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SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE
DE NANTES
BULLETIN
DE LA
SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE
DE NANTES
ET DU DEPARTEMENT DE LA LOIRE-INFERIEURE
Année 1908
TOME QUARANTE-NEUVIEME
1er Semestre
NANTES
BUREAUX DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE
1908
N OTE
Les études insérées dans le Bulletin de la Société Archéolo-
gique de Nantes et de la Loire-Inférieure sont publiées sous
l'entière responsabilité des auteurs.
B U REAU
DE LA
SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE de NANTES
ET DE LA LOIRE-INFÉRIEURE
MM. Alcide DORTEL, 0. I. Q Président.
Alcide LEROUX ,
le baron Gaétan de WISMES » Vice-présidents.
Docteur Georges HALGaN
Joseph XAU ( Secrétaires généraux.
Joseph ANGOT
Joseph HOUDET ( Secrétaires du Comité.
ËDOUAKD PIED, 0. I.
Raymond POUVREAU
Paul SOULLARD
rrésorier.
Trésorier-adjoint.
' Bibliothécaires-
Victor LAGREE, 0. # » archivistes.
COMITÉ CENTRAI,
MEMBRES A VIE
Anciens Présidents (1;
MM. le marquis de BREMOND d'ARS MIGRÉ, # (1881-1886 etl899-1901).
Léon MAITRE. 0. I. O ( 1902-1904) ; le baron de WISMES (1905-1907).
MEMBRES ÉLUS
MM. GIIAILLOU, 0. I. Q
SK.NOT DE la LONDE Sortants en 1908.
Claude de MOXTI de REZÉ ^
CAILLÉ
Ludovic CORMERAIS ' Sortants en 1909.
le chanoine DURVILLE, 0. A. Q )
le comte de BERTHOL'
BLANCHARD, 0. I. Q Sortants en 1910.
TRÉMANT )
(t| Les autres présidents de la Société ont été : MM. Xau (1845-1862).
f 4 juillet 1865; — le vicomte Sioch'Ân de Kersabiec (1863-1868),
f 28 novembre 18,97 ; - le chanoine Cahour, 0. A. Q (1869-187i).
f 7 septembre 1901; - l'intendant Galles, O. # (1872-1874), fil
août 1891 ; — Marionneau. #, 0. 1. €} (1875-1877 1. f 13 septembre 1896;
— le baron de Wismes (1878-1880), f 5 janvier 1887, - le vicomte de
la Lauhencie. * (1881-1883); - Le Meiunen, 0. A. y (1887-1889
et 1896-1898), f 22 septembre 1905; le marquis de Dion, %
(1890-1892), f 26 avril 1901; — de la Nioollière-Teijeiro, 0. A. Q
(189,M895), f 17 juin 1900.
EXTRAITS
Des procès-verbaux des Siéarxoes
^•Ov9JKiA3t>-
r »
SOCIETE ARCHEOLOGIQUE
DE LA LOIRE-INFERIEURE
Manoir cle la Touche
SÉANCE DU 14 JANVIER 1908
Présidence de M. le baron de Wismes, président sortant
et ensuite de M. Dortel, président élu
Etaient présents : MM. Angot, commandant d'AnuoN-
neau, Bastard, Blanchard, abbé Brault, de Brévé-
dent, Caillé, Chaillou, chanoine Durville, Ferron-
nière, Flornoy, Furret, Gourdon, abbé Grelier, Hou-
det, commandant Lagrée, Leroux, abbé Lesimple,
vicomte de Lisle du Dréneuc, Maître, Pied, Pineau-
Chaillou, Poirier, Pouvreau, Renard, Renaud, Révé-
rend, RlNGEVAL, SENOT DE LA LONDE, SOULLARD, TrÉ-
MANT, DE VeILLECHÈZE, GaËTAN DE WlSMES.
MM. de Brémond d'Ars, chevalier Joubert et Coutil
s'étaient excusés.
M. Jules Crouan, présenté par MM. le commandant
Lagrée et l'abbé Brault, est élu membre titulaire.
M. Gabriel Revelière, présenté par MM. le baron de
Wismes et Antoine Vincent, est élu membre correspon-
dant.
M. le Président annonce que le Comité désire l'élection
de M. Senot de la Londe comme membre du Comité, à
Soc. Archéol. Nantes.
X
cause de sa science et de son dévouement reconnus de
tous.
M. Senot de la Londe est élu membre du Comité cen-
tral eu remplacement de M. Leroux appelé à la vice-pré-
sidence.
Monseigneur I'Evêque de Nantes et Monsieur le Maire
de Nantes entrent dans la salle des séances et prennent
place au Bureau, ainsi que M. Linyer, président de la
Société de Géographie et M. Leray, président de la Société
des Artistes Bretons.
M. Jamin a regretté de ne pouvoir venir représenter le
Conseil général du Département.
M. le Président salue et remercie de leur présence
Monseigneur I'Evêque, M. le Maire et MM. les Présidents
des autres Sociétés savantes. Monseigneur I'Evêque dit,
en quelques mots, la joie qu'il éprouve, en venant au milieu
de nous. Il fait l'éloge de la science archéologique, et se
déclare particulièrement heureux de remettre, au nom de
la Société, la médaille d'or du concours triennal à M. le
chanoine Durville, dont les doctes travaux sont appréciés
hautement par les hommes compétents.
M. le chanoine Durville exprime sa reconnaissance à
Monseigneur I'Evêque, à M. le Maire et à la Société. Il le
fait en termes délicats et pleins d'esprit.
M. le baron de \Vismes, président sortant, prend ensuite
la parole ; dans un discours très érudit et d'une très grande
élévation d'idées, il retrace l'histoire de l'architecture et
fait remarquer l'influence que les idées religieuses, surtout
au temps des cathédrales gothiques, ont exercé sur le déve-
loppement de cet art. Puis il salue M. Dortel, appelé à lui
succéder; il remercie les membres du Bureau et exprime,
en termes émus, son dévouement et sa reconnaissance pour
la Société.
M. Dortel prend alors place au fauteuil de la présidence.
Il se félicite de la prospérité croissante de la Société, due
en grande partie à son prédécesseur ; il se déclare heureux
d'avoir pour collaborateurs, au Bureau, des hommes éclairés
et dévoués à chacun desquels il adresse, avec beaucoup de
délicatesse et d'à-propos, un aimable salut. Il espère que
XI
les questions préhistoriques, si passionnantes, seront sou-
vent à l'ordre du jour, et dès cette première séance, il trace,
en un style très vigoureux et très précis, le tableau des
résultats auxquels est parvenue, à l'heure actuelle, cette
jeune science appelée sans nul doute à nous faire, dans
l'avenir, de si intéressantes révélations.
La séance est levée à 6 h. 1/4.
Le Secrétaire général,
Ferdinand BRAULT.
SEANCE DU MARDI 4 FEVRIER 1908
Présidence de M. Dortel, Président.
Etaient présents .
MM. de la Brosse, abbé Brault, Caillé, Cazautet,
Chaillou, Cormerais, Crouan, abbé Durville, Furret,
Gourdon, abbé Grelier, Dr Halgan, commandant
Lagrée, de Lastours, Leroux, abbé Lesimple, Pied,
Pineau-Chaillou, Dr Plantard, Renard. Révérend,
Ringeval, Senot de la Londe, Vicomte de Sécillon,
Soullard, Trémant, de Veillechèze, baron Christian
de Wismes, baron Gaétan de Wismes.
Le procès- verbal de la précédente séance ayant été lu et
adopté, il est procédé à l'admission comme membres titu-
laires de :
M. le Marquis de la Ferronnays, fils du Marquis de la
Ferronnays, député, président du Conseil Général, récem-
ment décédé, et de M. l'abbé Mouillet.
Ai. l'abbé Brault rappelle les nouveaux travaux dont
M. l'abbé Mouillet est l'auteur; il cite en particulier une
histoire du Grand Séminaire de Nantes, très documentée
en ce qui concerne surtout le XVIIe siècle.
M. le Président fait passer une très belle photographie
communiquée par M. le Directeur de la Belle Jardinière, à
XII
Nantes, et représentant une maison du Vieux Nantes
réédifiée avec des servie! les de toilette dans le grand hall
de la succursale de la rue du Calvaire.
Cette 1res fidèle reconstitution d'un des plus vieux et
des plus curieux logis du XVe siècle manifeste l'esprit d'ini-
tiative et le sens esthétique du Directeur à qui M. le Pré-
sident propose d'adresser les félicitations de notre Société.
Cette œuvre d'arl ne constitue pas seulement une réclame
commerciale (20.000 serviettes ont été nécessaires pour
l'édification de ce chef-d'œuvre), mais permet encore aux
habitants du XXe siècle de pouvoir étudier une de ces
vieilles maisons, si rares aujourd'hui dans notre ville où
l'on songe plutôt à démolir qu'à conserver ces intéressants
vestiges du passé.
Cette maison faisait autrefois l'angle de la rue de la Jui-
verie et de la rue du Port-Maillard ; elle fut démolie en 1903.
Après exhibition d'un curieux fusil. M. le Président pré-
sente une plaque de bronze représentant un brigadier expi-
rant et tombant dans les bras de son général. En exergue :
Les Français à Waterloo, 1815. M. Ghaillou, qui possède
une plaque identique, pense que ces objets ont pu être fondu
à Nantes. Peut-être pourrait-on voir en ce général notre
illustre compatriote Cambronne. mais il serait difficile de
l'affirmer.
M. l'abbé Greliei: montre des tentures de tabernacle
et un voile de calice d'une réelle beauté de dessin.
Le baron Christian de Wismes donne lecture d'un arti-
cle très délicat de la Croix Nantaise qui félicite M. le cha-
noine Durville de la distinction honorifique que la Société
archéologique lui a décernée, reconnaissant ainsi toute la
valeur des travaux que M. Durville a consacrés à notre
vieille cité.
Le baron Gaétan de Wismes communique une lettre
de M. le sénateur Bodinier, qui affirme sa sympathie
pour notre Société et souhaite cpie nous venions visiter
les curiosités archéologiques si nombreuses en Anjou.
M. le baron Gaétan de Wismes signale qu'à Volo
(Thessalie) oui été récemment trouvées des stèles funé-
raires qui peuvent dater du IIIe et du IIe siècles. La
— xnr —
conservation relative des peintures qui ornementaient
ces monuments ajoute beaucoup à l'intérêt de leur décou-
verte, car c'est un fait d'une véritable rareté.
Le baron de Wismes parle à ce propos de la très belle
collection de planches, représentant les monuments de
l'ancienne Egypte, due au talent de M. l'abbé Soreau.
M. le président espère que M. Soreau voudra bien nous
les montrer à l'une des prochaines séances de notre Société.
M. le Président se demande s'il ne serait pas du devoir
de la Société Archéologique de présenter un nouveau
voeu pour la conservation de la jolie tourelle qui, sous
prétexte d'alignement, va, subissant le sort réservé aux
souvenirs du Vieux Nantes, tomber sous la pioche des
démolisseurs. L'hôtel de Monti , qui lui est contigu ,
offre peu d'intérêt.
M. Soullard nous présente un anneau en or gaulois
et d'intéressantes monnaies, récemment trouvées à Joué,
Ligné et à Petit-Mars, à l'effigie de Se ver III, de Julius
Kepos et de Henri VI d'Angleterre.
M. Soullard nous donne également lecture d'un docu-
ment que M. le chevalier d'Achon a bien voulu extraire
pour nous de sa bibliothèque. Ce manuscrit, dû à la plume
de M. de Pommerie, est daté du lor mars 1788. Il relate
un différend qui s'éleva entre lui-même, qui, à cette époque,
commandait le château de Nantes, et la Municipalité.
On voit déjà l'esprit révolutionnaire se manifester dans
les faits et gestes des ouvriers qui travaillaient au châ-
teau, et la Municipalité, épousant leurs querelles, exiger
de M. de Pommerie d'inutiles explications.
Lecture est ensuite donnée d'un travail consciencieux
de M. Michel, ingénieur de la Ville, qui présida aux travaux
récemment faits pour la création des égouts sur les quais
de l'Erdre. Il nous dit ce qu'était jadis cette rivière dans
son parcours urbain ; la rive droite tombant abrupte,
couverte cependant de tanneries jusqu'au pont actuel
de l'Hôtel- de- Ville ; la rive gauche, basse, très maréca-
geuse. Vers 1800, un ponit fut créé au niveau du Marché
à la paille, il le fut dans de mauvaises conditions et on
dut le faire disparaître vingt ans plus tard. C'est à ce
— XIV —
niveau, qu'au cours des travaux exécutés il y a quelques
mois, les ouvriers trouvèrent quelques pièces intéressantes,
statuettes, vases plus ou moins mutilés.
M. Maître lit un rapport sur la découverte d'un atelier
de fondeur qui fut faite au mois d'avril 1907 à Saint-
Père-en-Retz. M. Maître vit là une collection de douze
culots de bronze en forme de galettes qui devaient être
les résidus empruntés à des fonds de creusets. D'où
pouvait venir ce cuivre ? Peut-être d'Espagne. Les fon-
deurs se seraient établis en cette contrée par cette raison
qu'elle était à l'état de forêt et que le combustible était
pour eux chose indispensable.
M. le Président remercie M. Maître de la communica-
tion qu'il a bien voulu faire.
La séance est levée à 6 heures.
Le Secrétaire général,
Dr Halgan.
SÉANCE DU MARDI 10 MARS 1908
Présidence de M. Dortel, président
Membres présents : MM. Angot, Bastard, Chanoine
Delanoue, de Brévedent, Caillé, Cazautet, Chaillou,
Charon, Chouan, Furret, Grelier, le Commandant
Lagrée, le Docteur de Lastours, Leroux, l'abbé Mouillé,
Pied, Révérend, Ringeval, Senot de la Londe, P. Soul-
lard, Trémant, de Veillechèze, Barons Christian et
Gaétan de Wismes.
M. Dano, intendant militaire, qui, en Tunisie et dans
l'Afrique du Nord, a pris part à de nombreuses fouilles et
assisté à plusieurs découvertes archéologiques très inté-
ressantes, et M. Roy, le vaillant défenseur du Vieux Nantes,
sont admis Membres titulaires de la Société. Ils ont comme
parrains MM. Dortel et Pied.
M. le Président donne communication d'une lettre
XV
de M. Delattre qui, élu secrétaire général, regrette, à
cause de ses occupations très absorbantes à l'heure actuelle,
de ne pouvoir en remplir les fonctions. M. Joseph Nau,
pressenti à ce sujet, veut bien assurer cette délicate respon-
sabilité. M. Dortel rappelle que le grand-père de M. Nau
a été un des fondateurs et le premier président pendant
dix-sept ans de la Société Archéologique de Nantes et que
son père, qui est président de la Société des Architectes,
a été vice-président de la Société Archéologique et en a
refusé la présidence. Le scrutin ayant eu lieu, à l'unanimité
des votants, M. Nau est élu secrétaire général.
M. le Président dit à M. Chaillou avoir vu, en bronze,
la reproduction d'un épisode de la bataille de Waterloo
dans laquelle la légende supprimée dans la plaque en
bronze présentée par M. Chaillou se trouvait re-
produite.
M. Alcide Leroux fait don à la Société de deux brochures
des plus intéressantes au point de vue de la linguistique :
Du Langage Populaire et Marche du Patois actuel. La
Société reconnaissante l'en remercie très vivement.
M. le Président rend compte des Congrès auxquels
sont invités les membres de la Société : Congrès préhisto-
rique se tenant à Chambéry du 24 au 30 août prochain,
Congrès des Sociétés Savantes à la Sorbonne dans la se-
maine qui suivra les fêtes de Pâques. Il se fait le porte-
parole de M. le Marquis de l'Estourbeillon qui, au nom
de l'Union régionaliste bretonne à laquelle vient d'adhé-
rer la Société Archéologique de Nantes, invite le plus
de membres possible à se réunir pour les fêtes qui se
feront à Jugon les 21, 22 et 23 mars. Le programme com-
porte des excursions du plus grand intérêt aux ruines du
vieux château de la Hunaudaye et à l'abbaye de Bosquen.
M. de l'Estourbeillon a joint à son invitation tous les
bulletins de la Société dont il est le très dévoué président.
Plusieurs membres se proposant d'aller à Jugon, M. le
baron Gaétan de Wismes prend la parole pour indiquer
les conditions matérielles de l'excursion et demande à
être prévenu le 15 mars au plus tard pour prendre les dis-
positions nécessaires. Il termine en présentant une petite
brochure où M. de l'Estourbeillon, sous un pseudonyme,
— XVI —
fait un parallèle entre les vieux (Bretons) fidèles à leurs
nobles et anciennes coutumes et ceux qui se laissent trop
entraîner par le modernisme. Le titre de cet intéressant
écrit est : Bretagne d'Aujourd'hui et Bretagne de Demain.
Le docteur de Lastours présente un cachet breloque
semblant appartenir aux dernières années du dix-hui-
tième siècle; il paraît représenter en intaille le portrait
en buste d'un muscadin.
M. Dortel exhibe à la Société un pistolet à pierre à
2 canons superposés, bassinet tournant, portant une
marque anglaise. Cette arme curieuse ayant été trouvée
près de Quiberon, il est probable qu'elle a dû appartenir
à un des émigrés venus d'Angleterre prendre part au
débarquement qui eut lieu à cette époque. Le président
fait passer parmi les membres de la Société des coquilles
munies de leurs deux valves trouvées dans les fouilles
d'un jardin de Rezé; ces huîtres étaient entassées en un
monceau de 30 centimètres de hauteur sur 15 mètres de
longueur.
M. Chaillou, qui les examine, est du même avis que
M. le président; ces huîtres, qui n'ont rien des fossiles,
doivent être dues au déchargement d'une cargaison
avariée. Le commerce d'huîtres étant très développé en
Bretagne à l'époque gallo-romaine.
M. Dortel donne alors lecture du vœu proposé à la
dernière séance à l'occasion des projets de démolition
à l'Hôtel de Monti et de la tourelle dite de Gabrielle
d'Estrées :
La Société Archéologique,
Considérant que chaque année voit disparaître quel-
ques-uns des monuments vénérables que nos ancêtres
nous avaient pieusement conservés ;
Considérant que ces monuments se recommandent à
nous : 1° par le cachet « pittoresque » qu'ils donnent à
certains quartiers, en attirant par là même la visite des
étrangers, source de bénéfices pour notre ville ; 2° par
leur valeur « architecturale », qui permet à nos artistes
de les étudier et de les reproduire ; 3° par leur importance
XVII
« historique », en raison des faits dont ils sont les témoins
et qu'ils font connaître avec plus de vérité ;
Considérant que ces constructions, dont la beauté
appartient à tous et dont l'intérêt s'accroît du fait des
destructions déjà accomplies, sont un legs précieux que
le présent reçoit du passé et dont il doit compte à l'avenir ;
— que le premier souci d'une municipalité devrait être,
par conséquent, d'exercer une surveillance active pour
éviter leur dégradation et leur ruine ;
Considérant que malheureusement, depuis un trop
grand nombre d'années, la plupart de ces curieux édifices
ont été démolis sans motifs sérieux et sous les prétextes
les plus futiles ; qu'il est temps de mettre un terme à ce
vandalisme systématique, si novis ne voulons voir dispa-
raître tout ce qui nous reste de curieux et d'intéressant.
Considérant qu'il appartient à notre Compagnie de se
faire l'écho des protestations qui se sont maintes fois
élevées dans la Presse.
Proteste avec énergie contre les démolitions accomplies,
au mépris des intérêts de l'Art et de l'Histoire, et espère
qu'à l'avenir elle sera consultée toutes les fois qu'une
mesure de ce genre menacera l'un des rares vestiges de
notre Vieux Nantes.
A ce sujet, M. le baron Christian de Wismes lit des
extraits : 1° d'un livre assez ancien dans lequel l'auteur,
un Parisien, se plaint de voir les Nantais mutiler et détruire
leurs vieux édifices remarquables par l'architecture et les
souvenirs précieux qui y sont attachés ; de plus, il
commente rapidement un article du distingué savant
qu'était M. de la Gournerie et dans lequel celui-ci constate
avec tristesse qu'on démolit beaucoup trop à Nantes.
Le vœu tendant à la conservation de nos vieux monu-
ments est voté à l'unanimité. Il sera transmis à M. le Maire
et communiqué aux journaux. On entend ensuite M. Soul-
lard, informant la Société qu'il est parvenu à établir l'iden-
tité d'un sceau du XVIe siècle présenté antérieurement.
Ce sceau losange, parti d'hermines à la bordure de gueules
et d'or à trois lionceaux de gueules , est celui de Jeanne de
Pisseleu, ductiesse d'Etampes, dont le mari , Jean de
Brosses, reçut, à cause de- s;i complaisance, le comté de
— XVIII —
Penthièvre auquel il se croyait des droits par le mariage
d'une fille de Charles de Blois avec un de ses aïeux. La sei-
gneurie de la Roche-Suhart, enclavée dans ce comte,
fut acquise à prix d'argent par la duchesse aux anciens pos-
sesseurs. Il comprenait des privilèges et droits maritimes
très étendus.
M. Angot continue la très captivante lecture du travail
de Mme Baudry sur Saint-Mars-la-Jàille et ses anciens
seigneurs; l'état de Saint-Mars-la-Jàille, au moment de la
Ligue, et une notice sur la famille Ferron de la Ferronays où
l'on voit se détacher la très noble figure de .Monseigneur
Ferron de la Ferronays. évêque de Baveux et de Bayonne,
mort en exil en 1799.
M. le baron de Wismes donne lecture de diverses nou-
velles archéologiques. La découverte de la mosaïque de
Saint-Colombe (Rhône) et la destruction de la Roche qui
tourne, pierre intéressante à cause des superstitions qui y
étaient attachées, etc. Des notes bibliographiques lues par
M. Angot sont très intéressantes, plusieurs faux du fond de
Béthune ont été relevés par M. Léopold Delisle dans les
manuscrits de M. Pierpont Morgan. M. le chanoine Durville
avait déjà signalé à Nantes plusieurs faux dans les pièces
venant de la même source et se trouvant à Nantes.
M. Angot termine en présentant à la Société quelques
manuscrits en partie édités provenant de l'érudit abbé
Gaignard, ancien supérieur du collège d'Ancenis, au moment
de la Révolution.
La séance est levée à 6 heures 1/4.
SÉANCE DU JEUDI 19 MARS 1908
Présidence de M. A. Dortel. président.
Etaient présents :
MM. Bacqua, Brau, Bougouin, de Brévedent, Domi-
nique Caillé, Cazautet, Chaillou, Crouan, chanoine
Dirville, Furet, Gourdon, commandant Lagrée, doc-
— XIX —
teur de Lastours, Leroux, Nau, Pied, Pineau-
Chaillou, Poirier, Révérend, Ringeval, Roy, le cha-
noine Saureau, Senot de la Londe, Soullard, Trémant,
Vignard, Antoine et Félix Vincent, Barons Gaëtan et
Christian de Wismes.
Le procès- verbal de la dernière séance est lu et adopté.
M. le Président, en quelques mots émus, nous fait part
de la mort d'un de nos plus anciens membres, M. René de
Veillechèze, qui, présent à la dernière séance, a été brusque-
ment enlevé à l'affection des siens.
Son testament exprimait le désir qu'aucun discours n'eut
lieu sur sa tombe. M. Dortel se propose de prononcer l'éloge
de M. de Veillechèze à la prochaine séance, et de nous mon-
trer comment, chez celui-ci, une grande intelligence s'alliait
à une extrême modestie.
Il termine en souhaitant la bienvenue à M. Roy, élu
membre titulaire à la dernière séance et qui a toujours si
vaillamment défendu les anciens monuments de notre vieille
cité nantaise.
La parole est donnée à M. le chanoine Saureau qui, dans
une conférence du plus captivant intérêt, après nous avoir
transporté sur les ailes de l'ange Raphaël, à la cité de
Thèbes aux cent portes, appelée alors Oasith ou Mont-Amon,
quatorze siècles avant l'ère chrétienne, nous fait revivre,
avec une réelle intensité, la vie même de ce peuple égyptien
aussi bien dans ses menus détails quotidiens que dans ceux
des cérémonies religieuses et des fêtes les plus solennelles.
Il le fait avec une telle éloquence et par le moyen de
tableaux si exactement réels, qu'à la fin de la conférence
les membres de la Société archéologique se sont étonnés de
se retrouver, au vingtième siècle après l'ère chrétienne, dans
une salle de réunions à Nantes.
M. Dortel adresse au nom de la Société de chaleureux
remercîments à M. le chanoine Saureau et espère qu'il
voudra bien donner une suite à sa première conférence.
Il donne alors la parole à M. Alcide Leroux qui veut bien
faire part à la Société de ses impressions sur l'Egypte
moderne et sur les vieilles pyramides qu'il a visitées jadis.
C'était pendant l'hiver que M. Leroux fit ce voyage, mais
— XX —
le Nil avait déjà donné aux terrains qui l'avoisinent celte
fécondité proverbiale qui avait transformé ses rives en
paysages ravissants, et la magie du style de M. Leroux nous
les fait apprécier mieux encore. Les sombres pyramides pa-
raissent dans le lointain de petits monticules de sable sur
le subie du désert. On s'y dirige par une chaussée ombra-
gée en partie construite pour la visite qu'y fil l'impératrice
Eugénie. L'effet curieux de rapetissement puis d'allongement
de ces monuments du passé égyptien sont décrits de main
de maître. Le contraste si frappant de ces colonnes du
passé avec les huttes de terre où se blotissenf les fellahs,
sont une triste leçon pour les visiteurs actuels. Les quelques
Arabes oublieux d'une histoire si glorieuse pour l'Egypte
sont des guides et surtout des mendiants sans aucune
bonne foi. Le sommet de la pyramide de Chéops, la plus
élevée de toutes ces pyramides, est d'accès difficile
sans l'aide des Arabes ; les deux cents marches à gravir,
et quelles marches ! rendent cette escalade fort pénible.
Mais de la plate-forme de 10 mètres carrés environ, la vue
est splendide et le sphinx, presque accroupi à ses pieds,
évoque dans l'esprit la grandeur mélancolique des siècles
écoulés. L'heure qui s'avance empêche M. Leroux, à notre
grand regret, d'achever la lecture de ses intéressantes obser-
vations qu'il reprendra d'ailleurs à la prochaine réunion.
La séance est levée à (i heures 1/4.
SÉANCE DU 7 AVRIL 1908
Présidence de M. Dortel, président
La séance est ouverte à quatre heures.
Etaient présents : MINI, l'abbé Braud, de Brévedent,
Caillé, Cazautet, Chaillou, Charron, Dortel, Ferron-
NIÈRE, FURRET, GoiTRDON, abbé GRELIER, DE FvERVE-
noael, Lagrée, de Lastour, A. Leroux, l'abbé Lesimple,
Maître, Joseph Nvu, Pineau, Pied, Renard, Ringeval,
Commandant Riondel, Henry Riondel, Senot de la
— XXI —
Londe, Soullard, Trémant, baron de Wismes, baron
Gaétan de Wismes.
Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté.
M. le Président nous parle, en termes émus, du vide
cpie laisse à notre Société la mort de M. de Veillechèze
dont les qualités du cœur et de l'esprit, jointes à la distinc-
tion et à l'affabilité de ses manières avaient su lui conqué-
rir l'estime et la sympathie de tous ceux qui l'ont connu.
D'un caractère facile, généreux et bon, s'oubliant lui-
même pour être utile aux autres, et d'une délicatesse
extrême, il savait égayer ses collègues par ses bons mots
et ses chansons frappés au coin du meilleur esprit.
Il laisse des mémoires et des études très documentés
où l'on retrouve, sous sa plume alerte et spirituelle, son
attachement pour le pays qui l'a vu naître, ou pour celui
où il fit ses premières armes.
C'est ainsi que nous avons de lui des détails fort inté-
ressants sur la Chapelle du Mûrier, du Crucifix, et de
Saint-Goustan, au Croisic, de Bethléem en Saint- Jean-
de-Boiseau, etc.
M. de Veillechèze faisait partie de la Société Archéo-
logique depuis l'année 1887.
L'Assemblée reçoit, par vote unanime, comme membre
titulaire, M. Jean de Vienne, présenté par MM. Senot de
la Londe et le Vicomte de Kervenoaël.
M. le Président fait part à la Société des dons qu'il a
reçus :
1° De M. Delatlre : Notes historiques sur le passage
des Ambassadeurs de Siam :
2° De M. le Dr Marcel Baudouin : Les Mégalithes du
Brandeau ( Bretignolle), Vendée ;
3° Du Directeur de la Belle Jardinière, de superbes
photographies représentant les vieux logis de la rue de
la Juiverie.
Il adresse ses remerciements au nom de la Société.
M. de Lastour remet à la Société de fort artistiques
photographies prises par lui à Jagon, pendant les assises
de l'Union Bégionale bretonne.
— XXII —
M. Senot de la Londe exhibe une curieuse affiche de
théâtre de 1771.
M. Maître remet sur le bureau de vieilles poteries,
provenant de la rue de la Juiverie, et trouvées au milieu
même de la rue.
M. Furret, enfin, montre des restes assez curieux de
verroterie qu'il a trouvés en faisant exécuter des fouilles
rue Saint-André.
On aborde ensuite l'ordre du jour :
M. Alcide Leroux reprend la narration de son voyage
au Caire. Il nous décrit les Pyramides, nous en fait visiter
en détail les multiples galeries, la chambre du roi, celle
de la reine, nous transporte ensuite aux pieds du Sphinx,
et son récit nous donne un instant l'illusion d'avoir contem-
plé nous-mêmes ces géants.
La parole est ensuite donnée à M. Chaillou qui rend
compte de la visite faite à Rezé avec MM. de Berthou,
Dortel, Maître, Senot de la Londe et Soudard, chargés
par la Société Archéologique de vouloir bien étudier la
nature des objets qui y furent récemment découverts.
M. Chaillou donne un compte rendu très complet des
démarches de la Commission, qui, en se rendant sur le
terrain des fouilles, fait une halte à la Chapelle de Saint-
Lupien. Il exhibe sur le bureau quelques-uns des objets
trouvés: des vases, une statuette, des débris de cloisonnage
en argile, etc. L'opinion personnelle de M. Chaillou
est que les objets trouvés sont postérieurs à l'occupation
romaine, et qu'il ne faut pas clore mais ouvrir une enquête.
M. le baron Gaétan de Wismes rend compte des assises
d'hiver de l'Union Régionaliste bretonne à Jagon, et du but
de ces assises. Il a été heureux de constater le bon accueil
fait aux Nantais qui semblent enfin être reconnus comme
vrais Bretons. C'est très chaleureusement que M. le Pré-
sident remercie M. de Wismes d'avoir si aimablement
représenté la Société Archéologique.
M. Senot de la Londe fait part à la Société de pièces
curieuses concernant un aveu de passage de la Chebuette
sur la Loire en 1507 et la prise de possession de la seigneu-
rerie de Thouaré par Josepb Mosnier de la Valtière en
XXIII
1704. Il met sous nos yeux un plan très curieux, orne-
menté de sanguines, par Henon, et datant de 1704.
La séance est levée à 6 heures 1/2.
Le Secrétaire Général,
J. Nau.
SÉANCE DU MARDI 5 MAI 1908
Présidence successive du baron Gaétan de Wismes,
vice-président, et de M. Dortel, président.
La séance est ouverte à 4 heures.
Etaient présents :
M. Angot, abbé Braud, Blanchard, de Brévedent,
Caillé, Cazautet, Chaillou, Dortel, Ferronnière,
de France, de Freslon, Furret, Grelier, Dr Halgan,
Commandant Lagrée, Leroux. Maître, Dr Plantard,
Pied, Henry Biondel, Soullard, Vignard, Benard,
Baron de Wismes, Baron Gaétan de Wismes.
Après lecture et adoption du procès- verbal de la séance
précédente, il est procédé à la nomination, comme membre
titulaire, du capitaine Georges du Plessix, qui, présenté par
M. Furret et le vicomte de Sécillon. obtient l'unanimité
des suffrages.
M. le Président se fait l'interprète des membres pré-
sents en adressant ses sentiments de vive sympathie à
M. Antoine Vincent, président du Tribunal de Commerce,
qui, pendant trois ans, remplit, à la Société d'archéologie,
les fonctions de secrétaire général, à l'occasion de la mort
si cruelle de son jeune fils, élève à l'Ecole de la rue des Postes,
à Paris.
Une excursion à Pontchâteau, Missillac, la Brctêche est
décidée et fixée au 18 mai.
M. Halgan présente un vase en forme de casque trouvé,
il y a quelques années, en terre, près d'un vieux château
vendéen.
XXIV
Puis la parole est donnée à M. Grelier, qui présente un
important travail sur l'ancienne église de Challans. Datant
du VIe siècle, ainsi qu'en témoigne la découverte faite par
M. Grelier d'une curieuse croix mérovingienne, ce monu-
ment primitif s'enveloppe, quant à ses origines, de curieu-
ses légendes. Un second édifice fut construit au XIe siècle
et a subsisté après avoir subi de considérables modifica-
tions.
Du type de l'architecture romane poitevine, il était le
plus vieux monument de la région. Seul le transept est
demeuré jusqu'à nos jours. Le Conseil municipal de Challans
a fait procéder à la démolition de cette ancienne église,
montrant, par cet acte, le peu de cas qu'il faisait de ces an-
tiques et pieux souvenirs.
Entre Commissaires au X VIII0 siècle, tel est le titre de la
nouvelle dont M. René Blanchard est l'auteur, et qu'il a
composée en s'appuyant sur des textes pris aux meilleures
sources.
M. Blanchard met en scène deux représentants de notre
police municipale vers 1710, qui ne donnent, ni l'un ni
l'autre, l'exemple delà bonne entente et du calme dont ils
devaient être les modèles. Curieuse exquisse de l'existence
bavarde et potinière des petits boutiquiers de notre ville
il y a deux siècles. Cette plaquette nous montre encore
combien, depuis ce temps, les mœurs ont pu varier ; le prin-
cipal personnage cumulait les fonctions si disparates de
pharmacien et de commissaire de police.
A cette époque, le grand commerce nantais était particu-
lièrement prospère, et les armateurs élevaient les luxueuses
demeures que nous admirons encore aujourd'hui sur l'île
Feydeau et le quai de la Fosse. La guerre d'Espagne avait
cependant troublé nos relations avec les Antilles où Anglais
et Hollandais étaient presque parvenus à nous supplanter.
Ces étrangers avaient répandu dans les îles des réaux légers,
monnaie à titre variable. Leraydela Clarté, juge consulaire,
est délégué à Paris pour porter les doléances de ses conci-
toyens. M. Soullard, s'appuyant sur des documents de
l'époque, nous décrit les tergiversations qui signalèrent sa
mission. Longues attentes dans les antichambres ministé-
rielles, indifférence et rebuffades, mais Leray de la Clarté
— XXV —
ne se désespère jamais ; il obtient presque gain de cause,
tout en concluant philosophiquement que les grands sei-
gneurs ne voient les choses que superficiellement.
Ces documents sont la correspondance entre M. Leray et
les juges consulaires.
Le Secrétaire général,
Dr Halgan.
SEANCE DU 2 JUIN 1908
Présidence de M. Dortel.
La séance est ouverte à 4 heures 1/4.
Etaient présents : . MM. Angot, abbé Brault, Domi-
nique Caillé, Georges Ferronnière, de France, Docteur
de Lastour, Alcide Leroux, Léon Maître, abbé Mouillé,
J. Nau, Pied, du Plessis, Renard, Ringeval, de Sécillon,
Soullard, Trémant, A. Vincent, Baron de Wismes,
Baron Gaétan de Wismes.
Le Commandant Lagrée se fait excuser.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
M. Léonce Ouvrard, Rédacteur en chef de l' fixpress
de V Ouest, présenté par M. le chanoine Durville et M. Angot,
est nommé membre titulaire de la Société, à l'unanimité.
M. Gaétan de Wismes présente un dessin reconstituant
l'ancienne chaire de la Cathédrale de Nantes, par Josset.
Ce dessin faisait partie de la collection de M. de Veillechèze.
M. le Président dépose sur le bureau un ouvrage du
Révérend Père de la Croix sur la Chapelle Saint-Sixte et
la Cathédrale de Poitiers, et une étude sur la mère de
Victor Hugo, Sophie-Françoise Trébuchet, par M. Domi-
nique Caillé. Il exprime aux auteurs de ces ouvrages toute
la gratitude de la Société.
M. de Sécillon mentionne la découverte, à la Chapelle-
sur-Erdre, de deux tombeaux en pierre, recouverts de dalles
Soc. Archéol. Nantes. B
— XXVI —
d'ardoises. La Société charge M. de Sécillon de rechercher
l'origine et l'époque de ces deux tombes.
M. Dortel retrace en quelques mots la vie de M. de
Laubrière, dont la mort est un nouveau deuil pour la
Société. C'était un érudit inlassable et un travailleur
infatigable.
Il est procédé à l'élection d'un membre du Comité en
remplacement de M. de Veilléchèze. M. Dominique Caillé
emporte tous les suffrages.
M. le Président fait le compte rendu de l'excursion
à la Bretêche et à Missillac et donne l'illusion, même aux
absents, qu'ils étaient de la fête. C'est dire que s'il a su
organiser, il sait aussi très bien narrer. On décide de décer-
ner à M. de Montaigu une médaille d'argent en reconnais-
sance de son gracieux accueil et de son aimable réception.
La parole est ensuite donné à M. Léon Maître qui a
fait une étude très approfondie des voies romaines du
département. Il met sous les yeux de la Société une carte
permettant de suivre avec plus de clarté et de précision
ses démonstrations. Il établit les différents points de con-
centration de ces routes, que nous n'avons fait qu'imiter
ou emprunter dans nos routes nationales.
M. Alcide Leroux fait part à la Société de la découverte
faite par lui de ruines de l'époque gallo-romaine et du
Moyen âge, à Nort-sur-Erdre. Depuis quelques temps
il a suivi des fouilles qu'il serait intéressant de connaître
plus à fond. Il croit que la Société pourrait trouver dans
les ruines de la Mothe et de la Pancarte un sujet d'étude
intéressant.
Avant de se séparer, la Société décide une nouvelle
excursion avec les confrères d'Anjou, pour visiter Ancenis,
Lire, Champtoceaux, La Turmelière et Oudon, pour le
lundi 22 juin.
La séance est levée à 6 heures.
Le Secrétaire,
J. Nau.
— XXVII —
EXCURSION DU LUNDI 18 MAI 1908
Lundi 18 Mai 1908, la Société Archéologique de Nantes
accomplissait son excursion annuelle.
Vingt-cinq sociétaires (1) auxquels s'étaient joints
quelques collègues de la Société Académique s'embar-
quaient à 6 heures du matin, à la gare de la Bourse dans
un wagon mis gracieusement à la disposition de la Société
par les soins de M. de Lavenne de la Montoise, Inspecteur.
A 7 heures 1/2 les excursionnistes trouvèrent, en des-
cendant à Pont-Château, M. Vigneron-Jousselandière
et M. le Commandant Martin, l'inséparable compagnon
de M. du Chatellier dans ses grandes fouilles du Finistère
et des Côtes-du-Nord, venu de Rennes pour se joindre
à ses confrères de Nantes.
Près de Sainte-Reine, à l'entrée de la forêt du Defîay,
M. le vicomte de la Villesboisnet, Conseiller général, atten-
dait les confrères archéologues pour leur faire visiter
au lieu dit « Don Julien » un retranchement en terre
formant un carré de 200 mètres de côté. Les fossés et le
relevé de terre sont encore très apparents. Vers le milieu
d'un des côtés et touchant presque le talus, un tumulus
de 10 mètres de diamètre environ a été fouillé en partie
par M. de la Villesboisnet. Après avoir enlevé la terre
végétale, M. de la Villesboisnet a trouvé dans la couche
d'argile voisinant avec une couche de cendre compacte
un débris de bracelet en bronze, de nombreux fragments
de bronze, des morceaux de poterie qui ne semblent pas
avoir été fabriqués au tour; l'un d'eux présente comme
ornementation une sorte de renflement fort intéressant
et rare. M. le Commandant Martin se déclare particuliè-
(1) MM. Dortel, Président; Baron G. de Wismes, Leroux,
Vice-Présidents ; Soullard, Pouvreau, Commandant Martin,
Vigneron-Jousselandière, Baron Christian de \Yismes, Cha-
noine Durville, Dominique Caillé, Senot de la Londe ,
Riondel fils, Du Plessis, Couëtoux du Tertre, Léon Maître,
Commandant Lagrée, Révérend, De Lastour, De Sécillon,
De Brévédent, Chauvet, Rivet, Renard.
— XXVIII —
renient heureux de ces découvertes ; il engage M. de la
Villesboisnel à continuer ses fouilles; les enceintes de terre,
si nombreuses en Bretagne et «tans toute la France, n'ont
point encore été étudiées scientifiquement, on en ignore
l'âge et La destination. Sont -elles préhistoriques, ont-
elles été édifiées au moyen âge? Ce sont là autant de points
d'interrogation que des fouilles savamment et métho-
diquement conduites peuvent seules résoudre.
Après une promenade sous bois et une visite au célèbre
calvaire de Pont-Château d'où l'on découvre un panorama
admirable sur la Grande Brière et sur l'estuaire de la
Loire, les touristes se dirigent vers Missillac.
L'église moderne renferme la plus belle verrière du
diocèse de Nantes. Echappé miraculeusement aux troupes
des généraux Avril et Beyssere cpii incendièrent la Bretesche
et saccagèrent la vieille église, ce superbe vitrail porte
la date de M. 1). C. 11 fut offert à l'église de Missillac
par Coligny, baron de la Roche-Bernard et Fçois de Cam-
boul, abbé de Saint-Gildas. dont il porte les armoiries.
Il remplit les trois fenêtres géminées du chœur et re-
présente la Passion du Christ. Les deux tableaux les
plus remarquables sont ceux de la Me (\u Christ (lre fe-
nêtre droite) et le Baiser de Judas (3e à gauche), d'une
tonalité et d'une vérité d'expression extraordinaire.
La restauration en est dû à M. Meuret, le célèbre peintre-
verrier nantais.
L'heure du déjeuner a sonné et l'on se dirige vers
l'hôtel Bizeul où chacun se met gaiement à table. Au
dessert, M. Dorlel. président, lève son verre en l'honneur
(\u Commandant Martin qui poursuit, dit-il, avec une
infatigable ardeur ses fouilles en Bretagne et dont les
études si méthodiques et si documentées font autorité
dans le monde savant. Il rappelle que les riches découvertes
faites par M. le Commandant Martin ne sont pas perdues
pour la Bretagne, puisqu'elles sont déposées par lui au
Musée de Kernuz. au milieu des riches collections de
M. du Chatellier.
On s'achemine alors vers la Bretesche dont la masse
imposante se détache bientôt sur le fonds de verdure
de la forêt. M. le Marquis de- Montaigu, qui a tenu à faire
— XXIX —
lui-même les honneurs de ses riches collections, vient
à la rencontre de ses confrères nantais et leur souhaite
la bienvenue.
Le Château (le la Bretesche, édifié à 500 mètres du
bourg de Missillac, à l'entrée de la forêt, appartenait en
l'an 1000, à Bernard de la Boche. De ce premier château
il ne reste rien; il en est autrement de celui du XIV" siècle,
construit par Guy XIV de Laval et par Jean de Laval
de 1433 à 1470. La Tour de Liburin, le grand corps de
logis datent de celte époque. Ogée raconte qu'il fut in-
cendié en 1500. Le fait est discutable; mais ce qui est
certain, c'est qu'en octobre 1501 il fut assiégé par Mercœur,
les tours d'entrée portent encore la trace des brèches
qui leur furent faites par les boulets lancés par les bom-
bardes de l'armée assiégeante. Ces boulets, retrouvés
dans les fossés, ont été réunis dans la cour d'honneur.
Beconstruil et restauré, il fut incendié en octobre 1793.
par le général Avril. Besté à l'état de ruines pendant
5 ans, il fut en partie relevé par MM. Formont et Perron,
mais ce fut M. le Marquis de Montaigu qui, de 1817 à
1898, entreprit la réédification sur les plans de Viollet-le
Duc et avec le concours de deux architectes nantais,
MM. Boismen et Lediberder. \
Aujourd'hui, la Bretesche présente une niasse imposante
et princière avec pont devis, fossés, mâchicoulis, et une
façade grandiose sur l'étang qui l'entoure de tous côtés.
Les excursionnistes parcourent, sous la conduite de
M. de Montaigu, les vastes salles du château dont ils
admirent les tapisseries merveilleuses, les meubles
flamands et bretons, et les trophées de chasses qui ornent
le vestibule d'entrée. La chapelle est ornée d'un chemin
de croix très artistique, œuvre du peintre nantais Meuret.
Dans une des tours d'entrée aménagées en musée,
M. de Montaigu a réuni toutes les trouvailles archéologiques
découvertes dans l'arrondissement de Saint-Nazaire. Clis,
l'antique établissement voisin de Guérande, étudié avec
tant de soins par MM. Léon Maître et le Commandant
Martin, a fourni une ample moisson de monnaies romaines
et grecques, en or, en argent et en bronze ; l'une des plus
belles est sans contredit une monnaie en or d'Arsinoë,
— XXX —
pièce unique, d'une conservation merveilleuse ; dans
les vitrines sont rangés les fameux bas-reliefs du Grigue-
ny, en marbre de Paros, provenant des fouilles de Clis et té-
moignant par leur richesse et leur valeur artistique du
luxe qui régnait dans la décoration des salles intérieures.
Prés de ces merveilles: des vases funéraires, des statuettes
votives, des laraircs provenant des fouilles opérées dans
la région.
Dans une autre vitrine, l'armement complet d'un soldat
trouvé dans les fossés du château de Derval où il fut tué
lors de l'assaut donné par Duguesclin.
Une vitrine spéciale est consacrée aux fouilles Opérées
dans la forêt de la Bretesche par MM. Léon Maître et
Paille, au lieu dit « Misti Courtin ». Ce vaste chatellier,
d'une superficie de près de 2 hectares, situé en pleine
forêt, et que les touristes n'ont pu visiter en raison des
bois qui le recouvrent, a été fouillé à différentes reprises.
Au centre d'une vaste caverne recouverte de constructions
carrés en pierres sèches, et à 1 m 50 de profondeur, on a
retiré des écailles d'huîtres, des ossements d'animaux,
beaucoup de morceaux de poteries grossières, des clous,
trois pointes de lances etn fer. Les objets les plus curieux
sont un anneau de bronze portant des rondelles d'incrusta-
tion, une tige en bronze creusée et guillochée de 10 cm de lon-
gueur, semblable à un passe-lacet ; un mors et un éperon
de voyage du XIII0 siècle. Il est assez curieux de trouver
ainsi accumulés sur un même point des vestiges de l'âge de
la pierre, de l'époque romaine et du moyen âge.
Après cette visite si complète et si intéressante, M. de
Montaigu reçut dans la vaste salle à manger ses confrères
et leur offrit un lunch succulent, auquel chacun fit honneur.
M. Dortel remercie M. de Montaigu de son hospitalité
et de sa réception si cordiale, dont les archéologues nantais
conserveront un long et durable souvenir. M. de Montaigu,
dans une allocution charmante réplique, que l'honneur est
pour lui, qu'à la Bretesche,. ses collègues de la Sociélé
d'Arcbéologie sont chez eux et que ses collections sont
et seront toujours à la disposition de tous les travailleurs
qui voudront les étudier et les examiner.
L'heure s'avance, il est 0 heures; les excursionnistes
— XXXI —
prennent congé de leur aimable hôte et se dirigent vers
Pont-Château et Nantes, emportant de l'accueil qu'ils
ont reçu, des merveilles qu'ils ont admirées en cette journée
ensoleillée et superbe, des impressions inoubliables.
A. D.
EXCURSION BRETONNE-ANGEVINE
SUR LES BORDS DE LA LOIRE, 22 juin I908
Les voyages, dit-on, forment la jeunesse. Ils forment
aussi et séduisent l'âge mûr et la vieillesse, si j'en juge par
le goût ambulatoire qui, de nos jours, s'est emparé des Com-
pagnies les plus casanières.
Que l'on ne soit donc pas surpris si, le 22 juin 1908, à
6 heures 1/2 du matin, des membres de la Société Archéolo-
gique et de la Société Académique de Nantes prenaient le
train pour Ancenis. A peine sommes-nous descendus que
cordiales poignées de mains et propos joyeux s'échangent
entre Bretons et Angevins, car plusieurs collègues de la ville
du Roi René nous attendent avec impatience.
Le cortège s'organise aussitôt et, pédestrement, par des
chemins sauvages, nous gagnons la prairie basse où gît un
curieux mégalithe, affectant l'aspect d'un demi-dolmen et
connu sous le nom de dolmen de Saint-Pierre ou pierre cou-
verte ; le bloc, formant couverture, mesure hors de la terre,
4 m28 de longueur, sa largeur est de 3m20, son épaisseur de
0 m 66 centimètres.
De là, nous nous rendons à l'église Saint-Pierre; hâtons-
nous de la visiter, car elle est condamnée à disparaître.
« Bâtie sur un banc de schiste, dit M. Maillard (Histoire
d' Ancenis et de ses Barons), elle se compose d'une nef flan-
quée de collatéraux ; à l'extrémité occidentale de cette nef
s'élève la tour sans flèche et surmontée d'un campanile ; à
l'autre extrémité se dresse, au milieu d'un chœur très
resserré, l'autel à baldaquin. Les bas-côtés sont mis en
rapport avec la nef par quatre arcades de chaque côté, sou-
— XXXII —
tenues par de gros piliers octogones, cl sont éclairés par des
fenêtres ogivales dont l'une conserve encore la trace de
beaux vitraux ; le chœur est percé de trois fenêtres ogivales.
L'église d'Ancenis, dans sa partie principale, paraît être du
xiiiu siècle. Quant aux bas-côtés, ils ont été construits au
xviiu siècle, et le style de leurs fenêtres et de leurs arcades a
été raccordé seulement avec celui de l'ancienne église. »
Tandis que nous parcourons l'antique sanctuaire, M. le
chanoine Joguet. curé d'Ancenis, arrive vers noire groupe,
nous prodigue des explications, nous fait monter dans le
campanile où nous examinons une belle charpente, et, fina-
lement, nous invite à déguster le muscadet du pays. En tra-
versant la cour du presbytère, d'une part, nous remarquons
l'ancienne chapelle Saint-Barnabe qui était placée dans le
cimetière primitif de la ville; d'autre part, nous admirons
les gracieuses verrières de l'église, qui semblent les sœurs
jumelles de celles de Sainte-Croix de Nantes.
Nous voici réunis à la Cure ; les verres se remplissent et
l'on trinque avec jovialité — car ce diable de petit vin
blanc met du soleil dans le cœur — à l'aimable amphytrion
et au succès de la journée.
Nous nous transportons alors au château. A peine entrés
dans la cour, on est captivé par le vaste et élégant logis que
AI. Maillard {Histoire d'Ancenis et de ses Barons) décrit en
ces termes :
« Les quatre jolies mansardes à pilastres richement déco-
rés, aux arabesques nombreuses, aux pinacles en pots de
fleurs, les fenêtres divisées par des meneaux en pierre qui
se coupent en croix, la tourelle en encorbellement servant
de cage à un bel escalier de granit, tout indique au visiteur
le style de la Renaissance, et, d'ailleurs, il existe une pn uve
plus frappante encore, c'est l'image d'une salamandre ter-
minant le cul-de-lampe de la tourelle. »
Ensuite, nous nous engageons dans la partie la plus
ancienne de ce qui existe encore de la forteresse, car du pre-
mier château, construit au xe siècle, il ne reste rien, du
moins rien d'apparent. C'est encore à l'historiographe d'An-
cenis que j'emprunte des détails précis sur ces constructions
jadis si imposantes : « Les murs ornés de mâchicoulis conti-
nus a trèfles, qui aspectent le fleuve, au sud et au sud-est,
— XXXIII —
paraissent appartenir au xme siècle ou, tout au plus, au xivc
siècle ; ceux du nord, aux créneaux démantelés, n'ont plus
de style particulier, mais semblent de la même époque. Les
deux tours situées au couchant, avec leurs mâchicoulis
ornés d'ogives en accolade et de dessins flamboyants, se
rapportent au xve siècle, ainsi que le corps de bâtiments en
ruines qui s'y rattache. »
De ce château si puissant, si ingénieusement placé, qui
soutint plus d'un assaut terrible, il ne subsiste aujourd'hui
qu'une promenade agréable et un point de vue attachant :
du sommet des vieilles tours, le regard embrasse une
étendue immense sur les coteaux angevins et voit descendre
vers la mer. avec une lenteur majestueuse, le grand fleuve
national.
Mais le temps presse. Nous traversons le pont suspendu
qui relie la Loire- Inférieure au Maine-et-Loire, nous nous
installons dans deux excellentes voitures, et fouette cocher
pour la Bourgonnière !
Du parc aux prairies verdoyantes, aux frondaisons cente-
naires, du château moderne et même de la vieille tourelle à
la hauteur prodigieuse, je ne dirai rien. Notre but unique
est de connaître un des plus riches bijoux de la Renaissance,
la chapelle de la Bourgonnière. Que l'on pardonne à mon
amour filial de reproduire la description précise et colorée
— XXXIV —
que mon vénéré père donna dans son ouvrage La Vendée,
où se trouvent deux superbes lithographies du sanctuaire,
l'une représentant l'extérieur, due au crayon de mon père,
l'autre dessinée avec une exactitude remarquable par M. de
la Michellerie et donnant l'intérieur de la chapelle ; celte
dernière vue est d'autant plus précieuse que la propriétaire
actuelle interdit toute reproduction de cet intérieur.
« Unique débris de cette somptueuse demeure, la chapelle
de la Bourgonnière est une des enivres les plus exquises
laissées dans nos contrées par l'architecture de la Renaissance.
Nulle part ailleurs, elle n'a déployé plus de profusion et
d'élégance dans les ornements; nulle part, des voûtes azurées
et chargées d'étoiles d'or, elle n'a fait descendre de plus
ingénieux pendentifs; nulle part, l'art des Pinaigrier et des
Jean Cousin n'a réuni, dans les vitraux, plus de grâce
dans le dessin des figures et des arabesques à un coloris
plus harmonieux ; nulle part, tribune plus coquettement
enjolivée né fut destinée à de nobles seigneurs. Cette cha-
pelle, malgré l'exiguïté de ses proportions, renferme deux
autels (1). Le principal est dédié à la Vierge, dont la statue,
d'une admirable expression, s'élève au-dessus du taber-
nacle, entre celles de saint Sébastien et de saint Antoine.
Sur l'autre autel on remarque un Christ singulier. Le corps
est revêtu d'une robe d'or serrée au milieu par une cein-
ture bouclée. Le visage est peint d'un ton de chair frappant
de vérité. Les mains et les pieds sont également coloriés ;
mais, au lieu d'être percés de clous, ils sont attachés à la
croix par des liens de pourpre. Une couronne de comte
remplace, sur le front de cette image, la couronne d'épines
habituelle. Aux deux côtés sont peints, sur la muraille,
Charlemagne et saint Louis... Le Christ de la Bourgon-
nière nous paraît être une imitation des fameux Christs
de Vérone, de Lucques et autres villes du nord de l'Italie. »
Si j'ouvre le savant ouvrage du R. P. J. Hoppenot,
Le Crucifix dans l'histoire et dans l'art, j'y trouve l'opinion
de mon père confirmée avec autorité : après avoir parlé
du célèbre Crucifix de Lucques, attribué à Nicodème et
(1) Il y a actuellement un troisième autel qui sert, sans
doute, à la célébration ordinaire du Saint Sacrifice
XXXV
grandement vénéré en Italie, en France, en Espagne, en
Angleterre, l'auteur énumère d'assez nombreuses imita-
tions de cette image bizarre, et ajoute : « Le Christ de la
Bourgonnière est l'expression la plus achevée et l'exécu-
tion la plus esthétiquement remarquable de l'inspiration
puisée au Crucifix de Lucques. » Puis, prévoyant et réfu-
tant une objection trop naturelle, il ajoute : « On n'y
voit pas de clous pour retenir attachées sur la croix les
mains de la Victime immolée; mais, précisément, l'absence
de tels liens, et tout à la fois l'attitude de Celui qui s'est
sacrifié lui-même, parce qu'il l'a voulu, attirent l'atten-
tion sur ce rôle du « Grand Prebstre », en marquant avec
plus de force l'idée de l'acceptation volontaire... Le
Sauveur s'étend de lui-même avec magnanimité sur le
bois de la Croix, et l'ample déploiement des bras étendus
dans une position parfaitement horizontale, sans flexion
aucune, et cependant sans raideur, rappelle avec une
énergie saisissante la générosité de Celui qui s'est fait
pour nous Victime volontaire ».
La chapelle de la Bourgonnière est ornée, à l'intérieur
et à l'extérieur, d'une profusion de T ; c'est le tau grec,
dit en blason : croix potencée ; les religieux de l'ordre de
Saint-Antoine portaient cet ornement sur leurs robes et
nous venons de voir que saint Antoine était l'un des pa-
trons du merveilleux sanctuaire.
L'heure s'avance, les estomacs crient famine et l'on
reprend les voitures pour gagner Champtoceaux, sans
s'arrêter, comme on l'espérait, à la Turmelière afin d'y saluer
la demeure du doux poète Joachim du Bellay. Cette route
est une des plus pittoresques que l'on puisse imaginer :
à gauche, les sveltes clochers de Bouzillé, de Lire, de Drain,
émergent des vignobles fertiles et des champs plantureux ;
à droite s'étend le panorama incomparable des îles de la
Loire, des flots argentés du fleuve et des coteaux enso-
leillés du pays d'Ancenis.
A midi 1/2, nous traversons triomphalement la grande
rue du joli bourg de Champtoceaux et, peu d'instants
après, dans une salle vaste et fraîche, nous nous asseyons
autour d'une table en forme de tau, pour faire honneur à
un repas plantureux et finement apprêté : tête de veau.
— XXXVI —
anguille à la tartare, gigot, haricots verts, fraises, crème,
le tout arrosé d'un vin blanc au bouquet exquis, viennent
rendre des forées aux esthètes fatigués.
Les convives qui participèrent à ces fraternelles agapes
turent : M. le chanoine Thibault, vicaire général d'Angers;
M. le chanoine l'rseau, d'Angers, membre correspondant
du M. I. P.; M. de I'arev. Vice-Président de la Société
d'Agriculture. Sciences et Arts d'Angers; M. Plancheuault ,
bibliothécaire; M. le chanoine Joguet, curé d'Ancenis,
qui avait accepté avec le plus vif empressement de nous
accompagner; M. Dortel, Président de la Société Archéo-
logique de Nantes: le baron de Wismes, Président hono-
raire de la même Compagnie; M. P. Soudard, bibliothé-
caire; Messieurs le chanoine Durville, Trémant et Domi-
nique Caillé, membres du Comité; les capitaines Ringeval
et Jochaud du Plessis; M. de Brévedent, le vicomte de
Secillon. M. Renard, M. Etienne Port, M. Renaud , le
baron Gaétan de Wismes, Président, et M. Baranger,
Vice- Président de la Société Académique.
M. le sénateur Bodinier, Président de la Société d'Agri-
culture. Sciences et A-r^j d'Angers , M. Alcide Leroux,
Vice-Président de la Société Archéologique de Nantes,
et M. Henry Rîohdel, Trésorier de la Société Académique,
avaient exprimé leurs regrets sincères de ne pouvoir être
des nôtres.
A l'heure du calé et des cigares. M. Dortel adresse
quelques mots aimables à tous ceux qui l'entourent et en
particulier aux Angevins qui, pour la troisième fois.exeur-
sionnent avec les Bretons ; M. le chanoine l'rseau h' remè-
de ; M. Port se félicite de l'heureuse coïncidence qui lui
permet de passer quelques heures avec nous ; enfin M. de
Farey nous révèle que le pourpoint porté par le Vénérable
(maries de Blois à la bataille d'Auray est actuellement
entre les mains d'une personne digne de conserver cette
relique insigne du bon Duc.
Il est deux heures et demie ; l'on se dirige en hâte vers
le magnifique domaine de M. Roumain de la Touche, qui
comprend l'ancienne ville de Champtoceaux ; comme le
17 juin 1901, notre vénéré collègue nous attend, le sourire
aux lèvres. Après avoir disserté sur le mur d'enceinte qui
— XXXVII
dévale vers le fleuve, nous nous engouffrons sous la po-
terne, remarquons en passant les ruines de l'une des deux
anciennes églises et. pendant quelques instants, de la ter-
rasse du château moderne, contemplons le panorama
splendide de la vallée de la Loire. Puis, sous la savante et
aimable conduite du maître de céans, nous parcourons
les anciennes lignes de défense de «Champtoceaux ; au
cours de cette promenade, on nous signale la vieille cha-
pelle, l'entrée de l'escalier descendant à la Loire, la citerne,
le cellier, les cachots, les boulets de pierre, le pont à péage.
Cette copieuse inspection a quelque peu lassé les tou-
ristes et c'est avec un plaisir réel qu'ils reçoivent dans les
salons de Champtoceaux la plus charmante hospitalité :
gâteaux excellents, vins de derrière les fagots circulent
avec abondance. Les physionomies reprennent leur aspect
joyeux, et c'est tant mieux, car avant de quitter ce beau
domaine nous sommes photographiés avec M. et Mme de
la Touche par M. rI reniant, le plus sympathique des col-
lègues et le plus habile des opérateurs.
En route pour Oudon ! Hélas ! il est trop tard pour son-
ger à terminer le programme et à -regagner Ancenis à
(i beures 1/4. La plupart des Nantais prennent le train de
5 heures 1/2 qui les ramène dans leur cité.
Mais les Présidents de la Société Archéologique et de
la Société Académique, auxquels s'adjoignent .M. Soullard
et .M. Renard, tiennent à honneur de ne pas fausser com-
pagnie à leurs invités d'Anjou et à M. le Curé d' Ancenis.
C'est donc au nombre de neuf que nous visitons de
nouveau les ruines imposantes et pittoresques de la forte-
resse d'Oudon. On sait que la tour majestueuse avec'sa
forme octogonale rappelle beaucoup la tour d'Elven.
Alors, par un temps radieux, car le soleil brille pour la
première fois de la journée, nous suivons en voiture la
route capricieuse qui longe la ravissante vallée du Havre.
Un de nos collègues angevins, enthousiasmé par la beauté
du lieu, laisse échapper cette phrase que je recueille avec
fierté : « Si cette vallée était située dans les environs de
Quimperlé, tous les guides la signaleraient. >
La voiture s'arrête. A travers les herbes folles nous
gagnons Vieillecour. Ici, je cède la plume à M. .Maillard
— XXXVIII —
qui, clans son intéressante brochure La Tour d' Oudon
(Ancenis, Loncin, 1882), décrit a la perfection ce site
curieux et enchanteur :
« Les ruines de Vieillecour sont situées sur un coteau
de 25 à 30 mètres de hauteur. Vieillecour était autrefois
un château-fort, ou au moins une maison fortifiée, qui
dépendait de la seigneurie d'Oudon. La construction était
défendue naturellement, à l'O. et au S., par la hauteur
et la ligne presque perpendiculaire du coteau, et, des deux
autres côtés, par un fossé, peut-être même par d'autres
travaux. Le bâtiment principal avait environ 12 mètres
de longueur sur 12 de largeur ; à chaque bout se ratta-
chait une aile ou pavillon. Le pignon méridional, qui est
le mieux conservé, peut avoir 10 à 12 mètres de hauteur;
il supporte, au milieu, nn tuyau de cheminée et est traversé,
de chaque côté, vers le haut, par deux fenêtres en plein-
cintre. Sur le mur de façade qui domine la rivière, il
existe deux larges ouvertures dont les arcs sont en anse
de panier. Ce bâtiment devait être la maison d'habitation
proprement dite.
« Ces formes indiquent ordinairement le XVe siècle
ou tout au plus le XIVe ; c'est bien dans ce dernier siècle
que nous voyons le nom de Vieillecour cité pour la pre-
mière fois, mais le fort était antérieur à cette date.
« Au bout de la vigne qui touche le fossé versleN.-E.,
on distingue d'autres murs très épais, mais si recouverts
de broussailles qu'il est difficile de les bien examiner.
« De la plate:forme de Vieillecour, et au milieu du
lierre et des épines qui l'entourent, la vue est particuliè-
rement pittoresque. Voyez comme les ruines du vieux
castel commandent bien tout le paysage : le Havre déroule
en bas ses replis tortueux, le mamelon opposé se dresse
avec les échancrures et les reliefs les plus harmonieux,
quoique les plus variés. »
Sur cette impression inoubliable, que le poète comme
l'archéologue, l'artiste comme le philosophe, emportèrent
gravée au fond de leur âme, se termina l'excursion si
réussie du 22 juin 1908.
trie heure après, à Ancenis, un dîner rapide réunit
les vaillants touristes. Puis les Bretons reconduisirent
— XXXIX —
les Angevins à la gare et, à leur tour, prirent l'express de
Nantes.
Avant de signer ce journal de bord, je remercie notre
sympathique et savant capitaine, mon vieil ami Dortel,
de nous avoir procuré une' si heureuse traversée, et je lui
affirme que tous ses compagnons de route sont disposés
à rembarquer au premier signal sous son pavillon qui porte
en lettres d'or : miscere utile dulci.
Baron Gaétan de WISMES,
Président de la Société Académique,
Vice-Président de la Société Archéologique.
MÉMOIRES
Soc. Archéol. Nantes.
ALLOCUTION
DISCOURS
PRONONCES PAU
M. le Baron de WISMES
Président sortant
Monseigneur (1),
Monsieur le Maire (2),
Messieurs les Présidents (3),
Mes chers Collègues,
L'heure est venue de remettre en d'autres mains le com-
mandement de l'esquif dont vous aviez bien voulu me
confier la direction. De ce grand honneur je fus redevable
surtout à votre affectueuse sympathie. Si j'avais pu en
douter, les marques de déférence amicale, les attentions
délicates que vous m'avez prodiguées bien au delà de ce
que je pouvais espérer, en auraient été autant de preuves.
Il en est une surtout que je ne saurais oublier : frappé dans
mes plus chères affections par la perte d'un frère bien-
aimé, presque à la veille du jour où nous devions célébrer
les noces de diamant de notre Société, j'ai appris avec une
intraduisible émotion que vous y aviez spontanément
renoncé, afin de vous associer à mon deuil. J'en conser-
verai, Messieurs, croyez-le bien, une gratitude inaltérable,
et du fond du cœur je vous dis : Merci, mes amis. Car, « un
(1) S. G. Monseigneur Rouard, évêque de Nantes.
(2) M. Sarradin, maire de Nantes.
(:J>) M. Linyer, président de la Société de Géographie com-
merciale, et M. Lorois, président de la Société des Artistes
Bretons.
— 2
des privilèges du travail étant de rapprocher par l'estime,
puis par l'amitié », comme le disait un de mes prédécesseurs,
l'intendant Galles, ce nom d'ami, j'ai le droit de vous le
donner.
N'avons-nous pas travaillé ensemble, en effet, au bien
de notre chère Société? Ensemble n'avons-nous pas pleuré
ces treize collègues qui, depuis trois ans, ont rendu leur âme
à Dieu et auxquels nous gardons une place dans nos sou-
venirs et dans nos prières? Si plusieurs autres ont dû, non
sans regret, nous abandonner, le nombre des admissions,
qui a été de 39, a comblé ces vides et au delà, puisque de
172 le chiffre de nos collègues s'est élevé à 182. Puisse-t-il
s'accroître avec mon successeur !
Cher ami , c'est à vous que la Société a cçyifié ses
destinées. Vous serez digne de cette haute distinction.
N'êtes-vous pas, quoique plus jeune encore que moi, un
de ses membres déjà anciens? un des plus assidus, des plus
actifs, des plus dévoués? Quelles séances avez-vous man-
quées? Fort peu. Quelle excursion n'avez-vous pas faite?
Aucune. Comme un des héros de Messire du Guesclin, vous
pourriez vous écrier : « Moi, les suivre? je les poussais ! »
Plein d'entrain, de verve et d'intelligence, M. Dortel sera,
Messieurs, un président dontle tact, l'aménité et l'autorité
souriante conserveront à nos séances ce cachet de bonne
compagnie, cette atmosphère de cordialité, ce charme fami-
lial, que plus d'un m'a dit et répété ne trouver nulle part
autant qu'en notre vieux manoir. Brillant président de
la Société Académique, où il cède le fauteuil à mon frère,
il le retrouve comme lieutenant avec notre très cher et
très aimé Alcide Leroux. Ainsi secondé, entouré de cette
élite intellectuelle et morale dont sont formés le Bureau
et le Comité, il ne peut manquer d'avoir un règne heureux
et tranquille. Il verra continuer l'ère de prospérité dans
laquelle, si j'ai réussi à maintenir notre chère Société,
l'honneur en revient au concours infatigable d'un Comité
où s'allie à l'harmonie la plus complète des cœurs la plus
large indépendance des idées. Je ne lui dis pas adieu, puis-
3 —
que le règlement, qui interdit la réélection du président
sortant, lui accorde le privilège de faire , toute sa vie ,
partie de ce Comité, mais du fond du cœur : Merci !
Merci !
Qu'avons-nous donc fait depuis trois ans, mes chers
collègues? C'est ce que je vous exposerai en deux mots.
Nos 30 séances ont été suivies par une assistance con-
sidérable, séduite par l'intérêt des travaux qui nous ont
été lus par M. Angot, Mme Baudry, MM. le comte de Berthou,
l'abbé Brault, Caillé, Chaillou, Chapron, le B. P. de la Croix,
Delattre, Dortel, le chanoine Durville, Furret, Gourdon,
Leroux, le vicomte de Lisle du Dreneuc, Senot de la Londe,
Maître, l'abbé Mollat, l'abbé Badigois, P. Soullard, deVeille-
chèze, Vigneron-Jousselandière et le baron G. de Wismes,
et par les piquantes et instructives communications ou
les curieuses exhibitions de MM. Angot, Bastard, Bonneau,
le marquis de Bremond d'Ars, Caillé, Chaillou, Charon,
Dortel, le chanoine Durville, le marquis de l'Estourbeillon,
Furret, Gourdon, l'abbé Grélier, l'abbé Lesimple, Senot de
la Londe, Maître, Oheix, Pied, Bévérend, Bingeval, P. Soul-
lard, Vigneron-Jousselandière, A. Vincent et les barons
C. et G. de Wismes. De ces 30 séances nos dévoués secrétaires
généraux, MM. Vincent et l'abbé Brault, nous ont donné
des comptes rendus aussi remarquables par l'exactitude
du fond que par l'élégante précision du style. Je les remer-
cie vivement, ainsi que nos secrétaires du Comité, dont le
labeur, pour être apprécié d'un plus petit nombre, n'est
pas moins méritoire et dont le zèle et le dévouement n'ont
jamais défailli. Par une rare modestie, notre ami Houdet
a décliné les fonctions de secrétaire général, que des
occupations absorbantes n'ont pas permis à M. Vincent
et à M. l'abbé Brault de conserver plus longtemps.
C'est à ces messieurs qu'incombait aussi la tâche déli-
cate de veiller à l'impression du Bulletin. La poésie y a
trouvé place avec la Clochette des Cléons et Guy de Dom-
martin, premier architecte de la Cathédrale de Nantes, de
l'un de nos bardes les plus inspirés, mon ami Dominique
Caillé, qui a bien voulu m'offrir la dédicace de cette der-
nière pièce. A lui seul, le travail du R. P. de la Croix a
fourni un fascicule considérable et extraordinaire, accom-
pagné d'un album de 21 planches. Si le grand renom de
notre illustre collègue a déterminé le Comité, après sept
délibérations à ce sujet, à supporter les frais de cette publi-
cation, c'est que le Conseil général a généreusement atténué
l'atteinte sérieuse portée à nos finances, en nous accordant
le subside que j'avais eu l'honneur de solliciter de sa bien-
veillance et que M. Dortel a eu celui, plus grand encore,
de nous faire obtenir. La façon persuasive dont il a su
plaider notre cause près de cette haute Assemblée n'a pas
été étrangère certainement au vote d'un nouveau subside,
qui permet d'espérer la reprise des bonnes traditions inter-
rompues. Grâce à ces libéralités et à celles que nous^ccorde
le Conseil municipal, ainsi qu'à la façon sage et intelli-
gente dont notre très digne et très méritant trésorier,
M. Pied, a su gérer notre modeste budget, je lègue à mon
successeur une situation parfaitement nette.
Malgré ses faibles ressources, la Société a souscrit pour
le monument de Jules Verne et pour celui d'Alain le Grand.
— Elle a émis un vœu en faveur des édifices et objets
religieux menacés par la loi de séparation.
Sa bibliothèque s'est enrichie d'ouvrages ou revues dus
à de généreux donateurs : MM. Angot, Baudouin, Mme
Baudry, M. Caillé, le R. P. de la Croix, MM. Dortel, le
chanoine Durville, de Farcy, Allotte de la Fuie, Legrand,
Oheix, Rigault, Rousse, le chanoine Urseau et surtout le
marquis de Bremond d'Ars, qui s'est dessaisi en notre
faveur d'une partie de ses riches collections. Mon frère et
moi avons été heureux également d'offrir à la Société
le Maine et l'Anjou, de notre regretté père, ainsi qu'un
choix d'ouvrages lui ayant appartenu. — Le buste de
notre ancien président d'honneur , Mgr Fournier , et
d'autres précieux souvenirs nous ont été légués par
M. l'abbé Pothier, membre honoraire, à la mémoire
duquel j'adresse l'hommage ému de l'amitié respec-
— 5
tueuse. — Notre éminent collègue, le marquis de l'Estour-
beillon, nous a aimablement envoyé son portrait en bronze.
— De M. Guénault et de M. Robuchon nous sont venues
de magnifiques séries de cartes postales sur le Vieux Nantes
et sur le Poitou.
Si vous ajoutez à cela des achats, abonnements et échan-
ges nouveaux avec plusieurs Sociétés et Revues savantes,
vous comprendrez facilement, Messieurs, l'embarras de
nos excellents et sympathiques bibliothécaires, qui doivent
douter de la vérité du proverbe : « Abondance de biens ne
nuit pas ». Que faudrait-il cependant pour tirer de peine
MM. Soullard et Lagrée ? Qu'une des salles voisines
nous fût accordée par l'administration de ce Musée que
« nous pouvons considérer avec un légitime orgueil comme
notre œuvre », disait M. Marionneau, et qui a pris, sous
la direction de l'éminent conservateur, le vicomte de Lisle
du Dreneuc, une extension dont vous avez pu juger dans
l'après-midi du 23 avril 1907.
En 1905, nous avons visité, au nombre de 26, la cachette
de la duchesse de Berry et la Cathédrale, où M. l'abbé
Barat nous a guidés avec son amabilité accoutumée (21
mars), — reçu, au nombre de 23, l'hospitalité généreuse
du châtelain des Cléons, M. Chaillou, et admiré son mer-
veilleux musée gallo-romain (15 mai), — accompagné dans
son examen du Château, dont M. Furret s'est fait le guide
éclairé, M. Pocquet du Haut-Jussé, continuateur de notre
illustre de La Borderie (7 juin), — été, au nombre de 16,
déjeuner à Blain, où M. Revelière, notre bon et regretté
collègue, nous a fait les honneurs de ses collections, aussi
belles que variées (10 juillet).
En 1906, une décision presque impromptu nous a con-
duits, au nombre de 14, à la chapelle de Bon-Garand, au
château du Buron, où M. Hersart de la Villemarqué nous
a reçus d'exquise façon, et à celui de la Tour, dont notre
aimable collègue, le vicomte de Sécillon, était malheureu-
sement absent (5 avril), - - puis, franchissant les marches de
l'Anjou, nous nous rencontrions avec l'éminent chanoine
6 —
Urseau et le très distingué chevalier Joûbert, avec lesquels
nous allions visiter le cirque et les thermes romains de
notre savant collègue M. le chevalier d'Achon et passions
un de ces après-midi merveilleux dont ne perdront jamais
le souvenir les 21 personnes qui prirent part à cette
excursion et que le talent émérite de notre modeste et
aimable collègue M. Trémant a fixées de façon si pitto-
resque au milieu des ruines de Saint-Macé (28 mai). —
M. Ringeval représenta la Société près de celles de Rennes
et de Saint-Malo, qui nous avaient conviés à une excursion
au Mont Saint-Michel (7 juin).
En 1907, notre Compagnie fut encore représentée par
quelques membres à l'inauguration de la statue d'Alain
le Grand, due à l'initiative du marquis de l'Estourbeillon
(21 avril). — Enfin la série de nos excursions fut close par
celle qu'au nombre de 20 — sans compter trois membres
d'autres Sociétés qui s'étaient joints à nous — nous fîmes,
le 13 mai, en Anjou, où nous reçut avec la plus cordiale
fraternité la Société d'Agriculture, Sciences et Arts d'An-
gers, à laquelle, cette année, sans doute, nous rendrons
la politesse.
Les rapports les meilleurs ont été entretenus par notre
Compagnie avec celles qui fleurissent à ses côtés. Sociétés
Académique, des Artistes Bretons, d'Horticulture, etc., ont
convié votre président à leurs expositions ou à leurs dis-
tributions de prix. Le 29 mai dernier, j'étais heureux
d'aller porter l'hommage de tous à notre éminent collègue
M. Linyer, à l'occasion des noces d'argent de la Société de
Géographie commerciale, et de me joindre, le lendemain,
au cortège qui descendit une Loire rendue navigable,
grâce à sa persévérante énergie. Enfin, le 15 décembre
dernier, la Revue de Bretagne et la Société des Bibliophiles
Bretons célébrant à Nantes le 50e et le 30e anniversaire
de leur fondation, j'eus la très grande joie d'aller saluer
notre éminent collègue, mon ami, le marquis de l'Estour-
beillon, qui considère notre Compagnie, il nous le disait
récemment, comme une seconde famille, et de commenter,
en quelque sorte, ces vers du doux poète qui lui faisait
face à la table d'honneur :
Les Français n'ont conquis que le sol d'Armorique;
Toujours libres et fiers, nous garderons nos cœurs !
(La Chapelle de Sainl-Gildas, par M. Rousse).
D'où vient, mes chers collègues, cette situation de plus
en plus florissante de notre Société? C'est qu'il est loin
le temps où les archéologues « étaient en butte aux
bons mots des hommes d'esprit, lesquels croient, avec
les sots, qu'avant leur naissance il n'y avait rien qui
attirât l'attention » (Dr Foulon). Les sarcasmes avaient
fait place au respect lorsque M. de la Nicollière quitta
la présidence en disant : « Tous ont compris que la mission
de la Société est belle, grande, parfaitement remplie.
Sa place est marquée parmi les institutions considérées
et fructueuses. » Et M. Maître constatait, à son tour,
en prenant le fauteuil, que « l'esprit public, comme les
administrations, accueillait avec bienveillance les pro-
positions qui avaient pour but de favoriser les études
archéologiques. »
C'est que la science du passé est l'une des plus atta-
chantes qui soient. « C'est à lui, disait Mgr Freppel, en
ouvrant le Congrès archéologique d'Angers, le 19 juin
1871, que nous devons notre langue, notre patrie, nos
mœurs et nos croyances. Chaque fois qu'un siècle se
lève à l'horizon, ce sont les lumières des âges précédents
qui viennent former au-dessus de son berceau l'étoile
destinée à éclairer sa marche. »
Du passé qui s'éteint gardons quelques lumières,
comme l'a dit M. Rousse. Quelque branche de l'art que
nous choisissions, elle nous révèle la religion, les mœurs,
l'histoire entière d'une époque.
Prenons, si vous le voulez bien, l'architecture.
— 8 -
Quels souvenirs n'éveillent pas en nous les monuments
de l'ancienne France, tels que : Versailles, Blois, Amboise... !
La pierre, au muet mais saisissant langage, nous fait com-
prendre l'histoire mieux que bien des lectures. C'est
l'image à côté du récit, l'illustration auprès du texte.
Tel que l'Océan, dont les profondeurs restent calmes
malgré les plus violentes tempêtes, notre pays, en dépit
des agitations politiques et religieuses, demeure si tradi-
tionaliste qu'il n'est guère de province où les amis du passé
ne puissent respirer, près de quelque majestueux relief
ou de quelque modeste épave, ce je ne sais quoi d'indé-
finissable qu'on appelle l'atmosphère. Qu'est-ce que la
colonne des Trente? Une simple pierre, grise et fruste.
Cependant, devant elle, notre âme palpite, l'enthou-
siasme nous saisit, et les bruissements mélancoliques
des pins semblent l'écho de grandes clameurs : Beaumanoir,
bois ton sang! Beaumanoir, bois ton sang, et ta soif passera!
Mais, si l'architecture nous initie à l'histoire d'un peuple,
elle nous révèle mieux encore sa religion. Le but de l'art,
en effet, sa loi, son génie, son essence, c'est d'exprimer
le beau. Or, le Beau absolu, c'est Dieu. Plus donc l'homme
s'approchera de Dieu par sa foi, plus parfaite sera l'image
qu'il nous donnera du Beau. « Sans religion, a écrit Jean
Rameau, sans aspirations célestes, sans l'éblouissement
de Dieu qui brûle les prunelles, aucun artiste ne créera
jamais rien de vraiment immortel. »
Voyez plutôt
Bartholomé pensif, le front dans la poussière,
Brisant son jeune cœur sur un autel de pierre.
Interrogé tout bas sur l'art par Raphaël
Et bornant sa réponse à lui montrer le ciel...
(Alfred de Musset ).
Or, comme l'observe Chateaubriand, « c'est au chris-
tianisme que les beaux -arts doivent leur renaissance et
leur perfection. Plus les âges qui ont élevé nos monuments
ont eu de piété et de foi, plus aussi ils ont été frappants
— 9 —
par la grandeur et la noblesse de leur caractère. » (Le Génie
du Christianisme).
Ces vérités, Messieurs, je n'ai pas la prétention de les
apprendre à des hommes de science et d'érudition comme
vous l'êtes. D'ailleurs,
Il faut être ignorant comme un maître d'école
Pour se flatter de dire une seule parole
Que personne ici-bas n'ait pu dire avant vous.
(Alfred de Musset ).
Mais, si elles ne sont pas nouvelles, ces vérités, je veux
vous les exposer de telle sorte que de leur choc jaillisse
une lumière éclatante sur le tableau où vous verrez se
dérouler parallèlement les diverses phases de notre his-
toire et de notre architecture. Ainsi qu'une barque s'élève
et s'abaisse avec le flot qui la porte, celle-ci subit le flux
et le reflux religieux, moral, politique, avec une sensi-
bilité telle que cette harmonie presque constante entre
l'âme de la France et ses monuments m'a paru digne de
faire l'objet de ce discours.
Mais, tout d'abord, quelques mots sur l'antiquité.
Oh ! soyez tranquilles, je ne remonterai pas aux cités
lacustres, n'ayant pas, comme M. Pohier, qui les a si poé-
tiquement ressuscitées par le pinceau, la musique et les vers,
la ressource de distraire votre attention par l'apparition
sur la toile des édifices de notre chère patrie.
La Chine, l'Inde et l'Egypte ne sauraient retenir notre
attention. Qu'elle découpe sur le ciel la silhouette mes-
quinement laide de ses maigres pagodes ou de ses grosses
tours de porcelaine, qu'elle entasse bloc sur bloc pour
former des temples gigantesques, autour desquels elle
amoncelle un fatras de monstrueuses divinités, qu'elle
associe à la splendeur du désert la froide tristesse de ces
pierres colossales qui ne tressailliront même pas lorsque
Bonaparte leur jettera la phrase doublement lapidaire
que l'on sait, ici puérile et bizarre, là grotesque et hideuse,
ailleurs lourde et hiératique, l'architecture reste figée
— 10 —
dans une immobilité absolue. Elle est, en effet, associée
à l'Etat, et l'Etat repose sur un système de castes qui le
condamne à une mortelle monotonie.
Allons respirer sur l'Hymette ou sur le Pentélique l'air
de la liberté ! En Grèce, tout vibre, tout rayonne, tout
est harmonie et lumière; la nature, prise pour modèle,
revit dans les créations. « Pourquoi fais-tu ce chêne, puis-
qu'il est déjà fait? » demandait un paysan à Corot. Pas
un pasteur de l'Hellade n'eût posé pareille question. Ah !
je n'oublierai jamais, Messieurs, le frémissement subit,
profond, irrésistible qui me saisit à la vue du Parthénon.
Plein d'une muette extase, je demeurai cloué sur place,
devant ce temple dont les siècles sans doute ont terni les
couleurs, dont l'étranger a pu mutiler les portiques, mais
qui garde toujours cette incomparable beauté qu'achève
le ciel de Grèce ! Oh ! ce ciel fin, suave, délicat, comme
poudré d'argent par la lumière qui lui prêle son moelleux
éclat ! Sous les brumes parisiennes, la Madeleine n'est
qu'un gros pavé massif; le Parthénon est une fleur de clarté
qui resplendit dans l'azur. Elle resplendit, il est vrai,
mais elle ne sourit pas; elle charme, mais elle n'émeut
point, car, pour être émouvante, l'œuvre doit être née d'un
émoi et non d'une formule. Puis à ce temple il manque
la voûte, cette figure du ciel; son spiritualisme ne dépasse
pas les sommets de l'Olympe ; comme ses dieux il se tient
terre à terre.
Tout inférieur qu'il soit à notre style chrétien, le style
grec n'en garde pas moins sa supériorité sur tous ceux du
paganisme. Pourquoi? C'est que la religion et les mœurs,
à l'époque où il brilla, étaient également moins grossières
et que peut-être l'idée du vrai Dieu, de ce Dieu inconnu
auquel les habitants d'Athènes élevèrent un temple,
s'était en quelque sorte révélée à certains esprits supérieurs,
tels que Platon et Socrate. Sur le point de boire la ciguë,
celui-ci l'entrevoit
Par delà tous ces dieux que notre ail peut atteindre.
— 11 —
Force, amour, vérité, créateur de tout bien.
C'est le dieu de nos dieux, c'est le seul; c'est le mien.
Dieu saint, unique, universel,
Le seul Dieu que j'adore et qui n'ait point d'autel.
(A. de Lamartine, Harmonies).
•
Lorsque les arts, méprisés en Italie, y pénétrèrent par
suite de la réduction de la Grèce en province romaine
(IIe s. av. J.-C), les Etrusques apportèrent à l'architec-
ture un immense perfectionnement par l'invention de
l'arcade et de la voûte. Sous Auguste, Rome se couvrit
d'un si grand nombre de luxueux édifices que ce prince
put dire : « Je l'ai trouvée bâtie en briques, je la laisse
bâtie enmarbre. » La force, la régularité et le faste de ces
monuments sont les indices d'un peuple orgueilleux,
ambitieux et dominateur; les ponts, aqueducs, thermes,
attestent son génie pratique. Mais l'amour du bien-être
dégénéra peu à peu en raffinement et en mollesse. La
tyrannie et la bassesse, qui s'engendrent l'une l'autre,
annoncent la décadence. Afin d'abrutir le peuple et de
prévenir ses révoltes, ses tyrans multiplient les fêtes et
lui offrent les spectacles les plus dégradants : « Du pain et
des jeux! », tel est le cri qu'on entendra retentir jusqu'à ce
que s'en élève un autre : « Les dieux s'en vont ! » Ils s'en
vont en effet, ceux de la jeune Italie pêle-mêle avec ceux
du vieil Orient, qui ont envahi l'empire; on s'en moque;
Néron, par mépris, souille leurs statues; les poulets sacrés
ne trouvent plus d'acheteurs ; bref, c'est la débandade de
tout l'Olympe !
Le monde était dans Rome, et Rome dans la fange.
L'Olympe s'écroulait sur son autel pourri.
L'or régnait. La vertu de l'homme avait tari
Comme une vigne après les temps de la vendange.
La terre était sans but sous un ciel sans amour.
(Edmond Haraucourt, Le Messie).
Or, comme « l'incrédulité est la principale cause de la
décadence, du goût et du génie, quand on ne crut à rien
— 12 —
à Athènes et à Rome, les talents disparurent avec les
dieux... Le monde romain, pourrissant dans ses sources,
était menacé d'une dissolution épouvantable... L'Evangile
a prévenu la destruction de la société. » (Vicomte de
Chateaubriand).
Dieu avait permis que son Eglise reçût, pendant près
de trois siècles, le baptême du sang. Mais, du champ
rougi par les martyrs ayant levé une abondante moisson
de chrétiens, par un miracle il convertit Constantin.
Nos pères sortent des catacombes et cherchent des
édifices pour célébrer les saints mystères. Les temples,
souillés par d'abominables sacrifices, — les immolations
d'enfants sont attestées par plusieurs historiens, — leur
répugnent. Aussi, à de rares exceptions près, leur préfèrent-
ils des espèces de prétoires ou de bourses de commerce
appelés basiliques (maisons royales), qu'ils transforment
ou copient en y apportant deux innovations : 1° l'allonge-
ment du transept pour leur donner la forme de croix et 2°,
ceci est capital, le remplacement de l'architrave par
l'arcade sur colonne, qui restera le principe fondamental
de toute l'architecture chrétienne.
L'Empereur transporte le siège du gouvernement
à Byzance, où il appelle les plus savants architectes,
afin de remplacer l'art dégénéré de l'Italie par l'art indi-
gène. Celui-ci atteint son plus haut point de perfection :
liberté, élégance, hardiesse, dans Sainte-Sophie, recons-
truite sous Justinien (VIe siècle); mais, en dépit de ses
riches décorations, c'est une triste impression, Messieurs,
que j'éprouvai en pénétrant sous cette vaste coupole,
d'où l'on a chassé le Dieu vivant et qui semble porter une
seconde fois le deuil du Christ.
Quittons la Grèce et l'Italie pour aborder aux rivages
de la Gaule. Ils sont couverts de cromlechs, dolmens,
menhirs, etc. Bien téméraire serait celui qui voudrait
en déterminer la signification précise. « Ne confie l'histoire
du passé qu'à ta mémoire », prescrivait la loi druidique.
13
Donc nul écrit. Peut-être quelques rares inscriptions
gravées sur ces pierres pourront-elles être déchiffrées.
En attendant, gardons de M. de Caumont le silence pru-
dent, quand il nous engage à « ne pas vouloir pénétrer
trop avant dans la connaissance des premiers temps
historiques sous peine de s'exposer à substituer à la vérité
des fables ou des conjectures. » (Cours d'antiquités monu-
mentales). A propos de ces vestiges, qui conservent,
vous le voyez, tout l'attrait du mystère , j'hésite à
prononcer le grand mot d'architecture. Et cependant
on les appelle des monuments; ils sont simples et rudes
comme les mœurs et attestent le respect des héros et la
croyance à l'immortalité; leurs formes hautaines et tristes
ont leur genre de beauté, qui inspira plus d'un poète. Quelle
impression profonde et délicieuse n'avez-vous pas gardée
de la pièce qu'aux Noces d'or nous récita M. Alcide Leroux?
Ecoutez un étranger, mais un étranger qui a parlé de la
Bretagne mieux que nul Breton, a dit le vicomte de Gour-
cuff, M. Fuster, passant à Saint-Nazaire, où
Se dresse le dolmen impassible : il est là,
Grave, sans la douleur des choses ruinées.
Nos bâtisses par lui se sentent dominées.
Sur lui le vieux soleil de Gaule étincela.
Le culte superstitieux des pierres persista dans les
campagnes, à l'insu même de ceux qui le professaient,
et dut être combattu par maints conciles. Celui de Nantes,
tenu en 658, interdit « l'adoration des pierres élevées
aux démons dans les antiques forêts et sur lesquelles on
allait faire des vœux ». Souvent l'Eglise les transforma
en calvaires :
O Christ ! ami du faible et des âmes blessées,
Seul vrai consolateur, votre souffle puissant
A détruit les autels qui s'abreuvaient de sang,
s'écrie M. Rousse près d'un dolmen.
Ces pratiques ne disparurent qu'au IXe siècle, et encore
— 14 -
n'est-il pas rare de voir ces monuments, dont les noms
mêmes de grottes aux fées, châteaux des mauvais esprits,
etc., sont une lointaine réminiscence des traditions ,
assignés comme lieux de réunion aux farfadets, lutins ,
garaches, loups-garous, etc.
Lavant l'affront du brenn gaulois dans le sang de
Vercingétorix, César a soumis et civilisé, ou plutôt paga-
nisé notre pays, car « Rome avait donné à la Gaule son
effroyable corruption de mœurs, de sorte qu'au commen-
cement du Ve siècle, le nom de Gaule était prêt à dispa-
raître de la carte du monde. » (Histoire nationale illustrée
de la France).
Mais voici que des peuplades farouches se ruent sur
le pays. Les prêtres de Jupiter fuient épouvantés, ren-
versant leurs idoles impuissantes. C'est alors que se dé-
roula un merveilleux spectacle : l'Eglise, en la personne
de sainte Geneviève et de ses vénérables évêques, s'avança
à la rencontre des hordes formidables et sauva cet Empire
qui l'avait si cruellement persécutée! Si toute l'Europe
ne fut pas, comme l'Angleterre demeurée païenne, sub-
mergée par le rouge torrent des invasions barbares, c'est
à l'Eglise qu'elle le doit.
L'Eglise baptise Clovis, qui donne à la Gaule l'unité
morale et la grandeur politique, et sur les ruines dupoly-
théisme s'établit en douce victorieuse. Au VIIIe siècle,
l'Islam est écrasé à Poitiers par Charles Martel; Pépin le
Bref fonde le domaine temporel des papes, et Charle-
magne, après avoir conquis la Saxe au christianisme,
vole au secours du Saint-Siège, menacé par les Lombards,
et reçoit du Pape Léon III la couronne impériale (800).
O Charlemagne à la barbe fleurie, toi qu'ont popularisé
l'image et la légende, toi que les écoliers acclament en de
joyeux banquets, quelle impulsion magnifique et féconde
ton génie va donner aux lettres et aux arts !
France, ma douce France, ù ma France bénie,
Rien n'épuisera donc, ta force et ton génie !
— 15
te fait dire le vicomte de Bornier. Tu parais, tel un colosse
dans un désert, et rallumes le flambeau de la civilisation
en faisant pénétrer le christianisme dans l'Occident.
A ce relèvement religieux correspond le relèvement de
l'architecture. Certes, à une époque où se trouvent souvent
encore confondues les mœurs du barbare, du romain et
du chrétien, elle ne peut avoir un style précis. Elle est,
comme la société, soumise à des influences si diverses
que les auteurs modernes hésitent même sur le nom que
celui-ci doit porter : latin? gallo-romain? roman primitif?
Mais M. de Caumont, qui adopte ce dernier terme, ne
craint pas d'affirmer que l'architecture atteignit alors
un haut degré de prospérité. Elle est remarquable surtout
dans les monastères, dont l'importance n'échappe pas
aux regards inquisiteurs et cupides des Normands.
Près d'un siècle durèrent leurs horribles ravages, au
cours desquels, dit un vieux chroniqueur, « ils gâtèrent,
saccagèrent et désertèrent d'une horrible et énorme
façon la Bretagne, signamment le pays nantais. » Restée
la dernière en leur pouvoir, notre malheureuse cité fut
délivrée par Alain Barbe-Torte, grâce au secours mira-
culeux de « la benoiste Vierge Marie ». Ce prince fut élevé
en Angleterre,
Puis revint en Bretaigne en chaczer les Normans. . .
Lesquels tenaient en leur subgection
Pays Nantois et sa ville iolie.
Notre Cathédrale était en ruines. Il en était ainsi de
nombreux et riches monuments. Dans les cloîtres déserts,
lugubres s'élevaient les cris de la chouette ou le hulule-
ment du hibou, qui remplaçaient les hymnes et les psaumes.
Le calme rétabli, on voulut reconstruire; mais presque
tous les fragments gallo-romains, qui depuis le Ve siècle
avaient servi de matériaux ou de modèles, avaient été
réduits en poussière. Il fallut extraire de la pierre, la
tailler, inventer des formes nouvelles. Sur ces entrefaites,
une étrange terreur saisit les hommes et fit tomber de
Soc Archéol. Nantes. 2
- 16 -
leurs mains découragées la truelle et le marteau : l'an
mille devait marquer la fin du monde
Seuls les châteaux-forts se multiplient, grâce au système
féodal. Il y a encore vingt ou trente ans, avant que les
milliers de documents puises dans les archives publiques
ou privées n'aient permis de refaire nos annales et ne nous
aient montré « l'histoire reçue, officiellement enseignée
et propagée, comme la plus grossière des duperies, ou la
plus audacieuse îles impostures, on nous avait appris
un moyen âge qui était un enfer. » (Maurice Talmeyr,
Chaires de mensonge.)
Dans un article qu'il consacrait récemment au cinquan-
tenaire d'une de nos plus pures gloires nationales, M. Léo-
pold Delisle, M. Funck-Brentano écrivait ceci à propos
d'un des livres les plus célèbres de l'illustre écrivain :
« L'ouvrage fit sensation dès son apparition; par ses
conclusions d'abord, quand on vit l'auteur montrer, en
termes qui ne pouvaient être réfutés et qui même n'ont
jamais été discutés, que, dans ces temps où l'on croyait
ne devoir trouver que barbarie et oppression, sous cette
horrible tyrannie féodale qui exploitait le peuple jusqu'au
sang, — Michelet a écrit là-dessus les pages les plus folles,
— la campagne présentait, à peu de chose près, le même
aspect que de nos jours. Au XIIe siècle, la condition du
paysan était semblable à sa condition présente; il avait
autant d'aisance et, s'il est possible de juger de ceci par
des documents historiques, autant de bonheur. »
« Les immenses travaux que nécessitait la construction
de nos vieux châteaux-forts suffiraient pour révéler dans
la nation une vitalité ardente. Les temps calamiteux où
les populations succombent sous l'excès de leurs maux
ne lèguent pas de pareilles œuvres à la postérité », avait
déjà écrit mon père, dans le Maine et l'Anjou, à une
époque où ce grand menteur que fut Michelet ensorcelait
encore l'esprit des foules en faussant l'histoire par le
roman.
Avant lui, d'ailleurs, M. de Caumont avait affirmé ceci :
— 17 —
« Le système féodal n'a pas été sans avantages pour le
temps où il est venu: il n'a pas été sans force et sans éclat.
De grands faits d'armes, des hommes célèbres, la cheva-
leBie, les croisades, la naissance des langues et des litté-
ratures modernes l'ont illustré ». H rappelait cette phrase
de Guizot : « Ce temps a été pour l'Europe moderne ce
que furent pour la Grèce les temps héroïques ».
C'est qu'il se complète par la chevalerie « dont le nom
seul est proprement une merveille que les détails les plus
intéressants ne peuvent surpasser » (Vicomte de Chateau-
briand). Vous avez lu, n'est-ce pas? les pages d'une magie
délicieuse où notre grand Breton évoque la poésie sans
seconde de cette époque : festin de la licorne ou vœu du
paon, fêtes, joutes, tournois, lays d'amour, enchante-
ments, pèlerinages, prouesses merveilleuses, aventures
romanesques. Je ne sache dans notre littérature rien qui
éveille l'imagination et satisfasse, le cœur autant que ces
récits éblouissants, parce que, supérieurs aux héros
d'Homère, les preux sont chrétiens. Leur idéal , c'est
l'Eglise qui l'a créé; leur institution, c'est elle qui l'a
ennoblie : foi, vaillance, honneur, désintéressement,
charité, tout jusqu'aux austérités du cloître — il y a environ
quarante ordres religk ux militaires -- telles sont les vertus
chevaleresques, et ce mot lui-même inspire encore un tel
respect qu'il est un des rares dont l'abus n'ait pas atténué
le prestige. Une action chevaleresque, un caractère che-
valeresque, se peut-il rien au-dessus? C'est donc à la reli-
gion encore que nous devons, pour une bonne part, ces
redoutables forteresses dont les majestueux débris cou-
ronnent nos coteaux. Dans ces nobles manoirs, près de
femmes à l'âme claire, tendre et forte, naquit la poésie
nationale, les mœurs s'adoucirent et prirent cette teinte
de courtoisie, d'élégance et de délicatesse qui devait faire
dire à Duclos : « Le Français est l'enfant de l'Europe » et
inspirer à M. Vidal de la Blache cette belle pensée : « La
France est située de telle sorte que le soleil ne peul y
18
décliner sans qu'elle voie grandir sur elle l'ombre des
nations voisines. » (La France.)
L'an mille passé, les alarmes se dissipent, l'apathie
fait place à la plus dévorante activité. De nouveau, la
pierre s'anime et, sous la direction des Evêques, asso-
ciations de moines et d'abbés, ou pieux laïques liés par un
vœu religieux, élèvent et décorent des églises plus grandes,
plus magnifiques que par le passé. Grâce à Dieu, et ce
n'est pas une simple façon de parler, car c'est Dieu qui
inspire ces hommes, la France peut enfin s'enorgueillir
d'un style national : le génie chrétien à créé le roman.
Sans doute ce style est né de l'ancienne idée architectu-
rale chrétienne ; mais, affranchi de toute servitude antique,
il offre un caractère puissant et grandiose, austère et
recueilli. Si le byzantin, que des artistes grecs, chassés
par les iconoclastes, nous ont fait connaître au IXe siècle,
s'y allie parfois, c'est de la façon la plus harmonieuse.
Grâce à Robert le Pieux et Louis le Gros, à saint
Bernard et Suger, la foi grandit, les mœurs s'épurent.
Au XIIe siècle, « tout naît, tout resplendit ensemble comme
par une même explosion ». (N. de Caumont).
L'architecture gagne en pureté, en grâce, en élégance,
et se montre parée de toutes ses richesses, ornée de ces
broderies de pierre qui lui valent le gracieux surnom de
roman fleuri.
Vastes catéchismes vivants, les églises offrent un ensei-
gnement complet avec leurs fresques impressionnantes,
leurs austères statues, leurs figures d'un mysticisme
étrange, leurs verrières aux couleurs profondes et chaudes,
où « des saints de lumière, de mystérieux personnages,
raides en leur pourpre violacée ou en leur tunique de lin,
graves, éloquents, solennels, nous font voir, formée de
mille paillettes, de mille éclats multicolores, l'âme fran-
raise comme dans un kaléidoscope. » (Guy de Cassagnac.)
« Le soleil, en les traversant, jette sur les dalles l'ondoyante
richesse des tapis d'Orient; et là-haut resplendit un im-
— 19 —
mense écrin de diamants, de saphirs, de rubis, d'émeraudes.
Les fonds bleus, ou plus souvent pourpres, réchauffent de
leurs flammes assombries la pénombre des basses nefs.
Tout en haut, au sommet des parois, une lumière surna-
turelle éclate, faite de pierreries et d'émeraudes en fusion;
dans la Jérusalem étincelante, de grandes figures se dressent
en pied, le Christ, la Vierge, les apôtres, les saints. Ils
semblent vêtus des tendres clartés de l'aube et des lueurs
profondes du couchant. C'est l'amour et l'extase, et dans
cet acte d'amour respire encore l'âme populaire. » (André
Pératé, l'Art chrétien au moyen âge).
Oui, c'est un vaste amour qu'au fond de vos calices,
Vous buviez à plein cœur, moines mystérieux !
La tête du Sauveur errait sur vos cilices
Lorsque le doux sommeil avait fermé vos yeux,
Et, quand l'orgue chantait aux rayons de l'aurore,
Dans vos vitraux dorés vous la cherchiez encore.
V3us aimiez ardemment ! oh ! vous étiez heureux !
(Alfred de Musset).
Inutile, Messieurs, d'énumérer tous les caractères du
roman, mais comment oublier le clocher? « Quand notre
piété veut s'envoler aux nues, le fin peuplier qui monte
et qui chante, ciselé de feuilles trouées de lumières, devient
la flèche des églises, où le vent peut chanter aussi dans
les dentelles ajourées. Le trèfle et la pâquerette s'élargissent
en rosaces, le liseron se coule en bronze pour devenir la
cloche, le coq des Gaules se perche au faîte du clocher et
la cathédrale est finie. » (Edmond Haraucourt, la Patrie
donne l'art.)
Finie, en effet, avec le clocher, et, sans lui, inachevée
la cathédrale, incomplète l'église rustique. Ah ! la poésie,
l'amour, la nostalgie du clocher , qui ne les a chantés ,
ou, du moins, ressentis ? N'est-il pas l'âme du village ?
A sa vue, le voyageur fatigué se ranime, le regard du
pèlerin rayonne; son souvenir attendrit l'exilé, sa pensée
console le marin et le berce sur les mers lointaines ; sa voix
— 20 —
soii'>rc cl douce, qui prend toutes les inflexions : [trière,
plainte, joie, terreur, la cloche, en un mot, écho de la voix
de Dieu, trouve elle-même un écho dans le cœur du labou-
reur, soil qu'elle règle ses piétinements sur la glèbe,
soil qu'elle marque ses étapes sur le chemin de la vie. Si
vif était le regret des cloches au lendemain de la Révo-
lution qu'en maintes bourgades, et non des plus h ventes,
- c'est Taine qui le raconte les paysans, ai. mépris
des règlements et de la police, s'obstinaient à rattacher
les cordes pour avoir la joie d'entendre tinter VAnijehis.
Peut-être une dernière inspiration eût-elle porté le
style roman à une telle perfection qu'il fût devenu la for-
mule définitive de l'art chrétien, mais déjà l'ogive était
née.... en France, Messieurs, et non en Orient, où ce sont
les Croisés qui la firent connaître. Le vicomte Melchior
de Vogué l'a démontré, avec preuves à l'appui, au grand
déplaisir des snobs qui, donnant un sens inattendu au
vers célèbre du vicomte de Bornier :
Tout homme a deux pays : le sien et puis la France,
ont d'abord un pays dont ils raffolent sottement, puis la
France, qu'ils dénigrent à tout propos. Comme si un fils
devait déchirer le sein de sa mère ! France d'abord I
Messieurs,
Dès le milieu du XIIe siècle, l'arc en tiers point s'associe
au plein cintre, d'où le nom de roman de transition, et
le remplace définitivement à partir du XIIIe siècle ou,
au plus tard, au commencement du XIVe en certaines
régions.
• D'où vient cette magnifique efflorescence qui signale
le XIIIe siècle et se manifeste surtout peut-être dans
l'architecture? De l'influence excellemment bienfaisante
de l'Eglise, qui, sauvant tout ce qu'on peut sauver de la
culture humaine, créant partout des centres d'industrie
et d'agriculture autour desquels viennent se grouper les
villages, bâtissant des lieux de prière, qui sont en même
— 21 —
temps des asiles, des musées, des écoles, des hôtelleries.
« donnant non seulement le pain du corps, mais celui de
l'orne, par ses innombrables légendes de saints, par 'ses
cathédrales et leur structure, par ses statues et leur ex-
pression, rendant visible le royaume de Dieu et dressant
le monde idéal au bout du monde réel comme un magni-
fique pavillon d'or au bout d'un enclos fangeux » (Taine,
les Origines delà France contemporaine), restaure la dignité
de la femme, rend la liberté à l'esclave, prêche l'égalité
devant la loi, la fraternité dans le Christ, et, travaillant
à consolider la monarchie, fonde définitivement la natio-
nalité française. « Ce sont les évêques qui ont fait la
France », a dit Gibbon.
Si le prodigieux épanouissement du XIIIe siècle attei-
gnit son apogée sous saint Louis, c'est que, portant le
triple fleuron de la sainteté, de la justice et de la vaillance,
le fils de Blanche de Castille fut l'idéal du chevalier et du
chef d'Etat chrétien. Le nom français resplendit alors
d'un éclat incomparable, notre langue devient en quelque
sorte universelle, de toutes parts les étudiants affluent
pour suivre les cours de notre Université, issue de l'école
épiscopale de Notre-Dame. N'est-ce pas véritablement
le siècle' d'or :
Où tous nos monuments et toutes nos croyances
Portaient le manteau blanc de leur virginité ?
Où Cologne et Strasbourg, Notre-Dame et Saint-Pierre.
S'agenouillant au loin dans leurs robes de pierre,
Sur l'orgue universel des peuples prosternés
Entonnaient l'hosanna des siècles nouveau-nés ?
Le temps où se faisait tout ce qu'a dit l'histoire;
Où sur les saints autels les crucifix d'ivoire
Ouvraient des bras sans tache, et blancs comme le lait ;
Où la Vie était jeune, - où la Mort espérait?
(A. de Musset)
« On vient de toutes parts admirer les merveilles de notre
architecture » (abbé Houdebine), car elle « traduit l'esprit
22
d'une époque où le sentiment religieux était arrivé à sa
maturité suprême et où la civilisation chrétienne porta
ses fruits les plus charmants et les plus doux » (Michiels).
Donnant un tour oratoire à l'un des plus beaux passages
du comte de Montalembert, Monseigneur Besson s'écrie :
« Plus haut ! plus haut ! L'Eglise souffle sur les piliers
de cet édifice, elle les orne de colonnettes amincies, elle
les dégage de toutes les lignes horizontales et de toutes
les corniches : il faut que tout jaillisse et s'élance vers le
ciel. Voilà votre cathédrale romane transformée en cathé-
drale gothique par cette noble pensée. . . La foi monte,
elle ne veut plus descendre. Montez comme elle, flèches
de pierre, qui portez dans les airs le magnifique témoi-
gnage de tous les arts réunis, dans un concert d'admira-
tion et d'amour, autour des autels victorieux. » (Confé-
rences). L'élancement, la direction vers le ciel, tel est,
en effet, le caractère distinctif du style gothique.
Du dehors, l'impression est « une forte élévation de l'âme
qui cherche avec plus d'amour son Créateur en voyant une
telle œuvre sortir des mains de la créature. » (Paul Lacroix).
Mais à peine a-t-on franchi le seuil de ces portails majes-
tueux, autour desquels toute l'histoire de l'humanité
est gravée dans la pierre « qu'on ne peut se défendre d'une
vive exaltation, d'une sorte de tressaillement. » (A. de
Caumont). « Tout est oublié de notre existence chétive
et misérable; celui pour qui cette enceinte a été faite est
le Fort, le Grand, le Magnifique et c'est par l'effet d'une
patiente condescendance qu'il nous reçoit dans son saint
habitacle, nous, faibles, petits, pauvres. » (Paul Lacroix).
Quels siècles, Messieurs, que ceux où surgirent de terre
et prirent leur vol vers le ciel ces poèmes de pierre qui
s'appellent Auxerre, Bayeux, Beauvais, Bourges, Chartres,
Coutances, Dijon, Rouen, Séez, Sens, Tours, Amiens,
« que les archéologues sont à peu près d'accord pour mettre
au-dessus de toutes les cathédrales gothiques d'Europe >.,
dit Jean Rameau, la basilique de Saint-Denis, Notre-Dame
— 23 —
surtout, qui forme, avec la Sainte-Chapelle et le Louvre,
la trinité architecturale de Paris !
« Quel spectacle moderne peut être compare à celui
qu'offre notre admirable basilique un jour de fête reli-
gieuse? Que sont les décors du plus magnifique opéra à
côté des trois rosaces de Notre-Dame de Paris et de la
forêt de colonnes où déambulent les cinq nefs? Qu'est la
musique de nos compositeurs les plus célèbres, exécutée
par les orchestres les plus variés, quand on la compare à
ces terrifiantes hymnes antiques tonnées par les orgues?
Quel frisson pour les vrais artistes ! » (Jean Rameau,
Cathédralisons.)
Ni en peinture, ni en sculpture, ni en musique nous ne
pouvons prétendre à la palme. L'Italie, la Grèce, l'Alle-
magne ont produit des hommes supérieurs : Raphaël et
Michel-Ange, Phidias et Praxitèle, Beethoven et Mozart.
En littérature même, si notre pléiade est de beaucoup la
plus nombreuse, la plus variée, offre-t-elle des génies plus
sublimes qu'Homère, Dante ou Shakspeare ? C'est
discutable. Mais, comme l'a dit Anthyme Saint-Paul :
« nous avons été les rois de l'architecture. » Et ce sont
nos cathédrales gothiques qui donnent au monde la
plus haute idée de notre génie. Cologne, d'ailleurs,
n'a-t-elle pas été copiée sur Amiens? On a retrouvé les
plans. La perle de l'Espagne, Burgos, fut sculptée par un
français: Jean de Bourgogne. Et, sans la conquête
normande, l'Angleterre compterait-elle autant de belles
églises ogivales ? Non certes.
Aussi le peuple, reconnaissant d'instinct l'expression
du génie national dans cet art d'une originalité puissante,
d'une grâce naïve, d'un calme austère, l'adopta-t-il pour
toute espèce de construction : pour les monastères, tel
que le Mont Saint-Michel avec sa Merveille ; pour les
hôtels de ville et les beffrois, dont l'usage tendait à se
généraliser; pour les maisons, étroitement serrées dans
des remparts que les nécessités de la défense ne permettaient
ni d'étendre, ni surtout de supprimer ; pour les galeries
— 24 —
couvertes, dont M. de Caumont cite, dans la grande rue
de Dol, un des plus curieux spécimens qu'il m'ait été donné
d'admirer; pour les pouls fortifiés aux superbes arcades;
pour les châteaux-forts eux-mêmes, dans les détails du
moins. Au XIV' siècle, l'usage de plus en plus fréquenl
de l'artillerie diminua l'utilité des fortifications, aux dépens
desquelles s'accrurent les parties habitées. Quant aux
tours à signaux des Pyrénées, notre excellent collègue
M. Gourdon, un fervent de ces vallées neigeuses et ver-
doyantes, qui nous en a parlé de façon si précise et si
captivante, ne me pardonnerait pas de les passer sous
silence.
En ce siècle, Messieurs, le style rayonnant se substitua
au style à lancettes et fut lui-même remplacé au XVe
siècle par le style flamboyant. De l'un à l'autre l'infério-
rité est incontestable. D'où vient-elle? Des circonstances
politiques, a-t-on dit.
Mais si, au commencement du XVe siècle, la France
est encore envahie par l'ennemi héréditaire, Dieu remet
aux mains virginales d'une humble bergère l'épée de Notre-
Dame de Fierbois et, au nom de : Jésusl Mariel Jeanne
d'Arc boute l'Anglais hors de France; et la richesse, l'abon-
dance, la prospérité, succèdent à de longues calamités.
On la sauve aisément, votre admirable France,
Avec la nation admirable qu'elle a,
dit du Guesclin, notre grand héros breton, à Charles VII,
dans la belle pièce de Déroulède.
Le siècle précédent, au contraire, ouvert par l'effroyable
désastre de Court ray, a vu les sanglantes défaites de
Crécy et de Poitiers, où le roi Jean a été fait prisonnier,
et, après la hideuse Jacquerie, s'est fermé sur la
démence de Charles VI.
Non, Messieurs, ce n'est pas aux événements, mais à
la religion qu'il faut demander la raison de cet abaisse-
ment de l'art. Quoique très vive encore au XIVe siècle,
la foi est déjà moins ardente. « Au XVe siècle, les artistes
— 25 —
étaient nombreux et habiles, mais au 7,èle religieux qui
les animait, au XII1(' et au XIVe, vint se substituer
un autre sentiment , Y amour-propre, et le désir de
briller. S'ils travaillaient pour l'amour de l'art et pour
la gloire de Dieu, ils pensaient aussi à leur propre gloire,
à leur réputation. » Vous avez entendu M. de Caumont,
Messieurs, et ce simple passage suffirait à prouver ma
thèse, maïs laissez-moi la joie d'y ajouter quelques mots
de mon père : « Tout ce que le sentiment humain fit entre-
prendre clans le moyen âge fut étroit, incomplet, nuisible
ou fréquemment stérile; tout ce que le sentiment reli-
gieux inspira devint, au contraire, fécond, parfait et su-
blime. » Et, après un tableau des bienfaits du christia-
nisme et de ses magnifiques productions architecturales,
mon père fait observer que nous avons peine à les com-
prendre parce que nous ne comprenons plus les sentiments
de foi qui animaient le moyen âge et que « ce n'était pas
le génie seul de l'homme qui fonctionnait avec ses modi-
fications individuelles et son éphémère durée, mais la
pensée religieuse se transmettant d'âge en âge avec la
sublime unité du vrai. » (Le Maine et l'Anjou). Ajoutons
enfin avec Ruskin : « Jusqu'ici, tout art progressif a été
religieux. Le début des périodes de décadence est marqué
par l'usage des romans au lieu des psaumes. » (Les Matins
de Florence).
De cette préoccupation beaucoup plus humaine nous
avons une preuve indéniable dans l'architecture civile.
Au temps de vive ferveur, on s'inquiétait peu de sa propre
demeure, on ne se préoccupait que des églises - - il yen avait
trente dans l'île de la Cité, qui n'en compte plus que deux —
on voulait avant tout que la maison de Dieu fût belle et
bien ornée. Désormais, on s'avise de substituer aux logis
exigus et incommodes des maisons plus agréables, mieux
ornées, et l'on en décore les façades avec ce luxe de cise-
lures, d'enseignes et de sculptures emblématiques qui
rendaient les rues si pittoresques. L'hôtel de Jacques
Coeur est un des plus somptueux monuments de ce genre
— 26 —
et nous offre ers belles Fenêtres carrées, ;iux croisées de
picnc, datant «lu milieu du XIVesiècle. De même, les châ-
teaux-torts, tout en conservant une apparence de force
militaire, se transforment en habitations élégantes et
confortables. Les nouveaux s'établissent dans les plaines
et dans les vallées, où l'eau est en abondance. Presque tous
possèdent des oratoires très remarquables par leurs détails
et la finesse de leurs sculptures. Quant à ceux qui sont
tombés en ruines, il est interdit de les relever sans la per-
mission du roi, et Louis XI nourrit trop de méfiance à
l'égard des grands feudataires pour l'accorder souvent.
Par contre, il favorise la construction des hôtels de ville
et des beffrois, signes d'affranchissement des communes (1).
« On appelle Renaissance le retour aux formes antiques,
comme si l'art eût sommeillé pendant l'ère ogivale et l'ère
romane !! » dit M. de Caumont. Né en Italie, où l'on s'était
pris d'admiration pour les fastueux décombres de la Rome
païenne, le style de la Renaissance n'était pas une imitation
servile de l'antiquité. Il se caractérisait par la multiplicité
des ordres, des revêtements de marbre et de gracieux
ornements, lorsqu'il s'introduisit en France, à l'occasion
des guerres d'Italie. François Ier surtout s'enthousiasma
pour cet art élégant et communiqua son goût à son brillant
entourage. Palais et châteaux s'élevèrent un peu partout,
mais de préférence sur les rives de la Loire : Chantilly,
Saint-Germain, la Muette, Azay-le-Rideau, Chenonceaux,
Chambord, ce fantastique, cet indescriptible Chambord,
où le génie français semble protester encore contre le
(1) Du xve siècle datent la Cathédrale, continuée au xvne,
et terminée au xix . grâce à Mgr Fournier, la porte Saint-
Pierre, l'Hôtel de Ville, réparé et augmenté au xvir par le
maire, Claude de Cornulier, le Château, reconstruit par
François II et la duchesse Anne, sa fille, qui y épousa
Louis XII. la chapelle de Saint-Antoine de Pâdoue .
aujourd'hui l'Immaculée - Conception , le manoir de la
Touche, etc.
— 27 —
goût étranger, car on ne change pas par un seul acte de
sa volonté les traditions de tout un peuple. Aussi, pendant
un demi-siècle, les ornements du gothique s'allièrent-ils
aux arabesques, et c'est même à cette période d'oscilla-
tion que s'applique, à proprement parler, le mot de
Renaissance.
Bien que, par une de ces réactions dont l'esprit français
est coutumier, on traite aujourd'hui de barbare le style
de la Renaissance, après avoir, pendant trois siècles,
appliqué cette épithète au style gothique, on ne peut
méconnaître qu'il produisit des œuvres pleines de grâce
délicate et riches d'ornementation ; mais , lorsque
« la gangrène fut partout, s'attaquant à la foi, aux tradi-
tions, aux mœurs » (E. de la Gournerie, Histoire de Paris
et de ses monuments), tout devint dur, tapageur, tout
l'élégant système de décoration : grands combles, hautes
lucarnes, tourelles en encorbellement, etc. . . , disparut à
la fois. La décadence de l'architecture suivit celle de la
religion et de la morale.
Quelles sont les causes de la Renaissance? Assez com-
plexes : découverte des manuscrits de Vitruve, retour
vers la littérature et l'art païens, émancipation des laïques,
progrès des richesses, goût du luxe et, somme toute, affai-
blissement de l'esprit chrétien, dégénérant peu à peu en
raffinement et en mollesse.
De là vient que si, à ses débuts, elle put produire, grâce
à Michel Colombe, cette exquise chapelle de Saint-Thomas,
dont la démolition laisse Nantes inconsolable, « il suffit
d'observer sans prévention l'aspect magnifique des grands
édifices du moyen âge pour se convaincre que le style
ogival convient mal à nos temples, auxquels il imprime
un caractère solennel, que n'offrent point en ce genre
les imitations plus ou moins heureuses de l'architecture
antique », a dit M. de Caumont. « Il n'est plus permis au
génie d'innover, comme au moyen âge, de créer de nouvelles
expressions pour des pensées nouvelles; il ne lui est plus
permis de faire parler, de faire prier la pierre, comme
— 28 —
l'avaient fait ces maîtres-maçons des XIIIe et XIVe siècles,
qui savaient atteindre aux dernières limites de l'art par
la seule puissance de la foi. » (E. de la Gournerie). Aussi
le style ogival persista-t-il le plus généralement dans
l'architecture religieuse pendant tout le XVIe siècle. Ce
fut même\sotis le règne de la Bonne Duchesse, dont M. Dor-
tel vient de retracer, dans un discours éloquent et senti,
les qualités et les vertus, que la Bretagne se couvrit de ces
églises gothiques dont les clochers ont inspire a .M. Fuster
une de ses plus belles poésies :
Au pays d'Armorique, au pays de la foi,
Les clochers sont à jour, et je nie dis : « Pourquoi ?
« Pourquoi ces trous béants, ces vides du granit ?
« Est-ce pour les oiseaux et la place d'un nid ? »
Non. C'est pour respirer l'espace, pour le voir,
Pour boire le soleil, pour humer le vent noir.
Les trous, dans le granit, guettent comme des yeux :
Les clochers sont à jour pour mieux fixer les cieux.
Mais surtout on leur fit ces entailles au front
Pour bien les pénétrer du Dieu qu'ils chanteront.
Que ne peut-on, pour mieux se pénétrer d'amour,
S'ouvrir l'âme, et chérir avec un cœur à jour !
(Bretagne : heures vécues.)
L'activité féconde des premières années du siècle,
ralentie, presque suspendue par les guerres religieuses,
reprit à la suite de l'édit de Nantes. Sous Henri IV, l'ar-
chitecture fut régulière et majestueuse, mais un peu lourde
et triste, comme si le morne esprit du protestantisme
avait déteint sur elle. N'est-ce pas d'ailleurs à cette époque
que domine le goût des inscriptions sentencieuses sur la
façade des maisons? Or, dans ses Notes sur Cromwell,
Victor Hugo parle de « l'usage que les fanatiques avaient
de remplacer leur nom de baptême par quelque sobriquet
religieux, tiré pour l'ordinaire de la Bible, ou exprimant
une réflexion pieuse. »
« Au XVIIe siècle, la Erance semble passer de la jeunesse
— 29 —
à la virilité. Au lieu d'abandonner l'imagination à elle-
même, nous nous appliquons dès lors à la contenir sans
la détruire. . . L'art suit le mouvement général : il n'étin-
celle ni n'éblouit, il parle surtout à l'esprit et â l'âme.
En général, il manque un peu d'éclat et de coloris, mais
il est au plus haut point expressif. » (Victor Cousin, le
Bien, le Beau et le Vrai).
Les peintures murales et les vitraux, en particulier,
gagnent en dessin ce qu'ils perdent en couleur. Si encore
on avait conservé les anciennes verrières ! Mais, les progrès
de l'imprimerie ayant multiplié les livres et les lecteurs,
les fidèles murmurèrent contre l'obscurité des églises, et
des œuvres qui avaient coûté des sommes et des peines
considérables furent brisées et remplacées par des vitres
blanches.
La France, en effet, qui a témoigné sa reconnaissance
â Dieu pour l'intervention miraculeuse de Jeanne d'Arc,
en combattant l'incendie allumé par Luther et Calvin
et en l'empêchant de se propager dans toute l'Europe, et
qui a refusé de recevoir un roi huguenot, est restée attachée
à ses traditions catholiques. Affaiblies par la Renaissance
et par la Réforme, elles reprennent une nouvelle vigueur
sous Louis XIII. C'est l'âge d'or de la charité
avec saint Vincent de Paul, saint François de Sales,
Mme de Chantai, Louise de Marillac, etc., des vertus sacer-
dotales avec de Rérulle et Olier, éducateurs du clergé ;
de l'héroïsme apostolique avec les généreux missionnaires
qui, nouveaux chevaliers, vont entreprendre de paci-
fiques croisades et conquérir à la foi catholique plus
d'âmes que la Réforme ne lui en a fait perdre. Par
réaction contre le siècle précédent, les mœurs ont même
une austérité dont l'excès sera le jansénisme, qui, en
éloignant l'homme des sacrements, favorisera singuliè-
rement les débordements du XVIII1' siècle.
Mais n'anticipons pas. A ce moment, « pour qu'il fût
bien manifeste que la prospérité de notre pays n'a pas
d'autre secret que sa fidélité à soutenir au milieu des na-
30
tions la cause de Jésus-Christ, on vit refleurir une ère in-
comparable de civilisation chrétienne et française. »
(France catholique). « Jamais l'essor du génie de la France
n'avait été marqué par un plus complet ensemble d'œuvres
imposantes. » (E. de la Gournerie). Le style est simple et
grandiose. Ce sont : le Luxembourg, la Sorbonne, le Palais-
Royal, de riches hôtels, des hospices et des hôpitaux, où
la plus haute société vient seconder les admirables Sœurs
de charité, des couvents, des églises ou chapelles — plus de
soixante à Paris. - L'illustre Compagnie de Jésus, qui
faisait alors reconstruire les siennes, propage un style imité
d'une ordonnance italienne et connu sous le nom de style
des Jésuites.
Une seule ombre à ce tableau: la destruction des châ-
teaux-forts, ordonnée par Richelieu. Impitoyable envers
la noblesse, dont il poursuit l'abaissement sans se rendre
compte qu'en plaçant le roi trop au-dessus d'elle, en
l'isolant de ses pairs, il en rend la chute plus facile, il ne
se borne pas à faire tomber des têtes, il fait démolir ces
forteresses grandioses, d'une grâce parfois bizarre, qui,
escaladant les collines, campées à pic au-dessus des pré-
cipices, chantaient la fière chanson de la croix et de l'épée.
Vandalisme impardonnable aux yeux de l'archéologue, du
peintre et du poète !
Voici venir la monarchie auguste de Louis XIV ! Le
Roi-Soleil! A ce seul mot, ne vous semble-t-il pas, Messieurs,
apercevoir , comme dans une apothéose , un pompeux
cortège de grands seigneurs et de grandes dames ,
empanachés, pomponnés, couverts de rubans et de dentelles,
accompagnant le monarque, qui descend lentement des
terrasses de Versailles et d'un pas majestueux parcourt
les jardins tracés par Le Nôtre , le seul en ce genre
qui ait laissé un nom en Europe. Jardins, d'ailleurs,
moins que salons en plein air. Il fut même question d'en
arracher les fleurs, les parfums déplaisant au roi, et, sottes
adulatrices, certaines femmes feignent de s'évanouir
— 31 —
à la vue d'une rose ! Mais quelle magie de perspective !
Par une large allée, le regard, se prolongeant sur des
pièces d'eau où se mirent de nobles statues de bronze,
se perd dans des lointains sans bornes. De l'autre côté,
c'est un palais d'un style simple, original, austère et noble
comme la poésie de Corneille ou la prose de Descartes;
car, à l'exemple dé Michel-Ange, Mansard a abandonné
la multiplicité des ordres et les minuties de la décoration.
Tout paraît large et ample comme le pouvoir.
Longtemps dédaigné, livré à l'abandon, Versailles a
repris pleine faveur. Vous connaissez le nom de M. de
Nolhac. Vous savez sans doute qu'une Société des A.mis de
Versailles s'est formée. Vous avez lu plus d'une poésie
consacrée à célébrer le charme évocateur et puissant de
cette royale demeure. Donc, je passe. La ville seule méri-
terait une visite avec ses hôtels somptueux, aux façades
sculptées, aux escaliers monumentaux, à l'aspect seigneu-
rial, qui se sont élevés subitement autour du palais.
Paris, de son côté, prit un caractère de splendeur incom-
parable : d'imposantes lignes de quais, de vastes espla-
nades, des places spacieuses, donnèrent l'espace et l'air
nécessaires aux belles perspectives. Que cette grandeur
ait un côté théâtral, je le veux bien. Louis XIV aimait
le théâtre au point d'y monter lui-même. Mais c'est encore
de la grandeur, et tout ce siècle est rempli par le dévelop-
pement des éléments de grandeur amassés par le Béarnais.
En un mot, c'est le grand siècle. « Paris, dit un célèbre
voyageur anglais, semble un anneau dont le Louvre ou
le palais du Roi serait le diamant, et je ne pense pas qu'il
y ait dans le monde entier une autre ville qui l'égale. . .
Partout les maisons sont élevées et majestueuses... On
a renoncé à la brique, encore en usage au commencement
du siècle. . . Cette noblesse a beaucoup de goût pour le
luxe digne d'approbation des bâtiments et des meubles. . .
J'ai vu, dit-il, dans une visite aux hôpitaux, des gens de
condition soigner eux-mêmes les malades. » (Voyage de Lister
à Paris.) En effet, la charité ne s'est pas ralentie sous le
Soc. Archéol. Nantes. 3
32
règne de Louis XIV. Pendant les années calamiteuses,
« les aumônes dont le clergé était le dispensateur éclairé
furent énormes, les ordres religieux firent partout les plus
généreux emploi des biens ecclésiastiques et, grâce à eux
surtout, les familles indigentes ne moururent pas de faim. »
(Paul Lacroix.)
L'importation du dôme fut la principale pour ne pas
dire la seule innovation en architecture religieuse. « S'il
rappelait un autre génie que le nôtre, il nous apparaissait
du moins comme un dernier souvenir de Dieu planant
sur nos villes. Le dôme du Val-de-Grâce marque magni-
fiquement sous ce rapport la jeunesse de Louis XIV; le
dôme des Invalides marque encore dignement ses derniers
jours. » (E. de la Gournerie).
Le roi mort, tout s'écroule. « Décadence dans les arts
comme dans les mœurs et dans la grandeur nationale »
(Baron de Wismes, le Maine et l'Anjou). Or, Diderot lui-
même en fait l'aveu, la religion est l'unique base de la
morale. Donc c'est elle qui recevra les premiers coups.
L'impiété est mise à la mode. Dans la maison de fous
d'Arusca, près de Naples, on a tressé les grillages en
forme d'herbages et de fleurs pour dissimuler aux
malheureux leur captivité. De même , les philosophes
épicuriens cherchent à faire oublier à la société qu'elle
a perdu la liberté chrétienne pour tomber sous l'esclavage
de ses passions, en lui peignant sous les couleurs les plus
séduisantes les horizons fictifs destinés à lui- masquer le
ciel. Ne sont-ce pas des fous aussi que ces hommes portant
ridicules ou pantins mécaniques dont ils s'amusent à tirer les
ficelles, juchés sur de hauts talons, coiffés de perruques à
marteau ; ces femmes aux visages cramoisis par le fard,
criblés de mouches aussi bizarres de formes que les signes du
zodiaque, aux oiffures hérissées, aux robes à paniers, aux
prétentieux falbalas ? «Sur leur front dur respirent l'égoïsme
et le mépris de Dieu, ils ont perdu la noblesse de l'habit et
la pureté du langage : on les prendrait, non pour les fils, mais
33
pour les baladins de la grande race qui les a précédés.
(Vicomte de Chateaubriand.) Ils sont tombés bien bas,
car l'orgueil est la porte de toutes les déchéances.
S'amusent-ils du moins? Ne le croyez pas. « On était si
prompt à s'ennuyer alors ! on bâillait si vite et si démesu-
rément qu'il fallait bien chercher à tuer l'ennui !...
C'est l'ennui qui tue Louis XV, qui l'oblige d'être toujours
en mouvement. » (Paul Lacroix). On bavarde, on badine,
on s'occupe à des riens : tapisserie, parfilage, découpures
coloriées, on lit des contes de fées, on lance même des cerfs-
volants, mais plus rarement, parce qu'on aime moins le
grand air que l'appartement. « Le vrai soleil, c'est la
clarté des bougies, et le plus beau ciel est un plafond peint »',
dit Taine. A force de se divertir, on ne s'amuse même
plus.
Au fond des vains plaisirs que j'appelle à mon aide,
J'éprouve un tel dégoût que je me sens mourir,
c'est le cri de tous les débauchés.
Etonnez-vous, après cela, de cet art nouveau, extraor-
dinaire , presque bouffon , qui ne mérite même plus
le nom d'art, car il manque à ses lois essentielles.
Le beau, en effet, a disparu pour faire place au joli, le joli
étant seul réalisable sans la foi; or le joli, en art, n'est que
la forme agréable du laid; le joli est éphémèr . exécrable, il
n'existe pas. Qu'est-ce que cet entortillage de lignes,
vagues, complexes, qui ne- sont ni positivement continues
ni positivement brisées, cette absence de toute forme, de
toute surface nettement définie ? C'est le rococo. La dé-
pravation du goût a suivi pas à pas celle des mœurs.
« Le style Louis XV, dit M. de la Gournerie, représente
la débauche de l'esprit comme Y Encyclopédie représentait
le dévergondage de la pensée. Qui ne reconnaît les monu-
ments des siècles de vive foi et les monuments des siècles
d'affaiblissement moral? Les uns vivants, parlants, comme
tout ce qui naît de l'inspiration, les autres bizarres et
froids, comme tout ce qui naît du caprice ou de l'étude.
— 34 —
A voir le XVIII*1 siècle on dirait une société prise de ver-
tige. » Oui, c'est un carnaval, mais funèbre comme une
danse macabre, où le rire sonne faux et masque mal les
misères du cœur !
Ecoutez cet autre cri plaintif du poète de l'Espoir en
Dieu, qui leur fait écho de l'autre côté du siècle :
Je souffre, il est trop tard; le monde s'est fait vieux.
Une immense espérance a traversé la terre;
Malgré nous vers le ciel il faut lever les yeux I
Cette société souffre, parce qu'il lui manque Dieu.
Mais telle qu'un malade, étouffant dans l'air vicié de
sa chambre, et n'ayant plus la force de se lever et
d'ouvrir les fenêtres, se retourne sur son lit pour trouver
du soulagement, à peine le nouveau règne commencé,
elle se jette d'un excès dans un autre. A la recherche suc-
cède la simplicité, oh ! une simplicité trop affectée pour
être sincère. L'impertinent silence -des lorgneurs et des
physionomistes est même plus irritant qu'un intarissable
babil; les grandes démonstrations, cris, larmes, pâmoisons,
rêveries, embrassades, ne procèdent d'aucun sentiment
vrai, mais sont les marques écœurantes d'une fade sen-
siblerie. Quant aux modes, elles ne sont pas moins extra-
vagantes, que dis-je? « les toilettes les plus outrées du
règne de Louis XV sont de la modération auprès de celles
qui parurent en 1776, 1777, 1778. » (Quicherat, Histoire
du costume en France).
Mais, du moins, la vertu peut se montrer en public sans
craindre le ridicule et sans être offusquée par la vue du
scandale. Et, s'il est vrai, comme le dit Dejaure dans
deux vers de Montano et Stéphanie, vers assez niais d'ail-
leurs et de français incorrect (c'est le blé qui lève, mais non
l'aurore, n'est-ce pas, M. Bazin ?)
Quand on fut toujours vertueux.
On aime à voir lever l'aurore,
35
on peut se faire une haute idée de l'état moral de cette
société, car jamais l'on ne s'éprit à ce point des spectacles
de la nature. La campagne, les prés fleuris, les petits oiseaux,
la vie sauvage, les forêts vierges, tout cela attendrit et
enthousiasme. On a tant vécu de l'existence artificielle
et sèche des salons que, par réaction toujours, on éprouve
le besoin de se mettre au vert. Vivent donc les fêtes cham-
pêtres, les bergeries, les pastorales, les goûters sur l'herbe!
On dirait des écoliers en vacances.
A Trianon, que le roi abandonne à Marie-Antoinette,
la jeune reine s'arrange un village dont l'aspect contraste
avec le parc élégant et sévère qu'il côtoie. C'en est fait
des jardins français avec leurs cascades, leurs statues,
leurs décorations raides et pompeuses. Vivent la fantaisie,
l'indépendance, cet aspect de demi-campagne qu'offrent
les jardins anglais; car l'anglomanie sévit intense, à ce
point que les élégants se coiffent des affreux petits chapeaux
empruntés par nos voisins à leurs palefreniers. Ne rions
pas. N'a-t-on pas vu la raie du pantalon adoptée, parce
qu'Edouard VII l'avait portée aux courses de Godwood?Or,
le roi, éclaboussé en s'y rendant, avait tout simplement
acheté un vêtement neuf au premier tailleur venu !
Le style atteint une pureté dont nons pouvons d'autant
mieux juger que plusieurs de nos monuments, dus àCeineray,
à Crucy et à leurs émules, et la plus grande partie de notre
ville, le quartier Graslin surtout, lui appartiennent, « Ange
Gabriel est le créateur de ce style Louis XVI qui permet
d'être noble en demeurant familier, qu'on a baptisé à
tort de transition ; il n'est pas transitif, c'est-à-dire en
décadence, il est, au contraire, à un point de perfection
si absolu qu'il peut satisfaire aux besoins les plus différents
et contenter tout le monde. » (Albert Flament, Ange
Gabriel.) Certes, les appartements sont spacieux et com-
modes et les façades offrent ce cachet de sobriété, de
simplicité et d'élégance qui constitue la vraie distinction.
Mais d'aucuns reprochent à ce style d'être un peu pauvre
et moi-même, tout plein d'admiration que je sois pour les
36
belles lignes de nos cours, je ne puis cependant les trouver
aussi amusantes que ces vieilles masures encore debout,
ces logis pittoresques qui inspirèrent à Sully -Prudhomme
la pièce célèbre qui commence ainsi :
Je n'aime pas les maisons neuves :
Leur visage est indifférent.
Les anciennes ont l'air de veuves
Qui se lamentent en pleurant.
Quant à Paris, «il se développa et s'embellit dans des
proportions merveilleuses... Et ce n'étaient pas seule-
ment des rues qui s'ouvraient, c'étaient des monuments
qui s'élevaient à tous les coins de la ville : les uns créés
pour le plaisir, les autres produits par ce besoin de piété
et d'intelligentes améliorations qui était dans le cœur
du roi. . . Jamais essor ne fut plus rapide, jamais grandes
et généreuses pensées ne trouvèrent plus d'interprètes. »
(E. de la Gournerie).
Louis XVI, en effet, ne chercha jamais que le bien du
peuple; et ce peuple, resté, non seulement dans les cam-
pagnes, mais à Paris même catholique et pratiquant,
ne cessait du matin au soir de faire entendre aux abords
du palais le cri de : Vive le Roi ! Pendant le rigoureux
hiver de 1784, Sa Majesté allait tous les soirs, à pied, dans
la neige, pour voir si on avait allumé dans la rue des
feux pour les indigents. Aussi, lorsque se font sentir les pre-
mières secousses d'une Révolution qui se couvre, dit
Taine : « des grands mots de liberté, justice, bonheur
public, dignité de l'homme, si beaux et en outre si vagues,
quelle intelligence peut en prévoir toutes les applications?
tous se rassurent, le gouvernement comme les hautes
classes, en songeant au bien qu'ils ont fait ou voulu faire.
Aucun gouvernement ne s'est montré plus doux, aucun
prince n'a été plus humain, plus charitable, plus préoc-
cupé des malheureux ; il est, après Turgot, l'homme de
son temps qui a le mieux aimé le peuple. »
Mais, depuis longtemps, le trône était miné par une
— 37 —
sourde propagande, à laquelle le jansénisme avait prêté
une aide inconsciente; cause indirecte de l'expulsion des
Jésuites, il avait privé l'Eglise de ses plus fermes soutiens :
Voltaire jette à bas tout ce qu'il voit debout.
La Révolution s'en prend à la religion et à la
rovauté d'abord, ensuite à la famille, qu'elle sape par
le divorce, puis à la propriété, qu'elle supprime par la
confiscation, enfin à la liberté, qu'elle ruine par une vaste
machine de centralisation administrative, dont il suffit
de tenir le moteur pour être maître de la nation et la
broyer dans les engrenages.
Il pleut, il pleut, bergère,
Ramène tes moutons,
fredonne Marie- Antoinette dans les parages de Trianon.
Oui, ramène-les bien vite, ô Reine, car il pleut !.. . il
pleut du sang, il en tombe de larges gouttes, qui vont ruis-
seler sur la France et la rendront un objet d'épouvante
et d'horreur pour l'univers.
« Après les sophistes viennent les bourreaux », a dit
Donoso Cortès. Viennent aussi les démolisseurs. Les têtes
tombent, mais les monuments tombent aussi, et, jusqu'en
ses destructions , la France nous offre l'image d'une
surprenante concordance entre son histoire et son archi-
tecture. Ruines religieuses, morales, sociales, d'un côté :
de l'autre, ruines matérielles. La prise de la Bastille arrête
net toute construction. Il semble que l'on soit revenu à
la veille de l'an mille. Louis XV a-t-il, dans un instant
d'ivresse ou d'oubli, prononcé cette parole qui, si elle
était sérieuse, serait la plus abominable trahison envers
le principe monarchique : « Après nous la fin du monde » ?
J'en doute; mais, en vérité, tout paraît devoir sombrer
dans un effroyable cataclysme.
Et la France, cette fois, ne se trompe guère. Au lieu
des vaines terreurs, elle subit la vraie Terreur, celle qui
n'épargne ni rang, ni âge, ni sexe, et se déchaîne en par-
— 38 -
ticulier sur noire malheureuse ville de Nantes dans toute
sa tragique horreur : d'un côté , périssent 800. 000 vic-
times ; de l'autre, 2.500 maisons religieuses, dont un
grand nombre étaient des édifices gothiques admirable-
ment conservés; 40.000 églises, la plupart très précieuses;
les palais royaux, les châteaux, les hôtels les plus fameux
et les plus magnifiques, sont confisqués par l'Etat, qui les
mutile, les abat, les loue ou vend à vil prix, ou les laisse
dans un tel abandon que Napoléon dut consacrer des
sommes énormes rien que pour la restauration du Louvre
et des Tuileries. « Il n'est pas une des rues de Paris qui ne
porte la trace de cette hideuse époque » , dit M. de la
Gournerie. Sous la Terreur, on y comptait 6.000 hôtels
vides, et, dans les provinces, les villes étaient à moitié
désertes.
Tel est, Messieurs, le bilan de la Révolution au point
de vue architectural : c'est un passif de faillite. Comme
actif, qu'a-t-elle à nous offrir ? Rien. Oh ! elle tenta,
je ne l'ignore pas, de revivifier l'art païen de la Grèce
et ne se fit pas faute d'ouvrir concours sur concours.
Seulement « les jeunes architectes, en cherchant à faire
du neuf, du grandiose et de l'extraordinaire, tombèrent
dans l'extravagant et dans le ridicule; mais, par bonheur,
aucune de leurs monstrueuses créations ne fut exécutée ».
(Paul Lacroix).
La Révolution s'était déclarée pour l'art grec ; Napoléon
fut romain. Paris vit les deux Rome : Rome chrétienne
et Rome païenne. La Rome des Papes apparut dans la
personne du doux et pieux Pontife qui vint sacrer le nou-
veau Charlemagne, après la signature du Concordat. La
Rome impériale sembla renaître dans ces édifices d'utilité
publique, ces fontaines, ces arcs de triomphe, ces temples
même, dont la pénurie du trésor et la fréquence des guerres
réduisirent heureusement le nombre, car tous sont conçus
dans ce style, noble et harmonieux, je le veux bien, mais
froid, académique, qui caractérise l'art du premier Empire.
— 39 —
Si l'on s'écarte de la copie de l'antique, c'est par les
dimensions : la colonne Trajane et l'arc de Constantin le
cèdent, sous ce rapport, à la colonne Vendôme et à l'arc
de l'Etoile. Il faut du colossal, car Napoléon, comme
Charlemagne, est un colosse. Il est si grand que l'épithète
même semble petite pour lui et qu'on dit tout simplement;
Napoléon. A mille ans de distance, il s'est trouvé, aussi
lui, en face du chaos. Mais de sa forte et puissante main
il endigue, ou mieux il canalise, le torrent révolutionnaire,
en associant le granit monarchique au moellon républicain.
La réaction, du reste, est prompte et stupéfiante. Sur
207 régicides, tous, sauf cinq — les cinq de l'Empire —
se rallient à un gouvernement infiniment plus autocra-
tique que la Monarchie débonnaire supprimée par eux;
36 deviennent membres de la nouvelle noblesse : 10 comtes,
15 barons et 10 chevaliers. Quant à Fouché, on lui prête
ce mot plutôt drôle : « Duc d'Otrante, me dit un jour
Robespierre. . . »
Le grand fleuve de la vie catholique a donc repris son
cours, mais il charrie encore l'impur limon qu'y ont mêlé
les débordements du dernier siècle. Aussi l'architecture
de la Restauration ne parvient-elle pas à sortir de cet état
de marasme à laquelle elle est condamnée lorsque nulle
inspiration ne lui vient du ciel.
Mais elle va venir, cette inspiration, sous l'influence
du génie de Chateaubriand :
Quand, doutant s'il croyait encore,
Le dernier siècle, à son aurore,
Restait sarcastique, incroyant,
Jetant bas l'œuvre de Voltaire,
Qui donc, prenant la croix à terre,
La releva ? Chateaubriand !
« Chateaubriand, disait M. Le Meignen, dans son dernier
discours présidentiel, c'est le grand croyant qui, portant
un coup mortel aux décevantes doctrines des philosophes
40
du XVIIIe siècle, »■ vengeait le christianisme des sol! es
plaisanteries et des calomnies de Voltaire et de sa séquelle »
(Brunetière), faisait refleurir la foi et l'espérance dans le
cœur desséché de ses lecteurs et remplissait les églises
d'une foule que la prose charmeuse du Génie du Chris-
tianisme préparait à recevoir plus tard les leçons plus
sévères d'un Frayssinous, d'un Bonald ou d'un de Maistre. »
« Sous l'influence du génie de Chateaubriand, écrivait
mon père sous le second Empire , on revient à l'étude
des monuments de la monarchie, la vogue tourne de ce
côté, elle dure encore. »
De son côté, Victor Hugo affirme, en 1825, que les
cathédrales sont de grands livres de pierre où toute la
pensée du moyen âge est écrite et où il faut de nouveau
apprendre à lire. Il proteste avec indignation contre
« tous les genres de dégradation, de profanation et de
ruine qui menacent à la fois le peu qui nous reste de ces
admirables monuments du moyen âge, où s'est imprimée
la vieille gloire nationale, auxquels s'attachent à la fois
la mémoire des rois et la tradition du peuple «, sans parler
de leur valeur vénale. L'église de Brou, par exemple,
représenterait aujourd'hui 150.000 millions. « Il ne faut
pas plus de trois jours et de trois cents francs pour la
jeter bas. Et puis un louable regret s'emparerait de nous;
nous voudrions reconstruire ces prodigieux édifices que
nous ne le pourrions. Nous n'avons plus le génie de ces
siècles. L'industrie a remplacé l'art. » (Littérature et Phi-
losophie mêlées.)
Et croyez-vous , Messieurs , que nous le pourrions
davantage aujourd'hui? « Vous diriez à un de nos archi-
tectes actuels : « Voici cent millions : faites-moi la rosace
méridionale de Notre-Dame de Paris, ou la septentrionale,
à votre choix » ; et aucun d'eux ne pourrait la faire. En
fer, oui, peut-être, mais en pierre, jamais ! Nous ne sommes
plus assez forts. » Voilà ce qu'écrivait récemment Jean
Rameau, qui citait à l'appui des faits tels que la flèche
d'Amiens, rognée à chaque restauration par les architectes
— 41 —
diocésains, qui ne peuvent ou n'osent aller si haut : elle
est descendue de 125 à 115 mètres; les échafaudages qui,
depuis un demi-siècle, défigurent la Sainte-Chapelle, bâtie
en cinq ans seulement sous saint Louis; en un mot cer-
tains effets de ce faux et décevant progrès moderne, qui
devraient nous faire humblement baisser la tête en con-
templant nos devanciers.
En 1832, Victor Hugo reprit une virulente offensive
et livra à la risée publique les conseillers municipaux de
Laon, qui, mettant en commun tout ce qu'ils savaient
de grands mots : la féodalité, la dîme, la corvée, les prêtres,
les nobles, les jésuites, etc., jargonnent, croassent, déli-
bèrent, grotesque sanhédrin qui vote avec enthousiasme
la démolition de la tour de Louis d'Outremer, pour en
faire un marché. « Et la ville a payé pour cela ! on lui
a volé sa couronne, et elle a payé le voleur ! »
Hélas! Messieurs, je le dis avec une amertume profonde,
malgré les efforts de notre Société, malgré la lettre de
mon père au Maire de Nantes (publiée par V Espérance
du Peuple du 7 février 1865), je rappelle toujours ce sou-
venir avec une légitime fierté, on a jeté bas la chapelle
Saint-Thomas, presque l'unique débris de notre ancienne
Collégiale, « une des perles les plus pures, les plus exquises de
notre écrin monumental...» « Monsieur le Maire, disait-il en
finissant, c'est non pour détruire nos vieux édifices, nos
chefs-d'œuvre artistiques . mais au contraire pour les
conserver avec une jalouse sollicitude qu'on vous a confié
la haute place que vous occupez dans notre cité. » Pareil
malheur ne nous menace certainement pas maintenant,
Messieurs, du moins de la part de la municipalité. Mais,
si, dans l'avenir, le vandalisme voulait s'attaquer à quel-
qu'un de nos rares monuments, vous vous lèveriez tous
comme un seul homme pour jeter cà la face des misérables
assez dénaturés pour mutiler leur propre patrie le cri
de notre regretté Parenteau : « Les peuples qui ne res-
pectent pas leur passé n'ont plus d'avenir. » C'est que
« le passé, ajouterai-je avec Victor Hugo, est une partie
— 42 —
de nous-mêmes, la plus essentielle peut-être. Tout le flot
qui nous porle, toute la sève qui nous vivifie vient du
passé. Qu'est-ce qu'un arbre sans ses racines ? Qu'est-ce
qu'un fleuve sans sa source? Qu'est-ce qu'un peuple sans
son passé ? »
O Français ! respectons ces restes !
Le ciel bénit les fils pieux
Qui gardent, dans les jours funestes,
L'héritage de leurs aïeux.
(La Bande noire).
Avec Chateaubriand et Victor Hugo, le comte de Mon-
talembert, de Caumont, A. Thierry, Quicherat, Viollet-
le-Duc, Lassus, etc., luttèrent avec un courage inlassable
pour ramener l'admiration sur nos styles nationaux, que,
depuis la Renaissance, on traitait de barbares. Bientôt,
dans les villes et dans les campagnes, il n'y eut plus un
curé qui ne rêvât d'une église romane ou gothique. Ouvrez
notre Bulletin et vous trouverez de nombreuses discussions
sur ce sujet. Un des membres les plus illustres de notre
Compagnie, MgrFournier, notre ancien président d'honneur,
dont le buste semble toujours présider à nos réunions,
« fit encore flamboyer les ogives, unissant leurs arceaux
comme de grandes mains jointes pour la prière. »
(Chanoine Cahour). bit toutes nos églises, à l'exception,
bien entendu, de notre chère vieille Cathédrale et de
Sainte-Croix, ont été rebâties à partir de Louis-Phihppe.
Sous son règne, l'architecture civile atteignit une per-
fection technique qui depuis n'a fait que s'accentuer
et à laquelle je rends le plus complet hommage; mais ce
n'est là que de l'industrie, du métier, de la main-d'œuvre.
L'inspiration manque, et le pêle-mêle des styles que l'on
essaie de reproduire avec plus ou moins de bonheur est
l'image du pêle-mêle des idées et des croyances : classiques
et romantiques, doctrinaires et libéraux, etc.
Sous l'Empire, l'Ecole des beaux- arts fit prévaloir
une sorte de style antique accommodé à la moderne,
appelé le néo-grec. Mièvre, sec, affreux, il a contribué à
— 43 -
défigurer Paris. Seul, Garnier le dota d'une œuvre magni-
fique: l'Opéra; mais le pauvre homme ne prévoyait guère
qu'à ses amis, allant solliciter du Ministère un secours
pour ses obsèques, un secrétaire répondrait avec dédain :
« Encore si c'était pour un peintre... Mais un architecte ! »
L'Etat finit cependant par accorder... 500 francs !
Et depuis lors ? Il suffit d'ouvrir un journal pour en-
tendre des lamentations presque quotidiennes sur « cette
incroyable dévastation de Paris, cet enlaidissement
volontaire, cette haine pour tout ce qui rappelle les tradi-
tions et les souvenirs du passé. Ce qui s'écroule devant
nous, c'est le décor même de la vie française, c'est tout
ce qui était de la grâce et de la magnificence, tout ce qui
était aussi l'histoire de Paris, ce qui était la raison d'être
de la France. » (Edouard Drumont). Aussi avec quelle
satisfaction mêlée de regret les habitants virent-ils le
vieux Paris ressuscité à l'Exposition de 1900! C'est à
cette fameuse foire universelle que se trouvait le Manoir
à l'envers, par lequel un humoriste avait sans doute voulu
symboliser l'époque où commence à se réaliser l'utopie
de Dupont, vous savez, le Dupont de Musset, qui confie
à son camarade Durand ses projets mirifiques pour l'avenir
de l'humanité :
L'univers, mon ami, sera bouleversé.
On ne verra plus rien qui ressemble au passé ;
Les plus vieux ennemis se réconcilieront,
Le Russe avec le Turc, l'Anglais avec la France?
L'entente cordiale!...??
J'abolis la famille et romps le mariage.
Nous y sommes, ou presque.
Sur deux rayons de fer un chemin magnifique,
De Paris à Pékin, ceindra ma république.
Là, cent peuples divers, confondant leur jargon,
Feront une Babel d'un colossal wagon.
Le Transsibérien, la confusion des langues au pied d'une
— 44 -
tour dont le nom rime avec Babel, mais c'est tout à fait
cela, n'est-il pas vrai ?
Arrivé à notre époque, Messieurs, je devrais peut-être
m'arrêter. Mais qu'entends-je chuchoter à mes oreilles ?
« La diversité des formes est poussée jusqu'à l'incohé-
rence »; c'est M. Fourcaud qui parle de l'Exposition. « En
ce moment, il n'y a rien, nous sommes dans l'incohérence »;
c'est M. Rodin, interviewé par un journaliste. Et voici
que ce mot d'incohérence tombe de la tribune, martelé
et sec, pour caractériser la situation politique. Et je ne
saisirais pas l'occasion de vous faire toucher du doigt
jusqu'au bout la vérité du principe que j'ai posé en com-
mençant !
Incohérent, en effet, cet amalgame de styles, déformés
comme les visages en certains miroirs; ce salmigondis
de formes qui n'a de nom dans aucune langue et que tra-
duit seul un mot d'argot : le maboulisme. Le style maboul,
Messieurs, s'étend avec une prodigieuse rapidité, surtout
le long de certaines plages ; . il croît, il progresse, il
grandira... quoiqu'il ne soit pas espagnol ; chinois ? bava-
rois ? peut-être...; mais non, il est maboul, il est lui-
même, et c'est quelque chose, savez-vous, Messieurs, que
d'être soi !
Ah I laissez-moi rire pour ne pas avoir à pleurer, car au
regret de ce qui tombe s'ajoute la douleur de ce qui s'élève;
au chagrin de ne plus être les rois de l'architecture, la
peine d'en être les arlequins !
Eh bien, non, il ne faut pas pleurer ! Car, en architec-
ture comme en religion et en politique, il y a des tradi-
tionalistes. J'en compte bon nombre dans cette assemblée.
Je ne les nommerai pas, pour épargner leur modestie :
le vrai talent est toujours modeste. Mais vous m'en vou-
driez de ne pas évoquer ici la patriarcale figure de l'un de
nos chers défunts, dont la vie se lie à l'histoire de notre ville;
de l'un de nos fondateurs, du premier président de cette
Société, qu'il dirigea pendant dix-sept ans et dont il devint
45
le président d'honneur; de cet homme enfin qui mourut,
laissant aux siens, dit M. Emile Gautier, «des exemples
d'une vie sans tache, des souvenirs constants d'honneur,
de loyauté, de vertus chrétiennes»; exemples si pieuse-
ment suivis par ceux qui le prolongent parmi nous : j'ai
nommé M. Nau, dont le fils, notre ancien vice-président,
est aujourd'hui président de la Société des Architectes,
et dont le petit-fils suit brillamment la carrière des
siens.
M. Nau était de ces hommes convaincus, comme Cousin,
que : « Ou bien toute religion périra dans le monde, ou le
christianisme durera, car il n'est pas possible à la pensée
de concevoir une religion plus parfaite... Artistes du
XIXe siècle, ne désespérez pas de Dieu ni de vous-mêmes, »
ajoutait le grand philosophe spiritualiste.
Artistes du XXe siècle, ayez confiance. Une renaissance
chrétienne se prépare, j'en ai la conviction. Que sera-
t-elle ? Consacrée à la Sainte Vierge ? comme le conseille
l'abbé Maynard, qui engage la France à prendre en archi-
tecture une noble revanche de la poésie. Peut-être. En tout
cas, nous voyons se dessiner un mouvement nouveau en
faveur de nos styles nationaux. Nous n'en avons pas été
les initiateurs. C'est la Belgique, ce pays si petit par le
territoire, si grand par sa foi, son cœur et son intelligence,
qui, la première, a donné l'exemple en créant les Académies
de Saint-Luc. Successivement l'Angleterre, l'Allemagne,
la Hollande, la Suède, l'Autriche, etc., l'ont imitée. La
France s'est émue à son tour. Sans se soucier de son pré-
nom, M. Maiius Vachon en veut aux Romains, comme aux
Grecs d'ailleurs , qui accaparent depuis trop longtemps
les jeunes intelligences et encombrent nos écoles régionales.
Un rapport de réminent critique a fait du bruit... et du
bien, à la fois, chose rare. De grandes cités, comme Lyon,
Rouen, Lille, etc., ont introduit dans leur enseignement
nos styles nationaux. Nantes pourrait-elle rester en arrière,
je vous le demande, elle, la capitale d'une province où le
gothique a produit une si riche floraison ? Je ne le pense
46
pas. A l'œuvre donc, mes chers confrères, vous dont la
mission est de faire aimer et revivre le passé !
*
* *
J'ai fini, Messieurs. Un mot encore cependant. Ce matin,
j'admirais le lever du soleil sur les rives de la Loire. Un
ciel rouge et vert faisait rouge et verte l'eau de notre
vieux fleuve, où se miraient les maisons du quai Malakoff,
tandis qu'en gros panaches violets s'échappait lourdement
la fumée des locomotives. L'aube naissait à peine , et
déjà je me disais: la journée sera belle. Est-ce qu'à l'aurore
de ce nouveau triennat, nous ne pouvons pas, de même,
prédire que le brillant soleil du succès l'éclairera? J'en ai
pour garant la présence de l'évêque vénéré qui a tenu à
venir lui-même remettre la médaille d'or à M. le chanoine
Durville, celle du maire éminent qui nous donne une preuve
plus sensible des sympathies qu'il nous a maintes fois té-
moignées, celle des présidents des Sociétés avec lesquelles
la nôtre entretient des rapports empreints de courtoisie
et d'amabilité, ]es sincères regrets qu'a bien voulu me
manifester M. Jamin de ne pouvoir se trouver ici, ce soir,
pour représenter le Conseil général.
Aussi le dernier usage que je ferai de mes prérogatives
sera, Messieurs, d'être l'interprète de votre reconnaissance
envers ces hôtes éminents pour avoir daigné donner à
notre séance d'installation une solennité inaccoutumée.
A vous, mes bons et aimables confrères, j'adresse un
cordial merci et je vous prie de recevoir les vœux que
forme pour notre chère Société celui qui eut le très grand
honneur d'être son président et qui restera le plus dévoué
de ses amis.
ALLOCUTION DE M. DORTEL
PRÉSIDENT ÉLU
Monseigneur,
Monsieur le Maire,
Mes chers Collègues,
Ma première pensée et mon premier devoir sont de
vous exprimer toute ma gratitude pour le très grand
honneur que vous m'avez fait en m'appelant à la prési-
dence de notre Société.
Ce ne sont ni mes travaux, ni mes connaissances
archéologiques que vous avez tenu à récompenser, mais
plutôt mon assiduité, sinon mon exactitude à vos
séances.
Il y aura bientôt 20 ans quand notre regretté trésorier,
M. Riardant, qui connaissait mes goûts pour l'archéolo-
gie, me parla de faire partie de notre Compagnie. J'hési-
tai, comprenant et sachant bien que je n'aurais point le
temps de vous donner une collaboration féconde et utile.
Je me souviens encore, comme si ces souvenirs da-
taient d'hier, de cette première séance où j'assistais,
tout confus, dans un coin de notre petite salle de l'Ora-
toire, aux communications de nos collègues dont plu-
sieurs sont disparus aujourd'hui.
Vingt ans ! Et me voici à la tête de notre Société qui
n'a jamais été plus prospère et plus brillante, grâce à
vous tous, mes chers collègues, grâce à l'impulsion si
ferme et si éclairée qu'a su lui donner mon excellent ami
et président, M. le baron de Wismes.
J'assume une lourde tâche en acceptant votre
succession, mon cher Président, car sans vouloir faire ici
un éloge qui est sur toutes les lèvres et que votre modes-
Soc. Archéol. Nantes. 4
— 48 —
lie ne me pardonnerait pas, je puis dire que depuis 3 ans,
depuis six ans plutôt, toutes. vos pensées, tous vos aetes
n'ont eu d'autre but que de contribuer à la prospérité de
notre Société.
Votre affection quasi-filiale pour elle n'a eu d'égale
que votre zèle et votre activité.
.le suis l'interprète de tous mes collègues en vous
disant : Vous avez élé le digne continuateur de votre
regretté père, qui a 'laissé dans noire .Société un souvenir
inoubliable et dont le nom était synonyme de science,
esprit, talent.
J'aurais certainement hésité à accepter ce redoutable
honneur si je n'avais pas eu pour me seconder les deux
excellents Vice-Présidents : MM. Leroux et Gaétan de
Wismes que vous avez nommés.
M. Aleide Leroux n'est pas seulement un poète délicat,
c'est encore un archéologue distingué. Après avoir rempli
pendant plusieurs années le poste important de secré-
taire-général, il s'était retiré dans un coin de sa chère
Bretagne qu'il ne s'est pas contenté de chanter en des
vers exquis, mais qu'il a fouillée pour arracher à son sol
les secrets de son passé. De cet exil volontaire et fécond,
il nous a rapporté sa belle étude sur les ruines gallo-
romaines de Langonnet, aussi magistralement écrite que
fortement documentée.
Mon excellent ami de plus de 25 ans, M. Gaétan de
Wismes, qui, très modestement, et pour des raisons dont
chacun avait pu apprécier la délicatesse, avait tenu à
rester simple secrétaire du Comité, vient occuper une
place à laquelle le désignaient depuis longtemps ses
connaissances archéologiques et sa collaboration assidue
et fructueuse. Il me remplace comme Président de la
Société académique. Je me réjouis de ces deux distinc-
tions qui vont et doivent resserrer de plus en plus les
liens qui unissent nos deux vieilles Sociétés nantaises.
Quel meilleur éloge pourrai-je faire de M. le Docteur
Halgan, que de vous rappeler la distinction dont ses collé-
49
gués de la Société de Géographie commerciale viennent
de l'honorer, en l'appelant à succéder à M. Doby, un
secrétaire général modèle et qui semblait irremplaçable
(pardonnez-moi ce mot barbare).
Il sera admirablement secondé dans la lourde et par-
fois ingrate tâche de Secrétaire général par M. Léon De-
lâttre qui, bien que récemment entré dans notre Société,
nous a déjà montré tout ce qu'on peut attendre de son
érudition et de son savoir. Sa communication sur le
voyage des Ambassadeurs Siamois à Nantes, écrite d'un
style alerte, est une des meilleures études qui aient été
publiées sur l'histoire anecdotique de notre ville.
M. Houdet a tenu très modestement, trop modeste-
ment à rester au secrétariat du Comité ; qu'il reçoive ici
tous nos remerciements.
Il aura pour collaborateur un de nos plus jeunes et de
nos plus érudits collègues. M. Joseph Angot, à un âge où
l'on prépare encore sa voie, a déjà un bagage littéraire et
archéologique considérable qui dénote non seulement
une somme énorme de travail et de recherches, une
intelligence rare et singulièrement affinée. Littérature,
critique, beaux-arts, musique, poésie, M. Angot a tout
embrassé avec un égal succès. Ne devons-nous pas être
fiers de voir l'illustre maître Léopold Delisle, dont l'Aca-
démie célébrait hier l'apothéose, préfacier le travail de
M. Angot sur le Missel de Barbechat paru dans notre
bulletin.
Mes excellents collègues et amis, MM. Pied, Pouvreau
Soullard et commandant Lagrée ont bien voulu conserver
les fonctions qu'ils remplissent depuis plusieurs années
avec tant de zèle et de dévouement. Fonctions modestes
mais importantes, s'il en fut, pour la vitalité de notre
Société. La reconnaissance de leurs collègues ne leur est
point ménagée et l'unanimité des suffrages exprimés sur
leurs noms aux dernières élections en est le meilleur et
le plus éclatant témoignage.
Sur cette joie, mêlée d'un certain orgueil, de me voir
50
entouré de si précieux collaborateurs, se glisse pourtant
une ombre de tristesse. .J'aurais souhaité voir M. Senot
de Londe rester à la Vice-Présidence en attendant les
plus hautes fonctions qui lui étaient destinées non pas
cette fois, comme pour moi, par rang d'ancienneté, mais
uniquement par son mérite et par ses travaux.
Il a tenu, suivant sa propre expression, à rentrer dans
le rang. Que dans cette retraite volontaire et momenta-
née, il sache bien qu'il emporte tous nos regrets.
Quant à moi, vous m'excuserez et me pardonnerez si
quelquefois, souvent même je vous entretiens, non pas
de mes travaux personnels, mais des récentes découvertes
préhistoriques et du mouvement scientifique qui s'o-
riente chaque jour de plus en plus vers la préhistoire.
Il y a 80 ans à peine, lorsque Boucher de Perthes, dans
les bases du diluvium des environs d'Abbeville, découvrit
les premiers silex taillés, mêlés à des ossements d'ani-
maux disparus, vous vous souvenez des objections que
ces découvertes soulevèrent dans le monde savant, des
luttes qu'il eut à soutenir contre Elie de Beaumont ,
contre sa famille elle-même, qui, à sa mort, en 1868,
fit mettre au pilon « Les Antiquités Celtiques et Antédilu-
viennes », fruit de 40 années d'études. Boucher de Perthes
a attendu 40 ans le monument qui était bien dû à son
génie; et ce n'est qu'au mois de novembre dernier qu'on
a, sans bruit et sans fanfare, sans sous-secrétaire d'Etat
et sans ministres, inauguré à Abbeville la statue de cet
initiateur, si combattu et si discuté de son temps.
Depuis, la science a marché, la contemporanéité de
l'homme avec les grands animaux disparus ne se discute
plus. Bien queles débris humains trouvés jusqu'à ce jour
dans les terrains quaternaires inférieurs soient très discu-
tables comme authenticité, la question de l'homme qua-
ternaire est aujourd'hui résolue.
Il n'en est pas de même de l'homme tertiaire. Depuis
les fouilles pratiquées à Pontlevoy, près de Thenay, où
l'abbé Bourgeois découvrit dans le miocène inférieur des
— 51 —
silex qu'il soutint avoir été intentionnellement taillés, la
discussion de l'existence de l'homme tertiaire a été reprise.
En 1892 et 1893, un médecin hollandais, en mission à
Java, découvrit dans un terrain pliocène, des ossements
qui semblaient appartenir à un grand singe anthropo-
morphe. Cette découverte nous valut, à l'Exposition de
1900, la reconstitution, plus amusante que scientifique,
du Pithecanthropus erectus — sorte d'intermédiaire
entre le singe et l'homme Un officier d'avenir dans
l'armée des singes, suivant l'expression pittoresque
d'Edmond About.
A l'heure actuelle, aucun squelette fossile n'a été
trouvé en place dans des terrains tertiaires.
Quant aux fameux silex de l'abbé Bourgeois, toute
une école nouvelle s'efforce aujourd'hui de voir en eux
des silex non taillés mais utilisés par l'homme ou son
précurseur. Cette thèse, défendue avec un très réel talent
par M. Rutot, vient d'être réfutée victorieusement par
M. de Lapparent qui, à Guerville, près de Mantes, a
découvert, dans une usine à ciments, des milliers de silex
semblables à ceux de Thenay et qui ne sont que les dé-
chets de la craie employée.
Nous pouvons donc dire avec M. Louis Lartet : « Dans
« l'état actuel de nos connaissances, on n'a aucune raison
« sérieuse de rejeter a priori la notion de l'existence de
« l'homme pendant le pliocène ; mais de là à croire que
« cette existence est démontrée, il y a loin. Jusqu'à pré-
« sent, on n'a pu produire que de vagues indices et aucun
« fait concluant n'est venu à l'appui de cette présomp-
« tion. »
Il en est autrement de l'homme quaternaire, car si l'on
peut conserver quelques doutes sur l'authenticité des
crânes de Moulin-Quignon, de Cannstadt, de Nlander-
taldt, il est certain que les instruments découverts dans
le diluvium à Abbeville, à Chelles, à Saint-Acheul, sont
bien le produit de l'industrie humaine, les premiers
essais de cette industrie.
— 52 —
Quels sont ces hommes qui ont taillé ces premiers silex ?
D'où viennent -ils ? Mystère obscur. Ce qu'il y a de cer-
tain, c'est qu'ils ont assisté aux premières convulsions
de l'époque quaternaire, à l'extension des glaciers et
aux dernières éruptions du plateau central.
Cette industrie, dont nous retrouvons des traces, grâce
aux recherches de notre distingué conservateur, M. de
Lisle, dans plusieurs stations de la Loire-Inférieure : à
Monlbert, à la Haie-Fouassière, à Saint-Herblain, est
une industrie rudimentaire et bien primitive. La
hache taillée sur ses deux faces, sorte de coup de poing,
n'a jamais dû être emmanchée, elle se tenait à la main,
outil, arme défensive et offensive, elle affectait toujours
la même forme.
On la rencontre partout, au même niveau, dans les
alluvions quaternaires, aussi bien en France qu'en
Amérique, en Afrique, en Espagne, en Italie, en Algérie,
en Judée, jusqu'en Egypte , grâce aux fouilles métho-
diques et consciencieuses de M. Morgan.
A quoi doit-on attribuer cette similitude de taille et de
procédé de fabrication ? Peut-on soutenir que tous ces
tailleurs de silex disséminés aux quatre coins du monde
appartenaient à la même race, à la même souche, et ne
doit-on pas plutôt rechercher la raison de cette confor-
mité dans les nécessités même de l'existence, dans le
besoin naturel de se défendre, de vivre, de se nourrir et
de se vêtir.
L'homme de cette époque, que l'on a appelée
acheuléenne ou chelléenne, n'habitait point encore les
grottes envahies sans doute par les fleuves débordés, il
devait vivre sur les plateaux, dans les plaines, le long
des cours d'eau où l'on retrouve aujourd'hui les traces
de cette très primitive industrie.
Après cette époque de transition caractérisée par un
climat doux et humide, la calotte de neiges qui couvrait
le sommet des montagnes fondit, les glaciers prirent
une extension considérable.
— 53 —
Ces phénomènes constatés par les découvertes
géologiques, eurent comme résultat d'abaisser consi-
dérablement la température, et l'homme dut recher-
cher clans les cavernes et sous les rochers un abri contre
le froid et contre les animaux féroces. Il dut également
modifier son outillage. A la hache grossière qui n'était
autre chose qu'un caillou taillé sur les deux faces,
l'homme moustérien substitua la hache taillée sur une
seule face, sorte de pointe destinée à être fixée au
bout d'un épieu. On voit apparaître les premiers outils,
le poinçon, la scie, le râcloir, destiné sans doute à pré-
parer les peaux dont il se vêtissait.
L'homme, suivant l'expression de Franklin, est
l'être qui a fabriqué des outils; aussi le voyons nous
modifier continuellement son outillage, le rendre plus
pratique, l'adapter à ses besoins, aux exigences de
la vie.
A Solutré, qui marque la troisième étape dans nos
annales préhistoriques, les instruments sont plus soignés ;
c'est l'apogée en quelque sorte de la taille du silex, et les
merveilleuses haches en feuilles de laurier, si caractéris-
tiques de cette station, nous montrent à quel degré
d'habileté, on ne peut pas dire de civilisation, l'homme
quartenaire était arrivé.
A côté de ces bijoux, dont la fragilité même enveloppe
de mystère leur destination, nous rencontrons la points
à cran dont la blessure devait être terrible, les poinçons,
les scies, les râcloirs, tout un outillage pratique et
perfectionné.
Cette station de Solutré, qui donne son nom à cette
période est, vous le savez, située près de Mâcon, au pied
d'un escarpement. Fouillée depuis plusieurs années,
étudiée avec soin par le docteur Arcelin et l'abbé
Ducrost, elle n'a point encore livré tous ses secrets, et
l'amoncellement des os de chevaux (on l'évalue à plus
de 40.000 individus), qui forment une véritable muraille
autour de cette station n'a point encore été expliqué.
— 54 —
Nous voici parvenus à la dernière étape de la période
préhistorique qui se distingue par une manifestation
artistique dont, chaque jour, de nouvelles découvertes
permettent d'étudier la merveilleuse esthétique et le
développement considérable.
Le climat, déjà, s'était considérablement refroidi,
détruisant les forêts, donnait à notre pays l'aspect des
steppes sibériennes.
L'homme éprouva plus que jamais le besoin de cher-
cher dans de profondes cavernes un refuge contre les
intempéries et les frimas. Quelquefois, ces grottes
n'étaient que de simples abris, tels : Cro.-Magnon,
La Madeleine, qui a donné son nom à cette période.
La taille du silex, si perfectionnée à Solutré, est ici
moins soignée. L'homme magdalénien utilise d'autres
matières pour la confection de ses outils et n'emploie
plus la pierre que pour créer ce nouvel outillage auquel
il va apporter tous ses soins.
Dans le travail de l'os, devenu sa préoccupation domi-
nante, il atteint d'un seul coup la perfection même.
Un des plus jolis outils de cette époque est l'aiguille
à chas — supérieure suivant de Mortillet à celles
mêmes qu'on fabriquait à l'époque de la Renaissance,
et telles que jamais les Romains n'en ont fabriqué de
semblables.
A côté de ces merveilles, œuvres de patience et d'habi-
tude, les sagaies, les harpons en os garnis de barbelures
fines et savamment combinées, les poignards élégam-
ment sculptés, les spatules, les bâtons à trous qui ont
donné lieu à tant de controverses, indiquent à quel point
de civilisation étaient parvenus nos ancêtres quater-
naires.
Solutré avait créé des guerriers, la Madeleine créa
des artistes. Ce qui caractérise en effet cette étape,
c'est le sentiment artistique qui, brusquement, fait son
apparition.
Les plaques d'ivoire, les os des cervidés, les mer-
— 55 —
rains des bois de renne sont décorés avec un art d'un
réalisme stupéfiant.
L'homme qui a sculpté ces chevaux, ces élans, ces
aurochs, ces mammouths était un véritable artiste.
De sa main, armé simplement d'un silex (il ne saurait
être ici question de métaux, et la question ne se pose
même pas), avec un sentiment véritable de la nature,
il a su donner la représentation exacte de toute la faune
dont il était entouré. Quelques-uns de ces dessins sont
d'une exactitude telle, au point de vue anatomique,
que des savants tels que le Docteur Gervais ont pu
déterminer des espèces disparues et qui n'ont étvJ ren-
contrées que plus tard.
Les Troglodytes magdaléniens ne se sont pas conten-
tés de décorer leurs outils, ou de simples amulettes ;
ils ont encore couvert de peintures et de sculptures
les parois des grottes qu'ils habitaient. Quand M. de
Santuola signala, en 1879, dans la grotte d'Altamira,
près de Santander, les premières peintures quaternaires,
cette découverte fut accueillie avec la même hostilité
que l'avaient été, cinquante ans auparavant, la décou-
verte de Boucher de Perthes. Depuis, les découvertes
se sont multipliées dans les Pyrénées, dans la Gironde,
dans la Dordogne, grâce aux savantes investigations
de M. Cartailhac, de l'abbé Breuilh, du Docteur Capitan
et de M. Peyrony, un instituteur des Eyzies dont
la science n'a d'égale que la modestie exagérée.
Après avoir chassé de leurs repaires le grand ours
et les fauves qui les occupaient, l'homme s'est installé
dans ces immenses cavernes pour y habiter, peut-
être même pour y célébrer des rites religieux.
Pourquoi nos ancêtres avaient-ils choisi la partie
la plus profonde et la plus sombre de ces grottes pour
y tracer ces sculptures et ces fresques, si ces endroits
retirés n'avaient pas dû servir à la pratique de quelque
cérémonie mystique et religieuse.
A Niaux, dans l'Ariège, les peintures font leur
— 56 —
apparition à 600 mètres de l'entrée, et elles se prolongent
jusqu'à l.'ion mètres.
Aux Combarelles, on parcourt 118 mètres avant de
rencontrer les premières gravures.
A la Mouthe, 200 mètres.
Il faut avoir visité une de ces grottes pour se rendre
compte du degré artistique que devaient avoir atteint
ces chasseurs de rennes. La grotte de Font de Gaumes
que je visitais en juin 1905, a 120 mètres de longueur,
A 65 mètres de l'entrée, on commence, à la lumière des
bougies, à distinguer les étranges dessins, qui deviennent
nombreux quand on atteint une vaste salle de 40
mètres de longueur sur deux à trois mètres de large
et cinq à six mètres de hauteur. Là, sur les parois et
jusque sur la voûte, se voient des peintures exécutées à
l'ocre rouge et au manganèse. Voici, au reste, la descrip-
tion qu'en donne M. Cartailhac :
« La Grotte de Font -de -Gaumes s'ouvre dans le
» flanc d'une colline coupée à pic et l'on y accède en
» suivant les éboulis et une corniche de la falaise suspen-
» due dans le vide. Après avoir franchi un passage fort
» étroit, à 65 mètres de l'entrée on débouche dans une
» vaste salle. C'est elle et un diverticule extrême qu'ornent
» d'une façon extraordinaire des gravures et surtout
» des peintures. Il s'agit de véritables fresques. Ces images
» sont en effet le plus souvent peintes. La gravure est
» généralement associée à la peinture qui, parfois, re-
» couvre les traits ou, au contraire, ceux-ci sont tracés
» par dessus: parfois la figure est en partie peinte, en
» partie gravée, d'autres fois seulement gravée. Un
» emploi judicieux du noir et du brun a donné aux fonds
» rouges un modelé étonnant, tantôt vrai, tantôt bizarre.
» Les teintes sont souvent fondues, parfois ce ne sont
o (pie des touches vigoureuses et isolées sur un fond
» plus clair; de vrais grattages de la roche, qui a une
» couleur jaune, interviennent çà et là, accentuant
— 57 -
» certaines couleurs en y déterminant un travail de
» champlevé. Nombre de figures sont légèrement voilées
» par une mince couche de stalagmite, beaucoup se
» perdent sous un dépôt plus épais.
» Sur 80 animaux représentés , et ce nombre est
» aujourd'hui bien dépassé, on compte 49 aurochs,
» 1 renne, 1 cerf, 4 égendis, 3 antilopes, 2 mammouths,
» 11 indéterminés.
» Ce sont les aurochs qui dominent; on en voit plus
» de cinquante, soit en file, soit affrontés, tantôt en un
» rang, tantôt sur plusieurs rangs étages jusqu'à la voûte.
» A Font-de-Gaumes, j'avais l'impression d'un travail
» systématique , d'une ornementation voulue de la
» caverne. »
A Altamira, aux Combarelles, à la Mouthe, a Niaux,
partout où le calcaire permet au sculpteur de se livrer
à son art, nous retrouvons les traces de nos artistes
animaliers.
Cette merveilleuse éclosion artistique disparaît tout
à coup, brusquement, dans cette nuit profonde et
obscure qui sépare le paléolithique du néolithique.
Que sont devenus nos chasseurs de rennes, nos
artistes des bords de la Vèzere et des Pyrénées ? Dans
quel cataclysme naturel, sous quelles invasions ont-
ils disparus ? Mystère qu'on a essayé d'expliquer
de bien des façons : destruction complète disent les
uns, émigration disent les autres, fusion enfin avec
la race des immigrants néolithiques.
Quoiqu'il en soit, nous ne retrouvons plus nulle
part la trace de nos chasseurs; et les nouveaux venus,
qui étaient plutôt des agriculteurs et des pasteurs,
ne nous ont laissé ni dans les débris des habitations
lacustres, ni dans nos dolmens, aucune œuvre qui
puisse faire supposer la survivance de l'école magda-
lénienne.
58
D'où étaient venus ces immigrants; peut-on suivre
leurs traces par le jalonnement des dolmens édifiés ?
Dans l'Inde centrale, dans l'Arabie, la Palestine,
le Caucase, la Crimée, l'Algérie, la Tunisie, le Maroc,
la Scandinavie méridionale, l'Allemagne du nord,
la Hollande, la Gaule, l'Espagne, nous trouvons partout
les mêmes procédés de construction ; seule la vallée
du Danube, cette grande voie des immigrations cel-
tiques, ne possède aucun dolmen ; ce ne sont donc-
pas les Celtes, ainsi que l'a soutenu Henri Martin, qui
ont construit nos monuments mégalithiques; ce ne sont
pas les Aryens, la linguitique proteste contre de sem-
blables théories; sont-ce les Phéniciens, ces grands
envahisseurs et ces grands commerçants?
En réalité, on ne sait rien sur cette race conquérante.
D'où venait-elle ? A quelle époque historique cette
immigration s'est -elle accomplie ? Question aussi
obscure, aussi complexe que celle de la destination de
nos alignements, de nos cromlechs.
Bien des observations ont été faites sur leur orien-
tation, sur leur taille. On s'est demandé pourquoi,
à Carnac par exemple, les menhirs (et cela est très
visible au Menée) sont plus grands près des cromlechs
et vont en diminuant de l'Ouest à l'Est. C'est là un
système voulu, intentionnel, dont la signification nous
échappe.
Si la destination des dolmens est aujourd'hui connue,
la date de leurs constructions reste encore bien mysté-
rieuse. Je parle ici de nos dolmens bretons. On a voulu,
à une certaine époque et souvent d'après une méthode plus
systématique que scientifique, leur attribuer une date
fabuleuse. Il faut, suivant nous, faire des distinctions,
et il est impossible d'admettre que ce sont les mêmes
hommes qui, aux mêmes époques, ont élevé les
dolmens grossiers, sortes de coffres en pierres, sans
allées, où l'on ne rencontre que des poteries ayant
longtemps servi, des haches en diorite usagées, et ces
59 -
beaux dolmens à galeries sous tumulus avec leurs
mobiliers déjà fort riches, leurs poteries soignées, leurs
dalles gravées de signes cabalistiques et mystérieux :
ou encore ces allées couvertes, sortes de galeries coudées
avec leurs dalles couvertes de cartouches ressemblant
à des boucliers, leurs poteries ornementées , leurs têtes
de flèches en silex, véritables bijoux.
Non ! les dolmens de Crucuno, des Marchands, du
Mane- Retuai, de Kercado, de Gavrinis; les tumulus
du Mont Saint-Michel, de Tumiac, les allées coudées
du Rocher et des Pierres-Plates n'appartiennent point
à la même époque et ne peuvent être attribuées aux
mêmes constructeurs. Ils diffèrent et par leurs dispo-
sitions et par leur mobilier et par leurs signes lapi-
daires.
Si les premiers, si pauvres commes mobilier, appar-
tiennent à la période néolithique proprement dite,
il est à peu près certain que nos belles allées couvertes,
nos beaux tumulus, à mobilier rituel, appartiennent
à l'âge du bronze.
On pourrait même dire que, en Bretagne, on en édi-
fiait encore au moment où le fer fit son apparition.
Simpson, à propos des figures étranges qui décorent
quelques-uns de ces monuments, écrivait, il y a plusieurs
années : « Toutes ces sculptures sont autant d'énigmes
» que nous ne sommes pas à même de résoudre présen-
» tement. Ornements, symboles, hiéroglyphes, la clef
» de leur sens mystérieux a été perdue et elle ne sera
» probablement jamais retrouvée. »
« La science, qui est aujourd'hui le seul guide rationnel
» en ces sortes de matières, doit se borner à douter de
» tout à l'égard de nos gravures de peur d'être prise en
» flagrant délit d'erreurs par les découvertes qui sui-
» vront. »
Le problème, hélas ! est encore à résoudre, malgré
les découvertes et les observations multiples faites
- 60 —
depuis plusieurs années. Quelle est la signification
de ces signes, de ces eartouches, de ces cupules ?
Qui les a gravés , comment les a-t-on gravés ? Ce
qui semble bien peu probable, malgré les expériences
faites à Saint-Germain par M. Abel Maitre, c'est qu'ils
l'aient été avec de simples instruments de silex, et tout
au contraire semble indiquer que les sculpteurs de
Gavrinis, des Pierres-Plates, du Rocher, connaissaient
les métaux.
Prosper Mérimée, au cours de sa mission en Bretagne,
en 1836, écrivait : « J'ai peine à croire qu'on ait pu,
sans ciseaux de bronze, sculpter le granit de Gavrinis. »
Emile Cartailhac, dont le nom, en matière de pré-
histoire, fait autorité, est d'un avis contraire. Il appuie
son opinion sur ce que, seuls, les piliers de granit sont
sculptés, alors que ceux en quartz, beaucoup plus
durs, sont vierges de toute sculpture.
Cette objection me paraît bien spécieuse, car la dureté
du quartz aurait aussi bien résisté au burin de bronze
qu'à la hache en silex.
Cette question est une des plus intéressantes, elle
est intimement liée à celle de l'introduction des mé-
taux en Gaule.
Nous ne savons pas grand chose sur l'époque à
laquelle la substitution du métal à la pierre se fit.
Longtemps les peuplades dolmeniques durent se servir
à la fois et de leurs vieux outils de pierre et de haches
en cuivre. Nous trouvons en effet dans les dolmens
les deux instruments associés, la forme même des pre-
mières haches en cuivre pur, établit bien jusqu'à l'évi-
dence, que celui qui les a fabriquées s'est servi comme
modèle des outils qu'il avait sous les yeux et qu'il avait
lui-même polis.
Ce n'est que plus tard, quand l'homme primitif sut
fabriquer le bronze que la forme primitive de la hache
se transforma, et l'on vit alors successivement appa-
- 61 -
raître la hache à talons, la hache à ailerons et la hache
à douilles.
Ces haches perfectionnées, comme forme et comme
alliage, ont dû certainement être importées par des
colporteurs venus d'Egypte ou d'Asie, soit par la vallée
du Danuhe, soit par voie maritime en suivant les bords
de la Méditerranée.
Les cachettes de fondeur, si nombreuses dans notre
péninsule armoricaine, sont la preuve évidente de cette
immigration commerciale. Ces métallurgistes étrangers,
qui travaillaient dans les forêts ou qui apportaient
des objets tout fabriqués, devaient disséminer, clans des
cachettes répairées avec soin, une partie de leur mar-
chandise si convoitée et si nouvelle. Souvent ils péris-
saient en chemin et ne revenaient pas prendre les tré-
sors cachés ; ce sont ceux que nous retrouvons au-
jourd'hui.
La cachette de la prairie c'e Mauves, découverte
en 1881, inventoriée et classée par notre savant conser-
vateur M. de Lisle du Dreneuc, est une des plus curieuses
et des plus riches par la variété des objets qui la com-
posaient : armes, outils, parures. Des cachettes ana-
logues ont été trouvées, pour ne parler que de la Loire-
Inférieure, à Saint-Père-en-Retz, à Vertou, à Crossac,
à Clisson, à Plessé et, en 1868, par M. Parenteau lors
des défoncements effectués au Jardin des Plantes.
Parmi les objets trouvés dans ces cachettes, la
hache plate en cuivre pur, à surface rugueuse et inégale,
n'a jamais été trouvée, ce qui indique bien que cet
objet tout primitif, le précurseur en quelque sorte
de nos haches de bronze, était fabriqué sur place par
les populations dolmeniques.
Ce qui semble inexpliquable, c'est que le fer qui se
trouve partout à l'état natif, qui pouvait être employé
sans alliage, soit apparu si tardivement. Il faut recher-
cher, je crois, dans la nature même de ce métal la raison
du retard qui a été apporté à son emploi. Se désagré-
— 62 —
géant facilement au contact de l'air et des corps étran-
gers, le fer a longtemps été considéré comme un métal
impur.
Originaire de l'Afrique centrale, connu des Egyp-
tiens à une époque très reculée, il n'est venu que très
tardivement dans le Nord et dans l'Ouest de l'Europe
par voie commerciale, et les populations de l'âge du
bronze ne l'ont tout d'abord employé que comme moyen
de décoration. Ce n'est que plus tard, très tard du moins
en Bretagne, que la véritable industrie du fer s'est
répandue.
A cette période, nous pouvons rattacher nos belles
sépultures circulaires du Nignol , de Coet-à-Touse ,
explorées par Miln dans le Morbihan , et celles de
Kervitré, de Tronven, de Kerliscat, étudiées par M. du
Chatellier dans le Finistère.
En terminant la savante étude qu'il a consacrée
à ce département depuis les temps préhistoriques
jusqu'à l'occupation romaine , le savant et infatigable
fouilleur constate que nous savons peu de choses sur
les populations qui , à la première époque du fer ,
occupaient la presque île armoricaine.
« Jusqu'à présent, écrit-il, l'Archéologie nous apprend
» bien peu de choses à leur sujet ; du reste, du temps
» de Polybe même, on était peu éclairé à leur endroit
» puisqu'en parlant de la Gaule Celtique, il dit : « Ceux
» qui parlent de ces régions n'en savent pas plus que
» nous, ils ne font que débiter des fables. »
Le champ de nos recherches est vaste, vous le voyez,
les mystères dont s'entoure le passé et l'humanité
sont troublants, le sol ne nous a pas encore livré tous
ses secrets. A nous de les rechercher en multipliant nos
fouilles et nos observations.
En cette terre celtique, notre attention a été trop
attirée parles découvertes si intéressantes et si multi-
pliées des stations gallo-romaines. Il a semblé, à une
— 63 —
certaine époque, que nous n'existions pas avant la
conquête.
Soyez persuadés que lors de l'invasion de 59 avant
J.-C, les envahisseurs se sont trouvés en face d'une
civilisation plus avancée que nous ne le supposons; c'est
à l'étude de cette civilisation et de ce passé que je vous
convie.
Rien de plus troublant que ces recherches où l'on
n'est guidé par aucun texte, où l'on s'égare parfois
aux charmes toujours attachants, mais souvent trom-
peurs, des légendes vieilles comme le monde ; mais
aussi quelle joie quand dans ce labyrinthe obscur on
découvre quelques débris du fil qui doit nous conduire
à la lumière et à la vérité.
Travaillons donc, multiplions nos excursions, nos
fouilles, étendons notre champ d'études, notre rayon
d'action afin de bien montrer à tous que les Sociétés
d'Archéologie n'ont d'autre but, d'autre souci, en
interrogeant le passé, que de contribuer à sortir de
l'oubli, à faire connaître les annales glorieuses de nos
ancêtres.
Fustel de Coulanges n'a-t-il pas dit avec raison :
« Le véritable patriotisme n'est pas seulement l'amour
« du sol, mais l'amour du passé, le respect pour les
« générations qui nous ont précédés. »
Soc. Archéol. Nantes.
Découverte d'un atelier de fondeur à
Saint-Père-en-Retz, près des rives
du Boivre
En défrichant les taillis de l'antique forêt de la
Guerche qui porte aussi le nom de forêt de Tharon,
les fermiers de la métairie de la Moinerie ont mis au-
jour, dans un fossé peu profond de la route qui conduit
chez eux, un amas de lingots métalliques ayant l'appa-
rence de culots de bronze. Cette nouvelle intéressante
pour la science archéologique nous a été transmise,
au mois d'avril 1907, par M. Ouisse, gérant de la pro-
priété, et par M. Fernand Couétoux, notre nouveau
confrère, qui veulent bien être nos correspondants
dans la région de Paimbœuf.
Guidés par ces deux aimables compagnons, je me
suis rendu sur le terrain de la découverte et je me suis
trouvé en présence d'une collection de 12 culots de
bronze en forme de galettes qui devaient être des
résidus empruntés à des fonds de creusets (1). Un
spécimen a été envoyé à Paris à l'Ecole des Ponts et
Chaussées pour être analysé, et son examen a donné
les résultats suivants (2) :
Cuivre 95,26
Sous-sulfure de cuivre 4, 09
Hydro-carbonate de cuivre 0, 20
Zinc 08
Plomb . 07
Etain 04
Diverses matières 0,26
(1) Leur poids atteignait près de 40 kilos.
(2) M. l'Ingénieur en chef Cosmi a bien voulu me servir
d'intermédiaire en cette occasion, avec son obligeance habi-
tuelle.
m
Il aurait été intéressant de savoir qu'elle était la
provenance de ce cuivre, autant pour l'histoire du
commerce que pour celle de l'industrie, mais ce point
est difficile à éclaircir. L'importateur qui a déposé ces
lingots dans la Loire-Intérieure a pu emprunter le
cuivre dans le département de la Mayenne où des mines
de cuivre ont existé, ou bien les amener d'Espagne,
par mer.
Celle dernière hypothèse est la plus vraisemblable,
parce que les découvertes du même genre ont eu lieu
sur le littoral ou sur le bord des cours d'eau princi-
palement (1).
La ferme de la Moinerie n'est pas loin de l'estuaire
ou du golfe du Boivre, baigné autrefois par le flux et
le reflux de l'Océan. Les fondeurs de l'âge de bronze
se sont établis dans cette contrée, par cette raison
qu'elle était à l'état de forêt et que le combustible
est une chose essentielle pour un métallurgiste. Le
nôtre paraît avoir fabriqué des armes en se déplaçant
à mesure que le bois devenait plus rare. Dans son atelier
de la Tiédnais, près de la Gruais, il fabriquait des haches
plates, des haches à talon, des haches à ailerons, des
haches à douille, des épées, des bracelets, des poignards,
dont on a trouvé des spécimens en 1873. Vous pouvez
les voir au Musée Archéologique. La Tiédnais n'est pas
à plus de 2 kilomètres de la Moinerie, au nord-est.
Du côté de l'ouest, à la Tansorais, qui est à 3 kilo-
mètres, on a trouvé également une hache de bronze
de la même fabrication. Ces témoignages prouvent
que le fondeur de la Moinerie a déployé une certaine
activité.
Mon enquête sur place avait pour but surtout de me
rendre compte de l'installa lion de ces ateliers primitifs
(1) M. Mercier, maire de Pornichet, a trouvé de nombreux
débris d'objets de bronze sur la plage de Congrigoux.
67
et des moyens qu'on employait pour travailler les
métaux. J'ai vu que l'eau ne manquait pas dans le
bas du vallon, mais je n'ai pas distingué nettement
les travaux en terre de protection qu'on a relevés dans
le pays de Nozay, autour des gisements d'étain.
Il est certain pourtant que la forêt voisine renferme
des fossés et des talus importants qui auraient pu faire
des clôtures.
Ces fondeurs se servaient de moules qui se pétris-
saient ici en argile blanche dont on a vu des vestiges
autour du dépôt de culots. Je ne saurais dire comment
ils se servaient des deux énormes pierres plates qui se
sont trouvées aussi à proximité. Sur l'une d'elles on
a pris la peine de creuser, je ne sais comment, une
petite rigole qui la traverse dans toute sa longueur.
Ces constatations sont à mentionner, car elles ser-
viront un jour à déterminer quel était l'outillage des
fondeurs de l'âge de bronze.
Léon MAITRE.
La Copqaête de la Basse-Loire
par le réseau des voies romaipes
i
Généralités
La conquête de la Loire-Inférieure par les Latins
et leur implantation jusque dans les moindres bourgs
peut être démontrée uniquement à l'aide des dépôts
de monnaies qu'ils ont laissés ça et là, et qui repa-
raissent au jour, de temps à autre, au moment des
reconstructions ou des défrichements. Dans les contrées
voisines du fleuve, les découvertes ne sont pas surpre-
nantes, mais quand on rencontre des monnaies du
IIIe siècle, par lots de 12 à 1.500, dans des localités
comme Crossac, la Chapelle-Launay, la Chapelle-des-
Marais, Treffieuc et Pannecé, on est en droit de répéter
que les Romains ont pris possession de notre pays
complètement, non pas tant pour le soumettre que pour
en exploiter toutes les richesses.
Ce fait historique est confirmé par l'existence d'un
réseau de grands chemins qui sillonnaient le pays en
tous sens et dont les traces sont signalées dans les
vieux titres et par l'enquête faite, en 1836, avant
la création du réseau vicinal.
Nos routes nationales restaurées sous le premier
Empire n'ont fait que succéder aux vieilles chaussées
établies par l'administration romaine. De même que
les vieux gués ont servi d'indication à nos ingénieurs.
Le nombre des ponts et des bacs créés par les gêné-
— 70 —
rations du Moyeu Age est très restreint ; elles se sont
bornées le plus souvent à entretenir et à conserver
la circulation établie dès la plus haute antiquité ;
elles avaient besoin comme nous de voyager, elles
auraient doue été fort incommodées si les moyens
de transport avaient été défectueux. André de Varade,
dans son testament, légua plusieurs sommes à divers
ponts déjà très fréquentés au XIIe siècle. Il donna
6 sous aux ponts de Nantes, autant aux ponts de
Grée, près d'Ancenis; 10 sous au pont de Louan sur
les marais de Goulaine et 10 sous à la chaussée de
la Barre-Engelard qui doit être la Chaussée Le Roy
en Rouans (1).
Chez les Namnètes, les ponts les plus vieux sont : le
pont Esnaud, entre Mouzeil et Ancenis ; le pont de la
Mée, entre la Bretagne et les Marches ; le Pont-Château,
sur le Brivet; la chaussée de Nyon, sur les marais
de Donges, le pont de Méans ; le pont Miny (2), sur
l'Isac, à Sévérac; Pontpas et Pont d'Arm en Assérac;
les ponts de Nort, sur l'Erdre ; la chaussée de Barbin
et le pont de Gigan, à la sortie de Nantes.
Il va sans dire que les ponts jetés sur la Loire, de
Nantes à Pir.mil, tenaient le premier rang par l'impor-
tance de la circulation ; ils étaient le point d'aboutis-
sement de plusieurs routes, parce qu'ils offraient un
passage sûr en tout temps. La vénération qu'ils ins-
piraient aux voyageurs est attestée par les nombreuses
fondations érigées entre chaque bras de la Loire à
traverser : N.-D.-de-Bon-Secours, la Madeleine, Tous-
saints, les Récollets, et, à l'extrémité sud, Saint- Jacques
de Pirmil.
Ceux qui sont accompagnés d'une chapelle et d'une
fondation pieuse, comme Saint-Honoré de Bout-de-
(1) Dom Morice, Histoire de Bretagne, I, col 727.
(2) Le pont Miny dépendait de la terre de Sévérac.
— 71 —
Bois, à Héric, ou d'une fondation eu l'honneur de
saint Jacques ou de saint Nicolas , comme le pont
James de Saint-Colombin et Saint-Nicolas-de-Redon,
sont d'une antiquité incontestable, car les générations
du haut Moyen Age ont eu de bonne heure le souci
d'assurer le repos aux voyageurs. Les passages de Rozet,
en Plessé ; de la Bourdinière, en Pannecé ; de Grâces
en Guenrouet; du Goût, en Malville (1), avaient leur
chapelle et leur aumônier.
Quand le passage était desservi par un bac, alors
l'édifice était souvent double ; sur chaque rive s'élevait
une aumônerie, comme à Nort, à Rohars en Lavau.
au Pellerin, à Oudon et à Pilon.
Toutes ces fondations pieuses n'ont été imaginées
que par le désir d'assister les voyageurs ; elles sont
la conséquence des mœurs d'une époque où l'on voyageait
beaucoup, parce que le pays était en possession d'un
réseau de routes établi depuis longtemps. L'existence
de routes à longue portée,, comme celles qui traver-
saient la Gaule et la Bretagne en particulier, implique
le fonctionnement d'un pouvoir assez fort pour cen-
traliser les ressources : or, la féodalité était la prédo-
minance du pouvoir local, et les régimes antérieurs
ne savaient pas gouverner : nous sommes obligés de
remonter au delà des Mérovingiens pour expliquer
l'origine des chemins innombrables qui rayonnaient
autour de Blain' et de Nantes. Les seigneurs n'ont pu
faire que deux choses : entretenir les voies antiques,
près desquelles ils établirent leurs donjons, et surtout
bâtir des ponts ou entretenir des bacs de passage
sur les cours d'eau.
Sur la rive piétonne, les plus vieux ponts sont ceux
de Pont-Rousseau, de Port-Saint-Père, de Pont-Saint-
(1) Prevel, Le château du Goust (Bull, de la Soc. Archéol.
de Nantes, T. IL p. 89).
72
Martin, de Pont-James, du pont de Louan, le pont
de Remouillé (1) et la chaussée Le Roy ou du Roi,
sur les marais de Vue.
Nous n'avons plus de ponts remontant aux Romains,
mais nous sommes sûrs de l'antiquité de certaines
chaussées noyées comme celles des gués d'Assérac,
de Pont Château, du Havre d'Oudon, de Rieux, sur la
Vilaine ; de Mauves, sur la Loire.
Les empierrements des anciens étaient triples et si
solides, qu'ils ont pu résister pendant 15 siècles ; ils se
sont retrouvés intacts, au XIXe siècle, à travers les
pays de landes, au moment des défrichements, autour
de Blain et dans les forêts de la Bretesche et de Saint-
Mars-du-Désert. Même sur la rive gauche de la Loire,
qui était plus populeuse et plus cultivée, on voyait
encore intacte, il y a 50 ans, sur le territoire du Bignon,
la grande voie de Nantes à Montaigu, pourvue de ses
pavés et de ses fossés. Les voies secondaires, qui n'étaient
pas pavées, étaient cependant très larges, de telle façon
qu'il restait toujours un passage praticable pour les
chariots, même dans la mauvaise saison. On voyageait
beaucoup à cheval. Quant aux transports lourds, ils
s'effectuaient par eau pendant l'hiver et par route
pendant l'été.
On reconnaît généralement les routes romaines à
leur direction rectiligne ; elles sont établies sur la crête
des collines et sur les plateaux quand elles sont d'in-
térêt général, sans souci de la position des bourgs.
Tels étaient, chez nous, les grands chemins de
Nantes à Angers, de Nantes à Rennes, de Nantes à
Vannes.
Celles même qui n'étaient pas pavées ont été dési-
gnées dans les titres et les débornements par le même
(1) Une arche du pont de Remouillé, avait encore une
voûte en arc brisé, en 1841.
- 73 —
terme : strata, dénomination propre aux grandes voies
consulaires (1).
J'en citerai un exemple à Saint-Sébastien-lès-Nantes,
dont -le port commercial, situé à Porte-Chaise, Portus
carchedrarum, était relié à Haute-Goulaine par un
chemin large et direct qu'on appelait chemin des Mar-
chands , chemin Bretagne. Il n'est plus utilisé, mais
il subsiste presque intact jusqu'à la pyramide de la Pa-
touillère. Les partages des terres qui le bordent le nom-
ment la Strée (2).
Les passages de la Loire étaient nombreux. Je les
énumérerai en descendant le fleuve : Varade est un nom
de basse latinité, parent du mot Vadum, dont on a
fait gué. Il existe sur la table itinéraire de Peutinger,
Varada. Varade est en face de Saint-Florent-le-Vieil
qui portait le nom de Montglonne.
Ancenis est un poste féodal établi sur une rive nom-
mée le Port Traversin, sous la station romaine de
Saint-Géréon. Le passage est facilité par de nombreuses
îles jetées de distance en distance, dans le fleuve. Sa
fréquentation est attestée par les nombreux chemins
qui convergent sur ce point.
Je trouve un troisième passage à Oudon, dans un
endroit où la vallée se rétrécit entre deux hauteurs
préparées pour porter deux forteresses : Château Ceau,
castrum Seltense, fait face à la tour d' Oudon. Un bac
avait sa place marquée en cet endroit.
La station de Mauves (3) était reliée à la rive gauche
par une chaussée submersible qui permettait de tra-
verser la Loire pendant l'été ; elle aboutissait à Pierre-
(1) Charte de Louis le Gros, de 1126 (Annales de Bre-
tagne 1887).
(2) Terrier de la sénéchaussée de Nantes, 1678, vol. xvi,
f° 371. Voir aussi Partage de 1736. Fonds du Présidial, sér. B.
(3) Léon Maître, Mauves à l'époque romaine (Géographie
hist. et descr. T. 1, p. 49).
- 74 —
Percée et à la station romaine de Saint-Barthélémy,
en Saint-Julien.
L'antiquité des ponts de Nantes est incontestable,
quand on considère 1rs avantages que la Nature avait
groupés sur ce point pour tenter les voyageurs. Il est
visible que les îles multiples fixées au milieu du fleuve
sont autant de points d'appui pour soutenir des arches.
De plus, à chaque extrémité, viennent se confondre
en une seule roule divers grands chemins tracés par
les Namnétes et les Pictons pour provoquer les commu-
nications de part et d'autre.
Au-dessous de Nantes, il faut aller jusqu'au Pelleriq,
en face de la station romaine de Couèron, pour trouver
un nouveau passage avec bac correspondant à deux
voies qui viennent du Nord et du Sud se souder sur ce
point.
Un dernier bac, avant la mer, était établi sur la rive
de Lavau, près de Sainte-An ne-de-Rohars (2), en face
de Saint-Nicolas-du-Migron, en P'rossay. Migron est
Cj une corruption de Migrant et rappelle les é migrant s
• qui allaient d'une province dans l'autre.
Le pays des Namnétes était séparé de celui des Ve-
nètes par la Vilaine dont la vallée profonde et parfois
marécageuse était difficile à franchir. Les Romains
n'avaient pas été arrêtés par cet obstacle, ils n'avaient
pas hésité à établir «à Saint-Nicolas-de-Redon, d'un
côté, et à Aucquefer de l'autre, de longues chaussées
qui ont été très utiles aux religieux de l'abbaye de
Redon pour exercer leur ministère.
Le passage de Beslé, au-dessus du lac Murin, est
ancien, puisque M. de Lestourbeillon a tracé par là
l'itinéraire des moines de Landevenec au Xe siècle (2).
(1) Bougouin, La chapelle de Rohars (Bull, de la Soc.
archéol., x, 189).
(2) Itinéraire des moines de Landevenec (Bull, de l'Asso-
ciation Bretonne 1889).
75
Un peu en aval, la ville de Dnretie, à Rieux, avait
un bac et une chaussée submersible qui avait ses avan-
tages à marée basse. Le Moyen Age y ajouta un pont
de bois (1).
Il y a des traces de passage à Cran, un peu plus bas,
sur la rive de Téhillac, parce que ce point est sur la
route la plus courte de Guérande à Duretie.
La Roche-Bernard n'est pas sur le prolongement
d'une voie antique, ses accès sont d'ailleurs' trop abrupts
pour tenter un ingénieur libre de son choix. Sur la
rive de Ferel, au palus de Lisle, il existe une belle
rampe en pente douce et une cale de débarquement
sur la rive droite qui sont bien plus séduisantes. J'ai
eu la bonne fortune de découvrir, à proximité, les restes
d'une modeste construction romaine qui avait toutes
les apparences d'un logis destiné au gardien du passage;
14 haches en pierre polie étaient demeurées dans son
foyer.
Il est possible que, près de l'embouchure du fleuve,
un autre bac ait été établi, à Vieille- Roche, en Penestin,
parce que ce point est défendu par une sorte de forti-
fication en terre, nommée le Vieux Château. Une mon-
naie en or de Tibère y a été recueillie, en 1828, par
un cultivateur (2). Le passage de Tréhîguier, qui est
encore plus près de la mer, a un nom breton, synonyme
de passage ; il paraît indiquer un endroit fréquenté
aussi par les voyageurs.
Une voie transversale reliait les trois passages de
Redon, de Rieux et de Ferel, au moyen des ponts
de la Mée, du pont de Flandre et du Pont-Miny, et d'une
chaussée qui aboutissait à la Templerie de Missillac.
Des traces de gué artificiel ou de chaussée noyée
existent encore sur des rivières secondaires comme la
(1) Léon Maître, La station romaine de Duretie (Géogra-
phie hist. et deser., I, p. 53).
(2) Lycée armoricain, 1828.
- 76 —
Sèvre, notamment à Vertou, sous le lieu occupé par le
monastère de Vertou, et aussi au village de Portillon,
nom transparent, où les mariniers ont constaté avec
moi l'existence d'un haut fond qui relie les deux rives,
près de la Chatellière. Les grands chemins qui aboutis-
saient là se nomment, en 1460, « le grand chemin par
ou l'on vait de Vieillevigne à Portillon » (1), « le che-
min qui conduit de Portillon à l'estang de Toffou »,
ou le chemin du pont de Louan à Portillon, au XVIIe
siècle (2).
Il fallait bien, en effet, créer des routes transversales
pour relier entre elles les grandes voies tracées du
Nord au Sud et faciliter la circulation de l'Est à l'Ouest,
du Poitou en Anjou, et vice versa.
Quand le sol manquait de consistance, comme dans
la vallée de la Chenau, on remplaçait les arches et les
piles de pont par un radier de charpentes noyé entre
deux eaux. Tel était le pont romain du Port-Saint-Père
qu'a rencontré M. de Grandville lorsqu'il établit le pont
à péage dont nous nous servons depuis 1846. Le radier
avait 5 mètres de largeur.
Les voies autour de Blain
Blain était au centre du pays des Namnètes, au milieu
des établissements de métallurgie qui faisaient leur
principale occupation. Là se croisaient de nombreuses
voies de communication qui permettaient aux indus-
triels d'y apporter leurs produits comme sur un marché
et de les exporter ensuite dans toutes les directions.
Quand on reporte sur une carte toutes les traces d'em-
pierrements anciens qui ont été relevées autour de
Blain, on ne peut s'empêcher de considérer cette place
comme un emporium, c'est-à-dire un centre de négocg
(1) Rentier de 1460, f°s 12 et 14 (Arch. dép., série B, 1896).
(2) Ibidem, E 1406.
— 77 —
créé au cœur du pays pour en exploiter plus facile-
ment les richesses naturelles. (1)
Deux voies partaient dans la direction de l'ouest
et évitaient les bas-fonds des marais de Saint-Gildas
en courant l'une vers Pontchâteau par le territoire
de Cambon où elle prend le nom de Chaussée Breton,
dessert Coislin et la chapelle Sainte-Barbe qui s'élève
sur une hauteur où j'ai trouvé les débris d'un établis-
sement romain.
L'autre voie sortait de Blain par le Bottier, le village
de la Chaussée, desservait les bains romains de Curin,
montait le plateau des Moulins du Breil, allait passer
la vallée de l'Isac, au-dessous d'Evedé, en Guenrouet,
au Pont Nozay, traversait le village de Grâces, nommé
le passage de Grâces, longeait le versant de Saint-
Gildas qui domine les marais, se servait de la chaussée
de Pont-Noë « qui est fort longue et très fréquentée » (2),
et rejoignait la voie de Nantes à Vannes dans la forêt
de la Bretesche, près de la Templerie. Cette dernière
route avait une bifurcation au-dessus du coin de Curin
qui devenait la route de Blain à Duretie (Bieux), et
aussi la route de Blain à la chaussée de Saint-Nicolas-
de-Bedon. Le tracé sur Plessé est très connu par l'au-
mônerie de Bozet, fondée par le duc Arthur, en 1314,
pour soulager les voyageurs, par les noms de Chemin
des Saulniers et de chaussée de Bozet, et par le pont
de la Mèe aux approches de Saint-Nicolas (3).
A la hauteur des landes du Pâtis-Calobert, sur
Fégréac, se détachait une branche qui allait au pont
(1) Géographie hist. et descr. de la Loire-Inférieure, T,
p. 332-340.
(2) Rapport de 1790, dossier de Saint-Gildas (série L.f
district de Savenay, Arch. dép.).
(3) Les saulniers de Batz et du Croisic portaient leur sel
sur des mules, dans l'Ouest, jusqu'au .Mans, et suivaient les
routes les plus courtes.
— 78 —
de Flandres et se dirigeait sur le château de Rieux
par les chapelles de Saint-Joseph de la Touche, de
Saint-Jacques de Braud et desservait la ville de Duretie,
assise sur les dvux rives de la Vilaine. Les fouilles de
la butte de Braud qui domine l'ample vallée attestent
que les Romains avaient placé là un poste pour garder
le passage (1).
Du côté du sud, les communications avec la Loire
étaient assurées par Bouvron et Savenay, pour aboutir
au prieuré cl au port de Sainte-Anne de Rohars, en
face du Migron. Ce chemin, sur son parcours, est signalé
sous le nom de voie romaine. Il dessert le châtel de
Bouvron, puis traverse le bois taillis des Nommerais,
les landes de la Moëre, où son empierrement se montre
sur Une longueur d'une lieue, et sert de limites à quatre
paroisses; il laisse Savenay à 4 kilomètres à l'ouest pour
toucher à la Minguais et va directement sur Bouée (2).
Du côté du Nord, il est non moins certain qu'une
voie montait vers Conquereuil par le Gâvre et fran-
chissait le Don à Pontveix ou pont vieux, où elle a été
parfaitement reconnue, ainsi que sur les landes, et se
dirigeait de là sur Fougeray par Pierric ou sur le bac
de Beslé (3). Dans les titres, elle est appelée la Vieille
Chaussée de Blain au Gâvre, le Chemin de la Duchesse
Anne.
La direction que prend la voie ouverte à l'Orient
par Boisdun, la Mennerais et Augrain, en Saffré, loca-
lité romaine par ses inhumations et son industrie (1),
(1) V. Dubuisson-Aubenay : chemin de Nantes à Vannes,
par Rieux, dans son Itinéraire de Bretagne (Archives de Bre-
tagne, T. x, p. 139-151).
(2) Ledoux, Notes sur deux voies romaines traversant Sa-
venay (Bull, de la Soc. archéol. de Nantes, 1875, p. 57).
(3) Annales de la Société académique, 1847, p. 8-52.
(I) A. P. Leroux, Vases gallo-romains découverts à Sa/fré
(Bull, de la Soc. archéol., 1877, p. 127.)
79
semble indiquer qu'elle fut tracée pour relier Blain à
Candé, car on la suit plus loin dans la forêt de Vioreau,
entre les étangs de la Provôtière et la Poitevinière,
à Vivelle et à Freigné.
Blain était relié à l'Anjou par une voie connue sous
le nom de Chemin de la Duchesse, qui passait sur Héric,
à la Grée et à Fiéraut, et se dirigeait sur les ponts
de Nort, (1) vieux passage où venaient aboutir plusieurs
grands chemins, notamment ceux de Saint-Géréon
et ceux de Varade. La même voie bifurquait près de la
chapelle de Landebroc, sur Nort, et recevait les voya-
geurs qui se rendaient à Petit-Mars et à Mauves, deux
stations romaines très connues, . par le passage de
Ponthus, la Déchausserie et la forêt de Saint-Mars-
du-Désert, parcours que j'ai reconnu à la Pierre et
aux Piliers par des empierrements extraordinaires (2).
Du côté de Nantes, la voie romaine de Blain a un
tracé rectiligne bien connu à travers les landes; il était
reconnaissable, il y a 60 ans, à la Groulaie, à l'arche
de Fouan, au bourg de N.-D.-des-Landes et à la Pas-
quelais. Au total, sept voies aboutissaient à Blain ou
en sortaient.
III
Voies autour de Nantes
La route de Bennes sortait de la ville et s'éloignait
de l'enceinte par la rue Monfoulon, la chaussée de
Barbin, qui est antique et dont saint Félix s'est servi
pour faire des moulins en la rehaussant, passait près
de Loquidic, franchissait le Cens près du Port-Lambert
(1) Rapports de MM. Léon Maître et Aie. Leroux (Bull, de
la Soc. archéologique de Nantes, 1883, pp. 198-203; 1885,
p. IX.)
(2) Géographie hist. et descr., T. 1, pp. 10-12.
Soc. Archéol. Nantes.
— 80 —
et allait rejoindre le plateau de la route de Rennes
actuelle par Launay- Violet et la Boissière, pour éviter
la côte rapide du pont du Cens moderne. Arrivé là,
une bifurcation se présentait. Une ligne moulait vers
Casson par Massigné et le Saz (1), où se trouvait une
villa romaine, en servant de limites aux communes
de la Chapelle el de Trellières ; l'autre courait au
sommet de la vallée du Cens vers le centre de Blain,
à travers les landes de Trellières, de Grandchamp et
de Héric, sans desservir les bourgs actuels.
Les voyageurs qui ne voulaient pas aller par Barbin,
sortaient de la ville par la rue de la Boucherie, le Mar-
chix, la chapelle Saint-Lazare, la rue Noire, le Gué-
Moreau, sous le nom de Grand Chemin et pavé, et re-
joignait la voie de Barbin au pont du Cens, voisin du
Port-Lambert.
Plusieurs chaussées prenaient la direction du Nord,
mais le véritable grand chemin de Nantes à Rennes
était celui cjui prenait le tracé de Héric et traversait
presque partout le désert des landes incultes. Il pas-
sait l'Isac à Bout-de-Bois et le Don au sud-ouest de
Jans, sur le pont de Trenou ; la Chère au pont de la
Kyrielle, en Mouais, et entrait dans le pays des Re-
dones (2). Ce tracé nous est indiqué par la position
des châtellenies de Héric et de Nozay, chargées de le
garder, et par un texte de 1678 qui nous rapporte
que le gibet de Nozay « était sur le chemin qui conduit
à Derval, qui est le grand chemin de Nantes à Rennes (3)»
Néanmoins, le voyageur pouvait suivre un autre
parcours plus long par Joué el Melleray. Il avait la
(1) Kersabiec, Débris gallo-romains trouvés au Saz (Bull,
de la Soc. archéol., 1865, v, 71).
(2) Celle-ci évitait le bourg de Fougeray qui était desservi
par la voie de Blain à Rennes par Conquereuil et Pierric.
(.'!) Terrier de le sénéchaussée de A unies, \x, 860. (Arch.
dép., série B).
81
route de Carquefou à Petit-Mars qui montait à Joué
par Saint-Jacques des Touches, et court au sommet
des coteaux dominant la rive gauche de la vallée de
l'Erdre.
La route de Nantes à Angers et Paris empruntait le
même parcours jusqu'à Carquefou, sur les landes de
la Madeleine, en Bois; là, elle se détournait vers l'Est
pour aller au Chemin Nantais, au prieuré de Saint-
André, puis se dirigeait sur la station romaine de Mauves;
elle franchissait les marais de la Vaugour sur une arche
dite de Gobert construite en aval de l'arche actuelle pour
permettre au roulage de contourner la petite montagne
qui fait obstacle en cet endroit. Les ingénieurs du règne
de Louis XVI ont rectifié ce détour en pratiquant une
profonde tranchée dont les déblais ont servi à combler
une partie de la vallée. Cette méthode était rarement
employée par les anciens. Ils préféraient se servir de lacets
et descendaient au port de Mauves par des rampes, puis
remontaient vers la ville antique de Mauves au moyen
d'une route en pente assez raide, mais solide, dont les
ornières creusées dans le roc, subsistent en plus d'un
endroit. Les voyageurs passaient entre le temple de
Vieille-Cour et le théâtre de Beaulieu et arrivaient au
carrefour de la Barre d'où partait la voie de Mauves à
Petit-Mars (1).
La route de Nantes à Angers continuait son parcours
sur les sommets du Cellier et se détournait ensuite vers
le Nord pour éviter les escarpements de la vallée du
Havre et atteindre l'endroit où elle se rétrécit assez pour
qu'on puisse y établir un gué. Le lieu choisi s'appelle le
Pont-Noyé, parce que les ingénieurs y avaient placé un
(1) Cette voie, je l'ai suivie jusqu'aux Piliers en Saint-
Mars-du-Désert, où elle est très connue des cultivateurs qui
ont trouvé son empierrement. (Géographie hist. et descr.,
T. 1, p. 1U).
82
radier en charpente pour assurer le roulage. De là, jus-
qu'aux approches de Saint-Géréon, la voie sert de limites
entre les communes d'Oudon et de Couffé, coïncidence qui
caractérise bien son antiquité.
Sur Oudon, se détachaient de la voie principale deux
embranchements secondaires : l'un d'eux redescendait
dans la vallée pour atteindre le port d'Oudon et le bac de
Castrum Sellense, l'autre se dirigeait par le vieux Couffé,
le Pas et la chapelle de Tacon sur le bourg de Mésange.
Fendant la belle saison, on évitait une partie de ces
détours en sortant de Nantes par le chemin de Riche-
bourg, le Bourg-Fumé, le Gué aux Chèvres et la prairie
de Mauves dont on traversait toutes les boires et les seils
à l'aide de ponts qui ont été utilisés jusqu'en 1830. Le
premier pont, appelé Pont de Pierre, est cité dès le XIe
siècle; (1) il servit au cardinal de Retz pour s'évader
du château de Nantes et gagner Mauves, puis le bac
d'Oudon.
On le nomme tantôt la rouie de Paris, tantôt le grand
chemin d' Ancenis. A partir du Gué-aux- Chèvres, ou Gué-
Robert, un troisième chemin parallèle montait à mi-côte
vers la chapelle de Toutes-Aides, et le vieux Doulon,
antique station, desservait Chassay et la villa de Tauria-
cum (Thouaré) (2).
Il en était de même pour la vallée de l'Erdre : une voie
tracée à mi-côte s'allongeait jusqu'à Carquefou, à proxi-
mité des domaines des Salles, de Belle-Isle, de Ranzay,
de Portric et des autres villas bâties dans la fertile con-
trée de Saint-Donatien.
Du côté de l'ouest, la cité de Condevincum (Nantes)
(1) Charte de l'évêque Heroicus, 1004. Abbé Delanoue,
Saint-Donatien et Saint- Rogatien de Nantes, p. 104. Nantes,
1904, 1 vol in-8°.
(2) En 1810, les arches de la prairie de Mauves étaient
visibles sur la terre du Parc en Thouaré (série O, conten-
tieux, Arch. dép.).
— 83 —
était défendue par les marais de la Chésine et le coteau
abrupt de l'Hermitage ou de Misérie, (1) en Chantenay,
et par la vallée qui se rétrécit au bout de la rue de
Gigant.
C'est là que fut établi le pont du passage pour le chemin
de Couëron, le plus ancien. La voie montait en droite
ligne le coteau de la Ville-en-Bois et, parvenue au sommet,
elle se divisait en deux branches : la principale allait sur
le bourg de Saint-Herblain par le passage de la Croix-
Bonneau, les Richolets et l'Ornière, tandis que la voie
secondaire descendait au sud, vers le bourg de Saint-Mar-
tin de Chantenay, par la Hautière et suivait les coteaux
qui bordent le fleuve. Elle rejoignait la précédente par
le pont de Pierre et courait avec elle vers la villa romai-
ne de Saint-Martin des Salles, (2) après avoir montré son
pavage à la Porchellerie, enfin descendait au port de
Couëron où des ruines romaines ont apparu, non loin de
l'église, en 1880. La même route remonte à l'Etang-Ber-
nard, poste antique, contourne les marais et paraît se
diriger vers la Sénéchallais et Saint-Thomas.
Parallèlement à cette direction courait la voie de
Nantes à Saint-Etienne qui sortait de Nantes par la
rue de la Bastille, l'arche de Grillau, la Contrie,
traversait Saint-Herblain sous le nom de grand chemin
nantais, touchait les moulins de la Chaussée, à la
Durandière, le lieu du Petit Rome (3), les Piliers,
la Roussellière et Pociou. Son pavage a été recon-
nu au moulin neuf de la Bretonnière ; il a déterminé la
construction des chapelles de Saint-Biaise sur Couëron
et de Saint-Savin sur Saint-Etienne. Au-delà, elle prend
(1) Le miseur était le receveur de la ville de Nantes.
Miserie signifiait recette et dépense.
(2) Marionneau, Fouilles de la chapelle Saint-Martin de
Couëron (Bull, de la Soc. archéol., T. v, p. 75).
(3) Terrier de la sénéchaussée de Nantes, xv, 81 et 247
(Arch. dép., B.).
- 84 -
le nom de route de Guérande, se signale au passage de
Saint-Pierre-du-Goût, en Cordemais, à. mi-côte du sillon
de Bretagne, touche la villa gallo-romaine de la Bim-
boire que j'ai déblayée et arrive sur le versant de la Villa
Saviniaca (1), qui est devenue Savenay. La chapelle de
Saint-Jean de cette localité était sur le bord d'un « grand
chemin et pavé », en 1679, qui devait être le même (2).
De là, ce pavé se continuait le long des bois de l'abbaye
de Blanche-Couronne et allait sur Saint-Nazaire par le
pont et la chaussée de Nion et par le pont de Méans, à
l'embouchure du Brivet. A partir de là, je me suis rendu
compte de visu, avec les ingénieurs, que les vastes prai-
ries basses qui séparent la Loire de la Brière, étaient déjà
colmatées au IIIe siècle et ne différaient guère de leur
aspect actuel.
A partir du pont de Méans, la voie bifurque. Une bran-
che se dirige sur Saint-Nazaire où l'on a constaté la pré-
sence d'un édifice romain aux Préaux, au-dessus de la
gare, pour suivre la côte et desservir les villas qui s'éle-
vaient çà et là, le long du rivage, à Porcé, à la Bougeole,
Escoublac et ailleurs, sous le nom de Basse-Voie ; l'autre
branche contournait le golfe de la Brière et montait vers
Guérande par Saint-André-des-Eaux dont le bourg était
traversé par un pavé (3), ensuite la voie montait vers la
hauteur où était bâtie la célèbre chapelle de Saint-Ser-
vais, lieu de pèlerinage très fréquenté des Bretons au XVe
siècle (4). Je pourrais indiquer une troisième route qui
allait de Saint-André sur Saint-Lyphard, vieux centre
carlovingien.
La véritable route de Vannes qui sort de Nantes par le
(1) Ledoux, Note sur la voie romaine allant de Nantes à
Vannes (Bull, de la Soc. archéol., 1878, p. 153).
(2) Terrier de la sénéchaussée de Nantes, xxin, prieuré d'Er
(Arch. dép., B.).
(3) « Le pavé du bourg de Saint-André », 1696 (E 536).
(4) Bibl. de l'Ecole des ch., lxi, p. 65.
— 85 -
Marchix et la place Viarmes court sur la crête du sillon
qui sépare les vallées du Cens et de la Chésine, traverse
le passage de Saultron et se dirige sur le plateau du
Temple, carrefour de plusieurs voies gardé par un poste
de chevaliers du Temple, passe au-dessus de Savenay,
de la Chapelle-Launay pour atteindre Pontchâteau, pen-
dant qu'une autre route barre celle-ci à angle droit dans
la direction de Blain à Rohars, à la bifurcation du
Temple (1^.
IV
Voies romaines partant d'Ancenis
Plusieurs voies rayonnaient certainement autour de
Saint-Géréon, centre romain et mérovingien qui a vu
naître Ancenis, au Xe siècle, avec sa forteresse destinée
à garder le passage établi sur la Loire en cet endroit (2).
Outre la voie qui wnait de Nantes et se dirigeait sur
Angers par Anetz, Varade et Ingrandes, il existait certai-
nement plusieurs autres grandes chaussées qui mon-
taient les coteaux des environs. La plus connue est celle
de Pannecé, qui traversait les landes du Château- Rouge
et portait le nom de Chemin des Saulniers, elle a été
reconnue au Courau et à la Chapelle-Rigaud, en Mésange,
puisa la Croix-au-Vesque, en Pannecé. Elle était coupée
sur Mésange par la voie de Blain à Saint-Herblon qui
traverse la Chapelle-Breton sur Mouzeil, et par une voie
partant du pont Noyé, en Oudon, et filant sur Candé par
les villages du Pas, du Pas-Nantais et la chapelle méro-
vingienne de Tacon.
Sur Pannecé, elle croisait, au passage de la Bourdi-
nière, la grande voie qui reliait la vieille ville de Candé à
(1) Voir, pour plus de développements, Léon Maître,
Géogr. hist. et descriptive de la Loire- Inférieure, T. 1, p. 523.
(2) Léon Maître, Ibidem, T. 1, p. 229.
- 8f> —
Nort par Saint-Mars-la-Jaille, la Haie-Chapeau et le
château de la Guibourgère. Nous savons, par un procès
soulevé à propos d'une tentative de détournement, que
l'allée du château servait de route ordinaire aux commu-
nes circonvoisines. « Par là passaient une foule de mar-
chands des départements de Normandie, du Maine et de
l'Anjou pour se rendre aux marchés et aux foires de
Nort, de Joué, de Trans et des Touches. »
Les documents signalent une autre route, nommée
chemin cT Ancenis à Auverné, dont le pavage était visible
en 1818, sur une demi-lieue de long, et qui se dirigeait au
nord par les Montils, la Croix-Chemin et la chapelle de
Saint-Ouen, en Riaillé.
Le grand chemin d'Ancenis à Nozay est encore une
dénomination fréquente, il se confond avec la route de
Nort ; il emprunte d'abord, jusqu'au pont Esnault, la
route nationale n° 164 d'Angers à Brest, qui est fort
ancienne, car elle sert de limites à la commune de Couffé
et suit une direction rectiligne très significative. C'est,
d'ailleurs, la route de Saint-Géréon aux ponts de Nort. Sur
Mouzeil, il y a une bifurcation voisine des Mines, à déter-
miner, qui doit traverser Trans, Joué et Abbaretz.
L'arrondissement d'Ancenis était traversé au nord par
une autre voie partant du vieux centre gaulois de Candé
pour desservir la forêt et le château de Vioreau ; son tracé
en droite ligne passait par Freigné, le sud du village de
Carbouchet, le Raiteau, le Mortier, la forêt d'Ancenis,
l'intervalle qui sépare les étangs de la Poitevinière (l)et de
la Provostière, touchait la Tisonnière où l'on a trouvé
des monnaies romaines d'or et de billon. Là, elle prend le
nom de voie des Romains et dessert le Pas au Chevreuil.
D'autre part, on a la certitude que Nantes et la Cha-
pelle-Glain étaient reliés par une grande route qui em-
pruntait d'abord la chaussée de Nantes à Saint-Jacques-
(1) On disait le passage de la Poitevinière.
— 87 —
des-Touches par Petit-Mars; là, elle tournait à droite
pour rejoindre Saint- Jean-de-la-Grossière sur Trans et la
barre Théberge, autre carrefour, puis s'en allait à la Bru-
naie de Riaillé, traversait l'Erdre, passait à la Rouau-
dière, à la Provôtière, touchait la limite de Joué, laissait
la Vairie et le Pont-Chollet, un peu à l'est, et traversait la
forêt d'Ancenis. Ce tracé existe encore: sur Saint-Sulpice,
il y prend le nom de Chemin nantais ou marchand.
Guérande et ses voies d'accès
La meilleure démonstration de l'antiquité de Guérande
est dans la multiplicité des voies qui rayonnaient dans
sa banlieue et partaient de ses murailles dans toutes les
directions (1).
Cette ville était reliée à trois passages fréquentés de
la Vilaine : ceux de Vieille Roche en Penestin, du Palus
de Lisle en Ferel, de Cran prés de Rieux. Pour y parvenir,
on suivait d'abord une route unique par Crémeur, Ker-
guenec en Saint-Molf, les landes de Malabri et de Mont-
pignac, la butte aux Binguets, la butte de Trebrezan, à
travers les marais de Pont-d'Arm où les débris romains et
les pierres de la chaussée sont visibles. Sur Assérac, une
bifurcation se présentait : une branche se dirigeait sur
Cran par Kerhérant, la Cour-aux-Loups au dessus du
bourg d'Herbignac, par la Maladrie, Villeneuve, le
Sabot-d'Or, le Mouton-Blanc, Moutonnac, Saint-Jean
en Saint-Dolay (près du Temple) et Cran. Cette même
(1) Blanchard, Vénètes, Namnètes et Samites (Bull, de la
Soc. archéol., 1881, T. 30, p. 193). — René Kerviler, Vénè/es,
César et Brivales portas, 1882 (Ibid.) - - Orieux, Station
gallo-romaine de Grannone, 1884 (Ibid.) — Léon Maître,
Guérande et la contrée guérandaise (Géogr. hist. et descr. de
la Loire- Inférieure, I, pp. 119-218).
- 88 —
route se dédoublail à I lerbignac pour envoyer une bran-
che sur le Palus de Lisle. Le tronçon qui allait rejoindre
Penestin parlait d'Assérac.
Le voyageur sortant de Guérande du côté du Sud
avait le choix entre la roule haute et la route basse. La
première passait par Kerfas, près du Blanc, où elle sert
de limites à deux communes, près le moulin de Coetcas
et descendait par Brangouré et Tétras sur la Ville-ès-
Pierres où elle rencontrait la voie d'Herbignac. Ceux qui
préféraient suivre les contours de la côte maritime
passaient au nord de Tromarzen au sud de Kerquessaud,
traversaient le vieux bourg d'Escoublac sur un chemin
pavé, que les anciens ont vu avant l'envahissement des
sables, et rejoignaient Saint-Nazaire par le village du
Grand-Chemin et le lieu dit la Ville-Chaussée (1).
Ceux qui avaient affaire au Croisic ou dans les marais
salants n'avaient pas besoin de passer par Guérande, ils
trouvaient à Cuy le grand chemin de Saint-Nazaire au
Croisic par Careil et Saille. Bien avant les routes salicoles
modernes, on circulait très facilement à travers les sali-
nes, les monticules et les canaux au moyen de ponts et de
chaussées. Les titres citent le pavé qui conduit de Saille
au bourg de Batz, le grand chemin de Kerrigodo à Tréba-
tier, de Congor au Croisic par la saline de Cambigné, ce
qui n'empêchait pas le tracé direct d'une autre voie
partant du faubourg Saint-Armel pour descendre le ver-
sant occidental et gagner Saille, Saliacum, la mère-patrie
du sel. Cette voie servait aussi aux habitants des deux
villas romaines retrouvées à Kerbrenezay et à la Pierre-
Levée.
Du côté du nord, Guérande était rattachée aux éta-
blissements romains de Clis et de Piriac par une voie qui
sortait par le faubourg de Bizienne, traversait Trescalan
et le village du Grand chemin.
(1) Aveux de Cleuz ei de Saint-Nazàire (Arch. dcp., séries
B et E. - Aveux de Lesnerac, coll. de Wismes).
— 89 —
Du côté de l'est, le pavé de Beaulieu était désigné, au
XVIe siècle, comme « le grand chemin qui conduict de
Guérande droict à la Madeleine », village où des tom-
beaux de briques ont révélé la présence des Romains; de
là, il rejoignait, près du moulin de la Croix-Longue, la
voie romaine qui montait de Saint-André à la Vilaine par
le Pigeon-Blanc et la Baronnerie.
Si, après ces témoignages d'activité, nous doutions
encore de l'occupation du pays par les Romains, nous
n'aurions qu'à consulter la liste des collections de mon-
naies anciennes, récoltées dans le pays après 15 siècles de
bouleversements. « Le nombre des médailles romaines
en bronze, dit un témoin vivant en 1819, que le hasard
fait découvrir chaque jour dans le pays, est si grand, qu'on
n'est pas étonné de les voir passer dans la circulation
pour des pièces de cinq ou de dix centimes. La plupart
de ces monnaies sont consulaires, quelques-unes sont
impériales r< (1). De son côté, Fournier, l'antiquaire de
Nantes, avait déjà noté sur son carnet, en 1806, une dé-
couverte de 46 monnaies de Nerva et 31 de l'empereur
Hadrien (2). J'ai beaucoup allongé cette liste dans
ma Géographie historique et descriptive de ta Loire-
Inférieure, T. 1, p. 212; je suis obligé d'y renvoyer le
lecteur.
Cette énumération ne représente que la minime partie
de ce qui a été exhumé par nos contemporains. Ajoutez-y
toutes les découvertes faites depuis 15 siècles par les
générations qui nous ont précédés, et vous n'aurez encore
qu'une faible idée de la richesse des populations gallo-
romaines qui ont vécu sur notre sol avant l'arrivée des
Francs.
(1) Morlent, Précis sur Guérande et le Croisic, p. 170.
(2) Antiquités de Nantes, T. 1, p. 65.
- 90 —
VI
Voies de la région de Châteaubriant
Nous avons bien des raisons de croire que la région
de Châteaubriant avait un réseau de voies aussi complet
que les autres parties du pays nantais ; sa forteresse
féodale de Beré, bâtie au-dessus de la vallée de la Chère,
n'aurait pas été érigée en cet endroit si le fondateur
n'avait eu à proximité le croisement de deux routes, l'une
venant du sud et de la forêt pavée et passant le Semnon
sous le donjon de Soulvache, passage très ancien; l'autre
réunissant Derval et Pouancé. Cette dernière est citée au
IXe siècle sous le nom de via publica ; (1) elle a montré son
empierrement aux chercheurs dans plusieurs endroits de
la forêt de Domnèche. Un tronçon se dirige vers Saint-
Aubin-des-Châteaux sous le titre de Chaussée à la
Joyance. Il va tout lieu de croire qu'une voie réunissait
aussi Béré à Candé et à l'Anjou par le vieux passage de
Vouvantes. Sur ce parcours, je vois la forteresse de la
Motte-Glain, bâtie pour garder un itinéraire antérieur
à la féodalité comme bien d'autres. La plupart des sei-
gneurs n'ont été déterminés dans le choix de leur rési-
dence que par l'existence d'un grand chemin d'accès.
Quand une vallée était trop large ou trop profonde, les
anciens remplaçaient les ponts par une chaussée de
pierres traversée, de distance en distance, par des puits
faciles à couvrir au moyen de madriers; le tout était
submersible. On fit à Moisdon, pour franchir le Don, une
chaussée qui est souvent citée dans les vieux titres
comme le prolongement d'un grand chemin venant de
Nantes par les Touches et le passage de Saint-Donatien
de Joué; c'est pourquoi les Templiers fondèrent une rési-
dence à Moisdon.
(1) Cartulaire de Redon, n° 231.
91
Rougé, Lusangé, Fercé, Ruffigné, Louisfer, Auverné,
Sion, Juigné sont des noms dérivés du latin qui attestent,
comme les monnaies, la fréquence des groupes romains
qui exploitaient les gisements de fer du pays et qui ont
construit toutes ces chaussées pavées pour l'exportation
des produits de leurs forges. Nous avons trouvé des
monnaies qui prouvent que le commerce s'est étendu
à Saint- Vincent-des-Landes, à Saffré, à Petit-Mars et à
Nort.
Nozay, avec sa châtellenie, était au point d'intersection
de deux grandes voies bien reconnues : celle qui montait
de Nantes à Rennes que j'ai déjà citée, et une autre ve-
nant de l'Est, dont le prolongement, sur Guémené, a été
rencontré lors des partages de landes autour des Quatre
Contrées et au lieu dit le Haut-Merel (1). Quand on tire
une ligne droite de Nozay à Candé, on traverse la région
qui contient le plus de traces de l'industrie métallurgique
des anciens : les forêts de l'Arche, de Vioreau, de Melle-
ray, d'Ancenis et de Saint-Mars, le bourg de Melleray,
vêtus Melereium. Il n'est donc pas téméraire de rattacher
Nozay à Abbaretz au tronçon de voie qui sort de Candé
pour toucher la Rarre-David.
VII
Les voies romaines chez les Piétons
Sur la rive gauche de la Loire, les traces de la domina-
tion romaine ne sont pas moins nombreuses que sur la
rive des Namnètes. Outre le port de Rezé, portus Ratiaten-
sis, qui occupait trois kilomètres de terrain en bordure
sur la Loire, on rencontrait des constructions romaines à
Vertou, aux Cléons, au Loroux, à Saint-Julien-de-Con-
celles (Nociogilum) (2), au Rignon, à Rougon, à Corcoué,
(1) Témoignage de M. Benoît, expert.
(2) Testament de S. Bertrand (Gallia christ, xiv, 116).
— 92 —
à Arthon, à Saint-Père-en-Retz, au Clion, à Prigny et,
dans la contrée voisine, des cités importantes comme
Durinum (Montaigu), Chassiacus (Montfaucon), Tiffau-
ges, Montrevault, Aizenay (1), avec lesquelles les commu-
nications des Namnè+cs étaient fréquentes. Là, comme
ailleurs, les ingénieurs romains ont tracé le.urs grandes
routes sur la ligne de partage des eaux, au sommet des
vallées, et ont choisi les meilleurs passages pour franchir
les rivières qu'ils ne pouvaient éviter. Les abbayes de
Villeneuve, de Geneston, de la Chaume, les châteaux de
Toufou, des Huguetières et bien d'autres, n'avaient
choisi leur emplacement que pour être à proximité des
grands chemins de l'antiquité.
Dès qu'on avait franchi le dernier bras de la Loire à
Pirmil, on avait devant soi une voie qui courait, sous le
nom de grand chemin Clissonnais, sur un plateau domi-
nant les deux vallées de la Sèvre et de la Goulaine, sur
laquelle s'embranchait, à Notre-Dame-de- Bonne-Garde,
le chemin de Saint-Sébastien et des communes riveraines
de la Loire; à droite, le chemin bas de Vertou par Beau-
tour et les rives de la Sèvre (2).
Près de la Grammoire et de la Maladrie de Vertou (la
gare du chemin de fer), un autre embranchement la
rattachait à l'abbaye mérovingienne de Vertou ; plus
loin, près de l'Allouée, une nouvelle bifurcation conduisait
au pont de Louan que j'ai déjà eu l'occasion de citer. Il
n'y avait pas d'autre passage pour franchir les marais
de la vallée de Goulaine. Là, aboutissaient un grand
chemin venant de Portechaise en Saint-Sébastien, port
abandonné depuis longtemps, le bas chemin de Nantes
par la Savarière (3) et un chemin venant de Saint-Fiacre.
(1) Voir Léon Maître, Géographie hist. et descr. de la
Loire- Inférieure, T. 11, p. 52.
(2) Ce chemin bas subsiste jusqu'à la chaussée de Vertou
(Géographie hist. et descr., T. 11, p. 110.).
(3) Aveux de Saint-Séhastien, 1511 (Arch. dé])., série B).
93
Parvenue près du Hallay, cette grande voie se divisait
de nouveau en deux branches importantes, Tune allait
sur Vallet et Geste, en passant près de la station romaine
des Cléons, où elle a été très bien reconnue, tandis que
l'autre branche, dirigée sur la châtellenie du Pallet qui
commandait le passage, arrivait à la Trinité de Clisson
sur la rive droite de la Sèvre. Cette voie se nommait le
grand chemin de Clisson et devait servir aux voyageurs
de Montfaucon.
Une autre voie reliait Pirmil à Clisson par la rive
gauche sous le nom de route de Poitiers, en empruntant
le parcours de Vertou et de Saint-Fiacre ; elle franchi-
sait la vallée de la Sèvre à la Ramée, où se trouvait un
bac royal (1), il n'y a pas 100 ans, montait le plateau de
Saint-Fiacre et arrivait à Clisson par Gorges pour desser-
vir la contrée deTiffauges, pagus Teophalgicus. Dans une
enquête de 1674, ce grand chemin est appelé chemin
Chastelays, il passe à la Croix de la Justice de la Bretes-
che, en Monnières, et sépare Monnières de Saint-Lumine-
de-Clisson (2). Sur Cugand, il devait passer à la ferme de
la Haute-Voie (3).
Le Loroux-Bottereau, Oratorio, célèbre par ses cime-
tières mérovingiens, était un carrefour d'où partaient
plusieurs voies : l'une allait par la station de Saint-Bar-
thélémy au bac du Gué-au-Voyer, au Guinio, où à la Che-
buette, pour passer la Loire ; une autre se dirigeait sur
Chantoceau, sous le nom de Strée, par le pont Truberd, sur
la Divate; une autre sur Barbechat, sous le nom de che-
min du Loroux au Maniais, célèbre pèlerinage. Le che-
min de Nantes au Loroux par le pont de Louan montait
directement le coteau de la Sanglère, sous le donjon du
(1) La plage se nommait encore le Port au Duc et le
charrau sur la Bourchinière en 1853 (Arch. dép., série O,
Titres de Saint- Fiacre.
(2) Enquêtes du Présidial, 1G74. (Arch. dép. B).
(3) Acte de 1634 (Arch. dép., B 853).
— 94 —
château de la Roche; de plus, une bifurcation, au sortir
du pont, se rendait aux landes de Sainte-Catherine par
les ruines du Perron et le moulin de la Corbinière. Ces
mêmes landes étaient traversées par le grand chemin du
Loroux à la Chaussaire par Moquepeigné, qui servait de
limites entre le Loroux et la Remaudière sur un long
parcours (1).
Pour passer de Nantes dans le pays de Raiz et parcou-
rir les alentours du lac de Grandlieu, pagus Herbadellicus,
on franchissait la Sèvre près de son embouchure dans la
Loire, au pont Rousseau, vieux passage signalé dans les
actes du XIIe siècle, et à peu de distance se trouvait un
carrefour où aboutissaient les voies de Machecoul, du
Pont-Saint-Martin, et la route de La Rochelle (2).
Cette dernière était la plus importante jusqu'aux
Sorinières, car elle recevait la circulation de plusieurs
autres routes qui venaient du Midi vers Nantes, et se
séparait aux Sorinières, en deux branches.
Le port de Raiiate (Rezé) était rattaché au carrefour
de Pont-Rousseau par une voie aboutissant à Notre-
Dame-des-Vertus et à la route de Machecoul par le
chemin de Maupertuis. Il va sans dire qu'une route
parallèle à la Loire et voisine du fleuve réunissait les
établissements des Couëts, de la Motte de Rougon
et portait la circulation jusqu'au Pellerin (3).
Le chemin dit des Routeilles, qui va passer au Rignon,
station romaine, avait sa chaussée pavée, il n'y a pas
50 ans; il conduisait directement à Montaigu Durinum,
par les lieux dits le Charrau, la Chaussée, sur Monte-
bert; plus loin il forme la limite des communes de
Remouillé, de Vieillevigne et de la Planche et va re-
(1) Léon Maître, Géographie hist. de la Loire- Inférieure,
ii, p. 339.
(2) Cartulaire de l'abbaye de Tiron, n° 216.
(3) Géographie hist. et descr., t. II, p. 53.
95
joindre la Vendée par le Marché Neuf et la Strée, la
Petite-Salle et le Pâtis.
Il est non moins certain que, des Sorinières, partait
une autre voie qui passait sous le donjon du château
de Joufou pour aller sur le bourg d'Aigrefeuille : c'est
la route de Bordeaux n° 137 (1). Elle est antique, parce
qu'elle court sur un plateau et qu'elle sert de limites
aux communes du Bignon et de Vertou ; elle passe sur
le vieux pont de Remouillé et rejoint la précédente
à Montaigu.
Le village de Viais, nom latin sorti de Viae qui si-
gnifie les voies, sur le territoire de Pont-Saint-Martin,
nous indique que la route nationale n° 178 des Sables-
d'Olonne est antique; elle court vers le pont de Saint-
Colombin, nommé le Pont-James ou Saint- Jacques,
et traverse Legé. Son début est sur le plateau des
Sorinières ; elle dessert l'abbaye de Villeneuve où elle
bifurquait. Avant la route stratégique n° 25, on allait
à l'abbaye de Geneston par Villeneuve en touchant
le château de l'Epinay, on traversait l'Ognon au Pont-
Neuf et on descendait par la Fosse-Noire, la Chasse
et Beau-Soleil (2). De là, on atteignait les immenses
landes de Bouaine sur lesquelles on devait rencontrer
une bifurcation qui allait à Vieillevigne par l'Audon-
nière et le Marchais, nom qui nous révèle son passage.
La route directe de Nantes à Saint-Philbert (Deas),
passait par le Pont-Saint-Martin, vieux pont dont la
construction première peut remonter à l'apôtre Martin
de Vertou (3), qui évangélisa le pays d'Herbauge, elle
touchait les châteaux des Huguetières et de la Fru-
«
(1) Le pont neuf du Bignon ayant manqué, les marchands
de Nantes à La Rochelle, en 1485, portèrent plainte (Arch.
dép., E 128.)
(2) Congres archéologique de France de 1864, p. 63.
(3) De ce pont partait le grand chemin de Geneston (Ta-
bleau des chemins ruraux).
Soc. Archéol. Nantes. 7
— 96 —
dière où dos ruines romaines sont sorties de (erre, et
aboutissail à la chaussée e1 au pont «le Saint-Philbert
dont parle Louis le Débonnaire dans un diplôme de
819 (1). Il est rare qu'un pou! serve à une voie unique.
La chaussée venant de Nantes se décomposai! à la
sortie du pont en plusieurs embranchements destinés
à desservir les stations romaines de Sainl-Lumine-
de-Coutais, de Machecoul et de Beauvoir (2). Cette
dernière nous est indiquée par la translation des re-
liques de saint Philbert, lorsque les religieux de Noir-
moûtier vinrent se réfugier à Deas (Grandlieu) avec
le sarcophage de leur patron, en traversant les bourgs
de Varne et de Paulx. Sa direction Sud-Ouest, Nord-
Est, paraît bien indiquer qu'elle fut faite pour rattacher
la côte de Beauvoir et ses salines au port de Bezé et
à celui de Nantes.
Les grands chemins qui se dirigeaient de Nantes-
Pirmil ou de Bezé vers le Sud par le pays de Baiz
touchaient le domaine de Bégon ou Bougon et se sé-
paraient près du hameau des Barres: l'un allait au
passage du Port- Saint-Père sur la Chenau du lac, sous
le nom de Grand Chemin Sautais, pour atteindre
Machecoul ou le Col des Marches (3).
Ce passage de Port-Saint-Père, qui est cité dès l'é-
poque mérovingienne (4), était desservi tantôt par un
bac, tantôt par un pont suivant les ressources dispo-
nibles. « Les ponts du Port- Saint-Père sont cités dans
(1) « Ut transitam ei per viam regiam quant stratam oel cal-
ciatam dicunt rident aipia1 concederemus », 811) (Arch. de
Saône-et-Loire, H, 177, n° 1).
(2) (iéograpttie historique cl descriptive, T. n. p. 68.
(3) Acte de 1451. (Arch. dép.,B. 7(10 et 702) Machecoul
était encore traversé par le chemin romain venant de Pri-
gny et celui qui desservait le port de Saint-Mesme.
( i i Géographie ancienne de Ut Vallée du Tenu (Bibl.
de l'Ecole des Charles. 1899, T. t. X.).
— 97 —
un aveu (1465) de l'abbé de Pornic qui percevait la
moitié des coutumes, sans doute à la charge d'entretenir
le pont. (1)
L'autre voie se dirigeait vers la cité gauloise de Vue,
Vidua, en passant au nord de Brains et de Cheix où
elle coupait la voie du Pellerin au passage de Pilon,
célèbre par sa chaussée et ses chapelles (2), et la décou-
verte de 800 monnaies romaines qu'y fit M. de Grand-
ville, en 1838. De là, le grand chemin tendait sur la
station antique et mérovingienne de Saint-Père-en-
Retz, autour de laquelle rayonnaient plusieurs voies.
Saint-Père-en-Retz devait être assurément en re-
lations avec les stations de la baie de Bourgneuf, avec
l'exploitation de calcaire d'Arthon et des Chaulmes
de Machecoul. On circulait beaucoup au XIIe siècle,
puisque le duc de Bretagne Conan prit soin de placer
un poste de Templiers dans chacune des paroisses
de Raiz, suivant une charte de 1148. Il y avait un grand
chemin traversant la contrée dans toute sa largeur du
nord au sud; il est nommé, en 1050, la voie des Moû-
tiers à Saint- Viau ; (3) il ne pouvait passer ailleurs qu'au
pont du Clion sur la vallée de Haute-Perche, et mon-
tait par la Fontaine-aux-Bretons, la Croix-Chaussée, vers
le bourg antique de Prigny, Pruniacense opidum,
pour atteindre Machecoul par Saint-Cyr et Fresnay. (4)
Dans ce parcours, il se nomme encore la Charrau,
sur Prigny, et sert de limites aux communes de la
Bernerie et du Clion. Il est évident que sur cette grande
artère venaient se souder des embranchements pour
desservir les villas romaines de la côte et de l'intérieur.
(1) Archives dép. B. 794).
(2) Ibid. E., 154. V. aussi de Lisle, Dict. archéologique,
p. 242.
(3) « Via quœ de Monasteriis ad Sanctum Vitalem tendit >>
(Cartul. de Redon, p. 270).
(4) Ibidem, p. 386.
- 98 -
Entre Chauve et Saint-Michel, la limite est un vieux
chemin allant de Saint-Père-en-Retz à Chauve où sub-
sistent 100 mètres d'une chaussée faite de galets.
Frossav avec son port du Migron, possédant le seul
et dérider bac de la liasse Loire, était naturellement
en communication avec la côte pornieaise, et la route
dont se servaient les voyageurs se nommait « le grand
chemin qui conduit de Pornicq au bourg de Frossay »,
en 1683. (1) Il est le même sans doute que lauia publica
du cartulaire de Redon (268).
Une autre voie sortait de Saint-Père-en-Retz et se
dirigeait sur Rezé par la commanderie des Riais, le
prieuré de Sept-Faux et la Chaussée-Leray (2). Les
bourgs du Clion, d'Arthon, de Chéméré, de Saint-
Hilaire et de Sainte-Pazanne sont établis sur une ligne
transversale allant de l'est à l'ouest qui paraît indiquer
le tracé d'une voie qui rattachait ces localités au chemin
de Nantes à Machecoul. Les centres de population ne
sont pas nés du hasard ou du caprice, le choix de leur
emplacement a toujours été déterminé par la proxi-
mité d'une artère de la circulation ou par les avan-
tages d'un cours d'eau.
(1) Terrier de la Sénéchaussée de Nantes, V, f° 240
(Arch. dép. série B).
(2) Géogr. hist. et descr., II. p. :j.t',7.
Visites à Rezé
Messieurs,
Dans une séance récente de la Société Archéologique,
un de nos plus dévoués collègues, M. Senot de la Londe,
annonça qu'on venait de trouver à Rezé des amphores
différentes de celles qui se rencontrent ordinairement et
portant en particulier un plus grand nombre d'anses.
La chose paraissant intéressante, notre distingué pré-
sident, M. Alcide Dortel, y fit une première visite, et
jugea nécessaire de s'adjoindre cinq autres membres du
Comité, pour former une Commission chargée d'étudier
les faits avec mission de vous en rendre compte.
Autour du Président s'étaient donc groupés : notre
savant archiviste paléographe, M. Léon Maître, lui-
même ancien Président, et auquel nous devons, dans Les
Villes disparues de la Loire-Inférieure, une histoire de
Rezé ; notre érudit collègue, M. Paul de Rerthou, égale-
ment archiviste paléographe ; le zélé bibliothécaire de la
Société, numismate de valeur, M. 'Soullard ; notre très
aimable et ancien vice-président M. de Senot, divulga-
teur de la trouvaille ; et celui qui écrit ces lignes.
Rien qu'entouré de collègues plus documentés et plus
autorisés que moi, je dus accepter la mission de préparer
ce compte-rendu et vais essayer de la remplir avec toute
la sincérité dont je suis capable, au simple titre de
fouilleur des Cléons.
Loin de moi la pensée de vouloir prétentieusement
identifier les Cléons à Rezé ! La Société Française
d'Archéologie visitant les premiers au Congrès de 1886,
jugea, non sans raison, qu'ils étaient aux premiers
siècles de notre ère, une villa romaine étendue et puis-
— 100 —
saule, puisqu'on en voit les substructions et les débris
sur plus de 20 hectares ; riche et luxueuse surtout,
comme l'atteste le musée local, Ratiate était au contraire
une véritable cité ; la seconde des Pictons après Limo-
num leur capitale ; leur port sur la rive gauche du Liger,
tel et plus important peut-être, que fut sur la rive
droite le Portus Namnetum de la tribu voisine.
Mais il existe, entre les deux localités Pictones, des
affinités si grandes et si multiples qu'il est bon de les
relater pour en fixer le souvenir par une comparaison
rationnelle. J'aurai donc à vous reparler de notre ter-
rain calcaire.
Une fouille à Rezé ! La simple évocation de ces
quatre mots presque magiques, a toujours provoqué
le désir et la joie des chercheurs et des fouilleurs Nantais.
Ce double sentiment se justifie sans peine, car l'antique.
Ratiatum est, sans contredit, l'un des plus beaux fleu-
rons de la brillante couronne archéologique de notre
département.
Donc, le 7 février dernier, jour fixé pour l'excursion,
la Commission se réunit à la Rourse, et prit le bateau
du Service direct pour arriver à Trentemoult quelques
minutes après. Le ponton d'atterrissage allègrement
franchi, nous nous acheminons, en causant de vieilles
choses, vers le terrain que nous allions visiter. Il se
trouve dans une situation tout indiquée pour les re-
cherches : dans le bourg même, joignant presque la
nouvelle église, et appartient à M. Ernest Colon qui se
charge de mettre lui-même son enclos en valeur et
vient d'y découvrir, avec de nombreux débris Gallo-
Romains, les amphores en question.
Parvenus au bas de la chaussée qui conduit à Rezé,
nous croisons par un heureux hasard le propriétaire
se rendant pour affaire à Nantes, et qui veut bien
retourner sur ses pas, pour préparer, dit-il, notre récep-
tion chez lui.
Afin de donner à notre hôte cette bien facile satis-
101
faction, nous décidons d'un commun accord de visiter
la chapelle de Saint-Lupien : les uns avec le plaisir de
la connaître, les autres avec celui de la revoir.
L'histoire de Saint-Lupien n'est plus à faire ;
mais nous étions attirés surtout par cette crypte, où
la présence de substructions archéologiques antérieures
à la vie du saint, pouvait encore être constatée. Elle
est recouverte par une chapelle de la fin du XVe siècle,
depuis longtemps désaffectée, après avoir subi des
restaurations malheureuses qui, dit l'un de nous, lui
ont enlevé tout intérêt archéologique, même au point
de vue documentaire. On s'en sert actuellement comme
de magasin. La crypte, fort heureusement non recom-
blée, est encore protégée par une voûte de brique sup-
portée par des traverses de fer ; mais la trappe qui doit
nous en ouvrir l'entrée est encombrée de quelques
fagots et d'environ 300 kilogrammes de fourrage.
Il eut été pénible de se retirer sans rien voir ; et nous
insistons avec une touchante unanimité. On apporte
enfin des fourches dont s'emparent les plus jeunes qui
travaillent à l'envi et font en quelques instants dispa-
raître tout obstacle.
La trappe laisse apercevoir, à défaut de degrés, un
plan incliné fait de terre et de débris difficilement
accessible. Enfin, armés de lumières ; le corps forcé-
ment reployé sur lui-même ; nous pénétrons à l'inté-
rieur.
La lumière du jour n'entre jamais librement dans
cet impressionnant sanctuaire. L'air y est froid et hu-
mide, et cependant suffisamment pur ; un homme,
même de haute taille, peut s'y redresser à l'aise. Mais
un sentiment, presque indéfinissable, s'empare du
visiteur au premier abord : On se tait un instant ; on
s'arrête en se trouvant dans cette lueur blafarde ; on
cherche à regarder sans rien définir. Est-ce le respect
de la traditionnelle sainteté du lieu qui s'impose ? le
voisinage, bien que prévu, de la mort ? l'incertitude
— 102 —
sur ce qui doit être observé ? Mais l'archéologue se
ressaisit promptement et l'inspection détaillée commence.
Tout au Tond apparaît le chœur dont les colonnes
de soutènement sont demeurées debout ; vers le milieu
existe encore une légère dépression du sol, et c'est là
vraisemblablement l'endroit où reposa le corps de
Saint Lupien. En arrière et sur les côtés se voient,
superposés, des cercueils dont plusieurs ont été violés ;
à gauche, touchant la paroi du mur, est un amas de
débris humains, en grande partie composé des côtes
et des os longs des défunts ; puis, courant à angles
droits, les deux murs Gallo-Romains qui nous inté-
ressent si vivement.
Ces murs, au point de vue de la maçonnerie, sont
identiques à ceux des constructions Gallo-Romaines
des Cléons élevées au IIIe siècle : petit appareil non
taillé, mais simplement dégrossi au marteau, avec un
joint épais, au milieu duquel est figurée une rainure
qui pénètre dans le mortier, pour simuler la régularité
rectangulaire de l'appareil ; chaînes de briques dans
le corps des murs, dont l'un s'élève même sur des fon-
dations que termine, à l'affleurement des terres, une
rangée des mêmes briques.
Nous y avons cependant remarqué la différence
suivante : Quelques appareils bien rectangulaires et
très régulièrement taillés sur leurs surfaces de façade
et de pose, s'y trouvent disséminés. Ils proviennent
donc de murs Romains construits avant le IIIe siècle.
Cette particularité ne s'est pas présentée aux Cléons,
où les appareils bien taillés des Ier et IIe siècles se
trouvent employés comme de simples moellons, dans
l'intérieur des murs du IIIe ; comme si le maçon, ayant
la conscience que l'ouvrier précédent lui était supé-
rieur, avait voulu dissimuler le premier travail, pour
ne pas déprécier le sien. Sur le dérasement d'un de ce6
murs se trouve, négligemment posé, le fond d'un
cercueil de pierre. Il est vide, ayant perdu les deux
— 103 —
tiers de ses côtés. Nous constatons que c'esl un mono-
lithe du calcaire des Cléons, semblable à ceux dont
était entouré celui de Saint-Lupien ; et nous dirons
plus loin comment on les apportait en ce lieu.
Mais, l'heure s'écoule rapidement, et nous entendons,
d'en bas, la voix de M. Colon qui est venu nous re-
joindre, comme pour nous rappeler que le temps presse
et menace de nous faire défaut, en raison de ce qu'on
doit avoir à nous montrer et à nous dire. Nous remon-
tons à la hâte, et prenons congé des maîtres du logis,
après les avoir bien chaleureusement remerciés de
leur réception aimable. Cinq minutes après nous arri-
vions chez notre nouvel hôte.
A vol d'oiseau, les Cléons sont à douze kilomètres
environ de Rezé ; ils paraissent se trouver beaucoup
plus dans les terres, car la Loire, en amont de Nantes,
en est éloignée d'une distance à peu près égale. Mais,
au point de vue géologique abstraction faite de la diffé-
rence du sol, comme en raison de la facilité de la navi-
gation et des communications réciproques, la situation
des deux antiques stations était, à l'époque archéolo-
gique qui nous occupe, absolument identique : toutes
deux étaient sur la rive gauche; toutes deux, également,
en plein pays Picton, la tribu possédant, lorsque appa-
rut César, la contrée entière depuis Limonum ; et les
abords du fleuve jusqu'à l'Océan.
Pendant le vaste entraînement quaternaire qui mit
fin aux grands bouleversements du globe, creusa le
lit de la Loire et rendit possible l'apparition de l'homme ;
les eaux maintenues au Nord par des roches résistantes,
élevées et inattaquables, se portèrent vers le Sud, en
y déterminant ce que nous appelons aujourd'hui la
Vallée de Basse-Goulaine ; puis, pénétrant par l'étran-
glement du Pont de Louen, elles arrivèrent jusqu'au
banc non moins inattaquable du calcaire tertiaire
des Cléons. Le fleuve Lir/er y pénétrait encore aux pre-
miers siècles ; et ce fut là, nous l'avons dit, ailleurs,
— 101 —
une des principales causes de l'établissement de notre
station Gallo-Romaine.
Cette énorme surface de plusieurs milliers d'hec-
tares n'est plus aujourd'hui qu'un estuaire, produit
par un colmatage naturel et par la construction, de
main d'homme, des digues de la Divatte et d'Embreil.
Elle a plusieurs kilomètres de largeur : mais, je n'y
ai pas moins vu dans mon enfance il y a plus de
60 ans - les grands bateaux plats des mariniers de la
Loire, naviguer à pleines voiles, à travers les canaux
creusés au XVIIIe siècle par le Syndicat des Marais
de Goulaine, pour venir prendre, au Port des Brosses,
sur les Cléons mêmes, ou bien à ceux des Grenouilles
et du Montrut situés dans le voisinage, des vins et autres
chargements. Cette vaste plaine s'inonde d'ailleurs
encore à notre époque ; et devient un véritable lac
dans les hivers pluvieux.
C'est par le Port des Brosses que les grands mono-
lithes Mérovingiens quittaient les Cléons. C'est par
« les routes qui marchent » comme dit Rollin dans
Les Etudes, qu'on les transportait à Rezé, à Saint-
Donatien, à Saint-Similien et sur tous les points du
département, mais toujours particulièrement sur les
rives de la Loire, de la Sèvre et de l'Erdre où nous les
avons retrouvés.
Les eaux se resserrèrent pour passer entre le coteau
argilo-schisteux de Ratiatum et les puissantes roches
granitiques de Chantenay, l'une des dernières ramifi-
cations du sillon de Bretagne. L'estuaire, en cet endroit,
fut donc forcément limité au Seil étroit de Rezé ;
mais, la situation des deux localités n'en était pas
moins la même.
M. Colon, qui l'avoue du reste franchement, n'est
rien moins qu'archéologue ; mais, cultivant lui-même
son jardin il est vivement intéressé par les fragments,
innombrables autant que variés, qu'il a mis au jour,
et nous en fait les honneurs avec un entrain remar-
— 105 —
quable et une complaisance à toute épreuve. On se
sent, dès le début, sur un terrain Picton. Une même
tribu, composée des mêmes hommes, implique en effet
les mêmes aptitudes avec des productions semblables,
ou tout au moins analogues ; et, si le père Camille de
la Croix put s'écrier en visitant le Musée des Cléons :
« Je reconnais bien là ma céramique de Poitiers », je
pus dire à mon tour, en visitant Rezé : « Voilà mes
poteries des Cléons. »
Nous reconnaissons d'abord la grande amphora
blanc-jaunâtre avec les parois épaisses et le pied plus
ou moins appointé ; la lagena, la patina, la paiera ;
des écuelles à trois pieds, des assiettes et autres vases
usuels de formes différentes ; des poteries rouges cire
à cacheter dites samiennes, ornées de dessins divers ;
des fonds, surtout, estampillés de noms de potiers :
nous lisons sur l'un d'eux PETRECV. ; des vases plus
petits, plus fins et très minces, recouverts d'un engobe
plombagine, également ornés de dessins linéaires ou
figurant des séries de croissants emboités ; enfin,
quelques morceaux portant un reflet argenté ou doré,
qui s'obtenait -en sassant sur la terre antérieurement
à la cuisson et même avant la dessication complète,
du mica jaune ou blanc réduit en poudre.
Les mêmes objets sont nombreux aux Cléons, et il
convient de faire immédiatement, à leur sujet, deux
remarques dont la première doit servir à notre argu-
mentation finale : Nous ne voyons que des fragments,
disons plus : ce sont des débris. La seconde contraire
à ce qui existe dans la plupart des stations Romaines,
mais conforme à ce que possède notre Musée local,
est que la poterie noire s'y trouve en aussi grand nombre,
sinon même plus abondante que la rouge.
M. Colon nous montre encore : une partie de sifflet
en os tourné, quelques minuscules morceaux de bronze ;
les uns plats et les autres plus épais mais informes ;
enfin, une petite statuette de femme nue, dont les
— 106 —
pieds et La tête onl été brisés. Elle est faite de deux
moulages obtenus séparément, réunis ensuite dans
le sens de la hauteur, et analogue à celles de notre
Musée d'archéologie. Elle ne porte pas de légende et
se rattache plutôt à l'époque Gauloise qu'à celle des
Romains. Ce type manque au Musée des Cléons où l'on
rencontre seulement celui des déesses-mères bien connues
assises dans de vastes fauteuils tressés, et allaitant un
ou deux enfants.
La Commission jette aussi un regard rapide sur un
éperon de cavalier fort oxydé qui paraît être d'un inté-
rêt secondaire, et passe ensuite au jardin où elle se
trouve immédiatement en présence de nouveaux débris
au sujet desquels une petite digression est nécessaire.
En s'imposant à Rome, le génie conquérant de César
avait suscité dans la Ville Eternelle une remarquable
aptitude d'assimilation coloniale. Devenue manifeste
dès la première série des Empereurs, elle s'accentua
davantage sous la troisième, à laquelle Antonin le
Pieux mérita de laisser son nom.
Sous Trajan et sous Adrien une quantité nombreuse
d'architectes et d'ouvriers couvrit la Gaule de monu-
ments, d'édifices, et principalement de somptueuses
villas, dans la construction desquelles ils excellèrent
à mettre surtout en œuvre les matériaux que la nature
leur plaçait sous la main. Nous en avons la preuve
évidente aux Cléons par la présence du banc calcaire,
sur lequel ils se sont établis pour en tirer tant de res-
sources. Elle est encore faite par certains débris qui se
présentent en abondance dans presque toutes les fouilles
Romaines, et sur lesquels on n'a peut-être pas assez
insisté. Je veux parler des clayonnages que nous retrou-
vons à Rezé.
Les petits murs nommés clayonnages, peut-être
du mot claie courent à l'intérieur des édifices Ro-
mains pour en diviser les pièces, comme le font, dans les
nôtres, nos cloisons actuelles. Ils se composent de
— 107 —
cadres en planchettes minces, de différente largeur,
non travaillées mais brutes, simplement fendues et
assemblées à angle droit. Ces cadres soutenaient des
claies ayant également peu d'épaisseur, faites de petits
bois ronds et légers, disposés sans ordre ; elles étaient
fixées par des crampons de fer en forme de T, et re-
couvertes, de chaque côté, par plusieurs couches super-
posées d'enduit, qui donnaient à l'ensemble une épais-
seur de 15 à 20 centimètres.
Aux Cléons, les clayonnages étaient en chaux locale,
fabriquée par les Romains, dans un four que nous
avons retrouvé sur le bord même de la carrière, et dont
les fondations existent encore à huit mètres de la voie
ancienne. Mais à Rezé, la chaux manquait ; il fallait
l'acheter et en payer le transport ; l'argile au contraire
était abondante, comme l'attestent les démolitions
des anciens murs, et ne coûtait que le travail d'extrac-
tion. On fit des clayonnages en argile, dont le procédé
d'exécution est, par ailleurs, toujours le même. Ils ne'
portent pas d'enduits, mais la terre en a seulement été
comprimée par des outils ou des matrices, que l'on a
trainés ou fortement appuyés à la surface, soit pour
l'orner de dessins non déterminés mais forts apparents
et même creux, soit pour en augmenter la résistance
après dessication. On peut voir, par l'échantillon des
Cléons que je produis ici, à quel degré de dureté peut
arriver la terre à brique, crue et simplement pressée
dans la main.
Cependant, de grise qu'elle était en nature, l'argile
des clayonnages de Rezé est devenue rouge, par contact
immédiat du feu. A ce sujet, l'un des membres de la
Commission dévoile un fait curieux qu'il est bon de
consigner : Il se bâtit de cette manière, en Hongrie, de
petites maisonnettes ; les murs une fois montés, on les
couvre de matières inflammables, puis on y met le
feu. Le fait que nous constatons n'aurait-il pas eu la
même cause ? Après une courte discussion, les fragments
— 108 —
à la main, la décision fut négative. Les débris sont, en
effet, diversement atteints : tantôt à la surface, tantôt
profondément ; sur les cassures produites par la chute
de la construction ; même jusque sur les impressions
des claies intérieures. Un dernier spécimen devient
concluant : Il tombe dans le brasier ; un peu de terre
encore humide y adhère, qui, contenant autre chose
que de l'argile, ne se colore que par parties et d'un
ton différent de celui des autres. Tous ces témoins
ont, après leur chute, subi divers degrés de chaleur ;
et, ce que nous voyons est donc bien le résultat des
violents incendies allumés tant de fois, depuis le IIIe
siècle jusqu'au commencement du Ve, époque de la
fondation de la Monarchie française.
Voici maintenant l'un de ces poids en pyramides,
faits de terre cuite, percés à leurs sommets et si communs,
dans les stations Romaines. On les nomme, surtout,
pois de pêche ou de tisserands ; mais ils durent être
employés, suivant certains archéologues, à des usages
fort différents. Celui-ci se rencontre moins souvent,
ayant pour base un rectangle relativement allongé.
Ceux des Cléons se rapprochent davantage de la forme
carrée quand même ils ne l'atteignent pas complète-
ment, et sont plus élevés.
Après avoir remarqué des morceaux de meule en
pierre volcanique, des débris de vases dont l'un cà bec
tréflé, un pied de scabellum orné de hachures incuses,
et d'autres pieds coniques de carreaux en terre cuite
comme on en trouve en grand nombre aux Cléons,
et qui s'utilisaient pour augmenter la chaleur du
sudatorium, la Commission pénètre au milieu du jar-
din, attirée par un travail paraissant fait en profondeur.
Ce n'est cependant pas une véritable fouille, mais un
simple défoncement de soixante centimètres environ,
fait pour planter un carré d'asperges. 11 montre néan-
moins d'une façon suffisante, la coupe verticale du
terrain. On y voit, fort nombreux, les fragments amas-
109
ses des matériaux de l'époque: tegulœ, imbrices, lateres,
pierres de démolition principalement de schiste, sans
apparence de chaux et privées de l'argile qui les avait
réunies. Le tout était mêlé d'une terre noirâtre, légère
et schisteuse, et c'est là qu'ont été découverts les vases
dont nous aurons à parler plus tard.
M. Colon donne avec empressement tous les rensei-
gnements qui lui sont possibles ; sa bonne volonté
est inépuisable. Il se met à la disposition de la Société
Archéologique pour de nouvelles recherches ; et comp-
tant faire au bas du jardin, un travail assez important
pour établir une pièce d'eau, il espère trouver des
choses plus intéressantes et préviendra dans tous les
cas M. Dortel.
Notre dévoué président propose alors d'allouer une
indemnité légère à ce complaisant travailleur. La
Commission approuve cette juste mesure, qui nous
offre le seul moyen d'affirmer la sympathie de la So-
ciété ; de stimuler l'activité du chercheur comme celle
de tous ceux du pays, et d'entrer, à l'abri de tout
scrupule, en possession des objets qui sont ou seront
découverts et méritent d'être conservés.
En terminant le tour du jardin, nous trouvons des
coquilles d'huîtres éparses et quelques patelles ; on
sait que les peuples du midi aimaient tout particulière-
ment les coquillages ; ils en faisaient une grande con-
sommation et en décoraient même l'intérieur de leurs
appartements. Les huîtres de table avaient surtout
leur prédilection particulière.
De retour au logis, notre hôte nous fait, presque à
voix basse, un dernier aveu qui lui parait pénible :
« J'avais, dit-il, beaucoup de silex, mais on me les a
tous emportés. » C'était dans l'ordre des choses ; ces
pierres sont en général petites, jolies, bien taillées et
reluisantes ; elles peuvent entrer facilement dans la
poche de tout le monde, font du feu pour les enfants
et allument la bouffarde du vieux fumeur. Leur absence
110
nous empêche, par malheur, de résoudre une question
qui trouve ici naturellement sa place : Quels furent,
aux temps préhistoriques, les habitants de cette rive
de la Loire ? Elle a peut-être déjà reçu la plus judi-
cieuse des réponses ; mais enfin, cherchons à la déduire
encore, d'une comparaison nouvelle : Les silex si nom-
breux des Cléons sont presque tous néolitiques ; quelques-
uns seulement rappellent l'époque et le travail de la
Madeleine.
Mais, le soleil s'abaisse à l'horizon ; il est bientôt
quatre heures, et la Commission se décide à prendre
congé de son hôte, pour se diriger vers le bateau direct.
Moins d'une demi -heure après, elle était de retour à
Nantes.
En dépit du zèle aussi judicieux qu'empressé dont
mes confrères avaient fait preuve, le temps s'était
trouvé bien court. Apprenant, quelques jours plus tard,
que M. Colon avait repris ses travaux de défoncement
dans un endroit où les huîtres se montraient nom-
breuses, j'éprouvai le désir de le revoir, pour un com-
plément d'exploration et de renseignements. M. Gour-
don, mon collègue et ami, voulut bien m'accompa-
gner dans cette dernière visite. On venait de découvrir
non plus des huîtres isolées, mais un véritable banc
ayant environ 10 mètres de longueur sur 40 centimètres
d'épaisseur, et recouvert uniquement de la quantité
de terre qu'avait nécessitée la culture. Le temps les a
blanchies ; elles sont surtout friables et presque fari-
neuses à leurs sommets ; une sorte de feuilleté se dé-
tache aisément des bords de leurs valves. J'en présente
ici, comme rapprochement, deux exemplaires de la
même espèce qui proviennent des Cléons, et ont été
trouvés également en grand nombre, mais à plus de
profondeur. Celles-ci sont jaunies, et surtout plus
résistantes bien que fort minces ; elles sont dures à la
suriner, et leur épidémie semble avoir subi une sorte
de pétrification. C'est le résultat d'une combinaison
ni
avec les éléments de la coquille, ou tout au moins de
la superposition, d'un carbonate de chaux à l'état
liquide, qui circule presque continuellement dans le
sous-sol de notre terrain calcaire.
C'est bien partout la même ostrea edulis que nous
consommons aujourd'hui, et dans toutes les variétés
de forme, d'épaisseur et de grandeur que comportent
son âge et le dessous résistant ou vaseux sur lequel
elle a vécu. La plupart de ces huîtres se sont trouvées
exactement closes, ce qui prouve non seulement qu'elles
étaient vivantes, mais que leurs muscles adducteurs
possédaient encore assez de forces pour les maintenir
fermées, quand on les déposa dans ce lieu. Il n'est donc
pas téméraire de penser qu'elles constituaient la car-
gaison d'une barque de pêche, et qu'avariées par suite
d'un retard imprévu, elles furent abandonnées par les
marins, et entassées sur le point le plus accessible de
cet énorme remblai.
Le plus grand nombre de débris que nous remar-
quons ensuite, se trouve auprès de là, dans un coin
éloigné du jardin et s'élève à plus d'un mètre au-dessus
du sol. Je ne sais que faire d'un tel amas de petits
fragments et de pierrailles, nous dit le propriétaire ;
et je vais sans doute y mêler simplement un peu de
terre pour y cultiver de la vigne.
Revenus à la maison, toujours sur des débris, nous
revoyons avec plaisir les vases les plus intéressants
qu'ait découverts M. Colon ; et, sachant qu'en raison
de la bienveillance dont il était l'objet, il abandonnait
à la Société Archéologique tout ce qu'il avait trouvé,
nous les lui demandons, et le quittons, joyeux de l'avoir
décidé à nous les confier.
C'est avec intention, Messieurs, que j'ai négligé
jusqu'à présent de vous parler de ces curieuses poteries,
Aussi bien, convenait-il de les faire ressortir dans ce
compte-rendu, comme elles ressortaient sur le terrain ;
seules debout, au milieu de tant de débris.
Soc. Archéol. Nantes. «
— 112 —
Il y en avait trois ; dissemblables ; placées avec
symétrie sur le bord du carré en voie de défoncement,
à la distance l'une de l'autre d'un* mètre cinquante,
et sous une faible épaisseur de quarante centimètres
de terre végétale, à peine suffisante pour les mettre à
l'abri des accidents de la culture. Tout à coup, on les
aperçoit après quelques accidents involontaires. Elles
sont recouvertes de briques soigneusement taillées
en rond, plus grandes que les ouvertures, comme pour
préserver leur contenu de l'envahissement des eaux
pluviales et des terres environnantes. On les vide aussi-
tôt. Dessous : une terre grisâtre est parsemée d'es-
quilles ; au-dessous : d'autres ossements plus entiers
paraissent être humains ; mais, nous n'avons pas pu
les voir. Ils n'ont pas été conservés par suite d'un
mouvement de précipitation qui s'impose au travailleur
au moment de toute trouvaille, qui domine même
dans toute fouille faite avec trop peu de méthode et
sans le concours d'un archéologue : Qu'a-t-on bien pu
cacher dans le fond de ce vase ? Que vais-je enfin
trouver au fond de ce trou ?
Il faut, de prime abord, écarter sans regret l'une de
ces trois poteries, qui n'était du reste qu'une lagène
Gallo-Romaine, brisée d'une manière excluant toute
possibilité d'en tirer partie. Occupons-nous seulement
des deux autres, également fragmentées, la petite sur-
tout, fracturée en plus de dix morceaux. Je les ai
reconstituées prudemment et de mon mieux, aussi com-
plètement que le comportait leur état. Vous les avez
sous les yeux, et je les remets à M. le Président, pour
en faire tel usage que vous jugerez utile.
Pourrons-nous y trouver le type des magistrales
amphores Romaines de la belle époque ; ou bien celui
des fines et sombres urnes cinéraires ? Probablement
ni l'un ni l'autre. Etudions-les, si vous le voulez bien,
avec quelques détails.
La plus grande a 42 centimètres de hauteur, sur
— 113 —
80 1/2 de circonférence ; le fond, petit, mesure 11 cen-
timètres de diamètre extérieur ; la bouche, mal arrondie
est d'une largeur égale, mais l'ouverture elle-même
n'a pas plus de 95 millimètres. Elle portait quatre
anses, symétriquement semblables deux à deux ; le
plan des deux plus fortes dont les extrémités sont ho-
rizontales, fait un angle d'environ 43 degrés avec la
paroi qui les supporte. La terre mal pétrie, en forme
à peu près ronde et reployée sur elle-même, détermine
un vide sub-arrondi permettant l'introduction de deux
doigts pour transporter le vase. Les deux autres, beau-
coup moins grandes, aplaties, placées verticalement
entre les premières, n'admettent pas même le plus
petit des doigts. Elles sont uniquement destinées à
pencher le récipient à gauche ou à droite avec l'une
ou l'autre main. Deux de ces quatre anses avaient
disparu bien avant la découverte, comme l'indiquent
leurs cassures, et n'ont pas été retrouvées. Mais heu-
reusement ce ne sont pas les mêmes, ce qui nous a
permis la détermination précédente.
Sous des dimensions moindres, notre seconde poterie
est de forme semblable ; mais elle ne portait que trois
anses. Les deux rondes sont en place ; l'autre n'existe
plus. Comme précédemment, elle servait à incliner
l'objet, et un fait particulier vient nous en donner la
preuve : Ce vase a contenu bien longtemps, pendant
des années peut-être, un lait de chaux qui s'est des-
séché à l'intérieur, laissant au fond un épais dépôt
blanc dont une partie s'y trouve encore, et plus haut,
un cercle brunâtre produit par le liquide épaissi gra-
duellement et définitivement évaporé. Des taches de
chaux se voient nombreuses à l'extérieur du vase,
et même sur les cassures de l'anse, ce qui prouve que
cette dernière fut brisée pendant le service. Ce sont les
seuls endroits où nous ayons constaté la présence de
la chaux.
Ces poteries, en somme, ont les parois minces et la
— 114 -
terre assez fine. La forme en esl gracieuse ; plutôt
allongée avec la panse étroite ; l'ouverture et le pied
petits. Mais on y voit au dedans et même à l'extérieur,
de multiples défauts : Elles sont tournassées plutôt
que tournées ; il s'y montre plusieurs méplats ; les
anses, fort mal faites, ne se trouvent pas rigoureuse-
ment en place. On y surprend partout des vices de
fabrication, une sorte de malfaçon involontaire, véri-
table incapacité professionnelle, à laquelle ne nous
ont point habitués les figuli Romains. On sent enfin
que l'ouvrier impuissant, bien qu'en présence des
galbes les plus irréprochables, a fait de grands efforts
pour les imiter, sans pouvoir y parvenir.
Nos recherches et nos constatations nous ont conduits
à une conclusion facile : Nous n'avons rencontré nulle
part : ni dans notre beau Musée départemental, ni aux
Cléons, ni dans les fouilles et les collections connues
de la Loire-Inférieure, aucune exécution identique.
Mais, comme conséquence rationnelle des faits, ces
deux vases sont postérieurs à la belle époque de l'occu-
pation Romaine. Il n'a pas été possible à votre Com-
mission, du moins quant à présent, de préciser davan-
tage.
J'estime personnellement pouvoir les assimiler à
de simples pots de service familial ou professionnel,
remplissant un tout autre usage que celui auquel ils
étaient destinés, quand on les a découverts. Et mainte-
nant :... Si l'impérieuse hypothèse est exclue de
l'Archéologie ; si même l'induction, encore que timide,
y est dangereuse ; mais si la déduction solide, appuyée
sur des faits étudiés et décrits, peut y être admise
comme ayant plus d'une fois conduit à la vérité ; serai-
je trop imprudent de penser : qu'en un moment qu'il
est impossible de déterminer, mais probablement
court et pressé : l'on s'est à la hâte emparé de ces vases
qu'on avait sous la main, pour y placerTdes restes
vénérés, menacés peut être ; et les déposer en lieu sûr,
115
recouverts avec soin, alignés à faible profondeur, dans
un endroit facile à reconnaître, en ce champ de dépôt
encore en contre-bas, et qui devait toujours être plutôt
recouvert que fouillé ?
Relativement à l'enclos lui-même, nous n'y avons
encore constaté la présence d'aucun autre objet d'im-
portance réelle ; pas d'appareils, pas d'enduits peints,
pas de monnaies ni de bronzes, pas de mosaïques, pas
même de cubes égarés dans le terrain. En existe-t-il ?
La chose n'est pas impossible mais cependant peu
probable, bien que des richesses archéologiques soient
assurément voisines. Nous sommes, en effet, près du
centre du bourg, presque dans Le Palais, lieu dit qui
nous transmet, à travers le Moyen-Age, le souvenir
de somptueuses appropriations disparues.
Rezé est une mine insuffisamment exploitée ; car,
malgré toutes les bonnes volontés ; en dépit de tant
d'efforts généreusement réalisés ; que de choses, à
côté de notre Musée départemental, restent : enfouies
dans le sol, sous les monuments publics ou les propriétés
privées, inconnues dans les collections particulières,
dispersées par les indifférents, négligées par les inca-
pables.
Et cependant, nous entendons toujours la voix
d'Arcisse de Caumont : « Il faut que rien ne soit oublié
ou perdu. » Hélas ! Notre premier maître avec la
Société Française d'Archéologie ; toute la science
archéologique, aujourd'hui triomphante avec tant de
savants dont les noms lui sont chers ; sont arrivés
plus de cent années en retard.
Je m'arrête, Messieurs, après avoir abusé trop long-
temps de votre bienveillancte attention. Ce qui vient
d'être dit ne doit pas clore, mais ouvrir une enquête.
Plusieurs des idées émises me sont personnelles ; je les
livre à votre appréciation, à vos lumières. Et, puisque
l'Archéologie porte l'unique flambeau capable d'éclairer
un passé si lointain, que notre chère Société rallume
— 116 —
une fois de plus ! Bien des points sont encore restés
abordables ; l'accès de la rive gauche est aujourd'hui fa-
cile ; ne nous désintéressons pas de Rezé. Ecoutons
tous les bruits qui nous en parviennent par dessus la
Loire, toujours certains que, si nous en savons beau-
coup de choses, nous n'en saurons jamais assez.
Félix CHAILLOU.
N OTIGE
SUR LE
Sceau «i-Anne de PISSELEU
DUCHESSE d'ÉTAMPES, COMTESSE de PENTHIÈVRE
POUR L'ACQUISITION
DU FIEF DE LA ROCHE-SUHART
en 1542
Jean de Brosse IVe du nom, dont les ancêtres étaient
Seigneurs de Boussac , Sainte-Sévère , Huriel , etc.,
dans le Bourbonnais, revendiquait auprès du roi de
France la possession du comté de Penthièvre, auquel
son bisaïeul, Jean de Brosse IIe du nom, prétendait
par suite de son mariage, le 18 juin 1437, avec Nicolle
de Blois, comtesse de Penthièvre, vicomtesse de Li-
moges, fille unique de Charles de Chatillon, dit de
Blois et de Bretagne, baron d'Avaugour ; elle était
par conséquent l'arrière-petite-fille de Charles de Blois,
le compétiteur de Jean IV au duché de Bretagne.
— 118 —
Mais Jean II de Brosse ainsi que son fils Jean III
et René de Brosse, son petit-fils, n'avaient pu entrer
en possession de ce comté de Penthièvre : il était réservé
à Jean IV de Brosse d'obtenir de la faveur royale ce
comté tant désiré. Mais à quel prix ?
Il consentit à épouser Anne de Pisseleu, fille de
Guillaume de Pisseleu, seigneur de Heilli en Picardie
et d'Anne Sanguin. Elle était devenue la maîtresse
du roi, quand ce prince, de retour de Madrid en 1526
où il avait été retenu prisonnier, la rencontra à Bayonne
à la cour de Louise de Savoye, sa mère. Son mariage
avec Jean de Brosse, qui eut lieu en 1536, la fit admettre
aux honneurs de la Cour, auxquels depuis dix ans elle
n'avait pu prétendre.
En échange de son honneur, Jean de Brosse, recouvra
non seulement son comté de Penthièvre, mais il fut
fait duc d'Etampes ; il eut le gouvernement du Bour-
bonnais, puis celui de la Bretagne.
Je ne reviendrai pas sur le rôle néfaste joué par cette
favorite; il suffira de dire qu'elle trahissait la France
en faveur de l'Empire ; comme le roi n'avait rien de
caché pour sa maîtresse, elle connaissait tous les secrets
d'État. Elle fit révéler à Charles-Quint des secrets im-
portants qui empêchèrent la perte de son armée en
Champagne; grâce à elle, également, Charles-Quint
s'empara des approvisionnements de l'armée française
à Epernay et Château-Thierry, ce qui faillit causer la
perte de l'armée que commandait le Dauphin, qui
régna depuis sous le nom de Henri II. L'histoire l'a
jugée avec sévérité, mais justement.
Le comté de Penthièvre recouvré par Jean de Brosse,
entourait un fief important, celui de la Hoche-Suhart,
possédé à l'origine par Suhart portant le titre de
Préfectus, vers 1100.
Suhart, fils du vicomte Eudes à la cour de Goëllo
(acte de 1202).
119
Geoffroy, fils du seigneur de Suhart, vicomte en
1220.
Mathilde, fille du vicomte Suhart en 1240 et 1243.
Aucun acte ne fait plus mention de cette famille
à partir de cette dernière date. Il est probable que ce
fief fut réuni au Goëllo ; puis lors du mariage de Jeanne
d'Avaugour avec Geoffroy de Dinan, en 1287, il fut
donné en dot par Henri d'Avaugour, comte de Goëllo,
à sa fille qui mourut en 1299.
Geoffroy de Dinan 1287 — 1312
Roland IV de Dinan 1312 — 1349
Roland V de Dinan 1349 — 1364
Charles de Dinan 1364 — 1418
Robert de Dinan, 3e fils du précé-
dent 1418 1429
Jacques de Dinan, 5e fils de Charles 1429 1444
Françoise de Dinan, fille du précé-
dent 1444 1499
Après la mort de Françoise de Dinan, la Roche-
Suhart passa avec les autres biens de la maison de
Dinan dans la maison de Laval. Elle avait été unie
à Gilles de Bretagne, fils du duc Jean V ; puis elle
s'était mariée à Guy XIV, comte de Laval; enfin, dans
lesydernières années de sa vie, elle s'était remariée à
Jean de Proisy, gentilhomme picard.
Jacques de Laval, fils de Françoise
de Dinan 1499 1502
François de Laval, fils du précé-
dent 1502- 1522
Jean de Laval, cousin du précédent 1522 1542
Jean de Laval, qui fut Lieutenant généra! du duché
de Bretagne en 1531, se voyant sans héritiers, et d'autre
part, sollicité par la duchesse d'Etampes, Anne de
Pisseleu, vendit en 1542, à celte dernière, le fief de la
Roche-Suhart, qui fut réuni au comté de Penthiévre.
— 120 —
Le sceau qui l'ail l'objet de cette notice, date très
probablement de celte acquisition; il porte l'inscription
* SEAV ± DES CONTRA ± DE LA COVR ± DE LA
ROCHESVAR. Ecu lozangé parti au 1er de Rretagne
à la bordure de gueules qui est Penthièvre, au 2e
d'argent à trois lions de gueules, qui est Pisseleu; sur
chacun des côtés de l'écu, une double tige fleurie.
Jean de Brosse étant mort sans postérité, ses biens
passèrent à Sébastien de Luxembourg, vicomte de
Martigues, fils de Charlotte de Brosse, sa sœur ; d'où
ils passèrent dans la maison de Lorraine-Mercœur par
le mariage de Philippe-Emmanuel de Lorraine, duc de
Mercœur avec Marie de Luxembourg, fille de Sébastien
de Luxembourg et, de là, dans la maison de Vendôme
par le mariage de César, duc de Vendôme, fils naturel
de Henri IV et de Gabrielle d'Estrées avec Françoise,
duchesse de Penthièvre, d'Etampes et de Mercœur,
fille de Philippe-Emmanuel, duc de Mercœur. Le comté
de Penthièvre passa ensuite aux mains de Louis, duc
de Vendôme, son fils, et à Louis-Joseph de Vendôme,
son petit-fils, mort sans postérité en 1712. Il le vendit
à Marie-Anne de Bourbon, princesse de Conti, qui le
revendit à Louis-Alexandre de Bourbon, comte de
Toulouse, qui le passa à son fils Louis-Jean-Marie de
Bourbon, duc de Penthièvre, qui le passa ensuite à
son fîis N. de Bourbon, prince de Lamballe, né le
T) septembre 1717, qui, à sa mort, le laissa à sa femme
Marie-Thérèse-Louise de Savoie-Carignan qui le conserva
jusqu'à la Révolution ; on sait qu'elle fut massacrée
à la Force, le 3 septembre 1792.
Le fief de la Roche-Suhart, au moment de sa plus
grande splendeur, comprenait le comté de Plourhan,
les seigneuries de Montafilant et de Chateaubriant en
Goëllo et l'Ile de Bréhat.
Le comté de Plourhan comprenait les paroisses de
Plourhan, Trégomeur, Tréméloir et Goudelin.
La seigneurie de Montafilant avait sa juridiction aux
— 121 —
mêmes paroisses et était un démembrement de Coëtmen.
La seigneurie de Chateaubriant en Goëllo, comprenait
les paroisses de Plérin, Etables et Plélo.
L'Ile de Bréhat comprenait tout l'archipel du Goëllo.
Le fief de la Roche-Suhart, qui limitait une partie de
la seigneurie de Pordic, avait un développement de côtes
considérable ; son chef avait par suite des droits mari-
times assez étendus.
Ces droits maritimes comprenaient les droits d'épaves,
d'ancrage et de sécherie de poissons, de pêcherie dans le*
Gouet, et dans la mer jusqu'au « bas de Veau ou de lèze
des basses mer » ; droit de « guette, d'échauguette ou char-
guette ».
Le devoir correspondant à ces droits était d'assurer la
sécurité des côtes.
Des redevances en poissons de diverses sortes peuvent
s'expliquer par la pêche côtière, soit à pied, soit en ba-
teau. Mais celles en douzaines ou demi-douzaines de
morues « fraîches ou chaponnées, loyales et marchandes »,
semblent indiquer que la grande pêche se pratiquait
dans les ports de la seigneurie dès le XVIIe siècle au
moins.
Les autres redevances étaient, partie en gants blancs,
partie en poivre, partie en grains (pas de seigle), partie
en argent, sous, deniers, oboles ou mailles.
Le chapitre de Rennes et le seigneur de la Ville-Solon,
devaient une paire d'éperons dorés.
Les rentes étaient censives ou convenancières (1).
La quintaine devait se courir le lundi de la Pentecôte
près du cimetière de Plourhan, « avec des chevaux bien
harnachés et de bons éperons aux talons ». Ces carrousels
développaient dans la population le goût du cheval et de
l'équitation.
(1) Rente censive doit se dire d'une renie en espèces.
rente convenancière de ce qu'elle pouvait être rendue en
nature.
— 122 —
L'aveu de 1541 mentionne, outre le droit de chasse
dans la forêt de la garenne de Goëlo, celui d'y
prendre du bois de chauffage et de construction « quand
il y en aura ». D'où il faut conclure que ces futaies avaient
disparu dès avant les guerres de religion.
Les documents font complètement défaut relative-
ment à la construction et à l'agrandissement du château
ou plutôt de la forteresse féodale de la Roche-Suhart ;
tout ce que l'on en peut dire, c'est qu'il n'en reste qu'un
pan de mur très élevé et d'une très forte épaisseur ; cette
forteresse avait une triple enceinte de murs et autant de
fossés, aujourd'hui en partie comblés par l'écroulement
des murs.
La destruction de la Roche-Suhart doit remonter à
1420 ; le seigneur était à cette époque Robert de Dinan,
qui prit possession du fief en 1418 ; quoique fort attaché
à la maison de Penthièvre, il fut un des premiers sei-
gneurs bretons à se porter au secours de son souverain,
Jean V, qui venait, avec son frère Richard, d'être enlevé,
le 12 février 1420, au Loroux-Rottereau, par les Penthiè-
vre. Ces derniers firent le siège de la Roche-Suhart et
s'en emparèrent, mais il ne tarda pas à être repris par les
vassaux de Robert de Dinan qui ne purent s'en rendre
maîtres qu'en le ruinant complètement et le réduisant à
l'état actuel.
N anles, le 15 février 1908.
P. Son. LARD.
UNE PAGE
DE
l'Histoire Commerciale de Nantes
AU XVIII SIECLE [[)
2ET. Jt£$ïïm>rïï,
Vers l'an 1725, le commerce nantais était fort pros-
père ; depuis la découverte des Amériques il s'était
accru constamment, et la Loire était sillonnée de nom-
breux navires qui venaient accoster à nos quais. Cette
prospérité était due, certes, à l'excellente position du
port de Nantes vers lequel les navires cinglaient tout
naturellement — comme vers le centre de la France —
à leur retour des mers lointaines ; elle était due aussi
à la courageuse initiative des bourgeois nantais qui
n'avaient pas hésité à risquer leur fortune pour armer
des navires et les lancer à l'aventure. Ils avaient été
récompensés de leurs efforts; presque tout le commerce
des Antilles leur appartenait ; ils portaient dans les
îles toutes sortes de marchandises européennes, ils
y portaient même des subsistances, des viandes salées
et ils en rapportaient des produits indigènes, indigo,
cacao, sucre ; ils faisaient aussi la traite des noirs.
Vers cette époque, Nantes était donc florissante et ses
(1) Archives de la Chambre de Commerce de Nantes.
— 124 —
bourgeois gagnaient rapidement de grandes fortunes:
c'est l'époque où ils firent construirent sur l'Ile Feydeau
et le quai de la Fosse, les luxueuses demeures que l'on
admire encore aujourd'hui. Ils considéraient l'avenir
sans inquiétude : les colonies étaient une mine d'or
qui paraissait inépuisable ; et les trente ans de paix
qui suivirent le traité d'Utrecht (1713) en rendant les
mers tranquilles et sûres, en les délivrant même des
flibustiers, devaient en effet porter à leur plus haut
degré la prospérité des colonies.
Au milieu de cette longue période de tranquillité,
il y eut parfois des crises que nos bourgeois, habitués
à la fortune, supportèrent malaisément. Telle est celle
qui éclata en 1727 et dont nous retrouvons la trace
dans une curieuse correspondance entre les Juge et
Consuls et un des leurs, François Le Ray de la Clar-
tais (1), qu'ils avaient député à Paris, précisément à
cause de leurs déboires. Voici quels ils étaient ; à la
suite de la guerre d'Espagne de 1719, où nous n'avions
pu approvisionner nos colonies, Anglais et Hollandais
avaient profité de l'occasion pour faire le commerce
à notre place ; la guerre terminée, ils n'avaient pu se
décider à nous laisser le champ libre ; c'étaient des
concurrents d'autant plus gênants qu'ils livraient
(1) Le Ray de la Clartais, consul en 1726 et 1727,
échevin en 1729, 1730, 1731, juge-consul en 1735, puis
Conseiller Secrétaire du Roy et chevalier de l'Ordre de
Saint-Michel, était le très proche parent de René Le Ray,
sieur du Fumet, Maire de Nantes en 1730-1732 ; il eut
pour fils Jacques-Donatien qui devint Grand Maître
honoraire des Eaux et Forêts de France , Intendant
de l'hôtel royal des Invalides et acquit le château de
Chaumont dans le Rlésois en 1750, château où il fonda
une industrie de céramique ; l'Italien Jean-Raptiste Nini
y travailla exécutant ces superhes médaillons qui l'ont
rendu célèbre.
— 125 —
aux indigènes des vivres à un taux plus bas que les
négociants français et que les indigènes, y trouvant
leur compte, avaient pris l'habitude de faire commerce
avec eux. C'est de quoi nos armateurs avaient fort
à souffrir ; quand ils arrivaient aux Iles, ils n'y trou-
vaient plus ni cacao, ni sucre, ni indigo. De plus, les
étrangers qui avaient accaparé notre commerce, payaient
aux indigènes leurs produits avec des réaux légers (1),
ce qui est une fausse monnaie, puisqu'elle ne pèse pas
le poids officiel; et les indigènes ne trouvaient rien
de mieux que de vouloir payer nos armateurs avec ces
réaux légers, en les voulant persuader que c'étaient
réaux véritables. Les Nantais avaient là deux motifs
d'irritation.
Craignant de voir baisser leur commerce par suite
de cette concurrence et de la mauvaise foi des habi-
tants, nos juge-consuls avaient décidé d'agir ; comme
ils ne pouvaient rien faire par eux-mêmes, ils dépu-
tèrent à Paris auprès du roi, ou plutôt auprès du car-
dinal de Fleury, qui avait alors la direction des affaires,
un des leurs, François Le Ray de la Clartais. Ils pen-
saient avec raison, que le commerce français tout
entier était intéressé à ce qu'un remède efficace et
prompt fut apporté à cet état de choses ; ils s'imagi-
naient aussi, et se montraient en cela candides, que
les Ministres apporteraient ce remède.
Ils délibérèrent le 4 septembre 1727 et décidèrent
ce qui suit :
« Nous soussignés juge et consuls en charge, anciens
« négociants de la Ville de Nantes, ayant examiné
« combien le commerce étranger, toléré dans nos colo-
(1) La piastre forte vaut 10 réaux 5/8. La piastre cou-
rante ne vaut que 8 réaux. Traité des Monnaies par Abot de
Bazinghen. Le même pour les Espèces légères, Tome 1,
page 437.
(I
- 126 -
« nies, esl préjudiciable non seulement au commerce
« de cette Ville, mais encore à celui de tout le royaume,
« avons estimé devoir mettre tout en usage, pour par-
« venir à le taire cesser, et comme tous les mémoires
« et représentations qui ont esté faite par escrit jus-
« qu'à présent, n'ont rien opéré, nous avons cru ne
pouvoir mieux faire que de prier M. de la Clartais,
« Leray, consul en charge, de vouloir bien accepter
« la députation du commerce de cette ville pour se
« rendre incessamment à Paris, afin que, par ses soins
« et sollicitations auprès de Monseigneur le Cardinal
« de Fleury, Monseigr l'Amiral, Monseig1' le Contrô-
« leur général et Monseigr le comte de Maure-
« pas, il puisse obtenir de ces puissances, que l'on
« puisse aporter incessamment des moyens effi-
« caces pour faire cesser le dit commerce étranger,
« ce que Mond1 sieur Leray ayant bien voulu agréer
« pour donner des marques de son zèle en faveur du
« bien général du commerce, ainsi nous déclarons
« par la présente délibération, luy donne tout pou-
« voir nécessaire au sujet, le priant d'agir de /concert
« avec Mr Bouchaud de cette Ville au Conseil du Com-
« merce, et à l'égard de la dépense des frais que fera
« Mond1 sieur Leray pour la dte députation, nous
« promettons et nous obligeons au nom de tout le
« commerce de l'en satisfaire sur le simple estât qu'il
« en fournira ».
« Lui donné, approuvé
« à Nantes, le 4 septbre 1727, ainsi signé :
Sigo ngnes, Leray de la Clartais, François Drouin,
Pierre Lory, Augustin Deluines. »
Nos bourgeois profitèrent de ce qu'ils députèrent
à Paris un représentant pour lui faire résoudre plusieurs
questions pendantes depuis fort longtemps. Telle
était celle du droit de joyeux avènement que les com-
— 127 —
merçants Nantais, semblables en cela à ceux de beau-
coup d'autres villes, se refusaient à payer, l'estimant
trop lourd ; d'ailleurs ils en avaient perdu l'habitude
et avaient trouvé très mauvais qu'il fut rétabli par
le régent, Philippe d'Orléans, après le mariage de
Louis XV. Le Parlement avait protesté, mais le 8 juin
1725, en un lit de justice, Louis XV avait requis l'en-
registrement.
Enfin, Le Ray de la Clartais était chargé de s'occuper
d'une certaine affaire Morfouace, pendante en justice (1).
Il arriva à Paris le 10 septembre et eut dès le pre-
mier jour le sentiment qu'il faudrait vaincre bien des
difficultés pour arriver au but proposé ; il lui fût im-
possible de voir les ministres en promenade à Fon-
tainebleau ; quelques-uns même étaient, par avance,
mal disposés à recevoir la requête de notre Juge-Consul.
En effet, dans sa lettre du 11 septembre il écrit : « J'ay
« appris qu'on luy avait insinué, (au Ministre de la
« Marine), que pendant les guerres mêmes, la nécessité
« avait souvent engagé les puissances de la Marti-
« nique de se rendre aux pressantes représentations
« des habitans et de leur permettre tacitement la
« liberté d'acheter du bœuf et autres comestibles des
« Anglois quoyqu'ennemis ; d'où on veut lui faire
« tirer la conséquence que si on a été forcé dans les
« tems les plus dangereux d'y fermer les yeux sur le
« commerce étranger, combien à plus forte raison
« peut-on le tolérer dans une paix profonde, lorsque
(1) Le 1er septembre 1725, Morfouace, Greffier du Consu-
lat, avait, par surprise, résilié sa charge de greffier qui lui
avait coûté mille livres tournois, pour la somme de six mille
livres; n'ayant droit qu'au remboursement du prix d'achat;
de là le procès qui ne fut terminé qu'à la fin de 1727, à la
satisfaction du Consulat, par les soins de François Le Ray
de la Clartais.
Archives de la Chambre de Commerce, copie de lettre n° 2.
Soc. Archéol. Nanics, u
— 128 -
« les besoins de l'Isle le rendent indispensable, supo-
« sant toujours que nous ne pourvoyons pas assés
« abonda menl à la fourniture des vivres nécessaires ;
« je prévoys que ce faux prétexte sera un des premiers
« articles à revainir (sic), et il ne manque pas de bonnes
« raisons à y o poser ».
Il comprit donc, dès l'abord, qu'il faudrait lutter
contre des ministres pleins d'ignorance sur les questions
coloniales ou des ministres circonvenus, et balancer,
par de bonnes raisons, les mauvais conseils de certains
officiers bien en cour. De plus, la théorie du libre
échange était à cette époque toute puissante ; laisser
faire, laisser passer, telle était la devise à la mode.
Le Ray de la Clartais n'était-il pas mal venu à
vouloir réglementer le commerce de nos colonies ?
Enfin, Le Ray de la Clartais demandait qu'on prit
des mesures contre le commerce étranger ; c'était
s'attirer l'inimitié des puissances étrangères, et les
ministres, le cardinal de Fleury principalement, vou-
laient la paix.
Pour ce qui est du don de joyeux avènement, Le
Ray de la Clartais désirait une chose, que les ministres,
qui ont besoin d'argent, n'accordent qu'avec une peine
infinie : la réduction de leurs propres ressources.
Le Ray obtint pourtant assez vite satisfaction,
dans une certaine mesure, sur ce chapitre, et dès le 25
septembre, il pouvait écrire : « L'arrest de délay pour
« la taxe de joyeux avènement porte au 1er article
« que les officiers marchands, négotians et sujets au
« droit de confirmation, qui se présenteront pour
« payer en corps, seront receus à le faire 1/2 en espèces
« et 1/2 en papier dans le courant d'8bre sans es-
« pérance d'autre délay, 1/3 en papier et 2/3 en argent
« dans le courant de Xbre ; après quoy personne
« ne sera plus receu à payer qu'en argent. Je crois,
« comme vous, qu'il faut laisser courir, quoiqu'on
129
« assure bien icy, qu'il n'y aura point de grâces pour
« les renards. »
Les Juge-Consuls , en effet, voyant qu'on leur
accordait une surséance, s'étaient dit naïvement (lettre
du 20 septembre) : « Si cette taxe trahie en longueur,
« il y a espérance qu'elle pourra bien estre supprimée,
« ce qui est fort à souhaiter. »
Et ils firent si bien, opposèrent une telle force d'iner-
tie, que la décharge de ces droits leur fut accordée le
1er février 1729 (1).
Il n'en alla pas de même pour la question du commerce
aux colonies. Le Ray de la Clartais devait là-dessus
rencontrer beaucoup de difficultés. Nous voyons que
ses démarches n'ont pas toujours eu des résultats
heureux; ses lettres nous apprennent toutes ses tribu-
lations.
Il n'avait pu voir les ministres qui étaient à Fon-
tainebleau ; il avait appris que Mgr le comte de
Maurepas, secrétaire d'Etat, ministre de la marine,
lui était défavorable ; il ne perdit pas courage et com-
mença de multiples démarches.
Il va voir le Maréchal d'Estrées, gouverneur des
ville et châteaux de Nantes , général pour le roi au
comté Nantais et propriétaire de l'île de Sainte-Lucie,
qu'il veut faire intervenir auprès de Monseigneur de
Maurepas. Il va voir Monseigneur le comte de Tou-
louse ; celui-ci n'aime pas les intrigues de cour ; il
convient que les commerçants ont raison, mais ne se
soucie point de se mêler de leurs affaires. Il va voir
divers fermiers-généraux que cette affaire intéresse.
« Ceux-là se remueront et cela fera un bon effet ».
Il va voir enfin « tous Mrs les députés et les sollicite
(1) Il est vrai que le 5 mars 1727, la ville de Nantes avait
payée pour ce droit la somme de 28.603 livres, tant en prin-
cipal que pour le droit de 2 sols par livre et frais de quittance.
130
« de se joindre à lui pour la cause commune et de crier
« tous ensemble le plus fort qu'ils pourraient. »
« Enfin, dit-il, je puis vous assurer que de la façon
« dont je vois les batteries disposées, si l'on ne donne
« pas satisfaction au commerce à ce sujet, il n'y aura
« jamais à espérer. » Lettre du 17 -septembre 1727.
Le 13 septembre, Le Ray voit en audience particulière
le comte de Maurepas et a peu de succès auprès de ce
ministre , dont d'Argenson a pu dire qu'il écoutait
mal et parlait toujours avant de penser, qu'il traitait
sérieusement les bagatelles et légèrement les grands
objets, qu'il n'avait nulle justesse, point de jugement,
nulle prévoyance clans les affaires.
« M. Bouchaud (1) et moy eusmes aussy hier une
« audience particulière de Monseigneur le comte de
« Maurepas, je fus charmé d'avoir put l'obtenir avant
« son départ pour Fontainebleau ; après luy avoir
« remis la lettre dont vous m'aviez chargé pour luy ,
« qu'il lust sur le champ, je luy représenta^ nos allarmes
« au sujet de notre commerce des colonies prest à
« tomber entre les mains des Anglais, s'il ne, luy plai-
« soit y aporter sans plus de délay un remède prompt
« et efficace ; que ce qui venait de se passer à la Mar-
« tinique au sujet des prises de M1' de la Jonquière
« portait le mal à son période, et que dans ce moment
« de crise, nous le suplions très humblement de ne
« plus différer à faire rendre une déclaration du Roy
« telle que nous avions pris la liberté de luy demander
« cy devant, et qu'il avait bien voulu nous promettre ;
« voicy à peu près le précis de sa réponse.
(1) M. Charles Bouchaud, sieur de la Foresterie, fut
nommé Consul pour 1711-1712 ; il fut nommé échevin de
Nantes en 1716-1718, puis continué pour 1718-1720; mais
en 1719, ayant été nommé à la Chambre de Commerce à
Paris, il fut obligé d'abandonner ses fonctions d'échevin.
131
« Il y a une déclaration du Roy preste à passer qui
« est actuellement sur mon bureau, on en sera content,
« mais je ne la feray paroistre qu'après le départ du
« Vau du Roy qui partira pour la Martinique à la mi-
te octobre ; à l'égard des prises (1), je veux avoir les
« papiers que doit aporter l'officier de Mr de la
k Jonquière, ne sachant point encore au juste sur
« quoy le Conseil de la Martinique a apuyé son
« jugement.
« C'eust été m'exposer à l'ennuyer pour une pre-
« mière audiance, que de vouloir lui détailler ce que
« nous en scavons; il m'aurait toujours remis à la veûe
« des pièces, ainsy je me contentay de luy dire que je
« le suivrois à Fontainebleau où je lui demanderois
« un moment de son tems pour luy faire ce détail, et
« luy lachay en sortant que nos négocians ruinés depuis
« longtems par le commerce étranger, n'oseroient
« plus s'exposer à de nouvelles pertes, jusqu'à ce qu'ils
« ne fussent rassurés par la déclaration du Roy, dont
« il venait de me parler ; escrivés, me dit-il, au com-
« merce de votie ville, qu'ils ne cessent point leurs
« armements, ceux qui se préparoient en Angleterre
« pour porter du bœuf à Sainte-Lucie, sont suspendus,
« et la colonie ne peut pas vivre sans aucun secours,
« si celuy de nos ports y manquoit, on ne pouroit pas
« s'empêcher de l'en laisser prendre où elle en trouve-
« roit ; ainsi, Messieurs, je prévoys assés qu'il faut at-
« tendre le départ de ce Vau qui s'arme à Rochefort et en
\
(1) A l'égard des prises, il s'agit sans doute de vaisseaux
ayant voulu faire commerce avec des réaux légers et qui
avaient été saisis.
Les négociants nantais auraient voulu qu'ils ne fussent
point relâchés ; ils le furent pourtant.
« Les perdreaux ont pris la volée et vraysemblablement
ce sera saus caution. »
Lettre du 30 septembre 1727.
132
« attendant persuadés bien au ministre que dès que
« nous n'aurons plus à craindre la concurrence des
« étrangers dans nos Isles, l'émulation des négocians
« sera une suffisante caution pour répondre de la
« fourniture qu'il leur sera nécessaire, sans le secours
« des Anglois. » Lettre du 13 septembre 1727.
Les déclarations vagues du comte de Maurepas
ne satisfaisaient point nos Juge-Consuls ; ils voulaient
voir le contenu de la déclaration, afin que les arma-
teurs ne s'exposassent point à faire de mauvais voyages
si elle ne leur était pas favorable. « Donnez-nous la
« déclaration, disent-ils, ou nous ne partirons pas. »
Le Ray continue donc ses démarches, écrit mémoires
sur mémoires. Malgré son zèle, il « n'avance qu'à pas
de tortue ». Il remarque avec une certaine amertume
qu'il lui faut courir sans cesse à droite et à gauche,
chercher chaque grand seigneur en sa terre et que ces
grands seigneurs ne s'embarrassent guère de son im-
patience. Il estime que c'est déjà beaucoup d'honneur
d'avoir pu les approcher tous et que deux d'entre
eux, le Contrôleur général et le Maréchal d'Estrées
se soient prononcés en sa faveur. Il se sent secrète-
ment desservi auprès du secrétaire même de Mgl de
Maurepas, M1' Forcade, par un certain Mr de Cham-
pigny, récemment nommé commandant pour la Mar-
tinique. Certes, il a « d'aussi bonnes raisons que Mr de
« Champigny, mais pourvu qu'elles soient écoutées de
« la même oreille ». Il est aussi desservi par les « Amé-
riquins » qui crient « que nous voulons affamer leurs
« isles »... « qui s'étudient à parler contre toutes nos
« démarches »... « Ils débittent à présent que nous
« voulons leur envoyer du bœuf poury, salé en France
« pendant les chaleurs, et que nous verrons comment
« les habitans le recevront; je ris quelquefois de tous
« ces discours, quelquefois je m'en fâche, s'ils ne
« faisaient pas d'impression, nous les mépriserions ».
Résultat : « L'audience du ministre quelquefois
— 133 —
est sèche » Et Le Ray s'irrite : « Il est étonnant qu'en
« demandant l'intérêt du roy et la conservation de
« la colonie, on ne puisse les déterminer (les ministres)
« à un prompt remède »... « Vous scavez, écrit -il
« encore, qu'il est difficile de les faire aller plus vite
« qu'ils ne veulent »... et le 28 septembre: « Il faul
les talonner ».
Nos Juge-Consuls, agacés de ces lenteurs, écrivent
de leur côté : « Les Seigneurs ne voient les choses
« que superficiellement et se laissent obséder par
« leurs secrétaires. » Lettre du 4 octobre.
Le Ray ne recule devant aucun moyen et va jus-
qu'à corrompre les secrétaires : « J'ay promis au secré-
taire d'estre reconnaissant de la décision si elle nous
« était avantageuse ». Raison plus touchante que toutes
les prières du monde. Cela s'appelle « Parler français ».
Lettres des 11 et 14 octobre.
Et, enfin, fatigué par toutes ces démarches, il écrit :
'< J'ai désormais frappé à toutes les portes ; si ceux
« qui gouvernent ne se réveillent pas, c'est qu'il est
« dit qu'ils mourront dans leur léthargie ».
Le comte de Maurepas, de son côté, était impatienté
par ces fâcheux qui l'importunaient sans cesse ; il lui
dit une fois : « Vous traittés cette affaire comme si
« vous aviez à Nantes le privilège exclusif des colo-
« nies ; les négocians vont trop loin ».
Un jour il se fâcha. Mais laissons parler Le Rav :
« Je ne scay pas bien au juste qu'elle mouche a
« piqué Mgr de Maurepas, mais je le trouvay dimanche
« très indisposé contre les négocians de Nantes, j'ay
« cru en trouver le motif dans le mémoire de M1' de
« Feuquières, dont vous m'avez envoyé une copie, y
« ayant remarqué plusieurs endroits relatifs à ce qu'il
« me dist de notre commerce et de celuy des étran-
« gers à l'Amérique, comme par exemple du bœuf
« fraudé et du commerce de nos vaissaux avec les
— m —
« Anglois, je suis, dit-il, très persuadé à présent de
« l'un et de l'autre, et il arrivera de cette affaire cy,
(i qu'il en ira <S ou 10 de Nantes aux gallères, « ce sont
« ses propres mois », je ne puis pas bien comprendre
s'il voulait parler des négocians ou des capitaines,
« mais ce petit discours prononcé devant quatre ou
« cinq personnes, me couvrist de confusion. Je luy dis
« qu'il ne trouverait point de négocians dans ce cas
« là, et que s'il avait des preuves contre quelques capi-
« taines, il nous ferait grand plaisir de les faire chat-
« tier ; le lendemain je luy donnay un mémoire pour le
« désabuser et il me parut un peu radoucy ». Lettre
du 22 octobre.
Le Ray n'avait pas encore vu le Cardinal de Fleury
et il espérait beaucoup de cette entrevue ; il aurait
voulu se faire présenter au Cardinal par M*1 le Contrô-
leur Général, « ce qui serait la meilleure entrée qu'il
y pourroit avoir ».
Le 30 septembre, il en perdit l'espoir et écrivit :
« Le Controlleur général m'avait fait espérer de
« me présenter à MK' le Cardinal ainsy que je vous
« l'ay marqué, mais il s'en vont ce soir tous les deux
« trouver le Roy Stanilas qui passe à deux lieues
« d'icy (Fontainebleau), demain il luy surviendra
« quelqu'autre chose de nouveau et ses moments sont
« si contés, que je perds presque l'espérance qu'il
m'avait donnée à ce sujet, ainsy je prendray le part y
de m'y présenter de moy même, quoique je pré-
voye bien que de cette façon, je n'avanceray pas
beaucoup, car assurés vous, Messieurs, que les lettres
ne sont leues que très imparfaitement, les ministres
les décachetent bien devant nous, ils en parcourent
« quelques lignes et les remettent ensuite à leurs sécré-
« taires, où elles restent sans qu'il en soit parle davan-
« tage : il n'y a que les moments d'audiences qui servent
' à quelque chose et celles de MK' le Cardinal est tou-
- 135 —
« jours si remplie, qu'on a pas le tems de luy rien
« détailler, à moins qu'il ne luy prist envie d'apro-
« fondir la matière et qu'il ne se porte de lui même
« à faire des questions sur ce qu'on lui représente, ce qui
« n'arrive presque jamais, vous remettant d'abord au
« Secrétaire d'Estat qui a le département de l'affaire
« dont on veut luy parler ».
Le Cardinal de Fleury qui était un homme doux,
s'occupait en effet assez peu d'affaires sérieuses, donnant
seulement les grâces et les places, tout ce qui fait aimer,
comme a dit Villars.
Quand Le Ray lui fut présenté, il se contenta seu-
lement de lui demander si le Controlleur Général et
Mr de Maurepas s'étaient occupés de la question et
il ajouta que lui-même y ferait attention. L'audience
était finie ; elle parut insuffisante à Le Ray.
Enfin la décision du Roi, si impatiemment attendue
des nantais, parut ; elle ne les satisfaisait qu'à moitié,
« Je reçois dans le moment par un courrier exprès
« de Fontainebleau une copie en manuscrit des lettres
« patentes en forme d'Edit contre le commerce étran-
« ger que je vous envoys cy-joint, vous verres qu'il
« n'y est point parlé, n'y des réaux légers, n'y des
« déffenses sous des peines sévères aux généraux et
« intendants d'en souffrir à l'avenir la continuation.
« Ces déffenses là seront sans doute expliquées dans
« des ordres particuliers qui ne paraistront point et
« c'est cependant ce que nous aurions bien demandés
« qui fust rendu public, comme nous n'en obtiendrions
« pas davantage pour à présent, et qu'il faut encore
« paraistre contens de ce qu'il plaist à la Cour d'ordon-
« ner, j'iray lundy remercier les ministres à Fontai-
« nebleau, après quoy j'arrangerav mon départ qui
« poura estre vers le 10 du prochain mois, j'aurais
« souhaitté passionement, Messieurs, avoir peu vous
« raporter une plus entière réussite, il me reste au
« moins la satisfaction de ne m'y estre pas épargné
- 130 —
« et d'avoir fait tout le possible pour y parvenir, j'y
« joins eelle d'avoir peu marquer à nos négts mon
« dévouement pour le bien de notre commerce et le
« respect avec lequel j'ai l'honneur destre etc. ».
Les Juge-Consuls lui répondaient le 1er novembre :
« Mrs tous nos négls sont bien persuadés des peines
« et des soins que vous vous estes donnés pr faire
« réussir le sujet de vostre députation, si le résultat
« n'est pas complet ce n'est pas vostre faute et on ne
« vous aura pas moins d'obligations, en attendant
« le plaisir de vous voir, nous vous saluons et avons
« l'honneur d'estre, etc. »
Et ils ajoutent, le 4 novembre :
« Nos négocians paroissent contents de cet édit, il
« y a apparence qu'on armera cette année nombre de
« vaisseaux pour porter du bœuf. »
Ils n'avaient pas obtenu tout ce qu'ils désiraient,
mais ils sentaient qu'il était impossible d'obtenir
davantage ; il fallait faire contre mauvaise fortune,
bon cœur.
Ils furent reconnaissants à François Le Ray de la
Clartais de tout le dévouement qu'il avait apporté
dans cette affaire. Nous relevons dans le registre n° 2,
cote 582, des délibérations des Juge et Consuls, la
note suivante :
« Sur ce qu'il est venu à la connaissance de Mrs les
« Juge et Consuls en charge qu'il leur était nécessaire
« d'employer une somme de trois cents livres pour
« affaires et choses à eux connues et dont ils ont conféré
« avec Messieurs les anciens Juge et Consuls et Négo-
ce cians de cette ville, dont ils ont déclaré estre contents.
« Pourquoy les dits sieurs anciens Juge et Consuls
— 137 -
« et Négocians de cette ville donne pouvoir et consen-
;< tement que Monsieur Périsse], juge en charge, fasse
.( l'employ de la dite somme de trois cent livres, laquelle
« luy sera passée et allouée dans son compte sans
« contredit, étant reconnue estre utile ».
A Nantes, le 10 janvier 1729.
Ont signé :
R. Edelin, Sigongnes, de la Bauche-Hervé, Guillaume
Handriex, de Carcouet-Burot, de Beaulieu Belloteau ,
François Drouin. G. Guilloré.
Il est à remarquer que François Le Ray de la Clartais
n'a pas signé cette délibération comme ancien consul,
bien que les précédentes et suivantes délibérations
fussent signées par lui.
Il est à peu près certain que cette délibération a
trait à une bourse de cent jetons en argent (le prix en
était généralement fixé à trois cents livres) qui lui fut
offerte par ses collègues du consulat. Ils furent frappés
en son nom et rappellent en une légende élogieuse, le
succès qu'il avait remporté dans la mission qui lui
avait été confiée.
Il fut en outre frappé aux mêmes coins des jetons
en bronze, dont j'ai eu la chance de retrouver un exem-
plaire, gravé en tête de cette notice; c'est le seul qui
soit connu, en voici la description :
FELIX OMEN RADIUS Navire armé en trois-
mâts barque, voguant à gauche, un rayon de soleil
perce les nuages et vient l'éclairer. A l'exergue, en trois
lignes: GRATITUD. COMMERC. MARIT. - - NANN.
IN FR. LE RAY - MONUM. qui doit se lire : GRATI-
TUDINIS COMMERCII MARITIMI NANNETEN-
SIS IN FRANCISCUM LE RAY MONUMENTUM.
— 138 —
k Légende en six lignes: QUOI) - ADVERSUS - IN-
TERLOPAS NAVES - REG (is) DIPLOMA (ta) SOL-
LICIT (avit) ET ATTULIT. — 1727.
Quoique ce jeton n'ait été frappé qu'en 1729, il
rappelle par sa date 1727, l'époque à laquelle François
Le Ray fut envoyé en députation.
Nantes, le 10 avril 1908.
P. SOULLARD.
Entre Commissaires à Nantes
Au XVIIIe Siècle
En 1669 naissait à Paris, sur la paroisse Saint-Jacques
du Haut-Pas, un enfant qui fut nommé Claude Dumur.
Avait-il été trouvé au pied d'un mur dans la capitale
(comme le fut à Nantes, un siècle plus tard, Renée Dumur,
baptisée à Saint-Léonard), puis recueilli par quelque
âme compatissante, ou bien était-il né en légitime ma-
riage ? Nous ne savons, et vraisemblablement le fait ne
serait point facile à vérifier : les registres de l'état civil
de Paris ayant été brûlés sous la Commune. Il importe
peu d'ailleurs à la suite de notre histoire qu'on doive
ou non ranger Claude Dumur, sous le rapport de la régu-
larité de sa naissance, à côté des Perrine de la Porte,
Marie de l'Allée, Marie du Banc, Louis de l'Echelle,
Jeanne de la Cuisine, François de l'Ecurie, Marguerite
et Renée du Grison, Joseph du Bateau, Charles de la
Nuit et tant d'autres nantis de noms analogues plus ou
moins poétiques et pittoresques, et que nous savons
positivement être des enfants trouvés ou exposés à
Nantes, ou bien de ces nothus, notha, comme disent nos
registres paroissiaux : les recteurs voilant discrètement
sous le latin une tare dont les infortunés n'étaient point
responsables.
A quelle date Dumur quitta-t-il la capitale ? Fit-il
un tour de France plus ou moins tortueux avant de
venir se fixer dans la bonne ville de Nantes ? On l'ignore.
Ce qu'il y a de certain, c'est que nous ne le rencontrons
chez nous qu'à l'âge de 40 ans.
Le 11 juillet 1709, en effet, honorable homme Claude
Dumur, maître gantier parfumeur, épousait à Sainte-
— 140 —
Croix dé Nantes « honeste famme Olive Feudé, vefve de
feu honorable homme François Thamol, en son vivant
aussy maistre gantier ». Au hou vieux temps, le veuvage
pesait lourd à nos ancêtres. 11 n'y avait pas tout à fail
neuf mois qu'Olive avait enterré son premier époux (18
octobre 170.S). A dire vrai, François Tamot lui avait bien
donné l'exemple, puisque veuf le 16 mai 1702 de Mar-
guerite de la Lande, il avait convolé six semaines après
avec Olive (1er juillet 1702).
Quoi qu'il en soit de l'empressement de celle-ci à for-
mer de nouveaux liens, ses proches ne lui tinrent pas
rigueur, puisque Yves Tamot, frère de son premier mari,
assistait à la noce et signait au registre. D'ailleurs les
affaires sont les affaires et Olive, en se mariant, songeait
peut-être autant à la prospérité de sa boutique de gan-
tière en lui donnant un nouveau patron, qu'aux beaux
yeux de Claude qui frisait déjà, nous l'avons dit, la
quarantaine.
Aux environs de 1712, Dumur tenait son établisse-
ment dans la Grand'rue. Soit pour se distraire, soit pour
faire patienter les clients pendant que Madame leur
essayait des gants, peut-être pour amuser le petit Fran-
çois-Mathieu Tamot, alors âgé de 7 ans, enfant du pre-
mier lit — car nous n'avons pas vu que lui-même fût
encore devenu père - - Claude Dumur avait des singes.
Dans un grand port comme Nantes, dont les nombreux
vaisseaux sillonnaient alors toutes les mers et faisaient
le commerce des Indes, des Orientales comme des Occi-
dentales, à cela rien d'extraordinaire. Il n'était pas le
seul d'ailleurs et nous verrons bientôt qu'il partageait
cette passion avec le lieutenant de Toi au château.
C'était aussi bien innocent ; mais, ce qui l'était moins,
il les habillait en moines ! Peut-être cela lui faisait-il de
la réclame ; en tout cas, le bon populaire sûrement, et
vraisemblablement aussi les gentilshommes qui ne se
piquaient point alors d'une dévotion outrée, durent
plus d'une fois en rire, et il ne semble point que Dumur
— 141 —
ait été excommunié pour cette plaisanterie d'un goût
plutôt douteux et qui ne paraît pas d'ailleurs avoir
longtemps duré. Malheureusement pour lui, un voisin
revêche, qui s'était peut-être comme les autres amusé
des quadrumanes encapuchonnés, ne devait point l'ou-
blier. Il le lui fit bien voir.
Joseph Cigongne, maître apothicaire de son état,
habitait la Haute, tandis que Dumur logeait dans la
Basse-Grand'rue, le premier en Saint-Denis, le second
en Sainte-Croix. Tous deux faisaient partie de la milice
bourgeoise dans des compagnies différentes ; toutefois
Cigongne avait le grade d'enseigne, correspondant à
celui de sous-lieutenant. Dumur n'était que sergent.
En janvier 1721, un arrêt du Conseil d'Etat établit à
Nantes un major et un aide-major dans ladite milice.
Rien de la médecine comme on pourrait le croire
dès l'abord, étant donnée la hiérarchie actuelle — dans
ces fonctions. On les créait, suivant le texte de l'arrêt,
« pour éviter les plaintes et discussions qui arrivent
ordinairement quand les milices sont assemblées ».
C'était donc plutôt un emploi de police au corps. Sevin,
lieutenant d'une compagnie, fut promu major et Dumur
aide-major, celui-ci avec brevet du roi lui donnant rang
de lieutenant. Du fait, le sergent, alors âgé de 52 ans,
passait par dessus la tête de Cigongne qui en avait 66
et restait enseigne.
Avec son métier d'apothicaire et son grade dans la
garde bourgeoise, Cigongne cumulait une autre fonction.
Le 25 juillet 1720, lors de la création de quatre commis-
saires de police à Nantes, il avait obtenu une de ces
places. Les 300 livres de gages annuels qu'elles procu-
raient aux titulaires n'étaient certes pas à dédaigner.
Que l'on fût officier de milice et avec cela autre chose,
très bien ; mais que l'on pût exercer simultanément la
charge de commissaire et l'état d'apothicaire, toutes
nos idées modernes en sont renversées. Néanmoins,
c'était comme cela à Nantes sous la Régence. Comment
- 142 —
Monsieur Cigongne, à son âge, pouvait-il à la fois sur-
veiller son officine el la police urbaine? Pour la pre-
mière il avait, il est vrai, son fils ; niais celui-ci était
bien jeune, puisque quatre ans plus tard il n'avait pas
encore accompli tout son stage. Pour la seconde, nous
aimons à croire que des collègues plus alertes faisaient
au besoin le coup de force et que lui se contentait,
comme le constatent divers procès-verbaux dressés par
Cigongne en 1721 et 1722, de dénoncer ceux qui met-
taient le feu à leur cheminée, n'avaient point de latrines,
apportaient des bêtes mortes au coin de la ruelle qui
conduit sur les murailles de Saint-Léonard, ou bien
donnaient à boire pendant le service divin, etc.
Entre temps, Cigongne posa sa candidature à une
place d'échevin de la ville de Nantes. Il eut été, cela se
conçoit, fort honorable pour lui de figurer parmi les
premiers magistrats de la cité. Hélas ! on ne voulut
point reconnaître ses mérites. Quelque intrigue le fit-il
échouer? Toujours est-il qu'il échoua.
Au début de 1722, les choses en étaient à ce point
dans la situation respective de nos personnages : l'un
apothicaire, commissaire de police et toujours enseigne
de la milice, avec cela candidat malheureux ; l'autre,
gantier et aide-major au rang de lieutenant dans ladite
milice. Or, à cette époque, un commissariat de police
vint à vaquer, Charles Fauvel se retirait. Dumur brigua
la place. Avoir pour collègue un particulier qui l'avait
si bien évincé dans la garde bourgeoise, c'en était trop
pour Cigongne. C'est ici que l'histoire se corse et va
justifier le titre que nous lui avonsïdonné.
L'apothicaire aiguise sa plume et de sa plus belle
main adresse à l'intendant de Bretagne Feydeau de
Brou une épître pour protester contre la nomination
de Dumur à une place de commissaire. Que disait-il
au juste dans cette épître? Son texte, malheureusement,
ne nous est pas parvenu, et c'est bien dommage. On
peut toutefois, sans médisance, la croire quelque peu
143
fielleuse, si l'on en juge par la correspondance qu'échan-
gèrent à son sujet l'intendant et Gérard Mellier, maire de
Nantes et colonel né de la milice bourgeoise.
Le 28 janvier 1722, Feydeau écrivait à Mellier : « Je
vous envoyé une lettre du sr Cigogne qui, fasché appa-
rament de ce que l'on ne l'a pas trouvé digne d'estre
admis parmy les échevins, veut, à son tour, soutenir la
dignité des commissaires de police. Je suis fort aise
que l'on regarde ces places comme distinguées... Vous
pourés dire au sr Cigogne que je vous ay renvoyé sa
lettre » (1).
A quoi, le 30 janvier, le maire de Nantes répondait :
« J'ay averty le sr Cigogne du renvoy de sa lettre. Je l'ay
ramesné de 'son entestement qui est extrême. Nous
avons remplacé l'office vaccant en nommant le sr Du-
mur. J'ay eu l'honneur de vous en parler à Nantes ;
vous l'avez agréé. M. de Menou a fort pressé en sa fa-
veur connoissant son activité et sa vigilance. Dumur
est ayde major de la Ville avec brevet du Roy qui luy
donne rang de lieutenant de la milice bourgeoise, et
Cicogne n'est qu'enseigne de la mesme milice. Il n'opose
pour reproche capital autre chose contre Dumur si ce
n'est qu'il a eu des singes dans sa boutique qu'il habil-
loit en moines. Je m'étonne que Cigogne vous ayt pu
présenter, Mr, une plainte sur un motif de cette nature.
Ce reproche n'est estably ni par le droit, ni par l'ordon-
nance, ni par la coutume. Les plus grands seigneurs
ont des singes dans leurs vestibules ; on voit les singes
avant les maistres. Personne, avant Cicogne, ne s'est
avisé de critiquer les patrons de ces plaisants et pauvres
animaux qui sympatisent d'ailleurs avec un citoyen
vivant de leur industrie. Feu M. de Miane [lieutenant
de roi au château de Nantes] en avoit provision vestus
d'habits de moines ou chanoines. Le fameux Teniers
(1) Arch. munie, de Nantes, II 26.
Soc. Archéol. Nantes. 10
- 144
les a presque toujours dépeints en moines ; les ouvrages
de ce peintre sont néanmoins d'un prix infiny, et Mais-
tre François Rabelays compare les moines aux singes
en ce que, dit-il, les uns et les autres ne sont bons qu'à
boire, manger et fienter. En tout cas, il y a prescription
en faveur de Uumur ; il dit que, depuis dix ans, il n'a
eu de singes, et il est notoire que Cicogne a souvent
habillé sa chienne en Damoiselle et qu'il l'a donné
sur sa boutique en spectacle au public. Il doibt du moins
passer les singes à Dumur, en passant par ce dernier
l'habillement de la chienne. C'est ce que j'estime, sous
vostre bon playsir, qu'il y a lieu d'ordonner en ce tems
de Carnaval.
» Au surplus, les écarts de Cicogne sur la nomination
de Dumur ont donné lieu à nos eschevins de s'aplaudir
de n'avoir pas Cicogne pour leur confrère ; ils le con-
noissent pour un homme tracnssier et, dans sa commu-
nauté de pharmacie, il est fuy de tous par le mauvais
caractère sur lequel il devroit commancer de faire la
police » (1).
Recommandé par M. de Menou, alors lieutenant de
roi à Nantes, Mellier qui ignorait encore, lorsque l'aide-
major fit sa demande, les sourdes menées de Cigongne,
ne pouvait pas ne point nommer Dumur. Les eût-il
connues, il eût sans doute agi de même, car, comme il
vient de le dire, il s'étonnait qu'on pût présenter une
plainte pour une' malheureuse histoire de singes, si vieille
qu'il y avait prescription. La dénonciation du commis-
saire contre son futur collègue restait lettre morte et
l'aventure tournait à la confusion du pauvre Cigongne
qu'on se félicitait de n'avoir pas élu échevin.
Comment, lui policier, n'avait-il pas été plus adroit?
A sa place, sans remonter si loin, nous nous serions ren-
seigné par le menu sur une affaire encore toute récente
et dont il avait sûrement ouï quelque chose.
(1) Arch. Nantes, II 26.
- 145 —
Voici ce qui s'était passé. Le 9 novembre 1721, sur
les 9 heures du soir, Sébastien Leroy et Pierre Guinel,
sergents de la compagnie bourgeoise de M. des Landes
Ramaceul, s'étaient, avec leurs miliciens, rendus au corps
de garde pour faire la patrouille. M. Le Marchand, lieu-
tenant de la compagnie, indisposé, n'accompagnait pas
ses hommes. Pour la suite, nous ne saurions mieux dire
que les sergents dans leur rapport, dont l'original nous
a été précieusement conservé (1) : Au poste, « le sr du
Mur, garçon major (lisez aide-major) se seroit trouvé
lors de l'arrivée du détachement, lequel, lorsque moy
Le Roy voulus faire entrer ledit détachement dans le
corps de garde, profféra plusieurs parolles injurieuses
contre ceux du détachement, les traitant de b...de ma-
reaux, et nous disant à nous Le Roy et Guinel, nous
menassant de sa canne levée, qu'il [nous] aprendroit
nostre devoir; à quoy nous luy repondimes que nous le
sçavions avant luy. Et lorsque nous voulûmes entrer
dans le corps de garde des officiers pour y faire du feu,
ledit sr du Mur nous auroit dit que si nous voulions
faire du feu dans le corps de garde et avoir de la lumière,
que nous en eussions acheptez, et il commanda au ser-
gent des soldats du régiment d'envoyer oster le bois
et la chandelle qui estoint dans le corps de garde des
officiers et de les porter dans celuy des soldats. A quoy
nous nous serions opposez et demandé au sr du Mur s'il
avoit ordre de M. le commandant ou de M. le Maire.
Ayant répondu qu'il l'avoit et nous ayant dit que sy
nous voulions nous chauffer que nous pouvions le faire
dans le corps de garde des soldats, et faire quitter celuy
que nous eussions voulus pour prendre sa place. Luy
ayant répondu que le fouier estoit trop petit pour pou-
voir estre tous auprès du feu, il nous dit en plaisantant
que nous eussions à chercher un ingénieur pour faire un
fouier plus grand, nous luy demandâmes la représen-
(1) Arch. Nantes, EE 104.
— 146 -
tation de son ordre afin de nous y conformer. Ce que
n'ayant pas fait, nous alumames du feu et de la chan-
delle dans le corps de garde des officiers, luy déclarant
que nous allions raporter nostre procès verbal pour nous
plaindre contre luy. Ce que nous certiffions véritable
soubs nos seings et des habitants qui estoint du déta-
chement qui sçavent signer. (Signé) : Sébastien Leroy,
Pierre Guinelle (suivent 13 autres signatures) ».
Traiter ses hommes de b... de marauds, lever sur eux
sa canne, puis à l'injure joindre l'ironie en les renvoyant
a un ingénieur pour élargir la cheminée du poste, celait
autrement grave que la vieille historiette des singes.
Du mur, si le rapport est exact, s'était oublié et avait
manqué de sang-froid. Si nous avions été Cigongne, au
lieu d'exhumer l'affaire en question pour prouver que
le candidat manquait de dignité, nous eussions dit que
le sang-froid était une qualité indispensable pour un
commissaire de police et que Dumur n'en avait point
fait preuve dans l'occurrence. A vrai dire, le dénoncia-
teur, moins bien renseigné que nous, ignorait peut-être
le texte même du rapport caché dans les archives du
corps ; mais il ne lui était pas difficile de faire parler les
gardes, et il se serait bien trouvé parmi eux quelque
bavard pour lui faire de précieuses confidences.
Bref, Cigongne en fut pour ses frais. Dumur, nommé
officiellement le 1er février, prêtait serment le 5 entre
les mains du procureur du roi, et « a promis et juré, la
main levée de se comporter fidellement en la charge de
commissaire de police » (1). Bien protégé, actif et vigi-
lant, ce dernier pouvait marcher sans crainte.
Tandis que Cigongne conservait sa profession que
son acte de décès lui donne encore, Dumur abandonnait
sans doute son état de gantier dont il n'est plus question
par la suite, et Mellier, son colonel à la milice et son maire
à la police, paraît avoir toujours eu un faible pour sa
(1) Arch. Nantes, FF 58, f° 23.
- 147 —
créature. Rien, que nous sachions, ne fut reproché à
Dumur dans l'exercice de ses nouvelles fonctions.
Il n'en fut pas de même de son collègue. Décidément
la guigne le poursuivait. Oyez plutôt : « Nous avons
reçeu les plaintes (écrit Mellier à l'intendant le 22 février
1722, moins d'un mois après que le corps des commis-
saires, jusque là honoré par la présence de Cigongne qui
craignait de le voir déshonoré par un montreur de singes,
avait néanmoins reçu celui-ci dans ses rangs) de ce que
le sr Cicogne, commissaire de polllice, a pris dix sols pour
chaque chiffrature de plusieurs registres des hostes et
cabaretiers sur lesquels ils doivent inscrire le nom de
ceux qu'ils logent. L'ayant mandé sur cela, ii avoue
qu'il a perçeu ce prétendu droit de 80 à 85 cabaretiers ;
mais, dit-il, c'est pour se récompenser de plusieurs livres
qui traictent de la pollice dont il a fait l'achapt à Paris
affin de s'instruire plus amplement de ses fonctions.
Voillà un prétexte assez singullier. Nous luy avons en-
joint verballement, pour éviter le scandalle, de restituer
ce qu'il a pris. Je crois, Monsieur, que vous aprouverez
nostre conduite ; gens de l'humeur de ce commissaire
ne seroient pas bons à remplir une place d'échevin. II
est vray qu'il travaille dans ses fonctions de pollice ;
mais nous luy avons fait entendre qu'il y avoit d'autres
moyens de reconnaître ses soins que celluy d'ainsi per-
cevoir un droit nouveau en pareille occasion ». —
« L'injonction que vous avés faite au s1' Cigogne, répli-
quait Feydeau, me paroist fort convenable, et le pré-
texte qu'il avoit pris pour exiger 10 sols de chaque chi-
frature de plusieurs registres des hostes est ridicule »(1).
Un an plus tard, Cigongne se faisait encore tirer à
l'oreille pour payer onze livres sur les amendes de police
qu'il avait perçues (2).
Dumur était bien vengé. Dire que tout fut roses
(1) Arch. Nantes, BB 169.
(2) Ibid., II 27, lettre de .Mellier à l'intendant.
148
désormais dans son existence, serait un paradoxe : la
vie n'est pas ainsi faite ; mais du moins il trouvait
sympathie chez ses chefs. Auquel de ses ennuis faisait
allusion Mellier quand, en février 1724, il écrivait à
M. de Menou, le lieutenant de roi : « Nous venons de
procurer sur les amendes une gratiffication de 200 livres
au pauvre Dumur pour luy donner courage »? Nous ne
savons. Toujours est-il que M. de Menou approuvait :
« Je suis bien aize que vous ayés trouvés le moyen de
procurer 200 liv. de gratification au pauvre Dumur. Il
me voira toujours empressé à luy souhaiter et à iu\
faire du bien quand il s'en présentera l'ocazion, tant
qu'il servira bien » (1).
Il servait bien, en effet, le pauvre Dumur et de toutes
façons. Fin limier, agent de la sûreté de première
force, c'est à lui qu'on avait recours dans les affaires
délicates.
La preuve, la voici. En juin 1724, Mellier ayant reçu
de ses collègues les subdélégués à l'intendance de Tours
et d'Angers, des missives confidentielles, mandait son
commissaire.
Sans narrer par le menu ce petit épisode de la police
secrète à Nantes qu'on pourrait développer sans peine,
nous ne devons cependant pas l'omettre, car on y trouve
plusieurs épithètes fort élogieuses pour notre homme.
Bref, on adressait à Mellier un signalement ainsi
conçu : « Une demoiselle de Paris, de grande et belle
taille, aagée de 19 ans, la peau blanche, les couleurs
vives, soucis blonds, cheveux blond alezan, les yeux
bleus assés grands, le nez un peu gros, assés belle per-
sonne et cependant ayant quelques taches de rousseurs
au visage. Elle a avec elle un habit de satin de Mar-
seille citron et bleu à fleurs, doublé de tafetas bleu, avec
un jupon de damas bleu et blanc, et une robbe de cham-
bre de boure de Marseille avec des rayes de satin à
(1) Arch. Nantes, II 41.
— 149 —
fleurs, sans compter les habits d'hyvert qu'elle peut
avoir. Elle beguaye tant soit peu en parlant ».
La demoiselle en question avait quitté furtivement
la capitale, emportant comme viatique des bijoux :
boucles d'oreilles, croix de diamant,etc, pour environ
1.000 écus, le tout enlevé à la boutique de sa mère
.veuve, une brave fripière de la rue de la Grande-
Truanderie.
D'Orléans où elle s'était embarquée, la fugitive avait
descendu la Loire jusqu'à Tours. Là elle avait rejoint
un certain M. de Visière, autrement appelé M. de la
Vilière, qui se titrait chevalier. Etait-il réellement noble?
On ne savait pas même au juste s'il était de Bordeaux
ou bien de Toulouse. Chevalier d'industrie à coup sûr.
Les amoureux avaient continué ensemble le voyage
sur le bateau d'Orléans et l'on supposait qu'ils avaient
gagné Nantes.
Dumur, au courant, se met aussitôt en campagne.
Après quelques jours d'une savante filature, il vient
dire « qu'il avoit découvert où étoit la chambre où gisoit
la damoiselle ». Mellier, auquel il annonce cette nouvelle,
prie M. de Menou d'adjoindre au sien deux hommes de
confiance « pour garder à veue ladite damoiselle et ses
hardes et nipes, en attendant qu'on se fût assuré d'un
couvent pour la constituer ». Ainsi fut fait, et peu après
Dumur conduisait la Parisienne dans une chaise à por-
teurs au couvent de Sainte-Elisabeth, au Marchix,
payait un quartier de sa pension et y envoyait « nipes
et hardes ». Rendant compte à son chef de sa mission,
le policier pouvait lui dire avec fierté « qu'on eust man-
qué de trouver ladite damoiselle s'il ne s'y fût pris en
douceur et tout bellement». La supérieure, Mme de Tré-
velec, fit bien quelques difficultés, n'ayant point reçu
de lettre de cachet, et alla même jusqu'à « douter de la
parole du garde » ; néanmoins on interna à Sainte-Eli-
sabeth, avec défense de communiquer au dehors, la belle
personne aux grands yeux bleus et aux cheveux d'un
— 150 —
blond alezan, prise en douceur par l'incorruptible Du-
mur.
Millier, qui a consigné dans une note de sa main le
récit circonstancié de la capture, en rendit compte plus
brièvement à son collègue de Tours, puis à M. de Brou,
l'intendant de Bretagne. Au premier il écrit : « Il seroit
inutile de vous faire le détail des perquisitions que j'ai
fait faire par notre aide-major, qui est homme vigi-
lant, adroit et de confiance. Je luy ay promis de le faire
récompenser et certainement il le mérite, car sans cette
voye il eût été difficile de réussir par les précautions
infinies qu'il paroit qu'on avoit prises pour la cacher ».
Puis au second : « Après en avoir fait faire très secret te-
ment une ample perquisition, on l'a (la demoiseile)
découvert et je l'ay fait constituer dans le couvent des
religieuses de Sainte-Elizabeth du Marchisde cette ville,
en attendant de nouveaux ordres. J'en suis d'autant
plus aise qu'il ne me convient pas de souffrir qu'on choi-
sisse notre ville pour servir d'azile ou de retraitte aux
libertins et aux scélérats ».
Nous demandons pardon au lecteur de lui avoir dé-
voilé cette petite aventure qui, menée fort discrètement,
ne fit aucun scandale à Nantes. Mellier était fort bien
entré dans les vues de M. du Champ du Mont, grand
chantre et chanoine de Saint-Martin de Tours, lequel
avait consenti à intervenir par égard pour la mère et afin
d'éviter à la jeune fille de plus grands écarts de conduite.
Après cinq semaines de couvent, celle-ci fut sous bonne
garde renvoyée à sa mère.
Que de prime abord - ayant cherché à duper la
police en se nommant Elisabeth Chabot, 25 ans, arrivant
du Poitou, alors qu'en réalité elle s'appelait Sabot,
19 ans, et venait de Paris — on puisse prendre Elisabeth
pour une rouée, la tentation peut en venir. Mais cette
épithète, surtout en ces temps de la Bégence et appli-
quée à une vulgaire bourgeoise, dépasserait sûrement la
mesure. Ii y a plutôt lieu de croire qu'elle était moins
- 151 —
vicieuse que petite folle et enfant gâtée, cette jeune fille
qui, de sa retraite forcée, réclamait son miroir, son pot
de pommade, ses flacons d'eau, son sucre, du café, du
tabac (la nature n'en est pas précisée), et ajoutait en
post-scriptum : « L'on ne donne point de vin rouge, je
prie qu'on m'en envoie et quelque fois de petite dous-
seurs. »
Quant à Dumur, le 27 juin il reconnaissait avoir
« reçu de M. Mellier, de la part de Mme Sabot, la
somme de 60 livres pour les peines et soins que j'ai
prises pendant plusieurs jours pour faire conduire, en
conséquence des ordres qui m'ont été donnés, Mlle Sabot,
sa fille, au couvent de Sainte-Elizabeth de cette
ville » (1). Nous estimons qu'il avait bien gagné sa
gratification.
Dumur, avons-nous dit, servait bien de toutes fa-
çons. C'est ainsi qu'à d'autres égards il mérite assuré-
ment de figurer au tableau clés victimes du devoir. En
effet, le 16 octobre 1725, Mellier mandait à l'intendant :
« Le pauvre Dumur, nostre ayde major, est toujours
malade de la chute qu'il fit d'un second étage au dernier
feu. Il n'en mourra pas selon les aparences ; mais il est
fracassé. Je vous suplie, Monsieur, d'avoir égard à luy
faire payer quelque chose pour la gratiffication qui luy
a esté promise à cause de l'homme qu'il a arresté par
ordre de M. de Mélesse à vostre recommandacion, et qui
a esté envoyé à Rennes » (2).
Grâce à Dieu, bien trempé comme il l'était, Dumur
n'en mourut pas. Voire même, ayant enterré dans l'église
de Sainte-Croix, le 10 avril 1726, sa femme Olive Feudé,
il convolait à nouveau le 15 février 1727, à 58 ans, avec
Marie Bruneau. Celle-ci qui, à l'encontre de sa première
épouse, n'avait pas été mariée, le rendait père, deux ans
(1) Les pièces relatives à l'enlèvement de Mlle Sabot
forment aux Arch. munie, de Nantes la liasse II 61.
(2) Arch. Nantes, II 28.
— 152 —
après,d'un fils auquel, comme à lui, on donnait le prénom
de Claude et qui fut baptisé par missire Bournigalle,
recteur de Pouillé, avec le consentement du recteur de
Sainte-Croix, paroisse du nouveau-né.
Dumur continua à verbaliser; un jour, c'est contre des
laquais qui avaient fait le carillon à la porte de la Comé-
die ; un autre, il en fut pour ses peines, car lorsqu'il vou-
lut procéder contre un gabarier pour insultes envers le
commis d'un gros négociant, le délinquant avait filé sur
Paimbœuf. Ce n'était là qu'un léger mécompte, et encore
féliciterions-nous volontiers Dumur de cette fugue, si elle
lui épargna l'aventure tragique advenue un peu plus
tard à l'un de ses confrères : « Le sr Lesourd, l'un de nos
commissaires de police et greffier de nos deux hôpitaux,
fut empoisonné hier avec sa femme, sa fille, son beau-
père, sa servante et un valet de campagne, en mangeant
sa soupe. Ledit sr Lesourd en est mort aujourd'hui à midi
et tous les autres sont encore en grand danger. On publie
que c'esl par de l'arsenic qui a esté meslé dans leur pot
que ce malheur est arrivé... Lesourd est fort regretté. Il
étoit aussi secrétaire du renfermement des mendians. Je
suis très mortifié qu'il se soit trouvé dans cette ville un
scélérat capable d'attenter à la vie d'une famille entière »
(1). Nous comprenons que, comme maire, Mellier ait été
1res mortifié de l'aventure, lui auquel il ne convenait
même pas - on l'a vu plus haut - - que Nantes servît
d'asile à un libertin ravisseur d'une demoiselle ; mais
combien plus a. mères réflexions dut faire ce pauvre Le-
sourd, durant son agonie, sur le breuvage qu'on lui avait
servi pour ses étrennes un jour de premier de l'an !
Evidemment, rien ne pouvait être pire pour un com-
missaire que ce qui advint au malheureux Lesourd ;
mais, sans aller aussi loin, on ne leur épargnait pas des
humiliations toujours fort sensibles. Lequel d'entre eux,
(1) Arch. Nantes, II 41, lettre de Mellier à M. de
Menou du 2 janvier 1727.
- 153 —
Cigongne ou Dumur, ou bien un autre de leurs collègues,
visait la lettre suivante ? Peut-être avait elle en vue la
respectable corporation tout entière. Quoi qu'il en soit,
un beau jour, Mellier reçut cette missive : « Monsieur,
j'ay l'honneur de vous envoyer une statue en cire repré-
sentant un commissaire de police, laquelle j'ay jugé à
propos de saisir, n'estant pas soufrable qu'on y aye ajouté
des attributs qui semblent tourner en ridicule les faces
de commissaire. J'ay mesme découvert que les poisson-
nières avaient fait faire cette statue à leurs fraix et qu'il
y en a grand nombre de répandues parmy ces sortes de
gens. Je n'ay pas cru en devoir dresser un procez verbal
ny faire des perquisitions jusqu'à ce qu'on eust fait reco-
noistre les auteurs de cette statue. J'auray l'honneur de
vous voire demain et de vous communiquer ce que j'au-
ray pu découvrir à ce sujet » (1). Découvrit-on les auteurs
de la statue? Les chroniques sont muettes sur ce point.
Nous aimons à croire que les perquisitions aboutirent
et que l'honneur des agents de la force publique reçut
une éclatante réparation.
Cigongne ne devait pas vivre longtemps après toutes
ces histoires ; il mourut plein de jours, âgé de 72 ans, et,
le 6 mars 1727, on inhumait « dans l'église de Saint-Denis,
le corps de Joseph Cigogne, maître apothicaire, commis-
saire de police et enseigne d'une compagnie de bour-
geoisie de la ville de Nantes ». Malgré tout, il laissait une
mémoire intacte, et le souvenir de ses peccadilles ne devait
pas nuire à ses enfants. Le 1er mai 1727, le fils Cigongne
était nommé pour remplir la place d'enseigne de la compa-
gnie du quartier Saint-Pierre, vacante par la mort de son
père, et le maréchal d'Estrées, gouverneur de Nantes,
s'empressait de lui en délivrer un brevet (2).
Quant à Dumur, il survécut longtemps à celui qui,
dans un moment d'humeur chagrine, avait voulu le des-
(1) Arch. Nantes, FF 120, lettre du 18 juin 1726.
(2) Arch. Nantes, BB 73, f°" 33 et 42.
— 154 —
servir. Recommandé par sa belle conduite, jouissant de
la faveur des autorités et n'ayant plus les ressources de
son ancienne profession, il se vit attribuer, deux jours
avant la mort de Cigongne, les fonctions de garde-maga-
sin pour avoir soin à Nantes des armes et des habits des
bataillons de milice de la région (1).
Lui aussi, il décéda chargé d'années à l'âge de 75 ans.
Depuis quelque temps déjà, quittant la Basse-Grand'rue
et la paroisse où avaient été bénies ses deux unions, où
avait élé baptisé son fils, il s'était transporté rue Saint-
Xicolas, et ce furent les prêtres de la paroisse de ce nom
qui, après la messe chantée dans leur église, le condui-
sirent processionnellement dans la chapelle des « R. P.
Carmes pour y estre inhumé suivant ses dernières volon-
tés ». C'est là que fut déposé, le 9 octobre 1744, pour y
dormir son dernier sommeil, le « corps du s1' Claude Du-
mur, aide major de la milice bourgeoise et commissaire
de police de la ville de Nantes ».
(1 ) Ibid., BB 78, f° 17.
René Blanchard.
Raines de l'Epoque Gallo-Romaine et du Moyen Age
A NORT-SUR ERDRE
Tous ceux qui s'intéressent aux questions archéo-
logiques savent quelle importance eut dans le passé
la ville de Nort ou tout au moins remplacement qu'elle
occupe, ainsi que le territoire environnant. Situé sur
les bords de l'Erdre, à l'endroit où cette rivière com-
mence à être navigable ; traversé par les voies de com-
munication qui mettaient en rapport la Bretagne et
l'Anjou, Nort (1), avec ses trois églises de Saint-Martin,
de Saint-Cristophe et de Saint-Georges, devait, dès
le XIe siècle, occuper une place considérable parmi les
principaux centres de la Haute-Bretagne.
Mais l'importance de Xort ne datait évidemment
pas de cette époque. Les nombreuses sépultures en
calcaire coquillier (2) et en pierre analogue à la pierre
(1) L'étymologie du mot Nort est très discutée. Les uns
font venir ce mot du latin honor parce que, au moyen âge,
on disait Honort, Eunord et Enor (Ogée). A moins qu'on
n'établisse historiquement l'origine du mot Xort, nous croi-
rions volontiers que ce mot vient du breton ann dôr, en
vannetais enn ôr, la porte, ce qui se justifierait si bien par la
situation de Nort en un point qui servait pour'ainsi dire de
passage, de porte entre deux régions très distinctes, mais
voisines. La présence d'un mot breton dans la dénomination
d'une localité enpaysgallo, au moyen âge, n'a rien de surpre-
nant. Le fait existe pour bien d'autres noms de lieux. Pour
s'en convaincre, il suffit de jeter les yeux sur une carte ; on
rencontrera les noms de Coëtzic, de Pourra, de Languen,
pour ne citer que des noms pris au hasard dans la commune
de Xort.
(2) Le calcaire coquillier employé pouvait venir des
Cléons, mais aussi des environs de Quiheix, au bord du
Canal. "Il existait aussi des tombeaux en schiste ardoisier
provenant sans doute de Nozay.
— 156
de Saint-Savinien que l'on a découvertes dans toute
la partie qui s'étend entre l'église actuelle et le champ
dé foire (sépultures qui, selon toute apparence, remontent
au moins au VIe siècle), attestent l'antiquité et la ri-
chesse de l'agglomération qui s'était formée en cet en-
droit.
D'ailleurs, une civilisation plus ancienne encore
avait précédé celle qui nous est révélée par ces éloquents
vestiges. La civilisation gallo-romaine avait fleuri
à Nort et les traces en sont encore visibles sur plusieurs
points sans doute, mais incontestablement sur ce coteau
élevé et admirablement placé qui prend naissance en
amont, sur la rive gauche de l'Erdre, dans une sorte
de boucle naturelle formée par la rivière. En bas s'étend
le quartier ou faubourg de Saint-Georges ; plus haut
en allant vers l'est on rencontre les points qui portent
sur les cartes les noms de la Pancarte et de l'Orgerie,
et, sur le plan cadastral, les noms significatifs de la
Motte et de la Petite-Motte.
Déjà en 1882, nous trouvant au Congrès de l'Asso-
ciation bretonne à Châteaubriant (1), nous avions
signalé la présence sur le coteau de la Motte et de
l'Orgerie d'un grand nombre de fragments de briques
romaines, dites briques à rebords ou teguîœ hamatœ ;
briques à l'état de fragments, il est vrai, mais briques
bien reconnaissables, de la division et de l'usure des-
quelles on ne pouvait s'étonner si l'on considérait que
le terrain, surtout planté en vignes, avait été tourné
et retourné des centaines de fois au cours des siècles
passés. Ces briques, nous les avions vues, nous les avions
foulées bien des fois pendant un séjour de plus d'une
année dans une maison amie, à un âge ou les questions
archéologiques ne nous touchent point encore ; mais,
plus tard, rappelé dans ces lieux par les cy/constances ou
plutôt par l'amour des souvenirs, et aussi par l'amour
(1) Séance du 5 septembre.
157
des sites pittoresques, conduit par des parents désireux
de nous être agréables, nous avions reconnu et constaté
la présence de ces débris nombreux et disséminés sur
une grande surface. C'est ainsi que nous pûmes dire au
Congrès de Châteaubriant un mot de ces intéressantes
trouvailles.
Nous nous abstînmes d'entrer dans les détails, parce
que nous craignions d'être inexact ou trop incomplet.
Nous espérions alors pouvoir entreprendre des fouilles
plus ou moins sérieuses et faire une communication
à la Société Archéologique de Nantes. Hélas ! ce projet,
comme bien d'autres, n'a pas encore été réalisé et
nous en exprimons le regret sans pouvoir dire s'il le
sera jamais au gré de nos désirs.
Mais si nous ne pouvons faire connaître les résultats
de fouilles dirigées par nous-même, nous nous faisons
du moins un devoir d'exposer ou de raconter simple-
ment à nos savants collègues ce que nous avons appris
et ce qui s'est passé relativement aux vestiges gallo-
romains de la Motte ou de la Pancarte ; car ces deux
noms paraissent s'appliquer un peu à la même portion
de territoire; encore dans le dictionnaire d'Ogée, peut-
être est-ce une erreur typographique, trouve-t-on
Pancante et non Pancarte.
Disons tout d'abord que c'est sur la partie du coteau
située entre la rive gauche de la rivière et la route de
Châteaubriant, donc au nord de cette route et à quelques
cents mètres d'elle, que nous avions constaté l'exis-
tence de fragments de briques romaines. Les plus
nombreux se trouvaient au milieu d'amas de cailloux
recueillis et amoncelés au bas des parcelles de terre,
sans doute pour en débarrasser le terrain et faciliter
la culture. Or, pendant une excursion que nous fîmes
dans un moment de loisir, il y a cinq ou six ans, dans
ces parages qui, comme je l'ai indiqué, sont un but
de promenade fort agréable, j'eus la curiosité de diri-
ger mes pas un peu plus à l'est et de pénétrer dans les
— 158 —
jardins et terrains vagues au milieu desquels étaient
situés les trois moulins dits Moulins de la Pancarte.
Je dis : étaient situés, parce que l'un de ces moulins,
celui qui se trouvait entre les deux autres et qui portait
le nom de Moulin de la Motte, n'existe plus. C'était
sans doute le plus ancien. Les autres sont d'ailleurs
en ruines ou peut s'en faut.
Quoiqu'il en soit, j'étais à peine entré dans les enclos,
que j'aperçus de distance en distance, au milieu des
carrés de jardin, différents morceaux de brique que
je ne pus m'empêcher de considérer comme des frag-
ments de briques romaines. Il était en effet impossible
de les confondre avec des fragments de briques mo-
dernes. Non seulement le rebord, sur plusieurs, était
visible, mais le grain, la couleur et la forme générale
étaient celles des briques gallo-romaines.
Je ne fus nullement étonné, car le point était plus
élevé que celui où j'avais fait les premières trouvailles
et il présentait un de ces emplacements que recher-
chaient les gallo-romains pour leurs demeures ou leurs
établissements ordinaires.
Les choses en étaient là, lorsque, il y a quelques
semaines, me trouvant à Nort et ayant quelques
heures à dépenser, je voulus revoir encore une fois le
coteau de la Pancarte et m'informer si rien d'intéres-
sant n'avait été mis au jour depuis mon dernier pas-
sage en cet endroit. Accompagné par un habitant
de Nort, aussi modeste qu'instruit, je me dirigeai
vers cet endroit où se rencontrent les routes de Nantes,
d'Ancenis et de Châteaubriant, et qui est justement
celui qu'on appelle aujourd'hui la Pancarte. Un tas de
pierres rebutées se trouvait au bas des terrains où sont
situés les moulins, sur une sorte de placître formé par
la jonction des routes. Nous y jetâmes un coup d'œil
et nous y découvrîmes plusieurs fragments de briques
à rebords ; mais ce qui attira notre attention ce fut
un morceau de tuile d'une grande épaisseur, 7 à 8 cen-
159
timètres au moins, ayant des angles très nets et bien
formés et présentant en outre tout l'aspect de la terre
cuite des briques romaines. D'autres fragments du
même genre se rencontrèrent. J'en ai même conservé
quelques-uns. Peut-être ces débris n'ont-ils aucune
importance ; peut-être même sont-ils modernes. Tou-
tefois, je les note ici, ne fût-ce que pour mémoire.
Quand on a interrogé les ruines et qu'elles ont gardé
plus ou moins le silence, ce qui arrive souvent, on se
hâte d'interroger les personnes. C'est ce que nous
fîmes.
Un homme déjà âgé prenait le soleil devant sa maison,
tout en s'abritant contre le vent du Nord qui souffle pres-
que toujours froid sur cette colline dont le sommet
n'est pourtant pas à plus de quinze à dix-huit mètres
au-dessus des marais de l'Erdre qui s'étendent à ses pieds.
-Nous demandâmes au vieillard s'il n'avait rien trouvé ni
vu d'extraordinaire dans les terrains où sont situés
les moulins. Il nous répondit qu'il n'avait rien trouvé
de remarquable. Toutefois, ce fut lui qui nous apprit
que le moulin détruit récemment portait le nom de
Moulin de la Motte. Et comme nous lui montrions
des fragments de briques romaines que nous tenions
à la main, il ajouta que les champs et les vignes des
environs en étaient pour ainsi dire semés. Puis deve-
nant de plus en plus confiant, il nous apprit que dans
ces dernières années, plusieurs propriétaires, ayant
replanté leurs vignes, avaient retiré beaucoup de
pierres de construction et mis au jour des portions
de murs considérables. Il expliquait que ces restes de
murs étaient ignorés jusque-là parce que la culture
en avait depuis longtemps dispersé et émietté la partie
supérieure ; mais les défoncements nécessaires aux
nouvelles plantations, plongeant à une plus grande
profondeur, avaient atteint des couches qui faisaient
partie des fondations et révélaient l'importance des
édifices disparus. Un propriétaire, M. Leduc, disait-il,
Soc. Archéol. Nantes. 11
160
avait trouvé une portion de mur ayant la forme de la
base d'un pilier carré de plus de deux mètres dé côté.
Cependant, toutes ces fondations se trouvaient, non du
côté des Moulins, mais à quelques centaines de mètres
vers le nord-ouest et sur le penchant du coteau qui
descend vers l'Erdre. D'après notre interlocuteur,
un château avait existé dans cet endroit. Mais les
« anciens » eux-mêmes ne l'avaient point vu debout.
Munis de ces renseignements, nous nous empressâmes,
après avoir remercié notre hôte d'un instant, de nous
diriger vers les terrains, pour la plupart plantés en
vignes, qu'il nous avait indiqués. Ces terrains se trou-
vaient plus au nord-ouest que ceux que nous avions
explorés vers 1880. Nous n'aperçûmes point de traces
de murs, mais nous vîmes une grande quantité de
pierres disséminées et qui, sans avoir l'aspect de belles
pierres de construction, pouvaient cependant avoir
été employées à la construction de murs plus ou moins
importants. C'étaient des pierres de nature ou d'appa-
rence schisteuse. Elles n'étaient pas très volumineuses,
mais elles existaient en grand nombre ; on en voyait
des tas plus ou moins considérables, pour ainsi dire
à l'extrémité de toutes les parcelles. Toutefois, ces
pierres, je le répète, ne prouvaient point par elles-
mêmes l'existence d'une habitation ou d'un bâtiment
quelconque. Je cherchais obstinément à apercevoir
des parcelles de mortier ou de chaux mêlées aux moel-
lons ou adhérents à leur surface, mais je ne vis rien
qui pût me permettre d'affirmer que ces débris avaient
fait partie d'une construction. Quant aux briques
romaines, elles existaient partout, en plus ou moins
grande abondance, non seulement sur les terrains
compris au cadastre sous la- dénomination générale
de la Petite-Motte,1' mais sur^ ceux "désignés sous le nom
de Plantis et qui sonU situés 1 un peu plus au nord-
ouest.
Nous nous mîmes à parcourir un peu au hasard
— 161 —
les différentes parcelles. Nous cherchions toujours
à découvrir soit un pan de mur, soit un fragment de
poterie qui vînt donner un intérêt plus vif à nos recher-
ches et fournir un élément plus précis à nos déductions.
Nous ne trouvâmes ni murailles, ni poteries ; mais les
briques brisées devenaient de plus en plus abondantes
et elles se rencontraient sur une étendue considérable.
Je ne saurais évaluer la superficie du terrain ainsi
occupé d'une façon plus ou moins complète par ces
débris, mais il me semble qu'elle ne doit pas être in-
férieure à deux hectares.
Imparfaitement renseigné et à demi satisfait, j'aurais
voulu prolonger mes recherches; mais l'heure s'avançait,
la nuit était proche, et je reprenais le chemin de la
Gare lorsque nous rencontrâmes M. Belœil, un des
propriétaires des terrains récemment plantés en vignes.
M. Belœil s'intéressa immédiatement à la question
qui nous occupait et répondit à toutes nos interroga-
tions avec beaucoup d'empressement et d'intelligence.
Il nous confirma que M. Leduc, il y a deux ans environ,
avait trouvé, en plantant sa vigne, des restes de tra-
vaux en maçonnerie importants. Il ajouta que lui-
même avait rencontré des murs dans plusieurs endroits.
Il nous montra même des pierres qu'il avait fait rap-
porter en quantité assez considérable et dont une partie
avait été employée à des constructions récentes. Celles
qui restaient étaient mélangées de briques romaines
brisées comme celles que nous avions vues sur le terrain.
M. Belœil, sans expliquer la présence et l'importance
des restes de construction, disait et répétait que, d'après
des témoignages très anciens, une abbaye avait existé
vers le lieu dit le Plantis. Le groupe de bâtiments dont sa
maison faisait partie, s'appelait, disait-il, la Motte.
M. Belœil s'offrait de venir avec nous quand nous
voudrions pour faire au moins des fouilles rudimen-
taires et nous montrer les vestiges de murs que recou-
vrait le sol où étaient plantées ses vignes. Il ajoutait
— 162 -
qu'un autre propriétaire devait, dans les jours suivants,
faire des défoncements pour planter de la vigne dans
un terrain presque contigu au sien.
Nous promîmes à notre complaisant interlocuteur
de revenir sitôt que cela nous serait possible. Nous ne
pûmes pas tenir notre promesse sitôt que nous l'aurions
voulu. Toutefois, grâce à nos amis dévoués à l'archéo-
logie, nous fûmes tenu au courant des faits. Malheu-
reusement, les nouvelles que nous reçûmes ne furent
pas favorables. Le défoncement effectué mit à jour
quelques pierres schisteuses de plus, mais il ne révéla
rien que ce que nous savions déjà. Tout au plus pourrait-
on dire que là, comme dans les parcelles voisines, il
existait des ruines permettant de conclure que la cons-
truction détruite s'étendait jusqu'en ce point.
Dès que les circonstances nous en donnèrent la faci-
lité, c'est-à-dire vers le 20 avril, nous reprîmes le che-
min de fer pour Nort. Nous voulions nous rendre
compte de la situation relative des points sur lesquels
avaient été rencontrées les fondations dont on nous
avait parlé. Nous voulions surtout constater par nous-
même le mode de construction et le procédé de cimen-
tation des divers éléments, c'est-à-dire des moellons
ou des pierres employées. Nous craignions que, s'exa-
gérant les choses, on eût pris pour des murs impor-
tants ce qui n'était qu'un ensemble de restes de quelque
village très ancien, mais très pauvre. Voilà pourquoi,
à peine arrivé à Nort, nous nous empressâmes d'aller
trouver M. Belœil pour le prier de nous servir de cicé-
rone ou de guide.
Nous le rencontrâmes dans sa vigne, se reposant
dans une cabane assez élégante, improvisée par lui,
pour lui servir d'abri contre le vent, la pluie ou le
soleil, quand il lui prend fantaisie d'aller tailler ses
plants ou surveiller ses raisins. Bien que le vent fût
très froid, M. Belœil, avec une complaisance qui ne sait
pas se démentir, prit lui-même une pelle et se mit en
— 163 —
devoir de creuser à l'endroit où il avait découvert
des fondations. Le sol était dur et rocailleux. M. Belœil
n'est pas de première jeunesse ; le travail fut long et
quelque peu pénible; mais enfin, au bout d'une demi-
heure environ, la pelle rencontra la pierre, la pierre
en place. Il n'y avait pas de doute possible.
Toutefois, le mortier n'apparaissait pas encore ;
M. Belœil bêchait avec une conviction qui était de
l'assurance. Il avait confiance, car il avait vu déjà.
Il ne se trompait pas : deux ou trois coups de pelle
encore et le mortier de chaux et de sable ou le ciment
apparut. L'opérateur voulait continuer et, de fait,
mon plus grand désir aurait été de suivre ce mur et
d'en constater la direction, la largeur et la profondeur.
Mais abuser de la complaisance et presque des forces
d'un homme âgé, qui eût été humilié de s'entendre
offrir une récompense en argent, était impossible. Il
fallait remettre encore une fois l'expérience. D'ailleurs,
j'avais acquis la certitude sur un point important.
La chaux ou le ciment avait été employé à la construc-
tion dont je constatais l'existence. C'était là un détail
du plus haut intérêt et plein de conclusions. Les cons-
tructions de médiocre valeur n'étaient point érigées
avec de tels moyens.
Donc, j'étais en présence d'un établissement qui
avait de l'importance et par conséquent sa place
dans l'histoire de Nort et de la Bretagne. Qu'importe,
d'ailleurs, les ruines sont là et quiconque en aura la
facilité pourra faire les fouilles nécessaires.
Pendant que nous étions là, nous voulûmes demander
à M. Belœil tous les renseignements qu'il pouvait
nous donner. Tout d'abord, il nous montra, dans une
parcelle située à 60 mètres environ au nord-ouest de
la sienne et appartenant à M. Leduc, l'endroit où celui-
ci rencontra, il y a deux ans environ, l'espèce de bloc
de maçonnerie dont nous avons parlé et qui, d'après ce
qu'on a raconté, ressemblait à la base d'un énorme pilier.
— 164 —
A gauche, c'est-à-dire à l'ouest, mais tout près du
terrain Belœil, une parcelle appartenant à Mme Du-
chesne où furent trouvés des fragments gallo-romains
en plus ou moins grande quantité; à l'est, à 80 mètres
au plus, le terrain de M. Rivière où des débris de cons-
truction ont été également trouvés.
Pendant que nous causions, on labourait dans la
parcelle de M. Rivière. Un jeune homme d'une quinzaine
d'années se détacha des travailleurs et nous apporta
trois ou quatre grands fragments de briques romaines
nouvellement retirés du sol et tout imprégnés d'hu-
midité. Il nous expliqua que, il y a quelques années,
dans cet endroit où il était occupé à labourer, on avait
découvert une excavation de forme allongée dans
laquelle se trouvait une grande quantité de terre noire
ou de charbon à l'état pâteux.
Au sud du terrain de Mme Duchesne, à 25 pas au
sud-ouest du terrain de M. Belœil, se trouve la parcelle
appartenant à la famille Boudet, dans laquelle on a
effectué les défoncements, au commencement du mois
d'avril dernier, et où l'on n'a rien trouvé encore que
des pierres schisteuses.
Ces pierres de construction, comme les autres, suivant
M. Belœil, venaient d'une carrière appelée Carrière de
Saint-Georges, située au nord-ouest et aujourd'hui
épuisée.
Telles sont les constatations que nous avons pu faire ;
tels sont aussi les renseignements que nous avons pu
obtenir. Nous essaierons de les compléter, mais nous
avouons que les moyens et les occasions nous man-
queront peut-être et, dès ce moment, nous convions
nos savants collègues qui ont daigné nous accorder
leur bienveillante attention, à nous prêter leur concours
et à étudier eux-mêmes sur place les ruines de la Motte
et de la Pancarte. Nous les invitons à les étudier et à
donner leur opinion sur cette question peut-être très
importante, à coup sûr intéressante.
165
Quant à nous, nous pourrions hasarder une opinion
ou des opinions, mais elles ne seraient que d'un faible
poids et ne sauraient être assises sur des arguments
solides.
Et, d'abord, à quoi faut-il attribuer les nombreux
débris de briques gallo-romaines.
Etait-ce une villa ? était-ce une ville ? Nous ne sau-
rions nous prononcer. Pour une villa, la surface occupée
par les débris nous semble bien étendue, car on trouve
des fragments depuis les parcelles faisant partie du Plantis
jusqu'aux Moulins de la Pancarte; et certainement,
il y a entre ces deux points une distance qui n'est pas
inférieure à 500 mètres. Je sais bien que les briques
et autres débris de construction ont été dispersés par
la culture ; je sais bien aussi qu'il a dû en être trans-
porté une partie plus ou moins considérable pour
aider à l'érection des bâtiments postérieurement édi-
fiés. J'ai moi-même trouvé des fragments de briques
de grandes dimensions dans une maison bâtie au
siècle dernier à l'entrecroisement des routes. Le Moulin
dit de la Motte a pu lui-même être composé en plus
ou moins grande partie de pierres et de briques appor
tées du Plantis. Il n'en reste pas moins probable que
l'ensemble des bâtiments de l'époque gallo-romaine
devait être important et occuper plus de surface qu'une
simple villa.
Toutefois, de là à supposer qu'il existait une ville
plus ou moins grande au Plantis ou à la Motte, il y a
loin. Une ville évoque immédiatement la pensée de
temples et d'édifices publics ou particuliers, de monu-
ments en un mot dont il nous resterait des vestiges
que ni le temps ni les hommes n'auraient fait entière-
ment disparaître. Mais la question nous semble loin
d'être résolue, dans l'état où sont les recherches. La
réponse doit être réservée jusqu'à ce que des fouilles
sérieuses aient été faites. Un point semble pourtant
hors de doute : c'est qu'il existait à la Pancarte un
- 16() —
établissement gallo-romain considérable. Les briques
romaines en sont un témoignage irrécusable. On dira
peut-être que La brique à rebords s'est continuée et
a été employée au moyen âge et bien longtemps après
la destruction de la civilisation gallo-romaine. Il n'en
reste pas moins établi que là où l'on trouve la brique
à rebord, c'est à ceux qui en contestent la provenance
romaine à prouver son origine barbare.
D'ailleurs, quoi de plus vraisemblable que de supposer
ou d'admettre l'existence d'un établissement gallo-
romain à Nort, surtout à la Pancarte? Le site conve-
nait admirablement sur ce promontoire qui domine
deux vallées, celles de l'Erdre et de son affluent de
la rive gauche, le Montigné, je crois; nom, soit dit en
passant, qui a une consonnance toute latine.
En outre, Nort, avons-nous dit, était situé comme il
l'est encore, au point d'intersection des grandes voies
qui mettaient en communication la Bretagne et l'Anjou,
Brest et Angers notamment. Nous croyons avoir vu
nous-même des pierres plates énormes qu'on retirait
des banquettes de la route de Redon à Ancenis, entre
Nort et Ancenis, et qui nous semblent avoir beaucoup
de rapport avec les dalles qu'employaient les Romains
à la confection de leurs voies.
Ajoutons que Nort est situé à une distance peu consi-
dérable de Blain, et que son territoire touche celui de
Saffré et de Petit-Mars, localités où les Romains ont
laissé des traces si manifestes de leur passage et de leur
établissement.
Pas de doute donc, semble-t-il, sur la question de
l'existence d'un établissement gallo-romain à la Motte
ou à la Pancarte. Cette question est résolue par l'attri
bution des briques qui, croyons-nous, sont bien gallo
romaines.
Mais si ce point est hors de discussion, il en reste
un autre plus difficile, évidemment, à élucider: c'est
celui de l'attribution des murs et fondations de murs
— 167 —
qui ont été mis au jour ou qui restent enfouis dans
toute la partie centrale des terrains occupés par les
briques. Qu'étaient-ce que ces murs ? Qu'étaient-ce
que ces fondations?
A première vue, il semblerait très simple de répondre :
Les murs sont sensiblement à la même place que les
briques; donc ils ont fait partie des mêmes édifices
qu'elles, donc ils sont romains.
La réponse ne nous paraît pas aussi facile que cela.
Tout d'abord, les murs sont en pierres très frustes,
peu solides et mal jointes. On ne trouve point de chaux
ni de ciment dans les couches superficielles du sol.
La charrue désagrège sans peine les parties qu'elle
atteint. Or on sait que les Romains choisissaient leurs
matériaux et ne ménageaient pas la chaux quand ils
l'avaient à proximité. Ici, la chaux était proche ; ils
pouvaient la prendre à Mouzeil, ils pouvaient la prendre
à Saffré, ou à Blain, ou la faire venir par l'Erdre et par
la Loire, des environs d'Angers. Il n'y a rien ou pas
grand'chose à conclure d'ailleurs de ce que les restes
de construction se rencontrent sur le même emplace-
ment que les briques, même si l'on suppose qu'elles
n'ont pas fait partie des mêmes édifices. Le plus souvent,
le moyen âge et aussi les générations d'une époque
plus récente ont construit sur les ruines des monu-
ments ou des établissements gallo-romains.
Encore, si aucune raison ne se présentait à nous de
croire que d'autres établissements ou monuments que
ceux de l'époque gallo-romaine ont occupé la colline
de la Pancarte, nous pourrions nous renfermer dans
cette première hypothèse, mais il s'en faut qu'il en soit
ainsi.
Tout d'abord le nom de la Motte est très significatif
Il indique avec certitude qu'à cet endroit existait
un monument de la puissance féodale. La. Motte n'allait
pas seule et elle accompagnait évidemment un château
ou un manoir d'une importance incontestable.
— 168 —
D'ailleurs, ainsi que M. Maître, notre savant collègue,
le relate dans sa géographie de la Loire- Inférieure,
un castrum s'élevait dans le faubourg ou quartier
Saint-Georges, et Saint-Georges et la Pancarte ne se
distinguent pas nettement. La Pancarte, la Motte
ne sont que le sommet de la colline au bas, ou sur le
penchant de laquelle est situé Saint-Georges.
Qu'était-ce qu'un castrum ? Un lieu fortifié, ou plu-
tôt un chàteau-fort, une forteresse pouvant servir
de refuge et de moyen de défense à un groupement
d'habitants et d'habitations réunis autour du point
fortifié. Quelle était l'importance, quelle était la situa-
tion exacte du Castrum de Saint-Georges ? Evidem-
ment, nous ne le savons pas au juste; mais tout porte
à croire qu'il s'élevait au point culminant, ou sur le
le penchant du coteau de Saint-Georges, c'est-à-dire à
la Motte ou à la Pancarte.
A qui faut-il attribuer la construction du Castrum
de Saint-Georges ? On sait qu'au XIIe siècle et dans
les siècles suivants, les moines de Meilleray reçurent
des dons en terre considérables et provenant de di-
verses sources, ce qui permit à l'Abbé de construire
un manoir qu'il entoura de murailles et de douves ;
mais il semble avéré que les domaines de l'Abbaye
de Meilleray en Nort étaient situés aux bords de l'Erdre,
à une assez grande distance de la ville de Nort. Quiheix,
actuellement sur le canal de Nantes à Brest, en était
le centre, et rien ne laisse croire que le coteau de Saint-
Georges leur ait appartenu.
Il est au contraire hors de doute qu'à la suite du
don d'une église fait à l'évêque de Nantes par certains
habitants de Saint-Georges, un prieuré fut fondé par
les moines de Noirmoutier. Ce prieuré exista longtemps
et peut-être occupa-t-il les hauteurs de Saint-Georges.
Mais est-il permis, sur des données aussi incertaines
et aussi insuffisantes, de formuler une opinion ? Evidem-
ment, non. C'est à peine si l'on peut hasarder des hy-
— 169 -
pothèses. Un prieuré n'est pas un castrum et il n'est
même pas d'ordinaire accompagné d'un castrum.
On parle tantôt d'un château, tantôt d'une abbaye,
quand on est en présence des ruines de la Motte.
La question reste donc presque entière. Elle demande,
pour être résolue, des études sur les textes et des études
sur le terrain.
Si donc elle a son intérêt, nous la livrons à tous ceux
qui la croiront digne de fixer leur attention. Nous leur
demandons , nous demandons en particulier à nos
collègues de la Société Archéologique de la com-
prendre dans leurs recherches et dans leurs études.
Si, comme nous l'espérons, leur érudition trouve la ré-
ponse aux questions que nous osons poser, nous en
serons trop heureux. Notre rôle aura été modeste ;
qu'importe, si nous avons travaillé et réussi à soule-
ver un coin du voile qui recouvre le passé !
Alcide LEROUX.
Aveu du Port et Passage de la Chebuette
A la Seigneurie de Tbouaré
11 Juin 1567
Sachent tous que par notre Cour de Thouaré en droit
ont été présents et personnellement établis devant nous
Julien Pichon, Pierre Mabille, Julien Trébillard, Fran-
çois Joly, Léonard Chastelain, demeurant en la paroisse
de Saint-Julien-de-Concelles, lesquels et ehacun
après s'être soumis et soumettent par leurs serments
avec tous et chacun leurs biens meubles et immeubles
présents et futurs quelconques au pouvoir d'étroite
juridiction, coercition, seigneurie et obéissance de
notre Cour, à laquelle ils ont pour eux, leurs hoirs et
ayants-cause prorogé et prorogent sa juridiction pour y
être traités, poursuivis et commis comme par leur
propre barre, cour et juridiction ordinaire et devant
leur juge compétent, sans en pouvoir décliner ni
excepter d'aucune manière quelconque quant au con-
tenu en ces présentes tenir et accomplir. Ont connu et
confessé par ces présentes, connaissent et confessent et
avouent être hommes et sujets de haute et puissante
Claude de la Touche, dame dudit lieu, baronne de
Couaiffert, dame de Cernusson, Pannecé, Langle, dame
douairière et usufruitière de Thouaré, et d'icelle dame
tenir par raison de sa Cour, juridiction et seigneurie de
Thouaré les choses qui s'ensuivent. Sçavoir est :
Le Port et Passage appelé le Port à la Chebuette à
passer et repasser personnes à pied et à cheval à travers
la rivière de Loyre avec passer marchandises et choses
accoutumées — passer au dit port, étant situé vis à vis
du chêne de l'île de Thouaré, appartenant à la dite
172 —
dame, ainsi qu'on a coutume d'aborder de chaque côté
de la dite rivière de Lovre, ainsi que par ci-devant les dits
bailleurs ont coutume, eux et leurs prédécesseurs, jouir
du dit port et passage, sous eUie par la dite dame et ses
prédécesseurs, seigneurs de la dite cour, juridiction et
seigneurie de Thouaré. - - Lequel port et passage ci-
dessus déclaré les dits bailleurs et chacun ont connu,
connaissent et confessent tenir de la dite Dame à raison
de sa dite juridiction et seigneurie de Thouaré; à la
charge aux dits bailleurs dessus dits et leurs hoirs,
d'avoir à fournir de vaisseaux chalands grands et
petits, bons et compétents pour passer et repasser les
allants et venants et passants au dit port, sans faire par
trop tarder de passer les dits allants et passants au dit
port.
Outre être tenus et sujets de passer et repasser la dite
Daine, ses officiers et serviteurs, chaque fois qu'ils vou-
dront et qu'il leur plaira de passer au dit port, sans en
avoir ni prendre aucun salaire ni autrement. Par raison
et par cause duquel port et passage ci-devant déclaré,
confessent les dits bailleurs par chacun et chacun an
devoir à la dite dame par chacune fê'e et terme de mi-
aoûst à la recette ordinaire de la dite Cour, juridiction
et seigneurie de Thouaré, la somme et nombre de vingt
sous monnaie de Bretaigne et douze oies, et le tout de
rente, payables au dit terme, à la dite recette, par un
seul paiement et sans division, au dit port et des dites
personnes et biens des dits bailleurs au choix et élec-
tion de la dite dame, ses receveurs et commis à la dite
recette de la dite cour de Thouaré.
Autres choses. Les dits bailleurs ne confessent et ne
avouent tenir de la dite dame par cause de la dite sei-
gneurie, cour et juridiction de Thouaré rien, fors ferme
droit et obéissance que sujets doivent à leur seigneur
ainsi que le fief et la juridiction le requièrent.
Outre confessent les dits bailleurs que la dite dame a
sur sa dite Cour, juridiction et seigneurie de Thouaré
— 173 —
justice haute, moyenne et basse, garenne, défensable,
moulin à détroit, droits de recettes et sergentise, ventes,
lots, épaves, galloits, succession de bâtards, déshérence
de ligne et tous autres droits de juridiction appartenant
à la dite juridiction à la dite dame, ainsi que le fief le
requiert.
Et ce présent aveu et écrit baillent les dits bailleurs
et chacun pour vrai et absolu, et pour icelui présenter à
la dite cour à messieurs ses officiers et commis, soit
sur jugement ou dehors, ont les dits bailleurs et chacun
institué et établi leur procureur eux l'un l'autre et chacun
d'eux seul et pour le tout, pouvoir d'y avoir demander
acte et écrit de la relation d'icelui et de faire toutes et
chacune des choses à ce requises et convenables et tout
pouvoir joignant quant à ce.
Et tout ce que dessus ont les dits bailleurs et chacun
et par tous et chacun sur leurs biens meubles et im-
meubles, présents et futurs quelconques, ainsi voulu et
consenti, promis et juré par leur serments tenir, four-
nir et accomplir sans jamais venir à rencontre en au-
cune manière quelconque. A quoi ils et chacun d'eux y
ont renoncé et renoncent et ce de leur appartenance et
requête, y ont été par nous et le jugement de notre cour
jugés et condamnés, jugeons et condamnons. Dont té-
moin le scel établi aux actes et contrats de notre cour
consenti et octroyé.
A la Rivière et Bourg de Thouaré, près la maison de
Pierre Lebreton, le onzième jour de juin l'an mil cinq
cent soixante sept, et pour ce que les dits bailleurs ont
dit ne savoir signer ni écrire, ils ont fait signer sur ce
présent à leur requête Mathurin Bizeul. Sur ce présent
constaté en rature « leur, du dit port et cour ». Ph.
Huardier notaire, Bizeui, P. Lebreton.
(Communiqué par M. Senot de la Londe)
CONTRAT D'ACQUÊT
DE LA
TERRE ET SEIGNEURIE DE THOUARE
12 AVRIL 1704
L'an mil sept cent quatre, le donzième jour d'avril....
ont comparu : Messire Anne Evrard d'Avaugour, cheva-
lier, seigneur de Thouaré, la Grignonnière et autres lieux,
guidon des Gens d'armes d'Anjou, fils aîné, héritier prin-
cipal et noble de messire Louis d'Avaugour, chevalier,
seigneur desdits lieux, son père, et de messire Louis
d'Avaugour, chevalier, seigneur d'Avaugour, son frère
aîné, religieux profès de la Compagnie de Jésus ; noble et
discret messire Charles-Auguste d'Avaugour, abbé dudit
lieu, chanoine de l'église Cathédrale de Nantes ; et
damoiselle Marie-Anne-Victoire d'Avaugour, leur sœur ;
faisant et garantissant oultre pour messire Armand
d'Avaugour, chevalier, lieutenant de vaisseaux du Roy,
frère puisné desdits seigneurs d'Avaugour, par lesquels
ils promettent de faire ratifier ces présentes selon leur
forme et teneur, et de ce en fournir acte valable..., les tous
majeurs de vingt-cinq ans et héritiers tant dudit seigneur
d'Avaugour, leur père, que dudit seigneur d'Avaugour,
leur frère aîné, religieux ; et dame Célestine Bruneau de
la Rabastelière, veuve dudit seigneur d'Avaugour ;
ledit seigneur d'Avaugour aîné étant de présent en cette
ville de Nantes, logé chez la veuve Dubois, Grande-Rue,
paroisse de Sainte-Croix ; ledit seigneur abbé d'Avaugour
demeurant en cette ville, Grande-Rue, paroisse de Saint-
Vincent ; et les dites dames et damoiselle d'Avaugour,
en la maison conventuelle des Ursulines, paroisse de
Saint-Clément.
Soc. Archéol. Nantes. 12
— 17b" —
Lesquels dits seigneurs, dame et damoiselle d'Avau-
gour, en leur nom privé et audit nom et qualité, ont pour
eux leurs hoirs successeurs et ayant-cause, vendu, cédé,
quitté, laissé et transporté jouissance paisible et pro-
priété incommutablë envers et contre tous, quitte de
toutes dettes, douaire, hypothèques, débats, troubles,
évictions et autres empêchements généralement quel-
conques,
A Messire Joseph Mosnier, seigneur de la Valtière,
conseiller du Roi, maître ordinaire en sa Chambre des
Comptes de Bretagne, demeurant en cette ville de Nantes,
rue de Beau-Soleil, paroisse de Saint-Denis, sur ce présent
acceptant, acquéreur pour lui et les siens hoirs et succes-
seurs et ayant-cause à jamais à l'advenir, scavoir est :
La terre noble et seigneurie de Touaré, consistant en
chasteau et principal manoir, maisons et logements,
pressoirs, tonneaux et cuves, celliers, écuries, mesnageries,
fuye à pigeons, garenne, jardins, quatre estangs bout à
bout, moulins à eau et à vent avec distroit, moulin à fou-,
Ion, mestairies, bourderies, terres arables et non arables,
prés, vignes, isles, taillis, bois émondables et de décora-
tion, tous droits honorifiques et de prééminence prohi-
bitifs dans l'église principale de Touaré, dus et apparte-
nants à seigneur fondateur, droits et pêcheries à nanses
et à la sine sur la rivière de Loire, depuis l'arche de Gres-
neau jusques à vis le chesne et vallée d'Aurais, droits de
pêche dans le mort estier, droits de péage sur la rivière de
Loire et de port et passage au port de la Chebuette, rolles
rentiers, hommes et hommages, rachapt, lods et ventes
et rentes foncières, avec tous droits de haute, moyenne et
basse justice, droits rescindants et prescisoires, et géné-
ralement tout ce qui fait et compose ladite terré et sei-
gneurie de Touaré, circonstances et dépendances et
annexes sans en rien réserver ny excepter, s'étendant aux
paroisses de Touaré et Saint-Jullien-de-Concelles et en
quelques autres paroisses et endroits que les dites choses
puissent s'étendre au désir de la ferme qui en a été faite
— 177 —
aux sieurs François Gabory et Minier, fermiers, sans au-
cune réservation de ce qu'ils jouissent actuellement audit
titre de ferme passée devant Alexandre, notaire royal
à Nantes le vingt-troisième jour de juin mil sept cent.
Et en la présente vente sont compris les ermoires des
archives, barres de fer, cables et autres ustensiles essen-
tiels des moulins, en ce qu'il en appartient audit seigneur,
dame et damoiselle vendeurs, toutes clouaisons, portes,
grilles et fenêtres, attachées et non attachées, comme
aussi le poisson que les fermiers sont tenus de laisser dans
les estangs au finissement de leur bail
A la charge du dudit seigneur acquéreur de payer et
acquitter à l'advenir quitte du passé les rentes seigneu-
riales et foncières si aucunes sont dues sur les dites
choses vendues, et de les tenir et relever partie du Roi,
partie du Seigneur Evêque de Nantes, et partie du sei-
gneur de la Touche et Aurais, noblement à foy, hommage
et rachapt ; — et au parsus cette vente et cession faite au
gré des parties, moyennant et sous la somme de soixante-
douze mille livres, que ledit seigneur acquéreur paiera
en l'acquêt desdits seigneur, dame et damoiselle vendeurs
à écuyer Nicolas Ballet, seigneur de la Chesnardière, con-
seiller secrétaire du Roi, en sa demeurance à Nantes...
avant le 14 octobre 1705
PRISE DE POSSESSION
DE LA
TERRE ET SEIGNEURIE DE THOUARÉ
du 21 Avril 1704
Pierre Lebreton et René Lepelletier, notaires roïaux
héréditaires de la Cour de Nantes, résidant en la ville
dudit Nantes, soubsignés, rapportons nous être ce jour
vingt-unième avril mil sept cent quatre, à la requête et
— 178 —
en compagnie de messire Joseph Mosnier, seigneur de la
Valtière, conseiller du Roi, maître ordinaire en sa
Chambre des Comptes de Bretagne, demeurant audit
Nantes, rue de Beau-Soleil, paroisse de Saint-Denis,
transportés au Chasteau et paroisse de Thouaré, pour le
mettre et induire en la réelle et actuelle possession dudit
château, terre noble et seigneurie de Thouaré, consis-
tant en château et principal manoir, maison et logement,
pressoir, ménageries, fuye à pigeons, garenne, jardins,
estangs, moulins à eau et à vent avec distroit, moulin à
foulon, métairies, bourderies, terres arables et non
arables, prés, vignes, isles, taillis, bois émondables et de
décoration, droits honorifiques et de prééminence prohi-
bitifs dans l'église paroissiale de Thouaré dus et apparte-
nant à seigneur fondateur, droits et pêcheries à nances et
à la sine sur la rivière de Loire, depuis l'arche de Greneau
jusques à vis le chesne et vallée d'Auray, droits de pêche
dans le mort étier, droits de péage sur la rivière de Loire,
et de port et passage au port de la Chebuette, rooles ren-
tiers, hommes et hommages, droits de rachapt de lods et
ventes et rentes foncières, avec tous droits de haute,
moyenne et basse justice, droits rescindants et rescisoirs,
et généralement tout ce qui compose la dite terre et sei-
gneurie de Thouaré sans en rien réserver ni excepter,
s'étendant aux paroisses de Thouaré, Saint- Julien-de-
Concelles, et en quelques autres paroisses, lieux et en-
droits que les dites choses puissent s'étendre ; acquises
par ledit seigneur de la Valtière, de messire Anne Evrard
d'Avaugour, chevalier, seigneur de Thouaré, guidon des
Gens d'armes d'Anjou, fils aîné héritier principal et
noble de messire Louis d'Avaugour, chevalier, son père,
et de messire Louis d'Avaugour, son frère aîné, religieux
proies de la Compagnie de Jésus ; noble et discret
messire Charles-Auguste d'Avaugour, abbé dudit lieu,
chanoine de l'église Cathédrale de Nantes ; et damoi-
selle Célestine Bruneau de la Rabastelière, veufve dudit
seigneur d'Avaugour, défunct
179
Et estant entré dans le principal manoir dudit château
de Thouaré par dessus un pont construit sur un fossé et
douve qui cernait tant ledit château que jardin, rempli
d'eau en partie, et avons trouvé la dame Marguerite Pru-
nier, femme d'honorable homme Léonard Meyer et demoi-
selle Elizabeth Gabory, fille du sieur François Gabory,
fermier, auxquelles après avoir déclaré que nous
entendions mettre et induire ledit seigneur de la Valtière
en la réelle et actuelle possession desdites choses vendues,
ont dit n'y avoir à débattre ; et avons ensuite entré dans
les salles, chambres, anti-chambres, cabinets, greniers,
cuisine, fuye à pigeons, écuries, ménagerie, logements où
sont les pressoirs, avec niées, tonneaux et cuves, métai-
ries, borderies, moulins à eau et à vent et à foulons, et tous
autres logements dépendants de la dite terre et seigneurie,
où nous avons ouvert et fermé les portes et fenêtres, bu,
mangé, fait feu et fumée, et ensuite circuité et cernoyé
les fossés et douves, jardins, vergers, vignes, terres labou-
rables et non labourables, prés, pâtis, pâtoureaux, ga-
rennes, taillis, bois émondables et de décoration, et tous
autres domaines dépendants de ladite terre et seigneurie,
fait émotion de terre, cueilli herbes et fleurs, cassé bran-
ches aux arbres, et en chacun desdits lieux fait tous actes
possessoires pour bonne et valable possession acquérir ;
Et étant dans la cour dudit château de Thouaré, ledit
seigneur de la Valtière nous a fait remarquer et avons vu
sur la porte d'entrée du vestibule un écusson gravé sur
pierre, dans lequel il y a pour armoiries « d'argent à la
bande de gueules chargée de trois croisettes d'or » ;
Et de là étant allé à l'église paroissiale dudit Thouaré,
nous y sommes entrés par la chapelle prohibitive et pri-
vative dudit château, dont ledit seigneur de la Valtière
nous a ouvert une porte donnant dans le jardin dudit
château ; et y étant entré, il nous a fait remarquer
et avons vu sur la pierre de l'autel de ladite chapelle
un écusson d'armoiries « d'argent à la bande de gueules
chargée de trois croisettes d'or », qui est le même que
— 180 —
celui qui est sur la porte du vestibule dudit château ;
Avons aussi remarqué dans le vitrail de la dite cha-
pelle un autre écuss&n partie des armes de la maison
d'Escoubleau de Sourdis, et de celle d'Avaugour de
Bretagne.
Avons aussi remarqué que la dite chapelle a une
fenestre ouverte sur le grand autel de la dite église parois-
siale de Thouaré, grillée du côté du chœur et fermant par
le dedans de la dite chapelle, laquelle fenestre ledit sei-
gneur de la Vatlière a ouverte et fermée.
Et ensuite le dit Seigneur nous a ouvert une porte
fermant par le dedans de la dite chapelle et qui donne
dans le chœur de la dite église; dans laquelle étant entré
le dit seigneur de la Valtière a pris de l'eau bénite, fait
génuflexion devant le grand autel, sonné la cloche, et
avons déclaré aux personnes y étant que le dit Seigneur
prenait possession de tous droits honorifiques et de pré-
minence, tombe, cave et enfeu prohibitifs dans la dite
église paroissiale de Thouaré, dus et appartenant à sei-
gneur Patron, fondateur, patron nages, fondations, pré-
sentations et tous autres droits dépendants et apparte-
nant à la dite seigneurie.
Et a le dit Seigneur de la Valtière pris place dans le
banc du seigneur de la dite église, sittué dans le chœur
du côté de l'Evangile, lequel banc est à queue et accou-
doir, et étant dans le chœur de la ditte église, le dit sei-
gneur nous a fait remarquer et nous avons vu dans le
grand vitrail du grand autel un écusson d'armoiries qui
est « d'argent à la bande de gueules chargée de 3 croisettes
d'or », qui est le même que nous avons déjà remarqué
tant sur la pierre de l'autel de la chapelle privative
dudit château que sur la porte du vestibule dudit
château.
Et le dit Seigneur nous a fait aussi remarquer et nous
avons vu une ceinture funèbre tout autour de la dite
église sur laquelle est peint un écusson d'armoiries qui
— 181 —
est « d'argent au chef de gueule », qui sont les armes de
la maison d'Avaugour.
Et de là nous étant transportés sur les étangs dépen-
dant de la dite seigneurie, le dit seigneur de la Valtière
a fait pêcher dedans et dans la rivière de Loire, depuis
l'arche Greneau jusques à vis le chêne et vallée d' Aurais,
et a le dit seigneur déclaré prendre possession du droit
de péage sur la rivière de Loire, et de port et passage au
Port de la Chebuette, conformément à son contrat d'ac-
quisition.
Et de là nous nous sommes transportés dans la maison
sise au bourg du dit Thouaré, lieu ordinaire où s'exerce
la juridiction de la dite seigneurie, où étant le dit sei-
gneur a pris place dans la chaise où se met ordinairement
le juge de la juridiction.
Avons ensuite circuité et cérnoyé les landes et com-
muns de la dite seigneurie, toutes les maisons, terres et
bois sur lesquels le dit seigneur, à cause de ses fiefs et
seigneurie de Thouaré a droit de lods et ventes, et renies,
rachat et autres droits seigneuriaux, et sur les hommes
et vassaux haute, moyenne et basse justice, rolles ren-
tiers et hommages, création d'officiers, confections d'in-
ventaires, déshérences, épaves et gallois, et tout autre
ferme droit;
Et donné à entendre aux sujets et vassaux qu'avons
trouvés que le dit seigneur de la Valtière prenait pos-
session dudit château, terres, fiefs et seigneurie de
Thouaré, et de tous les droits en dépendant et y annexés,
et qu'ils eussent à le reconnaître pour leur seigneur, lui
obéir, et payer ses droits seigneuriaux et faire toutes
Les obéissances et redevances qu'ils doivent et sont
tenus de faire à la dite seigneurie.
Et de là nous avons passé dans l'île dépendante de la
seigneurie de Thouaré, située dans la paroisse de Saint-
Julien-de-Concelles, où nous avons remué terre, arraché
herbes et cassé branches, et fait en chacun et tous les
lieux ci-dessus spécifiés tous autres actes possessoires
182
pour acquérir une bonne et valable possession audit
seigneur, en laquelle l'avons mis et enduit sans trouble,
opposition, ni empêchements de personne quelconque
à notre cou naissance.
Fait et rédigé audit château de Thouaré sous le seing
dudit seigneur de la Valtière et autres à ce présent, qui
ont signé avec nous dits notaires : Joseph Mosnier, A.
Chauvin, Boussinneau, Marguerite Prunier, d'Andigné,
recteur de Thouaré; Louis Hardy, procureur fiscal, etc.,
etc.
Ces documents qui jettent un jour curieux sur le cérémonial
qui accompagna la prise de possession des terres nobles, jusqu'à
la Révolution, font partie du chartrier du château de Thouaré.
Ils ont été communiqués à la Société Archéologique par notre
collègue M. Senot de la Londe, maire de Thouaré, à qui ils
avaient été obligeamment confiés par Mnu' de Vienne.
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Construction du sipbon de l'Erdre,
place des Petits Murs
Découvertes de poteries romaines
Rapport du Sous-Ingénieur
Nantes, le 27 Novembre 1907.
L'ouverture de la tranchée pour la construction
du siphon de l'Erdre, place des Petits-Murs, a mis à
découvert une certaine quantité de fragments de pote-
ries romaines que nous avons soigneusement recueillis
et autant que possible réunis par nature d'objet.
Le principal gite s'est trouvé sous le mur du quai
rive gauche de l'Erdre, c'est-à-dire à l'emplacement
de la culée de l'ancien pont des Petits-Murs construit
en 1808 et démoli en 1828.
Voici la nomenclature des principaux objets trouvés :
1° Une statuette brisée, en terre cuite blanche,
représentant une déesse. Cette statuette a été brisée
d'un coup de pioche au moment de sa découverte, il
ne reste que le buste et le socle.
2° Débris d'un vase de 0,26 de diamètre et 0,15 de
hauteur avec bas-reliefs représentant une chasse.
3° Débris d'un vase de 0,16 de diamètre et 0,09 de
hauteur avec inscription en relief sur la panse et des
bas-reliefs représentant une chasse.
4° Débris d'un vase avec bas-reliefs représentant
une chasse.
5° Débris d'un vase ne pouvant s'assembler dont
les bas-reliefs représentent une Vénus et Hercule
enfant, étranglant des serpents.
6° Débris d'un vase avec figures allégoriques.
7° Débris d'un vase avec figures allégoriques.
— 184 —
8° Deux assiettes avec inscription.
9° Différents débris portant des inscriptions.
10° Deux meules gisantes en lave.
11° Fragments d'une meule tournante en granit.
Au point de vue historique de la cité nantaise, il est
essentiel de préciser la profondeur à laquelle les objets
ont été trouvés et les couches géologiques où ils se
trouvaient enfermés.
Le nivellement général de la ville et les tranchées
déjà ouvertes pour la construction des égouts nous
permettent de poser une hypothèse probable de l'état
des lieux au moment de l'occupation romaine.
La coupe en travers ci-dessus de la vallée de l'Erdre
suivant l'axe du siphon simplifiera beaucoup notre
tâche. Sur cette coupe, nous avons figuré les couches
géologiques rencontrées.
Le lit de l'Erdre doit se trouver à l'emplacement
d'une fracture profonde de rocher : la faille a dû se
combler progressivement d'argile bleue charriée par
les eaux de la Loire et qui pouvaient facilement décanter
en raison du faible courant.
Au moment de l'occupation romaine, la partie la
plus profonde de l'Erdre à l'emplacement du siphon
avait environ 1 m 70 au-dessus du zéro actuel de la
Bourse ; la rive droite devait être escarpée et atteindre
une vingtaine de mètres de hauteur.
Sur la rive gauche, au contraire, la rive devait être
très peu élevée au-dessus du niveau d'eau. Des marais
devaient s'étendre jusqu'à la rue Saint-Léonard. C'est
vraisemblablement suivant le tracé de cette rue ou dans
son voisinage que fut édifiée l'enceinte romaine, mais
nous devons ajouter que jusqu'à ce jour nous n'en
avons pas trouvé de trace dans nos travaux. Sur cette
rive, le coteau devait ensuite se relever suivant une
pente douce jusqu'au cours Saint-Pierre.
Pendant l'occupation romaine, ou au plus tard à
la décadence romaine, le marais rive gauche a dû être
— 185 —
en partie comblé avec des débris de toutes sortes pro-
venant de la ville et dont une partie a dû même être
entraînée dans le lit de l'Erdre. La couche d'argile
bleue déposée pendant les temps préhistoriques fut
complètement recouverte.
Au pied de l'escarpement de la rive droite, des tan-
neries ou industries analogues durent s'établir, car
sur la couche d'argile bleue formant le fond ancien du
lit, on a trouvé du tan, des cornes et des piquets d'amar-
rage. Une pièce romaine en bronze (Constantin) trouvée
dans le tan était admirablement conservée et avait le
brillant de l'or, phénomène dû vraisemblablement à
la présence des gaz ammoniacaux.
Après l'établissement du pont de la rue des Halles,
point où se trouvaient les moulins de la Ville, survint
une modification de régime de l'Erdre : un véritable
bief fut créé et les moulins devaient fonctionner avec
la marée. Le séjour de l'eau de Loire fortement chargée
d'argile amena sur la rive gauche, au-dessus des rem-
blais anciens, un nouveau dépôt d'argile bleue de 0,30
à 0,40 d'épaisseur que nous avons repéré sur la coupe
ci-jointe. Quel a été le laps de temps nécessaire pour
obtenir cette épaisseur ? nous l'ignorons. Des docu-
ments de l'histoire de la cité pourraient peut-être le
donner.
En 1808 fut bâti le pont dit des Petits-Murs par une
Compagnie qui avait obtenu le privilège du péage.
Le pont à deux voies, l'une haute, l'autre basse, s'in-
clina fortement du côté amont ; en 1828 on dut le
démolir. Du reste, à cette époque, on construisit les
quais et les abords de l'Erdre furent modifiés et rem-
blayés comme on les voit aujourd'hui. De plus, le niveau
d'étiage de l'Erdre fut remonté d'environ un mètre,
c'est-à-dire au niveau de la retenue de la Chaussée de
Barbin.
Les fragments de poteries, statuettes et les meules
romaines ont été trouvés au point marqué d'une croix
— 186 —
rouge sur la coupe ci-jointe, à une profondeur de 1,20
environ au-dessous du zéro de la Bourse. Ce fragment
et autres objets paraissaient enlisés clans la couche
primitive d'argile bleue. La variété des objets trouvés
et leur situation font songer à la submersion acciden-
telle d'une barque à ce point, ou une tranche d'eau
de 1 m00 environ devait se maintenir, en supposant
bien entendu que le niveau d'étiage de la Loire n'ait
pas varié depuis cette époque.
Nous proposons de remettre à la Société Archéologique
les objets énumérés ci-dessus, si toutefois elle les juge
dignes de figurer dans ses collections.
L. Primault.
RECIT DES ÉVÉNEMENTS
qui se sont passés au Château de Nantes
dans les derniers mois de 1/89
Par Etienne-Pierre Le TESS1ER de la POMERJE
Capitaine au Corps Royal du Génie (1)
dont on voit ici l'ex-libris
Le Tessierdei^Pomerie
Officier au corps du Génie.
De gueules au mouton passant d'argent, au chef cousu d'azur
chargé de trois étoiles d'argent.
(1) Reproduction textuelle de sa relation manuscrite,
datée de mars 1814 et faisant partie des papiers de famille
de sa petite-fille, Madame C. d'Achon.
Etienne-Pierre Le Tessier de la Pomerie, fils d'Etienne-
— 188 —
Mon fils, ayant entendu quelquefois parler à ta mère
de ce que j'ai éprouvé pendant la Révolution, tu me pries
de te faire le récit de ces principaux événements et parti-
culièrement de ceux qui me sont personnels. J'y consens
autant que ma mémoire pourra me les rappeler depuis
25 ans que commença cette fatale révolution, en 1789.
Je servais alors en Bretagne, chargé de fortifier les
côtes et les îles voisines, et résidais au château de Nantes
où je m'étais rendu par ordre du Ministre, le 1er mai 1788.
Cette date n'est pas indifférente comme tu le verras par
ce qui suit. Quelques jours après mon arrivée dans cette
place, je reçus une députa tion de Messieurs de la ville de
Nantes pour me prier de consentir à un empiétement sur
Pierre Le Tessier, écuyer, sieur de la Bersière, Fourrier ordi-
naire des Logis du Boy, né à Saint-Calais (Sarthe), le 9 juillet
1743, Lieutenant en second à l'Ecole de Mézières en 1764,
reçu Ingénieur le 1er janvier 1766, Capitaine le 29 septembre
1775, Chef de bataillon le 18 mai 1793, suspendu de ses
fonctions le 3 décembre 1793. Il avait été reçu Chevalier de
Saint-Louis par Mr de Goyon en janvier 1791, Lieutenant-
colonel du génie sous la Bestauration, mort le 17 novembre
1819 à la Vieillère, commune de Fiée (Sarthe) ; le 24 mai
1797 il avait épousé à Athenay (Sarthe) Benée-Françoise,
fille de Jacques-Nicolas Nepveu de Bellefille, ancien Lieute-
nant de vaisseau, Chevalier de Saint-Louis, dont il eut un
fils, Félix Le Tessier de la Pomerie pour lequel a été écrit le
récit des événements qui sont ici rapportés.
Celui-ci, né à Château-du-Loir, le 1er avril 1799, mort à
Meigné-le-Vicomte (M.-et-L.), le 16 août 1853, après avoir
été admis à la Compagnie des Gardes de la porte du Boy
(rang de Sous-lieutenant), le 24 août 1814, être passé en
cette qualité aux Chasseurs de l'Orne le 28 février 1816,
démisionna le 22 juillet 1826 et épousa, en la chapelle du
château des Bordes, commune de Pontigné (M.-et-L.), le
13 janvier 1833, Caroline-Louise Jarret de la Mairie, d'une
famille de Bretagne, fixée en Anjou et issue des Jarret de la
Tousselière, paroisse d'Essé, évêché de Bennes, maintenus
d'ancienne extraction à la réformniation de 1669.
- 189 —
la contrescarpe de cette forteresse, à l'effet, dit Monsieur
le Maire, d'élargir la rue de Prémion qui borde cette
contrescarpe et de rendre plus facile la communication
de la ville au faubourg de Richebourg, assez considérable,
rempli surtout de plusieurs grandes raffineries de sucre.
Je répondis à ces Messieurs qu'il ne m'appartenait pas
de décider d'une pareille concession ; mais voulant entrer
dans leurs vues, je les priai de me donner leur demande
par écrit avec le plan du terrain qu'ils désiraient obtenir,
et leur promis de les adresser au Ministre avec les apos-
tilles les plus favorables, autant que les intérêts du Roi
n'y seraient point compromis.
Ces Messieurs, en effet, m'envoyèrent quelques mois
après leur mémoire et leur plan que j'adressai au Ministre
avec les observations qu'il était de mon devoir d'y faire.
Sur la fin de la même année, il y eut en Rretagne,
comme dans toutes les provinces du Royaume, des assem-
blées fort orageuses et même sanglantes, pour la nomina-
tion des députés aux Etats généraux dont l'ouverturs se
fit solennellement à Versailles le 4 mai 1789.
Bientôt la prétention du Tiers-Etat, de donner au
Royaume une constitution par laquelle l'autorité du Roi
pevait être restreinte et presque anéantie, exaspéra telle-
ment les esprits que la révolution éclata à Paris, le 14
Juillet, par la prise de la Bastille dont le gouverneur et
quelques vétérans de la garnison furent traînés jusque
sur les marches de l'Hôtel de Ville où ils furent massacrés
et leurs têtes portées au bout des piques par toutes les
rues avec des cris de vrais cannibales ; et c'étaient des
Français, ô mon fils !
Cette fureur s'étendit clans tout le Royaume avec la
rapidité de l'éclair ; il n'y eut aucune province dont on
eut des relations les plus sinistres ; on ne parlait que
d'outrages et de meurtres commis contre ceux qui, par
leur rang ou leur état, étaient naturellement les soutiens
du Trône : on brûlait les châteaux en ajoutant à ces
horreurs une équivoque atroce : que la France avait besoin
— 190 -
d'être éclairée, mot féroce d'un des premiers meneurs de
la révolution.
Je parcours rapidement tous ces faits trop connus
pour m'étendre davantage sur ceux que tu désires
connaître plus particulièrement. Je ne dois pourtant pas
passer sous silence la cruelle catastrophe de M. de Sa-
vonnières (1), beau-père de ton oncle du même nom,
qui fut blessé à mort dans l'incursion que fit à Versailles
le peuple de Paris les 5 et 6 octobre 1789, ayant été
atteint d'une balle en défendant l'accès das apparte-
ments ou ces scélérats voulaient pénétrer et où ils péné-
trèrent à la fin, malgré toute la résistance possible des
gardes du corps qu'il commandait et dont plusieurs
furent, comme lui, victimes de leur glorieux dévouement.
Ces furieux, conduits par les suppôts de la faction d'Or-
léans, dont les principaux étaient déguisés en femme,
cherchaient particulièrement la Reine qui s'était heureu-
sement sauvée quelques instants avant qu'ils entrassent
dans sa chambre à coucher, où ils trouvèrent son lit
encore tout chaud, et, désespérés d'avoir manqué leur
coup, ils vomirent mille imprécations contre Sa Majesté.
Les choses étaient en cet état, et toutes les autorités
civiles et militaires désorganisées dans tout le Royaume,
Messieurs de la vile de Nantes crurent pouvoir profiter
du désordre général pour s'approprier le terrain qu'ils
avaient demandé, en sujets soumis, l'année précédente ;
(1) Timoléon-Madelon-François, marquis de la Savon-
nière, officier des gardes du corps du Roy, convalescent de
la blessure qu'il reçut le 5 octobre dernier, est mort d'une
fluxion de poitrine à Versailles le 9 février.
Le corps municipal de Versailles, les officiers et gardes-
nationaux, les officiers et soldats du régiment de Flandre,
les officiers et soldats des gardes suisses, les officiers et
chasseurs de Lorraine, et un grand concours d'habitans se
sont trouvés à ce convoi.
Mercure de France n° 8, samedi 20 février 1790.
— 191 —
en conséquence, dès la fin de ce même mois d'octobre, ils
commencèrent à faire travailler à la communication
directe entre la ville et le faubourg dont j'ai parlé plus
haut. Je leur témoignai par écrit ma surprise sur ce travail
fait sans autorisation sur le terrain du Roi. Ne recevant
point de réponse, j'allais à une de leurs séances et leur dis
que je venais moi-même chercher réponse à la lettre que
j'avais eu l'honneur de leur écrire. Ces Messieurs essa-
yèrent de me persuader que ce travail, si utile à la ville et
au faubourg, ne pouvait nuire au château, que d'ailleurs
ayant fait leur demande depuis plus d'un an dans les
formes convenables, et la cour ne s'opposant nulle part
à ce qui pouvait nuire aux grandes cités, ils s'étaien t
autorisés à mettre la main à l'œuvre pour la satisfaction
de tous les citoyens qui désiraient depuis longtemps cette
communication pour l'avantage du commerce, Je répli-
quai que leur vues bienfaisantes pour leurs concitoyens
ne les autorisaient pas à disposer du terrain du Roi et je
les quittai en les conjurant de retirer leurs ouvriers.
L'ouvrage fut en effet suspendu pendant quelques
jours au bout desquels les ouvriers ayant demandé du
travail furent remis au même atelier. Je réclamai de nou-
veau contre cette récidive et, faute de réponse, je retour-
nai encore à une de leurs assemblées ; je leur dis que
j'avais différé de rendre compte à la cour par déférence et
par considération, et n'ayant point été satisfait de leur
réponse, je me vis forcé de protester fermement contre
leur entreprise comme attentatoire à l'autorité du Roi.
L'ouvrage continua néanmoins; et un jour que je m'étais
porté sur les lieux pour l'examiner de plus près, en ren-
trant au château par la porte du secours dont l'arrivée
est en contrepente, je me sentis froissé d'une roue d'affût
qui alla donner dans un des piliers de la porte et le fra-
cassa rudement, ce qui me fit juger que si cette roue
m'eût approché de quelques pouces plus près, j'en aurais
été à coup sûr écrasé. Je n'y pensai plus que comme un
danger passé et que j'attribuai uniquement a une inno-
Soc. Archéol. Nantes. 13
— 192
cente maladresse ; j'ai su depuis que cette maladresse
n'étail point aussi innocente que je l'avais pensé. Tu me
demanderas peut être, mon fils, d'où pouvait venir cette
roue d'affût, puisque je venais de voir des gens qui ne
remuaient que de la terre ; mais ces travailleurs étaient
tout prés d'une esplanade où les canonniers du château
faisaient leur exercice; je ne t'en dis que cela dans ce
moment pour ne point interrompre mon récit.
Continuons donc. L'ouvrage en question fut enfin
arrêté après plusieurs représentations de ma part à la
municipalité avec laquelle ma correspondance était deve-
nue fort active, tellement, qu'il s'était répandu dans la
ville que j'avais insulté les magistrats jusqu'à les traiter
de cohue. Ce bruit s'accréditant de plus en plus, je crus
devoir le désavouer par les papiers publics; mais je ne
trouvai aucun journaliste qui voulut insérer mon désa-
veu dans ses feuilles. Je fus obligé de l'écrire moi-même
et d'en faire faire plusieurs copies à la main que mes amis
répandirent dans les cafés et dans les spectacles. Ce
moyen me réussit; mon écrit paru si franc et si vraisem-
blable que la rumeur se calma.
Cette tranquilité avait duré environ trois semaines,
lorsque le 23 décembre, il se présenta chez moi une multi-
tude d'hommes munis de pelles et de pioches, ayant à
leur tête un riche raffineur de Richebourg, M. Gaudin,
en habit de garde nationale, qui me dit que le peuple
était fort alarmé des poudres qu'on lui avait dénoncées
être renfermées tant dans mon logement que dans les
parapets qui l'environnaient et qu'il avait ordre d'en
faire la recherche, et lui ayant demandé l'exhibition de
cet ordre, il me répondit qu'il le tenait du Souverain qui
était là présent et à qui tout devait obéir. Je lui en impo-
sai pourtant assez pour le faire rétrograder en lui mon-
trant, en dehors de ma porte, une autre porte qui était
celle du chemin des rondes que je lui fis ouvrir pour y
faire passer son monde sans passer par chez moi. Il eût
bientôt distribué sa troupe le long du rempart en
193
commandant de chercher les poudres. C'était le signal de
la destruction. Quelques moments après, je retournai vers
lui pour lui représenter l'absurdité qu'il y avait à croire
qu'il y eut des poudres dans l'épaisseur des murailles; il
ne me répondit que par des airs menaçants en me récidi-
vant les ordres du Souverain. Je fus donc obligé de ren-
trer chez moi d'où je voyais avec une espèce de rage les
progrès rapides d'un ouvrage destructeur.
Ne sachant quel parti prendre pour arrêter le désordre,
je me décidai à informer le Corps de Ville de ce qui se
passait au château et demandai pour le soir même une
assemblée à laquelle je me rendrais dès que j'en aurais la
liberté, c'est-à-dire aussitôt que les malfaiteurs se seraient
retirés; mais ils ne s'y disposaient guère. On leur appor-
tait à manger et à boire, principalement de l'eau-de-vie ;
il fut même question de se précautionner de flambeaux
pour prolonger l'ouvrage dans la nuit. Heureusement
qu'un homme sage, qu'on me dit être l'architecte de la
ville, et qui avait de l'ascendant sur eux, vint leur dire
que l'ouvrage irait trop lentement pendant la nuit et
qu'il valait bien mieux revenir le lendemain de bonne
heure. Ils se retirèrent donc, et moi je me rendis à l'Hôtel
de Ville où je ne parvins qu'à travers une foule immense.
J'étais attendu. Je fis le récit des excès de la journée et,
lorsque je commençai, le Sr Gaudin, comme le chef des
malfaiteurs, qui les animait à la destruction, sortit de la
foule et prit la parole avec la plus grande audace, s'applau-
dissant de coopérer à un ouvrage aussi utile à ses con-
concitoyens et ajoutant qu'il n'y aurait jamais de sûreté
pour la ville tant que le château subsisterait. Je deman-
dai aussitôt la répression d'un propos aussi séditieux. Ii
se porta alors à la plus grande arrogance et entraîna dans
son opinion plusieurs membres de l'assemblée dont un,
nommé M. Drouin de Parce, affectant de l'inquiétude
pour ma sûreté, opina que je fusse retenu dans l'enceinte
de l'Hôtel de Ville. Je m'élevai contre cette mesure que je
regardais comme un attentat à ma liberté. Alors M. de
194
Kervégan, maire, homme très sage, crut devoir délibérer
sur cette proposition et me pria de passer dans la chambre
du Conseil pendant cette délibération, ce que je fis en
protestant sur la délibération même, et ce ne fut qu'après
une longue demi-heure que je rentrai dans la salle où le
Maire m'annonça que j'étais libre de retourner au châ-
teau. Je répondis que je n'avais pas moins attendu d'une
assemblée aussi sage. 11 ajouta que l'assemblée avait
décidé en même temps de demander au Ministre mon
changement de résidence pour ma tranquillité. Je répli-
quai que j'écrirais de mon côté, et peu de temps après je
reçus une lettre de Sa Majesté Louis XVI qu'il faisait
écrire par son Ministre de la Guerre, M. de la Tour du
Pin, pour me témoigner sa salis/action de la conduite que
j'avais tenue à V attaque du château de Nantes par le
peuple, où j'avais couru un grand danger. Sa Majesté,
par son extrême bonté, m'autorisait à quitter ma rési-
dence, dès que je le jugeais nécessaire à ma sûreté, ne
voulant pas, ajoutait Sa Majesté, que la vie d'un si bon
et si fidèle serviteur fut plus longtemps exposée.
C'est cette lettre, si honorable et si touchante, que je
regrette tant; c'est la perte la plus sensible que j'aie faite
dans l'incendie de Château-du-Loir où mes meubles, mes
livres, tableaux et estampes, mes papiers les plus pré-
cieux, toute ma fortune nobiliaire, furent réduits en
cendre das la nuit du 16 au 17 mars 1797.
Ma réponse à cette précédente lettre fut de prier le
Ministre de mettre ma reconnaissance aux pieds du Roi
et je lui dis que je pensais qn'il était nécessaire que je
restasse encore de crainte que ma retraite trop promple
ne donnât encore plus d'audace à entreprendre contre
les intérêts de S. M. Je tins donc bon, sans rien braver,
pensant que ma présence en imposait aux plus audacieux.
Ce ne fut qu'au mois de mai 1791, c'est-à-dire 17 mois
après, que j'allai à Rochefort après avoir été fait cheva-
lier de Saint-Louis au mois de janvier précédent par
195
M. de Goyon, commandant dans la province, auquel le
Roi en donna la commission. (1)
Copie de la lettre écrite par M. le Ministre de la Guerre
à M. de la Pomerie, Capitaine du Génie, employé au châ-
teau de Nantes : (2)
Paris, 10 janvier, 1790.
J'ai reçu, Monsieur, la lettre que vous m'aver écrite le
27 du mois dernier pour me faire bart de la violence qui a
été exercée à votre égard par une troupe de gens qui se sont
efforcés de détruire une partie de la fortification du château
de Nantes ; vous ne pouviez mieux faire que d'en porter les
plaintes à la municipalité, et le Roi est satisfait de la con-
duite que vous avez tenue en cette occasion, où vous avez
en effet couru risque de la vie. Dans cette circonstance, Sa
Majesté a jugé qu'il était codvenable de vous mettre à por-
tée de quitter votre résidence jusqu'au 1er mai, si vous le
jugez nécessaire à votre santé. Je dois, au surplus, vous pré-
venir qu'il ne m'est revenu aucune plainte de la Municipa-
lité pour ce qui vous concerne.
Je suis, Monsieur, votre très humble et très-obéissant
serviteur.
(Signé : La Tour du Pin).
(1) Archives d'Ille-et-Vilaine (C. 967).
En 1789. Comptes présentés par Mr de la Pomerie pour
réparer quatre salles du Gouvernement du château de
Nantes, pour les remettre en beaucoup meilleur état
qu'elles ne l'étaient lorsque suivant les ordres du Prince
de Montbarey et du Maréchal de Ségur, ministres de la
guerre, elles furent cédées à l'artillerie pour y déposer les
effets du Roi.
Idem, C. 998 à 1004.
Dans la liasse 1004 sont les toisés généraux faits par
MM. Le Tessier de la Pomerie, Capitaine du Génie et le
Chevalier de Palys, Lieutenant-Colonel du même Corps,
chargés l'un et l'autre des fortifications de Nantes.
(2) Archives de Madame C. d'Achon.
196
Nous soussigné, chef de bataillon au corps royal du Génie,
Ingénieur en chef à Nantes et arrondissement, certifions
L'exactitude de la copie ci-dessus uc la Lettre, écrite le 10 jan-
vier 17!Mi à Monsieur de la Pomerie par Monsieur de la Tour
du Pin, Minisire de la Guerre, telle qu'elle se trouve inscrite
sur le registre de correspondance déposé dans les archives
du Génie militaire de la place de Nantes
Cette lettre du Ministre était en réponse à celle par la-
quelle Monsieur de la Pomerie lui rendait compte des désor-
dres commis au château de Nantes par une troupe de fac-
tieux qui voulaient le détruire, ce à quoi ils seraient sans
doute parvenus sans l'honorable et courageuse opposition
qu'y mit Monsieur de la Pomerie dont la liberté et la vie
même furent compromises dans cette circonstance, faits
qui se trouvent suffisamment constatés par sa correspon-
dance avec les autorités locales, les généraux, le Ministre de
la Guerre et le Président de Y Assemblée Nationale.
Nantes, le 15 avril 1818.
(Signé : Mel Chaigneau).
Le Colonel de SABREVOIS au château de Nantes
Une procuration reçue le 10 décembre 1788 par Ber-
trand et Moricet, notaires à Nantes, constate qu'à cette
date, Messire Jacques-Henry de Sabrevois, chevalier,
seigneur des fiefs de la Grand-Maison, Melleray, Orlu
Bissay (Beauce), chevalier de Saint-Louis, était colonel
au corps royal du Génie, Directeur du dit corps au dépar-
tement de Nantes.
Il n'a pas paru sans intérêt de recueillir quelques dé-
tails sur ce qui le concernait et les événements auxquels
il avait pris part pendant son séjour au château de Nan-
tes. Il est né le 10 décembre 1727 à Trancrainville (Eure-
et-Loir), il était fils de Jacques-Henri de Sabrevois,
écuyer, sieur de Villier, Champgirault, et de Marie-Jacline
Le Grand de la Boulais, veuve de Jean-Baptiste de la
Grange, brigadier de la lre compagnie des Mousquetaires.
- 197 —
Il épousa à Strasbourg Demoiselle Ève-Catherine Hesse
et mourut à Orléans le 14 novembre 1799.
Dans une lettre écrite à Versailles le 3 juin 1799, le
Prince de Montbarrey, Ministre de la Guerre, le qualifie
chef de brigade au corps royal à Nantes et lui annonce
que la commission de Lieutenant-colonel lui sera inces-
samment adressée. On voit par une lettre datée de Paris
le 1er juin 1784 que la veille il avait été promu à la dignité
de Directeur de l'artillerie à Nantes, M. de la Geneste
passant à la direction de Sedan. Le 11 vendémiaire an V
(12 septembre 179G), il avait été autorisé par le Direc-
toire à prendre sa retraite en qualité de Général de bri-
gade avec une pension de 6.000 livres, réduite provisoi-
rement à 3.000, pour récompense de 56 ans, cinq mois,
20 jours de service, y compris 9 campagnes.
J.-H. de Sabrevois était à Nantes dès avant le 10 sep-
tembre 1777, date à laquelle le Général de Gribauval (1)
lui écrit de Bovelles (Somme) : « Les avantages détaillés
dans votre lettre (2) du 2 de ce mois ne me paraissent
pas suffisants pour que je propose au Ministre, surtout
actuellement, l'établissement d'un arsenal à Cosme,
encore moins d'y fixer tout à l'heure la compagnie de
Cussy. Elle se trouverait dans l'impossibilité de satisfaire
à un des principaux objets pour lesquels on l'a fait passer
à Nantes, qui est d'aller, en cas de besoin, dans les diffé-
rentes places sur les côtes de l'Océan, dont elle est à por-
tée, mettre en bon état les affûts et ustensiles reconnus
pouvoir être réparés ; en cas d'assemblée de troupes sur
la côte, il faut avoir des ouvriers avec l'équipage. »
(1) Gribauval (Jules-Baptiste Vaquette de), célèbre
ingénieur et général d'artillerie, né à Amiens en 1715, mort
à Paris en 1789.
(2) Les renseignements recueillis sur le général de Sabre-
vois et sa correspondance sont extraits des archives de son
arrière-petit-fils, Henri d'Achon, château de Montrevan,
Chaumont-sur-Tharonne (Loir-et-Cher).
— 198 —
Le même : Paris, 29 décembre 1777. »
« Je n'ai point connaissance que MM. de Cussy et de
Mommereuil aient fait a Nantes aucune découverte pour
du fer ou du bois propres à nos travaux.
Le même, Paris, 25 février 1778 :
« On a écrit cà M. de Brancas pour qu'il se procure, si
c'est possible, l'augmentation d'emplacement demandé
et même un logement pour vous, et à cet effet on a mar-
qué à l'ingénieur qui est à Nantes de reconnaître les loge-
ments occupés par des particuliers qui pourraient conve-
nir à l'établissement de la compagnie de Cussy. Quant
aux arbres de la petite place du château, on va se consul-
ter avec les fortifications pour faire exécuter l'ordre
qu'on dit avoir été donné de les abattre pour être emplo-
yés aux travaux. »
Le même, du camp, près Baycux, 25 septempre 1778 :
« J'ai vu avec beaucoup de plaisir les plans que vous
m'adressez de votre établissement au clmteau de Nantes ;
je verrai, lors de mon retour à Paris, ce qu'il sera possible
de faire par rapport à l'écurie qui incommode vos ou-
vriers en bois. »
M. de. Sabrevois, Chef de Brigade au Corps royal à Nantes.
A Versailles, le 3 Juin 1779.
Je vous donne avis, Monsieur, que le Roy vient de
vous nommer à l'emploi de Sous-Directeur de l'Artillerie
vacant à Douay par la promotion de M. Dorbay à la
Direction du même département, vous n'en irès cependant
pas prendre possession dans ce moment cy, l'intention
de Sa Majesté est que vous continuiée jusqu'à nouvel
ordre de diriger les détails de l'Arcenal de construction
établi à Nantes.
— 199 —
Votre Commission de Lieutenant-Colonel vous sera
incessamment adressée.
Je suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant
serviteur.
Prince de MONTBAREY.
Enregistré au Greffe de la Ville de Douay, le dix janvier
mil sept cent quatre-vingt-deux, témoin : Bernard.
A Paris, le 6 Juillet 1782.
J'ai reçu, mon cher Sabrevois, la lettre par laquelle
vous offres de construire à l'Arsenal de Nantes, des affûts
pour la Marine. Je viens de l'adresser au Ministre, en le
priant de vous marquer directement ce qu'il pense de
votre proposition.
Vous connaisses les sentiments d'attachement et d'ami-
tié avec lesquels je suis, mon cher Sabrevois, votre très
humble et très obéissant serviteur.
GRIBEAUVAL.
M. de Sabrevois.
A Paris, le 11 Juin 1784.
J'ai reçu, mon cher Sabrevois, la lettre que vous m'avez
écrite, avec la copie de celle que vous avés reçue du Ministre,
relativement au magasin à construire au château de
Nantes. J'ai vu aussi la réponse que vous avés faite à
M. le Maréchal de Ségur, par rapport aux reflexions
faites par les Officiers du Génie, concernant l'usage des
matériaux provenant de la démolition de la Tour cottée 7.
Vous devés être atuellement satisfait à cet égard, et je
présume que la construction du magasin dont il s'agit,
n'éprouvera plus aucune difficulté.
Je suis avec amitié, mon cher Sabrevois, votre très
humble et très obéissant serviteur.
GRIBEAUVAL.
— 200 —
M. de Sabrevois.
A Bovelles (Somme), le 30 Septembre 1784.
J'ai reçu, mon cher Sabrevois, les coupes que vous
m'a ver adressées, de la charpente que vous vous pro-
poser d'établir sur le magasin que vous faites construire
au château de Nantes. J'attends incessamment M. le
C.hcr de Barberin, nous l'examinerons ensemble, et j'aurai
soin de vous faire part du résultat de cet examen.
Je suis avec amitié, mon cher Sabrevois, votre très
humble et très obéissant serviteur.
GRIBEAUVAL.
Nantes, 13 Prairial, an IV.
Au Général de Sabrevois.
Mon Général,
J'ai reçu de Chalois 1634 livres en assignats : le pro-
cureur a dit qu'on ne pouvait les refuser suivant la loi.. .
Je crois cette malheureuse guerre bientôt terminée ;
l'on a mis notre malheureuse ville hors d'état de siège.
Les chouans sont aux abois. Ils rendent les armes de
toute part. La finance remplace la guerre. Les rescrip-
tions sont à 90 livres de perte par cent.... Le citoyen
Chalois à qui j'ai donné une quittance provisoire vous prie
de lui en envoyer une autre. Il doit vous payer un autre
terme à la Saint-Jean ; je pense que la monnaie sera un peu
meilleure ; il ne pourra pas trouver moyen de s'acquitter
à si bon marché.
Signé : LE BLANC.
M. Alfred de VEILLECHEZE
NECROLOGIE
M. Alfred de la VEILLECHÈZE
Messieurs et Chers Collègues,
Monsieur Alfred de Veillechèze était né le 8 septembre
1827, au Pallet, où son père, M. René de Veillechèze, exerçait
la médecine. Les souvenirs laissés par son père dans ce
petit pays dont il fut maire et conseiller général pendant
31 ans ne sont pas encore éteints et la croix de la Légion
d'honneur fut la juste récompense de cette vie toute de
travail et de sacrifice.
Après avoir reçu les premières leçons de français et de
latin de l'abbé Foulon, alors vicaire au Pellerïn, et l'ami in-
time de notre éminent Président Mgl Fournier, Alfred de
Veillechèze entra au Lycée de Nantes. Reçu bachelier,
il songea à embrasser la carrière médicale vers laquelle
le portaient ses goûts et l'exemple de son père; mais, pour
des raisons personnelles qui font le plus grand honneur
à son caractère et à son cœur, il renonça à ses projets et
entra comme surnuméraire dans la Douane, le 2 mars
1844. Il avait 19 ans. Après un séjour de quelques mois
à Pont-d'Armes, il fut envoyé au Croisic. C'est là qu'il
entra en relations avec les vieilles familles croisicaises
dont il devait parler plus tard dans « Vieux Logis et Vieilles
Gens ».
Revenu à Nantes en 1855, il s'y maria, et malgré les
offres avantageuses d'avancement qui lui furent faites,
il voulut rester près des siens. En 1881, il prit sa retraite
après 30 années de bons et de loyaux services.
Ceux qui l'ont connu alors vous diront ce qu'il a été
pendant sa carrière administrative. D'un caractère facile,
généreux et bon, s'oubliant lui-même pour être utile aux
autres, d'une délicatesse extrême, il savait égayer ses
collègues par ses bons mots, ses chansons, frappés au
coin du meilleur esprit. Quelques-uns de ses anciens
— 202
camarades possèdent de lui des lettres qui méritent
d'être publiées.
Entré dans notre Société en 1887, il s'était fait une place
à part par ses études très documentées sur des personnalités
intéressantes mais peu connues delà Vendée militaire. Mme de
Buckley, Mmo de la Rochefoucauld. Dans ses mémoires,
écrits d'une plume alerte et spirituelle, il aimait encore à
décrire les vieux monuments encore debouts dans le pays
où il était né ou dans celui où il avait fait ses premières
armes. Les chapelles du Mûrier, du Crucifix, de Saint-
Goustan au Croisic, de Bethléem en Saint- Jean-de-Boi-
seau, d'Indre, etc.
Esprit très orné et causeur érudit et charmant, il s'était
acquis de vives et solides sympathies. « On appréciait, ainsi
« que l'écrivait le lendemain de sa mort un de nos collè-
« gues qui désire garder l'anonyme et auquel j'emprunte
« plusieurs passages de celte notice nécrologique, en cet
« aimable vieillard, presque notre doyen, le savoir uni à
« la modestie et à la bonté.. D'une courtoisie d'un autre
« âge, il avait gardé du passé celle distinction d'allure et
« cette aménité de manières qui se traduisaient par l'ac-
te cueil et le mot gracieux pour chacun. »
Il assistait encore, le mardi 10 mars 1908, à notre der-
nière réunion où il se faisait une joie de présenter un de ses
vieux amis, M. Leroux, dont il devait lire le travail sur le
Château d' Heinleix-Rohan, canton de Saint-Nazaire.
La mort est venu soudainement le frapper le lendemain.
Son excessive modestie n'a pas voulu que sur sa tombe je
prenne la parole pour dire les regrets de tous et le vide
immense que laissera au sein de notre Société sa disparition
si brusque et si inattendue.
De notre comité il fut longtemps et toujours le guide
éclairé et le conseiller écouté. Aussi est-ce avec une émotion
sincère qu'au nom de vous tous, mes chers collègues, je
salue sa chère mémoire.
A. Dortel,
Président.
NOTICE NECROLOGIQUE
SC H
M. de LAUBRIERE
Membre titulaire de la Société Archéologique de la Loire-Inférieure
Louis-Marie-Désiré Briant de Laubrière naquit à Brest,
Le 1er septembre 1816 ; son père, commandant d'artillerie,
étant devenu veuf après quelques années de mariage, fut
obligé de le mettre interne successivement dans les collèges
de Lorient et de Quimper, où il fit detrès bonnes études, et
l'envoya à Paris pour passer son baccalauréat. Une fois
établi dans la capitale, il fit son droit et parut un moment
se diriger du côté de la carrière administrative. Il entra
comme surnuméraire au Ministère de l'Intérieur sans s'y
attacher. La vie mondaine, si pleine de succès pour lui, entraî-
nait le jeune homme, ami des arts, bon musicien et aimable
causeur ; cependant les bibliothèques et les archives ne lui
faisaient pas peur. Il eut l'occasion d'y pénétrer pour se ren-
seigner sur ses ancêtres ; son esprit curieux y trouva tant de
choses nouvelles et attachantes qu'il y revint fréquemment
pour compulser tout ce que les anciens généalogistes officiels
avaient amassé de titres sur les familles bretonnes. Ses
amis le voyant si abondamment documenté l'engagèrent à
publier un armoriai de Bretagne qui parut en 1844 et qui,
encore aujourd'hui, est recherché des collectionneurs.
M. de Laubrière s'aperçut bien vite que son livre était un
essai susceptible de longs développements et qu'il ne pouvait
contenter ses compatriotes sans continuer son enquête.
Il interrogea les érudits et entreprit des recherches jusqu'à
Nantes, dans le fonds de la Chambre des Comptes, où il ren-
contra, à défaut de montres et de cahiers de réformation de
la Noblesse, des registres de réformation de feux qui lui
donnèrent des listes de noms inattendues, remontant au
xve siècle. M. de la Borderie, présent, fut lui-même surpris
de la trouvaille.
— 204 —
Encourage par ce succès, notre confrère continua de ras-
sembler des notes dans les collections de Paris, pour publier
une seconde édition de son armoriai considérablement aug-
mentée. Il allait commencer, lorsque son ami, M. Pol de
Courcy, avec lequel il était en correspondance fréquente,
lui écrivit qu'il avait le désir de publier un armoriai breton.
Avec le plus rare désintéressement, M. de Laubrière aban-
donna son projet, donna toutes ses notes à son ami et
consentit à lui servir de correspondant à Paris pour
l'éclairer sur tous les points douteux. La correspondance
qui lui échangée à ce propos est conservée en grande
partie, elle témoigne que, de 18-15 à 1854, notre confrère
n'a cessé de collaborer à la publication de son ami, sans
autre ambition que de doter son pays d'un bon répertoire.
11 aurait pu légitimement réclamer une place sur la couver-
ture du livre, il se contenta d'une phrase de remerciements
dans l'introduction. On ne pouvait être plus modeste.
M. de Laubrière était, en effet, un ennemi du bruit et de
la réclame ; il aimait la Science et l'Art pour les jouissances
intimes que ces deux muses procurent. Je pourrais aussi
m'étendre longuement sur son amour pour les livres, les
curiosités littéraires et les belles reliures, car il aimait à se
délasser en visitant les rayons de sa bibliothèque dans
laquelle on compta un moment jusqu'à 20.000 volumes.
La science même, sous des apparences austères, excitait
sa curiosité et le captivait jusqu'à ce qu'il connut tous ses
secrets. Le hasard le mit un jour en présence d'une poche de
fossiles variés et, de suite, il voulut les classer. En peu de
temps, il devint un ami fervent de la géologie et de la
conchyologie, deux sciences qui l'absorbèrent pendant
vingt-cinq ans et dont il propagea le goût autour de lui, tant
son ardeur était communicative. Ses explorations avaient
lieu dans le bassin de Paris.
Malgré les charmes nombreux qui le retinrent une partie de
sa vie sur la terre champenoise, il conservait au fond du cœur
l'amour de la patrie bretonne. Nantes l'attirait. Il s'y fixa
et s'empressa de se faire inscrire au nombre des membres
de la Société archéologique, au temps de la présidence de
M. de la Nicollière. Sa santé ne lui permettait pas d'assister
à toutes nos séances, mais il suivait avec attention nos tra-
— 205 —
vaux et lisait assiduement nos bulletins. Plus d'une fois,
on le vit courir avec son allure jeune et gaie jusqu'aux
archives pour y prendre une note qui manquait à la généa-
logie de sa famille. Les siens ne l'ont jamais vu inoccupé.
Quand il ne soignait pas les fleurs de son jardin, il travaillait
à la reliure de ses livres ou écoutait une lecture qu'une affec-
tion filiale lui réservait pour sa récréation, ou bien encore
il classait ses innombrables cartes postales. Même au bord
de la mer, il trouvait moyen d'augmenter ses collections de
silex taillés par ses propres recherches, à l'âge de 90 ans.
Aucune existence n'a été mieux remplie et plus honorable-
ment conduite.
Saluons donc avec vénération cette belle vie qui est venue
s'éteindre parmi nous en nous laissant l'exemple d'un atta-
chement peu commun au culte de la science et le spectacle
d'une fin embellie par les espérances chrétiennes.
Nos sympathies iront consoler, je l'espère, les deux ?mes
brisées qu'il a laissées dans la plus profonde douleur.
Léon Maître.
J£<xX^-
Nantes, Imprimerie A. Dugas & O, 5, quai Cassard.
BULLETIN
DE LA
SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE
DE NANTES
ET DU DÉPARTEMENT DE LA LOIRE-INFÉRIEURE
Année 1908
TOME QUARANTE-NEUVIÈME
2e Semestre
NANTES
BUREAUX DE LA SOCIÉTÉ ARCHEOLOGIQUE
1909
\
BUREAU
DE LA
SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DE NANTES
ET DE LA LOIRE-INFÉRIEURE
MM. Alcide DORTEL, 0. I. Q
Alcide LEROUX
le baron Gaétan de WISMES
Docteur Georges HALGAN
Joseph NAU
Joseph ANGOT
Joseph HOUDET
Edouard PIED, 0. I. fg
Raymond POUVREAU
Paul SOULLARD
Victor LAGRÉE, 0. &
Président.
Vice-présidents.
Secrétaires généraux.
Secrétaires du Comité.
Trésorier.
Trésorier-adjoint.
Bibliothécaires-
archivistes.
COMITE CENTRAT
MEMBRES A VIE
Anciens Présidents (1)
MM. le marquis de BREMOND d'ARS MIGRÉ,* (1884-1886 et 1899-1901).
Léon MAITRE, 0. 1. 0 (1902-1904); le baron de WISMES (1905-1907).
MEMBRES ÉLUS
MM. CHAILLOU, 0. I. Q
SEN0T de LA L0NDE
Claude de M0NTI de REZÉ
CAILLÉ
Ludovic C0RMERAIS
le chanoine DURVILLE, 0. A. %
le comte de BERTHOU
BLANCHARD, 0. I. ÇJ
TRÉMANT
(1) Les autres présidents de la Société ont été : MM. Nau (1845-1862).
f 4 juillet 1865; — le vicomte Sioch'an de Kersahiec (1863-1868),
f 28 novembre 1897: — le chanoine Cahour, 0. A. Q (1869-I87i).
f7 septembre 1901; — l'intendant Galles, 0. * (1872-1874), fil
août 1891 ; — Mariûnneau, *, 0. 1. Q (1875-1877), f 13 septembre 1896;
— le baron de Wismes (1878-1880), f 5 janvier 1887, — le vicomte de
la Laurencie. & (1881-1883); - Le Meignen, 0. A. tji (1887-1889
et 1896-1898), f 22 septembre 1905; — le marquis de Dion. &
(1890-1892), f 26 avril 1901; — de la Nicollière-Teueiro. 0. A. Q
(1891-1895), f 17 juin 1900.
i
Sortants en 1908.
Sortants en 1909.
Sortants en 1910.
EXTRAITS
Des procès-verbaux des Séances
-*<*SUlsaK>-
r 9
SOCIETE ARCHEOLOGIQUE
DE LA LOIRE-INFÉRIEURE
Manoir de la. Touche
SEANCE DU MARDI 13 OCTOBRE 1908
Présidence de M. Dortel, président.
Etaient présents : M. l'abbé Brault, MM. Bastard,
Caille, Dortel, Furret, Dr Halgan, Commandant
Lagrêe . Leroux, Maître, Ouvrard , Pouvreau,
Renard, Ringeval, Soullard, Trémant, Vincent,
Baron de Wismes, Baron Gaétan de Wismes.
M. le Président exhibe un plan en couleur de la ville de
Nantes, extrait vraisemblablement d'un atlas anglais. Ce
document présente quelques inexactitudes de détails,
mais est intéressant par son relief et son coloris.
Jacques Forestier et les débuts de V insurrection en 1793
à la Gaubretière. Tel est le titre du travail dû à la plume
de M. Paul Legrand et offert par l'auteur à notre Société.
Forestier, né à la Pommeraye,organisa, après lesrevers
des Vendéens sur la Loire, les bandes de chouans qui
devaient tenir tête à Hoche. Il était lieuteannt de Georges
Cadoudal quand la pacification de la Vendée l'exila à
Londres.
Soc. Archéol., Nantes. C
— XLVIII —
M. Marcel Racineux, présenté par M. l'abbé Brault
et M. Joseph Angot, est agréé comme membre titulaire
et conquiert l'unanimité des suffrages.
Le baron Gaétan de Wismes rapporte qu'il prit part
aux travaux du Congrès de l'Association bretonne, tenu
cet été à Fougères. Cette vieille cité bretonne, curieuse à
plus d'un titre, a conservé en grande partie ses fortifica-
tions du xve siècle. Le château, datant dans son ensemble
du xiie siècle, est unedes plus belles ruines féodales de la
Bretagne. Il a perdu son donjon, rasé en 1630, mais il est
encore garni de treize tours d'imposant aspect.
Le Congrès organisa une excursion au Mont-St-Michel,
à laquelle le baron Gaétan de Vismes participa.
Grâce à l'aimable entremise de M. Lefas, député de
de Fougères, les congressistes purent visiter les fouilles
récemment faites au célèbre mont. La légende rapportait
que saint Aubert, évêque d'Avranches, dédia à saint
Michel une chapelle qu'il avait fait creuser dans le granit
du mont Tumba. Une grande marée, engloutissant la
forêt de Scissey, qui l'entourait, fit une île de ce mont,
désormais connu sous le nom de mont Saint-Michel ou
Saint-Michel au péril de la mer. C'est cette chapelle,
longue de dix mètres et large de six, que de récentes
fouilles ont mise à découvert. Un mur démoli a permis
de trouver le dortoir des moines du xie siècle. L'archi-
tecte a également dégagé des bases d'arcades, fait d'une
réelle importance, car il permet d'attribuer à la fameuse
tapisserie de la reine Mathilde, sur laquelle ces arcades
figurent, l'importance d'un document,
M. Paul Eudel, qui a souvent consacré à notre contrée
d'importants travaux, offre à la Société d'archéologie les
prémices de ses Notes sur Nantes en 1792. Il s'appuie sur
un de ces petits livres d' Etrennes Nantaises, comme il s'en
publia pendant longtemps au début de chaque année,
qui, après avoir passé en revue les gouvernements des
principaux états de l'Europe, donnait toutes les indica-
tions nécessaires sur les noms et adresses des différents
— XLIX —
fonctionnaires, industriels, commerçants, avocats et
médecins de notre département. L'œuvre de M. Eudel,
d'une riche documentatin, est d'un réel intérêt.
M. Léon Delattre, amené, par les nécessités de son ser-
vice, à compulser les archives de la mairie de St-Herhlain,
a détaché des registres de cette commune quelques pièces
qu'il accompagne de commentaires. Ces documents se
rapportent à la période comprise entre 1631 et 1793.
Les importantes épidémies de dyssenterie qui, vers 1760,
désolèrent notre région, y sont relatées ; elles étaient
très meurtrières.
Les difficultés qui survinrent en 1791 à St-Herblain,
de par la présence d'un curé assermenté, y sont particu-
lièrement mentionnées.
M. le Président parle de M. de Laubrière ,
récemment décédé, qui fut un des membres les plus tra-
vailleurs de la Société, et lève la séance à 6 heures.
SÉANCE DU 3 NOVEMBRE 1908
Présidence de M. Dortel, Président.
Etaient présents : MM. Angot, Bastard, R. Blan-
chard, l'abbé Brault, de Bréveden, Caillé, Chaillou,
Charron, l'abbé Doré-Graslin, Dortel, l'abbé Gres-
lier, delà Jousselandière, le commandant Lagrée,
Alcide Leroux, Léon Maître, J. Nau, Dr Plantard,
POUVREAU, RACINEUX, RlNGEVAL, SENOT DELA LoNDE,
Soullard, Trémant, Trochon de Lorrière, Antoine
Vincent, le baron de Wismes , le baron Gaétan de
Wismes.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
Le Président donne lecture d'un vœu rédigé par le
comité La Pomme, demandant que des mesures d'urgence
— L —
soient prises pour protéger et conserver le très important
monument qu'est le mont Saint-Michel.
M. Bernede-Sachs, présenté par le commandant
Lagrée et M. Pouvreau, est agréé à l'unanimié comme
membre titulaire. M. Louis Pinel, présenté par MM.
Bastard et Pouvreau, est admis comme membre
correspondant.
La nomination d'un trésorior, inscrite à l'ordre du
jour, est remise à une date ultérieure.
M. le Président dépose sur le bureau de la Société
les travaux de M. Coutil : « Inventaires des monnaies
gauloises ».
« Haches, marteaux et pics avec perforation centrale,
trouvés en Normandie.
« Monuments mégalitiques de la Normandie.
« Epoque gauloise en Normandie.
« Œnochvë et bassine en bronze trouvées dans un tumu-
lus des environs de Besançon. »
Une brochure de M. l'abbé Durville sur quelques lettres
d'Anne de Bretagne.
Une brochure sur la prise du château et les événements
de juillet 1789 à Nantes pendant la Révolution, de
M. Delattre.
Les Annales de la Marine Nantaise, des origines à 1830,
par M. Paul Legrand.
M. le Président fait ensuite circuler une vieille
affiche assez curieuse, une convocation de Louis XV à
M. Bouchet du Plessis, Trésorier de France et des finances
de 1760.
M. Soullard donne un spécimen du « Journal breton »,
document très rare.
Ce journal, probablement le premier publié à Nantes,
était imprimé chez Wattar, place du Pilori.
M. l'abbé Brault a eu la bonne fortune de visiter l'an-
cienne chapelle Saint-Laurent, église paroissiale qui
était située au bout de l'impasse du même nom, près des
— LI —
remparts. Détruite pendant la Révolution, il en reste
encore quelques vestiges, entre autres la grande porte,
un pilier, une fenêtre.
M. Blanchard a retrouvé dans l'emplacement de l'an-
cienne église Sainte-Radegonde, un.écusson représentant
les armes de la famille de Cornulier.
M. le Président estime que toutes ces découvertes mé-
ritent une visite de la Société qui pourrait, en outre, voir
le cloître des Carmes. Il en est ainsi décidé, et la visite
est fixée au jeudi 5 novembre, à une heure.
M. Dortel, en l'absence de l'auteur, continue la lecture
de l'ouvrage très documenté de M. Paul Eudel.
M. Léon Maître met la Société au courant d'une étude
pleine d'intérêt sur les prééminences de l'église Saint-
Philbert et cite, entre autres, des inscriptions très curieu-
ses au point de vue archéologique.
La séance est levée à 6 h. 1/4.
Le Secrétaire,
J. NAU.
SEANCE DU MARDI i« DÉCEMBRE 1908
Présidence de M. Dortel, Président
Etaient présents : MM. Angot, Bastard, abbéBRAULT,
Caillé, Cazautet, Chaillou, Crouan , Delattre,
Dortel, chanoine Durville, Furret, Gourdon, Dr
Halgan, de Hargues, commandant Lagrée, Dr de
Lastours, Leroux, Maître, Pineau-Chaillou, capi-
taine du Plessix, Pouvreau , Renard, Renaud,
Ringeval, Senot de la Londe, Soullard, Trêmant,
baron de Wismes, baron Gaétan de Wismes.
M. Riondel s'était excusé.
M. Rochery, présenté par MM. Dortel et Paul Soul-
lard, est élu membre titulaire.
— LU —
Il a été procédé ensuite à l'élection de trois membres
sortants du Comité : MM. Chaillou, Senot de la Londe et
Claude de Monti de Rezé obtiennent la presque unani-
mité des suffrages.
M. le Président .rappelle les qualités aimables qui
faisaient du trésorier de la Société, M. Pied, le collègue
sympatbique à tous. M. Riondel est élu trésorier de la
Société archéologique.
Le Dr de Lastoirs exhibe, ie sceau de la commanderie
de Nantes, portant la date 1780, et le sceau particulier
de M. de Cumont.
La parole est ensuite donnée au capitaine du Plessix,
qui rapporte qu'on lui a signalé aux environs de Sarzeau
(Morbihan), un polissoir d'une haute antiquité. Cette
pierre, de grandes dimensions, présente les trois rainures
caractéristiques et une cuvette destinée à contenir le
sable mêlé à l'eau. Cette trouvaille a fait l'objet d'une
communication à la Société polymathique du Morbihan.
Sous l'habile direction de M. Cawadias, éphore général
des antiquités helléniques, dit le baron Gaétan deWismes,
d'importantes fouilles ont mis à jour, dans l'île de Cépha-
lonie, plusieurs centaines de tombes de l'époque mycé-
nienne. Ces sépultures, non profanées, étaient dans un
état, parfait de conservation. Cette découverte contri-
buera à dissiper les points encore obscurs de la civilisation
préhomérique, que les travaux si connus de Schliemann
ont fait connaître.
La Société archéologique avait décidé de faire l'échange
des sept derniers numéros de son Bulletin contre les sept
premiers numéros du Bulletin de la Société de Quimper.
Le baron Gaétan de Yismes dit tout l'intérêt que pré-
sentent ces fascicules. Les vieilles églises du Finistère y
sont, sous la signature du chanoine Peyron, l'objet
d'études approfondies. Des coutumes, aux lointaines
origines, évoquent l'âme religieuse de cette contrée bre-
tonne. Naïves, touchantes et pieusement transmises,
— lui —
elles sont, pour ainsi dire, codifiées en ce recueil archéo-
logique.
M. le chanoine Peyron a eu, il y a quelques années,
l'heureuse idée de recueillir à Quimper, en un véritable
musée, tous les objets religieux pouvant présenter un
caractère artistique. On ne saurait trop le féliciter de cette
initiative, qui sauvegarde ces précieux souvenirs des spé-
culations du brocantage.
En une causerie très documentée, M. le Chanoine Dur-
ville fait la description du quartier Saint-Pierre tel qu'il
existait il y a deux siècles, et parle en particulier des
demeures qui s'élevaient dans la pénombre de notre
vieille Cathédrale. Le quartier compris entre les places
du Moutiers et des Jacobins était une véritable propriété
ecclésiastique. Près de la Cathédrale, on pouvait voir
encore, à la fin du xvine siècle, la maison du Chapitre,
l'Archidiaconé de la Mée, la trésorerie, la chantrerie, la
cure Saint-Jean, enfin l'église Saint-Laurent. La paroisse
Saint-Laurent s'étendait jusqu'à la rue des Carmélites.
Des fouilles récemment opérées, sous les auspices de la
Société, ont permis de déterminer les dimensions de ce
sanctuaire et d'en découvrir les fondations.
M. le Président annonce le don fait à la Société, par
M. Pierre Dubois, d'un travail sur la Famille maternelle
de Victor Hugo, et lève la séance à 6 h. 1/2.
Le Secrétaire général,
D' HALGAN.
MÉMOIRES
NANTES EN 1792
PREAMBULE
Mon ami Alexandre Perthuis n'était pas un collec-
tionneur égoïste ; il aurait volontiers inscrit sur les
pièces rares qu'il possédait Y et amicorum du biblio-
phile Grolier. « Tiens ! me dit-il un jour, j'ai vu
votre nom sur les Étrennes Nantaises de 1793 ; il y avait
un Eudel dans les douanes ; je vous rechercherai le
petit bouquin. » L'excellent homme fit mieux que
trouver le livre, il l'offrit à ma curiosité ardente, et
prenant à peine le temps de le remercier, mes yeux
cherchèrent, sur son indication, la page 113, pour me
voir confirmer ce que je savais déjà, qu'un de mes ancêtres
était, en 1793, inspecteur fédéral delarégie des douanes
à Nantes.
Les Etrennes
Nantaises
Puis je regardai le petit volume, bien fait pour
réjouir l'œil d'un amateur. Il était en maroquin rouge,
un peu terni par l'usage. C'était l'œuvre, assez gauche,
d'un relieur de province. Des filets de dentelle dorée
encadraient les plats de la couverture. Au centre et des
deux côtés, un médaillon de forme ovale reproduisait
naïvement la prise de la Bastille ; du sommet de la for-
teresse aux tours percées et crénelées, la garnison se
défendait en échangeant des coups de fusil avec un
flot d'assaillants massés sur un pont. Au premier plan,
près d'une pile de boulets, des Gardes-Françaises, pacti-
sant avec l'émeute, mettaient le feu à un canon, tandis
qu'accourait la foule des héros, qu'on a appelés
hyperboliquement « les vainqueurs de la Bastille »,
A la loupe, on distinguait encore des flocons de
fumée, des drapeaux déployés, des barils de poudre, et
Soc. Archéol. Nantes. H
Aspect
extérieur
— 208 —
le contraste était amusant entre les personnages figés
dans leurs attitudes et le mouvement de l'assaut dont
l'artiste avait voulu donner l'idée.
Un papier à fleurs, où la dorure éclatait encore
par places, était collé sur les gardes et complétait l'as-
pect extérieur du livre, qui avait dû faire les délices
d'un bon patriote du temps.
Le texte Le contenu répondait-il au contenant ? C'est ce
que je vais essayer de vous dire. Je ne vous promets pas
d'être bref. Ces Étrennes qui, selon l'usage des almanachs,
durent être préparées dans le cours de l'année 1792
et étaient publiées à la fin du mois de novembre de cette
année, et peuvent me servir à tracer un tableau de Nantes
à l'époque révolutionnaire. Que les âmes sensibles se
rassurent d'ailleurs, il ne sera question ni de la guil-
lotine du Bouffay, ni des noyades de la Loire, ni des
horribles fusillades de Gigant. Les Étrennes sont pour
1793, et non de 1793, quoique portant, au titre, le millé-
sime de l'année terrible. Elles s'arrêtent au moment
précis où, les élections ayant eu lieu pour la Convention
Nationale, les députés ont accompli ce grand acte, la
proclamation de la République (22 septembre 1792).
Elles ont malgré tout, pour ainsi parler, un pied dans
l'ancien régime, un pied dans le nouveau, et témoignent
de tendances libérales, avec un vieux fond de convic-
tions monarchiques et catholiques; ce sont des Etrennes
en habit d'arlequin.
Le titre \\ est piquant de reproduire leur titre, encadré,
comme la reliure, de petits filets et de mailles de
chaînes. Etrennes Nantaises Ecclésiastiques, Civiles et
Nautiques pour l'année commune 1793, calculées pour le
méridien de Nantes. A Nantes, chez Veuve Despilly,
imprimeur-libraire, Haute-Grande-Rue, près celle du
Soleil, n° 46. Première année de la République Française.
Sans nous arrêter à ce qu'il y a de naïvement bizarre
— 209 —
dans la juxtaposition des trois adjectifs : « ecclésias-
tiques, civiles, nautiques », nous apprenons que le méri-
dien de Nantes faisait alors autorité, que le numérotage
des rues y était établi (il ne l'a été à Paris qu'en 1792)
et que la rue Beau-Soleil d'aujourd'hui s'appelait rue
du Soleil.
Poursuivons. Un petit avis, qui nous guette au verso
du titre, ne manque pas de saveur. La veuve Despilly
prie les personnes « qui prennent part à ces étrennes et
qui s'intéressent à leur perfection », de lui envoyer leurs
instructions, observations et changement de demeure
dans la première quinzaine de novembre. Elle ne s'en
tient pas là; après une réclame pour sa maison, où l'on
trouve un assortiment de livres en tout genre, français
et étrangers, tous les papiers-nouvelles (sic), gazettes et
journaux, des papiers de toutes grandeurs de France et
de Hollande, de l'encre, des plumes, de la cire, des pains
à cacheter et tout ce qui concerne les cabinets (nous
dirions aujourd'hui, pour éviter l'équivoque, les fourni-
tures de bureau), elle annonce qu'elle tient l'huile de
sperme de baleine noire et blanche, pour les souliers et
les bottes. C'est une huile extraordinaire qui conservait
le cuir dans sa souplesse, ayant l'avantage de ne point
tacher, affirmant sa supériorité sur les cirages présents
et à venir. On ne s'attendait point tout de même à ren-
contrer un produit de ce genre et si bizarrement dé-
nommé chez la veuve Despilly, pourvue d'une imprimerie
assez complète pour exécuter tous les ouvrages qu'on
voudra bien lui confier et se faisant fort que l'activité
et la correction qu'elle apportera aux impressions lui
mériteront la confiance du public. Continuant le com-
merce de feu son mari, qui avait transformé, en 1782, les
Etrennes Nantaises, de Verger et Vatar, en Etrennes ecclé-
siastiques, civiles et nautiques, la veuve Despilly, fort
experte en affaires, voulait avoir, comme on dit, plu-
sieurs cordes à son arc. Le mélange d'huile de sperme
Spécialités de la
veuve Despilly.
de l'Almaiiach.
- 210 —
de baleine et d'encre d'imprimerie est assez peu banal,
on l'avouera; il aurait réjoui les mânes des vieux poètes
savetiers, fabricants de pièces et rapetasseurs de rimes,
dont la race s'est continuée de nos jours.
Il ne faut pas de place perdue au bas de la page où
s'étale l'avis-réclame; une petite note nous avertit qu'il
y aura quatre éclipses en 1793; deux seront visibles à
Nantes : une, de lune, le 25 février, une, de soleil, le 5 sep-
tembre. A cette dernière date s'étaient produits des évé-
nements que l'astronome du cru ne pouvait guère prévoir:
Carrier terrorisait Nantes, rien d'étonnant à ce que le
soleil se cachât.
Les divisions rjn (( Abrégé chronologique sur la division des âges
du monde » occupe la page 3; il devait se répéter dans
tous les almanachs de l'époque; il est imbu de cette idée
très chrétienne que « comme la semaine se divise en
7 jours, tous les temps aussi, depuis la création jusqu'à
présent, se divisent en 7 âges. » Le septième âge com-
mence à la naissance du divin sauveur (une expression
qui dut déplaire aux jacobins nantais, habitués du club
de Vincent la Montagne).
Les Etrennes Nantaises, en dépit des concessions
qu'elles doivent faire à l'esprit nouveau, sont d'ailleurs
d'une orthodoxie parfaite. Leurs rédacteurs semblent
ne pas avoir oublié qu'un poète du xvie siècle recom-
mandait à l'admiration publique la catholique Nantes.
Voici le « comput ecclésiastique » avec ses termes mys-
térieux :C ycle Lunaire, Cycle Solaire, Épacte, Indiction
romaine, Lettre dominicale. Voilà le relevé des fêtes
mobiles, avec la minutieuse indication des Quatre-Temps,
Une note nous avertit du dimanche précédant ou
suivant la fête du patron où cette fête doit être célé-
brée.
Notons en passant que le système planétaire différait
en 1792 de ce qu'il est aujourd'hui : on comptait sept
planètes au lieu de huit, et encore y comprenait-on le
— 211 —
soleil. Les 12 signes du zodiaque étaient septentrionaux
et méridionaux. Aucune observation sur le calendrier
purement grégorien et de rite français, sans aucun
mélange de sa'nts bretons, sans aucune appellation végé-
tale ou animale. La Convention, au surplus, venait à
peine de décréter l'adoption du calendrier républicain
de Fabre d'Eglantine et de décider que l'année com-
mencerait le 22 septembre.
N'insistons pas sur la Table des jours lunaires et de la
déclinaison du soleil, qui remplit quatre pages de chiffres.
Il est plus intéressant de savoir quelle est l'heure de la
pleine mer dans les ports de Bretagne à la nouvelle et à
la pleine lune. Les Etrennes nous l'apprennent avec une
précision parfaite et nous donnent en même temps la
liste de ces ports. Près de Brest, de Lorient, du Croisic,
de « Belle-Isle, près Vannes », de Saint-Malo, figurent
dans un ordre un peu arbitraire, qui se justifie par le
classement méthodique des heures de marée, Audierne,
le Baz (pointe du Baz) le Conquet, le passage du Four,
le Port-Louis, Concarneau, St-Paul (et non St-Pol) de
Léon, Port-Blanc, La Boche-Bernard, Cancale. A Nantes
même, la table du cours des marées est prise au quai de
la Construction, le quai des Constructions actuel. Cette
question des marées a une grande importance dans un
port. J'ai eu sous les yeux d'anciennes vues du port de
Nantes, prise de la Cale aux oranges. Le capitaine du
port résidait dans une maison dite encore « Bureau du
port », au-dessus de laquelle un grand pavillon flottait;
il commandait la manœuvre aux navires qui entraient
dans le port et leur donnait des ordres avec son porte-
voix. Une connaissance approfondie de son métier lui
était indispensable; mais il ne devait pas négliger les
renseignements usuels que lui fournissaient les Etrennes.
Avant de me servir du petit livre pour reconstituer un
tableau de Nantes sous la Bépublique, je ne puis passer
sous silence le chapitre qui s'intitule : Idée générale abré-
gée des états de V Europe avec les naissances des rois,
— 212 —
princes et princesses. C'est un vrai petit Gotha, d'une naï-
veté qui a son prix.
Les Etats de Dans ce défilé de monarchies, la France républicaine
l huiopeeiiljJ- ouvre la marche. Un premier paragraphe nous annonce
qu'érigée en République le 21 septembre 1792, elle con-
tient 3.000 lieues et qu'on compte près de 28 millions
d'habitants répartis « pour l'état ecclésiastique » en
évéchés et paroisses et « pour le civil » en 83 départe-
ments et 546 districts. L'historien improvisé' considère
Pharamond comme le premier des 66 rois des trois
races : ce n'est pas la théorie nouvelle, car, d'après
certains éru dits, il n'aurait jamais existé.
Il nous apprend que Paris, qui a six lieues de tour,
contient près d'un million d'habitants et forme, à lui seul,
un département. Il indique la division des pouvoirs en
pouvoir législatif, pouvoir exécutif, pouvoir judiciaire,
et donne exactement les attributions, le fonctionnement,
de chacun de ces pouvoirs, mais il ajoute, ce que les
citoyens de la troisième République n'apprendront pas
sans un mouvement d'envie, que la justice est rendue
gratuitement et que les juges sont à la nomination du
peuple.
Républicain en France, l'annualiste semble royaliste
ailleurs; au moins, nomme-t-il,avec une minutieuse com-
plaisance, les princes et princesses de tous les pays de
l'Europe, y compris ceux des électorats d'Allemagne et
des petits États de l'Italie. Notons comme particularités,
que l'Italie proprement dite consiste dans les Etats de
l'Eglise ; que la Prusse a pour capitale Kônigsberg et
pour roi l'électeur de Rrandebourg; que Rruxelles est
la capitale des Pays-Bas Autrichiens; que la Pologne
est un royaume tout comme la Sardaigne; que l'île de
Malte appartient à Marie-des-Neiges Emmanuel de
Rohan de Poulduc, grand maître de l'ordre; que la Hol-
lande obéit à un stathouder, Venise à un doge, Lucques
à un gonfalonier, Raguse à un' recteur; Saint-Marin,
— 213 —
petit état enclavé dans le duché d'Urbin, et son gouver-
neur sont sous la protection du Pape. Cette géographie
politique nous paraît aujourd'hui du domaine de la
pure fantaisie; nous avons peine à nous figurer qu'elle
ait été, en 1792, de l'histoire contemporaine.
LE CLERGÉ
Ce n'est pas en vain que les Etrennes Nantaises sont Les Évêchés de
« ecclésiastiques » avant même d'être « civiles », avant France.
surtout d'être « nautiques ». La question religieuse y
tient une très grande place. Si l'on a dit de la vieille
France qu'elle avait le catholicisme dans le sang, n'est-ce
pas en Bretagne, à Nantes surtout, ville cléricale par
excellence, qu'il était aisé de s'en convaincre?
Précédant les nouvelles religieuses locales, un tableau
des « évêchés et métropoles de France » est curieux à
consulter. Neuf églises métropolitaines et les mêmes
qu'aujourd'hui, à la réserve de Tours qui ne fut érigé
que plus tard en archevêché. Etait-ce modestie, d'ail-
leurs, et les évêques constitutionnels ou nommés par
la Constitution Civile du Clergé voulaient-ils qu'on leur
appliquât le dicton des premiers âges de la chrétienté :
Crosse de bois,
Evêque d'or?
Ils s'imposaient l'égalité; on ne voit pas qu'aucun
d'entre eux ait brigué la dignité archiépiscopale, encore
moins la pourpre cardinalice. Les métropolitains de
Rouen, de Reims, de Paris étaient de simples évêques,
comme ceux d'Oléron ou de Saint-Flour. Notons, en
passant, que beaucoup d'évêchés ne siégèrent pas au
chef-lieu du département. Saint-Maixent, dans les Deux-
Sèvres, Saint-Omer, dans le Pas-de-Calais, Sedan, dans
les Ardennes, Viviers, dans l'Ardèche, étaient les rési-
dences des évêques constitutionnels Mercadier, Porion,
Philbert et Desavine. Seul des départements français,
— 214 —
celui du Mont-Blanc, d'annexion récente, n'avait pas
encore de pasteur. La plupart de ces hauts dignitaires
improvisés, même Gobet, l'évêque de Paris, étaient des
inconnus; une exception, au moins, doit être faite pour
l'évêque de Blois, Grégoire, auteur d'opuscules nombreux
sur la bibliographie, l'émancipation des nègres et les
arbres de la liberté, grand parleur qui ne perdait aucune
occasion de placer un discours, beaucoup mieux à sa
place, en somme, dans une assemblée que dans une
église.
Sauf Le Coz, celui de Rennes, et Audren, celui de
Vannes, qui eut une fin tragique, les six évêques bretons
firent assez peu parler de leurs personnes et de leurs
actes. Qui se souvient de Jacob, de Lemasle, d'Expilly,
(peut-être un parent de l'éditeur des Etrennes) ? Le moins
ardent à se mettre en avant n'était pas l'évêque de
Nantes, Minée.
Leveque consti- Julien Minée venait de Paris; il était dans le commerce
utionnel Minée. ayant d'entrer dans les ordres. Simple prêtre, il s'était
fait remarquer dans les clubs par une exaltation républi-
caine qui le recommanda aux organisateurs de la cons-
titution civile du clergé. Il fut sacré évêque, le 10 avril
1791, sans apparat, à Notre-Dame de Paris. On le nomma
d'emblée à Nantes, où il fit son entrée le 15 avril 1791.
La municipalité le reçut solennellement et le compli-
menta à son arrivée à l'Eperonnière le 15 avril 1791, le
vendredi de la Passion. A la Cathédrale le Te Deum
traditionnel fut supprimé. On a prétendu qu'il fut rem-
placé par l'air :
Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille ?
Le 18 avr'1 on l'accueillait avec enthousiasme au club
des Cordeliers de la ville. Le 1er mai, son installation
dans l'église cathédrale donnait lieu à des réjouissances.
La garde nationale et les clubs l'invitaient à un banquet.
Le maire Daniel de Kervegan, qui était delà fête, portait
— 215 —
un toast chaleureux « au digne prélat qui ne veut pas
séparer les devoirs du prêtre de ceux du citoyen ».
L'évêque répondit par une improvisation brillante cou-
verte d'applaudissements.
Le 27 août, sur la place de la Liberté, (ex-place
Lou;s XVI), fut planté un peuplier de 70 pieds de haut,
comme arbre de la liberté des Récollets. Des discours
enflammés furent prononcés à cette occasion par
l'évêque Minée et par François-Sébastien Letourneux,
né en 1752, à Saint-Julien-de-Concelles, procureur géné-
ral depuis 1790 et syndic du département, homme
intègre et convaincu, qui s'était, dès le début, rallié
aux idées nouvelles.
Bref, l'évêque co istitut'onnel, dont les écrits du
temps relatent l'activité et le zèle patriotique, prési-
dait depuis dix-huit mois aux destinées de l'Église de
Nantes « sous l'invocation de Saint-Pierre » quand les
Etrennes parurent.
Les vicaires épiscopaux (on dit aujourd'hui vicaires Les grands
généraux ou grands vicaires) étaient nombreux; on n'en
comptait pas moins de douze, sans parler des trois ano-
nymes non encore installés. Ils devaient se confondre
avec les chanoines capitulaires. Les quatre premiers
désignés avaient des fonctions qui les rapprochaient
de l'évêque, car ils habitaient rue Cerutti (aujourd'hui
rue de l'Evêché). Ils s'appelaient Soulastre, Binot,
Chesneau et Darbefeuille. Ces quatre noms sont à
retenir, le premier surtout, Soulastre, qui ne devait
pas être Nantais d'origine, mais qui avait été bénédictin
du couvent de Vertou, joua un rôle des plus honorables
au moment de la destruction partielle delà Cathédrale,
accomplie en cette même année 1792. Par suite d'une
mauvaise interprétation des ordres du Comité de Salut
Public, qui prescrivait l'abolition de tous les signes exté-
rieurs du pouvoir monarchique, et non pas des emblèmes
religieux, les exécuteurs des basses œuvres du nouveau
vicaires.
Soulastre.
- 216 —
Gouvernement envahirent l'antique édifice. Des groupes
sacrés qui ornaient les portiques furent brisés. On démolit
les autels, on viola des tombes, on mutila des œuvres
d'art, on fondit les cloches de bronze pour en faire des
canons. Les commissaires du district donnaient une ap-
parence légale à cette profanation. L'un d'eux était
le trop fameux Goullin, créole d'origine, qui devint le
séide de Carrier et cachait, sous des manières cauteleuses,
un sans-culottisme déjà avéré. Les agents de l'autorité
en voulaient surtout aux objets précieux, aux vases d'or
et d'argent conservés dans le trésor de la Cathédrale;
ils ne se bornèrent pas à un inventaire, ils se saisirent
de vases et aussi de reliquaires d'un grand prix. On
ignore quel fut, dans ces circonstances critiques, le rôle
de l'évêque Minée. Mais son grand vicaire Soulastre se
trouvait à point nommé dans la sacristie, en compagnie
de Pierre-Nicolas Fournier, ancien carme défroqué,
inspecteur-voyer de la ville de Nantes.
Ces deux hommes courageux disputèrent quelques
épaves au vandalisme révolutionnaire; ils mirent en
lieu sûr les reliques des saints, brutalement extraites des
vases sacrés qui les contenaient; mais tous les témoins
moururent sans révéler l'endroit de cette cachette. Ils ne
purent, malheureusement, empêcher que l'on ne vendît
publiquement les objets ayant appartenu au culte. Les
biens du clergé devenaient biens de la nation, non sans
enrichir ceux qui en trafiquaient.
Un autre souvenir, et des plus honorables, s'attache
à Soulastre. En sa qualité de premier vicaire épiscopal,
il bénit, le 23 février 1792, sur la place de la Fédération,
(ci-devant place Louis XVI), le drapeau des volontaires
nationaux, brodé par les dames patriotes, et célébra
ensuite la messe, entouré du clergé, sur l'autel de la
patrie, adossé à la colonne de la Liberté. La garde natio-
nale était rangée en bataille sur les cours; les corps admi-
nistratifs avaient leurs sièges près de la bastille de Pallois,
élevée sur un socle devant l'autel. M. Josmet, lieutenant-
— 217 —
colonel, remit la bannière au porte-drapeau, et remercia
les citoyennes au nom du bataillon.
Que faisait donc l'évêque Minée pour se faire remplacer
dans cette circonstance solennelle? Sa grandeur l'atta-
chait-elle au rivage ou pérorait-il dans quelque club?
Sous l'ancien régime, Nantes comptait, en dehors de
la paroisse cathédrale « sous l'invocation de Saint-
Pierre », au moins douze paroisses. Celles de Saint-
Laurent, Saint-Saturnin, Saint-Vincent, Sainte-Rade-
gonde, Saint-Denis, Saint-Léonard, furent supprimées
à l'établissement de la constitution civile du clergé.
Il ne subsista que les sept paroisses aujourd'hui exis-
tantes de Sainte-Croix, Saint-Nicolas, Saint-Similien,
Saint-Clément, Saint-Donatien, Notre-Dame, Saint-
Jacques. Cette division nouvelle, qui tenait compte des
distances entre les égl:ses et du nombre des habitants de
chaque paroisse (Saint-Laurent et Saint- Vincent étaient
autrefois voisins de la Cathédrale) fut ratifiée par le Con-
cordat.
Il y avait, en plus des églises paroissiales, 7 chapelles
acolytes et 33 chapelles de communauté, dont celle des
Carmes, vendue nationalement le 17 février 1792, et qui
renfermait le tombeau ducal, œuvre de Michel Colombe,
que Mathurin Crucy sut préserver de la destruction.
Il est très curieux de remarquer, en passant, les divi-
sions de Vétat ecclésiastique, modelées sur les divisions
administratives de l'époque. Le district de Nantes com-
prenait la ville, dont j'ai indiqué les subdivisions, et la
campagne avec les cantons de Bouaye, de Bouguenais,
de Saint-Sébastien, de Thouaré, de Nort, delà Chapelle-
sur-Erdre et de Chantenay. Il y avait dans le départe-
ment huit autres districts : ceux de Châteaubriant, d'An-
cenis, de Blain, de Savenai (sic) de Guérande, de Clisson,
de Machecoul, de Paimbœuf. La campagne de Nantes et
le district de Paimbœuf avaient seuls leurs curés au com-
Paroisses de la
Ville.
Paroisses
rurales.
— 218 —
plet. Partout ailleurs, surtout dans les districts de Clis-
son, de Machecoul, de Blain, le recrutement des prêtres
constitutionnels semble avoir été difficile; beaucoup
de paroisses manquaient de pasteurs. Les cantons de
Rougé et de Soudan en Châteaubriant, le canton très
important de Guemené-Penfao, en Blain, celui de
Cambon, en Savenay, celui de la Limouzinière, en Mache-
coul, n'avaient pu remplacer un seul de leurs curés non
assermentés. Ceux-ci étaient pourtant l'objet de véri-
tables persécutions ; poursuivis par la vindicte jacobine,
ils avaient trouvé, le 5 juin de cette année 1792, un asile
provisoire dans la maison de retraite dite de Saint-
Clément.
L organisation Le Conseil épiscopal — apprenons-nous par une note
cultuelle. ^s Etrennes --se compose de l'évêque, des seize vicaires
de la cathédrale et des quatre vicaires supérieurs et direc-
teurs du séminaire. Un vicaire supérieur, trois vicaires
directeurs administraient, en effet, le séminaire du dépar-
tement, alors situé rue Pigalle, ancienne rue des Ursu-
lines, ou des Ursules comme on disait alors. Là encore,
il y avait du tirage pour remplacer l'ancien état de
choses. Latour aîné et Latour le jeune — deux frères,
sans doute — avaient été nommés, l'un vicaire supérieur,
l'autre premier vicaire directeur; les deux autres vicaires
restaient à trouver.
Le séminaire des Prêtres Irlandais, fondé l'an 1690 à la
Fosse, avait pour supérieur O'Byrn, docteur en Sorbonne.
Je ne sais si cet ecclésiastique avait été, en raison de sa
qualité d'étranger, astreint au serment constitutionnel.
Le séminaire des Prêtres Irlandais disparut bientôt,
d'ailleurs, pour ne laisser à Nantes d'autre trace de son
histoire qu'une rue mal famée, la rue des Irlandais, qui
s'est fondue avec sa voisine, la rue des Catheri nettes,
dans le musée Dobrée.
Les questions religieuses surexcitaient au plus haut
point l'opinion dans une ville qui demeurait, malgré les
— 219 —
événements, très attachée à ses croyances. On se passion-
nait pour ou contre les prêtres assermentés, les jureurs,
comme le peuple les appelait ironiquement. Le 23 juil-
let 1792 (toujours en l'année qui nous occupe) le tribunal
criminel de la Loire-Inférieure condamna à un an de
prison une femme Joseph Moriceau, née Mathurine
Martin, qui s'était fait passer pour un prêtre déguisé en
femme, dans le but de jeter le discrédit sur les prêtres
assermentés et d'empêcher les personnes décidées d'aller
à leur messe. Cette femme audacieuse avait l'idée, au
moins originale, de tuer la Religion nouvelle par le ridi-
cule.
LES HOSPICES
Ce n'est pas sans motif que les Etrennes Nantaises
placent tout de suite après Y Etat ecclésiastique l'Admi-
nistration des hôpitaux de la ville. Les trois hôpitaux
de Nantes, qui relevaient du clergé sous l'ancien régime,
avaient toujours pour président électif de leur Conseil
d'Administration l'évêque Minée. En dehors des aumô-
niers attachés à chacun d'eux, ils comptaient aussi des
ecclésiastiques. Le Soulastre, désigné comme adminis-
trateur et même commissaire municipal, m'a tout l'air
de ne faire qu'un avec le vicaire général; il habite, comme
son sosie, rue Cerutti. Quant à Barré, ministre, qui
demeure isle Feydeau, ce doit être un ministre... protes-
tant.
Les administrateurs des trois hôpitaux se réunissent en
bureau général une fois tous les quinze jours ; leurs assem-
blées particulières, qui se tiennent trois fois par semaine,
sont mandées pour 4 heures du soir, de façon à permettre,
sans doute, aux membres qui sont dans les affaires d'y
assister, besogne faite. Ils ont un secrétaire-greffier com-
mun, le sieur Fougeu, qui siège en permanence à l'Hôtel-
Dieu.
Hôpitaux
religieux.
Cet Hôtel-Dieu, dit Hôpital pour les malades, fondé et L'Hôpital.
220
établi par lettres patentes du roi Charles IX, en 1569,
s'élevait à peu près sur l'emplacement de l'hospice actuel.
Il comptait parmi ses administrateurs plusieurs des
notables habitants de la ville, Fleury, demeurant à la
Fosse, rue des Trois-Barils (cette ruelle, aujourd'hui
suspecte, avait-elle alors meilleur renom ?), Chan-
ceaulme, Duparcq, qui résidait « à Chezine ». Morel,
Darbefeuille et Barré — un au Ire que le ministre —
étaient commissaires municipaux. Le trésorier s'appe-
lait Carié, un nom qui allait devenir fâcheusement célè-
bre, mais que la différence d'orthographe ne permet pas
d'identifier avec celui du terrible proconsul, d'ailleurs
originaire du Cantal; notre Carié nantais tenait absolu-
ment à ne pas être confondu avec un neveu, car à la suite
de son nom, il faisait mettre entre parenthèses le mot
oncle. Puis il y avait les médecins: Laënnec, chef d'une
dynastie illustre, père derinventeurdel'auscultation,qui
naquit en 1781, et Blain, auquel Levot a consacré, dans
la Biographie bretonne, cinq colonnes, dont j'extrais
quelques renseignements : François-Pierre Blin, né à
Rennes en 1756, reçu docteur à Montpellier, vint à
Nantes en 1783; député de Nantes en 1789, il fut l'un
des fondateurs, à Paris, du Club Breton, devenu Société
des Jacobins ; très exalté, puis plus modéré ; à la
séparation de la Constituante, il revint exercer à
Nantes, où il eut, sous l'Empire, la plus belle clientèle.
A la Restauration, il s'afficha comme royaliste ardent
et catholique pratiquant, ce qui fut reconnu faux. Quand
on lui reprochait ses palinodies, il répondait en riant
qu'il méritait d'être pendu. Médecin habile, il était, en
outre, lettré érudit et polyglotte. Il mourut à Chantenay,
près de Nantes, en 1834. Baqua(szc), d'origine espagnole,
et dont la famille n'a pas cessé d'être honorablement
représentée à Nantes, avait le titre de premier et Defray
de second chirurgien. Le pharmacien et apothicaire —
ô Molière ! — se nommait Ectot, parent, sans doute, de
M. Hectot, fort connu à Nantes dans la première
— 221 —
moitié du dix-neuvième siècle; l'économe était Artaud.
A noter que ces derniers personnages, même les chi-
rurgiens Bacqua et Defray, étaient logés à l'Hôtel-Dieu,
ainsi que la Supérieure, qui répond, sans autre qualifi-
catif, au nom de Perrin. C'était vraisemblablement une
religieuse; était-elle déjà laïcisée?
Les ruines de l'Hôpital général, dit Sanitat, existaient
encore dans mon enfance; mais on l'avait désaffecté,
tous les services ayant été transportés au nouvel Hôpital
Saint- Jacques. Il était presque aussi ancien que l'Hôtel-
Dieu; sa fondation, par lettres patentes du même souve-
rain, remontait à 1572. Il était destiné aux veillards et
infirmes. Pimot, curé de Notre-Dame « à sa cure »,
était un des administrateurs; Berthault, trésorier, Gau-
thier, rue Crébillon, chirurgien. Là encore, une supé-
rieure et portant un nom bien nantais, Mazeau; en
revanche, pas d'aumônier, les deux places restaient
vacantes, aucun prêtre assermenté ne s'étant encore ren-
contré pour remplacer les insermentés.
Le troisième établissement hospitalier était l'Hospice
pour les enfants orphelins et bâtards, que nous appelons
enfants assistés, qu'on appelait alors enfants de police.
Il avait été fondé par un généreux citoyen, sur lequel
la Commune et Milice de Nantes, de Mellinet, me fournit
quelques détails, « feu Guillaume Grou »; des lettres
patentes du roi Louis XVI, du mois d'août 1778, l'avaient
régulièrement constitué. Quoique ayant une affectation
propre, il était, comme il n'a pas cessé de l'être à Nantes,
une dépendance de l'Hôtel-Dieu. Plusieurs des noms
déjà cités se retrouvent, côte à côte avec Minée, dans son
Conseil d'administration : Berthault, le trésorier du Sani-
tat, est un de ses administrateurs. Il n'y a pas de médecin
en titre, et c'est sans doute le décès du titulaire qui laisse
vacante la plus importante des fonctions concernant la
santé des pauvres petits êtres qui entraient dans la vie
par le « tour » hospitalier. Le chirurgien sus-nommé
Le Sanitat.
L'Hospice.
— 222 —
Darbefeuille, rue Bayle, cumulait son mandat avec celui
de commissaire municipal de l' Hôtel-Dieu. La supérieure
s'appelait Foret, mais ne devait pas s'apparenter aux
imprimeurs et libraires Forest, que je crois originaires de
Vannes, et qui ne s'établirent à Nantes qu'au commence-
ment du xixe siècle.
L ARMEE
Officiers Nous n'avons pas grand intérêt à savoir que le ministre
généraux. ^e ja Guerre en 1792 était Pache, devenu bientôt suspect,
que Luckner et Rochambeau, celui de la guerre de l'indé-
pendance américaine, étaient maréchaux de France, le
premier avec le titre de maréchal général. Voici la liste
des officiers généraux commandant en chef les armées de
la République, les uns illustres ou connus : Dumouriez,
Custine, Kellermann et ce Biron, deux fois duc, placé à la
tête de l'armée du Haut-Rhin, choisi plus tard par Dan-
ton pour combattre la grande insurrection vendéenne,
mort sur l'échafaud révolutionnaire; les autres retombés
dans l'obscurité: Miranda, qui commandait l'.armée de
l'Escaut, Valence, celle de la Meuse, Anselme, celle
d'Italie.
En revanche, nous soulignons les noms des officiers
généraux pour le département de la Loire-Inférieure,
faisant partie de la 12e division militaire, devenue la 11e,
puis le 11e corps d'armée. Le commandant en chef est
Verteuil, qui a le titre de lieutenant général et qui réside
à La Rochelle, car il a dans ses attributions la direction
de l'armée des côtes. C'est un des nombreux officiers
nobles qui prirent du service dans les armées de la Répu-
blique, mais sa naissance — il s'appelle de son vrai nom
le baron de Verteuil de Malleret - - ne lui sera reprochée
que plus tard, en pleine guerre de Vendée, quand il aura
à se défendre de toute parenté avec les Verteuil de l'Ile
d'Yeu et du camp de l'Oie, agitateurs royalistes très con-
nus. Le Verteuil en question est un bon officier, mais déjà
-- 223 —
vieux et que son âge comme son nom vont bientôt relé-
guer dans l'obscurité. Il a pour aide de camp un nommé
Pasteur. Son subordonné immédiat, lieutenant général en
résidence à Nantes, avec le titre de commandant, est un
personnage que les événements vont mettre en relief et
qui parcourra bien des étapes avant d'être accusé, parles
représentants du peuple en mission, de complicité avec
le conspirateur La Rouerie, et d'être guillotiné par la
Terreur; il se nomme Louis-Henri-François Marcé; le
département de la Loire-Inférieure l'apprécie beaucoup
et aurait voulu qu'il prît le commandement en chef de !a
12e division, à la place de Verteuil; il est connu de longue
date à Nantes, où il a surveillé, en 1791, les embarque-
ments pour Saint-Domingue; on lui a donné carte blan-
che, et, pratiquant le népotisme, qui fleurit sous tous
les régimes, il a pris pour aides de camp deux de ses
jeunes parents, Louis Marcé et Gabriel Marcé; ce dernier
désigné comme « aspirant ».
Le commissaire des guerres, Leclercq, et le payeur
général de la guerre et de la marine, Lamarre, n'ont pas
autrement fait parler d'eux.
A la tête du corps de l'Artillerie de la sous-direction de L'Artillerie
Nantes, réunie à la direction de l'Arsenal de construction, an Château.
et, comme cet arsenal, établie au château, se trouve un
nommé Bonvoust, lieutenant-colonel d'artillerie, que
mon ami Chassin n'a eu garde d'oublier dans son grand
ouvrage, La Vendée patriotique, car, tout en croyant
Nantes impossible à défendre contre une attaque en
masse des Vendéens, il s'employa avec un grand zèle à
improviser des fortifications. J'aime à retrouver en ce
bon patriote, devenu plus tard général de brigade, un
précurseur des Nantais, quorum pars magna fui, qui
fortifièrent, en 1870, leur ville- contre les Prussiens.
Bonvoust avait sous ses ordres un garde d'artillerie, un
chef d'ouvriers d'état de l'arsenal, qui habitaient, comme
lui, au château; seul, le secrétaire et caissier des bureaux
Soc. Àrchéol. Nantes. 15
224
de l'artillerie demeurait en sa maison, à Richebourg, n° 3.
C'était un employé civil. Nous rentrons dans le militaire
avec la compagnie d'ouvriers n° 2, en garnison au château
pour le service de l'arsenal de construction et dont le capi-
taine commandant, Fautrier, était détaché à l'armée du
Var. Les Etrennes mentionnent encore une compagnie
d'Invalides, casernée au château et militairement orga-
nisée. Le capitaine Chaloy était à sa tête.
Poudres Je ne crois pas que Beaufranchet, commissaire des
et Salpêtres poudres et salpêtres à Nantes et demeurant rue Pope (ou
rue Saint-André) ait aucun lien de parenté avec le général
républicain, fils d'une maîtresse de Louis XV, Beaufran-
chet d'Aycet, qui ne semble avoir fait son apparition
dans l'Ouest insurgé qu'en mars 1793. NotreBeaufranchet
avait un garde-magasin, nommé Frère Jouan Dussein,
appartenant à la famille Frère Jouan, fort répandue
dans la région de la Basse-Loire, et qui a donné, au
XVIIIe siècle, un avocat, un procureur et un notaire,
et, au XIXe siècle, un jurisconsulte estimé, M. Frère
Jouan du Saint, né, en 1850, à Guémené. A la
même administration, appartenait Campourcy, com-
missaire aux moulins à poudre du pont de Buis, dont
la poudrière actuelle a pris la place, et des commissaires
en résidence dans les villes voisines, Lenoir à Rennes,
Sevonieg au port Louis (qui s'appelle un peu plus tard
Port Liberté). Lechault était entreposeur à Saint-Malo;
Gicquel Destouches, commis-visiteur, était certainement
de la famille d'un amiral notre contemporain.
La Marine. La « Marine de France » avait alors pour ministre
l'illustre savant Monge « ayant le département de la
marine et des colonies ». Les amiraux s'appelaient :
d'Estaing, en fonctions depuis 1777, et Louis-Philippe-
Joseph Égalité, qui abdiquait résolument déjà son titre
de duc d'Orléans. Even venait d'être nommé ordonna-
teur en chef de l'Administration civile du département
pour Nantes et Paimbœuf. Notons que Paimbœuf, chef-
— 225 —
lieu de district de la Loire-Inférieure et deuxième ville du
département, avait alors, au point de vue maritime, une
importance considérable. Louvel, sous-chef de l'adminis-
tration, chargé du congé des classes et aussi caissier des
gens de mer, y résidait. Son bureau était une succursale
du bureau de la marine et des classes de la marine situé
à Nantes, île Feydeau, rue du Guesclin n° 1, dans un des
rares quartiers de la ville qui n'aient pas changé. Le cais-
sier des gens de mer et aussi des invalides de la marine à
Nantes était Bureau, rue Commune, aujourd'hui de la
Commune, autrefois, rue de Verdun. Bosquet aîné avait
des attributions un peu plus relevées : on le dénommait
«trésorier des invalides de la marine et chargé de la caisse
des gens de mer ».
L'Administration Nantaise, qui était régionale, avait
des délégués au Croisic, à Ingrande et jusqu'à Angers, où
Lacaise-Martignis la représentait.
Passons sur la Direction des vivres de la marine, instal-
lée quai de Chezine, n° 6, et confiée à un nommé Duparcq,
qui avait placé son fils dans ses bureaux, mais n'omettons
pas la petite réclame que se fait, à cet endroit des Etrenn es,
la veuve Despilly. Elle saisit l'occasion d'informer le
public qu'elle tient, en sa librairie de la Haute-Grande-
Bue, l'entrepôt des cartes, plans et journaux de la Marine
pour l'usage des navigateurs. Un confrère, qui était de
ses amis et ne lui faisait pas précisément concurrence,
bénéficie de la réclame, glissée dans le texte à la mode
américaine; c'est Auvray, marchand d'estampes, rue
Fosse.
LES CONSULATS.
LES AGENTS DE CHANGE.
INDRET.
Grande ville de commerce maritime et de débouchés Les Consuls.
internationaux, Nantes a toujours été le siège de nom-
breux consulats. Toutes les nations étrangères n'y
— 226 —
avaient cependant pas de représentants en 1792. Voici
dans quel ordre, assez arbitraire, les Etrennes rangent
les consuls résidants (sic) a Nantes. C'est d'abord de
Landaluse, à la Fosse, n° 26, pour l'Espagne. Ce nom me
semble avoir été altéré; je ne le trouve au surplus dans
aucune des listes des notables nantais du temps que j'ai
pu consulter. .Je le crois celui d'un Espagnol, défiguré par
l'orthographe française. Le consulat de Pologne, qui vient
ensuite, est vacant. Mais celui du Danemark a pour
titulaire, J.-J. Moller, isle Feydeau, dont la famille,
d'origine danoise, est toujours représentée. Je n'ai aucune
donnée sur Pierre-Benoît Babut, consul de Suède, ni sur
son auxiliaire du Croisic, Gardemain. Mais voici encore
sur l'île Feydeau le représentant de la Prusse, Pelloutier,
dont le nom figure à la fête patriotique des trois ordres
des citoyens de Nantes (19 septembre 1788) et que je
crois le plus ancien en date des consuls de Prusse du
même nom; ces fonctions, transmises de père en fils,
étaient dévolues, à l'époque où j'habitais Nantes et pen-
dant même la guerre de 1870, à un Pelloutier, petit-fils
du précédent. Le consul impérial (autrichien) et celui
de l'électorat de Cologne, Wilfesheim, à la Fosse,
numéro 2, et Turninger, quai Bouguer, étaient des
Allemands, au moins d'origine. Odiette fils, à la Fosse, 25,
dont je vois le nom orthographié dans la Commune et
Milice, de Mellinet, avec un 0' comme s'il s'agissait d'un
Irlandais, remplaçait le titre de consul par celui de Com-
missaire de la Marine et du Commerce de LL. HH. PP.,
les États Généraux des Provinces Unies ; la Hollande ne
voulait point qu'on la confondît avec les autres puis-
sances. Notons, pour clore la liste, Cames, consul des
États-Unis, au bas de la Fosse, et Bivet (voilà un
nom bien nantais), consul général de Portugal, île
Gloriette, quai Laurancin.
On sera surpris de l'absence d'un agent officiel de
l'Angleterre. Parmi les interprètes de langues étrangères,
catalogués à la suite des consuls, je ne trouve que des
— 227 —
noms à physionomie française. Duchène de Lessart, de
Chardenoux, Meunier et tutti quanti; il y a bien un
Allemand, Sauwerenald, mais aucun Anglais ne semble
s'être glissé, et l'on se demande quel ostracisme frappait
à cette époque à Nantes les naturels de la Grande-
Bretagne.
Qu'appelait-on alors agent de change? Ce n'était Agents
assurément pas comme aujourd'hui l'officier ministériel de change.
qui négocie les valeurs cotées à la Bourse; c'étaient, sans
doute, des courtiers de marchandises, servant à l'occasion
d'intermédiaires pour le placement des valeurs et des
i fîets de commerce. Ce titre s'est longtemps perpétué
jusqu'à la création des parquets dans les villes de pro-
vince où les charges furent dédoublées et indemnisées.
Quelques-uns des noms de ceux qui exerçaient ces fonc-
tions sont à retenir ; par exemple, Menuret et Cie, rue
Fosse (n'est-ce pas une faute d'impression, pour Mino-
ret?); Plinguet et Cle, rue M. Colom, vis-à-vis la
Bourse; Nourry, rue J.-J. Rousseau; Vallot et Cle.
Maison Carié, rue Fosse. Ces noms n'ont pas cessé d'être
portés à Nantes.
La fonderie nationale d'Indret vient se placer arbitrai- Indret en 1792.
rement à la suite des consuls et des « agents de change ».
Elle était déjà importante, quoique sa fondation ne
remontât qu'à 1778; elle ne devait assurer alors, comme
à présent, que le service de marine; on y faisait des
coques de navire en fer avant d'y construire des machi-
nes à vapeur pour la navigation. Ce n'est pas l'almanach
qui peut nous fournir une description d'Indret, en 1792,
à mettre en regard de celle qu'Alphonse Daudet a placée
dans son roman de Jack, mais nous y trouvons cette note
précieuse dans sa concision : « Cette fonderie est une des
plus intéressantes manufactures du royaume, tant par
son objet que par ses moyens ». Royaume à part — à
quoi pensiez-vous donc, correcteur d'épreuves de la
veuve Despilly? — je suis, comme eût dit Alceste, char-
— 228 —
mé de ce petit morceau et je me console de n'avoir pu
recueillir aucun renseignement sur le lieutenant-colonel
d'artillerie à l'armée du Nord, Thouvenet, inspecteur
d'Indret, sur le lieutenant de vaisseau Tastu, contrôleur
— peut-être un parent de l'imprimeur Tastu, mari de la
poétesse de la Restauration - - sur M. de la Motte, régis-
seur « chargé de la procuration des entrepreneurs », sur
Auge, l'entrepreneur des réparations, transports et em-
barquements. Je trouve pourtant à Nantes, un demi-
siècle plus tard, des Auge et même des Auge de Lassus.
LES DÉPUTÉS
Nantes législatif
et politique
Sans transition, nous passons de l'Armée et Marine
à la politique et voici l'un des « clous » des Etrennes, la
liste des députés du département de la Loire-Inférieure
à la Convention Nationale.
Ces députés sont nommés dans l'ordre suivant :
Mehol (sic), Chauvière, Chaillon, Villers, Mellinet, Fou-
ché, Jarry, Coustard. On indique comme suppléants :
Tartu, Benoiston, César Maupassant, massacré à la prise
de Machecoul en 1793. A part l'obscur Chauvière, qui
fut remplacé par Lefebvre, procureur-syndic du district
de Nantes, les huit députés titulaires siégèrent à la Con-
vention; je trouve leurs adresses à Paris dans un petit
livre publié à la fin de 1792: Nous avons leurs votes dans
le jugement de Louis XVI.
Les votes Aucun de ces votes n'est motivé, sauf celui de Chaillon,
des députés « homme de loi à Montoir », qui avait joué un rôle au
de Nantes Parlement de Bretagne et aux Etats généraux. Il
monta à la tribune de l'Assemblée pour déclarer qu'il
s'opposait à la mort de Louis, « précisément parce que
Rome le voudrait pour le béatifier ».
Meaulle, le juge du tribunal de Châteaubriant, dont
les Etrennes orthographient bizarrement le nom « Mehol»,
vota la mort sans phrases: Louis est coupable de crimes
— 229 —
contre la sûreté de l'État; il ne peut bénéficier des cir-
constances atténuantes, il doit être privé de la vie.
Villers, président du département à Nantes, et Fouché,le
fameux Fouché, du Pellerin, le futur duc d'Otrante et
ministre de la police impériale, qui prend alors le titre de
principal du collège de Nantes, où il a d'abord professé,
se prononcèrent aussi pour la peine capitale.
Mais la majorité des représentants de la Loire-Infé-
rieure pencha pour la clémence. J'ai cité l'opinion bizar-
rement motivée de Chaillon. Lui et Jarry avaient
réuni le plus grand nombre de voix des électeurs nantais
(quoique les Etrennes ne nomment celui-ci que l'avant-der-
nier). Jarry qui se qualifiait négociant à Nantes, agricul-
teur et directeur des mines de Nort, qui eut plus tard le
courage d'attaquer Marat en pleine Convention et l'hon-
neur de passer neuf mois dans diverses prisons de Paris,
vota pour l'emprisonnement de Louis jusqu'à la paix.
René Constant, Lefebvre, Mellinet, « négociant », ainsi
que le bruyant Coustart de Massy, votèrent aussi contre
la mort.
Très curieuse figure que ce Coustard, originaire de
Saint-Domingue, où il était né le 28 octobre 1734, gen-
darme, mousquetaire, lieutenant des maréchaux de
France, colonel des premiers volontaires nantais en
juillet 1789, premier président du Directoire de Nantes,
commandant général des gardes nationales, célèbre par
son ascension en ballon,reproduite par une gravure où ilest
représenté avec Mouchette dans la nacelle de la première
mongolfière qui s'éleva à Nantes. Au mois de juillet 1792,
il s'agitait beaucoup pour la défense de « la Patrie en
danger». Le 10 août, il était nommé commissaire aux
armées et se rendit au camp de Lauterbourg près Wis-
sembourg pour « électriser l'armée ». Il fut exécuté
comme Girondin, le 7 novembre 1793 avec Philippe-
Égalité.
En somme, le département était dans les modérés,
presque dans les incolores; il se mêla peu, comme dit
— 230 —
Victor Hugo dans Quatre-vingt-treize, au « brouhaha
des votes tragiques »; il n'avait envoyé à la Convention
qu'un homme vraiment supérieur, mais qui devait
déshonorer son talent par de multiples palinodies,
l'énigmatique Fouché.
A noter aussi, pour le nom qu'il devait honorablement
transmettre à un glorieux petit-fils et aussi pour son
activité, son besoin de se mettre en avant, le député
Mellinet. Non content de se faire inscrire au Comité
du Commerce et au Comité d'Instruction publique, ce
brave négociant présenta, dans la séance du 6 janvier
1793, le projet d'un Comité censorial à la Convention,
qui en décréta l'impression. Il demandait que ce Comité,
composé de 83 membres, un par département, veillât
au bon ordre des séances et à l'assiduité des députés;
chacun des membres du Comité devait porter une mé-
daille avec ces mots : « Citoyens, vous êtes ici pour
délibérer sur les intérêts de la Patrie ». Un mélange de
phrases ampoulées et de citations de Rousseau {Le Con-
trat social était l'évangile du jour) fait, du rapport de
Mellinet, un document curieux.
l'administration départementale
r Département
de ta
Loire-Inférieure
L'Administration républicaine, sous le régime de la
Convention nationale, était des plus compliquées.
Chaque département était pourvu d'un Conseil du dépar-
tement et d'un Directoire, le président de cette double
assemblée ayant les charges et les attributions de nos
préfets actuels. C'était l'Administration supérieure.
Une Administration secondaire comprenait pour chaque
district - il y avait neuf districts dans la Loire- Infé-
rieure, y compris celui de Nantes - - un Conseil du dis-
trict et un Directoire. Le Conseil du district ressemblait
beaucoup au Conseil général et le Directoire à la sous-
préfecture. Mais comme ces deux assemblées avaient
le même président, le même procureur-syndic, il y avait
— 231 —
une sorte de fusion ou de confusion entre les pouvoirs.
La division par arrondissements, se substituant à la divi-
sion par districts, a simplifié les choses et nettement
établi la division entre le sous-préfet, représentant de
l'autorité de l'Etat, et le conseiller général, représentant
des libertés locales. Ces questions de droit administratif
sont, au surplus, délicates et fort arides ; je n'y touche
qu'à cause des noms des citoyens nantis de fonctions
assez difficiles à définir.
Au sommet de la hiérarchie nationale étaient le minis-
tre de l'intérieur Rolland, célèbre par lui-même et par
sa femme, et les assez obscurs ministres des contributions
publiques (finances) et des affaires étrangères, Clavière
et Brun, Leur subordonné direct, le plus haut fonction-
naire du département de la Loire- Inférieure, était ce
Beaufranchet, que je n'ai pu identifier avec Beaufranchet
d'Aycet et qui cumulait ses fonctions doublement prési-
dentielles avec celles de Commissaire des poudres et
salpêtres. Président du Conseil et du Directoire du
département, demeurant, 31, rue Pope, Beaufranchet
avait dans son Conseil bon nombre de Nantais dont il
nous faut retenir les noms. C'étaient Sotin de la Coin-
dière, futur ministre de la police générale, qui eut un homo-
nyme directeur du collège ecclésiastique des Couëts; Lemi-
nihy ; Chiron aine; Gaschignard, d'une famille de Mache-
coul qui avait produit un professeur érudit, auteur
d'une Histoire de Bretagne par demandes et réponses ;
César Maupassant, de la branche bretonne d'une famille
normande bien connue, ancien membre démissionnaire
de l'Assemblée Constituante, il fut massacré par les Ven-
déens, lors de la prise de Machecoul; Fourmy ; Antoine
Peccot, orateur du Club de la Halle, que nous retrou-
verons ; Cathelineau, que l'on s'étonne fort de ren-
contrer ici, mais qui pouvait n'être pas parent du chef
vendéen; Soreau ; Delourmel; Painparay ; Bouchaud
jeune, un de ceux qui attribuèrent leur nom à un passage
de la ville; Phelipes, ancêtre probable du savant Phelipes
— 232 —
Beaulieu ; Tardiveau aîné, en qui l'acteur Colombey
pourrait trouver un aïeul ; Forget, le même proba-
blement que le trop fameux geôlier des Saintes Claires
sous Carrier; Franeheteau jeune et Francheteau aîné,
dont la dynastie s'est perpétuée, le fils eut une maison
de santé, le petit-fils fut armateur, conseiller municipal,
puis juge de paix. Mais cette simple revue, dans laquelle
il faut comprendre le procureur-général-syndic Letour-
neux, place du Pilory, qui fut plus tard ministre, et le
secrétaire général Grelier, qui tous deux ont fait souche
de Nantais, est des plus curieuses au point de vue
local.
Le Directoire du Département comprenait une sélec-
tion des membres du Conseil: ils étaient onze, y compris
le procureur-général syndic et le secrétaire général. Nous
apprenons leurs adresses. — Poton, le vice-président, que
nous ne connaissons pas autrement, habitait à la Fosse,
maison Leroi, 70; — Sotin, cours du Peuple.— César Mau-
passant n'avait pas de domicile personnel; il demeurait
chez Chardonneau, Haute-Grande-Rue. — Antoine Pec-
cot; n'était-ce pas le même, plus vieux, qui fut un poète
voltairien sous la Restauration et, vers 1840, un biblio-
thécaire de la ville, prédécesseur de Pehant. Il devint
l'orateur du club de la Halle et fut l'un des 132 Nantais
dont les survivants dénoncèrent à la Convention les
crimes de Carrier. — Gourlay, comme Maupassant, don-
nait son adresse chez un ami ou chez un logeur. —
Lemoine, Haute-Grande-Rue. — Le procureur général
syndic Letourneux, marié plus tard, le 17 messidor,
an III (5 juillet 1795), avec Annie-Gabrielle, fille du
conventionnel Etienne Chaillon et de Julienne Oliveau,
native de Montoir, et demeurant rue Lenôtre, section
de la Fraternité. Il était alors domicilié place du Pilory.
A l'époque de son mariage, il habitait la rue du Patrio-
tisme, section de la Concorde. Les témoins de son
mariage furent : René Godin, Gilbert Beaufranchet,
commissaire des salpêtres et poudres, Joseph Jarry,
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— 235 —
député à la Convention nationale, et Jean-Théoclore
Vanberchen, négociant. François Letourneux fut suc-
cessivement : an IV, 20 brumaire, commissaire du pou-
voir exécutif; an V, 28 fructidor, ministre de l'Intérieur;
an VI, membre de la Régie de l'Enregistrement; an VII,
29 prairial, député au Corps Législatif, membre du
Conseil des Anciens. Mais sa rigidité, ses mœurs aus-
tères, s'accomodaient mal avec la corruption du Direc-
toire. Pour éviter ses protestations, Barras etTalleyrand
le firent exclure de l'assemblée, et, l'an VIII, 12 floréal,
on le retrouve juge au Tribunal d'appel de Rennes. Il
mourut le 17 septembre 1814, à St-Julien-de-Concelles,
laissant deux fils, Horace, qui fut Conseiller à la Cour
de Riom, et Tacite, Président du Tribunal de Fontenay-
le-Comte. Son dernier descendant est aujourd'hui le
Commandant Emile Letourneux, ancien membre du
Conseil Municipal de Nantes. François Letourneux,
dont la vie fut si mouvementée, n'a pas laissé de mé-
moires. On n'a jamais publié la biographie de cette
physionomie curieuse. Disons enfin que le secrétaire
général Grelier demeurait rue Bossuet, maison Babin,
près le Pilory. Toutes ces indications sont à retenir par
qui veut se rendre un compte exact delà topographie de
Nantes à cette époque.
Les bureaux du département correspondaient assez Le Département
fidèlement aux divisions actuelles de la préfecture. Il y et ses bureaux.
avait le secrétariat pour la transcription des décrets et
des lois, des procès-verbaux des séances, tout ce qui a
rapport aux brevets d'invention et la correspondance
relative à ces objets. Le premier commis s'appelait Yon
et habitait rue Helvétius, n° 2, ancien quai du Marais;
le second commis, Gaschignard, rue du Chapeau-Rouge,
devait être parent du membre du Conseil, car le cumul
de fonctions aussi dissemblables me paraît impossible.
Au premier bureau, dit des Administrations, on trai-
tait d'affaires très diverses, les assemblées primaires, les
municipalités, les districts, les tribunaux et les juges de
— 236 —
paix, les prisons, les hôpitaux, les ateliers de charité et
travaux de secours, la mendicité, le vagabondage, l'agri-
culture et le commerce, l'éducation publique, les secours
aux noyés et incendiés, la correspondance et la compta-
bilité y relatives. Pour savoir se reconnaître dans ce
fouillis de questions disparates, il fallait que les deux
commis, Masson Bellefontaine à Richebourg et Coquin,
place Largillière, eussent la tête bien organisée.
Le deuxième bureau, moins chargé, était celui des con-
tributions directes et indirectes et des ouvrages publics
(grands chemins, ponts et chaussées), dirigé parGoulard
et Haumont.
Au troisième bureau, qui avait sa raison d'être depuis
la Révolution, on s'occupait des domaines nationaux et
des frais du culte. On sait quelle était l'origine des biens
nationaux. Quant aux frais du culte, ils comprenaient
alors les pensions et traitements des ecclésiastiques, cons-
titutionnels ou non; le clergé était subventionné par
l'Etat qui avait aussi à pourvoir aux réparations des
églises et des presbytères. La liquidation et le rachat des
droits féodaux, curieux vestiges des législations an-
ciennes, rentraient, ainsi que la surveillance de l'admi-
nistration forestière et des monnaies, dans les attribu-
tions du 3e bureau. Les deux commis s'appelaient Fleury
et Gaschignard père. Très absorbants, ces Gaschignard ;
voilà le troisième que nous rencontrons.
Le bureau de la guerre (4me bureau) n'était pas
une sinécure. On avait compris dans ses attributions,
je ne sais trop pourquoi, la comptabilité générale. Il
avait assez à faire à s'occuper du mouvement, du passage,
du logement et du casernement des troupes, de leurs
vivres et fourrages, de la fourniture des voitures et che-
vaux de selle, des pensions et habillements d'invalides,
soldes et demi-soldes, de la gendarmerie nationale, des
gardes nationaux, des classes de la marine nationale et
de la marine marchande, etc., etc.... Figurez-
vous ce que pouvaient être les bureaux de la guerre à
— 237 —
Nantes en 1793, en plein centre de l'insurrection ven-
déenne. Les deux commis, Couault et Loisillon, ne
suffisaient certainement pas au travail.
On voudrait des détails sur le bureau des émigrés,
qui devait, dans une certaine mesure, se tenir au
secrétariat, puisque Yon était le premier commis de l'un
et de l'autre. Il existait déjà un Syndicat, et un commis,
un seul, le nommé Dory, y était attaché. Les huissiers
étaient au nombre de deux : Lauret, qui prenait le titre
de «premier», et Mergault, qui remplaçait Ratet «parti
pour les frontières », en ardent patriote qu'il était, sans
doute. Le concierge, ce personnage de tous les temps,
s'appelait Chereau.
A côté du Directoire supérieur, qui centralisait toute Directoire
l'Administration du département, existait le district, et District.
division administrative correspondant à peu près,
comme je l'ai dit, à l'arrondissement d'aujourd'hui.
Chaque district avait son Conseil et son Directoire par-
ticuliers. Dans la composition de celui de Nantes, je
relève bien des noms intéressants. Le président du Con-
seil, Bougon, était un peintre d'histoire, dont la trace
se retrouverait dans les salons de l'époque; il devint
membre du Comité central en mars 1793, puis commis-
saire en Bretagne avec Sotin, durant la crise girondine.
Le vice-président, Lecomte, rue Sonfflot, était-il parent de
son homonyme, le général républicain, fils d'un maître
de postes de Fontenay, et qui avait été chef de bureau à
l'Administration départementale de la Vendée? Goullin
est évidemment le futur membre du Comité révolution-
naire et le bras droit de Carrier; il venait de Saint-Do-
mingue; il n'était point, d'après l'enquête que ceux-ci
provoquèrent, l'ancêtre des Goullin que j'aiconnus,le père
président du Tribunal de Commerce, et le fils, consul de
Belgique, vice-président de la Caisse d'épargne, adjoint
au maire. Rien de précis sur Renou; je note que ce nom,
toujours porté à Nantes, est celui d'un chef de division
— 238 —
vendéen sous Lescure et Stofflet, cl je fais réflexion que
les extrémités se touchent. Ramard m'est inconnu, mais
j'ai peine à croire que Vandamme soit étranger au général
qui, vers 1799, combattit victorieusement les Anglais
et les Russes. Il laissa des héritiers à Nantes. Les des-
cendants d'Athenas, patriote intègre, savant austère,
existent encore; l'un d'eux était professeur au lycée
vers 1865. Parmi les noms suivants, Dehergne jeune,
Rruneau, Paul Gerbier, Bertrand, Gerde, évoquent tous
des souvenirs nantais, ainsi que le prouve la Bio-Biblio-
graphie Bretonne; il en est de même pour le procureur-
syndic Clavier, qui fut président de l'Administration
centrale de la Loire-Inférieure, membre du Conseil des
Cinq-Cents, et dont un petit-fils ou petit-neveu était,
récemment encore, notaire à Nantes, et pour le trésorier
Vallin aîné, souche certaine d'un de mes condisciples de
lycée, devenu médecin-major de première classe.
Remarquons que les chefs et sous-chefs des bureaux
du département sont désignés dans cette partie des
Etrennes, ce qui prouve que ces bureaux étaient com-
muns au Directoire du département et à celui du district.
Il y a cinq chefs en tout et deux sous-chefs; le sous-chef
des impositions s'appelle comme un avocat que Nantes
connaissait bien de mon temps, Padioleau.
Les districts. Les huit autres districts du département doivent
nous offrir moins d'intérêt. Quelques noms sont cepen-
dant à retenir parmi ceux des membres des Conseils
et Directoires. A Ancenis, je note un Péan à Roche-
mantru (le nom a fort bien pu devenir Péhant ; il y eut
aussi des cordiers de ce nom); un Jousselin, procureur
syndic; un Rezé, assesseur; un trésorier, nommé Palierne,
vieille famille qui a donné un vicaire à l'ancienne
paroisse de Saint-Louis. A Châteaubriant, Demolon à
Fercé me paraît bien l'ancêtre du général et du colonel
Demolon et d'un Demolon, architecte, qui contribua
beaucoup à organiser l'Exposition Nantaise de 1886, et
— 239 —
Fr. Guibourg, d'Erbray, pourrait être de la même famille
que M. Guibourg, le fidèle compagnon delà Duchesse de
Berry, qui était, je crois, de Châteaubriant. A Blain, je
retrouve ou reconnais les noms de Gicquel, de Landais,
de Fourage, de Leroux, de Garaud, et celui de Duhoux. A
Savenay, que l'on orthographiait « Savenai », c'est Moisan,
Magouet, Merot fils, Le Merle, Audren aîné, un autre
Clavier, un autre Vallin, un autre Landais, procureur-
syndic, et un Haugmard, homonyme et parent probable
d'un jeune poète de nos contemporains. A Guérande,
Jan (que je crois l'auteur de Jan Kerguistel, originaire
de cette ville), est président du Conseil de district; deux
de ses assesseurs, Mahé et Letorzec, ont fait souche
nantaise. Il y eut au lycée un professeur, Chotard,
s'appelant comme le procureur-syndic. A Clisson, je
trouve des Poitou, des Vrignaud, des Constantin,
des Ouvrard, des Bouchaud, dont les noms ne passent
point sans souvenirs. A Machecoul, paraît un autre
Vrignaud, avec un Nau, un Paumier, un Bossis et un
Biré, dans lequel je verrais sans étonnement - - car la
distance n'est pas si grande de Machecoul à Luçon —
un aïeul d'Edmond Biré, l'impitoyable critique de
Victor Hugo. A Paimbœuf, enfin, des noms à physio-
nomie locale me frappent au passage: ceux de Delucé,
de Boutruche, de Martineau, qui donna des phar-
maciens, et celui de Beziau, l'ancêtre sans doute du capi-
taine de ce nom qui fonda l'Hôtel de Flandres.
LA MUNICIPALITÉ
Du département de la Préfecture, comme on dirait à La Mairie,
présent, nous passons à la Mairie, à la municipalité de
Nantes, installée à l'hôtel de ville actuel, dont l'aile
droite venait d'être reconstruite, en 1790, d'après Verger,
sur un terrain de l'ancien hôtel Bizard par Emile
Bemigereau, l'un des descendants d'Heli Bemigereau
« maczon et maître-architecte », qui construisit le
Soc. Archéol. Nantes. 16
— 240 —
Marchix (sic) sous le duc de Mercœur, en 1596, et fut
conducteur de l'œuvre des ponts, en 1605, d'après les
comptes du mi se ur de la ville.
Ici les noms vont se presser et la plupart d'entre eux
mériteront de nous arrêter. Deux petits avis imprimés,
l'un en caractères elzéviriens, l'autre en italique, nous
apprennent que l'élection du maire se fait tous les deux
; ns, celle des officiers municipaux et des notables, tous
les ans par moitié; que le corps municipal s'assemble,
quant à présent, tous les jours pour délibérer sur les
affaires de la communauté, et le Conseil général tous les
vendredis.
Né à Nantes le 29 avril 1751, ancien avocat au Par-
lement, élu, en mars 1789, député des Sénéchaussées de
Nantes et de Guérandeaux Etats Généraux de Bretagne,
René Gaston Baco de la Chapelle venait de s'asseoir
(en novembre 1792) sur le siège municipal illustré parles
Harrouys, les Darquistade et tant d'autres; il succédait
immédiatement à Giraud-Duplessis, qui avait été député
à l'Assemblée Constituante, et à Daniel de Kervegan.
C'était un homme juste et courageux ; tous ses actes
publics à la mairie de Nantes lui font le plus grand hon-
neur. Son organisation de la résistance nantaise contre
les Vendéens, sa fière attitude pendant la journée du
29 juin 1793, dite de la Saint-Pierre, où il fut blessé à
la cuisse, permettent d'associer son nom à ceux de
Canclaux et de Beysser, les défenseurs de Nantes.
Plus tard, il fut mis hors la loi pour avoir participé
à la manifestation girondine et donné l'accolade à
Beysser, destitué, et il fit imprimer l' Avis d'un républi-
cain à ses concitoyens, pour engager les Nantais à
nommer de nouveaux députés chargés de reviser la
Constitution.
Il fut alors remplacé par Jean-Louis Renard, pein-
tre en bâtiments, originaire de Paris, membre de la
Société populaire, qui avait figuré sur les listes de la
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— 243 —
milice bourgeoise et avait fait baptiser, en 1781, à la
paroisse Saint- Vincent, son fils, issu de son mariage avec
Charlotte de la Haye.
Quant à Baco, emprisonné à l'Abbaye, délivré au
9 Thermidor, il fut député aux Cinq-Cents, en l'an IV,
puis commissaire aux Colonies. Ce qui étonne, c'est
de le trouver directeur de l'Opéra, en l'an VI. Il mou-
rut à la Guadeloupe, en 1800, pendant une mission.
Le maire Baco habitait près l'Hôtel Henri IV,
place Graslin, qui prit, dès le Premier Empire, le nom
d'Hôtel de France. Le premier des officiers munici-
paux, anciens échevins élus en même temps que le
Maire, était Lecadre, d'une famille toujours existante,
alliée aux Toulmouche. Il s'était associé, le 16 septem-
bre 1792, à une démarche qui avait pour but de main-
tenir le général de Marcé à la garde des côtes, encore
en fonctions en 1796 ; il devait faire remettre en vigueur
des règlements sur le séjour des émigrés dans la ville
de Nantes. C'était un fervent patriote, comme ses seize
collègues, dont quelques-uns, Gaudin, F. Hardy, Douil-
lard, Pecot, Darbefeuille, portaient des noms bien nan-
tais ou déjà rencontrés en feuilletant les Etrennes. Je
retrouve Barré, ministre, à côté de Morel « Américain »,
probablement un négociant d'origine française, venu
ou revenu d'Amérique, et de Vannunen ou Van Neunen
junior, représentant d'une famille hollandaise, dont il
existait encore des membres dans l'industrie et comme
garde-magasin à l'Entrepôt, à l'époque où j'habitais
Nantes.
Officiers
municipaux.
Le procureur de la Commune, J.-J. Dorvo,qui demeu-
rait rue Abailard (ex-rue Haute-du-Château) n'était pas
de Nantes; il y était arrivé, venant de Rennes, en 1791;
on l'avait élu un an plus tard en remplacement de l'avo-
cat Sauquet. Un des actes les plus importants de sa vie
fut d'inaugurer avant le mariage religieux le mariage
Le procureur
Dorvo .
— 244 —
civil, par devant le Maire et ses concitoyens et sur l'au-
tel de la patrie, comme on disait alors, avec la fille de
Kirouard, officiel municipal de la mairie de Kervegan
et probablement l'ancêtre des Quirouard de Pornic, de
Saint-Xazaire et de Guérande. Le maire Giraud termina
son allocution par ces mots : « Allez, courez aux pieds
des autels. Que Dieu bénisse votre union. » La rupture
avec le clergé n'existait pas encore.
J.-J. Dorvo est absolument différent de son homo-
nyme Hyacinthe Dorvo, également Rennais, et auteur
de plusieurs pièces de théâtre jouées à Paris sous le
Directoire et le Consulat. Ch. Monselet avait trouvé
amusante la silhouette de ce Dorvo, qui vivait encore à
à Paris en 1840, et voulait la faire entrer dans une nou-
velle série de ses Oubliés et dédaignés. Il lui a consacré
une notice dans le livre d'Octave Uzanne.
Notre Dorvo, procureur, avait pour substitut, Nouel,
rue Soleil, et pour secrétaire-greffier, M. L. Ménard,
qui, seul, résidait à la Maison Commune, à la mairie, et
qui fut probablement l'ancêtre d'Ernest Ménard, le ro-
mancier, secrétaire de la Préfecture en 1848, président
du Comité républicain en 1870.
Les notables. Les notables, nommés à la suite des officiers munici-
paux et constituant avec eux la Municipalité de Nantes,
répondaient bien aux conseillers municipaux d'aujour-
d'hui. Ses fonctions multiples, son mandat très absor-
bant à l'époque troublée que nous fait traverser la lecture
des Etrennes, obligeaient le corps municipal à s'assem-
bler « quant à présent » tous les jours. Les notables
étaient au nombre de 36, autant que les conseillers
municipaux d'aujourd'hui. Leurs rangs s'ouvraient à
de hauts négociants, comme Delaville, dont les des-
cendants s'appellent Delaville-Leroux, comme Dobrée,
premier du nom, aïeul de l'archéologue qui dota la ville
d'un curieux musée, à des prêtres comme Soulastre
(nous avons peine à croire qu'il s'agisse d'un simple
homonyme du vicaire, général de l'évêque Minée), en
— 245 —
même temps qu'à des hommes du peuple faisant partie
du petit commerce : Thomas, un huissier; Huet,
tonnelier ; Julien, cuisinier ; Cantin, batteur d'or ;
Barrié, perruquier. Tous les rangs étaient confon-
dus, autant et plus que dans le Gouvernement
de 1848, qui associait au nom de Lamartine celui
de l'ouvrier Albert, et dans le Conseil municipal de cette
même ville de Nantes, où siégeait après la guerre de 1870,
le mécanicien Poidras à côté du grand armateur Gabriel
Lauriol. A ce propos, notre liste de notables comprend
un Babin aîné près d'Antoine Crucy, père, je crois, del'ar-
chitecte Mathurin Crucy qui éleva, avec Ceineray, les
plus beaux monuments de la ville, et de Laënnec, que j'ai
déjà rencontré aux établissements hospitaliers. Bachelier
était le futur et très ardent membre du Tribunal révolu-
tionnaire, que Dugast-Matifeux assista à ses derniers
moments, le jour même où le duc de Nemours était reçu
officiellement à Nantes. Je trouve ou retrouve Chiron,
Vilmain, l'avoué, Barré, Danglas,qui avait un descendant
dans l'administration des tabacs en 1860 ; Hardouin
père, Bosier, Giraud, Petit-Desrochettes, porteurs de
noms bien nantais; Fouré jeune, qui s'apparentait
sans doute à une célébrité médicale d'autrefois, et le
capitaine Bridon, probablement capitaine au long cours.
Si je mets à part Chanceaulme, député du Tiers-Etat
aux Etats Généraux de 1789, c'est qu'il avait à son actif
un projet de souscription patriotique en faveur des
jeunes employés du négoce qui « prendraient les armes
pour marcher sous l'étendard de la Patrie ». Ce projet,
présenté à la Société des amis de la Constitution, le
28 janvier 1791, portait les signatures de plusieurs négo-
ciants, Nau, Boucard, Le Moyne, Mosneron, Haentjens,
Bonamy, Van Neunen, Genevois, Grignon, Dobrée; il
avait bien Chanceaulme pour auteur, mais, en le reli-
sant, je vois que ses signataires font allusion à l'âge
et aux infirmités qui les empêchent de suivre le parti
des armes pour voler au secours de la patrie en danger.
— 246 —
Je crois donc que le Chanceaulme notable en 1792 était
le fils de l'ancien député aux Etats de 1788 ; je le crois
d'autant plus volontiers, que je démêle à la suite de son
nom un petit y qui signifierait junior.
Etat-Civil. Le célèbre édit de François Ier avait prescrit la tenue
régulière du registre des paroisses et créé l'état-civil.
Jusqu'en 1792, c'est à dire pendant plus de deux cent cin-
quante ans, le clergé seul enregistra les naissances, les
mariages, les décès, ce qui réalisait un progrès immense
sur l'ancien état de choses, purement arbitraire. Malgré
de nouvelles ordonnances royales, malgré les vérifica-
tions fréquentes des commissaires du contrôle, bien des
lacunes existaient dans les registres des curés ou des
pasteurs — car les ministres protestants, sauf à l'époque
de la Saint-Barthélémy et à celle de la Révocation de
l'Edit de Nantes, faisaient les mêmes inscriptions que leurs
confrères catho'iques. Quand aux juifs, mis sans pitié
hors la loi, ils n'eurent pas d'état-civil officiel sous l'an-
cien régime. La Convention modifia cet ostracisme. Elle
avait proclamé les droits de l'homme, elle reconnut l'éga-
lité des citoyens devant la loi. Elle institua des officiers
de l'état-civil et les investit des prérogatives retirées
aux prêtres dans le ressort de chaque municipalité, elle
prescrivit le dépôt à la Maison Commune des registres
des paroisses, qui constituèrent les plus précieuses des
archives.
Je note en passant que les actes religieux dressés par
les ministres du culte, parallèlement aux actes civils,
conservent une réelle autorité et peuvent rendre de
grands services. Lorsque les incendies de la Commune
de 1871 eurent détruit les actes de naissance de beau-
coup de Parisiens conservés à l'ancien Hôtel de Ville, ce
sont les actes de baptême qui ont servi à reconstituer
les premiers.
Revenons à Nantes. Le classement de l'immense
quantité de documents extraits des paroisses, la tenue
— 247 —
régulière des actes nouveaux , nécessitèrent , comme
partout ailleurs, l'installation d'un bureau de dépôt
et la création d'officiers publics pour constater l'état-
civil des citoyens. Aujourd'hui, chaque mairie affecte
simplement un de ses bureaux et un petit nombre de ses
employés aux déclarations de naissances, de mariages,
de décès. A l'époque qui nous intéresse, la tâche, nou-
velle pour les fonctionnaires qui en étaient chargés, était
aussi beaucoup plus vaste, car elle s'étendait au classe-
ment méthodique des milliers de pièces qui affluèrent
à la Maison Commune.
A Nantes, il avait fallu créer neuf officiers publics, La Ville divisée
un pour chacune des neuf sections dans lesquelles la en Sections.
ville était divisée, et un certain nombre d'auxiliaires.
Ces officiers devaient être désignés parmi les plus capa-
bles, et leurs noms sont à retenir en mêmetemps que ceux
des sections de la ville, plus nombreuses que les cantons
actuels (9 au lieu de 6).
La section de Saint- Jacques et Vertais, des Ponts,
dirions-nous à présent, et qui a formé le 6e canton,
avait pour officier public Babus, quai des Gardes-Fran-
çaises, redevenu quai Flesselles. Celle du boulevard
(quel boulevard ? sans doute le boulevard Delorme),
et de la Halle, se faisait inscrire chez Morel — pro-
bablement notre Morel, l'Américain de tout à l'heure, —
place Buffon, n° 7, ou place de Bretagne, comme nous
redirons à la mode ancienne. Bachelier, un des notables,
rue Contrescarpe, n° 30, était officier civil des sections de
La Force et Saint-Michel, et un officier municipal, qui
répondait au nom bizarre de Tourgouilhet, rue Versail-
les, des sections Saint-Similien et Saint-Léonard; Pré-
vost, rue Marchix (on dit plutôt rue du Marchix)
avait dans ses attributions les sections de Miséricorde
et de Sainte-Elisabeth; je m'étonne même que la section
ait gardé ce nom de sainte, alors que la place Sainte-
Elisabeth était devenue place Cosmopolite. Mais, mon
— 248 —
étonnement va redoubler en constatant que Soulastre,
l'universel et Pubiquiste, le Soulastre de la rue Cerutti,
(ancienne rue de l'Évêché) le premier des vicaires épis-
copaux, l'aumônier de la Garde Nationale, cumule
tant de fonctions avec celles d'officier des sections
de Saint -Pierre et Saint -André. Après tout, ce
choix était excellent ; il appartenait à un ministre
du culte de débrouiller mieux que personne l'écheveau
confus des documents de famille conservés à la Cathé-
drale même. Trois officiers publics me restent à
nommer : Antoine Crucy, maître-charpentier, père de
Jean et Mathurin, architectes voyers de la ville, rue Fo-
lard (ex-rue Saint-Léonard, rebaptisée ainsi du nom
d'un simple écrivain militaire), pour les sections de
l'isle Feydeau et Sainte-Croix ; Godin aîné, à l'Her-
mitage, pour les sections du Sanitat et de l'Hermi-
tage; Bréard, rue Sarrasin, près Saint-Semilien (sic),
pour les sections de Saint-Donatien et Saint-Clément.
On remarquera une fois de plus que ces divisions
municipales administratives de la ville sont absolu-
ment calquées sur les anciennes divisions ecclésias-
tiques, provenant elles-mêmes des divisions gallo-
romaines. C'est le territoire des paroisses, et même des
paroisses telles qu'elles existaient avant la suppression
de certaines d'entre elles, qui borne les sections. Pendant
bien des siècles, le clergé avait façonné toutes les choses
de Nantes à son usage et à son image : la Révolution
amoindrit son influence sans la détruire; sous la Res-
tauration, il remit sa main puissante sur la ville. Mais,
dans l'intervalle, l'administration impériale avait défi-
nitivement substitué, aux sections modelées sur les pa-
roisses, la division actuelle des cantons.
PremièreMairic
républicaine.
Après la nomenclature des officiers de l'État-Civil,
nous retrouvons à son poste de la Maison Commune
le greffier Menard. Il a trois commis : P. Mauclère,
J. Petit et J. O'Sullivan aîné. Ce dernier, Irlandais
— 249 —
•
d'origine, va jouer un rôle important et des plus honora-
bles dans les tragiques événements dont Nantes sera le
théâtre sous le proconsulat de Carrier; les historiens de
la Révolution, Guépin, Michelet lui-même, le citent avec
éloges. De nouvelles subdivisions apparaissent. Une
section des travaux publics comprend quatre officiers
municipaux : Lecadre, Douillard, Pecot, Henry; trois
autres, Hardy, Colas, Van Neunen junior, sont à la section
des subsistances. Delahaye, Tourgouilhet, Prévost,
dont les deux derniers sont par surcroît à l' Etat-Civil,
occupent la section de comptabilité; Gaudin, Brière,
Bellot, celle des impositions.
La mairie avait en somme, sous le régime de la Con-
vention Nationale, des attributions aussi variées que
multiples avec un lourd fardeau de responsabilités. Un
« nota » glissé à la fin de ces listes de noms et énumérations
de charges nous apprend que les « déclarations concer-
nant la vente des grains se reçoivent à la Maison Com-
mune ». Les employés pouvaient être nombreux; ils
devaient l'être à peine assez pour suffire à des tâches
pareilles. La question des émoluments ne peut malheu-
reusement, faute de pièces comptables, être résolue.
Mais il semble logique d'admettre que, si les officiers muni-
cipaux et les notables exerçaient leurs fonctions gratui-
tement, plusieurs d'entre eux, employés à l'État-Civil
ou aux services annexes, avaient un traitement.
La police municipale avait joué déjà, devait jouer Police.
surtout, un rôle très important dans les affaires publiques.
Les audiences, moins nombreuses que ne sont aujour-
d'hui celles du tribunal de simple police, se tenaient à la
Maison Commune, les mercredis et jeudis, à « 5 heures
précises de relevée ». Le tribunal comprenait le maire
Baco, président, le premier officier municipal Lecadre,
vice-président, et, comme assesseurs, quatre autres
officiers municipaux, Godebert, Morel « Américain »,
Darbefeuille, Barré, ministre. Il y avait encore le pro-
— 250 —
cureur de la commune, Dorvo, son substitut, Nouel, le
secrétaire-greffier, M. L. Ménard, le commis-juré Tesso,
deux huissiers, Lemeunier, Jeusier.
Bien des documents durent émaner de la police muni-
cipale au cours des années 1792, 1793. J'ai retrouvé deux
affiches très intéressantes. L'une, signée J.-M. Dorvo (ce
qui prouve bien qu'il n'y avait pas identité entre le pro-
cureur de la Commune et Hyacinthe Dorvo, l'auteur
dramatique), enjoint à tous propriétaires, principaux
locataires, logeurs, etc., de faire afficher à l'intérieur de
leurs maisons, dans un endroit apparent et en caractères
bien lisibles, les noms, prénoms, surnoms, âges et pro-
fessions de tous les individus résidant dans lesdites mai-
sons. Recommandé aux futurs collecteurs de l'impôt
sur le revenu, d'autant plus que tout rentier était obligé,
dès lors, de mettre dans la colonne des professions les
mots : « vivant de ses rentes ».
En ce même mois d'avril 1792, l'infatigable Dorvo,
toujours sur la brèche, signe un placard d'un genre tout
différent, pour rassurer les habitants, inquiets, à bon
droit, de la tournure prise par les événements, et les
informe qu'il y aura foire à Nantes, comme de coutume,
le 25 avril. On sait que les fêtes des Quatre Évangélistes
étaient et sont encore jours de foire : la Saint-Marc tombe
le 25 avril.
La haute police municipale se complète par les com-
missaires de police de quartiers. Avec les noms de ces
officiers publics, les Elrcnnes nous donnent ceux des juges
de paix, qui étaient six, un par canton, comme on disait
déjà. Les commissaires de police, au nombre de six égale-
ment, étaient placés sous les ordres d'un commissaire
central ou « commissaire inspecteur», nommé Bar. Ils
avaient chacun dans leurs attributions trois sections
dédoublées, chacune des neuf sections ecclésiastiques
et civiles étant, au point de vue judiciaire, divisée en
deux. C'étaient Albert fils, pour les 13e, 14e et 15e sec-
tions, canton du juge de paix Cormier, rueJuiverie;
— 251 —
Lambert, pour les 4e, 5e et 6e sections, canton du juge
de paix Chaillou, rue Pope(ex Saint-André); Fleurdepied,
pour les 10e, 11e et 12e sections, canton du juge de paix
d'Havelooze, l'ancêtre, sans doute, de l'armateur, qui
habitait une rue bien pittoresquement nommée de la
Fouasserie ; Ruelle, pour les 7e, 8e, 9e sections, canton
du juge de paix Débourgues ; Boscheron, pour les 16e,
17e, 18e sections, canton du juge de paix Dupuis;
Bouion Saint-Aubin, pour les lre, 2e,3e sections, canton
du juge de paix Abraham, rue Delille (ex Cloître Notre
Dame). Cette organisation n'a que très peu varié. Il
n'est pas jusqu'au nom israélite du dernier juge de paix
Abraham qui ne semble une concession aux idées du
jour. Mais tous les Abraham, y compris l'aquafortiste
vitréen Tancrède Abraham, ne sont pas juifs.
Les Nantais d'alors, comme ceux d'à présent, possé-
daient un receveur municipal dit « trésorier de la ville ».
Il s'appelait Mouton et demeurait isle Feydeau. Après le
trésorier, et non moins arbitrairement placés que lui
dans le paragraphe de la police municipale, figurent les
architectes voyers de la Commune. L'architecte voyer
Crucy aîné (Jean) ne pouvait être mieux choisi : c'est lui
qui avait construit le pont Rousseau et le pont Maudit.
Quant à l'inspecteur-voyer, dont l'adresse est bizarre-
ment donnée « à la Comédie » où plus tard ils habitèrent
de tradition comme M. Driollet, il avait succédé à Demo-
let ; c'était ce Fournier, intéressant personnage que nous
avons déjà trouvé sur notre chemin. Archiviste très
savant pour son temps, classeur des archives municipales,
auteur d'une Histoire lapidaire de Nantes et une Histoire
des Antiquités de Nantes, en 4 volumes in-f°, ouvrages
manuscrits offerts à la Bibliothèque de la ville par sa
veuve, à laquelle, en 1814,1a ville acheta son seul héritage,
ses tableaux, ses dessins et gravures, il eut une attitude
énergique devant les spoliateurs de la Cathédrale et un
rôle courageux au moment de l'émeute girondine. Il ne
Recette
municipale.
— 252 —
pouvait manquer de faire partie des 132 Nantais. Des
renseignements qui me parviennent au cours de ce travail
et l'autorité de la Bio-Bibliographie bretonne de M. de
Kerviler me permettent d'affirmer que Pierre-Nicolas
Fournier n'était pas Breton, mais Parisien, né le 2 mai
1747.11 mourut en 1814 et laissa une épitaphe drolatique,
composée par lui-même :
Légiste et financier
Et moine et cavalier,
Artilleur, fantassin.
Ingénieur, marin.
Commandant, prisonnier,
Vétéran, citoyen,
Académicien,
De Nantes antiquaire,
Voyer, pensionnaire,
Sans fortune et sans bien.
Après Mouton, Crucy et Fournier, les Etrennes dési-
gnent le trompette de la ville Gautier, domicilié à la Mai-
son Commune. Ce Gautier, qui annonçait à son de
trompe les réunions publiques et les objetsperdus, était-il
l'ancêtre du trop célèbre Gautier, des Hospices, qui fit
partie, quelques mois après, de la municipalité Renard ?
La chose n'aurait rien d'étonnant.
LA GARDE NATIONALE.
POMPIERS ET ARTIFICIERS.
La Garde Avec la Garde Nationale de Nantes, ses deux légions,
nationale. ses qUinze bataillons, nous entrons dans le chapitre le
plus intéressant des Etrennes, celui qui nous donnera le
plus de précieux détails sur les familles et les individus.
Tous les citoyens de marque tenaient à honneur d'être
gradés dans la Milice Nantaise, organisée depuis deux ans
déjà. Leur liste est aussi documentaire que celle des
membres de trois ordres, qui concoururent, en 1788, à la
fête patriotique donnée sur les cours. Le « Tout Nantes »
se retrouve là, à quatre années de distance.
Le chef d'état-major général de la lre légion était
— 253 —
Pierre Jean, dit Piter, Deurbroucq, d'une ancienne
famille originaire de Hollande. Il avait succédé au bouil-
lant et remuant Coustard, quand celui-ci fut nommé
député à la Convention. Il avait des armoiries. Son père
avait été consul secrétaire du Roi, juge consulaire. Lui-
même avait exercé ces fonctions de consul, héréditaires
dans la famille, et il était président du Conseil d'Adminis-
tration de la Garde Nationale avant de devenir chef de la
première légion. Ce n'était pas un officier de carton, il le
prouva en contribuant courageusement à la défense de
Nantes en 1793. Je n'ai pas à suivre les brillantes étapes
de sa future carrière : commandant de la Garde d'hon-
neur impériale de Nantes, baron de l'Empire en 1809, élu
député au Corps Législatif par le Sénat conservateur, en
1810, chevalier de Saint-Louis en 1814. Il habitait, dès
l'époque des Etrennes, et il habita jusqu'à sa mort, sur-
venue en 1831, sur l'île Gloriette (dont la Révolution
avait fait, je ne sais pourquoi, la rue Gonneville), la belle
maison de granit, connue sous l'appellation d'Hôtel
Deurbroucq, où son fils, dernier du nom, aimable vieil-
lard, auteur d'un volume de Fables, résidait encore
vers 1865. Le portrait en profil de Piter Deurbroucq
existe dans la collection de portraits au Physionotrace,
de Quenedey; il donne l'impression d'un homme distin-
gué, aimable, d'humeurconciliante, tel, enefîet, quenousle
révèle sa vie publique et que nous le peint un discours du
5 mars 1791, où il s'efforce de contenter tout le monde.
L'adjudant-général de la première légion était L. Du-
feu, carrefour Casserie, et le sous-adjudant J.-B. Lacour,
place de l'Égalité. M. de Kerviler a donné la biographie
très complète du garde national Dufeu.
L'organisation de la Garde Nationale datait de la Les Vétérans.
période héroïque de 1789. Elle était imbue du patrio-
tisme un peu pompeux que la prise de la Bastille avait
infusé dans le sang français. A Nantes — et je crois bien
qu'il en était de même ailleurs — elle comprenait, avec
— 254 —
les sept ou huit bataillons de chaque légion, un bataillon
hors cadre dit « des Vétérans », organisé en 1790 et sub-
divisé en quatre compagnies que l'on désignait, pour
accentuer leur caractère pacifique, sous les noms de
plusieurs Compagnies La Prudence, La Persévérance,
L'Harmonie, La Sagesse. Ainsi étiquetés, les Vétérans
semblaient plutôt affiliés à une confrérie religieuse ou
à une loge maçonnique qu'à une milice appelée à
défendre ses foyers.
Un commandant, un commandant en second, un
adjudant et un porte-drapeau, constituaient l'état-major
du bataillon des Vétérans. Ils s'appelaient : Dehergue;
Bonnement, lignée, au xixe siècle, de capitaines au long
cours et d'armateurs; Pimparay ou Paimparay, d'une
famille de maîtres monnayeurs ; Guépin cite Pimparay
comme figurant à la fête du Bonnet rouge, le 15 avril
1792; il portait une pique surmontée du bonnet de la
liberté et fit partie du cortège de la Municipalité qui se
rendit à Saint-Pierre pour assister à une messe. Aux
Jacobins, il y eut un banquet. Le soir, accompagné des
12 fusiliers de la Garde Nationale, il entra au théâtre,
dirigeant la manifestation, et fut accueilli par un discours
de Hugues Hardouin, après que le drapeau et le bonnet
rouge furent déposés sur la scène, puis attachés par les
acteurs aux colonnes de l'avant-scène, et la représen-
tation continua par le Devin du village et Biaise et Babet.
Le dernier officier d'état major, nommé Ferrand, était
marchand de « fayance»àla Fosse, N° 79, et devint un des
notables de la mairie Benard; il rappelle le nom du four-
nisseur de l'armée en 1870.
Dans la compagnie « La Prudence », je trouve, avec
F. Hardi, dont le nom s'est perpétué à Nantes, Denis
Philippe aîné, sous-lieutenant en 2e; Ducommun,qui m'a
tout l'air d'être proche parent du chirurgien de la marine
en 1 820 et du statuaire Ducommun du Locle, né à Nantes
en 1804, auteur de la Cléopâtre du Musée et des statues
de !a fontaine monumentale de la place Boyale, à
— 255 —
Nantes. Pêle-mêle dans les trois autres compagnies,
voici: un Safïré, qui me fait souvenir que la famille
noble de Saffray se dit originaire d'un bourg de l'ar-
rondissement d'Ancenis portant le même nom ; un
Gaborit, dont les descendants ou du moins les homo-
nymes sont nombreux à Nantes ; un Couillaud qui
pourrait avoir autre chose que le nom de commun avec
un ancien banquier de la rue d'Orléans, associé avec
M. Grassal, et dont le fils, M. Couillaud de la Rive, est
également banquier. Je ne m'arrête pas plus à Giraud
qu'à Dubois ou à Duval, ces trois noms étant monnaie
courante. Camproger est plus rare; avant d'avoir renj
contré un imprimeur à Paris, je connaissais l'existence
d'un inspecteur de la Compagnie d'Orléans à Nantes,
devenu, depuis sa mise à la retraite, administrateur de
Pen-Bron, qui vient de mourir à Nantes^ le 30 Mai 1909,
âgé de 80 ans, et qui devait être le descendant de
Camproger, lieutenant en 1er de la Compagnie « La
Sagesse » et demeurant rue des Oubliettes. On ne s'at-
tendait guère à voir la Révolution conserver cette rue,
à moins que ce ne fût pour flétrir le souvenir qu'elle
rappelait.
Chaque bataillon comprenait, avec son état-major,
uniformément constitué comme pour les Vétérans, une
compagnie de grenadiers, quatre compagnies de fusi-
liers. Je passe en revue, c'est le cas de le dire, tous ces
braves gens et ne puis que citer au passage : un Renard,
probablement le futur maire; un Crucy, cumulant son
métier d'architecte avec son devoir de garde national,
même de capitaine de sa compagnie; un Giraudeau, que
M. de Kerviler ne compte pas parmi les ancêtres du
brillant avocat conservateur de nos jours. Mais il faut
s'arrêter devant Meuris, un simple ferblantier, demeu-
rant Haute-Grande-Rue, et qui commandait le second
bataillon. Le 29 juin 1793, à la tête de 5 cà 600 volontaires
nantais, ce Meuris défendit la ville de Norl contre 4.000
Soc. Archéol. Nantes. 1?
Les bataillons.
— 256 —
Vendéens et perdit presque tout son effectif avant de céder
un pouce de terrain. Chassin parle de la « valeur héroï-
que » de ce chef improvisé, et je comprends que Nantes
ait donné le nom du ferblantier à l'une de ses rues.
Meuris, originaire des Pays-Bas, était marié à une
Nantaise. Jacobin convaincu, il fut tué plus tard en duel
par Nourrit, girondin, capitaine de la Légion nantaise.
Continuons. Mais nous ne pouvons, comme Homère,
accoler une épithète à chacun de nos personnages, de nos
capitaines ou lieutenants, adjudants ou porte-drapeaux,
dont l'énumération deviendrait fastidieuse, Il faut se
borner à quelques-uns d'entre eux, laissant de côté un
lot considérable de Garnier, de Dupont, de Fleury, de
Thibault, de Martin. J'en passe et des moins notables.
Lamy, capitaine de la 2e compagnie de fusiliers du
second bataillon, ne doit pas être étranger à des Lamy,
associés aux Petitjear et fort connus plus tard dans le
négoce nantais. Il demeurait rue Abailard (pourquoi
n'avoir pas laissé à la rue Haute-du-Château, devenue,
depuis quelques années, rue Mathelin-Rodier, le nom du
grand philosophe nantais, stupidement ridiculisé?) Il a
pour collègues et voisins Pelé aîné, qui s'appelle comme
un ancien notaire de la place Royale, et Emeriau, qui
porte le même nom que Maurice Julien Emeriau, né à
Carhaix, en 1762, promu vice-amiral vers 1812, mis à
la retraite à la Seconde Restauration, pour avoir accepté
de faire partie de la Chambre des Pairs créée pendant
les Cent-Jours. De telles coïncidences sont rarement
fortuites.
A la 3e compagnie du même bataillon, le capitaine
Trioche (ne lisons pas Tricoche, qui demanderait Caco-
let) a sous ses ordres le lieutenant Durocher. Celui-ci
mériterait de nous arrêter, si nous ne savions que Léon
Durocher, le barde breton montmartrois, le pentyern
des fêtes de Montfort-1'Amaury, se nomme Léon
Duringer; notre Durocher descend sans doute d'un
maire de Nantes en 1747, qui était en même temps
257
colonel de la milice bourgeoise et que l'excellent Perthuis
n'a eu garde d'oublier dans son Livre Doré.
Kerhervé, capitaine de la 4e compagnie des fusiliers,
demeurant rue Caylus (autrefois des Cordeliers), m'intri-
gue iin peu. Il porte un nom doublement breton, d'appa-
rence aristocratique, mais que je ne trouve point dans les
nobiliaires.
Le commandant du 3e bataillon, M. Mulonière, eut-il
des descendants qui s'appelaient de la Mulonnière?
Dans son bataillon, je relève les noms bien nantais de
Burgevin; Hamard ; Trotreau (il y eut de ce nom un
architecte, rue Crébillon, et un chapelier, place Royale,
au milieu du xixe siècle); Ernest, que portait undes
membres du Conseil municipal de 1871; Buron, vieille
famille nantaise, où on retrouve plus tard, en 1829,
un médecin à Machecoul, un géomètre à Sainte-Pazanne,
après un architecte et un capitaine au long cours et
maintenant, à Paris, un dentiste, son fils, membre du
Comité de l'Association parisienne des anciens élèves
du Lycée de Nantes ; Thomas, qui eut des descendants,
dont un courtier de marchandises, je crois; Gullman;
Tranchevent. Nous avons un P. Bonami, rue Montfort,
n° 13, membre de cette dynastie de Bonamy qui a
compté, depuis le botaniste, auteur de la Flore Nantaise,
au xvme siècle, et compte encore tant de représentants.
P. Mouton n'est pas le trésorier de la ville; il habite
quai Forbin, l'autre île Feydeau.
Au 4e bataillon, un Debais, qui peut très bien, malgré
la différence d'orthographe, s'apparenter aux sculpteurs
et peintres Debay , ou à Victor Debay, l'éminent critique,
fils d'un fabricant de chocolat de la rue des Arts; un
Dubern fils, que je croirais bien, malgré l'apparente
différence des conditions entre un porte-drapeau du
bataillon des Ponts et un grand négociant, le fils du
directeur de la manufacture d'indiennes, un des douze
députés du Tiers-État en 1788. Autres noms nantais de
— 258 —
ce même bataillon : Branger, Langevin, Faligan, Lemoine,
Mauriceau, Vrais, Oullard.
Le cinquième bataillon était celui du quartier Saint-
Clément. Sous les ordres du commandant Marchais,
rue Démosthène, j'y vois figurer un Huard, d'ancienne
souche créole, un Delalande, un Guillemet. Les horti-
culteurs et jardiniers étaient dès lors nombreux dans ce
quartier voisin de la campagne. P.-Ch. Legendre, rue
Maupertuis (ou des Carmélites), ne serait-il pas l'ancêtre
de feu Legendre, directeur du Jardin des Plantes,
architecte et archéologue, qui avait entrepris un grand
ouvrage sur ce beau jardin ? Pépiniéristes ou ancêtres
de pépiniéristes, les Cottineau, les Fouloneau et
surtout les Potiron, les Poirier, dont les noms ont
des saveurs de légumes ou de fruits, Les Fruchard de
l'époque révolutionnaire, que cite le Livre Doré, sont
un François, échevin, nouveau consul, notable, et un
Juste, négociant; celui des Etrennes a un L pour ini-
tiale de son prénom, et, si je ne puis l'identifier avec
aucun des deux précédents, au moins était-il de cette
famille nantaise connue dès le xvne siècle. Avant de
quitter le 5e bataillon, j'y note la présence de M. Pelletier,
route de Paris, lieutenant de la 4e compagnie; l'aimable
trésorier de l'Association parisienne des Anciens Cama-
rades du lycée de Nantes, dont le nom s'orthographie
exactement de la même façon et dont la famille habitait
le même quartier, reconnaîtra-t-il en lui l'un des siens?
Le 6e bataillon, qui se recrutait au carrefour de la
Casserie, au Pilory, au Boufîay, offrirait aux vieux Nan-
tais bien des observations intéressantes et aussi des
« sujets » de marque, tels que le 1er sous-lieutenant de la
compagnie de grenadiers, G.-M. Orieux, dont un descen-
dant, M. Eugène Orieux, a écrit des volumes de vers et de
sérieux ouvrages sur la ville de Nantes, dont il était le
très distingué agent voyer, tels aussi que M. Guimard, un
parent de l'auteur des Annales Nantaises, que Lourmand
cl Langlois, chefs ou représentants de familles bien con-
259
nues dans l'industrie locale, ou que F. Guillet, homo-
nyme du Bibliothécaire de 1820 et de mon excellent
ami le publiciste Léon Guillet. Mais l'aigle de ce batail-
lon était le capitaine de la 2e compagnie de fusiliers,
J. O'Sullivan, qui habitait rue Gaudine. J'ai déjà salué
au passage cet Irlandais, qui donna le plus noble gage
d'affection à sa ville d'adoption, Nantes, en em-
pêchant d'être fusillés les 132 Nantais arrêtés
par ordre de Carrier. C'est ici l'occasion de rap-
peler que, comme officier de la garnison, il fit partie de
la petite troupe commandée par le ferblantier Meuris,
qui défendit Nort contre les Chouans. Grièvement blessé,
il eut à l'adresse des camarades qui regagnaient Nantes ce
mot digne de ceux que Plutarque a rapportés : « Nous
restons ici, nous mourrons pour la liberté ; dites aux
Nantais d'en faire autant ». Les contemporains attestent
que, chez O'Sullivan, la beauté du visage égalait celle de
l'âme.
Le 7e bataillon, des quartiers du Port-Maillard et de
Richebourg, n'était pas. complètement organisé quand
les Etrennes parurent; l'état-major n'avait ni comman-
dant en second, ni porte-drapeau. Le commandant du
bataillon était ce Carié, déjà rencontré, qui n'avait aucun
lien de parenté avec le proconsul auvergnat. Je note le
capitaine C. Saint-Omer, qui demeurait à la barrière
Richebourg, et dont le nom se retrouve plus tard comme
raffineur associé aux Barré (Saint-Omer et Barré),
nom porté à Nantes, entre autres, par deux avoués, sous
l'Empire et la Restauration ; le capitaine Barrier, les sous-
lieutenants Guichet, Herpin, Gueffier, Gerbaud ; tous ces
noms ont une vraie couleur locale ; il y a encore
plusieurs Guichet à Nantes; un littérateur connu, du
pays malouin, s'appelle Herpin ; quant à Gueffier,
c'était, il y a trente ou quarante ans, le nom du coiffeur
le plus élégant de Nantes, place du Pilori ; enfin,
M. Gerbaud, ancien zouave pontifical, demeurant à
Thouaré et à Legé, dirige à titre gracieux, .es travaux
— 260 —
du Calvaire de Ponlcliâteau. Quant à P. Chaux, lieu-
tenant d'artillerie de la compagnie de grenadiers, l'ini-
tiale de son prénom ne me permet pas de l'assimiler à
Etienne Chaux, qui joua un rôle très important sous la
dictature et dans le procès de Carrier.
Deuxième La deuxième légion de la Garde Nationale avait
Légion. à nujt bataillons au lieu de sept. Son chef d'état-major
général, C. Bouteiller, à Gigan (sic), appartenait à une
ancienne et nombreuse famille, bretonne d'origine, plus
connue sous le nom de LeBouteiller ou de De Bouteiller.
Il avait pour adjudant général un inconnu, Chandoux,
pour sous-adjudant, Guillemet jeune, un des jacobins
qui dételèrent la voiture des représentants du peuple
prêts à quitter la ville au moment de l'attaque
des Vendéens. Au premier bataillon, je trouve plus d'un
Nantais de vieille date et de bonne souche, Coiquaud fds,
rue Bayle, commandant en second , parent de l'orato-
rien Fouché; Daviau, issu d'une des nombreuses
familles bretonnes de ce nom, qui n'ont, d'ailleurs,
aucune espèce de rapport avec la très ancienne
famille poitevine d'Aviau, seigneurs de Piolant et de
Ternay ; Poisson, aïeul, peut-être, de deux Nantais
fort connus à l'heure actuelle, le chirurgien Poisson
et M. Poisson, ancien notaire, directeur de La Nationale;
Bridon, dont descendent probablement Me Bridon,
ancien notaire à Pornic, et son fils Joseph Bridon,
dit Brydon, peintre et critique d'art à Paris ; Chauvet;
fit-il souche d'une famille créole à laquelle se rattachait
mon vieil ami, le fin poète Paul Chauvet. Le lieutenant
de la lre compagnie de fusiliers était un tout jeune
homme du nom d'Omnes, décoré d'une médaille d'or par
Louis XVI pour avoir sauvé deux voyageurs entraînés
sous la glace et affublé d'un surnom, en qui se
résume, comme l'a dit Pitre Chevalier, « la pensée
révolutionnaire »; tout le monde l'appelait Omnes
Omnibus. Le Galipaud, qui figure comme armurier à
— 261 —
la 4e compagnie, ne serait point, d'après M. de Ker-
viler, un homonyme fortuit de l'acteur comique, notre
contemporain; il y a eu autrefois à Nantes des chanoines
et des architectes de ce nom ; à Pornic, un escalier
Galipaud, rappelé le célèbre curé de l'époque révolu-
tionnaire.
Gallway, commandant du second bataillon, maison
Durbé, n'est cité nulle part; son nom indique une origine
anglaise. Notons que dans la maison Durbé, au quartier
de la Fosse, demeuraient d'Angers, sous-lieutenant de
grenadiers; M. Aubin, sous-lieutenant de la 4e compagnie,
ancêtre tout désigné de l'avocat Antony Aubin. Quel-
ques adresses sont à retenir: L'entrepôt des caffés, pour
S. Dumais ; Chezine (on disait « à Chezine) », pour
A. Bourmand ; le coto (sic) Miseri, pour J. Baudet. On
n'avait pas perdu de temps en créant une rue Baco ;
P. Lebœuf y habitait, au n° 4. M. Haentjens, Flamand
d'origine, dont le nom reviendra souvent plus tard dans
l'histoire du haut commerce nantais, commandait la
4e compagnie et demeurait quai Chaussay (?), n° 3.
Peu de remarques r faire sur le troisième bataillon,
commandé parBinet. Tardiveau, Garreau y représentent
le vieux Nantes. Un Van Neunen y fait son apparition;
nous en avons trouvés, nous en trouverons d'autres. Il y a
eu au milieu du xixe siècle un arbitre de commerce
nommé J. Joux, comme le lieutenant de la 4e compa-
gnie.
Vasseur, sous-lieutenant de la lre compagnie,
G. Lahaye, lieutenant de la 3e du 4e bataillon, avec
S. Adam, deuxième sous-lieutenant de la 3e, demeu-
raient dans la rue Cazanove (ancienne rue Saint-Lazare),
aujourd'hui rue des Hauts-Pavés. Ce bataillon livre
encore les noms, familiers aux oreilles nantaises, de
M. Landais, P. Langlois père, J. Fonteneau et celui de
A. Saveneau, qui signait, un peu plus tard, comme
greffier en chef de la mairie, une affiche enjoignant à tous
les citoyens français ou étrangers de présenter au com-
— 262 —
missariat de police leurs passeports le jour de leur arrivée
« ou le lendemain s'ils arrivaient tard ». Il y avait encore,
de mon temps à Nantes, deuxVanXeunen. Il y en avait da-
vantage en 1792: Van Neunen jun ior, commandait le cin-
quième bataillon. Parmi les officiers qu'il avait sous ses
ordres, je trouve, avec deux Perruchau, habitant au
Bignon-Lestard, le fds, sous-lieutenant de grenadiers,
le père, capitaine de la 3e compagnie de fusiliers, un autre
Van Neunen fds aîné, rue du Chapeau-Rouge, n° 2.
Pierre-Marie Fournier, domicilié, comme nous l'avons
vu, « à la Comédie », se détournait de ses devoirs civils
pour commander le sixième bataillon. Il avait pour
adjudant L.-L. Bataille, demeurant près la Corderie,
rue Rubens, que Léon Brunschwlcg, dans ses Ephémé-
rides Nantaises, donne comme le grand-père du chanteur
célèbre, qui mourut sous-préfet d'Ancenis. Dans son
bataillon, je remarque un Drouin, un Hubert, un J. Mary,
qui habite « maison Graslin », et un P. Coustard, 2e sous-
lieutenant, que son prénom m'interdit de confondre avec
le jeune Hercule, fds du député et l'un des plus ardents
patriotes de la jeunesse nantais".
L'Allemand Wieland, chef du septième bataillon,
eut une triste fin. On ne lui tint pas compte de ses faits
d'armes devant Machecoul, qu'il reprit, en avril 1793,
à la tête des grenadiers de la Garde Nationale nantaise.
Ayant capitulé dans Noirmoutiers, il fut accusé de tra-
hison et fusillé en même temps que d'Elbée, quoique
celui-ci eût affirmé qu'il n'était pas de connivence avec
les royalistes. Ce tragique épisode a inspiré au peintre
Le Blant son beau tableau du Musée de Nantes. Wieland
avait pour adjudant Grandmaison, futur membre du
Comité révolutionnaire de Nantes et complice de Carrier,
dont il partagea le sort. Parmi ses officiers figurent :
Pierre-Frédéric Dobrée, le premier des Dobrée venus de
Guernesey à Nantes, consul des États-Unis, officier
municipal, négociant notable, que nous retrouverons
au commerce ; un Allemand qui fit souche nantaise,
-r- 263 —
Schweighauser: un Favre ; un Nourry ; un Fourcade,
dont les descendants ont marqué et existent encore ;
P. Saradin, le plus ancien que je connaisse de cette
lignée de vieux républicains nantais, et qui, parfumeur,
demeurait déjà rue Fosse, 19.
Groleau, capitaine de la compagnie de grenadiers,
Rozier ; un autre Grandmaison ; Delpech; A. Leduc,
officier, plus tard, de la Grande Armée, sous Napoléon Ier,
et dont le vrai nom était Girard, ancêtre des deux
peintres nantais et de l'éditeur de musique parisien,
sont les officiers qui m'ont le plus frappé par les sou-
venirs nantais que leur noms évoquent dans le huitième
bataillon, le dernier de la deuxième légion et de toute
la Garde Nationale.
La Garde Nationale à cheval, composée de deux com-
pagnies, complétait l'effectif imposant des gardes natio-
nales nantaises. Je regrette de ne pouvoir décrire son
uniforme et son équipement, que l'on peut, je crois,
retrouver aux archives municipales et qui devaient, si j'en
juge par cette simple indication : « compagnie houpette
rouge — compagnie houpette bleue », ne pas manquer
de panache. Plaisanterie à part, et sans même rappeler
que le portefaix Nicolas Leclerc, condamné au pilori
pour avoir volé, en 1792, un chapeau à houpette, avait dû
dérober le corps du délit à un membre de la Garde Natio-
nale à cheval, je me plais à déclarer que les cavaliers de la
milice eurent , comme les fantassins, une part glorieuse
dans la défense de Nantes. Leur commandant, Robineau,
Cours de l'Égalité, qui fut blessé à l'attaque de Nantes
en 1793, laissa des descendants, connus sous le nom de
Robineau de Bougon. Le 16 octobre 1790, à l'élection
du commandant en chef de la Garde Nationale, qui venait
d'être, en prévision de graves événements, renforcée de
plusieurs bataillons, il avait été en compétition avec
Coustard de Massy; il eut au premier tour de scrutin un
nombre de voix presque égal à celui de son concurrent,
Garde nationale
à cheval.
des Elèves.
— , 264 —
qui l'emporta définitivement au scrutin de ballotage.
Les deux compagnies que Robineau commandait en chef
comprenaient chacune un capitaine, deux lieutenants,
deux sous-lieutenants, un adjudant, trois maréchaux-
des-logis. Il y avait encore un trésorier, nommé Barbier,
dont le grade n'est pas indiqué, et, en guise de fanfare,
un trompette de la compagnie bleue, Boireau, qui logeait
au château, un trompette de la compagnie rouge, Mauris-
set. Les officiers n'ont rien qui les signale à l'attention,
sauf deux nobles appartenant à des familles citées
dans d'Hozier, Limoelan et Defrondat. Le fils de ce der-
nier vécut une partie de sa vie à l'île Maurice. Une vieille
demoiselle de Frondât, en qui le nom s'est éteint, est
morte à Nantes avant 1870.
En tête de la Garde Nationale, marchait le bataillon
des Vétérans; le bataillon « des Élèves», on a dit depuis
des « pupilles », fermait la marche. Il avait un comman-
dant de bataillon, Debreiène aîné, un adjudant, un porte-
drapeau, cinq compagnies, et, seul de l'arme, possédait un
tambour-major, le sieur Legrand, rue Delorme. Parmi les
officiers, quelques noms nouveaux m'attirent, ceux de
Métayer, de Lafargue, de Chaillou, de Poidras, que j'ai
vu porter concurremment par un richissime propriétaire,
M. Poydras de la Lande, et par un prolétaire, le méca-
nicien Poydras, conseiller municipal en 1871. Je trouve
aussi un Durassier, qui m'a bien l'air d'être le futur
secrétaire de la compagnie Marat, d'assez sinistre mé-
moire, en 1793. J'en aurai tout à fait fini avec la Garde
Nationale en mentionnant, d'après les Etrennes, le secré-
taire de l'état-major général, L. Labat, qui résidait au
secrétariat à la Halle Neuve — neuve en 1792, et
aujourd'hui renouvelée par le vaste bâtiment élevé
sur l'emplacement du marché Talensac.
En 1792, Nantes n'avait pas de troupes de ligne. Il
fallut que le représentant Coustard signalât au Comité
de Salut Public le danger de livrer la ville aux entreprises
de l'armée vendéenne pour qu'on se décidât, en juin 1792,
— 265 —
à lui envoyer une garnison. La garde nationale joua donc
le rôle le plus important dans les événements militaires,
et elle paya largement l'impôt du sang.
Pour la défense des côtes, elle pouvait se reposer sur
le corps des volontaires, ayant à leur tête le commandant
Guillaume Berthault, vieille famille nantaise, rue Con-
trescarpe, et un adjudant, Deslandelles, île Feydeau,
parent, je présume, de Guihery Deslandelles, associé
ou successeur de Colin, fondateur des conserves ali-
mentaires, prédécesseur de Philippe et Canaud, et appar-
tenant, peut-être, à la famille Veillet qui, à Moncon-
tour, en l'an IX, portait le nom de Deslandelles.
La compagnie Dugai-Trouin (sic) avait comme capi-
taine : Leprêtre ; la compagnie Jean-Bart : Le Chevert,
quai Forbin; et la compagnie Cassard : Wuibert.
A la différence des marins de la Vendée, ces volon-
taires marins de la Loire-Inférieure n'ont pas beaucoup
fait parler d'eux.
Volontaires
marins.
Il en est autrement des volontaires nationaux du
département ou Volontaires Nantais, qui, à peine consti-
tués, envoyaient à l'Assemblée Nationale, le 20 fé-
vrier 1790, une adresse où ils demandaient à être orga-
nisés de la même manière que le seront les gardes natio-
nales. Leur appel aux Pères de la Patrie, comme ils
disaient dans leur pompeux langage, fut entendu. Ils
eurent pour premier commandant en chef Coustard de
Massy; pour commandant en second Deurbroucq, qui,
mis d'abord à la tête de la Garde Nationale, furent
remplacés, en 1792, par Josmet la Violais et Guéné.
Vivait encore sous Louis XVIII le riche Deurbroucq,
décoré, devenu baron de l'Empire et membre de la
Société Académique.
Ils formaient alors une compagnie de grenadiers et
huit compagnies, mais ils n'avaient qu'un capitaine, un
lieutenant, un sous-lieutenant par compagnie, et un
Volontaires
nationaux à
St-Domingue .
— 266 —
effectif total qu'on peut évaluer à 500 hommes environ.
Leur commandant en chef de 1792 n'était pas le
premier venu. Jean-Louis-Gaspard Josmet (que les
Etrennes appellent par erreur Jonet) la Violais s'était
déjà préoccupé à Machecoul, son pays, de l'organisation
d'une garde civique avant de devenir à Nantes lieute-
nant-colonel, puis commandant du bataillon des Volon-
taires Nantais. En 1792, on l'envoya aux Sables-d'Olonne
réprimer les troubles de la région. Un peu plus tard, il
alla faire campagne avec une partie de sa troupe à Saint-
Domingue, où l'insurrection de Toussaint Louverture
venait d'éclater. Cette présence du chef des Volontaires
dans la grande île américaine explique une bizarrerie
apparente; les Etrennes indiquent Saint-Domingue
comme résidence de ces Volontaires, et j'avais cru d'abord
qu'un quartier de la ville pouvait, en raison des relations
commerciales de Nantes avec les Antilles, être désigné
ainsi. Josmet la Violais laissa à ses subordonnés l'hon-
neur de défendre Nantes; mais, de retour de son lointain
voyage, il devint, au cours de la guerre de Vendée,
général de brigade dans l'armée de l'Ouest, remporta
quelques avantages, mais eut le tort de se mettre mal
avec Hoche, contre lequel il écrivit un factum, qualifié
par un citoyen de l'époque de dégoûtant libelle. Sa mise à
la retraite d'office suivit de près. On voudrait mieux
connaître le personnage dont on n'a guère que les états de
services. Il était cousin germain de la femme de Charette,
une veuve riche, et beau-frère de Luminais, député de la
Vendée, ancêtre du peintre de ce nom. Il vivait encore
en 1822.
Aucun des officiers des Volontaires Nantais ne joua un
rôle important dans les nombreux faits de guerre de cette
période agitée. Je ferais une exception pour O'Sullivan,
sous-lieutenant de la 5e compagnie, si je croyais qu'il fût
le même personnage que J. O'Sullivan, le capitaine de
la 2e compagnie du 6e bataillon de la garde nationale; la
simple réflexion nous apprend que nous avons affaire à
— 267 —
un parent, modeste homonyme. Je n'ai pas rencontré
encore les noms de Bourgouin, de Tardy, de Chapelain,
de Le Roy, de Billard, de Portail. Celui de Marquis,
tambour-maître de la 8e compagnie, ne me semble
pas nantais; je ..vois dans Chassin qu'il était^porté par
un capitaine du 10e bataillon de la Meurthe. , Celui de
Perthuys, sous-lieutenant à la 3e compagnie, devait
intriguer à bon droit et pouvait intéresser directement
mon ami Alexandre Perthuis, à moins que ce distrait,
qui eût parfois rendu des points au Menalque de La
Bruyère, ne l'eût pas remarqué.
L'effectif militaire, déjà imposant du département de Gendarmerie.
la Loire-Inférieure, se complétait par la Gendarmerie
Nationale, composée de 18 brigades, chacune formée de
quatre gendarmes, un maréchal des logis ou un brigadier.
C'était peu, et la vieille plaisanterie sur les « quatre
hommes et un caporal » me revient en mémoire à propos
des Pandores nantais de 1792. Dumouriez avait pourtant
réclamé l'organisation, la multiplication des brigades de
gendarmerie et leur envoi aux frontières menacées. Il
avait obtenu peu de chose, et c'est seulement sous le
Directoire que l'ancienne maréchaussée, définitivement
transformée en gendarmerie, fut réorganisée dans les dé-
partements de l'Ouest. Notons que la gendarmerie était
alors partagée en divisions. Le colonel de la 5e division,
dont Nantes dépendait, résidait à Rennes et se nommait
Gardin. Il y avait un officier pour trois, quelquefois
deux, brigades, ce qui dénote un amour immodéré du
galon. Quelques noms de ces officiers sont à retenir :
celui, bien nantais, de Naudin, dont un descendant fut
banquier, celui de Mourain, signalé plus tard par Chas-
sin comme lieutenant de gendarmerie à Beauvoir et qui
me paraît ne faire qu'un avec Mourain de Sourdeval,
Surtout celui d'un Charette, capitaine à Château-
briant, sur lequel les biographes du fameux Ven-
déen ont négligé de nous renseigner, car il ne devait
— 268 —
pas être parent du célèbre général. La gendarmerie noir-
cissait déjà beaucoup de papier; elle avait son secrétaire
greffier, Bureau, le bien nommé, à Nantes.
Pompiers. Tjne rubrique très intéressante, et qui suit immédiate-
ment la Gendarmerie Nationale, est celle-ci : Officiers de
pompes à incendie de la ville de Nantes avec les différent
dépôts des pompes. Dans une ville industrielle, où le
risques d'incendie ne manquaient pas, on s'était préoc
cupé de bonne heure de porter remède au fléau. Dès le
xvie siècle, des confréries s'organisèrent dans ce but et
ce sont des religieux qui manœuvraient, jusqu'au milieu
du règne de Louis XV, les lourdes pompes à bras alimen-
tées par les seaux d'eau puisés à la rivière. Vers 1760, des
citoyens de bonne volonté forment une milice de pom-
piers ; en 1792, cette milice, organisée d'une façon
sérieuse, avait son capitaine inspecteur et ses capi-
taines de pompes. Elle avait aussi un uniforme, déjà
analogue à celui du casque légendaire dont les Etrennes
ne font pas mention, à celui que nous avons connu et
qui tend à se simplifier : habit bleu de roi, collet, pare-
ments et passepoil rouge, doublure et revers bleus,
passepoil des parements et du collet blanc, veste et
culotte blanches, boutons de la Garde Nationale.
C'est dans ce costume que les braves pompiers nantais
allaient au feu. Leur métier n'était pas une sinécure,
témoin, entre bien d'autres, le terrible incendie du
théâtre Graslin, en 1796. On peut croire que, préposés
à la conservation des biens et de la vie de leurs conci-
toyens, ils éprouvaient un légitime orgueil. Leurs offi-
ciers tenaient beaucoup à leur rang d'ancienneté et, dans
les Etrennes, on a fait précéder leurs noms d'une lettre
indiquant le rang. Le capitaine inspecteur était le pre-
mier officier municipal, Le Cadre, demeurant chaussée de
la Magdelaine, et que je trouve indiqué, sur une pièce
de 1790 relative à l'élection de la mairie Kervegan,
comme exerçant alors la profession de ferblantier. Bel-
— 269 —
zon, orfèvre, carrefour Saint-Nicolas, était capitaine de la
pompe *n°l, en dépôt à la Maison Commune, où se trou-
vait aussi la pompe n° 2, dont le capitaine Poupard, mar-
chand clincailler (sic), rue Bon-Secours, doit être un
aïeul de Poupard-Davyl, l'auteur dramatique et roman-
cier, condisciple de Chassin au lycée de Nantes. D'autres
dépôts de pompes existaient à la nouvelle halle, à la nou-
velle salle des spectacles (qui était la Nouvelle Comédie,
construite place Graslin, par Crucy, en 1786), à « Che-
zine », chez Bedert, au corps de garde de la rue Demos-
thène (Saint-Clément), à l'Hôtel-Dieu , place Cosmo-
polite (Sainte-Elisabeth). Il n'est pas permis d'oublier
les noms des capitaines de pompes, honnêtes commer-
çants pour la plupart, et qui ont d'autant plus de droits
à la reconnaissance des Nantais pour avoir accepté des
postes de combat. C'étaient : Mary, marchand cirier ;
Hardy, marchand épicier; Le Roy, marchand horloger;
Herbault, marchand épicier; Lahaie, marchand poêlier,
et, confondu avec ces dignes représentants du négoce,
le frère du grand architecte, Crucy jeune, rue Folard,
capitaine de la pompe n° 7. Un capitaine surnuméraire
devait remplacer à l'occasion un de ses collègues em-
pêché; il n'était pas nommé ou pas encore en exercice
quand parurent les Etrennes de 1793.
Par une coïncidence assez naturelle, le petit almanach Artificiers.
réunit dans la même page tout ce qui concerne le feu.
C'est ainsi que l'entrepôt des illuminations de la ville de
Nantes figure dans le paragraphe des pompes. L'artifi-
cier, le Ruggieri ou le Kervella de l'époque, qui ne
devait pas chômer souvent dans cet âge d'or des fêtes
publiques, s'appelait Hursin et demeurait rue de Riche-
bourg ; c'était, sans doute, un parent de M. Ursin,
membre actif de la Société Académique de Nantes
sous la Restauration.
Il est bien naturel aussi d'indiquer, à côté du mal, un
autre remède. La plus ancienne compagnie d'assurances
270
contre les incendies venait de s'établir à Londres, sous le
nom symbolique de Chambre du Phénix. Elle avait eu
très vite une succursale à Nantes. Schweighauser et T.
Dobrée, négociants en cette ville, étaient ses correspon-
dants pour toute la ci-devant Bretagne. Je me reproche-
rais de ne pas reproduire le petit avis inséré par les
Etrènnes : « Il faut s'adresser à eux (à Schweighauser et
Dobrée) pour les assurances à faire sur maisons, chan-
tiers, navires, magasins, marchandises, meubles et
effets quelconques.» L'assurance maritime était donc déjà
en usage comme l'assurance ordinaire des immeubles ou
meubles contre l'incendie. On serait bien curieux de con-
naître le taux des primes appliquées aux diverses natures
de risques et en particulier aux risques industriels (usines,
fabriques) très nombreux à Nantes. La petite note qui
suit ne satisfait qu'à demi notre curiosité : « Les primes
sont depuis 3 sous jusqu'à 12 sous. 6 deniers pour
100 francs par an, suivant les risques, et les conditions
fort avantageuses. » Cette dernière phrase est énigma-
tique et nous semble, en tout cas, sujette à caution. Le
taux de prime allant de 3 sous à plus de 12 sous pour
100 francs de capital assuré est énorme si l'on songe sur-
tout à ce que valait l'argent autrefois, à ce qu'il vaut
aujourd'hui. Les risques réputés les plus dangereux ne
coûtent guère à l'heure présente plus d'un franc pour
mille francs de capitaux assurés. Il y aurait sur l'établis-
sement en France des compagnies d'assurances étran-
gères, sur la fondation et le développement des compa-
gnies françaises autant que sur la variation du taux des
primes depuis plus d'un siècle bien des choses à tirer de
l'oubli, mais il faudrait traiter la question au point de vue
nantais, et les renseignements précis manquent. Quant
aux personnalités des assureurs nantais de 1792,
elles n'étaient pas les premières venues. J'ai rencontré
déjà un Schweighauser, officier de la Garde Nationale,
dans la compagnie même de son associé et parent, Pierre-
Frédéric Dobrée.
271 —
Celui-ci, dont j'ai esquissé la vie publique, tenait la
plus haute place dans le commerce nantais. Il avait fondé
à la Basse-Indre un établissement industriel, sorte de
forge, où il fabriquait des feutres à doublage et des
câbles en fer pour la pêche à la baleine; il était armateur,
et si son fils Thomas, qui eut lui-même pour fds l'archéo-
logue créateur du fameux musée, donna de l'extension à
la maison d'armement, il eut le mérite de l'ouvrir et le
courage de la faire prospérer en pleine Terreur. Incarcéré
deux fois en 1793, il fut sauvé par sa fdle dans des cir-
constances tragiques, qui rappellent un peu le dévoue-
ment de Mlle Cazotte ou celui de Mlle de Sombreuil.
A la Bibliothèque Nationale, j'ai retrouvé un document
original, un placard de l'époque, que le Journal de la
Correspondance de Nantes du 6 juin 1792 a publié avec
quelques changements. C'est une lettre adressée à Pierre-
Frédérick Dobrée par les négociants de Guernesey, son
pays d'origine, et affirmant que ces négociants, se sentant,
au fond, plus Français qu'Anglais, ne s'associeront
jamais à la guerre en armant, comme on l'a faussement
insinué, des corsaires contre la France. Trois Dobrée,
parents de celui de Nantes, Thomas, Bonamy (sic) et
Jean, figurent parmi les signataires de cette lettre. Je note,
en passant, d'après M. de Kerviler (Bio- Bibliographie
bretonne), qu'un ancien de la famille, celui d'où descen-
dait Pierre Dobrée, s'était fixé, au xvne siècle, à Vitré,
où les protestants étaient nombreux, et y avait contracté
des alliances. Mais les Dobrée, d'après la généalogie de
M. Pître de Lisle, sont de Saint-Peter-Port à Guernesey.
Jean, le plus ancien connu, vivait en 1583. L'un,
Nicolas, était capitaine des milices en 1730; un autre,
Thomas, lieutenant bailly à Guernesey, en 1775 ; c'était
le père de Pierre-Frédérick cité plus haut.
Les Dobrée.
LA JUSTICE
Cédant arma togœ! dit l'adage latin. Après le Nantes
militaire, dont les Pompes à incendie et la Compagnie
Soc. Ârchéol. Nantes. 18
Tribunaux .
— 272 —
d'Assurances ne nous ont détourné que pour un instant,
nous arrivons au Nantes judiciaire, où la paix devrait
régner sans mélange. Mais nous sommes, ou nous allons
être, en 1793. C'est ainsi que le Tribunal criminel, institué
dans le département comme dans tous les autres par
décret de la Convention Nationale, va devenir, pendant
l'année terrible, la plus formidable comme la plus
arbitraire des juridictions; il lui suffira pour cela de
s'intituler « Tribunal criminel extraordinaire» et de se
passer du concours du Jury. Le Jury, que l'on appelait
à l'origine Juré de jugement et qui nous arrive d'An-
gleterre en droite ligne, était composé de douze citoyens
pris sur une liste de deux cents, arrêtée tous les trois
mois par le procureur général syndic du département;
à côté de lui fonctionnait un autre jury, dit Juré d'accu-
sation, composé de huit citoyens. Le Juré de jugement
s'assemblait le 15 de chaque mois, et le Juré d'accusation,
une fois par semaine. Dans le principe, l'organisation
était des plus équitables. Mais, dans l'application et sous
la pression des événements, on supprima souvent l'un
des jurys, on les supprima même tous les deux pour
laisser au Tribunal criminel un pouvoir discrétionnaire.
Ce tribunal avait son président, un accusateur public,
un greffier et trois juges, pris chacun tous les trois mois
et à tour de rôle dans les tribunaux de district ou tri-
bunaux de première instance, sur lesquels nous revien-
drons tout à l'heure. Il disposait des pouvoirs d'une
Cour d'assises et justifiait son titre de Tribunal criminel ;
il devait donner à six hommes, dont les passions politiques
enflammaient le zèle révolutionnaire, droit absolu de
vie ou de mort sur leurs concitoyens.
Sous les ordres suprêmes du ministre de la justice,
Garât jeune, personnage plus austère que son homo-
nyme et parent le chanteur célèbre, le Tribunal criminel
du département de la Loire-Inférieure avait pour pré-
sident, en 1792-1793, Gandon aîné, un ancien avocat,
membre du Directoire du département en 1790 et 1791,
— 273 —
qui fit également partie, avec son frère Gandon jeune,
du Tribunal criminel extraordinaire, dont les troubles de
mars 1793 hâtèrent la création. J'ai retrouvé bien peu
de chose sur ce Gandon, qui refusa par la suite la mairie
de Nantes, que lui offrait le représentant Ruelle. En
revanche, les documents abondent sur l'accusateur
public Giraud, place du Département, qui n'était autre
que Pierre-Guillaume-Henri Giraud du Plessis, ancien
député à l'Assemblée des notables de 1787, ancien député
de la sénéchaussée de Nantes aux États-Généraux de
1789, maire de novembre 1791 à la fin de 1792. Lors-
qu'il fut nommé, en décembre 1792, accusateur public
près le Tribunal criminel, il écrivit à la Municipalité qu'il
abandonnait la mairie, estimant le cumul des fonctions
impossible; on fit imprimer, afficher sa lettre, et Baco
le remplaça. Giraud Duplessis ne tarda pas beaucoup
à s'apercevoir qu'il n'avait aucune vocation, pour deve-
nir le Fouquier-Tinville nantais; le 15 juillet 1793,
il donnait sa démission d'accusateur public, en déclarant
courageusement « qu'il ne pouvait vaincre sa répugnance
à contribuer au jugement d'un homme sans le secours
des jurés». Il sauva pourtant sa tête, et sa franchise ne
lui porta par malheur, car, de nouveau maire de Nantes
en 1795, il fut successivement député de la Loire-Infé-
rieure au Conseil des Anciens, préfet du Morbihan sous
l'Empire, avocat général et conseille*' à la Cour de
Cassation sous Louis XVIII. C'est l'un des Nantais qui
ont le plus marqué dans la vie politique.
Le greffier du Tribunal criminel, Coiquaud (Coicaud
plus tard), rue Bayle, parent de Fouché, le futur duc
d'Otrante, et grand-père du marchand de bois, mort il y
a près de 30 ans dans son domicile de la rue des Cade-
niers, ne se recommandant pas autrement à l'attention,
je prends congé de ce Tribunal, où Bachelier allait
bientôt exercer ses rigueurs, dites « fumées acerbes »,
non sans remarquer que, pour être gratuites, les fonc-
tions des jurés n'en étaient pas moins obligatoires. S'ils
— 274 -
ne se rendaient pas à la sommation qui leur était faite
on les condamnait en 50 bons d'amende et à la priva-
tion de leurs droits d'éligibilité et de suffrage pendant
deux ans. On ne badinait pas avec la justice révolu-
tionnaire.
Il y a bien des anomalies dans l'organisation judi-
ciaire de ce temps-là. Les tribunaux de district répon-
dent assez exactement à nos tribunaux actuels de pre-
mière instance, à cette reserve prés qu'il y avait plus de
districts qu'il n'y a d'arrondissements (9 au lieu de 5
dans la Loire-Inférieure). Ces tribunaux de district
jugeaient certaines questions en premier et dernier
ressort; pour d'autres questions, on pouvait se pourvoir
en appel du jugement rendu. Bien de mieux jusqu'ici,
Mais savez-vous quels étaient les sept tribunaux de dis-
tricts susceptibles de casser les jugements des tribu-
naux de district de Nantes? Ancenis. Clisson. Savenai.
Paimbœuf, Machecoul, Guerande et... Rennes. C'est.
à dire, six petits tribunaux qui auraient dû graviter
dans l'axe du tribunal du chef-lieu et un tribunal d'une
grande ville voisine, étrangère au département. Cet
assemblage est au moins bizarre et il faut reconnaître
que. en remplaçant ces tribunaux de district par les tri-
bunaux d'arrondissement et en créant les Cours d'appel
qui confirment ou cassent les jugements de première
instance, la centralisation impériale n'a pas ete si mala-
droite.
Le Tribunal du district de Nantes — et il en était
ainsi de tous les autres — comprenait des juges, leurs
suppléants, un commissaire nat'onal. qui exerçait les
fonctions de ministère public, un greffier, un commis-
juré. Les huissiers, que nous appellerions huissiers-au-
dienciers. avaient leurs noms inscrits à côté de ceux des
magistrats. Il n'y avait ni président, ni vice-président:
cela eut paru contraire, sans doute, au principe d'ég
lite.
Les membres du tribunal étaient choisis sur place. Les
— 275 —
six juges de Nantes et leurs quatre suppléants portent d
noms bien nantais, mais que, pour la plupart, nous n'avons
pas encore rencontrés : Maussion, président fil y eut
plus tard un armateur de ce nom) ; Manon Clés Marion
sont dits depuis de Procé ou de Beaulieu); Gandon le
jeune, frère eadel du président du Tribunal criminel ; Pi-
neau; Leminihy; Phelippe; Trioche, un des rares magis-
trats que nous ayons trouvés à Ja Garde Nationale;
Bruneau; Grasset; Lecomte. Bons Nantais aussi Je gref-
fier Blanchard, rue du Soleil, et son commis-juré, Ber-
trand, qui est logé au greffe. Le commissaire national,
Félix Gédouin, place l'Egalité, est donné comme pro-
cureur et notable par M. de Kerviler, qui doit Je
confondre avec un autre Gédouin François-Antoine,
avocatel membre du Comité municipal de Nantes en 1789;
mais tous deux sont Nantais d( . En 1819, les
Etrennes de Forest mentionnent comme avocats Gédouin
aîné 0775;, quai Dugay-Trouin, et Gédouin fils C1809),
rue Racine. Même remarque pour les huissiers Trastour
et Guyon, dont les descendants devaient marquer dans
la médecine et la chirurgie, Verneuil et Joubert. Ce
dernier demeure près le pont lJaix, ancien pont d'Ai-
guillon, qui retrouva plus tard son ancienne appellation.
LeTrihunal de la police correctionnelle, organisé par
l'article 19 de la loi du 22 juillet 1791, différait très peu
de ce qu'il est aujourd'hui, il se divisait, pour Nant
en deux chambres qui, provisoirement et en attendant
un local suffisant, tenaient leurs audiences „ au Palais,
place du Bouffai, ou, pour mieux dire, dans l'ancienne
tour du Bouffay, les mercredis et samedis. Seulement,
les juges, au lieu d'être, comme a présent, pris parmi les
membres des tribunaux, étaient les six juges de paix
de la ville, trois pour chaque chambre. Dupuis, d'Have-
looze, ChaiJJou tenaient l'une des chambres; Uebour-
gues, Abraham et Cormier, l'autre. C'n des juges de
paix siégeait en permanence tous les jours, de 9 heures
du matin a. midi et de j heures a 6 heures, dans une des
— 276 —
salles du palais; il remplissait les fonctions d'officier
de police de sûreté, recevait les plaintes et les dénon-
ciations, interrogeait les prévenus arrêtés. Son rôle
était celui d'un commissaire de police, et aussi d'un juge
d'instruction.
Juges de paix- Les juges de paix reviennent ici sur le tapis. Nous
apprenons que leurs audiences se tiennent, les 1er et 6
de chaque décade, dans leurs demeures mêmes, et non
point, comme aujourd'hui, dans des prétoires, qui
peuvent être distincts de leurs domiciles personnels.
'Abraham, qui dirige les sections 1,2, 3, a réussi pour-
tant h ce qu'on fît une exception en sa faveur. Il demeure
rue Delilles (sic) (cloître Notre-Dame) et il donne audience
/ rue du Tertre, vis-à-vis le cimetière de Saint-Similien.
Ses suppléants se nomment Delugré et Laurent, son
greffier Fenioul, ou plutôt Fenouil, les interversions
de lettres n'étant pas rares dans les Etrennes. Biret,
Civel, qui ne renieront pas leur origine, deux Leroux
comptent parmi ses assesseurs. Chaillou, rue Pope,
a dans ses attributions les sections 4, 5, 6. Un des
Dehergne, l'aîné, est son suppléant avec Lavalette;
Huart, dont le nom s'est perpétué, est son greffier.
Du milieu de ses assesseurs : Lacroix, Leroy, Marchand,
Guilmet (ou plutôt Guillemet) qui laissa de nombreux
descendants à Nantes auxquels il est difficile de le
rattacher, et un autre, qui répond au nom bizarre de
Contremoulin aîné, parent probable d'un autre Contre-
moulin, qui, en 1791, était sous-lieutenant en 2e à la
Compagnie a La Persévérance » du Bataillon des Vé-
térans, se détache Fellonneau, également aîné. Des
destinées brillantes attendaient ce François de Salles
Fellonneau, d'une famille originaire de Bordeaux et
inscrite dans d'Hozier; il sera Maire de Nantes de l'an VII
à l'an IX et mourra sur son siège.
Les suppléants de Debourgues, le juge de paix de la
rue des Halles, qui avait dans ses attributions les sections
— 277 —
7, 8, 9, ne sont pas indiqués dans les Etrennes. Un de
ses assesseurs, Couciraut, doit avoir son nom mal ortho-
graphié; ou je me trompe fort, ou c'est Gougurau, im-
primeur-libraire. Un autre, Freulet, rue des Chapeliers,
peut fort bien se confondre avec Freulet de Loutinais,
procureur du roi au siège de la Monnaie de Nantes avant
la République.
Sur les ponts, à la tête des sections 10, 11, 12, je trouve
ou plutôt retrouve d'Havelooze fils, 37, pont de la
Magdelaine, représentant d'une vieille famille d'origine
anglaise, dont j'ai connu des descendants. Plusieurs
assesseurs, dont on ne nous nomme pas les suppléants,
méritent d'être mentionnés. C'est Garno qui a son nom
dans d'Hozier pour la Bretagne ; c'est Saget, Budon,
Gereau, qui ont figuré ou figurent encore dans le com-
merce nantais ; c'est Dérivas, (de Rostaing de Bivas),
directeur de la faïencerie (sic) sur les ponts, que nous
retrouverons. Quant au greffier Dufeuillet, s'il n'était
pas un ascendant des Pihan Dufeuillay, j'en serais
étonné.
Cormier, avoué, le juge de paix des sections 13, 14
et 15, \*is à vis la Bourse, avait un assesseur du même
nom que lui, J. Cormier « tenant les marchandises de
l'Inde », près le Bon Pasteur. D'autres assesseurs de Cor-
mier ont fait parler d'eux : Cuissart, en la personne
d'un adjoint, sous le maire Ferdinand Favre et le Second
Empire; Lavigne, en celle du concessionnaire de la loge
Graslin au théâtre avant la guerre de 1870. J'ignore si
le Bernard cité - les Bernard sont nombreux — est
un parent de mon ancien collègue et ami Remy Bernard.
Quant à Van Neunen jeune, c'est déjà une vieille
connaissance.
Le dernier des juges de paix, celui des 16e 17e et 18e
sections, Dupuis père, négociant, rue de Launai, n'avait
au nombre de ses collaborateurs aucun Nantais, sauf
Hardouin, dont le nom soit f encore porté aujourd'hui.
' - En dehors de leurs audiences privées et des fonctions
— 278 —
policières qu'ils remplissaient à tour de rôle au Palais,
les juges de paix de Nantes avaient un Bureau de Con-
ciliation. Quelles étaient les attributions de ce Bureau
qui, d'après les noms de ses membres, était composé
de juges honoraires, d'anciens magistrats? Je ne saurais
préciser, me bornant, d'après les Etrennes, à indiquer
qu'il se réunissait trois fois par semaine à l'Hôtel de
Ville. En regard du nom, bien connu et honorablement
porté depuis un siècle, du premier de ses membres, Jala-
bert père, est inscrit la date de sa nomination, 1792.
Viennent ensuite Beaufranchet, le même apparemment
que le président du Directoire du département, Petit
des Rochettes, qui évoque plusieurs générations nan-
taises ; Brounais, maître de pension ; Houget, encore
un vieux Nantais, et Lenormand, père du greffier du
juge de paix Cormier. Ce Bureau de Conciliation — sorte
de chambre des juges - - était trié sur le volet.
Je passe très rapidement sur la désignation des juges
de paix des sept cantons ruraux du district de Nantes,
aussi bien que sur celle des juges commissaires natio-
naux suppléants et greffiers des huit tribunaux de dis-
tricts, Ancenis, Châteaubriant,Blain^Savenay,Guérande,
Clisson, Machecoul, Paimbœuf. Je retrouverais beaucoup
des noms que j'ai déjà relevés, en parlant des Conseils
et Directoires de districts. Le cumul des fonctions admi-
nistratives et judiciaires, toléré dans une grande ville
comme Nantes, ne pouvait manquer d'exister dans de
petites localités où le recrutement des citoyens capables
et de bonne volonté n'était pas, à beaucoup près, aussi
facile. D'ailleurs, de nombreux postes restaient encore
inoccupés, et très souvent la lettre N, suivie de plusieurs
points, indique que la place n'est pas prise ou que le titu-
laire est « sorti ».
Pour ne rien omettre, je signale deux Trastour: l'aîné,
juge de paix; le jeune, greffier à Paimbeuf, d'où la famille
est certainement originaire. Je retrouve à Machecoul,
un Gaschignard à côté d'un Joyau, d'un Vrignaud, d'un
— 279 —
Charruau, qui ont fait souche nantaise. Audap et Dugast,
à Clisson ; Lorieux, au Croisic ; Pissebuche, à Mesquer
(district de Guérande); Brossaud, Merot fils, à Savenay;
Cocaud, Chiron, Bessejon,de Nantes (sic), à Blain; Blouen,
Bodrigue, à Chàteaubriant ; Luneau, Lebec, à Ancenis,
ajoutent quelques noms nouveaux à une liste déjà lon-
gue de braves gens qui, peu ou prou, furent mêlés aux
affaires publiques à l'époque la plus troublée de notre
histoire.
Je suis pas à pas les Eirennes, estimant que ce petit ^a Monnaie
voyage autour du vieux Nantes aura d'autant plus de ^e Nantes.
charme qu'il auraété fait sans trop d'ordre ni de méthode.
Mais entre les Tribunaux de districts et le Tribunal
de Commerce, je ne m'attendais guère à trouver VHôtel
des Monnaies. Pénétrons-y, puisqu'on nous invite. Sa
situation, place du Bouffai, lui créant un voisinage avec
l'ancien Palais de Justice, explique peut-être qu'on
l'ait intercalé dans le Nantes judiciaire.
Sans être un des ateliers monétaires les plus impor-
tants de France, Nantes figurait, depuis Henri IV, parmi
les dix-sept villes, Paris compris, où l'on battait monnaie
Sa marque était un T. On trouve encore assez souvent
des pièces et des sols à l'effigie du pauvre Louis XVI,
portant ce T incisé dans le métal; quelques-uns à la
date de 1793 circulaient et purent même être frappés
après la mort du Boi. La Monnaie de Nantes ne fut fermée,
en effet qu'au cours de cette année 1793, et on y frappa
jusqu'au bout des pièces à l'effigie royale.
Les fonctionnaires de VHôtel des Monnaies formaient
à Nantes toute une petite administration, à la tête de
laquelle étaient le commissaire national, ex-commissaire
du Boi, nommé Pussin, son adjoint, Piquet ; le directeur
et trésorier particulier Thomas ; un essayeur, Lecourt ;
un graveur, Poirier. Ces cinq personnages, composant
à la fois le bureau et le service technique, étaient logés
à la Monnaie. On leur avait adjoint des officiers des
— 280 —
monnoi/eurs, dont les fonctions ne sont pas nettement
définies, mais qui devaient, d'après leur titre, être pré-
posés à une haute surveillance et organisés militaire-
ment, ('.'étaient : un prévôt, Couillaud de la Rive; son
lieutenant, Ives Artaud; un prévôt des ajusteurs, R. Bri-
don: son lieutenant, F.- J. Arthaud. Notons, en passant,
cette différence d'orthographe entre Artaud et Arthaud.
Le premier habitait Isle des Chevaliers, le second à Rezé,
ce qui prouve qu'ils surveillaient d'assez loin l'Hôtel des
Monnaies. Il y avait sans doute un poste de Garde Na-
tionale à proximité.
Tribunal
de Commerce.
Le Tribunal de Commerce a toujours eu beaucoup
d'importance à Nantes, et ses attributions n'ont pas
varié depuis que le rédacteur des Etrennes écrivait :
« Toute affaire de commerce de terre et de mer, en
matière civile seulement, sont de son ressort ». Il tenait
alors ses audiences les lundis, mercredis et samedis, à
10 heures du matin, à la maison Villestreux, ce bel hôtel
de granit de l'île Feydeau, où Carrier descendit à son
arrivée à Nantes. Des élections pour la composition du
Tribunal avaient lieu en 1792. Celui que les négociants
de Nantes avaient jugé le plus apte à trancher leurs
contestations commerciales et qu'ils avaient, en consé-
quence, nommé président, était Alexis Mosneron de
Launay. Il avait montré sa compétence comme membre
du Bureau central d'administration du commerce créé
par le ministre de l'intérieur en 1791. Ce bureau, qui
comprenait des délégués des grandes villes commerciales,
Lyon, Marseille, Lille, Dunkerque, Paris, Nantes, avait
pour mission de défendre, près du pouvoir central, les
intérêts des commerçants. Mosneron avait été à la
hauteur de sa tâche ; ses concitoyens l'en récompen-
sèrent. Les juges au Tribunal de Commerce, Prasle,
Rozier, Guesdon, capitaine (au long cours, sans doute),
portaient, ainsi que leurs suppléants, Claude Lory,
Bonamv, d'Havelooze aîné et Lormier, des noms
— 281
estimés sur la place de Nantes. Le greffier en chef
Pradel, et, le commis-juré, Morin, remplissaient des
fonctions communes |à d'autres tribunaux. Un poste
original était celui du receveur des droits maritimes
Pelieu, île Feydeau ; il avait un adjoint, Rignolet.
Cinq huissiers étaient attachés au Tribunal de Com-
merce ; ils ne se confondaient pas, comme aujour-
d'hui, avec les huissiers près les tribunaux civils.
Le tableau de Nantes judiciaire se complète par le
trois listes, extrêmement intéressantes, des professions
libérales qui se rattachent à la justice. En énumérant
les hommes de loix (sic), qui ne sont autres que les avo-
cats, les avoués, qui avaient dépouillé depuis peu leur
appellation séculaire de procureurs, les notaires publics,
ex-notaires royaux, bientôt notaires tout court, nous
résumerons ce que le Tiers-État nantais comptait de
remarquable dans les professions libérales ayant la loi
pour base ou pour objet.
Il y avait même, parmi les hommes de loi ou avocats,
une noblesse de robe qui, clans les cérémonies, marchait
en tête de la compagnie et ne s'humiliait pas devant la
noblesse d'épée. Les Etrennes distinguent ces aristocrates
en toge et bonnet carré et les placent par rang d'âge ou
d'ancienneté au début de la liste. Le premier nommé
s'appelle pourtant Geffray sans particule et donne son
adresse rue Racan, ex-rue Saint-Denis. Mais j'ai cons-
taté que son vrai nom était Geffray de la Panneterie et
que, avocat lui-même, il descendait d'anciens avocats et
d'un échevin de la ville en 1704. Viennent ensuite, dans
la majestueuse ordonnance de leurs noms, titres et qua-
lités, Le Roux de la Mostière, Cocaud de la Ville-au-Duc,
Heulin de la Martinais, Turpin du Prouzeau (allié aux
Turpin de Crissé), Texier de Louvrardière. Mais il
manque, je ne sais pourquoi, Saulnier de la Pinelais,
pourtant reçu licencié en 1779 et qui resta au tableau
presque tout le règne de Louis Philippe. Une mention
spéciale est due à Jean-Baptiste Gellée de Premion
Noblesse
de robe.
Les avocats.
— 289 —
dont la famille, très ancienne, portant d'après d'Ho/.ier
et le Li'pre Dore d'azur au compas d'argent . a donné
son nom à une rue de Nantes. Gellée de Premion avait
été maire de Nantes à deux reprises, de 17ôl à I7ô'2. de
n à 1782; il était octogénaire à l'apparition des
Etrtnnes, puisqu'il mourut le 12 novembre 17^ t. à l'âge
de 83 ans. Nul n'aurait tolère qu'il disparût de la
liste d'un ordre qu'il avait honore par ses vertus et ses
talents. La reconnaissance de la ville lui est demeurée
fidèle, le musée archéologique conserve son portrait
en pied qui faisait partie de la collection des portraits des
maires avant la Révolution. Après la noblesse, voici la
bourgeoisie de robe, très digne de marcher à côte d'elle.
Plusieurs de ces robins — comme on les désignait alors
sans intention ironique — ont demande, dès 1789, à
faire le service de la garde nationale, dont leur charge
pouvait les dispenser. Ce sont, avec Yillaudue-C.oeaud (ou
Cocaud de la Villauduc) et Heuiin de la Martinais. déjà
nommes. Marion, qui peut aussi s'appeler Marion de
Procé, Delaville-Leroulx, Marie jeune. Cotelle père et fils.
Urien, frère du citoyen notaire: Gedouin. le juge au Tri-
bunal révolutionnaire. Angebault fils et Angebault
jeune. Baron. Clavier. Ballais. Maussion est l'un des plus
connus : ge du district de Nantes, il a ete concurrent
de Baco lors de sa toute récente élection à la mairie de
Nantes et il a réuni sur son nom une imposante minorité.
- tuquet est redevenu avocat après avoir ete procureur
syndic de la Commune, prédécesseur de J.-M. Dorvo.
Letourneux, toujours inscrit à l'ordre, est procureur
al du département. Quant à Ménard, il peut bien
donner son adresse à la Maison Commune, nous avons
vu qu'il - ge en permanence, remplissant les absor-
ates fonctions de secrétaire-greffier. Je trouve son
nom au bas d'une affiche, où il rassure ses concitoyens
contre u:. rd de l'époque : le bruit avait couru qu'il
y avait cinq canons charges à mitraille dans l'église
natien.
— 283 —
Kn somme, les 37 avocats inscrits en 1703 au Barreau
de Nantes (j'en ai omis quelques-uns) représentaient
très dignement l'ordre.
Il y avait à Nantes, en 1793, beaucoup plus d'avoués
que maintenant; on n'en comptait pas moins de vingt-
sept, ce qui prouve l'empressement que mettaient les
» basochiens » à se rendre acquéreurs des anciennes
charges de procureurs et aussi, à dire d'experts, la fré-
quence des procès. Mais je pose un point d'interrogation :
tous les avoués de la liste des Etrennes étaient-ils réelle-
ment en fonctions ou continuaient-ils d'exercer leur
métier concurremment avec des charges politiques? Le
cumul me paraît difficile en ce qui concerne Hyacinthe-
René Nouel, rue Soleil, qui très certainement ne fait
qu'un les prénoms sont identiques - avec Nouel,
substitut du procureur de la Commune. Je n'ai relevé
que cet exemple; il peut n'être pas le seul. Les avoués,
qui étaient des bourgeois qualifiés en même temps que
d'habiles légistes, n'étaient-ils pas tout désignés pour
couvrir de leurs noms et assister de leurs lumières leurs
collègues du district ou de la municipalité?
Plus d'une famille nantaise encore existante reconnaî-
trait les siens parmi ces nouveaux officiers ministériels
dont les Etrennes ont enregistré les noms et presque tou-
jours les prénoms. Des Le Merle, des Goupil, des Lema-
rié, des Burguerie, des Bulet seraient aisément retrouvés
aujourd'hui. Les Pouponneau étaient avoués de père
en fils, et j'ai pu connaître l'un d'eux, vieillard aimable,
qui faisait de petits vers badins et des chansons ana-
créontiques à dire au dessert. Jacques-Pierre Papin
était, ou je me trompe fort, l'aïeul de Papin de la Cler-
gerie, chef de bureau à la mairie à l'époque où j'habi-
tais Nantes et membre des sociétés savantes de la ville,
et de M. R. Papin de la Clergerie, qui est actuellement
chef du Secrétariat du Conseil Général de la Loire-Infé-
rieure.
Des 27 avoués de 1793, les deux qui ont le plus marqué
— 284 —
sont René-Alexandre Garnier, rue Bossuet, et Garreau,
dont le domicile est assez vaguement indiqué « près la
Maison Commune ». Ce furent, dans leur modeste sphère,
des personnages historiques.
René-Alexandre Garnier de la Mulnière, fils d'un
notaire et procureur du duché de Retz, à Bourgneuf,
était né en 1741. Procureur au présidial de Nantes
avant 1778, il fut, un des premiers, nommé avoué près le
Trihunal des districts, à la réorganisation judiciaire du
mois de septembre 1793; il allait être arrêté comme aris-
tocrate, on lui prêtait un propos séditieux, on l'accusait
d'avoir dit qu'on était plus libre sous l'ancien régime que
sous le nouveau. Il fit tout naturellement partie des
132 Nantais; il eut la chance de ne perdre ni la vie, ni la
liberté, et, acquitté après le 9 Thermidor, il revint à
Nantes et reprit son étude. Il fut l'un des douze avoués
près le Tribunal Civil que le sénatus-consulte de l'an VIII
conserva. Il mourut en 1813.
Plus tragique est la destinée de Garreau — Garreau
tout court, impriment les Etrennes, mal renseignée sur
son compte — en réalité Joseph Armand Garreau du
Brossais. Lui aussi était procureur au présidial de Nantes
avant de devenir avoué. On en fit même, en 1790, un
procureur général de la Commune; mais sa modération,
sa tiédeur, le firent bientôt remplacer par Dorvo. Comme
Dorvo, comme Garnier, Garreau fit partie de la colonne
des 132 Nantais; mais, moins résistant que ses compa-
gnons d'infortune, il ne put supporter les fatigues du
voyage, les privations de la captivité, et il mourut, le
22 janvier 1794, dans la maison de santé du Dr Bel-
homme, qui s'élevait sur l'emplacement actuel de la
maison Dubois. Garreau parlait et écrivait bien : plu-
sieurs de ses discours et de ses lettres ont été imprimés;
la Bibliothèque de Nantes conserve manuscrit son réqui-
sitoire dans une délibération de la municipalité de Nantes
du 20 mai 1791, en faveur des gens de couleur. Bappe.
Ions que les Nantais les plus républicains demeuraient
— 285 —
alors, pour des raisons commerciales, partisans de la
traite des noirs. On trafiquait du bois d'ébène comme
d'une denrée courante et quiconque tentait de s'oppo-
ser à ce trafic était taxé de folie.
Les notaires publics, qui s'étaient appelés, devaient Notaires.
s'appeler encore les notaires royaux et devenir, pour le
rester, notaires tout court, étaient nombreux à Nantes en
1792-1793, moins pourtant que les avoués et les avocats.
Il y en avait dix-neuf, chiffre qui n'a pas beaucoup varié:
ils étaient dix-huit en 1820, ils sont encore dix-huit au-
jourd'hui. Beaucoup de leurs études étaient centenaires.
Je les cite dans l'ordre où les donnent les Etrennes; mes
recherches m'ont fait retrouver quelques-uns des titu-
laires antérieurs et postérieurs à la Révolution. Rien
n'est plus intéressant pour l'histoire des familles nan-
taises. Alors, commetaujourd'hui, le notariat des grandes
villes se recrutait dans l'élite de la bourgeoisie riche.
Briand « le jeune » ouvre la liste dressée par rang
d'ancienneté. Cet homonyme du ministre socialiste
exerçait depuis 1754. Il avait eu Duhil et Lelou comme
prédécesseurs. Son étude, établie rue Fosse, se fondit au
commencement du xixe siècle avec celle de Guillet,
rue de la Juiverie, titulaire en 1793, et dont le fils
exerçait encore en 1820. Guillet avait succédé à
Coisquaud et à Martin de la Coutancière. Les deux
études réunies élurent domicile Carrefour Casserie, 14.
Je perds leur trace.
Guesdon, rue Suffren, était devenu notaire la même
année que Briand, 1754. Les Etrennes indiquent comme
son prédécesseur Recommencé, parent, sans doute,
d'un Recommencé, ingénieur ordinaire des Ponts et
Chaussées, rue Maupertuis, en 1792. Un Guesdon est
donné en 1820 comme ayant été un des titulaires de
l'étude Jalabert que nous retrouverons. Il y en eut un
autre qui fut Directeur de !aCled' Assurances La Nationale.
Urien, le « citoyen » Urien, était un peu sauvage ; il
— 286 —
fournissait les expéditions dos actes des notaires décédés.
Il avait succédé à son père en 1707; il était encore en
exercice en 1819. Son étude, fort ancienne, sise rue
J.-J. Rousseau, puis transférée quai Cassard, avait ap-
partenu successivement à Lepelletier, à Mocquart, à
Poirier. Un de ses successeurs, à la fin de la Restauration,
fut Francheteau, père de mon collègue au Conseil Muni-
cipal, devenu juge de paix du 2e canton et récemment
décédé.
Rue Crébillon se trouvait l'étude de Lambert, qui
avait succédé à Duboueix, son beau-père. Lebec, qui
vint ensuite, s'établit Basse-Grande-Rue (les documents
officiels répètent à l'eiivie ce curieux pléonasme
« Rue Basse-Grande-Rue »).
Hérault, rue Soleil, ancien nom de la rue Beau-Soleil,
n'avait eu qu'un prédécesseur, son père; je ne lui connais
d'autre successeur qu'un Joyau, aïeul de l'architecte,
qui transféra l'étude rue du Château: même transmis-
sion de père en fils s'applique à Moricet, rue Juiverie.
Détail singulier : un Le Gouais, de St-Julien-de-Vou-
vantes, avait été le premier titulaire de l'étude du quai
Brancas, dirigée en 1793, et depuis 1777, par Daniel du
Mortier, qu'une pièce du temps désigne simplement sous
le nom de Daniel. Cette étude importante absorba celle,
assez voisine, delà rueBayle ou rue de Gorges, où s'étaient
succédé Appuril et Coisquaud. Elle eut plus tard à sa
tête Bruneau, le père et le fils Royer, Brard, notaire en
1845 de ma tante de Verviîle, chef d'une famille bien
connue aujourd'hui. Il la dirigea longtemps.
Les Jalaber, ou Jalabert, étaient de vieille souche
nantaise. L'un d'eux, que j'ai connu fort âgé, avait fait
sous la Restauration, en faveur des Grecs, des vers d'un
patriotisme ardent. Trois de ses ancêtres avaient été
notaires de père en fils dans la rue des Carmélites,
débaptisée par la Révolution qui en fit la rue Mauper-
tuis, puis place Saint-Pierre. Il y avait près d'un siècle
de notariat dans cette famille Jalabert.
— 287 —
Les Defrondat ne sont pas pour nous de nouvelles
figures; ces très honorables bourgeois nantais avaient
en eux l'étoffe de parfaits notaires. En 1782, l'un d'eux,
le fils, s'établit dans l'étude de la Basse-Grande-Rue, qui
avait vu se succéder Jean, André et Antoine Charier,
G. Allain et Forget. Lui-même prit la place de son
père. J'ignore à quelle époque l'étude passa place du
Commerce; elle y était sous la Restauration, du temps
du notaire Citerne ; elle est aujourd'hui, 5, rue du
Calvaire.
Place du Bouffay, dans le voisinage de l'ancien Palais,
à l'ombre de la vieille tour tragique qui devait présider
à tant d'exécutions, le notaire Fresnel avait recueilli
la succession de nombreux tabellions; il passa son étude
à son gendre Bertrand, de la famille de Louis Séraphique
Bertrand, l'ami de Desforges-Maillard et l'un des plus
agréables poètes nantais du xvme siècle. Bertrand
fut remplacé par Morin d'Yvonnière, puis par Jousset,
grand-père ou grand-oncle du très distingué et regretté
peintre de marine, notre contemporain. Avec ce dernier,
l'étude émigra quai Brancas, près de celle de Me Brard.
Il ne faut pas confondre les deux notaires homonymes
Briand le jeune, rue Fosse, et Briand du Marais, quai
des Gardes Françaises, ancien quai Flesselles. Les Du
Marais avaient, dès le xvme siècle, des prétentions
fondées à l'aristocratie. Ils se sont éteints en la per-
sonne du frère de Madame Bacqua, un célibataire ori-
ginal qui habitait rue Saint-Clément, près du couvent
de la Visitation, et était parfois pour les religieuses
un voisin assez incommode. Briand du Marais avait
prêté serment en 1783 et succédé à son père. Une longue
lignée de notaires les précédait tous deux dans cette
étude. C'étaient Jourdanot, Ferrez, Desprey, Deles-
baupin père et fils. Comme presque toutes ses pareilles,
l'étude de Briand du Marais déménagea; je la trouve,
sous la Restauration, à l'époque du notaire Dauphin,
installée quai Jean-Bart.
Soc. Archéol. Nantes. 19
— 288 —
Encore une famille bien nantaise, connue dans la robe
et le monde parlementaire dès le xvme siècle, celle des
Varsavaux. Celui que l'on nommait Varsavaux « père »
exerçait le notariat, place l'Egalité, depuis 1785. En 1793,
il succédait à Benoist, qui succédait lui-même à Thomas.
Un autre Varsavaux, qui commençait ou recommen-
çait à s'appeler Varsavaux de Henlée, était notaire en
charge sous la Restauration; il avait repris l'étude de
Moricet, déjà rencontrée sur notre chemin et passée
depuis entre les mains de Sauvaget.
Freulet, le notaire qui demeurait rue Sueur (ex-rue
Ste-Croix), était-il parent d'un assesseur de juge de paix
portant le même nom? La chose n'est pas autrement
intéressante; mais, là encore, de petites particularités
sont à signaler. Deux études de notaire, situées en cette
même rue Sueur (c'est Le Sueur, sans doute, que la munici-
palité du temps a voulu dire) se sont fondues en une.
D'un côté, c'est l'étude Freulet avec des prédécesseurs
qui s'appellent Fresnel aîné qu'il ne faut pas confondre
avec le beau-père de Bertrand, et Gorgette (plusieurs
porteurs du nom de Gorgette sont signalés dans la
Bio-bibliographie bretonne). De l'autre côté, c'est l'an-
cienne étude Allin de la Brière, devenue celle de Gour-
raud. La respectable liste des prédécesseurs dont pou-
vait s'enorgueillir, en 1820, le notaire Chaillou fils, s'ali-
mentait donc des titulaires de deux charges autrefois
voisines, réunies place de la Bourse.
Avec Chesnard et Girard-Canterie, qui figurent sur
une liste de souscription patriotique de 1788, nous
épuisons la liste des notaires de Nantes en 1792-1793.
Fidèles à leur poste pendant la tourmente révolution-
naire, ils perpétuaient une tradition d'honnête et mo-
deste labeur qu'ils ont transmise à leurs descendants,
souvent de leur rang, toujours de leur race.
— 289 —
LES MEDECINS
Boileau, dans le Repas ridicule, montre un Recteur Université.
d'Université marchant à pas comptés, suivi des Quatre
Facultés. Il y avait encore, en 1792, une Université à
Nantes et nous venons de voir qu'une des Quatre Facultés,
celle du droit ou de la jurisprudence, n'y était pas mal
représentée. Hygie, déesse de la Santé, suivait de près
Thémis, ou Esculape Cujas, comme on voudra, et les
princes de la science nantaise tenaient beaucoup à leur
titre de docteur régent. Pourquoi cinq des plus qualifiés
se proclamaient-ils avant tout médecins ? C'est qu'ils
avaient leurs chaires à l'Université et que, spécialistes
avant la lettre, ils traitaient devant leurs élèves ou le
public, de tel point de doctrine, de telle partie de la
science ou de telle maladie dont ils avaient fait l'objet
de leurs études.
Ainsi, Arnoult était « médecin pour la prat que cli- Les médecins.
nique ». Lemerle, qui avait navigué, se mettait à la
portée des matelots français et étrangers du port de
Nantes pour les maladies des gens de mer. Monlien ensei-
gnait la Sméiotique, mot bizarre, chose mystérieuse, que
nous ne trouverez ni désignés, ni expliqués dans aucun
dictionnaire; il s'agissait — le grand S en fait foi — du
système d'un praticien, alors célèbre, aujourd'hui mécon-
nu, du nom de Smet. On lui avait fait l'honneur, que
n'eurent ni Broussais, ni Yelpeau, ni même Ricord, de
forger un néologisme avec son nom. Le Meignen avait
une chaire dé botanique; c'était le Linnée ou plutôt
l'Ecorchard de son temps. La physiologie était !a spécia-
lité de Gesbert; je note, en passant, que ce mot, au
xvme siècle, est toujours écrit sans y à la première
syllabe; les promoteurs de la réforme orthographique
pourraient invoquer ce précédent qui dénote, d'ailleurs,
une parfaite ignorance de l'étymologie grecque.
Les docteurs « régents », au nombre de 18, compre-
— 290 —
naient les cinq « médecins » déjà nommés. Us avaient
pris leurs incriptions - - leurs grades, comme on disait
alors — à l'Université de Nantes. Nous en avons la
preuve dans la thèse de Gesbert de Boisfontaine, que
j'ai eu la bonne fortune de retrouver. Elle est imprimée à
Nantes chez la veuve Querro, mais ne porte, malheureu-
sement, au titre qu'un fleuron assez ordinaire, au lieu de
la belle image qui faisait, aux yeux de la Toinette du
Malade Imaginaire, le seul mérite de celle de Diafoirus.
Le jeune candidat - - c'est Gesbert que je veux dire —
soutenait, en 1788, devant un jury présidé par Me Jac-
ques Bodin-Desplantes, la thèse suivante, qui fait encore
souvenir de Molière : An bilis natura et usus definiri
possunt? Est-ce qu'on peut définir la nature et l'usage de
la bile? Gesbert n'échauffa pas la bile de ses examina-
teurs; il fut reçu avec éloges et, dès l'année suivante,
se parant de son titre de docteur en médecine, il
engageait contre l'apothicaire Hectot, de l'Hôtel-Dieu,
une polémique dont les pièces subsistent à la Biblio-
thèque de Nantes. En 1820, on retrouve un Hectot,
pharmacien sur la Fosse, directeur du Jardin des Plantes,
rue des Ursulines. Ce doit être le même.
La thèse de Gesbert al teste que Jacques Bodin-Des-
plantes était un docteur de marque, puisqu'en 1788 il
présidait un jury d'examen. Il était sous-maire pendant
la première mairie de Giraud-Duplessis; il signait, en
cette qualité et toujours pendant l'année 1788, les vœux
du Conseil communal animés du plus intelligent libéra-
lisme. On le retrouve encore au nombre des promoteurs
de la grande fête patriotique qui réunit les membres de
la noblesse à ceux du Tiers-État nantais. J'aime à saluer
en lui l'aïeul du sympathique collaborateur de l'Espérance
du peuple, sous la direction Emerand delà Rochette. Ce
journaliste sans fiel, qui répondait, comme son grand-
père, au prénom de Jacques, n'avait que des amis dans
les partis les plus opposés.
Revenons à nos médecins, ou plutôt à nos « docteurs
— 291 —
régents », avec le regret de ne rien savoir de précis sur le
clinicien Arnoult, sur Lemerle, qui soignait les gens de
mer, sur Moniien, qui s'intitulait assez pompeusement :
« de la Société de Médecine de Paris, de plusieurs autres
Académies, ancien médecin des Hôpitaux de la Marine
et de l'Hôtel-Dieu de Rennes. » Se parer de tout cela et
enseigner la « Sméiotique » donne à Moniien un brevet
d'originalité, mais ne le représente pas précisément sous
des couleurs modestes.
Le Meignen, qui habitait rue Crébillon, n° 4, n'était
autre que le grand-père de l'avocat Henri Le Meignen,
fondateur et Président de la Société des Biblio-
philes bretons, mort il y a quelques années. J'ai gardé
très bon souvenir de ce bibliophile fervent, doublé d'un
littérateur, ami intime de Perthuis, et qui fut frappé, en
ses dernières années, de malheurs immérités. A la Société
Archéologique, qu'il présida, deux fois, avec distinction, à
la Société Académique, il retrouvait les traces de son père.
Il avait hérité de son grand-père le médecin, le professeur
de botanique, un goût très vif pour les fleurs, qu'il alliait
à celui des livres. Les jardins qui entouraient sa propriété
de La Classerie, près Rezé, les serres où il cultivait des
plantes rares, lui étaient aussi chers que sa bibliothèque.
Il dut abandonner tout cela pour venir vivre tristement
à Paris, de son métier d'avocat. La mort a été une déli-
vrance pour celui qui aimait tant la vie et qui savait
l'aimer.
Plusieurs de ces « docteurs régents » n'étaient pas, comme
disait Henri IV, parlant des ducs de Bretagne, de petits
compagnons. Richard Duplessis se disait avec fierté,
comme son collègue Moniien, « membre de la Société de
Médecine de Paris ». Mollet de la Barre, après s'être fait
recevoir à Nantes et tout en continuant à figurer sur la
liste des docteurs régents, s'en était allé exercer à Paris, où
le champ était plus vaste. Laënnec, qui, comme Bodin-
Desplantes, avait touché à la politique sous la mairie
Giraud-Duplessis, reprenait avec orgueil son titre d'ancien
— 292 —
médecin des- hôpitaux delà marine, et, dans son cabinet de
la place du Bouffay, faisait l'éducation de son fils, qui
allait devenir l'illustre inventeur de l'auscultation. Sur
cette trame un peu grise d'honnêtes praticiens de pro-
vince, ressortaient déjà, par leur activité impatiente
et leurs tendances ultra-libérales, Blin et Duboueix.
François Blin, après avoir eu sous le proconsulat de
Carrier un rôle effacé et s'être confiné dans l'exercice,
de sa profession, prit tout à coup une part importante
aux événeme-nts. Ce fut son ami Bureau de la Bâtardière,
« personnage assez frivole », disent les contemporains, et
ayant pris pied dans le camp royaliste, qui le décida, on
ne sait pourquoi, à sortir de sa retraite de la rue Contres-
carpe et à se lancer dans le mouvement politique. Avant
la conclusion du traité de la Jaunais, Blin s'employa, de
concert avec Bureau, à ouvrir les négociations entre le
représentant Buelle et le. général Charette. Toujours
avec Bureau, il partit pour Paris, investi d'un mandat
officiel des Beprésentants du peuple; il allait faire hom-
mage à la Convention des drapeaux des pacifiés. Le
Journal de la Correspondance de Nantes rend sèchement
compte de ce voyage, sur lequel on voudrait avoir
les impressions de Blin lui-même. Je suppose qu'il fut
désabusé des grandeurs et reprit paisiblement ses fonc-
tions médicales. Je retrouve sa trace quai de la Fosse,
20, en 1820.
Michel Duboueix était plus remuant; il ne lui a
manqué qu'une vaste scène pour devenir un personnage
de premier plan. Il était de Clisson où, d'après les Etren-
nes, il résidait encore en 1793. Mais, tout médecin de
petite ville qu'il était, il avait réussi, une fois ses études
classiques terminées au Collège de l'Oratoire de Nantes
et son diplôme conquis devant la Faculté de Paris, à se
faire une réputation et un nom. Auteur de Recherches
sur la rage (qui eût supposé en lui un précurseur de
Pasteur ?) et d'une Topographie médicale de Clisson,
couronnées par la Société royale de Médecine en 1784, il
— 293 —
obtint le titre de médecin (honoraire) de Monsieur,
frère du Roi. La politique le tenta dès les premiers troubles
révolutionnaires; il fut élu, en 1790, membre du départe-
ment de la Loire-Inférieure pour le district de Clisson.
Dans l'assemblée électorale du district qu'il présidait, il
prononça un discours qui est du mauvais Diderot ou du
Raynal tout pur sur « l'affreux despostime, les satrapes
oppresseurs, la superstition imbécile ». L'année suivante,
devenu maire de Clisson et trésorier du district, il était
élu second député suppléant de la Loiret-Inférieure à
l'Assemblée Législative. Il n'eut pas l'occasion de siéger
à l'Assemblée et vint exercer la médecine à Nantes, au
cours de l'année 1793. Mal lui en prit, car il succomba,
au mois de décembre, à l'épidémie causée par l'entasse-
ment des malades dans les prisons de la ville. Dans les
Annales de la Société Académique de la Loire-Inférieure,
Dugast-Matifeux a consacré une notice à ce singulier
Duboueix, type de médecin politicien, et qui méritait
mieux que la mention erronée du Dictionnaire des parle-
mentaires français, où on l'affuble du titre imaginaire de
« comte du Pinieux. »
Les officiers de santé du collège de la ville de Nantes Officiers
(je n'ai garde de rien omettre de ce qui concerne leurs de santé.
qualités) formaient un corps sérieux. L'anatomie, malgré
Vésale et ce professeur Tulp que Rembrandt a immorta-
lisé dans un tableau célèbre, n'était pas encore, ainsi
que la chirurgie, sa sœur, placée au premier rang des
sciences médicales. On opérait assez rarement, on dissé-
quait peu au xvne siècle et au xvme siècle ; de là, bien des
erreurs et beaucoup de blessés, de malades condamnés à
une mort certaine. A Nantes, comme ailleurs, les élèves
de chirurgie et d'anatomie devenaient officiers de santé,
— médecins, docteurs régents, jamais. - - Leurs écoles ne
se tenaient pas à l'Université, mais dans un local assez
sombre de la rue Follard (rue Saint-Léonard), très proba-
blement celui que les chevaliers du Papegaut avaient
— 294 —
abandonné pour la Motte-Saint-André et qui devint
l'ancien muséum d'histoire naturelle. Ces officiers de
santé, que leurs collègues les docteurs auraient eu tort de
dédaigner, avaient leurs professeurs recrutés dans leur
docte compagnie. C'étaient — pourl'anatomie, Bisson, de
la famille de l'héroïque enseigne de vaisseau lorientais;
— pour les opérations, Cantin, dont le nom figure au bas
de quelques actes delà municipalité antérieurs à 1789 ;
— pour « les principes de l'art de guérir », ce que nous
appelons la thérapeutique, Fabré, qui devint conseiller
municipal de 1803 à 1813; — pour la pathologie et la
matière médicale, Darbefeuille, le chirurgien de l'hospice
des Enfants Trouvés, devenu sous la Restauration
chirurgien en chef de l'Hôtel-Dieu; — pour les accou-
chements, Etienvrin, « démonstrateur » habile, dont
la Bibliothèque de Nantes conserve, manuscrit, un
traité d'angiologie; — pour l'ostéologie et les maladies
des os, Godebert, un des signataires de la requête
du Tiers-État et delà souscription patriotique de 1788,
officier municipal en 1791 et 1792. Etienvrin et
Godebert, praticiens éminents, étaient encore « pro-
fesseurs, d'accouchements en faveur des sages-femmes»;
ils se relayaient: l'un faisait son cours pendantle semestre
de juillet; l'autre pendant celui de janvier. Le dénom-
brement des trente officiers de santé, en dehors des pro-
fesseurs, serait fastidieux et sans intérêt. Je note seulemen t
un Perthuis, quai Tourville, qui me rappelle mon vieil
ami; un Suc, parent sans doute du sculpteur en renom à
Nantes vers 1848; un Ulliac « membre du collège de
Rennes, aggréé (sic) à celui de Nantes », qui porte un
nom illustré par M1Je Ulliac-Trémadeure, d'origine bre-
tonne, auteur d'ouvrages pour la jeunesse. A la suite des
noms d'Herbron, rue Juiverie, et de Thomas, qui, par une
singulière rencontre, habite rue Thomas, dans le quartier
de la Fosse, je lis la mention : « pour les rapports ».
Le sens de cette expression est donné tout au long
dans le Dictionnaire de Trévoux, édité en 1752, au
— 295 —
tome VI, page 625 ': « On appelle rapport, en médecine
et en chirurgie, le jugement que des gens nommés d'of-
fice, ou par convention, portent sur l'état d'un malade,
d'un blessé, d'une femme grosse, d'une fille violée,
d'un cadavre, pour instruire les juges de la qualité et du
danger de la maladie ou des blessures, de leurs causes,
ou du temps qu'il faut pour les guérir, de la certitude
d'une grossesse ou d'un viol, et de la véritable cause de
la mort d'un homme. - Rapport dénonciatif. C'est un
rapport fait à la réquisition des parties intéressées, qui
peuvent choisir pour faire la visite tels médecins, chirur-
giens et matrones qu'il leur plaît. » Herbron et Thomas
remplissaient donc les fonctions de médecin légiste et
de médecin expert. Autre remarque : plusieurs des
officiers de santé, chirurgiens, ne résident pas à Nantes.
Le doyen Gillet est à Paris; j'ai fait des recherches long-
temps infructueuses sur ce personnage qui avait en
Bretagne, à Nantes même, de nombreux homonymes, et
j'ai fini par découvrir qu'un G. Gillet, chirurgien à Nantes,
qui doit bien être le nôtre, avait publié à Paris, chez
Butard, en 1770, des Observations tendant à prouver que
les fièvres ne sont pas des maladies. Je flaire en ce nomade
doyen un devancier des théories microbiennes.
Un second chirurgien, Bournave, était à Cordemais ;
un troisième, Besson, « à l'Amérique », comme impri-
maient les Etrennes en leur style suranné; un quatrième,
Danilo, avait préféré les hasards et les dangers de la vie
militaire à la paisible existence provinciale : il était à
l'armée du midi. Comme il n'y a qu'une initiale « armée
du m. », j'avais cru d'abord qu'il s'agissaitdel'armée de
Mayence ; mais celle-ci, qui laissa en Vendée d'assez
terribles souvenirs, ne fut formée qu'en juillet 1793.
Danilo exerçait encore sous la Restauration, et demeu-
rait rue de La Peyrouse, n° 3.
Je note que les chirurgiens de l' Hôtel-Dieu et du Sani-
tat : Bacqua, Defray, Gautier, ne paraissaient pas dans le
modeste amphithéâtre de la rue Folard.
296 —
Dentistes.
Apothicaires .
Les dentistes viennent après les chirurgiens : aussi bien
prennent-ils déjà le titre de « chirurgiens dentistes ».
Ils sont aujourd'hui douze à Nantes même; ils n'étaient
alors que trois et habitaient, tous les trois, rue Fosse.
Cagnat ne porte un nom ni nantais, ni breton : Boissy de
Beausoleil, avec une si belle façade, devait être le dentiste
de l'aristocratie et du beau monde. Le troisième, Marcan-
tiny, annonce qu'il est Italien; on s'en doutait un peu et
aussi que ses compatriotes et confrères arrachaient des
dents sur le Pont-Neuf ou sur la place du Bon-Pasteur.
Par le temps qui court, les dentistes italiens ne font plus
florès. C'est d'au delà des mers, de l'Amérique, que
nous viennent les mécaniciens les plus experts. Notons
que Marcantiny était chirurgien-major de la Garde
Nationale, en 1791.
Les apothicaires, tués par le progrès, ont disparu sous
leur forme primitive. M. Purgon et M. Fleurant ne
vivent plus que dans Molière avec les matassins de Pour-
ceaugnac. Mais les apothicaires de 1792 n'étaient autres
que des pharmaciens et l'on aurait beaucoup froissé
MM. Lafiton, Louvrier, Cigogne ou Dupré de la Boulais,
en les invitant à administrer le petit remède qui donnait
à nos aïeux un teint toujours fleuri. Est-ce leur ancienne
profession qui leur a laissé des noms lénitifs ou harmo-
nieux? Celui de Benoît n'est que gracieux, mais celui de
Haubois est tout à fait musical. L'un d'eux trahit une
origine nantaise. Les autres, La Fargue, Garros, Trahan,
m'ont l'air d'arriver du Midi en droite ligne, mais l'un
d'eux a fait souche nantaise.
La Bibliothèque
La disposition des Etrennes fait succéder aux apothi-
caires la Bibliothèque publique. Cette Bibliothèque,
assez modeste alors, qui ne s'était pas enrichie des pré-
cieux fonds Labouchère et Lajariette, était située
Maison du Collège, vis-à-vis le cours Liberté, ex-cours
Saint-Pierre. Elle avait pour bibliothécaire un nommé
— 297 —
Londiveau, prédécesseur inconnu des Guillet, des Peecot,
des Péhant et des Rousse. Elle était ouverte les lundis,
mercredis et vendredis, de 2 heures à 5 heures en hiver ;
de 2 heures à 6 heures en été. Une petite note, que le
rédacteur des Etrennes place à la suite, me charme :
« Lorsque le jour de l'ouverture tombera un jour de
fête, la bibliothèque sera ouverte le lendemain ».
L'Administration et le bibliothécaire donnaient là, sous
une forme naïve, un bel exemple de conscience ; ils
seraient peut-être moins scrupuleux aujourd'hui. Seu-
lement, les bibliothèques sont ouvertes tous les jours,
excepté le dimanche.
LES ÉCOLES
Place au Collège de l'Oratoire où débuta le général L'Oratoire.
.Mellinet ! Il a précédé celui que nous avons connu et
qui a disparu lui-même, sous son vieil aspect de cloître
et de prison, devant une bâtisse neuve, sans défauts
mais sans souvenirs ! On pourrait dire de l'ancien collège,
celui de l'Oratoire, que ses ruines mêmes ont péri si la
façade de la chapelle, rehaussée, dans son style Louis XIII,
par l'élégant perron qui y donne accès, et la chapelle
elle-même n'avaient été conservées pour loger d'abord
les collections du musée archéologique, et, actuellement,
une partie des Archives départementales. Les bâtiments
du collège s'étendaient de chaque côté de la chapelle et
en bordure de la rue du Lvcée actuelle ; ils étaient
insuffisants pour le nombre croissant des élèves; ils ont
été démolis à l'époque où, en exécution du décret impé-
rial, qui décidait la création d'un lycée, on désaffecta
le couvent des Ursulines, abandonné, par les religieuses,
depuis la Révolution.
Le collège de l'Oratoire était municipal, en réalité;
son titre de « collège royal » était fictif, puisque l'ingé-
rence de l'Etat dans l'enseignement public, substituant
aux universités autorisées l'Université officielle, est une
— 298 —
des créations du système napoléonien. Pour Nantes,
j'ai retrouvé un document probant, dont la date con-
corde presque avec l'apparition des Etrennes de 1793.
C'est une affiche sur la rentrée du collège, datée du 21
octobre 1792, signée : Giraud-Duplessis, maire; J.-M.
Dorvo, procureur de la Commune; L. Ménard, commis-
greffier. Le maire étend sa sollicitude éclairée sur les
élèves du collège; c'est lui qui règle les heures des cours;
il termine sa circulaire par quelques phrases éloquentes
et bien senties, où perce, sous les réticences d'usage,
un ton d'autorité : « Puissent les élèves se persuader
que. si les lumières ont fait naître parmi nous le règne
de la Liberté, elles seules en assureront la durée, et,
que, pour être un jour des hommes utiles et des
citoyens éclairés, ils doivent acquérir des connaissances
solides, applicables aux différentes fonctions de la
Société ! »
Voilà un langage péremptoire; pour bien comprendre
les derniers mots « connaissances solides applicables
aux différentes fonctions de la société », il faut se
rappeler qu'une véritable réforme scolaire, restreignant
sans le supprimer, renseignement de la langue latine, des
humanités, comme on disait déjà, venait d'avoir lieu
au collège de Nantes. Dans un avis officieux et que l'on
devine dicté par le principal, Fouché, les Etrennes expo-
sent ainsi cette réforme : « Les instituteurs du collège
ont adopté le mode d'instruction que sollicitaient les
circonstances et le vœu des citoyens. L'enseignement
public est divisé en différents cours. Les élèves qui ne
se distinguent pas à l'étude de la langue latine peuvent
ne s'appliquer qu'aux sciences analogues à leurs dispo-
sitions et qui leur sont indiquées par le choix de leurs
parents. »
Du premier coup, les « instituteurs » attaquaient
le vif de la question. A l'enseignement latin des Orato-
riens, qui venaient d'être expulsés de leur collège, ils fai-
saient succéder une sorte d'enseignement mixte; ils
— 299 —
allaient même jusqu'à rendre le latin facultatif : ce
n'était plus une réforme, c'était une révolution.
La circulaire du maire Giraud-Duplessis accentuait
cette séparation des belles lettres et de la science, du
latin et du français. Cours du matin, à 8 h. 1 /2 : pre-
mier et second cours de langue française, cours de litté-
rature, cours de géographie, premier, second et troisième
cours de mathématiques. — Cours du soir, à 2 heures :
cours d'histoire naturelle, premier, second et troisième
cours de langue latine, cours d'éloquence, cours de
logique et de morale, cours de physique, cours d'histoire.
Il n'est pas question de latin dans les cours du matin.
Ces cours, d'après les explications complémentaires
que donnent les Etrennes, comprennent la mythologie,
les premiers éléments de la géographie, de l'histoire
et de l'arithmétique.
Sauf la mythologie, concession au goût d'une époque
qui faisait ses délices des Lettres à Emilie, de Dumoustier,
ce programme pourrait être celui des petites classes d'à
présent. Il chassait de l'enseignement ces manuels qui
firent de nouveau leur apparition à l'organisation de
l'Université impériale et sur lesquels pâlissaient de notre
temps les écoliers de huitième et de septième : ÏEpitome
historise sacrse, abrégé d'histoire sainte; ÏEpitome his-
toriée grœcœ, abrégé d'histoire grecque. Les Oratoriens
avaient emporté dans les plis de leurs robes le latin des
commençants; la langue de Virgile et de Cicéron était
réservée à leurs aînés. On ne devait l'enseigner qu'à
partir de la classe de sixième, peut-être même de cin-
quième.
Je ne crois pas m'être trompé en laissant l'honneur, L'oratorien
ou le privilège, d'une réforme aussi radicale au Principal Fonchè.
du collège, ce Joseph Fouché de Rouzerolles, plus tard
duc d'Otrante et ministre de la police, fils d'un capitaine
de navire du Pellerin. Fouché connaissait bien l'Ora-
toire de Nantes; il y avait été élève avant d'entrer au
— 300 —
Séminaire de l'Oratoire de Paris, avant de devenir pro-
fesseur semi-laïque, portant le costume ecclésiastique
des collèges de Niort, de Saumur, de Vendôme, de Juilly,
d'Arras. Il était revenu à Nantes en 1790, en qualité
de professeur de physique (ce qui explique l'importance
attachée dans le programme à cette faculté naissante).
Son rôle considérable au Club des AmisdelaConstitution,
dont il était devenu président, lui avait valu aussitôt
après la dispersion des Oratoriens, sa nomination, par
la municipalité, de Principal au collège. Son mariage
avec Bonne-Jeanne Coiquaud (16 septembre 1792), son
élection de député de la Loire-Inférieure à la Convention,
semblaient n'être que des accidents dans la vie extra-
ordinairement agitée qu'il menait dès lors. Les Archives
curieuses de Nantes, de Verger, analysent son Règle-
ment pour le collège de Nantes, soumis au Directoire du
district; l'esprit même de ce règlement, sa tendance à
faire prédominer l'enseignement scientifique sur l'ensei-
gnement littéraire (qui semblait, à ce défroqué, animé
du fanatisme religieux) se retrouvent dans la circulaire
du maire Giraud-Duplessis. Il n'y a d'ailleurs qu'à rappro-
cher les dates. Quelques jours avant la distribution
des prix du collège (30 août 1792), où Henri Giraud,
probablement un parent du maire, obtint le prix d'hon-
neur de « philosophie, mœurs et talent » (sic), où Pierre La-
cointrée, en rhétorique; René Douillard et Lelasseur, en
troisième ; Laurent Baudry, en quatrième, sont d'autres
lauréats, Fouché a présenté au Directoire du district
son Règlement élaboré depuis le mois de mars. La circu-
laire municipale est du mois de septembre suivant.
Les professeurs. près de Fouché, qui allait voter à la Convention la
mort de Louis XVI et faire envoyer Carrier à Nantes,
gravitant pour ainsi dire dans son orbite, étaient les
« instituteurs publics » ou, plus simplement, les profes-
seurs du collège, tous laïques ou ayant, comme leur
patron, jeté le froc aux orties. L'ordre dans lequel les
— 301 —
énumèrent les Etrennes prouve la défaveur dont le
latin était l'objet. Tout de suite après l'obscur Noyer,
« suppléant principal », un homme de paille de Fouché,
ce sont les professeurs des trois cours de mathématiques,
Deperet, Petit et Faye, qui tiennent le haut du pavé.
Deperet enseigne aussi la physique, Petit, la logique,
Faye, l'histoire naturelle. Le premier, qui a prêté le
serment constitutionnel en 1791 et fait partie de la
Société ou Club des Amis de la Constitution, cette pépi-
nière de futurs jacobins, a laissé un cours de morale,
conservé manuscrit à la Bibliothèque et qui témoigne de
ses aptitudes variées. Je ne sais rien du second dont
les homonymes sont très nombreux. Mais Faye était
notable de la municipalité de la Terreur en 1793-1794,
sous le maire Renard, et cela nous éclaire sur ses
opinions.
Rien de précis ne signale à l'attention Lachaud, pro-
fesseur de littérature et d'éloquence, ni les trois pro-
fesseurs de langue latine. Deux d'entre eux, Biscarra,
d'origine étrangère sans doute, et Ruelles, cumulaient
l'enseignement du latin et celui du français. Le troisième,
Deleau, apprenait aussi cette mythologie, si aimée autre-
fois, si délaissée aujourd'hui. Un suppléant, nommé
Brayer, devait se tenir prêt à remplacer tout professeur
empêché.
Le doyen du collège, nommé Giraud, professeur de
géographie et d'histoire (ces deux facultés se sont
trouvées presque de tout temps réunies dans la même
main ou dans la même chaire), était un ancien ora-
torien, à qui son âge et son mérite avaient valu d'être
maintenu dans ses fonctions. M. René de Kerviler l'a
identifié avec un bibliothécaire de la ville en 1765. Il
devait donc être vieux déjà, quand il était professeur
de seconde au collège de l'Oratoire en 1790 et, trois ans
après, quand il y enseignait la géographie et l'his-
toire. Mais je retrouve sa trace encore plus tard; en
l'an IV, m'apprend la brochure de M. Ricordel sur
— 302 —
V Enseignement secondaire dans la Loire-Inférieure, il
devint « professeur pour les lettres » à l'Ecole Centrale
du département. En admettant qu'il ait été chargé, très
jeune, de la conservation de la Bibliothèque publique,
ce Nestor du professorat nantais était certainement
septuagénaire quand on lui confia une chaire de litté-
rature. Et cela ne laisse pas que de surprendre à une
époque où les hommes dévoraient la vie.
Voilà tout ce j'ai pu recueillir sur l'ancien collège de
Nantes en 1792. La moisson n'est pas abondante. Le
Livre d'or du Lycée de Nantes, qui va paraître prochai-
nement, nous en apprendra davantage.
Ecole
d'hydrographie.
La Révolution avait introduit dans l'enseignement le
principe de la gratuité. Préoccupée de fournir au pays
une armée et une marine nationales, elle ne négligea rien
pour assurer le recrutement des officiers. La loi du 10
août 1791 créa dans les ports de mer et dans les grandes
villes de commerce maritime des écoles gratuites et pu-
bliques de mathématiques et d'hydrographie; les élèves
y recevaient une instruction pratique de nature à les
rendre aptes « au service des vaisseaux de l'Etat. »
Professeurs
nationaux.
Le ministre de la Marine et des Colonies, Monge, es-
tima qu'une telle organisation relevait de son dépar-
tement. Dans chacune des douze villes désignées (la
Bretagne, avec Nantes, Lorient, Brest, Saint-Malo,
entrait pour un tiers dans ce total), il délégua des pro-
fesseurs nationaux avec les pouvoirs les plus étendus,
C'est ainsi que le citoyen Rollin, de l'Académie de Marine,
ancien professeur de mathématiques et de physique de
la marine militaire, fut envoyé à Nantes pour y remplir
la place de professeur national de mathématiques et
d'hydrographie. Ce Rollin, d'origine méridionale, s'appe-
lait Bollin de la Farge; il avait retranché sa particule
pour ne pas ressembler à un ci-devant, quitte à la
reprendre plus tard.
— 303 —
Il s'installa place Graslin, maison Vilmain, et donna
ses cours — tint ses séances, comme on disait alors —
tous les jours de la semaine, depuis neuf heures du matin
jusqu'à deux heures. Le programme obligatoire com-
prenait les trois volumes d'arithmétique, de géométrie
et de navigation de Bezout, le plus célèbre mathémati-
cien de son temps, et la Statique de Monge lui-même,
l'illustre savant qui allait fonder l'École Polytechnique.
Rollin était sans doute un professeur habile. Ses cours
furent très suivis. Il prépara bon nombre de candidats,
de «prétendants» (mot de l'époque) aux places d'ensei-
gnes entretenus, d'aspirants de la marine, de seconds
lieutenants d'artillerie de la marine. Toutes ces places
étaient données au concours, devant un jury d'examen
qui allait de ville en ville, pendant les mois de février,
mars, avril, mai, et se réunissait à Nantes le 6 avril. En
1793, il n'y avait de disponibles que dix places d'en-
seignes entretenus à Toulon, dix à Rochefort, vingt
à Brest, trois places de seconds lieutenants d'artillerie
de la marine à Toulon, deux à Rochefort, cinq à Brest.
Beaucoup d'appelés, peu d'élus. J'aimerais à savoir le
nombre et les noms des élèves que Rollin fit recevoir.
Toujours est -il qu'il se plut à Nantes, qu'il y prit plus
tard le titre de professeur aux écoles de la marine et
qu'il fut élu député de la Loire-Inférieure en l'an VI.
Les professeurs piqués de la tarentule politique étaient
nombreux; n'avaient-ils pas sous les yeux l'exemple de
Fouché ?
L'Académie nationale de dessin et de peinture ins-
tallée place Buffon (place Bretagne), n° 11, avait des cours
payants et des cours gratuits. Le professeur Hussard,
avec lequel je n'ai pas fait plus ample connaissance,
donnait à son établissement le titre d'Académie Natio-
nale. Il tenait sa classe payante tous les jours, de 9 heures
du matin à midi; sa classe gratuite, pour les garçons, les
lundis, mardis, jeudis et samedis, de 9 heures à 11 heures;
Soc. Archéol. Nantes. 20
Académie
de peinture.
— 304 —
pour les filles, de 11 heures à 1 heure. Les élèves payants
et les autres étaient-ils confondus? C'est peu prohahle;
le professeur les tenait, sans doute, dans deux salles
distinctes, qu'il inspectait à tour de rôle. Mais il est
permis de croire qu'il réservait ses attentions à ceux ou
celles qui lui rapportaient un profit et que le mot «gratuit »
était une étiquette, une façon de se recommander aux
pouvoirs publics. A la fin de l'article qui le concerne
dans les Etrennes, Hussard fait insérer l'avis suivant :
« Il y aura étude et leçon d'après la bosse et d'après
nature, à la lampe, tous les jours, depuis 5 h. du soir
jusqu'à 7, du 1er décembre au 1er avril. » L'importance
des cours de dessin était déjà réelle à Nantes, dans une
ville qui produisait des artistes. Ne voyons-nous pas les
sculpteurs Robinot-Bertrand et Lamarie rehausser un
peu le niveau intellectuel de la municipalité Renard ?
Hussard tenait toujours son Académie en 1810. Il ensei-
gnait encore le portrait sous Louis XVIII, rue Franklin.
Autres Tout était d'ailleurs Académie dans l'enseignement
académies. d'avant et pendant la Révolution. L'Académie polyso-
phique du sieur Trioche, avec son qualificatif préten-
tieux, qui aspirait, d'après l'étymologie grecque, à l'uni-
versalité des connaissances, s'appellerait simplement
« Ecole » aujourd'hui. C'était un externat sélect, à
l'usage des enfants riches, des fils de gros négociants
ou de notables commerçants, situé presque dans le quar-
tier aristocratique, rue Bossuet (ancienne rue de Briord),
dans l'hôtel Becdelièvre, voisin de cet hôtel de Briord
où Anne de Bretagne avait eu jadis sa petite cour de
lettrés et d'artistes. Le prix de la pension de « l'abon-
nement annuel » était élevé pour le temps : 200 livres,
et point du tout à la portée de toutes les bourses. On
pouvait, il est vrai, prendre des inscriptions par mois,
en payant 15 livres par séance pour deux cours que
l'on choisissait. Les abonnés au mois n'avaient droit
qu'à deux cours sur trois, au choix ; les abonnés à
305
l'année pour un prix équivalent, suivaient les cours au
complet.
Voulez-vous connaître maintenant le programme de
ces trois séances quotidiennes? La première, depuis
9 heures jusqu'à 11 heures, comprenait les cours de mathé-
matiques, de violon, d'armes, de chant et de clarinette.
La seconde, de 11 heures à 1 heure, mariait aussi l'utile
à l'agréable; elle était composée des cours d'écriture,
d'anglais, de danse et de flûte. A la troisième séance,
de 3 heures à 5 heures, on travaillait plus sérieusement
et sans mélange; on suivait les cours de français, de
latin, de littérature, de géographie, d'histoire et de
dessin. Quel assemblage et quelle variété ! L'Académie
polysophique ne mentait pas à son titre. Le directeur,
Trioche, semble, au surplus, avoir été capable de toutes
les activités. Nous l'avons rencontré à la Garde Natio-
nale et au Tribunal du District comme juge suppléant.
A son Académie il est vraiment polysophe, j'allais écrire
polymorphe ; il cumule même les attributions que
raille Figaro, il est calculateur, il est danseur. Plaisan-
terie à part, Trioche devait être un maître homme ; s'il
prenait cher pour ses « séances », c'est qu'en payant
largement de sa personne, il avait chez lui, tant pour
les sciences que pour les arts d'agrément, les meilleurs
professeurs de la ville. Il avait le secret de faire succéder
le solo de flûte au théorème, les jambages aux parades,
les entrechats aux déclinaisons. On voudrait posséder
les cahiers d'une ancienne élève de l'Académie Poly-
sophique — car, sous les auspices de Terpsichore, les
deux sexes devaient fraterniser, comme chez Hussard.
Dans les Annales de la Société Académique de Nantes, de
1907, M. Libaudière a publié une étude intéressante,
intitulée : L'Enseignement classique à Nantes pendant la
Révolution et jusqu'à l'ouverture du Lycée en 1808 ; il y
consacre quatre pages à l'Académie Polysophique, fon-
dée en 1790; il n'a retrouvé aucun document sur elle
et croit que son existence fut éphémère.
— 306 —
L'escrime. Tjne académie de plus, cela ne comptait pas en l'an de
grâce 1793. Rien de surprenant à ce qu'il y eût à Nantes
une Académie pour les armes. Moreau de Grandmaison
la tenait, maison Sagori, rue Fosse ; elle était ouverte
depuis 7 heures du matin jusqu'à midi, et de 2 heures
à 7 heures du soir. Les friands de la lame pouvaient s'en
donner à cœur joie. Ils avaient même la ressource d'aller
chez le concurrent de Coursin, rue Bossuet, qui tenait
aussi une Académie, et qui l'ouvrait toute la journée
sans interruption, de 7 heures du matin à 8 heures du
soir. On ferraillait encore à l'autre hout de la ville, chez
Rozière, maître d'armes, qui avait sa salle place Buffon,
n°7, et la tenait ouverte de 8 heures du matin à 8 heures
du soir. Rozière, avec sa simple salle, ne pouvait se plain-
dre, comme ses confrères les académiciens, que sa
grandeur l'attachât au rivage; il se déplaçait, donnant,
selon la petite note insérée aux Etrennes, « des leçons
dans les maisons où il était demandé ».
L'ampleur et la précision de ces indications prouvent
que l'art de l'escrime était très en faveur à Nantes
quand la Révolution éclata. C'était un héritage de l'an-
cien régime ; toute éducation de jeune noble et même
de jeune bourgeois se complétait par une science appro-
fondie du noble métier des armes. Ceux qui ne portaient
pas l'épée avaient à cœur de prouver qu'ils étaient dignes
de la porter. Le nouvel état de choses relégua l'escrime
au rang des inutilités élégantes; on fit l'exercice au
lieu de faire des armes, et le sabre remplaça l'épée.
Les Etrennes Nantaises cessèrent de paraître plusieurs
années; quand elles reparurent sous le Consulat, les
« Académies » d'armes, les vulgaires salles d'armes, n'y
figuraient plus, la grande guerre avait absordé la petite,
ceci avait tué cela. Même remarque sous l'Empire. Il
fallut le retour des Bourbons et les duels entre mousque-
taires du Roi et officiers en demi-solde pour remettre
l'escrime à la mode. Elle fleurit de nouveau, et plus que
jamais. Ce fut le moment où un savant maître, Moreau,
— 307 —
qui était très probablement le fils ou le neveu de Moreau
de Grandmaison, (les atrocités de Carrier avaient rendu
suspect le nom de Grandmaison, l'un de ses plus farou-
ches complices), dédia à la jeunesse nantaise un excellent
petit traité de l'art des armes, que Charles Mellinet, un
tireur émérite, a réimprimé il y a quelques années. Les
beaux jours de l'escrime à Nantes ont coïncidé avec
cette période de dissipation et de luxe qui trouva son'
apogée au commencement du Second Empire. On m'as-
sure qu'ils ne sont pas encore tout à fait évanouis.
l'industrie
Nous passons des armes aux manufactures. Mars Les manufac-
est un Dieu, Mercure en est un autre, et le commerce tares-
nantais, qui avait fait de la ville une des trois ou quatre
plus riches du royaume, ne peut être traité en quantité
négligeable. Deux Bourses avaient existé, l'une en 1640
et l'autre en 1723, dans la rue de la Fosse, je crois,
quand, au commencement de 1792, Mathurin Crucy
posa la première pierre de la Bourse actuelle, dont on
peut voir sous verre les lavis à l'encre de Chine, aux
Archives municipales, approuvé le 12 mai 1790.
Nantes avait, en 1792, une vingtaine de manufactures
importantes. Avec les cordages, les coutils, les cotonnades,
les couvertures, les indiennes, elle touchait à presque
toutes les branches de ce qu'on appelle aujourd'hui les
industries textiles; ses faïences, ses verreries, étaient jus-
tement estimées; elle fabriquait, depuis peu, les ins-
truments aratoires, que les cultivateurs du pays avaient
longtemps demandés aux villes voisines.
Un nommé Brée, sur lequel j'ai interrogé en vain la
Commune et la Milice de Nantes, ouvrage prodigue de
renseignements sur les négociants nantais, ainsi que les
diverses Biographies, était propriétaire et directeur de la
manufacture de cordages de Gigant; il demeurait rue
du Bois-de- la-Touche, n° 7, où des traces de son habi-
— 308 —
tation pourraient être relevées. Ce doit être le même
que Brée de la Touche, qui, en 1789, offrit des boucles
d'argent pour la souscription patriotique. (Bull, de la
Soc. Archéol. de Nantes, x, 94.)
La manufacture de coutils et cotonnades, rue Rubins
(sic), n° 38, dans le voisinage de la salle de spectacle,
était dirigée par Dodin ou Dodun, qui, dans les Etrennes
du Commerce pour 17i)c2, est appelé Dodin de la Garenne
et en qui je soupçonne un parent du bourguignon
Dodun, directeur de la Compagnie des Indes à Lorient,
au xvme siècle, et un ancêtre des Dodun de Keroman
actuels, qui prennent le titre de marquis ou de comte.
Les couvertures constituaient une des industries nan-
taises les plus prospères. Il n'y avait pas moins de quatre
manufacturiers, et, sauf la veuve Dupouy, rue Démos-
thène (rue Saint-Clément), qui nous est inconnue,
c'étaient de notables commerçants dont les descendants
ont perpétué ou rehaussé la renommée : Langlois, rue
Poisson (ex-rue Talensac), Lorieux, rueBois-Tortu, n° 12,
et Ogier, même rue. Il y a eu, ou il y a encore, des Lorieux
ingénieurs, des Langlois industriels. Le seul représen-
tant du nom d'Ogier que j'aie rencontré était un pe'ntre
de talent, fondateur de Nantes-Lyrique et, avec quelques
artistes amis, du petit salon « L'Eclectique » ; Charles
Ogier est mort prématurément. Ses parents avaient
tenu une teinturerie près de la place Royale.
Les ouvrages spéciaux sur la céramique, notamment
ceux de Jacquemart, mentionnent, sans insister, entre
les faïences de Quimper, de Rennes et du Croisic, la
faïence de Nantes. Elle remontait à la fin du xvne siè-
cle; ce furent probablement des ouvriers de Quimper
qui s'établirent à Nantes, et l'un d'eux qui fonda la
faïencerie de la chaussée de la Magdelaine, dont les pro-
duits n'étaient pas sans mérite. J'ai vu chez Fortuné
Parenteau, grand collectionneur devant l'Eternel, un
buste de Vierge qu'il n'hésitait pas à attribuer à la fabri-
cation nantaise; c'était un ouvrage d'un goût exquis,
— 309 —
d'une coloration fine et très artistiquement modelé. D'au-
tres produits de même provenance ont été possédés ou
décrits par M. Dobrée, par le baron de Wismes. J'ignore
à quelle époque Rostaing de Rivas devint directeur de
la manufacture nantaise. Il était de famille ancienne
quoiqu'il signât son nom sans particule, en un seul
mot. J'ai connu un de ses descendants, médecin; un
autre, Olivier de Rostaing de Rivas, élève du Lycée
de Nantes vers 1865, est devenu officier supérieur. La
faïencerie de la chaussée de la Magdelaine existait encore
en 1840, mais on n'y fabriquait plus que des objets
vulgaires.
Tout près de la prairie de la Magdelaine, il y avait
une manufacture de filature, garas (c'était une espèce
de toile de coton), cotonnades, bazins, etc. La direction en
était confiée à Dulau et Cie, et je note, en passant,
une des premières « raisons sociales » établies à Nantes.
Le quartier était déjà celui des grandes industries et n'a
pas cessé de l'être. Pelloutier, Bourcard et Cle,
avaient ouvert en Biesse une manufacture des mêmes
produits. Pelloutier était le consul de Prusse; il
demeurait, il avait son bureau consulaire île Feydeau,
rue Monfort, 2, il n'avait pas à traverser la ville pour
aller à sa manufacture. Son associé, Bourcard, origi-
naire du Nord de l'Europe, où ses ancêtres continuaient
de s'appeler Burkhardt, est l'aïeul de mon ami, l'icono-
phile et iconographe distingué, Gustave Bourcard.
Six manufactures d'indiennes témoignaient de l'im-
portance que la fabrication de cette étoffe peinte et im-
primée, transmise aux Européens par les Indiens, avait
alors prise à Nantes. Pelloutier, Bourcard et Cie, décidé-
ment de très gros industriels, avaient une manufacture
d'indiennes, distincte de leur filature, « sur les ponts,
rue Beauséjour, n° 37 ». Presque à la même adresse, à
un autre numéro de la rue Beauséjour, s'était établi
Charles-Marie Forestier, lieutenant de la milice bour-
geoise, membre du Comité permanent de la commu-
— 310 —
nauté de ville en 1789. Pierre Dubern ne venait que le
second sur la liste des Etrennes ; mais, par sa notoriété et
sa fortune, il semble bien avoir été le premier des manu-
facturiers d'indiennes. En 1788, il figurait pour sa sous-
cription patriotique parmi les notabilités nantaises; la
même année, il était l'un des douze députés de la ville
chargés d'aller porter au Roi « le vœu d'un peuple plein
d'amour cl de vénération pour sa personne sacrée ». Il
fit partie, en 1789, des membres du Tiers chargés d'élire
les députés aux Etats-Généraux et du même Comité per-
manent que Forestier. On le nomma bientôt après offi-
cier municipal. Qu'il doive ou non être confondu avec le
porte-drapeau des bataillons des Ponts dans la Garde
Nationale de 1792, (et le voisinage de sa demeure ferait
pencher pour l'affirmative), son rôle politique n'était pas
terminé. Arrêté comme suspect, sur l'ordre de Carrier,
à la fin de 1793, il fut l'un des 132 Nantais. Mais il ne fit
que commencer le voyage; arrivé à Angers, on le mit en
liberté, et le Comité révolutionnaire ordonna la main-
levée des scellés apposés sur ses papiers. Il reprit la direc-
tion de sa manufacture. J'ignore quand il mourut. Il a eu
pour descendant un colonel, dont la fille épousa M. de
la Gournerie.
Gorgerat frères et Cie, en Vertais, Orillard aîné et Cie,
rue Caton (c'est la petite rue Dos-d'Ane, mais elle était
plus longue qu'à présent, ayant un n° 40), n'ont point
laissé de souvenirs. Il en est autrement de Petit-Pierre
et Cie « en Vertais, n° 10 ». Ce manufacturier, d'ori-
gine bretonne, sinon nantaise, eut un fils qui
avait ajouté à son nom celui de sa mère, Pellion,
successeur de Bertrand-Geslin à la mairie de Nantes. Le
nom de Petit-Pierre fut donné à une rue de la ville
dans ce quartier de Vertais où la famille avait grandi.
Mais il ne faudrait pas, comme on l'a cru, y voir le
berceau de Favre. Le père du sénateur de l'Empire,
d'origine suisse et protestante, avait épousé une demoi-
selle Petit-Pierre, nantaise; son mariage le fixa à
— 311 —
Nantes; il devint à son tour directeur de la manufacture
d'indiennes, mais je ne puis affirmer que ses trois fils,
dont le plus connu, Ferdinand, représenta longtemps
la ville, et comme maire et comme député, y naquirent.
La mairie Ferdinand Favre fut la plus longue et une des
mieux remplies des mairies de Nantes qui figurent au Livre
Doré; à 86 ans, en 1865, le beau vieillard présidait encore
la distribution des prix du lycée. Quant aux Petit-Pierre,
ils ont aussi beaucoup fait parler d'eux. Le petit-fils du
manufacturier de 1793 a écrit des pièces de théâtre en
collaboration avec Jules Amigues; son arrière-petit-fils,
sous le pseudonyme de Georges Price, s'est fait une place
dans le journalisme parisien; il était récemment secré-
taire de la rédaction du Gil Blas.
Une manufacture d'outils aratoires, charronnage en
acier, etc., fonctionnait, depuis cinq ans, rue de Rennes,
n° 20. Joseph Gaudin fils, autorisé à l'établir, avait fait
intervenir les Etats de Bretagne en sa faveur pour se
défendre contre les exigences du directeur d'une manu-
facture analogue à Amboise, qui prétendait posséder un
droit exclusif. Dans ce curieux procès, dont il est ques-
tion aux Artistes Nantais, ouvrage de M. de Granges de
Surgères, Joseph Gaudin obtint gain de cause. C'était un
homme intelligent et remuant. Il mit sa manufacture
d'acier « établie au quartier de Bel-Air, faubourg de
Nantes », sous la protection des Etats de Bretagne. Il
publia, à l'imprimerie Brun aîné, un bref in-quarto de
14 pages, que la Bibliothèque Nationale ne possède pas,
mais dont on me signale la présence à la Bibliothèque de
Nantes. Copie des pièces apologétiques de la manufacture
d'acier et outils aratoires du sieur Joseph Gaudin fils.
Gaudin avait de très nombreux homonymes; je ne sais
si je puis lui rattacher le conseiller d'Etat, ministre plé-
nipotentiaire, concurrent heureux du Dr Guépin et de
Prévost -Paradol aux élections législatives de 1869,
Emile Gaudin, dont la famille était originaire du pays
nantais, mais je le crois parent de Julien Gaudin, rafii-
— 312 —
neur, officier municipal sous la mairie Baco, que j'ai
déjà signalé et qui, plus tard, fut commissaire pour la
déportation des prêtres assermentés.
G. Guyot dirigeait une manufacture de toiles cirées à la
côte Saint-Sébastien ou vis-à-vis la Bourse, et Demuller,
qui clôt la liste de ces notables commerçants, la manu-
acture de verrerie, tout naturellement installée rue
Verrerie, n° 3. Les anciens plans de la ville donne-
raient l'emplacement exact de cette verrerie dont il
ne subsiste aucune trace. Je soupçonne que le directeur
Demuller venait de l'Est ou du Nord et était d'origine
allemande.
LA RÉGIE NATIONALE.
LES DOUANES ET LES PONTS ET CHAUSSÉES
Lamiseen régie ^ux fermiers généraux, qui affermaient tous les impôts
et, moyennant des cautionnements, des redevances an-
nuelles, échappaient au contrôle de l'Etat, l'Assemblée
Constituante avait substitué des régisseurs ou receveurs,
nommés par le Ministre des Finances; bref, elle avait mis
en régie tous les droits qui devaient alimenter les caisses
publiques, le Trésor. Une régie nationale des domaines,
droits d'enregistrement, timbre, hypothèques « et autres
droits y réunis », avait été créée dans chaque départe-
ment. Elle donnait des pouvoirs très étendus aux direc-
teurs, inspecteurs, receveurs principaux, qui réunissaient
dans leurs mains les attributions des receveurs généraux
(aujourd'hui trésoriers-payeurs), des percepteurs de
contributions et de droits réunis, des conservateurs
d'hypothèques. C'étaient de très hauts fonctionnaires,
et leurs fonctions exigeaient la connaisssance la plus
approfondie du système financier dont Turgot et
Necker avaient jeté les bases.
Fidière. \e directeur delà Bégie nationale de la Loire-Inférieure
se nommait Fidière et habitait au Bureau général de la
— 313 —
Direction, rue Girardon, n°3 (ex-rueBasse-du-Château).
Il descendait d'une famille espagnole ancienne, les
Figuero, et avait eu un ancêtre anobli comme argentier
par le roi d'Espagne Charles III. Employé dans les
bureaux de la ferme des domaines, à Rennes, '1 s'y
distingua par son intelligence, y fit une carrière rapide et
brillante. Sa fortune personnelle et ses capacités le
désignèrent au choix du Gouvernement pour la direction
suprême de la Régie nationale de Nantes. Je n'ai pas de
renseignements sur sa gestion, mais le simple fait d'être
demeuré à son poste, d'avoir régulièrement opéré ses re-
couvrements sous la dictature de Carrier, aussi cupide
que cruel, prouve que son caractère était à la hauteur de
son talent. Il se confina dans l'exercice de son emploi;
les exemples, qu'il avait sous les yeux, de fonctionnaires
ou de simples négociants que leur républicanisme n'avait
pas protégés contre la loi des suspects, lui donnaient peu
de goût pour une politique qu'il jugeait sévèrement
dans son for intérieur, car il n'était pas jacobin et pro-
fessait des opinions religieuses, fort rares à son époque.
En pleine Terreur, il maria l'une de ses filles à Brulart,
un de ses subordonnés, contrôleur de la fabrication des
tabacs, et le mariage fut bénit dans un grenier de l'île
Feydeau, par un prêtre insermenté, ce qui dut être signalé
à l'autorité, mais ne lui coûta cependant pas la perte
de sa place. Il avait fait de son fils unique, Fidière fils,
disent les Etrennes, un receveur-contrôleur du maga-
sin du Timbre. Ce Fidière fils marcha brillamment sur
les traces de son père et suivit la carrière des finances
La Restauration le nomma conservateur des hypothè-
ques à Paris; il garda ce poste, aujourd'hui divisé en
autant de conservations qu'il y a d'arrondissements,
pendant toute la durée du Gouvernement de Juillet et
mourut en 1854, presque nonagénaire. Il était le bisaïeul
maternel de mon ami Olivier de Gourcuff, qui m'a trans-
mis ces souvenirs de famille, mais n'a pas connu les vieux
parents dont les réminiscences du temps de la Terreur
— 314 —
nantaise devaient être si intéressantes. Cependant, la
mère de mon ami disait que son grand-père et les grand'
tantes qui l'avaient élevée ne parlaient pas volontiers
d'une époque qui avait mis un voile de tristesse sur leurs
jeunes années. Nantes alors ressemblait un peu à la
Venise du Conseil des Dix; on n'osait pas y élever la
voix, on y vivait sous la menace d'une arrestation, dans
la crainte du lendemain. Les dix-huit prisons de la
ville n'étouffaient pas tous les cris de douleur; le sang
coulait de Téchafaud du Bouffay. La Loire ramenait
parfois à la surface les cadavres des noyés. On
s'explique que le silence, un silence de mort, ait plané
sur la cité et que personne n'ait eu le loisir ou le courage
d'écrire ses Mémoires.
Autres
fonctionnaires
de la Régie.
Cette digression m'a mené un peu loin de la Régie
Nationale, qui comprenait deux divisions et, dans cha-
cune d'elles, un inspecteur principal ayant sous sa coupe
les districts du département. L'inspecteur de la pre-
mière division. Bigot, — que je crois, d'après une tradition
de la famille Fidière, être un Bigot de Preameneu, parent
du rédacteur du Code Civil, — demeurait place Mirabeau
(Delorme), à l'entrée du cours du Peuple (boulevard
Delorme); il administrait, au point de vue financier, les
districts de Nantes, Clisson, Machecoul, Paimbœuf, qui
se subdivisaient eux-mêmes en treize bureaux. J'ai
passé en revueplus de vingt Dubois, de la Loire-
Inférieure, des départements circonvoisins, avec ou
sans particules et noms ajoutés et je n'ai pas décou-
vert la trace de l'inspecteur receveur principal de la
seconde division, Dubois de Pacé, domicilié île Fey-
deau, rue Montfort, n° 3, dont les attributions s'éten-
daient sur cinq districts : Ancenis, Blain, Clmteaubriant,
Guérande, Savenay, et sur onze bureaux. Le nombre des
districts était en raison inverse de celui des bureaux.
Mais la première division, avec Nantes, devait être, et
de beaucoup, la plus importante pour les recettes.
— 315 —
Nous allons y revenir, à Nantes, après avoir signalé
les deux vérificateurs : Baudot, un Nantais de pure race,
et son collègue, Bidard, à qui je connais des homonymes
d'origine nivernaise. La ville de Nantes avait ses rece-
veurs particuliers : Clavier, que nous avons rencontré
déjà place du Pilori, n° 4, pour les Domaines, les droits
domaniaux et les forêts nationales ; Bouhierdela Brejol-
lière, un nouveau venu sous notre plume, pour l'enregis-
trement des actes sous-seing privé des notaires, les décla-
rations des successions directes et collatérales; Ber-
trand, l'officier de la Garde Nationale (qu'il faut se garder
de confondre avec Bertrand-Geslin, le lieutenant de
Canclaux), pour l'enregistrement des actes judiciaires,
des actes des huissiers et les amendes. Bouhier et Ber-
trand, déjcà nommés, distribuaient à beaux deniers
comptants le papier timbré.
Le directeur Fidière avait sous la main, ou plutôt en
face de lui, au n° 3, de la rue Girardon, le « Bureau du
Timbre extraordinaire ». Son fils, comme receveur con-
trôleur du magasin, assistait le garde-magasin contrôleur
de la recette, un nommé Barmel. Le personnel se complé-
tait par les deux Bazin, encore de vrais Nantais : le père,
timbreur; le fils tourne-feuille. Ce dernier emploi existe
toujours, mais le joli qualificatif, qui figurait encore à
l'Annuaire du Commerce, 1904, avec une dame «tourne-
feuilles» à la rubrique Enregistrement, Domaine et
Timbre, a disparu l'année suivante, et c'est dommage.
Il manque un tourne-feuille dans la Chanson de
Fortunio.
L'Administration des Douanes était une de celles que Les Douanes.
l'Assemblée Nationale avait créées en 1791 pour briser
les cloisons qui séparaient les provinces. Le Gouver-
nement nouveau avait reconnu l'utilité et l'avantage
d'un ensemble de taxes prélevées sur les marchan-
dises étrangères, qui remplissaient le Trésor public,
en même temps qu'elles protégeaient l'industrie
— 316 —
nationale. Le système des Fermes, ébauché par Col-
bert, perfectionné sous Louis XV et Louis XVI, avait
disparu, en 1793. Nantes, en raison de son commerce
maritime, de ses relations maritimes, était au premier
rang des villes de France qui appliquaient fructueuse-
ment le nouveau mode de perception.
Chose singulière, la Direction générale et les bureaux
des recettes n'étaient pas situés au même endroit et se
trouvaient relativement éloignés du port, de ce quai de
la Fosse, où venaient atterrir les navires, où débarquaient
les équipages. Les Douanes n'avaient pas pris encore
possession d'une de ces belles maisons de pierre, hôtel
à l'aspect grandiose, presque monumental, désigné
pour lui donner l'hospitalité. En 1792-1793, le bureau
de la Direction générale était encore celui des Fermes
générales, rue Vendik (sic), ci-devant rue Mercœur, au
rez-de-chaussée, proche le Marchix, dans un assez
vilain quartier, que n'avait pas dégagé le percement de
la place Lafayette. Les bureaux des recettes de l'étran-
ger et des colonies étaient plus mal placés, rue Santeuil,
ci- devant rue de Bertrand, maison Hervé. On devine ce
que pouvait être alors la rue Santeuil, restée étroite et
obscure avant que le vaste et élégant passage
Pommeraye ait remplacé cette Galerie du Commerce,
boyau tout noir qui dévalait en pente raide jusqu'à la
Bourse.
Sectionnées, mal installées, les Douanes n'en consti-
tuaient pas moins, à la fin du xvme siècle, dans une
ville qui était le grand l'entrepôt des sucres et des cafés
du monde entier, une administration de premier ordre.
Il y avait, sinon plus d'employés, plus de chefs, de ser-
vice et de commis principaux qu'aujourd'hui. Le direc-
teur général se nommait Dominique-Charles Adine. Je
ne crois pas qu'il fût Nantais; rien, du moins, ne me l'a
désigné comme tel. Il avait été, sousLouis XVI, Direc-
teur général des Traites, Gabelles, Tabacs « et autres
droits y joints». Il resta très longtemps à Nantes et y
— 317 —
mourut probablement; il figure encore, avec son titre,
dans un Almanach de 1810. Il avait sous ses ordres
directs un premier commis de la direction, Seurot, et
deux inspecteurs principaux : l'un, Regnault, en résidence
au Croisic; l'autre, Debourges, à Paimbœuf. Ce petit
état-major était complété par un nommé Bûche « capi-
taine général », demeurant au bas de la Fosse, maison
Dupuis, dont le titre prouve bien que les douaniers
étaient dès lors organisés militairement et formaient un
corps prêt à combattre les contrebandiers ou les ennemis
de l'Etat.
Passons aux « Recettes », Le fonctionnaire qui figure
le premier sur la liste, avec le grade « inspecteur sed.
(sédentaire) de la Douane », était celui de mes ancêtres
sur lequel Perthuis, en me faisant présent des Etrennes,
appelait mon attention. Cet Eudel, qui devait
devenir Directeur à Cherbourg, n'était pas mon aïeul
direct ; c'était le frère aîné de mon grand-père
(devenu lui-même directeur des Douanes à Boulogne
sous le Premier Empire) et, par conséquent, un oncle de
mon père qui, après bien des pérégrinations, fut envoyé
de Calais à Nantes, en 1842, comme vérificateur des
Douanes. Les Eudel étaient douaniers de père en fils,
d'oncle à neveu. A quoi a-t-il tenu que je n'aie pas suivi
la même carrière?
Benjamin Eudel, né à Laval en 1755, mais d'origine
picarde, demeurait rue Contrescarpe. Les titres des
employés qui venaient après .lui, au bureau des
recettes, sont curieux à reproduire. Il y avait le rece-
veur de l'Etranger, Gerbier, d'une famillede négociants
en grains, apparentée à celle du célèbre avocat
rennais ; ce Gerbier, ancien juge consul, avait été
trésorier des troupes, en 1787. Le contrôleur des recettes
se nommait Bourret ; le commis, Gouaux. Une autre
recette, dite des denrées coloniales, avait pour receveur
Vallois, pour contrôleur Papelard, pour commis Papot,
dont un descendant tint longtemps une pension très
— 318 —
suivie. Le plombeur s'appelait Foucaull ; l'orthographe et
la date me permettent de l'identifier avee un Foucault
qu'on enrégimenta dans la compagnie Marat, et qui en
sortit « parce qu'elle contenait des scélérats ». La liste
des commis s'allonge. Elle comprend deux commis pour
« les déclarations des isles » (on ne désignait pas autre-
ment les Antilles), Rampin et Perret ; deux pour les décla-
rations étrangères, Boquillon et Wattier; deux « aux
déclarations d'entrepôt », Duchatellier et Débonnaire;
deux aux expéditions, Bonneman et Lecomte. Quelques-
uns de ces noms me frappent. Le critique et romancier
Paul Perret, qui aimait à se dire de vieille souche nan-
taise, aurait retrouvé l'un des siens. L'auteur de l'His-
toire de la Révolution dans les départements de l'ancienne
Bretagne, écrivait, ainsi que le commis des Douanes, son
nom en un mot; depuis, on écrit du Chatellier. Le nom de
Bonnemant n'a pas cessé d'être porté à Nantes. Lecomte
a été un des 132 Nantais. Des gardes-magasins, Neveux
La Bouchardière, Gaborit, Bellin, Maison, qui opéraient
pour les isles, pour l'Inde, pour la Guinée et le Nord
(bizarre assemblage), Gaborit seul me semble bien Nantais:
serait-il le Gaborit (Louis-Théodore), auteur de Mélanie
ou l'Egalité, tragédie patriotiques en cinq actes et envers,
Nantes, 1791? Le commis aux archives du commerce,
nous dirions simplement l'archiviste, s'appelait Moret.
Deux autres commis, Pallois et Damory, étaient chargés
du contrôle « des visiteurs », négociants de la ville, nota-
bles commerçants ou industriels qui inspectaient les mar-
chandises à l'arrivée, vérifiaient les opérations.
La liste de ces dix-huit visiteurs nous est donnée au
complet. Je la reproduis, quoiqu'elle nous fournisse peu
d'indications nouvelles sur la bourgeoisie nantaise de
l'époque. C'étaient Jourdain, Culembourg, Favre, Du-
fraisse, Rostenne, Saveneau, Tardiveau, Pointel, Messal,
Chevalier, Valadier, Lacour, Le Romain, Lamboley^
Briffault, Landon, Lagrange, Henry. A part Tardiveau^
qui fut - si ce n'était son frère - membre duConsei
— 319 —
du département; Saveneau, encore « visiteur » en 1810
et secrétaire en chef de la mairie; Chevalier, un des 132
Nantais; et Le Romain, ancêtre d'un avocat bien connu,
notre contemporain, cette liste est assez indifférente.
Le Tribunal du District de Nantes, nous apprend un
nota inséré aux Etrennes, est celui qui doit connaître
directement de toutes les contestations relatives aux
Douanes. Ces contestations me semblaient devoir être
plutôt du ressort du Tribunal de Commerce.
Il y avait aussi une régie générale pour percevoir un
droit de marque sur les ouvrages d'or et d'argent. C'était
la fin de l'ancienne Ferme ; Borgnier prenait le titre
et la qualité de directeur et receveur général de la liqui-
dation. Notons, d'ailleurs, qu'un commissaire du Gou-
vernement près l'Hôtel des Monnaies existait encore
en 1810; il n'était autre qu'Antoine Peccot.
Depuis que le département des Ponts et Chaussées Ponts
avait été réuni, en 1735, au Ministère des Finances, cette et Chaussées.
administration avait pris une importance considérable.
Sous l'impulsion d'ingénieurs comme Trudaine et Perro-
net, 6.000 lieues de routes furent tracées dans le royaume ;
des ports, des ponts, se creusèrent ou s'élevèrent
de tous côtés. La Révolution, cependant, attaqua, sous
le vain prétexte de réaliser des économies, le corps des
ingénieurs que défendirent, à la tribune de l'Assemblée,
l'illustre Mirabeau et Chapelier, le député de Rennes.
Les Ponts et Chaussées eurent gain de cause, et leur im-
portance s'accrut. Dans chaque département, on nomma
un ingénieur en chef, et, selon le chiffre de la population
et le nombre des travaux à effectuer, deux ou trois ingé-
nieurs ordinaires.
A Nantes, l'ingénieur en chef était Groleau « près le
Bon Pasteur »; les trois ingénieurs ordinaires se nom-
maient Recommencé, rue Maupertuis, Rapatel, quai
Barbinais (l'ancien quai de l'Hôpital tirait cette appel-
lation de Porcon de la Barbinais, dit le Régulus malouin)
et Hervoet.
Soc. Archéol, Nantes 21
— 320 —
Ces fonctionnaires ne me semblent pas appartenir
à des familles nantaises. Au cours de l'année 1793, ils
eurent peu de travaux à effectuer. Mais le ministre de
l'Intérieur, Garât, qui avait pris possession du réseau
des Ponts et Chaussées, leur imposa des obligations inat-
tendues. Dans le département de la Loire-Inférieure, un
des plus agités par la guerre, ces devoirs revêtaient
un caractère bien défini. Ils étaient appliqués,
comme tous leurs collègues, au service de l'armée; ils
devaient spécialement s'occuper du casernement des
troupes du génie. Une circulaire ministérielle d'avril
1793 leur prescrivit même d'aider au recrutement.
C'étaient là des postes peu en harmonie avec la situation
privilégiée que la fondation de l'École Polytechnique par
la Convention allait donner aux ingénieurs des Ponts et
Chaussées; qui se recrutèrent, dès l'origine, parmi les pre-
miers élèves sortis de l'École.
LES POSTES
Poste Arrivons à la poste aux lettres, si agitée récemment.
aux lettres. Cette administration, si utile de tout temps, si critiquée,
avait une importance capitale, attestée par les douze
pages de petit texte que lui consacrent les Etrennes.
Nos contemporains ne connaissent guère la différence
qui existait entre la grande et la petite poste: l'une
était le service de la correspondance allant, grâce aux
courriers, de ville en ville; l'autre se restreignait à la
distribution de la correspondance locale. Avec les messa-
geries monopolisées par l'État, qui expédiaient dans
toutes les directions leurs voitures pour le transport
des voyageurs et des marchandises, la grande et la
petite poste constituaient tous les moyens de locomo-
tion, de transmission publiques, à une époque qui
nous paraît bien arriérée, quoiqu'elle eût déjà réalisé
d'immenses progrès sur l'ancien état de choses.
En 1780, la grande et la petite poste avaient été réu-
321
nies et mises en régie; il existait alors 1.284 bureaux,
3.000 relais. Le bail de la ferme des messageries ayant
été résilié, les messageries furent jointes aussi à la poste
pour ne constituer qu'une seule et même administra-
tion.
Le même régime était en vigueur, à peu de chose près,
à l'époque que nous décrivons. Neuf administrateurs,
élus par la Convention, dirigeaient la Régie nationale
des trois administrations réunies. On ne parlait alors
que par Directoires, mais le Directoire de la Poste, relati-
vement au Ministère des Finances, dont il dépendait,
représentait assez bien ce que nous appellerions aujour-
d'hui un sous-secrétariat d'Etat.
Le président du Directoire, chef suprême de l'Admi-
nistration des Postes, répondait au nom de Bron. Celui
des neuf administrateurs qui avait dans ses attributions
le département de la Loire-Inférieure, Gibert, résidait
également à Paris, mais il pouvait bien être originaire
de Nantes, où ses homonymes sont nombreux.
Je. n'ai, malgré de longues recherches, recueilli aucuns
renseignements locaux sur les divers fonctionnaires des
Postes en résidence à Nantes, dont je me borne à donner
les noms, domiciles et qualités. L'inspecteur pour Nantes
et, sans doute, pour la région s'appelait Desbordelièrec
Avec l'adresse du directeur J.-B. Giraud, qui, lui, devait
être Nantais (mais les Giraud ont toujours foisonné à
Nantes), nous avons celle de l'Hôtel de la Poste, rue
Bossuet. Du contrôleur Menureau, place du Pilori; du
receveur Joubert aîné, place Neptune; du taxateur
Guérineau, rue Racan ; des quatre commis, Joubert
jeune, rue Girardon;Laville, Haute-Grande-Rue; Rolland,
rue des Chapeliers; Noiret, rue Démosthènes, nous ne
savons absolument rien; nous n'avons que la seule men-
tion des Etrennes.
Au point de vue de la distribution des lettres — no-
tons, une fois de plus, qu'il ne s'agissait que des lettres
venues du dehors — la ville était divisée en dnq quar-
— 322 —
tiers; il y avait cinq facteurs : Douineau (si nous savions
qu'il était de la Chapelle-Basse-Mer, je l'identifierais
volontiers avec un Jean Douineau, condamné à mort
en l'an II par la Commission militaire Lenoir). Douineau,
qui habitait isle Feydeau, rue Clisson, 3, distribuait les
lettres quai Tourville, île Feydeau, quai Barbinais,
pont Orient, Pré de la Magdelaine et sur tous les ponts
(sic). Louvigné jeune, rueGrétry (ex deCereste), faisait
sa tournée place du Commerce, quartier Graslin, la
Fosse et l'Hermitage. Tassut, rue Bossuet, 4, (ex rue
Briord), avait dans son réseau tout l'intérieur de la ville,
ce qui désigne sans doute le quartier du Château, toute
l'ancienne cité. Francineau, rue Mignard, 37, (ex Saint-
Similien),, parcourait la rueRubens, la rue du Chapeau-
Rouge, la rue Contrescarpe, la place Buffon, la rue Van-
Dyck, la place Guttenberg, le Marchix, les Hauts-Pavés.
Enfin, Petiteau, rue Démosthènes, 70, (ex Saint-
Clé ment), visitait le cours Liberté, le cours Fédéra-
tion, la rue Démosthènes et Richebourg. L'Indicateur
Nantais, de Guimard, de 1792, donne Rinchéval à
la place de Francineau et Louvigné aîné à celle de
Petiteau? Mais ce sont les mêmes adresses aux mêmes
numéros ?
Encore que la besogne de ces cinq facteurs fût très
inégale, elle n'en restait pas moins pénible.. Mais ils
ne faisaient sans doute qu'une distribution par jour;
la faisaient-ils même tous les jours.
La poste restante apparemment privée — était
chez la veuve Brunet, rue Bossuet, n° 4, c'est à dire
tout près de l'Hôtel des Postes. Ce terme « poste restante»
doit être vieux comme la chose qu'il représente. Les
voyageurs de commerce et les amoureux en usaient
alors ; ils en usent toujours. Dans le Calendrier du
Commerce ou V Almanach de la Petite-Poste et de la Poste
Maritime de Nantes pour l'année commune 1790, est déjà
indiquée une « poste restante », chez Brunet, distribu-
teur, rue de Briord (devenue rue Bossuet en 1792). n° 16,
— 323 —
près du Bureau général, situé rue de Briord, n° 11.
Un petit avis, qui a son prix, nous apprend ensuite
« qu'on a établi pour la commodité du public trois boîtes
« pour la grande poste, auxquelles on peut mettre les
« lettres avec la plus grande confiance, étant levées par
« les facteurs deux heures avant le départ de chaque
« courrier. » Je me serais reproché de rien ôter, de rien
changer, au texte de cet avis; « avec la plus grande
confiance » me semble un bien joli euphémisme. Je suis
sûr que, dans l'ancienne France postale, on ne mettait
pas une lettre à la boîte sans une vague inquiétude .
Nantes, comme toute ville dépassant 4.000 habitants,
avait ses lettres distribuées à domicile. Les trois boîtes
additionnelles dont il vient d'être parlé lui constituaient
encore, pour l'époque, un rare privilège. Bien placées,
ces boîtes, malgré de bizarres indications d'adresses,
La première était chez le marchand de parasols, vis-à-vis
la Bourse; elle servait aux négociants; la seconde, chez
Jourdain, tenant les bains, quai Turenne, était à l'usage
du monde élégant; la troisième, place Buffon, chez
Henri, pâtissier, vis-à-vis la poste aux chevaux, permet-
tait aux personnes scrupuleuses de ne pas donner en
mains propres leurs lettres aux postillons, personnages
suspects, dont un écrit de l'époque nous dénonce « l'in-
subordination vis-à-vis des maîtres de poste, l'insolence
et les exactions vis-à-vis des voyageurs ». — Détail
important et de nature à rassurer tout à fait les timides :
les clefs des boîtes étaient déposées au grand bu-
reau.
Les quatre pages des Etrennes qui suivent donnent,
sur le^ départ des courriers de Nantes et leur arrivée à
Nantes, des renseignements aussi précis que complets.
Il faudrait les transcrire sans oublier l'avis publié pour
la levée des boîtes de l'intérieur, qui se faisait tous les
jours : pour Paris, par Le Mans; pour Bordeaux; pour
Bennes, trois fois par semaine; pour Brest; le pays de
Betz; Paris, par Vendôme et Tours. La levée du bureau
— 324 —
central était toujours faite une heure après la levée des
bureaux de quartier.
Une mention nous fait sourire : « Il faut affranchir
les lettres chargées » et nous rappelle qu'autrefois la
taxe était payée par celui qui recevait la lettre et qu'il
coûtait au pauvre diable de récipiendaire jusqu'à un
franc vingt centimes, quand la lettre venait de l'autre
bout de la France. Très arbitraires, d'ailleurs, ces taxes,
quoiqu'on les prétendît basées sur la distance. Ainsi,
ce sont les Etrennes qui nous l'apprennent, on n'af-
franchit point pour la Hollande, l'Espagne, le Portu-
gal, la Prusse, la Suède, le Danemarck et la Russie, et
ces taxes inconnues devaient être formidables à en juger
par celles que nous connaissons. Les letres pour l'Italie
coûtaient 24 sols « la simple » (jusqu'à quel poids? on
néglige de nous le dire); pour l'Angleterre jusqu'à Calais,
par conséquent jusqu'à la limite du territoire français,
16 sols la simple; pour l'Allemagne au delà du Rhin,
24 sols la simple; pour Turin et la Savoie, 24 sols; quelle
source de bénéfices pour les gouvernements! Mais on écri-
vait peu alors.
Les courriers. Le départ et l'arrivée des courriers avaient lieu paral-
lèlement et avec beaucoup d'ordre ou de symétrie. C'est
ainsi, pour ne prendre qu'un exemple (ces listes de noms
de villes et de pays étant d'une désespérante monotonie),
qu'il y avait le dimanche trois départs de la malle-poste
et quatre arrivées. A 1 heures du matin, arrivait le cour-
rier de Rennes, Nozai, Derval, Châteaubriant et une
grande partie de la Rretagne; à 7 heures du matin, arri-
vait un autre courrier breton, venant de Brest, Vannes,
Lorient, Quimper;à 5 heures du soir, c'était l'arrivée
du courrier de Rordeaux, La Rochelle, Toulouse, Mont-
pellier, l'Espagne et le Portugal; à 8 heures du soir, par-
taient en même temps les courriers de Bordeaux et de
Rennes ; à 10 heures, celui de Paris, Chartres, Le Mans,
Angers, l'Allemagne, la Flandre, la Hollande, l'Angle-
325
terre, ' l'Italie, la Prusse, la Suède, le Danemarck, la
Bohême et la Hongrie; enfin, à minuit, arrivait le cour-
rier de Paris, Orléans, Vendôme, Tours, Blois et de
divers pays étrangers. C'était une journée bien remplie;
ab uno disce omnes. Et, malgré le grand nombre des
localités énoncées, le rédacteur des Etrennes se rendait
compte que son énumération n'était pas complète; il
prenait ses précautions ainsi : « Toutes les villes et
autres lieux qui se trouvent sur la route et aux environs,
quoiqu'on n'en fasse pas mention, partent parles mêmes
ordinaires que les villes ci-après. »
On sait le rôle important que joua dans l'arrestation
de Louis XVI, à Varennes, le maître de postes, Drouet.
Son collègue de Nantes, chargé du service de la poste
aux chevaux et relais, avait son établissement et son bu-
reau à l'entrée de la place Buffon, n° 19, sur cette an-
cienne et nouvelle place de Bretagne, qui occupe encore
aujourd'hui le centre de la ville. Il dut être, en pleine
agitation révolutionnaire, très fier de son nom romain
de Caton. Je me demande même si ce nom républicain
ne lui fut pas donné dans les clubs comme, à d'autres, les
noms de Brutus et de Scévola. Ce Caton nantais a beau-
coup moins fait parler de lui que Caton le Censeur ou
même que Caton d'Utique. Le seul document contem-
porain que j'aie retrouvé, où il soit question d'un maître
de la poste aux chevaux de Nantes, est de 1798 (29 prai-
rial, an VI). Il transmet au Directoire les doléances de ce
personnage, qui se nommait Racine, et de ses collègues
des routes de Rouen, Bordeaux, Lyon, Lille, Brest et
autres lieux, afin d'obtenir une loi qui fixe d'une manière
stable et invariable l'organisation des postes aux che-
vaux. Racine et ses collègues se plaignaient surtout de
la conduite répréhensible des entrepreneurs des charrois
militaires et d'artillerie, qui empiétaient sur leurs droits
et enlevaient tout ce qu'ils trouvaient. Quianominorleo,
a dit Phèdre.
La Petite Poste, nous l'avons déjà remarqué, ne se
Poste
aux chevaux.
Petite poste.
— 326 —
chargeait que de l'expédition des correspondances locales
Fondée, vers le milieu du XVIIIe siècle, par un philan-
thrope intelligent, Piarron de Chamousset, elle avait été,
comme sa grande sœur, mise en régie nationale. Le Bu-
reau général de Nantes était situé, et resta longtemps,
rue J.-J. -Rousseau, n° 4. L'Administration comprenait
un directeur, un contrôleur-inspecteur, six facteurs pour
le service de la ville et de la campagne (ou plutôt de la
banlieue), trois autres facteurs pour la campagne, de
ceux qu'on appela plus tard facteurs ruraux, deux sur-
numéraires. Il y avait des bureaux ou boîtes dans les
différents quartiers de la ville; les facteurs y faisaient
des levées six fois le jour, de 6 h. 1 /2 du matin à 7 h. du
soir, et distribuaient en même temps les lettres de la levée
précédente. Le port de la lettre pour la ville était de deux
sols, pour la campagne, de trois sols; c'était presque l'af-
franchissement actuel, mais le sol de 1793 valait plus que
notre sou. Ajoutons qu'un bureau de poste maritime
était adjoint à celui de la petite poste, et constatons que,
là du moins, on avait mis la taxe à la portée de toutes
les bourses; à cause des relations constantes de la métro-
pole nantaise avec les colonies, l'envoi de la lettre coû-
tait un sol, la réception deux sols « sans égard au poids
ou volume » Il n'était plus question de « simple » ou de
« double », comme à la grande poste,
Les Etrennes ne nous nomment aucun des subordonnés
du directeur de la petite poste et de la poste maritime, le
citoyen Mangin. Celui-ci compense heureusement, par sa
notoriété, l'obscurité de ses collaborateurs. Au prix d'une
lutte incessante et de sacrifices pécuniaires, Victor Mangin,
premier du nom, fonctionnaire et publiciste, lança les
premiers journaux politiques et commerciaux qui aient
paru à Nantes. Dès 1782, il rédigeait la Correspondance
maritime, qui se transforma successivement en Feuille
maritime, en Feuille nantaise, en Affiches de Nantes, ins-
pirées par les Petites affiches de Paris. Il put, nvant de
mourir, fonder, en 1819, l'Ami de la Charte, que reprit,
— 327 —
ou continua, son fils Charles- Victor-Amédée, le créateur
du National de l'Ouest et du Phare de la Loire. L'impul-
sion donnée sous le Second Empire à ce dernier journal
par mes amis Victor et Evariste Mangin venait de leur
grand-père. C'était une tradition de famille. Et si l'on
songe que le premier, Victor Mangin, postier, journaliste,
était encore imprimeur, poète agréable, créateur d'une
comédie-vaudeville, La bonne nouvelle ou l'heureuse
journée, faite à l'occasion de la paix générale et repré-
sentée à Nantes en 1814, on reste stupéfait de cette intel-
ligence, de cette activité rayonnant dans tous les genres.
La diligence ! Que de souvenirs évoquait, que d'émo- L'antique
tions réveillait autrefois ce simple mot! Un voyage diligence.
il y a cent ans était une grave affaire, où l'on ne s'aven-
turait que pour de sérieux motifs d'intérêt, et l'instru-
ment du voyage avait lui-même quelque chose de formi-
dable. Le coche décrit par La Fontaine s'était à pe-iie
transformé pour devenir la haute et lourde voiture
à trois compartiments (coupé, intérieur, rotonde),
sans préjudice de l'immense bâche, formant capote,
sous laquelle on entassait pêle-mêle les bagages et les
voyageurs peu fortunés. Et les chevaux, percherons infa-
tigables, aux robustes encolures, qui faisaient jaillir,
en s'ébranlant, l'étincelle du pavé et qu'on échangeait
aux relais contre des bêtes pareilles, qu'une bonne
ration d'avoine mettait en état de parcourir au grand
trot les dix ou douze lieues réglementaires ! Et le pos-
tillon, ce type déjà presque disparu à la fin du xvme
siècle, bon pour la légende ou l'opéra -comique
d'Adam, remplacé par le conducteur, brutal ou bon
enfant, débraillé sous sa limousine et sa casquette à
oreilles !
J'ai connu les temps bibliques de la diligence,
et je me souviens assez de celle qui m'amena, tout
enfant, de Calais à Nantes, pour trouver quelque
vraisemblance au joli tableau de mœurs de Boilly
« L'arrivée de la diligence dans la cour des messageries »,
— 328 —
ou bien aux amusants versiculets de Désaugiers qui
fixent un des aspects de Paris à cinq heures du matin :
La diligence
Part pour Mayence,
Bordeaux, Florence
Ou les Pays-Bas...
Les chevaux hennissent,
Les fouets retentissent,
Les vitres frémissent,
Les voilà partis !...
On s'embrassait au départ, comme si on ne devait,
plus se revoir; à l'arrivée, comme si les voyageurs
venaient d'échapper à un grand danger.
Ces simples mois « Diligences et Messageries natio-
nales, Bureaux de Nantes » sont le thème sur lequel
j'ai brodé mes variations. Bevenons au côté pratique.
Le Bureau général était rue Van Dyck, 21, près la place
Buiïon, et j'aime à peupler, par l'imagination, la vieille
place de Bretagne de la foule grouillante et bariolée
qui transformait chaque départ, chaque arrivée de la
diligence, en un petit événement local. Le bureau était
ouvert tous les jours, de 7 heures du matin à midi 1/2, de
2 h. 1/2 à 7 heures du soir. Pas de repos hebdomadaire
pour le personnel, qui comprenait un directeur, bizarre-
ment nommé Vobis, dont le descendant probable fut
plus tard menuisier rue du Coudray, un sous-directeur,
Hébert, un contrôleur, Rabier, un facteur en chef,
Sattin.
Où allait-on? Dans quatre directions : à Angers et
Paris, à La Rochelle et Bordeaux; à Bennes et Saint-
Malo ; à Vannes et Lorient. Cette énumération de
villes est limitative; ainsi, pour la Bretagne, Lorient
était le point terminus des messageries nantaises; il
fallait dans cette ville, ou à Vannes, prendre une
autre ligne pour aller à Saint -Brieuc, Morlaix ou Brest.
— 329 —
Par contre, les voitures donnaient des correspondances
qui permettaient, par exemple, au voyageur venant
de Paris d'attendre, à Nantes, le départ pour
Bordeaux.
Les diligences de Nantes n'avaient point, en 1793, la
massive apparence des véhicules Laffitte et Caillard,
qui transportaient, plus tard, jusqu'à trente-deux per-
sonnes, sans compter les chiens, les chats et les oiseaux.
C'étaient d'assez légères voitures à six places et une
« au cabriolet », huit personnes avec le conducteur
La Compagnie, d'après les Etrennes, en possédait neuf :
trois pour le service d'Angers et Paris ; deux pour celui
de La Rochelle et Bordeaux un pareil nombre pour les
services de Rennes et Saint-Malo, de Vannes et Lorient.
Pour assurer leur marche, assez rapide, les diligences Les fourgons.
ou malle-postes ne prenaient que les voyageurs munis
de bagages personnels. Il restait les marchandises et
effets de tous genres, pour le transport desquels la
Compagnie possédait de lourds véhicules, appelés
fourgons. A chacune des quatre lignes exploitées par
les messageries nantaises, un fourgon était attaché.
On ne nous dit pas quand revenait celui qui partait
pour Paris, tous les vendredis, à deux heures du
matin, mais nous savons qu'il prenait aussi des
voyageurs à tarif réduit, à raison de quatre
sous par lieue. Il desservait les divers endroits de la
route et adjacents à raison de 15 sous le cent (le quintal
de 100 livres pesant par cent lieues) ou de trente sous le
cent par dix livres. Le fourgon de la route de La Rochelle
et Bordeaux partait le lundi, à 4 heures du matin, était
de retour le dimanche, à 6 heures du soir. Il avait le même
tarif pour les marchandises, que celui de Bennes et
Saint-Malo, qui partait le lundi, à 10 heures du matin,
revenait le dimanche, à midi, et que celui de Vannes et
Lorient, qui, parti le mardi, à quatre heures du matin,
était de retour le dimanche, à six heures du soir.
— 330 —
La note, évidemment intéressée, des Etrennes insiste
sur la modicité du prix de transport par les fourgons;
elle stipule aussi qu'on fera des abonnements au Commerce,
pour les objets qui en seront, susceptibles: c'est le tarif
réduit, ou tarif m ini m um, de nos Compagnies de chemins
de fer, qu'une administration ayant le souci de ses inté-
rêts ne pouvait manquer d'établir dans une ville com-
merciale telle que Nantes. Remarquons, en passant, que
le principe des abonnements ne date pas d'hier.
Les départs. Après les colis, si nous nous occupions un peu des
voyageurs. On leur imposait des heures de départ qui,
l'hiver surtout, devaient être gênantes. Ceux qui allaient
à Paris ou sur la ligne (Angers, Sautnur, Tours), et qui
devaient être les plus nombreux, partaient, à trois heures
du matin, les dimanches, mardis et vendredis; l'une des
trois diligences, qui faisaient ce grand trajet, revenait le
lundi, le mercredi, le samedi « vers les sept heures du
soir ». Ce « vers » nous montre qu'il fallait parfois comp-
ter avec l'imprévu, une roue à réparer, un accident de
route, au pis aller la voiture versée dans un fossé.
Les deux diligences « à six places et une au cabriolet »,
se dirigeant surLa Rochelleet Bordeaux, partaient le mer-
credi et le samedi, à 6 heures du soir, arrivaient le lundi
et le vendredi, vers 8 heures du soir. On correspondait
avec Vannes et Lorient, Rennes, Angers et Le Mans;
mais il me semble bien qu'onn'allait pas jusqu'à Bordeaux.
Le prix des places n'était donné que jusqu'à Blaye; celui
du port des effets seul était indiqué jusqu'à Bordeaux.
Les voyageurs quittaient probablement la diligence à
Blaye et descendaient en bateau, par le coche d'eau, la
Gironde jusqu'à Bordeaux. Le trajet de Nantes à
Bordeaux devenait un vrai voyage au long cours, auquel
ne manquaient pas les émotions d'une traversée.
Sur les lignes de Bretagne, les choses allaient plus
simplement; aussi bien les distances étaient-elles beau-
coup moindres. Pour aller de Nantes à Rennes et Saint-
— 331 —
Malo, l'une des diligences partait le mardi et le samedi,
à 8 heures du soir, arrivait le mardi et le vendredi, à
5 heures du soir (le vers problématique est remplacé par
un à formel). Même précision pour la ligne de Vannes et
Lorient; on partait le mardi et le vendredi, à 10 heures
du soir, on arrivait le dimanche et le jeudi, à 8 heures
du soir. On ne disposait dans chaque voiture que d'un
petit nombre de places, et encore n'étaient-elles pas
toutes à la disposition des voyageurs qui devraient
s'arrêter sur le parcours. Dans les trois diligences qui
faisaient chaque semaine le service de Paris, on ne
délivrait de places que pour Paris, sauf le vendredi,
où l'on en réservait deux pour Angers, Saumur ou
Tours. Les autres lignes étant moins fréquentées, le
règlement n'était plus le même. On donnait deux
places « en directe » pour Blaye, le restant pour La
Rochelle seulement. Aucune stipulation pour Rennes
et Saint Malo. Pour Vannes et Lorient, même distribu-
tion de places que pour Blaye et La Rochelle.
Le prix des places, soigneusement indiqué par les Coût
Etrennes, est fort instrutif. Il montre ce qu'il en coûtait des V0Ua9es-
alors pour voyager, et prouve que la dépense était une
des causes de la rareté des déplacements.
Le « prix de la place » dans la diligence pour Paris
était de 55 livres 10 sous, ce qui ferait au bas mot 100
francs d'argent actuel; pour Angers, on payait 12 livres
12 sols; pour Saumur, 20 livres 8 sols; pour Tours, 30
livres. La diligence donnait une place « au cabriolet »,
c'est à dire à côté du cocher; le voyageur à destination
de Paris qui bravait ce voisinage et s'exposait aux in-
tempéries des saisons en était pour ses 36 livres 16 sols.
C'est, en tenant compte de la différence du taux de l'ar-
gent, trois fois le prix de la place en chemin de fer. Et,
comme le voyage durait trois jours et trois nuits, il
fallait s'alimenteren cours de route, dans des auberges, qui
s'entendaient à merveille à exploiter le client de rencontre.
— 332 —
Nous n'avons pas, et pour cause, le prix de Nantes
à Bordeaux, mais, pour aller à Blaye, point terminus de
cette ligne, la diligence prenait 42 livres 12 sols; le trans-
port par eau de Blaye à Bordeaux était certainement
compté en plus. Pour La Bochelle, le prix était relati-
vement moins élevé, 21 livres tout juste. La place « au
cabriolet » n'était pas donnée plus loin que cette ville,
elle coûtait 14 livres.
De Nantes à Bennes ou à Saint-Malo, c'était le même
prix, ce qui me paraît une anomalie singulière; on pre-
nait indifféremment 16 livres 4 sols dans la diligence
et 10 livres 16 sols « au cabriolet », sans désignation ni
réserve. La place était au premier occupant.
Pour Vannes et Lorient, le tarif était très différent,
quoiqu'une trentaine de kilomètres à peine sépare ces
deux villes. Cela coûtait 15 livres 12 sols dans la diligence
pour Nantes, et 24 livres pour Lorient. La place « au
cabriolet » était pour Vannes seulement; elle revenait
à 10 livres 8 sols.
On sera curieux de connaître encore le prix du « port
des effets », c'est à dire des bagages, encore plus dispro-
portionné que celui des places avec les tarifs d'aujour-
d'hui. Nous avons droit, dans les chemins de fer, à 30 kilo-
grammes de franchise ; on payait, dans les dili-
gences, 4 sols 9 deniers par livre quand on allaita Paris,
4 sols 3 deniers pour Bordeaux (les effets pouvant être
enregistrés jusqu'à cette ville et jouissant ainsi d'un
privilège refusé aux voyageurs). Les tarifs pour Angers,
Saumur, Tours, La Bochelle, Blaye, Bennes, Saint-Malo,
Vannes, étaient en proportion; la livre d'effets coûtait
exactement deux sols pour Lorient. Les voyages, encore
une fois, étaient l'apanage des personnes riches ou au
moins aisées. On faisait son testament avant de partir,
et on emportait la forte somme.
Les messagers. Le type du « messager » qui part de grand matin de sa
petite ville ou de son village, emportant dans sa lourde
— 333 —
charrette des provisions ou des colis de toute
nature, parfois aussi des gens delà campagne, et qui dé-
charge le tout chez son correspondant de la grande ville,
d'où il repart avec un nouveau chargement, ce type
d'ancien camionneur suburbain n'a pas complètement
disparu. Il y a toujours à Paris des hôtelleries à la mode
d'autrefois, où descendent le messager de Versailles et
celui de Saint-Germain; il y en a aussi dans le Nantes
de 1909. Comme aujourd'hui, pour desservir les maisons
le long des routes, les messagers étaient nombreux en
1793. Les Elrennes nantaises les énumèrent et nous
donnent les adresses de leurs correspondants. Les
messagers d'alors ressemblaient aux voituriers d'à
présent, qui, malgré l'établissement progressif des
lignes de chemins de fer, soutiennent la concurrence
avec elles.
Le messager de Châteaubriant, le premier sur la liste,
débarquait, le samedi matin, chez Marchandeau, épicier,
Haute-Grande-Rue ; il repartait le samedi à midi, prenant
6 livres par place de voyageur (un bon prix) et 1 sol par
livre d'effets.
Le messager de Cholet arrivait à la Maison Blanche (qui
a donné son nom au quai voisin) près Bon-Sec, un nom
d'hôtelier ou d'aubergiste qui me rend perplexe. Il
n'avait pas de jour fixe, arrivait le mercredi ou le jeudi,
soir; il repartait le lendemain du jour de son arrivée.
Son tarif était de moitié moindre pour le voyageur que
celui de son collègue de Châteaubriant, mais le même
pour les effets.
Le messager de Clisson, qui descendait chez Bethuy,
chaussée Magdelaine, était encore moins régulier dans
ses allées et venues; arrivant le mardi ou le vendredi
soir, il repartait le mercredi ou le samedi, à 9 heures. Son
tarif était respectable pour la distance : 2 livres par
place, 6 deniers par livre pour le port des effets. Bethuy,
hôtelier achalandé, recevait encore chez lui le messager
— 334 —
de Machecoul, qui arrivait régulièrement le vendredi soir
et repartait le samedi matin, à 10 heures. Place : 3 livres.
Port des effets : 9 deniers par livre.
La diligence de Rennes aurait pu, sans faire un coude
accentué, desservir la vieille, et alors importante, cité
de Redon. Il n'en était pas ainsi. La patrie du bénédictin
saint Convoyon, où Louis XV vint en pèlerinage, avait
un messager qui, en bon Breton, s'arrêtait chaque jeudi
soir à l'enseigne du Duc de Bretagne, au Marchix. Il
en repartait le vendredi, à une heure, demandant aux
voyageurs 6 livres par place et 9 deniers par livre pour les
effets.
Les communications de Nantes avec la Vendée, toute
voisine, semblent avoir été assez rares en 1793. Il y avait
cependant un messager des Sables, qui arrivait à la
Maison Rouge, quai Montcalm (ex quai de la Maison-
Rouge), le mercredi soir ou le jeudi matin, qui en
repartait le vendredi malin. Les places dans sa voilure
coûtaient 15 livres. Détail typique, les cavaliers expéri-
mentés pouvaient se donner le luxe de faire la route à
cheval, sans doute sur un des chevaux de l'attelage.
Ne croyez pas que cette faveur fût gratuite. On
l'estimait un bon prix; le trajet « à cheval » coûtait
12 livres.
Nous sommes assez mal édifiés sur les faits et gestes
du dernier messager, celui de Poitiers qui, comme son
confrère des Sables, descendait à la Maison Rouge ou
quai Montcalm. Le trajet était presque aussi long que
pour Paris, plus de 80 lieues, et on le voit, non sans sur-
prise, confié à un simple messager. Celui-ci arrivait tous
les quinze jours, un vendredi, et repartait le samedi
suivant, en été, le dJ manche, en hiver. Le tarif des voya-
geurs et des effets devait être élevé; les Etrennes ne nous
en informent pas. Elles insèrent, en revanche, le curieux
nota suivant : « Lorsque les particuliers auront des con-
testations avec les messagers, ils pourront s'adresser au
bureau des messageries et on leur fera raison. » Le
— 335 —
Bureau! des diligences et messageries nationales était
ouvert tous les jours, de 7 heures du matin à midi
et de 2 heures et demie à 7 heures du soir.
Nous manquons de détails précis sur les « Roulages
et Commissionnaires » qui devaient comprendre toutes
les espèces de charrois et aussi les déménagements. Ce
mode de transport était placé sous la direction de trois
entrepreneurs de grosses voitures par la voie des rouliers
et pour toutes les villes du royaume (sic), dont suivent
les noms et adresses: Delahaye, rue Marchix n° 9; Légué,
place Buffon, n° 23; Bruno, sur les Hauts-Pavés n° 8.
La veuve Despilly, ou plutôt son rédacteur, avait
reproduit, sans y prendre garde, l'avis de l'année précé-
dente. Mais si quelque sans-culotte du club Vincent-la-
Montagne s'est avisé d'éplucher les Etrennes, quel formi-
dable juron, cligne du Père Duchêne, a dû lui échapper
à la lecture de cette phrase stupéfiante : « pour toutes
les villes du royaume ». Ce n'était vraiment pas la peine
d'avoir envoyé Fouché voter à la Convention la mort du
tyran !
Roulage.
Nous allons en finir avec les transports, mais ce qui
nous reste à dire n'est pas le moins intéressant. Le 16
avril 1780, l'année même où la réforme préconisée par
Turgot réunit les trois administrations de la grande, de
la petite poste, des messageries, un bureau de corres-
pondance nationale et étrangère fut établi par arrêt du
Conseil du Roi. Jusqu'alors, les « particuliers isolés »,
auxquels s'adressaient les personnes qui ne pouvaient
pas gérer elles-mêmes leurs affaires du dehors, avaient
souvent trahi la confiance de leurs commettants; on re-
prochait à ces intermédiaires peu délicats l'envoi de let-
tres et d'avis circulaires dans le genre, sans doute, des
réclames financières ou autres qui séduisent encore au-
jourd'hui de crédules capitalistes.
Soc. Archéol. Nantes. • 22
Le Bureau
des correspon-
dances.
— 336 —
Bien des abus avaient dû se produire avant que l'Etat
s'occupât d'y remédier. Mais la fondation du Bureau géné-
ral de correspondance, sous l'inspection du Gouvernement,
mit en sûreté les biens de tous et facilita, du même coup,
les transactions. Ce Bureau général cumulait les attribu-
tions de ces institutions qu'une pratique presque sécu-
laire a rendues indispensables au fonctionnement de la
société française; il participait de la Caisse d'Épargne,
de la Caisse des Depuis et Consignations, de la Trésore-
rie Générale et de la Banque de France ou de toute autre
de ces grandes sociétés de crédit patronnées ou autorisées
par l'Etat, que le xixe siècle a vues éclore. Voici, au sur-
plus, comment les Etrennes, fidèle miroir de l'esprit et du
style de l'époque, définissent son rôle et expliquent son
utilité : « Il se charge de la recette des pensions, rentes
e1 revenus de toutes espèces, de suites d'affaires de recou-
vrements, achats et envois de marchandises, tant à
Paris que dans toute autre ville du Royaumeet del'Etran-
ger; enfin, de toutes les commissions et sollicitations
qu'exigent (ne devrait-on pas dire qui exigent?) les soins
d'un ami, mais il est seul autorisé à s'annoncer pour les
commissions de cette espèce. » Je ne relève pas le mot
u royaume », qui revient, avec une insistance fâcheuse,
sous la plume d'un rédacteur hostile ou indifférent à la
politique révolutionnaire, mais je dois insister sur le
caractère tout spécial de ce « Bureau » tutélaire, mi-offi-
ciel, mi-privé, et sur les garanties matérielles, énormes
pour le temps, qu'il offrait : « La Compagnie qui a acquis
ce privilège est solidaire et a déposé, en outre, pour la
sûreté du public, un cautionnement de cinq cent mille
livres. » Une société au capital de 500.000 francs paraî-
trait aujourd'hui bien mesquine; mais, pour le Bureau
général, la somme était un fonds de garantie, un cau-
tionnement, qui devait pleinement rassurer des clients
peu blasés encore sur les sinistres financiers. En se décla-
rant « solidaire », la Compagnie assumait, d'ailleurs, la
plus entière responsabilité.
— 337 —
Le Bureau de correspondance nationale et étrangère
semble avoir eu, à Nantes, à cette époque, une réelle
importance. Il le devait à sa nature même et à la
valeur de son représentant. En effet, si l'on pou-
vait s'adresser au citoyen Benezech (un Bre-
ton, selon toute apparence), directeur général du
Bureau et l'un des propriétaires du privilège, rue
Neuve-Saint-Augustin, à Paris, les Nantais trouvaient
plus expéditif d'aller consulter un de leurs compatriotes,
très estimé, très capable, vraiment universel, le
citoyen Mangin, déjà nommé directeur du Bureau
général de la régie de la petite poste, rue J.-J. -Rous-
seau.
Si cet assemblage de « royaume » et de « citoyen »
vous semble un peu trop bizarre, prenez-vous en à la
veuve Despilly, décidément sujette à s'écrier, comme
le personnage de La Fontaine : « Vive le Roi ! Vive la
Ligue ! ».
LES POIDS, LES MESURES ET LES MONNAIES.
. Poids
Avec les « Poids et Mesures », nous abordons encore e( mesures
un chapitre curieux. Delambre et Méchain venaient de
trouver le mètre; mais le système métrique, quia tout
simplifié, tout unifié, n'était pas encore en vigueur. Au
lieu d'une unité de longueur, de capacité, de poids, on
se servait encore de toutes les mesures de l'ancienne
France, variant avec chaque province, presque avec
chaque ville. A ce point de vue spécial, les huit ou dix
pages consacrées par les Etrennes nantaises aux Poids
et Mesures gardent une saveur locale très piquante.
Je veux au moins en retenir quelques traits.
Toujours fidèle à ses attaches monarchiques, le rédac-
teur commence par nous déclarer que le principe et la
règle de toutes les mesures en France est le pied de Roi
(par un grand R), tel qu'il fut vérifié et détenu né à
Paris en 1668, et dont une matrice en bronze est déposée
— 338 —
à l'Hôtel de Ville de Nantes. Suivent les divisions du pied,
communes à tout le territoire. Mais, en arrivant à la
toise linéaire, qui a six pieds de longueur, nous cueillons
cette phrase typique, bien digne d'être dédiée aux
édiles : « La toise linéaire de faveur à Nantes depuis
1767 se paye aux paveurs de la ville sur 36 pieds carrés,
dont le côté linéaire est de 6 pieds. »
Continuons. La citation qui va suivre fourmille de
mots du cru, de vrais locutions nantaises, appliquées
aux distances. « Les terres en la banlieue de Nantes se
mesurent sous différentes dénominations. Les terres
labourables se mesurent à la boisselée, les vignes à l'hom-
mée; les prés à l'ondain et au petit journal; et, pour
déterminer ces différentes mesures, on se sert constam-
ment de la gaule nantaise, longue de 7 pieds 1 /2, dont le
carré fait 56 pieds un quart carrés ». Suivent des défini-
tions savantes de l'hommée (que nous définirons plus sim-
plement « la partie de terre qu'un homme peut labourer
en un jour »); de la boisselée, l'étendue de terrain qu'on
peut ensemencer avec un boisseau de blé; de l'ondain,
mesure essentiellement bretonne et même nantaise,
qui contient 20 gaules carrées. Quant au petit journal,
il ne faut pas le confondre avec le journal simplement
dit, équivalent au carré de 80 cordes linéaires de Bre-
tagne ou à 1.280 toises carrées ou encore à 46.080 pieds
carrés superficiels. On mesure encore à la perche et à
l'arpent. Mais, en Bretagne, c'est le rapport des diverses
mesures (boisselée, bommée, ondain, petit journal) au
journal, qui fait foi. Et les arpenteurs, qui savaient tout
cela sur le bout du doigt, n'avaient certes pas le temps de
s'ennuyer. Ils ne pouvaient ignorer, non plus, que dans le
pays de Retz, où la gaule linéaire est de 8 pieds et la
boisselée de 216 gaules carrées, trois boisselées et quatre
sillons font un journal ordinaire de Bretagne; et aussi
que dans quelques endroits du Comté Nantais (encore un
comté, ô force de l'habitude !), la boisselée de terre et la
gaule sont plus ou moins grandes que la boisselée et la
gaule de la banlieue de Nantes.
— 339 —
Passons aux étoffes. On aunait, comme dans Maître
Pathelin, les'1 draps de laine, les toileries. Mais ne
croyez pas que l'aune de Paris, conforme àla' matrice
déposée à l'Hôtel de Ville en 1748, fût pareille à l'aune
de Nantes. L'aune nantaise, « à laquelle on mesure les
toiles qui s'apportent au marché », est à l'aune de Paris
comme 6 est à 52 ; elle contient 52 pouces 8 lignes; elle
diffère encore de l'aune de Bretagne proprement dite,
qui n'a que 50 pouces, et à ^quelle se mesurent les
toiles nommées Combourg, Bazouges, Halles, Saint-
Georges, Beurières et les toiles à voiles. D'autres toiles,
nommées Grands ou Hauts Brins de Dinan, se mesu-
rent à une autre aune de provenance inconnue et qui a
72 pouces. A Nozay, ils ont une mesure qui s'appelle la
verge et qui se calcule, non sur l'aune de Nantes, mais
sur celle de Paris. C'est à y perdre la tête, et je vous fais
grâce de l'aune de Vitré, de l'aune de Laval, remarquant
tout de même que Laval, qu'un caprice administratif
détache de l'Ille-et-Vilaine, est toujours considéré
comme ville bretonne, et aussi, qu'entre toutes ces toiles
de Bretagne, on ne cite pas la seule qui ait conservé de la
notoriété, celle de Quintin.
Arrivons aux mesures de capacité, et d'abord à celles
du bois à brûler. Il y avait la brasse de 5 pieds de hau-
teur sur 5 pieds de largeur, toute composée de bûches de
5 pieds de longueur; il y avait déjà la corde, toujours
usitée, ou « hanoche » de bois de chauffage, ayant 8
pieds de largeur sur 4 pieds 1 /2 de hauteur.
Le charbon de bois se vendait au boisseau. Des sacs
emplissaient la barrique nantaise, « comblée par dessus
les bords ».
La chaux se mesurait au cotteret, dont neuf font la
pippe et quatre et demi font la barrique. 52 barriques ou
26 pippes composaient « une fourniture » de chaux.
Le muid de sel contenait 12 septiers, le septier 4 « mi-
nots » ou 16 boisseaux. La vente du sel dans les pays de
marais salants ne se faisait pas partout de la même façon.
- 340 —
A Bourgneuf on le vendait à la charge, 28 septiers pesant
deux tonneaux et demi ou 5.000 livres. Au Pouliguen et
au Croisic, il se vendait par muid de ville contenant 133
quartauts et demi nantais. Le muid pesait un peu plus
que la charge de Bourgneuf, 5.340 livres au lieu de 5.000.
Une partie de la Loire-Inférieure est pays vigno-
ble. Ce qui touche le gros plant et le muscadet n'a jamais
laissé les Nantais indifférents. Comment mesurait-on le
vin en 1793? Non pas par muid ou demi-muid, comme à
Paris, mais par tonneau. Le tonneau de vin à Nantes con-
tenait 2 pipes; la pipe deux barriques ; la barrique 120
pots. Une question se pose : quel était le rapport du vieux
«pot» nantais au litre actuel? Nous trouvons plus loin que
la barrique nantaise devait avoir, en dedans, d'un bout
à l'autre, 31 pouces et demi, mais que l'épaisseur des
fonds taillés, en biseau et à l'intérieur, en diminuaient
la capacité. Il n'entrait dans la barrique ainsi réduite
que 232 pintes ou 29 veltes 8 pintes. L'ancienne mesure
dénommée velte équivalait à 7 litres 1/2; la pinte ne
valait pas tout à fait un litre; la barrique de l'époque
contenait environ 225 litres; c'est la contenance du
temps présent, à bien peu de chose près.
Rien de particulièrement nantais ne s'appliquait aux
poids, qui se calculaient par milliers, cents ou quintaux,
livres, marcs, onces, gros et grains. N'oublions pas que la
livre en médecine se divisait en onces, l'once en drachme,
la drachme en simpules, le simpule en oboles, l'obole en
grains. Je ne crois pas que dans les vieilles officines phar-
maceutiques on ait tout à fait renoncé au « simpule » et
à « l'obole ». Les matrices des poids, comme celles des
mesures, étaient déposées à l'Hôtel de Ville de Nantes,
Le Gouvernement s'attribuait un droit de haute surveil-
lance; il avait désigné un ajusteur des poids et mesures
pour Nantes et le département de la Loire- Inférieure,
qui se nommait Pinot et habitait en plein centre de ses
opérations « près la Halle au bled ». . . (.
Pinot avait un contrôle très strict à exercer sur les
- 341 —
grains, et rien n'est plus minutieusement détaillé dans les
Etrennes que le « Rapport des mesures des grains de
divers lieux à celles de Nantes. »
J'ai déjà fait ressortir une différence entre le muid de
vin de Paris et le tonneau de vin de Nantes. Elle s'accen-
tuait pour les grains. Un tonneau de grains de toutes sortes,
mesure de Nantes, occupait précisément l'espace d'un
tonneau de mer (on dit plutôt tonne mariné), soit 40 pieds
cubes, il contenait 10 septiers qui pèsent, le froment, en-
viron 2.250 livres, et le seigle, 2.000 livres. Le septier con-
tient 16 boisseaux, et chaque boisseau nantais contient
446 pouces cubiques, conformément à l'étalon de bronze
conservé à la Maison de Ville. 10 muids de Paris sont
égaux à 13 tonneaux de Nantes.
Retenons la différence de poids entre le froment et le
seigle, que la qualité de la récolte peut rendre encore plus
considérable, et relevons, au passage, une autre mesure,
la culasse « beaucoup en usage pour les bleds ». Elle
contient 24 boisseaux, soit un septier et demi de Nantes.
Le tableau comparatif des mesures usitées pour les
grains dans les diverses villes et localités de France ne
manque point d'intérêt. Mais, pour en tirer quelques
conclusions pratiques, il faudrait le transcrire en entier,
ce qui dépasserait les limites de cette étude. Laissant de
côté Châtellerault, Chinon, Angers, Tours, même Blois,
où l'on comptait une certaine quantité de mines au
muid, tandis qu'Étampes opérait par sacs, et Dunkerque
par razières, je ne retiens que les villes de la Loire-
Inférieure, de la Vendée ou des autres départements
bretons que leur voisinage de Nantes font entrer dans
notre cadre.
Le tonneau de Machecoul a 10 boisseaux; il rend à
Nantes un tonneau 4 boisseaux. Même observation pour
Beauvoir, Saint-Gilles, La Barre -de-Mont, Moric (ou
Moricq), Les Sables, Bourgneuf. Luçon mesurait
comme Nantes.
Différences
des
poids et mesures
en France.
— 342 —
Bouin« donne 9 septiers ; Guérande, 9 septiers 8 bois-
seaux. Belle- Isle-en-Mer est dans les mêmes conditions
que Guérande.
A Palluau (chef-lieu de canton de l'arrondissement
des Sables-d'Olonne), 63 boisseaux pèsent 3.02 41ivres;
il y a 31 pour cent de bénéfice.
A Prigné (sic) (nom ancien de Prigny), près Paimbœuf,
on trouve 10 septiers au tonneau, comme à Nantes.
Mais le septier est de 9 quintaux, dont chacun vaut deux
boisseaux de Nantes. Il s'ensuit que le septier de Prigné
donne à Nantes 18 boisseaux au lieu de 16.
A Noirmoutier, le tonneau de 2.400 livres équivaut
encore à un tonneau un septier nantais.
64 demeaux d'Ancenis font, à Nantes, un tonneau
quatre boisseaux.
La pochée de la Haye, de la Haye-Fouassière, sans
doute, a une physionomie bien nantaise. Comme con-
tenance, elle se rapproche du sac d'Étampes; il faut
8 sacs 3/4 et 7 pochées 3/4 au tonneau.
Chemin faisant, nous constatons, d'après les mesures
de Saumur et de Montreuil (Montreuil-Bellay), que les
haricots pèsent plus que les fèves, et le septier de Paris,
qui donne 9 septiers pour le tonneau de Nantes, nous
apparaît bizarrement intercalé entré le septier de Char-
tres et le boisseau de Montmorson (sic) (peut-être Mont-
morion, pour Montmorillon). La Flèche a 30 livres au
boisseau, 75 au tonneau.
Voici la Haute et la Basse-Bretagne dans un pêle-
mêle de moyennes et petites villes : Auray, Pont-1'Abbé,
Bedon, La Boche-Bernard, donnent à Nantes 8 0/0
de bénéfice: Quimper, de 7 1/2 à 8 0/0 en avoine;
Hennebont, et Quimperlé, jusqu'à 40 0/0, avec 40 minois
pour le tonneau à Hennebont.
A Vannes, il y a deux mesures : la plus ordinaire, qu'on
nomme grande mesure, est de 20 0/0, l'autre de 10. Les
boisseaux de Tréguier, de Lannion, de Lesneven, de
Pont-Croix s'alignent à côté du quartier de Morlaix,
— 343 —
qui est de 140 livres pour le seigle, du tonneau de fro-
ment de Landerneau et de celui de Lézardrieux (les
Etrennes écrivent les Ardrieux), qui pesaient 2.400 livres
chacun.
Le boisseau de Saint-Malo contient 70 livres, le baste
de Dantzig et celui d'Amsterdam, que l'on s'étonne un
peu de rencontrer ici, équivalent, l'un et l'autre, à
2 tonneaux 1 septier.
Pour en finir,mentionnons ce que letonne au de Nan-
tes donne ou rend aux mesures des principales villes
maritimes ou fluviales avec lesquelles la ville est en rap-
port d'affaires. Il est semblable au tonneau de La Rochelle.
Il donne à Bordeaux et à Libourne'18 boisseaux en fro-
ment et seigle, 20 boisseaux en fèves « à cause de la
mesure comble ». A Dunkerque, il demande 8 razières
1/4 pour équivalent exact. Il rend à Bayonne 34 concques;
à Saint-Sébastien 24 fanegues (la fanegue espagnole vaut
60 litres) ; à Bilbao, 21 fanegues ; à Cadix, 24 fanegues 1/2 ;
à Murcie, huit charges 1/2 trois quarts.
Malgré la monotomie des chiffres, il m'a paru curieux
d'insister sur cette partie des Etrennes nantaises. L'im-
portance des transactions commerciales de Nantes avec
les villes de France et d'Europe ressort de ce tableau
comparatif, qui en dit long sur les complications des
mesures nationales et internationales avant l'établisse-
ment du système métrique.
Un autre tableau, celui des monnoies étrangères Monnaies,
réduites en argent de France, outre qu'il a un intérêt pure-
ment rétrospectif, ne présente aucune particularité nan-
taise. Le liard et le denier ne sont plus que des symboles;
si les paysans de la Loire-Inférieure comptent encore
par pistoles et par écus, ils ne sont pas les seuls. Quant
aux monnaies étrangères, guinée anglaise, florin de Hol-
lande ou d'Autriche, doublon et piastre d'Espagne, ducats
d'or de Venise, rouble de Russie, dollar de Boston, taël de
Chine, sequin du Grand Mogol, roupie des Indes, nous
— 344 —
retrouverions la plupart d'entre elles aux vitrines des
changeurs, excitant la curiosité ou l'envie. Nantes n'a
point à les revendiquer, mais ce nota philosophique est
à retenir : « Les valeurs varient quelquefois suivant le
taux du change ou les besoins d'argent. »
RECLAMES ET ANNONCES
Annonces, avis, Passant brusquement d'un sujet à un autre, les
réclames. Etrennes nantaises insèrent ici des « Avis divers » d'une
saveur et d'une couleur bien locales. Le premier avis a
un caractère officiel; il annonce l'ouverture de cours
d'accouchement « en faveur des sages-femmes ». En
conformité d'un arrêté pris le 2 avril 1792, par le Conseil
d'Administration de la Loire-Inférieure, un concours
public avait eu lieu en présence de ce Conseil, le 18
juillet suivant. Les citoyens Etienvrin et Godebert,
officiers de santé du Collège de Chirurgie de Nantes, que
nous avons rencontrés déjà, avaient été élus « professeurs
pour les accouchements ». L'avis prévenait les intéressées
qu'ils donneraient leurs leçons tous les jours pendant le
courant de l'année, de 10 heures du malin à 1 heure
après-midi. Ils s'étaient partagé l'année par semestres;
Etienvrin professait en sa demeure, rue du Bignon-Les-
tard, n° 90, du 1er juillet au 31 décembre, et Godebert
en la sienne, rue des Halles, n° 15, du 2 janvier au 30
juin. Le Département allouait une somme de 250 livres
par personne à cinq femmes de la campagne pour le loge-
ment et la nourriture pendant leur année d'études. Si ces
braves femmes n'avaient pas d'autres moyens d'existence,
elles devaient, malgré les prix de l'époque, avoir de la
peine à s'en tirer. Pourtant, l'avis communiqué aux
Etrennes qualifiait de « laveur » un traitement dont une
cuisinière, logée et nourrie par ses maîtres, ne se con-
tenterait pas aujourd'hui. « Celles qui voudront profiter
de cette faveur et dont l'âge sera entre 25 et 40 ans,
345
disait l'annonce, s'adresseront à leur municipalité,
qui en donnera avis au Département par la voie du
District. » Toutes les formalités administratives étant
ainsi bien remplies, les villageoises, ni trop jeunes, ni
trop mûres, devenaient élèves sages-femmes et suivaient
les cours des éminents médecins, pourvus du certificat de
civisme, Etienvrin et Godebert. Et leurs collègues de
la ville ? Les hébergeait-on aussi aux frais du départe-
ment ? leur demandait-on aussi d'avoir l'âge de raison
ou l'âge canonique ? On aimerait à le savoir.
Une barre transversale sépare le communiqué officiel
des autres « avis divers », qui sont plus ou moins des
réclames, dirions-nous à présent; médecins et chirurgiens
ne dédaignaient pas alors cette façon un peu bruyante de
se recommander au public.
Le citoyen Godebert, qui exerçait sous Louis XVT,
accoucheur patenté, revient à la charge : il annonce
qu'il a établi chez lui un hospice pour y accoucher
les femmes et filles. Les pauvres y seront admises
gratuitement « au terme de leur accouchement ».
Celles qui seront en état de payer payeront selon
leurs moyens et les soins qu'exigera leur santé, « ce qui
sera toujours médiocre », ajoute le bon docteur, em-
ployant « médiocre » clans le sens de « modique ». Un
vrai philantrophe, ce Godebert; il donne même des cham-
bres à celles qui en désirent. Entre nous, je crois qu'il
voulait éclipser son collègue des cours d'accouchement,
le citoyen Etienvrin, et qu'il promettait beaucoup, quitte
à tenir moins.
Bisson, chirurgien et professeur, élu sous l'ancien
régime démonstrateur d'anatomie, se pose en oculiste.
Il a fait avec succès, c'est lui qui le dit, plusieurs
opérations de la cataracte; il affirme, clans une formule
aussi prétentieuse que banale, qu'il entreprendra la
guérison de tous ceux qui voudront bien se confier à
ses soins. Vous qui souffrez, venez donc tous à Bisson;
il est universel, ce qui ne l'empêche pas d'être spécialiste.
346
L'ophthalmologie ne lui suffit pas. Il prévient sa clien-
tèle et le public que, depuis la mort du sieur Camin,
expert pour les descentes, on trouvera chez lui les
mêmes secours (sic) qu'on trouvait chez le défunt,
homonyme, probablement un ancêtre, du gendre
d'Emile Péhant. Bisson met son adresse, rue Girardon,
au bas de la réclame.
Thomas, maître es art en chirurgie et chirurgien
de la ville de Nantes, annonce au public qu'il est
reçu « chirurgien aux rapports ». Il a pris la charge
que tenait et exerçait ci-devant Béchet, dont il espère
bien prendre aussi la clientèle. Il a une façon bizarre
de donner son adresse : il demeure à l'entrée de la
Fosse, vis-à-vis le premier arbre, rue Thomas.
Comme cela se trouve ! S'appeler Thomas, demeurer
rue Thomas ! Le Diafoirus de Molière s'appelait
aussi Thomas.
Mais voici qui devient grave et prouve l'impartialité
intéressée des Etrennes. Feu Camin, déjà nommé,
avait un beau-frère du nom de Labadie « reçu chirur-
gien-expert pour la guérison des descentes ». Ce Labadie
fait une annonce à son tour, sur la même page que celle
de Bisson et dix lignes plus bas. Il déclare qu'il est le
seul à Nantes qui s'adonne particulièrement à cette bran-
che de l'art de guérir et qu'on trouve chez lui tous les
secours possibles (encore !) contre cette affection chirur-
gicale. Il babite rue Bon-Secours, près la Poissonnerie;
cela n'est pas si loin de la rue Girardon. Son rival Bisson
et lui ont dû justifier le vieil adage : Medicorum
pessima.
A la suite de ces boniments, le maître d'écriture de la
ville, Papin, le Favarger ou T Alaberte de son temps, glisse
une petite note, simple et timide, pour annoncer qu'il
tient classe, matin et soir, rue Saint-Nicolas.
Darbefeuille, membre et professeur du Collège de
Chirurgie (le chirurgien de l'Hospice des enfants orphe-
lins et bâtards) reprend et clôt la série des avis médicaux.
— 347 —
Il donne les dates d'ouverture et de clôture de ses cours
d'anatomie, d'ostéologie, de dissections, de maladies
chirurgicales, de physiologie expérimentale, de patholo-
gie, de thérapeutique et de matière médicale. Malgré la
surcharge du programme et l'abondance des mots, on se
sent en présence d'un praticien plus sérieux que les
autres, d'un professeur soucieux d'instruire ses élèves
et qui joignait l'exemple au précepte. A la fin de
l'Empire il exerçait encore, quai de l'Hôpital, 8.
LES RUES
Nous touchons à la fin des Etrennes. Deux tables al- Anciennes
phabétiques les terminent ; l'une, des nouveaux noms et nouvelles rues
donnés aux rues, places et quartiers de la ville ; l'autre,
des noms suprimés, avec renvoi aux nouveaux noms.
Il serait fastidieux de citer ces noms de rues, de met-
tre en parallèle les anciens et les nouveaux. D'ailleurs,
je me répéterais, car j'ai eu souvent l'occasion de pré-
ciser la situation d'une rue débaptisée, en rappelant le
nom qu'elle avait porté avant la Révolution et qu'elle
a repris depuis.
Le souci des municipalités nantaises républicaines
était, non pas d'effacer les traces du passé, mais surtout
de remplacer les appellations religieuses, très fréquentes
de tout temps à Nantes, par des dénominations histo-
riques, littéraires, parfois locales. Voici quelques exem-
ples qui ne se sont pas encore présentés sous ma plume.
La rue des Pénitentes était devenue rue Bacon; la rue
des Cordeliers, rue Caylus ; la rue Saint-Lazare, rue
Cazanove ; la petite ruelle de la Magdelaine, rue Cer-
vantes ; la rue Notre-Dame, rue Delille ; la rue Sainte-
Catherine, rue Delorme ; la rue des Capucins, rue Four-
croy; la rue des Récollets rue Grotius; la rue des Jacobins,
rue Jussieu ; la rue Saint-Vincent, rueMably; la rue des
Carmélites, rue Maupertuis; la petite rue des Carmélites,
rue Milton ; la rue des Ursules, rue Pigalle ; la rue
348
Saint- André; rue Pope ; la rue Sainl-Anloine, rue Ra-
belais ; la rue Saint-Denis, rue Racan; la petite rue
Notre Dame, rue Tintoret ; la rue Sainl-Laurent, rue
Viucy (sans doute Léonard de Vincy). Il faut avouer
que ces nouveaux noms de rues n'étaient pas mal
choisis e1 témoignaient, chez les édiles, d'une érudition
assez fine ou de lectures variées.
Quelques concessions au goût romain du temps avaient
créé une rue Cincinnatus, fait une rue Brutus, de la rue
Premion; une rue Scevola, de la place de l'Eperon; une
place des Gracques, de la place Saint-Pierre. Comme
contre-partie, on peut citer la rue Bossuet, qui rempla-
çait la rue de Briord. En devenant la rue Fénelon, la rue
Sainte-Claire ne dépouillait presque pas son caractère
religieux.
Il était tout naturel que les enseignes royalistes dispa-
russent devant les enseignes républicaines; qu'il y eût une
place, un quai, un cours delà Liberté ; que le cours nouveau,
qui venait d'être créé sur le terrain des Capucins et qui
devait répondre plus tard aux noms de cours Henri IV,
de cours Napoléon, de cours Cambronne, s'appelât
alors, comme aujourd'hui, cours de la République; que
la rue Royale devînt rue du Peuple-Français.
On pouvait regretter quelques anciens noms de rues
pittoresques ou bizarres, dont quelques-uns ont reparu,
d'ailleurs. Nous avons revu la rue Moquechien, que l'on
appela Rasse-Porte et qui a disparu pour toujours à la
création de la rue Jeanne-d'Arc, et la rue de l'Abreu-
voir, artistiquement dénommée rue Raphaël en 1792.
La rue du Merle-Blanc, sur « le territoire Graslin », a
conservé son nom, plus français que républicain, de
rue Boileau. Nul ne songera, je crois, à déplorer que
le quai des Fumiers soit devenu et reste quai Magellan.
Mais la rue Bignon-Lestard a perdu à l'échange de son
appellation archaïque en celui de rue Rubens, car
Nantes ne doit rien à la mémoire du célèbre peintre
flamand, tandis que l'ancien nom consacrait un sou-
— 349 —
venir local. Je n'aime pas, du reste, en principe, que
l'on débaptise les rues dont le vocable perpétue l'his-
toire d'une ville. Il se créera toujours assez de percées
nouvelles pour y placer les noms des célébrités du passé
et de celles qui surgiront dans l'avenir.
CONCLUSION
La Révolution, en somme, n'altéra pas beaucoup, Feu
même dans les noms des rues, l'aspect du vieux Nantes, de changements
que nous retrace encore au vif un plan accompagnant au fond-
« à volonté » Y Indicateur de Guimar vendu place du
Pilori, l'An troisième de la Liberté.
On peut, en rassemblant les détails qu'une pa-
tiente analyse nous a permis de retrouver, reconstituer
la ville par la pensée, comme Victor Hugo l'a fait pour
le Paris du xve siècle. Et, devant ces maisons somp-
tueuses, où des richesses commerciales s'accumulaient,
on sera tenté de donner raison au citoyen La Vallée, qui,
visitant Nantes en cette même année 1793, écrivait :
« La Fosse, l'île Feydeau et quelques autres cantons
de Nantes le disputent en magnificence aux plus
superbes villes de l'Europe. »
Paul EUDEL.
NOTES CURIEUSES
EXTRAITES DES REGISTRES DE LA PAROISSE
DE SAINT-HERBLAIN
Par Léon DELATTRE
Au cours de quelques visites que nous avons dû faire à
la mairie de Saint-Herblain pour les besoins de notre ser-
vice, nous avons pu disposer de quelques instants et feuil-
leter les registres paroissiaux antérieurs à 1792, qui s'y
trouvent en parfait état de conservation. Des recherches
y ont déjà été faites par M. Léon Maître pour la rédaction
du Lomé Ve de l'Inventaire sommaire des Archives dépar-
tementales de la Loire-Inférieure, et aussi par M. Du Bois
de la Patellière, l'auteur de cet ouvrage très consulté
ayant pour titre : Notes historiques sur quelques paroisses
du diocèse de Nantes (1).
Les notes qui suivent, extraites des registres de Saint-
Herblain et accompagnées de quelques commentaires,
complètent, pour cette paroisse, mais sans aucune préten-
tion de notre part, les travaux si remarquables des deux
laborieux et érudits auteurs.
Année 1631
Le seizième jour de mars l'an 1631, fut inhumé dans le
cimetière de Saint-Herblain le corps de Guillaume, natif
près de Saumur, disant venir de la mer pour se faire bai-
gner pour la morsure d'un chien enragé, estant depuis
quelque temps malade, de laquelle maladie il serait décédé
à Saint-Herblain (2).
(1) A Vannes, imprimerie Lafolye.
(2) Nombreux étaient autrefois les remèdes employés contre les
morsures des chiens enragés. Les bains de mer étaient en grande
faveur, ainsi qu'en témoigne l'extrait suivant d'une lettre adressée
23
— 352 —
Année 1633
Au commencement de cette année, huit personnes
moururent de contagion (1).
Année 1639
A la suite de l'acte de décès, en date du 26 novembre
1639, de Jean de Trévelec, écuyer, sieur de Penhouet et
de la Pasticière, lequel fut inhumé dans l'enfeu de la
Pasticière, le vicaire Chupaut (2) a écrit le sixain sui-
vant :
Ce bel esprit, non plus que le soleil,
N'a pas laissé au monde son pareil,
Et ceux qui ont cogneu son excellence
Regretteront à jamais sa présence :
Partant, lecteur, pour ce bon trépassé,
Dis avec moy : Requiescat in pace.
Le 29e jour de novembre, fut inhumé dans le chœur de
l'église de Saint-Herblain le corps de François Cardan,
âgé de 84 ans. Après avoir enregistré le décès, le vicaire
ajoute :
Sa longue vie a été telle,
Qu'elle a mérité l'éternelle.
Année 1644
Le 3 février 1644, sépulture de Guillaume Dauly,
par Mme de Sévigné, le 13 mars 1671, à Mme de Grignan : «... Au
reste, si vous croyez les filles de la Reine enragées, vous croyez bien.
Il y a huit jours que .Mme de Ludre, Coëtlogon el la petite de Rou-
vroi lurent mordues d'une petite chienne qui était à Théolon ; cette
petite chienne est morte enragée ; de sorte que Ludre, Coëtlogon et
Rouvroi sont parties ce matin pour aller à Dieppe et se l'aire jeter
trois fois dans la mer... »
En 1852, on voyait encore arriver à Bourgneùf, chaque année,
dit Chevas (Notes historiques sur Bourgneùf), bon nombre de per-
sonnes mordues par des chiens gâtés ou soupçonnés de l'être, pour
se faire baigner à la mer. Celle baignade consistait en trois immer-
sions totales, chacune d'elles étant précédée d'un signe de la croix.
(1) Il s'agit de la peste qui, dès 1(531, avait fait sa réapparition à
Nantes et exerçait ses ravages dans les paroisses voisines.
(2) Le prêtre Chupaut décéda en 1(556, à l'âge de 57 ans, après
avoir servi, en qualité de vicaire de Saint-Herblain, pendant 24 ans.
'(
— 353 —
lequel fonda trois services par an et donna à l'église douze
andains » (1) de pré dans la vallée de la Pasticière.
Chupaut consacre un quatrain à ce bon paroissien :
Ce défunt a donné de son bien à l'Eglise,
A la terre et aux vers, sa chair, sa peau, ses os ;
Son âme à Dieu, son père, afin qu'il la conduise
Dans les lieux bienheureux de l'éternel repos.
Année 1649
■
A la fin du registre, le vicaire Chupaut a écrit plusieurs
quatrains, dont les caractères commencent à s'effacer :
La mort est douce et agréable
A tous ceulx qui vivent bien.
Mais à ceulx qui ne valent rien
Elle est toujours espouvantable.
*
* *
C'est un très charitable office
De prier pour les trcspassez,
Puisque par notre sacrifice
Leurs peschez leur sont effacez.
*
* *
Pour bien mourir, il faut bien vivre.
C'est un utile document :
Cher lecteur, si tu veux le suivre,
Tu vivras éternellement.
\nnée 1650
Le 13 mars 1650, fut inhumé le corps de Jean du
Moulin, âgé de 70 ans. Le vicaire résume la vie du défunt
dans ce distique :
Il a vescu en très homme de bien,
Et puis enfin est mort en vray chrétien.
(1) L'ondain, ancienne mesure agraire du Comté nantais, en
usage pour l'arpentage des prairies, contenait 1 are 18 centiares.
— 354 -
Année 1749
Au commencement du registre :
Cette année, la dysenterie a fait les plus grands ravages;
il est mort 15<S personnes, dont la majeure partie de cette
cruelle maladie (1).
Année 1751
A la fin du cahier de cette année, se trouve la note sui-
vante :
(1) Cette épidémie, survenue au mois de septembre, se fit sentir
aussi à Vertou, à Haute- Goulaine, au Bignon, à Saint-Sébastien, la
Haye-Fouassière, Châteauthébaud, Montbert, Sucé, etc. L'hiver
avait été très doux, l'été fort sec et chaud. Le sieur Régnier, méde-
cin de Nantes, dans un procès-verbal de visite à Vertou, dit que
« l'automne, extrêmement pluvieux, y a infiniment contribué
et répandu dans l'air un miasme putride et dyssentérique,
selon le sentiment d'Hypocrate, section 3, aphorisme IL»
La Communauté de Nantes décida, le 16 octobre 1749, d'envoyer
à ses frais « des médecins et des apothicaires avec les remèdes néces-
saires et de la viande pour procurer du bouillon aux malades
pauvres dans les paroisses deVertou, Haute-Goulaine et le Bignon,
où la plupart des malades périssaient non seulement faute de
remèdes, mais surtout par le défaut de nourriture. »
Dans un rapport de la Faculté de Médecine de Nantes, relatif à
cette épidémie, M. Soliès, médecin, donne de curieux détails sur les
moyens ordonnés pour combattre la maladie: « Les remèdes em-
ployés, dit-il, après avoir fait procéder aux saignées qui ont eu
grande part à la guérison et qui étaient absolument nécessaires,
tant pour calmer le grand mouvement du sang que donner lieu à
l'application sur ce quoy on devait faire, soit l'ipécacuanha réitéré
selon l'occasion pour dégager l'estomac des mauvais levains qui y
croupissent et des matières vermineuses qu'on a reconnu pour
cause principale. » On conseillait « des vermifuges composés d'eaux
de scordium, de pourpier, de confection d'hyacinthe et de sirop de
limons », dont on faisait une potion qui se prenait à cuillerée. Pour
procurer le sommeil, calmer les douleurs et modérer « les évacua-
tions qui sont plus abondantes la nuit que le jour », un gros de
diascordium remplissait toutes ces indications. Le médecin termine
ainsi son rapport : « On ne sera point surpris de l'effet de ces deux
derniers remèdes lorsqu'on sera instruit de la cause de cette maladie
par le procès-verbal d'ouverture d'un cadavre dont les intestins se
sont trouvés remplis de vers. Il y est même observé, par le rapport
d'un chirurgien, qu'il en avoit veu sortir du corps des malades qui
étoient vêtus, et qui a voient des pieds comme des chenilles. On
achève la guérison par une teinture de rhubarbe, dans laquelle on
fond deux onces de mauve, ce qui évacue une. grande quantité de
matière bilieuse, par où se termine la maladie. »
(Archives municipales de la Ville de Xantes, G G 773).
— 355 —
La nuit du dimanche 14 mars au lundy 15 dudit mois,
l'an 1751, entre les onze heures et minuit, il s'éleva un si
grand vent que l'on crut que c'était la fin du monde ; le
houragand fut si fort qu'il enleva presque la moitié de la
couverture, des lattes et planches du clocher et de l'église,
au nord ; le vitrage de la grande porte, soutenu par des
piliers, fut entièrement renversé ; les vitrages de l'autel de
laVierge et celuy de Sainte-Anne furent fort endommagés;
il n'y eut qu'un panneau emporté du vitrage du maistre
autel au midy ; dans la sacristie, il n'y en eut qu'un em-
porté ; le vent jeta du haut de la nef une croix de grison
pesante environ 100 livres ou quelque chose de plus,
laquelle, tombant sur la couverture du chœur, fit un
grand dégast ; en outre, beaucoup de massonne et de
pierres dégradées à la petite fenêtre du bas de l'église
au midy. De sorte qu'il en coûta pour les réparations, au
général de la paroisse, près de 100 livres. Bref, beaucoup
de maisons endommagées, quantité d'arbres renversés,
et, de conséquence, on en compte à la Bouvardière onze
cents et en beaucoup d'autres maisons à peu près autant.
On mettait la perte de toute la paroisse à vingt mille écus.
Je soussigné certifie la chose véritable sans rien exa-
gérer (1).
A Saint-Herblain, le 19 aoust 1751.
Signé : Asvenard, vicaire.
(1) A Pionnières, 600 arbres du bois de la Galissonnière furent
renversés les uns sur les autres. (Reg. d' Etat-civil de Monnières.)
A Saint-Sulpice des Landes, on crut à un tremblement de terre.
(Reg. d' Etat-civil.)
Beaucoup de navires périrent sur les côtes. (Reg. d' Etal-civil de
M issillac.)
A Paimbœuf, plus de 60 vaisseaux « richement chargés, cpii
étaient en rade », furent brisés et engloutis avec leurs équipages.
(Registre, de Saint- Vincent de Nantes).
A Nantes, l'alarme fut générale ; les habitants se levèrent, ne
se croyant pas en sûreté dans les maisons. (Registre de Saint-Nico-
las.)
A Treffieuc, la tempête renversa plus de 300 arbres. On crut à
un tremblement de terre (Reg. d' Etal-civil.)
Etc., etc.
— 356 -
Année 1753
Le deuxième juillet, présente année, Monseigneur
Pierre Mauclerc de la Muzanchère, evesque de Nantes,
fit la visite de cette paroisse et y donna la confirmation à
800 personnes. Il avait pour grands vicaires Messieurs
les abbés de Regnon et l'abbé Depoly de Saint-Thiébaud.
Année 1765
lre note. La dysenterie régna cette année ; le nombre
de tous les morts monta à 114 (1).
2e note. Le 27 février 1765, a été par moi, recteur sous-
signé, en exécution de l'Ordonnance de M. le Lieutenant
général criminel du siège présidial de Nantes, comme il
est constaté par le permis à nous présenté, en date du 27
de ce mois, signé par Allebert, premier greffier criminel ;
ont été inhumés au cimetière les corps de Marie Fleury,
femme de Louis Mosset, marin ; de Louis Mosset, beau-
père de ladite Fleury, et de Julienne Glaud, femme dudit
Louis Mosset, aubergiste du Pavillon, lieu nommé en cette
paroisse sous le nom de la maison de Jouppil, lesquels
trois cadavres ont été assassinés a ladite auberge, sur les
Hauts-Pavés, la nuit du 27 février. Ont assisté à la sépul-
ture François Garreau, Antoine Rubion, Jeanne Poirier
et autres qui ne signent.
P. Lamjbert, recteur.
(1) Dont 93 décès par cette maladie, du 6 septembre 1765 au
1er mars 1766, d'après une lettre du recteur de Saint-Herblain,
adressée à la Municipalité de Nantes.
L'épidémie fut remarquable surtout à Vertou, Saint-Sébastien,
llaute-Goulaine, Saint- Julien- de- Coucelles, Châteauthébaud,
S;iint-Fiacre, Maisdon, au Bignon, à Sainte-Luce, Doulon, Cban-
tcuay, au Loroux, à Monnières, Nort, Vallet, Saiut-Aignan, Bou-
guenais, Aigrefeuille, etc.
Dans vingt-neuf paroisses des environs de Nantes, où la dysen-
terie se fit le plus vivement sentir, on compta 11.000 malades, sur
lesquels 2.653 succombèrent. A Vertou, il y eut 489 décès ; au Lo-
roux, 400.
L'Intendant de Bretagne fit distribuer des instructions pour le
traitement de cette maladie. La Communauté de Nantes envoya
dans les paroisses les plus éprouvées des médecins et des apothi-
caires. Une souscription faite pour la fourniture de médicaments
produisit 4.900 livres.
{Archives municipales de la Ville de Nantes, G G 773).
— 357 —
En marge du registre, le recteur a écrit : « A cette
époque, l'endroit nommé Jouppil a pris le nom de Mas-
sacre (1). »
Année 1787
Note écrite sur la couverture du registre :
v
Il a gelé cette nuit du 6 au 7 juin, jour de la Fête-Dieu,
et celle du 25 au 26 août (2).
Année 1788
Cette année, le 22 novembre au soir, le froid commença
pour ne finir que le 16 janvier 1789. L'automne avait été
fort sec ; aussi les fontaines se tarirent-elles en grande
partie. On était obligé de ramasser la neige qui resta deux
mois sur la terre, de la faire fondre et d'en abreuver les
bestiaux (3).
Année 1790
Prise de possession de la cure par Mathurin Charier,
(1) La croix de granit que l'on aperçoit un peu en dehors de la
route de Vannes, entre le Chêne- Vert et le chemin deLongchamp,
auprès de la maison appelée la Prise-Philippe, a été probablement
édifiée en commémoration du triple assassinat perpétré non loin
de cet endroit. L'auberge où eut lieu cet assassinat fut démolie
en 1793, par mesure de sûreté générale, parce qu'elle servait de
« retraite aux brigands qui infestaient le voisinage de la ville de
Nantes ». (Voir notre article sur le « Massacre», dans l'Intermé-
diaire Nantais de 1904.)
(2) Le registre d'Etat-civil de la paroisse de Quilly constate éga-
lement ce fait anormal : « Une gelée tardive, au 7 juin, fitbeaucoup
de mal aux blés et aux légumes. »
(3) Cet hiver fut remarquable par sa rigueur et sa durée. Au dé-
gel, on trouva sur les bords du lac de Grand-Lieu une quantité
prodigieuse de poissons crevés, parmi lesquels des carpes d'un
mètre de longueur. L'une des plus grandes peines était que ce froid
rigoureux ayant été précédé d'une longue sécheresse, on manquait
d'eau pour abreuver les bestiaux. Le vin gela dans les barriques.
La glace, sur le lac, avait plus d'un demi-mètre d'épaisseur, et l'on
y passait sans crainte pour se rendre à la Chevrolière. (Registre de
Saint- Lumine-de- Contais.)
A Nantes, la misère fut telle que les vols se multiplièrent de
façon inquiétante et que les habitants se cotisèrent pour créer une
garde particulière pendant la nuit pour veiller à la sûreté des pro-
priétés. (Annales de Nantes, par Meuret.)
Le recteur de Quilly (Reg. d' Etat-civil de la paroisse), dit que les
gros arbres se fendaient avec bruit et « pétaient comme des coups
de fusil. »
— 358 —
vicaire de la paroisse, présenté et nommé par l'abbé
Douand, chanoine de Saint-Pierre (1-).
Année 1791
On lit sur la couverture du registre :
«
« Il n'y a point eu de première communion cette année.
« Le 15 de may mil sept cent quatre-vingt-onze, dom
Marie-Jean-Conslanlin Piclion, bénédictin de la con-
grégation de Saint-Maur, a été nommé à la cure de Saint-
Herblain par le suffrage des électeurs du district de
Nantes. Sa nomination approuvée par Monsieur l'Evêque,
il a été mis en possession le vingt-un du même mois.
« Vive la Nation. Vive la Loi. Vive le Roi des Fran-
çais (2). »
Les registres d' Etat-civil de Saint-Herblain sont inté-
ressants à plus d'un, titre, et nous en avons vu peu aussi
abondamment ton verts de signatures. Les nobles étaient
nombreux dans cette paroisse et leurs noms y figurent
presque à chaque page, surtout dans les actes du dix-
septième siècle.
Léon DELATTRE.
(1) Charier fut expatrié en Espagne. Après la Révolution, il fut
rétabli dans sa cure.
(2) Le Directoire du District de Nantes, craignant des troubles,
envoya cent gardes nationaux qui partirent de la ville le dimanche,
22 mai 1791, pour se rendre à Saint-Herblain et y effectuer, d'après
les ordres donnés, « sans aucun trouble, le placement de M. Pichon,
constitutionnellement élu à la cure de cette paroisse. » Il leur fut
distribué des rafraîchissements et les frais s'élevèrent à 173 livres.
(Archives départementales de la Loire-Inférieure, L 1047.)
Au mois d'octobre 1791,1e District fut informé, parla Municipa-
lité de Saint-Herblain, que des attroupements avaient lieu les
dimanches et fêtes à la maison de la Chauvinière, « sous prétexte
d'entendre la messe d'un prêtre non assermenté.» Le Directoire
défendit, le 21 de ce même mois, au propriétaire de cette maison,
« usant de la faculté de faire célébrer la messe dans sa chapelle, de
tenir toutes les portes et communications extérieures exactement
fermées, de n'admettre qui que ce soit dans l'intérieur de la cha-
pelle et de sa maison, hormis les personnes y habitant. » Il lui fut
défendu également d'employer « aucun son de cloche ou autre in-
dice pour annoncer la célébration de la messe. » (Arch. départ, de la
Loire- Inférieure, L 1b.)
PRÉÉMINENCES
DE L'ÉGLISE DE SAINT-PHILBERT DE GRANDLIEU
Compétition des seigneurs du Chaffault et de la Moricière en 1633
par Léon MAITRE
Les seigneurs du Chaffault et de la Moricière, qui
étaient l'un, de la famille de Lespinay, l'autre, de la
famille des Gabard, se disputaient le droit de préémi-
nence dans le chœur de l'église de Saint-Philbert-de-
Grandlieu en 1633. Le cause fut portée devant le siège de
la sénéchaussée royale de Nantes, qui, avant de . se
prononcer, décida, le 17 décembre, qu'une enquête sur
les lieux serait ouverte et que les parties seraient enten-
dues. En vertu de ce jugement, le sénéchal René Charette
de la Bretonnière, se déplaça lui-même avec le procureur
du Roi G. Blanchard de la Chapelle et un greffier, après
avoir assigné les plaideurs devant la grande porte de
l'église.
Lorsqu'il y arriva, le jeudi 29 décembre, ainsi accom-
pagné, il y trouva Samuel de Lespinay, seigneur du Chaf-
fault, assisté de Fr. Guidon, son procureur, Françoise
Padiolleau, dame du Bouchet et de la Moricière, veuve
de Davy du Brellay et auparavant de Jean Gabard, sieur
des Jamonnières et de la Moricière, et Jean Gabard,
écuyer, sieur de Téhillac et de Piépin, assistés de Me Lan-
daz, leur procureur.
La parole ayant été donnée au demandeur, Samuel de
Lespinay exposa que les seigneurs du Chaffault ont tou-
24
— 360 —
jours été en possession d'un droit de banc dans le chœur
de l'église, du côté de l'Evangile, à la vue de tous les
nobles de la paroisse. Ils ont été maintenus dans cette
prééminence par un jugement contradictoire rendu en
Conseil du Duc de 1473. Ce banc était encore en place
jusqu'au temps des troubles de la Ligue, mais la famille
de Lespinay ayant embrassé la Réforme et négligé de
l'occuper, les seigneurs des Jamonnières, père et mère du
seigneur actuel, sollicitèrent la faveur de rétablir le banc,
qui avait été brisé « par la ruine de l'une des voultes de
lad. église ou par les gens de guerre » (Cette dernière hy-
pothèse était la plus vraisemblable (1). Le banc fut occu-
pé par la famille des Jamonnières par suite de l'absence
des Lespinay. La réfection du banc est del 598, comme l'in-
dique la date qui est au dos, elle n'a pu être mise par les
Gabard qui, à cette date, n'avaient que les Jamonnières,
simple domaine sans fief. Quant aux seigneurs de la Mori-
cière, leuis ancêtres, ils ont été déboutés de leurs préten-
tions au temps des Ducs et forcés de mettre leur banc
dans la nef, au-dessous du chanceau.
Le procureur des défendeurs a répondu, à son tour, que
ceux-ci possèdent des terres importantes qui ont juridic-
tion haute, moyenne et basse, jusque dans la ville de
Saint-Philbert, qui leur assurent des droits de préémi-
nence dans le chœur, et qu'ils ont joui, de temps immémo-
rial, de ces prérogatives, au su et au vu des paroissiens et
gentilshommes, tant en qualité de seigneurs que de bien-
faiteurs. On les a vu aller en procession les premiers à
l'Offertoire et prendre du pain bénit avant tout le monde.
Ils ont, dit-il, rebâti le chœur qui était tombé, plus, réparé
le carrelage et blanchi plusieurs fois les murs et fourni des
ornements de diverses couleurs. Le demandeur a tort de
contester ces faits, car il n'a lui-même pénétré dans le
chœur que par la tolérance et la complaisance des sei-
gneurs de la Moricière, qui ont voulu quelquefois lui faire
(1) Cette église n'a jamais eu de voûtes.
- 361 —
honneur en lui offrant une place. Les anciens titres qu'il
invoque sont prescrits. Le demandeur n'a pas de fief en-
globant le territoire de l'église, tandis que les défendeurs
ont un fief dans l'enclos de la ville.
• Le procureur du demandeur répond qu'il n'a pas con-
naissance que les domaines de la Moricière et des Jamon-
nières aient des vassaux dans cette ville qui relève de la
juridiction des Huguetières ; ils ne comprennent pas la
10e partie du territoire, et d'ailleurs ils sont à l'extrémité
de la paroisse et n'autorisent aucune de leurs prétentions.
Les permissions données par les prédécesseurs du sieur
du Chaffault ne modifient pas ses droits. Les générosités
de la maison des Jamonnières ne sont rien en compa-
raison des largesses des du Chaffault, qui ont donné à la
paroisse le presbytère, le cimetière et bâti une belle cha-
pelle dotée de services religieux. Tout ce que les def-
fendeurs allèguent à propos de l'offrande, du baise-mains
et du pain bénit, est contesté comme inexact. Le seigneur
du Chaffault est le « plus ancien gentilhomme de qualité
de la paroisse de Saint-Philbert, et le plus riche en fiefs et
domaines, bien qu'il ait été énervé plus de 4.000 livres de
rentes de la maison de Monceau pour le partage des puî-
nés. Les deux faubourgs de la ville situés au sud et à
l'ouest, comme des dépendances du Chaffault « ainsi que
grand nombre d'autres terres et maisons nobles de la pa-
roisse », on peut y ajouter une prairie voisine du prieuré
de Saint-Philbert.
Suit la description des lieux :
« Et entré dans lad. esglise a esté par led. sr du Chafault
monstre un banc clos de trois pieds et demy de large et de
six pieds et demy de long posé dans le cœur et chanceau
de ladite esglise, du costé de l'Evangille, qu'il a dict et
maintenu estre celluy par luy prétandu et qu'il a droict
d'avoir au mesme lieu et place, et demande acte du datte
de 1598 inscript au derrière dud. banc, et de ce qu'il a
maintenu qu'au-dessus dud. banc il y avoit autiennement
— 362 -
des escussons des armes de sa maison du Chafault et de
Monceau qui ont esté effacez et ruisnés par la chute de
pan de muraille du mesme costé
« De plus, led. sieur du Chafault a monstre une tombe
eslevée dans le milieu du cœur de lad. esglise que lesd.
Sgrs des Jamonnières ont faict mettre depuis les 26 ans
derniers et graver par un notaire sur icelle plusieurs qual-
litez de bienfaiteurs qui ne leur apartiennent, et non plus
le droict d'enfeu ny de tombe eslevée en tel endroict, et de-
mande qu'elle soit hostée et le sol et pavé remis à l'uny du
surplus du cœur pour la liberté du publicq el demande à
ceste fin la jonction de Mons. le Procureur du Roy.
« Et outre qu'il soit fait procès-verbal des lettres
gravées sur la pierre du grand autel et des armes
qui sont dans la chappelle qui est au-dedans le
clouastre dud. prieuré, soustenant que les armes qui
sont dans ung escusson au hault du vitrai sont les armes
de la maison de l'Espinay, qui est venu à la pocession de
celle du Chafault par alliance et que, dans le surplus dud.
escusson, qui est à présent rompu, étoit un lion qui est les
armes du Chafault. »
Le procureur des défendeurs, Landaz, a répondu de la
manière suivante :
La tombe en question a bien été placée aans le chœur
pour y déposer le corps du sr des Jamonnières, décédé,
père du seigneur actuel, et ce n'est pas sans motif que son
inscription le qualifie : bienfaiteur de l'église, attendu
qu'il a fait rebâtir de neuf le chœur et le clocher à ses frais
ou à peu de chose près, et fourni des ornements de plu-
sieurs couleurs, des devants d'autel et des parements
décorés de ses armes, et il en demande acte. Le clergé et
les paroissiens ont toléré l'élévation de ladite tombe à
demi pied au-dessus de terre. D'ailleurs, il y a plusieurs
autres tombes, tant au chœur que dans la nef. Si la tombe
des Jamonnières n'est pas régulière, il admet qu'on la
rabaisse au niveau du carrelage, à la condition qu'on fasse
de même pour les autres. Il ajoute que les armes qui pour-
- 363 —
raient être dans la chapelle du Cloître ne peuvent conférer
aucun droit au demandeur, puisqu'elle est en dehors de
l'église paroissiale. Il demande acte certifiant que les
ornements de l'église portent les armes du défendeur,
savoir : deux étoiles et un croissant. Au haut de la mu-
raille séparant la nef du chœur, sont les armes de la Mori-
cière, elles sont pareilles à celles du château de la Mori-
cière et à celles de vieux coffres de la maison : ce sont des
carreaux. Il en demande description pour justifier les
prétentions du défendeur, il est persuadé que les droits du
demandeur s'appliquent à la chapelle du cimetière où
sont inhumés ses ancêtres.
Le demandeur réplique qu'il n'est pas prouvé que la
contribution des seigneurs de la Moricière aux réfections
de l'église ait dépassé la mesure de leur cotisation ordi-
naire. Quand bien même il en serait autrement, il serait
lui-même mieux fondé à réclamer la qualité de grand
bienfaiteur, car ce sont les du Chaffault qui ont donné le
presbytère et le cimetière de la paroisse ; ils ont fait quatre
fondations de 500 livres de rente et même ont donné des
ornements sur lesquels on peut voir leurs armes, plus 3 ou
4 calices qui ont été enlevés lors du dernier vol de l'église.
Quant à la pierre du grand autel et à son inscription,
il répète que c'est l'église paroissiale qui est en question
et que le recteur a été inhumé sous lad. pierre.
L'écusson indiqué sur le Jubé par le défendeur n'est
pas le sien, il yen a plusieurs autres sur la même surface,
ce sont des décorations quelconques comme on en voit
dans d'autres parties de l'édifice. Sur l'écusson en question
on voit un pin allié à un sanglier, figure qui appartient
aux armes des l'Espinay alliés aux du Chaffault. Dans
la chapelle du cloître, ce sont encore les armes des
l'Espinay.
Le procureur du Roi, prenant la parole, fait remar-
quer que les parties se querellent suivant le proverbe
« sur la chape à l'Evesque ». L'église dépend d'un prieuré
relevant du Roi, d'où il s'ensuit que les plaideurs ne
— 364 —
peuvent y jouir des prééminences et occuper le rang du
fondateur. On ne voit d'ailleurs, sur les murs et dans les
vitraux, ni litres, ni écussons, ni bancs armoriés.
Suit la description des monuments contestés.
Du côté de l'Evangile, le chœur renferme un grand
banc à accoudoir, fermé des deux bouts, joignant un autre
vieux banc, et dans le dos de ce banc on lit le chiffre 1598,
mais sans armoiries.
Des deux côtés du grand autel, on a fait voir en pare-
ment des chappes et chasubles en velours et satin de
diverses couleurs aux armes des la Moricière, ainsi qu'un
dais et un devant d'autel.
On a montré aussi des ornements de damas portant en
écusson un lion rampant couronné et lampassé, parti
d'azur au vairé d'or, et de gueules à trois roses ou quinte-
feuilles d'argent provenant d'un don des ancêtres du Sgr
du Chaffault. Il y en avait bien d'autres qui furent perdus
pendant les guerres de la Ligue.
Sur le mur du chœur ,on aperçoit seulement deux écus-
sons, l'un de 3 chevrons brisés en haut de gueules et l'autre
d'argent non loin d'un petit banc au Sgr de Viesgue.
Au milieu du chœur, sur une grande pierre de Taille-
bourg, on lit :
« Cy gist noble écuyer, Jean Gabard, sieur des .lamon-
nières et de la Moricière, grand bienfaiteur de l'église de
céans, décebda le 6e de novembre 1607. Dieu ait son âme.
Amen. »
Aux angles, deux écussons portant 2 étoiles et un crois-
sant. Plus une autre pierre plus petite, élevée de 4 pouces.
Au-devant du banc de Viesgue, une autre pierre tom-
bale élevée de cinq pouces. Dans la nef et dans le transept
plusieurs autres tombes élevées.
Sur la muraille du Jubé, du côté de la nef, plusieurs
armoiries fort effacées, parmi lesquelles on en remarque
un écu de gueules avec 7 losanges d'argent.
Dans la chapelle servant de chapitre au Prieuré, le
— 365 —
vitrail de la rose de gauche contient un fragment d'écus-
son portant un pin sur un fond d'argent.
Sur la pierre du grand autel de l'église on a relevé les
mots suivants : Hac petra tectus est vir prudens et honestus
dominas Guillelmus Chapui presbyter hujus ecclesiœ rec-
tor Nannetensisque coralis atque capellanus
anno M° 1111°, die mensis, Anima ejus
requiescat in pace.
En visitant la chapelle du cimetière, le sénéchal note
divers écussons tant en pierre que sur les vitraux, une
tombe élevée portant un lion couronné, plus une litre en
dedans et en dehors, et, contre la chapelle, un magasin et
et un pressoir. L'avocat de la partie adverse fait remar-
quer que ce voisinage est indécent, que le service du ma-
gasin est bruyant et oblige trop souvent les paroissiens
à tenir leur cimetière ouvert. Il espère que la Justice y
mettra bon ordre.
Le procureur du sr du Chaffault répond que les droits
de sa partie sur cette chapelle sont incontestables, qu'elle
fut fondée et dotée de 800 livres de rente pour le service
de 13 messes par semaine et qu'elle n'a jamais servi à
autre usage.
Sa longueur est de 120 pieds, sa largeur de 25, elle con-
tient 5 autels. Du côté de l'Evangile, il y a un
sépulcre élevé„et voûté dans la muraille du chœur, formé
d'un personnage armé et couché dont la cote de maille
porte cinq écussons gravés d'un lion, avec une inscription
illisible. Le même écusson est répété au-dessus du tom-
beau et dans le vitrail placé derrière le maître-autel. Au-
dessus on a figuré un prêtre en prières qui serait le dernier
chapelain, Robert Denan. Le rapporteur constate que
l'édifice a grand besoin de réparations. Le seigneur du
Chaffault en convient, mais il fait remarquer que la
charge de l'entretien retombe sur le titulaire du béné-
fice (1). Celui-ci n'était pas pressé de supporter ces frais,
(1) Archives de la Loire- Inférieure, sérieB. Enquêtes de la séné-
chaussée liasse de 1633.)
— 366 —
car le procès-verbal de visite de 1689 constate que l'édi-
fice est toujours dans le plus fâcheux état, les vitraux, la
toiture, le carrelage, les portes accusent un grand aban-
don (2).
(2) Arch. départ., G. 54, F°<> 162-163.)
L'Ancienne Eglise de N.-D. de Challans
De l'ancienne église paroissiale de Challans il ne reste
plus qu'un clocher, construit de 1862 à 1865, peu solide
et sans caractère bien défini. La nef, œuvre très médiocre
de 1843-46, ne méritait pas d'être conservée. Quant au
transept, du XIe siècle, et au chœur du XIIIe, ils
offraient beaucoup d'intérêt au double point de vue
historique et archéologique.
Malheureusement, le Conseil municipal de Challans
a voulu la démolition de tout l'édifice à l'exception du
clocher mentionné. On pouvait douter de la solidité de
la nef, mais le chœur et le transept avaient toutes les
garanties désirables de stabilité et leur conservation eut
été agréable à tous les Challandais, sauf à quelques igno-
rants.
M. le Chanoine Célestin Freland, curé doyen de Chal-
lans, confia la démolition à un menuisier de la ville :
M. Anatole Bore, qui conserva quelques-unes des nom-
breuses antiquités découvertes. Il est profondément
regrettable que la plupart des sculptures les plus remar-
quables aient été mises en morceaux et vendues pour
être utilisées dans toutes sortes de constructions.
Nous nous efforcerons, dans ce travail, de reconstituer
le mieux possible l'ancienne église de N.-D. de Challans
telle qu'elle fut aux différents siècles de son existence.
Ch. Grelvier.
[_ Challans, 9 mai 1909.
Soc. Archéol. Nantes. 25
368 -
II
Résumé de l'Histoire de l'Ancienne Eglise
de N.-D. de Challans
au vie siècle. — Fondation d'un oratoire chrétien,
probablement détruit plus tard pendant les inva-
sions Normandes.
au xie siècle. — Construction d'une église à la place
de l'oratoire.
au xine siècle. Le chœur de l'église romane est
reconstruit, ainsi que les absidioles du transept.
La nef de l'église romane disparaît. A l'emplace-
ment on fait une nef nouvelle avec un bas-côté
au nord.
aux xve-xvïe siècles. On fait quelques restau-
rations importantes.
au xvne siècle. Construction d'un rétable au
fond du chœur (?). Etablissement de sacristie
derrière le chœur.
1843-1846. — La nef et le bas-côté nord du xme siè-
cle sont remplacés par une nef avec bas-côtés
au nord et au midi, le tout dans le style grec
(ordre dorique).
1862-1865. — Démolition des sacristies du xvne siè-
cle. A remplacement, construction d'un clocher
et de sacristies (style roman très bâtard).
1899-1900. Démolition de toute l'église à l'excep-
tion du clocher de 1862.
— 369
L'Ancienne Eglise Paroissiale de H-D. de Challans
PREMIÈRE PARTIE
Des Origines au XIIIe Siècle
CHAPITRE PREMIER
Les Origines de l'Ancienne Eglise
I. La Légende. - - Sur la fondation de l'église de Chal-
lans nous n'avons, pour tout document, qu'une légende
publiée dans la Revue du Bas-Poilou, reproduite par la
Croix Vendéenne du 20 septembre 1896, et que nous
donnons ici en partie :
« Une dame du château de la Gaudinière (1) s'était
(1) Il existe encore dans la commune de Challans un village du
nom de « La Gaudinière » ; et non loin de ce village, au milieu des
propriétés de feu .M. Emile Gibotteau, de la Verronnière, on voit
les douves d'un ancien château, qui, d'après la tradition locale,
était celui de la fondatrice de l'église de Challans. Cette légende
a été fixée par les soins de M. l'abbé Louis Teillet, membre titu-
laire de la Société des Antiquaires de l'Ouest, ancien vicaire de
Challans, aujourd'hui curé de Saint-Paul-en-Pareds (Vendée).
M. l'abbé L. Teillet est, croyons-nous, le premier qui se soit
intéressé à l'ancienne église de Challans, qui ait su apprécier les
parties anciennes, et pris la peine de les signaler dans une petite
brochure intitulée : « Noies et Documents sur l'Eglise Paroissiale
de Challans, Vendée, XIe, XVIe et XV //'' siècles. Vannes. Lafo-
lye, 1891. » On y lit: « le transept et le chœur méritent une
attention particulière. 1° Le transept. Le transept et son modeste
campanile datent du XIe siècle. Les sculptures des chapiteaux,
qui représentent des personnages bibliques ou autres, le plein
cintre des ouvertures ne laissent aucun doute à ce sujet •
- 370 -
mariée à un impie de la pire espèce, et cela malgré ses
parents. Elle ne tarda pas à s'en repentir. Son mari, d'un
caractère fantastique et méchant la faisait cruellement
souffrir, soit par d'indignes traitements, soit par les
horribles blasphèmes qu'il proférait sans cesse. Enfin,
par sa jalousie, il avait forcé la malheureuse à vivre
renfermée dans son château, où elle menait la vie la plus
triste et la plus abandonnée, puisqu'elle n'avait même
pas la consolation de voir sa mère et les autres membres
de sa famille, ceux-ci l'ayant reniée au moment de son
mariage. Madame de la Gaudinière, comprenant quelle
énorme faute elle avait commise, voulut du moins essayer
de la réparer. Un jour que son mari était absent, elle
fit atteler sur un tombereau deux jeunes taureaux qui
n'avaient jamais encore senti le joug, et elle y mit tout
ce qu'elle avait de plus précieux lui appartenant en
propre : ses joyaux, ses pierreries, ses bracelets, son
argenterie, etc., puis elle prit elle-même un a guillon
et conduisit les taureaux sur le chemin de Challans et
les y abandonna en disant :
Là où le tombereau culbutera,
Là le temple de Dieu s'élèvera.
« D'après la tradition, les taureaux mystérieusement
conduits, s'arrêtèrent au lieu même où s'élève aujour-
d'hui la vieille église de Challans. L'édifice fut donc
construit. Quelque temps après sa construction, Madame
de la Gaudinière voulant yiaire célébrer des messes pour
le repos de son âme, prit la route de Challans pour aller
t ton ver le prieur de la paroisse. Elle s'en allait, emportant
dans son tablier les choses précieuses qu'elle voulait
offrir au prêtre du Seigneur, et disant ses prières.
Mais, tout-à-coup, au milieu d'un bois, elle aperçut
son mari qui accourait furieux : « Pourquoi, Madame, lui
dit-il, sortez-vous ainsi? -- Monsieur, répondit-elle, subi-
tement rassurée, chacun court à ses plaisirs : le vôtre
- 371 —
est d'aller chasser, le mien est de cueillir des fleurs. »
A ces mots, elle entr'ouvrit son tablier qui, par un mira-
cle divin, ne contenait plus que des fleurs fraîches et
odorantes. L'époux s'éloigna sans rien dire et la pieuse
dame continua sa route » (1). r
Toute légende ayant ordinairement une base histo-
rique, à quelle époque faudrait-il placer la fondation
de l'église de Challans ? Il est impossible de le dire. Cette
légende concerne-t-elle la primitive église qui existait
dès le vie siècle probablement et avait été sans doute
détruite au moment des invasions normandes ? Con-
cerne-t-elle l'église que nous avons connue et qui
remontait au xie siècle? Autant de questions que l'on
ne peut résoudre.
II. L'Histoire. - - La partie la plus ancienne du monu-
ment était le transept : du xie siècle. Nos recherches, et
les fouilles pratiquées ont établi qu'à cette époque une
église entière avait été construite. Longtemps, on s'est
demandé si, antérieurement au xie siècle, il y avait eu
à Challans un lieu de réunion pour les chrétiens. Aujour-
d'hui, on peut répondre affirmativement : Avant l'an
1000, Challans qui existait déjà depuis plusieurs siècles,
possédait un édifice dédié au vrai Dieu.
Ce qui rend la chose très probable, ce sont des objets
gaulois et romains trouvés sur le territoire de Challans (2)
(1) Pour être complet, nous donnons, toujours d'après la Croix
Vendéenne du 20 septembre 1896, la fin de la légende : « Cependant
les peines de la pauvre dame augmentèrent chaque jour, et
bientôt son mari ne lui laissait plus dire ses prières, ce qui était
cependant son unique consolation et son seul soutien. C'est alors
qu'elle eut l'ingénieuse pensée de composer ses prières par l'imi-
tation du champ des oiseaux. Elle chantait comme le rossignol et
la tourterelle, et pouvait ainsi prier continuellement. Son mari,
qui ne se doutait de rien, était charmé de cette douce musique
et sans doute son caractère finit par s'amollir. Quelques personnes
se souviennent avoir entendu dans leur enfance ces prières d'un
genre tout nouveau que les anciens du pays se plaisaient à redire
le soir dans les veillées. »
(2) Un statère d'or gaulois (monnaie correspondant à notre
pièce de 20 francs) ; une aigle romaine, découverte à la Bloire ;
372
et indiquant que ce lieu étail habité depuis longtemps
par unr population civilisée. M. Louis Brochet croit
même que deux voies romaines passaient à Ghallans (1),
l'une de Saintes à Beauvoir-sur-Mer, dont on retrou-
verait la trace au village de la Voie, à un kilo-
mètre de Challans, sur la route des Sables ; l'autre,
de Saint-Gilles-sur- Vie à Port-Saint-Père (Loire-Inté-
rieure). Les voies suivaient, sur un assez long par-
cours, l'ancien littoral, car il ne faut pas perdre de
vue que la mer occupait le marais actuel de Challans
et de Saint-Jean-de-Monts. Challans et Soullans devaient
former l'un de ces îlots nombreux que l'on trouve
à l'origine des communes du marais : l'île des Monts :
« insiila de Montibus » qui a donné Saint-Jean-de-MonLs,
X.-D. -de-Monts et La Barre-de-Monts ; l'île de Riez,
qui a donné Saint-Hilaire-de-Riez et N.-D.-de-Riez ;
l'île de Sallertaine qui est dominée par l'église de ce lieu
et qui est aujourd'hui le bourg de Sallertaine.
En raison de cette situation, il est à peu près certain
que le christianisme fut prêché à Challans relativement
de bonne heure. Les travaux apostoliques de Saint
Hilaire, évêque de Poitiers (ive siècle) en Bas-Poitou ;
les voyages de Saint Martin de Vertou (vie-vnc siècles) ;
l'influence de Saint Filbert, abbé de Noirmoutier (vne
siècle) ne permettent pas de placer après le vne siècle
la constitution définitive d'un centre chrétien à Challans.
Et l'hypothèse se trouve singulièrement confirmée par
la présence, dans l'ancienne église, d'un monument chré-
tien de l'époque mérovingienne (des premières années
du ve siècle au milieu du vme). En mai 1900, exami-
nant les décombres transportés chez le menuisier (2)
qui avait démoli l'église, nous avons été fort surpris de
des tuiles romaines, à la Voie ; une statue de Vénus, à Pont-
Habert, etc..
(1) V. Congrès archéologique de France, Poitiers, 1903, p. 180.
Paris, Picard, 1904.
(2) M. Anatole Bore, auquel nous avons acheté ce vénérable
débris de la première église de Challans.
— 573 —
rencontrer une pierre ornée d'une croix sculptée en
relief, et dont la forme antique annonçait une origine
mérovingienne. Quelques semaines plus tard, le savant
archiviste de la Loire-Inférieure, M. Léon Maître, de
passage à Challans, reconnaissait le caractère méro-
vingien de la croix, et à la fin de la même. année,
Croix Mérovingienne
trouvée sur la voûte du chœur
publiait dans la Revue du Bas-Poitou, une étude inté-
ressante sur ce monument chrétien, le plus ancien que
nous possédions jusqu'à ce jour (1909) dans notre région.
M. Léon Maître le décrit ainsi : « C'est un beau morceau
de calcaire dur de 0 m. 57 de hauteur sur 0 m. 30 de lar-
geur, sur lequel on a sculpté une croix latine d'un carac-
tère tout à fait archaïque, que je n'hésite pas à qualifier
« mérovingienne ».
— 374
Formation de la Croix Mérovingienne de Challans.
■*
n
375
« Les quatre membres vont en s'élargissant, comme dans
les croix pattées ; des filets suivent tous les contours,
les extrémités de chaque branche portent quatre petits
creux qui semblent faits pour recevoir un métal ou de
l'émail, de même que le centre. Au pied, il existe aussi
une cavité sous laquelle on aperçoit encore comme le
relief d'une figure qui avait été enchâssée dans du métal.
« Mais ce qui lui donne une physionomie à part, c'est
l'oméga suspendu a la branche de droite. Il n'est pas dou-
teux qu'il faisait pendant à un alpha figuré de l'autre
côté (1) et mutilé ,par les maçons qui ont employé ce
morceau comme moellon. »
(1) « Les croix accompagnées d'un Alpha et d'un Oméga, dit
M. Léon Maître, sont des figurations de l'Eglise primitive, dont
les premiers types ont été imaginés dans les décorations des cata-
combes, et de là se sont répandus dajis l'univers chrétien pendant
la période de l'évangélisation. » Revue du Bas-Poilon, 13e année,
4e livraison, p. 410. Alpha et Oméga (A et fi ; ou bien a. et w) sont
les noms de la première et de la dernière lettre de l'alphabet grec.
Ces mots appliqués à Dieu signifient qu'il est le commencement et
la fin de toute chose. Cette idée est exprimée pour la première
fois dans l'Ancien Testament, où Dieu dit au livre d'Isaïe : « Ego
primus et ego novissimus. » XL IV, 6. « Je suis le premier et le der-
nier. » Dans le Nouveau Testament, au livre de l'Apocalypse,
Jésus-Christ, fils de Dieu, et Dieu lui-même, s'attribue le même
caractère : « Ego sam Alpha et Oméga, principinm cl finis. » I, 8 ;
XXI, 6 ; XXII, 13 ; « Je suis l'Alpha et l'Oméga. 1? principe et la
fin. » — « Les premiers chrétiens empruntèrent ce symbole à
l'Apocalypse pour faire acte de foi à la Divinité de leur Maître,
en inscrivant sur les tombeaux et dans leurs églises l'A et l'A des
deux côtés de la croix : A fi ; « m ; et en le gravant jusque
sur leurs sceaux et les bagues qu'ils portaient aux doigts. » Dic-
tionnaire de la Bible, mot : A et ii, colonne lre du t. I. La pierre
tombale de Boëtius, septième évêque de Carpentras et de Vé-
nasque, décrite et publiée par M. Revoil, mérite d'être signalée ici.
Elle porte comme ornement principal une croix aux branches de
laquelle l'Alpha et' l'Oméga sont suspendus avec des chaînettes
simulées, comme dans la croix de Challans. Cette pierre tombale
est de l'époque mérovingienne. M. Léon Maître a signalé dans la
Revue du Bas-Poitou plusieurs briques et claveaux employés à la
décoration des églises mérovingiennes, et qui avaient beaucoup
de ressemblance avec la croix de Challans.
Les chrétiens des premiers siècles s'étaient faits des bijoux en
forme de croix. L'idée leur vint très naturellement de reproduire
aussi l'Alpha et l'Oméga qu'ils voyaient un peu partout dans leurs
églises. Pour cela, ils imaginèrent de faire des Alpha et des Oméga
qu'ils suspendirent, à l'aide de petites chaînes, aux bras de la croix.
— 376 -
M. Léon Maître croit que cette pierre provient de la
décoration d'un devant d'autel. Il eut été extrêmement
facile de l'encastrer dans un mur de la nouvelle église :
« elle aurait eu l'avantage de rappeler aux paroissiens
que leur église et leur chrétienté remontaient à une date
bien antérieure à l'an 1000. .l'insisté sur son caractère
mérovingien, dit encore le savant archiviste de la Loire-
Inférieure, parce qu'on a émis des doutes sur sa valeur
historique. On a insinué qu'elle pouvait être une réédi-
tion d'un monument antique. Cette opinion ne peut
germer que dans les cerveaux qui n'ont jamais vécu en
intimité avec les pratiques anciennes. Chaque époque
de notre histoire artistique avait ses symboles, ses usages,
ses inventions, sis combinaisons, son originalité. Jamais
un ouvrier du xie siècle n'aurait eu la pensée d'imiter
servilement une œuvre du vie siècle. L'habitude de copier
ne date que de la Renaissance. » (1)
Le R.-P. Camille de la Croix, dont l'autorité est si
haute en matière d'archéologie mérovingienne, nous
écrivait le 2 mars 1907: « La petite pierre sculptée est
fort intéressante et me paraît être de la fin du vie siècle
ou du siècle suivant. »
Le distingué secrétaire de la Société Nationale des
Antiquaires de France, M. Louis Engerand, nous
écrivant, le 8 juillet 1907, au sujet de cette pierre,
disait : « cette croix est curieuse à plus d'un titre et
des spécimens de cette époque sont d'autant plus remplis
d'intérêts que nous sommes d'une pauvreté extrême
pour tout ce qui touche l'époque mérovingienne. »
De la présence dans l'ancienne église d'un monument
Ce motif de bijouterie qu'ils avaient emprunté à la décoration
religieuse de leur temps ne tarda pas à son tour à être repris tel
quel par cette même décoration. Ainsi firent évidemment les
sculpteurs de la croix mérovingienne de Challans. L'Oméga (w)
minuscule qu'ils représentèrent était d'un emploi assez commun.
La croix mérovingienne de Challans a été trouvée, non dans un
mur à titre de moellon, comme on l'a dit à tort à M. I.. Maître,
mais simplement déposée sur la voûte (XIIIe siècle) du chœur.
(1) Revue du Bas- Poitou, loc. cit.
— 377 -
aussi ancien et qui désormais sera connu en archéologie
sous le nom de Croix mérovingienne de Challans, il faut
conclure que l'église de Challans, quant à son origine,
était de beaucoup antérieure au xie siècle, époque des
parties les plus anciennes de l'édifice qui a disparu en
1899-1900. De ce temple chrétien, le premier qui s'éleva
sur le sol de Challans, il ne nous est parvenu que la croix
mérovingienne. Quelques mois avant la démolition de
l'ancienne église, en examinant les murs du x"ie siècle,
nous avons remarqué, enchâssées dans la maçonnerie,
assez irrégulièrement d'ailleurs, de nombreuses pierres
carrées bien travaillées. Elles étaient en calcaire dur
comme la croix mérovingienne. Peut être ces pierres
provenaient-elles de la primitive église et avaient-elles
été utilisées par les constructeurs du xie siècle.
Quant au plan, aux dimensions, à l'emplacement
exact de ce premier édifice chrétien, nous ne savons abso-
lument rien. Il est permis de croire, sans présomption
aucune, que c'était une sorte d'oratoire, bâti au lieu
même où fut construite au xie siècle l'église que nous
avons connue.
— 378
CHAPITRE II
Du XI1' au XIIIe siècle
L'église que notre génération a vu démolir avait été
édifiée au xie siècle, tout à fait au début de cette période
où les architectes, commençant à voûter leurs construc-
tions, furent logiquement amenés à s'écarter de la voie
suivie, pendant plusieurs siècles par leurs devanciers;
et aussi, il ne faut pas omettre de le dire, à cette époque,
où, imprimant à leurs œuvres un cachet empreint d'une
plus grande originalité, ils en vinrent à établir ce qu'on
peut nommer Y Architecture française du Moyen- Age.
L'ancienne église de Challans, avant les modifications
considérables du xme siècle, pouvait servir d'édifice-
type, car c'était vraiment l'église du xie siècle complète,
sans particularité aucune, telle que la concevait, après
l'an 1000, un architecte poitevin. Son clocher occupait
le milieu du transept, comme dans les églises de Saint-
Savin, de Jazeneuil (Vienne); de Parthenay-le- Vieux
(Deux-Sèvres); de Youvant et de Mareuil (Vendée).
Le chœur était profond ; ces mêmes églises de Vouvant
et de Mareuil, celles de Beauvoir-sur-Mer (Vendée) et de
Saint-Jouin-de-Marnes (Deux-Sèvres) en ont un sem-
blable. De chaque côté du chœur, sur le transept, s'ou-
vrait une absidiole comme à Mareuil, à Saint-Savin, à
Sallertaine (Vendée).
L'église construite à Challans au xie siècle appartenait
donc certainement et exclusivement à l'école Romane
Poitevine.
Dès le x"ie siècle, dit l'abbé Aillery, la paroisse de Chal-
lans était l'une « des riches possessions » de l'Abbaye
— 379 —
Bénédictine de Luçon (1). Cette situation ne dut pas
être sans influence pour la construction de l'église. Les
Bénédictins qui, dans leurs monastères avaient conservé
les sciences et les arts, s'ils n'ont pas mis la main à
l'œuvre, ont dû au moins la diriger et la surveiller.
I. Vocable. — L'église nouvelle fut placée sous l'invo-
cation de la Très-Sainte-Vierge, honorée dans le mystère
de son Assomption. Ce vocable était peut être celui de
l'église primitive. Quoiqu'il en soit, nous remarquerons
ici que l'église de Luçon, maîtresse de celle de Challans,
était placée sous le même patronage et que l'église de
Noirmoutier, mère de celle de Luçon, avait été mise
par son fondateur : Saint Filbert,sous la protection de la
Très-Sainte-Vierge. Or, à cette époque, lorsqu'une
abbaye fondait une paroisse ou un monastère, l'usage
voulait que cette paroisse ou ce monastère fussent ordi-
nairement sous le même vocable que l'abbaye-mère.
Il serait donc possible que le prieuré de Challans
devenu plus tard la cure de Challans, eut été fondé
soit par Saint-Filbert, soit par ses successeurs de
l'abbaye de Noirmoutier ou de l'abbaye de Luçon. Par
« prieuré de Challans », nous entendons non seulement
le logement des moines qui remplissaient les fonctions
du saint ministère, mais aussi l'église et le territoire
qui en dépendait au point de vue spirituel et qui forme
« la paroisse de N.-D. de Challans. »
IL Plan. L'église construite au xïe siècle était
orientée selon les règles liturgiques : c'est-à-dire que le
chœur était à l'est. Son plan était celui d'une croix avec
(1) Et pour preuve : « Le prieur, comme le constate le Grand-
Gautier, fut à la nomination de l'abbé de Luçon jusqu'au commen-
cement du xive siècle. » A partir de cette époque, le prieur (ou
curé) fut nommé par l'évêque de Luçon : successeur et héritier
des droits des abbés. On sait qu'en 1317, l'abbaye bénédictine
de Luçon fut érigée en cvêché par le pape Jean XXII, et qu'à
cette date notre région cessa d'appartenir au diocèse de Poitiers,
pour faire partie de celui de Luçon.
380
PLAN
de l'Ancienne Eglise de N.-D de Challans au XIe Siècle
381
LEGENDE
POUR
le Plan de l'Ancienne Eglise N.-D. de Challans
Parties détruites soit au XI IF siècle, soit
en 1843 et dont on a retrouvé les fondations
en 1897 et 1899-1900.
Parties conservées entièrement jusqu'à 1899-
1900.
Parties détruites au XIIIe siècle dont on
n'a pas retrouvé les fondations.
382
abside semi-circulaire terminant le chœur et chapelles
s'ouvrant sur le transept. La longueur totale de l'édifice
était dr 34 ni. 98 à l'intérieur et la largeur de la nef de
7 mètres. Le transept n'avait que 4 m. 10 de largeur
et, par conséquent, n'était pas aussi large que la nef.
La longueur du transept atteignait à peine 22 m. 50.
Enfin, d'après nos calculs, le monument avait plus de
12 mètres de hauteur sous clef de voûte. Quant aux
murs, dans lesquels la chaux était remplacée par de très
beau sable rouge, ils avaient 0 m. 90 d'épaisseur. De
cette église, nous n'avons connu que le transept et le
bas du mur sud de la nef et du mur ouest de la façade.
Le chœur et les chapelles qui s'ouvraient sur le tran-
sept et tout le mur nord de la nef, ont disparu au xme
siècle. Le mur sud de la nef et la façade ouest ont été
démolis en 1843 seulement pour la construction de la
nef et des bas-côtés style gîte. La démolition de toutes
les fondations de l'ancienne église en 1899 a amené la
découverte: 1" de la partie inférieure du mur de la façade
ouest ; 2° des fondations du chœur ; 3° des fondations
des deux chapelles du transept. Le chœur avait 10 m. 50
de profondeur. Il ne reposait point sur une crypte,
comme l'élévation du sanctuaire l'aurait fait croire,
mais sur plusieurs murs partant des différents points de
l'abside et convergeant vers le centre de cette même
abside : ce qui produisait l'effet d'une moitié de roue.
Au xie siècle, et pendant toute la période romane, on
pratiquait très souvent une crypte sous le chœur : cela
donnait au sanctuaire une grande élévation relativement
au niveau de la nef : à Xoirmoutier et à Vouvant, par
exemple. Le chœur de l'ancienne église de Challans, que
nous avons connu de même niveau que la nef, avait été,
en réalité, exhaussé d'une manière sensible, et pour
preuve : le dallage de la nef du xie siècle a été découvert
à près d'un mètre cinquante au-dessous du dallage que
nous avons foulé. D'autre part, nous avons constaté
que le niveau du chœur a toujours été le même. Il en
3S3
résulte donc qu'au xie siècle, le chœur était au moins à
1 m. 30 ou 1 m. 40 au-dessus du niveau de la nef. Cette
élévation excessive du sanctuaire par rapport au reste
de l'église a été maintenue fort longtemps dans notre
vieille église, malgré les modifications des siècles ; ce n'est
qu'au milieu du xixe, après la reconstruction de la nef,
que le sol de l'église fut exhaussé et mis, à tort, au niveau
du sanctuaire. Les personnes âgées se rappellent très
bien l'élévation du chœur, laquelle, paraît-il, n'était pas
faite pour nuire à l'effet général du monument.
Cette élévation du sanctuaire nous avait fait émettre
l'hypothèse d'une crypte sous le chœur. La découverte
des murs dont nous avons parlé, en détruisant notre
hypothèse, a montré que l'architecte avait tenu à faire
son édifice selon toutes les règles de l'époque et cela
scrupuleusement, puisque, ne pouvant établir une crypte
il en avait au moins simulé l'existence.
La nef du xie siècle, longue de 18 m. 38, était divisée
en 4 travées. La première, à partir du transept avait
très exactement 7 m. sur 7 m. Elle était de beaucoup
plus large que les trois autres: celles-ci, toutes de mêmes
dimensions - - 3 m. 50 sur 7 m. Le mur sud de la n?î,
conservé en entier jusqu'en 1843 et dont la base a été
retrouvée dans les fouilles de 1897-1898 et dans la démo-
lition en 1899, avait encore ses pilastres intacts , ce qui
nous a permis de reconstituer les travées.
Nous avons dit que la première travée était d'une
superficie supérieure à celle de chacune des trois autres.
Cette anomalie n'aurait point sa raison d'être si la porte
principale n'avait été faite précisément dans cette tra-
vée. Au moyen-âge, on plaçait rentrée la plus impor-
tante là où elle était nécessaire ; d'où il arrivait quelque-
fois qu'au bas de l'église, à l'ouest, il n'y avait qu'une
porte ordinaire, tandis qu'au nord ou au midi, près du
transept, ou au milieu ou au bas de la nef, sur un côté,
s'ouvrait un portail de proportions plus grandes. Ainsi
à Sallertaine, c'est à l'est ou midi que devait être l'en-
Soc. Arcbéol. Nantes. 26
— 384 -i
trée principale, le bourg se trouvant à l'est et au midi.
Mais à l'est la chose est impossible, le chœur étant à
l'orient. C'est alors au midi que L'architecte établit la
porte principale. A l'ouest, il n'avait pratiqué qu'une
petite porte qu'un curé fit élargir au commencement du
xixe siècle. A Beauvoir-sur-Mer, même remarque. L'en-
trée de l'église s'imposait au nord et dans le milieu de la
nef. La grande porte de l'église de Beauvoir est, en effet,
au nord et s'ouvre sur le milieu de la nef. A l'ouest, il
y a juste une petite porte. A Vouvant, c'est dans un tran-
sept que l'architecte a du établir l'entrée importante.
On pourrait multiplier les exemples. Nous pensons donc
qu'à l'église de Challans, du xie siècle, la première travée
de la nef n'avait ces grandes dimensions que pour y
faciliter l'établissement d'un grand portail, celui-ci était
évidemment au nord puisque le mur du midi, en cette
même travée, n'avait été percé que d'une fenêtre. Tous
les vieillards nous l'ont attesté et nous-même, en exami-
nant la partie inférieure du mur sud, nous avons constaté
qu'aucune porte n'y avait été pratiquée. Le mur nord
de la nef a disparu dès le xme siècle. Nous n'avons donc
pu avoir la preuve matérielle que la porte principale s'y
trouvait. Mais, toutes les maisons de Challans étant au
nord, et le midi n'étant point habité, l'entrée importante
ne pouvait être de ce dernier côté. Elle ne pouvait pas
davantage être à l'ouest, parce qu'à cette époque le cime-
tière occupait tout l'espace situé entre l'église ancienne
et le milieu de la nef de l'église neuve. La route de Saint -
Jean-de-Monts n'existait pas et la rue dite delà Basfriè,
qui actuellement conduit de la grand'rue à la nouvelle
église, s'arrêtait au cimetière.
L'entrée principale n'étant ni au sud, ni à l'ouest,
devait forcément se trouver au nord. - - Nous ne parlons
point de l'orient, attendu que le chœur occupait cette
partie de l'édifice. Disons en passant, que l'uti-
lité d'une porte, dans cette partie de l'église, se fit sentir
après la disparition de la nef romane et la construction
— 385 —
des nefs du xme siècle, puisqu'à cette époque, clans le
pignon nord du transept, on pratiqua une petite porte
dont les traces ont subsisté jusqu'à la fin du xixe. Cette
ouverture, établie à quelques pas du portail disparu, le
remplaçait avantageusement et permettait d'arriver à
l'église sans passer par la grande porte nouvelle qui,
cette fois, avait été faite à l'occident.
III. Extérieur du transept . Le transept et le
clocher qui le surmontait sont parvenus jusqu'à nous
Ancienne Eglise de Challans
^<K
Façade du Transept Nord.
Façade du Transept Sud.
sans trop de modifications. Les murs, formés de
moellons irrégulièrement disposés étaient d'une grande
solidité, quoique les pierres ne fussent unies entre elles
que par du sable. Les ouvertures, les pilastres et les
contreforts étaient en pierre de Sallertaine, très réguliè-
rement appareillés.
Extérieurement, on n'apercevait plus que le clocher,
les murs nord et sud et une petite partie du mur est du
transept. Le mur nord avait subi au xme ou au xvie siè-
cle quelques retouches, ce qui lui avait valu d'être
entièrement crépi et non sans art. Le mur du midi avait
été crépi lui aussi, mais au xvme siècle. Par suite de la
— 386 —
construction de grandes chapelles au xme siècle, et de
trois nefs en 1843, les murs est et ouest avaient été
pïesqu' entièrement cachés. Ce que l'on en voyait à l'est
avait été crépi au xvme siècle (1). Les corniches, s'il y
en avait eu, n'existaient plus, et la toiture recouverte
avec des ardoises reposait directement sur le mur. La
charpente remontait-elle au xie siècle? L'église, à cette
date, était-elle couverte avec des tuiles ou avec des
ardoises comme de nos jours? Nous n'en savons rien.
Au xme ou au xvie siècle - - il est impossible de préci-
ser — on avait établi une grande fenêtre à arc brisé,
dans chaque pignon du transept. Ces fenêtres étaient
fermées par de vulgaires croisées en bois. Nous pensons
que dans le principe elles étaient ornées de meneaux qui
auraient disparus lors du pillage de L'église par les pro-
testants.
Nous avons déjà dit que le pignon du transept nord
avait été retouché au xme ou au xvie siècle. Le contre-
fort, ou pour parler avec une plus grande exactitude, les
contreforts du nord-est (l'un se dirigeant vers le nord,
l'autre vers l'est) sont les seuls qui nous soient parvenus
du xie siècle. Les grandes dimensions de leurs pierres,
parfaitement disposées en assises régulières, les rendaient
très remarquables. L'autre contrefort, de forme carrée, et
composé mi-partie de pierres appareillées et mi-partie de
moellons irréguliers, datait probablement du xve ou du
xvie siècle. Ce contrefort, en effet, était à l'angle formé
par les murs nord et ouest du transept. M. Camille
Knlart, dans son Manuel d'Archéologie Française (2),
parle de ce genre de contrefort dont il donne une figure
avec ce titre: « Contrefort normal à un angle ». Le savant
directeur du Musée de sculpture comparée dit que cette
(1) >< J'ay fait enduire e1 batre de chaux tout l'extérieur, et du
clocher de cette églize. 1a- tout en 17(57. » Compte d'un « Fabri-
queur ». Le mur nord du transept seul n'a pas été récrépi à cette
date.
(2) Tome 1, p. 520 et 521.
— 387 —
variété de contrefort n'est pas antérieure à la fin du
xive siècle. Les deux contreforts du pignon sud étaienl
de même forme, mais tout en appareil régulier. Nous
pensons que primitivement, chaque angle du transept
avait des contreforts dans le genre de ceux du nord-est
et que vers le xve siècle, on aurait fait des contreforts
moins compliqués avec les beaux matériaux des contre-
forts romans, et que le surplus de leurs pierres qui devait
être assez considérable a été utilisé pour une construc-
tion quelconque. Quand on pense aux multiples expé-
dients dont se servaient les architectes ruraux, rien
n'étonne, tout est vraisemblable ; et l'on saisit sans diffi-
culté l'esprit d'économie qui présidait, souvent par
force, aux travaux exécutés dans les églises de campagne.
Sur le pignon nord, un crépi très soigné avait été appli-
qué au xme ou au xvie siècle. On y avait simulé un bel
appareil régulier. La solidité de ce travail était surpre-
nante, car, malgré les années et le vandalisme, il s'était
conservé presque intact.
C'est au xme siècle que fut pratiquée, dans ce même
pignon et près du contrefort nord-ouest, la petite porte
dont nous avons parlé plus haut. Elle était en arc brisé
et avait environ 1 mètre de largeur. Nous ignorons à
quelle époque elle fut murée.
Dans la partie supérieure du pignon septentrional,
un peu au-dessus de la fenêtre, on voyait la trace d'un
mur qui venait se souder là. Evidemment c'était un
vestige de contrefort. Dans beaucoup d'églises romanes
du Poitou, nous avons remarqué que les pignons des
transepts étaient soutenus par trois contreforts : l'un
au centre et les autres à chaque extrémité. Ainsi, à Saint-
Hilaire de Poitiers, à Jarzeneuil (Vienne). A l'église de
Beauvoir-sur-Mer (Vendée), il y a encore un contrefort
au milieu du pignon de chaque transept.
Au milieu du pignon méridional, une porte fut ouverte
en 1785. La voûte de cette porte, du genre dit « anglais »
était très estimée des connaisseurs. A l'extérieur, la clef
388
de l'arc était ornée d'un blason, forme française, portant
la date de 178,"). La grande porte de l'église de Saint-
Urbain (Vendée) qui est contemporaine, n'est que la
reproduction en plus grand.
Le clocher, établi sur le milieu du transept, nous était
resté probablement tel qu'il avait été édifié. La toiture
en pyramide, couverte d'ardoises, qui le couvrait, était-
elle du xiu siècle? Il est difficile de se prononcer sur cette
question. Deux églises romanes voisines, Challans et
Clocher de l'Eglise du XIe siècle, dit « Vieux Clocher »,
démoli en 1899-1900
Sallertaine avaient sur leur clocher des toitures affectant
incontestablement la forme de « flèches ». On peut s'en
convaincre en voyant celui de Sallertaine encore existant.
Le clocher de Beauvoir-su r-Mer, couvert d'une vraie
pyramide en bois et en ardoises tient-il cette couverture
du xiie siècle? Nous n'en avons aucune preuve. Le vieux
clocher de l'église paroissiale de Maillezais, contemporain
de celui de Challans, est couvert d'une toiture peu élevée
en tuiles. Le clocher de Challans, primitivement, pouvait
aussi n'avoir qu'une toiture en tuiles. Il aurait alors reçu
sa flèche en ardoises au xvie siècle. Quelques arcliéo-
— 389 -
logues croient en effet que les toitures plates des clochers
furent, en beaucoup d'églises, remplacées par des pyra-
mides plus ou moins élevées et plus ou moins élégantes;
faites de bois et recouvertes d'ardoises. Ils placent cette
innovation au xvie siècle. Pour nous, cette question est
intimement liée à celle de la substitution des ardoises
aux tuiles dans l'architecture religieuse et civile du Bas-
Poitou et, tant qu'elle n'aura pas été étudiée sérieuse-
ment, il sera le plus souvent impossible de préciser la
date des flèches en bois et en ardoises qui recouvrent en
nos pays quantité de clochers romans.
Des contreforts peu saillants étayaient le vieux clocher
de Challans jusqu'à la moitié de sa hauteur au-dessus de
la toiture du transept et du chœur. Deux petites fenêtres,
sans aucun ornement, avaient été pratiquées sur chaque
face. Les murs étaient crépis (1). Du côté nord, on voyait
encore les clous qui retenaient, avant 1863, le cadran de
l'horloge (2). On accédait au clocher par un escalier
à vis, installé dans une tourelle, à l'angle formé par le
mur sud de la nef et le mur ouest du transept, et au
sommet de l'escalier on passait sur ce dernier mur et
on pénétrait dans le beffroi par une porte carrée ouverte
dans le mur sud du clocher, porte que l'on apercevait
très bien des prairies de la route de Soullans. Nous
croyons que cette installation avait quelque chose
(1) Ils l'avaient été en 1767. Voir note 1, p. 23.
(2) Les archives de la fabrique parlent plusieurs fois de l'hor-
loge :
« Et pour Mon sixe et dernier compte... fait détourner les
poids de L'horloge, Et fait faire La petite balustrade pour Les
Recevoir... le Tout eh 1776. » Compte d'un « Fabriqueur. »
« Marché d'une nouvelle horloge. — Dans l'assemblée du
22 décembre 1783. ayant considéré que l'orloge de cette églize
est uzée par vétusté et hors d'état de pouvoir servir à l'avenir... »
Cartulaire de N.-D. de Challans, p. 154.
« Le 22 décembre 1783, Le s. François Laidet, horloger En ce
bourg de Challans, a placé à notre Eglize une horloge dans un
Nouveau Goût, sonnant la demie heure, qu'il a fait lui-même
dont les Roues sont de cuivre, pour la somme de 500 livres pareille
à celle qu'il a fait et placé depuis un an à l'F.glize de Sallertaine. »
Note des Archives,
390
d'analogue à celle des clochers de Beauvoir-sur-Mer
et de Sallertaine. La porte du bas de l'escalier
a été retrouvée eu 1897-1898. Les premières marches
étaient pleines de pierres et de terre. Quant à la tourelle
renfermant l'escalier, elle a disparu en 1843; lors de la
construction des nefs de style grec. A partir de cette
époque, pour arriver au clocher, il fallait s'y rendre par
les voûtes du chœur, au moyen de passerelles fort dange-
reuses. Au milieu du xixc siècle ce clocher fut privé de
ses cloches. M. l'abbé Amiaud venait en effet d'achever
le clocher actuel, la seule partie qui nous soit restée de
notre antique, et chère église. Vn jour de la fin de l'année
1867 le vieux beffroi qui, depuis huit siècles, annonçait
les joies et les deuils de la France et de la paroisse (et
avait tant de fois appelés nos pères à venir adorer Dieu
dans son temple), devint muet pour toujours. C'était,
hélas ! le présage d'un malheur plus grand. Tandis que
finissait le siècle de Chateaubriant, d'Arcisse de Caumont
et de Viollet-le-Duc,des Vandales, innocents, parce qu'in-
conscients et ignorants, détruisaient le vieux clocher qui,
le 14 avril 1622, avait annoncé au Roi Louis XIII l'ap-
proche « du bourg de Challans ». (1) •
IV. Intérieur du transept. L'intérieur du transept
de la vieille église de Challans offrait, depuis quelques
années, un aspect des plus tristes. LTn maçon avait
couvert les murs d'une sorte d'épais crépi ondulé,
blanchi tous les dix ans et qui, dans ce laps de
temps, devenait fort sale par la poussière qui s'y
accumulait. Primitivement, les murs étaient-ils peints?
Nous le croyons, mais ces peintures devaient être
très simples de dessin et peu variées de couleurs ;
peut-être même se réduire à un appareil simulé.
(1) La démolition du vieux clocher de l'ancienne église est
d'autant plus regrettable que ce monument : le plus ancien du
Marais (y compris le transept qui le supportait), était devenu
précieux par son genre primitif. Celui de Maillezais ne subira pas
le même sort. Dieu merci !
— 391 —
Au xme siècle, le chœur ayant été reconstruit on
le décora de belles fresques et d'un appareil régulier
à lignes -roses sur fond blanc. Il est absolument impos-
sible de savoir si, à cette époque, le transept reçut des
embellissements de ce genre. Ce qui est hors de doute,
c'est qu'à une époque ou à une autre, il fut peint. Sur un
chapiteau de ce même transept nous avons trouvé des
traces de peintures jaune, rouge et noire ; mais l'état
dans lequel nous les avons découvertes, sous d'incalcu-
lables couches de chaux, ne nous a pas permis de leur
donner une date. Voici une reproduction de ces traces
de peinture d'un dessin peu compliqué. Le fond était
d'un très beau jaune foncé recouvert d'un treillis rouge
foncé et de quelques restes de peinture noire : lignes ou
ornements, il a été impossible de préciser. Le dallage
du xie siècle a été retrouvé à 1 m. 50 sous le pavé que
nous avons connu. Il reposait « sur un lit d'une espèce
de terre glaise qui est très commune dans le pays. » (1)
Le transept était divisé en trois parties : 1° la travée
centrale sous le clocher entre le chœur et la nef ; 2° une
partie à droite (2) divisée en deux travées et que nous
(1) V. Etoile de la Vendée, octobre et novembre 1897. Pour
plus d'explications, voir p. 406.
(2) Lorsque en décrivant une église nous parlons de droite H
— 392 —
appellerons transept nord : 3° une partie à gauche éga-
lement divisée, en deux travées et que nous nommerons
transept sud. Le plan ci-joint donne la disposition des
deux transepts. Les Lettres indiquent l'emplacement
des pilastres et par le l'ait même des chapiteaux qui les
surmontaient. Tous ces pilastres, semi-circulaires de la
base au sommet, étaient couronnés par des chapiteaux
dont la partie inférieure, semi-circulaire, correspondait
à la forme des pilastres et dont le tailloir était rectangu-
laire. Vers le milieu du xixe siècle, pour donner plus de
place aux fidèles (!) on coupa presque tous les pilastres
sur une longueur de deux mètres à partir du sol actuel.
Les quatre piles du milieu du transept, supportant le
clocher, avaient été fort mutilées à cette époque. Ces
opérations étaient très malheureuses ; outre qu'elles
pouvaient compromettre la solidité de l'édifice, elles
l'abîmaient singulièrement.
1° Transept sud. Dans le transept sud, entre le
point K et le point D, était une arcade sans aucun orne-
ment, et, donnant primitivement accès dans une absi-
diole qui, au xme siècle, fut remplacée par une chapelle
plus grande. La lettre N indique remplacement d'une
fenêtre aveugle, en plein-cintre, dépourvue de toute
ornementation. Cette fenêtre aveugle était du xie siècle.
Nous n'avons pu nous rendre compte de sa destination.
Peut-être l' avait-on faite avec l'intention de l'ouvrir
plus tard (1) ?. Ajoutons que nous n'avons pas trouvé
trace d'une autre fenêtre romane dans le transept. Les
fenêtres pratiquées au xie siècle étaient vraisemblable-
de gauche, nous entendons ces expressions comme on les entend
dans la tangue liturgique de l'église; c'est-à-dire que la position
de N.-S. Jésus-Christ sur la croix <\u tabernacle indique la droite et
la gauche : esl à .Imite, ce qui es1 à la droite de la croix;e1 à gauche
ce qui est à gauche. Par conséquent, un homme placé au milieu
de l'église et regardant la croix du tabernacle, doit considérer
comme étant à droite, ce qui est à sa gauche et à gauche ce qui est
à sa droite. .
(1) L'examen des murs nous permet d'affirmer que jamais
cette fenêtre ne fut ouverte.
PLAN
du Transept de l'Ancienne Eglis e
liffi
Pai lies du XIe s.
■••'■y.
fêîî&îî Parties du XIIIe s.
Parties du XV au XVIe
Parties du XVIIIe s.
A
Chapi
teau
mutilé
B
»
j>
C
»
»
D
»
conservé
E
»
»
F
»
»
G
»
mutilé
LÉGENDE
H Chapiteau à moitié mutilé
I Entrée du " Vieux Clocher "
J Chapiteau conservé
K Cul-de-lampe (XIes.)
L » » „
M Chapiteau du XIe s., transformé au J
en cul-de-lampe.
N Fenêtre romane aveugle
:hallans, XI4 Siècle
0 P Arcade du XI Ile siec]e
Q Porte de 1785
R Double Piscine
seul
espace
A B arcades
D F /
,' supportant
H G l I du transept
E C le clocher non voûté
K J Arc-doubleau soutenant la voûte
L M Arc-doubleau soutenant la
voûte
S Escalier du clocher (détruit
en 1843)
T U
X Y
Arcades du XIe s.
faisant communicpier
le transept avec les chapelles
393
ment dans les pignons du transept comme en beaucoup
d'églises. Plus tard, elles ont été remplacées par les
grandes fenêtres ogivales que nous avons connues.
L'arc-doubleau KJ qui supportait la voûte du transept
sud, reposait d'une part en K, sur un cul-de-lampe de la
plus grande simplicité et dont le tailloir, sans moulure,
était à angle droit ; d'autre part, en J, sur un pilastre
dont le chapiteau mérite d'être étudié. A la base, un tore
grossier retient un rang de feuilles très simples, desquelles
s'échappe un second rang de"feuilles. Deux volutes sortant
de ce dernier rang, ayant à leur point de départ un motif
CHAPITEAU J
carré qui, certainement, était autrefois sculpté. Chaque
volute se déroulant en sens opposé revient tomber sur
le second rang de feuilles en soutenant le tailloir qui se
compose d'une série de petits tailloirs rectangulaires
superposés les uns aux autres et allant en s'élargissant
et enfin tous surmontés d'un véritable tailloir très épais.
Entre le pilastre J et le pilastre F (qui supportait l'une
des quatre arcades du clocher), au point I, se trouvait
l'entrée de l'escalier à vis conduisant au vieux clocher (1).
(1) Nous prévenons le lecteur, une fois pour toutes, cpie pour
nous conformer aux habitudes de langage des gens de Challans,
nous entendons par « vieux clocher » celui édifie sur le transept,
au xi,; siècle, et que nous appelons « clocher neuf » celui de la
vieille église qui fut édifié de 1862 à 1865. Il ne viendra à l'esprit
de personne de penser, dans-cette étude, au clocher de la nouvelle
église, attendu que non seulement il n'est point fait, mais qu'il
n'est surtout pas prêt d'être commencé.
— 394 —
En 1843, ainsi que nous l'avons déjà dit, l'escalier fut
détruil et la porte d'entrée bouchée. L'arcade DF, soîi-
tenant le mur sud du vieux clocher reposait sur deux
pilastres assez détériorés, mais dont les chapiteaux
étaient dans un état parfait de conservation, malgré
les multiples couches de chaux qui les déshouoraient.
CHAPITEAU F
Le chapiteau F était semblable auT chapiteau J, ci-
dessus décrit. Mais, au dessus du second rang de feuilles,
à la naissance des deux volutes, se trouvait une tête cou-
ronnée. La couronne se distinguait bien, mais on ne
pouvait préciser la nature de ses ornements.
CHAPITEAU D, dit Chapiteau d'Adam
Le chapiteau D, de même genre, et remarquablement
— 395 —
conservé, se composait ainsi : Du tore inférieur sortaient
deux rangs de feuilles comme dans les chapiteaux précé-
dents. Un homme nu, qui représentait certainement
Adam, notre premier père, se tenait debout au milieu
les pieds posés sur le tore et la tête touchant le tailloir.
Il étendait les bras de façon à ce que les coudes s'ap-
puyassent sur les feuilles du rang inférieur. Dans chaque
main, il tenait une petite tête, et derrière ses épaules,
deux volutes se déroulaient en sens opposé. Ces volutes,
après avoir soutenu légèrement le tailloir, retombaient
sur les têtes que l'homme tenait en ses mains. Plusieurs
rangs de baguettes surmontaient le tout et constituaient
le tailloir. Comme nous le verrons plus loin, seul le tran-
sept sud avait conservé des chapiteaux de ce genre.
Nous savons qu'aux xie et xiie siècles, on sculpta de
remarquables chapiteaux dits « Historiés » ou encore
« à personnages a parce qu'ils étaient couverts de « figures
en bas-reliefs représentant des scènes très variées, tirées
de la Bible ou de la Vie des Saints. » (1) Les églises du
Poitou, construites au xie et au xne siècles sont très
riches en chapiteaux de ce genre.
De l'étude des trois chapiteaux du transept sud il
ressort : 1° qu'ils sont tous inspirés d'un même type ;
2° que ce type est le chapiteau corinthien. Certes, et
nous le reconnaissons sans difficulté, il y a très loin des
chapiteaux du transept de Challans aux chapiteaux de
la « Maison Carrée a de Nîmes ; cependant, l'influence de
ceux-ci sur ceux-là est manifeste. En parlant des caté-
gories que l'on peut établir dans les chapiteaux romans
sculptés, M. Camille Enlard dit avec raison : « Le plus
grand nombre procède de l'imitation de l'art gallo-
romain ; parmi ceux-ci, il faut distinguer les imitations
du chapiteau corinthien... L'imitation du corinthien
(1) Bourassé. — Archéologie chrétienne, 9e édit., p. 162. « Les
chapiteaux à personnages et les chapiteaux historiés, dit M.
Camille Enlart, sont une des particularités les plus remarquables
de l'art roman. » Op. cit., p. 383.
- 396 —
est fréquente partout, principalement au sud de la Loire ;
elle est faite soit d'après le modèle classique, soit d'après
des types de basse époque déjà empreints de beaucoup
de fantaisie ; en outre, elle peut être elle-même plus ou
moins libre. (Au xie siècle) la reproduction est parfois
presque tout à fait exacte... Les sculpteurs de l'Ecole
Auvergnate et du Poitou imitent assez volontiers et très
fidèlement le même type (corinthien), mais avec plus de
lourdeur et de mollesse. » (1) C'est le cas de nos sculptures.
On peut dire qu'elles n'ont du chapiteau corinthien
que la caractéristique, les feuilles dans le bas et les
volutes dans le haut ; ce qui, à la vérité, est plus que suffi-
sant pour trahir le modèle. Les sculpteurs de l'ancienne
église de Challans n'ont peut-être pas eu long chemin à
faire pour trouver un chapiteau corinthien à reproduire,
car, en 1800, à Pont-I labert, à deux kilomètres à l'ouest
de Challans, on en a découvert un très beau que M. Louis
Brochet a signalé au Congrès archéologique de France,
tenu à Poitiers en 1903 (2).
La partie sud du transept, modifiée aux xme-xvie
siècles et en 17<Sô, l'avait encore été au xixe par l'installa-
tion d'un confessionnal devant la porte de 1785, de
laquelle il était séparé par une sorte de petit vestibule
en bois, vulgairement appelé « tambour ». Près de là, sur
le mur Est, une armoire malpropre et moderne renfermait
la bannière paroissiale. Elles sont hélas nombreuses les
églises qui sont dotées, dans leurs parties parfois les
plus apparentes, de ces boîtes hideuses suspendues au
milieu du mur et desquelles pend un long bâton rouge
ou d'une autre couleur.
2° Sous le clocher. - - Avant 1843, au témoignage des
anciens, la chaire placée sous le clocher était adossée à
l'angle sud-ouest. - - Il s'agit de la chaire que nous avons
connue dans la grande nef. ■ — Les fouilles de 1897-98
(1) Op. cit., p. 377 et suiv.
(2) Congrès archcol. de France. Poitiers, 190-1, p. IN'-!.
— 397 —
ont amené à cet endroit la découverte d'un escalier en
tuf f eau et d'une colonne polygonale très courte. A notre
humble avis, cette colonne et cet escalier appartenaient
à une ancienne chaire.
Notons aussi que Messire Vincent Regnaudineau,
curé de Challans de 1598 à 1621, par son testament du
9 décembre 1621 (1), demanda à être inhumé sous le clo-
cher : « Mon dit décès advenu, veux et entends mon corps
être ensépulturé et inhumé, bien et duement, selon que
mon ordre le requiert, dans l'église de Challans, au-
dessous de la Passion, vis-à-vis l'entrée du chœur de la
dite église. » Il ressort de ce passage du testament de
Vincent Regnaudineau, qu'en cet endroit du transept
existait une représentation de la Passion. C'était sans
doute, comme aujourd'hui, un grand crucifix, d'où l'on
voit que l'usage de placer une croix en face de la chaire
n'est pas nouveau. Nous disons : « en face », mais nous ne
prétendons pas que ce crucifix était, comme de nos jours,
juste vis-à-vis de la chaire. Au moyen-âge, « la Passion »,
pour nous servir du terme consacré, était, au contraire,
très souvent placé, dans les grandes églises sur le jubé,
et dans les églises rurales sur une poutre allant d'un mur
à l'autre appelée tref (2). Dans un testament du 14 sep-
tembre 1546, il est fait mention de la Passion de notre
ancienne église : o In nomine Patris et Filii et Spiritus
Sancti. Amen. Je, Jehan Rondeau, prêtre demeurant
(1) Abbé Teillet. Noies cl Documents sur l'Eglise Paroissiale
de Challans, 1891, p. 15.
(2) « La liturgie, dit M. Camille Enlart, voulait qu'une poutre
appelée tref, ou poutre triomphale (Irabes doxalis ou encore
pergula), fut jetée d'une imposte à l'autre de l'arc triomphale
(arcade de l'entrée du chœur) pour mieux indiquer la limite du
sanctuaire ; sur celte poutre, on dressait la croix qui s'encadrait
dans l'arcade ; à droite et à gauche on posait des flambeaux ou
des reliquaires ; enfin des lampes étaient suspendues au tref... Le
tref était en usage dès le ve siècle (op. cit., p. 141). Le tref s'est
conservé dans les églises du moyen-âge ; il a été en usage jusqu'au
xvne siècle, et c'est de nos jours qu'on l'a supprimé presque par-
tout... ; diverses églises, surtout rurales, ont encore leur tref
portant le crucifix, la Vierge cl Saint-Jean. » (Op. cit., 752).
— 398 —
es maisons rectorialle de Challans, sain d'esprit et d'en-
tendement... item, je veux et ordonne que mes héritiers
entretiennent à perpétuité audevant la Représentation
de la mort et passion de Notre Seigneur Jésus-Christ en
laditte église de Challans, un cierge de cire qui depresent
y est ; la dotation et fondation dudit cierge, je constitue
el assigne universellement sur tous mes biens quelcon-
ques, par spécialement sur une charuye de terre étant
es Minées près le bourg de Challans... » (1)
En 1816, après L'achèvement de la grande nef, la
chaire et la « représentation de la Passion », y furent
transportées. A l'angle sud-est, entre les points B et D, se
trouvait un trône en bois, sculpté par M. Ludovic Bore
( + 1891), menuisier à Challans. C'est une œuvre simple,
mais de bon goût, dans le style ogival du xme siècle.
Ce monument qui renferme une copie du tableau de
N.-D. du Perpétuel Secours (2), avait été placé à cet
endroit, le 15 août 1892, en souvenir d'une mission
prêchée en février de la même année, par les RR. PP.
Rédemptoristes. Au mois d'août 1897, il fut transporté
dans le transept de l'église neuve où il est encore.
Au-dessus du trône de N.-D. du Perpétuel Secours, on
voyait un chapiteau mutilé, supportant au sud l'arcade AB.
De toutes les sculptures, il ne restait qu'une volute :
évidemment ce chapiteau ressemblait à ceux ci-dessus
décrits. Le chapiteau H, soutenant au midi l'arcade GH,
ne nous était parvenu malheureusement que bien incom-
plet. Il se composait d'un sujet principal, placé entre des
feuilles disposées trois à droite et peut être trois à gauche,
dont il était difficile de déterminer le genre. Le sujet prin-
cipal, très mutilé, avait une sorte de soleil en partie
détruit. On reconnaissait encore dans ce chapiteau des
traces de volutes et de tailloir que nous avons décrits
plus haut.
(1) Abbé Teillet. Cartulaire, p. 76.
(2) Conservé à Rome.
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Soc. Archéol., Nantes.
— 400 —
Les chapiteaux G et A étaient réduits à leur plus sim-
ple expression de même que le chapiteau C.
De ce dernier, on voyait encore le tore circulaire
inférieur et le tailloir carré.
3° Transept Nord. — Le chapiteau E, supportant
l'arcade CE, et sur lequel nous avon< découvert des traces
de peintures précédemment signalées, était à notre avis
d'un travail tout différent. Le tailloir était à angles
droits, et le tore inférieur semi-circulaire comme dans les
autres chapiteaux ; mais le sculpteur, au lieu de repré-
senter des feuilles, des volutes ou des personnages,
s'était contenté de représenter d'énormes câbles ou
cordes tendues le long du chapiteau. Nous avons dit que
le tailloir était carré et le tore inférieur semi-circulaire.
Ajoutons que sur ce tore semi-circulaire la partie cubique
du chapiteau formait une moitié d'octogone. Le haut
du cube s'unissait normalement au tailloir carré. Nous
donnons ici plusieurs coupes de ce chapiteau intéressant.
La coupe AB permet de constater que le tore séparant le
chapiteau du pilastre est semi-circulaire ; la coupe CD
nous montre le chapiteau au-dessus du tore: au lieu
d'être semi-circulaire, comme le tore, il est octogone.
Voilà ce qui est anormal et constitue une particularité
curieuse. Quant aux torsades représentant très exacte-
ment de grosses cordes, elles ont été imaginées avec un
goût assez heureux pour couvrir les angles avant tout.
Le triangle qu'elles forment sur la face est non moins
bien inspirée pour faire oublier les deux congés triangu-
laires des angles. Ceux qui voyaient ce chapiteau dans
l'ancienne église ne s'apercevaient point, du premier
coup d'œil, de ce qu'il avait de trop dur dans la forme ;
le but de l'artiste était donc atteint. Dans la crypte de
Saint-Filbert de Noirmoutier, on voit des chapiteaux
dont le cube passe du cercle au carré. Ils sont de beau-
coup inférieurs à celui dont nous parlons.
Ce chapiteau doit-il être attribué au xie siècle ou à
une époque antérieure? Cette question nous amène à
401
étudier la date des chapiteaux du transept qui appar-
tiennent à deux genres, ainsi qu'il est facile de le consta-
ter: le genre du chapiteau E, le plus ancien, et le genre des
chapiteaux JFD, du transept sud, plus récent. Nous
avons consulté à ce sujet un archéologue, dont l'autorité
est trop connue pour qu'il soit besoin d'en faire l'éloge;
M. Camille Enlart, Directeur du Musée de sculpture du
Trocadéro, auteur d'un excellent manuel d'Archéologie
Française, que nous avons eu déjà l'occasion de citer.
M. Enlart, en parlant du chapiteau E, « manifestement
plus ancien » dit-il, que les chapiteaux du transept sud,
en cite d'autres exemples : « Dans la crypte de la cathé-
drale d'Auxerre, consacrée en 1040, et dans la crypte
qui règne au sud du sanctuaire de Saint -Benoît-sur-
Loire et qui date du début du xie siècle, (reconstruction
après 1026, consécration en 1029) il y a des chapiteaux
de ce type, mais à corbeille beaucoup plus basse. La
baguette diagonale à torsade, imitant une corde, se
trouve aussi dans les dernières années du xe siècle, au
déambulatoire de l'église de la Couture au Mans. Donc,
ce chapiteau (E) semble, à première vue, dater de la
première moitié du xie siècle. » Quant aux chapiteaux
JF et D du transept sud, M. Enlart dit qu'ils paraissent
avoirl'allure générale des chapiteaux delà première moitié
du xne plutôt que du xie. Cette différence assez sensible
entre les époques et surtout entre les genres de chapi-
teaux du transept n'a absolument rien de mystérieux,
pour qui est tant soit peu familiarisé avec les anomalies
qu'offrent tant de monuments anciens (lesquelles ne
sont souvent rien auprès d'anomalies autrement plus
graves que présentent nombre d'églises modernes). Voici
très vraisemblablement comment les choses se seront
passées au xie siècle lors de la construction du transept.
Au cours de la construction même on n'aura sculpté
qu'une partie des chapiteaux, soit par suite du défaut
de ressources nécessaires, soit pour un autre motif. Plus
tard, fin du xie siècle, ou commencement du xne plus
— 402 —
probablement, comme le croit M. Enlart, on aura fini
la sculpture des chapiteaux en profitant des progrès
réalisés dans l'intervalle par les sculpteurs : « Des pierres
sculptées longtemps après avoir été posées ou demeurées
en partie épannelées (1), témoign?nt de l'usage de ce
procédé à diverses époques el dans diverses régions. »
(C. Enlart, Manuel, T. I, p. 14). Dans l'église d'Avenay,
près de Reims, la nef est du commencement du xine
siècle. Ses chapiteaux ont été sculptés au début du xvie,
sauf quelques uns qui sont demeurés à l'état d'épanne-
lage.
Vue de face Vue de côté
Consoles du XI siècle supportant des arcs-doubleaux
Tous les autres chapiteaux du transept nord ayant été
entièrement mutilés ou transformés, nous ne pouvons
savoir s'ils étaient semblables au chapiteau E. En L et
en M sont des culs-de-lampe supportant l'arc-doubleau
LM. En L, le cul-de-lampe était du XIe siècle. Nous en
donnons un dessin. En M, il y avait, avant le XIIIe siècle,
un pilastre. Au moment où l'on construisit au nord un
bas-côté, pour le faire communiquer avec le transept,
on établit une arcade (OP) ; le pilastre fut naturellement
(1 » On appelle pierre épannelée « celle qui est dégrossie de façon
à présenter la forme d'ensemble du relief que l'on veut en déga-
ger, i/
- 403 —
supprimé, et son chapiteau transformé en console, mais
sans aucun ornement.
Le lecteur peut se demander ce que sont devenus les
chapiteaux qui nous étaient parvenus intacts. Chapi-
teaux conservés et chapiteaux mutilés ont été traités
avec une parfaite égalité et un même, respect. Jetés à
terre sans précaution par les ouvriers qui démolissaient
l'église, presque tous avaient résisté au choc. On sut
leur faire expier cette injustifiable résistance. Ils furent
avec soin brisés et coupés en plusieurs morceaux. Cela
pouvait être profondément regrettable au point de vue
archéologique; mais on a pu, du fait de ce vandalisme,
gagner 1 fr. 95 de plus qu'on n'espérait et cet avantage
compense d'une manière intelligente la perte que
l'Archéologie Vendéenne a faite (1).
Comme nous l'avons dit précédemment, au xme siècle,
près du contrefort nord-ouest, une petite porte avait été
établie. Nous avons connu à cet endroit un confessionnal
affreux du xvme siècle qui ressemblait assez bien à
une armoire. Un souvenir précieux s'y rattachait. C'est
là, en effet, que Monseigneur Chauveau, vicaire à Chal-
lans, de 1839 à 1843, confessait.
4° La Double-Piscine du Transept Nord. — Près de là,
sous la fenêtre, un peu à droite, on apercevait une petite
arcade en plein-cintre sans aucun ornement. Les uns
disaient que c'était une ancienne porte et les autres sou-
tenaient qu'il y avait eu. en cet endroit, une statue de
Saint Jacques. Nous n'avons point eu la preuve qu'il
avait existé là une statue de Saint Jacque:. Quant à
l'hypothèse de la porte, l'examen du mur à l'extérieur
nous l'avait fait vite abandonner.
Le 29 mai 1897, nous avions la bonne fortune de décou-
vrir dans cette excavation une double piscine. Le sol
(1) Le chapiteau dit « d'Adam » a été coupé en quatre, parce
qu'il était trop embarrassant à empoter (!). Il est dans un mur.
Elles sont nombreuses les constructions récentes de Challans et
des environs qui recèlent des sculptures de l'ancienne église.
404
primitif ayant été exhaussé au xmc' siècle, puis en 1843-
1846, ces piscines n'étaient plus qu'à 0 m. 20 au dessus
du sol. lui reconstituant les dispositions primitives de
l'église, on constatait qu'elles avaient été jadis à la hau-
teur normale.
L'excavation qui les renfermait avait 0 m. 86 de hau-
teur, 0 m. 80 de largeur et 0 m. 36 de profondeur. On
n'apercevait ni moulures, ni sculptures. Les pierres
formant l'excavation étaient unies par un beau sable
comme dans les autres murs du xi1' siècle ; et il en résul-
tait que cette ouverture était bien d'origine romane,
faite par conséquent au XIe siècle en même temps que
l'édifice.
La double piscine était faite de deux pierres de Saller-
Double piscine du transept de l'Ancienne Eglise de Challans
taine juxtaposées, creusées chacune en forme de pyra-
mide renversée, chaque côté ayant 0 m. 21 c. Ces piscines
avaient été remplies de chaux ; à quelle époque ? Nous
l'ignorons. Toujours est-il qu'au moment de la décou-
verte, le souvenir des piscines avait disparu depuis long-
temps. Un jour où le temps était humide, nous consta-
tâmes et non sans étonnement, des différences de teintes
sur la surface horizontale de l'excavation. Les nuances
se précisèrent et nous vîmes des carrés. L'idée de piscines,
de bassins, nous vint à l'esprit. Quelques instants après
les carrés étaient creusés, et nous versions de l'eau dans
les piscines ; l'eau s'écoula immédiatement, preuve que
les conduits existaient encore.
— 405 —
Une question se posa naturellement tout de suite : les
piscines découvertes dans une excavation du xie siècle
appartenaient-elles, elles aussi, à cette époque loin-
taine? (1)
Non, très probablement, et voici ce qui aura été fait
au xie et au xme siècle. Au xie siècle, lors de la cons-
truction de l'église, dans l'excavation, on aura placé un
(1) M. de Caumont affirmait que « sur plus de 1.200 églises dans
lesquelles il avait remarqué des crédences (ou piscines), pas une
ne remontait au-delà du xme siècle ou de la fin du xne, et que
toutes étaient en ogives, divisées sur la hauteur par une esvèce
de planchette en pierre. » - Abeced. d'Archéol. relig. — Mais
comme le remarque judicieusement M. l'abbé Mallet, dans le t. II
de son cours, il ne faudrait pas conclure absolument de cette affir-
mation que les piscines n'existèrent pas avant le xne siècle. Nous
avons en effet une ordonnance très explicite du pape Léon IV,
élu en 847, qui prescrit de préparer dans la sacristie, ou près de
l'autel, un endroit d'où l'eau puisse s'écouler lorsqu'on lave les
vases sacrés ; et qu'il y ait là, avec de l'eau, un linge pour que les
prêtres se lavent les mains après la communion. Au xie siècle « le
célèbre Hincmar, archevêque de Reims, recommanda à ses prêtres
d'établir une piscine dans toutes les églises, et près de l'autel prin-
cipal. » Dans ce temps, nul ne l'ignore, le prêtre ne se lavait pas les
mains à l'autel, comme il le fait aujourd'hui. Au Lavabo, et après
la communion, il descendait à la piscine, laquelle était toujours
placée à droite de l'autel.
Généralement, il n'y avait qu'un bassin. Par conséquent, après
la communion, le prêtre se purifiait les doigts « dans un vase spé-
cial dont le contenu était ensuite jeté dans la piscine elle-même.»
Dans le courant du xne siècle, dit M. l'abbé Mallet, plusieurs
monastères très fervents ne trouvant pas assez respectueux de
mêler ainsi aux eaux ordinaires, par exemple à celles qui avaient
servi au Lavabo de la messe, une eau qui pouvait contenirdesaintes
parcelles restées attachées aux doigts du prêtre, prescrivirent à
leurs religieux de boire cette eau aussi bien que le vin qui avait servi
à purifier le calice ; et à la fin du siècle, Innocent III (1198-1216),
touché par cet acte de profonde vénération, voulut l'imposer à
tous les prêtres. On comprit généralement la sagesse de ce change-
ment dans la liturgie, pourtant plusieurs prêtres éprouvèrent
une grande répugnance à boire la rinçure de leurs doigts, puis une
habitude de plusieurs siècles est difficile à déraciner complètement.
Alors on prit un moyen terme qui paraissait concilier le respect dû
au St-Sacrement avec l'usage suivi jusque là, et en même temps
tenir compte, sinon de la décision du souverain pontife, du moins
des motifs qui l'avaient occasionnée : on établit deux piscines,
l'une pour recevoir les ablutions ordinaires, l'autre exclusivement
réservée aux ablutions du saint sacrifice. Mallet, t. II. M. Enlart
signale deux cuvettes (ou double piscine) du xne siècle, à Saint-
Pons-de-Guemenos, dans les Bouches-du-Rhône, et dit qu'au
xme siècle cette disposition est plus fréquente.
— 406 —
seul bassin. Plus lard, au xiii* siècle, l'usage de deux
bassins ayant pénétré partout, on aura substitué à la
piscine unique une double piscine. D'où il résulte que la
double piscine du transept serait du xiir siècle.
Le 23 août 1897, quelques jours avant la bénédiction
de la nouvelle église, M. l'abbé Freland, curé-doyen de
Challans, eut l'amabilité de nous offrir la double piscine
du transept nord. Les deux bassins furent détachés le
même jour du mur où ils étaient encastrés. Ils sont
actuellement conservés dans notre collection archéolo-
gique à Challans.
La double piscine était jadis placée derrière un autel,
un peu a droite comme le voulait la liturgie. L'autel
élevé à peu de dislance du mur, était, au xvie siècle,
placé sous l'invocation de Saint-Eutrope, premier évêque
de Saintes. - - C'est du moins ce que nous permettent de
croire nos recherches sur l'emplacement des autels de
l'ancienne église. —Le culte de Saint-Eutrope est constaté
cà Challans dès l'an 1413.
5o Les fouilles de 1897-1899. - - Les fouilles pratiquées
dans le transept nord a la fin de l'année 1897 ont amené
la découverte :
1° D'un pavé en carreaux rouges du xme au xvie siè-
cle - trouvé cà 1 m. du sol du xixe siècle ; 2P d'un second
pavé, du XIe siècle, trouvé à Om .50 au-dessous du dallage
du xm -xvi1' siècles, soit à 1 m. 50 au-dessous du niveau
que nous avons connu. L'église était énormément
enfoncée. Le même phénomène s'observe à Beauvoir-
sur-Mer.. Ce second dallage, est-il dit dans un article
de VEtoile de la Vendée, « repose sur le lit d'une
espèce de terre glaise qui est très commune dans le
pays. » (1) Comme l'auteur de cet article ne dit point en
(1) Il faut savoir gré à M. l'abbé Joseph Thibaud, alors vicaire
à Challans. aujourd'hui curé de Sant-Florent-des-Bois, d'avoir fixé
ces détails intéressants dans l'Etoile de la Vendée. Sans lui nous
n'aurions .jamais pu savoir d'une façon précise et certaine le
résultat des fouilles.
— 407
quoi consistait ce second dallage, ce qu'il fait pour le
premier, nous pensons qu'il y a confusion dans les ter-
mes. La très mauvaise impression de l'article autorise
à le croire. Selon nous, il faudrait lire ceci : ce second
dallage « se composait d'un lit d'une espèce de terre
glaise... » ;
3° On a également découvert une couche de très beau
sable rouge sous le dernier pavé.
Le pavé que nous avons connu se composait, dans le
transept, de magnifiques pierres tombales en granit. Une
seule avait conservé trace de ses inscriptions, on lisait :
16 C'est tout ce qu'il nous est resté des épitaphes
gravées sur ces pierres et qu'on lisait en-
core en partie il y a 60 ans. En 1846, ces
dalles funéraires extraites du pavé des
xme-xvic siècles, furent placées dans le
transept où nous les avons connues.
Durant le moyen-âge et jusqu'au règne
de Louis XVI, les curés et les membres
des familles nobles ou marquantes étaient
inhumés dans les églises.
Sous le sol du xie siècle, on a retrouvé
beaucoup de squelettes. Tous étaient par-
faitement conservés et avaient la tête
à l'occident et les pieds à l'orient. Beau-
coup n'avaient point de cercueils, car on n'en a trouvé
aucune trace. Une ligne de pierres et de briques indiquait
seule les dimensions de la tombe. Les corps qui reposaient
sous le dallage du xie siècle, avaient été inhumés entre
le xie et le xme siècle. Près de la porte occidentale qui,
dans l'église du xie siècle, était peu importante, on a
trouvé sous le sol primitif une pierre tombale assez
curieuse. Plus large à la tête qu'aux pieds, elle portait
à la tête une croix dessinée dans un cercle. Du cercle
tombaient deux lignes, lesquelles, s'il faut crojre certains
renseignements qui nous ont été donnés, rencontraient
dans le bas d'autres lignes pour former une autre croix.
408
Le dessin ci-contre donne une idée de la pierre avant
sa mutilation. Il n'y avait trace d'aucune inscription.
Cette pierre tombale, du xne ou du xnr siècle, a eu sa
partie intérieure brisée depuis sa découverte. Elle a été
vendue à M. Joseph Barreau, du village de la Gazon-
nière, qui en a fait un seuil de porte.
Les archives locales ne nous ont point conservé les
noms des prêtres et des fidèles inhumés dans l'église de
Challans du xie au xme siècle.
6° Les voûtes du transept. - Il nous reste une dernière
question à étudier : celle des voûtes.
Antérieurement à l'an 1000, « presque toutes les églises
sur les bords du Rhin, en Aquitaine, en Bourgogne, en
France, étaient en pierres et couvertes en bois.» (1) Lors
des invasions des Normands, il suffisait à ceux-ci « de
mettre le feu à la menuiserie de l'intérieur pour que la
flamme gagnât la toiture. Celle-ci s'effondrait, les co-
lonnes ne tardaient pas à éclater et à entraîner les murs
dans leurs ruines. » (2) AprèsQ'an 1000, « on se mit par
toute la terre, particulièrement en Italie et dans les
Gaules, à renouveler les vaisseaux des églises. On eut dit
que le vieux monde se secouait pour dépouiller sa vieil-
lesse et revêtir une robe blanche d'église. Enfin, presque
tous les édifices religieux, cathédrales, moùtiers (monas-
tères, couvents) des saints, chapelles de village, furent
convertis par les fidèles en quelque chose de mieux. »
Ainsi s'exprime l'historien Raoul Glaber, moine béné-
dictin qui vivait à l'abbaye de Cluny, dans la première
moitié du xie siècle. Le grand mouvement qu'il signale
eut pour caractère principal la construction des voûtes
dont on sentait fort le besoin au souvenir des ravages
causés par les Normands. Si ces barbares avaient trouvé
des églises voûtées « ils auraient eu beau mettre le feu
(1) Edouard Corrover. L' Architecture romaine. Paris, 1888,
p. 161.
(2) Jules Quicherat. Mélanges a" Archéologie, cité par Ed. Cor-
royer, op. cit., p. 162.
409
dedans et au dessus, la construction n'aurait éprouvé
que des dégâts partiels. » On comprend dès lors de quel
intérêt est l'étude des premières voûtes construites après
l'an 1000. Et c'est précisément le cas pour le transept
de la vieille église de Challans.
Les voûtes de ce transept étaient en effet les plus
anciennes de la contrée, et les premières faites dans le
marais.
1° C'était les voûtes les plus anciennes de toutes les
églises romanes du marais de Challans, parvenues
jusqu'à nous.
Voici l'ordre que nous établissons dans l'évolution
des voûtes de nos églises. Nous disons « des voûtes ».
Nous ne nous occupons donc pas des murs et des fonda-
tions :
Challans. — Voûtes en berceau, uniquement.
Saint-Filbert de Noirmoutier. — Voûtes en ber-
ceau et voûtes d'arête.
Sallertaine. — Voûtes en berceau et voûtes à coupole.
Beauvoir-sur-Mer. Voûtes en berceau et voûtes
à coupole.
Ces voûtes d'arête ou à coupole s'imposaient pour le
milieu du transept. Là où l'on savait voûter cetespace,
on était évidemment plus avancé que là où on ne le
savait pas.
2° Les voûtes du transept de Challans furent des pre-
mières faites dans le pays après l'an 1000. Toute l'argu-
mentation repose justement sur le fait de l'absence de
voûtes dans le centre du transept. A l'origine, les archi-
tectes romans n'ont rien essayé de créer : l'antiquité
leur avait laissé la voûte en berceau, la voûte d'arête
et la coupole, ces deux dernières issues du principe
constitutif de la voûte en berceau. Si l'on admet que la
voûte en berceau a précédé la voûte d'arête, il faut
aussi reconnaître que généralement les églises où la
voûte en berceau et la voûte d'arête sont employées
simultanément, sont postérieures aux églises où existe
410 —
seule la voûte en berceau et où la voûte d'arête est igno-
rée. Ainsi l'église Saint-Filbert de Noirmoutier possède, au
transept, des voûtes en berceau du XIe siècle, et clans
la crypte, des voûtes d'arête également du \r siècle.
A l'église île Challans, chaque partie du transept avait
une voûte en berceau, mais sous le clocher, où Ton ne
Voûtes du Transept nord
A) Arcade du XIII0 siècle faisant communiquer le bas cote
avec le transept.
B) Fenêtre ogivale.
C) Arcade du XIe siècle.
D) Grande arcade fermée que l'on apercevait dans le mur nord
du clocher.
pouvait pas prolonger la voûte en berceau du transept,
il fallait, pour voûter convenablement cette travée,
une voûte d'arête. — Nous ne parlons pas des voûtes
à coupoles et à croisées d'ogives de Sallertaine et de
Beauvoir-sur-Mer : elles appartiennent à la grande
famille des voûtes Plantagenet et sont du xir siècle.
411
Or, au centre du transept, il n'y en avait pas et il n'y en
avait jamais eu. Nous concluons : Au moment de la
construction des voûtes de la crypte de Saint-Filbert de
Noirmoutier, les architectes étaient capables de faire
des voûtes d'arête, tandis qu'au moment de la cons-
truction de l'église de Challans, on ne savait, ou on ne
pouvait que faire des voûtes en berceau, beaucoup plus
faciles à établir que les voûtes d'arête. 11 y a donc eu un
progrès à la crypte de Saint-Filbert de Noirmoutier (1)
et à Sallertaine il y a eu progrès sur Noirmoutier et à
Beauvoir-sur-Mer, progrès sur Sallertaine. (2)
(1) 11 est bien évident que nous ne parlons iei que des voûtes
de la crypte de Noirmoutier, et qu'en voyant ces voûtes du
xi1' siècle nous ne pensons pas que les murs de la crypte ne soient
pas antérieurs à eelte époque.
(2) Nous prévoyons une objection : Il est exact, nous dira-t-on,
que la voûte en berceau a précédé la voûte d'arête, niais chez
lés Romains seulement ; au XIe siècle les deux systèmes étaient
connus simultanément, par conséquent l'emploi exclusif de la
VOÛte en berceau n'établit pas une priorité d'ancienneté relati-
vement aux églises où la voûte d'arête est employée. Nous
répondons. Oui, théoriquement la voûte d'arête était connue au
moins de certains constructeurs. Pratiquement, au début surtout,
on parut l'ignorer presque partout. Il est en effet hors de toute
contestation que la majorité des architectes, pour voûter les
églises, procéda avec la plus grande timidité, et que pendant le
\ 1'' et le X 1 Ie siècle, il n'y eut que des essais pour atteindre un
système parlait qui devait être la voûte sur croisée d'ogives. Ceci
admis, il faut reconnaître qu'on partit du moins parlait (la voûte
en berceau), l.a chose est si vraie, que les are itectes qui vou-
lurent faire des voûtes d'arête, ne purent généralement recons-
tituer ce système tel que les Humains l'avaient pratiqué. Ils
durent le simplifier et l'essai de ces voûtes d'arête fut même si
timide qu'on les plaça dans les bas-côtés, pendant (pie la nef
et, lit couverte d'une voûte en berceau, ainsi à Youvenl en Ven-
dée, et à Notre l)ame-la-('irande, à Poitiers. « Les architectes
essayèrent d'abord la voûte en berceau » dit l'abbé Mallet : prin-
cipe très longuement et très savamment développé par M. Enlart
dans son Manuel, et que les faits prouvent péremptoirement.
Notons que la travée centrale du transept de Challans était
barlongue : c'était une difficulté de plus pour la voûter même
avec une voûte d'arête. Il est vrai que dans la crypte de la basi-
lique Saint-Eutrope, à Saintes, on a su vaincre cette difficulté.
Mais, outre que les voûtes de cette crypte sont du XIIe siècle
(Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné IV, 159), il y avait entre
Saint-Eutrope de Saintes et X'.-D. de Chai. ans, disparité de
— 412
De ce fait, il ressort que l'église élevée à Challans au
xi1' siècle était, de toutes les églises romanes de la région
(Marais de Challans), la plus ancienne, ou l'une des
premières églises bâties après l'an 1000.
A l'intérieur du transept nord, au dessus delà fenêtre
pratiquée dans le pignon, le mur devenait tout à coup
moins épais, cela était dû sans doute à quelque répa-
ra lion.
L'espace occupé par le milieu du transept n'était pas
carré, mais seulement rectangulaire. Il avait 7 m. sur
4 m. 90. Comme nous venons de le dire, aucune voûte
n'y avait été pratiquée, de telle façon qu'on voyait tout
le plancher du beffroi. Dans le mur nord qui supportait
le clocher et que supportait l'arc-doubleau CE, on aper-
cevait une ouverture, porte ou fenêtre en plein-cintre.
Nous l'avons toujours connue fermée. C'était, croyons-
nous, une ouverture destinée à pénétrer sur les voûtes
du transept nord.
7° Ouvertures et ares. — Tous les arcs, arcs-doubleaux,
arc abritant la double-piscine, etc., étaient en plein-
cintre. C'est une preuve de l'antiquité de l'église de
Challans, car dans les églises de Sallertaine et de Beau-
veoir l'arc-brisé ou arc en tiers-point (vulgairement
ogive) est employé.
Voici l'ordre des églises ci-dessus mentionnées, pour
l'évolution des arcs :
Noirmoutier ) ...
_, „ Arcs en plein-cintre uniquement.
Challans )
Sallertaine : Arcs en plein-cintre et arcs en
tiers-point.
Beauvoir-sur-Mer : Arcs en tiers-point uniqument.
Telle était notre église du xie siècle. Nous avons essayé
de la reconstituer, et, par là même, de donner aux archéo-
i
ressources, et peut-être disparité de science de la part des
constructeurs.
D'après M. l'abbé J. Thibaut (ioc. cit.), les voûtes du transept
étaient « en briques sur champ. »
- 413 —
logues l'étude d'un monument intéressant et conserver
à nos concitoyens la description d'un édifice plein de
souvenirs très chers (1).
k Depuis sa construction jusqu'aux modifications impor-
tantes qu'elle subit après l'an 1223, l'église de Challans
continua d'être desservie par des Bénédictins formant
le prieuré de Challans auquel fut plus tard substitué le
presbytère (2).
$t Les Bénédictins, à Challans, étaient sous la direction
d'un prieur.
Le prieur était nommé par l'Abbé du monastère de
N.-D. de Luçon. Les Archives du Bas-Poitou nous ont
conservé le nom de deux prieurs, ce sont :
1° « Villelmus capellanus de Chalant. » Guillaume,
chapelain de Challans (3). Le titre de chapelain équivaut
ici à celui de prieur. Ce « Guillaume » assistait en l'an
1172 à la consécration de l'église de Sallertaine.
2° L'autre nom conservé est celui d'un certain
Robert, prieur de Challans : « Robertus, prior de Cha-
lando », lequel vivait en l'an 1203 (4). Ce fut donc l'un
des derniers prieurs qui célébrèrent la sainte messe
dans le chœur de l'église du xie siècle.
( A suivre. )
(1) C'est dans le transept, sous le clocher que, pendant les funé-
railles, on déposait les corps de nos parents et de nos amis.
(2) Le prieuré de Challans, dont l'enclos a porté ce nom jusqu'au
début du xixe siècle, n'est autre que la maison et le jardin actuelle-
ment occupés par le docteur Henrot, et où habitait il y a quelques
années le docteur Dodin, maire de Challans. Le presbytère est
l'immeuble actuellement occupé par M. le curé-doyen de Challans
et ses vicaires.
(3) Cartulaire du Bas-Poitou, p. 188.
(4) Cartul. du Bas-Poitou, p. 192.
DÉCOUVERTE D'UN OBJET D'ART ANCIEN
Nantes, le 16 juillet 1908.
Rapport de l'Ingénieur auxiliaire
Le 20 juin dernier, un ouvrier de l'entreprise Charrière,
occupé au creusement d'une tranchée d'égout, rue du
Cheval-Blanc, a mis à jour un objet d'art, en os, ayant la
forme d'une rondelle et représentant sur une face un
oiseau symbolique.
L'objet a été trouvé à 15 mètres environ en deçà de
l'extrémité est de la rue du Cheval-Blanc, à 5 mètres au-
dessous de la chaussée de la rue ou à la cote (2,30) au-
dessus du zéro de la Bourse. Il était enfoui dans une
couche de tourbe comprimée contenant de nombreux
troncs d'arbres dont quelques-uns (chênes) étaient bien
conservés.
A quelques mètres de ce point, vers la rue St-Léonard,
se trouve une pointe de rocher dur qui devait autrefois
former promontoire vers le marais de l'Erdre.
Soc. Archéol. Nantes. 28
— 416 —
La nature de l'objet, son originalité et sa situation
dans le sol au moment de sa découverte nous font suppo-
ser qu'il est très ancien et qu'il peut, par suite, servir à
l'étude de l'origine de la cité nantaise.
.Nous proposons de le faire déposer au Musée après
examen de la Société archéologique.
Nantes, le 16 juillet 1908.
L'Ingénieur auxiliaire,
L. PRIMAULT.
Vu.
Pour le Maire,
L'Adjoint délégué aux Travaux publics,
E. GOUILLARD.
N.-B. - - Cet objet se rapproche beaucoup, par sa forme,
sa nature et ses caractères généraux des Tessères du xic
siècle trouvés par l'abbé Baudry, curé du Bernard à Curzon
(Vendée), décrits et dessinés dans le « Bulletin de la
Société des Antiquaires de l'Ouest ». (Bulletin lL'r trimestre
1864. lre série, 10. page 35G).
M. Adrien Blanchet, le savant conservateur du Musée
du Louvre, auquel l'objet a été soumis, le considère égale-
ment comme un tessère.
Quel était l'usage de ces rondelles ? Tout porte à croire
qu'elles devaient être appliquées comme ornenement sur
une surface quelconque. Un fait certain, c'est que le bau-
drier de chevalerie des xi et xn était orné de disques et de
losanges qui pouvaient avoir été plus d'une fois exécutés
en ivoire, en os, en corne de cerf et autres substances
analogues. Ce qui prouverait peut-être que le tessère trouvé
à Nantes, n'avait été sculpté que pour servir d'ornement
à la personne du guerrier ou à ses armes, c'est qu'il est
percé de petits trous sur le rebord.
A. D.
L'EGLISE ET LA PAROISSE SAINT-LAURENT
DE NANTES
L'église de Saint-Laurent se trouve près de la Cathédrale,
au fond de l'impasse à laquelle elle a donné son nom (1).
Il en a été détruit une partie considérable : tout le
chœur et le côté de l'épître. Il n'en reste plus qu'une par-
tie de la façade et une partie du côté de l'Evangile, jus-
qu'au bras du transept inclusivement
La partie restante a été aménagée en maison d'habita-
tion. Extérieurement les fenêtres percées dans la façade
lui enlèvent tout caractère religieux. Mais, à l'intérieur,
on en découvre le portail, les piliers avec l'amorce de leur
arcade, une porte qui ouvrait sur l'escalier de la tribune,
une fenêtre ou une porte qui s'ouvre d'un bras du tran-
sept sur un corridor, et les trois murs du transept du côté
de l'Evangile.
La porte était juste au milieu de l'ancienne église. En
partant de cette donnée, nous avons pu indiquer l'endroit
exact où il fallait chercher les fondations du mur méri-
dional rasé jusqu'au sol.
D'après un document de 1680, l'église avait 29 pieds de
façade et 86 de profondeur.
Dans l'état actuel de cette église, pour avoir une
(1) Cette impasse était autrefois une rue qui donnait sur ce qui est
actuellement le cours Saint- Pierre. Pour plusieurs raisons dont le
développement nous détournerait de notre sujet, nous croyons que
cette rue passait au nord de l'église et même du presbytère qui la
bornait au nord et que la porte par laquelle elle sortait de ville doit
être cherchée dans l'axe du petit passage actuellement clos qui se
trouve entre la cure de Saint-Pierre et l'ancien presbytère de Saint-
Laurent. Les fouilles faites sur ce point ont été malheureusement
contrariées par un égoût qui traverse en diagonale ce passage:
mais on y trouve pêle-mêle des débris de construction romaine qui
prouvent que ce fond a été complètement bouleversé.
— 418 —
idée de ce qu'elle était autrefois, nous ne pouvons
donc plus que recourir aux anciennes descriptions qui
en ont été faites. En voici deux, l'une du xvne siècle,
l'autre de l'époque de la Révolution.
Notre première description relate la visite .faite par
l'autorité diocésaine, le 29 avril 1G38. Nous l'insérons
textuellement :
« A la visite des autels, avons trouvé le grand autel en bon
estât au hault duquel est le sacraire, et, au costé, saint Lau-
rens et saint Sébastien en bosse ; à la contretable y a plu-
sieurs figures en petit relief, comme est la tombe et le
couronnement de la Vierge et la Visitation. Ordonnons,
attendu que ledit autel est fort humide, qu'il y aura une
toile cirée.
L'autel de Nostre-Dame est en assés bon estât, et sur
iceluy est la Nostre-Dame tenant son petit Jésus, à costé
saint Christofle relevé en bosse; à la contretable, un tableau
de saint Jean l'Evangeliste.
Et à l'entrée du chœur, au hault, est un grand tableau où
est le crucifix, et, à costé, la Vierge.
A costé du grand autel, [du costé] de l'epistre, y a un
autel. Sur la contretable y a un crucifix en bosse relevé, au
pied duquel y a nombre de petites images, et sur lequel
autel on nous a dict que l'on n'y celebroit point la messe ;
aussy n'y a il qu'une nappe et n'y a point d'apparence
d'avoir esté benist. « (1)
t
Nous empruntons notre seconde description au procès-
verbal de prisage de l'église, fait en 1790. D'après cet acte
« ladite église forme une seule nef, à l'extrémité de la-
quelle, vers orient, est le maître-autel dont le tombeau,
le retable et le tabernacle sont sculptés et dorés, les murs
latéraux du cœur et sanctuaire sont décorés d'un lambris
de hauteur en bois ; ...deux autres autels sont adossés
auxdits murs latéraux; au-dessus de la porte d'entrée
principale est une tribune' construite en bois avec une
balustrade en fer, et dans laquelle on parvient par un
(1) Archives départementales, G 47, f° 39.
— 419 —
escalier à noyeau et en bois établi dans l'angle nord et
occident de l'église. Ladite église est carrelée en carreaux
de terre cuite, et la couverture est recouverte par un lam-
bris en bois formant un demi cercle ; au côté méridional
est une ruelle de 33 pouces de largeur servant tant à iso-
ler l'église qu'à recevoir l'égout des eaux pluviales. Le
bénéfice de la Chantrerie a aussi jour et égout sur ladite
ruelle dans laquelle on parvient par une porte donnant
dans l'église ; au derrière du sanctuaire est la sacristie,
ayant jour sur la ruelle cy-dessus et sur la couverture par
des verfes morts pratiqués en icelle ; porte d'entrée par
le sanctuaire ; au pourtour des murs sont des armoires
pour l'usage de la sacristie. » (1)
La superficie totale est de 1.855 pieds.
Rien ne reste aujourd'hui de tout ce qui est relaté dans
ces descriptions. Par contre, on remarque, dans l'église,
une chose dont la dernière au moins aurait pu dire un
mot.
A l'intérieur, à quelque distance de la porte, on des-
cend par quelques marches dans un caveau.
Ce caveau est divisé en quatre parties par deux murs
qui se croisent. L'escalier situé à l'intérieur de l'église ne
donne accès que dans deux de ces parties. On descend
dans les deux autres par un autre escalier situé actuel-
lement dans la cour et fermé par une grille.
Au premier abord, l'aspect de ce caveau est bien de
nature à exciter la curiosité. A quelle époque remonte-
t-il ? A quel usage servait-il ? Voici ce que nous avons
trouvé sur ces deux points :
En 1763, lisons-nous dans un mémoire relatif à ce
sujet (2), le Général de la paroisse obtint un arrêtdu Par-
lement « qui lui permit de faire construire dans son église
(2) Archives départementales, série Q, liasse 6, n° 748.
(1) « Mémoire instructif touchant le caveau en l'église de Saint-
Laurent de Nantes que le Général de la paroisse demande à la
Cour d'être authorisé à vendre à quatre familles. » Arch. départ.,
G 485.
— 420 —
un grand caveau pour y déposer tous ses morts. Ce ca-
veau, construit en quatre caves différentes avec une en-
trée commune à toutes, a servi pendant neuf ans à la
sépulture de tous les paroissiens décédés, sans qu'il y soit
arrivé le moindre inconvénient. »
En 1774, lors de la création du cimetière de la Bouteil-
lerie pour la plupart des paroisses de Nantes, « le Général
de Saint-Laurent, qui depuis neuf ans avoit fait construire
à grands frais un caveau beaucoup plus que suffisant pour
la sépulture de tous ses habitants, et qui, par cette rai-
son, n'avoit point besoin de cimetière, ne voulut jooint se
joindre aux Généraux des autres paroisses qui avoient
besoin de cimetière. Cependant, le terrain pour faire ce
cimetière étant désigné, on comprit dans le nombre des
paroisses qui dévoient y inhumer leurs morts celle de
Saint-Laurent. Le Général de celle-cy, qui a toujours été
ennemi des discussions, ne s'y étant point opposé, y a tou-
jours depuis inhumé ses habitants décédés. De là, ce
grand caveau construit dans son église lui est devenu
inutile.
Dans cette circonstance, le Général de la paroisse de
Saint-Laurent, n'ayant pour toute rente fixe que 102 1.
que lui donnent les bancs placés dans l'église, et cette
petite somme n'étant pas, à beaucoup près, suffisante
pour faire face aux dépenses nécessaires à l'entretien
de son église, et désirant par cette raison se créer de plus
grands revenus, ne voyant point d'autre moyen d'y réus-
sir que par la vente de leur caveau en question à quatre
familles différentes pour la sépulture desdites familles
à l'exclusion de toutes les autres », songea à procéder à
la vente de ce caveau. Mais le Bureau de la ville, crai-
gnant les exhalaisons qui pourraient en sortir lors des
inhumations, fit opposition à ce projet qui, malgré un
recours fait au Parlement par le Général de la paroisse,
semble n'avoir pas abouti.
La partie la plus intéressante de l'église de Saint-Lau-
rent est le mur qui fait le fond du transept restant et qui
— 421 —
se prolonge dans le même axe jusqu'à la rue. En l'exami-
nant à l'extérieur, c'est-à-dire dans la cave de l'ancienne
cure, qui la limite au nord, on constate qu'il a été cons-
truit suivant la tradition des Romains, en petit appareil,
avec des chaînons de larges briques.
Au premier abord, on serait tenté de le prendre pour
un mur gallo-romain ; mais ce petit appareil et ces chaî-
nons sont très irréguliers. Au lieu d'être liés par ce qu'on
est convenu d'appeler le ciment romain, ils le sont par
une mauvaise chaux mélangée parfois de terre. Leur soli-
dité a souffert de la mauvaise qualité de ce mélange;
dans plusieurs endroits le mur est boursouflé : il a fallu le
consolider, ainsi que l'étage qui se trouve au-dessus de
cette cave, par d'énormes poutres soutenues par des
piliers de bois plantés exprès dans ce but. Un document
que nous citons plus bas, nous autorise à placer cette
dernière réfection vers 1763.
Ce mur présente des différences frappantes avec le
mur gallo-romain de l'enceinte de Nantes. Pour en juger,
on n'a qu'à le comparer avec la petite partie de cette
enceinte que l'on peut voir actuellement sur le Cours
Saint-Pierre, entre la terrasse de la cure de Saint-Pierre
et l'escalier qui descend de l'angle du Cours dans la rue
Prémion.
Les murs de toutes les terrasses qui régnent entre ces
deux points extrêmes, ont été élevés sur la vieille enceinte
gallo-romaine. Il y a un certain nombre d'années, on en
voyait encore, sur le Cours, le petit appareil ; il a, depuis,
uniformément disparu sous une couche de ciment ; mais
il n'y a, sur bien des points, qu'à enlever cette couche
pour remettre cet appareil à jour : ce qui serait, pour les
Nantais, une grande curiosité.
Pour ces différentes raisons, nous ne croyons pas que
le vieux mur conservé par l'église Saint-Laurent remonte
à la bonne époque Romaine: il nous semble que jamais
les Romains n'ont aussi mal bâti. Nous nous croyons
plutôt en présence d'une construction faite à une époque
— 422 —
où tous les arts étaient en décadence. Les maçons qui
ont élevé ce mur avaient sous les yeux des modèles
qu'ils cherchaient à reproduire. La vue des murs gallo-
romains leur inspirait la pensée de les imiter : mais leur
imitation était grossière, inintelligente ; au lieu de poser
de temps en temps, comme de nouvelles assises, ces
cordons de larges briques qui donnaient de la solidité au
mur, en contribuant extérieurement à sa décoration, ils
les inséraient ici ou là sans discernement.
Tout en cherchant à reproduire d'une façon quelcon-
que l'extérieur des murs gallo-romains, ils avaient perdu
le secret du mortier qui en liait les parties. De là, le peu de
solidité de notre mur qu'il a été facile de traverser avec
un manche de pelle de part en part en son épaisseur de
80 centimètres ; de là, la nécessité dans laquelle on s'est
rencontré de l'étayer, ainsi que les poutres qui y sont
engagées, avec ces nombreux piliers.
A tout examiner, on se peut se demander si ce vieux
mur n'est pas du Xe siècle, et s'il ne date pas de la recons-
truction de l'église Saint-Laurent après le départ des
Normands.
On peut juger de l'état dans lequel se trouva alors la
ville de Nantes par celui de la Cathédrale. Quand Alain
Barbe-Torte, vainqueur des Normands, s'y présenta
après sa victoire, les abords en étaient obstrués par des
ronces, la toiture disparue, les murs en ruines.
S'il en était ainsi de la Cathédrale, que penser des
églises moins importantes ?
Dans la reconstruction qu'ils en entreprirent alors, les
Nantais surent remployer les matériaux que les démoli-
tions précédentes mettaient à leur disposition. Ainsi
s'expliquerait le remploi de ces petites pierres et de ces
grandes briques qui avaient appartenu à' des édifices plus
anciens et ruinés.
Quoi qu'il en soit, la vue de ce vénérable mur a inspiré
à la Société d'Archéologie la penséede pratiquer sur ce
point des fouilles qui ont donné un certain résultat. On a
— 423 —
trouvé des briques romaines, des tuiles à rebord, des
dallages en ciment romain. Tout prouve qu'il y a eu dans
cet endroit des constructions qui remontent aux premiers
siècles historiques de Nantes.
Pour donner notre opinion personnelle sur ces fouilles,
nous croyons qu'il y avait là, antérieurement au vne siè-
cle, une construction sur la nature de laquelle les don-
nées recueillies jusqu'ici ne projettent qu'une lumière
insuffisante. L'existence de cette construction nous est
révélée, par la rencontre en certains endroits, d'un vieux
dallage où l'on trouve de vrai ciment romain.
Sur cet emplacement a été construite la très ancienne
église de Saint-Laurent. Aucun document écrit ne permet
d'en assigner l'existence à cette époque lointaine, mais de
nombreuses considérations, trop longues à développer ici,
ne nous laissent aucun doute sur ce point.
Cette église devait présenter une forme rectangulaire,
et cette forme a été respectée lorsque, d'après notre avis,
après les invasions Normandes, on a reconstruit le mur
qui nous occupe et qui, autant qu'on en peut j uger par l'état
des lieux, avait pour parallèle lemurremplacéaujourd'hui
par le mur septentrional de l'hôtel Marion de Beaulieu.
Dans cet espace rectangulaire, au xive siècle, lors de la
construction de la dernière église de Saint-Laurent, on a
inscrit une croix dont le transept a utilisé pour ses deux
fonds le mur de l'église précédente, laissant vagues les
quatre coins qui restent d'un rectangle quand on y
inscrit une aire cruciforme qui occupe tout le milieu du
rectangle dans sa longueur et dans sa largeur. §y ^| % f.
Cette reconstruction de l'église a été faite sous Charles
de Blois, mort en 1364. Nous voyons, en effet, par le pro-
cès de sa canonisation, qu'il fournit le bois qui fut alors
employé (1).
(1) « Ad reedificandum Ecclesiam S. Laurenlii Nannet. dédit de
nemoribus suis usque ad valorem LXXX regalium auri». D.Morice,
Histoire de Bretagne. Preuves,*t. il, col. 8. D'après Travers, t. i,
p. 436, le royal or fin de 63 au marc était à 20 sols en 1360 et 1364.
— 424 —
Fournier, dans son Histoire lapidaire de Nantes, a
donné le texte, d'une inscription qui place en 1356 la
construction de l'église de Saint-Laurent, et d'autres
auteurs ont répété ce renseignement (1). Le texte de l'ins-
cription n'est pas plus authentique que celui de beaucoup
d'autres inscriptions données par cet ouvrage. Mais la
date de 1356 peut être exacte : Fournier l'a empruntée à
Ogée (2), qui avait pu la trouver dans des documents
disparus.
L'église de Saint-Laurent a subi quelques remanie-
ments au xviie et au xvme siècles.
En 1663, les paroissiens de Saint-Laurent voulurent
obliger les bénéficiers de la Cathédrale qui avaient leurs
maisons dans la paroisse à contribuer aux réparations
et augmentation de leur église. Le Chapitre répondit
d'abord que ces bénéfices avaient pour paroisse la Cathé-
drale, qu'ils y étaient attachés par leur service, et que
c'était de la Cathédrale que l'on partait processionnelle-
ment pour leur administrer les derniers sacrements.
Cependant, par sa délibération du 4 septembre 1671, il
voulut bien consentir à donner « par gratification, la
somme de 200 livres », pour aider les paroissiens à faire
ces réparations. (3)
Dans la seconde moitié du xvme siècle, le recteur,
M. Gallouin, fit aussi à son église d'importantes modifi-
cations. Le 2 avril 1773, il demanda au Chapitre, des
(1) Voici ce texte tel que le donne Fournier (t. i, p. 167), qui dit
l'avoir tiré « d'une pierre calcaire détruite avec l'église ».
L'an M CCC. LVI
Charles, Comte de Blois,
Duc de Bretagne,
fait rétablir cette église,
ruinée pendant les derniers
sièges de Nantes.
Ce texte, à un ou deux mots près, a été reproduit par Mellinet.
La Commune et la Milice de Nantes, t. i, p. 253.
(2) Ogée. Dictionnaire historique et géographique de Bretagne,
\rt. Nantes. Edition de 1845, t. n, p. 121.
(3) Archives du Chapitre : Délibération du 25 avril 1663 (A 47,
f° 103) et du 4 septembre 1671.
- 425 —
reliques pour placer dans' les reliquaires qu'il faisait
mettre sur l'autel. (1)
C'est probablement à l'un de ces travaux de réfection
que le portail et quelques autres parties de ce qui reste
doivent d'avoir perdu leur caractère ogival du xive siècle.
L'église de Saint-Laurent était limitée au nord et à
l'est par le presbytère de la paroisse. Celui-ci s'étendait
de l'impasse Saint-Laurent jusqu'au cours Saint-Pierre.
En voici la description, d'après le procès-verbal de pri-
sage, fait le 3 décembre 1790 :
Ladite maison est bornée « à l'orient, le cours des
Etats ; au midi, l'église Saint-Laurent et jardin du béné-
fice de la Chantrerie ; à l'occident, la rue de la Trésorerie ;
au nord, la maison des sacristes de Saint-Pierre ».
La cure est composée de deux bâtiments.
Le premier, affermé à trois locataires, vers occident,
la cave, rez-de-chaussée avec galerie ayant porte sur un
cabinet (attenant à une alcôve), et une ouverture sur
l'église et deux étages. L'encavage des caveaux est sur la
cour, et la porte d'entrée par le dessous de l'escalier qui
dessert les étages supérieurs. Ledit escalier est construit
en bois et en encorbellement au coté nord de la maison
cy-dessus et communique à chaque étage à une galerie
construite en bois...
« A l'orient du précédent corps de logis, est la maison
qu'occupe le recteur, avec un jardin au-devant dominant
le cours des Etats. Ladite maison consiste dans un rez-
de-chaussée, un premier étage avec un second étage dans
lequel sont des chambres en mansarde ; la façade sur le
jardin est décorée de deux avant-corps...
« Le jardin est orné de tonnelles construites en bois et
revêtues de palissades. Dans les angles du jardin, vers la
cour, sont deux pavillons construits en maçonnerie et
couverts en ardoise. »
La superficie du jardin est de 2.380 pieds.
(1) Archives du Chapitre. Délibérations, A 60 f° 139.
— 426 —
On parvient à ce second corps de logis et au jardin par
une cour étroite séparée de la rue de la Trésorerie et de
Saint-Laurent par dos murs à hauteur de clôture ; dans
le mur de cette dernière est pratiqué le portail d'entrée (1).
D'après un titre de 1775, « la plus grande partie du
presbytère est des plus anciennes et a dû subsister long-
temps avant 1641. Lors du procès-verbal fait il y a dix-
huit ans, à la mort du dernier recteur, la plupart des
poutres et autres charpentes étaient pourries : ce qui a
occasionné de grands frais pour le rétablissement et sup-
pose une haute antiquité. »
Il est à croire que c'est alors que l'on a élevé dans la
cave de cet immeuble les piliers ronds en maçonne qui
soutiennent les poutres du plancher.
L'autre partie du presbytère donnant sur le cours était
occupée par le recteur. Elle fut rétablie à neuf par le rec-
teur M. Gallouin, sur un terrain déjà en constructions
qu'il était nécessaire de démolir,à cause de leur vétusté (2).
Les deux immeubles ainsi décrits existent encore : leur
visite permet de juger de la vérité de cette description.
On n'a modifié que leur entrée principale. La démolition
du chœur et de tout le haut de l'église a permis de faire
l'escalier de pierre et les autres constructions qui donnent
dans ce qui esL actuellement une cour.
Le presbytère fut vendu 24.100 livres, le 18 juin 1791,
à la Municipalité, qui avait formé le dessein de faire
déboucher l'impasse Saint-Laurent sur le cours. Par
suite de l'abandon de ce dessein, l'immeuble fut revendu
à des particuliers, le 21 messidor an 3, pour la somme de
86.000 livres. Il est actuellement connu sous le nom de
maison Damourette et se trouve de nouveau confisqué,
ainsi que l'église Sainte-Radegonde, par suite de la loi
de séparation.
Du côté du cours, le jardin du presbytère était limi-
trophe de celui de la Chantrerie. Le passage actuel qui
(1) Archives départementales, série Q, liasse 6,747
(2) Ibidem, G 485.
— 427 —
débouche sur le cours, par une petite porte, ne date que
du xvme siècle. Il a été établi par M. Berthou de Querve-
zio (1), grand-chantre, pour l'usage exclusif de son hôtel.
Précédemment, la douve du rempart de la ville, qui
régnait sur toute cette partie du cours, empêchait toute
issue particulière sur ce point.
Le jardin situé au nord de ce passage était le jardin
haut de la Chantrerie. Entre ce jardin et le chevet de
l'église Saint-Laurent se trouvait un petit endroit autre-
fois vague, dont le grand-chantre ne tirait aucun parti.
Ce dernier l'abandonna aux paroissiens pour en faire une
sacristie, comme nous l'apprend l'acte suivant daté du
9 novembre 1656.
« Sur ce qui a esté représenté par noble et discret messire
Florimond Robin, chanoine de Nantes et recteur de la pa-
roisse de Saint-Laurent dudit Nantes, et par aucuns nota-
bles paroissiens de ladite paroisse, à messire André Barrin,
chantre de l'église dudit Nantes, qu'il y a un petit eral et
emplacement joignant l'église parochialle dudit Saint-Lau-
rent au dessoubs du vitrai qui est au derrière du grand autel
de ladite église, lequel eral est des apartenances du logis de
la Chantrye, et a esté de tout temps vague et inutille,
comme il est encore à présent, remply d'espines et immon-
dices, lequel seroict assez comode pour y bastir un petit
apentif qui serviroit de sacristie à ladite église parochialle,
dans laquelle il n'y en a poinct eu jusques n présent, dont
ledit sieur recteur et prestres qui y vont célébrer le divin
service reçoivent une notable incomodité, n'ayant aucun
lieu particulier pour se préparer à revestir les habits sacer-
dotaux, qu'ils sont obligez prandre devant tout le peuple,
ce qui ne se peut faire avecque la décence requise, et ni a
aucun autre lieu joignant ladite église auquel on puisse esli-
ger et bastir comodement une sacristie qu'audit eral,
requerent lesdits sieur et paroissiens ledit sieur chantre
(îyjean-Olivier Berthou de Quervezio, fils de Jean-Olivier et de
DUe£Françoise Allain, né le 8 novembre 1689, et mort le 26 mai 1777.
Il avait été pourvu de la Chantrerie le 17 février 1731. Il fut aussi
abbé de Pornic.
— 428 —
i
qu'il eust agréable de leur accorder et délaisser par charité
ledit emplacement pour leur servir de sacristie et revestière
et permettre de prendre, et esliger des jours et fenestres dans
la muraille qu'ils feront bastir, à prendre du coing de lad.
église du costé de l'epitre, à la conduire à droite ligne à la
muraille du jardin descendant de la Chantrie, et porter les
eaux et egouts dudit apentif dans la court qui est joignant
ledit emplacement, n'estant pas possible de prendre des
jours ni faire porter l'esgout des eaux dudit apentif par ail-
leurs.
A laquelle requeste verballe ledit sieur chantre désirant
satisfaire, et au préalable s'instruire de Testât dudit eral et
amplacement, il s'y seroict transporté en compagnie dudit
sr recteur et l'auroict trouvé plain d'espines et halliers joi-
gnant d'un costé à la muraille de ladite église parochialle
de Saint-Laurent au dessous du vitrai qui est au derrière du
grand autel, et d'autre costé la muraille du jardin eslevé en
terrasse despendant de la maison de la Chantrye d'un bout,
vers nort, autre muraille du jardin aussy eslevé en terrasse,
despendant du presbytère dudit Saint-Laurent, et d'autre
bout, vers midy, un petit apentif basty dans le bout d'unepe-
tite court qui est au joignant par endroict ledit eral et ampla-
cement, et ayant faict mesurer ledit amplacement il s'est
trouvé contenir 10 pieds de largeur entre les murailles et
jardin de la Chantrye et 15 pieds de longueur entre la mu-
raille ou jardin dudit presbitaire et ledit apentif qui est esle-
vé sur piliers de bois au bout de lad. petite court.
Et auroict recognu et remarqué que ledit eral est tout à
fait inutille au logis de la Chantrye et que l'apentif qui seroict
basty ne pouroict aporter aucune incomodité audit logis ni
à la petite court, vers et sur laquelle il seroict absolument
nécessaire de faire porter les eaux de l'esgout et prendre les
jours et veues dudit apentif. »
Par suite de la donation du grand-chantre, les parois-
siens purent construire une petite sacristie qui recevait
le jour principalement par des verres morts insérés dans
la toiture.
Les dimensions contenues dans cet acte sont de la plus
grande exactitude. Elles nous ont servi à indiquer sûre-
— 429 —
ment l'endroit où il fallait donner le coup de pioche pour
retrouver les fondations du mur du chevet, dont rien
extérieurement n'indiquait la situation.
La paroisse de Saint-Laurent était peu considérable.
Elle était bornée : à l'est par le rempart de la ville, rem-
placé par les murs qui s'étendent le long du cours depuis
la rue Prémion jusqu'à la Cathédrale; au nord par la
Cathédrale, continuée par la place Saint-Pierre; à l'occi-
dent par la rue Saint-Denys, qui limitait le grand archi-
diaconé de Nantes, puis par la rue des Carmélites jus-
qu'au monastère des religieuses de ce nom qui était situé
eh Sainte-Radegonde. De ce point partait une ligne qui
traversaitlarueMathelin Rodier pour aboutirau rempart.
Une si petite étendue ne pouvait être occupée que par
une population peu nombreuse. Un titre de 1775 donne
à cette paroisse seulement 800 habitants.
Comme beaucoup de petites paroisses, elle était pauvre.
En 1597, d'après l'abbé Travers, elle n'avait pour tout
revenu que six livres de rente constituée et se servait de
deux écuelles de terre pour faire ses quêtes, dans l'église,
aux jours de fête (1).
Cette même année, le Bureau de ville ayant décrété
une levée de 2.000 écus sur les habitants, pour les fortifi-
cations de Nantes, la paroisse de Saint-Laurent fut, dans
leur répartition par paroisse, taxée seulement à 145 écus.
Le tableau fait pour « l'esgaii » de cet Le somme, comprend
76 personnes, 49 laïcs et 27 ecclésiastiques. Ces derniers,
à eux seuls, sont taxés à près de 100 écus. La liste ne
comprend que cinq artisans : trois couturiers, un vitrier
et un fourbisseur. Ils sont taxés, ainsi que trois veuves,
à cinq sols, tandis que l'ecclésiastique le moins imposé
l'est à 45. Le reste des laïcs imposés appartient aux clas-
ses libérales, maîtres de la Chambre des Comptes, no-
taires, etc. Le menu peuple reste complètement étranger
à cette imposition (2).
(1) Travers. Histoire... de Nantes, t. in, p. 439.
(2) Archives départementales, G 485.
430
Au xvme siècle, la paroisse avait peine à couvrir les
frais du culte. En 1786, la ferme des bancs ne lui procu-
rait que 101 1. 10 s. et les enterrements que 97 livres.
L'état peu brillant de ses finances imposait à ses mar-
i^uilliers une charge au-devant de laquelle ils ne volaient
pas toujours avec enthousiasme. M. de Monti Pilletière
ayant été nommé marguillier le 31 janvier 1779, il fallut
un arrêt du Parlement pour lui ordonner d'en remplir
les fonctions (1).
Comme M. de Monti avait allégué sa qualité de gentil-
homme pour ne pas être marguillier, on lui répondit que la
paroisse de Saint-Laurent recrutait ses marguilliers sur-
tout dans la noblesse : ce qu'on lui montra en dressant la
liste suivante, où l'on ne trouve en effet que des grands
noms du pays nantais.
1743. Messire René Bernard de la Turmelière.
1744. Ecuyer Berthelot de la Paragère.
1745. Messire de la Barre.
1746. Messire de Trévelec de Kerollivier, ancien Con-
seiller du Parlement.
1747. Messire Godet de Châtillon.
1748. Messire Hubert de la Massue.
1749. Messire de Couëtis des Bretaudières.
1750. Messire Thomas de Biré de Saint-Agnan.
1751. Messire Joseph de la Pommeraye de Kerambart.
1752. Messire Dangui le jeune, ancien Maître des Comptes.
1753. Messire Gouin fin Vivier.
1754. Messire de Monli de Beaulois, père du refusant
d'aujourd'hui.
1755. Messire de Chambelé.
1756. Messire de Vay de la Fleuriais, anc. cons. du Par-
lement.
1757. Messire de Boussineau.
1758. Messire de Biré de la Sénegerie.
1759. N. h. le Page de Lingerville.
(1) Archives départementales, G 485.
431
1760. Messire de Jasson de la Blotière, ancien grand
bailli d'épée.
1761. Ecuyer Jouanaulx, il avait une charge à la cour
et 30.000 1. de rente.
1762. Messire Espivent de la Villeguevray.
1763. Messire de Kervion.
1764. Ecuyer Ffos, américain ; il avait une charge mili-
taire et 25.000 1. de rente.
1765. Messire Bougrenet de la Tocquenaye.
1766. Messire d'Aux, fils, marquis de Villaine.
1767. Messire de Cornulier du Vernay.
1768. Messire de Martel, baron de Rié.
1769. Messire chevalier de Vay.
1770. Messire Danguy de Vue.
1771. Messire Espivent.
1772. Messire de Robineau de Bougon.
1773. Messire de Trevelec, fils.
1774. Messire Le Flo de Tremelo. fils.
1775. Messire de la Barre, fils.
1776. N. h. Guérineau, américain.
1777. Messire de Biré de la Marionnière.
Le recteur tirait peu de ressources de son bénéfice.
Pour les augmenter, dès 1569, on unit à sa cure la chapel-
lenie du Bas-Chemin, et en 1761, un décret épiscopal du
30 janvier lui unit encore la chapellenie de la Richardière,
à la charge pour le recteur d'en remplir les obligations.
Mais la situation de fortune des recteurs vint parfois
au secours de l'indigence de la paroisse. Travers nous
apprend que M. Cassard, son fameux recteur janséniste,
« par ses soins et ses propres dons, mit la fabrique et les
revenus de la cure dans un meilleur état. » (1).
Une délibération du Général de la paroisse peut servir
à justifier ce que dit Travers. Dans cette délibération du
(1) Travers. Histoire., de Nantes, t. ni, p. 439. M. Nicolas Cassard
fut exilé pour son jansénisme à l'abbaye de Saint- Michel-en-1'Herm
et mourut à celle de Saint- Maixent, le 5 octobre 1732. Il était l'on-
cle de Jacques Cassard. l'illustre corsaire nantais.
Soc. ArchéoL Nantes. 29
- 432 —
25 décembre 1721, le recteur, M. Cassard, remet, en effet,
au Général 5.0001. de principal pour l'acquisition de 100 1.
de rente annuelle, à savoir : 1.000 provenant de la fonda-
tion faite par de Jeanne Pélagie de Mazoyer, veChauvet ;
600 de la fondation Nicole Guillard ; 400 de la fondation
Anne Bernard, ve du srBouchaud de la Ramée ; 200 de la
fondation delà dede Chevigné de la Salmondière; et 2.8001.
données par lui, « pour rétablir* et soutenir lesdites fonda-
tions tombées par le franchissement en billets de banque
et la réduction au dernier 50, pour en acquitter les char-
ges... qui consistent à chanter la grand-messe, vêpres et
le salut, aux jours de Pâques, la Pentecôte, la Fête-Dieu,
dimanche dans l'octave, et le salut pendant l'octave du
Saint-Sacrement, l'Ascension, le jour de Saint-Laurent,
l'Assomption, la Toussaint, Noël , la Ciconcision , les
Roys, la Purification, plus deux messes basses par chaque
mois de l'année, le 1 et le 15. » (1).
La générosité de M. Cassard fut dépassée par celle de
M. Julien Gallouin, le dernier recteur de Saint-Laurent.
Il fit à ses frais des réparations importantes dans son
presbytère et dans son église.
« Le recteur actuel, lisons-nous dans un titre de 1775,
riche de patrimoine, a suppléé jusqu'ici à toutes les
dépenses qu'il a fallu y faire, et depuis près de 24 ans
qu'il est recteur, il y a employé plus de 14.000 livres de
son argent. C'est un fait que personne de la paroisse
n'ignore et dont l'évidence saute aux yeux de tous ceux
qui ont vu l'église toute délabrée et manquant générale-
ment de tout avant lui, et qui la voyent aujourd'hui
bien entretenue et dans la plus grande propreté (2) ».
On comprend la douleur que dut éprouver ce véné-
rable recteur quand, parvenu à l'âge de 69 ans, la Révo-
lution lui enleva son église restaurée à ses frais, et le chas-
sant d'une paroisse dont il était curé depuis 30 ans passés,
(1) Archives départementales, G 484»
(2) Archives départementales ,G 485.
- 433 —
ne lui laissa d'autre liberté que de choisir le lieu de son
exil.
La peine que les paroissiens avaient à entretenir leur
église, poussa quelques-uns d'entre eux à demander sa
suppression et son annexion à la Cathédrale. Le 11 mai
1759, le Chapitre nomma, en effet, deux de ses membres
« commissaires pour entendre les propositions que font
quelques paroissiens de la paroisse de Saint-Laurent, ten-
dante à demander la suppression de leur église parois-
siale et que le service en soit transféré et fait à la Cathé-
drale. » (1) L'assemblée générale de Saint-Laurent dut
délibérer sur ce sujet le 20 mai suivant. Nous ignorons ce
qu'il y fut décidé. Mais comme M. Gallouin fut nommé
cette année recteur de la paroisse, on peut attribuer
l'abandon de ce dessein à son activité et à sa générosité.
Du reste, ceux de ses paroissiens trop pressés qui
rêvaient en 1759 de la suppression de leur église n'eurent
qu'à se laisser vivre jusqu'en 1790 ; ils purent voir alors
la réalisation de leurs vœux. Le 6 octobre de cette année,
un arrêté du Directoire du Département supprima les
paroisses de Saint-Jean, de Saint-Laurent, de Sainte-
Radegonde et Notre-Dame, et en forma la paroisse Saint-
Pierre. Mgr de la Laurencie protesta contre cet arrêté qui
émanait exclusivement de l'autorité civile. Mais ce que
cette mesure avait d'anti-canonique a été depuis légalisé
par le Concordat.
v L'histoire locale n'a guère enregistré qu'un fait remar-
quable dont l'église Saint-Laurent ait été le théâtre : la
réunion, en 1105, d'une assemblée de hauts dignitaires
ecclésiastiques, réunion que l'abbé Travers a qualifiée de
concile. On y vit, avec l'évêque de Nantes Benoît, Raoul,
archevêque de Tours, Morvan, évêque de Vannes, Alde-
bert, évêque du Mans, le célèbre Marbode, évêque de
Rennes, Benoît, évêque de Quimper, Judicael, évêque
d'Aleth ou Saint-Malo, Guillaume, abbé de Saint-Florent,
(1) Délibérations du Chapitre, A 63, f° 172 v°.
- 434 —
Lambert, abbé de Saint-Nicolas d'Angers, Justin, abbé
de Redon, Brice, abbé de Vertou, et Foucher, abbé du
Saint-Sépulcre de Beaulieu.
Il y avait là évidemment tous les éléments d'un con-
cile provincial. Mais cette réunion d'évêques et d'abbés
eut lieu dans l'église de Saint-Laurent le 17 des calendes
de février, c'est-à-dire le 16 janvier 1105. Or, lecartulaire
de Redon parle d'un concile de Nantes qui eut lieu cette
même année, mais le second des ides de mai, c'est-à-dire
le 14 mai. On peut se demander s'il y a eu vraiment deux
conciles à Nantes en cette année, ou si tous ces prélats ont
fait, dans notre ville, un aussi long séjour. Il est vrai que
l'abbé Travers a placé la réunion du 16 janvier en 1106,
et son autorité en a parfois imposé à ceux qui ont eu à
parler de ce concile de Nantes. Il pouvait alléguer que,
par la réduction du style ancien en style nouveau, le 16
janvier 1105, date de notre charte, correspond au
16 janvier 1106 : mais les autres notes chronographiques,
telle que l'épacte et l'indiction, mentionnées dans cette
charte, ne permettent pas cette réduction, et l'acte, par
suite, est parfaitement daté (1).
Quoi qu'il en soit, l'église Saint-Laurent ne revit
jamais une assemblée aussi vénérable, et son existence
se passa obscurément au service de ses paroissiens, allant
jusqu'à leur ouvrir son sol pour les recevoir après leur
mort.
C'est ainsi qu'elle reçut les restes de Mathelin ou Ma-
thurin Rodier, l'architecte de la Cathédrale et du Château
de Nantes (2). Il y était allé rejoindre sa femme, Edeline
Ponset, et attendait la résurrection près d'elle, dans cet
(1) « Datum Nannetis in Ecclesia S. Laurentii, xvn Kalendas
februarii, Lima xxvii, Epacta ni, concurrente vi. lndict. xn.
anno ab Incarnatione Domini M C V. » D. Morice, Preuves, t. I,
p. 509 : Cf. Travers, UisL. de Nantes, t. I, p. 233, et Art de véri-
fier les dates, p. 23.
(2) Nous avons publié une partie de son testament dans notre
étude sur « Un architecte de cathédrale au xve siècle » parue
dans le Bulletin de la Société d'Archéologie en 1899.
— 435 —
endroit si bien choisi, entre les deux monuments remar-
quables que Nantes doit à son talent.
Deux fois chaque année, en exécution d'une fondation
qu'il avait faite en faveur de la société des chapelains de
Saint-Guillaume, ces derniers se rendaient procession-
nellement de la Cathédrale à Saint-Laurent, prier sur la
tombe des fondateurs, au jour de leur anniversaire, et
entretenaient ainsi leur souvenir toujours vivant.
Ni la fondation, ni les restes du grand architecte nan-
tais n'ont trouvé grâce devant la Révolution. L'église
ayant été vendue, comme bien national, 24.000 livres, le
21 messidor an III, un des premiers soins de l'acquéreur
a été de demander, le 3 thermidor suivant (1), à la Muni-
cipalité de Nantes, l'autorisaiton de transporter au cime-
tière de la Bouteillerie tous les ossements conservés dans
ce sol bénit.
Au cours de fouilles faites par la Société d'Archéologie,
nous avons pu constater que cet acquéreur a bien ratissé
tous les ossements de ces pauvres chrétiens, et qu'il n'en
est échappé que quelques-uns à cette profanation.
L'église de Saint-Laurent rappelle aussi un souvenir
qui doit être cher aux amis de Victor Hugo. C'est là que
sa mère, Sophie-Françoise Trébuchet, a été baptisée, le
19 juin 1772 (2). Le poète a dit à tort que sa mère était
« vendéenne » : c'est Nantaise qu'il eût dû dire pour être
exact. Mais ne le chicanons pas pour ce mot.
Quoi qu'il en soit, c'est peut-être à cette circonstance
que l'église Saint-Laurent de Nantes devra d'être un jour
plus connue des étrangers, et de voir peut-être ses hum-
bles restes reproduits dans des ouvrages destinés à rappe-
ler tout ce qui, de près ou de loin, touche à Victor Hugo.
La cure de Saint-Laurent était à la présentation du
(1) Archives municipales. Délibérations, f° 40.
(2) Cet acte de baptême a été publié par M. S. de la Nicolière
Archives Municipales de la ville de Nantes, GG 149, t. n, p. 310. On
lira avec un vif intérêt, sur Françoise Trébuchet, l'étude que lui
a lui a consacrée M. Dominique Caillé.
— 436 -~
chanoine de la Cathédrale, titulaire de la cinquième pré-
bende sous-diaconale (1).
Voici les noms de ses recteurs, que nous avons pu rele-
ver dans des actes divers :
Hugo, capellanus S. Laurentii, v. 1128.
G., capellanus S. Laurentii, v. 1277.
Guy de Vieillevigne, 1384.
D. Guillaume Pailluczon, 1400.
Guil. Recoursaut, chne de Notre-Dame, 1441 ;l 170.
Jean Recoursaut, neveu du précédent, 1478.
Pierre Apvril, 1491.
Pierre Le Mareschal, 1498.
Guil. Gralan, 1502.
Jeh. Le Tort, f 1539.
Jul. Morin, 1539.
Jacq. de la Tullaye, f 1549.
Nie. Poupart, 1549- . '
Jeh. Bricard, 1563.
Jean Paigeaud, -1564.
Jean Hervouet, 1564-1574.
Clément Boursier, 1574.
Berthelemy Ridier, 1574fl597.
François Binaud, 1597fl611.
Jean Lohier, 1611-1615.
Lancelot Texier, 1615-1623.
Jean Aillery, 1630fl635.
René Chollet, 1635fl653.
Floiimond Robin, chne, 1653-1680.
Franc. Robin, chne, 1680-
Vincent Juffrineau, 1687fl694.
Henri-Ch. du Moulin Henriet, 1694-1698.
Nicolas Cassard, 1698fl732.
Nicolas Quesson, 1732-1759.
Julien Gallouin, 1759-1790.
(1) V. notre étude sur * Le Chapitre de l'Eglise de Nantes», p. 19.
— 437 —
Fondations desservies dans l'église de Saint-Laurent
1. Chapellenie du Bas-Chemin. Fondée à l'autel de
Notre-Dame, le 24 septembre 1464, par Me Guillaume
Lesné, clerc de Nantes, avocat en cour d'église, inhumé
dans la nef de l'église de Saint-Laurent.
Le fondateur lui assigne pour fonds le «Bas-Chemin »,
en Saint-Donatien, et des rentes sur une maison de la rue
de Verdun, aujourd'hui rue de la Commune.
Elle était à la présentation du recteur et fut réunie à la
cure par l'évêque Philippe du Bec, le 9 décembre 1569.
Depuis cette annexion, ce bénéfice s'est aussi appelé « Le
petit Saint-Laurent ».
Un titre de 1683 place la maison du Bas-Chemin, autre-
ment appelée tenue Lucas Trochu, sur le chemin de
Nantes à Portric et à Carquefou, entre les terres de la
Censive, du Chapitre et du Plessis-Tizon. La tenue du
Bas-Chemin ou du Petit-Saint-Laurent était affermée
120 1. en 1733, 140 1. en 1777, 200 1. en 1775. Le temporel
du « Légat du Bas-Chemin », comprenant la borderie du
Bas-Chemin et de la Petite-Brehaudière, fut vendu
28.000 1. le 30 décembre 1790 (1).
La fondation était primitivement de trois messes par
semaine.
2. Chapellenie de la Richardière. Fondée par Guillaume
Lesné, en 1464, en même temps que celle du Bas-Chemin.
Le fondateur lui assigne pour fonds « la Richardière », en
Saint-Donatien, terre qu'il avait acquise de Thomas de
la Richardière, et que d'autres titres disent située sur
l'Erdre, à une lieue de la ville.
Elle était à la présentation du recteur et fut unie à la
cure par lettres patentes du roi, données à Versailles au
mois d'avril 1761, sur décret épiscopal du 30 janvier pré-
cédent.
(1) Archives départementales, G 483 et série Q. Cf. Archives du
Chapitre, Délibération du 28 octobre 1569.
— 438 —
Ce bénéfice était primitivement chargé de trois messes
par semaine. Son temporel comprenait un droit de tiers
sur des vignes au village des Coufins. Ce droit fut vendu
15.700 1. le 9 avril 1791 (Arch. départ., G 483 et
série Q).
3. Chapellenie de Me Guillaume Recoursaut, chanoine
de la collégiale et recteur de Saint-Laurent, fondée par
son testament du 3 septembre 1479.
La fondation est de deux messes, l'une le dimanche.
au grand-autel, aussitôt après la grand-messe; l'autre le
vendredi, à un autel qu'on doit construire près du grand,
du côté de la Chantrerie ; à la présentation du recteur et
des paroissiens. (Arch. départ., H 225).
4. Chapellenie saint Jacques, saint Samson et saint
Antoine, fondée le 8 mars 1474, par testament de Raoul
Moreau, scholastique de l'église de Nantes, desservie à
l'autel saint Jacques, saint Samson et saint Antoine.
En 1638, elle était desservie d'une messe à l'autel de
sainte Catherine et jouissait de 42 liv. de rente sur des
logis de la ville, au Pilori, près de Sauvetout et à Riche-
bourg. (Arch. départ., G 484.)
5. Chapellenie fondée par Jean Andillanarech, à l'autel
de saint Christophe, dans la chapelle contiguë à l'église
paroissiale. « Ad altare B. Christophori, in capella conti-
gua ecclesie parrochiali S. Laurentii Nannetensis.
En 1475, elle était à la présentation de Pierre et Jean
les Colins, enfants de Robert et de Perrine Andillana-
rech, fille dudit Jean. Yves Cocheteau, recteur de Bona-
ban, diocèse de Dol, l'échangea avec Jean Colin pour sa
cure (Arch. du Chapitre, A 139).
6. Trois légats, fondés par Guillaume Trochu et dotés
par lui, en 1520 et 1522, d'une rente de 10 1. 10 s. sur la
Cormeraye en Monnières, possédés en 1589 par Nicolas
Trochu. (Arch. départ., G 483).
— 439 —
7. Chapellenie N.-D., fondée par noble maître Alain
Mandart, auditeur de la Chambre des Comptes, greffier
du Conseil et de la Chancellerie du Duché, seigneur de la
Marière et de la Botière, par testament du 3 juillet 1536.
Il demande dans ce testament à être inhumé à Saint-
Laurent, devant l'autel N.-D. ; on lui dira mille messes,
« un trentain solennel, ainsi qu'est de bonne coustume. »
Cette chapellenie, à la présentation du recteur et des
fabriqueurs, était primitivement de deux messes par
semaine, puis fut réduite à une, et, le 12 janvier 1665,
vu la modicité de son revenu, qui n'était que 25 1. 18 s.,
elle fut de nouveau réduite à une messe tous les quinze
jours.
Son temporel consistait en différentes rentes assignées
par son fondateur sur des maisons sises à la Fosse, au
carrefour Saint-Denis, rue de Briord et en Saint-Laurent.
(Arch. départ. G 484).
8. Chapellenie du Vieil Crucifix, fondée de 12 messes
par an au grand-autel ; à la présentation de l'Ordinaire :
revenu de 8 1. sur un logis de la ville et vignes en Saint-
Donatien; mentionnée en 1638. (Arch. départ., G 47,
f° 39.)
9. Chapellenie des Leçons ou de Sainte-Marguerite,
fondée à l'autel de Notre-Dame (1639) ; de Sainte Mar-
guerite (1650). Le chapelain devait désigner les chanoines
ou les choristes qui avaient à lire les leçons à l'office, et
remplacer les choristes en leur absence.
A la présentation du plus ancien chapelain du côté
gauche ou du côté du nord. Le temporel consiste dans
une maison, dite des Leçons, rue des Carmélites, bornée
au midi par la maison des Trois-Maries, au nord par celle
de la Sous-Chantrie. (Arch. du Chapitre, A 47, 199).
10. Une messe tous les mercredis, autel de N.-D., fon-
dée par les Moquards, mentionnée en 1638, et dotée d'une
rente de 25 1. payée par les fabriqueurs.
— 440 -
11. Une messe basse le samedi à 11 heures, autel de
N.-D. Fondée le 6 septembre 1706 par messire René le
Marié, sgr de la Garnison, Cons. du Roi, Maître ordinaire
et doyen de la Chambre des Comptes, demeurant en son
hôtel de la Ville-Eon, rue de Saint-Gildas, en Saint-Lau-
rent, et dame Catherine de Santo-Domingue, son épouse;
avec deux services le jour de leur mort. Mariés le 4 mai
1658, les fondateurs moururent, le premier le 19 août
1706, la seconde le 28 juillet 1729.
La fondation était de 1001. de rente, payées en 1724,
la moitié par M. de la Rastardière du Fouay, chanoine de
N.-D. et consorts, et madame de la Forest-Ninon (de
Quimper), héritiers du sr de la Garnison ; et moitié par
M. de la Rouvraye, Madame du Rois Ridé et la famille de
Santo-Domingue ; et en 1766, par de Julie-Marie d'Espi-
nose, veuve de messire Hilarion du Rochier, sgr du Letier,
héritière de d« Guyonne de Santo-Domingue, sa mère
héritière en partie de de Catherine de Santo-Domingue.
12. 24 messes basses par an, fondées par de Jeanne-
Pélagie de Mazoyer, veuve Chauvet, décédée avant 1721.
13. Un service anniversaire pour de Perrine Molay,
de de Grilleau.
En 1721, le revenu était de 20 livres, assis sur une mai-
son de la Grand'Rue, vis-à-vis la rue des Carmélites. Sur
ces 20 1., 17 étaient allouées à l'entretien de la lampe, et
3 pour le service. La fabrique jouissait, en outre, d'une
rente foncière de 10 livres, assise sur le village et tène-
ment de la Macre, autrement Reautour, en Vertou. Cette
rente lui avait été assignée le 25 février 1691 par « dame
Marie-Françoise Gabard, ve de messire de Monti, inhumé
proche les fonts baptismaux de cette église. » Les parois-
siens lui avaient concédé, en retour le droit d'avoir « une
pierre tombale de cuivre armoyée de ses armes et sur
laquelle il sera escript en grosses lettres :
« Cy-gist le corps de messire Charles de Monti, vivant
441
chevallier, seigneur de la Maillardière, la Rousselière, de
Monti et autres lieux, décédé le cinquième janvier 1691,
aagé de 48 ans. Priez Dieu pour son âme. » (1).
G. DURVILLE.
Nota. — Le plan qui accompagne cette étude a été
dressé par M. J. Furret, architecte, membre de la Société
Archéologique, d'après les plans de Nantes au XVIIe siè-
cle, rectifiés par les découvertes survenues au cours des
fouilles faites par la Société d'Archéologie en décem-
bre 1908.
(1) Archives départementales, G 483. Pour les autres sépultures
faites dans l'église de Saint-Laurent ainsi que pour tous les
autres actes de mariage ou de baptême, on peut consulter les
registres de la paroisse, conservés aux Archives municipales
liasse GG 137 et suivantes. Ces registres remontent à 1565.
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M. Edouard PIED
NECROLOGIE
Monsieur Edouard PIED
Messieurs et chers Collègues,
Un deuil cruel est venu frapper la Société d'Archéolo-
gie dans la personne de son dévoué trésorier, M. E. Pied.
M. Pied n'était point Nantais d'origine, il était né à
Saint-Omer, mais dès le début de sa carrière administra-
tive, il avait été appelé à Nantes comme second commis
d'économat. Il ne conserva ce poste que peu de temps,
il fut bientôt nommé premier commis à Coutances, puis à
Vanves.
C'est au lycée de Vanves, pendant les années 1870 et
1871, qu'il sut déployer toutes ses qualités administra-
tives. Resté seul dans ce lycée confié à sa garde, il montra
à ce poste de combat, particulièrement dans les premiers
mois de 1871, un courage et une fermeté qui lui valurent
un peu plus tard d'être promu économe du lycée de Saint -
Brieuc. Il n'avait alors que 34 ans. Il ne quitta plus dès
lors sa chère Bretagne, qu'il aimait d'une affection quasi
filiale. Deux ans après, nous le retrouvons à Rennes, où il
reste 13 ans.
Il a laissé dans cette ville des souvenirs inoubliables,
non seulement comme économe du lycée, mais comme
archéologue et numismate. C'est à lui qu'on doit l'inven-
- 444 -
taire de la célèbre trouvaille monétaire faite lors de la
construction de la Préfecture. Intimement lié avec le
regretté M. Decombes, conservateur du Musée de Rennes,
il l'aida de ses conseils et de son expérience lors de la réor-
ganisation du Musée archéologique de cette ville.
Nommé économe à Nantes en septembre 1887, il se fit
aussitôt inscrire (2 janvier 1888) parmi les membres de
notre Compagnie, dont il suivit les séances avec ponctua-
lité et assiduité, donnant déjà, malgré ses absorbantes
fonctions administratives, des travaux fort remarqués
sur notre vieux Nantes, qu'il apprenait à connaître et
dont il devint plus tard l'historiographe.
A la mort de notre regretté trésorier, M. Riardant, en
1902, le choix de ses collègues se porta immédiatement
sur lui, et vous savez tous quel esprit éclairé, quel savoir,
quelle expérience en affaires il* apporta dans la gestion
de nos finances et au sein de notre Comité. La reconnais-
sance de ses collègues ne lui fut point ménagée, et à
chaque renouvellement du Rureau, l'unanimité des suf-
frages exprimés sur son nom en est le meilleur et le plus
sûr témoignage.
Entre temps, il prenait sa retraite, j'entends sa retraite
administrative, car il continua sa vie de labeur et d'étu-
des. Nos archives départementales et municipales n'eu-
rent bientôt plus de secrets pour lui. De ces longues heures
passées en tête-à-tête avec nos vieilles annales sortit cette
« Histoire des corporations », véritable monument de
science et fruit de patientes recherches. Sa « Notice sur
les rues de Nantes », parue en 1906, témoigne de l'affection
qu'il portait à sa ville d'adoption dont il avait étudié
tous les recoins. A côté de ces œuvres capitales et malgré
les difficultés que présentait un travail aride, ingrat, il
dépouillait nos archives et nos procès-verbaux, en rédi-
geait patiemment les tables, donnant ainsi à ses collègues
et aux travailleurs de tous les pays les moyens de diriger
leurs recherches au milieu des cinquante volumes de notre
« Rulletin ».
- 445 -
Numismate distingué il avait réuni, tant à Rennes
qu'à Nantes, une collection de monnaies romaines dont
nous connaissons tous l'importance et la richesse.
Il assistait encore au mois de juillet dernier à notre
dernière séance trimestrielle et personne ne pouvait se
douter, à ce moment, du mal terrible qui le minait et qui
devait quelques jours plus tard terrasser ce travailleur
infatigable frappé la plume à la main. Aussi sa mort
inattendue a-t-elle surpris tous ceux qui jugeaient de
ses forces par sa puissance de travail, son égalité d'hu-
meur, sa bienveillance souriante, toujours acquise à ceux
qui sollicitaient ses conseils et son appui.
Il laisse dans les rangs de notre Société, un véritable
vide, et dans le cœur de ceux qui l'ont connu et fréquenté
des souvenirs inoubliables et des regrets profonds.
A. Dortel,
Président de la Société Archéologique.
LISTE DES MEMBRES
DE LA
* *
SOCIETE ARCHEOLOGIQUE DE NANTES
ET DE LA LOIRE-INFÉRIEURE
=*te
Soc. Archéol. Nantes.
ABREVIATIONS
Ac. — Académie, académique.
Adj. — Adjoint.
Adm. — Administration, administrateur, administratif
ive.
Agr. — Agriculture, agriculteur, agricole.
Ane. — Ancien, — ne.
A nt. — Antiquaire.
Arch. — Archéologie, archéologique.
Arr. — Arrondissement.
Art. — Artiste, artistique.
Ass. — Association.
B.-A. — Beaux-Arts.
Bibl. — Bibliothèque, bibliothécaire.
Bibl. bret. — bibliophiles bretons.
Centr. — Central, — e.
Corn. - Comité.
Comm. — Commission, commissaire.
Conf. — Conférence.
Cons. — Conseil, conseiller.
Cor. — Correspondant.
Bel. — Délégué.
Dép. — Département, départemental, — e.
Dir. — Directeur.
Ec. — Ecole.
El. - Elève.
Fond. — Fondateur.
Gén. — Général, — e.
Géog. — Géographie, géographique.
Hist. — Histoire, historique.
Hon. — Honneur, honorant'.
Hort. — Horticulture, horticulteur, horticole.
Inst. — Instruction.
D. — bauréat.
Lit. — bittéraire.
M. — Membre.
Afin. — Ministère.
Mun. — Municipal, — e.
Nat. — Naturel, — le.
Prl, v.-prK — Président, vice-président.
Prof. — Professeur.
Pnbl. — Public, — ique.
Secr. — Secrétaire.
Soc. — Société.
Se. — Sciences, scientifique.
Sup. — Supérieur.
Très. — Trésorier.
Chev. — Chevalier.
0. — Officier.
C. — Commandeur.
G. O. — Grand-officier.
G. C. — Grand-croix.
0. 1. — Officier de l'Instruction publique.
O. A. — Officier d'Académie.
Av. — Avenue.
Boni. — - Boulevard.
Ch. — Château.
Imp. — Impasse.
Pass. — Passage.
PL — Place.
R. — Bue.
Q. — Quai.
bes dates qui suivent chaque nom indiquent l'année de la réception.
MEMBRES TITULAIRES
MM.
ALLOTTE de la FUYE (Maurice), O. #, colonel du Génie en
retraite, r. d'Anjou, 2, Versailles (Seine-et-Oise), 1889.
ANGOT (Joseph), m. de la Soc. Ac., r. des Pénitentes, 2
1904.
ARBONNEAU (Henri d'), O. #, commandant du Génie en
retraite, pass. Bonnamen, 2, et Ker-Natacha, la Baule-s/-
Mer, 1906.
AVROU1N-FOULON (le comte Louis), r. S'-André, 102, et ch.
de la Couronnerie, Carquefou, 1892.
BACQUA (Auguste), maire de St-Fiacre, pi. Louis XVI, 1, et
ch. du Coin, la Haie-Fouassière, 1879.
BAGNEUX (le vicomte Zénobe Frotier de), ch. de la Pélis-
sonnière, le Boupère (Vendée), et r. du Bac, 86, Paris,
1885.
BALBY de VERNON (le marquis Georges de), V de la Soc.
arch. de la Loire-Inférieure, m. de la Soc. des agr. de
France et de la Soc. hist. et arch. de l'Orléanais, m. de
la Soc. ariégeoise des Sciences, Lettres et Arts et des
Etudes du Couserans, ch. de la Briais, S'-Julien-de-Vou-
vantes, 1886.
BASTARD (Ambroise), prof., r. de la Rosière, 27, 1906.
BAUDOUIN (le docteur Marcel), r. Linné, 21, Paris, et Croix-
de-Vie, 1904.
BEAUCAIRE (le vicomte Robert Horric de), r. Menou, 13,
1891.
BELLEVÙE (le marquis Xavier Fournier de), cons. gén. de
la Loire-Inférieure, m. de la Comrn. dép., capitaine de
Messieurs les Secrétaires généraux prient leurs collègues de vouloir
bien leur faire connaître les rectifications à apporter à la liste des
sociétaires, et déclinent toute responsabilité pour les erreurs et les
lacunes qu'entraînerait un défaut de communication.
— IV —
cavalerie territoriale, ch. de Moulinroîil, Soudan, et
r. Lesage, 1, Rennes (Die- et- Vilaine), 1895.
BERNÈDE-SACHS (Christian), rue Royale, 1908.
BERTHOU (le comte Paul de), archiviste-paléographe, anc.
él. et m. de la Soc. de l'Éc. des Chartes, m. de l'Ass. bret.,
de la Soc. arch. d'Ille-et-Vilaine et du Com. de la Bibl.
publ., 1' de l'Ac. des Inscriptions et Belles-Lettres et de la
Sôc. arch. de la Loire-Inférieure, ch. de Cadouzan,
Sl-Dolay, la Roche-Bernard (Morbihan), 1884.
BLANCHARD (René), O, I, y, 1' de l'Institut et de la Soc.
arch. de la Loire-Inférieure, secr. et bibl. -archiviste de la
Soc. des bibl. bret., archiviste de la Ville de Nantes, m. du
Com. de la Bibl. publ., r. Royale, 1, 1875.
BLANCHET (le docteur Ferdinand), m. et anc. pr1 de la Soc.
ace, pr1 non. de la Soc. nantaise d'hort., m. de la Soc.
des se. nat. de l'Ouest de la France, de la Soe. art. et litt.
de l'Ouest et de la Soe. de géog. commerciale, r. du
Calvaire, 32, et le Pellerin, 1854.
BOIS de la PATELLIÈRE (Henri du), maire de Sl-Etienne-
de-Mont-Lue, le Perroteau, Sl-Etienne-de-Mont-Lue, 1880.
BOISGUÉHENNEUC (Henri du), r. Colbert, 6, et ch. de la
Rabillardière, Haute-Goulaine, 1903.
BONET (Louis), industriel, anc. v.-pri de la Soc. philatéli-
que, r. d'Alger, 10, 1901.
BOUBÉE (Joseph), r. Bonne-Louise, 10, et eh. de la Meule,
Arthon, 1890.
BOUCHAUD (Adolphe), pi. de la Petite-Hollande, 3, et ch. de
la Bernardière, à S*-Herblain, 1893.
BOUGOUIN (François), architecte, anc. él. de l'Ec. des B.-A.,
m. et anc. pr' de la Soe. des architectes, F de la grande
médaille de la Soc. cent, pour l'architecture privée, 1892,
r. du Calvaire, 10, et r. de Bel-Air, 22, 187<>.
BOUYER, (l'abbé Jules), chanoine bon., anc. missionnaire,
anc. aumônier des Dames Blanches, anc. sup. du Petit-
Séminaire de Guérande, S'-Père-en-Retz, 1880. .
BRAULT (l'abbé Ferdinand), aumônier du Lycée, anc. proi.
de philosophie à l'Externat, r. de Briord, 9, 1900.
BREMOND d'ARS MIGRÉ (le marquis Anatole de), #, licen-
cié en droit, chev. de Si-.Iean-de-Jérusalcm (Malte) et de
S'-Sylvestre, C. de Pie IX, anc. sous-préfet, secr. du Cons.
— V —
gén. du Finistère, pr< du comice agr. de Pont-Aven, cor.
de la Soc. nationale des ant. de France, dél. de la Soc. des
bibl. br., m. de l'Ass. bret., prl du Com. dép. de la Soc. bi-
bliographique, m. de l'Ac. d'Aix-en-Provence, l'un des pr's
hon. du Cons. héraldique de France, m. de plusieurs autres
Soc. savantes, r. Harroùys, 5, et ch. de la Porte-Neuve,
Riec-sur-Bélon (Finistère), 1874.
BRÈVEDENT du PLESSIS (Irénée de), r. Henri IV, 12, 1892.
BROSSE (Gilbert Guillet de la), ch. de la Noé, Orvault, 17, r.
Royale, Nantes, 1907.
BRUC (le comte Maurice de), anc. camérier d'hon. de S. S.
le pape Léon XIII, ch. de Bruc, Candé (Maine-et-Loire), et
r. de Penthièvre, 26, Paris, 1889.
BUREAU (le docteur Louis), O. I. &$, licencié ès-sc. nat.,
dir. -conservateur du Muséum d'hist. nat., prof, d'hist. nat.
à l'Ec. de médecine, cor, du Muséum de Paris, m. du Cons.
de l'Ass. française pour l'avancement des se, m. fond, de
la Soc. zoologique de France, collaborateur adj. à la carte
zoologique détaillée de la France, secr. gén. très, de la
Soc. des se. nat. de l'Ouest de la France, m. du Cons.
centr. de la Soc. ac, r. Gresset, 15, et ch. de la Meilleraye,
Riaillé, 1891.
CAILLE (Dominique), 1' de la Soc. nat. d'encouragement au
bien et de plusieurs Soc. savantes, anc. v.-pr' et m. du
Com. cent, de la Soc ac, anc. secr. de la Soc des bibl.
bret., pi. Delorme, 2, 1904.
CAZAUTET (Constant), boul. Delorme, 24, 1904.
CHAILLOU (Félix), O. I. Q, U de la Soc. française d'arch., de
la Soc", arch. de la Loire-Inférieure et du Comice agr. de
Vertou, anc. prt de la délégation cantonale de Vertou, m.
de la Soc des se nat. de l'ouest de la France, viticulteur,
fond, du Musée des Cléons, q. de la Fosse, 70, et ch. des
Cléons, Vertou, 1885.
CHARON (Georges), O. A. Ç|, négociant-assureur, v.-pr» de
la section nantaise des Hospitaliers-sauveteurs-Bretons,
r. Gresset, 8, 1895.
CHATELLIER (Léon), cons. mun. de Nantes, r. Félibien, 66,
1884.
CHAUVET (André), architecte, anc. él. de l'Ec. des B.-A., m.
de la Soc des Art. Bretons, r. Guibal, 19, 1901.
— VI —
CLERVILLE (Adolphe Jollan de), cons. gén. de la Loire-
Inférieure, m. de la Soc. ac., du Cons. dép. de l'Inst. publ.
et de la Comm. du Muséum, maire de St-Viaud, r. de Bréa,
9, et eh. de la Barrière, Blain, 1902.
CORMERAIS (Emile), industriel, anc. pr> du Tribunal de
Commerce, v.-prl de la Chambre de Commerce, r. de la
Moricière, 10, 1902
CORMERAIS (Ludovic), docteur en tlroit, anc. auditeur au
Cons. d'Etat, anc. cons. de préfecture, secr. du Cons. gén.
de la Loire-Inférieure et de la Comm. dép., maire de Saint-
Philbert-de-Grand-Lieu, dél. de la Soc. française de secours
aux blessés pour la XIe région militaire et de la Soc. des
bibl. bret., v.-pr'du Syndicat des agr., pr* delà Comm. du
Musée Dobrée, m. de la Comm. du Musée arch., boul. De-
lorme, 34, et ch. du Rocher, S'-Philbert-de-Grand-Lieu,
1884.
COTTEUX (Marcel), anc. notaire, expert, Chàteaubriant, 1895.
CROUAN (Jules), 28, r. du Calvaire, 1908.
DANO (C), sous-intendant militaire, r. du Mont-Goguat, 1908.
DELANOUE (l'abbé Armand), curé de S'-Félix, 1905.
DELATTRE (Léon), agent voyer cantonal, r. Stephenson, ll!»îs
Nantes, Doulon, 1906.
DION (le marquis Albert de), député, cons. gén. de la Loire-
Inférieure, v.-pr* de l'Automobile Club, ch. de Maubreuil,
Carquefou, et av. de la Grande-Armée, 46, Paris, 1903.
DORÉ-GRASLIN (l'abbé Rhilbert), r. Dugommier, 7, et ch.
de Loiselinière, Gorges par Clisson, 1906.
DORTEL (Alcide), O. I. Ç|, avocat, cons. gén. de la Loire-
Inférieure, pl de la Soc. ac, anc. secr. de la Soc. des bibl.
bret., m. du Corn, de la Bibl. publ., de la Comm. du Mu-
sée arch. et du Cons. dép. d'hygiène pub., cor. du Min.
de l'inst. publ. pour les travaux hist., rue de l'Héron-
nière, 12, 1889.
DOUDIÈS (Jules), q. de Tourville, 19, Nantes, 1901.
DROUIN (Aristide), entrepreneur, sec. gén. de la Soc. nan-
taise d'Horticulture, m. de la Soc. ac, r. de Rennes, 11, 1907.
DURVILLE (l'abbé Georges), O. A. SQt, chanoine prébende,
anc. aumônier des Augustines, 1' de la Soc. arch. de la
Loire-Inférieure, anc. pr* de la Soc. philatélique, m. de la
Comm. du Musée arch., r. S'-Cléraent, 76, 1892.
— VII —
ESTOURBEILLON de la GARNACHE (le marquis Régis de
1'), O. A. 0, député, cons. mun. de Vannes, cor. de la Soc.
nationale des ant. de France, inspecteur et 1* de la Soc.
française d'arch., fond. dir. de la Revue historique de
l'Ouest, anc. pr> de la Soc. polymatique du Morbihan, v.-
prt de la Soc. des bibl. bret., m. de l'Ass. bret., de la Soc.
des Hospitaliers-Sauveteurs-Bretons et de la Soc. art. et
litt. de l'Ouest, U de la Soc. arch. de la Loire-Inférieure,
pi. de l'Evêché, 10, Vannes (Morbihan), et r. du Havre, 7,
Paris, 1880.
FABRÉ (Xavier), notaire, r. de Saille, Guérande, 1883.
FERRONNAYS (le marquis de la), député de la Loire-Infé-
rieure, cons. gén., maire de Saint-Mars-la-Jaille, ch. de
Saint-Mars-la-Jaille, 1908.
FERRONNIÈRE (Georges), architecte, prof, à l'Université
catholique d'Angers, m. de la Soc. ac, r. Voltaire, 15, 1907.
FILLIAT (André), chirurgien-dentiste des hôpitaux de Nantes
r. Boileau, 11, 1906.
FRANCE (Jules de), titulaire de deux médailles d'hon.
comm.-voyer, r. Charles-Monselet, 30, 1898.
FRESLON (Paul de), r. Malherbe, 8, 1902.
FURRET (Jules), architecte, m. de la Soc. des architectes,
r. Geoffroy-Drouet, 6, 1904.
GOURDON (Maurice), O. I. o. c- <*e l'ordre royal de Charles
III d'Espagne, attaché au service de la carte géologique de
France, r. de Gigant, 19, et ch. de la Haie des Bouillons,
Cordemais, 1900.
GOUSSET (le comte René), avocat, docteur en droit, m. du
Cons. héraldique de France et de l'Ass. des Chev. pontifi-
caux, pi. de l'Oratoire, 14, 1889.
GRAND (Roger), O. A. Q, anc. élève et m. de la Soc. de l'Éc.
des Chartes, avocat, anc. archiviste du Cantal, anc. archi-
viste adj. de la Loire-Inférieure, cor. du Min. de l'Inst.
publ. et de la Soc. nationale des ant. de France, inspecteur
dép. delà Soc. française d'arch., pi. Delorme, 1, et Arradon
(Morbihan), 1903.
GRÉLIER (l'abbé Charles), m. de la Soc. française d'Arch.,
Ecole apostolique, Maison des Missions, à Pont-Rousseau
(L.-L), 1905.
GU1LLON (Léon), la Boucardière, Chantenay-s.-Loire, 1900
— vfii
HALGAN (le docteur Georges), boul. Delorme, 30, 1904.
HOUDET (Joseph), r. de la Rosière, 9, 1900.
HUBERT (Pierre), r. Cassini, 12, 1907.
JOIGNE (le marquis Jacques Leclerc de), député, secr. du
Cons. gén. de la Loire-Inférieure, maire de Juigné-s.-Sarthc,
ch. du Bois-Rouaud, S'-Hilaire-de-Chaléons, ch. de Juigné-
s.-Sarthe, (Sarthe) et r. du faubourg S'-Honoré, 137, Paris,
1906.
KERVENOAËL (le vicomte Emile Jouan de), docteur en
droit, m. de la Soc. française d'arch. et de la Soc. des
bibl. bret., r. Tournefort, 3, et ch. de Boisy-Sourdis, la
Verrie (Vendée), 1886.
LAFONT (Georges), architecte, inspecteur diocésain, anc.
secr. de la Soc. des architectes, prl fond. hon. de la Comm.
des fêtes nantaises, m. de la Comm. dép. des bâtiments
civils, du Cons. dép. d'hygiène publ., de la Comm. du
Jardin des Plantes et du Corn, des Amis des Arts, m.
d'hon. de la Comm. du Musée arch., r. de la Rosière, 1",
1873.
LAGRÉE (Victor), O. #, de l'ordre du Nicham-Iftikar, de
l'ordre royal du Cambodge et du Dragon Vert de l'Annam,
prl de la Section nantaise des Hospitaliers-Sauveteurs-Bre-
tons, capitaine de frégate en retraite, r. Bonne-Louise, 2,
1901.
LASTOURS (Dr Edmond Gauzence de), pi. Dumoustiers, 5, et
ch. de la Mabiterie, Varades, 1907.
LAUZON (Etienne de) cons. d'arr. de la Mothe-Achard, m.
du Cons. héraldique de France, r. Mathelin-Rodier, 19, et
ch. de la Forêt, la Mothe-Achard (Vendée), 1890.
LECORNL\(Alfred), O. A. Q , architecte retraité de la Ville
de Paris, r. du Général-Bedeau, 2, et ch. de Kerlocdulec,
St-Marc, en S»-Nazaire, 1900.
LE COUR-GRANDMAISON (Henri), #, sénateur, cons. gén.
de la Loire-Inférieure, anc. secr. de la Comm. dép., maire
de Campbon, pr' de la Soc. des courses, r. de Bréa, 2, ch.
de Coislin, Campbon, et r. de l'Université, 71, Paris, 1887.
LEGRAND(Paul), secr. régional de La Province pour la Vendée,
r. Royale, 14, et la Benate par S'-Etienne-de-Corcoué, 1905.
LERAT (le docteur Fernand), O. I. O, prof, à l'Ec. des se. et
des lettres, anc. chef des travaux anatomiques à l'Ec. dç
— IX —
médecine, m. delà Comra. du Muséum, anc. m. ad], du Cons.
dép. d'Hygiène publ., r. Thiers, 4, 1900.
LEROUX (Alcide), avocat, m. et anc, pn de la Soc. ac, m. de
la Soc. française d'arch. et de l'Ass. bret., av. Camus, 34,
etS'-Germain, Langonnet (Morbihan), 1877.
LESIMPLE (l'abbé Jean -Baptiste), aumônier des Dames
Blanches, r. de Gigant, Nantes, 1903.
LINYER (Louis), ^, avocat, bâtonnier, m. du Cons., prof, à
l'Ec. libre de droit, anc. adj. au maire de Nantes, m. du
Corn. cent, et anc. pr4 delà Soc ac, prl fond, de la Soc. de
géog. commerciale, m. de la Soc. française d'arch., de la
Soc. art. et lit. de l'Ouest et de la Soc. des Amis des Arts,
r. Paré, 1, ch. de la Jubinière, Héric, et ch. du Veillon,
Talmont (Vendée), 1877.
LISLE du DRENEUC (Georges de), av. Félix-Faure, 28, 1901.
LISLE du DRENEUC (le vicomte Pitre de), 0. A. 0, 1' de la
Soc. française d'arch. et de la Soc. arch. de la Loire-Infé-
rieure, conservateur et m. d'hon. de la Comm. du Musée
arch., conservateur du Musée Dobrée, cor. du Min. pour
les travaux hist., m. de la Comm. des monuments hist.
et des mégalithes de France, du Com. des B.-A. des dép. et
de la Soc. des ant. de France, auxiliaire de la Comm. de
géog. hist. et des mégalithes de France, m. du Com. de la
Bibl. publ. et de la Com. du Musée des B.-A., av. de l'Épe-
ronnière (r. de Paris, 63), 1872.
LONDE (Joseph Senot de la), docteur en droit, maire de
Thouaré, r. Mathelin-Rodier, 6, et ch. de la Picauderie,
Thouaré, 1887.
LOTZ-BRISSONNEAU (Alphonse), ingénieur des arts et
manufactures, v.-prt de la Soc. des Amis des Arts, m. de
la Comm. du Musée des B.-A. et du Com. de la Bibl. publ.,
adm. du Bureau de bienfaisance, q. de la Fosse, 86, 1898.
LYONS (Just des), av. Camus, 11, et ch. de Belleroche,
Rocheservière (Vendée), 1905.
MAILCAILLOZ (Alfred) O. A. 0. chef du contentieux de la
mairie de Nantes, anc. secr. perpétuel de la Soc. ac, r.
Général-de-Sonis, 7, 1901.
MAITRE (Léon), O. I. Q, archiviste-paléographe, anc. él. et
m. de la Soc. de l'Ec. des Chartes, archiviste du dép., m.
du Com. des travaux hist. et se près le Min. de l'inst. publ.,
anc. pr' delà Soc. ac, anc v.-pr' de la Soc. de géog. com-
merciale, r. de Strasbourg, 2, 1870.
MARTIN (Arthur), 0. %, capitaine de vaisseau en retraite, r.
Gurvand, 32, Rennes (Ille-et-Vilaine), 1895.
MICHEL (Gaston), Jftî, ingénieur de la Ville, m. de la Connu.
des bâtiments civils, r. de la Rosière, 28, 1901).
MIRALLIE (le docteur Charles), anc. interne des Hôpitaux de
Paris, médecin des Hôpitaux de Nantes, prof, de médecine
légale et d'hygiène à l'Éc. de médecine, r. Copernic, 11, 1900.
MONTI de REZE (Claude de), chev. de S'-Grégoire le Grand,
cons. d'arr., m. du Cons. d'adm. de la Revue historique de
l'Ouest, du Cons. de la Soc. des bibl. bret, m. de la Soc.
française d'arch., du Cons. héraldique, de la Soc. d'émula-
tion de la Vendée, q. Ceineray, 3, et ch. du Fief-Milon,
Le Roupère (Vendée), 1883.
MONTI de REZE (le comte Henri de), cons. comm. de la Soc
française de secours aux blessés, r. de Strasbourg, 31, et
ch. de Rezé, près Nantes, 1880.
MOUILLÉ (l'abbé J.-M.), prêtre de-Saint-Sulpice, anc. dir. du
gr. séminaire de Nantes, aumônier de la Providence, 9, r.
Lorette-de-larRefoulais, 1908.
NAU (Paul), architecte, pr' de la Soc. des architectes, m. de
la Comm. du Musée arch., r. Lafayette, 16, et ch. de Port-
Sinan, Rouans, 1865.
NAU (Joseph), architecte, m. de la Soc. des architectes,
pi. Edouard-Normand, 3, 1905.
NOURY (Edouard), r. Sully, 2, 1905.
OHEIX (André), la Ville-aux-Veneurs, Loudéac (Côtes-du-
Nord). 1900.
OLLIVE (Frédéric), inspecteur du service vicinal, m. de la
corn. dép. des bâtiments civil, r. Félibien, 01, 1901.
OLLIVE (Jean-Raptiste), secr. de la Soc. des Amis des Arts,
Pont-Rousseau, Rezé, 1900.
OUVRARD (Léonce), rédacteur en chef de V Express de VOuest,
pi. des Jacobins, 1908.
PINEAU-CHAILLOU (Fernand), secr. de la Soc. des Art.
bretons, q. Ernest-Renaud, 12, et ch. des Cléons, Vertou,
1905.
PLANTARD (le docteur J.-M.), boul. Pasteur, 29, 1904.
PLESSIS (Georges du), %, 1, r. Maurice-DuvaL 1908.
• — XI —
POIRIER (Etienne), bibl. de la Soc. ac, pi. du Bouffay, 6,
1907.
POMMIER (Félix); O. A. O, conservateur du Musée des B.-A.,
très, et m. de la Comra. du Musée arch., r. Leroy, 23, 1X88.
POUVREAU (Raymond), anc. cons. d'arr. de Nantes, dir. de
la Mutuelle du Mans, r. St-André^ 44, 1884.
RACINEUX (Marcel), route de Clisson, 1908.
RADIGOIS (l'abbé Auguste), anc. sup. du Collège de
Chàteaubriant, anc. curé de S'-Sébastien, anc. aumônier
du Pensionnat des Frères, r. de Bel-Air, 14, 1886.
RENARD (Paul), pi. du Pilori, 11, 1907.
RENAUD (Henri) dir. du Vendéen, r. de Savenay. 16, 1907.
RÉVÉREND (JulesJ, à Bourgerel, Musillac (Morbihan).
RINGEVAL (Léon), #, O, A., Ç|, Porte-Chaise, S'-Sébastien,
près Nantes, 1903.
RIONDEL (le commandant Albert), O. ^, capitaine de
frégate en retraite, anc. pr* de la Soc. ac, pi. fde la
Moricière, 1, et ch. des Chapelières, S'-Mars-la-Jaille, 1905.
RIONDEL (Henri), très, de la Soc. ac, pi. de la Moricière,
1, et ch. des Chapelières, St-Mars-la-Jaille, 1907.
RIVET (Edouard), la Trémissinière, près Nantes, 1906.
ROCHERY, q. Dugay-Trouin, 3, 1908.
ROUXEAU (le docteur Alfred), O. A. Q. anc interne des
hôpitaux de Paris, prof, de physiologie à l'Ec de méde-
cine, secr. de la Gazette Médicale de Nantes, va. de la Soc
ac. et du Com. de la Bibl. publ., r. de l'Héronniére, 4,
1894.
ROY (Donatien), r. Fénelon, 4, 1908.
SAINT-GUÉDAS (Henri Rado de), avocat, m. du Cons.,
r. Grétry, 1, 1907.
SÉCILLON (le vicomte Stéphen de), r. Prémion, 1, et ch. de
la Tour, Orvault, 1898.
SIBILLE (Maurice), député, cons. 'gén., m. de la Comm. du
Musée des B.-A., r. Gresset, 8, et boul. des Invalides, 44,
Paris, 1907.
SOREAU (l'abbé Henri), chanoine hon., prof, de dessin au
Pensionnat S'-Stanislas, r. St-Stanislas, Nantes, 1886.
SOULLARD (xMarcel), avocat, docteur en droit, prof, supplé-
ant à l'Ec libre de droit, secr. gén. de la Soc. ac, r. Cré-
billon, 14, 1899.
— XII —
SOULLARI) (Paul), numismatiste, m. de la Com. du Musée
arch., m. cor. de la Soc. française de numismatique, r. du
Château, 10, et ch. de la Haye-Morlière, près Nantes, 1862.
SUYROT (Gabriel de), r. du Lycée, 13, et ch. de la Gastière,
Mortagne-s/-Sèvre (Vendée), 1890.
TERNAY (le comte Louis d'AviAu de), r. Tournefort, 2, et
ch. de Ternay, les Trois-Moutiers (Vendée), 1886.
TERTRE (Fernand Couètoux du), greffier du Tribunal,
Paimbœuf, 1907.
TESSIER (Benjamin), architecte, m. de la Soc. des archi-
tectes, anc. él. de l'Ec. des B.-A., r. Crébillon, 24, et la
Roche-Montrevault (Maine-et-Loire), 1906.
TOUCHE (Xavier Le Lièvre delà), numismatiste, r. du Port-
Communeau, 21, 1883.
TRÉMANT (Paul), r. de la Rosière, 11, 1900.
VIENNE (Jean de), ch. de Thouaré, 1908.
VIEUVILLE (Gaston de la), O. ^, colonel de cavalerie
breveté en retraite, r. Tournefort, 1, et ch. de la Gazoire,
Nort,1900.
VIGNARD (le docteur Edmond), O. A. Q, chirurgien des
hôpitaux, prof, de clinique chirurgicale à l'Ec. de méde-
cine, chirurgien titulaire à l'Hôtel-Dieu, r. de l'Héronnière,
6, 1900.
VIGNARD (Auguste), r. de Rennes, 11, 1904.
VIGNERON-JOUSSELANDIÈRE (Albert), Coët-Droz, Save-
nay, 1905.
VILLESBOISNET (le comte Arthur Espivent de la), sec. du
Cons. gén. de la Loire-Inférieure, m. de la Com. dép.,
ch. du Deflay, Pontchàteau, et r. Cambon, 31, Paris, 1896.
VINCENT-JOÙON (Antoine), pr' du Tribunal de commerce,
rue de Courson, 3, 1906.
VINCENT (Félix), ch. de la Gobinière, Orvault, 1896.
WISMES (Christian de Blocquel de Croix, baron de), m.
d'hon. de la Comm. du Musée arch., P de la Soc. ac, anc.
v.-pr* de la Conf. La Moricière, m. de la Soc. des Art.
bretons, cor. de la Soc. de l'Art chrétien et de l'Ass.
bretonne, r. Henri IV, 12, 1887.
WISMES (Gaétan de Blocquel de Croix, baron de), v.-pr1
de la Soc. ac, secr. adj.de la Soc. des bibl. bret., r. Royale,
17, et ch. de la Chollière, Orvault, 1887.
XIII —
MEMBRES CORRESPONDANTS
MM.
ACHON (le chevalier Charles d'), anc. él. de l'Ec. des Chartes,
ch. de la Roche-de-Gennes, Gennes (Maine-et-Loire), 1898.
AUMONT (Joseph), photographe, r. de la Barillerie, 15, et
S'-Brevin, 1882.
BARMON (Henri Nicolazo de), anc. camérier d'hon. de
S. S. le Pape Léon XIII, ch. de la Touche, Fégréac, 1887.
BASTARD (Charles) numismatiste, ch. de Kerlan, par Save-
nay (L.-L), 1908.
BAUDRY (Madame), (née Joséphine Bouché), associée cor-
respondante, S'-Mars-la-Jaille, 1906.
BÉJARRY (le comte Amédée de), #, sénateur de la Vendée,
anc. lieutenant-colonel du 63e régiment territorial, r. Tour-
nefort, 7, et ch. de la Roche-Loucherie, S'1' -Hermine
(Vendée), 1885.
BOCERET (Emmanuel Priour de), écrivain, r. Sully, 1, 1887.
BOIS -SAINT -LYS (M1"» Maillard de), associée correspon-
dante, manoir du Bois-S'-Lys, Carquefou, 1900.
BONNEAU (Louis), O. I. |>, juge de paix, m. de la Soc. des
bibl. bret. et de la Soc. polymathique du Morbihan, écrivain,
l1 de nombreux concours lit., m. des Hospitaliers-Sauve-
teurs-Bretons, q, de S'-Goustan, 28, Auray (Morbihan), 1898.
BOURDEAUT (l'abbé Arthur), docteur en théologie, vicaire
de Nozay, 1903.
BROCHET (Louis), O. A, Q, agent voyer d'arr. hors
classe, m. de la Soc. des antiquaires de l'Ouest, r. de la
République, 114, Fontenay-le-Comte (Vendée), 1900.
CHAPRON (Joseph), 1* de la Soc. ac, Châteaubriant, 1889.
CHARBONNEAU-LASSAY (Louis), m. de plusieurs Soc.
d'hist. et d'arch., prof., Loudun (Vienne), 1902.
CHATELLIER (le baron Paul Maufras du), O. I. 0, m. cor.
de l'Institut, ll de l'Institut, cor. de la Soc. des ant. de
— XIV —
France, cor. du Min. de l'Instr. publ. et des B.-A., pr« de
la Soc. arch. du Finistère, ch. de Kernuz, Pont-1'Abbé (Fi-
nistère), is.x:;.
COURSON de ia VILLENEUVE de vicomte Robert de),*,
colonel en retraite, rue de Nièvre, 50, Nevers (Nièvre),
1895.
COUTIL (Léon), O. A. Q, cor. du Min. pour la section
d'arch., fond, et anc. prt de la Soc. normande d'études
préhistoriques, m. de plusieurs Soc. savantes, les Andelys
(Eure), 1907.
DRESNAY (le vicomte Maurice du), licencié ès-lettres, atta-
ché à la légation de France à Tokio, Tokio (Japon), av. du
Trocadéro, 14 Ms, Paris, et ch. du Dréneuc, S'-Nicolas-de-
Redon, 1886.
DUBREIL (Charles), juge d'instruction, Paimbœul, 1900.
ESPERONNJÈRE (le marquis René de 1'), ch de l'Esperon-
nière, Candé (Maine-et-Loire), 1907.
EUDEL (Paul), 0. I. i}, critique d'art, chargé de missions en
Algérie, anc. sec. de la Soc. ac, anc. m. de la Corara. de la
Bibl. et de la Comm. du Musée Arch., v.-pr» de l'Exp. des
B.-A., anc. m. de la Comm. du Conservatoire de musique,
anc. m. des Comm. des Expositions universelles, r. Gustave-
Flaubert. 4, Paris, et ch. du Gord, Cellettes (Loir-et-Cher)
1885.
CABILLAUD (Narcisse), instituteur à Moulins (Deux-Sèvres),
1908.
GENUIT (le docteur Marcel), ch. de la Guichardaye, Tréal
(Morbihan), 1871.
GIROUSSE (l'abbé Félix), aumônier des Frères, rue de
Rennes, 85-87, 1895.
HERRIOT (Edouard), anc. él. de l'Éc. normale supérieure,
agrégé des lettres, prof, de rhétorique au Lycée de Lyon,
maire de Lyon, cours d'Herbouville, 1, Lyon (Rhône), 1896.
JOUBERT (le chevalier Joseph), v.-pr' de la Soc. des Études
coloniales et maritimes, m. cor. de la Sociedade de Geo-
graphia de Lisboa et de l'Ateneo Veneto, m. de la Societa
Geografica Italiana, du Conseil héraldique de France, etc.,
r. des Arènes, 11, Angers (Maine-et-Loire), 1906.
JOYS (Paul), dir. de l'Ec. S'-Similien, r. Talensac, 16, 1906.
KERGUENNEC (François Le Chauff de), maire de St-Molf,
— XV —
ch. de Kerguennec, Guérande, et r. du Mené, 18, Vannes
(Morbihan), 1879.
LANDE de CALAN (le vicomte Charles de la), p« de la Soc.
des bibl. bretons, Redon (Ille-et-Vilaine), 1907.
LONGKAIS (Frédéric Joùon des), archiviste paléographe,
anc. él. de l'Ec. des Chartes, rue du Griffon, 4, Rennes, et
ch. de la Martinière, Rennes (Ille-et-Vilaine), 1894.
LORIÈRE (Henri Trochon de), r. Henri IV, 11, et ch. du Pa-
villon, Presles et Thierry (Aisne), 1901.
MAUPASSANT (le comte Charles de), ch. de Clermont, le
Cellier, et r. de Monceau, 60, Paris, 1891.
MÉREL (l'abbé Louis), vicaire d'Issé, 1900.
MERESSE (Gabriel), ch. de Lessac, Guérande, et Villa la
Reine, r. Fontaine-Bleue, Mustapha-Alger (Algérie), 1881.
MOLLAT (l'abbé Guillaume), anc. chapelain de l'église
S'-Louis-des-Français,chapelainde la basilique de Montmar-
tre, Mauves, et r. de l'Assomption, 88, Paris (XVF), 1901.
MONTAIGU (le marquis Pierre de), #, C. de Pie IX, v.-pr»
du Cons. gén. et député de la Loire-Inférieure, maire de
Missillac, v.-pr* d'hon. de la Soc. St-Hubert de l'Ouest, m.
delà Comm. du Musée des B.-A., ch. de la Bretesche, Misil-
lac, etr. Martignac, 18, Paris, 1899.
MOREAU (Georges), ingénieur des mines, anc. él. de l'éc. Po-
lytechnique, av. Bugeaud, 28, Paris, 1902.
PERRON (Louis), à Formusson-en-Daon (Mayenne).
PEYRADE (Henri Espitalié de la), anc. cons. mun. de
Nantes, ch. du Bois-de-Roz, Limerze! (Morbihan), 18<S.">.
PICHELIN (Paul), banquier, m. de la Soc. des Amis des
arts, r. Bonne-Louise, 12, 1874.
PINEL (Louis), répétiteur à l'École des Hautes Études com-
merciales, 108, boulev. Malesherbes. Paris-17e, 1908.
PORT (Etienne), %, chef adj. du cabinet du Min. de l'Inst.
publ., Paris, 1903.
PORTE (le vicomte Hippolyte Le Gouvello de la), cons.
d'arr. de S»-Nazaire, maire de Sévérac, m. de la Comm. du
Musée Dobrée, r. Sully, 5, et ch. de Sévérac, Si-Gildas-des-
Bois, 1886.
RENOUL (le docteur Emmanuel), le Loroux-Bottereau, 1901.
REVELLIÈRE (Gabriel), vérificateur des Douanes, à Saint-
Nazaire, 1908.
— XVI
TOUCHE (Henri Roumain de la), anc. magistrat, cons. d'arr.
d'Ancenis, ch. de Champtoceaux (Maine-et-Loire), 1885.
TRÉVELEC (le marquis Harry de), Herbignac, West South-
bourne, Bournemouth (Angleterre), 1902.
XVII —
MEMBRES HONORAIRES
MM.
ABGRALL (l'abbé Jean -Marie), O. A. 0, chanoine hon. de
Quimper, aumônier de l'Hôpital, v.- pr' de la Soc. arch.
du Finistère, cor. de la Comra. des monuments hist-, 1' de
la Soc. française d'arch., prof, d'arch. au Grand-Séminaire,
Quimper (Finistère), 1897.
CROIX (le R. P. Camille de la), #, Poitiers (Vienne), 1894.
POTTIER (l'abbé Fernand), O. A. Q, chanoine titulaire, pr»
de la Soc. arch. du Tarn-et-Garonne, corr. du Min. de
l'Inst. pub. pour les travaux hist., du Min. des B.-A., de
la Comm. des monuments hist., inspecteur de la Soc. fran-
çaise d'arch., prof, d'arch. au Grand-Séminaire, r. du
Moustier, 59, Montauban (Tarn-et-Garonne), 1898.
URSEAU (l'abbé Charles), O. A. ||, chanoine de la Cathédrale
d'Angers, secr. gén. de la Soc. d'agr., se. et arts d'Angers,
cor. du Min. de l'Inst. publ. et de la comm. des monu-
ments hist., parvis S'-Maurice, 4, Angers (Maine-et-Loire),
1906.
Soc. ArchéoL Nantes.
— XVIII —
\
SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES
FRANCE
Aisne Société académique des sciences, arts,
belles-lettres, agriculture et indus-
trie de Saint-Quentin (S'-Quentin).
Allier Société d'émulation des lettres, scien-
ces et arts du Bourbonnais (Moulins).
Alpes- Maritimes Société des lettres, sciences et arts des
Alpes-Maritimes (Nice et Paris).
Aube Société académique, d'agriculture, des
sciences, arts et belles-lettres du
département de l'Aube (Troyes).
A ude Commission archéologique et littéraire
de l'arrondissement de Narbonne
(Narbonne).
Aveyron Société des lettres, sciences et arts de
l'Aveyron (Rodez).
Basses-Pyrénées Société des sciences, lettres et arts de
Pau (Pau).
Belfort Société Belfortaine d'émulation (Bel-
fort).
Bouches-du-Rhùne . . . Société de statistique de Marseille
(Marseille).
Annales des Facultés de droit et des
lettres d'Aix, à la Bibliothèque de
l'Université, à Aix-en-Provence.
Charente Société archéologique et historique de
la Charente (Angouléme).
Charente-Inférieure. . Société des archives historiques (Re-
vue de Saintonge et d'Aunis)(Saintes).
Cher Société des antiquaires du Centre
(Bourges).
— XIX —
Corrèze Société scientifique, historique et ar-
chéologique de la Corrèze (Brives).
Côtes-du-Nord Société d'émulation des Côtes-du-Nord
(Saint-Brieuc).
Creuse Société des Sciences natarelles et ar-
chéologiques de la Creuse (Guéret).
Deux-Sèvres Société de statistique, sciences, lettres
et arts du département des Deux-
Sèvres (Niort).
Dordogne Société historique et archéologique
du Périgord (Périgueux).
Eure-et-Loir Société archéologique du Finistère
(Chartres).
Finistère Société archéologique du Finistère
(Quimper).
— Société diocésaine d'archéologie
(Quimper).
— Société académique de Brest (Brest).
Gard Académie de Nîmes (Nîmes).
Gironde .• Société archéologique de Bordeaux
(Bordeaux).
Hautes-Alpes Sociétéd'étudesdesHautes-Alpes(Gap).
Haute-Garonne Société archéologique du Midi de la
France (Toulouse).
Haute-Marne Société historique et archéologique de
Langres (Langres).
Haute-Saône Société d'agriculture, sciences et arts
du département de la Haute-Saône
(Vesoul).
Haute-Vienne Société archéologique et historique du
Limousin (Limoges).
— Société des amis des sciences et arts
de Bochechouart (Bochechouart).
Ille-et- Vilaine Société archéologique du département
d'Ille-et-Vilaine (Bennes).
— Annales de Bretagne, publiées par la Fa-
culté des lettres de Bennes (Bennes).
— Société historique et archéologique
de l'arrondissement de Saint-Malo
(Saint-Malo).
— XX —
Indre-et-Loire Société archéologique de la Touraine
(Tours).
Isère Académie Delph'nale (Grenoble).
Jura Société démulation du Jura (Lons-le-
Saulnier).
Landes Société de Borda (I)ax).
Loir-et-Cher Société des sciences et lettres du
Loir-et-Cher (Blois).
Société archéologique, scientifique et
littéraire du Vendômois (Vendôme).
Loire-Inférieure Société académique de Nantes et de la
Loire-Inférieure (Nantes).
— Société des sciences naturelles de
l'Ouest de la France (Nantes).
— Société des Bibliophiles Bretons et de
l'Histoire de Bretagne (Nantes).
Loiret . . Société archéologique et historique de
l'Orléanais (Orléans).
Lot Société des études littéraires, scienti-
fiques et artistiques du Lot (Cahors).
Lozère Société d'agriculture, industrie,
sciences et arts du département de
la Lozère (Mande).
Maine-et-Loire Société des sciences, lettres et beaux-
arts de l'arrondissement de Cholet
(Cholet).
Société Nationale d'Agriculture, scien-
ces et arts d'Angers.
Manche Société d'agriculture, d'archéologie et
d'histoire naturelle du département
de la Manche (Saint-Lô).
Marne Société d'agriculture, commerce,
sciences et arts du département de
la Marne (Chàlons-sur-Marne).
Mayenne . ... Commission historique et archéolo-
gique de la Mayenne (Laval).
Meurthe-et-Moselle. . . Société d'archéologie lorraine et Mu-
sée historique lorrain (Nancy).
Meuse Société des lettres, sciences et arts de
Bar-le-Duc.
— XXI —
Morbihan Société polymathique du Morbihan
(Vannes).
Nord Commission historique et archéolo-
gique (Lille).
Oise .... Société académique d'archéologie,
sciences et arts du département de
l'Oise (Beauvais).
Orne Société historique et archéologique de
l'Orne (Alençon).
Pas-de-Calais Société des antiquaires de la Morinie
(Saint-Omer).
Rhône Société académique d'architecture de
Lyon (Lyon).
Bulletin historique du diocèse de Lyon
(Lyon).
Saône-et- Loire Société Eduenne (Àutun).
— Académie de Màcon (Màcon).
Sarthe Société d'agriculture, sciences et arts
de la Sarthe (Le Mans).
Revue historique et archéologique du
Maine (Le Mans et Mamers).
Seine Journal des Savants (Paris).
Société nationale des antiquaires de
France (Paris).
— Société française d'archéologie pour la
conservation et la description des
monuments (Congrès archéologi-
ques) (Paris et Caen).
— Société française de numismatique
(Paris).
— Revue de la Société des études histo-
riques, faisant suite à l'Investigateur
(Paris).
— Comité des travaux historiques et
scientifiques (M. I. P., Paris).
— Revue de l'École d'anthropologie
(rue de l'École -de -Médecine, 15,
Paris).
Seine-Inférieure Commission des antiquités de la Seine-
Inférieure (Rouen).
— XXII —
Seine-Inférieure Société havraise d'études diverses (Le
Havre).
Seine-et-Oise Société archéologique de Rombouillet
(Rambouillet).
Somme Société des antiquaires de Picardie
(Amiens et Paris).
Tarn-ct-Garonne Société archéologique du Tarn-et-
Garonne (Montauban).
Var Société d'études scientiliqueset archéo-
logiques de la ville de Draguignan
(Draguignan).
Vendée Société d'émulation de la Vendée (La
Roche-sur-Yon).
La Vendée historique et traditioniste
(Luçon).
Vienne Société des antiquaires de l'Ouest
(Poitiers).
Yonne Société des sciences historiques et
naturelles de l'Yonne (Auxerre).
ALGÉRIE
Constantine Société archéologique du département
de Constantine (Constantine).
BELGIQUE
Namur • . Archives de la France monastique,
Revue Mabilon (Cbcvetognc par
Leigr.on).
ESPAGNE
Catalogne Revista de la Associacion artistico-
arqueôlogica (Rarcelone).
Iles Baléares Boletin de la Sociedad arqueôlogica
Iuliana (Palma de Mallorca, islas
Baléares).
ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE
Colombie Smithsonian institution (Washington).
SUÈDE
Stockholm Académie royale des belles-lettres,
d'histoire et des antiquités de Stock-
holm (Stockholm).
— XXIII —
REVUES
Cantal Revue de la Haute- Auvergne (Aurillac).
Ille-et-Vilâine L'Hermine, revue littéraire et artis-
tique de Bretagne (Rennes, Paris,
I
Londres).
Maine-et-Loire Revue de l'Anjou (Angers).
Morbihan Revue Morbihannaise (rue Pasteur, 1'.).
Vannes).
Seine Revue des Traditions populaires (80,
boul. Saint-Marcel, Paris-Ve).
TABLE DES MATIÈRES
Pages
Procès-verbaux des séances xlvii
Nantes en 1792 207
Notes curieuses extraites des registres de la paroisse
de Saint-IIei blain 351
Prééminences de l'église de Saint-Philbert de Grand-
Lieu 359
L'ancienne église de Notie-Dame de Challans 3(S7
Découverte d'un objet d'art ancien 415
L'église et la paroisse Saint-Laurent de Nantes 417
Nécrologie : M. Edouard Pied 443
Liste des Membres de la Société i
Lisle des Sociétés correspondantes xvm
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Nantes. — Imp. A. DUGAS & C'e, 5, quai Cassard.
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