  article  qu'il  consacrait  récemment  au  cinquan- 
tenaire d'une  de  nos  plus  pures  gloires  nationales,  M.  Léo- 
pold  Delisle,  M.  Funck-Brentano  écrivait  ceci  à  propos 
d'un  des  livres  les  plus  célèbres  de  l'illustre  écrivain  : 
«  L'ouvrage  fit  sensation  dès  son  apparition;  par  ses 
conclusions  d'abord,  quand  on  vit  l'auteur  montrer,  en 
termes  qui  ne  pouvaient  être  réfutés  et  qui  même  n'ont 
jamais  été  discutés,  que,  dans  ces  temps  où  l'on  croyait 
ne  devoir  trouver  que  barbarie  et  oppression,  sous  cette 
horrible  tyrannie  féodale  qui  exploitait  le  peuple  jusqu'au 
sang, — Michelet  a  écrit  là-dessus  les  pages  les  plus  folles, 
—  la  campagne  présentait,  à  peu  de  chose  près,  le  même 
aspect  que  de  nos  jours.  Au  XIIe  siècle,  la  condition  du 
paysan  était  semblable  à  sa  condition  présente;  il  avait 
autant  d'aisance  et,  s'il  est  possible  de  juger  de  ceci  par 
des  documents  historiques,  autant  de  bonheur.  » 

«  Les  immenses  travaux  que  nécessitait  la  construction 
de  nos  vieux  châteaux-forts  suffiraient  pour  révéler  dans 
la  nation  une  vitalité  ardente.  Les  temps  calamiteux  où 
les  populations  succombent  sous  l'excès  de  leurs  maux 
ne  lèguent  pas  de  pareilles  œuvres  à  la  postérité  »,  avait 
déjà  écrit  mon  père,  dans  le  Maine  et  l'Anjou,  à  une 
époque  où  ce  grand  menteur  que  fut  Michelet  ensorcelait 
encore  l'esprit  des  foules  en  faussant  l'histoire  par  le 
roman. 

Avant  lui,  d'ailleurs,  M.  de  Caumont  avait  affirmé  ceci  : 


—  17  — 

«  Le  système  féodal  n'a  pas  été  sans  avantages  pour  le 
temps  où  il  est  venu:  il  n'a  pas  été  sans  force  et  sans  éclat. 
De  grands  faits  d'armes,  des  hommes  célèbres,  la  cheva- 
leBie,  les  croisades,  la  naissance  des  langues  et  des  litté- 
ratures modernes  l'ont  illustré  ».  H  rappelait  cette  phrase 
de  Guizot  :  «  Ce  temps  a  été  pour  l'Europe  moderne  ce 
que  furent  pour  la  Grèce  les  temps  héroïques  ». 

C'est  qu'il  se  complète  par  la  chevalerie  «  dont  le  nom 
seul  est  proprement  une  merveille  que  les  détails  les  plus 
intéressants  ne  peuvent  surpasser  »  (Vicomte  de  Chateau- 
briand). Vous  avez  lu,  n'est-ce  pas?  les  pages  d'une  magie 
délicieuse  où  notre  grand  Breton  évoque  la  poésie  sans 
seconde  de  cette  époque  :  festin  de  la  licorne  ou  vœu  du 
paon,  fêtes,  joutes,  tournois,  lays  d'amour,  enchante- 
ments, pèlerinages,  prouesses  merveilleuses,  aventures 
romanesques.  Je  ne  sache  dans  notre  littérature  rien  qui 
éveille  l'imagination  et  satisfasse,  le  cœur  autant  que  ces 
récits  éblouissants,  parce  que,  supérieurs  aux  héros 
d'Homère,  les  preux  sont  chrétiens.  Leur  idéal ,  c'est 
l'Eglise  qui  l'a  créé;  leur  institution,  c'est  elle  qui  l'a 
ennoblie  :  foi,  vaillance,  honneur,  désintéressement, 
charité,  tout  jusqu'aux  austérités  du  cloître  — il  y  a  environ 
quarante  ordres  religk  ux  militaires  --  telles  sont  les  vertus 
chevaleresques,  et  ce  mot  lui-même  inspire  encore  un  tel 
respect  qu'il  est  un  des  rares  dont  l'abus  n'ait  pas  atténué 
le  prestige.  Une  action  chevaleresque,  un  caractère  che- 
valeresque, se  peut-il  rien  au-dessus?  C'est  donc  à  la  reli- 
gion encore  que  nous  devons,  pour  une  bonne  part,  ces 
redoutables  forteresses  dont  les  majestueux  débris  cou- 
ronnent nos  coteaux.  Dans  ces  nobles  manoirs,  près  de 
femmes  à  l'âme  claire,  tendre  et  forte,  naquit  la  poésie 
nationale,  les  mœurs  s'adoucirent  et  prirent  cette  teinte 
de  courtoisie,  d'élégance  et  de  délicatesse  qui  devait  faire 
dire  à  Duclos  :  «  Le  Français  est  l'enfant  de  l'Europe  »  et 
inspirer  à  M.  Vidal  de  la  Blache  cette  belle  pensée  :  «  La 
France  est  située  de  telle  sorte  que   le  soleil  ne    peul  y 


18 


décliner  sans    qu'elle   voie   grandir    sur   elle   l'ombre    des 
nations  voisines.  »  (La  France.) 

L'an  mille  passé,  les  alarmes  se  dissipent,  l'apathie 
fait  place  à  la  plus  dévorante  activité.  De  nouveau,  la 
pierre  s'anime  et,  sous  la  direction  des  Evêques,  asso- 
ciations de  moines  et  d'abbés,  ou  pieux  laïques  liés  par  un 
vœu  religieux,  élèvent  et  décorent  des  églises  plus  grandes, 
plus  magnifiques  que  par  le  passé.  Grâce  à  Dieu,  et  ce 
n'est  pas  une  simple  façon  de  parler,  car  c'est  Dieu  qui 
inspire  ces  hommes,  la  France  peut  enfin  s'enorgueillir 
d'un  style  national  :  le  génie  chrétien  à  créé  le  roman. 
Sans  doute  ce  style  est  né  de  l'ancienne  idée  architectu- 
rale chrétienne  ;  mais,  affranchi  de  toute  servitude  antique, 
il  offre  un  caractère  puissant  et  grandiose,  austère  et 
recueilli.  Si  le  byzantin,  que  des  artistes  grecs,  chassés 
par  les  iconoclastes,  nous  ont  fait  connaître  au  IXe  siècle, 
s'y  allie  parfois,  c'est  de  la  façon  la  plus  harmonieuse. 

Grâce  à  Robert  le  Pieux  et  Louis  le  Gros,  à  saint 
Bernard  et  Suger,  la  foi  grandit,  les  mœurs  s'épurent. 
Au  XIIe  siècle,  «  tout  naît,  tout  resplendit  ensemble  comme 
par  une  même  explosion  ».  (N.  de  Caumont). 

L'architecture  gagne  en  pureté,  en  grâce,  en  élégance, 
et  se  montre  parée  de  toutes  ses  richesses,  ornée  de  ces 
broderies  de  pierre  qui  lui  valent  le  gracieux  surnom  de 
roman  fleuri. 

Vastes  catéchismes  vivants,  les  églises  offrent  un  ensei- 
gnement complet  avec  leurs  fresques  impressionnantes, 
leurs  austères  statues,  leurs  figures  d'un  mysticisme 
étrange,  leurs  verrières  aux  couleurs  profondes  et  chaudes, 
où  «  des  saints  de  lumière,  de  mystérieux  personnages, 
raides  en  leur  pourpre  violacée  ou  en  leur  tunique  de  lin, 
graves,  éloquents,  solennels,  nous  font  voir,  formée  de 
mille  paillettes,  de  mille  éclats  multicolores,  l'âme  fran- 
raise  comme  dans  un  kaléidoscope.  »  (Guy  de  Cassagnac.) 
«  Le  soleil,  en  les  traversant,  jette  sur  les  dalles  l'ondoyante 
richesse  des  tapis  d'Orient;  et  là-haut  resplendit  un  im- 


—  19  — 

mense  écrin  de  diamants,  de  saphirs,  de  rubis,  d'émeraudes. 
Les  fonds  bleus,  ou  plus  souvent  pourpres,  réchauffent  de 
leurs  flammes  assombries  la  pénombre  des  basses  nefs. 
Tout  en  haut,  au  sommet  des  parois,  une  lumière  surna- 
turelle éclate,  faite  de  pierreries  et  d'émeraudes  en  fusion; 
dans  la  Jérusalem  étincelante,  de  grandes  figures  se  dressent 
en  pied,  le  Christ,  la  Vierge,  les  apôtres,  les  saints.  Ils 
semblent  vêtus  des  tendres  clartés  de  l'aube  et  des  lueurs 
profondes  du  couchant.  C'est  l'amour  et  l'extase,  et  dans 
cet  acte  d'amour  respire  encore  l'âme  populaire.  »  (André 
Pératé,  l'Art  chrétien  au  moyen  âge). 

Oui,  c'est  un  vaste  amour  qu'au  fond  de  vos  calices, 
Vous   buviez   à   plein   cœur,   moines  mystérieux   ! 
La  tête  du   Sauveur  errait  sur  vos  cilices 
Lorsque  le  doux  sommeil  avait   fermé  vos  yeux, 
Et,  quand  l'orgue  chantait  aux  rayons  de  l'aurore, 
Dans  vos  vitraux  dorés  vous  la  cherchiez  encore. 
V3us  aimiez  ardemment  !  oh  !  vous  étiez  heureux  ! 

(Alfred  de  Musset). 

Inutile,  Messieurs,  d'énumérer  tous  les  caractères  du 
roman,  mais  comment  oublier  le  clocher?  «  Quand  notre 
piété  veut  s'envoler  aux  nues,  le  fin  peuplier  qui  monte 
et  qui  chante,  ciselé  de  feuilles  trouées  de  lumières,  devient 
la  flèche  des  églises,  où  le  vent  peut  chanter  aussi  dans 
les  dentelles  ajourées.  Le  trèfle  et  la  pâquerette  s'élargissent 
en  rosaces,  le  liseron  se  coule  en  bronze  pour  devenir  la 
cloche,  le  coq  des  Gaules  se  perche  au  faîte  du  clocher  et 
la  cathédrale  est  finie.  »  (Edmond  Haraucourt,  la  Patrie 
donne  l'art.) 

Finie,  en  effet,  avec  le  clocher,  et,  sans  lui,  inachevée 
la  cathédrale,  incomplète  l'église  rustique.  Ah  !  la  poésie, 
l'amour,  la  nostalgie  du  clocher ,  qui  ne  les  a  chantés  , 
ou,  du  moins,  ressentis  ?  N'est-il  pas  l'âme  du  village  ? 
A  sa  vue,  le  voyageur  fatigué  se  ranime,  le  regard  du 
pèlerin  rayonne;  son  souvenir  attendrit  l'exilé,  sa  pensée 
console  le  marin  et  le  berce  sur  les  mers  lointaines  ;  sa  voix 


—  20  — 

soii'>rc  cl  douce,  qui  prend  toutes  les  inflexions  :  [trière, 
plainte,  joie,  terreur,  la  cloche,  en  un  mot,  écho  de  la  voix 
de  Dieu,  trouve  elle-même  un  écho  dans  le  cœur  du  labou- 
reur, soil  qu'elle  règle  ses  piétinements  sur  la  glèbe, 
soil  qu'elle  marque  ses  étapes  sur  le  chemin  de  la  vie.  Si 
vif  était  le  regret  des  cloches  au  lendemain  de  la  Révo- 
lution qu'en  maintes  bourgades,  et  non  des  plus  h  ventes, 
-  c'est  Taine  qui  le  raconte  les  paysans,  ai.  mépris 
des  règlements  et  de  la  police,  s'obstinaient  à  rattacher 
les   cordes  pour  avoir  la   joie  d'entendre  tinter  VAnijehis. 

Peut-être  une  dernière  inspiration  eût-elle  porté  le 
style  roman  à  une  telle  perfection  qu'il  fût  devenu  la  for- 
mule définitive  de  l'art  chrétien,  mais  déjà  l'ogive  était 
née....  en  France,  Messieurs,  et  non  en  Orient,  où  ce  sont 
les  Croisés  qui  la  firent  connaître.  Le  vicomte  Melchior 
de  Vogué  l'a  démontré,  avec  preuves  à  l'appui,  au  grand 
déplaisir  des  snobs  qui,  donnant  un  sens  inattendu  au 
vers  célèbre  du  vicomte  de  Bornier  : 

Tout  homme  a  deux  pays  :  le  sien  et  puis  la  France, 

ont  d'abord  un  pays  dont  ils  raffolent  sottement,  puis  la 
France,  qu'ils  dénigrent  à  tout  propos.  Comme  si  un  fils 
devait  déchirer  le  sein  de  sa  mère  !  France  d'abord  I 
Messieurs, 

Dès  le  milieu  du  XIIe  siècle,  l'arc  en  tiers  point  s'associe 
au  plein  cintre,  d'où  le  nom  de  roman  de  transition,  et 
le  remplace  définitivement  à  partir  du  XIIIe  siècle  ou, 
au  plus  tard,  au  commencement  du  XIVe  en  certaines 
régions. 

•  D'où  vient  cette  magnifique  efflorescence  qui  signale 
le  XIIIe  siècle  et  se  manifeste  surtout  peut-être  dans 
l'architecture?  De  l'influence  excellemment  bienfaisante 
de  l'Eglise,  qui,  sauvant  tout  ce  qu'on  peut  sauver  de  la 
culture  humaine,  créant  partout  des  centres  d'industrie 
et  d'agriculture  autour  desquels  viennent  se  grouper  les 
villages,  bâtissant  des  lieux  de  prière,  qui  sont  en  même 


—  21   — 

temps  des  asiles,  des  musées,  des  écoles,  des  hôtelleries. 
«  donnant  non  seulement  le  pain  du  corps,  mais  celui  de 
l'orne,  par  ses  innombrables  légendes  de  saints,  par  'ses 
cathédrales  et  leur  structure,  par  ses  statues  et  leur  ex- 
pression, rendant  visible  le  royaume  de  Dieu  et  dressant 
le  monde  idéal  au  bout  du  monde  réel  comme  un  magni- 
fique pavillon  d'or  au  bout  d'un  enclos  fangeux  »  (Taine, 
les  Origines  delà  France  contemporaine),  restaure  la  dignité 
de  la  femme,  rend  la  liberté  à  l'esclave,  prêche  l'égalité 
devant  la  loi,  la  fraternité  dans  le  Christ,  et,  travaillant 
à  consolider  la  monarchie,  fonde  définitivement  la  natio- 
nalité française.  «  Ce  sont  les  évêques  qui  ont  fait  la 
France  »,  a  dit  Gibbon. 

Si  le  prodigieux  épanouissement  du  XIIIe  siècle  attei- 
gnit son  apogée  sous  saint  Louis,  c'est  que,  portant  le 
triple  fleuron  de  la  sainteté,  de  la  justice  et  de  la  vaillance, 
le  fils  de  Blanche  de  Castille  fut  l'idéal  du  chevalier  et  du 
chef  d'Etat  chrétien.  Le  nom  français  resplendit  alors 
d'un  éclat  incomparable,  notre  langue  devient  en  quelque 
sorte  universelle,  de  toutes  parts  les  étudiants  affluent 
pour  suivre  les  cours  de  notre  Université,  issue  de  l'école 
épiscopale  de  Notre-Dame.  N'est-ce  pas  véritablement 
le  siècle'  d'or  : 

Où  tous  nos   monuments  et   toutes  nos  croyances 
Portaient  le   manteau  blanc  de  leur  virginité  ? 

Où    Cologne  et   Strasbourg,  Notre-Dame  et  Saint-Pierre. 

S'agenouillant  au  loin  dans  leurs  robes  de   pierre, 

Sur  l'orgue  universel  des   peuples  prosternés 

Entonnaient  l'hosanna  des  siècles  nouveau-nés  ? 

Le  temps   où   se  faisait  tout  ce  qu'a  dit  l'histoire; 

Où  sur  les  saints  autels  les  crucifix  d'ivoire 

Ouvraient  des  bras  sans  tache,  et  blancs  comme  le  lait  ; 

Où  la  Vie  était  jeune,       -  où  la  Mort  espérait? 

(A.  de  Musset) 

«  On  vient  de  toutes  parts  admirer  les  merveilles  de  notre 
architecture  »  (abbé  Houdebine),  car  elle  «  traduit  l'esprit 


22 


d'une  époque  où  le  sentiment  religieux  était  arrivé  à  sa 
maturité  suprême  et  où  la  civilisation  chrétienne  porta 
ses  fruits  les  plus  charmants  et  les  plus  doux  »  (Michiels). 

Donnant  un  tour  oratoire  à  l'un  des  plus  beaux  passages 
du  comte  de  Montalembert,  Monseigneur  Besson  s'écrie  : 
«  Plus  haut  !  plus  haut  !  L'Eglise  souffle  sur  les  piliers 
de  cet  édifice,  elle  les  orne  de  colonnettes  amincies,  elle 
les  dégage  de  toutes  les  lignes  horizontales  et  de  toutes 
les  corniches  :  il  faut  que  tout  jaillisse  et  s'élance  vers  le 
ciel.  Voilà  votre  cathédrale  romane  transformée  en  cathé- 
drale gothique  par  cette  noble  pensée. .  .  La  foi  monte, 
elle  ne  veut  plus  descendre.  Montez  comme  elle,  flèches 
de  pierre,  qui  portez  dans  les  airs  le  magnifique  témoi- 
gnage de  tous  les  arts  réunis,  dans  un  concert  d'admira- 
tion et  d'amour,  autour  des  autels  victorieux.  »  (Confé- 
rences). L'élancement,  la  direction  vers  le  ciel,  tel  est, 
en  effet,  le  caractère  distinctif  du  style  gothique. 

Du  dehors,  l'impression  est  «  une  forte  élévation  de  l'âme 
qui  cherche  avec  plus  d'amour  son  Créateur  en  voyant  une 
telle  œuvre  sortir  des  mains  de  la  créature.  »  (Paul  Lacroix). 
Mais  à  peine  a-t-on  franchi  le  seuil  de  ces  portails  majes- 
tueux, autour  desquels  toute  l'histoire  de  l'humanité 
est  gravée  dans  la  pierre  «  qu'on  ne  peut  se  défendre  d'une 
vive  exaltation,  d'une  sorte  de  tressaillement.  »  (A.  de 
Caumont).  «  Tout  est  oublié  de  notre  existence  chétive 
et  misérable;  celui  pour  qui  cette  enceinte  a  été  faite  est 
le  Fort,  le  Grand,  le  Magnifique  et  c'est  par  l'effet  d'une 
patiente  condescendance  qu'il  nous  reçoit  dans  son  saint 
habitacle,  nous,  faibles,  petits,  pauvres.  »  (Paul  Lacroix). 

Quels  siècles,  Messieurs,  que  ceux  où  surgirent  de  terre 
et  prirent  leur  vol  vers  le  ciel  ces  poèmes  de  pierre  qui 
s'appellent  Auxerre,  Bayeux,  Beauvais,  Bourges,  Chartres, 
Coutances,  Dijon,  Rouen,  Séez,  Sens,  Tours,  Amiens, 
«  que  les  archéologues  sont  à  peu  près  d'accord  pour  mettre 
au-dessus  de  toutes  les  cathédrales  gothiques  d'Europe  >., 
dit  Jean  Rameau,  la  basilique  de  Saint-Denis,  Notre-Dame 


—  23  — 

surtout,  qui  forme,  avec  la  Sainte-Chapelle  et  le  Louvre, 
la  trinité  architecturale  de  Paris  ! 

«  Quel  spectacle  moderne  peut  être  compare  à  celui 
qu'offre  notre  admirable  basilique  un  jour  de  fête  reli- 
gieuse? Que  sont  les  décors  du  plus  magnifique  opéra  à 
côté  des  trois  rosaces  de  Notre-Dame  de  Paris  et  de  la 
forêt  de  colonnes  où  déambulent  les  cinq  nefs?  Qu'est  la 
musique  de  nos  compositeurs  les  plus  célèbres,  exécutée 
par  les  orchestres  les  plus  variés,  quand  on  la  compare  à 
ces  terrifiantes  hymnes  antiques  tonnées  par  les  orgues? 
Quel  frisson  pour  les  vrais  artistes  !  »  (Jean  Rameau, 
Cathédralisons.) 

Ni  en  peinture,  ni  en  sculpture,  ni  en  musique  nous  ne 
pouvons  prétendre  à  la  palme.  L'Italie,  la  Grèce,  l'Alle- 
magne ont  produit  des  hommes  supérieurs  :  Raphaël  et 
Michel-Ange,  Phidias  et  Praxitèle,  Beethoven  et  Mozart. 
En  littérature  même,  si  notre  pléiade  est  de  beaucoup  la 
plus  nombreuse,  la  plus  variée,  offre-t-elle  des  génies  plus 
sublimes  qu'Homère,  Dante  ou  Shakspeare  ?  C'est 
discutable.  Mais,  comme  l'a  dit  Anthyme  Saint-Paul  : 
«  nous  avons  été  les  rois  de  l'architecture.  »  Et  ce  sont 
nos  cathédrales  gothiques  qui  donnent  au  monde  la 
plus  haute  idée  de  notre  génie.  Cologne,  d'ailleurs, 
n'a-t-elle  pas  été  copiée  sur  Amiens?  On  a  retrouvé  les 
plans.  La  perle  de  l'Espagne,  Burgos,  fut  sculptée  par  un 
français:  Jean  de  Bourgogne.  Et,  sans  la  conquête 
normande,  l'Angleterre  compterait-elle  autant  de  belles 
églises  ogivales  ?  Non  certes. 

Aussi  le  peuple,  reconnaissant  d'instinct  l'expression 
du  génie  national  dans  cet  art  d'une  originalité  puissante, 
d'une  grâce  naïve,  d'un  calme  austère,  l'adopta-t-il  pour 
toute  espèce  de  construction  :  pour  les  monastères,  tel 
que  le  Mont  Saint-Michel  avec  sa  Merveille  ;  pour  les 
hôtels  de  ville  et  les  beffrois,  dont  l'usage  tendait  à  se 
généraliser;  pour  les  maisons,  étroitement  serrées  dans 
des  remparts  que  les  nécessités  de  la  défense  ne  permettaient 
ni  d'étendre,   ni  surtout  de  supprimer  ;   pour  les  galeries 


—  24  — 

couvertes,  dont  M.  de  Caumont  cite,  dans  la  grande  rue 
de  Dol,  un  des  plus  curieux  spécimens  qu'il  m'ait  été  donné 
d'admirer;  pour  les  pouls  fortifiés  aux  superbes  arcades; 
pour  les  châteaux-forts  eux-mêmes,  dans  les  détails  du 
moins.  Au  XIV'  siècle,  l'usage  de  plus  en  plus  fréquenl 
de  l'artillerie  diminua  l'utilité  des  fortifications,  aux  dépens 
desquelles  s'accrurent  les  parties  habitées.  Quant  aux 
tours  à  signaux  des  Pyrénées,  notre  excellent  collègue 
M.  Gourdon,  un  fervent  de  ces  vallées  neigeuses  et  ver- 
doyantes, qui  nous  en  a  parlé  de  façon  si  précise  et  si 
captivante,  ne  me  pardonnerait  pas  de  les  passer  sous 
silence. 

En  ce  siècle,  Messieurs,  le  style  rayonnant  se  substitua 
au  style  à  lancettes  et  fut  lui-même  remplacé  au  XVe 
siècle  par  le  style  flamboyant.  De  l'un  à  l'autre  l'infério- 
rité est  incontestable.  D'où  vient-elle?  Des  circonstances 
politiques,  a-t-on  dit. 

Mais  si,  au  commencement  du  XVe  siècle,  la  France 
est  encore  envahie  par  l'ennemi  héréditaire,  Dieu  remet 
aux  mains  virginales  d'une  humble  bergère  l'épée  de  Notre- 
Dame  de  Fierbois  et,  au  nom  de  :  Jésusl  Mariel  Jeanne 
d'Arc  boute  l'Anglais  hors  de  France;  et  la  richesse,  l'abon- 
dance, la  prospérité,   succèdent  à  de  longues  calamités. 

On  la   sauve    aisément,  votre  admirable    France, 
Avec  la  nation  admirable  qu'elle  a, 

dit  du  Guesclin,  notre  grand  héros  breton,  à  Charles  VII, 
dans  la   belle  pièce  de  Déroulède. 

Le  siècle  précédent,  au  contraire,  ouvert  par  l'effroyable 
désastre  de  Court ray,  a  vu  les  sanglantes  défaites  de 
Crécy  et  de  Poitiers,  où  le  roi  Jean  a  été  fait  prisonnier, 
et,  après  la  hideuse  Jacquerie,  s'est  fermé  sur  la 
démence  de  Charles  VI. 

Non,  Messieurs,  ce  n'est  pas  aux  événements,  mais  à 
la  religion  qu'il  faut  demander  la  raison  de  cet  abaisse- 
ment de  l'art.  Quoique  très  vive  encore  au  XIVe  siècle, 
la  foi  est  déjà  moins  ardente.  «  Au  XVe  siècle,  les  artistes 


—  25  — 

étaient  nombreux  et  habiles,  mais  au  7,èle  religieux  qui 
les  animait,  au  XII1('  et  au  XIVe,  vint  se  substituer 
un  autre  sentiment  ,  Y  amour-propre,  et  le  désir  de 
briller.  S'ils  travaillaient  pour  l'amour  de  l'art  et  pour 
la  gloire  de  Dieu,  ils  pensaient  aussi  à  leur  propre  gloire, 
à  leur  réputation.  »  Vous  avez  entendu  M.  de  Caumont, 
Messieurs,  et  ce  simple  passage  suffirait  à  prouver  ma 
thèse,  maïs  laissez-moi  la  joie  d'y  ajouter  quelques  mots 
de  mon  père  :  «  Tout  ce  que  le  sentiment  humain  fit  entre- 
prendre clans  le  moyen  âge  fut  étroit,  incomplet,  nuisible 
ou  fréquemment  stérile;  tout  ce  que  le  sentiment  reli- 
gieux inspira  devint,  au  contraire,  fécond,  parfait  et  su- 
blime. »  Et,  après  un  tableau  des  bienfaits  du  christia- 
nisme et  de  ses  magnifiques  productions  architecturales, 
mon  père  fait  observer  que  nous  avons  peine  à  les  com- 
prendre parce  que  nous  ne  comprenons  plus  les  sentiments 
de  foi  qui  animaient  le  moyen  âge  et  que  «  ce  n'était  pas 
le  génie  seul  de  l'homme  qui  fonctionnait  avec  ses  modi- 
fications individuelles  et  son  éphémère  durée,  mais  la 
pensée  religieuse  se  transmettant  d'âge  en  âge  avec  la 
sublime  unité  du  vrai.  »  (Le  Maine  et  l'Anjou).  Ajoutons 
enfin  avec  Ruskin  :  «  Jusqu'ici,  tout  art  progressif  a  été 
religieux.  Le  début  des  périodes  de  décadence  est  marqué 
par  l'usage  des  romans  au  lieu  des  psaumes.  »  (Les  Matins 
de  Florence). 

De  cette  préoccupation  beaucoup  plus  humaine  nous 
avons  une  preuve  indéniable  dans  l'architecture  civile. 
Au  temps  de  vive  ferveur,  on  s'inquiétait  peu  de  sa  propre 
demeure,  on  ne  se  préoccupait  que  des  églises  -  -  il  yen  avait 
trente  dans  l'île  de  la  Cité,  qui  n'en  compte  plus  que  deux  — 
on  voulait  avant  tout  que  la  maison  de  Dieu  fût  belle  et 
bien  ornée.  Désormais,  on  s'avise  de  substituer  aux  logis 
exigus  et  incommodes  des  maisons  plus  agréables,  mieux 
ornées,  et  l'on  en  décore  les  façades  avec  ce  luxe  de  cise- 
lures, d'enseignes  et  de  sculptures  emblématiques  qui 
rendaient  les  rues  si  pittoresques.  L'hôtel  de  Jacques 
Coeur  est  un  des  plus  somptueux  monuments  de  ce  genre 


—  26  — 

et  nous  offre  ers  belles  Fenêtres  carrées,  ;iux  croisées  de 
picnc,  datant  «lu  milieu  du  XIVesiècle.  De  même,  les  châ- 
teaux-torts, tout  en  conservant  une  apparence  de  force 
militaire,  se  transforment  en  habitations  élégantes  et 
confortables.  Les  nouveaux  s'établissent  dans  les  plaines 
et  dans  les  vallées,  où  l'eau  est  en  abondance.  Presque  tous 
possèdent  des  oratoires  très  remarquables  par  leurs  détails 
et  la  finesse  de  leurs  sculptures.  Quant  à  ceux  qui  sont 
tombés  en  ruines,  il  est  interdit  de  les  relever  sans  la  per- 
mission du  roi,  et  Louis  XI  nourrit  trop  de  méfiance  à 
l'égard  des  grands  feudataires  pour  l'accorder  souvent. 
Par  contre,  il  favorise  la  construction  des  hôtels  de  ville 
et  des  beffrois,  signes  d'affranchissement  des  communes  (1). 

«  On  appelle  Renaissance  le  retour  aux  formes  antiques, 
comme  si  l'art  eût  sommeillé  pendant  l'ère  ogivale  et  l'ère 
romane  !!  »  dit  M.  de  Caumont.  Né  en  Italie,  où  l'on  s'était 
pris  d'admiration  pour  les  fastueux  décombres  de  la  Rome 
païenne,  le  style  de  la  Renaissance  n'était  pas  une  imitation 
servile  de  l'antiquité.  Il  se  caractérisait  par  la  multiplicité 
des  ordres,  des  revêtements  de  marbre  et  de  gracieux 
ornements,  lorsqu'il  s'introduisit  en  France,  à  l'occasion 
des  guerres  d'Italie.  François  Ier  surtout  s'enthousiasma 
pour  cet  art  élégant  et  communiqua  son  goût  à  son  brillant 
entourage.  Palais  et  châteaux  s'élevèrent  un  peu  partout, 
mais  de  préférence  sur  les  rives  de  la  Loire  :  Chantilly, 
Saint-Germain,  la  Muette,  Azay-le-Rideau,  Chenonceaux, 
Chambord,  ce  fantastique,  cet  indescriptible  Chambord, 
où    le   génie   français   semble   protester   encore   contre   le 


(1)  Du  xve  siècle  datent  la  Cathédrale,  continuée  au  xvne, 
et  terminée  au  xix  .  grâce  à  Mgr  Fournier,  la  porte  Saint- 
Pierre,  l'Hôtel  de  Ville,  réparé  et  augmenté  au  xvir  par  le 
maire,  Claude  de  Cornulier,  le  Château,  reconstruit  par 
François  II  et  la  duchesse  Anne,  sa  fille,  qui  y  épousa 
Louis  XII.  la  chapelle  de  Saint-Antoine  de  Pâdoue . 
aujourd'hui  l'Immaculée  -  Conception ,  le  manoir  de  la 
Touche,  etc. 


—  27  — 

goût  étranger,  car  on  ne  change  pas  par  un  seul  acte  de 
sa  volonté  les  traditions  de  tout  un  peuple.  Aussi,  pendant 
un  demi-siècle,  les  ornements  du  gothique  s'allièrent-ils 
aux  arabesques,  et  c'est  même  à  cette  période  d'oscilla- 
tion que  s'applique,  à  proprement  parler,  le  mot  de 
Renaissance. 

Bien  que,  par  une  de  ces  réactions  dont  l'esprit  français 
est  coutumier,  on  traite  aujourd'hui  de  barbare  le  style 
de  la  Renaissance,  après  avoir,  pendant  trois  siècles, 
appliqué  cette  épithète  au  style  gothique,  on  ne  peut 
méconnaître  qu'il  produisit  des  œuvres  pleines  de  grâce 
délicate  et  riches  d'ornementation  ;  mais  ,  lorsque 
«  la  gangrène  fut  partout,  s'attaquant  à  la  foi,  aux  tradi- 
tions, aux  mœurs  »  (E.  de  la  Gournerie,  Histoire  de  Paris 
et  de  ses  monuments),  tout  devint  dur,  tapageur,  tout 
l'élégant  système  de  décoration  :  grands  combles,  hautes 
lucarnes,  tourelles  en  encorbellement,  etc. .  . ,  disparut  à 
la  fois.  La  décadence  de  l'architecture  suivit  celle  de  la 
religion  et  de  la  morale. 

Quelles  sont  les  causes  de  la  Renaissance?  Assez  com- 
plexes :  découverte  des  manuscrits  de  Vitruve,  retour 
vers  la  littérature  et  l'art  païens,  émancipation  des  laïques, 
progrès  des  richesses,  goût  du  luxe  et,  somme  toute,  affai- 
blissement de  l'esprit  chrétien,  dégénérant  peu  à  peu  en 
raffinement  et  en   mollesse. 

De  là  vient  que  si,  à  ses  débuts,  elle  put  produire,  grâce 
à  Michel  Colombe,  cette  exquise  chapelle  de  Saint-Thomas, 
dont  la  démolition  laisse  Nantes  inconsolable,  «  il  suffit 
d'observer  sans  prévention  l'aspect  magnifique  des  grands 
édifices  du  moyen  âge  pour  se  convaincre  que  le  style 
ogival  convient  mal  à  nos  temples,  auxquels  il  imprime 
un  caractère  solennel,  que  n'offrent  point  en  ce  genre 
les  imitations  plus  ou  moins  heureuses  de  l'architecture 
antique  »,  a  dit  M.  de  Caumont.  «  Il  n'est  plus  permis  au 
génie  d'innover,  comme  au  moyen  âge,  de  créer  de  nouvelles 
expressions  pour  des  pensées  nouvelles;  il  ne  lui  est  plus 
permis  de  faire  parler,   de  faire  prier  la  pierre,   comme 


—  28  — 

l'avaient  fait  ces  maîtres-maçons  des  XIIIe  et  XIVe  siècles, 
qui  savaient  atteindre  aux  dernières  limites  de  l'art  par 
la  seule  puissance  de  la  foi.  »  (E.  de  la  Gournerie).  Aussi 
le  style  ogival  persista-t-il  le  plus  généralement  dans 
l'architecture  religieuse  pendant  tout  le  XVIe  siècle.  Ce 
fut  même\sotis  le  règne  de  la  Bonne  Duchesse,  dont  M.  Dor- 
tel  vient  de  retracer,  dans  un  discours  éloquent  et  senti, 
les  qualités  et  les  vertus,  que  la  Bretagne  se  couvrit  de  ces 
églises  gothiques  dont  les  clochers  ont  inspire  a  .M.  Fuster 
une  de  ses  plus  belles  poésies  : 

Au  pays  d'Armorique,  au  pays  de  la  foi, 

Les  clochers  sont   à  jour,  et  je  nie  dis  :  «  Pourquoi  ? 

«  Pourquoi  ces  trous  béants,  ces  vides  du  granit  ? 
«  Est-ce  pour  les  oiseaux  et  la  place  d'un   nid  ?  » 

Non.  C'est  pour  respirer  l'espace,  pour  le  voir, 
Pour  boire  le  soleil,  pour  humer  le  vent  noir. 

Les  trous,  dans  le  granit,  guettent  comme  des  yeux  : 
Les  clochers  sont  à  jour  pour  mieux  fixer  les  cieux. 

Mais  surtout  on  leur  fit  ces  entailles  au  front 
Pour  bien  les  pénétrer  du   Dieu  qu'ils  chanteront. 

Que  ne  peut-on,  pour  mieux  se  pénétrer  d'amour, 
S'ouvrir  l'âme,  et  chérir  avec  un  cœur  à  jour  ! 

(Bretagne  :  heures  vécues.) 

L'activité  féconde  des  premières  années  du  siècle, 
ralentie,  presque  suspendue  par  les  guerres  religieuses, 
reprit  à  la  suite  de  l'édit  de  Nantes.  Sous  Henri  IV,  l'ar- 
chitecture fut  régulière  et  majestueuse,  mais  un  peu  lourde 
et  triste,  comme  si  le  morne  esprit  du  protestantisme 
avait  déteint  sur  elle.  N'est-ce  pas  d'ailleurs  à  cette  époque 
que  domine  le  goût  des  inscriptions  sentencieuses  sur  la 
façade  des  maisons?  Or,  dans  ses  Notes  sur  Cromwell, 
Victor  Hugo  parle  de  «  l'usage  que  les  fanatiques  avaient 
de  remplacer  leur  nom  de  baptême  par  quelque  sobriquet 
religieux,  tiré  pour  l'ordinaire  de  la  Bible,  ou  exprimant 
une  réflexion  pieuse.  » 

«  Au  XVIIe  siècle,  la  Erance  semble  passer  de  la  jeunesse 


—  29  — 

à  la  virilité.  Au  lieu  d'abandonner  l'imagination  à  elle- 
même,  nous  nous  appliquons  dès  lors  à  la  contenir  sans 
la  détruire. .  .  L'art  suit  le  mouvement  général  :  il  n'étin- 
celle  ni  n'éblouit,  il  parle  surtout  à  l'esprit  et  â  l'âme. 
En  général,  il  manque  un  peu  d'éclat  et  de  coloris,  mais 
il  est  au  plus  haut  point  expressif.  »  (Victor  Cousin,  le 
Bien,  le  Beau  et  le  Vrai). 

Les  peintures  murales  et  les  vitraux,  en  particulier, 
gagnent  en  dessin  ce  qu'ils  perdent  en  couleur.  Si  encore 
on  avait  conservé  les  anciennes  verrières  !  Mais,  les  progrès 
de  l'imprimerie  ayant  multiplié  les  livres  et  les  lecteurs, 
les  fidèles  murmurèrent  contre  l'obscurité  des  églises,  et 
des  œuvres  qui  avaient  coûté  des  sommes  et  des  peines 
considérables  furent  brisées  et  remplacées  par  des  vitres 
blanches. 

La  France,  en  effet,  qui  a  témoigné  sa  reconnaissance 
â  Dieu  pour  l'intervention  miraculeuse  de  Jeanne  d'Arc, 
en  combattant  l'incendie  allumé  par  Luther  et  Calvin 
et  en  l'empêchant  de  se  propager  dans  toute  l'Europe,  et 
qui  a  refusé  de  recevoir  un  roi  huguenot,  est  restée  attachée 
à  ses  traditions  catholiques.  Affaiblies  par  la  Renaissance 
et  par  la  Réforme,  elles  reprennent  une  nouvelle  vigueur 
sous  Louis  XIII.  C'est  l'âge  d'or  de  la  charité 
avec  saint  Vincent  de  Paul,  saint  François  de  Sales, 
Mme  de  Chantai,  Louise  de  Marillac,  etc.,  des  vertus  sacer- 
dotales avec  de  Rérulle  et  Olier,  éducateurs  du  clergé  ; 
de  l'héroïsme  apostolique  avec  les  généreux  missionnaires 
qui,  nouveaux  chevaliers,  vont  entreprendre  de  paci- 
fiques croisades  et  conquérir  à  la  foi  catholique  plus 
d'âmes  que  la  Réforme  ne  lui  en  a  fait  perdre.  Par 
réaction  contre  le  siècle  précédent,  les  mœurs  ont  même 
une  austérité  dont  l'excès  sera  le  jansénisme,  qui,  en 
éloignant  l'homme  des  sacrements,  favorisera  singuliè- 
rement les  débordements  du  XVIII1'  siècle. 

Mais  n'anticipons  pas.  A  ce  moment,  «  pour  qu'il  fût 
bien  manifeste  que  la  prospérité  de  notre  pays  n'a  pas 
d'autre  secret  que  sa  fidélité  à  soutenir  au  milieu  des  na- 


30 

tions  la  cause  de  Jésus-Christ,  on  vit  refleurir  une  ère  in- 
comparable de  civilisation  chrétienne  et  française.  » 
(France  catholique).  «  Jamais  l'essor  du  génie  de  la  France 
n'avait  été  marqué  par  un  plus  complet  ensemble  d'œuvres 
imposantes.  »  (E.  de  la  Gournerie).  Le  style  est  simple  et 
grandiose.  Ce  sont  :  le  Luxembourg,  la  Sorbonne,  le  Palais- 
Royal,  de  riches  hôtels,  des  hospices  et  des  hôpitaux,  où 
la  plus  haute  société  vient  seconder  les  admirables  Sœurs 
de  charité,  des  couvents,  des  églises  ou  chapelles  —  plus  de 
soixante  à  Paris.  -  L'illustre  Compagnie  de  Jésus,  qui 
faisait  alors  reconstruire  les  siennes,  propage  un  style  imité 
d'une  ordonnance  italienne  et  connu  sous  le  nom  de  style 
des  Jésuites. 

Une  seule  ombre  à  ce  tableau:  la  destruction  des  châ- 
teaux-forts, ordonnée  par  Richelieu.  Impitoyable  envers 
la  noblesse,  dont  il  poursuit  l'abaissement  sans  se  rendre 
compte  qu'en  plaçant  le  roi  trop  au-dessus  d'elle,  en 
l'isolant  de  ses  pairs,  il  en  rend  la  chute  plus  facile,  il  ne 
se  borne  pas  à  faire  tomber  des  têtes,  il  fait  démolir  ces 
forteresses  grandioses,  d'une  grâce  parfois  bizarre,  qui, 
escaladant  les  collines,  campées  à  pic  au-dessus  des  pré- 
cipices, chantaient  la  fière  chanson  de  la  croix  et  de  l'épée. 
Vandalisme  impardonnable  aux  yeux  de  l'archéologue,  du 
peintre  et  du  poète  ! 

Voici  venir  la  monarchie  auguste  de  Louis  XIV  !  Le 
Roi-Soleil!  A  ce  seul  mot,  ne  vous  semble-t-il  pas,  Messieurs, 
apercevoir ,  comme  dans  une  apothéose ,  un  pompeux 
cortège  de  grands  seigneurs  et  de  grandes  dames , 
empanachés,  pomponnés,  couverts  de  rubans  et  de  dentelles, 
accompagnant  le  monarque,  qui  descend  lentement  des 
terrasses  de  Versailles  et  d'un  pas  majestueux  parcourt 
les  jardins  tracés  par  Le  Nôtre ,  le  seul  en  ce  genre 
qui  ait  laissé  un  nom  en  Europe.  Jardins,  d'ailleurs, 
moins  que  salons  en  plein  air.  Il  fut  même  question  d'en 
arracher  les  fleurs,  les  parfums  déplaisant  au  roi,  et,  sottes 
adulatrices,     certaines    femmes    feignent    de    s'évanouir 


—  31  — 

à  la  vue  d'une  rose  !  Mais  quelle  magie  de  perspective  ! 
Par  une  large  allée,  le  regard,  se  prolongeant  sur  des 
pièces  d'eau  où  se  mirent  de  nobles  statues  de  bronze, 
se  perd  dans  des  lointains  sans  bornes.  De  l'autre  côté, 
c'est  un  palais  d'un  style  simple,  original,  austère  et  noble 
comme  la  poésie  de  Corneille  ou  la  prose  de  Descartes; 
car,  à  l'exemple  dé  Michel-Ange,  Mansard  a  abandonné 
la  multiplicité  des  ordres  et  les  minuties  de  la  décoration. 
Tout  paraît  large  et  ample  comme  le  pouvoir. 

Longtemps  dédaigné,  livré  à  l'abandon,  Versailles  a 
repris  pleine  faveur.  Vous  connaissez  le  nom  de  M.  de 
Nolhac.  Vous  savez  sans  doute  qu'une  Société  des  A.mis  de 
Versailles  s'est  formée.  Vous  avez  lu  plus  d'une  poésie 
consacrée  à  célébrer  le  charme  évocateur  et  puissant  de 
cette  royale  demeure.  Donc,  je  passe.  La  ville  seule  méri- 
terait une  visite  avec  ses  hôtels  somptueux,  aux  façades 
sculptées,  aux  escaliers  monumentaux,  à  l'aspect  seigneu- 
rial, qui  se  sont  élevés  subitement  autour  du  palais. 

Paris,  de  son  côté,  prit  un  caractère  de  splendeur  incom- 
parable :  d'imposantes  lignes  de  quais,  de  vastes  espla- 
nades, des  places  spacieuses,  donnèrent  l'espace  et  l'air 
nécessaires  aux  belles  perspectives.  Que  cette  grandeur 
ait  un  côté  théâtral,  je  le  veux  bien.  Louis  XIV  aimait 
le  théâtre  au  point  d'y  monter  lui-même.  Mais  c'est  encore 
de  la  grandeur,  et  tout  ce  siècle  est  rempli  par  le  dévelop- 
pement des  éléments  de  grandeur  amassés  par  le  Béarnais. 
En  un  mot,  c'est  le  grand  siècle.  «  Paris,  dit  un  célèbre 
voyageur  anglais,  semble  un  anneau  dont  le  Louvre  ou 
le  palais  du  Roi  serait  le  diamant,  et  je  ne  pense  pas  qu'il 
y  ait  dans  le  monde  entier  une  autre  ville  qui  l'égale. .  . 
Partout  les  maisons  sont  élevées  et  majestueuses...  On 
a  renoncé  à  la  brique,  encore  en  usage  au  commencement 
du  siècle. .  .  Cette  noblesse  a  beaucoup  de  goût  pour  le 
luxe  digne  d'approbation  des  bâtiments  et  des  meubles. .  . 
J'ai  vu,  dit-il,  dans  une  visite  aux  hôpitaux,  des  gens  de 
condition  soigner  eux-mêmes  les  malades.  »  (Voyage  de  Lister 
à  Paris.)  En  effet,  la  charité  ne  s'est  pas  ralentie  sous  le 

Soc.  Archéol.  Nantes.  3 


32 


règne  de  Louis  XIV.  Pendant  les  années  calamiteuses, 
«  les  aumônes  dont  le  clergé  était  le  dispensateur  éclairé 
furent  énormes,  les  ordres  religieux  firent  partout  les  plus 
généreux  emploi  des  biens  ecclésiastiques  et,  grâce  à  eux 
surtout,  les  familles  indigentes  ne  moururent  pas  de  faim.  » 
(Paul  Lacroix.) 

L'importation  du  dôme  fut  la  principale  pour  ne  pas 
dire  la  seule  innovation  en  architecture  religieuse.  «  S'il 
rappelait  un  autre  génie  que  le  nôtre,  il  nous  apparaissait 
du  moins  comme  un  dernier  souvenir  de  Dieu  planant 
sur  nos  villes.  Le  dôme  du  Val-de-Grâce  marque  magni- 
fiquement sous  ce  rapport  la  jeunesse  de  Louis  XIV;  le 
dôme  des  Invalides  marque  encore  dignement  ses  derniers 
jours.  »  (E.  de  la  Gournerie). 

Le  roi  mort,  tout  s'écroule.  «  Décadence  dans  les  arts 
comme  dans  les  mœurs  et  dans  la  grandeur  nationale  » 
(Baron  de  Wismes,  le  Maine  et  l'Anjou).  Or,  Diderot  lui- 
même  en  fait  l'aveu,  la  religion  est  l'unique  base  de  la 
morale.  Donc  c'est  elle  qui  recevra  les  premiers  coups. 
L'impiété  est  mise  à  la  mode.  Dans  la  maison  de  fous 
d'Arusca,  près  de  Naples,  on  a  tressé  les  grillages  en 
forme  d'herbages  et  de  fleurs  pour  dissimuler  aux 
malheureux  leur  captivité.  De  même ,  les  philosophes 
épicuriens  cherchent  à  faire  oublier  à  la  société  qu'elle 
a  perdu  la  liberté  chrétienne  pour  tomber  sous  l'esclavage 
de  ses  passions,  en  lui  peignant  sous  les  couleurs  les  plus 
séduisantes  les  horizons  fictifs  destinés  à  lui- masquer  le 
ciel.  Ne  sont-ce  pas  des  fous  aussi  que  ces  hommes  portant 
ridicules  ou  pantins  mécaniques  dont  ils  s'amusent  à  tirer  les 
ficelles,  juchés  sur  de  hauts  talons,  coiffés  de  perruques  à 
marteau  ;  ces  femmes  aux  visages  cramoisis  par  le  fard, 
criblés  de  mouches  aussi  bizarres  de  formes  que  les  signes  du 
zodiaque,  aux  oiffures  hérissées,  aux  robes  à  paniers,  aux 
prétentieux  falbalas  ?  «Sur  leur  front  dur  respirent  l'égoïsme 
et  le  mépris  de  Dieu,  ils  ont  perdu  la  noblesse  de  l'habit  et 
la  pureté  du  langage  :  on  les  prendrait,  non  pour  les  fils,  mais 


33 


pour  les  baladins  de  la  grande  race  qui  les  a  précédés. 
(Vicomte  de  Chateaubriand.)   Ils  sont  tombés  bien  bas, 
car  l'orgueil  est  la  porte  de  toutes  les  déchéances. 

S'amusent-ils  du  moins?  Ne  le  croyez  pas.  «  On  était  si 
prompt  à  s'ennuyer  alors  !  on  bâillait  si  vite  et  si  démesu- 
rément qu'il  fallait  bien  chercher  à  tuer  l'ennui  !... 
C'est  l'ennui  qui  tue  Louis  XV,  qui  l'oblige  d'être  toujours 
en  mouvement.  »  (Paul  Lacroix).  On  bavarde,  on  badine, 
on  s'occupe  à  des  riens  :  tapisserie,  parfilage,  découpures 
coloriées,  on  lit  des  contes  de  fées,  on  lance  même  des  cerfs- 
volants,  mais  plus  rarement,  parce  qu'on  aime  moins  le 
grand  air  que  l'appartement.  «  Le  vrai  soleil,  c'est  la 
clarté  des  bougies,  et  le  plus  beau  ciel  est  un  plafond  peint  »', 
dit  Taine.  A  force  de  se  divertir,  on  ne  s'amuse  même 
plus. 

Au  fond  des  vains  plaisirs   que  j'appelle  à  mon  aide, 
J'éprouve  un  tel  dégoût  que  je  me  sens  mourir, 

c'est  le  cri  de  tous  les  débauchés. 

Etonnez-vous,  après  cela,  de  cet  art  nouveau,  extraor- 
dinaire ,  presque  bouffon  ,  qui  ne  mérite  même  plus 
le  nom  d'art,  car  il  manque  à  ses  lois  essentielles. 
Le  beau,  en  effet,  a  disparu  pour  faire  place  au  joli,  le  joli 
étant  seul  réalisable  sans  la  foi;  or  le  joli,  en  art,  n'est  que 
la  forme  agréable  du  laid;  le  joli  est  éphémèr  .  exécrable,  il 
n'existe  pas.  Qu'est-ce  que  cet  entortillage  de  lignes, 
vagues,  complexes,  qui  ne- sont  ni  positivement  continues 
ni  positivement  brisées,  cette  absence  de  toute  forme,  de 
toute  surface  nettement  définie  ?  C'est  le  rococo.  La  dé- 
pravation du  goût  a  suivi  pas  à  pas  celle  des  mœurs. 
«  Le  style  Louis  XV,  dit  M.  de  la  Gournerie,  représente 
la  débauche  de  l'esprit  comme  Y  Encyclopédie  représentait 
le  dévergondage  de  la  pensée.  Qui  ne  reconnaît  les  monu- 
ments des  siècles  de  vive  foi  et  les  monuments  des  siècles 
d'affaiblissement  moral?  Les  uns  vivants,  parlants,  comme 
tout  ce  qui  naît  de  l'inspiration,  les  autres  bizarres  et 
froids,  comme  tout  ce  qui  naît  du  caprice  ou  de  l'étude. 


—  34  — 

A  voir  le  XVIII*1  siècle  on  dirait  une  société  prise  de  ver- 
tige. »  Oui,  c'est  un  carnaval,  mais  funèbre  comme  une 
danse  macabre,  où  le  rire  sonne  faux  et  masque  mal  les 
misères  du  cœur  ! 

Ecoutez  cet  autre  cri  plaintif  du  poète  de  l'Espoir  en 
Dieu,  qui  leur  fait  écho  de  l'autre  côté  du  siècle  : 

Je  souffre,  il  est  trop   tard;  le  monde  s'est  fait  vieux. 
Une  immense   espérance   a  traversé  la  terre; 
Malgré  nous   vers   le  ciel  il  faut  lever  les  yeux  I 

Cette  société  souffre,  parce  qu'il  lui  manque  Dieu. 

Mais  telle  qu'un  malade,  étouffant  dans  l'air  vicié  de 
sa  chambre,  et  n'ayant  plus  la  force  de  se  lever  et 
d'ouvrir  les  fenêtres,  se  retourne  sur  son  lit  pour  trouver 
du  soulagement,  à  peine  le  nouveau  règne  commencé, 
elle  se  jette  d'un  excès  dans  un  autre.  A  la  recherche  suc- 
cède la  simplicité,  oh  !  une  simplicité  trop  affectée  pour 
être  sincère.  L'impertinent  silence  -des  lorgneurs  et  des 
physionomistes  est  même  plus  irritant  qu'un  intarissable 
babil;  les  grandes  démonstrations,  cris,  larmes,  pâmoisons, 
rêveries,  embrassades,  ne  procèdent  d'aucun  sentiment 
vrai,  mais  sont  les  marques  écœurantes  d'une  fade  sen- 
siblerie. Quant  aux  modes,  elles  ne  sont  pas  moins  extra- 
vagantes, que  dis-je?  «  les  toilettes  les  plus  outrées  du 
règne  de  Louis  XV  sont  de  la  modération  auprès  de  celles 
qui  parurent  en  1776,  1777,  1778.  »  (Quicherat,  Histoire 
du  costume  en  France). 

Mais,  du  moins,  la  vertu  peut  se  montrer  en  public  sans 
craindre  le  ridicule  et  sans  être  offusquée  par  la  vue  du 
scandale.  Et,  s'il  est  vrai,  comme  le  dit  Dejaure  dans 
deux  vers  de  Montano  et  Stéphanie,  vers  assez  niais  d'ail- 
leurs et  de  français  incorrect  (c'est  le  blé  qui  lève,  mais  non 
l'aurore,  n'est-ce  pas,  M.  Bazin  ?) 

Quand  on  fut  toujours  vertueux. 
On  aime  à  voir   lever  l'aurore, 


35 


on  peut  se  faire  une  haute  idée  de  l'état  moral  de  cette 
société,  car  jamais  l'on  ne  s'éprit  à  ce  point  des  spectacles 
de  la  nature.  La  campagne,  les  prés  fleuris,  les  petits  oiseaux, 
la  vie  sauvage,  les  forêts  vierges,  tout  cela  attendrit  et 
enthousiasme.  On  a  tant  vécu  de  l'existence  artificielle 
et  sèche  des  salons  que,  par  réaction  toujours,  on  éprouve 
le  besoin  de  se  mettre  au  vert.  Vivent  donc  les  fêtes  cham- 
pêtres, les  bergeries,  les  pastorales,  les  goûters  sur  l'herbe! 
On  dirait  des  écoliers  en  vacances. 

A  Trianon,  que  le  roi  abandonne  à  Marie-Antoinette, 
la  jeune  reine  s'arrange  un  village  dont  l'aspect  contraste 
avec  le  parc  élégant  et  sévère  qu'il  côtoie.  C'en  est  fait 
des  jardins  français  avec  leurs  cascades,  leurs  statues, 
leurs  décorations  raides  et  pompeuses.  Vivent  la  fantaisie, 
l'indépendance,  cet  aspect  de  demi-campagne  qu'offrent 
les  jardins  anglais;  car  l'anglomanie  sévit  intense,  à  ce 
point  que  les  élégants  se  coiffent  des  affreux  petits  chapeaux 
empruntés  par  nos  voisins  à  leurs  palefreniers.  Ne  rions 
pas.  N'a-t-on  pas  vu  la  raie  du  pantalon  adoptée,  parce 
qu'Edouard  VII  l'avait  portée  aux  courses  de  Godwood?Or, 
le  roi,  éclaboussé  en  s'y  rendant,  avait  tout  simplement 
acheté  un  vêtement  neuf  au  premier  tailleur  venu  ! 

Le  style  atteint  une  pureté  dont  nons  pouvons  d'autant 
mieux  juger  que  plusieurs  de  nos  monuments,  dus  àCeineray, 
à  Crucy  et  à  leurs  émules,  et  la  plus  grande  partie  de  notre 
ville,  le  quartier  Graslin  surtout,  lui  appartiennent,  «  Ange 
Gabriel  est  le  créateur  de  ce  style  Louis  XVI  qui  permet 
d'être  noble  en  demeurant  familier,  qu'on  a  baptisé  à 
tort  de  transition  ;  il  n'est  pas  transitif,  c'est-à-dire  en 
décadence,  il  est,  au  contraire,  à  un  point  de  perfection 
si  absolu  qu'il  peut  satisfaire  aux  besoins  les  plus  différents 
et  contenter  tout  le  monde.  »  (Albert  Flament,  Ange 
Gabriel.)  Certes,  les  appartements  sont  spacieux  et  com- 
modes et  les  façades  offrent  ce  cachet  de  sobriété,  de 
simplicité  et  d'élégance  qui  constitue  la  vraie  distinction. 
Mais  d'aucuns  reprochent  à  ce  style  d'être  un  peu  pauvre 
et  moi-même,  tout  plein  d'admiration  que  je  sois  pour  les 


36 


belles  lignes  de  nos  cours,  je  ne  puis  cependant  les  trouver 
aussi  amusantes  que  ces  vieilles  masures  encore  debout, 
ces  logis  pittoresques  qui  inspirèrent  à  Sully -Prudhomme 
la  pièce  célèbre  qui  commence  ainsi  : 

Je  n'aime  pas  les    maisons  neuves  : 
Leur  visage   est  indifférent. 
Les   anciennes  ont  l'air  de   veuves 
Qui  se   lamentent  en  pleurant. 

Quant  à  Paris,  «il  se  développa  et  s'embellit  dans  des 
proportions  merveilleuses...  Et  ce  n'étaient  pas  seule- 
ment des  rues  qui  s'ouvraient,  c'étaient  des  monuments 
qui  s'élevaient  à  tous  les  coins  de  la  ville  :  les  uns  créés 
pour  le  plaisir,  les  autres  produits  par  ce  besoin  de  piété 
et  d'intelligentes  améliorations  qui  était  dans  le  cœur 
du  roi. .  .  Jamais  essor  ne  fut  plus  rapide,  jamais  grandes 
et  généreuses  pensées  ne  trouvèrent  plus  d'interprètes.  » 
(E.  de  la  Gournerie). 

Louis  XVI,  en  effet,  ne  chercha  jamais  que  le  bien  du 
peuple;  et  ce  peuple,  resté,  non  seulement  dans  les  cam- 
pagnes, mais  à  Paris  même  catholique  et  pratiquant, 
ne  cessait  du  matin  au  soir  de  faire  entendre  aux  abords 
du  palais  le  cri  de  :  Vive  le  Roi  !  Pendant  le  rigoureux 
hiver  de  1784,  Sa  Majesté  allait  tous  les  soirs,  à  pied,  dans 
la  neige,  pour  voir  si  on  avait  allumé  dans  la  rue  des 
feux  pour  les  indigents.  Aussi,  lorsque  se  font  sentir  les  pre- 
mières secousses  d'une  Révolution  qui  se  couvre,  dit 
Taine  :  «  des  grands  mots  de  liberté,  justice,  bonheur 
public,  dignité  de  l'homme,  si  beaux  et  en  outre  si  vagues, 
quelle  intelligence  peut  en  prévoir  toutes  les  applications? 
tous  se  rassurent,  le  gouvernement  comme  les  hautes 
classes,  en  songeant  au  bien  qu'ils  ont  fait  ou  voulu  faire. 
Aucun  gouvernement  ne  s'est  montré  plus  doux,  aucun 
prince  n'a  été  plus  humain,  plus  charitable,  plus  préoc- 
cupé des  malheureux  ;  il  est,  après  Turgot,  l'homme  de 
son  temps  qui  a  le  mieux  aimé  le  peuple.  » 

Mais,   depuis  longtemps,   le  trône  était  miné  par  une 


—  37  — 

sourde  propagande,  à  laquelle  le  jansénisme  avait  prêté 
une  aide  inconsciente;  cause  indirecte  de  l'expulsion  des 
Jésuites,  il  avait  privé  l'Eglise  de  ses  plus  fermes  soutiens  : 

Voltaire  jette  à  bas  tout  ce   qu'il  voit   debout. 

La  Révolution  s'en  prend  à  la  religion  et  à  la 
rovauté  d'abord,  ensuite  à  la  famille,  qu'elle  sape  par 
le  divorce,  puis  à  la  propriété,  qu'elle  supprime  par  la 
confiscation,  enfin  à  la  liberté,  qu'elle  ruine  par  une  vaste 
machine  de  centralisation  administrative,  dont  il  suffit 
de  tenir  le  moteur  pour  être  maître  de  la  nation  et  la 
broyer  dans  les  engrenages. 

Il  pleut,  il  pleut,  bergère, 
Ramène  tes  moutons, 

fredonne  Marie- Antoinette  dans  les  parages  de  Trianon. 

Oui,  ramène-les  bien  vite,  ô  Reine,  car  il  pleut  !..  .  il 
pleut  du  sang,  il  en  tombe  de  larges  gouttes,  qui  vont  ruis- 
seler sur  la  France  et  la  rendront  un  objet  d'épouvante 
et  d'horreur  pour  l'univers. 

«  Après  les  sophistes  viennent  les  bourreaux  »,  a  dit 
Donoso  Cortès.  Viennent  aussi  les  démolisseurs.  Les  têtes 
tombent,  mais  les  monuments  tombent  aussi,  et,  jusqu'en 
ses  destructions ,  la  France  nous  offre  l'image  d'une 
surprenante  concordance  entre  son  histoire  et  son  archi- 
tecture. Ruines  religieuses,  morales,  sociales,  d'un  côté  : 
de  l'autre,  ruines  matérielles.  La  prise  de  la  Bastille  arrête 
net  toute  construction.  Il  semble  que  l'on  soit  revenu  à 
la  veille  de  l'an  mille.  Louis  XV  a-t-il,  dans  un  instant 
d'ivresse  ou  d'oubli,  prononcé  cette  parole  qui,  si  elle 
était  sérieuse,  serait  la  plus  abominable  trahison  envers 
le  principe  monarchique  :  «  Après  nous  la  fin  du  monde  »  ? 
J'en  doute;  mais,  en  vérité,  tout  paraît  devoir  sombrer 
dans  un  effroyable  cataclysme. 

Et  la  France,  cette  fois,  ne  se  trompe  guère.  Au  lieu 
des  vaines  terreurs,  elle  subit  la  vraie  Terreur,  celle  qui 
n'épargne  ni  rang,  ni  âge,  ni  sexe,  et  se  déchaîne  en  par- 


—  38  - 

ticulier  sur  noire  malheureuse  ville  de  Nantes  dans  toute 
sa  tragique  horreur  :  d'un  côté  ,  périssent  800. 000  vic- 
times ;  de  l'autre,  2.500  maisons  religieuses,  dont  un 
grand  nombre  étaient  des  édifices  gothiques  admirable- 
ment conservés;  40.000  églises,  la  plupart  très  précieuses; 
les  palais  royaux,  les  châteaux,  les  hôtels  les  plus  fameux 
et  les  plus  magnifiques,  sont  confisqués  par  l'Etat,  qui  les 
mutile,  les  abat,  les  loue  ou  vend  à  vil  prix,  ou  les  laisse 
dans  un  tel  abandon  que  Napoléon  dut  consacrer  des 
sommes  énormes  rien  que  pour  la  restauration  du  Louvre 
et  des  Tuileries.  «  Il  n'est  pas  une  des  rues  de  Paris  qui  ne 
porte  la  trace  de  cette  hideuse  époque  » ,  dit  M.  de  la 
Gournerie.  Sous  la  Terreur,  on  y  comptait  6.000  hôtels 
vides,  et,  dans  les  provinces,  les  villes  étaient  à  moitié 
désertes. 

Tel  est,  Messieurs,  le  bilan  de  la  Révolution  au  point 
de  vue  architectural  :  c'est  un  passif  de  faillite.  Comme 
actif,  qu'a-t-elle  à  nous  offrir  ?  Rien.  Oh  !  elle  tenta, 
je  ne  l'ignore  pas,  de  revivifier  l'art  païen  de  la  Grèce 
et  ne  se  fit  pas  faute  d'ouvrir  concours  sur  concours. 
Seulement  «  les  jeunes  architectes,  en  cherchant  à  faire 
du  neuf,  du  grandiose  et  de  l'extraordinaire,  tombèrent 
dans  l'extravagant  et  dans  le  ridicule;  mais,  par  bonheur, 
aucune  de  leurs  monstrueuses  créations  ne  fut  exécutée  ». 
(Paul  Lacroix). 

La  Révolution  s'était  déclarée  pour  l'art  grec  ;  Napoléon 
fut  romain.  Paris  vit  les  deux  Rome  :  Rome  chrétienne 
et  Rome  païenne.  La  Rome  des  Papes  apparut  dans  la 
personne  du  doux  et  pieux  Pontife  qui  vint  sacrer  le  nou- 
veau Charlemagne,  après  la  signature  du  Concordat.  La 
Rome  impériale  sembla  renaître  dans  ces  édifices  d'utilité 
publique,  ces  fontaines,  ces  arcs  de  triomphe,  ces  temples 
même,  dont  la  pénurie  du  trésor  et  la  fréquence  des  guerres 
réduisirent  heureusement  le  nombre,  car  tous  sont  conçus 
dans  ce  style,  noble  et  harmonieux,  je  le  veux  bien,  mais 
froid,  académique,  qui  caractérise  l'art  du  premier  Empire. 


—  39  — 

Si  l'on  s'écarte  de  la  copie  de  l'antique,  c'est  par  les 
dimensions  :  la  colonne  Trajane  et  l'arc  de  Constantin  le 
cèdent,  sous  ce  rapport,  à  la  colonne  Vendôme  et  à  l'arc 
de  l'Etoile.  Il  faut  du  colossal,  car  Napoléon,  comme 
Charlemagne,  est  un  colosse.  Il  est  si  grand  que  l'épithète 
même  semble  petite  pour  lui  et  qu'on  dit  tout  simplement; 
Napoléon.  A  mille  ans  de  distance,  il  s'est  trouvé,  aussi 
lui,  en  face  du  chaos.  Mais  de  sa  forte  et  puissante  main 
il  endigue,  ou  mieux  il  canalise,  le  torrent  révolutionnaire, 
en  associant  le  granit  monarchique  au  moellon  républicain. 
La  réaction,  du  reste,  est  prompte  et  stupéfiante.  Sur 
207  régicides,  tous,  sauf  cinq  —  les  cinq  de  l'Empire  — 
se  rallient  à  un  gouvernement  infiniment  plus  autocra- 
tique que  la  Monarchie  débonnaire  supprimée  par  eux; 
36  deviennent  membres  de  la  nouvelle  noblesse  :  10  comtes, 
15  barons  et  10  chevaliers.  Quant  à  Fouché,  on  lui  prête 
ce  mot  plutôt  drôle  :  «  Duc  d'Otrante,  me  dit  un  jour 
Robespierre. .  .  » 

Le  grand  fleuve  de  la  vie  catholique  a  donc  repris  son 
cours,  mais  il  charrie  encore  l'impur  limon  qu'y  ont  mêlé 
les  débordements  du  dernier  siècle.  Aussi  l'architecture 
de  la  Restauration  ne  parvient-elle  pas  à  sortir  de  cet  état 
de  marasme  à  laquelle  elle  est  condamnée  lorsque  nulle 
inspiration  ne  lui  vient  du  ciel. 

Mais  elle  va  venir,  cette  inspiration,  sous  l'influence 
du  génie  de  Chateaubriand  : 

Quand,  doutant  s'il  croyait  encore, 
Le  dernier  siècle,  à  son  aurore, 
Restait  sarcastique,  incroyant, 
Jetant  bas  l'œuvre  de  Voltaire, 
Qui   donc,    prenant   la    croix  à  terre, 
La  releva  ?  Chateaubriand  ! 

«  Chateaubriand,  disait  M.  Le  Meignen,  dans  son  dernier 
discours  présidentiel,  c'est  le  grand  croyant  qui,  portant 
un  coup  mortel  aux  décevantes  doctrines  des  philosophes 


40 


du  XVIIIe  siècle,  »■  vengeait  le  christianisme  des  sol! es 
plaisanteries  et  des  calomnies  de  Voltaire  et  de  sa  séquelle  » 
(Brunetière),  faisait  refleurir  la  foi  et  l'espérance  dans  le 
cœur  desséché  de  ses  lecteurs  et  remplissait  les  églises 
d'une  foule  que  la  prose  charmeuse  du  Génie  du  Chris- 
tianisme préparait  à  recevoir  plus  tard  les  leçons  plus 
sévères  d'un  Frayssinous,  d'un  Bonald  ou  d'un  de  Maistre.  » 
«  Sous  l'influence  du  génie  de  Chateaubriand,  écrivait 
mon  père  sous  le  second  Empire  ,  on  revient  à  l'étude 
des  monuments  de  la  monarchie,  la  vogue  tourne  de  ce 
côté,  elle  dure  encore.  » 

De  son  côté,  Victor  Hugo  affirme,  en  1825,  que  les 
cathédrales  sont  de  grands  livres  de  pierre  où  toute  la 
pensée  du  moyen  âge  est  écrite  et  où  il  faut  de  nouveau 
apprendre  à  lire.  Il  proteste  avec  indignation  contre 
«  tous  les  genres  de  dégradation,  de  profanation  et  de 
ruine  qui  menacent  à  la  fois  le  peu  qui  nous  reste  de  ces 
admirables  monuments  du  moyen  âge,  où  s'est  imprimée 
la  vieille  gloire  nationale,  auxquels  s'attachent  à  la  fois 
la  mémoire  des  rois  et  la  tradition  du  peuple  «,  sans  parler 
de  leur  valeur  vénale.  L'église  de  Brou,  par  exemple, 
représenterait  aujourd'hui  150.000  millions.  «  Il  ne  faut 
pas  plus  de  trois  jours  et  de  trois  cents  francs  pour  la 
jeter  bas.  Et  puis  un  louable  regret  s'emparerait  de  nous; 
nous  voudrions  reconstruire  ces  prodigieux  édifices  que 
nous  ne  le  pourrions.  Nous  n'avons  plus  le  génie  de  ces 
siècles.  L'industrie  a  remplacé  l'art.  »  (Littérature  et  Phi- 
losophie mêlées.) 

Et  croyez-vous  ,  Messieurs  ,  que  nous  le  pourrions 
davantage  aujourd'hui?  «  Vous  diriez  à  un  de  nos  archi- 
tectes actuels  :  «  Voici  cent  millions  :  faites-moi  la  rosace 
méridionale  de  Notre-Dame  de  Paris,  ou  la  septentrionale, 
à  votre  choix  »  ;  et  aucun  d'eux  ne  pourrait  la  faire.  En 
fer,  oui,  peut-être,  mais  en  pierre,  jamais  !  Nous  ne  sommes 
plus  assez  forts.  »  Voilà  ce  qu'écrivait  récemment  Jean 
Rameau,  qui  citait  à  l'appui  des  faits  tels  que  la  flèche 
d'Amiens,  rognée  à  chaque  restauration  par  les  architectes 


—  41  — 

diocésains,  qui  ne  peuvent  ou  n'osent  aller  si  haut  :  elle 
est  descendue  de  125  à  115  mètres;  les  échafaudages  qui, 
depuis  un  demi-siècle,  défigurent  la  Sainte-Chapelle,  bâtie 
en  cinq  ans  seulement  sous  saint  Louis;  en  un  mot  cer- 
tains effets  de  ce  faux  et  décevant  progrès  moderne,  qui 
devraient  nous  faire  humblement  baisser  la  tête  en  con- 
templant nos  devanciers. 

En  1832,  Victor  Hugo  reprit  une  virulente  offensive 
et  livra  à  la  risée  publique  les  conseillers  municipaux  de 
Laon,  qui,  mettant  en  commun  tout  ce  qu'ils  savaient 
de  grands  mots  :  la  féodalité,  la  dîme,  la  corvée,  les  prêtres, 
les  nobles,  les  jésuites,  etc.,  jargonnent,  croassent,  déli- 
bèrent, grotesque  sanhédrin  qui  vote  avec  enthousiasme 
la  démolition  de  la  tour  de  Louis  d'Outremer,  pour  en 
faire  un  marché.  «  Et  la  ville  a  payé  pour  cela  !  on  lui 
a  volé  sa  couronne,  et  elle  a  payé  le  voleur  !  » 

Hélas!  Messieurs,  je  le  dis  avec  une  amertume  profonde, 
malgré  les  efforts  de  notre  Société,  malgré  la  lettre  de 
mon  père  au  Maire  de  Nantes  (publiée  par  V Espérance 
du  Peuple  du  7  février  1865),  je  rappelle  toujours  ce  sou- 
venir avec  une  légitime  fierté,  on  a  jeté  bas  la  chapelle 
Saint-Thomas,  presque  l'unique  débris  de  notre  ancienne 
Collégiale,  «  une  des  perles  les  plus  pures,  les  plus  exquises  de 
notre  écrin  monumental...» «  Monsieur  le  Maire,  disait-il  en 
finissant,  c'est  non  pour  détruire  nos  vieux  édifices,  nos 
chefs-d'œuvre  artistiques  .  mais  au  contraire  pour  les 
conserver  avec  une  jalouse  sollicitude  qu'on  vous  a  confié 
la  haute  place  que  vous  occupez  dans  notre  cité.  »  Pareil 
malheur  ne  nous  menace  certainement  pas  maintenant, 
Messieurs,  du  moins  de  la  part  de  la  municipalité.  Mais, 
si,  dans  l'avenir,  le  vandalisme  voulait  s'attaquer  à  quel- 
qu'un de  nos  rares  monuments,  vous  vous  lèveriez  tous 
comme  un  seul  homme  pour  jeter  cà  la  face  des  misérables 
assez  dénaturés  pour  mutiler  leur  propre  patrie  le  cri 
de  notre  regretté  Parenteau  :  «  Les  peuples  qui  ne  res- 
pectent pas  leur  passé  n'ont  plus  d'avenir.  »  C'est  que 
«  le  passé,  ajouterai-je  avec  Victor  Hugo,  est  une  partie 


—  42  — 

de  nous-mêmes,  la  plus  essentielle  peut-être.  Tout  le  flot 
qui  nous  porle,  toute  la  sève  qui  nous  vivifie  vient  du 
passé.  Qu'est-ce  qu'un  arbre  sans  ses  racines  ?  Qu'est-ce 
qu'un  fleuve  sans  sa  source?  Qu'est-ce  qu'un  peuple  sans 
son  passé  ?  » 

O  Français  !  respectons  ces  restes  ! 
Le   ciel  bénit  les  fils  pieux 
Qui  gardent,   dans   les  jours  funestes, 
L'héritage   de  leurs   aïeux. 

(La  Bande  noire). 

Avec  Chateaubriand  et  Victor  Hugo,  le  comte  de  Mon- 
talembert,  de  Caumont,  A.  Thierry,  Quicherat,  Viollet- 
le-Duc,  Lassus,  etc.,  luttèrent  avec  un  courage  inlassable 
pour  ramener  l'admiration  sur  nos  styles  nationaux,  que, 
depuis  la  Renaissance,  on  traitait  de  barbares.  Bientôt, 
dans  les  villes  et  dans  les  campagnes,  il  n'y  eut  plus  un 
curé  qui  ne  rêvât  d'une  église  romane  ou  gothique.  Ouvrez 
notre  Bulletin  et  vous  trouverez  de  nombreuses  discussions 
sur  ce  sujet.  Un  des  membres  les  plus  illustres  de  notre 
Compagnie,  MgrFournier,  notre  ancien  président  d'honneur, 
dont  le  buste  semble  toujours  présider  à  nos  réunions, 
«  fit  encore  flamboyer  les  ogives,  unissant  leurs  arceaux 
comme  de  grandes  mains  jointes  pour  la  prière.  » 
(Chanoine  Cahour).  bit  toutes  nos  églises,  à  l'exception, 
bien  entendu,  de  notre  chère  vieille  Cathédrale  et  de 
Sainte-Croix,  ont  été  rebâties  à  partir  de  Louis-Phihppe. 

Sous  son  règne,  l'architecture  civile  atteignit  une  per- 
fection technique  qui  depuis  n'a  fait  que  s'accentuer 
et  à  laquelle  je  rends  le  plus  complet  hommage;  mais  ce 
n'est  là  que  de  l'industrie,  du  métier,  de  la  main-d'œuvre. 
L'inspiration  manque,  et  le  pêle-mêle  des  styles  que  l'on 
essaie  de  reproduire  avec  plus  ou  moins  de  bonheur  est 
l'image  du  pêle-mêle  des  idées  et  des  croyances  :  classiques 
et  romantiques,  doctrinaires  et  libéraux,  etc. 

Sous  l'Empire,  l'Ecole  des  beaux- arts  fit  prévaloir 
une  sorte  de  style  antique  accommodé  à  la  moderne, 
appelé  le  néo-grec.  Mièvre,  sec,  affreux,  il  a  contribué  à 


—  43    - 

défigurer  Paris.  Seul,  Garnier  le  dota  d'une  œuvre  magni- 
fique: l'Opéra;  mais  le  pauvre  homme  ne  prévoyait  guère 
qu'à  ses  amis,  allant  solliciter  du  Ministère  un  secours 
pour  ses  obsèques,  un  secrétaire  répondrait  avec  dédain  : 
«  Encore  si  c'était  pour  un  peintre...  Mais  un  architecte  !  » 
L'Etat  finit  cependant  par  accorder...  500  francs  ! 

Et  depuis  lors  ?  Il  suffit  d'ouvrir  un  journal  pour  en- 
tendre des  lamentations  presque  quotidiennes  sur  «  cette 
incroyable  dévastation  de  Paris,  cet  enlaidissement 
volontaire,  cette  haine  pour  tout  ce  qui  rappelle  les  tradi- 
tions et  les  souvenirs  du  passé.  Ce  qui  s'écroule  devant 
nous,  c'est  le  décor  même  de  la  vie  française,  c'est  tout 
ce  qui  était  de  la  grâce  et  de  la  magnificence,  tout  ce  qui 
était  aussi  l'histoire  de  Paris,  ce  qui  était  la  raison  d'être 
de  la  France.  »  (Edouard  Drumont).  Aussi  avec  quelle 
satisfaction  mêlée  de  regret  les  habitants  virent-ils  le 
vieux  Paris  ressuscité  à  l'Exposition  de  1900!  C'est  à 
cette  fameuse  foire  universelle  que  se  trouvait  le  Manoir 
à  l'envers,  par  lequel  un  humoriste  avait  sans  doute  voulu 
symboliser  l'époque  où  commence  à  se  réaliser  l'utopie 
de  Dupont,  vous  savez,  le  Dupont  de  Musset,  qui  confie 
à  son  camarade  Durand  ses  projets  mirifiques  pour  l'avenir 
de  l'humanité  : 

L'univers,  mon  ami,  sera  bouleversé. 

On  ne  verra  plus  rien  qui  ressemble  au  passé  ; 

Les  plus  vieux  ennemis  se  réconcilieront, 

Le  Russe   avec    le  Turc,  l'Anglais  avec  la  France? 

L'entente  cordiale!...?? 

J'abolis  la  famille   et  romps  le  mariage. 

Nous  y  sommes,  ou  presque. 

Sur  deux  rayons  de  fer  un  chemin  magnifique, 
De  Paris  à  Pékin,  ceindra  ma  république. 
Là,  cent  peuples  divers,  confondant  leur  jargon, 
Feront  une  Babel    d'un  colossal   wagon. 

Le  Transsibérien,  la  confusion  des  langues  au  pied  d'une 


—  44    - 

tour  dont  le  nom  rime  avec  Babel,  mais  c'est  tout  à  fait 
cela,  n'est-il  pas  vrai  ? 

Arrivé  à  notre  époque,  Messieurs,  je  devrais  peut-être 
m'arrêter.  Mais  qu'entends-je  chuchoter  à  mes  oreilles  ? 
«  La  diversité  des  formes  est  poussée  jusqu'à  l'incohé- 
rence »;  c'est  M.  Fourcaud  qui  parle  de  l'Exposition.  «  En 
ce  moment,  il  n'y  a  rien,  nous  sommes  dans  l'incohérence  »; 
c'est  M.  Rodin,  interviewé  par  un  journaliste.  Et  voici 
que  ce  mot  d'incohérence  tombe  de  la  tribune,  martelé 
et  sec,  pour  caractériser  la  situation  politique.  Et  je  ne 
saisirais  pas  l'occasion  de  vous  faire  toucher  du  doigt 
jusqu'au  bout  la  vérité  du  principe  que  j'ai  posé  en  com- 
mençant ! 

Incohérent,  en  effet,  cet  amalgame  de  styles,  déformés 
comme  les  visages  en  certains  miroirs;  ce  salmigondis 
de  formes  qui  n'a  de  nom  dans  aucune  langue  et  que  tra- 
duit seul  un  mot  d'argot  :  le  maboulisme.  Le  style  maboul, 
Messieurs,  s'étend  avec  une  prodigieuse  rapidité,  surtout 
le  long  de  certaines  plages  ;  .  il  croît,  il  progresse,  il 
grandira...  quoiqu'il  ne  soit  pas  espagnol  ;  chinois  ?  bava- 
rois ?  peut-être...;  mais  non,  il  est  maboul,  il  est  lui- 
même,  et  c'est  quelque  chose,  savez-vous,  Messieurs,  que 
d'être  soi  ! 

Ah  I  laissez-moi  rire  pour  ne  pas  avoir  à  pleurer,  car  au 
regret  de  ce  qui  tombe  s'ajoute  la  douleur  de  ce  qui  s'élève; 
au  chagrin  de  ne  plus  être  les  rois  de  l'architecture,  la 
peine  d'en  être  les  arlequins  ! 

Eh  bien,  non,  il  ne  faut  pas  pleurer  !  Car,  en  architec- 
ture comme  en  religion  et  en  politique,  il  y  a  des  tradi- 
tionalistes. J'en  compte  bon  nombre  dans  cette  assemblée. 
Je  ne  les  nommerai  pas,  pour  épargner  leur  modestie  : 
le  vrai  talent  est  toujours  modeste.  Mais  vous  m'en  vou- 
driez de  ne  pas  évoquer  ici  la  patriarcale  figure  de  l'un  de 
nos  chers  défunts,  dont  la  vie  se  lie  à  l'histoire  de  notre  ville; 
de  l'un  de  nos  fondateurs,  du  premier  président  de  cette 
Société,  qu'il  dirigea  pendant  dix-sept  ans  et  dont  il  devint 


45 


le  président  d'honneur;  de  cet  homme  enfin  qui  mourut, 
laissant  aux  siens,  dit  M.  Emile  Gautier,  «des  exemples 
d'une  vie  sans  tache,  des  souvenirs  constants  d'honneur, 
de  loyauté,  de  vertus  chrétiennes»;  exemples  si  pieuse- 
ment suivis  par  ceux  qui  le  prolongent  parmi  nous  :  j'ai 
nommé  M.  Nau,  dont  le  fils,  notre  ancien  vice-président, 
est  aujourd'hui  président  de  la  Société  des  Architectes, 
et  dont  le  petit-fils  suit  brillamment  la  carrière  des 
siens. 

M.  Nau  était  de  ces  hommes  convaincus,  comme  Cousin, 
que  :  «  Ou  bien  toute  religion  périra  dans  le  monde,  ou  le 
christianisme  durera,  car  il  n'est  pas  possible  à  la  pensée 
de  concevoir  une  religion  plus  parfaite...  Artistes  du 
XIXe  siècle,  ne  désespérez  pas  de  Dieu  ni  de  vous-mêmes,  » 
ajoutait  le  grand  philosophe  spiritualiste. 

Artistes  du  XXe  siècle,  ayez  confiance.  Une  renaissance 
chrétienne  se  prépare,  j'en  ai  la  conviction.  Que  sera- 
t-elle  ?  Consacrée  à  la  Sainte  Vierge  ?  comme  le  conseille 
l'abbé  Maynard,  qui  engage  la  France  à  prendre  en  archi- 
tecture une  noble  revanche  de  la  poésie.  Peut-être.  En  tout 
cas,  nous  voyons  se  dessiner  un  mouvement  nouveau  en 
faveur  de  nos  styles  nationaux.  Nous  n'en  avons  pas  été 
les  initiateurs.  C'est  la  Belgique,  ce  pays  si  petit  par  le 
territoire,  si  grand  par  sa  foi,  son  cœur  et  son  intelligence, 
qui,  la  première,  a  donné  l'exemple  en  créant  les  Académies 
de  Saint-Luc.  Successivement  l'Angleterre,  l'Allemagne, 
la  Hollande,  la  Suède,  l'Autriche,  etc.,  l'ont  imitée.  La 
France  s'est  émue  à  son  tour.  Sans  se  soucier  de  son  pré- 
nom, M.  Maiius  Vachon  en  veut  aux  Romains,  comme  aux 
Grecs  d'ailleurs ,  qui  accaparent  depuis  trop  longtemps 
les  jeunes  intelligences  et  encombrent  nos  écoles  régionales. 
Un  rapport  de  réminent  critique  a  fait  du  bruit...  et  du 
bien,  à  la  fois,  chose  rare.  De  grandes  cités,  comme  Lyon, 
Rouen,  Lille,  etc.,  ont  introduit  dans  leur  enseignement 
nos  styles  nationaux.  Nantes  pourrait-elle  rester  en  arrière, 
je  vous  le  demande,  elle,  la  capitale  d'une  province  où  le 
gothique  a  produit  une  si  riche  floraison  ?  Je  ne  le  pense 


46 


pas.  A  l'œuvre  donc,  mes  chers  confrères,  vous  dont  la 
mission  est  de  faire  aimer  et  revivre  le  passé  ! 

* 
*   * 

J'ai  fini,  Messieurs.  Un  mot  encore  cependant.  Ce  matin, 
j'admirais  le  lever  du  soleil  sur  les  rives  de  la  Loire.  Un 
ciel  rouge  et  vert  faisait  rouge  et  verte  l'eau  de  notre 
vieux  fleuve,  où  se  miraient  les  maisons  du  quai  Malakoff, 
tandis  qu'en  gros  panaches  violets  s'échappait  lourdement 
la  fumée  des  locomotives.  L'aube  naissait  à  peine ,  et 
déjà  je  me  disais:  la  journée  sera  belle.  Est-ce  qu'à  l'aurore 
de  ce  nouveau  triennat,  nous  ne  pouvons  pas,  de  même, 
prédire  que  le  brillant  soleil  du  succès  l'éclairera?  J'en  ai 
pour  garant  la  présence  de  l'évêque  vénéré  qui  a  tenu  à 
venir  lui-même  remettre  la  médaille  d'or  à  M.  le  chanoine 
Durville,  celle  du  maire  éminent  qui  nous  donne  une  preuve 
plus  sensible  des  sympathies  qu'il  nous  a  maintes  fois  té- 
moignées, celle  des  présidents  des  Sociétés  avec  lesquelles 
la  nôtre  entretient  des  rapports  empreints  de  courtoisie 
et  d'amabilité,  ]es  sincères  regrets  qu'a  bien  voulu  me 
manifester  M.  Jamin  de  ne  pouvoir  se  trouver  ici,  ce  soir, 
pour  représenter  le  Conseil  général. 

Aussi  le  dernier  usage  que  je  ferai  de  mes  prérogatives 
sera,  Messieurs,  d'être  l'interprète  de  votre  reconnaissance 
envers  ces  hôtes  éminents  pour  avoir  daigné  donner  à 
notre  séance  d'installation  une  solennité  inaccoutumée. 
A  vous,  mes  bons  et  aimables  confrères,  j'adresse  un 
cordial  merci  et  je  vous  prie  de  recevoir  les  vœux  que 
forme  pour  notre  chère  Société  celui  qui  eut  le  très  grand 
honneur  d'être  son  président  et  qui  restera  le  plus  dévoué 
de  ses  amis. 


ALLOCUTION  DE  M.  DORTEL 


PRÉSIDENT    ÉLU 


Monseigneur, 
Monsieur  le  Maire, 
Mes  chers  Collègues, 

Ma  première  pensée  et  mon  premier  devoir  sont  de 
vous  exprimer  toute  ma  gratitude  pour  le  très  grand 
honneur  que  vous  m'avez  fait  en  m'appelant  à  la  prési- 
dence de  notre  Société. 

Ce  ne  sont  ni  mes  travaux,  ni  mes  connaissances 
archéologiques  que  vous  avez  tenu  à  récompenser,  mais 
plutôt  mon  assiduité,  sinon  mon  exactitude  à  vos 
séances. 

Il  y  aura  bientôt  20  ans  quand  notre  regretté  trésorier, 
M.  Riardant,  qui  connaissait  mes  goûts  pour  l'archéolo- 
gie, me  parla  de  faire  partie  de  notre  Compagnie.  J'hési- 
tai, comprenant  et  sachant  bien  que  je  n'aurais  point  le 
temps  de  vous  donner  une  collaboration  féconde  et  utile. 

Je  me  souviens  encore,  comme  si  ces  souvenirs  da- 
taient d'hier,  de  cette  première  séance  où  j'assistais, 
tout  confus,  dans  un  coin  de  notre  petite  salle  de  l'Ora- 
toire, aux  communications  de  nos  collègues  dont  plu- 
sieurs sont  disparus  aujourd'hui. 

Vingt  ans  !  Et  me  voici  à  la  tête  de  notre  Société  qui 
n'a  jamais  été  plus  prospère  et  plus  brillante,  grâce  à 
vous  tous,  mes  chers  collègues,  grâce  à  l'impulsion  si 
ferme  et  si  éclairée  qu'a  su  lui  donner  mon  excellent  ami 
et  président,  M.  le  baron  de  Wismes. 

J'assume  une  lourde  tâche  en  acceptant  votre 
succession,  mon  cher  Président,  car  sans  vouloir  faire  ici 
un  éloge  qui  est  sur  toutes  les  lèvres  et  que  votre  modes- 

Soc.  Archéol.  Nantes.  4 


—  48  — 

lie  ne  me  pardonnerait  pas,  je  puis  dire  que  depuis  3  ans, 
depuis  six  ans  plutôt,  toutes. vos  pensées,  tous  vos  aetes 
n'ont  eu  d'autre  but  que  de  contribuer  à  la  prospérité  de 
notre  Société. 

Votre  affection  quasi-filiale  pour  elle  n'a  eu  d'égale 
que  votre  zèle  et  votre  activité. 

.le  suis  l'interprète  de  tous  mes  collègues  en  vous 
disant  :  Vous  avez  élé  le  digne  continuateur  de  votre 
regretté  père,  qui  a  'laissé  dans  noire  .Société  un  souvenir 
inoubliable  et  dont  le  nom  était  synonyme  de  science, 
esprit,    talent. 

J'aurais  certainement  hésité  à  accepter  ce  redoutable 
honneur  si  je  n'avais  pas  eu  pour  me  seconder  les  deux 
excellents  Vice-Présidents  :  MM.  Leroux  et  Gaétan  de 
Wismes  que  vous  avez  nommés. 

M.  Aleide  Leroux  n'est  pas  seulement  un  poète  délicat, 
c'est  encore  un  archéologue  distingué.  Après  avoir  rempli 
pendant  plusieurs  années  le  poste  important  de  secré- 
taire-général, il  s'était  retiré  dans  un  coin  de  sa  chère 
Bretagne  qu'il  ne  s'est  pas  contenté  de  chanter  en  des 
vers  exquis,  mais  qu'il  a  fouillée  pour  arracher  à  son  sol 
les  secrets  de  son  passé.  De  cet  exil  volontaire  et  fécond, 
il  nous  a  rapporté  sa  belle  étude  sur  les  ruines  gallo- 
romaines  de  Langonnet,  aussi  magistralement  écrite  que 
fortement  documentée. 

Mon  excellent  ami  de  plus  de  25  ans,  M.  Gaétan  de 
Wismes,  qui,  très  modestement,  et  pour  des  raisons  dont 
chacun  avait  pu  apprécier  la  délicatesse,  avait  tenu  à 
rester  simple  secrétaire  du  Comité,  vient  occuper  une 
place  à  laquelle  le  désignaient  depuis  longtemps  ses 
connaissances  archéologiques  et  sa  collaboration  assidue 
et  fructueuse.  Il  me  remplace  comme  Président  de  la 
Société  académique.  Je  me  réjouis  de  ces  deux  distinc- 
tions qui  vont  et  doivent  resserrer  de  plus  en  plus  les 
liens  qui  unissent  nos  deux  vieilles  Sociétés  nantaises. 

Quel  meilleur  éloge  pourrai-je  faire  de  M.  le  Docteur 
Halgan,  que  de  vous  rappeler  la  distinction  dont  ses  collé- 


49 


gués  de  la  Société  de  Géographie  commerciale  viennent 
de  l'honorer,  en  l'appelant  à  succéder  à  M.  Doby,  un 
secrétaire  général  modèle  et  qui  semblait  irremplaçable 
(pardonnez-moi  ce  mot  barbare). 

Il  sera  admirablement  secondé  dans  la  lourde  et  par- 
fois ingrate  tâche  de  Secrétaire  général  par  M.  Léon  De- 
lâttre  qui,  bien  que  récemment  entré  dans  notre  Société, 
nous  a  déjà  montré  tout  ce  qu'on  peut  attendre  de  son 
érudition  et  de  son  savoir.  Sa  communication  sur  le 
voyage  des  Ambassadeurs  Siamois  à  Nantes,  écrite  d'un 
style  alerte,  est  une  des  meilleures  études  qui  aient  été 
publiées  sur  l'histoire  anecdotique  de  notre  ville. 

M.  Houdet  a  tenu  très  modestement,  trop  modeste- 
ment à  rester  au  secrétariat  du  Comité  ;  qu'il  reçoive  ici 
tous  nos  remerciements. 

Il  aura  pour  collaborateur  un  de  nos  plus  jeunes  et  de 
nos  plus  érudits  collègues.  M.  Joseph  Angot,  à  un  âge  où 
l'on  prépare  encore  sa  voie,  a  déjà  un  bagage  littéraire  et 
archéologique  considérable  qui  dénote  non  seulement 
une  somme  énorme  de  travail  et  de  recherches,  une 
intelligence  rare  et  singulièrement  affinée.  Littérature, 
critique,  beaux-arts,  musique,  poésie,  M.  Angot  a  tout 
embrassé  avec  un  égal  succès.  Ne  devons-nous  pas  être 
fiers  de  voir  l'illustre  maître  Léopold  Delisle,  dont  l'Aca- 
démie célébrait  hier  l'apothéose,  préfacier  le  travail  de 
M.  Angot  sur  le  Missel  de  Barbechat  paru  dans  notre 
bulletin. 

Mes  excellents  collègues  et  amis,  MM.  Pied,  Pouvreau 
Soullard  et  commandant  Lagrée  ont  bien  voulu  conserver 
les  fonctions  qu'ils  remplissent  depuis  plusieurs  années 
avec  tant  de  zèle  et  de  dévouement.  Fonctions  modestes 
mais  importantes,  s'il  en  fut,  pour  la  vitalité  de  notre 
Société.  La  reconnaissance  de  leurs  collègues  ne  leur  est 
point  ménagée  et  l'unanimité  des  suffrages  exprimés  sur 
leurs  noms  aux  dernières  élections  en  est  le  meilleur  et 
le  plus  éclatant  témoignage. 

Sur  cette  joie,  mêlée  d'un  certain  orgueil,  de  me  voir 


50 

entouré  de  si  précieux  collaborateurs,  se  glisse  pourtant 
une  ombre  de  tristesse.  .J'aurais  souhaité  voir  M.  Senot 
de  Londe  rester  à  la  Vice-Présidence  en  attendant  les 
plus  hautes  fonctions  qui  lui  étaient  destinées  non  pas 
cette  fois,  comme  pour  moi,  par  rang  d'ancienneté,  mais 
uniquement  par  son  mérite  et  par  ses  travaux. 

Il  a  tenu,  suivant  sa  propre  expression,  à  rentrer  dans 
le  rang.  Que  dans  cette  retraite  volontaire  et  momenta- 
née, il  sache  bien  qu'il  emporte  tous  nos  regrets. 

Quant  à  moi,  vous  m'excuserez  et  me  pardonnerez  si 
quelquefois,  souvent  même  je  vous  entretiens,  non  pas 
de  mes  travaux  personnels,  mais  des  récentes  découvertes 
préhistoriques  et  du  mouvement  scientifique  qui  s'o- 
riente chaque  jour  de  plus  en  plus  vers  la  préhistoire. 

Il  y  a  80  ans  à  peine,  lorsque  Boucher  de  Perthes,  dans 
les  bases  du  diluvium  des  environs  d'Abbeville,  découvrit 
les  premiers  silex  taillés,  mêlés  à  des  ossements  d'ani- 
maux disparus,  vous  vous  souvenez  des  objections  que 
ces  découvertes  soulevèrent  dans  le  monde  savant,  des 
luttes  qu'il  eut  à  soutenir  contre  Elie  de  Beaumont , 
contre  sa  famille  elle-même,  qui,  à  sa  mort,  en  1868, 
fit  mettre  au  pilon  «  Les  Antiquités  Celtiques  et  Antédilu- 
viennes »,  fruit  de  40  années  d'études.  Boucher  de  Perthes 
a  attendu  40  ans  le  monument  qui  était  bien  dû  à  son 
génie;  et  ce  n'est  qu'au  mois  de  novembre  dernier  qu'on 
a,  sans  bruit  et  sans  fanfare,  sans  sous-secrétaire  d'Etat 
et  sans  ministres,  inauguré  à  Abbeville  la  statue  de  cet 
initiateur,  si  combattu  et  si  discuté  de  son  temps. 

Depuis,  la  science  a  marché,  la  contemporanéité  de 
l'homme  avec  les  grands  animaux  disparus  ne  se  discute 
plus.  Bien  queles  débris  humains  trouvés  jusqu'à  ce  jour 
dans  les  terrains  quaternaires  inférieurs  soient  très  discu- 
tables comme  authenticité,  la  question  de  l'homme  qua- 
ternaire est  aujourd'hui  résolue. 

Il  n'en  est  pas  de  même  de  l'homme  tertiaire.  Depuis 
les  fouilles  pratiquées  à  Pontlevoy,  près  de  Thenay,  où 
l'abbé  Bourgeois  découvrit  dans  le  miocène  inférieur  des 


—  51  — 

silex  qu'il  soutint  avoir  été  intentionnellement  taillés,  la 
discussion  de  l'existence  de  l'homme  tertiaire  a  été  reprise. 

En  1892  et  1893,  un  médecin  hollandais,  en  mission  à 
Java,  découvrit  dans  un  terrain  pliocène,  des  ossements 
qui  semblaient  appartenir  à  un  grand  singe  anthropo- 
morphe. Cette  découverte  nous  valut,  à  l'Exposition  de 
1900,  la  reconstitution,  plus  amusante  que  scientifique, 
du  Pithecanthropus  erectus  —  sorte  d'intermédiaire 
entre  le  singe  et  l'homme  Un  officier  d'avenir  dans 
l'armée  des  singes,  suivant  l'expression  pittoresque 
d'Edmond  About. 

A  l'heure  actuelle,  aucun  squelette  fossile  n'a  été 
trouvé  en  place  dans  des  terrains  tertiaires. 

Quant  aux  fameux  silex  de  l'abbé  Bourgeois,  toute 
une  école  nouvelle  s'efforce  aujourd'hui  de  voir  en  eux 
des  silex  non  taillés  mais  utilisés  par  l'homme  ou  son 
précurseur.  Cette  thèse,  défendue  avec  un  très  réel  talent 
par  M.  Rutot,  vient  d'être  réfutée  victorieusement  par 
M.  de  Lapparent  qui,  à  Guerville,  près  de  Mantes,  a 
découvert,  dans  une  usine  à  ciments,  des  milliers  de  silex 
semblables  à  ceux  de  Thenay  et  qui  ne  sont  que  les  dé- 
chets de  la  craie  employée. 

Nous  pouvons  donc  dire  avec  M.  Louis  Lartet  :  «  Dans 
«  l'état  actuel  de  nos  connaissances,  on  n'a  aucune  raison 
«  sérieuse  de  rejeter  a  priori  la  notion  de  l'existence  de 
«  l'homme  pendant  le  pliocène  ;  mais  de  là  à  croire  que 
«  cette  existence  est  démontrée,  il  y  a  loin.  Jusqu'à  pré- 
«  sent,  on  n'a  pu  produire  que  de  vagues  indices  et  aucun 
«  fait  concluant  n'est  venu  à  l'appui  de  cette  présomp- 
«  tion.  » 

Il  en  est  autrement  de  l'homme  quaternaire,  car  si  l'on 
peut  conserver  quelques  doutes  sur  l'authenticité  des 
crânes  de  Moulin-Quignon,  de  Cannstadt,  de  Nlander- 
taldt,  il  est  certain  que  les  instruments  découverts  dans 
le  diluvium  à  Abbeville,  à  Chelles,  à  Saint-Acheul,  sont 
bien  le  produit  de  l'industrie  humaine,  les  premiers 
essais  de  cette  industrie. 


—  52  — 

Quels  sont  ces  hommes  qui  ont  taillé  ces  premiers  silex  ? 
D'où  viennent -ils  ?  Mystère  obscur.  Ce  qu'il  y  a  de  cer- 
tain, c'est  qu'ils  ont  assisté  aux  premières  convulsions 
de  l'époque  quaternaire,  à  l'extension  des  glaciers  et 
aux  dernières  éruptions  du  plateau  central. 

Cette  industrie,  dont  nous  retrouvons  des  traces,  grâce 
aux  recherches  de  notre  distingué  conservateur,  M.  de 
Lisle,  dans  plusieurs  stations  de  la  Loire-Inférieure  :  à 
Monlbert,  à  la  Haie-Fouassière,  à  Saint-Herblain,  est 
une  industrie  rudimentaire  et  bien  primitive.  La 
hache  taillée  sur  ses  deux  faces,  sorte  de  coup  de  poing, 
n'a  jamais  dû  être  emmanchée,  elle  se  tenait  à  la  main, 
outil,  arme  défensive  et  offensive,  elle  affectait  toujours 
la  même  forme. 

On  la  rencontre  partout,  au  même  niveau,  dans  les 
alluvions  quaternaires,  aussi  bien  en  France  qu'en 
Amérique,  en  Afrique,  en  Espagne,  en  Italie,  en  Algérie, 
en  Judée,  jusqu'en  Egypte  ,  grâce  aux  fouilles  métho- 
diques et  consciencieuses  de  M.  Morgan. 

A  quoi  doit-on  attribuer  cette  similitude  de  taille  et  de 
procédé  de  fabrication  ?  Peut-on  soutenir  que  tous  ces 
tailleurs  de  silex  disséminés  aux  quatre  coins  du  monde 
appartenaient  à  la  même  race,  à  la  même  souche,  et  ne 
doit-on  pas  plutôt  rechercher  la  raison  de  cette  confor- 
mité dans  les  nécessités  même  de  l'existence,  dans  le 
besoin  naturel  de  se  défendre,  de  vivre,  de  se  nourrir  et 
de  se  vêtir. 

L'homme  de  cette  époque,  que  l'on  a  appelée 
acheuléenne  ou  chelléenne,  n'habitait  point  encore  les 
grottes  envahies  sans  doute  par  les  fleuves  débordés,  il 
devait  vivre  sur  les  plateaux,  dans  les  plaines,  le  long 
des  cours  d'eau  où  l'on  retrouve  aujourd'hui  les  traces 
de  cette  très  primitive  industrie. 

Après  cette  époque  de  transition  caractérisée  par  un 
climat  doux  et  humide,  la  calotte  de  neiges  qui  couvrait 
le  sommet  des  montagnes  fondit,  les  glaciers  prirent 
une  extension  considérable. 


—  53  — 

Ces  phénomènes  constatés  par  les  découvertes 
géologiques,  eurent  comme  résultat  d'abaisser  consi- 
dérablement la  température,  et  l'homme  dut  recher- 
cher clans  les  cavernes  et  sous  les  rochers  un  abri  contre 
le  froid  et  contre  les  animaux  féroces.  Il  dut  également 
modifier  son  outillage.  A  la  hache  grossière  qui  n'était 
autre  chose  qu'un  caillou  taillé  sur  les  deux  faces, 
l'homme  moustérien  substitua  la  hache  taillée  sur  une 
seule  face,  sorte  de  pointe  destinée  à  être  fixée  au 
bout  d'un  épieu.  On  voit  apparaître  les  premiers  outils, 
le  poinçon,  la  scie,  le  râcloir,  destiné  sans  doute  à  pré- 
parer les  peaux  dont  il  se  vêtissait. 

L'homme,  suivant  l'expression  de  Franklin,  est 
l'être  qui  a  fabriqué  des  outils;  aussi  le  voyons  nous 
modifier  continuellement  son  outillage,  le  rendre  plus 
pratique,  l'adapter  à  ses  besoins,  aux  exigences  de 
la  vie. 

A  Solutré,  qui  marque  la  troisième  étape  dans  nos 
annales  préhistoriques,  les  instruments  sont  plus  soignés  ; 
c'est  l'apogée  en  quelque  sorte  de  la  taille  du  silex,  et  les 
merveilleuses  haches  en  feuilles  de  laurier,  si  caractéris- 
tiques de  cette  station,  nous  montrent  à  quel  degré 
d'habileté,  on  ne  peut  pas  dire  de  civilisation,  l'homme 
quartenaire   était  arrivé. 

A  côté  de  ces  bijoux,  dont  la  fragilité  même  enveloppe 
de  mystère  leur  destination,  nous  rencontrons  la  points 
à  cran  dont  la  blessure  devait  être  terrible,  les  poinçons, 
les    scies,    les    râcloirs,    tout    un    outillage    pratique    et 
perfectionné. 

Cette  station  de  Solutré,  qui  donne  son  nom  à  cette 
période  est,  vous  le  savez,  située  près  de  Mâcon,  au  pied 
d'un  escarpement.  Fouillée  depuis  plusieurs  années, 
étudiée  avec  soin  par  le  docteur  Arcelin  et  l'abbé 
Ducrost,  elle  n'a  point  encore  livré  tous  ses  secrets,  et 
l'amoncellement  des  os  de  chevaux  (on  l'évalue  à  plus 
de  40.000  individus),  qui  forment  une  véritable  muraille 
autour  de  cette  station   n'a    point   encore   été  expliqué. 


—  54  — 

Nous  voici  parvenus  à  la  dernière  étape  de  la  période 
préhistorique  qui  se  distingue  par  une  manifestation 
artistique  dont,  chaque  jour,  de  nouvelles  découvertes 
permettent  d'étudier  la  merveilleuse  esthétique  et  le 
développement  considérable. 

Le  climat,  déjà,  s'était  considérablement  refroidi, 
détruisant  les  forêts,  donnait  à  notre  pays  l'aspect  des 
steppes  sibériennes. 

L'homme  éprouva  plus  que  jamais  le  besoin  de  cher- 
cher dans  de  profondes  cavernes  un  refuge  contre  les 
intempéries  et  les  frimas.  Quelquefois,  ces  grottes 
n'étaient  que  de  simples  abris,  tels  :  Cro.-Magnon, 
La  Madeleine,  qui  a  donné  son  nom  à  cette  période. 

La  taille  du  silex,  si  perfectionnée  à  Solutré,  est  ici 
moins  soignée.  L'homme  magdalénien  utilise  d'autres 
matières  pour  la  confection  de  ses  outils  et  n'emploie 
plus  la  pierre  que  pour  créer  ce  nouvel  outillage  auquel 
il  va  apporter  tous  ses  soins. 

Dans  le  travail  de  l'os,  devenu  sa  préoccupation  domi- 
nante, il  atteint  d'un  seul  coup  la  perfection  même. 

Un  des  plus  jolis  outils  de  cette  époque  est  l'aiguille 
à  chas  —  supérieure  suivant  de  Mortillet  à  celles 
mêmes  qu'on  fabriquait  à  l'époque  de  la  Renaissance, 
et  telles  que  jamais  les  Romains  n'en  ont  fabriqué  de 
semblables. 

A  côté  de  ces  merveilles,  œuvres  de  patience  et  d'habi- 
tude, les  sagaies,  les  harpons  en  os  garnis  de  barbelures 
fines  et  savamment  combinées,  les  poignards  élégam- 
ment sculptés,  les  spatules,  les  bâtons  à  trous  qui  ont 
donné  lieu  à  tant  de  controverses,  indiquent  à  quel  point 
de  civilisation  étaient  parvenus  nos  ancêtres  quater- 
naires. 

Solutré  avait  créé  des  guerriers,  la  Madeleine  créa 
des  artistes.  Ce  qui  caractérise  en  effet  cette  étape, 
c'est  le  sentiment  artistique  qui,  brusquement,  fait  son 
apparition. 

Les   plaques   d'ivoire,    les   os   des   cervidés,    les   mer- 


—  55  — 

rains  des  bois  de  renne  sont  décorés  avec  un  art  d'un 
réalisme    stupéfiant. 

L'homme  qui  a  sculpté  ces  chevaux,  ces  élans,  ces 
aurochs,  ces  mammouths  était  un  véritable  artiste. 
De  sa  main,  armé  simplement  d'un  silex  (il  ne  saurait 
être  ici  question  de  métaux,  et  la  question  ne  se  pose 
même  pas),  avec  un  sentiment  véritable  de  la  nature, 
il  a  su  donner  la  représentation  exacte  de  toute  la  faune 
dont  il  était  entouré.  Quelques-uns  de  ces  dessins  sont 
d'une  exactitude  telle,  au  point  de  vue  anatomique, 
que  des  savants  tels  que  le  Docteur  Gervais  ont  pu 
déterminer  des  espèces  disparues  et  qui  n'ont  étvJ  ren- 
contrées que  plus  tard. 

Les  Troglodytes  magdaléniens  ne  se  sont  pas  conten- 
tés de  décorer  leurs  outils,  ou  de  simples  amulettes  ; 
ils  ont  encore  couvert  de  peintures  et  de  sculptures 
les  parois  des  grottes  qu'ils  habitaient.  Quand  M.  de 
Santuola  signala,  en  1879,  dans  la  grotte  d'Altamira, 
près  de  Santander,  les  premières  peintures  quaternaires, 
cette  découverte  fut  accueillie  avec  la  même  hostilité 
que  l'avaient  été,  cinquante  ans  auparavant,  la  décou- 
verte de  Boucher  de  Perthes.  Depuis,  les  découvertes 
se  sont  multipliées  dans  les  Pyrénées,  dans  la  Gironde, 
dans  la  Dordogne,  grâce  aux  savantes  investigations 
de  M.  Cartailhac,  de  l'abbé  Breuilh,  du  Docteur  Capitan 
et  de  M.  Peyrony,  un  instituteur  des  Eyzies  dont 
la  science  n'a  d'égale  que  la  modestie  exagérée. 

Après  avoir  chassé  de  leurs  repaires  le  grand  ours 
et  les  fauves  qui  les  occupaient,  l'homme  s'est  installé 
dans  ces  immenses  cavernes  pour  y  habiter,  peut- 
être  même  pour  y  célébrer  des  rites  religieux. 

Pourquoi  nos  ancêtres  avaient-ils  choisi  la  partie 
la  plus  profonde  et  la  plus  sombre  de  ces  grottes  pour 
y  tracer  ces  sculptures  et  ces  fresques,  si  ces  endroits 
retirés  n'avaient  pas  dû  servir  à  la  pratique  de  quelque 
cérémonie  mystique  et  religieuse. 

A    Niaux,    dans    l'Ariège,    les    peintures    font     leur 


—  56  — 

apparition  à  600  mètres  de  l'entrée,  et  elles  se  prolongent 
jusqu'à  l.'ion  mètres. 

Aux  Combarelles,   on  parcourt    118  mètres  avant   de 
rencontrer  les   premières  gravures. 
A   la    Mouthe,    200    mètres. 

Il  faut  avoir  visité  une  de  ces  grottes  pour  se  rendre 
compte  du  degré  artistique  que  devaient  avoir  atteint 
ces  chasseurs  de  rennes.  La  grotte  de  Font  de  Gaumes 
que  je  visitais  en  juin  1905,  a  120  mètres  de  longueur, 
A  65  mètres  de  l'entrée,  on  commence,  à  la  lumière  des 
bougies,  à  distinguer  les  étranges  dessins,  qui  deviennent 
nombreux  quand  on  atteint  une  vaste  salle  de  40 
mètres  de  longueur  sur  deux  à  trois  mètres  de  large 
et  cinq  à  six  mètres  de  hauteur.  Là,  sur  les  parois  et 
jusque  sur  la  voûte,  se  voient  des  peintures  exécutées  à 
l'ocre  rouge  et  au  manganèse.  Voici,  au  reste,  la  descrip- 
tion qu'en  donne  M.  Cartailhac  : 

«  La  Grotte  de  Font -de -Gaumes  s'ouvre  dans  le 
»  flanc  d'une  colline  coupée  à  pic  et  l'on  y  accède  en 
»  suivant  les  éboulis  et  une  corniche  de  la  falaise  suspen- 
»  due  dans  le  vide.  Après  avoir  franchi  un  passage  fort 
»  étroit,  à  65  mètres  de  l'entrée  on  débouche  dans  une 
»  vaste  salle.  C'est  elle  et  un  diverticule  extrême  qu'ornent 
»  d'une  façon  extraordinaire  des  gravures  et  surtout 
»  des  peintures.  Il  s'agit  de  véritables  fresques.  Ces  images 
»  sont  en  effet  le  plus  souvent  peintes.  La  gravure  est 
»  généralement  associée  à  la  peinture  qui,  parfois,  re- 
»  couvre  les  traits  ou,  au  contraire,  ceux-ci  sont  tracés 
»  par  dessus:  parfois  la  figure  est  en  partie  peinte,  en 
»  partie  gravée,  d'autres  fois  seulement  gravée.  Un 
»  emploi  judicieux  du  noir  et  du  brun  a  donné  aux  fonds 
»  rouges  un  modelé  étonnant,  tantôt  vrai,  tantôt  bizarre. 
»  Les  teintes  sont  souvent  fondues,  parfois  ce  ne  sont 
o  (pie  des  touches  vigoureuses  et  isolées  sur  un  fond 
»  plus  clair;  de  vrais  grattages  de  la  roche,  qui  a  une 
»  couleur    jaune,    interviennent    çà    et    là,    accentuant 


—  57   - 

»  certaines  couleurs  en  y  déterminant  un  travail  de 
»  champlevé.  Nombre  de  figures  sont  légèrement  voilées 
»  par  une  mince  couche  de  stalagmite,  beaucoup  se 
»  perdent  sous  un  dépôt  plus  épais. 

»    Sur   80   animaux    représentés ,    et    ce    nombre    est 
»  aujourd'hui    bien    dépassé,    on    compte     49   aurochs, 
»  1  renne,   1  cerf,  4  égendis,  3  antilopes,  2  mammouths, 
»  11    indéterminés. 

»  Ce  sont  les  aurochs  qui  dominent;  on  en  voit  plus 
»  de  cinquante,  soit  en  file,  soit  affrontés,  tantôt  en  un 
»  rang,  tantôt  sur  plusieurs  rangs  étages  jusqu'à  la  voûte. 
»  A  Font-de-Gaumes,  j'avais  l'impression  d'un  travail 
»  systématique  ,  d'une  ornementation  voulue  de  la 
»  caverne.  » 

A  Altamira,  aux  Combarelles,  à  la  Mouthe,  a  Niaux, 
partout  où  le  calcaire  permet  au  sculpteur  de  se  livrer 
à  son  art,  nous  retrouvons  les  traces  de  nos  artistes 
animaliers. 

Cette  merveilleuse  éclosion  artistique  disparaît  tout 
à  coup,  brusquement,  dans  cette  nuit  profonde  et 
obscure    qui    sépare    le    paléolithique    du    néolithique. 

Que  sont  devenus  nos  chasseurs  de  rennes,  nos 
artistes  des  bords  de  la  Vèzere  et  des  Pyrénées  ?  Dans 
quel  cataclysme  naturel,  sous  quelles  invasions  ont- 
ils  disparus  ?  Mystère  qu'on  a  essayé  d'expliquer 
de  bien  des  façons  :  destruction  complète  disent  les 
uns,  émigration  disent  les  autres,  fusion  enfin  avec 
la   race   des  immigrants  néolithiques. 

Quoiqu'il  en  soit,  nous  ne  retrouvons  plus  nulle 
part  la  trace  de  nos  chasseurs;  et  les  nouveaux  venus, 
qui  étaient  plutôt  des  agriculteurs  et  des  pasteurs, 
ne  nous  ont  laissé  ni  dans  les  débris  des  habitations 
lacustres,  ni  dans  nos  dolmens,  aucune  œuvre  qui 
puisse  faire  supposer  la  survivance  de  l'école  magda- 
lénienne. 


58 


D'où  étaient  venus  ces  immigrants;  peut-on  suivre 
leurs  traces  par  le  jalonnement  des  dolmens  édifiés  ? 

Dans  l'Inde  centrale,  dans  l'Arabie,  la  Palestine, 
le  Caucase,  la  Crimée,  l'Algérie,  la  Tunisie,  le  Maroc, 
la  Scandinavie  méridionale,  l'Allemagne  du  nord, 
la  Hollande,  la  Gaule,  l'Espagne,  nous  trouvons  partout 
les  mêmes  procédés  de  construction  ;  seule  la  vallée 
du  Danube,  cette  grande  voie  des  immigrations  cel- 
tiques, ne  possède  aucun  dolmen  ;  ce  ne  sont  donc- 
pas  les  Celtes,  ainsi  que  l'a  soutenu  Henri  Martin,  qui 
ont  construit  nos  monuments  mégalithiques;  ce  ne  sont 
pas  les  Aryens,  la  linguitique  proteste  contre  de  sem- 
blables théories;  sont-ce  les  Phéniciens,  ces  grands 
envahisseurs  et  ces  grands  commerçants? 

En  réalité,  on  ne  sait  rien  sur  cette  race  conquérante. 
D'où  venait-elle  ?  A  quelle  époque  historique  cette 
immigration  s'est -elle  accomplie  ?  Question  aussi 
obscure,  aussi  complexe  que  celle  de  la  destination  de 
nos  alignements,  de  nos  cromlechs. 

Bien  des  observations  ont  été  faites  sur  leur  orien- 
tation, sur  leur  taille.  On  s'est  demandé  pourquoi, 
à  Carnac  par  exemple,  les  menhirs  (et  cela  est  très 
visible  au  Menée)  sont  plus  grands  près  des  cromlechs 
et  vont  en  diminuant  de  l'Ouest  à  l'Est.  C'est  là  un 
système  voulu,  intentionnel,  dont  la  signification  nous 
échappe. 

Si  la  destination  des  dolmens  est  aujourd'hui  connue, 
la  date  de  leurs  constructions  reste  encore  bien  mysté- 
rieuse. Je  parle  ici  de  nos  dolmens  bretons.  On  a  voulu, 
à  une  certaine  époque  et  souvent  d'après  une  méthode  plus 
systématique  que  scientifique,  leur  attribuer  une  date 
fabuleuse.  Il  faut,  suivant  nous,  faire  des  distinctions, 
et  il  est  impossible  d'admettre  que  ce  sont  les  mêmes 
hommes  qui,  aux  mêmes  époques,  ont  élevé  les 
dolmens  grossiers,  sortes  de  coffres  en  pierres,  sans 
allées,  où  l'on  ne  rencontre  que  des  poteries  ayant 
longtemps  servi,   des  haches  en  diorite  usagées,  et  ces 


59  - 


beaux  dolmens  à  galeries  sous  tumulus  avec  leurs 
mobiliers  déjà  fort  riches,  leurs  poteries  soignées,  leurs 
dalles  gravées  de  signes  cabalistiques  et  mystérieux  : 
ou  encore  ces  allées  couvertes,  sortes  de  galeries  coudées 
avec  leurs  dalles  couvertes  de  cartouches  ressemblant 
à  des  boucliers,  leurs  poteries  ornementées  ,  leurs  têtes 
de  flèches  en  silex,  véritables  bijoux. 

Non  !  les  dolmens  de  Crucuno,  des  Marchands,  du 
Mane- Retuai,  de  Kercado,  de  Gavrinis;  les  tumulus 
du  Mont  Saint-Michel,  de  Tumiac,  les  allées  coudées 
du  Rocher  et  des  Pierres-Plates  n'appartiennent  point 
à  la  même  époque  et  ne  peuvent  être  attribuées  aux 
mêmes  constructeurs.  Ils  diffèrent  et  par  leurs  dispo- 
sitions et  par  leur  mobilier  et  par  leurs  signes  lapi- 
daires. 

Si  les  premiers,  si  pauvres  commes  mobilier,  appar- 
tiennent à  la  période  néolithique  proprement  dite, 
il  est  à  peu  près  certain  que  nos  belles  allées  couvertes, 
nos  beaux  tumulus,  à  mobilier  rituel,  appartiennent 
à    l'âge    du    bronze. 

On  pourrait  même  dire  que,  en  Bretagne,  on  en  édi- 
fiait encore  au  moment  où  le  fer  fit  son  apparition. 

Simpson,  à  propos  des  figures  étranges  qui  décorent 
quelques-uns  de  ces  monuments,  écrivait,  il  y  a  plusieurs 
années  :  «  Toutes  ces  sculptures  sont  autant  d'énigmes 
»  que  nous  ne  sommes  pas  à  même  de  résoudre  présen- 
»  tement.  Ornements,  symboles,  hiéroglyphes,  la  clef 
»  de  leur  sens  mystérieux  a  été  perdue  et  elle  ne  sera 
»  probablement  jamais   retrouvée.   » 

«  La  science,  qui  est  aujourd'hui  le  seul  guide  rationnel 
»  en  ces  sortes  de  matières,  doit  se  borner  à  douter  de 
»  tout  à  l'égard  de  nos  gravures  de  peur  d'être  prise  en 
»  flagrant  délit  d'erreurs  par  les  découvertes  qui  sui- 
»  vront.  » 

Le  problème,  hélas  !  est  encore  à  résoudre,  malgré 
les    découvertes    et    les    observations    multiples     faites 


-  60  — 

depuis  plusieurs  années.  Quelle  est  la  signification 
de  ces  signes,  de  ces  eartouches,  de  ces  cupules  ? 
Qui  les  a  gravés  ,  comment  les  a-t-on  gravés  ?  Ce 
qui  semble  bien  peu  probable,  malgré  les  expériences 
faites  à  Saint-Germain  par  M.  Abel  Maitre,  c'est  qu'ils 
l'aient  été  avec  de  simples  instruments  de  silex,  et  tout 
au  contraire  semble  indiquer  que  les  sculpteurs  de 
Gavrinis,  des  Pierres-Plates,  du  Rocher,  connaissaient 
les  métaux. 

Prosper  Mérimée,  au  cours  de  sa  mission  en  Bretagne, 
en  1836,  écrivait  :  «  J'ai  peine  à  croire  qu'on  ait  pu, 
sans  ciseaux  de  bronze,  sculpter  le  granit  de  Gavrinis.  » 

Emile  Cartailhac,  dont  le  nom,  en  matière  de  pré- 
histoire, fait  autorité,  est  d'un  avis  contraire.  Il  appuie 
son  opinion  sur  ce  que,  seuls,  les  piliers  de  granit  sont 
sculptés,  alors  que  ceux  en  quartz,  beaucoup  plus 
durs,   sont  vierges   de  toute  sculpture. 

Cette  objection  me  paraît  bien  spécieuse,  car  la  dureté 
du  quartz  aurait  aussi  bien  résisté  au  burin  de  bronze 
qu'à  la  hache  en  silex. 

Cette  question  est  une  des  plus  intéressantes,  elle 
est  intimement  liée  à  celle  de  l'introduction  des  mé- 
taux en  Gaule. 

Nous  ne  savons  pas  grand  chose  sur  l'époque  à 
laquelle  la  substitution  du  métal  à  la  pierre  se  fit. 
Longtemps  les  peuplades  dolmeniques  durent  se  servir 
à  la  fois  et  de  leurs  vieux  outils  de  pierre  et  de  haches 
en  cuivre.  Nous  trouvons  en  effet  dans  les  dolmens 
les  deux  instruments  associés,  la  forme  même  des  pre- 
mières haches  en  cuivre  pur,  établit  bien  jusqu'à  l'évi- 
dence, que  celui  qui  les  a  fabriquées  s'est  servi  comme 
modèle  des  outils  qu'il  avait  sous  les  yeux  et  qu'il  avait 
lui-même   polis. 

Ce  n'est  que  plus  tard,  quand  l'homme  primitif  sut 
fabriquer  le  bronze  que  la  forme  primitive  de  la  hache 
se  transforma,   et  l'on  vit  alors  successivement  appa- 


-  61  - 

raître  la  hache  à  talons,  la  hache  à  ailerons  et  la  hache 
à  douilles. 

Ces  haches  perfectionnées,  comme  forme  et  comme 
alliage,  ont  dû  certainement  être  importées  par  des 
colporteurs  venus  d'Egypte  ou  d'Asie,  soit  par  la  vallée 
du  Danuhe,  soit  par  voie  maritime  en  suivant  les  bords 
de  la  Méditerranée. 

Les  cachettes  de  fondeur,  si  nombreuses  dans  notre 
péninsule  armoricaine,  sont  la  preuve  évidente  de  cette 
immigration  commerciale.  Ces  métallurgistes  étrangers, 
qui  travaillaient  dans  les  forêts  ou  qui  apportaient 
des  objets  tout  fabriqués,  devaient  disséminer,  clans  des 
cachettes  répairées  avec  soin,  une  partie  de  leur  mar- 
chandise si  convoitée  et  si  nouvelle.  Souvent  ils  péris- 
saient en  chemin  et  ne  revenaient  pas  prendre  les  tré- 
sors cachés  ;  ce  sont  ceux  que  nous  retrouvons  au- 
jourd'hui. 

La  cachette  de  la  prairie  c'e  Mauves,  découverte 
en  1881,  inventoriée  et  classée  par  notre  savant  conser- 
vateur M.  de  Lisle  du  Dreneuc,  est  une  des  plus  curieuses 
et  des  plus  riches  par  la  variété  des  objets  qui  la  com- 
posaient :  armes,  outils,  parures.  Des  cachettes  ana- 
logues ont  été  trouvées,  pour  ne  parler  que  de  la  Loire- 
Inférieure,  à  Saint-Père-en-Retz,  à  Vertou,  à  Crossac, 
à  Clisson,  à  Plessé  et,  en  1868,  par  M.  Parenteau  lors 
des   défoncements   effectués   au    Jardin    des    Plantes. 

Parmi  les  objets  trouvés  dans  ces  cachettes,  la 
hache  plate  en  cuivre  pur,  à  surface  rugueuse  et  inégale, 
n'a  jamais  été  trouvée,  ce  qui  indique  bien  que  cet 
objet  tout  primitif,  le  précurseur  en  quelque  sorte 
de  nos  haches  de  bronze,  était  fabriqué  sur  place  par 
les     populations     dolmeniques. 

Ce  qui  semble  inexpliquable,  c'est  que  le  fer  qui  se 
trouve  partout  à  l'état  natif,  qui  pouvait  être  employé 
sans  alliage,  soit  apparu  si  tardivement.  Il  faut  recher- 
cher, je  crois,  dans  la  nature  même  de  ce  métal  la  raison 
du  retard  qui  a  été  apporté  à  son  emploi.    Se  désagré- 


—  62  — 

géant  facilement  au  contact  de  l'air  et  des  corps  étran- 
gers, le  fer  a  longtemps  été  considéré  comme  un  métal 
impur. 

Originaire  de  l'Afrique  centrale,  connu  des  Egyp- 
tiens à  une  époque  très  reculée,  il  n'est  venu  que  très 
tardivement  dans  le  Nord  et  dans  l'Ouest  de  l'Europe 
par  voie  commerciale,  et  les  populations  de  l'âge  du 
bronze  ne  l'ont  tout  d'abord  employé  que  comme  moyen 
de  décoration.  Ce  n'est  que  plus  tard,  très  tard  du  moins 
en  Bretagne,  que  la  véritable  industrie  du  fer  s'est 
répandue. 

A  cette  période,  nous  pouvons  rattacher  nos  belles 
sépultures  circulaires  du  Nignol ,  de  Coet-à-Touse , 
explorées  par  Miln  dans  le  Morbihan  ,  et  celles  de 
Kervitré,  de  Tronven,  de  Kerliscat,  étudiées  par  M.  du 
Chatellier  dans   le  Finistère. 

En  terminant  la  savante  étude  qu'il  a  consacrée 
à  ce  département  depuis  les  temps  préhistoriques 
jusqu'à  l'occupation  romaine  ,  le  savant  et  infatigable 
fouilleur  constate  que  nous  savons  peu  de  choses  sur 
les  populations  qui  ,  à  la  première  époque  du  fer  , 
occupaient  la  presque  île  armoricaine. 

«  Jusqu'à  présent,  écrit-il,  l'Archéologie  nous  apprend 
»  bien  peu  de  choses  à  leur  sujet  ;  du  reste,  du  temps 
»  de  Polybe  même,  on  était  peu  éclairé  à  leur  endroit 
»  puisqu'en  parlant  de  la  Gaule  Celtique,  il  dit  :  «  Ceux 
»  qui  parlent  de  ces  régions  n'en  savent  pas  plus  que 
»  nous,  ils  ne  font  que  débiter  des  fables.   » 

Le  champ  de  nos  recherches  est  vaste,  vous  le  voyez, 
les  mystères  dont  s'entoure  le  passé  et  l'humanité 
sont  troublants,  le  sol  ne  nous  a  pas  encore  livré  tous 
ses  secrets.  A  nous  de  les  rechercher  en  multipliant  nos 
fouilles    et    nos    observations. 

En  cette  terre  celtique,  notre  attention  a  été  trop 
attirée  parles  découvertes  si  intéressantes  et  si  multi- 
pliées  des   stations  gallo-romaines.    Il   a  semblé,    à   une 


—  63  — 

certaine  époque,  que  nous  n'existions  pas  avant  la 
conquête. 

Soyez  persuadés  que  lors  de  l'invasion  de  59  avant 
J.-C,  les  envahisseurs  se  sont  trouvés  en  face  d'une 
civilisation  plus  avancée  que  nous  ne  le  supposons;  c'est 
à  l'étude  de  cette  civilisation  et  de  ce  passé  que  je  vous 
convie. 

Rien  de  plus  troublant  que  ces  recherches  où  l'on 
n'est  guidé  par  aucun  texte,  où  l'on  s'égare  parfois 
aux  charmes  toujours  attachants,  mais  souvent  trom- 
peurs, des  légendes  vieilles  comme  le  monde  ;  mais 
aussi  quelle  joie  quand  dans  ce  labyrinthe  obscur  on 
découvre  quelques  débris  du  fil  qui  doit  nous  conduire 
à  la  lumière  et  à  la  vérité. 

Travaillons  donc,  multiplions  nos  excursions,  nos 
fouilles,  étendons  notre  champ  d'études,  notre  rayon 
d'action  afin  de  bien  montrer  à  tous  que  les  Sociétés 
d'Archéologie  n'ont  d'autre  but,  d'autre  souci,  en 
interrogeant  le  passé,  que  de  contribuer  à  sortir  de 
l'oubli,  à  faire  connaître  les  annales  glorieuses  de  nos 
ancêtres. 

Fustel  de  Coulanges  n'a-t-il  pas  dit  avec  raison  : 
«  Le  véritable  patriotisme  n'est  pas  seulement  l'amour 
«  du  sol,  mais  l'amour  du  passé,  le  respect  pour  les 
«  générations  qui  nous  ont  précédés.   » 


Soc.  Archéol.  Nantes. 


Découverte  d'un  atelier  de  fondeur  à 
Saint-Père-en-Retz,  près  des  rives 

du  Boivre 


En  défrichant  les  taillis  de  l'antique  forêt  de  la 
Guerche  qui  porte  aussi  le  nom  de  forêt  de  Tharon, 
les  fermiers  de  la  métairie  de  la  Moinerie  ont  mis  au- 
jour,  dans  un  fossé  peu  profond  de  la  route  qui  conduit 
chez  eux,  un  amas  de  lingots  métalliques  ayant  l'appa- 
rence de  culots  de  bronze.  Cette  nouvelle  intéressante 
pour  la  science  archéologique  nous  a  été  transmise, 
au  mois  d'avril  1907,  par  M.  Ouisse,  gérant  de  la  pro- 
priété, et  par  M.  Fernand  Couétoux,  notre  nouveau 
confrère,  qui  veulent  bien  être  nos  correspondants 
dans  la  région  de  Paimbœuf. 

Guidés  par  ces  deux  aimables  compagnons,  je  me 
suis  rendu  sur  le  terrain  de  la  découverte  et  je  me  suis 
trouvé  en  présence  d'une  collection  de  12  culots  de 
bronze  en  forme  de  galettes  qui  devaient  être  des 
résidus  empruntés  à  des  fonds  de  creusets  (1).  Un 
spécimen  a  été  envoyé  à  Paris  à  l'Ecole  des  Ponts  et 
Chaussées  pour  être  analysé,  et  son  examen  a  donné 
les  résultats  suivants  (2)  : 

Cuivre 95,26 

Sous-sulfure  de  cuivre 4,  09 

Hydro-carbonate  de  cuivre 0,  20 

Zinc 08 

Plomb .  07 

Etain 04 

Diverses  matières 0,26 


(1)  Leur  poids  atteignait  près  de  40  kilos. 

(2)  M.  l'Ingénieur  en  chef  Cosmi  a  bien  voulu  me  servir 
d'intermédiaire  en  cette  occasion,  avec  son  obligeance  habi- 
tuelle. 


m 


Il  aurait  été  intéressant  de  savoir  qu'elle  était  la 
provenance  de  ce  cuivre,  autant  pour  l'histoire  du 
commerce  que  pour  celle  de  l'industrie,  mais  ce  point 
est  difficile  à  éclaircir.  L'importateur  qui  a  déposé  ces 
lingots  dans  la  Loire-Intérieure  a  pu  emprunter  le 
cuivre  dans  le  département  de  la  Mayenne  où  des  mines 
de  cuivre  ont  existé,  ou  bien  les  amener  d'Espagne, 
par    mer. 

Celle  dernière  hypothèse  est  la  plus  vraisemblable, 
parce  que  les  découvertes  du  même  genre  ont  eu  lieu 
sur  le  littoral  ou  sur  le  bord  des  cours  d'eau  princi- 
palement   (1). 

La  ferme  de  la  Moinerie  n'est  pas  loin  de  l'estuaire 
ou  du  golfe  du  Boivre,  baigné  autrefois  par  le  flux  et 
le  reflux  de  l'Océan.  Les  fondeurs  de  l'âge  de  bronze 
se  sont  établis  dans  cette  contrée,  par  cette  raison 
qu'elle  était  à  l'état  de  forêt  et  que  le  combustible 
est  une  chose  essentielle  pour  un  métallurgiste.  Le 
nôtre  paraît  avoir  fabriqué  des  armes  en  se  déplaçant 
à  mesure  que  le  bois  devenait  plus  rare.  Dans  son  atelier 
de  la  Tiédnais,  près  de  la  Gruais,  il  fabriquait  des  haches 
plates,  des  haches  à  talon,  des  haches  à  ailerons,  des 
haches  à  douille,  des  épées,  des  bracelets,  des  poignards, 
dont  on  a  trouvé  des  spécimens  en  1873.  Vous  pouvez 
les  voir  au  Musée  Archéologique.  La  Tiédnais  n'est  pas 
à  plus  de  2  kilomètres  de  la  Moinerie,  au  nord-est. 

Du  côté  de  l'ouest,  à  la  Tansorais,  qui  est  à  3  kilo- 
mètres, on  a  trouvé  également  une  hache  de  bronze 
de  la  même  fabrication.  Ces  témoignages  prouvent 
que  le  fondeur  de  la  Moinerie  a  déployé  une  certaine 
activité. 

Mon  enquête  sur  place  avait  pour  but  surtout  de  me 
rendre  compte  de  l'installa  lion  de  ces  ateliers  primitifs 

(1)  M.  Mercier,  maire  de  Pornichet,  a  trouvé  de  nombreux 
débris  d'objets  de  bronze  sur  la  plage  de  Congrigoux. 


67 


et  des  moyens  qu'on  employait  pour  travailler  les 
métaux.  J'ai  vu  que  l'eau  ne  manquait  pas  dans  le 
bas  du  vallon,  mais  je  n'ai  pas  distingué  nettement 
les  travaux  en  terre  de  protection  qu'on  a  relevés  dans 
le  pays  de  Nozay,  autour  des  gisements  d'étain. 

Il  est  certain  pourtant  que  la  forêt  voisine  renferme 
des  fossés  et  des  talus  importants  qui  auraient  pu  faire 
des  clôtures. 

Ces  fondeurs  se  servaient  de  moules  qui  se  pétris- 
saient ici  en  argile  blanche  dont  on  a  vu  des  vestiges 
autour  du  dépôt  de  culots.  Je  ne  saurais  dire  comment 
ils  se  servaient  des  deux  énormes  pierres  plates  qui  se 
sont  trouvées  aussi  à  proximité.  Sur  l'une  d'elles  on 
a  pris  la  peine  de  creuser,  je  ne  sais  comment,  une 
petite  rigole  qui  la  traverse  dans  toute  sa  longueur. 

Ces  constatations  sont  à  mentionner,  car  elles  ser- 
viront un  jour  à  déterminer  quel  était  l'outillage  des 
fondeurs  de  l'âge  de  bronze. 

Léon    MAITRE. 


La  Copqaête  de  la  Basse-Loire 

par  le  réseau  des  voies  romaipes 


i 

Généralités 


La  conquête  de  la  Loire-Inférieure  par  les  Latins 
et  leur  implantation  jusque  dans  les  moindres  bourgs 
peut  être  démontrée  uniquement  à  l'aide  des  dépôts 
de  monnaies  qu'ils  ont  laissés  ça  et  là,  et  qui  repa- 
raissent au  jour,  de  temps  à  autre,  au  moment  des 
reconstructions  ou  des  défrichements.  Dans  les  contrées 
voisines  du  fleuve,  les  découvertes  ne  sont  pas  surpre- 
nantes, mais  quand  on  rencontre  des  monnaies  du 
IIIe  siècle,  par  lots  de  12  à  1.500,  dans  des  localités 
comme  Crossac,  la  Chapelle-Launay,  la  Chapelle-des- 
Marais,  Treffieuc  et  Pannecé,  on  est  en  droit  de  répéter 
que  les  Romains  ont  pris  possession  de  notre  pays 
complètement,  non  pas  tant  pour  le  soumettre  que  pour 
en   exploiter   toutes   les   richesses. 

Ce  fait  historique  est  confirmé  par  l'existence  d'un 
réseau  de  grands  chemins  qui  sillonnaient  le  pays  en 
tous  sens  et  dont  les  traces  sont  signalées  dans  les 
vieux  titres  et  par  l'enquête  faite,  en  1836,  avant 
la  création  du  réseau  vicinal. 

Nos  routes  nationales  restaurées  sous  le  premier 
Empire  n'ont  fait  que  succéder  aux  vieilles  chaussées 
établies  par  l'administration  romaine.  De  même  que 
les  vieux  gués  ont  servi  d'indication  à  nos  ingénieurs. 

Le  nombre  des  ponts  et  des  bacs  créés  par  les  gêné- 


—  70  — 

rations  du  Moyeu  Age  est  très  restreint  ;  elles  se  sont 
bornées  le  plus  souvent  à  entretenir  et  à  conserver 
la  circulation  établie  dès  la  plus  haute  antiquité  ; 
elles  avaient  besoin  comme  nous  de  voyager,  elles 
auraient  doue  été  fort  incommodées  si  les  moyens 
de  transport  avaient  été  défectueux.  André  de  Varade, 
dans  son  testament,  légua  plusieurs  sommes  à  divers 
ponts  déjà  très  fréquentés  au  XIIe  siècle.  Il  donna 
6  sous  aux  ponts  de  Nantes,  autant  aux  ponts  de 
Grée,  près  d'Ancenis;  10  sous  au  pont  de  Louan  sur 
les  marais  de  Goulaine  et  10  sous  à  la  chaussée  de 
la  Barre-Engelard  qui  doit  être  la  Chaussée  Le  Roy 
en  Rouans  (1). 

Chez  les  Namnètes,  les  ponts  les  plus  vieux  sont  :  le 
pont  Esnaud,  entre  Mouzeil  et  Ancenis  ;  le  pont  de  la 
Mée,  entre  la  Bretagne  et  les  Marches  ;  le  Pont-Château, 
sur  le  Brivet;  la  chaussée  de  Nyon,  sur  les  marais 
de  Donges,  le  pont  de  Méans  ;  le  pont  Miny  (2),  sur 
l'Isac,  à  Sévérac;  Pontpas  et  Pont  d'Arm  en  Assérac; 
les  ponts  de  Nort,  sur  l'Erdre  ;  la  chaussée  de  Barbin 
et  le  pont  de  Gigan,  à  la  sortie  de  Nantes. 

Il  va  sans  dire  que  les  ponts  jetés  sur  la  Loire,  de 
Nantes  à  Pir.mil,  tenaient  le  premier  rang  par  l'impor- 
tance de  la  circulation  ;  ils  étaient  le  point  d'aboutis- 
sement de  plusieurs  routes,  parce  qu'ils  offraient  un 
passage  sûr  en  tout  temps.  La  vénération  qu'ils  ins- 
piraient aux  voyageurs  est  attestée  par  les  nombreuses 
fondations  érigées  entre  chaque  bras  de  la  Loire  à 
traverser  :  N.-D.-de-Bon-Secours,  la  Madeleine,  Tous- 
saints,  les  Récollets,  et,  à  l'extrémité  sud,  Saint- Jacques 
de    Pirmil. 

Ceux  qui  sont  accompagnés  d'une  chapelle  et  d'une 
fondation    pieuse,    comme    Saint-Honoré    de    Bout-de- 


(1)  Dom  Morice,  Histoire  de  Bretagne,  I,  col  727. 

(2)  Le  pont  Miny  dépendait  de  la  terre  de  Sévérac. 


—  71  — 

Bois,  à  Héric,  ou  d'une  fondation  eu  l'honneur  de 
saint  Jacques  ou  de  saint  Nicolas  ,  comme  le  pont 
James  de  Saint-Colombin  et  Saint-Nicolas-de-Redon, 
sont  d'une  antiquité  incontestable,  car  les  générations 
du  haut  Moyen  Age  ont  eu  de  bonne  heure  le  souci 
d'assurer  le  repos  aux  voyageurs.  Les  passages  de  Rozet, 
en  Plessé  ;  de  la  Bourdinière,  en  Pannecé  ;  de  Grâces 
en  Guenrouet;  du  Goût,  en  Malville  (1),  avaient  leur 
chapelle   et   leur   aumônier. 

Quand  le  passage  était  desservi  par  un  bac,  alors 
l'édifice  était  souvent  double  ;  sur  chaque  rive  s'élevait 
une  aumônerie,  comme  à  Nort,  à  Rohars  en  Lavau. 
au   Pellerin,   à   Oudon  et  à   Pilon. 

Toutes  ces  fondations  pieuses  n'ont  été  imaginées 
que  par  le  désir  d'assister  les  voyageurs  ;  elles  sont 
la  conséquence  des  mœurs  d'une  époque  où  l'on  voyageait 
beaucoup,  parce  que  le  pays  était  en  possession  d'un 
réseau  de  routes  établi  depuis  longtemps.  L'existence 
de  routes  à  longue  portée,,  comme  celles  qui  traver- 
saient la  Gaule  et  la  Bretagne  en  particulier,  implique 
le  fonctionnement  d'un  pouvoir  assez  fort  pour  cen- 
traliser les  ressources  :  or,  la  féodalité  était  la  prédo- 
minance du  pouvoir  local,  et  les  régimes  antérieurs 
ne  savaient  pas  gouverner  :  nous  sommes  obligés  de 
remonter  au  delà  des  Mérovingiens  pour  expliquer 
l'origine  des  chemins  innombrables  qui  rayonnaient 
autour  de  Blain' et  de  Nantes.  Les  seigneurs  n'ont  pu 
faire  que  deux  choses  :  entretenir  les  voies  antiques, 
près  desquelles  ils  établirent  leurs  donjons,  et  surtout 
bâtir  des  ponts  ou  entretenir  des  bacs  de  passage 
sur  les   cours   d'eau. 

Sur  la  rive  piétonne,  les  plus  vieux  ponts  sont  ceux 
de  Pont-Rousseau,  de  Port-Saint-Père,  de  Pont-Saint- 

(1)  Prevel,  Le  château  du  Goust  (Bull,  de  la  Soc.  Archéol. 
de  Nantes,  T.  IL  p.  89). 


72 


Martin,  de  Pont-James,  du  pont  de  Louan,  le  pont 
de  Remouillé  (1)  et  la  chaussée  Le  Roy  ou  du  Roi, 
sur  les  marais  de  Vue. 

Nous  n'avons  plus  de  ponts  remontant  aux  Romains, 
mais  nous  sommes  sûrs  de  l'antiquité  de  certaines 
chaussées  noyées  comme  celles  des  gués  d'Assérac, 
de  Pont  Château,  du  Havre  d'Oudon,  de  Rieux,  sur  la 
Vilaine  ;  de  Mauves,  sur  la  Loire. 

Les  empierrements  des  anciens  étaient  triples  et  si 
solides,  qu'ils  ont  pu  résister  pendant  15  siècles  ;  ils  se 
sont  retrouvés  intacts,  au  XIXe  siècle,  à  travers  les 
pays  de  landes,  au  moment  des  défrichements,  autour 
de  Blain  et  dans  les  forêts  de  la  Bretesche  et  de  Saint- 
Mars-du-Désert.  Même  sur  la  rive  gauche  de  la  Loire, 
qui  était  plus  populeuse  et  plus  cultivée,  on  voyait 
encore  intacte,  il  y  a  50  ans,  sur  le  territoire  du  Bignon, 
la  grande  voie  de  Nantes  à  Montaigu,  pourvue  de  ses 
pavés  et  de  ses  fossés.  Les  voies  secondaires,  qui  n'étaient 
pas  pavées,  étaient  cependant  très  larges,  de  telle  façon 
qu'il  restait  toujours  un  passage  praticable  pour  les 
chariots,  même  dans  la  mauvaise  saison.  On  voyageait 
beaucoup  à  cheval.  Quant  aux  transports  lourds,  ils 
s'effectuaient  par  eau  pendant  l'hiver  et  par  route 
pendant  l'été. 

On  reconnaît  généralement  les  routes  romaines  à 
leur  direction  rectiligne  ;  elles  sont  établies  sur  la  crête 
des  collines  et  sur  les  plateaux  quand  elles  sont  d'in- 
térêt général,  sans  souci  de  la  position  des  bourgs. 
Tels  étaient,  chez  nous,  les  grands  chemins  de 
Nantes  à  Angers,  de  Nantes  à  Rennes,  de  Nantes  à 
Vannes. 

Celles  même  qui  n'étaient  pas  pavées  ont  été  dési- 
gnées dans  les  titres  et  les  débornements  par  le   même 


(1)  Une  arche  du  pont  de  Remouillé,  avait  encore  une 
voûte  en  arc  brisé,  en  1841. 


-  73  — 

terme  :  strata,  dénomination  propre  aux  grandes  voies 
consulaires  (1). 

J'en  citerai  un  exemple  à  Saint-Sébastien-lès-Nantes, 
dont -le  port  commercial,  situé  à  Porte-Chaise,  Portus 
carchedrarum,  était  relié  à  Haute-Goulaine  par  un 
chemin  large  et  direct  qu'on  appelait  chemin  des  Mar- 
chands ,  chemin  Bretagne.  Il  n'est  plus  utilisé,  mais 
il  subsiste  presque  intact  jusqu'à  la  pyramide  de  la  Pa- 
touillère.  Les  partages  des  terres  qui  le  bordent  le  nom- 
ment la  Strée  (2). 

Les  passages  de  la  Loire  étaient  nombreux.  Je  les 
énumérerai  en  descendant  le  fleuve  :  Varade  est  un  nom 
de  basse  latinité,  parent  du  mot  Vadum,  dont  on  a 
fait  gué.  Il  existe  sur  la  table  itinéraire  de  Peutinger, 
Varada.  Varade  est  en  face  de  Saint-Florent-le-Vieil 
qui  portait  le  nom  de  Montglonne. 

Ancenis  est  un  poste  féodal  établi  sur  une  rive  nom- 
mée le  Port  Traversin,  sous  la  station  romaine  de 
Saint-Géréon.  Le  passage  est  facilité  par  de  nombreuses 
îles  jetées  de  distance  en  distance,  dans  le  fleuve.  Sa 
fréquentation  est  attestée  par  les  nombreux  chemins 
qui  convergent  sur  ce  point. 

Je  trouve  un  troisième  passage  à  Oudon,  dans  un 
endroit  où  la  vallée  se  rétrécit  entre  deux  hauteurs 
préparées  pour  porter  deux  forteresses  :  Château  Ceau, 
castrum  Seltense,  fait  face  à  la  tour  d' Oudon.  Un  bac 
avait  sa  place  marquée  en  cet  endroit. 

La  station  de  Mauves  (3)  était  reliée  à  la  rive  gauche 
par  une  chaussée  submersible  qui  permettait  de  tra- 
verser la  Loire  pendant  l'été  ;  elle  aboutissait  à  Pierre- 

(1)  Charte  de  Louis  le  Gros,  de  1126  (Annales  de  Bre- 
tagne 1887). 

(2)  Terrier  de  la  sénéchaussée  de  Nantes,  1678,  vol.  xvi, 
f°  371.  Voir  aussi  Partage  de  1736.  Fonds  du  Présidial,  sér.  B. 

(3)  Léon  Maître,  Mauves  à  l'époque  romaine  (Géographie 
hist.  et  descr.  T.  1,  p.  49). 


-  74  — 

Percée   et   à   la    station    romaine  de   Saint-Barthélémy, 
en   Saint-Julien. 

L'antiquité  des  ponts  de  Nantes  est  incontestable, 
quand  on  considère  1rs  avantages  que  la  Nature  avait 
groupés  sur  ce  point  pour  tenter  les  voyageurs.  Il  est 
visible  que  les  îles  multiples  fixées  au  milieu  du  fleuve 
sont  autant  de  points  d'appui  pour  soutenir  des  arches. 
De  plus,  à  chaque  extrémité,  viennent  se  confondre 
en  une  seule  roule  divers  grands  chemins  tracés  par 
les  Namnétes  et  les  Pictons  pour  provoquer  les  commu- 
nications de  part  et  d'autre. 

Au-dessous  de  Nantes,  il  faut  aller  jusqu'au  Pelleriq, 
en  face  de  la  station  romaine  de  Couèron,  pour  trouver 
un  nouveau  passage  avec  bac  correspondant  à  deux 
voies  qui  viennent  du  Nord  et  du  Sud  se  souder  sur  ce 
point. 

Un  dernier  bac,  avant  la  mer,  était  établi  sur  la  rive 

de  Lavau,  près  de  Sainte-An ne-de-Rohars  (2),  en  face 

de    Saint-Nicolas-du-Migron,    en    P'rossay.    Migron    est 

Cj  une   corruption    de   Migrant  et   rappelle   les   é  migrant  s 

•    qui  allaient   d'une  province  dans  l'autre. 

Le  pays  des  Namnétes  était  séparé  de  celui  des  Ve- 
nètes  par  la  Vilaine  dont  la  vallée  profonde  et  parfois 
marécageuse  était  difficile  à  franchir.  Les  Romains 
n'avaient  pas  été  arrêtés  par  cet  obstacle,  ils  n'avaient 
pas  hésité  à  établir  «à  Saint-Nicolas-de-Redon,  d'un 
côté,  et  à  Aucquefer  de  l'autre,  de  longues  chaussées 
qui  ont  été  très  utiles  aux  religieux  de  l'abbaye  de 
Redon  pour  exercer  leur  ministère. 

Le  passage  de  Beslé,  au-dessus  du  lac  Murin,  est 
ancien,  puisque  M.  de  Lestourbeillon  a  tracé  par  là 
l'itinéraire  des  moines  de  Landevenec  au  Xe  siècle  (2). 

(1)  Bougouin,  La  chapelle  de  Rohars  (Bull,  de  la  Soc. 
archéol.,  x,  189). 

(2)  Itinéraire  des  moines  de  Landevenec  (Bull,  de  l'Asso- 
ciation Bretonne  1889). 


75 


Un  peu  en  aval,  la  ville  de  Dnretie,  à  Rieux,  avait 
un  bac  et  une  chaussée  submersible  qui  avait  ses  avan- 
tages à  marée  basse.  Le  Moyen  Age  y  ajouta  un  pont 
de  bois  (1). 

Il  y  a  des  traces  de  passage  à  Cran,  un  peu  plus  bas, 
sur  la  rive  de  Téhillac,  parce  que  ce  point  est  sur  la 
route  la  plus  courte  de  Guérande  à  Duretie. 

La  Roche-Bernard  n'est  pas  sur  le  prolongement 
d'une  voie  antique,  ses  accès  sont  d'ailleurs'  trop  abrupts 
pour  tenter  un  ingénieur  libre  de  son  choix.  Sur  la 
rive  de  Ferel,  au  palus  de  Lisle,  il  existe  une  belle 
rampe  en  pente  douce  et  une  cale  de  débarquement 
sur  la  rive  droite  qui  sont  bien  plus  séduisantes.  J'ai 
eu  la  bonne  fortune  de  découvrir,  à  proximité,  les  restes 
d'une  modeste  construction  romaine  qui  avait  toutes 
les  apparences  d'un  logis  destiné  au  gardien  du  passage; 
14  haches  en  pierre  polie  étaient  demeurées  dans  son 
foyer. 

Il  est  possible  que,  près  de  l'embouchure  du  fleuve, 
un  autre  bac  ait  été  établi,  à  Vieille- Roche,  en  Penestin, 
parce  que  ce  point  est  défendu  par  une  sorte  de  forti- 
fication en  terre,  nommée  le  Vieux  Château.  Une  mon- 
naie en  or  de  Tibère  y  a  été  recueillie,  en  1828,  par 
un  cultivateur  (2).  Le  passage  de  Tréhîguier,  qui  est 
encore  plus  près  de  la  mer,  a  un  nom  breton,  synonyme 
de  passage  ;  il  paraît  indiquer  un  endroit  fréquenté 
aussi  par  les  voyageurs. 

Une  voie  transversale  reliait  les  trois  passages  de 
Redon,  de  Rieux  et  de  Ferel,  au  moyen  des  ponts 
de  la  Mée,  du  pont  de  Flandre  et  du  Pont-Miny,  et  d'une 
chaussée   qui   aboutissait   à   la   Templerie   de   Missillac. 

Des  traces  de  gué  artificiel  ou  de  chaussée  noyée 
existent  encore  sur  des  rivières    secondaires    comme  la 


(1)  Léon  Maître,  La  station  romaine  de  Duretie  (Géogra- 
phie hist.  et  deser.,  I,  p.  53). 

(2)  Lycée  armoricain,  1828. 


-    76  — 

Sèvre,  notamment  à  Vertou,  sous  le  lieu  occupé  par  le 
monastère  de  Vertou,  et  aussi  au  village  de  Portillon, 
nom  transparent,  où  les  mariniers  ont  constaté  avec 
moi  l'existence  d'un  haut  fond  qui  relie  les  deux  rives, 
près  de  la  Chatellière.  Les  grands  chemins  qui  aboutis- 
saient là  se  nomment,  en  1460,  «  le  grand  chemin  par 
ou  l'on  vait  de  Vieillevigne  à  Portillon  »  (1),  «  le  che- 
min qui  conduit  de  Portillon  à  l'estang  de  Toffou  », 
ou  le  chemin  du  pont  de  Louan  à  Portillon,  au  XVIIe 
siècle  (2). 

Il  fallait  bien,  en  effet,  créer  des  routes  transversales 
pour  relier  entre  elles  les  grandes  voies  tracées  du 
Nord  au  Sud  et  faciliter  la  circulation  de  l'Est  à  l'Ouest, 
du  Poitou  en  Anjou,  et  vice  versa. 

Quand  le  sol  manquait  de  consistance,  comme  dans 
la  vallée  de  la  Chenau,  on  remplaçait  les  arches  et  les 
piles  de  pont  par  un  radier  de  charpentes  noyé  entre 
deux  eaux.  Tel  était  le  pont  romain  du  Port-Saint-Père 
qu'a  rencontré  M.  de  Grandville  lorsqu'il  établit  le  pont 
à  péage  dont  nous  nous  servons  depuis  1846.  Le  radier 
avait  5  mètres  de  largeur. 

Les  voies  autour  de  Blain 

Blain  était  au  centre  du  pays  des  Namnètes,  au  milieu 
des  établissements  de  métallurgie  qui  faisaient  leur 
principale  occupation.  Là  se  croisaient  de  nombreuses 
voies  de  communication  qui  permettaient  aux  indus- 
triels d'y  apporter  leurs  produits  comme  sur  un  marché 
et  de  les  exporter  ensuite  dans  toutes  les  directions. 
Quand  on  reporte  sur  une  carte  toutes  les  traces  d'em- 
pierrements anciens  qui  ont  été  relevées  autour  de 
Blain,  on  ne  peut  s'empêcher  de  considérer  cette  place 
comme  un  emporium,  c'est-à-dire  un  centre  de   négocg 

(1)  Rentier  de  1460,  f°s  12  et  14  (Arch.  dép.,  série  B,  1896). 

(2)  Ibidem,  E  1406. 


—  77  — 

créé   au   cœur  du   pays  pour  en   exploiter  plus  facile- 
ment les  richesses  naturelles.  (1) 

Deux  voies  partaient  dans  la  direction  de  l'ouest 
et  évitaient  les  bas-fonds  des  marais  de  Saint-Gildas 
en  courant  l'une  vers  Pontchâteau  par  le  territoire 
de  Cambon  où  elle  prend  le  nom  de  Chaussée  Breton, 
dessert  Coislin  et  la  chapelle  Sainte-Barbe  qui  s'élève 
sur  une  hauteur  où  j'ai  trouvé  les  débris  d'un  établis- 
sement romain. 

L'autre  voie  sortait  de  Blain  par  le  Bottier,  le  village 
de  la  Chaussée,  desservait  les  bains  romains  de  Curin, 
montait  le  plateau  des  Moulins  du  Breil,  allait  passer 
la  vallée  de  l'Isac,  au-dessous  d'Evedé,  en  Guenrouet, 
au  Pont  Nozay,  traversait  le  village  de  Grâces,  nommé 
le  passage  de  Grâces,  longeait  le  versant  de  Saint- 
Gildas  qui  domine  les  marais,  se  servait  de  la  chaussée 
de  Pont-Noë  «  qui  est  fort  longue  et  très  fréquentée  »  (2), 
et  rejoignait  la  voie  de  Nantes  à  Vannes  dans  la  forêt 
de  la  Bretesche,  près  de  la  Templerie.  Cette  dernière 
route  avait  une  bifurcation  au-dessus  du  coin  de  Curin 
qui  devenait  la  route  de  Blain  à  Duretie  (Bieux),  et 
aussi  la  route  de  Blain  à  la  chaussée  de  Saint-Nicolas- 
de-Bedon.  Le  tracé  sur  Plessé  est  très  connu  par  l'au- 
mônerie  de  Bozet,  fondée  par  le  duc  Arthur,  en  1314, 
pour  soulager  les  voyageurs,  par  les  noms  de  Chemin 
des  Saulniers  et  de  chaussée  de  Bozet,  et  par  le  pont 
de  la  Mèe  aux  approches  de  Saint-Nicolas  (3). 

A  la  hauteur  des  landes  du  Pâtis-Calobert,  sur 
Fégréac,  se  détachait   une  branche   qui   allait   au   pont 


(1)  Géographie  hist.  et  descr.  de  la  Loire-Inférieure,  T, 
p.  332-340. 

(2)  Rapport  de  1790,  dossier  de  Saint-Gildas  (série  L.f 
district  de  Savenay,  Arch.  dép.). 

(3)  Les  saulniers  de  Batz  et  du  Croisic  portaient  leur  sel 
sur  des  mules,  dans  l'Ouest,  jusqu'au  .Mans,  et  suivaient  les 
routes  les  plus  courtes. 


—  78  — 

de  Flandres  et  se  dirigeait  sur  le  château  de  Rieux 
par  les  chapelles  de  Saint-Joseph  de  la  Touche,  de 
Saint-Jacques  de  Braud  et  desservait  la  ville  de  Duretie, 
assise  sur  les  dvux  rives  de  la  Vilaine.  Les  fouilles  de 
la  butte  de  Braud  qui  domine  l'ample  vallée  attestent 
que  les  Romains  avaient  placé  là  un  poste  pour  garder 
le  passage  (1). 

Du  côté  du  sud,  les  communications  avec  la  Loire 
étaient  assurées  par  Bouvron  et  Savenay,  pour  aboutir 
au  prieuré  cl  au  port  de  Sainte-Anne  de  Rohars,  en 
face  du  Migron.  Ce  chemin,  sur  son  parcours,  est  signalé 
sous  le  nom  de  voie  romaine.  Il  dessert  le  châtel  de 
Bouvron,  puis  traverse  le  bois  taillis  des  Nommerais, 
les  landes  de  la  Moëre,  où  son  empierrement  se  montre 
sur  Une  longueur  d'une  lieue,  et  sert  de  limites  à  quatre 
paroisses;  il  laisse  Savenay  à  4  kilomètres  à  l'ouest  pour 
toucher  à  la  Minguais  et  va  directement  sur  Bouée  (2). 

Du  côté  du  Nord,  il  est  non  moins  certain  qu'une 
voie  montait  vers  Conquereuil  par  le  Gâvre  et  fran- 
chissait le  Don  à  Pontveix  ou  pont  vieux,  où  elle  a  été 
parfaitement  reconnue,  ainsi  que  sur  les  landes,  et  se 
dirigeait  de  là  sur  Fougeray  par  Pierric  ou  sur  le  bac 
de  Beslé  (3).  Dans  les  titres,  elle  est  appelée  la  Vieille 
Chaussée  de  Blain  au  Gâvre,  le  Chemin  de  la  Duchesse 
Anne. 

La  direction  que  prend  la  voie  ouverte  à  l'Orient 
par  Boisdun,  la  Mennerais  et  Augrain,  en  Saffré,  loca- 
lité romaine  par  ses  inhumations  et  son  industrie  (1), 


(1)  V.  Dubuisson-Aubenay  :  chemin  de  Nantes  à  Vannes, 
par  Rieux,  dans  son  Itinéraire  de  Bretagne  (Archives  de  Bre- 
tagne, T.  x,  p.  139-151). 

(2)  Ledoux,  Notes  sur  deux  voies  romaines  traversant  Sa- 
venay (Bull,  de  la  Soc.  archéol.  de  Nantes,  1875,  p.  57). 

(3)  Annales  de  la  Société  académique,  1847,  p.  8-52. 

(I)  A.  P.  Leroux,  Vases  gallo-romains  découverts  à  Sa/fré 
(Bull,  de  la  Soc.  archéol.,  1877,  p.  127.) 


79 


semble  indiquer  qu'elle  fut  tracée  pour  relier  Blain  à 
Candé,  car  on  la  suit  plus  loin  dans  la  forêt  de  Vioreau, 
entre  les  étangs  de  la  Provôtière  et  la  Poitevinière, 
à  Vivelle  et  à  Freigné. 

Blain  était  relié  à  l'Anjou  par  une  voie  connue  sous 
le  nom  de  Chemin  de  la  Duchesse,  qui  passait  sur  Héric, 
à  la  Grée  et  à  Fiéraut,  et  se  dirigeait  sur  les  ponts 
de  Nort,  (1)  vieux  passage  où  venaient  aboutir  plusieurs 
grands  chemins,  notamment  ceux  de  Saint-Géréon 
et  ceux  de  Varade.  La  même  voie  bifurquait  près  de  la 
chapelle  de  Landebroc,  sur  Nort,  et  recevait  les  voya- 
geurs qui  se  rendaient  à  Petit-Mars  et  à  Mauves,  deux 
stations  romaines  très  connues, .  par  le  passage  de 
Ponthus,  la  Déchausserie  et  la  forêt  de  Saint-Mars- 
du-Désert,  parcours  que  j'ai  reconnu  à  la  Pierre  et 
aux  Piliers  par  des  empierrements  extraordinaires  (2). 

Du  côté  de  Nantes,  la  voie  romaine  de  Blain  a  un 
tracé  rectiligne  bien  connu  à  travers  les  landes;  il  était 
reconnaissable,  il  y  a  60  ans,  à  la  Groulaie,  à  l'arche 
de  Fouan,  au  bourg  de  N.-D.-des-Landes  et  à  la  Pas- 
quelais.  Au  total,  sept  voies  aboutissaient  à  Blain  ou 
en    sortaient. 

III 

Voies  autour  de  Nantes 

La  route  de  Bennes  sortait  de  la  ville  et  s'éloignait 
de  l'enceinte  par  la  rue  Monfoulon,  la  chaussée  de 
Barbin,  qui  est  antique  et  dont  saint  Félix  s'est  servi 
pour  faire  des  moulins  en  la  rehaussant,  passait  près 
de  Loquidic,  franchissait  le  Cens  près  du  Port-Lambert 

(1)  Rapports  de  MM.  Léon  Maître  et  Aie.  Leroux  (Bull,  de 
la  Soc.  archéologique  de  Nantes,  1883,  pp.  198-203;  1885, 
p.  IX.) 

(2)  Géographie  hist.  et  descr.,  T.  1,  pp.  10-12. 

Soc.  Archéol.  Nantes. 


—  80  — 

et  allait  rejoindre  le  plateau  de  la  route  de  Rennes 
actuelle  par  Launay- Violet  et  la  Boissière,  pour  éviter 
la  côte  rapide  du  pont  du  Cens  moderne.  Arrivé  là, 
une  bifurcation  se  présentait.  Une  ligne  moulait  vers 
Casson  par  Massigné  et  le  Saz  (1),  où  se  trouvait  une 
villa  romaine,  en  servant  de  limites  aux  communes 
de  la  Chapelle  el  de  Trellières  ;  l'autre  courait  au 
sommet  de  la  vallée  du  Cens  vers  le  centre  de  Blain, 
à  travers  les  landes  de  Trellières,  de  Grandchamp  et 
de  Héric,  sans  desservir  les  bourgs  actuels. 

Les  voyageurs  qui  ne  voulaient  pas  aller  par  Barbin, 
sortaient  de  la  ville  par  la  rue  de  la  Boucherie,  le  Mar- 
chix,  la  chapelle  Saint-Lazare,  la  rue  Noire,  le  Gué- 
Moreau,  sous  le  nom  de  Grand  Chemin  et  pavé,  et  re- 
joignait la  voie  de  Barbin  au  pont  du  Cens,  voisin  du 
Port-Lambert. 

Plusieurs  chaussées  prenaient  la  direction  du  Nord, 
mais  le  véritable  grand  chemin  de  Nantes  à  Rennes 
était  celui  cjui  prenait  le  tracé  de  Héric  et  traversait 
presque  partout  le  désert  des  landes  incultes.  Il  pas- 
sait l'Isac  à  Bout-de-Bois  et  le  Don  au  sud-ouest  de 
Jans,  sur  le  pont  de  Trenou  ;  la  Chère  au  pont  de  la 
Kyrielle,  en  Mouais,  et  entrait  dans  le  pays  des  Re- 
dones  (2).  Ce  tracé  nous  est  indiqué  par  la  position 
des  châtellenies  de  Héric  et  de  Nozay,  chargées  de  le 
garder,  et  par  un  texte  de  1678  qui  nous  rapporte 
que  le  gibet  de  Nozay  «  était  sur  le  chemin  qui  conduit 
à  Derval,  qui  est  le  grand  chemin  de  Nantes  à  Rennes  (3)» 
Néanmoins,  le  voyageur  pouvait  suivre  un  autre 
parcours  plus  long  par  Joué   el    Melleray.    Il  avait  la 

(1)  Kersabiec,  Débris  gallo-romains  trouvés  au  Saz  (Bull, 
de  la  Soc.  archéol.,  1865,  v,  71). 

(2)  Celle-ci  évitait  le  bourg  de  Fougeray  qui  était  desservi 
par  la  voie  de  Blain  à  Rennes  par  Conquereuil  et  Pierric. 

(.'!)    Terrier  de  le  sénéchaussée  de  A unies,  \x,  860.  (Arch. 
dép.,  série  B). 


81 


route  de  Carquefou  à  Petit-Mars  qui  montait  à  Joué 
par  Saint-Jacques  des  Touches,  et  court  au  sommet 
des  coteaux  dominant  la  rive  gauche  de  la  vallée  de 
l'Erdre. 

La  route  de  Nantes  à  Angers  et  Paris  empruntait  le 
même  parcours  jusqu'à  Carquefou,  sur  les  landes  de 
la  Madeleine,  en  Bois;  là,  elle  se  détournait  vers  l'Est 
pour  aller  au  Chemin  Nantais,  au  prieuré  de  Saint- 
André,  puis  se  dirigeait  sur  la  station  romaine  de  Mauves; 
elle  franchissait  les  marais  de  la  Vaugour  sur  une  arche 
dite  de  Gobert  construite  en  aval  de  l'arche  actuelle  pour 
permettre  au  roulage  de  contourner  la  petite  montagne 
qui  fait  obstacle  en  cet  endroit.  Les  ingénieurs  du  règne 
de  Louis  XVI  ont  rectifié  ce  détour  en  pratiquant  une 
profonde  tranchée  dont  les  déblais  ont  servi  à  combler 
une  partie  de  la  vallée.  Cette  méthode  était  rarement 
employée  par  les  anciens.  Ils  préféraient  se  servir  de  lacets 
et  descendaient  au  port  de  Mauves  par  des  rampes,  puis 
remontaient  vers  la  ville  antique  de  Mauves  au  moyen 
d'une  route  en  pente  assez  raide,  mais  solide,  dont  les 
ornières  creusées  dans  le  roc,  subsistent  en  plus  d'un 
endroit.  Les  voyageurs  passaient  entre  le  temple  de 
Vieille-Cour  et  le  théâtre  de  Beaulieu  et  arrivaient  au 
carrefour  de  la  Barre  d'où  partait  la  voie  de  Mauves  à 
Petit-Mars  (1). 

La  route  de  Nantes  à  Angers  continuait  son  parcours 
sur  les  sommets  du  Cellier  et  se  détournait  ensuite  vers 
le  Nord  pour  éviter  les  escarpements  de  la  vallée  du 
Havre  et  atteindre  l'endroit  où  elle  se  rétrécit  assez  pour 
qu'on  puisse  y  établir  un  gué.  Le  lieu  choisi  s'appelle  le 
Pont-Noyé,  parce  que  les  ingénieurs  y  avaient  placé  un 

(1)  Cette  voie,  je  l'ai  suivie  jusqu'aux  Piliers  en  Saint- 
Mars-du-Désert,  où  elle  est  très  connue  des  cultivateurs  qui 
ont  trouvé  son  empierrement.  (Géographie  hist.  et  descr., 
T.  1,  p.  1U). 


82 


radier  en  charpente  pour  assurer  le  roulage.  De  là,  jus- 
qu'aux approches  de  Saint-Géréon,  la  voie  sert  de  limites 
entre  les  communes  d'Oudon  et  de  Couffé,  coïncidence  qui 
caractérise  bien  son  antiquité. 

Sur  Oudon,  se  détachaient  de  la  voie  principale  deux 
embranchements  secondaires  :  l'un  d'eux  redescendait 
dans  la  vallée  pour  atteindre  le  port  d'Oudon  et  le  bac  de 
Castrum  Sellense,  l'autre  se  dirigeait  par  le  vieux  Couffé, 
le  Pas  et  la  chapelle  de  Tacon  sur  le  bourg  de  Mésange. 

Fendant  la  belle  saison,  on  évitait  une  partie  de  ces 
détours  en  sortant  de  Nantes  par  le  chemin  de  Riche- 
bourg,  le  Bourg-Fumé,  le  Gué  aux  Chèvres  et  la  prairie 
de  Mauves  dont  on  traversait  toutes  les  boires  et  les  seils 
à  l'aide  de  ponts  qui  ont  été  utilisés  jusqu'en  1830.  Le 
premier  pont,  appelé  Pont  de  Pierre,  est  cité  dès  le  XIe 
siècle;  (1)  il  servit  au  cardinal  de  Retz  pour  s'évader 
du  château  de  Nantes  et  gagner  Mauves,  puis  le  bac 
d'Oudon. 

On  le  nomme  tantôt  la  rouie  de  Paris,  tantôt  le  grand 
chemin  d' Ancenis.  A  partir  du  Gué-aux- Chèvres,  ou  Gué- 
Robert,  un  troisième  chemin  parallèle  montait  à  mi-côte 
vers  la  chapelle  de  Toutes-Aides,  et  le  vieux  Doulon, 
antique  station,  desservait  Chassay  et  la  villa  de  Tauria- 
cum  (Thouaré)  (2). 

Il  en  était  de  même  pour  la  vallée  de  l'Erdre  :  une  voie 
tracée  à  mi-côte  s'allongeait  jusqu'à  Carquefou,  à  proxi- 
mité des  domaines  des  Salles,  de  Belle-Isle,  de  Ranzay, 
de  Portric  et  des  autres  villas  bâties  dans  la  fertile  con- 
trée de  Saint-Donatien. 

Du  côté  de  l'ouest,  la  cité  de  Condevincum  (Nantes) 

(1)  Charte  de  l'évêque  Heroicus,  1004.  Abbé  Delanoue, 
Saint-Donatien  et  Saint- Rogatien  de  Nantes,  p.  104.  Nantes, 
1904,  1  vol  in-8°. 

(2)  En  1810,  les  arches  de  la  prairie  de  Mauves  étaient 
visibles  sur  la  terre  du  Parc  en  Thouaré  (série  O,  conten- 
tieux, Arch.  dép.). 


—  83  — 

était  défendue  par  les  marais  de  la  Chésine  et  le  coteau 
abrupt  de  l'Hermitage  ou  de  Misérie,  (1)  en  Chantenay, 
et  par  la  vallée  qui  se  rétrécit  au  bout  de  la  rue  de 
Gigant. 

C'est  là  que  fut  établi  le  pont  du  passage  pour  le  chemin 
de  Couëron,  le  plus  ancien.  La  voie  montait  en  droite 
ligne  le  coteau  de  la  Ville-en-Bois  et,  parvenue  au  sommet, 
elle  se  divisait  en  deux  branches  :  la  principale  allait  sur 
le  bourg  de  Saint-Herblain  par  le  passage  de  la  Croix- 
Bonneau,  les  Richolets  et  l'Ornière,  tandis  que  la  voie 
secondaire  descendait  au  sud,  vers  le  bourg  de  Saint-Mar- 
tin de  Chantenay,  par  la  Hautière  et  suivait  les  coteaux 
qui  bordent  le  fleuve.  Elle  rejoignait  la  précédente  par 
le  pont  de  Pierre  et  courait  avec  elle  vers  la  villa  romai- 
ne de  Saint-Martin  des  Salles,  (2)  après  avoir  montré  son 
pavage  à  la  Porchellerie,  enfin  descendait  au  port  de 
Couëron  où  des  ruines  romaines  ont  apparu,  non  loin  de 
l'église,  en  1880.  La  même  route  remonte  à  l'Etang-Ber- 
nard,  poste  antique,  contourne  les  marais  et  paraît  se 
diriger  vers  la  Sénéchallais  et  Saint-Thomas. 

Parallèlement  à  cette  direction  courait  la  voie  de 
Nantes  à  Saint-Etienne  qui  sortait  de  Nantes  par  la 
rue  de  la  Bastille,  l'arche  de  Grillau,  la  Contrie, 
traversait  Saint-Herblain  sous  le  nom  de  grand  chemin 
nantais,  touchait  les  moulins  de  la  Chaussée,  à  la 
Durandière,  le  lieu  du  Petit  Rome  (3),  les  Piliers, 
la  Roussellière  et  Pociou.  Son  pavage  a  été  recon- 
nu au  moulin  neuf  de  la  Bretonnière  ;  il  a  déterminé  la 
construction  des  chapelles  de  Saint-Biaise  sur  Couëron 
et  de  Saint-Savin  sur  Saint-Etienne.  Au-delà,  elle  prend 

(1)  Le  miseur  était  le  receveur  de  la  ville  de  Nantes. 
Miserie  signifiait  recette  et  dépense. 

(2)  Marionneau,  Fouilles  de  la  chapelle  Saint-Martin  de 
Couëron  (Bull,  de  la  Soc.  archéol.,  T.  v,  p.  75). 

(3)  Terrier  de  la  sénéchaussée  de  Nantes,  xv,  81  et  247 
(Arch.  dép.,  B.). 


-  84  - 

le  nom  de  route  de  Guérande,  se  signale  au  passage  de 
Saint-Pierre-du-Goût,  en  Cordemais,  à. mi-côte  du  sillon 
de  Bretagne,  touche  la  villa  gallo-romaine  de  la  Bim- 
boire  que  j'ai  déblayée  et  arrive  sur  le  versant  de  la  Villa 
Saviniaca  (1),  qui  est  devenue  Savenay.  La  chapelle  de 
Saint-Jean  de  cette  localité  était  sur  le  bord  d'un  «  grand 
chemin  et  pavé  »,  en  1679,  qui  devait  être  le  même  (2). 

De  là,  ce  pavé  se  continuait  le  long  des  bois  de  l'abbaye 
de  Blanche-Couronne  et  allait  sur  Saint-Nazaire  par  le 
pont  et  la  chaussée  de  Nion  et  par  le  pont  de  Méans,  à 
l'embouchure  du  Brivet.  A  partir  de  là,  je  me  suis  rendu 
compte  de  visu,  avec  les  ingénieurs,  que  les  vastes  prai- 
ries basses  qui  séparent  la  Loire  de  la  Brière,  étaient  déjà 
colmatées  au  IIIe  siècle  et  ne  différaient  guère  de  leur 
aspect  actuel. 

A  partir  du  pont  de  Méans,  la  voie  bifurque.  Une  bran- 
che se  dirige  sur  Saint-Nazaire  où  l'on  a  constaté  la  pré- 
sence d'un  édifice  romain  aux  Préaux,  au-dessus  de  la 
gare,  pour  suivre  la  côte  et  desservir  les  villas  qui  s'éle- 
vaient çà  et  là,  le  long  du  rivage,  à  Porcé,  à  la  Bougeole, 
Escoublac  et  ailleurs,  sous  le  nom  de  Basse-Voie  ;  l'autre 
branche  contournait  le  golfe  de  la  Brière  et  montait  vers 
Guérande  par  Saint-André-des-Eaux  dont  le  bourg  était 
traversé  par  un  pavé  (3),  ensuite  la  voie  montait  vers  la 
hauteur  où  était  bâtie  la  célèbre  chapelle  de  Saint-Ser- 
vais,  lieu  de  pèlerinage  très  fréquenté  des  Bretons  au  XVe 
siècle  (4).  Je  pourrais  indiquer  une  troisième  route  qui 
allait  de  Saint-André  sur  Saint-Lyphard,  vieux  centre 
carlovingien. 

La  véritable  route  de  Vannes  qui  sort  de  Nantes  par  le 

(1)  Ledoux,  Note  sur  la  voie  romaine  allant  de  Nantes  à 
Vannes  (Bull,  de  la  Soc.  archéol.,  1878,  p.  153). 

(2)  Terrier  de  la  sénéchaussée  de  Nantes,  xxin,  prieuré  d'Er 
(Arch.  dép.,  B.). 

(3)  «  Le  pavé  du  bourg  de  Saint-André  »,  1696  (E  536). 

(4)  Bibl.  de  l'Ecole  des  ch.,  lxi,  p.  65. 


—  85  - 

Marchix  et  la  place  Viarmes  court  sur  la  crête  du  sillon 
qui  sépare  les  vallées  du  Cens  et  de  la  Chésine,  traverse 
le  passage  de  Saultron  et  se  dirige  sur  le  plateau  du 
Temple,  carrefour  de  plusieurs  voies  gardé  par  un  poste 
de  chevaliers  du  Temple,  passe  au-dessus  de  Savenay, 
de  la  Chapelle-Launay  pour  atteindre  Pontchâteau,  pen- 
dant qu'une  autre  route  barre  celle-ci  à  angle  droit  dans 
la  direction  de  Blain  à  Rohars,  à  la  bifurcation  du 
Temple  (1^. 

IV 
Voies  romaines  partant  d'Ancenis 

Plusieurs  voies  rayonnaient  certainement  autour  de 
Saint-Géréon,  centre  romain  et  mérovingien  qui  a  vu 
naître  Ancenis,  au  Xe  siècle,  avec  sa  forteresse  destinée 
à  garder  le  passage  établi  sur  la  Loire  en  cet  endroit  (2). 
Outre  la  voie  qui  wnait  de  Nantes  et  se  dirigeait  sur 
Angers  par  Anetz,  Varade  et  Ingrandes,  il  existait  certai- 
nement plusieurs  autres  grandes  chaussées  qui  mon- 
taient les  coteaux  des  environs.  La  plus  connue  est  celle 
de  Pannecé,  qui  traversait  les  landes  du  Château- Rouge 
et  portait  le  nom  de  Chemin  des  Saulniers,  elle  a  été 
reconnue  au  Courau  et  à  la  Chapelle-Rigaud,  en  Mésange, 
puisa  la  Croix-au-Vesque,  en  Pannecé.  Elle  était  coupée 
sur  Mésange  par  la  voie  de  Blain  à  Saint-Herblon  qui 
traverse  la  Chapelle-Breton  sur  Mouzeil,  et  par  une  voie 
partant  du  pont  Noyé,  en  Oudon,  et  filant  sur  Candé  par 
les  villages  du  Pas,  du  Pas-Nantais  et  la  chapelle  méro- 
vingienne de  Tacon. 

Sur  Pannecé,  elle  croisait,  au  passage  de  la  Bourdi- 
nière,  la  grande  voie  qui  reliait  la  vieille  ville  de  Candé  à 

(1)  Voir,  pour  plus  de  développements,  Léon  Maître, 
Géogr.  hist.  et  descriptive  de  la  Loire- Inférieure,  T.  1,  p.  523. 

(2)  Léon  Maître,  Ibidem,  T.  1,  p.  229. 


-  8f>  — 

Nort  par  Saint-Mars-la-Jaille,  la  Haie-Chapeau  et  le 
château  de  la  Guibourgère.  Nous  savons,  par  un  procès 
soulevé  à  propos  d'une  tentative  de  détournement,  que 
l'allée  du  château  servait  de  route  ordinaire  aux  commu- 
nes circonvoisines.  «  Par  là  passaient  une  foule  de  mar- 
chands des  départements  de  Normandie,  du  Maine  et  de 
l'Anjou  pour  se  rendre  aux  marchés  et  aux  foires  de 
Nort,  de  Joué,  de  Trans  et  des  Touches.  » 

Les  documents  signalent  une  autre  route,  nommée 
chemin  cT  Ancenis  à  Auverné,  dont  le  pavage  était  visible 
en  1818,  sur  une  demi-lieue  de  long,  et  qui  se  dirigeait  au 
nord  par  les  Montils,  la  Croix-Chemin  et  la  chapelle  de 
Saint-Ouen,  en  Riaillé. 

Le  grand  chemin  d'Ancenis  à  Nozay  est  encore  une 
dénomination  fréquente,  il  se  confond  avec  la  route  de 
Nort  ;  il  emprunte  d'abord,  jusqu'au  pont  Esnault,  la 
route  nationale  n°  164  d'Angers  à  Brest,  qui  est  fort 
ancienne,  car  elle  sert  de  limites  à  la  commune  de  Couffé 
et  suit  une  direction  rectiligne  très  significative.  C'est, 
d'ailleurs,  la  route  de  Saint-Géréon  aux  ponts  de  Nort.  Sur 
Mouzeil,  il  y  a  une  bifurcation  voisine  des  Mines,  à  déter- 
miner, qui  doit  traverser  Trans,  Joué  et  Abbaretz. 

L'arrondissement  d'Ancenis  était  traversé  au  nord  par 
une  autre  voie  partant  du  vieux  centre  gaulois  de  Candé 
pour  desservir  la  forêt  et  le  château  de  Vioreau  ;  son  tracé 
en  droite  ligne  passait  par  Freigné,  le  sud  du  village  de 
Carbouchet,  le  Raiteau,  le  Mortier,  la  forêt  d'Ancenis, 
l'intervalle  qui  sépare  les  étangs  de  la  Poitevinière  (l)et  de 
la  Provostière,  touchait  la  Tisonnière  où  l'on  a  trouvé 
des  monnaies  romaines  d'or  et  de  billon.  Là,  elle  prend  le 
nom  de  voie  des  Romains  et  dessert  le  Pas  au  Chevreuil. 

D'autre  part,  on  a  la  certitude  que  Nantes  et  la  Cha- 
pelle-Glain  étaient  reliés  par  une  grande  route  qui  em- 
pruntait d'abord  la  chaussée  de  Nantes  à  Saint-Jacques- 

(1)  On   disait  le  passage  de  la  Poitevinière. 


—  87  — 

des-Touches  par  Petit-Mars;  là,  elle  tournait  à  droite 
pour  rejoindre  Saint- Jean-de-la-Grossière  sur  Trans  et  la 
barre  Théberge,  autre  carrefour,  puis  s'en  allait  à  la  Bru- 
naie  de  Riaillé,  traversait  l'Erdre,  passait  à  la  Rouau- 
dière,  à  la  Provôtière,  touchait  la  limite  de  Joué,  laissait 
la  Vairie  et  le  Pont-Chollet,  un  peu  à  l'est,  et  traversait  la 
forêt  d'Ancenis.  Ce  tracé  existe  encore:  sur  Saint-Sulpice, 
il  y  prend  le  nom  de  Chemin  nantais  ou  marchand. 


Guérande  et  ses  voies  d'accès 

La  meilleure  démonstration  de  l'antiquité  de  Guérande 
est  dans  la  multiplicité  des  voies  qui  rayonnaient  dans 
sa  banlieue  et  partaient  de  ses  murailles  dans  toutes  les 
directions  (1). 

Cette  ville  était  reliée  à  trois  passages  fréquentés  de 
la  Vilaine  :  ceux  de  Vieille  Roche  en  Penestin,  du  Palus 
de  Lisle  en  Ferel,  de  Cran  prés  de  Rieux.  Pour  y  parvenir, 
on  suivait  d'abord  une  route  unique  par  Crémeur,  Ker- 
guenec  en  Saint-Molf,  les  landes  de  Malabri  et  de  Mont- 
pignac,  la  butte  aux  Binguets,  la  butte  de  Trebrezan,  à 
travers  les  marais  de  Pont-d'Arm  où  les  débris  romains  et 
les  pierres  de  la  chaussée  sont  visibles.  Sur  Assérac,  une 
bifurcation  se  présentait  :  une  branche  se  dirigeait  sur 
Cran  par  Kerhérant,  la  Cour-aux-Loups  au  dessus  du 
bourg  d'Herbignac,  par  la  Maladrie,  Villeneuve,  le 
Sabot-d'Or,  le  Mouton-Blanc,  Moutonnac,  Saint-Jean 
en  Saint-Dolay  (près  du  Temple)  et  Cran.  Cette  même 

(1)  Blanchard,  Vénètes,  Namnètes  et  Samites  (Bull,  de  la 
Soc.  archéol.,  1881,  T.  30,  p.  193).  —  René  Kerviler,  Vénè/es, 
César  et  Brivales  portas,  1882  (Ibid.)  -  -  Orieux,  Station 
gallo-romaine  de  Grannone,  1884  (Ibid.)  —  Léon  Maître, 
Guérande  et  la  contrée  guérandaise  (Géogr.  hist.  et  descr.  de 
la  Loire- Inférieure,  I,  pp.  119-218). 


-    88  — 

route  se  dédoublail  à  I  lerbignac  pour  envoyer  une  bran- 
che sur  le  Palus  de  Lisle.  Le  tronçon  qui  allait  rejoindre 
Penestin   parlait    d'Assérac. 

Le  voyageur  sortant  de  Guérande  du  côté  du  Sud 
avait  le  choix  entre  la  roule  haute  et  la  route  basse.  La 
première  passait  par  Kerfas,  près  du  Blanc,  où  elle  sert 
de  limites  à  deux  communes,  près  le  moulin  de  Coetcas 
et  descendait  par  Brangouré  et  Tétras  sur  la  Ville-ès- 
Pierres  où  elle  rencontrait  la  voie  d'Herbignac.  Ceux  qui 
préféraient  suivre  les  contours  de  la  côte  maritime 
passaient  au  nord  de  Tromarzen  au  sud  de  Kerquessaud, 
traversaient  le  vieux  bourg  d'Escoublac  sur  un  chemin 
pavé,  que  les  anciens  ont  vu  avant  l'envahissement  des 
sables,  et  rejoignaient  Saint-Nazaire  par  le  village  du 
Grand-Chemin  et  le  lieu  dit  la   Ville-Chaussée  (1). 

Ceux  qui  avaient  affaire  au  Croisic  ou  dans  les  marais 
salants  n'avaient  pas  besoin  de  passer  par  Guérande,  ils 
trouvaient  à  Cuy  le  grand  chemin  de  Saint-Nazaire  au 
Croisic  par  Careil  et  Saille.  Bien  avant  les  routes  salicoles 
modernes,  on  circulait  très  facilement  à  travers  les  sali- 
nes, les  monticules  et  les  canaux  au  moyen  de  ponts  et  de 
chaussées.  Les  titres  citent  le  pavé  qui  conduit  de  Saille 
au  bourg  de  Batz,  le  grand  chemin  de  Kerrigodo  à  Tréba- 
tier,  de  Congor  au  Croisic  par  la  saline  de  Cambigné,  ce 
qui  n'empêchait  pas  le  tracé  direct  d'une  autre  voie 
partant  du  faubourg  Saint-Armel  pour  descendre  le  ver- 
sant occidental  et  gagner  Saille,  Saliacum,  la  mère-patrie 
du  sel.  Cette  voie  servait  aussi  aux  habitants  des  deux 
villas  romaines  retrouvées  à  Kerbrenezay  et  à  la  Pierre- 
Levée. 

Du  côté  du  nord,  Guérande  était  rattachée  aux  éta- 
blissements romains  de  Clis  et  de  Piriac  par  une  voie  qui 
sortait  par  le  faubourg  de  Bizienne,  traversait  Trescalan 
et  le  village  du  Grand  chemin. 

(1)  Aveux  de  Cleuz  ei  de  Saint-Nazàire  (Arch.  dcp.,  séries 
B  et  E.  -     Aveux  de  Lesnerac,  coll.  de  Wismes). 


—  89  — 

Du  côté  de  l'est,  le  pavé  de  Beaulieu  était  désigné,  au 
XVIe  siècle,  comme  «  le  grand  chemin  qui  conduict  de 
Guérande  droict  à  la  Madeleine  »,  village  où  des  tom- 
beaux de  briques  ont  révélé  la  présence  des  Romains;  de 
là,  il  rejoignait,  près  du  moulin  de  la  Croix-Longue,  la 
voie  romaine  qui  montait  de  Saint-André  à  la  Vilaine  par 
le  Pigeon-Blanc  et  la  Baronnerie. 

Si,  après  ces  témoignages  d'activité,  nous  doutions 
encore  de  l'occupation  du  pays  par  les  Romains,  nous 
n'aurions  qu'à  consulter  la  liste  des  collections  de  mon- 
naies anciennes,  récoltées  dans  le  pays  après  15  siècles  de 
bouleversements.  «  Le  nombre  des  médailles  romaines 
en  bronze,  dit  un  témoin  vivant  en  1819,  que  le  hasard 
fait  découvrir  chaque  jour  dans  le  pays,  est  si  grand,  qu'on 
n'est  pas  étonné  de  les  voir  passer  dans  la  circulation 
pour  des  pièces  de  cinq  ou  de  dix  centimes.  La  plupart 
de  ces  monnaies  sont  consulaires,  quelques-unes  sont 
impériales  r<  (1).  De  son  côté,  Fournier,  l'antiquaire  de 
Nantes,  avait  déjà  noté  sur  son  carnet,  en  1806,  une  dé- 
couverte de  46  monnaies  de  Nerva  et  31  de  l'empereur 
Hadrien  (2).  J'ai  beaucoup  allongé  cette  liste  dans 
ma  Géographie  historique  et  descriptive  de  ta  Loire- 
Inférieure,  T.  1,  p.  212;  je  suis  obligé  d'y  renvoyer  le 
lecteur. 

Cette  énumération  ne  représente  que  la  minime  partie 
de  ce  qui  a  été  exhumé  par  nos  contemporains.  Ajoutez-y 
toutes  les  découvertes  faites  depuis  15  siècles  par  les 
générations  qui  nous  ont  précédés,  et  vous  n'aurez  encore 
qu'une  faible  idée  de  la  richesse  des  populations  gallo- 
romaines  qui  ont  vécu  sur  notre  sol  avant  l'arrivée  des 
Francs. 


(1)  Morlent,  Précis  sur  Guérande  et  le  Croisic,  p.  170. 

(2)  Antiquités  de  Nantes,  T.  1,  p.  65. 


-  90  — 

VI 

Voies  de  la  région  de  Châteaubriant 

Nous  avons  bien  des  raisons  de  croire  que  la  région 
de  Châteaubriant  avait  un  réseau  de  voies  aussi  complet 
que  les  autres  parties  du  pays  nantais  ;  sa  forteresse 
féodale  de  Beré,  bâtie  au-dessus  de  la  vallée  de  la  Chère, 
n'aurait  pas  été  érigée  en  cet  endroit  si  le  fondateur 
n'avait  eu  à  proximité  le  croisement  de  deux  routes,  l'une 
venant  du  sud  et  de  la  forêt  pavée  et  passant  le  Semnon 
sous  le  donjon  de  Soulvache,  passage  très  ancien;  l'autre 
réunissant  Derval  et  Pouancé.  Cette  dernière  est  citée  au 
IXe  siècle  sous  le  nom  de  via  publica  ;  (1)  elle  a  montré  son 
empierrement  aux  chercheurs  dans  plusieurs  endroits  de 
la  forêt  de  Domnèche.  Un  tronçon  se  dirige  vers  Saint- 
Aubin-des-Châteaux  sous  le  titre  de  Chaussée  à  la 
Joyance.  Il  va  tout  lieu  de  croire  qu'une  voie  réunissait 
aussi  Béré  à  Candé  et  à  l'Anjou  par  le  vieux  passage  de 
Vouvantes.  Sur  ce  parcours,  je  vois  la  forteresse  de  la 
Motte-Glain,  bâtie  pour  garder  un  itinéraire  antérieur 
à  la  féodalité  comme  bien  d'autres.  La  plupart  des  sei- 
gneurs n'ont  été  déterminés  dans  le  choix  de  leur  rési- 
dence que  par  l'existence  d'un  grand  chemin  d'accès. 

Quand  une  vallée  était  trop  large  ou  trop  profonde,  les 
anciens  remplaçaient  les  ponts  par  une  chaussée  de 
pierres  traversée,  de  distance  en  distance,  par  des  puits 
faciles  à  couvrir  au  moyen  de  madriers;  le  tout  était 
submersible.  On  fit  à  Moisdon,  pour  franchir  le  Don,  une 
chaussée  qui  est  souvent  citée  dans  les  vieux  titres 
comme  le  prolongement  d'un  grand  chemin  venant  de 
Nantes  par  les  Touches  et  le  passage  de  Saint-Donatien 
de  Joué;  c'est  pourquoi  les  Templiers  fondèrent  une  rési- 
dence à  Moisdon. 

(1)   Cartulaire  de  Redon,  n°  231. 


91 

Rougé,  Lusangé,  Fercé,  Ruffigné,  Louisfer,  Auverné, 
Sion,  Juigné  sont  des  noms  dérivés  du  latin  qui  attestent, 
comme  les  monnaies,  la  fréquence  des  groupes  romains 
qui  exploitaient  les  gisements  de  fer  du  pays  et  qui  ont 
construit  toutes  ces  chaussées  pavées  pour  l'exportation 
des  produits  de  leurs  forges.  Nous  avons  trouvé  des 
monnaies  qui  prouvent  que  le  commerce  s'est  étendu 
à  Saint- Vincent-des-Landes,  à  Saffré,  à  Petit-Mars  et  à 
Nort. 

Nozay,  avec  sa  châtellenie,  était  au  point  d'intersection 
de  deux  grandes  voies  bien  reconnues  :  celle  qui  montait 
de  Nantes  à  Rennes  que  j'ai  déjà  citée,  et  une  autre  ve- 
nant de  l'Est,  dont  le  prolongement,  sur  Guémené,  a  été 
rencontré  lors  des  partages  de  landes  autour  des  Quatre 
Contrées  et  au  lieu  dit  le  Haut-Merel  (1).  Quand  on  tire 
une  ligne  droite  de  Nozay  à  Candé,  on  traverse  la  région 
qui  contient  le  plus  de  traces  de  l'industrie  métallurgique 
des  anciens  :  les  forêts  de  l'Arche,  de  Vioreau,  de  Melle- 
ray,  d'Ancenis  et  de  Saint-Mars,  le  bourg  de  Melleray, 
vêtus  Melereium.  Il  n'est  donc  pas  téméraire  de  rattacher 
Nozay  à  Abbaretz  au  tronçon  de  voie  qui  sort  de  Candé 
pour  toucher  la  Rarre-David. 

VII 
Les  voies  romaines  chez  les  Piétons 

Sur  la  rive  gauche  de  la  Loire,  les  traces  de  la  domina- 
tion romaine  ne  sont  pas  moins  nombreuses  que  sur  la 
rive  des  Namnètes.  Outre  le  port  de  Rezé,  portus  Ratiaten- 
sis,  qui  occupait  trois  kilomètres  de  terrain  en  bordure 
sur  la  Loire,  on  rencontrait  des  constructions  romaines  à 
Vertou,  aux  Cléons,  au  Loroux,  à  Saint-Julien-de-Con- 
celles  (Nociogilum)  (2),  au  Rignon,  à  Rougon,  à  Corcoué, 

(1)  Témoignage  de  M.  Benoît,  expert. 

(2)  Testament  de  S.  Bertrand  (Gallia  christ,  xiv,  116). 


—  92  — 

à  Arthon,  à  Saint-Père-en-Retz,  au  Clion,  à  Prigny  et, 
dans  la  contrée  voisine,  des  cités  importantes  comme 
Durinum  (Montaigu),  Chassiacus  (Montfaucon),  Tiffau- 
ges,  Montrevault,  Aizenay  (1),  avec  lesquelles  les  commu- 
nications des  Namnè+cs  étaient  fréquentes.  Là,  comme 
ailleurs,  les  ingénieurs  romains  ont  tracé  le.urs  grandes 
routes  sur  la  ligne  de  partage  des  eaux,  au  sommet  des 
vallées,  et  ont  choisi  les  meilleurs  passages  pour  franchir 
les  rivières  qu'ils  ne  pouvaient  éviter.  Les  abbayes  de 
Villeneuve,  de  Geneston,  de  la  Chaume,  les  châteaux  de 
Toufou,  des  Huguetières  et  bien  d'autres,  n'avaient 
choisi  leur  emplacement  que  pour  être  à  proximité  des 
grands  chemins  de  l'antiquité. 

Dès  qu'on  avait  franchi  le  dernier  bras  de  la  Loire  à 
Pirmil,  on  avait  devant  soi  une  voie  qui  courait,  sous  le 
nom  de  grand  chemin  Clissonnais,  sur  un  plateau  domi- 
nant les  deux  vallées  de  la  Sèvre  et  de  la  Goulaine,  sur 
laquelle  s'embranchait,  à  Notre-Dame-de-  Bonne-Garde, 
le  chemin  de  Saint-Sébastien  et  des  communes  riveraines 
de  la  Loire;  à  droite,  le  chemin  bas  de  Vertou  par  Beau- 
tour  et  les  rives  de  la  Sèvre  (2). 

Près  de  la  Grammoire  et  de  la  Maladrie  de  Vertou  (la 
gare  du  chemin  de  fer),  un  autre  embranchement  la 
rattachait  à  l'abbaye  mérovingienne  de  Vertou  ;  plus 
loin,  près  de  l'Allouée,  une  nouvelle  bifurcation  conduisait 
au  pont  de  Louan  que  j'ai  déjà  eu  l'occasion  de  citer.  Il 
n'y  avait  pas  d'autre  passage  pour  franchir  les  marais 
de  la  vallée  de  Goulaine.  Là,  aboutissaient  un  grand 
chemin  venant  de  Portechaise  en  Saint-Sébastien,  port 
abandonné  depuis  longtemps,  le  bas  chemin  de  Nantes 
par  la  Savarière  (3)  et  un  chemin  venant  de  Saint-Fiacre. 

(1)  Voir    Léon    Maître,    Géographie   hist.   et  descr.   de   la 
Loire- Inférieure,  T.  11,  p.  52. 

(2)  Ce  chemin  bas  subsiste  jusqu'à  la  chaussée  de  Vertou 
(Géographie  hist.  et  descr.,  T.  11,  p.  110.). 

(3)  Aveux  de  Saint-Séhastien,  1511  (Arch.  dé]).,  série  B). 


93 


Parvenue  près  du  Hallay,  cette  grande  voie  se  divisait 
de  nouveau  en  deux  branches  importantes,  Tune  allait 
sur  Vallet  et  Geste,  en  passant  près  de  la  station  romaine 
des  Cléons,  où  elle  a  été  très  bien  reconnue,  tandis  que 
l'autre  branche,  dirigée  sur  la  châtellenie  du  Pallet  qui 
commandait  le  passage,  arrivait  à  la  Trinité  de  Clisson 
sur  la  rive  droite  de  la  Sèvre.  Cette  voie  se  nommait  le 
grand  chemin  de  Clisson  et  devait  servir  aux  voyageurs 
de  Montfaucon. 

Une  autre  voie  reliait  Pirmil  à  Clisson  par  la  rive 
gauche  sous  le  nom  de  route  de  Poitiers,  en  empruntant 
le  parcours  de  Vertou  et  de  Saint-Fiacre  ;  elle  franchi- 
sait la  vallée  de  la  Sèvre  à  la  Ramée,  où  se  trouvait  un 
bac  royal  (1),  il  n'y  a  pas  100  ans,  montait  le  plateau  de 
Saint-Fiacre  et  arrivait  à  Clisson  par  Gorges  pour  desser- 
vir la  contrée  deTiffauges,  pagus  Teophalgicus.  Dans  une 
enquête  de  1674,  ce  grand  chemin  est  appelé  chemin 
Chastelays,  il  passe  à  la  Croix  de  la  Justice  de  la  Bretes- 
che,  en  Monnières,  et  sépare  Monnières  de  Saint-Lumine- 
de-Clisson  (2).  Sur  Cugand,  il  devait  passer  à  la  ferme  de 
la  Haute-Voie  (3). 

Le  Loroux-Bottereau,  Oratorio,  célèbre  par  ses  cime- 
tières mérovingiens,  était  un  carrefour  d'où  partaient 
plusieurs  voies  :  l'une  allait  par  la  station  de  Saint-Bar- 
thélémy au  bac  du  Gué-au-Voyer,  au  Guinio,  où  à  la  Che- 
buette,  pour  passer  la  Loire  ;  une  autre  se  dirigeait  sur 
Chantoceau,  sous  le  nom  de  Strée,  par  le  pont  Truberd,  sur 
la  Divate;  une  autre  sur  Barbechat,  sous  le  nom  de  che- 
min du  Loroux  au  Maniais,  célèbre  pèlerinage.  Le  che- 
min de  Nantes  au  Loroux  par  le  pont  de  Louan  montait 
directement  le  coteau  de  la  Sanglère,  sous  le  donjon  du 

(1)  La  plage  se  nommait  encore  le  Port  au  Duc  et  le 
charrau  sur  la  Bourchinière  en  1853  (Arch.  dép.,  série  O, 
Titres  de  Saint-  Fiacre. 

(2)  Enquêtes  du  Présidial,  1G74.  (Arch.  dép.  B). 

(3)  Acte  de  1634  (Arch.  dép.,  B  853). 


—  94  — 

château  de  la  Roche;  de  plus,  une  bifurcation,  au  sortir 
du  pont,  se  rendait  aux  landes  de  Sainte-Catherine  par 
les  ruines  du  Perron  et  le  moulin  de  la  Corbinière.  Ces 
mêmes  landes  étaient  traversées  par  le  grand  chemin  du 
Loroux  à  la  Chaussaire  par  Moquepeigné,  qui  servait  de 
limites  entre  le  Loroux  et  la  Remaudière  sur  un  long 
parcours  (1). 

Pour  passer  de  Nantes  dans  le  pays  de  Raiz  et  parcou- 
rir les  alentours  du  lac  de  Grandlieu,  pagus  Herbadellicus, 
on  franchissait  la  Sèvre  près  de  son  embouchure  dans  la 
Loire,  au  pont  Rousseau,  vieux  passage  signalé  dans  les 
actes  du  XIIe  siècle,  et  à  peu  de  distance  se  trouvait  un 
carrefour  où  aboutissaient  les  voies  de  Machecoul,  du 
Pont-Saint-Martin,  et  la  route  de  La  Rochelle  (2). 

Cette  dernière  était  la  plus  importante  jusqu'aux 
Sorinières,  car  elle  recevait  la  circulation  de  plusieurs 
autres  routes  qui  venaient  du  Midi  vers  Nantes,  et  se 
séparait  aux  Sorinières,  en  deux  branches. 

Le  port  de  Raiiate  (Rezé)  était  rattaché  au  carrefour 
de  Pont-Rousseau  par  une  voie  aboutissant  à  Notre- 
Dame-des-Vertus  et  à  la  route  de  Machecoul  par  le 
chemin  de  Maupertuis.  Il  va  sans  dire  qu'une  route 
parallèle  à  la  Loire  et  voisine  du  fleuve  réunissait  les 
établissements  des  Couëts,  de  la  Motte  de  Rougon 
et  portait  la  circulation  jusqu'au  Pellerin  (3). 

Le  chemin  dit  des  Routeilles,  qui  va  passer  au  Rignon, 
station  romaine,  avait  sa  chaussée  pavée,  il  n'y  a  pas 
50  ans;  il  conduisait  directement  à  Montaigu  Durinum, 
par  les  lieux  dits  le  Charrau,  la  Chaussée,  sur  Monte- 
bert;  plus  loin  il  forme  la  limite  des  communes  de 
Remouillé,   de  Vieillevigne  et  de  la   Planche  et   va  re- 


(1)  Léon  Maître,  Géographie  hist.  de  la  Loire- Inférieure, 
ii,  p.  339. 

(2)  Cartulaire  de  l'abbaye  de  Tiron,  n°  216. 

(3)  Géographie  hist.  et  descr.,  t.  II,  p.  53. 


95 


joindre  la  Vendée  par  le  Marché  Neuf  et  la  Strée,  la 
Petite-Salle  et  le  Pâtis. 

Il  est  non  moins  certain  que,  des  Sorinières,  partait 
une  autre  voie  qui  passait  sous  le  donjon  du  château 
de  Joufou  pour  aller  sur  le  bourg  d'Aigrefeuille  :  c'est 
la  route  de  Bordeaux  n°  137  (1).  Elle  est  antique,  parce 
qu'elle  court  sur  un  plateau  et  qu'elle  sert  de  limites 
aux  communes  du  Bignon  et  de  Vertou  ;  elle  passe  sur 
le  vieux  pont  de  Remouillé  et  rejoint  la  précédente 
à  Montaigu. 

Le  village  de  Viais,  nom  latin  sorti  de  Viae  qui  si- 
gnifie les  voies,  sur  le  territoire  de  Pont-Saint-Martin, 
nous  indique  que  la  route  nationale  n°  178  des  Sables- 
d'Olonne  est  antique;  elle  court  vers  le  pont  de  Saint- 
Colombin,  nommé  le  Pont-James  ou  Saint- Jacques, 
et  traverse  Legé.  Son  début  est  sur  le  plateau  des 
Sorinières  ;  elle  dessert  l'abbaye  de  Villeneuve  où  elle 
bifurquait.  Avant  la  route  stratégique  n°  25,  on  allait 
à  l'abbaye  de  Geneston  par  Villeneuve  en  touchant 
le  château  de  l'Epinay,  on  traversait  l'Ognon  au  Pont- 
Neuf  et  on  descendait  par  la  Fosse-Noire,  la  Chasse 
et  Beau-Soleil  (2).  De  là,  on  atteignait  les  immenses 
landes  de  Bouaine  sur  lesquelles  on  devait  rencontrer 
une  bifurcation  qui  allait  à  Vieillevigne  par  l'Audon- 
nière  et  le  Marchais,   nom  qui  nous  révèle  son  passage. 

La  route  directe  de  Nantes  à  Saint-Philbert  (Deas), 
passait  par  le  Pont-Saint-Martin,  vieux  pont  dont  la 
construction  première  peut  remonter  à  l'apôtre  Martin 
de  Vertou  (3),  qui  évangélisa  le  pays  d'Herbauge,  elle 

touchait  les  châteaux  des   Huguetières  et   de   la   Fru- 

« 

(1)  Le  pont  neuf  du  Bignon  ayant  manqué,  les  marchands 
de  Nantes  à  La  Rochelle,  en  1485,  portèrent  plainte  (Arch. 
dép.,  E  128.) 

(2)  Congres  archéologique  de  France  de  1864,  p.  63. 

(3)  De  ce  pont  partait  le  grand  chemin  de  Geneston  (Ta- 
bleau des  chemins  ruraux). 

Soc.  Archéol.  Nantes.  7 


—  96  — 

dière  où  dos  ruines  romaines  sont  sorties  de  (erre,  et 
aboutissail  à  la  chaussée  e1  au  pont  «le  Saint-Philbert 
dont  parle  Louis  le  Débonnaire  dans  un  diplôme  de 
819  (1).  Il  est  rare  qu'un  pou!  serve  à  une  voie  unique. 
La  chaussée  venant  de  Nantes  se  décomposai!  à  la 
sortie  du  pont  en  plusieurs  embranchements  destinés 
à  desservir  les  stations  romaines  de  Sainl-Lumine- 
de-Coutais,  de  Machecoul  et  de  Beauvoir  (2).  Cette 
dernière  nous  est  indiquée  par  la  translation  des  re- 
liques de  saint  Philbert,  lorsque  les  religieux  de  Noir- 
moûtier  vinrent  se  réfugier  à  Deas  (Grandlieu)  avec 
le  sarcophage  de  leur  patron,  en  traversant  les  bourgs 
de  Varne  et  de  Paulx.  Sa  direction  Sud-Ouest,  Nord- 
Est,  paraît  bien  indiquer  qu'elle  fut  faite  pour  rattacher 
la  côte  de  Beauvoir  et  ses  salines  au  port  de  Bezé  et 
à  celui  de  Nantes. 

Les  grands  chemins  qui  se  dirigeaient  de  Nantes- 
Pirmil  ou  de  Bezé  vers  le  Sud  par  le  pays  de  Baiz 
touchaient  le  domaine  de  Bégon  ou  Bougon  et  se  sé- 
paraient près  du  hameau  des  Barres:  l'un  allait  au 
passage  du  Port- Saint-Père  sur  la  Chenau  du  lac,  sous 
le  nom  de  Grand  Chemin  Sautais,  pour  atteindre 
Machecoul  ou  le  Col  des  Marches  (3). 

Ce  passage  de  Port-Saint-Père,  qui  est  cité  dès  l'é- 
poque mérovingienne  (4),  était  desservi  tantôt  par  un 
bac,  tantôt  par  un  pont  suivant  les  ressources  dispo- 
nibles. «  Les    ponts  du   Port- Saint-Père  sont   cités  dans 

(1)  «  Ut  transitam  ei  per  viam  regiam  quant  stratam  oel  cal- 
ciatam  dicunt  rident  aipia1  concederemus  »,  811)  (Arch.  de 
Saône-et-Loire,  H,  177,  n°  1). 

(2)  (iéograpttie  historique  cl  descriptive,  T.  n.  p.  68. 

(3)  Acte  de  1451.  (Arch.  dép.,B.  7(10  et  702)  Machecoul 
était  encore  traversé  par  le  chemin  romain  venant  de  Pri- 
gny  et  celui  qui  desservait   le  port   de  Saint-Mesme. 

(  i  i  Géographie  ancienne  de  Ut  Vallée  du  Tenu  (Bibl. 
de  l'Ecole  des  Charles.  1899,  T.  t.  X.). 


—  97  — 

un  aveu  (1465)  de  l'abbé  de  Pornic  qui  percevait  la 
moitié  des  coutumes,  sans  doute  à  la  charge  d'entretenir 
le  pont.  (1) 

L'autre  voie  se  dirigeait  vers  la  cité  gauloise  de  Vue, 
Vidua,  en  passant  au  nord  de  Brains  et  de  Cheix  où 
elle  coupait  la  voie  du  Pellerin  au  passage  de  Pilon, 
célèbre  par  sa  chaussée  et  ses  chapelles  (2),  et  la  décou- 
verte de  800  monnaies  romaines  qu'y  fit  M.  de  Grand- 
ville,  en  1838.  De  là,  le  grand  chemin  tendait  sur  la 
station  antique  et  mérovingienne  de  Saint-Père-en- 
Retz,  autour  de  laquelle  rayonnaient  plusieurs   voies. 

Saint-Père-en-Retz  devait  être  assurément  en  re- 
lations avec  les  stations  de  la  baie  de  Bourgneuf,  avec 
l'exploitation  de  calcaire  d'Arthon  et  des  Chaulmes 
de  Machecoul.  On  circulait  beaucoup  au  XIIe  siècle, 
puisque  le  duc  de  Bretagne  Conan  prit  soin  de  placer 
un  poste  de  Templiers  dans  chacune  des  paroisses 
de  Raiz,  suivant  une  charte  de  1148.  Il  y  avait  un  grand 
chemin  traversant  la  contrée  dans  toute  sa  largeur  du 
nord  au  sud;  il  est  nommé,  en  1050,  la  voie  des  Moû- 
tiers  à  Saint- Viau  ;  (3)  il  ne  pouvait  passer  ailleurs  qu'au 
pont  du  Clion  sur  la  vallée  de  Haute-Perche,  et  mon- 
tait par  la  Fontaine-aux-Bretons,  la  Croix-Chaussée,  vers 
le  bourg  antique  de  Prigny,  Pruniacense  opidum, 
pour  atteindre  Machecoul  par  Saint-Cyr  et  Fresnay.  (4) 
Dans  ce  parcours,  il  se  nomme  encore  la  Charrau, 
sur  Prigny,  et  sert  de  limites  aux  communes  de  la 
Bernerie  et  du  Clion.  Il  est  évident  que  sur  cette  grande 
artère  venaient  se  souder  des  embranchements  pour 
desservir  les  villas  romaines  de  la  côte  et  de  l'intérieur. 


(1)  Archives  dép.  B.  794). 

(2)  Ibid.  E.,  154.   V.   aussi  de  Lisle,  Dict.  archéologique, 
p.  242. 

(3)  «  Via  quœ  de  Monasteriis  ad  Sanctum  Vitalem  tendit  >> 
(Cartul.  de  Redon,  p.  270). 

(4)  Ibidem,  p.  386. 


-  98  - 

Entre  Chauve  et  Saint-Michel,  la  limite  est  un  vieux 
chemin  allant  de  Saint-Père-en-Retz  à  Chauve  où  sub- 
sistent   100  mètres  d'une  chaussée  faite  de  galets. 

Frossav  avec  son  port  du  Migron,  possédant  le  seul 
et  dérider  bac  de  la  liasse  Loire,  était  naturellement 
en  communication  avec  la  côte  pornieaise,  et  la  route 
dont  se  servaient  les  voyageurs  se  nommait  «  le  grand 
chemin  qui  conduit  de  Pornicq  au  bourg  de  Frossay  », 
en  1683.  (1)  Il  est  le  même  sans  doute  que  lauia  publica 
du  cartulaire  de  Redon  (268). 

Une  autre  voie  sortait  de  Saint-Père-en-Retz  et  se 
dirigeait  sur  Rezé  par  la  commanderie  des  Riais,  le 
prieuré  de  Sept-Faux  et  la  Chaussée-Leray  (2).  Les 
bourgs  du  Clion,  d'Arthon,  de  Chéméré,  de  Saint- 
Hilaire  et  de  Sainte-Pazanne  sont  établis  sur  une  ligne 
transversale  allant  de  l'est  à  l'ouest  qui  paraît  indiquer 
le  tracé  d'une  voie  qui  rattachait  ces  localités  au  chemin 
de  Nantes  à  Machecoul.  Les  centres  de  population  ne 
sont  pas  nés  du  hasard  ou  du  caprice,  le  choix  de  leur 
emplacement  a  toujours  été  déterminé  par  la  proxi- 
mité d'une  artère  de  la  circulation  ou  par  les  avan- 
tages d'un  cours  d'eau. 


(1)  Terrier    de    la    Sénéchaussée    de    Nantes,    V,    f°    240 
(Arch.  dép.  série  B). 

(2)  Géogr.  hist.  et  descr.,  II.  p.  :j.t',7. 


Visites  à  Rezé 


Messieurs, 

Dans  une  séance  récente  de  la  Société  Archéologique, 
un  de  nos  plus  dévoués  collègues,  M.  Senot  de  la  Londe, 
annonça  qu'on  venait  de  trouver  à  Rezé  des  amphores 
différentes  de  celles  qui  se  rencontrent  ordinairement  et 
portant  en  particulier  un  plus  grand  nombre  d'anses. 

La  chose  paraissant  intéressante,  notre  distingué  pré- 
sident, M.  Alcide  Dortel,  y  fit  une  première  visite,  et 
jugea  nécessaire  de  s'adjoindre  cinq  autres  membres  du 
Comité,  pour  former  une  Commission  chargée  d'étudier 
les  faits  avec  mission  de  vous  en  rendre  compte. 

Autour  du  Président  s'étaient  donc  groupés  :  notre 
savant  archiviste  paléographe,  M.  Léon  Maître,  lui- 
même  ancien  Président,  et  auquel  nous  devons,  dans  Les 
Villes  disparues  de  la  Loire-Inférieure,  une  histoire  de 
Rezé  ;  notre  érudit  collègue,  M.  Paul  de  Rerthou,  égale- 
ment archiviste  paléographe  ;  le  zélé  bibliothécaire  de  la 
Société,  numismate  de  valeur,  M.  'Soullard  ;  notre  très 
aimable  et  ancien  vice-président  M.  de  Senot,  divulga- 
teur de  la  trouvaille  ;  et  celui  qui  écrit  ces  lignes. 

Rien  qu'entouré  de  collègues  plus  documentés  et  plus 
autorisés  que  moi,  je  dus  accepter  la  mission  de  préparer 
ce  compte-rendu  et  vais  essayer  de  la  remplir  avec  toute 
la  sincérité  dont  je  suis  capable,  au  simple  titre  de 
fouilleur  des  Cléons. 

Loin  de  moi  la  pensée  de  vouloir  prétentieusement 
identifier  les  Cléons  à  Rezé  !  La  Société  Française 
d'Archéologie  visitant  les  premiers  au  Congrès  de  1886, 
jugea,  non  sans  raison,  qu'ils  étaient  aux  premiers 
siècles  de  notre  ère,  une  villa  romaine  étendue  et  puis- 


—  100  — 

saule,  puisqu'on  en  voit  les  substructions  et  les  débris 
sur  plus  de  20  hectares  ;  riche  et  luxueuse  surtout, 
comme  l'atteste  le  musée  local,  Ratiate  était  au  contraire 
une  véritable  cité  ;  la  seconde  des  Pictons  après  Limo- 
num  leur  capitale  ;  leur  port  sur  la  rive  gauche  du  Liger, 
tel  et  plus  important  peut-être,  que  fut  sur  la  rive 
droite  le  Portus  Namnetum  de  la  tribu  voisine. 

Mais  il  existe,  entre  les  deux  localités  Pictones,  des 
affinités  si  grandes  et  si  multiples  qu'il  est  bon  de  les 
relater  pour  en  fixer  le  souvenir  par  une  comparaison 
rationnelle.  J'aurai  donc  à  vous  reparler  de  notre  ter- 
rain calcaire. 

Une  fouille  à  Rezé  !  La  simple  évocation  de  ces 
quatre  mots  presque  magiques,  a  toujours  provoqué 
le  désir  et  la  joie  des  chercheurs  et  des  fouilleurs  Nantais. 
Ce  double  sentiment  se  justifie  sans  peine,  car  l'antique. 
Ratiatum  est,  sans  contredit,  l'un  des  plus  beaux  fleu- 
rons de  la  brillante  couronne  archéologique  de  notre 
département. 

Donc,  le  7  février  dernier,  jour  fixé  pour  l'excursion, 
la  Commission  se  réunit  à  la  Rourse,  et  prit  le  bateau 
du  Service  direct  pour  arriver  à  Trentemoult  quelques 
minutes  après.  Le  ponton  d'atterrissage  allègrement 
franchi,  nous  nous  acheminons,  en  causant  de  vieilles 
choses,  vers  le  terrain  que  nous  allions  visiter.  Il  se 
trouve  dans  une  situation  tout  indiquée  pour  les  re- 
cherches :  dans  le  bourg  même,  joignant  presque  la 
nouvelle  église,  et  appartient  à  M.  Ernest  Colon  qui  se 
charge  de  mettre  lui-même  son  enclos  en  valeur  et 
vient  d'y  découvrir,  avec  de  nombreux  débris  Gallo- 
Romains,  les  amphores  en  question. 

Parvenus  au  bas  de  la  chaussée  qui  conduit  à  Rezé, 
nous  croisons  par  un  heureux  hasard  le  propriétaire 
se  rendant  pour  affaire  à  Nantes,  et  qui  veut  bien 
retourner  sur  ses  pas,  pour  préparer,  dit-il,  notre  récep- 
tion chez  lui. 

Afin  de  donner  à  notre  hôte  cette  bien  facile  satis- 


101 


faction,  nous  décidons  d'un  commun  accord  de  visiter 
la  chapelle  de  Saint-Lupien  :  les  uns  avec  le  plaisir  de 
la  connaître,  les  autres  avec  celui  de  la  revoir. 

L'histoire  de  Saint-Lupien  n'est  plus  à  faire  ; 
mais  nous  étions  attirés  surtout  par  cette  crypte,  où 
la  présence  de  substructions  archéologiques  antérieures 
à  la  vie  du  saint,  pouvait  encore  être  constatée.  Elle 
est  recouverte  par  une  chapelle  de  la  fin  du  XVe  siècle, 
depuis  longtemps  désaffectée,  après  avoir  subi  des 
restaurations  malheureuses  qui,  dit  l'un  de  nous,  lui 
ont  enlevé  tout  intérêt  archéologique,  même  au  point 
de  vue  documentaire.  On  s'en  sert  actuellement  comme 
de  magasin.  La  crypte,  fort  heureusement  non  recom- 
blée, est  encore  protégée  par  une  voûte  de  brique  sup- 
portée par  des  traverses  de  fer  ;  mais  la  trappe  qui  doit 
nous  en  ouvrir  l'entrée  est  encombrée  de  quelques 
fagots  et  d'environ  300  kilogrammes  de  fourrage. 

Il  eut  été  pénible  de  se  retirer  sans  rien  voir  ;  et  nous 
insistons  avec  une  touchante  unanimité.  On  apporte 
enfin  des  fourches  dont  s'emparent  les  plus  jeunes  qui 
travaillent  à  l'envi  et  font  en  quelques  instants  dispa- 
raître tout  obstacle. 

La  trappe  laisse  apercevoir,  à  défaut  de  degrés,  un 
plan  incliné  fait  de  terre  et  de  débris  difficilement 
accessible.  Enfin,  armés  de  lumières  ;  le  corps  forcé- 
ment reployé  sur  lui-même  ;  nous  pénétrons  à  l'inté- 
rieur. 

La  lumière  du  jour  n'entre  jamais  librement  dans 
cet  impressionnant  sanctuaire.  L'air  y  est  froid  et  hu- 
mide, et  cependant  suffisamment  pur  ;  un  homme, 
même  de  haute  taille,  peut  s'y  redresser  à  l'aise.  Mais 
un  sentiment,  presque  indéfinissable,  s'empare  du 
visiteur  au  premier  abord  :  On  se  tait  un  instant  ;  on 
s'arrête  en  se  trouvant  dans  cette  lueur  blafarde  ;  on 
cherche  à  regarder  sans  rien  définir.  Est-ce  le  respect 
de  la  traditionnelle  sainteté  du  lieu  qui  s'impose  ?  le 
voisinage,   bien   que   prévu,   de  la   mort    ?  l'incertitude 


—  102  — 

sur  ce  qui  doit  être  observé  ?  Mais  l'archéologue  se 
ressaisit  promptement  et  l'inspection  détaillée  commence. 

Tout  au  Tond  apparaît  le  chœur  dont  les  colonnes 
de  soutènement  sont  demeurées  debout  ;  vers  le  milieu 
existe  encore  une  légère  dépression  du  sol,  et  c'est  là 
vraisemblablement  l'endroit  où  reposa  le  corps  de 
Saint  Lupien.  En  arrière  et  sur  les  côtés  se  voient, 
superposés,  des  cercueils  dont  plusieurs  ont  été  violés  ; 
à  gauche,  touchant  la  paroi  du  mur,  est  un  amas  de 
débris  humains,  en  grande  partie  composé  des  côtes 
et  des  os  longs  des  défunts  ;  puis,  courant  à  angles 
droits,  les  deux  murs  Gallo-Romains  qui  nous  inté- 
ressent si  vivement. 

Ces  murs,  au  point  de  vue  de  la  maçonnerie,  sont 
identiques  à  ceux  des  constructions  Gallo-Romaines 
des  Cléons  élevées  au  IIIe  siècle  :  petit  appareil  non 
taillé,  mais  simplement  dégrossi  au  marteau,  avec  un 
joint  épais,  au  milieu  duquel  est  figurée  une  rainure 
qui  pénètre  dans  le  mortier,  pour  simuler  la  régularité 
rectangulaire  de  l'appareil  ;  chaînes  de  briques  dans 
le  corps  des  murs,  dont  l'un  s'élève  même  sur  des  fon- 
dations que  termine,  à  l'affleurement  des  terres,  une 
rangée  des  mêmes  briques. 

Nous  y  avons  cependant  remarqué  la  différence 
suivante  :  Quelques  appareils  bien  rectangulaires  et 
très  régulièrement  taillés  sur  leurs  surfaces  de  façade 
et  de  pose,  s'y  trouvent  disséminés.  Ils  proviennent 
donc  de  murs  Romains  construits  avant  le  IIIe  siècle. 

Cette  particularité  ne  s'est  pas  présentée  aux  Cléons, 
où  les  appareils  bien  taillés  des  Ier  et  IIe  siècles  se 
trouvent  employés  comme  de  simples  moellons,  dans 
l'intérieur  des  murs  du  IIIe  ;  comme  si  le  maçon,  ayant 
la  conscience  que  l'ouvrier  précédent  lui  était  supé- 
rieur, avait  voulu  dissimuler  le  premier  travail,  pour 
ne  pas  déprécier  le  sien.  Sur  le  dérasement  d'un  de  ce6 
murs  se  trouve,  négligemment  posé,  le  fond  d'un 
cercueil   de   pierre.    Il   est  vide,   ayant   perdu  les  deux 


—  103  — 

tiers  de  ses  côtés.  Nous  constatons  que  c'esl  un  mono- 
lithe du  calcaire  des  Cléons,  semblable  à  ceux  dont 
était  entouré  celui  de  Saint-Lupien  ;  et  nous  dirons 
plus  loin  comment  on  les  apportait  en  ce  lieu. 

Mais,  l'heure  s'écoule  rapidement,  et  nous  entendons, 
d'en  bas,  la  voix  de  M.  Colon  qui  est  venu  nous  re- 
joindre, comme  pour  nous  rappeler  que  le  temps  presse 
et  menace  de  nous  faire  défaut,  en  raison  de  ce  qu'on 
doit  avoir  à  nous  montrer  et  à  nous  dire.  Nous  remon- 
tons à  la  hâte,  et  prenons  congé  des  maîtres  du  logis, 
après  les  avoir  bien  chaleureusement  remerciés  de 
leur  réception  aimable.  Cinq  minutes  après  nous  arri- 
vions chez  notre  nouvel  hôte. 

A  vol  d'oiseau,  les  Cléons  sont  à  douze  kilomètres 
environ  de  Rezé  ;  ils  paraissent  se  trouver  beaucoup 
plus  dans  les  terres,  car  la  Loire,  en  amont  de  Nantes, 
en  est  éloignée  d'une  distance  à  peu  près  égale.  Mais, 
au  point  de  vue  géologique  abstraction  faite  de  la  diffé- 
rence du  sol,  comme  en  raison  de  la  facilité  de  la  navi- 
gation et  des  communications  réciproques,  la  situation 
des  deux  antiques  stations  était,  à  l'époque  archéolo- 
gique qui  nous  occupe,  absolument  identique  :  toutes 
deux  étaient  sur  la  rive  gauche;  toutes  deux,  également, 
en  plein  pays  Picton,  la  tribu  possédant,  lorsque  appa- 
rut César,  la  contrée  entière  depuis  Limonum  ;  et  les 
abords  du  fleuve  jusqu'à  l'Océan. 

Pendant  le  vaste  entraînement  quaternaire  qui  mit 
fin  aux  grands  bouleversements  du  globe,  creusa  le 
lit  de  la  Loire  et  rendit  possible  l'apparition  de  l'homme  ; 
les  eaux  maintenues  au  Nord  par  des  roches  résistantes, 
élevées  et  inattaquables,  se  portèrent  vers  le  Sud,  en 
y  déterminant  ce  que  nous  appelons  aujourd'hui  la 
Vallée  de  Basse-Goulaine  ;  puis,  pénétrant  par  l'étran- 
glement du  Pont  de  Louen,  elles  arrivèrent  jusqu'au 
banc  non  moins  inattaquable  du  calcaire  tertiaire 
des  Cléons.  Le  fleuve  Lir/er  y  pénétrait  encore  aux  pre- 
miers siècles  ;  et  ce  fut  là,  nous  l'avons  dit,  ailleurs, 


—   101  — 

une  des  principales  causes  de  l'établissement  de  notre 
station  Gallo-Romaine. 

Cette  énorme  surface  de  plusieurs  milliers  d'hec- 
tares n'est  plus  aujourd'hui  qu'un  estuaire,  produit 
par  un  colmatage  naturel  et  par  la  construction,  de 
main  d'homme,  des  digues  de  la  Divatte  et  d'Embreil. 
Elle  a  plusieurs  kilomètres  de  largeur  :  mais,  je  n'y 
ai  pas  moins  vu  dans  mon  enfance  il  y  a  plus  de 
60  ans  -  les  grands  bateaux  plats  des  mariniers  de  la 
Loire,  naviguer  à  pleines  voiles,  à  travers  les  canaux 
creusés  au  XVIIIe  siècle  par  le  Syndicat  des  Marais 
de  Goulaine,  pour  venir  prendre,  au  Port  des  Brosses, 
sur  les  Cléons  mêmes,  ou  bien  à  ceux  des  Grenouilles 
et  du  Montrut  situés  dans  le  voisinage,  des  vins  et  autres 
chargements.  Cette  vaste  plaine  s'inonde  d'ailleurs 
encore  à  notre  époque  ;  et  devient  un  véritable  lac 
dans  les  hivers  pluvieux. 

C'est  par  le  Port  des  Brosses  que  les  grands  mono- 
lithes Mérovingiens  quittaient  les  Cléons.  C'est  par 
«  les  routes  qui  marchent  »  comme  dit  Rollin  dans 
Les  Etudes,  qu'on  les  transportait  à  Rezé,  à  Saint- 
Donatien,  à  Saint-Similien  et  sur  tous  les  points  du 
département,  mais  toujours  particulièrement  sur  les 
rives  de  la  Loire,  de  la  Sèvre  et  de  l'Erdre  où  nous  les 
avons  retrouvés. 

Les  eaux  se  resserrèrent  pour  passer  entre  le  coteau 
argilo-schisteux  de  Ratiatum  et  les  puissantes  roches 
granitiques  de  Chantenay,  l'une  des  dernières  ramifi- 
cations du  sillon  de  Bretagne.  L'estuaire,  en  cet  endroit, 
fut  donc  forcément  limité  au  Seil  étroit  de  Rezé  ; 
mais,  la  situation  des  deux  localités  n'en  était  pas 
moins  la   même. 

M.  Colon,  qui  l'avoue  du  reste  franchement,  n'est 
rien  moins  qu'archéologue  ;  mais,  cultivant  lui-même 
son  jardin  il  est  vivement  intéressé  par  les  fragments, 
innombrables  autant  que  variés,  qu'il  a  mis  au  jour, 
et   nous  en   fait  les  honneurs  avec  un  entrain  remar- 


—  105  — 

quable  et  une  complaisance  à  toute  épreuve.  On  se 
sent,  dès  le  début,  sur  un  terrain  Picton.  Une  même 
tribu,  composée  des  mêmes  hommes,  implique  en  effet 
les  mêmes  aptitudes  avec  des  productions  semblables, 
ou  tout  au  moins  analogues  ;  et,  si  le  père  Camille  de 
la  Croix  put  s'écrier  en  visitant  le  Musée  des  Cléons  : 
«  Je  reconnais  bien  là  ma  céramique  de  Poitiers  »,  je 
pus  dire  à  mon  tour,  en  visitant  Rezé  :  «  Voilà  mes 
poteries  des  Cléons.   » 

Nous  reconnaissons  d'abord  la  grande  amphora 
blanc-jaunâtre  avec  les  parois  épaisses  et  le  pied  plus 
ou  moins  appointé  ;  la  lagena,  la  patina,  la  paiera  ; 
des  écuelles  à  trois  pieds,  des  assiettes  et  autres  vases 
usuels  de  formes  différentes  ;  des  poteries  rouges  cire 
à  cacheter  dites  samiennes,  ornées  de  dessins  divers  ; 
des  fonds,  surtout,  estampillés  de  noms  de  potiers  : 
nous  lisons  sur  l'un  d'eux  PETRECV.  ;  des  vases  plus 
petits,  plus  fins  et  très  minces,  recouverts  d'un  engobe 
plombagine,  également  ornés  de  dessins  linéaires  ou 
figurant  des  séries  de  croissants  emboités  ;  enfin, 
quelques  morceaux  portant  un  reflet  argenté  ou  doré, 
qui  s'obtenait -en  sassant  sur  la  terre  antérieurement 
à  la  cuisson  et  même  avant  la  dessication  complète, 
du  mica  jaune  ou  blanc  réduit  en  poudre. 

Les  mêmes  objets  sont  nombreux  aux  Cléons,  et  il 
convient  de  faire  immédiatement,  à  leur  sujet,  deux 
remarques  dont  la  première  doit  servir  à  notre  argu- 
mentation finale  :  Nous  ne  voyons  que  des  fragments, 
disons  plus  :  ce  sont  des  débris.  La  seconde  contraire 
à  ce  qui  existe  dans  la  plupart  des  stations  Romaines, 
mais  conforme  à  ce  que  possède  notre  Musée  local, 
est  que  la  poterie  noire  s'y  trouve  en  aussi  grand  nombre, 
sinon  même  plus  abondante  que  la  rouge. 

M.  Colon  nous  montre  encore  :  une  partie  de  sifflet 
en  os  tourné,  quelques  minuscules  morceaux  de  bronze  ; 
les  uns  plats  et  les  autres  plus  épais  mais  informes  ; 
enfin,    une   petite   statuette   de   femme   nue,    dont   les 


—  106  — 

pieds  et  La  tête  onl  été  brisés.  Elle  est  faite  de  deux 
moulages  obtenus  séparément,  réunis  ensuite  dans 
le  sens  de  la  hauteur,  et  analogue  à  celles  de  notre 
Musée  d'archéologie.  Elle  ne  porte  pas  de  légende  et 
se  rattache  plutôt  à  l'époque  Gauloise  qu'à  celle  des 
Romains.  Ce  type  manque  au  Musée  des  Cléons  où  l'on 
rencontre  seulement  celui  des  déesses-mères  bien  connues 
assises  dans  de  vastes  fauteuils  tressés,  et  allaitant  un 
ou  deux  enfants. 

La  Commission  jette  aussi  un  regard  rapide  sur  un 
éperon  de  cavalier  fort  oxydé  qui  paraît  être  d'un  inté- 
rêt secondaire,  et  passe  ensuite  au  jardin  où  elle  se 
trouve  immédiatement  en  présence  de  nouveaux  débris 
au  sujet  desquels  une  petite  digression  est  nécessaire. 

En  s'imposant  à  Rome,  le  génie  conquérant  de  César 
avait  suscité  dans  la  Ville  Eternelle  une  remarquable 
aptitude  d'assimilation  coloniale.  Devenue  manifeste 
dès  la  première  série  des  Empereurs,  elle  s'accentua 
davantage  sous  la  troisième,  à  laquelle  Antonin  le 
Pieux  mérita  de  laisser  son  nom. 

Sous  Trajan  et  sous  Adrien  une  quantité  nombreuse 
d'architectes  et  d'ouvriers  couvrit  la  Gaule  de  monu- 
ments, d'édifices,  et  principalement  de  somptueuses 
villas,  dans  la  construction  desquelles  ils  excellèrent 
à  mettre  surtout  en  œuvre  les  matériaux  que  la  nature 
leur  plaçait  sous  la  main.  Nous  en  avons  la  preuve 
évidente  aux  Cléons  par  la  présence  du  banc  calcaire, 
sur  lequel  ils  se  sont  établis  pour  en  tirer  tant  de  res- 
sources. Elle  est  encore  faite  par  certains  débris  qui  se 
présentent  en  abondance  dans  presque  toutes  les  fouilles 
Romaines,  et  sur  lesquels  on  n'a  peut-être  pas  assez 
insisté.  Je  veux  parler  des  clayonnages  que  nous  retrou- 
vons à  Rezé. 

Les  petits   murs  nommés  clayonnages,  peut-être 

du  mot  claie  courent  à  l'intérieur  des  édifices  Ro- 
mains pour  en  diviser  les  pièces,  comme  le  font,  dans  les 
nôtres,    nos    cloisons    actuelles.    Ils    se    composent    de 


—  107  — 

cadres  en  planchettes  minces,  de  différente  largeur, 
non  travaillées  mais  brutes,  simplement  fendues  et 
assemblées  à  angle  droit.  Ces  cadres  soutenaient  des 
claies  ayant  également  peu  d'épaisseur,  faites  de  petits 
bois  ronds  et  légers,  disposés  sans  ordre  ;  elles  étaient 
fixées  par  des  crampons  de  fer  en  forme  de  T,  et  re- 
couvertes, de  chaque  côté,  par  plusieurs  couches  super- 
posées d'enduit,  qui  donnaient  à  l'ensemble  une  épais- 
seur de  15  à  20  centimètres. 

Aux  Cléons,  les  clayonnages  étaient  en  chaux  locale, 
fabriquée  par  les  Romains,  dans  un  four  que  nous 
avons  retrouvé  sur  le  bord  même  de  la  carrière,  et  dont 
les  fondations  existent  encore  à  huit  mètres  de  la  voie 
ancienne.  Mais  à  Rezé,  la  chaux  manquait  ;  il  fallait 
l'acheter  et  en  payer  le  transport  ;  l'argile  au  contraire 
était  abondante,  comme  l'attestent  les  démolitions 
des  anciens  murs,  et  ne  coûtait  que  le  travail  d'extrac- 
tion. On  fit  des  clayonnages  en  argile,  dont  le  procédé 
d'exécution  est,  par  ailleurs,  toujours  le  même.  Ils  ne' 
portent  pas  d'enduits,  mais  la  terre  en  a  seulement  été 
comprimée  par  des  outils  ou  des  matrices,  que  l'on  a 
trainés  ou  fortement  appuyés  à  la  surface,  soit  pour 
l'orner  de  dessins  non  déterminés  mais  forts  apparents 
et  même  creux,  soit  pour  en  augmenter  la  résistance 
après  dessication.  On  peut  voir,  par  l'échantillon  des 
Cléons  que  je  produis  ici,  à  quel  degré  de  dureté  peut 
arriver  la  terre  à  brique,  crue  et  simplement  pressée 
dans  la  main. 

Cependant,  de  grise  qu'elle  était  en  nature,  l'argile 
des  clayonnages  de  Rezé  est  devenue  rouge,  par  contact 
immédiat  du  feu.  A  ce  sujet,  l'un  des  membres  de  la 
Commission  dévoile  un  fait  curieux  qu'il  est  bon  de 
consigner  :  Il  se  bâtit  de  cette  manière,  en  Hongrie,  de 
petites  maisonnettes  ;  les  murs  une  fois  montés,  on  les 
couvre  de  matières  inflammables,  puis  on  y  met  le 
feu.  Le  fait  que  nous  constatons  n'aurait-il  pas  eu  la 
même  cause  ?  Après  une  courte  discussion,  les  fragments 


—  108  — 

à  la  main,  la  décision  fut  négative.  Les  débris  sont,  en 
effet,  diversement  atteints  :  tantôt  à  la  surface,  tantôt 
profondément  ;  sur  les  cassures  produites  par  la  chute 
de  la  construction  ;  même  jusque  sur  les  impressions 
des  claies  intérieures.  Un  dernier  spécimen  devient 
concluant  :  Il  tombe  dans  le  brasier  ;  un  peu  de  terre 
encore  humide  y  adhère,  qui,  contenant  autre  chose 
que  de  l'argile,  ne  se  colore  que  par  parties  et  d'un 
ton  différent  de  celui  des  autres.  Tous  ces  témoins 
ont,  après  leur  chute,  subi  divers  degrés  de  chaleur  ; 
et,  ce  que  nous  voyons  est  donc  bien  le  résultat  des 
violents  incendies  allumés  tant  de  fois,  depuis  le  IIIe 
siècle  jusqu'au  commencement  du  Ve,  époque  de  la 
fondation  de  la  Monarchie  française. 

Voici  maintenant  l'un  de  ces  poids  en  pyramides, 
faits  de  terre  cuite,  percés  à  leurs  sommets  et  si  communs, 
dans  les  stations  Romaines.  On  les  nomme,  surtout, 
pois  de  pêche  ou  de  tisserands  ;  mais  ils  durent  être 
employés,  suivant  certains  archéologues,  à  des  usages 
fort  différents.  Celui-ci  se  rencontre  moins  souvent, 
ayant  pour  base  un  rectangle  relativement  allongé. 
Ceux  des  Cléons  se  rapprochent  davantage  de  la  forme 
carrée  quand  même  ils  ne  l'atteignent  pas  complète- 
ment, et  sont  plus  élevés. 

Après  avoir  remarqué  des  morceaux  de  meule  en 
pierre  volcanique,  des  débris  de  vases  dont  l'un  cà  bec 
tréflé,  un  pied  de  scabellum  orné  de  hachures  incuses, 
et  d'autres  pieds  coniques  de  carreaux  en  terre  cuite 
comme  on  en  trouve  en  grand  nombre  aux  Cléons, 
et  qui  s'utilisaient  pour  augmenter  la  chaleur  du 
sudatorium,  la  Commission  pénètre  au  milieu  du  jar- 
din, attirée  par  un  travail  paraissant  fait  en  profondeur. 
Ce  n'est  cependant  pas  une  véritable  fouille,  mais  un 
simple  défoncement  de  soixante  centimètres  environ, 
fait  pour  planter  un  carré  d'asperges.  11  montre  néan- 
moins d'une  façon  suffisante,  la  coupe  verticale  du 
terrain.  On  y  voit,  fort   nombreux,  les  fragments  amas- 


109 


ses  des  matériaux  de  l'époque:  tegulœ,  imbrices,  lateres, 
pierres  de  démolition  principalement  de  schiste,  sans 
apparence  de  chaux  et  privées  de  l'argile  qui  les  avait 
réunies.  Le  tout  était  mêlé  d'une  terre  noirâtre,  légère 
et  schisteuse,  et  c'est  là  qu'ont  été  découverts  les  vases 
dont  nous  aurons  à  parler  plus  tard. 

M.  Colon  donne  avec  empressement  tous  les  rensei- 
gnements qui  lui  sont  possibles  ;  sa  bonne  volonté 
est  inépuisable.  Il  se  met  à  la  disposition  de  la  Société 
Archéologique  pour  de  nouvelles  recherches  ;  et  comp- 
tant faire  au  bas  du  jardin,  un  travail  assez  important 
pour  établir  une  pièce  d'eau,  il  espère  trouver  des 
choses  plus  intéressantes  et  préviendra  dans  tous  les 
cas  M.  Dortel. 

Notre  dévoué  président  propose  alors  d'allouer  une 
indemnité  légère  à  ce  complaisant  travailleur.  La 
Commission  approuve  cette  juste  mesure,  qui  nous 
offre  le  seul  moyen  d'affirmer  la  sympathie  de  la  So- 
ciété ;  de  stimuler  l'activité  du  chercheur  comme  celle 
de  tous  ceux  du  pays,  et  d'entrer,  à  l'abri  de  tout 
scrupule,  en  possession  des  objets  qui  sont  ou  seront 
découverts  et  méritent  d'être  conservés. 

En  terminant  le  tour  du  jardin,  nous  trouvons  des 
coquilles  d'huîtres  éparses  et  quelques  patelles  ;  on 
sait  que  les  peuples  du  midi  aimaient  tout  particulière- 
ment les  coquillages  ;  ils  en  faisaient  une  grande  con- 
sommation et  en  décoraient  même  l'intérieur  de  leurs 
appartements.  Les  huîtres  de  table  avaient  surtout 
leur   prédilection    particulière. 

De  retour  au  logis,  notre  hôte  nous  fait,  presque  à 
voix  basse,  un  dernier  aveu  qui  lui  parait  pénible  : 
«  J'avais,  dit-il,  beaucoup  de  silex,  mais  on  me  les  a 
tous  emportés.  »  C'était  dans  l'ordre  des  choses  ;  ces 
pierres  sont  en  général  petites,  jolies,  bien  taillées  et 
reluisantes  ;  elles  peuvent  entrer  facilement  dans  la 
poche  de  tout  le  monde,  font  du  feu  pour  les  enfants 
et  allument  la  bouffarde  du  vieux  fumeur.  Leur  absence 


110 

nous  empêche,  par  malheur,  de  résoudre  une  question 
qui  trouve  ici  naturellement  sa  place  :  Quels  furent, 
aux  temps  préhistoriques,  les  habitants  de  cette  rive 
de  la  Loire  ?  Elle  a  peut-être  déjà  reçu  la  plus  judi- 
cieuse des  réponses  ;  mais  enfin,  cherchons  à  la  déduire 
encore,  d'une  comparaison  nouvelle  :  Les  silex  si  nom- 
breux des  Cléons  sont  presque  tous  néolitiques  ;  quelques- 
uns  seulement  rappellent  l'époque  et  le  travail  de  la 
Madeleine. 

Mais,  le  soleil  s'abaisse  à  l'horizon  ;  il  est  bientôt 
quatre  heures,  et  la  Commission  se  décide  à  prendre 
congé  de  son  hôte,  pour  se  diriger  vers  le  bateau  direct. 
Moins  d'une  demi -heure  après,  elle  était  de  retour  à 
Nantes. 

En  dépit  du  zèle  aussi  judicieux  qu'empressé  dont 
mes  confrères  avaient  fait  preuve,  le  temps  s'était 
trouvé  bien  court.  Apprenant,  quelques  jours  plus  tard, 
que  M.  Colon  avait  repris  ses  travaux  de  défoncement 
dans  un  endroit  où  les  huîtres  se  montraient  nom- 
breuses, j'éprouvai  le  désir  de  le  revoir,  pour  un  com- 
plément d'exploration  et  de  renseignements.  M.  Gour- 
don,  mon  collègue  et  ami,  voulut  bien  m'accompa- 
gner  dans  cette  dernière  visite.  On  venait  de  découvrir 
non  plus  des  huîtres  isolées,  mais  un  véritable  banc 
ayant  environ  10  mètres  de  longueur  sur  40  centimètres 
d'épaisseur,  et  recouvert  uniquement  de  la  quantité 
de  terre  qu'avait  nécessitée  la  culture.  Le  temps  les  a 
blanchies  ;  elles  sont  surtout  friables  et  presque  fari- 
neuses à  leurs  sommets  ;  une  sorte  de  feuilleté  se  dé- 
tache aisément  des  bords  de  leurs  valves.  J'en  présente 
ici,  comme  rapprochement,  deux  exemplaires  de  la 
même  espèce  qui  proviennent  des  Cléons,  et  ont  été 
trouvés  également  en  grand  nombre,  mais  à  plus  de 
profondeur.  Celles-ci  sont  jaunies,  et  surtout  plus 
résistantes  bien  que  fort  minces  ;  elles  sont  dures  à  la 
suriner,  et  leur  épidémie  semble  avoir  subi  une  sorte 
de    pétrification.    C'est    le    résultat    d'une    combinaison 


ni 


avec  les  éléments  de  la  coquille,  ou  tout  au  moins  de 
la  superposition,  d'un  carbonate  de  chaux  à  l'état 
liquide,  qui  circule  presque  continuellement  dans  le 
sous-sol  de  notre  terrain  calcaire. 

C'est  bien  partout  la  même  ostrea  edulis  que  nous 
consommons  aujourd'hui,  et  dans  toutes  les  variétés 
de  forme,  d'épaisseur  et  de  grandeur  que  comportent 
son  âge  et  le  dessous  résistant  ou  vaseux  sur  lequel 
elle  a  vécu.  La  plupart  de  ces  huîtres  se  sont  trouvées 
exactement  closes,  ce  qui  prouve  non  seulement  qu'elles 
étaient  vivantes,  mais  que  leurs  muscles  adducteurs 
possédaient  encore  assez  de  forces  pour  les  maintenir 
fermées,  quand  on  les  déposa  dans  ce  lieu.  Il  n'est  donc 
pas  téméraire  de  penser  qu'elles  constituaient  la  car- 
gaison d'une  barque  de  pêche,  et  qu'avariées  par  suite 
d'un  retard  imprévu,  elles  furent  abandonnées  par  les 
marins,  et  entassées  sur  le  point  le  plus  accessible  de 
cet  énorme  remblai. 

Le  plus  grand  nombre  de  débris  que  nous  remar- 
quons ensuite,  se  trouve  auprès  de  là,  dans  un  coin 
éloigné  du  jardin  et  s'élève  à  plus  d'un  mètre  au-dessus 
du  sol.  Je  ne  sais  que  faire  d'un  tel  amas  de  petits 
fragments  et  de  pierrailles,  nous  dit  le  propriétaire  ; 
et  je  vais  sans  doute  y  mêler  simplement  un  peu  de 
terre  pour  y  cultiver  de  la  vigne. 

Revenus  à  la  maison,  toujours  sur  des  débris,  nous 
revoyons  avec  plaisir  les  vases  les  plus  intéressants 
qu'ait  découverts  M.  Colon  ;  et,  sachant  qu'en  raison 
de  la  bienveillance  dont  il  était  l'objet,  il  abandonnait 
à  la  Société  Archéologique  tout  ce  qu'il  avait  trouvé, 
nous  les  lui  demandons,  et  le  quittons,  joyeux  de  l'avoir 
décidé  à  nous  les  confier. 

C'est  avec  intention,  Messieurs,  que  j'ai  négligé 
jusqu'à  présent  de  vous  parler  de  ces  curieuses  poteries, 
Aussi  bien,  convenait-il  de  les  faire  ressortir  dans  ce 
compte-rendu,  comme  elles  ressortaient  sur  le  terrain  ; 
seules  debout,  au  milieu  de  tant  de  débris. 

Soc.  Archéol.  Nantes.  « 


—  112  — 

Il  y  en  avait  trois  ;  dissemblables  ;  placées  avec 
symétrie  sur  le  bord  du  carré  en  voie  de  défoncement, 
à  la  distance  l'une  de  l'autre  d'un*  mètre  cinquante, 
et  sous  une  faible  épaisseur  de  quarante  centimètres 
de  terre  végétale,  à  peine  suffisante  pour  les  mettre  à 
l'abri  des  accidents  de  la  culture.  Tout  à  coup,  on  les 
aperçoit  après  quelques  accidents  involontaires.  Elles 
sont  recouvertes  de  briques  soigneusement  taillées 
en  rond,  plus  grandes  que  les  ouvertures,  comme  pour 
préserver  leur  contenu  de  l'envahissement  des  eaux 
pluviales  et  des  terres  environnantes.  On  les  vide  aussi- 
tôt. Dessous  :  une  terre  grisâtre  est  parsemée  d'es- 
quilles ;  au-dessous  :  d'autres  ossements  plus  entiers 
paraissent  être  humains  ;  mais,  nous  n'avons  pas  pu 
les  voir.  Ils  n'ont  pas  été  conservés  par  suite  d'un 
mouvement  de  précipitation  qui  s'impose  au  travailleur 
au  moment  de  toute  trouvaille,  qui  domine  même 
dans  toute  fouille  faite  avec  trop  peu  de  méthode  et 
sans  le  concours  d'un  archéologue  :  Qu'a-t-on  bien  pu 
cacher  dans  le  fond  de  ce  vase  ?  Que  vais-je  enfin 
trouver  au  fond  de  ce  trou  ? 

Il  faut,  de  prime  abord,  écarter  sans  regret  l'une  de 
ces  trois  poteries,  qui  n'était  du  reste  qu'une  lagène 
Gallo-Romaine,  brisée  d'une  manière  excluant  toute 
possibilité  d'en  tirer  partie.  Occupons-nous  seulement 
des  deux  autres,  également  fragmentées,  la  petite  sur- 
tout, fracturée  en  plus  de  dix  morceaux.  Je  les  ai 
reconstituées  prudemment  et  de  mon  mieux,  aussi  com- 
plètement que  le  comportait  leur  état.  Vous  les  avez 
sous  les  yeux,  et  je  les  remets  à  M.  le  Président,  pour 
en  faire  tel  usage  que  vous  jugerez  utile. 

Pourrons-nous  y  trouver  le  type  des  magistrales 
amphores  Romaines  de  la  belle  époque  ;  ou  bien  celui 
des  fines  et  sombres  urnes  cinéraires  ?  Probablement 
ni  l'un  ni  l'autre.  Etudions-les,  si  vous  le  voulez  bien, 
avec  quelques  détails. 

La    plus   grande   a   42   centimètres   de   hauteur,    sur 


—  113  — 

80  1/2  de  circonférence  ;  le  fond,  petit,  mesure  11  cen- 
timètres de  diamètre  extérieur  ;  la  bouche,  mal  arrondie 
est  d'une  largeur  égale,  mais  l'ouverture  elle-même 
n'a  pas  plus  de  95  millimètres.  Elle  portait  quatre 
anses,  symétriquement  semblables  deux  à  deux  ;  le 
plan  des  deux  plus  fortes  dont  les  extrémités  sont  ho- 
rizontales, fait  un  angle  d'environ  43  degrés  avec  la 
paroi  qui  les  supporte.  La  terre  mal  pétrie,  en  forme 
à  peu  près  ronde  et  reployée  sur  elle-même,  détermine 
un  vide  sub-arrondi  permettant  l'introduction  de  deux 
doigts  pour  transporter  le  vase.  Les  deux  autres,  beau- 
coup moins  grandes,  aplaties,  placées  verticalement 
entre  les  premières,  n'admettent  pas  même  le  plus 
petit  des  doigts.  Elles  sont  uniquement  destinées  à 
pencher  le  récipient  à  gauche  ou  à  droite  avec  l'une 
ou  l'autre  main.  Deux  de  ces  quatre  anses  avaient 
disparu  bien  avant  la  découverte,  comme  l'indiquent 
leurs  cassures,  et  n'ont  pas  été  retrouvées.  Mais  heu- 
reusement ce  ne  sont  pas  les  mêmes,  ce  qui  nous  a 
permis  la   détermination  précédente. 

Sous  des  dimensions  moindres,  notre  seconde  poterie 
est  de  forme  semblable  ;  mais  elle  ne  portait  que  trois 
anses.  Les  deux  rondes  sont  en  place  ;  l'autre  n'existe 
plus.  Comme  précédemment,  elle  servait  à  incliner 
l'objet,  et  un  fait  particulier  vient  nous  en  donner  la 
preuve  :  Ce  vase  a  contenu  bien  longtemps,  pendant 
des  années  peut-être,  un  lait  de  chaux  qui  s'est  des- 
séché à  l'intérieur,  laissant  au  fond  un  épais  dépôt 
blanc  dont  une  partie  s'y  trouve  encore,  et  plus  haut, 
un  cercle  brunâtre  produit  par  le  liquide  épaissi  gra- 
duellement et  définitivement  évaporé.  Des  taches  de 
chaux  se  voient  nombreuses  à  l'extérieur  du  vase, 
et  même  sur  les  cassures  de  l'anse,  ce  qui  prouve  que 
cette  dernière  fut  brisée  pendant  le  service.  Ce  sont  les 
seuls  endroits  où  nous  ayons  constaté  la  présence  de 
la  chaux. 

Ces  poteries,  en  somme,  ont  les  parois  minces  et  la 


—  114  - 

terre  assez  fine.  La  forme  en  esl  gracieuse  ;  plutôt 
allongée  avec  la  panse  étroite  ;  l'ouverture  et  le  pied 
petits.  Mais  on  y  voit  au  dedans  et  même  à  l'extérieur, 
de  multiples  défauts  :  Elles  sont  tournassées  plutôt 
que  tournées  ;  il  s'y  montre  plusieurs  méplats  ;  les 
anses,  fort  mal  faites,  ne  se  trouvent  pas  rigoureuse- 
ment en  place.  On  y  surprend  partout  des  vices  de 
fabrication,  une  sorte  de  malfaçon  involontaire,  véri- 
table incapacité  professionnelle,  à  laquelle  ne  nous 
ont  point  habitués  les  figuli  Romains.  On  sent  enfin 
que  l'ouvrier  impuissant,  bien  qu'en  présence  des 
galbes  les  plus  irréprochables,  a  fait  de  grands  efforts 
pour  les  imiter,  sans  pouvoir  y  parvenir. 

Nos  recherches  et  nos  constatations  nous  ont  conduits 
à  une  conclusion  facile  :  Nous  n'avons  rencontré  nulle 
part  :  ni  dans  notre  beau  Musée  départemental,  ni  aux 
Cléons,  ni  dans  les  fouilles  et  les  collections  connues 
de  la  Loire-Inférieure,  aucune  exécution  identique. 
Mais,  comme  conséquence  rationnelle  des  faits,  ces 
deux  vases  sont  postérieurs  à  la  belle  époque  de  l'occu- 
pation Romaine.  Il  n'a  pas  été  possible  à  votre  Com- 
mission, du  moins  quant  à  présent,  de  préciser  davan- 
tage. 

J'estime  personnellement  pouvoir  les  assimiler  à 
de  simples  pots  de  service  familial  ou  professionnel, 
remplissant  un  tout  autre  usage  que  celui  auquel  ils 
étaient  destinés,  quand  on  les  a  découverts.  Et  mainte- 
nant :...  Si  l'impérieuse  hypothèse  est  exclue  de 
l'Archéologie  ;  si  même  l'induction,  encore  que  timide, 
y  est  dangereuse  ;  mais  si  la  déduction  solide,  appuyée 
sur  des  faits  étudiés  et  décrits,  peut  y  être  admise 
comme  ayant  plus  d'une  fois  conduit  à  la  vérité  ;  serai- 
je  trop  imprudent  de  penser  :  qu'en  un  moment  qu'il 
est  impossible  de  déterminer,  mais  probablement 
court  et  pressé  :  l'on  s'est  à  la  hâte  emparé  de  ces  vases 
qu'on  avait  sous  la  main,  pour  y  placerTdes  restes 
vénérés,  menacés  peut  être  ;  et  les  déposer  en  lieu  sûr, 


115 


recouverts  avec  soin,  alignés  à  faible  profondeur,  dans 
un  endroit  facile  à  reconnaître,  en  ce  champ  de  dépôt 
encore  en  contre-bas,  et  qui  devait  toujours  être  plutôt 
recouvert  que  fouillé   ? 

Relativement  à  l'enclos  lui-même,  nous  n'y  avons 
encore  constaté  la  présence  d'aucun  autre  objet  d'im- 
portance réelle  ;  pas  d'appareils,  pas  d'enduits  peints, 
pas  de  monnaies  ni  de  bronzes,  pas  de  mosaïques,  pas 
même  de  cubes  égarés  dans  le  terrain.  En  existe-t-il  ? 
La  chose  n'est  pas  impossible  mais  cependant  peu 
probable,  bien  que  des  richesses  archéologiques  soient 
assurément  voisines.  Nous  sommes,  en  effet,  près  du 
centre  du  bourg,  presque  dans  Le  Palais,  lieu  dit  qui 
nous  transmet,  à  travers  le  Moyen-Age,  le  souvenir 
de  somptueuses  appropriations  disparues. 

Rezé  est  une  mine  insuffisamment  exploitée  ;  car, 
malgré  toutes  les  bonnes  volontés  ;  en  dépit  de  tant 
d'efforts  généreusement  réalisés  ;  que  de  choses,  à 
côté  de  notre  Musée  départemental,  restent  :  enfouies 
dans  le  sol,  sous  les  monuments  publics  ou  les  propriétés 
privées,  inconnues  dans  les  collections  particulières, 
dispersées  par  les  indifférents,  négligées  par  les  inca- 
pables. 

Et  cependant,  nous  entendons  toujours  la  voix 
d'Arcisse  de  Caumont  :  «  Il  faut  que  rien  ne  soit  oublié 
ou  perdu.  »  Hélas  !  Notre  premier  maître  avec  la 
Société  Française  d'Archéologie  ;  toute  la  science 
archéologique,  aujourd'hui  triomphante  avec  tant  de 
savants  dont  les  noms  lui  sont  chers  ;  sont  arrivés 
plus  de  cent  années  en  retard. 

Je  m'arrête,  Messieurs,  après  avoir  abusé  trop  long- 
temps de  votre  bienveillancte  attention.  Ce  qui  vient 
d'être  dit  ne  doit  pas  clore,  mais  ouvrir  une  enquête. 
Plusieurs  des  idées  émises  me  sont  personnelles  ;  je  les 
livre  à  votre  appréciation,  à  vos  lumières.  Et,  puisque 
l'Archéologie  porte  l'unique  flambeau  capable  d'éclairer 
un  passé  si  lointain,   que  notre  chère  Société  rallume 


—  116  — 

une  fois  de  plus  !  Bien  des  points  sont  encore  restés 
abordables  ;  l'accès  de  la  rive  gauche  est  aujourd'hui  fa- 
cile ;  ne  nous  désintéressons  pas  de  Rezé.  Ecoutons 
tous  les  bruits  qui  nous  en  parviennent  par  dessus  la 
Loire,  toujours  certains  que,  si  nous  en  savons  beau- 
coup de  choses,  nous  n'en  saurons  jamais  assez. 

Félix    CHAILLOU. 


N  OTIGE 


SUR    LE 


Sceau  «i-Anne  de  PISSELEU 


DUCHESSE  d'ÉTAMPES,  COMTESSE  de  PENTHIÈVRE 


POUR     L'ACQUISITION 


DU     FIEF      DE      LA      ROCHE-SUHART 


en  1542 


Jean  de  Brosse  IVe  du  nom,  dont  les  ancêtres  étaient 
Seigneurs  de  Boussac  ,  Sainte-Sévère ,  Huriel  ,  etc., 
dans  le  Bourbonnais,  revendiquait  auprès  du  roi  de 
France  la  possession  du  comté  de  Penthièvre,  auquel 
son  bisaïeul,  Jean  de  Brosse  IIe  du  nom,  prétendait 
par  suite  de  son  mariage,  le  18  juin  1437,  avec  Nicolle 
de  Blois,  comtesse  de  Penthièvre,  vicomtesse  de  Li- 
moges, fille  unique  de  Charles  de  Chatillon,  dit  de 
Blois  et  de  Bretagne,  baron  d'Avaugour  ;  elle  était 
par  conséquent  l'arrière-petite-fille  de  Charles  de  Blois, 
le  compétiteur  de  Jean   IV  au  duché  de  Bretagne. 


—  118  — 

Mais  Jean  II  de  Brosse  ainsi  que  son  fils  Jean  III 
et  René  de  Brosse,  son  petit-fils,  n'avaient  pu  entrer 
en  possession  de  ce  comté  de  Penthièvre  :  il  était  réservé 
à  Jean  IV  de  Brosse  d'obtenir  de  la  faveur  royale  ce 
comté  tant  désiré.  Mais  à  quel  prix  ? 

Il  consentit  à  épouser  Anne  de  Pisseleu,  fille  de 
Guillaume  de  Pisseleu,  seigneur  de  Heilli  en  Picardie 
et  d'Anne  Sanguin.  Elle  était  devenue  la  maîtresse 
du  roi,  quand  ce  prince,  de  retour  de  Madrid  en  1526 
où  il  avait  été  retenu  prisonnier,  la  rencontra  à  Bayonne 
à  la  cour  de  Louise  de  Savoye,  sa  mère.  Son  mariage 
avec  Jean  de  Brosse,  qui  eut  lieu  en  1536,  la  fit  admettre 
aux  honneurs  de  la  Cour,  auxquels  depuis  dix  ans  elle 
n'avait  pu  prétendre. 

En  échange  de  son  honneur,  Jean  de  Brosse,  recouvra 
non  seulement  son  comté  de  Penthièvre,  mais  il  fut 
fait  duc  d'Etampes  ;  il  eut  le  gouvernement  du  Bour- 
bonnais, puis  celui  de  la  Bretagne. 

Je  ne  reviendrai  pas  sur  le  rôle  néfaste  joué  par  cette 
favorite;  il  suffira  de  dire  qu'elle  trahissait  la  France 
en  faveur  de  l'Empire  ;  comme  le  roi  n'avait  rien  de 
caché  pour  sa  maîtresse,  elle  connaissait  tous  les  secrets 
d'État.  Elle  fit  révéler  à  Charles-Quint  des  secrets  im- 
portants qui  empêchèrent  la  perte  de  son  armée  en 
Champagne;  grâce  à  elle,  également,  Charles-Quint 
s'empara  des  approvisionnements  de  l'armée  française 
à  Epernay  et  Château-Thierry,  ce  qui  faillit  causer  la 
perte  de  l'armée  que  commandait  le  Dauphin,  qui 
régna  depuis  sous  le  nom  de  Henri  II.  L'histoire  l'a 
jugée  avec  sévérité,   mais   justement. 

Le  comté  de  Penthièvre  recouvré  par  Jean  de  Brosse, 
entourait  un  fief  important,  celui  de  la  Hoche-Suhart, 
possédé  à  l'origine  par  Suhart  portant  le  titre  de 
Préfectus,  vers   1100. 

Suhart,  fils  du  vicomte  Eudes  à  la  cour  de  Goëllo 
(acte  de   1202). 


119 


Geoffroy,  fils  du  seigneur  de  Suhart,  vicomte  en 
1220. 

Mathilde,  fille  du  vicomte  Suhart  en  1240  et  1243. 

Aucun  acte  ne  fait  plus  mention  de  cette  famille 
à  partir  de  cette  dernière  date.  Il  est  probable  que  ce 
fief  fut  réuni  au  Goëllo  ;  puis  lors  du  mariage  de  Jeanne 
d'Avaugour  avec  Geoffroy  de  Dinan,  en  1287,  il  fut 
donné  en  dot  par  Henri  d'Avaugour,  comte  de  Goëllo, 
à  sa  fille  qui  mourut  en  1299. 

Geoffroy  de  Dinan    1287  —   1312 

Roland  IV  de  Dinan 1312  —  1349 

Roland  V  de  Dinan  1349  —  1364 

Charles  de  Dinan  1364  —   1418 

Robert  de  Dinan,  3e  fils  du  précé- 
dent     1418  1429 

Jacques  de  Dinan,  5e  fils  de  Charles  1429  1444 
Françoise  de  Dinan,  fille  du  précé- 
dent     1444  1499 

Après  la  mort  de  Françoise  de  Dinan,  la  Roche- 
Suhart  passa  avec  les  autres  biens  de  la  maison  de 
Dinan  dans  la  maison  de  Laval.  Elle  avait  été  unie 
à  Gilles  de  Bretagne,  fils  du  duc  Jean  V  ;  puis  elle 
s'était  mariée  à  Guy  XIV,  comte  de  Laval;  enfin,  dans 
lesydernières  années  de  sa  vie,  elle  s'était  remariée  à 
Jean    de    Proisy,    gentilhomme    picard. 

Jacques  de  Laval,  fils  de  Françoise 

de  Dinan 1499  1502 

François  de  Laval,  fils  du  précé- 
dent       1502-      1522 

Jean  de  Laval,  cousin  du  précédent     1522         1542 

Jean  de  Laval,  qui  fut  Lieutenant  généra!  du  duché 
de  Bretagne  en  1531,  se  voyant  sans  héritiers,  et  d'autre 
part,  sollicité  par  la  duchesse  d'Etampes,  Anne  de 
Pisseleu,  vendit  en  1542,  à  celte  dernière,  le  fief  de  la 
Roche-Suhart,  qui  fut  réuni  au  comté  de  Penthiévre. 


—  120  — 

Le  sceau  qui  l'ail  l'objet  de  cette  notice,  date  très 
probablement  de  celte  acquisition;  il  porte  l'inscription 
*  SEAV  ±  DES  CONTRA  ±  DE  LA  COVR  ±  DE  LA 
ROCHESVAR.  Ecu  lozangé  parti  au  1er  de  Rretagne 
à  la  bordure  de  gueules  qui  est  Penthièvre,  au  2e 
d'argent  à  trois  lions  de  gueules,  qui  est  Pisseleu;  sur 
chacun  des  côtés  de  l'écu,  une  double  tige  fleurie. 

Jean  de  Brosse  étant  mort  sans  postérité,  ses  biens 
passèrent  à  Sébastien  de  Luxembourg,  vicomte  de 
Martigues,  fils  de  Charlotte  de  Brosse,  sa  sœur  ;  d'où 
ils  passèrent  dans  la  maison  de  Lorraine-Mercœur  par 
le  mariage  de  Philippe-Emmanuel  de  Lorraine,  duc  de 
Mercœur  avec  Marie  de  Luxembourg,  fille  de  Sébastien 
de  Luxembourg  et,  de  là,  dans  la  maison  de  Vendôme 
par  le  mariage  de  César,  duc  de  Vendôme,  fils  naturel 
de  Henri  IV  et  de  Gabrielle  d'Estrées  avec  Françoise, 
duchesse  de  Penthièvre,  d'Etampes  et  de  Mercœur, 
fille  de  Philippe-Emmanuel,  duc  de  Mercœur.  Le  comté 
de  Penthièvre  passa  ensuite  aux  mains  de  Louis,  duc 
de  Vendôme,  son  fils,  et  à  Louis-Joseph  de  Vendôme, 
son  petit-fils,  mort  sans  postérité  en  1712.  Il  le  vendit 
à  Marie-Anne  de  Bourbon,  princesse  de  Conti,  qui  le 
revendit  à  Louis-Alexandre  de  Bourbon,  comte  de 
Toulouse,  qui  le  passa  à  son  fils  Louis-Jean-Marie  de 
Bourbon,  duc  de  Penthièvre,  qui  le  passa  ensuite  à 
son  fîis  N.  de  Bourbon,  prince  de  Lamballe,  né  le 
T)  septembre  1717,  qui,  à  sa  mort,  le  laissa  à  sa  femme 
Marie-Thérèse-Louise  de  Savoie-Carignan  qui  le  conserva 
jusqu'à  la  Révolution  ;  on  sait  qu'elle  fut  massacrée 
à  la  Force,  le  3  septembre  1792. 

Le  fief  de  la  Roche-Suhart,  au  moment  de  sa  plus 
grande  splendeur,  comprenait  le  comté  de  Plourhan, 
les  seigneuries  de  Montafilant  et  de  Chateaubriant  en 
Goëllo  et  l'Ile  de  Bréhat. 

Le  comté  de  Plourhan  comprenait  les  paroisses  de 
Plourhan,  Trégomeur,  Tréméloir  et  Goudelin. 

La  seigneurie  de  Montafilant  avait  sa  juridiction  aux 


—  121  — 

mêmes  paroisses  et  était  un  démembrement  de  Coëtmen. 

La  seigneurie  de  Chateaubriant  en  Goëllo,  comprenait 
les  paroisses  de  Plérin,  Etables  et  Plélo. 

L'Ile  de  Bréhat  comprenait  tout  l'archipel  du  Goëllo. 

Le  fief  de  la  Roche-Suhart,  qui  limitait  une  partie  de 
la  seigneurie  de  Pordic,  avait  un  développement  de  côtes 
considérable  ;  son  chef  avait  par  suite  des  droits  mari- 
times assez  étendus. 

Ces  droits  maritimes  comprenaient  les  droits  d'épaves, 
d'ancrage  et  de  sécherie  de  poissons,  de  pêcherie  dans  le* 
Gouet,  et  dans  la  mer  jusqu'au  «  bas  de  Veau  ou  de  lèze 
des  basses  mer  »  ;  droit  de  «  guette,  d'échauguette  ou  char- 
guette  ». 

Le  devoir  correspondant  à  ces  droits  était  d'assurer  la 
sécurité  des  côtes. 

Des  redevances  en  poissons  de  diverses  sortes  peuvent 
s'expliquer  par  la  pêche  côtière,  soit  à  pied,  soit  en  ba- 
teau. Mais  celles  en  douzaines  ou  demi-douzaines  de 
morues  «  fraîches  ou  chaponnées,  loyales  et  marchandes  », 
semblent  indiquer  que  la  grande  pêche  se  pratiquait 
dans  les  ports  de  la  seigneurie  dès  le  XVIIe  siècle  au 
moins. 

Les  autres  redevances  étaient,  partie  en  gants  blancs, 
partie  en  poivre,  partie  en  grains  (pas  de  seigle),  partie 
en  argent,  sous,  deniers,  oboles  ou  mailles. 

Le  chapitre  de  Rennes  et  le  seigneur  de  la  Ville-Solon, 
devaient  une  paire  d'éperons  dorés. 

Les   rentes   étaient   censives   ou    convenancières    (1). 

La  quintaine  devait  se  courir  le  lundi  de  la  Pentecôte 
près  du  cimetière  de  Plourhan,  «  avec  des  chevaux  bien 
harnachés  et  de  bons  éperons  aux  talons  ».  Ces  carrousels 
développaient  dans  la  population  le  goût  du  cheval  et  de 
l'équitation. 

(1)  Rente  censive  doit  se  dire  d'une  renie  en  espèces. 
rente  convenancière  de  ce  qu'elle  pouvait  être  rendue  en 
nature. 


—  122  — 

L'aveu  de  1541  mentionne,  outre  le  droit  de  chasse 
dans  la  forêt  de  la  garenne  de  Goëlo,  celui  d'y 
prendre  du  bois  de  chauffage  et  de  construction  «  quand 
il  y  en  aura  ».  D'où  il  faut  conclure  que  ces  futaies  avaient 
disparu  dès  avant  les  guerres  de  religion. 

Les  documents  font  complètement  défaut  relative- 
ment à  la  construction  et  à  l'agrandissement  du  château 
ou  plutôt  de  la  forteresse  féodale  de  la  Roche-Suhart  ; 
tout  ce  que  l'on  en  peut  dire,  c'est  qu'il  n'en  reste  qu'un 
pan  de  mur  très  élevé  et  d'une  très  forte  épaisseur  ;  cette 
forteresse  avait  une  triple  enceinte  de  murs  et  autant  de 
fossés,  aujourd'hui  en  partie  comblés  par  l'écroulement 
des  murs. 

La  destruction  de  la  Roche-Suhart  doit  remonter  à 
1420  ;  le  seigneur  était  à  cette  époque  Robert  de  Dinan, 
qui  prit  possession  du  fief  en  1418  ;  quoique  fort  attaché 
à  la  maison  de  Penthièvre,  il  fut  un  des  premiers  sei- 
gneurs bretons  à  se  porter  au  secours  de  son  souverain, 
Jean  V,  qui  venait,  avec  son  frère  Richard,  d'être  enlevé, 
le  12  février  1420,  au  Loroux-Rottereau,  par  les  Penthiè- 
vre. Ces  derniers  firent  le  siège  de  la  Roche-Suhart  et 
s'en  emparèrent,  mais  il  ne  tarda  pas  à  être  repris  par  les 
vassaux  de  Robert  de  Dinan  qui  ne  purent  s'en  rendre 
maîtres  qu'en  le  ruinant  complètement  et  le  réduisant  à 
l'état  actuel. 

N anles,   le   15  février  1908. 

P.     Son. LARD. 


UNE    PAGE 


DE 


l'Histoire  Commerciale  de  Nantes 


AU    XVIII     SIECLE  [[) 


2ET.  Jt£$ïïm>rïï, 


Vers  l'an  1725,  le  commerce  nantais  était  fort  pros- 
père ;  depuis  la  découverte  des  Amériques  il  s'était 
accru  constamment,  et  la  Loire  était  sillonnée  de  nom- 
breux navires  qui  venaient  accoster  à  nos  quais.  Cette 
prospérité  était  due,  certes,  à  l'excellente  position  du 
port  de  Nantes  vers  lequel  les  navires  cinglaient  tout 
naturellement  —  comme  vers  le  centre  de  la  France  — 
à  leur  retour  des  mers  lointaines  ;  elle  était  due  aussi 
à  la  courageuse  initiative  des  bourgeois  nantais  qui 
n'avaient  pas  hésité  à  risquer  leur  fortune  pour  armer 
des  navires  et  les  lancer  à  l'aventure.  Ils  avaient  été 
récompensés  de  leurs  efforts;  presque  tout  le  commerce 
des  Antilles  leur  appartenait  ;  ils  portaient  dans  les 
îles  toutes  sortes  de  marchandises  européennes,  ils 
y  portaient  même  des  subsistances,  des  viandes  salées 
et  ils  en  rapportaient  des  produits  indigènes,  indigo, 
cacao,  sucre  ;  ils  faisaient  aussi  la  traite  des  noirs. 
Vers  cette  époque,  Nantes  était  donc  florissante  et  ses 


(1)  Archives  de  la  Chambre  de  Commerce  de  Nantes. 


—  124  — 

bourgeois  gagnaient  rapidement  de  grandes  fortunes: 
c'est  l'époque  où  ils  firent  construirent  sur  l'Ile  Feydeau 
et  le  quai  de  la  Fosse,  les  luxueuses  demeures  que  l'on 
admire  encore  aujourd'hui.  Ils  considéraient  l'avenir 
sans  inquiétude  :  les  colonies  étaient  une  mine  d'or 
qui  paraissait  inépuisable  ;  et  les  trente  ans  de  paix 
qui  suivirent  le  traité  d'Utrecht  (1713)  en  rendant  les 
mers  tranquilles  et  sûres,  en  les  délivrant  même  des 
flibustiers,  devaient  en  effet  porter  à  leur  plus  haut 
degré  la  prospérité  des  colonies. 

Au  milieu  de  cette  longue  période  de  tranquillité, 
il  y  eut  parfois  des  crises  que  nos  bourgeois,  habitués 
à  la  fortune,  supportèrent  malaisément.  Telle  est  celle 
qui  éclata  en  1727  et  dont  nous  retrouvons  la  trace 
dans  une  curieuse  correspondance  entre  les  Juge  et 
Consuls  et  un  des  leurs,  François  Le  Ray  de  la  Clar- 
tais  (1),  qu'ils  avaient  député  à  Paris,  précisément  à 
cause  de  leurs  déboires.  Voici  quels  ils  étaient  ;  à  la 
suite  de  la  guerre  d'Espagne  de  1719,  où  nous  n'avions 
pu  approvisionner  nos  colonies,  Anglais  et  Hollandais 
avaient  profité  de  l'occasion  pour  faire  le  commerce 
à  notre  place  ;  la  guerre  terminée,  ils  n'avaient  pu  se 
décider  à  nous  laisser  le  champ  libre  ;  c'étaient  des 
concurrents     d'autant     plus     gênants     qu'ils    livraient 


(1)  Le  Ray  de  la  Clartais,  consul  en  1726  et  1727, 
échevin  en  1729,  1730,  1731,  juge-consul  en  1735,  puis 
Conseiller  Secrétaire  du  Roy  et  chevalier  de  l'Ordre  de 
Saint-Michel,  était  le  très  proche  parent  de  René  Le  Ray, 
sieur  du  Fumet,  Maire  de  Nantes  en  1730-1732  ;  il  eut 
pour  fils  Jacques-Donatien  qui  devint  Grand  Maître 
honoraire  des  Eaux  et  Forêts  de  France  ,  Intendant 
de  l'hôtel  royal  des  Invalides  et  acquit  le  château  de 
Chaumont  dans  le  Rlésois  en  1750,  château  où  il  fonda 
une  industrie  de  céramique  ;  l'Italien  Jean-Raptiste  Nini 
y  travailla  exécutant  ces  superhes  médaillons  qui  l'ont 
rendu  célèbre. 


—  125  — 

aux  indigènes  des  vivres  à  un  taux  plus  bas  que  les 
négociants  français  et  que  les  indigènes,  y  trouvant 
leur  compte,  avaient  pris  l'habitude  de  faire  commerce 
avec  eux.  C'est  de  quoi  nos  armateurs  avaient  fort 
à  souffrir  ;  quand  ils  arrivaient  aux  Iles,  ils  n'y  trou- 
vaient plus  ni  cacao,  ni  sucre,  ni  indigo.  De  plus,  les 
étrangers  qui  avaient  accaparé  notre  commerce,  payaient 
aux  indigènes  leurs  produits  avec  des  réaux  légers  (1), 
ce  qui  est  une  fausse  monnaie,  puisqu'elle  ne  pèse  pas 
le  poids  officiel;  et  les  indigènes  ne  trouvaient  rien 
de  mieux  que  de  vouloir  payer  nos  armateurs  avec  ces 
réaux  légers,  en  les  voulant  persuader  que  c'étaient 
réaux  véritables.  Les  Nantais  avaient  là  deux  motifs 
d'irritation. 

Craignant  de  voir  baisser  leur  commerce  par  suite 
de  cette  concurrence  et  de  la  mauvaise  foi  des  habi- 
tants, nos  juge-consuls  avaient  décidé  d'agir  ;  comme 
ils  ne  pouvaient  rien  faire  par  eux-mêmes,  ils  dépu- 
tèrent à  Paris  auprès  du  roi,  ou  plutôt  auprès  du  car- 
dinal de  Fleury,  qui  avait  alors  la  direction  des  affaires, 
un  des  leurs,  François  Le  Ray  de  la  Clartais.  Ils  pen- 
saient avec  raison,  que  le  commerce  français  tout 
entier  était  intéressé  à  ce  qu'un  remède  efficace  et 
prompt  fut  apporté  à  cet  état  de  choses  ;  ils  s'imagi- 
naient aussi,  et  se  montraient  en  cela  candides,  que 
les  Ministres  apporteraient  ce  remède. 

Ils  délibérèrent  le  4  septembre  1727  et  décidèrent 
ce  qui  suit  : 

«  Nous  soussignés  juge  et  consuls  en  charge,  anciens 
«  négociants  de  la  Ville  de  Nantes,  ayant  examiné 
«  combien  le  commerce  étranger,  toléré  dans  nos  colo- 


(1)  La  piastre  forte  vaut  10  réaux  5/8.  La  piastre  cou- 
rante ne  vaut  que  8  réaux.  Traité  des  Monnaies  par  Abot  de 
Bazinghen.  Le  même  pour  les  Espèces  légères,  Tome  1, 
page  437. 


(I 


-  126  - 

«  nies,   esl    préjudiciable   non   seulement    au   commerce 

«  de  cette  Ville,  mais  encore  à  celui  de  tout  le  royaume, 

«  avons  estimé  devoir  mettre  tout  en  usage, pour  par- 

«  venir  à   le   taire   cesser,   et   comme   tous  les  mémoires 

«  et   représentations  qui   ont  esté  faite  par  escrit  jus- 

«  qu'à    présent,    n'ont    rien    opéré,    nous   avons   cru    ne 

pouvoir   mieux   faire   que   de   prier  M.   de   la  Clartais, 

«  Leray,   consul    en    charge,    de    vouloir  bien  accepter 

«  la    députation    du    commerce    de    cette    ville    pour   se 

«  rendre  incessamment   à   Paris,  afin  que,  par  ses  soins 

«  et   sollicitations   auprès   de    Monseigneur  le   Cardinal 

«  de    Fleury,    Monseigr   l'Amiral,    Monseig1'    le    Contrô- 

«  leur     général     et     Monseigr     le     comte     de     Maure- 

«  pas,    il    puisse   obtenir   de    ces    puissances,    que    l'on 

«  puisse      aporter     incessamment     des     moyens      effi- 

«  caces    pour    faire    cesser   le    dit    commerce    étranger, 

«   ce   que   Mond1  sieur   Leray  ayant   bien   voulu    agréer 

«  pour  donner  des  marques  de  son  zèle  en    faveur  du 

«  bien    général    du    commerce,    ainsi     nous    déclarons 

«   par    la    présente    délibération,    luy    donne    tout    pou- 

«  voir  nécessaire  au  sujet,  le  priant   d'agir  de  /concert 

«  avec  Mr  Bouchaud  de  cette  Ville  au  Conseil  du  Com- 

«  merce,  et  à  l'égard  de  la  dépense  des  frais  que   fera 

«  Mond1    sieur    Leray    pour    la    dte    députation,    nous 

«  promettons    et    nous    obligeons    au    nom    de   tout    le 

«  commerce  de  l'en   satisfaire  sur  le  simple  estât  qu'il 

«  en  fournira  ». 

«  Lui  donné,  approuvé 
«  à  Nantes,  le  4  septbre  1727,  ainsi  signé  : 

Sigo ngnes,    Leray    de    la    Clartais,    François    Drouin, 
Pierre   Lory,    Augustin    Deluines.    » 

Nos  bourgeois  profitèrent  de  ce  qu'ils  députèrent 
à  Paris  un  représentant  pour  lui  faire  résoudre  plusieurs 
questions  pendantes  depuis  fort  longtemps.  Telle 
était  celle  du  droit  de  joyeux  avènement  que  les  com- 


—  127  — 

merçants  Nantais,  semblables  en  cela  à  ceux  de  beau- 
coup d'autres  villes,  se  refusaient  à  payer,  l'estimant 
trop  lourd  ;  d'ailleurs  ils  en  avaient  perdu  l'habitude 
et  avaient  trouvé  très  mauvais  qu'il  fut  rétabli  par 
le  régent,  Philippe  d'Orléans,  après  le  mariage  de 
Louis  XV.  Le  Parlement  avait  protesté,  mais  le  8  juin 
1725,  en  un  lit  de  justice,  Louis  XV  avait  requis  l'en- 
registrement. 

Enfin,  Le  Ray  de  la  Clartais  était  chargé  de  s'occuper 
d'une  certaine  affaire  Morfouace,  pendante  en  justice  (1). 

Il  arriva  à  Paris  le  10  septembre  et  eut  dès  le  pre- 
mier jour  le  sentiment  qu'il  faudrait  vaincre  bien  des 
difficultés  pour  arriver  au  but  proposé  ;  il  lui  fût  im- 
possible de  voir  les  ministres  en  promenade  à  Fon- 
tainebleau ;  quelques-uns  même  étaient,  par  avance, 
mal  disposés  à  recevoir  la  requête  de  notre  Juge-Consul. 
En  effet,  dans  sa  lettre  du  11  septembre  il  écrit  :  «  J'ay 
«  appris  qu'on  luy  avait  insinué,  (au  Ministre  de  la 
«  Marine),  que  pendant  les  guerres  mêmes,  la  nécessité 
«  avait  souvent  engagé  les  puissances  de  la  Marti- 
«  nique  de  se  rendre  aux  pressantes  représentations 
«  des  habitans  et  de  leur  permettre  tacitement  la 
«  liberté  d'acheter  du  bœuf  et  autres  comestibles  des 
«  Anglois  quoyqu'ennemis  ;  d'où  on  veut  lui  faire 
«  tirer  la  conséquence  que  si  on  a  été  forcé  dans  les 
«  tems  les  plus  dangereux  d'y  fermer  les  yeux  sur  le 
«  commerce  étranger,  combien  à  plus  forte  raison 
«  peut-on   le   tolérer   dans   une   paix   profonde,    lorsque 

(1)  Le  1er  septembre  1725,  Morfouace,  Greffier  du  Consu- 
lat, avait,  par  surprise,  résilié  sa  charge  de  greffier  qui  lui 
avait  coûté  mille  livres  tournois,  pour  la  somme  de  six  mille 
livres;  n'ayant  droit  qu'au  remboursement  du  prix  d'achat; 
de  là  le  procès  qui  ne  fut  terminé  qu'à  la  fin  de  1727,  à  la 
satisfaction  du  Consulat,  par  les  soins  de  François  Le  Ray 
de  la  Clartais. 

Archives  de  la  Chambre  de  Commerce,  copie  de  lettre  n°  2. 

Soc.  Archéol.  Nanics,  u 


—  128    - 

«  les   besoins  de  l'Isle  le  rendent  indispensable,   supo- 

«  sant    toujours    que    nous    ne    pourvoyons    pas    assés 

«  abonda menl    à   la   fourniture  des  vivres  nécessaires  ; 

«  je  prévoys  que  ce  faux  prétexte  sera  un  des  premiers 

«  articles  à  revainir  (sic),  et  il  ne  manque  pas  de  bonnes 

«  raisons   à   y   o poser  ». 

Il  comprit  donc,  dès  l'abord,  qu'il  faudrait  lutter 
contre  des  ministres  pleins  d'ignorance  sur  les  questions 
coloniales  ou  des  ministres  circonvenus,  et  balancer, 
par  de  bonnes  raisons,  les  mauvais  conseils  de  certains 
officiers  bien  en  cour.  De  plus,  la  théorie  du  libre 
échange  était  à  cette  époque  toute  puissante  ;  laisser 
faire,  laisser  passer,  telle  était  la  devise  à  la  mode. 
Le  Ray  de  la  Clartais  n'était-il  pas  mal  venu  à 
vouloir  réglementer  le  commerce  de  nos  colonies  ? 
Enfin,  Le  Ray  de  la  Clartais  demandait  qu'on  prit 
des  mesures  contre  le  commerce  étranger  ;  c'était 
s'attirer  l'inimitié  des  puissances  étrangères,  et  les 
ministres,  le  cardinal  de  Fleury  principalement,  vou- 
laient  la    paix. 

Pour  ce  qui  est  du  don  de  joyeux  avènement,  Le 
Ray  de  la  Clartais  désirait  une  chose,  que  les  ministres, 
qui  ont  besoin  d'argent,  n'accordent  qu'avec  une  peine 
infinie  :  la  réduction  de  leurs  propres  ressources. 

Le  Ray  obtint  pourtant  assez  vite  satisfaction, 
dans  une  certaine  mesure,  sur  ce  chapitre,  et  dès  le  25 
septembre,  il  pouvait  écrire  :  «  L'arrest  de  délay  pour 
«  la  taxe  de  joyeux  avènement  porte  au  1er  article 
«  que  les  officiers  marchands,  négotians  et  sujets  au 
«  droit  de  confirmation,  qui  se  présenteront  pour 
«  payer  en  corps,  seront  receus  à  le  faire  1/2  en  espèces 
«  et  1/2  en  papier  dans  le  courant  d'8bre  sans  es- 
«  pérance  d'autre  délay,  1/3  en  papier  et  2/3  en  argent 
«  dans  le  courant  de  Xbre  ;  après  quoy  personne 
«  ne  sera  plus  receu  à  payer  qu'en  argent.  Je  crois, 
«  comme    vous,    qu'il     faut    laisser    courir,    quoiqu'on 


129 


«  assure  bien  icy,  qu'il  n'y  aura  point  de  grâces  pour 
«  les   renards.  » 

Les  Juge-Consuls  ,  en  effet,  voyant  qu'on  leur 
accordait  une  surséance,  s'étaient  dit  naïvement  (lettre 
du  20  septembre)  :  «  Si  cette  taxe  trahie  en  longueur, 
«  il  y  a  espérance  qu'elle  pourra  bien  estre  supprimée, 
«  ce  qui  est  fort  à  souhaiter.  » 

Et  ils  firent  si  bien,  opposèrent  une  telle  force  d'iner- 
tie, que  la  décharge  de  ces  droits  leur  fut  accordée  le 
1er   février    1729   (1). 

Il  n'en  alla  pas  de  même  pour  la  question  du  commerce 
aux  colonies.  Le  Ray  de  la  Clartais  devait  là-dessus 
rencontrer  beaucoup  de  difficultés.  Nous  voyons  que 
ses  démarches  n'ont  pas  toujours  eu  des  résultats 
heureux;  ses  lettres  nous  apprennent  toutes  ses  tribu- 
lations. 

Il  n'avait  pu  voir  les  ministres  qui  étaient  à  Fon- 
tainebleau ;  il  avait  appris  que  Mgr  le  comte  de 
Maurepas,  secrétaire  d'Etat,  ministre  de  la  marine, 
lui  était  défavorable  ;  il  ne  perdit  pas  courage  et  com- 
mença   de    multiples    démarches. 

Il  va  voir  le  Maréchal  d'Estrées,  gouverneur  des 
ville  et  châteaux  de  Nantes  ,  général  pour  le  roi  au 
comté  Nantais  et  propriétaire  de  l'île  de  Sainte-Lucie, 
qu'il  veut  faire  intervenir  auprès  de  Monseigneur  de 
Maurepas.  Il  va  voir  Monseigneur  le  comte  de  Tou- 
louse ;  celui-ci  n'aime  pas  les  intrigues  de  cour  ;  il 
convient  que  les  commerçants  ont  raison,  mais  ne  se 
soucie  point  de  se  mêler  de  leurs  affaires.  Il  va  voir 
divers  fermiers-généraux  que  cette  affaire  intéresse. 
«  Ceux-là  se  remueront  et  cela  fera  un  bon  effet  ». 
Il  va  voir  enfin  «  tous  Mrs  les  députés   et  les  sollicite 

(1)  Il  est  vrai  que  le  5  mars  1727,  la  ville  de  Nantes  avait 
payée  pour  ce  droit  la  somme  de  28.603  livres,  tant  en  prin- 
cipal que  pour  le  droit  de  2  sols  par  livre  et  frais  de  quittance. 


130 


«  de  se  joindre  à  lui  pour  la  cause  commune  et  de  crier 
«   tous  ensemble  le  plus  fort  qu'ils  pourraient.  » 

«  Enfin,  dit-il,  je  puis  vous  assurer  que  de  la  façon 
«  dont  je  vois  les  batteries  disposées,  si  l'on  ne  donne 
«  pas  satisfaction  au  commerce  à  ce  sujet,  il  n'y  aura 
«  jamais  à  espérer.  »  Lettre  du  17 -septembre   1727. 

Le  13  septembre,  Le  Ray  voit  en  audience  particulière 
le  comte  de  Maurepas  et  a  peu  de  succès  auprès  de  ce 
ministre ,  dont  d'Argenson  a  pu  dire  qu'il  écoutait 
mal  et  parlait  toujours  avant  de  penser,  qu'il  traitait 
sérieusement  les  bagatelles  et  légèrement  les  grands 
objets,  qu'il  n'avait  nulle  justesse,  point  de  jugement, 
nulle  prévoyance  clans  les  affaires. 

«  M.  Bouchaud  (1)  et  moy  eusmes  aussy  hier  une 
«  audience  particulière  de  Monseigneur  le  comte  de 
«  Maurepas,  je  fus  charmé  d'avoir  put  l'obtenir  avant 
«  son  départ  pour  Fontainebleau  ;  après  luy  avoir 
«  remis  la  lettre  dont  vous  m'aviez  chargé  pour  luy  , 
«  qu'il  lust  sur  le  champ,  je  luy  représenta^  nos  allarmes 
«  au  sujet  de  notre  commerce  des  colonies  prest  à 
«  tomber  entre  les  mains  des  Anglais,  s'il  ne, luy  plai- 
«  soit  y  aporter  sans  plus  de  délay  un  remède  prompt 
«  et  efficace  ;  que  ce  qui  venait  de  se  passer  à  la  Mar- 
«  tinique  au  sujet  des  prises  de  M1'  de  la  Jonquière 
«  portait  le  mal  à  son  période,  et  que  dans  ce  moment 
«  de  crise,  nous  le  suplions  très  humblement  de  ne 
«  plus  différer  à  faire  rendre  une  déclaration  du  Roy 
«  telle  que  nous  avions  pris  la  liberté  de  luy  demander 
«  cy  devant,  et  qu'il  avait  bien  voulu  nous  promettre  ; 
«  voicy  à  peu  près  le  précis  de  sa  réponse. 


(1)  M.  Charles  Bouchaud,  sieur  de  la  Foresterie,  fut 
nommé  Consul  pour  1711-1712  ;  il  fut  nommé  échevin  de 
Nantes  en  1716-1718,  puis  continué  pour  1718-1720;  mais 
en  1719,  ayant  été  nommé  à  la  Chambre  de  Commerce  à 
Paris,  il  fut  obligé  d'abandonner  ses  fonctions  d'échevin. 


131 


«  Il  y  a  une  déclaration  du  Roy  preste  à  passer  qui 
«  est  actuellement  sur  mon  bureau,  on  en  sera  content, 
«  mais  je  ne  la  feray  paroistre  qu'après  le  départ  du 
«  Vau  du  Roy  qui  partira  pour  la  Martinique  à  la  mi- 
te octobre  ;  à  l'égard  des  prises  (1),  je  veux  avoir  les 
«  papiers  que  doit  aporter  l'officier  de  Mr  de  la 
k  Jonquière,  ne  sachant  point  encore  au  juste  sur 
«  quoy  le  Conseil  de  la  Martinique  a  apuyé  son 
«  jugement. 

«  C'eust  été  m'exposer  à  l'ennuyer  pour  une  pre- 
«  mière  audiance,  que  de  vouloir  lui  détailler  ce  que 
«  nous  en  scavons;  il  m'aurait  toujours  remis  à  la  veûe 
«  des  pièces,  ainsy  je  me  contentay  de  luy  dire  que  je 
«  le  suivrois  à  Fontainebleau  où  je  lui  demanderois 
«  un  moment  de  son  tems  pour  luy  faire  ce  détail,  et 
«  luy  lachay  en  sortant  que  nos  négocians  ruinés  depuis 
«  longtems  par  le  commerce  étranger,  n'oseroient 
«  plus  s'exposer  à  de  nouvelles  pertes,  jusqu'à  ce  qu'ils 
«  ne  fussent  rassurés  par  la  déclaration  du  Roy,  dont 
«  il  venait  de  me  parler  ;  escrivés,  me  dit-il,  au  com- 
«  merce  de  votie  ville,  qu'ils  ne  cessent  point  leurs 
«  armements,  ceux  qui  se  préparoient  en  Angleterre 
«  pour  porter  du  bœuf  à  Sainte-Lucie,  sont  suspendus, 
«  et  la  colonie  ne  peut  pas  vivre  sans  aucun  secours, 
«  si  celuy  de  nos  ports  y  manquoit,  on  ne  pouroit  pas 
«  s'empêcher  de  l'en  laisser  prendre  où  elle  en  trouve- 
«  roit  ;  ainsi,  Messieurs,  je  prévoys  assés  qu'il  faut  at- 
«  tendre  le  départ  de  ce  Vau  qui  s'arme  à  Rochefort  et  en 

\ 

(1)  A  l'égard  des  prises,  il  s'agit  sans  doute  de  vaisseaux 
ayant  voulu  faire  commerce  avec  des  réaux  légers  et  qui 
avaient  été  saisis. 

Les  négociants  nantais  auraient  voulu  qu'ils  ne  fussent 
point  relâchés  ;  ils  le  furent  pourtant. 

«  Les  perdreaux  ont  pris  la  volée  et  vraysemblablement 
ce  sera  saus  caution.  » 

Lettre  du  30  septembre  1727. 


132 


«  attendant  persuadés  bien  au  ministre  que  dès  que 
«  nous  n'aurons  plus  à  craindre  la  concurrence  des 
«  étrangers  dans  nos  Isles,  l'émulation  des  négocians 
«  sera  une  suffisante  caution  pour  répondre  de  la 
«  fourniture  qu'il  leur  sera  nécessaire,  sans  le  secours 
«  des  Anglois.  »  Lettre  du   13  septembre   1727. 

Les  déclarations  vagues  du  comte  de  Maurepas 
ne  satisfaisaient  point  nos  Juge-Consuls  ;  ils  voulaient 
voir  le  contenu  de  la  déclaration,  afin  que  les  arma- 
teurs ne  s'exposassent  point  à  faire  de  mauvais  voyages 
si  elle  ne  leur  était  pas  favorable.  «  Donnez-nous  la 
«  déclaration,  disent-ils,  ou  nous  ne  partirons  pas.  » 

Le  Ray  continue  donc  ses  démarches,  écrit  mémoires 
sur  mémoires.  Malgré  son  zèle,  il  «  n'avance  qu'à  pas 
de  tortue  ».  Il  remarque  avec  une  certaine  amertume 
qu'il  lui  faut  courir  sans  cesse  à  droite  et  à  gauche, 
chercher  chaque  grand  seigneur  en  sa  terre  et  que  ces 
grands  seigneurs  ne  s'embarrassent  guère  de  son  im- 
patience. Il  estime  que  c'est  déjà  beaucoup  d'honneur 
d'avoir  pu  les  approcher  tous  et  que  deux  d'entre 
eux,  le  Contrôleur  général  et  le  Maréchal  d'Estrées 
se  soient  prononcés  en  sa  faveur.  Il  se  sent  secrète- 
ment desservi  auprès  du  secrétaire  même  de  Mgl  de 
Maurepas,  M1'  Forcade,  par  un  certain  Mr  de  Cham- 
pigny,  récemment  nommé  commandant  pour  la  Mar- 
tinique. Certes,  il  a  «  d'aussi  bonnes  raisons  que  Mr  de 
«  Champigny,  mais  pourvu  qu'elles  soient  écoutées  de 
«  la  même  oreille  ».  Il  est  aussi  desservi  par  les  «  Amé- 
riquins  »  qui  crient  «  que  nous  voulons  affamer  leurs 
«  isles  »...  «  qui  s'étudient  à  parler  contre  toutes  nos 
«  démarches  »...  «  Ils  débittent  à  présent  que  nous 
«  voulons  leur  envoyer  du  bœuf  poury,  salé  en  France 
«  pendant  les  chaleurs,  et  que  nous  verrons  comment 
«  les  habitans  le  recevront;  je  ris  quelquefois  de  tous 
«  ces  discours,  quelquefois  je  m'en  fâche,  s'ils  ne 
«  faisaient  pas  d'impression,  nous  les  mépriserions  ». 

Résultat    :     «    L'audience    du    ministre     quelquefois 


—  133  — 

est  sèche  »  Et  Le  Ray  s'irrite  :  «  Il  est  étonnant  qu'en 
«  demandant  l'intérêt  du  roy  et  la  conservation  de 
«  la  colonie,  on  ne  puisse  les  déterminer  (les  ministres) 
«  à  un  prompt  remède  »...  «  Vous  scavez,  écrit -il 
«  encore,  qu'il  est  difficile  de  les  faire  aller  plus  vite 
«  qu'ils  ne  veulent  »...  et  le  28  septembre:  «  Il  faul 
les    talonner  ». 

Nos  Juge-Consuls,  agacés  de  ces  lenteurs,  écrivent 
de  leur  côté  :  «  Les  Seigneurs  ne  voient  les  choses 
«  que  superficiellement  et  se  laissent  obséder  par 
«  leurs  secrétaires.  »   Lettre   du  4   octobre. 

Le  Ray  ne  recule  devant  aucun  moyen  et  va  jus- 
qu'à corrompre  les  secrétaires  :  «  J'ay  promis  au  secré- 
taire d'estre  reconnaissant  de  la  décision  si  elle  nous 
«  était  avantageuse  ».  Raison  plus  touchante  que  toutes 
les  prières  du  monde.  Cela  s'appelle  «  Parler  français  ». 
Lettres  des  11  et  14  octobre. 

Et,  enfin,  fatigué  par  toutes  ces  démarches,  il  écrit  : 
'<  J'ai  désormais  frappé  à  toutes  les  portes  ;  si  ceux 
«  qui  gouvernent  ne  se  réveillent  pas,  c'est  qu'il  est 
«  dit   qu'ils    mourront   dans   leur   léthargie  ». 

Le  comte  de  Maurepas,  de  son  côté,  était  impatienté 
par  ces  fâcheux  qui  l'importunaient  sans  cesse  ;  il  lui 
dit  une  fois  :  «  Vous  traittés  cette  affaire  comme  si 
«  vous  aviez  à  Nantes  le  privilège  exclusif  des  colo- 
«  nies  ;  les  négocians  vont  trop  loin  ». 

Un  jour  il  se  fâcha.  Mais  laissons  parler  Le  Rav  : 

«  Je   ne   scay   pas   bien   au   juste   qu'elle    mouche   a 

«  piqué  Mgr  de  Maurepas,  mais  je  le  trouvay  dimanche 

«  très   indisposé   contre   les   négocians  de   Nantes,  j'ay 

«  cru   en   trouver  le   motif   dans  le   mémoire  de  M1'  de 

«  Feuquières,    dont  vous   m'avez    envoyé  une  copie,    y 

«  ayant  remarqué  plusieurs  endroits  relatifs  à  ce  qu'il 

«  me   dist   de   notre   commerce   et   de   celuy   des  étran- 

«  gers    à    l'Amérique,    comme    par    exemple    du    bœuf 

«  fraudé    et    du    commerce    de    nos    vaissaux    avec    les 


—  m  — 

«  Anglois,  je  suis,  dit-il,  très  persuadé  à  présent  de 
«  l'un  et  de  l'autre,  et  il  arrivera  de  cette  affaire  cy, 
(i  qu'il  en  ira  <S  ou  10  de  Nantes  aux  gallères,  «  ce  sont 
«  ses  propres  mois  »,  je  ne  puis  pas  bien  comprendre 
s'il  voulait  parler  des  négocians  ou  des  capitaines, 
«  mais  ce  petit  discours  prononcé  devant  quatre  ou 
«  cinq  personnes,  me  couvrist  de  confusion.  Je  luy  dis 
«  qu'il  ne  trouverait  point  de  négocians  dans  ce  cas 
«  là,  et  que  s'il  avait  des  preuves  contre  quelques  capi- 
«  taines,  il  nous  ferait  grand  plaisir  de  les  faire  chat- 
«  tier  ;  le  lendemain  je  luy  donnay  un  mémoire  pour  le 
«  désabuser  et  il  me  parut  un  peu  radoucy  ».  Lettre 
du  22  octobre. 

Le  Ray  n'avait  pas  encore  vu  le  Cardinal  de  Fleury 
et  il  espérait  beaucoup  de  cette  entrevue  ;  il  aurait 
voulu  se  faire  présenter  au  Cardinal  par  M*1  le  Contrô- 
leur Général,  «  ce  qui  serait  la  meilleure  entrée  qu'il 
y    pourroit    avoir  ». 

Le  30  septembre,  il  en  perdit  l'espoir  et  écrivit  : 

«  Le  Controlleur  général  m'avait  fait  espérer  de 
«  me  présenter  à  MK'  le  Cardinal  ainsy  que  je  vous 
«  l'ay  marqué,  mais  il  s'en  vont  ce  soir  tous  les  deux 
«  trouver  le  Roy  Stanilas  qui  passe  à  deux  lieues 
«  d'icy  (Fontainebleau),  demain  il  luy  surviendra 
«  quelqu'autre  chose  de  nouveau  et  ses  moments  sont 
«  si  contés,  que  je  perds  presque  l'espérance  qu'il 
m'avait  donnée  à  ce  sujet,  ainsy  je  prendray  le  part  y 
de  m'y  présenter  de  moy  même,  quoique  je  pré- 
voye  bien  que  de  cette  façon,  je  n'avanceray  pas 
beaucoup,  car  assurés  vous,  Messieurs,  que  les  lettres 
ne  sont  leues  que  très  imparfaitement,  les  ministres 
les  décachetent  bien  devant  nous,  ils  en  parcourent 
«  quelques  lignes  et  les  remettent  ensuite  à  leurs  sécré- 
«  taires,  où  elles  restent  sans  qu'il  en  soit  parle  davan- 
«  tage  :  il  n'y  a  que  les  moments  d'audiences  qui  servent 
'   à  quelque  chose  et   celles  de  MK'  le  Cardinal  est  tou- 


-  135  — 

«  jours  si  remplie,  qu'on  a  pas  le  tems  de  luy  rien 
«  détailler,  à  moins  qu'il  ne  luy  prist  envie  d'apro- 
«  fondir  la  matière  et  qu'il  ne  se  porte  de  lui  même 
«  à  faire  des  questions  sur  ce  qu'on  lui  représente,  ce  qui 
«  n'arrive  presque  jamais,  vous  remettant  d'abord  au 
«  Secrétaire  d'Estat  qui  a  le  département  de  l'affaire 
«  dont  on  veut  luy  parler  ». 

Le  Cardinal  de  Fleury  qui  était  un  homme  doux, 
s'occupait  en  effet  assez  peu  d'affaires  sérieuses,  donnant 
seulement  les  grâces  et  les  places,  tout  ce  qui  fait  aimer, 
comme  a  dit  Villars. 

Quand  Le  Ray  lui  fut  présenté,  il  se  contenta  seu- 
lement de  lui  demander  si  le  Controlleur  Général  et 
Mr  de  Maurepas  s'étaient  occupés  de  la  question  et 
il  ajouta  que  lui-même  y  ferait  attention.  L'audience 
était  finie  ;  elle  parut  insuffisante  à  Le  Ray. 

Enfin  la  décision  du  Roi,  si  impatiemment  attendue 
des  nantais,  parut  ;  elle  ne  les  satisfaisait  qu'à  moitié, 
«  Je  reçois  dans  le  moment  par  un  courrier  exprès 
«  de  Fontainebleau  une  copie  en  manuscrit  des  lettres 
«  patentes  en  forme  d'Edit  contre  le  commerce  étran- 
«  ger  que  je  vous  envoys  cy-joint,  vous  verres  qu'il 
«  n'y  est  point  parlé,  n'y  des  réaux  légers,  n'y  des 
«  déffenses  sous  des  peines  sévères  aux  généraux  et 
«  intendants  d'en  souffrir  à  l'avenir  la  continuation. 
«  Ces  déffenses  là  seront  sans  doute  expliquées  dans 
«  des  ordres  particuliers  qui  ne  paraistront  point  et 
«  c'est  cependant  ce  que  nous  aurions  bien  demandés 
«  qui  fust  rendu  public,  comme  nous  n'en  obtiendrions 
«  pas  davantage  pour  à  présent,  et  qu'il  faut  encore 
«  paraistre  contens  de  ce  qu'il  plaist  à  la  Cour  d'ordon- 
«  ner,  j'iray  lundy  remercier  les  ministres  à  Fontai- 
«  nebleau,  après  quoy  j'arrangerav  mon  départ  qui 
«  poura  estre  vers  le  10  du  prochain  mois,  j'aurais 
«  souhaitté  passionement,  Messieurs,  avoir  peu  vous 
«  raporter  une  plus  entière  réussite,  il  me  reste  au 
«  moins   la   satisfaction   de   ne   m'y   estre    pas   épargné 


-   130  — 

«  et  d'avoir  fait  tout  le  possible  pour  y  parvenir,  j'y 
«  joins  eelle  d'avoir  peu  marquer  à  nos  négts  mon 
«  dévouement  pour  le  bien  de  notre  commerce  et  le 
«  respect  avec  lequel  j'ai  l'honneur  destre  etc.  ». 

Les  Juge-Consuls  lui  répondaient  le  1er  novembre  : 

«  Mrs  tous  nos  négls  sont  bien  persuadés  des  peines 
«  et  des  soins  que  vous  vous  estes  donnés  pr  faire 
«  réussir  le  sujet  de  vostre  députation,  si  le  résultat 
«  n'est  pas  complet  ce  n'est  pas  vostre  faute  et  on  ne 
«  vous  aura  pas  moins  d'obligations,  en  attendant 
«  le  plaisir  de  vous  voir,  nous  vous  saluons  et  avons 
«  l'honneur  d'estre,   etc.   » 

Et  ils  ajoutent,  le  4  novembre  : 

«  Nos  négocians  paroissent  contents  de  cet  édit,  il 
«  y  a  apparence  qu'on  armera  cette  année  nombre  de 
«  vaisseaux  pour  porter  du  bœuf.   » 

Ils  n'avaient  pas  obtenu  tout  ce  qu'ils  désiraient, 
mais  ils  sentaient  qu'il  était  impossible  d'obtenir 
davantage  ;  il  fallait  faire  contre  mauvaise  fortune, 
bon    cœur. 

Ils  furent  reconnaissants  à  François  Le  Ray  de  la 
Clartais  de  tout  le  dévouement  qu'il  avait  apporté 
dans  cette  affaire.  Nous  relevons  dans  le  registre  n°  2, 
cote  582,  des  délibérations  des  Juge  et  Consuls,  la 
note  suivante  : 

«  Sur  ce  qu'il  est  venu  à  la  connaissance  de  Mrs  les 
«  Juge  et  Consuls  en  charge  qu'il  leur  était  nécessaire 
«  d'employer  une  somme  de  trois  cents  livres  pour 
«  affaires  et  choses  à  eux  connues  et  dont  ils  ont  conféré 
«  avec  Messieurs  les  anciens  Juge  et  Consuls  et  Négo- 
ce cians  de  cette  ville,  dont  ils  ont  déclaré  estre  contents. 

«  Pourquoy  les  dits  sieurs  anciens  Juge  et   Consuls 


—  137  - 

«  et  Négocians  de  cette  ville  donne  pouvoir  et  consen- 

;<  tement  que  Monsieur  Périsse],  juge  en  charge,   fasse 

.(  l'employ  de  la  dite  somme  de  trois  cent  livres,  laquelle 

«  luy    sera    passée    et    allouée    dans    son    compte    sans 

«  contredit,   étant  reconnue   estre   utile  ». 

A  Nantes,  le  10  janvier  1729. 

Ont  signé   : 

R.  Edelin,  Sigongnes,  de  la  Bauche-Hervé,  Guillaume 
Handriex,  de  Carcouet-Burot,  de  Beaulieu  Belloteau , 
François  Drouin.   G.   Guilloré. 

Il  est  à  remarquer  que  François  Le  Ray  de  la  Clartais 
n'a  pas  signé  cette  délibération  comme  ancien  consul, 
bien  que  les  précédentes  et  suivantes  délibérations 
fussent  signées  par  lui. 

Il  est  à  peu  près  certain  que  cette  délibération  a 
trait  à  une  bourse  de  cent  jetons  en  argent  (le  prix  en 
était  généralement  fixé  à  trois  cents  livres)  qui  lui  fut 
offerte  par  ses  collègues  du  consulat.  Ils  furent  frappés 
en  son  nom  et  rappellent  en  une  légende  élogieuse,  le 
succès  qu'il  avait  remporté  dans  la  mission  qui  lui 
avait   été   confiée. 

Il  fut  en  outre  frappé  aux  mêmes  coins  des  jetons 
en  bronze,  dont  j'ai  eu  la  chance  de  retrouver  un  exem- 
plaire, gravé  en  tête  de  cette  notice;  c'est  le  seul  qui 
soit  connu,  en  voici  la  description  : 

FELIX  OMEN  RADIUS  Navire  armé  en  trois- 
mâts  barque,  voguant  à  gauche,  un  rayon  de  soleil 
perce  les  nuages  et  vient  l'éclairer.  A  l'exergue,  en  trois 
lignes:  GRATITUD.  COMMERC.  MARIT.  -  -  NANN. 
IN  FR.  LE  RAY  -  MONUM.  qui  doit  se  lire  :  GRATI- 
TUDINIS  COMMERCII  MARITIMI  NANNETEN- 
SIS    IN    FRANCISCUM    LE    RAY   MONUMENTUM. 


—  138  — 

k  Légende  en  six  lignes:  QUOI)  -  ADVERSUS  -  IN- 
TERLOPAS  NAVES  -  REG  (is)  DIPLOMA  (ta)  SOL- 
LICIT  (avit)         ET  ATTULIT.   —  1727. 

Quoique  ce  jeton  n'ait  été  frappé  qu'en  1729,  il 
rappelle  par  sa  date  1727,  l'époque  à  laquelle  François 
Le  Ray  fut  envoyé  en  députation. 

Nantes,  le  10  avril  1908. 

P.     SOULLARD. 


Entre  Commissaires  à  Nantes 

Au    XVIIIe    Siècle 


En  1669  naissait  à  Paris,  sur  la  paroisse  Saint-Jacques 
du  Haut-Pas,  un  enfant  qui  fut  nommé  Claude  Dumur. 
Avait-il  été  trouvé  au  pied  d'un  mur  dans  la  capitale 
(comme  le  fut  à  Nantes,  un  siècle  plus  tard,  Renée  Dumur, 
baptisée  à  Saint-Léonard),  puis  recueilli  par  quelque 
âme  compatissante,  ou  bien  était-il  né  en  légitime  ma- 
riage ?  Nous  ne  savons,  et  vraisemblablement  le  fait  ne 
serait  point  facile  à  vérifier  :  les  registres  de  l'état  civil 
de  Paris  ayant  été  brûlés  sous  la  Commune.  Il  importe 
peu  d'ailleurs  à  la  suite  de  notre  histoire  qu'on  doive 
ou  non  ranger  Claude  Dumur,  sous  le  rapport  de  la  régu- 
larité de  sa  naissance,  à  côté  des  Perrine  de  la  Porte, 
Marie  de  l'Allée,  Marie  du  Banc,  Louis  de  l'Echelle, 
Jeanne  de  la  Cuisine,  François  de  l'Ecurie,  Marguerite 
et  Renée  du  Grison,  Joseph  du  Bateau,  Charles  de  la 
Nuit  et  tant  d'autres  nantis  de  noms  analogues  plus  ou 
moins  poétiques  et  pittoresques,  et  que  nous  savons 
positivement  être  des  enfants  trouvés  ou  exposés  à 
Nantes,  ou  bien  de  ces  nothus,  notha,  comme  disent  nos 
registres  paroissiaux  :  les  recteurs  voilant  discrètement 
sous  le  latin  une  tare  dont  les  infortunés  n'étaient  point 
responsables. 

A  quelle  date  Dumur  quitta-t-il  la  capitale  ?  Fit-il 
un  tour  de  France  plus  ou  moins  tortueux  avant  de 
venir  se  fixer  dans  la  bonne  ville  de  Nantes  ?  On  l'ignore. 
Ce  qu'il  y  a  de  certain, c'est  que  nous  ne  le  rencontrons 
chez  nous  qu'à  l'âge  de  40  ans. 

Le  11  juillet  1709,  en  effet,  honorable  homme  Claude 
Dumur,    maître  gantier  parfumeur,  épousait  à  Sainte- 


—  140  — 

Croix  dé  Nantes  «  honeste  famme  Olive  Feudé,  vefve  de 
feu  honorable  homme  François  Thamol,  en  son  vivant 
aussy  maistre  gantier  ».  Au  hou  vieux  temps,  le  veuvage 
pesait  lourd  à  nos  ancêtres.  11  n'y  avait  pas  tout  à  fail 
neuf  mois  qu'Olive  avait  enterré  son  premier  époux  (18 
octobre  170.S).  A  dire  vrai,  François  Tamot  lui  avait  bien 
donné  l'exemple,  puisque  veuf  le  16  mai  1702  de  Mar- 
guerite de  la  Lande,  il  avait  convolé  six  semaines  après 
avec  Olive  (1er  juillet  1702). 

Quoi  qu'il  en  soit  de  l'empressement  de  celle-ci  à  for- 
mer de  nouveaux  liens,  ses  proches  ne  lui  tinrent  pas 
rigueur,  puisque  Yves  Tamot,  frère  de  son  premier  mari, 
assistait  à  la  noce  et  signait  au  registre.  D'ailleurs  les 
affaires  sont  les  affaires  et  Olive,  en  se  mariant,  songeait 
peut-être  autant  à  la  prospérité  de  sa  boutique  de  gan- 
tière en  lui  donnant  un  nouveau  patron,  qu'aux  beaux 
yeux  de  Claude  qui  frisait  déjà,  nous  l'avons  dit,  la 
quarantaine. 

Aux  environs  de  1712,  Dumur  tenait  son  établisse- 
ment dans  la  Grand'rue.  Soit  pour  se  distraire,  soit  pour 
faire  patienter  les  clients  pendant  que  Madame  leur 
essayait  des  gants,  peut-être  pour  amuser  le  petit  Fran- 
çois-Mathieu Tamot,  alors  âgé  de  7  ans,  enfant  du  pre- 
mier lit  —  car  nous  n'avons  pas  vu  que  lui-même  fût 
encore  devenu  père  -  -  Claude  Dumur  avait  des  singes. 
Dans  un  grand  port  comme  Nantes,  dont  les  nombreux 
vaisseaux  sillonnaient  alors  toutes  les  mers  et  faisaient 
le  commerce  des  Indes,  des  Orientales  comme  des  Occi- 
dentales, à  cela  rien  d'extraordinaire.  Il  n'était  pas  le 
seul  d'ailleurs  et  nous  verrons  bientôt  qu'il  partageait 
cette  passion  avec  le  lieutenant  de  Toi  au  château. 
C'était  aussi  bien  innocent  ;  mais,  ce  qui  l'était  moins, 
il  les  habillait  en  moines  !  Peut-être  cela  lui  faisait-il  de 
la  réclame  ;  en  tout  cas,  le  bon  populaire  sûrement,  et 
vraisemblablement  aussi  les  gentilshommes  qui  ne  se 
piquaient  point  alors  d'une  dévotion  outrée,  durent 
plus  d'une  fois  en  rire,  et  il  ne  semble  point  que  Dumur 


—  141  — 

ait  été  excommunié  pour  cette  plaisanterie  d'un  goût 
plutôt  douteux  et  qui  ne  paraît  pas  d'ailleurs  avoir 
longtemps  duré.  Malheureusement  pour  lui,  un  voisin 
revêche,  qui  s'était  peut-être  comme  les  autres  amusé 
des  quadrumanes  encapuchonnés,  ne  devait  point  l'ou- 
blier. Il  le  lui  fit  bien  voir. 

Joseph  Cigongne,  maître  apothicaire  de  son  état, 
habitait  la  Haute,  tandis  que  Dumur  logeait  dans  la 
Basse-Grand'rue,  le  premier  en  Saint-Denis,  le  second 
en  Sainte-Croix.  Tous  deux  faisaient  partie  de  la  milice 
bourgeoise  dans  des  compagnies  différentes  ;  toutefois 
Cigongne  avait  le  grade  d'enseigne,  correspondant  à 
celui  de  sous-lieutenant.  Dumur  n'était  que  sergent. 

En  janvier  1721,  un  arrêt  du  Conseil  d'Etat  établit  à 
Nantes  un  major  et  un  aide-major  dans  ladite  milice. 
Rien  de  la  médecine  comme  on  pourrait  le  croire 
dès  l'abord,  étant  donnée  la  hiérarchie  actuelle  —  dans 
ces  fonctions.  On  les  créait,  suivant  le  texte  de  l'arrêt, 
«  pour  éviter  les  plaintes  et  discussions  qui  arrivent 
ordinairement  quand  les  milices  sont  assemblées  ». 
C'était  donc  plutôt  un  emploi  de  police  au  corps.  Sevin, 
lieutenant  d'une  compagnie,  fut  promu  major  et  Dumur 
aide-major,  celui-ci  avec  brevet  du  roi  lui  donnant  rang 
de  lieutenant.  Du  fait,  le  sergent,  alors  âgé  de  52  ans, 
passait  par  dessus  la  tête  de  Cigongne  qui  en  avait  66 
et  restait  enseigne. 

Avec  son  métier  d'apothicaire  et  son  grade  dans  la 
garde  bourgeoise,  Cigongne  cumulait  une  autre  fonction. 
Le  25  juillet  1720,  lors  de  la  création  de  quatre  commis- 
saires de  police  à  Nantes,  il  avait  obtenu  une  de  ces 
places.  Les  300  livres  de  gages  annuels  qu'elles  procu- 
raient aux  titulaires  n'étaient  certes  pas  à  dédaigner. 

Que  l'on  fût  officier  de  milice  et  avec  cela  autre  chose, 
très  bien  ;  mais  que  l'on  pût  exercer  simultanément  la 
charge  de  commissaire  et  l'état  d'apothicaire,  toutes 
nos  idées  modernes  en  sont  renversées.  Néanmoins, 
c'était  comme  cela  à  Nantes  sous  la  Régence.  Comment 


-   142  — 

Monsieur  Cigongne,  à  son  âge,  pouvait-il  à  la  fois  sur- 
veiller son  officine  el  la  police  urbaine?  Pour  la  pre- 
mière il  avait,  il  est  vrai,  son  fils  ;  niais  celui-ci  était 
bien  jeune,  puisque  quatre  ans  plus  tard  il  n'avait  pas 
encore  accompli  tout  son  stage.  Pour  la  seconde,  nous 
aimons  à  croire  que  des  collègues  plus  alertes  faisaient 
au  besoin  le  coup  de  force  et  que  lui  se  contentait, 
comme  le  constatent  divers  procès-verbaux  dressés  par 
Cigongne  en  1721  et  1722,  de  dénoncer  ceux  qui  met- 
taient le  feu  à  leur  cheminée,  n'avaient  point  de  latrines, 
apportaient  des  bêtes  mortes  au  coin  de  la  ruelle  qui 
conduit  sur  les  murailles  de  Saint-Léonard,  ou  bien 
donnaient  à  boire  pendant  le  service  divin,  etc. 

Entre  temps,  Cigongne  posa  sa  candidature  à  une 
place  d'échevin  de  la  ville  de  Nantes.  Il  eut  été,  cela  se 
conçoit,  fort  honorable  pour  lui  de  figurer  parmi  les 
premiers  magistrats  de  la  cité.  Hélas  !  on  ne  voulut 
point  reconnaître  ses  mérites.  Quelque  intrigue  le  fit-il 
échouer?  Toujours   est-il    qu'il   échoua. 

Au  début  de  1722,  les  choses  en  étaient  à  ce  point 
dans  la  situation  respective  de  nos  personnages  :  l'un 
apothicaire,  commissaire  de  police  et  toujours  enseigne 
de  la  milice,  avec  cela  candidat  malheureux  ;  l'autre, 
gantier  et  aide-major  au  rang  de  lieutenant  dans  ladite 
milice.  Or,  à  cette  époque,  un  commissariat  de  police 
vint  à  vaquer,  Charles  Fauvel  se  retirait.  Dumur  brigua 
la  place.  Avoir  pour  collègue  un  particulier  qui  l'avait 
si  bien  évincé  dans  la  garde  bourgeoise,  c'en  était  trop 
pour  Cigongne.  C'est  ici  que  l'histoire  se  corse  et  va 
justifier  le  titre  que  nous  lui  avonsïdonné. 

L'apothicaire  aiguise  sa  plume  et  de  sa  plus  belle 
main  adresse  à  l'intendant  de  Bretagne  Feydeau  de 
Brou  une  épître  pour  protester  contre  la  nomination 
de  Dumur  à  une  place  de  commissaire.  Que  disait-il 
au  juste  dans  cette  épître?  Son  texte,  malheureusement, 
ne  nous  est  pas  parvenu,  et  c'est  bien  dommage.  On 
peut   toutefois,  sans   médisance,    la   croire   quelque   peu 


143 


fielleuse,  si  l'on  en  juge  par  la  correspondance  qu'échan- 
gèrent à  son  sujet  l'intendant  et  Gérard  Mellier,  maire  de 
Nantes  et  colonel  né  de  la  milice  bourgeoise. 

Le  28  janvier  1722,  Feydeau  écrivait  à  Mellier  :  «  Je 
vous  envoyé  une  lettre  du  sr  Cigogne  qui,  fasché  appa- 
rament  de  ce  que  l'on  ne  l'a  pas  trouvé  digne  d'estre 
admis  parmy  les  échevins,  veut,  à  son  tour,  soutenir  la 
dignité  des  commissaires  de  police.  Je  suis  fort  aise 
que  l'on  regarde  ces  places  comme  distinguées...  Vous 
pourés  dire  au  sr  Cigogne  que  je  vous  ay  renvoyé  sa 
lettre  »  (1). 

A  quoi,  le  30  janvier,  le  maire  de  Nantes  répondait  : 

«  J'ay  averty  le  sr  Cigogne  du  renvoy  de  sa  lettre.  Je  l'ay 
ramesné  de  'son  entestement  qui  est  extrême.  Nous 
avons  remplacé  l'office  vaccant  en  nommant  le  sr  Du- 
mur.  J'ay  eu  l'honneur  de  vous  en  parler  à  Nantes  ; 
vous  l'avez  agréé.  M.  de  Menou  a  fort  pressé  en  sa  fa- 
veur connoissant  son  activité  et  sa  vigilance.  Dumur 
est  ayde  major  de  la  Ville  avec  brevet  du  Roy  qui  luy 
donne  rang  de  lieutenant  de  la  milice  bourgeoise,  et 
Cicogne  n'est  qu'enseigne  de  la  mesme  milice.  Il  n'opose 
pour  reproche  capital  autre  chose  contre  Dumur  si  ce 
n'est  qu'il  a  eu  des  singes  dans  sa  boutique  qu'il  habil- 
loit  en  moines.  Je  m'étonne  que  Cigogne  vous  ayt  pu 
présenter,  Mr,  une  plainte  sur  un  motif  de  cette  nature. 
Ce  reproche  n'est  estably  ni  par  le  droit,  ni  par  l'ordon- 
nance, ni  par  la  coutume.  Les  plus  grands  seigneurs 
ont  des  singes  dans  leurs  vestibules  ;  on  voit  les  singes 
avant  les  maistres.  Personne,  avant  Cicogne,  ne  s'est 
avisé  de  critiquer  les  patrons  de  ces  plaisants  et  pauvres 
animaux  qui  sympatisent  d'ailleurs  avec  un  citoyen 
vivant  de  leur  industrie.  Feu  M.  de  Miane  [lieutenant 
de  roi  au  château  de  Nantes]  en  avoit  provision  vestus 
d'habits  de  moines  ou    chanoines.   Le  fameux  Teniers 

(1)  Arch.  munie,  de  Nantes,  II  26. 

Soc.  Archéol.  Nantes.  10 


-    144 

les  a  presque  toujours  dépeints  en  moines  ;  les  ouvrages 
de  ce  peintre  sont  néanmoins  d'un  prix  infiny,  et  Mais- 
tre  François  Rabelays  compare  les  moines  aux  singes 
en  ce  que,  dit-il,  les  uns  et  les  autres  ne  sont  bons  qu'à 
boire,  manger  et  fienter.  En  tout  cas,  il  y  a  prescription 
en  faveur  de  Uumur  ;  il  dit  que,  depuis  dix  ans,  il  n'a 
eu  de  singes,  et  il  est  notoire  que  Cicogne  a  souvent 
habillé  sa  chienne  en  Damoiselle  et  qu'il  l'a  donné 
sur  sa  boutique  en  spectacle  au  public.  Il  doibt  du  moins 
passer  les  singes  à  Dumur,  en  passant  par  ce  dernier 
l'habillement  de  la  chienne.  C'est  ce  que  j'estime,  sous 
vostre  bon  playsir,  qu'il  y  a  lieu  d'ordonner  en  ce  tems 
de  Carnaval. 

»  Au  surplus,  les  écarts  de  Cicogne  sur  la  nomination 
de  Dumur  ont  donné  lieu  à  nos  eschevins  de  s'aplaudir 
de  n'avoir  pas  Cicogne  pour  leur  confrère  ;  ils  le  con- 
noissent  pour  un  homme  tracnssier  et,  dans  sa  commu- 
nauté de  pharmacie,  il  est  fuy  de  tous  par  le  mauvais 
caractère  sur  lequel  il  devroit  commancer  de  faire  la 
police  »  (1). 

Recommandé  par  M.  de  Menou,  alors  lieutenant  de 
roi  à  Nantes,  Mellier  qui  ignorait  encore,  lorsque  l'aide- 
major  fit  sa  demande,  les  sourdes  menées  de  Cigongne, 
ne  pouvait  pas  ne  point  nommer  Dumur.  Les  eût-il 
connues,  il  eût  sans  doute  agi  de  même,  car,  comme  il 
vient  de  le  dire,  il  s'étonnait  qu'on  pût  présenter  une 
plainte  pour  une' malheureuse  histoire  de  singes,  si  vieille 
qu'il  y  avait  prescription.  La  dénonciation  du  commis- 
saire contre  son  futur  collègue  restait  lettre  morte  et 
l'aventure  tournait  à  la  confusion  du  pauvre  Cigongne 
qu'on  se  félicitait  de  n'avoir  pas  élu  échevin. 

Comment,  lui  policier,  n'avait-il  pas  été  plus  adroit? 
A  sa  place,  sans  remonter  si  loin,  nous  nous  serions  ren- 
seigné par  le  menu  sur  une  affaire  encore  toute  récente 
et  dont  il  avait  sûrement  ouï  quelque  chose. 

(1)  Arch.  Nantes,  II  26. 


-   145  — 

Voici  ce  qui  s'était  passé.  Le  9  novembre  1721,  sur 
les  9  heures  du  soir,  Sébastien  Leroy  et  Pierre  Guinel, 
sergents  de  la  compagnie  bourgeoise  de  M.  des  Landes 
Ramaceul,  s'étaient,  avec  leurs  miliciens,  rendus  au  corps 
de  garde  pour  faire  la  patrouille.  M.  Le  Marchand,  lieu- 
tenant de  la  compagnie,  indisposé,  n'accompagnait  pas 
ses  hommes.  Pour  la  suite,  nous  ne  saurions  mieux  dire 
que  les  sergents  dans  leur  rapport,  dont  l'original  nous 
a  été  précieusement  conservé  (1)  :  Au  poste,  «  le  sr  du 
Mur,  garçon  major  (lisez  aide-major)  se  seroit  trouvé 
lors   de  l'arrivée   du   détachement,   lequel,  lorsque   moy 
Le  Roy  voulus  faire  entrer  ledit  détachement  dans  le 
corps   de  garde,    profféra   plusieurs  parolles  injurieuses 
contre  ceux  du  détachement,  les  traitant  de  b...de  ma- 
reaux,  et  nous  disant  à  nous  Le  Roy  et  Guinel,  nous 
menassant  de  sa   canne  levée,   qu'il   [nous]   aprendroit 
nostre  devoir;  à  quoy  nous  luy  repondimes  que  nous  le 
sçavions  avant  luy.   Et  lorsque   nous  voulûmes  entrer 
dans  le  corps  de  garde  des  officiers  pour  y  faire  du  feu, 
ledit  sr  du  Mur  nous  auroit  dit  que  si  nous  voulions 
faire  du  feu  dans  le  corps  de  garde  et  avoir  de  la  lumière, 
que  nous  en  eussions  acheptez,  et  il  commanda  au  ser- 
gent des  soldats  du  régiment  d'envoyer  oster  le  bois 
et  la  chandelle  qui  estoint  dans  le  corps  de  garde  des 
officiers  et  de  les  porter  dans  celuy  des  soldats.  A  quoy 
nous  nous  serions  opposez  et  demandé  au  sr  du  Mur  s'il 
avoit  ordre  de  M.  le  commandant  ou  de  M.  le  Maire. 
Ayant  répondu  qu'il  l'avoit  et  nous  ayant  dit  que  sy 
nous  voulions  nous  chauffer  que  nous  pouvions  le  faire 
dans  le  corps  de  garde  des  soldats,  et  faire  quitter  celuy 
que  nous  eussions  voulus  pour  prendre  sa  place.  Luy 
ayant  répondu  que  le  fouier  estoit  trop  petit  pour  pou- 
voir estre  tous  auprès  du  feu,  il  nous  dit  en  plaisantant 
que  nous  eussions  à  chercher  un  ingénieur  pour  faire  un 
fouier  plus  grand,  nous  luy  demandâmes  la  représen- 

(1)  Arch.  Nantes,  EE  104. 


—  146  - 

tation  de  son  ordre  afin  de  nous  y  conformer.  Ce  que 
n'ayant  pas  fait,  nous  alumames  du  feu  et  de  la  chan- 
delle dans  le  corps  de  garde  des  officiers,  luy  déclarant 
que  nous  allions  raporter  nostre  procès  verbal  pour  nous 
plaindre  contre  luy.  Ce  que  nous  certiffions  véritable 
soubs  nos  seings  et  des  habitants  qui  estoint  du  déta- 
chement qui  sçavent  signer.  (Signé)  :  Sébastien  Leroy, 
Pierre  Guinelle  (suivent  13  autres  signatures)  ». 

Traiter  ses  hommes  de  b...  de  marauds,  lever  sur  eux 
sa  canne,  puis  à  l'injure  joindre  l'ironie  en  les  renvoyant 
a  un  ingénieur  pour  élargir  la  cheminée  du  poste,  celait 
autrement  grave  que  la  vieille  historiette  des  singes. 
Du  mur,  si  le  rapport  est  exact,  s'était  oublié  et  avait 
manqué  de  sang-froid.  Si  nous  avions  été  Cigongne,  au 
lieu  d'exhumer  l'affaire  en  question  pour  prouver  que 
le  candidat  manquait  de  dignité,  nous  eussions  dit  que 
le  sang-froid  était  une  qualité  indispensable  pour  un 
commissaire  de  police  et  que  Dumur  n'en  avait  point 
fait  preuve  dans  l'occurrence.  A  vrai  dire,  le  dénoncia- 
teur, moins  bien  renseigné  que  nous,  ignorait  peut-être 
le  texte  même  du  rapport  caché  dans  les  archives  du 
corps  ;  mais  il  ne  lui  était  pas  difficile  de  faire  parler  les 
gardes,  et  il  se  serait  bien  trouvé  parmi  eux  quelque 
bavard  pour  lui  faire  de  précieuses  confidences. 

Bref,  Cigongne  en  fut  pour  ses  frais.  Dumur,  nommé 
officiellement  le  1er  février,  prêtait  serment  le  5  entre 
les  mains  du  procureur  du  roi,  et  «  a  promis  et  juré,  la 
main  levée  de  se  comporter  fidellement  en  la  charge  de 
commissaire  de  police  »  (1).  Bien  protégé,  actif  et  vigi- 
lant, ce  dernier  pouvait  marcher  sans  crainte. 

Tandis  que  Cigongne  conservait  sa  profession  que 
son  acte  de  décès  lui  donne  encore,  Dumur  abandonnait 
sans  doute  son  état  de  gantier  dont  il  n'est  plus  question 
par  la  suite,  et  Mellier,  son  colonel  à  la  milice  et  son  maire 
à  la  police,  paraît  avoir  toujours  eu  un  faible  pour  sa 

(1)   Arch.  Nantes,  FF  58,  f°     23. 


-  147  — 

créature.   Rien,   que  nous  sachions,   ne  fut  reproché  à 
Dumur  dans  l'exercice  de  ses  nouvelles  fonctions. 

Il  n'en  fut  pas  de  même  de  son  collègue.  Décidément 
la  guigne  le  poursuivait.  Oyez  plutôt  :  «  Nous  avons 
reçeu  les  plaintes  (écrit  Mellier  à  l'intendant  le  22  février 
1722,  moins  d'un  mois  après  que  le  corps  des  commis- 
saires, jusque  là  honoré  par  la  présence  de  Cigongne  qui 
craignait  de  le  voir  déshonoré  par  un  montreur  de  singes, 
avait  néanmoins  reçu  celui-ci  dans  ses  rangs)  de  ce  que 
le  sr  Cicogne,  commissaire  de  polllice,  a  pris  dix  sols  pour 
chaque  chiffrature  de  plusieurs  registres  des  hostes  et 
cabaretiers  sur  lesquels  ils  doivent  inscrire  le  nom  de 
ceux  qu'ils  logent.  L'ayant  mandé  sur  cela,  ii  avoue 
qu'il  a  perçeu  ce  prétendu  droit  de  80  à  85  cabaretiers  ; 
mais,  dit-il,  c'est  pour  se  récompenser  de  plusieurs  livres 
qui  traictent  de  la  pollice  dont  il  a  fait  l'achapt  à  Paris 
affin  de  s'instruire  plus  amplement  de  ses  fonctions. 
Voillà  un  prétexte  assez  singullier.  Nous  luy  avons  en- 
joint verballement,  pour  éviter  le  scandalle,  de  restituer 
ce  qu'il  a  pris.  Je  crois,  Monsieur,  que  vous  aprouverez 
nostre  conduite  ;  gens  de  l'humeur  de  ce  commissaire 
ne  seroient  pas  bons  à  remplir  une  place  d'échevin.  II 
est  vray  qu'il  travaille  dans  ses  fonctions  de  pollice  ; 
mais  nous  luy  avons  fait  entendre  qu'il  y  avoit  d'autres 
moyens  de  reconnaître  ses  soins  que  celluy  d'ainsi  per- 
cevoir un  droit  nouveau  en  pareille  occasion  ».  — 
«  L'injonction  que  vous  avés  faite  au  s1'  Cigogne,  répli- 
quait Feydeau,  me  paroist  fort  convenable,  et  le  pré- 
texte qu'il  avoit  pris  pour  exiger  10  sols  de  chaque  chi- 
frature  de  plusieurs  registres  des  hostes  est  ridicule »(1). 

Un  an  plus  tard,  Cigongne  se  faisait  encore  tirer  à 
l'oreille  pour  payer  onze  livres  sur  les  amendes  de  police 
qu'il  avait  perçues  (2). 

Dumur   était   bien   vengé.    Dire   que   tout   fut   roses 

(1)  Arch.  Nantes,  BB  169. 

(2)  Ibid.,  II  27,  lettre  de  .Mellier  à  l'intendant. 


148 


désormais  dans  son  existence,  serait  un  paradoxe  :  la 
vie  n'est  pas  ainsi  faite  ;  mais  du  moins  il  trouvait 
sympathie  chez  ses  chefs.  Auquel  de  ses  ennuis  faisait 
allusion  Mellier  quand,  en  février  1724,  il  écrivait  à 
M.  de  Menou,  le  lieutenant  de  roi  :  «  Nous  venons  de 
procurer  sur  les  amendes  une  gratiffication  de  200  livres 
au  pauvre  Dumur  pour  luy  donner  courage  »?  Nous  ne 
savons.  Toujours  est-il  que  M.  de  Menou  approuvait  : 
«  Je  suis  bien  aize  que  vous  ayés  trouvés  le  moyen  de 
procurer  200  liv.  de  gratification  au  pauvre  Dumur.  Il 
me  voira  toujours  empressé  à  luy  souhaiter  et  à  iu\ 
faire  du  bien  quand  il  s'en  présentera  l'ocazion,  tant 
qu'il  servira  bien  »  (1). 

Il  servait  bien,  en  effet,  le  pauvre  Dumur  et  de  toutes 
façons.  Fin  limier,  agent  de  la  sûreté  de  première 
force,  c'est  à  lui  qu'on  avait  recours  dans  les  affaires 
délicates. 

La  preuve,  la  voici.  En  juin  1724,  Mellier  ayant  reçu 
de  ses  collègues  les  subdélégués  à  l'intendance  de  Tours 
et  d'Angers,  des  missives  confidentielles,  mandait  son 
commissaire. 

Sans  narrer  par  le  menu  ce  petit  épisode  de  la  police 
secrète  à  Nantes  qu'on  pourrait  développer  sans  peine, 
nous  ne  devons  cependant  pas  l'omettre,  car  on  y  trouve 
plusieurs  épithètes  fort  élogieuses  pour  notre  homme. 

Bref,  on  adressait  à  Mellier  un  signalement  ainsi 
conçu  :  «  Une  demoiselle  de  Paris,  de  grande  et  belle 
taille,  aagée  de  19  ans,  la  peau  blanche,  les  couleurs 
vives,  soucis  blonds,  cheveux  blond  alezan,  les  yeux 
bleus  assés  grands,  le  nez  un  peu  gros,  assés  belle  per- 
sonne et  cependant  ayant  quelques  taches  de  rousseurs 
au  visage.  Elle  a  avec  elle  un  habit  de  satin  de  Mar- 
seille citron  et  bleu  à  fleurs,  doublé  de  tafetas  bleu,  avec 
un  jupon  de  damas  bleu  et  blanc,  et  une  robbe  de  cham- 
bre de  boure  de  Marseille  avec  des  rayes  de  satin  à 

(1)  Arch.  Nantes,  II  41. 


—  149  — 

fleurs,   sans   compter  les  habits   d'hyvert  qu'elle   peut 
avoir.  Elle  beguaye  tant  soit  peu  en  parlant  ». 

La  demoiselle  en  question  avait  quitté  furtivement 
la  capitale,  emportant  comme  viatique  des  bijoux  : 
boucles  d'oreilles,  croix  de  diamant,etc,  pour  environ 
1.000  écus,  le  tout  enlevé  à  la  boutique  de  sa  mère 
.veuve,  une  brave  fripière  de  la  rue  de  la  Grande- 
Truanderie. 

D'Orléans  où  elle  s'était  embarquée,  la  fugitive  avait 
descendu  la  Loire  jusqu'à  Tours.  Là  elle  avait  rejoint 
un  certain  M.  de  Visière,  autrement  appelé  M.  de  la 
Vilière,  qui  se  titrait  chevalier.  Etait-il  réellement  noble? 
On  ne  savait  pas  même  au  juste  s'il  était  de  Bordeaux 
ou  bien  de  Toulouse.  Chevalier  d'industrie  à  coup  sûr. 
Les  amoureux  avaient  continué  ensemble  le  voyage 
sur  le  bateau  d'Orléans  et  l'on  supposait  qu'ils  avaient 
gagné  Nantes. 

Dumur,  au  courant,  se  met  aussitôt  en  campagne. 
Après  quelques  jours  d'une  savante  filature,  il  vient 
dire  «  qu'il  avoit  découvert  où  étoit  la  chambre  où  gisoit 
la  damoiselle  ».  Mellier,  auquel  il  annonce  cette  nouvelle, 
prie  M.  de  Menou  d'adjoindre  au  sien  deux  hommes  de 
confiance  «  pour  garder  à  veue  ladite  damoiselle  et  ses 
hardes  et  nipes,  en  attendant  qu'on  se  fût  assuré  d'un 
couvent  pour  la  constituer  ».  Ainsi  fut  fait,  et  peu  après 
Dumur  conduisait  la  Parisienne  dans  une  chaise  à  por- 
teurs au  couvent  de  Sainte-Elisabeth,  au  Marchix, 
payait  un  quartier  de  sa  pension  et  y  envoyait  «  nipes 
et  hardes  ».  Rendant  compte  à  son  chef  de  sa  mission, 
le  policier  pouvait  lui  dire  avec  fierté  «  qu'on  eust  man- 
qué de  trouver  ladite  damoiselle  s'il  ne  s'y  fût  pris  en 
douceur  et  tout  bellement».  La  supérieure,  Mme  de  Tré- 
velec,  fit  bien  quelques  difficultés,  n'ayant  point  reçu 
de  lettre  de  cachet,  et  alla  même  jusqu'à  «  douter  de  la 
parole  du  garde  »  ;  néanmoins  on  interna  à  Sainte-Eli- 
sabeth, avec  défense  de  communiquer  au  dehors,  la  belle 
personne  aux  grands  yeux  bleus  et  aux  cheveux  d'un 


—  150  — 

blond  alezan,  prise  en  douceur  par  l'incorruptible  Du- 
mur. 

Millier,  qui  a  consigné  dans  une  note  de  sa  main  le 
récit  circonstancié  de  la  capture,  en  rendit  compte  plus 
brièvement  à  son  collègue  de  Tours,  puis  à  M.  de  Brou, 
l'intendant  de  Bretagne.  Au  premier  il  écrit  :  «  Il  seroit 
inutile  de  vous  faire  le  détail  des  perquisitions  que  j'ai 
fait  faire  par  notre  aide-major,  qui  est  homme  vigi- 
lant, adroit  et  de  confiance.  Je  luy  ay  promis  de  le  faire 
récompenser  et  certainement  il  le  mérite,  car  sans  cette 
voye  il  eût  été  difficile  de  réussir  par  les  précautions 
infinies  qu'il  paroit  qu'on  avoit  prises  pour  la  cacher  ». 
Puis  au  second  :  «  Après  en  avoir  fait  faire  très  secret  te- 
ment  une  ample  perquisition,  on  l'a  (la  demoiseile) 
découvert  et  je  l'ay  fait  constituer  dans  le  couvent  des 
religieuses  de  Sainte-Elizabeth  du  Marchisde  cette  ville, 
en  attendant  de  nouveaux  ordres.  J'en  suis  d'autant 
plus  aise  qu'il  ne  me  convient  pas  de  souffrir  qu'on  choi- 
sisse notre  ville  pour  servir  d'azile  ou  de  retraitte  aux 
libertins  et  aux  scélérats  ». 

Nous  demandons  pardon  au  lecteur  de  lui  avoir  dé- 
voilé cette  petite  aventure  qui,  menée  fort  discrètement, 
ne  fit  aucun  scandale  à  Nantes.  Mellier  était  fort  bien 
entré  dans  les  vues  de  M.  du  Champ  du  Mont,  grand 
chantre  et  chanoine  de  Saint-Martin  de  Tours,  lequel 
avait  consenti  à  intervenir  par  égard  pour  la  mère  et  afin 
d'éviter  à  la  jeune  fille  de  plus  grands  écarts  de  conduite. 
Après  cinq  semaines  de  couvent,  celle-ci  fut  sous  bonne 
garde  renvoyée  à  sa  mère. 

Que  de  prime  abord  -  ayant  cherché  à  duper  la 
police  en  se  nommant  Elisabeth  Chabot,  25  ans,  arrivant 
du  Poitou,  alors  qu'en  réalité  elle  s'appelait  Sabot, 
19  ans,  et  venait  de  Paris  —  on  puisse  prendre  Elisabeth 
pour  une  rouée,  la  tentation  peut  en  venir.  Mais  cette 
épithète,  surtout  en  ces  temps  de  la  Bégence  et  appli- 
quée à  une  vulgaire  bourgeoise,  dépasserait  sûrement  la 
mesure.  Ii  y  a  plutôt  lieu  de  croire  qu'elle  était  moins 


-  151  — 

vicieuse  que  petite  folle  et  enfant  gâtée,  cette  jeune  fille 
qui,  de  sa  retraite  forcée,  réclamait  son  miroir,  son  pot 
de  pommade,  ses  flacons  d'eau,  son  sucre,  du  café,  du 
tabac  (la  nature  n'en  est  pas  précisée),  et  ajoutait  en 
post-scriptum  :  «  L'on  ne  donne  point  de  vin  rouge,  je 
prie  qu'on  m'en  envoie  et  quelque  fois  de  petite  dous- 
seurs.  » 

Quant  à  Dumur,  le  27  juin  il  reconnaissait  avoir 
«  reçu  de  M.  Mellier,  de  la  part  de  Mme  Sabot,  la 
somme  de  60  livres  pour  les  peines  et  soins  que  j'ai 
prises  pendant  plusieurs  jours  pour  faire  conduire,  en 
conséquence  des  ordres  qui  m'ont  été  donnés,  Mlle  Sabot, 
sa  fille,  au  couvent  de  Sainte-Elizabeth  de  cette 
ville  »  (1).  Nous  estimons  qu'il  avait  bien  gagné  sa 
gratification. 

Dumur,  avons-nous  dit,  servait  bien  de  toutes  fa- 
çons. C'est  ainsi  qu'à  d'autres  égards  il  mérite  assuré- 
ment de  figurer  au  tableau  clés  victimes  du  devoir.  En 
effet,  le  16  octobre  1725,  Mellier  mandait  à  l'intendant  : 
«  Le  pauvre  Dumur,  nostre  ayde  major,  est  toujours 
malade  de  la  chute  qu'il  fit  d'un  second  étage  au  dernier 
feu.  Il  n'en  mourra  pas  selon  les  aparences  ;  mais  il  est 
fracassé.  Je  vous  suplie,  Monsieur,  d'avoir  égard  à  luy 
faire  payer  quelque  chose  pour  la  gratiffication  qui  luy 
a  esté  promise  à  cause  de  l'homme  qu'il  a  arresté  par 
ordre  de  M.  de  Mélesse  à  vostre  recommandacion,  et  qui 
a  esté  envoyé  à  Rennes  »  (2). 

Grâce  à  Dieu,  bien  trempé  comme  il  l'était,  Dumur 
n'en  mourut  pas.  Voire  même,  ayant  enterré  dans  l'église 
de  Sainte-Croix,  le  10  avril  1726,  sa  femme  Olive  Feudé, 
il  convolait  à  nouveau  le  15  février  1727,  à  58  ans,  avec 
Marie  Bruneau.  Celle-ci  qui,  à  l'encontre  de  sa  première 
épouse,  n'avait  pas  été  mariée,  le  rendait  père,  deux  ans 

(1)  Les  pièces  relatives  à  l'enlèvement  de  Mlle  Sabot 
forment  aux  Arch.  munie,  de  Nantes  la  liasse  II  61. 

(2)  Arch.  Nantes,  II  28. 


—  152  — 

après,d'un  fils  auquel,  comme  à  lui,  on  donnait  le  prénom 
de  Claude  et  qui  fut  baptisé  par  missire  Bournigalle, 
recteur  de  Pouillé,  avec  le  consentement  du  recteur  de 
Sainte-Croix,  paroisse  du  nouveau-né. 

Dumur continua  à  verbaliser;  un  jour,  c'est  contre  des 
laquais  qui  avaient  fait  le  carillon  à  la  porte  de  la  Comé- 
die ;  un  autre,  il  en  fut  pour  ses  peines,  car  lorsqu'il  vou- 
lut procéder  contre  un  gabarier  pour  insultes  envers  le 
commis  d'un  gros  négociant,  le  délinquant  avait  filé  sur 
Paimbœuf.  Ce  n'était  là  qu'un  léger  mécompte,  et  encore 
féliciterions-nous  volontiers  Dumur  de  cette  fugue,  si  elle 
lui  épargna  l'aventure  tragique  advenue  un  peu   plus 
tard  à  l'un  de  ses  confrères  :  «  Le  sr  Lesourd,  l'un  de  nos 
commissaires  de  police  et  greffier  de  nos  deux  hôpitaux, 
fut  empoisonné  hier  avec  sa  femme,  sa  fille,  son  beau- 
père,  sa  servante  et  un  valet  de  campagne,  en  mangeant 
sa  soupe.  Ledit  sr  Lesourd  en  est  mort  aujourd'hui  à  midi 
et  tous  les  autres  sont  encore  en  grand  danger.  On  publie 
que  c'esl    par  de  l'arsenic  qui  a  esté  meslé  dans  leur  pot 
que  ce  malheur  est  arrivé...  Lesourd  est  fort  regretté.  Il 
étoit  aussi  secrétaire  du  renfermement  des  mendians.  Je 
suis  très  mortifié  qu'il  se  soit  trouvé  dans  cette  ville  un 
scélérat  capable  d'attenter  à  la  vie  d'une  famille  entière  » 
(1).  Nous  comprenons  que,  comme  maire,  Mellier  ait  été 
1res  mortifié  de  l'aventure,  lui  auquel  il  ne  convenait 
même  pas     -  on  l'a  vu  plus  haut  -  -  que  Nantes  servît 
d'asile  à  un  libertin  ravisseur  d'une  demoiselle  ;   mais 
combien  plus  a. mères  réflexions  dut  faire  ce  pauvre  Le- 
sourd, durant  son  agonie,  sur  le  breuvage  qu'on  lui  avait 
servi  pour  ses  étrennes  un  jour  de  premier  de  l'an  ! 

Evidemment,  rien  ne  pouvait  être  pire  pour  un  com- 
missaire que  ce  qui  advint  au  malheureux  Lesourd  ; 
mais,  sans  aller  aussi  loin,  on  ne  leur  épargnait  pas  des 
humiliations  toujours  fort  sensibles.  Lequel  d'entre  eux, 

(1)  Arch.  Nantes,  II  41,  lettre  de  Mellier  à  M.  de 
Menou   du  2  janvier  1727. 


-  153  — 

Cigongne  ou  Dumur,  ou  bien  un  autre  de  leurs  collègues, 
visait  la  lettre  suivante  ?  Peut-être  avait  elle  en  vue  la 
respectable  corporation  tout  entière.  Quoi  qu'il  en  soit, 
un  beau  jour,  Mellier  reçut  cette  missive  :  «  Monsieur, 
j'ay  l'honneur  de  vous  envoyer  une  statue  en  cire  repré- 
sentant un  commissaire  de  police,  laquelle  j'ay  jugé  à 
propos  de  saisir,  n'estant  pas  soufrable  qu'on  y  aye  ajouté 
des  attributs  qui  semblent  tourner  en  ridicule  les  faces 
de  commissaire.  J'ay  mesme  découvert  que  les  poisson- 
nières avaient  fait  faire  cette  statue  à  leurs  fraix  et  qu'il 
y  en  a  grand  nombre  de  répandues  parmy  ces  sortes  de 
gens.  Je  n'ay  pas  cru  en  devoir  dresser  un  procez  verbal 
ny  faire  des  perquisitions  jusqu'à  ce  qu'on  eust  fait  reco- 
noistre  les  auteurs  de  cette  statue.  J'auray  l'honneur  de 
vous  voire  demain  et  de  vous  communiquer  ce  que  j'au- 
ray pu  découvrir  à  ce  sujet  »  (1).  Découvrit-on  les  auteurs 
de  la  statue?  Les  chroniques  sont  muettes  sur  ce  point. 
Nous  aimons  à  croire  que  les  perquisitions  aboutirent 
et  que  l'honneur  des  agents  de  la  force  publique  reçut 
une  éclatante  réparation. 

Cigongne  ne  devait  pas  vivre  longtemps  après  toutes 
ces  histoires  ;  il  mourut  plein  de  jours,  âgé  de  72  ans,  et, 
le  6  mars  1727,  on  inhumait  «  dans  l'église  de  Saint-Denis, 
le  corps  de  Joseph  Cigogne,  maître  apothicaire,  commis- 
saire de  police  et  enseigne  d'une  compagnie  de  bour- 
geoisie de  la  ville  de  Nantes  ».  Malgré  tout,  il  laissait  une 
mémoire  intacte,  et  le  souvenir  de  ses  peccadilles  ne  devait 
pas  nuire  à  ses  enfants.  Le  1er  mai  1727,  le  fils  Cigongne 
était  nommé  pour  remplir  la  place  d'enseigne  de  la  compa- 
gnie du  quartier  Saint-Pierre,  vacante  par  la  mort  de  son 
père,  et  le  maréchal  d'Estrées,  gouverneur  de  Nantes, 
s'empressait  de  lui  en  délivrer  un  brevet  (2). 

Quant  à  Dumur,  il  survécut  longtemps  à  celui  qui, 
dans  un  moment  d'humeur  chagrine,  avait  voulu  le  des- 

(1)  Arch.  Nantes,   FF  120,  lettre  du  18  juin  1726. 

(2)  Arch.  Nantes,  BB  73,  f°"  33  et  42. 


—  154  — 

servir.  Recommandé  par  sa  belle  conduite,  jouissant  de 
la  faveur  des  autorités  et  n'ayant  plus  les  ressources  de 
son  ancienne  profession,  il  se  vit  attribuer,  deux  jours 
avant  la  mort  de  Cigongne,  les  fonctions  de  garde-maga- 
sin pour  avoir  soin  à  Nantes  des  armes  et  des  habits  des 
bataillons  de  milice  de  la  région  (1). 

Lui  aussi,  il  décéda  chargé  d'années  à  l'âge  de  75  ans. 
Depuis  quelque  temps  déjà,  quittant  la  Basse-Grand'rue 
et  la  paroisse  où  avaient  été  bénies  ses  deux  unions,  où 
avait  élé  baptisé  son  fils,  il  s'était  transporté  rue  Saint- 
Xicolas,  et  ce  furent  les  prêtres  de  la  paroisse  de  ce  nom 
qui,  après  la  messe  chantée  dans  leur  église,  le  condui- 
sirent processionnellement  dans  la  chapelle  des  «  R.  P. 
Carmes  pour  y  estre  inhumé  suivant  ses  dernières  volon- 
tés ».  C'est  là  que  fut  déposé,  le  9  octobre  1744,  pour  y 
dormir  son  dernier  sommeil,  le  «  corps  du  s1'  Claude  Du- 
mur,  aide  major  de  la  milice  bourgeoise  et  commissaire 
de  police  de  la  ville  de  Nantes  ». 

(1  )  Ibid.,  BB   78,   f°  17. 


René  Blanchard. 


Raines  de  l'Epoque  Gallo-Romaine  et  du  Moyen  Age 

A  NORT-SUR  ERDRE 


Tous  ceux  qui  s'intéressent  aux  questions  archéo- 
logiques savent  quelle  importance  eut  dans  le  passé 
la  ville  de  Nort  ou  tout  au  moins  remplacement  qu'elle 
occupe,  ainsi  que  le  territoire  environnant.  Situé  sur 
les  bords  de  l'Erdre,  à  l'endroit  où  cette  rivière  com- 
mence  à  être  navigable  ;  traversé  par  les  voies  de  com- 
munication qui  mettaient  en  rapport  la  Bretagne  et 
l'Anjou,  Nort  (1),  avec  ses  trois  églises  de  Saint-Martin, 
de  Saint-Cristophe  et  de  Saint-Georges,  devait,  dès 
le  XIe  siècle,  occuper  une  place  considérable  parmi  les 
principaux  centres  de  la  Haute-Bretagne. 

Mais  l'importance  de  Xort  ne  datait  évidemment 
pas  de  cette  époque.  Les  nombreuses  sépultures  en 
calcaire  coquillier  (2)  et  en  pierre  analogue  à  la  pierre 

(1)  L'étymologie  du  mot  Nort  est  très  discutée.  Les  uns 
font  venir  ce  mot  du  latin  honor  parce  que,  au  moyen  âge, 
on  disait  Honort,  Eunord  et  Enor  (Ogée).  A  moins  qu'on 
n'établisse  historiquement  l'origine  du  mot  Xort,  nous  croi- 
rions volontiers  que  ce  mot  vient  du  breton  ann  dôr,  en 
vannetais  enn  ôr,  la  porte,  ce  qui  se  justifierait  si  bien  par  la 
situation  de  Nort  en  un  point  qui  servait  pour'ainsi  dire  de 
passage,  de  porte  entre  deux  régions  très  distinctes,  mais 
voisines.  La  présence  d'un  mot  breton  dans  la  dénomination 
d'une  localité  enpaysgallo,  au  moyen  âge,  n'a  rien  de  surpre- 
nant. Le  fait  existe  pour  bien  d'autres  noms  de  lieux.  Pour 
s'en  convaincre,  il  suffit  de  jeter  les  yeux  sur  une  carte  ;  on 
rencontrera  les  noms  de  Coëtzic,  de  Pourra,  de  Languen, 
pour  ne  citer  que  des  noms  pris  au  hasard  dans  la  commune 
de  Xort. 

(2)  Le  calcaire  coquillier  employé  pouvait  venir  des 
Cléons,  mais  aussi  des  environs  de  Quiheix,  au  bord  du 
Canal.  "Il  existait  aussi  des  tombeaux  en  schiste  ardoisier 
provenant  sans  doute  de  Nozay. 


—   156 

de  Saint-Savinien  que  l'on  a  découvertes  dans  toute 
la  partie  qui  s'étend  entre  l'église  actuelle  et  le  champ 
dé  foire  (sépultures  qui,  selon  toute  apparence,  remontent 

au  moins  au  VIe  siècle),  attestent  l'antiquité  et  la  ri- 
chesse de  l'agglomération  qui  s'était  formée  en  cet  en- 
droit. 

D'ailleurs,  une  civilisation  plus  ancienne  encore 
avait  précédé  celle  qui  nous  est  révélée  par  ces  éloquents 
vestiges.  La  civilisation  gallo-romaine  avait  fleuri 
à  Nort  et  les  traces  en  sont  encore  visibles  sur  plusieurs 
points  sans  doute,  mais  incontestablement  sur  ce  coteau 
élevé  et  admirablement  placé  qui  prend  naissance  en 
amont,  sur  la  rive  gauche  de  l'Erdre,  dans  une  sorte 
de  boucle  naturelle  formée  par  la  rivière.  En  bas  s'étend 
le  quartier  ou  faubourg  de  Saint-Georges  ;  plus  haut 
en  allant  vers  l'est  on  rencontre  les  points  qui  portent 
sur  les  cartes  les  noms  de  la  Pancarte  et  de  l'Orgerie, 
et,  sur  le  plan  cadastral,  les  noms  significatifs  de  la 
Motte  et   de  la   Petite-Motte. 

Déjà  en  1882,  nous  trouvant  au  Congrès  de  l'Asso- 
ciation bretonne  à  Châteaubriant  (1),  nous  avions 
signalé  la  présence  sur  le  coteau  de  la  Motte  et  de 
l'Orgerie  d'un  grand  nombre  de  fragments  de  briques 
romaines,  dites  briques  à  rebords  ou  teguîœ  hamatœ  ; 
briques  à  l'état  de  fragments,  il  est  vrai,  mais  briques 
bien  reconnaissables,  de  la  division  et  de  l'usure  des- 
quelles on  ne  pouvait  s'étonner  si  l'on  considérait  que 
le  terrain,  surtout  planté  en  vignes,  avait  été  tourné 
et  retourné  des  centaines  de  fois  au  cours  des  siècles 
passés.  Ces  briques,  nous  les  avions  vues,  nous  les  avions 
foulées  bien  des  fois  pendant  un  séjour  de  plus  d'une 
année  dans  une  maison  amie,  à  un  âge  ou  les  questions 
archéologiques  ne  nous  touchent  point  encore  ;  mais, 
plus  tard,  rappelé  dans  ces  lieux  par  les  cy/constances  ou 
plutôt   par  l'amour  des  souvenirs,  et  aussi  par  l'amour 

(1)   Séance  du  5  septembre. 


157 


des  sites  pittoresques,  conduit  par  des  parents  désireux 
de  nous  être  agréables,  nous  avions  reconnu  et  constaté 
la  présence  de  ces  débris  nombreux  et  disséminés  sur 
une  grande  surface.  C'est  ainsi  que  nous  pûmes  dire  au 
Congrès  de  Châteaubriant  un  mot  de  ces  intéressantes 
trouvailles. 

Nous  nous  abstînmes  d'entrer  dans  les  détails,  parce 
que  nous  craignions  d'être  inexact  ou  trop  incomplet. 
Nous  espérions  alors  pouvoir  entreprendre  des  fouilles 
plus  ou  moins  sérieuses  et  faire  une  communication 
à  la  Société  Archéologique  de  Nantes.  Hélas  !  ce  projet, 
comme  bien  d'autres,  n'a  pas  encore  été  réalisé  et 
nous  en  exprimons  le  regret  sans  pouvoir  dire  s'il  le 
sera  jamais  au  gré  de  nos  désirs. 

Mais  si  nous  ne  pouvons  faire  connaître  les  résultats 
de  fouilles  dirigées  par  nous-même,  nous  nous  faisons 
du  moins  un  devoir  d'exposer  ou  de  raconter  simple- 
ment à  nos  savants  collègues  ce  que  nous  avons  appris 
et  ce  qui  s'est  passé  relativement  aux  vestiges  gallo- 
romains  de  la  Motte  ou  de  la  Pancarte  ;  car  ces  deux 
noms  paraissent  s'appliquer  un  peu  à  la  même  portion 
de  territoire;  encore  dans  le  dictionnaire  d'Ogée,  peut- 
être  est-ce  une  erreur  typographique,  trouve-t-on 
Pancante    et    non    Pancarte. 

Disons  tout  d'abord  que  c'est  sur  la  partie  du  coteau 
située  entre  la  rive  gauche  de  la  rivière  et  la  route  de 
Châteaubriant,  donc  au  nord  de  cette  route  et  à  quelques 
cents  mètres  d'elle,  que  nous  avions  constaté  l'exis- 
tence de  fragments  de  briques  romaines.  Les  plus 
nombreux  se  trouvaient  au  milieu  d'amas  de  cailloux 
recueillis  et  amoncelés  au  bas  des  parcelles  de  terre, 
sans  doute  pour  en  débarrasser  le  terrain  et  faciliter 
la  culture.  Or,  pendant  une  excursion  que  nous  fîmes 
dans  un  moment  de  loisir,  il  y  a  cinq  ou  six  ans,  dans 
ces  parages  qui,  comme  je  l'ai  indiqué,  sont  un  but 
de  promenade  fort  agréable,  j'eus  la  curiosité  de  diri- 
ger mes  pas  un  peu  plus  à  l'est  et  de  pénétrer  dans  les 


—  158  — 

jardins  et  terrains  vagues  au  milieu  desquels  étaient 
situés  les  trois  moulins  dits  Moulins  de  la  Pancarte. 
Je  dis  :  étaient  situés,  parce  que  l'un  de  ces  moulins, 
celui  qui  se  trouvait  entre  les  deux  autres  et  qui  portait 
le  nom  de  Moulin  de  la  Motte,  n'existe  plus.  C'était 
sans  doute  le  plus  ancien.  Les  autres  sont  d'ailleurs 
en  ruines  ou  peut  s'en  faut. 

Quoiqu'il  en  soit,  j'étais  à  peine  entré  dans  les  enclos, 
que  j'aperçus  de  distance  en  distance,  au  milieu  des 
carrés  de  jardin,  différents  morceaux  de  brique  que 
je  ne  pus  m'empêcher  de  considérer  comme  des  frag- 
ments de  briques  romaines.  Il  était  en  effet  impossible 
de  les  confondre  avec  des  fragments  de  briques  mo- 
dernes. Non  seulement  le  rebord,  sur  plusieurs,  était 
visible,  mais  le  grain,  la  couleur  et  la  forme  générale 
étaient  celles  des  briques  gallo-romaines. 

Je  ne  fus  nullement  étonné,  car  le  point  était  plus 
élevé  que  celui  où  j'avais  fait  les  premières  trouvailles 
et  il  présentait  un  de  ces  emplacements  que  recher- 
chaient les  gallo-romains  pour  leurs  demeures  ou  leurs 
établissements  ordinaires. 

Les  choses  en  étaient  là,  lorsque,  il  y  a  quelques 
semaines,  me  trouvant  à  Nort  et  ayant  quelques 
heures  à  dépenser,  je  voulus  revoir  encore  une  fois  le 
coteau  de  la  Pancarte  et  m'informer  si  rien  d'intéres- 
sant n'avait  été  mis  au  jour  depuis  mon  dernier  pas- 
sage en  cet  endroit.  Accompagné  par  un  habitant 
de  Nort,  aussi  modeste  qu'instruit,  je  me  dirigeai 
vers  cet  endroit  où  se  rencontrent  les  routes  de  Nantes, 
d'Ancenis  et  de  Châteaubriant,  et  qui  est  justement 
celui  qu'on  appelle  aujourd'hui  la  Pancarte.  Un  tas  de 
pierres  rebutées  se  trouvait  au  bas  des  terrains  où  sont 
situés  les  moulins,  sur  une  sorte  de  placître  formé  par 
la  jonction  des  routes.  Nous  y  jetâmes  un  coup  d'œil 
et  nous  y  découvrîmes  plusieurs  fragments  de  briques 
à  rebords  ;  mais  ce  qui  attira  notre  attention  ce  fut 
un  morceau  de  tuile  d'une  grande  épaisseur,  7  à  8  cen- 


159 


timètres  au  moins,  ayant  des  angles  très  nets  et  bien 
formés  et  présentant  en  outre  tout  l'aspect  de  la  terre 
cuite  des  briques  romaines.  D'autres  fragments  du 
même  genre  se  rencontrèrent.  J'en  ai  même  conservé 
quelques-uns.  Peut-être  ces  débris  n'ont-ils  aucune 
importance  ;  peut-être  même  sont-ils  modernes.  Tou- 
tefois, je    les    note    ici,    ne    fût-ce  que    pour    mémoire. 

Quand  on  a  interrogé  les  ruines  et  qu'elles  ont  gardé 
plus  ou  moins  le  silence,  ce  qui  arrive  souvent,  on  se 
hâte  d'interroger  les  personnes.  C'est  ce  que  nous 
fîmes. 

Un  homme  déjà  âgé  prenait  le  soleil  devant  sa  maison, 
tout  en  s'abritant  contre  le  vent  du  Nord  qui  souffle  pres- 
que toujours  froid  sur  cette  colline  dont  le  sommet 
n'est  pourtant  pas  à  plus  de  quinze  à  dix-huit  mètres 
au-dessus  des  marais  de  l'Erdre  qui  s'étendent  à  ses  pieds. 
-Nous  demandâmes  au  vieillard  s'il  n'avait  rien  trouvé  ni 
vu  d'extraordinaire  dans  les  terrains  où  sont  situés 
les  moulins.  Il  nous  répondit  qu'il  n'avait  rien  trouvé 
de  remarquable.  Toutefois,  ce  fut  lui  qui  nous  apprit 
que  le  moulin  détruit  récemment  portait  le  nom  de 
Moulin  de  la  Motte.  Et  comme  nous  lui  montrions 
des  fragments  de  briques  romaines  que  nous  tenions 
à  la  main,  il  ajouta  que  les  champs  et  les  vignes  des 
environs  en  étaient  pour  ainsi  dire  semés.  Puis  deve- 
nant de  plus  en  plus  confiant,  il  nous  apprit  que  dans 
ces  dernières  années,  plusieurs  propriétaires,  ayant 
replanté  leurs  vignes,  avaient  retiré  beaucoup  de 
pierres  de  construction  et  mis  au  jour  des  portions 
de  murs  considérables.  Il  expliquait  que  ces  restes  de 
murs  étaient  ignorés  jusque-là  parce  que  la  culture 
en  avait  depuis  longtemps  dispersé  et  émietté  la  partie 
supérieure  ;  mais  les  défoncements  nécessaires  aux 
nouvelles  plantations,  plongeant  à  une  plus  grande 
profondeur,  avaient  atteint  des  couches  qui  faisaient 
partie  des  fondations  et  révélaient  l'importance  des 
édifices  disparus.  Un  propriétaire,  M.  Leduc,  disait-il, 

Soc.  Archéol.  Nantes.  11 


160 


avait  trouvé  une  portion  de  mur  ayant  la  forme  de  la 
base  d'un  pilier  carré  de  plus  de  deux  mètres  dé  côté. 
Cependant,  toutes  ces  fondations  se  trouvaient,  non  du 
côté  des  Moulins,  mais  à  quelques  centaines  de  mètres 
vers  le  nord-ouest  et  sur  le  penchant  du  coteau  qui 
descend  vers  l'Erdre.  D'après  notre  interlocuteur, 
un  château  avait  existé  dans  cet  endroit.  Mais  les 
«  anciens  »  eux-mêmes  ne  l'avaient  point  vu  debout. 

Munis  de  ces  renseignements,  nous  nous  empressâmes, 
après  avoir  remercié  notre  hôte  d'un  instant,  de  nous 
diriger  vers  les  terrains,  pour  la  plupart  plantés  en 
vignes,  qu'il  nous  avait  indiqués.  Ces  terrains  se  trou- 
vaient plus  au  nord-ouest  que  ceux  que  nous  avions 
explorés  vers  1880.  Nous  n'aperçûmes  point  de  traces 
de  murs,  mais  nous  vîmes  une  grande  quantité  de 
pierres  disséminées  et  qui,  sans  avoir  l'aspect  de  belles 
pierres  de  construction,  pouvaient  cependant  avoir 
été  employées  à  la  construction  de  murs  plus  ou  moins 
importants.  C'étaient  des  pierres  de  nature  ou  d'appa- 
rence schisteuse.  Elles  n'étaient  pas  très  volumineuses, 
mais  elles  existaient  en  grand  nombre  ;  on  en  voyait 
des  tas  plus  ou  moins  considérables,  pour  ainsi  dire 
à  l'extrémité  de  toutes  les  parcelles.  Toutefois,  ces 
pierres,  je  le  répète,  ne  prouvaient  point  par  elles- 
mêmes  l'existence  d'une  habitation  ou  d'un  bâtiment 
quelconque.  Je  cherchais  obstinément  à  apercevoir 
des  parcelles  de  mortier  ou  de  chaux  mêlées  aux  moel- 
lons ou  adhérents  à  leur  surface,  mais  je  ne  vis  rien 
qui  pût  me  permettre  d'affirmer  que  ces  débris  avaient 
fait  partie  d'une  construction.  Quant  aux  briques 
romaines,  elles  existaient  partout,  en  plus  ou  moins 
grande  abondance,  non  seulement  sur  les  terrains 
compris  au  cadastre  sous  la-  dénomination  générale 
de  la  Petite-Motte,1'  mais  sur^  ceux  "désignés  sous  le  nom 
de  Plantis  et  qui  sonU  situés  1  un  peu  plus  au  nord- 
ouest. 

Nous   nous    mîmes   à    parcourir   un   peu    au    hasard 


—  161  — 

les  différentes  parcelles.  Nous  cherchions  toujours 
à  découvrir  soit  un  pan  de  mur,  soit  un  fragment  de 
poterie  qui  vînt  donner  un  intérêt  plus  vif  à  nos  recher- 
ches et  fournir  un  élément  plus  précis  à  nos  déductions. 
Nous  ne  trouvâmes  ni  murailles,  ni  poteries  ;  mais  les 
briques  brisées  devenaient  de  plus  en  plus  abondantes 
et  elles  se  rencontraient  sur  une  étendue  considérable. 
Je  ne  saurais  évaluer  la  superficie  du  terrain  ainsi 
occupé  d'une  façon  plus  ou  moins  complète  par  ces 
débris,  mais  il  me  semble  qu'elle  ne  doit  pas  être  in- 
férieure à  deux  hectares. 

Imparfaitement  renseigné  et  à  demi  satisfait,  j'aurais 
voulu  prolonger  mes  recherches;  mais  l'heure  s'avançait, 
la  nuit  était  proche,  et  je  reprenais  le  chemin  de  la 
Gare  lorsque  nous  rencontrâmes  M.  Belœil,  un  des 
propriétaires  des  terrains  récemment  plantés  en  vignes. 
M.  Belœil  s'intéressa  immédiatement  à  la  question 
qui  nous  occupait  et  répondit  à  toutes  nos  interroga- 
tions avec  beaucoup  d'empressement  et  d'intelligence. 
Il  nous  confirma  que  M.  Leduc,  il  y  a  deux  ans  environ, 
avait  trouvé,  en  plantant  sa  vigne,  des  restes  de  tra- 
vaux en  maçonnerie  importants.  Il  ajouta  que  lui- 
même  avait  rencontré  des  murs  dans  plusieurs  endroits. 
Il  nous  montra  même  des  pierres  qu'il  avait  fait  rap- 
porter en  quantité  assez  considérable  et  dont  une  partie 
avait  été  employée  à  des  constructions  récentes.  Celles 
qui  restaient  étaient  mélangées  de  briques  romaines 
brisées  comme  celles  que  nous  avions  vues  sur  le  terrain. 

M.  Belœil,  sans  expliquer  la  présence  et  l'importance 
des  restes  de  construction,  disait  et  répétait  que,  d'après 
des  témoignages  très  anciens,  une  abbaye  avait  existé 
vers  le  lieu  dit  le  Plantis.  Le  groupe  de  bâtiments  dont  sa 
maison   faisait  partie,   s'appelait,   disait-il,   la   Motte. 

M.  Belœil  s'offrait  de  venir  avec  nous  quand  nous 
voudrions  pour  faire  au  moins  des  fouilles  rudimen- 
taires  et  nous  montrer  les  vestiges  de  murs  que  recou- 
vrait le  sol  où  étaient  plantées  ses  vignes.  Il  ajoutait 


—  162  - 

qu'un  autre  propriétaire  devait,  dans  les  jours  suivants, 
faire  des  défoncements  pour  planter  de  la  vigne  dans 
un  terrain  presque  contigu  au  sien. 

Nous  promîmes  à  notre  complaisant  interlocuteur 
de  revenir  sitôt  que  cela  nous  serait  possible.  Nous  ne 
pûmes  pas  tenir  notre  promesse  sitôt  que  nous  l'aurions 
voulu.  Toutefois,  grâce  à  nos  amis  dévoués  à  l'archéo- 
logie, nous  fûmes  tenu  au  courant  des  faits.  Malheu- 
reusement, les  nouvelles  que  nous  reçûmes  ne  furent 
pas  favorables.  Le  défoncement  effectué  mit  à  jour 
quelques  pierres  schisteuses  de  plus,  mais  il  ne  révéla 
rien  que  ce  que  nous  savions  déjà.  Tout  au  plus  pourrait- 
on  dire  que  là,  comme  dans  les  parcelles  voisines,  il 
existait  des  ruines  permettant  de  conclure  que  la  cons- 
truction détruite  s'étendait  jusqu'en  ce  point. 

Dès  que  les  circonstances  nous  en  donnèrent  la  faci- 
lité, c'est-à-dire  vers  le  20  avril,  nous  reprîmes  le  che- 
min de  fer  pour  Nort.  Nous  voulions  nous  rendre 
compte  de  la  situation  relative  des  points  sur  lesquels 
avaient  été  rencontrées  les  fondations  dont  on  nous 
avait  parlé.  Nous  voulions  surtout  constater  par  nous- 
même  le  mode  de  construction  et  le  procédé  de  cimen- 
tation  des  divers  éléments,  c'est-à-dire  des  moellons 
ou  des  pierres  employées.  Nous  craignions  que,  s'exa- 
gérant  les  choses,  on  eût  pris  pour  des  murs  impor- 
tants ce  qui  n'était  qu'un  ensemble  de  restes  de  quelque 
village  très  ancien,  mais  très  pauvre.  Voilà  pourquoi, 
à  peine  arrivé  à  Nort,  nous  nous  empressâmes  d'aller 
trouver  M.  Belœil  pour  le  prier  de  nous  servir  de  cicé- 
rone ou  de  guide. 

Nous  le  rencontrâmes  dans  sa  vigne,  se  reposant 
dans  une  cabane  assez  élégante,  improvisée  par  lui, 
pour  lui  servir  d'abri  contre  le  vent,  la  pluie  ou  le 
soleil,  quand  il  lui  prend  fantaisie  d'aller  tailler  ses 
plants  ou  surveiller  ses  raisins.  Bien  que  le  vent  fût 
très  froid,  M.  Belœil,  avec  une  complaisance  qui  ne  sait 
pas  se  démentir,  prit  lui-même  une  pelle  et  se  mit  en 


—  163  — 

devoir  de  creuser  à  l'endroit  où  il  avait  découvert 
des  fondations.  Le  sol  était  dur  et  rocailleux.  M.  Belœil 
n'est  pas  de  première  jeunesse  ;  le  travail  fut  long  et 
quelque  peu  pénible;  mais  enfin,  au  bout  d'une  demi- 
heure  environ,  la  pelle  rencontra  la  pierre,  la  pierre 
en  place.  Il  n'y  avait  pas  de  doute  possible. 

Toutefois,  le  mortier  n'apparaissait  pas  encore  ; 
M.  Belœil  bêchait  avec  une  conviction  qui  était  de 
l'assurance.  Il  avait  confiance,  car  il  avait  vu  déjà. 
Il  ne  se  trompait  pas  :  deux  ou  trois  coups  de  pelle 
encore  et  le  mortier  de  chaux  et  de  sable  ou  le  ciment 
apparut.  L'opérateur  voulait  continuer  et,  de  fait, 
mon  plus  grand  désir  aurait  été  de  suivre  ce  mur  et 
d'en  constater  la  direction,  la  largeur  et  la  profondeur. 
Mais  abuser  de  la  complaisance  et  presque  des  forces 
d'un  homme  âgé,  qui  eût  été  humilié  de  s'entendre 
offrir  une  récompense  en  argent,  était  impossible.  Il 
fallait  remettre  encore  une  fois  l'expérience.  D'ailleurs, 
j'avais  acquis  la  certitude  sur  un  point  important. 
La  chaux  ou  le  ciment  avait  été  employé  à  la  construc- 
tion dont  je  constatais  l'existence.  C'était  là  un  détail 
du  plus  haut  intérêt  et  plein  de  conclusions.  Les  cons- 
tructions de  médiocre  valeur  n'étaient  point  érigées 
avec  de  tels  moyens. 

Donc,  j'étais  en  présence  d'un  établissement  qui 
avait  de  l'importance  et  par  conséquent  sa  place 
dans  l'histoire  de  Nort  et  de  la  Bretagne.  Qu'importe, 
d'ailleurs,  les  ruines  sont  là  et  quiconque  en  aura  la 
facilité    pourra    faire   les   fouilles    nécessaires. 

Pendant  que  nous  étions  là,  nous  voulûmes  demander 
à  M.  Belœil  tous  les  renseignements  qu'il  pouvait 
nous  donner.  Tout  d'abord,  il  nous  montra,  dans  une 
parcelle  située  à  60  mètres  environ  au  nord-ouest  de 
la  sienne  et  appartenant  à  M.  Leduc,  l'endroit  où  celui- 
ci  rencontra,  il  y  a  deux  ans  environ,  l'espèce  de  bloc 
de  maçonnerie  dont  nous  avons  parlé  et  qui,  d'après  ce 
qu'on  a  raconté,  ressemblait  à  la  base  d'un  énorme  pilier. 


—  164  — 

A  gauche,  c'est-à-dire  à  l'ouest,  mais  tout  près  du 
terrain  Belœil,  une  parcelle  appartenant  à  Mme  Du- 
chesne  où  furent  trouvés  des  fragments  gallo-romains 
en  plus  ou  moins  grande  quantité;  à  l'est,  à  80  mètres 
au  plus,  le  terrain  de  M.  Rivière  où  des  débris  de  cons- 
truction ont  été  également  trouvés. 

Pendant  que  nous  causions,  on  labourait  dans  la 
parcelle  de  M.  Rivière.  Un  jeune  homme  d'une  quinzaine 
d'années  se  détacha  des  travailleurs  et  nous  apporta 
trois  ou  quatre  grands  fragments  de  briques  romaines 
nouvellement  retirés  du  sol  et  tout  imprégnés  d'hu- 
midité. Il  nous  expliqua  que,  il  y  a  quelques  années, 
dans  cet  endroit  où  il  était  occupé  à  labourer,  on  avait 
découvert  une  excavation  de  forme  allongée  dans 
laquelle  se  trouvait  une  grande  quantité  de  terre  noire 
ou  de  charbon  à  l'état  pâteux. 

Au  sud  du  terrain  de  Mme  Duchesne,  à  25  pas  au 
sud-ouest  du  terrain  de  M.  Belœil,  se  trouve  la  parcelle 
appartenant  à  la  famille  Boudet,  dans  laquelle  on  a 
effectué  les  défoncements,  au  commencement  du  mois 
d'avril  dernier,  et  où  l'on  n'a  rien  trouvé  encore  que 
des   pierres   schisteuses. 

Ces  pierres  de  construction,  comme  les  autres,  suivant 
M.  Belœil,  venaient  d'une  carrière  appelée  Carrière  de 
Saint-Georges,  située  au  nord-ouest  et  aujourd'hui 
épuisée. 

Telles  sont  les  constatations  que  nous  avons  pu  faire  ; 
tels  sont  aussi  les  renseignements  que  nous  avons  pu 
obtenir.  Nous  essaierons  de  les  compléter,  mais  nous 
avouons  que  les  moyens  et  les  occasions  nous  man- 
queront peut-être  et,  dès  ce  moment,  nous  convions 
nos  savants  collègues  qui  ont  daigné  nous  accorder 
leur  bienveillante  attention,  à  nous  prêter  leur  concours 
et  à  étudier  eux-mêmes  sur  place  les  ruines  de  la  Motte 
et  de  la  Pancarte.  Nous  les  invitons  à  les  étudier  et  à 
donner  leur  opinion  sur  cette  question  peut-être  très 
importante,  à  coup  sûr  intéressante. 


165 


Quant  à  nous,  nous  pourrions  hasarder  une  opinion 
ou  des  opinions,  mais  elles  ne  seraient  que  d'un  faible 
poids  et  ne  sauraient  être  assises  sur  des  arguments 
solides. 

Et,  d'abord,  à  quoi  faut-il  attribuer  les  nombreux 
débris  de  briques  gallo-romaines. 

Etait-ce  une  villa  ?  était-ce  une  ville  ?  Nous  ne  sau- 
rions nous  prononcer.  Pour  une  villa,  la  surface  occupée 
par  les  débris  nous  semble  bien  étendue,  car  on  trouve 
des  fragments  depuis  les  parcelles  faisant  partie  du  Plantis 
jusqu'aux  Moulins  de  la  Pancarte;  et  certainement, 
il  y  a  entre  ces  deux  points  une  distance  qui  n'est  pas 
inférieure  à  500  mètres.  Je  sais  bien  que  les  briques 
et  autres  débris  de  construction  ont  été  dispersés  par 
la  culture  ;  je  sais  bien  aussi  qu'il  a  dû  en  être  trans- 
porté une  partie  plus  ou  moins  considérable  pour 
aider  à  l'érection  des  bâtiments  postérieurement  édi- 
fiés. J'ai  moi-même  trouvé  des  fragments  de  briques 
de  grandes  dimensions  dans  une  maison  bâtie  au 
siècle  dernier  à  l'entrecroisement  des  routes.  Le  Moulin 
dit  de  la  Motte  a  pu  lui-même  être  composé  en  plus 
ou  moins  grande  partie  de  pierres  et  de  briques  appor 
tées  du  Plantis.  Il  n'en  reste  pas  moins  probable  que 
l'ensemble  des  bâtiments  de  l'époque  gallo-romaine 
devait  être  important  et  occuper  plus  de  surface  qu'une 
simple    villa. 

Toutefois,  de  là  à  supposer  qu'il  existait  une  ville 
plus  ou  moins  grande  au  Plantis  ou  à  la  Motte,  il  y  a 
loin.  Une  ville  évoque  immédiatement  la  pensée  de 
temples  et  d'édifices  publics  ou  particuliers,  de  monu- 
ments en  un  mot  dont  il  nous  resterait  des  vestiges 
que  ni  le  temps  ni  les  hommes  n'auraient  fait  entière- 
ment disparaître.  Mais  la  question  nous  semble  loin 
d'être  résolue,  dans  l'état  où  sont  les  recherches.  La 
réponse  doit  être  réservée  jusqu'à  ce  que  des  fouilles 
sérieuses  aient  été  faites.  Un  point  semble  pourtant 
hors  de  doute  :   c'est  qu'il  existait  à  la  Pancarte  un 


-  16()  — 

établissement  gallo-romain  considérable.  Les  briques 
romaines  en  sont  un  témoignage  irrécusable.  On  dira 
peut-être  que  La  brique  à  rebords  s'est  continuée  et 
a  été  employée  au  moyen  âge  et  bien  longtemps  après 
la  destruction  de  la  civilisation  gallo-romaine.  Il  n'en 
reste  pas  moins  établi  que  là  où  l'on  trouve  la  brique 
à  rebord,  c'est  à  ceux  qui  en  contestent  la  provenance 
romaine  à   prouver  son   origine    barbare. 

D'ailleurs,  quoi  de  plus  vraisemblable  que  de  supposer 
ou  d'admettre  l'existence  d'un  établissement  gallo- 
romain  à  Nort,  surtout  à  la  Pancarte?  Le  site  conve- 
nait admirablement  sur  ce  promontoire  qui  domine 
deux  vallées,  celles  de  l'Erdre  et  de  son  affluent  de 
la  rive  gauche,  le  Montigné,  je  crois;  nom,  soit  dit  en 
passant,  qui  a  une  consonnance  toute  latine. 

En  outre,  Nort,  avons-nous  dit,  était  situé  comme  il 
l'est  encore,  au  point  d'intersection  des  grandes  voies 
qui  mettaient  en  communication  la  Bretagne  et  l'Anjou, 
Brest  et  Angers  notamment.  Nous  croyons  avoir  vu 
nous-même  des  pierres  plates  énormes  qu'on  retirait 
des  banquettes  de  la  route  de  Redon  à  Ancenis,  entre 
Nort  et  Ancenis,  et  qui  nous  semblent  avoir  beaucoup 
de  rapport  avec  les  dalles  qu'employaient  les  Romains 
à  la  confection  de  leurs  voies. 

Ajoutons  que  Nort  est  situé  à  une  distance  peu  consi- 
dérable de  Blain,  et  que  son  territoire  touche  celui  de 
Saffré  et  de  Petit-Mars,  localités  où  les  Romains  ont 
laissé  des  traces  si  manifestes  de  leur  passage  et  de  leur 
établissement. 

Pas  de  doute  donc,   semble-t-il,   sur  la  question   de 
l'existence  d'un  établissement  gallo-romain  à  la  Motte 
ou  à  la  Pancarte.  Cette  question  est  résolue  par  l'attri 
bution   des  briques  qui,  croyons-nous,  sont  bien   gallo 
romaines. 

Mais  si  ce  point  est  hors  de  discussion,  il  en  reste 
un  autre  plus  difficile,  évidemment,  à  élucider:  c'est 
celui  de  l'attribution  des  murs  et  fondations  de  murs 


—  167  — 

qui  ont  été  mis  au  jour  ou  qui  restent  enfouis  dans 
toute  la  partie  centrale  des  terrains  occupés  par  les 
briques.  Qu'étaient-ce  que  ces  murs  ?  Qu'étaient-ce 
que  ces  fondations? 

A  première  vue,  il  semblerait  très  simple  de  répondre  : 
Les  murs  sont  sensiblement  à  la  même  place  que  les 
briques;  donc  ils  ont  fait  partie  des  mêmes  édifices 
qu'elles,  donc  ils  sont  romains. 

La  réponse  ne  nous  paraît  pas  aussi  facile  que  cela. 
Tout  d'abord,  les  murs  sont  en  pierres  très  frustes, 
peu  solides  et  mal  jointes.  On  ne  trouve  point  de  chaux 
ni  de  ciment  dans  les  couches  superficielles  du  sol. 
La  charrue  désagrège  sans  peine  les  parties  qu'elle 
atteint.  Or  on  sait  que  les  Romains  choisissaient  leurs 
matériaux  et  ne  ménageaient  pas  la  chaux  quand  ils 
l'avaient  à  proximité.  Ici,  la  chaux  était  proche  ;  ils 
pouvaient  la  prendre  à  Mouzeil,  ils  pouvaient  la  prendre 
à  Saffré,  ou  à  Blain,  ou  la  faire  venir  par  l'Erdre  et  par 
la  Loire,  des  environs  d'Angers.  Il  n'y  a  rien  ou  pas 
grand'chose  à  conclure  d'ailleurs  de  ce  que  les  restes 
de  construction  se  rencontrent  sur  le  même  emplace- 
ment que  les  briques,  même  si  l'on  suppose  qu'elles 
n'ont  pas  fait  partie  des  mêmes  édifices.  Le  plus  souvent, 
le  moyen  âge  et  aussi  les  générations  d'une  époque 
plus  récente  ont  construit  sur  les  ruines  des  monu- 
ments ou  des  établissements  gallo-romains. 

Encore,  si  aucune  raison  ne  se  présentait  à  nous  de 
croire  que  d'autres  établissements  ou  monuments  que 
ceux  de  l'époque  gallo-romaine  ont  occupé  la  colline 
de  la  Pancarte,  nous  pourrions  nous  renfermer  dans 
cette  première  hypothèse,  mais  il  s'en  faut  qu'il  en  soit 
ainsi. 

Tout  d'abord  le  nom  de  la  Motte  est  très  significatif 
Il  indique  avec  certitude  qu'à  cet  endroit  existait 
un  monument  de  la  puissance  féodale.  La.  Motte  n'allait 
pas  seule  et  elle  accompagnait  évidemment  un  château 
ou  un   manoir  d'une  importance  incontestable. 


—  168  — 

D'ailleurs,  ainsi  que  M.  Maître,  notre  savant  collègue, 
le  relate  dans  sa  géographie  de  la  Loire- Inférieure, 
un  castrum  s'élevait  dans  le  faubourg  ou  quartier 
Saint-Georges,  et  Saint-Georges  et  la  Pancarte  ne  se 
distinguent  pas  nettement.  La  Pancarte,  la  Motte 
ne  sont  que  le  sommet  de  la  colline  au  bas,  ou  sur  le 
penchant  de  laquelle  est  situé  Saint-Georges. 

Qu'était-ce  qu'un  castrum  ?  Un  lieu  fortifié,  ou  plu- 
tôt un  chàteau-fort,  une  forteresse  pouvant  servir 
de  refuge  et  de  moyen  de  défense  à  un  groupement 
d'habitants  et  d'habitations  réunis  autour  du  point 
fortifié.  Quelle  était  l'importance,  quelle  était  la  situa- 
tion exacte  du  Castrum  de  Saint-Georges  ?  Evidem- 
ment, nous  ne  le  savons  pas  au  juste;  mais  tout  porte 
à  croire  qu'il  s'élevait  au  point  culminant,  ou  sur  le 
le  penchant  du  coteau  de  Saint-Georges,  c'est-à-dire  à 
la  Motte  ou  à  la  Pancarte. 

A  qui  faut-il  attribuer  la  construction  du  Castrum 
de  Saint-Georges  ?  On  sait  qu'au  XIIe  siècle  et  dans 
les  siècles  suivants,  les  moines  de  Meilleray  reçurent 
des  dons  en  terre  considérables  et  provenant  de  di- 
verses sources,  ce  qui  permit  à  l'Abbé  de  construire 
un  manoir  qu'il  entoura  de  murailles  et  de  douves  ; 
mais  il  semble  avéré  que  les  domaines  de  l'Abbaye 
de  Meilleray  en  Nort  étaient  situés  aux  bords  de  l'Erdre, 
à  une  assez  grande  distance  de  la  ville  de  Nort.  Quiheix, 
actuellement  sur  le  canal  de  Nantes  à  Brest,  en  était 
le  centre,  et  rien  ne  laisse  croire  que  le  coteau  de  Saint- 
Georges  leur  ait  appartenu. 

Il  est  au  contraire  hors  de  doute  qu'à  la  suite  du 
don  d'une  église  fait  à  l'évêque  de  Nantes  par  certains 
habitants  de  Saint-Georges,  un  prieuré  fut  fondé  par 
les  moines  de  Noirmoutier.  Ce  prieuré  exista  longtemps 
et  peut-être  occupa-t-il  les  hauteurs  de  Saint-Georges. 
Mais  est-il  permis,  sur  des  données  aussi  incertaines 
et  aussi  insuffisantes,  de  formuler  une  opinion  ?  Evidem- 
ment, non.  C'est  à  peine  si  l'on  peut  hasarder  des  hy- 


—  169  - 

pothèses.  Un  prieuré  n'est  pas  un  castrum  et  il  n'est 
même  pas  d'ordinaire  accompagné  d'un  castrum. 
On  parle  tantôt  d'un  château,  tantôt  d'une  abbaye, 
quand  on  est  en  présence  des  ruines  de  la  Motte. 

La  question  reste  donc  presque  entière.  Elle  demande, 
pour  être  résolue,  des  études  sur  les  textes  et  des  études 
sur  le  terrain. 

Si  donc  elle  a  son  intérêt,  nous  la  livrons  à  tous  ceux 
qui  la  croiront  digne  de  fixer  leur  attention.  Nous  leur 
demandons  ,  nous  demandons  en  particulier  à  nos 
collègues  de  la  Société  Archéologique  de  la  com- 
prendre dans  leurs  recherches  et  dans  leurs  études. 
Si,  comme  nous  l'espérons,  leur  érudition  trouve  la  ré- 
ponse aux  questions  que  nous  osons  poser,  nous  en 
serons  trop  heureux.  Notre  rôle  aura  été  modeste  ; 
qu'importe,  si  nous  avons  travaillé  et  réussi  à  soule- 
ver un  coin  du  voile  qui  recouvre  le  passé  ! 

Alcide   LEROUX. 


Aveu  du  Port  et  Passage  de  la  Chebuette 

A  la  Seigneurie  de  Tbouaré 

11  Juin   1567 


Sachent  tous  que  par  notre  Cour  de  Thouaré  en  droit 
ont  été  présents  et  personnellement  établis  devant  nous 
Julien  Pichon,  Pierre  Mabille,  Julien  Trébillard,  Fran- 
çois Joly,  Léonard  Chastelain,  demeurant  en  la  paroisse 
de   Saint-Julien-de-Concelles,  lesquels    et    ehacun 

après  s'être  soumis  et  soumettent  par  leurs  serments 
avec  tous  et  chacun  leurs  biens  meubles  et  immeubles 
présents  et  futurs  quelconques  au  pouvoir  d'étroite 
juridiction,  coercition,  seigneurie  et  obéissance  de 
notre  Cour,  à  laquelle  ils  ont  pour  eux,  leurs  hoirs  et 
ayants-cause  prorogé  et  prorogent  sa  juridiction  pour  y 
être  traités,  poursuivis  et  commis  comme  par  leur 
propre  barre,  cour  et  juridiction  ordinaire  et  devant 
leur  juge  compétent,  sans  en  pouvoir  décliner  ni 
excepter  d'aucune  manière  quelconque  quant  au  con- 
tenu en  ces  présentes  tenir  et  accomplir.  Ont  connu  et 
confessé  par  ces  présentes,  connaissent  et  confessent  et 
avouent  être  hommes  et  sujets  de  haute  et  puissante 
Claude  de  la  Touche,  dame  dudit  lieu,  baronne  de 
Couaiffert,  dame  de  Cernusson,  Pannecé,  Langle,  dame 
douairière  et  usufruitière  de  Thouaré,  et  d'icelle  dame 
tenir  par  raison  de  sa  Cour,  juridiction  et  seigneurie  de 
Thouaré  les  choses  qui  s'ensuivent.  Sçavoir  est  : 

Le  Port  et  Passage  appelé  le  Port  à  la  Chebuette  à 
passer  et  repasser  personnes  à  pied  et  à  cheval  à  travers 
la  rivière  de  Loyre  avec  passer  marchandises  et  choses 
accoutumées  —  passer  au  dit  port,  étant  situé  vis  à  vis 
du   chêne   de    l'île   de  Thouaré,  appartenant  à  la  dite 


172  — 

dame,  ainsi  qu'on  a  coutume  d'aborder  de  chaque  côté 
de  la  dite  rivière  de  Lovre,  ainsi  que  par  ci-devant  les  dits 
bailleurs  ont  coutume,  eux  et  leurs  prédécesseurs,  jouir 
du  dit  port  et  passage,  sous  eUie  par  la  dite  dame  et  ses 
prédécesseurs,  seigneurs  de  la  dite  cour,  juridiction  et 
seigneurie  de  Thouaré.  -  -  Lequel  port  et  passage  ci- 
dessus  déclaré  les  dits  bailleurs  et  chacun  ont  connu, 
connaissent  et  confessent  tenir  de  la  dite  Dame  à  raison 
de  sa  dite  juridiction  et  seigneurie  de  Thouaré;  à  la 
charge  aux  dits  bailleurs  dessus  dits  et  leurs  hoirs, 
d'avoir  à  fournir  de  vaisseaux  chalands  grands  et 
petits,  bons  et  compétents  pour  passer  et  repasser  les 
allants  et  venants  et  passants  au  dit  port,  sans  faire  par 
trop  tarder  de  passer  les  dits  allants  et  passants  au  dit 
port. 

Outre  être  tenus  et  sujets  de  passer  et  repasser  la  dite 
Daine,  ses  officiers  et  serviteurs,  chaque  fois  qu'ils  vou- 
dront et  qu'il  leur  plaira  de  passer  au  dit  port,  sans  en 
avoir  ni  prendre  aucun  salaire  ni  autrement.  Par  raison 
et  par  cause  duquel  port  et  passage  ci-devant  déclaré, 
confessent  les  dits  bailleurs  par  chacun  et  chacun  an 
devoir  à  la  dite  dame  par  chacune  fê'e  et  terme  de  mi- 
aoûst  à  la  recette  ordinaire  de  la  dite  Cour,  juridiction 
et  seigneurie  de  Thouaré,  la  somme  et  nombre  de  vingt 
sous  monnaie  de  Bretaigne  et  douze  oies,  et  le  tout  de 
rente,  payables  au  dit  terme,  à  la  dite  recette,  par  un 
seul  paiement  et  sans  division,  au  dit  port  et  des  dites 
personnes  et  biens  des  dits  bailleurs  au  choix  et  élec- 
tion de  la  dite  dame,  ses  receveurs  et  commis  à  la  dite 
recette  de  la  dite  cour  de  Thouaré. 

Autres  choses.  Les  dits  bailleurs  ne  confessent  et  ne 
avouent  tenir  de  la  dite  dame  par  cause  de  la  dite  sei- 
gneurie, cour  et  juridiction  de  Thouaré  rien,  fors  ferme 
droit  et  obéissance  que  sujets  doivent  à  leur  seigneur 
ainsi  que  le  fief  et  la  juridiction  le  requièrent. 

Outre  confessent  les  dits  bailleurs  que  la  dite  dame  a 
sur  sa  dite  Cour,  juridiction  et  seigneurie  de  Thouaré 


—  173  — 

justice  haute,  moyenne  et  basse,  garenne,  défensable, 
moulin  à  détroit,  droits  de  recettes  et  sergentise,  ventes, 
lots,  épaves,  galloits,  succession  de  bâtards,  déshérence 
de  ligne  et  tous  autres  droits  de  juridiction  appartenant 
à  la  dite  juridiction  à  la  dite  dame,  ainsi  que  le  fief  le 
requiert. 

Et  ce  présent  aveu  et  écrit  baillent  les  dits  bailleurs 
et  chacun  pour  vrai  et  absolu,  et  pour  icelui  présenter  à 
la  dite  cour  à  messieurs  ses  officiers  et  commis,  soit 
sur  jugement  ou  dehors,  ont  les  dits  bailleurs  et  chacun 
institué  et  établi  leur  procureur  eux  l'un  l'autre  et  chacun 
d'eux  seul  et  pour  le  tout,  pouvoir  d'y  avoir  demander 
acte  et  écrit  de  la  relation  d'icelui  et  de  faire  toutes  et 
chacune  des  choses  à  ce  requises  et  convenables  et  tout 
pouvoir  joignant  quant  à  ce. 

Et  tout  ce  que  dessus  ont  les  dits  bailleurs  et  chacun 
et  par  tous  et  chacun  sur  leurs  biens  meubles  et  im- 
meubles, présents  et  futurs  quelconques,  ainsi  voulu  et 
consenti,  promis  et  juré  par  leur  serments  tenir,  four- 
nir et  accomplir  sans  jamais  venir  à  rencontre  en  au- 
cune manière  quelconque.  A  quoi  ils  et  chacun  d'eux  y 
ont  renoncé  et  renoncent  et  ce  de  leur  appartenance  et 
requête,  y  ont  été  par  nous  et  le  jugement  de  notre  cour 
jugés  et  condamnés,  jugeons  et  condamnons.  Dont  té- 
moin le  scel  établi  aux  actes  et  contrats  de  notre  cour 
consenti  et  octroyé. 

A  la  Rivière  et  Bourg  de  Thouaré,  près  la  maison  de 
Pierre  Lebreton,  le  onzième  jour  de  juin  l'an  mil  cinq 
cent  soixante  sept,  et  pour  ce  que  les  dits  bailleurs  ont 
dit  ne  savoir  signer  ni  écrire,  ils  ont  fait  signer  sur  ce 
présent  à  leur  requête  Mathurin  Bizeul.  Sur  ce  présent 
constaté  en  rature  «  leur,  du  dit  port  et  cour  ».  Ph. 
Huardier  notaire,  Bizeui,  P.  Lebreton. 

(Communiqué  par  M.  Senot  de  la  Londe) 


CONTRAT   D'ACQUÊT 


DE    LA 


TERRE    ET    SEIGNEURIE   DE  THOUARE 

12  AVRIL  1704 


L'an  mil  sept  cent  quatre,  le  donzième  jour  d'avril.... 
ont  comparu  :  Messire  Anne  Evrard  d'Avaugour,  cheva- 
lier, seigneur  de  Thouaré,  la  Grignonnière  et  autres  lieux, 
guidon  des  Gens  d'armes  d'Anjou,  fils  aîné,  héritier  prin- 
cipal et  noble  de  messire  Louis  d'Avaugour,  chevalier, 
seigneur   desdits  lieux,   son  père,   et   de  messire  Louis 
d'Avaugour,   chevalier,  seigneur  d'Avaugour,   son  frère 
aîné,  religieux  profès  de  la  Compagnie  de  Jésus  ;  noble  et 
discret  messire  Charles-Auguste  d'Avaugour,  abbé  dudit 
lieu,    chanoine    de  l'église    Cathédrale   de   Nantes  ;   et 
damoiselle  Marie-Anne-Victoire  d'Avaugour,  leur  sœur  ; 
faisant   et   garantissant    oultre    pour    messire    Armand 
d'Avaugour,  chevalier,  lieutenant  de  vaisseaux  du  Roy, 
frère  puisné  desdits  seigneurs  d'Avaugour,  par  lesquels 
ils  promettent  de  faire  ratifier  ces  présentes  selon  leur 
forme  et  teneur,  et  de  ce  en  fournir  acte  valable...,  les  tous 
majeurs  de  vingt-cinq  ans  et  héritiers  tant  dudit  seigneur 
d'Avaugour,  leur  père,  que  dudit  seigneur  d'Avaugour, 
leur  frère  aîné,  religieux  ;  et  dame  Célestine  Bruneau  de 
la    Rabastelière,    veuve    dudit    seigneur    d'Avaugour    ; 
ledit  seigneur  d'Avaugour  aîné  étant  de  présent  en  cette 
ville  de  Nantes,  logé  chez  la  veuve  Dubois,  Grande-Rue, 
paroisse  de  Sainte-Croix  ;  ledit  seigneur  abbé  d'Avaugour 
demeurant  en  cette  ville,  Grande-Rue,  paroisse  de  Saint- 
Vincent  ;  et  les  dites  dames  et  damoiselle  d'Avaugour, 
en  la   maison  conventuelle  des  Ursulines,   paroisse  de 
Saint-Clément. 

Soc.  Archéol.  Nantes.  12 


—  17b"  — 

Lesquels  dits  seigneurs,  dame  et  damoiselle  d'Avau- 
gour,  en  leur  nom  privé  et  audit  nom  et  qualité,  ont  pour 
eux  leurs  hoirs  successeurs  et  ayant-cause,  vendu,  cédé, 
quitté,  laissé  et  transporté jouissance  paisible  et  pro- 
priété incommutablë  envers  et  contre  tous,  quitte  de 
toutes  dettes,  douaire,  hypothèques,  débats,  troubles, 
évictions  et  autres  empêchements  généralement  quel- 
conques, 

A  Messire  Joseph  Mosnier,  seigneur  de  la  Valtière, 
conseiller  du  Roi,  maître  ordinaire  en  sa  Chambre  des 
Comptes  de  Bretagne,  demeurant  en  cette  ville  de  Nantes, 
rue  de  Beau-Soleil,  paroisse  de  Saint-Denis,  sur  ce  présent 
acceptant,  acquéreur  pour  lui  et  les  siens  hoirs  et  succes- 
seurs et  ayant-cause  à  jamais  à  l'advenir,  scavoir  est  : 

La  terre  noble  et  seigneurie  de  Touaré,  consistant  en 
chasteau  et  principal  manoir,  maisons  et  logements, 
pressoirs,  tonneaux  et  cuves,  celliers, écuries, mesnageries, 
fuye  à  pigeons,  garenne,  jardins,  quatre  estangs  bout  à 
bout,  moulins  à  eau  et  à  vent  avec  distroit,  moulin  à  fou-, 
Ion,  mestairies,  bourderies,  terres  arables  et  non  arables, 
prés,  vignes,  isles,  taillis,  bois  émondables  et  de  décora- 
tion, tous  droits  honorifiques  et  de  prééminence  prohi- 
bitifs dans  l'église  principale  de  Touaré,  dus  et  apparte- 
nants à  seigneur  fondateur,  droits  et  pêcheries  à  nanses 
et  à  la  sine  sur  la  rivière  de  Loire,  depuis  l'arche  de  Gres- 
neau  jusques  à  vis  le  chesne  et  vallée  d'Aurais,  droits  de 
pêche  dans  le  mort  estier,  droits  de  péage  sur  la  rivière  de 
Loire  et  de  port  et  passage  au  port  de  la  Chebuette,  rolles 
rentiers,  hommes  et  hommages,  rachapt,  lods  et  ventes 
et  rentes  foncières,  avec  tous  droits  de  haute,  moyenne  et 
basse  justice,  droits  rescindants  et  prescisoires,  et  géné- 
ralement tout  ce  qui  fait  et  compose  ladite  terré  et  sei- 
gneurie de  Touaré,  circonstances  et  dépendances  et 
annexes  sans  en  rien  réserver  ny  excepter,  s'étendant  aux 
paroisses  de  Touaré  et  Saint-Jullien-de-Concelles  et  en 
quelques  autres  paroisses  et  endroits  que  les  dites  choses 
puissent  s'étendre  au  désir  de  la  ferme  qui  en  a  été  faite 


—  177  — 

aux  sieurs  François  Gabory  et  Minier,  fermiers,  sans  au- 
cune réservation  de  ce  qu'ils  jouissent  actuellement  audit 
titre  de  ferme  passée  devant  Alexandre,  notaire  royal 
à  Nantes le  vingt-troisième  jour  de  juin  mil  sept  cent. 

Et  en  la  présente  vente  sont  compris  les  ermoires  des 
archives,  barres  de  fer,  cables  et  autres  ustensiles  essen- 
tiels des  moulins,  en  ce  qu'il  en  appartient  audit  seigneur, 
dame  et  damoiselle  vendeurs,  toutes  clouaisons,  portes, 
grilles  et  fenêtres,  attachées  et  non  attachées,  comme 
aussi  le  poisson  que  les  fermiers  sont  tenus  de  laisser  dans 
les  estangs  au  finissement  de  leur  bail 

A  la  charge  du  dudit  seigneur  acquéreur  de  payer  et 
acquitter  à  l'advenir  quitte  du  passé  les  rentes  seigneu- 
riales et  foncières  si  aucunes  sont  dues  sur  les  dites 
choses  vendues,  et  de  les  tenir  et  relever  partie  du  Roi, 
partie  du  Seigneur  Evêque  de  Nantes,  et  partie  du  sei- 
gneur de  la  Touche  et  Aurais,  noblement  à  foy,  hommage 
et  rachapt  ;  —  et  au  parsus  cette  vente  et  cession  faite  au 
gré  des  parties,  moyennant  et  sous  la  somme  de  soixante- 
douze  mille  livres,  que  ledit  seigneur  acquéreur  paiera 
en  l'acquêt  desdits  seigneur,  dame  et  damoiselle  vendeurs 
à  écuyer  Nicolas  Ballet,  seigneur  de  la  Chesnardière,  con- 
seiller secrétaire  du  Roi,  en  sa  demeurance  à  Nantes... 
avant  le  14  octobre  1705 


PRISE     DE     POSSESSION 

DE    LA 

TERRE   ET    SEIGNEURIE   DE  THOUARÉ 

du  21   Avril   1704 

Pierre  Lebreton  et  René  Lepelletier,  notaires  roïaux 
héréditaires  de  la  Cour  de  Nantes,  résidant  en  la  ville 
dudit  Nantes,  soubsignés,  rapportons  nous  être  ce  jour 
vingt-unième  avril  mil  sept  cent  quatre,  à  la  requête  et 


—  178  — 

en  compagnie  de  messire  Joseph  Mosnier,  seigneur  de  la 
Valtière,  conseiller  du  Roi,  maître  ordinaire  en  sa 
Chambre  des  Comptes  de  Bretagne,  demeurant  audit 
Nantes,  rue  de  Beau-Soleil,  paroisse  de  Saint-Denis, 
transportés  au  Chasteau  et  paroisse  de  Thouaré,  pour  le 
mettre  et  induire  en  la  réelle  et  actuelle  possession  dudit 
château,  terre  noble  et  seigneurie  de  Thouaré,  consis- 
tant en  château  et  principal  manoir,  maison  et  logement, 
pressoir,  ménageries,  fuye  à  pigeons,  garenne,  jardins, 
estangs,  moulins  à  eau  et  à  vent  avec  distroit,  moulin  à 
foulon,  métairies,  bourderies,  terres  arables  et  non 
arables,  prés,  vignes,  isles,  taillis,  bois  émondables  et  de 
décoration,  droits  honorifiques  et  de  prééminence  prohi- 
bitifs dans  l'église  paroissiale  de  Thouaré  dus  et  apparte- 
nant à  seigneur  fondateur,  droits  et  pêcheries  à  nances  et 
à  la  sine  sur  la  rivière  de  Loire,  depuis  l'arche  de  Greneau 
jusques  à  vis  le  chesne  et  vallée  d'Auray,  droits  de  pêche 
dans  le  mort  étier,  droits  de  péage  sur  la  rivière  de  Loire, 
et  de  port  et  passage  au  port  de  la  Chebuette,  rooles  ren- 
tiers, hommes  et  hommages,  droits  de  rachapt  de  lods  et 
ventes  et  rentes  foncières,  avec  tous  droits  de  haute, 
moyenne  et  basse  justice,  droits  rescindants  et  rescisoirs, 
et  généralement  tout  ce  qui  compose  la  dite  terre  et  sei- 
gneurie de  Thouaré sans  en  rien  réserver  ni  excepter, 

s'étendant  aux  paroisses  de  Thouaré,  Saint- Julien-de- 
Concelles,  et  en  quelques  autres  paroisses,  lieux  et  en- 
droits que  les  dites  choses  puissent  s'étendre  ;  acquises 
par  ledit  seigneur  de  la  Valtière,  de  messire  Anne  Evrard 
d'Avaugour,  chevalier,  seigneur  de  Thouaré,  guidon  des 
Gens  d'armes  d'Anjou,  fils  aîné  héritier  principal  et 
noble  de  messire  Louis  d'Avaugour,  chevalier,  son  père, 
et  de  messire  Louis  d'Avaugour,  son  frère  aîné,  religieux 
proies  de  la  Compagnie  de  Jésus  ;  noble  et  discret 
messire  Charles-Auguste  d'Avaugour,  abbé  dudit  lieu, 
chanoine  de  l'église  Cathédrale  de  Nantes  ;  et  damoi- 
selle  Célestine  Bruneau  de  la  Rabastelière,  veufve  dudit 
seigneur  d'Avaugour,  défunct 


179 


Et  estant  entré  dans  le  principal  manoir  dudit  château 
de  Thouaré  par  dessus  un  pont  construit  sur  un  fossé  et 
douve  qui  cernait  tant  ledit  château  que  jardin,  rempli 
d'eau  en  partie,  et  avons  trouvé  la  dame  Marguerite  Pru- 
nier, femme  d'honorable  homme  Léonard  Meyer  et  demoi- 
selle Elizabeth  Gabory,  fille  du  sieur  François  Gabory, 
fermier,  auxquelles  après  avoir  déclaré  que  nous 
entendions  mettre  et  induire  ledit  seigneur  de  la  Valtière 
en  la  réelle  et  actuelle  possession  desdites  choses  vendues, 
ont  dit  n'y  avoir  à  débattre  ;  et  avons  ensuite  entré  dans 
les  salles,  chambres,  anti-chambres,  cabinets,  greniers, 
cuisine,  fuye  à  pigeons,  écuries,  ménagerie,  logements  où 
sont  les  pressoirs,  avec  niées,  tonneaux  et  cuves,  métai- 
ries, borderies,  moulins  à  eau  et  à  vent  et  à  foulons,  et  tous 
autres  logements  dépendants  de  la  dite  terre  et  seigneurie, 
où  nous  avons  ouvert  et  fermé  les  portes  et  fenêtres,  bu, 
mangé,  fait  feu  et  fumée,  et  ensuite  circuité  et  cernoyé 
les  fossés  et  douves,  jardins,  vergers,  vignes,  terres  labou- 
rables et  non  labourables,  prés,  pâtis,  pâtoureaux,  ga- 
rennes, taillis,  bois  émondables  et  de  décoration,  et  tous 
autres  domaines  dépendants  de  ladite  terre  et  seigneurie, 
fait  émotion  de  terre,  cueilli  herbes  et  fleurs,  cassé  bran- 
ches aux  arbres,  et  en  chacun  desdits  lieux  fait  tous  actes 
possessoires  pour  bonne  et  valable  possession  acquérir  ; 

Et  étant  dans  la  cour  dudit  château  de  Thouaré,  ledit 
seigneur  de  la  Valtière  nous  a  fait  remarquer  et  avons  vu 
sur  la  porte  d'entrée  du  vestibule  un  écusson  gravé  sur 
pierre,  dans  lequel  il  y  a  pour  armoiries  «  d'argent  à  la 
bande  de  gueules  chargée  de  trois  croisettes  d'or  »  ; 

Et  de  là  étant  allé  à  l'église  paroissiale  dudit  Thouaré, 
nous  y  sommes  entrés  par  la  chapelle  prohibitive  et  pri- 
vative dudit  château,  dont  ledit  seigneur  de  la  Valtière 
nous  a  ouvert  une  porte  donnant  dans  le  jardin  dudit 
château  ;  et  y  étant  entré,  il  nous  a  fait  remarquer 
et  avons  vu  sur  la  pierre  de  l'autel  de  ladite  chapelle 
un  écusson  d'armoiries  «  d'argent  à  la  bande  de  gueules 
chargée  de  trois    croisettes  d'or  »,  qui  est  le   même   que 


—  180  — 

celui  qui  est  sur  la  porte  du  vestibule  dudit  château  ; 
Avons  aussi  remarqué  dans  le  vitrail  de  la  dite  cha- 
pelle un  autre  écuss&n  partie  des  armes  de  la  maison 
d'Escoubleau  de  Sourdis,  et  de  celle  d'Avaugour  de 
Bretagne. 

Avons  aussi  remarqué  que  la  dite  chapelle  a  une 
fenestre  ouverte  sur  le  grand  autel  de  la  dite  église  parois- 
siale de  Thouaré,  grillée  du  côté  du  chœur  et  fermant  par 
le  dedans  de  la  dite  chapelle,  laquelle  fenestre  ledit  sei- 
gneur de  la  Vatlière  a  ouverte  et  fermée. 

Et  ensuite  le  dit  Seigneur  nous  a  ouvert  une  porte 
fermant  par  le  dedans  de  la  dite  chapelle  et  qui  donne 
dans  le  chœur  de  la  dite  église;  dans  laquelle  étant  entré 
le  dit  seigneur  de  la  Valtière  a  pris  de  l'eau  bénite,  fait 
génuflexion  devant  le  grand  autel,  sonné  la  cloche,  et 
avons  déclaré  aux  personnes  y  étant  que  le  dit  Seigneur 
prenait  possession  de  tous  droits  honorifiques  et  de  pré- 
minence,  tombe,  cave  et  enfeu  prohibitifs  dans  la  dite 
église  paroissiale  de  Thouaré,  dus  et  appartenant  à  sei- 
gneur Patron,  fondateur,  patron  nages,  fondations,  pré- 
sentations et  tous  autres  droits  dépendants  et  apparte- 
nant à  la  dite  seigneurie. 

Et  a  le  dit  Seigneur  de  la  Valtière  pris  place  dans  le 
banc  du  seigneur  de  la  dite  église,  sittué  dans  le  chœur 
du  côté  de  l'Evangile,  lequel  banc  est  à  queue  et  accou- 
doir, et  étant  dans  le  chœur  de  la  ditte  église,  le  dit  sei- 
gneur nous  a  fait  remarquer  et  nous  avons  vu  dans  le 
grand  vitrail  du  grand  autel  un  écusson  d'armoiries  qui 
est  «  d'argent  à  la  bande  de  gueules  chargée  de  3  croisettes 
d'or  »,  qui  est  le  même  que  nous  avons  déjà  remarqué 
tant  sur  la  pierre  de  l'autel  de  la  chapelle  privative 
dudit  château  que  sur  la  porte  du  vestibule  dudit 
château. 

Et  le  dit  Seigneur  nous  a  fait  aussi  remarquer  et  nous 
avons  vu  une  ceinture  funèbre  tout  autour  de  la  dite 
église  sur  laquelle  est  peint  un  écusson  d'armoiries  qui 


—  181  — 

est  «  d'argent  au  chef  de  gueule  »,  qui  sont  les  armes  de 
la  maison  d'Avaugour. 

Et  de  là  nous  étant  transportés  sur  les  étangs  dépen- 
dant de  la  dite  seigneurie,  le  dit  seigneur  de  la  Valtière 
a  fait  pêcher  dedans  et  dans  la  rivière  de  Loire,  depuis 
l'arche  Greneau  jusques  à  vis  le  chêne  et  vallée  d' Aurais, 
et  a  le  dit  seigneur  déclaré  prendre  possession  du  droit 
de  péage  sur  la  rivière  de  Loire,  et  de  port  et  passage  au 
Port  de  la  Chebuette,  conformément  à  son  contrat  d'ac- 
quisition. 

Et  de  là  nous  nous  sommes  transportés  dans  la  maison 
sise  au  bourg  du  dit  Thouaré,  lieu  ordinaire  où  s'exerce 
la  juridiction  de  la  dite  seigneurie,  où  étant  le  dit  sei- 
gneur a  pris  place  dans  la  chaise  où  se  met  ordinairement 
le  juge  de  la  juridiction. 

Avons  ensuite  circuité  et  cérnoyé  les  landes  et  com- 
muns de  la  dite  seigneurie,  toutes  les  maisons,  terres  et 
bois  sur  lesquels  le  dit  seigneur,  à  cause  de  ses  fiefs  et 
seigneurie  de  Thouaré  a  droit  de  lods  et  ventes,  et  renies, 
rachat  et  autres  droits  seigneuriaux,  et  sur  les  hommes 
et  vassaux  haute,  moyenne  et  basse  justice,  rolles  ren- 
tiers et  hommages,  création  d'officiers,  confections  d'in- 
ventaires, déshérences,  épaves  et  gallois,  et  tout  autre 
ferme  droit; 

Et  donné  à  entendre  aux  sujets  et  vassaux  qu'avons 
trouvés  que  le  dit  seigneur  de  la  Valtière  prenait  pos- 
session dudit  château,  terres,  fiefs  et  seigneurie  de 
Thouaré,  et  de  tous  les  droits  en  dépendant  et  y  annexés, 
et  qu'ils  eussent  à  le  reconnaître  pour  leur  seigneur,  lui 
obéir,  et  payer  ses  droits  seigneuriaux  et  faire  toutes 
Les  obéissances  et  redevances  qu'ils  doivent  et  sont 
tenus  de  faire  à  la  dite  seigneurie. 

Et  de  là  nous  avons  passé  dans  l'île  dépendante  de  la 
seigneurie  de  Thouaré,  située  dans  la  paroisse  de  Saint- 
Julien-de-Concelles,  où  nous  avons  remué  terre,  arraché 
herbes  et  cassé  branches,  et  fait  en  chacun  et  tous  les 
lieux   ci-dessus   spécifiés   tous  autres  actes  possessoires 


182 


pour  acquérir  une  bonne  et  valable  possession  audit 
seigneur,  en  laquelle  l'avons  mis  et  enduit  sans  trouble, 
opposition,  ni  empêchements  de  personne  quelconque 
à  notre  cou  naissance. 

Fait  et  rédigé  audit  château  de  Thouaré  sous  le  seing 
dudit  seigneur  de  la  Valtière  et  autres  à  ce  présent,  qui 
ont  signé  avec  nous  dits  notaires  :  Joseph  Mosnier,  A. 
Chauvin,  Boussinneau,  Marguerite  Prunier,  d'Andigné, 
recteur  de  Thouaré;  Louis  Hardy,  procureur  fiscal,  etc., 
etc. 

Ces  documents  qui  jettent  un  jour  curieux  sur  le  cérémonial 
qui  accompagna  la  prise  de  possession  des  terres  nobles,  jusqu'à 
la  Révolution,  font  partie  du  chartrier  du  château  de  Thouaré. 
Ils  ont  été  communiqués  à  la  Société  Archéologique  par  notre 
collègue  M.  Senot  de  la  Londe,  maire  de  Thouaré,  à  qui  ils 
avaient  été  obligeamment  confiés  par  Mnu'  de   Vienne. 


oc 

LU 


COUPE  de  la  VALLÉE 

suivant  l'axe  du  siph 


Echell 


es 


tovuj't-tevi.rs :    o,ooo5    p. 
H  juteA/Wi'  '.     o,oo  5     p 


3 

9* 

'■>  '*v. 

lv 

-o. 

^ 

-s 

fi 

v. 

1' 

S, 

0; 

... 

\*4 


ia|*  aa 


1     fe?    u       >  i 


^-/ 


+  (-120) 

i<?^  elIecfeS  .f  Nazaire. 


S 


Construction  du  sipbon  de  l'Erdre, 
place  des  Petits  Murs 


Découvertes   de    poteries   romaines 


Rapport  du  Sous-Ingénieur 

Nantes,  le  27  Novembre  1907. 

L'ouverture  de  la  tranchée  pour  la  construction 
du  siphon  de  l'Erdre,  place  des  Petits-Murs,  a  mis  à 
découvert  une  certaine  quantité  de  fragments  de  pote- 
ries romaines  que  nous  avons  soigneusement  recueillis 
et  autant  que  possible  réunis  par  nature  d'objet. 

Le  principal  gite  s'est  trouvé  sous  le  mur  du  quai 
rive  gauche  de  l'Erdre,  c'est-à-dire  à  l'emplacement 
de  la  culée  de  l'ancien  pont  des  Petits-Murs  construit 
en  1808  et  démoli  en  1828. 

Voici  la  nomenclature  des  principaux  objets  trouvés  : 

1°  Une  statuette  brisée,  en  terre  cuite  blanche, 
représentant  une  déesse.  Cette  statuette  a  été  brisée 
d'un  coup  de  pioche  au  moment  de  sa  découverte,  il 
ne  reste  que  le  buste  et  le  socle. 

2°  Débris  d'un  vase  de  0,26  de  diamètre  et  0,15  de 
hauteur  avec  bas-reliefs  représentant  une  chasse. 

3°  Débris  d'un  vase  de  0,16  de  diamètre  et  0,09  de 
hauteur  avec  inscription  en  relief  sur  la  panse  et  des 
bas-reliefs  représentant  une  chasse. 

4°  Débris  d'un  vase  avec  bas-reliefs  représentant 
une  chasse. 

5°  Débris  d'un  vase  ne  pouvant  s'assembler  dont 
les  bas-reliefs  représentent  une  Vénus  et  Hercule 
enfant,  étranglant  des  serpents. 

6°  Débris  d'un  vase  avec  figures  allégoriques. 

7°  Débris  d'un  vase  avec  figures  allégoriques. 


—  184  — 

8°  Deux   assiettes   avec   inscription. 

9°  Différents  débris  portant  des  inscriptions. 

10°  Deux  meules  gisantes  en  lave. 

11°  Fragments  d'une  meule  tournante  en  granit. 

Au  point  de  vue  historique  de  la  cité  nantaise,  il  est 
essentiel  de  préciser  la  profondeur  à  laquelle  les  objets 
ont  été  trouvés  et  les  couches  géologiques  où  ils  se 
trouvaient    enfermés. 

Le  nivellement  général  de  la  ville  et  les  tranchées 
déjà  ouvertes  pour  la  construction  des  égouts  nous 
permettent  de  poser  une  hypothèse  probable  de  l'état 
des  lieux  au  moment  de  l'occupation  romaine. 

La  coupe  en  travers  ci-dessus  de  la  vallée  de  l'Erdre 
suivant  l'axe  du  siphon  simplifiera  beaucoup  notre 
tâche.  Sur  cette  coupe,  nous  avons  figuré  les  couches 
géologiques  rencontrées. 

Le  lit  de  l'Erdre  doit  se  trouver  à  l'emplacement 
d'une  fracture  profonde  de  rocher  :  la  faille  a  dû  se 
combler  progressivement  d'argile  bleue  charriée  par 
les  eaux  de  la  Loire  et  qui  pouvaient  facilement  décanter 
en  raison  du  faible  courant. 

Au  moment  de  l'occupation  romaine,  la  partie  la 
plus  profonde  de  l'Erdre  à  l'emplacement  du  siphon 
avait  environ  1  m  70  au-dessus  du  zéro  actuel  de  la 
Bourse  ;  la  rive  droite  devait  être  escarpée  et  atteindre 
une  vingtaine  de   mètres  de  hauteur. 

Sur  la  rive  gauche,  au  contraire,  la  rive  devait  être 
très  peu  élevée  au-dessus  du  niveau  d'eau.  Des  marais 
devaient  s'étendre  jusqu'à  la  rue  Saint-Léonard.  C'est 
vraisemblablement  suivant  le  tracé  de  cette  rue  ou  dans 
son  voisinage  que  fut  édifiée  l'enceinte  romaine,  mais 
nous  devons  ajouter  que  jusqu'à  ce  jour  nous  n'en 
avons  pas  trouvé  de  trace  dans  nos  travaux.  Sur  cette 
rive,  le  coteau  devait  ensuite  se  relever  suivant  une 
pente  douce  jusqu'au  cours  Saint-Pierre. 

Pendant  l'occupation  romaine,  ou  au  plus  tard  à 
la  décadence  romaine,  le  marais  rive  gauche  a  dû  être 


—  185  — 

en  partie  comblé  avec  des  débris  de  toutes  sortes  pro- 
venant de  la  ville  et  dont  une  partie  a  dû  même  être 
entraînée  dans  le  lit  de  l'Erdre.  La  couche  d'argile 
bleue  déposée  pendant  les  temps  préhistoriques  fut 
complètement    recouverte. 

Au  pied  de  l'escarpement  de  la  rive  droite,  des  tan- 
neries ou  industries  analogues  durent  s'établir,  car 
sur  la  couche  d'argile  bleue  formant  le  fond  ancien  du 
lit,  on  a  trouvé  du  tan,  des  cornes  et  des  piquets  d'amar- 
rage. Une  pièce  romaine  en  bronze  (Constantin)  trouvée 
dans  le  tan  était  admirablement  conservée  et  avait  le 
brillant  de  l'or,  phénomène  dû  vraisemblablement  à 
la  présence  des  gaz  ammoniacaux. 

Après  l'établissement  du  pont  de  la  rue  des  Halles, 
point  où  se  trouvaient  les  moulins  de  la  Ville,  survint 
une  modification  de  régime  de  l'Erdre  :  un  véritable 
bief  fut  créé  et  les  moulins  devaient  fonctionner  avec 
la  marée.  Le  séjour  de  l'eau  de  Loire  fortement  chargée 
d'argile  amena  sur  la  rive  gauche,  au-dessus  des  rem- 
blais anciens,  un  nouveau  dépôt  d'argile  bleue  de  0,30 
à  0,40  d'épaisseur  que  nous  avons  repéré  sur  la  coupe 
ci-jointe.  Quel  a  été  le  laps  de  temps  nécessaire  pour 
obtenir  cette  épaisseur  ?  nous  l'ignorons.  Des  docu- 
ments de  l'histoire  de  la  cité  pourraient  peut-être  le 
donner. 

En  1808  fut  bâti  le  pont  dit  des  Petits-Murs  par  une 
Compagnie  qui  avait  obtenu  le  privilège  du  péage. 
Le  pont  à  deux  voies,  l'une  haute,  l'autre  basse,  s'in- 
clina fortement  du  côté  amont  ;  en  1828  on  dut  le 
démolir.  Du  reste,  à  cette  époque,  on  construisit  les 
quais  et  les  abords  de  l'Erdre  furent  modifiés  et  rem- 
blayés comme  on  les  voit  aujourd'hui.  De  plus,  le  niveau 
d'étiage  de  l'Erdre  fut  remonté  d'environ  un  mètre, 
c'est-à-dire  au  niveau  de  la  retenue  de  la  Chaussée  de 
Barbin. 

Les  fragments  de  poteries,  statuettes  et  les  meules 
romaines  ont  été  trouvés  au  point  marqué  d'une  croix 


—  186  — 

rouge  sur  la  coupe  ci-jointe,  à  une  profondeur  de  1,20 
environ  au-dessous  du  zéro  de  la  Bourse.  Ce  fragment 
et  autres  objets  paraissaient  enlisés  clans  la  couche 
primitive  d'argile  bleue.  La  variété  des  objets  trouvés 
et  leur  situation  font  songer  à  la  submersion  acciden- 
telle d'une  barque  à  ce  point,  ou  une  tranche  d'eau 
de  1  m00  environ  devait  se  maintenir,  en  supposant 
bien  entendu  que  le  niveau  d'étiage  de  la  Loire  n'ait 
pas  varié  depuis  cette  époque. 

Nous  proposons  de  remettre  à  la  Société  Archéologique 
les  objets  énumérés  ci-dessus,  si  toutefois  elle  les  juge 
dignes  de  figurer  dans  ses  collections. 

L.  Primault. 


RECIT  DES  ÉVÉNEMENTS 

qui  se  sont  passés  au  Château  de  Nantes 
dans  les  derniers  mois  de  1/89 

Par  Etienne-Pierre  Le  TESS1ER  de  la  POMERJE 

Capitaine  au  Corps   Royal   du   Génie  (1) 
dont   on   voit  ici   l'ex-libris 


Le  Tessierdei^Pomerie 
Officier  au  corps  du  Génie. 

De  gueules  au  mouton  passant  d'argent,  au  chef  cousu  d'azur 
chargé  de  trois  étoiles  d'argent. 


(1)  Reproduction  textuelle  de  sa  relation  manuscrite, 
datée  de  mars  1814  et  faisant  partie  des  papiers  de  famille 
de  sa  petite-fille,  Madame  C.  d'Achon. 

Etienne-Pierre  Le  Tessier  de  la  Pomerie,  fils  d'Etienne- 


—  188  — 

Mon  fils,  ayant  entendu  quelquefois  parler  à  ta  mère 
de  ce  que  j'ai  éprouvé  pendant  la  Révolution,  tu  me  pries 
de  te  faire  le  récit  de  ces  principaux  événements  et  parti- 
culièrement de  ceux  qui  me  sont  personnels.  J'y  consens 
autant  que  ma  mémoire  pourra  me  les  rappeler  depuis 
25  ans  que  commença  cette  fatale  révolution,  en  1789. 

Je  servais  alors  en  Bretagne,  chargé  de  fortifier  les 
côtes  et  les  îles  voisines,  et  résidais  au  château  de  Nantes 
où  je  m'étais  rendu  par  ordre  du  Ministre,  le  1er  mai  1788. 
Cette  date  n'est  pas  indifférente  comme  tu  le  verras  par 
ce  qui  suit.  Quelques  jours  après  mon  arrivée  dans  cette 
place,  je  reçus  une  députa tion  de  Messieurs  de  la  ville  de 
Nantes  pour  me  prier  de  consentir  à  un  empiétement  sur 

Pierre  Le  Tessier,  écuyer,  sieur  de  la  Bersière,  Fourrier  ordi- 
naire des  Logis  du  Boy,  né  à  Saint-Calais  (Sarthe),  le  9  juillet 
1743,  Lieutenant  en  second  à  l'Ecole  de  Mézières  en  1764, 
reçu  Ingénieur  le  1er  janvier  1766,  Capitaine  le  29  septembre 
1775,  Chef  de  bataillon  le  18  mai  1793,  suspendu  de  ses 
fonctions  le  3  décembre  1793.  Il  avait  été  reçu  Chevalier  de 
Saint-Louis  par  Mr  de  Goyon  en  janvier  1791,  Lieutenant- 
colonel  du  génie  sous  la  Bestauration,  mort  le  17  novembre 
1819  à  la  Vieillère,  commune  de  Fiée  (Sarthe)  ;  le  24  mai 
1797  il  avait  épousé  à  Athenay  (Sarthe)  Benée-Françoise, 
fille  de  Jacques-Nicolas  Nepveu  de  Bellefille,  ancien  Lieute- 
nant de  vaisseau,  Chevalier  de  Saint-Louis,  dont  il  eut  un 
fils,  Félix  Le  Tessier  de  la  Pomerie  pour  lequel  a  été  écrit  le 
récit  des  événements  qui  sont  ici  rapportés. 

Celui-ci,  né  à  Château-du-Loir,  le  1er  avril  1799,  mort  à 
Meigné-le-Vicomte  (M.-et-L.),  le  16  août  1853,  après  avoir 
été  admis  à  la  Compagnie  des  Gardes  de  la  porte  du  Boy 
(rang  de  Sous-lieutenant),  le  24  août  1814,  être  passé  en 
cette  qualité  aux  Chasseurs  de  l'Orne  le  28  février  1816, 
démisionna  le  22  juillet  1826  et  épousa,  en  la  chapelle  du 
château  des  Bordes,  commune  de  Pontigné  (M.-et-L.),  le 
13  janvier  1833,  Caroline-Louise  Jarret  de  la  Mairie,  d'une 
famille  de  Bretagne,  fixée  en  Anjou  et  issue  des  Jarret  de  la 
Tousselière,  paroisse  d'Essé,  évêché  de  Bennes,  maintenus 
d'ancienne  extraction  à  la  réformniation  de  1669. 


-  189  — 

la  contrescarpe  de  cette  forteresse,  à  l'effet,  dit  Monsieur 
le  Maire,  d'élargir  la  rue  de  Prémion  qui  borde  cette 
contrescarpe  et  de  rendre  plus  facile  la  communication 
de  la  ville  au  faubourg  de  Richebourg,  assez  considérable, 
rempli  surtout  de  plusieurs  grandes  raffineries  de  sucre. 

Je  répondis  à  ces  Messieurs  qu'il  ne  m'appartenait  pas 
de  décider  d'une  pareille  concession  ;  mais  voulant  entrer 
dans  leurs  vues,  je  les  priai  de  me  donner  leur  demande 
par  écrit  avec  le  plan  du  terrain  qu'ils  désiraient  obtenir, 
et  leur  promis  de  les  adresser  au  Ministre  avec  les  apos- 
tilles les  plus  favorables,  autant  que  les  intérêts  du  Roi 
n'y  seraient  point  compromis. 

Ces  Messieurs,  en  effet,  m'envoyèrent  quelques  mois 
après  leur  mémoire  et  leur  plan  que  j'adressai  au  Ministre 
avec  les  observations  qu'il  était  de  mon  devoir  d'y  faire. 

Sur  la  fin  de  la  même  année,  il  y  eut  en  Rretagne, 
comme  dans  toutes  les  provinces  du  Royaume,  des  assem- 
blées fort  orageuses  et  même  sanglantes,  pour  la  nomina- 
tion des  députés  aux  Etats  généraux  dont  l'ouverturs  se 
fit  solennellement  à  Versailles  le  4  mai  1789. 

Bientôt  la  prétention  du  Tiers-Etat,  de  donner  au 
Royaume  une  constitution  par  laquelle  l'autorité  du  Roi 
pevait  être  restreinte  et  presque  anéantie,  exaspéra  telle- 
ment les  esprits  que  la  révolution  éclata  à  Paris,  le  14 
Juillet,  par  la  prise  de  la  Bastille  dont  le  gouverneur  et 
quelques  vétérans  de  la  garnison  furent  traînés  jusque 
sur  les  marches  de  l'Hôtel  de  Ville  où  ils  furent  massacrés 
et  leurs  têtes  portées  au  bout  des  piques  par  toutes  les 
rues  avec  des  cris  de  vrais  cannibales  ;  et  c'étaient  des 
Français,  ô  mon  fils  ! 

Cette  fureur  s'étendit  clans  tout  le  Royaume  avec  la 
rapidité  de  l'éclair  ;  il  n'y  eut  aucune  province  dont  on 
eut  des  relations  les  plus  sinistres  ;  on  ne  parlait  que 
d'outrages  et  de  meurtres  commis  contre  ceux  qui,  par 
leur  rang  ou  leur  état,  étaient  naturellement  les  soutiens 
du  Trône  :  on  brûlait  les  châteaux  en  ajoutant  à  ces 
horreurs  une  équivoque  atroce  :  que  la  France  avait  besoin 


—  190  - 

d'être  éclairée,  mot  féroce  d'un  des  premiers  meneurs  de 
la  révolution. 

Je  parcours  rapidement  tous  ces  faits  trop  connus 
pour  m'étendre  davantage  sur  ceux  que  tu  désires 
connaître  plus  particulièrement.  Je  ne  dois  pourtant  pas 
passer  sous  silence  la  cruelle  catastrophe  de  M.  de  Sa- 
vonnières  (1),  beau-père  de  ton  oncle  du  même  nom, 
qui  fut  blessé  à  mort  dans  l'incursion  que  fit  à  Versailles 
le  peuple  de  Paris  les  5  et  6  octobre  1789,  ayant  été 
atteint  d'une  balle  en  défendant  l'accès  das  apparte- 
ments ou  ces  scélérats  voulaient  pénétrer  et  où  ils  péné- 
trèrent à  la  fin,  malgré  toute  la  résistance  possible  des 
gardes  du  corps  qu'il  commandait  et  dont  plusieurs 
furent,  comme  lui,  victimes  de  leur  glorieux  dévouement. 
Ces  furieux,  conduits  par  les  suppôts  de  la  faction  d'Or- 
léans, dont  les  principaux  étaient  déguisés  en  femme, 
cherchaient  particulièrement  la  Reine  qui  s'était  heureu- 
sement sauvée  quelques  instants  avant  qu'ils  entrassent 
dans  sa  chambre  à  coucher,  où  ils  trouvèrent  son  lit 
encore  tout  chaud,  et,  désespérés  d'avoir  manqué  leur 
coup,  ils  vomirent  mille  imprécations  contre  Sa  Majesté. 

Les  choses  étaient  en  cet  état,  et  toutes  les  autorités 
civiles  et  militaires  désorganisées  dans  tout  le  Royaume, 
Messieurs  de  la  vile  de  Nantes  crurent  pouvoir  profiter 
du  désordre  général  pour  s'approprier  le  terrain  qu'ils 
avaient  demandé,  en  sujets  soumis,  l'année  précédente  ; 


(1)  Timoléon-Madelon-François,  marquis  de  la  Savon- 
nière,  officier  des  gardes  du  corps  du  Roy,  convalescent  de 
la  blessure  qu'il  reçut  le  5  octobre  dernier,  est  mort  d'une 
fluxion  de  poitrine  à  Versailles  le  9  février. 

Le  corps  municipal  de  Versailles,  les  officiers  et  gardes- 
nationaux,  les  officiers  et  soldats  du  régiment  de  Flandre, 
les  officiers  et  soldats  des  gardes  suisses,  les  officiers  et 
chasseurs  de  Lorraine,  et  un  grand  concours  d'habitans  se 
sont  trouvés  à  ce  convoi. 

Mercure  de  France  n°  8,  samedi  20  février  1790. 


—  191  — 

en  conséquence,  dès  la  fin  de  ce  même  mois  d'octobre,  ils 
commencèrent  à  faire  travailler  à  la  communication 
directe  entre  la  ville  et  le  faubourg  dont  j'ai  parlé  plus 
haut.  Je  leur  témoignai  par  écrit  ma  surprise  sur  ce  travail 
fait  sans  autorisation  sur  le  terrain  du  Roi.  Ne  recevant 
point  de  réponse,  j'allais  à  une  de  leurs  séances  et  leur  dis 
que  je  venais  moi-même  chercher  réponse  à  la  lettre  que 
j'avais  eu  l'honneur  de  leur  écrire.  Ces  Messieurs  essa- 
yèrent de  me  persuader  que  ce  travail,  si  utile  à  la  ville  et 
au  faubourg,  ne  pouvait  nuire  au  château,  que  d'ailleurs 
ayant  fait  leur  demande  depuis  plus  d'un  an  dans  les 
formes  convenables,  et  la  cour  ne  s'opposant  nulle  part 
à  ce  qui  pouvait  nuire  aux  grandes  cités,  ils  s'étaien  t 
autorisés  à  mettre  la  main  à  l'œuvre  pour  la  satisfaction 
de  tous  les  citoyens  qui  désiraient  depuis  longtemps  cette 
communication  pour  l'avantage  du  commerce,  Je  répli- 
quai que  leur  vues  bienfaisantes  pour  leurs  concitoyens 
ne  les  autorisaient  pas  à  disposer  du  terrain  du  Roi  et  je 
les  quittai  en  les  conjurant  de  retirer  leurs  ouvriers. 

L'ouvrage  fut  en  effet  suspendu  pendant  quelques 
jours  au  bout  desquels  les  ouvriers  ayant  demandé  du 
travail  furent  remis  au  même  atelier.  Je  réclamai  de  nou- 
veau contre  cette  récidive  et,  faute  de  réponse,  je  retour- 
nai encore  à  une  de  leurs  assemblées  ;  je  leur  dis  que 
j'avais  différé  de  rendre  compte  à  la  cour  par  déférence  et 
par  considération,  et  n'ayant  point  été  satisfait  de  leur 
réponse,  je  me  vis  forcé  de  protester  fermement  contre 
leur  entreprise  comme  attentatoire  à  l'autorité  du  Roi. 
L'ouvrage  continua  néanmoins;  et  un  jour  que  je  m'étais 
porté  sur  les  lieux  pour  l'examiner  de  plus  près,  en  ren- 
trant au  château  par  la  porte  du  secours  dont  l'arrivée 
est  en  contrepente,  je  me  sentis  froissé  d'une  roue  d'affût 
qui  alla  donner  dans  un  des  piliers  de  la  porte  et  le  fra- 
cassa rudement,  ce  qui  me  fit  juger  que  si  cette  roue 
m'eût  approché  de  quelques  pouces  plus  près,  j'en  aurais 
été  à  coup  sûr  écrasé.  Je  n'y  pensai  plus  que  comme  un 
danger  passé  et  que  j'attribuai  uniquement  a  une  inno- 

Soc.  Archéol.  Nantes.  13 


—  192 

cente  maladresse  ;  j'ai  su  depuis  que  cette  maladresse 
n'étail  point  aussi  innocente  que  je  l'avais  pensé.  Tu  me 
demanderas  peut  être,  mon  fils,  d'où  pouvait  venir  cette 
roue  d'affût,  puisque  je  venais  de  voir  des  gens  qui  ne 
remuaient  que  de  la  terre  ;  mais  ces  travailleurs  étaient 
tout  prés  d'une  esplanade  où  les  canonniers  du  château 
faisaient  leur  exercice;  je  ne  t'en  dis  que  cela  dans  ce 
moment  pour  ne  point  interrompre  mon  récit. 

Continuons  donc.  L'ouvrage  en  question  fut  enfin 
arrêté  après  plusieurs  représentations  de  ma  part  à  la 
municipalité  avec  laquelle  ma  correspondance  était  deve- 
nue fort  active,  tellement,  qu'il  s'était  répandu  dans  la 
ville  que  j'avais  insulté  les  magistrats  jusqu'à  les  traiter 
de  cohue.  Ce  bruit  s'accréditant  de  plus  en  plus,  je  crus 
devoir  le  désavouer  par  les  papiers  publics;  mais  je  ne 
trouvai  aucun  journaliste  qui  voulut  insérer  mon  désa- 
veu dans  ses  feuilles.  Je  fus  obligé  de  l'écrire  moi-même 
et  d'en  faire  faire  plusieurs  copies  à  la  main  que  mes  amis 
répandirent  dans  les  cafés  et  dans  les  spectacles.  Ce 
moyen  me  réussit;  mon  écrit  paru  si  franc  et  si  vraisem- 
blable que  la  rumeur  se  calma. 

Cette  tranquilité  avait  duré  environ  trois  semaines, 
lorsque  le  23  décembre,  il  se  présenta  chez  moi  une  multi- 
tude d'hommes  munis  de  pelles  et  de  pioches,  ayant  à 
leur  tête  un  riche  raffineur  de  Richebourg,  M.  Gaudin, 
en  habit  de  garde  nationale,  qui  me  dit  que  le  peuple 
était  fort  alarmé  des  poudres  qu'on  lui  avait  dénoncées 
être  renfermées  tant  dans  mon  logement  que  dans  les 
parapets  qui  l'environnaient  et  qu'il  avait  ordre  d'en 
faire  la  recherche,  et  lui  ayant  demandé  l'exhibition  de 
cet  ordre,  il  me  répondit  qu'il  le  tenait  du  Souverain  qui 
était  là  présent  et  à  qui  tout  devait  obéir.  Je  lui  en  impo- 
sai pourtant  assez  pour  le  faire  rétrograder  en  lui  mon- 
trant, en  dehors  de  ma  porte,  une  autre  porte  qui  était 
celle  du  chemin  des  rondes  que  je  lui  fis  ouvrir  pour  y 
faire  passer  son  monde  sans  passer  par  chez  moi.  Il  eût 
bientôt   distribué   sa    troupe   le    long    du    rempart    en 


193 


commandant  de  chercher  les  poudres.  C'était  le  signal  de 
la  destruction.  Quelques  moments  après,  je  retournai  vers 
lui  pour  lui  représenter  l'absurdité  qu'il  y  avait  à  croire 
qu'il  y  eut  des  poudres  dans  l'épaisseur  des  murailles;  il 
ne  me  répondit  que  par  des  airs  menaçants  en  me  récidi- 
vant les  ordres  du  Souverain.  Je  fus  donc  obligé  de  ren- 
trer chez  moi  d'où  je  voyais  avec  une  espèce  de  rage  les 
progrès  rapides  d'un  ouvrage  destructeur. 

Ne  sachant  quel  parti  prendre  pour  arrêter  le  désordre, 
je  me  décidai  à  informer  le  Corps  de  Ville  de  ce  qui  se 
passait  au  château  et  demandai  pour  le  soir  même  une 
assemblée  à  laquelle  je  me  rendrais  dès  que  j'en  aurais  la 
liberté,  c'est-à-dire  aussitôt  que  les  malfaiteurs  se  seraient 
retirés;  mais  ils  ne  s'y  disposaient  guère.  On  leur  appor- 
tait à  manger  et  à  boire,  principalement  de  l'eau-de-vie  ; 
il  fut  même  question  de  se  précautionner  de  flambeaux 
pour  prolonger  l'ouvrage  dans  la  nuit.  Heureusement 
qu'un  homme  sage,  qu'on  me  dit  être  l'architecte  de  la 
ville,  et  qui  avait  de  l'ascendant  sur  eux,  vint  leur  dire 
que  l'ouvrage  irait  trop  lentement  pendant  la  nuit  et 
qu'il  valait  bien  mieux  revenir  le  lendemain  de  bonne 
heure.  Ils  se  retirèrent  donc,  et  moi  je  me  rendis  à  l'Hôtel 
de  Ville  où  je  ne  parvins  qu'à  travers  une  foule  immense. 
J'étais  attendu.  Je  fis  le  récit  des  excès  de  la  journée  et, 
lorsque  je  commençai,  le  Sr  Gaudin,  comme  le  chef  des 
malfaiteurs,  qui  les  animait  à  la  destruction,  sortit  de  la 
foule  et  prit  la  parole  avec  la  plus  grande  audace,  s'applau- 
dissant  de  coopérer  à  un  ouvrage  aussi  utile  à  ses  con- 
concitoyens  et  ajoutant  qu'il  n'y  aurait  jamais  de  sûreté 
pour  la  ville  tant  que  le  château  subsisterait.  Je  deman- 
dai aussitôt  la  répression  d'un  propos  aussi  séditieux.  Ii 
se  porta  alors  à  la  plus  grande  arrogance  et  entraîna  dans 
son  opinion  plusieurs  membres  de  l'assemblée  dont  un, 
nommé  M.  Drouin  de  Parce,  affectant  de  l'inquiétude 
pour  ma  sûreté,  opina  que  je  fusse  retenu  dans  l'enceinte 
de  l'Hôtel  de  Ville.  Je  m'élevai  contre  cette  mesure  que  je 
regardais  comme  un  attentat  à  ma  liberté.  Alors  M.  de 


194 


Kervégan,  maire,  homme  très  sage,  crut  devoir  délibérer 
sur  cette  proposition  et  me  pria  de  passer  dans  la  chambre 
du  Conseil  pendant  cette  délibération,  ce  que  je  fis  en 
protestant  sur  la  délibération  même,  et  ce  ne  fut  qu'après 
une  longue  demi-heure  que  je  rentrai  dans  la  salle  où  le 
Maire  m'annonça  que  j'étais  libre  de  retourner  au  châ- 
teau. Je  répondis  que  je  n'avais  pas  moins  attendu  d'une 
assemblée   aussi   sage.  11   ajouta   que  l'assemblée   avait 
décidé  en  même  temps  de  demander  au  Ministre  mon 
changement  de  résidence  pour  ma  tranquillité.  Je  répli- 
quai que  j'écrirais  de  mon  côté,  et  peu  de  temps  après  je 
reçus  une  lettre  de  Sa  Majesté  Louis  XVI  qu'il  faisait 
écrire  par  son  Ministre  de  la  Guerre,  M.  de  la  Tour  du 
Pin,  pour  me  témoigner  sa  salis/action  de  la  conduite  que 
j'avais  tenue  à   V attaque   du    château  de  Nantes   par   le 
peuple,  où  j'avais  couru  un  grand  danger.  Sa  Majesté, 
par  son    extrême  bonté,   m'autorisait   à   quitter  ma   rési- 
dence, dès  que  je  le  jugeais  nécessaire   à  ma  sûreté,   ne 
voulant  pas,  ajoutait  Sa  Majesté,  que  la  vie  d'un  si  bon 
et  si  fidèle  serviteur  fut  plus  longtemps  exposée. 

C'est  cette  lettre,  si  honorable  et  si  touchante,  que  je 
regrette  tant;  c'est  la  perte  la  plus  sensible  que  j'aie  faite 
dans  l'incendie  de  Château-du-Loir  où  mes  meubles,  mes 
livres,  tableaux  et  estampes,  mes  papiers  les  plus  pré- 
cieux, toute  ma  fortune  nobiliaire,  furent  réduits  en 
cendre  das  la  nuit  du  16  au  17  mars  1797. 

Ma  réponse  à  cette  précédente  lettre  fut  de  prier  le 
Ministre  de  mettre  ma  reconnaissance  aux  pieds  du  Roi 
et  je  lui  dis  que  je  pensais  qn'il  était  nécessaire  que  je 
restasse  encore  de  crainte  que  ma  retraite  trop  promple 
ne  donnât  encore  plus  d'audace  à  entreprendre  contre 
les  intérêts  de  S.  M.  Je  tins  donc  bon,  sans  rien  braver, 
pensant  que  ma  présence  en  imposait  aux  plus  audacieux. 
Ce  ne  fut  qu'au  mois  de  mai  1791,  c'est-à-dire  17  mois 
après,  que  j'allai  à  Rochefort  après  avoir  été  fait  cheva- 
lier de  Saint-Louis  au   mois  de  janvier  précédent  par 


195 


M.  de  Goyon,  commandant  dans  la  province,  auquel  le 
Roi  en  donna  la  commission.  (1) 

Copie  de  la  lettre  écrite  par  M.  le  Ministre  de  la  Guerre 
à  M.  de  la  Pomerie,  Capitaine  du  Génie,  employé  au  châ- 
teau de  Nantes  :    (2) 

Paris,  10  janvier,   1790. 

J'ai  reçu,  Monsieur,  la  lettre  que  vous  m'aver  écrite  le 
27  du  mois  dernier  pour  me  faire  bart  de  la  violence  qui  a 
été  exercée  à  votre  égard  par  une  troupe  de  gens  qui  se  sont 
efforcés  de  détruire  une  partie  de  la  fortification  du  château 
de  Nantes  ;  vous  ne  pouviez  mieux  faire  que  d'en  porter  les 
plaintes  à  la  municipalité,  et  le  Roi  est  satisfait  de  la  con- 
duite que  vous  avez  tenue  en  cette  occasion,  où  vous  avez 
en  effet  couru  risque  de  la  vie.  Dans  cette  circonstance,  Sa 
Majesté  a  jugé  qu'il  était  codvenable  de  vous  mettre  à  por- 
tée de  quitter  votre  résidence  jusqu'au  1er  mai,  si  vous  le 
jugez  nécessaire  à  votre  santé.  Je  dois,  au  surplus,  vous  pré- 
venir qu'il  ne  m'est  revenu  aucune  plainte  de  la  Municipa- 
lité pour  ce  qui  vous  concerne. 

Je  suis,  Monsieur,  votre  très  humble  et  très-obéissant 
serviteur. 

(Signé  :  La  Tour  du  Pin). 


(1)  Archives  d'Ille-et-Vilaine  (C.  967). 

En  1789.  Comptes  présentés  par  Mr  de  la  Pomerie  pour 
réparer  quatre  salles  du  Gouvernement  du  château  de 
Nantes,  pour  les  remettre  en  beaucoup  meilleur  état 
qu'elles  ne  l'étaient  lorsque  suivant  les  ordres  du  Prince 
de  Montbarey  et  du  Maréchal  de  Ségur,  ministres  de  la 
guerre,  elles  furent  cédées  à  l'artillerie  pour  y  déposer  les 
effets  du  Roi. 

Idem,  C.  998  à  1004. 

Dans  la  liasse  1004  sont  les  toisés  généraux  faits  par 
MM.  Le  Tessier  de  la  Pomerie,  Capitaine  du  Génie  et  le 
Chevalier  de  Palys,  Lieutenant-Colonel  du  même  Corps, 
chargés  l'un  et  l'autre  des  fortifications  de  Nantes. 

(2)  Archives  de  Madame  C.  d'Achon. 


196 


Nous  soussigné,  chef  de  bataillon  au  corps  royal  du  Génie, 
Ingénieur  en  chef  à  Nantes  et  arrondissement,  certifions 
L'exactitude  de  la  copie  ci-dessus  uc  la  Lettre,  écrite  le  10  jan- 
vier 17!Mi  à  Monsieur  de  la  Pomerie  par  Monsieur  de  la  Tour 
du  Pin,  Minisire  de  la  Guerre,  telle  qu'elle  se  trouve  inscrite 
sur  le  registre  de  correspondance  déposé  dans  les  archives 
du  Génie  militaire  de  la  place  de  Nantes 

Cette  lettre  du  Ministre  était  en  réponse  à  celle  par  la- 
quelle Monsieur  de  la  Pomerie  lui  rendait  compte  des  désor- 
dres commis  au  château  de  Nantes  par  une  troupe  de  fac- 
tieux qui  voulaient  le  détruire,  ce  à  quoi  ils  seraient  sans 
doute  parvenus  sans  l'honorable  et  courageuse  opposition 
qu'y  mit  Monsieur  de  la  Pomerie  dont  la  liberté  et  la  vie 
même  furent  compromises  dans  cette  circonstance,  faits 
qui  se  trouvent  suffisamment  constatés  par  sa  correspon- 
dance avec  les  autorités  locales,  les  généraux,  le  Ministre  de 
la  Guerre  et  le  Président  de  Y  Assemblée  Nationale. 

Nantes,  le  15  avril  1818. 

(Signé  :  Mel   Chaigneau). 


Le  Colonel  de  SABREVOIS  au  château  de  Nantes 

Une  procuration  reçue  le  10  décembre  1788  par  Ber- 
trand et  Moricet,  notaires  à  Nantes,  constate  qu'à  cette 
date,  Messire  Jacques-Henry  de  Sabrevois,  chevalier, 
seigneur  des  fiefs  de  la  Grand-Maison,  Melleray,  Orlu 
Bissay  (Beauce),  chevalier  de  Saint-Louis,  était  colonel 
au  corps  royal  du  Génie,  Directeur  du  dit  corps  au  dépar- 
tement de  Nantes. 

Il  n'a  pas  paru  sans  intérêt  de  recueillir  quelques  dé- 
tails sur  ce  qui  le  concernait  et  les  événements  auxquels 
il  avait  pris  part  pendant  son  séjour  au  château  de  Nan- 
tes. Il  est  né  le  10  décembre  1727  à  Trancrainville  (Eure- 
et-Loir),  il  était  fils  de  Jacques-Henri  de  Sabrevois, 
écuyer,  sieur  de  Villier,  Champgirault,  et  de  Marie-Jacline 
Le  Grand  de  la  Boulais,  veuve  de  Jean-Baptiste  de  la 
Grange,  brigadier  de  la  lre  compagnie  des  Mousquetaires. 


-  197  — 

Il  épousa  à  Strasbourg  Demoiselle  Ève-Catherine  Hesse 
et  mourut  à  Orléans  le  14  novembre  1799. 

Dans  une  lettre  écrite  à  Versailles  le  3  juin  1799,  le 
Prince  de  Montbarrey,  Ministre  de  la  Guerre,  le  qualifie 
chef  de  brigade  au  corps  royal  à  Nantes  et  lui  annonce 
que  la  commission  de  Lieutenant-colonel  lui  sera  inces- 
samment adressée.  On  voit  par  une  lettre  datée  de  Paris 
le  1er  juin  1784  que  la  veille  il  avait  été  promu  à  la  dignité 
de  Directeur  de  l'artillerie  à  Nantes,  M.  de  la  Geneste 
passant  à  la  direction  de  Sedan.  Le  11  vendémiaire  an  V 
(12  septembre  179G),  il  avait  été  autorisé  par  le  Direc- 
toire à  prendre  sa  retraite  en  qualité  de  Général  de  bri- 
gade avec  une  pension  de  6.000  livres,  réduite  provisoi- 
rement à  3.000,  pour  récompense  de  56  ans,  cinq  mois, 
20  jours  de  service,  y  compris  9  campagnes. 

J.-H.  de  Sabrevois  était  à  Nantes  dès  avant  le  10  sep- 
tembre 1777,  date  à  laquelle  le  Général  de  Gribauval  (1) 
lui  écrit  de  Bovelles  (Somme)  :  «  Les  avantages  détaillés 
dans  votre  lettre  (2)  du  2  de  ce  mois  ne  me  paraissent 
pas  suffisants  pour  que  je  propose  au  Ministre,  surtout 
actuellement,  l'établissement  d'un  arsenal  à  Cosme, 
encore  moins  d'y  fixer  tout  à  l'heure  la  compagnie  de 
Cussy.  Elle  se  trouverait  dans  l'impossibilité  de  satisfaire 
à  un  des  principaux  objets  pour  lesquels  on  l'a  fait  passer 
à  Nantes,  qui  est  d'aller,  en  cas  de  besoin,  dans  les  diffé- 
rentes places  sur  les  côtes  de  l'Océan,  dont  elle  est  à  por- 
tée, mettre  en  bon  état  les  affûts  et  ustensiles  reconnus 
pouvoir  être  réparés  ;  en  cas  d'assemblée  de  troupes  sur 
la  côte,  il  faut  avoir  des  ouvriers  avec  l'équipage.  » 

(1)  Gribauval  (Jules-Baptiste  Vaquette  de),  célèbre 
ingénieur  et  général  d'artillerie,  né  à  Amiens  en  1715,  mort 
à  Paris  en  1789. 

(2)  Les  renseignements  recueillis  sur  le  général  de  Sabre- 
vois et  sa  correspondance  sont  extraits  des  archives  de  son 
arrière-petit-fils,  Henri  d'Achon,  château  de  Montrevan, 
Chaumont-sur-Tharonne  (Loir-et-Cher). 


—  198  — 

Le  même  :  Paris,  29  décembre  1777.  » 

«  Je  n'ai  point  connaissance  que  MM.  de  Cussy  et  de 
Mommereuil  aient  fait  a  Nantes  aucune  découverte  pour 
du  fer  ou  du  bois  propres  à  nos  travaux. 

Le  même,  Paris,  25  février  1778  : 

«  On  a  écrit  cà  M.  de  Brancas  pour  qu'il  se  procure,  si 
c'est  possible,  l'augmentation  d'emplacement  demandé 
et  même  un  logement  pour  vous,  et  à  cet  effet  on  a  mar- 
qué à  l'ingénieur  qui  est  à  Nantes  de  reconnaître  les  loge- 
ments occupés  par  des  particuliers  qui  pourraient  conve- 
nir à  l'établissement  de  la  compagnie  de  Cussy.  Quant 
aux  arbres  de  la  petite  place  du  château,  on  va  se  consul- 
ter avec  les  fortifications  pour  faire  exécuter  l'ordre 
qu'on  dit  avoir  été  donné  de  les  abattre  pour  être  emplo- 
yés aux  travaux.  » 

Le  même,  du  camp,  près  Baycux,  25  septempre  1778  : 

«  J'ai  vu  avec  beaucoup  de  plaisir  les  plans  que  vous 
m'adressez  de  votre  établissement  au  clmteau  de  Nantes  ; 
je  verrai,  lors  de  mon  retour  à  Paris,  ce  qu'il  sera  possible 
de  faire  par  rapport  à  l'écurie  qui  incommode  vos  ou- 
vriers en  bois.  » 

M.  de.  Sabrevois,  Chef  de  Brigade  au  Corps  royal  à  Nantes. 

A    Versailles,  le  3  Juin  1779. 

Je  vous  donne  avis,  Monsieur,  que  le  Roy  vient  de 
vous  nommer  à  l'emploi  de  Sous-Directeur  de  l'Artillerie 
vacant  à  Douay  par  la  promotion  de  M.  Dorbay  à  la 
Direction  du  même  département,  vous  n'en  irès  cependant 
pas  prendre  possession  dans  ce  moment  cy,  l'intention 
de  Sa  Majesté  est  que  vous  continuiée  jusqu'à  nouvel 
ordre  de  diriger  les  détails  de  l'Arcenal  de  construction 
établi  à  Nantes. 


—  199  — 

Votre    Commission    de    Lieutenant-Colonel    vous    sera 
incessamment  adressée. 

Je  suis,  Monsieur,  votre  très  humble  et  très  obéissant 
serviteur. 

Prince  de  MONTBAREY. 

Enregistré  au  Greffe  de  la  Ville  de  Douay,  le  dix  janvier 
mil  sept  cent  quatre-vingt-deux,  témoin  :  Bernard. 


A  Paris,  le  6  Juillet  1782. 

J'ai  reçu,  mon  cher  Sabrevois,  la  lettre  par  laquelle 
vous  offres  de  construire  à  l'Arsenal  de  Nantes,  des  affûts 
pour  la  Marine.  Je  viens  de  l'adresser  au  Ministre,  en  le 
priant  de  vous  marquer  directement  ce  qu'il  pense  de 
votre    proposition. 

Vous  connaisses  les  sentiments  d'attachement  et  d'ami- 
tié avec  lesquels  je  suis,  mon  cher  Sabrevois,  votre  très 
humble  et  très  obéissant  serviteur. 

GRIBEAUVAL. 


M.    de    Sabrevois. 

A  Paris,  le  11  Juin  1784. 

J'ai  reçu,  mon  cher  Sabrevois,  la  lettre  que  vous  m'avez 
écrite,  avec  la  copie  de  celle  que  vous  avés  reçue  du  Ministre, 
relativement  au  magasin  à  construire  au  château  de 
Nantes.  J'ai  vu  aussi  la  réponse  que  vous  avés  faite  à 
M.  le  Maréchal  de  Ségur,  par  rapport  aux  reflexions 
faites  par  les  Officiers  du  Génie,  concernant  l'usage  des 
matériaux  provenant  de  la  démolition  de  la  Tour  cottée  7. 
Vous  devés  être  atuellement  satisfait  à  cet  égard,  et  je 
présume  que  la  construction  du  magasin  dont  il  s'agit, 
n'éprouvera  plus  aucune  difficulté. 

Je  suis  avec  amitié,  mon  cher  Sabrevois,  votre  très 
humble  et  très  obéissant  serviteur. 

GRIBEAUVAL. 


—  200  — 

M.   de   Sabrevois. 

A  Bovelles  (Somme),  le  30  Septembre  1784. 

J'ai  reçu,  mon  cher  Sabrevois,  les  coupes  que  vous 
m'a  ver  adressées,  de  la  charpente  que  vous  vous  pro- 
poser d'établir  sur  le  magasin  que  vous  faites  construire 
au  château  de  Nantes.  J'attends  incessamment  M.  le 
C.hcr  de  Barberin,  nous  l'examinerons  ensemble,  et  j'aurai 
soin  de  vous  faire  part  du  résultat  de  cet  examen. 

Je  suis  avec  amitié,  mon  cher  Sabrevois,  votre  très 
humble  et  très  obéissant  serviteur. 

GRIBEAUVAL. 

Nantes,  13  Prairial,  an   IV. 

Au   Général  de  Sabrevois. 
Mon  Général, 

J'ai  reçu  de  Chalois  1634  livres  en  assignats  :  le  pro- 
cureur a  dit  qu'on  ne  pouvait  les  refuser  suivant  la  loi..  . 

Je  crois  cette  malheureuse  guerre  bientôt  terminée  ; 
l'on  a  mis  notre  malheureuse  ville  hors  d'état  de  siège. 
Les  chouans  sont  aux  abois.  Ils  rendent  les  armes  de 
toute  part.  La  finance  remplace  la  guerre.  Les  rescrip- 
tions  sont  à  90  livres  de  perte  par  cent....  Le  citoyen 
Chalois  à  qui  j'ai  donné  une  quittance  provisoire  vous  prie 
de  lui  en  envoyer  une  autre.  Il  doit  vous  payer  un  autre 
terme  à  la  Saint-Jean  ;  je  pense  que  la  monnaie  sera  un  peu 
meilleure  ;  il  ne  pourra  pas  trouver  moyen  de  s'acquitter 
à  si  bon  marché. 

Signé  :   LE  BLANC. 


M.  Alfred  de  VEILLECHEZE 


NECROLOGIE 


M.  Alfred  de  la  VEILLECHÈZE 


Messieurs   et  Chers  Collègues, 

Monsieur  Alfred  de  Veillechèze  était  né  le  8  septembre 
1827,  au  Pallet,  où  son  père,  M.  René  de  Veillechèze,  exerçait 
la  médecine.  Les  souvenirs  laissés  par  son  père  dans  ce 
petit  pays  dont  il  fut  maire  et  conseiller  général  pendant 
31  ans  ne  sont  pas  encore  éteints  et  la  croix  de  la  Légion 
d'honneur  fut  la  juste  récompense  de  cette  vie  toute  de 
travail  et  de  sacrifice. 

Après  avoir  reçu  les  premières  leçons  de  français  et  de 
latin  de  l'abbé  Foulon,  alors  vicaire  au  Pellerïn,  et  l'ami  in- 
time de  notre  éminent  Président  Mgl  Fournier,  Alfred  de 
Veillechèze  entra  au  Lycée  de  Nantes.  Reçu  bachelier, 
il  songea  à  embrasser  la  carrière  médicale  vers  laquelle 
le  portaient  ses  goûts  et  l'exemple  de  son  père;  mais,  pour 
des  raisons  personnelles  qui  font  le  plus  grand  honneur 
à  son  caractère  et  à  son  cœur,  il  renonça  à  ses  projets  et 
entra  comme  surnuméraire  dans  la  Douane,  le  2  mars 
1844.  Il  avait  19  ans.  Après  un  séjour  de  quelques  mois 
à  Pont-d'Armes,  il  fut  envoyé  au  Croisic.  C'est  là  qu'il 
entra  en  relations  avec  les  vieilles  familles  croisicaises 
dont  il  devait  parler  plus  tard  dans  «  Vieux  Logis  et  Vieilles 
Gens  ». 

Revenu  à  Nantes  en  1855,  il  s'y  maria,  et  malgré  les 
offres  avantageuses  d'avancement  qui  lui  furent  faites, 
il  voulut  rester  près  des  siens.  En  1881,  il  prit  sa  retraite 
après  30  années  de  bons  et  de  loyaux  services. 

Ceux  qui  l'ont  connu  alors  vous  diront  ce  qu'il  a  été 
pendant  sa  carrière  administrative.  D'un  caractère  facile, 
généreux  et  bon,  s'oubliant  lui-même  pour  être  utile  aux 
autres,  d'une  délicatesse  extrême,  il  savait  égayer  ses 
collègues  par  ses  bons  mots,  ses  chansons,  frappés  au 
coin    du    meilleur    esprit.    Quelques-uns    de    ses    anciens 


—  202 

camarades     possèdent    de    lui    des    lettres    qui    méritent 
d'être    publiées. 

Entré  dans  notre  Société  en  1887,  il  s'était  fait  une  place 
à  part  par  ses  études  très  documentées  sur  des  personnalités 
intéressantes  mais  peu  connues  delà  Vendée  militaire.  Mme  de 
Buckley,  Mmo  de  la  Rochefoucauld.  Dans  ses  mémoires, 
écrits  d'une  plume  alerte  et  spirituelle,  il  aimait  encore  à 
décrire  les  vieux  monuments  encore  debouts  dans  le  pays 
où  il  était  né  ou  dans  celui  où  il  avait  fait  ses  premières 
armes.  Les  chapelles  du  Mûrier,  du  Crucifix,  de  Saint- 
Goustan  au  Croisic,  de  Bethléem  en  Saint- Jean-de-Boi- 
seau,  d'Indre,  etc. 

Esprit  très  orné  et  causeur  érudit  et  charmant,  il  s'était 
acquis  de  vives  et  solides  sympathies.  «  On  appréciait,  ainsi 
«  que  l'écrivait  le  lendemain  de  sa  mort  un  de  nos  collè- 
«  gues  qui  désire  garder  l'anonyme  et  auquel  j'emprunte 
«  plusieurs  passages  de  celte  notice  nécrologique,  en  cet 
«  aimable  vieillard,  presque  notre  doyen,  le  savoir  uni  à 
«  la  modestie  et  à  la  bonté..  D'une  courtoisie  d'un  autre 
«  âge,  il  avait  gardé  du  passé  celle  distinction  d'allure  et 
«  cette  aménité  de  manières  qui  se  traduisaient  par  l'ac- 
te cueil  et  le  mot  gracieux  pour  chacun.  » 

Il  assistait  encore,  le  mardi  10  mars  1908,  à  notre  der- 
nière réunion  où  il  se  faisait  une  joie  de  présenter  un  de  ses 
vieux  amis,  M.  Leroux,  dont  il  devait  lire  le  travail  sur  le 
Château  d' Heinleix-Rohan,  canton  de  Saint-Nazaire. 

La  mort  est  venu  soudainement  le  frapper  le  lendemain. 
Son  excessive  modestie  n'a  pas  voulu  que  sur  sa  tombe  je 
prenne  la  parole  pour  dire  les  regrets  de  tous  et  le  vide 
immense  que  laissera  au  sein  de  notre  Société  sa  disparition 
si  brusque  et  si  inattendue. 

De  notre  comité  il  fut  longtemps  et  toujours  le  guide 
éclairé  et  le  conseiller  écouté.  Aussi  est-ce  avec  une  émotion 
sincère  qu'au  nom  de  vous  tous,  mes  chers  collègues,  je 
salue  sa  chère  mémoire. 

A.  Dortel, 

Président. 


NOTICE     NECROLOGIQUE 


SC  H 


M.   de   LAUBRIERE 

Membre  titulaire    de  la   Société  Archéologique    de  la   Loire-Inférieure 


Louis-Marie-Désiré  Briant  de  Laubrière  naquit  à  Brest, 
Le  1er  septembre  1816  ;  son  père,  commandant  d'artillerie, 
étant  devenu  veuf  après  quelques  années  de  mariage,  fut 
obligé  de  le  mettre  interne  successivement  dans  les  collèges 
de  Lorient  et  de  Quimper,  où  il  fit  detrès  bonnes  études,  et 
l'envoya  à  Paris  pour  passer  son  baccalauréat.  Une  fois 
établi  dans  la  capitale,  il  fit  son  droit  et  parut  un  moment 
se  diriger  du  côté  de  la  carrière  administrative.  Il  entra 
comme  surnuméraire  au  Ministère  de  l'Intérieur  sans  s'y 
attacher.  La  vie  mondaine,  si  pleine  de  succès  pour  lui,  entraî- 
nait le  jeune  homme,  ami  des  arts,  bon  musicien  et  aimable 
causeur  ;  cependant  les  bibliothèques  et  les  archives  ne  lui 
faisaient  pas  peur.  Il  eut  l'occasion  d'y  pénétrer  pour  se  ren- 
seigner sur  ses  ancêtres  ;  son  esprit  curieux  y  trouva  tant  de 
choses  nouvelles  et  attachantes  qu'il  y  revint  fréquemment 
pour  compulser  tout  ce  que  les  anciens  généalogistes  officiels 
avaient  amassé  de  titres  sur  les  familles  bretonnes.  Ses 
amis  le  voyant  si  abondamment  documenté  l'engagèrent  à 
publier  un  armoriai  de  Bretagne  qui  parut  en  1844  et  qui, 
encore  aujourd'hui,  est  recherché  des  collectionneurs. 

M.  de  Laubrière  s'aperçut  bien  vite  que  son  livre  était  un 
essai  susceptible  de  longs  développements  et  qu'il  ne  pouvait 
contenter  ses  compatriotes  sans  continuer  son  enquête. 
Il  interrogea  les  érudits  et  entreprit  des  recherches  jusqu'à 
Nantes,  dans  le  fonds  de  la  Chambre  des  Comptes,  où  il  ren- 
contra, à  défaut  de  montres  et  de  cahiers  de  réformation  de 
la  Noblesse,  des  registres  de  réformation  de  feux  qui  lui 
donnèrent  des  listes  de  noms  inattendues,  remontant  au 
xve  siècle.  M.  de  la  Borderie,  présent,  fut  lui-même  surpris 
de  la   trouvaille. 


—  204  — 

Encourage  par  ce  succès,  notre  confrère  continua  de  ras- 
sembler des  notes  dans  les  collections  de  Paris,  pour  publier 
une  seconde  édition  de  son  armoriai  considérablement  aug- 
mentée. Il  allait  commencer,  lorsque  son  ami,  M.  Pol  de 
Courcy,  avec  lequel  il  était  en  correspondance  fréquente, 
lui  écrivit  qu'il  avait  le  désir  de  publier  un  armoriai  breton. 
Avec  le  plus  rare  désintéressement,  M.  de  Laubrière  aban- 
donna son  projet,  donna  toutes  ses  notes  à  son  ami  et 
consentit  à  lui  servir  de  correspondant  à  Paris  pour 
l'éclairer  sur  tous  les  points  douteux.  La  correspondance 
qui  lui  échangée  à  ce  propos  est  conservée  en  grande 
partie,  elle  témoigne  que,  de  18-15  à  1854,  notre  confrère 
n'a  cessé  de  collaborer  à  la  publication  de  son  ami,  sans 
autre  ambition  que  de  doter  son  pays  d'un  bon  répertoire. 
11  aurait  pu  légitimement  réclamer  une  place  sur  la  couver- 
ture du  livre,  il  se  contenta  d'une  phrase  de  remerciements 
dans  l'introduction.  On  ne  pouvait  être  plus  modeste. 

M.  de  Laubrière  était,  en  effet,  un  ennemi  du  bruit  et  de 
la  réclame  ;  il  aimait  la  Science  et  l'Art  pour  les  jouissances 
intimes  que  ces  deux  muses  procurent.  Je  pourrais  aussi 
m'étendre  longuement  sur  son  amour  pour  les  livres,  les 
curiosités  littéraires  et  les  belles  reliures,  car  il  aimait  à  se 
délasser  en  visitant  les  rayons  de  sa  bibliothèque  dans 
laquelle  on  compta  un  moment  jusqu'à  20.000  volumes. 

La  science  même,  sous  des  apparences  austères,  excitait 
sa  curiosité  et  le  captivait  jusqu'à  ce  qu'il  connut  tous  ses 
secrets.  Le  hasard  le  mit  un  jour  en  présence  d'une  poche  de 
fossiles  variés  et,  de  suite,  il  voulut  les  classer.  En  peu  de 
temps,  il  devint  un  ami  fervent  de  la  géologie  et  de  la 
conchyologie,  deux  sciences  qui  l'absorbèrent  pendant 
vingt-cinq  ans  et  dont  il  propagea  le  goût  autour  de  lui,  tant 
son  ardeur  était  communicative.  Ses  explorations  avaient 
lieu  dans  le  bassin  de  Paris. 

Malgré  les  charmes  nombreux  qui  le  retinrent  une  partie  de 
sa  vie  sur  la  terre  champenoise,  il  conservait  au  fond  du  cœur 
l'amour  de  la  patrie  bretonne.  Nantes  l'attirait.  Il  s'y  fixa 
et  s'empressa  de  se  faire  inscrire  au  nombre  des  membres 
de  la  Société  archéologique,  au  temps  de  la  présidence  de 
M.  de  la  Nicollière.  Sa  santé  ne  lui  permettait  pas  d'assister 
à  toutes  nos  séances,  mais  il  suivait  avec  attention  nos  tra- 


—  205  — 

vaux  et  lisait  assiduement  nos  bulletins.  Plus  d'une  fois, 
on  le  vit  courir  avec  son  allure  jeune  et  gaie  jusqu'aux 
archives  pour  y  prendre  une  note  qui  manquait  à  la  généa- 
logie de  sa  famille.  Les  siens  ne  l'ont  jamais  vu  inoccupé. 
Quand  il  ne  soignait  pas  les  fleurs  de  son  jardin,  il  travaillait 
à  la  reliure  de  ses  livres  ou  écoutait  une  lecture  qu'une  affec- 
tion filiale  lui  réservait  pour  sa  récréation,  ou  bien  encore 
il  classait  ses  innombrables  cartes  postales.  Même  au  bord 
de  la  mer,  il  trouvait  moyen  d'augmenter  ses  collections  de 
silex  taillés  par  ses  propres  recherches,  à  l'âge  de  90  ans. 
Aucune  existence  n'a  été  mieux  remplie  et  plus  honorable- 
ment  conduite. 

Saluons  donc  avec  vénération  cette  belle  vie  qui  est  venue 
s'éteindre  parmi  nous  en  nous  laissant  l'exemple  d'un  atta- 
chement peu  commun  au  culte  de  la  science  et  le  spectacle 
d'une  fin  embellie  par  les  espérances  chrétiennes. 

Nos  sympathies  iront  consoler,  je  l'espère,  les  deux  ?mes 
brisées  qu'il  a  laissées  dans  la  plus  profonde  douleur. 

Léon  Maître. 


J£<xX^- 


Nantes,  Imprimerie  A.  Dugas  &  O,  5,  quai  Cassard. 


BULLETIN 


DE   LA 


SOCIÉTÉ  ARCHÉOLOGIQUE 

DE  NANTES 

ET  DU  DÉPARTEMENT  DE  LA  LOIRE-INFÉRIEURE 


Année    1908 


TOME     QUARANTE-NEUVIÈME 


2e    Semestre 


NANTES 


BUREAUX     DE     LA     SOCIÉTÉ    ARCHEOLOGIQUE 


1909 


\ 


BUREAU 


DE   LA 


SOCIÉTÉ  ARCHÉOLOGIQUE  DE  NANTES 

ET  DE  LA  LOIRE-INFÉRIEURE 


MM.  Alcide  DORTEL,  0.  I.   Q 
Alcide  LEROUX 
le  baron  Gaétan  de  WISMES 

Docteur  Georges  HALGAN 
Joseph  NAU 

Joseph  ANGOT 
Joseph  HOUDET 

Edouard  PIED,  0.  I.  fg 

Raymond  POUVREAU 

Paul  SOULLARD 

Victor  LAGRÉE,  0.  & 


Président. 
Vice-présidents. 

Secrétaires  généraux. 

Secrétaires  du  Comité. 

Trésorier. 
Trésorier-adjoint. 

Bibliothécaires- 
archivistes. 


COMITE    CENTRAT 
MEMBRES  A  VIE 

Anciens  Présidents  (1) 

MM.  le  marquis  de  BREMOND  d'ARS  MIGRÉ,*  (1884-1886  et  1899-1901). 
Léon  MAITRE,  0. 1.  0  (1902-1904);  le  baron  de  WISMES  (1905-1907). 

MEMBRES    ÉLUS 

MM.  CHAILLOU,  0.  I.  Q 
SEN0T  de  LA  L0NDE 
Claude  de  M0NTI  de  REZÉ 
CAILLÉ 

Ludovic  C0RMERAIS 
le  chanoine  DURVILLE,    0.  A.  % 
le  comte  de  BERTHOU 
BLANCHARD,  0.  I.  ÇJ 
TRÉMANT 

(1)  Les  autres  présidents  de  la  Société  ont  été  :  MM.  Nau  (1845-1862). 
f  4  juillet  1865;  —  le  vicomte  Sioch'an  de  Kersahiec  (1863-1868), 
f  28  novembre  1897:  —  le  chanoine  Cahour,  0.  A.  Q  (1869-I87i). 
f7  septembre  1901;  —  l'intendant  Galles,  0.  *  (1872-1874),  fil 
août  1891  ;  —  Mariûnneau,  *,  0. 1.  Q  (1875-1877),  f  13  septembre  1896; 
—  le  baron  de  Wismes  (1878-1880),  f  5  janvier  1887,  —  le  vicomte  de 
la  Laurencie.  &  (1881-1883);  -  Le  Meignen,  0.  A.  tji  (1887-1889 
et  1896-1898),  f  22  septembre  1905;  —  le  marquis  de  Dion.  & 
(1890-1892),  f  26  avril  1901;  —  de  la  Nicollière-Teueiro.  0.  A.  Q 
(1891-1895),  f  17  juin  1900. 


i 


Sortants  en  1908. 


Sortants  en  1909. 


Sortants  en  1910. 


EXTRAITS 

Des    procès-verbaux    des    Séances 


-*<*SUlsaK>- 


r  9 


SOCIETE  ARCHEOLOGIQUE 

DE    LA   LOIRE-INFÉRIEURE 

Manoir    de    la.    Touche 


SEANCE  DU  MARDI  13  OCTOBRE  1908 

Présidence  de  M.  Dortel,  président. 

Etaient  présents  :  M.  l'abbé  Brault,  MM.  Bastard, 
Caille,  Dortel,  Furret,  Dr  Halgan,  Commandant 
Lagrêe  .  Leroux,  Maître,  Ouvrard  ,  Pouvreau, 
Renard,  Ringeval,  Soullard,  Trémant,  Vincent, 
Baron  de  Wismes,  Baron  Gaétan  de   Wismes. 

M.  le  Président  exhibe  un  plan  en  couleur  de  la  ville  de 
Nantes,  extrait  vraisemblablement  d'un  atlas  anglais.  Ce 
document  présente  quelques  inexactitudes  de  détails, 
mais  est  intéressant  par  son  relief  et  son  coloris. 

Jacques  Forestier  et  les  débuts  de  V insurrection  en  1793 
à  la  Gaubretière.  Tel  est  le  titre  du  travail  dû  à  la  plume 
de  M.  Paul  Legrand  et  offert  par  l'auteur  à  notre  Société. 

Forestier,  né  à  la  Pommeraye,organisa,  après  lesrevers 
des  Vendéens  sur  la  Loire,  les  bandes  de  chouans  qui 
devaient  tenir  tête  à  Hoche.  Il  était  lieuteannt  de  Georges 
Cadoudal  quand  la  pacification  de  la  Vendée  l'exila  à 
Londres. 

Soc.  Archéol.,  Nantes.  C 


—    XLVIII   — 

M.  Marcel  Racineux,  présenté  par  M.  l'abbé  Brault 
et  M.  Joseph  Angot,  est  agréé  comme  membre  titulaire 
et  conquiert  l'unanimité  des  suffrages. 

Le  baron  Gaétan  de  Wismes  rapporte  qu'il  prit  part 
aux  travaux  du  Congrès  de  l'Association  bretonne,  tenu 
cet  été  à  Fougères.  Cette  vieille  cité  bretonne,  curieuse  à 
plus  d'un  titre,  a  conservé  en  grande  partie  ses  fortifica- 
tions du  xve  siècle.  Le  château,  datant  dans  son  ensemble 
du  xiie  siècle,  est  unedes  plus  belles  ruines  féodales  de  la 
Bretagne.  Il  a  perdu  son  donjon,  rasé  en  1630,  mais  il  est 
encore  garni  de  treize  tours  d'imposant  aspect. 

Le  Congrès  organisa  une  excursion  au  Mont-St-Michel, 
à  laquelle  le  baron  Gaétan  de  Vismes  participa. 

Grâce  à  l'aimable  entremise  de  M.  Lefas,  député  de 
de  Fougères,  les  congressistes  purent  visiter  les  fouilles 
récemment  faites  au  célèbre  mont.  La  légende  rapportait 
que  saint  Aubert,  évêque  d'Avranches,  dédia  à  saint 
Michel  une  chapelle  qu'il  avait  fait  creuser  dans  le  granit 
du  mont  Tumba.  Une  grande  marée,  engloutissant  la 
forêt  de  Scissey,  qui  l'entourait,  fit  une  île  de  ce  mont, 
désormais  connu  sous  le  nom  de  mont  Saint-Michel  ou 
Saint-Michel  au  péril  de  la  mer.  C'est  cette  chapelle, 
longue  de  dix  mètres  et  large  de  six,  que  de  récentes 
fouilles  ont  mise  à  découvert.  Un  mur  démoli  a  permis 
de  trouver  le  dortoir  des  moines  du  xie  siècle.  L'archi- 
tecte a  également  dégagé  des  bases  d'arcades,  fait  d'une 
réelle  importance,  car  il  permet  d'attribuer  à  la  fameuse 
tapisserie  de  la  reine  Mathilde,  sur  laquelle  ces  arcades 
figurent,  l'importance  d'un  document, 

M.  Paul  Eudel,  qui  a  souvent  consacré  à  notre  contrée 
d'importants  travaux,  offre  à  la  Société  d'archéologie  les 
prémices  de  ses  Notes  sur  Nantes  en  1792.  Il  s'appuie  sur 
un  de  ces  petits  livres  d' Etrennes  Nantaises,  comme  il  s'en 
publia  pendant  longtemps  au  début  de  chaque  année, 
qui,  après  avoir  passé  en  revue  les  gouvernements  des 
principaux  états  de  l'Europe,  donnait  toutes  les  indica- 
tions nécessaires  sur  les  noms  et  adresses  des  différents 


—  XLIX   — 

fonctionnaires,  industriels,  commerçants,  avocats  et 
médecins  de  notre  département.  L'œuvre  de  M.  Eudel, 
d'une  riche  documentatin,  est  d'un  réel  intérêt. 

M.  Léon  Delattre,  amené,  par  les  nécessités  de  son  ser- 
vice, à  compulser  les  archives  de  la  mairie  de  St-Herhlain, 
a  détaché  des  registres  de  cette  commune  quelques  pièces 
qu'il  accompagne  de  commentaires.  Ces  documents  se 
rapportent  à  la  période  comprise  entre  1631  et  1793. 
Les  importantes  épidémies  de  dyssenterie  qui,  vers  1760, 
désolèrent  notre  région,  y  sont  relatées  ;  elles  étaient 
très  meurtrières. 

Les  difficultés  qui  survinrent  en  1791  à  St-Herblain, 
de  par  la  présence  d'un  curé  assermenté,  y  sont  particu- 
lièrement mentionnées. 

M.  le  Président  parle  de  M.  de  Laubrière  , 
récemment  décédé,  qui  fut  un  des  membres  les  plus  tra- 
vailleurs de  la  Société,  et  lève  la  séance  à  6  heures. 


SÉANCE   DU   3  NOVEMBRE   1908 

Présidence  de  M.  Dortel,  Président. 

Etaient  présents  :  MM.  Angot,  Bastard,  R.  Blan- 
chard, l'abbé  Brault,  de  Bréveden,  Caillé,  Chaillou, 
Charron,  l'abbé  Doré-Graslin,  Dortel,  l'abbé  Gres- 
lier,  delà  Jousselandière,  le  commandant  Lagrée, 
Alcide  Leroux,    Léon  Maître,   J.  Nau,    Dr  Plantard, 

POUVREAU,  RACINEUX,  RlNGEVAL,  SENOT  DELA  LoNDE, 

Soullard,  Trémant,  Trochon  de  Lorrière,  Antoine 
Vincent,  le  baron  de  Wismes  ,  le  baron  Gaétan  de 
Wismes. 

Le  procès-verbal  de  la  dernière  séance  est  lu  et  adopté. 

Le  Président  donne  lecture  d'un  vœu  rédigé  par  le 
comité  La  Pomme,  demandant  que  des  mesures  d'urgence 


—   L   — 

soient  prises  pour  protéger  et  conserver  le  très  important 
monument  qu'est  le  mont  Saint-Michel. 

M.  Bernede-Sachs,  présenté  par  le  commandant 
Lagrée  et  M.  Pouvreau,  est  agréé  à  l'unanimié  comme 
membre  titulaire.  M.  Louis  Pinel,  présenté  par  MM. 
Bastard  et  Pouvreau,  est  admis  comme  membre 
correspondant. 

La  nomination  d'un  trésorior,  inscrite  à  l'ordre  du 
jour,    est  remise  à    une  date  ultérieure. 

M.  le  Président  dépose  sur  le  bureau  de  la  Société 
les  travaux  de  M.  Coutil  :  «  Inventaires  des  monnaies 
gauloises  ». 

«  Haches,  marteaux  et  pics  avec  perforation  centrale, 
trouvés  en  Normandie. 

«  Monuments  mégalitiques  de  la  Normandie. 

«  Epoque  gauloise  en  Normandie. 

«  Œnochvë  et  bassine  en  bronze  trouvées  dans  un  tumu- 
lus  des  environs  de  Besançon.  » 

Une  brochure  de  M.  l'abbé  Durville  sur  quelques  lettres 
d'Anne  de  Bretagne. 

Une  brochure  sur  la  prise  du  château  et  les  événements 
de  juillet  1789  à  Nantes  pendant  la  Révolution,  de 
M.  Delattre. 

Les  Annales  de  la  Marine  Nantaise,  des  origines  à  1830, 
par  M.  Paul  Legrand. 

M.  le  Président  fait  ensuite  circuler  une  vieille 
affiche  assez  curieuse,  une  convocation  de  Louis  XV  à 
M.  Bouchet  du  Plessis,  Trésorier  de  France  et  des  finances 
de  1760. 

M.  Soullard  donne  un  spécimen  du  «  Journal  breton  », 
document  très  rare. 

Ce  journal,  probablement  le  premier  publié  à  Nantes, 
était  imprimé  chez  Wattar,  place  du  Pilori. 

M.  l'abbé  Brault  a  eu  la  bonne  fortune  de  visiter  l'an- 
cienne chapelle  Saint-Laurent,  église  paroissiale  qui 
était  située  au  bout  de  l'impasse  du  même  nom,  près  des 


—    LI    — 

remparts.  Détruite  pendant  la  Révolution,  il  en  reste 
encore  quelques  vestiges,  entre  autres  la  grande  porte, 
un  pilier,  une  fenêtre. 

M.  Blanchard  a  retrouvé  dans  l'emplacement  de  l'an- 
cienne église  Sainte-Radegonde,  un.écusson  représentant 
les  armes  de  la  famille  de  Cornulier. 

M.  le  Président  estime  que  toutes  ces  découvertes  mé- 
ritent une  visite  de  la  Société  qui  pourrait,  en  outre,  voir 
le  cloître  des  Carmes.  Il  en  est  ainsi  décidé,  et  la  visite 
est  fixée  au  jeudi  5  novembre,  à  une  heure. 

M.  Dortel,  en  l'absence  de  l'auteur,  continue  la  lecture 
de  l'ouvrage  très  documenté  de  M.  Paul  Eudel. 

M.  Léon  Maître  met  la  Société  au  courant  d'une  étude 
pleine  d'intérêt  sur  les  prééminences  de  l'église  Saint- 
Philbert  et  cite,  entre  autres,  des  inscriptions  très  curieu- 
ses au  point  de  vue  archéologique. 

La  séance  est  levée  à  6  h.  1/4. 

Le  Secrétaire, 

J.   NAU. 


SEANCE  DU  MARDI  i«  DÉCEMBRE  1908 
Présidence  de  M.  Dortel,  Président 

Etaient  présents  :  MM.  Angot,  Bastard,  abbéBRAULT, 
Caillé,  Cazautet,  Chaillou,  Crouan  ,  Delattre, 
Dortel,  chanoine  Durville,  Furret,  Gourdon,  Dr 
Halgan,  de  Hargues,  commandant  Lagrée,  Dr  de 
Lastours,  Leroux,  Maître,  Pineau-Chaillou,  capi- 
taine du  Plessix,  Pouvreau  ,  Renard,  Renaud, 
Ringeval,  Senot  de  la  Londe,  Soullard,  Trêmant, 
baron  de  Wismes,  baron  Gaétan  de  Wismes. 

M.  Riondel  s'était  excusé. 

M.  Rochery,  présenté  par  MM.  Dortel  et  Paul  Soul- 
lard, est  élu  membre  titulaire. 


—  LU    — 

Il  a  été  procédé  ensuite  à  l'élection  de  trois  membres 
sortants  du  Comité  :  MM.  Chaillou,  Senot  de  la  Londe  et 
Claude  de  Monti  de  Rezé  obtiennent  la  presque  unani- 
mité des  suffrages. 

M.  le  Président  .rappelle  les  qualités  aimables  qui 
faisaient  du  trésorier  de  la  Société,  M.  Pied,  le  collègue 
sympatbique  à  tous.  M.  Riondel  est  élu  trésorier  de  la 
Société  archéologique. 

Le  Dr  de  Lastoirs  exhibe,  ie  sceau  de  la  commanderie 
de  Nantes,  portant  la  date  1780,  et  le  sceau  particulier 
de  M.   de  Cumont. 

La  parole  est  ensuite  donnée  au  capitaine  du  Plessix, 
qui  rapporte  qu'on  lui  a  signalé  aux  environs  de  Sarzeau 
(Morbihan),  un  polissoir  d'une  haute  antiquité.  Cette 
pierre,  de  grandes  dimensions,  présente  les  trois  rainures 
caractéristiques  et  une  cuvette  destinée  à  contenir  le 
sable  mêlé  à  l'eau.  Cette  trouvaille  a  fait  l'objet  d'une 
communication  à  la  Société  polymathique  du  Morbihan. 

Sous  l'habile  direction  de  M.  Cawadias,  éphore  général 
des  antiquités  helléniques,  dit  le  baron  Gaétan  deWismes, 
d'importantes  fouilles  ont  mis  à  jour,  dans  l'île  de  Cépha- 
lonie,  plusieurs  centaines  de  tombes  de  l'époque  mycé- 
nienne. Ces  sépultures,  non  profanées,  étaient  dans  un 
état,  parfait  de  conservation.  Cette  découverte  contri- 
buera à  dissiper  les  points  encore  obscurs  de  la  civilisation 
préhomérique,  que  les  travaux  si  connus  de  Schliemann 
ont  fait  connaître. 

La  Société  archéologique  avait  décidé  de  faire  l'échange 
des  sept  derniers  numéros  de  son  Bulletin  contre  les  sept 
premiers  numéros  du  Bulletin  de  la  Société  de  Quimper. 
Le  baron  Gaétan  de  Yismes  dit  tout  l'intérêt  que  pré- 
sentent ces  fascicules.  Les  vieilles  églises  du  Finistère  y 
sont,  sous  la  signature  du  chanoine  Peyron,  l'objet 
d'études  approfondies.  Des  coutumes,  aux  lointaines 
origines,  évoquent  l'âme  religieuse  de  cette  contrée  bre- 
tonne.   Naïves,    touchantes   et   pieusement    transmises, 


—  lui  — 

elles  sont,  pour  ainsi  dire,  codifiées  en  ce  recueil  archéo- 
logique. 

M.  le  chanoine  Peyron  a  eu,  il  y  a  quelques  années, 
l'heureuse  idée  de  recueillir  à  Quimper,  en  un  véritable 
musée,  tous  les  objets  religieux  pouvant  présenter  un 
caractère  artistique.  On  ne  saurait  trop  le  féliciter  de  cette 
initiative,  qui  sauvegarde  ces  précieux  souvenirs  des  spé- 
culations du  brocantage. 

En  une  causerie  très  documentée,  M.  le  Chanoine  Dur- 
ville  fait  la  description  du  quartier  Saint-Pierre  tel  qu'il 
existait  il  y  a  deux  siècles,  et  parle  en  particulier  des 
demeures  qui  s'élevaient  dans  la  pénombre  de  notre 
vieille  Cathédrale.  Le  quartier  compris  entre  les  places 
du  Moutiers  et  des  Jacobins  était  une  véritable  propriété 
ecclésiastique.  Près  de  la  Cathédrale,  on  pouvait  voir 
encore,  à  la  fin  du  xvine  siècle,  la  maison  du  Chapitre, 
l'Archidiaconé  de  la  Mée,  la  trésorerie,  la  chantrerie,  la 
cure  Saint-Jean,  enfin  l'église  Saint-Laurent.  La  paroisse 
Saint-Laurent  s'étendait  jusqu'à  la  rue  des  Carmélites. 
Des  fouilles  récemment  opérées,  sous  les  auspices  de  la 
Société,  ont  permis  de  déterminer  les  dimensions  de  ce 
sanctuaire  et  d'en  découvrir  les  fondations. 

M.  le  Président  annonce  le  don  fait  à  la  Société,  par 
M.  Pierre  Dubois,  d'un  travail  sur  la  Famille  maternelle 
de  Victor  Hugo,  et  lève  la  séance  à  6  h.  1/2. 

Le  Secrétaire  général, 
D'  HALGAN. 


MÉMOIRES 


NANTES    EN    1792 


PREAMBULE 


Mon  ami  Alexandre  Perthuis  n'était  pas  un  collec- 
tionneur égoïste  ;  il  aurait  volontiers  inscrit  sur  les 
pièces  rares  qu'il  possédait  Y  et  amicorum  du  biblio- 
phile Grolier.  «  Tiens  !  me  dit-il  un  jour,  j'ai  vu 
votre  nom  sur  les  Étrennes  Nantaises  de  1793  ;  il  y  avait 
un  Eudel  dans  les  douanes  ;  je  vous  rechercherai  le 
petit  bouquin.  »  L'excellent  homme  fit  mieux  que 
trouver  le  livre,  il  l'offrit  à  ma  curiosité  ardente,  et 
prenant  à  peine  le  temps  de  le  remercier,  mes  yeux 
cherchèrent,  sur  son  indication,  la  page  113,  pour  me 
voir  confirmer  ce  que  je  savais  déjà,  qu'un  de  mes  ancêtres 
était,  en  1793,  inspecteur  fédéral  delarégie  des  douanes 
à  Nantes. 


Les  Etrennes 
Nantaises 


Puis  je  regardai  le  petit  volume,  bien  fait  pour 
réjouir  l'œil  d'un  amateur.  Il  était  en  maroquin  rouge, 
un  peu  terni  par  l'usage.  C'était  l'œuvre,  assez  gauche, 
d'un  relieur  de  province.  Des  filets  de  dentelle  dorée 
encadraient  les  plats  de  la  couverture.  Au  centre  et  des 
deux  côtés,  un  médaillon  de  forme  ovale  reproduisait 
naïvement  la  prise  de  la  Bastille  ;  du  sommet  de  la  for- 
teresse aux  tours  percées  et  crénelées,  la  garnison  se 
défendait  en  échangeant  des  coups  de  fusil  avec  un 
flot  d'assaillants  massés  sur  un  pont.  Au  premier  plan, 
près  d'une  pile  de  boulets,  des  Gardes-Françaises,  pacti- 
sant avec  l'émeute,  mettaient  le  feu  à  un  canon,  tandis 
qu'accourait  la  foule  des  héros,  qu'on  a  appelés 
hyperboliquement  «  les  vainqueurs  de  la  Bastille  », 

A  la  loupe,  on  distinguait  encore  des  flocons  de 
fumée,  des  drapeaux  déployés,  des  barils  de  poudre,  et 

Soc.  Archéol.  Nantes.  H 


Aspect 
extérieur 


—  208   — 

le  contraste  était  amusant  entre  les  personnages  figés 
dans  leurs  attitudes  et  le  mouvement  de  l'assaut  dont 
l'artiste  avait  voulu  donner  l'idée. 

Un  papier  à  fleurs,  où  la  dorure  éclatait  encore 
par  places,  était  collé  sur  les  gardes  et  complétait  l'as- 
pect extérieur  du  livre,  qui  avait  dû  faire  les  délices 
d'un  bon  patriote  du  temps. 

Le  texte  Le    contenu    répondait-il    au    contenant  ?  C'est    ce 

que  je  vais  essayer  de  vous  dire.  Je  ne  vous  promets  pas 
d'être  bref.  Ces  Étrennes  qui,  selon  l'usage  des  almanachs, 
durent  être  préparées  dans  le  cours  de  l'année  1792 
et  étaient  publiées  à  la  fin  du  mois  de  novembre  de  cette 
année,  et  peuvent  me  servir  à  tracer  un  tableau  de  Nantes 
à  l'époque  révolutionnaire.  Que  les  âmes  sensibles  se 
rassurent  d'ailleurs,  il  ne  sera  question  ni  de  la  guil- 
lotine du  Bouffay,  ni  des  noyades  de  la  Loire,  ni  des 
horribles  fusillades  de  Gigant.  Les  Étrennes  sont  pour 
1793,  et  non  de  1793,  quoique  portant,  au  titre,  le  millé- 
sime de  l'année  terrible.  Elles  s'arrêtent  au  moment 
précis  où,  les  élections  ayant  eu  lieu  pour  la  Convention 
Nationale,  les  députés  ont  accompli  ce  grand  acte,  la 
proclamation  de  la  République  (22  septembre  1792). 
Elles  ont  malgré  tout,  pour  ainsi  parler,  un  pied  dans 
l'ancien  régime,  un  pied  dans  le  nouveau,  et  témoignent 
de  tendances  libérales,  avec  un  vieux  fond  de  convic- 
tions monarchiques  et  catholiques;  ce  sont  des  Etrennes 
en  habit  d'arlequin. 

Le  titre  \\     est    piquant    de    reproduire   leur    titre,  encadré, 

comme  la  reliure,  de  petits  filets  et  de  mailles  de 
chaînes.  Etrennes  Nantaises  Ecclésiastiques,  Civiles  et 
Nautiques  pour  l'année  commune  1793,  calculées  pour  le 
méridien  de  Nantes.  A  Nantes,  chez  Veuve  Despilly, 
imprimeur-libraire,  Haute-Grande-Rue,  près  celle  du 
Soleil,  n°  46.  Première  année  de  la  République  Française. 
Sans  nous  arrêter  à  ce  qu'il  y  a  de  naïvement  bizarre 


—  209   — 

dans  la  juxtaposition  des  trois  adjectifs  :  «  ecclésias- 
tiques, civiles,  nautiques  »,  nous  apprenons  que  le  méri- 
dien de  Nantes  faisait  alors  autorité,  que  le  numérotage 
des  rues  y  était  établi  (il  ne  l'a  été  à  Paris  qu'en  1792) 
et  que  la  rue  Beau-Soleil  d'aujourd'hui  s'appelait  rue 
du  Soleil. 


Poursuivons.  Un  petit  avis,  qui  nous  guette  au  verso 
du  titre,  ne  manque  pas  de  saveur.  La  veuve  Despilly 
prie  les  personnes  «  qui  prennent  part  à  ces  étrennes  et 
qui  s'intéressent  à  leur  perfection  »,  de  lui  envoyer  leurs 
instructions,  observations  et  changement  de  demeure 
dans  la  première  quinzaine  de  novembre.  Elle  ne  s'en 
tient  pas  là;  après  une  réclame  pour  sa  maison,  où  l'on 
trouve  un  assortiment  de  livres  en  tout  genre,  français 
et  étrangers,  tous  les  papiers-nouvelles  (sic),  gazettes  et 
journaux,  des  papiers  de  toutes  grandeurs  de  France  et 
de  Hollande,  de  l'encre,  des  plumes,  de  la  cire,  des  pains 
à  cacheter  et  tout  ce  qui  concerne  les  cabinets  (nous 
dirions  aujourd'hui,  pour  éviter  l'équivoque,  les  fourni- 
tures de  bureau),  elle  annonce  qu'elle  tient  l'huile  de 
sperme  de  baleine  noire  et  blanche,  pour  les  souliers  et 
les  bottes.  C'est  une  huile  extraordinaire  qui  conservait 
le  cuir  dans  sa  souplesse,  ayant  l'avantage  de  ne  point 
tacher,  affirmant  sa  supériorité  sur  les  cirages  présents 
et  à  venir.  On  ne  s'attendait  point  tout  de  même  à  ren- 
contrer un  produit  de  ce  genre  et  si  bizarrement  dé- 
nommé chez  la  veuve  Despilly,  pourvue  d'une  imprimerie 
assez  complète  pour  exécuter  tous  les  ouvrages  qu'on 
voudra  bien  lui  confier  et  se  faisant  fort  que  l'activité 
et  la  correction  qu'elle  apportera  aux  impressions  lui 
mériteront  la  confiance  du  public.  Continuant  le  com- 
merce de  feu  son  mari,  qui  avait  transformé,  en  1782,  les 
Etrennes  Nantaises,  de  Verger  et  Vatar,  en  Etrennes  ecclé- 
siastiques, civiles  et  nautiques,  la  veuve  Despilly,  fort 
experte  en  affaires,  voulait  avoir,  comme  on  dit,  plu- 
sieurs cordes  à  son  arc.  Le  mélange  d'huile  de  sperme 


Spécialités  de  la 
veuve  Despilly. 


de  l'Almaiiach. 


-    210   — 

de  baleine  et  d'encre  d'imprimerie  est  assez  peu  banal, 
on  l'avouera;  il  aurait  réjoui  les  mânes  des  vieux  poètes 
savetiers,  fabricants  de  pièces  et  rapetasseurs  de  rimes, 
dont  la  race  s'est  continuée  de  nos  jours. 

Il  ne  faut  pas  de  place  perdue  au  bas  de  la  page  où 
s'étale  l'avis-réclame;  une  petite  note  nous  avertit  qu'il 
y  aura  quatre  éclipses  en  1793;  deux  seront  visibles  à 
Nantes  :  une,  de  lune,  le  25  février,  une,  de  soleil,  le  5  sep- 
tembre. A  cette  dernière  date  s'étaient  produits  des  évé- 
nements que  l'astronome  du  cru  ne  pouvait  guère  prévoir: 
Carrier  terrorisait  Nantes,  rien  d'étonnant  à  ce  que  le 
soleil  se  cachât. 

Les  divisions  rjn  ((  Abrégé  chronologique  sur  la   division  des  âges 

du  monde  »  occupe  la  page  3;  il  devait  se  répéter  dans 
tous  les  almanachs  de  l'époque;  il  est  imbu  de  cette  idée 
très  chrétienne  que  «  comme  la  semaine  se  divise  en 
7  jours,  tous  les  temps  aussi,  depuis  la  création  jusqu'à 
présent,  se  divisent  en  7  âges.  »  Le  septième  âge  com- 
mence à  la  naissance  du  divin  sauveur  (une  expression 
qui  dut  déplaire  aux  jacobins  nantais,  habitués  du  club 
de  Vincent  la  Montagne). 

Les  Etrennes  Nantaises,  en  dépit  des  concessions 
qu'elles  doivent  faire  à  l'esprit  nouveau,  sont  d'ailleurs 
d'une  orthodoxie  parfaite.  Leurs  rédacteurs  semblent 
ne  pas  avoir  oublié  qu'un  poète  du  xvie  siècle  recom- 
mandait à  l'admiration  publique  la  catholique  Nantes. 
Voici  le  «  comput  ecclésiastique  »  avec  ses  termes  mys- 
térieux :C  ycle  Lunaire,  Cycle  Solaire,  Épacte,  Indiction 
romaine,  Lettre  dominicale.  Voilà  le  relevé  des  fêtes 
mobiles,  avec  la  minutieuse  indication  des  Quatre-Temps, 
Une  note  nous  avertit  du  dimanche  précédant  ou 
suivant  la  fête  du  patron  où  cette  fête  doit  être  célé- 
brée. 

Notons  en  passant  que  le  système  planétaire  différait 
en  1792  de  ce  qu'il  est  aujourd'hui  :  on  comptait  sept 
planètes  au  lieu  de  huit,  et  encore  y  comprenait-on  le 


—  211   — 

soleil.  Les  12  signes  du  zodiaque  étaient  septentrionaux 
et  méridionaux.  Aucune  observation  sur  le  calendrier 
purement  grégorien  et  de  rite  français,  sans  aucun 
mélange  de  sa'nts  bretons,  sans  aucune  appellation  végé- 
tale ou  animale.  La  Convention,  au  surplus,  venait  à 
peine  de  décréter  l'adoption  du  calendrier  républicain 
de  Fabre  d'Eglantine  et  de  décider  que  l'année  com- 
mencerait le  22  septembre. 

N'insistons  pas  sur  la  Table  des  jours  lunaires  et  de  la 
déclinaison  du  soleil,  qui  remplit  quatre  pages  de  chiffres. 
Il  est  plus  intéressant  de  savoir  quelle  est  l'heure  de  la 
pleine  mer  dans  les  ports  de  Bretagne  à  la  nouvelle  et  à 
la  pleine  lune.  Les  Etrennes  nous  l'apprennent  avec  une 
précision  parfaite  et  nous  donnent  en  même  temps  la 
liste  de  ces  ports.  Près  de  Brest,  de  Lorient,  du  Croisic, 
de  «  Belle-Isle,  près  Vannes  »,  de  Saint-Malo,  figurent 
dans  un  ordre  un  peu  arbitraire,  qui  se  justifie  par  le 
classement  méthodique  des  heures  de  marée,  Audierne, 
le  Baz  (pointe  du  Baz)  le  Conquet,  le  passage  du  Four, 
le  Port-Louis,  Concarneau,  St-Paul  (et  non  St-Pol)  de 
Léon,  Port-Blanc,  La  Boche-Bernard,  Cancale.  A  Nantes 
même,  la  table  du  cours  des  marées  est  prise  au  quai  de 
la  Construction,  le  quai  des  Constructions  actuel.  Cette 
question  des  marées  a  une  grande  importance  dans  un 
port.  J'ai  eu  sous  les  yeux  d'anciennes  vues  du  port  de 
Nantes,  prise  de  la  Cale  aux  oranges.  Le  capitaine  du 
port  résidait  dans  une  maison  dite  encore  «  Bureau  du 
port  »,  au-dessus  de  laquelle  un  grand  pavillon  flottait; 
il  commandait  la  manœuvre  aux  navires  qui  entraient 
dans  le  port  et  leur  donnait  des  ordres  avec  son  porte- 
voix.  Une  connaissance  approfondie  de  son  métier  lui 
était  indispensable;  mais  il  ne  devait  pas  négliger  les 
renseignements  usuels  que  lui  fournissaient  les  Etrennes. 

Avant  de  me  servir  du  petit  livre  pour  reconstituer  un 
tableau  de  Nantes  sous  la  Bépublique,  je  ne  puis  passer 
sous  silence  le  chapitre  qui  s'intitule  :  Idée  générale  abré- 
gée des  états  de  V Europe   avec  les  naissances  des  rois, 


—  212  — 

princes  et  princesses.  C'est  un  vrai  petit  Gotha,  d'une  naï- 
veté qui  a  son  prix. 

Les  Etats  de  Dans  ce  défilé  de  monarchies,  la  France  républicaine 

l  huiopeeiiljJ-  ouvre  la  marche.  Un  premier  paragraphe  nous  annonce 
qu'érigée  en  République  le  21  septembre  1792,  elle  con- 
tient 3.000  lieues  et  qu'on  compte  près  de  28  millions 
d'habitants  répartis  «  pour  l'état  ecclésiastique  »  en 
évéchés  et  paroisses  et  «  pour  le  civil  »  en  83  départe- 
ments et  546  districts.  L'historien  improvisé'  considère 
Pharamond  comme  le  premier  des  66  rois  des  trois 
races  :  ce  n'est  pas  la  théorie  nouvelle,  car,  d'après 
certains  éru dits,  il  n'aurait  jamais  existé. 

Il  nous  apprend  que  Paris,  qui  a  six  lieues  de  tour, 
contient  près  d'un  million  d'habitants  et  forme,  à  lui  seul, 
un  département.  Il  indique  la  division  des  pouvoirs  en 
pouvoir  législatif,  pouvoir  exécutif,  pouvoir  judiciaire, 
et  donne  exactement  les  attributions,  le  fonctionnement, 
de  chacun  de  ces  pouvoirs,  mais  il  ajoute,  ce  que  les 
citoyens  de  la  troisième  République  n'apprendront  pas 
sans  un  mouvement  d'envie,  que  la  justice  est  rendue 
gratuitement  et  que  les  juges  sont  à  la  nomination  du 
peuple. 

Républicain  en  France,  l'annualiste  semble  royaliste 
ailleurs;  au  moins,  nomme-t-il,avec  une  minutieuse  com- 
plaisance, les  princes  et  princesses  de  tous  les  pays  de 
l'Europe,  y  compris  ceux  des  électorats  d'Allemagne  et 
des  petits  États  de  l'Italie.  Notons  comme  particularités, 
que  l'Italie  proprement  dite  consiste  dans  les  Etats  de 
l'Eglise  ;  que  la  Prusse  a  pour  capitale  Kônigsberg  et 
pour  roi  l'électeur  de  Rrandebourg;  que  Rruxelles  est 
la  capitale  des  Pays-Bas  Autrichiens;  que  la  Pologne 
est  un  royaume  tout  comme  la  Sardaigne;  que  l'île  de 
Malte  appartient  à  Marie-des-Neiges  Emmanuel  de 
Rohan  de  Poulduc,  grand  maître  de  l'ordre;  que  la  Hol- 
lande obéit  à  un  stathouder,  Venise  à  un  doge,  Lucques 
à   un   gonfalonier,  Raguse   à   un'  recteur;    Saint-Marin, 


—  213   — 

petit  état  enclavé  dans  le  duché  d'Urbin,  et  son  gouver- 
neur sont  sous  la  protection  du  Pape.  Cette  géographie 
politique  nous  paraît  aujourd'hui  du  domaine  de  la 
pure  fantaisie;  nous  avons  peine  à  nous  figurer  qu'elle 
ait  été,  en  1792,  de  l'histoire  contemporaine. 

LE   CLERGÉ 

Ce  n'est  pas  en  vain  que  les  Etrennes  Nantaises  sont      Les  Évêchés  de 
«  ecclésiastiques  »  avant  même  d'être  «  civiles  »,  avant  France. 

surtout  d'être  «  nautiques  ».  La  question  religieuse  y 
tient  une  très  grande  place.  Si  l'on  a  dit  de  la  vieille 
France  qu'elle  avait  le  catholicisme  dans  le  sang,  n'est-ce 
pas  en  Bretagne,  à  Nantes  surtout,  ville  cléricale  par 
excellence,  qu'il  était  aisé  de  s'en  convaincre? 

Précédant  les  nouvelles  religieuses  locales,  un  tableau 
des  «  évêchés  et  métropoles  de  France  »  est  curieux  à 
consulter.  Neuf  églises  métropolitaines  et  les  mêmes 
qu'aujourd'hui,  à  la  réserve  de  Tours  qui  ne  fut  érigé 
que  plus  tard  en  archevêché.  Etait-ce  modestie,  d'ail- 
leurs, et  les  évêques  constitutionnels  ou  nommés  par 
la  Constitution  Civile  du  Clergé  voulaient-ils  qu'on  leur 
appliquât  le  dicton  des  premiers  âges  de  la  chrétienté  : 

Crosse  de  bois, 
Evêque  d'or? 

Ils  s'imposaient  l'égalité;  on  ne  voit  pas  qu'aucun 
d'entre  eux  ait  brigué  la  dignité  archiépiscopale,  encore 
moins  la  pourpre  cardinalice.  Les  métropolitains  de 
Rouen,  de  Reims,  de  Paris  étaient  de  simples  évêques, 
comme  ceux  d'Oléron  ou  de  Saint-Flour.  Notons,  en 
passant,  que  beaucoup  d'évêchés  ne  siégèrent  pas  au 
chef-lieu  du  département.  Saint-Maixent,  dans  les  Deux- 
Sèvres,  Saint-Omer,  dans  le  Pas-de-Calais,  Sedan,  dans 
les  Ardennes,  Viviers,  dans  l'Ardèche,  étaient  les  rési- 
dences des  évêques  constitutionnels  Mercadier,  Porion, 
Philbert  et  Desavine.  Seul  des  départements  français, 


—  214  — 

celui  du  Mont-Blanc,  d'annexion  récente,  n'avait  pas 
encore  de  pasteur.  La  plupart  de  ces  hauts  dignitaires 
improvisés,  même  Gobet,  l'évêque  de  Paris,  étaient  des 
inconnus;  une  exception,  au  moins,  doit  être  faite  pour 
l'évêque  de  Blois,  Grégoire,  auteur  d'opuscules  nombreux 
sur  la  bibliographie,  l'émancipation  des  nègres  et  les 
arbres  de  la  liberté,  grand  parleur  qui  ne  perdait  aucune 
occasion  de  placer  un  discours,  beaucoup  mieux  à  sa 
place,  en  somme,  dans  une  assemblée  que  dans  une 
église. 

Sauf  Le  Coz,  celui  de  Rennes,  et  Audren,  celui  de 
Vannes,  qui  eut  une  fin  tragique,  les  six  évêques  bretons 
firent  assez  peu  parler  de  leurs  personnes  et  de  leurs 
actes.  Qui  se  souvient  de  Jacob,  de  Lemasle,  d'Expilly, 
(peut-être  un  parent  de  l'éditeur  des  Etrennes)  ?  Le  moins 
ardent  à  se  mettre  en  avant  n'était  pas  l'évêque  de 
Nantes,  Minée. 

Leveque  consti-  Julien  Minée  venait  de  Paris;  il  était  dans  le  commerce 

utionnel  Minée.  ayant  d'entrer  dans  les  ordres.  Simple  prêtre,  il  s'était 
fait  remarquer  dans  les  clubs  par  une  exaltation  républi- 
caine qui  le  recommanda  aux  organisateurs  de  la  cons- 
titution civile  du  clergé.  Il  fut  sacré  évêque,  le  10  avril 
1791,  sans  apparat,  à  Notre-Dame  de  Paris. On  le  nomma 
d'emblée  à  Nantes,  où  il  fit  son  entrée  le  15  avril  1791. 
La  municipalité  le  reçut  solennellement  et  le  compli- 
menta à  son  arrivée  à  l'Eperonnière  le  15  avril  1791,  le 
vendredi  de  la  Passion.  A  la  Cathédrale  le  Te  Deum 
traditionnel  fut  supprimé.  On  a  prétendu  qu'il  fut  rem- 
placé par  l'air  : 

Où  peut-on  être   mieux  qu'au  sein   de   sa  famille  ? 

Le  18  avr'1  on  l'accueillait  avec  enthousiasme  au  club 
des  Cordeliers  de  la  ville.  Le  1er  mai,  son  installation 
dans  l'église  cathédrale  donnait  lieu  à  des  réjouissances. 
La  garde  nationale  et  les  clubs  l'invitaient  à  un  banquet. 
Le  maire  Daniel  de  Kervegan,  qui  était  delà  fête,  portait 


—  215  — 

un  toast  chaleureux  «  au  digne  prélat  qui  ne  veut  pas 
séparer  les  devoirs  du  prêtre  de  ceux  du  citoyen  ». 
L'évêque  répondit  par  une  improvisation  brillante  cou- 
verte  d'applaudissements. 

Le  27  août,  sur  la  place  de  la  Liberté,  (ex-place 
Lou;s  XVI),  fut  planté  un  peuplier  de  70  pieds  de  haut, 
comme  arbre  de  la  liberté  des  Récollets.  Des  discours 
enflammés  furent  prononcés  à  cette  occasion  par 
l'évêque  Minée  et  par  François-Sébastien  Letourneux, 
né  en  1752,  à  Saint-Julien-de-Concelles,  procureur  géné- 
ral depuis  1790  et  syndic  du  département,  homme 
intègre  et  convaincu,  qui  s'était,  dès  le  début,  rallié 
aux  idées  nouvelles. 

Bref,  l'évêque  co  istitut'onnel,  dont  les  écrits  du 
temps  relatent  l'activité  et  le  zèle  patriotique,  prési- 
dait depuis  dix-huit  mois  aux  destinées  de  l'Église  de 
Nantes  «  sous  l'invocation  de  Saint-Pierre  »  quand  les 
Etrennes  parurent. 

Les  vicaires  épiscopaux  (on  dit  aujourd'hui  vicaires  Les  grands 

généraux  ou  grands  vicaires)  étaient  nombreux;  on  n'en 
comptait  pas  moins  de  douze,  sans  parler  des  trois  ano- 
nymes non  encore  installés.  Ils  devaient  se  confondre 
avec  les  chanoines  capitulaires.  Les  quatre  premiers 
désignés  avaient  des  fonctions  qui  les  rapprochaient 
de  l'évêque,  car  ils  habitaient  rue  Cerutti  (aujourd'hui 
rue  de  l'Evêché).  Ils  s'appelaient  Soulastre,  Binot, 
Chesneau  et  Darbefeuille.  Ces  quatre  noms  sont  à 
retenir,  le  premier  surtout,  Soulastre,  qui  ne  devait 
pas  être  Nantais  d'origine,  mais  qui  avait  été  bénédictin 
du  couvent  de  Vertou,  joua  un  rôle  des  plus  honorables 
au  moment  de  la  destruction  partielle  delà  Cathédrale, 
accomplie  en  cette  même  année  1792.  Par  suite  d'une 
mauvaise  interprétation  des  ordres  du  Comité  de  Salut 
Public,  qui  prescrivait  l'abolition  de  tous  les  signes  exté- 
rieurs du  pouvoir  monarchique,  et  non  pas  des  emblèmes 
religieux,  les  exécuteurs  des  basses  œuvres  du  nouveau 


vicaires. 
Soulastre. 


-  216  — 

Gouvernement  envahirent  l'antique  édifice.  Des  groupes 
sacrés  qui  ornaient  les  portiques  furent  brisés.  On  démolit 
les  autels,  on  viola  des  tombes,  on  mutila  des  œuvres 
d'art,  on  fondit  les  cloches  de  bronze  pour  en  faire  des 
canons.  Les  commissaires  du  district  donnaient  une  ap- 
parence légale  à  cette  profanation.  L'un  d'eux  était 
le  trop  fameux  Goullin,  créole  d'origine,  qui  devint  le 
séide  de  Carrier  et  cachait,  sous  des  manières  cauteleuses, 
un  sans-culottisme  déjà  avéré.  Les  agents  de  l'autorité 
en  voulaient  surtout  aux  objets  précieux,  aux  vases  d'or 
et  d'argent  conservés  dans  le  trésor  de  la  Cathédrale; 
ils  ne  se  bornèrent  pas  à  un  inventaire,  ils  se  saisirent 
de  vases  et  aussi  de  reliquaires  d'un  grand  prix.  On 
ignore  quel  fut,  dans  ces  circonstances  critiques,  le  rôle 
de  l'évêque  Minée.  Mais  son  grand  vicaire  Soulastre  se 
trouvait  à  point  nommé  dans  la  sacristie,  en  compagnie 
de  Pierre-Nicolas  Fournier,  ancien  carme  défroqué, 
inspecteur-voyer  de  la  ville  de  Nantes. 

Ces  deux  hommes  courageux  disputèrent  quelques 
épaves  au  vandalisme  révolutionnaire;  ils  mirent  en 
lieu  sûr  les  reliques  des  saints,  brutalement  extraites  des 
vases  sacrés  qui  les  contenaient;  mais  tous  les  témoins 
moururent  sans  révéler  l'endroit  de  cette  cachette.  Ils  ne 
purent,  malheureusement,  empêcher  que  l'on  ne  vendît 
publiquement  les  objets  ayant  appartenu  au  culte.  Les 
biens  du  clergé  devenaient  biens  de  la  nation,  non  sans 
enrichir  ceux  qui  en  trafiquaient. 

Un  autre  souvenir,  et  des  plus  honorables,  s'attache 
à  Soulastre.  En  sa  qualité  de  premier  vicaire  épiscopal, 
il  bénit,  le  23  février  1792,  sur  la  place  de  la  Fédération, 
(ci-devant  place  Louis  XVI),  le  drapeau  des  volontaires 
nationaux,  brodé  par  les  dames  patriotes,  et  célébra 
ensuite  la  messe,  entouré  du  clergé,  sur  l'autel  de  la 
patrie,  adossé  à  la  colonne  de  la  Liberté.  La  garde  natio- 
nale était  rangée  en  bataille  sur  les  cours;  les  corps  admi- 
nistratifs avaient  leurs  sièges  près  de  la  bastille  de  Pallois, 
élevée  sur  un  socle  devant  l'autel.  M.  Josmet,  lieutenant- 


—  217  — 


colonel,  remit  la  bannière  au  porte-drapeau,  et  remercia 
les  citoyennes  au  nom  du  bataillon. 

Que  faisait  donc  l'évêque  Minée  pour  se  faire  remplacer 
dans  cette  circonstance  solennelle?  Sa  grandeur  l'atta- 
chait-elle  au  rivage  ou  pérorait-il  dans  quelque  club? 

Sous  l'ancien  régime,  Nantes  comptait,  en  dehors  de 
la  paroisse  cathédrale  «  sous  l'invocation  de  Saint- 
Pierre  »,  au  moins  douze  paroisses.  Celles  de  Saint- 
Laurent,  Saint-Saturnin,  Saint-Vincent,  Sainte-Rade- 
gonde,  Saint-Denis,  Saint-Léonard,  furent  supprimées 
à  l'établissement  de  la  constitution  civile  du  clergé. 
Il  ne  subsista  que  les  sept  paroisses  aujourd'hui  exis- 
tantes de  Sainte-Croix,  Saint-Nicolas,  Saint-Similien, 
Saint-Clément,  Saint-Donatien,  Notre-Dame,  Saint- 
Jacques.  Cette  division  nouvelle,  qui  tenait  compte  des 
distances  entre  les  égl:ses  et  du  nombre  des  habitants  de 
chaque  paroisse  (Saint-Laurent  et  Saint- Vincent  étaient 
autrefois  voisins  de  la  Cathédrale)  fut  ratifiée  par  le  Con- 
cordat. 

Il  y  avait,  en  plus  des  églises  paroissiales,  7  chapelles 
acolytes  et  33  chapelles  de  communauté,  dont  celle  des 
Carmes,  vendue  nationalement  le  17  février  1792,  et  qui 
renfermait  le  tombeau  ducal,  œuvre  de  Michel  Colombe, 
que  Mathurin  Crucy  sut  préserver  de  la  destruction. 

Il  est  très  curieux  de  remarquer,  en  passant,  les  divi- 
sions de  Vétat  ecclésiastique,  modelées  sur  les  divisions 
administratives  de  l'époque.  Le  district  de  Nantes  com- 
prenait la  ville,  dont  j'ai  indiqué  les  subdivisions,  et  la 
campagne  avec  les  cantons  de  Bouaye,  de  Bouguenais, 
de  Saint-Sébastien,  de  Thouaré,  de  Nort,  delà  Chapelle- 
sur-Erdre  et  de  Chantenay.  Il  y  avait  dans  le  départe- 
ment huit  autres  districts  :  ceux  de  Châteaubriant,  d'An- 
cenis,  de  Blain,  de  Savenai  (sic)  de  Guérande,  de  Clisson, 
de  Machecoul,  de  Paimbœuf.  La  campagne  de  Nantes  et 
le  district  de  Paimbœuf  avaient  seuls  leurs  curés  au  com- 


Paroisses  de  la 
Ville. 


Paroisses 
rurales. 


—  218  — 

plet.  Partout  ailleurs,  surtout  dans  les  districts  de  Clis- 
son,  de  Machecoul,  de  Blain,  le  recrutement  des  prêtres 
constitutionnels  semble  avoir  été  difficile;  beaucoup 
de  paroisses  manquaient  de  pasteurs.  Les  cantons  de 
Rougé  et  de  Soudan  en  Châteaubriant,  le  canton  très 
important  de  Guemené-Penfao,  en  Blain,  celui  de 
Cambon,  en  Savenay,  celui  de  la  Limouzinière,  en  Mache- 
coul, n'avaient  pu  remplacer  un  seul  de  leurs  curés  non 
assermentés.  Ceux-ci  étaient  pourtant  l'objet  de  véri- 
tables persécutions  ;  poursuivis  par  la  vindicte  jacobine, 
ils  avaient  trouvé,  le  5  juin  de  cette  année  1792,  un  asile 
provisoire  dans  la  maison  de  retraite  dite  de  Saint- 
Clément. 

L  organisation  Le  Conseil  épiscopal  —  apprenons-nous  par  une  note 

cultuelle.  ^s  Etrennes  --se  compose  de  l'évêque,  des  seize  vicaires 

de  la  cathédrale  et  des  quatre  vicaires  supérieurs  et  direc- 
teurs du  séminaire.  Un  vicaire  supérieur,  trois  vicaires 
directeurs  administraient,  en  effet,  le  séminaire  du  dépar- 
tement, alors  situé  rue  Pigalle,  ancienne  rue  des  Ursu- 
lines,  ou  des  Ursules  comme  on  disait  alors.  Là  encore, 
il  y  avait  du  tirage  pour  remplacer  l'ancien  état  de 
choses.  Latour  aîné  et  Latour  le  jeune  —  deux  frères, 
sans  doute  —  avaient  été  nommés,  l'un  vicaire  supérieur, 
l'autre  premier  vicaire  directeur;  les  deux  autres  vicaires 
restaient  à  trouver. 

Le  séminaire  des  Prêtres  Irlandais,  fondé  l'an  1690  à  la 
Fosse,  avait  pour  supérieur  O'Byrn,  docteur  en  Sorbonne. 
Je  ne  sais  si  cet  ecclésiastique  avait  été,  en  raison  de  sa 
qualité  d'étranger,  astreint  au  serment  constitutionnel. 
Le  séminaire  des  Prêtres  Irlandais  disparut  bientôt, 
d'ailleurs,  pour  ne  laisser  à  Nantes  d'autre  trace  de  son 
histoire  qu'une  rue  mal  famée,  la  rue  des  Irlandais,  qui 
s'est  fondue  avec  sa  voisine,  la  rue  des  Catheri nettes, 
dans  le  musée  Dobrée. 

Les  questions  religieuses  surexcitaient  au  plus  haut 
point  l'opinion  dans  une  ville  qui  demeurait,  malgré  les 


—  219  — 

événements,  très  attachée  à  ses  croyances.  On  se  passion- 
nait pour  ou  contre  les  prêtres  assermentés,  les  jureurs, 
comme  le  peuple  les  appelait  ironiquement.  Le  23  juil- 
let 1792  (toujours  en  l'année  qui  nous  occupe)  le  tribunal 
criminel  de  la  Loire-Inférieure  condamna  à  un  an  de 
prison  une  femme  Joseph  Moriceau,  née  Mathurine 
Martin,  qui  s'était  fait  passer  pour  un  prêtre  déguisé  en 
femme,  dans  le  but  de  jeter  le  discrédit  sur  les  prêtres 
assermentés  et  d'empêcher  les  personnes  décidées  d'aller 
à  leur  messe.  Cette  femme  audacieuse  avait  l'idée,  au 
moins  originale,  de  tuer  la  Religion  nouvelle  par  le  ridi- 
cule. 

LES    HOSPICES 


Ce  n'est  pas  sans  motif  que  les  Etrennes  Nantaises 
placent  tout  de  suite  après  Y  Etat  ecclésiastique  l'Admi- 
nistration des  hôpitaux  de  la  ville.  Les  trois  hôpitaux 
de  Nantes,  qui  relevaient  du  clergé  sous  l'ancien  régime, 
avaient  toujours  pour  président  électif  de  leur  Conseil 
d'Administration  l'évêque  Minée.  En  dehors  des  aumô- 
niers attachés  à  chacun  d'eux,  ils  comptaient  aussi  des 
ecclésiastiques.  Le  Soulastre,  désigné  comme  adminis- 
trateur et  même  commissaire  municipal,  m'a  tout  l'air 
de  ne  faire  qu'un  avec  le  vicaire  général;  il  habite,  comme 
son  sosie,  rue  Cerutti.  Quant  à  Barré,  ministre,  qui 
demeure  isle  Feydeau,  ce  doit  être  un  ministre...  protes- 
tant. 

Les  administrateurs  des  trois  hôpitaux  se  réunissent  en 
bureau  général  une  fois  tous  les  quinze  jours  ;  leurs  assem- 
blées particulières,  qui  se  tiennent  trois  fois  par  semaine, 
sont  mandées  pour  4  heures  du  soir,  de  façon  à  permettre, 
sans  doute,  aux  membres  qui  sont  dans  les  affaires  d'y 
assister,  besogne  faite.  Ils  ont  un  secrétaire-greffier  com- 
mun, le  sieur  Fougeu,  qui  siège  en  permanence  à  l'Hôtel- 
Dieu. 


Hôpitaux 
religieux. 


Cet  Hôtel-Dieu,  dit  Hôpital  pour  les  malades,  fondé  et  L'Hôpital. 


220 


établi  par  lettres  patentes  du  roi  Charles  IX,  en  1569, 
s'élevait  à  peu  près  sur  l'emplacement  de  l'hospice  actuel. 
Il    comptait    parmi    ses    administrateurs    plusieurs    des 
notables  habitants  de  la  ville,  Fleury,  demeurant  à  la 
Fosse,    rue    des   Trois-Barils    (cette   ruelle,    aujourd'hui 
suspecte,     avait-elle     alors    meilleur    renom  ?),     Chan- 
ceaulme,    Duparcq,   qui   résidait    «  à  Chezine  ».   Morel, 
Darbefeuille  et  Barré  —  un  au  Ire  que   le    ministre   — 
étaient  commissaires  municipaux.  Le  trésorier  s'appe- 
lait Carié,  un  nom  qui  allait  devenir  fâcheusement  célè- 
bre, mais  que  la  différence  d'orthographe  ne  permet  pas 
d'identifier  avec  celui  du  terrible  proconsul,  d'ailleurs 
originaire  du  Cantal;  notre  Carié  nantais  tenait  absolu- 
ment à  ne  pas  être  confondu  avec  un  neveu,  car  à  la  suite 
de  son  nom,  il  faisait  mettre  entre  parenthèses  le  mot 
oncle.  Puis  il  y  avait  les  médecins:  Laënnec,  chef  d'une 
dynastie  illustre,  père  derinventeurdel'auscultation,qui 
naquit  en  1781,  et  Blain,  auquel  Levot  a  consacré,  dans 
la    Biographie   bretonne,    cinq    colonnes,   dont  j'extrais 
quelques    renseignements  :    François-Pierre  Blin,    né   à 
Rennes  en    1756,    reçu  docteur    à   Montpellier,   vint   à 
Nantes  en  1783;  député  de  Nantes  en  1789,  il  fut  l'un 
des  fondateurs,  à  Paris,  du  Club  Breton,  devenu  Société 
des    Jacobins  ;    très    exalté,    puis    plus    modéré  ;    à   la 
séparation     de    la    Constituante,    il    revint    exercer    à 
Nantes,  où  il  eut,  sous  l'Empire,  la  plus  belle  clientèle. 
A  la  Restauration,  il  s'afficha  comme  royaliste  ardent 
et  catholique  pratiquant,  ce  qui  fut  reconnu  faux.  Quand 
on  lui  reprochait  ses  palinodies,  il  répondait  en  riant 
qu'il   méritait  d'être  pendu.  Médecin  habile,  il  était,  en 
outre,  lettré  érudit  et  polyglotte.  Il  mourut  à  Chantenay, 
près  de  Nantes,  en  1834.  Baqua(szc),  d'origine  espagnole, 
et   dont  la   famille  n'a  pas  cessé  d'être  honorablement 
représentée  à  Nantes,  avait  le  titre  de  premier  et  Defray 
de  second  chirurgien.  Le  pharmacien  et  apothicaire  — 
ô  Molière  !  —  se  nommait  Ectot,  parent,  sans  doute,  de 
M.    Hectot,    fort    connu    à    Nantes    dans    la    première 


—  221    — 

moitié  du  dix-neuvième  siècle;  l'économe  était  Artaud. 
A  noter  que  ces  derniers  personnages,  même  les  chi- 
rurgiens Bacqua  et  Defray,  étaient  logés  à  l'Hôtel-Dieu, 
ainsi  que  la  Supérieure,  qui  répond,  sans  autre  qualifi- 
catif, au  nom  de  Perrin.  C'était  vraisemblablement  une 
religieuse;  était-elle  déjà  laïcisée? 


Les  ruines  de  l'Hôpital  général,  dit  Sanitat,  existaient 
encore  dans  mon  enfance;  mais  on  l'avait  désaffecté, 
tous  les  services  ayant  été  transportés  au  nouvel  Hôpital 
Saint- Jacques.  Il  était  presque  aussi  ancien  que  l'Hôtel- 
Dieu;  sa  fondation,  par  lettres  patentes  du  même  souve- 
rain, remontait  à  1572.  Il  était  destiné  aux  veillards  et 
infirmes.  Pimot,  curé  de  Notre-Dame  «  à  sa  cure  », 
était  un  des  administrateurs;  Berthault,  trésorier,  Gau- 
thier, rue  Crébillon,  chirurgien.  Là  encore,  une  supé- 
rieure et  portant  un  nom  bien  nantais,  Mazeau;  en 
revanche,  pas  d'aumônier,  les  deux  places  restaient 
vacantes,  aucun  prêtre  assermenté  ne  s'étant  encore  ren- 
contré pour  remplacer  les  insermentés. 

Le  troisième  établissement  hospitalier  était  l'Hospice 
pour  les  enfants  orphelins  et  bâtards,  que  nous  appelons 
enfants  assistés,  qu'on  appelait  alors  enfants  de  police. 
Il  avait  été  fondé  par  un  généreux  citoyen,  sur  lequel 
la  Commune  et  Milice  de  Nantes,  de  Mellinet,  me  fournit 
quelques  détails,  «  feu  Guillaume  Grou  »;  des  lettres 
patentes  du  roi  Louis  XVI,  du  mois  d'août  1778,  l'avaient 
régulièrement  constitué.  Quoique  ayant  une  affectation 
propre,  il  était,  comme  il  n'a  pas  cessé  de  l'être  à  Nantes, 
une  dépendance  de  l'Hôtel-Dieu.  Plusieurs  des  noms 
déjà  cités  se  retrouvent,  côte  à  côte  avec  Minée,  dans  son 
Conseil  d'administration  :  Berthault,  le  trésorier  du  Sani- 
tat, est  un  de  ses  administrateurs.  Il  n'y  a  pas  de  médecin 
en  titre,  et  c'est  sans  doute  le  décès  du  titulaire  qui  laisse 
vacante  la  plus  importante  des  fonctions  concernant  la 
santé  des  pauvres  petits  êtres  qui  entraient  dans  la  vie 
par  le  «  tour  »  hospitalier.   Le  chirurgien  sus-nommé 


Le  Sanitat. 


L'Hospice. 


—  222   — 

Darbefeuille,  rue  Bayle,  cumulait  son  mandat  avec  celui 
de  commissaire  municipal  de  l' Hôtel-Dieu.  La  supérieure 
s'appelait  Foret,  mais  ne  devait  pas  s'apparenter  aux 
imprimeurs  et  libraires  Forest,  que  je  crois  originaires  de 
Vannes,  et  qui  ne  s'établirent  à  Nantes  qu'au  commence- 
ment du  xixe  siècle. 


L  ARMEE 

Officiers  Nous  n'avons  pas  grand  intérêt  à  savoir  que  le  ministre 

généraux.  ^e  ja  Guerre  en  1792  était  Pache,  devenu  bientôt  suspect, 

que  Luckner  et  Rochambeau,  celui  de  la  guerre  de  l'indé- 
pendance américaine,  étaient  maréchaux  de  France,  le 
premier  avec  le  titre  de  maréchal  général.  Voici  la  liste 
des  officiers  généraux  commandant  en  chef  les  armées  de 
la  République,  les  uns  illustres  ou  connus  :  Dumouriez, 
Custine,  Kellermann  et  ce  Biron,  deux  fois  duc,  placé  à  la 
tête  de  l'armée  du  Haut-Rhin,  choisi  plus  tard  par  Dan- 
ton pour  combattre  la  grande  insurrection  vendéenne, 
mort  sur  l'échafaud  révolutionnaire;  les  autres  retombés 
dans  l'obscurité:  Miranda,  qui  commandait  l'.armée  de 
l'Escaut,  Valence,  celle  de  la  Meuse,  Anselme,  celle 
d'Italie. 

En  revanche,  nous  soulignons  les  noms  des  officiers 
généraux  pour  le  département  de  la  Loire-Inférieure, 
faisant  partie  de  la  12e  division  militaire,  devenue  la  11e, 
puis  le  11e  corps  d'armée.  Le  commandant  en  chef  est 
Verteuil,  qui  a  le  titre  de  lieutenant  général  et  qui  réside 
à  La  Rochelle,  car  il  a  dans  ses  attributions  la  direction 
de  l'armée  des  côtes.  C'est  un  des  nombreux  officiers 
nobles  qui  prirent  du  service  dans  les  armées  de  la  Répu- 
blique, mais  sa  naissance  —  il  s'appelle  de  son  vrai  nom 
le  baron  de  Verteuil  de  Malleret  -  -  ne  lui  sera  reprochée 
que  plus  tard,  en  pleine  guerre  de  Vendée,  quand  il  aura 
à  se  défendre  de  toute  parenté  avec  les  Verteuil  de  l'Ile 
d'Yeu  et  du  camp  de  l'Oie,  agitateurs  royalistes  très  con- 
nus. Le  Verteuil  en  question  est  un  bon  officier,  mais  déjà 


--  223   — 

vieux  et  que  son  âge  comme  son  nom  vont  bientôt  relé- 
guer dans  l'obscurité.  Il  a  pour  aide  de  camp  un  nommé 
Pasteur.  Son  subordonné  immédiat,  lieutenant  général  en 
résidence  à  Nantes,  avec  le  titre  de  commandant,  est  un 
personnage  que  les  événements  vont  mettre  en  relief  et 
qui  parcourra  bien  des  étapes  avant  d'être  accusé,  parles 
représentants  du  peuple  en  mission,  de  complicité  avec 
le  conspirateur  La  Rouerie,  et  d'être  guillotiné  par  la 
Terreur;  il  se  nomme  Louis-Henri-François  Marcé;  le 
département  de  la  Loire-Inférieure  l'apprécie  beaucoup 
et  aurait  voulu  qu'il  prît  le  commandement  en  chef  de  !a 
12e  division,  à  la  place  de  Verteuil;  il  est  connu  de  longue 
date  à  Nantes,  où  il  a  surveillé,  en  1791,  les  embarque- 
ments pour  Saint-Domingue;  on  lui  a  donné  carte  blan- 
che, et,  pratiquant  le  népotisme,  qui  fleurit  sous  tous 
les  régimes,  il  a  pris  pour  aides  de  camp  deux  de  ses 
jeunes  parents,  Louis  Marcé  et  Gabriel  Marcé;  ce  dernier 
désigné  comme  «  aspirant  ». 

Le  commissaire  des  guerres,  Leclercq,  et  le  payeur 
général  de  la  guerre  et  de  la  marine,  Lamarre,  n'ont  pas 
autrement  fait  parler  d'eux. 

A  la  tête  du  corps  de  l'Artillerie  de  la  sous-direction  de  L'Artillerie 
Nantes,  réunie  à  la  direction  de  l'Arsenal  de  construction,  an  Château. 
et,  comme  cet  arsenal,  établie  au  château,  se  trouve  un 
nommé  Bonvoust,  lieutenant-colonel  d'artillerie,  que 
mon  ami  Chassin  n'a  eu  garde  d'oublier  dans  son  grand 
ouvrage,  La  Vendée  patriotique,  car,  tout  en  croyant 
Nantes  impossible  à  défendre  contre  une  attaque  en 
masse  des  Vendéens,  il  s'employa  avec  un  grand  zèle  à 
improviser  des  fortifications.  J'aime  à  retrouver  en  ce 
bon  patriote,  devenu  plus  tard  général  de  brigade,  un 
précurseur  des  Nantais,  quorum  pars  magna  fui,  qui 
fortifièrent,  en  1870,  leur  ville-  contre  les  Prussiens. 
Bonvoust  avait  sous  ses  ordres  un  garde  d'artillerie,  un 
chef  d'ouvriers  d'état  de  l'arsenal,  qui  habitaient,  comme 
lui,  au  château;  seul,  le  secrétaire  et  caissier  des  bureaux 

Soc.  Àrchéol.  Nantes.  15 


224 


de  l'artillerie  demeurait  en  sa  maison,  à  Richebourg,  n°  3. 
C'était  un  employé  civil.  Nous  rentrons  dans  le  militaire 
avec  la  compagnie  d'ouvriers  n°  2,  en  garnison  au  château 
pour  le  service  de  l'arsenal  de  construction  et  dont  le  capi- 
taine commandant,  Fautrier,  était  détaché  à  l'armée  du 
Var.  Les  Etrennes  mentionnent  encore  une  compagnie 
d'Invalides,  casernée  au  château  et  militairement  orga- 
nisée. Le  capitaine  Chaloy  était  à  sa  tête. 
Poudres  Je  ne  crois  pas  que  Beaufranchet,  commissaire  des 

et  Salpêtres  poudres  et  salpêtres  à  Nantes  et  demeurant  rue  Pope  (ou 
rue  Saint-André)  ait  aucun  lien  de  parenté  avec  le  général 
républicain,  fils  d'une  maîtresse  de  Louis  XV,  Beaufran- 
chet d'Aycet,  qui  ne  semble  avoir  fait  son  apparition 
dans  l'Ouest  insurgé  qu'en  mars  1793.  NotreBeaufranchet 
avait  un  garde-magasin,  nommé  Frère  Jouan  Dussein, 
appartenant  à  la  famille  Frère  Jouan,  fort  répandue 
dans  la  région  de  la  Basse-Loire,  et  qui  a  donné,  au 
XVIIIe  siècle,  un  avocat,  un  procureur  et  un  notaire, 
et,  au  XIXe  siècle,  un  jurisconsulte  estimé,  M.  Frère 
Jouan  du  Saint,  né,  en  1850,  à  Guémené.  A  la 
même  administration,  appartenait  Campourcy,  com- 
missaire aux  moulins  à  poudre  du  pont  de  Buis,  dont 
la  poudrière  actuelle  a  pris  la  place,  et  des  commissaires 
en  résidence  dans  les  villes  voisines,  Lenoir  à  Rennes, 
Sevonieg  au  port  Louis  (qui  s'appelle  un  peu  plus  tard 
Port  Liberté).  Lechault  était  entreposeur  à  Saint-Malo; 
Gicquel  Destouches,  commis-visiteur,  était  certainement 
de  la  famille  d'un  amiral  notre  contemporain. 


La  Marine.  La  «  Marine  de  France  »  avait  alors  pour  ministre 

l'illustre  savant  Monge  «  ayant  le  département  de  la 
marine  et  des  colonies  ».  Les  amiraux  s'appelaient  : 
d'Estaing,  en  fonctions  depuis  1777,  et  Louis-Philippe- 
Joseph  Égalité,  qui  abdiquait  résolument  déjà  son  titre 
de  duc  d'Orléans.  Even  venait  d'être  nommé  ordonna- 
teur en  chef  de  l'Administration  civile  du  département 
pour  Nantes  et  Paimbœuf.  Notons  que  Paimbœuf,  chef- 


—  225  — 

lieu  de  district  de  la  Loire-Inférieure  et  deuxième  ville  du 
département,  avait  alors,  au  point  de  vue  maritime,  une 
importance  considérable.  Louvel,  sous-chef  de  l'adminis- 
tration, chargé  du  congé  des  classes  et  aussi  caissier  des 
gens  de  mer,  y  résidait.  Son  bureau  était  une  succursale 
du  bureau  de  la  marine  et  des  classes  de  la  marine  situé 
à  Nantes,  île  Feydeau,  rue  du  Guesclin  n°  1,  dans  un  des 
rares  quartiers  de  la  ville  qui  n'aient  pas  changé.  Le  cais- 
sier des  gens  de  mer  et  aussi  des  invalides  de  la  marine  à 
Nantes  était  Bureau,  rue  Commune,  aujourd'hui  de  la 
Commune,  autrefois,  rue  de  Verdun.  Bosquet  aîné  avait 
des  attributions  un  peu  plus  relevées  :  on  le  dénommait 
«trésorier  des  invalides  de  la  marine  et  chargé  de  la  caisse 
des  gens  de  mer  ». 

L'Administration  Nantaise,  qui  était  régionale,  avait 
des  délégués  au  Croisic,  à  Ingrande  et  jusqu'à  Angers,  où 
Lacaise-Martignis  la  représentait. 

Passons  sur  la  Direction  des  vivres  de  la  marine,  instal- 
lée quai  de  Chezine,  n°  6,  et  confiée  à  un  nommé  Duparcq, 
qui  avait  placé  son  fils  dans  ses  bureaux,  mais  n'omettons 
pas  la  petite  réclame  que  se  fait,  à  cet  endroit  des  Etrenn  es, 
la  veuve  Despilly.  Elle  saisit  l'occasion  d'informer  le 
public  qu'elle  tient,  en  sa  librairie  de  la  Haute-Grande- 
Bue,  l'entrepôt  des  cartes,  plans  et  journaux  de  la  Marine 
pour  l'usage  des  navigateurs.  Un  confrère,  qui  était  de 
ses  amis  et  ne  lui  faisait  pas  précisément  concurrence, 
bénéficie  de  la  réclame,  glissée  dans  le  texte  à  la  mode 
américaine;  c'est  Auvray,  marchand  d'estampes,  rue 
Fosse. 

LES  CONSULATS. 

LES  AGENTS  DE  CHANGE. 

INDRET. 

Grande  ville  de  commerce  maritime  et  de  débouchés         Les  Consuls. 
internationaux,  Nantes  a  toujours  été  le  siège  de  nom- 
breux   consulats.     Toutes    les    nations    étrangères    n'y 


—  226   — 

avaient  cependant  pas  de  représentants  en  1792.  Voici 
dans  quel  ordre,  assez  arbitraire,  les  Etrennes  rangent 
les  consuls  résidants  (sic)  a  Nantes.  C'est  d'abord  de 
Landaluse,  à  la  Fosse,  n°  26,  pour  l'Espagne.  Ce  nom  me 
semble  avoir  été  altéré;  je  ne  le  trouve  au  surplus  dans 
aucune  des  listes  des  notables  nantais  du  temps  que  j'ai 
pu  consulter. .Je  le  crois  celui  d'un  Espagnol,  défiguré  par 
l'orthographe  française.  Le  consulat  de  Pologne,  qui  vient 
ensuite,  est  vacant.  Mais  celui    du    Danemark  a  pour 
titulaire,   J.-J.  Moller,  isle  Feydeau,   dont    la   famille, 
d'origine  danoise,  est  toujours  représentée.  Je  n'ai  aucune 
donnée  sur  Pierre-Benoît  Babut,  consul  de  Suède,  ni  sur 
son  auxiliaire  du  Croisic,  Gardemain.  Mais  voici  encore 
sur  l'île  Feydeau  le  représentant  de  la  Prusse,  Pelloutier, 
dont  le  nom  figure  à  la  fête  patriotique  des  trois  ordres 
des  citoyens  de  Nantes  (19  septembre  1788)  et  que  je 
crois  le  plus  ancien  en  date  des  consuls  de  Prusse  du 
même  nom;  ces  fonctions,  transmises  de  père  en   fils, 
étaient  dévolues,  à  l'époque  où  j'habitais  Nantes  et  pen- 
dant même  la  guerre  de  1870,  à  un  Pelloutier,  petit-fils 
du  précédent.  Le  consul  impérial  (autrichien)  et  celui 
de    l'électorat    de    Cologne,     Wilfesheim,   à    la    Fosse, 
numéro   2,  et  Turninger,    quai    Bouguer,    étaient     des 
Allemands,  au  moins  d'origine.  Odiette  fils,  à  la  Fosse,  25, 
dont  je  vois  le  nom  orthographié  dans  la  Commune  et 
Milice,  de  Mellinet,  avec  un  0'  comme  s'il  s'agissait  d'un 
Irlandais,  remplaçait  le  titre  de  consul  par  celui  de  Com- 
missaire de  la  Marine  et  du  Commerce  de  LL.  HH.  PP., 
les  États  Généraux  des  Provinces  Unies  ;  la  Hollande  ne 
voulait  point  qu'on  la   confondît  avec  les  autres  puis- 
sances. Notons,   pour  clore  la  liste,  Cames,  consul  des 
États-Unis,    au    bas    de   la    Fosse,  et    Bivet    (voilà  un 
nom    bien   nantais),    consul    général    de    Portugal,    île 
Gloriette,  quai  Laurancin. 

On  sera  surpris  de  l'absence  d'un  agent  officiel  de 
l'Angleterre.  Parmi  les  interprètes  de  langues  étrangères, 
catalogués  à  la  suite  des  consuls,  je  ne  trouve  que  des 


—  227  — 

noms  à  physionomie  française.  Duchène  de  Lessart,  de 
Chardenoux,  Meunier  et  tutti  quanti;  il  y  a  bien  un 
Allemand,  Sauwerenald,  mais  aucun  Anglais  ne  semble 
s'être  glissé,  et  l'on  se  demande  quel  ostracisme  frappait 
à  cette  époque  à  Nantes  les  naturels  de  la  Grande- 
Bretagne. 

Qu'appelait-on   alors   agent    de    change?  Ce   n'était  Agents 

assurément  pas  comme  aujourd'hui  l'officier  ministériel  de  change. 

qui  négocie  les  valeurs  cotées  à  la  Bourse;  c'étaient,  sans 
doute,  des  courtiers  de  marchandises,  servant  à  l'occasion 
d'intermédiaires  pour  le  placement  des  valeurs  et  des 
i  fîets  de  commerce.  Ce  titre  s'est  longtemps  perpétué 
jusqu'à  la  création  des  parquets  dans  les  villes  de  pro- 
vince où  les  charges  furent  dédoublées  et  indemnisées. 
Quelques-uns  des  noms  de  ceux  qui  exerçaient  ces  fonc- 
tions sont  à  retenir  ;  par  exemple,  Menuret  et  Cie,  rue 
Fosse  (n'est-ce  pas  une  faute  d'impression,  pour  Mino- 
ret?);  Plinguet  et  Cle,  rue  M.  Colom,  vis-à-vis  la 
Bourse;  Nourry,  rue  J.-J.  Rousseau;  Vallot  et  Cle. 
Maison  Carié,  rue  Fosse.  Ces  noms  n'ont  pas  cessé  d'être 
portés  à  Nantes. 

La  fonderie  nationale  d'Indret  vient  se  placer  arbitrai-  Indret  en  1792. 
rement  à  la  suite  des  consuls  et  des  «  agents  de  change  ». 
Elle  était  déjà  importante,  quoique  sa  fondation  ne 
remontât  qu'à  1778;  elle  ne  devait  assurer  alors,  comme 
à  présent,  que  le  service  de  marine;  on  y  faisait  des 
coques  de  navire  en  fer  avant  d'y  construire  des  machi- 
nes à  vapeur  pour  la  navigation.  Ce  n'est  pas  l'almanach 
qui  peut  nous  fournir  une  description  d'Indret,  en  1792, 
à  mettre  en  regard  de  celle  qu'Alphonse  Daudet  a  placée 
dans  son  roman  de  Jack,  mais  nous  y  trouvons  cette  note 
précieuse  dans  sa  concision  :  «  Cette  fonderie  est  une  des 
plus  intéressantes  manufactures  du  royaume,  tant  par 
son  objet  que  par  ses  moyens  ».  Royaume  à  part  —  à 
quoi  pensiez-vous  donc,  correcteur  d'épreuves  de  la 
veuve  Despilly?  —  je  suis,  comme  eût  dit  Alceste,  char- 


—  228   — 

mé  de  ce  petit  morceau  et  je  me  console  de  n'avoir  pu 
recueillir  aucun  renseignement  sur  le  lieutenant-colonel 
d'artillerie  à  l'armée  du  Nord,  Thouvenet,  inspecteur 
d'Indret,  sur  le  lieutenant  de  vaisseau  Tastu,  contrôleur 
—  peut-être  un  parent  de  l'imprimeur  Tastu,  mari  de  la 
poétesse  de  la  Restauration  -  -  sur  M.  de  la  Motte,  régis- 
seur «  chargé  de  la  procuration  des  entrepreneurs  »,  sur 
Auge,  l'entrepreneur  des  réparations,  transports  et  em- 
barquements. Je  trouve  pourtant  à  Nantes,  un  demi- 
siècle  plus  tard,  des  Auge  et  même  des  Auge  de  Lassus. 

LES    DÉPUTÉS 


Nantes  législatif 
et  politique 


Sans  transition,  nous  passons  de  l'Armée  et  Marine 
à  la  politique  et  voici  l'un  des  «  clous  »  des  Etrennes,  la 
liste  des  députés  du  département  de  la  Loire-Inférieure 
à  la  Convention  Nationale. 

Ces  députés  sont  nommés  dans  l'ordre  suivant  : 
Mehol  (sic),  Chauvière,  Chaillon,  Villers,  Mellinet,  Fou- 
ché,  Jarry,  Coustard.  On  indique  comme  suppléants  : 
Tartu,  Benoiston,  César  Maupassant,  massacré  à  la  prise 
de  Machecoul  en  1793.  A  part  l'obscur  Chauvière,  qui 
fut  remplacé  par  Lefebvre,  procureur-syndic  du  district 
de  Nantes,  les  huit  députés  titulaires  siégèrent  à  la  Con- 
vention; je  trouve  leurs  adresses  à  Paris  dans  un  petit 
livre  publié  à  la  fin  de  1792:  Nous  avons  leurs  votes  dans 
le  jugement  de  Louis  XVI. 


Les  votes  Aucun  de  ces  votes  n'est  motivé,  sauf  celui  de  Chaillon, 

des  députés         «  homme  de  loi  à  Montoir  »,  qui  avait  joué  un  rôle  au 

de  Nantes  Parlement    de    Bretagne    et    aux    Etats    généraux.    Il 

monta  à  la  tribune  de  l'Assemblée  pour  déclarer  qu'il 

s'opposait  à  la  mort  de  Louis,  «  précisément  parce  que 

Rome  le  voudrait  pour  le  béatifier  ». 

Meaulle,  le  juge  du  tribunal  de  Châteaubriant,  dont 
les  Etrennes  orthographient  bizarrement  le  nom  «  Mehol», 
vota  la  mort  sans  phrases:  Louis  est  coupable  de  crimes 


—  229   — 

contre  la  sûreté  de  l'État;  il  ne  peut  bénéficier  des  cir- 
constances atténuantes,  il  doit  être  privé  de  la  vie. 
Villers,  président  du  département  à  Nantes,  et  Fouché,le 
fameux  Fouché,  du  Pellerin,  le  futur  duc  d'Otrante  et 
ministre  de  la  police  impériale,  qui  prend  alors  le  titre  de 
principal  du  collège  de  Nantes,  où  il  a  d'abord  professé, 
se  prononcèrent  aussi  pour  la  peine  capitale. 

Mais  la  majorité  des  représentants  de  la  Loire-Infé- 
rieure pencha  pour  la  clémence.  J'ai  cité  l'opinion  bizar- 
rement motivée  de  Chaillon.  Lui  et  Jarry  avaient 
réuni  le  plus  grand  nombre  de  voix  des  électeurs  nantais 
(quoique  les  Etrennes  ne  nomment  celui-ci  que  l'avant-der- 
nier).  Jarry  qui  se  qualifiait  négociant  à  Nantes,  agricul- 
teur et  directeur  des  mines  de  Nort,  qui  eut  plus  tard  le 
courage  d'attaquer  Marat  en  pleine  Convention  et  l'hon- 
neur de  passer  neuf  mois  dans  diverses  prisons  de  Paris, 
vota  pour  l'emprisonnement  de  Louis  jusqu'à  la  paix. 
René  Constant,  Lefebvre,  Mellinet,  «  négociant  »,  ainsi 
que  le  bruyant  Coustart  de  Massy,  votèrent  aussi  contre 
la  mort. 

Très  curieuse  figure  que  ce  Coustard,  originaire  de 
Saint-Domingue,  où  il  était  né  le  28  octobre  1734,  gen- 
darme, mousquetaire,  lieutenant  des  maréchaux  de 
France,  colonel  des  premiers  volontaires  nantais  en 
juillet  1789,  premier  président  du  Directoire  de  Nantes, 
commandant  général  des  gardes  nationales,  célèbre  par 
son  ascension  en  ballon,reproduite  par  une  gravure  où  ilest 
représenté  avec  Mouchette  dans  la  nacelle  de  la  première 
mongolfière  qui  s'éleva  à  Nantes.  Au  mois  de  juillet  1792, 
il  s'agitait  beaucoup  pour  la  défense  de  «  la  Patrie  en 
danger».  Le  10  août,  il  était  nommé  commissaire  aux 
armées  et  se  rendit  au  camp  de  Lauterbourg  près  Wis- 
sembourg  pour  «  électriser  l'armée  ».  Il  fut  exécuté 
comme  Girondin,  le  7  novembre  1793  avec  Philippe- 
Égalité. 

En  somme,  le  département  était  dans  les  modérés, 
presque  dans  les  incolores;  il  se  mêla  peu,  comme  dit 


—  230   — 

Victor  Hugo  dans  Quatre-vingt-treize,  au  «  brouhaha 
des  votes  tragiques  »;  il  n'avait  envoyé  à  la  Convention 
qu'un  homme  vraiment  supérieur,  mais  qui  devait 
déshonorer  son  talent  par  de  multiples  palinodies, 
l'énigmatique  Fouché. 

A  noter  aussi,  pour  le  nom  qu'il  devait  honorablement 
transmettre  à  un  glorieux  petit-fils  et  aussi  pour  son 
activité,  son  besoin  de  se  mettre  en  avant,  le  député 
Mellinet.  Non  content  de  se  faire  inscrire  au  Comité 
du  Commerce  et  au  Comité  d'Instruction  publique,  ce 
brave  négociant  présenta,  dans  la  séance  du  6  janvier 
1793,  le  projet  d'un  Comité  censorial  à  la  Convention, 
qui  en  décréta  l'impression.  Il  demandait  que  ce  Comité, 
composé  de  83  membres,  un  par  département,  veillât 
au  bon  ordre  des  séances  et  à  l'assiduité  des  députés; 
chacun  des  membres  du  Comité  devait  porter  une  mé- 
daille avec  ces  mots  :  «  Citoyens,  vous  êtes  ici  pour 
délibérer  sur  les  intérêts  de  la  Patrie  ».  Un  mélange  de 
phrases  ampoulées  et  de  citations  de  Rousseau  {Le  Con- 
trat social  était  l'évangile  du  jour)  fait,  du  rapport  de 
Mellinet,  un  document  curieux. 

l'administration  départementale 


r  Département 

de  ta 
Loire-Inférieure 


L'Administration  républicaine,  sous  le  régime  de  la 
Convention  nationale,  était  des  plus  compliquées. 
Chaque  département  était  pourvu  d'un  Conseil  du  dépar- 
tement et  d'un  Directoire,  le  président  de  cette  double 
assemblée  ayant  les  charges  et  les  attributions  de  nos 
préfets  actuels.  C'était  l'Administration  supérieure. 
Une  Administration  secondaire  comprenait  pour  chaque 
district  -  il  y  avait  neuf  districts  dans  la  Loire- Infé- 
rieure, y  compris  celui  de  Nantes  -  -  un  Conseil  du  dis- 
trict et  un  Directoire.  Le  Conseil  du  district  ressemblait 
beaucoup  au  Conseil  général  et  le  Directoire  à  la  sous- 
préfecture.  Mais  comme  ces  deux  assemblées  avaient 
le  même  président,  le  même  procureur-syndic,  il  y  avait 


—  231   — 

une  sorte  de  fusion  ou  de  confusion  entre  les  pouvoirs. 
La  division  par  arrondissements,  se  substituant  à  la  divi- 
sion par  districts,  a  simplifié  les  choses  et  nettement 
établi  la  division  entre  le  sous-préfet,  représentant  de 
l'autorité  de  l'Etat,  et  le  conseiller  général,  représentant 
des  libertés  locales.  Ces  questions  de  droit  administratif 
sont,  au  surplus,  délicates  et  fort  arides  ;  je  n'y  touche 
qu'à  cause  des  noms  des  citoyens  nantis  de  fonctions 
assez  difficiles  à  définir. 

Au  sommet  de  la  hiérarchie  nationale  étaient  le  minis- 
tre de   l'intérieur  Rolland,  célèbre  par  lui-même  et  par 
sa  femme,  et  les  assez  obscurs  ministres  des  contributions 
publiques  (finances)  et  des  affaires  étrangères,  Clavière 
et  Brun,  Leur  subordonné  direct,  le  plus  haut  fonction- 
naire du  département  de  la  Loire- Inférieure,  était  ce 
Beaufranchet,  que  je  n'ai  pu  identifier  avec  Beaufranchet 
d'Aycet  et  qui  cumulait  ses  fonctions  doublement  prési- 
dentielles avec  celles   de  Commissaire   des  poudres  et 
salpêtres.    Président   du   Conseil    et    du   Directoire    du 
département,   demeurant,  31,  rue  Pope,  Beaufranchet 
avait  dans  son  Conseil  bon  nombre  de  Nantais  dont  il 
nous  faut  retenir   les  noms.  C'étaient  Sotin  de  la  Coin- 
dière,  futur  ministre  de  la  police  générale,  qui  eut  un  homo- 
nyme directeur  du  collège  ecclésiastique  des  Couëts;  Lemi- 
nihy  ;  Chiron  aine;  Gaschignard,  d'une  famille  de  Mache- 
coul   qui   avait   produit   un    professeur    érudit,   auteur 
d'une   Histoire  de  Bretagne  par  demandes   et  réponses  ; 
César  Maupassant,  de  la  branche  bretonne  d'une  famille 
normande  bien  connue,  ancien  membre  démissionnaire 
de  l'Assemblée  Constituante,  il  fut  massacré  par  les  Ven- 
déens, lors  de  la  prise  de  Machecoul;  Fourmy  ;  Antoine 
Peccot,  orateur  du  Club  de  la  Halle,  que  nous  retrou- 
verons ;    Cathelineau,    que   l'on  s'étonne   fort    de    ren- 
contrer ici,  mais  qui  pouvait  n'être  pas  parent  du  chef 
vendéen;    Soreau  ;   Delourmel;   Painparay  ;   Bouchaud 
jeune,  un  de  ceux  qui  attribuèrent  leur  nom  à  un  passage 
de  la  ville;  Phelipes,  ancêtre  probable  du  savant  Phelipes 


—  232   — 

Beaulieu  ;  Tardiveau  aîné,  en  qui  l'acteur  Colombey 
pourrait  trouver  un  aïeul  ;  Forget,  le  même  proba- 
blement que  le  trop  fameux  geôlier  des  Saintes  Claires 
sous  Carrier;  Franeheteau  jeune  et  Francheteau  aîné, 
dont  la  dynastie  s'est  perpétuée,  le  fils  eut  une  maison 
de  santé,  le  petit-fils  fut  armateur,  conseiller  municipal, 
puis  juge  de  paix.  Mais  cette  simple  revue,  dans  laquelle 
il  faut  comprendre  le  procureur-général-syndic  Letour- 
neux,  place  du  Pilory,  qui  fut  plus  tard  ministre,  et  le 
secrétaire  général  Grelier,  qui  tous  deux  ont  fait  souche 
de  Nantais,  est  des  plus  curieuses  au  point  de  vue 
local. 

Le  Directoire  du  Département  comprenait  une  sélec- 
tion des  membres  du  Conseil:  ils  étaient  onze,  y  compris 
le  procureur-général  syndic  et  le  secrétaire  général.  Nous 
apprenons  leurs  adresses.  —  Poton,  le  vice-président,  que 
nous  ne  connaissons  pas  autrement,  habitait  à  la  Fosse, 
maison  Leroi,  70;  —  Sotin,  cours  du  Peuple.—  César  Mau- 
passant  n'avait  pas  de  domicile  personnel;  il  demeurait 
chez  Chardonneau,  Haute-Grande-Rue.  —  Antoine  Pec- 
cot;  n'était-ce  pas  le  même,  plus  vieux,  qui  fut  un  poète 
voltairien  sous  la  Restauration  et,  vers  1840,  un  biblio- 
thécaire de  la  ville,  prédécesseur  de  Pehant.  Il  devint 
l'orateur  du  club  de  la  Halle  et  fut  l'un  des  132  Nantais 
dont  les  survivants  dénoncèrent  à  la  Convention  les 
crimes  de  Carrier.  —  Gourlay,  comme  Maupassant,  don- 
nait son  adresse  chez  un  ami  ou  chez  un  logeur.  — 
Lemoine,  Haute-Grande-Rue.  —  Le  procureur  général 
syndic  Letourneux,  marié  plus  tard,  le  17  messidor, 
an  III  (5  juillet  1795),  avec  Annie-Gabrielle,  fille  du 
conventionnel  Etienne  Chaillon  et  de  Julienne  Oliveau, 
native  de  Montoir,  et  demeurant  rue  Lenôtre,  section 
de  la  Fraternité.  Il  était  alors  domicilié  place  du  Pilory. 
A  l'époque  de  son  mariage,  il  habitait  la  rue  du  Patrio- 
tisme, section  de  la  Concorde.  Les  témoins  de  son 
mariage  furent  :  René  Godin,  Gilbert  Beaufranchet, 
commissaire    des    salpêtres  et  poudres,  Joseph  Jarry, 


Htf\ 


»1 

'03 

< 
w 
z 

Ci 

_ci 

M 

^3 

J 

H 

as 

03 

H 

<! 
O 

'5 

-03 

C 

03 

O 

(h 

03 

•  ^-i 

« 

O 

-M 

Wl 

O 

z 

03 

o 

05 

Q 

^ 

03 

-03 

</3 

rH 

.^-< 

s 

T3 

£ 

03 
f-i 

Xi 

£ 

03 

'o 

03 

c! 
«S 

03 

çj 

+^> 

S 

<! 

:03 

ci 

o 

^ 

« 

s 

03 

p 

(S 

o 

03 

ci 

rr_, 

w 

p— I 

a 

=J 

Gh 

ci 

03 

-03 

fH 

Q 

O 
-M 
o 

03 

ci 

S 

03 

"-. 

-M 

•  fH 

—H 

(-1 

û 

-    

03 
02 

ci 

Oh 

j-* 

p-1 
O 

a, 
ci 

T3 

U 

co 

-p 

3 

C5 

cl 

-o 

l> 

03 

y— 1 

T3 

xfl 

•  p— 1 

03 

cl 

ai 

— 

-03 

Ph 

S 

'3 

1 

03 

co 

0) 

o 

•  p-H 

> 

S 

!3 

tf 

03 

■* 

w 

03 

z. 

HH 

c 

03 

o 

H 

H 

U 

-a 

O 

- 

eu 

W 

0. 

-03 
Ci 

03 

w 

03 

-a 

m 

J 

4J 

03 

^ 

ci 

F-i 

4-> 

> 

03 

— 
•— 

Ci 

P-J 

—i 

oc  CU 

Cl 

03 

O 

v3 

w 

Ci 

J 

S 

—  235  — 

député  à  la  Convention  nationale,  et  Jean-Théoclore 
Vanberchen,  négociant.  François  Letourneux  fut  suc- 
cessivement :  an  IV,  20  brumaire,  commissaire  du  pou- 
voir exécutif;  an V,  28  fructidor,  ministre  de  l'Intérieur; 
an  VI,  membre  de  la  Régie  de  l'Enregistrement;  an  VII, 
29  prairial,  député  au  Corps  Législatif,  membre  du 
Conseil  des  Anciens.  Mais  sa  rigidité,  ses  mœurs  aus- 
tères, s'accomodaient  mal  avec  la  corruption  du  Direc- 
toire. Pour  éviter  ses  protestations,  Barras  etTalleyrand 
le  firent  exclure  de  l'assemblée,  et,  l'an  VIII,  12  floréal, 
on  le  retrouve  juge  au  Tribunal  d'appel  de  Rennes.  Il 
mourut  le  17  septembre  1814,  à  St-Julien-de-Concelles, 
laissant  deux  fils,  Horace,  qui  fut  Conseiller  à  la  Cour 
de  Riom,  et  Tacite,  Président  du  Tribunal  de  Fontenay- 
le-Comte.  Son  dernier  descendant  est  aujourd'hui  le 
Commandant  Emile  Letourneux,  ancien  membre  du 
Conseil  Municipal  de  Nantes.  François  Letourneux, 
dont  la  vie  fut  si  mouvementée,  n'a  pas  laissé  de  mé- 
moires. On  n'a  jamais  publié  la  biographie  de  cette 
physionomie  curieuse.  Disons  enfin  que  le  secrétaire 
général  Grelier  demeurait  rue  Bossuet,  maison  Babin, 
près  le  Pilory.  Toutes  ces  indications  sont  à  retenir  par 
qui  veut  se  rendre  un  compte  exact  delà  topographie  de 
Nantes  à  cette  époque. 

Les  bureaux  du  département  correspondaient  assez  Le  Département 
fidèlement  aux  divisions  actuelles  de  la  préfecture.  Il  y  et  ses  bureaux. 
avait  le  secrétariat  pour  la  transcription  des  décrets  et 
des  lois,  des  procès-verbaux  des  séances,  tout  ce  qui  a 
rapport  aux  brevets  d'invention  et  la  correspondance 
relative  à  ces  objets.  Le  premier  commis  s'appelait  Yon 
et  habitait  rue  Helvétius,  n°  2,  ancien  quai  du  Marais; 
le  second  commis,  Gaschignard,  rue  du  Chapeau-Rouge, 
devait  être  parent  du  membre  du  Conseil,  car  le  cumul 
de  fonctions  aussi  dissemblables  me  paraît  impossible. 

Au  premier  bureau,  dit  des  Administrations,  on  trai- 
tait d'affaires  très  diverses,  les  assemblées  primaires,  les 
municipalités,  les  districts,  les  tribunaux  et  les  juges  de 


—  236   — 

paix,  les  prisons,  les  hôpitaux,  les  ateliers  de  charité  et 
travaux  de  secours,  la  mendicité,  le  vagabondage,  l'agri- 
culture et  le  commerce,  l'éducation  publique,  les  secours 
aux  noyés  et  incendiés,  la  correspondance  et  la  compta- 
bilité y  relatives.  Pour  savoir  se  reconnaître  dans  ce 
fouillis  de  questions  disparates,  il  fallait  que  les  deux 
commis,  Masson  Bellefontaine  à  Richebourg  et  Coquin, 
place  Largillière,  eussent  la  tête  bien  organisée. 

Le  deuxième  bureau,  moins  chargé,  était  celui  des  con- 
tributions directes  et  indirectes  et  des  ouvrages  publics 
(grands  chemins,  ponts  et  chaussées),  dirigé  parGoulard 
et  Haumont. 

Au  troisième  bureau,  qui  avait  sa  raison  d'être  depuis 
la  Révolution,  on  s'occupait  des  domaines  nationaux  et 
des  frais  du  culte.  On  sait  quelle  était  l'origine  des  biens 
nationaux.  Quant  aux  frais  du  culte,  ils  comprenaient 
alors  les  pensions  et  traitements  des  ecclésiastiques,  cons- 
titutionnels ou  non;  le  clergé  était  subventionné  par 
l'Etat  qui  avait  aussi  à  pourvoir  aux  réparations  des 
églises  et  des  presbytères.  La  liquidation  et  le  rachat  des 
droits  féodaux,  curieux  vestiges  des  législations  an- 
ciennes, rentraient,  ainsi  que  la  surveillance  de  l'admi- 
nistration forestière  et  des  monnaies,  dans  les  attribu- 
tions du  3e  bureau.  Les  deux  commis  s'appelaient  Fleury 
et  Gaschignard  père.  Très  absorbants,  ces  Gaschignard  ; 
voilà  le  troisième  que  nous  rencontrons. 

Le  bureau  de  la  guerre  (4me  bureau)  n'était  pas 
une  sinécure.  On  avait  compris  dans  ses  attributions, 
je  ne  sais  trop  pourquoi,  la  comptabilité  générale.  Il 
avait  assez  à  faire  à  s'occuper  du  mouvement,  du  passage, 
du  logement  et  du  casernement  des  troupes,  de  leurs 
vivres  et  fourrages,  de  la  fourniture  des  voitures  et  che- 
vaux de  selle,  des  pensions  et  habillements  d'invalides, 
soldes  et  demi-soldes,  de  la  gendarmerie  nationale,  des 
gardes  nationaux,  des  classes  de  la  marine  nationale  et 
de  la  marine  marchande,  etc.,  etc....  Figurez- 
vous  ce  que  pouvaient  être  les  bureaux  de  la  guerre  à 


—   237  — 

Nantes  en  1793,  en  plein  centre  de  l'insurrection  ven- 
déenne. Les  deux  commis,  Couault  et  Loisillon,  ne 
suffisaient  certainement  pas  au  travail. 

On  voudrait  des  détails  sur  le  bureau  des  émigrés, 
qui  devait,  dans  une  certaine  mesure,  se  tenir  au 
secrétariat,  puisque  Yon  était  le  premier  commis  de  l'un 
et  de  l'autre.  Il  existait  déjà  un  Syndicat,  et  un  commis, 
un  seul,  le  nommé  Dory,  y  était  attaché.  Les  huissiers 
étaient  au  nombre  de  deux  :  Lauret,  qui  prenait  le  titre 
de  «premier»,  et  Mergault,  qui  remplaçait  Ratet  «parti 
pour  les  frontières  »,  en  ardent  patriote  qu'il  était,  sans 
doute.  Le  concierge,  ce  personnage  de  tous  les  temps, 
s'appelait  Chereau. 

A  côté  du  Directoire  supérieur,  qui  centralisait  toute  Directoire 

l'Administration  du  département,  existait  le  district,  et  District. 
division  administrative  correspondant  à  peu  près, 
comme  je  l'ai  dit,  à  l'arrondissement  d'aujourd'hui. 
Chaque  district  avait  son  Conseil  et  son  Directoire  par- 
ticuliers. Dans  la  composition  de  celui  de  Nantes,  je 
relève  bien  des  noms  intéressants.  Le  président  du  Con- 
seil, Bougon,  était  un  peintre  d'histoire,  dont  la  trace 
se  retrouverait  dans  les  salons  de  l'époque;  il  devint 
membre  du  Comité  central  en  mars  1793,  puis  commis- 
saire en  Bretagne  avec  Sotin,  durant  la  crise  girondine. 
Le  vice-président,  Lecomte,  rue  Sonfflot,  était-il  parent  de 
son  homonyme,  le  général  républicain,  fils  d'un  maître 
de  postes  de  Fontenay,  et  qui  avait  été  chef  de  bureau  à 
l'Administration  départementale  de  la  Vendée?  Goullin 
est  évidemment  le  futur  membre  du  Comité  révolution- 
naire et  le  bras  droit  de  Carrier;  il  venait  de  Saint-Do- 
mingue; il  n'était  point,  d'après  l'enquête  que  ceux-ci 
provoquèrent, l'ancêtre  des  Goullin  que  j'aiconnus,le  père 
président  du  Tribunal  de  Commerce,  et  le  fils,  consul  de 
Belgique,  vice-président  de  la  Caisse  d'épargne,  adjoint 
au  maire.  Rien  de  précis  sur  Renou;  je  note  que  ce  nom, 
toujours  porté  à  Nantes,  est  celui  d'un  chef  de  division 


—  238  — 

vendéen  sous  Lescure  et  Stofflet,  cl  je  fais  réflexion  que 
les  extrémités  se  touchent.  Ramard  m'est  inconnu,  mais 
j'ai  peine  à  croire  que  Vandamme  soit  étranger  au  général 
qui,  vers  1799,  combattit  victorieusement  les  Anglais 
et  les  Russes.  Il  laissa  des  héritiers  à  Nantes.  Les  des- 
cendants d'Athenas,  patriote  intègre,  savant  austère, 
existent  encore;  l'un  d'eux  était  professeur  au  lycée 
vers  1865.  Parmi  les  noms  suivants,  Dehergne  jeune, 
Rruneau,  Paul  Gerbier,  Bertrand,  Gerde,  évoquent  tous 
des  souvenirs  nantais,  ainsi  que  le  prouve  la  Bio-Biblio- 
graphie Bretonne;  il  en  est  de  même  pour  le  procureur- 
syndic  Clavier,  qui  fut  président  de  l'Administration 
centrale  de  la  Loire-Inférieure,  membre  du  Conseil  des 
Cinq-Cents,  et  dont  un  petit-fils  ou  petit-neveu  était, 
récemment  encore,  notaire  à  Nantes,  et  pour  le  trésorier 
Vallin  aîné,  souche  certaine  d'un  de  mes  condisciples  de 
lycée,  devenu  médecin-major  de  première  classe. 

Remarquons  que  les  chefs  et  sous-chefs  des  bureaux 
du  département  sont  désignés  dans  cette  partie  des 
Etrennes,  ce  qui  prouve  que  ces  bureaux  étaient  com- 
muns au  Directoire  du  département  et  à  celui  du  district. 
Il  y  a  cinq  chefs  en  tout  et  deux  sous-chefs;  le  sous-chef 
des  impositions  s'appelle  comme  un  avocat  que  Nantes 
connaissait  bien  de  mon  temps,  Padioleau. 

Les  districts.  Les   huit    autres    districts   du    département    doivent 

nous  offrir  moins  d'intérêt.  Quelques  noms  sont  cepen- 
dant à  retenir  parmi  ceux  des  membres  des  Conseils 
et  Directoires.  A  Ancenis,  je  note  un  Péan  à  Roche- 
mantru  (le  nom  a  fort  bien  pu  devenir  Péhant  ;  il  y  eut 
aussi  des  cordiers  de  ce  nom);  un  Jousselin,  procureur 
syndic;  un  Rezé,  assesseur;  un  trésorier,  nommé  Palierne, 
vieille  famille  qui  a  donné  un  vicaire  à  l'ancienne 
paroisse  de  Saint-Louis.  A  Châteaubriant,  Demolon  à 
Fercé  me  paraît  bien  l'ancêtre  du  général  et  du  colonel 
Demolon  et  d'un  Demolon,  architecte,  qui  contribua 
beaucoup  à  organiser  l'Exposition  Nantaise  de  1886,  et 


—  239  — 

Fr.  Guibourg,  d'Erbray,  pourrait  être  de  la  même  famille 
que  M.  Guibourg,  le  fidèle  compagnon  delà  Duchesse  de 
Berry,  qui  était,  je  crois,  de  Châteaubriant.  A  Blain,  je 
retrouve  ou  reconnais  les  noms  de  Gicquel,  de  Landais, 
de  Fourage,  de  Leroux,  de  Garaud,  et  celui  de  Duhoux.  A 
Savenay,  que  l'on  orthographiait  «  Savenai  »,  c'est  Moisan, 
Magouet,  Merot  fils,  Le  Merle,  Audren  aîné,  un  autre 
Clavier,  un  autre  Vallin,  un  autre  Landais,  procureur- 
syndic,  et  un  Haugmard,  homonyme  et  parent  probable 
d'un  jeune  poète  de  nos  contemporains.  A  Guérande, 
Jan  (que  je  crois  l'auteur  de  Jan  Kerguistel,  originaire 
de  cette  ville),  est  président  du  Conseil  de  district;  deux 
de  ses  assesseurs,  Mahé  et  Letorzec,  ont  fait  souche 
nantaise.  Il  y  eut  au  lycée  un  professeur,  Chotard, 
s'appelant  comme  le  procureur-syndic.  A  Clisson,  je 
trouve  des  Poitou,  des  Vrignaud,  des  Constantin, 
des  Ouvrard,  des  Bouchaud,  dont  les  noms  ne  passent 
point  sans  souvenirs.  A  Machecoul,  paraît  un  autre 
Vrignaud,  avec  un  Nau,  un  Paumier,  un  Bossis  et  un 
Biré,  dans  lequel  je  verrais  sans  étonnement  -  -  car  la 
distance  n'est  pas  si  grande  de  Machecoul  à  Luçon  — 
un  aïeul  d'Edmond  Biré,  l'impitoyable  critique  de 
Victor  Hugo.  A  Paimbœuf,  enfin,  des  noms  à  physio- 
nomie locale  me  frappent  au  passage:  ceux  de  Delucé, 
de  Boutruche,  de  Martineau,  qui  donna  des  phar- 
maciens, et  celui  de  Beziau,  l'ancêtre  sans  doute  du  capi- 
taine de  ce  nom  qui  fonda  l'Hôtel  de  Flandres. 

LA    MUNICIPALITÉ 

Du  département  de  la  Préfecture,  comme  on  dirait  à  La  Mairie, 

présent,  nous  passons  à  la  Mairie,  à  la  municipalité  de 
Nantes,  installée  à  l'hôtel  de  ville  actuel,  dont  l'aile 
droite  venait  d'être  reconstruite,  en  1790,  d'après  Verger, 
sur  un  terrain  de  l'ancien  hôtel  Bizard  par  Emile 
Bemigereau,  l'un  des  descendants  d'Heli  Bemigereau 
«    maczon    et    maître-architecte    »,    qui    construisit    le 

Soc.  Archéol.  Nantes.  16 


—  240  — 

Marchix  (sic)  sous  le  duc  de  Mercœur,  en  1596,  et  fut 
conducteur  de  l'œuvre  des  ponts,  en  1605,  d'après  les 
comptes  du  mi  se  ur  de  la   ville. 

Ici  les  noms  vont  se  presser  et  la  plupart  d'entre  eux 
mériteront  de  nous  arrêter.  Deux  petits  avis  imprimés, 
l'un  en  caractères  elzéviriens,  l'autre  en  italique,  nous 
apprennent  que  l'élection  du  maire  se  fait  tous  les  deux 
;  ns,  celle  des  officiers  municipaux  et  des  notables,  tous 
les  ans  par  moitié;  que  le  corps  municipal  s'assemble, 
quant  à  présent,  tous  les  jours  pour  délibérer  sur  les 
affaires  de  la  communauté,  et  le  Conseil  général  tous  les 
vendredis. 

Né  à  Nantes  le  29  avril  1751,  ancien  avocat  au  Par- 
lement, élu,  en  mars  1789,  député  des  Sénéchaussées  de 
Nantes  et  de  Guérandeaux  Etats  Généraux  de  Bretagne, 
René  Gaston  Baco  de  la  Chapelle  venait  de  s'asseoir 
(en  novembre  1792)  sur  le  siège  municipal  illustré  parles 
Harrouys,  les  Darquistade  et  tant  d'autres;  il  succédait 
immédiatement  à  Giraud-Duplessis,  qui  avait  été  député 
à  l'Assemblée  Constituante,  et  à  Daniel  de  Kervegan. 
C'était  un  homme  juste  et  courageux  ;  tous  ses  actes 
publics  à  la  mairie  de  Nantes  lui  font  le  plus  grand  hon- 
neur. Son  organisation  de  la  résistance  nantaise  contre 
les  Vendéens,  sa  fière  attitude  pendant  la  journée  du 
29  juin  1793,  dite  de  la  Saint-Pierre,  où  il  fut  blessé  à 
la  cuisse,  permettent  d'associer  son  nom  à  ceux  de 
Canclaux  et  de  Beysser,  les  défenseurs  de  Nantes. 
Plus  tard,  il  fut  mis  hors  la  loi  pour  avoir  participé 
à  la  manifestation  girondine  et  donné  l'accolade  à 
Beysser,  destitué,  et  il  fit  imprimer  l' Avis  d'un  républi- 
cain à  ses  concitoyens,  pour  engager  les  Nantais  à 
nommer  de  nouveaux  députés  chargés  de  reviser  la 
Constitution. 

Il  fut  alors  remplacé  par  Jean-Louis  Renard,  pein- 
tre en  bâtiments,  originaire  de  Paris,  membre  de  la 
Société    populaire,  qui  avait  figuré  sur  les  listes  de  la 


CS 


X 

3 


- 
H 
1/3 

< 

D 
O 


O 

— 
es 

03 


5  c^ 


-    es 


w 


— 
es 

Oh 

&, 

C3 


eo 
as 


h 
W 

K 

I— * 

P 
O 

o 

K 
D 
O 

H 


w 

w 

Q 


o 

H-l 

1-1 

!-.      < 

o  o 

H 


w 


o 

X 

o 


< 

> 

< 

O 

O 


3 


OC 
i 

+-> 

O 

eu 

C/2 


w 


CM 

O 

S 
eu 

;/3 

-0) 


Q) 


es 
a 


o 
o 

fi 

•y. 

- 
o. 


es    ^ 

Sd  « 

£  '3 

o 

hJ 


V3 

3  S 

o  £ 

C  4) 

.  -a 

<  c 

s  «s 

O  :v 

S  es 

H  O 


—  243  — 

milice  bourgeoise  et  avait  fait  baptiser,  en  1781,  à  la 
paroisse  Saint- Vincent,  son  fils,  issu  de  son  mariage  avec 
Charlotte  de  la  Haye. 

Quant  à  Baco,  emprisonné  à  l'Abbaye,  délivré  au 
9  Thermidor,  il  fut  député  aux  Cinq-Cents,  en  l'an  IV, 
puis  commissaire  aux  Colonies.  Ce  qui  étonne,  c'est 
de  le  trouver  directeur  de  l'Opéra,  en  l'an  VI.  Il  mou- 
rut à  la  Guadeloupe,  en  1800,  pendant  une  mission. 


Le  maire  Baco  habitait  près  l'Hôtel  Henri  IV, 
place  Graslin,  qui  prit,  dès  le  Premier  Empire,  le  nom 
d'Hôtel  de  France.  Le  premier  des  officiers  munici- 
paux, anciens  échevins  élus  en  même  temps  que  le 
Maire,  était  Lecadre,  d'une  famille  toujours  existante, 
alliée  aux  Toulmouche.  Il  s'était  associé,  le  16  septem- 
bre 1792,  à  une  démarche  qui  avait  pour  but  de  main- 
tenir le  général  de  Marcé  à  la  garde  des  côtes,  encore 
en  fonctions  en  1796  ;  il  devait  faire  remettre  en  vigueur 
des  règlements  sur  le  séjour  des  émigrés  dans  la  ville 
de  Nantes.  C'était  un  fervent  patriote,  comme  ses  seize 
collègues,  dont  quelques-uns,  Gaudin,  F.  Hardy,  Douil- 
lard,  Pecot,  Darbefeuille,  portaient  des  noms  bien  nan- 
tais ou  déjà  rencontrés  en  feuilletant  les  Etrennes.  Je 
retrouve  Barré,  ministre,  à  côté  de  Morel  «  Américain  », 
probablement  un  négociant  d'origine  française,  venu 
ou  revenu  d'Amérique,  et  de  Vannunen  ou  Van  Neunen 
junior,  représentant  d'une  famille  hollandaise,  dont  il 
existait  encore  des  membres  dans  l'industrie  et  comme 
garde-magasin  à  l'Entrepôt,  à  l'époque  où  j'habitais 
Nantes. 


Officiers 
municipaux. 


Le  procureur  de  la  Commune,  J.-J.  Dorvo,qui  demeu- 
rait rue  Abailard  (ex-rue  Haute-du-Château)  n'était  pas 
de  Nantes;  il  y  était  arrivé,  venant  de  Rennes,  en  1791; 
on  l'avait  élu  un  an  plus  tard  en  remplacement  de  l'avo- 
cat Sauquet.  Un  des  actes  les  plus  importants  de  sa  vie 
fut  d'inaugurer  avant  le  mariage  religieux  le    mariage 


Le  procureur 
Dorvo . 


—   244  — 

civil,  par  devant  le  Maire  et  ses  concitoyens  et  sur  l'au- 
tel de  la  patrie,  comme  on  disait  alors,  avec  la  fille  de 
Kirouard,  officiel  municipal  de  la  mairie  de  Kervegan 
et  probablement  l'ancêtre  des  Quirouard  de  Pornic,  de 
Saint-Xazaire  et  de  Guérande.  Le  maire  Giraud  termina 
son  allocution  par  ces  mots  :  «  Allez,  courez  aux  pieds 
des  autels.  Que  Dieu  bénisse  votre  union.  »  La  rupture 
avec  le  clergé  n'existait  pas  encore. 

J.-J.  Dorvo  est  absolument  différent  de  son  homo- 
nyme Hyacinthe  Dorvo,  également  Rennais,  et  auteur 
de  plusieurs  pièces  de  théâtre  jouées  à  Paris  sous  le 
Directoire  et  le  Consulat.  Ch.  Monselet  avait  trouvé 
amusante  la  silhouette  de  ce  Dorvo,  qui  vivait  encore  à 
à  Paris  en  1840,  et  voulait  la  faire  entrer  dans  une  nou- 
velle série  de  ses  Oubliés  et  dédaignés.  Il  lui  a  consacré 
une  notice  dans  le  livre  d'Octave  Uzanne. 

Notre  Dorvo,  procureur,  avait  pour  substitut,  Nouel, 
rue  Soleil,  et  pour  secrétaire-greffier,  M.  L.  Ménard, 
qui,  seul,  résidait  à  la  Maison  Commune,  à  la  mairie,  et 
qui  fut  probablement  l'ancêtre  d'Ernest  Ménard,  le  ro- 
mancier, secrétaire  de  la  Préfecture  en  1848,  président 
du  Comité  républicain  en  1870. 
Les   notables.  Les  notables,  nommés  à  la  suite  des  officiers  munici- 

paux et  constituant  avec  eux  la  Municipalité  de  Nantes, 
répondaient  bien  aux  conseillers  municipaux  d'aujour- 
d'hui. Ses  fonctions  multiples,  son  mandat  très  absor- 
bant à  l'époque  troublée  que  nous  fait  traverser  la  lecture 
des  Etrennes,  obligeaient  le  corps  municipal  à  s'assem- 
bler «  quant  à  présent  »  tous  les  jours.  Les  notables 
étaient  au  nombre  de  36,  autant  que  les  conseillers 
municipaux  d'aujourd'hui.  Leurs  rangs  s'ouvraient  à 
de  hauts  négociants,  comme  Delaville,  dont  les  des- 
cendants s'appellent  Delaville-Leroux,  comme  Dobrée, 
premier  du  nom,  aïeul  de  l'archéologue  qui  dota  la  ville 
d'un  curieux  musée,  à  des  prêtres  comme  Soulastre 
(nous  avons  peine  à  croire  qu'il  s'agisse  d'un  simple 
homonyme  du  vicaire,  général   de  l'évêque  Minée),  en 


—  245  — 

même  temps  qu'à  des  hommes  du  peuple  faisant  partie 
du  petit  commerce  :  Thomas,  un  huissier;  Huet, 
tonnelier  ;  Julien,  cuisinier  ;  Cantin,  batteur  d'or  ; 
Barrié,  perruquier.  Tous  les  rangs  étaient  confon- 
dus, autant  et  plus  que  dans  le  Gouvernement 
de  1848,  qui  associait  au  nom  de  Lamartine  celui 
de  l'ouvrier  Albert,  et  dans  le  Conseil  municipal  de  cette 
même  ville  de  Nantes,  où  siégeait  après  la  guerre  de  1870, 
le  mécanicien  Poidras  à  côté  du  grand  armateur  Gabriel 
Lauriol.  A  ce  propos,  notre  liste  de  notables  comprend 
un  Babin  aîné  près  d'Antoine  Crucy, père,  je  crois,  del'ar- 
chitecte  Mathurin  Crucy  qui  éleva,  avec  Ceineray,  les 
plus  beaux  monuments  de  la  ville,  et  de  Laënnec,  que  j'ai 
déjà  rencontré  aux  établissements  hospitaliers.  Bachelier 
était  le  futur  et  très  ardent  membre  du  Tribunal  révolu- 
tionnaire, que  Dugast-Matifeux  assista  à  ses  derniers 
moments,  le  jour  même  où  le  duc  de  Nemours  était  reçu 
officiellement  à  Nantes.  Je  trouve  ou  retrouve  Chiron, 
Vilmain,  l'avoué,  Barré,  Danglas,qui  avait  un  descendant 
dans  l'administration  des  tabacs  en  1860  ;  Hardouin 
père,  Bosier,  Giraud,  Petit-Desrochettes,  porteurs  de 
noms  bien  nantais;  Fouré  jeune,  qui  s'apparentait 
sans  doute  à  une  célébrité  médicale  d'autrefois,  et  le 
capitaine  Bridon,  probablement  capitaine  au  long  cours. 
Si  je  mets  à  part  Chanceaulme,  député  du  Tiers-Etat 
aux  Etats  Généraux  de  1789,  c'est  qu'il  avait  à  son  actif 
un  projet  de  souscription  patriotique  en  faveur  des 
jeunes  employés  du  négoce  qui  «  prendraient  les  armes 
pour  marcher  sous  l'étendard  de  la  Patrie  ».  Ce  projet, 
présenté  à  la  Société  des  amis  de  la  Constitution,  le 
28  janvier  1791,  portait  les  signatures  de  plusieurs  négo- 
ciants, Nau,  Boucard,  Le  Moyne,  Mosneron,  Haentjens, 
Bonamy,  Van  Neunen,  Genevois,  Grignon,  Dobrée;  il 
avait  bien  Chanceaulme  pour  auteur,  mais,  en  le  reli- 
sant, je  vois  que  ses  signataires  font  allusion  à  l'âge 
et  aux  infirmités  qui  les  empêchent  de  suivre  le  parti 
des  armes  pour  voler  au  secours  de  la  patrie  en  danger. 


—  246  — 

Je  crois  donc  que  le  Chanceaulme  notable  en  1792  était 
le  fils  de  l'ancien  député  aux  Etats  de  1788  ;  je  le  crois 
d'autant  plus  volontiers,  que  je  démêle  à  la  suite  de  son 
nom  un  petit  y  qui  signifierait  junior. 

Etat-Civil.  Le  célèbre  édit  de  François  Ier  avait  prescrit  la  tenue 

régulière  du  registre  des  paroisses  et  créé  l'état-civil. 
Jusqu'en  1792, c'est  à  dire  pendant  plus  de  deux  cent  cin- 
quante ans,  le  clergé  seul  enregistra  les  naissances,  les 
mariages,  les  décès,  ce  qui  réalisait  un  progrès  immense 
sur  l'ancien  état  de  choses,  purement  arbitraire.  Malgré 
de  nouvelles  ordonnances  royales,  malgré  les  vérifica- 
tions fréquentes  des  commissaires  du  contrôle,  bien  des 
lacunes  existaient  dans  les  registres  des  curés  ou  des 
pasteurs  —  car  les  ministres  protestants,  sauf  à  l'époque 
de  la  Saint-Barthélémy  et  à  celle  de  la  Révocation  de 
l'Edit  de  Nantes,  faisaient  les  mêmes  inscriptions  que  leurs 
confrères  catho'iques.  Quand  aux  juifs,  mis  sans  pitié 
hors  la  loi,  ils  n'eurent  pas  d'état-civil  officiel  sous  l'an- 
cien régime.  La  Convention  modifia  cet  ostracisme.  Elle 
avait  proclamé  les  droits  de  l'homme,  elle  reconnut  l'éga- 
lité des  citoyens  devant  la  loi.  Elle  institua  des  officiers 
de  l'état-civil  et  les  investit  des  prérogatives  retirées 
aux  prêtres  dans  le  ressort  de  chaque  municipalité,  elle 
prescrivit  le  dépôt  à  la  Maison  Commune  des  registres 
des  paroisses,  qui  constituèrent  les  plus  précieuses  des 
archives. 

Je  note  en  passant  que  les  actes  religieux  dressés  par 
les  ministres  du  culte,  parallèlement  aux  actes  civils, 
conservent  une  réelle  autorité  et  peuvent  rendre  de 
grands  services.  Lorsque  les  incendies  de  la  Commune 
de  1871  eurent  détruit  les  actes  de  naissance  de  beau- 
coup de  Parisiens  conservés  à  l'ancien  Hôtel  de  Ville,  ce 
sont  les  actes  de  baptême  qui  ont  servi  à  reconstituer 
les   premiers. 

Revenons  à  Nantes.  Le  classement  de  l'immense 
quantité  de  documents  extraits  des  paroisses,  la  tenue 


—  247  — 

régulière  des  actes  nouveaux  ,  nécessitèrent ,  comme 
partout  ailleurs,  l'installation  d'un  bureau  de  dépôt 
et  la  création  d'officiers  publics  pour  constater  l'état- 
civil  des  citoyens.  Aujourd'hui,  chaque  mairie  affecte 
simplement  un  de  ses  bureaux  et  un  petit  nombre  de  ses 
employés  aux  déclarations  de  naissances,  de  mariages, 
de  décès.  A  l'époque  qui  nous  intéresse,  la  tâche,  nou- 
velle pour  les  fonctionnaires  qui  en  étaient  chargés,  était 
aussi  beaucoup  plus  vaste,  car  elle  s'étendait  au  classe- 
ment méthodique  des  milliers  de  pièces  qui  affluèrent 
à  la   Maison   Commune. 

A  Nantes,  il  avait  fallu  créer  neuf  officiers  publics,  La  Ville  divisée 
un  pour  chacune  des  neuf  sections  dans  lesquelles  la  en  Sections. 
ville  était  divisée,  et  un  certain  nombre  d'auxiliaires. 
Ces  officiers  devaient  être  désignés  parmi  les  plus  capa- 
bles, et  leurs  noms  sont  à  retenir  en  mêmetemps  que  ceux 
des  sections  de  la  ville,  plus  nombreuses  que  les  cantons 
actuels  (9  au  lieu  de  6). 

La  section  de  Saint- Jacques  et  Vertais,  des  Ponts, 
dirions-nous  à  présent,  et  qui  a  formé  le  6e  canton, 
avait  pour  officier  public  Babus,  quai  des  Gardes-Fran- 
çaises, redevenu  quai  Flesselles.  Celle  du  boulevard 
(quel  boulevard  ?  sans  doute  le  boulevard  Delorme), 
et  de  la  Halle,  se  faisait  inscrire  chez  Morel  —  pro- 
bablement notre  Morel,  l'Américain  de  tout  à  l'heure,  — 
place  Buffon,  n°  7,  ou  place  de  Bretagne,  comme  nous 
redirons  à  la  mode  ancienne.  Bachelier,  un  des  notables, 
rue  Contrescarpe,  n°  30,  était  officier  civil  des  sections  de 
La  Force  et  Saint-Michel,  et  un  officier  municipal,  qui 
répondait  au  nom  bizarre  de  Tourgouilhet,  rue  Versail- 
les, des  sections  Saint-Similien  et  Saint-Léonard;  Pré- 
vost, rue  Marchix  (on  dit  plutôt  rue  du  Marchix) 
avait  dans  ses  attributions  les  sections  de  Miséricorde 
et  de  Sainte-Elisabeth;  je  m'étonne  même  que  la  section 
ait  gardé  ce  nom  de  sainte,  alors  que  la  place  Sainte- 
Elisabeth  était  devenue  place  Cosmopolite.  Mais,  mon 


—  248  — 

étonnement  va  redoubler  en  constatant  que  Soulastre, 
l'universel  et  Pubiquiste,  le  Soulastre  de  la  rue  Cerutti, 
(ancienne  rue  de  l'Évêché)  le  premier  des  vicaires  épis- 
copaux,  l'aumônier  de  la  Garde  Nationale,  cumule 
tant  de  fonctions  avec  celles  d'officier  des  sections 
de  Saint -Pierre  et  Saint -André.  Après  tout,  ce 
choix  était  excellent  ;  il  appartenait  à  un  ministre 
du  culte  de  débrouiller  mieux  que  personne  l'écheveau 
confus  des  documents  de  famille  conservés  à  la  Cathé- 
drale même.  Trois  officiers  publics  me  restent  à 
nommer  :  Antoine  Crucy,  maître-charpentier,  père  de 
Jean  et  Mathurin,  architectes  voyers  de  la  ville,  rue  Fo- 
lard  (ex-rue  Saint-Léonard,  rebaptisée  ainsi  du  nom 
d'un  simple  écrivain  militaire),  pour  les  sections  de 
l'isle  Feydeau  et  Sainte-Croix  ;  Godin  aîné,  à  l'Her- 
mitage,  pour  les  sections  du  Sanitat  et  de  l'Hermi- 
tage;  Bréard,  rue  Sarrasin,  près  Saint-Semilien  (sic), 
pour  les  sections  de  Saint-Donatien  et  Saint-Clément. 

On  remarquera  une  fois  de  plus  que  ces  divisions 
municipales  administratives  de  la  ville  sont  absolu- 
ment calquées  sur  les  anciennes  divisions  ecclésias- 
tiques, provenant  elles-mêmes  des  divisions  gallo- 
romaines.  C'est  le  territoire  des  paroisses,  et  même  des 
paroisses  telles  qu'elles  existaient  avant  la  suppression 
de  certaines  d'entre  elles,  qui  borne  les  sections.  Pendant 
bien  des  siècles,  le  clergé  avait  façonné  toutes  les  choses 
de  Nantes  à  son  usage  et  à  son  image  :  la  Révolution 
amoindrit  son  influence  sans  la  détruire;  sous  la  Res- 
tauration, il  remit  sa  main  puissante  sur  la  ville.  Mais, 
dans  l'intervalle,  l'administration  impériale  avait  défi- 
nitivement substitué,  aux  sections  modelées  sur  les  pa- 
roisses,  la  division  actuelle  des  cantons. 


PremièreMairic 
républicaine. 


Après  la  nomenclature  des  officiers  de  l'État-Civil, 
nous  retrouvons  à  son  poste  de  la  Maison  Commune 
le  greffier  Menard.  Il  a  trois  commis  :  P.  Mauclère, 
J.  Petit  et  J.   O'Sullivan  aîné.   Ce    dernier,   Irlandais 


—  249   — 

• 

d'origine,  va  jouer  un  rôle  important  et  des  plus  honora- 
bles dans  les  tragiques  événements  dont  Nantes  sera  le 
théâtre  sous  le  proconsulat  de  Carrier;  les  historiens  de 
la  Révolution,  Guépin,  Michelet  lui-même,  le  citent  avec 
éloges.  De  nouvelles  subdivisions  apparaissent.  Une 
section  des  travaux  publics  comprend  quatre  officiers 
municipaux  :  Lecadre,  Douillard,  Pecot,  Henry;  trois 
autres,  Hardy,  Colas,  Van  Neunen  junior,  sont  à  la  section 
des  subsistances.  Delahaye,  Tourgouilhet,  Prévost, 
dont  les  deux  derniers  sont  par  surcroît  à  l' Etat-Civil, 
occupent  la  section  de  comptabilité;  Gaudin,  Brière, 
Bellot,  celle  des  impositions. 

La  mairie  avait  en  somme,  sous  le  régime  de  la  Con- 
vention Nationale,  des  attributions  aussi  variées  que 
multiples  avec  un  lourd  fardeau  de  responsabilités.  Un 
«  nota  »  glissé  à  la  fin  de  ces  listes  de  noms  et  énumérations 
de  charges  nous  apprend  que  les  «  déclarations  concer- 
nant la  vente  des  grains  se  reçoivent  à  la  Maison  Com- 
mune ».  Les  employés  pouvaient  être  nombreux;  ils 
devaient  l'être  à  peine  assez  pour  suffire  à  des  tâches 
pareilles.  La  question  des  émoluments  ne  peut  malheu- 
reusement, faute  de  pièces  comptables,  être  résolue. 
Mais  il  semble  logique  d'admettre  que,  si  les  officiers  muni- 
cipaux et  les  notables  exerçaient  leurs  fonctions  gratui- 
tement, plusieurs  d'entre  eux,  employés  à  l'État-Civil 
ou  aux  services  annexes,  avaient  un  traitement. 

La  police   municipale  avait  joué  déjà,   devait  jouer  Police. 

surtout,  un  rôle  très  important  dans  les  affaires  publiques. 
Les  audiences,  moins  nombreuses  que  ne  sont  aujour- 
d'hui celles  du  tribunal  de  simple  police,  se  tenaient  à  la 
Maison  Commune,  les  mercredis  et  jeudis,  à  «  5  heures 
précises  de  relevée  ».  Le  tribunal  comprenait  le  maire 
Baco,  président,  le  premier  officier  municipal  Lecadre, 
vice-président,  et,  comme  assesseurs,  quatre  autres 
officiers  municipaux,  Godebert,  Morel  «  Américain  », 
Darbefeuille,  Barré,  ministre.  Il  y  avait  encore  le  pro- 


—  250  — 

cureur  de  la  commune,  Dorvo,  son  substitut,  Nouel,  le 
secrétaire-greffier,  M.  L.  Ménard,  le  commis-juré  Tesso, 
deux  huissiers,  Lemeunier,  Jeusier. 

Bien  des  documents  durent  émaner  de  la  police  muni- 
cipale au  cours  des  années  1792,  1793.  J'ai  retrouvé  deux 
affiches  très  intéressantes.  L'une,  signée  J.-M.  Dorvo  (ce 
qui  prouve  bien  qu'il  n'y  avait  pas  identité  entre  le  pro- 
cureur de  la  Commune  et  Hyacinthe  Dorvo,  l'auteur 
dramatique),  enjoint  à  tous  propriétaires,  principaux 
locataires,  logeurs,  etc.,  de  faire  afficher  à  l'intérieur  de 
leurs  maisons,  dans  un  endroit  apparent  et  en  caractères 
bien  lisibles,  les  noms,  prénoms,  surnoms,  âges  et  pro- 
fessions de  tous  les  individus  résidant  dans  lesdites  mai- 
sons. Recommandé  aux  futurs  collecteurs  de  l'impôt 
sur  le  revenu,  d'autant  plus  que  tout  rentier  était  obligé, 
dès  lors,  de  mettre  dans  la  colonne  des  professions  les 
mots  :  «  vivant  de  ses  rentes  ». 

En  ce  même  mois  d'avril  1792,  l'infatigable  Dorvo, 
toujours  sur  la  brèche,  signe  un  placard  d'un  genre  tout 
différent,  pour  rassurer  les  habitants,  inquiets,  à  bon 
droit,  de  la  tournure  prise  par  les  événements,  et  les 
informe  qu'il  y  aura  foire  à  Nantes,  comme  de  coutume, 
le  25  avril.  On  sait  que  les  fêtes  des  Quatre  Évangélistes 
étaient  et  sont  encore  jours  de  foire  :  la  Saint-Marc  tombe 
le  25  avril. 

La  haute  police  municipale  se  complète  par  les  com- 
missaires de  police  de  quartiers.  Avec  les  noms  de  ces 
officiers  publics,  les  Elrcnnes  nous  donnent  ceux  des  juges 
de  paix,  qui  étaient  six,  un  par  canton,  comme  on  disait 
déjà.  Les  commissaires  de  police,  au  nombre  de  six  égale- 
ment, étaient  placés  sous  les  ordres  d'un  commissaire 
central  ou  «  commissaire  inspecteur»,  nommé  Bar.  Ils 
avaient  chacun  dans  leurs  attributions  trois  sections 
dédoublées,  chacune  des  neuf  sections  ecclésiastiques 
et  civiles  étant,  au  point  de  vue  judiciaire,  divisée  en 
deux.  C'étaient  Albert  fils,  pour  les  13e,  14e  et  15e  sec- 
tions, canton  du  juge  de  paix  Cormier,  rueJuiverie; 


—  251  — 

Lambert,  pour  les  4e,  5e  et  6e  sections,  canton  du  juge 
de  paix  Chaillou,  rue  Pope(ex  Saint-André);  Fleurdepied, 
pour  les  10e,  11e  et  12e  sections,  canton  du  juge  de  paix 
d'Havelooze,  l'ancêtre,  sans  doute,  de  l'armateur,  qui 
habitait  une  rue  bien  pittoresquement  nommée  de  la 
Fouasserie  ;  Ruelle,  pour  les  7e,  8e,  9e  sections,  canton 
du  juge  de  paix  Débourgues  ;  Boscheron,  pour  les  16e, 
17e,  18e  sections,  canton  du  juge  de  paix  Dupuis; 
Bouion  Saint-Aubin,  pour  les  lre,  2e,3e  sections,  canton 
du  juge  de  paix  Abraham,  rue  Delille  (ex  Cloître  Notre 
Dame).  Cette  organisation  n'a  que  très  peu  varié.  Il 
n'est  pas  jusqu'au  nom  israélite  du  dernier  juge  de  paix 
Abraham  qui  ne  semble  une  concession  aux  idées  du 
jour.  Mais  tous  les  Abraham,  y  compris  l'aquafortiste 
vitréen   Tancrède   Abraham,  ne  sont  pas  juifs. 


Les  Nantais  d'alors,  comme  ceux  d'à  présent,  possé- 
daient un  receveur  municipal  dit  «  trésorier  de  la  ville  ». 
Il  s'appelait  Mouton  et  demeurait  isle  Feydeau.  Après  le 
trésorier,  et  non  moins  arbitrairement  placés  que  lui 
dans  le  paragraphe  de  la  police  municipale,  figurent  les 
architectes  voyers  de  la  Commune.  L'architecte  voyer 
Crucy  aîné  (Jean)  ne  pouvait  être  mieux  choisi  :  c'est  lui 
qui  avait  construit  le  pont  Rousseau  et  le  pont  Maudit. 
Quant  à  l'inspecteur-voyer,  dont  l'adresse  est  bizarre- 
ment donnée  «  à  la  Comédie  »  où  plus  tard  ils  habitèrent 
de  tradition  comme  M.  Driollet,  il  avait  succédé  à  Demo- 
let  ;  c'était  ce  Fournier,  intéressant  personnage  que  nous 
avons  déjà  trouvé  sur  notre  chemin.  Archiviste  très 
savant  pour  son  temps,  classeur  des  archives  municipales, 
auteur  d'une  Histoire  lapidaire  de  Nantes  et  une  Histoire 
des  Antiquités  de  Nantes,  en  4  volumes  in-f°,  ouvrages 
manuscrits  offerts  à  la  Bibliothèque  de  la  ville  par  sa 
veuve,  à  laquelle,  en  1814,1a  ville  acheta  son  seul  héritage, 
ses  tableaux,  ses  dessins  et  gravures,  il  eut  une  attitude 
énergique  devant  les  spoliateurs  de  la  Cathédrale  et  un 
rôle  courageux  au  moment  de  l'émeute  girondine.  Il  ne 


Recette 
municipale. 


—  252  — 

pouvait  manquer  de  faire  partie  des  132  Nantais.  Des 
renseignements  qui  me  parviennent  au  cours  de  ce  travail 
et  l'autorité  de  la  Bio-Bibliographie  bretonne  de  M.  de 
Kerviler  me  permettent  d'affirmer  que  Pierre-Nicolas 
Fournier  n'était  pas  Breton,  mais  Parisien,  né  le  2  mai 
1747.11  mourut  en  1814  et  laissa  une  épitaphe  drolatique, 
composée  par  lui-même  : 

Légiste  et  financier 
Et  moine  et  cavalier, 
Artilleur,  fantassin. 
Ingénieur,  marin. 
Commandant,  prisonnier, 
Vétéran,  citoyen, 
Académicien, 
De  Nantes  antiquaire, 
Voyer,  pensionnaire, 
Sans  fortune  et  sans  bien. 

Après  Mouton,  Crucy  et  Fournier,  les  Etrennes  dési- 
gnent le  trompette  de  la  ville  Gautier,  domicilié  à  la  Mai- 
son Commune.  Ce  Gautier,  qui  annonçait  à  son  de 
trompe  les  réunions  publiques  et  les  objetsperdus,  était-il 
l'ancêtre  du  trop  célèbre  Gautier,  des  Hospices,  qui  fit 
partie,  quelques  mois  après,  de  la  municipalité  Renard  ? 
La  chose  n'aurait  rien  d'étonnant. 

LA  GARDE  NATIONALE. 
POMPIERS     ET    ARTIFICIERS. 

La  Garde  Avec  la  Garde  Nationale  de  Nantes,  ses  deux  légions, 

nationale.  ses  qUinze  bataillons,  nous  entrons  dans  le  chapitre  le 

plus  intéressant  des  Etrennes,  celui  qui  nous  donnera  le 
plus  de  précieux  détails  sur  les  familles  et  les  individus. 
Tous  les  citoyens  de  marque  tenaient  à  honneur  d'être 
gradés  dans  la  Milice  Nantaise,  organisée  depuis  deux  ans 
déjà.  Leur  liste  est  aussi  documentaire  que  celle  des 
membres  de  trois  ordres,  qui  concoururent,  en  1788,  à  la 
fête  patriotique  donnée  sur  les  cours.  Le  «  Tout  Nantes  » 
se  retrouve  là,  à  quatre  années  de  distance. 

Le  chef  d'état-major  général   de  la   lre  légion  était 


—  253  — 

Pierre  Jean,  dit  Piter,  Deurbroucq,  d'une  ancienne 
famille  originaire  de  Hollande.  Il  avait  succédé  au  bouil- 
lant et  remuant  Coustard,  quand  celui-ci  fut  nommé 
député  à  la  Convention.  Il  avait  des  armoiries.  Son  père 
avait  été  consul  secrétaire  du  Roi,  juge  consulaire.  Lui- 
même  avait  exercé  ces  fonctions  de  consul,  héréditaires 
dans  la  famille,  et  il  était  président  du  Conseil  d'Adminis- 
tration de  la  Garde  Nationale  avant  de  devenir  chef  de  la 
première  légion.  Ce  n'était  pas  un  officier  de  carton,  il  le 
prouva  en  contribuant  courageusement  à  la  défense  de 
Nantes  en  1793.  Je  n'ai  pas  à  suivre  les  brillantes  étapes 
de  sa  future  carrière  :  commandant  de  la  Garde  d'hon- 
neur impériale  de  Nantes,  baron  de  l'Empire  en  1809,  élu 
député  au  Corps  Législatif  par  le  Sénat  conservateur,  en 
1810,  chevalier  de  Saint-Louis  en  1814.  Il  habitait,  dès 
l'époque  des  Etrennes,  et  il  habita  jusqu'à  sa  mort,  sur- 
venue en  1831,  sur  l'île  Gloriette  (dont  la  Révolution 
avait  fait,  je  ne  sais  pourquoi,  la  rue  Gonneville),  la  belle 
maison  de  granit,  connue  sous  l'appellation  d'Hôtel 
Deurbroucq,  où  son  fils,  dernier  du  nom,  aimable  vieil- 
lard, auteur  d'un  volume  de  Fables,  résidait  encore 
vers  1865.  Le  portrait  en  profil  de  Piter  Deurbroucq 
existe  dans  la  collection  de  portraits  au  Physionotrace, 
de  Quenedey;  il  donne  l'impression  d'un  homme  distin- 
gué, aimable,  d'humeurconciliante,  tel,  enefîet,  quenousle 
révèle  sa  vie  publique  et  que  nous  le  peint  un  discours  du 
5  mars  1791,  où  il  s'efforce  de  contenter  tout  le  monde. 
L'adjudant-général  de  la  première  légion  était  L.  Du- 
feu,  carrefour  Casserie,  et  le  sous-adjudant  J.-B.  Lacour, 
place  de  l'Égalité.  M.  de  Kerviler  a  donné  la  biographie 
très  complète  du  garde  national  Dufeu. 

L'organisation   de  la   Garde   Nationale   datait   de  la       Les  Vétérans. 
période  héroïque  de  1789.  Elle  était  imbue  du  patrio- 
tisme un  peu  pompeux  que  la  prise  de  la  Bastille  avait 
infusé  dans  le  sang  français.  A  Nantes  —  et  je  crois  bien 
qu'il  en  était  de  même  ailleurs  —  elle  comprenait,  avec 


—  254  — 

les  sept  ou  huit  bataillons  de  chaque  légion,  un  bataillon 
hors  cadre  dit  «  des  Vétérans  »,  organisé  en  1790  et  sub- 
divisé en  quatre  compagnies  que  l'on  désignait,  pour 
accentuer  leur  caractère  pacifique,  sous  les  noms  de 
plusieurs  Compagnies  La  Prudence,  La  Persévérance, 
L'Harmonie,  La  Sagesse.  Ainsi  étiquetés,  les  Vétérans 
semblaient  plutôt  affiliés  à  une  confrérie  religieuse  ou 
à  une  loge  maçonnique  qu'à  une  milice  appelée  à 
défendre  ses  foyers. 

Un  commandant,  un  commandant  en  second,  un 
adjudant  et  un  porte-drapeau,  constituaient  l'état-major 
du  bataillon  des  Vétérans.  Ils  s'appelaient  :  Dehergue; 
Bonnement,  lignée,  au  xixe  siècle,  de  capitaines  au  long 
cours  et  d'armateurs;  Pimparay  ou  Paimparay,  d'une 
famille  de  maîtres  monnayeurs  ;  Guépin  cite  Pimparay 
comme  figurant  à  la  fête  du  Bonnet  rouge,  le  15  avril 
1792;  il  portait  une  pique  surmontée  du  bonnet  de  la 
liberté  et  fit  partie  du  cortège  de  la  Municipalité  qui  se 
rendit  à  Saint-Pierre  pour  assister  à  une  messe.  Aux 
Jacobins,  il  y  eut  un  banquet.  Le  soir,  accompagné  des 
12  fusiliers  de  la  Garde  Nationale,  il  entra  au  théâtre, 
dirigeant  la  manifestation,  et  fut  accueilli  par  un  discours 
de  Hugues  Hardouin,  après  que  le  drapeau  et  le  bonnet 
rouge  furent  déposés  sur  la  scène,  puis  attachés  par  les 
acteurs  aux  colonnes  de  l'avant-scène,  et  la  représen- 
tation continua  par  le  Devin  du  village  et  Biaise  et  Babet. 
Le  dernier  officier  d'état  major,  nommé  Ferrand,  était 
marchand  de  «  fayance»àla  Fosse,  N°  79,  et  devint  un  des 
notables  de  la  mairie  Benard;  il  rappelle  le  nom  du  four- 
nisseur de  l'armée  en  1870. 

Dans  la  compagnie  «  La  Prudence  »,  je  trouve,  avec 
F.  Hardi,  dont  le  nom  s'est  perpétué  à  Nantes,  Denis 
Philippe  aîné,  sous-lieutenant  en  2e;  Ducommun,qui  m'a 
tout  l'air  d'être  proche  parent  du  chirurgien  de  la  marine 
en  1 820  et  du  statuaire  Ducommun  du  Locle,  né  à  Nantes 
en  1804,  auteur  de  la  Cléopâtre  du  Musée  et  des  statues 
de    !a    fontaine  monumentale    de    la    place    Boyale,  à 


—  255  — 

Nantes.  Pêle-mêle  dans  les  trois  autres  compagnies, 
voici:  un  Safïré,  qui  me  fait  souvenir  que  la  famille 
noble  de  Saffray  se  dit  originaire  d'un  bourg  de  l'ar- 
rondissement d'Ancenis  portant  le  même  nom  ;  un 
Gaborit,  dont  les  descendants  ou  du  moins  les  homo- 
nymes sont  nombreux  à  Nantes  ;  un  Couillaud  qui 
pourrait  avoir  autre  chose  que  le  nom  de  commun  avec 
un  ancien  banquier  de  la  rue  d'Orléans,  associé  avec 
M.  Grassal,  et  dont  le  fils,  M.  Couillaud  de  la  Rive,  est 
également  banquier.  Je  ne  m'arrête  pas  plus  à  Giraud 
qu'à  Dubois  ou  à  Duval,  ces  trois  noms  étant  monnaie 
courante.  Camproger  est  plus  rare;  avant  d'avoir  renj 
contré  un  imprimeur  à  Paris,  je  connaissais  l'existence 
d'un  inspecteur  de  la  Compagnie  d'Orléans  à  Nantes, 
devenu,  depuis  sa  mise  à  la  retraite,  administrateur  de 
Pen-Bron,  qui  vient  de  mourir  à  Nantes^  le  30  Mai  1909, 
âgé  de  80  ans,  et  qui  devait  être  le  descendant  de 
Camproger,  lieutenant  en  1er  de  la  Compagnie  «  La 
Sagesse  »  et  demeurant  rue  des  Oubliettes.  On  ne  s'at- 
tendait guère  à  voir  la  Révolution  conserver  cette  rue, 
à  moins  que  ce  ne  fût  pour  flétrir  le  souvenir  qu'elle 
rappelait. 

Chaque  bataillon  comprenait,  avec  son  état-major, 
uniformément  constitué  comme  pour  les  Vétérans,  une 
compagnie  de  grenadiers,  quatre  compagnies  de  fusi- 
liers. Je  passe  en  revue,  c'est  le  cas  de  le  dire,  tous  ces 
braves  gens  et  ne  puis  que  citer  au  passage  :  un  Renard, 
probablement  le  futur  maire;  un  Crucy,  cumulant  son 
métier  d'architecte  avec  son  devoir  de  garde  national, 
même  de  capitaine  de  sa  compagnie;  un  Giraudeau,  que 
M.  de  Kerviler  ne  compte  pas  parmi  les  ancêtres  du 
brillant  avocat  conservateur  de  nos  jours.  Mais  il  faut 
s'arrêter  devant  Meuris,  un  simple  ferblantier,  demeu- 
rant Haute-Grande-Rue,  et  qui  commandait  le  second 
bataillon.  Le  29  juin  1793,  à  la  tête  de  5  cà  600  volontaires 
nantais,  ce  Meuris  défendit  la  ville  de  Norl  contre   4.000 

Soc.  Archéol.  Nantes.  1? 


Les  bataillons. 


—  256  — 

Vendéens  et  perdit  presque  tout  son  effectif  avant  de  céder 
un  pouce  de  terrain.  Chassin  parle  de  la  «  valeur  héroï- 
que »  de  ce  chef  improvisé,  et  je  comprends  que  Nantes 
ait  donné  le  nom  du  ferblantier  à  l'une  de  ses  rues. 
Meuris,  originaire  des  Pays-Bas,  était  marié  à  une 
Nantaise.  Jacobin  convaincu,  il  fut  tué  plus  tard  en  duel 
par  Nourrit,  girondin,  capitaine  de  la  Légion  nantaise. 

Continuons.  Mais  nous  ne  pouvons,  comme  Homère, 
accoler  une  épithète  à  chacun  de  nos  personnages,  de  nos 
capitaines  ou  lieutenants,  adjudants  ou  porte-drapeaux, 
dont  l'énumération  deviendrait  fastidieuse,  Il  faut  se 
borner  à  quelques-uns  d'entre  eux,  laissant  de  côté  un 
lot  considérable  de  Garnier,  de  Dupont,  de  Fleury,  de 
Thibault,  de  Martin.  J'en  passe  et  des  moins  notables. 

Lamy,  capitaine  de  la  2e  compagnie  de  fusiliers  du 
second  bataillon,  ne  doit  pas  être  étranger  à  des  Lamy, 
associés  aux  Petitjear  et  fort  connus  plus  tard  dans  le 
négoce  nantais.  Il  demeurait  rue  Abailard  (pourquoi 
n'avoir  pas  laissé  à  la  rue  Haute-du-Château,  devenue, 
depuis  quelques  années,  rue  Mathelin-Rodier,  le  nom  du 
grand  philosophe  nantais,  stupidement  ridiculisé?)  Il  a 
pour  collègues  et  voisins  Pelé  aîné,  qui  s'appelle  comme 
un  ancien  notaire  de  la  place  Royale,  et  Emeriau,  qui 
porte  le  même  nom  que  Maurice  Julien  Emeriau,  né  à 
Carhaix,  en  1762,  promu  vice-amiral  vers  1812,  mis  à 
la  retraite  à  la  Seconde  Restauration,  pour  avoir  accepté 
de  faire  partie  de  la  Chambre  des  Pairs  créée  pendant 
les  Cent-Jours.  De  telles  coïncidences  sont  rarement 
fortuites. 

A  la  3e  compagnie  du  même  bataillon,  le  capitaine 
Trioche  (ne  lisons  pas  Tricoche,  qui  demanderait  Caco- 
let)  a  sous  ses  ordres  le  lieutenant  Durocher.  Celui-ci 
mériterait  de  nous  arrêter,  si  nous  ne  savions  que  Léon 
Durocher,  le  barde  breton  montmartrois,  le  pentyern 
des  fêtes  de  Montfort-1'Amaury,  se  nomme  Léon 
Duringer;  notre  Durocher  descend  sans  doute  d'un 
maire    de  Nantes  en    1747,  qui  était  en  même  temps 


257 


colonel  de  la  milice  bourgeoise  et  que  l'excellent  Perthuis 
n'a  eu  garde  d'oublier  dans  son  Livre  Doré. 

Kerhervé,  capitaine  de  la  4e  compagnie  des  fusiliers, 
demeurant  rue  Caylus  (autrefois  des  Cordeliers),  m'intri- 
gue iin  peu.  Il  porte  un  nom  doublement  breton,  d'appa- 
rence aristocratique,  mais  que  je  ne  trouve  point  dans  les 
nobiliaires. 

Le  commandant  du  3e  bataillon,  M.  Mulonière,  eut-il 
des  descendants  qui  s'appelaient  de  la  Mulonnière? 
Dans  son  bataillon,  je  relève  les  noms  bien  nantais  de 
Burgevin;  Hamard  ;  Trotreau  (il  y  eut  de  ce  nom  un 
architecte,  rue  Crébillon,  et  un  chapelier,  place  Royale, 
au  milieu  du  xixe  siècle);  Ernest,  que  portait  undes 
membres  du  Conseil  municipal  de  1871;  Buron,  vieille 
famille  nantaise,  où  on  retrouve  plus  tard,  en  1829, 
un  médecin  à  Machecoul,  un  géomètre  à  Sainte-Pazanne, 
après  un  architecte  et  un  capitaine  au  long  cours  et 
maintenant,  à  Paris,  un  dentiste,  son  fils,  membre  du 
Comité  de  l'Association  parisienne  des  anciens  élèves 
du  Lycée  de  Nantes  ;  Thomas,  qui  eut  des  descendants, 
dont  un  courtier  de  marchandises,  je  crois;  Gullman; 
Tranchevent.  Nous  avons  un  P.  Bonami,  rue  Montfort, 
n°  13,  membre  de  cette  dynastie  de  Bonamy  qui  a 
compté,  depuis  le  botaniste,  auteur  de  la  Flore  Nantaise, 
au  xvme  siècle,  et  compte  encore  tant  de  représentants. 
P.  Mouton  n'est  pas  le  trésorier  de  la  ville;  il  habite 
quai  Forbin,  l'autre  île  Feydeau. 

Au  4e  bataillon,  un  Debais,  qui  peut  très  bien,  malgré 
la  différence  d'orthographe,  s'apparenter  aux  sculpteurs 
et  peintres  Debay ,  ou  à  Victor  Debay,  l'éminent  critique, 
fils  d'un  fabricant  de  chocolat  de  la  rue  des  Arts;  un 
Dubern  fils,  que  je  croirais  bien,  malgré  l'apparente 
différence  des  conditions  entre  un  porte-drapeau  du 
bataillon  des  Ponts  et  un  grand  négociant,  le  fils  du 
directeur  de  la  manufacture  d'indiennes,  un  des  douze 
députés  du  Tiers-État  en  1788.  Autres  noms  nantais  de 


—  258   — 

ce  même  bataillon  :  Branger,  Langevin,  Faligan,  Lemoine, 
Mauriceau,  Vrais,  Oullard. 

Le  cinquième  bataillon  était  celui  du  quartier  Saint- 
Clément.  Sous  les  ordres  du  commandant  Marchais, 
rue  Démosthène,  j'y  vois  figurer  un  Huard,  d'ancienne 
souche  créole,  un  Delalande,  un  Guillemet.  Les  horti- 
culteurs et  jardiniers  étaient  dès  lors  nombreux  dans  ce 
quartier  voisin  de  la  campagne.  P.-Ch.  Legendre,  rue 
Maupertuis  (ou  des  Carmélites),  ne  serait-il  pas  l'ancêtre 
de  feu  Legendre,  directeur  du  Jardin  des  Plantes, 
architecte  et  archéologue,  qui  avait  entrepris  un  grand 
ouvrage  sur  ce  beau  jardin  ?  Pépiniéristes  ou  ancêtres 
de  pépiniéristes,  les  Cottineau,  les  Fouloneau  et 
surtout  les  Potiron,  les  Poirier,  dont  les  noms  ont 
des  saveurs  de  légumes  ou  de  fruits,  Les  Fruchard  de 
l'époque  révolutionnaire,  que  cite  le  Livre  Doré,  sont 
un  François,  échevin,  nouveau  consul,  notable,  et  un 
Juste,  négociant;  celui  des  Etrennes  a  un  L  pour  ini- 
tiale de  son  prénom,  et,  si  je  ne  puis  l'identifier  avec 
aucun  des  deux  précédents,  au  moins  était-il  de  cette 
famille  nantaise  connue  dès  le  xvne  siècle.  Avant  de 
quitter  le  5e  bataillon,  j'y  note  la  présence  de  M.  Pelletier, 
route  de  Paris,  lieutenant  de  la  4e  compagnie;  l'aimable 
trésorier  de  l'Association  parisienne  des  Anciens  Cama- 
rades du  lycée  de  Nantes,  dont  le  nom  s'orthographie 
exactement  de  la  même  façon  et  dont  la  famille  habitait 
le  même  quartier,  reconnaîtra-t-il  en  lui  l'un  des  siens? 

Le  6e  bataillon,  qui  se  recrutait  au  carrefour  de  la 
Casserie,  au  Pilory,  au  Boufîay,  offrirait  aux  vieux  Nan- 
tais bien  des  observations  intéressantes  et  aussi  des 
«  sujets  »  de  marque,  tels  que  le  1er  sous-lieutenant  de  la 
compagnie  de  grenadiers,  G.-M.  Orieux,  dont  un  descen- 
dant, M.  Eugène  Orieux,  a  écrit  des  volumes  de  vers  et  de 
sérieux  ouvrages  sur  la  ville  de  Nantes,  dont  il  était  le 
très  distingué  agent  voyer,  tels  aussi  que  M.  Guimard,  un 
parent  de  l'auteur  des  Annales  Nantaises,  que  Lourmand 
cl  Langlois,  chefs  ou  représentants  de  familles  bien  con- 


259 


nues  dans  l'industrie  locale,  ou  que  F.  Guillet,  homo- 
nyme du  Bibliothécaire  de  1820  et  de  mon  excellent 
ami  le  publiciste  Léon  Guillet.  Mais  l'aigle  de  ce  batail- 
lon était  le  capitaine  de  la  2e  compagnie  de  fusiliers, 
J.  O'Sullivan,  qui  habitait  rue  Gaudine.  J'ai  déjà  salué 
au  passage  cet  Irlandais,  qui  donna  le  plus  noble  gage 
d'affection  à  sa  ville  d'adoption,  Nantes,  en  em- 
pêchant d'être  fusillés  les  132  Nantais  arrêtés 
par  ordre  de  Carrier.  C'est  ici  l'occasion  de  rap- 
peler que,  comme  officier  de  la  garnison,  il  fit  partie  de 
la  petite  troupe  commandée  par  le  ferblantier  Meuris, 
qui  défendit  Nort  contre  les  Chouans.  Grièvement  blessé, 
il  eut  à  l'adresse  des  camarades  qui  regagnaient  Nantes  ce 
mot  digne  de  ceux  que  Plutarque  a  rapportés  :  «  Nous 
restons  ici,  nous  mourrons  pour  la  liberté  ;  dites  aux 
Nantais  d'en  faire  autant  ».  Les  contemporains  attestent 
que,  chez  O'Sullivan,  la  beauté  du  visage  égalait  celle  de 
l'âme. 

Le  7e  bataillon,  des  quartiers  du  Port-Maillard  et  de 
Richebourg,  n'était  pas.  complètement  organisé  quand 
les  Etrennes  parurent;  l'état-major  n'avait  ni  comman- 
dant en  second,  ni  porte-drapeau.  Le  commandant  du 
bataillon  était  ce  Carié,  déjà  rencontré,  qui  n'avait  aucun 
lien  de  parenté  avec  le  proconsul  auvergnat.  Je  note  le 
capitaine  C.  Saint-Omer,  qui  demeurait  à  la  barrière 
Richebourg,  et  dont  le  nom  se  retrouve  plus  tard  comme 
raffineur  associé  aux  Barré  (Saint-Omer  et  Barré), 
nom  porté  à  Nantes,  entre  autres,  par  deux  avoués,  sous 
l'Empire  et  la  Restauration  ;  le  capitaine  Barrier,  les  sous- 
lieutenants  Guichet,  Herpin,  Gueffier,  Gerbaud  ;  tous  ces 
noms  ont  une  vraie  couleur  locale  ;  il  y  a  encore 
plusieurs  Guichet  à  Nantes;  un  littérateur  connu,  du 
pays  malouin,  s'appelle  Herpin  ;  quant  à  Gueffier, 
c'était,  il  y  a  trente  ou  quarante  ans,  le  nom  du  coiffeur 
le  plus  élégant  de  Nantes,  place  du  Pilori  ;  enfin, 
M.  Gerbaud,  ancien  zouave  pontifical,  demeurant  à 
Thouaré  et  à  Legé,  dirige  à  titre  gracieux,  .es  travaux 


—   260   — 

du  Calvaire  de  Ponlcliâteau.  Quant  à  P.  Chaux,  lieu- 
tenant d'artillerie  de  la  compagnie  de  grenadiers,  l'ini- 
tiale de  son  prénom  ne  me  permet  pas  de  l'assimiler  à 
Etienne  Chaux,  qui  joua  un  rôle  très  important  sous  la 
dictature  et  dans  le  procès  de  Carrier. 

Deuxième  La    deuxième    légion    de   la    Garde    Nationale    avait 

Légion.  à  nujt  bataillons  au  lieu  de  sept.  Son  chef  d'état-major 
général,  C.  Bouteiller,  à  Gigan  (sic),  appartenait  à  une 
ancienne  et  nombreuse  famille,  bretonne  d'origine,  plus 
connue  sous  le  nom  de  LeBouteiller  ou  de  De  Bouteiller. 
Il  avait  pour  adjudant  général  un  inconnu,  Chandoux, 
pour  sous-adjudant,  Guillemet  jeune,  un  des  jacobins 
qui  dételèrent  la  voiture  des  représentants  du  peuple 
prêts  à  quitter  la  ville  au  moment  de  l'attaque 
des  Vendéens.  Au  premier  bataillon,  je  trouve  plus  d'un 
Nantais  de  vieille  date  et  de  bonne  souche,  Coiquaud  fds, 
rue  Bayle,  commandant  en  second  ,  parent  de  l'orato- 
rien  Fouché;  Daviau,  issu  d'une  des  nombreuses 
familles  bretonnes  de  ce  nom,  qui  n'ont,  d'ailleurs, 
aucune  espèce  de  rapport  avec  la  très  ancienne 
famille  poitevine  d'Aviau,  seigneurs  de  Piolant  et  de 
Ternay  ;  Poisson,  aïeul,  peut-être,  de  deux  Nantais 
fort  connus  à  l'heure  actuelle,  le  chirurgien  Poisson 
et  M.  Poisson,  ancien  notaire,  directeur  de  La  Nationale; 
Bridon,  dont  descendent  probablement  Me  Bridon, 
ancien  notaire  à  Pornic,  et  son  fils  Joseph  Bridon, 
dit  Brydon,  peintre  et  critique  d'art  à  Paris  ;  Chauvet; 
fit-il  souche  d'une  famille  créole  à  laquelle  se  rattachait 
mon  vieil  ami,  le  fin  poète  Paul  Chauvet.  Le  lieutenant 
de  la  lre  compagnie  de  fusiliers  était  un  tout  jeune 
homme  du  nom  d'Omnes,  décoré  d'une  médaille  d'or  par 
Louis  XVI  pour  avoir  sauvé  deux  voyageurs  entraînés 
sous  la  glace  et  affublé  d'un  surnom,  en  qui  se 
résume,  comme  l'a  dit  Pitre  Chevalier,  «  la  pensée 
révolutionnaire  »;  tout  le  monde  l'appelait  Omnes 
Omnibus.  Le  Galipaud,  qui   figure  comme  armurier  à 


—  261  — 

la  4e  compagnie,  ne  serait  point,  d'après  M.  de  Ker- 
viler,  un  homonyme  fortuit  de  l'acteur  comique,  notre 
contemporain;  il  y  a  eu  autrefois  à  Nantes  des  chanoines 
et  des  architectes  de  ce  nom  ;  à  Pornic,  un  escalier 
Galipaud,  rappelé  le  célèbre  curé  de  l'époque  révolu- 
tionnaire. 

Gallway,  commandant  du  second  bataillon,  maison 
Durbé,  n'est  cité  nulle  part;  son  nom  indique  une  origine 
anglaise.  Notons  que  dans  la  maison  Durbé,  au  quartier 
de  la  Fosse,  demeuraient  d'Angers,  sous-lieutenant  de 
grenadiers;  M.  Aubin,  sous-lieutenant  de  la  4e  compagnie, 
ancêtre  tout  désigné  de  l'avocat  Antony  Aubin.  Quel- 
ques adresses  sont  à  retenir:  L'entrepôt  des  caffés,  pour 
S.  Dumais  ;  Chezine  (on  disait  «  à  Chezine)  »,  pour 
A.  Bourmand  ;  le  coto  (sic)  Miseri,  pour  J.  Baudet.  On 
n'avait  pas  perdu  de  temps  en  créant  une  rue  Baco  ; 
P.  Lebœuf  y  habitait,  au  n°  4.  M.  Haentjens,  Flamand 
d'origine,  dont  le  nom  reviendra  souvent  plus  tard  dans 
l'histoire  du  haut  commerce  nantais,  commandait  la 
4e  compagnie  et  demeurait  quai    Chaussay  (?),  n°  3. 

Peu  de  remarques  r  faire  sur  le  troisième  bataillon, 
commandé  parBinet.  Tardiveau,  Garreau  y  représentent 
le  vieux  Nantes.  Un  Van  Neunen  y  fait  son  apparition; 
nous  en  avons  trouvés,  nous  en  trouverons  d'autres.  Il  y  a 
eu  au  milieu  du  xixe  siècle  un  arbitre  de  commerce 
nommé  J.  Joux,  comme  le  lieutenant  de  la  4e  compa- 
gnie. 

Vasseur,  sous-lieutenant  de  la  lre  compagnie, 
G.  Lahaye,  lieutenant  de  la  3e  du  4e  bataillon,  avec 
S.  Adam,  deuxième  sous-lieutenant  de  la  3e,  demeu- 
raient dans  la  rue  Cazanove  (ancienne  rue  Saint-Lazare), 
aujourd'hui  rue  des  Hauts-Pavés.  Ce  bataillon  livre 
encore  les  noms,  familiers  aux  oreilles  nantaises,  de 
M.  Landais,  P.  Langlois  père,  J.  Fonteneau  et  celui  de 
A.  Saveneau,  qui  signait,  un  peu  plus  tard,  comme 
greffier  en  chef  de  la  mairie,  une  affiche  enjoignant  à  tous 
les  citoyens  français  ou  étrangers  de  présenter  au  com- 


—  262  — 

missariat  de  police  leurs  passeports  le  jour  de  leur  arrivée 
«  ou  le  lendemain  s'ils  arrivaient  tard  ».  Il  y  avait  encore, 
de  mon  temps  à  Nantes,  deuxVanXeunen.  Il  y  en  avait  da- 
vantage en  1792:  Van  Neunen  jun ior,  commandait  le  cin- 
quième bataillon.  Parmi  les  officiers  qu'il  avait  sous  ses 
ordres,  je  trouve,  avec  deux  Perruchau,  habitant  au 
Bignon-Lestard,  le  fds,  sous-lieutenant  de  grenadiers, 
le  père,  capitaine  de  la  3e  compagnie  de  fusiliers,  un  autre 
Van   Neunen    fds   aîné,    rue   du    Chapeau-Rouge,  n°  2. 

Pierre-Marie  Fournier,  domicilié,  comme  nous  l'avons 
vu,  «  à  la  Comédie  »,  se  détournait  de  ses  devoirs  civils 
pour  commander  le  sixième  bataillon.  Il  avait  pour 
adjudant  L.-L.  Bataille,  demeurant  près  la  Corderie, 
rue  Rubens,  que  Léon  Brunschwlcg,  dans  ses  Ephémé- 
rides  Nantaises,  donne  comme  le  grand-père  du  chanteur 
célèbre,  qui  mourut  sous-préfet  d'Ancenis.  Dans  son 
bataillon,  je  remarque  un  Drouin,  un  Hubert,  un  J.  Mary, 
qui  habite  «  maison  Graslin  »,  et  un  P.  Coustard,  2e  sous- 
lieutenant,  que  son  prénom  m'interdit  de  confondre  avec 
le  jeune  Hercule,  fds  du  député  et  l'un  des  plus  ardents 
patriotes  de  la  jeunesse  nantais". 

L'Allemand  Wieland,  chef  du  septième  bataillon, 
eut  une  triste  fin.  On  ne  lui  tint  pas  compte  de  ses  faits 
d'armes  devant  Machecoul,  qu'il  reprit,  en  avril  1793, 
à  la  tête  des  grenadiers  de  la  Garde  Nationale  nantaise. 
Ayant  capitulé  dans  Noirmoutiers,  il  fut  accusé  de  tra- 
hison et  fusillé  en  même  temps  que  d'Elbée,  quoique 
celui-ci  eût  affirmé  qu'il  n'était  pas  de  connivence  avec 
les  royalistes.  Ce  tragique  épisode  a  inspiré  au  peintre 
Le  Blant  son  beau  tableau  du  Musée  de  Nantes.  Wieland 
avait  pour  adjudant  Grandmaison,  futur  membre  du 
Comité  révolutionnaire  de  Nantes  et  complice  de  Carrier, 
dont  il  partagea  le  sort.  Parmi  ses  officiers  figurent  : 
Pierre-Frédéric  Dobrée,  le  premier  des  Dobrée  venus  de 
Guernesey  à  Nantes,  consul  des  États-Unis,  officier 
municipal,  négociant  notable,  que  nous  retrouverons 
au    commerce  ;    un   Allemand  qui  fit  souche  nantaise, 


-r-   263   — 

Schweighauser:  un  Favre  ;  un  Nourry  ;  un  Fourcade, 
dont  les  descendants  ont  marqué  et  existent  encore  ; 
P.  Saradin,  le  plus  ancien  que  je  connaisse  de  cette 
lignée  de  vieux  républicains  nantais,  et  qui,  parfumeur, 
demeurait  déjà  rue  Fosse,  19. 

Groleau,  capitaine  de  la  compagnie  de  grenadiers, 
Rozier  ;  un  autre  Grandmaison  ;  Delpech;  A.  Leduc, 
officier,  plus  tard,  de  la  Grande  Armée,  sous  Napoléon  Ier, 
et  dont  le  vrai  nom  était  Girard,  ancêtre  des  deux 
peintres  nantais  et  de  l'éditeur  de  musique  parisien, 
sont  les  officiers  qui  m'ont  le  plus  frappé  par  les  sou- 
venirs nantais  que  leur  noms  évoquent  dans  le  huitième 
bataillon,  le  dernier  de  la  deuxième  légion  et  de  toute 
la  Garde  Nationale. 


La  Garde  Nationale  à  cheval,  composée  de  deux  com- 
pagnies, complétait  l'effectif  imposant  des  gardes  natio- 
nales nantaises.  Je  regrette  de  ne  pouvoir  décrire  son 
uniforme  et  son  équipement,  que  l'on  peut,  je  crois, 
retrouver  aux  archives  municipales  et  qui  devaient,  si  j'en 
juge  par  cette  simple  indication  :  «  compagnie  houpette 
rouge  —  compagnie  houpette  bleue  »,  ne  pas  manquer 
de  panache.  Plaisanterie  à  part,  et  sans  même  rappeler 
que  le  portefaix  Nicolas  Leclerc,  condamné  au  pilori 
pour  avoir  volé,  en  1792,  un  chapeau  à  houpette,  avait  dû 
dérober  le  corps  du  délit  à  un  membre  de  la  Garde  Natio- 
nale à  cheval,  je  me  plais  à  déclarer  que  les  cavaliers  de  la 
milice  eurent  ,  comme  les  fantassins,  une  part  glorieuse 
dans  la  défense  de  Nantes.  Leur  commandant,  Robineau, 
Cours  de  l'Égalité,  qui  fut  blessé  à  l'attaque  de  Nantes 
en  1793,  laissa  des  descendants,  connus  sous  le  nom  de 
Robineau  de  Bougon.  Le  16  octobre  1790,  à  l'élection 
du  commandant  en  chef  de  la  Garde  Nationale,  qui  venait 
d'être,  en  prévision  de  graves  événements,  renforcée  de 
plusieurs  bataillons,  il  avait  été  en  compétition  avec 
Coustard  de  Massy;  il  eut  au  premier  tour  de  scrutin  un 
nombre  de  voix  presque  égal  à  celui  de  son  concurrent, 


Garde  nationale 
à  cheval. 


des  Elèves. 


— ,  264  — 

qui  l'emporta  définitivement  au  scrutin  de  ballotage. 
Les  deux  compagnies  que  Robineau  commandait  en  chef 
comprenaient  chacune  un  capitaine,  deux  lieutenants, 
deux  sous-lieutenants,  un  adjudant,  trois  maréchaux- 
des-logis.  Il  y  avait  encore  un  trésorier,  nommé  Barbier, 
dont  le  grade  n'est  pas  indiqué,  et,  en  guise  de  fanfare, 
un  trompette  de  la  compagnie  bleue,  Boireau,  qui  logeait 
au  château,  un  trompette  de  la  compagnie  rouge,  Mauris- 
set.  Les  officiers  n'ont  rien  qui  les  signale  à  l'attention, 
sauf  deux  nobles  appartenant  à  des  familles  citées 
dans  d'Hozier,  Limoelan  et  Defrondat.  Le  fils  de  ce  der- 
nier vécut  une  partie  de  sa  vie  à  l'île  Maurice.  Une  vieille 
demoiselle  de  Frondât,  en  qui  le  nom  s'est  éteint,  est 
morte  à  Nantes  avant  1870. 

En  tête  de  la  Garde  Nationale,  marchait  le  bataillon 
des  Vétérans;  le  bataillon  «  des  Élèves»,  on  a  dit  depuis 
des  «  pupilles  »,  fermait  la  marche.  Il  avait  un  comman- 
dant de  bataillon,  Debreiène  aîné,  un  adjudant,  un  porte- 
drapeau,  cinq  compagnies,  et,  seul  de  l'arme,  possédait  un 
tambour-major,  le  sieur  Legrand,  rue  Delorme.  Parmi  les 
officiers,  quelques  noms  nouveaux  m'attirent,  ceux  de 
Métayer,  de  Lafargue,  de  Chaillou,  de  Poidras,  que  j'ai 
vu  porter  concurremment  par  un  richissime  propriétaire, 
M.  Poydras  de  la  Lande,  et  par  un  prolétaire,  le  méca- 
nicien Poydras,  conseiller  municipal  en  1871.  Je  trouve 
aussi  un  Durassier,  qui  m'a  bien  l'air  d'être  le  futur 
secrétaire  de  la  compagnie  Marat,  d'assez  sinistre  mé- 
moire, en  1793.  J'en  aurai  tout  à  fait  fini  avec  la  Garde 
Nationale  en  mentionnant,  d'après  les  Etrennes,  le  secré- 
taire de  l'état-major  général,  L.  Labat,  qui  résidait  au 
secrétariat  à  la  Halle  Neuve  —  neuve  en  1792,  et 
aujourd'hui  renouvelée  par  le  vaste  bâtiment  élevé 
sur  l'emplacement  du  marché  Talensac. 

En  1792,  Nantes  n'avait  pas  de  troupes  de  ligne.  Il 
fallut  que  le  représentant  Coustard  signalât  au  Comité 
de  Salut  Public  le  danger  de  livrer  la  ville  aux  entreprises 
de  l'armée  vendéenne  pour  qu'on  se  décidât,  en  juin  1792, 


—  265  — 

à  lui  envoyer  une  garnison.  La  garde  nationale  joua  donc 
le  rôle  le  plus  important  dans  les  événements  militaires, 
et  elle  paya  largement  l'impôt  du  sang. 


Pour  la  défense  des  côtes,  elle  pouvait  se  reposer  sur 
le  corps  des  volontaires,  ayant  à  leur  tête  le  commandant 
Guillaume  Berthault,  vieille  famille  nantaise,  rue  Con- 
trescarpe, et  un  adjudant,  Deslandelles,  île  Feydeau, 
parent,  je  présume,  de  Guihery  Deslandelles,  associé 
ou  successeur  de  Colin,  fondateur  des  conserves  ali- 
mentaires, prédécesseur  de  Philippe  et  Canaud,  et  appar- 
tenant, peut-être,  à  la  famille  Veillet  qui,  à  Moncon- 
tour,  en  l'an  IX,  portait  le  nom  de  Deslandelles. 

La  compagnie  Dugai-Trouin  (sic)  avait  comme  capi- 
taine :  Leprêtre  ;  la  compagnie  Jean-Bart  :  Le  Chevert, 
quai  Forbin;  et  la  compagnie  Cassard  :  Wuibert. 

A  la  différence  des  marins  de  la  Vendée,  ces  volon- 
taires marins  de  la  Loire-Inférieure  n'ont  pas  beaucoup 
fait  parler  d'eux. 


Volontaires 
marins. 


Il  en  est  autrement  des  volontaires  nationaux  du 
département  ou  Volontaires  Nantais,  qui,  à  peine  consti- 
tués, envoyaient  à  l'Assemblée  Nationale,  le  20  fé- 
vrier 1790,  une  adresse  où  ils  demandaient  à  être  orga- 
nisés de  la  même  manière  que  le  seront  les  gardes  natio- 
nales. Leur  appel  aux  Pères  de  la  Patrie,  comme  ils 
disaient  dans  leur  pompeux  langage,  fut  entendu.  Ils 
eurent  pour  premier  commandant  en  chef  Coustard  de 
Massy;  pour  commandant  en  second  Deurbroucq,  qui, 
mis  d'abord  à  la  tête  de  la  Garde  Nationale,  furent 
remplacés,  en  1792,  par  Josmet  la  Violais  et  Guéné. 
Vivait  encore  sous  Louis  XVIII  le  riche  Deurbroucq, 
décoré,  devenu  baron  de  l'Empire  et  membre  de  la 
Société  Académique. 

Ils  formaient  alors  une  compagnie  de  grenadiers  et 
huit  compagnies,  mais  ils  n'avaient  qu'un  capitaine,  un 
lieutenant,    un   sous-lieutenant    par   compagnie,  et   un 


Volontaires 

nationaux  à 

St-Domingue . 


—  266  — 

effectif  total  qu'on  peut  évaluer  à  500  hommes  environ. 

Leur   commandant   en    chef   de    1792   n'était  pas   le 
premier    venu.    Jean-Louis-Gaspard    Josmet    (que    les 
Etrennes  appellent  par  erreur  Jonet)  la   Violais  s'était 
déjà  préoccupé  à  Machecoul,  son  pays,  de  l'organisation 
d'une  garde  civique  avant  de  devenir  à  Nantes  lieute- 
nant-colonel, puis  commandant  du  bataillon  des  Volon- 
taires Nantais.  En  1792,  on  l'envoya  aux  Sables-d'Olonne 
réprimer  les  troubles  de  la  région.  Un  peu  plus  tard,  il 
alla  faire  campagne  avec  une  partie  de  sa  troupe  à  Saint- 
Domingue,    où   l'insurrection   de  Toussaint  Louverture 
venait  d'éclater.  Cette  présence  du  chef  des  Volontaires 
dans  la  grande  île  américaine  explique  une  bizarrerie 
apparente;     les     Etrennes    indiquent     Saint-Domingue 
comme  résidence  de  ces  Volontaires,  et  j'avais  cru  d'abord 
qu'un  quartier  de  la  ville  pouvait,  en  raison  des  relations 
commerciales  de  Nantes  avec  les  Antilles,  être  désigné 
ainsi.  Josmet  la  Violais  laissa  à  ses  subordonnés  l'hon- 
neur de  défendre  Nantes;  mais,  de  retour  de  son  lointain 
voyage,   il   devint,   au   cours    de  la   guerre   de  Vendée, 
général  de  brigade  dans  l'armée  de  l'Ouest,  remporta 
quelques  avantages,  mais  eut  le  tort  de  se  mettre  mal 
avec  Hoche,  contre  lequel  il  écrivit  un  factum,  qualifié 
par  un  citoyen  de  l'époque  de  dégoûtant  libelle.  Sa  mise  à 
la  retraite  d'office  suivit  de  près.   On  voudrait  mieux 
connaître  le  personnage  dont  on  n'a  guère  que  les  états  de 
services.  Il  était  cousin  germain  de  la  femme  de  Charette, 
une  veuve  riche,  et  beau-frère  de  Luminais,  député  de  la 
Vendée,  ancêtre  du  peintre  de  ce  nom.   Il  vivait  encore 
en  1822. 

Aucun  des  officiers  des  Volontaires  Nantais  ne  joua  un 
rôle  important  dans  les  nombreux  faits  de  guerre  de  cette 
période  agitée.  Je  ferais  une  exception  pour  O'Sullivan, 
sous-lieutenant  de  la  5e  compagnie,  si  je  croyais  qu'il  fût 
le  même  personnage  que  J.  O'Sullivan,  le  capitaine  de 
la  2e  compagnie  du  6e  bataillon  de  la  garde  nationale;  la 
simple  réflexion  nous  apprend  que  nous  avons  affaire  à 


—  267   — 

un  parent,  modeste  homonyme.  Je  n'ai  pas  rencontré 
encore  les  noms  de  Bourgouin,  de  Tardy,  de  Chapelain, 
de  Le  Roy,  de  Billard,  de  Portail.  Celui  de  Marquis, 
tambour-maître  de  la  8e  compagnie,  ne  me  semble 
pas  nantais;  je  ..vois  dans  Chassin  qu'il  était^porté  par 
un  capitaine  du  10e  bataillon  de  la  Meurthe. ,  Celui  de 
Perthuys,  sous-lieutenant  à  la  3e  compagnie,  devait 
intriguer  à  bon  droit  et  pouvait  intéresser  directement 
mon  ami  Alexandre  Perthuis,  à  moins  que  ce  distrait, 
qui  eût  parfois  rendu  des  points  au  Menalque  de  La 
Bruyère,  ne  l'eût  pas  remarqué. 

L'effectif  militaire,  déjà  imposant  du  département  de        Gendarmerie. 
la  Loire-Inférieure,    se     complétait  par  la  Gendarmerie 
Nationale,  composée  de  18  brigades,  chacune  formée  de 
quatre  gendarmes,  un  maréchal  des  logis  ou  un  brigadier. 
C'était  peu,  et  la   vieille   plaisanterie  sur  les  «  quatre 
hommes  et  un  caporal  »  me  revient  en  mémoire  à  propos 
des  Pandores  nantais  de  1792.  Dumouriez  avait  pourtant 
réclamé  l'organisation,  la  multiplication  des  brigades  de 
gendarmerie  et  leur  envoi  aux  frontières  menacées.  Il 
avait  obtenu  peu  de    chose,  et  c'est  seulement  sous  le 
Directoire  que  l'ancienne  maréchaussée,  définitivement 
transformée  en  gendarmerie,  fut  réorganisée  dans  les  dé- 
partements de  l'Ouest.  Notons  que  la  gendarmerie  était 
alors  partagée  en  divisions.  Le  colonel  de  la  5e  division, 
dont  Nantes  dépendait,  résidait  à  Rennes  et  se  nommait 
Gardin.    Il  y   avait  un   officier  pour  trois,   quelquefois 
deux,  brigades,  ce  qui  dénote  un  amour  immodéré  du 
galon.  Quelques  noms  de  ces  officiers  sont  à  retenir  : 
celui,  bien  nantais,  de  Naudin,  dont  un  descendant    fut 
banquier,   celui  de  Mourain,  signalé  plus  tard  par  Chas- 
sin comme  lieutenant  de  gendarmerie  à  Beauvoir  et  qui 
me  paraît  ne  faire  qu'un  avec  Mourain  de  Sourdeval, 
Surtout    celui    d'un    Charette,     capitaine    à    Château- 
briant,  sur    lequel     les    biographes   du    fameux    Ven- 
déen ont  négligé  de  nous    renseigner,  car   il   ne    devait 


—  268   — 

pas  être  parent  du  célèbre  général.  La  gendarmerie  noir- 
cissait déjà  beaucoup  de  papier;  elle  avait  son  secrétaire 
greffier,  Bureau,  le  bien  nommé,  à  Nantes. 

Pompiers.  Tjne  rubrique  très  intéressante,  et  qui  suit  immédiate- 

ment la  Gendarmerie  Nationale,  est  celle-ci  :  Officiers  de 
pompes  à  incendie  de  la  ville  de  Nantes  avec  les  différent 
dépôts  des  pompes.  Dans  une  ville  industrielle,  où  le 
risques  d'incendie  ne  manquaient  pas,  on  s'était  préoc 
cupé  de  bonne  heure  de  porter  remède  au  fléau.  Dès  le 
xvie  siècle,  des  confréries  s'organisèrent  dans  ce  but  et 
ce  sont  des  religieux  qui  manœuvraient,  jusqu'au  milieu 
du  règne  de  Louis  XV,  les  lourdes  pompes  à  bras  alimen- 
tées par  les  seaux  d'eau  puisés  à  la  rivière.  Vers  1760,  des 
citoyens  de  bonne  volonté  forment  une  milice  de  pom- 
piers ;  en  1792,  cette  milice,  organisée  d'une  façon 
sérieuse,  avait  son  capitaine  inspecteur  et  ses  capi- 
taines de  pompes.  Elle  avait  aussi  un  uniforme,  déjà 
analogue  à  celui  du  casque  légendaire  dont  les  Etrennes 
ne  font  pas  mention,  à  celui  que  nous  avons  connu  et 
qui  tend  à  se  simplifier  :  habit  bleu  de  roi,  collet,  pare- 
ments et  passepoil  rouge,  doublure  et  revers  bleus, 
passepoil  des  parements  et  du  collet  blanc,  veste  et 
culotte  blanches,    boutons  de  la  Garde  Nationale. 

C'est  dans  ce  costume  que  les  braves  pompiers  nantais 
allaient  au  feu.  Leur  métier  n'était  pas  une  sinécure, 
témoin,  entre  bien  d'autres,  le  terrible  incendie  du 
théâtre  Graslin,  en  1796.  On  peut  croire  que,  préposés 
à  la  conservation  des  biens  et  de  la  vie  de  leurs  conci- 
toyens, ils  éprouvaient  un  légitime  orgueil.  Leurs  offi- 
ciers tenaient  beaucoup  à  leur  rang  d'ancienneté  et,  dans 
les  Etrennes,  on  a  fait  précéder  leurs  noms  d'une  lettre 
indiquant  le  rang.  Le  capitaine  inspecteur  était  le  pre- 
mier officier  municipal,  Le  Cadre,  demeurant  chaussée  de 
la  Magdelaine,  et  que  je  trouve  indiqué,  sur  une  pièce 
de  1790  relative  à  l'élection  de  la  mairie  Kervegan, 
comme  exerçant  alors  la  profession  de  ferblantier.  Bel- 


—  269   — 

zon,  orfèvre,  carrefour  Saint-Nicolas,  était  capitaine  de  la 
pompe  *n°l,  en  dépôt  à  la  Maison  Commune,  où  se  trou- 
vait aussi  la  pompe  n°  2,  dont  le  capitaine  Poupard,  mar- 
chand clincailler  (sic),  rue  Bon-Secours,  doit  être  un 
aïeul  de  Poupard-Davyl,  l'auteur  dramatique  et  roman- 
cier, condisciple  de  Chassin  au  lycée  de  Nantes.  D'autres 
dépôts  de  pompes  existaient  à  la  nouvelle  halle,  à  la  nou- 
velle salle  des  spectacles  (qui  était  la  Nouvelle  Comédie, 
construite  place  Graslin,  par  Crucy,  en  1786),  à  «  Che- 
zine  »,  chez  Bedert,  au  corps  de  garde  de  la  rue  Demos- 
thène  (Saint-Clément),  à  l'Hôtel-Dieu  ,  place  Cosmo- 
polite (Sainte-Elisabeth).  Il  n'est  pas  permis  d'oublier 
les  noms  des  capitaines  de  pompes,  honnêtes  commer- 
çants pour  la  plupart,  et  qui  ont  d'autant  plus  de  droits 
à  la  reconnaissance  des  Nantais  pour  avoir  accepté  des 
postes  de  combat.  C'étaient  :  Mary,  marchand  cirier  ; 
Hardy,  marchand  épicier;  Le  Roy,  marchand  horloger; 
Herbault,  marchand  épicier;  Lahaie,  marchand  poêlier, 
et,  confondu  avec  ces  dignes  représentants  du  négoce, 
le  frère  du  grand  architecte,  Crucy  jeune,  rue  Folard, 
capitaine  de  la  pompe  n°  7.  Un  capitaine  surnuméraire 
devait  remplacer  à  l'occasion  un  de  ses  collègues  em- 
pêché; il  n'était  pas  nommé  ou  pas  encore  en  exercice 
quand    parurent  les  Etrennes  de  1793. 

Par  une  coïncidence  assez  naturelle,  le  petit  almanach  Artificiers. 

réunit  dans  la  même  page  tout  ce  qui  concerne  le  feu. 
C'est  ainsi  que  l'entrepôt  des  illuminations  de  la  ville  de 
Nantes  figure  dans  le  paragraphe  des  pompes.  L'artifi- 
cier, le  Ruggieri  ou  le  Kervella  de  l'époque,  qui  ne 
devait  pas  chômer  souvent  dans  cet  âge  d'or  des  fêtes 
publiques,  s'appelait  Hursin  et  demeurait  rue  de  Riche- 
bourg  ;  c'était,  sans  doute,  un  parent  de  M.  Ursin, 
membre  actif  de  la  Société  Académique  de  Nantes 
sous  la   Restauration. 

Il  est  bien  naturel  aussi  d'indiquer,  à  côté  du  mal,  un 
autre  remède.  La  plus  ancienne  compagnie  d'assurances 


270 


contre  les  incendies  venait  de  s'établir  à  Londres,  sous  le 
nom  symbolique  de  Chambre  du  Phénix.  Elle  avait  eu 
très  vite  une  succursale  à  Nantes.  Schweighauser  et  T. 
Dobrée,  négociants  en  cette  ville,  étaient  ses  correspon- 
dants pour  toute  la  ci-devant  Bretagne.  Je  me  reproche- 
rais de  ne  pas  reproduire  le  petit  avis  inséré  par  les 
Etrènnes  :  «  Il  faut  s'adresser  à  eux  (à  Schweighauser  et 
Dobrée)  pour  les  assurances  à  faire  sur  maisons,  chan- 
tiers, navires,  magasins,  marchandises,  meubles  et 
effets  quelconques.»  L'assurance  maritime  était  donc  déjà 
en  usage  comme  l'assurance  ordinaire  des  immeubles  ou 
meubles  contre  l'incendie.  On  serait  bien  curieux  de  con- 
naître le  taux  des  primes  appliquées  aux  diverses  natures 
de  risques  et  en  particulier  aux  risques  industriels  (usines, 
fabriques)  très  nombreux  à  Nantes.  La  petite  note  qui 
suit  ne  satisfait  qu'à  demi  notre  curiosité  :  «  Les  primes 
sont  depuis  3  sous  jusqu'à  12  sous.  6  deniers  pour 
100  francs  par  an,  suivant  les  risques,  et  les  conditions 
fort  avantageuses.  »  Cette  dernière  phrase  est  énigma- 
tique  et  nous  semble,  en  tout  cas,  sujette  à  caution.  Le 
taux  de  prime  allant  de  3  sous  à  plus  de  12  sous  pour 
100  francs  de  capital  assuré  est  énorme  si  l'on  songe  sur- 
tout à  ce  que  valait  l'argent  autrefois,  à  ce  qu'il  vaut 
aujourd'hui.  Les  risques  réputés  les  plus  dangereux  ne 
coûtent  guère  à  l'heure  présente  plus  d'un  franc  pour 
mille  francs  de  capitaux  assurés.  Il  y  aurait  sur  l'établis- 
sement en  France  des  compagnies  d'assurances  étran- 
gères, sur  la  fondation  et  le  développement  des  compa- 
gnies françaises  autant  que  sur  la  variation  du  taux  des 
primes  depuis  plus  d'un  siècle  bien  des  choses  à  tirer  de 
l'oubli,  mais  il  faudrait  traiter  la  question  au  point  de  vue 
nantais,  et  les  renseignements  précis  manquent.  Quant 
aux  personnalités  des  assureurs  nantais  de  1792, 
elles  n'étaient  pas  les  premières  venues.  J'ai  rencontré 
déjà  un  Schweighauser,  officier  de  la  Garde  Nationale, 
dans  la  compagnie  même  de  son  associé  et  parent,  Pierre- 
Frédéric  Dobrée. 


271   — 


Celui-ci,  dont  j'ai  esquissé  la  vie  publique,  tenait  la 
plus  haute  place  dans  le  commerce  nantais.  Il  avait  fondé 
à  la  Basse-Indre  un  établissement  industriel,  sorte  de 
forge,  où  il  fabriquait  des  feutres  à  doublage  et  des 
câbles  en  fer  pour  la  pêche  à  la  baleine;  il  était  armateur, 
et  si  son  fils  Thomas,  qui  eut  lui-même  pour  fds  l'archéo- 
logue créateur  du  fameux  musée,  donna  de  l'extension  à 
la  maison  d'armement,  il  eut  le  mérite  de  l'ouvrir  et  le 
courage  de  la  faire  prospérer  en  pleine  Terreur.  Incarcéré 
deux  fois  en  1793,  il  fut  sauvé  par  sa  fdle  dans  des  cir- 
constances tragiques,  qui  rappellent  un  peu  le  dévoue- 
ment de  Mlle  Cazotte  ou  celui  de  Mlle  de  Sombreuil. 
A  la  Bibliothèque  Nationale,  j'ai  retrouvé  un  document 
original,  un  placard  de  l'époque,  que  le  Journal  de  la 
Correspondance  de  Nantes  du  6  juin  1792  a  publié  avec 
quelques  changements.  C'est  une  lettre  adressée  à  Pierre- 
Frédérick  Dobrée  par  les  négociants  de  Guernesey,  son 
pays  d'origine,  et  affirmant  que  ces  négociants,  se  sentant, 
au  fond,  plus  Français  qu'Anglais,  ne  s'associeront 
jamais  à  la  guerre  en  armant,  comme  on  l'a  faussement 
insinué,  des  corsaires  contre  la  France.  Trois  Dobrée, 
parents  de  celui  de  Nantes,  Thomas,  Bonamy  (sic)  et 
Jean,  figurent  parmi  les  signataires  de  cette  lettre.  Je  note, 
en  passant,  d'après  M.  de  Kerviler  (Bio- Bibliographie 
bretonne),  qu'un  ancien  de  la  famille,  celui  d'où  descen- 
dait Pierre  Dobrée,  s'était  fixé,  au  xvne  siècle,  à  Vitré, 
où  les  protestants  étaient  nombreux,  et  y  avait  contracté 
des  alliances.  Mais  les  Dobrée,  d'après  la  généalogie  de 
M.  Pître  de  Lisle,  sont  de  Saint-Peter-Port  à  Guernesey. 
Jean,  le  plus  ancien  connu,  vivait  en  1583.  L'un, 
Nicolas,  était  capitaine  des  milices  en  1730;  un  autre, 
Thomas,  lieutenant  bailly  à  Guernesey,  en  1775  ;  c'était 
le  père  de  Pierre-Frédérick  cité   plus    haut. 


Les  Dobrée. 


LA    JUSTICE 


Cédant  arma  togœ!  dit  l'adage  latin.  Après  le  Nantes 
militaire,  dont  les  Pompes  à  incendie  et  la  Compagnie 

Soc.  Ârchéol.  Nantes.  18 


Tribunaux . 


—  272  — 

d'Assurances  ne  nous  ont  détourné  que  pour  un  instant, 
nous  arrivons  au  Nantes  judiciaire,  où  la  paix  devrait 
régner  sans  mélange.  Mais  nous  sommes,  ou  nous  allons 
être,  en  1793.  C'est  ainsi  que  le  Tribunal  criminel,  institué 
dans  le  département  comme  dans  tous  les  autres  par 
décret  de  la  Convention  Nationale,  va  devenir,  pendant 
l'année  terrible,  la  plus  formidable  comme  la  plus 
arbitraire  des  juridictions;  il  lui  suffira  pour  cela  de 
s'intituler  «  Tribunal  criminel  extraordinaire»  et  de  se 
passer  du  concours  du  Jury.  Le  Jury,  que  l'on  appelait 
à  l'origine  Juré  de  jugement  et  qui  nous  arrive  d'An- 
gleterre en  droite  ligne,  était  composé  de  douze  citoyens 
pris  sur  une  liste  de  deux  cents,  arrêtée  tous  les  trois 
mois  par  le  procureur  général  syndic  du  département; 
à  côté  de  lui  fonctionnait  un  autre  jury,  dit  Juré  d'accu- 
sation, composé  de  huit  citoyens.  Le  Juré  de  jugement 
s'assemblait  le  15  de  chaque  mois,  et  le  Juré  d'accusation, 
une  fois  par  semaine.  Dans  le  principe,  l'organisation 
était  des  plus  équitables.  Mais,  dans  l'application  et  sous 
la  pression  des  événements,  on  supprima  souvent  l'un 
des  jurys,  on  les  supprima  même  tous  les  deux  pour 
laisser  au  Tribunal  criminel  un  pouvoir  discrétionnaire. 
Ce  tribunal  avait  son  président,  un  accusateur  public, 
un  greffier  et  trois  juges,  pris  chacun  tous  les  trois  mois 
et  à  tour  de  rôle  dans  les  tribunaux  de  district  ou  tri- 
bunaux de  première  instance,  sur  lesquels  nous  revien- 
drons tout  à  l'heure.  Il  disposait  des  pouvoirs  d'une 
Cour  d'assises  et  justifiait  son  titre  de  Tribunal  criminel  ; 
il  devait  donner  à  six  hommes,  dont  les  passions  politiques 
enflammaient  le  zèle  révolutionnaire,  droit  absolu  de 
vie  ou  de  mort  sur  leurs  concitoyens. 

Sous  les  ordres  suprêmes  du  ministre  de  la  justice, 
Garât  jeune,  personnage  plus  austère  que  son  homo- 
nyme et  parent  le  chanteur  célèbre,  le  Tribunal  criminel 
du  département  de  la  Loire-Inférieure  avait  pour  pré- 
sident, en  1792-1793,  Gandon  aîné,  un  ancien  avocat, 
membre  du  Directoire  du  département  en  1790  et  1791, 


—  273  — 

qui  fit  également  partie,  avec  son  frère  Gandon  jeune, 
du  Tribunal  criminel  extraordinaire,  dont  les  troubles  de 
mars  1793  hâtèrent  la  création.  J'ai  retrouvé  bien  peu 
de  chose  sur  ce  Gandon,  qui  refusa  par  la  suite  la  mairie 
de  Nantes,  que  lui  offrait  le  représentant  Ruelle.  En 
revanche,  les  documents  abondent  sur  l'accusateur 
public  Giraud,  place  du  Département,  qui  n'était  autre 
que  Pierre-Guillaume-Henri  Giraud  du  Plessis,  ancien 
député  à  l'Assemblée  des  notables  de  1787,  ancien  député 
de  la  sénéchaussée  de  Nantes  aux  États-Généraux  de 
1789,  maire  de  novembre  1791  à  la  fin  de  1792.  Lors- 
qu'il fut  nommé,  en  décembre  1792,  accusateur  public 
près  le  Tribunal  criminel,  il  écrivit  à  la  Municipalité  qu'il 
abandonnait  la  mairie,  estimant  le  cumul  des  fonctions 
impossible;  on  fit  imprimer,  afficher  sa  lettre,  et  Baco 
le  remplaça.  Giraud  Duplessis  ne  tarda  pas  beaucoup 
à  s'apercevoir  qu'il  n'avait  aucune  vocation, pour  deve- 
nir le  Fouquier-Tinville  nantais;  le  15  juillet  1793, 
il  donnait  sa  démission  d'accusateur  public,  en  déclarant 
courageusement  «  qu'il  ne  pouvait  vaincre  sa  répugnance 
à  contribuer  au  jugement  d'un  homme  sans  le  secours 
des  jurés».  Il  sauva  pourtant  sa  tête,  et  sa  franchise  ne 
lui  porta  par  malheur,  car,  de  nouveau  maire  de  Nantes 
en  1795,  il  fut  successivement  député  de  la  Loire-Infé- 
rieure au  Conseil  des  Anciens,  préfet  du  Morbihan  sous 
l'Empire,  avocat  général  et  conseille*'  à  la  Cour  de 
Cassation  sous  Louis  XVIII.  C'est  l'un  des  Nantais  qui 
ont  le  plus  marqué  dans  la  vie  politique. 

Le  greffier  du  Tribunal  criminel,  Coiquaud  (Coicaud 
plus  tard),  rue  Bayle,  parent  de  Fouché,  le  futur  duc 
d'Otrante,  et  grand-père  du  marchand  de  bois,  mort  il  y 
a  près  de  30  ans  dans  son  domicile  de  la  rue  des  Cade- 
niers,  ne  se  recommandant  pas  autrement  à  l'attention, 
je  prends  congé  de  ce  Tribunal,  où  Bachelier  allait 
bientôt  exercer  ses  rigueurs,  dites  «  fumées  acerbes  », 
non  sans  remarquer  que,  pour  être  gratuites,  les  fonc- 
tions des  jurés  n'en  étaient  pas  moins  obligatoires.  S'ils 


—  274  - 

ne  se  rendaient  pas  à  la  sommation  qui  leur  était  faite 
on  les  condamnait  en  50  bons  d'amende  et  à  la  priva- 
tion de  leurs  droits  d'éligibilité  et  de  suffrage  pendant 
deux  ans.  On  ne  badinait  pas  avec  la  justice  révolu- 
tionnaire. 

Il  y  a  bien  des  anomalies  dans  l'organisation  judi- 
ciaire de  ce  temps-là.  Les  tribunaux  de  district  répon- 
dent assez  exactement  à  nos  tribunaux  actuels  de  pre- 
mière instance,  à  cette  reserve  prés  qu'il  y  avait  plus  de 
districts  qu'il  n'y  a  d'arrondissements  (9  au  lieu  de  5 
dans  la  Loire-Inférieure).  Ces  tribunaux  de  district 
jugeaient  certaines  questions  en  premier  et  dernier 
ressort;  pour  d'autres  questions,  on  pouvait  se  pourvoir 
en  appel  du  jugement  rendu.  Bien  de  mieux  jusqu'ici, 
Mais  savez-vous  quels  étaient  les  sept  tribunaux  de  dis- 
tricts susceptibles  de  casser  les  jugements  des  tribu- 
naux de  district  de  Nantes?  Ancenis.  Clisson.  Savenai. 
Paimbœuf,  Machecoul,  Guerande  et...  Rennes.  C'est. 
à  dire,  six  petits  tribunaux  qui  auraient  dû  graviter 
dans  l'axe  du  tribunal  du  chef-lieu  et  un  tribunal  d'une 
grande  ville  voisine,  étrangère  au  département.  Cet 
assemblage  est  au  moins  bizarre  et  il  faut  reconnaître 
que.  en  remplaçant  ces  tribunaux  de  district  par  les  tri- 
bunaux d'arrondissement  et  en  créant  les  Cours  d'appel 
qui  confirment  ou  cassent  les  jugements  de  première 
instance,  la  centralisation  impériale  n'a  pas  ete  si  mala- 
droite. 

Le  Tribunal  du  district  de  Nantes  —  et  il  en  était 
ainsi  de  tous  les  autres  —  comprenait  des  juges,  leurs 
suppléants,  un  commissaire  nat'onal.  qui  exerçait  les 
fonctions  de  ministère  public,  un  greffier,  un  commis- 
juré.  Les  huissiers,  que  nous  appellerions  huissiers-au- 
dienciers.  avaient  leurs  noms  inscrits  à  côté  de  ceux  des 
magistrats.  Il  n'y  avait  ni  président,  ni  vice-président: 
cela  eut  paru  contraire,  sans  doute,  au  principe  d'ég 
lite. 

Les  membres  du  tribunal  étaient  choisis  sur  place.  Les 


—  275  — 

six  juges  de  Nantes  et  leurs  quatre  suppléants  portent  d 
noms  bien  nantais,  mais  que,  pour  la  plupart,  nous  n'avons 
pas  encore  rencontrés  :  Maussion,  président  fil  y  eut 
plus  tard  un  armateur  de  ce  nom)  ;  Manon  Clés  Marion 
sont  dits  depuis  de  Procé  ou  de  Beaulieu);  Gandon  le 
jeune,  frère  eadel  du  président  du  Tribunal  criminel  ;  Pi- 
neau; Leminihy;  Phelippe;  Trioche,  un  des  rares  magis- 
trats que  nous  ayons  trouvés  à  Ja  Garde  Nationale; 
Bruneau;  Grasset;  Lecomte.  Bons  Nantais  aussi  Je  gref- 
fier Blanchard,  rue  du  Soleil,  et  son  commis-juré,  Ber- 
trand, qui  est  logé  au  greffe.  Le  commissaire  national, 
Félix  Gédouin,  place  l'Egalité,  est  donné  comme  pro- 
cureur et  notable  par  M.  de  Kerviler,  qui  doit  Je 
confondre  avec  un  autre  Gédouin  François-Antoine, 
avocatel  membre  du  Comité  municipal  de  Nantes  en  1789; 
mais   tous   deux   sont   Nantais    d(  .    En    1819,   les 

Etrennes  de Forest  mentionnent  comme  avocats  Gédouin 
aîné  0775;,  quai  Dugay-Trouin,  et  Gédouin  fils  C1809), 
rue  Racine.  Même  remarque  pour  les  huissiers  Trastour 
et  Guyon,  dont  les  descendants  devaient  marquer  dans 
la  médecine  et  la  chirurgie,  Verneuil  et  Joubert.  Ce 
dernier  demeure  près  le  pont  lJaix,  ancien  pont  d'Ai- 
guillon, qui  retrouva  plus  tard  son  ancienne  appellation. 
LeTrihunal  de  la  police  correctionnelle,  organisé  par 
l'article  19  de  la  loi  du  22  juillet  1791,  différait  très  peu 
de  ce  qu'il  est  aujourd'hui,  il  se  divisait,  pour  Nant 
en  deux  chambres  qui,  provisoirement  et  en  attendant 
un  local  suffisant,  tenaient  leurs  audiences  „  au  Palais, 
place  du  Bouffai,  ou,  pour  mieux  dire,  dans  l'ancienne 
tour  du  Bouffay,  les  mercredis  et  samedis.  Seulement, 
les  juges,  au  lieu  d'être,  comme  a  présent,  pris  parmi  les 
membres  des  tribunaux,  étaient  les  six  juges  de  paix 
de  la  ville,  trois  pour  chaque  chambre.  Dupuis,  d'Have- 
looze,  ChaiJJou  tenaient  l'une  des  chambres;  Uebour- 
gues,  Abraham  et  Cormier,  l'autre.  C'n  des  juges  de 
paix  siégeait  en  permanence  tous  les  jours,  de  9 heures 
du  matin  a.  midi  et  de  j  heures  a  6  heures,  dans  une  des 


—  276  — 

salles  du  palais;  il  remplissait  les  fonctions  d'officier 
de  police  de  sûreté,  recevait  les  plaintes  et  les  dénon- 
ciations, interrogeait  les  prévenus  arrêtés.  Son  rôle 
était  celui  d'un  commissaire  de  police,  et  aussi  d'un  juge 
d'instruction. 

Juges  de  paix-  Les  juges  de  paix  reviennent  ici  sur  le  tapis.  Nous 

apprenons  que  leurs  audiences  se  tiennent,  les  1er  et  6 
de  chaque  décade,  dans  leurs  demeures  mêmes,  et  non 
point,  comme  aujourd'hui,  dans  des  prétoires,  qui 
peuvent  être  distincts  de  leurs  domiciles  personnels. 

'Abraham,  qui  dirige  les  sections  1,2,  3,  a  réussi  pour- 
tant h  ce  qu'on  fît  une  exception  en  sa  faveur.  Il  demeure 
rue  Delilles  (sic)  (cloître  Notre-Dame)  et  il  donne  audience 
/  rue   du  Tertre,  vis-à-vis  le  cimetière  de  Saint-Similien. 

Ses  suppléants  se  nomment  Delugré  et  Laurent,  son 
greffier  Fenioul,  ou  plutôt  Fenouil,  les  interversions 
de  lettres  n'étant  pas  rares  dans  les  Etrennes.  Biret, 
Civel,  qui  ne  renieront  pas  leur  origine,  deux  Leroux 
comptent  parmi  ses  assesseurs.  Chaillou,  rue  Pope, 
a  dans  ses  attributions  les  sections  4,  5,  6.  Un  des 
Dehergne,  l'aîné,  est  son  suppléant  avec  Lavalette; 
Huart,  dont  le  nom  s'est  perpétué,  est  son  greffier. 
Du  milieu  de  ses  assesseurs  :  Lacroix,  Leroy,  Marchand, 
Guilmet  (ou  plutôt  Guillemet)  qui  laissa  de  nombreux 
descendants  à  Nantes  auxquels  il  est  difficile  de  le 
rattacher,  et  un  autre,  qui  répond  au  nom  bizarre  de 
Contremoulin  aîné,  parent  probable  d'un  autre  Contre- 
moulin,  qui,  en  1791,  était  sous-lieutenant  en  2e  à  la 
Compagnie  a  La  Persévérance  »  du  Bataillon  des  Vé- 
térans, se  détache  Fellonneau,  également  aîné.  Des 
destinées  brillantes  attendaient  ce  François  de  Salles 
Fellonneau,  d'une  famille  originaire  de  Bordeaux  et 
inscrite  dans  d'Hozier;  il  sera  Maire  de  Nantes  de  l'an  VII 
à  l'an  IX  et  mourra  sur  son  siège. 

Les  suppléants  de  Debourgues,  le  juge  de  paix  de  la 
rue  des  Halles,  qui  avait  dans  ses  attributions  les  sections 


—  277  — 

7,  8,  9,  ne  sont  pas  indiqués  dans  les  Etrennes.  Un  de 
ses  assesseurs,  Couciraut,  doit  avoir  son  nom  mal  ortho- 
graphié; ou  je  me  trompe  fort,  ou  c'est  Gougurau,  im- 
primeur-libraire. Un  autre,  Freulet,  rue  des  Chapeliers, 
peut  fort  bien  se  confondre  avec  Freulet  de  Loutinais, 
procureur  du  roi  au  siège  de  la  Monnaie  de  Nantes  avant 
la   République. 

Sur  les  ponts,  à  la  tête  des  sections  10,  11,  12,  je  trouve 
ou  plutôt  retrouve  d'Havelooze  fils,  37,  pont  de  la 
Magdelaine,  représentant  d'une  vieille  famille  d'origine 
anglaise,  dont  j'ai  connu  des  descendants.  Plusieurs 
assesseurs,  dont  on  ne  nous  nomme  pas  les  suppléants, 
méritent  d'être  mentionnés.  C'est  Garno  qui  a  son  nom 
dans  d'Hozier  pour  la  Bretagne  ;  c'est  Saget,  Budon, 
Gereau,  qui  ont  figuré  ou  figurent  encore  dans  le  com- 
merce nantais  ;  c'est  Dérivas,  (de  Rostaing  de  Bivas), 
directeur  de  la  faïencerie  (sic)  sur  les  ponts,  que  nous 
retrouverons.  Quant  au  greffier  Dufeuillet,  s'il  n'était 
pas  un  ascendant  des  Pihan  Dufeuillay,  j'en  serais 
étonné. 

Cormier,  avoué,  le  juge  de  paix  des  sections  13,  14 
et  15,  \*is  à  vis  la  Bourse,  avait  un  assesseur  du  même 
nom  que  lui,  J.  Cormier  «  tenant  les  marchandises  de 
l'Inde  »,  près  le  Bon  Pasteur.  D'autres  assesseurs  de  Cor- 
mier ont  fait  parler  d'eux  :  Cuissart,  en  la  personne 
d'un  adjoint,  sous  le  maire  Ferdinand  Favre  et  le  Second 
Empire;  Lavigne,  en  celle  du  concessionnaire  de  la  loge 
Graslin  au  théâtre  avant  la  guerre  de  1870.  J'ignore  si 
le  Bernard  cité  -  les  Bernard  sont  nombreux  —  est 
un  parent  de  mon  ancien  collègue  et  ami  Remy  Bernard. 
Quant  à  Van  Neunen  jeune,  c'est  déjà  une  vieille 
connaissance. 

Le  dernier  des  juges  de  paix,  celui  des  16e  17e  et  18e 
sections,  Dupuis  père,  négociant,  rue  de  Launai,  n'avait 
au  nombre  de  ses  collaborateurs  aucun  Nantais,  sauf 
Hardouin,  dont  le  nom  soit f  encore  porté  aujourd'hui. 
'  -  En  dehors  de  leurs  audiences  privées  et  des  fonctions 


—  278  — 

policières  qu'ils  remplissaient  à  tour  de  rôle  au  Palais, 
les  juges  de  paix  de  Nantes  avaient  un  Bureau  de  Con- 
ciliation. Quelles  étaient  les  attributions  de  ce  Bureau 
qui,  d'après  les  noms  de  ses  membres,  était  composé 
de  juges  honoraires,  d'anciens  magistrats?  Je  ne  saurais 
préciser,  me  bornant,  d'après  les  Etrennes,  à  indiquer 
qu'il  se  réunissait  trois  fois  par  semaine  à  l'Hôtel  de 
Ville.  En  regard  du  nom,  bien  connu  et  honorablement 
porté  depuis  un  siècle,  du  premier  de  ses  membres,  Jala- 
bert  père,  est  inscrit  la  date  de  sa  nomination,  1792. 
Viennent  ensuite  Beaufranchet,  le  même  apparemment 
que  le  président  du  Directoire  du  département,  Petit 
des  Rochettes,  qui  évoque  plusieurs  générations  nan- 
taises ;  Brounais,  maître  de  pension  ;  Houget,  encore 
un  vieux  Nantais,  et  Lenormand,  père  du  greffier  du 
juge  de  paix  Cormier.  Ce  Bureau  de  Conciliation  —  sorte 
de  chambre  des  juges  -  -  était  trié  sur  le  volet. 

Je  passe  très  rapidement  sur  la  désignation  des  juges 
de  paix  des  sept  cantons  ruraux  du  district  de  Nantes, 
aussi  bien  que  sur  celle  des  juges  commissaires  natio- 
naux suppléants  et  greffiers  des  huit  tribunaux  de  dis- 
tricts, Ancenis,  Châteaubriant,Blain^Savenay,Guérande, 
Clisson,  Machecoul,  Paimbœuf.  Je  retrouverais  beaucoup 
des  noms  que  j'ai  déjà  relevés,  en  parlant  des  Conseils 
et  Directoires  de  districts.  Le  cumul  des  fonctions  admi- 
nistratives et  judiciaires,  toléré  dans  une  grande  ville 
comme  Nantes,  ne  pouvait  manquer  d'exister  dans  de 
petites  localités  où  le  recrutement  des  citoyens  capables 
et  de  bonne  volonté  n'était  pas,  à  beaucoup  près,  aussi 
facile.  D'ailleurs,  de  nombreux  postes  restaient  encore 
inoccupés,  et  très  souvent  la  lettre  N,  suivie  de  plusieurs 
points,  indique  que  la  place  n'est  pas  prise  ou  que  le  titu- 
laire est  «  sorti  ». 

Pour  ne  rien  omettre,  je  signale  deux  Trastour:  l'aîné, 
juge  de  paix;  le  jeune,  greffier  à  Paimbeuf,  d'où  la  famille 
est  certainement  originaire.  Je  retrouve  à  Machecoul, 
un  Gaschignard   à  côté  d'un  Joyau,  d'un  Vrignaud,  d'un 


—  279  — 

Charruau,  qui  ont  fait  souche  nantaise.  Audap  et  Dugast, 
à  Clisson  ;  Lorieux,  au  Croisic  ;  Pissebuche,  à  Mesquer 
(district  de  Guérande);  Brossaud,  Merot  fils,  à  Savenay; 
Cocaud,  Chiron,  Bessejon,de  Nantes  (sic),  à  Blain;  Blouen, 
Bodrigue,  à  Chàteaubriant  ;  Luneau,  Lebec,  à  Ancenis, 
ajoutent  quelques  noms  nouveaux  à  une  liste  déjà  lon- 
gue de  braves  gens  qui,  peu  ou  prou,  furent  mêlés  aux 
affaires  publiques  à  l'époque  la  plus  troublée  de  notre 
histoire. 

Je  suis  pas  à  pas  les  Eirennes,  estimant  que  ce  petit         ^a  Monnaie 
voyage  autour  du  vieux  Nantes  aura  d'autant  plus  de  ^e  Nantes. 

charme  qu'il  auraété  fait  sans  trop  d'ordre  ni  de  méthode. 
Mais  entre  les  Tribunaux  de  districts  et  le  Tribunal 
de  Commerce,  je  ne  m'attendais  guère  à  trouver  VHôtel 
des  Monnaies.  Pénétrons-y,  puisqu'on  nous  invite.  Sa 
situation,  place  du  Bouffai,  lui  créant  un  voisinage  avec 
l'ancien  Palais  de  Justice,  explique  peut-être  qu'on 
l'ait  intercalé  dans  le   Nantes    judiciaire. 

Sans  être  un  des  ateliers  monétaires  les  plus  impor- 
tants de  France,  Nantes  figurait,  depuis  Henri  IV,  parmi 
les  dix-sept  villes,  Paris  compris,  où  l'on  battait  monnaie 
Sa  marque  était  un  T.  On  trouve  encore  assez  souvent 
des  pièces  et  des  sols  à  l'effigie  du  pauvre  Louis  XVI, 
portant  ce  T  incisé  dans  le  métal;  quelques-uns  à  la 
date  de  1793  circulaient  et  purent  même  être  frappés 
après  la  mort  du  Boi.  La  Monnaie  de  Nantes  ne  fut  fermée, 
en  effet  qu'au  cours  de  cette  année  1793,  et  on  y  frappa 
jusqu'au  bout  des  pièces  à  l'effigie  royale. 

Les  fonctionnaires  de  VHôtel  des  Monnaies  formaient 
à  Nantes  toute  une  petite  administration,  à  la  tête  de 
laquelle  étaient  le  commissaire  national,  ex-commissaire 
du  Boi,  nommé  Pussin,  son  adjoint,  Piquet  ;  le  directeur 
et  trésorier  particulier  Thomas  ;  un  essayeur,  Lecourt  ; 
un  graveur,  Poirier.  Ces  cinq  personnages,  composant 
à  la  fois  le  bureau  et  le  service  technique,  étaient  logés 
à  la  Monnaie.   On  leur  avait  adjoint  des  officiers  des 


—  280  — 

monnoi/eurs,  dont  les  fonctions  ne  sont  pas  nettement 
définies,  mais  qui  devaient,  d'après  leur  titre,  être  pré- 
posés à  une  haute  surveillance  et  organisés  militaire- 
ment, ('.'étaient  :  un  prévôt,  Couillaud  de  la  Rive;  son 
lieutenant,  Ives  Artaud;  un  prévôt  des  ajusteurs,  R.  Bri- 
don:  son  lieutenant,  F.- J.  Arthaud.  Notons,  en  passant, 
cette  différence  d'orthographe  entre  Artaud  et  Arthaud. 
Le  premier  habitait  Isle  des  Chevaliers,  le  second  à  Rezé, 
ce  qui  prouve  qu'ils  surveillaient  d'assez  loin  l'Hôtel  des 
Monnaies.  Il  y  avait  sans  doute  un  poste  de  Garde  Na- 
tionale à  proximité. 


Tribunal 
de  Commerce. 


Le  Tribunal  de  Commerce  a  toujours  eu  beaucoup 
d'importance  à  Nantes,  et  ses  attributions  n'ont  pas 
varié  depuis  que  le  rédacteur  des  Etrennes  écrivait  : 
«  Toute  affaire  de  commerce  de  terre  et  de  mer,  en 
matière  civile  seulement,  sont  de  son  ressort  ».  Il  tenait 
alors  ses  audiences  les  lundis,  mercredis  et  samedis,  à 
10  heures  du  matin,  à  la  maison  Villestreux,  ce  bel  hôtel 
de  granit  de  l'île  Feydeau,  où  Carrier  descendit  à  son 
arrivée  à  Nantes.  Des  élections  pour  la  composition  du 
Tribunal  avaient  lieu  en  1792.  Celui  que  les  négociants 
de  Nantes  avaient  jugé  le  plus  apte  à  trancher  leurs 
contestations  commerciales  et  qu'ils  avaient,  en  consé- 
quence, nommé  président,  était  Alexis  Mosneron  de 
Launay.  Il  avait  montré  sa  compétence  comme  membre 
du  Bureau  central  d'administration  du  commerce  créé 
par  le  ministre  de  l'intérieur  en  1791.  Ce  bureau,  qui 
comprenait  des  délégués  des  grandes  villes  commerciales, 
Lyon,  Marseille,  Lille,  Dunkerque,  Paris,  Nantes,  avait 
pour  mission  de  défendre,  près  du  pouvoir  central,  les 
intérêts  des  commerçants.  Mosneron  avait  été  à  la 
hauteur  de  sa  tâche  ;  ses  concitoyens  l'en  récompen- 
sèrent. Les  juges  au  Tribunal  de  Commerce,  Prasle, 
Rozier,  Guesdon,  capitaine  (au  long  cours,  sans  doute), 
portaient,  ainsi  que  leurs  suppléants,  Claude  Lory, 
Bonamv,     d'Havelooze    aîné     et    Lormier,    des   noms 


—  281 


estimés  sur  la  place  de  Nantes.  Le  greffier  en  chef 
Pradel,  et,  le  commis-juré,  Morin,  remplissaient  des 
fonctions  communes  |à  d'autres  tribunaux.  Un  poste 
original  était  celui  du  receveur  des  droits  maritimes 
Pelieu,  île  Feydeau  ;  il  avait  un  adjoint,  Rignolet. 
Cinq  huissiers  étaient  attachés  au  Tribunal  de  Com- 
merce ;  ils  ne  se  confondaient  pas,  comme  aujour- 
d'hui,  avec  les  huissiers  près  les  tribunaux  civils. 

Le  tableau  de  Nantes  judiciaire  se  complète  par  le 
trois  listes,  extrêmement  intéressantes,  des  professions 
libérales  qui  se  rattachent  à  la  justice.  En  énumérant 
les  hommes  de  loix  (sic),  qui  ne  sont  autres  que  les  avo- 
cats, les  avoués,  qui  avaient  dépouillé  depuis  peu  leur 
appellation  séculaire  de  procureurs,  les  notaires  publics, 
ex-notaires  royaux,  bientôt  notaires  tout  court,  nous 
résumerons  ce  que  le  Tiers-État  nantais  comptait  de 
remarquable  dans  les  professions  libérales  ayant  la  loi 
pour  base  ou  pour  objet. 

Il  y  avait  même,  parmi  les  hommes  de  loi  ou  avocats, 
une  noblesse  de  robe  qui,  clans  les  cérémonies,  marchait 
en  tête  de  la  compagnie  et  ne  s'humiliait  pas  devant  la 
noblesse  d'épée.  Les  Etrennes  distinguent  ces  aristocrates 
en  toge  et  bonnet  carré  et  les  placent  par  rang  d'âge  ou 
d'ancienneté  au  début  de  la  liste.  Le  premier  nommé 
s'appelle  pourtant  Geffray  sans  particule  et  donne  son 
adresse  rue  Racan,  ex-rue  Saint-Denis.  Mais  j'ai  cons- 
taté que  son  vrai  nom  était  Geffray  de  la  Panneterie  et 
que,  avocat  lui-même,  il  descendait  d'anciens  avocats  et 
d'un  échevin  de  la  ville  en  1704.  Viennent  ensuite,  dans 
la  majestueuse  ordonnance  de  leurs  noms,  titres  et  qua- 
lités, Le  Roux  de  la  Mostière,  Cocaud  de  la  Ville-au-Duc, 
Heulin  de  la  Martinais,  Turpin  du  Prouzeau  (allié  aux 
Turpin  de  Crissé),  Texier  de  Louvrardière.  Mais  il 
manque,  je  ne  sais  pourquoi,  Saulnier  de  la  Pinelais, 
pourtant  reçu  licencié  en  1779  et  qui  resta  au  tableau 
presque  tout  le  règne  de  Louis  Philippe.  Une  mention 
spéciale   est   due   à   Jean-Baptiste   Gellée   de  Premion 


Noblesse 

de  robe. 

Les   avocats. 


—  289  — 

dont  la  famille,  très  ancienne, portant  d'après  d'Ho/.ier 
et  le  Li'pre  Dore     d'azur  au  compas  d'argent    .  a  donné 

son  nom  à  une  rue  de  Nantes.  Gellée  de  Premion  avait 
été  maire  de  Nantes  à  deux  reprises,  de  17ôl  à  I7ô'2.  de 

n    à    1782;    il    était    octogénaire    à    l'apparition  des 
Etrtnnes,  puisqu'il  mourut  le  12  novembre  17^  t.  à  l'âge 
de   83  ans.   Nul   n'aurait    tolère    qu'il    disparût    de   la 
liste  d'un  ordre  qu'il  avait  honore  par  ses  vertus  et  ses 
talents.  La  reconnaissance  de  la  ville  lui  est  demeurée 
fidèle,    le    musée    archéologique    conserve    son    portrait 
en  pied  qui  faisait  partie  de  la  collection  des  portraits  des 
maires  avant  la  Révolution.  Après  la  noblesse,  voici  la 
bourgeoisie  de  robe,  très  digne  de  marcher  à  côte  d'elle. 
Plusieurs  de  ces  robins  —  comme  on  les  désignait  alors 
sans  intention  ironique  —  ont   demande,   dès    1789,   à 
faire  le  service  de  la  garde  nationale,  dont  leur  charge 
pouvait  les  dispenser.  Ce  sont,  avec  Yillaudue-C.oeaud  (ou 
Cocaud  de  la  Villauduc)  et  Heuiin  de  la  Martinais.  déjà 
nommes.  Marion,  qui   peut    aussi   s'appeler   Marion   de 
Procé,  Delaville-Leroulx,  Marie  jeune.  Cotelle  père  et  fils. 
Urien,  frère  du  citoyen  notaire:  Gedouin.  le  juge  au  Tri- 
bunal    révolutionnaire.     Angebault     fils   et    Angebault 
jeune.  Baron.  Clavier.  Ballais.  Maussion  est  l'un  des  plus 
connus  :      ge  du  district  de  Nantes,  il  a  ete  concurrent 
de  Baco  lors  de  sa  toute  récente  élection  à  la  mairie  de 
Nantes  et  il  a  réuni  sur  son  nom  une  imposante  minorité. 
-  tuquet  est  redevenu  avocat  après  avoir  ete  procureur 
syndic  de  la  Commune,   prédécesseur  de  J.-M.  Dorvo. 
Letourneux,   toujours  inscrit   à  l'ordre,   est     procureur 
al  du  département.  Quant  à  Ménard,  il  peut  bien 
donner  son  adresse  à  la  Maison  Commune,  nous  avons 
vu  qu'il       -    ge  en  permanence,  remplissant  les  absor- 

ates    fonctions   de    secrétaire-greffier.  Je   trouve  son 

nom  au  bas  d'une  affiche,  où  il  rassure  ses  concitoyens 

contre  u:.  rd  de  l'époque  :  le  bruit  avait  couru  qu'il 

y   avait    cinq   canons  charges   à   mitraille  dans   l'église 

natien. 


—   283   — 

Kn  somme,  les  37  avocats  inscrits  en  1703  au  Barreau 
de  Nantes  (j'en  ai  omis  quelques-uns)  représentaient 
très    dignement    l'ordre. 

Il  y  avait  à  Nantes,  en  1793,  beaucoup  plus  d'avoués 
que  maintenant;  on  n'en  comptait  pas  moins  de  vingt- 
sept,  ce  qui  prouve  l'empressement  que  mettaient  les 
»  basochiens  »  à  se  rendre  acquéreurs  des  anciennes 
charges  de  procureurs  et  aussi,  à  dire  d'experts,  la  fré- 
quence des  procès.  Mais  je  pose  un  point  d'interrogation  : 
tous  les  avoués  de  la  liste  des  Etrennes  étaient-ils  réelle- 
ment en  fonctions  ou  continuaient-ils  d'exercer  leur 
métier  concurremment  avec  des  charges  politiques?  Le 
cumul  me  paraît  difficile  en  ce  qui  concerne  Hyacinthe- 
René  Nouel,  rue  Soleil,  qui  très  certainement  ne  fait 
qu'un  les  prénoms  sont  identiques  -  avec  Nouel, 
substitut  du  procureur  de  la  Commune.  Je  n'ai  relevé 
que  cet  exemple;  il  peut  n'être  pas  le  seul.  Les  avoués, 
qui  étaient  des  bourgeois  qualifiés  en  même  temps  que 
d'habiles  légistes,  n'étaient-ils  pas  tout  désignés  pour 
couvrir  de  leurs  noms  et  assister  de  leurs  lumières  leurs 
collègues  du  district  ou  de  la  municipalité? 

Plus  d'une  famille  nantaise  encore  existante  reconnaî- 
trait les  siens  parmi  ces  nouveaux  officiers  ministériels 
dont  les  Etrennes  ont  enregistré  les  noms  et  presque  tou- 
jours les  prénoms.  Des  Le  Merle,  des  Goupil,  des  Lema- 
rié,  des  Burguerie,  des  Bulet  seraient  aisément  retrouvés 
aujourd'hui.  Les  Pouponneau  étaient  avoués  de  père 
en  fils,  et  j'ai  pu  connaître  l'un  d'eux,  vieillard  aimable, 
qui  faisait  de  petits  vers  badins  et  des  chansons  ana- 
créontiques  à  dire  au  dessert.  Jacques-Pierre  Papin 
était,  ou  je  me  trompe  fort,  l'aïeul  de  Papin  de  la  Cler- 
gerie,  chef  de  bureau  à  la  mairie  à  l'époque  où  j'habi- 
tais Nantes  et  membre  des  sociétés  savantes  de  la  ville, 
et  de  M.  R.  Papin  de  la  Clergerie,  qui  est  actuellement 
chef  du  Secrétariat  du  Conseil  Général  de  la  Loire-Infé- 
rieure. 

Des  27  avoués  de  1793,  les  deux  qui  ont  le  plus  marqué 


—  284   — 

sont  René-Alexandre  Garnier,  rue  Bossuet,  et  Garreau, 
dont  le  domicile  est  assez  vaguement  indiqué  «  près  la 
Maison  Commune  ».  Ce  furent,  dans  leur  modeste  sphère, 
des  personnages  historiques. 

René-Alexandre  Garnier  de  la  Mulnière,  fils  d'un 
notaire  et  procureur  du  duché  de  Retz,  à  Bourgneuf, 
était  né  en  1741.  Procureur  au  présidial  de  Nantes 
avant  1778,  il  fut,  un  des  premiers,  nommé  avoué  près  le 
Trihunal  des  districts,  à  la  réorganisation  judiciaire  du 
mois  de  septembre  1793;  il  allait  être  arrêté  comme  aris- 
tocrate, on  lui  prêtait  un  propos  séditieux,  on  l'accusait 
d'avoir  dit  qu'on  était  plus  libre  sous  l'ancien  régime  que 
sous  le  nouveau.  Il  fit  tout  naturellement  partie  des 
132  Nantais;  il  eut  la  chance  de  ne  perdre  ni  la  vie,  ni  la 
liberté,  et,  acquitté  après  le  9  Thermidor,  il  revint  à 
Nantes  et  reprit  son  étude.  Il  fut  l'un  des  douze  avoués 
près  le  Tribunal  Civil  que  le  sénatus-consulte  de  l'an  VIII 
conserva.  Il  mourut  en  1813. 

Plus  tragique  est  la  destinée  de  Garreau  —  Garreau 
tout  court,  impriment  les  Etrennes,  mal  renseignée  sur 
son  compte  —  en  réalité  Joseph  Armand  Garreau  du 
Brossais.  Lui  aussi  était  procureur  au  présidial  de  Nantes 
avant  de  devenir  avoué.  On  en  fit  même,  en  1790,  un 
procureur  général  de  la  Commune;  mais  sa  modération, 
sa  tiédeur,  le  firent  bientôt  remplacer  par  Dorvo.  Comme 
Dorvo,  comme  Garnier,  Garreau  fit  partie  de  la  colonne 
des  132  Nantais;  mais,  moins  résistant  que  ses  compa- 
gnons d'infortune,  il  ne  put  supporter  les  fatigues  du 
voyage,  les  privations  de  la  captivité,  et  il  mourut,  le 
22  janvier  1794,  dans  la  maison  de  santé  du  Dr  Bel- 
homme,  qui  s'élevait  sur  l'emplacement  actuel  de  la 
maison  Dubois.  Garreau  parlait  et  écrivait  bien  :  plu- 
sieurs de  ses  discours  et  de  ses  lettres  ont  été  imprimés; 
la  Bibliothèque  de  Nantes  conserve  manuscrit  son  réqui- 
sitoire dans  une  délibération  de  la  municipalité  de  Nantes 
du  20  mai  1791,  en  faveur  des  gens  de  couleur.  Bappe. 
Ions  que  les  Nantais  les  plus  républicains  demeuraient 


—  285  — 

alors,  pour  des  raisons  commerciales,  partisans  de  la 
traite  des  noirs.  On  trafiquait  du  bois  d'ébène  comme 
d'une  denrée  courante  et  quiconque  tentait  de  s'oppo- 
ser à  ce  trafic  était  taxé  de  folie. 

Les  notaires  publics,  qui  s'étaient  appelés,   devaient  Notaires. 

s'appeler  encore  les  notaires  royaux  et  devenir,  pour  le 
rester,  notaires  tout  court,  étaient  nombreux  à  Nantes  en 
1792-1793,  moins  pourtant  que  les  avoués  et  les  avocats. 
Il  y  en  avait  dix-neuf,  chiffre  qui  n'a  pas  beaucoup  varié: 
ils  étaient  dix-huit  en  1820,  ils  sont  encore  dix-huit  au- 
jourd'hui. Beaucoup  de  leurs  études  étaient  centenaires. 
Je  les  cite  dans  l'ordre  où  les  donnent  les  Etrennes;  mes 
recherches  m'ont  fait  retrouver  quelques-uns  des  titu- 
laires antérieurs  et  postérieurs  à  la  Révolution.  Rien 
n'est  plus  intéressant  pour  l'histoire  des  familles  nan- 
taises. Alors,  commetaujourd'hui,  le  notariat  des  grandes 
villes  se  recrutait  dans  l'élite  de  la  bourgeoisie  riche. 

Briand  «  le  jeune  »  ouvre  la  liste  dressée  par  rang 
d'ancienneté.  Cet  homonyme  du  ministre  socialiste 
exerçait  depuis  1754.  Il  avait  eu  Duhil  et  Lelou  comme 
prédécesseurs.  Son  étude,  établie  rue  Fosse,  se  fondit  au 
commencement  du  xixe  siècle  avec  celle  de  Guillet, 
rue  de  la  Juiverie,  titulaire  en  1793,  et  dont  le  fils 
exerçait  encore  en  1820.  Guillet  avait  succédé  à 
Coisquaud  et  à  Martin  de  la  Coutancière.  Les  deux 
études  réunies  élurent  domicile  Carrefour  Casserie,  14. 
Je  perds  leur  trace. 

Guesdon,  rue  Suffren,  était  devenu  notaire  la  même 
année  que  Briand,  1754.  Les  Etrennes  indiquent  comme 
son  prédécesseur  Recommencé,  parent,  sans  doute, 
d'un  Recommencé,  ingénieur  ordinaire  des  Ponts  et 
Chaussées,  rue  Maupertuis,  en  1792.  Un  Guesdon  est 
donné  en  1820  comme  ayant  été  un  des  titulaires  de 
l'étude  Jalabert  que  nous  retrouverons.  Il  y  en  eut  un 
autre  qui  fut  Directeur  de  !aCled' Assurances  La  Nationale. 

Urien,  le  «  citoyen  »  Urien,  était  un  peu  sauvage  ;  il 


—  286  — 

fournissait  les  expéditions  dos  actes  des  notaires  décédés. 
Il  avait  succédé  à  son  père  en  1707;  il  était  encore  en 
exercice  en  1819.  Son  étude,  fort  ancienne,  sise  rue 
J.-J.  Rousseau,  puis  transférée  quai  Cassard,  avait  ap- 
partenu successivement  à  Lepelletier,  à  Mocquart,  à 
Poirier.  Un  de  ses  successeurs,  à  la  fin  de  la  Restauration, 
fut  Francheteau,  père  de  mon  collègue  au  Conseil  Muni- 
cipal, devenu  juge  de  paix  du  2e  canton  et  récemment 
décédé. 

Rue  Crébillon  se  trouvait  l'étude  de  Lambert,  qui 
avait  succédé  à  Duboueix,  son  beau-père.  Lebec,  qui 
vint  ensuite,  s'établit  Basse-Grande-Rue  (les  documents 
officiels  répètent  à  l'eiivie  ce  curieux  pléonasme 
«  Rue  Basse-Grande-Rue  »). 

Hérault,  rue  Soleil,  ancien  nom  de  la  rue  Beau-Soleil, 
n'avait  eu  qu'un  prédécesseur,  son  père;  je  ne  lui  connais 
d'autre  successeur  qu'un  Joyau,  aïeul  de  l'architecte, 
qui  transféra  l'étude  rue  du  Château:  même  transmis- 
sion de  père  en  fils  s'applique  à  Moricet,  rue  Juiverie. 

Détail  singulier  :  un  Le  Gouais,  de  St-Julien-de-Vou- 
vantes,  avait  été  le  premier  titulaire  de  l'étude  du  quai 
Brancas,  dirigée  en  1793,  et  depuis  1777,  par  Daniel  du 
Mortier,  qu'une  pièce  du  temps  désigne  simplement  sous 
le  nom  de  Daniel.  Cette  étude  importante  absorba  celle, 
assez  voisine,  delà  rueBayle  ou  rue  de  Gorges,  où  s'étaient 
succédé  Appuril  et  Coisquaud.  Elle  eut  plus  tard  à  sa 
tête  Bruneau,  le  père  et  le  fils  Royer,  Brard,  notaire  en 
1845  de  ma  tante  de  Verviîle,  chef  d'une  famille  bien 
connue  aujourd'hui.  Il  la  dirigea  longtemps. 

Les  Jalaber,  ou  Jalabert,  étaient  de  vieille  souche 
nantaise.  L'un  d'eux,  que  j'ai  connu  fort  âgé,  avait  fait 
sous  la  Restauration,  en  faveur  des  Grecs,  des  vers  d'un 
patriotisme  ardent.  Trois  de  ses  ancêtres  avaient  été 
notaires  de  père  en  fils  dans  la  rue  des  Carmélites, 
débaptisée  par  la  Révolution  qui  en  fit  la  rue  Mauper- 
tuis,  puis  place  Saint-Pierre.  Il  y  avait  près  d'un  siècle 
de  notariat   dans  cette  famille  Jalabert. 


—  287  — 

Les  Defrondat  ne  sont  pas  pour  nous  de  nouvelles 
figures;  ces  très  honorables  bourgeois  nantais  avaient 
en  eux  l'étoffe  de  parfaits  notaires.  En  1782,  l'un  d'eux, 
le  fils,  s'établit  dans  l'étude  de  la  Basse-Grande-Rue,  qui 
avait  vu  se  succéder  Jean,  André  et  Antoine  Charier, 
G.  Allain  et  Forget.  Lui-même  prit  la  place  de  son 
père.  J'ignore  à  quelle  époque  l'étude  passa  place  du 
Commerce;  elle  y  était  sous  la  Restauration,  du  temps 
du  notaire  Citerne  ;  elle  est  aujourd'hui,  5,  rue  du 
Calvaire. 

Place  du  Bouffay,  dans  le  voisinage  de  l'ancien  Palais, 
à  l'ombre  de  la  vieille  tour  tragique  qui  devait  présider 
à  tant  d'exécutions,  le  notaire  Fresnel  avait  recueilli 
la  succession  de  nombreux  tabellions;  il  passa  son  étude 
à  son  gendre  Bertrand,  de  la  famille  de  Louis  Séraphique 
Bertrand,  l'ami  de  Desforges-Maillard  et  l'un  des  plus 
agréables  poètes  nantais  du  xvme  siècle.  Bertrand 
fut  remplacé  par  Morin  d'Yvonnière,  puis  par  Jousset, 
grand-père  ou  grand-oncle  du  très  distingué  et  regretté 
peintre  de  marine,  notre  contemporain.  Avec  ce  dernier, 
l'étude  émigra  quai  Brancas,  près  de  celle  de  Me  Brard. 

Il  ne  faut  pas  confondre  les  deux  notaires  homonymes 
Briand  le  jeune,  rue  Fosse,  et  Briand  du  Marais,  quai 
des  Gardes  Françaises,  ancien  quai  Flesselles.  Les  Du 
Marais  avaient,  dès  le  xvme  siècle,  des  prétentions 
fondées  à  l'aristocratie.  Ils  se  sont  éteints  en  la  per- 
sonne du  frère  de  Madame  Bacqua,  un  célibataire  ori- 
ginal qui  habitait  rue  Saint-Clément,  près  du  couvent 
de  la  Visitation,  et  était  parfois  pour  les  religieuses 
un  voisin  assez  incommode.  Briand  du  Marais  avait 
prêté  serment  en  1783  et  succédé  à  son  père.  Une  longue 
lignée  de  notaires  les  précédait  tous  deux  dans  cette 
étude.  C'étaient  Jourdanot,  Ferrez,  Desprey,  Deles- 
baupin  père  et  fils.  Comme  presque  toutes  ses  pareilles, 
l'étude  de  Briand  du  Marais  déménagea;  je  la  trouve, 
sous  la  Restauration,  à  l'époque  du  notaire  Dauphin, 
installée  quai  Jean-Bart. 

Soc.  Archéol.  Nantes.  19 


—   288  — 

Encore  une  famille  bien  nantaise,  connue  dans  la  robe 
et  le  monde  parlementaire  dès  le  xvme  siècle,  celle  des 
Varsavaux.  Celui  que  l'on  nommait  Varsavaux  «  père  » 
exerçait  le  notariat,  place  l'Egalité,  depuis  1785.  En  1793, 
il  succédait  à  Benoist,  qui  succédait  lui-même  à  Thomas. 
Un  autre  Varsavaux,  qui  commençait  ou  recommen- 
çait à  s'appeler  Varsavaux  de  Henlée,  était  notaire  en 
charge  sous  la  Restauration;  il  avait  repris  l'étude  de 
Moricet,  déjà  rencontrée  sur  notre  chemin  et  passée 
depuis  entre  les  mains  de  Sauvaget. 

Freulet,  le  notaire  qui  demeurait  rue  Sueur  (ex-rue 
Ste-Croix),  était-il  parent  d'un  assesseur  de  juge  de  paix 
portant  le  même  nom?  La  chose  n'est  pas  autrement 
intéressante;  mais,  là  encore,  de  petites  particularités 
sont  à  signaler.  Deux  études  de  notaire,  situées  en  cette 
même  rue  Sueur  (c'est  Le  Sueur,  sans  doute,  que  la  munici- 
palité du  temps  a  voulu  dire)  se  sont  fondues  en  une. 
D'un  côté,  c'est  l'étude  Freulet  avec  des  prédécesseurs 
qui  s'appellent  Fresnel  aîné  qu'il  ne  faut  pas  confondre 
avec  le  beau-père  de  Bertrand,  et  Gorgette  (plusieurs 
porteurs  du  nom  de  Gorgette  sont  signalés  dans  la 
Bio-bibliographie  bretonne).  De  l'autre  côté,  c'est  l'an- 
cienne étude  Allin  de  la  Brière,  devenue  celle  de  Gour- 
raud.  La  respectable  liste  des  prédécesseurs  dont  pou- 
vait s'enorgueillir,  en  1820,  le  notaire  Chaillou  fils,  s'ali- 
mentait donc  des  titulaires  de  deux  charges  autrefois 
voisines,    réunies  place   de  la  Bourse. 

Avec  Chesnard  et  Girard-Canterie,  qui  figurent  sur 
une  liste  de  souscription  patriotique  de  1788,  nous 
épuisons  la  liste  des  notaires  de  Nantes  en  1792-1793. 
Fidèles  à  leur  poste  pendant  la  tourmente  révolution- 
naire, ils  perpétuaient  une  tradition  d'honnête  et  mo- 
deste labeur  qu'ils  ont  transmise  à  leurs  descendants, 
souvent  de  leur  rang,  toujours  de  leur  race. 


—  289  — 


LES    MEDECINS 


Boileau,   dans  le  Repas    ridicule,    montre  un  Recteur  Université. 

d'Université  marchant  à  pas  comptés,  suivi  des  Quatre 
Facultés.  Il  y  avait  encore,  en  1792,  une  Université  à 
Nantes  et  nous  venons  de  voir  qu'une  des  Quatre  Facultés, 
celle  du  droit  ou  de  la  jurisprudence,  n'y  était  pas  mal 
représentée.  Hygie,  déesse  de  la  Santé,  suivait  de  près 
Thémis,  ou  Esculape  Cujas,  comme  on  voudra,  et  les 
princes  de  la  science  nantaise  tenaient  beaucoup  à  leur 
titre  de  docteur  régent.  Pourquoi  cinq  des  plus  qualifiés 
se  proclamaient-ils  avant  tout  médecins  ?  C'est  qu'ils 
avaient  leurs  chaires  à  l'Université  et  que,  spécialistes 
avant  la  lettre,  ils  traitaient  devant  leurs  élèves  ou  le 
public,  de  tel  point  de  doctrine,  de  telle  partie  de  la 
science  ou  de  telle  maladie  dont  ils  avaient  fait  l'objet 
de  leurs  études. 

Ainsi,  Arnoult  était  «  médecin  pour  la  prat  que  cli-  Les  médecins. 
nique  ».  Lemerle,  qui  avait  navigué,  se  mettait  à  la 
portée  des  matelots  français  et  étrangers  du  port  de 
Nantes  pour  les  maladies  des  gens  de  mer.  Monlien  ensei- 
gnait la  Sméiotique,  mot  bizarre,  chose  mystérieuse,  que 
nous  ne  trouverez  ni  désignés,  ni  expliqués  dans  aucun 
dictionnaire;  il  s'agissait  —  le  grand  S  en  fait  foi  —  du 
système  d'un  praticien,  alors  célèbre,  aujourd'hui  mécon- 
nu, du  nom  de  Smet.  On  lui  avait  fait  l'honneur,  que 
n'eurent  ni  Broussais,  ni  Yelpeau,  ni  même  Ricord,  de 
forger  un  néologisme  avec  son  nom.  Le  Meignen  avait 
une  chaire  dé  botanique;  c'était  le  Linnée  ou  plutôt 
l'Ecorchard  de  son  temps.  La  physiologie  était  !a  spécia- 
lité de  Gesbert;  je  note,  en  passant,  que  ce  mot,  au 
xvme  siècle,  est  toujours  écrit  sans  y  à  la  première 
syllabe;  les  promoteurs  de  la  réforme  orthographique 
pourraient  invoquer  ce  précédent  qui  dénote,  d'ailleurs, 
une  parfaite  ignorance  de  l'étymologie  grecque. 

Les  docteurs  «  régents  »,  au  nombre  de  18,  compre- 


—   290  — 

naient  les  cinq  «  médecins  »  déjà  nommés.  Us  avaient 
pris  leurs  incriptions  -  -  leurs  grades,  comme  on  disait 
alors  —  à  l'Université  de  Nantes.  Nous  en  avons  la 
preuve  dans  la  thèse  de  Gesbert  de  Boisfontaine,  que 
j'ai  eu  la  bonne  fortune  de  retrouver.  Elle  est  imprimée  à 
Nantes  chez  la  veuve  Querro,  mais  ne  porte,  malheureu- 
sement, au  titre  qu'un  fleuron  assez  ordinaire,  au  lieu  de 
la  belle  image  qui  faisait,  aux  yeux  de  la  Toinette  du 
Malade  Imaginaire,  le  seul  mérite  de  celle  de  Diafoirus. 
Le  jeune  candidat  -  -  c'est  Gesbert  que  je  veux  dire  — 
soutenait,  en  1788,  devant  un  jury  présidé  par  Me  Jac- 
ques Bodin-Desplantes,  la  thèse  suivante,  qui  fait  encore 
souvenir  de  Molière  :  An  bilis  natura  et    usus   definiri 
possunt?  Est-ce  qu'on  peut  définir  la  nature  et  l'usage  de 
la  bile?   Gesbert  n'échauffa  pas  la  bile  de  ses  examina- 
teurs; il  fut  reçu  avec  éloges  et,    dès   l'année   suivante, 
se  parant    de    son    titre    de   docteur   en    médecine,    il 
engageait  contre  l'apothicaire  Hectot,  de  l'Hôtel-Dieu, 
une  polémique  dont  les  pièces  subsistent  à  la  Biblio- 
thèque  de  Nantes.  En   1820,    on  retrouve   un  Hectot, 
pharmacien  sur  la  Fosse,  directeur  du  Jardin  des  Plantes, 
rue  des  Ursulines.  Ce  doit  être  le  même. 

La  thèse  de  Gesbert  al  teste  que  Jacques  Bodin-Des- 
plantes était  un  docteur  de  marque,  puisqu'en  1788  il 
présidait  un  jury  d'examen.  Il  était  sous-maire  pendant 
la  première  mairie  de  Giraud-Duplessis;  il  signait,  en 
cette  qualité  et  toujours  pendant  l'année  1788,  les  vœux 
du  Conseil  communal  animés  du  plus  intelligent  libéra- 
lisme. On  le  retrouve  encore  au  nombre  des  promoteurs 
de  la  grande  fête  patriotique  qui  réunit  les  membres  de 
la  noblesse  à  ceux  du  Tiers-État  nantais.  J'aime  à  saluer 
en  lui  l'aïeul  du  sympathique  collaborateur  de  l'Espérance 
du  peuple,  sous  la  direction  Emerand  delà  Rochette.  Ce 
journaliste  sans  fiel,  qui  répondait,  comme  son  grand- 
père,  au  prénom  de  Jacques,  n'avait  que  des  amis  dans 
les  partis  les  plus  opposés. 

Revenons  à  nos  médecins,  ou  plutôt  à  nos  «  docteurs 


—  291   — 

régents  »,  avec  le  regret  de  ne  rien  savoir  de  précis  sur  le 
clinicien  Arnoult,  sur  Lemerle,  qui  soignait  les  gens  de 
mer,  sur  Moniien,  qui  s'intitulait  assez  pompeusement  : 
«  de  la  Société  de  Médecine  de  Paris,  de  plusieurs  autres 
Académies,  ancien  médecin  des  Hôpitaux  de  la  Marine 
et  de  l'Hôtel-Dieu  de  Rennes.  »  Se  parer  de  tout  cela  et 
enseigner  la  «  Sméiotique  »  donne  à  Moniien  un  brevet 
d'originalité,  mais  ne  le  représente  pas  précisément  sous 
des  couleurs  modestes. 

Le  Meignen,  qui  habitait  rue  Crébillon,  n°  4,  n'était 
autre  que  le  grand-père  de  l'avocat  Henri  Le  Meignen, 
fondateur  et  Président  de  la  Société  des  Biblio- 
philes bretons,  mort  il  y  a  quelques  années.  J'ai  gardé 
très  bon  souvenir  de  ce  bibliophile  fervent,  doublé  d'un 
littérateur,  ami  intime  de  Perthuis,  et  qui  fut  frappé,  en 
ses  dernières  années,  de  malheurs  immérités.  A  la  Société 
Archéologique,  qu'il  présida,  deux  fois,  avec  distinction,  à 
la  Société  Académique,  il  retrouvait  les  traces  de  son  père. 
Il  avait  hérité  de  son  grand-père  le  médecin,  le  professeur 
de  botanique,  un  goût  très  vif  pour  les  fleurs,  qu'il  alliait 
à  celui  des  livres.  Les  jardins  qui  entouraient  sa  propriété 
de  La  Classerie,  près  Rezé,  les  serres  où  il  cultivait  des 
plantes  rares,  lui  étaient  aussi  chers  que  sa  bibliothèque. 
Il  dut  abandonner  tout  cela  pour  venir  vivre  tristement 
à  Paris,  de  son  métier  d'avocat.  La  mort  a  été  une  déli- 
vrance pour  celui  qui  aimait  tant  la  vie  et  qui  savait 
l'aimer. 

Plusieurs  de  ces  «  docteurs  régents  »  n'étaient  pas,  comme 
disait  Henri  IV,  parlant  des  ducs  de  Bretagne,  de  petits 
compagnons.  Richard  Duplessis  se  disait  avec  fierté, 
comme  son  collègue  Moniien,  «  membre  de  la  Société  de 
Médecine  de  Paris  ».  Mollet  de  la  Barre,  après  s'être  fait 
recevoir  à  Nantes  et  tout  en  continuant  à  figurer  sur  la 
liste  des  docteurs  régents,  s'en  était  allé  exercer  à  Paris,  où 
le  champ  était  plus  vaste.  Laënnec,  qui,  comme  Bodin- 
Desplantes,  avait  touché  à  la  politique  sous  la  mairie 
Giraud-Duplessis,  reprenait  avec  orgueil  son  titre  d'ancien 


—  292  — 

médecin  des-  hôpitaux  delà  marine,  et,  dans  son  cabinet  de 
la  place  du  Bouffay,  faisait  l'éducation  de  son  fils,  qui 
allait  devenir  l'illustre  inventeur  de  l'auscultation.  Sur 
cette  trame  un  peu  grise  d'honnêtes  praticiens  de  pro- 
vince, ressortaient  déjà,  par  leur  activité  impatiente 
et  leurs  tendances  ultra-libérales,  Blin  et  Duboueix. 
François  Blin,  après  avoir  eu  sous  le  proconsulat  de 
Carrier  un  rôle  effacé  et  s'être  confiné  dans  l'exercice, 
de  sa  profession,  prit  tout  à  coup  une  part  importante 
aux  événeme-nts.  Ce  fut  son  ami  Bureau  de  la  Bâtardière, 
«  personnage  assez  frivole  »,  disent  les  contemporains,  et 
ayant  pris  pied  dans  le  camp  royaliste,  qui  le  décida,  on 
ne  sait  pourquoi,  à  sortir  de  sa  retraite  de  la  rue  Contres- 
carpe et  à  se  lancer  dans  le  mouvement  politique.  Avant 
la  conclusion  du  traité  de  la  Jaunais,  Blin  s'employa,  de 
concert  avec  Bureau,  à  ouvrir  les  négociations  entre  le 
représentant  Buelle  et  le.  général  Charette.  Toujours 
avec  Bureau,  il  partit  pour  Paris,  investi  d'un  mandat 
officiel  des  Beprésentants  du  peuple;  il  allait  faire  hom- 
mage à  la  Convention  des  drapeaux  des  pacifiés.  Le 
Journal  de  la  Correspondance  de  Nantes  rend  sèchement 
compte  de  ce  voyage,  sur  lequel  on  voudrait  avoir 
les  impressions  de  Blin  lui-même.  Je  suppose  qu'il  fut 
désabusé  des  grandeurs  et  reprit  paisiblement  ses  fonc- 
tions médicales.  Je  retrouve  sa  trace  quai  de  la  Fosse, 
20, en  1820. 

Michel  Duboueix  était  plus  remuant;  il  ne  lui  a 
manqué  qu'une  vaste  scène  pour  devenir  un  personnage 
de  premier  plan.  Il  était  de  Clisson  où,  d'après  les  Etren- 
nes,  il  résidait  encore  en  1793.  Mais,  tout  médecin  de 
petite  ville  qu'il  était,  il  avait  réussi,  une  fois  ses  études 
classiques  terminées  au  Collège  de  l'Oratoire  de  Nantes 
et  son  diplôme  conquis  devant  la  Faculté  de  Paris,  à  se 
faire  une  réputation  et  un  nom.  Auteur  de  Recherches 
sur  la  rage  (qui  eût  supposé  en  lui  un  précurseur  de 
Pasteur  ?)  et  d'une  Topographie  médicale  de  Clisson, 
couronnées  par  la  Société  royale  de  Médecine  en  1784,  il 


—  293  — 

obtint  le  titre  de  médecin  (honoraire)  de  Monsieur, 
frère  du  Roi.  La  politique  le  tenta  dès  les  premiers  troubles 
révolutionnaires;  il  fut  élu,  en  1790,  membre  du  départe- 
ment de  la  Loire-Inférieure  pour  le  district  de  Clisson. 
Dans  l'assemblée  électorale  du  district  qu'il  présidait,  il 
prononça  un  discours  qui  est  du  mauvais  Diderot  ou  du 
Raynal  tout  pur  sur  «  l'affreux  despostime,  les  satrapes 
oppresseurs,  la  superstition  imbécile  ».  L'année  suivante, 
devenu  maire  de  Clisson  et  trésorier  du  district,  il  était 
élu  second  député  suppléant  de  la  Loiret-Inférieure  à 
l'Assemblée  Législative.  Il  n'eut  pas  l'occasion  de  siéger 
à  l'Assemblée  et  vint  exercer  la  médecine  à  Nantes,  au 
cours  de  l'année  1793.  Mal  lui  en  prit,  car  il  succomba, 
au  mois  de  décembre,  à  l'épidémie  causée  par  l'entasse- 
ment des  malades  dans  les  prisons  de  la  ville.  Dans  les 
Annales  de  la  Société  Académique  de  la  Loire-Inférieure, 
Dugast-Matifeux  a  consacré  une  notice  à  ce  singulier 
Duboueix,  type  de  médecin  politicien,  et  qui  méritait 
mieux  que  la  mention  erronée  du  Dictionnaire  des  parle- 
mentaires français,  où  on  l'affuble  du  titre  imaginaire  de 
«  comte  du  Pinieux.  » 

Les  officiers  de  santé  du  collège  de  la  ville  de  Nantes  Officiers 

(je  n'ai  garde  de  rien  omettre  de  ce  qui  concerne  leurs  de  santé. 

qualités)  formaient  un  corps  sérieux.  L'anatomie,  malgré 
Vésale  et  ce  professeur  Tulp  que  Rembrandt  a  immorta- 
lisé dans  un  tableau  célèbre,  n'était  pas  encore,  ainsi 
que  la  chirurgie,  sa  sœur,  placée  au  premier  rang  des 
sciences  médicales.  On  opérait  assez  rarement,  on  dissé- 
quait peu  au  xvne  siècle  et  au  xvme  siècle  ;  de  là,  bien  des 
erreurs  et  beaucoup  de  blessés,  de  malades  condamnés  à 
une  mort  certaine.  A  Nantes,  comme  ailleurs,  les  élèves 
de  chirurgie  et  d'anatomie  devenaient  officiers  de  santé, 
—  médecins,  docteurs  régents,  jamais.  -  -  Leurs  écoles  ne 
se  tenaient  pas  à  l'Université,  mais  dans  un  local  assez 
sombre  de  la  rue  Follard  (rue  Saint-Léonard),  très  proba- 
blement celui  que  les  chevaliers  du  Papegaut  avaient 


—  294  — 

abandonné  pour  la  Motte-Saint-André  et  qui  devint 
l'ancien  muséum  d'histoire  naturelle.  Ces  officiers  de 
santé,  que  leurs  collègues  les  docteurs  auraient  eu  tort  de 
dédaigner,  avaient  leurs  professeurs  recrutés  dans  leur 
docte  compagnie.  C'étaient  — pourl'anatomie,  Bisson,  de 
la  famille  de  l'héroïque  enseigne  de  vaisseau   lorientais; 

—  pour  les  opérations,  Cantin,  dont  le  nom  figure  au  bas 
de  quelques  actes  delà   municipalité  antérieurs  à  1789  ; 

—  pour  «  les  principes  de  l'art  de  guérir  »,  ce  que  nous 
appelons  la  thérapeutique,  Fabré,  qui  devint  conseiller 
municipal  de  1803  à  1813;  —  pour  la  pathologie  et  la 
matière  médicale,  Darbefeuille,  le  chirurgien  de  l'hospice 
des  Enfants  Trouvés,  devenu  sous  la  Restauration 
chirurgien  en  chef  de  l'Hôtel-Dieu;  —  pour  les  accou- 
chements, Etienvrin,  «  démonstrateur  »  habile,  dont 
la  Bibliothèque  de  Nantes  conserve,  manuscrit,  un 
traité  d'angiologie;  —  pour  l'ostéologie  et  les  maladies 
des  os,  Godebert,  un  des  signataires  de  la  requête 
du  Tiers-État  et  delà  souscription  patriotique  de  1788, 
officier  municipal  en  1791  et  1792.  Etienvrin  et 
Godebert,  praticiens  éminents,  étaient  encore  «  pro- 
fesseurs, d'accouchements  en  faveur  des  sages-femmes»; 
ils  se  relayaient:  l'un  faisait  son  cours pendantle semestre 
de  juillet;  l'autre  pendant  celui  de  janvier.  Le  dénom- 
brement des  trente  officiers  de  santé,  en  dehors  des  pro- 
fesseurs, serait  fastidieux  et  sans  intérêt.  Je  note  seulemen  t 
un  Perthuis,  quai  Tourville,  qui  me  rappelle  mon  vieil 
ami;  un  Suc,  parent  sans  doute  du  sculpteur  en  renom  à 
Nantes  vers  1848;  un  Ulliac  «  membre  du  collège  de 
Rennes,  aggréé  (sic)  à  celui  de  Nantes  »,  qui  porte  un 
nom  illustré  par  M1Je  Ulliac-Trémadeure,  d'origine  bre- 
tonne, auteur  d'ouvrages  pour  la  jeunesse.  A  la  suite  des 
noms  d'Herbron,  rue  Juiverie,  et  de  Thomas,  qui,  par  une 
singulière  rencontre,  habite  rue  Thomas,  dans  le  quartier 
de  la  Fosse,  je  lis  la  mention  :  «  pour  les  rapports  ». 
Le  sens  de  cette  expression  est  donné  tout  au  long 
dans    le  Dictionnaire   de   Trévoux,    édité    en    1752,    au 


—  295  — 

tome  VI,  page  625  ':  «  On  appelle  rapport,  en  médecine 
et  en  chirurgie,  le  jugement  que  des  gens  nommés  d'of- 
fice, ou  par  convention,  portent  sur  l'état  d'un  malade, 
d'un  blessé,  d'une  femme  grosse,  d'une  fille  violée, 
d'un  cadavre,  pour  instruire  les  juges  de  la  qualité  et  du 
danger  de  la  maladie  ou  des  blessures,  de  leurs  causes, 
ou  du  temps  qu'il  faut  pour  les  guérir,  de  la  certitude 
d'une  grossesse  ou  d'un  viol,  et  de  la  véritable  cause  de 
la  mort  d'un  homme.  -  Rapport  dénonciatif.  C'est  un 
rapport  fait  à  la  réquisition  des  parties  intéressées,  qui 
peuvent  choisir  pour  faire  la  visite  tels  médecins,  chirur- 
giens et  matrones  qu'il  leur  plaît.  »  Herbron  et  Thomas 
remplissaient  donc  les  fonctions  de  médecin  légiste  et 
de  médecin  expert.  Autre  remarque  :  plusieurs  des 
officiers  de  santé,  chirurgiens,  ne  résident  pas  à  Nantes. 
Le  doyen  Gillet  est  à  Paris;  j'ai  fait  des  recherches  long- 
temps infructueuses  sur  ce  personnage  qui  avait  en 
Bretagne,  à  Nantes  même,  de  nombreux  homonymes,  et 
j'ai  fini  par  découvrir  qu'un  G.  Gillet,  chirurgien  à  Nantes, 
qui  doit  bien  être  le  nôtre,  avait  publié  à  Paris,  chez 
Butard,  en  1770,  des  Observations  tendant  à  prouver  que 
les  fièvres  ne  sont  pas  des  maladies.  Je  flaire  en  ce  nomade 
doyen  un  devancier  des  théories  microbiennes. 

Un  second  chirurgien,  Bournave,  était  à  Cordemais  ; 
un  troisième,  Besson,  «  à  l'Amérique  »,  comme  impri- 
maient les  Etrennes  en  leur  style  suranné;  un  quatrième, 
Danilo,  avait  préféré  les  hasards  et  les  dangers  de  la  vie 
militaire  à  la  paisible  existence  provinciale  :  il  était  à 
l'armée  du  midi.  Comme  il  n'y  a  qu'une  initiale  «  armée 
du  m.  »,  j'avais  cru  d'abord  qu'il  s'agissaitdel'armée  de 
Mayence  ;  mais  celle-ci,  qui  laissa  en  Vendée  d'assez 
terribles  souvenirs,  ne  fut  formée  qu'en  juillet  1793. 
Danilo  exerçait  encore  sous  la  Restauration,  et  demeu- 
rait rue  de  La  Peyrouse,  n°  3. 

Je  note  que  les  chirurgiens  de  l' Hôtel-Dieu  et  du  Sani- 
tat  :  Bacqua,  Defray,  Gautier,  ne  paraissaient  pas  dans  le 
modeste  amphithéâtre  de  la  rue  Folard. 


296  — 


Dentistes. 


Apothicaires . 


Les  dentistes  viennent  après  les  chirurgiens  :  aussi  bien 
prennent-ils  déjà  le  titre  de  «  chirurgiens  dentistes  ». 
Ils  sont  aujourd'hui  douze  à  Nantes  même;  ils  n'étaient 
alors  que  trois  et  habitaient,  tous  les  trois,  rue  Fosse. 
Cagnat  ne  porte  un  nom  ni  nantais,  ni  breton  :  Boissy  de 
Beausoleil,  avec  une  si  belle  façade,  devait  être  le  dentiste 
de  l'aristocratie  et  du  beau  monde.  Le  troisième,  Marcan- 
tiny,  annonce  qu'il  est  Italien;  on  s'en  doutait  un  peu  et 
aussi  que  ses  compatriotes  et  confrères  arrachaient  des 
dents  sur  le  Pont-Neuf  ou  sur  la  place  du  Bon-Pasteur. 
Par  le  temps  qui  court,  les  dentistes  italiens  ne  font  plus 
florès.  C'est  d'au  delà  des  mers,  de  l'Amérique,  que 
nous  viennent  les  mécaniciens  les  plus  experts.  Notons 
que  Marcantiny  était  chirurgien-major  de  la  Garde 
Nationale,  en  1791. 

Les  apothicaires,  tués  par  le  progrès,  ont  disparu  sous 
leur  forme  primitive.  M.  Purgon  et  M.  Fleurant  ne 
vivent  plus  que  dans  Molière  avec  les  matassins  de  Pour- 
ceaugnac.  Mais  les  apothicaires  de  1792  n'étaient  autres 
que  des  pharmaciens  et  l'on  aurait  beaucoup  froissé 
MM.  Lafiton,  Louvrier,  Cigogne  ou  Dupré  de  la  Boulais, 
en  les  invitant  à  administrer  le  petit  remède  qui  donnait 
à  nos  aïeux  un  teint  toujours  fleuri.  Est-ce  leur  ancienne 
profession  qui  leur  a  laissé  des  noms  lénitifs  ou  harmo- 
nieux? Celui  de  Benoît  n'est  que  gracieux,  mais  celui  de 
Haubois  est  tout  à  fait  musical.  L'un  d'eux  trahit  une 
origine  nantaise.  Les  autres,  La  Fargue,  Garros,  Trahan, 
m'ont  l'air  d'arriver  du  Midi  en  droite  ligne,  mais  l'un 
d'eux  a  fait  souche  nantaise. 


La  Bibliothèque 


La  disposition  des  Etrennes  fait  succéder  aux  apothi- 
caires la  Bibliothèque  publique.  Cette  Bibliothèque, 
assez  modeste  alors,  qui  ne  s'était  pas  enrichie  des  pré- 
cieux fonds  Labouchère  et  Lajariette,  était  située 
Maison  du  Collège,  vis-à-vis  le  cours  Liberté,  ex-cours 
Saint-Pierre.  Elle  avait  pour  bibliothécaire  un  nommé 


—  297   — 

Londiveau,  prédécesseur  inconnu  des  Guillet,  des  Peecot, 
des  Péhant  et  des  Rousse.  Elle  était  ouverte  les  lundis, 
mercredis  et  vendredis,  de  2  heures  à  5  heures  en  hiver  ; 
de  2  heures  à  6  heures  en  été.  Une  petite  note,  que  le 
rédacteur  des  Etrennes  place  à  la  suite,  me  charme  : 
«  Lorsque  le  jour  de  l'ouverture  tombera  un  jour  de 
fête,  la  bibliothèque  sera  ouverte  le  lendemain  ». 
L'Administration  et  le  bibliothécaire  donnaient  là,  sous 
une  forme  naïve,  un  bel  exemple  de  conscience  ;  ils 
seraient  peut-être  moins  scrupuleux  aujourd'hui.  Seu- 
lement, les  bibliothèques  sont  ouvertes  tous  les  jours, 
excepté  le  dimanche. 

LES    ÉCOLES 

Place  au    Collège  de  l'Oratoire  où  débuta  le  général  L'Oratoire. 

.Mellinet  !  Il  a  précédé  celui  que  nous  avons  connu  et 
qui  a  disparu  lui-même,  sous  son  vieil  aspect  de  cloître 
et  de  prison,  devant  une  bâtisse  neuve,  sans  défauts 
mais  sans  souvenirs  !  On  pourrait  dire  de  l'ancien  collège, 
celui  de  l'Oratoire,  que  ses  ruines  mêmes  ont  péri  si  la 
façade  de  la  chapelle,  rehaussée,  dans  son  style  Louis  XIII, 
par  l'élégant  perron  qui  y  donne  accès,  et  la  chapelle 
elle-même  n'avaient  été  conservées  pour  loger  d'abord 
les  collections  du  musée  archéologique,  et,  actuellement, 
une  partie  des  Archives  départementales.  Les  bâtiments 
du  collège  s'étendaient  de  chaque  côté  de  la  chapelle  et 
en  bordure  de  la  rue  du  Lvcée  actuelle  ;  ils  étaient 
insuffisants  pour  le  nombre  croissant  des  élèves;  ils  ont 
été  démolis  à  l'époque  où,  en  exécution  du  décret  impé- 
rial, qui  décidait  la  création  d'un  lycée,  on  désaffecta 
le  couvent  des  Ursulines,  abandonné,  par  les  religieuses, 
depuis  la  Révolution. 

Le  collège  de  l'Oratoire  était  municipal,  en  réalité; 
son  titre  de  «  collège  royal  »  était  fictif,  puisque  l'ingé- 
rence de  l'Etat  dans  l'enseignement  public,  substituant 
aux  universités  autorisées  l'Université  officielle,  est  une 


—  298   — 

des  créations  du  système  napoléonien.  Pour  Nantes, 
j'ai  retrouvé  un  document  probant,  dont  la  date  con- 
corde presque  avec  l'apparition  des  Etrennes  de  1793. 
C'est  une  affiche  sur  la  rentrée  du  collège,  datée  du  21 
octobre  1792,  signée  :  Giraud-Duplessis,  maire;  J.-M. 
Dorvo,  procureur  de  la  Commune;  L.  Ménard,  commis- 
greffier.  Le  maire  étend  sa  sollicitude  éclairée  sur  les 
élèves  du  collège;  c'est  lui  qui  règle  les  heures  des  cours; 
il  termine  sa  circulaire  par  quelques  phrases  éloquentes 
et  bien  senties,  où  perce,  sous  les  réticences  d'usage, 
un  ton  d'autorité  :  «  Puissent  les  élèves  se  persuader 
que.  si  les  lumières  ont  fait  naître  parmi  nous  le  règne 
de  la  Liberté,  elles  seules  en  assureront  la  durée,  et, 
que,  pour  être  un  jour  des  hommes  utiles  et  des 
citoyens  éclairés,  ils  doivent  acquérir  des  connaissances 
solides,  applicables  aux  différentes  fonctions  de  la 
Société  !  » 

Voilà  un  langage  péremptoire;  pour  bien  comprendre 
les  derniers  mots  «  connaissances  solides  applicables 
aux  différentes  fonctions  de  la  société  »,  il  faut  se 
rappeler  qu'une  véritable  réforme  scolaire,  restreignant 
sans  le  supprimer,  renseignement  de  la  langue  latine,  des 
humanités,  comme  on  disait  déjà,  venait  d'avoir  lieu 
au  collège  de  Nantes.  Dans  un  avis  officieux  et  que  l'on 
devine  dicté  par  le  principal,  Fouché,  les  Etrennes  expo- 
sent ainsi  cette  réforme  :  «  Les  instituteurs  du  collège 
ont  adopté  le  mode  d'instruction  que  sollicitaient  les 
circonstances  et  le  vœu  des  citoyens.  L'enseignement 
public  est  divisé  en  différents  cours.  Les  élèves  qui  ne 
se  distinguent  pas  à  l'étude  de  la  langue  latine  peuvent 
ne  s'appliquer  qu'aux  sciences  analogues  à  leurs  dispo- 
sitions et  qui  leur  sont  indiquées  par  le  choix  de  leurs 
parents.  » 

Du  premier  coup,  les  «  instituteurs  »  attaquaient 
le  vif  de  la  question.  A  l'enseignement  latin  des  Orato- 
riens,  qui  venaient  d'être  expulsés  de  leur  collège,  ils  fai- 
saient   succéder    une    sorte    d'enseignement    mixte;    ils 


—  299  — 

allaient    même   jusqu'à   rendre   le   latin   facultatif   :  ce 
n'était  plus  une  réforme,  c'était  une  révolution. 

La  circulaire  du  maire  Giraud-Duplessis  accentuait 
cette  séparation  des  belles  lettres  et  de  la  science,  du 
latin  et  du  français.  Cours  du  matin,  à  8  h.  1  /2  :  pre- 
mier et  second  cours  de  langue  française,  cours  de  litté- 
rature, cours  de  géographie,  premier,  second  et  troisième 
cours  de  mathématiques.  —  Cours  du  soir,  à  2  heures  : 
cours  d'histoire  naturelle,  premier,  second  et  troisième 
cours  de  langue  latine,  cours  d'éloquence,  cours  de 
logique  et  de  morale,  cours  de  physique,  cours  d'histoire. 
Il  n'est  pas  question  de  latin  dans  les  cours  du  matin. 
Ces  cours,  d'après  les  explications  complémentaires 
que  donnent  les  Etrennes,  comprennent  la  mythologie, 
les  premiers  éléments  de  la  géographie,  de  l'histoire 
et    de    l'arithmétique. 

Sauf  la  mythologie,  concession  au  goût  d'une  époque 
qui  faisait  ses  délices  des  Lettres  à  Emilie,  de  Dumoustier, 
ce  programme  pourrait  être  celui  des  petites  classes  d'à 
présent.  Il  chassait  de  l'enseignement  ces  manuels  qui 
firent  de  nouveau  leur  apparition  à  l'organisation  de 
l'Université  impériale  et  sur  lesquels  pâlissaient  de  notre 
temps  les  écoliers  de  huitième  et  de  septième  :  ÏEpitome 
historise  sacrse,  abrégé  d'histoire  sainte;  ÏEpitome  his- 
toriée grœcœ,  abrégé  d'histoire  grecque.  Les  Oratoriens 
avaient  emporté  dans  les  plis  de  leurs  robes  le  latin  des 
commençants;  la  langue  de  Virgile  et  de  Cicéron  était 
réservée  à  leurs  aînés.  On  ne  devait  l'enseigner  qu'à 
partir  de  la  classe  de  sixième,  peut-être  même  de  cin- 
quième. 

Je  ne  crois  pas  m'être  trompé  en  laissant  l'honneur,  L'oratorien 

ou  le  privilège,  d'une  réforme  aussi  radicale  au  Principal  Fonchè. 

du  collège,  ce  Joseph  Fouché  de  Rouzerolles,  plus  tard 
duc  d'Otrante  et  ministre  de  la  police,  fils  d'un  capitaine 
de  navire  du  Pellerin.  Fouché  connaissait  bien  l'Ora- 
toire de  Nantes;  il  y  avait  été  élève  avant  d'entrer  au 


—  300  — 

Séminaire  de  l'Oratoire  de  Paris,  avant  de  devenir  pro- 
fesseur semi-laïque,  portant  le  costume  ecclésiastique 
des  collèges  de  Niort,  de  Saumur,  de  Vendôme,  de  Juilly, 
d'Arras.  Il  était  revenu  à  Nantes  en  1790,  en  qualité 
de  professeur  de  physique  (ce  qui  explique  l'importance 
attachée  dans  le  programme  à  cette  faculté  naissante). 
Son  rôle  considérable  au  Club  des  AmisdelaConstitution, 
dont  il  était  devenu  président,  lui  avait  valu  aussitôt 
après  la  dispersion  des  Oratoriens,  sa  nomination,  par 
la  municipalité,  de  Principal  au  collège.  Son  mariage 
avec  Bonne-Jeanne  Coiquaud  (16  septembre  1792),  son 
élection  de  député  de  la  Loire-Inférieure  à  la  Convention, 
semblaient  n'être  que  des  accidents  dans  la  vie  extra- 
ordinairement  agitée  qu'il  menait  dès  lors.  Les  Archives 
curieuses  de  Nantes,  de  Verger,  analysent  son  Règle- 
ment pour  le  collège  de  Nantes,  soumis  au  Directoire  du 
district;  l'esprit  même  de  ce  règlement,  sa  tendance  à 
faire  prédominer  l'enseignement  scientifique  sur  l'ensei- 
gnement littéraire  (qui  semblait,  à  ce  défroqué,  animé 
du  fanatisme  religieux)  se  retrouvent  dans  la  circulaire 
du  maire  Giraud-Duplessis.  Il  n'y  a  d'ailleurs  qu'à  rappro- 
cher les  dates.  Quelques  jours  avant  la  distribution 
des  prix  du  collège  (30  août  1792),  où  Henri  Giraud, 
probablement  un  parent  du  maire,  obtint  le  prix  d'hon- 
neur de  «  philosophie,  mœurs  et  talent  »  (sic),  où  Pierre  La- 
cointrée,  en  rhétorique;  René  Douillard  et  Lelasseur,  en 
troisième  ;  Laurent  Baudry,  en  quatrième,  sont  d'autres 
lauréats,  Fouché  a  présenté  au  Directoire  du  district 
son  Règlement  élaboré  depuis  le  mois  de  mars.  La  circu- 
laire   municipale   est   du    mois   de   septembre   suivant. 

Les  professeurs.  près  de  Fouché,  qui  allait  voter  à  la  Convention  la 

mort  de  Louis  XVI  et  faire  envoyer  Carrier  à  Nantes, 
gravitant  pour  ainsi  dire  dans  son  orbite,  étaient  les 
«  instituteurs  publics  »  ou,  plus  simplement,  les  profes- 
seurs du  collège,  tous  laïques  ou  ayant,  comme  leur 
patron,  jeté  le  froc  aux  orties.  L'ordre  dans  lequel  les 


—  301   — 

énumèrent  les  Etrennes  prouve  la  défaveur  dont  le 
latin  était  l'objet.  Tout  de  suite  après  l'obscur  Noyer, 
«  suppléant  principal  »,  un  homme  de  paille  de  Fouché, 
ce  sont  les  professeurs  des  trois  cours  de  mathématiques, 
Deperet,  Petit  et  Faye,  qui  tiennent  le  haut  du  pavé. 
Deperet  enseigne  aussi  la  physique,  Petit,  la  logique, 
Faye,  l'histoire  naturelle.  Le  premier,  qui  a  prêté  le 
serment  constitutionnel  en  1791  et  fait  partie  de  la 
Société  ou  Club  des  Amis  de  la  Constitution,  cette  pépi- 
nière de  futurs  jacobins,  a  laissé  un  cours  de  morale, 
conservé  manuscrit  à  la  Bibliothèque  et  qui  témoigne  de 
ses  aptitudes  variées.  Je  ne  sais  rien  du  second  dont 
les  homonymes  sont  très  nombreux.  Mais  Faye  était 
notable  de  la  municipalité  de  la  Terreur  en  1793-1794, 
sous  le  maire  Renard,  et  cela  nous  éclaire  sur  ses 
opinions. 

Rien  de  précis  ne  signale  à  l'attention  Lachaud,  pro- 
fesseur de  littérature  et  d'éloquence,  ni  les  trois  pro- 
fesseurs de  langue  latine.  Deux  d'entre  eux,  Biscarra, 
d'origine  étrangère  sans  doute,  et  Ruelles,  cumulaient 
l'enseignement  du  latin  et  celui  du  français.  Le  troisième, 
Deleau,  apprenait  aussi  cette  mythologie,  si  aimée  autre- 
fois, si  délaissée  aujourd'hui.  Un  suppléant,  nommé 
Brayer,  devait  se  tenir  prêt  à  remplacer  tout  professeur 
empêché. 

Le  doyen  du  collège,  nommé  Giraud,  professeur  de 
géographie  et  d'histoire  (ces  deux  facultés  se  sont 
trouvées  presque  de  tout  temps  réunies  dans  la  même 
main  ou  dans  la  même  chaire),  était  un  ancien  ora- 
torien,  à  qui  son  âge  et  son  mérite  avaient  valu  d'être 
maintenu  dans  ses  fonctions.  M.  René  de  Kerviler  l'a 
identifié  avec  un  bibliothécaire  de  la  ville  en  1765.  Il 
devait  donc  être  vieux  déjà,  quand  il  était  professeur 
de  seconde  au  collège  de  l'Oratoire  en  1790  et,  trois  ans 
après,  quand  il  y  enseignait  la  géographie  et  l'his- 
toire. Mais  je  retrouve  sa  trace  encore  plus  tard;  en 
l'an   IV,    m'apprend   la   brochure   de   M.   Ricordel    sur 


—  302  — 

V Enseignement  secondaire  dans  la  Loire-Inférieure,  il 
devint  «  professeur  pour  les  lettres  »  à  l'Ecole  Centrale 
du  département.  En  admettant  qu'il  ait  été  chargé,  très 
jeune,  de  la  conservation  de  la  Bibliothèque  publique, 
ce  Nestor  du  professorat  nantais  était  certainement 
septuagénaire  quand  on  lui  confia  une  chaire  de  litté- 
rature. Et  cela  ne  laisse  pas  que  de  surprendre  à  une 
époque  où  les  hommes  dévoraient  la  vie. 

Voilà  tout  ce  j'ai  pu  recueillir  sur  l'ancien  collège  de 
Nantes  en  1792.  La  moisson  n'est  pas  abondante.  Le 
Livre  d'or  du  Lycée  de  Nantes,  qui  va  paraître  prochai- 
nement, nous  en  apprendra  davantage. 


Ecole 
d'hydrographie. 


La  Révolution  avait  introduit  dans  l'enseignement  le 
principe  de  la  gratuité.  Préoccupée  de  fournir  au  pays 
une  armée  et  une  marine  nationales,  elle  ne  négligea  rien 
pour  assurer  le  recrutement  des  officiers.  La  loi  du  10 
août  1791  créa  dans  les  ports  de  mer  et  dans  les  grandes 
villes  de  commerce  maritime  des  écoles  gratuites  et  pu- 
bliques de  mathématiques  et  d'hydrographie;  les  élèves 
y  recevaient  une  instruction  pratique  de  nature  à  les 
rendre   aptes   «  au   service   des   vaisseaux   de  l'Etat.  » 


Professeurs 
nationaux. 


Le  ministre  de  la  Marine  et  des  Colonies,  Monge,  es- 
tima qu'une  telle  organisation  relevait  de  son  dépar- 
tement. Dans  chacune  des  douze  villes  désignées  (la 
Bretagne,  avec  Nantes,  Lorient,  Brest,  Saint-Malo, 
entrait  pour  un  tiers  dans  ce  total),  il  délégua  des  pro- 
fesseurs nationaux  avec  les  pouvoirs  les  plus  étendus, 
C'est  ainsi  que  le  citoyen  Rollin,  de  l'Académie  de  Marine, 
ancien  professeur  de  mathématiques  et  de  physique  de 
la  marine  militaire,  fut  envoyé  à  Nantes  pour  y  remplir 
la  place  de  professeur  national  de  mathématiques  et 
d'hydrographie.  Ce  Rollin,  d'origine  méridionale,  s'appe- 
lait Bollin  de  la  Farge;  il  avait  retranché  sa  particule 
pour  ne  pas  ressembler  à  un  ci-devant,  quitte  à  la 
reprendre  plus  tard. 


—   303  — 

Il  s'installa  place  Graslin,  maison  Vilmain,  et  donna 
ses  cours  —  tint  ses  séances,  comme  on  disait  alors  — 
tous  les  jours  de  la  semaine,  depuis  neuf  heures  du  matin 
jusqu'à  deux  heures.  Le  programme  obligatoire  com- 
prenait les  trois  volumes  d'arithmétique,  de  géométrie 
et  de  navigation  de  Bezout,  le  plus  célèbre  mathémati- 
cien de  son  temps,  et  la  Statique  de  Monge  lui-même, 
l'illustre  savant  qui  allait  fonder  l'École  Polytechnique. 

Rollin  était  sans  doute  un  professeur  habile.  Ses  cours 
furent  très  suivis.  Il  prépara  bon  nombre  de  candidats, 
de  «prétendants»  (mot  de  l'époque)  aux  places  d'ensei- 
gnes entretenus,  d'aspirants  de  la  marine,  de  seconds 
lieutenants  d'artillerie  de  la  marine.  Toutes  ces  places 
étaient  données  au  concours,  devant  un  jury  d'examen 
qui  allait  de  ville  en  ville,  pendant  les  mois  de  février, 
mars,  avril,  mai,  et  se  réunissait  à  Nantes  le  6  avril.  En 
1793,  il  n'y  avait  de  disponibles  que  dix  places  d'en- 
seignes entretenus  à  Toulon,  dix  à  Rochefort,  vingt 
à  Brest,  trois  places  de  seconds  lieutenants  d'artillerie 
de  la  marine  à  Toulon,  deux  à  Rochefort,  cinq  à  Brest. 
Beaucoup  d'appelés,  peu  d'élus.  J'aimerais  à  savoir  le 
nombre  et  les  noms  des  élèves  que  Rollin  fit  recevoir. 
Toujours  est -il  qu'il  se  plut  à  Nantes,  qu'il  y  prit  plus 
tard  le  titre  de  professeur  aux  écoles  de  la  marine  et 
qu'il  fut  élu  député  de  la  Loire-Inférieure  en  l'an  VI. 
Les  professeurs  piqués  de  la  tarentule  politique  étaient 
nombreux;  n'avaient-ils  pas  sous  les  yeux  l'exemple  de 
Fouché  ? 


L'Académie  nationale  de  dessin  et  de  peinture  ins- 
tallée place  Buffon  (place  Bretagne),  n°  11,  avait  des  cours 
payants  et  des  cours  gratuits.  Le  professeur  Hussard, 
avec  lequel  je  n'ai  pas  fait  plus  ample  connaissance, 
donnait  à  son  établissement  le  titre  d'Académie  Natio- 
nale. Il  tenait  sa  classe  payante  tous  les  jours,  de  9  heures 
du  matin  à  midi;  sa  classe  gratuite,  pour  les  garçons,  les 
lundis,  mardis,  jeudis  et  samedis,  de  9  heures  à  11  heures; 

Soc.  Archéol.  Nantes.  20 


Académie 
de  peinture. 


—  304   — 

pour  les  filles,  de  11  heures  à  1  heure.  Les  élèves  payants 
et  les  autres  étaient-ils  confondus?  C'est  peu  prohahle; 
le  professeur  les  tenait,  sans  doute,  dans  deux  salles 
distinctes,  qu'il  inspectait  à  tour  de  rôle.  Mais  il  est 
permis  de  croire  qu'il  réservait  ses  attentions  à  ceux  ou 
celles  qui  lui  rapportaient  un  profit  et  que  le  mot  «gratuit  » 
était  une  étiquette,  une  façon  de  se  recommander  aux 
pouvoirs  publics.  A  la  fin  de  l'article  qui  le  concerne 
dans  les  Etrennes,  Hussard  fait  insérer  l'avis  suivant  : 
«  Il  y  aura  étude  et  leçon  d'après  la  bosse  et  d'après 
nature,  à  la  lampe,  tous  les  jours,  depuis  5  h.  du  soir 
jusqu'à  7,  du  1er  décembre  au  1er  avril.  »  L'importance 
des  cours  de  dessin  était  déjà  réelle  à  Nantes,  dans  une 
ville  qui  produisait  des  artistes.  Ne  voyons-nous  pas  les 
sculpteurs  Robinot-Bertrand  et  Lamarie  rehausser  un 
peu  le  niveau  intellectuel  de  la  municipalité  Renard  ? 
Hussard  tenait  toujours  son  Académie  en  1810.  Il  ensei- 
gnait encore  le  portrait  sous  Louis  XVIII,  rue  Franklin. 

Autres  Tout  était  d'ailleurs  Académie   dans  l'enseignement 

académies.  d'avant  et  pendant  la  Révolution.  L'Académie  polyso- 

phique  du  sieur  Trioche,  avec  son  qualificatif  préten- 
tieux, qui  aspirait,  d'après  l'étymologie  grecque,  à  l'uni- 
versalité des  connaissances,  s'appellerait  simplement 
«  Ecole  »  aujourd'hui.  C'était  un  externat  sélect,  à 
l'usage  des  enfants  riches,  des  fils  de  gros  négociants 
ou  de  notables  commerçants,  situé  presque  dans  le  quar- 
tier aristocratique,  rue  Bossuet  (ancienne  rue  de  Briord), 
dans  l'hôtel  Becdelièvre,  voisin  de  cet  hôtel  de  Briord 
où  Anne  de  Bretagne  avait  eu  jadis  sa  petite  cour  de 
lettrés  et  d'artistes.  Le  prix  de  la  pension  de  «  l'abon- 
nement annuel  »  était  élevé  pour  le  temps  :  200  livres, 
et  point  du  tout  à  la  portée  de  toutes  les  bourses.  On 
pouvait,  il  est  vrai,  prendre  des  inscriptions  par  mois, 
en  payant  15  livres  par  séance  pour  deux  cours  que 
l'on  choisissait.  Les  abonnés  au  mois  n'avaient  droit 
qu'à   deux  cours   sur   trois,    au   choix  ;    les   abonnés   à 


305 


l'année  pour  un  prix  équivalent,  suivaient  les   cours  au 
complet. 

Voulez-vous  connaître  maintenant  le  programme  de 
ces  trois  séances  quotidiennes?  La  première,  depuis 
9  heures  jusqu'à  11  heures,  comprenait  les  cours  de  mathé- 
matiques, de  violon,  d'armes,  de  chant  et  de  clarinette. 
La  seconde,  de  11  heures  à  1  heure,  mariait  aussi  l'utile 
à  l'agréable;  elle  était  composée  des  cours  d'écriture, 
d'anglais,  de  danse  et  de  flûte.  A  la  troisième  séance, 
de  3  heures  à  5  heures,  on  travaillait  plus  sérieusement 
et  sans  mélange;  on  suivait  les  cours  de  français,  de 
latin,  de  littérature,  de  géographie,  d'histoire  et  de 
dessin.  Quel  assemblage  et  quelle  variété  !  L'Académie 
polysophique  ne  mentait  pas  à  son  titre.  Le  directeur, 
Trioche,  semble,  au  surplus,  avoir  été  capable  de  toutes 
les  activités.  Nous  l'avons  rencontré  à  la  Garde  Natio- 
nale et  au  Tribunal  du  District  comme  juge  suppléant. 
A  son  Académie  il  est  vraiment  polysophe,  j'allais  écrire 
polymorphe  ;  il  cumule  même  les  attributions  que 
raille  Figaro,  il  est  calculateur,  il  est  danseur.  Plaisan- 
terie à  part,  Trioche  devait  être  un  maître  homme  ;  s'il 
prenait  cher  pour  ses  «  séances  »,  c'est  qu'en  payant 
largement  de  sa  personne,  il  avait  chez  lui,  tant  pour 
les  sciences  que  pour  les  arts  d'agrément,  les  meilleurs 
professeurs  de  la  ville.  Il  avait  le  secret  de  faire  succéder 
le  solo  de  flûte  au  théorème,  les  jambages  aux  parades, 
les  entrechats  aux  déclinaisons.  On  voudrait  posséder 
les  cahiers  d'une  ancienne  élève  de  l'Académie  Poly- 
sophique —  car,  sous  les  auspices  de  Terpsichore,  les 
deux  sexes  devaient  fraterniser,  comme  chez  Hussard. 
Dans  les  Annales  de  la  Société  Académique  de  Nantes,  de 
1907,  M.  Libaudière  a  publié  une  étude  intéressante, 
intitulée  :  L'Enseignement  classique  à  Nantes  pendant  la 
Révolution  et  jusqu'à  l'ouverture  du  Lycée  en  1808  ;  il  y 
consacre  quatre  pages  à  l'Académie  Polysophique,  fon- 
dée en  1790;  il  n'a  retrouvé  aucun  document  sur  elle 
et  croit  que  son  existence  fut  éphémère. 


—   306   — 

L'escrime.  Tjne  académie  de  plus,  cela  ne  comptait  pas  en  l'an  de 

grâce  1793.  Rien  de  surprenant  à  ce  qu'il  y  eût  à  Nantes 
une  Académie  pour  les  armes.  Moreau  de  Grandmaison 
la  tenait,  maison  Sagori,  rue  Fosse  ;  elle  était  ouverte 
depuis  7  heures  du  matin  jusqu'à  midi,  et  de  2  heures 
à  7  heures  du  soir.  Les  friands  de  la  lame  pouvaient  s'en 
donner  à  cœur  joie.  Ils  avaient  même  la  ressource  d'aller 
chez  le  concurrent  de  Coursin,  rue  Bossuet,  qui  tenait 
aussi  une  Académie,  et  qui  l'ouvrait  toute  la  journée 
sans  interruption,  de  7  heures  du  matin  à  8  heures  du 
soir.  On  ferraillait  encore  à  l'autre  hout  de  la  ville,  chez 
Rozière,  maître  d'armes,  qui  avait  sa  salle  place  Buffon, 
n°7,  et  la  tenait  ouverte  de  8  heures  du  matin  à  8  heures 
du  soir.  Rozière,  avec  sa  simple  salle,  ne  pouvait  se  plain- 
dre, comme  ses  confrères  les  académiciens,  que  sa 
grandeur  l'attachât  au  rivage;  il  se  déplaçait,  donnant, 
selon  la  petite  note  insérée  aux  Etrennes,  «  des  leçons 
dans  les  maisons  où  il  était  demandé  ». 

L'ampleur  et  la  précision  de  ces  indications  prouvent 
que  l'art  de  l'escrime  était  très  en  faveur  à  Nantes 
quand  la  Révolution  éclata.  C'était  un  héritage  de  l'an- 
cien régime  ;  toute  éducation  de  jeune  noble  et  même 
de  jeune  bourgeois  se  complétait  par  une  science  appro- 
fondie du  noble  métier  des  armes.  Ceux  qui  ne  portaient 
pas  l'épée  avaient  à  cœur  de  prouver  qu'ils  étaient  dignes 
de  la  porter.  Le  nouvel  état  de  choses  relégua  l'escrime 
au  rang  des  inutilités  élégantes;  on  fit  l'exercice  au 
lieu  de  faire  des  armes,  et  le  sabre  remplaça  l'épée. 
Les  Etrennes  Nantaises  cessèrent  de  paraître  plusieurs 
années;  quand  elles  reparurent  sous  le  Consulat,  les 
«  Académies  »  d'armes,  les  vulgaires  salles  d'armes,  n'y 
figuraient  plus,  la  grande  guerre  avait  absordé  la  petite, 
ceci  avait  tué  cela.  Même  remarque  sous  l'Empire.  Il 
fallut  le  retour  des  Bourbons  et  les  duels  entre  mousque- 
taires du  Roi  et  officiers  en  demi-solde  pour  remettre 
l'escrime  à  la  mode.  Elle  fleurit  de  nouveau,  et  plus  que 
jamais.  Ce  fut  le  moment  où  un  savant  maître,  Moreau, 


—  307  — 

qui  était  très  probablement  le  fils  ou  le  neveu  de  Moreau 
de  Grandmaison,  (les  atrocités  de  Carrier  avaient  rendu 
suspect  le  nom  de  Grandmaison,  l'un  de  ses  plus  farou- 
ches complices),  dédia  à  la  jeunesse  nantaise  un  excellent 
petit  traité  de  l'art  des  armes,  que  Charles  Mellinet,  un 
tireur  émérite,  a  réimprimé  il  y  a  quelques  années.  Les 
beaux  jours  de  l'escrime  à  Nantes  ont  coïncidé  avec 
cette  période  de  dissipation  et  de  luxe  qui  trouva  son' 
apogée  au  commencement  du  Second  Empire.  On  m'as- 
sure qu'ils  ne  sont  pas  encore  tout  à  fait  évanouis. 

l'industrie 

Nous    passons    des   armes   aux    manufactures.    Mars       Les  manufac- 
est  un  Dieu,  Mercure  en  est  un  autre,  et  le  commerce  tares- 

nantais,  qui  avait  fait  de  la  ville  une  des  trois  ou  quatre 
plus  riches  du  royaume,  ne  peut  être  traité  en  quantité 
négligeable.  Deux  Bourses  avaient  existé,  l'une  en  1640 
et  l'autre  en  1723,  dans  la  rue  de  la  Fosse,  je  crois, 
quand,  au  commencement  de  1792,  Mathurin  Crucy 
posa  la  première  pierre  de  la  Bourse  actuelle,  dont  on 
peut  voir  sous  verre  les  lavis  à  l'encre  de  Chine,  aux 
Archives  municipales,  approuvé  le  12  mai  1790. 

Nantes  avait,  en  1792,  une  vingtaine  de  manufactures 
importantes.  Avec  les  cordages,  les  coutils,  les  cotonnades, 
les  couvertures,  les  indiennes,  elle  touchait  à  presque 
toutes  les  branches  de  ce  qu'on  appelle  aujourd'hui  les 
industries  textiles;  ses  faïences,  ses  verreries,  étaient  jus- 
tement estimées;  elle  fabriquait,  depuis  peu,  les  ins- 
truments aratoires,  que  les  cultivateurs  du  pays  avaient 
longtemps  demandés  aux  villes  voisines. 

Un  nommé  Brée,  sur  lequel  j'ai  interrogé  en  vain  la 
Commune  et  la  Milice  de  Nantes,  ouvrage  prodigue  de 
renseignements  sur  les  négociants  nantais,  ainsi  que  les 
diverses  Biographies,  était  propriétaire  et  directeur  de  la 
manufacture  de  cordages  de  Gigant;  il  demeurait  rue 
du  Bois-de-  la-Touche,  n°  7,  où  des  traces  de  son  habi- 


—  308  — 

tation  pourraient  être  relevées.  Ce  doit  être  le  même 
que  Brée  de  la  Touche,  qui,  en  1789,  offrit  des  boucles 
d'argent  pour  la  souscription  patriotique.  (Bull,  de  la 
Soc.  Archéol.  de  Nantes,  x,  94.) 

La  manufacture  de  coutils  et  cotonnades,  rue  Rubins 
(sic),  n°  38,  dans  le  voisinage  de  la  salle  de  spectacle, 
était  dirigée  par  Dodin  ou  Dodun,  qui,  dans  les  Etrennes 
du  Commerce  pour  17i)c2,  est  appelé  Dodin  de  la  Garenne 
et  en  qui  je  soupçonne  un  parent  du  bourguignon 
Dodun,  directeur  de  la  Compagnie  des  Indes  à  Lorient, 
au  xvme  siècle,  et  un  ancêtre  des  Dodun  de  Keroman 
actuels,  qui  prennent  le  titre  de  marquis  ou  de  comte. 

Les  couvertures  constituaient  une  des  industries  nan- 
taises les  plus  prospères.  Il  n'y  avait  pas  moins  de  quatre 
manufacturiers,  et,  sauf  la  veuve  Dupouy,  rue  Démos- 
thène  (rue  Saint-Clément),  qui  nous  est  inconnue, 
c'étaient  de  notables  commerçants  dont  les  descendants 
ont  perpétué  ou  rehaussé  la  renommée  :  Langlois,  rue 
Poisson  (ex-rue  Talensac),  Lorieux,  rueBois-Tortu,  n°  12, 
et  Ogier,  même  rue.  Il  y  a  eu,  ou  il  y  a  encore,  des  Lorieux 
ingénieurs,  des  Langlois  industriels.  Le  seul  représen- 
tant du  nom  d'Ogier  que  j'aie  rencontré  était  un  pe'ntre 
de  talent,  fondateur  de  Nantes-Lyrique  et,  avec  quelques 
artistes  amis,  du  petit  salon  «  L'Eclectique  »  ;  Charles 
Ogier  est  mort  prématurément.  Ses  parents  avaient 
tenu  une  teinturerie  près  de  la  place  Royale. 

Les  ouvrages  spéciaux  sur  la  céramique,  notamment 
ceux  de  Jacquemart,  mentionnent,  sans  insister,  entre 
les  faïences  de  Quimper,  de  Rennes  et  du  Croisic,  la 
faïence  de  Nantes.  Elle  remontait  à  la  fin  du  xvne  siè- 
cle; ce  furent  probablement  des  ouvriers  de  Quimper 
qui  s'établirent  à  Nantes,  et  l'un  d'eux  qui  fonda  la 
faïencerie  de  la  chaussée  de  la  Magdelaine,  dont  les  pro- 
duits n'étaient  pas  sans  mérite.  J'ai  vu  chez  Fortuné 
Parenteau,  grand  collectionneur  devant  l'Eternel,  un 
buste  de  Vierge  qu'il  n'hésitait  pas  à  attribuer  à  la  fabri- 
cation nantaise;  c'était  un  ouvrage  d'un  goût  exquis, 


—  309  — 

d'une  coloration  fine  et  très  artistiquement  modelé.  D'au- 
tres produits  de  même  provenance  ont  été  possédés  ou 
décrits  par  M.  Dobrée,  par  le  baron  de  Wismes.  J'ignore 
à  quelle  époque  Rostaing  de  Rivas  devint  directeur  de 
la  manufacture  nantaise.  Il  était  de  famille  ancienne 
quoiqu'il  signât  son  nom  sans  particule,  en  un  seul 
mot.  J'ai  connu  un  de  ses  descendants,  médecin;  un 
autre,  Olivier  de  Rostaing  de  Rivas,  élève  du  Lycée 
de  Nantes  vers  1865,  est  devenu  officier  supérieur.  La 
faïencerie  de  la  chaussée  de  la  Magdelaine  existait  encore 
en  1840,  mais  on  n'y  fabriquait  plus  que  des  objets 
vulgaires. 

Tout  près  de  la  prairie  de  la  Magdelaine,  il  y  avait 
une  manufacture  de  filature,  garas  (c'était  une  espèce 
de  toile  de  coton),  cotonnades,  bazins,  etc.  La  direction  en 
était  confiée  à  Dulau  et  Cie,  et  je  note,  en  passant, 
une  des  premières  «  raisons  sociales  »  établies  à  Nantes. 
Le  quartier  était  déjà  celui  des  grandes  industries  et  n'a 
pas  cessé  de  l'être.  Pelloutier,  Bourcard  et  Cle, 
avaient  ouvert  en  Biesse  une  manufacture  des  mêmes 
produits.  Pelloutier  était  le  consul  de  Prusse;  il 
demeurait,  il  avait  son  bureau  consulaire  île  Feydeau, 
rue  Monfort,  2,  il  n'avait  pas  à  traverser  la  ville  pour 
aller  à  sa  manufacture.  Son  associé,  Bourcard,  origi- 
naire du  Nord  de  l'Europe,  où  ses  ancêtres  continuaient 
de  s'appeler  Burkhardt,  est  l'aïeul  de  mon  ami,  l'icono- 
phile  et  iconographe  distingué,  Gustave  Bourcard. 

Six  manufactures  d'indiennes  témoignaient  de  l'im- 
portance que  la  fabrication  de  cette  étoffe  peinte  et  im- 
primée, transmise  aux  Européens  par  les  Indiens,  avait 
alors  prise  à  Nantes.  Pelloutier,  Bourcard  et  Cie,  décidé- 
ment de  très  gros  industriels,  avaient  une  manufacture 
d'indiennes,  distincte  de  leur  filature,  «  sur  les  ponts, 
rue  Beauséjour,  n°  37  ».  Presque  à  la  même  adresse,  à 
un  autre  numéro  de  la  rue  Beauséjour,  s'était  établi 
Charles-Marie  Forestier,  lieutenant  de  la  milice  bour- 
geoise,  membre  du  Comité  permanent  de  la  commu- 


—  310  — 

nauté  de  ville  en  1789.  Pierre  Dubern  ne  venait  que  le 
second  sur  la  liste  des  Etrennes  ;  mais,  par  sa  notoriété  et 
sa  fortune,  il  semble  bien  avoir  été  le  premier  des  manu- 
facturiers d'indiennes.  En  1788,  il  figurait  pour  sa  sous- 
cription patriotique  parmi  les  notabilités  nantaises;  la 
même  année,  il  était  l'un  des  douze  députés  de  la  ville 
chargés  d'aller  porter  au  Roi  «  le  vœu  d'un  peuple  plein 
d'amour  cl  de  vénération  pour  sa  personne  sacrée  ».  Il 
fit  partie,  en  1789,  des  membres  du  Tiers  chargés  d'élire 
les  députés  aux  Etats-Généraux  et  du  même  Comité  per- 
manent que  Forestier.  On  le  nomma  bientôt  après  offi- 
cier municipal.  Qu'il  doive  ou  non  être  confondu  avec  le 
porte-drapeau  des  bataillons  des  Ponts  dans  la  Garde 
Nationale  de  1792,  (et  le  voisinage  de  sa  demeure  ferait 
pencher  pour  l'affirmative),  son  rôle  politique  n'était  pas 
terminé.  Arrêté  comme  suspect,  sur  l'ordre  de  Carrier, 
à  la  fin  de  1793,  il  fut  l'un  des  132  Nantais.  Mais  il  ne  fit 
que  commencer  le  voyage;  arrivé  à  Angers,  on  le  mit  en 
liberté,  et  le  Comité  révolutionnaire  ordonna  la  main- 
levée des  scellés  apposés  sur  ses  papiers.  Il  reprit  la  direc- 
tion de  sa  manufacture.  J'ignore  quand  il  mourut.  Il  a  eu 
pour  descendant  un  colonel,  dont  la  fille  épousa  M.  de 
la  Gournerie. 

Gorgerat  frères  et  Cie,  en  Vertais,  Orillard  aîné  et  Cie, 
rue  Caton  (c'est  la  petite  rue  Dos-d'Ane,  mais  elle  était 
plus  longue  qu'à  présent,  ayant  un  n°  40),  n'ont  point 
laissé  de  souvenirs.  Il  en  est  autrement  de  Petit-Pierre 
et  Cie  «  en  Vertais,  n°  10  ».  Ce  manufacturier,  d'ori- 
gine bretonne,  sinon  nantaise,  eut  un  fils  qui 
avait  ajouté  à  son  nom  celui  de  sa  mère,  Pellion, 
successeur  de  Bertrand-Geslin  à  la  mairie  de  Nantes.  Le 
nom  de  Petit-Pierre  fut  donné  à  une  rue  de  la  ville 
dans  ce  quartier  de  Vertais  où  la  famille  avait  grandi. 
Mais  il  ne  faudrait  pas,  comme  on  l'a  cru,  y  voir  le 
berceau  de  Favre.  Le  père  du  sénateur  de  l'Empire, 
d'origine  suisse  et  protestante,  avait  épousé  une  demoi- 
selle   Petit-Pierre,    nantaise;    son    mariage    le    fixa  à 


—  311   — 

Nantes;  il  devint  à  son  tour  directeur  de  la  manufacture 
d'indiennes,  mais  je  ne  puis  affirmer  que  ses  trois  fils, 
dont  le  plus  connu,  Ferdinand,  représenta  longtemps 
la  ville,  et  comme  maire  et  comme  député,  y  naquirent. 
La  mairie  Ferdinand  Favre  fut  la  plus  longue  et  une  des 
mieux  remplies  des  mairies  de  Nantes  qui  figurent  au  Livre 
Doré;  à  86  ans,  en  1865,  le  beau  vieillard  présidait  encore 
la  distribution  des  prix  du  lycée.  Quant  aux  Petit-Pierre, 
ils  ont  aussi  beaucoup  fait  parler  d'eux.  Le  petit-fils  du 
manufacturier  de  1793  a  écrit  des  pièces  de  théâtre  en 
collaboration  avec  Jules  Amigues;  son  arrière-petit-fils, 
sous  le  pseudonyme  de  Georges  Price,  s'est  fait  une  place 
dans  le  journalisme  parisien;  il  était  récemment  secré- 
taire de  la  rédaction  du   Gil  Blas. 

Une  manufacture  d'outils  aratoires,  charronnage  en 
acier,  etc.,  fonctionnait,  depuis  cinq  ans,  rue  de  Rennes, 
n°  20.  Joseph  Gaudin  fils,  autorisé  à  l'établir,  avait  fait 
intervenir  les  Etats  de  Bretagne  en  sa  faveur  pour  se 
défendre  contre  les  exigences  du  directeur  d'une  manu- 
facture analogue  à  Amboise,  qui  prétendait  posséder  un 
droit  exclusif.  Dans  ce  curieux  procès,  dont  il  est  ques- 
tion aux  Artistes  Nantais,  ouvrage  de  M.  de  Granges  de 
Surgères,  Joseph  Gaudin  obtint  gain  de  cause.  C'était  un 
homme  intelligent  et  remuant.  Il  mit  sa  manufacture 
d'acier  «  établie  au  quartier  de  Bel-Air,  faubourg  de 
Nantes  »,  sous  la  protection  des  Etats  de  Bretagne.  Il 
publia,  à  l'imprimerie  Brun  aîné,  un  bref  in-quarto  de 
14  pages,  que  la  Bibliothèque  Nationale  ne  possède  pas, 
mais  dont  on  me  signale  la  présence  à  la  Bibliothèque  de 
Nantes.  Copie  des  pièces  apologétiques  de  la  manufacture 
d'acier  et  outils  aratoires  du  sieur  Joseph  Gaudin  fils. 
Gaudin  avait  de  très  nombreux  homonymes;  je  ne  sais 
si  je  puis  lui  rattacher  le  conseiller  d'Etat,  ministre  plé- 
nipotentiaire, concurrent  heureux  du  Dr  Guépin  et  de 
Prévost -Paradol  aux  élections  législatives  de  1869, 
Emile  Gaudin,  dont  la  famille  était  originaire  du  pays 
nantais,  mais  je  le  crois  parent  de  Julien  Gaudin,  rafii- 


—  312  — 

neur,  officier  municipal  sous  la  mairie  Baco,  que  j'ai 
déjà  signalé  et  qui,  plus  tard,  fut  commissaire  pour  la 
déportation  des  prêtres  assermentés. 

G.  Guyot  dirigeait  une  manufacture  de  toiles  cirées  à  la 
côte  Saint-Sébastien  ou  vis-à-vis  la  Bourse,  et  Demuller, 
qui  clôt  la  liste  de  ces  notables  commerçants,  la  manu- 
acture  de  verrerie,  tout  naturellement  installée  rue 
Verrerie,  n°  3.  Les  anciens  plans  de  la  ville  donne- 
raient l'emplacement  exact  de  cette  verrerie  dont  il 
ne  subsiste  aucune  trace.  Je  soupçonne  que  le  directeur 
Demuller  venait  de  l'Est  ou  du  Nord  et  était  d'origine 
allemande. 

LA  RÉGIE  NATIONALE. 
LES  DOUANES  ET  LES  PONTS  ET  CHAUSSÉES 

Lamiseen  régie  ^ux  fermiers  généraux,  qui  affermaient  tous  les  impôts 

et,  moyennant  des  cautionnements,  des  redevances  an- 
nuelles, échappaient  au  contrôle  de  l'Etat,  l'Assemblée 
Constituante  avait  substitué  des  régisseurs  ou  receveurs, 
nommés  par  le  Ministre  des  Finances;  bref,  elle  avait  mis 
en  régie  tous  les  droits  qui  devaient  alimenter  les  caisses 
publiques,  le  Trésor.  Une  régie  nationale  des  domaines, 
droits  d'enregistrement,  timbre,  hypothèques  «  et  autres 
droits  y  réunis  »,  avait  été  créée  dans  chaque  départe- 
ment. Elle  donnait  des  pouvoirs  très  étendus  aux  direc- 
teurs, inspecteurs,  receveurs  principaux,  qui  réunissaient 
dans  leurs  mains  les  attributions  des  receveurs  généraux 
(aujourd'hui  trésoriers-payeurs),  des  percepteurs  de 
contributions  et  de  droits  réunis,  des  conservateurs 
d'hypothèques.  C'étaient  de  très  hauts  fonctionnaires, 
et  leurs  fonctions  exigeaient  la  connaisssance  la  plus 
approfondie  du  système  financier  dont  Turgot  et 
Necker  avaient  jeté  les  bases. 

Fidière.  \e  directeur  delà  Bégie  nationale  de  la  Loire-Inférieure 

se  nommait  Fidière  et  habitait  au  Bureau  général  de  la 


—  313  — 

Direction,  rue  Girardon,  n°3  (ex-rueBasse-du-Château). 
Il  descendait  d'une  famille  espagnole  ancienne,  les 
Figuero,  et  avait  eu  un  ancêtre  anobli  comme  argentier 
par  le  roi  d'Espagne  Charles  III.  Employé  dans  les 
bureaux  de  la  ferme  des  domaines,  à  Rennes,  '1  s'y 
distingua  par  son  intelligence,  y  fit  une  carrière  rapide  et 
brillante.  Sa  fortune  personnelle  et  ses  capacités  le 
désignèrent  au  choix  du  Gouvernement  pour  la  direction 
suprême  de  la  Régie  nationale  de  Nantes.  Je  n'ai  pas  de 
renseignements  sur  sa  gestion,  mais  le  simple  fait  d'être 
demeuré  à  son  poste,  d'avoir  régulièrement  opéré  ses  re- 
couvrements sous  la  dictature  de  Carrier,  aussi  cupide 
que  cruel,  prouve  que  son  caractère  était  à  la  hauteur  de 
son  talent.  Il  se  confina  dans  l'exercice  de  son  emploi; 
les  exemples,  qu'il  avait  sous  les  yeux,  de  fonctionnaires 
ou  de  simples  négociants  que  leur  républicanisme  n'avait 
pas  protégés  contre  la  loi  des  suspects,  lui  donnaient  peu 
de  goût  pour  une  politique  qu'il  jugeait  sévèrement 
dans  son  for  intérieur,  car  il  n'était  pas  jacobin  et  pro- 
fessait des  opinions  religieuses,  fort  rares  à  son  époque. 
En  pleine  Terreur,  il  maria  l'une  de  ses  filles  à  Brulart, 
un  de  ses  subordonnés,  contrôleur  de  la  fabrication  des 
tabacs,  et  le  mariage  fut  bénit  dans  un  grenier  de  l'île 
Feydeau,  par  un  prêtre  insermenté,  ce  qui  dut  être  signalé 
à  l'autorité,  mais  ne  lui  coûta  cependant  pas  la  perte 
de  sa  place.  Il  avait  fait  de  son  fils  unique,  Fidière  fils, 
disent  les  Etrennes,  un  receveur-contrôleur  du  maga- 
sin du  Timbre.  Ce  Fidière  fils  marcha  brillamment  sur 
les  traces  de  son  père  et  suivit  la  carrière  des  finances 
La  Restauration  le  nomma  conservateur  des  hypothè- 
ques à  Paris;  il  garda  ce  poste,  aujourd'hui  divisé  en 
autant  de  conservations  qu'il  y  a  d'arrondissements, 
pendant  toute  la  durée  du  Gouvernement  de  Juillet  et 
mourut  en  1854,  presque  nonagénaire.  Il  était  le  bisaïeul 
maternel  de  mon  ami  Olivier  de  Gourcuff,  qui  m'a  trans- 
mis ces  souvenirs  de  famille,  mais  n'a  pas  connu  les  vieux 
parents  dont  les  réminiscences  du  temps  de  la  Terreur 


—  314  — 

nantaise  devaient  être  si  intéressantes.  Cependant,  la 
mère  de  mon  ami  disait  que  son  grand-père  et  les  grand' 
tantes  qui  l'avaient  élevée  ne  parlaient  pas  volontiers 
d'une  époque  qui  avait  mis  un  voile  de  tristesse  sur  leurs 
jeunes  années.  Nantes  alors  ressemblait  un  peu  à  la 
Venise  du  Conseil  des  Dix;  on  n'osait  pas  y  élever  la 
voix,  on  y  vivait  sous  la  menace  d'une  arrestation,  dans 
la  crainte  du  lendemain.  Les  dix-huit  prisons  de  la 
ville  n'étouffaient  pas  tous  les  cris  de  douleur;  le  sang 
coulait  de Téchafaud  du  Bouffay.  La  Loire  ramenait 
parfois  à  la  surface  les  cadavres  des  noyés.  On 
s'explique  que  le  silence,  un  silence  de  mort,  ait  plané 
sur  la  cité  et  que  personne  n'ait  eu  le  loisir  ou  le  courage 
d'écrire  ses  Mémoires. 


Autres 
fonctionnaires 
de  la  Régie. 


Cette   digression   m'a   mené  un  peu  loin  de  la  Régie 
Nationale,  qui  comprenait  deux  divisions  et,  dans  cha- 
cune d'elles,  un  inspecteur  principal  ayant  sous  sa  coupe 
les   districts   du   département.   L'inspecteur   de  la   pre- 
mière division.  Bigot,  — que  je  crois,  d'après  une  tradition 
de  la  famille  Fidière,  être  un  Bigot  de  Preameneu,  parent 
du  rédacteur  du  Code  Civil, —  demeurait  place  Mirabeau 
(Delorme),   à   l'entrée   du   cours  du  Peuple  (boulevard 
Delorme);  il  administrait,  au  point  de  vue  financier,  les 
districts  de  Nantes,  Clisson,  Machecoul,   Paimbœuf,  qui 
se   subdivisaient    eux-mêmes    en    treize  bureaux.    J'ai 
passé    en    revueplus    de    vingt     Dubois,    de    la    Loire- 
Inférieure,    des    départements    circonvoisins,    avec    ou 
sans  particules  et  noms  ajoutés   et  je  n'ai  pas  décou- 
vert la    trace  de  l'inspecteur    receveur   principal  de  la 
seconde    division,   Dubois  de  Pacé,    domicilié  île  Fey- 
deau,  rue  Montfort,  n°  3,  dont  les  attributions  s'éten- 
daient sur  cinq  districts  :  Ancenis,  Blain,  Clmteaubriant, 
Guérande,  Savenay,  et  sur  onze  bureaux.  Le  nombre  des 
districts  était  en  raison  inverse  de  celui  des  bureaux. 
Mais  la  première  division,  avec  Nantes,  devait  être,  et 
de  beaucoup,  la  plus  importante  pour  les  recettes. 


—  315   — 

Nous  allons  y  revenir,  à  Nantes,  après  avoir  signalé 
les  deux  vérificateurs  :  Baudot,  un  Nantais  de  pure  race, 
et  son  collègue,  Bidard,  à  qui  je  connais  des  homonymes 
d'origine  nivernaise.  La  ville  de  Nantes  avait  ses  rece- 
veurs particuliers  :  Clavier,  que  nous  avons  rencontré 
déjà  place  du  Pilori,  n°  4,  pour  les  Domaines,  les  droits 
domaniaux  et  les  forêts  nationales  ;  Bouhierdela  Brejol- 
lière,  un  nouveau  venu  sous  notre  plume,  pour  l'enregis- 
trement des  actes  sous-seing  privé  des  notaires,  les  décla- 
rations des  successions  directes  et  collatérales;  Ber- 
trand, l'officier  de  la  Garde  Nationale  (qu'il  faut  se  garder 
de  confondre  avec  Bertrand-Geslin,  le  lieutenant  de 
Canclaux),  pour  l'enregistrement  des  actes  judiciaires, 
des  actes  des  huissiers  et  les  amendes.  Bouhier  et  Ber- 
trand, déjcà  nommés,  distribuaient  à  beaux  deniers 
comptants  le  papier  timbré. 

Le  directeur  Fidière  avait  sous  la  main,  ou  plutôt  en 
face  de  lui,  au  n°  3,  de  la  rue  Girardon,  le  «  Bureau  du 
Timbre  extraordinaire  ».  Son  fils,  comme  receveur  con- 
trôleur du  magasin,  assistait  le  garde-magasin  contrôleur 
de  la  recette,  un  nommé  Barmel.  Le  personnel  se  complé- 
tait par  les  deux  Bazin,  encore  de  vrais  Nantais  :  le  père, 
timbreur;  le  fils  tourne-feuille.  Ce  dernier  emploi  existe 
toujours,  mais  le  joli  qualificatif,  qui  figurait  encore  à 
l'Annuaire  du  Commerce,  1904,  avec  une  dame  «tourne- 
feuilles»  à  la  rubrique  Enregistrement,  Domaine  et 
Timbre,  a  disparu  l'année  suivante,  et  c'est  dommage. 
Il  manque  un  tourne-feuille  dans  la  Chanson  de 
Fortunio. 

L'Administration  des  Douanes  était  une  de  celles  que  Les  Douanes. 
l'Assemblée  Nationale  avait  créées  en  1791  pour  briser 
les  cloisons  qui  séparaient  les  provinces.  Le  Gouver- 
nement nouveau  avait  reconnu  l'utilité  et  l'avantage 
d'un  ensemble  de  taxes  prélevées  sur  les  marchan- 
dises étrangères,  qui  remplissaient  le  Trésor  public, 
en     même     temps     qu'elles    protégeaient      l'industrie 


—  316   — 

nationale.  Le  système  des  Fermes,  ébauché  par  Col- 
bert,  perfectionné  sous  Louis  XV  et  Louis  XVI,  avait 
disparu,  en  1793.  Nantes,  en  raison  de  son  commerce 
maritime,  de  ses  relations  maritimes,  était  au  premier 
rang  des  villes  de  France  qui  appliquaient  fructueuse- 
ment le  nouveau  mode  de  perception. 

Chose  singulière,  la  Direction  générale  et  les  bureaux 
des  recettes  n'étaient  pas  situés  au  même  endroit  et  se 
trouvaient  relativement  éloignés  du  port,  de  ce  quai  de 
la  Fosse,  où  venaient  atterrir  les  navires,  où  débarquaient 
les  équipages.  Les  Douanes  n'avaient  pas  pris  encore 
possession  d'une  de  ces  belles  maisons  de  pierre,  hôtel 
à  l'aspect  grandiose,  presque  monumental,  désigné 
pour  lui  donner  l'hospitalité.  En  1792-1793,  le  bureau 
de  la  Direction  générale  était  encore  celui  des  Fermes 
générales,  rue  Vendik  (sic),  ci-devant  rue  Mercœur,  au 
rez-de-chaussée,  proche  le  Marchix,  dans  un  assez 
vilain  quartier,  que  n'avait  pas  dégagé  le  percement  de 
la  place  Lafayette.  Les  bureaux  des  recettes  de  l'étran- 
ger et  des  colonies  étaient  plus  mal  placés,  rue  Santeuil, 
ci- devant  rue  de  Bertrand,  maison  Hervé.  On  devine  ce 
que  pouvait  être  alors  la  rue  Santeuil,  restée  étroite  et 
obscure  avant  que  le  vaste  et  élégant  passage 
Pommeraye  ait  remplacé  cette  Galerie  du  Commerce, 
boyau  tout  noir  qui  dévalait  en  pente  raide  jusqu'à  la 
Bourse. 

Sectionnées,  mal  installées,  les  Douanes  n'en  consti- 
tuaient pas  moins,  à  la  fin  du  xvme  siècle,  dans  une 
ville  qui  était  le  grand  l'entrepôt  des  sucres  et  des  cafés 
du  monde  entier,  une  administration  de  premier  ordre. 
Il  y  avait,  sinon  plus  d'employés,  plus  de  chefs,  de  ser- 
vice et  de  commis  principaux  qu'aujourd'hui.  Le  direc- 
teur général  se  nommait  Dominique-Charles  Adine.  Je 
ne  crois  pas  qu'il  fût  Nantais;  rien,  du  moins,  ne  me  l'a 
désigné  comme  tel.  Il  avait  été,  sousLouis  XVI,  Direc- 
teur général  des  Traites,  Gabelles,  Tabacs  «  et  autres 
droits  y  joints».  Il  resta  très  longtemps  à  Nantes    et   y 


—  317  — 

mourut  probablement;  il  figure  encore,  avec  son  titre, 
dans  un  Almanach  de  1810.  Il  avait  sous  ses  ordres 
directs  un  premier  commis  de  la  direction,  Seurot,  et 
deux  inspecteurs  principaux  :  l'un,  Regnault,  en  résidence 
au  Croisic;  l'autre,  Debourges,  à  Paimbœuf.  Ce  petit 
état-major  était  complété  par  un  nommé  Bûche  «  capi- 
taine général  »,  demeurant  au  bas  de  la  Fosse,  maison 
Dupuis,  dont  le  titre  prouve  bien  que  les  douaniers 
étaient  dès  lors  organisés  militairement  et  formaient  un 
corps  prêt  à  combattre  les  contrebandiers  ou  les  ennemis 
de   l'Etat. 

Passons  aux  «  Recettes  »,  Le  fonctionnaire  qui  figure 
le  premier  sur  la  liste,  avec  le  grade  «  inspecteur  sed. 
(sédentaire)  de  la  Douane  »,  était  celui  de  mes  ancêtres 
sur  lequel  Perthuis,  en  me  faisant  présent  des  Etrennes, 
appelait  mon  attention.  Cet  Eudel,  qui  devait 
devenir  Directeur  à  Cherbourg,  n'était  pas  mon  aïeul 
direct  ;  c'était  le  frère  aîné  de  mon  grand-père 
(devenu  lui-même  directeur  des  Douanes  à  Boulogne 
sous  le  Premier  Empire)  et,  par  conséquent,  un  oncle  de 
mon  père  qui,  après  bien  des  pérégrinations,  fut  envoyé 
de  Calais  à  Nantes,  en  1842,  comme  vérificateur  des 
Douanes.  Les  Eudel  étaient  douaniers  de  père  en  fils, 
d'oncle  à  neveu.  A  quoi  a-t-il  tenu  que  je  n'aie  pas  suivi 
la    même    carrière? 

Benjamin  Eudel,  né  à  Laval  en  1755,  mais  d'origine 
picarde,  demeurait  rue  Contrescarpe.  Les  titres  des 
employés  qui  venaient  après  .lui,  au  bureau  des 
recettes,  sont  curieux  à  reproduire.  Il  y  avait  le  rece- 
veur de  l'Etranger,  Gerbier,  d'une  famillede  négociants 
en  grains,  apparentée  à  celle  du  célèbre  avocat 
rennais  ;  ce  Gerbier,  ancien  juge  consul,  avait  été 
trésorier  des  troupes,  en  1787.  Le  contrôleur  des  recettes 
se  nommait  Bourret  ;  le  commis,  Gouaux.  Une  autre 
recette,  dite  des  denrées  coloniales,  avait  pour  receveur 
Vallois,  pour  contrôleur  Papelard,  pour  commis  Papot, 
dont  un  descendant  tint  longtemps  une  pension  très 


—  318  — 

suivie.  Le  plombeur  s'appelait  Foucaull  ;  l'orthographe  et 
la  date  me  permettent  de  l'identifier  avee  un  Foucault 
qu'on  enrégimenta  dans  la  compagnie  Marat,  et  qui  en 
sortit  «  parce  qu'elle  contenait  des  scélérats  ».  La  liste 
des  commis  s'allonge.  Elle  comprend  deux  commis  pour 
«  les  déclarations  des  isles  »  (on  ne  désignait  pas  autre- 
ment les  Antilles),  Rampin  et  Perret  ;  deux  pour  les  décla- 
rations étrangères,  Boquillon  et  Wattier;  deux  «  aux 
déclarations  d'entrepôt  »,  Duchatellier  et  Débonnaire; 
deux  aux  expéditions,  Bonneman  et  Lecomte.  Quelques- 
uns  de  ces  noms  me  frappent.  Le  critique  et  romancier 
Paul  Perret,  qui  aimait  à  se  dire  de  vieille  souche  nan- 
taise, aurait  retrouvé  l'un  des  siens.  L'auteur  de  l'His- 
toire de  la  Révolution  dans  les  départements  de  l'ancienne 
Bretagne,  écrivait,  ainsi  que  le  commis  des  Douanes,  son 
nom  en  un  mot;  depuis,  on  écrit  du  Chatellier.  Le  nom  de 
Bonnemant  n'a  pas  cessé  d'être  porté  à  Nantes.  Lecomte 
a  été  un  des  132  Nantais.  Des  gardes-magasins,  Neveux 
La  Bouchardière,  Gaborit,  Bellin,  Maison,  qui  opéraient 
pour  les  isles,  pour  l'Inde,  pour  la  Guinée  et  le  Nord 
(bizarre  assemblage),  Gaborit  seul  me  semble  bien  Nantais: 
serait-il  le  Gaborit  (Louis-Théodore),  auteur  de  Mélanie 
ou  l'Egalité,  tragédie  patriotiques  en  cinq  actes  et  envers, 
Nantes,  1791?  Le  commis  aux  archives  du  commerce, 
nous  dirions  simplement  l'archiviste,  s'appelait  Moret. 
Deux  autres  commis,  Pallois  et  Damory,  étaient  chargés 
du  contrôle  «  des  visiteurs  »,  négociants  de  la  ville,  nota- 
bles commerçants  ou  industriels  qui  inspectaient  les  mar- 
chandises à  l'arrivée,  vérifiaient  les  opérations. 

La  liste  de  ces  dix-huit  visiteurs  nous  est  donnée  au 
complet.  Je  la  reproduis,  quoiqu'elle  nous  fournisse  peu 
d'indications  nouvelles  sur  la  bourgeoisie  nantaise  de 
l'époque.  C'étaient  Jourdain,  Culembourg,  Favre,  Du- 
fraisse,  Rostenne,  Saveneau,  Tardiveau,  Pointel,  Messal, 
Chevalier,  Valadier,  Lacour,  Le  Romain,  Lamboley^ 
Briffault,  Landon,  Lagrange,  Henry.  A  part  Tardiveau^ 
qui  fut  -     si  ce  n'était  son  frère  -     membre  duConsei 


—  319  — 

du  département;  Saveneau,  encore  «  visiteur  »  en  1810 
et  secrétaire  en  chef  de  la  mairie;  Chevalier,  un  des  132 
Nantais;  et  Le  Romain,  ancêtre  d'un  avocat  bien  connu, 
notre  contemporain,   cette  liste  est  assez  indifférente. 

Le  Tribunal  du  District  de  Nantes,  nous  apprend  un 
nota  inséré  aux  Etrennes,  est  celui  qui  doit  connaître 
directement  de  toutes  les  contestations  relatives  aux 
Douanes.  Ces  contestations  me  semblaient  devoir  être 
plutôt  du  ressort  du  Tribunal   de  Commerce. 

Il  y  avait  aussi  une  régie  générale  pour  percevoir  un 
droit  de  marque  sur  les  ouvrages  d'or  et  d'argent.  C'était 
la  fin  de  l'ancienne  Ferme  ;  Borgnier  prenait  le  titre 
et  la  qualité  de  directeur  et  receveur  général  de  la  liqui- 
dation. Notons,  d'ailleurs,  qu'un  commissaire  du  Gou- 
vernement près  l'Hôtel  des  Monnaies  existait  encore 
en  1810;  il  n'était  autre  qu'Antoine  Peccot. 

Depuis  que  le  département  des   Ponts  et  Chaussées  Ponts 

avait  été  réuni,  en  1735,  au  Ministère  des  Finances,  cette  et  Chaussées. 
administration  avait  pris  une  importance  considérable. 
Sous  l'impulsion  d'ingénieurs  comme  Trudaine  et  Perro- 
net,  6.000  lieues  de  routes  furent  tracées  dans  le  royaume  ; 
des  ports,  des  ponts,  se  creusèrent  ou  s'élevèrent 
de  tous  côtés.  La  Révolution,  cependant,  attaqua,  sous 
le  vain  prétexte  de  réaliser  des  économies,  le  corps  des 
ingénieurs  que  défendirent,  à  la  tribune  de  l'Assemblée, 
l'illustre  Mirabeau  et  Chapelier,  le  député  de  Rennes. 
Les  Ponts  et  Chaussées  eurent  gain  de  cause,  et  leur  im- 
portance s'accrut.  Dans  chaque  département,  on  nomma 
un  ingénieur  en  chef,  et,  selon  le  chiffre  de  la  population 
et  le  nombre  des  travaux  à  effectuer,  deux  ou  trois  ingé- 
nieurs ordinaires. 

A  Nantes,  l'ingénieur  en  chef  était  Groleau  «  près  le 
Bon  Pasteur  »;  les  trois  ingénieurs  ordinaires  se  nom- 
maient Recommencé,  rue  Maupertuis,  Rapatel,  quai 
Barbinais  (l'ancien  quai  de  l'Hôpital  tirait  cette  appel- 
lation de  Porcon  de  la  Barbinais,  dit  le  Régulus  malouin) 
et   Hervoet. 

Soc.  Archéol,  Nantes  21 


—      320  — 

Ces  fonctionnaires  ne  me    semblent    pas    appartenir 
à  des  familles  nantaises.  Au  cours  de  l'année  1793,  ils 
eurent  peu  de  travaux  à  effectuer.  Mais  le  ministre  de 
l'Intérieur,  Garât,  qui  avait   pris  possession  du  réseau 
des  Ponts  et  Chaussées,  leur  imposa  des  obligations  inat- 
tendues. Dans  le  département  de  la  Loire-Inférieure,  un 
des  plus  agités  par  la  guerre,    ces    devoirs    revêtaient 
un    caractère    bien     défini.      Ils     étaient     appliqués, 
comme  tous  leurs  collègues,  au  service  de  l'armée;    ils 
devaient   spécialement   s'occuper   du   casernement   des 
troupes   du   génie.   Une   circulaire   ministérielle  d'avril 
1793    leur    prescrivit    même    d'aider    au    recrutement. 
C'étaient  là  des  postes  peu  en  harmonie  avec  la  situation 
privilégiée  que  la  fondation  de  l'École  Polytechnique  par 
la  Convention  allait  donner  aux  ingénieurs  des  Ponts  et 
Chaussées;  qui  se  recrutèrent,  dès  l'origine,  parmi  les  pre- 
miers élèves  sortis  de  l'École. 

LES   POSTES 

Poste  Arrivons  à  la  poste  aux  lettres,  si  agitée  récemment. 

aux  lettres.  Cette  administration,  si  utile  de  tout  temps,  si  critiquée, 
avait  une  importance  capitale,  attestée  par  les  douze 
pages  de  petit  texte  que  lui  consacrent  les  Etrennes. 

Nos  contemporains  ne  connaissent  guère  la  différence 
qui  existait  entre  la  grande  et  la  petite  poste:  l'une 
était  le  service  de  la  correspondance  allant,  grâce  aux 
courriers,  de  ville  en  ville;  l'autre  se  restreignait  à  la 
distribution  de  la  correspondance  locale.  Avec  les  messa- 
geries monopolisées  par  l'État,  qui  expédiaient  dans 
toutes  les  directions  leurs  voitures  pour  le  transport 
des  voyageurs  et  des  marchandises,  la  grande  et  la 
petite  poste  constituaient  tous  les  moyens  de  locomo- 
tion, de  transmission  publiques,  à  une  époque  qui 
nous  paraît  bien  arriérée,  quoiqu'elle  eût  déjà  réalisé 
d'immenses  progrès  sur  l'ancien  état  de  choses. 
En  1780,  la  grande  et  la  petite  poste  avaient  été  réu- 


321 


nies  et  mises  en  régie;  il  existait  alors  1.284  bureaux, 
3.000  relais.  Le  bail  de  la  ferme  des  messageries  ayant 
été  résilié,  les  messageries  furent  jointes  aussi  à  la  poste 
pour  ne  constituer  qu'une  seule  et  même  administra- 
tion. 

Le  même  régime  était  en  vigueur,  à  peu  de  chose  près, 
à  l'époque  que  nous  décrivons.  Neuf  administrateurs, 
élus  par  la  Convention,  dirigeaient  la  Régie  nationale 
des  trois  administrations  réunies.  On  ne  parlait  alors 
que  par  Directoires,  mais  le  Directoire  de  la  Poste,  relati- 
vement au  Ministère  des  Finances,  dont  il  dépendait, 
représentait  assez  bien  ce  que  nous  appellerions  aujour- 
d'hui un  sous-secrétariat  d'Etat. 

Le  président  du  Directoire,  chef  suprême  de  l'Admi- 
nistration des  Postes,  répondait  au  nom  de  Bron.  Celui 
des  neuf  administrateurs  qui  avait  dans  ses  attributions 
le  département  de  la  Loire-Inférieure,  Gibert,  résidait 
également  à  Paris,  mais  il  pouvait  bien  être  originaire 
de  Nantes,  où  ses  homonymes  sont  nombreux. 

Je.  n'ai,  malgré  de  longues  recherches,  recueilli  aucuns 
renseignements  locaux  sur  les  divers  fonctionnaires  des 
Postes  en  résidence  à  Nantes,  dont  je  me  borne  à  donner 
les  noms,  domiciles  et  qualités.  L'inspecteur  pour  Nantes 
et,  sans  doute,  pour  la  région  s'appelait  Desbordelièrec 
Avec  l'adresse  du  directeur  J.-B.  Giraud,  qui,  lui,  devait 
être  Nantais  (mais  les  Giraud  ont  toujours  foisonné  à 
Nantes),  nous  avons  celle  de  l'Hôtel  de  la  Poste,  rue 
Bossuet.  Du  contrôleur  Menureau,  place  du  Pilori;  du 
receveur  Joubert  aîné,  place  Neptune;  du  taxateur 
Guérineau,  rue  Racan  ;  des  quatre  commis,  Joubert 
jeune,  rue Girardon;Laville,  Haute-Grande-Rue;  Rolland, 
rue  des  Chapeliers;  Noiret,  rue  Démosthènes,  nous  ne 
savons  absolument  rien;  nous  n'avons  que  la  seule  men- 
tion des  Etrennes. 

Au  point  de  vue  de  la  distribution  des  lettres  —  no- 
tons, une  fois  de  plus,  qu'il  ne  s'agissait  que  des  lettres 
venues  du  dehors  —  la  ville  était  divisée  en  dnq  quar- 


—  322  — 

tiers;  il  y  avait  cinq  facteurs  :  Douineau  (si  nous  savions 
qu'il  était  de  la  Chapelle-Basse-Mer,  je  l'identifierais 
volontiers  avec  un  Jean  Douineau,  condamné  à  mort 
en  l'an  II  par  la  Commission  militaire  Lenoir).  Douineau, 
qui  habitait  isle  Feydeau,  rue  Clisson,  3,  distribuait  les 
lettres  quai  Tourville,  île  Feydeau,  quai  Barbinais, 
pont  Orient,  Pré  de  la  Magdelaine  et  sur  tous  les  ponts 
(sic).  Louvigné  jeune,  rueGrétry  (ex  deCereste),  faisait 
sa  tournée  place  du  Commerce,  quartier  Graslin,  la 
Fosse  et  l'Hermitage.  Tassut,  rue  Bossuet,  4,  (ex  rue 
Briord),  avait  dans  son  réseau  tout  l'intérieur  de  la  ville, 
ce  qui  désigne  sans  doute  le  quartier  du  Château,  toute 
l'ancienne  cité.  Francineau,  rue  Mignard,  37,  (ex  Saint- 
Similien),,  parcourait  la  rueRubens,  la  rue  du  Chapeau- 
Rouge,  la  rue  Contrescarpe,  la  place  Buffon,  la  rue  Van- 
Dyck,  la  place  Guttenberg,  le  Marchix,  les  Hauts-Pavés. 
Enfin,  Petiteau,  rue  Démosthènes,  70,  (ex  Saint- 
Clé  ment),  visitait  le  cours  Liberté,  le  cours  Fédéra- 
tion, la  rue  Démosthènes  et  Richebourg.  L'Indicateur 
Nantais,  de  Guimard,  de  1792,  donne  Rinchéval  à 
la  place  de  Francineau  et  Louvigné  aîné  à  celle  de 
Petiteau?  Mais  ce  sont  les  mêmes  adresses  aux  mêmes 
numéros  ? 

Encore  que  la  besogne  de  ces  cinq  facteurs  fût  très 
inégale,  elle  n'en  restait  pas  moins  pénible..  Mais  ils 
ne  faisaient  sans  doute  qu'une  distribution  par  jour; 
la  faisaient-ils  même  tous  les  jours. 

La  poste  restante  apparemment  privée  —  était 
chez  la  veuve  Brunet,  rue  Bossuet,  n°  4,  c'est  à  dire 
tout  près  de  l'Hôtel  des  Postes.  Ce  terme  «  poste  restante» 
doit  être  vieux  comme  la  chose  qu'il  représente.  Les 
voyageurs  de  commerce  et  les  amoureux  en  usaient 
alors  ;  ils  en  usent  toujours.  Dans  le  Calendrier  du 
Commerce  ou  V Almanach  de  la  Petite-Poste  et  de  la  Poste 
Maritime  de  Nantes  pour  l'année  commune  1790,  est  déjà 
indiquée  une  «  poste  restante  »,  chez  Brunet,  distribu- 
teur, rue  de  Briord  (devenue  rue  Bossuet  en  1792).  n°  16, 


—  323  — 

près  du   Bureau    général,  situé   rue   de  Briord,  n°   11. 

Un  petit  avis,  qui  a  son  prix,  nous  apprend  ensuite 
«  qu'on  a  établi  pour  la  commodité  du  public  trois  boîtes 
«  pour  la  grande  poste,  auxquelles  on  peut  mettre  les 
«  lettres  avec  la  plus  grande  confiance,  étant  levées  par 
«  les  facteurs  deux  heures  avant  le  départ  de  chaque 
«  courrier.  »  Je  me  serais  reproché  de  rien  ôter,  de  rien 
changer,  au  texte  de  cet  avis;  «  avec  la  plus  grande 
confiance  »  me  semble  un  bien  joli  euphémisme.  Je  suis 
sûr  que,  dans  l'ancienne  France  postale,  on  ne  mettait 
pas  une  lettre  à  la  boîte  sans  une  vague  inquiétude . 

Nantes,  comme  toute  ville  dépassant  4.000  habitants, 
avait  ses  lettres  distribuées  à  domicile.  Les  trois  boîtes 
additionnelles  dont  il  vient  d'être  parlé  lui  constituaient 
encore,  pour  l'époque,  un  rare  privilège.  Bien  placées, 
ces  boîtes,  malgré  de  bizarres  indications  d'adresses, 
La  première  était  chez  le  marchand  de  parasols,  vis-à-vis 
la  Bourse;  elle  servait  aux  négociants;  la  seconde,  chez 
Jourdain,  tenant  les  bains,  quai  Turenne,  était  à  l'usage 
du  monde  élégant;  la  troisième,  place  Buffon,  chez 
Henri,  pâtissier,  vis-à-vis  la  poste  aux  chevaux,  permet- 
tait aux  personnes  scrupuleuses  de  ne  pas  donner  en 
mains  propres  leurs  lettres  aux  postillons,  personnages 
suspects,  dont  un  écrit  de  l'époque  nous  dénonce  «  l'in- 
subordination vis-à-vis  des  maîtres  de  poste,  l'insolence 
et  les  exactions  vis-à-vis  des  voyageurs  ».  —  Détail 
important  et  de  nature  à  rassurer  tout  à  fait  les  timides  : 
les  clefs  des  boîtes  étaient  déposées  au  grand  bu- 
reau. 

Les  quatre  pages  des  Etrennes  qui  suivent  donnent, 
sur  le^  départ  des  courriers  de  Nantes  et  leur  arrivée  à 
Nantes,  des  renseignements  aussi  précis  que  complets. 
Il  faudrait  les  transcrire  sans  oublier  l'avis  publié  pour 
la  levée  des  boîtes  de  l'intérieur,  qui  se  faisait  tous  les 
jours  :  pour  Paris,  par  Le  Mans;  pour  Bordeaux;  pour 
Bennes,  trois  fois  par  semaine;  pour  Brest;  le  pays  de 
Betz;  Paris,  par  Vendôme  et  Tours.  La  levée  du  bureau 


—  324  — 

central  était  toujours  faite  une  heure  après  la  levée  des 
bureaux  de  quartier. 

Une  mention  nous  fait  sourire  :  «  Il  faut  affranchir 
les  lettres  chargées  »  et  nous  rappelle  qu'autrefois  la 
taxe  était  payée  par  celui  qui  recevait  la  lettre  et  qu'il 
coûtait  au  pauvre  diable  de  récipiendaire  jusqu'à  un 
franc  vingt  centimes,  quand  la  lettre  venait  de  l'autre 
bout  de  la  France.  Très  arbitraires,  d'ailleurs,  ces  taxes, 
quoiqu'on  les  prétendît  basées  sur  la  distance.  Ainsi, 
ce  sont  les  Etrennes  qui  nous  l'apprennent,  on  n'af- 
franchit point  pour  la  Hollande,  l'Espagne,  le  Portu- 
gal, la  Prusse,  la  Suède,  le  Danemarck  et  la  Russie,  et 
ces  taxes  inconnues  devaient  être  formidables  à  en  juger 
par  celles  que  nous  connaissons.  Les  letres  pour  l'Italie 
coûtaient  24  sols  «  la  simple  »  (jusqu'à  quel  poids?  on 
néglige  de  nous  le  dire);  pour  l'Angleterre  jusqu'à  Calais, 
par  conséquent  jusqu'à  la  limite  du  territoire  français, 
16  sols  la  simple;  pour  l'Allemagne  au  delà  du  Rhin, 
24  sols  la  simple;  pour  Turin  et  la  Savoie,  24  sols;  quelle 
source  de  bénéfices  pour  les  gouvernements!  Mais  on  écri- 
vait peu  alors. 

Les  courriers.  Le  départ  et  l'arrivée  des  courriers  avaient  lieu  paral- 

lèlement et  avec  beaucoup  d'ordre  ou  de  symétrie.  C'est 
ainsi,  pour  ne  prendre  qu'un  exemple  (ces  listes  de  noms 
de  villes  et  de  pays  étant  d'une  désespérante  monotonie), 
qu'il  y  avait  le  dimanche  trois  départs  de  la  malle-poste 
et  quatre  arrivées.  A  1  heures  du  matin,  arrivait  le  cour- 
rier de  Rennes,  Nozai,  Derval,  Châteaubriant  et  une 
grande  partie  de  la  Rretagne;  à  7  heures  du  matin,  arri- 
vait un  autre  courrier  breton,  venant  de  Brest,  Vannes, 
Lorient,  Quimper;à  5  heures  du  soir,  c'était  l'arrivée 
du  courrier  de  Rordeaux,  La  Rochelle,  Toulouse,  Mont- 
pellier, l'Espagne  et  le  Portugal;  à  8  heures  du  soir,  par- 
taient en  même  temps  les  courriers  de  Bordeaux  et  de 
Rennes  ;  à  10  heures,  celui  de  Paris,  Chartres,  Le  Mans, 
Angers,  l'Allemagne,  la  Flandre,  la  Hollande,  l'Angle- 


325 


terre,  '  l'Italie,  la  Prusse,  la  Suède,  le  Danemarck,  la 
Bohême  et  la  Hongrie;  enfin,  à  minuit,  arrivait  le  cour- 
rier de  Paris,  Orléans,  Vendôme,  Tours,  Blois  et  de 
divers  pays  étrangers.  C'était  une  journée  bien  remplie; 
ab  uno  disce  omnes.  Et,  malgré  le  grand  nombre  des 
localités  énoncées,  le  rédacteur  des  Etrennes  se  rendait 
compte  que  son  énumération  n'était  pas  complète;  il 
prenait  ses  précautions  ainsi  :  «  Toutes  les  villes  et 
autres  lieux  qui  se  trouvent  sur  la  route  et  aux  environs, 
quoiqu'on  n'en  fasse  pas  mention,  partent  parles  mêmes 
ordinaires  que  les  villes  ci-après.  » 

On  sait  le  rôle  important  que  joua  dans  l'arrestation 
de  Louis  XVI,  à  Varennes,  le  maître  de  postes,  Drouet. 
Son  collègue  de  Nantes,  chargé  du  service  de  la  poste 
aux  chevaux  et  relais,  avait  son  établissement  et  son  bu- 
reau à  l'entrée  de  la  place  Buffon,  n°  19,  sur  cette  an- 
cienne et  nouvelle  place  de  Bretagne,  qui  occupe  encore 
aujourd'hui  le  centre  de  la  ville.  Il  dut  être,  en  pleine 
agitation  révolutionnaire,  très  fier  de  son  nom  romain 
de  Caton.  Je  me  demande  même  si  ce  nom  républicain 
ne  lui  fut  pas  donné  dans  les  clubs  comme,  à  d'autres,  les 
noms  de  Brutus  et  de  Scévola.  Ce  Caton  nantais  a  beau- 
coup moins  fait  parler  de  lui  que  Caton  le  Censeur  ou 
même  que  Caton  d'Utique.  Le  seul  document  contem- 
porain que  j'aie  retrouvé,  où  il  soit  question  d'un  maître 
de  la  poste  aux  chevaux  de  Nantes,  est  de  1798  (29  prai- 
rial, an  VI).  Il  transmet  au  Directoire  les  doléances  de  ce 
personnage,  qui  se  nommait  Racine,  et  de  ses  collègues 
des  routes  de  Rouen,  Bordeaux,  Lyon,  Lille,  Brest  et 
autres  lieux,  afin  d'obtenir  une  loi  qui  fixe  d'une  manière 
stable  et  invariable  l'organisation  des  postes  aux  che- 
vaux. Racine  et  ses  collègues  se  plaignaient  surtout  de 
la  conduite  répréhensible  des  entrepreneurs  des  charrois 
militaires  et  d'artillerie,  qui  empiétaient  sur  leurs  droits 
et  enlevaient  tout  ce  qu'ils  trouvaient.  Quianominorleo, 
a  dit  Phèdre. 

La  Petite  Poste,  nous  l'avons  déjà  remarqué,  ne  se 


Poste 
aux  chevaux. 


Petite  poste. 


—   326  — 

chargeait  que  de  l'expédition  des  correspondances  locales 
Fondée,  vers  le  milieu  du  XVIIIe  siècle,  par  un  philan- 
thrope intelligent,  Piarron  de  Chamousset,  elle  avait  été, 
comme  sa  grande  sœur,  mise  en  régie  nationale.  Le  Bu- 
reau général  de  Nantes  était  situé,  et  resta  longtemps, 
rue  J.-J. -Rousseau,  n°  4.  L'Administration  comprenait 
un  directeur,  un  contrôleur-inspecteur,  six  facteurs  pour 
le  service  de  la  ville  et  de  la  campagne  (ou  plutôt  de  la 
banlieue),  trois  autres  facteurs  pour  la  campagne,  de 
ceux  qu'on  appela  plus  tard  facteurs  ruraux,  deux  sur- 
numéraires. Il  y  avait  des  bureaux  ou  boîtes  dans  les 
différents  quartiers  de  la  ville;  les  facteurs  y  faisaient 
des  levées  six  fois  le  jour,  de  6  h.  1  /2  du  matin  à  7  h.  du 
soir,  et  distribuaient  en  même  temps  les  lettres  de  la  levée 
précédente.  Le  port  de  la  lettre  pour  la  ville  était  de  deux 
sols,  pour  la  campagne,  de  trois  sols;  c'était  presque  l'af- 
franchissement actuel,  mais  le  sol  de  1793  valait  plus  que 
notre  sou.  Ajoutons  qu'un  bureau  de  poste  maritime 
était  adjoint  à  celui  de  la  petite  poste,  et  constatons  que, 
là  du  moins,  on  avait  mis  la  taxe  à  la  portée  de  toutes 
les  bourses;  à  cause  des  relations  constantes  de  la  métro- 
pole nantaise  avec  les  colonies,  l'envoi  de  la  lettre  coû- 
tait un  sol,  la  réception  deux  sols  «  sans  égard  au  poids 
ou  volume  »  Il  n'était  plus  question  de  «  simple  »  ou  de 
«   double  »,  comme  à  la  grande  poste, 

Les  Etrennes  ne  nous  nomment  aucun  des  subordonnés 
du  directeur  de  la  petite  poste  et  de  la  poste  maritime,  le 
citoyen  Mangin.  Celui-ci  compense  heureusement,  par  sa 
notoriété,  l'obscurité  de  ses  collaborateurs.  Au  prix  d'une 
lutte  incessante  et  de  sacrifices  pécuniaires,  Victor  Mangin, 
premier  du  nom,  fonctionnaire  et  publiciste,  lança  les 
premiers  journaux  politiques  et  commerciaux  qui  aient 
paru  à  Nantes.  Dès  1782,  il  rédigeait  la  Correspondance 
maritime,  qui  se  transforma  successivement  en  Feuille 
maritime,  en  Feuille  nantaise,  en  Affiches  de  Nantes,  ins- 
pirées par  les  Petites  affiches  de  Paris.  Il  put,  nvant  de 
mourir,  fonder,  en  1819,  l'Ami  de  la  Charte,  que  reprit, 


—  327  — 

ou  continua,  son  fils  Charles- Victor-Amédée,  le  créateur 
du  National  de  l'Ouest  et  du  Phare  de  la  Loire.  L'impul- 
sion donnée  sous  le  Second  Empire  à  ce  dernier  journal 
par  mes  amis  Victor  et  Evariste  Mangin  venait  de  leur 
grand-père.  C'était  une  tradition  de  famille.  Et  si  l'on 
songe  que  le  premier, Victor  Mangin,  postier,  journaliste, 
était  encore  imprimeur,  poète  agréable,  créateur  d'une 
comédie-vaudeville,  La  bonne  nouvelle  ou  l'heureuse 
journée,  faite  à  l'occasion  de  la  paix  générale  et  repré- 
sentée à  Nantes  en  1814,  on  reste  stupéfait  de  cette  intel- 
ligence, de  cette  activité  rayonnant  dans  tous  les  genres. 

La  diligence  !  Que  de  souvenirs  évoquait,  que  d'émo-  L'antique 

tions   réveillait   autrefois   ce   simple    mot!    Un   voyage  diligence. 

il  y  a  cent  ans  était  une  grave  affaire,  où  l'on  ne  s'aven- 
turait que  pour  de  sérieux  motifs  d'intérêt,  et  l'instru- 
ment du  voyage  avait  lui-même  quelque  chose  de  formi- 
dable. Le  coche  décrit  par  La  Fontaine  s'était  à  pe-iie 
transformé  pour  devenir  la  haute  et  lourde  voiture 
à  trois  compartiments  (coupé,  intérieur,  rotonde), 
sans  préjudice  de  l'immense  bâche,  formant  capote, 
sous  laquelle  on  entassait  pêle-mêle  les  bagages  et  les 
voyageurs  peu  fortunés.  Et  les  chevaux,  percherons  infa- 
tigables, aux  robustes  encolures,  qui  faisaient  jaillir, 
en  s'ébranlant,  l'étincelle  du  pavé  et  qu'on  échangeait 
aux  relais  contre  des  bêtes  pareilles,  qu'une  bonne 
ration  d'avoine  mettait  en  état  de  parcourir  au  grand 
trot  les  dix  ou  douze  lieues  réglementaires  !  Et  le  pos- 
tillon, ce  type  déjà  presque  disparu  à  la  fin  du  xvme 
siècle,  bon  pour  la  légende  ou  l'opéra -comique 
d'Adam,  remplacé  par  le  conducteur,  brutal  ou  bon 
enfant,  débraillé  sous  sa  limousine  et  sa  casquette  à 
oreilles  ! 

J'ai  connu  les  temps  bibliques  de  la  diligence, 
et  je  me  souviens  assez  de  celle  qui  m'amena,  tout 
enfant,  de  Calais  à  Nantes,  pour  trouver  quelque 
vraisemblance  au  joli  tableau  de  mœurs  de  Boilly 
«  L'arrivée  de  la  diligence  dans  la  cour  des  messageries  », 


—  328  — 

ou  bien  aux  amusants  versiculets  de  Désaugiers  qui 
fixent  un  des  aspects  de  Paris  à  cinq  heures  du  matin  : 

La  diligence 
Part  pour  Mayence, 
Bordeaux,   Florence 
Ou  les  Pays-Bas... 
Les  chevaux  hennissent, 
Les  fouets  retentissent, 
Les  vitres  frémissent, 
Les  voilà  partis  !... 

On  s'embrassait  au  départ,  comme  si  on  ne  devait, 
plus  se  revoir;  à  l'arrivée,  comme  si  les  voyageurs 
venaient  d'échapper  à  un  grand  danger. 

Ces  simples  mois  «  Diligences  et  Messageries  natio- 
nales, Bureaux  de  Nantes  »  sont  le  thème  sur  lequel 
j'ai  brodé  mes  variations.  Bevenons  au  côté  pratique. 
Le  Bureau  général  était  rue  Van  Dyck,  21,  près  la  place 
Buiïon,  et  j'aime  à  peupler,  par  l'imagination,  la  vieille 
place  de  Bretagne  de  la  foule  grouillante  et  bariolée 
qui  transformait  chaque  départ,  chaque  arrivée  de  la 
diligence,  en  un  petit  événement  local.  Le  bureau  était 
ouvert  tous  les  jours,  de  7  heures  du  matin  à  midi  1/2,  de 
2  h.  1/2  à  7  heures  du  soir.  Pas  de  repos  hebdomadaire 
pour  le  personnel,  qui  comprenait  un  directeur,  bizarre- 
ment nommé  Vobis,  dont  le  descendant  probable  fut 
plus  tard  menuisier  rue  du  Coudray,  un  sous-directeur, 
Hébert,  un  contrôleur,  Rabier,  un  facteur  en  chef, 
Sattin. 

Où  allait-on?  Dans  quatre  directions  :  à  Angers  et 
Paris,  à  La  Rochelle  et  Bordeaux;  à  Bennes  et  Saint- 
Malo  ;  à  Vannes  et  Lorient.  Cette  énumération  de 
villes  est  limitative;  ainsi,  pour  la  Bretagne,  Lorient 
était  le  point  terminus  des  messageries  nantaises;  il 
fallait  dans  cette  ville,  ou  à  Vannes,  prendre  une 
autre  ligne  pour  aller  à  Saint -Brieuc,  Morlaix  ou  Brest. 


—  329  — 

Par  contre,  les  voitures  donnaient  des  correspondances 
qui  permettaient,  par  exemple,  au  voyageur  venant 
de  Paris  d'attendre,  à  Nantes,  le  départ  pour 
Bordeaux. 

Les  diligences  de  Nantes  n'avaient  point,  en  1793,  la 
massive  apparence  des  véhicules  Laffitte  et  Caillard, 
qui  transportaient,  plus  tard,  jusqu'à  trente-deux  per- 
sonnes, sans  compter  les  chiens,  les  chats  et  les  oiseaux. 
C'étaient  d'assez  légères  voitures  à  six  places  et  une 
«  au  cabriolet  »,  huit  personnes  avec  le  conducteur 
La  Compagnie,  d'après  les  Etrennes,  en  possédait  neuf  : 
trois  pour  le  service  d'Angers  et  Paris  ;  deux  pour  celui 
de  La  Rochelle  et  Bordeaux  un  pareil  nombre  pour  les 
services  de  Rennes  et  Saint-Malo,  de  Vannes  et  Lorient. 

Pour  assurer  leur  marche,  assez  rapide,  les  diligences  Les  fourgons. 
ou  malle-postes  ne  prenaient  que  les  voyageurs  munis 
de  bagages  personnels.  Il  restait  les  marchandises  et 
effets  de  tous  genres,  pour  le  transport  desquels  la 
Compagnie  possédait  de  lourds  véhicules,  appelés 
fourgons.  A  chacune  des  quatre  lignes  exploitées  par 
les  messageries  nantaises,  un  fourgon  était  attaché. 
On  ne  nous  dit  pas  quand  revenait  celui  qui  partait 
pour  Paris,  tous  les  vendredis,  à  deux  heures  du 
matin,  mais  nous  savons  qu'il  prenait  aussi  des 
voyageurs  à  tarif  réduit,  à  raison  de  quatre 
sous  par  lieue.  Il  desservait  les  divers  endroits  de  la 
route  et  adjacents  à  raison  de  15  sous  le  cent  (le  quintal 
de  100  livres  pesant  par  cent  lieues)  ou  de  trente  sous  le 
cent  par  dix  livres.  Le  fourgon  de  la  route  de  La  Rochelle 
et  Bordeaux  partait  le  lundi,  à  4  heures  du  matin,  était 
de  retour  le  dimanche,  à  6  heures  du  soir.  Il  avait  le  même 
tarif  pour  les  marchandises,  que  celui  de  Bennes  et 
Saint-Malo,  qui  partait  le  lundi,  à  10  heures  du  matin, 
revenait  le  dimanche,  à  midi,  et  que  celui  de  Vannes  et 
Lorient,  qui,  parti  le  mardi,  à  quatre  heures  du  matin, 
était  de  retour  le  dimanche,  à  six  heures  du  soir. 


—  330  — 

La  note,  évidemment  intéressée,  des  Etrennes  insiste 
sur  la  modicité  du  prix  de  transport  par  les  fourgons; 
elle  stipule  aussi  qu'on  fera  des  abonnements  au  Commerce, 
pour  les  objets  qui  en  seront,  susceptibles:  c'est  le  tarif 
réduit,  ou  tarif  m ini m um,  de  nos  Compagnies  de  chemins 
de  fer,  qu'une  administration  ayant  le  souci  de  ses  inté- 
rêts ne  pouvait  manquer  d'établir  dans  une  ville  com- 
merciale telle  que  Nantes.  Remarquons,  en  passant,  que 
le  principe  des  abonnements  ne  date  pas  d'hier. 

Les  départs.  Après  les   colis,   si    nous   nous  occupions  un    peu  des 

voyageurs.  On  leur  imposait  des  heures  de  départ  qui, 
l'hiver  surtout,  devaient  être  gênantes.  Ceux  qui  allaient 
à  Paris  ou  sur  la  ligne  (Angers,  Sautnur,  Tours),  et  qui 
devaient  être  les  plus  nombreux,  partaient,  à  trois  heures 
du  matin,  les  dimanches,  mardis  et  vendredis;  l'une  des 
trois  diligences,  qui  faisaient  ce  grand  trajet,  revenait  le 
lundi,  le  mercredi,  le  samedi  «  vers  les  sept  heures  du 
soir  ».  Ce  «  vers  »  nous  montre  qu'il  fallait  parfois  comp- 
ter avec  l'imprévu,  une  roue  à  réparer,  un  accident  de 
route,  au  pis  aller  la  voiture  versée  dans  un  fossé. 

Les  deux  diligences  «  à  six  places  et  une  au  cabriolet  », 
se  dirigeant  surLa  Rochelleet  Bordeaux,  partaient  le  mer- 
credi et  le  samedi,  à  6  heures  du  soir,  arrivaient  le  lundi 
et  le  vendredi,  vers  8  heures  du  soir.  On  correspondait 
avec  Vannes  et  Lorient,  Rennes,  Angers  et  Le  Mans; 
mais  il  me  semble  bien  qu'onn'allait  pas  jusqu'à  Bordeaux. 
Le  prix  des  places  n'était  donné  que  jusqu'à  Blaye;  celui 
du  port  des  effets  seul  était  indiqué  jusqu'à  Bordeaux. 
Les  voyageurs  quittaient  probablement  la  diligence  à 
Blaye  et  descendaient  en  bateau,  par  le  coche  d'eau,  la 
Gironde  jusqu'à  Bordeaux.  Le  trajet  de  Nantes  à 
Bordeaux  devenait  un  vrai  voyage  au  long  cours,  auquel 
ne  manquaient  pas  les  émotions  d'une  traversée. 

Sur  les  lignes  de  Bretagne,  les  choses  allaient  plus 
simplement;  aussi  bien  les  distances  étaient-elles  beau- 
coup moindres.  Pour  aller  de  Nantes  à  Rennes  et  Saint- 


—  331  — 

Malo,  l'une  des  diligences  partait  le  mardi  et  le  samedi, 
à  8  heures  du  soir,  arrivait  le  mardi  et  le  vendredi,  à 
5  heures  du  soir  (le  vers  problématique  est  remplacé  par 
un  à  formel).  Même  précision  pour  la  ligne  de  Vannes  et 
Lorient;  on  partait  le  mardi  et  le  vendredi,  à  10  heures 
du  soir,  on  arrivait  le  dimanche  et  le  jeudi,  à  8  heures 
du  soir.  On  ne  disposait  dans  chaque  voiture  que  d'un 
petit  nombre  de  places,  et  encore  n'étaient-elles  pas 
toutes  à  la  disposition  des  voyageurs  qui  devraient 
s'arrêter  sur  le  parcours.  Dans  les  trois  diligences  qui 
faisaient  chaque  semaine  le  service  de  Paris,  on  ne 
délivrait  de  places  que  pour  Paris,  sauf  le  vendredi, 
où  l'on  en  réservait  deux  pour  Angers,  Saumur  ou 
Tours.  Les  autres  lignes  étant  moins  fréquentées,  le 
règlement  n'était  plus  le  même.  On  donnait  deux 
places  «  en  directe  »  pour  Blaye,  le  restant  pour  La 
Rochelle  seulement.  Aucune  stipulation  pour  Rennes 
et  Saint  Malo.  Pour  Vannes  et  Lorient,  même  distribu- 
tion de  places  que  pour  Blaye  et  La  Rochelle. 

Le  prix   des   places,   soigneusement  indiqué   par  les  Coût 

Etrennes,  est  fort  instrutif.  Il  montre  ce  qu'il  en   coûtait        des  V0Ua9es- 
alors  pour  voyager,   et  prouve  que  la  dépense  était  une 
des  causes  de  la  rareté  des  déplacements. 

Le  «  prix  de  la  place  »  dans  la  diligence  pour  Paris 
était  de  55  livres  10  sous,  ce  qui  ferait  au  bas  mot  100 
francs  d'argent  actuel;  pour  Angers,  on  payait  12  livres 
12  sols;  pour  Saumur,  20  livres  8  sols;  pour  Tours,  30 
livres.  La  diligence  donnait  une  place  «  au  cabriolet  », 
c'est  à  dire  à  côté  du  cocher;  le  voyageur  à  destination 
de  Paris  qui  bravait  ce  voisinage  et  s'exposait  aux  in- 
tempéries des  saisons  en  était  pour  ses  36  livres  16  sols. 
C'est,  en  tenant  compte  de  la  différence  du  taux  de  l'ar- 
gent, trois  fois  le  prix  de  la  place  en  chemin  de  fer.  Et, 
comme  le  voyage  durait  trois  jours  et  trois  nuits,  il 
fallait  s'alimenteren  cours  de  route,  dans  des  auberges,  qui 
s'entendaient  à  merveille  à  exploiter  le  client  de  rencontre. 


—  332  — 

Nous  n'avons  pas,  et  pour  cause,  le  prix  de  Nantes 
à  Bordeaux,  mais,  pour  aller  à  Blaye,  point  terminus  de 
cette  ligne,  la  diligence  prenait  42  livres  12  sols;  le  trans- 
port par  eau  de  Blaye  à  Bordeaux  était  certainement 
compté  en  plus.  Pour  La  Bochelle,  le  prix  était  relati- 
vement moins  élevé,  21  livres  tout  juste.  La  place  «  au 
cabriolet  »  n'était  pas  donnée  plus  loin  que  cette  ville, 
elle   coûtait    14   livres. 

De  Nantes  à  Bennes  ou  à  Saint-Malo,  c'était  le  même 
prix,  ce  qui  me  paraît  une  anomalie  singulière;  on  pre- 
nait indifféremment  16  livres  4  sols  dans  la  diligence 
et  10  livres  16  sols  «  au  cabriolet  »,  sans  désignation  ni 
réserve.  La  place  était  au  premier  occupant. 

Pour  Vannes  et  Lorient,  le  tarif  était  très  différent, 
quoiqu'une  trentaine  de  kilomètres  à  peine  sépare  ces 
deux  villes.  Cela  coûtait  15  livres  12  sols  dans  la  diligence 
pour  Nantes,  et  24  livres  pour  Lorient.  La  place  «  au 
cabriolet  »  était  pour  Vannes  seulement;  elle  revenait 
à  10  livres  8  sols. 

On  sera  curieux  de  connaître  encore  le  prix  du  «  port 
des  effets  »,  c'est  à  dire  des  bagages,  encore  plus  dispro- 
portionné que  celui  des  places  avec  les  tarifs  d'aujour- 
d'hui. Nous  avons  droit,  dans  les  chemins  de  fer,  à  30  kilo- 
grammes de  franchise  ;  on  payait,  dans  les  dili- 
gences, 4  sols  9  deniers  par  livre  quand  on  allaita  Paris, 
4  sols  3  deniers  pour  Bordeaux  (les  effets  pouvant  être 
enregistrés  jusqu'à  cette  ville  et  jouissant  ainsi  d'un 
privilège  refusé  aux  voyageurs).  Les  tarifs  pour  Angers, 
Saumur,  Tours,  La  Bochelle,  Blaye,  Bennes,  Saint-Malo, 
Vannes,  étaient  en  proportion;  la  livre  d'effets  coûtait 
exactement  deux  sols  pour  Lorient.  Les  voyages,  encore 
une  fois,  étaient  l'apanage  des  personnes  riches  ou  au 
moins  aisées.  On  faisait  son  testament  avant  de  partir, 
et  on  emportait  la  forte  somme. 

Les  messagers.  Le  type  du  «  messager  »  qui  part  de  grand  matin  de  sa 

petite  ville  ou  de  son  village,  emportant  dans  sa  lourde 


—  333  — 

charrette  des  provisions  ou  des  colis  de  toute 
nature,  parfois  aussi  des  gens  delà  campagne,  et  qui  dé- 
charge le  tout  chez  son  correspondant  de  la  grande  ville, 
d'où  il  repart  avec  un  nouveau  chargement,  ce  type 
d'ancien  camionneur  suburbain  n'a  pas  complètement 
disparu.  Il  y  a  toujours  à  Paris  des  hôtelleries  à  la  mode 
d'autrefois,  où  descendent  le  messager  de  Versailles  et 
celui  de  Saint-Germain;  il  y  en  a  aussi  dans  le  Nantes 
de  1909.  Comme  aujourd'hui,  pour  desservir  les  maisons 
le  long  des  routes,  les  messagers  étaient  nombreux  en 
1793.  Les  Elrennes  nantaises  les  énumèrent  et  nous 
donnent  les  adresses  de  leurs  correspondants.  Les 
messagers  d'alors  ressemblaient  aux  voituriers  d'à 
présent,  qui,  malgré  l'établissement  progressif  des 
lignes  de  chemins  de  fer,  soutiennent  la  concurrence 
avec  elles. 

Le  messager  de  Châteaubriant,  le  premier  sur  la  liste, 
débarquait,  le  samedi  matin,  chez  Marchandeau,  épicier, 
Haute-Grande-Rue  ;  il  repartait  le  samedi  à  midi,  prenant 
6  livres  par  place  de  voyageur  (un  bon  prix)  et  1  sol  par 
livre   d'effets. 

Le  messager  de  Cholet  arrivait  à  la  Maison  Blanche  (qui 
a  donné  son  nom  au  quai  voisin)  près  Bon-Sec,  un  nom 
d'hôtelier  ou  d'aubergiste  qui  me  rend  perplexe.  Il 
n'avait  pas  de  jour  fixe,  arrivait  le  mercredi  ou  le  jeudi, 
soir;  il  repartait  le  lendemain  du  jour  de  son  arrivée. 
Son  tarif  était  de  moitié  moindre  pour  le  voyageur  que 
celui  de  son  collègue  de  Châteaubriant,  mais  le  même 
pour  les  effets. 

Le  messager  de  Clisson,  qui  descendait  chez  Bethuy, 
chaussée  Magdelaine,  était  encore  moins  régulier  dans 
ses  allées  et  venues;  arrivant  le  mardi  ou  le  vendredi 
soir,  il  repartait  le  mercredi  ou  le  samedi,  à  9  heures.  Son 
tarif  était  respectable  pour  la  distance  :  2  livres  par 
place,  6  deniers  par  livre  pour  le  port  des  effets.  Bethuy, 
hôtelier  achalandé,  recevait  encore  chez  lui  le  messager 


—  334  — 

de  Machecoul,  qui  arrivait  régulièrement  le  vendredi  soir 
et  repartait  le  samedi  matin,  à  10  heures.  Place  :  3  livres. 
Port  des  effets  :  9  deniers  par  livre. 

La  diligence  de  Rennes  aurait  pu,  sans  faire  un  coude 
accentué,  desservir  la  vieille,  et  alors  importante,  cité 
de  Redon.  Il  n'en  était  pas  ainsi.  La  patrie  du  bénédictin 
saint  Convoyon,  où  Louis  XV  vint  en  pèlerinage,  avait 
un  messager  qui,  en  bon  Breton,  s'arrêtait  chaque  jeudi 
soir  à  l'enseigne  du  Duc  de  Bretagne,  au  Marchix.  Il 
en  repartait  le  vendredi,  à  une  heure,  demandant  aux 
voyageurs  6  livres  par  place  et  9  deniers  par  livre  pour  les 
effets. 

Les  communications  de  Nantes  avec  la  Vendée,  toute 
voisine,  semblent  avoir  été  assez  rares  en  1793.  Il  y  avait 
cependant  un  messager  des  Sables,  qui  arrivait  à  la 
Maison  Rouge,  quai  Montcalm  (ex  quai  de  la  Maison- 
Rouge),  le  mercredi  soir  ou  le  jeudi  matin,  qui  en 
repartait  le  vendredi  malin.  Les  places  dans  sa  voilure 
coûtaient  15  livres.  Détail  typique,  les  cavaliers  expéri- 
mentés pouvaient  se  donner  le  luxe  de  faire  la  route  à 
cheval,  sans  doute  sur  un  des  chevaux  de  l'attelage. 
Ne  croyez  pas  que  cette  faveur  fût  gratuite.  On 
l'estimait  un  bon  prix;  le  trajet  «  à  cheval  »  coûtait 
12  livres. 

Nous  sommes  assez  mal  édifiés  sur  les  faits  et  gestes 
du  dernier  messager,  celui  de  Poitiers  qui,  comme  son 
confrère  des  Sables,  descendait  à  la  Maison  Rouge  ou 
quai  Montcalm.  Le  trajet  était  presque  aussi  long  que 
pour  Paris,  plus  de  80  lieues,  et  on  le  voit,  non  sans  sur- 
prise, confié  à  un  simple  messager.  Celui-ci  arrivait  tous 
les  quinze  jours,  un  vendredi,  et  repartait  le  samedi 
suivant,  en  été,  le  dJ manche,  en  hiver.  Le  tarif  des  voya- 
geurs et  des  effets  devait  être  élevé;  les  Etrennes  ne  nous 
en  informent  pas.  Elles  insèrent,  en  revanche,  le  curieux 
nota  suivant  :  «  Lorsque  les  particuliers  auront  des  con- 
testations avec  les  messagers,  ils  pourront  s'adresser  au 
bureau   des   messageries   et  on  leur  fera    raison.    »    Le 


—  335  — 

Bureau!  des  diligences  et  messageries  nationales  était 
ouvert  tous  les  jours,  de  7  heures  du  matin  à  midi 
et  de  2  heures  et  demie  à  7  heures  du  soir. 


Nous  manquons  de  détails  précis  sur  les  «  Roulages 
et  Commissionnaires  »  qui  devaient  comprendre  toutes 
les  espèces  de  charrois  et  aussi  les  déménagements.  Ce 
mode  de  transport  était  placé  sous  la  direction  de  trois 
entrepreneurs  de  grosses  voitures  par  la  voie  des  rouliers 
et  pour  toutes  les  villes  du  royaume  (sic),  dont  suivent 
les  noms  et  adresses:  Delahaye,  rue  Marchix  n°  9;  Légué, 
place  Buffon,  n°  23;  Bruno,  sur  les  Hauts-Pavés  n°  8. 
La  veuve  Despilly,  ou  plutôt  son  rédacteur,  avait 
reproduit,  sans  y  prendre  garde,  l'avis  de  l'année  précé- 
dente. Mais  si  quelque  sans-culotte  du  club  Vincent-la- 
Montagne  s'est  avisé  d'éplucher  les  Etrennes,  quel  formi- 
dable juron,  cligne  du  Père  Duchêne,  a  dû  lui  échapper 
à  la  lecture  de  cette  phrase  stupéfiante  :  «  pour  toutes 
les  villes  du  royaume  ».  Ce  n'était  vraiment  pas  la  peine 
d'avoir  envoyé  Fouché  voter  à  la  Convention  la  mort  du 
tyran  ! 


Roulage. 


Nous  allons  en  finir  avec  les  transports,  mais  ce  qui 
nous  reste  à  dire  n'est  pas  le  moins  intéressant.  Le  16 
avril  1780,  l'année  même  où  la  réforme  préconisée  par 
Turgot  réunit  les  trois  administrations  de  la  grande,  de 
la  petite  poste,  des  messageries,  un  bureau  de  corres- 
pondance nationale  et  étrangère  fut  établi  par  arrêt  du 
Conseil  du  Roi.  Jusqu'alors,  les  «  particuliers  isolés  », 
auxquels  s'adressaient  les  personnes  qui  ne  pouvaient 
pas  gérer  elles-mêmes  leurs  affaires  du  dehors,  avaient 
souvent  trahi  la  confiance  de  leurs  commettants;  on  re- 
prochait à  ces  intermédiaires  peu  délicats  l'envoi  de  let- 
tres et  d'avis  circulaires  dans  le  genre,  sans  doute,  des 
réclames  financières  ou  autres  qui  séduisent  encore  au- 
jourd'hui de  crédules  capitalistes. 

Soc.  Archéol.  Nantes.  •  22 


Le  Bureau 
des  correspon- 
dances. 


—   336   — 

Bien  des  abus  avaient  dû  se  produire  avant  que  l'Etat 
s'occupât  d'y  remédier.  Mais  la  fondation  du  Bureau  géné- 
ral de  correspondance,  sous  l'inspection  du  Gouvernement, 
mit  en  sûreté  les  biens  de  tous  et  facilita,  du  même  coup, 
les  transactions.  Ce  Bureau  général  cumulait  les  attribu- 
tions de  ces  institutions  qu'une  pratique  presque  sécu- 
laire a  rendues  indispensables  au  fonctionnement  de  la 
société  française;  il  participait  de  la  Caisse  d'Épargne, 
de  la  Caisse  des  Depuis  et  Consignations,  de  la  Trésore- 
rie Générale  et  de  la  Banque  de  France  ou  de  toute  autre 
de  ces  grandes  sociétés  de  crédit  patronnées  ou  autorisées 
par  l'Etat,  que  le  xixe  siècle  a  vues  éclore.  Voici,  au  sur- 
plus, comment  les  Etrennes,  fidèle  miroir  de  l'esprit  et  du 
style  de  l'époque,  définissent  son  rôle  et  expliquent  son 
utilité  :  «   Il  se  charge  de  la  recette  des  pensions,  rentes 
e1  revenus  de  toutes  espèces,  de  suites  d'affaires  de  recou- 
vrements,  achats  et   envois   de   marchandises,   tant  à 
Paris  que  dans  toute  autre  ville  du  Royaumeet  del'Etran- 
ger;  enfin,   de  toutes  les   commissions  et  sollicitations 
qu'exigent  (ne  devrait-on  pas  dire  qui  exigent?)  les  soins 
d'un  ami,  mais  il  est  seul  autorisé  à  s'annoncer  pour  les 
commissions  de  cette  espèce.  »  Je  ne  relève  pas  le  mot 
u  royaume  »,  qui  revient,  avec  une  insistance  fâcheuse, 
sous  la  plume  d'un  rédacteur  hostile  ou  indifférent  à  la 
politique   révolutionnaire,   mais  je   dois  insister  sur  le 
caractère  tout  spécial  de  ce  «  Bureau  »  tutélaire,  mi-offi- 
ciel, mi-privé,  et  sur  les  garanties  matérielles,    énormes 
pour  le  temps,  qu'il  offrait  :  «  La  Compagnie  qui  a  acquis 
ce    privilège  est  solidaire  et  a  déposé,  en  outre,  pour  la 
sûreté  du  public,  un  cautionnement  de  cinq   cent   mille 
livres.  »  Une  société  au  capital  de  500.000  francs   paraî- 
trait  aujourd'hui  bien  mesquine;  mais,  pour  le  Bureau 
général,  la  somme  était  un  fonds  de  garantie,  un  cau- 
tionnement, qui  devait   pleinement  rassurer  des  clients 
peu  blasés  encore  sur  les  sinistres  financiers.  En  se  décla- 
rant «  solidaire  »,  la  Compagnie  assumait,  d'ailleurs,  la 
plus  entière  responsabilité. 


—  337  — 

Le  Bureau  de  correspondance  nationale  et  étrangère 
semble  avoir  eu,  à  Nantes,  à  cette  époque,  une  réelle 
importance.  Il  le  devait  à  sa  nature  même  et  à  la 
valeur  de  son  représentant.  En  effet,  si  l'on  pou- 
vait s'adresser  au  citoyen  Benezech  (un  Bre- 
ton, selon  toute  apparence),  directeur  général  du 
Bureau  et  l'un  des  propriétaires  du  privilège,  rue 
Neuve-Saint-Augustin,  à  Paris,  les  Nantais  trouvaient 
plus  expéditif  d'aller  consulter  un  de  leurs  compatriotes, 
très  estimé,  très  capable,  vraiment  universel,  le 
citoyen  Mangin,  déjà  nommé  directeur  du  Bureau 
général  de  la  régie  de  la  petite  poste,  rue  J.-J. -Rous- 
seau. 

Si  cet  assemblage  de  «  royaume  »  et  de  «  citoyen  » 
vous  semble  un  peu  trop  bizarre,  prenez-vous  en  à  la 
veuve  Despilly,  décidément  sujette  à  s'écrier,  comme 
le  personnage  de  La  Fontaine  :  «  Vive  le  Roi  !  Vive  la 
Ligue  !  ». 

LES    POIDS,    LES    MESURES    ET    LES    MONNAIES. 

.  Poids 

Avec  les  «  Poids  et  Mesures  »,  nous  abordons  encore         e(  mesures 

un  chapitre  curieux.  Delambre  et  Méchain  venaient  de 
trouver  le  mètre;  mais  le  système  métrique,  quia  tout 
simplifié,  tout  unifié,  n'était  pas  encore  en  vigueur.  Au 
lieu  d'une  unité  de  longueur,  de  capacité,  de  poids,  on 
se  servait  encore  de  toutes  les  mesures  de  l'ancienne 
France,  variant  avec  chaque  province,  presque  avec 
chaque  ville.  A  ce  point  de  vue  spécial,  les  huit  ou  dix 
pages  consacrées  par  les  Etrennes  nantaises  aux  Poids 
et  Mesures  gardent  une  saveur  locale  très  piquante. 
Je  veux  au  moins  en  retenir  quelques  traits. 

Toujours  fidèle  à  ses  attaches  monarchiques,  le  rédac- 
teur commence  par  nous  déclarer  que  le  principe  et  la 
règle  de  toutes  les  mesures  en  France  est  le  pied  de  Roi 
(par  un  grand  R),  tel  qu'il  fut  vérifié  et  détenu  né  à 
Paris  en  1668,  et  dont  une  matrice  en  bronze  est  déposée 


—  338  — 

à  l'Hôtel  de  Ville  de  Nantes.  Suivent  les  divisions  du  pied, 
communes  à  tout  le  territoire.  Mais,  en  arrivant  à  la 
toise  linéaire,  qui  a  six  pieds  de  longueur,  nous  cueillons 
cette  phrase  typique,  bien  digne  d'être  dédiée  aux 
édiles  :  «  La  toise  linéaire  de  faveur  à  Nantes  depuis 
1767  se  paye  aux  paveurs  de  la  ville  sur  36  pieds  carrés, 
dont  le  côté  linéaire  est  de  6  pieds.  » 

Continuons.  La  citation  qui  va  suivre  fourmille  de 
mots  du  cru,  de  vrais  locutions  nantaises,  appliquées 
aux  distances.  «  Les  terres  en  la  banlieue  de  Nantes  se 
mesurent  sous  différentes  dénominations.  Les  terres 
labourables  se  mesurent  à  la  boisselée,  les  vignes  à  l'hom- 
mée;  les  prés  à  l'ondain  et  au  petit  journal;  et,  pour 
déterminer  ces  différentes  mesures,  on  se  sert  constam- 
ment de  la  gaule  nantaise,  longue  de  7  pieds  1  /2,  dont  le 
carré  fait  56  pieds  un  quart  carrés  ».  Suivent  des  défini- 
tions savantes  de  l'hommée  (que  nous  définirons  plus  sim- 
plement «  la  partie  de  terre  qu'un  homme  peut  labourer 
en  un  jour  »);  de  la  boisselée,  l'étendue  de  terrain  qu'on 
peut  ensemencer  avec  un  boisseau  de  blé;  de  l'ondain, 
mesure  essentiellement  bretonne  et  même  nantaise, 
qui  contient  20  gaules  carrées.  Quant  au  petit  journal, 
il  ne  faut  pas  le  confondre  avec  le  journal  simplement 
dit,  équivalent  au  carré  de  80  cordes  linéaires  de  Bre- 
tagne ou  à  1.280  toises  carrées  ou  encore  à  46.080  pieds 
carrés  superficiels.  On  mesure  encore  à  la  perche  et  à 
l'arpent.  Mais,  en  Bretagne,  c'est  le  rapport  des  diverses 
mesures  (boisselée,  bommée,  ondain,  petit  journal)  au 
journal,  qui  fait  foi.  Et  les  arpenteurs,  qui  savaient  tout 
cela  sur  le  bout  du  doigt,  n'avaient  certes  pas  le  temps  de 
s'ennuyer.  Ils  ne  pouvaient  ignorer,  non  plus,  que  dans  le 
pays  de  Retz,  où  la  gaule  linéaire  est  de  8  pieds  et  la 
boisselée  de  216  gaules  carrées,  trois  boisselées  et  quatre 
sillons  font  un  journal  ordinaire  de  Bretagne;  et  aussi 
que  dans  quelques  endroits  du  Comté  Nantais  (encore  un 
comté,  ô  force  de  l'habitude  !),  la  boisselée  de  terre  et  la 
gaule  sont  plus  ou  moins  grandes  que  la  boisselée  et  la 
gaule  de  la  banlieue  de  Nantes. 


—  339  — 

Passons  aux  étoffes.  On  aunait,  comme  dans  Maître 
Pathelin,  les'1  draps  de  laine,  les  toileries.  Mais  ne 
croyez  pas  que  l'aune  de  Paris,  conforme  àla' matrice 
déposée  à  l'Hôtel  de  Ville  en  1748,  fût  pareille  à  l'aune 
de  Nantes.  L'aune  nantaise,  «  à  laquelle  on  mesure  les 
toiles  qui  s'apportent  au  marché  »,  est  à  l'aune  de  Paris 
comme  6  est  à  52  ;  elle  contient  52  pouces  8  lignes;  elle 
diffère  encore  de  l'aune  de  Bretagne  proprement  dite, 
qui  n'a  que  50  pouces,  et  à  ^quelle  se  mesurent  les 
toiles  nommées  Combourg,  Bazouges,  Halles,  Saint- 
Georges,  Beurières  et  les  toiles  à  voiles.  D'autres  toiles, 
nommées  Grands  ou  Hauts  Brins  de  Dinan,  se  mesu- 
rent à  une  autre  aune  de  provenance  inconnue  et  qui  a 
72  pouces.  A  Nozay,  ils  ont  une  mesure  qui  s'appelle  la 
verge  et  qui  se  calcule,  non  sur  l'aune  de  Nantes,  mais 
sur  celle  de  Paris.  C'est  à  y  perdre  la  tête,  et  je  vous  fais 
grâce  de  l'aune  de  Vitré,  de  l'aune  de  Laval,  remarquant 
tout  de  même  que  Laval,  qu'un  caprice  administratif 
détache  de  l'Ille-et-Vilaine,  est  toujours  considéré 
comme  ville  bretonne,  et  aussi,  qu'entre  toutes  ces  toiles 
de  Bretagne,  on  ne  cite  pas  la  seule  qui  ait  conservé  de  la 
notoriété,  celle  de  Quintin. 

Arrivons  aux  mesures  de  capacité,  et  d'abord  à  celles 
du  bois  à  brûler.  Il  y  avait  la  brasse  de  5  pieds  de  hau- 
teur sur  5  pieds  de  largeur,  toute  composée  de  bûches  de 
5  pieds  de  longueur;  il  y  avait  déjà  la  corde,  toujours 
usitée,  ou  «  hanoche  »  de  bois  de  chauffage,  ayant  8 
pieds  de  largeur  sur  4  pieds  1  /2  de  hauteur. 

Le  charbon  de  bois  se  vendait  au  boisseau.  Des  sacs 
emplissaient  la  barrique  nantaise,  «  comblée  par  dessus 
les  bords  ». 

La  chaux  se  mesurait  au  cotteret,  dont  neuf  font  la 
pippe  et  quatre  et  demi  font  la  barrique.  52  barriques  ou 
26   pippes   composaient   «  une   fourniture  »  de  chaux. 

Le  muid  de  sel  contenait  12  septiers,  le  septier  4  «  mi- 
nots  »  ou  16  boisseaux.  La  vente  du  sel  dans  les  pays  de 
marais  salants  ne  se  faisait  pas  partout  de  la  même  façon. 


-  340  — 

A  Bourgneuf  on  le  vendait  à  la  charge,  28  septiers  pesant 
deux  tonneaux  et  demi  ou  5.000  livres.  Au  Pouliguen  et 
au  Croisic,  il  se  vendait  par  muid  de  ville  contenant  133 
quartauts  et  demi  nantais.  Le  muid  pesait  un  peu  plus 
que  la  charge  de  Bourgneuf,  5.340  livres  au  lieu  de  5.000. 
Une  partie    de  la    Loire-Inférieure    est  pays  vigno- 
ble. Ce  qui  touche  le  gros  plant  et  le  muscadet  n'a  jamais 
laissé  les  Nantais  indifférents.  Comment  mesurait-on  le 
vin  en  1793?  Non  pas  par  muid  ou  demi-muid,  comme  à 
Paris,  mais  par  tonneau.  Le  tonneau  de  vin  à  Nantes  con- 
tenait 2  pipes;  la  pipe  deux  barriques  ;  la  barrique  120 
pots.  Une  question  se  pose  :  quel  était  le  rapport  du  vieux 
«pot»  nantais  au  litre  actuel?  Nous  trouvons  plus  loin  que 
la  barrique  nantaise  devait  avoir,  en  dedans,  d'un  bout 
à  l'autre,  31  pouces  et  demi,  mais  que  l'épaisseur  des 
fonds  taillés,  en  biseau  et  à  l'intérieur,  en  diminuaient 
la  capacité.  Il  n'entrait  dans  la  barrique  ainsi   réduite 
que  232  pintes  ou  29  veltes  8  pintes.  L'ancienne  mesure 
dénommée  velte  équivalait  à  7  litres  1/2;  la  pinte  ne 
valait  pas  tout  à  fait  un  litre;  la  barrique  de  l'époque 
contenait  environ  225   litres;    c'est   la  contenance  du 
temps  présent,  à  bien  peu  de  chose  près. 

Rien  de  particulièrement  nantais  ne  s'appliquait  aux 
poids,  qui  se  calculaient  par  milliers,  cents  ou  quintaux, 
livres,  marcs,  onces,  gros  et  grains.  N'oublions  pas  que  la 
livre  en  médecine  se  divisait  en  onces,  l'once  en  drachme, 
la  drachme  en  simpules,  le  simpule  en  oboles,  l'obole  en 
grains.  Je  ne  crois  pas  que  dans  les  vieilles  officines  phar- 
maceutiques on  ait  tout  à  fait  renoncé  au  «  simpule  »  et 
à  «  l'obole  ».  Les  matrices  des  poids,  comme  celles  des 
mesures,  étaient  déposées  à  l'Hôtel  de  Ville  de  Nantes, 
Le  Gouvernement  s'attribuait  un  droit  de  haute  surveil- 
lance; il  avait  désigné  un  ajusteur  des  poids  et  mesures 
pour  Nantes  et  le  département  de  la  Loire- Inférieure, 
qui  se  nommait  Pinot  et  habitait  en  plein  centre  de  ses 
opérations  «  près  la  Halle  au  bled  ».    .  .       (. 

Pinot  avait  un  contrôle  très  strict  à  exercer  sur  les 


-  341  — 

grains,  et  rien  n'est  plus  minutieusement  détaillé  dans  les 
Etrennes  que  le  «  Rapport  des  mesures  des  grains  de 
divers  lieux  à  celles  de  Nantes.  » 

J'ai  déjà  fait  ressortir  une  différence  entre  le  muid  de 
vin  de  Paris  et  le  tonneau  de  vin  de  Nantes.  Elle  s'accen- 
tuait pour  les  grains.  Un  tonneau  de  grains  de  toutes  sortes, 
mesure  de  Nantes,  occupait  précisément  l'espace  d'un 
tonneau  de  mer  (on  dit  plutôt  tonne  mariné),  soit  40  pieds 
cubes,  il  contenait  10  septiers  qui  pèsent,  le  froment,  en- 
viron 2.250  livres,  et  le  seigle,  2.000  livres.  Le  septier  con- 
tient 16  boisseaux,  et  chaque  boisseau  nantais  contient 
446  pouces  cubiques,  conformément  à  l'étalon  de  bronze 
conservé  à  la  Maison  de  Ville.  10  muids  de  Paris  sont 
égaux  à  13  tonneaux  de  Nantes. 

Retenons  la  différence  de  poids  entre  le  froment  et  le 
seigle,  que  la  qualité  de  la  récolte  peut  rendre  encore  plus 
considérable,  et  relevons,  au  passage,  une  autre  mesure, 
la  culasse  «  beaucoup  en  usage  pour  les  bleds  ».  Elle 
contient  24  boisseaux,  soit  un  septier  et  demi  de  Nantes. 


Le  tableau  comparatif  des  mesures  usitées  pour  les 
grains  dans  les  diverses  villes  et  localités  de  France  ne 
manque  point  d'intérêt.  Mais,  pour  en  tirer  quelques 
conclusions  pratiques,  il  faudrait  le  transcrire  en  entier, 
ce  qui  dépasserait  les  limites  de  cette  étude.  Laissant  de 
côté  Châtellerault,  Chinon,  Angers,  Tours,  même  Blois, 
où  l'on  comptait  une  certaine  quantité  de  mines  au 
muid,  tandis  qu'Étampes  opérait  par  sacs,  et  Dunkerque 
par  razières,  je  ne  retiens  que  les  villes  de  la  Loire- 
Inférieure,  de  la  Vendée  ou  des  autres  départements 
bretons  que  leur  voisinage  de  Nantes  font  entrer  dans 
notre  cadre. 

Le  tonneau  de  Machecoul  a  10  boisseaux;  il  rend  à 
Nantes  un  tonneau  4  boisseaux.  Même  observation  pour 
Beauvoir,  Saint-Gilles,  La  Barre -de-Mont,  Moric  (ou 
Moricq),  Les  Sables,  Bourgneuf.  Luçon  mesurait 
comme  Nantes. 


Différences 

des 

poids  et  mesures 

en  France. 


—  342  — 

Bouin«  donne  9  septiers  ;  Guérande,  9  septiers  8  bois- 
seaux. Belle-  Isle-en-Mer  est  dans  les  mêmes  conditions 
que   Guérande. 

A  Palluau  (chef-lieu  de  canton  de  l'arrondissement 
des  Sables-d'Olonne),  63  boisseaux  pèsent  3.02  41ivres; 
il  y  a  31  pour  cent  de  bénéfice. 

A  Prigné  (sic)  (nom  ancien  de  Prigny),  près  Paimbœuf, 
on  trouve  10  septiers  au  tonneau,  comme  à  Nantes. 
Mais  le  septier  est  de  9  quintaux,  dont  chacun  vaut  deux 
boisseaux  de  Nantes.  Il  s'ensuit  que  le  septier  de  Prigné 
donne  à  Nantes  18  boisseaux  au  lieu  de  16. 

A  Noirmoutier,  le  tonneau  de  2.400  livres  équivaut 
encore  à  un  tonneau  un  septier  nantais. 

64  demeaux  d'Ancenis  font,  à  Nantes,  un  tonneau 
quatre  boisseaux. 

La  pochée  de  la  Haye,  de  la  Haye-Fouassière,  sans 
doute,  a  une  physionomie  bien  nantaise.  Comme  con- 
tenance, elle  se  rapproche  du  sac  d'Étampes;  il  faut 
8  sacs  3/4  et  7  pochées  3/4  au  tonneau. 

Chemin  faisant,  nous  constatons,  d'après  les  mesures 
de  Saumur  et  de  Montreuil  (Montreuil-Bellay),  que  les 
haricots  pèsent  plus  que  les  fèves,  et  le  septier  de  Paris, 
qui  donne  9  septiers  pour  le  tonneau  de  Nantes,  nous 
apparaît  bizarrement  intercalé  entré  le  septier  de  Char- 
tres et  le  boisseau  de  Montmorson  (sic)  (peut-être  Mont- 
morion,  pour  Montmorillon).  La  Flèche  a  30  livres  au 
boisseau,  75  au  tonneau. 

Voici  la  Haute  et  la  Basse-Bretagne  dans  un  pêle- 
mêle  de  moyennes  et  petites  villes  :  Auray,  Pont-1'Abbé, 
Bedon,  La  Boche-Bernard,  donnent  à  Nantes  8  0/0 
de  bénéfice:  Quimper,  de  7  1/2  à  8  0/0  en  avoine; 
Hennebont,  et  Quimperlé,  jusqu'à  40  0/0,  avec  40  minois 
pour  le  tonneau  à  Hennebont. 

A  Vannes,  il  y  a  deux  mesures  :  la  plus  ordinaire,  qu'on 
nomme  grande  mesure,  est  de  20  0/0,  l'autre  de  10.  Les 
boisseaux  de  Tréguier,  de  Lannion,  de  Lesneven,  de 
Pont-Croix    s'alignent  à  côté  du  quartier  de  Morlaix, 


—  343  — 

qui  est  de  140  livres  pour  le  seigle,  du  tonneau  de  fro- 
ment de  Landerneau  et  de  celui  de  Lézardrieux  (les 
Etrennes  écrivent  les  Ardrieux),  qui  pesaient  2.400  livres 
chacun. 

Le  boisseau  de  Saint-Malo  contient  70  livres,  le  baste 
de  Dantzig  et  celui  d'Amsterdam,  que  l'on  s'étonne  un 
peu  de  rencontrer  ici,  équivalent,  l'un  et  l'autre,  à 
2  tonneaux  1  septier. 

Pour  en  finir,mentionnons  ce  que  letonne  au  de  Nan- 
tes donne  ou  rend  aux  mesures  des  principales  villes 
maritimes  ou  fluviales  avec  lesquelles  la  ville  est  en  rap- 
port d'affaires.  Il  est  semblable  au  tonneau  de  La  Rochelle. 
Il  donne  à  Bordeaux  et  à  Libourne'18  boisseaux  en  fro- 
ment et  seigle,  20  boisseaux  en  fèves  «  à  cause  de  la 
mesure  comble  ».  A  Dunkerque,  il  demande  8  razières 
1/4  pour  équivalent  exact.  Il  rend  à  Bayonne  34  concques; 
à  Saint-Sébastien  24  fanegues  (la  fanegue  espagnole  vaut 
60  litres)  ;  à  Bilbao,  21  fanegues  ;  à  Cadix,  24  fanegues  1/2  ; 
à  Murcie,  huit  charges  1/2  trois  quarts. 

Malgré  la  monotomie  des  chiffres,  il  m'a  paru  curieux 
d'insister  sur  cette  partie  des  Etrennes  nantaises.  L'im- 
portance des  transactions  commerciales  de  Nantes  avec 
les  villes  de  France  et  d'Europe  ressort  de  ce  tableau 
comparatif,  qui  en  dit  long  sur  les  complications  des 
mesures  nationales  et  internationales  avant  l'établisse- 
ment du  système  métrique. 

Un    autre    tableau,    celui    des    monnoies    étrangères  Monnaies, 

réduites  en  argent  de  France,  outre  qu'il  a  un  intérêt  pure- 
ment rétrospectif,  ne  présente  aucune  particularité  nan- 
taise. Le  liard  et  le  denier  ne  sont  plus  que  des  symboles; 
si  les  paysans  de  la  Loire-Inférieure  comptent  encore 
par  pistoles  et  par  écus,  ils  ne  sont  pas  les  seuls.  Quant 
aux  monnaies  étrangères,  guinée  anglaise,  florin  de  Hol- 
lande ou  d'Autriche,  doublon  et  piastre  d'Espagne,  ducats 
d'or  de  Venise,  rouble  de  Russie,  dollar  de  Boston,  taël  de 
Chine,  sequin  du  Grand  Mogol,  roupie  des  Indes,  nous 


—  344  — 

retrouverions  la  plupart  d'entre  elles  aux  vitrines  des 
changeurs,  excitant  la  curiosité  ou  l'envie.  Nantes  n'a 
point  à  les  revendiquer,  mais  ce  nota  philosophique  est 
à  retenir  :  «  Les  valeurs  varient  quelquefois  suivant  le 
taux  du  change  ou  les  besoins  d'argent.  » 


RECLAMES    ET    ANNONCES 

Annonces,  avis,  Passant    brusquement    d'un    sujet    à    un    autre,    les 

réclames.  Etrennes  nantaises  insèrent  ici  des  «  Avis  divers  »  d'une 

saveur  et  d'une  couleur  bien  locales.  Le  premier  avis  a 
un  caractère  officiel;  il  annonce  l'ouverture  de  cours 
d'accouchement  «  en  faveur  des  sages-femmes  ».  En 
conformité  d'un  arrêté  pris  le  2  avril  1792,  par  le  Conseil 
d'Administration  de  la  Loire-Inférieure,  un  concours 
public  avait  eu  lieu  en  présence  de  ce  Conseil,  le  18 
juillet  suivant.  Les  citoyens  Etienvrin  et  Godebert, 
officiers  de  santé  du  Collège  de  Chirurgie  de  Nantes,  que 
nous  avons  rencontrés  déjà,  avaient  été  élus  «  professeurs 
pour  les  accouchements  ».  L'avis  prévenait  les  intéressées 
qu'ils  donneraient  leurs  leçons  tous  les  jours  pendant  le 
courant  de  l'année,  de  10  heures  du  malin  à  1  heure 
après-midi.  Ils  s'étaient  partagé  l'année  par  semestres; 
Etienvrin  professait  en  sa  demeure,  rue  du  Bignon-Les- 
tard,  n°  90,  du  1er  juillet  au  31  décembre,  et  Godebert 
en  la  sienne,  rue  des  Halles,  n°  15,  du  2  janvier  au  30 
juin.  Le  Département  allouait  une  somme  de  250  livres 
par  personne  à  cinq  femmes  de  la  campagne  pour  le  loge- 
ment et  la  nourriture  pendant  leur  année  d'études.  Si  ces 
braves  femmes  n'avaient  pas  d'autres  moyens  d'existence, 
elles  devaient,  malgré  les  prix  de  l'époque,  avoir  de  la 
peine  à  s'en  tirer.  Pourtant,  l'avis  communiqué  aux 
Etrennes  qualifiait  de  «  laveur  »  un  traitement  dont  une 
cuisinière,  logée  et  nourrie  par  ses  maîtres,  ne  se  con- 
tenterait pas  aujourd'hui.  «  Celles  qui  voudront  profiter 
de  cette  faveur  et  dont  l'âge  sera  entre  25  et  40  ans, 


345 


disait  l'annonce,  s'adresseront  à  leur  municipalité, 
qui  en  donnera  avis  au  Département  par  la  voie  du 
District.  »  Toutes  les  formalités  administratives  étant 
ainsi  bien  remplies,  les  villageoises,  ni  trop  jeunes,  ni 
trop  mûres,  devenaient  élèves  sages-femmes  et  suivaient 
les  cours  des  éminents  médecins,  pourvus  du  certificat  de 
civisme,  Etienvrin  et  Godebert.  Et  leurs  collègues  de 
la  ville  ?  Les  hébergeait-on  aussi  aux  frais  du  départe- 
ment ?  leur  demandait-on  aussi  d'avoir  l'âge  de  raison 
ou  l'âge  canonique  ?  On  aimerait  à  le  savoir. 

Une  barre  transversale  sépare  le  communiqué  officiel 
des  autres  «  avis  divers  »,  qui  sont  plus  ou  moins  des 
réclames,  dirions-nous  à  présent;  médecins  et  chirurgiens 
ne  dédaignaient  pas  alors  cette  façon  un  peu  bruyante  de 
se  recommander  au  public. 

Le  citoyen  Godebert,  qui  exerçait  sous  Louis  XVT, 
accoucheur  patenté,  revient  à  la  charge  :  il  annonce 
qu'il  a  établi  chez  lui  un  hospice  pour  y  accoucher 
les  femmes  et  filles.  Les  pauvres  y  seront  admises 
gratuitement  «  au  terme  de  leur  accouchement  ». 
Celles  qui  seront  en  état  de  payer  payeront  selon 
leurs  moyens  et  les  soins  qu'exigera  leur  santé,  «  ce  qui 
sera  toujours  médiocre  »,  ajoute  le  bon  docteur,  em- 
ployant «  médiocre  »  clans  le  sens  de  «  modique  ».  Un 
vrai  philantrophe,  ce  Godebert;  il  donne  même  des  cham- 
bres à  celles  qui  en  désirent.  Entre  nous,  je  crois  qu'il 
voulait  éclipser  son  collègue  des  cours  d'accouchement, 
le  citoyen  Etienvrin,  et  qu'il  promettait  beaucoup,  quitte 
à  tenir  moins. 

Bisson,  chirurgien  et  professeur,  élu  sous  l'ancien 
régime  démonstrateur  d'anatomie,  se  pose  en  oculiste. 
Il  a  fait  avec  succès,  c'est  lui  qui  le  dit,  plusieurs 
opérations  de  la  cataracte;  il  affirme,  clans  une  formule 
aussi  prétentieuse  que  banale,  qu'il  entreprendra  la 
guérison  de  tous  ceux  qui  voudront  bien  se  confier  à 
ses  soins.  Vous  qui  souffrez,  venez  donc  tous  à  Bisson; 
il  est  universel,  ce  qui  ne  l'empêche  pas  d'être  spécialiste. 


346 


L'ophthalmologie  ne  lui  suffit  pas.  Il  prévient  sa  clien- 
tèle et  le  public  que,  depuis  la  mort  du  sieur  Camin, 
expert  pour  les  descentes,  on  trouvera  chez  lui  les 
mêmes  secours  (sic)  qu'on  trouvait  chez  le  défunt, 
homonyme,  probablement  un  ancêtre,  du  gendre 
d'Emile  Péhant.  Bisson  met  son  adresse,  rue  Girardon, 
au  bas  de  la  réclame. 

Thomas,  maître  es  art  en  chirurgie  et  chirurgien 
de  la  ville  de  Nantes,  annonce  au  public  qu'il  est 
reçu  «  chirurgien  aux  rapports  ».  Il  a  pris  la  charge 
que  tenait  et  exerçait  ci-devant  Béchet,  dont  il  espère 
bien  prendre  aussi  la  clientèle.  Il  a  une  façon  bizarre 
de  donner  son  adresse  :  il  demeure  à  l'entrée  de  la 
Fosse,  vis-à-vis  le  premier  arbre,  rue  Thomas. 
Comme  cela  se  trouve  !  S'appeler  Thomas,  demeurer 
rue  Thomas  !  Le  Diafoirus  de  Molière  s'appelait 
aussi  Thomas. 

Mais  voici  qui  devient  grave  et  prouve  l'impartialité 
intéressée  des  Etrennes.  Feu  Camin,  déjà  nommé, 
avait  un  beau-frère  du  nom  de  Labadie  «  reçu  chirur- 
gien-expert pour  la  guérison  des  descentes  ».  Ce  Labadie 
fait  une  annonce  à  son  tour,  sur  la  même  page  que  celle 
de  Bisson  et  dix  lignes  plus  bas.  Il  déclare  qu'il  est  le 
seul  à  Nantes  qui  s'adonne  particulièrement  à  cette  bran- 
che de  l'art  de  guérir  et  qu'on  trouve  chez  lui  tous  les 
secours  possibles  (encore  !)  contre  cette  affection  chirur- 
gicale. Il  babite  rue  Bon-Secours,  près  la  Poissonnerie; 
cela  n'est  pas  si  loin  de  la  rue  Girardon.  Son  rival  Bisson 
et  lui  ont  dû  justifier  le  vieil  adage  :  Medicorum 
pessima. 

A  la  suite  de  ces  boniments,  le  maître  d'écriture  de  la 
ville,  Papin,  le  Favarger  ou  T Alaberte  de  son  temps,  glisse 
une  petite  note,  simple  et  timide,  pour  annoncer  qu'il 
tient  classe,  matin  et  soir,  rue  Saint-Nicolas. 

Darbefeuille,  membre  et  professeur  du  Collège  de 
Chirurgie  (le  chirurgien  de  l'Hospice  des  enfants  orphe- 
lins et  bâtards)  reprend  et  clôt  la  série  des  avis  médicaux. 


—  347  — 

Il  donne  les  dates  d'ouverture  et  de  clôture  de  ses  cours 
d'anatomie,  d'ostéologie,  de  dissections,  de  maladies 
chirurgicales,  de  physiologie  expérimentale,  de  patholo- 
gie, de  thérapeutique  et  de  matière  médicale.  Malgré  la 
surcharge  du  programme  et  l'abondance  des  mots,  on  se 
sent  en  présence  d'un  praticien  plus  sérieux  que  les 
autres,  d'un  professeur  soucieux  d'instruire  ses  élèves 
et  qui  joignait  l'exemple  au  précepte.  A  la  fin  de 
l'Empire  il  exerçait  encore,    quai  de  l'Hôpital,  8. 

LES  RUES 

Nous  touchons  à  la  fin  des  Etrennes.  Deux  tables  al-  Anciennes 

phabétiques  les  terminent  ;  l'une,    des   nouveaux  noms      et  nouvelles  rues 
donnés  aux  rues,  places  et  quartiers  de  la  ville  ;  l'autre, 
des  noms  suprimés,  avec  renvoi  aux  nouveaux  noms. 

Il  serait  fastidieux  de  citer  ces  noms  de  rues,  de  met- 
tre en  parallèle  les  anciens  et  les  nouveaux.  D'ailleurs, 
je  me  répéterais,  car  j'ai  eu  souvent  l'occasion  de  pré- 
ciser la  situation  d'une  rue  débaptisée,  en  rappelant  le 
nom  qu'elle  avait  porté  avant  la  Révolution  et  qu'elle 
a  repris  depuis. 

Le  souci  des  municipalités  nantaises  républicaines 
était,  non  pas  d'effacer  les  traces  du  passé,  mais  surtout 
de  remplacer  les  appellations  religieuses,  très  fréquentes 
de  tout  temps  à  Nantes,  par  des  dénominations  histo- 
riques, littéraires,  parfois  locales.  Voici  quelques  exem- 
ples qui  ne  se  sont  pas  encore  présentés  sous  ma  plume. 
La  rue  des  Pénitentes  était  devenue  rue  Bacon;  la  rue 
des  Cordeliers,  rue  Caylus  ;  la  rue  Saint-Lazare,  rue 
Cazanove  ;  la  petite  ruelle  de  la  Magdelaine,  rue  Cer- 
vantes ;  la  rue  Notre-Dame,  rue  Delille  ;  la  rue  Sainte- 
Catherine,  rue  Delorme  ;  la  rue  des  Capucins,  rue  Four- 
croy;  la  rue  des  Récollets  rue  Grotius;  la  rue  des  Jacobins, 
rue  Jussieu  ;  la  rue  Saint-Vincent,  rueMably;  la  rue  des 
Carmélites,  rue Maupertuis;  la  petite  rue  des  Carmélites, 
rue  Milton  ;   la  rue   des  Ursules,   rue   Pigalle  ;    la    rue 


348 


Saint- André;  rue  Pope  ;  la  rue  Sainl-Anloine,  rue  Ra- 
belais ;  la  rue  Saint-Denis,  rue  Racan;  la  petite  rue 
Notre  Dame,  rue  Tintoret ;  la  rue  Sainl-Laurent,  rue 
Viucy  (sans  doute  Léonard  de  Vincy).  Il  faut  avouer 
que  ces  nouveaux  noms  de  rues  n'étaient  pas  mal 
choisis  e1  témoignaient,  chez  les  édiles,  d'une  érudition 
assez  fine  ou  de  lectures  variées. 

Quelques  concessions  au  goût  romain  du  temps  avaient 
créé  une  rue  Cincinnatus,  fait  une  rue  Brutus,  de  la  rue 
Premion;  une  rue  Scevola,  de  la  place  de  l'Eperon;  une 
place  des  Gracques,  de  la  place  Saint-Pierre.  Comme 
contre-partie,  on  peut  citer  la  rue  Bossuet,  qui  rempla- 
çait la  rue  de  Briord.  En  devenant  la  rue  Fénelon,  la  rue 
Sainte-Claire  ne  dépouillait  presque  pas  son  caractère 
religieux. 

Il  était  tout  naturel  que  les  enseignes  royalistes  dispa- 
russent devant  les  enseignes  républicaines;  qu'il  y  eût  une 
place,  un  quai,  un  cours  delà  Liberté  ;  que  le  cours  nouveau, 
qui  venait  d'être  créé  sur  le  terrain  des  Capucins  et  qui 
devait  répondre  plus  tard  aux  noms  de  cours  Henri  IV, 
de  cours  Napoléon,  de  cours  Cambronne,  s'appelât 
alors,  comme  aujourd'hui,  cours  de  la  République;  que 
la  rue  Royale  devînt  rue  du  Peuple-Français. 

On  pouvait  regretter  quelques  anciens  noms  de  rues 
pittoresques  ou  bizarres,  dont  quelques-uns  ont  reparu, 
d'ailleurs.  Nous  avons  revu  la  rue  Moquechien,  que  l'on 
appela  Rasse-Porte  et  qui  a  disparu  pour  toujours  à  la 
création  de  la  rue  Jeanne-d'Arc,  et  la  rue  de  l'Abreu- 
voir, artistiquement  dénommée  rue  Raphaël  en  1792. 
La  rue  du  Merle-Blanc,  sur  «  le  territoire  Graslin  »,  a 
conservé  son  nom,  plus  français  que  républicain,  de 
rue  Boileau.  Nul  ne  songera,  je  crois,  à  déplorer  que 
le  quai  des  Fumiers  soit  devenu  et  reste  quai  Magellan. 
Mais  la  rue  Bignon-Lestard  a  perdu  à  l'échange  de  son 
appellation  archaïque  en  celui  de  rue  Rubens,  car 
Nantes  ne  doit  rien  à  la  mémoire  du  célèbre  peintre 
flamand,    tandis  que  l'ancien  nom   consacrait  un  sou- 


—  349  — 

venir  local.  Je  n'aime  pas,  du  reste,  en  principe,  que 
l'on  débaptise  les  rues  dont  le  vocable  perpétue  l'his- 
toire d'une  ville.  Il  se  créera  toujours  assez  de  percées 
nouvelles  pour  y  placer  les  noms  des  célébrités  du  passé 
et  de  celles  qui  surgiront  dans  l'avenir. 


CONCLUSION 

La   Révolution,   en   somme,   n'altéra   pas   beaucoup,  Feu 

même  dans  les  noms  des  rues,  l'aspect  du  vieux  Nantes,      de  changements 
que  nous  retrace  encore  au  vif  un  plan  accompagnant  au  fond- 

«  à  volonté  »  Y  Indicateur  de    Guimar  vendu  place  du 
Pilori,   l'An  troisième  de  la  Liberté. 

On  peut,  en  rassemblant  les  détails  qu'une  pa- 
tiente analyse  nous  a  permis  de  retrouver,  reconstituer 
la  ville  par  la  pensée,  comme  Victor  Hugo  l'a  fait  pour 
le  Paris  du  xve  siècle.  Et,  devant  ces  maisons  somp- 
tueuses, où  des  richesses  commerciales  s'accumulaient, 
on  sera  tenté  de  donner  raison  au  citoyen  La  Vallée,  qui, 
visitant  Nantes  en  cette  même  année  1793,  écrivait  : 
«  La  Fosse,  l'île  Feydeau  et  quelques  autres  cantons 
de  Nantes  le  disputent  en  magnificence  aux  plus 
superbes  villes  de  l'Europe.  » 

Paul   EUDEL. 


NOTES    CURIEUSES 

EXTRAITES    DES     REGISTRES    DE    LA    PAROISSE 

DE     SAINT-HERBLAIN 

Par      Léon      DELATTRE 


Au  cours  de  quelques  visites  que  nous  avons  dû  faire  à 
la  mairie  de  Saint-Herblain  pour  les  besoins  de  notre  ser- 
vice, nous  avons  pu  disposer  de  quelques  instants  et  feuil- 
leter les  registres  paroissiaux  antérieurs  à  1792,  qui  s'y 
trouvent  en  parfait  état  de  conservation.  Des  recherches 
y  ont  déjà  été  faites  par  M.  Léon  Maître  pour  la  rédaction 
du  Lomé  Ve  de  l'Inventaire  sommaire  des  Archives  dépar- 
tementales de  la  Loire-Inférieure,  et  aussi  par  M.  Du  Bois 
de  la  Patellière,  l'auteur  de  cet  ouvrage  très  consulté 
ayant  pour  titre  :  Notes  historiques  sur  quelques  paroisses 
du  diocèse  de  Nantes  (1). 

Les  notes  qui  suivent,  extraites  des  registres  de  Saint- 
Herblain  et  accompagnées  de  quelques  commentaires, 
complètent,  pour  cette  paroisse,  mais  sans  aucune  préten- 
tion de  notre  part,  les  travaux  si  remarquables  des  deux 
laborieux  et  érudits  auteurs. 

Année   1631 

Le  seizième  jour  de  mars  l'an  1631,  fut  inhumé  dans  le 
cimetière  de  Saint-Herblain  le  corps  de  Guillaume,  natif 
près  de  Saumur,  disant  venir  de  la  mer  pour  se  faire  bai- 
gner pour  la  morsure  d'un  chien  enragé,  estant  depuis 
quelque  temps  malade,  de  laquelle  maladie  il  serait  décédé 
à  Saint-Herblain  (2). 

(1)  A  Vannes,  imprimerie  Lafolye. 

(2)  Nombreux  étaient  autrefois  les  remèdes  employés  contre  les 
morsures  des  chiens  enragés.  Les  bains  de  mer  étaient  en  grande 
faveur,  ainsi  qu'en  témoigne  l'extrait  suivant  d'une  lettre  adressée 

23 


—  352  — 

Année  1633 

Au  commencement  de  cette  année,  huit  personnes 
moururent  de  contagion  (1). 

Année  1639 

A  la  suite  de  l'acte  de  décès,  en  date  du  26  novembre 
1639,  de  Jean  de  Trévelec,  écuyer,  sieur  de  Penhouet  et 
de  la  Pasticière,  lequel  fut  inhumé  dans  l'enfeu  de  la 
Pasticière,  le  vicaire  Chupaut  (2)  a  écrit  le  sixain  sui- 
vant : 

Ce  bel  esprit,  non  plus  que  le  soleil, 
N'a  pas  laissé  au  monde  son  pareil, 
Et  ceux  qui  ont  cogneu  son  excellence 
Regretteront  à  jamais  sa  présence  : 
Partant,  lecteur,  pour  ce  bon  trépassé, 
Dis  avec  moy  :  Requiescat  in  pace. 

Le  29e  jour  de  novembre,  fut  inhumé  dans  le  chœur  de 
l'église  de  Saint-Herblain  le  corps  de  François  Cardan, 
âgé  de  84  ans.  Après  avoir  enregistré  le  décès,  le  vicaire 
ajoute  : 

Sa  longue  vie  a  été  telle, 

Qu'elle  a  mérité  l'éternelle. 

Année  1644 
Le  3   février   1644,    sépulture   de   Guillaume    Dauly, 

par  Mme  de  Sévigné,  le  13  mars  1671,  à  Mme  de  Grignan  :  «...  Au 
reste,  si  vous  croyez  les  filles  de  la  Reine  enragées,  vous  croyez  bien. 
Il  y  a  huit  jours  que  .Mme  de  Ludre,  Coëtlogon  el  la  petite  de  Rou- 
vroi  lurent  mordues  d'une  petite  chienne  qui  était  à  Théolon  ;  cette 
petite  chienne  est  morte  enragée  ;  de  sorte  que  Ludre,  Coëtlogon  et 
Rouvroi  sont  parties  ce  matin  pour  aller  à  Dieppe  et  se  l'aire  jeter 
trois  fois  dans  la  mer...  » 

En  1852,  on  voyait  encore  arriver  à  Bourgneùf,  chaque  année, 
dit  Chevas  (Notes  historiques  sur  Bourgneùf),  bon  nombre  de  per- 
sonnes mordues  par  des  chiens  gâtés  ou  soupçonnés  de  l'être, pour 
se  faire  baigner  à  la  mer.  Celle  baignade  consistait  en  trois  immer- 
sions totales,  chacune  d'elles  étant  précédée  d'un  signe  de  la  croix. 

(1)  Il  s'agit  de  la  peste  qui,  dès  1(531,  avait  fait  sa  réapparition  à 
Nantes  et  exerçait  ses  ravages  dans  les  paroisses  voisines. 

(2)  Le  prêtre  Chupaut  décéda  en  1(556,  à  l'âge  de  57  ans,  après 
avoir  servi,  en  qualité  de  vicaire  de  Saint-Herblain,  pendant  24  ans. 


'( 


—  353  — 

lequel  fonda  trois  services  par  an  et  donna  à  l'église  douze 
andains  »  (1)  de  pré  dans  la  vallée  de  la  Pasticière. 
Chupaut  consacre  un  quatrain  à  ce  bon  paroissien  : 

Ce  défunt  a  donné  de  son  bien  à  l'Eglise, 
A  la  terre  et  aux  vers,  sa  chair,  sa  peau,  ses  os  ; 
Son  âme  à  Dieu,  son  père,  afin  qu'il  la  conduise 
Dans  les  lieux  bienheureux  de  l'éternel  repos. 

Année  1649 

■ 

A  la  fin  du  registre,  le  vicaire  Chupaut  a  écrit  plusieurs 
quatrains,  dont  les  caractères  commencent  à  s'effacer  : 

La  mort  est  douce  et  agréable 
A  tous  ceulx  qui  vivent  bien. 
Mais  à  ceulx  qui  ne  valent  rien 
Elle  est  toujours  espouvantable. 

* 

*  * 

C'est  un  très  charitable  office 
De  prier  pour  les  trcspassez, 
Puisque  par  notre  sacrifice 
Leurs  peschez  leur  sont  effacez. 

* 

*  * 

Pour  bien  mourir,  il  faut  bien  vivre. 
C'est  un  utile  document  : 
Cher  lecteur,  si  tu  veux  le  suivre, 
Tu  vivras  éternellement. 

\nnée 1650 

Le  13  mars  1650,  fut  inhumé  le  corps  de  Jean  du 

Moulin,  âgé  de  70  ans.  Le  vicaire  résume  la  vie  du  défunt 
dans  ce  distique  : 

Il  a  vescu  en  très  homme  de  bien, 

Et  puis  enfin  est  mort  en  vray  chrétien. 

(1)  L'ondain,  ancienne  mesure  agraire  du  Comté  nantais,  en 
usage  pour  l'arpentage  des  prairies,  contenait  1  are  18  centiares. 


—  354  - 

Année  1749 

Au  commencement  du  registre  : 

Cette  année,  la  dysenterie  a  fait  les  plus  grands  ravages; 
il  est  mort  15<S  personnes,  dont  la  majeure  partie  de  cette 
cruelle  maladie  (1). 

Année  1751 

A  la  fin  du  cahier  de  cette  année,  se  trouve  la  note  sui- 
vante : 


(1)  Cette  épidémie,  survenue  au  mois  de  septembre,  se  fit  sentir 
aussi  à  Vertou,  à  Haute- Goulaine,  au  Bignon,  à  Saint-Sébastien,  la 
Haye-Fouassière,  Châteauthébaud,  Montbert,  Sucé,  etc.  L'hiver 
avait  été  très  doux,  l'été  fort  sec  et  chaud.  Le  sieur  Régnier,  méde- 
cin de  Nantes,  dans  un  procès-verbal  de  visite  à  Vertou,  dit  que 
«  l'automne,  extrêmement  pluvieux,  y  a  infiniment  contribué 
et  répandu  dans  l'air  un  miasme  putride  et  dyssentérique, 
selon  le  sentiment  d'Hypocrate,  section  3,  aphorisme  IL» 

La  Communauté  de  Nantes  décida,  le  16  octobre  1749,  d'envoyer 
à  ses  frais  «  des  médecins  et  des  apothicaires  avec  les  remèdes  néces- 
saires et  de  la  viande  pour  procurer  du  bouillon  aux  malades 
pauvres  dans  les  paroisses  deVertou,  Haute-Goulaine  et  le  Bignon, 
où  la  plupart  des  malades  périssaient  non  seulement  faute  de 
remèdes,  mais  surtout  par  le  défaut  de  nourriture.  » 

Dans  un  rapport  de  la  Faculté  de  Médecine  de  Nantes,  relatif  à 
cette  épidémie,  M.  Soliès,  médecin,  donne  de  curieux  détails  sur  les 
moyens  ordonnés  pour  combattre  la  maladie:  «  Les  remèdes  em- 
ployés, dit-il,  après  avoir  fait  procéder  aux  saignées  qui  ont  eu 
grande  part  à  la  guérison  et  qui  étaient  absolument  nécessaires, 
tant  pour  calmer  le  grand  mouvement  du  sang  que  donner  lieu  à 
l'application  sur  ce  quoy  on  devait  faire,  soit  l'ipécacuanha  réitéré 
selon  l'occasion  pour  dégager  l'estomac  des  mauvais  levains  qui  y 
croupissent  et  des  matières  vermineuses  qu'on  a  reconnu  pour 
cause  principale.  »  On  conseillait  «  des  vermifuges  composés  d'eaux 
de  scordium,  de  pourpier,  de  confection  d'hyacinthe  et  de  sirop  de 
limons  »,  dont  on  faisait  une  potion  qui  se  prenait  à  cuillerée.  Pour 
procurer  le  sommeil,  calmer  les  douleurs  et  modérer  «  les  évacua- 
tions qui  sont  plus  abondantes  la  nuit  que  le  jour  »,  un  gros  de 
diascordium  remplissait  toutes  ces  indications.  Le  médecin  termine 
ainsi  son  rapport  :  «  On  ne  sera  point  surpris  de  l'effet  de  ces  deux 
derniers  remèdes  lorsqu'on  sera  instruit  de  la  cause  de  cette  maladie 
par  le  procès-verbal  d'ouverture  d'un  cadavre  dont  les  intestins  se 
sont  trouvés  remplis  de  vers.  Il  y  est  même  observé,  par  le  rapport 
d'un  chirurgien,  qu'il  en  avoit  veu  sortir  du  corps  des  malades  qui 
étoient  vêtus,  et  qui  a  voient  des  pieds  comme  des  chenilles.  On 
achève  la  guérison  par  une  teinture  de  rhubarbe,  dans  laquelle  on 
fond  deux  onces  de  mauve,  ce  qui  évacue  une.  grande  quantité  de 
matière  bilieuse,  par  où  se  termine  la  maladie.  » 

(Archives  municipales  de  la  Ville  de  Xantes,    G  G  773). 


—  355  — 

La  nuit  du  dimanche  14  mars  au  lundy  15  dudit  mois, 
l'an  1751,  entre  les  onze  heures  et  minuit,  il  s'éleva  un  si 
grand  vent  que  l'on  crut  que  c'était  la  fin  du  monde  ;  le 
houragand  fut  si  fort  qu'il  enleva  presque  la  moitié  de  la 
couverture,  des  lattes  et  planches  du  clocher  et  de  l'église, 
au  nord  ;  le  vitrage  de  la  grande  porte,  soutenu  par  des 
piliers,  fut  entièrement  renversé  ;  les  vitrages  de  l'autel  de 
laVierge  et  celuy  de  Sainte-Anne  furent  fort  endommagés; 
il  n'y  eut  qu'un  panneau  emporté  du  vitrage  du  maistre 
autel  au  midy  ;  dans  la  sacristie,  il  n'y  en  eut  qu'un  em- 
porté ;  le  vent  jeta  du  haut  de  la  nef  une  croix  de  grison 
pesante  environ  100  livres  ou  quelque  chose  de  plus, 
laquelle,  tombant  sur  la  couverture  du  chœur,  fit  un 
grand  dégast  ;  en  outre,  beaucoup  de  massonne  et  de 
pierres  dégradées  à  la  petite  fenêtre  du  bas  de  l'église 
au  midy.  De  sorte  qu'il  en  coûta  pour  les  réparations,  au 
général  de  la  paroisse,  près  de  100  livres.  Bref,  beaucoup 
de  maisons  endommagées,  quantité  d'arbres  renversés, 
et,  de  conséquence,  on  en  compte  à  la  Bouvardière  onze 
cents  et  en  beaucoup  d'autres  maisons  à  peu  près  autant. 
On  mettait  la  perte  de  toute  la  paroisse  à  vingt  mille  écus. 

Je  soussigné  certifie  la  chose  véritable  sans  rien  exa- 
gérer (1). 

A  Saint-Herblain,  le  19  aoust  1751. 

Signé  :  Asvenard,  vicaire. 

(1)  A  Pionnières,  600  arbres  du  bois  de  la  Galissonnière  furent 
renversés  les  uns  sur  les  autres.  (Reg.  d' Etat-civil  de  Monnières.) 

A  Saint-Sulpice  des  Landes,  on  crut  à  un  tremblement  de  terre. 
(Reg.  d' Etat-civil.) 

Beaucoup  de  navires  périrent  sur  les  côtes.  (Reg.  d' Etal-civil  de 
M  issillac.) 

A  Paimbœuf,  plus  de  60  vaisseaux  «  richement  chargés,  cpii 
étaient  en  rade  »,  furent  brisés  et  engloutis  avec  leurs  équipages. 
(Registre,  de  Saint- Vincent  de  Nantes). 

A  Nantes,  l'alarme  fut  générale  ;  les  habitants  se  levèrent,  ne 
se  croyant  pas  en  sûreté  dans  les  maisons.  (Registre  de  Saint-Nico- 
las.) 

A  Treffieuc,  la  tempête  renversa  plus  de  300  arbres.  On  crut  à 
un  tremblement  de  terre  (Reg.  d' Etal-civil.) 

Etc.,  etc. 


—  356  - 

Année  1753 
Le  deuxième  juillet,  présente  année,  Monseigneur 
Pierre  Mauclerc  de  la  Muzanchère,  evesque  de  Nantes, 
fit  la  visite  de  cette  paroisse  et  y  donna  la  confirmation  à 
800  personnes.  Il  avait  pour  grands  vicaires  Messieurs 
les  abbés  de  Regnon  et  l'abbé  Depoly  de  Saint-Thiébaud. 

Année  1765 

lre  note.  La  dysenterie  régna  cette  année  ;  le  nombre 
de  tous  les  morts  monta  à  114  (1). 

2e  note.  Le  27  février  1765,  a  été  par  moi,  recteur  sous- 
signé, en  exécution  de  l'Ordonnance  de  M.  le  Lieutenant 
général  criminel  du  siège  présidial  de  Nantes,  comme  il 
est  constaté  par  le  permis  à  nous  présenté,  en  date  du  27 
de  ce  mois,  signé  par  Allebert,  premier  greffier  criminel  ; 
ont  été  inhumés  au  cimetière  les  corps  de  Marie  Fleury, 
femme  de  Louis  Mosset,  marin  ;  de  Louis  Mosset,  beau- 
père  de  ladite  Fleury,  et  de  Julienne  Glaud,  femme  dudit 
Louis  Mosset,  aubergiste  du  Pavillon,  lieu  nommé  en  cette 
paroisse  sous  le  nom  de  la  maison  de  Jouppil,  lesquels 
trois  cadavres  ont  été  assassinés  a  ladite  auberge,  sur  les 
Hauts-Pavés,  la  nuit  du  27  février.  Ont  assisté  à  la  sépul- 
ture François  Garreau,  Antoine  Rubion,  Jeanne  Poirier 

et  autres  qui  ne  signent. 

P.  Lamjbert,  recteur. 

(1)  Dont  93  décès  par  cette  maladie,  du  6  septembre  1765  au 
1er  mars  1766,  d'après  une  lettre  du  recteur  de  Saint-Herblain, 
adressée  à  la  Municipalité  de  Nantes. 

L'épidémie  fut  remarquable  surtout  à  Vertou,  Saint-Sébastien, 
llaute-Goulaine,  Saint- Julien- de- Coucelles,  Châteauthébaud, 
S;iint-Fiacre,  Maisdon,  au  Bignon,  à  Sainte-Luce,  Doulon,  Cban- 
tcuay,  au  Loroux,  à  Monnières,  Nort,  Vallet,  Saiut-Aignan,  Bou- 
guenais,  Aigrefeuille,  etc. 

Dans  vingt-neuf  paroisses  des  environs  de  Nantes,  où  la  dysen- 
terie se  fit  le  plus  vivement  sentir,  on  compta  11.000  malades,  sur 
lesquels  2.653  succombèrent.  A  Vertou,  il  y  eut  489  décès  ;  au  Lo- 
roux, 400. 

L'Intendant  de  Bretagne  fit  distribuer  des  instructions  pour  le 
traitement  de  cette  maladie.  La  Communauté  de  Nantes  envoya 
dans  les  paroisses  les  plus  éprouvées  des  médecins  et  des  apothi- 
caires. Une  souscription  faite  pour  la  fourniture  de  médicaments 
produisit  4.900  livres. 

{Archives  municipales  de  la  Ville  de  Nantes,   G  G  773). 


—  357  — 

En  marge  du  registre,  le  recteur  a  écrit  :  «  A  cette 
époque,  l'endroit  nommé  Jouppil  a  pris  le  nom  de  Mas- 
sacre (1).  » 

Année  1787 

Note  écrite  sur  la  couverture  du  registre  : 

v 

Il  a  gelé  cette  nuit  du  6  au  7  juin,  jour  de  la  Fête-Dieu, 
et  celle  du  25  au  26  août  (2). 

Année  1788 

Cette  année,  le  22  novembre  au  soir,  le  froid  commença 
pour  ne  finir  que  le  16  janvier  1789.  L'automne  avait  été 
fort  sec  ;  aussi  les  fontaines  se  tarirent-elles  en  grande 
partie.  On  était  obligé  de  ramasser  la  neige  qui  resta  deux 
mois  sur  la  terre,  de  la  faire  fondre  et  d'en  abreuver  les 
bestiaux  (3). 

Année  1790 

Prise  de  possession  de  la  cure  par  Mathurin  Charier, 

(1)  La  croix  de  granit  que  l'on  aperçoit  un  peu  en  dehors  de  la 
route  de  Vannes,  entre  le  Chêne- Vert  et  le  chemin  deLongchamp, 
auprès  de  la  maison  appelée  la  Prise-Philippe,  a  été  probablement 
édifiée  en  commémoration  du  triple  assassinat  perpétré  non  loin 
de  cet  endroit.  L'auberge  où  eut  lieu  cet  assassinat  fut  démolie 
en  1793,  par  mesure  de  sûreté  générale,  parce  qu'elle  servait  de 
«  retraite  aux  brigands  qui  infestaient  le  voisinage  de  la  ville  de 
Nantes  ».  (Voir  notre  article  sur  le  «  Massacre»,  dans  l'Intermé- 
diaire Nantais  de  1904.) 

(2)  Le  registre  d'Etat-civil  de  la  paroisse  de  Quilly  constate  éga- 
lement ce  fait  anormal  :  «  Une  gelée  tardive,  au  7  juin,  fitbeaucoup 
de  mal  aux  blés  et  aux  légumes.  » 

(3)  Cet  hiver  fut  remarquable  par  sa  rigueur  et  sa  durée.  Au  dé- 
gel, on  trouva  sur  les  bords  du  lac  de  Grand-Lieu  une  quantité 
prodigieuse  de  poissons  crevés,  parmi  lesquels  des  carpes  d'un 
mètre  de  longueur.  L'une  des  plus  grandes  peines  était  que  ce  froid 
rigoureux  ayant  été  précédé  d'une  longue  sécheresse,  on  manquait 
d'eau  pour  abreuver  les  bestiaux.  Le  vin  gela  dans  les  barriques. 
La  glace,  sur  le  lac,  avait  plus  d'un  demi-mètre  d'épaisseur,  et  l'on 
y  passait  sans  crainte  pour  se  rendre  à  la  Chevrolière.  (Registre  de 
Saint- Lumine-de- Contais.) 

A  Nantes,  la  misère  fut  telle  que  les  vols  se  multiplièrent  de 
façon  inquiétante  et  que  les  habitants  se  cotisèrent  pour  créer  une 
garde  particulière  pendant  la  nuit  pour  veiller  à  la  sûreté  des  pro- 
priétés. (Annales  de  Nantes,  par  Meuret.) 

Le  recteur  de  Quilly  (Reg.  d' Etat-civil  de  la  paroisse),  dit  que  les 
gros  arbres  se  fendaient  avec  bruit  et  «  pétaient  comme  des  coups 
de  fusil.  » 


—  358  — 

vicaire  de  la  paroisse,  présenté  et  nommé  par  l'abbé 
Douand,  chanoine  de  Saint-Pierre  (1-). 

Année  1791 

On  lit  sur  la  couverture  du  registre  : 

« 

«  Il  n'y  a  point  eu  de  première  communion  cette  année. 

«  Le  15  de  may  mil  sept  cent  quatre-vingt-onze,  dom 
Marie-Jean-Conslanlin  Piclion,  bénédictin  de  la  con- 
grégation de  Saint-Maur,  a  été  nommé  à  la  cure  de  Saint- 
Herblain  par  le  suffrage  des  électeurs  du  district  de 
Nantes.  Sa  nomination  approuvée  par  Monsieur  l'Evêque, 
il  a  été  mis  en  possession  le  vingt-un  du  même  mois. 

«  Vive  la  Nation.  Vive  la  Loi.  Vive  le  Roi  des  Fran- 
çais (2).   » 

Les  registres  d' Etat-civil  de  Saint-Herblain  sont  inté- 
ressants à  plus  d'un,  titre,  et  nous  en  avons  vu  peu  aussi 
abondamment  ton  verts  de  signatures.  Les  nobles  étaient 
nombreux  dans  cette  paroisse  et  leurs  noms  y  figurent 
presque  à  chaque  page,  surtout  dans  les  actes  du  dix- 
septième  siècle. 

Léon  DELATTRE. 


(1)  Charier  fut  expatrié  en  Espagne.  Après  la  Révolution,  il  fut 
rétabli   dans   sa   cure. 

(2)  Le  Directoire  du  District  de  Nantes,  craignant  des  troubles, 
envoya  cent  gardes  nationaux  qui  partirent  de  la  ville  le  dimanche, 
22  mai  1791,  pour  se  rendre  à  Saint-Herblain  et  y  effectuer,  d'après 
les  ordres  donnés,  «  sans  aucun  trouble,  le  placement  de  M.  Pichon, 
constitutionnellement  élu  à  la  cure  de  cette  paroisse.  »  Il  leur  fut 
distribué  des  rafraîchissements  et  les  frais  s'élevèrent  à  173  livres. 
(Archives  départementales  de  la  Loire-Inférieure,  L  1047.) 

Au  mois  d'octobre  1791,1e  District  fut  informé,  parla  Municipa- 
lité de  Saint-Herblain,  que  des  attroupements  avaient  lieu  les 
dimanches  et  fêtes  à  la  maison  de  la  Chauvinière,  «  sous  prétexte 
d'entendre  la  messe  d'un  prêtre  non  assermenté.»  Le  Directoire 
défendit,  le  21  de  ce  même  mois,  au  propriétaire  de  cette  maison, 
«  usant  de  la  faculté  de  faire  célébrer  la  messe  dans  sa  chapelle,  de 
tenir  toutes  les  portes  et  communications  extérieures  exactement 
fermées,  de  n'admettre  qui  que  ce  soit  dans  l'intérieur  de  la  cha- 
pelle et  de  sa  maison,  hormis  les  personnes  y  habitant.  »  Il  lui  fut 
défendu  également  d'employer  «  aucun  son  de  cloche  ou  autre  in- 
dice pour  annoncer  la  célébration  de  la  messe.  »  (Arch.  départ,  de  la 
Loire- Inférieure,  L  1b.) 


PRÉÉMINENCES 
DE  L'ÉGLISE  DE  SAINT-PHILBERT  DE  GRANDLIEU 


Compétition  des  seigneurs  du  Chaffault  et  de  la  Moricière  en  1633 
par  Léon  MAITRE 


Les  seigneurs  du  Chaffault  et  de  la  Moricière,  qui 
étaient  l'un,  de  la  famille  de  Lespinay,  l'autre,  de  la 
famille  des  Gabard,  se  disputaient  le  droit  de  préémi- 
nence dans  le  chœur  de  l'église  de  Saint-Philbert-de- 
Grandlieu  en  1633.  Le  cause  fut  portée  devant  le  siège  de 
la  sénéchaussée  royale  de  Nantes,  qui,  avant  de .  se 
prononcer,  décida,  le  17  décembre,  qu'une  enquête  sur 
les  lieux  serait  ouverte  et  que  les  parties  seraient  enten- 
dues. En  vertu  de  ce  jugement,  le  sénéchal  René  Charette 
de  la  Bretonnière,  se  déplaça  lui-même  avec  le  procureur 
du  Roi  G.  Blanchard  de  la  Chapelle  et  un  greffier,  après 
avoir  assigné  les  plaideurs  devant  la  grande  porte  de 
l'église. 

Lorsqu'il  y  arriva,  le  jeudi  29  décembre,  ainsi  accom- 
pagné, il  y  trouva  Samuel  de  Lespinay,  seigneur  du  Chaf- 
fault, assisté  de  Fr.  Guidon,  son  procureur,  Françoise 
Padiolleau,  dame  du  Bouchet  et  de  la  Moricière,  veuve 
de  Davy  du  Brellay  et  auparavant  de  Jean  Gabard,  sieur 
des  Jamonnières  et  de  la  Moricière,  et  Jean  Gabard, 
écuyer,  sieur  de  Téhillac  et  de  Piépin,  assistés  de  Me  Lan- 
daz,  leur  procureur. 

La  parole  ayant  été  donnée  au  demandeur,  Samuel  de 
Lespinay  exposa  que  les  seigneurs  du  Chaffault  ont  tou- 

24 


—  360  — 

jours  été  en  possession  d'un  droit  de  banc  dans  le  chœur 
de  l'église,  du  côté  de  l'Evangile,  à  la  vue  de  tous  les 
nobles  de  la  paroisse.  Ils  ont  été  maintenus  dans  cette 
prééminence  par  un  jugement  contradictoire  rendu  en 
Conseil  du  Duc  de  1473.  Ce  banc  était  encore  en  place 
jusqu'au  temps  des  troubles  de  la  Ligue,  mais  la  famille 
de  Lespinay  ayant  embrassé  la  Réforme  et  négligé  de 
l'occuper,  les  seigneurs  des  Jamonnières,  père  et  mère  du 
seigneur  actuel,  sollicitèrent  la  faveur  de  rétablir  le  banc, 
qui  avait  été  brisé  «  par  la  ruine  de  l'une  des  voultes  de 
lad.  église  ou  par  les  gens  de  guerre  »  (Cette  dernière  hy- 
pothèse était  la  plus  vraisemblable  (1).  Le  banc  fut  occu- 
pé par  la  famille  des  Jamonnières  par  suite  de  l'absence 
des  Lespinay.  La  réfection  du  banc  est  del  598,  comme  l'in- 
dique la  date  qui  est  au  dos,  elle  n'a  pu  être  mise  par  les 
Gabard  qui,  à  cette  date,  n'avaient  que  les  Jamonnières, 
simple  domaine  sans  fief.  Quant  aux  seigneurs  de  la  Mori- 
cière,  leuis  ancêtres,  ils  ont  été  déboutés  de  leurs  préten- 
tions au  temps  des  Ducs  et  forcés  de  mettre  leur  banc 
dans  la  nef,  au-dessous  du  chanceau. 

Le  procureur  des  défendeurs  a  répondu,  à  son  tour,  que 
ceux-ci  possèdent  des  terres  importantes  qui  ont  juridic- 
tion haute,  moyenne  et  basse,  jusque  dans  la  ville  de 
Saint-Philbert,  qui  leur  assurent  des  droits  de  préémi- 
nence dans  le  chœur,  et  qu'ils  ont  joui,  de  temps  immémo- 
rial, de  ces  prérogatives,  au  su  et  au  vu  des  paroissiens  et 
gentilshommes,  tant  en  qualité  de  seigneurs  que  de  bien- 
faiteurs. On  les  a  vu  aller  en  procession  les  premiers  à 
l'Offertoire  et  prendre  du  pain  bénit  avant  tout  le  monde. 
Ils  ont,  dit-il,  rebâti  le  chœur  qui  était  tombé,  plus,  réparé 
le  carrelage  et  blanchi  plusieurs  fois  les  murs  et  fourni  des 
ornements  de  diverses  couleurs.  Le  demandeur  a  tort  de 
contester  ces  faits,  car  il  n'a  lui-même  pénétré  dans  le 
chœur  que  par  la  tolérance  et  la  complaisance  des  sei- 
gneurs de  la  Moricière,  qui  ont  voulu  quelquefois  lui  faire 

(1)  Cette  église  n'a  jamais  eu  de  voûtes. 


-  361  — 

honneur  en  lui  offrant  une  place.  Les  anciens  titres  qu'il 
invoque  sont  prescrits.  Le  demandeur  n'a  pas  de  fief  en- 
globant le  territoire  de  l'église,  tandis  que  les  défendeurs 
ont  un  fief  dans  l'enclos  de  la  ville. 
•  Le  procureur  du  demandeur  répond  qu'il  n'a  pas  con- 
naissance que  les  domaines  de  la  Moricière  et  des  Jamon- 
nières  aient  des  vassaux  dans  cette  ville  qui  relève  de  la 
juridiction  des  Huguetières  ;  ils  ne  comprennent  pas  la 
10e  partie  du  territoire,  et  d'ailleurs  ils  sont  à  l'extrémité 
de  la  paroisse  et  n'autorisent  aucune  de  leurs  prétentions. 
Les  permissions  données  par  les  prédécesseurs  du  sieur 
du  Chaffault  ne  modifient  pas  ses  droits.  Les  générosités 
de  la  maison  des  Jamonnières  ne  sont  rien  en  compa- 
raison des  largesses  des  du  Chaffault,  qui  ont  donné  à  la 
paroisse  le  presbytère,  le  cimetière  et  bâti  une  belle  cha- 
pelle dotée  de  services  religieux.  Tout  ce  que  les  def- 
fendeurs  allèguent  à  propos  de  l'offrande,  du  baise-mains 
et  du  pain  bénit,  est  contesté  comme  inexact.  Le  seigneur 
du  Chaffault  est  le  «  plus  ancien  gentilhomme  de  qualité 
de  la  paroisse  de  Saint-Philbert,  et  le  plus  riche  en  fiefs  et 
domaines,  bien  qu'il  ait  été  énervé  plus  de  4.000  livres  de 
rentes  de  la  maison  de  Monceau  pour  le  partage  des  puî- 
nés. Les  deux  faubourgs  de  la  ville  situés  au  sud  et  à 
l'ouest,  comme  des  dépendances  du  Chaffault  «  ainsi  que 
grand  nombre  d'autres  terres  et  maisons  nobles  de  la  pa- 
roisse »,  on  peut  y  ajouter  une  prairie  voisine  du  prieuré 
de  Saint-Philbert. 

Suit  la  description  des  lieux  : 

«  Et  entré  dans  lad.  esglise  a  esté  par  led.  sr  du  Chafault 
monstre  un  banc  clos  de  trois  pieds  et  demy  de  large  et  de 
six  pieds  et  demy  de  long  posé  dans  le  cœur  et  chanceau 
de  ladite  esglise,  du  costé  de  l'Evangille,  qu'il  a  dict  et 
maintenu  estre  celluy  par  luy  prétandu  et  qu'il  a  droict 
d'avoir  au  mesme  lieu  et  place,  et  demande  acte  du  datte 
de  1598  inscript  au  derrière  dud.  banc,  et  de  ce  qu'il  a 
maintenu  qu'au-dessus  dud.  banc  il  y  avoit  autiennement 


—  362  - 

des  escussons  des  armes  de  sa  maison  du  Chafault  et  de 
Monceau  qui  ont  esté  effacez  et  ruisnés  par  la  chute  de 
pan  de  muraille  du  mesme  costé 

«  De  plus,  led.  sieur  du  Chafault  a  monstre  une  tombe 
eslevée  dans  le  milieu  du  cœur  de  lad.  esglise  que  lesd. 
Sgrs  des  Jamonnières  ont  faict  mettre  depuis  les  26  ans 
derniers  et  graver  par  un  notaire  sur  icelle  plusieurs  qual- 
litez  de  bienfaiteurs  qui  ne  leur  apartiennent,  et  non  plus 
le  droict  d'enfeu  ny  de  tombe  eslevée  en  tel  endroict,  et  de- 
mande qu'elle  soit  hostée  et  le  sol  et  pavé  remis  à  l'uny  du 
surplus  du  cœur  pour  la  liberté  du  publicq  el  demande  à 
ceste  fin  la  jonction  de  Mons.  le  Procureur  du  Roy. 

«  Et  outre  qu'il  soit  fait  procès-verbal  des  lettres 
gravées  sur  la  pierre  du  grand  autel  et  des  armes 
qui    sont    dans    la    chappelle    qui    est    au-dedans    le 

clouastre  dud.  prieuré,  soustenant  que  les  armes qui 

sont  dans  ung  escusson  au  hault  du  vitrai  sont  les  armes 
de  la  maison  de  l'Espinay,  qui  est  venu  à  la  pocession  de 
celle  du  Chafault  par  alliance  et  que,  dans  le  surplus  dud. 
escusson,  qui  est  à  présent  rompu,  étoit  un  lion  qui  est  les 
armes  du  Chafault.  » 

Le  procureur  des  défendeurs,  Landaz,  a  répondu  de  la 
manière  suivante  : 

La  tombe  en  question  a  bien  été  placée  aans  le  chœur 
pour  y  déposer  le  corps  du  sr  des  Jamonnières,  décédé, 
père  du  seigneur  actuel,  et  ce  n'est  pas  sans  motif  que  son 
inscription  le  qualifie  :  bienfaiteur  de  l'église,  attendu 
qu'il  a  fait  rebâtir  de  neuf  le  chœur  et  le  clocher  à  ses  frais 
ou  à  peu  de  chose  près,  et  fourni  des  ornements  de  plu- 
sieurs couleurs,  des  devants  d'autel  et  des  parements 
décorés  de  ses  armes,  et  il  en  demande  acte.  Le  clergé  et 
les  paroissiens  ont  toléré  l'élévation  de  ladite  tombe  à 
demi  pied  au-dessus  de  terre.  D'ailleurs,  il  y  a  plusieurs 
autres  tombes,  tant  au  chœur  que  dans  la  nef.  Si  la  tombe 
des  Jamonnières  n'est  pas  régulière,  il  admet  qu'on  la 
rabaisse  au  niveau  du  carrelage,  à  la  condition  qu'on  fasse 
de  même  pour  les  autres.  Il  ajoute  que  les  armes  qui  pour- 


-  363  — 

raient  être  dans  la  chapelle  du  Cloître  ne  peuvent  conférer 
aucun  droit  au  demandeur,  puisqu'elle  est  en  dehors  de 
l'église  paroissiale.  Il  demande  acte  certifiant  que  les 
ornements  de  l'église  portent  les  armes  du  défendeur, 
savoir  :  deux  étoiles  et  un  croissant.  Au  haut  de  la  mu- 
raille séparant  la  nef  du  chœur,  sont  les  armes  de  la  Mori- 
cière,  elles  sont  pareilles  à  celles  du  château  de  la  Mori- 
cière  et  à  celles  de  vieux  coffres  de  la  maison  :  ce  sont  des 
carreaux.  Il  en  demande  description  pour  justifier  les 
prétentions  du  défendeur,  il  est  persuadé  que  les  droits  du 
demandeur  s'appliquent  à  la  chapelle  du  cimetière  où 
sont  inhumés  ses  ancêtres. 

Le  demandeur  réplique  qu'il  n'est  pas  prouvé  que  la 
contribution  des  seigneurs  de  la  Moricière  aux  réfections 
de  l'église  ait  dépassé  la  mesure  de  leur  cotisation  ordi- 
naire. Quand  bien  même  il  en  serait  autrement,  il  serait 
lui-même  mieux  fondé  à  réclamer  la  qualité  de  grand 
bienfaiteur,  car  ce  sont  les  du  Chaffault  qui  ont  donné  le 
presbytère  et  le  cimetière  de  la  paroisse  ;  ils  ont  fait  quatre 
fondations  de  500  livres  de  rente  et  même  ont  donné  des 
ornements  sur  lesquels  on  peut  voir  leurs  armes,  plus  3  ou 
4  calices  qui  ont  été  enlevés  lors  du  dernier  vol  de  l'église. 

Quant  à  la  pierre  du  grand  autel  et  à  son  inscription, 
il  répète  que  c'est  l'église  paroissiale  qui  est  en  question 
et  que  le  recteur  a  été  inhumé  sous  lad.  pierre. 

L'écusson  indiqué  sur  le  Jubé  par  le  défendeur  n'est 
pas  le  sien,  il  yen  a  plusieurs  autres  sur  la  même  surface, 
ce  sont  des  décorations  quelconques  comme  on  en  voit 
dans  d'autres  parties  de  l'édifice.  Sur  l'écusson  en  question 
on  voit  un  pin  allié  à  un  sanglier,  figure  qui  appartient 
aux  armes  des  l'Espinay  alliés  aux  du  Chaffault.  Dans 
la  chapelle  du  cloître,  ce  sont  encore  les  armes  des 
l'Espinay. 

Le  procureur  du  Roi,  prenant  la  parole,  fait  remar- 
quer que  les  parties  se  querellent  suivant  le  proverbe 
«  sur  la  chape  à  l'Evesque  ».  L'église  dépend  d'un  prieuré 
relevant  du  Roi,  d'où  il  s'ensuit  que  les  plaideurs  ne 


—  364  — 

peuvent  y  jouir  des  prééminences  et  occuper  le  rang  du 
fondateur.  On  ne  voit  d'ailleurs,  sur  les  murs  et  dans  les 
vitraux,  ni  litres,  ni  écussons,  ni  bancs  armoriés. 

Suit  la  description  des  monuments  contestés. 

Du  côté  de  l'Evangile,  le  chœur  renferme  un  grand 
banc  à  accoudoir,  fermé  des  deux  bouts,  joignant  un  autre 
vieux  banc,  et  dans  le  dos  de  ce  banc  on  lit  le  chiffre  1598, 
mais  sans  armoiries. 

Des  deux  côtés  du  grand  autel,  on  a  fait  voir  en  pare- 
ment des  chappes  et  chasubles  en  velours  et  satin  de 
diverses  couleurs  aux  armes  des  la  Moricière,  ainsi  qu'un 
dais  et  un  devant  d'autel. 

On  a  montré  aussi  des  ornements  de  damas  portant  en 
écusson  un  lion  rampant  couronné  et  lampassé,  parti 
d'azur  au  vairé  d'or,  et  de  gueules  à  trois  roses  ou  quinte- 
feuilles  d'argent  provenant  d'un  don  des  ancêtres  du  Sgr 
du  Chaffault.  Il  y  en  avait  bien  d'autres  qui  furent  perdus 
pendant  les  guerres  de  la  Ligue. 

Sur  le  mur  du  chœur  ,on  aperçoit  seulement  deux  écus- 
sons, l'un  de  3  chevrons  brisés  en  haut  de  gueules  et  l'autre 
d'argent non  loin  d'un  petit  banc  au  Sgr  de  Viesgue. 

Au  milieu  du  chœur,  sur  une  grande  pierre  de  Taille- 
bourg,  on  lit  : 

«  Cy  gist  noble  écuyer,  Jean  Gabard,  sieur  des  .lamon- 
nières  et  de  la  Moricière,  grand  bienfaiteur  de  l'église  de 
céans,  décebda  le  6e  de  novembre  1607.  Dieu  ait  son  âme. 
Amen.  » 

Aux  angles,  deux  écussons  portant  2  étoiles  et  un  crois- 
sant. Plus  une  autre  pierre  plus  petite,  élevée  de  4  pouces. 

Au-devant  du  banc  de  Viesgue,  une  autre  pierre  tom- 
bale élevée  de  cinq  pouces.  Dans  la  nef  et  dans  le  transept 
plusieurs  autres  tombes  élevées. 

Sur  la  muraille  du  Jubé,  du  côté  de  la  nef,  plusieurs 
armoiries  fort  effacées,  parmi  lesquelles  on  en  remarque 
un  écu  de  gueules  avec  7  losanges  d'argent. 

Dans  la  chapelle  servant  de  chapitre  au    Prieuré,    le 


—  365  — 

vitrail  de  la  rose  de  gauche  contient  un  fragment  d'écus- 
son  portant  un  pin  sur  un  fond  d'argent. 

Sur  la  pierre  du  grand  autel  de  l'église  on  a  relevé  les 
mots  suivants  :  Hac  petra  tectus  est  vir  prudens  et  honestus 
dominas  Guillelmus  Chapui  presbyter  hujus  ecclesiœ  rec- 

tor  Nannetensisque  coralis  atque  capellanus 

anno    M°    1111°,  die  mensis,  Anima  ejus 

requiescat  in  pace. 

En  visitant  la  chapelle  du  cimetière,  le  sénéchal  note 
divers  écussons  tant  en  pierre  que  sur  les  vitraux,  une 
tombe  élevée  portant  un  lion  couronné,  plus  une  litre  en 
dedans  et  en  dehors,  et,  contre  la  chapelle,  un  magasin  et 
et  un  pressoir.  L'avocat  de  la  partie  adverse  fait  remar- 
quer que  ce  voisinage  est  indécent,  que  le  service  du  ma- 
gasin est  bruyant  et  oblige  trop  souvent  les  paroissiens 
à  tenir  leur  cimetière  ouvert.  Il  espère  que  la  Justice  y 
mettra  bon  ordre. 

Le  procureur  du  sr  du  Chaffault  répond  que  les  droits 
de  sa  partie  sur  cette  chapelle  sont  incontestables,  qu'elle 
fut  fondée  et  dotée  de  800  livres  de  rente  pour  le  service 
de  13  messes  par  semaine  et  qu'elle  n'a  jamais  servi  à 
autre  usage. 

Sa  longueur  est  de  120  pieds,  sa  largeur  de  25,  elle  con- 
tient 5  autels.  Du  côté  de  l'Evangile,  il  y  a  un 
sépulcre  élevé„et  voûté  dans  la  muraille  du  chœur,  formé 
d'un  personnage  armé  et  couché  dont  la  cote  de  maille 
porte  cinq  écussons  gravés  d'un  lion,  avec  une  inscription 
illisible.  Le  même  écusson  est  répété  au-dessus  du  tom- 
beau et  dans  le  vitrail  placé  derrière  le  maître-autel.  Au- 
dessus  on  a  figuré  un  prêtre  en  prières  qui  serait  le  dernier 
chapelain,  Robert  Denan.  Le  rapporteur  constate  que 
l'édifice  a  grand  besoin  de  réparations.  Le  seigneur  du 
Chaffault  en  convient,  mais  il  fait  remarquer  que  la 
charge  de  l'entretien  retombe  sur  le  titulaire  du  béné- 
fice (1).  Celui-ci  n'était  pas  pressé  de  supporter  ces  frais, 

(1)  Archives  de  la  Loire- Inférieure,  sérieB.  Enquêtes  de  la  séné- 
chaussée liasse  de  1633.) 


—  366  — 

car  le  procès-verbal  de  visite  de  1689  constate  que  l'édi- 
fice est  toujours  dans  le  plus  fâcheux  état,  les  vitraux,  la 
toiture,  le  carrelage,  les  portes  accusent  un  grand  aban- 
don (2). 

(2)  Arch.  départ.,  G.  54,  F°<>  162-163.) 


L'Ancienne  Eglise  de  N.-D.  de  Challans 


De  l'ancienne  église  paroissiale  de  Challans  il  ne  reste 
plus  qu'un  clocher,  construit  de  1862  à  1865,  peu  solide 
et  sans  caractère  bien  défini.  La  nef,  œuvre  très  médiocre 
de  1843-46,  ne  méritait  pas  d'être  conservée.  Quant  au 
transept,  du  XIe  siècle,  et  au  chœur  du  XIIIe,  ils 
offraient  beaucoup  d'intérêt  au  double  point  de  vue 
historique  et  archéologique. 

Malheureusement,  le  Conseil  municipal  de  Challans 
a  voulu  la  démolition  de  tout  l'édifice  à  l'exception  du 
clocher  mentionné.  On  pouvait  douter  de  la  solidité  de 
la  nef,  mais  le  chœur  et  le  transept  avaient  toutes  les 
garanties  désirables  de  stabilité  et  leur  conservation  eut 
été  agréable  à  tous  les  Challandais,  sauf  à  quelques  igno- 
rants. 

M.  le  Chanoine  Célestin  Freland,  curé  doyen  de  Chal- 
lans, confia  la  démolition  à  un  menuisier  de  la  ville  : 
M.  Anatole  Bore,  qui  conserva  quelques-unes  des  nom- 
breuses antiquités  découvertes.  Il  est  profondément 
regrettable  que  la  plupart  des  sculptures  les  plus  remar- 
quables aient  été  mises  en  morceaux  et  vendues  pour 
être  utilisées  dans  toutes  sortes  de  constructions. 

Nous  nous  efforcerons,  dans  ce  travail,  de  reconstituer 
le  mieux  possible  l'ancienne  église  de  N.-D.  de  Challans 
telle  qu'elle  fut  aux  différents  siècles  de  son  existence. 

Ch.  Grelvier. 

[_      Challans,  9  mai  1909. 

Soc.  Archéol.  Nantes.  25 


368    - 


II 


Résumé    de    l'Histoire    de    l'Ancienne    Eglise 
de  N.-D.  de  Challans 


au  vie  siècle.  —  Fondation  d'un  oratoire  chrétien, 
probablement  détruit  plus  tard  pendant  les  inva- 
sions Normandes. 

au  xie  siècle.  — Construction  d'une  église  à  la  place 
de  l'oratoire. 

au  xine  siècle.  Le  chœur  de  l'église    romane  est 

reconstruit,  ainsi  que  les  absidioles  du  transept. 
La  nef  de  l'église  romane  disparaît.  A  l'emplace- 
ment on  fait  une  nef  nouvelle  avec  un  bas-côté 
au  nord. 

aux  xve-xvïe  siècles.  On  fait    quelques   restau- 

rations importantes. 

au  xvne  siècle.  Construction  d'un  rétable  au 
fond  du  chœur  (?).  Etablissement  de  sacristie 
derrière  le  chœur. 

1843-1846.  —  La  nef  et  le  bas-côté  nord  du  xme  siè- 
cle sont  remplacés  par  une  nef  avec  bas-côtés 
au  nord  et  au  midi,  le  tout  dans  le  style  grec 
(ordre  dorique). 

1862-1865.  —  Démolition  des  sacristies  du  xvne  siè- 
cle. A  remplacement,  construction  d'un  clocher 
et  de  sacristies  (style  roman  très  bâtard). 

1899-1900.  Démolition  de  toute  l'église  à  l'excep- 
tion du  clocher  de  1862. 


—  369 


L'Ancienne  Eglise  Paroissiale  de  H-D.  de  Challans 


PREMIÈRE  PARTIE 
Des  Origines  au   XIIIe  Siècle 


CHAPITRE     PREMIER 
Les  Origines  de  l'Ancienne    Eglise 

I.  La  Légende.  -  -  Sur  la  fondation  de  l'église  de  Chal- 
lans nous  n'avons,  pour  tout  document,  qu'une  légende 
publiée  dans  la  Revue  du  Bas-Poilou,  reproduite  par  la 
Croix  Vendéenne  du  20  septembre  1896,  et  que  nous 
donnons  ici  en  partie  : 

«  Une  dame  du  château  de  la  Gaudinière  (1)  s'était 

(1)  Il  existe  encore  dans  la  commune  de  Challans  un  village  du 
nom  de  «  La  Gaudinière  »  ;  et  non  loin  de  ce  village,  au  milieu  des 
propriétés  de  feu  .M.  Emile  Gibotteau,  de  la  Verronnière,  on  voit 
les  douves  d'un  ancien  château,  qui,  d'après  la  tradition  locale, 
était  celui  de  la  fondatrice  de  l'église  de  Challans.  Cette  légende 
a  été  fixée  par  les  soins  de  M.  l'abbé  Louis  Teillet,  membre  titu- 
laire de  la  Société  des  Antiquaires  de  l'Ouest,  ancien  vicaire  de 
Challans,  aujourd'hui  curé  de  Saint-Paul-en-Pareds  (Vendée). 

M.  l'abbé  L.  Teillet  est,  croyons-nous,  le  premier  qui  se  soit 
intéressé  à  l'ancienne  église  de  Challans,  qui  ait  su  apprécier  les 
parties  anciennes,  et  pris  la  peine  de  les  signaler  dans  une  petite 
brochure  intitulée  :  «  Noies  et  Documents  sur  l'Eglise  Paroissiale 
de  Challans,   Vendée,  XIe,  XVIe  et  XV //''  siècles.    Vannes.    Lafo- 

lye,  1891.  »  On  y  lit:  «  le  transept  et  le  chœur  méritent   une 

attention  particulière.  1°  Le  transept.  Le  transept  et  son  modeste 
campanile  datent  du  XIe  siècle.  Les  sculptures  des  chapiteaux, 
qui  représentent  des  personnages  bibliques  ou  autres,  le  plein 
cintre  des  ouvertures ne  laissent    aucun  doute  à  ce  sujet • 


-  370  - 

mariée  à  un  impie  de  la  pire  espèce,  et  cela  malgré  ses 
parents.  Elle  ne  tarda  pas  à  s'en  repentir.  Son  mari,  d'un 
caractère  fantastique  et  méchant  la  faisait  cruellement 
souffrir,  soit  par  d'indignes  traitements,  soit  par  les 
horribles  blasphèmes  qu'il  proférait  sans  cesse.  Enfin, 
par  sa  jalousie,  il  avait  forcé  la  malheureuse  à  vivre 
renfermée  dans  son  château,  où  elle  menait  la  vie  la  plus 
triste  et  la  plus  abandonnée,  puisqu'elle  n'avait  même 
pas  la  consolation  de  voir  sa  mère  et  les  autres  membres 
de  sa  famille,  ceux-ci  l'ayant  reniée  au  moment  de  son 
mariage.  Madame  de  la  Gaudinière,  comprenant  quelle 
énorme  faute  elle  avait  commise,  voulut  du  moins  essayer 
de  la  réparer.  Un  jour  que  son  mari  était  absent,  elle 
fit  atteler  sur  un  tombereau  deux  jeunes  taureaux  qui 
n'avaient  jamais  encore  senti  le  joug,  et  elle  y  mit  tout 
ce  qu'elle  avait  de  plus  précieux  lui  appartenant  en 
propre  :  ses  joyaux,  ses  pierreries,  ses  bracelets,  son 
argenterie,  etc.,  puis  elle  prit  elle-même  un  a  guillon 
et  conduisit  les  taureaux  sur  le  chemin  de  Challans  et 
les  y  abandonna  en  disant  : 

Là  où  le  tombereau  culbutera, 
Là  le  temple  de  Dieu  s'élèvera. 

«  D'après  la  tradition,  les  taureaux  mystérieusement 
conduits,  s'arrêtèrent  au  lieu  même  où  s'élève  aujour- 
d'hui la  vieille  église  de  Challans.  L'édifice  fut  donc 
construit.  Quelque  temps  après  sa  construction,  Madame 
de  la  Gaudinière  voulant  yiaire  célébrer  des  messes  pour 
le  repos  de  son  âme,  prit  la  route  de  Challans  pour  aller 
t  ton  ver  le  prieur  de  la  paroisse.  Elle  s'en  allait,  emportant 
dans  son  tablier  les  choses  précieuses  qu'elle  voulait 
offrir  au  prêtre  du  Seigneur,  et  disant  ses  prières. 

Mais,  tout-à-coup,  au  milieu  d'un  bois,  elle  aperçut 
son  mari  qui  accourait  furieux  :  «  Pourquoi,  Madame,  lui 
dit-il,  sortez-vous  ainsi?  --  Monsieur,  répondit-elle,  subi- 
tement   rassurée,   chacun  court  à  ses  plaisirs  :  le  vôtre 


-  371  — 

est  d'aller  chasser,  le  mien  est  de  cueillir  des  fleurs.  » 
A  ces  mots,  elle  entr'ouvrit  son  tablier  qui,  par  un  mira- 
cle divin,  ne  contenait  plus  que  des  fleurs  fraîches  et 
odorantes.  L'époux  s'éloigna  sans  rien  dire  et  la  pieuse 

dame  continua  sa  route »  (1).  r 

Toute  légende  ayant  ordinairement  une  base  histo- 
rique, à  quelle  époque  faudrait-il  placer  la  fondation 
de  l'église  de  Challans  ?  Il  est  impossible  de  le  dire.  Cette 
légende  concerne-t-elle  la  primitive  église  qui  existait 
dès  le  vie  siècle  probablement  et  avait  été  sans  doute 
détruite  au  moment  des  invasions  normandes  ?  Con- 
cerne-t-elle l'église  que  nous  avons  connue  et  qui 
remontait  au  xie  siècle?  Autant  de  questions  que  l'on 
ne  peut  résoudre. 

II.  L'Histoire.  -  -  La  partie  la  plus  ancienne  du  monu- 
ment était  le  transept  :  du  xie  siècle.  Nos  recherches,  et 
les  fouilles  pratiquées  ont  établi  qu'à  cette  époque  une 
église  entière  avait  été  construite.  Longtemps,  on  s'est 
demandé  si,  antérieurement  au  xie  siècle,  il  y  avait  eu 
à  Challans  un  lieu  de  réunion  pour  les  chrétiens.  Aujour- 
d'hui, on  peut  répondre  affirmativement  :  Avant  l'an 
1000,  Challans  qui  existait  déjà  depuis  plusieurs  siècles, 
possédait  un  édifice  dédié  au  vrai  Dieu. 

Ce  qui  rend  la  chose  très  probable,  ce  sont  des  objets 
gaulois  et  romains  trouvés  sur  le  territoire  de  Challans  (2) 

(1)  Pour  être  complet,  nous  donnons,  toujours  d'après  la  Croix 
Vendéenne  du  20  septembre  1896,  la  fin  de  la  légende  :  «  Cependant 
les  peines  de  la  pauvre  dame  augmentèrent  chaque  jour,  et 
bientôt  son  mari  ne  lui  laissait  plus  dire  ses  prières,  ce  qui  était 
cependant  son  unique  consolation  et  son  seul  soutien. C'est  alors 
qu'elle  eut  l'ingénieuse  pensée  de  composer  ses  prières  par  l'imi- 
tation du  champ  des  oiseaux.  Elle  chantait  comme  le  rossignol  et 
la  tourterelle,  et  pouvait  ainsi  prier  continuellement.  Son  mari, 
qui  ne  se  doutait  de  rien,  était  charmé  de  cette  douce  musique 
et  sans  doute  son  caractère  finit  par  s'amollir.  Quelques  personnes 
se  souviennent  avoir  entendu  dans  leur  enfance  ces  prières  d'un 
genre  tout  nouveau  que  les  anciens  du  pays  se  plaisaient  à  redire 
le  soir  dans  les  veillées.  » 

(2)  Un  statère  d'or  gaulois  (monnaie  correspondant  à  notre 
pièce  de  20  francs)  ;  une  aigle  romaine,  découverte  à  la  Bloire  ; 


372 


et  indiquant  que  ce  lieu  étail  habité  depuis  longtemps 
par  unr  population  civilisée.  M.  Louis  Brochet  croit 
même  que  deux  voies  romaines  passaient  à  Ghallans  (1), 
l'une  de  Saintes  à  Beauvoir-sur-Mer,  dont  on  retrou- 
verait la  trace  au  village  de  la  Voie,  à  un  kilo- 
mètre de  Challans,  sur  la  route  des  Sables  ;  l'autre, 
de  Saint-Gilles-sur- Vie  à  Port-Saint-Père  (Loire-Inté- 
rieure). Les  voies  suivaient,  sur  un  assez  long  par- 
cours, l'ancien  littoral,  car  il  ne  faut  pas  perdre  de 
vue  que  la  mer  occupait  le  marais  actuel  de  Challans 
et  de  Saint-Jean-de-Monts.  Challans  et  Soullans  devaient 
former  l'un  de  ces  îlots  nombreux  que  l'on  trouve 
à  l'origine  des  communes  du  marais  :  l'île  des  Monts  : 
«  insiila  de  Montibus  »  qui  a  donné  Saint-Jean-de-MonLs, 
X.-D. -de-Monts  et  La  Barre-de-Monts  ;  l'île  de  Riez, 
qui  a  donné  Saint-Hilaire-de-Riez  et  N.-D.-de-Riez  ; 
l'île  de  Sallertaine  qui  est  dominée  par  l'église  de  ce  lieu 
et  qui  est  aujourd'hui  le  bourg  de  Sallertaine. 

En  raison  de  cette  situation,  il  est  à  peu  près  certain 
que  le  christianisme  fut  prêché  à  Challans  relativement 
de  bonne  heure.  Les  travaux  apostoliques  de  Saint 
Hilaire,  évêque  de  Poitiers  (ive  siècle)  en  Bas-Poitou  ; 
les  voyages  de  Saint  Martin  de  Vertou  (vie-vnc  siècles)  ; 
l'influence  de  Saint  Filbert,  abbé  de  Noirmoutier  (vne 
siècle)  ne  permettent  pas  de  placer  après  le  vne  siècle 
la  constitution  définitive  d'un  centre  chrétien  à  Challans. 
Et  l'hypothèse  se  trouve  singulièrement  confirmée  par 
la  présence,  dans  l'ancienne  église,  d'un  monument  chré- 
tien de  l'époque  mérovingienne  (des  premières  années 
du  ve  siècle  au  milieu  du  vme).  En  mai  1900,  exami- 
nant les  décombres  transportés  chez  le  menuisier  (2) 
qui  avait  démoli  l'église,  nous  avons  été  fort  surpris  de 

des  tuiles  romaines,   à  la  Voie  ;  une  statue  de  Vénus,  à  Pont- 
Habert,  etc.. 

(1)  V.    Congrès  archéologique  de    France,  Poitiers,  1903,  p.  180. 
Paris,  Picard,  1904. 

(2)  M.  Anatole  Bore,  auquel  nous  avons  acheté  ce  vénérable 
débris  de  la  première  église  de  Challans. 


—  573  — 

rencontrer  une  pierre  ornée  d'une  croix  sculptée  en 
relief,  et  dont  la  forme  antique  annonçait  une  origine 
mérovingienne.  Quelques  semaines  plus  tard,  le  savant 
archiviste  de  la  Loire-Inférieure,  M.  Léon  Maître,  de 
passage  à  Challans,  reconnaissait  le  caractère  méro- 
vingien   de   la  croix,   et    à  la  fin  de  la  même. année, 


Croix  Mérovingienne 

trouvée  sur  la   voûte  du  chœur 


publiait  dans  la  Revue  du  Bas-Poitou,  une  étude  inté- 
ressante sur  ce  monument  chrétien,  le  plus  ancien  que 
nous  possédions  jusqu'à  ce  jour  (1909)  dans  notre  région. 
M.  Léon  Maître  le  décrit  ainsi  :  «  C'est  un  beau  morceau 
de  calcaire  dur  de  0  m.  57  de  hauteur  sur  0  m.  30  de  lar- 
geur, sur  lequel  on  a  sculpté  une  croix  latine  d'un  carac- 
tère tout  à  fait  archaïque,  que  je  n'hésite  pas  à  qualifier 
«  mérovingienne  ». 


—  374 


Formation  de  la  Croix  Mérovingienne  de   Challans. 


■* 


n 


375 


«  Les  quatre  membres  vont  en  s'élargissant,  comme  dans 
les  croix  pattées  ;  des  filets  suivent  tous  les  contours, 
les  extrémités  de  chaque  branche  portent  quatre  petits 
creux  qui  semblent  faits  pour  recevoir  un  métal  ou  de 
l'émail,  de  même  que  le  centre.  Au  pied,  il  existe  aussi 
une  cavité  sous  laquelle  on  aperçoit  encore  comme  le 
relief  d'une  figure  qui  avait  été  enchâssée  dans  du  métal. 

«  Mais  ce  qui  lui  donne  une  physionomie  à  part,  c'est 
l'oméga  suspendu  a  la  branche  de  droite.  Il  n'est  pas  dou- 
teux qu'il  faisait  pendant  à  un  alpha  figuré  de  l'autre 
côté  (1)  et  mutilé  ,par  les  maçons  qui  ont  employé  ce 
morceau  comme  moellon.  » 


(1)  «  Les  croix  accompagnées  d'un  Alpha  et  d'un  Oméga,  dit 
M.  Léon  Maître,  sont  des  figurations  de  l'Eglise  primitive,  dont 
les  premiers  types  ont  été  imaginés  dans  les  décorations  des  cata- 
combes, et  de  là  se  sont  répandus  dajis  l'univers  chrétien  pendant 
la  période  de  l'évangélisation.  »  Revue  du  Bas-Poilon,  13e  année, 
4e  livraison,  p.  410.  Alpha  et  Oméga  (A  et  fi  ;  ou  bien  a.  et  w)  sont 
les  noms  de  la  première  et  de  la  dernière  lettre  de  l'alphabet  grec. 
Ces  mots  appliqués  à  Dieu  signifient  qu'il  est  le  commencement  et 
la  fin  de  toute  chose.  Cette  idée  est  exprimée  pour  la  première 
fois  dans  l'Ancien  Testament,  où  Dieu  dit  au  livre  d'Isaïe  :  «  Ego 
primus  et  ego  novissimus.  »  XL IV,  6.  «  Je  suis  le  premier  et  le  der- 
nier. »  Dans  le  Nouveau  Testament,  au  livre  de  l'Apocalypse, 
Jésus-Christ,  fils  de  Dieu,  et  Dieu  lui-même,  s'attribue  le  même 
caractère  :  «  Ego  sam  Alpha  et  Oméga,  principinm  cl  finis.  »  I,  8  ; 
XXI,  6  ;  XXII,  13  ;  «  Je  suis  l'Alpha  et  l'Oméga.  1?  principe  et  la 
fin.  »  —  «  Les  premiers  chrétiens  empruntèrent  ce  symbole  à 
l'Apocalypse  pour  faire  acte  de  foi  à  la  Divinité  de  leur  Maître, 
en  inscrivant  sur  les  tombeaux  et  dans  leurs  églises  l'A  et  l'A  des 
deux  côtés  de  la  croix  :  A  fi  ;  «  m  ;  et  en  le  gravant  jusque 
sur  leurs  sceaux  et  les  bagues  qu'ils  portaient  aux  doigts.  »  Dic- 
tionnaire de  la  Bible,  mot  :  A  et  ii,  colonne  lre  du  t.  I.  La  pierre 
tombale  de  Boëtius,  septième  évêque  de  Carpentras  et  de  Vé- 
nasque,  décrite  et  publiée  par  M.  Revoil,  mérite  d'être  signalée  ici. 
Elle  porte  comme  ornement  principal  une  croix  aux  branches  de 
laquelle  l'Alpha  et' l'Oméga  sont  suspendus  avec  des  chaînettes 
simulées,  comme  dans  la  croix  de  Challans.  Cette  pierre  tombale 
est  de  l'époque  mérovingienne.  M.  Léon  Maître  a  signalé  dans  la 
Revue  du  Bas-Poitou  plusieurs  briques  et  claveaux  employés  à  la 
décoration  des  églises  mérovingiennes,  et  qui  avaient  beaucoup 
de  ressemblance  avec  la  croix  de  Challans. 

Les  chrétiens  des  premiers  siècles  s'étaient  faits  des  bijoux  en 
forme  de  croix.  L'idée  leur  vint  très  naturellement  de  reproduire 
aussi  l'Alpha  et  l'Oméga  qu'ils  voyaient  un  peu  partout  dans  leurs 
églises.  Pour  cela,  ils  imaginèrent  de  faire  des  Alpha  et  des  Oméga 
qu'ils  suspendirent,  à  l'aide  de  petites  chaînes,  aux  bras  de  la  croix. 


—  376  - 

M.  Léon  Maître  croit  que  cette  pierre  provient  de  la 
décoration  d'un  devant  d'autel.  Il  eut  été  extrêmement 
facile  de  l'encastrer  dans  un  mur  de  la  nouvelle  église  : 
«  elle  aurait  eu  l'avantage  de  rappeler  aux  paroissiens 
que  leur  église  et  leur  chrétienté  remontaient  à  une  date 
bien  antérieure  à  l'an  1000.  .l'insisté  sur  son  caractère 
mérovingien,  dit  encore  le  savant  archiviste  de  la  Loire- 
Inférieure,  parce  qu'on  a  émis  des  doutes  sur  sa  valeur 
historique.  On  a  insinué  qu'elle  pouvait  être  une  réédi- 
tion d'un  monument  antique.  Cette  opinion  ne  peut 
germer  que  dans  les  cerveaux  qui  n'ont  jamais  vécu  en 
intimité  avec  les  pratiques  anciennes.  Chaque  époque 
de  notre  histoire  artistique  avait  ses  symboles,  ses  usages, 
ses  inventions,  sis  combinaisons,  son  originalité.  Jamais 
un  ouvrier  du  xie  siècle  n'aurait  eu  la  pensée  d'imiter 
servilement  une  œuvre  du  vie  siècle.  L'habitude  de  copier 
ne  date  que  de  la  Renaissance.  »  (1) 

Le  R.-P.  Camille  de  la  Croix,  dont  l'autorité  est  si 
haute    en    matière    d'archéologie    mérovingienne,    nous 

écrivait  le  2  mars  1907:  «  La  petite  pierre  sculptée est 

fort  intéressante  et  me  paraît  être  de  la  fin  du  vie  siècle 
ou  du  siècle  suivant.  » 

Le  distingué  secrétaire  de  la  Société  Nationale  des 
Antiquaires  de  France,  M.  Louis  Engerand,  nous 
écrivant,  le  8  juillet  1907,  au  sujet  de  cette  pierre, 
disait  :  «  cette  croix  est  curieuse  à  plus  d'un  titre  et 
des  spécimens  de  cette  époque  sont  d'autant  plus  remplis 
d'intérêts  que  nous  sommes  d'une  pauvreté  extrême 
pour  tout  ce  qui  touche  l'époque  mérovingienne.   » 

De  la  présence  dans  l'ancienne  église  d'un  monument 

Ce  motif  de  bijouterie  qu'ils  avaient  emprunté  à  la  décoration 
religieuse  de  leur  temps  ne  tarda  pas  à  son  tour  à  être  repris  tel 
quel  par  cette  même  décoration.  Ainsi  firent  évidemment  les 
sculpteurs  de  la  croix  mérovingienne  de  Challans.  L'Oméga  (w) 
minuscule  qu'ils  représentèrent  était  d'un  emploi  assez  commun. 

La  croix  mérovingienne  de  Challans  a  été  trouvée,  non  dans  un 
mur  à  titre  de  moellon,  comme  on  l'a  dit  à  tort  à  M.  I..  Maître, 
mais  simplement  déposée  sur  la  voûte  (XIIIe  siècle)  du  chœur. 

(1)   Revue  du  Bas- Poitou,  loc.  cit. 


—  377  - 

aussi  ancien  et  qui  désormais  sera  connu  en  archéologie 
sous  le  nom  de  Croix  mérovingienne  de  Challans,  il  faut 
conclure  que  l'église  de  Challans,  quant  à  son  origine, 
était  de  beaucoup  antérieure  au  xie  siècle,  époque  des 
parties  les  plus  anciennes  de  l'édifice  qui  a  disparu  en 
1899-1900.  De  ce  temple  chrétien,  le  premier  qui  s'éleva 
sur  le  sol  de  Challans,  il  ne  nous  est  parvenu  que  la  croix 
mérovingienne.  Quelques  mois  avant  la  démolition  de 
l'ancienne  église,  en  examinant  les  murs  du  x"ie  siècle, 
nous  avons  remarqué,  enchâssées  dans  la  maçonnerie, 
assez  irrégulièrement  d'ailleurs,  de  nombreuses  pierres 
carrées  bien  travaillées.  Elles  étaient  en  calcaire  dur 
comme  la  croix  mérovingienne.  Peut  être  ces  pierres 
provenaient-elles  de  la  primitive  église  et  avaient-elles 
été  utilisées  par  les  constructeurs  du  xie  siècle. 

Quant  au  plan,  aux  dimensions,  à  l'emplacement 
exact  de  ce  premier  édifice  chrétien,  nous  ne  savons  abso- 
lument rien.  Il  est  permis  de  croire,  sans  présomption 
aucune,  que  c'était  une  sorte  d'oratoire,  bâti  au  lieu 
même  où  fut  construite  au  xie  siècle  l'église  que  nous 
avons  connue. 


—  378 


CHAPITRE  II 


Du  XI1'  au  XIIIe  siècle 


L'église  que  notre  génération  a  vu  démolir  avait  été 
édifiée  au  xie  siècle,  tout  à  fait  au  début  de  cette  période 
où  les  architectes,  commençant  à  voûter  leurs  construc- 
tions, furent  logiquement  amenés  à  s'écarter  de  la  voie 
suivie,  pendant  plusieurs  siècles  par  leurs  devanciers; 
et  aussi,  il  ne  faut  pas  omettre  de  le  dire,  à  cette  époque, 
où,  imprimant  à  leurs  œuvres  un  cachet  empreint  d'une 
plus  grande  originalité,  ils  en  vinrent  à  établir  ce  qu'on 
peut   nommer  Y  Architecture   française   du    Moyen- Age. 

L'ancienne  église  de  Challans,  avant  les  modifications 
considérables  du  xme  siècle,  pouvait  servir  d'édifice- 
type,  car  c'était  vraiment  l'église  du  xie  siècle  complète, 
sans  particularité  aucune,  telle  que  la  concevait,  après 
l'an  1000,  un  architecte  poitevin.  Son  clocher  occupait 
le  milieu  du  transept,  comme  dans  les  églises  de  Saint- 
Savin,  de  Jazeneuil  (Vienne);  de  Parthenay-le- Vieux 
(Deux-Sèvres);  de  Youvant  et  de  Mareuil  (Vendée). 
Le  chœur  était  profond  ;  ces  mêmes  églises  de  Vouvant 
et  de  Mareuil,  celles  de  Beauvoir-sur-Mer  (Vendée)  et  de 
Saint-Jouin-de-Marnes  (Deux-Sèvres)  en  ont  un  sem- 
blable. De  chaque  côté  du  chœur,  sur  le  transept,  s'ou- 
vrait une  absidiole  comme  à  Mareuil,  à  Saint-Savin,  à 
Sallertaine  (Vendée). 

L'église  construite  à  Challans  au  xie  siècle  appartenait 
donc  certainement  et  exclusivement  à  l'école  Romane 
Poitevine. 

Dès  le  x"ie  siècle,  dit  l'abbé  Aillery,  la  paroisse  de  Chal- 
lans était  l'une  «  des  riches  possessions  »  de  l'Abbaye 


—  379  — 

Bénédictine  de  Luçon  (1).  Cette  situation  ne  dut  pas 
être  sans  influence  pour  la  construction  de  l'église.  Les 
Bénédictins  qui,  dans  leurs  monastères  avaient  conservé 
les  sciences  et  les  arts,  s'ils  n'ont  pas  mis  la  main  à 
l'œuvre,  ont  dû  au  moins  la  diriger  et  la  surveiller. 

I.  Vocable.  —  L'église  nouvelle  fut  placée  sous  l'invo- 
cation de  la  Très-Sainte-Vierge,  honorée  dans  le  mystère 
de  son  Assomption.  Ce  vocable  était  peut  être  celui  de 
l'église  primitive.  Quoiqu'il  en  soit,  nous  remarquerons 
ici  que  l'église  de  Luçon,  maîtresse  de  celle  de  Challans, 
était  placée  sous  le  même  patronage  et  que  l'église  de 
Noirmoutier,  mère  de  celle  de  Luçon,  avait  été  mise 
par  son  fondateur  :  Saint  Filbert,sous  la  protection  de  la 
Très-Sainte-Vierge.  Or,  à  cette  époque,  lorsqu'une 
abbaye  fondait  une  paroisse  ou  un  monastère,  l'usage 
voulait  que  cette  paroisse  ou  ce  monastère  fussent  ordi- 
nairement sous  le  même  vocable  que  l'abbaye-mère. 

Il  serait  donc  possible  que  le  prieuré  de  Challans 
devenu  plus  tard  la  cure  de  Challans,  eut  été  fondé 
soit  par  Saint-Filbert,  soit  par  ses  successeurs  de 
l'abbaye  de  Noirmoutier  ou  de  l'abbaye  de  Luçon.  Par 
«  prieuré  de  Challans  »,  nous  entendons  non  seulement 
le  logement  des  moines  qui  remplissaient  les  fonctions 
du  saint  ministère,  mais  aussi  l'église  et  le  territoire 
qui  en  dépendait  au  point  de  vue  spirituel  et  qui  forme 
«  la  paroisse  de  N.-D.  de  Challans.  » 

IL  Plan.  L'église   construite   au  xïe  siècle   était 

orientée  selon  les  règles  liturgiques  :  c'est-à-dire  que  le 
chœur  était  à  l'est.  Son  plan  était  celui  d'une  croix  avec 


(1)  Et  pour  preuve  :  «  Le  prieur,  comme  le  constate  le  Grand- 
Gautier,  fut  à  la  nomination  de  l'abbé  de  Luçon  jusqu'au  commen- 
cement du  xive  siècle.  »  A  partir  de  cette  époque,  le  prieur  (ou 
curé)  fut  nommé  par  l'évêque  de  Luçon  :  successeur  et  héritier 
des  droits  des  abbés.  On  sait  qu'en  1317,  l'abbaye  bénédictine 
de  Luçon  fut  érigée  en  cvêché  par  le  pape  Jean  XXII,  et  qu'à 
cette  date  notre  région  cessa  d'appartenir  au  diocèse  de  Poitiers, 
pour  faire  partie  de  celui  de  Luçon. 


380 


PLAN 
de  l'Ancienne  Eglise  de  N.-D    de  Challans  au  XIe  Siècle 


381 


LEGENDE 


POUR 


le  Plan  de  l'Ancienne  Eglise  N.-D.  de  Challans 


Parties  détruites  soit  au  XI IF  siècle,  soit 
en  1843  et  dont  on  a  retrouvé  les  fondations 
en  1897  et  1899-1900. 


Parties  conservées  entièrement  jusqu'à  1899- 


1900. 


Parties    détruites    au    XIIIe    siècle    dont     on 
n'a  pas  retrouvé  les   fondations. 


382 


abside  semi-circulaire  terminant  le  chœur  et  chapelles 
s'ouvrant  sur  le  transept.  La  longueur  totale  de  l'édifice 
était  dr  34  ni.  98  à  l'intérieur  et  la  largeur  de  la  nef  de 
7  mètres.  Le  transept  n'avait  que  4  m.  10  de  largeur 
et,  par  conséquent,  n'était  pas  aussi  large  que  la  nef. 
La  longueur  du  transept  atteignait  à  peine  22  m.  50. 
Enfin,  d'après  nos  calculs,  le  monument  avait  plus  de 
12  mètres  de  hauteur  sous  clef  de  voûte.  Quant  aux 
murs,  dans  lesquels  la  chaux  était  remplacée  par  de  très 
beau  sable  rouge,  ils  avaient  0  m.  90  d'épaisseur.  De 
cette  église,  nous  n'avons  connu  que  le  transept  et  le 
bas  du  mur  sud  de  la  nef  et  du  mur  ouest  de  la  façade. 
Le  chœur  et  les  chapelles  qui  s'ouvraient  sur  le  tran- 
sept et  tout  le  mur  nord  de  la  nef,  ont  disparu  au  xme 
siècle.  Le  mur  sud  de  la  nef  et  la  façade  ouest  ont  été 
démolis  en  1843  seulement  pour  la  construction  de  la 
nef  et  des  bas-côtés  style  gîte.  La  démolition  de  toutes 
les  fondations  de  l'ancienne  église  en  1899  a  amené  la 
découverte:  1"  de  la  partie  inférieure  du  mur  de  la  façade 
ouest  ;  2°  des  fondations  du  chœur  ;  3°  des  fondations 
des  deux  chapelles  du  transept.  Le  chœur  avait  10  m.  50 
de  profondeur.  Il  ne  reposait  point  sur  une  crypte, 
comme  l'élévation  du  sanctuaire  l'aurait  fait  croire, 
mais  sur  plusieurs  murs  partant  des  différents  points  de 
l'abside  et  convergeant  vers  le  centre  de  cette  même 
abside  :  ce  qui  produisait  l'effet  d'une  moitié  de  roue. 
Au  xie  siècle,  et  pendant  toute  la  période  romane,  on 
pratiquait  très  souvent  une  crypte  sous  le  chœur  :  cela 
donnait  au  sanctuaire  une  grande  élévation  relativement 
au  niveau  de  la  nef  :  à  Xoirmoutier  et  à  Vouvant,  par 
exemple.  Le  chœur  de  l'ancienne  église  de  Challans,  que 
nous  avons  connu  de  même  niveau  que  la  nef,  avait  été, 
en  réalité,  exhaussé  d'une  manière  sensible,  et  pour 
preuve  :  le  dallage  de  la  nef  du  xie  siècle  a  été  découvert 
à  près  d'un  mètre  cinquante  au-dessous  du  dallage  que 
nous  avons  foulé.  D'autre  part,  nous  avons  constaté 
que  le  niveau  du  chœur  a  toujours  été  le  même.  Il  en 


3S3 


résulte  donc  qu'au  xie  siècle,  le  chœur  était  au  moins  à 
1  m.  30  ou  1  m.  40  au-dessus  du  niveau  de  la  nef.  Cette 
élévation  excessive  du  sanctuaire  par  rapport  au  reste 
de  l'église  a  été  maintenue  fort  longtemps  dans  notre 
vieille  église,  malgré  les  modifications  des  siècles  ;  ce  n'est 
qu'au  milieu  du  xixe,  après  la  reconstruction  de  la  nef, 
que  le  sol  de  l'église  fut  exhaussé  et  mis,  à  tort,  au  niveau 
du  sanctuaire.  Les  personnes  âgées  se  rappellent  très 
bien  l'élévation  du  chœur,  laquelle,  paraît-il,  n'était  pas 
faite  pour  nuire  à  l'effet  général  du  monument. 

Cette  élévation  du  sanctuaire  nous  avait  fait  émettre 
l'hypothèse  d'une  crypte  sous  le  chœur.  La  découverte 
des  murs  dont  nous  avons  parlé,  en  détruisant  notre 
hypothèse,  a  montré  que  l'architecte  avait  tenu  à  faire 
son  édifice  selon  toutes  les  règles  de  l'époque  et  cela 
scrupuleusement,  puisque,  ne  pouvant  établir  une  crypte 
il  en  avait  au  moins  simulé  l'existence. 

La  nef  du  xie  siècle,  longue  de  18  m.  38,  était  divisée 
en  4  travées.  La  première,  à  partir  du  transept  avait 
très  exactement  7  m.  sur  7  m.  Elle  était  de  beaucoup 
plus  large  que  les  trois  autres:  celles-ci, toutes  de  mêmes 
dimensions  -  -  3  m.  50  sur  7  m.  Le  mur  sud  de  la  n?î, 
conservé  en  entier  jusqu'en  1843  et  dont  la  base  a  été 
retrouvée  dans  les  fouilles  de  1897-1898  et  dans  la  démo- 
lition en  1899,  avait  encore  ses  pilastres  intacts  ,  ce  qui 
nous  a  permis  de  reconstituer  les  travées. 

Nous  avons  dit  que  la  première  travée  était  d'une 
superficie  supérieure  à  celle  de  chacune  des  trois  autres. 
Cette  anomalie  n'aurait  point  sa  raison  d'être  si  la  porte 
principale  n'avait  été  faite  précisément  dans  cette  tra- 
vée. Au  moyen-âge,  on  plaçait  rentrée  la  plus  impor- 
tante là  où  elle  était  nécessaire  ;  d'où  il  arrivait  quelque- 
fois qu'au  bas  de  l'église,  à  l'ouest,  il  n'y  avait  qu'une 
porte  ordinaire,  tandis  qu'au  nord  ou  au  midi,  près  du 
transept,  ou  au  milieu  ou  au  bas  de  la  nef,  sur  un  côté, 
s'ouvrait  un  portail  de  proportions  plus  grandes.  Ainsi 
à  Sallertaine,  c'est  à  l'est  ou  midi  que  devait  être  l'en- 

Soc.  Arcbéol.  Nantes.  26 


—  384  -i 

trée  principale,  le  bourg  se  trouvant  à  l'est  et  au  midi. 
Mais  à  l'est  la  chose  est  impossible,  le  chœur  étant  à 
l'orient.  C'est  alors  au  midi  que  L'architecte  établit  la 
porte  principale.  A  l'ouest,  il  n'avait  pratiqué  qu'une 
petite  porte  qu'un  curé  fit  élargir  au  commencement  du 
xixe  siècle.  A  Beauvoir-sur-Mer,  même  remarque.  L'en- 
trée de  l'église  s'imposait  au  nord  et  dans  le  milieu  de  la 
nef.  La  grande  porte  de  l'église  de  Beauvoir  est,  en  effet, 
au  nord  et  s'ouvre  sur  le  milieu  de  la  nef.  A  l'ouest,  il 
y  a  juste  une  petite  porte.  A  Vouvant,  c'est  dans  un  tran- 
sept que  l'architecte  a  du  établir  l'entrée  importante. 
On  pourrait  multiplier  les  exemples.  Nous  pensons  donc 
qu'à  l'église  de  Challans,  du  xie  siècle,  la  première  travée 
de  la  nef  n'avait  ces  grandes  dimensions  que  pour  y 
faciliter  l'établissement  d'un  grand  portail,  celui-ci  était 
évidemment  au  nord  puisque  le  mur  du  midi,  en  cette 
même  travée,  n'avait  été  percé  que  d'une  fenêtre.  Tous 
les  vieillards  nous  l'ont  attesté  et  nous-même,  en  exami- 
nant la  partie  inférieure  du  mur  sud,  nous  avons  constaté 
qu'aucune  porte  n'y  avait  été  pratiquée.  Le  mur  nord 
de  la  nef  a  disparu  dès  le  xme  siècle.  Nous  n'avons  donc 
pu  avoir  la  preuve  matérielle  que  la  porte  principale  s'y 
trouvait.  Mais,  toutes  les  maisons  de  Challans  étant  au 
nord,  et  le  midi  n'étant  point  habité,  l'entrée  importante 
ne  pouvait  être  de  ce  dernier  côté.  Elle  ne  pouvait  pas 
davantage  être  à  l'ouest,  parce  qu'à  cette  époque  le  cime- 
tière occupait  tout  l'espace  situé  entre  l'église  ancienne 
et  le  milieu  de  la  nef  de  l'église  neuve.  La  route  de  Saint  - 
Jean-de-Monts  n'existait  pas  et  la  rue  dite  delà  Basfriè, 
qui  actuellement  conduit  de  la  grand'rue  à  la  nouvelle 
église,  s'arrêtait  au  cimetière. 

L'entrée  principale  n'étant  ni  au  sud,  ni  à  l'ouest, 
devait  forcément  se  trouver  au  nord.  -  -  Nous  ne  parlons 
point  de  l'orient,  attendu  que  le  chœur  occupait  cette 
partie  de    l'édifice.  Disons   en    passant,    que  l'uti- 

lité d'une  porte,  dans  cette  partie  de  l'église,  se  fit  sentir 
après  la  disparition  de  la  nef  romane  et  la  construction 


—  385  — 

des  nefs  du  xme  siècle,  puisqu'à  cette  époque,  clans  le 
pignon  nord  du  transept,  on  pratiqua  une  petite  porte 
dont  les  traces  ont  subsisté  jusqu'à  la  fin  du  xixe.  Cette 
ouverture,  établie  à  quelques  pas  du  portail  disparu,  le 
remplaçait  avantageusement  et  permettait  d'arriver  à 
l'église  sans  passer  par  la  grande  porte  nouvelle  qui, 
cette  fois,  avait  été  faite  à  l'occident. 

III.    Extérieur    du    transept .  Le   transept    et    le 

clocher  qui  le  surmontait  sont  parvenus  jusqu'à  nous 

Ancienne  Eglise   de   Challans 


^<K 


Façade  du  Transept  Nord. 


Façade  du  Transept  Sud. 


sans  trop  de  modifications.  Les  murs,  formés  de 
moellons  irrégulièrement  disposés  étaient  d'une  grande 
solidité,  quoique  les  pierres  ne  fussent  unies  entre  elles 
que  par  du  sable.  Les  ouvertures,  les  pilastres  et  les 
contreforts  étaient  en  pierre  de  Sallertaine,  très  réguliè- 
rement appareillés. 

Extérieurement,  on  n'apercevait  plus  que  le  clocher, 
les  murs  nord  et  sud  et  une  petite  partie  du  mur  est  du 
transept.  Le  mur  nord  avait  subi  au  xme  ou  au  xvie  siè- 
cle quelques  retouches,  ce  qui  lui  avait  valu  d'être 
entièrement  crépi  et  non  sans  art.  Le  mur  du  midi  avait 
été  crépi  lui  aussi,  mais  au  xvme  siècle.  Par  suite  de  la 


—  386  — 

construction  de  grandes  chapelles  au  xme  siècle,  et  de 
trois  nefs  en  1843,  les  murs  est  et  ouest  avaient  été 
pïesqu' entièrement  cachés.  Ce  que  l'on  en  voyait  à  l'est 
avait  été  crépi  au  xvme  siècle  (1).  Les  corniches,  s'il  y 
en  avait  eu,  n'existaient  plus,  et  la  toiture  recouverte 
avec  des  ardoises  reposait  directement  sur  le  mur.  La 
charpente  remontait-elle  au  xie  siècle?  L'église,  à  cette 
date,  était-elle  couverte  avec  des  tuiles  ou  avec  des 
ardoises  comme  de  nos  jours?  Nous  n'en  savons  rien. 

Au  xme  ou  au  xvie  siècle  -  -  il  est  impossible  de  préci- 
ser —  on  avait  établi  une  grande  fenêtre  à  arc  brisé, 
dans  chaque  pignon  du  transept.  Ces  fenêtres  étaient 
fermées  par  de  vulgaires  croisées  en  bois.  Nous  pensons 
que  dans  le  principe  elles  étaient  ornées  de  meneaux  qui 
auraient  disparus  lors  du  pillage  de  L'église  par  les  pro- 
testants. 

Nous  avons  déjà  dit  que  le  pignon  du  transept  nord 
avait  été  retouché  au  xme  ou  au  xvie  siècle.  Le  contre- 
fort, ou  pour  parler  avec  une  plus  grande  exactitude,  les 
contreforts  du  nord-est  (l'un  se  dirigeant  vers  le  nord, 
l'autre  vers  l'est)  sont  les  seuls  qui  nous  soient  parvenus 
du  xie  siècle.  Les  grandes  dimensions  de  leurs  pierres, 
parfaitement  disposées  en  assises  régulières,  les  rendaient 
très  remarquables.  L'autre  contrefort,  de  forme  carrée,  et 
composé  mi-partie  de  pierres  appareillées  et  mi-partie  de 
moellons  irréguliers,  datait  probablement  du  xve  ou  du 
xvie  siècle.  Ce  contrefort,  en  effet,  était  à  l'angle  formé 
par  les  murs  nord  et  ouest  du  transept.  M.  Camille 
Knlart,  dans  son  Manuel  d'Archéologie  Française  (2), 
parle  de  ce  genre  de  contrefort  dont  il  donne  une  figure 
avec  ce  titre:  «  Contrefort  normal  à  un  angle  ».  Le  savant 
directeur  du  Musée  de  sculpture  comparée  dit  que  cette 

(1)  ><  J'ay  fait  enduire  e1  batre  de  chaux  tout  l'extérieur,  et  du 
clocher  de  cette  églize.  1a-  tout  en  17(57.  »  Compte  d'un  «  Fabri- 
queur  ».  Le  mur  nord  du  transept  seul  n'a  pas  été  récrépi  à  cette 
date. 

(2)  Tome  1,  p.  520  et  521. 


—  387  — 

variété  de  contrefort  n'est  pas  antérieure  à  la  fin  du 
xive  siècle.  Les  deux  contreforts  du  pignon  sud  étaienl 
de  même  forme,  mais  tout  en  appareil  régulier.  Nous 
pensons  que  primitivement,  chaque  angle  du  transept 
avait  des  contreforts  dans  le  genre  de  ceux  du  nord-est 
et  que  vers  le  xve  siècle,  on  aurait  fait  des  contreforts 
moins  compliqués  avec  les  beaux  matériaux  des  contre- 
forts romans,  et  que  le  surplus  de  leurs  pierres  qui  devait 
être  assez  considérable  a  été  utilisé  pour  une  construc- 
tion quelconque.  Quand  on  pense  aux  multiples  expé- 
dients dont  se  servaient  les  architectes  ruraux,  rien 
n'étonne,  tout  est  vraisemblable  ;  et  l'on  saisit  sans  diffi- 
culté l'esprit  d'économie  qui  présidait,  souvent  par 
force,  aux  travaux  exécutés  dans  les  églises  de  campagne. 

Sur  le  pignon  nord,  un  crépi  très  soigné  avait  été  appli- 
qué au  xme  ou  au  xvie  siècle.  On  y  avait  simulé  un  bel 
appareil  régulier.  La  solidité  de  ce  travail  était  surpre- 
nante, car,  malgré  les  années  et  le  vandalisme,  il  s'était 
conservé  presque  intact. 

C'est  au  xme  siècle  que  fut  pratiquée,  dans  ce  même 
pignon  et  près  du  contrefort  nord-ouest,  la  petite  porte 
dont  nous  avons  parlé  plus  haut.  Elle  était  en  arc  brisé 
et  avait  environ  1  mètre  de  largeur.  Nous  ignorons  à 
quelle  époque  elle  fut  murée. 

Dans  la  partie  supérieure  du  pignon  septentrional, 
un  peu  au-dessus  de  la  fenêtre,  on  voyait  la  trace  d'un 
mur  qui  venait  se  souder  là.  Evidemment  c'était  un 
vestige  de  contrefort.  Dans  beaucoup  d'églises  romanes 
du  Poitou,  nous  avons  remarqué  que  les  pignons  des 
transepts  étaient  soutenus  par  trois  contreforts  :  l'un 
au  centre  et  les  autres  à  chaque  extrémité.  Ainsi,  à  Saint- 
Hilaire  de  Poitiers,  à  Jarzeneuil  (Vienne).  A  l'église  de 
Beauvoir-sur-Mer  (Vendée),  il  y  a  encore  un  contrefort 
au  milieu  du  pignon  de  chaque  transept. 

Au  milieu  du  pignon  méridional,  une  porte  fut  ouverte 
en  1785.  La  voûte  de  cette  porte,  du  genre  dit  «  anglais  » 
était  très  estimée  des  connaisseurs.  A  l'extérieur,  la  clef 


388 


de  l'arc  était  ornée  d'un  blason,  forme  française,  portant 
la  date  de  178,").  La  grande  porte  de  l'église  de  Saint- 
Urbain  (Vendée)  qui  est  contemporaine,  n'est  que  la 
reproduction  en  plus  grand. 

Le  clocher,  établi  sur  le  milieu  du  transept,  nous  était 
resté  probablement  tel  qu'il  avait  été  édifié.  La  toiture 
en  pyramide,  couverte  d'ardoises,  qui  le  couvrait,  était- 
elle  du  xiu  siècle?  Il  est  difficile  de  se  prononcer  sur  cette 
question.   Deux   églises   romanes   voisines,    Challans   et 


Clocher  de  l'Eglise  du  XIe  siècle,  dit  «  Vieux  Clocher  », 
démoli  en   1899-1900 


Sallertaine  avaient  sur  leur  clocher  des  toitures  affectant 
incontestablement  la  forme  de  «  flèches  ».  On  peut  s'en 
convaincre  en  voyant  celui  de  Sallertaine  encore  existant. 
Le  clocher  de  Beauvoir-su r-Mer,  couvert  d'une  vraie 
pyramide  en  bois  et  en  ardoises  tient-il  cette  couverture 
du  xiie  siècle?  Nous  n'en  avons  aucune  preuve.  Le  vieux 
clocher  de  l'église  paroissiale  de  Maillezais,  contemporain 
de  celui  de  Challans,  est  couvert  d'une  toiture  peu  élevée 
en  tuiles.  Le  clocher  de  Challans,  primitivement,  pouvait 
aussi  n'avoir  qu'une  toiture  en  tuiles.  Il  aurait  alors  reçu 
sa  flèche  en  ardoises   au    xvie   siècle.    Quelques   arcliéo- 


—  389  - 

logues  croient  en  effet  que  les  toitures  plates  des  clochers 
furent,  en  beaucoup  d'églises,  remplacées  par  des  pyra- 
mides plus  ou  moins  élevées  et  plus  ou  moins  élégantes; 
faites  de  bois  et  recouvertes  d'ardoises.  Ils  placent  cette 
innovation  au  xvie  siècle.  Pour  nous,  cette  question  est 
intimement  liée  à  celle  de  la  substitution  des  ardoises 
aux  tuiles  dans  l'architecture  religieuse  et  civile  du  Bas- 
Poitou  et,  tant  qu'elle  n'aura  pas  été  étudiée  sérieuse- 
ment, il  sera  le  plus  souvent  impossible  de  préciser  la 
date  des  flèches  en  bois  et  en  ardoises  qui  recouvrent  en 
nos  pays  quantité  de  clochers  romans. 

Des  contreforts  peu  saillants  étayaient  le  vieux  clocher 
de  Challans  jusqu'à  la  moitié  de  sa  hauteur  au-dessus  de 
la  toiture  du  transept  et  du  chœur.  Deux  petites  fenêtres, 
sans  aucun  ornement,  avaient  été  pratiquées  sur  chaque 
face.  Les  murs  étaient  crépis  (1).  Du  côté  nord,  on  voyait 
encore  les  clous  qui  retenaient,  avant  1863,  le  cadran  de 
l'horloge  (2).  On  accédait  au  clocher  par  un  escalier 
à  vis,  installé  dans  une  tourelle,  à  l'angle  formé  par  le 
mur  sud  de  la  nef  et  le  mur  ouest  du  transept,  et  au 
sommet  de  l'escalier  on  passait  sur  ce  dernier  mur  et 
on  pénétrait  dans  le  beffroi  par  une  porte  carrée  ouverte 
dans  le  mur  sud  du  clocher,  porte  que  l'on  apercevait 
très  bien  des  prairies  de  la  route  de  Soullans.  Nous 
croyons     que    cette   installation    avait    quelque    chose 


(1)  Ils  l'avaient  été  en  1767.  Voir  note  1,  p.  23. 

(2)  Les  archives  de  la  fabrique  parlent  plusieurs  fois  de  l'hor- 
loge   : 

«  Et  pour  Mon  sixe  et  dernier  compte...  fait  détourner  les 
poids  de  L'horloge,  Et  fait  faire  La  petite  balustrade  pour  Les 
Recevoir...  le  Tout  eh  1776.  »  Compte  d'un  «  Fabriqueur.  » 

«  Marché   d'une   nouvelle   horloge.    —    Dans   l'assemblée   du 
22   décembre   1783.   ayant  considéré   que  l'orloge  de  cette  églize 
est  uzée  par  vétusté  et  hors  d'état  de  pouvoir  servir  à  l'avenir...  » 
Cartulaire  de  N.-D.  de  Challans,  p.  154. 

«  Le  22  décembre  1783,  Le  s.  François  Laidet,  horloger  En  ce 
bourg  de  Challans,  a  placé  à  notre  Eglize  une  horloge  dans  un 
Nouveau  Goût,  sonnant  la  demie  heure,  qu'il  a  fait  lui-même 
dont  les  Roues  sont  de  cuivre,  pour  la  somme  de  500  livres  pareille 
à  celle  qu'il  a  fait  et  placé  depuis  un  an  à  l'F.glize  de  Sallertaine.  » 

Note  des  Archives, 


390 


d'analogue  à  celle  des  clochers  de  Beauvoir-sur-Mer 
et  de  Sallertaine.  La  porte  du  bas  de  l'escalier 
a  été  retrouvée  eu  1897-1898.  Les  premières  marches 
étaient  pleines  de  pierres  et  de  terre.  Quant  à  la  tourelle 
renfermant  l'escalier,  elle  a  disparu  en  1843;  lors  de  la 
construction  des  nefs  de  style  grec.  A  partir  de  cette 
époque,  pour  arriver  au  clocher,  il  fallait  s'y  rendre  par 
les  voûtes  du  chœur,  au  moyen  de  passerelles  fort  dange- 
reuses. Au  milieu  du  xixc  siècle  ce  clocher  fut  privé  de 
ses  cloches.  M.  l'abbé  Amiaud  venait  en  effet  d'achever 
le  clocher  actuel,  la  seule  partie  qui  nous  soit  restée  de 
notre  antique,  et  chère  église.  Vn  jour  de  la  fin  de  l'année 
1867  le  vieux  beffroi  qui,  depuis  huit  siècles,  annonçait 
les  joies  et  les  deuils  de  la  France  et  de  la  paroisse  (et 
avait  tant  de  fois  appelés  nos  pères  à  venir  adorer  Dieu 
dans  son  temple),  devint  muet  pour  toujours.  C'était, 
hélas  !  le  présage  d'un  malheur  plus  grand.  Tandis  que 
finissait  le  siècle  de  Chateaubriant,  d'Arcisse  de  Caumont 
et  de  Viollet-le-Duc,des  Vandales, innocents, parce  qu'in- 
conscients et  ignorants,  détruisaient  le  vieux  clocher  qui, 
le  14  avril  1622,  avait  annoncé  au  Roi  Louis  XIII  l'ap- 
proche «  du  bourg  de  Challans  ».  (1)    • 

IV.  Intérieur  du  transept.  L'intérieur  du  transept 
de  la  vieille  église  de  Challans  offrait,  depuis  quelques 
années,  un  aspect  des  plus  tristes.  LTn  maçon  avait 
couvert  les  murs  d'une  sorte  d'épais  crépi  ondulé, 
blanchi  tous  les  dix  ans  et  qui,  dans  ce  laps  de 
temps,  devenait  fort  sale  par  la  poussière  qui  s'y 
accumulait.  Primitivement,  les  murs  étaient-ils  peints? 
Nous  le  croyons,  mais  ces  peintures  devaient  être 
très  simples  de  dessin  et  peu  variées  de  couleurs  ; 
peut-être     même     se    réduire    à    un    appareil   simulé. 

(1)  La  démolition  du  vieux  clocher  de  l'ancienne  église  est 
d'autant  plus  regrettable  que  ce  monument  :  le  plus  ancien  du 
Marais  (y  compris  le  transept  qui  le  supportait),  était  devenu 
précieux  par  son  genre  primitif.  Celui  de  Maillezais  ne  subira  pas 
le  même  sort.  Dieu  merci  ! 


—  391   — 

Au  xme  siècle,  le  chœur  ayant  été  reconstruit  on 
le  décora  de  belles  fresques  et  d'un  appareil  régulier 
à  lignes -roses  sur  fond  blanc.  Il  est  absolument  impos- 
sible de  savoir  si,  à  cette  époque,  le  transept  reçut  des 
embellissements  de  ce  genre.  Ce  qui  est  hors  de  doute, 
c'est  qu'à  une  époque  ou  à  une  autre,  il  fut  peint.  Sur  un 
chapiteau  de  ce  même  transept  nous  avons  trouvé  des 
traces  de  peintures  jaune,  rouge  et  noire  ;  mais  l'état 
dans  lequel  nous  les  avons  découvertes,  sous  d'incalcu- 
lables couches  de  chaux,  ne  nous  a  pas  permis  de  leur 


donner  une  date.  Voici  une  reproduction  de  ces  traces 
de  peinture  d'un  dessin  peu  compliqué.  Le  fond  était 
d'un  très  beau  jaune  foncé  recouvert  d'un  treillis  rouge 
foncé  et  de  quelques  restes  de  peinture  noire  :  lignes  ou 
ornements,  il  a  été  impossible  de  préciser.  Le  dallage 
du  xie  siècle  a  été  retrouvé  à  1  m.  50  sous  le  pavé  que 
nous  avons  connu.  Il  reposait  «  sur  un  lit  d'une  espèce 
de  terre  glaise  qui  est  très  commune  dans  le  pays.  »  (1) 
Le  transept  était  divisé  en  trois  parties  :  1°  la  travée 
centrale  sous  le  clocher  entre  le  chœur  et  la  nef  ;  2°  une 
partie  à  droite  (2)  divisée  en  deux  travées  et  que  nous 

(1)  V.    Etoile  de  la    Vendée,  octobre   et  novembre   1897.   Pour 
plus  d'explications,  voir  p.  406. 

(2)  Lorsque  en  décrivant  une  église  nous  parlons  de  droite  H 


—  392  — 

appellerons  transept  nord  :  3°  une  partie  à  gauche  éga- 
lement divisée,  en  deux  travées  et  que  nous  nommerons 
transept  sud.  Le  plan  ci-joint  donne  la  disposition  des 
deux  transepts.  Les  Lettres  indiquent  l'emplacement 
des  pilastres  et  par  le  l'ait  même  des  chapiteaux  qui  les 
surmontaient.  Tous  ces  pilastres,  semi-circulaires  de  la 
base  au  sommet,  étaient  couronnés  par  des  chapiteaux 
dont  la  partie  inférieure,  semi-circulaire,  correspondait 
à  la  forme  des  pilastres  et  dont  le  tailloir  était  rectangu- 
laire. Vers  le  milieu  du  xixe  siècle,  pour  donner  plus  de 
place  aux  fidèles  (!)  on  coupa  presque  tous  les  pilastres 
sur  une  longueur  de  deux  mètres  à  partir  du  sol  actuel. 
Les  quatre  piles  du  milieu  du  transept,  supportant  le 
clocher,  avaient  été  fort  mutilées  à  cette  époque.  Ces 
opérations  étaient  très  malheureuses  ;  outre  qu'elles 
pouvaient  compromettre  la  solidité  de  l'édifice,  elles 
l'abîmaient   singulièrement. 

1°  Transept  sud.  Dans  le  transept  sud,  entre  le 
point  K  et  le  point  D,  était  une  arcade  sans  aucun  orne- 
ment, et,  donnant  primitivement  accès  dans  une  absi- 
diole  qui,  au  xme  siècle,  fut  remplacée  par  une  chapelle 
plus  grande.  La  lettre  N  indique  remplacement  d'une 
fenêtre  aveugle,  en  plein-cintre,  dépourvue  de  toute 
ornementation.  Cette  fenêtre  aveugle  était  du  xie  siècle. 
Nous  n'avons  pu  nous  rendre  compte  de  sa  destination. 
Peut-être  l' avait-on  faite  avec  l'intention  de  l'ouvrir 
plus  tard  (1)  ?.  Ajoutons  que  nous  n'avons  pas  trouvé 
trace  d'une  autre  fenêtre  romane  dans  le  transept.  Les 
fenêtres  pratiquées  au  xie  siècle  étaient  vraisemblable- 


de  gauche,  nous  entendons  ces  expressions  comme  on  les  entend 
dans  la  tangue  liturgique  de  l'église;  c'est-à-dire  que  la  position 
de  N.-S.  Jésus-Christ  sur  la  croix  <\u  tabernacle  indique  la  droite  et 
la  gauche  :  esl  à  .Imite,  ce  qui  es1  à  la  droite  de  la  croix;e1  à  gauche 
ce  qui  est  à  gauche.  Par  conséquent,  un  homme  placé  au  milieu 
de  l'église  et  regardant  la  croix  du  tabernacle,  doit  considérer 
comme  étant  à  droite,  ce  qui  est  à  sa  gauche  et  à  gauche  ce  qui  est 
à  sa  droite.  . 

(1)   L'examen    des    murs   nous    permet    d'affirmer    que   jamais 
cette  fenêtre  ne  fut  ouverte. 


PLAN 
du  Transept  de  l'Ancienne  Eglis  e 


liffi 


Pai  lies  du    XIe   s. 


■••'■y. 
fêîî&îî     Parties  du   XIIIe  s. 


Parties  du  XV  au  XVIe 


Parties   du    XVIIIe  s. 


A 

Chapi 

teau 

mutilé 

B 

» 

j> 

C 

» 

» 

D 

» 

conservé 

E 

» 

» 

F 

» 

» 

G 

» 

mutilé 

LÉGENDE 

H  Chapiteau  à  moitié  mutilé 

I    Entrée  du  "  Vieux  Clocher  " 

J    Chapiteau  conservé 

K   Cul-de-lampe  (XIes.) 
L         »  »  „ 

M    Chapiteau  du  XIe  s.,  transformé    au  J 
en  cul-de-lampe. 

N    Fenêtre  romane  aveugle 


:hallans,  XI4  Siècle 


0  P   Arcade  du   XI Ile  siec]e 
Q  Porte  de  1785 


R  Double  Piscine 


seul 
espace 


A  B  arcades 

D  F  / 

,'  supportant 
H  G  l  I  du  transept 

E  C        le  clocher         non  voûté 

K  J    Arc-doubleau  soutenant  la  voûte 


L  M    Arc-doubleau    soutenant    la 
voûte 

S      Escalier    du    clocher    (détruit 
en  1843) 


T  U 
X  Y 


Arcades   du    XIe   s. 

faisant     communicpier 

le  transept  avec  les  chapelles 


393 


ment  dans  les  pignons  du  transept  comme  en  beaucoup 
d'églises.  Plus  tard,  elles  ont  été  remplacées  par  les 
grandes  fenêtres  ogivales  que  nous  avons  connues. 

L'arc-doubleau  KJ  qui  supportait  la  voûte  du  transept 
sud,  reposait  d'une  part  en  K,  sur  un  cul-de-lampe  de  la 
plus  grande  simplicité  et  dont  le  tailloir,  sans  moulure, 
était  à  angle  droit  ;  d'autre  part,  en  J,  sur  un  pilastre 
dont  le  chapiteau  mérite  d'être  étudié.  A  la  base,  un  tore 
grossier  retient  un  rang  de  feuilles  très  simples,  desquelles 
s'échappe  un  second  rang  de"feuilles.  Deux  volutes  sortant 
de  ce  dernier  rang,  ayant  à  leur  point  de  départ  un  motif 


CHAPITEAU  J 

carré  qui,  certainement,  était  autrefois  sculpté.  Chaque 
volute  se  déroulant  en  sens  opposé  revient  tomber  sur 
le  second  rang  de  feuilles  en  soutenant  le  tailloir  qui  se 
compose  d'une  série  de  petits  tailloirs  rectangulaires 
superposés  les  uns  aux  autres  et  allant  en  s'élargissant 
et  enfin  tous  surmontés  d'un  véritable  tailloir  très  épais. 
Entre  le  pilastre  J  et  le  pilastre  F  (qui  supportait  l'une 
des  quatre  arcades  du  clocher),  au  point  I,  se  trouvait 
l'entrée  de  l'escalier  à  vis  conduisant  au  vieux  clocher  (1). 

(1)  Nous  prévenons  le  lecteur,  une  fois  pour  toutes,  cpie  pour 
nous  conformer  aux  habitudes  de  langage  des  gens  de  Challans, 
nous  entendons  par  «  vieux  clocher  »  celui  édifie  sur  le  transept, 
au  xi,;  siècle,  et  que  nous  appelons  «  clocher  neuf  »  celui  de  la 
vieille  église  qui  fut  édifié  de  1862  à  1865.  Il  ne  viendra  à  l'esprit 
de  personne  de  penser,  dans-cette  étude,  au  clocher  de  la  nouvelle 
église,  attendu  que  non  seulement  il  n'est  point  fait,  mais  qu'il 
n'est  surtout  pas  prêt  d'être  commencé. 


—  394  — 

En  1843,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  dit,  l'escalier  fut 
détruil  et  la  porte  d'entrée  bouchée.  L'arcade  DF,  soîi- 
tenant  le  mur  sud  du  vieux  clocher  reposait  sur  deux 
pilastres  assez  détériorés,  mais  dont  les  chapiteaux 
étaient  dans  un  état  parfait  de  conservation,  malgré 
les  multiples  couches  de  chaux  qui  les  déshouoraient. 


CHAPITEAU    F 

Le  chapiteau  F  était  semblable  auT chapiteau  J,  ci- 
dessus  décrit.  Mais,  au  dessus  du  second  rang  de  feuilles, 
à  la  naissance  des  deux  volutes,  se  trouvait  une  tête  cou- 
ronnée. La  couronne  se  distinguait  bien,  mais  on  ne 
pouvait  préciser  la  nature  de  ses  ornements. 


CHAPITEAU   D,    dit   Chapiteau   d'Adam 


Le  chapiteau  D,  de  même  genre,  et  remarquablement 


—  395  — 

conservé,  se  composait  ainsi  :  Du  tore  inférieur  sortaient 
deux  rangs  de  feuilles  comme  dans  les  chapiteaux  précé- 
dents. Un  homme  nu,  qui  représentait  certainement 
Adam,  notre  premier  père,  se  tenait  debout  au  milieu 
les  pieds  posés  sur  le  tore  et  la  tête  touchant  le  tailloir. 
Il  étendait  les  bras  de  façon  à  ce  que  les  coudes  s'ap- 
puyassent sur  les  feuilles  du  rang  inférieur.  Dans  chaque 
main,  il  tenait  une  petite  tête,  et  derrière  ses  épaules, 
deux  volutes  se  déroulaient  en  sens  opposé.  Ces  volutes, 
après  avoir  soutenu  légèrement  le  tailloir,  retombaient 
sur  les  têtes  que  l'homme  tenait  en  ses  mains.  Plusieurs 
rangs  de  baguettes  surmontaient  le  tout  et  constituaient 
le  tailloir.  Comme  nous  le  verrons  plus  loin,  seul  le  tran- 
sept sud  avait  conservé  des  chapiteaux  de  ce  genre. 
Nous  savons  qu'aux  xie  et  xiie  siècles,  on  sculpta  de 
remarquables  chapiteaux  dits  «  Historiés  »  ou  encore 
«  à  personnages  a  parce  qu'ils  étaient  couverts  de  «  figures 
en  bas-reliefs  représentant  des  scènes  très  variées,  tirées 
de  la  Bible  ou  de  la  Vie  des  Saints.  »  (1)  Les  églises  du 
Poitou,  construites  au  xie  et  au  xne  siècles  sont  très 
riches  en  chapiteaux  de  ce  genre. 

De  l'étude  des  trois  chapiteaux  du  transept  sud  il 
ressort  :  1°  qu'ils  sont  tous  inspirés  d'un  même  type  ; 
2°  que  ce  type  est  le  chapiteau  corinthien.  Certes,  et 
nous  le  reconnaissons  sans  difficulté,  il  y  a  très  loin  des 
chapiteaux  du  transept  de  Challans  aux  chapiteaux  de 
la  «  Maison  Carrée  a  de  Nîmes  ;  cependant,  l'influence  de 
ceux-ci  sur  ceux-là  est  manifeste.  En  parlant  des  caté- 
gories que  l'on  peut  établir  dans  les  chapiteaux  romans 
sculptés,  M.  Camille  Enlard  dit  avec  raison  :  «  Le  plus 
grand  nombre  procède  de  l'imitation  de  l'art  gallo- 
romain  ;  parmi  ceux-ci,  il  faut  distinguer  les  imitations 
du    chapiteau    corinthien...    L'imitation    du    corinthien 

(1)  Bourassé.  —  Archéologie  chrétienne,  9e  édit.,  p.  162.  «  Les 
chapiteaux  à  personnages  et  les  chapiteaux  historiés,  dit  M. 
Camille  Enlart,  sont  une  des  particularités  les  plus  remarquables 
de  l'art  roman.  »  Op.  cit.,  p.  383. 


-  396  — 

est  fréquente  partout,  principalement  au  sud  de  la  Loire  ; 
elle  est  faite  soit  d'après  le  modèle  classique,  soit  d'après 
des  types  de  basse  époque  déjà  empreints  de  beaucoup 
de  fantaisie  ;  en  outre,  elle  peut  être  elle-même  plus  ou 
moins  libre.  (Au  xie  siècle)  la  reproduction  est   parfois 
presque  tout  à  fait  exacte...  Les  sculpteurs  de  l'Ecole 
Auvergnate  et  du  Poitou  imitent  assez  volontiers  et  très 
fidèlement  le  même  type  (corinthien),  mais  avec  plus  de 
lourdeur  et  de  mollesse.  »  (1)  C'est  le  cas  de  nos  sculptures. 
On  peut    dire    qu'elles  n'ont  du   chapiteau  corinthien 
que  la  caractéristique,  les  feuilles  dans  le    bas    et   les 
volutes  dans  le  haut  ;  ce  qui,  à  la  vérité,  est  plus  que  suffi- 
sant pour  trahir  le  modèle.  Les  sculpteurs  de  l'ancienne 
église  de  Challans  n'ont  peut-être  pas  eu  long  chemin  à 
faire  pour  trouver  un  chapiteau  corinthien  à  reproduire, 
car,  en  1800,  à  Pont-I  labert,  à  deux  kilomètres  à  l'ouest 
de  Challans,  on  en  a  découvert  un  très  beau  que  M.  Louis 
Brochet  a  signalé  au  Congrès  archéologique  de  France, 
tenu  à  Poitiers  en  1903  (2). 

La  partie  sud  du  transept,  modifiée  aux  xme-xvie 
siècles  et  en  17<Sô,  l'avait  encore  été  au  xixe  par  l'installa- 
tion d'un  confessionnal  devant  la  porte  de  1785,  de 
laquelle  il  était  séparé  par  une  sorte  de  petit  vestibule 
en  bois,  vulgairement  appelé  «  tambour  ».  Près  de  là,  sur 
le  mur  Est,  une  armoire  malpropre  et  moderne  renfermait 
la  bannière  paroissiale.  Elles  sont  hélas  nombreuses  les 
églises  qui  sont  dotées,  dans  leurs  parties  parfois  les 
plus  apparentes,  de  ces  boîtes  hideuses  suspendues  au 
milieu  du  mur  et  desquelles  pend  un  long  bâton  rouge 
ou    d'une    autre   couleur. 

2°  Sous  le  clocher.  -  -  Avant  1843,  au  témoignage  des 
anciens,  la  chaire  placée  sous  le  clocher  était  adossée  à 
l'angle  sud-ouest.  -  -  Il  s'agit  de  la  chaire  que  nous  avons 
connue  dans  la  grande  nef.  ■ —  Les  fouilles  de   1897-98 

(1)  Op.  cit.,  p.  377  et  suiv. 

(2)  Congrès  archcol.  de  France.   Poitiers,  190-1,  p.  IN'-!. 


—  397  — 

ont  amené  à  cet  endroit  la  découverte  d'un  escalier  en 
tuf f eau  et  d'une  colonne  polygonale  très  courte.  A  notre 
humble  avis,  cette  colonne  et  cet  escalier  appartenaient 
à  une  ancienne  chaire. 

Notons  aussi  que  Messire  Vincent  Regnaudineau, 
curé  de  Challans  de  1598  à  1621,  par  son  testament  du 
9  décembre  1621  (1),  demanda  à  être  inhumé  sous  le  clo- 
cher :  «  Mon  dit  décès  advenu,  veux  et  entends  mon  corps 
être  ensépulturé  et  inhumé,  bien  et  duement,  selon  que 
mon  ordre  le  requiert,  dans  l'église  de  Challans,  au- 
dessous  de  la  Passion,  vis-à-vis  l'entrée  du  chœur  de  la 
dite  église.  »  Il  ressort  de  ce  passage  du  testament  de 
Vincent  Regnaudineau,  qu'en  cet  endroit  du  transept 
existait  une  représentation  de  la  Passion.  C'était  sans 
doute,  comme  aujourd'hui,  un  grand  crucifix,  d'où  l'on 
voit  que  l'usage  de  placer  une  croix  en  face  de  la  chaire 
n'est  pas  nouveau.  Nous  disons  :  «  en  face  »,  mais  nous  ne 
prétendons  pas  que  ce  crucifix  était,  comme  de  nos  jours, 
juste  vis-à-vis  de  la  chaire.  Au  moyen-âge,  «  la  Passion  », 
pour  nous  servir  du  terme  consacré,  était,  au  contraire, 
très  souvent  placé,  dans  les  grandes  églises  sur  le  jubé, 
et  dans  les  églises  rurales  sur  une  poutre  allant  d'un  mur 
à  l'autre  appelée  tref  (2).  Dans  un  testament  du  14  sep- 
tembre 1546,  il  est  fait  mention  de  la  Passion  de  notre 
ancienne  église  :  o  In  nomine  Patris  et  Filii  et  Spiritus 
Sancti.   Amen.   Je,   Jehan  Rondeau,   prêtre  demeurant 


(1)  Abbé  Teillet.  Noies  cl  Documents  sur  l'Eglise  Paroissiale 
de  Challans,  1891,  p.  15. 

(2)  «  La  liturgie,  dit  M.  Camille  Enlart,  voulait  qu'une  poutre 
appelée  tref,  ou  poutre  triomphale  (Irabes  doxalis  ou  encore 
pergula),  fut  jetée  d'une  imposte  à  l'autre  de  l'arc  triomphale 
(arcade  de  l'entrée  du  chœur)  pour  mieux  indiquer  la  limite  du 
sanctuaire  ;  sur  celte  poutre,  on  dressait  la  croix  qui  s'encadrait 
dans  l'arcade  ;  à  droite  et  à  gauche  on  posait  des  flambeaux  ou 
des  reliquaires  ;  enfin  des  lampes  étaient  suspendues  au  tref...  Le 
tref  était  en  usage  dès  le  ve  siècle  (op.  cit.,  p.  141).  Le  tref  s'est 
conservé  dans  les  églises  du  moyen-âge  ;  il  a  été  en  usage  jusqu'au 
xvne  siècle,  et  c'est  de  nos  jours  qu'on  l'a  supprimé  presque  par- 
tout... ;  diverses  églises,  surtout  rurales,  ont  encore  leur  tref 
portant  le  crucifix,  la  Vierge  cl  Saint-Jean.  »  (Op.  cit.,  752). 


—  398  — 

es  maisons  rectorialle  de  Challans,  sain  d'esprit  et  d'en- 
tendement... item,  je  veux  et  ordonne  que  mes  héritiers 
entretiennent  à  perpétuité  audevant  la  Représentation 
de  la  mort  et  passion  de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  en 
laditte  église  de  Challans,  un  cierge  de  cire  qui  depresent 
y  est  ;  la  dotation  et  fondation  dudit  cierge,  je  constitue 
el  assigne  universellement  sur  tous  mes  biens  quelcon- 
ques, par  spécialement  sur  une  charuye  de  terre  étant 
es  Minées  près  le  bourg  de  Challans...  »  (1) 

En  1816,  après  L'achèvement  de  la  grande  nef,  la 
chaire  et  la  «  représentation  de  la  Passion  »,  y  furent 
transportées.  A  l'angle  sud-est,  entre  les  points  B  et  D,  se 
trouvait  un  trône  en  bois,  sculpté  par  M.  Ludovic  Bore 
(  +  1891),  menuisier  à  Challans.  C'est  une  œuvre  simple, 
mais  de  bon  goût,  dans  le  style  ogival  du  xme  siècle. 
Ce  monument  qui  renferme  une  copie  du  tableau  de 
N.-D.  du  Perpétuel  Secours  (2),  avait  été  placé  à  cet 
endroit,  le  15  août  1892,  en  souvenir  d'une  mission 
prêchée  en  février  de  la  même  année,  par  les  RR.  PP. 
Rédemptoristes.  Au  mois  d'août  1897,  il  fut  transporté 
dans  le  transept  de  l'église  neuve  où  il  est  encore. 

Au-dessus  du  trône  de  N.-D.  du  Perpétuel  Secours,  on 
voyait  un  chapiteau  mutilé, supportant  au  sud  l'arcade  AB. 
De  toutes  les  sculptures,  il  ne  restait  qu'une  volute  : 
évidemment  ce  chapiteau  ressemblait  à  ceux  ci-dessus 
décrits.  Le  chapiteau  H,  soutenant  au  midi  l'arcade  GH, 
ne  nous  était  parvenu  malheureusement  que  bien  incom- 
plet. Il  se  composait  d'un  sujet  principal,  placé  entre  des 
feuilles  disposées  trois  à  droite  et  peut  être  trois  à  gauche, 
dont  il  était  difficile  de  déterminer  le  genre.  Le  sujet  prin- 
cipal, très  mutilé,  avait  une  sorte  de  soleil  en  partie 
détruit.  On  reconnaissait  encore  dans  ce  chapiteau  des 
traces  de  volutes  et  de  tailloir  que  nous  avons  décrits 
plus  haut. 

(1)  Abbé  Teillet.  Cartulaire,  p.  76. 

(2)  Conservé  à  Rome. 


—  399 


AlU 


o 


f 


Mi 


UJ 

< 
ui 
H 

û. 

X 
U 


<- 


0!$!»      ■  •  * "• 


-> 


Soc.   Archéol.,  Nantes. 


—  400  — 

Les  chapiteaux  G  et  A  étaient  réduits  à  leur  plus  sim- 
ple expression  de  même  que  le  chapiteau  C. 

De   ce   dernier,    on  voyait   encore   le   tore   circulaire 
inférieur  et  le  tailloir  carré. 

3°  Transept  Nord.   —   Le   chapiteau   E,   supportant 
l'arcade  CE,  et  sur  lequel  nous  avon<  découvert  des  traces 
de  peintures  précédemment  signalées,  était  à  notre  avis 
d'un  travail  tout  différent.   Le  tailloir  était  à  angles 
droits,  et  le  tore  inférieur  semi-circulaire  comme  dans  les 
autres  chapiteaux  ;  mais  le  sculpteur,  au  lieu  de  repré- 
senter  des   feuilles,    des    volutes    ou    des   personnages, 
s'était    contenté    de    représenter    d'énormes    câbles    ou 
cordes  tendues  le  long  du  chapiteau.  Nous  avons  dit  que 
le  tailloir  était  carré  et  le  tore  inférieur  semi-circulaire. 
Ajoutons  que  sur  ce  tore  semi-circulaire  la  partie  cubique 
du  chapiteau  formait  une  moitié  d'octogone.  Le  haut 
du  cube  s'unissait  normalement  au  tailloir  carré.  Nous 
donnons  ici  plusieurs  coupes  de  ce  chapiteau  intéressant. 
La  coupe  AB  permet  de  constater  que  le  tore  séparant  le 
chapiteau  du  pilastre  est  semi-circulaire  ;  la  coupe  CD 
nous   montre  le  chapiteau  au-dessus  du  tore:  au  lieu 
d'être  semi-circulaire,  comme  le  tore,  il  est  octogone. 
Voilà  ce  qui  est  anormal  et  constitue  une  particularité 
curieuse.  Quant  aux  torsades  représentant  très  exacte- 
ment de  grosses  cordes,  elles  ont  été  imaginées  avec  un 
goût  assez  heureux  pour  couvrir  les  angles  avant  tout. 
Le  triangle  qu'elles  forment  sur  la  face  est  non  moins 
bien  inspirée  pour  faire  oublier  les  deux  congés  triangu- 
laires des  angles.  Ceux  qui  voyaient  ce  chapiteau  dans 
l'ancienne   église  ne   s'apercevaient   point,   du   premier 
coup  d'œil,  de  ce  qu'il  avait  de  trop  dur  dans  la  forme  ; 
le  but  de  l'artiste  était  donc  atteint.  Dans  la  crypte  de 
Saint-Filbert  de  Noirmoutier,  on  voit  des  chapiteaux 
dont  le  cube   passe  du  cercle  au  carré.    Ils  sont  de  beau- 
coup inférieurs  à  celui  dont  nous  parlons. 

Ce  chapiteau  doit-il  être  attribué  au  xie  siècle  ou  à 
une  époque  antérieure?  Cette  question  nous  amène  à 


401 


étudier  la  date  des  chapiteaux  du  transept  qui  appar- 
tiennent à  deux  genres,  ainsi  qu'il  est  facile  de  le  consta- 
ter: le  genre  du  chapiteau  E,  le  plus  ancien,  et  le  genre  des 
chapiteaux  JFD,  du  transept  sud,  plus  récent.  Nous 
avons  consulté  à  ce  sujet  un  archéologue,  dont  l'autorité 
est  trop  connue  pour  qu'il  soit  besoin  d'en  faire  l'éloge; 
M.  Camille  Enlart,  Directeur  du  Musée  de  sculpture  du 
Trocadéro,  auteur  d'un  excellent  manuel  d'Archéologie 
Française,  que  nous  avons  eu  déjà  l'occasion  de  citer. 
M.  Enlart,  en  parlant  du  chapiteau  E,  «  manifestement 
plus  ancien  »  dit-il,  que  les  chapiteaux  du  transept  sud, 
en  cite  d'autres  exemples  :  «  Dans  la  crypte  de  la  cathé- 
drale d'Auxerre,  consacrée  en  1040,  et  dans  la  crypte 
qui  règne  au  sud  du  sanctuaire  de  Saint -Benoît-sur- 
Loire  et  qui  date  du  début  du  xie  siècle,  (reconstruction 
après  1026,  consécration  en  1029)  il  y  a  des  chapiteaux 
de  ce  type,  mais  à  corbeille  beaucoup  plus  basse.  La 
baguette  diagonale  à  torsade,  imitant  une  corde,  se 
trouve  aussi  dans  les  dernières  années  du  xe  siècle,  au 
déambulatoire  de  l'église  de  la  Couture  au  Mans.  Donc, 
ce  chapiteau  (E)  semble,  à  première  vue,  dater  de  la 
première  moitié  du  xie  siècle.  »  Quant  aux  chapiteaux 
JF  et  D  du  transept  sud,  M.  Enlart  dit  qu'ils  paraissent 
avoirl'allure  générale  des  chapiteaux  delà  première  moitié 
du  xne  plutôt  que  du  xie.  Cette  différence  assez  sensible 
entre  les  époques  et  surtout  entre  les  genres  de  chapi- 
teaux du  transept  n'a  absolument  rien  de  mystérieux, 
pour  qui  est  tant  soit  peu  familiarisé  avec  les  anomalies 
qu'offrent  tant  de  monuments  anciens  (lesquelles  ne 
sont  souvent  rien  auprès  d'anomalies  autrement  plus 
graves  que  présentent  nombre  d'églises  modernes).  Voici 
très  vraisemblablement  comment  les  choses  se  seront 
passées  au  xie  siècle  lors  de  la  construction  du  transept. 
Au  cours  de  la  construction  même  on  n'aura  sculpté 
qu'une  partie  des  chapiteaux,  soit  par  suite  du  défaut 
de  ressources  nécessaires,  soit  pour  un  autre  motif.  Plus 
tard,  fin  du  xie  siècle,  ou  commencement  du  xne   plus 


—  402  — 

probablement,  comme  le  croit  M.  Enlart,  on  aura  fini 
la  sculpture  des  chapiteaux  en  profitant  des  progrès 
réalisés  dans  l'intervalle  par  les  sculpteurs  :  «  Des  pierres 
sculptées  longtemps  après  avoir  été  posées  ou  demeurées 
en  partie  épannelées  (1),  témoign?nt  de  l'usage  de  ce 
procédé  à  diverses  époques  el  dans  diverses  régions.  » 
(C.  Enlart,  Manuel,  T.  I,  p.  14).  Dans  l'église  d'Avenay, 
près  de  Reims,  la  nef  est  du  commencement  du  xine 
siècle.  Ses  chapiteaux  ont  été  sculptés  au  début  du  xvie, 
sauf  quelques  uns  qui  sont  demeurés  à  l'état  d'épanne- 
lage. 


Vue  de  face  Vue  de  côté 

Consoles  du  XI  siècle  supportant  des  arcs-doubleaux 

Tous  les  autres  chapiteaux  du  transept  nord  ayant  été 
entièrement  mutilés  ou  transformés,  nous  ne  pouvons 
savoir  s'ils  étaient  semblables  au  chapiteau  E.  En  L  et 
en  M  sont  des  culs-de-lampe  supportant  l'arc-doubleau 
LM.  En  L,  le  cul-de-lampe  était  du  XIe  siècle.  Nous  en 
donnons  un  dessin.  En  M,  il  y  avait,  avant  le  XIIIe  siècle, 
un  pilastre.  Au  moment  où  l'on  construisit  au  nord  un 
bas-côté,  pour  le  faire  communiquer  avec  le  transept, 
on  établit  une  arcade  (OP)  ;  le  pilastre  fut  naturellement 


(1  »  On  appelle  pierre  épannelée  «  celle  qui  est  dégrossie  de  façon 
à  présenter  la  forme  d'ensemble  du  relief  que  l'on  veut  en  déga- 
ger,  i/ 


-    403  — 

supprimé,  et  son  chapiteau  transformé  en  console,  mais 
sans  aucun  ornement. 

Le  lecteur  peut  se  demander  ce  que  sont  devenus  les 
chapiteaux  qui  nous  étaient  parvenus  intacts.  Chapi- 
teaux conservés  et  chapiteaux  mutilés  ont  été  traités 
avec  une  parfaite  égalité  et  un  même,  respect.  Jetés  à 
terre  sans  précaution  par  les  ouvriers  qui  démolissaient 
l'église,  presque  tous  avaient  résisté  au  choc.  On  sut 
leur  faire  expier  cette  injustifiable  résistance.  Ils  furent 
avec  soin  brisés  et  coupés  en  plusieurs  morceaux.  Cela 
pouvait  être  profondément  regrettable  au  point  de  vue 
archéologique;  mais  on  a  pu,  du  fait  de  ce  vandalisme, 
gagner  1  fr.  95  de  plus  qu'on  n'espérait  et  cet  avantage 
compense  d'une  manière  intelligente  la  perte  que 
l'Archéologie  Vendéenne  a  faite  (1). 

Comme  nous  l'avons  dit  précédemment,  au  xme  siècle, 
près  du  contrefort  nord-ouest,  une  petite  porte  avait  été 
établie.  Nous  avons  connu  à  cet  endroit  un  confessionnal 
affreux  du  xvme  siècle  qui  ressemblait  assez  bien  à 
une  armoire.  Un  souvenir  précieux  s'y  rattachait.  C'est 
là,  en  effet,  que  Monseigneur  Chauveau,  vicaire  à  Chal- 
lans,  de  1839  à   1843,  confessait. 

4°  La  Double-Piscine  du  Transept  Nord.  —  Près  de  là, 
sous  la  fenêtre,  un  peu  à  droite,  on  apercevait  une  petite 
arcade  en  plein-cintre  sans  aucun  ornement.  Les  uns 
disaient  que  c'était  une  ancienne  porte  et  les  autres  sou- 
tenaient qu'il  y  avait  eu.  en  cet  endroit,  une  statue  de 
Saint  Jacques.  Nous  n'avons  point  eu  la  preuve  qu'il 
avait  existé  là  une  statue  de  Saint  Jacque:.  Quant  à 
l'hypothèse  de  la  porte,  l'examen  du  mur  à  l'extérieur 
nous  l'avait  fait  vite  abandonner. 

Le  29  mai  1897,  nous  avions  la  bonne  fortune  de  décou- 
vrir dans  cette  excavation  une  double  piscine.  Le  sol 


(1)  Le  chapiteau  dit  «  d'Adam  »  a  été  coupé  en  quatre,  parce 
qu'il  était  trop  embarrassant  à  empoter  (!).  Il  est  dans  un  mur. 
Elles  sont  nombreuses  les  constructions  récentes  de  Challans  et 
des  environs  qui  recèlent  des  sculptures  de  l'ancienne  église. 


404 


primitif  ayant  été  exhaussé  au  xmc'  siècle,  puis  en  1843- 
1846,  ces  piscines  n'étaient  plus  qu'à  0  m.  20  au  dessus 
du  sol.  lui  reconstituant  les  dispositions  primitives  de 
l'église,  on  constatait  qu'elles  avaient  été  jadis  à  la  hau- 
teur normale. 

L'excavation  qui  les  renfermait  avait  0  m.  86  de  hau- 
teur, 0  m.  80  de  largeur  et  0  m.  36  de  profondeur.  On 
n'apercevait  ni  moulures,  ni  sculptures.  Les  pierres 
formant  l'excavation  étaient  unies  par  un  beau  sable 
comme  dans  les  autres  murs  du  xi1'  siècle  ;  et  il  en  résul- 
tait que  cette  ouverture  était  bien  d'origine  romane, 
faite  par  conséquent  au  XIe  siècle  en  même  temps  que 
l'édifice. 

La  double  piscine  était  faite  de  deux  pierres  de  Saller- 


Double  piscine  du  transept  de  l'Ancienne  Eglise  de  Challans 


taine  juxtaposées,  creusées  chacune  en  forme  de  pyra- 
mide renversée,  chaque  côté  ayant  0  m.  21  c.  Ces  piscines 
avaient  été  remplies  de  chaux  ;  à  quelle  époque  ?  Nous 
l'ignorons.  Toujours  est-il  qu'au  moment  de  la  décou- 
verte, le  souvenir  des  piscines  avait  disparu  depuis  long- 
temps. Un  jour  où  le  temps  était  humide,  nous  consta- 
tâmes et  non  sans  étonnement,  des  différences  de  teintes 
sur  la  surface  horizontale  de  l'excavation.  Les  nuances 
se  précisèrent  et  nous  vîmes  des  carrés.  L'idée  de  piscines, 
de  bassins,  nous  vint  à  l'esprit.  Quelques  instants  après 
les  carrés  étaient  creusés,  et  nous  versions  de  l'eau  dans 
les  piscines  ;  l'eau  s'écoula  immédiatement,  preuve  que 
les  conduits  existaient  encore. 


—  405  — 

Une  question  se  posa  naturellement  tout  de  suite  :  les 
piscines  découvertes  dans  une  excavation  du  xie  siècle 
appartenaient-elles,  elles  aussi,  à  cette  époque  loin- 
taine? (1) 

Non,  très  probablement,  et  voici  ce  qui  aura  été  fait 
au  xie  et  au  xme  siècle.  Au  xie  siècle,  lors  de  la  cons- 
truction de  l'église,  dans  l'excavation,  on  aura  placé  un 


(1)  M.  de  Caumont  affirmait  que  «  sur  plus  de  1.200  églises  dans 
lesquelles  il  avait  remarqué  des  crédences  (ou  piscines),  pas  une 
ne  remontait  au-delà  du  xme  siècle  ou  de  la  fin  du  xne,  et  que 
toutes  étaient  en  ogives,  divisées  sur  la  hauteur  par  une  esvèce 
de  planchette  en  pierre.  »  -  Abeced.  d'Archéol.  relig.  —  Mais 
comme  le  remarque  judicieusement  M.  l'abbé  Mallet,  dans  le  t.  II 
de  son  cours,  il  ne  faudrait  pas  conclure  absolument  de  cette  affir- 
mation que  les  piscines  n'existèrent  pas  avant  le  xne  siècle.  Nous 
avons  en  effet  une  ordonnance  très  explicite  du  pape  Léon  IV, 
élu  en  847,  qui  prescrit  de  préparer  dans  la  sacristie,  ou  près  de 
l'autel,  un  endroit  d'où  l'eau  puisse  s'écouler  lorsqu'on  lave  les 
vases  sacrés  ;  et  qu'il  y  ait  là,  avec  de  l'eau,  un  linge  pour  que  les 
prêtres  se  lavent  les  mains  après  la  communion.  Au  xie  siècle  «  le 
célèbre  Hincmar,  archevêque  de  Reims,  recommanda  à  ses  prêtres 
d'établir  une  piscine  dans  toutes  les  églises,  et  près  de  l'autel  prin- 
cipal. »  Dans  ce  temps,  nul  ne  l'ignore,  le  prêtre  ne  se  lavait  pas  les 
mains  à  l'autel,  comme  il  le  fait  aujourd'hui.  Au  Lavabo,  et  après 
la  communion,  il  descendait  à  la  piscine,  laquelle  était  toujours 
placée  à  droite  de  l'autel. 

Généralement,  il  n'y  avait  qu'un  bassin.  Par  conséquent,  après 
la  communion,  le  prêtre  se  purifiait  les  doigts  «  dans  un  vase  spé- 
cial dont  le  contenu  était  ensuite  jeté  dans  la  piscine  elle-même.» 
Dans  le  courant  du  xne  siècle,  dit  M.  l'abbé  Mallet,  plusieurs 
monastères  très  fervents  ne  trouvant  pas  assez  respectueux  de 
mêler  ainsi  aux  eaux  ordinaires,  par  exemple  à  celles  qui  avaient 
servi  au  Lavabo  de  la  messe,  une  eau  qui  pouvait  contenirdesaintes 
parcelles  restées  attachées  aux  doigts  du  prêtre,  prescrivirent  à 
leurs  religieux  de  boire  cette  eau  aussi  bien  que  le  vin  qui  avait  servi 
à  purifier  le  calice  ;  et  à  la  fin  du  siècle,  Innocent  III  (1198-1216), 
touché  par  cet  acte  de  profonde  vénération,  voulut  l'imposer  à 
tous  les  prêtres.  On  comprit  généralement  la  sagesse  de  ce  change- 
ment dans  la  liturgie,  pourtant  plusieurs  prêtres  éprouvèrent 
une  grande  répugnance  à  boire  la  rinçure  de  leurs  doigts,  puis  une 
habitude  de  plusieurs  siècles  est  difficile  à  déraciner  complètement. 
Alors  on  prit  un  moyen  terme  qui  paraissait  concilier  le  respect  dû 
au  St-Sacrement  avec  l'usage  suivi  jusque  là,  et  en  même  temps 
tenir  compte,  sinon  de  la  décision  du  souverain  pontife,  du  moins 
des  motifs  qui  l'avaient  occasionnée  :  on  établit  deux  piscines, 
l'une  pour  recevoir  les  ablutions  ordinaires,  l'autre  exclusivement 
réservée  aux  ablutions  du  saint  sacrifice.  Mallet,  t.  II.  M.  Enlart 
signale  deux  cuvettes  (ou  double  piscine)  du  xne  siècle,  à  Saint- 
Pons-de-Guemenos,  dans  les  Bouches-du-Rhône,  et  dit  qu'au 
xme  siècle  cette  disposition  est  plus  fréquente. 


—  406  — 

seul  bassin.  Plus  lard,  au  xiii*  siècle,  l'usage  de  deux 
bassins  ayant  pénétré  partout,  on  aura  substitué  à  la 
piscine  unique  une  double  piscine.  D'où  il  résulte  que  la 
double  piscine  du  transept  serait  du  xiir  siècle. 

Le  23  août  1897,  quelques  jours  avant  la  bénédiction 
de  la  nouvelle  église,  M.  l'abbé  Freland,  curé-doyen  de 
Challans,  eut  l'amabilité  de  nous  offrir  la  double  piscine 
du  transept  nord.  Les  deux  bassins  furent  détachés  le 
même  jour  du  mur  où  ils  étaient  encastrés.  Ils  sont 
actuellement  conservés  dans  notre  collection  archéolo- 
gique à  Challans. 

La  double  piscine  était  jadis  placée  derrière  un  autel, 
un  peu  a  droite  comme  le  voulait  la  liturgie.  L'autel 
élevé  à  peu  de  dislance  du  mur,  était,  au  xvie  siècle, 
placé  sous  l'invocation  de  Saint-Eutrope,  premier  évêque 
de  Saintes.  -  -  C'est  du  moins  ce  que  nous  permettent  de 
croire  nos  recherches  sur  l'emplacement  des  autels  de 
l'ancienne  église.  —Le  culte  de  Saint-Eutrope  est  constaté 
cà  Challans  dès  l'an  1413. 

5o  Les  fouilles  de  1897-1899.  -  -  Les  fouilles  pratiquées 
dans  le  transept  nord  a  la  fin  de  l'année  1897  ont  amené 
la  découverte  : 

1°  D'un  pavé  en  carreaux  rouges  du  xme  au  xvie  siè- 
cle -  trouvé  cà  1  m.  du  sol  du  xixe  siècle  ;  2P  d'un  second 
pavé,  du  XIe  siècle,  trouvé  à  Om  .50  au-dessous  du  dallage 
du  xm  -xvi1'  siècles,  soit  à  1  m.  50  au-dessous  du  niveau 
que  nous  avons  connu.  L'église  était  énormément 
enfoncée.  Le  même  phénomène  s'observe  à  Beauvoir- 
sur-Mer..  Ce  second  dallage,  est-il  dit  dans  un  article 
de  VEtoile  de  la  Vendée,  «  repose  sur  le  lit  d'une 
espèce  de  terre  glaise  qui  est  très  commune  dans  le 
pays.  »  (1)  Comme  l'auteur  de  cet  article  ne  dit  point  en 

(1)  Il  faut  savoir  gré  à  M.  l'abbé  Joseph  Thibaud,  alors  vicaire 
à  Challans.  aujourd'hui  curé  de  Sant-Florent-des-Bois,  d'avoir  fixé 
ces  détails  intéressants  dans  l'Etoile  de  la  Vendée.  Sans  lui  nous 
n'aurions  .jamais  pu  savoir  d'une  façon  précise  et  certaine  le 
résultat   des  fouilles. 


—  407 


quoi  consistait  ce  second  dallage,  ce  qu'il  fait  pour  le 
premier,  nous  pensons  qu'il  y  a  confusion  dans  les  ter- 
mes. La  très  mauvaise  impression  de  l'article  autorise 
à  le  croire.  Selon  nous,  il  faudrait  lire  ceci  :  ce  second 
dallage  «  se  composait  d'un  lit  d'une  espèce  de  terre 
glaise...  »  ; 

3°  On  a  également  découvert  une  couche  de  très  beau 
sable  rouge  sous  le  dernier  pavé. 

Le  pavé  que  nous  avons  connu  se  composait,  dans  le 
transept,  de  magnifiques  pierres  tombales  en  granit.  Une 
seule  avait  conservé  trace  de  ses  inscriptions,  on  lisait  : 

16  C'est  tout  ce  qu'il  nous  est  resté  des  épitaphes 

gravées  sur  ces  pierres  et  qu'on  lisait  en- 
core en  partie  il  y  a  60  ans.  En  1846,  ces 
dalles  funéraires  extraites  du  pavé  des 
xme-xvic  siècles,  furent  placées  dans  le 
transept  où  nous  les  avons  connues. 

Durant  le  moyen-âge  et  jusqu'au  règne 
de  Louis  XVI,  les  curés  et  les  membres 
des  familles  nobles  ou  marquantes  étaient 
inhumés  dans  les  églises. 

Sous  le  sol  du  xie  siècle,  on  a  retrouvé 
beaucoup  de  squelettes.  Tous  étaient  par- 
faitement conservés  et  avaient  la  tête 
à  l'occident  et  les  pieds  à  l'orient.  Beau- 
coup n'avaient  point  de  cercueils,  car  on  n'en  a  trouvé 
aucune  trace.  Une  ligne  de  pierres  et  de  briques  indiquait 
seule  les  dimensions  de  la  tombe.  Les  corps  qui  reposaient 
sous  le  dallage  du  xie  siècle,  avaient  été  inhumés  entre 
le  xie  et  le  xme  siècle.  Près  de  la  porte  occidentale  qui, 
dans  l'église  du  xie  siècle,  était  peu  importante,  on  a 
trouvé  sous  le  sol  primitif  une  pierre  tombale  assez 
curieuse.  Plus  large  à  la  tête  qu'aux  pieds,  elle  portait 
à  la  tête  une  croix  dessinée  dans  un  cercle.  Du  cercle 
tombaient  deux  lignes,  lesquelles,  s'il  faut  crojre  certains 
renseignements  qui  nous  ont  été  donnés,  rencontraient 
dans  le  bas  d'autres  lignes  pour  former  une  autre  croix. 


408 


Le  dessin  ci-contre  donne  une  idée  de  la  pierre  avant 
sa  mutilation.  Il  n'y  avait  trace  d'aucune  inscription. 
Cette  pierre  tombale,  du  xne  ou  du  xnr  siècle,  a  eu  sa 
partie  intérieure  brisée  depuis  sa  découverte.  Elle  a  été 
vendue  à  M.  Joseph  Barreau,  du  village  de  la  Gazon- 
nière,  qui  en  a  fait  un  seuil  de  porte. 

Les  archives  locales  ne  nous  ont  point  conservé  les 
noms  des  prêtres  et  des  fidèles  inhumés  dans  l'église  de 
Challans  du  xie  au  xme  siècle. 

6°  Les  voûtes  du  transept.  -  Il  nous  reste  une  dernière 
question  à  étudier  :  celle  des  voûtes. 

Antérieurement  à  l'an  1000,  «  presque  toutes  les  églises 
sur  les  bords  du  Rhin,  en  Aquitaine,  en  Bourgogne,  en 
France,  étaient  en  pierres  et  couvertes  en  bois.»  (1)  Lors 
des  invasions  des  Normands,  il  suffisait  à  ceux-ci  «  de 
mettre  le  feu  à  la  menuiserie  de  l'intérieur  pour  que  la 
flamme  gagnât  la  toiture.  Celle-ci  s'effondrait,  les  co- 
lonnes ne  tardaient  pas  à  éclater  et  à  entraîner  les  murs 
dans  leurs  ruines.  »  (2)  AprèsQ'an  1000,  «  on  se  mit  par 
toute  la  terre,  particulièrement  en  Italie  et  dans  les 
Gaules,  à  renouveler  les  vaisseaux  des  églises.  On  eut  dit 
que  le  vieux  monde  se  secouait  pour  dépouiller  sa  vieil- 
lesse et  revêtir  une  robe  blanche  d'église.  Enfin,  presque 
tous  les  édifices  religieux,  cathédrales,  moùtiers  (monas- 
tères, couvents)  des  saints,  chapelles  de  village,  furent 
convertis  par  les  fidèles  en  quelque  chose  de  mieux.  » 
Ainsi  s'exprime  l'historien  Raoul  Glaber,  moine  béné- 
dictin qui  vivait  à  l'abbaye  de  Cluny,  dans  la  première 
moitié  du  xie  siècle.  Le  grand  mouvement  qu'il  signale 
eut  pour  caractère  principal  la  construction  des  voûtes 
dont  on  sentait  fort  le  besoin  au  souvenir  des  ravages 
causés  par  les  Normands.  Si  ces  barbares  avaient  trouvé 
des  églises  voûtées  «  ils  auraient  eu  beau  mettre  le  feu 

(1)  Edouard  Corrover.  L' Architecture  romaine.  Paris,  1888, 
p.  161. 

(2)  Jules  Quicherat.  Mélanges  a" Archéologie,  cité  par  Ed.  Cor- 
royer, op.  cit.,  p.  162. 


409 


dedans  et  au  dessus,  la  construction  n'aurait  éprouvé 
que  des  dégâts  partiels.  »  On  comprend  dès  lors  de  quel 
intérêt  est  l'étude  des  premières  voûtes  construites  après 
l'an  1000.  Et  c'est  précisément  le  cas  pour  le  transept 
de  la  vieille  église  de  Challans. 

Les  voûtes  de  ce  transept  étaient  en  effet  les  plus 
anciennes  de  la  contrée,  et  les  premières  faites  dans  le 
marais. 

1°  C'était  les  voûtes  les  plus  anciennes  de  toutes  les 
églises  romanes  du  marais  de  Challans,  parvenues 
jusqu'à  nous. 

Voici  l'ordre  que  nous  établissons  dans  l'évolution 
des  voûtes  de  nos  églises.  Nous  disons  «  des  voûtes  ». 
Nous  ne  nous  occupons  donc  pas  des  murs  et  des  fonda- 
tions : 

Challans.  —  Voûtes  en  berceau,  uniquement. 

Saint-Filbert  de  Noirmoutier.  —  Voûtes  en  ber- 
ceau et  voûtes  d'arête. 

Sallertaine. — Voûtes  en  berceau  et  voûtes  à  coupole. 

Beauvoir-sur-Mer.         Voûtes  en  berceau  et  voûtes 
à  coupole. 

Ces  voûtes  d'arête  ou  à  coupole  s'imposaient  pour  le 
milieu  du  transept.  Là  où  l'on  savait  voûter  cetespace, 
on  était  évidemment  plus  avancé  que  là  où  on  ne  le 
savait  pas. 

2°  Les  voûtes  du  transept  de  Challans  furent  des  pre- 
mières faites  dans  le  pays  après  l'an  1000.  Toute  l'argu- 
mentation repose  justement  sur  le  fait  de  l'absence  de 
voûtes  dans  le  centre  du  transept.  A  l'origine,  les  archi- 
tectes romans  n'ont  rien  essayé  de  créer  :  l'antiquité 
leur  avait  laissé  la  voûte  en  berceau,  la  voûte  d'arête 
et  la  coupole,  ces  deux  dernières  issues  du  principe 
constitutif  de  la  voûte  en  berceau.  Si  l'on  admet  que  la 
voûte  en  berceau  a  précédé  la  voûte  d'arête,  il  faut 
aussi  reconnaître  que  généralement  les  églises  où  la 
voûte  en  berceau  et  la  voûte  d'arête  sont  employées 
simultanément,  sont  postérieures  aux  églises  où  existe 


410  — 

seule  la  voûte  en  berceau  et  où  la  voûte  d'arête  est  igno- 
rée. Ainsi  l'église  Saint-Filbert  de  Noirmoutier  possède,  au 

transept,  des  voûtes  en  berceau  du  XIe  siècle,  et  clans 
la  crypte,  des  voûtes  d'arête  également  du  \r  siècle. 
A  l'église  île  Challans,  chaque  partie  du  transept  avait 
une  voûte  en  berceau,  mais  sous  le  clocher,  où  Ton  ne 


Voûtes  du  Transept  nord 

A)  Arcade  du    XIII0    siècle    faisant    communiquer   le    bas  cote 

avec   le  transept. 

B)  Fenêtre  ogivale. 

C)  Arcade  du  XIe  siècle. 

D)  Grande  arcade  fermée    que  l'on  apercevait  dans   le  mur  nord 

du  clocher. 


pouvait  pas  prolonger  la  voûte  en  berceau  du  transept, 
il  fallait,  pour  voûter  convenablement  cette  travée, 
une  voûte  d'arête.  —  Nous  ne  parlons  pas  des  voûtes 
à  coupoles  et  à  croisées  d'ogives  de  Sallertaine  et  de 
Beauvoir-sur-Mer  :  elles  appartiennent  à  la  grande 
famille  des  voûtes  Plantagenet  et  sont  du  xir  siècle. 


411 


Or,  au  centre  du  transept,  il  n'y  en  avait  pas  et  il  n'y  en 
avait  jamais  eu.  Nous  concluons  :  Au  moment  de  la 
construction  des  voûtes  de  la  crypte  de  Saint-Filbert  de 
Noirmoutier,  les  architectes  étaient  capables  de  faire 
des  voûtes  d'arête,  tandis  qu'au  moment  de  la  cons- 
truction de  l'église  de  Challans,  on  ne  savait,  ou  on  ne 
pouvait  que  faire  des  voûtes  en  berceau,  beaucoup  plus 
faciles  à  établir  que  les  voûtes  d'arête.  11  y  a  donc  eu  un 
progrès  à  la  crypte  de  Saint-Filbert  de  Noirmoutier  (1) 
et  à  Sallertaine  il  y  a  eu  progrès  sur  Noirmoutier  et  à 
Beauvoir-sur-Mer,    progrès  sur  Sallertaine.  (2) 


(1)  11  est  bien  évident  que  nous  ne  parlons  iei  que  des  voûtes 
de  la  crypte  de  Noirmoutier,  et  qu'en  voyant  ces  voûtes  du 
xi1'  siècle  nous  ne  pensons  pas  que  les  murs  de  la  crypte  ne  soient 
pas   antérieurs   à   eelte   époque. 

(2)  Nous  prévoyons  une  objection  :  Il  est  exact,  nous  dira-t-on, 
que  la  voûte  en  berceau  a  précédé  la  voûte  d'arête,  niais  chez 
lés  Romains  seulement  ;  au  XIe  siècle  les  deux  systèmes  étaient 
connus  simultanément,  par  conséquent  l'emploi  exclusif  de  la 
VOÛte  en  berceau  n'établit  pas  une  priorité  d'ancienneté  relati- 
vement aux  églises  où  la  voûte  d'arête  est  employée.  Nous 
répondons.  Oui,  théoriquement  la  voûte  d'arête  était  connue  au 
moins  de  certains  constructeurs.  Pratiquement,  au  début  surtout, 
on  parut  l'ignorer  presque  partout.  Il  est  en  effet  hors  de  toute 
contestation  que  la  majorité  des  architectes,  pour  voûter  les 
églises,  procéda  avec  la  plus  grande  timidité,  et  que  pendant  le 
\  1''  et  le  X  1  Ie  siècle,  il  n'y  eut  que  des  essais  pour  atteindre  un 
système  parlait  qui  devait  être  la  voûte  sur  croisée  d'ogives.  Ceci 
admis,  il  faut  reconnaître  qu'on  partit  du  moins  parlait  (la  voûte 
en  berceau),  l.a  chose  est  si  vraie,  que  les  are  itectes  qui  vou- 
lurent faire  des  voûtes  d'arête,  ne  purent  généralement  recons- 
tituer ce  système  tel  que  les  Humains  l'avaient  pratiqué.  Ils 
durent  le  simplifier  et  l'essai  de  ces  voûtes  d'arête  fut  même  si 
timide  qu'on  les  plaça  dans  les  bas-côtés,  pendant  (pie  la  nef 
et, lit  couverte  d'une  voûte  en  berceau,  ainsi  à  Youvenl  en  Ven- 
dée, et  à  Notre  l)ame-la-('irande,  à  Poitiers.  «  Les  architectes 
essayèrent  d'abord  la  voûte  en  berceau  »  dit  l'abbé  Mallet  :  prin- 
cipe très  longuement  et  très  savamment  développé  par  M.  Enlart 
dans  son  Manuel,  et  que  les  faits  prouvent  péremptoirement. 

Notons  que  la  travée  centrale  du  transept  de  Challans  était 
barlongue  :  c'était  une  difficulté  de  plus  pour  la  voûter  même 
avec  une  voûte  d'arête.  Il  est  vrai  que  dans  la  crypte  de  la  basi- 
lique Saint-Eutrope,  à  Saintes,  on  a  su  vaincre  cette  difficulté. 
Mais,  outre  que  les  voûtes  de  cette  crypte  sont  du  XIIe  siècle 
(Viollet-le-Duc,  Dictionnaire  raisonné  IV,  159),  il  y  avait  entre 
Saint-Eutrope    de    Saintes    et     X'.-D.     de     Chai. ans,    disparité    de 


—  412 

De  ce  fait,  il  ressort  que  l'église  élevée  à  Challans  au 
xi1'  siècle  était,  de  toutes  les  églises  romanes  de  la  région 
(Marais  de  Challans),  la  plus  ancienne,  ou  l'une  des 
premières  églises  bâties  après  l'an  1000. 

A  l'intérieur  du  transept  nord,  au  dessus  delà  fenêtre 
pratiquée  dans  le  pignon,  le  mur  devenait  tout  à  coup 
moins  épais,  cela  était  dû  sans  doute  à  quelque  répa- 
ra lion. 

L'espace  occupé  par  le  milieu  du  transept  n'était  pas 
carré,  mais  seulement  rectangulaire.  Il  avait  7  m.  sur 
4  m.  90.  Comme  nous  venons  de  le  dire,  aucune  voûte 
n'y  avait  été  pratiquée,  de  telle  façon  qu'on  voyait  tout 
le  plancher  du  beffroi.  Dans  le  mur  nord  qui  supportait 
le  clocher  et  que  supportait  l'arc-doubleau  CE,  on  aper- 
cevait une  ouverture,  porte  ou  fenêtre  en  plein-cintre. 
Nous  l'avons  toujours  connue  fermée.  C'était,  croyons- 
nous,  une  ouverture  destinée  à  pénétrer  sur  les  voûtes 
du  transept  nord. 

7°  Ouvertures  et  ares.  —  Tous  les  arcs,  arcs-doubleaux, 
arc  abritant  la  double-piscine,  etc.,  étaient  en  plein- 
cintre.  C'est  une  preuve  de  l'antiquité  de  l'église  de 
Challans,  car  dans  les  églises  de  Sallertaine  et  de  Beau- 
veoir  l'arc-brisé  ou  arc  en  tiers-point  (vulgairement 
ogive)  est  employé. 

Voici  l'ordre  des  églises  ci-dessus  mentionnées,  pour 
l'évolution  des  arcs  : 

Noirmoutier       )  ... 

_,    „  Arcs  en  plein-cintre  uniquement. 

Challans  ) 

Sallertaine  :  Arcs    en   plein-cintre   et   arcs    en 

tiers-point. 

Beauvoir-sur-Mer  :  Arcs  en  tiers-point  uniqument. 

Telle  était  notre  église  du  xie  siècle.  Nous  avons  essayé 

de  la  reconstituer,  et,  par  là  même,  de  donner  aux  archéo- 

i 

ressources,    et    peut-être     disparité    de    science    de    la    part  des 
constructeurs. 

D'après  M.  l'abbé  J.  Thibaut  (ioc.  cit.),  les  voûtes  du  transept 
étaient  «  en  briques  sur  champ.  » 


-  413  — 

logues  l'étude  d'un  monument  intéressant  et  conserver 
à  nos  concitoyens  la  description  d'un  édifice  plein  de 
souvenirs  très  chers  (1). 

k  Depuis  sa  construction  jusqu'aux  modifications  impor- 
tantes qu'elle  subit  après  l'an  1223,  l'église  de  Challans 
continua  d'être  desservie  par  des  Bénédictins  formant 
le  prieuré  de  Challans  auquel  fut  plus  tard  substitué  le 
presbytère  (2). 

$t  Les  Bénédictins,  à  Challans,  étaient  sous  la  direction 
d'un  prieur. 

Le  prieur  était  nommé  par  l'Abbé  du  monastère  de 
N.-D.  de  Luçon.  Les  Archives  du  Bas-Poitou  nous  ont 
conservé  le  nom  de  deux  prieurs,  ce  sont  : 

1°  «  Villelmus  capellanus  de  Chalant.  »  Guillaume, 
chapelain  de  Challans  (3).  Le  titre  de  chapelain  équivaut 
ici  à  celui  de  prieur.  Ce  «  Guillaume  »  assistait  en  l'an 
1172  à  la  consécration  de  l'église  de  Sallertaine. 

2°  L'autre  nom  conservé  est  celui  d'un  certain 
Robert,  prieur  de  Challans  :  «  Robertus,  prior  de  Cha- 
lando  »,  lequel  vivait  en  l'an  1203  (4).  Ce  fut  donc  l'un 
des  derniers  prieurs  qui  célébrèrent  la  sainte  messe 
dans  le  chœur  de  l'église  du  xie  siècle. 


(  A  suivre.  ) 

(1)  C'est  dans  le  transept,  sous  le  clocher  que,  pendant  les  funé- 
railles, on  déposait  les  corps  de  nos  parents  et  de  nos  amis. 

(2)  Le  prieuré  de  Challans,  dont  l'enclos  a  porté  ce  nom  jusqu'au 
début  du  xixe  siècle,  n'est  autre  que  la  maison  et  le  jardin  actuelle- 
ment occupés  par  le  docteur  Henrot,  et  où  habitait  il  y  a  quelques 
années  le  docteur  Dodin,  maire  de  Challans.  Le  presbytère  est 
l'immeuble  actuellement  occupé  par  M.  le  curé-doyen  de  Challans 
et  ses  vicaires. 

(3)  Cartulaire  du   Bas-Poitou,  p.  188. 

(4)  Cartul.  du  Bas-Poitou,  p.  192. 


DÉCOUVERTE   D'UN   OBJET   D'ART   ANCIEN 


Nantes,  le  16  juillet  1908. 

Rapport  de  l'Ingénieur  auxiliaire 

Le  20  juin  dernier,  un  ouvrier  de  l'entreprise  Charrière, 
occupé  au  creusement  d'une  tranchée  d'égout,  rue  du 
Cheval-Blanc,  a  mis  à  jour  un  objet  d'art,  en  os,  ayant  la 
forme  d'une  rondelle  et  représentant  sur  une  face  un 
oiseau  symbolique. 

L'objet  a  été  trouvé  à  15  mètres  environ  en  deçà  de 
l'extrémité  est  de  la  rue  du  Cheval-Blanc,  à  5  mètres  au- 
dessous  de  la  chaussée  de  la  rue  ou  à  la  cote  (2,30)  au- 
dessus  du  zéro  de  la  Bourse.  Il  était  enfoui  dans  une 
couche  de  tourbe  comprimée  contenant  de  nombreux 
troncs  d'arbres  dont  quelques-uns  (chênes)  étaient  bien 
conservés. 


A  quelques  mètres  de  ce  point,  vers  la  rue  St-Léonard, 
se  trouve  une  pointe  de  rocher  dur  qui  devait  autrefois 
former  promontoire  vers  le  marais  de  l'Erdre. 

Soc.  Archéol.  Nantes.  28 


—  416  — 

La  nature  de  l'objet,  son  originalité  et  sa  situation 
dans  le  sol  au  moment  de  sa  découverte  nous  font  suppo- 
ser qu'il  est  très  ancien  et  qu'il  peut,  par  suite,  servir  à 
l'étude  de  l'origine  de  la  cité  nantaise. 

.Nous  proposons  de  le  faire  déposer  au  Musée  après 
examen  de  la  Société  archéologique. 

Nantes,  le  16  juillet  1908. 

L'Ingénieur  auxiliaire, 

L.  PRIMAULT. 
Vu. 

Pour  le   Maire, 

L'Adjoint  délégué  aux  Travaux  publics, 

E.  GOUILLARD. 

N.-B.  -  -  Cet  objet  se  rapproche  beaucoup,  par  sa  forme, 
sa  nature  et  ses  caractères  généraux  des  Tessères  du  xic 
siècle  trouvés  par  l'abbé  Baudry,  curé  du  Bernard  à  Curzon 
(Vendée),  décrits  et  dessinés  dans  le  «  Bulletin  de  la 
Société  des  Antiquaires  de  l'Ouest  ».  (Bulletin  lL'r  trimestre 
1864.  lre  série,  10.  page  35G). 

M.  Adrien  Blanchet,  le  savant  conservateur  du  Musée 
du  Louvre,  auquel  l'objet  a  été  soumis,  le  considère  égale- 
ment comme  un  tessère. 

Quel  était  l'usage  de  ces  rondelles  ?  Tout  porte  à  croire 
qu'elles  devaient  être  appliquées  comme  ornenement  sur 
une  surface  quelconque.  Un  fait  certain,  c'est  que  le  bau- 
drier de  chevalerie  des  xi  et  xn  était  orné  de  disques  et  de 
losanges  qui  pouvaient  avoir  été  plus  d'une  fois  exécutés 
en  ivoire,  en  os,  en  corne  de  cerf  et  autres  substances 
analogues.  Ce  qui  prouverait  peut-être  que  le  tessère  trouvé 
à  Nantes,  n'avait  été  sculpté  que  pour  servir  d'ornement 
à  la  personne  du  guerrier  ou  à  ses  armes,  c'est  qu'il  est 
percé  de  petits  trous  sur  le  rebord. 

A.   D. 


L'EGLISE  ET  LA  PAROISSE  SAINT-LAURENT 

DE    NANTES 


L'église  de  Saint-Laurent  se  trouve  près  de  la  Cathédrale, 
au  fond  de  l'impasse  à  laquelle  elle  a  donné  son  nom  (1). 

Il  en  a  été  détruit  une  partie  considérable  :  tout  le 
chœur  et  le  côté  de  l'épître.  Il  n'en  reste  plus  qu'une  par- 
tie de  la  façade  et  une  partie  du  côté  de  l'Evangile,  jus- 
qu'au bras  du  transept  inclusivement 

La  partie  restante  a  été  aménagée  en  maison  d'habita- 
tion. Extérieurement  les  fenêtres  percées  dans  la  façade 
lui  enlèvent  tout  caractère  religieux.  Mais,  à  l'intérieur, 
on  en  découvre  le  portail,  les  piliers  avec  l'amorce  de  leur 
arcade,  une  porte  qui  ouvrait  sur  l'escalier  de  la  tribune, 
une  fenêtre  ou  une  porte  qui  s'ouvre  d'un  bras  du  tran- 
sept sur  un  corridor,  et  les  trois  murs  du  transept  du  côté 
de  l'Evangile. 

La  porte  était  juste  au  milieu  de  l'ancienne  église.  En 
partant  de  cette  donnée,  nous  avons  pu  indiquer  l'endroit 
exact  où  il  fallait  chercher  les  fondations  du  mur  méri- 
dional rasé  jusqu'au  sol. 

D'après  un  document  de  1680,  l'église  avait  29  pieds  de 
façade  et  86  de  profondeur. 

Dans  l'état  actuel  de  cette  église,    pour    avoir   une 

(1)  Cette  impasse  était  autrefois  une  rue  qui  donnait  sur  ce  qui  est 
actuellement  le  cours  Saint- Pierre.  Pour  plusieurs  raisons  dont  le 
développement  nous  détournerait  de  notre  sujet,  nous  croyons  que 
cette  rue  passait  au  nord  de  l'église  et  même  du  presbytère  qui  la 
bornait  au  nord  et  que  la  porte  par  laquelle  elle  sortait  de  ville  doit 
être  cherchée  dans  l'axe  du  petit  passage  actuellement  clos  qui  se 
trouve  entre  la  cure  de  Saint-Pierre  et  l'ancien  presbytère  de  Saint- 
Laurent.  Les  fouilles  faites  sur  ce  point  ont  été  malheureusement 
contrariées  par  un  égoût  qui  traverse  en  diagonale  ce  passage: 
mais  on  y  trouve  pêle-mêle  des  débris  de  construction  romaine  qui 
prouvent  que  ce  fond  a  été  complètement  bouleversé. 


—  418  — 

idée  de  ce  qu'elle  était  autrefois,  nous  ne  pouvons 
donc  plus  que  recourir  aux  anciennes  descriptions  qui 
en  ont  été  faites.  En  voici  deux,  l'une  du  xvne  siècle, 
l'autre  de  l'époque  de  la  Révolution. 

Notre  première  description  relate  la  visite  .faite  par 
l'autorité  diocésaine,  le  29  avril  1G38.  Nous  l'insérons 
textuellement  : 

«  A  la  visite  des  autels,  avons  trouvé  le  grand  autel  en  bon 
estât  au  hault  duquel  est  le  sacraire,  et,  au  costé,  saint  Lau- 
rens  et  saint  Sébastien  en  bosse  ;  à  la  contretable  y  a  plu- 
sieurs figures  en  petit  relief,  comme  est  la  tombe  et  le 
couronnement  de  la  Vierge  et  la  Visitation.  Ordonnons, 
attendu  que  ledit  autel  est  fort  humide,  qu'il  y  aura  une 
toile  cirée. 

L'autel  de  Nostre-Dame  est  en  assés  bon  estât,  et  sur 
iceluy  est  la  Nostre-Dame  tenant  son  petit  Jésus,  à  costé 
saint  Christofle  relevé  en  bosse;  à  la  contretable,  un  tableau 
de  saint  Jean  l'Evangeliste. 

Et  à  l'entrée  du  chœur,  au  hault,  est  un  grand  tableau  où 
est  le  crucifix,  et,  à  costé,  la  Vierge. 

A  costé  du  grand  autel,  [du  costé]  de  l'epistre,  y  a  un 
autel.  Sur  la  contretable  y  a  un  crucifix  en  bosse  relevé,  au 
pied  duquel  y  a  nombre  de  petites  images,  et  sur  lequel 
autel  on  nous  a  dict  que  l'on  n'y  celebroit  point  la  messe  ; 
aussy  n'y  a  il  qu'une  nappe  et  n'y  a  point  d'apparence 
d'avoir  esté  benist.  «  (1) 

t 

Nous  empruntons  notre  seconde  description  au  procès- 
verbal  de  prisage  de  l'église,  fait  en  1790.  D'après  cet  acte 
«  ladite  église  forme  une  seule  nef,  à  l'extrémité  de  la- 
quelle, vers  orient,  est  le  maître-autel  dont  le  tombeau, 
le  retable  et  le  tabernacle  sont  sculptés  et  dorés,  les  murs 
latéraux  du  cœur  et  sanctuaire  sont  décorés  d'un  lambris 
de  hauteur  en  bois  ;  ...deux  autres  autels  sont  adossés 
auxdits  murs  latéraux;  au-dessus  de  la  porte  d'entrée 
principale  est  une  tribune'  construite  en  bois  avec  une 
balustrade  en  fer,  et  dans  laquelle  on  parvient  par  un 

(1)  Archives  départementales,  G  47,  f°  39. 


—  419  — 

escalier  à  noyeau  et  en  bois  établi  dans  l'angle  nord  et 
occident  de  l'église.  Ladite  église  est  carrelée  en  carreaux 
de  terre  cuite,  et  la  couverture  est  recouverte  par  un  lam- 
bris en  bois  formant  un  demi  cercle  ;  au  côté  méridional 
est  une  ruelle  de  33  pouces  de  largeur  servant  tant  à  iso- 
ler l'église  qu'à  recevoir  l'égout  des  eaux  pluviales.  Le 
bénéfice  de  la  Chantrerie  a  aussi  jour  et  égout  sur  ladite 
ruelle  dans  laquelle  on  parvient  par  une  porte  donnant 
dans  l'église  ;  au  derrière  du  sanctuaire  est  la  sacristie, 
ayant  jour  sur  la  ruelle  cy-dessus  et  sur  la  couverture  par 
des  verfes  morts  pratiqués  en  icelle  ;  porte  d'entrée  par 
le  sanctuaire  ;  au  pourtour  des  murs  sont  des  armoires 
pour  l'usage  de  la  sacristie.  »  (1) 

La  superficie  totale  est  de  1.855  pieds. 

Rien  ne  reste  aujourd'hui  de  tout  ce  qui  est  relaté  dans 
ces  descriptions.  Par  contre,  on  remarque,  dans  l'église, 
une  chose  dont  la  dernière  au  moins  aurait  pu  dire  un 
mot. 

A  l'intérieur,  à  quelque  distance  de  la  porte,  on  des- 
cend par  quelques  marches  dans  un  caveau. 

Ce  caveau  est  divisé  en  quatre  parties  par  deux  murs 
qui  se  croisent.  L'escalier  situé  à  l'intérieur  de  l'église  ne 
donne  accès  que  dans  deux  de  ces  parties.  On  descend 
dans  les  deux  autres  par  un  autre  escalier  situé  actuel- 
lement dans  la  cour  et  fermé  par  une  grille. 

Au  premier  abord,  l'aspect  de  ce  caveau  est  bien  de 
nature  à  exciter  la  curiosité.  A  quelle  époque  remonte- 
t-il  ?  A  quel  usage  servait-il  ?  Voici  ce  que  nous  avons 
trouvé  sur  ces  deux  points  : 

En  1763,  lisons-nous  dans  un  mémoire  relatif  à  ce 
sujet  (2),  le  Général  de  la  paroisse  obtint  un  arrêtdu  Par- 
lement «  qui  lui  permit  de  faire  construire  dans  son  église 


(2)  Archives  départementales,  série  Q,  liasse  6,  n°  748. 

(1)  «  Mémoire  instructif  touchant  le  caveau  en  l'église  de  Saint- 
Laurent  de  Nantes  que  le  Général  de  la  paroisse  demande  à  la 
Cour  d'être  authorisé  à  vendre  à  quatre  familles.  »  Arch.  départ., 
G  485. 


—  420  — 

un  grand  caveau  pour  y  déposer  tous  ses  morts.  Ce  ca- 
veau, construit  en  quatre  caves  différentes  avec  une  en- 
trée commune  à  toutes,  a  servi  pendant  neuf  ans  à  la 
sépulture  de  tous  les  paroissiens  décédés,  sans  qu'il  y  soit 
arrivé  le  moindre  inconvénient.  » 

En  1774,  lors  de  la  création  du  cimetière  de  la  Bouteil- 
lerie  pour  la  plupart  des  paroisses  de  Nantes,  «  le  Général 
de  Saint-Laurent,  qui  depuis  neuf  ans  avoit  fait  construire 
à  grands  frais  un  caveau  beaucoup  plus  que  suffisant  pour 
la  sépulture  de  tous  ses  habitants,  et  qui,  par  cette  rai- 
son, n'avoit  point  besoin  de  cimetière,  ne  voulut jooint  se 
joindre  aux  Généraux  des  autres  paroisses  qui  avoient 
besoin  de  cimetière.  Cependant,  le  terrain  pour  faire  ce 
cimetière  étant  désigné,  on  comprit  dans  le  nombre  des 
paroisses  qui  dévoient  y  inhumer  leurs  morts  celle  de 
Saint-Laurent.  Le  Général  de  celle-cy,  qui  a  toujours  été 
ennemi  des  discussions,  ne  s'y  étant  point  opposé,  y  a  tou- 
jours depuis  inhumé  ses  habitants  décédés.  De  là,  ce 
grand  caveau  construit  dans  son  église  lui  est  devenu 
inutile. 

Dans  cette  circonstance,  le  Général  de  la  paroisse  de 
Saint-Laurent,  n'ayant  pour  toute  rente  fixe  que  102  1. 
que  lui  donnent  les  bancs  placés  dans  l'église,  et  cette 
petite  somme  n'étant  pas,  à  beaucoup  près,  suffisante 
pour  faire  face  aux  dépenses  nécessaires  à  l'entretien 
de  son  église,  et  désirant  par  cette  raison  se  créer  de  plus 
grands  revenus,  ne  voyant  point  d'autre  moyen  d'y  réus- 
sir que  par  la  vente  de  leur  caveau  en  question  à  quatre 
familles  différentes  pour  la  sépulture  desdites  familles 
à  l'exclusion  de  toutes  les  autres  »,  songea  à  procéder  à 
la  vente  de  ce  caveau.  Mais  le  Bureau  de  la  ville,  crai- 
gnant les  exhalaisons  qui  pourraient  en  sortir  lors  des 
inhumations,  fit  opposition  à  ce  projet  qui,  malgré  un 
recours  fait  au  Parlement  par  le  Général  de  la  paroisse, 
semble  n'avoir  pas  abouti. 

La  partie  la  plus  intéressante  de  l'église  de  Saint-Lau- 
rent est  le  mur  qui  fait  le  fond  du  transept  restant  et  qui 


—  421  — 

se  prolonge  dans  le  même  axe  jusqu'à  la  rue.  En  l'exami- 
nant à  l'extérieur,  c'est-à-dire  dans  la  cave  de  l'ancienne 
cure,  qui  la  limite  au  nord,  on  constate  qu'il  a  été  cons- 
truit suivant  la  tradition  des  Romains,  en  petit  appareil, 
avec  des  chaînons  de  larges  briques. 

Au  premier  abord,  on  serait  tenté  de  le  prendre  pour 
un  mur  gallo-romain  ;  mais  ce  petit  appareil  et  ces  chaî- 
nons sont  très  irréguliers.  Au  lieu  d'être  liés  par  ce  qu'on 
est  convenu  d'appeler  le  ciment  romain,  ils  le  sont  par 
une  mauvaise  chaux  mélangée  parfois  de  terre.  Leur  soli- 
dité a  souffert  de  la  mauvaise  qualité  de  ce  mélange; 
dans  plusieurs  endroits  le  mur  est  boursouflé  :  il  a  fallu  le 
consolider,  ainsi  que  l'étage  qui  se  trouve  au-dessus  de 
cette  cave,  par  d'énormes  poutres  soutenues  par  des 
piliers  de  bois  plantés  exprès  dans  ce  but.  Un  document 
que  nous  citons  plus  bas,  nous  autorise  à  placer  cette 
dernière  réfection  vers  1763. 

Ce  mur  présente  des  différences  frappantes  avec  le 
mur  gallo-romain  de  l'enceinte  de  Nantes.  Pour  en  juger, 
on  n'a  qu'à  le  comparer  avec  la  petite  partie  de  cette 
enceinte  que  l'on  peut  voir  actuellement  sur  le  Cours 
Saint-Pierre,  entre  la  terrasse  de  la  cure  de  Saint-Pierre 
et  l'escalier  qui  descend  de  l'angle  du  Cours  dans  la  rue 
Prémion. 

Les  murs  de  toutes  les  terrasses  qui  régnent  entre  ces 
deux  points  extrêmes,  ont  été  élevés  sur  la  vieille  enceinte 
gallo-romaine.  Il  y  a  un  certain  nombre  d'années,  on  en 
voyait  encore,  sur  le  Cours,  le  petit  appareil  ;  il  a,  depuis, 
uniformément  disparu  sous  une  couche  de  ciment  ;  mais 
il  n'y  a,  sur  bien  des  points,  qu'à  enlever  cette  couche 
pour  remettre  cet  appareil  à  jour  :  ce  qui  serait,  pour  les 
Nantais,  une  grande  curiosité. 

Pour  ces  différentes  raisons,  nous  ne  croyons  pas  que 
le  vieux  mur  conservé  par  l'église  Saint-Laurent  remonte 
à  la  bonne  époque  Romaine:  il  nous  semble  que  jamais 
les  Romains  n'ont  aussi  mal  bâti.  Nous  nous  croyons 
plutôt  en  présence  d'une  construction  faite  à  une  époque 


—  422  — 

où  tous  les  arts  étaient  en  décadence.  Les  maçons  qui 
ont  élevé  ce  mur  avaient  sous  les  yeux  des  modèles 
qu'ils  cherchaient  à  reproduire.  La  vue  des  murs  gallo- 
romains  leur  inspirait  la  pensée  de  les  imiter  :  mais  leur 
imitation  était  grossière,  inintelligente  ;  au  lieu  de  poser 
de  temps  en  temps,  comme  de  nouvelles  assises,  ces 
cordons  de  larges  briques  qui  donnaient  de  la  solidité  au 
mur,  en  contribuant  extérieurement  à  sa  décoration,  ils 
les  inséraient  ici  ou  là  sans  discernement. 

Tout  en  cherchant  à  reproduire  d'une  façon  quelcon- 
que l'extérieur  des  murs  gallo-romains,  ils  avaient  perdu 
le  secret  du  mortier  qui  en  liait  les  parties.  De  là,  le  peu  de 
solidité  de  notre  mur  qu'il  a  été  facile  de  traverser  avec 
un  manche  de  pelle  de  part  en  part  en  son  épaisseur  de 
80  centimètres  ;  de  là,  la  nécessité  dans  laquelle  on  s'est 
rencontré  de  l'étayer,  ainsi  que  les  poutres  qui  y  sont 
engagées,  avec  ces  nombreux  piliers. 

A  tout  examiner,  on  se  peut  se  demander  si  ce  vieux 
mur  n'est  pas  du  Xe  siècle,  et  s'il  ne  date  pas  de  la  recons- 
truction de  l'église  Saint-Laurent  après  le  départ  des 
Normands. 

On  peut  juger  de  l'état  dans  lequel  se  trouva  alors  la 
ville  de  Nantes  par  celui  de  la  Cathédrale.  Quand  Alain 
Barbe-Torte,  vainqueur  des  Normands,  s'y  présenta 
après  sa  victoire,  les  abords  en  étaient  obstrués  par  des 
ronces,  la  toiture  disparue,  les  murs  en  ruines. 

S'il  en  était  ainsi  de  la  Cathédrale,  que  penser  des 
églises  moins  importantes  ? 

Dans  la  reconstruction  qu'ils  en  entreprirent  alors,  les 
Nantais  surent  remployer  les  matériaux  que  les  démoli- 
tions précédentes  mettaient  à  leur  disposition.  Ainsi 
s'expliquerait  le  remploi  de  ces  petites  pierres  et  de  ces 
grandes  briques  qui  avaient  appartenu  à' des  édifices  plus 
anciens  et  ruinés. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  vue  de  ce  vénérable  mur  a  inspiré 
à  la  Société  d'Archéologie  la  penséede  pratiquer  sur  ce 
point  des  fouilles  qui  ont  donné  un  certain  résultat.  On  a 


—  423  — 

trouvé  des  briques  romaines,  des  tuiles  à  rebord,  des 
dallages  en  ciment  romain.  Tout  prouve  qu'il  y  a  eu  dans 
cet  endroit  des  constructions  qui  remontent  aux  premiers 
siècles  historiques  de  Nantes. 

Pour  donner  notre  opinion  personnelle  sur  ces  fouilles, 
nous  croyons  qu'il  y  avait  là,  antérieurement  au  vne  siè- 
cle, une  construction  sur  la  nature  de  laquelle  les  don- 
nées recueillies  jusqu'ici  ne  projettent  qu'une  lumière 
insuffisante.  L'existence  de  cette  construction  nous  est 
révélée,  par  la  rencontre  en  certains  endroits,  d'un  vieux 
dallage  où  l'on  trouve  de  vrai  ciment  romain. 

Sur  cet  emplacement  a  été  construite  la  très  ancienne 
église  de  Saint-Laurent.  Aucun  document  écrit  ne  permet 
d'en  assigner  l'existence  à  cette  époque  lointaine,  mais  de 
nombreuses  considérations,  trop  longues  à  développer  ici, 
ne  nous  laissent  aucun  doute  sur  ce  point. 

Cette  église  devait  présenter  une  forme  rectangulaire, 
et  cette  forme  a  été  respectée  lorsque,  d'après  notre  avis, 
après  les  invasions  Normandes,  on  a  reconstruit  le  mur 
qui  nous  occupe  et  qui,  autant  qu'on  en  peut  j  uger  par  l'état 
des  lieux,  avait  pour  parallèle  lemurremplacéaujourd'hui 
par  le  mur  septentrional  de  l'hôtel  Marion  de  Beaulieu. 

Dans  cet  espace  rectangulaire,  au  xive  siècle,  lors  de  la 
construction  de  la  dernière  église  de  Saint-Laurent,  on  a 
inscrit  une  croix  dont  le  transept  a  utilisé  pour  ses  deux 
fonds  le  mur  de  l'église  précédente,  laissant  vagues  les 
quatre  coins  qui  restent  d'un  rectangle  quand  on  y 
inscrit  une  aire  cruciforme  qui  occupe  tout  le  milieu  du 
rectangle  dans  sa  longueur  et  dans  sa  largeur.  §y  ^|  %  f. 

Cette  reconstruction  de  l'église  a  été  faite  sous  Charles 
de  Blois,  mort  en  1364.  Nous  voyons,  en  effet,  par  le  pro- 
cès de  sa  canonisation,  qu'il  fournit  le  bois  qui  fut  alors 
employé  (1). 


(1)  «  Ad  reedificandum  Ecclesiam  S.  Laurenlii  Nannet.  dédit  de 
nemoribus  suis  usque  ad  valorem  LXXX  regalium  auri».  D.Morice, 
Histoire  de  Bretagne.  Preuves,*t.  il,  col.  8.  D'après  Travers,  t.  i, 
p.  436,  le  royal  or  fin  de  63  au  marc  était  à  20  sols  en  1360  et  1364. 


—  424  — 

Fournier,  dans  son  Histoire  lapidaire  de  Nantes,  a 
donné  le  texte,  d'une  inscription  qui  place  en  1356  la 
construction  de  l'église  de  Saint-Laurent,  et  d'autres 
auteurs  ont  répété  ce  renseignement  (1).  Le  texte  de  l'ins- 
cription n'est  pas  plus  authentique  que  celui  de  beaucoup 
d'autres  inscriptions  données  par  cet  ouvrage.  Mais  la 
date  de  1356  peut  être  exacte  :  Fournier  l'a  empruntée  à 
Ogée  (2),  qui  avait  pu  la  trouver  dans  des  documents 
disparus. 

L'église  de  Saint-Laurent  a  subi  quelques  remanie- 
ments au  xviie  et  au  xvme  siècles. 

En  1663,  les  paroissiens  de  Saint-Laurent  voulurent 
obliger  les  bénéficiers  de  la  Cathédrale  qui  avaient  leurs 
maisons  dans  la  paroisse  à  contribuer  aux  réparations 
et  augmentation  de  leur  église.  Le  Chapitre  répondit 
d'abord  que  ces  bénéfices  avaient  pour  paroisse  la  Cathé- 
drale, qu'ils  y  étaient  attachés  par  leur  service,  et  que 
c'était  de  la  Cathédrale  que  l'on  partait  processionnelle- 
ment  pour  leur  administrer  les  derniers  sacrements. 
Cependant,  par  sa  délibération  du  4  septembre  1671,  il 
voulut  bien  consentir  à  donner  «  par  gratification,  la 
somme  de  200  livres  »,  pour  aider  les  paroissiens  à  faire 
ces  réparations.  (3) 

Dans  la  seconde  moitié  du  xvme  siècle,  le  recteur, 
M.  Gallouin,  fit  aussi  à  son  église  d'importantes  modifi- 
cations. Le  2  avril  1773,  il  demanda  au  Chapitre,  des 

(1)  Voici  ce  texte  tel  que  le  donne  Fournier  (t.  i,  p.  167),  qui  dit 
l'avoir  tiré  «  d'une  pierre  calcaire  détruite  avec  l'église  ». 

L'an  M  CCC.  LVI 

Charles,    Comte   de    Blois, 

Duc  de   Bretagne, 

fait  rétablir  cette  église, 

ruinée  pendant   les    derniers 

sièges  de  Nantes. 

Ce  texte,  à  un  ou  deux  mots  près,  a  été  reproduit  par  Mellinet. 
La  Commune  et  la  Milice  de  Nantes,  t.  i,  p.  253. 

(2)  Ogée.  Dictionnaire  historique  et  géographique  de  Bretagne, 
\rt.  Nantes.  Edition  de  1845,  t.  n,  p.  121. 

(3)  Archives  du  Chapitre  :  Délibération  du  25  avril  1663  (A  47, 
f°  103)  et  du  4  septembre  1671. 


-  425  — 

reliques  pour  placer  dans' les  reliquaires    qu'il  faisait 
mettre  sur  l'autel.  (1) 

C'est  probablement  à  l'un  de  ces  travaux  de  réfection 
que  le  portail  et  quelques  autres  parties  de  ce  qui  reste 
doivent  d'avoir  perdu  leur  caractère  ogival  du  xive  siècle. 

L'église  de  Saint-Laurent  était  limitée  au  nord  et  à 
l'est  par  le  presbytère  de  la  paroisse.  Celui-ci  s'étendait 
de  l'impasse  Saint-Laurent  jusqu'au  cours  Saint-Pierre. 
En  voici  la  description,  d'après  le  procès-verbal  de  pri- 
sage,  fait  le  3  décembre  1790  : 

Ladite  maison  est  bornée  «  à  l'orient,  le  cours  des 
Etats  ;  au  midi,  l'église  Saint-Laurent  et  jardin  du  béné- 
fice de  la  Chantrerie  ;  à  l'occident,  la  rue  de  la  Trésorerie  ; 
au  nord,  la  maison  des  sacristes  de  Saint-Pierre  ». 

La  cure  est  composée  de  deux  bâtiments. 

Le  premier,  affermé  à  trois  locataires,  vers  occident, 
la  cave,  rez-de-chaussée  avec  galerie  ayant  porte  sur  un 
cabinet  (attenant  à  une  alcôve),  et  une  ouverture  sur 
l'église  et  deux  étages.  L'encavage  des  caveaux  est  sur  la 
cour,  et  la  porte  d'entrée  par  le  dessous  de  l'escalier  qui 
dessert  les  étages  supérieurs.  Ledit  escalier  est  construit 
en  bois  et  en  encorbellement  au  coté  nord  de  la  maison 
cy-dessus  et  communique  à  chaque  étage  à  une  galerie 
construite  en  bois... 

«  A  l'orient  du  précédent  corps  de  logis,  est  la  maison 
qu'occupe  le  recteur,  avec  un  jardin  au-devant  dominant 
le  cours  des  Etats.  Ladite  maison  consiste  dans  un  rez- 
de-chaussée,  un  premier  étage  avec  un  second  étage  dans 
lequel  sont  des  chambres  en  mansarde  ;  la  façade  sur  le 
jardin  est  décorée  de  deux  avant-corps... 

«  Le  jardin  est  orné  de  tonnelles  construites  en  bois  et 
revêtues  de  palissades.  Dans  les  angles  du  jardin,  vers  la 
cour,  sont  deux  pavillons  construits  en  maçonnerie  et 
couverts  en  ardoise.  » 

La  superficie  du  jardin  est  de  2.380  pieds. 

(1)  Archives  du  Chapitre.  Délibérations,  A   60  f°  139. 


—  426  — 

On  parvient  à  ce  second  corps  de  logis  et  au  jardin  par 
une  cour  étroite  séparée  de  la  rue  de  la  Trésorerie  et  de 
Saint-Laurent  par  dos  murs  à  hauteur  de  clôture  ;  dans 
le  mur  de  cette  dernière  est  pratiqué  le  portail  d'entrée  (1). 

D'après  un  titre  de  1775,  «  la  plus  grande  partie  du 
presbytère  est  des  plus  anciennes  et  a  dû  subsister  long- 
temps avant  1641.  Lors  du  procès-verbal  fait  il  y  a  dix- 
huit  ans,  à  la  mort  du  dernier  recteur,  la  plupart  des 
poutres  et  autres  charpentes  étaient  pourries  :  ce  qui  a 
occasionné  de  grands  frais  pour  le  rétablissement  et  sup- 
pose une  haute  antiquité.  » 

Il  est  à  croire  que  c'est  alors  que  l'on  a  élevé  dans  la 
cave  de  cet  immeuble  les  piliers  ronds  en  maçonne  qui 
soutiennent  les  poutres  du  plancher. 

L'autre  partie  du  presbytère  donnant  sur  le  cours  était 
occupée  par  le  recteur.  Elle  fut  rétablie  à  neuf  par  le  rec- 
teur M.  Gallouin,  sur  un  terrain  déjà  en  constructions 
qu'il  était  nécessaire  de  démolir,à  cause  de  leur  vétusté  (2). 

Les  deux  immeubles  ainsi  décrits  existent  encore  :  leur 
visite  permet  de  juger  de  la  vérité  de  cette  description. 
On  n'a  modifié  que  leur  entrée  principale.  La  démolition 
du  chœur  et  de  tout  le  haut  de  l'église  a  permis  de  faire 
l'escalier  de  pierre  et  les  autres  constructions  qui  donnent 
dans  ce  qui  esL  actuellement  une  cour. 

Le  presbytère  fut  vendu  24.100  livres,  le  18  juin  1791, 
à  la  Municipalité,  qui  avait  formé  le  dessein  de  faire 
déboucher  l'impasse  Saint-Laurent  sur  le  cours.  Par 
suite  de  l'abandon  de  ce  dessein,  l'immeuble  fut  revendu 
à  des  particuliers,  le  21  messidor  an  3,  pour  la  somme  de 
86.000  livres.  Il  est  actuellement  connu  sous  le  nom  de 
maison  Damourette  et  se  trouve  de  nouveau  confisqué, 
ainsi  que  l'église  Sainte-Radegonde,  par  suite  de  la  loi 
de  séparation. 

Du  côté  du  cours,  le  jardin  du  presbytère  était  limi- 
trophe de  celui  de  la  Chantrerie.  Le  passage  actuel  qui 

(1)  Archives  départementales,  série  Q,  liasse  6,747 

(2)  Ibidem,  G  485. 


—  427  — 

débouche  sur  le  cours,  par  une  petite  porte,  ne  date  que 
du  xvme  siècle.  Il  a  été  établi  par  M.  Berthou  de  Querve- 
zio  (1),  grand-chantre,  pour  l'usage  exclusif  de  son  hôtel. 
Précédemment,  la  douve  du  rempart  de  la  ville,  qui 
régnait  sur  toute  cette  partie  du  cours,  empêchait  toute 
issue  particulière  sur  ce  point. 

Le  jardin  situé  au  nord  de  ce  passage  était  le  jardin 
haut  de  la  Chantrerie.  Entre  ce  jardin  et  le  chevet  de 
l'église  Saint-Laurent  se  trouvait  un  petit  endroit  autre- 
fois vague,  dont  le  grand-chantre  ne  tirait  aucun  parti. 
Ce  dernier  l'abandonna  aux  paroissiens  pour  en  faire  une 
sacristie,  comme  nous  l'apprend  l'acte  suivant  daté  du 
9  novembre  1656. 

«  Sur  ce  qui  a  esté  représenté  par  noble  et  discret  messire 
Florimond  Robin,  chanoine  de  Nantes  et  recteur  de  la  pa- 
roisse de  Saint-Laurent  dudit  Nantes,  et  par  aucuns  nota- 
bles paroissiens  de  ladite  paroisse,  à  messire  André  Barrin, 
chantre  de  l'église  dudit  Nantes,  qu'il  y  a  un  petit  eral  et 
emplacement  joignant  l'église  parochialle  dudit  Saint-Lau- 
rent au  dessoubs  du  vitrai  qui  est  au  derrière  du  grand  autel 
de  ladite  église,  lequel  eral  est  des  apartenances  du  logis  de 
la  Chantrye,  et  a  esté  de  tout  temps  vague  et  inutille, 
comme  il  est  encore  à  présent,  remply  d'espines  et  immon- 
dices, lequel  seroict  assez  comode  pour  y  bastir  un  petit 
apentif  qui  serviroit  de  sacristie  à  ladite  église  parochialle, 
dans  laquelle  il  n'y  en  a  poinct  eu  jusques  n  présent,  dont 
ledit  sieur  recteur  et  prestres  qui  y  vont  célébrer  le  divin 
service  reçoivent  une  notable  incomodité,  n'ayant  aucun 
lieu  particulier  pour  se  préparer  à  revestir  les  habits  sacer- 
dotaux, qu'ils  sont  obligez  prandre  devant  tout  le  peuple, 
ce  qui  ne  se  peut  faire  avecque  la  décence  requise,  et  ni  a 
aucun  autre  lieu  joignant  ladite  église  auquel  on  puisse  esli- 
ger  et  bastir  comodement  une  sacristie  qu'audit  eral, 
requerent   lesdits    sieur  et  paroissiens  ledit  sieur  chantre 


(îyjean-Olivier  Berthou  de  Quervezio,  fils  de  Jean-Olivier  et  de 
DUe£Françoise  Allain,  né  le  8  novembre  1689,  et  mort  le  26  mai  1777. 
Il  avait  été  pourvu  de  la  Chantrerie  le  17  février  1731.  Il  fut  aussi 
abbé  de  Pornic. 


—  428  — 
i 

qu'il  eust  agréable  de  leur  accorder  et  délaisser  par  charité 
ledit  emplacement  pour  leur  servir  de  sacristie  et  revestière 
et  permettre  de  prendre,  et  esliger  des  jours  et  fenestres  dans 
la  muraille  qu'ils  feront  bastir,  à  prendre  du  coing  de  lad. 
église  du  costé  de  l'epitre,  à  la  conduire  à  droite  ligne  à  la 
muraille  du  jardin  descendant  de  la  Chantrie,  et  porter  les 
eaux  et  egouts  dudit  apentif  dans  la  court  qui  est  joignant 
ledit  emplacement,  n'estant  pas  possible  de  prendre  des 
jours  ni  faire  porter  l'esgout  des  eaux  dudit  apentif  par  ail- 
leurs. 

A  laquelle  requeste  verballe  ledit  sieur  chantre  désirant 
satisfaire,  et  au  préalable  s'instruire  de  Testât  dudit  eral  et 
amplacement,  il  s'y  seroict  transporté  en  compagnie  dudit 
sr  recteur  et  l'auroict  trouvé  plain  d'espines  et  halliers  joi- 
gnant d'un  costé  à  la  muraille  de  ladite  église  parochialle 
de  Saint-Laurent  au  dessous  du  vitrai  qui  est  au  derrière  du 
grand  autel,  et  d'autre  costé  la  muraille  du  jardin  eslevé  en 
terrasse  despendant  de  la  maison  de  la  Chantrye  d'un  bout, 
vers  nort,  autre  muraille  du  jardin  aussy  eslevé  en  terrasse, 
despendant  du  presbytère  dudit  Saint-Laurent,  et  d'autre 
bout,  vers  midy,  un  petit  apentif  basty  dans  le  bout  d'unepe- 
tite  court  qui  est  au  joignant  par  endroict  ledit  eral  et  ampla- 
cement, et  ayant  faict  mesurer  ledit  amplacement  il  s'est 
trouvé  contenir  10  pieds  de  largeur  entre  les  murailles  et 
jardin  de  la  Chantrye  et  15  pieds  de  longueur  entre  la  mu- 
raille ou  jardin  dudit  presbitaire  et  ledit  apentif  qui  est  esle- 
vé sur  piliers  de  bois  au  bout  de  lad.  petite  court. 

Et  auroict  recognu  et  remarqué  que  ledit  eral  est  tout  à 
fait  inutille  au  logis  de  la  Chantrye  et  que  l'apentif  qui  seroict 
basty  ne  pouroict  aporter  aucune  incomodité  audit  logis  ni 
à  la  petite  court,  vers  et  sur  laquelle  il  seroict  absolument 
nécessaire  de  faire  porter  les  eaux  de  l'esgout  et  prendre  les 
jours  et  veues  dudit  apentif.  » 

Par  suite  de  la  donation  du  grand-chantre,  les  parois- 
siens purent  construire  une  petite  sacristie  qui  recevait 
le  jour  principalement  par  des  verres  morts  insérés  dans 
la  toiture. 

Les  dimensions  contenues  dans  cet  acte  sont  de  la  plus 
grande  exactitude.  Elles  nous  ont  servi  à  indiquer  sûre- 


—  429  — 

ment  l'endroit  où  il  fallait  donner  le  coup  de  pioche  pour 
retrouver  les  fondations  du  mur  du  chevet,  dont  rien 
extérieurement  n'indiquait  la  situation. 

La  paroisse  de  Saint-Laurent  était  peu  considérable. 
Elle  était  bornée  :  à  l'est  par  le  rempart  de  la  ville,  rem- 
placé par  les  murs  qui  s'étendent  le  long  du  cours  depuis 
la  rue  Prémion  jusqu'à  la  Cathédrale;  au  nord  par  la 
Cathédrale,  continuée  par  la  place  Saint-Pierre;  à  l'occi- 
dent par  la  rue  Saint-Denys,  qui  limitait  le  grand  archi- 
diaconé  de  Nantes,  puis  par  la  rue  des  Carmélites  jus- 
qu'au monastère  des  religieuses  de  ce  nom  qui  était  situé 
eh  Sainte-Radegonde.  De  ce  point  partait  une  ligne  qui 
traversaitlarueMathelin  Rodier  pour aboutirau rempart. 

Une  si  petite  étendue  ne  pouvait  être  occupée  que  par 
une  population  peu  nombreuse.  Un  titre  de  1775  donne 
à  cette  paroisse  seulement  800  habitants. 

Comme  beaucoup  de  petites  paroisses,  elle  était  pauvre. 
En  1597,  d'après  l'abbé  Travers,  elle  n'avait  pour  tout 
revenu  que  six  livres  de  rente  constituée  et  se  servait  de 
deux  écuelles  de  terre  pour  faire  ses  quêtes,  dans  l'église, 
aux  jours  de  fête  (1). 

Cette  même  année,  le  Bureau  de  ville  ayant  décrété 
une  levée  de  2.000  écus  sur  les  habitants,  pour  les  fortifi- 
cations de  Nantes,  la  paroisse  de  Saint-Laurent  fut,  dans 
leur  répartition  par  paroisse,  taxée  seulement  à  145  écus. 
Le  tableau  fait  pour  «  l'esgaii  »  de  cet  Le  somme,  comprend 
76  personnes,  49  laïcs  et  27  ecclésiastiques.  Ces  derniers, 
à  eux  seuls,  sont  taxés  à  près  de  100  écus.  La  liste  ne 
comprend  que  cinq  artisans  :  trois  couturiers,  un  vitrier 
et  un  fourbisseur.  Ils  sont  taxés,  ainsi  que  trois  veuves, 
à  cinq  sols,  tandis  que  l'ecclésiastique  le  moins  imposé 
l'est  à  45.  Le  reste  des  laïcs  imposés  appartient  aux  clas- 
ses libérales,  maîtres  de  la  Chambre  des  Comptes,  no- 
taires, etc.  Le  menu  peuple  reste  complètement  étranger 
à  cette  imposition  (2). 

(1)  Travers.  Histoire...  de  Nantes,  t.  in,  p.  439. 

(2)  Archives  départementales,  G  485. 


430 


Au  xvme  siècle,  la  paroisse  avait  peine  à  couvrir  les 
frais  du  culte.  En  1786,  la  ferme  des  bancs  ne  lui  procu- 
rait que  101  1.  10  s.  et  les  enterrements  que  97  livres. 

L'état  peu  brillant  de  ses  finances  imposait  à  ses  mar- 
i^uilliers  une  charge  au-devant  de  laquelle  ils  ne  volaient 
pas  toujours  avec  enthousiasme.  M.  de  Monti  Pilletière 
ayant  été  nommé  marguillier  le  31  janvier  1779,  il  fallut 
un  arrêt  du  Parlement  pour  lui  ordonner  d'en  remplir 
les  fonctions  (1). 

Comme  M.  de  Monti  avait  allégué  sa  qualité  de  gentil- 
homme pour  ne  pas  être  marguillier,  on  lui  répondit  que  la 
paroisse  de  Saint-Laurent  recrutait  ses  marguilliers  sur- 
tout dans  la  noblesse  :  ce  qu'on  lui  montra  en  dressant  la 
liste  suivante,  où  l'on  ne  trouve  en  effet  que  des  grands 
noms  du  pays  nantais. 

1743.  Messire  René  Bernard  de  la  Turmelière. 

1744.  Ecuyer  Berthelot  de  la  Paragère. 

1745.  Messire  de  la  Barre. 

1746.  Messire  de  Trévelec  de  Kerollivier,    ancien   Con- 

seiller du  Parlement. 

1747.  Messire  Godet  de  Châtillon. 

1748.  Messire  Hubert  de  la  Massue. 

1749.  Messire  de  Couëtis  des  Bretaudières. 

1750.  Messire  Thomas  de  Biré  de  Saint-Agnan. 

1751.  Messire  Joseph  de  la  Pommeraye  de  Kerambart. 

1752.  Messire  Dangui  le  jeune, ancien  Maître  des  Comptes. 

1753.  Messire  Gouin   fin   Vivier. 

1754.  Messire  de   Monli   de  Beaulois,   père  du  refusant 

d'aujourd'hui. 

1755.  Messire  de  Chambelé. 

1756.  Messire  de  Vay  de  la  Fleuriais,  anc.  cons.  du  Par- 

lement. 

1757.  Messire  de  Boussineau. 

1758.  Messire  de  Biré  de  la  Sénegerie. 

1759.  N.  h.  le  Page  de  Lingerville. 

(1)  Archives  départementales,   G  485. 


431 


1760.  Messire  de  Jasson  de  la  Blotière,   ancien  grand 

bailli  d'épée. 

1761.  Ecuyer  Jouanaulx,  il  avait  une  charge  à  la  cour 

et  30.000  1.  de  rente. 

1762.  Messire  Espivent  de  la  Villeguevray. 

1763.  Messire  de  Kervion. 

1764.  Ecuyer  Ffos,  américain  ;  il  avait  une  charge  mili- 

taire et  25.000  1.  de  rente. 

1765.  Messire  Bougrenet  de  la  Tocquenaye. 

1766.  Messire  d'Aux,  fils,  marquis  de  Villaine. 

1767.  Messire  de  Cornulier  du  Vernay. 

1768.  Messire  de  Martel,  baron  de  Rié. 

1769.  Messire  chevalier  de  Vay. 

1770.  Messire  Danguy  de  Vue. 

1771.  Messire  Espivent. 

1772.  Messire  de  Robineau  de  Bougon. 

1773.  Messire  de  Trevelec,  fils. 

1774.  Messire  Le  Flo  de  Tremelo.  fils. 

1775.  Messire  de  la  Barre,  fils. 

1776.  N.  h.  Guérineau,  américain. 

1777.  Messire  de  Biré  de  la  Marionnière. 

Le  recteur  tirait  peu  de  ressources  de  son  bénéfice. 
Pour  les  augmenter,  dès  1569,  on  unit  à  sa  cure  la  chapel- 
lenie  du  Bas-Chemin,  et  en  1761,  un  décret  épiscopal  du 
30  janvier  lui  unit  encore  la  chapellenie  de  la  Richardière, 
à  la  charge  pour  le  recteur  d'en  remplir  les  obligations. 

Mais  la  situation  de  fortune  des  recteurs  vint  parfois 
au  secours  de  l'indigence  de  la  paroisse.  Travers  nous 
apprend  que  M.  Cassard,  son  fameux  recteur  janséniste, 
«  par  ses  soins  et  ses  propres  dons,  mit  la  fabrique  et  les 
revenus  de  la  cure  dans  un  meilleur  état.  »  (1). 

Une  délibération  du  Général  de  la  paroisse  peut  servir 
à  justifier  ce  que  dit  Travers.  Dans  cette  délibération  du 

(1)  Travers.  Histoire.,  de  Nantes,  t.  ni,  p.  439.  M.  Nicolas  Cassard 
fut  exilé  pour  son  jansénisme  à  l'abbaye  de  Saint- Michel-en-1'Herm 
et  mourut  à  celle  de  Saint- Maixent,  le  5  octobre  1732.  Il  était  l'on- 
cle de  Jacques  Cassard.  l'illustre  corsaire  nantais. 

Soc.  ArchéoL  Nantes.  29 


-  432  — 

25  décembre  1721,  le  recteur,  M.  Cassard,  remet,  en  effet, 
au  Général  5.0001.  de  principal  pour  l'acquisition  de  100  1. 
de  rente  annuelle,  à  savoir  :  1.000  provenant  de  la  fonda- 
tion faite  par  de  Jeanne  Pélagie  de  Mazoyer,  veChauvet  ; 
600  de  la  fondation  Nicole  Guillard  ;  400  de  la  fondation 
Anne  Bernard,  ve  du  srBouchaud  de  la  Ramée  ;  200  de  la 
fondation  delà  dede  Chevigné  de  la  Salmondière;  et  2.8001. 
données  par  lui,  «  pour  rétablir*  et  soutenir  lesdites  fonda- 
tions tombées  par  le  franchissement  en  billets  de  banque 
et  la  réduction  au  dernier  50,  pour  en  acquitter  les  char- 
ges... qui  consistent  à  chanter  la  grand-messe,  vêpres  et 
le  salut,  aux  jours  de  Pâques,  la  Pentecôte,  la  Fête-Dieu, 
dimanche  dans  l'octave,  et  le  salut  pendant  l'octave  du 
Saint-Sacrement,  l'Ascension,  le  jour  de  Saint-Laurent, 
l'Assomption,  la  Toussaint,  Noël ,  la  Ciconcision ,  les 
Roys,  la  Purification,  plus  deux  messes  basses  par  chaque 
mois  de  l'année,  le  1  et  le  15.  »  (1). 

La  générosité  de  M.  Cassard  fut  dépassée  par  celle  de 
M.  Julien  Gallouin,  le  dernier  recteur  de  Saint-Laurent. 
Il  fit  à  ses  frais  des  réparations  importantes  dans  son 
presbytère  et  dans  son  église. 

«  Le  recteur  actuel,  lisons-nous  dans  un  titre  de  1775, 
riche  de  patrimoine,  a  suppléé  jusqu'ici  à  toutes  les 
dépenses  qu'il  a  fallu  y  faire,  et  depuis  près  de  24  ans 
qu'il  est  recteur,  il  y  a  employé  plus  de  14.000  livres  de 
son  argent.  C'est  un  fait  que  personne  de  la  paroisse 
n'ignore  et  dont  l'évidence  saute  aux  yeux  de  tous  ceux 
qui  ont  vu  l'église  toute  délabrée  et  manquant  générale- 
ment de  tout  avant  lui,  et  qui  la  voyent  aujourd'hui 
bien  entretenue  et  dans  la  plus  grande  propreté  (2)  ». 

On  comprend  la  douleur  que  dut  éprouver  ce  véné- 
rable recteur  quand,  parvenu  à  l'âge  de  69  ans,  la  Révo- 
lution lui  enleva  son  église  restaurée  à  ses  frais,  et  le  chas- 
sant d'une  paroisse  dont  il  était  curé  depuis  30  ans  passés, 


(1)  Archives  départementales,  G  484» 

(2)  Archives  départementales  ,G  485. 


-  433  — 

ne  lui  laissa  d'autre  liberté  que  de  choisir  le  lieu  de  son 
exil. 

La  peine  que  les  paroissiens  avaient  à  entretenir  leur 
église,  poussa  quelques-uns  d'entre  eux  à  demander  sa 
suppression  et  son  annexion  à  la  Cathédrale.  Le  11  mai 
1759,  le  Chapitre  nomma,  en  effet,  deux  de  ses  membres 
«  commissaires  pour  entendre  les  propositions  que  font 
quelques  paroissiens  de  la  paroisse  de  Saint-Laurent,  ten- 
dante à  demander  la  suppression  de  leur  église  parois- 
siale et  que  le  service  en  soit  transféré  et  fait  à  la  Cathé- 
drale. »  (1)  L'assemblée  générale  de  Saint-Laurent  dut 
délibérer  sur  ce  sujet  le  20  mai  suivant.  Nous  ignorons  ce 
qu'il  y  fut  décidé.  Mais  comme  M.  Gallouin  fut  nommé 
cette  année  recteur  de  la  paroisse,  on  peut  attribuer 
l'abandon  de  ce  dessein  à  son  activité  et  à  sa  générosité. 

Du  reste,  ceux  de  ses  paroissiens  trop  pressés  qui 
rêvaient  en  1759  de  la  suppression  de  leur  église  n'eurent 
qu'à  se  laisser  vivre  jusqu'en  1790  ;  ils  purent  voir  alors 
la  réalisation  de  leurs  vœux.  Le  6  octobre  de  cette  année, 
un  arrêté  du  Directoire  du  Département  supprima  les 
paroisses  de  Saint-Jean,  de  Saint-Laurent,  de  Sainte- 
Radegonde  et  Notre-Dame,  et  en  forma  la  paroisse  Saint- 
Pierre.  Mgr  de  la  Laurencie  protesta  contre  cet  arrêté  qui 
émanait  exclusivement  de  l'autorité  civile.  Mais  ce  que 
cette  mesure  avait  d'anti-canonique  a  été  depuis  légalisé 
par  le  Concordat. 

v  L'histoire  locale  n'a  guère  enregistré  qu'un  fait  remar- 
quable dont  l'église  Saint-Laurent  ait  été  le  théâtre  :  la 
réunion,  en  1105,  d'une  assemblée  de  hauts  dignitaires 
ecclésiastiques,  réunion  que  l'abbé  Travers  a  qualifiée  de 
concile.  On  y  vit,  avec  l'évêque  de  Nantes  Benoît,  Raoul, 
archevêque  de  Tours,  Morvan,  évêque  de  Vannes,  Alde- 
bert,  évêque  du  Mans,  le  célèbre  Marbode,  évêque  de 
Rennes,  Benoît,  évêque  de  Quimper,  Judicael,  évêque 
d'Aleth  ou  Saint-Malo,  Guillaume,  abbé  de  Saint-Florent, 

(1)  Délibérations  du  Chapitre,  A  63,  f°  172  v°. 


-  434  — 

Lambert,  abbé  de  Saint-Nicolas  d'Angers,  Justin,  abbé 
de  Redon,  Brice,  abbé  de  Vertou,  et  Foucher,  abbé  du 
Saint-Sépulcre  de  Beaulieu. 

Il  y  avait  là  évidemment  tous  les  éléments  d'un  con- 
cile provincial.  Mais  cette  réunion  d'évêques  et  d'abbés 
eut  lieu  dans  l'église  de  Saint-Laurent  le  17  des  calendes 
de  février,  c'est-à-dire  le  16  janvier  1105.  Or,  lecartulaire 
de  Redon  parle  d'un  concile  de  Nantes  qui  eut  lieu  cette 
même  année,  mais  le  second  des  ides  de  mai,  c'est-à-dire 
le  14  mai.  On  peut  se  demander  s'il  y  a  eu  vraiment  deux 
conciles  à  Nantes  en  cette  année,  ou  si  tous  ces  prélats  ont 
fait,  dans  notre  ville,  un  aussi  long  séjour.  Il  est  vrai  que 
l'abbé  Travers  a  placé  la  réunion  du  16  janvier  en  1106, 
et  son  autorité  en  a  parfois  imposé  à  ceux  qui  ont  eu  à 
parler  de  ce  concile  de  Nantes.  Il  pouvait  alléguer  que, 
par  la  réduction  du  style  ancien  en  style  nouveau,  le  16 
janvier  1105,  date  de  notre  charte,  correspond  au 
16  janvier  1106  :  mais  les  autres  notes  chronographiques, 
telle  que  l'épacte  et  l'indiction,  mentionnées  dans  cette 
charte,  ne  permettent  pas  cette  réduction,  et  l'acte,  par 
suite,  est  parfaitement  daté  (1). 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'église  Saint-Laurent  ne  revit 
jamais  une  assemblée  aussi  vénérable,  et  son  existence 
se  passa  obscurément  au  service  de  ses  paroissiens,  allant 
jusqu'à  leur  ouvrir  son  sol  pour  les  recevoir  après  leur 
mort. 

C'est  ainsi  qu'elle  reçut  les  restes  de  Mathelin  ou  Ma- 
thurin  Rodier,  l'architecte  de  la  Cathédrale  et  du  Château 
de  Nantes  (2).  Il  y  était  allé  rejoindre  sa  femme,  Edeline 
Ponset,  et  attendait  la  résurrection  près  d'elle,  dans  cet 


(1)  «  Datum  Nannetis  in  Ecclesia  S.  Laurentii,  xvn  Kalendas 
februarii,  Lima  xxvii,  Epacta  ni,  concurrente  vi.  lndict.  xn. 
anno  ab  Incarnatione  Domini  M  C  V.  »  D.  Morice,  Preuves,  t.  I, 
p.  509  :  Cf.  Travers,  UisL.  de  Nantes,  t.  I,  p.  233,  et  Art  de  véri- 
fier les  dates,  p.  23. 

(2)  Nous  avons  publié  une  partie  de  son  testament  dans  notre 
étude  sur  «  Un  architecte  de  cathédrale  au  xve  siècle  »  parue 
dans  le  Bulletin  de  la  Société  d'Archéologie  en  1899. 


—  435  — 

endroit  si  bien  choisi,  entre  les  deux  monuments  remar- 
quables que  Nantes  doit  à  son  talent. 

Deux  fois  chaque  année,  en  exécution  d'une  fondation 
qu'il  avait  faite  en  faveur  de  la  société  des  chapelains  de 
Saint-Guillaume,  ces  derniers  se  rendaient  procession- 
nellement  de  la  Cathédrale  à  Saint-Laurent,  prier  sur  la 
tombe  des  fondateurs,  au  jour  de  leur  anniversaire,  et 
entretenaient  ainsi  leur  souvenir  toujours  vivant. 

Ni  la  fondation,  ni  les  restes  du  grand  architecte  nan- 
tais n'ont  trouvé  grâce  devant  la  Révolution.  L'église 
ayant  été  vendue,  comme  bien  national,  24.000  livres,  le 
21  messidor  an  III,  un  des  premiers  soins  de  l'acquéreur 
a  été  de  demander,  le  3  thermidor  suivant  (1),  à  la  Muni- 
cipalité de  Nantes,  l'autorisaiton  de  transporter  au  cime- 
tière de  la  Bouteillerie  tous  les  ossements  conservés  dans 
ce  sol  bénit. 

Au  cours  de  fouilles  faites  par  la  Société  d'Archéologie, 
nous  avons  pu  constater  que  cet  acquéreur  a  bien  ratissé 
tous  les  ossements  de  ces  pauvres  chrétiens,  et  qu'il  n'en 
est  échappé  que  quelques-uns  à  cette  profanation. 

L'église  de  Saint-Laurent  rappelle  aussi  un  souvenir 
qui  doit  être  cher  aux  amis  de  Victor  Hugo.  C'est  là  que 
sa  mère,  Sophie-Françoise  Trébuchet,  a  été  baptisée,  le 
19  juin  1772  (2).  Le  poète  a  dit  à  tort  que  sa  mère  était 
«  vendéenne  »  :  c'est  Nantaise  qu'il  eût  dû  dire  pour  être 
exact.  Mais  ne  le  chicanons  pas  pour  ce  mot. 

Quoi  qu'il  en  soit,  c'est  peut-être  à  cette  circonstance 
que  l'église  Saint-Laurent  de  Nantes  devra  d'être  un  jour 
plus  connue  des  étrangers,  et  de  voir  peut-être  ses  hum- 
bles restes  reproduits  dans  des  ouvrages  destinés  à  rappe- 
ler tout  ce  qui,  de  près  ou  de  loin,  touche  à  Victor  Hugo. 

La  cure  de  Saint-Laurent  était  à  la  présentation  du 


(1)  Archives  municipales.  Délibérations,  f°  40. 

(2)  Cet  acte  de  baptême  a  été  publié  par  M.  S.  de  la  Nicolière 
Archives  Municipales  de  la  ville  de  Nantes,  GG  149,  t.  n,  p.  310.  On 
lira  avec  un  vif  intérêt,  sur  Françoise  Trébuchet,  l'étude  que  lui 
a  lui  a  consacrée  M.  Dominique  Caillé. 


—  436  -~ 

chanoine  de  la  Cathédrale,  titulaire  de  la  cinquième  pré- 
bende sous-diaconale  (1). 

Voici  les  noms  de  ses  recteurs,  que  nous  avons  pu  rele- 
ver dans  des  actes  divers  : 

Hugo,  capellanus  S.  Laurentii,  v.  1128. 

G.,  capellanus  S.  Laurentii,  v.  1277. 

Guy  de  Vieillevigne,  1384. 

D.  Guillaume  Pailluczon,  1400. 

Guil.  Recoursaut,  chne  de  Notre-Dame,  1441  ;l  170. 

Jean  Recoursaut,  neveu  du  précédent,  1478. 

Pierre  Apvril,   1491. 

Pierre  Le  Mareschal,  1498. 

Guil.    Gralan,    1502. 

Jeh.  Le  Tort,  f  1539. 

Jul.  Morin,  1539. 

Jacq.  de  la  Tullaye,  f  1549. 

Nie.  Poupart,  1549-         .  ' 

Jeh.  Bricard,    1563. 

Jean  Paigeaud,  -1564. 

Jean  Hervouet,  1564-1574. 

Clément  Boursier,  1574. 

Berthelemy  Ridier,  1574fl597. 

François  Binaud,  1597fl611. 

Jean  Lohier,  1611-1615. 

Lancelot  Texier,  1615-1623. 

Jean  Aillery,  1630fl635. 

René  Chollet,  1635fl653. 

Floiimond  Robin,  chne,  1653-1680. 

Franc.  Robin,  chne,  1680- 

Vincent  Juffrineau,  1687fl694. 

Henri-Ch.  du  Moulin  Henriet,  1694-1698. 

Nicolas  Cassard,  1698fl732. 

Nicolas  Quesson,  1732-1759. 

Julien  Gallouin,  1759-1790. 

(1)  V.  notre  étude  sur  *  Le  Chapitre  de  l'Eglise  de  Nantes»,  p. 19. 


—  437  — 
Fondations  desservies  dans  l'église  de  Saint-Laurent 

1.  Chapellenie  du  Bas-Chemin.  Fondée  à  l'autel  de 
Notre-Dame,  le  24  septembre  1464,  par  Me  Guillaume 
Lesné,  clerc  de  Nantes,  avocat  en  cour  d'église,  inhumé 
dans  la  nef  de  l'église  de  Saint-Laurent. 

Le  fondateur  lui  assigne  pour  fonds  le  «Bas-Chemin  », 
en  Saint-Donatien,  et  des  rentes  sur  une  maison  de  la  rue 
de  Verdun,  aujourd'hui  rue  de  la  Commune. 

Elle  était  à  la  présentation  du  recteur  et  fut  réunie  à  la 
cure  par  l'évêque  Philippe  du  Bec,  le  9  décembre  1569. 
Depuis  cette  annexion,  ce  bénéfice  s'est  aussi  appelé  «  Le 
petit  Saint-Laurent  ». 

Un  titre  de  1683  place  la  maison  du  Bas-Chemin,  autre- 
ment appelée  tenue  Lucas  Trochu,  sur  le  chemin  de 
Nantes  à  Portric  et  à  Carquefou,  entre  les  terres  de  la 
Censive,  du  Chapitre  et  du  Plessis-Tizon.  La  tenue  du 
Bas-Chemin  ou  du  Petit-Saint-Laurent  était  affermée 
120  1.  en  1733,  140  1.  en  1777,  200  1.  en  1775.  Le  temporel 
du  «  Légat  du  Bas-Chemin  »,  comprenant  la  borderie  du 
Bas-Chemin  et  de  la  Petite-Brehaudière,  fut  vendu 
28.000  1.  le  30  décembre  1790  (1). 

La  fondation  était  primitivement  de  trois  messes  par 
semaine. 

2.  Chapellenie  de  la  Richardière.  Fondée  par  Guillaume 
Lesné,  en  1464,  en  même  temps  que  celle  du  Bas-Chemin. 
Le  fondateur  lui  assigne  pour  fonds  «  la  Richardière  »,  en 
Saint-Donatien,  terre  qu'il  avait  acquise  de  Thomas  de 
la  Richardière,  et  que  d'autres  titres  disent  située  sur 
l'Erdre,  à  une  lieue  de  la  ville. 

Elle  était  à  la  présentation  du  recteur  et  fut  unie  à  la 
cure  par  lettres  patentes  du  roi,  données  à  Versailles  au 
mois  d'avril  1761,  sur  décret  épiscopal  du  30  janvier  pré- 
cédent. 

(1)  Archives  départementales,  G  483  et  série  Q.  Cf.  Archives  du 
Chapitre,  Délibération  du  28  octobre  1569. 


—  438  — 

Ce  bénéfice  était  primitivement  chargé  de  trois  messes 
par  semaine.  Son  temporel  comprenait  un  droit  de  tiers 
sur  des  vignes  au  village  des  Coufins.  Ce  droit  fut  vendu 
15.700  1.  le  9  avril  1791  (Arch.  départ.,  G  483  et 
série  Q). 

3.  Chapellenie  de  Me  Guillaume  Recoursaut,  chanoine 
de  la  collégiale  et  recteur  de  Saint-Laurent,  fondée  par 
son  testament  du  3  septembre  1479. 

La  fondation  est  de  deux  messes,  l'une  le  dimanche. 
au  grand-autel,  aussitôt  après  la  grand-messe;  l'autre  le 
vendredi,  à  un  autel  qu'on  doit  construire  près  du  grand, 
du  côté  de  la  Chantrerie  ;  à  la  présentation  du  recteur  et 
des  paroissiens.  (Arch.  départ.,  H    225). 

4.  Chapellenie  saint  Jacques,  saint  Samson  et  saint 
Antoine,  fondée  le  8  mars  1474,  par  testament  de  Raoul 
Moreau,  scholastique  de  l'église  de  Nantes,  desservie  à 
l'autel  saint  Jacques,  saint  Samson  et  saint  Antoine. 

En  1638,  elle  était  desservie  d'une  messe  à  l'autel  de 
sainte  Catherine  et  jouissait  de  42  liv.  de  rente  sur  des 
logis  de  la  ville,  au  Pilori,  près  de  Sauvetout  et  à  Riche- 
bourg.  (Arch.  départ.,  G  484.) 

5.  Chapellenie  fondée  par  Jean  Andillanarech,  à  l'autel 
de  saint  Christophe,  dans  la  chapelle  contiguë  à  l'église 
paroissiale.  «  Ad  altare  B.  Christophori,  in  capella  conti- 
gua  ecclesie  parrochiali  S.  Laurentii  Nannetensis. 

En  1475,  elle  était  à  la  présentation  de  Pierre  et  Jean 
les  Colins,  enfants  de  Robert  et  de  Perrine  Andillana- 
rech, fille  dudit  Jean.  Yves  Cocheteau,  recteur  de  Bona- 
ban,  diocèse  de  Dol,  l'échangea  avec  Jean  Colin  pour  sa 
cure  (Arch.  du  Chapitre,  A  139). 

6.  Trois  légats,  fondés  par  Guillaume  Trochu  et  dotés 
par  lui,  en  1520  et  1522,  d'une  rente  de  10  1.  10  s.  sur  la 
Cormeraye  en  Monnières,  possédés  en  1589  par  Nicolas 
Trochu.  (Arch.  départ.,  G  483). 


—  439  — 

7.  Chapellenie  N.-D.,  fondée  par  noble  maître  Alain 
Mandart,  auditeur  de  la  Chambre  des  Comptes,  greffier 
du  Conseil  et  de  la  Chancellerie  du  Duché,  seigneur  de  la 
Marière  et  de  la  Botière,  par  testament  du  3  juillet  1536. 
Il  demande  dans  ce  testament  à  être  inhumé  à  Saint- 
Laurent,  devant  l'autel  N.-D.  ;  on  lui  dira  mille  messes, 
«  un  trentain  solennel,  ainsi  qu'est  de  bonne  coustume.  » 

Cette  chapellenie,  à  la  présentation  du  recteur  et  des 
fabriqueurs,  était  primitivement  de  deux  messes  par 
semaine,  puis  fut  réduite  à  une,  et,  le  12  janvier  1665, 
vu  la  modicité  de  son  revenu,  qui  n'était  que  25  1.  18  s., 
elle  fut  de  nouveau  réduite  à  une  messe  tous  les  quinze 
jours. 

Son  temporel  consistait  en  différentes  rentes  assignées 
par  son  fondateur  sur  des  maisons  sises  à  la  Fosse,  au 
carrefour  Saint-Denis,  rue  de  Briord  et  en  Saint-Laurent. 
(Arch.  départ.  G  484). 

8.  Chapellenie  du  Vieil  Crucifix,  fondée  de  12  messes 
par  an  au  grand-autel  ;  à  la  présentation  de  l'Ordinaire  : 
revenu  de  8  1.  sur  un  logis  de  la  ville  et  vignes  en  Saint- 
Donatien;  mentionnée  en  1638.  (Arch.  départ.,  G  47, 
f°  39.) 

9.  Chapellenie  des  Leçons  ou  de  Sainte-Marguerite, 
fondée  à  l'autel  de  Notre-Dame  (1639)  ;  de  Sainte  Mar- 
guerite (1650).  Le  chapelain  devait  désigner  les  chanoines 
ou  les  choristes  qui  avaient  à  lire  les  leçons  à  l'office,  et 
remplacer  les  choristes  en  leur  absence. 

A  la  présentation  du  plus  ancien  chapelain  du  côté 
gauche  ou  du  côté  du  nord.  Le  temporel  consiste  dans 
une  maison,  dite  des  Leçons,  rue  des  Carmélites,  bornée 
au  midi  par  la  maison  des  Trois-Maries,  au  nord  par  celle 
de  la  Sous-Chantrie.  (Arch.  du  Chapitre,  A  47,  199). 

10.  Une  messe  tous  les  mercredis,  autel  de  N.-D.,  fon- 
dée par  les  Moquards,  mentionnée  en  1638,  et  dotée  d'une 
rente  de  25  1.  payée  par  les  fabriqueurs. 


—  440  - 

11.  Une  messe  basse  le  samedi  à  11  heures,  autel  de 
N.-D.  Fondée  le  6  septembre  1706  par  messire  René  le 
Marié,  sgr  de  la  Garnison,  Cons.  du  Roi,  Maître  ordinaire 
et  doyen  de  la  Chambre  des  Comptes,  demeurant  en  son 
hôtel  de  la  Ville-Eon,  rue  de  Saint-Gildas,  en  Saint-Lau- 
rent, et  dame  Catherine  de  Santo-Domingue,  son  épouse; 
avec  deux  services  le  jour  de  leur  mort.  Mariés  le  4  mai 
1658,  les  fondateurs  moururent,  le  premier  le  19  août 
1706,  la  seconde  le  28  juillet  1729. 

La  fondation  était  de  1001.  de  rente,  payées  en  1724, 
la  moitié  par  M.  de  la  Rastardière  du  Fouay,  chanoine  de 
N.-D.  et  consorts,  et  madame  de  la  Forest-Ninon  (de 
Quimper),  héritiers  du  sr  de  la  Garnison  ;  et  moitié  par 
M.  de  la  Rouvraye,  Madame  du  Rois  Ridé  et  la  famille  de 
Santo-Domingue  ;  et  en  1766,  par  de  Julie-Marie  d'Espi- 
nose,  veuve  de  messire  Hilarion  du  Rochier,  sgr  du  Letier, 
héritière  de  d«  Guyonne  de  Santo-Domingue,  sa  mère 
héritière  en  partie  de  de  Catherine  de  Santo-Domingue. 

12.  24  messes  basses  par  an,  fondées  par  de  Jeanne- 
Pélagie  de  Mazoyer,  veuve  Chauvet,  décédée  avant  1721. 

13.  Un  service  anniversaire  pour  de  Perrine  Molay, 
de  de  Grilleau. 

En  1721,  le  revenu  était  de  20  livres,  assis  sur  une  mai- 
son de  la  Grand'Rue,  vis-à-vis  la  rue  des  Carmélites.  Sur 
ces  20  1.,  17  étaient  allouées  à  l'entretien  de  la  lampe,  et 
3  pour  le  service.  La  fabrique  jouissait,  en  outre,  d'une 
rente  foncière  de  10  livres,  assise  sur  le  village  et  tène- 
ment  de  la  Macre,  autrement  Reautour,  en  Vertou.  Cette 
rente  lui  avait  été  assignée  le  25  février  1691  par  «  dame 
Marie-Françoise  Gabard,  ve  de  messire  de  Monti,  inhumé 
proche  les  fonts  baptismaux  de  cette  église.  »  Les  parois- 
siens lui  avaient  concédé,  en  retour  le  droit  d'avoir  «  une 
pierre  tombale  de  cuivre  armoyée  de  ses  armes  et  sur 
laquelle  il  sera  escript  en  grosses  lettres  : 

«  Cy-gist  le  corps  de  messire  Charles  de  Monti,  vivant 


441 


chevallier,  seigneur  de  la  Maillardière,  la  Rousselière,  de 
Monti  et  autres  lieux,  décédé  le  cinquième  janvier  1691, 
aagé  de  48  ans.  Priez  Dieu  pour  son  âme.  »  (1). 

G.   DURVILLE. 


Nota.  —  Le  plan  qui  accompagne  cette  étude  a  été 
dressé  par  M.  J.  Furret,  architecte,  membre  de  la  Société 
Archéologique,  d'après  les  plans  de  Nantes  au  XVIIe  siè- 
cle, rectifiés  par  les  découvertes  survenues  au  cours  des 
fouilles  faites  par  la  Société  d'Archéologie  en  décem- 
bre 1908. 


(1)  Archives  départementales,  G  483.  Pour  les  autres  sépultures 
faites  dans  l'église  de  Saint-Laurent  ainsi  que  pour  tous  les 
autres  actes  de  mariage  ou  de  baptême,  on  peut  consulter  les 
registres  de  la  paroisse,  conservés  aux  Archives  municipales 
liasse  GG  137  et  suivantes.  Ces  registres  remontent  à  1565. 


:':":%: 


H 

z- 

«! 
i 

H 

© 

© 

-p 
>i 

ce 
© 

0 
0 

c 


PLAN  / 
de  l'Église  Paroissiale 
.  de  SAINT-LAURENT 
au  XVIII'  siècle 


,-   ^  •-■-•  ■:■_ 


JscristùA, 


W 

M 

H 

S 
O 

«! 


3 

es 

(D 

m 

•d 
o 


0) 

o 

w 

a 

<D 

>— i 
t— i 
<D 

O 

«i 


Place 


M.   Edouard   PIED 


NECROLOGIE 


Monsieur    Edouard    PIED 


Messieurs  et  chers  Collègues, 

Un  deuil  cruel  est  venu  frapper  la  Société  d'Archéolo- 
gie dans  la  personne  de  son  dévoué  trésorier,  M.  E.  Pied. 

M.  Pied  n'était  point  Nantais  d'origine,  il  était  né  à 
Saint-Omer,  mais  dès  le  début  de  sa  carrière  administra- 
tive, il  avait  été  appelé  à  Nantes  comme  second  commis 
d'économat.  Il  ne  conserva  ce  poste  que  peu  de  temps, 
il  fut  bientôt  nommé  premier  commis  à  Coutances,  puis  à 
Vanves. 

C'est  au  lycée  de  Vanves,  pendant  les  années  1870  et 
1871,  qu'il  sut  déployer  toutes  ses  qualités  administra- 
tives. Resté  seul  dans  ce  lycée  confié  à  sa  garde,  il  montra 
à  ce  poste  de  combat,  particulièrement  dans  les  premiers 
mois  de  1871,  un  courage  et  une  fermeté  qui  lui  valurent 
un  peu  plus  tard  d'être  promu  économe  du  lycée  de  Saint  - 
Brieuc.  Il  n'avait  alors  que  34  ans.  Il  ne  quitta  plus  dès 
lors  sa  chère  Bretagne,  qu'il  aimait  d'une  affection  quasi 
filiale.  Deux  ans  après,  nous  le  retrouvons  à  Rennes,  où  il 
reste  13  ans. 

Il  a  laissé  dans  cette  ville  des  souvenirs  inoubliables, 
non  seulement  comme  économe  du  lycée,  mais  comme 
archéologue  et  numismate.  C'est  à  lui  qu'on  doit  l'inven- 


-  444  - 

taire  de  la  célèbre  trouvaille  monétaire  faite  lors  de  la 
construction  de  la  Préfecture.  Intimement  lié  avec  le 
regretté  M.  Decombes,  conservateur  du  Musée  de  Rennes, 
il  l'aida  de  ses  conseils  et  de  son  expérience  lors  de  la  réor- 
ganisation du  Musée  archéologique  de  cette  ville. 

Nommé  économe  à  Nantes  en  septembre  1887,  il  se  fit 
aussitôt  inscrire  (2  janvier  1888)  parmi  les  membres  de 
notre  Compagnie,  dont  il  suivit  les  séances  avec  ponctua- 
lité et  assiduité,  donnant  déjà,  malgré  ses  absorbantes 
fonctions  administratives,  des  travaux  fort  remarqués 
sur  notre  vieux  Nantes,  qu'il  apprenait  à  connaître  et 
dont  il  devint  plus  tard  l'historiographe. 

A  la  mort  de  notre  regretté  trésorier,  M.  Riardant,  en 
1902,  le  choix  de  ses  collègues  se  porta  immédiatement 
sur  lui,  et  vous  savez  tous  quel  esprit  éclairé,  quel  savoir, 
quelle  expérience  en  affaires  il*  apporta  dans  la  gestion 
de  nos  finances  et  au  sein  de  notre  Comité.  La  reconnais- 
sance de  ses  collègues  ne  lui  fut  point  ménagée,  et  à 
chaque  renouvellement  du  Rureau,  l'unanimité  des  suf- 
frages exprimés  sur  son  nom  en  est  le  meilleur  et  le  plus 
sûr  témoignage. 

Entre  temps,  il  prenait  sa  retraite,  j'entends  sa  retraite 
administrative,  car  il  continua  sa  vie  de  labeur  et  d'étu- 
des. Nos  archives  départementales  et  municipales  n'eu- 
rent bientôt  plus  de  secrets  pour  lui.  De  ces  longues  heures 
passées  en  tête-à-tête  avec  nos  vieilles  annales  sortit  cette 
«  Histoire  des  corporations  »,  véritable  monument  de 
science  et  fruit  de  patientes  recherches.  Sa  «  Notice  sur 
les  rues  de  Nantes  »,  parue  en  1906,  témoigne  de  l'affection 
qu'il  portait  à  sa  ville  d'adoption  dont  il  avait  étudié 
tous  les  recoins.  A  côté  de  ces  œuvres  capitales  et  malgré 
les  difficultés  que  présentait  un  travail  aride,  ingrat,  il 
dépouillait  nos  archives  et  nos  procès-verbaux,  en  rédi- 
geait patiemment  les  tables,  donnant  ainsi  à  ses  collègues 
et  aux  travailleurs  de  tous  les  pays  les  moyens  de  diriger 
leurs  recherches  au  milieu  des  cinquante  volumes  de  notre 
«  Rulletin  ». 


-  445  - 

Numismate  distingué  il  avait  réuni,  tant  à  Rennes 
qu'à  Nantes,  une  collection  de  monnaies  romaines  dont 
nous  connaissons  tous  l'importance  et  la  richesse. 

Il  assistait  encore  au  mois  de  juillet  dernier  à  notre 
dernière  séance  trimestrielle  et  personne  ne  pouvait  se 
douter,  à  ce  moment,  du  mal  terrible  qui  le  minait  et  qui 
devait  quelques  jours  plus  tard  terrasser  ce  travailleur 
infatigable  frappé  la  plume  à  la  main.  Aussi  sa  mort 
inattendue  a-t-elle  surpris  tous  ceux  qui  jugeaient  de 
ses  forces  par  sa  puissance  de  travail,  son  égalité  d'hu- 
meur, sa  bienveillance  souriante,  toujours  acquise  à  ceux 
qui  sollicitaient  ses  conseils  et  son  appui. 

Il  laisse  dans  les  rangs  de  notre  Société,  un  véritable 
vide,  et  dans  le  cœur  de  ceux  qui  l'ont  connu  et  fréquenté 
des  souvenirs  inoubliables  et  des  regrets  profonds. 

A.  Dortel, 
Président  de  la  Société  Archéologique. 


LISTE   DES   MEMBRES 


DE    LA 


*  * 


SOCIETE  ARCHEOLOGIQUE  DE  NANTES 


ET  DE  LA  LOIRE-INFÉRIEURE 


=*te 


Soc.  Archéol.  Nantes. 


ABREVIATIONS 

Ac.  —  Académie,  académique. 

Adj.  —  Adjoint. 

Adm.  —  Administration,  administrateur,  administratif 

ive. 
Agr.  —  Agriculture,  agriculteur,  agricole. 

Ane.  —  Ancien,  —  ne. 

A  nt.  —  Antiquaire. 

Arch.  —  Archéologie,  archéologique. 

Arr.  —  Arrondissement. 

Art.  —  Artiste,  artistique. 

Ass.  —  Association. 

B.-A.  —  Beaux-Arts. 

Bibl.  —  Bibliothèque,  bibliothécaire. 

Bibl.  bret.  —  bibliophiles  bretons. 

Centr.  —  Central,  —  e. 

Corn.  -  Comité. 

Comm.  —  Commission,  commissaire. 

Conf.  —  Conférence. 

Cons.  —  Conseil,  conseiller. 

Cor.  —  Correspondant. 

Bel.  —  Délégué. 

Dép.  —  Département,  départemental,  —  e. 

Dir.  —  Directeur. 

Ec.  —  Ecole. 

El.  -  Elève. 

Fond.  —  Fondateur. 

Gén.  —  Général,  —  e. 

Géog.  —  Géographie,  géographique. 

Hist.  —  Histoire,  historique. 

Hon.  —  Honneur,  honorant'. 

Hort.  —  Horticulture,  horticulteur,  horticole. 

Inst.  —  Instruction. 

D.  —  bauréat. 

Lit.  —  bittéraire. 

M.  —  Membre. 

Afin.  —  Ministère. 

Mun.  —  Municipal,  —  e. 

Nat.  —  Naturel,  —  le. 

Prl,  v.-prK  —  Président,  vice-président. 

Prof.  —  Professeur. 

Pnbl.  —  Public,  —  ique. 

Secr.  —  Secrétaire. 

Soc.  —  Société. 

Se.  —  Sciences,  scientifique. 

Sup.  —  Supérieur. 

Très.  —  Trésorier. 

Chev.  —  Chevalier. 

0.  —  Officier. 

C.  —  Commandeur. 

G.  O.  —  Grand-officier. 

G.  C.  —  Grand-croix. 

0.  1.  —  Officier  de  l'Instruction  publique. 

O.  A.  —  Officier  d'Académie. 

Av.  —  Avenue. 

Boni.  — -  Boulevard. 

Ch.  —  Château. 

Imp.  —  Impasse. 

Pass.  —  Passage. 

PL  —  Place. 

R.  —  Bue. 

Q.  —  Quai. 

bes  dates  qui  suivent  chaque  nom  indiquent  l'année  de  la  réception. 


MEMBRES    TITULAIRES 


MM. 

ALLOTTE  de  la  FUYE  (Maurice),  O.  #,  colonel  du  Génie  en 

retraite,  r.  d'Anjou,  2,  Versailles  (Seine-et-Oise),  1889. 
ANGOT  (Joseph),  m.   de  la  Soc.  Ac.,  r.  des  Pénitentes,  2 

1904. 
ARBONNEAU  (Henri  d'),  O.   #,  commandant  du  Génie  en 

retraite,  pass.  Bonnamen,  2,  et  Ker-Natacha,    la  Baule-s/- 

Mer,  1906. 
AVROU1N-FOULON  (le  comte  Louis),  r.  S'-André,  102,  et  ch. 

de  la  Couronnerie,  Carquefou,  1892. 
BACQUA  (Auguste),  maire  de  St-Fiacre,  pi.  Louis  XVI,  1,  et 

ch.  du  Coin,  la  Haie-Fouassière,  1879. 
BAGNEUX  (le  vicomte  Zénobe  Frotier  de),  ch.  de  la  Pélis- 

sonnière,  le  Boupère  (Vendée),   et    r.    du  Bac,   86,  Paris, 

1885. 
BALBY  de  VERNON  (le  marquis  Georges  de),  V  de  la  Soc. 

arch.  de  la  Loire-Inférieure,  m.   de   la  Soc.  des  agr.    de 

France  et  de  la  Soc.   hist.  et  arch.  de  l'Orléanais,  m.  de 

la    Soc.    ariégeoise    des   Sciences,   Lettres    et  Arts  et  des 

Etudes  du  Couserans,  ch.  de  la  Briais,  S'-Julien-de-Vou- 

vantes,  1886. 
BASTARD  (Ambroise),  prof.,  r.  de  la  Rosière,  27,  1906. 
BAUDOUIN  (le  docteur  Marcel),  r.  Linné,  21,  Paris,  et  Croix- 

de-Vie,  1904. 
BEAUCAIRE  (le  vicomte  Robert  Horric  de),  r.  Menou,  13, 

1891. 
BELLEVÙE  (le  marquis  Xavier  Fournier  de),  cons.  gén.  de 

la  Loire-Inférieure,    m.   de  la   Comrn.   dép.,  capitaine  de 

Messieurs  les  Secrétaires  généraux  prient  leurs  collègues  de  vouloir 
bien  leur  faire  connaître  les  rectifications  à  apporter  à  la  liste  des 
sociétaires,  et  déclinent  toute  responsabilité  pour  les  erreurs  et  les 
lacunes  qu'entraînerait  un  défaut  de  communication. 


—    IV   — 

cavalerie    territoriale,    ch.    de    Moulinroîil,    Soudan,    et 
r.  Lesage,  1,  Rennes  (Die- et- Vilaine),  1895. 

BERNÈDE-SACHS  (Christian),  rue  Royale,  1908. 

BERTHOU  (le  comte  Paul  de),  archiviste-paléographe,  anc. 
él.  et  m.  de  la  Soc.  de  l'Éc.  des  Chartes,  m.  de  l'Ass.  bret., 
de  la  Soc.  arch.  d'Ille-et-Vilaine  et  du  Com.  de  la  Bibl. 
publ.,  1'  de  l'Ac.  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  et  de  la 
Sôc.  arch.  de  la  Loire-Inférieure,  ch.  de  Cadouzan, 
Sl-Dolay,  la  Roche-Bernard  (Morbihan),  1884. 

BLANCHARD  (René),  O,  I,  y,  1'  de  l'Institut  et  de  la  Soc. 
arch.  de  la  Loire-Inférieure,  secr.  et  bibl. -archiviste  de  la 
Soc.  des  bibl.  bret.,  archiviste  de  la  Ville  de  Nantes,  m.  du 
Com.  de  la  Bibl.  publ.,  r.  Royale,  1,  1875. 

BLANCHET  (le  docteur  Ferdinand),  m.  et  anc.  pr1  de  la  Soc. 
ace,  pr1  non.  de  la  Soc.  nantaise  d'hort.,  m.  de  la  Soc. 
des  se.  nat.  de  l'Ouest  de  la  France,  de  la  Soe.  art.  et  litt. 
de  l'Ouest  et  de  la  Soe.  de  géog.  commerciale,  r.  du 
Calvaire,  32,  et  le  Pellerin,  1854. 

BOIS  de  la  PATELLIÈRE  (Henri  du),  maire  de  Sl-Etienne- 
de-Mont-Lue,  le  Perroteau,  Sl-Etienne-de-Mont-Lue,  1880. 

BOISGUÉHENNEUC  (Henri  du),  r.  Colbert,  6,  et  ch.  de  la 
Rabillardière,  Haute-Goulaine,  1903. 

BONET  (Louis),  industriel,  anc.  v.-pri  de  la  Soc.  philatéli- 
que,  r.  d'Alger,  10,  1901. 

BOUBÉE  (Joseph),  r.  Bonne-Louise,  10,  et  eh.  de  la  Meule, 
Arthon,  1890. 

BOUCHAUD  (Adolphe),  pi.  de  la  Petite-Hollande,  3,  et  ch.  de 
la  Bernardière,  à  S*-Herblain,  1893. 

BOUGOUIN  (François),  architecte,  anc.  él.  de  l'Ec.  des  B.-A., 
m.  et  anc.  pr'  de  la  Soe.  des  architectes,  F  de  la  grande 
médaille  de  la  Soc.  cent,  pour  l'architecture  privée,  1892, 
r.  du  Calvaire,  10,  et  r.  de  Bel-Air,  22,  187<>. 

BOUYER,  (l'abbé  Jules),  chanoine  bon.,  anc.  missionnaire, 
anc.  aumônier  des  Dames  Blanches,  anc.  sup.  du  Petit- 
Séminaire  de  Guérande,  S'-Père-en-Retz,  1880.    . 

BRAULT  (l'abbé  Ferdinand),  aumônier  du  Lycée,  anc.  proi. 
de  philosophie  à  l'Externat,  r.  de  Briord,  9,  1900. 

BREMOND  d'ARS  MIGRÉ  (le  marquis  Anatole  de),  #,  licen- 
cié en  droit,  chev.  de  Si-.Iean-de-Jérusalcm  (Malte)  et  de 
S'-Sylvestre,  C.  de  Pie  IX,  anc.  sous-préfet,  secr.  du   Cons. 


—   V    — 

gén.  du  Finistère,  pr<  du  comice  agr.  de  Pont-Aven,  cor. 
de  la  Soc.  nationale  des  ant.  de  France,  dél.  de  la  Soc.  des 
bibl.  br.,  m.  de  l'Ass.  bret.,  prl  du  Com.  dép.  de  la  Soc.  bi- 
bliographique, m.  de  l'Ac.  d'Aix-en-Provence,  l'un  des  pr's 
hon.  du  Cons.  héraldique  de  France,  m.  de  plusieurs  autres 
Soc.  savantes,  r.  Harroùys,  5,  et  ch.  de  la  Porte-Neuve, 
Riec-sur-Bélon  (Finistère),  1874. 

BRÈVEDENT  du  PLESSIS  (Irénée  de),  r.  Henri  IV,  12,  1892. 

BROSSE  (Gilbert  Guillet  de  la),  ch.  de  la  Noé,  Orvault,  17,  r. 
Royale,  Nantes,  1907. 

BRUC  (le  comte  Maurice  de),  anc.  camérier  d'hon.  de  S.  S. 
le  pape  Léon  XIII,  ch.  de  Bruc,  Candé  (Maine-et-Loire),  et 
r.  de  Penthièvre,  26,  Paris,  1889. 

BUREAU  (le  docteur  Louis),  O.  I.  &$,  licencié  ès-sc.  nat., 
dir. -conservateur  du  Muséum  d'hist.  nat.,  prof,  d'hist.  nat. 
à  l'Ec.  de  médecine,  cor,  du  Muséum  de  Paris,  m.  du  Cons. 
de  l'Ass.  française  pour  l'avancement  des  se,  m.  fond,  de 
la  Soc.  zoologique  de  France,  collaborateur  adj.  à  la  carte 
zoologique  détaillée  de  la  France,  secr.  gén.  très,  de  la 
Soc.  des  se.  nat.  de  l'Ouest  de  la  France,  m.  du  Cons. 
centr.  de  la  Soc.  ac,  r.  Gresset,  15,  et  ch.  de  la  Meilleraye, 
Riaillé,  1891. 

CAILLE  (Dominique),  1'  de  la  Soc.  nat.  d'encouragement  au 
bien  et  de  plusieurs  Soc.  savantes,  anc.  v.-pr'  et  m.  du 
Com.  cent,  de  la  Soc  ac,  anc.  secr.  de  la  Soc  des  bibl. 
bret.,  pi.  Delorme,  2,  1904. 

CAZAUTET  (Constant),  boul.  Delorme,  24,  1904. 

CHAILLOU  (Félix),  O.  I.  Q,  U  de  la  Soc.  française  d'arch.,  de 
la  Soc",  arch.  de  la  Loire-Inférieure  et  du  Comice  agr.  de 
Vertou,  anc.  prt  de  la  délégation  cantonale  de  Vertou,  m. 
de  la  Soc  des  se  nat.  de  l'ouest  de  la  France,  viticulteur, 
fond,  du  Musée  des  Cléons,  q.  de  la  Fosse,  70,  et  ch.  des 
Cléons,  Vertou,  1885. 

CHARON  (Georges),  O.  A.  Ç|,  négociant-assureur,  v.-pr»  de 
la  section  nantaise  des  Hospitaliers-sauveteurs-Bretons, 
r.  Gresset,  8,  1895. 

CHATELLIER  (Léon),  cons.  mun.  de  Nantes,  r.  Félibien,  66, 
1884. 

CHAUVET  (André),  architecte,  anc.  él.  de  l'Ec.  des  B.-A.,  m. 
de  la  Soc  des  Art.  Bretons,  r.  Guibal,  19,  1901. 


—  VI   — 

CLERVILLE  (Adolphe  Jollan  de),  cons.  gén.  de  la  Loire- 
Inférieure,  m.  de  la  Soc.  ac.,  du  Cons.  dép.  de  l'Inst.  publ. 
et  de  la  Comm.  du  Muséum,  maire  de  St-Viaud,  r.  de  Bréa, 
9,  et  eh.  de  la  Barrière,  Blain,  1902. 

CORMERAIS  (Emile),  industriel,  anc.  pr>  du  Tribunal  de 
Commerce,  v.-prl  de  la  Chambre  de  Commerce,  r.  de  la 
Moricière,  10,  1902 

CORMERAIS  (Ludovic),  docteur  en  tlroit,  anc.  auditeur  au 
Cons.  d'Etat,  anc.  cons.  de  préfecture,  secr.  du  Cons.  gén. 
de  la  Loire-Inférieure  et  de  la  Comm.  dép.,  maire  de  Saint- 
Philbert-de-Grand-Lieu,  dél.  de  la  Soc.  française  de  secours 
aux  blessés  pour  la  XIe  région  militaire  et  de  la  Soc.  des 
bibl.  bret.,  v.-pr'du  Syndicat  des  agr.,  pr*  delà  Comm.  du 
Musée  Dobrée,  m.  de  la  Comm.  du  Musée  arch.,  boul.  De- 
lorme,  34,  et  ch.  du  Rocher,  S'-Philbert-de-Grand-Lieu, 
1884. 

COTTEUX  (Marcel),  anc.  notaire,  expert,  Chàteaubriant,  1895. 

CROUAN  (Jules),  28,  r.  du  Calvaire,  1908. 

DANO  (C),  sous-intendant  militaire,  r.  du  Mont-Goguat,  1908. 

DELANOUE  (l'abbé  Armand),  curé  de  S'-Félix,  1905. 

DELATTRE  (Léon),  agent  voyer  cantonal,  r.  Stephenson,  ll!»îs 
Nantes,  Doulon,  1906. 

DION  (le  marquis  Albert  de),  député,  cons.  gén.  de  la  Loire- 
Inférieure,  v.-pr*  de  l'Automobile  Club,  ch.  de  Maubreuil, 
Carquefou,  et  av.  de  la  Grande-Armée,  46,  Paris,  1903. 

DORÉ-GRASLIN  (l'abbé  Rhilbert),  r.  Dugommier,  7,  et  ch. 
de  Loiselinière,  Gorges  par  Clisson,  1906. 

DORTEL  (Alcide),  O.  I.  Ç|,  avocat,  cons.  gén.  de  la  Loire- 
Inférieure,  pl  de  la  Soc.  ac,  anc.  secr.  de  la  Soc.  des  bibl. 
bret.,  m.  du  Corn,  de  la  Bibl.  publ.,  de  la  Comm.  du  Mu- 
sée arch.  et  du  Cons.  dép.  d'hygiène  pub.,  cor.  du  Min. 
de  l'inst.  publ.  pour  les  travaux  hist.,  rue  de  l'Héron- 
nière,  12,  1889. 

DOUDIÈS  (Jules),  q.  de  Tourville,  19,  Nantes,  1901. 

DROUIN  (Aristide),  entrepreneur,  sec.  gén.  de  la  Soc.  nan- 
taise d'Horticulture,  m.  de  la  Soc.  ac,  r.  de  Rennes,  11, 1907. 

DURVILLE  (l'abbé  Georges),  O.  A.  SQt,  chanoine  prébende, 
anc.  aumônier  des  Augustines,  1'  de  la  Soc.  arch.  de  la 
Loire-Inférieure,  anc.  pr*  de  la  Soc.  philatélique,  m.  de  la 
Comm.  du  Musée  arch.,  r.  S'-Cléraent,  76,  1892. 


—   VII   — 

ESTOURBEILLON  de  la  GARNACHE  (le  marquis  Régis  de 
1'),  O.  A.  0,  député,  cons.  mun.  de  Vannes,  cor.  de  la  Soc. 
nationale  des  ant.  de  France,  inspecteur  et  1*  de  la  Soc. 
française  d'arch.,  fond.  dir.  de  la  Revue  historique  de 
l'Ouest,  anc.  pr>  de  la  Soc.  polymatique  du  Morbihan,  v.- 
prt  de  la  Soc.  des  bibl.  bret.,  m.  de  l'Ass.  bret.,  de  la  Soc. 
des  Hospitaliers-Sauveteurs-Bretons  et  de  la  Soc.  art.  et 
litt.  de  l'Ouest,  U  de  la  Soc.  arch.  de  la  Loire-Inférieure, 
pi.  de  l'Evêché,  10,  Vannes  (Morbihan),  et  r.  du  Havre,  7, 
Paris,  1880. 

FABRÉ  (Xavier),  notaire,  r.  de  Saille,  Guérande,  1883. 

FERRONNAYS  (le  marquis  de  la),  député  de  la  Loire-Infé- 
rieure, cons.  gén.,  maire  de  Saint-Mars-la-Jaille,  ch.  de 
Saint-Mars-la-Jaille,  1908. 

FERRONNIÈRE  (Georges),  architecte,  prof,  à  l'Université 
catholique  d'Angers,  m.  de  la  Soc.  ac,  r.  Voltaire,  15,  1907. 

FILLIAT  (André),  chirurgien-dentiste  des  hôpitaux  de  Nantes 
r.  Boileau,  11,  1906. 

FRANCE  (Jules  de),  titulaire  de  deux  médailles  d'hon. 
comm.-voyer,  r.  Charles-Monselet,  30,  1898. 

FRESLON  (Paul  de),  r.  Malherbe,  8,  1902. 

FURRET  (Jules),  architecte,  m.  de  la  Soc.  des  architectes, 
r.  Geoffroy-Drouet,  6,  1904. 

GOURDON  (Maurice),  O.  I.  o.  c-  <*e  l'ordre  royal  de  Charles 
III  d'Espagne,  attaché  au  service  de  la  carte  géologique  de 
France,  r.  de  Gigant,  19,  et  ch.  de  la  Haie  des  Bouillons, 
Cordemais,  1900. 

GOUSSET  (le  comte  René),  avocat,  docteur  en  droit,  m.  du 
Cons.  héraldique  de  France  et  de  l'Ass.  des  Chev.  pontifi- 
caux, pi.  de  l'Oratoire,  14,  1889. 

GRAND  (Roger),  O.  A.  Q,  anc.  élève  et  m.  de  la  Soc.  de  l'Éc. 
des  Chartes,  avocat,  anc.  archiviste  du  Cantal,  anc.  archi- 
viste adj.  de  la  Loire-Inférieure,  cor.  du  Min.  de  l'Inst. 
publ.  et  de  la  Soc.  nationale  des  ant.  de  France,  inspecteur 
dép.  delà  Soc.  française  d'arch., pi.  Delorme,  1,  et  Arradon 
(Morbihan),  1903. 

GRÉLIER  (l'abbé  Charles),  m.  de  la  Soc.  française  d'Arch., 
Ecole  apostolique,  Maison  des  Missions,  à  Pont-Rousseau 
(L.-L),  1905. 

GU1LLON  (Léon),  la  Boucardière,   Chantenay-s.-Loire,   1900 


—  vfii 


HALGAN  (le  docteur  Georges),  boul.  Delorme,  30,  1904. 

HOUDET  (Joseph),  r.  de  la  Rosière,  9,  1900. 

HUBERT  (Pierre),  r.  Cassini,  12,  1907. 

JOIGNE  (le  marquis  Jacques  Leclerc  de),  député,  secr.  du 
Cons.  gén.  de  la  Loire-Inférieure,  maire  de  Juigné-s.-Sarthc, 
ch.  du  Bois-Rouaud,  S'-Hilaire-de-Chaléons,  ch.  de  Juigné- 
s.-Sarthe,  (Sarthe)  et  r.  du  faubourg  S'-Honoré,  137,  Paris, 
1906. 

KERVENOAËL  (le  vicomte  Emile  Jouan  de),  docteur  en 
droit,  m.  de  la  Soc.  française  d'arch.  et  de  la  Soc.  des 
bibl.  bret.,  r.  Tournefort,  3,  et  ch.  de  Boisy-Sourdis,  la 
Verrie  (Vendée),  1886. 

LAFONT  (Georges),  architecte,  inspecteur  diocésain,  anc. 
secr.  de  la  Soc.  des  architectes,  prl  fond.  hon.  de  la  Comm. 
des  fêtes  nantaises,  m.  de  la  Comm.  dép.  des  bâtiments 
civils,  du  Cons.  dép.  d'hygiène  publ.,  de  la  Comm.  du 
Jardin  des  Plantes  et  du  Corn,  des  Amis  des  Arts,  m. 
d'hon.  de  la  Comm.  du  Musée  arch.,  r.  de  la  Rosière,  1", 
1873. 

LAGRÉE  (Victor),  O.  #,  de  l'ordre  du  Nicham-Iftikar,  de 
l'ordre  royal  du  Cambodge  et  du  Dragon  Vert  de  l'Annam, 
prl  de  la  Section  nantaise  des  Hospitaliers-Sauveteurs-Bre- 
tons, capitaine  de  frégate  en  retraite,  r.  Bonne-Louise,  2, 
1901. 

LASTOURS  (Dr  Edmond  Gauzence  de),  pi.  Dumoustiers,  5,  et 
ch.  de  la  Mabiterie,  Varades,  1907. 

LAUZON  (Etienne  de)  cons.  d'arr.  de  la  Mothe-Achard,  m. 
du  Cons.  héraldique  de  France,  r.  Mathelin-Rodier,  19,  et 
ch.  de  la  Forêt,  la  Mothe-Achard  (Vendée),  1890. 

LECORNL\(Alfred),  O.  A.  Q  , architecte  retraité  de  la  Ville 
de  Paris,  r.  du  Général-Bedeau,  2,  et  ch.  de  Kerlocdulec, 
St-Marc,  en  S»-Nazaire,  1900. 

LE  COUR-GRANDMAISON  (Henri),  #,  sénateur,  cons.  gén. 
de  la  Loire-Inférieure,  anc.  secr.  de  la  Comm.  dép.,  maire 
de  Campbon,  pr'  de  la  Soc.  des  courses,  r.  de  Bréa,  2,  ch. 
de  Coislin,  Campbon,  et  r.  de  l'Université,  71,  Paris,  1887. 

LEGRAND(Paul),  secr.  régional  de  La  Province  pour  la  Vendée, 
r.  Royale,  14,  et  la  Benate  par  S'-Etienne-de-Corcoué,  1905. 

LERAT  (le  docteur  Fernand),  O.  I.  O,  prof,  à  l'Ec.  des  se.  et 
des  lettres,  anc.  chef  des  travaux  anatomiques  à  l'Ec.  dç 


—    IX   — 

médecine,  m.  delà  Comra.  du  Muséum,  anc.  m.  ad],  du  Cons. 
dép.  d'Hygiène  publ.,  r.  Thiers,  4,  1900. 

LEROUX  (Alcide),  avocat,  m.  et  anc,  pn  de  la  Soc.  ac,  m.  de 
la  Soc.  française  d'arch.  et  de  l'Ass.  bret.,  av.  Camus,  34, 
etS'-Germain,  Langonnet  (Morbihan),  1877. 

LESIMPLE  (l'abbé  Jean -Baptiste),  aumônier  des  Dames 
Blanches,  r.  de  Gigant,  Nantes,  1903. 

LINYER  (Louis),  ^,  avocat,  bâtonnier,  m.  du  Cons.,  prof,  à 
l'Ec.  libre  de  droit,  anc.  adj.  au  maire  de  Nantes,  m.  du 
Corn.  cent,  et  anc.  pr4  delà  Soc  ac,  prl  fond,  de  la  Soc.  de 
géog.  commerciale,  m.  de  la  Soc.  française  d'arch.,  de  la 
Soc.  art.  et  lit.  de  l'Ouest  et  de  la  Soc.  des  Amis  des  Arts, 
r.  Paré,  1,  ch.  de  la  Jubinière,  Héric,  et  ch.  du  Veillon, 
Talmont  (Vendée),  1877. 

LISLE  du  DRENEUC  (Georges  de),  av.  Félix-Faure,  28,  1901. 

LISLE  du  DRENEUC  (le  vicomte  Pitre  de),  0.  A.  0,  1'  de  la 
Soc.  française  d'arch.  et  de  la  Soc.  arch.  de  la  Loire-Infé- 
rieure, conservateur  et  m.  d'hon.  de  la  Comm.  du  Musée 
arch.,  conservateur  du  Musée  Dobrée,  cor.  du  Min.  pour 
les  travaux  hist.,  m.  de  la  Comm.  des  monuments  hist. 
et  des  mégalithes  de  France,  du  Com.  des  B.-A.  des  dép.  et 
de  la  Soc.  des  ant.  de  France,  auxiliaire  de  la  Comm.  de 
géog.  hist.  et  des  mégalithes  de  France,  m.  du  Com.  de  la 
Bibl.  publ.  et  de  la  Com.  du  Musée  des  B.-A.,  av.  de  l'Épe- 
ronnière  (r.  de  Paris,  63),  1872. 

LONDE  (Joseph  Senot  de  la),  docteur  en  droit,  maire  de 
Thouaré,  r.  Mathelin-Rodier,  6,  et  ch.  de  la  Picauderie, 
Thouaré,  1887. 

LOTZ-BRISSONNEAU  (Alphonse),  ingénieur  des  arts  et 
manufactures,  v.-prt  de  la  Soc.  des  Amis  des  Arts,  m.  de 
la  Comm.  du  Musée  des  B.-A.  et  du  Com.  de  la  Bibl.  publ., 
adm.  du  Bureau  de  bienfaisance,  q.  de  la  Fosse,  86, 1898. 

LYONS  (Just  des),  av.  Camus,  11,  et  ch.  de  Belleroche, 
Rocheservière  (Vendée),  1905. 

MAILCAILLOZ  (Alfred)  O.  A.  0.  chef  du  contentieux  de  la 

mairie  de  Nantes,  anc.   secr.  perpétuel  de  la  Soc.  ac,  r. 

Général-de-Sonis,  7,  1901. 
MAITRE  (Léon),  O.  I.  Q,  archiviste-paléographe,  anc.  él.  et 

m.  de  la  Soc.  de  l'Ec.  des  Chartes,  archiviste  du  dép.,  m. 

du  Com.  des  travaux  hist.  et  se  près  le  Min.  de  l'inst.  publ., 


anc.  pr'  delà  Soc.  ac,  anc  v.-pr'  de  la  Soc.  de  géog.  com- 
merciale, r.  de  Strasbourg,  2,  1870. 

MARTIN  (Arthur),  0.  %,  capitaine  de  vaisseau  en  retraite,  r. 
Gurvand,  32,  Rennes  (Ille-et-Vilaine),  1895. 

MICHEL  (Gaston),  Jftî,  ingénieur  de  la  Ville,  m.  de  la  Connu. 
des  bâtiments  civils,  r.  de  la  Rosière,  28,  1901). 

MIRALLIE  (le  docteur  Charles),  anc.  interne  des  Hôpitaux  de 
Paris,  médecin  des  Hôpitaux  de  Nantes,  prof,  de  médecine 
légale  et  d'hygiène  à  l'Éc.  de  médecine,  r.  Copernic,  11, 1900. 

MONTI  de  REZE  (Claude  de),  chev.  de  S'-Grégoire  le  Grand, 
cons.  d'arr.,  m.  du  Cons.  d'adm.  de  la  Revue  historique  de 
l'Ouest,  du  Cons.  de  la  Soc.  des  bibl.  bret,  m.  de  la  Soc. 
française  d'arch.,  du  Cons.  héraldique,  de  la  Soc.  d'émula- 
tion de  la  Vendée,  q.  Ceineray,  3,  et  ch.  du  Fief-Milon, 
Le  Roupère  (Vendée),  1883. 

MONTI  de  REZE  (le  comte  Henri  de),  cons.  comm.  de  la  Soc 
française  de  secours  aux  blessés,  r.  de  Strasbourg,  31,  et 
ch.  de  Rezé,  près  Nantes,  1880. 

MOUILLÉ  (l'abbé  J.-M.),  prêtre  de-Saint-Sulpice,  anc.  dir.  du 
gr.  séminaire  de  Nantes,  aumônier  de  la  Providence,  9,  r. 
Lorette-de-larRefoulais,  1908. 

NAU  (Paul),  architecte,  pr'  de  la  Soc.  des  architectes,  m.  de 

la  Comm.  du  Musée  arch.,  r.  Lafayette,  16,  et  ch.  de  Port- 

Sinan,  Rouans,  1865. 
NAU  (Joseph),   architecte,    m.   de  la   Soc.    des    architectes, 

pi.  Edouard-Normand,  3,  1905. 
NOURY  (Edouard),  r.  Sully,  2,  1905. 
OHEIX  (André),    la    Ville-aux-Veneurs,    Loudéac  (Côtes-du- 

Nord).  1900. 
OLLIVE  (Frédéric),  inspecteur  du  service  vicinal,  m.  de  la 

corn.  dép.  des  bâtiments  civil,  r.  Félibien,  01,  1901. 
OLLIVE  (Jean-Raptiste),  secr.  de  la  Soc.  des  Amis  des  Arts, 

Pont-Rousseau,  Rezé,  1900. 
OUVRARD  (Léonce),  rédacteur  en  chef  de  V Express  de  VOuest, 

pi.  des  Jacobins,  1908. 
PINEAU-CHAILLOU   (Fernand),  secr.    de  la   Soc.   des  Art. 

bretons,  q.  Ernest-Renaud,  12,  et  ch.  des  Cléons,  Vertou, 

1905. 
PLANTARD  (le  docteur  J.-M.),  boul.  Pasteur,  29,  1904. 
PLESSIS  (Georges  du),  %,  1,  r.  Maurice-DuvaL  1908. 


•        —   XI   — 

POIRIER  (Etienne),  bibl.  de  la  Soc.   ac,  pi.  du  Bouffay,  6, 

1907. 
POMMIER  (Félix);  O.  A.  O,  conservateur  du  Musée  des  B.-A., 

très,  et  m.  de  la  Comra.  du  Musée  arch.,  r.  Leroy,  23,  1X88. 
POUVREAU  (Raymond),  anc.  cons.  d'arr.  de  Nantes,  dir.   de 

la  Mutuelle  du  Mans,  r.  St-André^  44,  1884. 

RACINEUX  (Marcel),  route  de  Clisson,  1908. 

RADIGOIS  (l'abbé  Auguste),  anc.  sup.  du  Collège  de 
Chàteaubriant,  anc.  curé  de  S'-Sébastien,  anc.  aumônier 
du  Pensionnat  des  Frères,  r.  de  Bel-Air,  14,  1886. 

RENARD  (Paul),  pi.  du  Pilori,  11,  1907. 

RENAUD  (Henri)  dir.  du  Vendéen,  r.  de  Savenay.  16,  1907. 

RÉVÉREND  (JulesJ,  à  Bourgerel,  Musillac  (Morbihan). 

RINGEVAL  (Léon),  #,  O,  A.,  Ç|,  Porte-Chaise,  S'-Sébastien, 
près  Nantes,  1903. 

RIONDEL  (le  commandant  Albert),  O.  ^,  capitaine  de 
frégate  en  retraite,  anc.  pr*  de  la  Soc.  ac,  pi.  fde  la 
Moricière,  1,  et  ch.  des  Chapelières,  S'-Mars-la-Jaille,  1905. 

RIONDEL  (Henri),  très,  de  la  Soc.  ac,  pi.  de  la  Moricière, 
1,  et  ch.  des  Chapelières,  St-Mars-la-Jaille,  1907. 

RIVET  (Edouard),  la  Trémissinière,  près  Nantes,  1906. 

ROCHERY,  q.  Dugay-Trouin,  3,  1908. 

ROUXEAU  (le  docteur  Alfred),  O.  A.  Q.  anc  interne  des 
hôpitaux  de  Paris,  prof,  de  physiologie  à  l'Ec  de  méde- 
cine, secr.  de  la  Gazette  Médicale  de  Nantes,  va.  de  la  Soc 
ac.  et  du  Com.  de  la  Bibl.  publ.,  r.  de  l'Héronniére,  4, 
1894. 

ROY  (Donatien),  r.  Fénelon,  4,  1908. 

SAINT-GUÉDAS    (Henri    Rado    de),    avocat,    m.    du   Cons., 

r.  Grétry,  1,  1907. 
SÉCILLON  (le  vicomte  Stéphen  de),  r.  Prémion,  1,  et  ch.   de 

la  Tour,  Orvault,  1898. 
SIBILLE  (Maurice),  député,  cons.  'gén.,  m.  de  la  Comm.  du 

Musée  des  B.-A.,  r.  Gresset,  8,  et  boul.  des  Invalides,  44, 

Paris,  1907. 
SOREAU  (l'abbé  Henri),  chanoine  hon.,  prof,  de  dessin  au 

Pensionnat  S'-Stanislas,  r.  St-Stanislas,  Nantes,  1886. 
SOULLARD  (xMarcel),  avocat,  docteur  en  droit,  prof,  supplé- 
ant à  l'Ec  libre  de  droit,  secr.  gén.  de  la  Soc.  ac,  r.  Cré- 

billon,  14,  1899. 


—    XII    — 

SOULLARI)  (Paul),  numismatiste,  m.  de  la  Com.  du  Musée 
arch.,  m.  cor.  de  la  Soc.  française  de  numismatique,  r.  du 
Château,  10,  et  ch.  de  la  Haye-Morlière,  près  Nantes,  1862. 

SUYROT  (Gabriel  de),  r.  du  Lycée,  13,  et  ch.  de  la  Gastière, 
Mortagne-s/-Sèvre  (Vendée),  1890. 

TERNAY  (le  comte  Louis  d'AviAu  de),  r.  Tournefort,  2,  et 
ch.  de  Ternay,  les  Trois-Moutiers  (Vendée),  1886. 

TERTRE  (Fernand  Couètoux  du),  greffier  du  Tribunal, 
Paimbœuf,  1907. 

TESSIER  (Benjamin),  architecte,  m.  de  la  Soc.  des  archi- 
tectes, anc.  él.  de  l'Ec.  des  B.-A.,  r.  Crébillon,  24,  et  la 
Roche-Montrevault  (Maine-et-Loire),  1906. 

TOUCHE  (Xavier  Le  Lièvre  delà),  numismatiste,  r.  du  Port- 
Communeau,  21,  1883. 

TRÉMANT  (Paul),  r.  de  la  Rosière,  11,  1900. 

VIENNE  (Jean  de),  ch.  de  Thouaré,  1908. 

VIEUVILLE    (Gaston    de   la),    O.   ^,    colonel   de    cavalerie 

breveté  en  retraite,  r.  Tournefort,  1,  et  ch.  de  la  Gazoire, 

Nort,1900. 
VIGNARD  (le  docteur  Edmond),   O.  A.  Q,  chirurgien  des 

hôpitaux,  prof,  de  clinique  chirurgicale  à  l'Ec.  de  méde- 
cine, chirurgien  titulaire  à  l'Hôtel-Dieu,  r.  de  l'Héronnière, 

6,  1900. 
VIGNARD  (Auguste),  r.  de  Rennes,  11,  1904. 
VIGNERON-JOUSSELANDIÈRE   (Albert),    Coët-Droz,    Save- 

nay, 1905. 
VILLESBOISNET  (le  comte  Arthur  Espivent  de  la),  sec.  du 

Cons.   gén.  de  la  Loire-Inférieure,  m.   de  la  Com.    dép., 

ch.  du  Deflay,  Pontchàteau,  et  r.  Cambon,  31,  Paris,  1896. 
VINCENT-JOÙON  (Antoine),  pr'  du  Tribunal  de  commerce, 

rue  de  Courson,  3,  1906. 
VINCENT  (Félix),  ch.  de  la  Gobinière,  Orvault,  1896. 
WISMES  (Christian  de  Blocquel  de  Croix,  baron   de),  m. 

d'hon.  de  la  Comm.  du  Musée  arch.,  P  de  la  Soc.  ac,  anc. 

v.-pr*  de  la   Conf.   La   Moricière,  m.   de  la  Soc.   des  Art. 

bretons,    cor.   de   la   Soc.   de  l'Art    chrétien    et    de   l'Ass. 

bretonne,  r.  Henri  IV,  12,  1887. 
WISMES  (Gaétan  de  Blocquel  de  Croix,  baron  de),  v.-pr1 

de  la  Soc.  ac,  secr.  adj.de  la  Soc.  des  bibl.  bret.,  r.  Royale, 

17,  et  ch.  de  la  Chollière,  Orvault,  1887. 


XIII   — 


MEMBRES     CORRESPONDANTS 


MM. 

ACHON  (le  chevalier  Charles  d'),  anc.  él.  de  l'Ec.  des  Chartes, 
ch.  de  la  Roche-de-Gennes,  Gennes  (Maine-et-Loire),  1898. 

AUMONT  (Joseph),  photographe,  r.  de  la  Barillerie,  15,  et 
S'-Brevin,  1882. 

BARMON  (Henri  Nicolazo  de),  anc.  camérier  d'hon.  de 
S.  S.  le  Pape  Léon  XIII,  ch.  de  la  Touche,  Fégréac,  1887. 

BASTARD  (Charles)  numismatiste,  ch.  de  Kerlan,  par  Save- 
nay  (L.-L),  1908. 

BAUDRY  (Madame),  (née  Joséphine  Bouché),  associée  cor- 
respondante, S'-Mars-la-Jaille,  1906. 

BÉJARRY  (le  comte  Amédée  de),  #,  sénateur  de  la  Vendée, 
anc.  lieutenant-colonel  du  63e  régiment  territorial,  r.  Tour- 
nefort,  7,  et  ch.  de  la  Roche-Loucherie,  S'1' -Hermine 
(Vendée),  1885. 

BOCERET  (Emmanuel  Priour  de),  écrivain,  r.  Sully,  1, 1887. 

BOIS -SAINT -LYS  (M1"»  Maillard  de),  associée  correspon- 
dante,   manoir  du  Bois-S'-Lys,    Carquefou,  1900. 

BONNEAU  (Louis),  O.  I.  |>,  juge  de  paix,  m.  de  la  Soc.  des 
bibl.  bret.  et  de  la  Soc.  polymathique  du  Morbihan,  écrivain, 
l1  de  nombreux  concours  lit.,  m.  des  Hospitaliers-Sauve- 
teurs-Bretons, q,  de  S'-Goustan,  28,  Auray  (Morbihan),  1898. 

BOURDEAUT  (l'abbé  Arthur),  docteur  en  théologie,  vicaire 
de  Nozay,  1903. 

BROCHET  (Louis),  O.  A,  Q,  agent  voyer  d'arr.  hors 
classe,  m.  de  la  Soc.  des  antiquaires  de  l'Ouest,  r.  de  la 
République,  114,  Fontenay-le-Comte  (Vendée),  1900. 

CHAPRON  (Joseph),  1*  de  la  Soc.  ac,  Châteaubriant,  1889. 

CHARBONNEAU-LASSAY  (Louis),  m.  de  plusieurs  Soc. 
d'hist.  et  d'arch.,  prof.,  Loudun  (Vienne),  1902. 

CHATELLIER  (le  baron  Paul  Maufras  du),  O.  I.  0,  m.  cor. 
de  l'Institut,  ll  de  l'Institut,  cor.    de  la  Soc.  des  ant.  de 


—  XIV  — 

France,  cor.  du  Min.  de  l'Instr.  publ.  et  des  B.-A.,  pr«  de 
la  Soc.  arch.  du  Finistère,  ch.  de  Kernuz,  Pont-1'Abbé  (Fi- 
nistère), is.x:;. 

COURSON  de  ia  VILLENEUVE  de  vicomte  Robert  de),*, 
colonel  en  retraite,  rue  de  Nièvre,  50,  Nevers  (Nièvre), 
1895. 

COUTIL  (Léon),  O.  A.  Q,  cor.  du  Min.  pour  la  section 
d'arch.,  fond,  et  anc.  prt  de  la  Soc.  normande  d'études 
préhistoriques,  m.  de  plusieurs  Soc.  savantes,  les  Andelys 
(Eure),  1907. 

DRESNAY  (le  vicomte  Maurice  du),  licencié  ès-lettres,  atta- 
ché à  la  légation  de  France  à  Tokio,  Tokio  (Japon),  av.  du 
Trocadéro,  14  Ms,  Paris,  et  ch.  du  Dréneuc,  S'-Nicolas-de- 
Redon,  1886. 

DUBREIL  (Charles),  juge  d'instruction,  Paimbœul,  1900. 

ESPERONNJÈRE  (le  marquis  René  de  1'),  ch  de  l'Esperon- 
nière,  Candé  (Maine-et-Loire),  1907. 

EUDEL  (Paul),  0.  I.  i},  critique  d'art,  chargé  de  missions  en 
Algérie,  anc.  sec.  de  la  Soc.  ac,  anc.  m.  de  la  Corara.  de  la 
Bibl.  et  de  la  Comm.  du  Musée  Arch.,  v.-pr»  de  l'Exp.  des 
B.-A.,  anc.  m.  de  la  Comm.  du  Conservatoire  de  musique, 
anc.  m.  des  Comm.  des  Expositions  universelles,  r.  Gustave- 
Flaubert.  4,  Paris,  et  ch.  du  Gord,  Cellettes  (Loir-et-Cher) 
1885. 

CABILLAUD  (Narcisse),  instituteur  à  Moulins  (Deux-Sèvres), 
1908. 

GENUIT  (le  docteur  Marcel),  ch.  de  la  Guichardaye,  Tréal 
(Morbihan),  1871. 

GIROUSSE  (l'abbé  Félix),  aumônier  des  Frères,  rue  de 
Rennes,  85-87,  1895. 

HERRIOT  (Edouard),  anc.  él.  de  l'Éc.  normale  supérieure, 
agrégé  des  lettres,  prof,  de  rhétorique  au  Lycée  de  Lyon, 
maire  de  Lyon,  cours  d'Herbouville,  1,  Lyon  (Rhône),  1896. 

JOUBERT  (le  chevalier  Joseph),  v.-pr'  de  la  Soc.  des  Études 
coloniales  et  maritimes,  m.  cor.  de  la  Sociedade  de  Geo- 
graphia  de  Lisboa  et  de  l'Ateneo  Veneto,  m.  de  la  Societa 
Geografica  Italiana,  du  Conseil  héraldique  de  France,  etc., 
r.  des  Arènes,  11,  Angers  (Maine-et-Loire),  1906. 

JOYS  (Paul),  dir.  de  l'Ec.  S'-Similien,  r.  Talensac,  16,  1906. 

KERGUENNEC  (François  Le  Chauff  de),  maire  de  St-Molf, 


—     XV   — 

ch.  de  Kerguennec,  Guérande,  et  r.  du  Mené,  18,  Vannes 
(Morbihan),  1879. 

LANDE  de  CALAN  (le  vicomte  Charles  de  la),  p«  de  la  Soc. 
des  bibl.  bretons,  Redon  (Ille-et-Vilaine),  1907. 

LONGKAIS  (Frédéric  Joùon  des),  archiviste  paléographe, 
anc.  él.  de  l'Ec.  des  Chartes,  rue  du  Griffon,  4,  Rennes,  et 
ch.  de  la  Martinière,  Rennes  (Ille-et-Vilaine),  1894. 

LORIÈRE  (Henri  Trochon  de),  r.  Henri  IV,  11,  et  ch.  du  Pa- 
villon, Presles  et  Thierry  (Aisne),  1901. 

MAUPASSANT  (le  comte  Charles  de),  ch.  de  Clermont,  le 
Cellier,  et  r.  de  Monceau,  60,  Paris,  1891. 

MÉREL  (l'abbé  Louis),  vicaire  d'Issé,  1900. 

MERESSE  (Gabriel),  ch.  de  Lessac,  Guérande,  et  Villa  la 
Reine,  r.  Fontaine-Bleue,  Mustapha-Alger  (Algérie),  1881. 

MOLLAT  (l'abbé  Guillaume),  anc.  chapelain  de  l'église 
S'-Louis-des-Français,chapelainde  la  basilique  de  Montmar- 
tre, Mauves,  et  r.  de  l'Assomption,  88,  Paris  (XVF),  1901. 

MONTAIGU  (le  marquis  Pierre  de),  #,  C.  de  Pie  IX,  v.-pr» 
du  Cons.  gén.  et  député  de  la  Loire-Inférieure,  maire  de 
Missillac,  v.-pr*  d'hon.  de  la  Soc.  St-Hubert  de  l'Ouest,  m. 
delà  Comm.  du  Musée  des  B.-A.,  ch.  de  la  Bretesche,  Misil- 
lac,  etr.  Martignac,  18,  Paris,  1899. 

MOREAU  (Georges),  ingénieur  des  mines,  anc.  él.  de  l'éc.  Po- 
lytechnique, av.  Bugeaud,  28,  Paris,  1902. 

PERRON  (Louis),  à  Formusson-en-Daon  (Mayenne). 

PEYRADE  (Henri  Espitalié  de  la),  anc.  cons.  mun.  de 
Nantes,  ch.  du  Bois-de-Roz,  Limerze!  (Morbihan),  18<S.">. 

PICHELIN  (Paul),  banquier,  m.  de  la  Soc.  des  Amis  des 
arts,  r.  Bonne-Louise,  12,  1874. 

PINEL  (Louis),  répétiteur  à  l'École  des  Hautes  Études  com- 
merciales,  108,  boulev.  Malesherbes.  Paris-17e,  1908. 

PORT  (Etienne),  %,  chef  adj.  du  cabinet  du  Min.  de  l'Inst. 
publ.,  Paris,  1903. 

PORTE  (le  vicomte  Hippolyte  Le  Gouvello  de  la),  cons. 
d'arr.  de  S»-Nazaire,  maire  de  Sévérac,  m.  de  la  Comm.  du 
Musée  Dobrée,  r.  Sully,  5,  et  ch.  de  Sévérac,  Si-Gildas-des- 
Bois,  1886. 

RENOUL  (le  docteur  Emmanuel),  le  Loroux-Bottereau,  1901. 

REVELLIÈRE  (Gabriel),  vérificateur  des  Douanes,  à  Saint- 
Nazaire,  1908. 


—    XVI 


TOUCHE  (Henri  Roumain  de  la),  anc.  magistrat,  cons.  d'arr. 

d'Ancenis,    ch.  de    Champtoceaux    (Maine-et-Loire),  1885. 
TRÉVELEC  (le  marquis  Harry  de),  Herbignac,  West  South- 

bourne,  Bournemouth  (Angleterre),  1902. 


XVII    — 


MEMBRES    HONORAIRES 


MM. 

ABGRALL  (l'abbé  Jean -Marie),  O.  A.  0,  chanoine  hon.  de 
Quimper,  aumônier  de  l'Hôpital,  v.-  pr'  de  la  Soc.  arch. 
du  Finistère,  cor.  de  la  Comra.  des  monuments  hist-,  1'  de 
la  Soc.  française  d'arch.,  prof,  d'arch.  au  Grand-Séminaire, 
Quimper  (Finistère),  1897. 

CROIX  (le  R.  P.  Camille  de  la),  #,  Poitiers  (Vienne),  1894. 

POTTIER  (l'abbé  Fernand),  O.  A.  Q,  chanoine  titulaire,  pr» 
de  la  Soc.  arch.  du  Tarn-et-Garonne,  corr.  du  Min.  de 
l'Inst.  pub.  pour  les  travaux  hist.,  du  Min.  des  B.-A.,  de 
la  Comm.  des  monuments  hist.,  inspecteur  de  la  Soc.  fran- 
çaise d'arch.,  prof,  d'arch.  au  Grand-Séminaire,  r.  du 
Moustier,  59,  Montauban  (Tarn-et-Garonne),  1898. 

URSEAU  (l'abbé  Charles),  O.  A.  ||,  chanoine  de  la  Cathédrale 
d'Angers,  secr.  gén.  de  la  Soc.  d'agr.,  se.  et  arts  d'Angers, 
cor.  du  Min.  de  l'Inst.  publ.  et  de  la  comm.  des  monu- 
ments hist.,  parvis  S'-Maurice,  4,  Angers  (Maine-et-Loire), 
1906. 


Soc.  ArchéoL  Nantes. 


—   XVIII   — 


\ 


SOCIÉTÉS    CORRESPONDANTES 


FRANCE 


Aisne Société  académique  des  sciences,  arts, 

belles-lettres,  agriculture  et  indus- 
trie de  Saint-Quentin  (S'-Quentin). 

Allier Société  d'émulation  des  lettres,  scien- 
ces et  arts  du  Bourbonnais  (Moulins). 

Alpes- Maritimes Société  des  lettres,  sciences  et  arts  des 

Alpes-Maritimes  (Nice  et  Paris). 

Aube Société  académique,  d'agriculture,  des 

sciences,   arts    et    belles-lettres    du 
département  de  l'Aube  (Troyes). 

A  ude Commission  archéologique  et  littéraire 

de    l'arrondissement    de    Narbonne 
(Narbonne). 

Aveyron Société  des  lettres,  sciences  et  arts  de 

l'Aveyron  (Rodez). 

Basses-Pyrénées Société  des  sciences,  lettres  et  arts  de 

Pau  (Pau). 

Belfort Société  Belfortaine  d'émulation  (Bel- 
fort). 

Bouches-du-Rhùne . . .     Société   de    statistique    de    Marseille 

(Marseille). 
Annales  des  Facultés  de  droit  et  des 
lettres  d'Aix,  à  la   Bibliothèque  de 
l'Université,  à  Aix-en-Provence. 

Charente Société  archéologique  et  historique  de 

la  Charente  (Angouléme). 

Charente-Inférieure. .     Société  des  archives  historiques  (Re- 
vue de  Saintonge  et  d'Aunis)(Saintes). 

Cher Société    des    antiquaires    du    Centre 

(Bourges). 


—  XIX  — 

Corrèze Société  scientifique,  historique  et  ar- 
chéologique de  la  Corrèze  (Brives). 

Côtes-du-Nord Société  d'émulation  des  Côtes-du-Nord 

(Saint-Brieuc). 

Creuse Société  des  Sciences  natarelles  et  ar- 
chéologiques de  la  Creuse  (Guéret). 

Deux-Sèvres Société  de  statistique,  sciences,  lettres 

et  arts  du  département  des  Deux- 
Sèvres  (Niort). 

Dordogne Société   historique   et    archéologique 

du  Périgord  (Périgueux). 

Eure-et-Loir Société   archéologique    du     Finistère 

(Chartres). 

Finistère Société    archéologique    du    Finistère 

(Quimper). 

—  Société  diocésaine  d'archéologie 

(Quimper). 

—  Société  académique  de  Brest  (Brest). 

Gard Académie  de  Nîmes  (Nîmes). 

Gironde .• Société   archéologique   de    Bordeaux 

(Bordeaux). 

Hautes-Alpes Sociétéd'étudesdesHautes-Alpes(Gap). 

Haute-Garonne Société  archéologique  du  Midi   de  la 

France  (Toulouse). 
Haute-Marne Société  historique  et  archéologique  de 

Langres  (Langres). 
Haute-Saône Société  d'agriculture,  sciences  et  arts 

du  département  de  la  Haute-Saône 

(Vesoul). 
Haute-Vienne Société  archéologique  et  historique  du 

Limousin  (Limoges). 

—  Société  des  amis  des  sciences  et  arts 

de  Bochechouart  (Bochechouart). 

Ille-et- Vilaine Société  archéologique  du  département 

d'Ille-et-Vilaine  (Bennes). 

—  Annales  de  Bretagne,  publiées  par  la  Fa- 

culté des  lettres  de  Bennes  (Bennes). 
—  Société    historique    et    archéologique 

de  l'arrondissement  de  Saint-Malo 
(Saint-Malo). 


—   XX    — 

Indre-et-Loire Société  archéologique  de  la  Touraine 

(Tours). 

Isère Académie  Delph'nale  (Grenoble). 

Jura Société  démulation  du   Jura  (Lons-le- 

Saulnier). 

Landes Société  de  Borda  (I)ax). 

Loir-et-Cher Société    des     sciences    et    lettres    du 

Loir-et-Cher  (Blois). 
Société  archéologique,  scientifique  et 

littéraire  du  Vendômois  (Vendôme). 
Loire-Inférieure Société  académique  de  Nantes  et  de  la 

Loire-Inférieure  (Nantes). 

—  Société    des   sciences    naturelles    de 

l'Ouest  de  la  France  (Nantes). 

—  Société  des  Bibliophiles  Bretons  et  de 

l'Histoire  de  Bretagne  (Nantes). 

Loiret . .     Société  archéologique  et  historique  de 

l'Orléanais  (Orléans). 

Lot Société  des  études  littéraires,  scienti- 
fiques et  artistiques  du  Lot  (Cahors). 

Lozère Société    d'agriculture,    industrie, 

sciences  et    arts  du  département  de 
la  Lozère  (Mande). 

Maine-et-Loire Société  des  sciences,  lettres  et  beaux- 
arts  de  l'arrondissement  de  Cholet 
(Cholet). 
Société  Nationale  d'Agriculture,  scien- 
ces et  arts  d'Angers. 

Manche Société  d'agriculture,  d'archéologie  et 

d'histoire  naturelle  du  département 
de  la  Manche  (Saint-Lô). 

Marne Société  d'agriculture,  commerce, 

sciences  et  arts  du  département  de 
la  Marne  (Chàlons-sur-Marne). 

Mayenne .    ...     Commission    historique  et    archéolo- 
gique de  la  Mayenne  (Laval). 

Meurthe-et-Moselle. . .     Société  d'archéologie  lorraine  et  Mu- 
sée historique  lorrain  (Nancy). 

Meuse Société  des  lettres,  sciences  et  arts  de 

Bar-le-Duc. 


—    XXI    — 

Morbihan Société    polymathique   du     Morbihan 

(Vannes). 
Nord Commission    historique    et    archéolo- 
gique (Lille). 
Oise ....     Société    académique     d'archéologie, 

sciences  et  arts  du  département  de 

l'Oise  (Beauvais). 
Orne Société  historique  et  archéologique  de 

l'Orne  (Alençon). 
Pas-de-Calais Société  des  antiquaires  de  la  Morinie 

(Saint-Omer). 
Rhône Société  académique  d'architecture  de 

Lyon  (Lyon). 
Bulletin  historique  du  diocèse  de  Lyon 

(Lyon). 
Saône-et- Loire Société  Eduenne  (Àutun). 

—  Académie  de  Màcon  (Màcon). 
Sarthe Société  d'agriculture,  sciences  et  arts 

de  la  Sarthe  (Le  Mans). 
Revue  historique  et  archéologique  du 
Maine  (Le  Mans  et  Mamers). 

Seine Journal  des  Savants  (Paris). 

Société  nationale  des  antiquaires   de 
France  (Paris). 

—  Société  française  d'archéologie  pour  la 

conservation  et  la  description  des 
monuments  (Congrès  archéologi- 
ques) (Paris  et  Caen). 

—  Société    française    de    numismatique 

(Paris). 

—  Revue  de  la  Société  des  études  histo- 

riques, faisant  suite  à  l'Investigateur 
(Paris). 

—  Comité   des    travaux    historiques    et 

scientifiques  (M.  I.  P.,  Paris). 

—  Revue     de     l'École     d'anthropologie 

(rue    de    l'École -de -Médecine,  15, 
Paris). 
Seine-Inférieure Commission  des  antiquités  de  la  Seine- 
Inférieure  (Rouen). 


—   XXII   — 

Seine-Inférieure Société  havraise  d'études  diverses  (Le 

Havre). 
Seine-et-Oise Société  archéologique  de  Rombouillet 

(Rambouillet). 
Somme Société    des   antiquaires   de    Picardie 

(Amiens  et  Paris). 
Tarn-ct-Garonne Société     archéologique    du    Tarn-et- 

Garonne  (Montauban). 
Var Société  d'études  scientiliqueset  archéo- 
logiques de  la  ville  de  Draguignan 

(Draguignan). 
Vendée Société  d'émulation  de  la  Vendée  (La 

Roche-sur-Yon). 
La  Vendée  historique  et  traditioniste 

(Luçon). 
Vienne Société    des    antiquaires    de    l'Ouest 

(Poitiers). 
Yonne Société    des   sciences   historiques    et 

naturelles  de  l'Yonne  (Auxerre). 

ALGÉRIE 

Constantine Société  archéologique  du  département 

de  Constantine  (Constantine). 

BELGIQUE 

Namur • .     Archives    de    la    France    monastique, 

Revue  Mabilon  (Cbcvetognc  par 
Leigr.on). 

ESPAGNE 

Catalogne Revista  de   la   Associacion    artistico- 

arqueôlogica  (Rarcelone). 

Iles  Baléares Boletin  de  la  Sociedad  arqueôlogica 

Iuliana  (Palma  de  Mallorca,  islas 
Baléares). 

ÉTATS-UNIS  D'AMÉRIQUE 

Colombie Smithsonian  institution  (Washington). 

SUÈDE 

Stockholm Académie    royale    des    belles-lettres, 

d'histoire  et  des  antiquités  de  Stock- 
holm (Stockholm). 


—   XXIII    — 


REVUES 


Cantal Revue  de  la  Haute- Auvergne  (Aurillac). 

Ille-et-Vilâine L'Hermine,    revue   littéraire  et  artis- 
tique de   Bretagne   (Rennes,    Paris, 

I 

Londres). 

Maine-et-Loire Revue  de  l'Anjou  (Angers). 

Morbihan Revue  Morbihannaise  (rue  Pasteur,  1'.). 

Vannes). 
Seine Revue  des  Traditions  populaires  (80, 

boul.  Saint-Marcel,  Paris-Ve). 


TABLE    DES    MATIÈRES 


Pages 

Procès-verbaux  des  séances xlvii 

Nantes  en   1792 207 

Notes  curieuses  extraites  des  registres  de  la  paroisse 

de  Saint-IIei  blain 351 

Prééminences  de  l'église  de  Saint-Philbert  de  Grand- 
Lieu 359 

L'ancienne  église  de  Notie-Dame  de  Challans 3(S7 

Découverte  d'un  objet  d'art  ancien 415 

L'église  et  la  paroisse  Saint-Laurent  de  Nantes 417 

Nécrologie  :  M.  Edouard  Pied 443 

Liste  des  Membres  de  la  Société i 

Lisle  des  Sociétés  correspondantes xvm 


^^<-v9*<^->^> 


Nantes.  —  Imp.  A.  DUGAS  &  C'e,  5,  quai  Cassard. 


>  •x«f>7v 


'£-*->    2&ULJ&. 


yvv^    ïs 


L>.'  .'-/ 


>3 


n  f 


S    v 


\>  "v>tv 


^T^   ^ 


?  J>  JS> 


^  ^» 

V^k?^^te^  K^ 

■ 

?j 

^  -,    ,7% 

-^—*^&&*        ^p 

r_-^ 

i^^s^rs 

W    ■           s  J 

^"^st^;  ^ — -^i»^----~r 

h  ~"ÎV  ~  "^.        ^C"  -.-       —                 -  3^^*              ^^^ 

fS^: 

i%ft  g 

r3 

>  ■■■> 

*^/  ^ 

»^>.-?X>  >J>   J* 

Ë 


>>..>:> 


3r> 


:■  'ZXPjy  '  JL**  - 


"S«3> 


**    "*^       >->>>■ 


YësJr 


*7S^ 


s»  > 


x>  >^> 


>3 

> 

Ë©*^ 

si 

>:%v^J  ■'"' 

»  ■ 

krss^1^^     ^ 

y>  » 

yyjUÊB* 

31» 


VSi>- 


3>^ 


►:»  :>  > 


.  ~>  ""*»  5 


^>>>1 


)  f 


■»> 
KL 


;5& 


vsrym 


m  y 


7*K 


^^è 


^S-^SSi 


3S> 
»  >s> 


^^R 

w»    J^/ 


m  ^ 


w> 


1/5 


92> 


>4/*     •: 


>>    ^ 


TTY  CENTER 


IBRARY 


5jî 


*3  si 


~      -*«nr-      AA"7AA     AOA"[